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STEPHENIEMEYER

L’appeldusang

Lasecondeviedebreetannerhésitationnovella

Traduitdel’anglais(États-Unis)parLucRigoureau

Hachette

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ÀAsyaMunichetMeghanHibbett

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Introduction

Iln’yapasdeuxécrivainsquienvisagentleschosesdelamêmefaçon.Notreinspiration

etnosmotivationssontuniques;desraisonspropresàchacunexpliquentpourquoicertainsdenospersonnagescontinuentdenousaccompagner,tandisqued’autresdisparaissentdansla corbeille des dossiers en souffrance. Pour ce quime concerne, si je n’ai jamais comprisqu’ilyenaitquisemettentàvivreuneexistenceindépendante,jesuistoujoursheureusequele phénomène se produise. Ce sont eux qui me posent le moins de difficultés à l’heured’écrire.Parconséquent,leursdestinssontengénéralceuxquiontunefin.

Breeestl’undecespersonnages.Elleestaussilaraisonprincipalepourlaquellecerécitest entre vos mains et non perdu au milieu du labyrinthe des fichiers oubliés de monordinateur. (Les deux autres raisons sont Diego et Fred.) J’ai songé à Bree alors que jecorrigeaisHésitation.Corrigeais,pasrédigeais.

Lors de récriture d’Hésitation, je portais les oeillères de la narration à la premièrepersonne ;cequeBellanepouvaitvoir,entendre,sentir,goûterou touchern’avaitpas lieud’être.Cettehistoire-làsecantonnaitàsesexpériences.

L’étapesuivantedansleprocessusderelectureaétédem’éloignerdeBellaetdevérifierla façon dont coulait le récit. Mon éditrice, Rebecca Davis, a joué un rôle important à ceniveauetm’aposébeaucoupdequestionssurcequeBellan’étaitpasenmesuredesavoiretsurlamanièredontnouspouvionséclaircircespansdel’intrigue.CommeBreeest laseulenouveau-néequeBellavoit,c’estverssonpointdevueàellequejemesuistournéelorsqu’ils’estagide réfléchirà cequi se tramaitderrière lesdifférentes scènesdu roman.J’ai alorscommencé à réfléchir à quoi pouvait ressembler l’existence dans un sous-sol avec d’autresnouveau-nés, à ce qu’était la chasse telle que l’envisagent les vampires traditionnels. J’aiimaginélemondecommeBreelecomprenait.Celam’aétéfacile.Dèsledépart,Breeavaitétéunpersonnage trèsmarqué, et certainsde ses amis ontpris forme tout aussi aisément. Jefonctionneainsi,d’habitude:jem’efforcederédigerunbrefsynopsisdesévénementsquisedéroulentdanstelleoutellepartiedel’histoireetjefinisaveclesdialogues.Enl’occurrence,jemesuissurpriseàécrireunejournéedanslaviedeBreeplutôtqu’unsynopsis.

En me concentrant sur Bree, j’ai pour la première fois enfilé les chaussures d’unenarratricequiétaitun«vrai»vampire,untraqueur,unmonstre.C’estàtraverssesprunellesrouges que je nous ai observés, nous les humains ; soudain, je nous ai vus minables etfaibles,proiesfacilessansautreintérêtquedereprésenterdedélicieuxrepas.J’airessenticequ’étaitlasolitudeaumilieud’ennemis,lefaitd’êtretoujourssursesgardesetdenejamaisêtre certaine de rien, sinon quema vie était constammentmenacée. Jeme suis immergéedansuneespècevampiriqueentièrementinédite:lesnouveau-nés.Jen’avaisencorejamaisexploré leur vie, y compris aumoment où Bella était transformée. Elle et Bree sont deuxsortes de nouveau-nées entièrement différentes. L’expérience a été exaltante, sombre etfinalement tragique.Plus jemerapprochaisde l’inéluctable fin,plus jeregrettaisdenepas

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avoirdonnéuneconclusionlégèrementdifférenteàHésitation.Je me demande comment vous réagirez en face de Bree. Elle est un personnage si

fugitif,apparemmentsiinsignifiantd’Hésitation.EllenevitquecinqminutessousleregarddeBella.Pourtant, sonhistoireestnécessaireà la compréhensiondu roman.Lorsquevousavez lu la scènedans laquelleBella fixeBreeens’interrogeantsursonpropreavenir,avez-vous seulementpensé, sur lemoment, à cequi avait amenéBreedans cette situation ?Ettandisqu’elle-mêmetoiseBella,vousêtes-vousdemandécommentelle la jugeait,ainsiquelesCullen?Sansdoutepas.Etquandbienmêmel’aurez-vousfait,jesuisprêteàparierquevousn’avezpasdevinésessecrets.

J’espèrequevousapprécierezBreeautantquemoi,mêmesicesouhaitestunpeucruel.Voussavezdéjàquecelanese terminepasbienpourelle.Aumoins,vousconnaîtrezaussisonhistoire,désormais.Etvouscomprendrezqu’aucunpointdevuen’estjamaistoutàfaitinsignifiant.

Bonnelecture,

Stephenie

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Remerciements

Comme toujours, je suisextrêmement reconnaissanteenvers tousceuxquiont rendu

cetouvragepossible:mesfils,Gabe,SethetEli;monmariPancho;mesparentsStephenetCandy ; lesamiesquimesoutiennent toujoursJenH.,JenL.,Meghan,NieetShelly.MonagentNinjaJodiReamer;mon«clubdegolf»ShannonHale;tousmesamisetmentorsdeLittleBrown, notammentDavidYoung,AsyaMuchnick,MeganTingley, ElizabethEulberg,GailDoobinin,AndrewSmithetTinaMaclntyre.Et,jegardelemeilleurpourlafin,merciàvous,cherslecteurs.Vousêteslemeilleurpublicquisoit!

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Legrostitredujournalmetoisaitdepuislemodestedistributeurmétallique:SEATTLE

ENÉTATDESIÈGE–TAUXDEMORTALITÉDENOUVEAUENHAUSSE.Celui-là,c’étaitlapremière fois que je le voyais. Un vendeur quelconque avait dû recharger la machine –heureusementpour lui, ilavaitdisparuàprésent.Génial !Rileyallaitpéterunplomb.Pasquestionquejesoisdanslesparagesquandildécouvriraitcetteune.Qu’ilarrachelebrasdequelqu’und’autreplutôtquelemien.

Debout dans l’ombre dispensée par le coin d’un immeuble de deux étages délabré, jem’efforçaisdepasserinaperçuetoutenattendantqu’unedécisionsoitprise.Jefixaislemuràcôté demoi, histoire d’éviter de croiser des regards. Le rez-de-chaussée du bâtiment avaitabrité la boutique d’un disquaire fermé depuis belle lurette. Les vitrines, brisées par lesélémentsoulaviolenceurbaine,avaientétéremplacéesparducontreplaqué.Au-dessus,desappartements. Vides, ai-je deviné, dans la mesure où je ne percevais aucun des bruitsnormaux qu’émettent les humains lorsqu’ils dorment. Ça ne m’a pas étonnée : les lieuxavaientl’aird’êtresurlepointdes’écrouleràlapremièrebourrasquedevent.Lesédificessisdel’autrecôtédelaruesombreetétroiteétaienttoutaussiminables.

Bref,lascènehabituelled’uneviréenocturneenville.J’avaisbeaunevouloirniparlerniattirerl’attention,j’auraisbienaiméquequelqu’un

arrêteunchoix.J’avaistrèssoifetjemefichaisquenouspartionsàdroite,àgaucheousurletoit. Je désirais justeme dégoter quelquemalchanceux à qui je ne laisseraismême pas letempsdesedirequ’ils’étaittrouvéaumauvaisendroitaumauvaismoment.

Malheureusement,cesoir,Rileym’avait flanquéedesdeuxvampires lesplusnulsquisoient. Riley paraissait ne jamais se soucier de ceux qu’il envoyait chasser ensemble ; nis’inquiéterspécialementquecesgroupesmalassortisimpliquentdespertesplusnombreusesparmi nos rangs. Cette nuit-là, j’étais contrainte de me coltiner Kevin et un blond dontj’ignoraislenom.TouslesdeuxappartenantàlabandedeRaoul,ilallaitdesoiqu’ilsétaientidiots.Etdangereux.Mêmesi,pourl’instant,ilsétaientsurtoutidiots.

Aulieudedéciderd’unepisteàsuivre, ilssechamaillaientpoursavoir lequeldeleurssuperhéros préférés aurait fait un meilleur traqueur. Le blond anonyme était en train deplaiderlacausedeSpiderman.Pourcela,ils’étaitsentiobligéd’escaladerlemurdebriquedelaruellelatéraletoutenfredonnantlabande-sondufilm.J’aipousséunsoupiragacé.Allait-onenfins’ymettre,ouiounon?

Un brefmouvement surma gauchem’a attiré l’oeil. C’était le quatrièmemembre denotreexpédition,Diego.Jenesavaispasgrand-chosedelui,sinonqu’ilétaitplusâgéquelaplupartd’entrenous.UnpeulebrasdroitdeRiley,enréalité.Cequinemelerendaitpasplussympathiquequelesautrescrétins.

Ilmefixait.Ilavaitdûentendremonsoupir.J’aidétournélatête.Garderprofilbasetlaboucler:telétaitlemotd’ordresil’onvoulaitsurvivredansl’universdeRiley.

—Spidermanestunloserpleurnichard!alancéKevinaublond.Jevaistemontrer,moi,commentchassentlesvraissuperhéros.

Un large sourire a dévoilé ses dents, qui ont lui dans la lumière crue d’un réverbère.Kevin a bondi aumilieu de la chaussée, juste aumoment où les phares d’une voiture quivenaitdetournerdanslarueilluminaientd’unéclatbleutéletrottoirfissuré.Teluncatcheurquifrime,ilapliésesbrasdanssondosavantdelesréunirlentement,musclessaillants.Labagnoleapprochait,s’attendantsansdouteàcequ’ildécampedevantelle,commen’importequellepersonnenormalel’auraitfait.Commeilauraitdûlefaire.

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—Hulkpascontent!a-t-ilbraillé.Hulk...FRAPPE!Sejetantsurlavoitureavantqu’elleaitpufreiner,ill’aattrapéeparlepare-chocsavant

etl’abalancéederrièrelui.Elles’estécraséesurletoitdansunconcertdemétaltorduetdeverrecassé.Al’intérieurdel’habitacle,unefemmes’estmiseàhurler.

—Zut!asouffléDiegoensecouantlatête.Ilétaitmignon,avecsesépaissesbouclesnoires,sesgrandsyeuxetseslèvrespleines.

Enmêmetemps,quinel’étaitpas,mignon?MêmeKevinet lesstupidesacolytesdeRaoull’étaient!

—Kevin!a-t-ilcrié.Noussommescensésresterdiscrets.Rileyaditque...—Rileyceci,Rileycela,etpatatietpatata,s’estmoqué l’autreenprenantunevoixde

fausset.Unpeudecran,Diego!Rileyn’estpaslà.Sautantsurlevéhiculerenversé,iladéfoncéd’uncoupdepoinglavitreduconducteur

qui, étonnamment, était intacte. Puis il a plongé lamain entre les échardes tranchantes etl’airbagquisedégonflaitafind’enextirperl’occupante.TropassoifféepourregarderKevinsenourrir,jemesuisdétournée,j’airetenumonsouffleetjemesuisaccrochéeàmescapacitésderéflexion.Surtout,jenetenaispasàmebattreaveclui.FigurersurlalistedesennemisdeRaoulétaitladernièrechoseaumondedontj’avaisbesoin.

Leblond,lui,n’avaitpascegenredesouci.Dégringolantdesonmur,ilaatterriaveclégèretéàcôtédemoi.Desgrognementsont

retenti, les siens, ceuxdeKevin,puis il y a euunbruitmouilléde corpsdéchiqueté, et leshurlementsde la victime se sont tus. Ils l’avaient sansdoutedéchirée endeux. Jeme suisefforcéed’effacercetteimage.Malheureusement,lesangquigouttaitderrièremoi,lachaleurquienémanaitm’enflammaientlagorge,bienquej’aiecesséderespirer.

—Moi,jemetire,amarmonnéDiego.Sur ce, il s’est engouffré dans l’étroit passage séparant deux immeubles. Je lui ai

emboîté le pas. Si je ne filais pas d’ici rapidement, j’allaisme quereller avec les débiles deRaoulpouruncadavrequi,detoutefaçon,devaitêtreplusoumoinsexsangueàprésent.Et,avecunpeudemalchance,ceseraitmoiquinereviendraispasdel’expéditiondecesoir.

Pourtant,qu’est-cequej’avaismalàlagorge,nomd’unchien!J’aiserrélesdentspourcontenirmescrisdedouleur.

Diegofonçaitdansuneruellepleinededétritus.Auboutducul-de-sac,ilaescaladélemur. Plantant mes doigts dans les fissures, je me suis hissée à mon tour par-dessusl’obstacle.Unefoislà-haut,Diegoadécampé,passantdetoitentoitavecagilité,s’éloignantde la curée, vers des lumières chatoyantes. Je lui collais aux basques. Plus jeune que lui,j’étaisaussiplusforte.Cequiétaitunatout,sanslequelnousautreslesnouveauxn’aurionspas survécu une semaine chez Riley. J’aurais pu le distancer sans problème, mais j’étaiscurieusedevoiroùilallait.Plusquetout,jenesouhaitaispasl’avoirdansmondos.

Il a continué à courirpendantdeskilomètres,nous avionspresqueatteint le quartierdesdocksindustriels.Jel’entendaismarmotterdanssabarbe.

—Lesidiots!Rileyadebonnesraisonsdenousdonnerteloutelordre.Nouspréserver,parexemple.Est-cetropleurdemanderdegarderunbrindejugeote?

—Hé!l’ai-jehélé.Onvabientôtchasser,ouquoi?J’ailagorgeenfeu,moi!Atterrissantausommetd’unevasteusine,ilavirevoltédansmadirection.J’aireculéde

plusieursmètres,àl’affût.Toutefois,iln’apasfaitminedem’agresser.— Oui, a-t-il répondu. Je voulais juste mettre un peu de distance entre moi et ces

dingues.Ilm’a souri, genre ami-ami, et je l’ai toisé avec prudence. Ce type se distinguait des

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autres.Ilétait...j’imaginequelemotserait«calme».Normal.Pasausensdemaintenant,ausens d’avant. Ses yeux étaient d’un rouge plus sombre que les miens. Cela confirmait larumeurqu’ildevaitexisterdepuispluslongtempsquemoi.

De la ruemontaient les sons nocturnes typiques d’un des coins les plus sordides deSeattle. Quelques voitures, de la musique dont les basses vrombissaient, de raresnoctambulesquipressaientlepas,nerveux,univrognequichantaitfauxauloin.

—TuesBree,n’est-cepas?m’alancéDiego.Unejeunette.Çanem’apasplu.Jeunette.Passons.—Oui,jem’appelleBree.Maisjenesuispasduderniergroupe.J’aipresquetroismois.—Tuesplutôtdouéepourtonâge.Jen’enconnaispasbeaucoupquiauraientréussià

quitterleslieuxdel’accidentcommeça.Sa phrase a résonné comme un compliment. À croire qu’il était réellement

impressionné.—JenetenaispasàmecolleterauxtarésdeRaoul.—Amen,soeurette,a-t-ilacquiescé.Cestypes-là,ilsnecréentquedesembrouilles.Bizarre.Diegoétaitbizarre. Ils’exprimaitcommequelqu’unmenantunebonnevieille

conversation. Sans hostilité, sans suspicion. Comme s’il n’évaluait pas les difficultésauxquelles il se heurterait s’il se décidait à me tuer là, sur-le-champ. Il se contentait dediscuteravecmoi.

—Depuis combiende temps es-tu avecRiley ?me suis-je enquise avec une curiositésincère.

—Bientôtonzemois.—Wouah!C’estplusqueRaoul.Levantlesyeuxauciel,ilacrachéunjetdeveninpar-dessuslereborddutoit.— Ouais, je me souviens du jour où Riley a ramené cette ordure. À partir de là, la

situationn’afaitqu’empirer.J’ai observé un bref silence, me demandant si Diego considérait comme des ordures

tous ceux qui étaient plus jeunes que lui. Non que cela m’importe. J’avais cessé dem’inquiéterdel’opiniondesautres.Cen’étaitpluslapeine.Commemel’avaitaffirméRiley,j’étaisunedéesse,désormais.Plusforte,plusrapide,meilleure.Personnenecomptait,sinonmoi.

Soudain,Diegoaémisunpetitsifflement.—Et voilà, a-t-ilmurmuré endésignant dudoigt le côté opposéde la rue. Il suffisait

d’unpeudesang-froidetdepatience.J’ai regardédans ladirection indiquée.Àmoitiédissimulédans l’ombremauved’une

venelle,unhommeétaitentraind’insulterunefemmetoutenlagiflant.Unesecondefemmeassistaitàlascènesansunmot.Àleursvêtements,j’aidevinéqu’ils’agissaitd’unmaquereauet de deux de ses employées. Riley nous avait conseillé ce genre de proies. La lie del’humanité.Lesracaillesquinemanqueraientàpersonne,quin’avaientni foyerni famille,dont on ne signalerait pas la disparition. Lui-même nous avait choisis de la même façon.Repasetdieuxissusduruisseau.

Contrairement à certains, je continuais d’obéir aux recommandations de Riley. Pasparceque je l’appréciais.C’était làun sentimentque jen’éprouvaisplusdepuis longtemps.Mais parce que ses avis me paraissaient fondés. À quoi bon attirer l’attention sur le faitqu’unebandedevampires avaient éluSeattlepour terrainde chasse ?Enquoi cela était-ilcensénousfaciliterlatâche?

Je n’avaismême pas cru à l’existence des vampires avant d’en devenir un.Même en

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supposantque lerestedumondesoitaussi ignorantquemoi, ilsétaientquandmêmebienrusés quand il s’agissait de senourrir.Non sans raison sansdoute. Telle était l’opiniondeRiley.Etcomme l’avaitpréciséDiego, lachassenesupposaitqu’unpeudesang-froidetdepatience.

Naturellement, nous commettions tous pas mal de gaffes. Riley lisait les journaux,râlait, nous enguirlandait, cassait des objets – la console de jeux préférée de Raoul, parexemple. Du coup, ce dernier se fâchait, chopait l’un de nous et le réduisait en cendres.Résultat, Riley, carrément furax, organisait une fouille et confisquait les briquets et lesallumettesdetoutlemonde.Aprèsplusieursscènesdecetacabit,ilramenaitàlamaisonunnouveau groupe de racailles vampirisées pour remplacer les troupes qu’il avait perdues.C’étaituncyclesansfin.

Diego a respiré par le nez, une grande et longue inspiration, et son corps s’estbrusquement transformé. Il s’est tapi sur le toit, unemain agrippée au rebord, sa drôle degentillesse s’est volatilisée, et il s’est transformé en traqueur. C’était là une modificationfamilière,quinemegênaitpasparcequejelacomprenais.

J’ai déconnectémon cerveau.L’heure était venuede chasser. Inhalantprofondément,j’aireniflél’odeurdusangdeshumainsdanslarue.S’ilsn’étaientpaslesseulsalentour,ilsétaientlesplusproches.Legibierqu’onsechoisissaitrelevaitd’unedécisionquel’ondevaitprendreavantd’enhumerleparfum.Après,ilétaittroptardpourchangerd’avis.

Diegos’estlaissétomberàterre,disparaissantdemavue.Lebruitdesachuteétaittropfeutrépour attirer l’attentionde la prostituéequi criait, de sa copinedans les vapes oudusouteneur.Unrâlesourds’estéchappédemeslèvres.Cesangétaitàmoi.L’incendiedemagorgearedoubléd’intensité,etjen’aiplussongéqu’àm’abreuver.

Mejetantdutoitàmontour,j’aivirevoltéjusqu’ausol,oùjemesuisposéejusteàcôtéde la blonde qui braillait. Sentant la présence de Diego derrière moi, j’ai grondé en guised’avertissementtoutenattrapantparlescheveuxlafilleahurie.Jel’aiplaquéecontrelemurdelaruellepuisjemesuiscolléeàelle,faceàlarue.Surladéfensive,aucasoù.Cependant,j’aiviteoubliéDiego,enivréeparlachaleurdelapeaudemavictimeetparlespulsationsquiagitaientsesveines.

Seremettantdesasurprise,elleaouvertlabouchepourhurler;mesdentsontécrasésatrachéeavantqu’elleenaiteuletemps.Seulsontglougloutél’airetl’hémoglobinequisesont échappés de ses poumons, seul a résonné le faible gémissement quim’a échappé. Lesangtièdeetsucréaapaisémasoifdévoranteetcalmélecreuxinsistant,péniblecommeunedémangeaison, de mon estomac. J’ai aspiré, avalé, à peine consciente de la réalité quim’entourait. Des bruits identiques auxmiensme sont parvenus. Émis parDiego. Il tenaitl’homme. La seconde femme gisait à terre, inanimée. Ni elle ni le maquereau n’avaientpousséuncri.Ilétaitdoué,ceDiego.

Leproblème,avecleshumains,c’estqu’ilsparaissaientnejamaisdisposerdequantitésdesangsuffisantes.J’aieul’impressionqu’ilnes’étaitécouléquequelquessecondesquandma proie a été vide. Agacée, j’ai secoué son cadavre. Déjà, ma gorge recommençait à êtredouloureuse.

Jetant lecorpsdésormais inutilesur lachaussée, jemesuisaplatiecontre lemur,medemandantsijeréussiraisàm’emparerdelaprostituéeinconscienteetàlasaigneravantqueDiego ne m’attaque. Sauf qu’il en avait terminé avec le type. Il m’a contemplée avec uneexpressionquejenesauraisqualifierquede...compassionnelle.Maisilétaitpossiblequejemeleurre.Nemesouvenantpasquequiconqueaitfaitpreuvedemansuétudeàmonégardauparavant,jen’étaispastrèssûredeceàquoiçaressemblait.

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—Vas-y,m’a-t-ilditendésignantdumentonlananaaffaléeparterre.—Tutefichesdemoi?—Non.Pourl’instant,jepeuxtenirlecoup.Etlanuitn’estpasfinie.Le surveillant du coin de l’oeil, des fois que ce soit une entourloupe, je me suis

vivementsaisiedelafille.Diegon’apaseuunmouvementpourm’arrêter.Sedétournantunpeu, il a fixé le ciel noir. Sans cesser de le regarder, j’ai plongémes crocs dans le cou quim’était offert. Cette proie était encoremeilleure que la précédente. Son sang était pur. Lablonde avait eu la saveur amère qu’engendre la drogue. Je l’avais à peine remarqué sur lemoment,tant j’yétaishabituéeàforcedemeconformerà larègledenem’attaquerqu’à laracaille.CommeDiegosemblaitêtreaussiobéissantquemoi,ilasansdoutehumécedontilseprivait.

Pourquoiavait-ilagiainsi?Unefoislesecondcorpsasséché,jemesuissentiemieux.J’étaisgavéedesang,etma

gorgemelaisseraitsûrementtranquilledurantplusieursjours.Diego patientait en sifflotant. Lorsque le cadavre est tombé par terre avec un bruit

sourd,ilapivotéversmoietm’aadresséunsourire.—Hum...merci,ai-jemarmonné.—J’aieul’impressionquetuenavaisplusbesoinquemoi,s’est-iljustifiéenhochantla

tête.Jemerappelleàquelpointc’étaitdifficile,audébut.—Est-cequeças’arrangeparlasuite?—Plusoumoins,oui,a-t-ilréponduavecungestedésabusé.L’espaced’uneseconde,nosregardssesontcroisés.—Bon,sionflanquaitcestrois-làdansledétroit?a-t-ilensuitesuggéré.Me penchant, j’ai ramassé la blonde et j’ai balancé son cadavremou par-dessusmon

épaule. Jem’apprêtais à attraper l’autre,maisDiegom’a devancée, bien que lemaquereaupendedéjàdanssondos.

—Jel’ai,a-t-ildit.Derrière lui, j’ai escaladé le mur de la venelle puis les poutrelles de l’autoroute. Les

phares des voitures passant en bas ne nous atteignaient pas. J’ai songé combien les gensétaientbêtes,inconscients,etj’aiétésoulagéedenepascompteraunombredecesignorants.

Profitantde lapénombre,nous sommesallés jusqu’àundockdésertet fermé lanuit.Unefoisauboutduquaienbéton,Diegoasautéà l’eausanshésiteravecsonchargement.J’ai plongémoi aussi.Nageant avec l’agilité et la rapidité d’un requin, il s’est éloigné dansl’obscuritémarineavantdes’arrêterbrusquementetdetournerautourdecequ’ilcherchait:unénormerochercouvertdevase,auxpansduquels’accrochaientétoilesdemeretdétritusdivers.D’aprèsmoi,nousétionsàplusdetrentemètresdeprofondeur–unhumainn’auraitdistingué qu’un noir d’encre. Diego s’est débarrassé de son fardeau. Les corps ont flottélentement,agitésparlescourants,tandisqu’ilfourraitsamainàlabasedurocher.Auboutd’uneseconde,iladénichéuneencocheetasoulevélapierre.Souslepoidsdecelle-ci,ils’estenfoncéjusqu’àlatailledanslesable.

Meregardant,ilm’aadresséunsignedetête.Jel’airejoint,attrapantaupassagesescadavresd’unemain.J’aienfouilablondedans

le trou avant d’y précipiter sa camarade et leurmaquereau.D’un coup de pied, jeme suisassuréequ’ilsétaientbienenplace,puisjemesuisécartée.Diegoalaisséretomberlerocher,quiavacilléens’ajustantàsesnouvellesfondationsinégales.S’extrayantdelavase,Diegoaalors grimpé au sommet de la pierre et, à force de pression, a écrasé ce qui se trouvait àprésentdessous.Ensuite,ilareculédequelquesbrassesafind’admirersontravail.

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«Parfait ! » ai-je approuvédemes seules lèvres. Les trois corpsne referaient jamaissurface.Rileyneliraitrienlesconcernantdanslesjournaux.Avecunimmensesourire,Diegoalevélamain.Ilm’afalluuneminutepoursaisirqu’ilattendaitquejetapedanssapaumeensignedevictoire.Hésitante,jemesuisapprochée,mesuisexécutéepuismesuisrapidementéloignéedelui.Uneexpressionétrangeatraversésestraits,puisilafiléenhautàlavitessedel’éclair.Unpeudécontenancée,jel’aisuivi.Lorsquej’aiémergé,ils’étranglaitpresquederire.

—Quoi?Pendantunmoment,ilaétéincapabledes’expliquer.— Personne ne m’en a jamais tapé cinq avec autant de maladresse, a-t-il fini par

crachoter.J’airenifléavecirritation.—Riennegarantissaitquetunem’arracheraispaslebrasoujenesaisquoi.—Cen’estpasmonstyle,s’est-ildéfendu.—Maisceluidesautres,ai-jeriposté.—C’estvrai,a-t-iladmis,soudainsérieux.Bon,prêteàcontinuer?—Laquestionneseposemêmepas.Noussommessortisdel’eauàl’abrid’unpontetavonseulachancedetombersurdeux

clochardsquidormaientdansdessacsdecouchageusésetcrasseux,surunmatelascommundejournaux.Aucunnes’estréveillé.L’alcoolavaitrenduleursangacide,maisc’étaitmieuxquerien.Euxaussi,nouslesavonsenfouisdansledétroit,sousunsecondrocher.

— Et voilà, je suis tranquille pour plusieurs semaines, a commenté Diego quand,dégoulinants,nousnoussommesdenouveauhisséshorsdel’eau,auboutd’unautrequai.

— J’imagine que chasser est ce qu’il y a de plus facile, ai-je soupiré.Dans deux-troisjours, je serai une nouvelle fois en feu. Alors, Riley me renverra en expédition avec descrétinsdelabandedeRaoul.

—Jet’accompagnerai,situpréfères.Rileymelaissefaireàpeuprèscequejeveux.J’ai réfléchi, soupçonneuse.Mais Diego avait vraiment l’air de ne pas ressembler au

restedelatroupe.Ensaprésence,j’avaisd’ailleursl’impressiond’êtreégalementdifférente.Commes’ilnem’étaitplusaussinécessairedesurveillermesarrières.

—Oui,çameplairait,ai-jefiniparavouer.Aussitôt, jeme suis sentiemal. Trop vulnérable, un truc comme ça. Toutefois,Diego

s’estbornéàdirequec’étaitcoolavantdemesourire.—Commentexpliques-tuqueRileytedonneautantdeliberté?ai-jedemandé.Cette question attisait ma curiosité. Plus je passais de temps avec Diego, moins je

l’envisageaisentretenirunlienétroitavecRiley.Diegoétaittellement...amical.Toutl’inversedeRiley.Maisilétaitpossiblequeleurrelationsoitfondéesurunphénomèned’attirancedescontraires.

—Ilsaitqu’ilpeutavoirconfiance,quejenettoiederrièremoi.Àpropos,çanet’embêtepasqu’onailleréglerunderniertruc?Çaneprendrapaslongtemps.

Jecommençaisàbienm’amuser,aveccedrôledetype.Ilm’intriguait, j’avaisenviedevoircequ’ilcomptaitfaire.

—Pasdesouci,ai-jedoncrépondu.Ilabondiendirectiondelaruequilongeaitlefrontdemeret,unefoisencore,jeluiai

emboîté le pas. J’ai détecté l’arôme de plusieurs humains, même si l’obscurité était tropdense,etquenousétionstroprapidespourqu’euxnousrepèrent.Derechef,Diegoadécidédese déplacer de toit en toit. Au bout de quelques sauts, j’ai identifié notre trace olfactive. Il

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rebroussait chemin, et nous n’avons pas tardé à rejoindre la ruelle où Kevin et son poteavaientdéliréaveclavoiture.

—Incroyable!agrommeléDiego.KevinetCievenaientdepartir,apparemment.Deuxnouveauxvéhiculesétaiententassés

surlepremier,etunepoignéedepassantss’étaientajoutésaunombredesvictimes.Lesflicsn’étaientpasencoresurplace,danslamesureoùlestémoinssusceptiblesdeleurannoncerlegrabugeétaientmorts.

—Aide-moiàréparerlesdégâts,d’accord?m’alancéDiego.—O.K.Nousavonsbondisurlachaussée,etilaréorganisélesvoituresdemanièreàcequ’elles

aient l’airdes’êtrerentréesdedansplutôtqued’avoirétéempiléesparunbébégéantayantfaitunméga-caprice.Demoncôté,j’aiattrapédeuxcorpsexsanguesabandonnésparterreetjelesaifourréssousl’amasdetôles.

—Vilainaccident,ai-jecommenté.Diego s’estmarré. Sortant unbriquet d’unepoche à fermetureÉclair de sa veste, il a

entreprisdemettrelefeuauxvêtementsdesvictimes.M’emparantdumien–Rileynousenfournissait quandnouspartions en chasse, etKevin auraitdûutiliser le sien–, jeme suisattaquéeauxsiègesdesvoitures.Lescadavres,desséchésetenduitsdevenininflammable,sesontrapidementembrasés.

—Éloigne-toi!m’aordonnéDiego.J’aiconstatéqu’ilavaitouvertleréservoirdelapremièrebagnole.J’aisautésurlemur

leplusproche,meperchantunétageau-dessusde la scène.Reculantdequelquespas, il agrattéuneallumetteet,d’ungestesûr,l’ajetéedansletrou.Aumêmeinstant,ilm’arejointeen haut. Le fracas de l’explosion a secoué toute la rue. Des lumières se sont peu à peualluméesdanslevoisinage.

—Bienjoué,l’ai-jefélicité.—Mercipourlecoupdemain.OnretournechezRiley?J’ai froncé lessourcils.Plutôtmependrequepasser lerestantde lanuit là-bas.Jene

tenaispasàdevoirsupporterlevisageidiotdeRaoul,lescrisincessantsetlessempiternellesquerelles.Jen’avaisaucuneenvienonplusdemeplanquerenserrantlesdentsderrièreFredleFrappadinguepouravoirlapaix.Etpuis,jen’avaisplusdebouquins.

—On a encoredu temps, a reprisDiego endéchiffrantmon expression.Onn’est pasobligésderentrertoutdesuite.

—Quelqueslivresmeseraientbienutiles,ai-jeopiné.—Etmoi,quelquesCD,a-t-ilrigolé.Susauxboutiques!Nous avons filé jusqu’à un quartier plus sympathique, par les toits d’abord, puis à

traversdesruesombreuseslorsquelesbâtimentsontcommencéàêtretropdistantslesunsdes autres. Nous avons vite dégoté un centre commercial doté d’une grande enseignespécialiséedanslesproduitsculturels.J’aiarrachéleverrouquifermaitlevasistasdutoit,etnousnoussommesglissésàl’intérieur.Lemagasinétaitdésert,lesalarmesétaientinstalléessurlesseulesfenêtresetportes.PendantqueDiegos’intéressaitaurayonmusique,j’aifoncédroitsurlasectionHdelalibrairie.Venantd’entermineravecShannonHale,j’aifauchéladizaine de bouquins qui suivaient sur l’étagère. Ils m’occuperaient pendant les deuxprochainsjours.

CherchantDiegodesyeux,jel’airepéréàl’unedestablesducafé.Ilexaminaitledosdeses nouveaux CD. Avant de le rejoindre, je l’ai observé un instant, emplie d’une sensationétrange.Eneffet, lascènem’était familière,maisdansungenreobsédant, inconfortable.Je

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m’étais retrouvéeainsiassiseàune table,àuneépoque, faceàquelqu’un.J’avaisdiscutéàbâtons rompus avec cette personne, j’avais pensé à des choses qui n’étaient ni la vie ni lamort,nilasoifnilesang.Cependant,celas’étaitproduitdansunevieprécédenteetfloue.

La dernière fois que j’avais été attablée en compagnie de quelqu’un, ç’avait été avecRiley.Mesouvenirdecettesoiréeétaitdouloureux.Pourdestasderaisons.

— Comment se fait-il que je ne t’ai jamais remarquée dans la maison ? m’abrusquementinterrogéeDiego.Oùtecaches-tu?

J’airietgrimacéenmêmetemps.—Engénéral,jetraînedansl’ombredeFredleFrappadingue,ai-jeconfessé.Ilatordulenez.—Sérieux?Commentarrives-tuàsupporterça?—Ons’yhabitue.C’estmoinspéniblequandonestderrièrelui.Detoutefaçon,c’estla

meilleureplanquequej’aidénichée.Personnen’approchedelui.—Eneffet,aacquiescéDiego,l’airtoujoursaussidégoûté.Bonnefaçonderesterenvie.J’aihaussélesépaules.—Savais-tuqueFredestl’undeschouchousdeRiley?m’a-t-ildemandé.—Ahbon?Commentça?Tout le monde détestait Fred le Frappadingue. J’étais la seule à le tolérer, et c’était

uniquement dans le souci demepréserver.Diego s’est penché versmoi avec unemine deconspirateur.J’étaisdéjàsirodéeàsesétrangesmanièresquejen’aimêmepastressailli.

—Jel’aientenduendiscuterautéléphoneavecElle.J’aiétéprised’unfrisson.—Jetecomprends,a-t-ilacquiescé.Derechef, ilsemblaitpleindesympathie.Enmêmetemps,quandils’agissaitd’Elle, la

confraternitéétaitdemise.— C’était il y a quelques mois, a-t-il poursuivi. Riley parlait de Fred, tout content.

D’aprèsceque j’ai saisi, certainsvampiresauraientdesdons. Ils seraient capablesde trucsque les vampires normaux ne sont pas enmesure de faire. Apparemment, c’est ce qu’Ellerecherche.DesvampiresdouésdePouvoirs.

Ilavaittantinsistésurlapremièresyllabedumotquej’aidevinéque,mentalement,ill’écrivaitavecunemajuscule.

—Quelgenredepouvoirs?—Un tas, visiblement. Déchiffrer les pensées des autres, les traquer, prédire l’avenir

même.—Turigoles?—Pasdutout.J’imaginequeFredparvientàrepousserlesgensexprès,quelquechose

commeça.Mêmesic’estdansnosespritsqueçasepasse.Ilarriveànouspersuaderquesaproximiténousrépugne.

