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L'AMOUR, CET INCONNU

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L'AMOUR, CET INCONNU

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DU MEME AUTEUR

Aux Editions Tallandier :

Qu'avez-vous fait de notre amour ? Pierre et Françoise. Rivale lointaine (couronné par la Société des Gens de

Lettres). La nuit de Vallauris. Vous animerez demain. Le serment dangereux. Mais l'amour... (couronné par l'Académie française). La danse aux étoiles. L'inconnu qu'elle aimait... Rien que son cœur. Un mari pour rire. Après la nuit. Marchand de bonheur. L'énigme de Greham Castle. Griffes d'or. Des pas dans l'ombre. Plainte contre inconnu. Suivre son rêve. Le masque est levé. La fin de Greham. Marjolaine. Le chant sur la falaise. Ton amour vaut un royaume. La tour de silence. Le secret de la Berneray. Une aimée... trois amours... Les ailes victorieuses. Ma petite fée. Les deux amours de Claude Avenières. Et si je t'aime. .. Les oiseaux du bonheur. Le Cygne N o i r . Ange ou démon ? Une ombre de bonheur.

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LÉO DARTEY

L ' A M O U R CET INCONNU

PARIS

ÉDITIONS JULES TALLANDIER

17 rue Remy Dumoncel - (XIV)

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© 1958 by Librairie

Jules Tallandier.

Tous droits de traduction, de reproduc- tion et d'adaptation réservés pour tous les pays, y compris la Suède et la Norvège.

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L'AMOUR, CET INCONNU

PREMIÈRE PARTIE

I

Sylvie contourna la grande fontaine qui dispensait sous les platanes une apaisante fraîcheur, remonta un peu le cours Mirabeau, puis engagea sa « quatre- chevaux » dans une petite rue aristocratique et démodée, où elle savait habiter Mireille.

Elle stoppa devant un vieil hôtel au porche magni- fiquement sculpté et dit à la domestique âgée qui venait ouvrir :

— Pourrais-je voir M Mireille Sylvestre ? Le visage ridé perdit un peu de sa méfiance instinc-

tive dans un demi-sourire : — Ah ! vous la connaissez sous un nom chrétien,

au moins, vous... Ce n'est pas comme toutes les autres écervelées qui viennent demander Myra.

Stupéfaite, Sylvie haussa ses fins sourcils : — Myra ? Qu'est-ce que c'est ? La vieille servante eut une moue de mépris : — Le nom, plus distingué, paraît-il, que lui ont

donné ses nouvelles camarades de Faculté ! Nous, on ne connaît ici que la petite Mireille Sylvestre à

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laquelle Mademoiselle a accepté de louer une chambre parce qu'elle était amie de la famille. Seulement, toute la journée, c'est des coups de sonnette, de téléphone avec des « Myra est-elle là ? — Dites à Myra... », et ci, et là... même que Mademoiselle se fâcherait sûrement si elle savait. Seulement, moi, que voulez-vous, répondre au téléphone ou astiquer l'ar- genterie... Et puis, je sais : faut bien que jeunesse se passe...

Le regard un peu assombri, maintenant, la jeune fille, dont le fin visage mat semblait la personnifica- tion même du plus pur type arlésien, coupa le dis- cours avec un peu d'impatience :

— Enfin, Mireille ou Myra, est-elle là ? — Pensez-vous ! C'est l'heure de la sortie des

« fac », comme ils disent. Vous la trouverez sur le Cours a rôder avec une bande... ou dans un des cafés, encore...

— Merci beaucoup, je vais voir, dit avec politesse Sylvie, dont le visage se rembrumait de plus en plus.

Laissant là sa petite voiture, elle se dirigea à pied vers « le Cours », comme on disait ici, mettant ins- tinctivement la majuscule à la magnifique avenue ombrée de quatre rangs d'arbres centenaires et ponc- tuée en son centre par d'apaisantes fontaines aux retombées d'eau gazouillantes.

A cette heure proche de midi, l'ancienne voie romaine, qui demeuré un des plus grands charmes d'Aix-en-Provence, était animée comme le boulevard Saint-Michel à Paris par un bourdonnant envol d'étudiants.

