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Page 1: L'ALUN DE MÉDITERRANÉE - CEAlex · 2015-05-19 · cesseur Paul II, en faveur de la Tolfa, vers la fin du XVe siècle (Delumeau 1962, p. 23). Mais, bien que probable, cette liaison

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L'ALUN DE MÉDITERRANÉE

Ouvrage publié avec le concours de la Regione Campania, Assessorato ai Beni Culturali

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Centre Jean Bérard Centre Camille Jullian

Collection du Centre Jean Bérard, 23

L'ALUN DE MÉDITERRANÉE

Colloque International organisé par

le Centre Camille Jullian (UMR 6573 du CNRS, Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme)

le Centre Jean Bérard de Naples (UMS 1797 du CNRS/EFR)

l'unité de recherche "Histoire et Archéologie des Mondes chrétiens et musulmans médiévaux" (UMR 5648 du CNRS)

la Maison de l'Orient et de la Méditerranée (UMR 5138 du CNRS)

avec le soutien de

Regione Campania, Assessorato ai Beni Culturali Centre National de la Recherche Scientifique

École française de Rome Institut Français de Naples

Museo Archeologico Regionale Eoliano «Luigi Bemabo Brea» (Lipari)

Naples, 4-5-6 juin 2003 Lipari, 7 -'8 juin 2003

édité par Philippe Borgard, Jean-Pierre Brun. et Maurice Pic~·h

Naples 1 Aix-en-Provence 2005

4 ...... -.

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Alun et couperose de la région de Viterbe

L'alun et la couperose de la region de Viterbe n'ont semble-t-il fait l'objet que de très courtes publications, comme ce sera encore le cas ici, en l'ab­sence de recherches systématiques dans les archives, sur le terrain et en laboratoire, qui seules pourraient nous apporter des arguments permettant d'étayer les schémas d'évolution que nous présentons. Ces sché­mas nous semblent toutefois mériter qu'on les pro­pose à la réflexion de tous, car ils suggèrent l'exis­tence d'exploitations dispersées d'aluns et de pro­duits associés, comme la couperose, qui auraient persisté en Italie, et dans les Etats Pontificaux, mal­gré les interdictions répétées de la Chambre Apos­tolique à partir de la fin du XVe siècle. Ces exploita­tions que l'on a des raisons de supposer de petite taille, dispersées et sans doute artisanales, au point de n'avoir guère attiré l'attention des chroniqueurs, pourraient remonter à des périodes lointaines, voire à l'Antiquité. La mise en évidence de l'ancienneté éventuelle de ce type d'exploitation en Italie consti­tue bien évidemment l'objectif prioritaire que devraient se fixer des recherches qui ne se limite­raient plus à l'alun d'alunite 1. C'esf en tout cas ce qu'on va s'efforcer d'exposer ici, après avoir fait le point de nos connaissances sur les productions de la région de Viterbe.

1. Le vitriol romain ·

Le vitriol ou couperose est un sulfate de fer de formule FeS04. 7H20 qui se présente sous forme de cristaux de couleur verte 2. Ses utilisations en teintu­rerie et en tannerie sont proches de celles des aluns, mais bien plus restreintes. Aussi est-ce un produit qui demeura toujours d'un prix très inférieur à celui des aluns, et particulièrement à celui de l'alun d'alu­nite dont les emplois sont beaucoup plus étendus, et

Giuseppe Occhini, Maurice Picon

les résultats de bien meilleure qualité. Il fut cepen­dant très utilisé pour certaines teintures sombres ou noires et pour la fabrication d'encres 3.