—Etenquoicelaest-ilpositif?ai-jedemandé,lefrontplissé.—Ehbien,çalemaintientenvie,non?Toiaussi,d’ailleurs.—Oui,pasmalvu.Est-cequeRileyamentionnéd’autrespersonnes?J’aiessayédemesouvenirdeschosescurieusesquej’avaispuvoirousentir.Envain.

Fredétaituniqueensongenre.Lesclownsqui,cettenuit,avaientjouélessuperhérosdanslaruellen’avaientrienaccomplicedontnousautresnefussionscapables.

—IlaévoquéRaoul,aadmisDiego,unemoueréprobatricesurleslèvres.—Etqueldona-t-il,celui-là?Laméga-stupidité?—Ça,oui !aricanémoninterlocuteur.N’empêche,Rileypensequ’ildégageunesorte

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demagnétisme,quelesgenssontattirésparlui,qu’ilssontprêtsàlesuivre.—Seulementlesdébilesprofonds.— Riley a souligné ça aussi, en précisant que son talent semblait sans effets sur les

mômes«lesplusdociles».Ilavaitimité–assezbiend’ailleurs–lavoixdeRileypourprononcercestroisderniers

mots.—Dociles?—J’enaidéduitqu’ilvoulaitdésignerceuxqui,commenous,sontàmêmedeseservir

deleurcervelledetempsàautre.Contrairementàceuxquin’écoutentqueleursinstinctslesplussauvages.

Je n’appréciais guère qu’onme traite de docile. Ça n’avait pas l’air d’un compliment,danslabouchedeRiley.L’interprétationdeDiegoétaitbienpluspositive.

—J’ai eu l’impressionqueRiley souhaitait queRaoul soit unmeneur, a poursuivi cedernier.Ilsetramequelquechose,àmonavis.

Un drôle de spasme a secouéma colonne vertébrale, et jeme suis redressée surmachaise.

—Quoidonc?—Tut’esdéjàdemandépourquoiRileyexigetoujoursquenousfassionsprofilbas?J’aihésitéunedemi-secondeavantderépondre.Cen’étaitpaslàunequestionàlaquelle

jem’étaisattenduedelapartdubrasdroitdeRiley.C’étaitcommes’ilremettaitencauselesordres du chef. À moins qu’il n’agisse pour le compte dudit chef, en espion. Histoire dedécouvrircequeles«mômes»pensaientdelui.Maisçanesemblaitpasêtreça.LesyeuxdeDiegoétaientgrandsouverts,confiants.Etpuis,enquelhonneurRileyseserait-ilsouciédel’opiniondesestroupes?Siçasetrouveparexemple,cequeracontaientlesautresàproposdeDiegonereposaitquesurduvent,cen’étaitquedesragots.J’aidécidéd’êtrefranche.

—Oui.D’ailleurs,j’étaisjustemententraind’yréfléchir.—Nousnesommespaslesseulsvampiresaumonde,adéclaréDiegoavecgravité.—Jesais,Riley l’a répétéàplusieurs reprises.Enmême temps,nousnepouvonspas

êtreaussinombreuxquecela.Sinon,nousaurionsétédéjàrepérés,non?—Oui,jesuisd’accord.Voilàpourquoiilestplutôtétrangequ’Ellecontinued’encréer

denouveaux,tunecroispas?J’aifroncélessourcils.—Ouais.D’autantqu’onnepeutpasdirequeRileynousapprécieniriendecegenre.Jemesuisinterrompue,attendantdevoirs’ilallaitmecontredire.Non.Ils’estbornéà

patienteravecunlégerhochementdetêtesignifiantqu’ilpartageaitmonavis.—EtEllen’amêmepaspris lapeinedeseprésenter,ai-jedoncenchaîné.Tun’aspas

tort.Jen’yavaispassongésouscetangle.Enfait, jen’yavaispassongédutout.Maisbon,qu’attendent-ilsdenousexactement?

Diegoahausséunsourcil.—Tuveuxentendremathéorie?J’aiacquiescéavecprudence.Cependant,cen’étaitplusluilasourcedemonanxiété.—Jetelerépète,ilsetramequelquechose.Pourmoi.EllechercheàseprotégeretElle

achargéRileydeluifabriquerunelignededéfensefrontale.J’airéfléchiàça.Pourlatroisièmefois,j’aifrémi.—Pourquoinepasnousenparler,danscecas?Nedevrions-nouspasêtresurlequi-

vive?—Pasbête,aopinéDiego.

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Nousnoussommesregardésensilencependantquelquessecondesquiontparudureruneéternité.Saufquej’étaisàcourtd’idées,etluiaussi,apparemment.

—Jene suispascertained’être convaincue,ai-je finipargrimacer.AusujetdeRaoulquiseraitbonàquelquechose,s’entend.

—Cen’est pasmoi qui te dirai le contraire, s’est esclafféDiegoqui a ensuite jeté uncoupd’oeilparlavitrinesurl’aubenaissanteetaajouté:Ilesttemps.Rentronsavantd’êtretransformésenbarbecue.

—Paixànoscendres!ai-jeentonnéenmelevantetenrassemblantmeslivres.Diegoarigolé.En chemin, nous nous sommes brièvement arrêtés dans un grand magasin afin d’y

faucher de vastes sachets en plastique à glissière ainsi que deux sacs à dos. J’aisoigneusement emballé mes bouquins. Les pages gondolées par l’humidité m’agaçaientprofondément.

Puis nous sommes retournés vers le port, par les toits pour l’essentiel. Le cielcommençaitàseteinterdegrisàl’est.Nousnoussommesglissésdansledétroit,justesouslenezdedeuxvigilesquimontaient lagardeprèsdu ferry, inconscientsdenotreprésence.Heureusementpoureuxquej’étaisrassasiée,carilsétaientsiprochesquej’auraiseudumalàmecontrôler.Unefoisaufonddel’eau,nousavonsfaitlacoursejusquechezRiley.

Audébut,jenemesuispasrenducomptequ’ils’agissaitd’unecourse.Jenageaisvite,simplementparcequelejourselevaitrapidement.D’ordinaire,jenem’attardaispasdehorsaussi longtemps.Pour êtrehonnête, jem’étais transformée enun vampirehyper fayot : jesuivais les règles, je ne créais pas d’ennuis, je traînais en compagnie des jeunes les plusimpopulairesdugroupeetjerentraistoujourstôtàlamaison.

Mais Diego s’est mis à foncer comme un dingue. Dès qu’il a eu quelques longueursd’avancesurmoi,ils’estretourné,m’asouriet,deslèvres,m’alancé:«Alorsquoi?Tunetienspaslerythme?»avantderepartirdeplusbelle.Bref,pasquestiond’accepterça.J’étaisincapable deme souvenir si j’avais ou non eu l’esprit de compétition autrefois – tout celaparaissaittellementloinettellementdénuéd’importance;n’empêche,jel’avaispeut-êtreeu,carj’aiaussitôtrelevéledéfi.Diegoétaitbonnageur,maisj’étaisplusfortequelui,surtoutaprèsm’êtrenourrie.«Àplus!»l’ai-jenarguéenledoublant,mêmesi jenesuispassûrequ’ill’aitremarqué.

Sansperdredetempsàvérifiercombiendelongueursjeluimettaisdanslavue,jel’aisemé dans les eaux sombres, filant à travers le détroit jusqu’à l’île sur laquelle était situénotre plus récent foyer. Avant cela, nous avions habité un vaste chalet perdu aumilieu denullepart,dans lachaînedesCascades.Cettemaison-làétaitelleaussi retirée,dotéed’unecaveimmense,etsespropriétairesétaientrécemmentdécédés.

J’aiescaladéà toutes jambes leseauxpeuprofondesde labergecaillouteuseavantdeplantermesdoigtsdanslafalaisedegrèsafindel’escalader.J’agrippaisletroncd’unpinensurplomb quand j’ai entendu Diego émerger derrière moi. D’une pirouette, je me suispropulséeausommet.Lorsquej’aiatterrisurlaplantedespieds,deuxchosesm’ontfrappée:un,ilfaisaittrèsclair;deux,lamaisonavaitdisparu.

Enfin, pas complètement. Il en restait çà et là des ruines,mais l’espace qu’elle avaitoccupé était désert. Le toit s’était effondré en un enchevêtrement anguleux de poutresnoircies et pendait plus bas que l’ancienne porte principale, à présent démolie. Le soleilmontaitvitedansleciel.Levertdespinsétaitdéjàdiscernable.Bientôt,leurspointeslesplustendressedessineraiententièrementsurleurfondplussombre,etjeseraismorte.

Vraimentmorte,plusprécisément.Masecondeviedesuperhéroïnetoujoursassoiffée

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s’achèveraitdansuneexplosiondeflammes.Jenepouvaisqu’imagineràquelpointceseraitdouloureux.Trèsdouloureux.

La destruction de l’un de nos foyers n’était pas une première pour moi. Entre lesmultiplesbagarresetlesincendiesquiseproduisaientdanslescaves,ilsneduraientjamaisque quelques semaines. En revanche, arriver sur les lieux dumassacre à une heure où lesoleilmenaçaitétaitunepremière.Souslechoc,j’aiavaléunegrandegouléed’air.Diegom’arejointeàcemoment-là.

—Etsions’enterraitsousletoit?ai-jechuchoté.Est-cequeçasuffiraitpour...—Pasdepanique,Bree,m’a-t-ilrassurée,l’airunpeutropserein.Jeconnaisunendroit.

Viens.Surce,ils’estjetéaubasdelafalaiseeneffectuantunecabriolearrièrefortélégante.À

monavis, l’eaune suffirait pas à filtrer les rayonsdu soleil.Aumoins,nousnebrûlerionspeut-êtrepas?Hum...plutôtminable,commeplan.Cependant,aulieudem’enfouirsouslacarcasseincendiéedelamaison,j’aiplongémoiaussi.Unefoisn’estpascoutume,j’étaisenproieaudoute,undrôledesentiment.D’habitude,j’agissaisenfonctiond’uneroutine,seloncequimeparaissaitrationnel.

J’airetrouvéDiegosouslasurface.Ils’étaitremisàfairelacourse,maissansplaisanter.Cettefois,c’était lesoleilqu’ildéfiait.Contournantundescapsdel’île, ils’estbrutalementenfoncé vers les profondeurs. J’ai été surprise qu’il ne heurte pas le sable, encore pluscependant quand j’ai senti un courant chaud qui venait de ce que, jusqu’alors, j’avais prispourunsimpleaffleurementrocheux.

DénicheruntelendroitavaitétéastucieuxdelapartdeDiego.Certes,çan’allaitpasêtretrèsamusantderesterassisdansunecaverne immergée toute la journée–nepasrespirerfinissaitparirriter,auboutdequelquesheures–,maisc’étaitmieuxqued’exploseretd’êtreréduit en cendres. J’auraisdû suivre l’exempledeDiego et réfléchir ; penser à autre chosequ’ausang;meprépareràl’inattendu.

Ils’estglissédansunecrevasseétroite.Lesparagesétaientnoirscommel’encre.Sansdanger aussi. Comme l’exiguïté empêchait de nager, je me suis tortillée dans le gouletd’étranglement derrièremon guide. Je guettais l’instant où il s’arrêterait. Cela ne s’est pasproduit. Nous grimpions, encore et toujours. Soudain, j’ai compris que nous remontionsvraimentet,presqueaussitôt,j’aientenduDiegoémerger.

Laseconded’après,j’aicrevélasurfaceàmontour.La grotte n’était rien qu’une petite cavité, un terriermesurant à peine la taille d’une

Coccinelle Volkswagen, en moins haut. Un second boyau, au fond, ventilait les lieux. J’aidistinguélaformedesdoigtsdeDiegoquiserépétaitàl’infinisurlesparoisdegrès.

—Chouetteendroit,ai-jecommenté.Ilasouri.—ToujoursmieuxqueledosdeFredleFrappadingue.—Cen’estpasfaux.Hum...merci.—Derien.Pendant une minute, nous nous sommes fixés dans l’obscurité. Son visage était

détendu, calme. Avec n’importe qui d’autre, Kevin, Kristie, n’importe qui, cela m’auraitflanqué la frousse– l’étroitesse de la caverne, la proximité forcée, l’odeur deDiego que jehumaispartoutautourdemoi.Celaauraitpusignifierunemortrapideetdouloureuse.MaisDiegosecontrôlait.Contrairementaurestedugroupe.

—Quelâgeas-tu?m’a-t-ilsoudaindemandé.—Troismois.Jetel’aidéjàdit.

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Je me suis reculée, mal à l’aise quand j’ai compris qu’il parlait de ma vie humaine.Personnen’abordaitcessujets.Personnenesouhaitaityrepenser.Néanmoins,jen’avaispasenviedemettreuntermeàlaconversation.Unediscussion,rienquecela,c’étaitnouveauettrèsdifférent.

— J’avais... euh, quinze ans, je crois. Presque seize. Je neme souviens pas du jour...Était-ceaprèsmonanniversaire?

Jeme suis efforcéed’y réfléchir.Malheureusement, cesdernières semaines rythméespar la faim constituaient un vaste flou, et tenter de les éclaircir me donnait une étrangemigraine.J’airenoncé,secouélatête.

—Ettoi?—Jevenaisd’enavoirdix-huit.Siprès.—Dequoi?—Dem’ensortir.Iln’apasprécisé.Unsilencegênés’estinstallé,qu’ilarompuenpassantàautrechose.—Tut’enesvraimentbientiréedepuisquetues ici,a-t-ildécrétéenbalayantdeson

regard mes bras croisés et mes jambes repliées. Tu as survécu, tu as évité de te faireremarquerparlesmauvaisespersonnes,tuesrestéeintacte.

Haussant vivement les épaules, j’ai relevé lamanchegauchedemon tee-shirt afindedévoilerlavilainecicatricerondeetfinequidéparaitlehautdemonbras.

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—Jenm’aarrachécemorceau-là,unefois.Jel’airécupéréavantqu’elleaitletempsdel’avaler.Rileym’amontrécommentleremettreenplace.

Avec un sourire ironique, il a effleuré son genou droit. Son jean noir dissimulait lamarquequidevaits’ytrouver.

—Çaarriveàtoutlemonde.—Aïe!—Sérieux.Mais,commejeteledisaisàl’instant,tuesunvampireplutôtdoué.—Suis-jecenséeteremercier?—Jeréfléchisàhautevoix,riendeplus.J’essayedecomprendre.—Quoidonc?Ilalégèrementfroncélessourcils.—Cequi sepassevraiment.CequemijoteRiley.Pourquoi ilnecessede lui apporter

tout un tas d’ados. Pourquoi il semble puiser indifféremment dans les gens comme toi oucommecetimbéciledeKevin.

Visiblement,ilneconnaissaitpasRileymieuxquemoi.—Lesgenscommemoi,c’estqui?— Ceux dont Riley ferait mieux de se contenter. Les malins. Au lieu d’accepter les

membresdegangsviolents,telsceuxqueRaouln’arrêtepasderamener.Jesuisprêtàparierquetun’étaispasunetraînéecaméejusqu’auxyeuxquandtuétaishumaine.

Lederniermotm’aembarrassée,et jemesuis trémoussée.Diegoaattenduque je luiréponde,commes’iln’avaitrienditdebizarre.Inspirantprofondément,j’airéfléchi.

—Jen’enétaispastrèsloin,ai-jeadmisauboutdequelquessecondes.Pasencore,maisil aurait suffi d’un ou deuxmois, et... Tu sais, si je neme rappelle pas grand-chose, jemesouviensaumoinsd’avoirpenséqu’iln’existaitriendepluspuissantaumondequelafaim.Cettebonnevieillefaim.Jemetrompais.Lasoifestpire.

—Àquiledis-tu!a-t-ilrigolé.—Ettoi?ai-jedemandé.Tun’étaispasunadoenpleinecriseetfugueurcommenous

autres?—Ohçà!Enpleinecrise,jel’étaisbeletbien!Il s’est tu. Sauf que, moi aussi, j’étais capable l’attendre qu’il daigne répondre à des

questionsdéplacées.Jel’aifixé.Ilasoupiré.Sonhaleinesentaitbon.Toutlemondedanslegroupeémettaituneodeurdouceâtre.Diego, lui, avaitunpetitquelquechoseenplus.Unepointed’épice,commedelacannelleouducloudegirofle.

— J’essayais de rester à distance de la loose ambiante, a-t-il fini par reprendre. Jebossais dur au bahut, j’allaism’évader du ghetto, fréquenter la fac, réussir à faire quelquechose de moi, les délires habituels, quoi. Malheureusement, il y avait un type... pas trèsdifférent de Raoul. Tu en es ou tu crèves, telle était sa devise. J’évitais sa bande. J’étaisprudent.Jesurvivais.

Unefoisencore,ils’estinterrompu,afermélespaupières.—Et?ai-jeinsisté,pasprêteàrenoncer.—Monpetitfrèren’apasétéaussiprudentquemoi.J’ai failli demander si le gamin en avait été ou avait crevé, mais l’expression de son

visagerendaittoutequestionsuperflue.J’aidétournélesyeux,hésitantquantàlaréactionàadopter.Jen’étaispasenmesuredesaisirvraimentsaperte,lasouffrancequ’ellecontinuaitdeluicauser.Jen’avaislaisséderrièremoirienquisoitsusceptibledememanquer.Était-cece qui nous différenciait ? Était-ce pour cela qu’il s’attardait sur des souvenirs que nousautresfuyions?

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JenevoyaistoujourspascommentRileyétaitentréenscène.Rileyetsoncheeseburgerde la douleur. J’avais enviededécouvrir cette partie de l’histoire,mais jeme sentaisnulled’avoir poussé Diego dans ses retranchements, maintenant. Heureusement pour macuriosité,ilapoursuiviauboutd’unmoment.

—Grossomodo,j’aiperdulespédales.J’aipiquéunflingueàunpoteetjesuispartienchasse.(Ilaeuunriresansjoie.)Jen’étaispasaussidouéqu’aujourd’hui.J’aidescendulegars qui avait descendumon frère avant que sa bande neme descende. Ensuite, ilsm’ontcoincédansuneruelle.Soudain,Rileyasurgi,s’interposantentreeuxetmoi.Jemesouviensdem’êtreditquec’étaitlemecleplusblafardquej’avaisjamaisvu.Iln’amêmepasadresséun regard à ces types quand ils lui ont tiré dessus. À croire que les balles étaient aussiinoffensivesquedesmouches.Tusaiscequ’ilm’asorti,alors?Ilm’abalancé:«Tuveuxunenouvellevie,môme?»

—Ha!mesuis-jeesclaffée.C’étaitmieuxqueceàquoij’aieudroit.Moi,çaaété:«Tuveuxunhamburger,môme?»

Jen’avaispasoubliél’alluredeRileycettenuit-là,bienquelesimagessoienttroubles,parceque j’étaisbigleuse,alors.C’était lemec leplussexyde la terre,grand,blond,parfaitsous tous rapports.Jem’étaisditquesesyeuxdevaientêtreaussibeauxque le restedesapersonne, derrière les lunettes noires qu’il ne retirait jamais. Sa voix était si tendre, sigentille.J’avaiscrudevinercequ’ilexigeraitenéchangedurepas,j’étaisd’accordpourleluiaccorder. Pas parce qu’il était craquant, mais parce que je n’avais mangé que des restesrepêchés dans des poubelles depuis quinze jours. Il s’est cependant révélé qu’il désiraitcarrémentautrechose.

LaphrasesurlehamburgeraprovoquéleriredeDiego.—Tudevaisvraimentmourirdefaim.—Tum’étonnes!—Pourquoicettefringale?

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—Parcequej’étaisidioteetquejem’étaisenfuieavantd’avoirmonpermisdeconduire.Impossibled’obtenirunvraiboulot.Quantàfaucher,j’étaisplutôtnulle.

—Etquefuyais-tu?J’ai hésité. Mes souvenirs étaient un peu plus clairs au fur et à mesure que je me

concentraisdessus,etjen’étaispascertained’êtreprêteàallerjusque-là.—Hé,jet’airacontémonhistoire,a-t-ilplaidé,enjôleur.— C’est vrai. O.K., je fuyaismon père. Il me cognait. Il avait dûmaltraitermamère

également,avantqu’ellenemettelesbouts.J’étaistoutejeune,àcetteépoque,beaucoupdetrucs m’échappaient. C’est devenu de pire en pire. Je me suis dit que, si j’attendais troplongtemps,j’allaisfinirparypasser.Luim’aassuréquesijefuguais,jecrèveraisladalle.Ilavait raison. Pour ce quime concerne, c’estmême le seul truc sur lequel il ait jamais euraison.Jen’ypensepassouvent.

Diegoaacquiescé.—Cen’estpassimpled’évoquercegenredechoses,hein?Toutestsiconfus,sisombre.—Unpeucommesionessayaitd’yvoiravecdusablepleinlesyeux.—Joliemétaphore,m’a-t-ilfélicitée.Puis il a louché dans ma direction, s’est frotté les paupières. Une fois encore, nous

avonséclatéderire.Ensemble.Étrange.—Ilnemesemblepasavoirriavecquiquecesoitdepuisquej’airencontréRiley,a-t-il

murmuré,commeenéchoàmespensées.C’estchouette.Différent.As-tudéjàessayéd’avoiruneconversationaveclesautres?

—Non.—Tun’asrienraté.Cequimeramèneàmonidée.LeniveaudeviedeRileyneserait-il

pas plus élevé s’il s’entourait de vampires un tant soit peu convenables ? Si nous sommescenséslaprotéger,nedevrait-ilpasrechercherdestypesintelligents?

—Onpeutendéduirequ’iln’apasbesoindecerveaux.Seulementdetroupes.Diegoapincéleslèvres,songeur.—Commeauxéchecs,a-t-ilmarmonné.Iln’utilisenicavaliersnifous.—Nousnesommesquedespions,mesuis-jesoudainrenducompte.Unelongueminute,nousnoussommesdévisagés.—Non,a-t-ilenfindécrété.Jerefused’ycroire.—Alors,qu’est-cequenousfaisons?ai-jedemandéenrecourantautomatiquementau

pluriel.Comme si nous formions déjà une équipe. Il a soupesé ma question pendant une

seconde,l’airgêné,etj’airegrettéle«nous».

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—Quepouvons-nousfairequandnousignoronscequisepasse?a-t-ilcependantrépondu.Donc,iln’avaitriencontrel’idéed’uneéquipe,cequim’aemplied’uneallégressequeje

nemerappelaispasavoirjamaiséprouvée.—Pourmoi,ongardelesyeuxouverts,onestprudents,onessayedepiger.—IlfautquenousréfléchissionsàtoutcequeRileynousaraconté,a-t-ilopiné.Àtout

cequ’ilafait.Tusais,a-t-ilpréciséaprèsunepause,j’aitentéunjourdediscuterunpeudeçaaveclui.Ils’enfichaitcomplètement.Ilm’aconseillédemefocalisersurdesmatièresplusimportantes, comme lasoif. Il estvrai,biensûr,qu’ellem’obsédait,à cemoment-là. Ilm’aenvoyéchasser,etj’aicessédemetourmenter...

Je l’ai observé. Il songeait à Riley, le regard perdu, revivant ce souvenir. J’ai eu lesentiment que si Diego était mon premier ami dans cette vie, je n’étais pas la sienne.Brusquement,sesyeuxontrecouvréleuracuitéetsesontfixéssurmoi.

—Bon,quenousaconfiéRiley?Concentrée,j’aisongéàcestroisderniersmois.— Il ne raconte pas grand-chose, ai-je fini par conclure. Il nous dispense juste les

informationsnécessairesànotrenouveaustatutdevampires.—Nousallonsdevoirl’écouterplusattentivement.Un mutisme rêveur s’est installé. J’ai surtout pensé à tout ce que j’ignorais et aux

raisons pour lesquelles je ne m’en étais pas préoccupée plus tôt. C’était comme si cetteconversation avec Diegom’avait éclairci l’esprit. Pour la première fois en un trimestre, lesangn’étaitplusl’essentieldemonexistence.Lesilences’estprolongé.Letrouquiservaitdebouched’aérationà lagrotten’étaitplusnoirmaisgrissombre.Ils’éclaircissaitdemanièreinfinitésimaleàchaqueseconde.Diegoaremarquéquej’épiaislephénomèneavecnervosité.

—Tranquillise-toi,m’a-t-ilrassuréeenhaussantlesépaules.Lesjoursdegrandsoleil,ilnefiltreparlàqu’unelueurétouffée.C’estindolore.

Malgré tout, jeme suis vivement tasséeprèsduboyaupar lequel nous étions arrivésjusqu’ici.Aveclamaréedescendante,l’eauseretirait.

—Crois-moi,Bree, je suisdéjàvenu ici enpleine journée. J’ai signalé cette caverneàRiley. Je lui ai dit que, pour l’essentiel, elle était remplie d’eau, et il a réponduque c’étaitbien,quej’avaisunendroitoùmeréfugierquandjenesupportaisplusnotremaisondefous.Est-cequej’ail’aird’avoirétébrûlé?

J’aitergiversé,songeantàquelpointsarelationavecRileyétaitdifférentedelamienne.Ilasourcillé,guettantmaréaction.

—Non,ai-jefiniparreconnaître.N’empêche...—Regarde, s’est-il impatientéavantde ramperagilementvers legouletdeventilation

pouryenfoncersonbrasjusqu’aucoude.Tiens,tuvois,ilnesepasserien.J’aiacquiescé.—Alors,restecalme!Veux-tuquejevérifiejusqu’oùjepeuxmonter?Toutenparlant,ilavaitenfoncésatêtedansletrouetavaitentreprisdegrimper.—Non,Diego!ai-jecrié.Jesuisrelax,jetelejure.Mais il avait disparu. Son rirem’est parvenu, et j’ai eu l’impression qu’il était déjà à

plusieurs mètres à l’intérieur du tunnel. J’aurais voulu le suivre, l’attraper par la chevillepour le ramenerde force ;malheureusement, le stressmepétrifiait surplace. Il aurait étéidiotquejerisquemapeaupoursauvercelled’unparfaitinconnu.Cependant,jen’avaiseudroit à rien qui ressemble autant à un ami depuis des lustres. Il me serait difficile derecommenceràn’avoirpersonneavecquidiscuter,mêmesijen’avaisfraterniséavecluique

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depuisunenuit.

—Noestoyquemando![1]

m’a-t-il lancésuruntonmoqueur.Uninstant!Est-cequece...Ouille!

—Diego?Franchissantl’espaced’unbond,j’aiàmontourpassélatêtedansl’orifice.Sonvisage

étaitjustelà,àdeuxcentimètresdumien.—Bouh!Face à pareille proximité, jeme suis précipitamment reculée.Rienqu’un réflexe, une

vieillehabitude.—Trèsdrôle!ai-jerâléenm’écartant,tandisqu’ilréintégraitnotrerefuge.— Tu as bien besoin de te détendre,ma vieille. J’ai étudié le truc, pigé ? La lumière

indirecten’estpasdangereuse.—Es-tuentraindesuggérerque...jepourraisparexemplerestersanscrainteàl’ombre

d’unarbre?Ilaeuuninstantd’hésitation,commes’iljaugeaitdelanécessitéounondemeconfier

quelquechose,puisilasoufflé:—Jel’aidéjàfait.Unefois.Jel’aitoisé,àl’affûtd’unsourire;çanepouvaitêtrequ’uneblague.Iln’apassouri.—Rileyditque...Jemesuisinterrompue.—Je suisaucourantdecequeditRiley,a-t-ilopiné. Iln’en saitpeut-êtrepasautant

qu’illesoutient.—MaisShellyetSteve?DougetAdam?Cetadoauxcheveuxroux?Tousontdisparu,

fauted’êtrerentrésàtemps.Rileyavuleurscendres.Diegom’agratifiéed’uneminerenfrognée.— Ce n’est un secret pour personne, ai-je insisté. Les vampires d’autrefois étaient

obligésderesterdansuncercueildurant la journéepourseprotégerdusoleil.C’estunfaitnotoire,Diego.

—Eneffet,toutesleshistoiresmentionnentcedétail.—Audemeurant,quegagneraitRileyànousenfermerdansunecavehermétiqueà la

lumière, une sorte de gros cercueil commun ?Nous démolissons l’endroit, il est obligé degérerlesbagarres,l’effervescenceestpermanente.Etnemeracontepasqueçaluiplaît!

Unedemes remarques l’avait étonné, apparemment, car il a gardé la bouche ouvertedurantunesecondeavantdelarefermer.

—Qu’est-cequ’ilya?—Unfaitnotoire,a-t-ilrépété.Quefabriquentlesvampiresdansleurcercueiltoutela

saintejournée?—Euh...ehbien,ilsdorment,j’imagine,non?Saufque,àmonavis,ilsserasentcomme

paspermis,puisquenousne...Bon,d’accord,çanecollepas.— Exact. Dans les livres, ils ne se bornent pas à dormir. Ils sont complètement

inconscients, incapables de se réveiller. C’est alors qu’un humain a la possibilité de leurenfoncerunpieudanslecoeur.Tiens,encoreuntrucquicloche,cespieux.Tucroisvraimentquequelqu’unarriveraitàtetransperceravecunboutdebois?

— Je n’y ai pas franchement réfléchi, ai-je éludé. Même si tu as raison, ça nefonctionneraitpas.Oualors, il faudraitqu’il soit trèsaiguisé etqu’il ait..., ben, jen’en sais

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troprien,moi,desvertusmagiques,quelquechosecommeça.—Oh,jet’enprie!a-t-ilricané.—Queveux-tuquejetedise?Sinonque,poursûr,jeneresteraispaslàtranquillement

àattendrequ’unhumainm’embrocheavecunmancheàbalai.Lamine toujoursaussiméprisante, commesi invoquer lamagieétait vraiment limite

quand on était un vampire,Diego a roulé sur les genoux et s’estmis à creuser le grès au-dessusdesatête.Depetitsfragmentsdepierresonttombéssursescheveux,iln’enaeucure.

—Qu’est-cequetufiches?—Jetenteuneexpérience.Ils’estforéunpassage,jusqu’àpouvoirsemettredebout,etacontinuésonoeuvre.—Situsorsausoleil,tuvasexploser.Arrêteça,Diego!—Jenecherchepasà...Ah!Nousysommes.Unpuissantcraquementaretenti,suivid’unsecond.Pasdelumière.Diegos’estbaissé,

assezprèsdemoipourquejedistinguesestraits.Iltenaituneracine,blanche,morte,sèchesous lamottede terrequi s’accrochait encoreàelle.L’extrémitéoù il l’avaitbrisée formaitunepointeinégaleetacérée.Ilmel’alancée.

—Poignarde-moi!Jeluiairenvoyélaracine.—N’importequoi!—Jesuissérieux.Tuasconsciencequeçaserainoffensif,non?Aulieudes’emparerduboutdebois,ill’aexpédiéd’uncoupdepieddansmadirection.

Jel’aiécartédelamain.Lerattrapantàlavolée,ilagrogné:—Cequetues...superstitieuse!—Jesuisunvampire,ai-jeriposté.Siça,çaneprouvepasquelesgenssuperstitieuxont

raison,jenesaispascequileprouvera.—Trèsbien.Puisquec’estcommeça,jevaislefaire,moi.Éloignant la racine d’un geste théâtral, il l’a brandie comme s’il s’agissait d’une épée

dontils’apprêtaitàsefrapper.—Arrête,ai-jeplaidé,malàl’aise.C’estidiot.—Exactementcequejem’efforcedeteprouver.Ilnesepasserarien.Surce,avecassezdeforcepourdéfoncerunedalledegranité,ilaécrasélepieucontre

sontorse,à l’endroitmêmeoùsoncoeuravaitautrefoisbattu.Jemesuispétrifiée,affolée,jusqu’àcequ’ils’esclaffe.

—Nonmaistuverraistatête,Bree!Il a effrité les éclats de bois entre ses doigts. La racine, complètement fracassée, est

tombée par terre en plusieursmorceaux. Il a brossé sa chemise, quand bienmême c’étaitinutile,vusonétatlamentable,aprèsqu’ileutnagéetcreusé.Luicommemoiallionspouvoirvolerdenouveauxvêtementsdèsquel’occasionseprésenterait.

—Siçasetrouve,c’estdifférentquandc’estunhumainquitientlepieu.—Tutesentaistellementmagique,quandtuétaishumaine?—Ecoute,Diego,mesuis-jeemportée,jen’enaipaslamoindreidée.Maisceshistoires,

cen’estpasmoiquilesaiinventées.Ilahochélatête,sérieuxàprésent.—Etsiellesn’étaientqueça?Desinventions?—Etalors?ai-jesoupiré.Çachangeraitquoi?— Je l’ignore. N’empêche, si nous voulons découvrir pourquoi nous sommes ici,

pourquoi Riley nous a apportés à Elle, pourquoi Elle s’entête à exiger toujours plus de

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vampires,nousdevonsenapprendrelepluspossible.Ilaplissélefront.Toutetracedeplaisanterieavaitàprésentdisparudesonvisage.Je

mesuisbornéeàlefixer,n’ayantaucuneréponseàluiapporter.Soudain,sonexpressions’estadoucie.Àpeine.

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—Celam’aidebeaucoup,tusais?D’enparler.Çamepermetdemeconcentrer.—Moi aussi, ai-je reconnu. La raison pour laquelle je n’y ai encore jamais réfléchi

m’échappe.Çaparaîttellementévident,maintenant.Cependant,àforced’ytravailleràdeux...jenel’expliquepas,maisjem’éparpillemoins.

—Oui,a-t-ilacquiescéavecunsourire.Jesuisvraimentcontentquetuaiesétéenvoyéeenexpédition,cettenuit.

—Inutiled’êtretoutsucretoutmielavecmoi.—Quoi?Tun’aspasenviequ’onsoitlesmeilleursamisdumonde?Il avait prononcé ces derniers mots en écarquillant les yeux, sa voix montant d’une

octave.L’expression,idiote,adéclenchésonhilarité.J’aisoupiré,incertainequantàl’objetdesesrailleries–sespropresmotsoumoi.

—Allez,Bree,soismacopineàlavieàlamort,jet’enprie!Ilsemoquaittoujours,maissonsourireétaitimmense,authentiqueet...pleind’espoir.

Ila tendu lamain.J’allais luien tapercinqpourdebon,cette fois,puis j’aipigéqu’ilavaitautrechoseentêtelorsqu’ils’estemparédemapaumeetl’agardéedanslasienne.Toucherune autre personne était d’une étrangeté choquante, après toute une vie – et ces troisderniersmoisétaienttoutemavie–àéviterlemoindrecontact.C’étaitcommeeffleureruneligneàhautetensiontombéeàterrepours’apercevoirquec’estagréable.J’aisentiunsouriresedessinersurmeslèvres,unpeutordu.

—O.K.—Génial.Notrepetitesociétéànousdeux.—Ferméeauxautres.Il nem’avait pas lâchée, dans un geste qui hésitait entre la poignée demain et une

formedetendresse.—Nousdevonsmaintenantéchangerunsermentquiscellenotreaccordsecret.—Jet’enprie.— Bien. La société supersecrète des meilleurs amis est officiellement fondée, ses

membressonttousprésents,unsermentégalementsecretserainscritàl’ordredujouràunedate restant à déterminer. Pour l’instant, la priorité est la suivante : Riley. Est-il aussiignorantquenous?Justemalinformé?Ounousment-il?

Tandis qu’il parlait, il neme quittait pas des yeux. Les siens étaient grands ouverts,sincères.Sonexpressionnes’estpasmodifiéequand il aprononcé lenomdeRiley.Encetinstant, j’ai été persuadée que les racontars qui couraient sur eux deux étaient infondés.Simplement,Diegoexistaitdepuispluslongtempsquelaplupartd’entrenous.Jepouvaislecroire.

—Ajoutelemotprogrammeàtaliste,ai-jeprécisé.Genre,quelestceluideRiley?— En plein dans le mille. Nous devons le découvrir. Mais d’abord, une nouvelle

expérience.—Cetermemerendnerveuse.—Laconfianceentrenousestunebaseessentielledenotresociétésecrète.Se relevant, il s’est remis à creuser le trou qu’il venait de forer dans le plafond de la

grotte.Enunclind’oeil,jen’aiplusvuquesespiedsquipendaient:seretenantd’unemainaugoulet,ill’agrandissaitdel’autre.

— J’espère pour toi que tu trouveras de l’ail ! l’ai-je averti en reculant vers le tunneld’accèsàlamer.