Les diverses facultés, les écoles, déversaient un flot de jeunesse bruyante vers ce centre attractif où tous savaient pouvoir se rencontrer aux heures de détente. Et c'était, sous les ombrages denses des hauts platanes centenaires, aux terrasses des nombreux cafés, au

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coin des petites rues transversales, des groupes ani- més, d'interminables palabres, des éclats de rire, des attitudes, parfois même, plus équivoques.

Sylvie avançait de son allure souple, allongée, de sportive entraînée, écoutant, observant tout, avec un rien d'énervement et d'inquiétude.

Mireille, la petite Mireille, claire et candide comme un beau matin provençal, mêlée à cette foule hété- roclite de jeunesse sans fraîcheur, à ces jeux risqués, à ces discours volontairement scandaleux ? A ces groupes où presque toujours un visage au type net- tement étranger, marqué par une race différente, donnait un ton cosmopolite, apportait, avec ses qua- lités indéniables, ses habitudes exotiques, pas toutes bonnes, les vertus ou les vices, inhérents à sa nais- sance.

Non, elle n'augurait rien de bon de telles fréquen- tations pour Mireille, la connaissant depuis l'enfance comme un être influençable et faible, l'énergique Sylvie. Et, d'ailleurs, rien que le fait de se plaire dans un tel milieu, de le rechercher, indiquait la possibilité de se laisser absorber par lui.

Pascal avait donc raison quand il craignait... Elle avait presque ri, Sylvie, quand, arrivant de Paris deux jours plus tôt, elle avait trouvé une maman préoc- cupée par ce grand fils ombrageux.

— Pascal, il m'ennuie, petite, vois-tu. Depuis que la Mireille est à Aix, je le sens tout chose. Il se ronge. Avec ça qu'au début de l'hiver elle écrivait souvent, à lui, à sa famille, qui donnait des nouvelles... au lieu que, depuis les vacances de Pâques, les lettres ont presque cessé et les simples cartes se font de plus en plus rares. Quelle idée, aussi, cette gamme, quelle idée d'aller à la ville comme ça, toute seule !...

— Maman ! avait protesté gentiment Sylvie. On ne peut lui faire grief, à cette petite, d'avoir voulu

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acquérir une instruction, des connaissances qui, à son idée, combleraient un peu la différence sociale entre les Sylvestre et notre famille. C'est un point de dignité, de fierté, qui ne peut que lui faire honneur, je trouve.

— Pas moi, pas moi ! dit, en secouant sa tête grise coiffée très simplement, M Mérale. Vois-tu, quand ton papa m'a épousée, moi, toute simplette à côté de son savoir de grand médecin, je n'ai pas eu du tout l'impression d'être humiliée, ni lui de déchoir, je suis certaine. Quand on s'aime pour de bon, petite, ça tient lieu de pedigree... aux bêtes de bonnes races ! Cette Mireille, qu'est-ce que ça pouvait faire à notre Pascal que ses parents aient été bonnetiers dans le temps ? Après tout, lui, qui dirige l'élevage, ce n'est pas un intellectuel non plus !

Un tendre sourire où à l'indulgence se mariait la plus pure admiration entrouvrit les lèvres bien ourlées de Sylvie, caressa le front de sa mère, tandis qu'elle protestait tendrement :

— Mais à toi, maman, tout paraît simple et nor- mal, parce que tu es de ces êtres qui ne savent même pas imaginer le mal et les sentiments bas.

Doucement, la tête grise, dans laquelle cependant les yeux de braise avaient encore un éclat si vif et jeune, se balança d'un air dubitatif :

— Je ne l'imagine peut-être pas, le mal, non ! Mais je sais le voir là où il est, et même le sentir. Et si je te dis que notre Pascal, il se ronge, et si j'ajoute que ce n'est peut-être pas sans raisons... crois-moi...

Mais le solide bon sens de Sylvie ne se laissait pas si facilement entamer par les pressentiments, les impressions.

— Voyons, raisonna-t-elle en secouant les courtes boucles d'un noir bleuté qui coiffaient sa fine tête d'Arlèse à la manière des pâtres grecs, réfléchis,

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maman ! Que Mireille ait dû aller à Aix pour y par- faire ses études n'est pas plus surprenant, ni dange- reux, semble-t-il, que mon séjour à Paris motivé par la même raison.

