le bar, berceau de la cohésion ou tombeau de l_autorité

33
Séminaire St-Cyr HEC 2014 Astrid Apert Groupe 6 1/33 Le bar : berceau de la cohésion ou tombeau de l’autorité ? Mémoire présenté par le groupe 6 sous la responsabilité d’Astrid Apert DESBONNETS Guillaume FAUROUX Lucas BENNANI Fadel HONTABAT Raphaël

Upload: fadel-bennani

Post on 16-Jan-2017

286 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

1/33

Le bar : berceau de la cohésion ou tombeau

de l’autorité ?

Mémoire présenté par le groupe 6 sous la responsabilité d’Astrid Apert

DESBONNETS Guillaume

FAUROUX Lucas

BENNANI Fadel

HONTABAT Raphaël

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

2/33

1 Prologue ............................................................................................................................. 3 2 Démarche de recherche adoptée ...................................................................................... 4

2.1 Question de recherche ........................................................................................... 4 2.2 Hypothèse .............................................................................................................. 4

2.3 Références théoriques ........................................................................................... 4 2.4 Enquête envisagée ................................................................................................. 4

3 Ce qui ressort de l’enquête réalisée ................................................................................. 5 3.1 Le bar, une menace pour l’autorité........................................................................ 5

3.1.1 Le bar et l’autorité dans l’imaginaire collectif ............................................... 5

3.1.2 Le bar, un enjeu actuel pour le monde du travail et les cadres en particulier 7

3.1.3 Le bar, un lieu potentiellement dangereux pour l’autorité ? .......................... 8

3.1.4 Le bar peut cependant être un moyen pour le chef de se rapprocher de son

équipe et d’affirmer son autorité d’une autre manière ............................................... 10

3.2 Le bar, un facteur de cohésion du groupe ........................................................... 12 3.2.1 Le bar permet de transcender les divisions .................................................. 12

3.2.2 Le bar est ce lieu qui soude le groupe dans la transmission des traditions .. 13

3.2.3 Le bar permet de donner aux relations professionnelles une plus grande

profondeur .................................................................................................................. 14

3.2.4 La désinhibition inhérente au bar est toujours risquée pour une relation

professionnelle ........................................................................................................... 15

3.3 Dans quels contextes professionnels le bar est-il important ? ............................. 16 3.3.1 Le bar et les milieux codifiés ....................................................................... 16

3.3.2 Pourquoi ce besoin se fait-il ressentir dans les milieux très codifiés ? ........ 16

3.3.3 Le bar ne risque-t-il pas de brouiller les codes de ces milieux très

hiérarchisés ? .............................................................................................................. 17

3.3.4 Le verre entre collègues, élément clef d’un univers convivial dans

l’entreprise ................................................................................................................. 17

3.3.5 Le bar est-il incompatible dans les grandes entreprises « modernes » ? ..... 18

4 Bilan ................................................................................................................................. 20 5 Annexe .............................................................................................................................. 21

5.1 Bibliographie ....................................................................................................... 21 5.2 Sondage ............................................................................................................... 21 5.3 Observation : la campagne Junior Entreprise ...................................................... 22

5.4 Entretiens ............................................................................................................. 23 5.4.1 Entretien avec Baptiste Vial, ingénieur chez Thalès ................................... 23

5.4.2 Entretien avec Amandine Ory, élève officier du personnel naviguant ........ 25

5.4.3 Entretien avec Guillaume Sivadier, trader chez Morgan Stanley à NYC .... 27

5.4.4 Entretien avec Laurent Abadie, PDG Europe du groupe Panasonic et

membre du conseil d’administration de Panasonic Monde. ...................................... 29

5.4.5 Entretien avec M. François d’Aubert, ancien député de la Mayenne .......... 31

5.4.6 Entretien avec Kim Hyonmin, cadre pour le groupe Amer Sport au Japon 32

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

3/33

1 Prologue

Vendredi, 23h16, Mathieu Gayot, élève officier de Saint-Cyr, se lève et lance avec un

air jovial : « Allez les gars, c’est ma tournée ». Dès notre première soirée à l’école

militaire de Coëtquidan, notre chef d’équipe nous a conduits dans ce lieu incontournable

pour l’ensemble des élèves officiers.

Nous sommes quatre étudiants en première année à HEC ayant participé au

séminaire « Leadership et esprit d’équipe » organisé par Saint-Cyr et HEC Paris. A notre

arrivée au camp militaire de Sissonne, nous avons été placés sous le commandement de

sous-lieutenants cyrards pour une semaine de formation. Difficiles physiquement et

psychologiquement, les épreuves auxquelles nous avons été confrontés visaient à nous

sensibiliser aux techniques de commandement.

Notre suiveur nous guidait pour surmonter les obstacles en faisant preuve

d’autorité et en maintenant une certaine distance. Mais quelque chose a changé dans notre

rapport à lui lors de cette première soirée chez Norby, le bar de Coëtquidan. En effet, se

parler autour d’une girafe a permis un rapprochement sans pour autant porter atteinte au

respect que nous lui portions. Dans ce contexte précis, le bar a favorisé à la fois une plus

grande cohésion au sein de notre groupe et un nouveau rapport de confiance entre

l’équipe et le chef. Mais cette expérience peut-elle être généralisée ?

Alors que l’alcool, associé à la perte de contrôle, est généralement considéré

comme un danger pour l’individu et la collectivité, il semble ici pouvoir participer au

dynamisme d’un groupe. Dans de nombreux milieux, dans de nombreuses cultures, le bar

répond à un besoin social tant individuel que collectif. Le chef a donc peut-être intérêt à

cultiver cette tradition afin de renforcer la cohésion entre ses subordonnés et approfondir

leurs relations au-delà du cadre strictement professionnel. Cependant, en assouplissant les

codes souvent rigides qui gouvernent la relation entre les travailleurs et leur chef, le bar

véhicule aussi de nombreux risques et peut nuire tant à l’autorité du chef qu’à l’unité du

groupe. A son échelle, cette étude vise donc à apporter au manager quelques clés sur la

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

4/33

place qu’il doit accorder au bar dans la construction de son équipe. Finalement, la girafe

doit-elle être domestiquée ?

2 Démarche de recherche adoptée

2.1 Question de recherche

La question de recherche que nous avons retenue est la suivante : Le bar est-il

berceau de la cohésion ou tombeau de l’autorité ? Les techniques visant à exploiter au

mieux les capacités de son équipe font aujourd’hui l’objet de nombreuses études, mais

aucune ne s’attarde sur la problématique des relations humaines hors du contexte de

l’entreprise. Nous avons donc choisi de nous avancer en terres inconnues en analysant le

rôle spécifique du bar dans les relations de travail. Une tâche d’autant plus ardue que le

rapport du bar à l’entreprise est ambiguë : est-il un prolongement de l’entreprise en

offrant un lieu de détente après une dure journée de labeur, ou est-il la source d’une

remise en cause des règles de l’entreprise en cassant les principes de hiérarchie et

d’autorité qui la sous-tendent ? Maitriser cette question sera sans doute un atout pour un

manager.

2.2 Hypothèse

Notre expérience personnelle ainsi que notre ressenti nous amène à penser que le bar

n’est pas tant une menace qu’une opportunité à exploiter pour le manager.

2.3 Références théoriques

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que les études théoriques sur ce sujet sont rares,

si ce n’est inexistantes. Seul le livre des sociologues Josette Halégoi et Rachel Santerne

intitulé Une vie de zinc – Le bar, ce lien social qui nous unit effleurait notre sujet.

2.4 Enquête envisagée

Nous avons voulu interviewer des personnes issues de cultures différentes afin de

pouvoir apporter un propos plus riche et nuancé sur le sujet. C’est notamment pour cela

que nous avons interviewé Kim Hyonmin, cadre pour le groupe Amer Sport au Japon. Ses

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

5/33

réponses, bien différentes de celles des Européens, ont été précieuses dans la construction

de notre réflexion. Toujours dans le but d’être objectifs, nous avons observé des milieux

variés, pas seulement l’entreprise, mais aussi le monde du sport. Nous avons par exemple

analysé le comportement de l’entraîneur de l’équipe de rugby d’HEC lorsqu’il est venu à

une soirée étudiante.

Nous avons également réalisé un sondage afin de toucher une part des travailleurs qui

soit la plus représentative possible de la population active. En effet, l’enjeu de la cohésion

d’équipe et de l’autorité du chef n’est pas propre à un domaine particulier et concerne la

plus grande partie du monde du travail. Pour cela, nous sommes allés interroger des gens

aux stations de métro de Châtelet-les Halles et La Défense un lundi matin à partir de 8h,

en leur soumettant un questionnaire de type QCM à choix multiples. Vous retrouverez les

résultats obtenus à la fin de cet ouvrage avec les interviews effectuées.