—Cesontdeslégendes,Bree,a-t-ilrépondu.

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Ils’esthisséunpeuplushaut.Laterreacontinuédedégringoler.Àcerythme,iln’allaitpastarderàcomblernotrecachette.Ouà l’inonderde lumière,cequi larendrait toutaussiinutile.Jemesuisglisséepresqueentièrementdanslesiphon,monissuedesecours.Seulsmesphalangesetmesyeuxdépassaientdurebord.L’eaum’arrivaitauxhanches.Jen’auraisbesoinqued’une fractionde secondepourdisparaîtredans les ténèbres aquatiques. J’étaiscapablederesterunejournéecomplètesansrespirer.

Je n’avais jamais beaucoup apprécié le feu. C’était dû soit à quelque raison oubliéeremontantà l’enfance,soitàmatransformationrécente.J’avaiseumoncomptedebrûlurelorsdemamutation.

Diegon’étaitsansdouteplustrès loindelasurfacedusol,àprésent.Unefoisencore,j’ailuttécontrelaperspectiveangoissantedeperdremonnouveletuniqueami.

— Je t’en supplie, arrête, ai-je chuchoté, consciente que ma prière déclencheraitsûrementsesrires,qu’ilnel’écouteraitpas.

—Confiance,Bree!J’aiattendu,figéesurplace.—Çayestpresque,a-t-ilmarmonné.Là...Je me suis raidie, guettant la clarté, voire une explosion. Rien. Diego s’est laissé

retomberparterre.Iltenaitmaintenantuneracinepluslonguequelaprécédente,espècedechoseserpentineetépaissequimedépassaitentaille.

— Je ne suis pas complètement inconscient,m’a-t-il lancé avec un regard style je-te-l’avais-bien-dit.Tuvois,jeprendsdesprécautions,a-t-ilexpliquéendésignantlaracine.

Surce,ilaplantécettedernièredanssontrou,déclenchantuneavalanchedecaillouxetdesable,tandisquelui-mêmes’écartaitenseremettantàgenoux.C’estalorsqu’unrayondelumièreétincelantegroscommeundesbrasdeDiegoatranspercél’obscuritédelacaverne.Ilformaitunecolonnedusolauplafondquivacillaitsousl’effetdesdébrisquicontinuaientàdégringoler.J’étaisstatufiée,agrippéeaureborddutunnel,surlepointdeplonger.

Diegones’estpasbrusquementécarté,n’apascriénonplus.Aucuneodeurdefuméenem’est parvenue. La grotte était cent fois plus clairemaintenant,mais cela ne semblait pasaffecter mon ami. Ainsi, ce qu’il m’avait confié de l’ombre des arbres était peut-être vrai.Circonspecte,jel’aiobservé,agenouilléprèsdufaisceau,immobile,leregardfixe.Ilavaitl’aird’aller bien, même si un changement s’était opéré au niveau de sa peau. Une sorte demouvement,sansdoutedûàlapoussièrequiretombaitenreflétantlalumière.Onauraitditqu’illuisait.

Oualors,cen’étaitpasl’effetdelapoussièremaisl’incandescence,etbrûlern’étaitpasdouloureux,cedontils’étaitrenducomptetroptard...

Lessecondessesontécoulées.Pétrifiés,nousobservionslaclartédujour.Puis, dans un geste qui paraissait à la fois complètement logique et carrément

impensable,Diegoatendulamain,paumeversleciel,verslepilierlumineux.J’airéagiplusvitequejen’airéfléchi,cequiestpourtantassezrapide;plusvitequej’avaisjamaisréagi.Mejetantsurlui,jel’aiplaquécontrelaparoidelagrotteavantqu’ilaitatteintlefaisceau.

Toutàcoup,notrecachetteaétéilluminéeparunviolentéclair.J’aisentiunechaleursurmajambeàl’instantoùjem’apercevaisquel’endroitétaittropexigupourquejepuissecollerDiegoaumursansêtreatteinteparlesrayonsdusoleil.

—Bree!a-t-ilhaleté.Instinctivement, je l’ai lâché et j’ai roulé sur moi-même, m’adossant à côté de lui.

Durantlafractiondesecondenécessaireàcemouvement,j’aiattenduquelasouffrancemefrappe;àceque les flammesm’engloutissent,commelanuitoù je l’avaisrencontrée,Elle,

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mais encore plus promptement. Le soudain éclat aveuglant s’était éteint, et la colonnelumineuseavaitreprissaplace.

Je me suis tournée vers Diego. Bouche bée, il écarquillait les yeux. Il était d’uneimmobilité absolue, signe certain d’un danger. J’avais envie d’inspecterma jambe tout enredoutantdedécouvrirlesdégâts.Là,cen’étaitpluscommelejouroùJenm’avaitarrachéunpandebras,mêmesic’étaitmoinsdouloureux.Jen’allaispasréussiràréparerlesdégâts.

Toujoursaucunesouffrance,cependant.—Tuasvuça,Bree?J’aivivementsecouélatête.—C’estgrave?—Grave?—Majambe,ai-jegrognéentremesdents.Dis-moijustecequ’ilenreste.—Ellen’arien.J’aijetéuncoupd’oeilenbas.Eneffet,j’avaistoujoursunpiedetunmollet.J’airemué

lesorteils.Toutfonctionnait.—Tuasmal?s’estenquisDiego.—Pasencore,ai-jeadmisenm’agenouillant.—As-tueuletempsdevoircequis’estpassé?Lalumière?J’aifaitsignequenon.—Alors,mateunpeuça.Àsontour,ils’estmisparterre,devantlepilierincandescent.—Et,s’ilteplaît,nemepoussepas,cettefois.Tuasdéjàprouvéquej’avaisraison.Il a tendu lamain. J’ai eu beaucoup de difficulté à regarder la scène, en dépit dema

jambeintacte.Àl’instantoùsesdoigtsonteffleurélefaisceau,lacaverneaétéinondéeparunmilliond’arcs-en-cielétincelantsquisereflétaientpartout.Miditapantsuruneverrière,unflotdelumière.J’aitressailli,j’aifrémi.J’étaisnimbéedesoleil.

—Incroyable,amurmuréDiego.Alors, ilaplongé toutesamaindans lacolonne,et lagrottea réussiàdevenirencore

plus brillante. Il a tourné et retourné son poing. Les reflets flamboyants dansaient sur sapeau comme s’il avait joué avec un prisme. Je n’ai senti aucune odeur de brûlé, et il étaitévident qu’il n’avait pas mal. Observant sa main de plus près, j’ai eu l’impression qu’unmilliard deminusculesmiroirs couraient à sa surface, trop petits pour qu’on les distingueséparément,maisrenvoyanttouslalumièreavecplusd’intensitéqu’uneglaceordinaire.

—Approche,Bree.Ilfautquetuessayes.Jen’avaisaucuneraisonderefuser, j’étaisintriguée.Pourtant,c’estavecréticenceque

jemesuisglisséeàcôtédelui.—Çanebrûlepas?—Pasdutout.Lalumièrenenousincendiepas,elle...nouslaréfléchissons.Etc’estpeu

dire.Avec une lenteur d’humaine, j’ai avancé mes doigts. Aussitôt, ma peau a irradié,

illuminant les lieuxavec tantde forceque, en comparaison, le jour,dehors,devaitparaîtresombre. En réalité, il s’agissait moins de reflets que d’effets colorés et déformés, tels descristaux.J’aienfoncémamainplusavant,lacaverneestdevenueaveuglante.

—Penses-tuqueRileylesache?ai-jechuchoté.—Peut-être.Peut-êtrepas.—Pourquoinenous a-t-il riendit, s’il est au courant ?Àquoi bongarder ça secret ?

Nousbrillonscommedevéritablesboulesàfacettes,etalors?

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Diegoaéclatéderire.—Jecomprendsmieuxl’originedesvieilleshistoires,àprésent.Tut’imaginessi,quand

tuétaishumaine,tuavaisassistéàcegenredespectacle?Tuauraisforcémentcruqu’untypevenaitdes’immoler,non?

—Àmoinsqu’ilnesoitrestépours’expliquer,oui,sansdoute.—C’estdingue.D’undoigt,iladessinéuneligneàtraversmapaumechatoyante.Puis,sautantsurses

pieds,ils’estplacéjustesouslefaisceau.Ladéflagrationdelumièreaatteintdessommets.—Viens,sortonsd’ici!m’a-t-ilditaprès.Surce,ils’esthissédansletunnelqu’ilavaitcreusé.Àcestade,onauraitpupenserque

jem’étaisremise.Saufquej’étaistoujourstropnerveusepourlesuivre.Cependant,netenantpasàpasserpourunefroussarde,jeluiaicolléauxbasques,bienquejesoismortedepeur.Rileyavaitvraimentinsistésurlefaitquelesoleilnousincendiait.Dansmonesprit,l’imageétaitassociéeaumomentatrocedematransformation,quandle feum’avaitdévorée,etunaffolementinstinctifs’emparaitdemoidèsquej’ysongeais.

Diegoaémergédutrou;uneminuteplustard,jel’airejoint.Nousétionssurunemincebande herbeuse, non loin des arbres qui recouvraient l’île. Derrière nous, seuls quelquesmètresnousséparaientd’unefalaisepeuélevéeetdel’eau.Toutalentourétaitilluminéparlalumièrebigarréequenousréfléchissions.

—Wouah!ai-jemurmuré.Diegom’aadresséunsourireimmense.Laluminositéembellissaitsestraitset,soudain,

unnoeudatordumonventre,etj’aiprisconsciencequelaplaisanteriesurlesmeilleursamisdumondeétait trèsendessousde laréalité.Pourmoi,dumoins.Çaaétéaussirapidequecela.Sonsourire s’estquelquepeuatténué.Commemoi, ilouvraitdesyeuxronds,partagéentreémerveillementetcrainte.Ilaeffleurémonvisage,commeill’avaitfaitavecmamainunpeuplustôt,commes’ils’efforçaitdecomprendremaphosphorescence.

—Tuessijolie,a-t-ilsoufflé.Sesdoigtssesontattardéssurmajoue.J’ignore combien de temps nous sommes restés ainsi, béats comme deux idiots,

étincelants comme des lanternes. La baie était vierge de bateaux, ce qui valait sans doutemieux. Même un humain, avec sa pauvre vision naturelle, n’aurait pas manqué de nousrepérer.Certes,nousétionsinvincibles,maisjen’avaispasfaim,etleshurlementsauraientgâchél’ambiance.

Ungrosnuageafiniparcacherlesoleilet,toutàcoup,noussommesredevenusnous-mêmes, tout en conservant un léger éclat lumineux. Assez faible cependant pour quequiconquedotéd’yeuxmoinsacérésqueceuxd’unvampires’enaperçoive.

Sitôtlephénomènedisparu,j’airecouvrémesespritsetj’airéussiàsongeràlasuitedesévénements. Certes, j’étais consciente que je ne porterais plus jamais lemême regard surDiego,bienqu’ileûtretrouvésonapparencenormale.Ladrôledesensationquiagitaitmonestomac ne s’était pas dissipée ; j’avaismême l’impression qu’elle s’était installée enmoipourtoujours.

—Est-cequ’onenparleàRiley?ai-jedemandé.Partons-nousduprincipequ’iln’estpasaucourant?

Ensoupirant,Diegoalaisséretombersamain.— Je ne sais pas. Tâchons d’abord de retrouver les autres, nous y réfléchirons en

chemin.—Ilvafalloirnousmontrerprudents.Noustranchonsplutôt,ausoleil.

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—SoyonsdesNinjas,a-t-ilrigolé.—Oui, la société supersecrètedesNinjasmeparaîtautrementpluscoolquecelledes

meilleurspotes.—Jesuisbiend’accord!Il nous a fallumoins d’uneminute pour dénicher l’endroit où la bande avait déserté

l’île. C’était le plus facile. Localiser le point où elle avait abordé le continent allait êtrebeaucoupplus compliqué.Nousavonsbrièvement envisagédenous sépareravantdevotercontre d’un commun accord. Notre logique, imparable, était la suivante : si l’un de nousmettait lamainsur legroupe,commentpréviendrait-il l’autre?Envérité, jen’avaispasdutout envie de quitter Diego et je devinais que c’était pareil de son côté. De toute notreexistence, ni lui ni moi n’avions bénéficié d’une relation aussi plaisante, et elle était tropagréablepourengaspillerneserait-cequ’uneseconde.

Leslieuxoùnoscompagnonsavaientpusereplierétaientmultiples.Lapéninsule,uneautreîle,voirel’extérieurdeSeattleoulenord,prèsdelafrontièrecanadienne.Chaquefoisquenousdétruisionsouincendionsnotremaison,Rileyétaitpréparéetsemblaitsavoirtrèsexactementoùserendreensuite.Ilplanifiaitsansdouteceschosesàl’avance,mêmes’ilnenousmettaitpasdanslaconfidence.

Bref,ilspouvaientêtren’importeoù.Plonger et émerger tour à tour afin d’éviter les bateaux et les gens nous a ralentis.

Longtemps, lachancenousafaitdéfaut,cequinenousapasparticulièrementgênés.Nousnousamusionscomme jamais.Quelleétrange journée !Au lieude resterplanquéedans latristeobscuritéd’unecavetoutenessayantd’occulterlecharivariambiantetderavalermondégoûtdeFred,jejouaislesNinjasavecmonnouvelami,peut-êtreplus.Nousavonssouventrienpassantdecoinombreuxencoinombreux,nousjetantdescaillouxcommes’ilsétaientdesétoileschinoises.

Puis le soleil s’est couché et, soudain, j’ai de nouveau cédé à la tension. Riley selancerait-ilànotrerecherche?Croirait-ilquenousavionsgrillé?Sedoutait-ilquecen’étaitpaspossible?

Nousavonsaccélérélemouvement.Beaucoupaccéléré.Commenousavionsdéjàfaitletour des îlots voisins, nous nous sommes concentrés sur le continent. Une heure environaprès le crépuscule, j’ai détecté une odeur familière et, quelques secondes plus tard, nousnouslancionssurleurstraces.Unefoislapistehumée,latâcheaétéaussiaiséequetraqueruntroupeaud’éléphantsdanslaneigefraîche.

Plusgravesàprésent,nousavonsdiscutédelamarcheàsuivre.— Je pense qu’il vaudrait mieux ne rien dire à Riley, ai-je avancé. Bornons-nous à

signalerquenousavonspassélajournéedanstagrotteavantdepartirenquêtedelabande.(Maparanoïa ne cessait d’augmenter.)Mieux encore, précisons que la caverne était pleined’eau.Nousn’avonsmêmepaséchangéuneparole.

—Pourtoi,Rileyestunsaletype,hein?m’ademandéDiegodoucementaprèsuncourtsilence.

Ilavaitprismamain.—Jenesaispastrop,ai-jerépondu.Maisjepréfèreagirainsi,aucasoù.Toi,ai-jeajouté

avechésitation,turefusesdecroirequ’ilestnéfaste.—Oui,a-t-iladmis.C’estmonami,enquelquesorte.Enfin,pascommetoi,tul’es.(Ila

serrémesdoigts.)N’empêche,ill’estplusquelesautres.Jen’aipasenvied’imaginerque...Il s’est interrompusans terminersaphrase.Àmontour, j’ai serrésesdoigtsentre les

miens.

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—Ilestpeut-êtreparfaitementrespectable.Nousmontrerprudentsn’ychangerien.—C’estvrai.Bon,d’accordpourl’histoiredelagrottesubmergée.Audébut,entoutcas...

Jepourraitoujoursdiscuterdusoleilavecluiplustard.D’ailleurs,j’aimeraismieuxaborderle sujet enplein jour, quand j’aurai la possibilité deprouver ce que j’affirme.Et, pourpeuqu’ilsoitdéjàaucourantmaisqu’ilaiteudebonnesraisonsdesetaire,jeluiparleraiseulàseul.Àl’aube,quandilrentrerad’unedesesexpéditionssecrètes.

Que,danssonpetitlaïus,ilemploiedestonnesde«je»àlaplacedes«nous»nem’apaséchappé.Çam’aunpeuembêtée.Enmêmetemps,jenetenaispasvraimentàmechargerderenseignerRiley.JenepartageaispaslafoiqueDiegoavaitenlui.

—AttaqueNinjaàl’aube!luiai-jelancépourl’amuser.Ça a marché, et nous avons recommencé à blaguer tout en traquant notre horde.

Cependant,jedevinaisqu’ilruminaitdesidéesgravesderrièrelesplaisanteries.Exactementcomme moi. Au demeurant, plus nous courions, plus j’étais anxieuse. Nous avions beauprogresseràtrèsviveallure,sûrsdenotrechemin,letrajetprenaittropdetemps.Nousnouséloignionspourdebondelacôte,grimpionssurlespremierscontrefortsdesmontagnes,enterritoireinconnu.Celanecorrespondaitpasauxschémasordinaires.

Touteslesmaisonsquenousavionssquattées,qu’ellessoientsituéesàflancdecolline,sur une île ou à l’abri d’une vaste ferme avaient eu des caractéristiques communes.Propriétairesmorts,isolement,etc.ToutesavaientétéenpériphériedeSeattle,axéesautourdelagrandevillecommedeslunesenorbite.Seattleavaittoujoursétélemoyeu,lacible.Or,nous avions à présent quitté l’orbite, ce qui n’augurait rien de bon.Quoique, peut-être, çan’aitaucunsensparticulier,quecesoitdûaufaitquetropdechosesavaientchangécejour-là.Touteslesvéritésquej’avaisjusqu’alorsacceptéessansbroncheravaientétébousculées,renversées cul par-dessus tête, et je n’étais pas d’humeur à vivre de nouveauxbouleversements.PourquoiRileyn’avait-ilpaschoisiunendroitnormal?

— C’est bizarre qu’ils se soient installés aussi loin, a marmonné Diego d’une voixtendue.

—Flippantaussi,ai-jerenchéri.—Toutvabien,m’a-t-il rassuréeen serrantmamain.La sociétédesNinjaspeut tout

encaisser.—As-tutrouvétonsermentsecret?—J’ytravaille.Quelque chose me tracassait. Comme si j’avais deviné l’existence d’une faille

désarçonnante de notre univers sans cependant parvenir à mettre le doigt dessus, alorsqu’elle était évidente. Puis, à environ quatre-vingts kilomètres plus à l’ouest de notrepérimètre habituel, nous sommes tombés sur la maison. Le vacarme était reconnaissableentretous.Lebruitsourddesbasses,labande-sond’unjeuvidéo,lesfeulementsfurieux.Ils’agissaitbiendesnôtres.

J’airécupérémamain,Diegom’aregardée.—Hé,jeneteconnaismêmepas!ai-jerigolé.Jen’aipaseudeconversationavectoià

causedetoutelaflottedanslaquellenousavonsmarinéaujourd’hui.Pourcequej’ensais,tupourraisêtreunNinjaouunvampire.

— Ça vaut pour toi aussi, étrangère, s’est-ilmarré, avant d’ajouter rapidement à voixbasse : Comporte-toi normalement. Demain soir, nous partirons ensemble. Enreconnaissance,peut-être.Histoired’endécouvrirunpeuplussurcequisetrame.

—Çaressembleàunplan.Motusetbouchecousue!Se penchant, ilm’a embrassée. Juste un petit baiser,mais en plein sur les lèvres. La

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surpriseaconsumétoutmoncorps.—Allons-y,a-t-ilensuitedécrété.Sans se retourner,déjà tout à son rôle, il s’est avancé endirectiondu tapage.Unpeu

ébahie,jel’aisuivienprenantsoindelaisserquelquesmètresdedistanceentrenous,commejel’auraisfaitavecn’importequi.Labaraqueétaituneespècedechaletcoincédanslecreuxd’une pinède. Apparemment, il n’y avait aucun voisin à des lieues à la ronde. Toutes lesfenêtresétaientobturées,commesil’habitationétaitvide,maislastructuretremblaitsursesbasesàcausedesbassesenprovenancedelacave.

Diego est entré le premier. Je lui ai emboîté le pas en essayant d’imaginer qu’il étaitKevinouRaoul :hésitante,défendantmonespacevital.Ayantdénichél’escaliermenantausous-sol,ill’adévaléd’unedémarcheconfiante.

—Alors,leslosers,voustentezdevousdébarrasserdemoi?a-t-illancé.—Tiens!Diegoestvivant!C’étaitKevin,etsavoixmanquaitclairementd’enthousiasme.—Pasgrâceàtoi,luiaréponduDiegotandisquejemeglissaisdanslapiècesombre.La seule lumière émanait de différents écrans de télévision, mais c’était amplement

suffisant pour la plupart d’entre nous. Je me suis dépêchée de gagner le divan où Fredtrônait, solitaire, contentequemonanxiétépassepournaturelle, car j’étais incapablede ladissimuler. Le dégoût m’a frappée, et j’ai ravalé ma bile avant de me blottir à ma placehabituelle, par terrederrière le canapé.Une fois enbas, le pouvoir répulsif deFred a parus’atténuerunpeu.Oualors,c’étaitmoiquim’yfaisais.

Les lieuxétaientplusqu’àmoitiédéserts,vuquenousétionsenpleinenuit.Tous lesvampires présents avaient des yeux identiques auxmiens : d’un rouge vif prouvant qu’ilss’étaientrécemmentnourris.

— Ilm’a fallu unmoment pournettoyer tes âneries, poursuivaitDiego à l’adresse deKevin.C’étaitpresque l’aubequand jesuisarrivéàcequ’il restaitde laprécédentemaison.J’aiétéobligédemeréfugierdansunegrottepleined’eautoutelajournée.

—Ehben,vas-y,moucharde-moiàRiley.Jem’enfiche.—Jeconstatequelapetitefilles’enesttiréeelleaussi,amarmonnéunenouvellevoix.J’aitressailli.C’étaitRaoul.Sij’aiétévaguementsoulagéequ’ilignoremonprénom,j’ai

surtoutétéhorrifiéequ’ilm’aitremarquée.—Oui,ellem’asuivie,aréponduDiego.Jene levoyaispas,mais j’aidevinéqu’ilhaussait lesépaules,enungestequim’était

désormaisfamilier.—QuelbonSamaritain!s’estmoquéRaoulavecmépris.—Nouscomportercommedesdébilesnenousrapportepasplusdepoints.J’auraisbienaiméqueDiegocessedechercherRaoul.PourvuqueRileyrentrevite!Il

était leseulàpouvoir leréfrénerunpeu.SaufqueRileydevaitêtreentraindechasserdesracailles pour les apporter à... Elle. Ou alors, il s’adonnait aux occupations qui étaient lessiennesquandiln’étaitpasavecnous.

—Tu asun sacré culot,Diego.Tu es tellementpersuadéqueRiley t’apprécie qu’il nerouspéterapassijetetue.Tutegoures,situveuxmonavis.Etpuis,iltecroitdéjàmort.

J’aiperçudesmouvements.Sansdoute,certainsserapprochaientpoursoutenirRaoul,tandis que les autres s’écartaient du chemin. Dansma cachette, j’ai hésité. Certes, il étaitexcluque j’abandonneDiegodans labagarre,maisréagirprématurémentrisquaitd’éventernotre secret. J’espéraisqu’il avait survécuaussi longtempsparcequ’il étaitdouéde talentscombatifsextraordinaires.Demoncôté,jen’avaispasgrand-choseàoffrirdanscedomaine.

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Raoul était épaulé par trois membres de sa bande, et des renforts étaient susceptibles des’ajouter,rienquepourêtredanssespetitspapiers.Rileyallait-ilreveniravantqu’ilsaientleloisirdenousbrûler?C’estd’unevoixcalmequeDiegoarépondu:

—Undueld’hommeàhommetefaitdonctellementpeur?Typique.—Cetruc-làexiste-t-ilvraiment?aricanéRaoul.Àpartaucinéma,s’entend.Pourquoi

devrais-jem’embêteravecuncombatsingulier?Ilm’estégaldel’emportersurtoi.Jeveuxseulementenfiniravectoi.

Jeme suis tassée surmoi-même, prête à bondir. Raoul continuait à pérorer. Ce typeadoraits’écouterparler.

—Teréglertoncompten’exigerapasquenousnousymettionstous,etcesdeux-làsechargerontdecellequiestsusceptibledetémoignerquetuashélassurvécu.

Mon corps s’est rigidifié, pareil à unblocde glace. J’ai essayédemedominer afindepouvoirlutterdemonmieux.Nonquecelaferaitunequelconquedifférence.

Soudain, j’ai distingué autre chose, un truc complètement inattendu : une vague dedégoûtsipuissanteque, incapablederesterà l’affût, jemesuisécrouléeparterre,haletantsousl’effetdel’horreur.Jen’aipasétélaseuleàréagirainsi.Desgrognementsécoeurésmesontparvenusdetouslescoinsdelacave.Quelquespersonnesontreculé,entrantdansmonchampdevision.Ellessesontplaquéescontrelesmurs,lecoutenducommepouréchapperàl’atrocesensationderévulsion.Aumoinsl’uned’ellesétaitundesacolytesdeRaoul.

Ce dernier a lâché un grondement sonore, qui s’est estompé au fur et àmesure qu’ildétalait dans l’escalier. Il n’a pas été le seul à fuir. Lamoitié des vampires présents s’estsauvée.Jen’aipaseucettechance,danslamesureoùjepouvaisàpeinebouger.Sûrement,ai-jedevinétoutdesuiteaprès,parcequej’étaistouteprochedeFredleFrappadingue.C’étaitlui le responsablede cequi seproduisait.Aussimal sois-je, j’ai comprisqu’il venaitdemesauverlavie.

Enquelhonneur?

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Monsentimentderépulsions’estpeuàpeuévaporé.Dèsquej’enaiétécapable,j’airampéjusqu’auboutducanapéafindejaugerlasituation.LabandedeRaoulavaitdisparu.Diego,lui,étaitencorelà,àl’autreextrémitédelavastepièce,prèsdesécransdetélévision.Ceuxquines’étaientpascarapatéssedétendaientpeuàpeu.Toutlemondeparaissaitunpeuébranlé.Laplupartjetaientdescoupsd’oeilprudentsàFred.Jelesaiimités,maissanuquenem’arienrévélé,etjemesuisempresséededétournerleregard.ObserverFredravivaitmanausée.

—Onsecalme.Les intonations graves émanaient de Fred. C’était la première fois que je l’entendais

émettreunson.Touslesprésentsl’ontcontempléavecahurissementavantdeseconcentrersurautrechose,reprispardeshaut-le-coeur.Ainsi,Frednesouhaitaitqu’êtretranquille.Mafoi,tantmieux.Cen’étaitquegrâceàcelaquej’étaisencorevivante.Avecunpeudechance,Raoul serait distrait avant l’aube par un nouvel agacement et passerait sa colère surquelqu’und’autre.Quant àRiley, il rentrait toujours à la fin de la nuit. Il apprendrait queDiegos’étaitréfugiédanssagrotteau lieud’êtredétruitpar lesoleil,cequipriveraitRaould’excusepourl’attaquer.Ous’enprendreàmoi.

En théorie du moins, et dans le meilleur des scénarios. Entre-temps, Diego et moiparviendrions peut-être àmettre au point un plan qui nous permettrait d’éviter Raoul.Denouveau, j’ai été traversée par l’impression fugitive qu’une solution évidentem’échappait.Unevoixm’acependantempêchéedeméditerdessus.

—Désolé.Le marmonnement rauque, presque silencieux, ne pouvait provenir que de Fred.

Apparemment, j’étais laseuleassezprèsde luipour l’avoirentendu.Était-ilentraindemeparler ? Je l’ai fixé et, cette fois, je n’ai éprouvé aucune répugnance. Il continuait de metourner ledos, si bienque jenedistinguaispas sonvisage. Il avaitd’épais cheveuxblondsondulés, ce que je n’avais encore jamais remarqué, malgré ces innombrables journéespassées dans son ombre. Riley disait vrai quand il affirmait que Fred était particulier.Révoltant,maisréellementspécial.Notrechefsedoutait-ilqu’ilétaitaussi...puissant?Aprèstout,ilvenaitderéussiràdominertouteunepiècedevampiresenl’espaced’uneseconde.

Bienquejenevoiepassonexpression,j’aisentiqueFredattendaituneréponse.—Euh,net’excusepas,ai-jesoufflédansunmurmureàpeineaudible.Etmerci.Ilahaussélesépaules.Puis,derechef,ilm’aétéimpossibledeleregarder.Lesheuressesontécoulées,pluslentesqued’ordinaire.JeguettaisleretourdeRaoul.

Detempsentemps,j’essayaisdeposermesyeuxsurFred,defranchirlabarrièreprotectricedont il s’entourait, mais j’étais systématiquement rejetée. Si j’insistais, j’étais secouée paruneenviedevomir.

Songer à lui m’a permis de ne pas penser à Diego, ce qui était bien. Je feignaisl’indifférence à sa présence dans le sous-sol. J’évitais de l’observer, lui prêtant attentionplutôtenmeconcentrantsurlerythmeuniquederespiration.Assisàl’opposédelasalleparrapportàmoi,ilécoutaitsesCDsurunordinateurportable.Àmoinsqu’ilnefassesemblant,commemoiavecleslivresquej’avaistirésdemonsacàdoshumide.Jeleslisaisvite,commed’habitude,saufquejen’enretenaisrien.J’attendaisRaoul.

Par bonheur, c’est Riley qui est revenu le premier. Raoul et ses sbires étaient justederrière lui,moinsbruyants et odieuxqued’ordinaire, cependant.Fred leur avaitpeut-êtreinculquéàmontrerunpeuderespect.Quoiquenon,sansdoute.Plusvraisemblablement,illesavaitsurtoutmisencolère.Auquelcas,jeluisouhaitaisdenejamaisbaissersagarde.

Rileys’esttoutdesuiteapprochédeDiego.Lesyeuxfixéssurmonbouquin,j’aitendul’oreille. À la périphérie de mon champ de vision, j’ai détecté quelques-uns des idiots deRaoul qui s’éparpillaient dans la pièce, cherchant leurs jeux préférés ou reprenant les

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activitésauxquellesilss’étaientadonnésavantqueFredneleschasse.Kevinétaitparmieux.Luiparaissait enquêtedequelque chosedeplus spécifiquequ’unamusement.Àplusieursreprises,sonregards’estportésurmoi,mais l’auradeFredletenaitàdistance.Auboutdeplusieursminutes,ilalaissétomber,leteintverdâtre.

— J’ai appris que tu avais réussi à rentrer, a dit Riley, réellement content m’a-t-ilsemblé.Jepeuxtoujourscomptersurtoi,Diego.

—Pasdesouci,arépondumonamisuruntonplaisant.Enfin,àconditiond’oublierquej’aiétéobligéderetenirmarespirationtoutelajournée.

Rileys’estesclaffé.—Laprochainefois,surveillemieuxl’heure.Etdonneunmeilleurexempleauxbébés.Diegoarià l’unisson.Ducoindel’oeil, j’aieul’impressionqueKevinsedétendaitun

peu lui aussi. S’était-il vraiment inquiété à l’idée queDiego lui crée des ennuis ? Si ça setrouve,RileyécoutaitplusDiegoquejenel’avaisimaginé.Jemesuisdemandésic’étaitpourçaqueRaoulavaitétéaussiagressif.

Mais,à laréflexion,était-ceunesibonnechosequeDiegosoitaussiprocheduchef?Riley était peut-être un type bien. Leur relation ne compromettait-elle pas la nôtre,cependant?

Quandlesoleilaétélevé,letempsn’apasfiléaussivitequedurantlafindelanuit.Lacave était bondée, l’ambiance électrique, comme d’habitude. Si les vampires avaient étésusceptiblesdes’enrouer,Rileyauraitperdusavoixàforcedehurler.Quelquesmômesontététemporairementdémembrés,maispersonnen’aétéconsumé.Lamusiqueledisputaitauxbandes-sondesjeux,etj’aiétéheureusedenepasêtresujetteauxmigraines.J’aiessayédelire,envain,mebornantàfeuilletermeslivreslesunsaprèslesautres,distraiteaupointdenepaspouvoirmeconcentrersurlesmots.J’aifiniparentasserlesouvragesenunepilebienrangée,àcôtédudivan,pourFred.J’agissaistoujoursainsi,mêmesijen’avaisaucunmoyendesavoirs’illesparcouraitounon.Jen’étaispasassezenmesuredel’observerpourdéceleràquoiexactementilconsacraitsesloisirs.

Entoutcas,Raouln’apastournéuneseulefoislatêtedansmadirection.NonplusqueKevin ou leurs comparses. Ma planque était aussi efficace que d’ordinaire. Il m’étaitimpossible de vérifier si Diego était suffisamment malin pour m’ignorer, car moi, jem’appliquaisàfairecommes’iln’existaitpas.Personnenesoupçonneraitquenousformionsuneéquipe,Fredmisàpart,peut-être.Avait-il remarquéque jem’étaisapprêtéeàvenirenaide àDiego lorsque la bagarre avaitmenacé ?Même si c’était le cas, je nem’en souciaisguère,de toute façon.SiFredavaitnourridessentimentshostilesàmonégard, ilneseraitpasintervenuetm’auraitlaisséemourir.Sansaucunproblème.

A l’heure du crépuscule, l’atmosphère est devenue encore plus bruyante. Si nous nepercevionsriendelalumièreextérieure,danslacaveetaveclesfenêtresdurez-de-chausséeobturées parmesure de sécurité, devoir patienter durant autant de journées interminablesfinissaitparvousdonneruneidéeassezjustedumomentoùl’uned’elless’achevait,labandeacommencéàs’agiter,chacuninsistantauprèsdeRileypourobtenirlapermissiondepartirenchasse.

— Tu es sortie hier, a-t-il rétorqué à Kristie sur un ton qui laissait deviner que sapatienceavaitdeslimites.Heather,Jim,Logan,vouspouvezyaller.Warren,accompagne-les,tesyeuxsontnoirs.Hé,Sara,jenesuispasaveugle.Reviensici!

Ceux qu’il contraignait à rester allaient bouder dans un coin. Certains guettaientl’instantoùils’absenteraitpourfilerendouce,endépitdesrèglesétablies.

—Euh,Fred,a-t-ilreprissansregarderdansnotredirection,cedoitêtretontour,non?

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En soupirant, l’interpellé s’est levé. Tout lemonde a reculé quand il s’est avancé aucentre de la salle, Riley compris. Sauf que lui a étouffé un petit sourire. Il appréciait sonvampireausurprenantpouvoir.

Freddisparu, j’ai eu l’impressiondemeretrouver toutenue.Àprésent,n’importequiétaitenmesuredes’attardersurmaprésence.Têtebaissée,jen’aipasbronché,rassemblanttoutesmesforcespourn’attirerl’attentiondepersonne.

Heureusementpourmoi,Rileyétaitpressé.Ils’estàpeinedonnélapeinedefusillerdesyeux ceux qui, clairement, amorçaient un mouvement vers la porte, les a encore moinsmenacéstandisquelui-mêmes’enallait.Engénéral, ilnousrégalaitd’unedesvariantesdeson discours sur la nécessité de garder profil bas. Cette nuit-là, nous y avons échappé,cependant.Ilparaissaitpréoccupé,voireanxieux.J’étaisprêteàparierqu’ilavaitrendez-vousavecElle.Cequiacalmémesardeursquantàmonenviedelerenseigner,àl’aube.

J’aiattenduqueKristieettroisdesescompliceshabituelss’éclipsentpourmefaufilerdans leur sillage, tâchant d’avoir l’air de faire partie de leur groupe sans pour autant lesirriter. Je n’ai pas adressé un coup d’oeil à Raoul ; ni à Diego. Tous mes efforts étaientconsacrés à sembler dénuée d’importance, intéressante pour personne. Juste une femellevampiredesplusbanales.

Unefoisdehors,jemesuisimmédiatementéloignéedeKristieetmesuisréfugiéedansles bois, espérant que Diego tiendrait assez àmoi pour suivrema trace. Àmi-pente de lamontagne la plus proche, jeme suis perchée dans les branches supérieures d’un immenseépicéa qui était isolé de ses voisins par plusieurs mètres. J’avais un assez bon champ devisionsurquitenteraitdemetraquer.

Ils’estrévéléquej’avaispéchéparexcèsdeprécaution.Passeulementcesoir,toutelajournée aussi, peut-être. Quoi qu’il en soit, seul Diego est venu à ma recherche. L’ayantaperçudeloin,jesuisrevenuesurmespas,àsarencontre.

