l'avènement du régime de vichy entre légalité et coup de force
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L'avènement du régime de Vichyentre légalité et coup de forceDr SANDRO GUERRIERI aa University of Rome , La Sapienza, ItalyPublished online: 12 Apr 2010.
To cite this article: Dr SANDRO GUERRIERI (2000) L'avènement du régime de Vichy entrelégalité et coup de force, Parliaments, Estates and Representation, 20:1, 233-245, DOI:10.1080/02606755.2000.9522109
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L'avenement du regime de Vichy entre legalite etcoup de force
SANDRO GUERRIERI
SUMMARY
In this article Sandro Guerrieri discusses the parliamentary proceedings in France of9-10 July 1940, which set up the Vichy State under the leadership of MarshalPetain, He was then head of the government of the Third Republic and the motionof 10 July authorized him to consider and promulgate a revised constitution for theFrench state. In August 1944, these proceedings were formally declared to havebeen a coup d'ttot, and therefore legally null and void. It is shown that some of thepoliticians who voted in the National Assembly against the resolution of 10 July hadalready asserted this interpretation of the process by which the Vichy State wasestablished. The article reviews the arguments that have developed around thissubject, and suggests that while the actual motion, voted by the two Chambersacting as a National Assembly, could be seen as in accordance with the Constitutionof the Third Republic, the manner in which it was used by Petain and his advisers,particularly Pierre Laval, is open to legal challenge, and can be regarded as ausurpation of the powers granted by the National Assembly. Hence while it couldbe argued that what happened was not a coup d'ttot, in that the element of intimidatory violence over the legislature, usually seen as one defining characteristic of acoup, was absent, the proceedings can be characterized as at least a coup deforce.
1. Dans son livre Coup d'Etat et Rlpublique, qui analyse d'une maniere synthetiqueles experiences de coups d'Etats dans I'histoire francaise Ii partir de la fin deI'ancien regime et les reactions qu'elles ont suscite dans la conscience collectivedu pays, Maurice Agulhon souligne que l'avenement du regime de Vichy s'eloignede la problernatique cIassique du coup d'Etat.! II est indeniable, en effet, que lanaissance de Vichy est un processus tres different des experiences des coupsd'Etat bonapartistes. Ce n'est certainement pas sous la pression des militaires que
Dr SandroGuerrieri, Universityof Rome, 'La Sapienza', Italy.1 M. Agulhon, Coup d'Etat et Rlpublique (Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences
politiques, 1997), pp. 69sq.
Parliaments, Estates and Representation 20,November2000. Publishedfor the International Commissionfor the History of Representative & Parliamentary Institutions by Ashgate Publishing Ltd, GowerHouse,Croft Road, Aldershot, Hampshire GUll 3HR, Great Britain. @ International Commission forthe Historyof Representative & Parliamentary Institutions, 2000.
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Ie 10 juillet 1940 Ie Parlement approuve, avec 569 voix favorables et seulement 80contraires.i la loi constitutionnelle qui donne 'tout pouvoir au Gouvernement dela Republique, sous l'autorite et la signature du Marechal Petain, a l'effet depromulguer par un ou plusieurs acres une nouvelle Constitution de l'Etat francais.!II est vrai aussi qu'au moment de la Liberation la question de la legalite de Vichya ete tranchee par la declaration que l'autorite politique en France etait devenueillegitime avant la date meme du 10 juillet, Dans I'ordonnance sur Ie retablissementde la legalite republicaine, promulguee Ie 9 aotit 1944 par Ie gouvernementprovisoire dirige par Ie General de Gaulle, on declare que c'est partir du 16 juin1940 que Ie pouvoir perd sa legitimite, c'est-a-dire apartir du moment OU PhilippePetain constitue, se situant encore dans Ie cadre de la Troisieme Republique, ungouvernement decide a signer I'armistice avec l'Allemagne. Selon la visionexprimee par cette ordonnance, par la demande d'armistice on a trahi en effet lessupremes interets nationaux. Par consequent, I'ordonnance proclame la nullite detous les actes promulgues depuis cette date." II reste que la faeon dont s'estderoule Ie passage de la Troisierne Republique au regime de Vichy a ere depuislors un sujet de controverses constant, aussi bien dans l'analyse juridique quedans la reflexion historique. Le Parlement etait-il autorise, du point de vue de lalegalite formelle, a deliberer Ie transfert de ses pouvoirs constituants augouvernement dirige par Philippe Petain? Dans quelle mesure et apartir de quelmoment Petain a-t-il realise un coup de force? Et comment expliquer que Ie'parlementarisme absolu' de la 'Iroisierne Republique, marque traditionellementpar la faible position du pouvoir executif, aboutisse au vote d'une loiconstitutionnelle qui conduit a la suppression du parlementarisme tout court?Voila un ensemble de questions importantes pour l'histoire des institutionspolitiques.
2. Au lendemain du 10 juillet 1940, des opposants au nouveau regime declarentque ce qui s'est passe dans cette journee constitue, en fait, un coup d'Etat. C'estla position exprimee par exemple par Ie futur President de la QuatrierneRepublique, Vincent Auriol, dans un long chapitre (intitule tres c1airement: Vichy:Ie coup d'Etat) de Bier ... Demain, Ie livre qu'il ecrit pendant la guerre.f II estinteressant de remarquer qu'Auriol emploie l'expression coup d'Etat legal," unoximoron qui exprime tres bien l'ambiguite de ce passage institutionnel. En toutcas, selon Auriol, la loi du 10 juillet represente une violation fondamentale de laConstitution nationale. Le peuple a ete depouille de la souverainete qu'il avaitdelegue ases representants. Surtout, l'accusation de coup d'Etat est exprimee parles juristes de la France Libre, et en particulier par Rene Cassin, qui avance touteune serie d'arguments pour demontrer l'illegalite du vote du 10 juillet, dont les
2 II y eut en outre 20 abstentions.3 C. Debbasch, J.-M. Pontier, LesConstitutions de Ia France (Paris, Dalloz, 1989), p. 200.4 Ibid., p. 211-15. cr.Fondation Charles de Gaulle, Le rttablisstment dela "galitl rtpublicoine (1944)
(Bruxelles, Complexe, 1996).5 V.Auriol, Hier ... Demain (Paris, Charlot, 1945), t. 1, pp. 93-150.6 Ibid., p. 138.