1 L'alun d'alunite, KAl(S04)2.12H20, a donné lieu en Italie à une fabrication très développée à la Tolfa, pt·ès de Civitavecchia dans les États Pontificaux, à partir de 1462 semble-t-il, et à un commerce aussi étendu que fructueux (Delumeau 1962). D'autres fabriques d'alun d'alunite, qui n'eurent jamais l'impor­tance de celles de la Tolfa, existèrent dans plusieurs régions d'Italie, en Campanie et dans le sud de la Toscane, notamment. La prédominance économique de l'alun d'alunite eut sans doute pour conséquence de laisser dans l'ombre de nombreux autres produits, comme ceux de la région de Viterbe, dont les utilisa­tions étaient plus ou moins analogues, mais les qualités moindres et les pt·ix très inférieurs. La multiplication éventuelle d'exploitations artisanales consacrées à ce type de pmduits de substitution fut peut-être loin d'être négligeable pour la teinture­rie et la préparation des cuirs et des peaux. D'autant que ces exploitations peuvent avoü· été fort anciennes, comme on l'a déjà suggéré en attendant d'être à même de le démontrer.

2 On parle alors de vitdol vert ou de couperose verte, par oppo­sition au vitriol bleu ou couperose bleue, qui est du sulfate de cuivre. L'un et l'autre produitS étaient connus dans l'Antiquité. On notera que les cristaux de coupemse vet-te acquièrent parfois une coloration bmnâtre qui est due à la transformation superficielle du sulfate ferreux, FeS04, en sulfate ferrique, Fe2(SQ4)3, et, plus sou­vent encore, en sulfate ferrique basique Fez(S04)3, nFe203 ?

3 Encres noires à base d'acide tannique ou gallique (voir à ce propos l'article de Danièle Ruggiem «Gli inchiostri antichi per scd­vere •, dans Chi mica e Biologia applicate alla conservazione degli archivi, Pubblicazioni degli Archivi di Stato; saggi 74, 20021. Ce type

d'encre semble avoir été connu dès l'Antiquité si l'on en croit la recette attribuée à Philon de Byz.ance, qui serait du me siècle avant notre ère; elle est citée dans l'ouvrage «Les encres noires au Moyen Âge>> de Monique Zerdoun Bat-Yehouda, Ed. du CNRS, 1983. Des indications sur J'existence de teintures métallogalliques dans J'Antiquité figurent aussi dans Pline, H.N. XXXIV, 123-124.

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Giuseppe Occhini, Maurice Picon

L'histoire "officielle" du vitriol romain est curieuse, car il y est dit que gisements et carrières furent redécouverts et mis en valeur, dans la région de Ferento, en 1644 par Francesco Att~wante, à qui l'exploitation fut cçmcédée par un acte sous seing privé d'Urbain VIII (Munari 1970). Or il semble que l'extraction de ce produit n'ait jamais cessé dans la région de Viterbe. ll est cité régulièrement dans les recettes d'encres du XVe au XVIIe siècle (cf. 3). En outre, Biringuccio indique dans son ouvrage pos­thume publié à Venise en 1540, que le vitriol romain «se tire au conté de Baignorée » (Bagnoregio, à une vingtaine de kilomètres au nord de Viterbe) et qu'il est aussi bon que celui de Chypre (Biringuccio 1572, feuillet 48) 4. Mais l'exploitation semble avoir cessé à la fin du XVIe siècle (Grillo e Cipriani, p. 35-55). ll serait particulièrement intéressant de savoir si ce fut aussi le cas des fabriques de vitriol de Selvena di Santa Fiora (ou del Monte Amiato), à environ une quinzaine de kilomètres à l'ouest/nord-ouest, d'Acqua­pendente (fig. 1). D'autant que Vetriolo et Selvena dépendaient alors de la Chambre Apostoliquç, et que celle-ci pouvait avoir intérêt, comme on le verra plus loin, à ce que ces fabrications s'arrêtent. Cela valant

0 Lagodi Mezzana

• Acquapendente

Latera

e Orvieto

Lagodi Bol sena e Bagnoregio

• Vetriolo

<1 Montefiascone

• I'Edificio • • Ferento

Viterbe e Monte • Cimino

Fig. 1 - Carte de la région de Viterbe où se trouvent les principales zones de kaolinisation et d'alunitisation (parmi les plus importantes desquelles se trouvent celles de la caldeira de Latet-a), ainsi que les formations pyri­teuses altérées qui ont été exploitées pour l'alun à Ferento, et pour le vitrio1' à l'Edificio, à Bagnoregio (Vetriolo) et sans doute en beaucoup d 'autres régions.

