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THÈME DE FRANÇAIS 2011-2012 EN PRÉPA SCIENTIFIQUE 20 fiches sur les œuvres au programme La justice Steinbeck Les Raisins de la colère Eschyle Les Choéphores et Les Euménides Pascal Pensées Sous la coordination de Anouk JURADO et Natalia LECLERC Par Matthieu BENNET Ancien élève de l’ENS (Lyon) Professeur agrégé de Philosophie Céline BOHNERT Agrégée de Lettres modernes Docteur ès Lettres Maître de conférences Géraldine DERIES Professeur agrégé de Lettres modernes Ancienne élève d’HEC Docteur ès Lettres Natalia LECLERC Professeur agrégé de Lettres modernes Docteur en Littérature comparée Ancienne interrogatrice en CPGE Charlotte SIMONIN Agrégée de Lettres modernes Docteur ès Lettres Professeur en CPGE Élise SULTAN Certifiée de Lettres modernes Doctorante en Philosophie Marie-Joséphine WERLINGS Agrégée de Lettres classiques Docteur en Histoire grecque Maître de conférences

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THÈME DE FRANÇAIS 2011-2012 EN PRÉPA SCIENTIFIQUE

20 fichessur les œuvres au programme

La justiceSteinbeck – Les Raisins de la colère

Eschyle – Les Choéphores et Les EuménidesPascal – Pensées

Sous la coordination deAnouk JURADO et Natalia LECLERC

Par

Matthieu BENNET

Ancien élève de l’ENS (Lyon)

Professeur agrégé de Philosophie

Céline BOHNERT

Agrégée de Lettres modernes

Docteur ès Lettres

Maître de conférences

Géraldine DERIES

Professeur agrégé de Lettres modernes

Ancienne élève d’HEC

Docteur ès Lettres

Natalia LECLERC

Professeur agrégé de Lettres modernes

Docteur en Littérature comparée

Ancienne interrogatrice en CPGE

Charlotte SIMONIN

Agrégée de Lettres modernes

Docteur ès Lettres

Professeur en CPGE

Élise SULTAN

Certifiée de Lettres modernes

Doctorante en Philosophie

Marie-Joséphine WERLINGS

Agrégée de Lettres classiques

Docteur en Histoire grecque

Maître de conférences

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Les indications de pages dans cet ouvrage renvoient aux éditions suivantes.Ces renvois sont destinés à faciliter votre recherche ; ils ne doivent pas figurerdans vos dissertations.

Pensées Classement LafumaRéférences aux classements Brunschwiget Comte-Sponville (ex : CS76/B294/L60)

Les Choéphores et Les Euménides GF, trad. Daniel LoayazaLes Raisins de la colère Folio, trad. E. Coindreau et M. Duhamel

20 dissertations + 20 résumés Après le fond, la forme

Maintenant que vous connaissez les œuvres,préparez-vous aux épreuves ! Qu’est-ce qu’unebonne dissertation ? Comment faire un bon ré-sumé ? Apprenez la technique grâce à des mé-thodes simples et efficaces. Entraînez-vous sur20 sujets analysés et corrigés en détail.Faites la différence.

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c© H&K 2011Toute reproduction, même partielle, est interdite.Dépôt légal mai 2011ISBN13 : 978-2-35141-077-6

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Mode d’emploi

Étudier un thème, c’est partir en exploration d’un territoire inconnu. Les œu-vres au programme y sont des montagnes dont l’escalade permet d’embrasser duregard une portion du thème. Cet ouvrage, c’est le moyen de rendre votre aventureplus rapide, plus agréable et plus pertinente.

– Avant de vous lancer dans une œuvre, lisez notre présentation de l’auteur,de son époque, de ce qu’il a écrit, du genre littéraire qu’il a choisi, de lamême manière que vous vous renseignez sur une région avant de partir envoyage.

– Optez ensuite pour la balade en hélicoptère et laissez-nous vous montrerune vue d’ensemble de l’œuvre, ses grandes idées et ses personnages.

