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9 I l est des idées reçues qui sont tenaces et reviennent périodiquement comme de sempiternelles ritournelles. Ainsi est-il courant d’entendre affirmer que l’historien n’aime pas les images 1 . Une polémique récente, entre des his- toriens anglais, parlait même de « l’in- visibilité du visible » au sein de la dis- cipline historique 2 . Pour Laurence Bertrand-Dorléac, ce débat n’est qu’un curieux effet d’amnésie qui s’empare des historiens dès lors qu’il s’agit, pour eux, d’examiner leurs pratiques, leurs objets d’étude, et plus particulièrement leurs utilisations des sources iconogra- phiques. « S’agissant des images et des représentations visuelles, écrit-elle, j’entends souvent dire aujourd’hui que ceux qui s’y intéressent sont de valeu- reux pionniers et qu’ils ont tout à inven- ter tant leur champ d’investigation est encore en friche 3 . » Mais cette idée selon laquelle les images seraient des objets radicalement nouveaux, délais- sés des historiens d’autrefois, n’en est pas moins « fausse et fausse de part en part 4 », ajoute-t-elle. Il existe, en effet, une très ancienne tradition de l’usage de l’image comme source historique, dont les ouvrages de Francis Haskell (L’Historien et les Images) ou plus récem- ment de Peter Burke (Eyewitnessing. The Uses of Images as Historical Evidence) ont rappelé l’existence et l’importance 5 . Les spécialistes de l’antiquité, du moyen âge et de l’époque moderne, ceux qui fondèrent leur savoir sur une étude pré- cise de l’art ou de l’archéologie firent, en effet, un usage courant de l’image. Il est probable que l’apparition, entre la fin du XIX e siècle et le début du XX e , du cinéma et de la photographie de reportage vint, pour un temps, com- plexifier le rapport des historiens aux images et peut-être même induire une certaine méfiance des premiers à l’égard des secondes. Ces images “nouvelles” ne furent, en tout cas, pas immédiate- ment considérées par les historiens comme des sources potentielles. « Les films, comme la photographie, écrivait Georges Sadoul en 1961, ont été dans la première moitié du XX e siècle, sensi- blement moins utilisés par les historiens que les sources traditionnelles, manus- crites ou imprimées 6 Ilsen A BOUT , Clément C HÉROUX L’histoire par la photographie

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Il est des idées reçues qui sont tenaceset reviennent périodiquement

comme de sempiternelles ritournelles.Ainsi est-il courant d’entendre affirmerque l’historien n’aime pas les images1.Une polémique récente, entre des his-toriens anglais, parlait même de « l’in-visibilité du visible » au sein de la dis-cipline historique2. Pour LaurenceBertrand-Dorléac, ce débat n’est qu’uncurieux effet d’amnésie qui s’empare deshistoriens dès lors qu’il s’agit, pour eux,d’examiner leurs pratiques, leurs objetsd’étude, et plus particulièrement leursutilisations des sources iconogra-phiques. « S’agissant des images et desreprésentations visuelles, écrit-elle,j’entends souvent dire aujourd’hui queceux qui s’y intéressent sont de valeu-reux pionniers et qu’ils ont tout à inven-ter tant leur champ d’investigation estencore en friche3. » Mais cette idéeselon laquelle les images seraient desobjets radicalement nouveaux, délais-sés des historiens d’autrefois, n’en estpas moins « fausse et fausse de part enpart4 », ajoute-t-elle. Il existe, en effet,une très ancienne tradition de l’usage

de l’image comme source historique,dont les ouvrages de Francis Haskell(L’Historien et les Images) ou plus récem-ment de Peter Burke (Eyewitnessing. TheUses of Images as Historical Evidence) ontrappelé l’existence et l’importance5. Lesspécialistes de l’antiquité, du moyenâge et de l’époque moderne, ceux quifondèrent leur savoir sur une étude pré-cise de l’art ou de l’archéologie firent,en effet, un usage courant de l’image.

Il est probable que l’apparition,entre la fin du XIXe siècle et le début duXXe, du cinéma et de la photographie dereportage vint, pour un temps, com-plexifier le rapport des historiens auximages et peut-être même induire unecertaine méfiance des premiers à l’égarddes secondes. Ces images “nouvelles”ne furent, en tout cas, pas immédiate-ment considérées par les historienscomme des sources potentielles. « Lesfilms, comme la photographie, écrivaitGeorges Sadoul en 1961, ont été dansla première moitié du XXe siècle, sensi-blement moins utilisés par les historiensque les sources traditionnelles, manus-crites ou imprimées6. »

I l s e n A B O U T, C l é m e n t C H É R O U X

L’histoire par la photographie

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Dès les années 1930, cependant,l’École des Annales appelait à un élargis-sement des sources documentairesparmi lesquelles la photographie et lecinéma devaient, tout naturellement,trouver leur place. Ce que réclamaientMarc Bloch et Lucien Febvre, ce querevendiqua, par la suite, la NouvelleHistoire, dans son exhortation à l’étudede “nouveaux objets”, semble s’être,aujourd’hui, en partie, réalisé7. Entémoigne la très grande vitalité desétudes historiques réalisées à partir desources cinématographiques, le nombredes revues, des thèses et des publica-tions scientifiques dans ce domaine8.

Le bilan est cependant beaucoup plusmaigre pour la photographie. Si l’his-toire de la photographie est vivace, l’his-toire par la photographie demeure infer-tile. Trop peu d’historiens se consacrentà l’analyse d’archives photographiques.Rares sont ceux qui utilisent la photo-graphie au-delà de sa valeur illustrative.Il suffit, pour s’en convaincre, de recen-ser les articles sur la photographiepubliés depuis 1929 dans les Annales : ilssont au nombre de deux9. La récenterevue L’Image, pourtant dévolue auxsources visuelles de l’histoire, ne comptequant à elle, parmi ses trois premiersnuméros, que six articles (sur quarante-quatre) consacrés à la photographie. S’ilfaut donc ranger la prétendue aversiondes historiens pour les images au rayondes convictions erronées, il importe, enrevanche, de comprendre leur réticenceà l’égard de la photographie.

Historiens et photographes

En théorie, l’histoire aurait dû pour-tant croiser la photographie. Car laphotographie est constitutivement

historique : « Toute photographie estpar nature “d’histoire” », écrit MichelFrizot10. En donnant une forme tangibleaux faits, la photographie fabrique dudocument, la matière première de l’his-toire. Elle enregistre de surcroît des élé-ments du passé, un geste, un air, uneallure, une tension, dont les autresdocuments rendent rarement compte.« Même si un instantané ne fixe, pardéfinition, qu’un moment éphémère,écrit un historien, les mots résume-raient mal la richesse de son contenu.Souvent il ne venait même pas à l’espritd’un témoin de mentionner les particu-larités que le manipulateur d’un appa-reil photo saisissait automatique-ment11. » À cet égard, la photographieaurait dû, en principe, constituer l’undes matériaux privilégiés de l’historien.

Mais la théorie est capricieuse, et cen’est pas de cette manière que le cheminde l’histoire croisa celui de la photogra-phie. La rencontre se fit lorsque la pho-tographie apparut comme un modèlethéorique pour penser l’histoire. Dès1927, dans un essai intitulé Die Photo-graphie, puis quarante ans plus tard, dansson ouvrage posthume, History : LastThings before the Last, Siegfried Kracauerutilise, en effet, la photographie pourexpliquer et critiquer l’historicisme alle-mand12. Il remarque que Louis Daguerre(1787-1851) était le contemporain duchef de file de l’historicisme, Leopoldvon Ranke (1795-1886), et constate quela volonté de ce dernier de rapporter lesfaits « tels qu’ils ont été » (« wie es eigent-lich gewesen ») correspond à la manièredont la photographie retranscrit la réa-lité. Stephen Bann se situe dans le droitfil de cette pensée lorsqu’il associe à sontour le « wie es eigentlich gewesen » de Ranke

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au « ça-a-été » de Roland Barthes13.L’historicisme s’efforçait donc dereconstituer au plus près le continuumtemporel, exactement comme la pho-tographie enregistre le continuum spa-tial. « L’historicisme prétend à la photo-graphie du temps », écrivait Kracauer en 192714.

Deux ans plus tard, commençaient àparaître les Annales. La conception del’histoire qui se mit alors en place à tra-vers la revue récusait violemment cetteidée d’une histoire objective s’évertuantà retranscrire minutieusement la chro-nologie des événements. La NouvelleHistoire défendit, par la suite, uneapproche davantage subjective, discon-tinue et problématisée. Mais, curieuse-ment, certains des plus fameux acteursde cette réforme de la discipline n’hési-tèrent pas, à leur tour, à convoquer lemodèle photographique pour décrireleur manière d’envisager l’histoire. Ainsi,Pierre Nora écrivait en 1997 : «L’image,et avant tout spécialement la photo, cetinstantané arraché au flux du mouve-ment permanent, cet échantillon repré-sentatif d’une réalité disparue, est l’ana-logue, l’analogon, de ce qu’est devenunotre rapport au passé. Un rapport dediscontinuité, fait d’un mélange de dis-tance et de rapprochement, d’éloigne-ment radical et de troublant face-à-face[…]. C’est même cela qu’est devenuel’opération historienne : la mise en valeurd’une différence dans le mouvementmême qui l’abolit. Un long travail sou-terrain d’érudition, d’exhumation, unelongue patience, mais pour, au terme del’enquête, aboutir à la restitution d’unobjet historique – un fait, un moment,une époque, un homme, un groupe –dans toute la force de sa présence. Ce

que nous demandons du photographeou de l’historien est du même ordre : uneffet de court-circuit, une hallucina-tion15. » La photographie n’est pas, eneffet, cet appareil enregistreur objectifauquel rêvaient, sans doute, les tenantsde l’historicisme. L’intervention du pho-tographe sur la réalité est semblable àcelle que l’historien fait subir au passépour le transformer en histoire. Il fautcroire cependant que la perception de laphotographie avait évolué parallèle-ment à la conception de l’histoire pourque le médium puisse ainsi servir demodèle successivement à l’historicismepuis à la Nouvelle Histoire. Plusieurstentatives marquantes ont ainsi étéfaites, au cours du XXe siècle, pour pen-ser conjointement l’histoire et la photo-graphie. À tel point qu’il faut se deman-der si la photographie n’a pas davantageservi à penser l’histoire qu’à l’écrire.

