l’établissement public, mode de gestion de la politique · la contractualisation de la...

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Université de REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE UFR de Droit et Science Politique École Doctorale Sciences Humaines et sociales Centre de Recherche sur la Décentralisation Territoriale EA 3312 THÈSE Pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Reims Champagne-Ardenne Discipline : Droit public par Julien MORAUD le 12 décembre 2013 L’établissement public, mode de gestion de la politique culturelle de l’État Membres du jury : Monsieur Bernard DOLEZ, Professeur de science politique, Université Paris-I Panthéon Sorbonne, rapporteur Monsieur Christophe MONDOU, Maître de conférences, Habilité à diriger des recherches en droit public, Université Lille II, rapporteur Monsieur Jean-Claude NÉMERY, Professeur de droit public, Université de Reims Champagne-Ardenne, co-directeur Monsieur François RANGEON, Professeur de science politique, Université de Picardie Jules Verne, président Monsieur Fabrice THURIOT, Docteur en droit public, Habilité à diriger des recherches, Université de Reims Champagne-Ardenne, co-directeur, membre invité ©

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  • Université de REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE

    UFR de Droit et Science Politique

    École Doctorale Sciences Humaines et sociales

    Centre de Recherche sur la Décentralisation Territoriale EA 3312

    THÈSE

    Pour obtenir le grade de

    Docteur de l’Université de Reims Champagne-Ardenne

    Discipline : Droit public

    par

    Julien MORAUD

    le 12 décembre 2013

    L’établissement public, mode de gestion de la politique culturelle de l’État

    Membres du jury :

    Monsieur Bernard DOLEZ , Professeur de science politique, Université Paris-I Panthéon Sorbonne, rapporteur Monsieur Christophe MONDOU, Maître de conférences, Habilité à diriger des recherches en droit public, Université Lille II, rapporteur Monsieur Jean-Claude NÉMERY, Professeur de droit public, Université de Reims Champagne-Ardenne, co-directeur Monsieur François RANGEON, Professeur de science politique, Université de Picardie Jules Verne, président Monsieur Fabrice THURIOT , Docteur en droit public, Habilité à diriger des recherches, Université de Reims Champagne-Ardenne, co-directeur, membre invité

    ©

  • Université de REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE

    UFR de Droit et Science Politique

    École Doctorale Sciences Humaines et sociales

    Centre de Recherche sur la Décentralisation Territoriale EA 3312

    THÈSE

    Pour obtenir le grade de

    Docteur de l’Université de Reims Champagne-Ardenne

    Discipline : Droit public

    par

    Julien MORAUD

    le 12 décembre 2013

    L’établissement public, mode de gestion de la politique culturelle de l’État

    Membres du jury :

    Monsieur Bernard DOLEZ , Professeur de science politique, Université Paris-I Panthéon Sorbonne, rapporteur Monsieur Christophe MONDOU, Maître de conférences, Habilité à diriger des recherches en droit public, Université Lille II, rapporteur Monsieur Jean-Claude NÉMERY, Professeur de droit public, Université de Reims Champagne-Ardenne, co-directeur Monsieur François RANGEON, Professeur de science politique, Université de Picardie Jules Verne, président Monsieur Fabrice THURIOT , Docteur en droit public, Habilité à diriger des recherches, Université de Reims Champagne-Ardenne, co-directeur, membre invité

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    À Toursène

  • Remerciements

    Je tiens à exprimer à Monsieur le Professeur Jean-Claude Némery et à Monsieur Fabrice

    Thuriot toute ma reconnaissance et mes chaleureux remerciements pour m’avoir encouragé à

    préparer cette thèse, puis soutenu et dirigé tout au long de sa rédaction. Les conseils

    prodigués, tant sur le travail à réaliser, que sur les matières juridique et culturelle, m’ont été

    précieux.

    J’adresse également de vifs remerciements notamment à Madame Suissa-Elbaz, chef du

    bureau des affaires juridiques à la direction générale de la création artistique et Monsieur

    Fabrice Linon, directeur administratif et financier de l’établissement public du parc et de la

    grande halle de La Villette pour leurs précieux conseils. Je n’oublie pas non plus Monsieur

    Didier Salzgeber qui m’a permis d’intégrer le Comité de liaison des EPCC et m’a fait partager

    sa réflexion sur les modes de gestion culturels.

    Mes pensées vont également à ma famille et à mes amis qui ont été de précieux conseillers et

    soutiens.

  • Résumé

    L’établissement public, mode de gestion de la politique culturelle de l’État

    Le régime de la tutelle sur les établissements publics, et les conditions de la coopération,

    appréhendées selon les critères classiques du droit administratif, ne permettent qu’une

    conduite imparfaite de la politique culturelle de l’État. Les établissements publics sont un

    objet : le ministère de la Culture établit avec ces personnes publiques dotées d’une autonomie

    des rapports inégaux qui ne peuvent fonder la mise en œuvre d’une politique publique

    cohérente.

    Les finances publiques enrichissent cependant le droit public et en modifient les instruments

    administratifs : la loi organique relative aux lois de finances crée de nouveaux rapports entre

    l’État et les entités en charge de l’exécution d’un service public. L’opérateur de l’État est le

    point d’entrée d’une gouvernance inédite et de l’introduction de la performance au sein des

    établissements publics nationaux. Par ailleurs, de nouvelles structures de coopération se

    mettent en place, qui enrichissent les critères de l’établissement public.

    La contractualisation de la performance, dont il convient d’étudier les possibilités de l’étendre

    aux structures de coopération, est un moyen de faire de l’établissement public un acteur de la

    gouvernance culturelle : de nouvelles connexions s’établissent, les gestionnaires des structures

    culturelles doivent rendre des comptes. En retour, la généralisation de cette dynamique de

    contractualisation serait un moyen pour l’État de mener une réflexion inédite sur la

    détermination et la conduite de la politique culturelle, à partir de ses modes de gestion.

    Mots-clés : établissements publics, politique culturelle, tutelle, coopération, LOLF,

    gouvernance, pilotage, performance.

  • 8

  • 9

    Abstract

    The Public Establishment : Management of the State's Cultural Policy

    The mode of supervision of public establishments, together with the cooperation conditions,

    understood on the basis of the classical criteria of administrative law, only allow for an

    imperfect conduct of the state's cultural policy. The public establishments are an object: The

    Ministry of Culture establishes relations with these public entities that are on unequal footing

    and cannot provide a basis for the implementation of a coherent public policy.

    However, public finances add to the wealth of public law and modify its administrative

    instruments : the loi organique relative aux lois de finances (Organic Law on Laws of

    Finance of August 1, 2001) establishes new relations between the state and the entities

    responsible for the implementation of a public service. The state operator represents the

    entrance point of a new governance that introduces the notion of performance within national

    public establishments. Further, new cooperation structures are being put into place that enrich

    the criteria of public establishments.

    The fact that performances are contractually defined – and the extension of this system to

    cooperation structure should be examined – can turn the public establishment into a player in

    the field of cultural governance: New connections are established, the managers of cultural

    structures are made accountable. In return, the wider application of this contracting dynamic

    would provide the state with a unique opportunity to reflect on how to determine and conduct

    a cultural policy based on these forms of managements.

    Keywords : public establishments, cultural policy, supervision, cooperation, Loi organique

    relative aux lois de finances, governance, management, results.

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    Sommaire

    PREMIÈRE PARTIE- L’ÉTABLISSEMENT PUBLIC OBJET DE POLITIQUE

    CULTURELLE

    Titre 1 : Une intervention étatique fondée sur des structures culturelles

    Chapitre I : L’administration de la culture développe la tutelle sur ses établissements publics

    Section 1. L’administration centrale intègre les préceptes LOLFiens

    Section 2. La tutelle administrative de l’État sur ses établissements publics

    Chapitre II : La décentralisation culturelle encourage le développement de la coopération institutionnelle

    Section 1. Les Directions régionales des affaires culturelles ou la déconcentration de l’action culturelle

    ministérielle dans les territoires

    Section 2. La coopération entre l’État et les collectivités locales par le recours aux modes de gestion

    privés

    Titre 2 : Les insuffisances de l’intervention étatique

    Chapitre I : Les limites de la tutelle

    Section 1. La nomination comme critère initial de qualification de la tutelle pesant sur l’individu

    Section 2. Une tutelle imparfaite limite l’autonomie du directeur et de l’établissement

    Chapitre II : Les limites de la structure GIP appliquée à l'action culturelle

    Section 1. Les fondements du GIP culture

    Section 2. Quelques pistes pour expliquer le faible recours aux GIP dans le domaine culturel

    SECONDE PARTIE- L’ÉTABLISSEMENT PUBLIC ACTEUR DE LA

    GOUVERNANCE CULTURELLE

    Titre 3 : L’adaptation des modes de gestion classiques à la conduite de la politique culturelle

    Chapitre I : L’Établissement public en dilution

    Section 1. L’opérateur de l’État comme fondement initial d’une nouvelle gouvernance

    Section 2. La mise en réserve d'une partie de la subvention octroyée aux opérateurs

    Chapitre II : L’établissement public en mutation

    Section 1. La recherche de nouvelles formes de gestion de l’activité culturelle

    Section 2. Des interventions dans le champ culturel

    Titre 4 : Le renouvellement des liens avec l’État comme socle d’une nouvelle gouvernance

    Chapitre I : La recherche de la performance dans le domaine culturel

    Section 1. L’immixtion de la performance budgétaire dans l’environnement administratif

    Section 2. L’immixtion de la contractualisation de la performance dans la conduite administrative

    Chapitre II : La contractualisation de la performance dans la conduite des politiques culturelles

    Section 1. La performance comme étalon d'une politique

    Section 2. Vers le contrat de performance comme futur outil de la conduite de la politique culturelle de

    l’État

  • 12

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    Principales abréviations