– Utilisez les résumés en accompagnement de votre lecture : lisez d’abord lerésumé du chapitre ou de la scène pour savoir ce qui vous attend, puis letexte de l’auteur, et revenez au résumé comme à un check-point.

Tout au long de votre lecture, n’hésitez pas à annoter aussi bien ce livre que lesœuvres au programme. Construisez votre propre opinion même si vous n’êtes passûr de vous : ce sera valorisé aux concours et vos révisions seront facilitées.

Une fois votre lecture terminée, rassemblez vos souvenirs et cherchez les dif-férences de point de vue et les points communs entre les œuvres. Vous pourrezalors aborder les fiches de synthèse à la fin de cet ouvrage : faites-vous une idéesur le thème qu’elles abordent puis comparez vos réponses aux nôtres.

Jamais un outil aussi complet et synthétique n’avait été mis à la dispositiondes prépas : 30 pages par œuvre, 30 pages pour 10 fiches de synthèse. Grâce à celivre, l’efficacité de votre travail sera décuplée. Le thème deviendra clair et voussaurez tout de suite ce qu’il faut retenir des œuvres au programme.

L’ensemble de l’équipe vous souhaite un bon travail et une belle réussite auxconcours.

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Sommaire

Mode d’emploi 3

Fiche n◦1 Comment étudier une œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

Les Raisins de la colère

Fiche n◦2 Steinbeck et son œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Fiche n◦3 Vue d’ensemble des Raisins de la colère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18L’intrigue 18Structure de l’œuvre 21Les personnages 26

Fiche n◦4 Résumé des Raisins de la colère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .32Première partie (chap. 1–11) : quitter la terre 32Deuxième partie (chap. 12–18) : l’exode 35Troisième partie (chap. 19–29) : la Californie 39Appendice : le déluge (chap. 29–30) 42

Les Choéphores et Les Euménides

Fiche n◦5 Eschyle et son temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

Fiche n◦6 Vue d’ensemble des Choéphores et des Euménides . . . . . . . . . . . . . . . . 49Les intrigues 49Les personnages 53

Fiche n◦7 Résumé des Choéphores et des Euménides . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .59Les Choéphores : l’accomplissement de la justice divine 59Les Euménides : la fin du cycle infernal de la vengeance 63

Les Pensées

Fiche n◦8 Pascal et son œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

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SOMMAIRE 7

Fiche n◦9 Vue d’ensemble des Pensées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75Justice divine et injustice naturelle de l’homme 75L’injustice comme désordre 76Justice et injustice : « la justice est ce qui est établi » 76Justice, force et imagination 77

Fiche n◦10 Résumé des Pensées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79Misère et grandeur : la double nature de l’homme 79La justice établie par les hommes 82L’injustice est un désordre 86« Un si bel ordre » tiré du désordre 91

Fiches thématiquesFiche n◦11 La justice, produit d’une époque 97

Fiche n◦12 Justice et nature 100

Fiche n◦13 Justice et passions 103

Fiche n◦14 Lois et coutumes 106

Fiche n◦15 Légal et légitime 109

Fiche n◦16 Justice, individu et groupe 112

Fiche n◦17 Le juge, le juste et le justicier 115

Fiche n◦18 Justice de(s) dieu(x), justice des hommes 118

Fiche n◦19 Justice, ordre et désordre 121

Fiche n◦20 La justice : réalité ou illusion ? 124

Index. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

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8 FICHE N◦ 1

Comment étudier une œuvre

Ce livre est le résultat d’une démarche de lecture que nous allons vous présen-ter ; vous n’avez donc pas besoin de la refaire.

Toutefois, pour bien comprendre à quoi servent les pages qui suivent et com-ment les exploiter au mieux, il est utile de savoir comment elles ont été élaborées.En outre, vous pourrez réutiliser la méthode pour d’autres textes, y compris dansdes domaines techniques.

Entre lire un magazine et lire une œuvre crayon en main, la différence est lamême qu’entre regarder une série télé et regarder une sculpture. Aux concours,on attend de vous des interprétations sur le sens global de l’œuvre, qui néces-sitent une prise de recul par rapport au texte afin de le mettre en relief vis-à-visdu thème. Cela passe par une technique spécifique de lecture, trop rarement ex-pliquée, dont tous les éléments doivent être déployés.

