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La France coloniale d’hier et d’aujourd’hui CONNAITRE Les racines coloniales de la politique de la France en Afrique Les résistances africaines à la domination coloniale AGIR Contre le mépris et le racisme ordinaire Pour une réforme des relations franco-africaines www.survie-france.org

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La France colonialed’hier et d’aujourd’hui

CONNAITRELes racines coloniales de la politique de la France en AfriqueLes résistances africaines à la domination coloniale AGIR

Contre le mépris et le racisme ordinairePour une réforme des relations franco-africaines

www.survie-france.org

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Survie est une association (loi 1901) qui milite pour une réforme de la politique dela France en Afrique, lutte contre la banalisation des crimes contre l'humanité et

des génocides, et fait la promotion des Biens publics à l'échelle mondiale.

Survie organise des campagnes d'information et d'interpellation des citoyens et desélus sur le caractère néocolonial des relations franco-africaines.

Coordination : Olivier Thimonier

Rédaction : Odile Biyidi, Raphaël Granvaud, Fabrice Tarrit, Antonin Wattenberg,Alexis Chareyron, Olivier Thimonier

Maquette : Léa Kacou

Impression : Imprimerie Bambel

Octobre 2006

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La France colonialed’hier et d’aujourd’hui

CONNAITRELes racines coloniales de la politique de la France en AfriqueLes résistances africaines à la domination coloniale AGIR

Contre le mépris et le racisme ordinairePour une réforme des relations franco-africaines

Octobre 2006

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1.1 Les origines du phénomène colonial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5

1.2 La conquète de l'Afrique et la naissance de l'Empire colonial . . . . . . . . . . . . . .71.3 Le mode d'exploitation colonial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .91.4 Idéologie coloniale, propagande et légitimation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .101.5 Résistances africaines et crimes coloniaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .121.6 Statuts des peuples colonisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .131.7 L'anticolonialisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .15

2.1 Les indépendances et la naissance de la Françafrique . . . . . . . . . . . . . . . . . .17- Une nouvelle légalité internationale : la coopération . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17- La Françafrique et ses réseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .18- Les Etats post-coloniaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20

2.2 L'aide publique à la dépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21- Le carcan du franc CFA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21- APD : L'Aide au contre-développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22- Dette odieuse et dérégulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .23

2.3 Exploitation économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25- Une domination économique multiforme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25- Le pillage des ressources naturelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .26

2.4 La coopération militaire, officielle et officieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .282.5 Les crimes néocoloniaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .30

2.6 La francophonie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .31

2.7 L'Outre-mer, les confettis de l'Empire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .332.8 Statuts et conditions d'accueil des migrants d'Afrique ex-coloniale . . . . . . . . .35

3.1 La Françafrique n’est pas morte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .39- Les dictateurs se portent bien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .39- Présence militaire : redéploiement et réorientations stratégiques . . . . . . . . .41- La puissance des réseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .42- L'impérialisme économique français toujours vivace . . . . . . . . . . . . . . . . . . .42

Sommaire

2- La néocolonisation française en Afrique 17

1 - La colonisation française en Afrique 7

3- Dé colonisons ! 39

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Introduction 5

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3.2 La désinformation : médias, censure et autocensure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .443.3 La société civile mobilisée pour un renouveau des relations

franco-africaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .47- L’opinion française bascule-t-elle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .47- Connections militantes France-Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .50

3.4 Discriminations à l’encontre des migrants et descendantsde migrants d’Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .53

3.5 Une histoire officielle à décoloniser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .57- Les manuels scolaires : un enseignement sélectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .57- La loi du 23 février ou la légitimation de la colonisation . . . . . . . . . . . . . . . . .58

Conclusion 60

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Chronologie 64

Bibliographie 62

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“A mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.J'entends la tempête. On me parle de progrès, de "réalisations", de maladies gué-ries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes.Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, des cultures piétinées, d'institutionsminées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artis-tiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées.On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, decanaux, de chemin de fer.Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui,à l'heure où j'écris, sont en train de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle demillions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie,à la danse, à la sagesse.Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexed'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme.”

Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1950

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IntroductionLa France est, avec l'Angleterre, le Portugal et l'Espagne, un des pays européens qui a

possédé un empire colonial. Si dans le monde elle a été la deuxième puissance colo-niale après l'Angleterre, elle a été la première en Afrique. Elle est aussi celle qui a menéles guerres coloniales les plus nombreuses et les plus meurtrières.Pourtant, en février 2005, les députés français votaient une loi qui, dans son article 4,reconnaissait " le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique duNord ", mythifiant ainsi la période coloniale et nourrissant l'orgueil national de certains nos-talgiques (notamment de l'Algérie française).Tout a fait scandaleuse, cette volonté d'instaurer une telle version officielle de l'Histoire dela France coloniale a toutefois eu le mérite d'ouvrir un débat sur cette période (mobilisa-tions d'universitaires, d'associations et de citoyens), à tel point que l'article 4 dû êtreabrogé par décret présidentiel.Elle a aussi le mérite de montrer que, plus de 40 ans après les indépendances, quivoyaient les peuples africains accéder à la liberté et à l'autodétermination, la pratique dela colonisation (qui consiste à imposer sa domination, si nécessaire par la violence) n'atoujours pas été officiellement remise en cause. Au contraire, c'est à une véritable tenta-tive de légitimation que nous assistons.Cette tentative de légitimation nous révèle que les mentalités ont finalement peu évolué etque les dirigeants français gardent un rapport avec l'Afrique et les Africains teinté de pater-nalisme, de mépris, et même de racisme.Mais c'est encore bien plus qu'une question de "mentalités". Il n'y a qu'à regarder de plusprès les rapports que la France entretient encore aujourd'hui avec ses anciennes colonies,pour voir que ceux-ci ont peu évolué depuis la période coloniale et les prétendues "indé-pendances". La France y perpétue une stratégique de domination au nom de la défensede ses propres intérêts : ingérence dans les affaires africaines (soutien à des dictatures età l'organisation d'élections truquées) ; maintien des Etats africains dans la dépendance vial'Aide publique au développement (et la dette) ; pillage des richesses du continent.La filiation entre la politique de la France en Afrique depuis 1960 et la colonisation qui l'aprécédée est une évidence. La première prend incontestablement ses racines dans laseconde.C'est ce que veut montrer cette brochure en mettant en parallèle les principaux aspects etressorts du colonialisme français et les pratiques de la "Françafrique"1 néocoloniale, queSURVIE n'a de cesse de dénoncer depuis maintenant une quinzaine d'années. Il s'agitaussi de rappeler et de mettre en avant les résistances qui, hier comme aujourd'hui, s'élè-vent tant en France qu'en Afrique, contre cette domination.Car, à l'heure où la présence de la France en Afrique est de plus en plus contestée (notam-ment par les sociétés civiles) et tandis que de nombreux Africains continuent de fuir la dic-tature ou le non-développement en Afrique, il est plus que temps que les Français ouvrentles yeux sur l'Histoire, passée et présente, de leur pays avec le continent africain.Rappeler cette Histoire n'est pas nuire à la France d'aujourd'hui, bien au contraire. C'estlui permettre de prendre une distance critique avec son passé et de s'inventer un avenirsans nostalgie. C'est aussi remédier à l'indifférence et aux préjugés, issus de l'ignoranceque les problèmes de développement en Afrique ont d'abord des causes politiques. Il enva de l'intérêt des sociétés africaines mais aussi de la société française.1Entendez "France-à-Fric" ; terme désignant les relations de corruption entre dirigeants françaiset africains.

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L’AFRIQUE EN 1914

"Source : R. Oliver et J.D. Fage, A short history of Africa, Harmondsworth, Penguin, 1962"

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1- La colonisation française en Afrique

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C'est sous l'Ancien Régime et à partirde la deuxième moitié du XVIIème siè-cle que les Français commencent à s'in-téresser au commerce atlantique.S'ensuit le premier mouvement d'ex-pansion française outre mer qui aessentiellement des motivations écono-miques, avec notamment la traitenégrière transatlantique. Les Françaisoccupent des îles des Caraïbes pour laproduction des denrées tropicales,sucre, tabac, coton et établissent descomptoirs commerciaux sur les côtesd'Afrique, au Sénégal et dans le golfede Guinée pour la traite des esclaves.C'est Colbert (intendant des financespuis secrétaire d’Etat à la marine deLouis XIV) qui organise les grandescompagnies de commerce : la compa-gnie des Indes occidentales (1664),celle des Indes orientales (Madagascar,Bourbon), la compagnie du Sénégal

(1673), la compagnie de Guinée.C'est lui qui édicte en 1685 le Code noir,qui réglemente l'iniquité du statut desesclaves. L'esclavage et la traite sont, àl'origine, l'œuvre de la monarchie, avecle soutien de l'Eglise catholique.En 1794, suite à la Révolution françaisede 1789, la Convention abolit l'escla-vage aux colonies. Il sera rétabli en1802 par Napoléon pour être définitive-ment aboli par la IIème République en1848.C'est dans ce contexte de remise enquestion de l'esclavage, que débute lacolonisation territoriale de l'Afrique, enen prenant ainsi le relais. C'est laRépublique qui l'organise, remettantconstamment en cause le principe desdroits de l'Homme pourtant revendiquéspendant la Révolution.

1.1 Les origines du phénomène colonial

1.2 La conquête de l'Afrique et la naissance de l'Empire colonialLa colonisation territoriale de l'Afriquecommence sous Louis-Philippe (1830-1848) par la conquête de l'Algérie. Sousle Second empire le projet et l'idéologiecoloniale se font jour.

Selon le philosophe Ernest Renan :"La colonisation en grand est unenécessité politique tout à fait de premierordre. Une nation qui ne colonise pasest irrévocablement vouée au socia-lisme, à la guerre du riche et du pauvre.La conquête d'un pays de race infé-rieure par une race supérieure, qui s'yétablit pour le gouverner, n'a rien dechoquant ". ("La réforme intellectuelle etmorale de la France", 1871)

Les troupes coloniales (tirailleurs séné-galais) sont constituées en 1857.L'année 1880 est le point de départd'une expansion coloniale sans précé-dent, qui sera théorisée par Jules Ferry.La Tunisie en 1881-1883, Madagascaren 1885 se voient imposer un protecto-rat français.

En 1885, se tient la conférence deBerlin, réunie à l'initiative du Chancelierallemand Otto Von Bismarck. 14 pays yparticipent. Les principaux sont laFrance, la Grande Bretagne,

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l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal.Le roi des Belges Léopold II y faitreconnaître sa tutelle sur le Congo.Lors de cette conférence, quipermet une reconnaissancemutuelle de leurs occupa-tions, les puissances colo-niales s'accordent sur le droitde poursuivre leursconquêtes à l'intérieur ducontinent, à partir de leursi m p l a n t a t i o n scôtières. S'ensuitune cour-se effré-née à qui prendrapossession le pre-mier de vastes ter-ritoires.

Un ministère desColonies est crééen 1894. Dans lesdernières années du siècle, Gallieniréprime la révolte malgache et réduitl'île au statut de colonie. Il en coûtera100 000 morts sur les trois millionsd'habitants. Des expéditions occupentprogressivement, le plus souvent parles armes, les territoires d'Afriqueoccidentale et d'Afrique équatoriale.Faidherbe pose les jalons de l'AfriqueOccidentale Française (AOF) à partirdu Sénégal. Savorgnan de Brazzaceux de l'Afrique EquatorialeFrançaise (AEF) à partir du Congofrançais.

Le Sahara, la Mauritanie et le Marocsont occupés progressivement.

Á la veille de la première guerre mon-diale l'empire colonial fran-çais est constitué. Viendronts'y ajouter les territoires descolonies allemandes, occu-pés en 1916 et confiés à l'ad-ministration des vainqueurspar le traité de Versailles en

1920. LeCameroun et leTogo viennentalors s'ajouter auxpossessions fran-çaises.

Louis Faidherbe (1818-1889)

Officier en Guadeloupe et en Algérie,Faidherbe est gouverneur duSénégal de 1852 à 1865. Il y mènedes campagnes militaires et est l'or-ganisateur de la première coloniefrançaise d'Afrique. Il crée en 1857les bataillons de tirailleurs sénéga-lais qui serviront dans les deuxguerres mondiales.

Joseph Gallieni (1849-1916)

Maréchal de France, gouverneurgénéral du Soudan français (1886-1891), et de Madagascar (1896-1905). Il réduit l'île au statut de colo-nie en déportant sa dernière souve-raine et mène une politique desraces, qui consiste à monter lespopulations locales les unes contreles autres.

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La colonisation, selon EugèneEtienne (sous-secrétaire d'État auxColonies entre 1887 et 1892 et prési-dent du groupe colonial à la Chambredes députés en 1895) est néces-saire : “pour assurer l'avenir de notrepays dans les nouveauxcontinents, pour y réserverun débouché à nos mar-chandises et y trouver desmatières premières pournos industries".

