laval galilée et les rapports « science et religion »

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UNIVERSITÉ LAVAL Galilée et les rapports « science et religion » Interprétation de la Lettre à Christine de Lorraine Mémoire Mireille D’Astous Maîtrise en sciences des religions Maître ès Arts (M.A.) Québec, Canada © Mireille D’Astous, 2014

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Page 1: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

UNIVERSITÉ

LAVAL

Galilée et les rapports « science et religion »Interprétation de la Lettre à Christine de Lorraine

Mémoire

Mireille D ’Astous

Maîtrise en sciences des religionsMaître ès Arts (M.A.)

Québec, Canada

© Mireille D’Astous, 2014

Page 2: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

*■

Page 3: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Résumé

De nombreuses représentations de Galilée évoquent un conflit entre lui et l’Église

catholique : Galilée devient le symbole de l’opposition entre la science et la religion. Or,

dans la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée propose une réflexion à propos de

l’interprétation des Écritures dans un contexte de philosophie naturelle. Après avoir

présenté une synthèse de cette Lettre ainsi que le contexte de rédaction, il sera possible de

l’interpréter à partir d ’une typologie de l’articulation des discours religieux et des discours

scientifiques et ce, dans le but de caractériser les rapports « science et religion » développés

par Galilée. La typologie sera ici un outil herméneutique permettant de déceler ces rapports

à partir de catégories prédéfinies (conflit, indépendance, complémentarité, intégration). Il

apparaîtra que Galilée présente plusieurs types de rapports « science et religion ». Cette

approche a l’avantage de développer une interprétation originale de la Lettre.

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Avant-propos

Pour plusieurs, la possibilité même d’étudier les religions à l’université est

considérée avec scepticisme et aussi souvent empreinte de préconceptions - voire de

préjugés. Alors que d’un côté l’étude des héritages religieux et spirituels issu de diverses

traditions est pour moi un sujet de réflexion et de curiosité (et peut-être même une quête de

sagesse), je suis aussi de l’autre côté profondément attirée par les héritages scientifiques

caractéristiques de la modernité. La splendeur des ciels étoilés m ’émerveille tout comme

les découvertes et les connaissances astronomiques, tant par l’ingéniosité des travaux que

par leur portée et leur importance dans l’histoire de la pensée humaine. C ’est pourquoi j ’ai

été emballée à l’idée de travailler sur le grand thème des rapports science et religion.

Connaissant quelque peu Galilée, j ’ai d ’abord considéré l’idée de travailler sur ce

personnage controversé comme risquée et ambigüe. Toutefois, le contact avec les travaux

de plusieurs spécialistes (historiens, philosophes des sciences, épistémologues, etc.) m’a

fait découvrir la complexité de ce personnage et l’importance des nombreuses nuances dans

les questions gravitant autour de lui et qui nous concernent toujours. À cet égard, j ’ai une

dette envers le congrès international « The Galileo Affair. A Historical, Philosophical and

Theological Re-Examination » qui a eu lieu à Florence du 26 au 30 mai 2009 et auquel j ’ai

eu la chance de participer. Je remercie les organisateurs du congrès de m’avoir octroyé une

bourse pour étudiants étrangers.

Je veux également remercier la Fondation Cardinal-Maurice-Roy qui m’a

généreusement accordé une bourse pour mes études de maîtrise en sciences des religions à

l’Université Laval. Je suis aussi reconnaissante au Conseil de recherches en sciences

humaines du Canada (CRSH) qui m ’a accordé une bourse de maîtrise (bourses d’études

supérieures du Canada Joseph-Armand-Bombardier), ce qui m ’a encouragée à poursuivre

mes travaux de recherche.

Page 5: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Ce mémoire aurait été impossible à écrire sans le support et le soutien des membres

de la Faculté de théologie et de sciences religieuses. Je remercie particulièrement ma

directrice de recherche, Anne Fortin, qui a été la première à m ’encourager à approfondir

des questions relatives à la science moderne et à ses rapports avec la théologie. Sans les

encouragements et l’ouverture de plusieurs professeurs de la Faculté de théologie et de

sciences religieuses de l’Université Laval, et en particulier Bernard Keating, dont j ’ai eu la

chance d’être l’assistante, ce mémoire n ’aurait pas pu voir le jour. La collaboration, dans un

esprit d ’ouverture intellectuelle et de tolérance, entre la théologie et les sciences religieuses,

est pour moi le symbole d’une humanité capable d ’aller à la rencontre de l’Autre...

Alors que l’ignorance - et encore pire - la double ignorance ne sont jamais

vaincues, je continue à croire aux études, à l’éducation et au rôle primordial de l’université.

La quête de « vérité » qui est la mienne a été nourrie par ces dernières années d’études et

j ’espère que mon cheminement ultérieur me permettra d’aller plus en avant dans cette voie.

Je remercie finalement tous les membres de ma famille et les amis qui m ’ont

écoutée et soutenue au cours des dernières années. Tant pour leurs qualités humaines qüe

pour leurs qualités intellectuelles, j ’apprécie vivement les rencontres et les discussions avec

ces personnes qui partagent avec moi amour, émerveillement, temps et idées.

Page 6: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

À tous ceux que les nuits étoilées émeuvent

v

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Tableau 1 Tableau synthèse des types utilisés par les auteurs étudiés par rapport aux

catégories logiques.

Liste des tableaux

vii

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Liste des figures

Fig. 1 Jean Antoine Laurent, Galilée, 1822 (dans L ’Album du 5 juillet 1822).

Fig. 2 Joseph-Nicolas Robert-Fleury, Galilée devant le Saint Office, 1847 (Paris, musée du Louvre).

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Table des matières

Résumé_________________________________________________________________________ fAvant-propos_____ _____________________________________________________________ ///Liste des tableaux____________________________________________________________ vii

Liste des figu res____________________________________________________________ <xTable des matières______________________________________________________________ xi

Introduction___________________________________________________________________ 1

P rob lém atique et réflexion ép is tém o lo g iq u e______________________________________________5Problématique______________________________________________________________________ _ 5Critique de la catégorie interprétative rapports « science et religion » _____________________________ 9Quelques précisions épistémologiques supplémentaires______________________________________ 11Quelques limites supplémentaires à cette problématique____________________________________ 15

P lan du m ém oire_______________________________________________________________________16

Chapitre 1 La période 1609-1616 : contexte de rédaction de la Lettre________________ 17

1.1. G alilée, la lunette et ses découvertes en a s tro n o m ie__________________________________ 18

1.2. Galilée copernicien ________________________________________________________ 22

1.3. Réception des découvertes astronom iques de G alilée : p rem ières ré ac tio n s___________24

1.4. Les polém iques s c r ip tu ra ire s ____________________________________________________ _ 2 8

1.5. Le décret de mise à l’In d ex ___________________________________________________ 35

Chapitre 2 La Lettre à Christine de Lorraine_____________________________________ 39

2.1. P ré a m b u le _______________________________________________________________ ________ 412.1.1. Circonstances d’écriture________________________________________________________________ 412.1.2. Appel à l’Écriture sainte par les adversaires de Galilée et menace pesant sur la doctrinecopemicienne ___________________________________________________________________________ __ 412.1.3. Galilée se défend : Copernic était un homme et un religieux respecté_______________________432.1.4. Intention de Galilée : éviter l’interprétation outrepassant l’autorité des Écritures et conseiller laSainte Église_________________________________________________________________________ 44

2.2. P rem ière p a r t i e ___________________________________________________________________ 452.2.1. Premiers principes exégétiques ___________________________________________ _________ 452.2.2. Principes exégétiques dans les questions de philosophie naturelle _________________________462.2.3. Construction de la distinction entre Écriture sainte et nature ; principe exégétique conséquent _ 472.2.4. Rôle de la philosophie naturelle dans l’interprétation des Écritures et réaffirmation de l’autoritédes Textes sacrés________________________________________________________________________ __ 48

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2.2.5. Limite à l’autorité des Textes sacrés ; l’astronomie et ses appuis sur les sens et la raison_______ 492.2.6. Place de l’astronomie dans l’Écriture ; intention des écrivains sacrés par rapport à l’astronomie 492.2.7. Intention du Saint-Esprit ; propositions qui sont ou non de fide____________________________ 502.2.8. Deux vérités ne peuvent se contredire ; tâche des théologiens en lien avec les principesexégétiques déjà énoncés________________________________________________________________ 512.2.9. Sage interprétation des Écritures et liberté en philosophie naturelle________________________ 522.2.10. Appel à la prudence : limiter les propositions de fide, respecter les Textes sacrés et les autoritéscompétentes__________________________________________________________________________ 53

2.3. Deuxième partie______ ]_________________________________________________________542.3.1. Statut de la théologie______________________________________________________________ 542.3.2. Les doctrines d’opinion et les doctrines démonstratives ; tâche des théologiens_______________552.3.3. Prudence avant de condamner une proposition naturelle_________________________________ 552.3.4. Pourquoi il ne faut ne pas condamner le livre de Copernic _______________________________ 562.3.5. Réponse aux théologiens ; synthèse des arguments présentés_____________________________ 57

2.3.5.1. Synthèse des principes exégétiques énoncés_______________________________________ 572.3.5.2. Appel invalide à l’accord unanime des Pères dans les conclusions naturelles qui ne relèventpas de la foi ; discussion sur le décret du concile de Trente__________________________________ 582.3.5.3. Ne pas mettre en danger la dignité et l’autorité des Écritures__________________________ 59

2.4. Troisième partie________________________________________________________________ 622.4.1. Interprétation du miracle de Josué____________________________________________________ 62

Chapitre 3 Typologie de l ’articulation des discours scientifiques et des discours religieux _________________________________________________________________________ 65

3.1. Quelques remarques méthodologiques et épistémologiques préliminaires ___________68

3.2. Les catégories de la typologie____________________________________________________693.2.1. Conflit : l’un ou l’a u tre ________________________________________________________ 693.2.2. Indépendance : l’un et l’autre________________________________________________________733.2.3. Complémentarité : l’un avec l’autre _________________________________________________ 763.2.4. Intégration : l’un dans l’autre________________________________________________________79

Chapitre 4 Interprétation de la Lettre à Christine de Lorraine à partir d'une typologie de Varticulation des discours religieux et scientifiques_______________________________83

4.1. Conflit_________________________________________________________________________83

4.2. Indépendance et autonom ie_____________________________________________________ 87

4.3. Complémentarité (dialogue)_____________________________________________________ 92

4.4. Intégration____________________________________________________________________ 97

Conclusion___________________________________________________________________ 99

Bibliographie_____________________Sources primaires_________________

Galilée : ouvrages et études consultés

109

.109

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Science(s) et religion(s)

Autres références____

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Page 16: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Introduction

Galileo Galilei a marqué la conscience historique et la culture occidentales. « Père

de la physique1 », fondateur de la science expérimentale, père de l’astronomie

observationnelle moderne, « premier scientifique moderne », « découvreur du monde »,

« créateur de la méthode scientifique moderne4 », « brillant polémiste5 », les titres accordés

à Galilée sont des signes d’interprétations de sa vie et de son œuvre. Dans plusieurs études

récentes, la problématique des représentations de Galilée est au premier plan. Il est possible

de chercher quels sont les significations et les sens (implicites ou non) présents dans les

représentations. Il devient alors pertinent d’évaluer si les diverses représentations de Galilée

(artistiques, philosophiques, scientifiques, etc.) divergent par rapport aux écrits historiques

actuels, et si oui, de chercher à caractériser et à expliquer le hiatus et les orientations des

œuvres analysées.

Dans cette optique, l’historien de l’art François de Vergnette analyse l’iconographie

française de Galilée au XIXe siècle et met en évidence la prédilection pour les

représentations d ’un Galilée martyrisé par l’Église. À titre d’exemple, la gravure de Jean-

Antoine Laurent (figure 1) a « contribué à diffuser l’idée d ’un Galilée victime de l’Église et

d’une religion hostile à la science6. » Or, les représentations de Galilée ont une influence et

un pouvoir évocateur. Elles peuvent faire partie de débats publics, politiques et

1 Cette expression est employée assez fréquemment. Pierre Chastenay, « Le Devoir de philo - l’affaire Galilée science vs religion », Le Devoir (17 janvier 2009), p. 2 [http://www.ledevoir.com/societe/science-et- technologie/227885/le-devoir-de-philo-l-affaire-galilee-science-vs-religionl (consulté le 31 octobre 2009).2 Jacqueline Feldman, « Objectivité et subjectivité en science. Quelques aperçus », Revue européenne des sciences sociales, tome XL, n°124 (2002), p. 88.3 Enrico Bellone, « Galilée. Le découvreur du monde », Pour la science (2003), Paris, Belin, page titre.4 D’après une traduction libre de « creator of the modem scientific method ». Jacob Bronowski, The Ascent o f Man, Boston/Toronto, Little, Brown and Company, 1973, p. 202.5 Jean-René Roy, L ’astronomie et son histoire, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1982, p. 128.6 François de Vergnette, « Triomphe d’un "Galilée martyrisé par l’Église” dans l’art français du XIXe siècle », dans II Caso Galileo. Une rilettura storica, filosofica, teologica, Olschki, 2011, p. 440.

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Page 17: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

académiques comme celui du rôle de l’Église dans l’histoire ou celui de la place de l’Église

dans l’enseignement public7.

Fig. 1 Jean Antoine Laurent, Galilée, 1822 (dans L ’Album du 5 juillet 1822).

Galilée est fréquemment — voire inévitablement — invoqué lorsqu’il est question

des rapports entre science et foi religieuse. Le conflit entre Galilée et l’Église, qui est

couramment associé au dogmatisme, à l’obscurantisme et au traditionalisme, est souvent

considéré comme paradigmatique de l’opposition entre la science et la religion. Galilée

devient alors le symbole « concentrant l’incompatibilité entre l’Église et la science,# o

marquant la rupture officielle entre foi et raison », le symbole de l’entrave à la liberté

scientifique par l’Église catholique et même « le symbole de l’affirmation de la science face

à une religion totalitaire, jusque-là toute puissante9. » Ses présentations symboliques de

7 F. de Vergnette, « Triomphe d’un "Galilée... », art. cit., p. 440.8 Georges Minois, L'Église et la science. Histoire d'un malentendu, vol. I : De Saint Augustin à Galilée, Paris, Fayard, 1990, p. 371.9 ld , Galilée, Paris, PUF, 2000, p. 4.

V - w / I T Ï I

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Galilée pointent vers un imaginaire collectif10. Il apparaît que Galilée n’est pas connu du

seul point de vue de l’histoire, mais qu’il est aussi un symbole pouvant avoir des

répercussions dans nos conceptions même de la science (ou des sciences) et de la religion

(ou des religions) ainsi que dans plusieurs autres domaines (politique, social, juridique,

etc.).

Les représentations symboliques, légendaires ou mythiques" de Galilée sont mises

en évidence dans le champ des études galiléennes. Entre autres, la célèbre phrase attribuée à

Galilée après son abjuration devant le tribunal de l’Inquisition « Et pourtant, elle tourne! »

(E pur si muove\) est jugée comme étant une phrase apocryphe. Aussi, les affirmations

selon lesquelles Galilée a été mis en prison et torturé par le tribunal de l’Inquisition sont19 •nuancées par plusieurs . Cependant, même si des consensus émergent, les travaux

• 1 ̂continuent à présenter des conflits d’interprétations .

Pour nous, la multitude d’interprétations devient un facteur motivant la poursuite

des recherches dans le domaine des études galiléennes1 , et notamment à propos des

représentations de Galilée qui alimentent une certaine vision de la foi, de l’Église

10 Pour approfondir cette question, nous suggérons à titre de première piste l’article de Thomas M. Lessl qui fait ressortir les principaux thèmes de la légende de Galilée telle qu’elle se trouve dans des manuels scolaires ou encore dans des ouvrages de physique, d’astronomie ou d’histoire des sciences destinés à de larges auditoires. Thomas M. Lessl, « The Galileo Legend as Scientific Folklore », Quarterly Journal o f Speech, vol. 85/2 (1999), pp. 146-168.11 Ici, nous nous en tenons aux termes utilisés par les auteurs étudiés. Il serait utile, afin d’examiner davantage la question de la représentation de Galilée, de définir et de distinguer le symbole, la légende et le mythe, puis de décrire en quoi les représentations de Galilée correspondent (ou non) à un symbole, une légende ou un mythe.12 Les circonstances « d’emprisonnement » de Galilée sont décrites par Maurice A. Finocchiaro qui discute également la question du recours à la torture. Maurice A. Finocchiaro, « Myth 8. That Galileo Was Imprisoned and Tortured for Advocating Copemicanism », dans Ronald L. Numbers (éd.), Galileo Goes to Jail. And Other Myths About Science and Religion, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 2009, pp. 68-78.13 Isabelle Stengers présente plusieurs interprétations dans l’article suivant : Isabelle Stengers, « Les affaires Galilée » dans Michel Serres (dir.), Éléments d'histoire des sciences, Paris, Bordas, 1989, pp. 223-249.14 Selon Raymond Lemieux, les conflits d’interprétation peuvent être une « condition structurale de la connaissance : c’est dans la mesure où un savoir ne répond pas à toutes les questions qu’on cherche à l’améliorer. » Raymond Lemieux, « Cherchez l’objet ou la question de l’éthique dans le champ religieux », Religiologiques, n°9 (printemps 1994) : « Construire l’objet religieux », p. 158.

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catholique ou de la religion en général. Les difficultés au plan de l’interprétation sont aussi

une occasion de mener une réflexion épistémologique sur les méthodes de construction du

savoir en sciences humaines. Il est légitime de se demander quel est l’apport du chercheur

(subjectivité, idéologie, affect, préjugés, biais, préconceptions, etc.) dans ses travaux et

dans son écriture de l’histoire15. Alors que l’école historique voyait dans l’histoire

scientifique un ensemble de faits décrits objectivement (et qui cherche donc à exclure la

subjectivité de l’historien), le courant herméneutique met en évidence le lieu particulier

d’où est écrit l’histoire ainsi que l’impossibilité d’une conscience historique qui serait elle-

même au-dessus de l’histoire16. Il y a une distance entre le chercheur et l’objet étudié qui

donne lieu à un espace interprétatif où se multiplient les interprétations possibles. La

démarche critique fondamentale en sciences humaines nécessite que le chercheur prenne

conscience de cette distance et des conditions particulières qui motivent et qui influencent

son acte d’écriture. Comme l’explique l’historien H.-I. Marrou: « Toute l’expérience

historique se présente, pour le chercheur, comme une ascèse où, au contact des documents,

il apprend peu à peu à se dépouiller de ses préjugés, de ses habitudes mentales, de sa forme

trop particulière d'humanité... pour se rendre capable de comprendre, de rencontrer

autrui17. » Sans approfondir ici ces réflexions fondamentales, nous voulions toutefois

mentionner qu’elles ont influencé la perspective du présent mémoire et la construction de

notre problématique.

15 Cette question pourrait être l’objet d’un mémoire en entier. Ici, nous renvoyons aux trois références suivantes, qui pourraient servir de points de départ dans une telle recherche: J. Feldman, « Objectivité et subjectivité... », art. cit., pp. 85-130 ; Wemer G. Jeanrond, Introduction à l ’herméneutique théologique. Développement et signification, Paris, Cerf, 1995, 270 p. ; Michel de Certeau, L ’écriture de l ’histoire, Paris, Gallimard, 2002, 527 p.16 Jean Grondin, « La destruction des préjugés esthétiques et épistémologiques de l’herméneutique du XIXe siècle », Introduction à Hans-Georg Gadamer, Paris, Cerf, 1999, pp. 97 ss.17 H.-I. Marrou, De la connaissance historique, cité par J. Feldman, « Objectivité et subjectivité... », art. cit., p. 103.

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Page 20: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Problématique et réflexion épistémologique

Problématique

Face aux multiples interprétations concernant Galilée et plus précisément ses

rapports avec l’Église catholique, nous n’avons pas ici la prétention de départager le

« vrai » personnage historique de ses représentations, ni de soupeser les différentes

interprétations provenant des spécialistes. Toutefois, il est possible, dans le sillage des

travaux historiques actuels, de nuancer et de critiquer certaines représentations de Galilée

en ayant recours à des documents historiques. L’analyse de ces derniers permet de saisir• ' • * 1 8 davantage la complexité des rapports entre Galilée et l’Eglise catholique .

Certaines sources primaires indiquent la position de Galilée dans des questions

théologiques et scripturaires qui sont directement en lien avec des questions astronomiques

et scientifiques (et plus précisément en lien avec le système copemicien du monde). Dans

une de ces sources, la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée développe une conception des

rapports « science et religion »19 — ou, plus près de ses propres termes, des rapports entre

la philosophie naturelle et l’Écriture sainte20. Contrairement à ce que certaines

représentations illustrent, l’astronomie copemicienne et la théologie catholique n’y

apparaissent pas seulement en conflit et en opposition. Dans l’ensemble de l’œuvre de

Galilée, il y a peu de références à la question des rapports « science et religion ». La Lettre

à Christine de Lorraine est donc une source primaire privilégiée pour connaître comment

18 Dans cette optique, on pourrait chercher à décrire les relations que Galilée a entretenues avec divers représentants officiels de l’Église (moines, évêques, papes, etc.), qui lui étaient favorables ou non. Parmi ces relations, les liens entre Galilée et le cardinal Barberini, qui devient le pape Urbain VIII en 1623, sont à la fois complexes et ambigus. On peut voir à ce sujet Francesco Beretta, « Urbain VIII Barberini protagoniste de la condamnation de Galilée », dans José Montesinos et Carlos Solis (éds.), Largo campo di filosofare. Eurosymposium Galileo 2001, La Orotava, Fundación Canaria Orotava de Historia de la Ciencia, 2001,pp. 549-574.19 La section suivante, intitulée « Critique de la catégorie interprétative rapports « science et religion » » explique l’emploi des guillemets pour l’expression « science et religion ».20 II est à noter que dans ce mémoire, nous utiliserons indifféremment Écriture sainte au singulier ou Écritures saintes au pluriel. Conscients que le sens peut varier selon l’emploi au singulier ou au pluriel, nous ne ferons pas ici de nuances entre les deux. La plupart des auteurs que nous avons consultés en font de même. Surtout, Galilée, dans la Lettre à Christine de Lorraine utilise indifféremment Sainte Écriture ou Saintes Écritures (ou Textes sacrés).

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Page 21: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Galilée situe la philosophie naturelle (et l’astronomie copemicienne) par rapport à

l’Écriture sainte.

Fig. 2 Joseph-Nicolas Robert-Fleury, Galilée devant le Saint Office, 1847, huile sur toile, Paris, musée du Louvre.

Si on veut utiliser une image caricaturale pour présenter notre travail, on pourrait se

référer à la peinture de Galilée de Joseph-Nicolas Robert-Fleury intitulée Galilée devant le

Saint Office (figure 2). Notre mémoire peut être vu comme l’ajout d ’un grand phylactère

relié à Galilée dans le tableau! En effet, dans la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée

propose une exégèse des Écritures : Galilée ne se contente pas de la phrase apocryphe « Et

pourtant, elle tourne! ». Il développe des arguments beaucoup plus précis et nuancés par

rapport à l’acceptation — ou à la condamnation — de l’astronomie copemicienne par les

autorités de l’Église catholique.

Afin d’analyser les rapports « science et religion » développés par Galilée, nous

situerons d’abord le contexte de rédaction de la Lettre à Christine de Lorraine, puis nous

synthétiserons le contenu de la Lettre. Il sera alors possible d’interpréter la Lettre à

Christine de Lorraine à partir d ’une typologie de l’articulation des discours religieux et des

6

Page 22: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

discours scientifiques. Plusieurs typologies des rapports science(s) et religion(s)21 ont été

élaborées . Elles présentent l’avantage de décrire la rencontre des discours religieux et des

discours scientifiques (ou la rencontre science et religion) à partir de quelques types (ou, en

d’autres mots, quelques catégories). Les catégories développées dans les typologies (qui

sont, grosso modo, le conflit, l'indépendance, la complémentarité et l’intégration) seront

des points de repère permettant de caractériser les rapports « science et religion » dans la

Lettre à Christine de Lorraine et ce, en évitant de se situer dans une orientation a priori ou

dans une représentation simplificatrice et réductionniste.

Ce faisant, nos travaux se distinguent de la position de Jean-Paul II, dont les

discours ont marqué les travaux entourant la « réhabilitation de Galilée ». Selon ce dernier,

les études galiléennes doivent faire « disparaître les défiances que cette affaire (l’affaire

Galilée) oppose encore, dans beaucoup d’esprits, à une concorde fructueuse entre science et• ' • i l foi, entre Eglise et monde . » Les typologies présentent certes un type où il y a une

rencontre harmonieuse entre science et foi, mais celui-ci ne sera pas privilégié. Ce travail

ne se veut pas un plaidoyer en faveur de tel type de relation ou tel type de rencontre entre

science(s) et religion(s) et moins encore un travail intellectuel dont les conclusions seraient

données d’avance par un parti pris idéologique, philosophique ou religieux. Certes, les

auteurs qui présentent les typologies énoncent parfois explicitement leur adhésion et leur

préférence pour telle catégorie plutôt que telle autre24. Ici, nous chercherons à ne pas

adopter une orientation particulière (même implicitement). Nous utiliserons la typologie de

21 Puisque les typologies peuvent être utilisées dans de nombreux débats et pour analyser des sources très diverses, nous jugeons qu’il est plus rigoureux et plus inclusif d’employer l’expression avec le (s), qui laisse la possibilité que les concepts de religion et de science soient au pluriel. Voir à ce sujet la discussion présentée plus loin, dans la section « Quelques précisions épistémologiques supplémentaires ».22 II est à noter que le nom des typologies varie selon les auteurs. Ici, le nom de « typologie de l’articulation des discours scientifiques et des discours religieux », qui est inspiré de l’ouvrage suivant : Pierre Gisel et de Lucie Kaennel, La création du monde. Discours religieux, discours scientifiques, discours de foi, Genève/Bienne, Labor et Fides/Société biblique suisse, 1999, 136 p.23 Jean-Paul II, Discours de Jean-Paul II en commémoration de la naissance d ’Albert Einstein, 10 novembre 1979 fhttp://www.vatican.va/holv father/iohn paul ii/speeches/1979/november/documents/hf jp-ii spe 19791110 einstein fr.htmll (consulté le 9 novembre 2010).24 La typologie de Ian G. Barbour est critiquée à ce propos dans l’article suivant : G. Cantor et C. Kenny,« Barbour’s Fourfold Way... », art. cit., pp. 766-767.

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Page 23: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

l’articulation des discours religieux et des discours scientifiques comme un outil heuristique

et non avec une visée normative25.

En utilisant la typologie comme un outil herméneutique et non dans une perspective

essentialiste visant à décrire le « vrai » rapport entre science(s) et religion(s), nous prenons

en considération les critiques formulées notamment par Maurice A. Finocchiaro dans un

article portant sur l’historiographie de l’affaire Galilée26. D’après ce dernier, l’interprétation

des relations entre science et religion, soit comme conflictuelles, soit comme harmonieuses,

sont des simplifications excessives. De plus, elles reposent sur des définitions de

« science » et de « religion » essentialistes, anachroniques et anhistoriques27.

Enfin, l’interprétation de la Lettre à Christine de Lorraine à partir d ’une typologie

de l’articulation des discours religieux et scientifiques a l’avantage d’être originale. Notre

méthode permet de construire une interprétation de la Lettre qui se distingue quelque peu

des travaux disponibles dans le champ des études galiléennes. Récemment, plusieurs

spécialistes (Maurice Clavelin , Pierre-Noël Mayaud , Philippe Hamou et Marta

Spranzi30) ont traduit, commenté et interprété la Lettre à Christine de Lorraine. William E.

Carroll a de son côté publié deux articles qui s’intéressent à la Lettre : « Galileo and

Biblical Exegesis » (1999) et « Galileo and the Interprétation of the Bible » (2001)31. Aussi,

25 Denis R. Alexander, « The Faraday Institute for Science and Religion. Models for Relating Science and Religion », Faraday Papers ihttp://www.st-edmunds.cam.ac.uk/faradav/Papers.phpl (consulté le 17 novembre 2010), p. 1.26 Maurice A. Finocchiaro, « Science, Religion, and the Historiography of the Galileo Affair. On the Undesirability of Oversimplification», Osiris, 2nd Series, vol. 16 (2001) : « Science in Theistic Context. Cognitive Dimensions » rhttp://www.istor.org/stable/3019821 (consulté le 17 novembre 2010), pp. 114-132.27 Pour une discussion plus approfondie sur ce dernier aspect et sur l’utilisation des termes « science » et« religion », nous référons le lecteur à la discussion présentée aux sections suivantes « Critique de la catégorie interprétative rapports "science et religion" » et « Quelques précisions épistémologiques supplémentaires ».28 Maurice Clavelin, Galilée copernicien. Le premier combat (1610-1616), Paris, Albin Michel, 2004, 595 p.29 Pierre-Noël Mayaud, « Deux textes au coeur du conflit. Entre l’Astronomie Nouvelle et l’Écriture Sainte. La lettre de Bellarmin à Foscarini et la lettre de Galilée à Christine de Lorraine », dans cardinal Paul Poupard (dir.), Après Galilée. Science et foi. Nouveau dialogue, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p. 20.30 Galilée, Lettre à Christine de Lorraine et autres écrits coperniciens, traduction, présentation, notes et dossier de P. Hamou et M. Spranzi, Paris, Librairie Générale Française, 2004, 446 p.31 William E. Carroll, « Galileo and Biblical Exegesis », dans José Montesinos et Carlos Solis (éds.), Largo campo di filosofare. Eurosymposium Galileo 2001, La Orotava, Fundación Canaria Orotava de Historia de la

8

Page 24: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Isabelle Pantin a abordé directement la Lettre dans un article datant de novembre 200232.

Mentionnons enfin l’article du père André-Marie Dubarle, publié en 196633. Se référant à

ce dernier, François Russo, en plus de sa traduction française de la Lettre à Christine de

Lorraine (parue en 1964), a décrit les principes exégétiques de Galilée dans « Galilée et la

culture théologique de son temps »34.

Critique de la catégorie interprétative rapports « science et religion »

Dans la formulation de notre problématique, une première difficulté se profile.

Alors que Galilée peut être aujourd’hui considéré comme un symbole du conflit entre

science et religion, nous avons l’intention de nuancer ce type de représentation en nous

basant sur l’analyse d’une source primaire écrite il y a près de 400 ans. Or, la réflexion

critique dans les études historiques pointe vers ceci : la catégorie interprétative « conflit

entre science et foi » est anachronique, comme le soulève un spécialiste en études

galiléennes, Pierre-Noël Mayaud, dont les propos sont ici communiqués par le cardinal

Paul Poupard :

Voici bientôt quatre siècles naissait un débat tout à fait inédit entre l ’astronomie nouvelle, pour reprendre le titre du livre de Kepler paru en 1609, et la sainte Ecriture.C’est ce débat qui engendrera par la suite le conflit séculaire entre la science et la foi, formulation, note justement P. Mayaud, parfaitement anachronique au début du XVIe siècle, puisqu’une telle séparation n’existait pas encore, mais était en train de naître, précisément dans le domaine de l’astronomie 5.