Avant la lecture elle-même, la première étape est de se documenter sur l’au-teur. Vous ne mentionnerez pas d’élément biographique dans vos dissertations,mais ces informations vous permettent de bien comprendre l’œuvre que vouslisez en la remplaçant dans un contexte historique et culturel. À quelle époquel’auteur a-t-il vécu ? Son pays était-il en guerre ? Que s’est-il passé dans sa vie etcomment cela a-t-il affecté ce qu’il a écrit ? Appartenait-il à un mouvement litté-raire militant ? Avait-il un projet littéraire précis ? Quels sont les éléments de sonœuvre qui sont spécifiques à son époque ? Et qu’est-ce que le public de l’époquepercevait sans effort et qui nous est aujourd’hui étranger si l’on ne cherche pas àcomprendre l’air du temps ? Cette mise en situation est indispensable pour perce-voir toutes les dimensions de l’œuvre. Le décalage culturel peut nous rendre uneœuvre aussi hermétique que la musique moderne le serait à Molière.

La deuxième étape, la lecture à proprement parler, est composée non pas d’unemais de plusieurs lectures successives de l’œuvre, chacune permettant d’accéderà une compréhension plus complète. Une première lecture doit dégager, pour lesœuvres de fiction, le cheminement du texte, ses moments clefs, le projet de l’au-teur, son « message », les caractéristiques des principaux personnages. L’œuvre dephilosophie, elle, doit être lue en observant le raisonnement mené sur le thèmedonné, en comprendre les articulations et savoir le reproduire, c’est-à-dire rai-sonner comme l’auteur (que vous soyez ou non d’accord avec lui). Dans les deuxcas, il faut lire en prenant des notes. Après cette première lecture, le texte recèle

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32 FICHE N◦ 4

Résumé des Raisins de la colère

1 Première partie (chap. 1–11) : quitter la terreLa première partie du roman convie le lecteur dans le monde des métayers

de l’Oklahoma. Du désastre du Dust Bowl, les terribles tempêtes de poussière dé-chaînées suite à la dévastation des sols par des cultures inappropriées, jusqu’àl’abandon des maisons à une nature qui reprend ses droits, cette partie évoquel’arrachement des fermiers à leur terre. Le lien fondamental de l’homme à sa terreest symbolisé par un geste qui revient comme un leitmotiv : tracer des signes surle sol.

Le retour du fils prodigue (chap. 1–8)

Le roman s’ouvre d’emblée à une dimension collective : c’est au récit d’uneépopée humaine que le lecteur est invité. L’évocation des éléments en furie, dontla lutte semble engager des forces morales, fait émerger l’idée d’obstination, l’unedes qualités qui définit l’homme, pour Steinbeck. Le mystère humain est posé dèsle début : « À la dérobée, [les femmes] scrutaient le visage des hommes, car le maïspouvait disparaître, pourvu qu’il restât autre chose. »1 Le roman n’aura de cessed’explorer cet « autre chose ». Mais dès ce premier chapitre, éléments naturels etcommunautés humaines, un monde tout entier est mis en mouvement par le dé-sastre.

Le chapitre II voit l’entrée en scène de Tom Joad, tout juste sorti de prison. Tomn’est pas le premier personnage que nous apercevons : resté d’abord anonyme,il nous apparaît par le regard d’un camionneur curieux. Ce roman de l’errancecommence ainsi au bord d’une route. Le narrateur prend son temps, et il fauthuit chapitres à l’inconnu aux habits flambant neufs pour livrer tout son mystère,par petites touches : Tom a tué un voisin dans une bagarre d’ivrognes, lors d’unbal, quatre ans plus tôt ; il vient d’être mis sous liberté conditionnelle pour bonneconduite. Au long de son chemin, Tom, qui n’a pas eu de nouvelles de sa familleen prison, découvre ce qui fut son monde et qui n’est désormais que dévastation :la poussière a eu raison des récoltes, son foyer est vide.