3 Ce qui ressort de l’enquête réalisée

3.1 Le bar, une menace pour l’autorité

3.1.1 Le bar et l’autorité dans l’imaginaire collectif

Il est important de commencer cette analyse par un rappel de l’histoire du bar,

histoire au cours de laquelle on lui prête des noms divers : café, bistrot, bouge, tripot, zinc,

pub ou encore cabaret, chacun apportant ses nuances et spécificités. Le bar – que l’on

entendra pour l’instant dans son sens large de débit de boisson – est historiquement

porteur d’un esprit de révolte contre l’autorité, en particulier celle de l’Etat. La Révolution

française nous en donne un exemple retentissant puisque c’est depuis le café du Foy à

Paris, devant le Palais Royal, que le révolutionnaire Camille Desmoulins a encouragé le

peuple à prendre les armes le 12 Juillet 1789. Les cafés parisiens furent des foyers

majeurs de la révolte en réunissant intellectuels et révolutionnaires, et en offrant une

caisse de résonnance à leurs idées subversives. L’exemple du café Procope est

emblématique puisque qu’il accueillit aussi bien les débats des intellectuels français,

Voltaire, Rousseau et Diderot, que les plaidoiries des révolutionnaires, de Danton et

Marat à Benjamin Franklin et Thomas Jefferson.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

6/33

Cette tendance s’est poursuivie au XIXème et au XXème siècle mais d’une manière

plus diffuse. Les « bouges » évoqués par Victor Hugo et Emile Zola sont des foyers de

misère ouvrière où naissent les vents de révoltes. Le cabaret de Rasseneur dans Germinal,

véritable pied de nez à la tyrannique Compagnie des Mines, en est un exemple célèbre :

placé en face de la mine du Voreux, il nourrit les idéaux socialistes de mineurs et les

pousse à la révolte lorsque les conditions de travail se durcissent.

« Sur une enseigne carrée, clouée au-dessus de la porte, on lisait en lettres jaunes : À

l’Avantage, débit tenu par Rasseneur. Derrière, s’allongeait un jeu de quilles, clos d’une

haie vive. Et la Compagnie, qui avait tout fait pour acheter ce lopin, enclavé dans ses

vastes terres ; était désolée de ce cabaret, poussé en plein champ, ouvert à la sortie même

du Voreux. […]

Mais un gros homme de trente-huit ans, rasé, la figure ronde, parut avec un sourire

débonnaire. C’était Rasseneur, un ancien haveur que la Compagnie avait congédié

depuis trois ans, à la suite d’une grève. Très bon ouvrier, il parlait bien, se mettait à la

tête de toutes les réclamations, avait fini par être le chef des mécontents. Sa femme tenait

déjà un débit, ainsi que beaucoup de femmes de mineurs ; et, quand il fut jeté sur le pavé,

il resta cabaretier lui-même, trouva de l’argent, planta son cabaret en face du Voreux,

comme une provocation à la Compagnie. Maintenant, sa maison prospérait, il devenait

un centre, il s’enrichissait des colères qu’il avait peu à peu soufflées au cœur de ses

anciens camarades. »

(Germinal, p 129-131)

Enfin, mentionnons les bars et en particulier les tripots (ces débits de boissons qui

faisaient office de maison de jeu mal famée) comme lieux où l’on se joue des interdits,

surtout au début du XXème siècle : les jeux et trafics prohibés par la loi et les bonnes

mœurs y ont proliféré. On peut également noter le rôle du bar-café sous l’occupation

allemande, foyer de cohésion contre l’envahisseur. Cette perspective nous offre un

premier éclairage sur la place du bar dans l’imaginaire collectif : un lieu subversif où

l’autorité n’a que peu de prises.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

7/33

3.1.2 Le bar, un enjeu actuel pour le monde du travail et les cadres en particulier

Pourquoi cette problématique est-elle intéressante et utile pour chacun d’entre nous ?

Lors des happy hours, bars et restaurants sont remplis de travailleurs épuisés par leur

journée passée derrière un bureau ou une table de conférence. Les observer semble

confirmer que prendre un verre après le travail est aujourd’hui un aspect essentiel du

networking. Selon un sondage publié par Forbes en décembre 2013, au moins un

cinquième des employés de bureau admettent aller boire un verre avec leurs collègues au

moins une fois par mois. La plupart des personnes interrogées disent le faire avant tout

pour renforcer la cohésion au sein de leur équipe, tandis que 11% disent chercher à passer

un moment agréable avec leur patron. Dans quelle mesure cette pratique affecte-t-elle les

relations déjà établies entre les personnes d’une même équipe ? La courte analyse

historique que nous avons effectuée sur la dimension subversive et contestataire du bar

nous invite à interroger son effet sur les relations hiérarchiques au sein des groupes

professionnels, en particulier sur le rapport au chef et à son autorité.

Dans leur livre Une vie de zinc, les sociologues Josette Halégoi et Rachel Santerre

montrent que dans un bar, les relations humaines sont favorisées par « le cadre rassurant

du bar où l’on peut se laisser aller sans risque à la détente, au plaisir d’un moment partagé,

à une certaine liberté de parole et de comportement, à l’audace parfois ». Les échanges

propres au bar sont une source de lien social. Les auteurs parlent notamment du bar

comme d’un refuge, une enveloppe apaisante pour l’individu. Cela passe d’abord par

l’ambiance sonore familière, à même de combler nos vides affectifs. Mais c’est aussi une

confrontation visuelle à l’humanité dans sa diversité, et un lieu où la rencontre d’inconnus,

parfois pour se confier, permet de s’échapper du poids des relations quotidiennes. Le bar

ouvre une temporalité différente, en marge des préoccupations professionnelles, familiales,

financières ; un temps pour soi en quelque sorte, pour souffler et oublier. Les auteures

affirment ainsi la nécessité du bar pour l’individu en insistant sur sa dimension de lieu de

rencontre extra-professionnel. Dès lors, n’est-il pas risqué d’introduire le travail dans le

milieu ressourçant du bar ?

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

8/33

3.1.3 Le bar, un lieu potentiellement dangereux pour l’autorité ?

Il est intéressant d’observer que, lors de ce type de rencontre informelle avec leur

chef, les gens sont davantage concentrés sur leur propre comportement que sur celui de

leur chef. Ce type de sujet est abondamment abordé sur des forums internet, les gens

relatant souvent leur malaise en cas d’invitation de la part de leur boss à prendre un verre.

C’est aussi pour cette raison que de nombreux articles conseillant sur la démarche à

adopter fleurissent sur le web, « to make every cocktail count ». Dana Gornitzki, éditrice

de MIEN Magazine et spécialiste des bonnes manières, affirme ainsi que ce temps passé

entre collègues au bar est le meilleur moment pour montrer sa vraie personnalité mais en

adoptant une attitude exemplaire, impliquant de trouver une chaise pour son patron ou

encore de s’excuser poliment avant d’aller aux toilettes. Emma Howe, organisatrice de

fête d’entreprises pour Late Night London, surenchérit. Il n’est pas question selon elle de

se comporter avec son patron ou ses collègues comme avec ses amis. Le bar, en définitive,

est envisagé par beaucoup comme un terrain de séduction pour ses collègues et supérieurs

hiérarchiques.

Mais il ne s’agit pas pour autant pour le chef de baisser sa garde. Dans mon

ancienne classe préparatoire, les rapports entre les élèves et les professeurs étaient très

complices. A tel point que de nombreux professeurs se joignaient aux préparationnaires

lors de certaines soirées. Or une année, un professeur de mathématiques s’est retrouvé en

état d’ivresse parmi ses élèves. Inutile de dire qu’il avait franchi une frontière dangereuse,

celle au-delà de laquelle les élèves risquaient de le considérer comme leur « copain ». Le

lendemain, certains lui ont fait des réflexions par rapport à cette soirée. Mais il a coupé

court aux allusions ; « Ce qui s’est passé hier soir était exceptionnel. Je suis votre

professeur et vous êtes mes élèves. Nous allons maintenant commencer la correction des

exercices à faire pour aujourd’hui ». C’est ainsi que cette parenthèse d’un soir s’est

terminée. Celui qui représente une figure d’autorité prend toujours un risque lorsqu’il est

mêlé à des situations festives où il est incité à consommer de l’alcool. Il risque un

affaiblissement de son autorité. Néanmoins, les codes sociaux (ici les rapports de maître à

élève) permettent d’empêcher au chef (ici le professeur) de perdre son statut.

Il n’en reste pas moins que l’efficacité de son action est compromise, comme l’a

laissé entendre Baptiste Vial, ingénieur chez Thalès, quand nous l’avons interrogé. Son

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

9/33

chef a volontairement instauré des relations paternalistes avec ses subordonnés afin

d’introduire une ambiance familiale et amicale dans l’entreprise – au point de célébrer

autour d’un verre chaque événement notable – mais ceux-ci n’hésitent alors pas à

négocier pour éviter de se faire assigner les tâches les plus ingrates. C’est bien à une perte

d’autorité que l’on assiste.