Ciencia, 2001, pp. 677-691. Ces articles présentent des articles écrits par Mario Pesce en italien et qui ne sont pas disponibles à notre connaissance en français. Mario Pesce, « L’interpretazione della Bibbia nella lettera di Galileo a Cristina di Lorena e la sua ricezione. Storia di una difficoltà ciò che è religioso da ciò che non lo è », Annali di storia dell'esegesi, 4 (1987), pp. 239-284. Pour une liste plus complète des travaux de Pesce sur la question, voir la note 3 dans William E. Carroll, « Galileo and Biblical Exegesis », Science and Education, n°8 (1999), pp. 151-187.32 Isabelle Pantin, « Science et religion au temps de la "Révolution scientifique". Les copemiciens et les règles de l’exégèse », Archives des sciences, vol. 55, fase. 2 (novembre 2002), pp. 107-123.33 Dominique Dubarle, « Les principes exégétique et théologiques de Galilée concernant la science de la nature », Revue des Sciences philosophiques et théologiques, tome 50 (1966), pp. 67-87.34 Paul Poupard (dir.), Galileo Galilei. 350 ans d ’histoire, 1633-1983, Paris, Desclée International, 1983, pp. 151-178.35 Paul Poupard (dir.), Après Galilée. Science et foi. Nouveau dialogue, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p. 9.

9

Page 25: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Dans l’article « "Science" and "religion" : constructing the boundaries », Peter Harrison fait

une analyse similaire pour la catégorie « science et religion » ou « rapport science et

religion ». Harrison y explique l’anachronisme opéré en parlant de relation entre science et

religion avant le XIXe siècle, étant donné que les catégories « science » et « religion »

n’étaient pas considérées jusqu’alors comme des entités indépendantes36.

Même si l’étude des rapports « science et religion » dans une source primaire de

Galilée peut sembler anachronique à certains égards, nous adoptons cette perspective dans

le présent mémoire en étant conscients qu’il y a projection d’une catégorie interprétative et

de questions actuelles sur des événements passés. Notre problématique se situe donc dans

un entre-deux, entre le langage d’hier et le langage contemporain, jamais complètement

stabilisé. Plusieurs auteurs appartenant à la tradition herméneutique, comme Hans-Georg

Gadamer, Michel de Certeau et Jean Grondin (pour ne mentionner que ceux-là), se sont

penchés sur cette question. Ils mettent en évidence que la compréhension du passé se fait

toujours à partir d ’un moment présent : « l’horizon du passé se fond toujours avec celui du• -37 .

présent qui représente sa terre d’accueil ». La conscience historique est elle-même inscrite

dans l’histoire, dans une temporalité et une culture donnée: « [ ...] le sens qui m ’est

transmis du passé en est un qui m’interpelle et que j ’interprète toujours à la lumière de mes

possibilités, de mes catégories, mieux, de mon langage38. » Ici encore, la nécessité d’une

réflexion épistémologique sur nos possibilités mêmes de connaître, de comprendre l’autre

et le passé se profile. Limitons-nous ici à ces quelques éléments. Plus concrètement, dans le

présent mémoire, nous préférons utiliser des guillemets en parlant des rapports « science et

religion » développés par Galilée, pour souligner le hiatus historique et l’espace

interprétatif inévitablement présent.

36 Peter Harrison, « ‘Science’ and ‘religion’ : constructing the boundaries », dans Thomas Dixon, Geoffrey Cantor et Stephen Pumfrey (éds.), Science and Religion. New Historical Perspective, New York/Cambridge, Cambridge University Press, 2010, pp. 23-49.37 Jean Grondin, « La destruction des préjugés... », art. cit., p. 95.38 Ibid.

10

Page 26: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Notons finalement que des expressions telles que « rencontre entre science et

religion » ou « rapports science et religion » sont fréquemment utilisées pour décrire et

interpréter la vie et l’œuvre de Galilée, ce qui est là, selon nous, un indicateur de la

pertinence de ces concepts39. La Lettre à Christine de Lorraine est généralement considérée

comme un incontournable et un classique dans les études sur les rapports science et

religion40. William Shea la présente comme « l’exposé le plus complet de ses idées [de

Galilée] sur les relations entre science et religion41 ». Denis Alexander, dans Science et Foi,

la qualifie en ces termes : « Cette lettre demeure un classique de la littérature ancienne sur

les relations entre science et foi42. » Bref, même si la catégorie interprétative rapports

« science et religion » présente plusieurs limites, il est possible de justifier son utilisation et

sa pertinence.

Quelques précisions épistémologiques supplémentaires

On remarquera dans notre problématique que nous avons choisi d ’employer

l’expression rapports « science et religion » avec les termes de science et de religion au

singulier lorsqu’il est question de la Lettre. L’emploi de ces termes d’abord, puis de ces

termes au singulier ou au pluriel renvoie à des questions de définition et à des questions

épistémologiques. La réflexion épistémologique montre à quel point l’utilisation du terme

religion et du terme science au singulier est problématique : y a-t-il une religion alors que

les chercheurs étudient des religions particulières et des phénomènes religieux? De même,

y a-t-il une science au travers de la multiplicité des sciences?

39 La section « science et religion » de notre bibliographie donne un aperçu des ouvrages qui abordent la question des rapports science et religion ou la question de la rencontre science(s) et religion(s).40 On peut voir à titre d’exemple, Yves Gingras, Peter Keating et Camille Limoges, Du scribe au savant. Les porteurs du savoir de l ’Antiquité à la révolution industrielle, Montréal, Boréal, 1998, p. 238.41 William Shea, La révolution galiléenne, Paris, Seuil, 1992, p. 252.42 Denis Alexander, Science et foi. Évolution du monde scientifique et des valeurs éthiques, Paris, Ed. Frisson- Roche, 2004, p. 118.

11

Page 27: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Sans chercher à répondre à ces questions, qui renvoient notamment au

nominalisme43, nous avons ici choisi la perspective suivante. Lorsque nous parlerons des

rapports « science et religion » construits dans la Lettre à Christine de Lorraine, nous

emploierons l’expression rapports « science et religion » avec les termes science et religion

au singulier. Nous pensons en effet que dans ce cas, ce qui est central, c’est de déployer ce

qui est imbriqué dans ces concepts et ce à quoi ils renvoient. Par contre, il nous apparaît

plus englobant d’employer les concepts science et religion avec la possibilité du pluriel

dans la typologie, d’où la graphie « science(s) et religion(s) ». Quoique développées

principalement par des auteurs occidentaux et se rattachant, au moins culturellement, au

christianisme, les typologies que nous avons étudiées peuvent être utilisées pour étudier

d’autres traditions ou courants religieux.

Cette première remarque établie, il y a encore possibilité d’éclairer la problématique

du présent mémoire avec des réflexions épistémologiques supplémentaires. Chercher à

décrire les rapports science(s) et religion(s), ou en d’autres mots comment ces concepts

peuvent être reliés, reste incomplet ou bien imprécis si les notions impliquées ne sont pas

définies (c’est-à-dire les concepts de « science » et de « religion »). Il faudrait que ce à quoi

elles renvoient soit explicité (des rites, des croyances, des textes considérés comme sacrés,

des pratiques, des connaissances dites scientifiques, des discours, etc.). Toutefois, cet

impératif de définir les concepts impliqués pour produire un travail intellectuel rigoureux se

heurte à des questions philosophiques et épistémologiques centrales. Comment définir

« religion » et « science » ou encore « discours religieux » et « discours scientifiques » ?

Est-ce que le langage renvoie directement aux phénomènes appréhendés ou n’est-il qu’une

représentation du réel? Est-il nécessaire et même possible de définir ces concepts et ne

risque-t-on pas d’avoir des a priori essentialistes44?

43 Jean Grondin, La philosophie de la religion, Paris, Presses universitaires de France, 2009, pp. 9-13.44 On peut voir à ce sujet les critiques suivantes: Daniel Dubuisson, L'Occident et la Religion. Mythes, sciences et idéologie, Bruxelles, Editions Complexe, 1998, pp. 21-63 et P. Harrison, « ‘Science’ and ‘religion’... », art. cit., pp. 23-49.

12

Page 28: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Plusieurs universitaires contemporains comme Daniel Dubuisson et Jean-Marc

Tétaz montrent que la logique de la définition renvoie à une métaphysique de l’essence,

elle-même influencée par le platonisme. Le concept même de religion apparaît comme une

« catégorie interprétative45 » ayant une histoire particulière reliée à la culture occidentale, à

la tradition judéo-chrétienne et aux courants de philosophie modernes (comme les

Lumières). Le concept de religion et les questions qui s’y rattachent (nature, définition,

origines, manifestations) sont des questions nées en Occident. Certains, comme Dubuisson,

proposent en conséquent d’abandonner le concept occidental de religion. Toutefois, cette

proposition constitue selon nous à la fois un cercle vicieux (puisque les nouveaux termes

forgés sont encore occidentaux) ou une insuffisance (puisqu’il est encore nécessaire d’avoir

un terme général qui désigne des phénomènes pouvant être regroupés et ce, même si

l’emploi de ce terme général renvoie de nouveau à la question de sa définition).

Face à la complexité des questions et aux difficultés qu’elles soulèvent, nous avons

choisi dans ce mémoire d ’adopter une perspective inspirée des travaux de Wittgenstein

dans les Investigations philosophiques46. Plutôt que de chercher à définir « religion(s) » et

« science(s) », nous optons pour une démarche qui part de l’identification courante de tel

phénomène (ou tel discours) comme scientifique ou religieux. La logique des « airs de

famille » ou des « ressemblances de famille » de Wittgenstein reconnaît la nécessité d’une

découpe, d’une classification, tout en montrant le caractère fortuit de cette découpe

puisqu’il ne repose ni sur un paradigme ni sur une essence47. Ici, sans chercher à définir

« science » et « religion », nous posons qu’un savoir implicite et confus est nécessairement

associé à ces concepts. Jusqu’ici, nous avons eu recours plusieurs fois à ces termes sans les

définir et ce, comme la majorité des auteurs que nous avons consultés. Or, nous supposons

45 Giovanni Filoramo, Qu ’est-ce que la religion ? Thèmes, méthodes, problèmes, traduction par Noël Lucas, Paris, Cerf, 2007, p. 77.46 Jean-Marc Tétaz et Pierre Gisel, « Statut et forme d’une théorie de la religion », Théories de la religion. Diversité des pratiques de recherche, changements des contextes socio-culturels, requêtes réflexives, Genève, Éditions Labor et Fides, 2002, pp. 13-17.47 Cette approche comporte l’avantage de renoncer à une dignité normative au cas à partir duquel se met en place un concept. Elle renonce à une approche paradigmatique, qui part d ’un cas concret et qui identifie les autres cas en se référant au paradigme. La classification s’y opère plutôt d’une manière analogique : à partir d’un cas singulier, on identifie d’autres cas de proche en proche. Aucune priorité n’est accordée au premier cas identifié ou au premier contexte où un concept est apparu.

13

Page 29: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

que jusqu’ici le lecteur nous a suivi, que les concepts utilisés sans être définis sont porteurs

d’un certain sens, au moins le sens commun, ce qui nous fournit un point de départ. Sans

accorder une importance paradigmatique à ce sens premier, nous considérons que le lecteur

du présent mémoire peut effectuer le « jeu de langage » qui consiste à associer par le mode

de l’analogie ce qui relève de la « science » et ce qui relève de la « religion ». Nous posons

que les classifications suivantes s’opèrent implicitement : sont ainsi associées « science et

astronomie », « science et philosophie naturelle », « religion et Eglise catholique »,

« religion et théologie » et « religion et interprétation des Écritures saintes ». Ainsi, c’est à

partir du sens commun et à partir de la logique analogique entourant les concepts de «

science » et de « religion » que nous chercherons à décrire les rapports entre « science et

religion » développés par Galilée et que nous nous servirons d’une typologie de

l’articulation des discours religieux et scientifiques pour interpréter la Lettre à Christine de

Lorraine.

Étant donné les difficultés - voire l’impossibilité - de définir définitivement

« religion » ou « science », certains chercheurs proposent d’utiliser ces concepts dans un

projet de recherche comme des outils opératoires. Le champ de la recherche est alors

délimité par une définition préliminaire opératoire. Toutefois, nous avons rejeté cette

possibilité pour les deux raisons suivantes : 1) être à l’écoute des définitions implicites ou

explicites des concepts de science(s) et de religion(s) dans le corpus sélectionné, ce qui

implique une démarche davantage heuristique et 2) dans l’optique décrite précédemment48,

être en mesure de décrire les rapports « science et religion », tout en sachant que la

signification de ces termes a changé au cours de l’histoire et qu’ils peuvent être

anachroniques par rapport à la période historique et aux sources primaires étudiées. Ce

faisant, nous sommes assez près de la position et des justifications de John Hedley Brooke,

telles qu’il les décrit dans son ouvrage Science and Religion49.

48 La section « Critique de la catégorie interprétative rapport "science et religion" ».49 John H. Brooke, Science and Religion. Some Historical Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, pp. 6-11. Brooke refuse d’élaborer des définitions rigoureuses de « science » et « religion ». Il mentionne lui aussi la difficulté à se questionner sur les rapports science et religion dans le passé. Les deux

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Page 30: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Quelques limites supplémentaires à cette problématique

Précisons que ce mémoire ne vise pas du tout à décrire ou à expliquer tous les

aspects de la vie et de l’œuvre Galilée qu’il est possible d’associer à la question des

rapports « science et religion ». La source primaire sélectionnée comporte ses limites. C’est

dans la perspective de nuancer le « nécessaire » conflit entre science et religion présent

dans de nombreuses représentations de Galilée que nous avons sélectionné la Lettre à

Christine de Lorraine. Si nous avions voulu au contraire nous concentrer sur le conflit (et

l’opposition entre science et religion), nous aurions pu analyser le décret de mise à l’Index

de Copernic50, la sentence de condamnation de Galilée ou l’abjuration de Galilée51. Bref, le

choix de la source primaire ici répond à notre objectif de recherche et indique une certaine

orientation dans nos recherches. Toutefois, une étude complète des rapports « science et

religion » dans le champ des études galiléennes inclut nécessairement la Lettre à Christine

de Lorraine. Ici, même si nous nous concentrons sur cette dernière source et non sur les

documents que nous venons d’énumérer et qui insisteraient davantage sur l’aspect

conflictuel de « l’affaire Galilée52 », nous présenterons brièvement dans la mise en contexte

(premier chapitre) le contenu de ces quelques sources et ce, avec comme objectif de donner

un portrait plus complet des rapports « science et religion » dans l’œuvre de Galilée53.

s’inscrivent dans des pratiques et des préoccupations humaines. Ce ne sont pas des entités en soi qui pourraient être sorties de leurs contextes sociaux-historiques.50 On peut en trouver une traduction française dans Maurice Clavelin, Galilée copemicien.., op. cit., pp. 510- 512.51 On peut également en trouver une traduction française dans F. Beretta, Galilée en procès..., op. cit., pp. 139-148.2 Nous employons ici les guillemets pour souligner ceci : même si l’expression « affaire Galilée » est

couramment utilisée, certains auteurs la critiquent.53 En somme, nous voulons ici simplement insister sur le fait que le choix d’une source peut indiquer implicitement l’orientation d’une recherche. Selon Raymond Lemieux, même la méthode de recherche, ici entendue comme la construction de la distance entre un chercheur et son objet, est « une position interprétative qui joue non seulement a posteriori, une fois qu’on est en présence d’une documentation, mais a priori, dans la cueillette même de cette documentation ». R. Lemieux, « Cherchez l’objet ou la question... », art. cit., p. 157.

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Page 31: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Plan du mémoire

Dans un premier chapitre, nous situerons le contexte de rédaction de la Lettre à

Christine de Lorraine (période 1609-1616). Puis nous identifierons les thèmes principaux

de chacune des parties de la Lettre. Avant d’approfondir et d ’interpréter la Lettre, nous

présenterons dans le troisième chapitre une typologie de l’articulation des discours

religieux et scientifiques qui se veut une synthèse des catégories présentes dans les

quelques typologies des rapports science(s) et religion(s) étudiées. Le but de ce chapitre

sera de mettre en place un outil heuristique. Ensuite, il sera possible de chercher quels sont

les rapports « science et religion » qui peuvent être reconnus dans la source primaire

sélectionnée. Les catégories développées dans la typologie serviront de grille de lecture de

la Lettre à Christine de Lorraine. Cette dernière étape, qui constituera le quatrième

chapitre, sera l’occasion de mettre en évidence les propos de Galilée cherchant d’une part à

éviter la condamnation de la doctrine astronomique copemicienne, et d’autre part, à donner

à la science son autonomie tout en proposant une vision des saintes Ecritures qui permet

d’accepter le système du monde copemicien. Il sera alors possible de présenter en

conclusion une brève réflexion sur la récente « réhabilitation » de Galilée par l’Église

catholique et sur les rapports de Galilée à la modernité, notamment à propos de

l’émergence de la science moderne et de son articulation avec les autres domaines du

savoir.

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Page 32: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Chapitre 1 La période 1609-1616 : contexte de rédaction de la Lettre

Il serait pertinent, afin de situer plus globalement le contexte de production de la

Lettre à Christine de Lorraine, de commencer avec la publication en 1543 de l’œuvre de

Copernic, le De revolutionibus orbium coelestium. Ici, nous nous concentrerons sur la

période la plus immédiatement rapprochée de la production de la Lettre à Christine de

Lorraine par Galilée et ce, dans une perspective biographique.

La période 1609/1610'-1616 est fréquemment mise en évidence par les spécialistes

de Galilée. Maurice Clavelin y a consacré un ouvrage complet intitulé Galilée copernicien :

le premier combat (1610-1616). Dans Galilée : pour Copernic et pour l ’Eglise publié en

2001, Annibale Fantoli délimite aussi la période 1609-1616 ; il y consacre les deuxième et

troisième chapitres, ayant respectivement comme titre « Découvertes astronomiques grâce

au télescope : début et développement des polémiques » et « Epilogue de la polémique

scripturaire : mise à l’Index du De revolutionibus ». Dans Le mythe Galilée de Fabien

Chareix, il y a également un chapitre consacré à la période 1610-1616. C’est le troisième

chapitre intitulé « Entre Florence et Rome : l’engagement copernicien » .

La période 1609-1616 n’est cependant pas délimitée et clairement mise en évidence

dans toutes les biographies de Galilée. Georges Minois dans Galilée (collection Que sais-

je?) et Jean-Yves Boriaud dans le récent Galilée, publié en 2010, situent la polémique

scripturaire dans une période plus étendue qui inclut les controverses sur les comètes et la

publication du II Saggiatore en 1623. Ici, nous nous limiterons à décrire la période 1609-

1 En 1609, Galilée a conçu la lunette astronomique et fait ses premières observations avec cet instrument. Il a publié ses premières découvertes en 1610 dans le Sidereus nuncius. Cette période débute donc, selon les auteurs, soit en 1609, soit en 1610 selon l’accent mis sur l’un ou l’autre événement.2 II est toutefois à noter que Chareix traite des découvertes astronomiques de Galilée à la fin du chapitre précédent.

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Page 33: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

1616, car notre but est de situer le contexte de rédaction de la Lettre à Christine de

Lorraine, rédigée en 1615.

Nous renvoyons le lecteur à la bibliographie pour une revue des différents ouvrages

que nous avons consultés. Mentionnons toutefois que nous nous concentrerons

principalement sur les auteurs mentionnés jusqu’à maintenant (Clavelin, Fantoli, Chareix,

Minois), sélectionnés à partir de la qualité et du sérieux de leurs travaux. Ajoutons à ces

sources l’ouvrage très érudit de Pierre-Noël Mayaud, Le conflit entre l ’Astronomie

Nouvelle et l'Écriture Sainte aux X V f et X V I f siècles : un moment de l ’histoire des idées :

autour de l ’affaire Galilée. Nous utiliserons aussi les présentations qui accompagnent les

traductions françaises de la Lettre à Christine de Lorraine. Principalement, il s’agit de

l’introduction et de la présentation de Philippe Hamou et Martha Spranzi dans Lettre à

Christine de Lorraine et autres écrits coperniciens (publié en 2004), du chapitre de Pierre-

Noël Mayaud intitulé « Deux textes au cœur du conflit : entre l’Astronomie Nouvelle et

l’Écriture Sainte. La lettre de Bellarmin à Foscarini et la lettre de Galilée à Christine de

Lorraine » (dans l’ouvrage dirigé par le cardinal Poupard, Après Galilée : science et fo i :

nouveau dialogue) et de la présentation de François Russo, dans la Revue d ’histoire des

sciences et de leurs applications (numéro paru en 1964).

1.1. Galilée, la lunette et ses découvertes en astronomie

Né à Pise en 1564, Galilée effectue des études en mathématiques et devient

professeur à Padoue en 1592. En 1609, Galilée y entend parler d ’un tube optique, d ’une

lunette « grâce à laquelle des objets visibles, même situés loin de l’œil de l’observateur,

pouvaient être nettement discernés, comme s’ils étaient proches ». Pendant l’été de la

même année, Galilée met au point sa propre lunette dans son atelier. La paternité de

l’invention n’est pas attribuée à Galilée et est l’objet de conjectures. En effet, le hollandais

Hans Lippershey a tenté de faire breveter un télescope qu’il avait construit lui-même en

3 Galilée, Le messager des étoiles, traduit, présenté et annoté par Femand Hallyn, Paris, Seuil, [1992] 2009, p. 117.

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Page 34: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

octobre 1608, mais son brevet est contesté4. Quoiqu’il en soit, Galilée conçoit une lunette^

avec une lentille concave et une lentille convexe et améliore graduellement sa qualité

optique, en augmentant le pouvoir grossissant et séparateur de l’instrument (pouvoir de

résolution)6. Il présente officiellement la lunette à d’importants dignitaires de Venise dès

l’été 1609, soit devant les caciques, du haut du campanile de la Piazza San Marco.

La conception de la lunette marque un tournant dans les activités de Galilée. Il se

consacrait auparavant principalement à des questions de mécanique comme le mouvement

et la chute des corps. Après 1610, une grande partie des publications et des travaux de

Galilée se situent dans le domaine de l’astronomie7. Galilée observe le ciel avec son nouvel

instrument et décrit ses découvertes astronomiques dans le Sidereus nuncius8. La

publication en mars 1610 du Sidereus nuncius a un grand retentissement en Europe et

Galilée devient un savant renommé. Galilée est lui-même émerveillé par la portée de ses

découvertes : « [...] dans mon étonnement infini, je rends infiniment grâce à Dieu d’avoir

bien voulu faire de moi le premier observateur de tant de choses admirables et ignorées des

siècles passés9. » Il est à noter que certains documents historiques montrent que Galilée

n ’est pas le premier à avoir observé le ciel avec une lunette astronomique10. Toutefois,

Galilée est le premier à avoir publié ses observations et le premier à saisir l’importance, la

4 Annibale Fantoli, Galilée. Pour Copernic et pour l ’Église, traduction de François Evain, Vatican, Vatican Observatory Publications, 2001, p. 86. On peut voir aussi à ce sujet Allan Chapman, « A new perceived reality. Thomas Harriot’s Moon Maps », Astronomy & Geophysics, vol. 50/1 (February 2009), p. 27 et Jean- Yves Boriaud, Galilée. L ’Église contre la science, Paris, Perrin, 2010, pp. 64-68.5 Ici, nous appellerons « lunette » ou « lunette astronomique » l’instrument optique de Galilée, quoique ce dernier utilisait le terme « perspicille » (en italien, perspicillum/perspicilli) et aussi les termes canone et occhiale. On peut voir à ce sujet Pierre-Noël Mayaud, Le conflit entre l ’Astronomie Nouvelle et l ’Écriture Sainte auxXVIe et XVIIe siècles. Un moment de l ’histoire des idées. Autour de l ’affaire Galilée, vol. I : Présentation des dossiers restituant le conflit et arrière-plan historique, Honoré Champion, Paris, 2005, p. 250.6 Fabien Chareix, Le mythe Galilée, Paris, PUF, 2002, p. 74.7 Notons qu’il est toutefois possible de rapprocher ces domaines d’études. L’astronomie est une science qui s’intéresse aux mouvements des corps ; elle s’intéresse à la mécanique céleste.8 Nuncius peut être traduit soit par message, soit par messager. Les historiens et les traducteurs adoptent généralement la deuxième option. Fernand Hallyn a traduit Sidereus nuncius par Le messager des étoiles tandis qu’Isabelle Pantin a adopté Le messager céleste.9 Lettre à B. Vinta, 30 janvier 1610, citée dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier combat (1610- 1616), Paris, Albin Michel, 2004, pp. 103-104.10 L’Anglais Thomas Harriot avait déjà observé et cartographié la Lune à partir du mois de juillet 1609.

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Page 35: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

portée et les conséquences de ses données observationnelles comme nous le verrons dans

les paragraphes suivants et dans la section suivante (« 1.2. Galilée copemicien »).

Il est impossible dans le cadre ici défini de présenter toutes les observations et les

conclusions de Galilée colligées dans le Sidereus nuncius, contentons-nous donc des

principales. Tout d’abord, Galilée observe la Lune avec sa lunette. Galilée constate que la

Lune n’est pas parfaitement polie, qu’elle est accidentée et que sa surface est caractérisée

par des vallées, des montagnes et des zones claires ou sombres, tout comme sur la Terre :

Or ces taches-ci n ’avaient été observées par personne avant nous ; leur examen répété nous a conduit à cette pensée : nous comprenons avec certitude que la surface de la Lune n ’est pas polie, régulière ou d ’une sphéricité parfaite comme la grandecohorte des philosophes l’a estimé, à son sujet et à celui des autres corps terrestres,mais au contraire irrégulière, rugueuse, pourvue de cavités et de gonflements, tout comme la surface de la Terre elle-même, qui est rendue partout différente par les hauteurs des montagnes et les profondeurs des vallées".

Cette identité formelle de la Terre et de la Lune est loin d’être anodine à l’époque. En effet,

les corps célestes étaient alors décrits dans le cadre de la philosophie naturelle• • • • 12 péripatéticienne. Sans en décrire tous les principes ni le système , notons que la

cosmologie aristotélicienne pose une différence essentielle entre corps terrestre et corps

céleste. Il y a une hétérogénéité entre les corps célestes — dont les éléments sont la terre,

l’eau, l’air ou le feu — et les corps célestes, composés d’éther et à qui appartient le

mouvement circulaire. Les corps célestes sont immuables, ingénérables, parfaits et

incorruptibles par opposition aux corps terrestres qui sont générables et corruptibles .

Galilée observe aussi la Voie lactée et les nébuleuses. Pour la première fois dans

l’histoire de l’astronomie, Galilée peut observer le très grand nombre d ’étoiles invisibles à

11 Sidereus nuncius, Ed. Naz. III-l, p. 62-63, cité dans F. Chareix, Le mythe Galilée..., op. cit., p. 75.12 Nous renvoyons le lecteur à la présentation approfondie de Lemer dans le chapitre II « Le cosmos aristotélicien et les sphères corporelles », dans Michel-Pierre Lemer, Le monde des sphères, vol. I : Genèse et triomphe d ’une représentation cosmique, Paris, Belles Lettres, 2008, pp. 29-54.13 Cette opposition de l’essence du ciel et de celle de la terre avait déjà été questionnée à l’époque, notamment lors de l’observation d’une étoile nouvelle (une nova) au mois d’octobre 1604 (qui a brillé jusqu’à l’été 1605) et lors de l’observation par Tycho Brahé d’un phénomène analogue en 1572.

20

Page 36: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

l’oeil nu qui les composent. Enfin, Galilée décrit dans le Sidereus nuncius ses observations

de Jupiter. Il constate que quatre étoiles errantes orbitent autour de la planète Jupiter14.

Cette observation permet à Galilée de questionner la centralité de la Terre dans le système

astronomique traditionnel. La thèse d ’un centre unique est mise en déroute :

Nous tenons [donc] un argument excellent et lumineux pour ôter tout scrupule à ceux qui, tout en acceptant tranquillement la révolution des Planètes autour du Soleil dans le Système copemicien, sont tellement perturbés par le tour que fait la seule Lune autour de la Terre - tandis que ces Planètes accomplissent toutes deux une révolution annuelle autour du Soleil - qu'ils jugent que cette organisation du monde doit être rejetée comme une impossibilité15.

Cette dernière citation de Galilée illustre bien sa position dans le Sidereus nuncius. Galilée

n’y présente pas seulement ses observations, mais aussi en quoi elles peuvent devenir des

arguments en faveur du système de Copernic.

Les découvertes de Galilée ne s’arrêtent pas là. Il a, dans les mois qui suivent la

publication du Sidereus nuncius, observé les phases de Vénus (vers octobre 1610). Tout

comme la Lune, la planète Vénus présente des phases, allant du croissant à la pleine Vénus.

Cette observation est d’une grande importance, car elle indique pour Galilée et les

astronomes de l’époque que Vénus est en orbite autour du Soleil. Cette donnée

observationnelle a donc comme conséquence de manifester la non-validité du système de

Ptolémée quant au fait que Vénus et Mercure tourneraient autour de la Terre16. Les phases

de Vénus peuvent être expliquées dans le système du monde héliocentrique de Copernic, et

14 Galilée les appelle les étoiles médicéennes, en l’honneur de la famille Médicis et plus particulièrement du quatrième grand-duc de Toscane, Cosme II. Il emploie aussi le terme « planètes » sur la page titre du Sidereus nuncius. Notons que Kepler emploiera le terme « satellite » pour les désigner. On peut voir à ce sujet P.-N. Mayaud, Le conflit entre..., op. cit., note 279.15 Galilée, Le messager..., op. cit., p. 95, cité par A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., p. 89.16 Pierre-Noël Mayaud, « Deux textes au cœur du conflit. Entre l’Astronomie Nouvelle et l’Écriture Sainte. La lettre de Bellarmin à Foscarini et la lettre de Galilée à Christine de Lorraine », dans cardinal Paul Poupard (dir.), Après Galilée. Science et foi. Nouveau dialogue, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p. 20.

21

Page 37: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

aussi dans le système de Tycho Brahé, toujours géocentrique17, mais pas dans les systèmes

de Platon, d’Aristote et de Ptolémée18.

Galilée observe également le Soleil avec la lunette astronomique. Pendant l’année

1612, c’est son principal objet d ’étude. Galilée observe des taches solaires et soutient que

ces taches appartiennent en propre au Soleil. Il entre alors dans une polémique l’opposant

principalement au père jésuite Christopher Scheiner, selon qui les « taches » sont des corps

en orbite autour du Soleil qui en éclipsent la lumière. Mentionnons enfin que Galilée a

également observé la planète Saturne et ce, dès l’été 1610. Avec la qualité optique de sa

lunette, il a vu deux « compagnons » ; Saturne est selon lui composée de trois étoiles (ou de

trois corps), qui se touchent presque et qui ne se déplacent pas les unes par rapport aux19autres .

1.2. Galilée copernicien

Alors que les toutes premières observations de la Lune avec une lunette

astronomique sont présentées comme des curiosités20, Galilée y voit l ’occasion de discuter

de la question de la constitution du monde. Certaines sources indiquent que Galilée conçoit

déjà à cette époque son projet qui sera concrétisé avec la publication en 1632 du Dialogue

sur les deux grands systèmes du monde (Dialogo sopra i due massimi sistemi del mundo

tolemaico e copernicano). Dans cet ouvrage, Galilée expose l’ensemble des motifs pour

lesquels le dilemme entre, d’une part, le système d’Aristote et de Ptolémée et, d ’autre part,

17 Dans son système du monde, Tycho Brahé place la Terre au centre, immobile. La Lune et le Soleil tournent autour de la Terre alors que les autres planètes tournent autour du Soleil et non de la Terre comme dans le système traditionnel de Ptolémée et d’Aristote.1 Dans ces derniers systèmes du monde, Vénus orbite autour de la Terre et non autour du Soleil. Nous ne nous concentrons ici que sur cet aspect et non sur les distinctions entre les différents systèmes du monde, notamment en ce qui a trait aux orbites et aux sphères célestes. Nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage suivant qui traite en détails la question des orbes et des sphères : Michel-Pierre Lemer, Le monde des sphères, vol. II : La fin du cosmos classique, Paris, Belles Lettres, 2008, pp. 3-73.19 Ces « corps » seront décrits par Christiaan Huygens dans le Systema Saturnium comme étant les anneaux de Saturne.20 On peut interpréter en ce sens par exemple les notes et les dessins de Thomas Harriot.