Une extase rapide passa dans le regard et la voix maternels.

— Oh ! oui, mais toi !... murmura M Mérale en baissant le ton comme par respect religieux.

Sylvie éclata de rire, plaqua deux gros baisers sur les joues rondes à peine fripées, qui sentaient la lavande, et s'écria en battant des mains :

— Bravo ! 0 mère entre toutes les mères !... Une fois de plus, j 'admire ton sens de la mesure, et surtout de la justice, quand il s'agit de tes rejetons : Pascal est un prince... moi, je suis une sainte... et les autres n'ont plus qu'à baiser la trace de nos pas !

En riant toujours, en tourbillonnant sur elle-même, elle gagnait la porte, soulevait le rideau de perles qui s'interposait entre le soleil, les mouches et la tranquille petite pièce meublée de vieux bois sculpté.

M Mérale contempla avec orgueil la silhouette si racée, si élégante, qui se découpait à contre-jour et conclut, joviale :

— Bien sûr ! Et encore, ils n'en sont pas tous dignes... Mais dis, où vas-tu, petite, par cette chaleur ?

Un peu éloignée déjà, la voix claire, que réchauffait à peine une imperceptible pointe d'accent chantant, répondit :

— Tâcher de le retrouver, ton prince, pour lui faire un brin de causette !

Elle souleva les perles bruissantes pour jeter à pleine voix :

— Il devait aller ce matin jusqu'au mas Massoubre. Vois donc un peu par là.

C'était en effet sur le chemin de ce mas, occupé par une famille amie, que Sylvie retrouva son frère.

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Depuis un moment, la jument qu'elle avait enfour- chée, avec sa profonde habitude de fille de Camargue, avait manifesté par son trot plus allongé qu'elle flai- rait l'approche d'une de ses compagnes. Contournant un bosquet de roseaux, Sylvie aperçut à quelque dis- tance un cavalier dont elle fut certaine qu'il était son frère. Et tout, dans l'attitude de celui-ci semblait confirmer les soucis de M Mérale.

Immobile sous le soleil déjà dur de ce printemps provençal, le large chapeau rejeté en arrière, il restait sur place, la tête inclinée, laissant son cheval brouter une maigre touffe verte à ses pieds, emporté très loin, semblait-il, par une sombre rêverie.

Maman avait raison. Il se rongeait, le « pôvre »... et la petite sœur l'eut vite confessé. Tout heureux de la retrouver après les longs mois d'études pari- siennes, il s'était laissé aller aux confidences qui, vite, avaient dégénéré en plaintes.

— Non, Mireille n'est plus la même, vois-tu, mon cigalou. Là-bas, au milieu des étudiants snobs, elle oublie le trop sage, le trop grave compagnon de sa jeunesse. Elle va prendre des habitudes, des goûts trop différents des nôtres pour ensuite se plaire ici.

— Mais, avait protesté Sylvie, tu es idiot ! Est-ce que tu ne l'as pas menée, toi aussi, cette vie estu- diantine ? A-t-elle empêché que tu reviennes avec joie prendre ici la suite d'oncle Ambroise ? Et moi ? Crois- tu que Paris pourrait me faire jamais oublier ma Pro- vence ?

Mais elle savait bien que la petite Mireille n'était pas tout à fait de la même trempe, et ce fut tout naturellement qu'elle proposa :

— Ecoute, un bon moyen de savoir, c'est d'aller y voir.

— Non ! fit-il soudain cabré comme les cavales de la manade. Ce serait un manque de dignité. Je

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ne peux pas avoir l'air d'aller la surveiller, quémander ce qu'elle ne veut peut-être plus me donner.

D'un œil tendre et fier, Sylvie admira la belle tête au port si noble, aux traits sévères et purs, la stature aristocratique du cavalier. Puis :

— Mais, ce que tu juges ne pouvoir faire toi-même, rien ne m'empêche, moi, de le risquer. Si tu veux, je vais aller passer quelques jours à Aix et j'aurai vite fait d'apaiser toutes tes craintes, va, mon grand, j'en suis certaine.

Et c'est ainsi que, le lendemain de son retour de Paris, Sylvie prit la route d'Aix avec sa petite « quatre-chevaux » poussive.