Cette situation est bel-et-bien dangereuse selon Mathieu Maurice, auteur du livre

Gagner en autorité naturelle publié en 2004. Selon lui, la maîtrise de soi dont sait faire

preuve un bon chef est un facteur essentiel de son autorité et elle ne doit pas souffrir de

faille, ce qui semble être un exercice périlleux dans le cadre du bar. Il faut savoir rester

légèrement distancié dans les conversations afin d’être mesuré dans ses propos et ne pas

se laisser emporter par le flot de la conversation. Chaque propos doit être pensé, pesé et

soupesé, afin de ne traduire aucun sentiment néfaste tel que la panique. « Il ne faut pas

gâcher le futur en répondant à court terme », affirme Mathieu Maurice. Cela passe par un

exercice de tri des émotions ressenties dans la conversation, en particulier pour ne pas

donner l’impression de porter un jugement de valeur lorsque l’on réprimande un

subordonné. Plutôt que de dire à un collaborateur qu’il est incompréhensible, préférer

ainsi l’expression « je ne comprends pas », afin d’éviter de lui faire perdre la face. C’est

un subtil jeu d’équilibriste qui s’impose au chef lorsqu’il est parmi ses collaborateurs et

ses clients selon Mathieu Maurice ; et le cadre du bar, qui invite à se décharger de ses

tensions quotidiennes, constitue peut-être un relâchement que le chef ne peut se permettre

avec ses collaborateurs. Il faut par-dessus tout éviter de tourner en négatif le travail et

l’entreprise ou de dire que l’on est excédé par sa tâche, d'avoir un comportement contraire

aux valeurs affichées.

Mais peut-être que la transformation des relations un sein du bar ne donne pas tant

lieu à une destruction d’autorité qu’à un transfert d’autorité. Au profit de qui ? Peut-être

du patron, maître absolu en son domaine auquel les clients doivent respect et obéissance.

« Le patron de bar est souvent, à leurs yeux, l’archétype de la virilité masculine, la force

tranquille capable d’affronter les situations difficiles et d’apaiser les conflits. C’est aussi

l’oreille attentive qui sait les écouter quand ils traversent des moments difficiles. » Tous

les clients – sauf les habitués bien sûr – sont mis sur un pied d’égalité face au patron et les

règles hiérarchiques qui existaient entre eux sont momentanément suspendues. Assimilé

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

10/33

aujourd’hui par les jeunes à l’indépendance et à la liberté, le bar reste dans l’imaginaire

collectif ce lieu où on dépose son rang hiérarchique pour avoir des relations d’égal à égal.

3.1.4 Le bar peut cependant être un moyen pour le chef de se rapprocher de son équipe et d’affirmer son autorité d’une autre manière

3.1.4.1 L’exemple de la culture d’entreprise japonaise

D’après l’entretien de Kim Hyonmin, cadre pour l’entreprise Amer Sport au Japon, le

fait d’aller au bar avec l’ensemble de ses collègues et son patron est une ancienne

tradition dans cette société.

Il l’explique par le caractère spécifique des Japonais : étant de nature réservée, et

particulièrement vis-à-vis de leur patron, le bar et son ambiance conviviale permettent des

discussions moins « censurées », plus désinhibées. Il qualifie même le bar d’étape

primordiale à la cohésion du groupe (« team building ») car c’est une occasion pour

chacun de connaître la vie privée de l’autre, qui est indissociable de la vie en entreprise du

fait des répercussions entre ces deux mondes.

De plus, le bar est un moyen important pour le chef d’affirmer son autorité tout en

gagnant la confiance de son équipe, car la tradition au Japon veut que ce soit le chef qui

offre les verres. Il profite de ce moment privilégié avec ses salariés pour engager des

discussions personnelles qui ne seraient pas possibles dans le simple cadre du travail. Cela

rassure considérablement les salariés qui peuvent parler librement et se sentent écoutés ;

dévoiler leurs problèmes afin de les résoudre est bon pour eux, et ce qui est bon pour eux

est bon pour l’entreprise. Ainsi, l’ensemble de l’équipe peut sentir que l’implication du

chef dépasse le simple cadre du travail, que celui-ci a la volonté de s’assurer du bien être

des individus du groupe ; le patron gagne de la sorte une reconnaissance essentielle. C’est

pour cette raison que, selon Kim Hyonmin, la tradition d’aller au bar dans la société

japonaise a un impact positif sur l’autorité du chef.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

11/33

3.1.4.2 L’exemple du milieu sportif

Nous avons pu observer l’impact d’une soirée au bar sur l’autorité d’un entraîneur

sportif pendant une soirée à HEC. Notre sujet d’étude était Florent, entraineur du Rugby

Club HEC.

Là encore, il ressort de l’observation que l’autorité du chef a été renforcée. En effet,

le fait de se retrouver au bar est une ancienne habitude pour l’ensemble du RCH. C’est le

lieu privilégié de la transmission de traditions telles que les chants, qui fédèrent le groupe.

Pendant les entraînements, Florent ne s’adresse que très rarement aux personnes

individuellement, il ne parle souvent qu’à l’ensemble du groupe. La discipline est

primordiale pendant ces entraînements de rugby, tout comme le respect des consignes de

l’entraîneur, ce qui implique une distance dans les relations entre les joueurs et leur

entraineur.

Mais lors de la soirée au bar d’HEC, le comportement de Florent a beaucoup changé

par rapport à celui qu’il adopte pendant les entraînements. Il a chanté avec les joueurs, il a

bu avec eux. Le simple fait qu’il se déplace un soir de semaine pour passer un moment

avec les joueurs a montré son intérêt pour le groupe et son investissement. Cela ne peut

que forcer le respect de l’équipe. De plus, Florent a passé beaucoup de temps à discuter

seul à seul avec chaque joueur, pour connaître leur ressenti sur les entraînements, sur la

cohésion du groupe, leur ambition… Il a également pris des nouvelles des blessés, les a

rassurés. Tous ces gestes ont prouvé l’attachement de l’entraîneur pour le RCH, pour les

joueurs. La soirée au bar a donc été l’occasion parfaite pour Florent de sortir de son rôle

d’entraîneur très distant qu’il adopte pendant les entraînements pour favoriser la discipline

et donc l’efficacité. Il a montré son côté très paternel, soucieux, bienveillant, ce qui a

augmenté la confiance, le respect que les joueurs plaçaient en lui.

Finalement, le bar a bien été un moyen pour l’entraîneur du RCH de renforcer son

autorité, de se rapprocher de son équipe, de mieux connaître ses joueurs. Tout cela est

primordial pour sa performance en tant que leader.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

12/33

3.2 Le bar, un facteur de cohésion du groupe

3.2.1 Le bar permet de transcender les divisions

3.2.1.1 Tout d’abord, le bar est un lieu en marge du monde du travail où

la hiérarchie n’a pas cours

Tout d’abord, l’absence de hiérarchie se manifeste par l’absence de distinctions

hiérarchiques de type vestimentaire. Ainsi, dans le milieu militaire, sous-officiers,

lieutenants, capitaines ou colonels se retrouvent autour d’un verre habillés en civil,

délaissant leurs galons pour revêtir un habit neutre, ne révélant rien de leur statut

professionnel. Ce simple changement vestimentaire a pour conséquence des variations

radicales dans les rapports qu’entretiennent entre eux les militaires : puisque l’attitude des

personnes dans l’enceinte du camp est dictée par le nombre de barrettes figurant sur leur

uniforme, changer de tenue entraîne l’« oubli » temporaire de ces codes.

Ensuite, l’absence de hiérarchie s’observe dans le changement de contexte et de

milieu spatial. En entreprise comme dans un camp militaire, les codes sont intimement

liés aux activités professionnelles de chacun et aux missions en cours. Dans le bar, toutes

les questions professionnelles sont laissées de côté pour laisser place à l’intimité, à la

complicité : en bref, au naturel. Concernant le changement de milieu spatial, il apparaît

très nettement à travers nos différents entretiens que les codes sociaux dans le milieu

professionnel sont très liés à l’occupation de l’espace : le bureau du directeur revêt un

statut particulier, l’open-space implique certains rapports. C’est dans ce sens que va

l’entretien avec François d’Aubert, ancien député de la Mayenne. Celui-ci affirme que,

dans l’enceinte de l’hémicycle, les interactions entre les différents membres de

l’Assemblée dépendent fortement de leur positionnement spatial. Ainsi un député UMP

assis dans une certaine partie de la salle ordonnera ses rapports avec les autres personnes

présentes d’abord en fonction de là où elles se trouvent (les députés PS se trouvent à

l’opposé par exemple). Cela va même jusqu’à des situations assez paradoxales où une

personne prend une posture à l’égard d’une personne, dans le contexte professionnel,

totalement différente de celle qu’elle aurait prise dans le contexte personnel.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

13/33

3.2.1.2 Immergés dans l’ambiance de bar, les chefs sont de facto plus

proches de leur groupe

En premier lieu, le changement de contexte que permet le bar encourage le chef à

oublier son statut. Il est donc naturellement amené à être plus spontané vis-à-vis des

membres de son groupe ce qui, dans une certaine mesure, améliore la cohésion. Nous

avons en effet vu à travers nos observations que les membres du groupe étaient

reconnaissants envers leur chef de profiter de tels moments pour dire les choses telles

qu’elles sont, quitte à être politiquement incorrect voire à heurter certaines sensibilités

(notamment dans le contexte de la campagne électorale pour la Junior Entreprise).