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Page 38: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

le système de Copernic, devrait être résolu en faveur de ce dernier21. Sans être un projet

aussi vaste que le Dialogue, le Sidereus nuncius est le « premier pas d’une véritable lutte• • • • 99pour la reconnaissance de la vérité du système copemicien . » Selon Maurice Clavelin,

« Galilée, bravant hostilités et dangers, s’engagea dès 1610 dans un combat passionné en• 91 • •faveur de Copernic . » Bref, avec la publication du Sidereus nuncius, Galilée prend de plus

en plus fermement parti pour le système du monde copemicien.

Plusieurs historiens (dont Stillman Drake, William A. Wallace et Maurice Clavelin)

se sont intéressés à la question de l’adhésion de Galilée au système de Copernic et au rôle

de cette adhésion dans les travaux de Galilée, notamment dans ses travaux sur le

mouvement24. Deux documents, la Lettre à Mazzoni du 30 mai 1597 et la Lettre à Kepler

du 4 août 1597, montrent l’adhésion de Galilée à la doctrine de Copernic : « [...] depuis

plusieurs années déjà, je me suis converti à la doctrine de Copernic, grâce à laquelle j ’ai

découvert les causes d’un grand nombre d’effets naturels dont il est hors de doute que

l’hypothèse commune ne peut rendre compte25. » Or, cette adhésion demeure privée.

Galilée continue ainsi très probablement à cette époque à enseigner l’astronomie

traditionnelle de Ptolémée (il rédige en 1597 le De Sphaera qui traite de côsmologie dans

une perspective ptolémaïque). Galilée indique par ailleurs dans la Lettre à Kepler qu’il

craint le sort réservé à Copernic : « J ’ai écrit sur cette matière bien des considérations, des

raisonnements et des réfutations que jusqu’à présent je n’ai pas osé publier, épouvanté par

le sort de Copernic lui-même, notre maître, qui, s’il s’est assuré une gloire immortelle

auprès de quelques-uns, s’est exposé d’autre part [...] à la dérision et au mépris de

beaucoup d’autres26. » Les années qui précèdent le Sidereus nuncius sont donc caractérisées

par la réserve et la retenue de Galilée face à l’astronomie copemicienne.

21 A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., p. 90.22 F. Chareix, Le mythe Galilée..., op. cit., p. 43.23 M. Clavelin, Galilée copemicien. Le premier..., op. cit., p. 7.24 Pour une discussion plus approfondie, on peut voir F. Chareix, Le mythe Galilée..., op. cit., p.46 ss.25 Lettre à Kepler (4 août 1597), Éd. Naz., X, p. 67-68, citée dans F. Chareix, Le mythe Galilée..., op. cit., pp. 44-45.26 Ibid.

23

Page 39: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Avec la publication du Sidereus nuncius, Galilée devient ouvertement et

publiquement copemicien ; sa « conversion » n’est plus seulement épistolaire. Selon Fabien

Chareix, « le Galilée prudent de la lettre à Kepler a jugé bon de troquer la dissimulation et

le couvert du ptolémaisme universitaire pour communiquer au public un message céleste

dévoilant l’évidente défaillance du cosmos aristotélicien27 ». Toujours selon Chareix, « on

peut affirmer sans crainte que l’intention globale du Sidereus nuncius consiste moins dans

l’établissement d’un traité d ’astronomie que dans la recherche de preuves observationnelles

de la légitimité du système copemicien28. » Bref, l’attitude et la prise de parole de Galilée

changent à partir de 1610. En ce sens, Pierre-Noël Mayaud décrit en trois étapes la prise de

position de Galilée envers l’astronomie copemicienne. D’abord, Galilée publie le Sidereus

nuncius, puis, lors de son séjour à Rome au printemps 1611, il «milite activement en

faveur du système de Copernic. » Enfin, dans les Lettres sur les taches solaires, Galilée• • 29« prend catégoriquement position en faveur du système de Copernic ». Voyons

maintenant quelles ont été les réactions face à ce positionnement du désormais célèbre

Galilée.

1.3. Réception des découvertes astronomiques de Galilée : premières réactions

Les découvertes astronomiques de Galilée telles que présentées dans le Sidereus• 30nuncius ont suscité de vives réactions et ont rapidement tourné les regards vers Galilée .

Cette période correspond, selon Maurice Clavelin, à « la première étape du premier combat

copemicien de Galilée » et occupe significativement Galilée jusqu’en 1612. Notons qu’en

1610, Galilée a la possibilité de poursuivre ses travaux et ses enseignements à Padoue, où

son salaire a été significativement augmenté. Galilée choisit plutôt de retourner à

27 F. Chareix, Le mythe Galilée..., op. cit., p. 46.28 Ibid., p. 80.29 P.-N. Mayaud, « Deux textes au cœur... », art. cit., p. 21.30 Les cinq cents premiers exemplaires du Sidereus nuncius se sont vendus en une semaine. A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., p. 93.

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Page 40: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Florence31, où il devient en juillet 1610 le « premier mathématicien du Studium de Pise et le

premier mathématicien et philosophe du Duc de Toscane », c’est-à-dire Cosme II de

Médicis. Il y est libéré de la tâche d’enseigner et pourra, comme le dit Fantoli, se

« consacrer à sa mission copemicienne32. »

Les réactions face aux observations du Sidereus nuncius sont d’abord très partagées,

certaines sont positives et d’autres négatives, voire hostiles. L’astronome Johannes Kepler,

alors astronome à la cour de l’Empereur du saint Empire romain et roi de Germanie, est

convaincu de la vérité des observations et publie rapidement un ouvrage intitulé Discussion

avec le messager céleste (Dissertatio cum nuncio sidereo 33). Il est à noter que cet appui de

Kepler contribue indirectement à associer Galilée à Copernic, Kepler étant lui aussi

ouvertement copemicien34. Kepler ne peut toutefois confirmer les observations de Galilée

qu’au mois d’août 1610, après avoir reçu une lunette suffisamment perfectionnée. Entre

temps, plusieurs professeurs, dont Magini, professeur de mathématiques à Bologne et

astronome, Cremonini, professeur de philosophie à Padoue et Ludovico delle Colombe,

philosophe aristotélicien, refusent de reconnaître les découvertes de Galilée. Un disciple de

Magini, Horky, publie un ouvrage où il déclare que les découvertes de Galilée sont

fausses35.

Les premières critiques du Sidereus nuncius portent sur les nouveautés célestes

elles-mêmes et non immédiatement sur l’héliocentrisme adopté par Galilée. Ainsi, le débat

se concentre d’abord sur les observations et sur la fiabilité de la lunette astronomique. La

31 Plusieurs historiens se sont attardés à ce choix de Galilée. En effet, on peut se demander si l’histoire telle que nous la connaissons n’aurait pas été très différente si Galilée avait poursuivi ses travaux dans la république de Venise. Un ami de Galilée, Sagredo, a déjà à l’époque exprimé des inquiétudes par rapport à ce choix. On peut voir à ce sujet F. Chareix, Le mythe Galilée..., op. cit., p. 81.32 A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., p. 91.33 Isabelle Pantin a traduit cette œuvre qui a été publiée aux Belles Lettres en 1993.34 F. Chareix, Le mythe Galilée..., op. cit., p. 80. Dans la Dissertatio, les prises de positions copemiciennes de Kepler sont encore plus explicites que celles de Galilée. Cette dernière information provient de P.-N. Mayaud, Le conflit entre ..., op. cit., p. 254.35 C’est le Brevissima peregrinatio contra Nuncium Sidereum, présenté dans A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., p. 95.

25

Page 41: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

lunette astronomique de Galilée n’est pas facile à utiliser ni même à concevoir36, ce qui

contribue au scepticisme et aux jugements réfractaires de certains astronomes. De plus,

l’utilisation de la lunette pose des questions par rapport aux conceptions et aux théories de

la lumière et de la vision. Dans Galilée copernicien : le premier combat (1610-1616),

Maurice Clavelin présente en détail les objections soulevées et les contre arguments de

Galilée37. Notons que les objections provenaient principalement des astronomes, des38philosophes et aussi des astrologues. Ces derniers, parfois très proches des philosophes ,

pouvaient voir leurs horoscopes remis en cause par les nouveautés célestes.

Les polémiques associées aux premières découvertes astronomiques de Galilée

colligées dans le Sidereus nuncius finissent à l’avantage de Galilée. En effet, ses

découvertes sont reconnues par les jésuites du Collège romain, et notamment par le père

Clavius39 vers la fin de 1610. Le 19 avril 1611, le cardinal Bellarmin envoie une lettre aux

professeurs du Collège romain. Ces derniers, c’est-à-dire Clavius, Grienberger, Maelcote et

Lembo, lui répondent le 14 avril. Ils y confirment les observations de Galilée (multitude

d’étoiles dans la Voie Lactée, forme oblongue de Saturne, phases de Vénus, inégalités de la

surface lunaire et présence des « étoiles errantes » de Jupiter). Cette reconnaissance des

découvertes astronomiques de Galilée est officialisée lors d’une réception qui a lieu à Rome

en mai 161140. L’accueil de Galilée à Rome et au Collège romain symbolise, selon Maurice

Clavelin, le ralliement des « professionnels » et l’acceptation des découvertes de Galilée41.

D’ailleurs, signe d’estime et de sa reconnaissance publique, Galilée est fait Linceo par le

prince Federico Cesi pendant son séjour à Rome ; il est désormais le sixième membre de

/ ’Accademia dei Lincei (Académie des Lynx)42, un lieu d’échange sur les mathématiques et

les nouvelles sciences. Ce groupe soutiendra Galilée et publiera quelques-uns de ses

36 Les principales difficultés liées à l’utilisation de la lunette astronomique sont présentées dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., pp. 29-30.37 Ibid., p. 31 ss.38 Ibid., p. 37.39 On peut voir une description plus détaillée de la réception par les jésuites dans A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 98-100.40 Pour plus de détails sur cette séance académique solennelle et le discours qui y est lu, on peut voir A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., p. 110.41 M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 31.42 Yves Gingras, Peter Keating et Camille Limoges, Du scribe au savant. Les porteurs du savoir de l ’Antiquité à la révolution industrielle, Montréal, Boréal, 1998, pp. 202-203 et p. 265.

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Page 42: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

ouvrages dans les années qui vont suivre. Mentionnons enfin que Galilée a alors aussi

l’honneur d’obtenir une audience auprès du pape Paul V lors de ce séjour à Rome.

Bref, les observations et les découvertes de Galilée sont reconnues et acceptées.

Certes, Galilée est engagé dans plusieurs débats. Notamment, le père Clavius et les autres

professeurs du Collège romain discutent à savoir si les inégalités à la surface de la Lune

sont seulement apparentes ou réelles43. De même, les observations de Galilée — et aussi de

Fabricius et du père Scheiner — des « taches solaires » posent la question de

l’interprétation de ces observations : ce phénomène est-il lié au soleil ou est-il produit par

des corps éclipsant le soleil44 ? Soulignons que l’entérinement des découvertes

astronomiques de Galilée par le Collège romain ne s’accompagne pas nécessairement d’un

accord quant aux interprétations de Galilée, et encore moins en faveur de ses interprétations

copemiciennes45. Le père Clavius, à la tête du Collège romain, est certes convaincu qu’on

ne peut plus défendre le système de Ptolémée, mais il n ’est pas convaincu pour autant de la

vérité et de la validité du système de Copernic46.

Même si Galilée obtient rapidement une reconnaissance de la part de Rome et du

Collège romain, d’autres sujets de controverse se présentent. Lors de son passage à Rome

en 1611, Galilée se montre ouvertement copemicien et attaque la philosophie naturelle des

péripatéticiens. De plus, en 1611 et 1612, il est impliqué dans des polémiques qui ne

concernent pas directement l’astronomie copemicienne, mais qui ont pu contribuer à

augmenter le nombre de ses opposants47. Peu à peu, des objections se construisent contre la

position copemicienne de Galilée et des divergences faisant référence à l’Écriture sainte et

à la théologie, se manifestent.

43 On peut voir une présentation détaillée des arguments de part et d’autre dans M. Clavelin, Galilée copemicien. Le premier..., op. cit., pp. 42-46.44 IbicL, pp. 46-50.45 P.-N. Mayaud, Le conflit entre ..., pp. 250-253.46 A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic, op. cit., pp. 110-113.47 Nous ne relatons pas ici la polémique sur les corps flottants, ni les détails de la polémique avec Scheiner à propos de la priorité de la découverte des « taches solaires ». On peut voir à ce sujet A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 114-127.

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Page 43: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

1.4. Les polémiques scripturaires

La mise en rapport de l’astronomie copemicienne et de l’Écriture sainte est bien

antérieure à la période que nous décrivons ici. Dans Galilée : pour Copernic et pour

l ’Eglise, Fantoli consacre une partie de son introduction à cette question (section 3 « La

‘révolution copemicienne’ et la réaction des théologiens48 »). La compatibilité du système

du monde de Copernic et de l’Écriture sainte préoccupait déjà Copernic lui-même, l’éditeur

du De revolutionibus, Osiander, ainsi que le disciple de Copernic, Rheticus49. Notons que

quelques réactions de rejet face à l’astronomie copemicienne50 ont lieu tant du côté des

catholiques que des protestants51. Toutefois, ces objections ne constituent pas une sanction

officielle.

Après les prises de position copemiciennes de Galilée, le débat et les objections se

déplacent peu à peu vers des questions scripturaires et théologiques. C’est à ce moment que

débute la deuxième phase du premier combat copemicien de Galilée, telle qu’identifiée par

Maurice Clavelin. À la fin de 1610, le philosophe aristotélicien Ludovico delle Colombe

rédige un opuscule, le Contro il moto délia terra52, qui, outre les arguments astronomiques

et physiques, insiste sur l’incompatibilité de l’héliocentrisme avec certains passages de

l’Écriture sainte53. Même si celui-ci reste inédit, Galilée en reçoit une copie et l’annote. En

1611, Francesco Sizzi, en relation avec Magini et Horky, critique lui aussi les découvertes

48 A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 20-29.49 L’écrit de Rheticus à ce sujet a été redécouvert dans les années 1980. On peut voir à ce sujet P.-N. Mayaud , « Deux textes au cœur ... », art. cit., p. 20 et la note 4.50 Remarquons que les termes employés pour désigner les propositions astronomiques de Copernic présentées dans le De revolutionibus ne sont pas sans significations implicites. Parler de la doctrine copemicienne n’équivaut pas à parler de l’hypothèse copemicienne ou de l’opinion copemicienne. Les différentes expressions impliquent un degré de vérité à l’astronomie copemicienne (ou au système de monde copemicien) différents. Ici, nous employons l’expression « astronomie copemicienne » que nous considérons plus neutre.51 Pour une analyse détaillée, on peut voir Isabelle Pantin, « Science et religion au temps de la "Révolution scientifique". Les copemiciens et les règles de l’exégèse », Archives des sciences, vol. 55, fasc. 2 (novembre 2002), pp. 107-123.52 Selon certains auteurs, cet opuscule date plutôt de 1611 ou de 1612.53 Ludovico delle Colombe fait référence aux passages suivants : Ps 103,5 ; 1 Ch 16,30 ; Jb 25,7 ; Es 40,12 ; Pr 27,3, Qo 1,5. Pour plus de détails sur les arguments de delle Colombe, on peut voir Olaf Pedersen,« Galileo and the Council of Trent », Studi Galileiani vol.l, n°6 (1991), Vatican, Vatican Observatory Publications, pp. 8-9.

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Page 44: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

de Galilée en faisant référence aux Écritures. Il affirme notamment qu’il ne peut y avoir que

sept planètes puisque le chandelier du Temple de Jérusalem n’avait que sept branches54. De

plus, dès 1612, le philosophe Lagalla soutient dans De phœnomis in orbe Lunae physica

disputatio que l’abandon des essences, corollaire à l’affirmation de la similitude des corps

célestes et des corps terrestres, restaure l’opinion atomiste de Démocrite, alors jugée impie.

Sans en endosser toutes les thèses, les travaux de Pietro Redondi ont mis cet aspect en

évidence55. Bref, les soupçons commencent à circuler à propos de l’orthodoxie de

l’astronomie copemicienne.

En 1612-1613, les questions scripturaires restent à l’ordre du jour, comme le laisse

voir une lettre écrite par le cardinal Conti à Galilée, datant du 7 juillet 1612 (la lettre de

Galilée à Conti est perdue). En janvier 1613, Galilée relate dans une lettre à Cesi l’épisode

où le dominicain Niccolô Lorini, avec d’autres opposants à Galilée, aurait fait mention des

Écritures dans une conversation à propos de l’astronomie copemicienne. Dans la même

année, Galilée doit corriger ses Lettres sur les taches solaires (Istoria e Demonstrazioni

intorno allé Macchie Solarï) pour obtenir l’imprimatur56. Dans ces Lettres, Galilée a

d’abord fait mention des Écritures, mais doit retirer ces passages57.

À la fin de l’année 1613, la polémique scripturaire engageant Galilée et

l’astronomie copemicienne est évoquée chez les Médicis. Les prises de position de Galilée,

alors officiellement le premier mathématicien et premier philosophe du grand-duc,

impliquent au moins indirectement ce dernier. La grande-duchesse Christine de Lorraine,

mère du grand-duc de Toscane Cosme II de Médicis, questionne à ce sujet le moine

bénédictin Castelli, ami et disciple de Galilée58. Selon Pierre-Noël Mayaud, ce n ’est pas la

54 A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., p. 104.55 Ici, nous nous basons sur la présentation suivante : M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., pp. 54-56.56 À l’époque, les publications étaient autorisées par les autorités ecclésiastiques, qui donnaient Y imprimatur.57 On peut voir à ce sujet : A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 130-131 et William Shea, La révolution galiléenne, Paris, Seuil, 1992, pp. 250-251.58 II fut nommé professeur de mathématiques à l’université de Pise aux environs de 1613. Pour plus d’informations au sujet de Castelli, on peut consulter l’introduction de la Lettre à Castelli dans Galilée, Lettre

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Page 45: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

seule piété de la grande-duchesse qui est ici en jeu, mais aussi l’aspect politique de

l’affaire. Dans la Lettre de Castelli à Galilée du 14 décembre 1613, Castelli communique à

Galilée ce qui s’est passé chez le grand-duc et qui se résume comme suit : après un repas,

Castelli est rappelé par la grande-duchesse Christine de Lorraine. Selon Castelli, Boscaglia,

un professeur de philosophie à l’université de Pise, s’est longuement entretenu avec la

grande-duchesse pendant le repas : « [...] il disait que seul le mouvement de la terre était

incroyable et ne pouvait être, pour la raison principale que l’Écriture sainte était clairement

contraire à cette opinion59. » Après le départ de Boscaglia, Castelli, interrogé par la grande-

duchesse sur la compatibilité entre l’Écriture et le mouvement de la Terre, lui répond. Il

argumente « en théologien60 » et « semble avoir emporté la conviction de ses hôtes61. »

Même si l’incident rapporté par Castelli semble clos, Galilée s’empresse de répondre à

Castelli et de présenter ses propres arguments.

La réponse de Galilée à Castelli fait partie de sa correspondance. Il s’agit de la

Lettre à Castelli du 21 décembre 1613. Galilée y « expose pour la première fois ses vuesf • 6 2 sur l’usage qu’il convient de faire de l’Ecriture dans les sciences naturelles », et en

particulier à propos du passage du livre de Josué. Nous ne résumons pas ici le contenu de

cette lettre puisque la Lettre à Christine de Lorraine, qui sera présentée au chapitre suivant,

est très similaire. Certains passages sont même repris Verbatim. Sans être officiellement

publiée, la Lettre à Castelli connaît une certaine diffusion publique, elle circule. Il en

ressort pour certains que Galilée prend position publiquement à propos de questions

théologiques.

Or, s’aventurer sur le terrain des théologiens n ’est pas à l’époque un acte anodin et

sans répercussion. Comme le mentionne Fantoli, le fait que Galilée interprète un passage de

à Christine de Lorraine et autres écrits coperniciens, traduit et présenté par P. Hamou et M. Spranzi, Librairie Générale Française, 2004, pp. 125-126.59 Lettre de Don Benedetto Castelli à Galilée (14 décembre 1613), dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 346.60 Ibid.61 Galilée, Lettre à Christine..., op. cit., p. 125.62 P.-N. Mayaud, « Deux textes au cœur... », art. cit., p. 21.

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Page 46: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

l’Écriture dans la Lettre à Castelli est « extrêmement grave [...] car c’est là un exemple de

cette interprétation privée de la S. Écriture qui avait été condamnée par l’Église

catholique63 ». En effet, Galilée se situe dans le sillage de la Contre-Réforme catholique et

du concile de Trente. Alors qu’il est déjà engagé dans la polémique scripturaire, Galilée se

fait conseiller par des représentants éminents de l’Église catholique. Un correspondant de

Galilée, Giovanni Ciampoli rapporte dans une lettre du 28 février 1615 les propos du

cardinal Barberini à ce sujet: «L e Sr Cardinal Barberino [...] me disait hier soir [27

février] que ce serait faire preuve dans ces questions d’une plus grande prudence de s’en

tenir aux arguments de Ptolémée ou de Copernic ou, en définitive, de rester dans les limites

de la physique ou des mathématiques. Les théologiens estiment que c’est à eux qu’il revient

d ’expliquer l’Écriture64. » Galilée devrait selon eux « rester dans sa cour ». Or, sa Lettre à

Castelli circule dans certains milieux théologiques.

Parmi les biographes de Galilée, il y a plusieurs interprétations de l’intention de

Galilée au moment où il écrit la Lettre à Castelli : répond-il seulement à des attaques

théologiques se basant sur des passages scripturaires ou cherche-t-il aussi à obtenir un

appui scripturaire en faveur de l’astronomie copemicienne65 ? Quoi qu’il en soit, la Lettre à

Castelli contribue à faire monter la tension, surtout du côté des théologiens et des

interprètes officiels de l’Écriture sainte.

Au mois de décembre 1614, le dominicain Tommaso Caccini, dans l’église de Santa

Maria Novella à Florence, fait un sermon où il attaque les « galiléistes », à partir de la

citation « Viri Galilaei quid statis adspicientes in coelum » (Ac 1, 11)66. Il y associe les

mathématiques à un art diabolique et les mathématiciens à des semeurs d’hérésies. Même si

le père Maraffi, prédicateur général des dominicains, présente par la suite des excuses à

63 A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 136-137.64 Lettre du 28 février 1615, Éd. Naz., XII, p. 144, citée dans A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., p. 140.65 Dans les études historiques sur Galilée, il est difficile de sortir de la perspective, souvent implicite, qui peut être décrite avec ces phrases : À qui la faute? Qui est responsable? Qui est coupable? Qui a mis le feu aux poudres?

« Hommes de Galilée, pourquoi êtes-vous là à regarder le ciel? », d’après la traduction présentée dans A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., p. 135.

31

Page 47: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Galilée, l’accusation est lancée. En outre, le dominicain Niccolô Lorini, après en avoir

discuté avec d’autres dominicains du couvent saint Marc à Florence, s ’adresse aux autorités

ecclésiastiques romaines. Il envoie le 7 février 1615 une copie de la Lettre à Castelli au

cardinal Paolo Sfondrati, préfet de la Congrégation de l’Index. Lorini accompagne son

envoi d’une lettre où il indique quelles propositions paraissent suspectes ou téméraires67.

Mentionnons ici, sans entrer dans le débat, qu’il y a discussion parmi les historiens à savoir

si la Lettre à Castelli envoyée par Lorini était une copie déformée et inexacte ou non . La

Lettre à Castelli est examinée et l’enquête se poursuit69. À cela s’ajoute une déposition du

dominicain Caccini devant le tribunal de l’Inquisition, le 20 mars 1615. La conclusion de

cette enquête ne sera rendue qu’après les dépositions de deux autres témoins, Ximenes et

Attavanti, à la fin de l’année 16 1 570.

Entre-temps, au début de l’année 1615, le théologien carme Antonio Foscarini

publie un opuscule intitulé Lettre sur l ’opinion des pythagoriciens et de Copernic relative à

la mobilité de la Terre et à la stabilité du Soleil, et au nouveau système du monde.

Foscarini y parle des découvertes de Galilée, de l’hypothèse de Copernic, qui est la plus

vraisemblable par rapport aux phénomènes observés, et propose six principes exégétiques

permettant de concilier l’héliocentrisme et les passages de l’Écriture qui font difficulté71.

L’ouvrage, quoique favorablement accueilli par les amis de Galilée, contribue à envenimer

la situation : il constitue une autre déclaration publique faisant référence aux Écritures

saintes.

67 Plainte de Lorini (7 février 1615) envoyée au préfet de la Congrégation de l’Index, le cardinal Paolo Camillo Sfondati (1561-1618), dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., pp. 357-359.68 A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 137-138.69 Averti de l’ouverture d’une enquête par l’Inquisition, Galilée envoie une nouvelle copie exacte de la Lettre à Castelli à M®" Dini, pour que ce dernier la transmette au cardinal inquisiteur Robert Bellarmin. Il est impossible dans le cadre ici défini de relater toutes les démarches du Saint-Office qui suivent l’envoi de Lorini. On peut voir à ce sujet A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 139-141.70 On peut voir ses dépositions et les extraits des minutes de l’Inquisition dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., pp. 490-510.71 Pour une présentation plus complète, on peut voir Galilée, Lettre à Christine..., op. cit., pp. 376-383.

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Page 48: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Le 12 avril 1615, le cardinal Bellarmin répond à Foscarini. Cette lettre, quoique

privée, a un grand poids étant donné le statut de Bellarmin72 dans la hiérarchie catholique.

La Lettre à Foscarini est une « indication de l’attitude de l’Église face au problème de

Copernic73 » et sera désormais, selon Maurice Clavelin, la « doctrine officielle de

l’Église74 ». Quoique s’adressant à Foscarini, cette lettre fait directement mention de

Galilée : « Primo. Je dis qu’à mes yeux V.P. et le Seigneur Galilée agissez prudemment en

vous contentant de parler ex suppositione et non absolument, comme j ’ai toujours cru qu’a

parlé Copernic75. » Dans la Lettre à Foscarini, Bellarmin traite du statut épistémologique

de l’héliocentrisme et de l’interprétation des Écritures, en mentionnant notamment quelles

propositions sont matière de foi (de fide). Après avoir rappelé que les saints pères76, et aussi

les commentaires modernes sur la Genèse, les Psaumes, l’Ecclésiaste et Josué, interprètent

tous ad litteram la mobilité du soleil et la position centrale de la terre, Bellarmin affirme

que ces passages des Écritures, s’ils ne sont pas matière de foi ex parte objecti (quant au

sujet), le sont ex parte dicentis (quant à celui qui parle). En faisant référence aux saints

pères, Bellarmin prend soin de noter que « le Concile interdit d ’interpréter les Écritures

contre l’avis commun des saints pères77 ». Dans la troisième et dernière partie de sa lettre,

Bellarmin nuance toutefois en indiquant ceci :

Je dis que s ’il existait une démonstration vraie que le soleil est au centre du monde et la terre dans le troisième ciel, que le soleil n ’accomplit pas une révolution autour de la terre, mais la terre autour du soleil, alors il faudrait procéder avec beaucoup de circonspection pour expliquer les Écritures qui semblent contraires, et dire que nous ne les comprenons pas plutôt que taxer de faux ce qui est dém ontré78.

72 Pour une courte biographie de Bellarmin, on peut voir par exemple J.-Y. Boriaud, Galilée. L'Église contre..., op. cit., pp. 121-123 et Jean-Robert Armogathe, « Robert Bellarmin saint (1542-1621) », Encyclopcedia Universalis fhttp://www.universalis-edu.com/encvclopedie/robert-bellarmin/ -Kconsulté le 12 février 2011 ).73 A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., p. 145.74 M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 57.75 Robert Bellarmin à Paolo Antonio Foscarini (12 avril 1615), dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 381.76 Nous utilisons ici et pour la suite la graphie « saints pères » ou « pères de l’Église » avec une minuscule. Exceptionnellement, nous utiliserons la majuscule si nous citons ou reprenons directement le propos d’un auteur qui adopte cette graphie.77 Ibid., p. 382.78 Ibid., p. 383.

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Page 49: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Finalement, Bellarmin exprime de nombreuses réserves quant à une telle démonstration en

s’appuyant sur une parole de Salomon, qui parlait alors « inspiré par Dieu79 » et en

s’appuyant sur le témoignage des sens : « il [le savant] expérimente clairement que la terre

est immobile et que l‘œil ne se trompe pas quand il juge que le soleil se meut, tout comme

il ne se trompe pas quand il juge que la lune et les étoiles se meuvent80. » Nous arrêtons là

notre résumé de la Lettre à Foscarini et renvoyons à la présentation plus détaillée de• • • RIMaurice Clavelin et à l’interprétation d ’Annibale Fantoli .

Au début de l’année 1615, alors que la polémique est à son paroxysme, Galilée

projette d ’écrire une version plus élaborée de la Lettre à Castelli. Dans la Lettre à h f r Dini

du 16 février 1615, Galilée fait une première mention d’un texte plus long qu’il prépare,

étant donné la controverse entourant la Lettre à Castelli . Finalement, Galilée écrit la

Lettre à Christine de Lorraine, qu’il termine probablement à l’été 1615. Cette Lettre n’a

très vraisemblablement jamais été envoyée à Christine de Lorraine, puisqu’elle ne contient

aucune dédicace. Quoique cela soit difficile à évaluer, elle a vraisemblablement une

diffusion très limitée. La première publication de la Lettre à Christine de Lorraine a lieu à

la fin de la vie de Galilée, et non durant la période 1609-1616 : Diodati et Bemegger la

publient à Strasbourg dans un opuscule en 1636, soit un an après leur publication duO î

Dialogue sur les deux grands systèmes du monde .

Durant l’année 1615, Galilée rédige aussi les Considérations sur l ’opinion

copernicienne (Considerazioni circa l ’opinione copernicana), qui inclut une réplique à

79 Robert Bellarmin à Paolo Antonio Foscarini (12 avril 1615), dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 384.80 Ibid.81 Respectivement dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., pp. 56-58 et A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 145-148. Mentionnons que la Lettre à Foscarini et la position de Bellarmin sont centrales dans la question de la « réhabilitation » de Galilée. Jean-Paul II et le cardinal Poupard en font tous deux une présentation particulière dans leurs discours respectifs de 1992. Les thèses de Jean-Paul II et du cardinal Poupard à propos du cardinal Bellarmin sont très proches des thèses de l’historien et philosophe des sciences Pierre Duhem. On peut voir une critique des thèses de Duhem dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., pp. 63-68.82 Une seconde mention de ce texte se trouve dans la Lettre à K fr Dini du 23 mars 1615.83 Cette publication est l’œuvre de protestants, le Dialogue ayant été mis à l’Index en 1633.

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Page 50: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

certains propos du cardinal Bellarmin (tenus dans la Lettre à Foscarini). Il y est notamment

question de l’utilisation purement hypothétique de l’héliocentrisme. Galilée y défend une

conception « réaliste » des hypothèses astronomiques, qu’il appuie sur la conception de

Copernic lui-même. Selon Galilée, Copernic n’a pas seulement développé un outil de calcul

commode, qui permet de « sauver les apparences », mais a cherché à décrire la constitution

de la nature, l ’ordre réel des phénomènes astronomiques84.

1.5. Le décret de mise à l’Index

À la fin de l’année 1615, Galilée, conscient de la possibilité que la doctrine de

Copernic soit condamnée par le Saint Office, se rend à Rome. Galilée discourt dans

plusieurs maisons, ne réussissant pas nécessairement à convaincre, mais souvent à terrasser

et à ridiculiser ses adversaires85. Finalement, sa venue à Rome ne fait pas pencher la• • • • • 86 balance de son côté, voire contribue selon certains à envenimer la situation .