Si ces considérations théoriquesmontrent qu’il y a bien, selon les mots dePierre Nora, un « rapprochement essen-tiel16» entre l’histoire et la photographie,elles n’expliquent pas pourquoi, dans lesfaits, les historiens ont si peu utilisé lesphotographies. Pour comprendre cedécalage entre la théorie et la pratique,il faut peut-être interroger, directement,les historiens et les photographes.

De leur côté, les photographes n’ontcessé de clamer qu’ils travaillaient pourl’histoire. La chronologie du médium estainsi régulièrement émaillée, et ce qua-siment dès ses premières années, de mul-tiples tentatives individuelles ou institu-tionnelles pour constituer des fondsd’archives photographiques destinés àfaciliter le travail des historiens. EnFrance, en 1855, Louis Cyrus Macairepropose la création d’une section de

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photographie au ministère d’État quiaura, entre autres charges, celle «de ras-sembler tout ce que la photographie a puou pourra produire d’utile ou de remar-quable, et notamment tous les faits d’ac-tualité dont, au moyen des procédésd’instantanéité, elle aura pu fixer l’irrécu-sable souvenir17». Tout imprégné d’uneconception positiviste de l’histoire, quise résumait généralement à l’époque à lachronique des faits d’armes (l’histoire-bataille), Macaire envisage, en premierlieu, de doter l’armée d’un service pho-tographique : « [...] chaque régiment,soit en garnison, soit en campagne, seraitchargé de fournir la reproduction desévénements réalisés à sa portée, ou devues qui comporteraient un caractèred’intérêt quelconque. Ce serait là l’his-toire militaire positive du temps18.» Il yeut, dans la France du Second Empire etde la troisième République bien d’autrestentatives de ce type : l’organisation dudépôt légal pour les photographies à laBibliothèque nationale (1851), la pro-position de créer sur le modèle de l’Im-primerie nationale une “Photographienationale” qui aurait comporté une sec-tion historique (1878)19, le projet dumusée des Photographies documen-taires de Léon Vidal (1894)20, etc. Il fautencore citer, au titre de modèle du genre,la publication en 1916, en Angleterre,d’un ouvrage intitulé The Camera as Histo-rian. Les auteurs Gower, Tast et Topley,respectivement secrétaire, conservateuret trésorier du Photographic Survey andRecord of Surrey, y font un étonnantplaidoyer pro domo pour l’organisationd’archives historiques constituées dephotographies21. Cette histoire des vel-léités historiques de la photographiereste à faire dans le détail. Mais il est

cependant possible d’affirmer que cesprojets institutionnels, qui furent large-ment supplantés au début du XXe sièclepar des entreprises privées et commer-ciales (les agences photographiques),mirent sans discontinuer à la dispositiondes historiens les matériaux nécessairespour faire l’histoire par l’image.

Pour leur part, les historiens n’ontcessé de regretter que la photographien’ait pas été inventée plus tôt. ArletteFarge déplore ainsi que « personne[n’ait] photographié le siècle desLumières22”. Jacques Le Goff écrit éga-lement : “Le médiéviste que je suiséprouve face à la photographie un sen-timent d’admiration et d’envie. Commenotre connaissance du Moyen Âgeserait changée, enrichie, étendue, aussibien vers l’humble quotidien que versl’événement prestigieux, si la photogra-phie avait existé23 ! » Parallèlement à laréitération de ces regrets, les historiensmultiplient également les déclarationsd’intention et réaffirment régulièrementleur bonne volonté à l’égard du docu-ment photographique. « La photogra-phie, écrit Jacques Le Goff, a pris placeparmi les grands documents pour fairel’histoire24. » Le magazine TDC (Textes etdocuments pour la classe) a également publiérécemment un dossier intitulé “L’histo-rien face aux photographies. Quellesphotos pour l’Histoire ?”, destiné auxenseignants d’histoire et de géogra-phie25. Il ne fait guère de doute que, surle papier, la photographie s’inscrit dansle programme d’élargissement dessources documentaires réclamé par laNouvelle Histoire. Mais ces prises deposition théoriques sont rarement sui-vies de recherches effectives, et la pho-tographie demeure, dans les faits, très

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rarement employée comme source his-torique. Étonnant paradoxe, en défini-tive, que celui de l’historien déplorantl’absence de photographies antérieuresau XIXe siècle mais n’utilisant que trèspeu, par ailleurs, les deux siècles dedocumentation qui sont à sa disposition.

Pour tenter de comprendre cettecontradiction, il faut quitter le champ del’évocation généraliste du médium pourentreprendre l’analyse d’un cas précis :celui des photographies des camps deconcentration et d’extermination nazis.L’idée que les photographies des campspuissent être utilisées comme exemplespeut paraître, au premier abord, diffici-lement acceptable. Il faut pourtantconstater que cet ensemble disparate etprotéiforme, rassemblant des images quiont fait l’objet de multiples usages etmésusages, réunit la quasi-totalité desproblèmes posés habituellement par laphotographie au travail historique etconstitue ainsi un incomparable panelde cas d’école. Il faut également recon-naître que la gravité même du sujet, lesmultiples débats éthiques et théoriquesdont il fait régulièrement l’objet, opèrecomme une sorte de catalyseur, puisd’amplificateur des problématiques, lesrendant ainsi, par la force des choses,plus aisément perceptibles et plus faci-lement analysables.

L’archive photographique

L’exemple d’une photographie bienconnue, parce qu’abondammentpubliée, pourra servir de point de départ(voir fig. 5). Elle représente un alignementcompact d’une trentaine de femmes etd’enfants totalement nus, dans une petiteravine, un creux dans la terre, à l’abri desregards, sauf de celui du photographe.

Dans bon nombre de livres d’histoire,écrits par des spécialistes dont la com-pétence et le sérieux sont indéniables,cette photographie est souvent présen-tée comme “Une colonne de femmesnues et d’enfants envoyés à la chambreà gaz” (voir fig. 3). Parfois, une légendeplus précise indique qu’il s’agit de l’en-trée dans la chambre à gaz de Treblinka26.Un livre, qui n’est pourtant pas unepublication scientifique mais un ouvragede vulgarisation sensationnaliste réunis-sant les photos-chocs les plus célèbresde l’histoire du reportage, donne desinformations plus détaillées : «800 000juifs furent exécutés au camp de Tre-blinka. Ce document, un des seuls exis-tants sur ce camp de la mort, fut confiéen 1958, par un rescapé du camp, auphotographe Georges Melet qui effec-tuait un reportage dans le Marais, à Paris.Acheminés dans des wagons à bestiaux,les femmes et les hommes étaient sépa-rés dès leur arrivée dans la petite gare deTreblinka. Les femmes étaient emme-nées avec leur enfant, dévêtues, tondues,et dirigées vers les chambres à gaz situéesau bout d’un chemin baptisé “le chemindu ciel” par les SS […].» (Voir fig. 4.) Mal-gré la précision des informations,authentifiées de surcroît par «un rescapédu camp», cette légende ne correspondpas à ce que représente la photographie.

Pour constituer les fonds documen-taires du musée de l’Holocauste àWashington, des équipes d’historiensont, pendant plusieurs années, par-couru les archives du monde entierconservant des matériaux relatifs à ladéportation et à l’extermination. C’estainsi qu’ils ont pu retrouver l’origine decette image et lui réattribuer unelégende exacte (voir fig. 5). Issue d’une

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série de cinq images, cette photogra-phie a probablement été réalisée par unmembre de la police ukrainienne le 13ou 14 octobre 1942 au sud de Rovno,en Ukraine, lors de l’exécution de millesept cents juifs du ghetto de Mizocz.Elle ne montre donc pas l’entrée d’unetrentaine de femmes et d’enfants dansune chambre à gaz de Treblinka oud’ailleurs, mais l’attente de leur exécu-

tion par balle dans une fosse enUkraine. Qu’ils aient été exécutés parballe près de Rovno ou asphyxiés par legaz à Treblinka, ces femmes et cesenfants juifs ont, de toutes les manières,été victimes d’un même projet génoci-daire. La distinction semble infime,presque imperceptible : leur sort fut lamort, de toute façon. Mais du point devue historique, en revanche, la diffé-

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Fig. 4.Pages 52 et 53

de JacquesBorgé, Nicolas

Viasnoff, L’Aristocratie dureportage photo-graphique, Paris,

Balland, 1974, coll. part.

Fig. 3.Détail

de la page 24 de François

Bédarida, Laurent

Gervereau (dir.), La Déportation.

Le systèmeconcentration-

naire nazi, Paris,Musée d’Histoirecontemporaine/

BDIC, 1995,

coll. part.

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rence est considérable. Les documentssur les exécutions de masse en Ukraineet ceux sur les chambres à gaz dePologne ne sont pas interchangeables.S’il fallait démontrer la gravité de cetteconfusion, il suffirait de songer un ins-tant au scandale que provoquerait, dansla communauté historienne, une sem-blable permutation de documentsécrits. Les erreurs de ce type sont pour-tant relativement courantes dans lesouvrages sur les camps : une image dela libération présentée comme la viequotidienne lors de l’internement, unephotographie de propa-gande nazie considéréecomme un document ano-din, une image de Buchen-wald légendée “Struthof”,etc. Il serait aisé de multi-plier les occurrences de cegenre27. Il ne s’agit pas,cependant, de jeter l’op-probre sur les auteurs de cequ’il faut bien nommer unmésusage de l’image. Ils’agit davantage, ici, de comprendre lesmécanismes de ces contresens.