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plus importants sont l'impossibilite pour Ie Parlement de deleguer son pouvoirconstituant au pouvoir executif et I'absence d'un consentement eclaire de la partdes parlementaires, a cause du desarri provoque par la defaite et de I'occupationpar les allemands de la plus grande partie du territoire.? Ces arguments avances al'epoque ont ete repris plusieurs fois dans Ie debar politique et dans la reflexionacadernique.s Il faut dire, pourtant, qu'ils ont ete tres souvent critiques.
La these suivant laquelle Ie Parlement ne pouvait pas confier son pouvoirconstituant au gouvernement Petain a ete fortement contestee. SeJon I'opinion deplusieurs juristes, Ie Parlement avait en fait tout Ie droit de modifier la procedurede revision de la Constitution prevue par les lois constitutionnelles de la TroisierneRepublique.? Dans ces lois, la seule limite posee aI'etendue d'une revision etaitla forme republicaine de gouvernement, norme qui n'aurait pas ete violee Ie 10juillet 1940 du moment que, dans Ie texte vote, les pleins pouvoirs etaienr confiesau 'gouvernement de la Republique', La decision d'attribuer aPetain la tiiche depromulguer une nouvelle Constitution representait partant, selon cetteinterpretation, 'une modification de la procedure de revision de la Constitution,politiquement criticable, mais juridiquement correcte'il'' On pourrait souligner,de ce point de vue, une analogie et une difference avec l'experience du coupd'Etat du 18 brumaire. En novembre 1798, comme en juillet 1940, I'objectifinitial des auteurs du changement institutionnel est ceJui d'obtenir I'assentimentdes assemblees representatives pour elaborer une nouvelle Constitution avec uneprocedure extraordinaire. Mais, en 1798, la strategic de reviser la revision, poursuiviepar Bonaparte et Sieves, assumait bel et bien la forme d'un coup d'Etatparlementaire, puis que la Constitution de 1795 prevoyait un delai de neuf anspour realiser une modification constitutionnelle.!' Alors qu'en 1940 la memestrategic est beaucoup plus aisee a poursuivre, grace a la simplicite des normes
7 Cf. O. Rudelle, 'Le General de Gaulle et Ie retour aux sources du constitutionnalisme republicain',Fondation Charles de Gaulle, op. cit., pp. 29-54.
8 Cf. E. Conan, H. Rousso, Vichy, un passe'lui nepassepas, nouvelle edition (Paris, Gallimard, 1996),pp. 68 sq. Sur la question en particulier de la delegatio du pouvoir constituant cf. l'arricle trespolemique de S. Arne sur les similitudes entre l'avenernent du regime de Vichy et la naissance de laVe Republique: 'La prise du pouvoir par Ie Marechal Petain (1940) et Ie General de Gaulle (1958).Reflexions sur la devolution du pouvoir', Rlvue du droit publicet de 10 science politique en France et 0I'Itranger, LXXXV (1969), pp. 48-99.
9 Cf. G. Vedel, Droitconstitutionnel (Paris, Sirey, 1949), pp. 258-85; G. Burdeau, Droitconsti/utio"nelet institutions po/itiques (Paris, Librairie generale de droit et de jurisprudence, ge ed., 1962), pp. 31320; M. Prelct, 'La revision et les actes constitutionnels. La figure politique et juridique du Chef del'Etat francais', Fondation nationale des Sciences politiques, Le gouvernement de Vichy, 1940-1942.Institutions et politi'lues (Paris, 1972), pp, 23-36; M. Duverger, I.e systeme politique franfais. Droitconstitutionne/etsystems po/itiques (Paris, Presses universitaires de France, 1ge ed., 1986), pp. 138sq.; O.Duhamel, Histoire constitutionnelle de 10 France (Paris, Seuil, 1995), pp. 101-18; B. Mathieu, M.Verpeaux, 'La transition juridique: I'ordonnance du 9 aoOt 1944', Fondation Charles de Gaulle, op.cit., pp. 805-30.
10 G. Vedel, op. cit., p. 277.11 Cf. J.Tulard, I.e 18 brumain. Gommentterminer unerivolution (Paris, Perrin, 1999); C. Malaparte,
Tecnica del colpo di Stato (Firenze, Vallecchi, 1994), pp. lOS sq. Le livre de Malaparte fur publie enFrance en 1931 chez Grasset. L'edition italienne apparut en 1948, avec une structure difference parrapport ~ l'edition francaise,
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constitutionnelles de la Troisieme Republique concernant la revision: it suffit quela Chambre des deputes et Ie Senat declarent separernent, a la majorite absoluedes voix, qu'il y a 'lieu de reviser les lois constitutionnelles' (ce qui se verifie Ie 9juillet 1940) et ensuite qu'ils se reunissent en Assemblee nationale pour delibererla revision a la majorite absolue des membres. II est vrai que dans la reunion del'Assemblee nationale du 10 juillet il y a eu un certain nombre d'irregularites,dont la plus evidente a ere Ie choix de calculer la majorite non pas sur Ie nombredes membres de l'Assernblee, suivant les regles constitutionnelles, mais sur celuides suffrages exprimes. Toutefois, selon les defenseurs de la these de la legalitedu vote du 10 juillet, ces irregularites ne devraient pas conduire amettre en causela correction du scrutin, surtout si on considere que les voix favorables ont etefinalement si nombreuses que la majorite des membres a ete elle aussi largemeotdepassee.P