Le 19 février 1616, les théologiens du Saint Office, l’organe inquisitorial de

l’Église, examinent les deux propositions suivantes : 1) « Que le Soleil soit le centre du

monde et, par conséquent immobile et sans aucun mouvement local87 » ; 2) « Que la Terre

n’est pas le centre du monde, ni immobile, mais qu’elle est toute entière en mouvement,

même d’un mouvement diurne88.» Le 24 février 1616, ces deux propositions sont

censurées, avec les justifications respectives suivantes :

Tous ont déclaré que ladite proposition est insensée et absurde en philosophie, et formellement hérétique, en tant qu ’elle contredit expressém ent ce qu’affirme l’Écriture sainte en de nombreux passages selon le sens littéral des mots et selon l’exposition et interprétation commune qu’en donnent les saints pères et les docteurs en théologie. [ ...] Tous ont dit que cette proposition reçoit la même censure en

84 Telle est du moins la présentation qu’en font Hamou et Spranzi. Galilée, Lettre à Christine..., op. cit., p. 34.85 Lettre de Querengo au cardinal d ’Este (20janvier 1616), citée dans A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., p. 174.86 Pour plus de détails et une analyse des circonstances entourant le voyage à Rome de Galilée, on peut voir Galilée, Lettre à Christine..., op. cit., pp. 35-39.87 Extraits des minutes de l ’Inquisition, cité dans A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., p. 176.88 Ibid.

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Page 51: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

philosophie ; et que s’agissant de la vérité théologique, elle est pour le moins erronée quant à la foi89.

Le lendemain, pendant la réunion des cardinaux du Saint Office (dont fait partie le cardinal

Bellarmin), sous la présidence du pape Paul V, ces propositions sont présentées. Paul V

donne alors l’ordre au cardinal Bellarmin de rencontrer Galilée afin de lui transmettre un

avertissement privé, pour que Galilée renonce aux propositions censurées. Le 5 mars 1616,

un décret de mise à l’Index est publié par la « Sacrée Congrégation [...] de l’Index des

livres, de leur permission, prohibition, expurgation et impression, dans l’ensemble de la

Chrétienté90 », dont le cardinal Bellarmin est aussi membre. L’astronomie héliocentrique

copemicienne - alors appelée « doctrine pythagoricienne » - est jugée fausse et

« entièrement contraire à l’Écriture sainte91 ». Par conséquent, le livre du père Paolo• • • • 09Antonio Foscarini doit être « complètement interdit et condamné ». Le De revolutionibus

de Copernic, comme un ouvrage de Diego de Zuniga93, sont quant à eux « suspendus en

attendant d’être corrigés94 ».

Le décret de mise à l’Index a une portée importante. Il constitue un jugement

d’ordre doctrinal, sanctionné par les autorités ecclésiastiques. Sans décrire l’entretien de

Galilée avec le cardinal Bellarmin, ni entrer dans la question de l’admonition de Bellarmin,

qui aura un poids considérable dans le procès de 163395, on peut conclure que Galilée fait

face à un échec frappant quant à la possibilité de faire accepter la doctrine copemicienne

(ou l’astronomie copemicienne) par les autorités ecclésiastiques. Pourtant, Galilée avait de

89 Extraits des minutes de l ’Inquisition, cité dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 506.90 Tel est le nom de la Congrégation tel que nommé dans le Décret de mise à l’Index. Décret de mise à l ’Index, cité dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 510.91 Ibid., p. 511.92 Ibid, p. 512.93 II s’agit des Commentaires sur Job. Zufiiga y commentait dans un sens héliocentrique le verset « Qui commovet terram de suo loco » (Jb 9,6).94 Décret de mise à l ’Index, cité dans M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 512.95 On peut voir à ce sujet A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 178-188 et p. 187 ss. et J.-Y. Boriaud, Galilée. L ’Eglise contre..., op. cit., pp. 129-131.

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Page 52: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

nombreux appuis : le cardinal Orsini a notamment plaidé la cause de Galilée devant le pape,

la journée même où les propositions ont été censurées (le 24 février 1616)96.

Suite à ces décisions et à ces événements, un théologien de Ravenne, Francesco

Ingoli, publie une Dispute sur l ’immobilité et le lieu de la Terre (De situ et quiete terrae

contra Copernici systema). Adressé à Galilée, l’ouvrage devient une référence sur la

question de la constitution du monde en milieu catholique. Ingoli est d’ailleurs promu

consulteur de l’Index et est chargé de corriger le De revolutionibus de Copernic de manière

à ce que l’astronomie copemicienne y soit présentée seulement comme une hypothèse et

non comme une réalité physique. Cette présentation correspond d’ailleurs à la vision de

l’astronomie copemicienne du cardinal Bellarmin et de l’éditeur de Copernic, Osiander97.

Dans ce premier chapitre, nous avons présenté le contexte de rédaction de la Lettre

à Christine de Lorraine. En résumé, en 1609, Galilée effectue ses premières observations

avec une lunette astronomique. Ses découvertes astronomiques deviennent pour lui une

occasion de «plaider une cause» en faveur de Copernic. A partir de 1610 et de la

publication du Sidereus nuncius, Galilée prend parti publiquement en faveur de

l’astronomie copemicienne. Face aux découvertes astronomiques de Galilée, l’opposition,

mais aussi la reconnaissance se manifestent. Parmi les réactions à sa prise de position en

faveur de Copernic, certaines font référence aux Écritures saintes. Peu à peu, Galilée entre

dans une polémique scripturaire. C’est à ce moment que Galilée développe des arguments

où l’astronomie nouvelle et l’Écriture sainte sont mises en rapport et où il discute du statut

de la théologie lorsqu’il est question de philosophie naturelle. Galilée est alors dans une

96 A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 177-178.97 Osiander voit dans l’astronomie une science qui a pour fonction de « sauver les apparences » et non de décrire la vraie constitution du monde. On peut voir à ce sujet Galilée, Lettre à Christine..., pp. 20-21, p. 33 et p. 73 ss. La différence fondamentale entre l’astronomie comme seule hypothèse mathématique et la philosophie naturelle, qui peut établir la vérité de propositions par des raisons suffisantes, avait déjà été énoncée par Thomas d’Aquin. On peut voir à ce sujet A. Fantoli, Galilée. Pour Copernic..., op. cit., pp. 15- 18.

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Page 53: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

situation délicate : comme l’écrit Piero Dini, Galilée « entre[r] dans la sacristie98 ».

Plusieurs lettres de Galilée et de ses correspondants permettent de caractériser la polémique

scripturaire. Parmi celles-ci, il y a notamment la Lettre à Castelli qui date du 21 décembre

1613 et la Lettre à Christine de Lorraine, grande-duchesse de Toscane qui a été terminée

en 1615. Finalement, la période 1609-1616 se clôt avec une décision officielle rendue par

les autorités ecclésiastiques romaines. La Congrégation de l’Index émet un décret de mise à

l’Index le 5 mars 1616 selon lequel le De revolutionibus orbium coelestium de Copernic

doit être suspendu pour être corrigé.

Avant que ne soit prise une décision officielle par les autorités ecclésiastiques à

propos de l’astronomie copemicienne, Galilée présente en détail une défense de

l’astronomie nouvelle par rapport aux arguments se situant dans le domaine de la théologie.

A partir de ces propositions, il est possible de caractériser les rapports « science et

religion » élaborés par Galilée et qui seront présentés dans les chapitres suivants. Après la

mise à l’Index de Copernic et la déclaration doctrinale selon laquelle la doctrine

héliocentrique pythagoricienne est contraire à l’Écriture sainte, Galilée ne s’engage plus sur

le terrain de l’exégèse. Certes, il mène un second « combat copemicien » avec la

publication en 1632 du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Toutefois, cet

ouvrage ne fait pas mention de la question de l’interprétation des Écritures.

98Lettre du 2 mai 1615, Éd. Naz., XII, p. 175, citée par Maurice Clavelin, Galilée copemicien. Le premier., op. cit., p. 70.

Page 54: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Chapitre 2 La Lettre à Christine de Lorraine

La Lettre à Christine de Lorraine fait partie d’un corpus plus étendu dont les

éléments ont été regroupés par plusieurs spécialistes sous le nom de Lettres coperniciennes.

Nous avons déjà évoqué les principales lettres écrites par Galilée ou par ses correspondants

qui font partie de ce corpus : Lettre à Castelli (21 décembre 1613), Lettre à A f r Dini (16

février 1615), Lettre à K P Dini (23 mars 1615), Lettre à Christine de Lorraine (1615),

Considérations sur l ’opinion copernicienne (1615)1. À ce corpus peuvent être ajoutées les

lettres des correspondants de Galilée (Castelli, Mgr Dini, Ciampoli, etc.), la Lettre de

Bellarmin à Fosearini et la Lettre de Galilée à Ingoli (1624)2. Quoiqu’il eût été pertinent de

traiter toutes ces sources et de préciser leurs thèmes communs tout comme les spécificités

de chacune, nous avons choisi de ne présenter que la Lettre à Christine de Lorraine.

Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, la Lettre à Christine de Lorraine a

été rédigée au moment où Galilée est au cœur d’une polémique scripturaire. Elle est

généralement considérée comme l’exposé le plus pertinent en ce qui a trait aux rapports

« science et religion » développés par Galilée. La Lettre à Christine de Lorraine, qui a les

dimensions d’un petit traité, est une version plus élaborée de la Lettre à Castelli. Ces deux

lettres sont très similaires, la deuxième étant, selon Maurice Clavelin, intégralement reprise

dans la première. Cependant, la Lettre à Christine de Lorraine inclut une série de textes

patristiques qui sont absents dans la Lettre à Castelli. Ces citations des pères, des docteurs

et des commentateurs de l’Écriture sainte proviennent, d ’après les informations que

communique Galilée à Castelli {Lettre à Castelli du 6 janvier 1615) et à Mgr Dini {Lettre à

\ P Dini du 2 mai 1615), d ’un père prédicateur des bamabites.

1 Voir la section « 1.4. Les polémiques scripturaires ».2 Marta Spranzi et Philippe Hamoont effectué la première traduction française de la Lettre de Galilée à Ingoli: Galilée, La Lettre à Christine et autres écrits coperniciens, traduction, présentation, notes et dossier de Philippe Hamou et Marta Spranzi, Paris, Librairie Générale Française, 2004, pp. 237-324.

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Page 55: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

La Lettre à Christine de Lorraine est de plus en plus reconnue, étudiée et diffusée

en français. Depuis la première traduction française du père jésuite François Russo (1964),

trois traductions françaises ont été publiées, dont deux en 2004. Dans l’ouvrage Lettre à

Christine de Lorraine et autres écrits coperniciens de Philippe Hamou et Marta Spranzi

(publié en 2004), cette lettre de Galilée est présentée dans l’optique de rejoindre un plus

large public. Parmi les traductions de la Lettre de Christine de Lorraine, nous avons choisi

la traduction de Maurice Clavelin dans Galilée copernicien : le premier combat (1610-

1616). Cette traduction est assez récente (l’ouvrage a été publié en 2004) et se distingue par

la qualité de la présentation et par la division en parties élaborée par Clavelin3.

Ici, notre présentation de la Lettre à Christine de Lorraine se fera en suivant l’ordre

original du texte. Nous avons choisi de suivre la division du texte proposée par Maurice

Clavelin (préambule et trois parties) que nous subdiviserons en thèmes. Nous relaterons les

propos de Galilée, mais en les regroupant sous un thème qui permet de mettre davantage en

évidence les éléments centraux de la Lettre. Tout en veillant à ne pas trop alourdir la

présentation, nous préférerons souvent citer directement Galilée plutôt que de le

paraphraser. Suivre l’ordre de présentation de Galilée n ’est pas une méthode adoptée par

tous les commentateurs de la Lettre. En effet, la Lettre à Christine de Lorraine n’a pas la

forme d’une présentation académique et Galilée y revient à quelques reprises sur des idées

assez proches pour être regroupées. C’est pourquoi certaines présentations de la Lettre sont

construites en rassemblant les idées et les thèmes centraux, sans conserver la structure

originale du texte. Ici, nous procéderons différemment afin d’éviter de commencer

immédiatement l’interprétation de la Lettre. En effet, c’est à l’aide de la présentation

synthétique du présent chapitre que nous pourrons interpréter la Lettre à Christine de

Lorraine dans le quatrième chapitre à partir d’une typologie de l’articulation des discours

religieux et scientifiques (présentée au troisième chapitre)4.

3 La quatrième traduction que nous avons consultée est celle de Pierre-Noël Mayaud, dans cardinal Paul Poupard (dir.), Après Galilée. Science et foi. Nouveau dialogue, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, pp. 44-90.4 II est également à noter que notre présentation de la Lettre pourrait, quoique ce ne soit pas ici notre propos, constituer un point de départ pour d’autres types d’analyses littéraires (comme une analyse rhétorique, une analyse pragmatique, etc.).

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Page 56: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

2.1. Préambule

2.1.1. Circonstances d ’écriture

Après avoir indiqué la destinataire de la lettre, c’est-à-dire, « Madame Sérénissime,

la grande-duchesse mère », Galilée débute avec une description des circonstances qui

l’amènent à écrire cette lettre. Il fait d ’abord allusion aux nouveautés célestes qu’il a

découvertes. Or, en elles-mêmes ou par les conséquences qui en découlent, elles s’opposent

à « diverses propositions physiques communément admises par les écoles

philosophiques5 ». Rappelant que ces nouveautés ne proviennent pas de lui, mais sont dans

le ciel, Galilée critique vivement les professeurs6, qui, plutôt que d ’y voir une occasion

d’approfondir, de développer et de consolider les disciplines, non seulement sont dressés

contre lui, mais « en sont venus à nier et à tenter d ’annuler ces nouveautés dont les sens

eux-mêmes, s’ils avaient bien voulu les regarder attentivement, auraient pu les

convaincre7. » Ils sont « plus attachés à leurs propres opinions qu’au vrai8 ». En outre, les

adversaires de Galilée font référence aux Saintes Écritures9.

2.1.2. Appel à l’Écriture sainte par les adversaires de Galilée et menace pesant sur la doctrine copernicienne

D’après Galilée, les justifications de ses adversaires se reportant à des passages des

Saintes Écritures sont mal compris et utilisés hors de propos. Ce faisant, ils n’ont pas suivi

une « instruction fort utile10 » de saint Augustin qui invite à la prudence avant de

« déterminer de façon tranchée dans les sujets obscurs et difficiles à comprendre au moyen

5 Éd. naz., V, p. 309 ; Maurice Clavelin, Galilée copernicien. Le premier combat (1610-1616), Paris, Albin Michel, p. 413. Il est à noter que pour la suite du chapitre, nous indiquerons pour toutes les références à la Lettre à Christine de Lorraine la page de l’Édition nationale de Favaro (Éd. naz.) ainsi que la page de la traduction de Maurice Clavelin.6 Galilée ne nomme pas explicitement ses adversaires. Il s’y réfère en utilisant la 3e personne du pluriel (ils). Pour approfondir cet aspect, on peut voir l’analyse suivante de la rhétorique de la Lettre à Christine de Lorraine : Jean Dietz Moss, « Galileo’s Letter to Christina. Some Rhetorical Considérations », Renaissance Quarterly, vol. 36, n°4 (1983), p. 551 ss. Selon Moss, Galilée modèle sa lettre sur les discours classiques en indiquant ses réalisations, puis en appelant la sympathie du lecteur en décrivant les attaques de ses rivaux.7 Éd. naz., V, p. 309 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 414.8 Ibid.9 Nous répétons ici et pour la suite du chapitre la graphie « Saintes Écritures » avec deux majuscules, telle qu’elle est présentée dans la traduction de Maurice Clavelin.10 Éd. naz., V, p. 310 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 414.

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Page 57: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

de la seule raison". » Dans une citation qui suit et qui provient du De Genesi ad litîeram,

Augustin invite à la prudence afin de ne pas s’attacher à ses erreurs au moment où la vérité

sur des sujets obscurs se fera, d’autant plus lorsqu’il y a risque de contradiction avec

l’Ancien ou le Nouveau Testament.

Rappelant que ses découvertes célestes ont graduellement été acceptées, Galilée

affirme sa position héliocentrique12 : les nouveautés célestes « réfutent ouvertement le

système de Ptolémée et s’accordent admirablement, en la confirmant, avec cette nouvelle

doctrine (doctrine héliocentrique copemicienne)13 ». Or, ses opposants poussent leur

malveillance jusqu’aux « calomnies » et aux « persécutions » '4 et ne se limitent pas aux

enjeux théoriques : « Persistant dans leur premier projet de vouloir m’abattre de toutes les

manières imaginables, moi et mes découvertes15 », leur nouveau terrain d’attaque, c’est

« d’abriter leurs faux discours sous le manteau d’une feinte religion et sous l’autorité des

Saintes Écritures, utilisées par eux avec bien peu d’intelligence, afin de réfuter des

arguments qu’ils ne comprennent ni n’entendent16. » Dans cette partie de la Lettre, Galilée

décrit en quoi de telles attaques sont très graves et l’atteignent au plus haut point.

Galilée présente ensuite comment se sont déployées leurs actions contre lui : d ’une

part, ses adversaires « ont cherché d’eux-mêmes à répandre l’idée, auprès du plus grand

nombre, que de telles propositions vont contre les Saintes Écritures, et en conséquence sont

condamnables et hérétiques17 » et, d’autre part, ses idées ont été présentées du haut de la

chaire, « comme condamnables et hérétiques, sans miséricorde et sans égard pour

l’opprobre jetée non seulement sur cette doctrine et ses adeptes, mais sur les mathématiques

11 Éd. naz., V, p. 310 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 414.12 Voici en quels termes Galilée décrit son adhésion à l’astronomie copemicienne :« [ . . . ] dans mes travauxd’astronomie et de philosophie je soutiens, s’agissant de la constitution du monde, que le soleil, sans changer de lieu, demeure au centre des révolutions des orbes célestes et que la terre, tournant sur elle-même, se meut autour de lui ». Éd. naz., F, p. 311 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 415.13 Éd. naz., V, p. 311 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p.416.14 Nous ne relevons ici qu’une partie du champ lexical utilisé par Galilée qui est révélateur des relations très conflictuelles qu’il a avec lesdits professeurs.15 Éd. naz., V, p. 310 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 415.16 Éd. naz., V, p. 311 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 416.17 Ibid.

42

Page 58: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

1 o

et les mathématiciens dans leur ensemble . » D’après Galilée, déclarer sa doctrine

héliocentrique comme hérétique, c’est en plus condamner « toutes les autres observations et

propositions, tant astronomiques que physiques, qui leur sont nécessairement liées19 ». Face

à des propos aussi compromettants, Galilée élabore une défense.

2.1.3. Galilée se défend : Copernic était un homme et un religieux respecté

Alors que ses adversaires cherchent à répandre l’idée que la doctrine héliocentrique

provient de lui, Galilée rappelle les travaux et le statut de Copernic : non seulement

catholique, mais aussi prêtre et chanoine, Nicolas Copernic était très estimé dans la science

astronomique et a contribué à la réforme du calendrier. De plus, Copernic a dédié à Paul III

son ouvrage (le De revolutionibus) qui « fut reçu par la Sainte Église, lu et étudié par tout le« • 90monde, sans que nul n’ait jamais eu le plus petit scrupule vis-à-vis de ladite doctrine . »

Or, alors même que « l’on découvre combien elle est solidement fondée sur des• • 9 1 t t

observations manifestes et des démonstrations nécessaires », l ’opinion copemicienne• 99 •risque d’être déclarée « non seulement fausse, mais hérétique ». C’est pour faire face à de

telles accusations et à ses adversaires, dont Galilée décrit les torts et les intentions9 0 # #

malveillantes , que Galilée écrit cette lettre.

18 Éd. naz., F, p. 311 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 416.19 Éd. naz., V, pp. 311-312 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 417.20 Éd. naz., V, p. 312 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 418. Les commentateurs de la Lettre indiquent que Galilée est dans l’erreur à propos de la réception de Copernic du côté catholique, de même que sur son rôle dans la réforme du calendrier. On peut voir à ce sujet : J. D. Moss, « Galileo’s Letter to Christina... », p. 558 et M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 363, note 1.21 Éd. naz., V, p. 312 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 418.22 Éd. naz., V, p. 313 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 418.23 Selon Galilée, ses opposants n’ont jamais lu le livre de Copernic. Éd. naz., V, p. 312 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 418.

43

Page 59: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

2.1.4. Intention de Galilée : éviter l’interprétation outrepassant l’autorité des Ecritures et conseiller la Sainte Eglise

Galilée juge nécessaire de se justifier auprès du public, « dont le jugement et les

idées [lui] importent grandement en matière de religion et de réputation24 ». Il veut aussi

discuter les arguments que ses adversaires invoquent « pour dévaloriser et abolir25 »

l’opinion copemicienne. Galilée dénonce leur appel . à l’Écriture et leur « animosité

particulière » : « [...] derrière un zèle simulé pour la religion, et en impliquant l’Ecriture

sainte qu’ils cherchent à mettre au service de leur projet hypocrite27 », contre l’intention de

l’Écriture et de celle des saints Pères, ils veulent « élargir (pour ne pas dire outrepasser) son

autorité, au point que même dans les conclusions purement physiques et ne concernant pas

la foi, on doive délaisser les sens et les raisons démonstratives au profit de quelque passage' • • • • • • • 28 de l’Ecriture, qui sous son sens littéral pourra parfois abriter un sens bien différent . »

Avant d ’expliciter ses idées à propos du sens de l’Écriture, Galilée tient à préciser

davantage sa propre position, celle de Copernic et à se distinguer nettement de ses

adversaires.

Galilée se dit plus pieux et plus religieux que ses adversaires en voulant que le livre

de Copernic ne soit pas condamné. En effet, Copernic « ne traite jamais de questions

concernant la religion ou la foi, pas plus qu’il n ’utilise des arguments dépendant en quelque

façon de l’autorité des Saintes Écritures (et qu’il pourrait avoir mal interprétés), mais s’en

tient toujours à des conclusions physiques concernant les mouvements célestes29. » Ces

conclusions nécessitent des démonstrations astronomiques et géométriques qui sont fondées

sur des expériences sensibles et des observations méticuleuses30.

24 Éd. naz., V, p. 312 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 418.25 Ibid.26 Ibid.27 Ibid.28 Éd. naz., V, p. 313 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 418.29 Éd. naz., V, p. 313 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 419.30 Ce sont là des arguments centraux dans la Lettre à Christine de Lorraine. Galilée reviendra à plusieurs reprises dans la suite de la Lettre sur les expériences sensibles, les observations et les démonstrations nécessaires.

44

Page 60: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

D ’après Galilée, Copernic savait que sa doctrine, parce qu’elle est démontrée, « ne

pouvait être contraire aux Écritures parfaitement comprises31 ». Galilée cite à l’appui un

extrait de la dédicace à Paul III dans laquelle Copernic rappelle l’erreur de Lactance à

propos de la sphéricité de la Terre. Dans cet extrait, Copernic explique qu’il n’est pas

surprenant que des personnes connaissant peu les mathématiques raillent les savants et

leurs doctrines. Galilée associe à ces personnes ceux qui cherchent à condamner Copernic

en mettant de l’avant « les autorités de l’Ecriture, des théologiens et des conciles ». Par la

suite, Galilée spécifie sa position par rapport à ces autorités.

Lesdites autorités (de l’Écriture, des théologiens et des conciles), Galilée les tient

comme suprêmés. Il serait téméraire de les contredire « quand on les invoque dans le but de

la Sainte Église33 ». À ce sujet, Galilée met en question l’intention de ses adversaires, qui

pourraient user de ces autorités dans leur intérêt personnel et non « dans la très sainte

intention de la Sainte Église34 ». Galilée, pour sa part, n’a l’intention que de « conseiller

utilement la Sainte Église dans son attitude à l’égard de Copernic35 ». Finalement, Galilée

admet la possibilité qu’il soit dans l’erreur. Il émet le désir de corriger ses erreurs relatives

à la foi et même que cette lettre soit brûlée si tel est le cas.

2.2. Première partie

2.2.1. Premiers principes exégétiques

Galilée rappelle d ’abord les principes sur lesquels se fonde la condamnation de la

mobilité de la Terre et de l’immobilité du Soleil : puisqu’on lit dans les Saintes Écritures

que le soleil se meut et que la terre reste immobile, et comme l’Écriture ne peut jamais

31 Éd. naz., V, p. 314 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 419.32 Ibid.33 Éd. naz., V, p. 314 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 420.34 Ibid.35 Éd. naz., V, p. 314-315 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 420.

45

Page 61: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

mentir ni errer, il s’ensuit que la doctrine copemicienne est « erronée et condamnable36 ».

Galilée reprend une partie de cet argument :« [ . . . ] il est très pieux et très sage de poser que

la Sainte Écriture ne peut jamais mentir37. » Toutefois, Galilée nuance immédiatement ent TO #

ajoutant « chaque fois où l’on a pénétré le vrai sens ». Ce vrai sens est souvent caché et

« très différent de ce que laisse entendre la signification littérale des mots39. » En effet, si

on s’en tient au sens littéral, certains passages font apparaître « non seulement des

contradictions et des propositions éloignées du vrai, mais encore de graves hérésies et des

blasphèmes40 ». Galilée donne des exemples de propositions où il est question du corps de

Dieu (pieds, mains, yeux), de ses sentiments (colère, remords, haine), ou encore de l’oubli

de Dieu du passé ou de son ignorance de l’avenir. Galilée en tire la conclusion que les

auteurs sacrés, sous la dictée du Saint-Esprit, ont formulé certaines propositions pour

« s’adapter aux capacités d’un peuple frustre et inculte41 », alors qu’il revient aux

interprètes avisés de dégager les « vraies significations42 ».

2.2.2. Principes exégétiques dans les questions de philosophie naturelle

Après avoir mentionné que les principes exégétiques mentionnés jusqu’ici n ’ont

rien d’exceptionnel pour les théologiens, Galilée poursuit en appliquant ce raisonnement

aux propositions de philosophie naturelle évoquées dans l’Écriture sainte. Si, pour des

points capitaux (comme l’essence de Dieu), l’Écriture « ne s’est pas abstenue de voiler ses

déclarations43 » et s’est préoccupée de s’adapter aux capacités du peuple, « qui voudra

soutenir avec assurance que la même Écriture, laissant de côté cette préoccupation

[d’adaptation aux capacités du peuple], lorsqu’elle parle incidemment de la terre, de l’eau,

du soleil ou d’autres choses créées, ait choisi de s’en tenir en toute rigueur au pur et strict

36 Éd. naz., V, p. 315 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 420.37 Éd. naz., V, p. 315 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 421.38 Ibid.39 Ibid.40 Ibid.41 Ibid.42 Éd. naz., V, p. 316 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 421.43 Éd. naz., V, p. 316 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 422.

46

Page 62: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

sens des mots?44 » D’autant plus, les choses de la philosophie naturelle ne concernent pas le

« but premier des Textes sacrés45 », c’est-à-dire « le culte divin et le salut de l’âme46 ». En

conséquence, « dans les discussions sur les problèmes naturels, on ne devrait jamais

commencer par l’autorité de tel ou tel passage des Ecritures, mais par les expériences

sensibles et les démonstrations nécessaires47. » En énonçant cet argument, Galilée

commence à distinguer l’Écriture sainte et les questions de philosophie naturelle. Il poursuit

ensuite en développant davantage en ce sens.

2.2.3. Construction de la distinction entre Ecriture sainte et nature ; principe exégétique conséquent

Selon Galilée, l’Écriture sainte et la nature « procèdent également du Verbe

divin48 ». Or, elles sont en même temps distinctes. En effet, l’Écriture sainte, qui est dictée

du Saint-Esprit, pour s’adapter à la compréhension du plus grand nombre, dit « beaucoup

de choses s’écartant, et par l’apparence et par le sens littéral des mots, de la vérité

absolue49 ». La nature, exécutrice des ordres de Dieu, est quant à elle « inexorable et

immuable, n ’outrepassant jamais les limites des lois qui lui sont imposées, insoucieuse que

ses raisons cachées et ses modes d’action soient ou non accessibles à l ’entendement

humain50 ». Cette distinction étant établie, Galilée peut construire un principe exégétique

appuyé sur la différence entre l’Écriture et la nature.

Cette règle exégétique s’énonce comme suit : « [ . . .] ceux des effets naturels que

l’expérience sensible place devant nos yeux ou qui sont conclus de démonstrations

nécessaires ne doivent à aucun titre être remis en question, et encore moins condamnés, au

44 Éd. naz., V, p. 316 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 422.45 Suivant la traduction de Maurice Clavelin, nous utiliserons systématiquement la majuscule en écrivant « Textes sacrés» lorsque nous rapportons directement les propos de Galilée.46 Ibid.47 Ibid.48 Ibid.49 Éd. naz., V, p. 316 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 422.50 Ibid.

47

Page 63: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

vu de passages de l’Écriture dont les mots sembleraient vouloir dire autre chose51. » Pour

justifier cette règle, Galilée revient sur la distinction entre nature et Écriture sainte, la

deuxième n’étant pas soumise à des obligations aussi sévères que la première. Après avoir

réaffirmé que Dieu se révèle tant dans les effets de la nature que dans les paroles sacrées

des Écritures, Galilée cite Tertullien selon qui Dieu doit être connu d’abord par la nature et

dans ses œuvres, puis par la doctrine et les prédications.

F2.2.4. Rôle de la philosophie naturelle dans l’interprétation des Ecritures et réaffirmation de l’autorité des Textes sacrés

Après avoir rappelé la grande considération à avoir pour les passages de l’Écriture• • • • • • 52sacrée, Galilée situe le rôle de la philosophie naturelle dans 1’ « interprétation véridique' »

des Écritures : « [ ...] une fois assurés de quelques conclusions physiques, nous devons les

utiliser comme des auxiliaires très appropriés pour une interprétation véridique des

Écritures ainsi que pour la recherche de ces significations53. » Les conclusions physiques

démontrées et certaines doivent donc être prises en compte dans la recherche du sens des

Écritures.

Galilée présente ensuite une réflexion sur l’autorité des Textes sacrés : elle

s’applique à « ces articles et propositions qui, parce qu’ils excèdent tout raisonnement

humain, ne pouvaient devenir objets de croyance par une autre science ou un autre moyen

que par la bouche du Saint-Esprit lui-même54. » L’autorité des Écritures va même au-delà

de telles révélations du Saint-Esprit : pour les propositions qui ne sont pas de fide, l’autorité

des mêmes Textes sacrés doit « être préférée à l’autorité de tous les écrits humains quand

ils sont rédigés non selon la méthode démonstrative, mais de façon purement narrative, ou

51 Éd. naz., V, p. 317 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 422-423.52 Éd. naz., V, p. 317 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 423.53 Ibid.54 Éd. naz., V, p. 317 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 423.

48

Page 64: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

même avec des raisons probables55 ». Bref, Galilée réaffirme la prééminence des Écritures :

l’autorité des Textes sacrés doit primer tous les écrits humains, car « la sagesse divine

l’emporte sur tous les jugements et toutes les conjectures humaines56. » À cette

prééminence, il faut néanmoins apporter quelques nuances.