—Unjoursansfin!a-t-ilsoupiréenmedonnantl’accolade.Tonplann’estpasfacileàrespecter.

Jeluiairendusonétreinte,émerveilléeparleconfortqu’ellemeprocurait.—Jesuissûrementunpeuparano.—NavrépourRaoul.C’étaitàuncheveu.—QuellechancequeFredsoitaussirépugnant,ai-jeacquiescé.—JenesuispassûrqueRileyaitconsciencedesapuissance.—J’endoute.C’est lapremièrefoisqueje levoyaissecomporterainsi,malgrétout le

tempsoùjesuisrestéecolléeàlui.—Passons,c’estl’affairedeFredleFrappadingue.Toietmoiavonsnotrepropresecretà

révéleràRiley.—Jenesuis toujourspasconvaincuequec’estunebonne idée,ai-jeréponduavecun

frisson.—Maisnousavonsbesoindejaugersaréaction,poursavoir.—Enrèglegénérale,j’appréciedesavoir,c’estvrai.Diegoaplissélesyeux,songeur.—Uneaventure,çatetente?—Fautvoir.—Ehbien,jepensaisauxprioritésdenotresociétésecrète.Enapprendreunmaximum.—Et...?—JecroisquenousaurionsintérêtàsuivreRiley.Pourdécouvrircequ’ilfabrique.Jel’airegardéavecdesyeuxronds.

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—Tuoubliesqu’ilserendracomptequenoussommesàsestrousses.Ildétecteranosodeurs.

—En effet, a-t-il opiné. Sauf que j’ai trouvé unmoyen de contourner la difficulté. Jeflairesatrace,ettoiturestesàunecentainedemètresderrièremoi.Quandils’apercevraquejeletraque,jepourraistoujoursluiraconterquec’estparcequej’aideschosesimportantesàluidire.C’est làque jeme lanceraidans lagranderévélationsur l’effetbouleà facettes.Jeverrai bien ce qu’il répond. Quant à toi, a-t-il ajouté en m’observant avec intensité, tu tebornesàlajouertoutendouceurpourl’instant,O.K.?Jemedébrouilleraipourtefairepartdesaréaction.

—Et s’il revientplus tôtqued’habitude ?Tuvoulais luiparler à l’approchede l’aubepourprouvertesassertions?

—Tu as raison, ça risque de poser unproblème.Et d’influencer la tournure de notreconversation.Toutefois, jepersisteàpenserqueçavautlapeinedecourircedanger.Ilm’aparupressé,cesoir,pasàtoi?Commes’ilallaitavoirbesoindetoutelanuitpourréglersesaffaires,quellesqu’ellessoient.

—Peut-être.Oualors,ilavaitjustehâtedeLaretrouver.ÉvitonsdelesurprendrequandElleestdanslesparages,non?

Luicommemoiavonsfrémiàcetteperspective.—Oui,a-t-ilreconnuenfronçantlessourcils.N’empêche...Tun’aspaslesentimentque

quelquechoseseprépare?J’ail’impressionquenousn’auronspastoutelaviedevantnouspourdevinercequec’est.

—Jepenseaussi,ai-jeopiné,pastrèsenthousiaste.— Par conséquent, fonçons. J’ai l’estime de Riley et une bonne raison de vouloir

m’entreteniraveclui.J’ai réfléchi à sa stratégie. J’avais beau ne le connaître que depuis une journée, je

sentaisquemondegrédeparanoïaluiétaitcomplètementétranger.—Tonplanunpeucompliqué...—Oui?— Il ressemble à un truc en solo et pas vraiment à une aventure à deux. Dumoins

quandonenvientaumomentpérilleux.Sagrimaceatrahilefaitquej’avaistapéjuste.—C’estmon idée, s’est-il défendu.C’estmoiqui...moiqui fais confianceàRiley. (Le

motavaiteudumalàsortir,cependant.)Jesuisleseulàêtreprêtàaffrontersacolèresijemetrompe.

Aussifroussardequejepuisseêtre,jen’aipasgobésesarguments.—Lessociétéssecrètesnefonctionnentpasdecettemanière,ai-jeobjecté.—Trèsbien,a-t-iladmisd’unairunpeuambigu.Nousyréfléchironsenchemin.Jenel’aipascru.—Restedanslesarbresetsuis-moid’enhaut,d’accord?a-t-ilenchaîné.—D’accord.Ilestrepartivers lechaletàviveallure.Je l’ai filéàtravers lesfeuilles.Lafrondaison

était si dense que je n’avais que rarement besoin de sauter d’un perchoir à un autre. Jem’efforçais demedéplacer avec le plus de légèreté possible, espérant que l’inclinaisondesbranches sous mon poids serait mise sur le compte du vent. La brise qui soufflait m’yaiderait.J’ainotéqu’ilfaisaitfroidpourunenuitd’été,mêmesilatempératureétaitlecadetdemessoucis.

À l’extérieur de lamaison,Diego a repéré sans difficulté l’odeur deRiley et s’est rué

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dessus,tandisquejeluiemboîtaislepas,mecantonnantàplusieursmètresdedistanceetàune centaine de mètres plus au nord, plus haut sur les pentes que lui. Lorsque la forêts’épaississaitvraiment,ilagitaituntroncpourquejeneperdepassatrace.

Nousavonsainsiprogressé, lui courantetmoi jouant lesécureuilsvolants, lorsque,àpeineunquartd’heureplustard,j’aiconstatéqu’ilralentissait.Onapprochaitsansdoute.J’aigrimpé encore, cherchant un arbre quim’offrirait un bon point de vue. J’en ai élu un quidominaitsesvoisins.Aprèsl’avoirescaladé,j’aiobservélascène.

Àmoinsdedeuxkilomètresdemoiunetrouéedanslesboisdonnaitsuruneassezvasteprairie.Presqueensonmilieu,maisplusprochedelalisièreest,s’élevaitcequiressemblaitàunemaisonenpaind’épicesurdimensionnée.Peinteenblanc,enroseetenvertpétants,ellefrôlait le ridicule, avec les ornements et les fleurons dont étaient chargées les moindressurfacesplanes.Dansunesituationplusdétendue,elleauraitprêtéàrire.

Rileyavaitbeauêtreinvisible,Diegos’étaitarrêté.J’enaiconcluquenotretraqueétaitterminée. Il s’agissait peut-être du foyer envisagé par notre chef pour remplacer le chaletquandcedernierseraitdémoli.Toutefois,cetendroitétaitplusmodestequenosdemeuresprécédenteset semblaitdépourvudecave.Enfin, il étaitencorepluséloignédeSeattlequenotredernierrefuge.

Diegoayantlevélatêteversmoi,jeluiaifaitsignedemerejoindre.Acquiesçant,ilestrevenu sur ses pas avant d’effectuer un bond gigantesque – jeme suis demandé si, aussijeuneetfortequejesois,j’auraisréussiàsauteraussihaut–etd’attraperunebranchesituéeà mi-hauteur du tronc le plus proche. Sauf à déployer une extrême vigilance olfactive,personne ne devinerait qu’il s’était détourné de son chemin. Cela ne l’a pas empêché degambaderdecimeencimeafindes’assurerquesapisteneconduiraitpasdirectementà lamienne.

Lorsqu’il a fini par décider qu’il était sans risque de m’approcher, il s’est aussitôtemparédemamain.Sansunmot,j’aidésignédumentonlamaisonenpaind’épice.Undescoins de ses lèvres s’est retroussé.D’unmêmemouvement, nous avons entrepris de nousdiriger vers l’est de l’habitation en restant dans la ramure.Nousnous sommes avancés auplusprès,laissantquandmêmequelquesarbresentrenousetnotreobjectif,puisnousnoussommesassisetavonstendul’oreille.

Fortserviable,leventatourné,etnoussommesparvenusàsaisirdessons.Unesortedebruissementainsiqu’undrôledemartèlementdoux.D’abord, jen’aipasidentifiédequoi ilretournait,maisDiego,avecunnouveausourire,atordulaboucheetmimédesbaisersdansl’air.

Apparemment,lesvampiresn’émettaientpaslesmêmesbruitsqueleshumainsquandilss’embrassaient.Ilsétaientdépourvusdecestissusmous,charnus,remplisdeliquidesquis’écrasaientlesunscontrelesautres.Ilsavaientjustedeslèvresdepierre,pointbarre.J’avaisdéjà entendu un baiser entre vampires, celui que Diegom’avait donné la nuit précédente,maisjen’auraispassongéàfairelelientantj’étaisloindemedouterquec’estcequenoustrouverionsici.

Cette découverte a complètement chamboulé mon opinion. Je m’étais imaginé queRileylavoyaitsoitpourrecevoirsesordressoitpourramenerdenouvellesrecrues,quesais-je ? Mais je n’aurais jamais envisagé de tomber sur une espèce de... petit nid d’amour.Commentarrivait-ilà l’embrasser?Frissonnant, j’ai jetéuncoupd’oeilàmoncompagnon.Luiaussiavaitl’airvaguementhorrifié,mêmes’ils’estcontentédehausserlesépaules.

Jemesuisremémorémadernièrenuitentantqu’humaine,tressaillantausouvenirdelabrûlureintense.Malgréleflou,j’aiessayédemerappelerlesmomentsquiavaientprécédé

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l’incendie... D’abord la peur rampante qui s’était emparée demoi quand Riley s’était garédevantlamaisonobscure,anéantissantlesentimentdesécuritéquej’avaiséprouvédanslefast-foodbrillammentéclairé.J’avaistergiversé,m’étaiscaléedansmonsiège,etilavaitsaisimonbrasd’unepoignedeferpourmetirerdelavoiturecommeunepoupéedechiffon.Uneincrédulité mêlée de terreur m’avait submergée lorsqu’il avait fait un bond de dix mètresjusqu’àlaporte.Uneterreurmêléededouleuravaitdissipécetteincrédulitélorsqu’ilm’avaitcassélebrasenm’entraînantdanslabaraquenoire.Puislavoixavaitretenti.

Concentrée sur ma mémoire, je l’ai de nouveau entendue. Haut perchée, chantantecommecelled’unefillette,maisgrognonne–celled’uneenfantenpleincaprice.

—Pourquoias-tuprislapeinedelaramener,celle-là?Elleesttroppetite.Silesmotsn’étaientpasexacts,l’idéesous-entendueétaitbiencelle-là.Enrevanche,je

n’avais pas oublié combien Riley, dans sa réponse, avait eu envie de plaire et peur dedécevoir.

—Aumoins,c’estunautrecorps.Unenouvelledistraction.Ilme semble que, à ce point, j’avais gémi, et qu’ilm’avait douloureusement secouée,

sanspourautants’adresseràmoi.J’avaiscesséd’êtreunepersonnepourdevenirunchien.—Cettenuit a étéun véritable gâchis, avait repris la voixpuérile. Je les ai tous tués.

Beurk!Àcetinstant,lamaisonavaitétéébranlée,commesiunevoiturel’avaitheurtéedeplein

fouet.Jecomprenaisàprésentqu’Ellevenaitsansdoute justededécocheruncoupdepiedagacédansquelquechose.

— Très bien, avait-Elle enchaîné. Même une crevette vaut mieux que rien du tout,j’imagine,puisquec’esttoutcedonttuescapable.Etpuis,jesuistellementrassasiéequejedevraisarriveràm’arrêter.

Les doigts durs de Rileym’avaient alors lâchée, et jem’étais retrouvée seule avec lavoix. J’étais désormais trop affolée pour émettre le moindre son. Bien que l’obscuritém’aveuglâttotalement,j’avaisfermélesyeux.Jenem’étaismiseàcrierquelorsquequelquechoses’étaitenfoncédansmoncou,mebrûlantcommeunelametrempéedansl’acide.

J’aifrémiàcesouvenir,mesuisefforcéederepousserceluiquisuivaitenmefocalisantsur labrève conversationqui venaitde sedérouler.Ellen’avaitpaseu l’airdeparlerà sonamant, ni même à un ami. Plutôt à un employé, un serviteur qu’elle n’appréciait pasbeaucoupetrisquaitderenvoyertrèsbientôt,quiplusest.

Pourtant,lesétrangesbruitsdebaisersentrevampiressepoursuivaientdanslamaison.Quelqu’unapousséunsoupirsatisfait.J’airegardéDiegoenplissantlefront.Cetéchangenenousapprenaitrien.Combiendetempsencoreallions-nousdevoirnousattarder?Pourtant,il s’est borné à écouter avec attention, la tête penchée sur le côté. Au bout de quelquesminutessupplémentairesdepatience,laromances’estsoudaininterrompue.

—Combien?Bien qu’assourdie par la distance, la voix était reconnaissable. Aiguë, presque un

pépiement,celled’uneenfantgâtée.—Vingt-deux,aréponduRileyavecunefierténondissimulée.Diegoetmoiavonséchangéuncoupd’oeil.Ainsi,nous–carilsparlaientforcémentde

nous–étionsvingt-deux.Audernierrecensementdumoins.—Jecroyaisquelesoleilm’enavaitprisdeux,acontinuéRiley,maisl’undemespetits

lesplusâgésest...obéissant.(Ils’exprimaitsuruntonpresqueaffectueuxquandilqualifiaitDiegode«petit».)Ilavaitunterrier.Ils’yestréfugiéavecunedesjeunettes.

—Tuenessûr?

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Ilyaeuunlongsilence,sanséchangedebaiserscettefois.Mêmed’aussiloin,j’aiperçuunesortedetension.

—Oui.C’estunbongars,j’ensuisconvaincu.Nouveausilencepesant.Laquestionqu’elleavaitposéem’échappait.Pourquoitestersa

certitude?Pensait-Ellequ’iltenaitl’explicationd’unautreetnondeDiego?— Vingt-deux, ce n’est pas mal, a-t-Elle commenté, ce qui a allégé l’atmosphère.

Commentsecomportent-ils?Certainsontpresqueunan.Leurattitudeest-elleconformeàl’évolutionnormale?

— Oui. Tes conseils ont fonctionné à merveille. Ils ne réfléchissent pas, ils agissentcommedesrobots.J’arrivesystématiquementà lesdistraireavec lasoif.Elle les tientsouscontrôle.

J’aifroncélessourcils.Rileynevoulaitpasquenouspensions.Pourquoidonc?—Tuasbientravaillé,aroucoulénotrecréateuravantqu’unénièmebaisernerésonne.

Vingt-deux!—Lemomentest-ilvenu?ademandéRileyavecempressement.—Non!s’est-EllerécriéeavecautantdeviolencequesiElleassenaitunegifle.Jen’ai

pasencoredécidédel’heure.—Jenepigepas.— C’est inutile. Sache seulement que nos adversaires sont très puissants. La plus

extrêmeprudences’impose.Savoixs’estradoucie,redevenantmielleuse,quandElleacontinué:—Mais vingt-deux survivants,malgré ce dont nos ennemis sont capables... Ils seront

désarmésdevantuntelnombre.Unrirecristallinaretenti.Duranttoutcetéchange,Diegoetmoinenousétionspasquittésdesyeux.Sonregard

indiquaitmaintenantqu’ilnourrissaitdespenséesidentiquesauxmiennes.Nousavionsbienétéfabriquésdansunbutprécis,commenousl’avionssubodoré.Nousavionsunadversaire.Ou,plutôt,notrecréateurenavaitun.Ladistinctionimportait-elle,cependant?

—Ah, fichues décisions ! a-t-Ellemarmonné.Attendons unpeu.Créons-en juste unepoignéeenplus,histoired’assurernosarrières.

— Si nous en rajoutons, notre nombre risque de diminuer, a objecté Riley avecprudence, l’air de ne pas vouloir La froisser. Chaque nouveau groupe amène son lotd’instabilité.

—C’estvrai,a-t-Elleadmis.J’aiimaginéRileypoussantunsoupirdesoulagementdevantcetacquiescement.Brusquement,Diegos’estdétournédemoipourfixerl’autrecôtédelaprairie.Jen’avais

perçu aucunmouvement en provenance de lamaison, ce qui ne signifiait pas qu’Elle n’enétait pas sortie.Mon cou a pivoté dans lamême direction, cependant que le reste demoncorpssestatufiait,etj’aidécouvertcequ’avaitrepérémonami.

Quatresilhouettestraversaientlepré,verslademeure.Ellesétaientarrivéesparl’ouest,àl’opposédel’endroitoùnousnouscachions.Toutesportaientdelongsmanteauxsombresàlarge capuche, si bien que j’ai d’abord cru à des humains. Certes bizarres, néanmoinshumains, parce qu’aucun des vampires de ma connaissance ne s’affublait de vêtementsgothiquespareillementassortis.Aucunnonplusnesedéplaçaitdefaçonaussiharmonieuse,contrôléeet...élégante.C’estalorsquejemesuisrenducomptequenulhumainquej’avaiscroisé n’aurait eu cette démarche, aussi silencieuse qui plus est. Les Manteaux Grissurvolaient leshautesherbessansémettreunseulbruit.Parconséquent, c’étaient soitdes

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vampiressoitd’autrescréaturessurnaturelles.Desfantômes,peut-être.Danslepremiercas,je ne les connaissais pas, ce qui signifiait qu’ils pouvaient être ces ennemis qu’Elle avaitévoqués. Par conséquent, il fallait queDiego etmoi déguerpissions, rapidement et tout desuite,parcequenousn’avionspasnosvingtcamaradesavecnous.

J’ai failli décamper sur-le-champ. Seule la crainte d’attirer l’attention des silhouettesemmitoufléesm’aretenue.

Remarquant de nouveaux détails au passage, je les ai observées avancer sans heurt.Ainsi,ellesgardaientuneformationendiamantimpeccablequinedéviaitjamaismalgrélesincidentsdeterrainqueleurspiedsrencontraientsûrement;cellequiouvraitlamarcheétaitbienpluspetitequelesautres,etsonmanteauplussombre;ellesneparaissaientpashumerleurchemin,n’essayaientpasdesuivreunepiste,savaientparfaitementoùellesallaient.Siçasetrouve,ellesavaientétéinvitées.

Ellessesontrenduesdroitàlamaison,etjemesuismiseàrespireravecplusd’aisancequandellesontgraviensilencelesmarchesduperron.Ellesnenousvisaientpas,Diegoetmoi,cequiétaitdéjàquelquechose.Lorsqu’ellesauraientdisparu,nouspourrionsfilerdansles frondaisons à la faveur d’une rafale de vent, elles ne se douteraient jamais que nousavionsétélà.

Regardant Diego, j’ai légèrement incliné la tête en direction de l’endroit d’où nousétionsvenus.Plissantlespaupières,iladresséundoigt.Super!Ilvoulaitrester!J’ailevélesyeuxauciel.Monaptitudeàréagiravecironiem’aétonnée,danslamesureoùj’étaismortedefrousse.

De nouveau, nous avons épié lamaison. Les créatures enmanteau y étaient entréessansunbruit,etjemesuisaperçuequeniElleniRileyn’avaientéchangéunmotdepuisquenousavionsrepérélesvisiteurs.Ilsétaientàl’affût,soitqu’ilsaiententenduquelquechose,soitqu’ilssesoientdoutés,d’unefaçonoud’uneautre,qu’ilscouraientundanger.

—Inutile,asoudainlâchéunevoixmonotoneetparesseuse,trèsclaire.Sansêtreaussihautperchéequecelledenotrecréateur,j’aidéduitqu’elleappartenaità

unefille.— Je crois que vous savez qui nous sommes, a-t-elle enchaîné, et qu’il est par

conséquentvaindetenterdenoussurprendre.Oudevouscacher.Oudelutter.Oudevousenfuir.

Un rire grave, masculin, qui n’appartenait pas à Riley, a résonné à travers les murs,menaçant.

—Ducalme,aordonnéplatement lapremièrevoix, cellede la fille.Nousne sommespasvenusvousdétruire.Pasencore.

Ses intonations étaient tellement typiques que j’ai été désormais convaincue d’avoiraffaireàdesvampires,pasdesfantômesoutoutautremonstrecauchemardesque.Quoiqu’ilensoit,unsilenceasuivicettedéclaration,puisj’aiperçudesmouvementsténus.Quelqu’unchangeaitdeposition.

— Si vous n’êtes pas ici pour nous tuer, alors... que voulez-vous ? a piaillé notrecréateur,l’airtendu.

—Nouscherchonsàcomprendrequellessontvosintentions,aexpliquélameneuse.Etsurtout,siellesimpliquent...uncertainclanlocal.Nousnousdemandonssisesmembresontun rapport quelconque avec les remous que vous avez provoqués dans les parages.Illégalementprovoqués.

Diego et moi avons sursauté comme un seul homme. Toute cette conversation étaitabsurde,maisladernièreremarqueétaitcarrémentbizarre.Qu’est-cequipouvaitêtreillégal

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pour les vampires ? Quel flic, quel juge, quelle prison auraient pu avoir une quelconqueemprisesurnous?

—Oui,a-t-Ellesifflé.Mesplanssontentièrementliésàeux.Maisnousnesommespasenmesured’agirmaintenant.C’estcompliqué.

Saphrases’étaitachevéesurunenotedemauvaisehumeur.— Crois-moi, nous connaissons ces difficultés mieux que toi. Que tu aies réussi à

échapper aussi longtemps à notre radar, si je puism’exprimer ainsi, est remarquable.Dis-moi,commentfais-tupourgarderprofilbas?

Lamonotoniedutoncachaitmalunréel intérêt,cettefois.Notrecréateurahésitéuninstant avant de répondre avec précipitation, comme si Elle tentait d’endiguer quelqueintimidationmuettequiluiavaitétéadressée.

— Je n’ai pas encore décidé, a-t-Elle craché avant d’ajouter, plus lentement, presqueréticente:D’attaquer,s’entend.Etiln’ajamaisétédansmesintentionsdefairequoiquecesoitdeceuxquej’aifabriqués.

— Brutal mais efficace, a commenté la visiteuse. Malheureusement, ton temps dedélibération s’est écoulé. Tu dois choisir, etmaintenant, de quelle façon tu agiras avec tapetite armée. (Lemotnous a amenés,Diego etmoi, à écarquiller les yeux.) Sinon, il nousreviendra de te punir, comme l’exige la loi. Ce sursis qui t’est accordé, bien que court,m’étonnemoi-même. Ce n’est pas dans nos habitudes. Je te conseille de nous fournir unmaximumd’assurances...etvite.

—Nousallonsfoncertoutdesuite!s’estempresséd’annoncerunRileyanxieux.Unfeulementfurieuxaaccueillicettedéclaration.— Nous irons dès que possible, a rectifié notre créateur, peu amène. Il reste encore

beaucoupdetravail.Jecroiscomprendrequevoussouhaiteznousvoirréussir,n’est-cepas?Danscecas,j’aibesoind’unrépitpourlesentraîner,lesinstruire,lesnourrir!

Uncourtsilences’estinstallé.—Cinq jours, a ensuitedécrété la fille.Nous reviendrons à cemoment-là.Tun’auras

aucunrocherderrièrelequeltecacher,alors,ettuaurasbeaufuiràtoutevitesse,tunenouséchapperaspas.Situn’aspasattaquéd’icilà,nousteréduironsencendres.

L’assuranceabsoluedutonsuffisaitàreprésenteruneréellemenace.—Etdanslecascontraire?s’est-Elleenquiseentremblant.—Onverra,arépondul’autred’unevoixplusenjouée.Jesupposequetoutdépendrade

tonsuccès.Applique-toiànousplaire.Cette ultime phrase avait été prononcée avec une dureté froide qui a déclenché un

étrangefrissonglacéaucentredemoncorps.—Entendu,arépliquénotrecréateur.—Entendu,arépétéRileydansunmurmure.Laseconded’après,lesvampiresinconnusquittaientlamaisonsansunbruit.NiDiego

ni moi n’avons osé respirer pendant les cinq minutes qui ont suivi leur disparition. Àl’intérieurdelademeure,lesilenceétaittoutaussiéloquent.Unebonnedizainedeminutesencoresesontécouléesdansuncalmefigé.

J’aieffleuré lebrasdeDiego.Nous tenions l’occasiondepartir.Maintenant,cen’étaitplusdeRileyquej’avaispeur.JevoulaismettreautantdedistancequepossibleentremoietlesManteaux Gris. Je désirais retrouver la sécurité de lamultitude qui nous attendait auchalet.J’avaisd’ailleursl’impressionquenotrecréateurpartageaitcesentiment,quec’étaitlaraisonpourlaquelleellenousavaitfabriquésaussinombreuxdèsledépart.Ilexistaitau-delàdenotrehorizonlimitédeschosesbeaucouppluseffrayantesquejenel’avaisimaginé.

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Diegoahésité,àl’affût.Uninstantplustard,sapatienceaétérécompensée.—Ehbien,tusais,àprésent,a-t-Ellesoufflé.Était-ceuneallusionauxManteauxGrisouaumystérieuxclan?Etlesquelsétaientles

adversairesqu’elleavaitmentionnésavantl’intrusiondramatiquedesseconds?—Aucuneimportance.Nouslesdépassonsennombre...—Toutavertissementestimportant,l’a-t-Ellecoupéengrondant.Ilrestetantàfaire,et

nousn’avonsquecinqjours.Çasuffit,lesbêtises.Tucommencescettenuit.—Tupeuxcomptersurmoi,a-t-ilpromis.Flûte!Diegoetmoiavonsbougéenmêmetemps,sautantdenotreperchoirdansl’arbre

voisin, repartant en volant vers les nôtres. Riley était pressé,maintenant, et s’il humait lapistedeDiegoaprèscequivenaitdeseproduire,maissanstrouverDiegoaurendez-vous...

— Il faut que je retourne sur le chemin et que je l’attende, a murmuré ce dernier.Heureusement,c’estloindelaprairie.Jenetienspasàcequ’ildevinequejel’aiépié.

—Nousdevrionsluiparlerensemble.—Ilesttroptardpourça.Ilremarqueraitquetun’aspaslaissédetracesurlesentier,

cequiéveilleraitsessoupçons.—Diego...Il m’avait piégée, en m’ordonnant de rester dans les arbres. Nous avions regagné

l’endroitoùilm’avaitrejointe.—Tiens-en-toiauplan,Bree,a-t-ilchuchotérapidement.Jevaisluiparlerdelalumière,

comme prévu. L’aube est encore loin,mais tant pis. S’il neme croit pas... (Il a haussé lesépaules.) Il adeplusgros soucisà réglerquemon imaginationdébridée.Si ça se trouve, ilsera plus enclin à m’écouter, à présent. Apparemment, nous allons avoir besoin d’unmaximumd’atouts,etpouvoirsedéplacerenpleinjournepeutnuire.

—Diego,ai-jerépété,désarmée.Ilaplongésesyeuxdanslesmiens,etj’aiguettélesourirequiluivenaitsifacilement,

ouuneblagueàproposdesNinjas,desmeilleursamisdumonde.Ils’estabstenu.Àlaplace,sans détacher son regard dumien, il m’a embrassée. Ses lèvres lisses se sont collées auxmiennes pendant une longue seconde tandis que nous étions rivés aux prunelles l’un del’autre.Puisilareculéavecunsoupir.

—Rentre à lamaison, cache-toiderrièreFred et comporte-toi comme si tun’étais aucourantderien.Jeterejoinstrèsvite.

—Soisprudent.Attrapant samain, je l’ai serrée fort. Riley avaitmentionné Diego avec tendresse. Je

n’avaisplusqu’àprierpourquesonaffectionsoitauthentique.Jen’avaispasd’autrechoix.Monamis’estvolatiliséentre lesarbres,aussidiscretqu’unebriseagitant lesfeuilles.

Jen’ai pas perdude temps à l’observer s’éloigner. Fonçant de branche enbranche, j’ai filédroit au chalet. J’espérais quemes yeux auraient conservé la brillance engendrée parmonrepasdelanuitprécédentepourjustifiermonabsence.Justeunepetitechasserapide.Delachance,unrandonneurisolé.Rienquedetrèsordinaire.

Letambourinementassourdissantdesbassesquiaaccueillimonarrivéeétaitnimbédel’odeur de fumée douceâtre caractéristique d’un vampire en train de se consumer. Cela arenforcémonsentimentdepanique:lamortétaitpartout,àl’intérieurcommeàl’extérieurde lamaison.Malheureusement, jedevais faireavec.Sansralentir, jemesuisprécipitéeaubasdel’escalier,jusqu’àmonrefuge.FredleFrappadingueétaitdebout,àpeinevisibledanslapénombre.Cherchait-ildequois’occuper?Enavait-ilmarrederesterassis?Jen’avaispaslamoindreidéedesesintentionsetjem’enfichaisroyalement.Jeluicolleraisauxbasques

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jusqu’auretourdeRileyetdeDiego.Aumilieudelacave,s’élevaituntasfumanttropgrospourn’êtrequ’unejambeouun

bras. Dommage pour les vingt-deux pions sur lesquels avait compté Riley. Personne nesemblait particulièrement tracassé par les restes incendiés. C’était un spectacle bien tropcourant.

Alors que je m’approchais vivement de Fred, mon dégoût, pour une fois, n’a pasaugmenté. Au contraire, il s’est atténué. Lui n’a pas semblé remarquer ma présence, acontinuédelirelelivrequ’iltenait.L’undeceuxquejeluiavaisabandonnésquelquesjoursauparavant.Jen’avaisplusaucunedifficultéàdistinguerceàquoiils’adonnait,maintenantquej’étaisprèsdel’endroitoùils’appuyaitaudossierducanapé.L’absencederépulsionm’aamenéeàhésiter.Pouvait-ilcouperàvolontélanauséequ’ilprovoquaitchezlesautres?Celasignifiait-il que lui commemoi n’étions plus protégés ? Dieu soit loué, Raoul n’était pasencorerentré.Kevin,si.

Pour la première fois de ma vie, j’avais le loisir d’observer à quoi ressemblait Fred.Grand,danslesunmètrequatre-vingt-huit,peut-être,aveccesépaissesbouclesblondesquej’avais déjà remarquées. Large d’épaules et musculeux, il paraissait plus vieux que nousautres,l’aird’unétudiantplutôtqued’unlycéen.Et,c’estcequim’aleplusétonnée,iln’étaitpas vilain, curieusement. Aussi beau que n’importe qui, plus beau sans doute que lamoyenne.J’ignorepourquoicettedécouvertem’atantdéroutée.Sûrementparceque j’avaistoujoursassociéFredàlarévulsionqu’ilm’inspirait.

Jemesuissentiebizarredelematercommeça.J’aivivementinspectélesalentoursafindevoirsiquelqu’und’autreavaitnotéqueFredétaitpour lemomentnormal–etplaisant.Personnenenousprêtaitattention.J’aijetéuncoupd’oeilàKevin,prêteàdétournerlatêtes’il s’en apercevait, mais il était concentré sur quelque chose qui se trouvait à gauche del’endroit où nous nous tenions, Fred etmoi. Il sourcillait. Avant que j’aie eu le temps deregarderailleurs,sesprunellesontglissésurmoipours’arrêtersurmadroite.Cettefois,ilaplissélefront.Commesi...commes’ilessayaitdemevoiretn’yparvenaitpas.

Un petit sourire s’est dessiné surmes lèvres,mais j’avais trop de soucis pour rigolerfranchementdelasoudainecécitédeKevin.JemesuisretournéeversFred,medemandantsile phénomène de rejet allait reprendre, quand j’ai constaté qu’il souriait lui aussi. Il étaitvraimentfracassant,quandilsouriait.Puislemomentdegrâceestpassé,etils’estreplongédans son bouquin. Pendant un instant, je n’ai pas bronché, attendant qu’il se produisequelquechose.QueDiegofranchisselaporte.OuRileyetDiego.OuRaoul.Quelanauséemesubmerge,queKevinmetoise,qu’unenouvellebagarreéclate.Quelquechose,quoi.

Toutrestantà l’identique, jemesuisenfinressaisieet j’ai faitceque j’auraisdû fairedepuisledébut:prétendrequeriendeparticuliernesedéroulait.Jemesuisemparéed’unvolumesurlapileentasséeauxpiedsdeFred,mesuisassiseaumêmeendroitet–pourlagalerie seulement – me suis concentrée sur ma lecture. Il s’agissait sûrement d’un desouvrages que j’avais fait semblant de lire la veille, même s’il m’a paru inconnu. Je l’aifeuilleté–toujoursriendefamilier.

Monesprit tourbillonnait enpetits cercles resserrés.OùétaitDiego?CommentRileyavait-ilréagiàsarévélation?Quefallait-ilcomprendredelaconversationavantl’arrivéedesManteaux et de celle d’après ? J’y ai réfléchi, remontant le fil des événements tout enm’efforçant d’assembler les pièces en une image identifiable. Apparemment, lemonde desvampires était doté d’une espèce de police dont les forces étaient très impressionnantes.Notregroupede jeunotsvieuxd’unmois était censé constituerunearmée, cequi semblaitillégal.Notrecréateuravaitunennemi.Non,deuxennemis.Nousdevionsattaquerl’und’eux

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d’icicinqjours,sinonl’autre,leclandesManteauxGris,s’enprendraitàElle,ànous...ouauxdeux.Nousallionssubirunentraînementafindenousprépareràlabataille...dèsleretourdeRiley.J’aijetéuncoupd’oeilverslaporteavantdem’obligeràregarderlelivreouvertdevantmoi. Il y avait aussi ce qui s’était passé avant l’arrivée des visiteurs. Une décision Latourmentait. Elle était contente d’avoir autant de vampires, de soldats. Riley était heureuxque Diego et moi ayons survécu... Il avait confié ses craintes d’avoir encore perdu deuxd’entrenous,cequisignifiaitqu’ildevait ignorer la façondontnousréagissionsauxrayonsdusoleil.Laquestionqu’Elleavaitalorsposéem’avaitparuétrange,cependant.Elleluiavaitdemandés’ilétaitcertaindecequ’ilavançait,s’ilétaitsûrqueDiegos’enétaitvraimenttiré...ouqueDiegodisaitlavérité?

Ce soupçonm’a effrayée. Savait-Elle déjà que le soleil nenous faisait aucunmal ? Sioui,pourquoiavait-EllementiàRileyet,àtravers lui,ànous?Était-il tellementimportantpour Elle de nous cantonner – littéralement – dans l’obscurité ? Suffisamment importantpourattirerdesennuisàDiego?J’étaisentraindem’affoleràforcedegambergercommeça.Si j’avaisencoreétécapablede transpirer, j’auraisété trempéedesueur.J’aiétéobligéedemefocalisersurmonlivrepourentournerlapageetgarderlesyeuxbaissés.

Riley était-il réellement ignorant ou dans le coup avecElle ?Quand il avait avoué sapeurdenousavoirperdus,était-ceuneallusionausoleilouànotremensongeàcesujet?Sila deuxième option l’emportait, il fallait en conclure que connaître la vérité impliquait lamort.Denouveau,lapaniqueaparalysémoncerveau.

J’aiessayéderester rationnelle,dedonnerunsensà toutcela.SansDiego,çam’étaitplus difficile. Parler à quelqu’un, réagir à ses remarques aiguisait mes capacités deconcentration. Quand j’en étais privée, la peur grignotait les bords de mes pensées déjàdéforméespar lasoifomniprésente.Ledésirdesangaffleuraitconstammentà lasurface,ycomprismaintenantquejem’étaisnourrie–j’enéprouvaislabrûlureetlebesoin.

«Penseàelle,penseàRiley!»mesuis-jeexhortée.Ilfallaitquejesaisissepourquoiilsnous avaient menti, si c’était bien le cas, de manière à envisager leur réaction quand ilsdécouvriraientqueDiegoavaitéventéleursecret.Nousauraient-ilsditlavérité,àsavoirquelejourn’étaitpasplusdangereuxpournousquelanuit,qu’est-cequeçaauraitchangé?J’aitenté de me représenter la situation si nous n’avions pas été confinés dans des sous-solssombresdurantlajournée,silesvingtetunquenousétions,peut-êtremoinsàprésentselonque les chasseurs en goguette se seraient entendus ou disputés, avions été libres d’agir ànotreguisequandbonnousauraitsemblé.

Nousn’aurionsvouluquechasser.C’étaituneévidence.Sinousn’avionspasétécontraintsderevenir,denouscacher...ilétaitclairquenombre

d’entre nous ne seraient pas rentrés régulièrement. Il nous était très difficile de nous yrésoudre tant que la soif nous dominait. Mais Riley nous avait martelé avec tant deconviction que nous risquions d’éprouver la brûlure atroce expérimentée lors de notretransformation, que nous parvenions à nous arrêter. Seul notre instinct de préservationl’emportaitsurnotresoifdévorante.