Pour ce qui concerne la question de la liberte dont jouissaient les parlementaires,it faut remarquer que la these de I'invalidation du vote du 10 juillet a causesurtout de I'occupation par les allemands de la plus grande partie du pays a eterepris, en particulier, par Georges Burdeau, qui affirme que Ie Parlement auraitagi en fait sous la pression de l'ennerni.P Mais la recherche historique a souligneque l'initiative de realiser un changement de regime politi que etait bien francaise,et ne derivait pas d'une demande des allernands.l" Pour Petain, Ie vice-Presidentdu Conseil Pierre Laval et les autres futures protagonistes du regime de Vichy, ils'agit de rompre avec Ie modele republicain edifie pendant la Troisierne Republique,fonde sur I'attachement aux principes de la declaration des droits de I'homme etdu citoyen de 1789, sur la laicite de l'Etat et de l'ecole et sur un systemeinstitutionnel base sur la predominance du Parlement.P Selon les partisans d'unchangement de regime, ce modele republicain avait connu une derive ineluctableavec l'experience du Front populaire, qui aurait affaibli la France en faisanttriompher, avec ses reformes sociales, les interets de categories sociales particulieres.Maintenant il fallait done proceder aune reconstitution de la communaute politiquesur des bases nouvelles. Dans Ie discours prononce Ie 2S juin 1940, apres lasignature de I'armistice, Philippe Petain attribue la cause de la defaite aux'relachemenrs' et 11 'I'esprit de jouissance' qui a detruit ce que I'esprit de sacrificeavait edifie, et il convie les francais aun redressement intellectuel et moral.l" EtIe General Weygand, chef de l'arrnee et ministre de la Defense, remet aPetain Ie28 juin une note dans laquelle il affirme que 'la lutte des classes a divise Ie pays,ernpeche tout travail profitable, permis toutes les surencheres de la demagogic'.Par consequent il etait necessaire ason avis d'instituer un 'nouveau regime social'et de revenir 'au culte et a la pratique d'un ideal resume en ces quelques mots:
12cr.M. Prelot, op. cit., p. 25.13 cr.G. Burdeau, op. cit., pp. 317-18.14cr. R.O. Paxton, La France de Vicny. 1940-1944 (Paris, Seuil, nouvelle ed., 1997), pp. 43 sf£, Ph.
Burrin, La France aI'neunollemonde (Paris, Seuil, 1995), pp. 20 sq.15cr. S. Berstein et O. Rudelle (sous la direction de), Le modele rtpublicoin (Paris, Presses
universitaires de France, 1992).16 Voir texte dans E. Berl, La fin de10JIle Rlpublique (Paris, Gallimard, 1968), pp, 276-8.
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Dieu, patrie, famille et travail','? ce qui etait evidemmenr tres loin de celuiexprirne par la devise traditionnelle 'liberte, egalite, fraternite'. A ces motivationsde caractere interieur s'ajoute Ie desir de favoriser l'entente avec les allemands,en vue de la signature d'un traite de paix qui, selon l'opinion predominante, nedevrait pas tarder, car on pense que l'Angleterre ne va pas resister longtemps auxarrnees de Hitler.
Pour convaincre les parlementaires 3 voter les pIeins pouvoirs 3 Petain, on utilisesans doute un certain degre de contrainte. Des menaces sont prononcees contreplusieurs opposants.P Surtout, Ie principal acteur de cette operation, Pierre Laval.l?se montre tres habile aexploiter la peur d'un coup d'Etat militaire. II agite cettemenace plusieurs fois dans les reunions informelles des deputes et des senateursqui ont lieu 3 Vichy dans les jours qui precedent les reunions officielles du 9 et du10 juillet, en arguant que I'attribution du pouvoir constituant 3 Petain est Ie seulmoyen d'eviter Ie danger d'une dicrature.P Mais la peur d'un coup d'Etat n'est pasun coup d'Etat. Le 19 brumaire, Napoleon Bonaparte avait amasse des troupes faceau Chateau de Saint-Cloud, OU Ie corps legislatif avait ete transfere sous Ie pretexted'un complot jacobin, pour faire pression sur les representants du peuple afin qu'ilsvotent les mesures qui leur etaient proposees, On avait espere que cette simpledemonstration de force serait suffisante. II n'en fut pas ainsi, et on utilisa les troupespour expulser les representants. Le 10 juillet 1940, on n'avait rien organise depareil. C'est pourquoi la definition de coup d'Etat pour iIIustrer la journee du 10juillet 1940 a suscite tant de critiques. Jean-Pierre Azema arrive 3 affirmer que '3Vichy la Republique n'a pas ete assassinee par des malotrus, elle est morte de mortnaturelle. Car elle a eee moins attaquee que fort peu defendue'F'
3. La contestation de la notion de coup d'Etat pour definir Ie vote de la loiconstitutionnelle du 10 juillet par l'Assemblee nationale, comporte-t-elle qu'ondevrait considererI'avenernent du regime de Vichy comme un processus qui sederoule dans I'ensemble sur Ie plan de la legalite? Selon une opinion repandue, iIfaudrait distinguer en realite entre la journee du 10 juillet, quand on agit encoredans un cadre de legalite formelle, et ce qui va se passer apartir du lendemain,lorsque Petain promulgue une serie d'actes constitutionnels qui depassentlargement Ie mandat recu par Ie Parlement. La loi constitutionnelle votee Ie 10
17 Audition du General Weygand, Assemblee nationale (Premiere legislature, Session de 1947),Rapportfait au nom de la Commission clzarg/e d'enqulter sur Ies Ivmements survenusen France de 1933 01945, par Ch. Serre, Annexes (D/positions), t, VI, p. 1923.
18 Cf. J. Sagnes, 'Le refus republicain: les quatres-vingts parlementaires qui dirent "non" a VichyIe 10 juillet 1940', &vue d'lzistoinmodeme etcontemporoine38 (1991), pp. 555-89; P. Miquel, Les quotnvingts(Paris, Fayard, 1995).
19Sur Ie personnage de Laval cf.la biographie de J.-P. Cointet, Pierre Lovol(Paris, Fayard, 1993).20 Selon Ie temoignage de Louis Nogueres, Ie 8 juillet, dans une reunion avec les deputes, Laval
declare: 'Je vous garanti que la dictature militaire sera ecartee ... Si je suis la, c'est pour assurer lapredominance du pouvoir civil et sauver les libertes' (Audition de L. Nogueres, Assemblee nationale,Ropporljoit ou nomde10Commission, op. cit., Annexes (D/positions), t, VII, p, 2240). cr.aussi V.Auriol,op. cit., pp. 99 sq.
