laura laufer prenons notre destin en main

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Paris, 2 décembre 2014 : Un grand pas pour la paix L a Commission européenne donne un ulti- matum à la France, à l'Italie et à la Belgique : fournir de nouveaux efforts budgétaires et accélérer le programme de réfor- mes. Rien de démocratique : seul le Conseil européen où siègent les chefs d’État a le pouvoir de décision et le duo Hollande-Merkel en est le pilote. En octobre déjà, l’OCDE* reprochait à la France d’affecter 32% de son PIB** au finance- ment des dépenses sociales et incitait Manuel Valls à réformer « en profondeur des politiques de protection sociale et d'éducation » et à « rééquilibrer le financement du système de retraites et à rationaliser la dépense publique ». « Il ne s'agit pas d'austérité mais de modernité. Il ne s'agit pas d'efforts mais d'investissements » précise François Hollande cependant que Macron veut non pas « assouplir » les 35 heures mais « les faire respirer » ! Certains parlent crûment : « L’euthanasie est une bonne solution aux problèmes, pour les couches faibles de la société, n’ayant pas les moyens de se payer les soins médicaux ». On rit devant la satire quand Swift dans son Humble proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents… pro- pose de les manger ! Venant de la consœur litua- nienne de Marisol Touraine qui siège avec elle au Conseil européen des Ministres de la santé, la barbarie des mots fait frémir. L’objectif du patronat, c’est faire travailler plus et payer moins, en finir avec les élections prud’homales, réduire toujours plus les droits des chômeurs, geler le Smic et les retraites, niveler par le bas en supprimant les retraites spécifiques aux cadres. Pas d’autres augmen- tations que celles de l’électricité, du gaz, de l’eau, de la santé, des impôts. C’est un déman- tèlement du programme de la Résistance, une destruction sans précédent de nos conquêtes sociales. Cela provoque logiquement l'écœu- rement ou la désespérance, terreau de la droi- te extrême et du Front National. Le gouvernement, applaudi par le patronat, s’emploie à nous convaincre que le travail a un coût afin de le réduire et d’augmenter celui du capital. C’est pourtant le travail qui produit les richesses et le capital qui le rançonne ! L’austérité, c’est faire la guerre aux pauvres, chose naturelle pour la classe dirigeante. La population doit se serrer la ceinture et tout le « modèle social », patiemment gagné de haute lutte, vole en éclats. Une meilleure répartition des richesses est possible en prenant sur le capital et ses gigantesques profits, d’où le nécessaire refus des plans d’austérité et de la mise en cause de la démocratie. Contre l’austérité, des luttes d’ampleur et d’une radicalité encore inconnues émergent en Europe. En Belgique, s’est tenue la plus grande manifestation sociale jamais vue. Son onde de choc continue. En Allemagne, la grève du rail a bloqué le pays. En Espagne, les marches de la dignité mobilisent des millions de personnes. Mais l’indignation sans per- spectives ne suffit pas. Il faut travailler à la feuille de route. En Espagne, le mouvement social andalou de Séville contre la propriété foncière et celui, historique, de Marinaleda tracent la voie. Le sol n’y est plus une mar- chandise. Il est devenu un droit pour celui qui veut le cultiver ou l’habiter. Il faut nous inspirer de ces expériences socia- les précieuses qui posent la question de la répartition des richesses, du droit au travail, de la propriété foncière et de la démocratie. La victoire des femmes espagnoles contre la remise en cause du droit à l’avortement, celle, ici, éclatante des femmes de ménage du Royal Monceau forçant leur patron à céder sur tou- tes leurs revendications, prouvent que la lutte peut gagner. Alors ce que nous ferons en 2015 doit ressem- bler à cela : c’est possible si nous prenons notre destin en main ! * OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques ** PIB Produit Intérieur Brut Prenons notre destin en main ! ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. PNM n° 321 - Décembre 2014 - 33 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 5,50 La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État. À lire (en pages 6 et 7 les analyses de Dominique Vidal et Marius Schattner, et les arguments du camp de la paix...) Ce vote est un pas important vers la paix et la création d'un Etat palestinien. C'est un signe fort qui marque le rôle que la France, et au-delà de la France, l'Union Européenne, se doivent de jouer pour parvenir à une paix juste et durable et mettre fin au conflit israélo-palestinien qui n'a que trop duré depuis 67 ans. Jérusalem, 2 décembre 2014 : Coup de barre à droite L'Assemblée Nationale propose la reconnaissance par la France de l’État de Palestine. Netanyahou remercie deux ministres centristes et annonce des élections anticipées au 17 mars 2015. FRANCE / SOCIÉTÉ La déflation hante l’Europe J. Lewkowicz p. 4 Urgences médicales NM p. 3 Interdiction de sortie du territoire NM p. 5 ISRAËL / PALESTINE Vers l’internationalisation du conflit ? D. Vidal p.6 Entretien avec ... M. Schattner p.6 La parole au camp de la paix (communiqués) p.7 HISTOIRE / MÉMOIRE Commémorations (Fusillades du 15 décembre 1941 et Entrée des troupes soviétiques à Auschwitz) p.2 Le Prince de Ligne ... philosémite G-G. Lemaire p.9 Guelfo Zamboni, consul à Salonique... L. Arrighi p.9 Le dernier survivant du CNR parle... H. Levart p.5 HOMMAGES à Pierre DAIX et à Alexandre Grothendieck en p.3 POINT DE VUE - Cycle ‘Être juif au XXI e siècle’ Comment je me sens juif en 2014 M. Winnykamen p.8 Être juif ou ne pas être... S. Darracq p.8 CULTURE ‘Les inoubliables’ de Jean-Marc Parisis S.Endewelt p.10 L’oeil témoin de Roman Vishniac B. Frederick p.10 La chronique Cinéma de ... L. Laufer p.11 La chronique Théâtre de ... S. Endewelt p.12 BILLET DHUMEUR Défense de cracher par terre N. Mokobodzki p.4 LE CLIN DŒIL DE... N. Malviale p.2 Laura Laufer

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Page 1: Laura Laufer Prenons notre destin en main

Paris, 2 décembre 2014 : Un grand pas pour la paix

La Commission européenne donne un ulti-matum à la France, à l'Italie et à laBelgique : fournir de nouveaux efforts

budgétaires et accélérer le programme de réfor-mes. Rien de démocratique : seul le Conseileuropéen où siègent les chefs d’État a le pouvoirde décision et le duo Hollande-Merkel en est lepilote. En octobre déjà, l’OCDE* reprochait à laFrance d’affecter 32% de son PIB** au finance-ment des dépenses sociales et incitait ManuelValls à réformer « en profondeur des politiquesde protection sociale et d'éducation » et à« rééquilibrer le financement du système deretraites et à rationaliser la dépense publique ».« Il ne s'agit pas d'austérité mais de modernité.Il ne s'agit pas d'efforts mais d'investissements »précise François Hollande cependant queMacron veut non pas « assouplir » les 35 heuresmais « les faire respirer » ! Certains parlent crûment : « L’euthanasie est unebonne solution aux problèmes, pour les couchesfaibles de la société, n’ayant pas les moyens dese payer les soins médicaux ». On rit devant lasatire quand Swift dans son Humble propositionpour empêcher les enfants des pauvres enIrlande d’être à la charge de leurs parents… pro-pose de les manger ! Venant de la consœur litua-nienne de Marisol Touraine qui siège avec elleau Conseil européen des Ministres de la santé, labarbarie des mots fait frémir.

L’objectif du patronat, c’est faire travaillerplus et payer moins, en finir avec les électionsprud’homales, réduire toujours plus les droitsdes chômeurs, geler le Smic et les retraites,niveler par le bas en supprimant les retraitesspécifiques aux cadres. Pas d’autres augmen-tations que celles de l’électricité, du gaz, del’eau, de la santé, des impôts. C’est un déman-tèlement du programme de la Résistance, unedestruction sans précédent de nos conquêtessociales. Cela provoque logiquement l'écœu-rement ou la désespérance, terreau de la droi-te extrême et du Front National. Le gouvernement, applaudi par le patronat,s’emploie à nous convaincre que le travail aun coût afin de le réduire et d’augmenter celuidu capital. C’est pourtant le travail qui produitles richesses et le capital qui le rançonne ! L’austérité, c’est faire la guerre aux pauvres,chose naturelle pour la classe dirigeante. Lapopulation doit se serrer la ceinture et tout le« modèle social », patiemment gagné de hautelutte, vole en éclats. Une meilleure répartitiondes richesses est possible en prenant sur lecapital et ses gigantesques profits, d’où lenécessaire refus des plans d’austérité et de lamise en cause de la démocratie.Contre l’austérité, des luttes d’ampleur etd’une radicalité encore inconnues émergenten Europe. En Belgique, s’est tenue la plus

grande manifestation sociale jamais vue. Sononde de choc continue. En Allemagne, lagrève du rail a bloqué le pays. En Espagne, lesmarches de la dignité mobilisent des millionsde personnes. Mais l’indignation sans per-spectives ne suffit pas. Il faut travailler à lafeuille de route. En Espagne, le mouvementsocial andalou de Séville contre la propriétéfoncière et celui, historique, de Marinaledatracent la voie. Le sol n’y est plus une mar-chandise. Il est devenu un droit pour celui quiveut le cultiver ou l’habiter. Il faut nous inspirer de ces expériences socia-les précieuses qui posent la question de larépartition des richesses, du droit au travail,de la propriété foncière et de la démocratie. Lavictoire des femmes espagnoles contre laremise en cause du droit à l’avortement, celle,ici, éclatante des femmes de ménage du RoyalMonceau forçant leur patron à céder sur tou-tes leurs revendications, prouvent que la luttepeut gagner. Alors ce que nous ferons en 2015 doit ressem-bler à cela : c’est possible si nous prenonsnotre destin en main !

* OCDE Organisation de Coopération et deDéveloppement Économiques

** PIB Produit Intérieur Brut

Prenons notre destin en main !

ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E.PNM n° 321 - Décembre 2014 - 33e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 5,50 €

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

À lire(en pages 6 et 7 les analyses de Dominique Vidal et Marius Schattner, et les arguments du camp de la paix...)

Ce vote est un pas important vers la paix et la création d'unEtat palestinien. C'est un signe fort qui marque le rôle quela France, et au-delà de la France, l'Union Européenne, sedoivent de jouer pour parvenir à une paix juste et durable et

mettre fin au conflit israélo-palestinien qui n'a que trop duré depuis 67 ans.

Jérusalem, 2 décembre 2014 : Coup de barre à droite

L'Assemblée Nationale propose la reconnaissance par la France de l’État de Palestine.

Netanyahou remercie deux ministres centristes

et annonce des élections anticipées au 17 mars 2015.

FRANCE / SOCIÉTÉLa déflation hante l’Europe J. Lewkowicz p. 4Urgences médicales NM p. 3Interdiction de sortie du territoire NM p. 5

ISRAËL / PALESTINEVers l’internationalisation du conflit ? D. Vidal p.6Entretien avec ... M. Schattner p.6La parole au camp de la paix (communiqués) p.7

HISTOIRE / MÉMOIRECommémorations (Fusillades du 15 décembre 1941 et Entrée des troupes soviétiques à Auschwitz) p.2Le Prince de Ligne ... philosémite G-G. Lemaire p.9Guelfo Zamboni, consul à Salonique... L. Arrighi p.9Le dernier survivant du CNR parle... H. Levart p.5

HOMMAGESà Pierre DAIX et à Alexandre Grothendieck en p.3

POINT DE VUE - Cycle ‘Être juif au XXIe siècle’Comment je me sens juif en 2014 M. Winnykamen p.8Être juif ou ne pas être... S. Darracq p.8

CULTURE‘Les inoubliables’ de Jean-Marc Parisis S.Endewelt p.10L’oeil témoin de Roman Vishniac B. Frederick p.10La chronique Cinéma de ... L. Laufer p.11La chronique Théâtre de ... S. Endewelt p.12

BILLET D’HUMEUR

Défense de cracher par terre N. Mokobodzki p.4LE CLIN D’ŒIL DE... N. Malviale p.2

Laura Laufer

Page 2: Laura Laufer Prenons notre destin en main

LA PRESSE NOUVELLE

Magazine Progressiste Juiffondé en 1934

Editions :1934-1993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse

(clandestine de 1940 à 1944)1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l'U.J.R.EN° de commission paritaire 061 4 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

CoordinationN. Mokobodzki, T. Alman

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,

Nicole Mokobodzki, Roland WlosAdministration - Abonnements

Secrétaire de rédactionTauba-Raymonde Alman

Rédaction – Administration14, rue de Paradis

75010 PARISTel : 01 47 70 62 1 6Fax : 01 45 23 00 96

Courriel : lujre@orange. frSite : http://ujre.monsite-orange.fr

(bulletin d'abonnement téléchargeable)Tarif d'abonnement

France et Union Européenne :6 mois 28 euros1 an 55 eurosEtranger (hors U.E. ) 70 eurosIMPRIMERIE DE CHABROL

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BULLETIN D'ABONNEMENTJe souhaite m'abonner à votre journal

"pas comme les autres"magazine progressiste juif.

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2 PNM n°321 - Décembre 2014

Aors que nous célébrions en 2014 le 80e anniversaire de la Naïe Presse nous allons en 2015 commémorer le 70e anniversairede la victoire et tout au long de l'année, celui de la libération des camps. “Il faudra raconter” disaient les déportés. C'est ce

à quoi nous nous emploierons, avec leur aide. Sans oublier que le verbe résister se conjugue au présent et que commémorer c’estaussi et d'abord agir pour que cela ne se répète pas. Ce à quoi s'emploie notre magazine juif, laïque et progressiste, qui abordetous les aspects de l'actualité politique, économique, sociale et culturelle. Vous êtes nombreux à nous en féliciter parce que l'ony trouve “quantité de choses qu'on ne trouve pas ailleurs”. Vous souhaitez comme nous que cela continue ? Alors, pourquoi nepas nous donner un coup de main sur le plan de la trésorerie ? En participant à notre souscription permanente, vous nous permet-trez d’étoffer notre presse. Un grand merci d’avance !!! Jacques Lewkowicz Président de l’UJRE

SOUSCRIPTION PERMANENTE DE L’UJRE n° 65 (janvier à novembre 2014)

« À la vie »ou pourquoi et comment des déportées ont pu

parler de la déportation

Impossible d’en parler. Nécessité de dire. C’est

de cette double contrainte que témoigne le

remarquable film de Zilbermann*. Il s’ouvre en

noir et blanc sur une interminable file de person-

nes qui cheminent le long d’une voix ferrée.