Le discours de Jules Ferrysur la "mission civilisatrice"n'est que l'habil-lage de la préda-tion coloniale. Lesgrandes planta-tions et l'exploita-tion des matièrespremières sont lafinalité essentielledes colonies.L'empire capita-liste colonial fran-çais a toujours été prospère. Certainsde ses plus beaux fleurons, telle laCFAO ((Compagnie françaised'Afrique de l'ouest), subsistentencore aujourd'hui. L'administrationcoloniale travaille pour lui. Le recoursau travail forcé pour le portage, l'éta-blissement des routes et des voiesferrées (comme le très mortifère che-min de fer Congo-Océan) est imposépar l'intimidation et la présence destroupes coloniales (les tirailleurssénégalais).

La France pratique le plus souventl'administration directe faisant ainsides chefferies locales de simples

relais de l'administration coloniale. Lapopulation est faite de coloniaux,citoyens de la métropole, et de lamasse des sujets indigènes, sansdroits politiques. Le code de l'indigé-nat, adopté en juin 1881 puis imposé

à l'ensemble des colonies en1887, accorde aux administra-teurs le pouvoir judiciaire. Cesystème d'inégalité sociale etjuridique, fondé sur l'arbitraire,n'est aboli qu'en 1946.

L'enseignement de base estassuré essentiellement par les

missionnaires, quiétablissent aussides dispensaires.L 'enseignementélémentaire suffit àformer les indi-gènes pour lestâches d'exécu-tion. Jusqu'en1945 très peud'entre eux accè-

dent à l'enseignement secondaire,encore moins à l'enseignement supé-rieur.

La diffusion des soins médicaux estextrêmement réduite, limitée le plussouvent aux dispensaires des mis-sions. Il faut noter cependant la luttecontre la maladie du sommeil, dont ladiffusion épidémique avait exploséavec les déplacements dus à la colo-nisation. La méthode prophylactiqueque met au point Eugène Jamot(1879-1937, médecin militaire) abou-tit à faire presque totalement dispa-raître la maladie.

Le passage de la politique d'”exploi-

1.3 Le mode d’exploitation colonial

Pierre Savorgnan de Brazza(1852-1905)

Italien naturalisé, il sert notammentdans la marine en Algérie, où il estrévolté par la répression contre lesKabyles. Nommé gouverneur généraldu Congo français en 1886, il estécarté 1898 pour s'être opposé ausystème de concessions au bénéficedes compagnies capitalistes.

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tation" d'avant la 1ère Guerre mondiale à la politique de "mise en valeur" prônéepar le ministre des Colonies Albert Sarrault entre les deux guerres, ne changerien à la finalité de la colonisation qui reste l'enrichissement des colons et lasatisfaction des besoins de la métropole. En 1946 l'instauration de l'Union fran-çaise, sera une tentative éphémère d'apporter certains droits politiques aux colo-nies, mais il est déjà trop tard.

A l'esclavage et à la traite succède lacolonisation territoriale de l'Afriquequi commence par la conquête del'Algérie, consacrant l'ambiguïté desdiscours anti-esclavagistes del'époque. Alexis de Tocqueville, anti-esclavagiste et auteur de De la démo-cratie en Amérique, fait ainsi l'apolo-gie de la conquête de l'Algérie parl'extermination et l'enfumage desgrottes dans lesquels se réfugient lesrésistants à la colonisation. VictorSchoelcher, qui contribue à faireadopter le décret sur l'abolition del'esclavage en 1848, est lui aussi unfervent colonialiste.

La deuxième moitié du XIXème sièclemarque aussi l'éclosion du racismescientifique et de la théorie de la "hié-rarchie des races", avec la publicationen 1853-1855 de l'Essai sur l'inégalitédes races de Gobineau ainsi que detravaux d'anthropologues et de natu-ralistes qui "prouvent" par la "cranio-métrie", l' "indice nasal" ou "cépha-loïde" ou encore la couleur de la peauque la "race nègre", inférieure, estplus proche de l'orang-outan que dela “race blanche", supérieure et civili-sée.

Ernest Renan affirme ainsi qu'ilfaut"[mettre] à part les races tout à faitinférieures dont l'immixtion auxgrandes races ne ferait qu'empoison-ner l'espèce humaine". (lettre du 26

juin 1856 à Arthur de Gobineau)1.4 Idéologie coloniale, propagande et légitimation

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Relayées par la presse populaire, lescartes postales, les livres d'aven-tures, ces exhibitions ont un impactessentiel dans la construction de

l'image du "sauvage"et du racisme popu-laire. Cette propa-gande permet delégitimer la colonisa-tion.

En 1884, JulesFerry, président duConseil et père del'école laïque, gra-

tuite et obligatoire, parle devant laChambre des députés du "droit desraces supérieures vis-à-vis des racesinférieures" et affirme : "Si nousavons le droit d'aller chez ces bar-bares, c'est parce que nous avons ledevoir de les civiliser. […]Il ne faut pas les traiter en égaux,mais se placer au point de vue d'unerace supérieure qui conquiert".

Par un renversement, la colonisationse fait au nom des "droits del'homme" : il s'agit de mettre fin à l'es-clavage en Afrique et d'y apporter pro

grès et civilisation. La France sedonne une mission universelle, àlaquelle les missionnaires sont asso-ciés. Il s'agit aussi de la nécessairegrandeur de la France dans leconcert des Nations. L'exaltationnationaliste de l'Empire culmine avecl'Exposition coloniale de 1931 àParis, dans le Parc de Vincennes etses huit millions de visiteurs.

Jules Ferry(1832-1893)

Affiche d'Éric Castel(1941)

Louis Lyautey(1854-1934)

Après une carrière en Algérie, enIndochine, à Madagascar et auMaroc, il est l'organisateur de l'expo-sition coloniale de 1931.

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1.5 Résistances africaines et crimes coloniauxDès son début l'expansion colonialese heurte à des résistances, malgré ladisproportion des forces en pré-sence : sagaies et flèches contrefusils et canons.

Officier durant la conquête del'Algérie, le lieutenant-colonel deMontagnac écrit en 1843 :

"Toutes les populations qui n'accep-tent pas nos conditions doivent êtrerasées. Tout doit être pris, saccagé,sans distinction d'âge ni de sexe :l'herbe ne doit plus pousser où l'ar-mée française a mis le pied. […] tuertous les hommes jusqu'à 15 ans,prendre toutes les femmes et lesenfants […]. En un mot, anéantir toutce qui ne rampera pas à nos piedscomme des chiens" (de Montagnac,Lettres d'un soldat, 1885)

Les guerres de "pacification" sontaussi particulièrement meurtrières àMadagascar en 1895, lors de la priseet le carnage d'Ouossébougou par lecommandant Archinard (Soudan fran-çais) en avril 1890, ou du sac deSikasso (Soudan français) par le colo-nel Audéoud en mai 1898.

Les recrutements forcés de troupesprovoquent des troubles en AfriqueOccidentale. La résistance de SamoryTouré, en pays Malinké, dans le FoutaDjalon, dure de 1890 à 1898.Ahmadou, le fils d'El-Hadj Omar Tallrésiste jusqu'en 1893. Le Royaumed'Abomey de Behanzin (dans l'actuelBénin) tombe en 1894 au prix dedivers massacres et de l'exil deBehanzin aux Antilles et en Algérie oùil mourra. La sanglante expédition

Voulet Chanoine, du Soudan auTchad, en 1898, qui sème sur sonpassage massacres et destructions,n'est pas une exception. Elle révèledes pratiques coutumières. Au Marocles zones de dissidences ont toujourssubsisté, jusqu'à la guerre du Rif, en1925.

La brutalité de la conquête et de l'ex-ploitation coloniales avec lesméthodes les plus cruelles : travailforcé, déportations, représailles,exodes et famines, se marque surtoutdans le dépeuplement massif descolonies africaines. Il est probableque l'Afrique noire ait perdu, du fait dela colonisation, un tiers de ses habi-tants entre 1880 et 1930.

Répression d'une révolte enCôte d'Ivoire, début XXème,

cl. Roger-Viollet

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1.6 Statut des peuples colonisésDes citoyens sans droitsLe statut des populations coloniséesest régi par le Code de l'indigénatadopté le 28 Juin 1881, puis imposéà l'ensemble des colonies en 1887. Ildistingue deux catégories decitoyens : les citoyens français (desouche métropolitaine) et les sujetsfrançais, c'est-à-dire les autochtones,ainsi que les travailleurs immigrés,privés de la majeure partie de leurliberté et de leurs droits politiques,notamment du droit de vote.

Seuls les habitants de Dakar, Gorée,St Louis et Rufisque au Sénégal (“les4 Communes") bénéficient de lacitoyenneté française et donc du droitde vote, à partir de 1916. C'est ainsique Blaise Diagne, un "évolué" selonla terminologie de l'époque, devienten 1914 le premier Africain à siéger àl'Assemblée nationale française.

L'Algérie bénéficie quant à elle dustatut de département et à ce titre faitpartie intégrante du territoire français.Toutefois ses habitants ne peuventjouir pleinement de leur citoyennetéque s'ils renoncent à leur statut civilde musulman en demandant unenaturalisation. La majorité refusecette naturalisation. C'est seulementà partir de 1919 que les musulmanspeuvent voter, à condition toutefoisqu'ils soient anciens combattants,propriétaires ou fonctionnaires.

Un débat est malgré tout engagéentre les "assimilationnistes" qui veu-lent, à terme, accorder aux peuplescolonisés le statut de citoyen fran-çais, et les "associationistes" qui pré-fèrent maintenir les peuples coloni-

sés en qualité de sujet. Si c'est la pre-mière tendance qui a dominé lesdébats, c'est l'assujettissement quiest devenu la règle.

Les "tirailleurs sénégalais"Sur le plan militaire, la France puisedans les ressources humaines descolonies, tant pour opérer "la pacifi-cation" et maintenir "l'ordre" des terri-toires occupés que pour assurer l'es-sor de sa conquête coloniale.

Cette pratique s'intensifie au XIXèmesiècle et aboutit à la création, en1857, des bataillons de "tirailleurssénégalais" par le général Faidherbe,alors Gouverneur du Sénégal (d'où lenom de ces bataillons). Ces dernierssont essentiellement composés d'an-ciens esclaves fraîchement libéréspar les lois abolitionnistes, immédia-tement rachetés par les autoritésfrançaises, leur faisant signer suc-cessivement un "acte de libération" etun "contrat d'engagement", pour unservice allant de douze à quinze ans.

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L'enrôlement de force est la norme envigueur, donnant lieu à de nom-breuses révoltes, dont la répression fitnotamment plusieurs milliers de mortsen 1915 et 1916 au nord de Bamakoet dans la Haute Volta (actuel BurkinaFaso).

Lors de la Première Guerre mondiale,environ 134 000 tirailleurs sont mobi-lisés. 30 000 sont tués et autant sontblessés.

Lors de la Seconde Guerre mondiale,520 000 tirailleurs sont mobilisés etplacés en première ligne. Alors que letaux de mortalité des combattants"français de France" est de 3 %, celuides soldats d'AOF et d'AEF s'élève à40 %.

Si la moitié des troupes qui débar-quent en Provence sont africaines,l'Etat Major français opère à la veillede la libération, un "blanchissement"de son armée, en démobilisant la plu-part des troupes coloniales. Ainsi, leurparticipation au défilé du 14 juillet1945, célébrant la libération à laquelleils ont largement contribué, n'estqu'anecdotique.

Du reste, les "généreuses" intentionsproclamées lors de la conférence deBrazzaville en janvier 1944, n’ont pasété appliquées et, lorsqu'en décem-bre 1944 au camp de Thiaroye(Dakar) des tirailleurs démobilisésréclament le paiement de leurs arrié-rés de solde, l'armée français répondpar une fusillade qui fait au moins 35morts.

Enfin, couronnement de la reconnais-sance nationale à leur égard, une loidite de "cristallisation" des pensionsest votée en 1959, en pleine vague de

décolonisation : les pensions,retraites et allocations payées auxanciens militaires étrangers sontgelées et transformées en indemnitésannuelles calculées sur la base desprix en vigueur à la date de l'indépen-dance de chaque pays.

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1.7 L'anticolonialismeCompte tenu de la répression qui yrègne, l'anticolonialisme a du mal àse manifester dans les colonies. Lesprotestations qui s'élèvent en Francesont quant à elles peu connues.Ceux qui les profèrent sont accusésde trahir la France et d'atteindre àl'honneur de son armée.