Il ne fait guère de doute qu’à l’ori-gine, ces images étaient correctementlégendées. Les photographes qui lesavaient réalisées connaissaient non seu-lement la date et le lieu de prise de vue,mais ils savaient, par la force des choses,ce qu’elles représentaient. Dans le cadrede procédures administratives, juri-diques ou militaires, certaines photo-graphies prises dans les camps furentmême accompagnées, sur le moment,de comptes rendus ou d’affidavitsauthentifiant leur contenu (voir fig. 1 et2). Que s’est-il donc passé entre lemoment de la production, où l’image

était “naturellement” renseignée (c’est-à-dire correctement légendée), et celuide sa réception où elle ne l’est plus ? Pourcomprendre le dysfonctionnement duprocessus de transmission de l’informa-tion, c’est son parcours dans l’archivequ’il faut interroger.

Pour l’histoire des camps, l’archiveest un problème en soi. Dans son intro-duction au recueil intitulé Les Archives dela Shoah, Jacques Fredj remarquait queles sources pour écrire l’histoire de cesujet étaient souvent « lacunaires,éparses et difficilement accessibles28 ».

Au sein de telles archives, la photo-graphie constitue rarement une priorité.Si bien que pour l’historien qui souhaitetravailler sur l’iconographie, les pro-blèmes méthodologiques se trouventdécuplés. Il n’existe pas, par exemple, àl’heure actuelle, d’inventaire ou de guidedes sources photographiques sur lescamps29. Le fait qu’il existe une biblio-graphie intitulée “Fotografie und Holo-caust”, réunissant les livres qui abordentle sujet par l’image, et non un répertoiredes fonds photographiques sur cethème est encore une fois la preuve del’hégémonie de l’écrit sur le visuel30.

Il faut donc trouver l’archive, puis,dans ses fonds, s’y retrouver. Car il

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Fig. 5.Photographeanonyme, probablementmembre de la police ukrainienne,femmes et enfants juifsdu ghetto de Mizocz avantleur exécution,Rovno, 13-14octobre 1942,tirage argentique, Archives United States HolocaustMemorialMuseum,Washington.

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règne, à vrai dire, autour de ces imagesdes camps, la plus grande confusion.Elles sont généralement mal légendées– quand elles le sont. Il est rarement faitmention de la date, du lieu, ou des cir-constances de la prise de vue, de l’iden-tité, ou ne serait-ce que du statut duphotographe. C’est évidemment cetétat de désordre iconographique qui està l’origine de tous les contresens quiviennent d’être évoqués.

Cette confusion s’explique aisémentpar la malléabilité du support photogra-phique qui encourage les multiples redu-plications et favorise ainsi la mobilité del’image. Il n’est même probablementguère d’autre corpus photographique quiait été autant dupliqué et diffusé dansl’histoire du médium. Car, dès l’ouverturedes camps en 1945, ces images partici-pèrent activement d’une véritable péda-gogie par l’horreur31. Il fallait alors dési-gner les criminels, les stigmatiser par lesimages de leurs crimes. Les photogra-phies des camps furent donc immédia-

tement et abondammentmontrées, reproduites,diffusées et redupliquées àla chaîne (fig. 6 à 10).Comme si au meurtre demasse ne pouvait répondrequ’une diffusion de masse.

Aujourd’hui, elles continuent à s’intégrerà l’économie des banques d’images quine cessent, à leur tour, d’en multiplier lesgénérations successives.

C’est moins le principe de cette dif-fusion massive des photographies, queson mode de réalisation qui est pro-blématique. Car nombre des entre-prises de duplication qui sont à l’ori-gine de bien des fonds actuels se sontcontentées de reproduire le recto dudocument, sa face image, en oubliantle verso. Or, c’est précisément au dosde l’image que se trouvent générale-ment reportées les multiples informa-tions indispensables à la compréhen-sion historique de l’image : la légende,l’identité du photographe ou de soncommanditaire, la datation, etc. Desurcroît, ce revers providentiel portesouvent les traces révélatrices de l’his-toire de l’image : le visa de censure per-met de retracer son cheminement offi-ciel, le tampon d’un organisme depresse indique si elle a été publiée, la

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Études photographiques, 10

Fig. 6(à gauche).

Éric Schwab,jeune russe

de 18 ans atteintde dysenterie,

Dachau, fin avril-

début mai 1945,archives AFP,

Paris.

Fig. 7(à droite).

Couverture de Amicale

d’Oranienburg-Sachsenhausen,

Sachso, Paris, Terre

humaine/Plon,1982, coll. part.

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marque du papier peut éventuellementaider à la dater, le cachet d’un serviceadministratif révèle parfois la nature dela commande, etc. (voir fig. 11). Autantd’éléments nécessaires à une approchehistorique de l’image.

Les campagnes de reproduction, demicrofilmage ou de numérisation mas-sives de photographies lorsqu’elles sontfaites sans précautions représententdonc une double perte d’information :

– Une perte des renseignements duverso de l’image. Ainsi dépouillées del’ensemble des informations qui lesconstituent en sources historiques, lesimages deviennent des documents “sansqualité”, ce que l’historienne américaineBarbie Zelizer appelle des « images sanssubstance32” ou ce que Jorge Semprundécrit comme des images “muettes33 ».

– Une perte d’information au rectode l’image, puisque chaque générationde copie augmente le contraste, rédui-sant la gamme des gris et les détailsintermédiaires qui s’y trouvent. Il n’estainsi pas rare de trouver dans les fondsdes reproductions de xieme générationoù dominent le noir et le blanc, et dontla lisibilité n’est guère supérieure à celled’une mauvaise photocopie.

C’est très probablement ce proces-sus de “désinformation” qu’aura subi la

photographie de la liquidation dughetto de Mizocz. Dès sa découverte,en 1946, elle a été abondamment repro-duite. Les générations de copies suc-cessives l’ont immanquablement cou-pée de sa source : le véritable contexteet la légende idoine ont alors été per-dus. Et lorsqu’il a fallu réattribuerl’image, il s’est trouvé que les témoi-gnages décrivant le processus d’exter-mination à Treblinka – les femmescontraintes à se déshabiller, le cheminen forme de boyau qui conduisait à lachambre à gaz – correspondaient à peuprès à ce que montrait l’image. Et cela asuffi pour qu’une image de Rovnodevienne une image de Treblinka. Pouréviter ces contresens, il sera donc néces-saire de retrouver la valeur documen-taire originelle des photographies qui aété enfouie sous les strates de leurs mul-tiples reproductions et usages succes-sifs. Il faudra, en somme, entreprendreà travers l’archive une véritable archéo-logie du document photographique.

L’historien qui utilise des documentsécrits préfère généralement travaillersur un texte original qui n’a pas été tra-duit, transcrit, copié, recopié ouexpurgé. Il en va de même pour celuiqui s’intéresse aux photographies.Toute recherche historique sérieuse qui

L’his toire par la photographie

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Fig. 8(à gauche).Couverture de Hommageaux déportés.40e anniversaire,Paris, Comiténational de liaison desanciens déportéset internés EDF-GDF, 1984, archivesAmicale des anciens deDachau, Paris.

Fig. 9(au milieu).Photographied’Éric Schwabrecadrée etretouchée, s. d.,coll. part.

Fig. 10(à droite).Affiche pour l’exposition deYvelyne Wood,“Les blessures de la mémoire”,2000, coll. part.

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voudra utiliser ces images comme sup-port de l’analyse ne pourra faire l’éco-nomie d’une recherche de leur source.Un préalable indispensable consisteradonc à retrouver un tirage de premièregénération, le négatif de l’image, et dansl’idéal les deux à la fois. Un tirage depremière génération parce qu’il corres-pond, dans la plupart des cas, à ce quele photographe (ou le service qui l’em-ploie) a voulu montrer ; mais aussi parcequ’il est souvent accompagné, au dos oudans un document attenant, d’informa-tions précises sur l’opérateur, la date, lelieu, le sujet de la photographie, etc. Lenégatif parce qu’il représente un étatbrut de l’image non recadrée, non retou-chée et par conséquent beaucoup plusproche de ce qu’aura pu observer le pho-tographe ; mais également parce qu’ilest généralement associé sur la pelliculeà d’autres images qui peuvent en modi-fier la lecture. Une fois cette racine du

document mise à jour, il sera nécessairede la soumettre à une analyse critique.

Méthodologie

L’historien sait combien il estimportant de s’interroger sur la naturede ses sources. Raul Hilberg le rappe-lait d’ailleurs très récemment, dans unouvrage entièrement consacré à uneréflexion sur les Sources de l’Holocauste34.Si la photographie n’a pas été oubliéedans l’ouvrage, elle y tient cependantune place très accessoire. Il convientdonc ici de dresser l’inventaire desquestions à poser à la source photo-graphique et de rappeler un certainnombre de précautions méthodolo-giques dont l’historien fait habituelle-ment usage dans l’exercice de sonmétier, mais qu’il oublie régulièrementlorsqu’il aborde les photographies.

C’est une évidence, mais il estnécessaire de se la remémorer en guise

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Études photographiques, 10

Fig. 11.Revers

d’un tirage de presse d’une

photographie de la libération

d’Auschwitz,1945,

archives Documentation

française, Paris.