Auschwitz. Puis, dans un baraquement, des voix

comptent en russe. C’est la libération du camp par

l’armée rouge. Fin du noir et blanc. Retour dans un

appartement vide, terriblement. Vite, la machine à

coudre reprend ses droits.

À la vie, c’est l’histoire de trois copines qui se

retrouvent pour passer quelques jours au bord de la

plage. L’une est communiste, l’autre veut être rab-

bine, l’autre a divorcé : c’est une femme libre.

Trois anciennes d’Auschwitz. Deux d’entre elles y

sont entrées ensemble. Ensemble, elles ont fait la

marche de la mort. Puis elles se sont séparées et

ont fait leur vie, une vie, l’une à Paris, l’autre en

Hollande, la troisième à Montréal. Elles se sont

cherchées. L’une est passée à l’UJRE, rue Vieille

du Temple, passer une annonce pour en retrouver

une autre : « la Naïe Presse est lue dans le mondeentier » lui dit-on. Elles se sont retrouvées. A

Berck-plage, on cause, on fait la trempette, on fait

la dînette. On fait même shabbat et on chante les

chansons yiddish d’avant. On essaye des costu-

mes de bain. Et tout à trac, ça sort, ça vous étouf-

fait. On en parle, entre rires et larmes. On peut en

parler parce que les autres savent. On se retrouve-

ra, une fois par an, pour en parler.

Alors que va s’ouvrir l’année de commémorationdu 70e anniversaire de la libération des camps, peude films montreront avec autant de sobriété qu’ilest impossible d’en parler mais vital de dire. Onn’oublie pas. On vit avec ça, malgré ça et aussi àpartir de ça. Est-ce un hasard si Pierre Durand ter-mine son dernier livre « La messe est dite » sur cevers du Chant de Buchenwald : « O Buchenwald,ich kann dich nicht vergessen » ?

* Jean-Jacques Zilbermann, À la vie, sortie le 26/11/2014, avec

Julie Depardieu, Johanna ter Steege, Suzanne Clément sans

oublier Wojciech Pszoniak, l’acteur « représentant » la NaïePresse ni Hippolyte Girardot, « le mari » de Julie Depardieu.

CEREMONIES DU 73ème ANNIVERSAIREDES FUSILLADES DU 15 DECEMBRE 1941v Mme Frédérique CALANDRA, maire du 20è

et la municipalité

v Les familles de fusillés : m Association Nationale des Familles de fusillés et Massacrés

de la Résistance Française et leurs ami(e)s (ANFFMRFA)m Familles des Fusillés du 15 décembre 1941 à Caen,

m Amicale de Chateaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt,

m Association pour le Souvenir des Fusillés du Mont Valérien etde l'Ile de France,

v Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (UJRE)

v Mémoire des Résistants Juifs de la M.O.I. (MRJ-MOI)

v Le Comité Mémoire Vive Mémoire commune du 20è

v Le Comité d'Entente des Anciens Combattants du 20è

vous invitent à la cérémonie du 73ème anniversairedes fusillades du 15 décembre 1941Samedi 13 décembre 2014 à 10h.

au Monument aux morts de la Mairie du 20è

Place Gambetta, métro Gambetta (ligne 3) ou bus 26,60,61, 64,69

L’UJRE et MRJ-MOI vous invitent également àrendre hommage aux fusillés de la section juive dela MOI et à la Résistance juive, accompagnés parles associations des familles de fusillés.

Samedi 13 décembre 2014 à 15h.au Cimetière du Père Lachaise

(RDV à la porte d’entrée située rue des Rondeaux)

Lancer un film par des avant-premières au bénéfice d’associations, riche idée ! Nous avons ainsi puvoir « À la vie » lors de la soirée organisée au profit de la Maison de la Culture Yiddish (après celledu Casip-Cojasor). C’est peu de dire que nous avons aimé. Nous avons été bouleversés. Allez-le voir !

Mémoire

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Vie des associations

Page 3: Laura Laufer Prenons notre destin en main

PNM n°321 - Décembre 2014 3

Décédé le 2 novembre à l’âge de92 ans, Pierre Daix laisse uneœuvre profonde et multiforme

de romancier, d’essayiste, de critique lit-téraire et d’historien de l’art. Elle est toutentière marquée par son engagementtrès jeune, sa déportation, son amitiéavec Pablo Picasso et sa collaborationavec Aragon à la tête de la rédaction desLettres françaises entre 1948 et 1972.Pierre Daix a 17 ans quand il adhère auParti communiste français, en 1939,alors que celui-ci vient d’être interditpar Édouard Daladier, président duConseil, radical et cosignataire desaccords de Munich qui livrent laTchécoslovaquie à Hitler. Le jeunehomme est alors étudiant en histoire.Mais en 1940, il quitte l’université. Lafac’, mais pas l’histoire. L’histoire, il yentre au contraire de plain-pied.Paris est occupé, la France est diviséeen deux, au Nord aux mains desAllemands, au Sud à celles de Pétain etde ses sbires. Le 11 novembre 1940,Pierre Daix est l’un des organisateursde la manifestation des étudiants àl’Arc de Triomphe de l’Étoile. Il estarrêté et relâché en février 1941. Pas

J e commence à souffrir à 13h30,assez pour ne pas être en état demarcher jusqu’à une borne de

taxi. Suis inscrite aux urgences à14h30. Prévoir deux heures d’attente.Je serai prise en charge à 21h30 etquitterai l’hôpital vers 3h du matin. Aux urgences médicales, la sociétévient se soigner de ces maladies chro-niques que sont la misère, le chômage,le grand âge, la solitude. Au fil des heu-res, je peux admirer la très hauteconception que les urgentistes ont deleur mission : haute par la qualité tech-nique des soins, haute par l’humanisme

pour longtemps : la police de Vichyl’appréhende à nouveau en 1942. Il estremis aux Allemands qui le torturentavant de l’envoyer au camp de concen-tration de Mauthausen en Autriche. Là,il rejoint les résistants organisés dans lecamp. L’expérience de l’horreur le mar-quera pour la vie. Lui et son œuvre lit-téraire. En 2008, il écrit ainsi :

« La dédicace À mes amis morts à vingtans de mon roman La DernièreForteresse, en 1950, visait non seule-ment à briser l’oubli, mais à rendre jus-tice à mes camarades. J’ai récidivé entémoignant sur eux dans J’ai cru aumatin, en 1976, puis avec mesHérétiques du PCF, quatre ans plustard. Je me rends compte que les deuxdernières éditions de ma biographied’Aragon, ainsi que Tout mon temps,puis les Jalons pour l’histoire d’unjournal et mon Bréviaire pourMauthausen, enfin le présent témoi-gnage [Dénis de mémoire*] participentd’une seule et même entreprise de révi-sion due aux révélations de l’histoire.Je la considère comme un devoirenvers ceux qui restent, à jamais, lesmiens. »

qui y préside. Pas une seconde, ils necèdent à la tentation de soulager par ungeste facile et d’évacuer le problème.Chaque malade bénéficie d’un entre-tien sérieux, d’un bilan rigoureux, cha-cun repart avec sa feuille de route :prescription et conseils. Qui avec untaxi, qui avec le SAMU social.J’admire aussi la dignité de tous lespatients sans exception. Ils compren-nent manifestement que leur souffranceest prise en compte pour ce qu’elle est.

Les causes de l’inconfort sont ailleurs.Dans l’insuffisance scandaleuse descrédits alloués à l’hôpital public. Nous

Cela pourrait être un résumé de sa viemilitante. La Résistance ; la déportation; le passage, à la Libération, au cabinetde Charles Tillon au ministère de l’Air; la rédaction en chef de l’hebdomadai-re Les Lettres Françaises que dirigeLouis Aragon ; la collaboration au men-suel du PCF La Nouvelle Critique ; lavaste production littéraire – seizeromans dont La Dernière Forteresse,Classe 42, Les Chemins du printemps,L’Ombre de la Forteresse, Une maî-tresse pour l’éternité.Mais son principal héritage demeureson œuvre d’historien de l’art. C’est en1945 qu’il rencontre Picasso. Naît alorsune amitié qui durera jusqu’à la mortdu peintre, en 1973. Pierre Daix estl’auteur, avec Georges Boudaille etJoan Rosselet, d’un ouvrage fondamen-tal : Picasso, 1900-1906 : catalogueraisonné de l'œuvre peint.** Mais ilécrit aussi sur Monet, Gauguin, lecubisme ou encore sur Soulages,Alechinsky ou Zao Wou-Ki. Il est l’au-teur, chez Gallimard, d’un essai sur l’artmoderne qui fait référence :L’Aveuglement devant la peinture(1971).

pouvons tous un jour nous retrouverdans un service d’urgence. Nous sou-haitons tous y trouver dans des délaisdécents lits, équipements et personnel.Ne devrions-nous pas tous voter cont-re les coupes budgétaires, pour notredignité, pour celle de tous ?

En sortant, je vois quatre hommesqui dorment sur des bancs dans lasalle d’attente. Ce soir-là, pour eux,l’urgence c’est de ne pas dormir aufroid. Personne ne les priera de sortir.Le chauffeur de taxi qui me ramènechez moi peste contre ces étrangersqui encombrent nos lits avec leurs

Pierre Daix, un engagement de jeunessepar Bernard Frederick

Urgences médicalesmaladies. C’est l’explication facile eterronée qu’on lui a soufflée. Et il nemanque pas de souffleurs. Pourtant,ce n’est pas ce que j’ai vu. Ce que j’aivu, c’était des êtres humains: unéchantillon représentatif de la sociétéfrançaise. Ce que j’ai vu, c’est lerésultat désespérant du vol des pauv-res par des politiques publiques dedroite et par les idéologues de l’extrê-me droite.

L’urgence, telle qu’elle m’apparaît cesoir, c’est de rendre sa santé au corpsélectoral. Ce soir-là, j’ai aussi souf-fert à mon corps social. NM

Gendre d’Artur etde Lise London,dont il a épousé lafille en troisièmesnoces en 1967,Pierre Daix estbouleversé parl ’ intervent ionsoviétique contrele Printemps dePrague, en août 1968. Il rompt avec lePCF en 1971. Il prend alors une positionfarouchement anticommuniste qui lepoussera à collaborer à la rédaction duQuotidien de Paris (1980-1985) et àd’autres publications de droite. Ilexplique cette brutale (r)évolution idéo-logique dans ses livres J’ai cru au matin(1976) et Tout mon temps (2001). Sansjamais renier, cependant, son engage-ment de jeunesse et ses camarades deRésistance et de déportation, « les miens». En témoigne, son dernier roman, Lesrevenantes***, consacré aux femmesrescapées des camps.

* Collection Témoins, Gallimard. Paris 2008

** Ides et Calendes, Paris, 1966

*** Fayard, Paris 2008

Alexandre Grothendieck vient dequitter ce monde avec lequel ilétait depuis longtemps brouillé.

Il était né avec le siècle de parents juifs etanarchistes qui boudèrent la coutumebourgeoise du mariage. A défaut d’unnom, son père, Alexandre Shapiro, luidonna un prénom. Selon un itinéraireclassique, le couple quitta en 1933 uneAllemagne nazifiée. Peu après ils lais-saient leur fils en France pour se battreaux côtés de la République espagnole.Grothendieck a 11 ans quand il est inter-né avec sa mère au camp de Rieucros, ilen a 14 quand son père est assassiné àAuschwitz. Il trouvera refuge à laMaison d’enfants du Secours Suisse au

Chambon sur Lignon, La Guespy. Précoce à l’instar d’un Évariste Galois, ilfut l’un des géants parmi les mathémati-ciens du XXe qui en compta beaucoup.Cela lui valut de se voir attribuer la pres-tigieuse médaille Fields qu’il refusa d’al-ler chercher à Moscou. Aussi férocementantimilitariste qu’Einstein*, il s’opposa àla bombe atomique et, dans la foulée, àl’énergie nucléaire, ce qui l’amena à fon-der, en 1970, à l’image de scientifiquesd’outre-Atlantique, un mouvement éco-logiste et une revue : Survivre.D’après Récoltes et semailles, mémoiresmis en ligne par des proches, où il se livreà une introspection qui confine à l’auto-analyse, il estime avoir eu trois passions :

« La première à se manifester dans mavie a été ma passion pour les mathéma-tiques… elle m’avait servi pendant tren-te ans à me séparer d’une enfancereniée…la deuxième passion dans ma viea été la quête de la femme qui a été laseule grande force de maturation dansma vie (Ce solitaire, ce marginal, eut toutde même cinq enfants). »La dernière passion fut la quête de lavérité, qu’il oppose au savoir, très prochetelle qu’il la décrit, du mouvement desidées chez Platon. Dans sa périodemathématique, il ne bouda pas le ban-quet, le festin des idées. Ensuite, il allaittourner le dos à cette République queforme la communauté des mathémati-

Alexandre Grothendieck, un enfant du siècleciens. La passion de larecherche l’a toujoursanimé. A 86 ans,Grothendieck, qui s’é-tait déjà éloigné depuislongtemps, nous quitte de façon un peuplus définitive, nous laissant des souve-nirs, une œuvre et des questions. Il a eutout ce qu’un homme peut demander à lavie : des passions, une œuvre, la gloire,des enthousiasmes, des colères, des cha-grins. Une vie, en somme ! NM

NDLR Einstein s’était exilé en Suisse pouréchapper au service militaire. Il avait en horreurtoute forme d’enrégimentement. S’il a contribuéà fabriquer « Little boy », la première bombe ato-mique, c’est qu’il estimait nécessaire de prendreles nazis de vitesse.