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II

— Sylvie ! Par exemple ! En voilà une surprise ! Elle nota avec satisfaction la joie réelle, sincère, du

ton, l'éclair joyeux des yeux pers, rieurs sous les longs cils frisés, mais elle nota aussi la couleur opales- cente du liquide contenu dans le verre que reposait la jeune fille, et aussi qu'elle la présentait à ses com- pagnons simplement :

— Une amie d'enfance, qui a la chance d'étudier à Paris !

Naguère, Mireille eût dit : « La sœur de mon fiancé », et n'eût pas touché à cette sorte de boisson que, au pays, on laissait aux hommes.

Sans laisser paraître la légère inquiétude suscitée par ces deux constatations, Sylvie serrait des mains à la ronde, après avoir embrassé la petite.

Tout aussitôt, ce fut un concert d'exclamations élogieuses :

— Native de Provence aussi, sans doute ? Hé ! hé ! On fait bien les choses à Saint-Aurélien, si l'on en juge par les deux échantillons féminins qu'il nous envoie !

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Habituée aux plaisanteries des aviateurs, Sylvie ripostait en souriant, sans marquer aucune gêne e t en quelques minutes, eut conquis le petit cercle de gar- çons et de filles pressé autour du guéridon. Rien, dans son attitude, n'eût laissé supposer la sourde inquié- tude et l'étonnement vaguement réprobateur qu'elle éprouvait à voir ainsi attablée, devant des alcools variés, sa petite amie dont le sourire confiant et l'ovale encore enfantin trahissaient la candeur per- sistante.

Qu'une fille avertie et énergique puisse risquer cer- tains contacts et certains exemples sans danger, Sylvie le savait bien, par expérience... mais Mireillou, comme l'appelait naguère son frère, cette toute petite Mireille aux gestes voltigeants, à la voix claire comme un frisselis de source, au regard si profond et trans- parent qu'on lisait jusqu'au fond... Mireille, candide enfant à peine échappée à l'innocence juvénile... que de pièges se cachaient pour elle sous cette camara- derie bruyante et factice !

Toujours riant et plaisantant, la petite bande s'était levée, les apéritifs bus, et s'égaillait maintenant comme une volée de moineaux. Quelqu'un plaisanta :

— Pressée de nous quitter, hein, Myra, mainte- nant que tu as trouvé ton amie et... espéré vainement ton flirt !

— Mais c'est vrai, il n'est pas apparu aujourd'hui, le beau ténébreux qui fait battre ton cœur.

Une autre voix de garçon, un grand blond dégin- gandé, coupa :

— Deux cœurs, tu peux dire ! Car il fait des ravages indescriptibles, le bel Arnaud, le mystérieux séducteur de ces demoiselles ! Il va falloir constituer un syndicat des éconduits pour lutter contre lui. « pas moinsss ! ! ! »

Au milieu des rires et des vrombissements de scoo-

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ters, les groupes se séparèrent et Sylvie, prenant soli- dement par le bras sa petite amie retrouvée, l'entraîna vers un des restaurants de la place des Platanes.

Elle crut sentir une légère résistance et questionna : — Pas là ? Pourquoi ? as d'autres habitudes ? — Non, fit la petite, gênée, mais tu ne sais pas :

c'est trop cher. — Bah ! fit superbement Sylvie, c'est moi qui

invite ! Le visage capitonné de fossettes se rembrunit un

peu. — Oh ! je sais, vous êtes des gens riches, vous... — Qui ça, nous ? demanda Sylvie, inclinée pour

scruter ses yeux. Nous... tu veux dire les Mérale, c'est-à-dire ton fiancé, ta future famille... c'est-à-dire un peu toi-même ? Alors, pourquoi ce ton d'amer- tume, Mimi ?

Cette fois, le bras rond et frais lui échappa dans un mouvement d'humeur.

— Ne peux-tu donc comprendre que npus ne sommes pas seuls au monde, vous les Mérale, et moi !... Et qu'à côtoyer tant de pauvres bougres qui n'ont pas de quoi se payer seulement un sandwich pour déjeuner on prend peu à peu en horreur les aises que donne l'argent à quelques privilégiés... même si l'on en fait, ou « doit » en faire partie ?

Les fins sourcils de Sylvie s'élevèrent dans la matité de son pur visage de fille d'Arles.