2.2.5. Limite à l’autorité des Textes sacrés ; l’astronomie et ses appuis sur les sens et la raison

Galilée émet quelques réserves par rapport à l’autorité des Textes sacrés. Alors que

Dieu nous a donné des « capacités sensorielles, discursives et intellectuelles57 », Galilée ne

croit pas que ce même Dieu veuille que nous les délaissions pour « nous donner parCO t #

d’autres voies les connaissances que nous pouvons obtenir par elles ». Pour Galilée, il est

impensable que « nous devions nier nos sens et notre raison59 » devant des « conclusions

naturelles que [...] les expériences sensibles et les démonstrations nécessaires placent

devant nos yeux et notre intellect60 ». Les capacités données par Dieu permettent d’obtenir

des conclusions en astronomie. Ces conclusions doivent être considérées, il s’agit là d’une

limite à l’autorité des Écritures.

w2.2.6. Place de l’astronomie dans l’Ecriture ; intention des écrivains sacrés par rapport à l’astronomie

Le raisonnement précédent de Galilée s’applique d’autant plus selon lui aux

sciences et aux disciplines dont une toute petite partie est évoquée dans l’Écriture. Tel est le

cas de l’astronomie, qui est traitée très brièvement dans les Écritures, en comparaison avec

tous les enseignements et les conclusions contenus dans cette science. À cette constatation

55 Éd. naz., V, p. 317 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 423.56 Éd. naz., V, p. 317 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 424.57 Ibid

Page 65: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

à propos de la place de l’astronomie dans les Écritures, Galilée ajoute l’argument suivant :

l’intention des auteurs sacrés n’est pas d’enseigner l’astronomie (mouvement ou non du

ciel, forme du ciel, position de la terre, etc.)- Pour Galilée, les auteurs des Textes sacrés

connaissaient ces choses, mais ne les ont pas enseignées dans les Écritures : « [...] bien que

toutes ces choses leur fussent parfaitement connues, ils s’en sont abstenus61 ». C’est

d’ailleurs l’opinion des Pères de l’Église que les auteurs sacrés aient délibérément négligé

de transmettre certaines choses qui leur étaient connues. Galilée présente à l’appui deux

citations du De Genesi ad litteram d ’Augustin, selon lequel la forme et la disposition du

ciel sont sans utilité pour la vie bienheureuse. Pour saint Augustin, préserver la confiance

que mérite l’Écriture va de pair avec l’idée que les auteurs sacrés « connaissaient bien la

vérité, mais que l’Esprit de Dieu, parlant par leur truchement, n’a pas voulu enseigner aux

hommes ce qui ne contribue en rien à leur salut62. » Augustin affirme aussi ne pas avoir le

temps de trancher quant à des questions d’astronomie, tout comme ceux que « nous

désirons former pour leur salut et le bien de la Sainte Église63. » Bref, dans cette section

Galilée s’appuie ici fortement sur des citations d’Augustin pour montrer que les Écritures

ne contiennent pas d’enseignements en astronomie.

2.2.7. Intention du Saint-Esprit ; propositions qui sont ou non de fide

Suite à cette explication, Galilée revient sur l’argument énoncé plus haut : le Saint-

Esprit n ’a pas voulu enseigner ce qui touche l’astronomie, il n’a pas voulu non plus nous

enseigner des conclusions dont fait partie la question du mouvement et du repos de la terre

et du soleil. En ce sens, Galilée pose la question suivante : « Et si le Saint-Esprit a

délibérément négligé de nous enseigner de telles propositions, pour autant qu’elles sont

sans rapport avec son intention, c’est-à-dire notre salut, comment pourra-t-on à présent

affirmer que soutenir à leur propos un parti, et non l’autre, soit à ce point nécessaire que

61 Éd. naz., V, p. 318 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 425.62 Saint Augustin, De Genesi ad litteram, livre li, chap. IX, cité dans Éd. naz., V, p. 318 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 425.63 Saint Augustin, De Genesi ad litteram, livre II, chap. X, cité dans Éd. naz., V, p. 319 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 426.

50

Page 66: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

l’un relève de la foi et l'autre de Terreur64 ? » Par le truchement d ’une question rhétorique,

Galilée exprime ses réserves quant à la possibilité qu’une opinion qui ne relève pas de la foi

soit déclarée hérétique. Comme appui final à ce propos, Galilée ajoute l’argument suivant,

qu’il dit tenir d ’un ecclésiastique de très haut rang : « [...] l’intention du Saint-Esprit est de

nous enseigner comment on va au ciel et non comment va le ciel65 ». Bref, après avoir

différencié Écriture sainte et nature, et réfléchit à la question de l’autorité des Textes sacrés,

Galilée cherche ici à établir une distinction claire entre l’enseignement utile au salut (qui

correspond à l’intention de l’Esprit et des auteurs sacrés) et les propositions astronomiques

qui ne contribuent pas au salut.

2.2.8. Deux vérités ne peuvent se contredire ; tâche des théologiens en lien avec les principes exégétiques déjà énoncés

Précédemment, Galilée a évoqué la question de l’autorité des Écritures (à la fois

dans des questions de philosophie naturelle et par rapport aux écrits humains en général).

Ici, Galilée se concentre sur l’autorité de la philosophie naturelle (et des conclusions

relatives à la nature) qui se fonde sur des démonstrations nécessaires et des expériences

sensibles. S’appuyant sur une règle de Pereya, Galilée rappelle que cette autorité doit être

prise en compte quand il est question de la « doctrine de Moïse66 ». Pereya, cité par Galilée,

affirme ceci : « [...] le vrai s’accordant toujours avec le vrai, la vérité des Textes sacrés ne

peut en effet être contraire aux vraies raisons et aux expériences rapportées dans les

doctrines humaines67. » À cela, Galilée ajoute une autre citation d’Augustin qui complète

les principes exégétiques déjà énoncés (sections « 2.2.1. Premiers principes exégétiques »

et « 2.2.2. Principes exégétiques dans les questions de philosophie naturelle ») et qu’on

peut résumer ainsi : si à une raison manifeste et certaine est objectée l’autorité des

Écritures, c’est que le sens de l’Écriture n ’a pas été pénétré. Il est possible que certains

64 Éd. naz., V, p. 319 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 426.65 Éd. naz., V, p. 319 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 427.66 Éd. naz., V, p. 320 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 427.67 Pererius, In Genesim, cité dans Éd. naz., V, p. 320 ; M-. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier...,op. cit., p. 427.

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Page 67: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

manquent d’intelligence et qu’ils ne percent pas le sens de l’Écriture, restant au sens qu’eux

lui y ont trouvé.

A partir de ces principes et s’appuyant sur Pereya (qui affirme que « deux vérités

[...] ne peuvent se contredire68 »), Galilée rappelle la tâche des théologiens : il revient aux

exégètes et aux interprètes avisés de s’appliquer à « saisir la vraie signification des Textes

sacrés, qui indubitablement s’accordera avec ces conclusions naturelles dont des

observations manifestes ou les démonstrations nécessaires nous ont rendus sûrs et

certains69. » Galilée explicite ensuite en quoi consiste cette interprétation véridique des

Écritures.

2.2.9. Sage interprétation des Écritures et liberté en philosophie naturelle

Puisque, comme il a déjà été expliqué, l’interprétation de certains passages des

Écritures peut être éloignée du sens littéral, et « qu’on ne peut affirmer avec certitude que

tous les interprètes parlent d’inspiration divine », il serait sage de ne pas soutenir la vérité

d’une conclusion naturelle en se basant sur des passages des Écritures lorsque ces

conclusions naturelles peuvent éventuellement être contredites. Pour appuyer cette

proposition, Galilée fait référence aux capacités de connaître de l’esprit humain : « [...] qui

veut fixer une limite à l’esprit humain? Qui voudra soutenir qu’est d’ores et déjà observé et

connu tout ce qui au monde est observable et connaissable70 ? » Dans cette optique et en se

basant sur un passage de l’Ecclésiaste71, Galilée demande une liberté de pensée : « [...] on

ne doit pas, à l’encontre de cette parole, empêcher de philosopher librement sur le monde et79 • • •la nature, comme si tout à leur sujet avait été découvert avec certitude . » Ainsi, Galilée

considère qu’on ne devrait pas juger téméraire de ne pas partager l’opinion la plus répandue

68 Éd. naz., V, p. 320 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 428.69 Ibid.70 Éd. naz., V, p. 320 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 428.71 « Dieu a livré le monde à leurs discussions, afin que l’homme ne mette pas à jour l’œuvre accomplie de bout en bout par Dieu » (Ec 3,11), cité dans Éd. naz., V, p. 320 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., pp. 428-429.72 Éd. naz., V, p. 320 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 429.

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Page 68: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

en philosophie naturelle. En ce qui a trait à la mobilité de la terre, Galilée énumère une

longue liste de philosophes qui ont débattu à ce propos et qui ont adhéré à cette idée

(Pythagore, Héraclide du Pont, Philolaos, Platon, Aristarque de Samos, etc.)

2.2.10. Appel à la prudence : limiter les propositions de fide, respecter les Textes sacrés et les autorités compétentes

Galilée termine cette section en présentant un conseil « sage et utile » : « [ . . . ] ne pas

adjoindre sans nécessité d’autres articles à ceux qui ont rapport au salut et au fondement de

la foi, et contre la solidité desquels aucun risque n’existe de voir jamais surgir une doctrine

forte et efficace73 ». Respecter la dignité et la majesté des Textes sacrés implique

d ’empêcher que des « auteurs superficiels et communs » s’arrogent l’autorité des Ecritures,

alors que leurs interprétations sont éloignées des « vraies intentions de l’Écriture74 ».

Galilée relate de tels abus avec deux exemples. D’abord, il fait référence aux nombreux

passages de la Sainte Écriture qui furent évoqués pour nier l’existence des planètes

médicéennes qu’il avait découvertes. Ensuite, Galilée dénonce un auteur pour qui la lune

n ’est pas éclairée par le soleil, mais est lumineuse d ’elle-même et qui en plus confirme (ou

se persuade) que cette position est vraie avec divers passages de l’Écriture. D’après Galilée,

il est évident que certains auteurs n’ont pas pénétré le vrai sens de l’Écriture. Or, si leur

autorité avait été grande, il y aurait eu contrainte de tenir pour vrai des « conclusions

contraires à l’évidence rationnelle et aux sens75 », ce qui va à l’encontre des principes

exégétiques mentionnés jusqu’ici.

Selon Galilée, peu d’hommes sont aptes à entendre correctement les Saintes

Écritures. Dans des questions aussi importantes, et face au risque que certains, en

s’appuyant sur les Écritures, s’arrogent l’autorité, Galilée remercie Dieu que cette autorité

73 Éd. naz., V, p. 321 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 429.74 Éd. naz., V, p. 322 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 430.75 Éd. naz., V, p. 322 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 431.

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Page 69: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

revienne « à la très grande sagesse et bonté des très prudents Pères76 » et à ceux qui sont

« guidés par le Saint-Esprit77 ». Galilée conclut en citant saint Jérôme, qui s’indigne de la

violence faite à l’Écriture par certains.

2.3. Deuxième partie

2.3.1. Statut de la théologie

Les théologiens, que Galilée tient en haute estime, ne sont pas à confondre avec les

auteurs profanes qu’il vient d’attaquer. Toutefois, Galilée se dit inquiet quand les

théologiens s’appuient sur l’autorité de l’Écriture tout en « estimant n’avoir nulle obligation78 • •de neutraliser les arguments ou les expériences contraires » et justifient leur point de vue

ainsi : la théologie, reine de toutes les sciences, n ’a pas à s’accommoder avec les principes

d ’autres sciences d’une dignité inférieure. Les pratiquants des sciences inférieures doivent

« changer les conclusions conformément à ses statuts et décrets79 » et découvrir les défauts

de leurs expériences, car « il ne convient pas à la dignité de la théologie [...] de s’abaisser à

rechercher les erreurs des sciences subordonnées, étant suffisant pour elle de déterminer la• 80vérité de la conclusion, avec une autorité absolue et la certitude de ne pouvoir errer . » Ces

théologiens sont ceux qui refusent d’interpréter en s’éloignant du sens littéral. Ces derniers

s’en remettent aux Écritures et aux saints Pères, qui selon eux, exposent ces matières

toujours de la même manière.

Or, Galilée présente une autre vision de la théologie. La théologie sacrée est reine

des sciences, non parce que toutes les sciences seraient comprises et démontrées en elle,

mais parce que « le sujet auquel elle se consacre surpasserait en dignité tous les sujets qui

76 Éd. naz., V, p. 323 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 431.77 Ibid.78 Éd. naz., V, p. 323-324 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 432.79 Éd. naz., V, p. 324 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 433.80 Éd. naz., V, p. 324 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 433.

54

Page 70: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

sont la matière des autres sciences . » En effet, il est évident pour Galilée que les livres

sacrés ne traitent pas de géométrie, d ’astronomie, de musique et de médecine comme le

font les auteurs profanes (Archimède, Ptolémée, Boèce, Galien). Ainsi, la « suprématie82 , • * .

royale » de la théologie vient de la noblesse de son sujet et de ses révélations divines

qu’on ne peut acquérir par d’autres voies et qui concernent la béatitude étemelle. Certes, la

théologie peut ne pas s’abaisser aux spéculations des sciences inférieures, mais elle doit

alors ne pas usurper l’autorité pour juger les conclusions de ces disciplines.

2.3.2. Les doctrines d ’opinion et les doctrines démonstratives ; tâche des théologiens

Pour Galilée, il est impossible que les astronomes renoncent à leurs observations et

à leurs démonstrations. En effet, il y a une grande différence entre les doctrines d’opinion et

les doctrines démonstratives. Citant de nouveau le De Genesi ad litteram d’Augustin,

Galilée y voit une nette distinction entre les conclusions vraiment démontrées et les

conclusions simplement enseignées. Il revient aux sages théologiens de montrer en quoi les

conclusions nécessaires ne sont pas contraires aux Écritures. Quant aux doctrines

d ’opinion, si elles vont contre les Textes sacrés, il faut les tenir pour fausses.

2.3.3. Prudence avant de condamner une proposition naturelle

Galilée tire de cette réflexion les deux conclusions suivantes : les conclusions

naturelles vraiment démontrées n ’ont pas à être subordonnées à des passages de l’Écriture ;

avant de condamner une proposition naturelle, il faut « montrer qu’elle n’est pas démontrée• inde façon nécessaire ». Or, il revient à ceux qui considèrent les propositions fausses de

découvrir les erreurs de raisonnements. En ce qui a trait à la doctrine copemicienne, Galilée

mentionne un professeur de Pise qui, alors qu’il la considérait fausse, a changé d’idée en

l’étudiant. Après avoir étudié attentivement les questions mathématiques et astronomiques,

81 Éd. naz., V, p. 325 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 434.82 Ibid.83 Éd. naz., V, p. 327 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 437.

55

Page 71: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

plusieurs professeurs viennent à considérer, comme Galilée, que l'ancienne représentation

du monde doit être revue84.

2.3.4. Pourquoi il ne faut ne pas condamner le livre de Copernic

L’opinion et la doctrine copemicienne ne relèvent pas seulement de Copernic et de

ceux qui la professent, mais de ce que les hommes peuvent regarder dans le ciel

(observations sensibles). Rappelant que la variation du diamètre apparent de Vénus et de

Mars est incompatible avec l’astronomie de Ptolémée, Galilée voit dans l’étude

approfondie de Copernic et grâce aux observations nouvelles se renforcer « de jour en jouro c § t

[...] la vérité de sa position et la solidité de sa doctrine ». Interdire Copernic, ce serait

pour Galilée interdire les observations astronomiques et aller à l’encontre de la vérité.

Même condamner seulement une proposition du livre de Copernic « serait, si je ne

m ’abuse, gravement atteindre les âmes, en leur laissant l’occasion de voir prouver une• • • 8 6 « i * i ' * • • proposition à laquelle ce serait ensuite péché de croire . » Bref, Galilée énonce ici

plusieurs raisons qui indiquent pourquoi la prudence envers la doctrine copemicienne serait

préférable à la condamnation.

Qui plus est, interdire Copernic et la science astronomique va à l’encontre de la

contemplation de la Création divine : « [...] prohiber la science dans sa totalité, que serait-

ce sinon rejeter cent passages des Saintes Ecritures qui tous nous enseignent comment la

gloire et la grandeur de Dieu se perçoivent admirablement dans ses œuvres, et se lisent

divinement dans le livre ouvert du ciel87 ? » Galilée partage ici une réflexion à propos des

mystères de ce livre et des merveilles qui peuvent être découvertes, notamment par

84 Selon Philippe Hamou et Marta Spranzi, Galilée fait ici référence au père jésuite Clavius du Collège romain.85 Éd. naz., V, p. 329 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 438.86 Éd. naz., V, p. 329 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., pp. 438-439.87 Éd. naz., V, p. 329 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 439.

56

Page 72: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

l’anatomiste et l’astronome. Ces derniers ont la possibilité de dépasser l'aspect extérieur du

corps ou le sens de la vue grâce à leurs observations et à leurs instruments.

2.3.5. Réponse aux théologiens ; synthèse des arguments présentés

À l’argument avancé par les théologiens (énoncé par Galilée) selon lequel « [...] les

propositions physiques sur lesquelles l’Écriture s’exprime toujours de la même façon et que

les Pères reçoivent unanimement doivent être comprises selon la signification littérale des

mots sans glose ni interprétation, et reçues pour absolument vraies88 », se greffe une grave

conséquence pour l’astronomie copemicienne. En effet, ces théologiens considèrent que ce

principe exégétique s’applique à la question du système du monde : « [...] comme il en va

ainsi pour la mobilité du soleil et la stabilité de la terre, les tenir pour vraies relève de la foi,OQ #

tandis qu’erronée est l’opinion contraire ». Galilée répond à cet argument en trois points.

2.3.5.1. Synthèse des principes exégétiques énoncés

Premièrement, il faut distinguer les propositions naturelles probables et

vraisemblables des propositions démontrées et certaines. La certitude est basée sur des

expériences, des observations et des démonstrations nécessaires. Galilée revient ici aux

arguments évoqués aux sections « 2.3.2. Les doctrines d ’opinion et les doctrines

démonstratives ; tâche des théologiens » et « 2.2.8. Deux vérités ne peuvent pas se

contredire ». Puis, il cite de nouveau Augustin. Ce dernier accorde aux astronomes une

autorité lorsque leurs propositions sont prouvées et il donne la tâche aux théologiens de

montrer qu’il n’y a pas contradiction entre les Écritures et les démonstrations vraies.

Augustin a le souci de faire s’accorder les passages de l’Écriture et les propositions

naturelles démontrées, autant que deux passages de l’Écriture qui semblent se contredire.

88 Éd. naz., V, p. 330 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., pp. 439-440. Une partie de cet argument a déjà été évoqué dans la section « 2.3.1. Statut de la théologie ». Cet argument est également à relié à ceux du cardinal Bellarmin dans la Lettre à Foscarini.89 Éd. naz., V, p. 330 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 440.

57

Page 73: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

De plus, saint Augustin invite à la pondération et à la prudence dans les commentaires des

Écritures lorsqu’il est possible qu’une certitude future permette d’éclairer la foi. Galilée en

conclut que l’intention des saints Pères est en adéquation avec les justifications

théologiques et les principes exégétiques qu’il a énoncés jusqu’ici. Voici en quels mots

Galilée synthétise ces principes :

[...] dans les questions naturelles ne relevant pas de la foi il faut d ’abord considérer si elles sont démontrées de façon indubitable ou connues au moyen des expériences sensibles, ou s ’il est possible d ’avoir de telles connaissances et démonstrations ; les ayant obtenues et puisqu’elles sont des dons de Dieu, on doit alors s’appliquer à rechercher le vrai sens des Textes sacrés dans ces passages qui à première vue semblent vouloir dire autre chose90.

Galilée poursuit avec une deuxième série d’arguments qui viennent expliciter et développer

davantage des idées déjà mentionnées.

2.3.5.2. Appel invalide à l'accord unanime des Pères dans les conclusions naturelles qui ne relèvent pas de la fo i ; discussion sur le décret du concile de Trente

Deuxièmement, même si l’Écriture s’exprime plusieurs fois dans le même sens, cela

n’invalide en rien les principes exégétiques qui viennent d’être mentionnés. Comme

l’Écriture vise à éviter les confusions et l’incrédulité du peuple, il est nécessaire d’exprimer

comme elle l’a fait le mouvement du soleil et le repos de la terre. L’immobilité du soleil se

fonde sur des observations délicates, des démonstrations subtiles, des abstractions et de

« très solides raisons91 » alors que le consensus dans le peuple est basé sur des apparences

et de « vains et ridicules indices92 ». En plus, l’Écriture peut, comme le mentionnent saint

Jérôme et Thomas d’Aquin, s’accorder à l’opinion du moment (l’opinion du peuple) et non

à la vérité des choses. Copernic était tout à fait conscient des difficultés liées au mouvement

de la terre, imperceptible pour nous et contraire à notre compréhension habituelle.

90 Éd. naz., V, p. 332 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 442.91 Éd. naz., V, p. 333 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., pp. 443-444.92 Éd. naz., V, p. 333 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 444.

58

Page 74: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Par conséquent, que l’accord unanime des Pères en matière de philosophie naturelle

soit suffisant pour en faire un article de foi, Galilée ne l’admet que si les Pères ont discuté

explicitement la question et s’ils ont condamné l’opinion contraire, ce qui n’est pas le cas

en ce qui a trait à la mobilité du soleil (et à l’immobilité de la terre). D’ailleurs, le

théologien Zuniga ne juge pas erronée l’opinion contraire. Galilée continue à douter quant à

la possibilité que des conclusions naturelles soient des articles de foi, en se basant sur une

interprétation concordante des Pères. Il soupçonne ceux qui ne pensent pas comme lui de

vouloir ériger leurs propres opinions en décret du Concile. Or, le Concile interdit « de

détourner en des sens contraires à celui de la Sainte Église ou de l’interprétation unanime

des Pères les [seuls] passages relevant de la foi ou concernant les mœurs, et qui ont rapport

à l’édification de la doctrine chrétienne93 ». D’après Galilée, la question de la mobilité de la

terre ne relève ni de la foi ni des mœurs. Ceux qui ont écrit sur la doctrine copemicienne ne

se servent pas des passages de l’Écriture et accordent aux sages théologiens l’autorité dans

l’interprétation du vrai sens. Saint Augustin va en ce sens lorsqu’il considère que des

raisonnements subtils sur de tels sujets ne doit pas occuper ces frères94. Même dans la

possibilité où la condamnation de propositions naturelles pouvait s’appuyer sur

l’interprétation concordante des Pères, cela ne s’appliquerait pas dans le présent cas. En

effet, Galilée montre que les Pères (Denys l’Aéropagite, Augustin, l’évêque d’Aquila, Paul

de Burgos) divergent sur interprétation du miracle de Josué (arrêt du premier mobile, tous

les corps célestes arrêtèrent, arrêt de l’horloge et non du soleil, etc.), ce qui prouve que la

question n ’a pas été tranchée par les Pères.

2.3.5.3. Ne pas mettre en danger la dignité et l ’autorité des Ecritures

Troisièmement — et ce sont là ses derniers arguments — comme les Pères n’ont pas

tranché la question clairement, Galilée accepte de s’en remettre à l’opinion des sages

théologiens de son époque qui, après avoir considéré « les expériences, observations,

arguments et démonstrations des philosophes et des astronomes [...], seront à même de

93 Éd. naz., V, pp. 336-337 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 447.94 Galilée cite ici à nouveau le De Genesi ad litteram ; il utilise la même citation qu’à la page 319 de l’édition nationale (voir notre section « 2.2.6. Intention des écrivains sacrés par rapport à l’astronomie », note 57.

59

Page 75: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

déterminer avec une totale certitude ce que l'inspiration divine leur dictera95. » Ne pas

examiner de tels arguments mettrait en danger la majesté, la dignité et l’autorité des

Écritures. Par zèle envers l’Écriture et envers la vérité, certains demandent que l’opinion

copemicienne ne soit pas interdite, mais examinée minutieusement. Poser un jugement sans

cela (jugement aveugle ou mal intentionné) parce que l’Église a le pouvoir de le faire,

expose à ce que des conclusions naturelles appuyées par l’expérience et les démonstrations

nécessaires puissent établir le contraire. Galilée cite de nouveau le De Genesi ad litteram

d’Augustin à l’appui : interpréter hâtivement ce qui peut éventuellement être ruiné, c ’est

préférer son interprétation au sens des divines Écritures. D’après Augustin, les vérités

contraires à l’Écriture sont des conjectures dues à l’ignorance humaine. C’est pourquoi il

vaut mieux chercher le sens des Écritures en s’appuyant sur des vérités démontrées (rappel

du principe exégétique de la section « 2.2.2 Principes exégétiques dans les questions de

philosophie naturelle »). La prudence d’Augustin va encore plus loin. Même si une

interprétation s’appuie sur un raisonnement certain et démontré, on peut encore se

questionner quant au sens qu’ait voulu donner l’écrivain sacré. Peut-être y a-t-il une autre

vérité plus utile à connaître dans ce passage des Écritures. Une incertitude subsiste ; peut-

être que les deux interprétations sont dans l’intention de l’auteur sacré96.

Enfin, les conseils d ’interprétation avec circonspection et prudence de saint

Augustin se terminent comme ceci97. Il faut éviter d ’exposer l’Écriture en voulant « étendre

son autorité au-delà des limites qu’elle s’est elle-même prescrite98 ». Il est à « éviter au plus

haut point99 » qu’un chrétien se trompe sur des choses concernant la nature face à un non

chrétien, car ce dernier, connaissant les sciences profanes, deviendrait méfiant par rapport

aux livres sacrés. S’attacher à son erreur et impliquer l’Écriture dans cette erreur, c’est

commettre un acte plus grave que la première erreur. Cela offense les Pères « vraiment

95 Éd. naz., V, p. 338 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 449.96 Notons que cette description de la prudence d’Augustin par Galilée est appuyée par trois citations consécutives du De Genesi ad litteram.97 Galilée développe les propos suivants avec deux citations d’Augustin, toujours tirées du De Genesi ad litteram.98 Éd. naz., V, p. 340 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 452.99 Ibid. Ces termes proviennent d’une citation d’Augustin.

60

Page 76: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

sages et prudents100 ». Selon Galilée, sont « téméraires et présomptueux101 », par opposition

aux hommes prudents, ceux qui ne comprennent pas les observations et les démonstrations,

mais qui invoquent les Écritures à ce propos, sans les comprendre. Pour qu’ils soient

certains de détenir la vraie signification de l’Écriture, ils doivent également détenir la vérité

absolue à propos de la conclusion naturelle et avoir un avantage décisif sur l’adversaire, qui

ne possédera que « des données illusoires, des paralogismes et des arguments captieux102 ».i mS’ils procèdent ainsi, ils n ’auront pas à recourir à 1’« arme imparable et redoutable » de

l’Écriture, car c’est là risquer la confusion et le scandale, refuser d’user du raisonnement

(qui est donné par la Divine Bonté) et aussi abuser de l’autorité de la Sainte Écriture qui,

bien comprise et « selon l’avis unanime des théologiens104 », ne peut pas s’opposer aux

observations manifestes et aux raisons nécessaires. Les sages théologiens devraient donc

s’évertuer à réfuter Copernic et laisser aux autorités compétentes (souverain pontife, sacrés

conciles) le soin de déclarer une doctrine erronée et hérétique. Certes, le souverain pontife a

l’autorité dans les questions qui ne relèvent pas de la foi. Toutefois, les propositions de

philosophie naturelle, personne ne peut les rendre vraies ou fausses, « en désaccord avec ce

qu’elles sont de nature et de fa c to '05 ». Galilée conclut par les conseils suivants. Il est plus

avisé de « commencer par s’assurer de la vérité nécessaire et immuable du fait106 », sinon

cela condamne une des parties à perdre sa liberté de choisir. Finalement, déclarer hérétique

une position tant qu’elle a encore une chance d’être vraie et qu’elle n’est pas jugée

impossible ou fausse rend vaines et inutiles les décisions prises à son sujet.

100 Éd. naz., V, p. 340 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 453.101 Éd. naz., V, p. 341 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 453.Ces derniers termesproviennent d’une citation d’Augustin.102 Éd. naz., V, p. 341 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 454.103 Éd. naz., V, p. 342 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 454.104 lbid.105 Éd. naz., V, p. 343 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 455.106 lbid

61

Page 77: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

2.4. Troisième partie

2.4.1. Interprétation du miracle de Josué

Dans cette courte partie, Galilée propose une interprétation du miracle de Josué « en

respectant la signification littérale des mots107 ». Dans le système de Ptolémée, étant donné

le mouvement du premier mobile, arrêter le soleil (dont le mouvement est contraire) aurait

eu pour résultat de diminuer la longueur du jour et non de l’allonger. Josué, en adaptant ses

paroles aux gens qui étaient présents, en n’ayant pas l’intention de leur enseigner

l’astronomie, n’a donc pas demandé au soleil d’accélérer son mouvement (ce qui aurait eu

l’effet souhaité, allonger la durée du jour). C’est à partir de tels raisonnements qu’il faut

comprendre certaines interprétations comme celle de Denys l’Aéropagite et de saint

Augustin, selon qui c’est le premier mobile qui s’arrêta et non le soleil (ce qui d’ailleurs

concorde avec l’ordre donné par Josué à la lune).

Bref, à partir du système géocentrique de Ptolémée, il faut interpréter en s’éloignant

du sens littéral. Suivant saint Augustin, Galilée refuse de dire si cette interprétation est

définitivement celle-là. Il se demande maintenant s’il est possible de respecter la

signification littérale des mots du miracle de Josué à partir du système du monde de

Copernic et de ses observations du soleil. Précisant qu’il ne considère pas non plus son

interprétation comme définitive, Galilée poursuit son explication. Partant de l’arrêt de

toutes les révolutions (celle du premier mobile et des autres astres) et considérant, tel que

décrit dans les Lettres sur les taches solaires, 1) la rotation du soleil sur lui-même, 2) cette

rotation qui suit un axe, 3) la position centrale du soleil, qui illumine toutes les planètes et

pourrait «communier aux corps qui l’entourent [...] par sa rotation sur lui-même, le

mouvement108 », Galilée avance la possibilité suivante : suite à l’ordre de Josué, Dieu a

arrêté le soleil et par le fait même la révolution de toutes les planètes, ce qui a eu pour effet

de prolonger la durée du jour. Cette explication a l’avantage d’éviter qu’il y ait eu

107 Éd. naz., V, p. 343 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 456.108 Ce dernier point est appuyé par deux citations de Denys l’Aéropagite.

62

Page 78: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

dérèglement astronomique et est au surplus conforme au sens littéral des Écritures saintes

selon Galilée.

De plus, l’interprétation copemicienne permet d’interpréter autrement les mots « au

milieu du ciel », qui causaient auparavant difficulté (quant à savoir si le soleil se trouvait au

méridien ou à l’horizon au moment où le miracle se produisit). De même, les autres

passages de l’Écriture qui semblent aller contre l’astronomie copemicienne pourraient être

interprétés par les théologiens si cette doctrine est démontrée et vraie. Cette interprétation

serait d ’autant plus adaptée s’ils connaissent les sciences astronomiques. Peut-être ces

théologiens, plutôt que de trouver des passages contredisant l’astronomie copemicienne, en

verraient d’autres en accord avec elle, comme Galilée en voit une dans un hymne du

bréviaire et dans d’autres courts passages des Écritures qu’il cite.

63

Page 79: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »
Page 80: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Chapitre 3 Typologie de l'articulation des discours scientifiques et des

discours religieux

Afin de déceler quels sont les rapports « science et religion » (ou les rapports entre

l’astronomie nouvelle et l’Écriture sainte) développés par Galilée dans la Lettre à Christine

de Lorraine, nous élaborerons dans ce chapitre une typologie de l’articulation des discours

scientifiques et des discours religieux1. Dans le chapitre suivant (4e chapitre), nous

interpréterons la Lettre à partir des catégories de la typologie. Nous présentons ici un

portrait général des catégories — ou en d’autres termes des types — présents dans les

différentes typologies étudiées2. Cette démarche ne se veut pas un compte rendu exhaustif

de toutes les questions sous-jacentes aux rapports entre science(s) et religion(s). Il s’agit ici

de saisir la logique interne de chaque catégorie de la typologie et de se donner des points de

repères permettant de décrire un type donné.