Hommage

Société

Page 4: Laura Laufer Prenons notre destin en main

4 PNM n°321 - Décembre 2014

La plupart des économistes lereconnaissent : l’Europe est au

bord de la déflation. La hausse desprix diminue depuis plusieurs trimestresau point d’atteindre 0,4 % au cours dutroisième trimestre 2014, bien en des-sous des 2 % qui pourraient écarter laperspective déflationniste. Encore unpeu et elle deviendrait négative. Il fautcomprendre que la déflation est le plusgrand danger qui menace une écono-mie. En effet, elle se traduit par unebaisse généralisée des prix et des salai-res. Sous l’effet de la baisse des prix, lesentreprises, qui cherchent à garder leurmarge de profit, baissent les salaires cequi diminue la demande et entraîne ànouveau la baisse des prix. A ce phéno-mène autoentretenu s’ajoute le fait que,voyant les prix baisser, les acheteurspotentiels décident de retarder leursachats, anticipant le bénéfice de prixplus faibles à l’avenir, ce qui vient ànouveau abaisser la demande et démul-tiplier ainsi l’effet déflationniste. Maisla chiquenaude initiale de ce mécanismeréside dans le niveau élevé du chômagequi pèse sur les salaires et nourrit ainsil’insuffisance de la demande. Le Japon,qui a connu une vague déflationniste, ily a vingt ans, peine encore aujourd’huià en sortir.Toutefois, cette situation est encoreaggravée du fait que les énormes créditsaccordés par la BCE* aux banques, aulieu de servir à des créations d’emplois,ce qui aurait pu contrebalancer la ten-dance à l’augmentation du chômage,ont été utilisés pour la spéculation finan-cière, récréant une bulle financière sus-ceptible d’éclater à nouveau à toutmoment.Certes, la pensée dominante prétendque l’insuffisance du niveau de l’emploiest due à un coût du travail excessif et àune dette publique trop importante. Enfait, la baisse du coût du travail ne peutgénérer qu’une insuffisance de la

demande tandis que la détérioration desservices publics ne peut aboutir qu’àune diminution de l’efficacité écono-mique. Ainsi, par exemple, de mauvaisservices éducatifs génèrent des tra-vailleurs sous-qualifiés. En 2012, 30 %de la valeur créée par les entreprises a defait été distribuée en dividendes et inté-rêts. Voilà un coût du capital que l’onpourrait largement réduire si l’on vou-lait vraiment accroître la compétitivitéde l’économie française.Si l’on veut éviter de tomber dans le cer-cle vicieux déflationniste, il faut aug-menter les revenus des salariés et deleurs familles pour soutenir la demandeet relancer massivement les servicespublics, notamment éducatifs et derecherche, de façon à développer la pro-ductivité et l’innovation. Le finance-ment nécessaire à de telles mesures estpossible comme nous l’avons déjà vudans la PNM. Il faut, à cet effet, que laBCE* rachète les titres de dettepublique émis par les pays européenspour le financement des servicespublics, grâce à sa propre créationmonétaire. Un « Fonds de développe-ment européen » pourrait, alors,recueillir cette monnaie. Il permet-trait d’assurer le financement deséconomies européennes grâce à descrédits sélectifs dont le taux d’intérêtserait inversement proportionnel aunombre d’emplois créés jusqu’à attein-dre le niveau zéro, voire négatif, pourles cas de plus fortes créations d’em-plois. Cette nouvelle politique du créditnécessite, pour être correctement miseen œuvre, sa mise en place par un pôlepublic de financement résultant de lafusion des actuels organismes publics,des banques mutualistes et nationali-sées.Telle est la politique q’un gouvernementvéritablement de gauche devrait mettreen œuvre immédiatement pour conjurerle spectre de la déflation. * BCE : Banque Centrale Européenne

La déflation hante l’Europe !par Jacques Lewkowicz

Economie

Hannibal est aux portes de Rome, s’écriait-on à Rome. Du moins Romerestait-elle romaine, ce qui permit à l’empire romain d’en finir avec l’em-

pire carthaginois. En janvier 1939, quand Barcelone est tombée aux mains desfranquistes, quatre colonnes convergeaient vers Madrid : laquelle prendrait laville ? « La cinquième colonne », répondit Franco. L’ennemi intérieur, qui estdéjà dans Rome, si l’on me passe le raccourci.Quel rapport avec l’actualité? Celui qui ne le perçoit pas serait-il déjà tombéaux mains de la cinquième colonne ? C’est vous et moi, un bon père defamille, pardon : un bon parent ! Il bosse, cherche à assurer ses fins de mois,à payer ses impôts. Le petit va-t-il trouver un emploi ; enfin, un contrat parcequ’un emploi, faut pas rêver. Lire et relire, Fahrenheit 451. Jusqu’à la dernière page, jusqu’à la dernièreligne. Le roman se déroule à une époque où la lecture est interdite, les lecteurspersécutés. Certains gagnent une forêt bibliothèque vivante, où chacun récitel’œuvre qu’il a mémorisée pour la sauver de l’oubli. Et Bradbury d’apostro-pher ses héros, ces « hommes livres », ces hommes libres en termes sévères :« Ne pensez pas que vous soyez grand-chose, car quand vous aviez les livres,qu’est-ce que vous en avez fait ? »Donc, aux portes de Rome, la guerre. Celle qui fait peur. À ceux notammentqui ne la font pas, ne la décident pas, mais payent des impôts, sans le savoird’ailleurs, pour que d’autres la fassent. La situation en Ukraine ne risque-t-ellepas de provoquer une guerre totale ? Par guerre totale, entendez une guerre quinous atteigne aussi nous. Parce qu’ailleurs, on meurt pas dizaines de milliers,par centaines de milliers. Déjà au XXe siècle, on ne comptait plus en mortsmais en mégamorts : « méga » c’est un million. L’unité de compte avait chan-gé. Mais enfin, tant qu’on a un chez soi…Tant qu’on a un chez soi, on y rentre et on ouvre la télévision, pour oublier.On y trouve le meilleur et le pire. Pas dans les bonnes proportions, c’est tout.Et même si on ne la regarde pas – les gens intelligents, c’est bien connu, laboudent – elle vous rattrape. Essayez d’ouvrir votre ordinateur sans être inter-pellé par des questions brûlantes : on vu la petite culotte de x, y a dit un grosmot, Bill Clinton a appelée sa chienne Monica… Si encore il n’y avait que l’Ukraine ! Mais regardez vers le Proche Orient oule Moyen Orient. Gaza, c’est fini. On a changé de feuilleton, de chaîne.Maintenant, c’est Daesh. La barbarie à l’état pur. Merci au Monde diploma-tique d’avoir résumé bien des analyses et répondu à bien des questions par uneformule que l’ou voudrait avoir inventée : « Daesh, le monstre providentiel ».Que nous sommes prêts, comme la Turquie, à combattre jusqu’au dernierKurde.Pendant ce temps là, dépérissement peu léniniste de l’État. Lénine le voulait.Le néolibéralisme l’a fait. Plus d’industrie, plus de travail, plus de droit au tra-vail, plus de droit du travail. Fin programmée des conventions collectives :cela signifie des salaires à la carte, à la tête du client. Sans compter qu’il estplus avantageux d’embaucher des jeunes. Tant pis pour les avantages à l’an-cienneté. L’une des bases de calcul des retraites.J’ai voulu vérifier la date des guerres puniques, Hannibal aux portes : monécran s’est saturé d’informations sur un jeu vidéo, pardon un game, un wargame : cela s’appelle Total war. Mumuse ! Heureusement nos idéologues sontlà pour nous rappeler au sens du civisme. Ainsi le courageux maire de Béziersa-t-il pris une mesure forte et qui ne coûtera rien à ses administrés : il leurinterdit de cracher par terre. Le maire c’est un certain Ménard, qui passe pourproche du Front National. Je n’irai pas vérifier. Ce qui est certain c’est qu’il adû quitter la présidence de Reporters Sans Frontières le jour où c’est tombédans le domaine public, que Ménard était payé par la CIA, par la NationalEndowment Foundation, enfin par plein de démocrates d’outre-Atlantique,pour mener campagne contre Cuba. C’est bien qu’il soit devenu patriote etqu’il vienne défendre « ma » France. C’est lui, notre cinquième colonne, luiet l’ami Zemmour, son invité d’honneur. Pas prendre au tragique. Mais pren-dre au sérieux. 24 novembre 2014

Défense de cracher par terre !par Nicole Mokobodzki

Billet d’humeur

Mémoire70e anniversaire de l’entrée

des troupes soviétiques à Auschwitz

Dans le cadre de la Journée mondiale decommémoration de l'Holocauste et de pré-

vention des crimes contre l'Humanité,l’Association Fonds Mémoire d’Auschwitz (AFMA) vous invite le

Mardi 27 janvier 2015 à 10h00 à l’ancienne gare de Bobigny

pour commémorer la libération d’Auschwitz dans cette Gare de la déportation d’oùsont partis 21 convois, soit 22 407 Juifs dont plus de 3 500 enfants internés à Drancy.La cérémonie sera ouverte par l’inauguration de la grande Halle aux marchandises,près des voies ferrées d’où les internés étaient embarqués dans des wagons à bestiaux.Allocution du Président de l’AFMA.

Venez nombreux pour se souvenir et rendre hommage à ces victimes de l'idéologienazie appliquée par l'armée allemande et par le gouvernement de Vichy. Accès Gare de Bobigny : 69-151 avenue Henri Barbusse/ Parking assuré. Bus 151depuis la porte de Pantin, arrêt gare grande ceinture. Pour tout renseignement :AFMA 01 48 32 07 42, [email protected]

À vos agendasRéservez votre vendredi 12 janvier, à 18 heures, pour uneprojection à l’Auditorium de la Mairie de Paris du film « Les résistants Juifs de la MOI » coproduit par MRJ-MOIet Métis Film.Réservations au 06 08 86 77 10 ou par mèl à [email protected]

Page 5: Laura Laufer Prenons notre destin en main

Les mots pour le direpar Maurice Cling

Monde

Un mois et demi après l’attentat ter-roriste contre le World Trade

Center, alors que la population améri-caine était sous le choc, les États-Unisse sont dotés de lois liberticides dontcertains juristes n’ont pu s’empêcher depenser qu’elles guettaient dans un tiroirune occasion propice de paraître augrand jour. Liberticides en ce sens aussiqu’il s’agit de lois d’exception qui por-tent atteinte au droit américain. Ellesconstituent en effet une violation del’habeas corpus qui garantit l’individucontre la détention arbitraire, c’est-à-dire sans procès équitable, et permettentla « détention arbitraire ou cruelle ».Voir les conditions de détention àGuantanamo. Cela rappelle curieuse-ment, par certains côtés, les mesuresd’exception prises dans les paysd’Amérique du Sud au temps des dicta-tures. Ces mesures ont été aggravées en2004 par le Patriot Act de Bush. S’agissait-il vraiment et uniquement delutter contre le terrorisme et cet appareiljuridique était-il le moyen le plus effi-cace de le faire ? On sait aujourd’huique les États-Unis avaient été informésde la préparation d’un attentat et n’ontpas pris les mesures nécessaires pour

l’empêcher. On a pu constater que lafamille Ben Laden n’avait pas subi, elle,la moindre restriction de ses libertés, parexemple, de circulation. Il est vrai queladite famille n’est pas étrangère à lafortune de la famille Bush. On constateaussi que le terrorisme se porte bien.À son tour, et toujours sous prétexte delutter contre le terrorisme, la Francevient de se doter d’une loi « antiterro-riste » instaurant le délit d’intentionpuisqu’à la demande du seul ministèrede l’Intérieur, sans aucune décision dejustice, il est possible d’interdire à uncitoyen français « la sortie du territoirede personnes, majeures ou mineures,sur lesquelles pèse un soupçon devolonté de rejoindre des zones de guer-re. » Le passeport est confisqué, enéchange de quoi l’intéressé se voitremettre un reçu ! D’autre part, la déci-sion est signifiée à tous les transpor-teurs de tous les pays de l’espaceSchengen. Certains mauvais esprits ont observéque l’Ukraine n’est pas considéréecomme zone de guerre. Libre donc auxmercenaires d’aller prêter main forte àceux qui, sur place, édifient la paix et ladémocratie en battle dress. NM

Interdiction de sortie du territoire

Lisez et faites lire les interviewsaccordées par Robert Cham-beiron, le dernier survivant du

CNR dont il fut le Secrétaire général,parues dans un livre dont le titre,« Résistant », flamboie et instruit*.L’auteur sera bientôt centenaire.Nous le lui souhaitons. Sa mémoire

est intacte. Lire et faire lire sonouvrage pour deux raisons. La première : il nous plonge dansune narration scrupuleuse de la for-mation du CNR, des dangers encou-rus par ses membres pour se contac-ter, se réunir, analyser les situations,prendre les décisions. Le courage n’apas fait obstacle aux hésitations, auxdisputes. La lâcheté de certains n’estpas dissimulée. On croit connaîtremais on découvre combien la tâchede Jean Moulin fut difficile, qu’il futsouvent en butte à une hostilité inju-rieuse de la part d’un futur panthé-onisé. Le récit n’est pas anecdotiqueà la différence de trop nombreusesappréciations littéraires ou cinémato-graphiques qui dénaturent laRésistance. L’évolution de l’opinionpublique, la vision stratégique ducombat, les conflits internes surmon-tés dans l’intérêt patriotique, les rap-ports parfois conflictuels avec lesalliés ou les services londoniens de laFrance libre, le débat interne concer-nant le déclenchement de l’insurrec-tion parisienne et la trêve sont décritsavec précision, s’inscrivant dans unmouvement ascendant dont laRésistance populaire fut le ferment.

La seconde raison de lire et faire lirece passionnant témoignage est qu’ilnous motive dans l’indispensable luttepour préserver les acquis du CNR. LaFrance s’était relevée de la situationdésastreuse où l’avait plongée la guer-re. Aujourd’hui, le Medef mène uneattaque en règle contre tout ce quiavait été conquis de haute lutte. Lesouvenir de la victoire de 1945 serahonoré l’an prochain.

Comment ne pas être révolté en cesjours commémoratifs quand un pré-tendu philosophe ose nous dire que lesjuifs se sont laissés conduire dans lescamps de la mort comme des mou-tons** ? Salir ainsi des milliersd’hommes, de femmes, d’enfants, defamilles, martyrisés, assassinés, oui,c’est révoltant. Comment ne pas êtreaussi révolté quand le philosophe offi-ciel BHL ose nous dire que les juifs nese laissent plus faire aujourd’huicomme ils le firent dans les annéestrente. Bien piètre historien : les juifsde l’époque ont largement participé aumouvement antifasciste. Olga Bancic,Marcel Rayman, Maïa et GeorgesPolitzer ne sont pas entrés par hasarden Résistance. Elles et ils y ont été pré-parés par leurs activités dans de multi-ples associations civiques.

Oui, une telle allégation est révol-tante. En mémoire de toutes celles etde tous ceux, sublimés dans le livrede Robert Chambeiron, qui aux heu-res sombres, en sacrifiant leur vie, ontrêvé de jours heureux, nous avons àcœur de croire, plus que jamais auxlendemains qui chantent. Ce livre estutile dans l’affron-tement politiqueactuel dont l’unedes caractéristiquesest le lavage de cer-veaux auquel se li-vrent les médias sans parler des asser-tions pétainistes du Front National.Les entretiens de Robert Chambeironaident à éclairer trop de consciencesbrouillées par les médias, par lesassertions pétainistes du FrontNational et plus généralement desidéologues de l’extrême droite.