Lamenaceservaitdoncàmaintenir lacohésiondelahorde.Certes, ilexistaitd’autrescachettes,commelagrottedeDiego,maisquisesouciaitdecegenredechoses?Disposantd’unendroitoùnousréfugier,d’unebase,nous laregagnionssansbarguigner.Laréflexionn’étaitpaslefortdesvampires.Desjeunesvampires,dumoins.Riley,lui,étaitlucide.Diegoaussi,plusquemoid’ailleurs.CesfameuxManteauxGrisavaientdémontrédescapacitésdesynthèseproprementterrifiantes.J’enaifrémi.Néanmoins,nousnenoussoumettrionspastoujoursàcettediscipline.Quepourraient-ilsfairelorsquenousserionsplusâgés,plusaptes

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à l’exercice de notre intelligence ? Soudain, j’ai été frappée par l’idée que personne, dansnotrebande,n’étaitplusvieuxqueRiley.Nousétionstousdesjeunots.Elleavaitbesoindenous pour lutter contre son mystérieux adversaire. Qu’adviendrait-il de nous après,cependant?

J’aitoutàcoupeulefortpressentimentquejen’auraispasenvied’êtredanslecoinàcemoment-là.Alors, j’aiprisconscienced’unechoseà l’évidencepourtantprodigieuse.C’étaitellequim’avaittitillél’espritpendantque,encompagniedeDiego,j’avaistraquénotrebandejusqu’ici:maprésencedanslesparagesn’étaitpasindispensable.Riennem’obligeaitàrestericiunenuitdeplus.

Unefoisencore,jemesuispétrifiée,terrasséeparcetterévélationincroyable.SiDiegoetmoin’avionssuoùlegroupeétaitsusceptibledesereplier,lesaurions-nous

trouvés ? Sans doute pas. Or, il s’agissait d’une meute importante qui laissait des tracesderrièreelle.Enaurait-ilétéautrementavecunseulvampirecapabledesauteràterreoudegrimper dans un arbre pour brouiller sa piste ? Rien qu’un, deux peut-être, enmesure denager aussi loin qu’ils le voulaient... d’aborder n’importe où... le Canada, la Californie, leChili,laChine...Personnenelesretrouveraitjamais.Ilssevolatiliseraient.Ilsdisparaîtraient,commes’ilsétaientpartisenfumée.

Nous aurions pu ne pas revenir cette nuit-là ! Nous aurions dû ne pas revenir !Pourquoin’yavais-jepassongéplustôt?

Mais...Diegoaurait-ilétéd’accord?Jen’étaisplusaussisûredemoi,soudain.Enversqui était-il le plus loyal, après tout ?Riley oumoi ?Aurait-il considéré qu’il relevait de saresponsabilité de soutenir notre chef ? Il le connaissait depuis longtemps,moi, seulementdepuisunejournée.Etait-ilplusprochedeluiquedemoi?Lefrontplissé,j’aiméditécettequestion.

Ma foi, je le découvrirais dès que nous aurions uneminute seul à seule. Et alors, sinotresociétésecrèteavaitunequelconqueimportance,cequenotrecréateuravaitprévupournousseraitégal.Nouspourrionsdisparaître,etRileyseraitobligédesedébrouilleravecdix-neuf vampires ou d’en fabriquer de nouveaux, et vite. Quoi qu’il en soit, ce ne serait plusnotreproblème.

J’avais hâte de me confier à Diego. Mon instinct me disait qu’il serait sur la mêmelongueurd’ondequemoi.Avecunpeudechance,s’entend.

Brusquement, jemesuisdemandési telavaitété ledestindeShellyetdeSteve,ainsiquedeceuxquin’étaientjamaisrevenus.Onm’avaitracontéqu’ilsavaientétédévorésparlesoleil.Rileyn’avait-ilaffirméavoirvuleurscendresquepournousmaintenirdanslacrainte,ladépendance?Pourquenouslerejoignionstouslesmatinsà lamaison?Siçasetrouve,ShellyetSteveavaient justedécidédepartirde leurcôté.PlusdeRaoul.Pasd’ennemisoud’arméessusceptiblesdemenacerleuravenirimmédiat.

C’étaitpeut-êtrecequevoulaitdireRileyquandilenparlaitcommede«pertes»alorsqu’ils’agissaitdefugues?Parconséquent,ilseraitcontentqueDiegoetmoin’ayonspasprislafuite,non?Siseulementnousl’avionsfait,d’ailleurs!Nousaurionsétélibresnousaussi,àl’instardeShellyetdeSteve.Pasderègles,pasdepeurquelesoleilselève.

Unefoisencore,j’aiimaginénotrehordelâchéedanslanaturesanscouvre-feu.Jenousaivus,Diegoetmoi,nousdéplaçantdansl’ombre,pareilsàdesNinjas.Maisj’aiégalementvuRaoul,Kevinetlesautres,monstresétincelantscommedesboulesàfacettesaumilieud’unerue animée du centre-ville, les cadavres s’entassant, les hurlements, les ronflements deshélicoptères, les flics impuissants avec leurs mignonnes petites balles incapables de nousentamer, lescaméras, lapaniquequigagneraitàtouteberzingueaufuretàmesurequeles

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imagesrebondiraientcommel’éclairsurtouslesécransduglobe.Danscecas, lesvampiresne réussiraient pas à rester secrets très longtemps.Même Raoul ne pouvait tuer les gensassezvitepourempêcherl’histoiredeserépandre.Monraisonnementétaitlogique,etjemesuisdépêchéedem’yaccrocherpouréviterdemedisperserdenouveau.

Un,leshumainsignoraienttoutdesvampires.Deux,Rileynousincitaitàladiscrétionafin de ne pas attirer leur attention, de ne pas les dessiller. Trois, Diego etmoi en avionsconcluque tous lesvampiresdevaientseconformeràcette règle, souspeineque lemondedécouvre notre existence. Quatre, l’établissement de cette règle avait sûrement une bonneraison d’être, et ce n’était pas les flingues aussi ridicules que des jouets des policiers quil’avaientmotivée.Oui, l’objectif était certainement de la plus haute importance pour nousamenerànousplanquerdansdescavesétouffantestoutelasaintejournée; il justifiaitqueRiley et notre créateur nous mentent, nous terrifient à coups de contes sur le soleilexterminateur.Riley l’expliqueraitpeut-êtreàDiegoqui,conscientde lanécessitédusecretet parce qu’il se comportait de façon responsable, promettrait de le garder. Sur ce, ils sesépareraientbonsamis.Aucundoute.N’empêche...etsiShellyetSteveavaientdécouvertquenotrepeaubrillaitausoleiletdécidédenepasfuir?S’ilsétaientalléstrouverRileyetque...?

Flûte !Telle était l’étape suivantedemon raisonnement logique.Une fois encore, j’aiperdulefildemespenséespourcéderàl’affolement.

Toutenm’inquiétantpourDiego,jemesuisrenducomptequejem’étaisperduedansmesréflexionsunbonmoment.L’aubepointait, le jourse lèveraitdansuneheureenviron.OùétaitDiego?EtRiley?

Àcetinstant,Raouladévalélesmarchesavecsespotes.Tousétaienthilares.Jemesuisvoûtée,colléeàFred.Raoulnenousapasremarqués.Ilacontemplélevampirefricasséaumilieu du plancher et a ri encore plus fort. Ses prunelles étaient rouge vif. Les nuits où ilchassait, il ne rentrait pas avant d’y être contraint. Il se nourrissait le plus longtempspossible.L’auroreétaitdoncplusprochequejenelepensais.

RileyavaitsûrementexigédeDiegoqu’ilprouvesesdires.C’étaitlaseuleexplicationàleurretard.Ilsdevaientattendrelejour.Saufque...celasignifiaitforcémentqueRileyn’étaitpas au courant, pour le soleil.Que notre créateur lui avaitmenti à lui aussi.Mais était-ceconcevable?Derechef,mespenséessesontembrouillées.

Kristie a fait son apparition quelques minutes plus tard, en compagnie de troiscamarades.Letasdecendresl’alaisséeindifférente.Deuxautresvampiresontdébouléàsasuite,etunrapidecalculmentalm’aamenéeàcomptervingtpersonnes.Toutlemondeétaitàlamaison,exceptéDiegoetRiley.Lesoleilallaitsurgird’unmomentàl’autre.

Les gonds de la porte d’entrée, au rez-de-chaussée, ont grincé, et j’ai bondi sur mespieds.Lebattantaclaqué,quelqu’unadescendul’escalier.

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Riley.Seul.Avant que j’aie pu analyser la situation, notre chef a poussé un cri de rage bestial. Il

fixait les restes fumants sur le sol, les yeux exorbités sous l’emprise de la fureur. Tout lemondes’estfigé,silencieux.NousavionsdéjàassistéàunecrisedecolèredeRiley,maislà,c’étaitdifférent.

Ils’estruésurunebafflequibraillaitetl’adéchiquetéeàmainsnuesavantdel’arracherdumuretde labalancerà travers lapièce.JenetKristie sesontbaisséespouréviterde laprendreenpleinefigure,etelleestalléesefracassercontrelemuropposéenprovoquantunegerbedepoussièredeplâtre.Rileyaensuitepiétinélachaînehi-fi,etlesbassessesonttues.PuisilafoncésurRaouletl’asaisiàlagorge.

—Jen’étaismêmepaslà!apiaillélegrosdur.Il avait l’air effrayé, ce qui était une première. Avec un grognement hideux, Riley l’a

repoussé comme il avait jeté la baffle.Derechef, Jen etKristie se sont écartées d’unbond,cependant que le corps de Raoul s’écrasait contre le mur en y laissant un trou énorme.Attrapant alors Kevin par l’épaule droite, Riley lui a arraché la main dans un bruit dedéchirurefamilier.Poussantuncridedouleur,Kevinatentédesedégager,maisRileyluiadécochéuncoupdepieddansleflanc.Unsecondfeulementaretenti,etilabrandilerestedubrasdesavictime.Ill’acasséendeuxauniveauducoudeet,àl’aidedesmorceaux,agiflélevisageanxieuxdeKevin–vlan!vlan!vlan!Onauraitditunmarteauabattusurunepierre.

—Qu’est-ce que vous avez tous, bonDieu ? a braillé Riley. Vous êtes complètementtarésouquoi?

Ilavoulus’emparerdublondfandeSpiderman,maiscelui-ciaesquivél’attaqued’unsaut.Sonmouvementl’aamenétoutprèsdeFred,etilareculéenvacillant,prisdenausée.

— Il n’y en a donc pas un parmi vous qui ait un brin de cervelle ? a continué des’époumonerRiley.

Il a projeté un môme appelé Dean dans le meuble télé, qui s’est brisé en millemorceaux,achopéSara,luiaarrachéuneoreilleetunepoignéedecheveux.Elleapousséuncridedouleur.

Il est devenu soudain évident que Riley jouait un jeu dangereux. Il était seul, nousétionsnombreux.Déjà,Raoul se rapprochait, secondépar Jen et parKristie, ses ennemiesd’ordinaire.D’autres formaientdepetits groupesautourde la salle. J’ignorais siRileyétaitconscientdelamenaceousisacriseallaitseterminernaturellement.Ilaprisuneprofondeinspiration. Il a balancé à Sara son oreille et ses cheveux, elle a reculé, léchant la partiearrachéedesonoreille,l’enduisantdeveninafindelarecoller.Pourlescheveuxcependant,iln’yavaitpasdesolution,etellegarderaituneplaquechauvesurlatête.

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—Écoutez-moi!aordonnéRileyd’unevoixcalmemaisféroce.Nosviesàtousvontdépendredevotreattentionàcequejevaisvousdiremaintenantetdevotreaptitudeàréfléchir!Sivousêtesincapablesdevouscomportercommedesêtrespensants,neserait-cequependantquelquesjours,nousmourronstous.Vous,moi,tous.

Cela ne ressemblait en rien à ses laïus habituels ou à ses demandes pour que nousapprenionsànouscontrôler.Pourlecoup,ilavaitcapténotreattention.

—Ilesttempsquevousgrandissiezetquevousdeveniezresponsablesdevous-mêmes.Vouscroyiezdoncquevousalliezpouvoirvivrecommeçasansriendonnerenéchange?QuetoutlesangdeSeattlen’avaitpasdeprix?

Pluspersonnen’avait l’airméchant, àprésent.Onécarquillait lesyeux,onéchangeaitdesregardsperplexes.À la limitedemonchampdevision, j’aivuqueFred tournait la têteversmoi,maisjen’aipasréagi.Monattentionétaitentièrementconcentréesurdeuxchoses:Riley,desfoisqu’ilreparteàl’attaque,etlaporte.Laportes’entêtaitàresterfermée.

—Alors,êtes-vousprêtsàm’écouter?Àm’écoutervraiment?Si Riley s’est interrompu, personne n’a acquiescé. Un silence de mort régnait sur le

sous-sol.—Laissez-moivousexposerdansquellesituationpérilleusenousnoustrouvons,a-t-il

repris.Jevaisessayerdem’exprimersimplementpour lesplusdébilesd’entrevous.Raoul,Kristie,approchez!

Il a fait un signe à l’adresse des chefaillons des deux bandes les plus puissantes qui,l’espaced’uninstant,s’étaientalliéscontrelui.Nil’unnil’autren’aobéi.Aucontraire,ilssesontraidis,etKristieamontrélesdents.Jem’attendaisàcequeRileys’adoucisse,àcequ’ils’excuse, à ce qu’il les calme puis les persuade de ce qu’il voulait. Sauf qu’il avait changé,apparemment.

— Très bien, a-t-il aboyé. Nous allons avoir besoin de capitaines, si nous tenons àsurvivre. Visiblement, vous deux refusez ce rôle. Je vous croyais à la hauteur, je me suistrompé.KevinetJen,vousm’aiderezàdirigernotregroupe.

Kevinarelevélatête,surpris.Ilvenaitjustederafistolersonbrasetdeleremettreenplace. Bien que soucieux, il semblait également flatté, c’était clair. Lentement, il s’estredressé. Jen a regardé Kristie, comme si elle attendait la permission d’avancer. Raoul agrincédesdents.

Laportenes’ouvraittoujourspas.—Êtes-vousdesincapablesvousaussi?s’estemportéRiley.Kevinafaitunpasverslui,maisRaoull’aprécédé,franchissantlapièceendeuxbonds.

Sans un mot, il a repoussé son acolyte contre le mur et s’est posté à droite de Riley. Cedernier s’est autorisé un petit sourire. Si la manipulation avait manqué de subtilité, elles’étaitrévéléeefficace.

—Kristie, Jen?Laquelledevousdeux sera-t-elleunemeneuse?a-t-ildemandé,uneonced’amusementdanslavoix.

Jen guettait encore un signe de Kristie. Celle-ci l’a toisée pendant un instant, puis arejetésescheveuxblondsenarrièreetafiléseplanterdel’autrecôtédeRiley.

—Vous avezmis du temps à vous décider, a décrété ce dernier avec gravité. Trop detemps.Nousn’avonspasceluxe.L’heuren’estplusaudivertissement.Jusqu’àmaintenant,jevousaiplusoumoinslaissélabridesurlecou.Cesoir,c’estfini.

Il a inspecté la salle, fixant chacun tour à tour, s’assurant qu’on l’écoutait. Je n’aisoutenusonregardqu’unesecondeavantdelancerunénièmecoupd’oeilverslaporte.Jemesuis aussitôt reprise,mais il était déjà passé à quelqu’un d’autre. Jeme suis demandé s’ilavaitremarquémonmouvement.M’avait-ilseulementvue,cependant,blottieprèsdeFred?

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—Nousavonsunennemiextérieur,a-t-ilalorsannoncé.Ils’esttu,afinquelanouvellepénètrel’espritdechacun.J’aidevinéquelebutétaitde

choquer. L’ennemi, d’ordinaire, c’était Raoul ou, quand vous étiez de sa bande, Kristie.L’ennemi était ici, parce que notre univers entier était ici. L’idée qu’il y ait d’autres forcesassezpuissantespournousaffecterétaitneuvepourlaplupartd’entrenous.Hierencore,ellel’auraitétépourmoiaussi.

—Quelques-unsd’entrevousaurontétépeut-êtreassezmalinspourserendrecompteque, puisque nous existons, d’autres vampires existent également.Des vampires beaucoupplusâgés,plus intelligents...plus talentueuxquenous.D’autresvampiresquiveulent nousvolernotresang!

Raoulalâchéunsifflementvipérin,aussitôtreprisparplusieursdesessbires.— Eh oui, a enchaîné Riley, visiblement désireux de les encourager dans cette voie.

Seattleleurappartenait,autrefois.Ilsensontpartisilyalongtemps.Cependant,aujourd’hui,ils sont conscients de notre présence et nous jalousent les proies faciles qui étaient à leurdisposition auparavant. Ils savent qu’elles nous appartiennent et aspirent à nous lesreprendre. Ils n’hésiteront pas à venir chercher ce qu’ils estiment être à eux. Ils noustraquerontl’unaprèsl’autre!Ilsnousimmolerontpuissegaveront!

—Jamais!agrondéKristie.Sesfidèles,demêmequeceuxdeRaoul,ontgrognéàl’unisson.—Nousn’avonspas trente-six solutions,acontinuéRiley.Sinousattendonsqu’ils se

pointent, ils auront l’avantage. Après tout, c’est leur territoire ancestral. Par ailleurs, ilséviteront une confrontation directe, parce que nous sommes plus nombreux et plus fortsqu’eux. Ils s’efforceront de nous attaquer séparément, profitant de notre plus grandefaiblesse.L’undevousest-ilassezfutépourmedirelaquelle?

Dudoigt, iladésignéàsespiedslescendresquiavaientsibienimprégnélamoquettequ’il était impossible d’identifier maintenant une silhouette. Il a patienté. Personne n’abronché.

—Nos querelles intestines ! a-t-il clamé avec un reniflement dégoûté.Nous sommesdésunis!Quellemenacesommes-nousenmesuredereprésenterquandnousnesommespasfichusdecesserdenouschamailler?(Iladonnéuncoupdepiedàlapetitepile,provoquantunnuagenoir.) Imaginez-les en trainde semoquerdenous ! Ils croientquenous ravir laville sera tâche aisée. Que notre bêtise nous affaiblit. Que nous leur remettrons de nous-mêmeslesangquiestànousdedroit!

Cettefois,lamoitiédelapièceaprotestéavecforcefeulements.—Alors,saurez-vouscollaborerousommes-noustouscondamnésàpérir?—Onvaseleschoper,boss!agrommeléRaoul.— Pas si vous êtes incapables de vous contrôler, a riposté Riley, sévère. Pas si vous

n’arrivez pas à coopérer avec n’importe laquelle des personnes ici présentes. Tout vampirequevousaurezéliminé(denouveau, ilatripoté lescendresdupied)vousaurait,peut-être,sauvé la vie. Dès que vous tuerez un membre de notre sabbat, vous ferez un cadeau àl’ennemi.«Allez-y,leurdirez-vous,massacrez-moi!»

KristieetRaoulontéchangéun regardcommes’ils sevoyaientpour lapremière fois.D’autreslesontimités.Lemotsabbatnenousétaitpastotalementinconnu,maisnuln’avaitsongéàl’appliquerànotrecommunauté.Or,nousformionsbeletbienunehordequi,lanuit,s’adonnaitàdesanglantssabbats.

—Permettez-moi de vous décrire nos adversaires, est repartiRiley, captivant aussitôtl’assemblée. Leur clan est beaucoup plus ancien que le nôtre. Ils existent depuis des

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centainesd’années,etcen’estpaspourriens’ilsontsurvécuaussilongtemps.Ilssontrusés,douéset s’apprêtentànous faucherSeattleavecuneconfianceabsolue,parcequ’ilsonteuvent de rumeurs affirmant qu’ils n’auront à lutter que contre une bande d’enfantsdésorganisésquiferontlamoitiéduboulotàleurplace!

De nouveaux grognements ont résonné, moins furieux qu’anxieux, cependant.Quelques-uns des vampires les plus calmes, ceux que notre chef aurait qualifiés de«dociles»,ontsemblénerveux.Rileyn’apasmanquédes’enapercevoir.

—C’estainsiqu’ilsnousconsidèrent,a-t-ilajouté,maisseulementparcequ’ilsnenousenvisagent pas ensemble. Unis, nous les écraserons. S’ils pouvaient nous voir côte à côte,nousbattant commeun seulhomme, ils seraient terrifiés.Et c’est cequenous allons leurdonner.Parcequ’ilesthorsdequestionquenousattendionsqu’ilsmontrentleboutdeleurnezicietsemettentànouséliminerunàun.Nousallonsleurtendreuneembuscade.Dansquatrejours.

Quatre?Ainsi,notrecréateurpréféraitnepasattendrejusqu’àladernièreminute.Unefoisdeplus,j’airegardélaporte.OùétaitDiego?Danslacave,mescompagnonsréagissaientàl’annoncedudélai,certainssansdissimulerleurpeur.

—Ils seserontpréparésà toutsaufàça, s’est justifiéRiley.Ànous tous,ensemble,àl’affût.Etfigurez-vousquej’aigardélemeilleurpourlafin.Ilsnesontquesept!

Unsilenceincréduleaaccueillilanouvelle.—Quoi?aensuitelancéRaoul.Kristieacontemplénotrechefavecunestupeuridentique,etdesmarmonnementsont

retentidanstoutlesous-sol.—Sept?—Tuplaisantes?—Hé!abeugléRiley.J’étaissérieuxquandjevousaiditquececlanétaitdangereux.Ils

sont astucieux... sournois. Et peu nombreux. La force de frappe sera dans notre camp, lasupercherie dans le leur. Si nous jouons selon leurs règles, ils gagneront. Si, au contraire,nousleurimposonsnotretactique...

Iln’apasprislapeinedepoursuivre,sebornantàsourire.—Allons-ymaintenant!adécrétéRaoul.—Rayons-lesdelacartetoutdesuite!arenchériKevin,enthousiaste.—Du calme, crétin ! l’a calméRiley.Nousprécipiter à l’aveuglettenenous aidera en

rien.— Dis-nous tout ce que nous avons besoin de savoir sur eux, a demandé Kristie en

jetantuncoupd’oeildédaigneuxàRaoul.Rileyahésité,commes’ilréfléchissaitàlameilleurefaçondes’exprimer.—D’accord,a-t-il finiparmarmonner.Paroùcommencer?J’imaginequelapremière

chose qu’il vous faut apprendre, c’est que... vous ignorez bien des choses au sujet desvampires.Jenetienspasàvoussubmergerdèsledébut.

Ilamarquéunenouvellepause,pendantlaquellel’assistanceasemblémédusée.—Vous avez cependant eu un aperçu de ce que nous appelons les dons vampiriques.

GrâceàFred.Tout lemonde s’est tourné–ou, dumoins, a essayéde se tourner– vers l’intéressé.

Rienqu’àl’expressiondeRiley,j’aidevinéqueFredn’appréciaitpasqu’onlemetteainsienavantetqu’ilavaitpousséàfondlevolumedeson«don».Entressaillant,notrechefs’estempresséderegarderailleurs.Moi,jen’éprouvaistoujoursrien.

—Bien,hum... donc, certains vampires sontdotésde talentsquidépassent largement

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notreextraordinairepuissancephysiqueetnos sensparticulièrementaffûtés.Vousenavezvuunaspectchez...auseindenotreclan.(IlaévitédeprononcerlenomdeFred,cettefois.)Le phénomène est rare, il touche un vampire sur cinquante, peut-être, et chaque don estunique.Ilenexistetouteunevariété,d’aucunsplusefficacesqued’autres.

Unmurmure s’est répandudans la cave, tandis que les gens s’interrogeaient sur leurdonéventuel.Raoulsepavanaitcommes’ilsavaitenposséderun.Pourautantquejepuisseenjuger,leseuliciàavoirquelquechosedespécialsetenaitàcôtédemoi.

—Soyezattentifs!aordonnéRiley.Jenevousracontepasçapourvousdivertir.—Lesmembresdececlanennemi,estintervenueKristie,ilsontdesdons,hein?—Oui,aacquiescéRiley,approbateur.Jesuisheureuxdeconstaterquequelqu’unau

moinsestcapablededéduction.LalèvresupérieuredeRaouls’estrelevée,dévoilantsescrocs.— Ils sont dangereusement talentueux, en effet, a repris Riley en baissant la voix

jusqu’à chuchoter. Par exemple, ils comptent dans leurs rangs un vampire à même dedéchiffrerlespenséesd’autrui.

Ilaexaminénostraits,cherchantàdécelerquipigeaitl’importancedesarévélation.Cequ’ilavun’apasdûluiplaire,carilainsisté:

—Réfléchissezunpeu, lesenfants !Cela signifiequecevampiredevinera toutcequitraversera vos esprits. En cas de bagarre, il saura avant vous quel sera votre prochainmouvement.Mettonsquevousalliezsurlagauche,ilvousyattendradéjà.

Unsilencetendus’estabattusurl’assemblée,chacuntentantd’imaginerlascèneetsesconséquences.

—Voilàcequiexpliquenotreprudence,àmoietàCellequivousacréés.CettedernièrementionapousséKristieàreculerenfrémissant.QuantàRaoul,ilaparu

plusfurieuxquejamais.Lesnerfsdetoutlemondeétaientàvif.—Vous ignorezSonnometàquoiElle ressemble.C’estunemesuredeprotection.Si

l’undenosadversairesvoustombaitdessusalorsquevousêtesisolé,ilestenvisageablequ’ilne décèle pas votre relation avec Elle et, par conséquent, vous laisse tranquille. Si, aucontraire, nos ennemis apprenaient que vous appartenez à Son clan, ils vous exécuteraientaussitôt.

Cetargumentn’avaitaucunsensàmesyeux.Eneffet, lesecretneLaprotégeait-ilpasplusquenous?Rileys’estdépêchédecontinueravantquenousayons le tempsd’analyserplusavantlaquestion.

—Ilvadesoiquecelan’aplusvraimentd’importancemaintenantqu’ilsontdécidédereveniràSeattle.Nous lesprendronsparsurpriseencheminet lesannihilerons. (Ilasifflétoutbasentresesdents.)Après,lavilleseratouteànous,carlesautresclanssaurontqu’ilsn’ontpas intérêtànouschercherdesennuis.Nousn’auronsplusbesoindedissimulernostracesavecautantdesoin.Chacund’entrevousauradroitàautantdesangqu’illedésire.Lachasse sera ouverte chaque nuit. Nous nous installerons au coeur de la ville et nous yrégnerons.

Lesgrognementset les feulementsontrésonnécommedesapplaudissements.Tout legroupe était derrièreRiley. Saufmoi. Je n’ai pas bougé, je n’ai pas émis un son. Frednonplus,maislediableauraitpudirepourquoi.

Si je ne soutenais pas Riley, c’est parce que ses promesses avaient la saveur dumensonge. Ou alors, mon propre cheminement logique était erroné. Riley prétendait queseulscesennemisnousempêchaientdechassersansprécautionniretenueàSeattle.Celanecollait pas avec le fait que tous les autres vampires avaient dû semontrer discrets depuis

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belle lurette, sous peine que les humains découvrent leur existence. Malheureusement,j’avaisdumalàréfléchir,parcequelaporteausommetdesmarchesnes’étaittoujourspasouverte.Diego...

— Il estnécessairequenous travaillions ensemble, a lancéRiley.Aujourd’hui, je vaisvousenseignerquelquesmanoeuvres.Destechniquesdecombat.Àpartirdemaintenant, ils’agitd’autrechosequedeseroulerparterrecommedesgamins.Dèsque lanuit tombera,nous sortirons nous entraîner. Mettez-y tout votre coeur, mais restez concentrés. Pasquestiondeperdreunnouveaumembredenotresabbat!Nousavonstousbesoinlesunsdesautres,dudernierd’entrenous.Etceuxquicroiraientpouvoirsepasserdemesconseilssetrompentlourdement.

Ilamarquéunbreftempsd’arrêt,lesmusclesdesonvisagesesontdurcis,luidessinantunenouvellephysionomie.

—Vousdécouvrirezàquelpoint,a-t-ilenchaîné,quandjevousmèneraiàElle...,J’aifrissonnéetj’aisentilapièces’agiter,lesautresréagissantcommemoi.—...etquandjevoustiendraipendantqu’Ellevousarracheralesjambesavantdevous

brûlerlentement,trèslentement,lesdoigts,lesoreilles,leslèvres,lalangueettoutappendicesuperflu,unàun.

Ilnousétaitarrivéàtousdeperdreaumoinsunmembre,nousavionstouséprouvélabrûluredenotretransformation,sibienqu’ilnenousétaitpasdifficiledenousreprésentercette scène de torture. Pourtant, ce n’est pas tant lamenace qui nous a terrifiés,mais lestraits de Riley au fur et à mesure qu’il s’exprimait. Loin d’être déformés par la rage,contrairementàd’habitude,ilsétaientsereinsetfroids,lissesetbeaux,etlescommissuresdeseslèvresétaientrelevéesenunpetitsourire.J’aisoudaineul’impressiond’êtredevantunnouveauRiley.Quelquechoseenluis’étaitmodifié,affermi,mêmesi jeneparvenaispasàimaginercequiavaitpuseproduireenl’espaced’uneseulenuitpourprovoquerunsourireaussiparfaitetcruel.

J’ai détourné les yeux en tremblant légèrement, découvrant au passage le rictus quitordait labouchedeRaoul, commeunéchoà celuidenotre chef. J’aipresqueentendu lesrouagesdesoncerveauquisemettaientenbranle.Àl’avenir,ilnetueraitplussesvictimesaussirapidement.

— Maintenant, formons des équipes, a décrété Riley en retrouvant son expressionnormale. Kristie, Raoul, rassemblez les vôtres, puis vous répartirez le reste de manièreéquitable.Etpasdedisputes!Montrez-moiquevouspouvezagirrationnellement.Faitesvospreuves.

Ils’estéloignédesesdeuxcapitaines.Cesderniersontaussitôtcommencéàs’asticoter,maisRileyanégligécedétailetaentreprisdecontournerlapièce,touchantl’épauled’untelouuntel aupassage, lespoussant vers l’unou l’autrede sesbrasdroits.D’abord, jenemesuispasaperçuequ’ilvenaitdansmadirection,parcequ’ilaeffectuéundétourvraimenttrèslarge.

—Bree?m’a-t-iltoutefoishélée.Illouchaitducôtéoùjemetenais,cequiavaitl’aird’exigerpasmald’efforts.Jemesuis

pétrifiée.Ildevaitavoirhumématracedanslesbois.J’étaiscuite.—Bree?a-t-ilrépétéplusdoucement.Savoixm’a rappelé lapremière foisqu’ilm’avaitadressé laparole.Lorsqu’il avait été

gentilavecmoi.—J’aipromisàDiegode te transmettreunmessage, a-t-il ajoutéencoreplusbas.En

précisantqu’ils’agissaitd’untrucNinja.Çateditquelquechose?

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Bienqu’ilneréussissetoujourspasàmeregarder,ilserapprochaitpeuàpeu.—Diego?n’ai-jepum’empêcherdemurmurer.Ilaeuunpetitsourirecontraint.— On peut discuter ? a-t-il ensuite demandé en désignant la porte du menton. J’ai

vérifiélesfenêtres.Lerez-de-chausséeestsûr.J’avais conscienceque jene seraisplusautantensécurité lorsque jem’éloigneraisde

Fred,maisilfallaitquej’entendecequeDiegoavaittenuàmedire.Ques’était-ilpassé?J’airegrettédenepasêtrerestéeavecluipouraffronterRiley.Têtebasse,j’aisuivicedernieràtravers lacave. Ila lancéquelques instructionsàRaoul,agratifiéKristied’unsigne,puisamonté l’escalier.Du coinde l’oeil, j’ai remarquéquequelquespersonnesnous observaientaveccuriosité.

Rileyafranchilaportelepremier.Lacuisinedanslaquellenousavonsdébouchéétait,commepromis,entièrementobscure.D’ungeste,ilm’aordonnédecontinueretm’aconduiteà traversun couloir sombre sur lequeldonnaientdes chambres à coucher. Il apousséunesecondeportedotéed’unverrou,etnousnoussommesretrouvésdanslegarage.

— Tu nemanques pas de cran, a-t-il commenté dans un souffle. Ou alors, tu es trèsconfiante.Jepensaisqu’ilmefaudrait insisterbeaucouppluspourquetuacceptesdeveniricialorsquelesoleils’estlevé.

Houps!J’auraisétémieuxinspiréedemimerlanervosité.Ilétaittroptard,désormais.Résignée,j’aihaussélesépaules.

—Alors, comme ça, toi etDiego êtes proches, hein ? a lancéRiley dans un souffle àpeineaudible.

Celan’éviteraitpasque,enbas,pourpeuquetoussetaisent,ilssaisissentsesparoles.Maispourl’instant,ilsétaientplutôtbruyants.Denouveau,j’aihaussélesépaules.

—Ilm’asauvélavie,ai-jechuchoté.Riley a soulevé le menton. C’était presque un acquiescement, une approbation. Me

croyait-il?Pensait-ilquejeredoutaisencorelalumièredujour?—Diegoestlemeilleur,a-t-ilcommenté.Lemômeleplusmalinquej’aidégoté.J’aiopiné.Justeunefois.— Nous avons eu un petit entretien au sujet du problème en cours. Nous sommes

tombésd’accordqu’ilnousfallaitunguetteur.Unvampireavertienvautdeux.Ilestleseulen qui j’ai assez confiance pour l’envoyer en éclaireur.Dommage que je n’en aie pas deuxcomme lui ! (Ilareniflé,presqueencolère.)Raoulest troppromptàs’emporter,etKristietroppréoccupéed’elle-mêmepour jugerde la situation.Mais ils sont tout ceque j’ai, et jedoism’encontenter.Diegom’aapprisquetun’étaispassottenonplus.

Sansunmot,j’aiattendu.Jenesavaispastropjusqu’àquelpointRileyétaitaucourantdenotrehistoire,àDiegoetàmoi.

—J’aibesoinquetum’aidesavecFred.BonDieu,cemômeestsuperfort!Jen’aimêmepasréussiàmetournerverslui,cesoir!

Derechef,j’aieuunhochementdetêteprudent.—Tuimaginesunpeu,sinosadversairesn’étaientpasenmesuredenousregarder?Ce

seraitdugâteau.Àmon avis, Fred n’apprécierait pas l’idée,mais je pouvaisme tromper. Il n’avait pas

l’airdesesoucierbeaucoupdenotreclan.Accepterait-ildenoussauver?Jen’aipasréponduàRiley.

—Tupassespasmaldetempsaveclui,non?—Personnenem’embête,àcetendroit,ai-jeéludé.Mêmesicen’estpasfacile.

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Avecunemoue,Rileyaopiné.—Tuesmaligne.Diegoavaitraison.—Oùest-il?C’étaituneerreur,jel’aicompristoutdesuiteLesmotsm’avaientéchappé,commemus

par une volonté propre. J’ai guetté anxieusement une réaction tout enm’efforçant d’avoirl’airindifférente.Ceàquoij’aisûrementéchoué.

—Letempspresse.Aussi,jel’aienvoyéverslesuddèsquej’aiappriscequisetramait.Sinosennemisdécidentd’attaquerprochainement,nousauronsbesoind’êtreavertis.Diegonousretrouveralàoùnousleurtendronsunguet-apens.

J’aitentédemereprésenterDiego.J’auraisaiméêtreaveclui.Alors,j’auraispeut-êtrepu lepersuaderdenepasobéiràRileyetd’éviterdesemettreentre lescombattants.Maispeut-êtrepas.IlétaitapparemmenttrèsprochedeRiley,commejel’avaiscraint.

—Diegom’ademandédetedirequelquechose.Jel’aifixé.Vite,tropvite,tropavide.Encoreunegaffe!—Jen’yai riencompris.Je te transmetsmotpourmot :«DisàBreeque j’ai trouvé

notreserment.Jeleluiconfieraidansquatrejours,quandnousseronsréunis.»J’ypigequecouic.Ettoi?