    AJDA Actualité juridique – Droit administratif Al. Alinéa Art. Article Ass. Assemblée du contentieux du Conseil d’État BOP Budget opérationnel de programme Cass Cour de cassation CE Conseil d’État CJCE Cour de justice des communautés européennes CJUE Cour de justice de l’Union européenne CGCT Code général des collectivités territoriales CMPP Conseil de modernisation des politiques publiques CP Crédits de paiement D. Recueil Dalloz DA Droit administratif Dir. Sous la direction de Éd. Édition EPA Établissement public administratif EPCC Établissement public de coopération culturelle EPIC Établissement public industriel et commercial GBCP Décret n° 2012-1246 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique GIE Groupement d’intérêt économique GIP Groupement d’intérêt public Ibid. Ibidem Id. Idem JCP A La semaine juridique (édition administrations et collectivités territoriales) JCP E La semaine juridique (édition entreprise) JCP G La semaine juridique (édition générale) JO Journal officiel de la République française LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence Loc. cit. Loco citato LOLF Loi organique relative aux lois de finances MAP Modernisation de l’action publique ODAC Organismes divers d’administration centrale Op. cit. Opere citato p. Page pp. Pages PAP Projet annuel de performance PLF Projet de loi de finances PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille PUF Presses universitaires de France PUG Presses universitaires de Grenoble RAP Rapport annuel de performance RDP Revue de droit public et de science politique

  • 14

    RGPP Révision générale des politiques publiques RGCP Décret n° 62-1587 portant règlement général sur la comptabilité publique RFAP Revue française d’administration publique RFDA Revue française de droit administratif RFFP Revue française des finances publiques Rec. Recueil Lebon Req. Requête s. Suivant ss. Suivants S. Recueil Sirey TA Tribunal administratif TC Tribunal des conflits UO Unité opérationelle

  • 15

    Liste des annexes

    Annexe 1 La DMDTS à partie de 1998.................................................................................. 640

    Annexe 2 La DMDTS à partir de 2007 .................................................................................. 642

    Annexe 3 La DGCA à partir de 2010..................................................................................... 644

  • Introduction

    Étudier l’établissement public par le prisme de la politique culturelle de l’État peut sembler

    une entreprise commune, mais aussi hasardeuse et, in fine, classique. Commune, car de

    nombreux ouvrages ou articles ont fait ou font régulièrement le point sur les modes de gestion

    culturels. La doctrine juridique se penche sur les moyens dont les collectivités locales

    disposent pour faire fonctionner un service culturel, ou approfondissent le « cas » d’un grand

    opérateur en charge de cette politique publique. Une bibliographie conséquente oriente les

    acteurs culturels publics ou privés dans leur volonté de créer une structure juridique prompte à

    accueillir une activité culturelle. Toute la matière semble avoir été épuisée : d’un côté les

    modes de gestion dont disposent les collectivités territoriales, souvent répertoriés au sein du

    code général des collectivités territoriales (CGCT) ; de l’autre, ceux auxquels a recours l’État.

    Réduire notre étude à la politique culturelle de ce dernier peut donc sembler une démarche

    d’autant plus réductrice.

    Un choix hasardeux, ensuite, car si on sait que l’établissement public peut être un mode de

    gestion, le définir est en revanche bien plus délicat. Nous entrons au sein d’un concept

    mouvant auquel le mot crise est immanquablement rattaché depuis maintenant plus d’un

    demi-siècle et défini dans la thèse de Drago1. On nous annonce également sa mort prochaine

    ou, tout au moins, son recul en tant que mode de gestion2. De plus, si des critères sont

    identifiables pour assurer sa caractérisation, c’est cependant plus sur ses frontières que l’on

    s’interroge et les réflexions, aussi riches soient-elles, peuvent souvent se résumer à une

    question qui pourrait relever du théâtre de l’absurde : quand un établissement public n’en est-

    il plus un ? Les critères du passé ne sont en effet plus ceux que l’on met en avant aujourd’hui,

    notre droit administratif ayant considérablement complexifié la notion en créant de nouvelles

    personnes morales, en obligeant à multiplier les indices de concordance. Ainsi, il n’est plus

    1 DRAGO R., Les crises de la notion d’établissement public, Paris : Pedone, 1950 ; MELLERAY F., Une nouvelle crise de la notion d’établissement public, AJDA, 2003, pp. 71 et ss.. 2 LOMBARD M., L’établissement public industriel et commercial est-il condamné ?, AJDA, 2006, pp. 79 et ss. ; BÉROUJON F., Le recul de l’établissement public comme procédé de gestion des services publics, RFDA, 2008, pp. 26 et s. ; Les EPIC dans tous leurs états. Quel régime juridique et quel avenir pour les EPIC ?, Colloque, JC A, 2009, n° 35.

  • 18

    possible de tirer des caractéristiques d’une entité établissement public, que l’on comparerait

    aux autres personnes morales pour vérifier si elles intègrent ou non la notion. Par des arguties,

    on cherche plutôt à connaître si telle caractéristique « mérite » d’intégrer les canons de

    l’établissement public3.

    Enfin, le choix de l’étude de l’établissement public peut apparaître classique, voire suranné :

    est-il encore temps de faire un nouveau bilan d’une politique culturelle de l’État qui se traduit

    en actes à travers le recours à des modes de gestion ?

    Loin de nous arrêter à ces lieux communs qu’il convient de balayer, nous souhaitons

    développer une approche qui serait tournée vers l’avenir. Si bilan il doit nécessairement y

    avoir, que ce soit au sein d’une démarche prospective prenant en compte les formidables

    mutations administratives qui s’offrent à nous. Si l’établissement public est au centre de nos

    réflexions, ce sont plutôt les rapports de tutelles développés entre celui-ci et l’État, ou de

    coopération établis entre l’État et les collectivités au sein d’un établissement public, qui nous

    intéresseront. Enfin, plutôt que d’envisager la mise en œuvre de la culture par le recours à

    l’établissement public, notre réflexion initiale est tournée vers l’établissement public que nous

    inscrivons dans le champ culturel qui est pour cette structure un formidable objet d’étude : les

    rapports que l’État crée en ce domaine sont en effet assez uniques et remarquables pour

    justifier d’en approfondir la teneur.

    Après ce préambule, il convient d’entrer progressivement dans la problématique que nous

    présenterons. Revenons sur notre périmètre d’étude : la politique culturelle a comme

    soubassement un droit de la culture. Celui qui sera l’objet de notre recherche s’inscrit dans le

    droit administratif. Or, pouvons-nous cantonner aujourd’hui quelque approche uniquement au

    droit administratif et ainsi faire abstraction d’une de ses branches, qui prend de plus en plus de

    place dans tous les discours et fait maintenant partie intégrante de notre environnement : les

    3 « Il paraît ainsi loin le temps (imaginaire) où les structures administratives pouvaient être considérées comme un ensemble binaire, où les personnes publiques étaient classées en deux séries vraiment antinomiques, les collectivités territoriales s’opposant aux établissements publics. », in DUPUIS G., GUÉDON M.-J., CHRÉTIEN P., Droit administratif, Paris : Dalloz, Sirey universités, 2011, p. 337. Pour appuyer sur cette idée de simplicité du passé qui ne serait qu’une vue de l’esprit, nous citerons la décision Canal de Gignac qui, se fondant sur la détention de prérogatives de puissance publique, octroie le caractère d’établissement public à une association de propriétaires qui fonctionne cependant plus pour répondre à l’intérêt collectif et privé des propriétaires que dans un but d’intérêt général. TC, 9 décembre 1899, Association syndicale du Canal de Gignac, rec., p. 731 ; S. 1900. 3. 49 avec la critique d’Hauriou : « on nous change notre État ». En 1990, le Conseil constitutionnel considèrera également que ce sont « non des associations de droit privé, mais des établissements publics à caractère administratif (CC n° 89-267 DC, 22 janvier 1990, rec. p. 27).

  • 19

    finances publiques ? La nouvelle constitution financière adoptée en 20014 pose des principes

    de gestion publique inédits qui ont plus de résonance à une époque où la lutte contre les

    déficits et le gaspillage devient une politique publique en soi. Michel Bouvier suggère

    effectivement la remise en cause prochaine de la place du politique dans un système financier

    public en pleine évolution ; à une « logique politique », fort ancienne, ferait désormais face

    « une logique de gestion », plus récente. Une nouvelle alliance serait à trouver entre le

    décideur politique et le gestionnaire issu du monde financier public5. Une réflexion doit être

    menée sur l’immixtion dans le droit administratif de principes issus du domaine des finances

    publiques.

    Quant à notre champ politique, support de notre démarche, nous allons le centrer sur le

    ministère de la Culture. Catherine Ribot a insisté sur les représentations du droit et de la

    culture, que tout semble opposer6. Nous ajouterons que l’évaluation à la base de la nouvelle

    gestion publique7 peut apparaître en total décalage avec la notion même de culture : comment

    envisager une bonne représentation ? L’art fait appel au ressenti, à l’émotion, et est propre à

    chacun. Que prendre en compte : le taux de remplissage de la salle, l’accueil de la presse

    spécialisée, les attentes fort diverses du public ? Et puis, la culture se doit-elle d’être

    consensuelle ? Au-delà de ces interrogations qui, comme la querelle des anciens et des

    modernes, n’auront jamais de vérité, mais seront seulement une réalité à un moment, ce sont

    les institutions culturelles qui semblent fonctionner avec une logique propre s’accordant mal

    avec des exigences de rentabilité recherchées aujourd’hui8.

    Cependant, la culture est également le siège d’un service public et se prête par ce biais à

    évaluation. Cette ambiguïté relevée n’en est finalement plus une lorsque la culture est prise au

    sens institutionnel, qui suggère de lui fixer des attributs communs à l’ensemble des politiques

    publiques. Voici donc une première justification pour fixer notre sujet au sein de la politique

    culturelle (§1).