Ainsi on a longtemps ignoré l'exis-tence et les écrits de Paul Vigné d'oc-ton (1859-1943), médecin destroupes coloniales, qui fut parmi lespremiers à dénoncer la politique colo-niale de la IIIème République, sespillages et ses massacres de popula-tions. Il fit paraître un pamphlet, Lagloire du sabre, en 1900, dénonçantles atrocités commises par lestroupes et les colons en Afrique, àMadagascar, au Tonkin. La sueur duburnous est le fruit d'une enquêteofficielle, menée pendant trois ans,de 1907 à 1909, principalement enTunisie. Pour ce second ouvrage,craignant que son rapport ne finisseau fond d'un tiroir, il eut la prudencede le faire publier sous forme de feuil-leton dans le journal anarchisteLa Guerre Sociale (1911).

En janvier 1906, Anatole France pro-nonce un discours virulent lors d'unmeeting de protestation contre laFrance coloniale : "Les Blancs necommuniquent avec les Noirs ou lesjaunes que pour les asservir ou lesmassacrer. […] il nous importe, ànous français, de dénoncer avanttout les crimes commis en notre nom;il en va de notre honneur".

En France, la guerre du Rif (Maroc)provoque les premières manifesta-

tions anticolonialistes importantes,animées par les communistes, aux-quels se joignent les surréalistes.René Maran, Guyanais, administra-teur des Colonies, est contraint dedémissionner après la parution deson roman Batouala, en 1921, dotéed'une préface très critique sur lesméthodes coloniales. De même lesouvrages d'André Gide, Voyage auCongo (1927), suivi de Retour duTchad (1928), et d'Albert Londres,Terre d'ébène (1929), décrivant lesexactions coloniales, font scandale etsont dénoncés comme portantatteinte au prestige de la France.

En 1931, le Parti communiste fran-çais mobilise douze écrivains dugroupe surréaliste, dont Aragon,André Breton, René Char, PaulÉluard, Georges Sadoul, pour rédigerun très long tract intitulé "Ne visitezpas l'Exposition coloniale !". Une anti-Exposition coloniale, baptisée "Lavérité sur les colonies", est organiséeà Paris en 1931 / 1932. Elle ne rece-vra que 5000 visiteurs.

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Après la deuxième Guerre mondiale,Aimé Césaire avec le Discours sur lecolonialisme (1950) fait franchir unenouvelle étape au mouvement antico-lonialiste, qui est soutenu parquelques intellectuels réputés(Claude Bourdet, Jean-Paul Sartre,Simone de Beauvoir) mais qui seratoujours très minoritaire, même dansles partis de gauche, dont les diri-geants n'iront guère au-delà d'unpaternalisme dénoncé par Césairedans sa Lettre à Maurice Thorez(1956).

La pensée anticolonialiste se trouveadmirablement exprimée dans lesécrits de Frantz Fanon (1925-1961),auteur de Peau noire, masquesblancs (1950), L'an V de la révolutionalgérienne (1959), Pour la révolutionafricaine et Les damnés de la terre(1961).

René Vautier réalise en 1950 un filminterdit en France : Afrique 50, quidénonce le système d'exploitationcolonial, puis en 1957-58 Algérie enflamme tourné dans le maquis enAlgérie.

Au lendemain de la seconde Guerremondiale et la victoire sur le nazisme,au cours de laquelle les peuples colo-niaux ont joué un rôle important, lesrevendications anticolonialistes sefont plus fortes au nom du droit despeuples à disposer d'eux-mêmes etde la dette de sang de la métropoleenvers ses colonies. Le mouvementdes indépendances est en marche.En 1955, la conférence de Bandung(Indonésie) réunit de nombreux lea-ders indépendantistes d'Asie,d'Afrique et du monde arabe.

Au sein de l'empire colonial français,des syndicats et des partis politiquessont créés, obligeant la France àorganiser l'autonomie des colonies.

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2- La néocolonisation française en Afrique

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“En Afrique française, comme dans tous les autres territoires où deshommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès,si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matérielle-ment, s'ils ne pouvaient s'élever peu à peu jusqu'au niveau où ils seront capablesde participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires.”

Ces mots du général De Gaulle, prononcés lors de la Conférence de Brazzaville en1944, mythifiés à tort, donnent l'exacte mesure de la relation, partagée avec laclasse dirigeante française, qu'il avait avec l'Afrique. Celle-ci n'ira jamais au-delà dupaternalisme qui marque cette déclaration de façon caricaturale.

Après la deuxième guerre mondiale - pendant laquelle la France était restée en licegrâce à son Empire colonial, ses territoires, ses ressources et ses hommes - l'aspi-ration à l'indépendance des peuples colonisés se fait jour, que ne satisfait pas lanouvelle structure de l'Union Française, qui, en 1946, a remplacé l'Empire. Le refus

par la métropole d'accepter cette évolution est la cause des ter-ribles guerres coloniales qui vont avoir lieu, d'abord en Indochinede 1946 à 1954, puis en Algérie de 1954 à 1962. En 1956, leMaroc et la Tunisie recouvrent leur indépendance, tandis qu'unstatut d'autonomie interne est accordé aux autres territoires parla loi-cadre Deferre. A ce moment, la IVème République sombredans la guerre d'Algérie. Le général De Gaulle, arrivé au pouvoiren 1958, propose alors par referendum une structure politique

dénommée Communauté. La Guinée est le seul pays quirefuse et choisit l'entière indépendance sous la présidencede Sékou Touré. La Communauté se dissout très vite. En

1960 quinze pays issus de la Communauté française accèdent à l'indépendance.

Charles De Gaulle(1890-1970)

En 1960 De Gaulle accorde l'indépen-dance à toutes les colonies françaises,sauf à ce qu'on appellera plus tard lesTerritoires d'outre-mer, comme laNouvelle-Calédonie, mais aussi àquelques points d'appui stratégiquescomme les Comores (indépendantesseulement en 1975 mais amputées deMayotte) et Djibouti (indépendant en1977).

A peine les indépendances proclamées,De Gaulle établit avec chaque Etat denouvelles relations, fondées sur unenouvelle légalité internationale :la Coopération.

Ces relations sont scellées par la signa-ture d'accords de Coopération, quiconsacrent la France comme partenaireprincipal voire exclusif des États nouvel-lement indépendants, via l'aide au

2.1 Les indépendances et la naissance de la FrançafriqueUne nouvelle légalité internationale : la Coopération

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développement. Des accords de coo-pération économique, monétaire,financière, commerciale, technique,judiciaire, culturelle, militaire, diplo-matique, mais aussi des accords dedéfense ou relatifs aux matières pre-mières et stratégiques permettent à laFrance de contrôler ces nouveauxpays.

Des personnels français (assistantstechniques, conseillers) sont envoyésauprès des nouveaux États afin demettre en place leurs nouvelles insti-tutions, d'établir leurs programmes dedéveloppement économique (planifi-cation), de former leurs cadres etleurs élites, etc. Souvent, ils se subs-tituent aux cadres locaux, dans despostes de décision et d'exécution(administration), remettant ainsi encause le principe même de souverai-neté.

En 1961 la France crée le ministèrede la Coopération. Ses organismesspécialisés chargés de mettre enœuvre sa politique sont le plus sou-vent directement issus de l'ancienministère des Colonies, tout commeses personnels.

Cette coopération assure à la Francele maintien d'un espace d'influenceprivilégié en Afrique, dans les paysdits du "champ" ou "pré-carré".

Par cette politique de coopération, laFrance exporte son modèle et sesméthodes de développement, salangue, son mode de pensée, ainsique son système juridique et adminis-tratif. Elle fonde le développementdes pays coopérés sur la productionet l'exportation de matières pre-mières, provocant la spécialisation etl'extraversion des économies afri-

La Françafrique et ses réseauxParallèlement àcette politiqueofficielle qui faitde la France "lameilleure amiede l'Afrique", DeGaulle chargeJacques Foccart,responsable de

la Celluleafricaine del'Elysée dem a i n t e n i r

aussi la dépendance des Etats afri-cains par des moyens occultes.

Les objectifs de cette politique sontmultiples : le maintien du rang de laFrance à l'ONU avec un cortège

d'États clients ; l'accès aux matièrespremières stratégiques comme lepétrole et l'uranium ; le financementocculte des activités politiques dugaullisme, puis, par la suite, de tousles partis de gouvernement ; et enfinle maintien - dans le contexte deGuerre froide - des pays africainsdans l'orbite occidentale.

Foccart met ainsi en place un sys-tème- que François-Xavier Verschavea appelé la "Françafrique" (entendez"France-à-fric") - constitué en réseauxet lobbies, centralisé à la Cellule afri-caine de la Présidence de laRépublique. Toute une série d'ac-teurs, politiques, policiers, des ser-vices secrets, des grandes entre-

Jacques Foccart(1913-1997) sur leperron de l'Elysee

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prises, sont peu ouprou nommés etdéplacés parFoccart et sesproches (dontCharles Pasqua).En 1986 JacquesChirac réussit às'accaparer unegrande partie deces réseaux, ene m b a r q u a n tFoccart àMatignon.

D'autres réseauxse tissent aussiavec une complicitéentre la Droite et laGauche, à l'instar des réseaux duPrésident Mitterrand (son fils Jean-Christophe dirigeant la Cellule afri-caine de l'Elysée) constitués en lienétroit avec le réseau Pasqua.

Les méthodes de la Françafriquesont d'une violence extrême : guerrecontre les indépendantistes came-rounais dans les années 50, élimina-tion de leaders authentiques

(Sylvanus OIympioau Togo en 1963,Outel Bono duTchad en 1973), uti-lisation de merce-naires, coups d'Etat(Togo, Niger,C e n t r a f r i q u e ,Congo-B, Gabon).La fraude électoralemassive est aussiune pratique cou-rante.

La France installe etentretient ainsi dansles États africainsdes sortes de "gou-verneurs à la peau

noire". Certains d'entre eux ont lanationalité française, certains sonttout bonnement issus des Servicessecrets français (Omar Bongo auGabon).

Il est significatif que tout candidat depoids aux élections présidentiellesfrançaises doit s'assurer, au préala-ble, du soutien d'une partie despotentats françafricains.

Charles Pasquaet Omar Bongo

Réseaux et officines de la Françafrique

Ils sont de plusieurs ordres : partis politiques, corps d'Etat (notamment desGrandes Ecoles), loges maçonniques (notamment la Grande LogeNationale de France-GLNF), mercenaires (recrutés au sein du DépartementProtection Sécurité (DPS) de Jean-Marie Le Pen et vice-versa), Servicessecrets (notamment la Direction de la Surveillance du Territoire-DST- duministère de l'Intérieur, la Direction de la protection et de la sécurité de laDéfense - DPSD - et la Direction Générale de la Sécurité Extérieure-DGSE-de l'Elysée), entreprises (notamment le système Elf créé pour la circons-tance ainsi que les grands groupes français pour les intérêts commerciaux;Lyonnaise des Eaux, Compagnie Générale des Eaux-CGE, Bouygues,Bolloré, etc), Etat-major (lobby militaire et constructeurs d'armement puis-sants), ambassadeurs... Tous ces réseaux sont intimement imbriqués.

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Les Etats post-coloniaux

Les Etats nés des indépendances,malgré l'arbitraire du découpage colo-nial, respectent le principe d'intangibi-lité des frontières affirmé parl'Organisation de l'Unité Africaine(OUA) en 1963. Le concept d'Etat-Nation apparaît en Afrique à cetteépoque. Certains politistes parlentaujourd'hui de "greffe" ou d' "importa-tion" du modèle étatique.

Avec ou sans la France ?

Durant les années 1950, un clivageidéologique majeur divise les leadersdes indépendances. Il concerne lecadre des relations futures entre laFrance et ses territoires et les rap-ports de ces territoires entre eux.

Au Ghana ex-anglais (indépendant en1957) le président Kwamé Nkrumahprône lui l'unité de l'Afrique entière

par la création d'une immense fédéra-tion : c'est le Panafricanisme.

Ces débats agitent notamment leRassemblement DémocratiqueAfricain (RDA), parti proche du PCF.Panafricaniste et nationaliste à sesdébuts, le RDA ne pourra permettre lacréation d'une fédération, certains deses membres comme l'Ivoirien FélixHouphouët Boigny préférant resterfidèles à la France.

Si deux tendances apparaissent aulendemain des indépendances entreles Etats dits "progressistes" ou"nationalistes" (Guinée et Mali) quiopèrent une rupture avec l'anciennemétropole et les Etats dits "modérés"qui eux sollicitent le maintien des rela-tions avec la France, la plupart despays s'arriment finalement à l'an-cienne puissance coloniale (via les

Indépendante la Côte d’Ivoire ?