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de préambule : une photographie ne sefait pas toute seule. Pour qu’elle existe,il faut au moins un photographe, un dis-positif technique et un sujet : troischamps qui devront respectivementfaire l’objet de l’analyse critique.

a) Le photographeL’identité du photographe est un

point généralement négligé dans lespublications historiques qui contien-nent des photographies. S’il apparaît,c’est en fin de légende, voire entreparenthèses, comme un acteur super-flu35. Or, la recherche du photographeest généralement ce qui rapproche leplus de la source de l’image. Retrouverl’identité du producteur de l’imageconduit bien souvent, par recoupe-ment, à la découverte du négatif oud’un tirage de première génération. Au-delà de cette phase archéologique, laconnaissance du photographe et deson parcours individuel sera d’une aideprécieuse pour l’étude de l’image. Sonstatut (civil ou militaire) ou sa qualifi-cation (amateur ou professionnel),mais aussi, parfois, certains élémentsde biographie permettront de mieuxanalyser la manière dont il aborde sonsujet. Savoir qu’Éric Schwab (voir fig. 6)était sans nouvelles de sa mère, dépor-tée à Theresienstadt, lorsqu’il photo-graphia la libération de Buchenwald etde Dachau permet, par exemple, decomprendre pourquoi son regard sefocalisa davantage sur les survivantsque sur les morts36.

Il ne faudra pas omettre, non plus, des’interroger sur la position du photo-graphe par rapport à son sujet : appar-tenait-il (selon la typologie proposéepar Raul Hilberg) aux exécuteurs, auxtémoins ou aux victimes37 ? Il suffit, pour

se convaincre de l’importance de cettedistinction, de comparer des photogra-phies d’expériences médicales réaliséespar ceux qui les infligeaient, à des imagesprises clandestinement par ceux qui lessubissaient. Dans les premières (voir fig.13), réalisées par les services du docteurKaschub, à Auschwitz, tout dénote ledispositif expérimental : le gros plan, latoise, les étiquettes et les indications dedurée de l’expérience inscrites sur celle-ci38. Dans les secondes (voir fig. 12), prisespar des déportées polonaises à Ravens-brück, pour témoigner des expériencesque leur faisait subir le docteur KarlGuebhardt, tout indique, en revanche,la clandestinité : le choix de l’emplace-ment à l’abri des regards, la personne quifait le guet en arrière-plan, le gesterapide de la jeune fille qui a dû releversa robe pour montrer sa plaie, jusqu’àl’impossibilité de photographier celle-ci en gros plan (probablement à causedes caractéristiques techniques rudi-mentaires de l’appareil introduit secrè-tement dans le camp). Oublier le pho-tographe – dans la recherche ou dans lalégende –, c’est en somme penser que laphotographie se fait seule, sans ingé-rence humaine. Or la différence desimages démontre ici que face à un sujetsimilaire, des photographes distinctsont des points de vue dissemblables :d’un côté le constat d’évolution, efficaceet froid, d’une expérience médicalemenée sur un être humain, de l’autre ungeste désespéré pour produire la preuvede sévices odieux, qui s’apparente ausein de l’univers concentrationnaire à unvéritable acte de résistance. Ne pas s’in-téresser au photographe, c’est négligerce qui a déterminé l’acte de prise de vue,c’est-à-dire la raison d’être de l’image.

L’his toire par la photographie

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Mésestimer l’importance de l’auteur,c’est en somme risquer de ne pas com-prendre ce qu’il a voulu dire ou faire àtravers le geste photographique qu’ilaccomplit.

b) L’objet photographiqueAprès le photographe, l’analyse

devra se reporter sur l’image elle-même.Il faudra tenter, dans un premier temps,de déchiffrer ce qui est inscrit à l’inté-rieur même de l’image. Certaines carac-téristiques de la photographie rensei-gneront par exemple sur la techniqueemployée qui, elle-même, indique par-fois les raisons d’être de la prise de vue.Lorsqu’il photographia les usines deconstruction des fusées V2, à Dora, en1944, le photographe nazi WalterFrentz fit, par exemple, un choixcontraignant : il opta pour une pelliculecouleur qui l’obligea à poser plus lon-guement et à installer sur les lieux deprise de vue d’encombrants projecteurs.Le choix de la couleur – qui représenteencore à l’époque une certaine moder-nité technologique – pour photogra-phier le fleuron de l’armement nazirévèle la nature hautement promotion-

nelle du reportage et les intentions apo-logétiques de Frentz39.

L’aspect de l’image est égalementrévélateur. Le cadrage hasardeux, la dis-tance, le flou caractérisent par exempleles très rares cas de photographies clan-destines réalisées par les déportés dansdes conditions de danger extrême. Àl’inverse, un cadrage particulièrementsoigné, une image trop bien éclairée oucomposée, trahit la préparation, voire lamise en scène, comme c’est souvent lecas dans les photographies de propa-gande nazies (fig. 14) ou chez certainsphotographes de presse à la libérationdes camps. Il faudra ainsi interroger cha-cune des composantes techniques (film,focale, vitesse, profondeur de champ,etc.) et stylistique (cadrage, composi-tion, lumière, etc.) de l’image. Ellesseront souvent porteuses d’informationsque le texte, le témoignage, ou n’im-porte quelle autre source documentairen’auront pas révélées.

Mais il ne s’agit pas non plus deréduire la photographie à un simple rec-tangle ou carré-image qui contiendraiten son sein l’ensemble des élémentsnécessaires à son approche. Chaqueimage possède un contexte dont laconnaissance est nécessaire à sa com-préhension historique. Ce contextepeut être de nature rédactionnelle ou

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Études photographiques, 10

Fig. 13.Service du

Dr Kaschub,photographie

d’une expériencemédicale,

Auschwitz, tirage

argentique, 1944,

archivesMusée d’Étatd’Auschwitz-

Birkenau.

Fig. 12.Déportée polonaise

non identifiée,photographie

clandestined’une jeune

femme polonaiseayant subi

des expériencesmédicales

à Ravensbrück,tirage argentique,

automne 1944,Fonds

GermaineTillion/musée

de la Résistanceet de

la Déportation,Besançon.

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iconographique. La découverte d’untexte (légende, affidavit, compte rendu,etc.) peut, par exemple, profondémentbouleverser la perception d’une image.La photographie de la liquidation dughetto de Mizocz en a donné unexemple suffisamment édifiant pourqu’il ne soit pas ici nécessaire d’y reve-nir. La compréhension d’une image peutégalement se trouver modifiée parl’étude de son environnement icono-graphique. « En fait, plus un documentprésentera de points communs avec unesérie bien homogène de documentsanalogues et déjà connus, plus aisémentet plus sûrement sera acquise son inter-prétation […] », écrit Henri-IrénéeMarrou40. Retrouver la pellicule entièreou la planche-contact peut ainsi per-mettre de reconsidérer la chronologiede la prise de vue, de comprendre selonquelle logique le photographe a opéré.Il existe également de nombreusesimages qui n’ont pas de sens en dehorsde la série. Le Musée de Dachauconserve, par exemple, le curieux por-trait d’un interné de profil dont le nez aété rogné par un cadrage indélicat. Entant que tel, rien ne permet de com-prendre l’utilité de l’image et de cecadrage aberrant qui ressemble même àun accident de prise de vue. Il fautretrouver plusieurs fois le même cadragepour comprendre qu’il s’agit là de pho-tographies anthropométriques dont lafonction est d’inventorier les formesd’oreilles des internés du camp41 (voir fig.15 à 17).

Plus largement, il faut égalementconsidérer l’objet photographique dansson ensemble. Que certaines photogra-phies réalisées dans les camps de concen-tration par les SS aient été montées sur

des planches calligraphiées, parfoisdécorées, puis reliées en album révèlequ’elles étaient faites pour être mon-trées. Le poids et la taille imposante (50x 67 cm) d’un album comme celui deRavensbrück indique également qu’iln’était pas fait pour circuler mais pourêtre consulté sur place (voir fig. 18 et 19).De nombreuses photographies descamps souvent publiées – recadrées et

isolées – font en fait partie d’albums.Négliger cette cohérence de l’objetphotographique revient à oublier quel’image s’inscrit dans un contexte qui faitsens, que les relations se construisententre les images d’une même page, quecelle-ci participe à une narration ou à undiscours qui s’écrit au fil de l’album42.

c) Le sujetS’il est important d’analyser le

contexte de l’image, il faut aussi étudiercelui de son sujet. Le premier niveau de

L’his toire par la photographie

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Fig. 14.F. F. Bauer, appel des détenus,Dachau, tirage argentique,juin 1938, archivesKZ-GedenkstätteDachau.

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cet environnement concerne le dispo-sitif technique de la prise de vue. Dansle cas des photographies signalétiquesprises à l’entrée des détenus dans lescamps de concentration, il est parexemple indispensable de comprendrequ’elles étaient réalisées selon un dis-positif normé : pose de face, de profil etde trois quarts, distance et éclairageinvariables, inscription de son matri-cule et de son statut d’interné dansl’image même, etc. La connaissanceprécise de cette procédure et de son

mode de fonctionnement permet decomprendre que la photographie étaitl’un des garants de l’ordre comptable ducamp, une sorte d’outil administratif auservice du système concentrationnaire43.

Au-delà de ce premier cercle de cir-constances liées à la prise de vue, il estégalement indispensable d’étudier lecontexte historique du sujet photogra-phié. Cette connaissance ne manquerapas de modifier la perception ou lacompréhension des photographies. Lamodification profonde de l’iconogra-phie concentrationnaire à la fin desannées 1930 ne peut ainsi s’expliquerque par l’entrée en guerre de l’Alle-magne. Le passage d’une iconographie

de propagande largement diffusée, quireprésentait les camps comme descentres de rééducation (voir fig. 14), àun registre visuel à usage interne, res-treint et discret (les albums), s’expliqueaisément par l’intégration de la “main-d’œuvre” concentrationnaire à l’écono-mie de guerre nazie (fig. 19). L’historiendevra donc s’employer à reconstituer lecontexte spatial et temporel du sujetphotographié. Nécessairement, ildevra pour cela sortir du champ stric-tement photographique pour étudier

les autres sources qui sont à sa disposi-tion : archives administratives, témoi-gnages, plans architecturaux, étudeshistoriques, etc.