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aussi pour les mines et carrières d'alun et /ou de vitriol de Ferento, dont l'exploitation est attestée dès le XIIIe siècle (cf 3), et dont on a quelques raisons pour supposer qu'elles ne s'arrêtèrent que con­traintes et forcées.

Dans ces conditions la redécouverte du vitriol romain de la région de Ferento en 1644 ressemble un peu à une mise en scène, ~a disparition tempo­raire devant sans doute quelque chose au monopole de l'alun que tentèrent d'imposer Pie II et son suc­cesseur Paul II, en faveur de la Tolfa, vers la fin du XVe siècle (Delumeau 1962, p. 23). Mais, bien que probable, cette liaison reste à démontrer. Quoi qu'il en soit, la Chambre Apostolique qui gérait les fa­briques d'alun d'alunite de la Tolfa se rendait acqué­reur de l'exploitation du vitriol romain en 1738 (Munari 1970). Elle construisit un nouvel établisse­ment dont on possède les plans détaillés, relevés en 1844-1 845, par l'architecte Virgilio Vespignani (Bentivoglio 1983)5. Des restes importants de cet établissement subsistent encore au lieu-dit l'Edificio (fig. 1). Lexploitation s'y poursuivit jusqu'en 1867 (Pinzi 1887, p. 551).

Les procédés employés pour la préparation du vitriol ou couperose dans la fabrique de l'Edificio ne présentent guère d'originalité, autant qu'on puisse les reconstituer à partir de quelques brèves indications du XJXe siècle (Bentivoglio 1983). La terre vitriolique dont on précisera plus loin la genèse et les caractéris­tiques est extraite dans les premiers jours de mars et mêlée aux résidus d'exploitation des années précé­dentes. Après un temps de maturation qui n'est pas précisé, mais qui ne devait pas être très long, la terre est épuisée par des lavages successifs à l'eau froide. La lessive ainsi obtenue est décantée, puis concentrée par ébullition dans des cuves en plomb. Enfin elle est mise à refroidir et cristalliser; avant d'être raffinée par redissolution et recristallisation lente 6.

Vers le milieu du XJXe siècle, la production annuelle était de 265 000 livres, soit environ 100 tonnes, dont il ne restait après raffinage que 140 000 livres, soit un

4 Sans doute s'agit-il plus précisément de la zone de Vetriolo qui se trouve à 3 ou 4 km de Bagnorégio, en direction du sud-est (fig. 1) (Grillo et Cipriani 2000, p. 35-55).

s On se doit de signale1· ici que nous n'avons pas eu le loisir de consulter à l'Archivio di Stato di Roma les documents originaux de Virgilio Vespignani, résumés par Enzo Bentivoglio.

6 Les renseignements fournis par le Docteur Morichini con­firment en les précisant les indications précédentes (Morichini 1852); Mais, surtout, elles comportent un certain nombre de don­nées analytiques dont on se servira plus loin.

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peu moins de 50 tonnes 7. Si les chiffres rapportés par Bentivoglio sont exacts (et l'on a quelques rai­sons de le croire), ce déchet de près de 50% au raf­finage mérite d'être souligné, car il pourrait s'expli­quer, en partie du moins, par une proportion impor­tante de sulfates d'aluminium, simples ou com­plexes, dont on reparlera à propos des gisements de la région de Viterbe.

2. Les données géologiques

La région de Viterbe, pl;ncipalement celle qui s'étend sur une trentaine de kilomètres jusqu'à hau­teur de la bordure nord du lac de Bolsena (fig. 1), est bien connue des géologues pour l'importance de ses phénomènes d'altération fumerollienne et/ou hydre­thermale. ils sont à l'origine de la transformation d'une partie de son matériel volcanique en kaolin et en aluni te (Lombardi 1977 ; Lombardi and Mattias 1977 ; Lombardi e Sonno 1979).