Après avoir rêvé de l'arrimage de son pays à la France, Félix HouphouëtBoigny se résout à ce que l'on peut qualifier d’une "pseudo indépen-

dance". Les principaux collaborateurs d'Houphouët sont français : son direc-teur de cabinet, le Secrétaire général du Gouvernement et même, jusqu'en1966, le ministre des Finances. L'ambassadeur de France, paré du titre de"Haut représentant de la France" est un quasi vice-président. Sa résidenceest mitoyenne de celle du président, à laquelle elle est reliée par un souter-rain. Le Président Houphouët s'assure de la stabilité du pays en concluantdes pactes avec les différents clans et groupes de populations et en ayantrecours au besoin à la force ou à la corruption. La sécurité du pays et de sonprésident est assurée par un accord de défense avec la France qui prévoitla présence permanente d'une base militaire à Abidjan, celle du 43ème Bima(Bataillon d'infanterie de Marine). Une clause restée longtemps secrète pré-voit également l'intervention des soldats français en cas de troubles inté-rieurs.

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accords de coopération). Ils créentmême sous l'égide de celle-ci l'UnionAfricaine et malgache (UAM), organi-sation de coopération économiqueculturelle et sociale. Il adoptent alorsles recettes institutionnelles de la

France : lois, constitutions, structuresde l'administration, écoles d'adminis-tration type ENA, découpage territo-rial. On peut parler à leur égard de"mimétisme institutionnel".

2.2 L’aide publique à la dépendance

De 1960 à 1965 au moins, lesanciennes colonies françaises n'ontmême pas de Trésor public propre,indépendant du Trésor français. Enoutre, au moment desindépendances, lesex-colonies françaisesconservent une mon-naie unique : le francCFA ("ColoniesFrançaises d'Afrique"devenu "CommunautéFinancière Africaine" :le sigle du FCFA nechange pas… sonrôle non plus !).

Le franc CFA estgéré en dernierressort par laFrance, qui a pour mission d'assurerla parité entre les deux monnaies,d'où une véritable mainmise de l'Etatfrançais sur la politique monétaireafricaine.

La France a conservé des relations

commerciales et financières trèsétroites avec ses anciennes colonies;aussi la meilleure façon d'assurer lasécurité de ces relations est degarantir une stabilité monétaire entreles deux zones. Cette stabilité estassurée par le lien fixe entre le francfrançais et la zone CFA, qui permetaux investisseurs français de rapa-trier régulièrement et sans risqueleurs bénéfices. Depuis janvier 1999et l'adoption de l'Euro, la valeur du

franc CFA est arrimée àl'Euro, mais le fonction-nement reste le même.

Ce contrôle économiqueest encore renforcé parle fonctionnement desbanques centrales. LaFrance conserve undroit de veto à l'intérieurde celles-ci et peut donc

légalement bloquertoute décisionmonétaire au seinde la zone CFA.Cela signifie claire-

ment qu'aucune décision monétairedes pays "décolonisés" ne peut seprendre sans l'aval de la France. Enoutre, les pays de la zone franc CFAsont contraints de déposer 65% deleurs recettes d'exportation sur uncompte du Trésor Français.

Le carcan du franc CFA

La zone CFA(Union économique et

monétaire ouest africaine(UEMOA) et Union monétaired'Afrique centrale (UMAC))

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Enfin la France peut imposer la dévaluation du Franc CFA si elle le juge néces-saire, comme en 1994, au détriment du pouvoir d'achat des populations afri-caines. Le franc CFA constitue donc une source de devise et un moyen decontrôle pour l'économie française et bien peu une " aide " pour les pays afri-

APD : L'Aide au contre-développementIl en va de même pour l'incroyablesystème de l'Aide publique au déve-loppement (APD). Contrairement àl'image d'une France charitable àl'égard de ses anciennes colonies,l'APD est avant tout unsystème qui sert à main-tenir dans la dépendanceles pays dits "aidés".

L'APD est d'abord un for-midable instrument decorruption en France eten Afrique. Particulière-ment abondante enpériode de campagneélectorale française, l'aidedite "hors projet" est engrande partie détournéepar les dictateurs etrevient partiellement en France via lesparadis fiscaux. La réalisation de cesprojets, quand ils existent, est sou-vent attribuée aux entreprises fran-çaises, qui peuvent surfacturer à loisir(parfois au double du prix réel) etsavent se montrer généreuses enretour…

"D'où ces innombrables "éléphantsblancs", ces projets ruineux, inadap-tés, inachevés, ou délabrés faute decapacité de maintenance. Il n'étonnepersonne que l'on construise un hôpi-tal, un institut technologique ou uneCité de l'Information dont le coût d'en-tretien excède le budget de la Santé,de l'Education ou de la Communi-cation du pays, une université inac-cessible aux étudiants, un central

téléphonique sans réseau, etc. Il nechoque personne qu'avec l'argent del'APD on offre un Mystère 20 aurichissime Omar Bongo [Gabon], puisque l'on rénove luxueusement son

DC8 personnel, qu'on achète un autreMystère 20 au président centrafricainKolingba ou, pour quelques 100 mil-lions de francs, un Falcon 50 augénéral Habyarimana."(La Françafrique, F-X.Verschave,p .71).Il existe aussi une aide "liée" (fré-quente dans les remises de dette) quiest conditionnée par le fait de n'ache-ter avec l'aide que des produits fran-çais, paralysant ainsi toute possibilitéde développement autonome.

Au final, une infime partie de l'APDconcourt réellement à lutter contre lapauvreté, tandis que la majeure partiel’accroît.

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Dette odieuse et dérégulationLe système de la dette n'est pas unmécanisme exclusif de laFrançafrique, mais combiné à cettedernière, il fait des ravages.

Conçue dès le départ pour maintenirune domination économique invisibledu Nord sur le Sud, la spirale de ladette résulte essen-tiellement de déci-sions prises auNord. Poussés às'endetter à destaux variables et àdévelopper desmonocultures d'ex-portations, les paysdu Sud se sont rapidement retrouvésdans l'impasse quand les taux d'inté-rêts ont explosé, alors que le prix desmatières premières s'effondrait.

Depuis lors, la gestion de la dette estle prétexte au chantage et à l'ingé-rence économiques les plus dévasta-teurs : pour rembourser leur dette, onles invite à recourir… à de nouveauxemprunts. Le cycle infernal est lancé.

Mais pour obtenir de nouveaux prêts,les pays du Sud sont contraints derester soumis aux besoins des multi-nationales occidentales et de suivredes Plans d'Ajustement Structurels(PAS) : privatisations, baisse desdépenses publiques, etc. qui vontlaminer les sociétés africaines déjàaffaiblies pendant la période colo-niale.

Les PAS ont même permis une véri-table recolonisation économiquepuisque des entreprises françaisesont pu se réapproprier ce qui leur

avait échappé lors des "indépen-dances". Aujourd'hui, on parle deNepad (New economical partnershipfor african development), d’initiativePPTE (Pays pauvres très endettés),etc. mais le contenu libéral reste lemême.

La dette est le pre-mier mécanisme detransfert desrichesses des popu-lations des pays duSud vers les action-naires des pays duNord. Depuis lesannées 80, c'est

l'équivalent de 60 plans Marshall quia été transféré du Sud vers le Nord etla dette a été remboursée plusieursfois depuis longtemps. En moyenne,sur 1 dollar emprunté, les pays duSud en ont déjà remboursé 8, etpourtant, il leur en reste encore 4 àpayer.

Depuis 50 ans, c'est le "Club deParis" (formé de 19 pays créanciers)qui négocie la dette publique bilaté-rale des pays du Sud. A la fois juge etpartie, sans existence légale ni statut,il se réunit pourtant au ministère desFinances et fonctionne de manièretrès opaque.

Bien entendu, les sommes colos-sales empruntées ne bénéficient pasaux populations et les fortunes desdictateurs sont souvent proportion-nelles à l'endettement de leur pays.

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L'envers de la Dette :l'exemple du Congo-Brazzaville

Le Congo-Brazzaville est un pays riche en pétrole. Sa population est pour-tant très pauvre. C'est le résultat d'un système de prédation qui s'organiseprincipalement autour de trois axes : le vol du pétrole, l'accroissement de ladette du pays, et la guerre civile qui a débuté en 1997 (l'argent du pétrolepayant des armesaux deux parties enconflit). Au cœur dece système seretrouvent un certainnombre d'acteursfrançafricains : lesautorités congo-laises, Denis SassouN'Guesso en tête ;Elf (puis TotalFinaElf)et sa banque la FIBAqui a directement géré la dette du pays ; et certaines banques (BNP-Paribas, Société générale, Crédit agricole). L'utilisation de montages finan-ciers complexes rend le pillage opaque. Dette, criminalité économique etspéculation financière sont indissolublement liées.

Plate-forme Dette et CAD Mali

Au MALI, le Jubilé CAD Mali (Coalition des Alternatives Dette etDéveloppement) organise chaque année, au même moment que le G8, un"Forum des Peuples" au sein duquel les problèmes de la dette trouvent uneplace centrale. En juin 2004, pour marquer le refus de la résignation des peu-ples africains, des représentants de mouvements sociaux venus d'une dizainede pays africains mais aussi de Belgique, du Canada, de France et de Suisse,se sont ainsi réunis à Kita. Les forums de Fana (2005) et de Gao (2006) ontensuite connu un succès équivalent (www.cadmali.org)

En FRANCE, la Plate-forme Dette & Développement, qui regroupe 30 asso-ciations et syndicats français cherche à promouvoir la mise en place desmesures nécessaires pour une solution large, juste et durable au problème desdettes (passées, présentes et futures). A travers leurs réseaux associatifs etsyndicaux, les organisations membres interpellent l'opinion, les pouvoirspublics français et les créanciers internationaux, en particulier à l'occasion desgrands rendez-vous nationaux et internationaux. (www.dette2000.org)

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Une domination économique multiforme

2.3 Exploitation économique

L'exemple de la Côte d'Ivoire en 2000

Selon les chiffres de la Direction des relations économiques extérieures duministère français de l'Economie, il y avait en 2001 près de 210 filiales d'en-treprises françaises sur le territoire ivoirien employant plus de 60 000 personneset ayant réalisé, en 1999, un chiffre d'affaires supérieur à 1 500 milliards de Fcfa(sans compter les profits offshore…).

A ces filiales de multinationales qui contrôlent les secteurs stratégiques (énergie,télécommunication, eau, transport, banques, BTP, agro-industrie, propriétés fon-cières, etc.), s'ajoute un nombre important de Pme-Pmi de droit local, environ unmillier, contrôlées par des intérêts français. Elles représentent entre la moitié etles deux tiers du secteur privé formel et emploient 40 000 personnes.

Selon l'agence de promotion des investissements en Côte d'Ivoire, le Cepici, lescapitaux français, comparés aux capitaux étrangers, constituent près de 50%des demandes d'agrément à l'investissement pour la période.

La Côte d'Ivoire a son budget alimenté à 60% par les recettes fiscales des entre-prises françaises, qui possèdent près de la moitié des richesses ivoiriennes.Avec les privatisations, les investissements directs français sont passés demoins de 10 millions d'euros en 1995 à plus de 150 millions en 1997.

De très nombreuses entreprises fran-çaises ont conservé une situation demonopole ou de quasi monopoledans la production ou les débouchésde leur secteur. La France est le pre-mier "partenaire commercial", pre-mier "investisseur", premier exporta-teur dans de très nombreux pays (et3ème partenaire économique àl'échelle du continent entier après lesUSA et la Chine).

L'économie néo-coloniale a perpétuéun trait caractéristique de l'économiecoloniale : le commerce inégal. D'uncôté l'appropriation par la métropoledes matières premières, de l'autre lecontrôle du marché des produitsmanufacturés et une concurrencedéloyale par l'exportation de produitsagricoles subventionnés. Ce méca-nisme empêche le développement demodèles économiques africainsautres qu'un capitalisme de rentedévastateur.

Aux profits "légaux", il faut encoreajouter les trafics en tous genres quipoussent à l'ombre des relationsfrançafricaines. Les entreprises fran-çaises comme Bouygues se sontaussi engraissées grâce aux nom-breux "éléphants blancs".

Selon les sources du MEDEF le com-merce français avec l'Afrique a atteinten 2001 un solde positif de 3,2 mil-liards d'euros, soit autant que celuiréalisé avec l'ensemble des payseuropéens (3,3 milliards).

Comme l’a dit Omar Bongo, le plusvieux “dinosaure” françafricain (40ans au pouvoir) : "La France sansl'Afrique, c'est une voiture sans car-burant."

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Le pillage des ressources naturellesDe Gaulle l'avait annoncé le 5 septembre 1961:

"Notre ligne de conduite, c'est celle qui sauvegarde nos intérêts et qui tientcompte des réalités. Quels sont nos intérêts? Nos intérêts, c'est la libre exploi-tation du pétrole et du gaz que nous avons découvert ou que nous découvri-rions."

Le contrôle militaire et politique exercépar la France sur ses "anciennes" colo-nies (et plus tard sur quelques autrespays ayant rejoint le "pré-carré",comme l'Angola ou la Guinée Bissau) apermis la perpétuation d'une domina-tion économique et d'un droit de pillageillimité pour certaines entreprises fran-çaises en Afrique.