Il aurait été possible de présenter séparément quelques typologies et quelques•2 .

auteurs qui ont développé des typologies . Nous avons plutôt opté pour une présentation

synthétique. D ’abord, il apparaît que certaines catégories, comme celle du conflit, sont

mentionnées par tous les auteurs étudiés. Les autres catégories, nommées différemment par

les auteurs étudiés, peuvent être rassemblées. Ce faisant, il y a certes tendance à gommer

les nuances propres à chaque typologie. Toutefois, les typologies sont assez semblables les

unes aux autres pour que cette démarche ne trahisse pas la cohérence et la structure

d’ensemble des typologies étudiées.

1 Le nom de notre typologie est inspiré des travaux de Pierre Gisel et de Lucie Kaennel : Pierre Gisel et Lucie Kaennel, La création du monde. Discours religieux, discours scientifiques, discours de fo i, Genève/Bienne, Labor et Fides/Société biblique suisse, 1999, 136 p.2 Nous renvoyons ici le lecteur à la section « Science(s) et religion(s) » de notre bibliographie.3 Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, le nom donné aux typologies varie selon les auteurs. Par exemple, Ian G. Barbour parle de rencontre ou d’interaction entre la science et la religion. Pierre Gisel et Lucie Kaenel optent plutôt pour des modèles d’articulation entre la science et la foi.

65

Page 81: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

La synthèse des catégories des typologies étudiées peut être construite à partir de

quatre relations logiques simples, c’est-à-dire « ou », « et », « avec » et « dans ». Les

catégories deviennent ainsi :

1) con flit: discours religieux ou scientifique, l’un excluant l’autre dans une perspective

d ’opposition, d’incompatibilité et de combat de l’un contre l’autre;

2) indépendance (ou autonomie) : discours religieux et scientifique, où les limites de

chaque domaine sont établies et où ces domaines sont séparés, autonomes, indépendants;

3) com plém entarité (ou dialogue) : discours religieux et scientifiques, l’un avec l’autre, où

les deux domaines entrent en contact et en dialogue. Les deux types de discours sont

complémentaires et nécessaires tous les deux;

4) intégration (ou fusion) : l’un des discours dans l’autre, où les discours convergent et où

des éléments de chacun des discours se rejoignent et s’interpénétrent. A la limite, ici, les

deux types de discours peuvent cesser d’être clairement différenciés.

Dans le tableau-synthèse qui suit, nous présentons les types des typologies et

montrons sous quelle catégorie nous les avons rassemblées. Nous limitons ici notre

présentation à quatre types de relations. Il est à noter que parmi les typologies présentées,

celle de John F. Haught fait référence à la catégorie de la confirmation. Comme il est le

seul à distinguer clairement cette catégorie dans sa typologie, nous ne l’incluons ni dans le

tableau-synthèse ni dans notre typologie.

66

Page 82: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Tableau 1 Tableau-synthèse des types utilisés dans les typologies étudiées4 par rapport aux catégories construites à partir de relations logiques

Auteurs des

\ typologies

Relations \

logiques \

Denis R.

Alexander5

Ian G.

Barbour6

John F.

Haught7

Pierre Gisel etg

Lucie Kaennel

Conflit :

un ou l’autre (ou

exclusif)

1. Conflit9 1. Conflit 1. Conflit 1. Conflit

Indépendance :

l’un et l’autre

2. NOMA

(Non-

Overlapping

Magisteria)

2.

Indépendance

2. Contraste 3. Refus

d ’articulation

Complémentarité :

l’un avec l’autre

4.

Complémentaire

3. Dialogue 3. Contact 2.

Complémentarité

Intégration :

l’un dans l’autre

3. Fusion 4. Intégration [2]. Fusion/

Concordisme/

Combinaison

4. Convergence

4 Voir la section « Science(s) et religion(s) » de notre bibliographie pour obtenir les références des ouvrages des auteurs que nous avons consultés.5 Denis R. Alexander, « The Faraday Institute for Science and Religion. Models for Relating Science and Religion », Faraday Papers [http://www.st-edmunds.cam.ac.uk/faradav/Papers.phpl (consulté le 17 novembre 2010).6 Ian G. Barbour, Quand la science rencontre la religion, Monaco, Le Rocher, 2005, 228 p.7 John F. Haught, Science & Religion. From Conflict to Conversation, New York, Paulist Press, 1995, 225 p.8 P. Gisel et L. Kaennel, La création..., op. cit.9 Les numéros utilisés indiquent l’ordre de présentation des catégories (ou des types) dans les typologies étudiées.

67

Page 83: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

3.1. Quelques remarques méthodologiques et épistémologiques préliminaires

Ici, nous avons travaillé à partir de typologies déjà élaborées. Cela ne nous dispense

pas de réfléchir brièvement à la portée épistémologique et à la validité des typologies. Une

typologie est une structure conceptuelle analytique qui a pour but de classifier et de fournir

des cadres afin de mieux identifier et de mieux saisir un phénomène complexe. Une des

difficultés dans l’élaboration d’une typologie est la détermination de critères délimitant les

catégories : comment opérer une classification du réel? La détermination de ces critères

nécessite de la part du chercheur une connaissance suffisamment approfondie des divers cas

possibles et une capacité de synthèse. Alors que certains auteurs préfèrent abandonner les

typologies ou les modèles de la rencontre science(s) et religion(s) étant donné les

imprécisions qui peuvent s’y glisser, Alexander les considère utiles notamment comme

outils permettant d’entrer dans une vaste littérature10.

Dans cette perspective, les typologies deviennent des ressources heuristiques qui

circonscrivent une découpe et une classification des phénomènes. A cela est certes associé

un risque de réductionnisme et de simplification excessive. Cependant, à cette perte en

compréhension, les typologies gagnent en extension et en étendue, car elles permettent de

couvrir une multitude de phénomènes et elles ouvrent la possibilité d’étudier la pluralité et

la diversité des discours.

À ces limites et ces difficultés associées aux typologies en général, une typologie de

l’articulation des discours religieux et des discours scientifiques pose une difficulté

supplémentaire. Parler des interactions, des rapports, de la relation, de la rencontre entre

science et religion suppose déjà implicitement que ce sont deux domaines distincts. La

question de l’identification et de la définition du « religieux » et du « scientifique » devient

alors centrale. Cela implique que le sens attribué aux termes « religion » et « science » (ou

10 D. Alexander, « The Faraday Institute... », art. cit.

68

Page 84: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

que les définitions opératoires leur étant attribuées) permettent de les distinguer et de les

délimiter. Du point de vue épistémologique, il serait aussi nécessaire de distinguer

« religion » et « discours religieux » (tout comme « science » de « discours scientifique »).

Malheureusement, dans les typologies étudiées, cette distinction n ’est pas clairement

établie11.

3.2. Les catégories de la typologie

3.2.1. Conflit : l ’un ou l’autre

Certains auteurs et certains groupes établissent une opposition nette et fondamentale

entre science(s) et religion(s), entre discours scientifique et discours religieux. L’un des

discours est nié au profit de l’autre, car ils sont dits irréconciliables. La position de conflit

entre science(s) et religion(s) implique souvent une condamnation, le recours à une

rhétorique guerrière et un dénigrement de l’autre, perçu comme radicalement différent,

opposé, erroné, faux et/ou illusoire. Certains auteurs adoptant ce type de position ne voient

pas l’utilité d’établir une typologie de l’articulation des discours scientifiques et religieux,

car ils considèrent que cette articulation est impossible : il n ’y aurait pas de possibilité de

conciliation ou de dialogue.

La thèse du conflit s’appuie fréquemment sur des exemples historiques où des

représentants de la science sont entrés en conflit avec des représentants des religions

traditionnelles. Des événements historiques comme le procès de Galilée devant le tribunal

de l’Inquisition sont mis en évidence pour démontrer l’incompatibilité entre la sciencer 19 •(moderne et contemporaine) et l’Eglise catholique . Galilée et Giordano Bruno sont cités à

l’appui de l’intolérance des religions et de l’Église catholique par rapport à la science.

"Pourtant, elle implique une réflexion épistémologique sur le rapport à la réalité : parler de « religion », n’est- ce pas renvoyer d’abord à une construction conceptuelle? Qu’est-ce que la religion désigne du point de vue pratique? Quelle est la distance entre la pratique religieuse (et l’expérience religieuse) et le discours religieux? Toutes ces questions pourraient être posées également pour la science et le discours scientifique.12 Certains auteurs généralisent à l’ensemble des Églises chrétiennes, des mouvements religieux et des traditions religieuses.

69

Page 85: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Comme preuve supplémentaire du conflit est aussi invoqué Darwin, sa théorie de

l’évolution des espèces (publiée en 1859 dans L ’origine des espèces au moyen de la

sélection naturelle) et son rejet dans certains milieux basé sur des arguments bibliques et

théologiques13. Ces exemples appuient la thèse selon laquelle la religion est obscurantiste :

les doctrines religieuses empêcheraient le développement de la science. En ce sens, la

stagnation de la science au Moyen-Age en Occident s’expliquerait par la présence du

christianisme, de ses doctrines et de son autorité (morale et intellectuelle). Bref, la thèse du

conflit se construit notamment à partir d ’une certaine lecture d’événements historiques.

De plus, la thèse du conflit entre science et religion est construite sur une conception

implicite de ce qu’est la « science » et de ce qu’est la « religion ». En général, la religion est

associée à l’irrationnel, au dogmatisme et aux superstitions alors que les sciences et la

méthode scientifique sont vues comme rationnelles et empiriquement fondées. En

conséquence, le discours religieux sera qualifié de faux et d ’erroné alors que le discours

scientifique sera associé à la vérité, à ce qui est fiable, solide et valide.

De telles conceptions de la science et la religion renvoient à des questions

fondamentales. Qu’est-ce qui est vrai? Quelles sont les conditions de possibilité de la

connaissance et sur quoi se fondent les connaissances? La position scientiste, qui rejette

toute possibilité de connaissance religieuse, véhicule une image de la science toute-

puissante, de la science comme ayant une description complète de la réalité, ou du moins

comme la seule méthode permettant d ’obtenir des connaissances sur la réalité. Dans cette

vision de la science et de sa validité, les discours religieux, puisqu’ils ne sont pas basés sur

la méthode scientifique moderne, sont dénigrés. Cette méthode, avec ses recours aux

expériences, à l’expérimentation, aux validations empiriques, à la raison, à l’objectivité,

aux démonstrations, aux rapports entre la théorie et les expériences et donc à une certaine

13 Pour une analyse plus approfondie de ce rejet aux États-Unis, où des organisations fondamentalistes se sont opposées à l’enseignement de la théorie de l’évolution ou ont voulu la présenter comme une théorie scientifique équivalente (une « science de la Création »), on peut consulter les deux ouvrages suivants : Dominique Lecourt, L'Amérique entre la Bible et Darwin, Paris, PUF, 1998, 228 p. Stephen Jay Gould, Et Dieu dit : « Que Darwin soit! ». Science et religion, enfin la paix?, Paris, Seuil, 2000, 200 p.

70

Page 86: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

épistémologie, est décrite comme la source de la connaissance (et de la vérité selon

certains). Les discours scientifiques sont jugés démontrables et véridiques, ce qui n’est pas

le cas des discours religieux (et métaphysiques). Les contenus religieux sont ainsi évalués à

la mesure d’un savoir expérimental et scientifique, considéré comme la voie privilégiée,

sinon exclusive, de la vérité dans la modernité.

La position scientiste peut être liée à Auguste Comte qui, dans le Catéchisme

positiviste, établit une loi des trois états. D’un état à l’autre, il y a progression dans la

rationalisation. L’humanité est passée de l’état théologique (ou fictif) à l’état métaphysique

(ou abstrait), puis à l’état scientifique (ou positif). En ce sens, les discours religieux sont

jugés pré-scientifiques et correspondent à un niveau de connaissance antérieur à celui qui a

été développé dans la science moderne.

Certaines questions, comme celle des origines, mettent en évidence le possible

conflit entre la science et la religion. D’une part, il apparaît que les discours religieux et les

discours scientifiques proposent des explications des mêmes phénomènes qui sont

contradictoires. Certains y voient une compétition entre les deux types de discours : l’une

des explications doit primer sur l’autre, car, par une exigence logique, les deux ne peuvent

pas coexister. Dans Science et religion, Bertrand Russell donne des exemples de ce type de

conflit : soit une affirmation biblique (considérée comme un fait par les croyants et les

autorités religieuses) est contredite par des observations scientifiques, soit un dogme ou une

doctrine fondamentale est mise en question par des scientifiques.

Dans ses ouvrages, Richard Dawkins considère également que les discours

scientifiques et les discours religieux sont en compétition. Les explications religieuses (à

propos de l’origine de l’Univers, de la vie, de l’être humain, etc.) sont jugées comme étant

des théories scientifiques à rejeter, car de meilleures théories sont présentes dans la

71

Page 87: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

communauté scientifique14. Non seulement la diversité des récits religieux montre leur

caractère douteux, mais surtout les observations et les théories scientifiques fournissent un

récit des origines qui se base sur une méthode scientifique rigoureuse, objective, factuelle et

rationnelle. Les religions ou les mythes des origines, ne répondant pas à cette méthode, sont

en conséquent rejetés et considérés comme non valides.

Il est possible d’inscrire dans la catégorie « conflit » les discours du positivisme

logique et des créationnistes fondamentalistes15. Dans le premier cas, déjà illustré plus haut,

le positivisme logique véhicule une idéologie du progrès et substitue la science aux textes

sacrés (ainsi qu’à tout discours religieux) qui sont considérés comme faux et impossibles à

fonder logiquement. De leur côté, les créationnistes fondamentalistes affirment que la Bible

est un recueil de faits, recueil composé sous la dictée de la plus fiable des autorités, Dieu.

Ils s’opposent à des enseignements scientifiques comme la théorie du Big Bang et la théorie

de l’évolution des espèces (ou du moins à une partie de celle-ci, comme la macro-évolution,

tout en admettant parfois une micro-évolution) et ce, en s’appuyant sur une lecture littérale

de la Genèse. Pour ces groupes religieux, ces théories scientifiques sont fausses, car elles

entrent en contradiction avec les « faits bibliques ».

Plus ou moins explicitement, les auteurs défendant la thèse du conflit placent le

récepteur de leur discours devant un choix : l’un des discours doit être choisi et l’autre doit

être rejeté. Dans la perspective d’un conflit ouvert entre science(s) et religion(s), il y a

obligation de choisir son camp. Le récepteur doit adhérer et donner son approbation à tel

contenu scientifique ou à tel contenu religieux, dans une logique d’exclusion mutuelle. Il y

a impossibilité d’être à la fois scientifique et religieux. La possibilité d’accepter à la fois les

discours scientifiques et les discours religieux est perçue à la limite comme une

« schizophrénie », c’est-à-dire comme contradictoire et incohérente.

14 Denis R. Alexander, « The Faraday Institute... », p. 2. Par ce type de position, Dawkins s’éloigne du positivisme logique qui ne considérait pas les récits des origines religieux comme étant « scientifiques ».15 Alexander y ajoute les lectures littéralistes du Coran.

72

Page 88: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

3.2.2. Indépendance : l’un et l’autre

La thèse de l’indépendance cherche à établir une distinction nette entre science(s) et

religion(s) et situe chaque domaine dans une sphère délimitée et définie. Cette thèse

implique une différenciation du domaine, de la méthode, de la visée et des questions

propres aux deux types de discours. Chaque discours est compris comme ayant une vue

partielle et comme ayant un champ d’application spécifique. Le conflit entre les discours

est ainsi évité, car une frontière hermétique est tracée entre les deux. Chacun a son

« compartiment étanche », chacun est séparé et autonome. Comme le soulignent Denis R.

Alexander et Stephen Jay Gould, les discours religieux et scientifiques entrent en conflit et

en compétition quand ils sont situés « sur le même terrain » et surtout quand l’un tente de

s’imposer dans le domaine de l’autre. Il est possible d’éviter le conflit en respectant le

« territoire religieux » et le « territoire scientifique ».

Stephen Jay Gould a contribué à développer et à diffuser la thèse de

l’indépendance16. Il a construit un modèle, le NOMA (Non-Overlapping Magisteria, non-

empiètrement des magistères), dans lequel la science et la religion sont considérées comme

deux « magistères ». Chaque magistère a une sphère où s’étend l’autorité de ses discours et

de ses enseignements. D ’après Gould, la thèse du conflit entre science et religion est due à

une mécompréhension du rôle et du « territoire » de chacun. La science et la religion

doivent exercer leurs compétences dans leur domaine propre. Ces deux domaines sont

entièrement différents : la science se réfère aux faits et aux théories alors que la religion

s’intéresse à l’éthique, aux valeurs et aux intentions. Chaque domaine a ainsi ses questions

spécifiques. La science s’intéresse au comment, aux explications sur le monde et sur la

nature (explications mécanistes et empiriques). Les questions qu’elle pose portent sur des

phénomènes naturels. La religion pose quant à elle la question du pourquoi et s’intéresse

aux questions ultimes (tout comme la métaphysique et la philosophie) comme la question

du sens (ou du non-sens) de l’existence humaine, la question de Dieu, etc. La religion

apporte des réponses aux questions ultimes et est indissociable d’une vision du monde,

16 S. J. Gould, Et Dieu dit..., op. cit., 200 p.

73

Page 89: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

d’une philosophie de vie et d’un ensemble de normes éthiques. Bref, Gould opère ici une

différenciation de la science et de la religion : leur visée, leur domaine et leurs questions

sont distinctes. Il s’agit alors de reconnaître la dignité de chaque domaine et de fonder une

non-interférence sur une sympathie et un respect mutuel profond.

En ce qui a trait aux récits des origines, les tenants de la thèse de l’indépendance

indiquent qu’il faut éviter de situer les récits religieux sur le même plan que les théories

scientifiques sur les origines (de l’Univers, de la vie, de l’homme)17. Dans cette

perspective, il est possible d’interpréter les récits religieux et les théories scientifiques

comme ayant des fonctions différentes. Les récits religieux ne viseraient pas à expliquer la

nature, mais plutôt à inscrire l’être humain dans un ordre qui le dépasse, un « ordre

cosmique » : chaque récit des origines transmettrait une théologie spécifique et une vision

du monde particulière. Ces récits se réfèrent notamment aux rôles sociaux et à la structure

de la société humaine, ils véhiculent des modèles de comportement humain et des

archétypes de vie. Ces modèles exemplaires sont non seulement mis en scène dans les écrits

sacrés (notamment dans les mythes), mais aussi réactualisés dans les pratiques religieuses

(comme les rituels). De l’autre côté, les théories scientifiques sur les origines n’auraient pas

un rôle justificateur de l’ordre et de la structure sociale et ne fourniraient pas de modèles de

vie. Leur fonction serait strictement de décrire et d’expliquer l’ordre du monde, l’origine de

la matière, de la vie et de l’être humain. Selon Benoît Garceau, le discours scientifique se

situe à « l’extérieur » de l’homme : « [...] l’homme est nécessairement étudié du dehors,

comme objet fabriqué avec les forces de la nature18. » La reconstruction des conditions

matérielles de l’apparition de l’humain n’indique pas comment l’humain doit agir ici et

maintenant. La science se limiterait ainsi à des questions matérielles et empiriques, sans

aborder les questions éthiques, sociales et politiques.

17 Afin d’éviter la confusion et de baliser les champs, plusieurs proposent la distinction suivante : la science s’intéresserait aux commencements alors que la religion s’intéresserait aux origines.18 Benoît Garceau, Le savoir et le sens. Pour une nouvelle entente entre la science, la pensée et la foi, Montréal, Bellarmin, 2004, p. 162.

74

Page 90: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

De plus, les discours religieux et scientifiques au sujet des origines se différencient

quant à leur visée et à leur logique propre. À titre d’exemple, la visée théologique sur

l’origine du monde et de l’être humain peut consister à situer cette origine dans le cadre du

salut en Dieu. Par rapport à cette visée théologique, la visée de la science est d’ordre

généalogique. Les théories scientifiques permettent d’établir des points de repères fixes et

concrets décrivant les différentes étapes de l’histoire de l’Univers et de la vie sur la Terre

(histoire se référant notamment aux états de la matière et à l’auto-organisation de la

matière).

À ces premières distinctions entre le domaine scientifique et le domaine religieux, il

est possible d’en ajouter d’autres à partir de l’analyse des langages et des méthodes de

validation propres à la science et à la religion. La science cherche des énoncés descriptifs,

explicatifs, prédictifs et le plus souvent écrits en langage mathématique. La méthode et la

validité scientifique se basent notamment sur la reproductibilité des résultats et des tests

expérimentaux. Le langage scientifique vise l’empirique. Quant à lui, le langage religieux

vise à susciter du sens, des actions et des pratiques. Ce langage renvoie à des croyances et à

une vision du divin (et du sacré) qui ne sont pas vérifiables empiriquement — ou du moins

pas vérifiables dans le cadre de la méthode scientifique empirique expérimentale telle que

reconnue et pratiquée dans les milieux scientifiques. En effet, l’expérience religieuse n’est

pas strictement reproductible, elle appartient à l’expérience vécue de la personne. Ainsi, il

apparaît que la religion et la science ont des référents qui les distinguent l’une de l’autre.

Sans entrer dans les détails, mentionnons que les auteurs étudiés ont une vision

quelque peu différente de l’indépendance entre science(s) et religion(s). D ’un côté, Stephen

Jay Gould cherche à justifier et à défendre cette position. Il propose que chaque domaine,

chaque « magistère » se donne des règles, des questions recevables et ses propres critères

de jugement, de manière à ce que les deux domaines n ’interfèrent pas. En ce sens, les

conflits entre science et religion sont expliqués comme un non-respect des « magistères » et

des territoires propres à chacun. John F. Haught tient des arguments similaires : il décrit

75

Page 91: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

l’affaire Galilée comme une incapacité pour la théologie médiévale à distinguer ce qui

relève de la science et ce qui relève de la religion. De leur côté, Lucie Kaennel et Pierre

Gisel voient dans l’indépendance le risque de compartimenter sans prendre en

considération ce que l’autre effectue. En ce sens, il y a double risque : que la théologie

devienne plus théologique en cessant de s’intéresser à la science et que la science devienne

plus scientiste en ne reconnaissant pas la validité propre des discours religieux. Enfin, Ian

G. Barbour préfère la thèse de la complémentarité et critique certains aspects de la thèse de

l’indépendance. Il voit des limites à la thèse des deux langages et met en question la

possibilité que science et religion soient complètement distinctes.

3.2.3. Complémentarité : l’un avec l’autre

La troisième catégorie de la typologie est celle de la complémentarité entre

science(s) et religion(s). Cette perspective met l’accent sur l’articulation des discours

scientifiques et des discours religieux, articulation respectant la spécificité de chaque

discours. Toute comme dans la posture de l’indépendance décrite précédemment, la

construction d’une complémentarité entre science(s) et religion(s) implique la

reconnaissance de l’indépendance, de l’autonomie et de la « vérité » de chacun des

domaines. La thèse de la complémentarité accepte généralement la distinction entre la

science à qui est imparti le comment (description des phénomènes naturels, des lois de la

nature, etc.) et la religion qui répond au pourquoi (sens des phénomènes, sens de

l’existence, etc.). Toutefois, ici, cette distinction est invoquée pour justifier la nécessité

d’être à l’écoute des deux discours et d’instaurer un dialogue fécond, qui va plus loin que

dans la thèse de l’indépendance. Si les zones de contact entre la science et la religion

nécessitaient déjà qu’un dialogue s’instaure, ici, leur contact peut mener à une certaine

interpénétration et à une certaine négociation des frontières entre les deux domaines19. La

thèse de la complémentarité des discours scientifiques et des discours religieux se veut une

vision plus unifiée de la réalité et plus cohérente de nos différentes manières de connaître.

19 Dominique Lambert évoque la difficulté à maintenir l’équilibre dans la posture de l’articulation. De légers écarts et certaines nuances la distinguent du concordisme (intégration) et du discordisme (indépendance). Dominique Lambert, Sciences et théologie. Les figures d ’un dialogue, Bruxelles, Lessius, 1999, p. 107.

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Page 92: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Toutefois, d ’après Ian G. Barbour, cette unité n ’est pas aussi forte que dans le modèle de

l’intégration (voir la section suivante). Selon John F. Haught, le contact (ou la

complémentarité) entre science et religion ne renvoie pas à une harmonie superficielle

comme c’est le cas lorsque science et religion sont confondues.

S’appuyant sur des travaux d’épistémologie, de philosophie des sciences et de

philosophie de la connaissance, la notion d’objectivité scientifique est parfois critiquée

dans la thèse de la complémentarité. L’objectivité scientifique devient un idéal, étant donné

que la science vise à connaître l’objet et la réalité en soi. Toutefois, cet idéal d’objectivité

ne peut pas être totalement atteint, puisque la connaissance scientifique fait appel au

langage humain, à des concepts et à des principes qui proviennent des sujets connaissants et

qui comporte ainsi nécessairement une part de subjectivité. En ce sens, toute

« connaissance objective » devient une connaissance validée inter-subjectivement par une

tradition scientifique, par une communauté de chercheurs, qui se situent, selon Thomas

Kuhn, à l’intérieur d’un paradigme20. Par cette critique de l’objectivité, l’argument

provenant de la thèse du conflit, qui associe la science à l’objectivité (et au vrai) et la

religion à la subjectivité, est contredit. De plus, ceux qui voient dans la religion une

construction culturelle se voient également dans l’obligation de reconnaître la part de

construction culturelle et sociale dans les connaissances et les méthodes scientifiques, la

science étant elle aussi une activité humaine.

La thèse de la complémentarité indique que certaines présuppositions et certaines

méthodes sont communes à la science et à la religion. L’activité scientifique n’échappe pas

à certains a priori, certains présupposés métaphysiques comme l’existence d’un monde (un

monde ordonné et intelligible), comme une intuition minimale de vérité, etc. Ainsi, la

science ne peut pas échapper à la métaphysique, même si elle s’en est séparée, notamment

20 Thomas S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, [1962] 1983, 284 p.

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Page 93: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

avec Kant21. Selon Dominique Lambert, la métaphysique et la philosophie ont comme

tâche d ’être un lieu de dialogue et une instance médiatrice entre la théologie et les sciences.

Dans le modèle de la complémentarité, les discours religieux et les discours

scientifiques entretiennent des rapports constructifs où l’un permet d’approfondir l’autre.

En ce sens, il ne s’agit pas seulement de respecter la sphère de l’autre (ou les frontières de

l’autre), mais de chercher à se connaître réciproquement. Les disciplines ne sont pas en

compétition, elles peuvent s’enrichir mutuellement, entretenant des rapports « solidaires ».

Le dialogue entre la théologie et les sciences est une occasion pour les sciences de réfléchir

aux limites et à la portée de la méthode scientifique (en incluant ses présupposés

philosophiques et métaphysiques). Dans la thèse de la complémentarité, la plupart des

auteurs n’adoptent toutefois pas une théologie de type « God o f the gaps », c’est-à-dire une

théologie ou un discours religieux qui viendrait répondre aux questions auxquelles la

science n’a pas de réponse22. Au contraire, le dialogue peut créer les possibilités d ’une plus

grande réflexivité dans chaque domaine. Du côté de la théologie, le dialogue peut impliquer

de reconnaître l’apport des sciences et de la rationalité scientifique (caractérisée notamment

par le doute et la mise en question) comme permettant de relire et de réactualiser

différemment sa tradition religieuse.

Dans le modèle présenté par Alexander, science et religion peuvent se compléter

quand elles posent des questions similaires et se trouvent sur un même « terrain ». Ainsi,

les scientifiques peuvent étudier le cerveau humain et les connexions neuronales qui s’y

effectuent. Ces études seront toujours complémentaires aux études philosophiques et

religieuses qui s’intéressent au « je », aux modes d’expression de la conscience humaine,

au langage et à ce qui relève de l’expérience propre à chaque être humain. Bref, le modèle

de la complémentarité reconnaît à la fois l’importance des sciences empiriques et des autres

21 Emmanuel Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1986 [1783], 171p.22 Dominique Lambert identifie ce type d’approche comme une forme de concordisme ontologique.

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Page 94: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

disciplines du savoir (étudiant par exemple le langage, les productions humaines littéraires,

artistiques, philosophiques, etc.) qui ne sont pas réductibles les unes aux autres.

Quant à la question des origines, les tenants de la complémentarité entre science et

religion émettent plusieurs articulations possibles. Dominique Lambert rejette les thèses

d’intégration et les lectures reliant immédiatement la Bible et la science. Selon lui, une

instance médiatrice est nécessaire entre la théologie et les sciences. Cette instance doit

reconnaître à la fois les méthodes historico-critiques et l’herméneutique. Concrètement,

cela implique de voir dans les textes sacrés quelles sont les connaissances qui

correspondent à celles des auteurs de l’époque. Puis, il est possible d’interpréter les récits

de création, interprétation qui peut faire appel au symbolique et au métaphorique et qui

reconnaît le rôle de l’herméneutique (que certains qualifient de sciences herméneutiques).

3.2.4. Intégration : l’un dans l’autre

L’articulation science(s) et religion(s) peut impliquer l’intégration des données d ’un

des discours dans l’autre discours. Certaines lectures contemporaines de la Genèse marient

ainsi les données scientifiques sur l’origine de l’Univers et le contenu de la Genèse : les

sept jours de la Création de Dieu sont assimilés à l’âge de l’Univers (13,7 milliards

d’années calculées selon un calendrier humain). Dans cette interprétation, chaque «jour de

Dieu » correspond à des milliards d’années humaines. En conséquent, les données

scientifiques sont incluses dans un discours religieux. Les contenus scientifiques viennent

qu’à faire partie intégrante du discours religieux.

L’intégration des discours scientifiques et des discours religieux est critiquée par

plusieurs, dont Dominique Lambert qui y voit du concordisme, c’est-à-dire une confusion

et un mélange indus de la science et de la théologie. Pour sa part, Ian G. Barbour y classe

les approches de la théologie naturelle et de la théologie de la nature. Dans la théologie

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Page 95: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

naturelle, on suppose que l’étude de la nature permet de déceler le plan et la présence de

Dieu dans la Création. Une des interprétations récentes de la présence de Dieu au monde se

réfère au « principe anthropique ». Selon ce principe, les lois et les structures de l’Univers

sont disposées de manière à ce que l’être humain et sa conscience y apparaissent. Il y aurait

donc une finalité et une intentionnalité à l’œuvre dans le monde. De l’autre côté, la

théologie de la nature ne part pas de la science, comme le fait la théologie naturelle. Sa

thèse principale est la suivante : les doctrines religieuses traditionnelles devraient être

reformulées à la lumière de la science actuelle. À titre d’exemple, il devient possible de

représenter Dieu comme un être complexe dont l’action est présente, continue et diversifiée

et non plus comme un Dieu créateur extérieur au monde (parfois appelé « le Grand

Horloger »).

Dans un autre ordre d’idées, le modèle de l’intégration inclut une réflexion sur la

possibilité même de distinguer et de délimiter « science » et « religion ». Alexander

rappelle que cette distinction a été forgée en Occident. Dans les systèmes de pensée

hindous et bouddhistes, la question de relier ou de chercher à articuler « science et

religion » peut sembler inutile ou du moins ambiguë.

Encore une fois, il est impossible de dresser un portrait exhaustif des auteurs et des

courants pouvant être associés à l’intégration des discours scientifiques et religieux. Ian G.