— Par exemple ! C'est du nouveau, ces théories ? Puis-je savoir si celui que te les a soufflées est le beau ténébreux dont il était question à l'instant ?

Le silence anxieux qui seul lui répondit blessa son cœur fraternel.

— Ainsi donc, murmura-t-elle avec un soudain découragement, il avait raison, Pascal ?

La petite sursauta :

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— Que dit-il ? Que pense-t-il ? Elles s'étaient instinctivement immobilisées sous

l'ombrage dense des hauts platanes de la place et se faisaient face, maintenant. Et Sylvie, fine, élancée, sous le casque bouclé de ses cheveux noirs, contem- plait avec une sorte d'apitoiement la jeune fille, à peine sa cadette de deux ans, mais qu'elle dépassait d'une demi-tête.

Très petite, toute ronde et potelée avec, aux coudes, aux joues, des fossettes de bébé, Mireille avait dans ses yeux chocolat, traversés de lueurs vertes fulgu- rantes, et sa bouche, aux lèvres très rondes, une telle jeunesse qu'elle en était attendrissante.

Et devant cette enfant livrée avec confiance au premier péril venu, Sylvie oublia un instant sa soli- darité fraternelle pour une amitié protectrice et attentive.

— Mon pauvre petit, soupira-t-elle, apitoyée, qu'est-ce qu'il t'arrive là ?

Elle s'attendait presque à une révolte, à une déné- gation farouche. Bien au contraire, avouant sa défaite, Mireille baissa un peu plus la tête, simple- ment, et dit, dans un souffle :

— Je ne sais pas... Sylvie encaissa douloureusement l'aveu ainsi for-

mulé, qui confirmait toutes les craintes de son frère. Mais, sans s'indigner, avec beaucoup de douceur pour ne pas effaroucher la confiance de la petite, elle mur- mura simplement : « Raconte », en pivotant pour la reprendre par le bras et l'entraîner en une marche lente, capricieuse, qui, mieux qu'un guet immobile, lui livrerait les confidences nécessaires.

— Je ne sais pas, reprit Mireille, du même petit ton humble. Il n'y a rien à raconter. Il agit sur moi, comme... je ne peux pas expliquer, comme un de ces magiciens qui vous font agir contre votre consen-

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tement. Cela s'appelle de la suggestion, tu sais... on va, comme des automates, là même on l'on ne vou- drait pas aller.

Le cœur battant à grands coups assourdissants, Sylvie osa à peine demander :

— L'essentiel est de savoir jusqu'où Il t'a fait aller jusqu'ici, mon Mireillou ?

Le diminutif la fit tressaillir par le rappel de celui qui, si longtemps, le lui avait donné avec tendresse. Un petit sentiment de culpabilité, mais aussi de dignité, la fit protester avec une chaleur convain- cante :

— Oh ! pas bien loin, va ! Le plus mal qu'il m'ait entraînée à faire, c'est... de négliger le mas et papa et... Pascal ! Parce que je pense trop à lui pour songer à écrire aux autres !

Les dents serrées, Sylvie estima : — C'est déjà bien assez ! — Mais il n'en est pas responsable, il n'en sait rien !

C'est, j'en suis certaine, involontairement, qu'il acca- pare toutes mes idées et envahit mon cerveau et mon coeur ! Mais, que veux-tu, auprès de lui tous les autres font figure de pâles silhouettes !

— Même Pascal ? fit-elle, indignée. Mireille baissa la tête : — Même ! Lui que j'étais accoutumée à considérer

comme le plus brave, le plus fort, le meilleur... Mais l'autre, vois-tu, il apporte quelque chose d'inconnu : un peu comme un souffle d'aventure. On sent qu'il a connu un tas de choses et de pays lointains. Et puis, il dit des choses si belles, si généreuses, avec une telle voix ! Je ne sais comment t'expliquer. Il me fait pen- ser à la fois à... Bayard et d'Artagnan !

— Complètement piquée, ma pauvre petite ! dit son amie, narquoise.

— Oui. Oh ! je sais bien, quand on ne le connaît

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pas, on ne peut pas imaginer ce qu'il représente pour des filles qui n'ont pas bougé de leur terre natale ! Et puis, il semble si bon, si droit. Vois-tu, pour moi, il est la personnification de la chevalerie moderne !