Par-delà l’analyse historique de l’ob-jet photographique, de son sujet et deson auteur, l’historien des mentalités,celui des pratiques culturelles, pourra,dans un second temps, étudier le chemi-nement de l’image depuis sa mise en cir-culation jusqu’au moment présent. L’ana-lyse précise du parcours de l’image – larecension des altérations qu’elle a subies(retouche ou recadrage), la comparaisondes discours qui lui sont associés (de lalégende jusqu’au contexte de publica-tion) – permettra ainsi de comprendre

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Études photographiques, 10

Fig. 15, 16et 17.

F. F. Bauer, portraits anthro-

pométriques de détenus à Dachau,

tirage argentique, juin 1938,

archives KZ-Gedenkstätte

Dachau.

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les attentes dont elle est le réceptacle.L’itinéraire d’une photographie prise àMauthausen, le 29 ou 30 juillet 1942 parle service photographique du camp, està ce titre tout à fait exemplaire (voir fig.20). L’image représente le retour au camp“en musique” d’un détenu – Hans Bona-rewitz – après une tentative d’évasion.Cette sinistre mascarade, orches-trée par les surveillants nazis, se ter-minait généralement par l’exécutionde l’infortuné évadé afin de dissua-der toute autre tentative similaire.Dans l’immédiat après-guerre, où lapédagogie par l’horreur était demise, l’environnement éditorial del’image insiste sur la terreur et l’ar-bitraire concentrationnaires : lesphotographies qui l’accompagnentsont celles des charniers de la libé-ration et le texte qui la légende rap-pelle la chanson que jouait alors l’or-chestre (“ J’attendrai toujours la nuitet le jour, ton retour44”). Au fil desdiffusions successives, la légende estde plus en plus succincte, la qualitéde l’image s’altère et elle accède ainsiau statut d’icône de l’universconcentrationnaire45. Noyée dans leflou des réduplications à répétition,coupée des informations exactes quila constituaient en source histo-rique, abondamment retouchée etrecadrée, l’image devenue icône sembleavoir perdu sa substance documentaireprécise. C’est dans ce contexte qu’unnégationniste autrichien – UdoWalendy – en contesta l’authenticité. Enréponse, le Mémorial de Mauthausen etl’Amicale des anciens déportés du camplancèrent une enquête pour rétablir lavérité et poursuivre Walendy en justice.Plusieurs rescapés se reconnurent sur

l’image et témoignèrent de l’authenticitéde la scène et de sa représentation pho-tographique46. Il est à déplorer qu’il aitici – comme dans quelques autres cas –fallu attendre le déni négationniste pourentreprendre la nécessaire archéologiede cette photographie. Il demeure néan-moins que le passage de la pédagogie

par l’horreur, à l’usage symbolique del’image, puis au recouvrement de savaleur documentaire est particulière-ment intéressant : car il retranscrit lechangement de la perception desimages, mais aussi plus largement l’évo-lution de l’historiographie des camps.S’il était, dans un premier temps, apparunécessaire de débarrasser l’image desmultiples strates de ses usages successifs,

L’his toire par la photographie

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Fig. 18.Couverture de l’albumFrauen Konzen-trationslagerRavensbrück(camp deconcentration de femmes deRavensbrück), fin 1940, début1941, archives Mahn- undGedenkstätteRavensbrück.

Fig. 19.“Lagerbetriebe”(entreprises du camp), page de l’albumde Ravensbrück,fin 1940, début 1941(photographied’un SS),archives Mahn- undGedenkstätteRavensbrück.

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pour lui redonner sa fonction docu-mentaire originelle, il semble ici quecelles-ci puissent, dans un secondtemps, constituer une sorte de “valeurajoutée” passionnante à étudier.

La méthode critique qui vient d’êtreproposée diffère peu de celle qui est habi-tuellement employée en histoire : cri-tique interne, critique externe, confron-tation, recoupement des sources, etc. Cesont là les outils ordinaires de l’historien,simplement adaptés aux particularités dela photographie47. « Ni la critique destémoignages oraux ni celle des photo-graphies ou des films ne diffèrent de lacritique historique classique, écritAntoine Prost. C’est la même méthode,appliquée à d’autres documents. Elle uti-lise parfois des savoirs spécifiques – parexemple une connaissance précise desconditions de filmage à une époque don-née. Mais c’est fondamentalement lamême démarche que celle du médiévisteface à ses chartes. La méthode critiqueest une, et c’est […] la seule méthodepropre à l’histoire48. » Comment expli-quer, alors, que l’historien, pourtantaguerri à cette méthode, semble l’oublier

dès lors qu’il s’agit d’aborder la photo-graphie ? C’est là, en somme, revenir à laquestion initiale : pourquoi, parmi lessources courantes de l’histoire, la photo-graphie a-t-elle été laissée pour compte?La complexité de l’archive photogra-phique a fourni un premier élément deréponse. Mais il apparaît que l’historienest parfaitement équipé pour surmontercette difficulté. Au-delà de ce problèmepratique subsiste donc un véritable écueilthéorique.

Du référent au fait photographique

«La photographie emporte la convic-tion : comment la pellicule n’aurait-ellepas fixé la vérité ? », écrivait AntoineProst, dans ses Douze Leçons sur l’histoire49.Immanquablement, la photographie fas-cine par son aisance à “faire vrai”, ellehypnotise par son naturel pouvoir d’au-thenticité. Cet «effet de réel», selon l’ex-pression de Roland Barthes, sembled’ailleurs faire l’objet d’un large consen-sus tant dans l’opinion populaire quechez les théoriciens de la photographie50.Il faut dire que les différents courants de

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Études photographiques, 10

Fig. 20.Photographe

du service de l’identificationde Mauthausen,retour au camp

d’Hans Bonarewitz après

une tentatived’évasion,

tirage argentique,29-30 juillet

1942, Amicale de

Mauthausen/Centre

historique des Archives

nationnale, Paris.

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pensée qui se sont intéressés au médium– le réalisme dans ses premières annéesd’existence, la Nouvelle Objectivité, unsiècle plus tard, et enfin la théorie indi-cielle depuis deux décennies – ont large-ment contribué à renforcer l’idée que laphotographie ne pouvait se penser endehors du lien très fort qui l’unit au réel.

L’exemple de Roland Barthes est à cetégard particulièrement instructif. Dèsles premières pages de La Chambre claire,Barthes affirme, en effet, la prédomi-nance du référent dans sa réflexion surla photographie. Il définit le référentphotographique par la chose réelle etantérieure dont la photographie est lareprésentation, mais aussi par le liend’extrême contiguïté qui les lie l’un àl’autre. « On dirait que la photographieemporte son référent avec elle […] ilssont collés l’un à l’autre », écrit-il51. C’estce qu’il résume, quelques pages plusloin, par cette formule lapidaire : « Bref,le référent adhère52. » C’est cette adhé-rence qui, selon lui, induit dans l’espritdu regardeur la conviction qu’une chose« nécessairement réelle » a dû être pla-cée devant l’objectif pour que la photo-graphie existe. « Dans la Photographie,je ne puis jamais nier que la chose a étélà53. » C’est ce que Barthes désigne parcette autre expression mémorable : le« ça-a-été54 », sorte de concrétion depassé, de réalité et de vérité qui consti-tue, à ses yeux, le noème de la photo-graphie. Logiquement, ce noèmedevrait être commun à toutes les imagesproduites par empreinte du réel. MaisBarthes introduit ici une distinction :« [...] au cinéma, sans doute, il y a tou-jours du référent photographique, maisce référent glisse, il ne revendique pasen faveur de sa réalité, il ne proteste pas

de son ancienne existence ; il ne s’ac-croche pas à moi55. » Il faut ici se deman-der si cette altération du référent aucinéma n’est pas précisément ce qui per-met à ce dernier de se prêter plus aisé-ment à l’histoire que la photographie. Ilfaut alors comprendre, a contrario, que sila photographie résiste tant à l’historien,c’est à cause de la fascination pour le réfé-rent qu’elle génère.

Cet intérêt quasi exclusif des histo-riens pour le référent est tout à fait per-ceptible dans la priorité accordée ausujet dans la légende : il y occupe tou-jours la position de tête. Comme leremarque l’historien italien MicheleGiordano, il semble bien, en effet, quecertains de ses confrères ne soient inté-ressés que par le réalisme de l’imagemécanique et persuadés que la photo-graphie n’apporte guère d’autres infor-mations que le ça-a-été56. Hypnotiséspar le référent, ils ne voient de l’imageque son visible. La multiplication,depuis la Seconde Guerre mondiale, derecueils iconographiques sur des sujetshistoriques, qui prétendent faire l’his-toire par l’image mais ne font générale-ment que l’illustrer, démontre, parailleurs, que de nombreux historiens, lit-téralement envoûtés par le pouvoir d’au-thentification de la photographie, nesemblent pas percevoir son statut dereprésentation.