Barbour, comme Pierre Gisel et Lucie Kaennel, classent dans cette catégorie les travaux de

la théologie du Process, dont Alfred North Whitehead est la figure fondatrice. Les travaux

de Pierre Teilhard de Chardin peuvent aussi être identifiés à cette catégorie. En effet, le

Christ devient dans sa conception du monde l’alpha et l’oméga, non d’un strict point de vue

symbolique ou métaphorique, mais comme l’origine et le pôle d’attraction de l’évolution du

monde.

En résumé, nous avons ici présenté brièvement la logique sous-tendant chaque

catégorie des différentes typologies de l’articulation des discours religieux et scientifiques

80

Page 96: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

étudiées. Nous sommes ici conscients de n’offrir qu’une vue partielle de ce qu’impliquent

et de ce qu’incluent les catégories de la typologie. Pour approfondir, il serait nécessaire de

présenter d’autres discours effectivement tenus et ensuite de les classer dans la typologie,

avec toutes les nuances que cela implique. En effet, les propos de certains auteurs peuvent

se situer principalement dans une catégorie tout en gardant une ouverture vers une autre23.

Ici, nous avons préféré donner un aperçu à partir des travaux déjà réalisés qui nous

fournissent maintenant des indications utile pour interpréter la Lettre à Christine de

Lorraine et répondre à notre problématique initiale.

23 À titre d’exemple, Dominique Lambert analyse en ce sens les discours de l’abbé Georges Lemaître. D. Lambert, Sciences et théologie..., op. cit., pp. 97-101.

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Page 97: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »
Page 98: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Chapitre 4 Interprétation de la Lettre à Christine de Lorraine à partir d’une typologie de l’articulation des discours religieux et scientifiques

Il est maintenant possible d’appliquer les catégories de la typologie du chapitre

précédent pour chercher quels sont les rapports « science et religion » dans la Lettre à

Christine de Lorraine. En effet, après avoir saisi la logique des catégories de la typologie,

nous chercherons des motifs semblables et comparables dans la Lettre. Ainsi, notre

interprétation de la Lettre sera construite de manière analogique et non pas déductive ou

inductive. Nous exposerons d ’abord en quoi consiste le conflit décrit par Galilée, puis

comment Galilée se réfère à des arguments d’indépendance et d’autonomie. Ensuite, nous

verrons en quoi Galilée établit un rapport de complémentarité entre les propositions de la

philosophie naturelle et l’interprétation des Écritures saintes. Enfin, par son interprétation

du miracle de Josué, Galilée intègre l’astronomie copemicienne au sens des Écritures, ce

qui peut être associé à la quatrième catégorie de la typologie, c’est-à-dire l’intégration1.

4.1. Conflit

Dans la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée prend clairement parti pour le

système du monde héliocentrique de Copernic. Or, plusieurs fois dans la Lettre, la

possibilité qu’il y ait condamnation de cette doctrine et de ses propositions est évoquée. Ses

propositions pourraient même être jugées hérétiques. Ainsi, une situation conflictuelle se

dessine dès le début de la Lettre et sera en toile de fond de l’ensemble de la Lettre.

D’emblée, Galilée présente le conflit comme étant l’œuvre de ses adversaires. Il décrit en

1 La catégorie de la confirmation, développée dans l’ouvrage de John F. Haught, n ’est pas présente dans la Lettre à Christine de Lorraine.

83

Page 99: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

plusieurs points quelle est leur position, quels sont leurs arguments et leurs attaques contre

la doctrine copemicienne2.

Certains adversaires de Galilée n’acceptent pas les découvertes astronomiques de

Galilée : elles sont contraires à ce qui est admis dans les écoles philosophiques. Pour

Galilée, cette attitude s’explique par leur refus de regarder attentivement le ciel et de mener

des observations rigoureuses. Aussi, selon Galilée, ses adversaires sont plus attachés à leurs

opinions (et à leurs erreurs) qu’à la vérité3. Surtout, et c’est là un point central quant aux

questions religieuses et exégétiques reliées à la science moderne, il y a appel à des passages

des Écritures pour discréditer et même pour condamner comme hérétique la doctrine

copemicienne.

Cette référence aux textes sacrés est pour Galilée un prolongement des attitudes et

des intentions malveillantes qui sont dirigées contre lui. C’est là en quelque sorte une

double faute, car ses adversaires non seulement ne comprennent ni Copernic ni ses

conclusions (et sont donc ignorants4), mais cherchent à éviter de répliquer en se cachant

« sous le manteau d’une religion feinte » et « derrière un zèle simulé pour la religion »5.

Dans la Lettre, Galilée met en opposition l’intention malveillante, égoïste et hypocrite des

adversaires et sa propre intention. Galilée affirme vouloir conseiller l’Église et admet la

possibilité d’être dans l’erreur6.

2 Une analyse plus complète des arguments des adversaires de Galilée nécessiterait des renvois intertextuels. À ce titre, il serait pertinent de comparer les arguments des adversaires de Galilée (tels qu’il les présente) aux arguments du cardinal Bellarmin dans la Lettre à Foscarini.3 Sans être totalement explicite sur ce point, Galilée a tendance dans la Lettre à Christine de Lorraine à associer la doctrine de Copernic à la vérité et à une vérité démontrée.4 Galilée énonce cet argument et présente aussi un argument similaire de Copernic qui provient de la dédicace à Paul III dans le De revolutionibus (voir la note 21 du chapitre II et la section « 2.1.4. Intention de Galilée... »).5 Voir les sections « 2.1.2. Appel à l’Écriture sainte... » et « 2.1.4. Intention de Galilée ... » Il est ici à noter que Galilée emploie le terme « religion ». Des références extra-textuelles et historiques permettraient de préciser le sens que Galilée donne à ce terme, et ce par rapport aux sens actuels. Ici, Galilée fait référence à la religion catholique romaine.6 II est d’ailleurs à noter que la question de l’intention reviendra dans la Lettre : intention des écrivains sacrés, intention du Saint Esprit dans les Écritures et intention des Pères dans l’interprétation des Écritures.

84

Page 100: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Passant de l’intention de ses adversaires à leurs arguments, Galilée décrit comment

ses adversaires font appel aux Ecritures. Premièrement, les propositions de l’astronomie

copemicienne sont jugées erronées et opposées aux Écritures, d’où la possibilité de les

condamner ou de les déclarer hérétiques. Cette condamnation s’appuie sur l’inerrance des

Écritures (elles ne peuvent ni mentir, ni errer) : puisque les Écritures mentionnent la

mobilité du soleil et l’immobilité de la terre, il s’ensuit que les thèses copemiciennes sont

non seulement fausses et erronées, mais peuvent aussi être jugées hérétiques. On reconnaît

ici l’appel à l’inerrance des Écritures des créationnistes fondamentalistes et qui caractérise

le conflit entre science et religion.

Le deuxième argument principal des adversaires de Galilée ne fait pas tant appel à

un passage précis des Écritures qu’à la question de l’autorité des Écritures, de la théologie

et des pères de l’Église. Pour que des propositions de philosophie naturelle soient interdites

(ici, les propositions copemiciennes), l’autorité des Écritures saintes doit être étendue à ce

type de propositions, qui deviennent alors des propositions relevant de la foi (propositions

de fide). Ici, le conflit peut se traduire par une non reconnaissance de l’autorité de la science

sur son propre terrain, puisque la théologie peut entièrement occuper ce terrain.

En effet, chez les adversaires de Galilée, à cette autorité des Écritures s’ajoute

l’autorité de la théologie : il n ’est pas nécessaire pour les théologiens de prendre en

considération les conclusions ou les acquis des disciplines d’une dignité inférieure à la

théologie. Ces disciplines doivent adapter leurs conclusions à celle de la théologie et non le

contraire. Cette demande encore une fois ne respecte pas le partage des compétences, décrit

par Stephen Jay Gould (avec le modèle du NOMA).

Bref, l’autorité première des textes sacrés et de la théologie est réaffirmée par les

adversaires de Galilée. Plus spécifiquement, leur position anti-copemicienne se construit

comme suit : les théologiens se basent d’abord sur l’Écriture, qui expose les propositions

physiques en question toujours de la même façon, puis ils se réfèrent aux pères de l’Église

85

Page 101: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

qui ont tous compris ces passages des Écritures de la même manière et selon la signification

littérale des mots. La concordance de l’interprétation des pères de l’Église à propos de

l’immobilité de la terre et de la mobilité du soleil devient un argument supplémentaire pour

condamner la doctrine copemicienne. Ici, nous avons affaire à un argument qui n’a pas été

développé dans la typologie, soit l’appel à la tradition pour juger d ’une question à la fois

théologique et scientifique. Face à cela, Galilée construit des contre-arguments en se

référant lui aussi à la tradition et à certains pères de l’Église.

Avant cela, Galilée s’oppose à une telle autorité accordée aux Écritures. Il y aurait

mécompréhension et usage inapproprié des Écritures provenant de ses adversaires. Galilée

cherche à éviter cette position conflictuelle où l’astronomie copemicienne est rejetée —

voire condamnée — à partir d ’arguments basés sur les Écritures saintes et la tradition de

l’Église. D’après Galilée, saint Augustin et les théologiens s’accordent sur le fait qu’il ne

peut pas y avoir de contradiction ou d’opposition entre des démonstrations vraies et les

Écritures bien comprises7.

Finalement, mentionnons que Galilée présente dans la Lettre une réflexion à propos

des conséquences du conflit. Il considère grave cette situation, car elle dévalorise la

doctrine copemicienne et ouvre la possibilité qu’elle soit interdite. Pour Galilée, cette

interdiction entraînerait non seulement des torts pour tous les astronomes et les

mathématiciens qui verraient condamner des propositions qui sont liées à leur discipline et

qui perdraient leur liberté de philosopher sur le monde, mais aussi pour la dignité et le

respect dû aux Écritures, à la Création divine et à la foi catholique. Galilée se considère

plus religieux, plus pieux et plus zélé envers les Écritures en voulant empêcher la

condamnation de Copernic et en voulant éviter que l’autorité de l’Écriture, des théologiens

et des conciles soit outrepassée. Galilée dit tenir ces autorités pour suprêmes et met de

nouveau en question l’intention de ses adversaires qui invoquent ces autorités non pour

servir l’Église, mais dans leur intérêt personnel. Il estime que la prudence dans

7 Voir les sections « 2.3.5.1. Synthèse des principes... » et « 2.3.5.3. Ne pas mettre en danger... »

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Page 102: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

l’interprétation des Écritures devrait primer la condamnation. Il s’appuie à ce sujet

fortement sur des citations de saint Augustin comme nous l’expliquerons dans la section

« 4.3. Complémentarité ».

4.2. Indépendance et autonomie

Dans la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée prend une position ferme : Copernic

n’est pas incompatible avec les Écritures saintes. Avant d’entrer dans l’herméneutique et

l’exégèse de Galilée, qui relèvent d ’un rapport de complémentarité entre science et religion,

voyons comment Galilée construit un rapport d’indépendance entre la « religion » et la

« science ». Il cherche à différencier ces deux domaines et à fonder leur autonomie.

D’abord, Galilée fait appel à Copernic. Dans le préambule de la Lettre, Galilée

mentionne la dédicace de Copernic à Paul III et son orthodoxie religieuse (dédicade du De

revolutionibus). Puis, il présente la position de Copernic quant aux rapports entre le De

revolutionibus et les Écritures : le système du monde de Copernic est exempt de références

aux Écritures et ne renvoie pas à l’autorité des Écritures. Il en est ainsi car les conclusions

physiques se basent sur des critères extérieurs aux Écritures, soit les démonstrations

astronomiques et géométriques nécessaires, les expériences sensibles et les observations.

Ainsi, Galilée établit des critères de validation de l’astronomie copemicienne. D’après

Galilée, ce sont là des fondements solides, d ’autant plus que de nouvelles observations

appuient le système du monde copemicien. Ce faisant, Galilée établit des critères

épistémologiques, des critères de vérité : la validité du système copemicien se fonde sur les

observations, les sens et les raisons nécessaires. Ces critères vont dans le sens d ’une

fondation de l’astronomie comme une science autonome.

Dans la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée affirme à plusieurs reprises l’autorité

et la validité de la science et des connaissances scientifiques. L’astronome ne peut pas

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Page 103: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

changer ses observations, car la nature est inexorable et soumise à des lois (accessibles ou

non à l’entendement humain). De l’autre côté, le théologien a à chercher la véritable

signification des Ecritures et doit faire preuve de prudence dans cette recherche de sens. Il

en découle que les propositions et les doctrines astronomiques ont un degré de certitude

plus élevé que les propositions théologiques basées sur l’interprétation des Ecritures. Face à

la régularité inflexible et nécessaire de la nature, Galilée met en évidence une certaine

souplesse liée à l’interprétation des textes bibliques. En ce sens, Galilée mentionne dans la

Lettre qu’on ne peut savoir avec certitude si une interprétation des Écritures est inspirée

(par le Saint-Esprit) ou non (voir la section « 2.2.9 Sage interprétation des Écritures... »).

La distinction ici établie par Galilée entre d’une part la nature et d ’autre part

l’Écriture sainte est souvent reformulée avec les expressions « livre de la Nature » (ou

« livre de la Création ») et « livre de Dieu »s. Même s’ils ont tous deux leur origine en

Dieu, il est possible de voir ces deux livres comme n’étant pas écrits avec le même

langage9. Le livre de la Nature emploie un langage stable et ordonné en lois. Ces lois sont

subtiles, ne sont ni connues ni comprises par tous et sont indifférentes au fait d ’être

comprises ou non. Les modes d’action et les raisons cachées de la nature pourraient à la

limite ne pas être accessibles à l’entendement humain. Au contraire, le langage employé

dans les Écritures saintes, comme le veut l’intention du Saint-Esprit et des auteurs sacrés,

est accessible au peuple et au « vulgaire ». Il s’adapte aux capacités de compréhension du

peuple, car les Écritures enseignent ce qui est nécessaire au salut de l’âme et au culte divin.

En ce sens, le langage du livre de Dieu peut correspondre à l’opinion du moment et non à la

8 Galilée n’utilise pas explicitement ces termes dans la Lettre à Christine de Lorraine. Galilée mentionne indirectement le « livre de Dieu » en parlant des œuvres divines et du « livre ouvert du ciel ». On peut voir à ce sujet la section « 2.3.4. Pourquoi ne pas condamner... ». Dans la Lettre à Dini du 21 mai 1611, Galilée parle du « livre immense que la nature tient constamment ouvert devant nos yeux » : « [ ...] dans les siècles passés, on n’a pas toujours appris les sciences dans les livres, sans trop de peine et aux dépens d’autrui, mais que les premiers inventeurs ont trouvé et acquis les connaissances les plus excellentes des choses naturelles et divines par l’étude et la contemplation de ce livre immense que la nature tient constamment ouvert devant ceux qui ont des yeux au front et dans la tête » (cité dans Fabien Chareix, Le mythe Galilée, Paris, PUF, 2002, pp. 99-100).9 Ici encore, Galilée n’utilise pas le terme « langage ». Plusieurs commentateurs par contre utilisent ce terme. On peut voir, par exemple, Isabelle Pantin, « "Dissiper les ténèbres qui restent encore à percer". Galilée, l’Église conquérante et la République des philosophes », dans Alain Mothu (éd.), Révolution scientifique et libertinage, Tumhout (Belgium), Brepols, 2000, p. 17.

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Page 104: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

vérité. À ce propos, Galilée s’appuie sur des citations de saint Jérôme et de saint Thomas

d’Aquin. Bref, dans la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée établit des critères précis

permettant de distinguer les « deux Livres ». Ces critères rejoignent ceux rencontrés dans la

typologie (dans la catégorie « indépendance »), à savoir que la science et la religion ont

chacun leur langage. Cette distinction rend possible la différenciation du champ scientifique

et du champ religieux.

La réflexion de Galilée à propos des « deux Livres » se poursuit avec une réflexion

sur les capacités de l’esprit humain à connaître et sur les sources de la connaissance des dits

livres. D’après Galilée, Dieu nous a donné des capacités discursives, sensorielles et

intellectuelles. Ces capacités non seulement fondent la possibilité de connaître, mais surtout

n ’ont pas été données en vain. Pour Galilée, Dieu a voulu que nous utilisions la raison et les

sens pour connaître la nature et n ’a pas donné par d ’autres voies ce qui peut être obtenu par

eux. Ainsi, Galilée établit une distinction supplémentaire entre l’étude de la nature et ce qui

provient du « livre de Dieu ». Le « livre de la nature » peut être connu, car Dieu l’a voulu et

a donné à ses créatures les capacités nécessaires. Galilée se situe par ces propos dans une

épistémologie à fondement théologique. Il est central ici de remarquer que la connaissance

du « livre de la Nature » se fonde sur des capacités humaines qui sont elles-mêmes

ultimement données par Dieu à ses créatures. De l’autre côté, Galilée mentionne que les

connaissances contenues dans le « livre de Dieu » ont été révélées dans les Ecritures saintes

et ne peuvent pas provenir d’une autre science. Ces connaissances sont révélées selon

l’intention du Saint-Esprit et des auteurs sacrés conformément à ce qui est utile au salut. En

résumé, en parlant des sources des connaissances, Galilée établit une différence

supplémentaire entre « science et religion » : les connaissances du « livre de la nature »

proviennent de la raison et des sens alors que les connaissances utiles au salut sont révélées

selon l’intention du Saint-Esprit.

En outre, l’articulation de l’astronomie par rapport aux Écritures d’une part et de

l’astronomie par rapport à la théologie d ’autre part sont longuement discutés dans la Lettre

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Page 105: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

à Christine de Lorraine. Dans les deux cas, Galilée cherche à préciser le domaine respectif

et à établir des frontières entre ce qui relève de la science et ce qui relève de la religion (ce

qui appartient aux Écritures saintes ou à la théologie). D’abord, la philosophie naturelle se

distingue des Écritures saintes par sa visée. Le but premier des textes sacrés, c’est

d’enseigner ce qui est utile au salut de l’âme et ce qui touche au culte divin. L’astronomie

n’a pas une visée si haute, au point où saint Augustin affirme, dans une citation rapportée

par Galilée, qu’elle est inutile pour la vie bienheureuse et qu’il est préférable pour ceux qui

ont d ’abord à cœur le salut de leurs frères de ne pas s’occuper de questions de philosophie

naturelle. La distinction que Galilée cherche ici à établir est très bien résumée dans le

propos qu’il tient très probablement du cardinal Baronius : « [...] l’intention du Saint Esprit

est de nous enseigner comment on va au ciel et non comment va le ciel10 ». Pour Galilée,

cette intention du Saint Esprit est au diapason avec celle des écrivains sacrés qui auraient

pu enseigner ces choses, mais s’en sont abstenus1

Toujours dans le but de distinguer l’astronomie par rapport aux Écritures et à la

théologie, Galilée passe de la visée des Écritures à leur contenu. Puisque les livres sacrés ne

traitent que très peu des sciences profanes (astronomie, géométrie, musique, médecine),

Galilée doute que ce soit dans l’intention des Écritures d’enseigner les matières de ces

sciences. Galilée établit ainsi une différence supplémentaire entre les sciences profanes et

ce dont il est question dans les Écritures saintes et en théologie, c’est-à-dire des

enseignements utiles au salut. Pour Galilée, seules les propositions utiles au salut contenues

dans les Écritures saintes relèvent de la foi (sont de fide) et peuvent devenir des articles de• • 12 foi. Les autres propositions relèvent des sciences profanes et ne relèvent pas de la foi .

10 Éd. naz., V, p. 319 ; Maurice Clavelin, Galilée copernicien. Le premier combat (¡610-1616), Paris, Albin Michel, 2004, p. 427." Galilée rappelle d’ailleurs que les pères de l’Église partageaient cette opinion.12 Galilée admet toutefois la possibilité qu’une proposition de philosophie naturelle soit un article de foi. Pour cela, il faudrait qu’il y ait un accord unanime des Pères de l’Église à propos de cette proposition. Or, dans la section « 2.3.5.2. Appel invalide à l’accord... », Galilée montre que ce n’est pas le cas pour la question de l’immobilité de la terre.

90

Page 106: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Ces dernières réflexions de Galilée visent à limiter le pouvoir de la théologie, de

manière à ce que l’astronomie (et la doctrine héliocentrique) puisse être reconnue comme

une science indépendante et autonome. Il est à remarquer que Galilée cherche à limiter

l’autorité et le pouvoir des Écritures saintes (et de la théologie) par rapport à l’astronomie,

mais qu’il continue toutefois à accorder la prééminence à ce qui relève de la religion.

Galilée reconnaît clairement la dignité de la théologie et lui accorde son statut de « reine

des sciences » puisqu’elle concerne le salut des âmes et que ses propositions ne peuvent pas

être obtenues par d ’autres voies. Toutefois, sa supériorité provient de la dignité de son sujet

et non de ses connaissances supérieures dans tous les domaines du savoir. De plus, Galilée

reconnaît à plusieurs reprises l’autorité des Écritures et l’autorité de la Tradition (autorité

des théologiens, des conciles, du pape et de l’Église), mais il cherche aussi à limiter ces

autorités dans les questions de philosophie naturelle. Galilée accorde une autorité à la

philosophie naturelle, qui est fondée, comme nous l’avons vu plus haut, sur des

expériences, des observations et des démonstrations nécessaires13. Il faut cependant préciser

que l’autorité de la raison est elle-même limitée par Galilée. En effet, Galilée précise que la

raison devrait être préférée à la sagesse divine seulement en ce qui concerne les méthodes

démonstratives et non en ce qui concerne toutes les conjectures et tous les jugements

humains. Les textes sacrés continuent donc à primer sur les écrits humains, quoique cette

primauté implique la reconnaissance de la valeur des méthodes démonstratives.

On peut donc conclure cette section par les constats suivants. Galilée, tout en

reconnaissant la « sphère religieuse » et son autorité, cherche à doter la science d’une

certaine autorité et d’une certaine autonomie. La science ne doit pas être jugée à partir de

critères religieux (critères théologiques), car elle se distingue par son langage, sa visée, ses

critères de validation et ses sources de connaissances. Galilée cherche à fonder

l’indépendance de la philosophie naturelle et de l’astronomie afin que les arguments

scientifiques (en faveur de la doctrine de Copernic) ne soient pas rejetés a priori (sans être

examinés à partir de critères scientifiques) par des théologiens et des interprètes autorisés

des Écritures saintes.

13 Galilée considère que la doctrine copemicienne relève des sciences démonstratives et peut être appuyée par des observations et des démonstrations nécessaires.

91

Page 107: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Les arguments développés ici sont à mettre en relation avec une revendication

couramment attribuée à Galilée, c’est-à-dire la liberté de la recherche par la raison et par les

sens (la libertas inquirendi ou la libertas philosophandï). Comme le souligne Isabelle

Pantin, cette revendication n’est toutefois pas désolidarisée de l’Église : « Galilée refusait

assurément d’être mis sous tutelle, mais ne formait pas pour autant le rêve d’une science

laïque, c’est-à-dire séparée, désolidarisée de l’Église14. » La revendication de Galilée vise à

assurer l’autonomie dans les questions et les conclusions naturelles sans retirer aux

théologiens et aux autorités compétentes l’autorité dans leur propre domaine. Galilée

demande toutefois que les théologiens n ’ayant pas les connaissances pour trancher dans les

questions de philosophie naturelle évitent d’usurper l’autorité dans cette discipline. Ce

faisant, Galilée arrive à distinguer théologie et astronomie, et ce qui relève de leurs champs

propres en accordant une autorité aux méthodes démonstratives et au domaine scientifique

qui ne relève pas de la théologie, mais qui a son propre fonctionnement, ses propres lois et

qui est donc indépendant.

Il est important de remarquer que dans cette section, plusieurs arguments de Galilée

sont eux-mêmes théologiques. D ’après Galilée, c’est l’intention même du Saint-Esprit de

ne pas enseigner les sciences profanes. Aussi, c’est Dieu, dans sa sagesse, qui a donné à

l’esprit humain l’entendement et les capacités de découvrir son Œuvre et les merveilles de

la Création. Ce dernier argument (référant à une épistémologie à fondement théologique),

même s’il est utilisé pour fonder l’autonomie de la science et de la religion, relève

davantage de la complémentarité entre science et religion.

4.3. Complémentarité (dialogue)

Tout en cherchant à différencier la science de la religion notamment sur la base de

critères épistémologiques, Galilée ne cherche pas à exclure mutuellement la science de la

religion. Il ne demande pas que la science soit entièrement indépendante de la théologie. Il

141. Pantin, « "Dissiper les ténèbres..., art. cit., p. 17.

92

Page 108: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

propose plutôt que la théologie prenne en considération la légitimité des conclusions

physiques. Ainsi, implicitement, Galilée demande que la théologie reconsidère ses

compétences propres et surtout ses principes exégétiques face à la science nouvelle, ce qui

correspond dans la typologie à la thèse de la complémentarité.

Avant de chercher dans la Lettre à Christine de Lorraine comment Galilée construit

des rapports de complémentarité et comment il instaure un dialogue entre science et

religion, une courte remarque s’impose. L’articulation de l’astronomie copemicienne avec

ce qui relève de la religion (théologie, Écritures saintes, interprétation des Écritures,

intention du Saint-Esprit, etc.) dans un rapport de complémentarité s’appuie sur une

distinction préalable des domaines, notamment avec la reconnaissance de l’autorité de la

philosophie naturelle dans son propre champ et avec la reconnaissance de l’autonomie de

l’astronomie par rapport à la théologie. Dans la Lettre, les arguments et les réflexions de

Galilée référant à des rapports d’indépendance et des rapports de complémentarité sont

souvent entre-coupés et présentés l’un à la suite de l’autre. Parfois, certains arguments de

Galilée pourraient ainsi être classés, à quelques nuances près, à la fois dans la catégorie de

l’indépendance et dans la catégorie de la complémentarité. En conséquent, certains propos

déjà tenus peuvent être invoqués dans la présente section.

Premièrement, dans la section précédente, il a été question de l’autorité d’une part

de la philosophie naturelle et d’autre part des textes sacrés (qui va de pair avec l’autorité

des interprètes autorisés des Écritures saintes). La distinction et la reconnaissance de ces

deux autorités contribuent à fonder la différence entre « science et religion ». Non

seulement Galilée les distingue, mais il construit aussi un rapport de complémentarité entre

ces deux domaines en indiquant où l’autorité de la théologie s’arrête et où l’autorité de lat

philosophie naturelle et des doctrines démonstratives commence. Rappelons qu’à ce sujet,

Galilée limite l’autorité des Écritures saintes à ce qui relève de la foi, ce qui oblige à

considérer les arguments de la philosophie naturelle (et donc les arguments de Copernic et

de Galilée en faveur de l’héliocentrisme) dans l’interprétation des Écritures saintes.

93

Page 109: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Rappelons également que Galilée reconnaît à la fois l’autorité des Écritures (et de la

Tradition) et l’autorité de la science, et il cherche, comme nous le verrons sous peu, à

articuler ces deux types d’autorité dans l’interprétation des Écritures en les respectant l’une

comme l’autre.

Deuxièmement, un autre argument de Galilée déjà présenté peut être invoqué dans

la présente section. Dans la section précédente, nous avons montré comment Galilée établit

une différence entre « livre de la Création » et « livre de Dieu ». Or, il mentionne que ces

deux livres proviennent de Dieu15. Galilée accorde une valeur qu’on peut qualifier de sacrée

à l’étude des « deux Livres ». Ce faisant, Galilée ne se contente pas de distinguer les deux

livres. En effet, Dieu se révèle dans les « deux Livres » : « [...] il n’est pas vrai [...] que

Dieu se révèle à nous moins excellemment dans les effets de la nature que dans les paroles

sacrées des Écritures16. » Par de telles affirmations, Galilée situe la différence entre les

deux domaines dans un cadre théologique plus englobant et plaide pour une vision du

monde qui relève davantage de la complémentarité entre science et religion que de la stricte

indépendance entre les domaines.

Suite à ces premières remarques, il est maintenant possible d’entrer au cœur des

arguments de Galilée qui construisent des rapports de complémentarité entre science et

religion. Dans la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée présente plusieurs principes

exégétiques qui ont pour but de concilier l’astronomie héliocentrique avec les Écritures

saintes. Mais d ’abord Galilée affirme que les Écritures saintes ne peuvent pas être en

contradiction avec la philosophie naturelle. Galilée s’appuie ici sur saint Augustin. Dans le

De Genesi ad litteram, ce dernier soutient que les Écritures saintes ne peuvent pas être

15 « [...] l’Écriture sainte et la nature procèdent également du Verbe divin ». Éd. naz., V, p. 316 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 422. Voir également la section « 2.2.3. Construction de la distinction... »16 Éd. naz., V, p. 317 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., op. cit., p. 423.Pour appuyer ce dernier argument, Galilée se réfère à une citation de Tertullien selon qui Dieu est connu par la nature et dans ses œuvres, puis par la doctrine et dans les prédications (voir la section « 2.2.3. Construction de la distinction... »).

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Page 110: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

contraires à des propositions naturelles démontrées17. Selon Galilée, Copernic a aussi

soutenu cette position18. Galilée cite aussi à l’appui le théologien Pereya qui insiste sur

l’impossibilité que deux vérités se contredisent. A partir de cette valeur de vérité accordée

tant à la théologie (et aux Écritures saintes) qu’aux propositions de philosophie naturelle

qui peuvent être démontrées (et donc à l’astronomie copemicienne), Galilée peut énoncer

ses principes exégétiques.

Galilée commence en admettant la vérité et l’inerrance des Écritures : « [...] il est

très pieux et très sage de poser que la Sainte Écriture ne peut jamais mentir19. » Toutefois,

ce principe ne s’applique que si le vrai sens des Écritures a été perçu et pénétré. A l’appui

Galilée donne plusieurs exemples où les Écritures saintes doivent être interprétées, car le

sens premier des mots (le sens littéral ou le sens obvie20) mènerait à des absurdités et des

blasphèmes (comme de donner des attributs physiques à Dieu). S’appuyant ici encore sur

Augustin, Galilée dit que c’est aux théologiens que revient la tâche d’interpréter les

Écritures et de trouver ses véritables significations. Pour ce qui est des questions de

philosophie naturelle, les théologiens ne devraient pas oublier les éléments suivants :

puisque l’intention du Saint-Esprit et des écrivains sacrés est d’enseigner ce qui concerne le

salut et le culte divin et non l’astronomie21, et puisque les Écritures s’adaptent aux capacités

' 7 Voir les sections « 2.3.2. Les doctrines d’opinion » et « 2.3.5.1. Synthèse des principes... ».18 En parlant de Copernic, Galilée affirme ceci : « [...] il percevait fort bien que sa doctrine étant démontrée, elle ne pouvait pas être contraire aux Écritures parfaitement comprises ». (Ed. naz., V, pp. 313-314 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., p. 419).19 Éd. naz., V, p. 315 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., p. 421.20 Dans le langage courant, le sens premier des mots ou le sens nu des mots est généralement associé au sens littéral ou au sens obvie. Toutefois, comme le souligne A. M. Dubarle, il y a une distinction en exégèse entre sens littéral et sens premier des mots (sens obvie). Le sens obvie est ce qui vient directement à l’esprit du lecteur, dans une acceptation première et matérielle. Il s’inscrit dans un espace de précompréhension des textes sacrés. Par contre, le sens littéral peut impliquer de tenir compte des figure de langage, d’analyser, de comparer avec d’autres textes afin d’expliciter l’intention des écrivains sacrés. On peut voir à ce propos les références suivantes : André-Marie Dubarle, « Les principes exégétique et théologiques de Galilée concernant la science de la nature », Revue des Sciences philosophiques et théologiques, tome 50 (1966), p. 72. J.-M. Maldamé, « L’affaire Galilée »..., p. 16. Jean-Michel Maldamé, Science et fo i en quête d ’unité. Discours scientifiques et discours théologiques, Paris, Cerf, 2003, pp. 126-131. Wiliam E. Carroll, « Galileo and the Interprétation of the Bible », Science and Education, n°8 (1999), p. 161 ss.21 Philippe Hamou et Marta Spranzi résument cet argument dans le principe de limitation : Galilée, Lettre à Christine de Lorraine et autres écrits coperniciens, traduit et présenté par P. Hamou et M. Spranzi, Librairie Générale Française, 2004, p. 54.