L’oubli du statut s’opère également du côté des subordonnés. Boire un verre avec

leurs supérieurs est un encouragement évident à mettre de côté l’attitude professionnelle

qu’ils doivent avoir dans le contexte de l’entreprise ou de l’armée. Dans un bar, les

relations humaines sont favorisées par « le cadre rassurant du bar où l’on peut se laisser

aller sans risque à la détente, au plaisir d’un moment partagé, à une certaine liberté de

parole et de comportement, à l’audace parfois » (Une vie de Zinc). En découle alors une

plus grande franchise vis-à-vis du chef, qui sera heureux d’avoir avec l’un de ses

subordonnés une conversation lors de laquelle celui-ci lui dira véritablement ce qu’il

pense. Il est en effet important pour un chef d’évaluer ses actes et ses décisions, et

souvent la langue de bois est prépondérante dans l’enceinte de l’entreprise. Avoir une plus

grande proximité avec ses subordonnés permettrait donc au chef d’avoir des avis

spontanés et francs de leur part, améliorant la cohésion du groupe.

3.2.2 Le bar est ce lieu qui soude le groupe dans la transmission des traditions

A cet égard, l’entretien avec Guillaume Sivadier, trader chez Morgan Stanley à

New-York, a permis de mettre le doigt sur un point essentiel. Toute entreprise est

façonnée par son histoire, et donc par ses traditions. Un des rôles de l’employé est

d’initier l’apprenti à ces traditions et de les perpétuer. M. Sivadier partage ainsi son

expérience : c’est lors de sorties au bar avec ses collègues (lors desquelles leurs supérieurs,

plus âgés, étaient absents, surtout pour cause d’obligations familiales) qu’il a été initié aux

traditions de son équipe et qu’il pourra lui aussi transmettre aux nouveaux. D’après ses

dires, ces traditions jouent un rôle essentiel dans le sentiment d’appartenance à un même

groupe, de recherche d’un même objectif : il se rend compte, avec du recul, que c’est en

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

14/33

grande partie cet aspect psychologique qui explique le succès de son entreprise en

permettant une excellente cohésion des groupes de travail.

3.2.3 Le bar permet de donner aux relations professionnelles une plus grande profondeur

3.2.3.1 Ce phénomène s’avère être bénéfique pour le travail d’équipe

Le bar représente véritablement un lieu d’échange entre les membres d’un même

groupe. C’est l’endroit et le moment idéal pour en apprendre plus de ses collègues, voire

se confier. Autour d’un verre s’établissent et s’entretiennent des relations sur le long

terme. Ce contexte particulier, « où les bons mots et les traits d’humour fusent » (Une Vie

de Zinc), participe à la légèreté de l’ambiance et crée une complicité entre collègues. Ce

phénomène ne peut que permettre une meilleure cohésion de groupe, et point est confirmé

par nos observations, en particulier celle des membres du Rugby Club HEC (RCH). En

effet, nous avons remarqué que c’est quasi-exclusivement lorsqu’ils se retrouvent tous au

bar à bière qu’ils apprennent à se connaître (cette pratique étant renforcée par la tradition

qui pousse à poser des questions personnelles). Par la suite, ces moments privilégiés sont

à l’origine de relations plus profondes, plus personnelles, servant à une plus grande

proximité, une meilleure entente, dans la vie privée comme sur le terrain de rugby.

3.2.3.2 Mais il comporte aussi des risques

Alors qu’une certaine profondeur personnelle peut servir la cohésion

professionnelle, elle peut également être à l’origine de situations délicates nocives pour le

groupe et l’entreprise. En effet, pour qu’un groupe fonctionne, il faut qu’il soit efficace.

Or l’efficacité passe parfois par le fait de dire franchement des choses dérangeantes

personnellement mais nécessaires professionnellement. Ainsi, si deux collègues de travail

se connaissent personnellement, ils seront plus enclins à mettre du temps pour dire ce qui

ne va pas, en faisant bien attention de ne pas froisser l’autre. C’est ce qu’affirme François

d’Aubert dans l’entretien que nous avons eu avec lui. Il s’explique : « Dans le domaine

politique ce phénomène est poussé à l’extrême. Il peut être très bénéfique humainement

d’en apprendre plus sur un collègue mais attention à bien séparer le personnel du

professionnel ! Au travail, j’explique bien à mon équipe que nos relations sont strictement

professionnelles et que tout doit donc être dit pour être le plus efficace possible, il ne faut

pas prendre des pincettes pour faire remarquer une erreur. »

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

15/33

3.2.4 La désinhibition inhérente au bar est toujours risquée pour une relation professionnelle

Le bar conduit comme nous l’avons dit à un relâchement de la pression que l’on trouve au

travail, à une désinhibition, mais cela comporte des risques. Le fait d’aller au bar avec ses

collègues nécessite donc aussi de faire attention à son comportement, et de rester dans le

respect de l’autre, de maintenir une certaine distance.

3.2.4.1 Résultats du sondage

A la question : « Pensez-vous que le fait d’aller au bar vous soit profitable en tant

que subordonné ? », trois personnes sur trente-cinq interrogées ont répondu : « Non, il est

dangereux de mêler vie professionnelle et vie sociale », et douze personnes sur les trente-

cinq interrogées ont répondu : « Non, je cours le risque de commettre un impair qui me

serait dommageable par la suite ». Cela montre que dans la mentalité des gens, le fait

d’aller au bar avec ses collègues est une activité risquée. Cette analyse est de plus souvent

liée à une ancienne expérience, elle est fondée. Pour presque la moitié des individus

sondés (quinze personnes sur trente-cinq), la désinhibition inhérente au bar est bien une

activité risquée pour une équipe professionnelle.

De même, à la question : « Pensez-vous que cette pratique puisse nuire à l’autorité

du chef ? », dix-sept personnes sur quarante-neuf ont répondu : « Oui, le chef doit

impérativement conserver une certaine distance avec ses employés ». Ainsi, le fait d’aller

au bar est perçu par beaucoup comme dangereuse non seulement pour le groupe, mais

aussi pour l’autorité du chef.

3.2.4.2 L’exemple du milieu sportif

Le fait que le bar puisse être dangereux pour l’autorité du chef a pu être remarqué

lors de l’observation que nous avons faite du comportement de l’entraîneur du RCH

(Rugby Club HEC), Florent, lors d’une soirée au bar avec son équipe.

Malgré le fait qu’il ait chanté avec les joueurs, qu’il ait bu avec eux, il n’a jamais non

plus oublié qu’il était le chef du groupe. Il a fait attention tout au long de cette soirée au

bar à ne pas se décrédibiliser auprès des joueurs. Car s’il a chanté avec l’équipe, il n’a pas

cédé aux pressions des joueurs qui lui demandaient de danser avec eux de manière

décomplexée. Ce genre de comportement aurait pu modifier son autorité auprès des

joueurs.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

16/33

3.2.4.3 Retour au milieu professionnel

Nous avons vu que le bar pouvait être un moyen de résoudre les problèmes, mais il

peut aussi créer des tensions si la distance et la séparation entre vie professionnelle et vie

privée n’est pas respectée. L’ivresse est bien sûr à interdire, comme le dit Laurent Abadie,

PDG Europe du groupe Panasonic dans son interview. Car elle conduit à des

comportements dangereux : violence, sexualité. Tous ces débordements seraient

rédhibitoires pour l’équilibre du groupe.

Ainsi, le bar crée un contexte qui peut être très favorable au bon esprit de l’entreprise

si les subordonnés et le chef maintiennent un comportement approprié. Il est évidemment

possible de relâcher la pression que l’on trouve sur le lieu de travail, mais sans oublier que

les relations avec les personnes qui nous entourent doivent rester professionnelles.

3.3 Dans quels contextes professionnels le bar est-il important ?

3.3.1 Le bar et les milieux codifiés

Grâce à notre sondage, nous avons observé que la doxa considérait les organisations

très codifiées telles que l’armée, moins propices à des moments informelles entre

collègues passés autour d’un verre en-dehors des heures de travail. Notre enquête nous a

pourtant démontré le contraire.

3.3.2 Pourquoi ce besoin se fait-il ressentir dans les milieux très codifiés ?

Dans les organisations où les rapports entre chef et subordonnés sont encore très

« traditionnels » le verre entre collègues est une tradition. Dans ces organisations, le bar

est un moyen de créer un contexte favorable au dialogue et aux rapports directs entre

collègues qui ne sont pas possible sur le lieu de travail. Comme nous l’avons déjà vu,

Kim Hyonmin est catégorique dans son interview : « Cela fait longtemps au Japon

qu’aller au bar avec ses collègues est une tradition. Cela reste une habitude dans la

plupart des entreprises japonaises. La principale raison est que les Japonais sont

réticents à exprimer leurs ressentis surtout à leurs supérieurs. C’est pourquoi, les

supérieurs invitent leurs collaborateurs à boire un verre pour entendre leurs impressions

et pour favoriser la cohésion de l’équipe ». De même Amandine Ory élève officier du

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

17/33

personnel naviguant nous décrivait l’importance des bars d’escadron, ouvert en-dehors

des horaires de service, qui permettent de faire la connaissance des autres pilotes. Alors

que pendant la journée, le vouvoiement, l’appellation par le grade, et le port de l’uniforme

sont de rigueurs, un chef boit naturellement des verres avec ceux qui sont en temps

normal ses subordonnés.