Elf et le pillage de la rente pétrolière*

Elf est créée en 1967 pour, entre autres, servir de faux-nez au financementet à l'action des services secrets français en Afrique. Elle abritait plusieurscentaines de barbouzes, entretenait des sociétés de mercenaires, participaitau montage de coups d'Etats. Avec la complicité des dictateurs choisis parla France, Elf a organisé le drainage des énormes marges occultes sur l'ex-ploitation de l'or noir africain : productions non-déclarées au large des côtes,sous-évaluation des redevances, surfacturations des investissements etprestations, arnaques sur le préfinancement des productions futures, etc.Avec comme résultat paradoxal que les pays potentiellement les plus richesen matières premières voient le niveau de vie des populations s'effondrer, etla dette se creuser proportionnellement à l'enrichissement des élites diri-geantes franco-africaines. L'absorption d'Elf par Total n'a rien changé à ceprocessus.* La Françafrique, le plus long scandale de la République, F.X. Verschave.

Si le pétrole joue un rôle de premierplan, beaucoup d'autres matières pre-mières attisent les convoitises : le gaz(détourné en Algérie avec la compli-cité de la junte militaire), l'uranium(accaparé à bas prix par la France auNiger depuis le coup d'Etat de 1974),le bois (systématiquement pillé au

Gabon ou au Cameroun en dépit desréglementations en matière de boisprécieux et de sauvegarde des forêtsprimaires), ainsi que de nombreusesautres richesses minières (diamants,or, cuivre, cobalt, coltan, etc.)

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Il faut noter que les mécanismes deprédations prospèrent souvent àl'ombre des guerres civiles, commeen Côte d'Ivoire, et contribuent à lesalimenter à l'infini, avec des consé-quences désastreuses pour lespopulations civiles. Selon un rapportde l'ONU de 2005, une cinquantainede multinationales occidentales sontainsi impliquées dans le dépeçagedes richesses minières et les conflitsde la République Démocratique duCongo (RDC) qui ont déjà fait près de4 millions de morts.

En cette matière, la France n'a pasd'état d'âme et lors de la guerre civileau Congo Brazzaville en 1997, elle afourni des armes aux deux camps enprésence, au point qu'un député fran-çais a pu déclarer "Il n'y a pas uneballe qui n'ait été payée par Elf."

En 2002, une campagne internationale est lancée par plus de 100 ONG pourcontraindre les compagnies extractives à publier les versements effectués auxgouvernements des pays où elles opèrent. La coalition "Publiez ce que vouspayez !" trouve rapidement des alliés au Nigeria, au Tchad, en Angola et sur-tout au Congo Brazzaville, pays où les enjeux de la rente pétrolière ontprovoqué trois guerres civiles (entretenues par Elf). Depuis le plaidoyerPétrole Congo, lancé en 2003, de nombreuses démarches institutionnelles(auprès du gouvernement congolais, de l'Elysée, de Total Fina Elf, de laBanque Mondiale) ont été menées par la société civile congolaise. Se sentantmenacé, le gouvernement congolais a fait arrêter Brice Mackosso et ChristianMounzeo, deux figures emblématiques de cette lutte, au printemps 2006,déclenchant un mouvement international de solidarité envers eux.

Au Tchad, les ONG ne cessent de dénoncer les risques sociaux, écolo-giques et humanitaires de l'exploitation du pétrole découvert dans la région deDoba. La mobilisation a débouché sur de minces garanties accordées par laBanque Mondiale, vite remises en cause par le gouvernement tchadien. Lesassociations tchadiennes continuent cependant à suivre ce dossier en partici-pant à un Collège de Surveillance des revenus pétroliers et à la coalitionPubliez ce que vous payez !.

"Nous sommes venus afin d'essayer de mettre un terme à ce système, desorte que les revenus du pétrole servent désormais aux populations, et nonde combustible à la mort. Si l'on meurt au Congo Brazzaville, c'est parce quele pétrole permet à nos dirigeants d'acheter des armes et lui donner lesmoyens de corrompre et de renforcer la dictature." Brice Mackosso, commis-sion Justice et Paix Pointe-Noire

<<< Mobilisation : Publiez ce que vous payez ! >>>

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2.4 La coopération militaire, officielle et officieuse

Interventions de l'ombre

Aux interventions officielles, il faut ajouter l'utilisation de vrais-faux merce-naires comme Bob Denard (notamment aux Comores) et les actions des

forces spéciales, par définition secrètes.Sous François Mitterrand a été créé le COS : Commandement desOpérations Spéciales, qui est rattaché directement à l'Elysée hors hiérarchiemilitaire, et constitue ainsi une sorte de garde présidentielle de 3 000hommes pour les missions sensibles.En plein génocide, le Capitaine Paul Barril (ex-GIGN) participe à la forma-tion de miliciens au cours d’une opération intitulée "opération insecticide"(les Tutsi cibles des génocidaires étaient à l'époque qualifiés de "cafards").

A partir des années 60, des accordsde coopération et des accords dedéfense (dont certaines clauses res-tent secrètes) permettent le maintiendes troupes françaisesen Afrique et la possibi-lité d'y intervenir, sanscontrôle parlementaire.

La France entretientainsi depuis plus dequarante ans cinqbases en Côte d'Ivoire,en Centrafrique, àDjibouti, au Gabon et auSénégal. La plus impor-tante est celle deDjibouti, avec plus de4 000 hommes (en comptant lesadministratifs). En tout, cela repré-sente environ 10 000 hommes en per-manence sur le continent africain,sans compter les forces temporairescomme au Tchad, ou au Rwanda en1994. Il s'agit pour la France deconsolider les régimes “amis” enjouant un rôle dissuasif et répressif àl'égard des opposants civils ou mili-taires, dont les luttes politiques sontsouvent présentées sous un habillage"ethnique".

C'est l'armée française qui est char-gée de la formation, de l'encadre-ment, de l'instruction et de fait de ladirection des armées des "anciennes"

colonies. Elle est aussiresponsable des Gardesprésidentielles et autresmilices ou polices poli-tiques. Les dictateurs etles responsables mili-taires africains sont d'ail-leurs généralement pas-sés par une des écolesmilitaires françaises.

Certains des conseillersmilitaires français ontjoué le rôle de véritables

vice-rois françafricains, comme de1980 à 1993 l'officier de la DGSEJean-Claude Mantion en Centrafriqueou le général Jeannou Lacaze qui,après avoir été Chef d'Etat-Major del'Armée française et haut responsabledu SDECE (ex-DGSE), est ensuitedevenu le conseiller militaire "privé"de Mobutu au Zaïre, puis d'Eyadémaau Togo.

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Un demi-siècle d'interventions militaires françaisesen Afrique : quelques exemples significatifs…

Depuis les "indépendances", la France est (officiellement) intervenue plusd'une trentaine de fois en Afrique. La plupart du temps, ces interventionssont publiquement justifiées par la nécessité de "protéger nos ressortis-sants" ou qualifiées "d'opérations humanitaires".

Au Cameroun, après 1960, la France sème la terreur contre les "bandesrebelles Bamileke" - en fait les populations indépendantistes acquises àl'UPC (Union des populations du Cameroun). L'écrivain Mongo Béti parle de"camps de torture et d'extermination" (Main basse sur le Cameroun). Cetteguerre secrète a fait entre 100 000 et 400 000 morts.

En 1965 au Gabon, Léon M'Ba, qui a été imposé par la fraude, est ren-versé. La France intervient militairement pour "sécuriser" le pays, fait abat-tre les officiers gabonais putschistes et rétablit Léon M'Ba. C'est ensuiteOmar Bongo, issu des services secrets français, qui prendra le pouvoir etimposera un parti unique.

Au Tchad, l'armée française ne cesse d'intervenir. En 1990, la Franceappuie le renversement de son ancien protégéHissène Habré par Idriss Déby, et l'armée fran-çaise le maintient au pouvoir contre vents etmarées jusqu'à la dernière démonstration deforce en 2006.

Au Zaïre, des interventions françaises sauve-ront Mobutu en 1977 et 1978. En revanche, lesmercenaires recrutés par la France en 1996 neparviendront pas à empêcher son renversement.

Au Rwanda, le génocide de 1994 a été rendu possible par un soutien mili-taire constant et inconditionnel de la France au régime d'apartheid deJuvenal Habyarimana et de son clan génocidaire. La France interviendra en1990 pour repousser les rebelles du FPR, réorganisera l'armée rwandaiseet reviendra sous déguisement humanitaire fin juin 1994 pour sauver lesgénocidaires défaits militairement.

En 1998-1999 au Congo-Brazzaville, les forces spéciales et les servicessecrets français voleront également au secours de Denis Sassou Nguesso,et l'aideront à reprendre le pouvoir, au prix d'une épuration ethnique dans larégion du Pool, assortie d'une série de crimes contre l'humanité perpétuéspar les soldats du protégé de la France.

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2.5 Les crimes néocoloniauxAprès avoir, pendant la période colo-niale proprement dite, tenté d'éliminerles mouvements et les leaders indé-pendantistes, pour placer deshommes de paille à la tête des Etatsnouvellement indépendants, laFrance utilise parfois les mêmesméthodes après les indépendancespour se débarrasser de ceux quimenacent ses intérêts ou qui ensavent trop sur les rouages occultesde la Françafrique.

Par ailleurs, un certain nombre detroupes françaises en Afrique, héri-tières directes des troupes coloniales,ont perpétué un esprit de corps et desméthodes très particulières : racismeet mépris total pour la vie des popula-tions africaines ; instrumentalisationcriminelle de l'ethnisme toujours pluspoussée.

Des assassinats…

Parmi les victimes les plus célèbresde ce système,on peut citer leprésident duT o g o ,S y l v a n u sOlympio. Cedernier envisa-geait de quitterla zone francCFA et d'ouvrirl'économie togolaise à d'autres pays.Il est assassiné en 1963 par le ser-gent chef Eyadéma sur ordre deJacques Foccart. Le meurtre estmême annoncé à la radio françaiseavant d'avoir eu lieu…

En 1973, le populaire opposant tcha-dien Outel Bono est trop gênant,

même en exil. Il est assassiné enplein Paris sur ordre des servicessecrets français.

Le leader de la révolution Burkinabéde 1983 Thomas Sankara, pro-pose aux autrespays africainsde constituer unfront du refusde la Dette etde s'émanciperensemble dun é o c o l o n i a -lisme. Il est éli-miné en 1987par BlaiseCompaoré.

On pourrait encore citer les assassi-nats de Patrice Lumumba en 1961par une coalition USA-Belgique-France, au profit de Mobutu ; ouencore ceux de Ben Barka (Maroc),ou de Dulcie September (Afrique duSud), survenus à Paris même.

Les victimes ne sont pas toutes afri-caines. Ainsi plusieurs coopérantsfrançais ont été éliminés, soit directe-ment par les services français, soitavec leur complicité. Ainsi le jugeBorrel, qui enquêtait à Djibouti sur unconcentré d'affaires nauséabondes, aété grossièrement "suicidé" en 1995.Grâce à l'obstination de sa veuve, laversion officielle française estaujourd'hui battue en brèche.

… aux crimes contrel'humanité

Dans la mesure où c'est l'armée fran-çaise qui encadre, et de fait dirige lesarmées à la solde des dictateurs, elle

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est évidemment complice de leursnombreuses exactions, quand elle neles commet pas directement elle-même.

Dès les indépendances, elle s'estnotamment illustrée au Cameroun,où elle a mené dans le plus grandsecret, sous la direction de J.Foccart, une politique d'exterminationdes "rebelles Bamilékés", identifiéssur une base ethnique, pour en finiravec les indépendantistes de l'UPC.

Trente ans plus tard, l'arme "ethniste"développée dans le cadre de la théo-rie de la "Guerre moderne" atteindrason paroxysme au Rwanda, qui selonle journaliste Patrick de SaintExupéry, servira de "laboratoire"grandeur nature à notre armée, liéeaux génocidaires. Selon des témoi-gnages de rescapés et de miliciens,des militaires français auraient mêmedirectement aidé à achever le géno-cide, et se seraient livrés à des violsà l'encontre de femmes rescapées.Plusieurs plaintes pour "complicité degénocide et crimes contre l'humanité"ont été déposées en 2005 devant letribunal aux Armées de Paris.

En novembre 2004, l'armée françaiseofficiellement "neutre" en Côted'Ivoire détruit l'aviation ivoirienneaprès le bombardement (inexpliqué àce jour) d'une base française. Desémeutes anti-françaises sont déclen-chées. L'armée française tire sur lafoule désarmée qui s'interpose.Bilan : une soixantaine de morts, unmillier de blessés et une censurequasi-totale en France sur les événe-ments.

Pour ne pas en assumer la responsa-bilité, les pires atrocités peuvent éga-lement être déléguées à des mili-taires reconvertis en "mercenaires",comme Bob Denard qui s'est illustréau Zaïre dans les années 1960 etaux Comores jusqu'en 1995.C'estencore des militaires déguisés enmercenaires (et des vrais merce-naires recrutés dans le service d'or-dre du Front National) qui ont enca-dré l'épuration ethnique au Sud duCongo en 1998-1999.

