langues et identité nationale en suisse

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His/Dry 0/ Europtall Ideas, Vol. 16,No. 1-3, pp. 229-232, 1993 16.00+0.00 Printed in Oreal Britain Peraamon Prell LId LANGUES ET IDENTITE NATIONALE EN SUISSE ERNEST WEIBEL· I. QUELQUES PRINCIPES REGLANT LA COEXISTENCE LINGUISTIQUE SUISSE La Suisse comprend quatre groupes linguistiques (allemand, francais, italien et rheto-romanche) qui ne forment pas des collectivites ayant une identite communautaire ou sociologique. En fait, ils ne constituent que des ensembles statistiques. 11 n'existe pas en Suisse de regions linguistiques. Celles-ci n'ont aucune existence legale ou administrative. En somme, elles ne representent qu'une fiction au niveau d'ensembles statistiques. Les recensements decennaux de la population (dont le premier date de 1860) ne comportent aucune mention, par ailleurs, du bilinguisme. Nous ignorons de la sorte Ienombre exact de Suisses s'exprimant en plusieurs langues. Nous de disposons, de surcrolt, que de renseignements ayant trait ala langue maternelle, definie comme I'idiome 'dans lequel on pense et qu'on parle le mieux'. Enfin Ieprincipe de la territorialite regie les rapports linguistiques en Suisse. II implique pour chaque canton et demi canton (la Suisse en compte 26) l'obligation de garantir I'homogeneite de son caractere linguistique. En d'autres termes, les collectivites cantonales sont autorisees a proteger l'integrite et la purete de leurs aires linguistiques. Aux cOtes de ce principe de la territorialite, le principe de la personnalite ou de la liberte de la langue permet a chaque citoyen de s'adresser dans sa langue maternelle aux autorites federales pourvu que cet idiome soit officiel. L'Etat federal central (que 1'0n appelle en Suisse Confederation) est officiellement trilingue (allemand, francais et italien). Notons que la constitution federale suisse reconnait l'existence de trois langues officielles et de quatre langues nationales (allemand, francais, italien et rheto-romanche). Au plan cantonal, les principes de la territorialite et de la personnalite sont complementaires, Dans le quatre cantons multilingues (Berne: allemand et francais, Fribourg et Valais: allemand et francais, et Grisons: et Grisons: allemand, rheto-romanche et italien), Ie principe de la personnalite s'applique dans les relations avec les autorites cantonales centrales, qui sont tenues, d'autre part, de sauvegarder leurs aires linguistiques. Notons que tous lesautres cantons sont monolingues (Tessin de langue italienne, Geneve, Vaud, Neuchatel et Jura de langue francaise et tous les autres germanophones). Entin terminons cette breve esquisse en rappel ant l'egalite sur le plan federal des trois langues officielles, et dans une certaine mesure des quatre langues nationales, encore que certains auteurs estiment que la reconnaissance du caractere national du rheto-romanche en 1938 (A la suite d'un vote populaire) revet plutot un aspect symbolique que pratique. ·Pierre-A-Mazel 7, 2000 NeuchAtel, Switzerland. 229

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Page 1: Langues Et Identité Nationale En Suisse

His/Dry 0/Europtall Ideas,Vol. 16,No. 1-3, pp. 229-232, 1993 0191-6~99/93 16.00+0.00Printed in Oreal Britain Peraamon Prell LId

LANGUES ET IDENTITE NATIONALE EN SUISSE

ERNEST WEIBEL·

I. QUELQUES PRINCIPES REGLANT LA COEXISTENCELINGUISTIQUE SUISSE

La Suissecomprend quatre groupes linguistiques (allemand, francais, italien et rheto-romanche) qui ne forment pas des collectivites ayant une identite communautaire ou sociologique. En fait, ils ne constituent que des ensembles statistiques. 11 n'existe pas en Suisse de regions linguistiques. Celles-ci n'ont aucune existence legale ou administrative. En somme, elles ne representent qu'une fiction au niveau d'ensembles statistiques. Les recensements decennaux de la population (dont le premier date de 1860) ne comportent aucune mention, par ailleurs, du bilinguisme. Nous ignorons de la sorte Ienombre exact de Suisses s'exprimant en plusieurs langues. Nous de disposons, de surcrolt, que de renseignements ayant trait ala langue maternelle, definie comme I'idiome 'dans lequel on pense et qu'on parle le mieux'. Enfin Ieprincipe de la territorialite regie les rapports linguistiques en Suisse. II implique pour chaque canton et demi canton (la Suisse en compte 26) l'obligation de garantir I'homogeneite de son caractere linguistique. En d'autres termes, les collectivites cantonales sont autorisees aproteger l'integrite et la purete de leurs aires linguistiques.