J’aitâchéd’afficherunemineimpénétrable.—Bof!Ilamentionnéceserment.Àproposdesagrottesous-marine.Unesortedemot

depasse.Maisilrigolait,surlecoup.Là,jenevoispasbiencequ’ilaentête.—PauvreDiego!aricanéRiley.—Pardon?—J’ail’impressionqu’ilt’aimebeaucoupplusquetunel’aimes.—Oh!Enpleineconfusion,j’aidétournélesyeux.LemessagedeDiegoétait-ilunemanièrede

mefairesavoirquejepouvaisavoirconfianceenRiley?Pourtant,ilnesemblaitpasluiavoirsignaléquej’étaisaucourant,pour lesoleil.N’empêche, ildevaitvraimentconsidérerRileycommesûrpour luienraconterautant,pour luimontrerqu’il tenaitàmoi.J’aisongéqu’ilvalaitmieuxlafermer,cependant.Tropdechangementsétaientsurvenus.

—Nelerayepasdescadrestoutdesuite,Bree.Jetelerépète,ilestlemeilleur.Donne-luiunechance.

Rileyenconseillersentimental?C’étaitpartropétrange.—Ouais,ai-jemarmonnéenopinantdubonnet.—VoissituarrivesàparleràFred.Débrouille-toipourqu’ilaccepted’êtredelapartie.—Jeferaimonpossible.—Super,asouriRiley.Jeteprendraiàpartavantquenouspartions,ettumeraconteras

commentças’estpassé.Jelajoueraidécontracté,pascommecesoir.Jeneveuxpasqu’ilaitl’impressionquejel’espionne.

—Entendu.D’unsigne,ilm’aordonnédelesuivre,etnoussommesretournésàlacave.L’entraînementadurétoute la journée,mais jen’yaipasparticipé.Rileyarejointses

capitaines, et moi j’ai repris ma place près de Fred. Quatre groupes de quatre avaient étéformés sous ladirectiondeRaoul etdeKristie.Personnen’avait choisiFred, àmoinsqu’iln’aitignoréunequelconqueinvitationouquelesautresn’aientmêmepasétéenmesuredevoirqu’ilétaitlà.Moi,jeledistinguaisencore.Ilsedétachaitsurlereste,seulavecmoiànepasjouerlejeu,espècedegroséléphantblonddanslapièce.

N’ayantaucundésirdem’associeràl’unedeséquipesdeRaouloudeKristie,jemesuis

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contentéed’observer.Lànonplus,personnen’aparus’apercevoirquej’étaisassisedansmoncoin.Bienquenoussoyonssansdouteplusoumoinsinvisibles,grâceausitalentueuxFred,je me sentais affreusement repérable. J’ai regretté de ne pas être invisible à mes propresyeux, j’aurais voulu être témoin de l’illusion afin de me convaincre qu’elle était fiable.Toutefois, on nous a laissés tranquilles et, au bout d’un moment, je me suis presquedétendue.

J’ai assisté à l’entraînement avec beaucoupd’attention. Jedésirais tout savoir, au casoù. Je n’avais certes pas l’intention deme battre, juste demettre lamain surDiego et dedécamper.Maissiluiavaitenvied’endécoudre?Ousinousétionsforcésdelutterpournousenaller?Bref,mieuxvalaitêtreprête.

Iln’yaeuqu’unepersonnepourdemanderdesnouvellesdeDiego.Kevin.Saufquej’aieulesentimentqu’ilyavaitétépousséparRaoul.

—Est-cequeDiegoafinipargriller,finalement?alancéKevinenguisedeplaisanterie,suruntonforcécependant.

—DiegoestavecElleenmissiondesurveillance,arépliquéRiley.Ilétaitinutilequ’ilprécisequiElleétait.Quelques-unsparminousontfrissonné.Parla

suite,Diegoestdevenuunsujettabou.Etait-ilvraimentavecElle?L’idéem’afaitfrémir.Rileyavaitpeut-êtrebalancécelaafin

d’éluder les questions. Il souhaitait sans doute éviter que Raoul soit jaloux, qu’il se sentediminué alors qu’il le voulait au plus haut de son agressivité ce jour-là. Je n’avais aucunmoyendem’enassureretjen’avaispasl’intentiond’enquêterplusavant.Amonordinaire,jemesuistenuetranquillej’airegardécequisepassait.

Finalement,lespectacles’estrévéléaussiennuyeuxqu’ilm’adonnésoif.Rileyn’apasaccordéuneseulepauseàsonarméeduranttroisjoursetdeuxnuitsd’affilée.Lejour,ilétaitplusarduderesterendehorsdeschosestantnousétionsserrés,danslacave.Enrevanche,çafacilitait la tâche deRiley, qui était enmesure d’interrompre une bagarre avant qu’elle netournemal.Dehors, lanuit, lestroupesavaientplusd’espacepourtravailler,mêmesiRileyétaitobligédegaloperdans tous les sensafinde récupérerdesmembresarrachésetde lesreplacerenvitessesurleurspropriétaires.Ilréussissaitànepass’énerveretilavaitétéassezfutépourconfisquertouslesbriquets.J’auraispourtantpariéquecetteformationallaitpartiren quenouille, que nous perdrions aumoins un ou deux éléments du clan, entreRaoul etKristie qui s’accrochaient sans cesse. Mais Riley contrôlait ses troupes mieux que je nel’auraiscrupossible.

En réalité, ça consistait surtout enuneespècede répétition.Riley répétait à l’envi lesmêmesdiscours.«Manoeuvrezensemble,surveillezvosarrières,pasd’affrontementbilleentête, manoeuvrez ensemble, surveillez vos arrières, pas d’affrontement bille en tête,manoeuvrezensemble, surveillezvosarrières,pasd’affrontementbilleen tête.»C’étaitunpeu ridicule, et le groupe avait l’air d’une stupidité sans égal,même si j’étais certaine quej’auraissembléaussibêtequ’euxsi jem’étaisretrouvéeaumilieudelamêlée,tandisqu’ilsm’observaientdepuislalignedetoucheencompagniedeFred.

Ça me rappelait la façon dont Riley nous avait insufflé la peur du soleil. À force deconstantesrépétitions.

Entoutcas,c’étaitsirasoirque,auboutdedixheureslepremierjour,Fredasortiunjeudecartesdesapocheets’estmisàfairedesréussites.Commeilétaitplusintéressantdele contempler que de se farcir encore et toujours les mêmes erreurs des apprentiscombattants,jel’airegardé.

Auboutd’unedouzained’heuressupplémentaires–nousétionsrentrés–,j’aimontréà

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Fred un cinq rouge qu’il pouvait déplacer. Opinant, il s’est exécuté. Après ça, il nous adistribuédescartesàtouslesdeux,etnousnoussommeslancésdansdespartiesderami.Sinous n’avons pas ouvert la bouche, Fred a souri à plusieurs reprises. Personne ne s’estinquiétédenousoun’ademandéàsejoindreànous.

Nousavonstousétéprivésdechasse,cequi,aufildutemps,estdevenudeplusenplusdifficileàignorer.Lesdisputesontéclatéavecplusderégularité,pourdespeccadillesdeplusenplusinsignifiantes.LesordresdeRileyontétélancéssurunevoixdeplusenplusaiguë,etil s’est laissé lui-même aller à arracher deux bras. Je me suis efforcée d’occulter ma soifdévorante.Aprèstout,Rileydevaitmourirdesoifluiaussi,donclasituationnedureraitpaséternellement.Iln’empêchequemondésirsanguinaireafiniparoccuperl’essentieldemespensées.Desoncôté,Fredparaissaitasseztenduégalement.

Tôtlatroisièmenuit–ilnerestaitplusqu’unejournéeàtenir,etquandjesongeaisaulenttic-tacdesminutes,monestomacsenouait–,Rileyadonnél’ordredecesserlescombatssimulés.

—Approchez,lesmômes!Tout le monde a formé un demi-cercle lâche autour de lui. Les bandes du début,

partisans de Raoul d’un côté, de Kristie de l’autre, restaient soudées : il était clair quel’entraînementn’avaitenrienrenversélesalliances.Fredarempochésescartesets’estlevé.Jeluiaicolléautrain,escomptantsursonaurarépulsivepourmecacher.

— Vous avez bien travaillé, a déclaré Riley. Ce soir, vous allez être récompensés.Rassasiez-vouscar,demain,vousvoudrezdisposerdetoutesvosforces.

Desgrognementsdesoulagementontretenti.—Notezquej’aiutilisé«vouloir»etnon«avoirbesoin»,apréciséRiley.Cen’estpas

pour rien. Je croisquevousavezpigé le truc, les enfants.Vousavezgardé la tête froideetvousavezbossédur.Nosennemisnevontpascomprendrecequivaleurtomberdessus!

KristieetRaoulontgrondé,aussitôtimitésparleurstroupes.Surprise,j’aidûadmettreque,encet instant, ilsavaient l’aird’unearmée.Pasqu’ilsmarchaientaupasni riendecegenre. Simplement, leur réaction avait eu quelque chose d’uniforme, comme si tousconstituaientun immenseetuniqueorganisme.Commed’habitude,Fredetmoiétionsdesexceptionsrepérablesàdeskilomètres,mêmes’ilmesemblequeseulRileyavaitconsciencedenotreprésence–detempsàautre,sesyeuxseposaientsurnous,àcroirequ’ilvérifiaitsacapacitéàexpérimenterletalentdeFred.Parailleurs,ilneparaissaitpasnousreprocherdenepasparticiper.Pourlemomentdumoins.

—Euh...tuparlesdedemainsoir,hein,boss?apréciséRaoul.—Exactement,aréponduRileyavecundrôledepetitsourire.J’ai eu l’impression que personne d’autre ne remarquait rien de particulier dans son

attitude.Saufmoi.EtFred,quim’acontempléed’unairinterrogateur.J’aihaussélesépaules.—Prêtspourlarécompense?ademandéRiley.Sessoldatsontrugileuracquiescement.— Cette nuit, vous allez avoir un avant-goût de ce que sera notremonde quand nos

ennemisaurontétééradiqués.Suivez-moi!Il a bondi en avant. Raoul et les siens lui ont immédiatement emboîté le pas, et le

groupedeKristieacommencéàjouerdescoudespourtenterdelesdevancer.—Nem’obligezpasàchangerd’avis!abeugléRiley,quelquesmètresplusloinsousles

arbres.Jemefichequevousmouriezdesoif!Kristie a aboyéunordre, et sabande s’est rangéederrière celledeRaoul enboudant.

Fred etmoi avons attendu que les derniers d’entre eux aient disparu, puis il a eu un petit

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gestecommepourmedire:«Lesdamesd’abord.»Pasparcequ’ilcraignaitdem’avoirdanssondos,m’a-t-ilsemblé,plutôtparsimplepolitesse.J’aidémarréauquartdetour.

Si lesautresavaientunebonnelongueurd’avance, iln’apasétécompliquédetraquerleur odeur. Fred etmoi galopions dans un silence complice. Jeme suis demandé à quoi ilpensait ;peut-êtrenepensait-ilpas,obsédépar lasoif.Personnellement, j’avais lagorgeenfeu;luiaussi,sansdoute.

Nous avons rattrapé le gros de la horde au bout d’environ cinqminutes,mais avonsgardé nos distances. Nos compagnons se déplaçaient avec une discrétion stupéfiante. Ilsétaient concentrés etplus... disciplinés. J’aipresque regrettéqueRileyn’aitpas commencésonentraînementquelquessemainesplus tôt.La fréquentationdecenouveaugroupeétaitbienplusaisée.

Après avoir traversé une double voie déserte puis une seconde forêt, nous avonsdébouché sur la plage. Lamer était calme. Comme nous avions avancé plus oumoins endirection du nord, nous devions nous trouver au niveau du détroit. Nous n’étions passésauprèsd’aucunehabitation,etjemedoutaisqueRileyyavaitsoigneusementveillé.Avecunesoif et une tension pareilles, il ne faudrait pas longtemps pour que son semblantd’organisationsedissolveauprofitd’unchacunpoursoidébraillé.

C’étaitlapremièrefoisquenouschassionstousensemble;pourmapart,jen’étaispaspersuadée que ce soit une très bonne idée. Je n’avais pas oublié la façon dont Kevin et leSpiderman blond s’étaient disputé la conductrice de la voiture, la nuit où j’avais rencontréDiego. Riley avait intérêt à nous fournir plein de proies, sinon nous allions commencer ànousdépecermutuellementafindenousrassasier.

Ils’estarrêtésurlagrève.—Lâchez-vous!nousa-t-ilrecommandé.Jevousveuxbiennourrisetforts,aumieux

devotreforme.Etmaintenant,amusons-nous.Il s’est jeté dans le détroit. Les autres l’ont imité en grognant. Fred etmoi les avons

suivisdeplusprèsqu’avant,parcequ’ilétaitimpossibledehumerleurpistesousl’eau.Fredétait réticent, cependant, prêt à déguerpir si l’affaire devait se transformer en autre chosequ’unbuffetàvolonté.Visiblement,ilnefaisaitpasplusconfianceàRileyquemoi.

Nous n’avons pas eu à nager longtemps. Lorsque nous avons vu les autres remonterverslasurface,Fredetmoiavonsémergé.Rileys’estmisàparlersitôtquenostêtesontjailli,commes’ilnousavaitattendus.IldevaitêtreplussensibleàlaprésencedeFredquelerestedugroupe.

—Levoici!a-t-ilannoncéendésignantungrosferryquivoguaitausud.C’étaitsansdouteladernièreliaisondelasoiréeenprovenanceduCanada.—Accordez-moiuneminute.Unefoislecourantcoupé,ilseraàvous.Unmurmureexcitéaparcourunosrangs.Quelqu’unari.Rileyafilécommeuneflèche.

Quelques secondes plus tard, nous l’avons aperçu qui escaladait les flancs du navire. Il afoncé droit sur le poste de commandement, au sommet du bâtiment. Àmon avis, il allaitbousiller la radio. Il pouvait bien raconter tout ce qu’il voulait à propos de ces fameuxennemis, la raison officielle de notre prudence, j’étais certaine qu’il y avait autre chosederrièreceprétexte.Leshumainsn’étaientpascenséssavoirquelesvampiresexistaient.Dumoins,pastrèslongtemps.Justeassezlongtempspourquenouslesmassacrions.

D’uncoupdepied,Rileyadéfoncéunegrandebaievitréeets’estfaufiléàl’intérieurdelapasserelledecommandement.L’instantd’après,leslumièresàbordsesontéteintes.

JemesuisalorsrenducomptequeRaouls’étaitéclipsé.Ilavaitsansdouteplongépourque nous ne l’entendions pas suivre Riley. Toute la bande a aussitôt démarré, et l’eau a

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bouillonnécommesiunénormebancdebarracudasattaquait.Fred et moi avons avancé à un rythme plutôt paresseux, à l’arrière. D’une drôle de

façon, nous ressemblions à un vieux couple : si nous ne nous adressions jamais la parole,nousagissionstoujoursdeconserve.

Noussommesmontésàbordavectroissecondesderetardparrapportànoscamarades.Des hurlements résonnaient déjà un peu partout, et l’odeur de l’hémoglobine alourdissaitl’atmosphère.Ellem’a fait prendre conscience de l’ampleur dema soif, et c’est la dernièrepensée qui m’a traversé l’esprit. Mon cerveau s’est complètement fermé, et plus rien n’aexistéqueladouleurdévorantedemagorgeetlesangexquis,dusangàsatiétéquioffraitlapromessed’apaisercefeu.

Lorsquenousenavonseuterminé,plusuncoeurnebattaitsurlebateau.J’avaisperdule compte du nombre de personnes que j’avais tuées. Plus du triple de mon record, sansaucundoute.J’avaischaud,j’étaiscongestionnée.J’avaisbujusqu’àplussoif,rienquepourassouvir mon goût du sang. Pour l’essentiel, il avait été pur et succulent – les passagersn’étaientpaslaliedel’humanité.Bienquejenemesoispasretenue,j’étaissûrementunedeceuxquiavaientfait lemoinsdevictimes.Raoulétaitentouréd’unetellequantitédecorpsmartyrisés qu’ils formaient une petite colline. Assis sur sa pile de cadavres, il s’esclaffaitbruyamment.

Iln’étaitpasleseul,audemeurant.Lebâtimentobscurrésonnaitdecrisdejoie.—C’étaitgénial!abrailléKristie.Hip,hip,hiphourrapourRiley!Les voix rauques de ses sbires ont repris l’acclamation. On aurait dit une bande

d’ivrognesengoguette.JenetKevinsontsoudainremontéssurlepontsupérieur,trempéscommedessoupes.—Onlesatouschopés,boss!alancéJenàRiley.Ainsi, certains malheureux avaient tenté de se sauver à la nage. Je n’avais rien

remarqué.J’ai cherché Fred des yeux. Il m’a fallu un moment pour le dénicher. Finissant par

m’apercevoirquejen’arrivaispasàtournerlatêteducôtédesdistributeursautomatiques,jemesuisdirigéeparlà.D’abord,j’aieul’impressionqueletangagemedonnaitlemaldemer,puisjemesuissuffisammentavancéepourquelemalaisepasseetj’aidécouvertFreddeboutprèsd’une fenêtre. Ilm’aadresséunsourire furtifavantderegarderderrièremoi.Pivotantsurmestalons,j’aiconstatéqu’ilobservaitRiley.Ilm’asembléqueçafaisaitunbonmomentd’ailleurs.

—Bon,lesenfants,alancénotrechef.Vousavezgoûtéàlaviefacile,maisnousavonsduboulot.

Unrugissemententhousiasteaaccueillicetteannonce.—J’aiencoretroischosesàvousdireavantnotremission,a-t-ilenchaîné.Ilseraentre

autresquestiond’unpetitdessert.Alors,coulonscerafiotetrentronsàlamaison!Avecdesriresmêlésdegrognements,lahordeaentreprisdedémantelerl’embarcation.

Fred etmoi nous sommes jetés par-dessus bord afin d’assister au spectacle de loin. Assezvite, le ferry s’est affaissé en son centre dans un concert de grincements métalliques. Lemilieuasombréenpremier,suiviparlaproueetlapoupequisesontredresséesverslecielavantdeplonger,l’uneaprèsl’autre,lapoupebattantlaprouedequelquessecondes.Lebancdebarracudass’estalorsdirigéversnous,etnousavonsregagnélacôte.

Noussommesrepartisencourantauchalet,encoreunefoisàdistancedesautres.Àuneoudeuxreprises,Fredm’acontempléecommes’ilsouhaitaitmeconfierquelquechoseavantdeseravisercependant.

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À la maison, Riley s’est attaché à calmer les ardeurs. Plusieurs heures lui ont éténécessaires pour tenter de ramener ses troupes au sérieux.Une fois n’est pas coutume, cen’étaitpasdesespritsbagarreursqu’ilessayaitd’apaiser,justeunehumeurfestive.J’aisongéque,sisespromessesserévélaientfausses,ilallaitavoirdesennuislorsquenotreembuscadeauraitprisfin.Maintenantquetouscesvampiresavaientfestoyécommejamais,ilsallaientsemontrerrétifspourcequiétaitdeserestreindre.Maisbon,cettenuit,Rileyfaisaitfiguredehéros.

Lesgensontquandmême finipar se tenir tranquillesetparprêterattention.Unpeuaprès l’aube, selonmes estimations. À en juger par les visages des uns et des autres, j’aicomprisqu’ilsétaientprêtsàgobertoutcequeRileyvoudraitbienleurraconter.Cederniers’estjuchéàmi-hauteurdel’escalier,grave.

—Troischoses,a-t-ildéclaré.D’abord,nousdevonsnousassurerquenousattaquonslebonclan.Sinousnoustromponsdecible,nousdévoileronsnosintentions.Or,ilfautquenosadversaires si puissants soient trop confiants et pris au dépourvu. Ils ont deuxcaractéristiques bien particulières qui les rendent difficiles à louper. Pour commencer, ilssontdifférentsdenous,ilsontlesyeuxjaunes.

Unmurmureahuriaparcourul’assemblée.—Jaunes?arépétéRaould’unevoixdégoûtée.— Lemonde vampirique vous est encore largement inconnu. Je vous ai déjà dit que

ceux-ciétaientvieux.Leurvisionestmoinsaiguiséequelanôtre,lacouleurjauneestsignedegrandâge.Cequinousdonneunavantagesupplémentaire.(Rileyahochélatête,commepoursesignifieràlui-mêmequ’ilenavaitterminéaveclepremierpoint.)Ilexistecependantd’autresvampirestrèsanciens,etnousdisposeronsd’undeuxièmedétailpourdistinguerlesnôtres.C’est iciqu’intervient ledessertque j’aimentionné toutà l’heure. (Ilamarquéunepause,affichantunsourirerusé.)Vousallezavoirdumalà l’admettre.Personnellement, jene comprendspas,mais j’en ai été témoin.Figurez-vousque ces vieillards sontdevenus sitendres avec les siècles qu’ils ont intégré à leur clan une humaine domestique. Un peucommeunchien,sivousvoulez.

Sarévélationaprovoquéunsilencehébété,uneincrédulitétotale.—Jesais,c’estdifficileàavaler.Pourtant,c’estlavérité.Nouslesrepéreronsgrâceàla

fillequilesaccompagnera.—Mais...,amurmuréKristie.Commentça?Ilstransportentleurrepasunpeupartout?— Non. C’est toujours la même, et ils n’envisagent pas de la tuer. Je ne sais pas

pourquoinicommentilsseretiennent.Ilsaimentpeut-êtreafficherleuroriginalité.Oualors,ils frimentenexposant leurself-control.Àmoinsqu’ilscroientqueça leurdonne l’airplusfort.Jenepigepas,maisj’aivulafille.Mieuxencore,jel’aisentie.

D’ungestelentetthéâtral,ilasortidelapochedesavesteunpetitsacenplastiqueàglissièrequicontenaitunboutdetissurouge.

— J’ai effectué quelquesmissions de reconnaissance, ces dernières semaines, afin desurveillerlesYeuxJaunesdèsqu’ilsontcommencéàavancerversSeattle.(Ils’esttu,nousagratifiésd’unregardpaternel.)Jevoulaisvousprotéger,mesenfants.Bref,quandj’aicomprisqu’ilsserapprochaientdenous,j’airécupéréça–ilabrandilesachet–pournousaideràlestraquer.Veuillezhumercetteodeur,tous.

Il a tendu son trophée à Raoul qui, après avoir ouvert la glissière, a inspiréprofondément.IlaensuitecontempléRileyavecstupéfaction.

—Jesuisd’accord,alancélechef.Étonnant,n’est-cepas?L’air concentré,Raoul a passé le sac àKevin.Et ainsi de suite. L’un après l’autre, les

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petitssoldatsontrenifléletissu,chacunréagissantenécarquillantdesyeuxronds.J’étaissiintriguéequejemesuiséloignéedeFredjusqu’àressentirlavaguenauséem’indiquantquej’étaissortiedesoncercleprotecteur.JemesuisplantéeàcôtédumômeSpiderman,lequelparaissait être à la queue de la file. Lorsque son tour est venu, il a respiré et s’apprêtait àrendrelesachetàceluiquileluiavaitdonnéquandj’aitendulamainenémettantunlégersifflement.Ilasursauté,commes’ilnem’avaitencorejamaisvue,puism’aoffertlechiffon.

Le tissu rouge semblait être un corsage. Tout en surveillant mes voisins – des foisque –, j’ai fourré mon nez dans l’ouverture et j’ai inhalé. Ah ! Je comprenais à présentl’expression des autres et j’ai deviné que quelque chose d’identique se dessinait sur mestraits.L’humainequiavaitportécevêtementavaitunsangdesplussucrés.C’estàjustetitrequeRileyavaitparlédedessert.Commej’étaisrassasiée,toutenappréciantleparfum,jen’aipas eu suffisammentmal à la gorge pour grimacer.N’empêche, goûter ce sang devait êtreformidable,mêmesi,pourl’instant,nepaspouvoirlefaireneprovoquaitaucunesouffrancechezmoi.

Je me suis demandé combien de temps il faudrait avant que ma soif revienne.D’habitude, quelques heures suffisaient, et la douleur se réveillait, empirant peu à peujusqu’à ce que, au bout de deux jours, il soit impossible de l’oublier, ne serait-ce qu’uneseconde. Les quantités excessives que j’avais avalées cette nuit retarderaient-elles leprocessus?Jeledécouvriraisbienasseztôt,sansdoute.

J’ai jeté un coup d’oeil alentour afin de vérifier que personne ne réclamait le sac. JepensaiseneffetqueFredseraitcurieuxluiaussi.Croisantmonregard,RileyaeuunsourireimperceptibleetatrèslégèrementhochélatêteendirectionducoinoùsetenaitFred.Cettepermissionm’adonnéenviedefairelecontrairedecequej’avaiseul’intentiondefaire,maisbon.Inutiled’alerterRiley.

Je suis retournée vers Fred, ignorant la nausée jusqu’à ce qu’elle s’estompe. Je lui aitendu le sac. Il a semblé contentque j’aie songéà l’inclure.Souriant, il ahumé le corsage,puisilaopiné,pensif.Ilm’arenduletrophéedeRileyd’unairentendu.J’enaidéduitque,laprochainefoisquenousserionsseuls, il formuleraitàvoixhautecequ’ilavaitparuvouloirmeconfierunpeuplustôt.

J’ailancélesacàSpiderman,quiaréagicommesil’objettombaitducielsanscriergare,maisl’arattrapéavantqu’ilnes’écraseparterre.Leschuchotisallaientbontrain.Rileyatapédanssesmainsàdeuxreprisespourramenerlecalme.

—O.K.,voilàpourledessert.LafilleseraaveclesYeuxJaunes.Lepremieràlachoperauraledroitdeladéguster,c’estaussisimplequeça.

Desgrognementsappréciateurs,compétitifs,ontsaluécetteannonce.Si c’était simple... ce n’était pas très habile, ai-je songé. N’étions-nous pas censés

détruirececlan?Orc’était l’unitédenos troupesquiétait supposéenousyaider,pasunesorte de récompense du style premier arrivé premier servi, réservée à un seul vampire.L’uniquerésultattangibleduplanétaitdonclamortd’unehumaine.Jepouvaisinventerunebonne demi-douzaine d’arguments plus efficaces pour motiver cette armée. Celui quiliquideraitleplusd’YeuxJaunesgagneraitlafille;celuiquiferaitmontredumeilleurtravaild’équipe ; celui qui respecterait au mieux les consignes ; celui qui obéirait le mieux auxordres ; le champion des combattants, etc. Àmon avis, il aurait fallu se concentrer sur ledanger,lequeln’émanaitpasdutoutdel’humaine.

J’ai observé les autres. Très vite, ilm’est apparu qu’ils ne réfléchissaient pas commemoi.RaouletKristiesetoisaient,SaraetJenmarchandaientavecforcechuchotementssurlapossibilitédesepartagerlarécompense.Bref,seulFredsemblaitavoirdesdoutes,àenjuger

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parsessourcilsfroncés.—Dernièrechoseenfin,areprisRileyet,pourlapremièrefois,ilaeudesintonations

réticentes.Cecirisquantd’êtreencoreplusduràaccepter,jevaisvousenapporterlapreuve.Jenevousobligerai à rienque jenem’imposerai àmoi-même.Rappelez-vousque je seraiavecvouslorsdetouteslesétapesdenotremission,lesenfants.

Une fois encore, l’assistance s’est figée dans un silence attentif. J’ai noté que Raoulavaitrécupérélesachetplastiqueets’yagrippaitd’unairpossessif.

—Ilvousresteencore tantàapprendresurvotrestatutdevampire,aenchaînéRiley.Certainsaspectsdevotrenouvelleviesontpluslogiquesqued’autres,etcelui-ciest l’undeceux qui, au premier abord, vous paraîtra surprenant. Sachez cependant que j’en ai faitl’expérienceetquejevaisvousledémontrer.

Ilaréfléchipendantunelonguesecondeavantdepoursuivre:—Quatre fois par an, le soleil brille selon un angle indirect très spécifique. En cette

occasion, et seulement celle-là, quatre fois dans l’année, il nous est possible d’affronter lalumièredujour.

Le groupe s’est pétrifié. Plus personne ne respirait. Riley s’adressait à une rangée destatues.

—L’unedecesjournéesparticulièrescommencedèsmaintenant.Lesoleilquiselèveraaujourd’huineferademalàaucund’entrenous.Nousprofiteronsbiensûrdecetteexceptionpourattaquernosennemis.

Al’intérieurdemoncrâne,lespenséestourbillonnaientdanstouslessens.Ainsi,Rileysavait que nous ne risquions rien à sortir en plein jour. Ou alors, il l’ignorait, et notrecréateur avait inventé l’histoire des quatre occasions annuelles. Il était d’ailleurs possiblequ’ellesoitvraie,etqueDiegoetmoiayonseudelachance.SaufqueDiegos’étaitdéjàtenudans l’ombre d’un arbre. Et que Riley apparentait le phénomène à une espèce de cyclesaisonnier.OrDiegoetmoinousétionsexposésàlalumièrequatrejoursauparavantàpeine.

JecomprenaisqueRileyetnotrecréateuraientsouhaitégarderlecontrôlesurnousenentretenant notre crainte du soleil. C’était logique. Mais pourquoi révéler la véritémaintenant,etdefaçontrèspartielle?J’étaisprêteàparierquec’étaitliéauxManteauxGris.Ellevoulaitsansdoutedevancerladatelimitequ’ilsLuiavaientimpartie.IlsneLuiavaientpas promis de Lui laisser la vie sauve une fois les Yeux Jaunes éliminés.Àmon avis, Elledéguerpirait à la secondeoù sonbutaurait étéaccompli.Tuer le clanennemiet s’offrirdetrès longues vacances en Australie ou n’importe où à l’autre bout du monde. J’étaiségalement certaine qu’Elle ne nous enverrait pas d’invitations à La rejoindre. Il fallait quej’entreencontactavecDiegorapidementafinquenousfilionsnousaussi.DansunedirectionopposéeàcellequeprendraientRileyetnotrecréateur.JedevaiségalementavertirFred,cequejeferaisdèsquejeseraisseuleaveclui.

LepetitdiscoursdeRileyempestaitlamanipulation,etjen’avaisaucuneassuranced’ensaisir tous les tenants et les aboutissants. J’aurais aimé que Diego soit là pour que nousl’analysionsensemble.

QueRileyaitinventélecoupdesquatrejournéessouslecoupdel’inspiration,pourpeuquecesoitlecas,c’étaitcompréhensible.Aprèstout,illuiétaitdélicatdebalancerqu’ilnousavaitmentidepuisledébut,qu’ilavaitdésormaisdécidédedirelavérité.Çaauraitétésaperl’emprisesurnousqu’ilavaitmistantdetempsàgagner.

—Quecetteperspectivevousterrifieestnormal,poursuivait-ilàl’intentiondesstatues.Si vous êtes vivants, c’est parce que vous m’avez obéi quand je vous ai recommandé laprudence. Vous êtes rentrés à lamaison à l’heure, vous avez écouté votre peur qui vous a

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rendus prudents et malins. Je ne m’attends pas à ce que vous mettiez de côté cette peurintelligente d’un seul coup. Je nem’attends pas non plus à ce que vous franchissiez cetteportesurmaseuleparole.Mais... (Ilaenglobélapièced’unseulregard.), jem’attendsàcequevousmesuiviezdehors.

Sesprunellessesontdétachéesdesonpublicpendantunefractiondesecondedesplusminimes,effleuranttrèsbrièvementquelquechosequisetrouvaitau-dessusdematête.

—Regardez-moi,a-t-ilensuiteordonné.Écoutez-moi.Faites-moiconfiance.Quandvousverrezquetoutvabien,croyez-envosyeux.Lesoleil,encette journéespéciale,produitdeseffetstrèsintéressantssurnotrepeau.Vousconstaterezqu’ilnevousblesseenaucunefaçon.Voussavezbienquejamaisjenevousexposeraisàundangerinutile.

Ilacommencéàgrimperlesmarches.—Riley!alancéKristie.Onnepourraitpasattendreque...—Soyezattentifs,l’a-t-ilcoupéeenprogressantàpasmesurés.Celavanousdonnerun

autre avantage énorme. Car si les Yeux Jaunes sont au courant de ce jour particulier, ilsignorentquenousaussi.

Toutenpérorant,ilaouvertlaporteetaquittélacavepourlacuisine.Aucunrayonn’yfiltrait,cequin’apasempêchétoutunchacundereculer.Saufmoi.Lavoixacontinuéànousparvenir.

—Laplupartdes jeunesvampiresmettentdutempsàappréhendercetteexception,cequiestlégitime,puisqueceuxquinesemontrentpascirconspectsenverslalumièredujournedurentpaslongtemps.

SentantleregarddeFredvrillésurmoi,jemesuisretournée.Ilmefixaitavecanxiété,commes’ilavaitvoulus’enfuirsansavoirnullepartoùseréfugier.

— Ne te bile pas, lui ai-je chuchoté dans un souffle à peine audible. Le soleil estinoffensif.

«Tuasconfianceenlui?»m’a-t-illancésansémettreunson.«Jamaisdelavie.»Fred a eu une mimique perplexe mais s’est un peu détendu. J’ai inspecté la paroi

derrièrenous,enquêtedecequ’avaitcontempléRiley.Rienn’avaitchangé.C’étaitjustelesportraits de famille des propriétaires morts, un petit miroir, un coucou. Hmm. Avait-ilconsultél’heure?Notrecréateurluiavaitpeut-êtreimposéundélaiàluiaussi.

— O.K., les gars, je sors, a-t-il annoncé. Inutile d’avoir peur aujourd’hui, je vous lepromets.

La clarté a jailli dans la cave à travers la porte de la cuisine ouverte, renforcée par lapeau de Riley – ce que seule moi savais. Des reflets étincelants ont dansé sur les murs.Sifflant,grondant,leclans’estprécipitédanslecoinopposéàceluiqu’occupaitFred.Kristieétaittoutderrière.Apparemment,elleessayaitd’utilisersessbirescommebouclier.

—Ducalme ! a criéRiley. Je vaisparfaitementbien. Jen’aipasmal, jenebrûlepas.Montezvoir!Allez!

Personne n’a bronché. Près demoi, Fred s’était accroupi, fixant la source lumineuseavecaffolement.J’aiagitéunemaintoutdoucementafind’attirersonattention.Lentement,il s’est redressé. Je l’ai gratifié d’un sourire encourageant. Les autres guettaient ladéflagration.Jemesuisdemandésij’avaiseul’airaussibêtedevantDiego.

—Jesuiscurieuxdevoir lequeld’entrevoussera lepluscourageux,a railléRiley, là-haut.J’aiuneassezbonneidéedeceluiquifranchiraceseuilenpremier,maisilm’estdéjàarrivédemetromper.

J’aipousséunsoupiragacé.Quellesubtilitédepanzer!

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Naturellement,çaafonctionné.Raoulaentreprispresquetoutdesuitedeserapprochercentimètrepar centimètredesmarches.Une foisn’est pas coutume,Kristien’avait aucuneenvie de relever le défi et d’obtenir l’approbation de Riley. Raoul a claqué des doigts àl’adressedeKevinqui,suividufandeSpiderman,l’arejointdemauvaisegrâce.

—Vousm’entendez,vousendéduisezdoncque jen’aipasétécalciné.Cessezdevouscomportercommedesbébés!Vousêtesdesvampires,jevousrappelle.Alors,agissezcommetels!

Malgrécesexhortations,Raouletsescomparsesn’arrivaientpasàdépasser lepieddel’escalier. Le reste de la bande était figé sur place. Au bout de quelques instants,Riley estrevenu. Sous la lumière indirecte en provenance du rez-de-chaussée, il rayonnait un peumoins.

—Regardez-moi!Jen’airien.Franchement!Vousmefaiteshonte.Amène-toi,Raoul!Pour finir, il a dû attraper Kevin – Raoul s’était esquivé dès qu’il avait deviné les

intentionsdeRiley–etl’atraînédeforceenhautdesmarches.Lorsqu’ilsontpénétrédanslalumière,leursrefletsontilluminéleseuil.