Mais ces altérations qui se caractérisent par la pré­dominance des phénomènes de kaolinisation et d'alu­nitisation ne sont pas les seules à affecter les forma­tions volcaniques de cette région. On y trouve en effet d'importants dépôts de marcassite, FeS2, qui sont fréquemment interstratifiés dans des tufs volcaniques plus ou moins kaolinitisés. Ces dépôts résulteraient de l'action, en milieu plutôt humide et réducteur, d'éma­nations d'acide sulfhydrique, H2S, très importantes dans la région (comme le sont aussi celles de gaz car­bonique) sur des composés du fer, principalement des chlorures, provenant eux-aussi de processus fumerol­liens. Les zones de battement ou d'émergence des nappes phréatiques semblent avoir été particulière­ment propices à ce type de réaction dont les produits, plus ou moins altérés, se rencontrent souvent en couches horizontales aux flancs des profonds ravins qui entaillent la région, dont le ravin de Ferento constitue l'exemple type (Camponeschi e Nolasco 1986).

Or on sait que la marcassite s'oxyde facilement en se transformant en sulfate, la couperose ou vitriol vert, FeS04.7H20. Ainsi se sont formés les gisements du vitriol romain. il suffisait ensuite de laver à froid les terres retirées des couches qui renferment les pyrites altérées, pour en extraire la couperose dont on concentrait la solution, afin de la faire cristalliser au refroidissement. Le raffinage de la couperose ainsi obtenue, par redissolution et recristallisation lente, entratnait, comme on l'a vu, une diminution de près de Sü<'..i> du produit brut.

Il est vraisemblable que cette diminution soit due pour une large part à la présence de différents

Alun et couperose de la région de Viterbe

produits qui se trouvaient avec la ëouperose dans ses gisements: l'alunogène, Ah(S04h.I8H20, signa­lée notamment à Ferento et Magugnano, ou des aluns comme l'halotrichite, FeAh (S04)4.l8H20, dont nous avons vérifié l'existence, voire l'alun potas­sique KAl(S04)2.l2H20 ... (Maugini 1890 ; Millosevich 1901)8. Tous ces produits alumineux trouvent leur origine dans le fait que la tra~sformation de la mar­cassite en sulfate de fer, donc en couperose ou vitriol, libère de l'acide sulfurique, H2S04, qui se combine avec les tufs plus ou moins altérés, à l'intérieur des­quels les couches de marcassite sont interstrati­fiées 9. Ainsi ce qu'on cherchait à éliminer au raffi­nage c'était curieusement des produits dont le mé­lange avec la couperose n'aurait pu qu'étendre et améliorer ses utilisations en teinturerie et en tanne­rie. Mais c'était précisément ce qu'il fallait éviter afin de ne pas risquer de concurrencer, avec un alun de très bas prix, l'alun d'alunite de la Tolfa. D'ail­leurs on peut se demander si, bien avant l'ouverture des mines de la Tolfa (voire après, on y reviendra), on n'aurait pas cherché, tout au contraire, à aug­menter la part de ces mêmes produits, aux dépens de la couperose, ce qui justifierait qu'on ait pu par­ler alors de productions d'aluns, comme celle de Ferento à laquelle nous nous intéressons particuliè­rement.

7 Il s'agit en fait d'une assez pecite production, mais dont la qualité était sans doute particulièrement appréciée (peut-être par habitude ou a priori, comme ce fut Je cas pour J'alun de la Tolfa au XIXe siècle). La production française de couperose atteignait quant à elle 1414 tonnes en 1830, tandis que ses importations, qui étaient encore de 971 Lonnes (métriques) en 1787, n'étaient plus que de 4 tonnes en 1830. Cf. Apperçu de l'extraction el du com­merce des substances minérales en France avant la Révolution, Journal des Mines, Vendémiaire an Ill, 1794, p.55-92, et Le Play et De Cheppe, Observations sur le mouvement commercial des prin­cipales substances minérales entre la France eL les puissances étrangères, pendant les douze dernières années, et particulière­ment pendant les années 1829, 1830 et 1831, Annales des Mines, Ille série, t. ll,1832, p.501-548.