3.3.3 Le bar ne risque-t-il pas de brouiller les codes de ces milieux très hiérarchisés ?

Il s’avère que la surabondance de codes est favorable à des rencontres informelles en

dehors des heures de service. Ainsi, les élèves officiers de Saint-Cyr Coëtquidan dont

Amandine Ory avouaient tous avoir déjà vu un de leur supérieur en état d’ébriété. Mais la

présence de codes – la barrette, l’uniforme, le vouvoiement, l’appellation par le grade –

permet de tracer une frontière entre le temps de service et le temps du bar. Ainsi, dans

l’armée tout du moins, il est impossible de confondre le professionnel avec le personnel

pendant les heures de service.

L’entretien avec Kim Hyonmin nous montre que le verre entre collègues est

manifeste aussi d’une attitude paternaliste du chef / patron.

3.3.4 Le verre entre collègues, élément clef d’un univers convivial dans l’entreprise

L’entretien avec Baptiste Vial, ingénieur chez Thalès, nous montre que le bar entre

collègues n’est pas seulement l’apanage de l’armée ou des entreprises traditionnelles

japonaises. Mais alors quel est le point commun entre l’univers de Saint-Cyr Coëtquidan,

celui de l’escadron d’Amandine Ory, les entreprises japonaises et le service de Baptiste

Vial ?

En discutant avec ce dernier on découvre que dans son service les rapports sont très

directs et qu’il considère ses collègues comme une famille. C’est son chef de service qui a

mis en place ce climat paternaliste. Pour créer un véritable esprit de famille dans le

service les verres entre collègues ont été l’outil essentiel. Or c’est un point commun avec

le milieu de l’armée ou les entreprises japonaises : le verre entre collègues s’inscrit dans

une démarche de convivialité, de construction d’un univers plus familial au sein du milieu

professionnel. Cette démarche est à l’initiative du patron ou des supérieurs soucieux non

seulement de l’efficacité de leur équipe mais aussi de son bien-être et de sa cohésion.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

18/33

3.3.5 Le bar est-il incompatible dans les grandes entreprises « modernes » ?

Par entreprise « moderne » nous désignerons un type d’entreprise occidentale

aujourd’hui dominant souvent caractérisé par des rapports entre salariés libérés d’une

hiérarchie rigide et des codes traditionnels tels que le port obligatoire du costume, de la

cravate, le vouvoiement, où les salariés s’appellent par leur prénom et où les subordonnés

peuvent émettre leurs objections à leurs supérieurs.

Dans ces entreprises, le verre entre collègues après les heures de travail semble moins

fréquent sinon rarissime. Pourquoi en est-il ainsi ?

Selon Laurent Abadie, PDG Europe de Panasonic, en Europe les rapports sont très

directs et les employés manifestent facilement leurs ressentis par rapport à des décisions.

Ainsi, l’utilité de cette pratique est réduite.

Mais elle peut néanmoins servir à créer de la cohésion entre les membres d’une

entreprise et des débuts d’amitié. Laurent Abadie se révélait sceptique sur ce genre de

pratiques : l’allongement des heures de travail des cadres rend difficile ce genre de

pratique. Ces derniers préfèreront, en effet, passer leur temps libre avec leur famille et des

amis. Néanmoins, cette dernière affirmation est à nuancer. En effet, Laurent Abadie, est à

l’apogée de sa carrière d’où des responsabilités accrues qui entraînent un allongement des

heures de travail et des déplacements nombreux dans toute l’Europe et au Japon. Comme

la majorité des quinquagénaires, il a une famille. Il correspond ainsi à la majorité des

cadres de sa génération qui dans notre sondage étaient plus réticents à aller boire des

verres avec des collègues. Surtout son avis tranche avec l’expérience de Baptiste Vial qui

nous montre les avantages que peut avoir les verres entre collègues dans son service : son

chef de service y a introduit une ambiance familiale favorable au bien-être et à l’efficacité

des employés. Néanmoins peut-on envisager de tels rapports dans un service, une

entreprise de plus grande taille ?

Dans l’interview, Baptiste Vial en doutait. En effet, on est ici en présence d’un

triangle d’incompatibilité : il paraît impossible dans une entreprise, dans une organisation

d’avoir à la fois des rapports directs et sans codes, d’introduire des moments informels

dans un bar pour créer un climat familial et de dépasser une taille de plus de 20-30

personnes. En effet, cette forme de management n’est possible que par une autodiscipline

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

19/33

des employés, par la possibilité que chacun se connaisse bien. C’est une forme de mini

démocratie dans laquelle les décisions se prennent par l’adhésion de chacun des membres

et la vie est réglée non par des règles mais par des mœurs plus ou moins tacites. Un

univers qui nous rappelle le Mythe des troglodytes de Montesquieu. Dans ce mythe il

montre que cette situation est idéale mais n’est tenable que jusqu’à un certain nombre de

personnes. Au-delà d’une certaine taille, une organisation à besoin d’un vrai chef qui

puisse définir des règles et prendre des décisions qui iront parfois à l’encontre de certains.

On se souviendra en particulier du discours du 1er roi des Troglodytes nommés après que

la population est devenue trop important pour s’autogouverner : « Je vois bien ce que

c’est, ô Troglodytes ! Votre vertu commence à vous peser. Dans l’état où vous êtes,

n’ayant point de chef, il faut que vous soyez vertueux malgré vous : sans cela vous ne

sauriez subsister, et vous tomberiez dans le malheur de vos premiers pères. Mais ce joug

vous paraît trop dur ; vous aimez mieux être soumis à un prince et obéir à ses lois, moins

rigides que vos mœurs. »

Ainsi, il est important de définir des règles pour que les rapports hiérarchiques ne

soient pas affectés par des moments informels passés autour d’un verre dès lors qu’on

manage un groupe de plus de 20-30 personnes. En effet, l’armée réussi à recréer une

nouvelle famille pour ses membres tout en comptant des effectifs nombreux. Cela n’est

possible qu’au prix de mise en place d’une frontière entre le service et l’extra-

professionnel. En effet, Erving Goffman montre dans La mise en scène de la vie

quotidienne que les individus sont des comédiens qui jouent des rôles conformes aux

attentes des autres et au milieu dans lequel il se trouve. Le milieu est ainsi un cadre

porteur de significations pour les individus qui sont en interaction : sa nature détermine le

rôle qu’ils y jouent. Or dans l’armée comme dans les entreprises japonaises, la frontière

entre le travail et l’extra-professionnel est très marquée. Pendant les heures de travail,

l’individu est contraint par les nombreux codes qui règlent la vie professionnelle à se

conformer au rôle auquel il est astreint. En revanche, les moments passés au bar avec les

collègues sont comme des coulisses pour l’individu. Il n’a pas à jouer de rôle, il peut se

relâcher. Il peut même aller jusqu’à contredire sciemment l’impression produite pendant

sa « représentation » (lorsqu’il joue son rôle professionnel). Le bar est même un lieu qui

incite une familiarité à s’instaurer entre les individus (comme fumer, être débraillé, avachi,

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

20/33

faire des remarques sexuelles) et où chacun souhaite donner une image de lui plus amicale

que pendant les horaires de travail.

4 Bilan

La question de recherche nous amenait à nous interroger sur la compatibilité du bar

avec l’entreprise. Notre hypothèse consistait à penser que le bar était favorable à la vie de

l’entreprise et que le manager avisé devait l’utiliser à bon escient. Notre enquête s’est

heurté d’emblée à l’une des références théoriques en la matière. En effet, le thème du bar

en tant qu’il est un agent de la cohésion du groupe ou un risque pour l’autorité du chef est

un thème qui n’a jamais été traité auparavant. Notre enquête s’est donc fondée surtout sur

nos entretiens et nos observations. Au terme de notre enquête nous pouvons confirmer

notre hypothèse. Le bar semble présenter davantage d’atouts et finalement peu de risques.

Notre intuition nous avait dès le début indiqué que le bar était favorable à la cohésion du

groupe. Mais il s’avère qu’il est déterminant bien au-delà de ce que nous pensions. Ainsi,

un patron qui veut faire de son entreprise « une famille » devra faire du bar et des verres

entre collègues une tradition (mais constituer une famille dans l’entreprise est-il

souhaitable ? C’est un autre débat…). En revanche notre intuition était plutôt erronée en

ce qui concerne le bar et l’autorité du chef. En effet, l’autorité du chef se trouve souvent

renforcée par la tradition du bar et des verres entre collègues puisque celui-ci tire une

partie de sa légitimité de sa connaissance accrue de ses subordonnés et de leurs attentes. Il

semble néanmoins qu’au-delà d’une certaine taille, une entreprise ne puisse mettre en

place cette tradition sans risquer de brouiller les rapports hiérarchiques essentiels à son

fonctionnement.