21 J.-P. Azema, 1940. I;Ann/e terrible (Paris, Seuil, 1990), p. 212.
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juillet prevoyait que la Constitution elabore par Petain fOt ratifiee par la nation:c'etait une concession faite pour apaiser la resistance du groupe des senateursanciens combattants, anime par Jean Taurine et l'ancien President du ConseilJoseph Paul-Boncour, qui avaient prepare un contre-projet dans lequel on accordait3 Petain de larges prerogatives tout en evitanr de lui donner un pouvoir absolu enmatiere constiturionnelle.P Or, a partir du 11 juillet it ressort que Ie nouveaupouvoir ne se preoccupe pas beaucoup de soumettre 3 ratification populaire Iesysteme institutionnel qu'il va edifier et cette ratification n'interviendra jamais.Pour convaincre les deputes 3 voter la loi eonstitutionnelle, Pierre Laval avaitpromis, dans la seance privee des deputes et senateurs qui avait eu lieu le matindu 10 juillet avant la reunion dans l'apres-rnidi de l'Assernblee nationale, que, enattendant la nouvelle Constitution, la Chambre des deputes et Ie Senat ne seraientpas dissous: ils auraient une activite reduite, mais Petain ferait appel '3 la collaboration de commissions regulierement constituees'F' Or, la reduction de leur activitesera vraiment considerable, du moment que l'acte constitutionnel n. 3 du 11juillet etablit que les chambres, ajournees jUSqU'3 nouvel ordre, peuvent se reunirseulement sur convocation de Petain, Celui-ci non seulement se gardera bien deles convoquer, mais le 25 aout 1942 en supprimera meme les bureaux. En outre, sila loi eonstitutionnelle du 10 juillet donnait les pleins pouvoirs au 'gouvernementde la Republique', et dans son expose des motifs on declarait que eela constituaitun acte solennel qui respectait la legalite republicaine.j" dans les acteseonstitutionnels promulgues par Petain on ne parle plus de Republique, maisseulement d'Etat francais. C'est en rant que Chef de I'Etat francais, charge qu'ildeclare assumer avec l'acte constitutionnel n. I, que Philippe Petain realise dansses mains une concentration absolue de pouvoirs.F' et Ie terme 'Republique'disparaitra ensuite du Journal officiel, des monnaies, des timbres et des autresexpressions du pouvoir.
Ce serait done l'exercice du pouvoir constituant 3 partir des actes du 11juillet quibrise Ie til de la legalite. Ce point de vue a ete aussi exprime dans les mernoires dedeux personnages-cles de ces jours, en vertu de la charge qu'ils detenaienc IePresident de la Chambre des deputes Edouard Herriot, qui avait contribue 3convaincre Pierre Laval d'accepter Ie principe d'une ratification populaire desnouvelles insritutions'f et qui Ie 10juillet s'abstient, et le President de la Republique
22Sur la demarche du groupe des senateurs anciens combattants cf. Audition de J. Taurines,Assemblee nationale, Ropporlfoil ou nomde 10Commission, op. cit., Annexes (Dlposilions), t. VIII, pp.2329"'()3er J. Paul-Boncour, Entre deuxguerns. Souvenirs sur 10Ille Rlpublique, r. III, Sur lescAemins de10dljoile (Paris, PIon, 1946), pp, 259 sq.
23 Compie rendu sllnogrophique de10slonce privle desmembres de10Chombre desDlpulis eldu Slnollenueo Vichy Ie 10 juillel 1940, Assernblee nationale, Rapportfoil ou nom de 10 Commission, op. cit., t, II,Documenls sur 10piriode1936-1945, p, 491.
24Voir texte dans E. Berl, op, cit., pp. 299-302.2S Cf. J.-P. Azerna, 'Vichy face au modele republicain', Le modele rlpub/icoin, sous la direction de S.
Berstein et O. Rudelle, op. cit., pp, 337-56.26 II en discuta avec Lavalle soir du 9 juillet, Cf. E. Herriot, Episodes (1940-1944)(Paris, Flarnmarion,
1950), p, 138. Dans son Journal, Ie President du Senar, Jules Jeanneney, qui avait mieux compris lesintentions reelles du gouvernement (mais qui, Ie 10 juillet, presidera la reunion de l'Assemblee
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Albert Lebrun. A l'avis de Herriot, le 11 juillet a lieu un veritable coup d'Etat: 'Le11, le voile se dechire, L'abus de confiance est consomme. Le coup d'Etat estmanifeste, brutal, cynique'P Pour Lebrun, si Ie gouvemement de Vichy s'estconstitue regulierement, 'plus tard, par ses agissements, it s'est mis en oppositionavec la volonte nationale', en faisant 'figure d'usurpateur'P' Parmis les auteurs quisuivent cette ligne d'interpretation, il y en a qui declarent que la rupture de lalegalite intervient brusquement avec les trois premiers actes promulgues le 11juillet.Z9 Pour d'autres, elle serait moins immediate, puisqu'on considere que c'estprincipalement l'absence de la ratification par la nation des nouvelles institutions,prevue par la loi constitutionnelle du 10 juillet, qui donne aux mesuresconstitutionnelles adoptees par Petain une sorte d'illegalite rerroactive.s? Ce qui estcertain, c'est que I'exercice du pouvoir constiruant par Philippe Petain suit desmodalites differentes par rapport au mandat donne par les parlementaires. D'apresla loi du 10 juillet, la tache du Marechal etait de promulguer une nouvelle Constitution. Mais it apparait tout de suite que l'objectif de donner au pays des institutionsdefinitives ne represente pas pour Petain la principale priorite. On devra attendrepresque un an pour l'elaboration d'un premier projet de Constitution, qui du resten'aura pas de suite.'! Le pouvoir constituant est done utilise par Petain surtout pourla creation d'un systerne provisoire qui, la guerre s'averant beaucoup plus longueque ce qu'on pensait en juillet 1940,va se perpetuer pour toute la duree du regime.lei on peut mesurer une difference profonde par rapport ace qui s'etait passe apresles coups d'Etat bonapartistes, En 1799, avec la loi du 19 brumaire votee par unecentaine des membres du corps legislatif reunis par Bonaparte quelques heuresapres I'intervention des troupes, on avait mis sur pied un regime provisoire qui nedura qu'un peu plus d'un mois, puisque la nouvelle Constitution fut elaboree tresrapidement. De meme, apres Ie coup d'Etat de Louis Bonaparte du 2 decembre1851, il fallut attendre moins d'un mois et demi pour avoir un nouveau texteconstitutionneI. A Vichy, au contraire, on s'installe dans le provisoire, et on adopte lathese suivant laquelle les actes constitutionnels qui etablissenr ce systerne provisoirene doivent pas etre ratifies par la nation, cette ratification etant reservee a la
nationale sans manifester ouvertement aucune opposition), ironise sur I'apaisement qu'Herriot paraiteprouver apres cette rencontre avec Laval: 'Herriot dit s'!ue employe surtout et fortement aupres deLaval, pour .que la ratification soit obligatoire et croit avoir reussi, II en montre de l'apaisement, II n'aplus, envers Laval, aucun des jugements severes, des mots meprisants, que j'ai entendus maintesfois. S'est-il laisse engluer?' (J. Jeanneney, Journal politique. Septembre 1939-jui/let 1942, Editionetablie, presentee et annotee par J.-N. Jeanneney, Paris, Colin, 1972, p, 97).