La PNM s’y emploie de son côté.

* Robert Chambeiron,RÉSISTANT - Entretiens avecMarie-Françoise Bechtel, Éd.Fayard, 192 p., 15 €

** à (re)lire de LucienSteinberg, Pas comme desmoutons : Les Juifs contreHitler, Ed. La Balustre, 2012,192 p., 10 €

Le dernier survivant du Conseil National de la Résistance parle :Écoutons-le par Henri Levart

Une résolution sur la lutte contrela glorification du nazisme a été

adoptée par la Troisième Commis-sion de l’Assemblée générale desNations Unies, à l’initiative de laRussie. Les membres des NationsUnies expriment leur « profonde pré-occupation » devant « la glorificationde toute forme de mouvement nazi, denéonazisme et des anciens membresde la Waffen SS, y compris par laconstruction de monuments commé-

moratifs et la tenue de manifestationspubliques ». La Commission con-damne également l’augmentation dunombre d’incidents ayant natureraciste dans le monde entier. Seulstrois États ont voté contre* : les États-Unis, le Canada et… l’Ukraine.

BF23/11/20114

* NDLR 55 pays se sont abstenus, dont ceuxde l'Union européenne, dont la France.

Les Nations Unies contre la glorification des nazis

C e « billet » inaugure une série portant sur ces termes qui nous trom-pent… et qui sont utilisés pour nous tromper.

Ne soyons pas dupes, appelons un chat un chat.

On le sait, les mots ne sont pas innocents. Par exemple, Tsahal. Le gou-vernement israélien relayé par les grands médias occidentaux a populariséle nom hébreu de son armée. Quelle autre armée dans le monde bénéficiedans les médias d'une telle appellation particulière ? Aucune, à ma connais-sance, ainsi classée à part, et dont la résonance biblique la sacralise et jus-tifie par conséquent tous les actes, y compris ceux qui sont criminels.Ne soyons pas dupes, et appelons un chat un chat.

PNM n°321 - Décembre 2014 5

La question kurde

La PNM signale le livre de Sylvie Janet Pascal Torre, La réponse kurde.

Les auteurs ont eu à cœur de faire com-prendre la question kurde à ceux qui,comme l'immense majorité d'entre nous,ne la connaissent pas. Il suffit pour seprocurer ce livre de s'adresser àl’Association France-Kurdistan - 3, rueRibière - 75019 Paris, qui le fait parveniren échange d'un chèque de 8 €.

Résistance

À lire

Page 6: Laura Laufer Prenons notre destin en main

6 PNM n°321 - Décembre 2014

Àune large majorité, le 2 décemb-re, l’Assemblée nationale aadopté une résolution appelant

le gouvernement à reconnaître l’État dePalestine. Il ne s’agit pas d’un cas isolé :les parlements britannique, irlandais,espagnol et slovène en ont fait autant. LaSuède est allée plus loin : l’exécutif aeffectué ce geste. Et le vote françaispourrait inspirer d’autres pays del’Union européenne, à commencer parle Danemark. Le Parlement deStrasbourg votera, lui, à la mi-décembre.Pourquoi cette vague sans précédent ?Trois raisons l’expliquent. La première, c’est l’horreur de l’agres-sion israélienne contre la bande deGaza cet été. Il y a six ans, l’interven-tion de l’armée entraîna la mort de 1 315 Palestiniens (et 13 Israéliens).Cette fois, ce « record » a été pulvérisé :selon le ministère palestinien de laSanté, 2 145 morts, dont 80 % de civils(et 70 Israéliens, dont 64 soldats). Ce terrible spectacle, qui dura près dedeux mois, avec son flot d’imagesinsupportables – dont celle, inoublia-

ble, des enfants tués sur la plage –, sou-leva une grande colère aux quatre coinsdu monde. Si bien que, malgré la pério-de estivale, des manifestations massi-ves parcoururent les rues des villes,contrastant avec la complaisance desgouvernements vis-à-vis du « droit à ladéfense » d’Israël.

La deuxième raison, ce sont les provoca-tions multipliées par BenyaminNetanyahou depuis le cessez-le-feu àGaza, comme s’il voulait provoquer ledéclenchement d’une troisième Intifada :à défaut d’y parvenir, il a suscité uneescalade de violences de part et d’autre.Rappelons notamment l’annexion de400 hectares de terres cisjordaniennes(la plus vaste depuis 1967), l’annonce dela construction de milliers de logementsà Jérusalem-Est et la modification de laLoi fondamentale pour définir Israëlcomme « État-nation du peuple juif ».Plus dangereux encore, le gouvernementa remis en cause le statu quo sur l’espla-nade des Mosquées, où des groupes deJuifs ultra-orthodoxes et ultra-nationalis-tes, dont des partisans de leur destruction

au profit de la reconstruction du Temple,ont été autorisés à défiler. Bref, le dépu-té socialiste Alexis Bachelay n’a pas tortd’accuser le Premier ministre israéliende « faire un bras d’honneur à 99 % dela planète ».La troisième raison, et sans nul doute laprincipale, c’est l’échec des négocia-tions de paix. Au-delà du sabotage parla partie israélienne de l’ultime tentati-ve du secrétaire d’État John Kerry, laprocédure même des accords d’Oslos’avère obsolète : focalisée sur lesarrangements intérimaires, elle reportela discussion des principaux dossiers(frontières, capitale, sécurité, colonieset réfugiés). Et, du même coup, l’éta-blissement de l’État palestinien, prévudepuis le 29 novembre 1947, se voitrenvoyé aux calendes…Voilà ce à quoi veut remédier le projetde résolution déposé par les ministresdes Affaires étrangères de la Liguearabe, à la demande de l’Organisationde libération de la Palestine (OLP),devant le Conseil de sécurité desNations unies. Ce texte prévoit la créa-

tion de l’État palestinien d’ici à novem-bre 2016, dans les frontières du 4 juin1967 et avec Jérusalem-Est pour capita-le. Et Mahmoud Abbas de commenter :« La situation actuelle dans les territoi-res palestiniens ne peut plus durer. Iln’y a plus de partenaire pour nous enIsraël. Il n’y a plus rien d’autre à faireque d’internationaliser la question. »Tout dépendra évidemment de la décisiondu Conseil de sécurité, et notamment desgrandes puissances qui y disposent d’undroit de veto. L’OLP a d’ores et déjà pré-venu qu’en cas de blocage, elle adhéreraità la Cour internationale de justice (CIJ) età la Cour pénale internationale (CPI), oùIsraël redoute de se retrouver sur le bandes accusés. Mais, en dernière instance,les opinions seront décisives. Lors d’unematinale de France Inter, le 25 novembre,le ministre des Affaires étrangères LaurentFabius n’a-t-il pas lui-même invoqué leurrôle pour rendre compte du mouvementdiplomatique en cours ? 02/12/2014* Journaliste et historien, coordinateur dePalestine : le jeu des puissants (SindbadActes Sud, 2014)

Israël-Palestine : vers l’internationalisation du conflit ?par Dominique Vidal *

PNM Face à l’escalade actuelle de la violence, quelles sont les intentionsdu gouvernement israélien à l’égard des revendications de la Palestine ?Marius Schattner Le gouvernement israélien a clairement l’intention demaintenir la colonisation, à Jérusalem et en Cisjordanie. En même temps ilsouhaite éviter une troisième Intifada. Or il est confronté au pourrissement dela situation, dû à une violence palestinienne plus ou moins spontanée doublée,côté israélien, de provocations de l’extrême droite. Il a donc intérêt à désar-mer une opinion mécontente par un processus de négociations dont il veille-ra à ce qu’il n’aboutisse pas.

PNM Quelle politique le gouvernement va-t-il mener ? Marius Schattner Sur le plan interne, le gouvernement, pour divisé qu’il soitet il l’est, veut se maintenir au pouvoir. Cela contraint Nethanyahou à faired’importantes concessions à l’extrême droite. Ce qu’illustre, par exemple,son projet de loi visant à affirmer davantage encore le caractère juif de l’État.Ce projet est qualifié d’anticonstitutionnel par le propre conseiller juridiquedu gouvernement, c’est dire ! mais il tient à cœur à Naftali Bennett, le minis-tre de l’Économie, leader du Foyer juif, le parti qui se situe le plus à droitesur l’échiquier politique. Or ce parti recueille 18% des intentions de vote et

c’est sur les terres de la droite qu’il braconne. Il pourrait difficilement en êtreautrement d’ailleurs puisque la gauche est inexistante.

PNM Comment l’opinion israélienne réagit-elle ? Y a-t-il des forces quis’organisent pour contrer cette escalade ? Y a-t-il, inversement, une évolu-tion des forces d’extrême droite ?Marius Schattner Face à une spirale sans fin de la violence, l’opinion estprofondément démoralisée, à gauche comme au centre. Elle a repoussé avechorreur l’assassinat d’un enfant palestinien et les récents attentats commis àla synagogue, qui ont été faussement revendiqués par le FPLP. La gauche estdémoralisée, découragée, démotivée. Elle n’a pas de projet, ce qui n’est pasun garant d’efficacité. S’il y a des élections anticipées et il y en aura, tôt outard, ce n’est pas à elle qu’elles devraient profiter, selon les récents sondages.C’est la droite qui va tirer les marrons du feu. Les deux partis centristes ris-quent de s’effondrer. Quand au parti travailliste, ces sondages révèlent à quelpoint il est inexistant. Reste, et ce n’est pas à dédaigner, une minorité très acti-ve dans les milieux intellectuels. Cette minorité n’est certes présente pourl’heure que dans ces milieux et à l’université. Mais elle a le mérite d’existeret elle réfléchit. Cela peut aboutir, un jour ou l’autre.

PNM Comment la situation économique évolue-t-elle et quelle influencecette évolution a-t-elle sur la politique du gouvernement ?Marius Schattner Le taux de croissance de l’économie a diminué de 4% à2%. Cette tendance négative a conduit l’une des grandes agences de notationà faire passer Israël de la note A+ à la note A. Les causes en sont multiples.Il ne faut pas sous-estimer l’effet des politiques de désinvestissement quiprennent de l’importance.

PNM Quel rôle joue, dès lors, le mouvement en faveur de la reconnaissan-ce de la Palestine tel qu’on peut l’observer depuis quelques mois ?Marius Schattner La pression internationale est déterminante. La reconnais-sance par la Suède, les positions du parlement britannique puis du parlementespagnol sont importantes, mais la position des États-Unis reste prépondéran-te, et de ce côté-là non plus les choses ne bougent pas.

Propos recueillis par Nicole Mokobodzki le 24 novembre 2014

NDLR Aux dernières nouvelles, des élections anticipées auront lieu le 17 mars.

Entretien avec Marius Schattner

Israël / Palestine

À lireLa PNM signale

Palestine : le jeu des puissants*.

Cet ouvrage, écrit sous la direction de Dominique Vidal, rassemble les tex-tes d’éminents spécialistes (Bertrand Badie, Rosemary Hollis, Rashid

Khalidi, Henry Laurens, Farouk Mardam-Bey, Michel Réal et DominiqueVidal) afin d’éclairer le grand public sur le conflit israélo-palestinien. Le livreanalyse la part prise dans ce dossier par les grands acteurs de lacommunauté internationale, États-Unis, Grande-Bretagne,URSS puis Russie, et France, mais aussi le rôle des puissancesrégionales. À ne pas manquer au moment où l'Assemblée natio-nale vient de voter en faveur de la reconnaissance de laPalestine. PK* Une recension de l’ouvrage (Éd. Actes Sud, 184 p., 18 €) sera publiée dansla prochaine édition de la PNM

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L’UJRE* (Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide),consternée par les actes de violence qui s’enchaînent depuis la

fin de l’opération « Bordure protectrice », condamne avec force l’at-tentat commis contre des fidèles en prière dans une synagogue deJérusalem, le 18 novembre. Ce dernier survient dans un contexte de tensions accrues, entretenupar l’intensification des implantations israéliennes en Cisjordanie,particulièrement à Jérusalem, la mansuétude du gouvernementvis-à-vis des extrémistes israéliens, les provocations des religieux… Il est condamnable de frapper au hasard, dans la rue, les synagogues,les mosquées... La violence, qui ne résout rien, suscite un climat dehaine qui ne peut que s’aggraver si le Premier ministre israélien déci-de, comme il l’a annoncé, d’autoriser la population civile à porter desarmes d’autodéfense. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’y arien là de propice à la paix qui doit être notre seul objectif. L’UJRE réaffirme que seule une paix négociée permettra de mettrefin à un cycle infernal de violence inutile. L’UJRE demande que soit enfin appliquée la Résolution desNations Unies qui, fin 1947, décidait, au nom des peuples du monde,qu’il devait y avoir deux États dans l’ex-Palestine mandataire. Plusque jamais, en cette année de solidarité avec la Palestine, il est tempsque cet État soit reconnu. Puissent les parlementaires français à l’initiative des résolutionsdéposées en ce sens, convaincre le gouvernement par leurs votes des28 novembre et 11 décembre, de reconnaître l’État palestinien,comme cent trente-cinq pays l’ont déjà fait. Puisse la France apporter une pierre précieuse à l’édification de lapaix, une paix pour tous. UJRE

Paris, le 19 novembre 2014

PNM n°321 - Décembre 2014 7

Le 14 octobre, le Parlement britan-nique reconnaissait l’État palestinien.Le 6 novembre, six cents personnali-tés israéliennes appelaient leParlement espagnol à en faire demême. Parmi eux, d’anciens ministres(ou Premier), d'anciens députés dedifférents partis, des centaines d'uni-versitaires, de diplomates et de mili-tants pacifistes, dont plusieurs prixNobel. Ce ne fut pas en vain. Voici letexte de cet appel :

“Nous, citoyens d’Israël, qui aspi-rons à voir notre pays connaître la

sécurité et la prospérité, nous sommespréoccupés par la permanente paraly-sie politique, l’occupation, la créationde nouvelles colonies qui conduisentà de nouveaux affrontements avec lesPalestiniens et compromettent lespossibilités de parvenir à un accord. Ilest clair que la sécurité d’Israël et sonexistence même dépendent de l’exis-tence d’un État palestinien aux côtésd’Israël. Notre pays devrait reconnaî-tre l’existence d’un État palestinien etla Palestine devrait reconnaître Israël,conformément aux frontières définiesle 4 juin 1967. Votre appui à la recon-naissance de l’État palestinien repré-sentera un progrès dans la voie de lapaix et encouragera Israéliens etPalestiniens à mettre un terme à leurconflit.”