Aux cOtes de ce principe de la territorialite, le principe de la personnalite ou de la liberte de la langue permet a chaque citoyen de s'adresser dans sa langue maternelle aux autorites federales pourvu que cet idiome soit officiel. L'Etat federal central (que 1'0n appelle en Suisse Confederation) est officiellement trilingue (allemand, francais et italien). Notons que la constitution federale suisse reconnait l'existence de trois langues officielles et de quatre langues nationales (allemand, francais, italien et rheto-romanche).

Au plan cantonal, les principes de la territorialite et de la personnalite sont complementaires, Dans le quatre cantons multilingues (Berne: allemand et francais, Fribourg et Valais: allemand et francais, et Grisons: et Grisons: allemand, rheto-romanche et italien), Ie principe de la personnalite s'applique dans les relations avec les autorites cantonales centrales, qui sont tenues, d'autre part, de sauvegarder leurs aires linguistiques. Notons que tous lesautres cantons sont monolingues (Tessin de langue italienne, Geneve, Vaud, Neuchatel et Jura de langue francaise et tous les autres germanophones).

Entin terminons cette breve esquisse en rappel ant l'egalite sur le plan federal des trois langues officielles, et dans une certaine mesure des quatre langues nationales, encore que certains auteurs estiment que la reconnaissance du caractere national du rheto-romanche en 1938 (A la suite d'un vote populaire) revet plutot un aspect symbolique que pratique.

·Pierre-A-Mazel 7, 2000 NeuchAtel, Switzerland.

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II. LE SENTIMENT DE L'IDENTITE NATIONALE SUISSE ET LES LANGUES

Jusqu'a la Renaissance, la Suisse forme une ligue de petites republiques urbaines et de democraties rurales de langue allemande au sein de I'Empire, dont eUe se detachera 'de facto'lors de la guerre de Souabe en 1499(paix de Bale) et 'de jure' lors de la conclusion de la paix de Westphalieen 1648(qui met un terme ala guerre de Trente Ans).

Cette confederation de villes libres et de paysans reunis en Landsgemeinde est done de nature essentieUement germanique. Ce n'est que lors de l'epoque de la Renaissance et de la Reforme que cet ensemble s'agrandit vers l'ouest et l'est en annexant des terres romandes (francaises) et italiennes. Tres rapidement Ie clivage religieux (Protestants/Catholiques) va s'etendre a. la fois aux XIII Etats cantonaux souverains de l'epoque et aux pays latins assujettis, ainsi qu'aux Pays allies et proteges. La Confederation des XUI Cantons va connaitre ainsi de vives tensions internes, qui aboutiront a deux reprises a des guerres civiles religieuses (Premiere guerre de Villmergen: victoire des Catholiques en 1656 et Seconde guerre de Villmergen: victoire des Protestants en 1712).

Du point de vue linguistique, la Confederation des XIII Cantons est de langue allemande. Toutefois les Confederes n'imposent pas leur langue aux pays sujets, allies et proteges. Ceux-ci conservent de la sorte leur langue et leur tradition.

C'est ala fin du XVIlle siecle, alors que l'on assiste ala decadence politique de la Confederation des XIII Cantons (dominee alors par des regimes oligarchiques et corporatistes), que l'on voit apparaitre le sentiment d'une identite nationale suisse. L'illuminisme va profondement transformer la vie intellectuelle du pays. Dans ce mouvement des Lumieres, la Suisse tient une place importante, comme au temps de la Reforme. Des philosophes et historiens eminents y sejoumeront (Gibbon a Lausanne et Voltaire a Lausanne, puis it proximite de Geneve it Ferney). Toujours est-it que la Suisseva fournir egalement une pleiade de savants et d'artistes. Citons, entre autres, Angelika Kaufmann, Horace-Benedict de Saussure, le naturaliste et philosophe Charles Bonnet, le medecin Theodore Tronchin, tous les trois de Geneve, Jean-Jacques Rousseau, le celebre medecin lausannois Andre Tissot, Albert de Haller, Jean de Muller, les mathematiciens Bernoulli et Euler et le pedagogue Henri Pestalozzi, ainsi que Lavater.