À ses côtés, Steinbeck introduit Jim Casy, un ancien pasteur qui a connu Tomenfant (chap. IV). Jim et Tom se rencontrent dans la campagne, à l’ombre d’unarbre, et nouent un lien qui contribue à structurer l’ensemble du roman. Casy

1 p. 10

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FICHE N◦ 5 43

Eschyle et son temps

1 Le premier des grands tragiques athéniens

Le rayonnement de la cité d’Athènes, à l’époque où écrit Eschyle, le Ve siècleav. J.-C., est autant politique qu’intellectuel et artistique. Or, parmi les expressionsartistiques, l’une des plus caractéristiques au cours de cette période. Cela s’ex-plique, nous le verrons, par les conditions politiques particulièrement favorablesà la création de nouvelles pièces. C’est à Athènes au Ve siècle avant notre èrequ’apparurent quatre dramaturges fondateurs : trois auteurs tragiques, Eschyle,Sophocle et Euripide, et un auteur de comédies, Aristophane.

Le poète des guerres médiques

Eschyle, le plus ancien, naît probablement en 525 av. J.-C., à Athènes. Il estdonc contemporain des grands bouleversements politiques et militaires que con-naît sa cité au tournant des VIe et Ve siècles avant notre ère.

En 514 av. J.-C., les Athéniens renversent en effet une dynastie de tyrans, les Pi-sistratides, au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle. Eschyle est un jeune adulte,sensible aux enjeux politiques, au moment des luttes pour le pouvoir qui abou-tissent aux réformes de Clisthène, à la faveur desquelles la démocratie s’installe àAthènes en 508 av. J.-C. Or, ce nouveau régime politique est encore mal assuré etparfois encore menacé de l’intérieur quand il est mis à l’épreuve par une guerreextérieure, avec l’invasion des Perses.

Ce peuple originaire de l’Iran actuel, dominé à cette époque par la dynastiedes Achéménides, avait conquis un vaste empire jusqu’aux rives orientales de lamer Égée. En 490, le roi Darius mena une première invasion contre la Grèce, quifut arrêtée la même année dans la plaine de Marathon, à une quarantaine de kilo-mètres au nord-est d’Athènes, par l’armée athénienne. Eschyle y combattait et ily perdit un frère. Dix ans plus tard, le fils de Darius, le roi perse Xerxès, mena unedeuxième invasion de la Grèce. Cette fois, Athènes fut prise, brûlée, et ne dut sasurvie qu’à une victoire inespérée contre la flotte perse à Salamine en 480. Là en-core, Eschyle faisait partie des combattants.

C’est à partir des guerres médiques que la carrière d’Eschyle prend son essor.Il a probablement écrit près de 90 tragédies, dont seuls 7 titres nous sont parve-nus. Libérées des Perses, les cités grecques, et Athènes au premier chef, firent de

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FICHE N◦ 9 75

Vue d’ensemble des Pensées

La sélection de fragments mise au programme ne constitue pas une œuvre àpart entière. Le candidat désireux d’en garder une vue d’ensemble devra donc ap-prendre à se repérer et à naviguer entre les différents textes. Dans le réseau com-plexe que forment les Pensées, on peut repérer quatre problématiques qui doiventêtre parfaitement claires et distinctes dans l’esprit du lecteur. Chaque pensée endéveloppe une ou plusieurs qu’il faudra pouvoir identifier lors d’un commentaireou de l’analyse d’une citation. La chose est d’autant plus importante, que le termede justice prend des sens différents selon les contextes.

1 Justice divine et injustice naturelle de l’homme

Le premier axe est celui de la justice comme idéal moral inaccessible. La jus-tice désigne ici à la fois le vrai bien et la capacité à comprendre ce qui est le vraibien, la capacité à l’aimer. Il faut absolument remarquer une chose : seul Dieuest capable de cette justice parfaite. Seul Dieu peut se la représenter, et agir enfonction de cette justice. De son côté, après le péché originel, l’homme est inca-pable d’être vraiment juste. Les textes pertinents sont ici ceux où Pascal insiste surl’incapacité de l’homme à connaître la véritable justice, à l’aimer. Très rarement1,Pascal précise la distance qui sépare les plus justes des hommes de la justice di-vine.