“ Nous, anciens combattants del’Unité 8200, soldats réservistes

par le passé et aujourd’hui, décla-rons refuser de participer aux actionscontre les Palestiniens et refuser decontinuer à servir comme outils dansl’affermissement du contrôle militai-re sur les Territoires occupés. Il est généralement admis que laconscription dans les renseignementsmilitaires échappe aux problèmesmoraux et contribue uniquement à laréduction de la violence et des dom-mages envers des personnes innocen-tes. Néanmoins, notre service militai-re nous a démontré que le renseigne-ment est une partie intégrale de l’oc-cupation militaire israélienne sur lesterritoires.La population palestinienne sous régi-me militaire est complètement expo-sée à l’espionnage et à la surveillancedes services de renseignement israé-liens. Alors qu’il existe des limitationsdrastiques de la surveillance descitoyens israéliens, les Palestiniens nebénéficient pas de cette protection. Iln’existe pas de distinction entre lesPalestiniens qui sont ou qui ne sontpas impliqués dans des violences.L’information qui est recueillie et

conservée fait du tort à des personnesinnocentes. Elle est utilisée dans le butd’une persécution politique et pourcréer des divisions au sein de la socié-té palestinienne, en recrutant des colla-borateurs et en entraînant des partiesde la société palestinienne contre elle-même. Dans de nombreux cas, les ser-vices de renseignement empêchent lesaccusés de recevoir un procès équita-ble dans les tribunaux militaires, alorsque les preuves les concernant ne sontpas révélées. Le renseignement autori-se un contrôle continu sur des millionsd’individus à travers une surveillanceapprofondie et intrusive et envahit laplupart des secteurs de la vie d’unindividu. Ce qui ne permet pas auxgens de mener des vies normales etincite à plus de violence, nous distan-çant toujours davantage de la fin duconflit.Des millions de Palestiniens viventsous le régime militaire israéliendepuis plus de quarante-sept ans. Cerégime nie leurs droits fondamentauxet exproprie de larges étendues deterre pour les colonies juives qui sontsoumises à des systèmes légaux sépa-rés et différents, et à l’application delois différentes. Cette réalité n’est pas

un résultat inévitable des efforts del’État pour se protéger, mais plutôt lerésultat d’un choix. L’expansion descolonies n’a rien à voir avec la sécu-rité nationale. De même en va-t-il desrestrictions à la construction et audéveloppement, à l’exploitation éco-nomique de la Cisjordanie, à la puni-tion collective des habitants de labande de Gaza, et du tracé actuel dela barrière de séparation. Au vu de tout cela, nous avons concluqu’en tant que personnes ayant servidans l’Unité 8200, nous devons assu-mer la responsabilité de notre partici-pation à cette situation et qu’il est denotre devoir moral d’agir. Nous nepouvons pas continuer à servir le sys-tème en bonne conscience, en niantles droits de millions de personnes. Acet effet, ceux d’entre nous qui sontréservistes refusent de prendre partaux actions de l’État contre lesPalestiniens. Nous appelons tous lessoldats servant dans les unités de ren-seignement, passé et présent, demême que tous les citoyens d’Israël,à dénoncer ces injustices et à prendrepart à des actions pour y mettre fin.Nous croyons que l’avenir d’Israëlen dépend.”

La parole au camp de la paix

UNE AUTRE VOIX JUIVE exprime saprofonde compassion vis-à-vis des proches

des victimes des tueries, dans une synagogue deJérusalem.UAVJ condamne totalement ces assassinats querien ne saurait justifier.UAVJ salue le courage de l’AutoritéPalestinienne qui les a condamnés sur le champ.UAVJ s’élève avec force contre les déclarationsscandaleuses de dirigeants du Hamas, du JihadIslamique et de ceux de Daesh, qui légitimentde pareilles atrocités.Ce climat de violence sanguinaire est le produitterrible des guerres menées par Israël contre lepeuple palestinien, des années d’occupation, dediscriminations, de provocations, en particulierrécemment à Jérusalem, et du sabotage systé-matique, par le gouvernement israélien, de toutenégociation visant à mettre un terme au conflitsur la base des Accords d’Oslo.La politique du gouvernement israélien et deson Premier Ministre est criminelle, mais lesactes visant indistinctement des civils israéliensjuifs pour les assassiner de façon aveugle, nerelèvent d’aucune « résistance », d’aucune sorted’ « idéologie de libération ».Au contraire, de tels actes renforcent commejamais la propagande ultra israélienne quidepuis des années piétine les droits du peuplepalestinien alors que celui-ci demande seule-ment de pouvoir vivre en paix dans le cadre deson État, aux côtés d'Israël, dans la coopération.Ces meurtres portent un coup sévère à l’actionde toutes les forces qui en Israël, en Palestine,

comme dans le monde veulentvoir enfin une paix juste, négociéeet durable au Proche–Orient dansle respect des droits fondamentaux du peuplepalestinien et du droit à la sécurité des deux peu-ples. Ils donnent un prétexte rêvé à l’accentua-tion des aspects les plus répréhensibles de lapolitique israélienne.On ne saurait oublier cependant que le début dela guerre menée par Israël contre Gaza s’estaccompagné d’actes monstrueux de la part decolons israéliens. Un adolescent palestinien aété brûlé vif ! Le gouvernement israélien nepeut être blanchi des atrocités commises au nomde sa politique.Ces actes horribles doivent inciter toutes les for-ces progressistes en France à peser commejamais sur le gouvernement français pour lareconnaissance de l’État de Palestine dans lesfrontières de 1967 avec Jérusalem comme capi-tale partagée de deux peuples. C'est ce quedemandent six cents personnalités israéliennes.Toute tentative de différer une telle prise deposition serait une forme d’appui au développe-ment du chaos, de la peur, de la répression sau-vage, et ruinerait au final la sécurité des citoyen-nes et citoyens juifs d'Israël.Pour une paix juste durable et négociée auProche-Orient, pour le respect des droits fonda-mentaux du peuple palestinien, la sécurité desdeux peuples israélien et palestinien, UAVJ neménagera aucun effort et appelle nos compa-triotes, juifs ou non, à s’y joindre. UAVJ

Paris, le 23 novembre 2014

Israël / Palestine

La paix, l’avenir d’Israël en dépend

Communiqué de l’UJREPuisse la France opter pour le camp de la Paix

Meurtres à Jérusalem Point de vue

Où l’on voit que des membres réservistes de l’Unité d’élite du renseignement militaire israélien dénoncent ce qu’on leura fait faire qui, selon eux, vise non pas à assurer la sécurité d’Israël mais à accroître sa domination sur Gaza.

Page 8: Laura Laufer Prenons notre destin en main

Être ou ne pas être juif, se sentirjuif, ce n’est pas la même chose.Gendre de rabbin, je suis ancien

enfant caché ; communiste, puis socia-liste je fus et ne suis plus. Aujourd’hui,je suis plutôt universaliste. A Paris,après la guerre, je ne fréquentais de juifsque mes copains du YASC ; je militaisavec les militants antiracistes et jecroyais qu’après la Shoah, l’antisémitis-me était éradiqué, qu’il ne pourraitjamais refleurir au pays du pain et desroses. Je combattais ceux qui étaientcommunautaristes, juifs ou pas ! Jecontinue. Le comportement de mesamis m’importe plus que leur revendi-cation ethnique. Je suis juif par la nais-sance, mais je ne me sens, avec les juifs,que dans une fraternité de destin.En 2000, en arrivant à Nice j’ai créél’AMEJDAM* et j’ai adhéré àl’Association des Amis du Musée de laRésistance, que j’ai quittée depuis. Puis,j’ai créé l’antenne de La paix mainte-nant pour les Alpes maritimes et rejointl’Association pour l’amitié judéo-musulmane plus quelques autres, démo-cratiques et antiracistes. Je suis incontestablement juif, de la

Peut-on se considérer comme juiflorsque l’on n’a pas vécu dans sacommunauté d’origine ni côtoyé,

ou si peu, sa famille juive avec laquelleon n’a partagé ni religion ni mode devie ? Être juif, n’est-ce pas grandir ets’épanouir au sein de sa « tribu », dansla sécurité d’un groupe ressenti commeuni et solidaire ?Mais être juif c’est aussi assumer unehistoire commune et les souffrancesd’un peuple persécuté depuis ses origi-nes. On ne peut rester à l’écart de cettehistoire lorsqu’une partie de sa famille adisparu à Auschwitz et qu’au seinmême de cette famille (mère juive, pèregoy dont la mère fut une autrichiennepronazie) s’est jouée l’histoire du géno-cide des juifs.Nul ne peut trouver son équilibre sansse construire une identité propre. Aussiest-ce un parcours difficile lorsque dansl’enfance et l’adolescence on a eu cesentiment de n’être nulle part et étrangerà sa propre famille. Dans le contexte de l’après guerre où jesuis née et après le traumatisme subi àl’adolescence lors de la découverte desactivités de mes grands parents pater-nels pendant l’Occupation (collabora-tion avec les nazis et dénonciations dejuifs à la Gestapo), écartelée entre deux

même façon que mon père et ma mèrequi ne le furent que devant les antisémi-tes (voir l’hommage qui leur fut rendudans la Naïe Presse** n° 274 de mars2010) : • Elle plus juive que juive, participa à lacréation du MNCR dont le R signifiaitRacisme quand l’époque était principa-lement à l’antisémitisme. Ces résistantjuifs avaient donc hautement conscien-ce, en 1942, que le racisme commencequelque part mais n’a pas de limite.C’est ce qu’ils m’ont inculqué, c’est cequi m’amena à publier en 2007 «Grandeur et misère de l’antiracisme, leMRAP est-il dépassé ? » • Lui, officier de réserve, avait été pen-dant la guerre responsable des groupesde combat de l’UJJ (MOI) et instructeurmilitaire à Lyon. En 1953, lors de l’af-faire des blouses blanches à Moscou, ilpartit un jour – et nous l’arrêtâmes àtemps – « expliquer » ce que juif voulaitdire à notre secrétaire de section qui,comme d’autres avant lui, qu’il avaitcombattus les armes à la main, avait osélui dire « Vous autres, les juifs » ?Toujours en 1953, venu me récupérer aucommissariat où j’avais été enfermé

branches d’une famille mortifère, je n’aipu amortir le choc et limiter les souf-frances qu’en me tenant éloignée psy-chiquement de tous.Avec le recul, je pense qu’il aurait étéplus structurant dans cette période cru-ciale d’élaboration de la personnalitéqu’est l’adolescence et face au mal abso-lu (dénonciation de ma mère par sabelle-mère c’est-à-dire ma grand mèrepaternelle), de me rapprocher de mafamille maternelle. Il n’en fut rien carMaman était elle-même fort éloignée dessiens pour lesquels elle ressentait un cer-tain mépris en raison de leur rang social(artisans et ouvriers fourreurs). Me rap-procher de ma famille alors que ma mèrene les fréquentait pas (excepté ma grand-mère et mon oncle qu’elle traitait de « raté ») était mission impossible.Pourtant, lors des quelques fêtes oùnous fûmes conviés par ma famillematernelle (comme le retour au pays de« l’oncle d’Amérique » ! ), je les trou-vais tous fort sympathiques. J’admiraiset enviais la tendresse qu’ils manifes-taient les uns envers les autres, leurcomplicité, bref, la chaleur humaine quise dégageait de ces réunions, alors quede la famille paternelle n’émanait pourmoi que tristesse et rancœur, sinonhaine. Les juifs formaient une « vraie

dans la cage à poules pour avoir reven-diqué sur la voie publique la libérationdes Rosenberg, il donna une leçon degéographie au commissaire en luisituant Brest-Litovsk sur la carte. • J’ai incontestablement été un mauvaisjuif pendant la guerre – j’ai huit ans audébut, j’en ai treize à la fin. Ma maîtres-se m’ayant convaincu que je devaischanter plus fort que les autres Maréchal, nous voilà, « je lançaischaque matin un ‘nous voilà’ clair ettriomphant, comme une offrande demoi-même au brave Maréchal qui avaitfait don de sa personne à la France.Albert, furieux, me montrait un poingvengeur, sous l’œil amusé et complicedu maître : ‘Ça, t’as pas le droit. Tu n’esqu’un petit Juif ! Moi, je ne suis pas juif,répondais-je – Si, au village, il y a deuxJuifs, toi et moi. Et en plus, tu es un traî-tre. Tu n’as pas le droit de servir lamesse le dimanche. Ni les vêpres. Ni dechanter Maréchal’ »*** C’est donc àHitler et à mon ami Albert que je dois deme savoir juif. Albert a disparu, moi jesuis vivant, Dieu ne récompense guèreles siens !Sauvé par une famille chrétienne, fils de

famille ». Je ne comprenais pas alorspourquoi Maman s’en était écartée.Bien qu’ayant gardé un lien ténu aveccette famille grâce à une petite cousinede mon âge avec qui je militais auMRAP, quelques bar-mitsvas, mariageset... enterrements (!), je suis donc restéedans ce no man’s land, dans cet entredeux. Tantôt je me reconnais juive, sur-tout dans un contexte antisémite (pro-pos antisémites lancés dans une conver-sation par exemple), tantôt je me senstotalement étrangère à ce milieu dont jene connais pas les codes ni les tradi-tions, même pas le calendrier des fêtesdont je suis incapable chaque année deme souvenir !Cette impossibilité de me rattacher à lacommunauté juive, ou à me définircomme juive ou non juive est en outretrès liée à mes relations avec mesparents dans mon enfance, ces derniersayant divorcé lorsque j’avais six ans.Car à la question « suis-je juive ou nonjuive » ou plutôt « est-ce que je me res-sens juive ou non juive » correspondimplicitement la question : « fais-je lechoix de ma mère ou celui de monpère ? » Ce choix impossible entraînantune difficulté à me positionner dans lesmoments clé de mon existence a été unhandicap à plusieurs reprises, tant du

résistants athées et petit-fils de juifs pra-tiquants, je suis très respectueux de lafoi des hommes, dont 50% sont desfemmes, sous condition que l’extrémis-me inhérent à chaque religion ou cou-rant de pensée ne mène pas à occire sonprochain. Si je respecte les croyants etles philosophes, j’exige qu’ils merespectent en retour. Nous pouvonsdéfendre des points de vue différents,nous devons demeurer fraternels carnous sommes tous des humains !C’est à ce titre que, juif moderne, j’aicréé à Nice une entente qui regroupe lesquatre cultes monothéistes : catholique,protestant, musulman et juif ainsi quedix-neuf associations culturelles toutestendances confondues : « Ensemble,Respectons-nous ». Nous y représen-tons, car je ne suis pas seul, le juif athée,l’homme laïc garant du respect mutuel.Quand on me demanda d’intervenirdans un meeting de soutien à notreministre de la Justice qui avait été atta-quée au motif qu’elle était Noire, je pusdire : « Condamné à mort à l’âge de6 ans parce que j’étais né juif, je me per-mets d’adresser un salut confraternel àMadame Christiane Taubira … ».