Ces intellectuels suisses prirent conscience de l'unite de la Suisse et de la necessite de sortir du carcan oligarchique de l'Ancien Regime. C'est ainsi que bravant les milieux oligarchiques, un groupe d'entre eux (un Balois Isaac Iselin et Ie medecin Hirzel de Zurich) fonderent it Schinznach en Argovie en 1762, la Societe helvetique, dont le but etait de reunir tous les Suisses de bonne volonte, sans distinction de religion, pour travailler au bien de la patrie et au progres dans tous les domaines. Des Protestants et des Catholiques de tous les cantons rejoignirent bientot cette nouvelle societe, qui oeuvre pour une meilleure connaissance de l'histoire nationale et une solidarite accrue entre Confederes, Lavater sera ainsi chargee de composer des chants nationaux qui devinrent bientot populaires:

Freres, disait l'un de ces chants, qu'est qui nous defend et nous sauve quant la puissance de l'or nepeuvent rien? L'union! L'union! Par l'union,les Suisses etaient

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forts, inebranlables dansIe danger, invincibles dansIe dangerguerres. Freres, priez, demandez it Dieu I'union.

Si la Societe helvetique contribua grandement adevelopper Iesentiment d'une identite nationale, l'invasion francaise de 1798 et la chute de l'ancienne Confederation vont egalement determiner une prise de conscience nationale.

Sous l'Ancien Regime, l'emergence d'un sentiment national ne s'accompagne pas de revendications linguistiques. La question des langues ne se pose tout simplement pas et la tolerance regne dans ce domaine. Notons aussi que la classe dirigeante oligarchique de Suisse alemanique est alors profondement francisee (Ia France est traditionnellement alliee des Cantons suisses et cette alliance seculaire sera renouvelee solennellement la derniere fois avant la Revolution en 1777). Bref, I'identite nationale emerge dans un Etat multilingue.

III. VERS LA CONSTRUCTION DE LA SUISSE MODERNE (1798-1848)

C'est au cours de cette periode, marquee par I'intervention etrangere (la France en 1798 et la creation de la Republique helvetique 1798-1803, l'Acte de Mediation de Napoleon en 1803, et le Pacte federal de 1815), que Ie sentiment national s'affirme ainsi que la diversite culturelle et linguistique.

Toujours est-it que le mouvement radical qui va oeuvre ala formation de la Suisse moderne en 1848, veut ala fois un Etat federal central et Ie maintien dans un role subordonne des cantons, porteurs de la diversite culturelle et linguistique du pays. Cet equilibre n'est pas necessairement voulu, mais impose aux Radicaux par la resistance des Conservateurs catholiques et des Liberaux hostiles aun renforcement du pouvoir central.

IV. DE 1848 ANOS JOURS (ESQUISSE DE QUELQUES THEMES DE REFLEXION)

-Impact du renforcement du pouvoir federal central sur Ie sentiment national et les langues

-Mobilite geographique et sociale au travers les barrieres linguistiques -Le fosse entre Francophones et Germanophones pendant la Grande Guerre -L'Entre deux-guerres et l'impact de l'irredentisme fasciste et nazie en Suisse

(patriotisme, helvetisme et langues) -La vague dialectale en Suisse alemanique -Le facteur linguistique et l'identite nationale dans une societe hyper mediatisee

et industrialisee (1960 a nos jours) -L'ouverture vers l'Europe -Le probleme de la population etrangere -Les luttes internes (Jura et problemes de Rheto-romanches) -La langue est-elle un factezur determinant dans la la conscience nationale

suisse?

Ernest Weibel University ofNeuchdtel

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BIBLIOGRAPHIE

La Suisse, Revue Pouvoirs (Paris: PUF, 1987), No.43.Hans Georg Wehling, Die Schweiz (Stuttgart: Kohlhammer Taschenbucher, 1988).R.E. Germann und E. Weibel, Handbuch Politisches System derSchweiz, Band III, (Bern

und Stuttgart: Haupt Verlag, 1986). Kenneth D. McRae, Conflict and compromise in multilingual societies (Switzerland,

Waterloo, Ontario, Canada, 1983). 'La Suisse et l'echeance europeenne de 1992', in Annales dela Faculte de droitet descience

politique de l'Universite de Clermont I, Fasc. 25 (1989). Daniel-L. Seiler, Vous avez dit Suisse romande? Une tdentite contestee: 29 personnalitis

s'interrogent, Ed. 24 Heures (Lausanne, 1989). Handbuch der schweizer Geschichte, Zwei Bande (Verlag Berichthaus Zurich, 1977). Jean Rohr, 'La dernocratie suisse'. Economica (1988). Ernest Weibel, Institutions politiques romandes, Editions universitaires (Fribourg, 1990).