    4 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances. 5 BOUVIER M., Nouvelle gouvernance publique et transformations du pouvoir politique, in Réformes des Finances publiques et Modernisation de l'État, Mélanges en l'honneur de Robert Hertzog, Paris : Economica, 2011, p. 58. 6 RIBOT C., VIDELIN J.-C., Les modes de gestion publique du service public culturel, AJDA, 2000, spécial, p. 136. 7 Voir sur ce point MAURY S., La LOLF est-elle un bon moyen d’évaluer les politiques publiques ?, AJDA, 2008, pp. 1366-1372. 8 Le critique musical Christian Merlin imagine les conclusions d’un rapport d’audit relatif à un orchestre symphonique : les auditeurs relèveraient le fait que « les douze violonistes jouent à l’unisson, un cas de prolifération de postes superflus », MERLIN C., Au cœur de l’orchestre, Paris : Fayard, 2012, p. 18.

  • 20

    Une spécificité dans la mise en œuvre de la politique culturelle doit ensuite être relevée : une

    doctrine sur le rôle que l’État doit jouer dans la culture, et, au delà, sur la notion même de

    culture, s’est développée sur les soubassements de ce ministère et n’a jamais cessé de guider

    son action. Le ministère de la Culture est armé d’une idéologie très forte. Cependant, la

    politique culturelle est exécutée grâce à des acteurs ou des modes de gestion qui disposent

    d’une relative indépendance vis-à-vis de l’État (§2).

    §1. L’insertion de la politique culturelle dans un

    environnement administratif en voie de réformation

    Une étude administrative ne peut être complète sans faire un focus particulier sur les

    conséquences juridiques pour le ministère des deux grands chantiers budgétaire et de politique

    publique qui ont impacté l’ensemble de l’État ces dernières années : la loi organique relative

    aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001 (A) et la révision générale des politiques

    publiques, la RGPP (B). Réformant notamment pour la première le cadre budgétaire, et posant

    de nouveaux principes de gestion publique, se situant pour la seconde au sein d’une réflexion

    globale engagée sur le périmètre d’intervention de l’État, elles vont toutes deux induire une

    modification du cadre d’action de l’administration dans son ensemble. Nous n’établirons pas

    de comparaison entre ces deux réformes, ce qui a été fait par ailleurs9 mais conviendrons que

    toutes deux concourent à modifier la structure du ministère de la Culture afin d’orienter son

    organisation vers la mise en œuvre d’une nouvelle gestion publique. La détermination d’un

    service public culturel justifie cependant l’intervention de l’État et rend légitime l’évaluation

    de sa politique (C).

    A. La LOLF modifie l’environnement administratif ministériel

    La LOLF est connue pour inscrire le Parlement au centre de la procédure financière, qu’il

    s’agisse de la discussion concernant l’autorisation budgétaire (par son droit d’amendement sur

    les projets de loi de finances) ou du contrôle de l’exécution budgétaire avec l’assistance de la

    Cour des comptes. Cependant, elle regroupe également plusieurs réformes de gestion

    9 Voir KOTT S., La RGPP et la LOLF : consonances et dissonances, RFAP, 2010, n° 136, pp. 883-893 ; le professeur Orsoni s’interroge également sur la « vraie ou fausse continuité » de la RGPP sur la LOLF et de la nature du couple « obligé », « nécessaire » ou « hasardeux » qu’ils forment. ORSONI G., LOLF-RGPP, une approche pertinente de la globalisation du système financier public, in NÉMERY J.-C. (dir.), RGPP et réforme des collectivités territoriales, Paris : L’Harmattan, 2012, p. 215.

  • 21

    financière. Elles concernent la structuration du budget, maintenant présenté par destination de

    dépenses (c’est le budget de programmes), orienté vers les résultats (introduction de la mesure

    de la performance) ; la comptabilité patrimoniale (la nouvelle comptabilité générale de l’État)

    est construite selon le principe des droits constatés (on rattache les charges et les produits à

    l’exercice au cours duquel ils ont été constatés). Notre objet ne sera pas ici de détailler

    l’ensemble de ces réformes10 ou d’en dresser un constat général quant à son application après

    maintenant quelques années d’existence11. Nous nous attacherons pour le moment, bien que

    l’ensemble de ces réformes financières soient imbriquées les unes aux autres, à revenir sur la

    première d’entre elles, que nous appliquerons au domaine culturel.

    La LOLF procède à un renversement de l’approche budgétaire. À une spécialisation des

    crédits par nature de la dépense, comme c’était le cas sous l’égide de l’ancienne ordonnance

    du 2 janvier 1959, lui est désormais substituée une spécialisation par destination de dépenses.

    On passe ainsi d’une vision budgétaire de détail (850 chapitres), à une nomenclature

    budgétaire plus lisible, orientée vers une approche globale dont le programme est la

    représentation (125 programmes en 2012). Si la mission (32 pour le budget général) constitue

    le niveau de discussion et de vote parlementaire, le budget de programmes est perçu comme le

    meilleur moyen d’identifier les politiques publiques, et ceci quel que soit le ministère de

    rattachement12. Cette nouvelle nomenclature budgétaire est un instrument de gestion par

    objectifs des activités de l’État.

    La genèse de ce budget d’objectifs de l’État remonte à des réflexions débutées bien

    antérieurement et qui ont été appliquées au ministère de la Culture. Madame Cendrine

    Délivré-Gilg remet de manière très approfondie en perspective la naissance d’un tel budget

    10 Nous renvoyons pour une expertise détaillée de cette réforme perçue dans ses aspects budgétaire et comptable à deux ouvrages de finances publiques : CAMBY J.-P., La réforme du budget de l’État, la loi organique relative aux lois de finances, Paris : LGDJ., 2004, 2e édition, 411 p. ; GILLES W., Les principes budgétaires et comptables publics, Paris : LGDJ., 2009, Lextenso, 248 p. 11 Nous pouvons constater que le positionnement sur le fonctionnement de la LOLF, en 2012, pouvait varier singulièrement selon les auteurs qui s’exprimaient. Ainsi, Frank Mordacq, qui fut directeur de la réforme budgétaire, et participa pour le compte du ministère du Budget à la mise en œuvre de cette révolution financière, estimait, quelques mois après avoir dressé un bilan des cinq années de fonctionnement de la LOLF (MORDACQ F., Premier bilan de la LOLF 5 ans après sa mise en œuvre, RFFP, 2011, pp. 83-102), que celle-ci atteignait progressivement sa phase de maturité (MORDACQ F., Six ans de pratique de la LOLF : une maturité progressive, Gestion et finances publiques, Avril 2012, n° 4, pp. 32-37). Le chef de la section synthèse budgétaire et programmation, attaché aux services du Premier ministre, parlait quant à lui d’un rendez-vous manqué (CHAFFARDON G., JOYE J.-F., La LOLF a dix ans : un rendez-vous manqué ?, Revue de droit public et de science politique, 2012, pp. 303-336). 12 Confère MORDACQ F., Six ans de pratique de la LOLF : une maturité progressive, préc., p. 32.

  • 22

    avec les initiatives qui ont émaillé l’histoire budgétaire depuis la quatrième République13, et

    leurs applications au ministère de la Culture, lorsque celui-ci a été créé. Délimitation des

    grandes natures d’activités de l’État, lien entre objectifs et moyens, retour sur les résultats

    sont les nouvelles orientations retenues. La réforme se double par ailleurs d’une modalité de

    gestion innovante, dont le programme est la représentation.

    Cette nouvelle gestion publique, qui a pris forme dans les années 90, se caractérise par une

    adaptation du modèle et de la logique de l’entreprise à la sphère publique, orientée vers les

    résultats, et dont le responsable de programme est le représentant de cette responsabilité fixée

    sur des objectifs attribués à un gestionnaire.

    En application de la LOLF, désormais, « les lois de finances déterminent, pour un exercice, la

    nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État […] Elles tiennent

    compte […] des objectifs et des résultats des programmes qu’elles déterminent. »14 Le

    programme, qui s’inscrit dans une mission, regroupe tous les crédits, quelle que soit leur

    nature15, destinés à mettre en œuvre un ensemble d’actions. Ce nouveau triptyque mission-

    programme-action est le fondement de la nouvelle organisation financière de la gestion

    publique. Une forme de responsabilité inédite se développe à partir de cette structuration

    budgétaire : le responsable de programme, par délégation du ministre, pilote la mise en œuvre

    de la politique publique qui lui est confiée, à partir du budget qui lui est alloué. Il est le

    gestionnaire et dispose d’une palette d’instruments, pour mener à bien cette mission, qui sont

    retracés dans des documents produits au Parlement : son cadre d’intervention est défini dans

    les projets annuels de performance (PAP) annexés à la loi de finances16, qui développent

    également les objectifs et résultats sur lesquels il s’engage. Les rapports annuels de

    performance (RAP), une fois l’exercice terminé, sont produits aux deux assemblées avec les

    résultats qui ont été atteints. Pèse sur ce gestionnaire une responsabilité sur la réussite des

    objectifs fixés pour le programme dont il est responsable. Pour ce faire, il dispose d’une

    autorité manageriale sur les personnes concourant à sa mise en œuvre, qu’elles exercent en

    13 DÉLIVRÉ-GILG C., Finances publiques et protection du patrimoine culturel, Thèse pour le doctorat en droit public, Mention Finances publiques et Fiscalité, Université Jean Moulin – Lyon III, 2004, 901 p., pp. 309-355. 14 Article 1er de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances. 15 Ces crédits se décomposent en quatre enveloppes : fonctionnement, personnel, investissement et intervention. 16 Ces documents, les « bleus budgétaires ». sont prévus par l’article 51-5° de la LOLF. Les attributions du responsable de programme, les moyens dont il dispose et les résultats attendus sont clairement définis dans cette annexe budgétaire. Les PAP de chaque programme précisent en effet « la présentation des actions, des coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus pour les années à venir mesurés au moyen d’indicateurs précis dont le choix est justifié » (article 51-5°a de la LOLF).