Pourquoi l’homme naît-il injuste ? Pascal est un philosophe chrétien, pour quile péché originel a laissé en l’homme une souillure profonde. Depuis cette chute,l’homme est un être imparfait à qui manquent une raison efficace, un amour sin-cère de Dieu et de son prochain, et, au final, la conscience de ce dont il a vraimentbesoin. Au lieu de cela, l’homme en est venu à s’aimer lui-même et à n’aimer lemonde que pour ce qu’il peut lui apporter.

Cet amour-propre est le fondement de l’incapacité de l’homme à connaître,aimer et pratiquer la justice. Si la justice commence avec la charité, qui est unamour sincère de son prochain, on voit à quel point elle est étrangère à l’hommed’après la chute. Pour pouvoir être juste, il faudrait que l’homme commence paraimer un autre que lui-même. Et c’est bien ce qui lui est impossible. Dès lors,il n’est pas étonnant que ce que l’homme appelle « justice » soit aussi changeantet arbitraire. L’homme ne dispose pas d’une véritable règle sur laquelle s’appuyer

1 B425 / L148

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FICHE N◦ 17 115

Le juge, le juste et le justicier

1 Eschyle ou l’invention du jugeLa concurrence des justes...

L’Orestie présente différentes conceptions de la justice, mises en concurrenceet portées par des personnages aux passions exacerbées. Clytemnestre s’est crueautorisée à tuer son mari parce qu’il avait sacrifié leur fille Iphigénie. Oreste se voitcomme le juste vengeur de son père : sa colère l’y incite, sa sœur Électre a invoquéles dieux en ce sens, et Apollon lui-même l’a poussé à agir. Les Érynies, à leurtour, ne font que respecter le serment qui les lie à la « déesse du destin »1. Chacunse présente comme un juste, prêt à tout pour servir son idéal ou son serment,y compris si cela doit lui en coûter. Ainsi Oreste proclame : « que je meure pourvud’abord que je la tue »2.

... n’est qu’une lutte entre des justiciers...

C’est cette volonté d’aller jusqu’au bout qui fait la tragédie. Chaque person-nage est prêt à tout perdre pour accomplir ce qui lui semble être exigé par lajustice. Athéna soupçonne les Érynies de vouloir « passer pour juste plutôt quel’être »3. Quand Électre demande au coryphée s’il veut « un juge ou un justicier »,celui-ci répond : « celui qui les tuera à leur tour »4. C’est bien la vengeance et lacolère qui animent les personnages. Ceux qui se croient justes se transformenten justiciers agissant sous l’emprise de passions violentes, selon une conceptiontoute personnelle de la justice à rétablir, méprisant les lois et les conséquences deleurs actes. Derrière leurs prétentions, il y a le problème moral du justicier, qui estde savoir si la justice est à imposer à tout prix.

... qui rend nécessaire l’invention du juge

C’est parce que ce prix est trop lourd à payer qu’il faut instituer un juge5.Les Euménides se concluent par un procès où Athéna, devenue procureur, mènel’enquête, et donne à un jury de tiers impartiaux la responsabilité de se pronon-cer. Le juge vient se substituer aux justes et autres justiciers. Il incarne la fin dela vengeance, le renoncement à se faire justice soi-même, et l’introduction de laraison et de l’argumentation en lieu et place de la violence immédiate. Le justicierreste du côté de la vengeance, alors que le juge est un arbitre.