8 Les formations volcaniques de la région de Viterbe, eL les cris­tallisations qui s'y rencontrent, avaient depuis longtemps attiré l'at­tention des savants et des érudits de la fin du XVlllc sièc,l~. dont l'Abbé Scipio Breislak qui administra un temps les alunières d'Agnano (Singer 1948, p.175; Delumeau 1962, p.28). Breislak lais­sa d'ailleurs son nom à une cavité nalurellè de la région âe Viterbe.

9 Les analysès effectuées par le Docteur Morichini confirment pleinement la richesse en sels d'aluminium du minerai de Ferento, et leur élimination progressive au cours des opérations de purification. C'est ainsi que dans le minerai le rapport du sul­fate de fer au sulfate d'alumine serait proche de 1.9 alors que dans le produit raffiné ce rapport serait de 7.4 (M01ichini 1852).

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Giuseppe Occhini, Maurice Picon

3. L'alun de Ferento

Ferento était une cité médiévale, rivale de Viterbe, qui se trouvait à moins d'une dizaine de kilomètres de celle-çi (fig.l ). Elle fut détruite en 1172 par les habitants de Viterbe. Ferento occupait les ruines d'une ville romaine dont il subsiste de nom­breux vestiges, souvent importants et bien conservés (Maetzke et al. 2001 ; Güll et Scaia 2002).

I.:alun de Ferento nous est connu par le tarif de péage annexé aux statuts de Viterbe, qui seraient de 1251 JO. Il y figure avec deux autres variétés d'aluns dont nous reproduisons les appellations et les péages con·espondants, selon la traduction du latin à l'ita­lien qu'en a donnée Cesare Pinzi (Pinzi 1887, p.SSl).

Per ogni libra di allume di rocca

Per ogni soma di allume zuccari no

Per ogni soma di a llume di Fèrento

2 soldi, soit 24 denari

12 denari

1 denaro

On notera d'abord que l'alun était donc exploité à Ferento, ou continuait à l'être, après la destruction de 1172, ce que semblent confirmer. les installations du XIIIe siècle découvertes lors des fouilles effec­tuées par Gabriella Metzke et Paolo Güll dans la cité médiévale. Les huit fosses allongées, mises au jour dans un espace artisanal, évoquent par bien des aspects les traces que pourraient laisser les bassins d'évaporation et de cristallisation en bois, semi­enterrés, que décrivent les traités du XVJe siècle, pour la production de différents sels minéraux qui, dans le cas présent, pourraient être de l'alun et du vitriol (fig. 2).

Fig. 2 -Schéma simplifié des hui t fosses allongées du XIIIe siècle, découvertes lors des fouilles de Ferento (Maetzke et al. 2001, fig. 14, p. 310). Sans doute s'agit-il des négatifs de cristallisoirs en bois dont l'usage fut très répandu; ils servàient à l'extraction de différents sels à partir de leurs solutions.

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On notera ensuite les différences d'imposition considérables qui existent entre les trois variétés d'aluns inscrites au tarif de péage de Viterbe. I.:alun de Ferento est taxé à la «Soma>>, c'est-à-dire à la charge transportée par une bête de somme, âne ou mulet le plus souvent. Ce qui peut difficilement représenter moins d'une vingtaine de kilogrammes. Dans ces conditions l'imposition de l'alun de Ferento aurait été environ mille fois plus faible que celle de l'alun de roche. Ce qui ferait penser que ce dernier pourrait n'avoir été qu'un produit à usage médical, et sûrement pas artisana]ll. Contrairement à l'alun de Ferento.

Bien qu'on sache que les taxes étaient loin de refléter la valeur estimée des produits, étant aussi l'un des éléments de la politique économique des cités, on est bien obligé d'admettre que l'alun de Ferento n'était certainement pas considéré comme un produit d'une exceptionnelle qualité. Il était d'ailleurs taxé au même niveau que les écorces de chêne et autres produits végétaux servant au tannage (Pinzi 1887, p.SSl).