  • 23

    administration centrale ou dans les structures déconcentrées. Cette autorité pèse aussi sur les

    structures distinctes de l’État, mais intervenant directement au sein du programme.

    Les budgets opérationnels de programme (BOP) sont les déclinaisons opérationnelles des

    programmes de la LOLF17. Les responsables de BOP disposent d’une enveloppe de crédits et

    s’engagent sur des objectifs à atteindre, comme leurs responsables de programmes, qui sont

    les garants à l’échelle nationale de la mise en œuvre de leur programme de rattachement. Ils

    répartissent à leur tour les moyens dont ils disposent entre les unités opérationnelles (UO),

    dont chaque responsable a la compétence d’un ordonnateur, mettant en œuvre les activités

    définies dans le BOP18.

    La LOLF symbolise, et concrétise budgétairement, le passage d’une culture fondée sur les

    moyens à une approche s’exprimant en termes de résultats19. Cette logique implique le

    développement au sein de l’administration de nouvelles règles attachées à la gestion. Jusqu’à

    présent considérées comme spécifiques au domaine entrepreneurial, elles imprègnent toute

    l’action publique et contribuent, par la nouvelle chaîne d’exécution budgétaire mise en avant,

    à investir l’ensemble de l’organisation de l’administration pour le modeler.

    B. La révision générale des politiques publiques : évaluer,

    déconstruire et reconstruire le système administratif

    Bien que le terme ait été abandonné par la nouvelle majorité présidentielle, qui lui a substitué

    la modernisation de l’action publique, cette réforme en profondeur des instruments de gestion

    de l’État continue, par l’absence politique de sa remise en cause globale, à produire des effets.

    Nous n’ignorons pas qu’il y a eu une rupture dans la conduite de ces deux réformes : la

    17 SIMMONY M., Genèse et évolution des budgets opérationnels de programme (BOP), Gestion et Finances publiques, n° 8-9, 2011, pp. 624-633. Pour une définition du BOP, se reporter également au Guide pratique de la déclinaison des programmes, édité par le ministère du budget en 2005, et au terme duquel le BOP « est la déclinaison sur un territoire ou un périmètre d’une partie d’un programme, dont il relève, avec une programmation des activités ou opérations à réaliser, avec son volet performance. » 18 ADAM F., FERRAND O., RIOUX O., Finances publiques, Paris : Dalloz, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2010, pp. 132-134. Pour un point général sur les réformes budgétaires et comptables introduites par la LOLF, se reporter également à l’article rédigé en 2008 par M. Didier Maupas, alors contrôleur budgétaire et comptable ministériel près les ministères de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il décline notamment la nouvelle chaîne de gestion. MAUPAS D., La LOLF en dix questions, La Revue du Trésor, n° 1, janvier 2008, pp. 28-30, p. 28. 19 « La nouvelle constitution financière entend désormais substituer à une culture de moyens (« un bon budget est un budget qui progresse ») une véritable culture de résultats à tous les niveaux de la gestion publique (« un bon budget est celui qui maximise les rapports résultats obtenus sur fonds employés »), revenant aux principes mêmes qui justifient la levée de l'impôt : c'est un exigence démocratique que de rendre compte aux citoyens et aux contribuables de l'emploi des deniers publics. », Les notes bleues de Bercy, n° 304, 10 mars 2006.

  • 24

    modernisation de l’action publique a pris une orientation différente, qui prend plus en compte

    la diversité des services publics (notamment ceux relatifs à la justice et à l’éducation). La

    simplicité des relations entre l’administration et les usagers est au cœur de la démarche ; une

    nouvelle étape de la décentralisation doit s’inscrire dans cette politique. Par ailleurs, le

    pilotage est différent20. Cependant, cette nouvelle réforme n’a pas encore eu le temps de

    produire tous ses effets ; d’autre part, un des pans développés par la RGPP, la performance,

    continue d’exister encore aujourd’hui.

    Encensée ou critiquée21, la révision générale des politiques publiques peut être appréhendée,

    par son ambition, comme « le grand chantier culturel » de la présidence Sarkozy. Présentée en

    conseil des ministres le 20 juin 2007, quelques semaines seulement après l’élection

    présidentielle, la RGPP, remettant à plat l’ensemble de la culture administrative française, est

    officiellement lancée le 10 juillet 2007. Son but ? Pour le non-initié, elle est surtout perçue par

    le prisme de la règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite,

    dont la logique purement comptable a été érigée en dogme, conduisant à réduire

    drastiquement les effectifs des services publics sans véritablement s’interroger sur leur

    capacité à assurer certaines missions attachées à des politiques publiques22. Mais on ne peut la

    réduire à cette unique image. Elle est envisagée par les porteurs du projet comme « le cadre de

    20 Un secrétariat général pour la modernisation de l’action publique est placé sous l’autorité du Premier ministre (décret n° 2012-1198 du 30 octobre 2012 portant création du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique) ; il regroupe l’ensemble des services en charge de cette politique. Un comité interministériel pour la modernisation de l’action publique fixe le programme et assure le suivi de sa mise en œuvre. 21 Le professeur Michel Bouvier montrait en 2008 son enthousiasme, cette réforme des structures administratives fondée sur des valeurs financières s’inscrivant parfaitement comme point d’orgue d’une réforme plus globale des valeurs politiques et sociétales qu’il entrevoit poindre depuis une quarantaine d’années (BOUVIER M., La révision générale des politiques publiques et la métamorphose de l’État, AJDA, 2008, pp. 329-332), tandis que le juriste Jérôme Brouillet regrettait la méthode mise en œuvre, qui n’a pas permis de clarifier les missions assumées par l’État, ni de freiner la dégradation des comptes publics (BROUILLET J., RGPP, vers un État régulateur ?, Revue Projet, 2010, n° 318, pp. 21-27). Position suivie par Jean-Claude Fortier, qui, concédant la nécessité de réviser en profondeur les politiques publiques, regrette que « la RGPP n’aura engendré qu’un ensemble de mesures hétéroclites sans même participer à l’assainissement des finances publiques », FORTIER J.-M., La RGPP est morte, vive la RGPP, AJFP 2012, p. 1. Un autre auteur expose la « querelle » du bilan de la RGPP, celui-ci étant jugé positif par l’OCDE et le gouvernement français sous la présidence Sarkozy, tandis que le Parlement, la Cour des comptes, le Conseil économique, social et environnemental le jugeraient avec plus de sévérité, bien que tous admettent le principe même de la révision. LAFARGE F., Bilan de la RGPP, Cahiers français, 2012, n° 368, pp., 88-92. Nous renvoyons enfin au rapport établi en septembre 2012 par l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale de l’administration et l’Inspection générale des affaires sociales pour le compte de la nouvelle majorité présidentielle, et traçant un bilan de la RGPP, dans la perspective d’un nouvelle réforme de l’État, Inspection générale des finances, Inspection générale de l’administration, Inspection générale des affaires sociales, Bilan de la RGPP et conditions de réussite d’une nouvelle politique de réforme de l’État, septembre 2012, 72 p. 22 Cette règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a été énoncée dès 2002, puis mise en œuvre dès le budget 2003. Mais ce n’est qu’en 2007 qu’elle est véritablement devenue un objectif propre et général de politique publique.

  • 25

    la réforme de l’État », une « démarche radicalement nouvelle » devant donner « sens à toutes

    les actions de modernisation à mettre en œuvre durant le quinquennat »23. L’ensemble des

    politiques publiques menées par l’État doit être passé au tamis de la RGPP afin d’identifier les

    politiques qu’il doit continuer à assumer, et redimensionner voire abandonner les autres24.

    Visant à reconstruire le système administratif, en tenant compte de la règle de gestion des

    personnels que nous venons de rappeler, elle se décompose en deux temps : évaluer

    l’efficacité de l’ensemble des structures administratives au regard de leurs missions, puis

    corriger les dysfonctionnements qui s’avèreraient coûteux pour le contribuable et sources

    d’inefficacité pour le citoyen, par la mise en œuvre de propositions préalablement

    formulées25. Le but est de réaliser des économies substantielles, notamment sur les dépenses

    d’intervention de l’État.

    La RGPP était pilotée par un Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP),

    présidé par le Président de la République et composé de l’ensemble des ministres du

    Gouvernement. Trois CMPP se sont réunis en 2007 et 200826, conduisant à l’approbation de

    374 décisions qui ont été inscrites dans la loi de programmation pluriannuelle des finances

    publiques pour les années 2009 à 2012. La crise financière, exacerbée à la fin de la première

    décennie de ce siècle, ayant un fort impact de dégradation des comptes publiques, précipite

    l’adoption de 150 mesures nouvelles à l’issue du quatrième Conseil de modernisation des

    politiques publiques le 10 juin 2010 pour la période 2011-201327,28. Elles sont présentées

    comme une « amplification de l’effort de modernisation » permettant de réduire le déficit

    annuel du budget de l’État.

    23 Discours du Premier ministre des 20 juin et 10 juillet 2007. 24 La RGPP peut être définie comme un « programme de modernisation de l’action de l’État touchant l’ensemble des politiques publiques et l’ensemble des ministères ». Source : www.rgpp.modernisation.gouv.fr (la méthode). 25 Pour des compléments sur cette « mise à plat » du fonctionnement de l’ensemble du secteur public, voir par exemple BOUVIER M. La révision générale des politiques publiques et la métamorphose du droit, préc., p. 332. 26 Les 12 décembre 2007, 4 avril et 11 juin 2008. 27 Sur l’analyse de la RGPP, LAFARGE F., La révision générale des politiques publiques : objet, méthodes et recevabilité, RFAP, 2010, notamment pp. 763-764. Il convient de noter qu’un cinquième conseil, s’inscrivant dans la poursuite du dispositif, s’est réuni an mars 2011. 28 Cette deuxième vague lance une réforme de grande ampleur qui nous intéresse tout particulièrement, puisqu’elle propose de rénover la relation des opérateurs avec leur tutelle, ainsi que leur gestion interne.