(à suivre en page 10)

point de vue familial que professionnel,jusque dans mes choix politiques. Parexemple, je suis depuis longtemps dansl’action politique mais je suis incapablede rallier un parti (même si dans ma jeu-nesse j’ai pendant plusieurs années mili-té au PC). Concernant ce parti, je suis àla fois dedans et dehors ou ni dedans nidehors. Mais revenons à ma judéité.Je n’ai pas choisi mes origines, elless’imposent à moi : mes grands parentsmaternels ont émigré en France audébut du XXe siècle, fuyant les pogromsde Lituanie et de Pologne. Mon histoirefamiliale est omniprésente : le cauche-mar de la Shoah a hanté toute monenfance et me hante encore. Cela est unfait, une réalité. Ai-je pour autant le sen-timent d’être juive ? Encore une fois ouiet non !Pour autant, l’appartenance à une com-munauté ou à un groupe ressenticomme solide et protecteur est unbesoin fondamental lorsque l’on a gran-di dans une famille disloquée. Et si jen’ai pas fait le choix de me fondre dansla communauté juive (mais pouvais-jevéritablement choisir ?), j’ai fait lechoix de rejoindre une autre commu-nauté, la « grande famille communiste ».Est-ce un hasard si j’y ai retrouvé denombreux juifs ?

Comment je me sens juif en 2014 ?par Maurice Winnykamen

Être juif ou ne pas être...par Sylvie DarracqConseillère municipale de Cachan

8 PNM n°321 - Décembre 2014

« Être juif au XXI e siècle »

Page 9: Laura Laufer Prenons notre destin en main

Histoire

Charles-Joseph Lamoral, septièmeprince de Ligne (1735-1814), estsans doute la figure la moins

connue de la période des Lumières. Est-ceparce qu’il a été dans l’armée autrichien-ne, qu’il a pris part à la guerre de Sept Ans,qu’il a été fait chevalier de la Toison d’oret qu’il a fini sa carrière maréchal ? Est-ceparce qu’il était wallon ? En tout cas, il asouffert pour la postérité de l’idée reçueselon laquelle la philosophie des Lumièresest d’abord une invention française, ce quiest en partie faux. De lui, on retient surtout l’œuvre*,d’ailleurs considérable, du mémorialiste.Ami de Casanova, il a publié des Frag-ments de l’histoire de ma vie, ainsi qu’unecorrespondance volumineuse avec tout cequi comptait en Europe. Une fois la guer-re finie, il alla visiter Voltaire à Ferney.Malgré la grande admiration qu’il a pourlui, il l’attaque sur la question religieusecar il demeure un fervent défenseur del’Église catholique : « La religion catho-lique doit plaire à celui qu’inspire le goûtdes beaux-arts ; nous lui devons le Stabatde Pergolèse, le Miserere de Lalande, lesHymnes de Santeuil, tant de chefs-d’œuv-re en musique, en peinture et en sculpture; l’église de Saint-Pierre, la Descente decroix d’Anvers, et une autre de ma galerie,par Van Dyck. La mythologie parlait auxpassions ; le catholicisme, enveloppé demystères, parle à l’imagination. » Voltaire qui ne se démonte pas lui rétorquequ’il le considère comme le plus aimabledes hommes. En fait, sa pensée est pleine

de paradoxes. Tout croyant qu’il soit, il neveut pas d’une morale austère et se reven-dique comme pur hédoniste. Il fait du plai-sir le sommet de l’art de vivre del’ « homme aimable », qu’il considèrecomme la nouvelle version de l’honnêtehomme. Le plaisir doit faire corps avecune foi tempérée d’humanité et sansmoralisme extrême.Il a voulu voler au secours de Rousseau,avec qui il a longuement discuté, a fré-quenté le salon de Mme du Deffand etcelui de Mme Geoffrin, qu’il préféra debeaucoup à la cour de Versailles. Il avaitd’ailleurs une immense considération pourles femmes d’esprit, au contraire du mi-santhrope de Genève et de la plupart deses contemporains. Cet homme originalet d’une culture immense allait à contre-courant de pas mal d’opinions reçues àl’époque. Ce n’est pas tant sa religiositéque son attitude éthique qui le distingue deses pairs. Grand voyageur, il connaîtPrague autant que Vienne, Varsovie à l’é-gal de Saint-Pétersbourg et Paris est sonsanctuaire de prédilection. Son désir d’êt-re sans cesse en mouvement lui procureune large vision d’un monde en train dechanger. Il dialogue avec Frédéric II dePrusse, chez qui il réside, entretient desrapports étroits avec l’impératrice Marie-Thérèse et avec le père de celle-ci,François Ier d’Autriche. Et s’il considéraitDiderot, Helvétius, Holbach, Voltairemême, comme de piètres conseillers pourles rois et de mauvais instituteurs pour lespeuples, il s’est servi de leurs réflexions

novatrices pour élaborer ses propresconvictions.Il est à son époque le seul à adopter uneattitude franchement positive à l’égard dumonde juif, à l’inverse de Voltaire et faceà l’indifférence des philosophes les plusaudacieux, à commencer par Diderot,resté muet sur la question. Laquelle occu-pe une place importante dans le XIe tome,paru en 1801, de ses Mélanges militaires,littéraires et sentimentaux (34 volumes,Dresde, 1795-1811). Son Mémoire sur lesJuifs** commence par un féroce traitd’esprit : « Ils n’ont jamais été à la mode,depuis que Dieu les a abandonnés : c’estpour cela que les chrétiens ne sont jamaisoccupés d’eux ; et d’un autre côté les phi-losophes n’y ont pas pensé, parce que leurfigure ne leur revenait pas. » Il souligneque le premier « brevet philosophique » aété de reconnaître qu’un Nègre est unhomme à part entière. Face aux persécu-tions dont les Juifs sont victimes, il souhai-terait que l’Empire ottoman leur rende leterritoire de Judée, ce qui fait de lui le toutpremier précurseur de l’idée sioniste.C’est selon lui l’ostracisme dont ils sontvictimes qui explique leur allure déplora-ble et leur existence étrange pour autrui. Ilfait l’éloge de ces populations disperséesdans toute l’Europe et sujettes à toutes sor-tes de brimades, parfois pire. Il veut que lacolère contre les Juifs, vieille de 1 800 ans,cesse. Il fait état de tentatives avortées,comme celle de l’empereur Joseph Ierd’Autriche qui voulait les installer enGalicie. Dans un autre passage, il évoque

le projet de Potemkine qui voulait créerun corps d’élite de cavaliers juifs, compa-rable aux cosaques, corps qui se seraitappelé Israélowsky. L’amant de CatherineII voulait s’emparer de la Terre Sainte etutiliser les Juifs pour la défendre contre lesTurcs. Le prince français de Langallerie afait des projets de rassemblement de cettepopulation, et cela lui a valu un séjour enprison. Il voulait créer une « Théocratie duverbe divin » réunissant les confessionscatholique, protestante et juive. (Mais ilest allé en prison surtout pour avoir trahil’Autriche après avoir trahi la France deLouis XIV, au bénéfice des Ottomans !)Bien des utopies ont vu le jour et sont res-tées sans lendemain.Il fait aussi de longues digressions sur lesexe faible : il éprouve un faible pour lesfilles de Sion !Le prince de Ligne a-t-il été un précurseurde Theodor Herzl et de son État des Juifs(1897) ? Certainement pas. Il a néanmoinssemé une petite graine. Et son étonnantecompassion pour le peuple juif en exiléternel est un cas exceptionnel, à uneépoque où M. Arouët ne cessait de vili-pender ces êtres infâmes, cause première,à l’en croire, de la foi épiscopale reposantsur les aberrations bibliques ! * Charles Joseph, prince deLigne, Œuvres III, édition éta-blie et présentée par RomandMortier, Ed. Complexes** Prince de Ligne, Mémoiresur les Juifs, édition commentéepar Jean-Pierre Pisetta, BernardGilson Ed., 2007

Le Prince de Ligne : un penseur des Lumières philosémitepar Gérard-Georges Lemaire

L’histoire propose parfois des épiso-des inattendus, contraires à touteattente. Ainsi du rôle d’un Guelfo

Zamboni, protagoniste d’une affaire quijette un jour nouveau sur des faits tropsouvent oubliés.Né en 1897, à Santa Sofia (province deForlì en Émilie-Romagne), Zamboni arri-ve à Salonique en février 1942, en qualitéde consul général d’Italie. Il trouve surplace une situation compliquée, en raisonnotamment d’une importante commu-nauté juive qui, forte de 56 0000 person-nes, est la cible privilégiée des program-mes raciaux mis en pratique par les forcesnazies installées depuis le 9 avril 1941. Ilfait rapidement le point. Impossible decautionner ce qui se met en place.Inacceptable, le violent sentiment dehonte qui l’accable, un certain samedi dejuillet 1942, face au spectacle de 7 000Juifs regroupés sur la place Elefteria etcontraints par les Allemands à exécuterdes exercices grotesques. Tous serontensuite condamnés aux travaux forcés. Huit mois seulement après cette journéetorride, c’est la mise en route du program-me d’élimination systématique qui fera43 000 morts. Zamboni est résolu à le

contrecarrer avec la dernière énergie. Ils’occupe en priorité des juifs italiens qui,après son intervention, seront considéréscomme italiens et non comme juifs, ce quiles soustrait aux persécutions. Il entrep-rend ensuite de s’occuper des juifs étran-gers. Il invente pour cela un stratagèmerisqué mais efficace. Le consulat italiendélivre des centaines de faux papiers, pro-curant une citoyenneté provisoire à desgens qui n’ont pas la moindre attache enItalie. Exaspérés par l’indiscipline de leurallié, les dirigeants nazis, n’en sont pasmoins paralysés par les démarchestatillonne auxquelles les soumet l’espritinventif de Zamboni. La Villa Olga, quiest le siège du consulat, devient dès lors unvéritable lieu de pèlerinage pour bon nom-bre de Juifs. Le consul trouve des arrange-ments avec le ministère italien desAffaires étrangères qui, après maints ater-moiements, finit par donner son aval. Ilobtient même l’indispensable complicitéde plusieurs personnalités: Bastiani qui,sous-secrétaire au ministère des Affairesétrangères et partisan indéfectible de sonaction, supervise la fabrication de la plu-part des faux papiers ; Merci, qui, officierde la Garde de Finance au consulat, y est

employé en qualité d’interprète en raisonde sa parfaite connaissance de l’alle-mand ; Ghigi qui, diplomate de plus hautrang à Athènes où se trouve le quartiergénéral italien, se révèle un allié précieux;Castruccio qui, ami de Zamboni, sera sonsuccesseur. Au printemps 1943, AloïsBrunner et Dieter Wisliceny arrivent deBerlin. Proches collaborateurs d’Eichmann,ils sont chargés de la mise en œuvre de la« solution finale » à Salonique. La quasi-totalité de la population juive sera dépor-tée dans les camps de la mort. Zamboni quitte ses fonctions le 18 juin1943, mais il a préparé le terrain pour sonsuccesseur et ami Castruccio. Il a notam-ment eu l’idée du « train du sauvetage »,ce convoi ferroviaire qui permettra d’éva-cuer, quelques mois plus tard, des centai-nes de juifs, dont 350 étrangers munisd’un passeport italien obtenu à Athènes,en zone d’occupation italienne. À sonretour à Rome, il doit se défendre avecacharnement contre ses supérieurs hiérar-chiques qui entendent le mettre à la retrai-te anticipée. Il obtient finalement gain decause parce que le régime, déjà moribond,souhaite mettre une sourdine sur tout cequi s’est fait pendant la guerre.

Lucillo Merci rédigera ultérieurement lejournal des événements survenus àSalonique, événements dont les preuvesseront publiées dans le livre d’AntonioFerrari, Alessandro Coppola et JannisChrisafis, Ebrei di Salonicco 1943, i docu-menti dell’umanità italiana. (Les juifs deSalonique, 1943 : les documents qui attes-tent l’humanité italienne). En 1992, le courageux consul est fait « Juste entre les Nations ». À cette occa-sion, il consent enfin à parler de cet épiso-de de sa vie à un journaliste. Il décrit alorsde manière circonstanciée les mois qu’il avécus à Salonique. Ce qui ressort de sesdéclarations c’est sa ferme conviction den’avoir fait que son devoir, un devoirmoral dicté par l’amour authentique de sonprochain. Le destin de Zamboni permet deprendre conscience de la complexité desdynamiques souvent contradictoires qui sesont fait jour pendant la Seconde Guerremondiale : les appuis fournis par divershauts fonctionnaires italiens donnent àentendre que l’Italie condamne fermementles atrocités racistes contre les Juifs, révé-lant ainsi, souvent, son visage de Juste.

Traduit de l’italien parG.-G. Lemaire

Guelfo Zamboni, consul à Salonique ou le visage d’une Italie Juste par Leonardo Arrighi

PNM n°321 - Décembre 2014 9

Page 10: Laura Laufer Prenons notre destin en main

Ohr torah de Nice – qui avait invitépour l’occasion l’école catholiqueSainte Thérèse –, puis à l’Université.Un ami rabbin, appuyé par un autre amiprêtre, m’a affirmé que ces actionsavaient été inspirées à un juif incroyantpar l’Eternel, ce qui est aussi difficile àdémontrer que le contraire. Mais jem’en moque ! Est-ce que je me senscomplètement juif ou rien qu’un petitpeu ? La question ne se pose pas ! Tant

qu’il y aura des antisémites, tant qu’il yaura des racistes, des esclavagistes – caril y en a encore plus qu’on ne peut croi-re –, je m’opposerai. Hier en défilant,aujourd’hui en écrivant. Avec mescamarades juifs comme avec ceux quine le sont pas, avec les croyants commeavec ceux qui ne le sont pas ! Ah ! lalaïcité !

* AMEJDAM Association pour la Mémoiredes Enfants Juifs Déportés des Alpes-Maritimes

(Suite de la page 8) Et c’est conjointement que notreentente a reçu le 3 mars 2013, devantplus de trois cents personnes, Mme IbnZiaten, maman du premier des soldatsabattus par Merah et, par vidéo-confé-rence, M. Sandler, père et grand-père detrois des victimes du même à l’écolejuive de Toulouse. Le lendemain et sur-lendemain, nous sommes allés dans leslycées de la ville, puis à l’école juive

** NDLR : Nous avons maintenu Naïe Pressebien qu’il s’agisse, depuis 1982, de PresseNouvelle Magazine, émus que nous étions de larémanence de ce titre pour l’auteur.