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99 • • • •du peuple et ne doivent pas toujours être interprétées selon le « pur et strict sens des

m ots23», l’autorité des propositions de philosophie naturelle devrait être prise en

considération dans l’interprétation des Écritures. Les sages théologiens ne devraient pas

commencer par invoquer l’autorité d’un passage de l’Écriture dans les questions de

philosophie naturelle. D’après Galilée, les théologiens devraient plutôt commencer par

examiner les observations, les expériences et les démonstrations nécessaires, puis en

deuxième lieu, faire appel à l’autorité des Écritures. Ainsi, les conclusions de la philosophie

naturelle doivent devenir des auxiliaires dans la recherche du sens des Écritures.

Pour Galilée, il est clair que les conclusions naturelles, appuyées par des

observations manifestes et des démonstrations nécessaires, ne peuvent pas être changées au

gré des courants. Il importe donc de respecter un principe fort utile, celui de la prudence

dans l’interprétation des Écritures saintes. À ce sujet, Galilée cite encore saint Augustin,

qui invite à la prudence et à la pondération et qui conseille d ’éviter de s’attacher à une

erreur, d’autant plus quand il y a risque de contradiction avec les Écritures. Pour Galilée,

même si une proposition d’astronomie n ’est pas encore démontrée avec certitude, la

possibilité qu’elle le soit dans l’avenir implique que les théologiens doivent suspendre leur

jugement (et donc ne pas condamner la doctrine copemicienne)24.

Galilée va plus loin encore : ce sont les théologiens qui doivent démontrer qu’il n’y

a pas de contradiction entre les Écritures saintes et les démonstrations vraies, ce sont aussi

les théologiens qui doivent montrer aux « scientifiques » quelles sont leurs erreurs de

raisonnement. Ce faisant, Galilée argumente en faveur d ’un renversement du fardeau de la

preuve. En aucun cas les théologiens ne peuvent usurper l’autorité des sciences naturelles.

Au contraire, juger de ces connaissances fait maintenant partie de leurs responsabilités, car

les conclusions naturelles doivent être considérées dans l’interprétation des Écritures et

22 Ibid. Philippe Hamou et Marta Spranzi résument cet argument dans le principe d’accommodation.23 Éd. naz., V, p. 316 ; M. Clavelin, Galilée copernicien. Le premier..., p. 422.24 Pour appuyer ce dernier argument, Galilée réfléchit aux capacités de connaissance de l’esprit humain. La science est un champ ouvert où ce qui est connu est encore limité et surtout où on ne peut pas dire que tout est déjà connu (voir la section « 2.2.9. Sage interprétation des Écritures... »).

96

Page 112: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

• • • l’exégèse. Galilée attribue à une telle interprétation un degré de certitude supplémentaire .

Il mentionne toutefois que saint Augustin considère, même en présence de raisonnements

certains et démontrés, qu’il faut encore recourir à la prudence dans l’interprétation : une

autre vérité plus utile pourrait y être présente et être en conformité avec l’intention de

l’auteur sacré.

Pour Galilée, le dialogue entre les théologiens et les scientifiques implique que la

prudence dans l’interprétation des Écritures prime l’autorité des Écritures. Comme il le

mentionne, Galilée cherche aussi, en instaurant cette hiérarchie de principes, à préserver la

majesté et la très haute dignité des Écritures. Comme nous l’avons vu dans la section

précédente, Galilée continue à accorder une valeur première aux textes sacrés par rapport

aux écrits humains, mais cette prééminence est remise en question dans le cas des questions

naturelles pouvant être démontrées. D’ailleurs, Galilée applique un raisonnement similaire

lorsqu’il y a appel à l’interprétation concordante des pères de l’Église. L’autorité des pères

certes est première, mais celle-ci devrait être soumise au décret du concile de Trente selon

lequel l’autorité des pères de l’Église prime dans les passages bibliques concernant la foi et

les mœurs. Comme ce n’est pas le cas de la question de la mobilité (ou non) de la terre,

l’interprétation des pères ne devrait être évoquée comme l’emportant sur les autres

principes exégétiques proposés par Galilée. À cela s’ajoute les arguments suivants : selon

Galilée, les pères n’ont pas discuté explicitement la question et il y avait des interprétations

divergentes qui circulaient chez les pères.

4.4. Intégration

Voyons enfin comment certains propos de Galilée peuvent être associés à la thèse

de l’intégration des discours religieux et scientifiques. Dans la troisième et dernière partie

de la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée interprète le miracle de Josué en respectant le

sens littéral des mots, ici entendu dans le sens déjà expliqué plus haut (voir la note 20, p.

25 Voir la section « 2.3.5.3. Ne pas mettre en danger... »

97

Page 113: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

101-102). Galilée interprète ce passage biblique non pas au sens premier, mais dans un sens

second et qui s’éloigne du sens obvie des mots. Galilée ne se limite pas ici à qualifier ces

passages de métaphoriques, de symboliques ou correspondant aux idées du moment où ils

ont été écrits, mais cherche le vrai sens des Écritures à partir des conclusions naturelles

démontrées, ou potentiellement démontrables, c’est-à-dire les conclusions et les

observations astronomiques copemiciennes.

Plusieurs commentateurs de la Lettre, dont François Russo, le père André-Marie

Dubarle et le dominicain Jean-Michel Maldamé, y voient une interprétation concordiste, où

Galilée intègre des données astronomiques et scientifiques dans l’interprétation des

Écritures saintes. Toutefois, d ’autres commentateurs, comme Maurice Clavelin, Philippe

Hamou et Marta Spranzi, y voient davantage un exemple privilégié mis en place par Galilée

pour montrer la pluralité des interprétations des Écritures possibles. Galilée insisterait ainsi

sur le fait que les interprétations du miracle de Josué sont sémantiquement et

référentiellement équivoques. Galilée mentionne qu’une interprétation géocentrique du

miracle est certes possible, mais que l’interprétation géocinétique et héliocentrique est tout

aussi possible et concorde mieux avec le sens littéral des mots. Ce faisant, Galilée ouvre la

voie à des interprétations différentes par rapport aux interprétations traditionnelles.

Quoiqu’il en soit de l’intention de Galilée dans son interprétation du miracle de

Josué, il n’en reste pas moins que Galilée utilise des connaissances astronomiques et des

raisonnements inscrits dans le cadre de la théorie copemicienne pour déchiffrer un récit

biblique. Il ne considère donc pas que les discours scientifiques et les discours religieux

doivent être disjoints, mais bien qu’il est possible d ’utiliser des données scientifiques en

herméneutique et dans un discours théologique.

98

Page 114: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Conclusion

Alors que plusieurs recherches actuelles s’intéressent à la question des

représentations de Galilée et à la question des rapports science(s) et religion(s), la Lettre à

Christine de Lorraine constitue un terreau fertile en analyse. Même si Galilée est encore

aujourd’hui un symbole du rejet mutuel de la science et de la foi, des études plus

approfondies montrent des aspects souvent négligés de Galilée quant à sa conception des

rapports « science et religion ». Il apparaît que les représentations de Galilée référant

seulement au conflit entre science et religion et non aux autres types de rapports possibles

adoptent une approche réductionniste et potentiellement idéologique. Les spécialistes que

nous avons consultés (Maurice Clavelin, Pierre-Noël Mayaud, Marta Spranzi, Philippe

Hamou, Fabien Chareix, Isabelle Pantin, Isabelle Stengers, Annibale Fantoli, Giorgio

Santillana, Francesco Beretta, etc.) contribuent tous à complexifier et à nuancer les

représentations de Galilée avec des données et des analyses historiques, sociales et

épistémologiques.

Notre interprétation de la Lettre à Christine de Lorraine à partir des catégories

élaborées dans la typologie de l’articulation des discours religieux et scientifiques indique

qu’il faut certes nuancer les représentations, mais surtout permet de voir et de caractériser

comment Galilée a articulé « science et religion » dans des rapports non conflictuels. Il met

en scène une argumentation détaillée afin de concilier l’astronomie copemicienne et

l’interprétation des Écritures saintes. En somme, notre interprétation de la Lettre met en

évidence la pluralité des rapports possibles entre « science et religion ».

Dans la Lettre, il apparaît que les adversaires de Galilée s’appuient sur l’inerrance

biblique et sur l’interprétation concordante des pères pour condamner la doctrine

héliocentrique copemicienne. Ils veulent que les propositions relevant de la philosophie

naturelle et de démonstrations nécessaires, selon les termes de Galilée, relèvent de la foi et

99

Page 115: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

soient donc soumises à l’autorité des Écritures. Galilée s’évertue à développer plusieurs

arguments qui permettent de soustraire l’astronomie copemicienne à cette position et à ce

conflit ouvert avec la théologie. Ses arguments instaurent principalement un rapport

d ’indépendance (ou d’autonomie) et un rapport de complémentarité entre l’interprétation

des Écritures et ses travaux astronomiques scientifiques.

D’après Galilée, l’inerrance biblique ne s’applique que si le vrai sens des Écritures a

été pénétré. Dans les questions de philosophie naturelle, les sages théologiens et les

autorités compétentes doivent prendre en considération les observations, les expériences et

les démonstrations nécessaires (développées notamment dans la doctrine copemicienne)

dans leur recherche du sens des Écritures. Cela signifie qu’ils perdent leur monopole dans

la détermination du sens des Écritures. Ce principe exégétique de Galilée est justifié et

construit à partir d ’une différenciation entre ce qui relève de la religion et ce qui relève de

la science. Ces différences impliquent notamment un degré de certitude propre, des sources

de connaissance spécifiques ainsi qu’une différenciation de la visée des Écritures et de

l’astronomie. Pour Galilée, l’intention même des Écritures, du Saint-Esprit et des auteurs

sacrés se limite aux questions de foi, de mœurs et de culte. Tout en reconnaissant l’autorité

des deux domaines, Galilée limite de facto le pouvoir de la théologie et cherche à fonder le

pouvoir et l’autonomie de la science. Galilée cherche à établir le partage de l’autorité ainsi

que le partage des compétences entre le savant et le théologien. C’est dans cette optique

qu’il faut interpréter le plaidoyer en faveur de la libertasphilosophandi de Galilée.

Afin de faciliter l’accommodement, il recommande la prudence dans l’interprétation

des Écritures. Galilée apparaît dans la Lettre comme un conciliateur : « En aucun cas en

effet il ne s’agit d’une déclaration de guerre adressée à la Bible et à ses interprètes

autorisés1. » Certes, Galilée plaide pour une certaine modification de l’interprétation des

textes sacrés, où ceux-ci perdent une part de leur crédibilité quant à l’enseignement de

1 Galilée, Lettre à Christine de Lorraine et autres écrits coperniciens, traduit et présenté par P. Hamou et M. Spranzi, Librairie Générale Française, 2004, p. 52.

100

Page 116: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

vérités physiques sur le monde et sa constitution , mais il le fait toujours sans rompre avec

la Tradition, en s’appuyant sur des citations de théologiens, où saint Augustin est au

premier plan. D’ailleurs, Galilée voit dans une interprétation erronée des Écritures une

erreur plus grave (par rapport à une limitation du pouvoir des Écritures d ’indiquer la

véritable constitution du monde) : elle ferait perdre toute crédibilité aux Écritures de la part

des incroyants.

À partir de notre analyse et de notre interprétation de la Lettre à Christine de

Lorraine, d’autres représentations de Galilée peuvent être nuancées. Comme le dit Fabien

Chareix, « [...] Galilée se signale aux yeux de l’histoire comme la figure originelle d’une

entreprise rationaliste radicale, un héros de la raison, lorsque l’amplitude du propos se

borne, plus modestement, à suggérer que la parole divine soit relue avec les yeux neufs de

la science moderne3. » Lire la Lettre à Christine de Lorraine avec une typologie de

l’articulation des discours religieux et des discours scientifiques permet d’appuyer les

propos de Chareix tout en déployant comment et pourquoi Galilée propose de relire les

Écritures en considérant les conclusions démontrées de la philosophie naturelle.

D’autres travaux permettraient d ’entrer davantage dans la question des

représentations de Galilée. En ce qui a trait à un Galilée rationaliste, il serait intéressant

d’analyser la pièce de théâtre La vie de Galilée de Bertolt Brecht où une lecture des

événements et de la portée de la révolution astronomique du XVIIe siècle est mise en place.

La question du sens pour l’humanité des nouvelles représentations du monde et de la

nouvelle cosmologie, où l’être humain cesse d’être au centre du monde, y est abordée et est

certainement une partie intégrante des questions liées aux représentations de Galilée et aux

représentations de la science moderne dans la culture.

2 II est possible de discuter pour savoir si Galilée considérait la vérité de l’Écriture comme strictement religieuse et jamais scientifique. Selon Carroll, le concordisme de Galilée dans l’interprétation du miracle de Josué signifie que Galilée considérait possible que la Bible contienne des vérités scientifiques. Wiliam E. Carroll, « Galileo and the Interpretation of the Bible », Science and Education, n°8 (1999), p. 155.3 Fabien Chareix, Le mythe Galilée, Paris, PUF, 2002, p. 102.

101

Page 117: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Outre cette question des représentations de Galilée, notre analyse de la Lettre à

Christine de Lorraine à partir des catégories provenant d’une typologie permet d ’entrer

dans des débats et des discussions assez pointus à propos des positions et des arguments de

Galilée concernant les rapports (ou les relations) entre « science et religion ». Notamment,

il apparaît que l’interprétation du miracle de Josué par Galilée n’est pas nécessairement

contradictoire avec les autres arguments qu’il développe dans la Lettre. Plusieurs

commentaires, articles et analyses voient dans l’interprétation concordiste de Galilée une

telle contradiction. Il semblerait plutôt que Galilée construit une pluralité de rapports

possibles entre « science et religion ». Parfois, classer un argument de Galilée dans telle

catégorie de la typologie plutôt qu’une autre est délicat. Ainsi, le principe exégétique

central de Galilée (selon lequel les théologiens doivent prendre en considération les

conclusions naturelles démontrées dans leur interprétation des Ecritures) instaure et

soutient selon nous un rapport de complémentarité entre la théologie et l’astronomie

copemicienne. En fonction de la manière et du degré selon lesquels les conclusions

naturelles sont intégrées dans l’interprétation des Écritures, ce principe exégétique pourrait

aussi établir un rapport d’intégration.

Bref, dans la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée ne prend pas fermement parti

en faveur de l’indépendance, de la complémentarité ou de l’intégration des discours

religieux et des discours scientifiques. Il cherche surtout à éviter le rapport conflictuel et

développe d’autres rapports possibles. Malheureusement, il n ’est pas possible dans le cadre

ici établi de peser et de soupeser les arguments de Galilée, pour y déceler des tensions

internes. La portée des arguments développés par Galilée, pour être mieux évaluée,

nécessiterait qu’on les replace dans les contextes théologique, sociologique, historique et

épistémologique dans lesquels ils s’inscrivent. Tout en présentant quelques éléments et

quelques réflexions à ce sujet, il nous semble maintenant pertinent d’ouvrir de nouvelles

perspectives de travail à propos de la portée de la Lettre à Christine de Lorraine et de la

figure de Galilée dans la modernité.

102

Page 118: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

L’analyse de la Lettre dans le cadre défini par la typologie met en évidence une

revendication en faveur de l’autonomie des disciplines du savoir. Alors que les universités

médiévales possédaient une structure hiérarchique, avec à sa tête la philosophie, elle-même

au service de la théologie4, les disciplines du savoir dans la modernité s’articulent selon de

nouveaux rapports de force. L’autonomie et l’indépendance des disciplines sont reconnues

et il apparaît pour certains délicat de chercher à penser les rapports entre science et religion,

car il y a risque d’ébranler cette indépendance et cette compartimentation des disciplines.

Au contraire, il apparaît à la suite de nos travaux qu’étudier les rapports entre les disciplines

du savoir peut mener à penser les différences et à mieux caractériser les disciplines en

encourageant leur réflexivité. Dans la Lettre à Christine de Lorraine, Galilée contribue à

cette réflexion épistémologique, et surtout à la construction et à la fondation de la

différenciation des disciplines, qui est caractéristique de la modernité. Il cherche à faire

reconnaître à l’astronomie et à la science leur autonomie et leur autorité tout en limitant le

pouvoir de la théologie qui certes conserve son titre et son statut de « reine des sciences »,

mais qui n’en doit pas moins éviter d’empiéter dans le domaine des sciences naturelles et

dans les compétences des mathématiciens, des astronomes et des scientifiques. En mettant

en place ses principes exégétiques, Galilée demande aux théologiens d’entrer en dialogue

avec la philosophie naturelle en prenant en considération les propositions démontrées.

La contribution de Galilée à la différenciation des disciplines et sa revendication en

faveur de l’autonomie de l’astronomie sont à associer à son refus de soumettre l’astronomie

à d ’autres disciplines (comme la théologie et la philosophie aristotélicienne) qui lui sont

extérieures et qui ne respectent pas sa méthode, ses sources de connaissance et sa

spécificité (observations, expériences, démonstrations, capacités humaines permettant

l’étude du « livre de la Nature », etc.). C’est en ce sens que Maurice Clavelin interprète le

refus de l’équivalence des hypothèses de Galilée5. Dans la préface du De revolutionibus de

4 Pour une réflexion plus approfondie sur l’articulation des disciplines à la Renaissance et les deux types d’approche, l’une voulant rassembler tous les savoirs, et l’autre cherchant à séparer les disciplines, on peut voir l’article suivant : Isabelle Pantin, « Science et religion au temps de la "Révolution scientifique". Les copemiciens et les règles de l’exégèse », Archives des sciences, vol. 55, fasc. 2 (novembre 2002), p. 108 ss.5 Maurice Clavelin, « Galilée et le refus de l’équivalence des hypothèses », Revue d ’histoire des sciences et de leurs applications, tome 17, n°4 (1964), pp. 305-314

103

Page 119: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Copernic, l’éditeur Osiander présentait la doctrine copemicienne comme une hypothèse

commode, permettant de « sauver les apparences ». Dans la Lettre à Foscarini, le cardinal

Bellarmin met aussi de l’avant ce compromis, souvent interprété comme une position

progressiste, qui permet d’étudier et d’utiliser les calculs de Copernic, mais sans avoir la

prétention de faire de ce système une nouvelle représentation du monde (d’autant plus qu’il

ne correspond pas aux observations du sens commun et qu’il s’accorde mal avec les

interprétations théologiques auxquelles Bellarmin souscrit6). Or, Galilée refuse le

compromis de Bellarmin (l’équivalence des hypothèses) et défend l’idée selon laquelle le

système de Copernic est la vraie constitution du monde, étant donné que le système

géocentrique doit être rejeté et qu’il se révèle insuffisant pour intégrer les nouvelles

observations astronomiques7. Galilée soutient une position qualifiée de « réaliste », alors

que la position de Bellarmin est « instrumentaliste ». Il n ’est pas possible ici d’entrer dans

toutes les subtilités de ces postures épistémologiques, qui impliquent notamment une

réflexion sur la justification des découvertes et des théories scientifiques (à laquelle on peut

ajouter une évaluation des procédures générales de validation de la preuve en philosophie

naturelle8). Toutefois, il est important de poursuivre des travaux en ce sens, d ’autant plus

que ces postures et ces questions épistémologiques ont été mises à l’ordre du jour dans les

récentes déclarations de « réhabilitation » de Galilée par le pape Jean-Paul II et le cardinal

Paul Poupard9. Cette question de l’équivalence des hypothèses et de son refus implicite par

Galilée10 (notamment dans la Lettre à Christine de Lorraine) reste au cœur des débats

actuels et de certaines interprétations entourant la figure de Galilée.

rhttp://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs 0048-7996 1964 num 17 4 23691 (consulté le24 juillet 2010).6 Bellarmin fait appel à l’interprétation des pères, à l’autorité des Écritures et à l’autorité des auteurs sacrés.7 Le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, publié en 1632, constitue à cet effet l’exposé le plus abouti dans lequel Galilée développe notamment des arguments physiques soutenant la mobilité de la terre et l’immobilité du soleil.8 F. Chareix, Le mythe..., op. cit., p. 99.9 Pour une critique des positions de ces deux représentants de l’Église au sujet de la posture épistémologique de Galilée, la référence suivante amène un point de vue constructif : Francesco Beretta (dir.), Galilée en procès, Galilée réhabilité ?, Saint-Maurice, Éditions Saint-Augustin, 2005, 173 p. Il est aussi important de voir derrière les positions critiquant l’épistémologie de Galilée les critiques développées par l’historien et le philosophe des sciences Pierre Duhem. On peut voir à ce sujet la référence suivante : Maurice Clavelin, Galilée copernicien. Le premier combat (1610-1616), Paris, Albin Michel, 2004, p. 63 ss.10 II est à noter que ce refus de Galilée est interprété par Arthur Koestler comme précipitant le conflit : Galilée aurait la prétention d’affirmer la vérité de ses thèses copemiciennes et en plus d’envoyer la balle dans l’autre camp en leur imposant de réfuter ses thèses. Cette présentation des idées de Koestler se trouve dans l’artiçle

104

Page 120: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Galilée en tant que symbole, en tant que figure sujette à reconstruction et surtout à

réinterprétation, conserve une portée actuelle par la constante réévaluation qu’il est possible

d’effectuer. Le présent travail a permis de montrer une possible articulation et conciliation

entre ce qui relève de la théologie (et de la religion) et ce qui relève de la science. Ce

rapport harmonieux et complémentaire entre la théologie et l’astronomie se concentre sur

l’interprétation des Écritures et sur la recherche leur sens. En ce sens, il est possible de voir

Galilée comme une figure s’inscrivant dans la tradition exégétique. Plus encore, avec ses

principes exégétiques, Galilée s’inscrit dans la réflexion moderne en herméneutique.

Galilée insiste sur le fait que les Écritures doivent être interprétées par de sages théologiens

et des autorités compétentes. Cette sage interprétation n’est pas acquise, car elle comporte

un degré d’incertitude. Il serait nécessaire pour approfondir cette nouvelle figure de Galilée

de chercher d’une part quelles ont été les sources l’ayant le plus influencé et d’autre part, de

chercher des auteurs ou des courants herméneutiques ayant tenu des propos près de ceux de

la Lettre (que ce soit à la Renaissance ou à une autre époque"). Il serait aussi pertinent de

chercher à savoir si Galilée, en évoquant que le langage biblique est adapté à une époque et

à un « public » donné, se situe parmi les pionniers de la lecture historico-critique de la

Bible12!

Il est d’ailleurs significatif à ce sujet que les compétences herméneutiques et

théologiques de Galilée aient été reconnues par le pape Jean-Paul II lors de la réouverture

par l’Église catholique du « cas de Galilée » ou de 1’ « affaire Galilée ». Outre, les études

de qualité qui sont ressorties de cette initiative (souvent soutenues ou encouragées par des

responsables de l’Église catholique), le pape Jean-Paul II et le cardinal Paul Poupard ont

contribué, dans leurs discours officiels lors d’une séance solennelle devant l’Académie

pontificale des sciences, à une nouvelle interprétation de 1’ « affaire Galilée ». Ainsi, Jean-

suivant : Isabelle Stengers, « Les affaires Galilée » dans Michel Serres (dir.), Éléments d ’histoire des sciences, Paris, Bordas, 1989, p. 228.11 À titre d’exemple, on peut voir une présentation d’un traité de Rheticus, un disciple de Copernic, le Cujusdam anonymi, Epistola de terrae motu, où se trouve des arguments montrant la compatibilité du mouvement de la terre et de l’Écriture. Isabelle Pantin, « Science et religion... », art. cit., p. 112 ss.12 On peut voir à ce sujet la réflexion du père Jean-Michel Maldamé : « L’affaire Galilée », Bibliothèque de Domuni.org, Université dominicaine, 2008 fhttp://biblio.domuni.eu/index.php?f=articleshist/l-affaire- galilee/maldame-conference-galilee.pdfl (consulté le 3 septembre 2010), p. 21.

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Page 121: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Paul II a déclaré : « [ .. .] la science nouvelle, avec ses méthodes et la liberté de recherche

qu’elles supposent, obligeait les théologiens à s’interroger sur leurs propres critères

d’interprétation de l’Écriture. La plupart n’ont pas su le faire. Paradoxalement, Galilée,

croyant sincère, s’est montré plus perspicace sur ce point que ses adversaires

théologiens1 . » Dans ce discours, Jean-Paul II construit une nouvelle image de Galilée,

celle d’un homme profondément catholique et d ’un théologien respectable. Il y reconnaît

aussi explicitement la valeur herméneutique de la Lettre à Christine de Lorraine. Sans

entrer dans les critiques des conclusions de Jean-Paul II, il est important d’intégrer les

réactions et prises de position officielles de l’Église face à Galilée et à l’astronomie

héliocentrique dans l’histoire de la théologie et dans l’histoire de l’exégèse moderne14.

Les positions récentes de Jean-Paul II et du cardinal Poupard peuvent s’inscrire dans

l’acceptation graduelle de l’astronomie et de la cosmologie nouvelles issues des travaux de

Galilée et de ce qu’il est convenu d’appeler la révolution copemicienne (ou révolution

galiléenne). Les positions officielles de l’Église catholique ont changé au fil des derniers

siècles et peuvent aujourd’hui être identifiées à plusieurs arguments développés par Galilée

dans la Lettre à Christine de Lorraine. De l’encyclique Providentissimus de Léon XIII

(1893) en passant par l’encyclique Divino afflante Spiritu de Pie XII (1943) jusqu’aux

discours de Jean-Paul II à propos de la « réhabilitation de Galilée », Galilée apparaît, selon

l’interprétation du père André-Marie Dubarle, comme un précurseur de l’articulation des

13 Jean-Paul II, « Discours du pape Jean-Paul II aux participants à la session plénière de l’Académie pontificale des sciences. 31 octobre 1992 »fhttp://www.vatican.va/holv father/iohn paul ii/speeches/1992/october/documents/hf jp-ii spe 19921031 accademia-scienze fr.htmll (consulté le 3 septembre 2010).14 Galilée construit un nouveau rapport à l’Écriture qui doit être situé dans son contexte. Comme le souligne Pierre-Noël Mayaud, « [...] le rapport à l’Écriture de la communauté chrétienne de l’époque, où se développe la science, est totalement différent de ce qu’il en est actuellement, et c’est là une des composantes de l’histoire des idées que nous présentons ; ne pas la considérer avec respect serait une erreur grossière. » Pierre-Noël Mayaud, Le conflit entre l ’astronomie et l ’écriture sainte aux XVIe et XVIIe siècles. Un moment de l'histoire des idées. Autour de l ’affaire Galilée, vol. I : Présentation des dossiers restituant le conflit et arrière-plan historique, Honoré Champion, Paris, 2005, p. 16.

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Page 122: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

rapports entre l’Église catholique et la science moderne. Galilée pourrait en ce sens être

qualifié de docteur de l’Église inpetto15.

Puisque dans la société actuelle, la question de l’articulation des discours religieux

et des discours scientifiques continue à se poser, notamment en ce qui concerne les

questions des origines (origine de l’Univers, origine de la vie, origine de l’humain, etc.),

nous pensons que les arguments de Galilée continuent à être pertinents dans les réflexions à

ce sujet. Nous pensons également que la typologie élaborée dans le présent mémoire est un

outil herméneutique et heuristique lorsque de telles questions se posent. Et de telles

questions continuent effectivement à se poser dans les sociétés contemporaines, très peu en

ce qui concerne le système du monde copemicien, mais beaucoup plus en ce qui a trait à la

théorie de l’évolution des espèces et la théorie cosmologique du Big Bang. Aux États-Unis,

les groupes créationnistes fondamentalistes ont provoqué plusieurs remous depuis le début

du XXe siècle. Ils ont été impliqués dans plusieurs affaires juridiques portant sur la question

de l’enseignement du créationnisme et de la théorie de l’évolution16.

La question qui reste irrésolue dans ce mémoire et qui traverse - au moins

indirectement - la majeure partie des études galiléennes, c’est de savoir pourquoi les

arguments de la Lettre à Christine de Lorraine n ’ont pas été retenus à son époque.

Pourquoi Galilée n’a-t-il pas été une occasion pour l’Église catholique de développer un

modus vivendi entre la religion et la modernité17? Galilée se trouve à un moment charnière

de l’histoire des idées et de l’histoire des représentations du monde qui font appel tant au

sens commun, aux mentalités qu’aux imaginaires individuels et collectifs. Galilée s’oppose

à de nombreux courants et écoles de pensée dont la tradition aristotélicienne et les courants

de scepticisme par rapport à la possibilité de connaître et de découvrir la véritable

15 Dominique Dubarle, « Les principes exégétique et théologiques de Galilée concernant la science de la nature », Revue des Sciences philosophiques et théologiques, tome 50 (1966), pp. 84-87.16 Pour une analyse plus approfondie, on peut voir l’ouvrage suivant : Stephen Jay Gould, Et Dieu dit : « Que Darwin soit! », Paris, Seuil, 2000, 200 p.17 Cette question est inspirée de l’article suivant : W. E. Carroll, « Galileo and the Interprétation..., art. cit., pp. 154-155.

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Page 123: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

constitution du monde. Il serait tout aussi pertinent d’explorer ces lignes d’analyses et

d’autres, comme celle du contexte politique interne de l’Église catholique de l’époque. Il

serait aussi possible de mettre en parallèle l’affaire Galilée avec la réintroduction des

œuvres d’Aristote dans les universités à partir du XIIe siècle et les débats internes au sein

de la théologie catholique afin de chercher à comprendre ce qui différencie (ou non) ces

deux épisodes où il y eut rencontre entre science et foi (et entre science et religion).

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Page 124: LAVAL Galilée et les rapports « science et religion »

Bibliographie

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GALILÉE, « Lettre de Galilée à Christine de Lorraine, Grande-Duchesse de Toscane (1615) », traduction et présentation de François Russo, Revue d ’histoire des sciences et de leurs applications, tome 17, n°4 (1964), pp. 331-338.

GALILÉE, « Deux textes au cœur du conflit. Entre l’Astronomie Nouvelle et l’Écriture Sainte. La lettre de Bellarmin à Foscarini et la lettre de Galilée à Christine de Lorraine », traduction et présentation par Pierre-Noël Mayaud, dans cardinal Paul Poupard (dir.), Après Galilée. Science et foi. Nouveau dialogue, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, pp. 19-91.

GALILÉE, « Lettre à Madame Christine de Lorraine, grande-duchesse de Toscane (1615) », traduction de Maurice Clavelin, dans Maurice Clavelin, Galilée copernicien. Le premier combat (1610-1616), Paris, Albin Michel, 2004, pp. 413- 462.

GALILÉE, Le messager des étoiles, traduit, présenté et annoté par Femand Hallyn, Paris, Seuil (coll. Points. Sciences 186), [1992] 2009, 206 p.

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GALILEI, Galileo, Le Opere, Edizione Nazionale, Antonio Favaro (éd.), Florence, Giunti Barberà, [1899-1909] 1968, 20 vol.

KEPLER, Johannes, Dissertation cum nuncio sidereo (Discussion avec le messagercéleste). Narratio de Observatis jovis satellitibus (Rapport sur l ’observation des satellites de Jupiter), texte, traduction et notes par Isabelle Pantin, Paris, Les Belles Lettres (coll. Science et humanisme), 1993, 44 p.

Sources primaires

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