"La francophonie est une politique,c'est-à-dire un marécage de calculsinavoués, de croisades archaïques,de magouilles malhonnêtes pouvantaller jusqu'au crime".(Mongo Beti, Conférence "La franco-phonie contre la langue française",2001).

La légende veut que, en 1960, troischefs d'État de pays africains nouvel-lement indépendants, Léopold

Senghor (Sénégal), Habib Bourguiba(Tunisie) et Hamani Diori (Niger)aient proposé de regrouper les paysayant des affinités linguistiques avecla France. Cette idée singulière estunique au monde. Il n'y a pas en effetd'institutions de la lusophonie, ni del'hispanophonie, encore moins del'anglophonie.

En 1970 est créée à Niamey l'ACCT,agence de coopération culturelle et

2.6 La Francophonie

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technique, par les mêmes, plusNorodom Sihanouk (Cambodge), quiregroupe 21 pays. Depuis 1986 ontlieu, tous les ans puis tous les deuxans, des sommets de la francopho-nie ; depuis 1987 et tous les quatreans, des jeux de la francophonie. En1995 est créé un poste de secrétairegénéral de la Francophonie, qui seraoccupé successivement par BoutrosBoutros Ghali et Abdou Diouf. En2005, l'agence de la francophoniedevient l'Organisation Internationalede la Francophonie (OIF), regroupant53 États.

Censée avoir été créée pour défendrela langue française, la francophonieest surtout la vitrine culturelle d'unepolitique d'influence dont l'OIF estl'instrument principal. Cette organisa-

tion est en effet régulièrement utiliséepour le contrôle et la validation d'élec-tions (souvent truquées), se substi-tuant ainsi à des organisations inter-nationales ayant une vraie légitimitépolitique (ex : l'ONU)

L'impact de la Francophonie sur leplan éducatif est faible, il n'y a qu'àconstater la déscolarisation massivedans les pays africains et la raréfac-tion des bourses accordées aux étu-diants francophones par la France. Lapolitique de promotion du livre enAfrique, quant à elle, sert plus auxentreprises françaises de l'édition àaccéder aux marchés africains qu'àcréer les conditions d'une production"africaine" de ces outils du dévelop-pement intellectuel.

Au mois de mai 2004, l'association Survie a lancé une campagne de longterme contre ce soutien de la France aux dictateurs africains, inspirée par lamascarade électorale togolaise de 2003 (qui annonçait déjà celle d'avril 2005)et son indigne cautionnement par la diplomatie française.

En 18 mois, la campagne a été soutenue par 15 000 citoyens pétitionnaires etune vingtaine de députés. Survie a tenté d'associer à ce combat des ONG dedéveloppement ou de défense des droits del'Homme françaises et européennes afin defavoriser l'émergence d'un mouvement pluslarge de mobilisation et de réflexion sur lesobstacles politiques au développement. Desactions conjointes ont notamment étémenées en France et en Afrique au cours dela crise de succession au Togo au printemps2005, du sommet Afrique-France de Bamakode décembre 2005, et lors des différentesétapes de la crise politique et militaire queconnaît le Tchad depuis la modification de laconstitution par le Président Déby.

<<< Mobilisation : La campagne"Les dictateurs amis de la France? !" >>>

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2.7 L'Outre-mer, les confettis de l'EmpireSi la France a perdu l'essentiel deson Empire au moment des indépen-dances, elle a toutefois gardé unepartie de ses départements et terri-toires d'outre-mer, souvent contraintspar la force à rester dans le gironfrançais (répression des mouve-ments indépendantistes, absence deréférendum pour l'autodéterminationou manipulation des résultats desconsultations).

Aujourd'hui ce sont les statuts de l'îlede Mayotte et de la NouvelleCalédonie qui posent le plus ques-tion. Le 15 août 1973, le comité dedécolonisationde l'ONUadopte unerésolution favo-rable à l'indé-pendance desquatre îles desComores, yc o m p r i sMayotte. Celle-ci, qui auraitdonc dû resterintégrée aux Comores (qui accèdentà l'indépendance en 1975) en estpourtant arrachée à l'issue d'un réfé-rendum contestable, et faitaujourd'hui partie des DOM-TOMfrançais.

De tout l'outre-mer français, l'ONU,depuis 1986, ne retient pourtant lanotion de colonie que pour laNouvelle-Calédonie, qui s'est pro-noncée pour l'indépendance par réfé-rendum en 1988, à l'issue d'unelongue lutte anticoloniale ponctuéede violences.

L'ensemble des "confettis de l'em-pire", répartis sur les trois océans, faitde la France un "pays où le soleil nese couche jamais". La mainmise dela métropole sur ces territoiresentraîne un foisonnement législatifautour de leur statut - en évolutionpermanente pour certains - quieffleure les limites constitutionnelles,et jongle avec le droit international.Ainsi sont multipliées les formules :TOM (Territoire d'Outre-mer), DOM(Département d'Outre-mer), maisaussi CDOM (Collectivité départe-mentale d'Outre-mer), POM (Paysd'Outre-mer) et autres CTOM

(Collectivité ter-ritoriale à statutparticulier)... Ons'y perd, ce quisemble être lebut. Ces modifi-cations de statutpermettent à lafois de gagnerdu temps, faceaux vagues dep ro tes ta t i ons

des populations, et de "séparer" lesrevendications des différents terri-toires. En prétextant la spécificité dechaque cas, on peut affubler chacund'un statut "à la carte", "sur mesure".Mayotte en est un parfait exemple

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Tour des tropiques en France

La France comporte :- quatre DOM (depuis le 19/03/1946) : Guadeloupe, Guyane, Martinique,Réunion ; chacun d'eux constitue une ROM (Région d'outre-mer) depuis1982 ;

- trois TOM : Wallis et Futuna, les Terres australes et antarctiques fran-çaises et la Polynésie française ;

- un territoire à statut particulier, depuis 1988 : la Nouvelle-Calédonie (pré-cédemment TOM depuis 1946) ;

- une CTOM (depuis 1985) : Saint-Pierre et Miquelon ;- une CDOM (depuis 2001) : Mayotte (CTOM de 1986 à 2001) ;- des "îles éparses" : celles de l'Océan Indien (canal du Mozambique), rat-tachées à La Réunion, et Clipperton...

L'Outre-mer français se situe en zone tropicale, sauf Saint-Pierre-et-Miquelon et les terres australes ; il est constitué uniquement d'îles, hormisla Guyane. Il couvre 128 000 km² (contre 551 000 km² pour la métropole).Les DOM-TOM multiplient par plus de 30 le patrimoine maritime français, enramenant la Zone économique exclusive (ZEE) de la France à 11 millions dekm², contre 0,34 pour la seule métropole. D'après le recensement de 1999,cet outre-mer ajoute près de 2,4 millions d'âmes aux 60 millions de la métro-pole. En surface terrestre, comparaison des DOM-TOM

à la métropole (source : Datar/Reclus) :

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2.8 Statuts et conditions d'accueil des migrants d'Afriqueex-coloniale

Aux Harkis et aux tirailleurs,la Patrie méprisante

Depuis la loi de cristallisation (gel)des pensions de 1959, les tirailleursafricains sont victimes d'une discrimi-nation vis-à-vis de leurs homologuesfrançais.

Selon le Groupe d'information et desoutien des immigrés (GISTI), quand,en 2006, un ancien combattant fran-çais invalide à 100 % touche 690euros par mois, un Sénégalais per-çoit 230 euros, un Camerounais 104euros, un Marocain ou un Tunisien 61euros. Une retraite d'ancien combat-tant s'élève à 430 euros par an pourun Français contre seulement 16euros pour un Cambodgien.

Bien que condamnée en 1980 par laCommission des droits de l'Hommede l'ONU pour discrimination raciale(et par le Conseil d'État en 2001), laFrance s'est toujours refusé à se sou-mettre à la décristallisation des pen-sions, optant, non pas pour l'égalitéavec les anciens combattants fran-çais mais pour "l'équité", avec unpaiement calculé en fonction duniveau de vie de chaque pays. Il fau-dra attendre 2006 et la prise deconscience suscitée par la sortie dufilm "Indigènes" pour que le gouver-nement français se saisisse de laquestion.

En 1962, suite à la signature desaccords d'Evian mettant fin à laGuerre d'Algérie, des Algériens ayantservi l'armée française (supplétifs

FSNA - Français de souche nord-afri-caine), parviennent à fuir les repré-sailles du FLN (Front de LibérationNationale), qui les considère commedes traîtres, et à gagner la France.D'autres seront massacrés sans quela France ne lève le petit doigt.

Honnis par les Algériens, les Harkissont toutefois reçus en Francecomme des indésirables. Craignantavec leur arrivée une "invasionmusulmane", et estimant qu'ils nesont pas assimilables, De Gaulle lestraite comme des réfugiés étrangers.

Des dizaines de milliers de famillessont alors parquées à l'écart du restede la population dans d'ancienscamps de prisonniers entourés debarbelés (dans des conditions trèssimilaires à celles des réfugiés de laguerre civile espagnole).

Ces camps sont dirigés par des mili-taires pieds-noirs (censés pouvoircommuniquer plus facilement avecces familles) qui utilisent desméthodes coloniales. La faim, lefroid, l'insalubrité des camps, la disci-pline quasi militaire, la corruption, lesmauvais traitements, sont le lot quoti-

Camp de Rivesaltes

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dien de ces citoyens de secondezone déplacés de camp en camp ( leplus terrible étant celui de Bias dansle Lot-et-Garonne).

Ces camps, censés les protéger desexactions du FLN et les aider à s'in-sérer, sont en réalité une machineried'exclusion et de marginalisation.Symbole de la continuité du systèmecolonial, ils existeront jusque dansles années 1990.

Du "colonisé" à l'"immigré"

La France a utilisé abondamment lamain d'oeuvre africaine sur le solmétropolitain à l'époque coloniale.Elle a continué à le faire après lesindépendances, le travailleur "immi-gré" se substituant au travailleur"colonisé".

Le flux le plus massif de travailleursafricains arrive en métropole à partirde 1945 pour la reconstruction dupays. Spécifiquement affectés auxsecteurs du bâtiment et de l'industrieflorissante, leur contribution aurayonnement national des "Trenteglorieuses" est indiscutable.

Les migrants, venus travailler sansleurs familles dans un premier temps,effectuent les tâches les plus péni-bles et sont sous-payés.

Ils habitent principalement dans desbidonvilles insalubres en périphériedes grandes agglomérations, commeà Noisy le Grand ou à Nanterre (aumoins 20 000 personnes). Le bidon-ville de Cassis abritant 93 Tunisiensdepuis 1960, n'a été démoli qu'en2005. Quant aux "cités dortoirs", quiont remplacé ces bidonvilles, elles

n'incarnent aucune intention de rom-pre avec la ségrégation urbaine etsociale dont sont victimes les popula-tions d'origines africaines.

Simultanément aux indépendancesauxquelles accèdent progressive-ment les anciennes colonies, l'Etatfrançais met progressivement enplace des dispositifs de "retour aupays" pour ces travailleurs qui, auxyeux de l'Etat, deviennent vraisem-blablement peu désirables après"usage", état d'esprit déjà tristementincarné par le "blanchiment” de l'ar-mée à la veille de la libération.

Par la suite, l'accès à la nationalitépour les nouveaux immigrés (pourbeaucoup d'Afrique subsaharienne),ou même au simple séjour, ne ces-sera d'être révisé de façon restrictive,à quelques rares et passagèresexceptions, allant même jusqu'à met-tre, rétroactivement, en situation irré-gulière des personnes qui ne l'étaientpas.

Suspension de l'immigration de tra-vailleurs (1974), aide au retour (àpartir de 1977), conditions d'entréesur le territoire plus strictes et autori-sation des expulsions et des déten-tions des sans papiers (en 1980) sesuccèdent.

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2-LanéocolonisationfrançaiseenAfrique

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Si ces dispositifs sont assouplis en1981, et si le permis de séjour de 10ans est créé en 1984, la "loi Pasqua"de 1986 rétablit le régime d'expul-sion. Des "zones d'attentes" sontcréées ("loi Quilès", 1992), et lesconditions d'accès à la nationalitéfrançaise sont rendues plus difficiles.

En 1996 de nombreuses manifesta-tions pour la "régularisation dessans-papiers" ont lieu dans plusieursvilles de France. A Paris, les forcesde l'ordre évacuent par la force lesoccupants de l'église Saint-Bernard.

En 2002 et 2003 l'UMP (Union pourla Majorité Présidentielle de JacquesChirac) vote des réformes législa-tives restreignant les conditions d'ac-cès à l'Aide Médicale d'Etat (lessans-papiers n'y ont ainsi plusaccès).