*** Cf. Enfant caché, Hommage et malentendu.

C’est à Berlin qu’il débute vraiment autemps de la République de Weimar,avant d’assister à la prise de pouvoir parles nazis et d’être, lui-même, victime desdiscriminations imposées aux Juifs.Les passants tranquilles dans les rues, etles passages de la capitale allemande desannées vingt-trente et les enfants insou-ciants et rieurs, laissent la place aux affi-ches et aux drapeaux à croix gammées età ce petit garçon dans sa poussette bran-dissant un fanion à l’effigie d’Hitler.Vishniac, comme tous les Juifs, n’a plusle droit de photographier dans les rues. Iltriche en baladant sa fille et en la faisantposer devant la vitrine d’un magasin oùl’on vend des ustensiles pour mesurer…le crâne des Juifs. Entre 1935 et 1939*, il parcourt laPologne, la Lituanie, la Hongrie, laTchécoslovaquie, l’Ukraine et fixe sur lapellicule la vie quotidienne des popula-tions juives dans les grandes villes(Varsovie, Vilna, Lodz, Cracovie) et les

nal de son père. A partir de là, le narra-teur revisite La Bachellerie en se lançantsur les traces de la mémoire de cesfamilles juives disparues.Destins croisés et peinture d’undépartement de la France profondedans cette période troublée.Plusieurs axes se croisent qui donnentune palpitation à cet ouvrage. On y app-rend une foule de choses concernantl’Histoire et ce qui s’est passé dans cedépartement où la vie était rude et sansconfort, mais on y voit aussi la vie, lesmœurs des villages de Dordogne decette époque, la vie des différentes com-munautés, leur travail. L’histoire se croi-se avec celle du narrateur et ses souve-nirs intacts, celle des natifs de la régiondurant l’Occupation et celle de cesfamilles juives et non juives venues deStrasbourg. Un village qui vivait un peuhors du temps, souffrait moins de la faimqu’ailleurs, était humain et tolérant, jus-qu’aux premiers signes d’antisémismeen 1941. On y apprend comment lapopulation de l’est de la France(Alsace/Loraine) a été transplantéenotamment en Dordogne, alors que le1er septembre 1939, l’état-major fran-çais avait ordonné l’évacuation desvilles entre le Rhin et la ligne Maginot.80 000 habitants de Strasbourg et des

shtètels des coins les plus reculés desCarpates. Il accumulera 16 000 négatifsdont 2 000 seulement pourront être sau-vés. Vishniac répond à une commande :l’American Jewish Joint DistributionCommittee (JDC ou "Joint"), fondé en1914 aux États-Unis, a besoin d’argent ;il veut émouvoir l’opinion juive la plusriche et propose au photographe de four-nir des images des Juifs de l’Est les pluspauvres, les plus démunis. Roman réali-se là une œuvre dont il ignore la portéehistorique. Même s’il affirmera plus tard,« Je sentais que le monde allait êtrehappé par l’ombre démente du nazismeet qu’il en résulterait l’anéantissementd’un peuple dont aucun porte-parole nerappellerait le tourment », même s’ilavait lu Mein Kampf, nul et donc pas luiaussi, ne pouvait prévoir la catastrophequ’allait être la Shoah. Mais il est dans lavérité lorsqu’il déclare, après la guerre :« Je n’ai pas pu sauver mon peuple, j’ai

environs sont arrivés en Dordogne. Et avec la débâcle de 1940, le retour desstrasbourgeois non juifs à Strasbourg,tandis que restaient à La Bachellerie 15familles juives. On y parle des camps deGurs et de Rivesaltes où l’on déportaitdes politiques de Paris, d’Aragon (et deBlanche et l’oubli) venus rendre visite àLéon Moussinac, et des résistants abattus.On y décrit le maquis et les horreurs de ladivision Brehmer qui arrive dans la régionfin mars 1944 pour y traquer les juifs réfu-giés dans la région et les résistants.Un très beau livre qui ne fait pas dansle pathos.Instructif, il nous fait découvrir demanière très distanciée des histoiresdouloureuses dans une Histoire troublée.L’auteur remonte le temps, pour un ulti-me écho à ce drame qui s’est produitdans le village de son grand-père. Enmême temps, c’est un retour sur le lieude cette enfance insouciante, une revisi-te de son village avec les yeux de celuiqui a appris et découvert cette stèle à lasortie du hameau de la Genèbre, avant lacôte de la Madeleine, avec les noms desrésistants et juifs assassinés parles allemands. * Jean-Marc Parisis,Les Inoubliables,Éd. Flammarion, 2014, 240 p., 18 €

On connaissait les photographiesréalisées par Roman Vishniac aumilieu des populations juives

d’Europe centrale et orientale dans lesannées trente1 ; l’exposition présentée auMusée d’Art et d’Histoire du Judaïsme(MAHJ) nous révéle les talents multiplesd’un artiste autant que d’un savant2.Très jeune le petit Roman, né Pavlovskdans la banlieue de Saint-Pétersbourg en1897, est passionné de biologie et dephotographie. Pour ses sept ans, sagrand-mère lui offre un premier appareilphoto et un microscope. Le garçon adap-te l’un à l’autre et se met à photographierdes insectes minuscules. La microphoto-graphie est née. Elle l’occupera jusqu’à lafin de sa vie dans l’après-guerre.Mais avant, Roman Vishniac qui suit sesparents dans leur exil berlinois en 1920 sesera formé à l’art de la photo, mêlant lesstyles et les influences des époques suc-cessives : le constructivisme et les avant-gardes à la Rodtchenko, le réalisme.

Un livre de mémoire qui traverse laDordogne et des destins doulou-

reux sous l’occupation.Tout part d’une photo trouvée sur Internet,celle de la famille Schenkel, un coupleavec ses cinq enfants déportés et assassinésà Auschwitz en 1944. Ce cliché, trouvéalors qu’il recherchait vainement desphotos du Vél’ d’Hiv lors de la rafle dejuillet 1942, le ramène dans le village deson enfance, là où il a passé, bien plus tardaprès la guerre, toutes ses vacances à LaBachellerie en Dordogne dans la maisonde ses grands-parents paternels. Uneenfance heureuse et insouciante dans cebeau village et cette belle Dordogne qui nelaissait rien poindre de ce qui s’était passédes années plus tôt. Un thriller, une enquête vibrante pourretrouver la mémoire dans les archivesdépartementales et auprès des der-niers témoins C’est dans l’édition 2001 du Mémorialdes enfants juifs déportés de France deSerge Klarsfeld que le narrateur retrouved’autres photos de familles juives ayantété transplantées de l’est de la France àLa Bachellerie et environs. Des famillesentières décimées, et quelques rescapés.Parmi ceux-ci, il retrouve BenjaminSchupack, le cadet survivant d’unefamille exterminée, qui lui prête le jour-

seulement sauvé son souvenir ». Car ce « monde disparu » nous est effective-ment connu aujourd’hui de par sesphotos, ou par les témoignages picturauxd’Ilex Beller3 ou par ceux de TobyKnobel Fluek, née à Czernica, enPologne, survivante du ghetto de Brody4.Lorsque la guerre éclate, RomanVishniac se réfugie en France avec safemme et sa fille ; ses parents sont en exilà Nice sur laquelle il braque son objectifune fois de plus. Il est cependant internépendant trois mois dans le camp d’Annot(Basse-Alpes) avant de partir pour lesÉtats-Unis via Lisbonne. Il essaie alors desensibiliser les Américains aux massac-res des Juifs d’Europe, sans succès. NiRoosevelt ni son épouse ne répondront àses lettres. Ce n’est qu’en 1947, qu’ilréussit à publier ses clichés dans un livretragiquement intitulé The VanishedWorld : Jewish Cities, Jewish People. Ilfaudra attendre 37 ans pour qu’il paraisseen France où réside la plus importantepopulation juive d’Europe.L’exposition du MAHJ est, aujourd’hui,un écrin de vie, grâce aux fabuleux cli-chés de Vishniac. Avant tout, par la pas-sion que ce dernier voue aux enfants,dont on se dit, avec horreur, que pas unn’a survécu et qui, cependant, plus desoixante-dix ans plus tard, ouvrent surnous leurs grands yeux noirs. De quoinous inspirer une infinie tendresse enmême temps qu’une une infinie tristesse.En noir et blanc. 1 Roman Vishniac, Un monde disparu, préf. ÉlieWiesel, Éd. Le Seuil, Paris, 1984.2 MAHJ, Hôtel de Saint-Aignan, 71 rue duTemple Paris 3e. Jusqu’au 25 janvier 2015 - lu. auve. 11 a 18h., Di. 10 a 18h., Me. nocturne jusqu’a21 h.3 Ilex Beller, Ils ont tué mon village: main shtetl,Cercle d'art, 1981 - La vie du shtetl: la bourgadejuive de Pologne en 80 tableaux, Éd. du Scribe,19864 Toby Knobel Fluek, Memories of My Life in aPolish Village 1930-1949, Hamish Hamilton,London 1990.* NDLR : Albert Londres décrivait déjà la misèrenoire des juifs d’Europe de l’Est dans un roman-reportage Le juif errant est arrivé paru en 1930aux éditions Albin Michel et accessible viaInternet grâce aux archives de la BNF :http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206742b

« Être juif au XXI e siècle »

Culture

Maurice Winnykamen est l’auteur deGrandeur et misère de l’antiracisme - le MRAPest-il dépassé ? - Enfant caché, Hommage etmalentendu - La faute de Rachel, qu’est-ce queje fasse ? - Symphonie de la mémoire, le Collineet villa Jacob 2 tomes - Arnold Racine, unhomme dans les tourmentes - Pour ne jamaisles oublier - Les superstitions des voileux.

L’œil témoin de Roman Vishniacpar Bernard Frederick

10 PNM n°321 - Décembre 2014

« Les inoubliables » de Jean-Marc Parisislu par Simone Endewelt

Page 11: Laura Laufer Prenons notre destin en main

I. John FORD - Du rêve américain à l’écran noir

Cinéma La chronique de Laura Laufer

Mendjizky, de père en fils

Les livres à offrir* CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE -Cycle John Ford du 3 décembre au 23février 2015 - Cliquer sur ce lien pour plusde détails : http://www.cinematheque.fr/fr/dans-sal-les/hommages-retrospect ives/f iche-cycle/john-ford,609.html

En 1894, naît Martin Sean Feeneydit aussi Sean Aloysius O’Feeney,cadet d’une famille pauvre d’im-

migrés irlandais qui compte onzeenfants. Son cinéma n’oubliera pas cetteorigine. Sous le nom de John Ford, entre1917 et 1966, il racontera le rêve améri-cain, puis en montrera les doutes, ledéclin et la fin. Cet article non exhaustifrevient sur quelques traits de ce regardqui a saisi ainsi le mouvement del’Histoire.

Les films de Ford possèdent une génialevitalité mêlant tension et pause de l’ac-tion, intensité tragique et humour parune écriture claire, sobre, rigoureuse liéeà un sens admirable de la compositionplastique. Que l’action ait une duréecourte (La patrouille perdue) ou sedéploie sur de nombreuses années (Laprisonnière du désert), que sa formes’apparente à la nouvelle (Inspecteur deservice), à la pochade (Planqué malgrélui), à la fresque (Ce n’est qu’un aurevoir), Ford s’intéresse dans un espaceprécis au microcosme humain que faitvivre sa troupe fidèle d’acteurs dans unjeu naturel mêlant héros et personnagespittoresques. Citons quelques vedettes :Harry Carey dans le muet, Will Rogers,Henry Fonda, John Wayne, JamesStewart, Maureen O’Hara mais aussiWard Bond, Woody Strode, DonaldCrisp, Anna Lee, Mae Marsh … et JaneDarwel superbe mère courage desRaisins de la colère dont certainesséquences préfigurent le néoréalisme.Ford crée une comédie humaine qui a satendresse. Il tourne dans des genresvariés, mais reste célèbre pour ses wes-terns. La majestueuse Monument Valleyy devient son décor favori et sa signatu-re. Autre paysage inoubliable, l’Irlande :

tantôt opprimée et en lutte (Le mouchard,Le jeune Cassidy), tantôt lyrique(L’homme tranquille, Quand se lève lalune, tournés en Irlande).

Pour Ford, la figure de Lincoln incarne lerêve américain. Le cheval de fer, épopéedu premier chemin de fer transcontinen-tal lui est dédié. Chef-d’œuvre poétique,Vers sa destinée trace du jeune Lincoln(Henry Fonda) le portrait d’un hommesimple, tenace, issu et proche du peupledont les qualités morales et physiquesemportent l’adhésion, mais une figureque Ford détache et agrandit à la dimen-sion du mythe national. Son aura rayon-ne encore dans Je n’ai pas tué Lincoln.

Autres thèmes récurrents : famille, égli-se, armée, nation, des institutions dontFord montre le protocole, les codes et l’é-rosion. La famille se délite jusqu’à la rup-ture sous la contrainte économique etsociale (Qu’elle était verte ma vallée, Lesraisins de la colère, Rio Grande, L’aiglevole au soleil). La cuisinière et l’anciencommis de cuisine forment à West Pointun couple irlandais stérile regardant,impuissant, défiler les soldats d’uneguerre à l’autre (Ce n’est qu’un aurevoir). Le docteur de La chevauchéefantastique heureux aide à une naissance.Vingt ans plus tard, celui des Cavaliers

Culture

PNM n°321 - Décembre 2014 11

I l était une fois le cinéma* ou com-ment les hommes ont voulu garder

trace de leur présence par des imagesdonnant l’illusion de la vie. Un rêvedevenu réalité, le cinéma. Ce livre enécrit l’histoire, concentrant l’essentieldans un style très accessible pour ses jeu-nes lecteurs. Sa qualité est de montrer lelien existant entre le monde et le cinéma,comment ce dernier s’est inscrit dansl’histoire et l’histoire en lui, à travers seshommes, ses techniques, ses styles, sonéconomie, ses institutions, ses pays, sesspectateurs. Conseillé dès 11 ans.