  • 26

    L’objectif global de révision initialement prévu est néanmoins revu pour se concentrer plutôt

    sur les économies de fonctionnement29. Ces mesures irradient l’ensemble de la sphère

    publique et touchent l’organisation administrative, les processus décisionnels ou la gestion

    des personnels.

    Les motifs devant conduire à « la modernisation du ministère de la Culture et de la

    communication »30 sont explicités dans le 1er rapport du CMPP du 12 décembre 2007 :

    l’origine de l’intrigue se situe dans la révolution numérique qui impacte et modifie le champ

    artistique et culturel ; le ministère doit se positionner sur l’enjeu majeur que constituent la

    protection et la promotion de la culture sur les nouveaux réseaux d’information. Les réformes

    qui sont décidées s’articulent selon leurs concepteurs autour de deux axes : le premier est

    administratif puisqu’il s’agit de la réorganisation des administrations, prises au sens large, du

    ministère ; le second se concentre sur le coût de la politique publique culturelle. Les

    interventions du ministère seront plus sélectives, afin de réaliser des économies31. Quatre

    orientations sont actées pour tenir compte de ce nouvel environnement, visant à mieux

    orienter les interventions du ministère, mieux maîtriser les coûts par une mutualisation des

    projets, responsabiliser les opérateurs. La dernière doit permettre à l’administration centrale

    de se recentrer sur des fonctions de pilotage, tout en l’inscrivant dans la nouvelle organisation

    budgétaire32. Si la RGPP touche l’administration centrale, les répercussions sur ses services

    déconcentrés sont également significatives.

    Cette réforme administrative s’inscrit dans un contexte de dégradation de nos finances

    publiques. La réalisation des missions de service public ne peut plus faire abstraction de ce

    nouvel environnement.

    29 François Lafarge, au sujet de l’inflexion de l’ambition de la RGPP déclare qu’« il s’est agi de “réviser” non pas ce que faisait l’État, mais la manière dont il le faisait », LAFARGE F., Bilan de la RGPP, préc., p. 88. Madame Françoise Dreyfus estime également que « en dépit de son intitulé, la RGPP n’est pas une “revue de programme” conduisant à interroger les missions poursuivies par les administrations, mais plutôt une réorganisation de leurs organigrammes afin de réaliser des économies d’échelle », DREYFUS F., La révision générale des politiques publiques, une conception néolibérale du rôle de l’État, RFAP, 2010, n° 136, p. 858. 30 Titre introduisant le point sur la réforme du ministère dans la rapport du CMPP sur la RGPP du 12 décembre 2007. 31 Ces deux axes, la réorganisation des administrations du ministère et l’amélioration de l’efficience de la politique culturelle (le terme efficience sera défini ultérieurement ; nous nous contenterons pour le moment de le rapprocher du principe selon lequel on demande de faire mieux avec moins) sont présentés dans le second rapport d’étape, en mai 2009, de la RGPP. 32 Voir 1er rapport du CMPP sur la RGPP, 12 décembre 2007.

  • 27

    C. La culture peut être une activité de service public

    Depuis la célèbre diatribe d’Hauriou à l’encontre de l’activité théâtrale, dans sa note sous

    l’arrêt Astruc33, les institutions et la doctrine ont évolué dans leur conception de la culture. Si

    Jean-Marie Pontier posait au début de ce siècle la question de l’existence du service public

    culturel, c’est d’abord pour tenter de l’extraire d’autres notions voisines et d’en donner une

    signification34. Auparavant, un auteur constatait déjà cependant la reconnaissance par le juge

    de services publics culturels locaux35, tandis que Fabrice Thuriot envisageait la question des

    perspectives d’évolution du service public culturel36.

    La définition du service public est à l’origine de sa qualification ultérieure de service public

    culturel par la prise en charge par la collectivité d’activités éponymes. Elle est elle-même très

    mouvante et les approches qu’ont pu en donner par exemple Hauriou37 ou Laubadère38 sont

    aujourd’hui dépassées ou doivent être complétées. Comme le rappelle Fabrice Thuriot, si

    l’expression « théâtre service public » a été popularisée par Jean Vilar, c’est la jurisprudence

    qui a la première consacré la notion de service public culturel39. Après avoir refusé de

    reconnaître une concession de service public dans l’arrêt Astruc précité, à propos du théâtre

    des Champs-Élysées, le Conseil d’État admet son existence en 1923 pour l’Opéra-Comique40.

    Il faut cependant attendre l’arrêt Dauphin pour avoir une consécration explicite du service

    33 « la juridiction condamne la conception qui consisterait à ériger en service public, comme à la période de la décadence romaine, les jeux du cirque… sa jurisprudence sur les théâtres doit reposer sur cette idée que l’entreprise de spectacles, dont l’exploitation renferme tant d’éléments de démoralisation, répugne par elle-même au service public. », Note d’HAURIOU sous CE, 7 avril 1916, Astruc et société du théâtre des Champs-Élysées, S., 1916, 3, 41. 34 PONTIER J.-M., Le service public culturel existe-t-il ? ; AJDA, 2000, pp. 8 et s. Nous pensons également à un autre article où il distingue le service public culturel d’un droit à la culture, et met en exergue l’existence de « droits culturels » qui, à la différence du service public, n’impliquent pas l’intervention des pouvoirs publics mais plutôt leur reconnaissance, in PONTIER J.-M., Entre le local, le national et le supranational : les droits culturels, AJDA, 2000, spécial, p. 50. 35 ALIBERT-FABRE V., La reconnaissance jurisprudentielle des services publics culturels locaux, La Revue administrative, 1989, pp. 415-418. 36 THURIOT F., Le service public culturel, évolution et perspectives, pp. 159-184, in GROUD H. (dir.), Mutations du service public et territoires, Paris : L’Harmattan, Administration, aménagement du territoire, 1999. 37 Il s’agit d’un « service technique rendu au public » de façon régulière et continue pour la satisfaction d’un besoin public, par une organisation publique non lucrative. Voir CE, 6 avril 1916, ASTRUC, Conclusions Corneille, RDP 1916, p. 373. 38 Le service public est « une activité exercée par une collectivité publique en vue de donner satisfaction à un besoin d’intérêt général », in LAUBADÈRE (de) A., Traité élémentaire de droit administratif, Paris : LGDJ, 1978, p. 116. 39 THURIOT F., Le service public culturel, évolution et perspectives, préc., p. 160. Voir également PONTIER J.-M., Le service public culturel existe-t-il ?, préc., p. 8. 40 CE, 27 juillet 1923, Gheuzy, D., 1923, 3, p.57 ; RDP 1923, p. 560, concl. Mezerat, note Gaston Jèze.

  • 28

    public culturel41. Puis, la notion s’étend. On reconnaît ainsi la possibilité à une personne

    privée de gérer un service public culturel42.

    Cette activité est-elle administrative (SPA) ou industrielle et commerciale (SPIC) ? Depuis

    l’échec du Tribunal des Conflits dans sa tentative d’introduire une troisième catégorie de

    services publics, ceux à caractères sociaux43 et le précédent du Centre national d’art et de

    culture44, « les services publics (aujourd’hui) sont administratifs ou industriels et

    commerciaux »45. La dévolution, soit par la loi, soit par la jurisprudence, d’un service public à

    l’une de ces deux catégories, entraîne des conséquences quant à l’ordre juridictionnel qui doit

    être saisi en cas de litige46. Cette possibilité de voir fonctionner des services publics comme

    des entreprises commerciales est une idée déjà ancienne qui fut sujette à polémique47. Il est

    cependant aujourd’hui admis de poursuivre la réalisation de la satisfaction de l’intérêt général

    et la quête de la rentabilité. Pour René Chapus, ce double but ne pose pas de problème, car

    « la recherche du profit permet de répondre aux besoins publics dont le service doit assurer la

    satisfaction »48.

    Concernant les services publics culturels, on est a priori tenté de penser que ce sont des

    services publics administratifs, car l’idée de bénéfices, semble en être absente49. Cependant,

    on ne peut tirer de telles conclusions50. Nous le verrons, de nombreuses structures culturelles

    41 « L’allée des Alyscamps est affectée à un service public de caractère culturel et touristique », CE, 11 mai 1959, Dauphin, rec., p. 294, COMBARNOUS M., GALABERT J.-M., chronique, AJDA, 1959, p. 113 et s. 42 La première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 19 avril 1977, déclare que « l’activité d’intérêt général des maisons des jeunes et de la culture a le caractère de service public et que la gestion constitue une participation directe à la gestion de celui-ci » et qu’ainsi « le contrat conclu par l’association gérant la maisons des jeunes et de la culture […] avec la commune […] a le caractère d’un contrat administratif », in MESNARD A.-H., L’évolution de la politique culturelle sous la Ve République et la qualification de service public culturel, in Mélanges en l’honneur du professeur Robert-Édouard Charlier, Paris : Éditions de l’Université et de l’enseignement moderne, 1981, p. 490. 43 TC, 22 janvier 1955, Naliato, Rec., p. 694 44 Cf. infra. 45 TRUCHET D., La structure du droit administratif peut-elle demeurer binaire ?, in Clés pour le siècle, Paris : Dalloz, 2000, p. 443. 46 TC, 21 mars 2005, Mme Alberti-Scott, RFDA, n°1, p. 125. 47 Pour un bref rapide des oppositions entre Hauriou et Duguit, voir SEILLER B., L’érosion de la distinction SPA-SPIC, AJDA, 2005, p. 418. 48 CHAPUS R., Le service public et la puissance publique, RDP, 1968, p. 235. 49 Sur l’identification d’un SPIC, TC, 21 janvier 1921, Société commerciale de l’ouest africain, GAJA, 15e édition, p. 225. Sur les critères cumulatifs à retenir, CE, 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques, rec., p. 434. Les trois critères seront intégrés dans la définition de ce service public donnée dans l’arrêt Dame Maron (CE, 26 janvier 1968, Dame Maron, AJDA, 1969, p. 23). « Il suffit qu’il [un SP] en diffère à l’un de ces trois points de vue pour qu’il soit tenu pour administratif », CHAPUS R., Droit administratif général, I, 15e édition, 2001, Paris, Éditions Montchrestien, n° 767. 50 Conclusions Bertrand M., sous CE, 26 janvier 1968, dame Maron, AJDA 1968, p. 23. Voir également CE, 2 juin 1995, Ville de Nice, rec. p. 1050

  • 29

    sont qualifiées d’industrielles et commerciales et certaines, comme la Réunion des musées

    nationaux, en ont tous les attributs.