—Dis-leur,Kevin!aordonnéRiley.—Toutvabien,Raoul!alancélemôme.Wouah!Je...jebrilledepartout!C’estdingue.Ilaéclatéderire.—Bienjoué,l’afélicitéRiley.Il n’en a pas fallu plus àRaoul. Serrant les dents, il a grimpé l’escalier. Pas très vite,

certes.Bientôt,luiaussis’estretrouvédehors,étincelant,riantavecKevin.Mêmeàpartirdelà,leprocédéademandéplusdetempsquejenel’auraiscru.Ilsyallaientàlaqueueleuleu,etRiley s’est impatienté.Maintenant, ses beuglements s’apparentaient plus à desmenacesqu’à des encouragements. Soudain, Fred m’a lancé un regard qui disait : « Tu étais aucourant?»Demesseuleslèvres,jeluiairéponduqueoui.

Acquiesçant,ils’estdirigéverslesmarches.Ilrestaitunedizainedepersonnesenbas,des fidèlesdeKristiepour laplupart,blottiscontre lemur.J’aidécidéd’accompagnerFred,considérantqu’ilvalaitmieuxfairepartiedugroupedumilieuquedestraînards.QueRileyylisecequ’ilvoudrait.

Dans le jardin de devant, les vampires, transformés en boules à facettes, luisaient,contemplant leurs mains et le visage des autres avec fascination. Fred est entré dans lalumière sans ralentir, ce que j’ai trouvé drôlement courageux, tout bien considéré. Kristie,elle, était un excellent exemple de la réussite de Riley en matière d’endoctrinement. Elles’accrochaitàcequ’elleconnaissait,endépitdespreuvesqu’elleavaitsouslenez.

Fredetmoinous sommesplacésunpeuà l’écart. Il s’est examinéavec soinavantdereleverlatêteetdecontemplerlesautres.Frappée,jemesuisalorsrenducompteque,bienque très discret, il était fort observateur, presque scientifique dans la façon qu’il avait deconsidérerleschoses.Depuisledébut, ilavaitévaluélesmotset lesactesdeRiley.Jusqu’àquelpointdeclairvoyanceétait-ilexactementparvenu?

Rileyaétéforcéd’obligerKristieàgrimperlesmarches.Sabandel’asuivie.Nousavonsfiniparnousretrouvertousausoleil.Laplupartseréjouissaientdeleurbeauté.Notrechefarassemblésestroupespourunultimeetbrefentraînement.J’aisongéquec’étaitsurtoutunebonne façonde redonner unpeude concentration à tout lemonde.Aubout d’uneminuted’ailleurs,lespetitssoldatsl’ontcomprisetilssesontcalmés,leurexcitationpuérilelaissantplace à leur férocité naturelle. La perspective d’un vrai combat, l’idée d’être autorisés,encouragésmême, àdéchiqueter etbrûlerdes semblables, étaientpresqueaussi excitantesquelachasse.EllesravissaientlesgenscommeRaoul,JenetSara.

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Rileys’entenaitàlastratégiequ’ilavaittentédeleurinculquercesderniersjours.Unefoisquenousaurions localisé lesYeuxJaunes,nous lesdiviserionsendeuxgroupeset lesattaquerions sur plusieurs flancs à la fois. Raoul mènerait la charge frontale, tandis queKristiearriveraitsurleuraile.Ceplancorrespondaitàleurstylerespectif,bienquej’aiedesdoutesquantàleuraptitudeàs’enteniràlatactiquearrêtéeauplusfortdelabagarre.

Quand,auboutd’uneheure,Rileyarappelétoutlemonde,Fredaaussitôtcommencéàmarcher vers le nord. Les autres étaient face au sud. Je suis restée près de Fred,même sij’ignoraiscequ’ilmijotait.Ilastoppéàunecentainedemètres,dansl’ombredesépicéas,enlisièredeforêt.IlsurveillaitRiley,commes’ilguettaitlemomentoùnotrechefs’apercevraitdenotreretraite.

— Nous partons maintenant, a annoncé ce dernier. Vous êtes puissants et préparés.Assoiffésaussi,hein?Voussentezlabrûlure.Vousêtesprêtsàavalerledessert.

Ilavaitraison.Leslitresdesangabsorbésdurantlanuitn’avaientpasralentileretourdenotresoif.Aucontraire,même,j’avaisl’impressionqu’elles’étaitréveilléeencoreplusviteetplusintensémentqued’ordinaire.Siçasetrouve,tropsenourrirétaitcontre-productif.

—LesYeuxJaunesprogressentlentement,enprovenancedusud,s’abreuvantenroutepourtenterdeprendredesforces.Ellelesasurveillésdepuisleurdépart,sibienquejesaisoù les localiser. Elle nous retrouvera là-bas avec Diego... (Riley a jeté un coup d’oeilsignificatifvers l’endroitoùjem’étaistenuel’instantauparavantetatoutaussibrièvementfroncé les sourcils.)... et nous les frapperons comme un raz-de-marée. Nous les vaincronssans aucune difficulté, puis nous célébrerons notre victoire. (Il a souri.) Quelqu’un parmivousauraunelongueurd’avance.Raoul,donne-moiça.

Rileya tenduunemaind’ungeste impérieux.Demauvaisegrâce,Raoul luia lancé lesachetcontenantlecorsage.Apparemment,ilavaitessayédeclamersesdroitssurlafilleenmonopolisantsonparfum.

—Quetoutlemonderespireencoreunpetitcoup,quetoutlemondeseconcentre!Surquoi?Lafilleoul’affrontement?Cette fois, c’estRiley en personne qui a porté le chiffon de l’un à l’autre, comme s’il

voulait s’assurerque chacunaurait soif.D’après les réactionsdes autres, j’ai devinéque labrûlures’étaitdenouveauemparéed’eux.L’odeurducorsagedéclenchait leursgrimacesetleursgrondements.Nouslaredonneràhumern’étaitpasnécessaire.Nousn’oubliionsrien.Ils’agissaitsûrementd’untest,parconséquent.Rienquedepenseràl’arômedel’humainem’aemplilabouchedepoison.

—Mesoutenez-vous?ahurléRiley.L’assistanceacriésonaccordàl’unisson.—Alors,allons-y,lesenfants!Massacrons-les!Unefoisencore,j’aieul’impressionderetrouverlesbarracudas.Sinonquenousétions

surlaterreferme.Fredn’apasbougé.Alors,jesuisrestéeaveclui,quandbienmêmej’avaisconsciencede

perdreuntempsdontj’avaispourtantbesoin.SijevoulaisatteindreDiegoetl’entraîneravantle début des hostilités, il fallait que je sois aux avant-postes. C’est avec anxiété que j’airegardé l’armée s’éloigner. J’étais plus jeune que lamajorité de sesmembres, plus rapidedonc.

—Rileynepenserapasàmoiavantunevingtainedeminutes,m’aannoncéFredd’unevoixsereineetbizarrementfamilière,commesinousavionseudesmillionsdeconversationspar lepassé.J’ai calculé ce lapsde temps.Etmêmeàbonnedistance, il aura lanausée s’iltentedesesouvenirdemoi.

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—Ahbon?Tropcool.Ilasouri.— Je me suis entraîné à suivre la trace des effets de mon don. Je suis maintenant

capable de me rendre complètement invisible. Personne ne peut me regarder si je ne l’yautorisepas.

—J’avaisremarqué,oui,ai-jeopiné.Bref,tunecomptespasyaller,hein?—Biensûrquenon. Ilestévidentqu’onnenousditpascequenousdevrionssavoir.

Pasquestiond’êtrelepiondeRiley.Ainsi,ilavaittoutdeviné.— Je serais bien parti plus tôt, mais je voulais te parler avant, et c’est la première

occasionquenousayons.—Moiaussi,j’avaisenviedeteparler.IlestimportantquetusachesqueRileyment,à

propos du soleil. Cette histoire des quatre jours dans l’année, c’est du bidon. Je crois queShelly, Steve et ceux qui ont disparu l’avaient découvert. Par ailleurs, ce combat dissimuleplusdemanoeuvrespoliticiennesquecequ’onnousenadévoilé.Çadépasseunsimpleclanennemi.

Jem’étais exprimée rapidement, consciente desminutes qui s’écoulaient au fur et àmesuredelacourseacharnéedusoleil.JedevaisabsolumentrejoindreDiego.

—Voilàquinem’étonnepas, a réponduFred avec calme. Jeme tire. Jeparsdemoncôté, jevaisexplorer lemonde.Enfin, j’avaissongéyallerseul,maistusouhaitespeut-êtrevenir, toi aussi. Tu ne risquerais pas grand-chose, avec moi. Il n’est pas né, celui quiparviendraànoustraquer.

L’espace d’une seconde, j’ai hésité. La perspective d’être en sécurité était assezirrésistible,encetinstant.

—IlfautquejeretrouveDiego,ai-jecependantfiniparrefuserensecouantlatête.Ilapensivementacquiescé.—Jecomprends.Situesprêteàrépondredelui,n’hésitepasàl’amenerégalement.Il

sembleque,parfois,ilsoitbienpratiqued’êtreennombre.— Oui, ai-je reconnu avec ardeur en me rappelant à quel point je m’étais sentie

vulnérable,seuledansl’arbreavecDiego,quandlesquatreManteauxGrisavaientapproché.Montonaeul’aird’étonnerFred.—Rileymentaumoinssurunedernièrechoseimportante,ai-jeexpliqué.Soisprudent.

Nousne sommespas censéspermettre auxhumainsde savoir quenous existons. Il existeuneespècedevampiresassez terrifiantsquis’occupentdesclans lorsqu’ilsdeviennent tropvoyants.Jelesaicroisés,etjeteconseilled’éviterd’attirerleurattention.Cache-toilejouretsers-toidetonintelligencequandtuchasses.

Regardantverslesud,j’aiajoutéprécipitamment:—Jedoisyaller.—Trèsbien,a-t-ilmarmonné toutenréfléchissantàmes révélations.Tun’aurasqu’à

me rattraper quand bon te semblera. J’aimerais en apprendre plus. Je t’attendrai àVancouver.Unjour.Jeconnaislaville.Jetelaisseraiunepisteà...(Ilyapensé,puisari.)ÀRileyPark.Elleteconduiraàmoi.Maisdansvingt-quatreheures,jedécampe.

—JevaischercherDiegoetjeterejoins.—Bonnechance,Bree.—Merci,Fred.Bonnechanceàtoiaussi.Àbientôt!J’étaisdéjàpartieaugalop.—J’espèrebien,ai-jecrul’entendrelâcherdansmondos.

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J’aicourusurlatracedesautres,volantplusvitequejamaisau-dessusdusol.J’aieudelaveine.Ilsavaientdûs’arrêterpouruneraisonquelconque–sefaireenguirlanderparRiley,très certainement – car je les ai rattrapés plus tôt que prévu. À moins que Riley se soitsouvenudeFredetnousaitcherchés.Ilsprogressaientàuneallurerégulièrequandjelesairejoints, à demi disciplinés, comme la nuit précédente. J’ai essayé deme glisser en doucedansletroupeau;malheureusement,Rileys’estvivementretournéafindefusillerdesyeuxlesretardataires.Sesprunellessesontfixéessurmoi,puisilestrepartideplusbelle.Pensait-ilqueFredétaitavecmoi?Alorsqu’ilnelereverraitjamais?

Àpeinecinqminutesplustard,toutachangé.Raoul a flairé une piste. Il a immédiatement déguerpi en poussant un feulement

rauque. Riley nous avait tellement travaillés au corps qu’il n’a fallu qu’une minusculeétincellepourmettrelefeuauxpoudres.LesvoisinsdeRaoulayanteuxaussihumélatrace,toutlemondeestdevenucinglé.L’insistancedeRileyànousmontercontrel’humaineavaiteffacé le reste de ses instructions.Nous étions des chasseurs, plus des soldats. Il n’y avaitplusd’équipe.C’étaitunecourseausang.

Bien que je sois consciente des multiples mensonges de l’histoire, je n’ai pas puentièrement résisterà l’odeur.À l’arrièrede lameute, j’ai éprouvé lebesoinde traverser lapisteolfactive.Fraîche.Puissante.La filleétaitvenuepar ici ilyavaitpeu,etellesentait lesucre.J’étaisfortedetoutlesangabsorbélaveille,maisçanecomptaitpas.J’avaissoif.Magorgebrûlait.

Je couraisà la suitedesautres toutenessayantdegarder les idées claires.J’ai eudumalàmeretenir,àresterderrière.LeplusprocheétaitRiley.Est-cequeparhasard...luiaussiseretenait?Ilabrailléquelquesordres,essentiellementlesmêmes,répétésàl’envi.

—Faisletour,Kristie!Letour!Séparez-vous!Kristie!Jen!Partez!Safameusestratégiedel’embuscadeenétauétaitentraindesedéliteràlavitessegrand

V. Accélérant, il a rattrapé le groupe principal et saisi Sara par les épaules. Quand il l’apousséesurlagauche,elleatentédelemordre.

—Faisletour!a-t-ilhurlé.S’enprenantcettefoisaumômeblonddontjen’avaistoujourspasréussiàconnaîtrele

nom,ill’apropulsédansSaraqui,visiblement,n’apasapprécié.Emergeantdesonobsessionchasseresse,Kristieasoudainparuserappelerqu’elleétaitcenséeappliquerunetactiquedecombat. Jetant un regardperçant àRaoul, elle s’estmise à s’époumoner à l’adressede sessbires.

—Parici!Plusvite!Onvalesprendresurleflanc.Onseralespremiersàlachoper!Suivez-moi!

—Moi,j’attaquedefrontavecRaoul!luiacriéRileyens’éloignant.J’aieuunmomentd’hésitation.Jenetenaispasdutoutà«attaquerdefront»,mais

l’équipedeKristieavaitdéjàcommencéàs’autodétruire.Saraavaitcoincéleblondinetdansuneclef.Lebruitémisparsatêtequandellelaluiaarrachéeadécidépourmoi,etj’aigalopéderrièreRileyenmedemandantsiSaraprendraitlapeinedes’arrêterdanssonélanafindebrûlerlepetitgarsquiavaitaiméjoueràSpiderman.

Jen’aipastardéàapercevoirRiley.Gardantunesainedistanceentrenous,jel’aisuivi.IlarejointlabandedeRaoul.Àcausedelapisteseméeparl’humaine,j’avaisdumalàresterfocaliséesurleschosesquicomptaient.

—Raoul!aappeléRiley.L’interpelléagrognésansseretourner,totalementabsorbéparl’odeursucrée.—Ilfautquej’ailleaiderKristie!Jeteretrouvelà-bas!Resteconcentré!

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J’ai freiné des quatre fers, déboussolée. Raoul a poursuivi sa course sans répondre àRiley. Ce dernier a ralenti, trottinant puis marchant. J’aurais dû bouger, mais il auraitprobablement perçumesmouvements quand j’aurais tenté deme cacher. Pivotant sur sestalons,ilm’adécouverte,unsourireauxlèvres.

—Bree...JetecroyaisavecKristie.Jen’aipasréagi.—J’aientenduquequelqu’unétaitblessé,s’est-iljustifiéprécipitamment.Jeseraiplus

utileàKristiequ’àRaoul.—Tu...tunousabandonnes?L’expressiondeRileys’estmodifiée,etj’aieul’impressiondepouvoirliresursestraits

commentilavaitdécidédechangerdetactiqueavecmoi.Sesprunellessesontécarquillées,soudaininquiètes.

— Jeme fais du souci, Bree. Je vous ai dit qu’Elle devait nous rejoindre ici et nousdonneruncoupdemain,maisjen’aipashuméSatrace.Quelquechosenetournepasrond.IlfautquejeLalocalise.

—Saufquetun’yparviendraspasavantqueRaoultombesurlesYeuxJaunes.— Je dois vraiment découvrir ce qui se passe, a-t-il insisté avec une angoisse

authentique.J’aibesoind’Elle.Jen’étaispascenséagirseul!—Maislesautres...—IlestindispensablequejeLadéniche,Bree!Maintenant!Vousêtesasseznombreux

pourbattrenosadversaires.Jereviendraidèsqueceserapossible.Il paraissait sincère. J’ai jeté un coupd’oeil hésitant derrièremoi, vers le cheminpar

lequelnousétionsarrivés.Fredétaitsansdouteàmi-parcoursdeVancouver,àl’heurequ’ilétait.Rileyn’avaitmêmepasposédequestionsàsonsujet.Sontalentfonctionnaitpeut-êtreencore.

—Diegoestdéjàlà-bas,Bree,areprisRileyavecdesaccentsdésespérés.Ilvaparticiperaupremierassaut.Tun’asdoncpassentisapiste?Tunet’espasassezapprochée?

—Ahbon?ai-jemurmuré,paumée.Diegoestlà-bas?—Raouldoit l’avoirrejoint,àprésent.Situtedépêches,tupourras l’aideràsauversa

peau.Durantunesecondeinterminable,nousnoussommesdévisagés,puisj’aicommencéà

avancerverslesud,versRaoul.— Brave petite, m’a félicitée Riley. Je pars La chercher, et nous revenons très vite

terminerleboulotavecvous.Vousavezcomplètementprislecoup,lesenfants.Dépêche,toutrisqued’êtrefiniavantquetunesoissurplace!

Après ça, il a détalé dans une direction perpendiculaire à notre trajet initial. Enconstatantqu’iln’avaitmarquéaucunehésitationquantaucheminàemprunter,j’aiserrélesmâchoires.Ilauraitdoncmentijusqu’aubout.

Malheureusement,jen’avaisguèredesolution.Jesuisrepartieencourantdroitdevantmoi.Diego,jedevaistrouverDiego.Letirerdelàsinécessaire.NousrattraperionsFred.Ounouspartirionsdenotrecôté.Le tempspressait.Je luiexpliqueraisqueRileyavait racontédes bobards, qu’il n’avait pas la moindre intention de participer à la bataille qu’il avaitdéclenchée,quenousn’avionsplusaucuneraisondeluiobéir.

J’ai flairé la piste de l’humaine, puis celle deRaoul. Pas celle deDiego.Allais-je tropvite?L’arômedelafillem’empêchait-ildehumercorrectement?Monespritétaitàmoitiéobsédéparlachassevainequenousmenions.Certes,nousfinirionsparmettrelamainsurledessert, mais serions-nous alors capables de nous battre ensemble ? Non. Nous nous

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déchirerionsentrenouspourl’avoir.C’estalorsquej’aiperçudesgrognements,descrisetdespiaillements.J’aicomprisque

l’assaut avait commencé, et que j’arrivais trop tard pour intercepter Diego. J’ai accéléré lemouvement.Ilétaitpeut-êtreencorepossibledelesauver.

L’odeur de la fumée, épaisse et douceâtre, typique des vampires incendiés, a voletéjusqu’àmesnarines,portéeparlevent.Lefracasétaitplusviolent.Est-cequetoutétaitdéjàterminé?Allais-jedécouvrirnotreclanvictorieuxetDiegom’attendant?

J’aibondiàtraverslesvolutespourdébouchersurunvastepréherbeux.J’aisautépar-dessus un rocher,m’apercevant aumoment où je le franchissais qu’il s’agissait d’un torseprivé de sa tête. J’ai balayé des yeux le champ de bataille. Des morceaux de vampiresjonchaient le sol absolument partout, et un immense bûcher expédiait ses tourbillonsmauves dans le ciel ensoleillé. Sous ce rideau brumeux, des silhouettes étincelantes sedéplaçaientà toutevitesseets’empoignaient,cependantque lesbruitsdecorpsdéchiréssepoursuivaientàl’infini.

Je n’ai cherché qu’une chose : les boucles brunes de Diego. Aucun de ceux quej’apercevais n’avait de cheveux aussi sombres. Il y avait bien un très grand vampire dotéd’unetignassepresquenoire,maisilétaittropcostaud.Jel’aivuarracherlatêtedeKevinetla jeterau feuavantdesautersur ledosdequelqu’und’autre.OùétaitJen?Unesecondesilhouetteétaitbruneelleaussi, saufque, cette fois, elleétait troppetitepourapparteniràDiego.Ellesedéplaçaitavecunetellerapiditéquejen’aipasréussiàdéterminersic’étaitunefilleouungarçon.

De nouveau, j’ai inspecté les alentours. J’avais le sentiment affreux d’êtrecomplètementàdécouvert.J’aitentéd’analyserlasituation.Iln’yavaitpasassezdevampiresici,mêmeencomptantceuxquiétaientmorts,pourfairelecompte.Jen’airepéréaucundesmembresdugroupedeKristie.Biendesnôtresavaientsansdouteétédéjàbrûlés.Laplupartdeceuxquiétaientencoredeboutm’étaientinconnus.Unblondm’ajetéuncoupd’oeiletacroisémonregard.Sesprunellesavaientdeséclatsdorés,souslesoleil.

Nousétionsentraindeperdre.Gravement.J’ai commencé à reculer vers la lisière. Pas assez vite cependant, car je continuais à

chercherDiego. Il n’était pas ici.Rienn’indiquait qu’il y soit venu. Jen’avaispashumé satrace, alors que je reniflais l’odeur de la plupart des sbires de Raoul, ainsi que celle desétrangers. Je m’étais obligée à examiner les restes. Aucun n’appartenait à Diego. J’auraisidentifiéneserait-cequ’undesesdoigts.

Tournantlestalons,jemesuisruéedanslaforêtpourdebon,absolumentcertainequelaprésencesupposéedeDiegon’étaitqu’unénièmemensongedeRiley.OrsiDiegon’étaitpaslà,c’estqu’ilétaitdéjàmort.Cetteréalités’estimposéeàmoiavectellementd’évidenceque j’ai deviné que, inconsciemment, je m’en doutais depuis un bon moment. En vérité,depuis l’instantoùRileyavait franchi laportede lacavesansDiego.Cedernieravaitbeletbienétésupprimé.

J’avaisparcouruquelquespassouslecouvertdesarbresquanduneforcepareilleàuneboulededémolitionm’aheurtéepar-derrière,m’envoyantrouleràterre.Unbrass’estglissésousmonmenton.

—Pitié!ai-jehoqueté.Jepensais:«Pitié!Tuez-moivite!»Lebrasahésité.Jen’aipaslutté,endépitdemesinstinctsquimedictaientdemordre,

de griffer, de déchirer enmille morceauxmon adversaire. La partie la plus saine demoncerveaume soufflait que ça nemarcherait pas. Riley avait égalementmenti quand il avait

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insisté sur la faiblesse de ces vampires plus âgés.Nous n’avions eu aucune chance, dès ledépart.Detoutefaçon,sij’avaiseuunmoyendel’emportersurcelui-ci,jen’auraispasétéenmesured’agir.Diegoétaitmort,unecertitudeaveuglantequiavaitsapéenmoitoutevelléitéderésistance.

Soudain, jeme suis retrouvée à voler au-dessus du sol avant dem’écraser contre untroncetdem’affalersurlamousse.J’auraisdûtenterdem’enfuir,maisDiegoétaitmort.Jeneparvenaispasàsurmonterlechocdecettedécouverte.

Levampireblondquej’avaisremarquédansleprémetoisaitavecintensité,tendu,prêtàbondir.Ilparaissaitdoué,bienplusexpérimentéqueRiley.Pourtant,ilseretenait.Iln’étaitpasfou,contrairementàRaoulouàKristie.Ilsecontrôlaitparfaitement.

—Pitié,ai-jerépété,désireusequ’ilenfinisse.Jerefusedemebattre.Bienqu’il soit toujoursà l’affût, sonexpressionachangé. Ilm’a regardéed’une façon

quim’aenpartieéchappé.Sonvisagereflétaitunegrandesagesse,ainsiqu’autrechose.Delacompassion?Delamiséricorde,pourlemoins.

—Moinonplus,enfant,a-t-ilrépondud’unevoixcalmeetgentille.Nousnefaisonsquenousdéfendre.

Ilémanaitunetellefranchisedesesétrangesprunellesjaunesquejemesuisdemandécomment j’avais pu gober les histoires deRiley.Du coup, jeme suis sentie... coupable. Ceclan n’avait peut-être jamais voulu nous reprendre Seattle. Comment croire à présent à lamoindredeschosesqu’onm’avaitracontées?

—Nousnesavionspas,ai-jeexpliqué,honteuse.Rileyamenti.Jesuisdésolée.Ilatendul’oreille,etjemesuisrenducomptequelechampdebatailles’étaitapaisé.La

bagarre s’était achevée. Si j’avais nourri des doutes quant à l’identité des vainqueurs, ilsauraientétéeffacésunesecondeplustard,carunefemelleauxcheveuxchâtainsondulésetauxyeuxjaunesarejointceluiquim’avaitplaquéeausol.

—Carlisle?a-t-ellemurmurésuruntonincertainenmecontemplant.—Elleneveutpassebattre,a-t-ilrépondu.Lafemmeaeffleurésonbras.Ilsetenaitencoreenpositiond’attaque.—Elleasipeur,Carlisle.Nepourrions-nouspas...Ill’aregardée,puiss’estredressé,mêmesij’aibienvuqu’ilrestaitsursesgardes.—Nousn’avonspasenviedetefairedumal,areprislafemmeàmonadresse.(Savoix

étaitdouceetapaisante.)Nousn’avionsriencontreaucund’entrevous.—Jesuisdésolée,ai-jedenouveauchuchoté.J’étais impuissante faceaubazarqui régnaitdansma tête.Diegoétaitmort, et c’était

l’essentiel. Le plus dévastateur. Celamis à part, les hostilités étaient terminées,mon clanavaitperdu,mesennemis,gagné.Mahordedéciméeavaitétéconstituéedegensquiauraientpourtantadoréassisteràmacrémation,alorsquemesadversairess’adressaientàmoiavecunebontéqu’ilsn’avaientaucuneraisondememontrer.Par-dessustout,jemesentaisplusensécuritéaveccesinconnusquejen’avaisjamaiseul’impressiondel’êtreencompagniedeRaoul et deKristie. J’étais soulagée que ces deux-là soientmorts, d’ailleurs. Je nageais enpleineconfusion.

—Terends-tu,enfant?m’ademandéCarlisle.Situnetentespasdet’enprendreànous,nouspromettonsdet’épargner.

Jel’aicru.—Oui,ai-jesoufflé.Oui,jemerends.Jenesouhaitedemalàpersonne.Ilm’atenduunemainencourageante.—Viens.Laissonsunmomentànotrefamillepourseregrouper,puisnousauronsdes

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questionsàteposer.Réponds-yavechonnêteté,ettun’aurasrienàcraindre.Jemesuislevéelentement,surveillantmesmouvementsafinqu’aucunnepuisseêtre

interprétécommeunemenace.—Carlisle?aappeléunevoixmasculine.Surce,unnouveauvampireauxyeux jaunesnousa rejoints.Laconfianceque j’avais

éprouvée auprès des deux premiers s’est immédiatement dissipée. Comme l’autre, il étaitblond, mais plus grand et plus mince. Sa peau était intégralement couverte de cicatrices,surtout au niveau de son cou et de sa mâchoire. Quelques petites marques récentess’étalaientsursesbras,maislerestenedataitpasd’aujourd’hui.Cetypeavaitparticipéàplusdebataillesrangéesquej’étaiscapabled’encompter,et ilétaitévidentqu’il lesavait toutesremportées. Ses prunelles fauves luisaient, et sa démarche dénotait la violence contenue àgrand-peined’unlionencolère.

Dèsqu’ilm’aaperçue,ilareculé,prêtàmesauterdessus.—Jasper!alancéCarlisle.L’interpellés’estarrêténetetacontemplél’autreavecstupeur.—Qu’ya-t-il?—Elleneveutpassebattre.Elles’estrendue.Levampireauxmultiplesscarificationsaplissélefrontet,toutàcoup,j’aiétéenvahie

parunevagued’agacementinattenduedontj’ignoraiscomplètementl’origine.—Carlisle, je... Pardonne-moi,mais cen’est pas envisageable.Nousnepouvonsnous

permettrequequiconquenousassocieàcesnouveau-néslorsquelesVolturiarriveront.As-tuconsciencedudangerauquelcelanousexposerait?

Si jen’aipasbiencomprissesparoles, j’enaisaisiassezpourdevinerqu’ilvoulaitmetuer.

—Cen’estqu’uneenfant,Jasper!aprotestélafemme.Nousn’allonstoutdemêmepasl’assassinerdesang-froid!

Il était étrange de l’entendre s’exprimer comme si elle et moi étions des humaines,commesilemeurtreétaitunemauvaisechose,unechoseévitable.

—C’estnotrefamillequiestenjeu,Esmé.Ilesthorsdequestiondeleurpermettredecroirequenousavonsenfreintlaloi.

Esmé s’est placée entre moi et celui qui désirait tant m’éliminer. De manièreinconcevable,ellem’atournéledos.

—Non,a-t-elledécrété.Jenel’autoriseraipas.Carlisle m’a adressé un coup d’oeil anxieux. Il m’est devenu évident qu’il tenait

beaucoupàcettefemme.Commelui,jemeseraisméfiéedetoutvampiresetrouvantderrièreDiego.Pourlerassurer,jemesuisefforcéed’apparaîtreleplusdocilepossible.

— Je pense que le risque mérite d’être couru, Jasper, a-t-il dit lentement. Nous nesommespaslesVolturi.Noussuivonsleursrègles,maisnousnesupprimonspasdevieàlalégère.Nousnousexpliquerons.

—Ilsvontcroirequenousavonsfabriquécesnouveau-néspournousdéfendre.—Cequin’estpasvrai.Etquandbienmême,rienn’atranspiréici.Lesdébordementsne

sesontproduitsqu’àSeattle.Aucuneloin’interditdecréerdesvampires,àconditiondelescontrôler.

—C’estpérilleux.Carlisleaeffleurél’épauledugrandblond.—Nousnepouvonstuercetteenfant,Jasper.Ce dernier a fusillé du regard l’homme aux yeux doux et, soudain, j’ai éprouvé de la

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colère.Iln’allaitquandmêmepasattaquercebonvampirenilafemmequ’ilaimait?!Maisensuite,Jasperapousséunsoupir,etj’aidevinéqu’ilcédait.Mafureurs’estévaporée.

— Ça ne me plaît pas, a-t-il lâché, plus calme cependant. Au moins, confiez-m’en lagarde. Vous deux ignorez comment traiter quelqu’un qui a vécu dans la sauvagerie aussilongtemps.

—Biensûr,Jasper,aacquiescéEsmé.Maissoisgentil.Ilalevélesyeuxauciel.—Ilfautquenousrejoignionslesautres.D’aprèsAlice,nousn’avonspasbeaucoupde

temps.Carlisleahochélatête.TendantlamainàEsmé,ill’aentraînéedanslechamp.— Toi ! m’a lancé Jasper, le visage de nouveau furibond. Viens. Et évite les gestes

brusques,sinonc’estmoiquitemassacrerai.Denouveau,unevaguedecolères’estemparéedemoi,etj’aifaillimontrerlesdentset

grogner.Saufquej’aieulepressentimentquec’étaitjustementl’excusequ’ilattendait.Fermelesyeux,m’a-t-ilordonnéensuite,aprèsavoirréfléchiuninstant.J’aihésité.Avait-ildécidédemetuerquandmême,finalement?—Obéis!Serrant lesmâchoires, jeme suis exécutée.Du coup, jeme suis sentiedeux fois plus

vulnérablequ’avant.—Suislesondemavoixetn’ouvrepaslespaupières.Turésistes,tumeurs.Pigé?J’aiacquiescétoutenm’interrogeantsurcequ’ilnevoulaitpasquejevoie.Qu’ilaitun

secretàcacherm’arassurée.Cen’auraitpasétélecass’ilavaiteul’intentiondemeliquider.—Parici.Jemarchais lentementderrière lui,prenantsoindene lui fourniraucuneoccasionde

m’attaquer.Ilmeguidaitavecconsidération,évitantdemeprécipiterdanslestroncs.C’étaitdéjà ça. Lorsque nous avons débouché dans le pré, j’ai perçu le changement des sons. Lasensationduventétaitdifférente,etl’odeurdemonclanentraindeseconsumerplusforte.J’aisentilachaleurdusoleilsurmonvisage,etl’intérieurdemespaupièress’estéclairciaufuretàmesurequemoncorpssemettaitàétinceler.

Jasperm’arapprochéeducrépitementétouffédesflammes.J’étaissiprèsquej’aieulasensationdelafuméecaressantmapeau.J’étaisconscientequ’ilauraitpuenfiniravecmoiàn’importe quel moment ; n’empêche, la proximité du bûcher m’a rendue plus nerveuseencore.

—Assieds-toiici.Gardelesyeuxfermés.Lesol était tièdesous l’effet conjuguédusoleil etdu feu.Parfaitement immobile, j’ai

essayé de paraître inoffensive, même si j’ai deviné que mon gardien me surveillait avecdureté, ce qui n’a pas facilité mes efforts pour rester tranquille. Bien que je ne sois pasfurieuse après ces vampires, dont je croyais vraiment qu’ils s’étaient seulement défendus,j’étais agitéepard’étrangesboufféesde rage.Lephénomène était presque extérieur àmoi,commes’ilétaitunéchodumassacrequivenaitd’avoirlieu.

Toutefois,lacolèrenem’apasrenduestupide.J’étaistroptristepourça,malheureusecommelespierres.Diegocontinuaitàmehanter,jen’arrivaispasànepaspenseràlafaçondont il avait dûmourir. J’étais certaine qu’il n’aurait pas révélé de lui-mêmenos secrets àRiley,cessecretsquim’avaientdonnéuneraisonde faireconfianceànotrechef jusqu’àcequ’ilsoittroptard.JemesuisremémorélestraitsdeRiley, l’expressionlisseetfroidequ’ilavait arborée lorsqu’il avaitmenacéde châtier ceuxd’entrenous qui lui désobéiraient. Sesparolesmacabres et bizarrement détaillées ont résonné dansmon crâne : « quand je vous

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mèneraiàElle...etquandjevoustiendraipendantqu’Ellevousarracheralesjambesavantdevous brûler lentement, très lentement, les doigts, les oreilles, les lèvres, la langue et toutappendicesuperflu,unàun.»

Je me rendais compte à présent qu’il nous avait offert une description du suppliceinfligéàDiego.

Cettenuit-là, j’avaiseu lacertitudequequelquechoseavaitchangéchezRiley.C’étaitl’exécutiondeDiegoqui l’avait transformé,endurci.Jenecroyaisplusqu’àunedeschosesqu’ilavaitdites:ilavaitappréciéDiegoplusquenousautres.Ill’avaitaimé,même.Pourtant,ilavaitassistéàsamiseàmortparnotrecréateur.Sansnuldoute,ilyavaitparticipé.IlavaittuéDiegoavecElle.

Jemesuisdemandéqueldegrédesouffrancej’auraiséprouvésij’avaisdûtrahirDiego.Trèsélevé,àmonavis.J’étaispersuadéequeçaavaitété toutaussidouloureuxpour luidemetrahir.J’enétaismalade.J’auraisvoulueffacerdematêtelesimagesdeDiegohurlantsapeine;malheureusement,ellespersistaientàs’accrocher.

Soudain,desululementsontretentialentour.Mes paupières ont papillonné,mais Jasper a grogné, et je les ai aussitôt serrées bien

fort.Audemeurant,jen’avaisrienvu,sinondelourdesvolutesdefuméelavande.Il y a eu des cris et d’étranges feulements sauvages. Puissants, nombreux. Je

n’imaginaispasunebouchesetordredemanièreàémettrecegenredebruits. Ignorer leurorigine les rendait plus effrayants encore. Ces Yeux Jaunes étaient tellement différents denous.Enfin,demoi,puisque j’étais laseuleàavoirsurvécu.Rileyetnotrecréateuravaientsûrement décampé depuis longtemps. Des noms ont retenti. « Jacob, Leah, Sam. » Denombreusesvoixs’exprimaientàtraversleshurlementsquisepoursuivaient.IlvadesoiqueRileynous avait égalementmenti au sujetdunombrede vampiresquenous étions censésaffronter.

Peuàpeu, lesbraillementssesontestompés, laissantplaceàununiquegémissementinhumain qui m’a fait grincer des dents. Je voyais Diego clairement dans ma tête, et ceglapissement atroce ressemblait à ses cris. C’est alors que Carlisle a parlé, dominant lecharivariambiant.Ilsuppliaitqu’onl’autoriseàexaminerquelquechose.

—S’ilvousplaît,laissez-moivoir.Jevousenprie,permettez-moid’aider.Si je n’ai entendu personne lui répondre, j’ai eu la forte impression qu’il ne

convainquaitpasses interlocuteurs.Lepiaillementestmontédansdesaigus insoutenableset,brusquement,Carlislearemerciéavecferveur.J’aiperçupasmald’agitation,produitepardemultiplescorps,puisdespaspesantsetnombreuxsesontrapprochés.