L’art du cinéma Ce beau livre d’artdeviendra une référence et de poids :4462 grammes ! Synthétique, il s’orga-nise en quatre grands chapitres Lesdébuts, Le règne du cinéma, Le bascule-ment moderne et La planète cinémachange de forme pour dire simultané-ment l’histoire du cinéma et le mouve-

ment de l’histoire qui s’y reflète. De lasortie du XIXe siècle à la mondialisa-tion, de l’art de ses pionniers à celui desauteurs de la modernité, plus d’un sièclede bouleversements traverse le cinéma,de l’Europe, aux Amériques, à l’Afriqueet à l’Asie. Par ses ressources encyclopé-diques et par le plaisir qu’il offre auxyeux, un livre précieux. LLJean-Michel Frodon : * Il était une fois lecinéma, Éd. Gallimard Jeunesse, 2014, 216 p.,22,50 € ** L’art du cinéma, Éd. Citadelles etMazenod, 2014, coll. Art et GrandesCivilisations, 624 p. reliées toile sous jaquette etcoffret., 800 ill. couleur, 205,00 €

avoue éprouver de l’effroi à chacuned’elles. Le monde change, la démocratiedécline : le juge Priest (nom messia-nique) lutte contre l’exclusion et le lyn-chage dans Le soleil brille pour tout lemonde et sera élu maire ; plus tard, dansLa dernière fanfare, le candidat prochedu peuple appartient au passé et perdcontre une potiche à la solde des finan-ciers et lancée par les médias.

À la fin de la Piste des Mohawks, le dra-peau exalte en 1776 l’héroïsme despionniers et ses premières étoiles saluentla diversité culturelle dans la naissancede la nation. Vingt ans plus tard, toute ladynamique du film Les cavaliers estconstruite sur la pénétration violente etcontinue des Yankees en terre sudiste. Lapolitique de la terre brûlée ouvre uneplaie dans la nation. Sous le drapeau,l’ingénieur détruit les voies de cheminde fer qu’il construit dans le civil et lemédecin répare sans cesse la chair àcanon pour la renvoyer à la boucherie.La division du travail est le secret de l’ef-ficacité dans la machine de destruction.

Le western abandonne la figure messia-nique et salvatrice du héros guidant lacommunauté en Terre promise (Leconvoi des braves). Dans le premiervolet de la trilogie de la cavalerie, LeMassacre de Fort Apache, le colonelThursday avide de gloire et méprisantl’Indien, provoque une guerre absurde etle massacre de ses hommes. À la fin dufilm, l’officier survivant raconte à lapresse une légende contraire à la réalité.Ce film inspiré de la défaite de Custer àLittle Big Horn dénonce la corruption del’administration. La prisonnière du désertconfirme le doute. Ce film tourné àMonument Valley raconte la recherched’une enfant enlevée par les Comanchespar son oncle Ethan et son frère adoptifMartin métis de sang indien. La guerrecivile a désœuvré, et rendu amer et racis-te Ethan (John Wayne), mû par la haineet la vengeance. Avec ce personnagepoignant et complexe, commence ladéconstruction du mythe de l’Ouest et lacrise de son héros.

Nous assisterons à leursfunérailles dans L’hommequi tua Liberty Valance. Il reste auGuthrie Mc Cabe des Deux cavaliers àmonnayer l’illusion du droit du sang parun pari risqué sur la libre entreprise pourcourir à la faillite ! Le dernier western del’œuvre revient au thème de la Terre pro-mise, mais pour le droit au retour de lanation Cheyenne (Les Cheyennes) : unegeste noble et tragique.

Ford a superbement filmé les femmes.Maureen O’Hara, la rousse irlandaise autempérament de feu, Ava Gardnerfemme libre et superbe dans Mogambo.Il a porté dans Mary Stuart, un regardamoureux sur l’actrice KatharineHepburn, femme libre et de convictions,son amie durant toute sa vie.

En 1966, il livre un film sombre etmagnifique, Seven women. Frontière chi-noise en 1935 : la docteure Cartrwright(Anne Bancroft), femme athée qui fume,boit, a aimé dans l’adultère, arrive dansune mission pour l’accouchement délicatd’une femme en âge de ménopause. Ladirectrice de la mission dénonce en ellel’image du pêché et de la fornication.Une épidémie s’abat sur le lieu, puis unehorde qui pille et viole. Ni armée, nipatrie, ni Dieu pour sauver la commu-nauté. Le seul salut viendra deCartwright armée par la vie pour fairefront. Ce sera au prix du sacrifice d’elle-même dans un geste ultime et lançant cesderniers mots au bourreau « So long youbastard ! » suivi du fondu au noir d’unécran qui restera noir. Ces paroles du per-sonnage mais aussi du cinéaste avantl’entrée dans les ténèbres, signent le nau-frage d’une civilisation et l’héritage ciné-matographique d’un géant.

À suivre en janvier II. John Ford. 1939-1945 de Midway à Nuremberg

Juste au niveau du métro Vaugirard(279 rue de Vaugirard, au fond

d’une impasse nommée squareVergennes) se trouve un magnifiquepetit musée privé, le musée :MENDJINSKY - Écoles de Paris.

Le fonds provient des œuvres du père,Maurice, ami de Renoir, Picasso etd’autres artistes émigrés, combattantFTP-MOI. Actuellement et jusqu’à lafin de l’année, y sont exposées desœuvres magistrales*, dédiées auxcombattants du ghetto de Varsovie oùsa famille fut exterminée.

Le fils, Serge, à l’origine de ce musée,ne démérite pas du père en joignant àla poursuite des recherches de ce der-nier, son propre chemin d’expressiontout aussi impressionnant. Le tout àl’abri des bruits dans un bâtiment artdéco, à l’abri aussi des bruits des fou-les qui se bousculent là où les médiasles envoient. Gisèle Jamet* Jusqu’au 31 décembre 2014, l’expositionMaurice MENDJIZKY et la FIGUREHUMAINE, autour des dessins préparatoiressur le Ghetto (1947-1950) sera ouverte tous lesjours sauf le jeudi et jours fériés de 11 h à 18 h.(http://www.fmep.fr)

Page 12: Laura Laufer Prenons notre destin en main

acteurs et particulièrement MilenaVlach qui incarne Eve, la féministeproche de Jaurès au journall’Humanité, et Guillaume Van’tHoff, le merveilleux Le Gavrochevendeur du journal, qui nous plongesi habilement dans l’époque, à cetteouverture vers la vie et les luttes. Le Théâtre de l’Épée de Bois, hautlieu d’une programmation d’extrêmequalité, est un cadre qui se prête par-ticulièrement à « rallumer tous lessoleils ». Nous suivrons attentivement l’actua-lité de cette compagnie très profes-sionnelle et talentueuse pour nos lec-teurs de la PNM. Peu subventionnée,la compagnie mérite le soutien desspectateurs (un appel aux dons estfait) afin qu’elle puisse continuer àmonter des pièces de qualité dont laprochaine « Antigone 14-18 ou leprocès d’Hélène Brion », prévuepour 2017, est particulièrement allé-chante.

* Créé au Théâtre de l’Épée de Bois, ce specta-cle sera repris du 14 au 17 janvier 2015 auThéâtre Berthelot (Montreuil) petit théâtre du style des Bouffes du

Nord. Bien implanté depuis 1985 dansce quartier populaire, au 35 rue Léondans le XVIIIe arrondissement, il s’estsignalé par une programmation auda-cieuse. Il est resté ouvert aux associa-tions et aux mouvements sociaux. Sivous êtes amoureux de Paris et du théâ-tre, vous n’accepterez pas que soientdétruits des lieux emblématiques d'unevraie culture et d'un vrai engagementpopulaires. BChttp://www.avaaz.org/fr/petition/Il_faut_sau-ver_le_lavoir_moderne_parisien/?tUhkdbb

plaintes, morts, révolte emplissent lewagon, le narrateur rapporte cetteconversation entre un père et son filsde 12 ans, ce père qui continue, commesi de rien n’était, à enseigner à son filsl’aérodynamisme, Dieu, Mozart, lesmathématiques, Spinoza, la géogra-phie, l’amour et l’humour ; sept joursqui contiendront, en temps réduit, toutela vie normale qui aurait dû advenirpour cet enfant, jusqu’à son mariage.Le père et le fils se prêtent au jeu : « Mon fils, ces gens crient si fort parcequ’ils ne veulent pas que tu entendesmes explications et que tu devrais êtrecapable de trouver la réponse tout seul !Dit-il en souriant. En souriant ! En cetemps- là, l’amour était de mentir auxenfants. »Le comédien crée un lien avec lesspectateurs, seulement une valise et unlivre comme accessoire, et il noustransmet en direct. Magnifique !

* Mr Schpill et Mr Tippeton de Gilles Segal(disparu le 11 juin 2014) a reçu deux « Molière »en 1996 et le prix SACD en 1995. Gilles Segal aété comédien, mime, metteur en scène, auteurdramatique.

* Le spectacle n’est plus programmé dans lessalles de spectacles mais le comédien peut lejouer à la demande (contact : Bords de scènes01 41 90 09 41)

Au début, il y a la belle, l’étonnante JulieCloux, avec ses brèves contorsions, quiau fur et à mesure qu’elle se met àconter, fait entrer la bête en elle pour finirpar se retrouver d’un seul coup toute nuesur scène. Puis s’enchaînent 14 tableauxhumoristiques et visuels au cœur de lasavane africaine où la musique, le cor-porel et le visuel, la féérie prennent alorsle pas sur la parole. Le spectacle plaît oune plaît pas. Toujours est-il que, mêmes’il y a quelques clichés, il nous assène

Une écriture intelligente et un spec-tacle très vivifiant qui résonne dansnotre actualité.« Rallumer tous les soleils » est unspectacle magnifique, engagé, intelli-gent, qui nous incite à penser. Il nousredonne la pêche et montre que théâ-tre et politique sont bien réconcilia-bles. Surtout quand il est servi pard’excellents comédiens, une mise enscène très étudiée et fine, et un textetrès bien construit et documenté, parun auteur, Jérôme Pellissier, quiconnaît Jaurès et Péguy sur le boutdes doigts. Il mêle fiction et réalité,histoire et questions contemporaines. Ce spectacle nous rappelle combienles idées de Jaurès sont encore actuel-les et combien ses réflexions étaientpertinentes jusqu’à être visionnaireslorsqu’il parle de l’islam, de la guer-re, du capitalisme, du colonialisme,de l’Europe, de la laïcité qu’il ne vou-lait pas que l’on confonde avec l’a-théisme. Un spectacle qui rendrait àceux qui l’auraient perdu le goût desutopies et la nécessité du combat : « Rallumer tous les soleils » sont lesparoles de Jaurès, de même que desexpressions fortes telles « Si l’huma-nité a eu la force de concevoir la jus-tice, elle a la force de la réaliser… ».L’ovation de la salle avec ses tonner-res d’applaudissements rend homma-ge à cet homme clairvoyant qui fait sibien écho en notre siècle, à un specta-cle si bien mené, si éclairant, aux Le Lavoir Moderne Parisien est en dan-

ger. L'unique théâtre de la Goutte d'Orrisque de tomber entre les mains d'unpromoteur immobilier. C'est la politiquede la rentabilité à tout prix. Pour scanda-leuse qu’elle soit, l’affaire est banale. Lethéâtre n’est pas rentable. D’une maniè-re générale, il est rare que l’on fasse desaffaires avec la création artistique. Restequ’il faut préserver le patrimoine artis-tique de Paris. Reste que la France abesoin d’une authentique politiqueartistique. Un peuple vivant a besoind’une culture vivante. Le LavoirModerne Parisien est un magnifique

Un texte très émouvant mené demain de maître par Pierre-YvesDesmonceaux, un hommage à la vie,un humour et une distanciationpour résister au malheur et conti-nuer à se sentir homme.La mise en scène et l’interprétationpudique et forte de Pierre-YvesDesmonceaux est à la hauteur de ce trèsbeau texte profond et bouleversant qu’ilsert magnifiquement, lui donnant unrythme scénique, dépouillant la scènede tout artifice, soulignant finement etpudiquement la force de vie et d’amour.Le début du récit donne le ton : « En cetemps là, l’amour était de chasser sesenfants ».Déporté à Auschwitz via les convois dela mort, un homme juif écrit ces septjours passés dans ces wagons, pour lapremière fois, et des années plus tard,pour transmettre la mémoire. C’est àson fils parti vivre aux U.S.A. qu’iladresse son livre afin que les généra-tions suivantes puissent en prendreconnaissance. Mais la transmissionpasse aussi par l’éducation et l’amourqui fait qu’on se sent homme mêmedans les situations les plus tragiques,les plus avilissantes. Au cœur de latourmente, alors que cris de douleur,

La performance de Marielle Pinsart“En quoi faisons-nous compagnieavec le Menhir dans les landes”scotche les spectateurs.Marielle Pinsart est une pince-sans-rire,une foldingue. Elle est capable de nousexpliquer dans une conférence sur lessinges capucins que les singes « bobo »de certains quartiers en Suisse ont euxaussi certaines caractéristiques. C’estqu’il existe des parallèles entre ces petitsprimates d’Amérique du Sud et cesgrands primates d’Europe occidentalecentrale nous affirme-t-elle. Et elle nousles détaille. Son spectacle « En quoi fai-sons-nous compagnie avec le Menhirdans les landes » ne dément pas sa fan-taisie et son humour décapant. Qui dusinge ou de l’homme est la bête ? Lestouristes qui viennent dans la jungle afri-caine, ceux qui entament leur chant tyro-lien, les vaudous africains ?

ERRATA de la PNM n° 320(novembre 2014)

Page 4, sous le titre : Dans lasignature, il fallait lire « Jacques »et non « Pierre » Courtès Page 6, bas de 3e colonne : Il fal-lait lire « dans ce nouvel ouvrage(constate l’auteure de la préface,qui s’en félicite), les institutionss’estompent au profit des hom-mes. ». Ainsi l’incise “(constatel’auteure de la préface, qui s’enfélicite)” était de Maurice Cling etnon de Michel Laffitte.

une espèce de claque qui nous réveille.On est surpris par la force des images,par ce montage inhabituel. Les comé-diens qui ont beaucoup travaillé parimprovisation se débrouillent bien etréveillent la bête en eux de manièrecocasse et remarquable. En Suisse, cetype de théâtre explore des formes nou-velles dans des lieux différents du grandthéâtre plus traditionnel. * Le TARMAC - La scène internationalefrancophone, tel. 01 43 64 80 80

Théâtre La chronique de Simone Endewelt

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© Laurence Leblanc

Rallumer tous les soleils : Jaurès ou la nécessité du combat

Il faut sauver le « Lavoir Moderne Parisien »

« En ce temps-là l’amour » de Gilles Segal*

PNM n°321 - Décembre 2014

Loufoque, dingo, fantaisiste

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Culture