L’un des acquis de la Nouvelle His-toire a pourtant été de remettre en causela référentialité de la narration histo-rique. Il ne s’agit plus, aujourd’hui, deraconter l’histoire telle qu’elle a été exac-tement. Le rapport de l’historien à la réa-lité historique et aux faits qui la consti-tuent s’en trouve ainsi profondémentmodifié. Le fait n’est plus désormais une

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chose en soi, livré tel par l’histoire à l’his-torien, comme une sorte d’épiphanieprovidentielle ; il relève davantaged’une élaboration intellectuelle, d’uneposition théorique. « Les faits, écritLucien Febvre, pensez-vous qu’ils sontdonnés à l’histoire comme des réalitéssubstantielles que le temps a enfouiesplus ou moins profondément et qu’ils’agit de déterrer, de nettoyer, de pré-senter en belle lumière […] 57 ? » Ils sontdavantage créés par l’historien, fabri-qués à l’aide d’hypothèses et de conjec-tures. Ainsi, le “fait brut” de l’histoirepositiviste se trouve remplacé par le “faitélaboré” de la Nouvelle Histoire. Et « cechangement de statut du fait histo-rique » constitue même, selon OlivierDumoulin, « l’une des pierres de touchede la transformation de l’histoire au XXe

siècle58 ».Curieusement, Barthes avait pour-

tant parfaitement perçu et décrit lanécessité de remettre en cause « la toute-puissance apparente du référent59 ».Dans un texte de 1967, “Le discours del’histoire”, c’est en effet à partir de la réfé-rentialité de la narration historique,c’est-à-dire de son attachement au réel,que Barthes analyse la « transformationidéologique60 » que connaît alors la dis-cipline. La narration référentielle, cette«prétention “réaliste61» qui fut, selon lui,

l’idéal de l’histoire positiviste du XIXe

siècle disparaissait au profit d’une his-toire qui cherchait «à parler des struc-tures plus que des chronologies62 ». Ils’agissait moins de raconter les chosestelles qu’elles s’étaient déroulées que detenter de les comprendre. «La narrationhistorique meurt parce que le signe del’histoire est désormais moins le réel quel’intelligible », conclut-il dans sonarticle63.

Cette « transformation idéolo-gique » que décrit Barthes sans la nom-mer, c’est bien entendu celle entreprisequelques décennies plus tôt par l’Écoledes Annales et que poursuivait alors laNouvelle Histoire. Mais si Barthes ana-lyse parfaitement et semble mêmeapprouver ce passage du réel à l’intel-ligible, cette remise en cause de la réfé-rentialité, il n’a cependant guère envi-sagé de l’appliquer à la photographie.Certes, il a pu concevoir la possibilitéd’aller voir au-delà du référent, maiscela ne représentait que peu d’intérêt àses yeux : « Percevoir le signifiant pho-tographique n’est pas impossible (desprofessionnels le font), mais celademande un acte second de savoir oude réflexion64. » Tout fasciné qu’il étaitpar le ça-a-été (« Je ne voyais que leréférent », écrit-il65), Barthes se désin-téressa ouvertement de cet « acte

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Études photographiques, 10

Fig. 21, 22, 23 et 24.Membre

non identifié de la résistance

polonaised’Auschwitz

(Alex, SzlojmeDragon,

Josel Dragon ouAlter Szmul

Fajnzylberg),photographies

clandestinesprises autour

de la chambre à gaz et

du crématoire Vde Birkenau,

août 1944,archives

Musée d’État d’Auschwitz-

Birkenau.

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second de savoirou de réflexion ».En témoigne lepeu de placeaccordée dans LaChambre claire austudium, pourlequel Barthesconfesse d’ailleursn’avoir qu’un

« intérêt poli66 ». En témoigne égale-ment l’aporie de son raisonnementlorsqu’il aborde la question des “pho-tos-chocs”, dans Mythologies en 1957,puis dans “Le message photogra-phique” en 196167. Car, réduite au réfé-rent, son analyse se trouve suspenduedès lors que celui-ci devient insoute-nable : « La photographie traumatique(incendies, naufrages, catastrophes,morts violentes, saisis “sur le vif”) estcelle dont il n’y a rien à dire : la photo-choc est par structure insignifiante :aucune valeur, aucun savoir […] »,reconnaît-il d’ailleurs lui-même68. C’estsans conteste ce véritable envoûtementdu référent, paroxystique dans l’ana-lyse de l’image de sa mère au Jardind’hiver, qui aura empêché Barthes d’en-tamer le nécessaire travail critique dupouvoir référentiel de la photographie.

Les images des camps de concen-tration et d’extermination font incon-testablement partie de la catégorie desphotos-chocs. Il n’est même pas tou-jours nécessaire qu’elles portent latrace directe de la dégradation, de lasouffrance ou de la mort pour y êtrerapportées : la seule référence à cecontexte suffit généralement. L’inscrip-tion de ces images dans cette catégo-rie iconographique spectaculaire etscandaleuse est due, en grande partie,

à un usage essentiellement illustratif etsymbolique (une sorte de prolongationde la pédagogie par l’horreur) ne pre-nant en compte que le référent des pho-tographies à l’exclusion de tous sesautres éléments constitutifs. Cetteapproche référentielle a non seulementconduit à un appauvrissement séman-tique des photographies d’archives,mais elle a également généré une véri-table exaspération à leur égard, voireune totale condamnation dont ClaudeLanzmann s’est fait le plus virulentporte-parole69.

Pour éviter que l’analyse ne soit ainsisuspendue, que ces images ne soientréduites à des clichés-chocs « insigni-fiants », sans « valeur », sans « savoir »,pour reprendre les mots de Barthes, ilimporte donc de dépasser l’approchesimplement référentielle. Il faut, pourcela, mettre en œuvre l’acquis de laNouvelle Histoire et substituer à lasimple perception du fait brut (le réfé-rent) l’analyse du fait élaboré. Parexemple, une approche strictement

L’his toire par la photographie

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Fig. 25.Détail de la page 61 de FrançoisBédarida, Laurent Gervereau (dir.),La Déportation.Le systèmeconcentration-naire nazi, Paris,Musée d’Histoirecontemporaine/BDIC, 1995, coll. part.

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référentielle des quatre photographiesprises clandestinement par la résistancepolonaise autour des chambres à gaz deBirkenau en 1944 se révélera, en soi,totalement inopérante. S’en tenir auréférent, c’est éliminer d’emblée l’unedes quatre images qui ne montre rien dereconnaissable, si ce n’est l’environne-ment forestier de Birkenau (voir fig. 21).Se contenter de percevoir le référent,comme le fait une publication récenteen recadrant très largement l’une de cesimages (voir fig. 24) sur sa partie “visible”,c’est également penser, selon les termesde sa légende, qu’elle ne montre que des« cadavres brûlés à Birkenau70 » (voir fig.25). Certes, l’image montre cela – il nepeut s’agir de le nier –, mais elle montrebien davantage encore. Mais pour lepercevoir, il est nécessaire de dépasserla lecture référentielle de l’image et d’en-tamer une analyse du fait photogra-phique (au sens où la Nouvelle Histoireconçoit désormais la notion de fait) encroisant l’étude méticuleuse de ses élé-ments constitutifs : auteur, dispositif etsujet.

L’analyse du tirage original permet,par exemple, de comprendre que le pho-tographe a dû se cacher pour opérer. Lapartie noire, dont l’image est générale-ment amputée, n’est autre que l’enca-drement de la porte de la chambre à gaznord du crématoire V, dans laquelle lephotographe s’est retiré pour pouvoirphotographier le travail du Sonderkom-mando71. Supprimer ce morceau d’imagequi ne semble rien montrer, c’est penserque le photographe a pu opérer tran-quillement à découvert. Tout dans cesimages : le flou, la distance, les défautsde cadrage, jusqu’à cette image proba-blement déclenchée par inadvertance

qui ne montre rien de directementvisible, témoigne des conditionsextrêmes de prise de vue : l’obligationd’opérer rapidement, la nécessité de secacher, l’impossibilité de viser, le dan-ger de l’opération, etc. Négliger cescaractéristiques, ou, pire, tenter de lesgommer en retouchant, recadrant ouredressant ces images pour accroîtreartificiellement leur référentialité, c’estoublier qu’elles ont été prises par undéporté au risque de sa vie.

Plus largement, l’étude des tiragescontact de ces images (à défaut des néga-tifs), d’un message écrit qui leur étaitassocié et de deux témoignages plus tar-difs permet de mieux comprendre l’or-ganisation, le déroulement et le but del’opération72. Enfin l’analyse du contextehistorique, c’est-à-dire de l’activité de larésistance polonaise à l’intérieur ducamp à cette époque précise73, mais ausside l’état d’avancement de la solutionfinale par rapport à sa planification s’avé-rera indispensable. Il faut savoir que l’été1944 correspond à la déportation et àl’extermination des populations juivesde Hongrie, c’est-à-dire à la période laplus criminelle d’Auschwitz-Birkenau74.Cela permet de comprendre pourquoi,sur les images, les corps sont brûlés dansdes fosses aménagées à l’extérieur et nondans les crématoires dont la capacitén’était alors plus suffisante. Cela permetaussi de comprendre pourquoi la résis-tance polonaise décida, en ces mois defolie meurtrière, de fixer les preuvesvisuelles des crimes commis en ces lieuxpar les nazis75.

Dans sa Petite Histoire de la photographie,Walter Benjamin rapporte cette phrasede Bertolt Brecht devenue depuiscélèbre : « […] moins que jamais, une

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simple “reproduction de la réalité” n’ex-plique quoi que ce soit de la réalité. Unephotographie des usines Krupp ou AEGn’apporte à peu près rien sur ces institu-tions. La véritable réalité est revenue à ladimension fonctionnelle. La réificationdes rapports humains, c’est-à-dire parexemple l’usine elle-même, ne les repré-sente plus. Il y a donc bel et bien “quelquechose à construire”, quelque chosed’“artificiel”, de “fabriqué” 76. » Peu avantla publication de ce texte, Siegfried Kra-cauer formulait dans son essai Les Employésune idée similaire : «Cent reportages surune usine sont impuissants à restituer laréalité de l’usine, ils sont et restent tou-jours cent instantanés de l’usine. La réa-lité est une construction77.» Prise commeune simple reproduction de la réalité,une photographie n’apporte, en effet,que peu d’informations sur cette réalité.Mais dès lors qu’elle est considéréecomme une chose “fabriquée” (Brecht),construite (Kracauer) elle se révéleraextraordinairement documentaire.