    Enfin, nous ne le détaillerons pas ici mais une activité culturelle peut être gérée par l’État

    comme par des structures locales51.

    Ainsi, le service public culturel existe. Mais quelles limites instituer à cette notion ? Le

    professeur de Laubadère en pose des bornes que nous garderons à l’esprit tout au long de nos

    développements : « la culture peut-elle être l’objet de services publics ?, nous interroge-t-il.

    Non, à coup sur ; si l’on voulait entendre par là que la culture est, en elle-même, un service

    public, cela conduirait tout droit à l’art officiel et à l’académisme sous sa forme la plus

    étatisée. Mais que le développement et la diffusion de la culture puissent être le siège de

    services publics, voilà qui n’est plus aujourd’hui contestable et qui, du reste, ne le fut jadis

    que pour certains objets de la culture, singulièrement pour le théâtre selon une jurisprudence

    célèbre du début du siècle52, depuis longtemps abandonnée. » 53 Comme le rajoute

    Pierre-Laurent Frier quelques années plus tard, « la culture s’invente en dehors de [l’État] »

    qui n’est qu’un « facilitateur d’accès »54.

    La notion de culture peut faire l’objet d’un service public et justifie par ce fait sa soumission

    aux nouveaux critères issus des réformes budgétaire et administrative. Sans doute assistons-

    nous à la fin d’une époque et à la naissance d’une nouvelle forme d’organisation caractérisée

    par la limitation de l’autonomie financière du politique, exprimant ainsi une prise de distance

    vis-à-vis de la sphère politique traditionnelle.

    §2. Une doctrine culturelle élaborée par le ministère, des

    modes de gestion comme exécutant

    Le ministère de la Culture s’est tout de suite doté d’une doctrine très forte qui lui reste encore

    aujourd’hui attachée : la démocratisation de la culture, c’est-à-dire l’accès de tous à une offre

    culturelle de qualité, quels que soient les origines sociales et lieux de résidence, est

    immanquablement reliée au ministère. Une telle politique ne peut cependant être menée que si

    51 Nous renvoyons pour le moment sur ce dernier point à l’article d’Alibert-Fabre précité. Voir également l’article de Fabrice Thuriot précité qui fait une étude de l’intérêt public culturel. 52 Il s’agit de l’arrêt Astruc. 53 LAUBADÈRE A. (de), Préface de la thèse de A.-H. Mesnard, L’action culturelle des pouvoirs publics, Université de Paris, Paris : LGDJ, 1969, p. 11.

  • 30

    l’on s’attache à circonscrire ce que l’on entend par culture. Le ministère, en définissant son

    cadre d’intervention, va être amené à privilégier certaines formes esthétiques au détriment

    d’autres approches. Il concourt à la définition de la notion de culture (A). Pourtant, ses

    moyens d’action sont limités et laissent une marge importante à l’autonomie des acteurs

    culturels publics. Dresser la typologie des moyens d’intervention du ministère (B) permet de

    mettre en avant la nécessité du recours aux modes de gestion : l’État n’est pas le principal

    financeur de l’action publique en faveur de la culture. Les collectivités locales participent

    activement à la conduite d’une politique culturelle sur le territoire, tandis que les

    établissements publics nationaux sont bien souvent les acteurs essentiels et visibles de l’action

    culturelle au niveau national et international (C).

    A. Un ministère concourrant à la détermination d’une doctrine

    culturelle

    Pour l’ancien ministre de la culture espagnol Jorge Semprun, la culture jouait un rôle

    primordial pour l’émancipation de l’homme55 ; le metteur en scène polonais Tadeusz Kantor

    en souligne quant à lui avec humour le caractère vital en proclamant que « l’art est inutile,

    l’amour aussi ». Elle est célébrée – après Lille en 2004, Marseille est cette année en France

    capitale européenne de la culture –, elle est « chiffrée » – le 1% culturel du budget de la

    nation a pendant longtemps été le seuil psychologique vers lequel il fallait tendre. Se

    rattachant à la fois au domaine de l’art mais aussi à une politique (la politique culturelle), elle

    possède une aura que peu de termes politiques partagent avec lui.

    Peut-on cependant lui adjoindre une définition ? Jack Lang soulignait il y a peu « l’extrême

    ambiguïté [du mot] dans la langue française »56. Pierre Moulinier relève que les responsables

    politiques comme les textes fondateurs des politiques culturelles « se risquent rarement à une

    définition précise du mot culture. »57 Jean-Marie Pontier, concédait en 2006 qu’il valait mieux

    « ne pas trop chercher à la définir », au risque notamment « de s’engager dans un débat sans

    54 FRIER P.-L., La répartition actuelle des compétences entre l’État et le pouvoir local, AJDA, spécial, 2000, p. 61. 55 Voir AUBRY M., Culture toujours…. Et plus que jamais !, Paris : Édition de l’Aube, collection « Proposer », 2004, pp. 11-30. 56 SAINT PULGENT M. (de), Jack Lang, batailles pour la culture. Dix ans de politique culturelle, Paris : La documentation Française, p. 57. 57 MOULINIER P., Politique culturelle et décentralisation, Paris : L’Harmattan, 2002, pp. 20 et s.

  • 31

    fin »58. Y a-t-il seulement une culture, comme l’affirme Hannah Arendt59 ? Pourquoi avoir

    alors baptisé en 1959 un ministère des affaires culturelles, aujourd’hui devenu ministère de la

    Culture – et de la communication ? On peut d’ailleurs constater, à l’instar de Catherine Ribot,

    que ces affaires culturelles recouvrent « des réalités d’une grande diversité »60.

    Les institutions, en privilégiant des courants de pensée, contribuent à définir la notion de

    culture et jouent un rôle primordial dans l’acception de ce mot. Une comparaison de deux

    périodes, celle de la création du premier ministère des affaires culturelles, puis celle de

    l’alternance politique de 1981 avec la promotion d’un nouveau projet social sont

    représentatifs de cette évolution et de la polysémie du terme.

    En 1959, le décret définissant les missions du ministère des affaires culturelles, rédigé par

    Malraux, charge cette nouvelle administration « de rendre accessibles les œuvres capitales de

    l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de français »61. La culture

    est ici appréhendée sous sa forme classique directement issue, en France, de la Kultur

    allemande, dont le concept s’est développé au XIXe siècle, en tant qu’émanation du

    Volksgeist, construit en opposition à la philosophie des lumières françaises. Autant cette

    dernière se réfère à l’universalité des valeurs – même si l’on peut s’interroger sur le caractère

    universel de schémas occidentaux et des canons esthétiques français du XVIIIe siècle62 –,

    autant le Volksgeist puise son existence dans la richesse du peuple germanique et la Kultur

    dans toutes les manifestations de son génie, notamment artistique. Elle est développée par

    l'intelligentia germanique, au sein d'un peuple réfléchissant à une identité constitutive d'une

    nation qui n'avait pas encore d'État63. Cette opposition de deux conceptions se ressent dans le

    combat que mène, à la suite de la guerre de 1870, Renan contre les idées développées

    auparavant par Fichte, pour définir la nation. En prolongeant la vision du philosophe

    allemand, l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne ne peut être remise en cause car toutes deux

    possèdent une culture commune. Renan fonde quant à lui l’appartenance sur un « vouloir

    58 PONTIER J.-M., L’exception culturelle, in ORSONI G. (dir.), Le financement de la culture, Paris : Economica, Collection Finances Publiques, 2007, p. 4. 59 H. Arendt intitule l’ouvrage dont il est fait référence La crise de la culture. 60 RIBOT C., VIDELIN J.-C., Les modes de gestion publique du service public culturel, AJDA, 2000, spécial, p. 156. 61 Art. 1er du décret n° 59-889 du 24 juillet 1959 portant organisation du ministère chargé des affaires culturelles. 62 Le mouvement des Lumières a contribué à ériger en norme un certain type de société fondé sur des croyances spécifiques. La découverte, au cours d'explorations entreprises dans les profondeurs des continents de sociétés régies par d'autres rapports au monde a conduit à les caractériser de primitives. Le mythe du bon sauvage, naïf et puéril, et de sa mentalité primitive, assorti de tous les préjugés est issu de ce mouvement philosophique.

  • 32

    vivre ensemble » et dénie à la culture toute appartenance nationale64. En perdant son « K »

    germanique, la culture acquiert un caractère d’universalité, directement hérité de la pensée du

    dix-huitième siècle.

    La culture au sens classique s’ordonne donc autour d’une formation intellectuelle et

    esthétique de l’être humain. Et le ministre de la Culture donne de son contenu une définition :

    parce que « l’artiste est le producteur authentique des objets que chaque civilisation laisse

    derrière elle comme la quintessence et le témoignage durable de l’esprit qui l’anime »65, ce

    sont les formes culturelles qui sont sélectionnées par le ministère pour la valeur supérieure

    dont elles seraient porteuses qui doivent être diffusées au plus grand nombre. Cette « culture

    légitime », mise en évidence par Pierre Bourdieu66, est universelle mais exclusive, et établit

    une relation individuelle à l’esthétique, aux canons classiques du « beau ». Ainsi, affirme

    Malraux, « la culture est populaire par ceux qu’elle atteint, non du fait de sa nature »67. Elle

    transcende les critères de la société. Son unité se retrouve dans les structures du ministère :

    celui-ci se voit délesté des formes de l’action culturelle qui sont héritées des mouvements

    populaires comme les loisirs, les pratiques amateurs, les activités péri-scolaires ; il centre son

    action sur les disciplines artistiques et les secteurs institutionnalisés comme le théâtre. Cette

    culture légitime unitaire n’est cependant pas figée : André Malraux souhaite promouvoir et

    faire connaître la création contemporaine68.