— Mon pauvre Mireillou ! Souhaitons que tu ne t'aperçoives pas un jour que ce n'est qu'un chevalier d'industrie...

— Oh ! c'est impossible ! Non, non... crois-tu donc que j'aurais pu préférer autre chose qu'un héros à notre Pascal ?

Tendrement cette fois, la longue main fine enve- loppa la menotte tiède qui s'agrippait à son bras.

— Ma chérie. De tout ce qui a été dit jusqu'ici, je ne veux retenir que ceci. Tout le reste...

Volontairement gamine pour ôter toute importance au sujet, Sylvie acheva en avançant ses lèvres par- faites pour souffler une fumée, une buée de senti- ment :

— Phuuu ! Rien ! Une illusion... une de ces illu- sions qui font se pâmer certaines femmes devant l'image d'un héros de cinéma.

Sérieuse soudain, avec un petit air appliqué qui la rajeunissait encore, la petite tenta d'expliquer :

— Eh bien ! oui, il y a de cela Et j'y vois une raison, figure-toi. M d'Armelle, chez laquelle je loge, a dû avoir dans sa jeunesse une passion de ce genre pour un type qui fit la folie de la génération de nos grand-mères : Rudolph Valentino. J'ai trouvé acciden- tellement dans une commode toute une collection des photos de ce jeune premier qui fut, dit-on, le plus grand séducteur de son siècle. Eh bien !...

Elle hésita un peu, leva un regard timide, avec la peur de déclencher une moquerie, et avoua plus bas

— Eh bien ! Arnaud lui ressemble beaucoup, ima- gine...

Mais, contrairement à ce qu'elle attendait, Sylvie

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ne rit pas. Elle fronça légèrement les sourcils et hocha la tête.

— Tu ne ris pas? fit Mireille, stupéfaite — Il n'y a pas de quoi, répondit-elle, sérieuse. A

vrai dire, je m'y attendais presque... enfin, à quelque chose de similaire. Pour qu'une fille comme toi oublie tout de ce qui fut sa vie, subitement. ce ne peut être que pour un de ces types de séducteurs irrésistibles... qui se font un jeu de jeter autour d'eux le trouble !

— Mais non, tu n'y es pas du tout. Arnaud n'est pas comme cela. Si nous en sommes toutes plus ou moins entichées, ce n'est pas sa faute, tout au moins consciente... Il ne cesse de répéter qu'il ne se mariera pas... qu'il ne peut pas se marier, et il ne nous prête pas plus d'attention qu'à nos camarades masculins.

— Que tu crois... fit Sylvie avec un hochement de tête entendu.

— Je suis certaine. Il est gentil avec moi, avec des attentions, comme les autres ne songent même pas à en avoir. Sa voix est, tu sais, une de ces musiques qui font songer aux ciels d'Argentine, et ses yeux ont un feu sombre...

— Minute, dit Sylvie en interrompant son amie. Ne me dis pas qu'il est Sud Américain ?

— Eh bien ! si... fit Mireille, piteuse soudain sous le regard sévère. C'est quelque part là-bas qu'Arnaud est né... Je crois,

— Et il s'appelle Arnaud par-dessus le marché ! gronda Sylvie en croisant ses bras sur sa poitrine, indignée. C'est le comble ! Un si beau nom, si français, et la plus jolie fille de Provence, pour un métèque !

— Oh ! mais non ! Pas du tout ! Si tu le connais- sais...

Les joues en feu, le nez en bataille, Mireille protes- tait de tout son être contre l'accusation.

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— Oui ! Et bien ! justement, je me réjouis de le connaître...

Fût-ce la menace du ton ou une vague petite jalou- sie qui pesa sur la tête où le soleil, à travers les branches allumait des paillettes d'or parmi les brunes ondulations :

— J'aimerais mieux pas, avoua tout bas Mireille.

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III

Fût-ce la Providence qui exauça son souhait ? Ou bien quelque génie malin, bien décidé, tout au con- traire, à contrecarrer son idylle ? Toujours est-il que, comme le préférait Mireille, Sylvie ne fit pas ce jour-là connaissance d'Arnaud.