Dans l’une des deux seules analysesbasées sur des photographies publiées

dans les Annales, Alain Dewerpe lemontre exemplairement. En étudiantnon pas les photographies des usinesKrupp ou AEG mais celles du site indus-triel de l’Ansaldo en Italie, il démontrecombien il est nécessaire de dépasser lalecture référentielle pour analyser un faitélaboré, une construction, c’est-à-dire,en somme, une représentation. «L’imageconstruite, écrit-il, est le produit d’unestratégie de représentation de soi, déri-vant des objectifs que la firme affecte àses photographies en fonction du desti-nataire, c’est-à-dire non seulement dumarché des biens matériels mais aussi decelui des biens symboliques : c’est uneimage manifeste […]. La constructionde la photographie industrielle commesource de l’histoire du travail ne peutéchapper au détour d’une réflexion surles conditions de possibilité de l’imagemême78. » C’est en effet à ces conditionsque la photographie devient, à partentière, matériau pour l’historien.

Ilsen ABOUT, Clément CHÉROUX

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Ces recherches ont été entreprises dans le cadre dela préparation de l’exposition “Mémoire des camps.Photographies des camps de concentration et d’exter-mination nazis (1933-1999)”, organisée par le Patri-moine photographique. Une première version de cetarticle a été présentée en conférence le 7 mars 2001 àla Bibliothèque nationale de France dans le cadre ducycle “Le XXe siècle des historiens”. Les auteurs tiennentà remercier pour leur aide précieuse, leurs conseils et leur soutien, Pierre Bonhomme, Christian Delage,Florian Ebner, Patricia Gillet, Arno Gisinger,

André Gunthert et Isabelle Neuschwander.1. Cf. Benjamin STORA, “L’image nous ren-seigne plus sur la société qui la regarde que

sur elle-même” (propos recueillis par MichelGuerrin), Le Monde, 23 avril 2001.

2. Cf. Peter BURKE, Eyewitnessing. The uses ofImages as Historical Evidence, Londres, ReaktionBooks, 2001, p. 9-10.

3. Laurence BERTRAND-DORLÉAC, “Fairel’histoire des pratiques artistiques”, Bulletin dela Société d’histoire moderne et contemporaine, n° 1-2, 1997, p. 2.

4. Ibid.

5. Cf. Francis HASKELL, L’Historien et les Images(trad. de l’anglais par A. Tachet et

NOTES

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L. Évrard), Paris, Gallimard, 1995 ; P. BURKE,op. cit.L’historiographie française a égalementconsacré plusieurs recueils à cette question :Iconographie et Histoire des mentalités, Paris, Édi-tions du CNRS, 1979 ; Les Historiens et les Sourcesiconographiques, Paris, Institut d’histoiremoderne et contemporaine, CNRS, 1981 ;Images et Histoire (actes du colloque de Paris-Censier, mai 1986), Paris, Publisud, 1987.Signalons également le numéro spécial deVingtième Siècle, sous la direction de LaurenceBERTRAND-DORLÉAC, Christian DELAGE etAndré GUNTHERT, intitulé “Image et histoire”(n° 72, octobre-décembre 2001).

6. Georges SADOUL, “Valeur du témoi-gnage photographique”, in Charles SAMARAN

(dir.), L’Histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard,1986, p. 1449.

7. Cf. Jacques LE GOFF, Pierre NORA (dir.)Faire de l’histoire. Nouveaux objets, t. 3, Paris,Gallimard, 1974.

8. Voir, entre autres, les travaux de MarcFerro, Pierre Sorlin, Christian Delage etAntoine de Baecque.

9. Cf. Raymond CHEVALIER, “Panorama desapplications de la photographie aérienne”,Annales ESC, n°4, 1963, p. 677-698 ; AlainDEWERPE, “Miroirs d’usine : photographieindustrielle et organisation du travail : l’An-saldo (1900-1920)”, Annales ESC, n°5, 1987,p. 1079-1114.

10. Michel FRIZOT, “Faire face, faire signe.La photographie, sa part d’histoire”, in Jean-Paul AMELINE, Face à l’histoire 1933-1996. L’ar-tiste moderne devant l’événement historique, Paris,Flammarion/Centre Georges-Pompidou,Paris, 1996, p. 57.

11. Raul HILBERG, Holocauste : les sources de l’his-toire (trad. de l’anglais (États-Unis) par Marie-France de Paloméra), Paris, Gallimard, p. 18-19.

12. Cf. Siegfried KRACAUER, “Die Photogra-phie”, Frankfurter Zeitung, vol. 72, n°802-803,28 octobre 1927, repris dans Olivier LUGON,La Photographie en Allemagne. Anthologie de textes

(1919-1939), Nîmes, éd. J. Chambon, 1997, p.356-365 ; S. KRACAUER, History : Last Thingsbefore the Last, Oxford, Oxford University Press,1969; Dagmar BARNOUW, Critical Realism. His-tory, Photography and the Work of Siegfried Kracauer,Baltimore, Londres, The Johns Hopkins Uni-versity Press, 1994; Enzo TRAVERSO, SiegfriedKRACAUER, Itinéraire d’un intellectuel nomade, Paris,Éditions de la découverte, 1994.

13. Stephen BANN, The Clothing of Clio : A studyof the Representation of History in Nineteenth-Cen-tury Britain and France, Cambridge, CambridgeUniversity Press, 1994, p. 138, cité par JohnTAGG, “The Pencil of History”, in PatricePETRO (dir.), Fugitive Images. From Photographyto Video, Bloomington, Indianapolis, IndianaUniversity Press, 1995, p. 300.

14. S. KRACAUER, “La photographie”, inO. LUGON, op. cit., p. 359.

15. P. NORA, “Historiens, photographes :voir et devoir”, in Christian CAUJOLLES (dir.),Éthique, Esthétique, Politique, Arles, Actes Sud,1997, p. 48.

16. Ibid., p. 47.

17. Louis Cyrus MACAIRE, “Note relative à lacréation d’une section de photographie auministère d’État”, 5 février 1855 (Archivesnationales : F21 562), cité par André ROUILLÉ,La Photographie en France. Textes et controverses : uneanthologie. 1816-1871, Paris, Macula, 1989, p. 332.

18. Ibid., p. 333.

19. Cf. Léon VIDAL, “Photographie natio-nale”, Le Moniteur de la photographie, 1878,p. 129-131.

20. Cf. “Musée des photographies docu-mentaires – Règlement”, Bulletin de la Sociétéfrançaise de photographie, 1894, p. 567-568.

21. Cf. H. D. GOWER, L. STANLEY JAST, W.W. TOPLEY, The Camera as Historian, Londres,Sampson, Low Marston, 1916. Nous n’avonsmalheureusement pas pu consulter cetouvrage, mais il est décrit en détail par J.TAGG, art cit., p. 285-303.

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22. Arlette FARGE, La Chambre à deux lits et lecordonnier de Tel-Aviv, Paris, Seuil, 2000, 4e decouverture.

23. Jacques LE GOFF, “Mirages de l’histoire”,La Recherche photographique, n°18, printemps1995, p. 44.

24. Ibid.

25. Gilles CANDAR, Frédéric SORBIER (dir.),“L’historien face aux photographies. Quellesphotos pour l’Histoire ?”, TDC. Textes et docu-ments pour la classe, n°805, décembre 2000. Ilfaut également signaler ici la thèse de DenisMARÉCHAL, La Photographie : quelle source pourl’histoire ? L’étude du cas français, thèse de 3e cyclede l’Institut d’études politiques (sous la dir. deJ.-N. Jeanneney), 1986, et le texte de syn-thèse sur l’historiographie italienne de LucaFANELLI, “La fotografia comme fonte storica”,I Viaggi di Erodoto, n° 40, décembre 1999-février 2000, p. 12-23.

26. Cf. Serge KLARSFELD, Le Mémorial de ladéportation des juifs de France, Paris, ÉditionsBeate et Serge Klarsfeld, 1978.

27. Divers autres historiens ont signalé deserreurs similaires : cf. Barbie ZELIZER, Remem-bering to Forget. Holocaust Memory Through theCamera’s Eye, Chicago, London, The Univer-sity of Chicago Press, 1998, p. 119 ; S. KLARS-FELD, Vichy-Auschwitz. Le rôle de Vichy dans lasolution finale de la question juive en France - 1942,Paris, Fayard, 1983, légendes de trois pho-tographies du Vélodrome d’hiver dans lecahier hors-texte entre les pages 160 et 161 ;Sybil MILTON, “The camera as weapon :documentary photography and the Holo-caust”, Simon Wiesenthal Center Annual, vol. 1,1984, p. 62.

28. Jacques FREDJ, “Avant-propos”, LesArchives de la Shoah, Paris, CDJC/L’Harmattan,1998, p. 9.

29. La base de données informatiques dumusée de l’Holocauste à Washington (dontle fonds est en grande partie constitué dereproductions de documents réalisées dansles archives du monde entier) a cependant le

mérite d’indiquer la source de la reproduc-tion (ce qui n’est malheureusement pas tou-jours le cas dans les autres centres) ; elledevient ainsi une sorte de répertoire icono-graphique permettant d’identifier l’origineexacte d’une image.

30. Cf. Ute WROCKLAGE, Fotografie und Holo-caust. Annotierte Bibliographie, Francfort, FritzBauer Institut, 1998.

31. Cf. Marie-Anne MATARD-BONUCCI, “Lapédagogie de l’horreur”, in M.-A. MATARD-BONUCCI, Édouard LYNCH (dir.), La Libérationdes camps et le retour des déportés, Bruxelles, Édi-tions Complexe, 1995, p. 61-73 ; ClémentCHÉROUX, “‘L’Épiphanie négative’. Produc-tion, diffusion et réception des photogra-phies à la libération des camps”, in C. CHÉ-ROUX (dir.), Mémoire des camps, Photographies descamps de concentration et d’extermination nazis(1933-1999), Paris, Marval, 2001, p. 117-122.