Un fait important demeure : si vous devez aller au bar avec votre patron, faite

attention à votre attitude !

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

21/33

5 Annexe

5.1 Bibliographie

5.2 Sondage

Question Réponse 1 Réponse 2 Réponse 3

Vous arrive-t-il d’aller au bar avec votre chef ?

Oui, régulièrement Oui, rarement Jamais

8 19 21

Pensez-vous qu’une telle pratique vous est généralement profitable en tant que subordonné ?

Oui, elle permet de se rapprocher de son supérieur avec les avantages que cela implique

Non, il est dangereux de mêler vie professionnelle et vie sociale

Non, je cours le risque de commettre un impair qui me serait dommageable par la suite

20 3 12

Pensez-vous que cette pratique puisse nuire à l’autorité du chef ?

Oui, le chef doit impérativement conserver une certaine distance avec ses subordonnés

Non, un bon chef doit apprendre à mieux connaitre ses salariés

Non, ce sont les compétences du chef qui sont le facteur essentiel de respect et d’autorité

17 19 13

Vous arrive-t-il d’aller au bar avec votre équipe de travail ?

Oui, régulièrement Oui, rarement Jamais

18 21 4

Pensez-vous que cela renforce la cohésion du groupe et l’esprit d’équipe ?

Oui Non

41 7

Pensez-vous qu’il faille installer un bar dans les entreprises après les heures de travail afin de permettre aux salariés d’échanger dans un cadre moins formel ?

Oui Non

9 37

Noter que chaque personne interrogée n’a pas répondu à toutes les questions posées.

Nous avons observé par ailleurs que parmi les personnes interrogées, les travailleurs

de plus de 35 ans avaient moins tendance à aller boire un verre avec leurs collègues que

leurs homologues plus jeunes.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

22/33

5.3 Observation : la campagne Junior Entreprise

Comme chaque année à HEC Paris depuis 1971 a lieu au mois de novembre une

campagne électorale permettant de sélectionner la future Junior Entreprise. Au cours de

cet événement s’affrontent deux listes candidates de 14 étudiants de première année, avec

à leur tête un président ou une présidente. Nous sommes donc parfaitement ici dans une

situation où un leader doit gérer une équipe. Afin d’établir une observation pertinente

compte tenu de la problématique « le bar : berceau de la cohésion ou tombeau de

l’autorité ? », j’ai analysé certaines situations en tant que président de liste candidate. La

méthode et la rigueur scientifiques m’obligent ici à faire cette précision dans la mesure où

ce statut implique une certaine subjectivité dans mes observations, que j’ai essayé

d’atténuer le plus possible.

Il est extrêmement important, lors de cette campagne, que la cohésion interne soit

excellente et que tous les membres du groupe soient motivés et travailleurs. Donc, pour

des raisons de « gestion des ressources humaines », il est absolument nécessaire que des

moments de team building soient organisés afin de souder les éléments de l’équipe. Je

décrirai ainsi ici un moment en particulier qui a retenu mon attention : l’organisation de la

première soirée « sauvage », le lundi 27 octobre 2014.

Il est très intéressant d’analyser le déroulement de l’organisation puis de la soirée. Il

y a tout d’abord une chose essentielle à savoir à propos des évènements de campagne JE :

alors que l’organisation est gérée par toute l’équipe, la gestion logistique de la soirée

(tenue des bars, service, photos, musique etc.) est assurée par des étudiants de première

année ne faisant pas partie de la liste. En effet, les « listeux » doivent passer la soirée à

parler aux personnes présentes et à faire leur connaissance, dans l’objectif de récolter des

suffrages. Cet élément est intéressant pour une raison simple : alors que les membres du

groupe travaillent en équipe pendant l’organisation, ils passent ensemble une bonne soirée

par la suite, sans se soucier d’aucun problème.

Voici donc ce que j’ai pu observer lors de cette soirée.

Lors de l’organisation, pendant laquelle j’étais présent, les relations entre les

membres de l’équipe étaient tendues. Il y avait beaucoup à faire en peu de temps, parfois

certains malentendus entre deux personnes menant à des erreurs de logistique ou encore

certaines mauvaises surprises (un problème avec les enceintes sonores, avec la sécurité de

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

23/33

la résidence du campus qui refuse que l’événement se déroule). Là ma fonction de chef

était d’organiser tant bien que mal les différents rôles de chacun, en me mettant parfois en

colère par fatigue ou nervosité. Je notais des tensions entre les différents membres du

groupe. La cohésion était mise à mal et j’avais du mal à affirmer mon autorité.

Une fois l’organisation terminée et les invités commençant à affluer, le groupe

abandonnait ses obligations pour les transmettre aux « soutiens » (les fameux premières

années nous aidant lors des événements) et buvaient tranquillement un verre en discutant

avec les personnes présentes mais également entre eux. Il est ici important de décrire

l’ambiance dans laquelle nous nous trouvions à ce moment : un verre à la main, de la

bonne musique et beaucoup de monde (témoignant donc d’une certaine récompense à tous

nos efforts). Nous étions souvent avec les autres, parfois entre nous, le tout dans une

bonne humeur qui contrastait avec celle de l’organisation. Nous rigolions, partagions des

anecdotes, en apprenions plus sur les uns les autres. La cohésion se renforçait peu à peu.

Je ne pouvais rien dire concernant mon autorité car elle n’était pas exercée.

Ensuite, après la fin de la soirée, nous devions tout désinstaller et ranger : même si

quelques soutiens nous aidaient, c’était à nous de faire l’essentiel du travail. Le

déroulement de cette partie de la soirée contrastait vivement avec celui de l’organisation.

Tout allait vite, nous étions efficaces, nous communiquions bien, la répartition des tâches

que j’avais établie était respectée à la perfection, le tout dans une bonne humeur et sur un

fond de musique très agréable. La cohésion était à son comble et mon autorité également.

5.4 Entretiens

5.4.1 Entretien avec Baptiste Vial, ingénieur chez Thalès

Vous arrive-t-il d’aller boire des verres avec vos collègues ?

Oui notre chef de service a mis en place cette tradition. Lors des déplacements

professionnels le soir même nous nous retrouvons tous au bar et en règle générale il est

courant de se retrouver dans un bar juste avant que nous rentrions chez nous.

Cette tradition est rare dans les entreprises françaises comment l’expliquez-vous

dans la vôtre ?

Effectivement, au sein de Thalès il est rare que des collègues aillent boire des verres

ensemble. C’est vraiment notre chef de service qui a mis cette pratique en place. Je fais

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

24/33

partie d’un service d’une grosse vingtaine de personnes qui sont très soudées. Notre chef

de service voulait mettre en place une atmosphère très paternaliste. Cela passe par des

moments passés ensemble en dehors des heures de travail. Tout est prétexte à se réunir

autour d’un verre : les anniversaires, les fêtes des membres sont affichés sur un tableau.

Dès que c’est notre anniversaire ou notre fête nous nous devons d’apporter une bouteille

pour marquer le coup !

Pensez-vous que cette ambiance est favorable à l’efficacité générale du service et

au bien-être des employés ?

Je me plais beaucoup dans ce que je considère presque comme une autre famille. Je

sais que si j’ai un problème tous les membres de mon service seront là pour moi comme je

serai là pour eux. J’y vois surtout des avantages. Si un jour j’ai besoin de terminer plus tôt,

si je n’ai vraiment pas envie de faire telle chose je peux en parler à mon supérieur.

Réciproquement, si ce dernier me demande de faire plus d’heure un jour ou s’il me

demande d’en l’urgence de régler un problème je me libèrerai pour le dépanner.

Néanmoins il faut savoir s’intégrer au service. Moi j’ai adhéré d’emblée. Je me

rappelle quand est venu mon anniversaire et que j’ai apporté ma bouteille pour le fêter il y

a eu un changement. Les membres du service ont vu que je serais des leurs. C’est

important ce genre de traditions pour le service. Des gens très efficaces seront rejetés par

le service s’ils ne respectent pas certaines règles tacites.

Les rapports hiérarchiques sont-ils affectés par les rapports amicaux que vous

entretenez dans le service et par les nombreux moments informels passés autour

d’un verre ?

Effectivement les relations que j’entretien avec mon « n+1 » et mon « n+2 » sont

assez inhabituelles. Je respecte mes supérieurs mais nos rapports sont amicaux, ils ne sont

pas ceux d’un chef et d’un subordonné. Ils auront tendance à me confier des tâches en

fonction dans des domaines où j’excelle et que je préfère. Par exemple, moi qui n’aime

pas faire de longs rapports je m’arrange avec mes supérieurs pour que ce soit quelqu’un

d’autre qui les fasse. Mais si l’un d’eux a besoin que j’accomplisse une tâche je ne peux

pas le refuser.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

25/33

Vous semblez décrire un univers de travail rêvé pourquoi pensez-vous qu’il ne

soit pas la norme ?