Reconduisant, après le déjeuner, sa petite amie jus- qu'à son cours, elle rencontra un des garçons qui, quelques heures plus tôt, faisait partie de la petite bande vue à l'apéritif.

Il suivait le même chemin qu'elle et Sylvie s'étonna :

— Vous revenez en ville ? Pas de cours tantôt ? — Si, mais plus tard, dit-il en réglant son pas sur

le sien. On peut faire un tour ensemble, si vous voulez bien, en attendant. Je n'avais rien de très important à faire.

Sylvie, ravie au fond d'avoir l'occasion de faire une petite enquête, plaisanta :

— Merci de la préférence ! Un regard de côté, entre des cils pâles, lui répondit

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plus éloquemment que toute protestation. Elle conti- nua d'un ton négligent :

— Vous êtes Suédois ?

— Norvégien, corrigea le garçon aux cheveux blonds. Je ne vous demande pas si vous êtes Proven- çale : c'est vous qui seriez digne de porter le prénom cher à Mistral... Cette Mireille que vous nous avez envoyée n'a pas même les yeux noirs !

— Mais, dit Sylvie, avec sincérité, leur ton de marron d'Inde est infiniment plus rare... et surtout les éclairs d'émeraude qui le traversent par instants !

— Oui, fit le Norvégien en hochant la tête, j'avais remarqué. C'est tout à fait curieux ces lueurs brèves dans ses yeux...

Sylvie murmura avec un soupir mélancolique : — Je connais quelqu'un qui appelait cela « le

rayon vert », vous savez bien : le rayon du bonheur. On prétend que celui qui l'a aperçu une fois seule- ment dans sa vie, à l'heure où le soleil se couche, est destiné au bonheur.

Vaguement intéressé, il questionna : — Et cela ne s'est pas réalisé ?

Eh bien ! jusqu'ici, cela semblait devoir se réa- liser pour lui, au contraire... Seulement... seulement, Mireille a rencontré le nommé Arnaud, et...

— Compris ! fit-il avec un petit rire. Notre séduc- teur compromet les effets du « rayon vert » pour... Au fait, qui est-ce, ce type auquel vous semblez vous intéresser ?

— Mon frère, dit-elle très simplement. Mireille n 'a jamais parlé de lui, ici ?

— Fiancés ? fit-il à sa façon laconique. — Pour les familles et tout le pays, Qui, depuis

plusieurs années : mais chez nous on ne passe la bague au doigt que lorsque la date du mariage est fixée. Tout au moins, dans notre famille. Et tous

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deux avaient décidé d'attendre là fin des études de Mireille.

— Je vois, fit le Norvégien en secouant ses cheveux de chanvre pâle, un peu longs. Arnaud est venu se jeter dans ce petit bonheur tranquille comme un chien dans un de vos jeux de boules.

Il fit quelques pas en silence, puis, penchant son grand corps mince pour la regarder :

— Mais je ne pense pas que votre frète ait beau- coup à redouter de cette concurrence... Arnaud, c'est tin de ces trop beaux garçons qui ravagent les cœurs mais n'entrent dans aucune vie. Lui-même clame à qui veut l'entendre qu'il ne se mariera pas, qu'il ne le veut ni ne le peut...

Sylvie dressa l'oreille comme à un son de cloche déjà entendu. A éclaircir. Mais ne pas sembler y attacher trop d'importance pour ne pas effaroucher la confiance de ce grand blondin. D'un air détaché, elle lança :

— Tant mieux pour mon frère, tant pis pour vous et vos camarades, car, si je vous comprends bien, ce n'est qu'un rival passager ? Or vous tous, étudiants étrangers, vous ne cherchez comme lui que des... sympathies passagères dans notre pays ?

Très sérieusement, le Nordique accentua : — Moi pas. Moi, j'aimerais, oui, j'aimerais beau-

coup épouser une Française. — Pas possible ? dit Sylvie, rieuse. N'ajoutez pas,

surtout, que ce désir vous est venu depuis midi ! — Pourquoi ? fit-il, bien naïvement. — Parce que je ne vous croirais pas ! lança-t-elle

dans un éclat de rite. Il mit un moment à comprendre, puis, riant à son

tout : — Comme on a raison de dire que les Françaises

sont spirituelles f Mais sceptiques aussi. Pourquoi ?