27 E. Herriot, op. cit., p. 148.28 A. Lebrun, Tlmoignage (Paris, Pion, 1945), p, 123.29 Cf. M. Prelot, op. cit.; La meme opinion est exprimee par M. Duverger ('encore regulier Ie soir
du 10 juillet 1940, Ie gouvernement de Vichy a cesse de l'etre vingt-quatre heures plus tard', op, cit.,p, 140) et par M. Cointet, 'Loeuvre constitutionnelle de I'Etat francais (1940-1944). De l'ideologie ~
la strategie', Le discours d'Epinat. &b4tir la Rlpublique, Actes du Colloque d'Epinal (Pressesuniversitaires d'Aix-Marseille, Economica, 1997), pp. 41-51.
30 Cf. O. Duhamel, Lepouooirpolitique enFrance. Droitconstitutionnel, 1 (Paris, Presses universitairesde France, 1991), pp. 17 sq.
31 Cf. M. Cointet, op, cit.
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Constitution definitive. Cette interpretation restreinte de l'obligation de la ratification a ete ensuite rejetee dans Ie debar historiographique et juridique. Comme l'amontre par exemple Georges Vedel, 'ou bien les actes constitutionnels etaient prisdans l'exercice du pouvoir constituant sur la base de la loi du 10 juillet 1940 et ilsdevaient etre ratifies par la nation, ou bien ils ne correspondaient pas a ce pouvoirconstituant, et ils etaient sans valeur'.3z
4. Philippe Petain n'a done pas respecte les termes du mandat que l'Assembleenationale lui avait donne Ie 10 juillet. Et je crois qu'on peut dire qu'avec les troispremiers actes constitutionnels promulgues le 11 juillet Ie coup de force est dejamanifeste. La question qui se pose maintenant est la suivante: est-ce que celasignifie que les 569 parlementaires qui Ie 10 juillet ont vote les pleins pouvoirs aPetain auraient ete radicalement trornpes sur les consequences de leur vote?Qu'ils etaient legitimes a s'attendre a une transformation en douceur, et non pas ala rupture radicale avec l'ordre republicain? Joseph Paul-Boncour, qui ne fut passatisfait des concessions faites par Petain pour pousser a voter la loi constitutionnelleet qui Ie 10 juillet figura parmis les 80 opposants, raconte que les jours suivants ilrencontra a Vichy des parlementaires qui s'averaient surpris par les actes adoptespar le Marechal et qui repetaient: 'Ce n'est pas cela que nous avions voulu'.33 Deson cote, Ie President de la Chambre Edouard Herriot ecrit dans ses mernoires,pour se justifier des mots de vibrant eloge prononces a l'egard de Petain le 9juillet, dans la seance oil la Chambre accepte le principe d'une modification destextes constitutlonnels.t" qu'a ce moment-la il n'avait 'aucun soupcon de l'abusde confiance que Ie Marechal allait commettre et du coup d'Etat qu'il meditait'.35A mon avis, pourtant, il faut dire que si des parlementaires se sont declares surpriset trompes par les actes du 11 juillet, ce qui etonne vraiment c'est bien cettesurprise. Si on utilise la methode de l'historien, il faut se garder d'etablir en effetune dichotomie trop radicale entre le coup de force du 11 juillet et ce qui s'estpasse les jours precedents, du moment que ce coup de force etait tout a fait dansla logique des evenements qui s'etaient deroules depuis la demande d'armisticepresentee par Petain aux allemands, la nuit du 16 juin 1940. Les 80 opposants, deleur cote, etaient bien conscients des dangers resultant de l'attribution a Petaindu pouvoir constituant. Dans la motion d'opposition presentee par Vincent Badieet signee par 27 parlementaires on prevenait que Ie projet du gouvernement'aboutirait ineluctablernent ala disparition du regime republicain'P"
A partir de la demande et de la signature de l'armistice avec l'Allemagne, lavolonte du gouvernement Petain de tourner le dos aux principes et aux pratiques
32 G. Vedel, op. cit., p. 278.33 J.Paul-Boncour, op. cit., p. 297.34 II declara: 'Autour de M. Ie marechal Petain, dans la veneration que son nom inspire atous, notre
nation s'est groupee en sa detresse, Prenons garde ane pas troubler l'accord qui s'est etabli sous sonautorite' (Annales de la Chambre des deputes, 16e legislature, Dlbots porlementoires, Chambre desdeputes, seance du mardi 9 juillet 1940, p. 814).