En effet, à mon sens c’est une forme de management lié davantage sur l’adhésion, qui

prend en compte nos personnalités et nos qualités individuellement. J’ai l’impression de

faire partie d’une famille, d’être dirigé par des responsables qui me connaisse et cela me

donne envie de m’impliquer au maximum de mes capacités. Je pense néanmoins que cela

n’est possible que dans les petits services comme le mien. Ce genre d’ambiance de travail

était plus commune dans le passé aujourd’hui elle est très rare. J’ai remarqué qu’elle

existait plus dans les métiers plus techniques, dans les ateliers de productions par exemple

que dans les bureaux. C’est souvent des patrons ou des managers assez paternalistes

soucieux de créer une atmosphère familiale qui insufflent la tradition des verres entre

collègues.

Vous dîtes que les employés du service les plus âgés sont les plus fervents

défenseurs de la tradition du verre entre collègues. Pourtant notre sondage montrait

que la majorité des 35-55 ans étaient moins enclins à aller au bar avec leurs collègues

en raison de leur vie familiale. Comment expliquez-vous cela ?

Justement ! Dans mon service ils préfèrent aller boire un coup entre collègues plutôt

que de devoir gérer les corvées liées à leur vie familiale ! C’est un moment sacré où ils

peuvent se détendre entre les contraintes de la vie professionnelle et celles de la vie

familiale.

5.4.2 Entretien avec Amandine Ory, élève officier du personnel naviguant

Nous avons reçu une formation à Saint-Cyr Coëtquidan où nous avons

découvert les codes et la hiérarchie entre officiers de l’armée de terre. L’ambiance

dans l’armée de l’air est-elle exactement similaire ?

Il y a une grosse différence entre l’armée de l’air et l’armée de terre. Dans l’armée de

l’air, le métier prime sur le grade. Ainsi, un pilote s’identifiera d’abord par son poste que

pas son grade. De même quand on se retrouve au bar de l’escadron après les heures de

service il n’y a plus de hiérarchie entre nous.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

26/33

A quelle fréquence allez-vous boire des verres avec vos collègues ? Est-ce une

tradition très ancrée ?

Autrefois il y a avait un bar dans chaque escadron. Aujourd’hui la tendance générale

est à la fermeture progressive de ces derniers. Néanmoins là où je suis, à Cognac, à 17-

18h on se retrouve au bar de l’escadron. C’est là qu’on apprend à connaître les membres

de l’escadron.

Pourquoi y a-t-il une diminution de ces bars dans les escadrons ? Est-elle due à

des débordements ? Ou cette diminution s’explique-t-elle juste parce qu’ils ne sont

plus utilisés ? Et selon vous faut-il regretter la fin de cette tradition ?

Je ne sais pas à quoi est due cette diminution. Certaines fermetures peuvent être

simplement provoquées lorsque ceux qui tenaient le bar partent et ne sont pas remplacés.

Selon moi c’est regrettable car ce sont des lieux très importants pour la cohésion du

groupe. Pendant la journée on n’a pas le temps d’apprendre à connaître les autres. Lors de

ces rencontres informelles il nous est possible de dévoiler notre personnalité. Si jamais on

traverse une période difficile on peut en parler et trouver du réconfort. En plus lors de

notre formation, nous sommes évalués sur des aspects objectifs et aussi sur ce que nos

supérieurs appellent « la note de gueule ». Ces situations leur permettent de nous

connaître en dehors du service.

Vous parlez d’un débordement qui a conduit à la fermeture d’un bar d’escadron.

Parlez-moi de ces débordements, est-il fréquent qu’un des pilotes se retrouve en état

d’ivresse ?

En fait c’est rarissime. Le bar ouvre à 17h généralement, et on peut y entrer à partir

du moment où notre chef y est. Il ferme à 21h. De plus, aujourd’hui, seul les bières sont

autorisées, les alcools forts ont été proscrits. Un autre élément qui a son importance : nous

allons au bar vêtu de notre uniforme. Ainsi, nous nous devons de respecter une certaine

tenue. C’est seulement ensuite, lorsque nous sortons en ville que nous pouvons nous

lâcher vraiment.

En fait, certains codes subsistent même au sein du bar de l’escadron ? Et quand

vous sortez en ville vous arrive-t-il de surprendre vos supérieurs dans des situations

plus délicates ?

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

27/33

Oui même si la hiérarchie s’y efface en grande partie dans le bar de l’escadron. Moi

qui suis une femme, je ne me maquille pas je garde mon uniforme pendant ces moments.

C’est ensuite lorsque je sortirai en ville que je pourrai être plus féminine. En ville nous

pouvons vraiment nous lâcher.

Il peut nous arriver d’être avec nos supérieurs dans ces moments-là qui sont souvent

très arrosés.

Cela peut-il affecter vos rapports hiérarchiques ?

Non pas du tout. Le lendemain chacun s’appelle par son grade et en aucun cas une

soirée bien arrosée peut empiéter sur les heures de service.

Dans un entretien, Baptiste Vial, ingénieur chez Thalès nous révélait que les

virées dans des bars avec son équipe lors des déplacements professionnels avaient

brouillé les rapports hiérarchiques. Comment expliquez-vous cette différence avec

l’expérience dont vous venez de nous parler ?

Contrairement aux civils, pendant le service les rapports hiérarchiques sont marqués

par la barrette située sur notre uniforme. Elle est omniprésente et jamais je n’irai faire la

bise à un supérieur quand bien même il m’arriverait de boire des verres avec lui en soirée.

L’usage de l’appellation par le grade prévaut.

Ces sorties entre collègues vous permettent-elles de créer des liens d’amitié ou

cela reste professionnel ?

Non même si nous pouvons parler librement autour d’un verre une frontière subsiste

entre le professionnel et le personnel.

5.4.3 Entretien avec Guillaume Sivadier, trader chez Morgan Stanley à NYC

Lors de cet entretien très fructueux, XX points se détachent plus particulièrement :

- L’autorité du chef intacte après de nombreuses sorties au bar avec ses subordonnés

- La cohésion renforcée entre les membres de l’équipe au bar

- Le bar comme vecteur de transmission des traditions

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

28/33

De manière générale, les sorties au bar occupent une place importante dans l’identité

des banques américaines et anglaises, en particulier lorsqu’il s’agit de jeunes traders

ambitieux (M. Sivadier a 35 ans).

5.4.3.1 L’autorité du chef intacte

D’après les dires de M. Sivadier, il arrive parfois à son supérieur hiérarchique de les

accompagner, lui et ses collègues, au bar pour prendre un verre avec eux. Cette situation

est pourtant rare : en effet celui-ci est en général plus âgé (souvent au-delà de la

quarantaine) et a donc une femme et des enfants, ce qui ne lui laisse que peu de temps

pour de telles sorties nocturnes.

Pourtant, quand celles-ci se présentent, le chef se montre très sympathique et

généreux : il offre des verres à ses subordonnés, partage des anecdotes personnelles,

raconte des blagues, partage son expérience en se remémorant lorsqu’il était à la place de

ses subordonnés. M. Sivadier insiste là-dessus : ce sont toujours de très bons moments

passés en sa compagnie et soulève une idée importante : loin de porter atteinte à l’autorité

du chef, ces sorties font réaliser à M. Sivadier et à ses collègues que, derrière un ordre, il

y a un homme, que cet ordre a été mûri et réfléchi avant d’être donné et qu’il convient

donc de l’exécuter. Donc au lieu de créer une sorte de relation entre le subordonné et le

supérieur hiérarchique, qui donnerait au subordonné l’impression de bénéficier d’un

certain laxisme, les sorties au bar créent une relation humaine entre ces personnes,

conduisant à une prise de conscience efficace pour le groupe et pour l’autorité du chef.

5.4.3.2 La cohésion renforcée

Loin d’être un métier solitaire où tout-pout-soi serait la règle du jeu, le milieu de la

banque en général et du trading en particulier est un monde où personne ne peut vivre

sans les autres. La pression et les exigences professionnelles y sont telles que les rares

moments de détente doivent être exploités à fond, avec les autres. M. Sivadier affirme

ainsi que les sorties au bar sont les moments privilégiés de partage et de rencontre entre

collègues, où des relations profondes se forment. C’est donc grâce à de tels moments que

la cohésion de l’équipe se voit renforcée pour le bien de l’entreprise.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

29/33

5.4.3.3 La transmission des traditions

M. Sivadier révèle ici un élément très intéressant : dans des entreprises à l’histoire

telle que celle de Morgan Stanley, les traditions occupent une place essentielle. Il convient

alors que les aînés les transmettent aux nouveaux. Le moyen privilégié de faire cela est de

boire un verre au bar. Ces traditions servent à deux choses : faire prendre conscience à

tous les employés qu’ils occupent une place importante et qu’ils représentent des

générations d’hommes (impliquant donc une certaine responsabilité) et leur transmettre le

sens de la hiérarchie.

5.4.4 Entretien avec Laurent Abadie, PDG Europe du groupe Panasonic et membre du conseil d’administration de Panasonic Monde.

Laurent Abadie, vous travaillez actuellement chez Panasonic et avez travaillé

auparavant chez Sony, parlez japonais, et passez beaucoup de temps au Japon.