32. B. ZELIZER, op. cit., p. 201.

33. Jorge SEMPRUN, L’Écriture ou la vie, Paris,Gallimard, 1994, p. 262.

34. Cf. R. HILBERG, op. cit.

35. Il faut par exemple regretter que dans sonouvrage sur la diffusion des photographies dela libération des camps – assurément l’un desmeilleurs sur la question – B. Zelizer (op. cit.)n’ait pas indiqué le nom des photographesdans les légendes des images qu’elle publie.

36. Cf. Meyer LEVIN, In Search. An Autobiogra-phy, London, Constellation Books, 1951 ;Mikael LEVIN, War Story, Munich, GinaKehayoff, 1997.

37. Cf. R. HILBERG, Exécuteurs, victimes, témoins.La catastrophe juive 1933-1945, Paris, Gallimard,1994.

38. Ernst KLEE, La Médecine nazie et ses victimes(Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni),Arles, Actes Sud, 1999, p. 156-158.

39. Cf. Yves LE MANER, André SELLIER, Imagesde Dora 1943-1945. Voyage au cœur du IIIe Reich,La Coupole, Centre d’histoire de la guerre etdes fusées, s. d. [1999].

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40. Henri-Irénée MARROU, De la connaissancehistorique, Paris, Seuil, 1954, p. 106.

41. Cf. Ilsen ABOUT, “La photographie au ser-vice du système concentrationnaire natio-nal-socialiste (1933-1945)”, in C. CHÉROUX

(dir.), op. cit., p. 35-40.

42. Il existe à notre connaissance des albumssimilaires pour Auschwitz-Birkenau (2),Buchenwald (2), Dachau (3), Ravensbrück(1), Stutthof (1). Cf. Sigrid JACOBEIT, “Foto-grafien als historische Quellen zum Frauen-KZ Ravensbrück : Das Ravensbrücker ‘SS-Fotoalbum’”, in Insa ESCHEBACH (dir.), DasFrauenkonzentrationslager Ravensbrück : Quellen-lage und Quellenkritik, Berlin, Zentrale Univer-sitätsdruckerei der Freien Universität Berlin,1997, p. 33-43 ; Ute WROCKLAGE, “Archi-tektur zur ‘Vernichtung durch Arbeit’. DasAlbum der ‘Bauleitung d. Waffen-SS u. Poli-zei K.L. Auschwitz’”, Fotogeschichte, n° 54,1994, p. 31-43 ; René KOK, “Het foto-essay”,Oorlogsdocumentatie’40-45, 1989, p. 162-177 ;Anne FREYER, Peter HELLMAN, Jean-ClaudePRESSAC, L’Album d’Auschwitz, d’après un albumdécouvert par Lili Meier, survivante du camp de concen-tration, Paris, Seuil, 1983.

43. Pour le cas d’Auschwitz-Birkenau, voirT. SWIEBOCKI, Henryk SWIEBOCKI, “Vorwort– Introduzione”, in Giuseppe Zambon (dir.),Abels Gesichter - Volti di Abele, Francfort, Zam-bon Verlag, 1995.

44. Cf. Paul TILLARD, Mauthausen, Paris, Édi-tions sociales, 1945.

45. Cf.Tadeusz MAZUR, Jerzy TOMASZEWSKI

(dir.), 1939-1945. Nous n’avons pas oublié, Var-sovie, Éditions “Polonia”, 1961, p. 92 ; HansMARSALEK, Mauthausen, Milano, La Pietra,1977, couverture.

46. Cf. “La négation des crimes nazis. Le casdes documents photographiques acca-blants”, Le Monde juif, n°103, 1981, p. 96-107.

47. Cf. Jacques PYKE, La Critique historique. Quellong chemin à parcourir entre le témoignage et la syn-thèse, Louvain-la-Neuve, Academia-Erasme,1992 ; Sophie CASSAGNE, Christian

DELPORTE, Georges MIROUX, Denise TUR-REL, Le Commentaire de document iconographique enhistoire, Paris, Ellipses, 1996.

48. Antoine PROST, Douze Leçons sur l’histoire,Paris, Seuil, 1996, p. 66-67.

49. Ibid., p. 66.

50. Cf. Roland BARTHES, “L’effet de réel”[1968], Le Bruissement de la langue. Essais critiquesIV, Paris, Seuil, 1984, p. 179-187.

51. Id., La Chambre claire. Note sur la photogra-phie, Paris, éd. de l’Étoile/Gallimard/Le Seuil,1980, p. 16.

52. Ibid., p. 18.

53. Ibid., p. 120.

54. Ibid.

55. Ibid.

56. Cf. Michele GIORDANO, “Fotografia estoria”, Studi Storici, n°4, oct.-déc. 1981, p.815-832. Giordano évoque ici l’article deGiulio BOLLATI, “Note su fotografia e storia”,inCarlo BERTELLI, G. BOLLATI(dir.), Storia d’Ita-lia. Annali 2. L’immagine fotografica 1845-1945, t.1, Turin, Einaudi, 1979, p. 4-55.

57. Lucien FEBVRE, Combats pour l’histoire,Paris, Armand Colin, 1992, p. 115-116.

58. Olivier DUMOULIN, “Fait historique”, inAndré BURGUIÈRE (dir.), Dictionnaire des scienceshistoriques, Paris, Puf, 1986, p. 273.

59. R. BARTHES, “Le discours de l’histoire”[1967], Le Bruissement de la langue..., op. cit.,p. 175-176.

60. Ibid., p. 177.

61. Ibid., p. 175.

62. Ibid., p. 177.

63. Ibid.

64. Id., La Chambre claire, op. cit., p. 16.

65. Ibid., p. 19.

66. Ibid., p. 50.

67. Id., “Photos-chocs”, Mythologies, Paris,Seuil, 1957, p. 105-107 ; “Le message photo-

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graphique” [1961], L’Obvie et l’Obtus. Essais cri-tiques III, Paris, Seuil, 1982, p. 9-24.

68. Id., “Le message photographique”, art.cit., p. 23.

69. Cf. Claude LANZMANN, “Holocauste, lareprésentation impossible”, Le Monde, 3 mars1994, p. VII. ; id., “Parler pour les morts” (pro-pos recueillis par G. Herzlich), Le Monde desdébats, n°14, mai 2000, p. 14-16 ; id., “La ques-tion n’est pas celle du document, mais cellede la vérité” (propos recueillis par M. Guer-rin), Le Monde, 19 janvier 2001, p. 29 ; id., “Lemonument contre l’archive” (proposrecueillis par D. Bougnoux), Les Cahiers demédiologie, n°11, 2001, p. 271-279. Il faudracependant s’étonner qu’après ces proposrépétés contre l’image d’archive, ClaudeLanzmann, ouvre son dernier film, Sobibor, 14octobre 1943, 16 heures, par une photographied’époque provenant du musée du camp.

70. F. BÉDARIDA, L. GERVEREAU (dir.), op. cit.,p. 61.

71. Cf. Jean-Claude PRESSAC, Auschwitz. Tech-nique and Operation of the Gas Chambers, NewYork, The Beate Klarsfeld Foundation, 1989,p. 423-424

.72. Les tirages contact ainsi que le texte quileur était associé sont aujourd’hui conservésau Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau. Lesnégatifs n’ont pas été localisés. Il existe ànotre connaissance deux témoignages surcette opération dont des extraits sont don-nés par T. SWIEBOCKA (Auschwitz. A History inPhotographs, Oswiecim, Bloomington, India-napolis, Warsaw, The Auschwitz-BirkenauState museum/Indiana UniversityPress/Ksiazka I Wiedka, 1999, p. 42-43) etJ.-C. PRESSAC (op. cit., p. 423-424).

73. Cf. “La résistance au K. L. Auschwitz”, inFranciszek PIPER, T. SWIEBOCKA (dir.), Ausch-witz. Camp de concentration et d’extermination,Oswiecim, Panstwowe Muzeum Oswiecim-Brzezinka, 1998, p. 217-292.

74. Cf. Randolph L. BRAHAM, The Politics ofGenocide. The Holocaust in Hungary, vol. I et II,

New York, Columbia University Press, 1981.

75. Au-delà de la simple réception fascinéedu référent, ce sont là quelques-uns des élé-ments qu’une analyse du fait photographiquepermet de révéler. L’étude plus développéeque propose Georges DIDI-HUBERMAN

(“Images malgré tout”, in C. CHÉROUX, op. cit.,p. 219-241) explore davantage les pistes énu-mérées ici.

76. Walter BENJAMIN, “Petite histoire de laphotographie” (trad. de l’allemand par A.Gunthert), Études photographiques, n° 1,novembre 1996, p. 27-28. Ce passage reprispar Benjamin est extrait d’un texte de 1930de Brecht intitulé : “Der Dreigroschen-pro-zess. Ein soziologisches Experiment”. SelonA. Gunthert (art. cit., note 68, p. 36), Brechtattribuait la paternité de cette idée au“marxiste Sternberg” à propos des usinesFord.

77. S. KRACAUER, Les Employés. Aperçus de l’Al-lemagne nouvelle [1929] (trad. de l’allemandpar C. Orsini), Paris, Éditions Avinus, 2000,p. 33-34.

78. A. DEWERPE, “Miroirs d’usine : photo-graphie industrielle et organisation du tra-vail...”, art. cit., p. 1080 et 1109.

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Fig.1. E. Muybridge, “Diving over man’s head” (travelling), planche de cyanotypes, n° 134-0, 34 x 57 cm, 1885, coll. Photographic History Collection, National Museum of American History, Smithsonian Institution.

(Nota bene : les caractéristiques ci-dessus, communes aux planches de cyanotypes, ne seront pas répétées pour les reproductions suivantes de l’article).