35 E. Herriot, op. cit., pp. 136-7.36 Voir texte dans E. Berl, op. cit., p. 297.
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de la democratic se manifestait en effet de plus en plus clairement. II faut soulignertout d'abord que Ie choix de l'armistice a la place d'une simple capitulationmilitaire avait permis de passer sous silence les responsabilites des chefs del'armee dans 'l'etrange defaite', et d'en rendre responsable precisement Ie sysremepolitique et moral de la France republicaine. Et dans les jours qui precedent Ie 10juillet, Ie vice-President du Conseil, Pierre Laval, explique, devant les senateurset les deputes qui ont deja rejoint Vichy, qu'il faut edifier un nouveau systernepoliti que qui s'aligne 'sur celui du vainqueur'r'? en detruisant 'la totalite de ce quiest' pour creer ensuite 'autre chose qui soit entierernent different'.38 L'alternative,selon Laval, etait ou bien de s'aligner spontanement sur les institutions allemandesou italiennes, ou bien de se les laisser imposer par Hitler. 39 II est vrai que, faceaux protestations soulevees par ces declarations, en particulier par l'ancien premier ministre Pierre-Etienne Flandin, Ie meme Laval precise ensuite qu'il nes'agit pas de devenir 'les imitateurs serviles de n'importe quel pays du monde'r'"Mais cette precision est toujours accornpagnee par l'expression d'un profondrnepris de la democratic. Dans la seance privee de la Chambre des deputes et duSenat du matin du 10 juillet, Pierre Laval se delecte par exemple a raconterqu'une fois, au cours d'un voyage officiel a Rome, Mussolini lui avait dit, enl'invitant a s'en souvenir, que 'les civilisations sont toujours mortes d'exces deconfort', Cette affirmation, pour Laval, doit etre maintenant retenue par lesparlementaires francais, qui doivent se convaincre que l'effondrement de juin1940 est la consequence du fait que 'la France etait trop heureuse' et 'usait etabusait de sa liberte'r'! D'ailleurs, une demonstration precise de l'affirmationd'un esprit autoritaire avait ete donne avec l'affaire des 27 parlementaires (parmislesquels Edouard Daladier et Pierre Mendes France) opposes a l'armistice quietaient partis, avec l'autorisation du gouvernemenr, le 21 juin pour Ie Maroc.Arrives a destination apres la signature de l'armistice, ils sont l'objet d'unecampagne de denigration qui les accuse d'etre des fuyards, et on les empeche derejoindre Vichy pour le vote du 10 juillet.
On ne pouvait done pas, le 10 juillet, se tromper facilement sur les intentionsreelles du gouvernement Petain. Le coup de force du lendemain etait en quelquesorte en germe dans tous ces comportements et prises de position. D'autant plusque la loi constitutionnelle du 10 juillet etait en realite volontairement ambigiiesur le sort du regime republicain. Les pleins pouvoirs eraient donnes au'gouvernement de la Republique', mais la nouvelle Constitution a promulgueretait celie de 'l'Etat francais', et, quant aux droits qu'elle devait garantir, on nementionnait que ceux 'du Travail, de la Famille et de la Patrie'.42 Si, malgre tout,
37 ]. Paul-Boncour, op. cit., p. 254.38 Audition de L. Nogueres, op. cit., p. 2231.39 Ibid.40 Compte rendu sttnogrophique de10seonce priveedes membres de10Chombre desDeputes et du Senot,op.
cit., p. 496.41 Ibid., p. 489.42 Cf. F.Moderne, 'La nascita delle Costituzioni europee dopo la seconda guerra mondiale: il caso
francese', Quoderni costituzionali 1 (1997), pp. 51 sq.
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on accepte d'accorder a Petain Ie pouvoir constituant, c'est que l'ecrasante defaitemilitaire a provoque une crise tres grave de l'identite nationale qui a detruit, dansune grande partie de I'opinion publique et de la c1asse politique, les repereshabituels.P On pourrait peut-etre comparer la gravite de cette crise a celie, denature differente, qui survint en Italie apres Ie 8 septembre 1943, lorsque Iegouvernement Badoglio annonca I'armistice avec les allies sans se preoccuper defaire face a la reaction des allemands, qui occuperent Ie pays. A propos de cettecrise on a merne parle - ce qui a ete toutefois vivement conteste - de mort de laparrie.v'
Deja, en France, dans les annees Trente, la crise economique, les transformations de la structure sociale et I'affrontement entre liberal-dernocraties, fascismeet communisme qui s'erait manifeste au niveau international et qui avait eu desreflexes majeurs dans la situation interieure, avaient sensiblement affecte certainselements du modele republicain rradirionnel.P Sur Ie plan institutionnel, l'ideede la predominance absolue du Parlement avait ete mise en cause. Pour faire faceau probleme de l'instabilite gouvernementale, on avait avarice plusieurs propositions de renforcement de l'executif.i" Elles n'etaient pas arrivees a se concretiserdans une reforrne des lois constitutionnelles, mais Ie rapport entre les institutionsavait ete modifie par Ie recours de la part du gouvernement a la procedure desdecrets-lois, autorisee par Ie Parlement avec Ie vote des lois de 'pleins pouvoirs'.Devenu courant a partir de 1934, Ie recours aux decres-lois s'etait fortementdeveloppe des avril 1938 avec Ie gouvernement Daladier.f? et avec la loi du 8decembre 1939 il etait devenu 'un precede normal du gouvernement de guerre'.48
Cette procedure de delegation legislative etait evidemmenr quelque chose detres different de la delegation du pouvoir constituant, et pouvait bien se limiter,comme ce fut effectivement Ie cas jusqu'a la defaite militaire, a etre I'expressiond'une simple evolution du regime republicain. Mais son developpernent avaitcontribue a creer un terrain favorable, en juillet 1940, a I'entreprise de Petain etLaval. Dans Ie contexte de crise nationale qui frappe la France, beaucoup deparlementaires sont presque naturellement disposes a accorder a Petain, Ie generalvainqueur de Verdun, dont la presence au gouvernement est accueillie avec
43 Cf. P. Laborie, L'opinionfraniaise sous Vichy (Paris, Seuil, 1990); F. Bedarida, 'Vichy et la crise dela conscience francaise', Le regime de Vichy et lesfrancais, sous la direction de J.-P.Azerna et F. Bedarida(Paris, Fayard, 1992), pp. 77-96; Ph. Burrin, op. cit.