Croyez-vous qu’il y ait une différence importante entre la culture d’entreprise

japonaise et française ?

Pour avoir travaillé 22 ans chez Sony et 10 ans chez Panasonic j’ai pu appréhender

certaines différences majeures entre la culture d’entreprise japonaise et la culture

d’entreprise européenne. La première a peu évolué et les codes qui régissent les relations

au sein de l’entreprise sont demeurés. En Europe au contraire, ces dernières années se

sont caractérisées par la suppression des codes. La hiérarchie est beaucoup plus souple, le

tutoiement s’est généralisé, le port de la cravate et du costume se raréfie.

Comment caractériseriez-vous la relation entre chef et subordonnés au Japon ?

Quelles différences avec la France ?

Au Japon, la hiérarchie reste très rigide. Les employés ont une faible marge de

manœuvre et doivent respecter l’autorité de leur supérieur. Cela peut entraîner des

blocages. Les relations professionnelles sont encore très codifiées. A l’inverse, en France

et en Europe plus généralement, les employés, quel que soit leur place dans l’entreprise,

sont assez libre d’exprimer leur mécontentement, leurs objections à leurs supérieurs.

Lors de notre séminaire Saint-Cyr, nous avons découvert qu’après le travail, il

était courant qu’un chef aille boire des verres avec ses subordonnés. Cette situation

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

30/33

est-elle possible en règle générale et plus particulièrement dans une entreprise

japonaise ?

En raison de mon travail, je suis une partie de la semaine au Japon et une autre en

Europe bien que j’habite en France. Ainsi j’ai pu observer qu’au Japon, aller prendre un

verre ou dîner avec ses collègues, subordonnés ou supérieurs est une tradition. Elle

s’explique par le manque de communication dans le monde du travail. Autour d’un verre

ou d’un dîner, les gens s’expriment avec moins de retenue.

En Europe cette situation est de plus en plus rare. Son utilité majeure est d’ailleurs

aujourd’hui caduque parce que les gens s’expriment assez librement dans le monde du

travail. Je me souviens néanmoins, il y a quelques années, qu’un grand patron a voulu

mettre en place des rencontres obligatoires hors des heures de travail entre les salariés de

son entreprise. L’idée était d’imposer à Monsieur x de dîner, déjeuner ou de prendre un

verre avec Monsieur y et Monsieur z afin de renforcer la cohésion générale de sa société.

Je suis dubitatif à l’égard de ce genre de projets. Les choses doivent se faire d’elles-

mêmes et on risque des brusquer les gens en les leur imposant.

Vous arrive-t-il de boire des verres dans le cadre de votre travail ?

Il m’arrive très régulièrement, lorsque je suis au Japon de résoudre des situations de

blocages par le biais d’entretiens informels en-dehors du cadre de l’entreprise, lors de

dîner ou de verres en-dehors des heures de travail. C’est souvent la seule façon d’aborder

des problèmes épineux qui entravent le système. En Europe, c’est beaucoup plus rare. Les

rapports sont en effet beaucoup plus directs donc il n’est pas nécessaire de recourir à de

telles rencontres. De plus, l’allongement des heures de travail des cadres fait que ces-

derniers sont beaucoup moins enclins à rester avec leurs collègues pendant leur temps

libre et préfèrent le passer avec leur famille. Enfin, selon moi on ne se crée pas de vraies

amitiés sur son lieu de travail.

Cette situation vous semble-t-elle risquée ou vous semble-t-elle propice à créer

des liens privilégiés extra ?

A mon sens cela ne présente pas un risque majeur – l’ivresse étant bien sûr à

proscrire. Cela peut permettre d’en apprendre plus sur la vie extra-professionnelle de ses

employés /collègues. Mais il faut garder à l’esprit que la frontière vie professionnelle / vie

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

31/33

personnelle est prépondérante ; les amitiés sont rarissimes dans la vie professionnelle. Il

ne faut donc pas chercher à tout prix à créer des liens d’amitié ou un esprit de famille dans

une entreprise. Cela n’a pas de sens.

5.4.5 Entretien avec M. François d’Aubert, ancien député de la Mayenne

Lors de cet entretien deux éléments en particulier se sont distingués :

- L’importance de la buvette de l’Assemblée Nationale

- Le rôle du bar en campagne électorale

De manière générale, M. d’Aubert insiste sur le fait que le bar (ou la buvette) joue un

rôle clé dans le monde politique. En effet, il sert deux objectifs : le premier est de

transcender les divisions politiques à l’intérieur même du système, le second est de se

rapprocher de ses électeurs dans une optique électorale. A noter ici que cet entretien a

permis de mieux cerner l’influence du bar sur la cohésion d’un groupe, et non sur

l’autorité d’un chef (celui-ci étant absent dans ce milieu).

L’importance de la buvette de l’Assemblée Nationale

La buvette de l’Assemblée Nationale est doublement importante : elle permet d’une

part d’assurer la cohésion entre les députés, quel que soit leur bord politique, et d’autre

part de transcender les divisions politiques.

Tout d’abord, M. d’Aubert se livre en décrivant son expérience personnelle de la

fameuse buvette. Il la voit en effet comme étant un lieu chaleureux et de détente

permettant de ponctuer les débats politiques célèbres pour leur vivacité. Dans cet endroit,

les murs font office de forteresse : les députés de tout bord s’y retrouvent et discutent,

partageant de manière très sincère et transparente des anecdotes, des blagues, des

discussions professionnellement inutiles mais qui leur permettent de se libérer de leur

carcan imposé par leurs opinions politiques.

Même si ces moments chaleureux ne durent que l’espace de quelques instants (rien

comparé aux longues séances de débat), ils restent marqués dans l’esprit et le cœur des

hommes et femmes présents dans l’hémicycle. Ils leur permettent de relativiser leur

situation d’affrontement : « derrière les idées, il y a des hommes » dit François d’Aubert,

pour rappeler le caractère fondamentalement humain des discussions, parfois très vives.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

32/33

Finalement, cette buvette, en assurant une meilleure cohésion entre les membres du

groupe, permet aux débats d’être plus fructueux, plus profonds entre des parties qui, en fin

de compte, ont appris à mieux se connaître.

Le rôle du bar en campagne électorale

M. d’Aubert évoque ici deux éléments essentiels : l’autorité du chef et sa relation

avec les membres du groupe.

Premièrement, le bar joue un rôle majeur dans le cadre d’une campagne électorale. Il

est en effet le lieu privilégié de rencontres entre le candidat et son électorat. M. d’Aubert

le décrit comme « un endroit agréable où les gens aiment se retrouver pour oublier leurs

soucis quotidiens ». Candidat UMP en Mayenne, M. d’Aubert se confie : « j’aimais

beaucoup m’y rendre. Les gens là-bas ne me voyaient pas comme un candidat venu

récolter des voix mais comme un homme à qui ils confiaient leurs problèmes, cela me

rapprochait d’eux ». Ce rapprochement se faisait d’autant mieux que M. d’Aubert offrait

des tournées à tous ceux qui étaient présents dans le bar.

Concernant son autorité ou le respect que les gens ont envers lui, je lui posai une

question : « payer des tournées, discuter au bar autour d’un verre, est-ce que cela ne

porterait pas atteinte à votre autorité et au respect que les gens vous portent ? ». « Au

contraire », me répondit-il, « je tiens vraiment à insister là-dessus : au bar, les gens ne

me voient pas comme une personne venue les importuner dans leur quotidien, mais

véritablement comme quelqu’un pouvant potentiellement améliorer leur vie de tous les

jours ».

5.4.6 Entretien avec Kim Hyonmin, cadre pour le groupe Amer Sport au Japon

Do you sometimes go to the bar, or drink alcohol, with other people in your

company? What is the general habit about this practice in Japan?

Yes, it has been longtime Japanese company’s tradition to go to the bar with

company’s colleagues.

It is still a habitude of most of Japanese companies. Main reason of this is that the

Japanese people are reserved for expressing themselves, especially for elder or superior

boss.

Séminaire St-Cyr HEC 2014

Astrid Apert

Groupe 6

33/33

So, very often, bosses are asking or inviting people for drinking in order to hear their

real talks and team building.

If you don't, can you explain why? If yes, how often?

On average, once a month.

Do you believe that going to the bar with his colleagues eases the relationships?

Yes, it helps to the team to understand easily each other.

Which impact does this habit have on your authority? On your relationships

with your team?

Mostly positive impact. Because, most of case the cost will be shared with all

participants but the elder people or superior boss often take most of total invoice. (from

his own pocket)

Do you think that going to the bar or drinking alcohol with other people in your

company can be risky?

Normally not. But if you go with female and if it is considered that you pushed her to

come with you as a superior boss in the company, it would be considered as sexual

harassment or power harassment.

Do you think that building a bar in the companies for the end of the day can be a

good idea?

There are already some companies which have their own bar in the office. Especially

in the creative companies such as software, digital, PR, fashion, media area. The bar

space is used for coffee break in the day time and drinking alcohol within colleagues after

the working time.

If you have something to add, please do not hesitate!

Please feel free to tell me if you need an additional information about team building

through drinking alcohol in Japan.