Mais ici on essayera surtout de comprendre ce que pouvait être l'alun de Ferento et quels pouvaient être ses rapports avec le vitriol romain qui sera pro­duit quelques siècles plus tard dans la même région. S'agit-il du même produ it, ou d'un produit diffé­rent? D est sûr en tout cas que ce sont les mêmes matériaux de base qui ont été exploités dans l'un et l'autre cas. Car ceux-ci ne peuvent être que les ni­veaux pyriteux altérés qui sont interstratifiés dans les tufs volcaniques plus ou moins kaolinitisés de la région. On a vu qu'ils apparaissaient souvent en couches subhorizontales, aux flancs des ravins qui entaillent profondément cette région où subsistent de nombreuses traces d'exploitations- à ciel ouvert, en puits, en galeries ou sous d'autres formes- traces dont certaines remonteraient à l'Antiquité (Campo­neschi e Nolasco 1986, p. 283)12.

10 Il aurait existé une version plus ancienne de ces statuts (renseignements que nous devons au Professeur Gab.-iella Metzke dont la disparition prématurée nous a profondément affectés).

11 Dans beaucoup de textes médiévaux l'alun de roche est de l'alun d'alunite, peut-être oriental à cette époque. Mais ici l'ex­pression «allume di rocca >> est déjà une interprétation que fait Cesare Pinzi du texte latin qui parle seulement de « alluminis de castello>>. Quant à J'allume zuccari no, « allumlni.s Çuccarinj >>, il s'agit souvent d'un alun en principe moins pur que le précédent. dont les cristaux évoquent ceux du sucre. Mais ces appellations demeurent encore peu explicites pour nous.

12 Nous n'avons pas encore pu interroger les auteurs, ou retrouver leurs sources, à propos de cette indication chronolo­gique qu'il serait impo1·tant de vérifier.

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4. Les vicissitudes d'une production

Si l'on retient l'hypothèse d'une explqitation ancienne des gisements de la région de Ferento, antérieure par exemple au xme s iècle, voire antique, le produü le plus facile à préparer à ces époques a nciennes était sûrement celui qu'on obtenait pa r lavage à fro id des terres alumineuses et vitrioliques extraites des niveaux pyriteux altérés, suivi de l'éva­poration et de la cristallisation des lessives a insi obtenues. Ce qui pouvait être fa it dans de simples bacs en planches, exposés au soleil et à la chaleur de l'été (fig. 2). On récoltait ainsi un mélange d'aluna­gène, d'aluns et de vitriol qui aurait eu - comme on l'a déjà signalé à propos des pertes importantes enregistrées à la manufacture de l'Edificio, lors du raffinage du vitriol- des utilisations en teinturerie et en tannerie plus intéressantes que celles du vitriol raffiné 13. Et de surcroît un produit très bon marché, compte tenu de la simplicité des opérations à mettre en œuvre.

On comprend qu'une telle production pOt être mal vue de la Chambre Apostolique, quand celle-ci eut la charge de faire a ppliquer le monopole de l'alun de la Tolfa. D'autant que les gisements de pyrites altérées occupent, de man ière discontinue certes, des surfaces très importantes dans Ja région de Viterbe, allant vers le nord au-delà de Vetriolo, et vers l'est presque jus­qu'au Tibre (fig. 1 ). Des exploitations primitives d'alun pouvaient donc s'y être multipliées. Aussi l'oubli des gisements de Ferento, précédant leur redécouverte au milieu du XVIIe siècle, ne fut peut-être qu'une manière déguisée de présenter ce qui était simplement la conséquence d'interdictions répétées 14. La redécou­verte des mines anciennes et leur réouverture, avec l'élaboration d'un produit nouveau, le vitriol raffiné, ne présentaient plus alors de risques pour le mono­pole de la Tolfa, tant étaient différentes les propriétés de ce vitriol raffiné et celles de l'alun. n est d'ailleurs assez curieux de constater qu'à Ferento dans les Etats Pontificaux, on passa très probablement d 'un produit proche de l'alun, à un produit qui en était fort éloigné, le vitriol raffiné. Alors que dans le reste de l'Europe ce fut l'évolution inverse qui se produisit 15. Mais les contraintes imposées dans le Latium , et sans doute aussi dans d'autres régions d'Italie, par la défense du monopole de la Tolfa, étaient sans influence ailleurs.