J’ai tendu l’oreille. Soudain, un phénomène inattendu, inconcevable m’est parvenu.Accompagnant des respirations lourdes – jamais personne dans mon clan n’avait respiréainsi–,desdizainesdecoupssourdsretentissaient.Onauraitdit...desbattementsdecoeur.Absolumentpashumains,cependant,unsonquejeconnaissaisbien.J’aireniflé,maisleventsoufflaitdeladirectionopposée,etjen’aisentiquelafumée.Brusquement,alorsquejenem’yattendaispasdutout,unechosem’aeffleuréepuiss’estplaquéedechaquecôtédematête.

Paniquée, j’ai ouvert les yeux et je me suis débattue, tentant d’échapper à cetemprisonnement.Aussitôt,j’aicroiséleregardd’avertissementdeJasper,àcinqcentimètresdemonvisage.

—Çasuffit!a-t-ilaboyéenmerepoussantbrutalementsurlesfesses.Jen’aisaisiquesavoixetj’aicomprisqu’ilavaitplaquésesmainssurmesoreilles.—Fermelesyeux,m’a-t-ildenouveauordonné.

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Ils’étaitsansdouteexprimésuruntonnormal,mêmesisesparolesmesontarrivéesétouffées.Tâchantdecontenirmonaffolement,j’aiobéi.Ilyavaitcertaineschosesquejenedevaispasentendrenonplus.Jem’enremettrais,sitelleétaitlaconditiondemasurvie.

Derrièremespaupières, j’aidistinguédurantuneseconde lestraitsdeFred.Ilm’avaitpromisdem’attendreunejournée.Tiendrait-ilparole?J’auraisvoululuiraconterlavéritéausujetdesYeuxJaunes,etcombienilsemblaitexisterdesdétailsquenousignorions.Evoquercemondequenousneconnaissionsvraimentpasdutout.Ilseraitintéressantdel’explorer.Surtoutencompagniedequelqu’unquiétaitcapabledemeprotégerenmerendantinvisible.

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MaisDiegoétaitmort.IlneviendraitpasretrouverFredavecmoi.Celarendaitl’avenirpeualléchant.Certains sons liés aux événements extérieurs me parvenaient encore, surtout des

hurlements, des voix.Quels qu’aient été les drôles de battements que j’avais perçus tout àl’heure,ilsétaientàprésenttropassourdispourquejelesanalyse.Lorsque,unpeuplustard,Carlisleaprislaparole,j’aidistinguédesbribesdephrases:«Vousdevez...d’ici,maintenant.Sinouspouvionsvousaider,nousleferions,maisnoussommesobligésderester.»

Il y a eu un feulement, dénué de menace cependant, ce qui m’a étonnée. Deschuchotementsontsuivi,unéchangeentreCarlisle,Esméetquelqu’unquejeneconnaissaispas. J’aurais apprécié de pouvoir humer une odeur – ma cécité conjuguée à ma surditérelative me poussait à traquer n’importe quelle source sensorielle d’information.Malheureusement,jenesentaisquel’horriblefuméedouceâtre.

Unenouvellevoixarésonné,plusaiguëetplusdistinctequelesprécédentes,aupointquej’aidéchiffrésesmotspresquefacilementetquej’aiidentifiéunefille.

— Encore cinq minutes. Et Bella ouvrira les yeux dans trente-sept secondes. Je suiscertainequ’ellenousentenddéjà.

J’aitâchédedonnerunsensàcesparoles.Quelqu’und’autrequemoiavait-ilétéobligédegarderlespaupièrescloses?Oucellequiavaitparlécroyait-ellequejem’appelaisBella?Jen’avaisditmonprénomàpersonne.Une fois encore, j’ai luttépour tenterdehumerneserait-ce qu’un petit quelque chose. Nouveaux marmonnements. Il m’a semblé quequelqu’un se lançait dans un grand discours, sinon qu’aucun timbre ne m’est parvenu.Impossibled’enêtresûre,aveclesmainsdeJaspersoigneusementcolléessurmesoreilles.

—Troisminutes,alancélavoixhautperchée.Jasperm’alâchée.—Jeteconseilled’ouvrirlesyeux,maintenant,m’a-t-ildit,àquelquespasdelà.Sa façonde s’exprimerm’a faitpeur. J’ai vivement inspecté les environs, enquêtedu

dangerquesesintonationsm’avaient laisséesupposer.Lessombresvolutesobscurcissaienttouteunepartiedemonchampdevision.Prèsdemoi,Jasperfronçaitlessourcils.Ilserraitlesdentsetmecontemplaitavecuneexpressionquiressemblaità...de la frayeur.Pasqu’ilme craigne,moi ; c’était plutôt comme s’il redoutait qu’un événement n’arrive à cause demoi.Jemesuisalorssouvenuedecequ’ilavaitditpeuauparavant,dudangerdanslequeljelesmettaisparrapportàunmachinappeléVolturi.Jemesuisdemandécequec’était,j’avaisdumalàimaginercequipouvaitébranlercevampirecouvertdecicatrices.

Derrière lui, quatre autres vampires formaient une rangée lâche. Ilsme tournaient ledos. Parmi eux, Esmé. Elle était flanquée d’une grande femme blonde, d’une toute petitebrune etd’unmâle aux cheveuxnoirs si costaudqu’il faisait peur à voir– c’était celui quiavait tué Kevin. L’espace d’un instant, jeme le suis représenté s’en prenant à Raoul, uneimagebizarrementagréable.

Trois autres se tenaient au-delà de l’armoire à glace. Avec lui dans le chemin, je nedistinguaispastrèsbiencequ’ilsfabriquaient.Carlisleétaitagenouillé,àcôtéd’unvampiremâle à la chevelure d’un roux sombre. Une silhouette était allongée par terre, dont jen’apercevaisquelejeanetlesbottinesmarron.Soitunefemellesoitunjeunemâle.Carlisleetlejeuneétaient-ilsentrainderéparercelui-là?

Au total, cela donnait donc huit Yeux Jaunes, sans compter les ululements de tout àl’heure,quelsquesoientlesétrangesvampiresquilesavaientproduits.J’avaisdénombréaumoinshuitvoixsupplémentaires,cequifaisaitseize,peut-êtreplus.PlusdedeuxfoiscequeRiley nous avait promis. Jeme suis surprise à espérer férocement que lesManteaux Gris

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l’attraperaientetluiinfligeraientdesérieusessouffrances.Levampireétenduausol,unefille,mesuis-jerenducompte,s’estrelevée, lentement,

gauchement, à croire qu’elle était unehumainemaladroite.À cet instant, le vent a tourné,renvoyantlafuméeversJasperetmoi.Durantuneseconde,toutadisparu,sauflui.Bienquejenesoisplusaussiaveuglequ’avant,j’aiéprouvéuneanxiétéplusforte,soudain.Commesijesentaisl’angoissesaignerdeJasper.

Denouveau,labriselégèreavirédecap,etj’aiputoutvoirettouthumer.Sifflant furieusement, Jasper m’a repoussée par terre. Sans m’en rendre compte, je

m’étaisaccroupie,prêteàl’attaque.Carc’étaitelle:l’humainequej’avaistraquéeunpeuplustôt.L’odeursurlaquelletout

mon corps s’était concentré. Le parfum sucré et humide du sang le plus exquis que j’aiejamaispourchassé.J’aieul’impressionquemaboucheetmagorgeétaientenfeu.

Sauvagement, jeme suis accrochée àma raison. Jeme suis focalisée sur le fait queJaspern’attendaitqueça,quejebondisseunenouvellefoispourmetuer.Malheureusement,jen’arrivaispasàm’yconsacrertoutentière.J’allaismedéchirerendeuxàforced’essayerderesterassise.

L’humaine appelée Bella m’a contemplée avec des yeux bruns étonnés. La regarderempirait les choses. Je distinguais le sang qui puisait sous sa peau fine. J’ai tenté dedétournerlatête,envain:mesprunellesrevenaientsanscesseseposersurelle.Lerouxs’estadresséàelleàvoixbasse.

— Elle s’est rendue. C’est la première fois que je vois ça. Seul Carlisle a pu le luiproposer.Jasperdésapprouve.

Carlisle avait dû leur expliquer la situation quand j’avais eu les oreilles bouchées. Levampire enlaçait la fille qui, de son côté, appuyait ses mains sur son torse. Sa gorge setrouvaitàseulementquelquescentimètresdesaboucheàlui,maiselleneparaissaitpasdutout effrayée.Et lui n’avait pas l’air d’être en chasse. J’avais tenté d’imaginer un clandotéd’unehumainedomestique,saufquececiétaitloindecequim’avaitalorstraversél’esprit.Sielleavaitétévampire,cesdeux-làseraientsortisensemble.

—Ilvabien?achuchotélafilleendésignantJasper.—Oui,arépondulevampireauburn.Justeleveninquibrûle.—Ilaétémordu?s’est-elleexclamée,apparemmentchoquée.Qui était cette nana ? Pourquoi les Yeux Jaunes lui permettaient-ils de les

accompagner ? Pourquoi ne l’avaient-ils pas encore tuée ? Pourquoi semblait-elle aussi àl’aiseaveceux,commesiellenelescraignaitpas?Elledonnaitl’impressiondefairepartiedecemondesanspourautantensaisirlesréalités.ÉvidemmentqueJasperavaitétémordu!Ilvenaitdesebattrecontretoutmonclan–etdeledétruire.

Cettefillesedoutait-elleseulementdecequenousétions?Beurk!Labrûluredemagorgeétaitinsoutenable.J’aitentédenepaspenseràlarincer

avecsonsang,maisleventmesoufflaitsonodeurauvisage!Ilétaittroptardpourgarderlatêtefroide.J’avaisflairémaproie,etriennechangeraitcela.

—Ilvoulaitêtrepartoutàlafois,apréciséleroux.PourépargnerdutravailàAlice.(Ilasecouélementonencontemplantlapetitebrune.)Quisedébrouilletrèsbientouteseule.

Levampirerépondantauprénomd’Aliceajetéuncoupd’oeilpeuamèneàJasper.—Espèced’idiottropprotecteur!a-t-elledécrétédesavoixlimpidedesoprano.Jasperacroisésonregardavecundemi-sourire,l’aird’oubliermonexistencedurantun

instant.J’aifaillinepasréussiràluttercontremoninstinctquimepoussaitàprofiterdecerelâchementpoursautersurl’humaine.Celam’auraitprismoinsd’uneseconde,etsonsang

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chaud,cesangquej’entendaisbattredanssoncoeur,auraitétanchémasoifdévorante.Elleétaitsiprès...

Lerouquinm’alancéunregardd’avertissementféroce,etj’aicomprisquejemourraissij’essayaisd’attaquerl’humaine.Maismagorgeétaitsidouloureusequej’aicruquej’allaismourir si jenem’y risquais pas. J’ai pousséunhurlementde souffrance et de frustration.Jasperagrondé,et jemesuisobligéeàrestertranquille,bienquel’arômedelafilleaitdesalluresdemaingéantequim’arrachaitausol.Jamaisjenem’étaisfrottéeàcela–cesserdemenourrirune foisque j’étaispartiepour chasser. J’aiplantémesdoigtsdans la terre, enquêted’unepriseàlaquellemeretenir.Sansrésultat.Jaspers’estaccroupi.J’avaisbeauêtreconsciente que j’étais à deux secondes de lamort, je n’ai pas réussi à contenirmes idéessanguinaires.

Soudain,Carlisles’estinterposé,retenantJasperparlebras.Ilm’acouvéedesesyeuxbonsetsereins.

—As-tuchangéd’avis,jeunefille?m’a-t-ildemandé.Nousnetenonspasàtedétruire,maisnousn’hésiteronspassitunetemaîtrisespas.

—Commentarrivez-vousàlesupporter?ai-jegémi,suppliante.Jelaveux.J’aitoisél’humaine,regrettantardemmentqueladistancequinousséparaitnepuisse

disparaîtred’uncoupdebaguettemagique.Mesonglesontcrochetélaterrecaillouteuse.—Tudois le tolérer, a réponduCarlisle avec gravité. Tudois apprendre à exercer ton

contrôle.C’estpossible,c’estaussilaseulefaçondesauvertavie.Si être capable de tolérer l’humaine à l’instar de ces drôles de vampires était mon

unique espoir de survie, j’étais condamnée d’avance. La brûlure était trop forte. Et puis,j’étaispartagéequantà l’idéedesurvie.Jenevoulaispasmourir, jenevoulaispassouffrir,maisàquoibon?Touslesautresétaientmorts.Diegoaussi,etcedepuisdesjours.

Sonnométait surmes lèvres, j’aipresquemanquéde leprononcerà voixhaute.À laplace,jemesuisagrippélatêteàdeuxmainsencherchantàpenseràdeschosesindolores.Pasàlafille,pasàDiegononplus.Çan’apastrèsbienfonctionné.

—Nevaudrait-ilpasmieuxquenousnouséloignionsd’elle?agrossièrementmurmurél’humaine,brisantmaconcentration.

Jemesuistournéeverselle.Sapeauétaitsifine,sidouce.Sonpoulsbattaitauniveaudesoncou.

—Noussommesobligésderesterici,arépondulevampireauquelelles’accrochait. Ilssontaunorddelaprairie,àprésent.

Ils?J’ai regardévers lenord,n’aivuquede la fumée.Le rouquinvoulait-ilparlerdeRiley et demon créateur ?Unenouvelle vague de paniquem’a submergée, suivie par unepetite bouffée d’espoir. Il était impossible qu’Elle et Riley résistent à ces Yeux Jaunes quiavaientéliminé tantd’entrenous,non?Mêmesi lesvampireshurleursétaientpartis, rienqueleseulJaspersemblaitcapabledetuercesdeuxtraîtres.

Oualors,c’étaituneallusionàcemystérieuxVolturi.Unefoisencore,levents’estamuséàmesoufflerl’odeurdelafilleenpleinvisage,etje

l’aivrilléedemesyeuxavides.Elleacroisémonregard,maissonexpressionétaitdifférentedecequ’elleauraitdûêtre.Alorsquemeslèvresétaientretrousséessurmesdents,alorsquejetremblaissousl’effortpournepasmeruersurelle,ellen’avaitpasl’aird’avoirpeur.Elleparaissaitplutôt fascinée.Commesielleavaitenviedediscuteravecmoi,demeposerunequestionparcequemaréponsel’intéressait.

Toutàcoup,CarlisleetJaspersesontéloignésdubûcher–etdemoi–pourresserrerlesrangsavec lesautreset l’humaine.Toussesontmisà fixer l’horizon,au-delàdemoiet

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desvolutesmauves.Ainsi,cequileseffrayaitétaitplusprochedemoiqued’eux.Jemesuisblottieplusprèsdufeu,endépitdesflammes.Devais-jeessayerdem’enfuir?Pouralleroù?RejoindreFred?Rester touteseule?TrouverRileyet lui fairepayercequ’ilavait infligéàDiego?

Tandisque je tergiversais, assez séduitepar ladernièreoption,ma chance estpassée.J’ai perçu desmouvements du côté du nord et j’ai compris que j’étais désormais prise ensandwichentrelesYeuxJaunesetcequiarrivait,quoiquecefût.

—Hum!amarmonnéunevoixmorte,del’autrecôtédurideaudefumée.Cetteuniquesyllabem’aaussitôtrenseignéesurl’identitédesvisiteurs.Sijen’avaispas

étépétrifiéeparuneterreurirrationnelle,j’auraisdéguerpi.C’étaientlesManteauxGris.Qu’est-cequeçasignifiait?Unenouvellebatailleallait-ellecommencer?Jesavaisque

les nouveaux venus avaient désiré quemon créateur réussisse à détruire les Yeux Jaunes.Elleavaitéchoué, cependant.Celavoulait-ildirequ’ils comptaientLa tuer?Àmoinsqu’ilsn’éliminentCarlisle,Esméet leurclan?Si j’avaisétéenpositiondechoisir, jen’auraispashésitéquantàceuxqu’ilfallaitdétruire,etcen’auraitpasétémesgeôliers.

LesManteauxGrissesontmatérialiséscommedes fantômesetsesontpostésdevantlesYeuxJaunes.Aucunn’aregardédansmadirection.Jenebougeaispasd’unpoil.Commeladernièrefois,ilsn’étaientquequatre.Quelesautressoientseptnefaisaitpasdedifférencedu tout, cependant. J’ai deviné qu’ils étaient aussi anxieux que l’avaient été Riley etmoncréateur enprésencede cesManteauxGris. Si j’étais incapable de voir ce qu’ils avaient deplusparrapportauxvampiresnormaux,jel’aisentisanslemoindredoute.Cestypesétaientlesjusticiers,ilsneperdaientjamais.

—Bienvenue,Jane,aditceluiquienlaçaitlafille.Ilsseconnaissaientdonc.Toutefois,levampireauburnnes’étaitpasexpriméd’unevoix

amicale. Pasd’une voix faiblarde et désireusedeplairenonplus, contrairement àRiley, nifurieuseetterrifiée,commemoncréateur.Lasienneétaitjustefroideetpolie,netrahissaitnullesurprise.Fallait-ilenconclurequelesManteauxGrisétaientlesfameuxVolturi?

Lapetite femellequi conduisait ladélégation, Janeapparemment, a lentementbalayédu regard les sept Yeux Jaunes et l’humaine avant de finalement tourner la tête versmoi.Celam’a fourni l’occasiondedécouvrir sonvisage.Elleétaitplus jeunequemoi,beaucoupplusvieilleaussi,ai-jedeviné.Sesprunellesavaitlacouleurveloutéedesrosesrougefoncé.Conscientequ’il était trop tardpourmesauver, j’aibaissé la tête,mecachantderrièremesmains.Si jedémontraisavecévidencequejerefusaisdemebattre,Janemetraiteraitpeut-êtrecommeCarlislel’avaitfait.Mêmesijen’avaisguèred’espoir.

— Je ne comprends pas, a dit Jane, dont le ton monocorde a trahi un soupçond’agacement.

—Elles’estrendue,aexpliquéleroux.—Pardon?agrondéJane.Regardantàtraversmesdoigts,j’aivulesManteauxGriséchangerdescoupsd’oeil.Le

rouquin avait affirmé n’avoir jamais assisté à une reddition. C’était également le cas desManteauxGris,sansdoute.

—Carlisleluialaissélechoix,apoursuivil’autre.Ilsemblaitservirdeporte-paroleàsonclan,alorsquejesoupçonnaisCarlisled’enêtre

lechef.—Ceuxquienfreignentlesrèglesn’ontpaslechoix,arétorquéJanedesavoixplate.Simesosdonnaient l’impressiond’êtredeglace, jen’étaisplusenproieà lapanique.

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Mondestinparaissaitdésormaisscellé.— La décision t’appartient, est doucement intervenu Carlisle. Dans lamesure où elle

était prête à renoncer ànous attaquer, jen’ai pas jugéutilede ladétruire.Personnene l’aéduquée.

Il avait beau s’être exprimé avec naturel, j’ai eu l’impression qu’il plaidaitma cause.Saufque,commeilmel’avaitannoncéenpersonne,monavenirnedépendaitpasdelui.

—Voilàquiesthorsdepropos,ad’ailleursconfirméJane.—Àtaguise.Janel’atoiséd’unairquimélangeaitstupeureténervement,puiselleasecouélatête,

etsestraitssontredevenusindéchiffrables.—Aroespéraitquenousirionsassezàl’ouestpourterencontrer,Carlisle,a-t-ellerepris.

Iltesalue.—Mercideluiretournerlapolitesse.Janeasouri.—Naturellement.Ensuite,elles’estretournéeversmoi.Sonsourires’attardaitenpartiesurseslèvres.— Il semble que vous ayez accompli notre tâche à notre place, aujourd’hui... enfin,

presque.Simplecuriositéprofessionnelledemapart,maiscombienétaient-ils?Ilsont faitpasmaldedégâtsàSeattle.

Elleparlaitdetâche,deprofessionnalisme.J’avaisdonceuraison:sonmétierétaitdepunir.Auquelcas,ilexistaitdesrègles.Carlislel’avaitévoqué,audemeurant.«Noussuivonsleurs règles. » Et aussi : « Aucune loi n’interdit de créer des vampires, à condition de lescontrôler. » Riley et mon créateur avaient eu peur mais n’avaient pas paru franchementétonnésquandlesManteauxGris,cesVolturi,avaientsurgi. Ilsconnaissaient lerèglement,ils savaient qu’ils l’avaient enfreint. Pourquoi ne nous avaient-ils rien dit, alors ?D’autantque lesVolturi étaientplusnombreuxque cesquatre-là. Il y avait unAro, et biend’autresencore, sans doute. Pour que tout le monde les craigne autant, ils devaient être trèsnombreux.

—Dix-huit,celle-cicomprise,aréponduCarlisle.UnmurmureàpeineaudibleaparcourularangéedesManteauxGris.—Dix-huit?arépétéJane,déstabilisée.Notre créateur ne lui avait pas confié ce détail. Jane était-elle vraiment surprise ou

feignait-elledel’être?—Desjeunes,nonentraînés,apréciséCarlisle.Nonentraînésetnoninformés,grâceàRiley.Jecommençaisàsaisirlafaçondontcesvampiresâgésnousconsidéraient.Jaspernous

avaittraitésde«nouveau-nés».Commesinousétionsdesbébés.—Tous?asursautéJane.Quilesacréés,alors?Commesiellenelesavaitpasdéjà!CetteJanementaitencoreplusqueRiley.Etelle

étaitbienplusdouéequelui.—Elles’appelaitVictoria,alancélerouquin.Commentétait-ilaucourantalorsquejenel’étaispas?Soudain,çam’estrevenu.Riley

avaitmentionnéqu’unmembredecegroupeavait ledonde liredans lespenséesd’autrui.Était-ceainsiqu’ilssetenaientinformésdetoutouRileyavait-ilencoreracontédessalades?

—S’appelait?ainsistéJane.Le roux a eu un geste de la tête en direction de l’est. Levant les yeux, j’ai aperçu un

secondnuagedefuméelilasquitourbillonnaitsurleflancdelamontagne.

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« S’appelait. » Un plaisir m’a envahie, identique à celui que j’avais éprouvé enimaginantlecostaudréduireRaoulencharpie,maisbeaucoup,beaucoupplusviolent.

—CetteVictoria,alentementdemandéJane,elleestcomprisedanscesdix-huit?—Non.Et elle avaitunacolyte.Pas aussi jeuneque celle-ci,mais guèreplus âgéque

d’unan.Riley ! Mon plaisir intense a augmenté. Si – bon, d’accord, quand – je mourrai,

aujourd’hui,cedétailauraitétéréglé.Diegoavaitétévengé.J’aipresquefaillisourire.—Vingt,donc,asouffléJane. (Soitc’étaitplusqueceàquoielles’étaitattendue,soit

c’étaituneactricehorspair).Quis’estoccupéducréateur?—Moi,arépondulevampireauburnd’unevoixdénuéed’émotion.Qui qu’il soit, qu’il possède ou pas une humaine domestique, ce type était un ami.

Mêmes’ildevaitêtreceluiquimetueraitàlafin, je luiseraisredevable.Janes’esttournéeversmoipourmetoiser,lesyeuxplissés.

—Toi!Tonnom?Pour elle, j’étais déjà morte. Alors, à quoi bon donner ce qu’elle voulait à cette

menteuse ? Je me suis bornée à lui jeter un regard méprisant. Elle a souri, d’un sourireéclatant,heureux,celuid’uneenfant innocenteet, soudain, jemesuissentiebrûler.C’étaitcommesij’avaisreplongédanslanuitlapiredemonexistence.Lefeuenvahissaitchacunedemesveines, couvrait lamoindre surfacedemapeau, rongeait lamoellede tousmesos.J’avaisl’impressiond’avoirétéenfouiesouslebûcherfunérairedemonclan,environnéeparles flammes. Il n’y avait pas une cellule de mon corps qui ne crépitât de la pire douleurenvisageable. C’est à peine si je me suis entendue hurler par-dessus la souffrance quirésonnaitdansmestympans.

—Tonnom,arépétéJane.Quandelles’estexprimée,l’incendies’estéteint.Volatilisé,commesijel’avaisimaginé.— Bree, me suis-je empressée de haleter, encore essoufflée par la douleur pourtant

disparue.Janeadenouveausouri, et le feuest repartideplusbelle.Quelledosede souffrance

seraitnécessairepourquejemeure?Lescrisparaissaientneplusprovenirdemoi.Pourquoipersonnenemedécapitait-ilpas?Carlisleétaitassezbonpourça,non?Ouceluid’entreeuxqui déchiffrait les esprits ? Celui-là ne comprenait-il donc pas ? N’était-il pas en mesured’arrêterça?

—Pourquoi t’acharner ? a grondé le rouquin. Elle te dira tout ce que tu veux savoir,maintenant.

Derechef, la douleur s’est évaporée d’un seul coup, comme si Jane avait tourné uncommutateur.Jemesuisretrouvéeàplatventresurlesol,pantelantcommesijemanquaisd’oxygène.

—J’enaiconscience,aréponduJane,hilare.Bree?Lorsqu’ellem’ahélée,j’aifrissonné.Heureusement,lasouffrancenes’estpasréveillée.—Cettehistoireest-ellevraie?Étiez-vousvingt?Lesmotssesontéchappéstoutseulsdemabouche.—Dix-neufouvingt,peut-êtreplus,aucuneidée!Saraetuntypedontjeneconnaissais

paslenomsesontbattusenchemin...J’ai guetté le retour de la douleur pour me punir d’avoir donné une réponse aussi

minable,maisJanes’estbornéeàreprendrelaparole.—CetteVictoria...t’a-t-ellecréée?—Peut-être,ai-jeadmiscraintivement.Rileyn’ajamaisprononcésonnom.Cettenuit-

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là, jenel’aipasvue... il faisaitsombre,et j’avaismal!(J’aifrémi.)Rileynevoulaitpasquenouspensionsàelle.D’aprèsluinosespritsn’étaientpasassezsûrs.

Janeajetéuncoupd’oeilaurouquinavantdemecontemplerdenouveau.—Parle-moideRiley,m’a-t-elleordonné.Pourquoivousa-t-ilamenésici?Jemesuislancéedanslerécitdesmensongesdenotrechefaussivitequepossible.—Nousdevionsdétruire les étranges vampires auxyeux jaunes.D’après lui, ce serait

facile. Comme la ville leur appartenait, ils viendraient à notre rencontre. Quand nous enaurionsfiniaveceux,toutcesangfraisseraitànous.Ilnousadonnéleurodeur.Ilapréciséquenousserionscertainsd’avoirtrouvélebonclan,sicelle-là(j’aidésignélafille)étaitaveceux.Lepremierd’entrenousquimettraitlamaindessuspouvaitenfairecequ’ilvoulait.

—Apparemment,Rileysetrompaitsurlecôtéfaciledeschoses,s’estmoquéeJane.Elleparaissaitravieparmonhistoire.Dansunéclairdelucidité,j’aicomprisquelleétait

soulagéequeRileyn’aitpasmentionnédevantnoussapetitevisiteànotrecréateur.Victoria.Telétait lerécitqueJanesouhaitaitfairegoberauxYeuxJaunes,celuiquin’impliquaitpaslesVolturi.Ehbien,j’étaismoiaussicapabledejouer.Avecunpeudechance,levampirequilisaitdanslesespritsétaitdéjàaucourantdelavérité.Sijenepouvaispasphysiquementmevenger de ce monstre, j’étais en mesure de tout révéler aux Yeux Jaunes à travers mespensées.Dumoins,jel’espérais.

J’aiacquiescéàlaplaisanteriedeJaneavantdemerasseoirafind’attirerl’attentiondecelui qui déchiffrait les cerveaux, qui qu’il soit parmi eux. Puis j’ai continué à donner laversionquen’importequelmembredemonclanauraitdonnéeàmaplace.JemesuisglisséedanslapeaudeKevin.Bêtecommemespiedsettotalementignorante.

—Jenesaispascequis’estpassé,ai-jedit.Ce qui était vrai. Le massacre qui s’était produit sur le champ de bataille restait un

mystèrepourmoi.Jen’avaisaperçuaucundessbiresdeKristie.Étaient-ilstombésauxmainsdesvampireshurleurs?UnsecretquejegarderaispourlesYeuxJaunes.

—Nous nous sommes séparés,mais les autres ne nous ont jamais rejoints. Et Rileynousa laissés tomberetn’estpasvenuànotreaide, contrairementà cequ’il avaitpromis.Après, tout est devenu confus... nous avons été taillés en pièces. (J’ai tressailli en mesouvenantdutorsepar-dessuslequelj’avaissauté.)J’aieupeur,j’aivoulum’enfuir,etcelui-là(j’aimontréCarlisledumenton)m’aditqu’ilsnem’attaqueraientpassijemerendais.

Cetaveun’étaitenrienunetrahisondeCarlisle,quiavaitdéjàreconnulesfaitsdevantJane.

—Malheureusement, jeune fille, a commenté celle-ci, l’airdebien s’amuser, iln’étaitpasenpositiondetefairecetteoffre.Enfreindrelesrèglesadesconséquences.

Sans cesser de mimer Kevin, je l’ai dévisagée comme si j’étais trop idiote pourcomprendre.

—Vousêtessûrsd’avoireulesautres?alancéJaneàCarlisle.Ledeuxièmegroupe?—Nousaussinoussommesséparés,a-t-ilréponduenopinant.Ainsi,c’étaientleshurleursquis’étaientoccupésdeKristie.Quiqu’ilssoient,j’aiespéré

qu’ilsétaientterrifiants,vraimentterrifiants.Kristieleméritaitamplement.—J’avouequejesuisimpressionnée,areconnuJane,apparemmentsincère.C’était sûrement vrai. Elle avait voulu que l’armée deVictoria l’emporte, or elle avait

échoué.—Oui,ontacquiescésestroisacolytes.—Jen’avaisencorejamaisvuunclanréchapperd’uneagressiondecetteampleur,a-t-

elleenchaîné.Sais-tuquellesenétaientlesraisons?Pourquoilafilleenétait-ellelaclé?

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Sesyeuxontbrièvementeffleurél’humaine.—VictoriaenvoulaitàBella,aexpliquélevampireauburn.C’était donc ça. Riley voulait juste que la fillemeure et se fichait du nombre d’entre

nousquiylaisseraientleurpeauaupassage.Janes’estesclaffée,joyeuse.—Cettepersonne,a-t-elleditensouriantàl’humainecommeellem’avaitsouriàmoi,

semble décidément provoquer des réactions bizarrement puissantes chez les membres denotreespèce.

La fille n’a pas réagi. Jane ne souhaitait peut-être pas la blesser. Ou alors, son donatrocenefonctionnaitpassurleshumains,quesurlesvampires.

— Aurais-tu l’obligeance de cesser ? a demandé le rouquin d’une voix furieusemaiscontrôlée.

—Jevérifiais,riendeplus,adenouveaurigoléJane.Jen’aifaitaucunmal,visiblement.JemesuisefforcéederesterdanslapeaudeKevinetdedissimulermonintérêt.Jane

étaitimpuissanteàbrûlercettefille,cequin’étaitpasnormalàsonavis.Elleavaitbeaurire,j’aidevinéqu’elleétait follederage.Était-ce la raisonpour laquelle l’humaineétait toléréeparlesYeuxJaunes?Mais,sielleavaitundonspécial,pourquoinel’avaient-ilspasencoretransformée?

— Bon, nous n’avons plus guère de travail, a poursuivi Jane, sa voix retrouvant sonapathie. Nous n’avons pas l’habitude d’être inutiles. Dommage que nous ayons loupé labagarre.D’aprèscequej’aicompris,ilauraitsûrementétéintéressantd’yassister.

—Eneffet,aripostéleroux.Etvousl’avezmanquédepeu.Unedemi-heureplustôt,etvousauriezpuaccomplirvosdesseins.

J’ai étouffé un sourire. C’était donc lui, celui qui lisait dans les esprits, et il avaitentendu tout ceque je voulaisqu’il sache. Janepouvait toujours lebaratiner, il n’étaitpasdupe.Ellel’acontemplésansflancher.

—Oui,a-t-elleacquiescé.Parfois,lesévénementss’arrangentd’unebientristefaçon.L’autreahochélatête,etjemesuisdemandécequ’ilpercevaitdesespensées.Elles’est

ensuite tournée vers moi, le visage dénué d’expression, ce qui ne m’a pas empêchée dedevinerquemontempss’étaitécoulé.Elleavaitobtenucequ’ellevoulaitdemoi.Elleignoraitquej’avaiségalementrenseignéaumieuxlerouquin.Etquej’avaisaussiprotégélessecretsdesonclan.Jeluidevaisbiença,puisqu’ilavaitpuniRileyetVictoriaàmaplace.Jeluiaijetéunregardencoinetj’aipensé:«Merci.»

—Félix!aappeléJanesuruntondécontracté.—Uninstant!aprotestéceluiquilisaitdanslesesprits.Ils’estrapidementadresséàCarlisle:—Nouspourrionsexpliquerlesrèglesàcettejeunefille.Elleparaîtprêteàapprendre.

Elleignoraitcedansquoionl’entraînait.—NoussommestoutdisposésàprendreBreeencharge,aaussitôtrenchériCarlisleen

contemplantJane.Cettedernièreasembléhésiteràcroirequ’ilsplaisantaientetque,sitelétaitlecas,ils

étaientplusdrôlesqueceàquoielles’attendaitdeleurpart.Quantàmoi,j’aiététouchéeauplusprofonddemoi.Cesvampiresnemeconnaissaientpas,pourtantilss’étaientmisdansune situationpérilleusepourmoi. J’avaisbeauavoir comprisque çane fonctionneraitpas,c’étaitquandmêmequelquechose.

— Nous ne tolérons aucune exception, a décrété Jane, et nous ne donnons pas dedeuxièmechancenonplus.Celanuiraitànotreréputation.

C’étaitcommesielleévoquaitlesortdequelqu’und’autre.Jemefichaisqu’ellesoiten

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traindeparlerdemamiseàmort.Jesavaisque lesYeuxJaunesneréussiraientpasà l’enempêcher.Elle représentait lapolicedesvampires.Certes, ces flics-làétaientdevrais salestypes,maisceclansigentilétaitmaintenantaucourantdeleurduplicité.

—Àpropos,a-t-elleenchaînéenfixantunenouvellefoislafilleavecungrandsourire,Caïusseraravid’apprendrequetuestoujourshumaine,Bella.Celal’amènerapeut-êtreàterendreunepetitevisite.

Toujours humaine. Ils comptaient donc la transformer. Jeme suis demandé ce qu’ilsattendaient.

—Ladateestdéjàfixée,aannoncélabrunetteauxcheveuxcourtsetàlavoixclaire.Siçasetrouve,nousvousrendronsunepetitevisitedansquelquesmois.

LesouriredeJanes’estévaporé,commegommé.Elleahaussélesépaulessansdaignergratifierd’unregardlapetitequis’étaitexprimée,etj’aieulesentimentqu’ellelahaïssaitdixfois plus qu’elle ne détestait l’humaine, ce qui n’était pas peu dire. Elle s’est tournée versCarlisle,affichantlamêmeminedénuéed’expressionqu’auparavant.

—Contentedet’avoirrevu,Carlisle,a-t-ellelâché.Moiquipensaisqu’Aroexagérait.Àlaprochaine,donc...

L’heureétaitvenue.Jen’éprouvaistoujoursaucunecrainte.Monseulregretétaitdenepasêtreenmesured’enraconterplusàFred.Ilallaits’aventurerpresqueàl’aveugledanscemonde plein de dangers politiques, de sales flics et de clans secrets. Mais il était malin,prudentetdotéd’undon.Quepourraient-ilsluiinfligers’ilsn’étaientmêmepascapablesdelevoir ?Un jourpeut-être, lesYeuxJaunes le rencontreraient.«Soyez sympaavec lui, s’ilvousplaît»,ai-jesongéàl’adressedeceluiquidéchiffraitlespensées.

—Règle-moi ça, Félix, a ordonné Jane avec un signe dumenton enma direction. Jeveuxrentrer.

—Neregardepas!achuchotélevampireauburn.J’aifermélesyeux.

[1 ]Littéralement:«Jenesuispasentraindebrûler!»(enespagnol).(N.d.T.)