    63 Voir sur ce point les écrits de l'anthropologue Philippe Descola : DESCOLA P., Par delà nature et culture, Paris : Gallimard, 2005 et DESCOLA P., Diversité des cultures, diversité des natures, Paris : Bayard, 2010. 64 Renan E., Qu’est-ce qu’une nation ?, cité par FINKIELKRAUT A., La défaite de la pensée, Paris : Gallimard, 1987, p. 59. 65 ARENDT, H., La crise de la culture, op. cit., p. 257. 66 Développé par DUBOIS V., Une politique pour quelle culture ?, in Cahiers français, janvier février 2003, n° 312, p. 19. 67 Malraux A., séance du 28 octobre 1966 à l’assemblée nationale, cité par URFALINO P., L’invention de la politique culturelle, Paris : Hachette littérature, Collection Pluriel, 2004, p. 55. 68 Trois ans avant la constitution d’un service de la création artistique pour les arts plastiques du ministère, il explique lors d’une conférence de presse sur les théâtres nationaux, le 9 avril 1959, sa conception de l’art contemporain : « la culture est l’héritage des œuvres du passé qui concourent à la qualité de l’homme, lorsque cette qualité n’est plus fondée sur la loi. Et la culture du présent, l’ensemble des œuvres qui la maintiennent en lui donnant des formes nouvelles. », Malraux A., conférence de presse sur les théâtres nationaux, 9 avril 1959, cité par URFALINO P., op. cit. p.30.

  • 33

    Le rôle du ministère des affaires culturelles, lors de cette première période, va être marqué par

    cette volonté d’offrir cette « culture élitaire pour tous ». C’est la cultura animi de Cicéron69, la

    culture de l’âme, qui renferme l’idée de la formation et de l’élévation de l’esprit. Le ministère

    devient un catalyseur permettant à l’individu de se révéler.

    Cette vision de la culture, universelle et non sociétale ou identitaire, qui est d’abord celle d’un

    homme, a des conséquences considérables sur la politique culturelle et sur le statut de

    l’artiste : les Maisons de la culture, ces « cathédrales de la culture » dont on parle selon

    Romain Gary même en Amérique70, sont élevées afin de mettre l’artiste, son œuvre et le

    public, en situation de dialogue, d’échange. La culture n’est pas un loisir, mais l’art est un

    moyen d’y accéder.

    Depuis 1982, la culture peut être entendue comme « l’ensemble des connaissances et des

    valeurs qui ne fait l’objet d’aucun enseignement spécifique et que pourtant tout membre d’une

    communauté sait »71. Telle est la définition retenue par l’UNESCO lors de la conférence de

    Mexico sur les politiques culturelles, à laquelle participait Jack Lang. Elle rompt avec celle

    précédemment évoquée par la double remise en cause du caractère universel de la culture :

    l’œuvre est d’une part détachée de son caractère « légitime » (tel que Bourdieu le définissait),

    de sa valeur supérieure dont elle serait porteuse ; elle devient d’autre part le référent d’un

    groupe, d’une communauté.

    À la dimension classique du terme culture s’en est substituée une autre, exclusive de toute

    approche qualitative : elle a d’abord été mise en évidence dans la sociologie et l’anthropologie

    anglo-saxonnes, justement exportée par les anthropologues allemands immigrés aux Etats-

    Unis et y fondant la matière, avant de s’imposer aux sciences humaines des autres pays,

    notamment latins. La culture devient tout ce qui est chargé de sens par une société donnée,

    l’ensemble des artifices par lesquels elle se construit et se maintient. Cette démarche permet

    initialement de penser l'égale dignité de toutes les cultures, battant ainsi en brèche les théories

    nazies. Mais en englobant les mœurs et les mentalités d’un groupe social donné, le contenu du

    69 Développée notamment par HAROUEL J.-L., Culture et contre-cultures, Paris : Presses universitaire de France, Collection Quadrigo, 1994, p. 78 ; .voir également COMPAGNON A., Les missions de 1959, vues de 2009, p. 28, in BARNAVI É, SAINT PULGENT M. (de) (dir.), Cinquante ans après, Culture, politique et politiques culturelles, Paris : La documentation française, Comité d’histoire du ministère de la culture, 2010. 70 « Elle [la maîtresse d’Almayo, un dictateur d’Amérique du Sud] leur parlerait de psychologie, de routes, de réseaux téléphoniques, de la Maison de la culture.[…] Et il serait pardonné », in GARY R., Les mangeurs d’étoiles, Paris, Éditions Gallimard, Collection Folio, 1966, 439 p., p. 430. 71 Cité notamment par FINKIELKRAUT A., op. cit., p. 113.

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    terme devient extensif et illimité. Tout, au sein d’une société, devient culturel72 et toutes ces

    cultures sont sur un pied d’égalité. Par ailleurs, chaque société, mais aussi chaque groupe

    possède sa propre culture ; si cette reconnaissance d’une culture peut être bénéfique pour des

    groupes primitifs ou des sociétés non occidentales à qui, au dix-huitième siècle, on aurait

    dénié le caractère d’appartenance à une culture universelle, on reconnaît également une

    culture propre à chaque sous-groupe d’une société (la culture punk, rock, d’entreprise….).

    Aujourd’hui, ce terme semble donc avoir perdu ce qui faisait sa richesse : il ne se réfère plus à

    la nature humaine, à l’universalité, mais à la société ; son objet n’est plus forcément de nous

    émouvoir mais se décline de plus en plus en termes d’utilité. La définition française disparaît ;

    la Kultur allemande, avec son critère ethnique réapparaît, cependant qu’elle se voit appauvrie

    de son approche romantique.

    Le ministère de la Culture s’approprie cette nouvelle approche : l’art. 1er de son décret

    organisationnel le charge à partir de 1982, en plus de « favoriser les créations de l’art et de

    l’esprit », notamment « de permettre à tous le français de cultiver leur capacité d’inventer et

    de créer, d’exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur

    choix […] »73. Bien que Jack Lang ait récemment affirmé que ce texte avait « été improvisé et

    rédigé entre deux portes » et ne pouvait servir de fondement à une réflexion sur l’évolution de

    la signification du terme culture74, il est cependant indéniable qu’une nouvelle orientation,

    suscitant débat et controverse, a été prise à cette époque. Affirmant que « ne rien sacrifier à

    rien est la seule priorité »75, le nouveau ministre Jack Lang, dont le budget de son ministère

    vient de doubler, multiplie dès son arrivée les initiatives : défense des minorités régionales et

    communautaires et grands chantiers parisiens, soutien et reconnaissance des arts mineurs et

    renforcement des ressources attribuées aux arts légitimes, aide et développement des petites

    compagnies et croissance des grandes institutions prestigieuses. Mais c’est également sous

    son autorité que sont lancés les grands chantiers parisiens ; il renforce les ressources

    attribuées aux arts légitimes et soutient la croissance des institutions prestigieuses.

    72 L’art, mais également les modes de vie, que ce soit la cuisine, le jardinage, les coutumes et les rites, tout ce qui peut offrir le sentiment d’appartenance à un groupe intègrent le vocable. 73 Décret n° 82-394 du 10 mai 1982 relatif à l’organisation du ministère de la culture. 74 LANG J., Réponse à Antoine Compagnon et Élie Barnavi, p. 41, in BARNAVI É, SAINT PULGENT M. (de), op cit. 75 Jack Lang, cité par URFALINO P., op. cit., p. 338, note 1.

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    En reconnaissant et favorisant le financement de pratiques n’ayant pas jusqu’alors de

    légitimité culturelle, comme la bande dessinée, la mode, le hip-hop et toutes les « cultures

    urbaines », le ministre subit de violentes critiques76 : nous serions dans cet âge d’or du

    philistinisme, au sens où l’entend Hannah Arendt, c’est-à-dire « cet état d’esprit qui juge de

    tout en termes d’utilités immédiates et de valeurs matérielles »77 et qui laisse de côté

    l’émotion ; la démocratie pourrait se définir « désormais par le droit de chacun […] à nommer

    culture sa pulsion du moment »78.

    S’il appartient aux sociologues, aux historiens, et à chacun de vérifier la véracité de ces

    formules et les incidences que cette nouvelle conception de la culture aura, ou a déjà eu sur la

    société, nous noterons qu’au cœur de la conduite d’une politique culturelle se situe d’abord la

    définition même de ce que représente la culture. Le ministère de la Culture, par les

    compétences qu’il s’attribue, les financements qu’il octroie et le suivi qu’il exerce, est un

    acteur phare de cette délimitation.

    B. Les fonctionnalités du ministère de la Culture

    Considérons maintenant les modalités d’intervention du ministère. Elles seront envisagées

    selon deux acceptions différentes, mettant toutes deux en lumière l’existence d’un acteur

    capital dans la conduite du service public culturel : les collectivités locales.