Pour conclure on croit nécessaire de rappeler que des exploitations primitives d'alun, comme celle de Ferento, ou celles que stigmatise la Chambre Apos­tolique (cf. note 14), peuvent, par l'extrême simplici­té qu'on leur prête, avoir été fort anciennes, et peut­être même antiques. À leur propos, on se contentera

Alun et couperose de la région de Viterbe

de redire l' intérêt qu'on aurait à étudier les gisements de ces ten·es alumineuses, apparemment fort nom­breux en Italie, en y incluant leur environnement géologique, historique, archéologique, etc. Car on y découvrira peut-être une économie artisanale dont on pressent l'existence, mais qui est demeurée en marge des exploitations plus importantes, et pourrait de ce fait n'avoir guère été prise en compte par les chroniqueurs et les historiens. S'étant déjà exprimé à ce sujet, il n'est sans doute pas indispensable d'y revenir ici 16. Toutefois on tient à y rajouter la néces­saire exploration des minières, carrières à ciel ouvert, galeries, puits et autres structures d'extraction qui pourraient nous apporter des éléments de datation irremplaçables 17.

13 On rappelle que c'est à sa propo11:ion plus élevée de sels d'aluminium, aluns et alunogène, ct à sa moindre proportion de couperose ou vi tr iol, que le produit non raffiné devrait sa supé· riorité, en teintlll-ede et en tannel"ie, sur le produit raffiné. Mais la qualit6 de cette production primitive (qui consistait simplement à laver les terres alumineuses et vi tdoliques) avait déjà pu être améliorée, et de longue date, en choisissant, d'après leurs colora· lions, les matières premières les moins riches en vitriol, et donc en fer, ce qui revenait à privilégier celles qui étaient les plus riches en sels d'aluminium. D'autres procédés d'amélioration, plus com­plexes, peuvent être utilisés, mais leur emploi n'est pas attesté avant le XVl< siècle, ce qui peut ne pas êo-e très significatif, compte tenu des lacunes de nos connaissances. Parmi ces procédés, l'un des plus répandus consiste à exposer, aussi longtemps que possible les matières premières aux intempéries. La couperose s'oxyde alors en donnant des produits qui peuvent s'éliminer au lavage, tandis que la formation des sels d'aluminium est favorisée. Un autre de ces procédés comporte un gtillage modéré du minerai, qui petmet d'arriver à peu près aux mêmes résultats, mais plus rapidement. On n'a aucun témoignage indisclllable de l'utilisation de l'un ou l'autre de ces deux procédés dans le Latium. Mais le premier, le plus simple à réaliser, n'est pas à exclure a priori, y compris dans l'Antiquité.

14 En témoignent encore, dans les premières décennies du XJXc siècle, les Notificazioni de la Chambre Apos tolique, dont celle du Cardinal Cristaldi en da te du 20 Décembre 1828 qui sti­pule «Si rinnova per ordinc espresso di SUA SANTITA' il divieto di far uso delle Terre Alluminose di Scrofano, Filacciano, e di qualsivoglia altra provenienzia già prescritto nell' Art.0 2.0 della Notificazione del 25. Settembre 1824 » .

15 Sur ces évolutions, cf. dans le même volume la communi­cation relative à l'alun de l'Aveyron.

16 Voir dans ce même volume, M. Picon, Des aluns naturels aux aluns artificiels et aux aluns de synthèse: matières p•·cmières, gisements et procédés, et plus particulièrement, p. 33 (4. Les pro­duits chimiques et les mines non métalliques).

17 Non sans avoir expressément souligné les risques d'acci­dent inhérents à ce type d'exploration, pour lequel on ne saurait p•·endre trop de précautions.

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Giuseppe Occhini, Maurice Picon

Bibliographie

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