1 Les Choéphores, v. 330–340 2 Les Choéphores, v. 438 3 Les Euménides, v. 430 4 Les Choéphores,v. 120 5 Les Euménides, v. 480–490

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116 FICHE N◦ 17

Passages clés : Les Choéphores, v. 120 ; v. 330–340 ; v. 438 ; Les Euménides, v. 432 ;v. 480–490

2 Steinbeck : de l’injustice à la colèreLes justes victimes de l’injustice

Dans Les Raisins de la colère, Steinbeck fait le portrait d’un système régi parl’appât du gain, l’individualisme et le mépris de l’humain. À l’intérieur de cettesociété, les Joad et les errants représentent les justes, qui sentent si bien la dif-férence entre le juste et l’injuste qu’ils agissent parfois contre leur propre intérêt.Tom symbolise cet esprit de sacrifice qui le rapproche d’un martyr chrétien : « Toutce que tu fais, tu ne le fais pas seulement pour toi, ça va chercher plus loin. [...] Tues un élu, Tom. »6 Toute l’ambiguïté de la figure du juste est là : ils sont les victimesde ceux qui suivent la loi de « la marge de bénéfices »7. Casy, qui s’est sacrifié pourles Joad, sera tué parce qu’il avait décidé de porter sa soif de justice sur le terrainpolitique.

Le besoin d’un juge et d’une loi justes

Si le juste se révolte, c’est qu’il demande un système politique plus équitable,et où la loi soit au profit de tous. Le camp gouvernemental représente cet espoird’une loi équitable et appliquée par un juge impartial : là est la différence entre la« charité »8, qui n’est que mépris, et la justice véritable. Il y a, dans le roman, uneaspiration à ce que la justice ne soit pas simplement l’idéal d’un petit nombre dejustes, mais l’inspiration d’un système qui aurait la force du droit pour lui. Or, c’estle juge qui incarne ce pouvoir : c’est un juge au service de la justice qui manqueaux Joad et aux errants.

L’injustice produit des justiciers

Si le juste ne veut pas se contenter de finir en martyr, il doit agir et se fairejustice lui-même. Le roman est traversé par cette question de l’engagement, de laviolence et de la clandestinité de celui qui veut lutter contre l’oppression. FloydKnowles est le premier de ces justiciers, rejoint par Casy, puis par Tom qui auracompris « qu’on ne peut arriver à rien tout seul. »9 Faute de juges et de lois, il nereste plus qu’à se faire justice soi-même, y compris au mépris de la loi. Le narra-teur présente d’ailleurs cette vérité comme une règle historique : le titre du romanne désigne pas autre chose que ce moment où les victimes se feront justice elles-mêmes.

Passages clés : p. 433, p. 497–498, p. 588–591

6 p. 497–498 7 p. 80 8 p. 433 9 p. 588

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LE JUGE, LE JUSTE ET LE JUSTICIER 117

3 Pascal et le respect dû au juge, même injusteIl n’est pas d’hommes vraiment justes

Pour Pascal, il semble évident qu’il n’y a pas d’homme qui soit vraiment juste.En effet, l’homme est incapable de connaître la justice véritable, celle dont Dieunous a donné l’exemple : « l’homme sans la foi ne peut connaître le vrai ni lavraie justice. »10 Seule la recherche de son bonheur individuel anime l’individud’après le péché originel. C’est pourquoi Pascal insiste sur la relativité des lois etdes conceptions de la justice : chacun se prévaut d’avoir la justice avec soi, et sansdoute n’est-elle nulle part. Car être juste, pour l’auteur des Pensées, c’est d’abordaimer Dieu.

La menace des justiciers

Un justicier, une personne qui agirait au nom de la justice et au mépris deslois, serait, pour Pascal, un fauteur de troubles. Car il s’autoriserait d’une illusion(sa prétendue connaissance de ce qui est juste) pour semer la confusion. Puisquela véritable justice, divine, est inaccessible à l’homme, il n’y a que le fait d’évi-ter « la guerre civile [qui] est le plus grand des maux »11 qui soit un but valablepour l’homme. Or de ce point de vue, il n’est pas besoin de ces justes (qui s’illu-sionnent), et encore moins de ces justiciers qui s’opposeraient au pouvoir poli-tique en place. Il faut et il suffit d’obéir aux lois parce qu’elles sont les lois, et nonparce qu’elles seraient justes12 .