    1) Les modalités d’intervention du ministère

    L’énumération des fonctionnalités d’un ministère, appliquée à celui de la culture, permet de

    mieux cerner son rôle politique. Le politologue américain T. Lowi a établi une typologie des

    politiques publiques que Pierre Moulinier a déclinée dans la sphère culturelle79. Elles se

    décomposent en quatre formes d’intervention : le ministère de la Culture peut, dans l’exercice

    de sa fonction régalienne, édicter des règlements et établir des projets de lois (politique

    76 « Dans l’acception actuelle, éléphantiasique que lui donne le décret du 10 mai 1982, le mot culture, estime Marc Fumaroli, fait partie de ce vocabulaire étrange, inquiétant, envahissant, qui a introduit une sorte de fonction dévorante dans notre langue, et dont la boulimie sémantique est inépuisable » in FUMAROLI M., L’État culturel, essai sur une religion moderne, Paris : Éditions de Fallois, 1992, p. 225. Alain Finkielkraut, dans son ouvrage polémique, dénonce la perte des valeurs et considère que la démocratie pourrait très bien se définir « désormais par le droit de chacun […] à nommer culture sa pulsion du moment », in FINKIELKRAUT A., op. cit., p. 142. 77 ARENDT H., op. cit. p. 258. 78 FINKIELKRAUT A., op. cit.,p. 142.

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    régulatrice de fabrication des lois et règlements). Il exerce ensuite un rôle de prestataire de

    services (politiques distributrices ou de fourniture de services) : il propose une offre artistique,

    par l'intermédiaire de la tutelle qu'il exerce sur les établissements publics nationaux placés

    sous son autorité. Il octroie par ailleurs des subventions aux niveaux national et local

    (politiques redistributrices ou de transfert des revenus aux citoyens). Enfin, en corollaire de

    cette politique, l’État exerce une fonction d’aménagement du territoire (politiques

    constituantes ou d’aménagement du territoire).

    Cette typologie ne rend cependant pas compte de manière très explicite de la situation

    particulière du ministère de la Culture. Complétons-là par l’action exercée par l’État dans ce

    domaine : celle-ci, avant qu'un ministère, tel que nous le connaissons aujourd'hui, ne soit

    expressément dévolu à cette mission, peut selon les approches des différents auteurs que nous

    avons retenus se décomposer en deux moments. Le choix de la date nous importe cependant

    moins que ce qu’en mentionnent les auteurs sur les modalités d’intervention : les germes

    juridiques de l’action publique du ministère de la Culture se retrouvent dans ces deux

    politiques que sont celle menée au niveau de l’État et l’autre se fondant sur des rapports de

    coopération.

    MM. Pontier, Bourdon et Ricci attribuent la paternité du premier ministère de la Culture à

    Colbert qui, en 1664, crée la surintendance générale des Bâtiments du Roi, Arts et

    Manufactures80. Les principales caractéristiques de nos structures juridiques culturelles sont

    présentes : ce premier service administratif est spécialisé. Il confère aux palais, châteaux,

    collections d’art et manufactures un statut institutionnel. Malgré la révolution et la succession

    des différents régimes, des services administratifs spécialisés de cette surintendance vont

    demeurer mais ils seront souvent éparpillés entre diverses administrations.

    M. Mesnard fait quant à lui remonter les premières interventions remarquables des pouvoirs

    publics étatiques en matière culturelle à l’année 1936, date de création du sous-secrétariat

    d’État aux Sports et aux Loisirs, premier service étatique de l’éducation populaire81. Cette

    immixtion de l’État dans la sphère culturelle est provoquée, selon ce même auteur, par

    l’existence de puissants groupements privés à vocation culturelle, et par une affirmation d’un

    79 LOWI T. J., Four systems of policy, politics and choice, Public Administration Review, t. 32, 1972, pp. 298-310, cité par MOULINIER P., Les politiques publiques de la culture en France, Paris : PUF, Que sais-je ?, 2011, pp. 50 et s. 80 PONTIER J.-M., RICCI J.-C., BOURDON J., Droit de la culture, Paris : Dalloz, Précis, 2e édition, p. 78.

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    droit positif à la culture, qui remplace la neutralité traditionnelle de l’État libéral.

    L’intervention de l’État s’est donc d’abord faite en reconnaissant l’activité culturelle de la

    sphère privée. La création d’un premier ministère de la Culture en 1959 offre la possibilité à

    l’État d’unifier son action en un projet politique.

    Cette représentation, qui n'est qu'une simplification schématique, symbolise cependant

    clairement les deux modalités d'action de l'État qui cimentent le ministère de la Culture lors

    de sa création et encore aujourd'hui : d'une part, la réalisation par ses propres moyens d'une

    politique culturelle ; d'autre part, la naissance d’une cohabitation par son irruption dans un

    domaine de compétence jusque là attribué –par défaut, d’un point de vue juridique- à la

    sphère locale82.

    Les actions du ministère de la Culture se déclinent autour de deux grandes interventions, une

    fois la fonction régalienne extraite de cette énumération : l'une qu'il mène avec ses propres

    instruments, au niveau national ; une autre qu'il exécute en collaborant avec les acteurs

    locaux, au premier rang desquelles les collectivités locales.

    2) L’intervention des collectivités locales dans le domaine de la

    culture

    Les collectivités territoriales et leurs établissements publics de coopération intercommunale

    sont avant l’État les premiers financeurs de l’activité culturelle en France83. Ils y consacrent,

    en cumulé, un budget plus important. La commune est le premier contributeur financier ;

    l’effort culturel global (fonctionnement en investissement) de celles de plus de

    10 000 habitants est budgétairement de 8,1 %84. Depuis 30 ans, la part de l’intervention n’a

    cessé d’augmenter85.

    La relance de la décentralisation en 1982 permet d’accroître le portefeuille des attributions des

    collectivités. La décentralisation des activités culturelles a pu jouer dans cet investissement du

    local. Les lois du 2 mars 1982 et des 7 et 22 janvier 1983 transfèrent aux départements deux

    81 MESNARD A.-H., L’action culturelle des pouvoirs publics, Thèse de doctorat, Université de Paris, Paris, LGDJ, 1969, pp. 154-184. 82 Une autre vision pourrait être faite autour des souhaits d’intervention de Malraux, qui mettra en place l’inventaire général du patrimoine, et qui n’oublie pas non plus l’action de son ami Léo Lagrange. 83 DELVAINQUIÈRE J.-C., Les financements des collectivités locales pour la culture, La revue du Trésor, 2008, n° 5, pp. 302-309. 84 Voir chiffres clés du ministère de la Culture pour l’exercice 2003. Ceux relatifs aux collectivités locales sont relatifs à l’exercice 2006. 85 URFALINO P., op. cit. ; MOULINIER P., Les politiques publiques de la culture en France, op. cit., pp. 69 et ss.

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    importants blocs de compétences : les archives départementales et les bibliothèques centrales

    de prêt. Ces transferts, au regard de ceux initiés dans d’autres domaines, restent assez limités.

    On a pu en conséquence se demander si la culture n’était pas l’oubliée de ce « premier acte »

    de la décentralisation86. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et

    responsabilités locales transfère de nouvelles compétences aux collectivités territoriales et à

    leurs groupements. En matière culturelle, elle confère une base légale à l’inventaire général du

    patrimoine, lancé en 1964 par André Malraux. Elle en confie la responsabilité aux régions et à

    la collectivité territoriale de Corse. Les collectivités territoriales peuvent devenir propriétaires

    de certains monuments historiques et des biens meubles qu’ils renferment, appartenant à

    l’État ou au Centre des monuments nationaux. Enfin, les responsabilités de l’État et des

    collectivités territoriales dans le domaine de la formation artistique et du spectacle sont

    précisées.

    Si des transferts par « blocs de compétence », ont été opérés, ils ne concernent que peu

    d’activités culturelles87. Différentes explications ont été avancées : la confiance des

    professionnels et même des élus locaux en l’action de l’État aurait joué88, de même que la

    singularité du secteur culturel qui s’articule mal avec un découpage territorial89.

    L’action des collectivités se fait par un autre vecteur. Une autre décentralisation, spécifique à

    ce secteur, ayant un objectif différent de celle opérée par la voie législative, existe depuis

    longtemps et est même antérieure à la création du premier ministère des Affaires culturelles.

    Elle est souvent associée à la démocratisation culturelle.

    Cette décentralisation culturelle a eu dans un premier temps pour objet la recherche d’une

    égalité sociale pour ensuite s’orienter vers une égalité territoriale. L’activité théâtrale, a été

    précurseur dans ce domaine. Dès la fin du XIXe siècle, un courant de pensée de

    décentralisation théâtrale se développe. Après la seconde guerre mondiale, les instruments

    institutionnels sont créés pour la faire exister. L’objectif est de mettre en œuvre, à l’initiative

    de l’État, en concertation avec les collectivités locales, un dispositif en faveur de la création et

    de la diffusion théâtrale. René Rizzardo a qualifié cette démarche de « centralisme

    86 BALEYNAUD P., La culture, l’oubliée de la décentralisation ?, RDP, I, 1991, p. 149. 87 BUI-XUAN O., La décentralisation culturelle, Bilan et perspectives, AJDA, 2007, pp. 563-570 ; COLLOT P.-A., La décentralisation culturelle, RDP, 2008, n° 2, pp. 336-362. 88 FRIER J.-L., La répartition actuelle des compétences, préc., p. 61. 89 RIZZARDO R., La décentralisation culturelle, Rapport au ministre de la Culture et de la communication, Paris : La documentation Française, 1990, p. 20.

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    décentralisé »90 : par manque de moyens, l’État ne peut agir seul et doit coopérer avec des

    partenaires. Cette décentralisation culturelle va se poursuivre et évoluer avec l’œuvre d’André

    Malraux puis des autres ministres ; sa politique s’oriente vers une égalité territoriale, vers

    l’accès de tous à la culture quel que soit notre lieu de résidence ; la coopération91 État /

    collectivités locales se poursuit en conséquence, ses dernières professionnalisant leur

    approche. On a ainsi pu parler de « municipalisation de la culture »92.

    Ainsi, pour le Ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, la « décentralisation est,

    finalement, quasiment dans les gènes du Ministère de la Culture »93. Nous compléterons ce

    constat en rappelant que ce n’est pas la décentralisation administrative