44 Cf. E. Galli della Loggia, La mortedellapatria. La aisi dell'ideadi nazioneIra Resistensa, antifasasmoer Repubblica (Roma-Bari, Laterza, 1996).
45 Cf. G. Noiriel, Les origines republicaines de Vichy (Paris, Hachette, 1999).46 Cf. J. Gicquel, L. Sfez, Problemes de la reforme de I'Etat en France depuis 1934 (Paris, Presses
universitaires de France, 1965); N. Roussellier, 'La contestation du modele republicain dans lesannees 30: la reforme de I'Etat', Le modele republicain, sous la direction de S. Berstein et O. Rudelle,op. cit., pp. 319-35; cf. egalement, sur cet aspect, S. Guerrieri, Due Coslituenli e In nfenndum. Lanascitadella Quarta Repubblicafrancese (Milano, Angeli, 1998).
47 Cf. G. Le Beguec, 'I'evolution de la politique gouvernementale et les problernes institutionnels',Edouard DaladierChefdegouvernemenl, sous la direction de R. Rernond et J.Bourdin (Paris, Presses dela Fondation nationale des Sciences politiques, 1977), pp. 55-74.
48 M. Duverger, op. cit., p. 126.
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soulagement par une grande partie de I'opinion publique, de tres grands pouvoirs.Si bien que me me les opposants a l'edification d'un regime autoritaire choisissentune tactique qui evite une confrontation radicale. Dans Ie contre-projet des anciens cornbattants redige par Joseph Paul-Boncour, si on propose que Petain selimite a preparer - au lieu de promulguer - une nouvelle Constitution 'en collaboration avec les commissions competentes', on accepte de suspendre I'applicationdes lois constitutionnelles de 1875 jusqu'a la paix, et on donne au Marechal 'touspouvoirs pour prendre, par decrets ayant force de loi, les mesures necessaires aumaintien de I'ordre, a la vie et au relevement du pays et a la liberation duterritoire'r'? De rneme, dans la motion Badie, qui exprime une opposition plusresolue, on se declare pret a attribuer au Marechal 'tous les pouvoirs' pour operer'Ie redressement moral et economique' du pays et negocier une paix 'durabledans I'honneur'.so L'opposition parlementaire cherche done sa voie avec difficulte,si bien qu'elle neglige de s'exprimer Ie 9 juillet, aux reunions separees du Senatet de la Chambre des deputes. Les votes du 9 juillet ne portent pas sur Ie contenude la revision, i1s se limitent a permettre que la Chambre des deputes et Ie Senatpuissent se reunir en Assemblee nationale pour la realiser, Mais ces votes offraientdeja a I'opposition la possibilite de se manifester avec visibilite, en refusantd'admettre Ie principe d'une revision de la Constitution dans un tel contexte.
Ce point de vue etait exprime en particulier par Leon Blum, qui ecrit dans sesmemoires:
Apres avoir longuement medite la-dessus [... ], je rapportais un avis former. Labataille devait cere engagee dans les seances separees de la Chambre et du Senat,sans attendre la seance de I'Assernblee: avant rneme de chercher quel projet derevision nous serait soumis, nous devions declarer: 'il n'y a pas lieu a revision'.51
Cette position ne fut pas partagee pourtant par ses camarades socialistes, quimanifesterent I'opinion qu'on ne pouvait pas choisir une ligne de defense aoutrance des lois constitutionnelles de 1875.52 En consequence, Ie 9 juillet laChambre des deputes et Ie Senat voterent Ie principe d'une revision de la Constitutionpresque a I'unanimite. A mon avis, c'etait deja un grand resultat pour
49 Voir texte dans E. Bed, op. cit., pp. 302-3.so Ibid., p, 297. II est interessant en outre de remarquer que si dans Ie projet de loi presente par Ie
gouvernement les pleins pouvoirs etaient accordes 'au gouvernement de la Republique, sous lasignature et l'autorite du Marechal Perain', dans Ie contre-projet des senateurs anciens combattantset dans la motion Badie on parlait seulement du Marechal Petain, sans mentionner Ie gouvernementen cant que structure collective.
51 L. Blum, Mlmoires, lloeeor« de Lion Blum, V, 1940-1945 (Paris, Albin Michel, 1955), p. 77.52 Leon Blum resume en ces termes les objections exprimees Ie 9 juillet par Vincent Auriol, Max
Dormoy, Jules Moch et Georges Mennen 'La France reste attachee ii la Republique, c'est biencertain; en revanche Ie degour lui est venu du regime parlementaire tel qu'il se pratiquait depuisvingts ans, ou depuis un derni-siecle; elle sent eonfusement, mais avec force, que les vices de ceregime sent pour quelque chose dans Ie desastre. Ces vices, pendant longtemps, nous avons ete lesseuls ii les fletrir: serons-nous seuls aujourd'hui ii les couvrir. Personne ne nous comprendrait. Nousne pouvons pas prendre vis-a-vis de la revision une position de refus prealable, de denegation 0
priori. Acceptons Ie principe, puis reportons et concentrons notre effort sur les modalites (ibid.). Cf.egalement, sur cette discussion, V. Auriol, op. cit., pp. 114-15.