Les « grimace[s]»13 du juge

La figure du juge est importante, chez Pascal, qui fait de l’obéissance à la loile moyen principal pour la paix civile. Mais le juge est homme, et à ce titre, Pascalne l’épargne pas. Utile à la société, son pouvoir ne repose que sur l’imagination etnon sur une hypothétique science de la justice. C’est le décorum, « la grimace »,qui fait croire que le juge est sage14. Le respect dû au juge est donc celui qu’on doità la fonction, qui est une « grandeur d’établissement » et non une « grandeur na-turelle »15. Ainsi, on peut lire les Trois discours sur la condition des Grands commeun appel aux puissants, et donc aux juges, à ne pas abuser de leur pouvoir. Maiss’il n’y a pas de véritables justes, il y a peu de chances qu’il y ait de bons juges.

Passages clés : B82 / L44 ; B294 / L60 ; B425 / L148 ; Second discours sur lesgrandeurs naturelle et d’établissement

10 L148 / B425 11 L30 / B320 12 L60 / B294 13 L44 / B82 14 L44 / B82 15 Second discours

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Index des noms

Agamemnon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50À l’est d’Éden . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15America and Americans . . . . . . . . . . . 15Augustinus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71À un dieu inconnu . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Dans la mer de Cortez . . . . . . . . . . . . . 14Des Souris et des Hommes . . . . . . . . . 14

Ecclésiaste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .79Écrits sur la grâce . . . . . . . . . . . . . . . . . .68Entretien avec M. de Saci sur Épictète

et Montaigne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68En un combat douteux . . . . . . . . . . . . 14Eschyle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43, 49, 59Exode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

La Coupe d’or . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13L’Affaire Lettuceberg . . . . . . . . . . . . . . . 16La Grande Vallée . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14La Perle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15L’Art de persuader . . . . . . . . . . . . . . . . . 69Le Poney rouge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13Les Choéphores . . . . . . . . . . . . . 44, 49, 59

Les Euménides . . . . . . . . . . . . . 44, 49, 59Les Pâturages du ciel . . . . . . . . . . . . . . 13Les Perses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44, 47Les Provinciales . . . . . . . . . . . . . . . . 68, 69Les Raisins de la colère . . . . . 14, 18, 32L’Orestie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44, 49, 62Lune noire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

Mémorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

Pascal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68, 75, 79Pensées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .68, 75, 79Premier discours sur la condition des

Grands . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

Rue de la Sardine . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Steinbeck . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13, 18, 32

Tortilla Flat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13Trois discours sur la condition des

Grands . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69, 80

Voyages avec Charley . . . . . . . . . . . . . . 15

Page 16: Lajustice - H&K

128

Index des notions

Clémence/charité . . . . . 74, 76, 82–83,fiche 13

Devoir . . . . . . . . . . . . . . . voir loi moraleDroit . . . . . . . . voir Loi civile, coutumeDroit du plus fort . . . . . . . . . . 30, 31, 33Droit naturel/Droit positif . . . . . . . . 34,

fiche 12

Équité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57, fiche 14État de nature/contrat social . . 33, 39

Faute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40, 66–67, 73Force . . . . . . . . . . . . . . . . . . voir violence

Institutions judiciaires . . . . .33, 36, 44,57, 66–67, 76–78, 82, 84

Juge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34, fiche 17Jugement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . fiche 17Justice sociale . . . . . 33, 34, 39, fiche 16

Légal/Légitime . . . . . . . . . . . . . . fiche 15Loi civile, coutume, droit . . 76, 82–83,

fiche 14Loi morale (devoir) . . . . . . . . . . . . 36, 89

Ordre/Désordre . . . . 39, 45, 67, 72–73,76, 88–89, fiche 19

Passions . . . 39, 40, 50, 55, 65, fiche 13

Sagesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34–35Solidarité . . 22, 27, 30, 35, 36, fiche 16

Transcendance/immanence de la jus-tice . . . . . . . . . . . 56–57, 66–67, 74, 91,fiche 18

Tyrannie . . . . . . . . . . . . . . . . 45–46, 55, 88

Vengeance . . . . 50, 53, 55, 61, fiche 13Violence . . . . . . . . . . . 30, 31, 33, 35, 39–

40, 50, 61, 77–78, 84–85

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