En 2005, Nicolas Sarkozy, ministrede l'Intérieur, annonce une augmen-tation effective de 72 % des recon-duites à la frontière entre 2002 et2004 et fixe pour objectif une nou-velle hausse de 50 %.

Le durcissement des lois migratoires(loi CESEDA) qu'il opère et la nou-velle politique d' "immigration choisie"qu'il prône créent des polémiques enFrance et deviennent des thèmescentraux du débat électoral de 2006-2007.

La répression des Algériens

Dans les années 50 et 60 la majeure partie des immigrants provientd'Afrique du Nord. Dans le contexte de la Guerre d'Algérie, les Algériens

sont la cible d'un dispositif d'encadrement spécifique, où police et servicesd'action sociale conjuguent leurs efforts et “leurs talents” au service du ren-seignement et de la "répression préventive", afin de connaître "l'apparte-nance politique" des résidents. Ceux-ci sont maintenus dans un climat d'in-

sécurité et de terreur par l'usage decontrôles d'identité humiliants incessants,de rafles, de passages à tabac, et mêmede meurtres ou de disparitions. A cettefin, l'Etat fait appel à des fonctionnairesayant servi dans les colonies, tandis quedes policiers révoqués à la libération sontréintégrés.

AParis, le 17 octobre 1961, des centaines d'Algériens venus manifesterpacifiquement contre le couvre-feu infligé aux "Français musulmans

d'Algérie", périssent sous la répression policière d'une violence inouïe,orchestrée par le préfet de police Maurice Papon (haut fonctionnaire sousVichy).

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Les pays de la “Françafrique”

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3.1 La Françafrique n'est pas morte"Ambiance de fin de règne", "la Francea perdu la main en Afrique". Les com-mentaires plus ou moins avisés et par-tiaux des "spécialistes" de la présencefrançaise sur le continent noir sontquasi unanimes, trahissant parfois l'atti-tude revancharde de ceux qui n'ontjamais supporté que l'on puisse criti-quer ce prétendu rempart à la pénétra-tion anglosaxonne. Nostalgies cocar-dières, nostalgies d'Empire.

La fin de la France en Afrique, c'estavant tout la fin de la "Françafrique", lit-on de plus en plus, officialisant ainsi leconcept forgé par François-XavierVerschave. Conséquence "positive" decet éloge posthume, on ose enfin écrireque pendant 45 ans, la présence fran-çaise en Afrique a été inspirée par desfinalités inavouables et la sauvegarded'intérêts propres.

Ces intérêts n'ont pourtant pas disparu.Le contre-Sommet Afrique-France deBamako (décembre 2005) a mis en évi-dence la persistance des mécanismesde domination économiques, politiqueset militaires vécus au quotidien par lespopulations togolaises, tchadiennes,camerounaises, congolaises, etc.

N'oublions pas qu'au moment de laréforme de la coopération lancée par legouvernement Jospin, certains avaientdéjà annoncé la fin de la Françafrique...peu de temps avant que n'éclatent l'af-faire Elf et le scandale de l'Angolagate(une affaire de ventes d'armes àl'Angola, alors en pleine guerre civile,dans laquelle Jean-ChristopheMitterrand et des proches de CharlesPasqua ont été mis en cause).

Les dictateurs se portent bienAprès avoir vanté la prétendue "décolo-nisation pacifique" de l'Afrique (Algérieexceptée) après avoir soigneusementmis en scène sa prétendue "aidepublique au développement", la Francese targue depuis quelques annéesd'être à l'origine de la démocratisationd'une partie du continent dans lesannées 90 (suite au discours de F.Mitterrand à La Baule en 1990).

Pourtant, les dictateurs "amis de laFrance" ont pour la plupart bien survécuà la vague de démocratisation qui agagné une partie de l'Afrique dans lesannées 90. Le Congolais SassouN'Guesso, criminel contre l'humanité, a

même réussi à se faire élire à la tête del'Union Africaine en 2006.

Certains potentats francophones bat-tent des records de longévité et conti-nuent à recevoir les félicitations fran-çaises à chaque "réélection" (IdrissDéby au Tchad, Oumar Guelleh àDjibouti, Blaise Compaoré au BurkinaFaso). Le Gabonais Omar Bongo, estdevenu le doyen d'entre eux, avec bien-tôt 39 ans de "règne".

Tripatouillages constitutionnels, mani-pulations des listes d'électeurs, intimi-dations envers les opposants et scrutinstruqués sont des concessions régulière-

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ment consenties en Afrique par laFrance aux principes démocratiquesqu'elle promeut officiellement par ail-leurs. Une fois leur pouvoir confirmépar ces méthodes, les dictateursoffrent quelques portefeuilles ministé-riels à l'opposition comme gage d'ou-verture politique. C'est la "démocratieapaisée" ou "démocrature".

La stabilité reste la clé de voûte d'uneFrançafrique qui, dans un contexte deplus en plus concurrentiel, tente demaintenir son "pré carré", usant par-fois de procédés des plus caricatu-raux. On voit donc régulièrement lesprésidents, ministres, députés fran-çais tenir ouvertement des discoursfavorables à la démocratie, tout entémoignant un soutien sans faille auxdictateurs

Derniers exemples en date : le rem-placement en 2005 du dictateur togo-lais Eyadema par son fils, adoubé parla France malgré un coup d'Etat élec-toral, les "sauvetages à répétition duclan d'Idriss Déby" au Tchad (inter-vention de l'armée française en avril2006).

J.Chirac et D. Sassou Nguesso(Congo-B)

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Présence militaire : redéploiement et réorientationsstratégiques

Le bras armé de la Françafrique esten voie de restructuration. Unebaisse des effectifs (10 000 actuelle-ment) est annoncée, ainsi que la fer-meture de certaines bases. Mais il nes'agit en rien de revenir sur la logiquedes accords de coopération et dedéfense, ni sur la "fidélité aux lienshistoriques" entre la France etl'Afrique selon Jean-FrançoisBureau, porte-parole du ministèrefrançais de la Défense (AFP, 16 sep-tembre 2005).

Les interventions militaires fran-çaises sont de plus en plus contes-tées, c'est pourquoi on assisteaujourd'hui à des tentatives pour leurdonner un autre habillage et une plusgrande légitimité : intervenir avec unmandat de l'ONU ("Turquoise" auRwanda en 1994 ; "Licorne" en Côted'Ivoire en 2004), ou en impliquantd'autres partenaires.

La France s'emploie ainsi à promou-voir une force européenne dont elleassure la direction, comme pourl'opération (douteuse) Artémis en1998 et l'Eufor en 2006, toujours enRDC. Cette dernière opération ser-vait officiellement à sécuriser lesélections de 2006, mais en fait àsécuriser les ressources minièrespour les multinationales occiden-tales, selon des déclarations offi-cielles allemandes. Elle a été déci-dée en "oubliant" de consulter lesCongolais ou les autres pays afri-cains…

D'ailleurs, le comité militaire de

l'Europe devrait être présidé par legénéral Bentégeat (actuel chef d'Etatmajor des armées françaises) àcompter de mai 2007.

La France est également engagéedans un cycle de formation desarmées africaines au "maintien de lapaix" (RECAMP), impliquant làencore l'Union Africaine et l'UnionEuropéenne, qui lui permettra vrai-semblablement d'intervenir pararmée africaine "amie" interposée.

De plus, à côté des interventions mili-taires directes, il faut prendre encompte l'action des soit disant "élec-trons libres" : marchands d'armes,dirigeants de sociétés militaires pri-vées, conseillers militaires particu-liers auprès de présidents africains,qui permettent de garder un certaincontrôle du terrain militaire ou sécuri-

taire en Afrique.Opération “Licorne”en Côte d’Ivoire

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Ces acteurs "parallèles" font apparaî-tre le poids des réseaux dans la ges-tion néocoloniale de la Françafrique :réseaux militaires, aux solidaritésrenforcées par des passages com-muns dans des écoles ou des corpsd'élites, mais aussi réseaux finan-ciers, économiques, maçonniques(avec le rôle de plus en plus prépon-dérant de la Grande Loge Nationalede France, obédience affairiste qui afidélisé un grand nombre de dicta-teurs africains).

Ceux-ci évoluent tantôt au cœur, tan-tôt à la marge du pouvoir politique,défendant tour à tour des intérêtspublics ou privés. Ceci contribue àrendre la politique de la France enAfrique totalement illisible, à l'image

de ce qui se déroule actuellement enCôte d'Ivoire où les conflits d'intérêtsentre acteurs économiques et diplo-matiques plombent la position fran-çaise.

Ces réseaux sont en outre de moinsen moins franco-français. On voit s'yillustrer un nombre croissant d'inter-venants russes, israëliens, sud-afri-cains, etc. François-XavierVerschave avait ainsi annoncé l'èrede la "Mafiafrique", un système deprédation encore plus complexeimpliquant une multitude d'interve-nants économiques et financiers, uti-lisant à dessein tous les mécanismesd'évasion fiscale et d'opacité finan-cière, via les paradis fiscaux et judi-ciaires.

Dans ce schéma complexe, les multi-nationales françaises ont conservéune place de choix auprès d'un pou-voir politique auquel elles sont sou-vent liées. Un des leitmotiv desmédias français est le déclin de laprésence française en Afrique,notamment sur le plan économique.Soit que l'Afrique n'intéresserait plusnos entreprises, soit que la concur-rence y serait devenue trop rude. (Cequi est assez paradoxal : si l'Afriquene les intéresse plus, pourquoi seplaindre de la concurrence ?)

Cette présentation relève largementde la propagande : si les rivalités sesont effectivement accrues et si cer-tains monopoles se sont effrités, lesintérêts économiques français sont

encore massivement présents enAfrique.

Si le renforcement de la présenceaméricaine et chinoise est une réa-lité, notamment dans le secteur dupétrole, elle n'induit pas systémati-quement une situation de concur-rence conflictuelle, mais bien souventune complicité dans le pillage. Desmultinationales issues de pays diffé-rents s'associent fréquemment dansdes consortiums, par exemple pourpartager les risques liés à l'exploita-tion de certaines richesses. Il peutaussi s'agir de répartitions "à l'amia-ble" de secteurs d'activités complé-mentaires ou de redéploiement versles secteurs les plus rentables.

L'impérialisme économique français toujours vivace

La puissance des réseaux

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En revanche, lorsque des intérêtsjugés prioritaires sont remis encause, l'impérialisme françaischerche à conserver par tous lesmoyens une relation monopolistiquede type colonial.

Le cas de la crise ivoirienne depuis2002 est exemplaire. Plusieursobservateurs ont noté que la tenta-tive de coup d'Etat de septembre2002 en Côte d'Ivoire, qui a ouvert lasituation de guerre civile, survientjuste au moment où le gouvernementivoirien, après avoir fait entrer lesentreprises américaines dans lafilière cacao, annonce son intentionde faire désormais jouer la concur-rence entre les entreprises fran-

çaises et les autres, notamment ence qui concerne d'énormes contratsauxquels Bouygues prétendait… Larébellion, qui a scindé le pays endeux, est partie du Burkina, où l'ar-mée française est chez elle, et sansque cette dernière ne donne l'alerteou n'intervienne, alors que la Franceet la Côte d'Ivoire ont des accords dedéfense. Cette situation a permisl'installation durable de contingentsfrançais, sous mandat de l'ONU,pour veiller aux intérêts français.Depuis, Bouygues et quelquesautres ont retrouvé leurs privilèges…

La mine d'or de Morila au Mali est détenue par trois actionnaires qui sous-trai-tent les travaux d'extraction et d'excavation à une filiale de Bouygues, laSOMADEX.

En juillet 2005, dénonçant les conditions de travail indécentes (dues à lasurexploitation du site), le non-paiement des primes, les licenciements abu-sifs, le harcèlement des syndicalistes, les mineurs de Morila décrètentune grève de plusieurs jours. La SOMADEX choisit la manière forte et raye311 mineurs de ses listes pour "abandonde poste". 5 dirigeants syndicaux sontensuite arrêtés et libérés sous caution. 32autres mineurs seront ensuite mis en pri-son, accusés d'avoir brûlé un camion.S'appuyant sur les rencontres effectuéesau cours du Forum Social Mondial deBamako, plusieurs associations françaisesemmenées par le réseau No Vox ont rapi-dement lancé une campagne de solidarité pour relayer les revendications desmineurs et interpeller directement le groupe Bouygues.

www.soutienmorila.info

<<< Mobilisation Morila : les mineurs maliensaffrontent une filiale de Bouygues >>>

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Françafrique - Les dangers du "statu quo"

- Le risque de transition violente (la violence comme unique solution)ex : menaces de radicalisation de certains mouvements d'opposition(Tchad).