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Petain et Laval. II etait la preuve que la resistance ne savait pas s'organiserefficacement. Les mots de satisfaction prononces par Laval a la Chambre desdeputes apres I'avis favorable formule al'unanimite par la commission du suffrageuniversel etaient tres significatifs acet egard. Le vice-President du conseil declaraity voir Ie presage que la merne unanimite se manifesterait Ie lendemain al'Assemblee nationale sur Ie contenu du projet de revision.P
II faut dire ensuite que, sous la pression du gouvernement, Ie Parlement agit, Ie9 et Ie 10 juillet, comme s'il considerait que Ie role de I'institution parlementaireen tant qu'espace public de discussion etait desormais lui-aussi perime, Le 9juillet, ala Chambre et au Senat on accepte la proposition de Laval de passer auvote tout de suite apres la lecture des rapports des commissions qui ont examineIe projet de loi. Le lendemain, la discussion sur Ie projet d'attribution des pleinspouvoirs aPetain se deroule seulement dans la reunion de la Chambre des deputeset du Senat qui a lieu Ie matin ahuis-c1os. Dans la reunion officielle de l'apresmidi, l'Assernblee decide de reserver la discussion sur Ie contenu du projet dugouvernement (auquel on donne la priorite en adoptant une dispositionreglementaire de la Chambre des deputes) a une commission composee desmembres des deux commissions qui s'etaient prononcees Ie 9 juillet. Apres Ierapport presente au nom de cette commission par Jean Boivin-Champeaux, quiprecise que la loi va donner 'au gouvernement du Marechal Petain' les pIeinspouvoirs executifs, legislatifs et constitutionnels, l'Assernblee decide de supprimerla discussion generale et les explications de vote. Par consequant, les opposantsn'ont pas la posibilite de s'expliquer publiquement. Avant qu'on precede a lavotation, Vincent Badie s'avance pour defendre sa motion, mais il ne peut pasparler.54
Done, Ie 10 juillet 1940 Ie renoncement de la part du Parlement asa fonctionlegislative et a son pouvoir en matiere de revision constitutionnelle se produitsans que les differentes positions puissent s'exprimer dans un debar public. DansI'opinion de certains parlementaires, se manifestait la conviction qu'en evitantune discussion ouverte on donnerait une image d'unite qui favoriserait Iegouvernement de Petain dans ses rapports avec les allemands. Cette image d'unitedevait etre aussi adressee aux anglais, qui, Ie 3 juillet, avaient detruit aMers e1Kebir, en Algerie, une partie de la flotte francaise de I'Atlantique, pour eviter Ierisque qu'elle puisse etre utilisee par I'Allemagne. Ainsi, Pierre-Etienne Flandindeclara a la seance du matin du 10 juillet qu'il fallait eviter 'devant I'opinionpublique francaise et devant I'opinion etrangere, des debars ou des declarationsqui ne pourraient qu'affaiblir la position de la France'.55 Mais ce renoncement auprincipe de la publicite des debars allait favoriser surtout l'interpretation tresetendue que Petain donnera ensuite des pouvoirs que Ie Parlement lui avaitaccordes, One des plus graves consequences de cette absence de debar public est
53 Cf. Annales de la Chambre des deputes, op. cit., seance du 9 juillet 1940, p. 814.54 Cf.]. Sagnes, op. cit., pp. 56Z sq.55 Compterendustenogrophique de 10 seance privee desmembres de 10 Chombre des Deputes et du Senat, op.
cit., p. 493.
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Ie fait qu'on ne discute presque pas de l'organisation du regime provisoire quiserait instaure en attendant la nouvelle Constitution. Le 5 juillet, dans une reunioninformelle avec environ 80 deputes, Pierre Laval avait specific I'usage que Petainallait faire des ses pouvoirs constitutionnels pendant cette periode transitoire, endeclarant que 'le lendemain du jour OU les pouvoirs lui auront ainsi ete accordes',il se donnerait 'a lui-merne tous les droits actuellement exerces par Ie Presidentde la Republique, Ie Parlement, Ie President du Conseil, les Ministres'P" II estvrai qu'ensuite Laval s'etait preoccupe de rassurer les deputes et les senateurs surle maintien d'une certaine activite parlementaire. Sur la base de ces affirmations,le rapporteur. de la commission de I'Assernblee nationale, Boivin-Champeaux,declarait Ie 10 juillet dans son rapport qu'il etait persuade que, dans cescirconstances tragiques, I'existence des chambres serait 'pour Ie gouvernement, ala fois une force et un soutien'P? En fait, en se contentant de quelques phrasesprononcees par Laval, 'l'Assemblee nationale ne parait montrer aucun interet aobtenir des garanties reelles pour eviter une usurpation du pouvoir. Joseph PaulBoncour definit dans ses mernoires l'attitude de l'Assernblee nationale commeune 'reddition sans condition'.58 On pourrait dire, pour etre plus precis, que lesconditions posees par l'Assemblee sont si minimes qu'il sera tres aise pour Petainde ne pas les respecter.
En conclusion, l'avenernent du regime de Vichy est un processus dans lequellademarche legale et Ie coup de force s'entrecroisent-? grace a l'habilete aveclaquelle les auteurs du projet autoritaire savent exploiter, dans Ie desarroi de ladefaite militaire, la faiblesse des autres acteurs institutionnels, Ie Parlement maisaussi le President de la Republique, qui se cantonne dans une attitude de totalepassivite, Les parlementaires qui, Ie 10 juillet, acceptent de voter les pleinspouvoirs sans discussion publique et qui ensuite declareront avoir ete trompes nevoient ou ne veulent pas voir que Ie gouvernement n'utilise les moyens legauxque pour chercher a legitimer ce qui apparaitra de plus en plus comme uneusurpation du pouvoir. Les 80 opposants du 10 juillet savaient tres bien que levote du Parlement ouvrait la voie a cette usurpation. Uutilisarion de la legaliteformelle n'etait que Ie point de depart pour I'exercice d'un pouvoir dictatorialdestine avioler les droits de I'homme.
56 Audition de L. Nogueres, op. cit., p. 2232.57 Cf. Annales de la Chambre des deputes, op. cit., Assernblee nationale, seance du 10 juillet 1940,
p. 824. On peut lire Ie compte rendu de cette seance egalernent dans E. Berl, op. cit., pp. 313-32.58 J. Paul-Boncour, op. cit., p. 285.59 La combinaison de formes legales et illegales est d'ailleurs typique de la genese de nombreux
systemes autoritaires du XXe siecle. Cf. A. Rouquie, 'Changement politique et transformation desregimes', Traill de science pO/ilique, sous la direction de M. Grawitz et J. Leca, 2, Lss rlgimes po/iliquescontemporaines (Paris, Presses universitaires de France, 1985), pp. 619 sq.
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