- L'instabilité régionale (et la guerre) entretenue par des régimes de "par-rains régionaux" ex : implications de Blaise Compaoré et CharlesTaylordans les conflits armés en Afrique de l'Ouest, d'Idriss Déby et OmarBongo en Afrique Centrale.

- Les dérives claniques et "ethnistes" ex : en Mauritanie (ségrégation vis-à-vis des “négro mauritaniens”), au Tchad (razzias menées par le clan desZaghawas du président Déby), doctrine de l'"ivoirité" en Côte d'Ivoire,répression dans le Pool au Congo-Brazzaville.

- La ruine des forces démocratiques (exil, répression, manipulation, décou-ragement, morcellement…) qui compromet la possibilité d'une alternance

- Les crises de succession (ex : au Togo, après la mort d'Eyadéma).- La montée du ressentiment anti-français en Afrique (ex : en Côte d'Ivoire).

3.2 La désinformation : médias, censure et autocensureDans les médias, l'imagerie néocolo-niale a succédé à l'imagerie colo-niale : l'Afrique ne survivrait quegrâce à l'aide des pays riches, les-quels poursuivraient en quelquesorte la "mission civilisatrice" de lacolonisation.

La télévision :

Peu portés sur les questions interna-tionales pour des raisons d'audimat,les journaux télévisés n'évoquentl'Afrique que dans des cas de figuretrès restreints : le sport, la chanson,les famines (identifiées à des catas-trophes naturelles sans causes poli-tiques), les conflits armés (forcément"ethniques") et les interventions mili-taires françaises (déguisées en inter-ventions humanitaires).

Reproduisant sans cesse les mêmesclichés racistes, ils donnent à voir

une image simpliste et "tradition-nelle" des sociétés africaines, sansla moindre trace d'un impérialismefrançais pourtant omniprésent.

N'oublions pas que TF1 appartient àBouygues qui a largement profité dela Françafrique, de même que plu-sieurs dirigeants de chaînespubliques.

La presse :

En principe plus "sérieuse" que latélévision, on serait en droit d'atten-dre une plus grande rigueur de lapresse écrite. Certains journalistes(de L'Humanité au Figaro) font unvrai travail d'information sur laFrançafrique. Mais ces travaux res-tent très minoritaires face au flot dedéni, de banalisation ou de men-songes. Avec le nucléaire, ces ques-tions sont en effet les plus "sensi-

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bles". De plus l'industrie de l'armementpossède la grande majorité de lapresse française...

Une des constantes, c'est que laFrançafrique se conjugue au passé."Oui c'est vrai, mais c'est du

passé…" entend-on régulièrementjusque dans les colonnes du MondeDiplomatique (Cf. "L'Afrique n'estplus l'eldorado des entreprises fran-çaises", février 2006 et le commen-taire de cet article dans Billetsd'Afrique n° 134 de mars 2006).Après le génocide au Rwanda, aprèsle procès Elf, après le massacre de2005 en Côte d'Ivoire, la France estdevenue vertueuse… jusqu'au pro-chain scandale ou au prochain crime.

De la même manière, on ne compteplus le nombre de fois où la dette despays du Sud a été annulée, les jour-nalistes reprenant sans trop creuserles communiqués officiels. Et pour-tant, elle continue d'augmenter !

Le dernier ouvrage de François-Xavier Verschave traite des manipu-lations médiatiques. Négrophobie

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L'exemple particulièrement éclairantdu génocide des Tutsi au Rwanda

Alors que le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 résultait d'une plani-fication mise en place de longue date, alors qu'il fut mis en œuvre de

manière extrêmement hiérarchisée et bureaucratique, il fut presque tout letemps présenté à la télévision comme une guerre tribale et ethnique irration-nelle. Des journalistes ont, par la suite, témoigné des pressions exercéespar l'Elysée pour que le génocide soit masqué et que le soutien de la Franceaux génocidaires soit passé sous silence. Les autorités françaises ont eneffet soutenu financièrement, diplomatiquement et militairement les génoci-daires, avant, pendant et après le génocide.

Si des journaux considérés comme secondaires (L'Humanité, La Croix) ontfait un travail d'information véritable, on est loin de pouvoir en dire autantdes autres. Libération a produit des articles de valeurs très inégales, avantde dériver carrément vers le révisionnisme sous la plume de Stephen Smith.Le Figaro a également juxtaposé reportages pertinents et désinformationgrossière issue des services secrets (ex : le thème du double génocide).

Mais le principal canal de désinformation fut le journal Le Monde, qui dispo-sait pourtant d'un envoyé spécial sur place. Ce dernier, comme la directiondu journal, n'a eu de cesse de tirer un rideau de fumée sur le rôle joué parla France, comme sur la réalité du génocide lui-même. Jean-MarieColombani, Jean Isnard et Le Monde SA ont été déboutés de toutes leurspoursuites contre Jean-Paul Gouteux, auteur de Un génocide secret d'État.Il montrait que ces messieurs avaient joué le rôle d'"honorables correspon-dants" des services secrets en relayant complaisamment leur propagandependant le génocide (lire aussi du même auteur Le Monde un contre pou-voir ? Désinformation et manipulation sur le génocide rwandais, L'Espritfrappeur, 1999).

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3.3 La société civile mobilisée pour un renouveaudes relations franco-africaines

Jusqu'à une date récente, la prise deconscience des méfaits du néocolo-nialisme était assez peu développéeen France où les mouvements anti-coloniaux des années 50 ont cédé laplace à une longue période d'indiffé-rence, à peine perturbée par l'inter-vention de mouvements comme leCedetim ou les écrits de certainsécrivains et intellectuels (ex : MongoBéti, René Dumont), malheureuse-ment sans impact significatif sur l'opi-nion.

Celui qui dénonçait la politique de laFrance en Afrique avait il y aquelques années l'impression de prê-cher dans un désert. Le niveau d'in-formation sur ces sujets était en effettrès bas et dans la presse commedans le discours des hommes poli-tiques et même de certaines ONG,les visions fatalistes et compatis-santes de l'Afrique prenaient large-ment le pas sur les grilles d'analysepolitique des rapports Nord Sud.

Pourtant, grâce à l'action de militants,d'artistes et autres leaders d'opinion,du fait aussi des dérives de la poli-tique de la France en Afrique (Côted'Ivoire, Togo au moment des élec-tions, à propos de l'implication fran-çaise dans le génocide au Rwanda)ce regard est en train de changer.

Depuis sa création en 1984, Survieoccupe une place à part sur ce ter-rain qu'elle a été amenée à investiraprès avoir fait le constat que lamisère au Sud (premier domaine

d'action visé par Survie) relevait sur-tout de facteurs politiques contrôléspar le Nord.

Le rôle de la France est apparu danstoute son horreur au moment dugénocide au Rwanda, convaincantde nombreux citoyens à se mobiliserdans la dénonciation de cette"Françafrique" néocoloniale décritepar François-Xavier Verschave.

L'association effectue un travailimportant de sensibilisation (publica-tions, conférences, débats, projec-tions, etc.), de plaidoyer (auprès desONG, des décideurs politiques, desjournalistes) et de relais des mobili-sations des mouvements africains derésistance au colonialisme et dedéfense des droits de l'Homme.

En février 2003, les associationsSurvie et Agir Ici organisaient l'"AutreSommet pour l'Afrique" à Paris, enmarge du sommet des chefs d'Etatfranco-Africains, rassemblant 3 000manifestants contre le soutien de laFrance aux dictateurs africains.Quelques mois plus tard Survie lan-çait une campagne de long termeintitulée "Les dictateurs amis de laFrance ?!" (voir encadré page 32).

En 2006, un collectif d'ONG fran-çaises a lancé la campagne "2007 :Etat d'urgence planétaire, votonspour une France solidaire", intégrantune fiche de revendications sur lesrelations franco-africains à soumettreaux candidats aux élections prési-dentielles et législatives.

L'opinion française bascule-t-elle ?

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Les principaux obstacles rencontrés

- L'ignorance, voire le mépris d'une grande partie de l'opinion française àl'égard de l'Afrique, dus à la persistance d'imaginaires coloniaux qui favo-risent une vision condescendante et raciste des Africains.

- Un traitement médiatique souvent caricatural, misérabiliste et "humani-taire" (Sida, guerres, famines) qui occulte les sujets politiques sensibles.

- Le désintérêt de la classe politique française pour ce continent, quasiabsent des débats parlementaires et des programmes électoraux.

- L'obstination d'une partie (minoritaire) de la classe politique à protéger unsystème auquel beaucoup ont collaboré et pour lequel personne ne veutpayer seul ses erreurs (ex : omerta politique sur le rôle de la France dansle génocide au Rwanda et dans l'affaire Elf).

- Le cloisonnement des luttes dans des cadres nationaux, en Afriquecomme en France, où les diasporas se mobilisent essentiellement surdes combats qui concernent leur pays d'origine.

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La montée en puissance des mouvements africains issus de la société civilesemble aujourd'hui un phénomène inexorable. L'"appel d'air démocratique"issu des conférences nationales des années 90, l'essor de la presse libredans certains pays, la naissance du mouvement altermondialiste, ont étéautant de facteurs favorables.

La structuration de plateformes ou collectifs nationaux d'associations, d'ONG,de syndicats, est un des phénomènes les plus remarquables. Au Mali, laCoalition des Alternatives Dette et Développement (CAD Mali) créée à l'occa-sion du Jubilé 2000 pour l'abolition de la dette, regroupe des dizaines d'orga-nisations. Elle organise depuis 2001 un contre-G8 des Pauvres délocaliséchaque année dans une région isolée du Mali. La question des relationsfranco-africaines fait partie de ses préoccupations premières, comme l'adémontré l'organisation à Bamako du sommet alternatif France-Afrique dedécembre 2005.

Au Tchad le Comité de suivi de l'Appelà la paix et à la réconciliation regroupedes organisations qui militent depuis2002 pour obtenir des conditions favora-bles à la pacification et à la démocratisa-tion de leur pays. Le comité suit de prèsl'évolution des relations diplomatiques etmilitaires entre la France et le Tchad etparticipe à des actions de plaidoyermenées auprès des autorités françaises.

Au Burkina Faso, des ouvrières engrève ont réussi à obtenir gain de causeface à Yves Rocher tandis qu'au Malile syndicat Cocidirail, qui plaide pour larestitution et le développement intégré durail malien harcèle la filiale du groupeBouygues qui a racheté le chemin de ferBamako-Dakar.

Au Togo, une coalition de mouvements de la société civile s'est organiséeen avril 2005 pour observer les conditions de déroulement du scrutin prési-dentiel et pouvoir dénoncer la fraude. Leurs appels et le résultat de leurs tra-vaux ont été largement diffusés par leurs partenaires associatifs, en Afrique eten France. Ce n'est qu'à cause du soutien du Président français au candidatfrauduleusement élu du clan Gnassingbé que cette mobilisation exception-nelle n'a pu aboutir.

<<< Les Mobilisations en Afrique >>>

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Le terrain syndical est lui aussi en pleine expansion et laisse peu de répit auxmultinationales françaises qui pillent allègrement les ressources naturelles ethumaines du continent. Au Niger, une filiale de la Cogema-Areva, sym-bole du lobby nucléaire français, a été mise en cause par des organisationsnigériennes et françaises dénonçant les risques sanitaires et environnemen-taux causés par l'exploitation de l'uranium.

En Côte d'Ivoire, l'omniprésence des investisseurs français dans tous lessecteurs économiques, les soupçons de financement de la rébellion par desgroupes hexagonaux ont attisé le sentiment anti-français d'une partie impor-tante de la société ivoirienne, dans un climat marqué par l'interventionnismemilitaire de la France dans le pays (opération Licorne).

Connections militantes France-AfriqueA Abidjan, la colère contre l'anciennepuissance coloniale, instrumentaliséepar le parti au pouvoir, a pris le des-sus sur le débat politique ou citoyenet les populations françaises ont étévisées en novembre 2004. Quelquesmois plus tard le sentiment anti-fran-çais se propageait au Togo aprèsl'élection de Faure Gnassingbé. En2006, le débat sur le "rôle positif de lacolonisation" puis sur l'immigrationchoisie n'ont fait qu'exacerber le res-sentiment anti-français auprès d'unepartie importante de l'opinion afri-caine. C'est pour éviter ce type dedérives qu'il paraît indispensable decréer des réseaux d'information et desolidarité entre le continent africain etla France.

L'organisation du sommet alternatifFrance-Afrique de Bamako, ennovembre 2005, fruit d'une collabora-

tion efficace entre des organisationsfrançaises et africaines, qui ont su,malgré la distance, communiquer,échanger et trouver des finance-ments, est un bon exemple de syner-gie militante entre les deux conti-nents.

Les partenaires de la société civilesont à présent capables de lancer descampagnes d'opinion à l'échelle inter-continentale, comme la campagne"Publiez ce que vous payez !" (voirp.27), qui mobilise plus de 200 ONGregroupées dans des plateformesnationales (dont une dizaine enAfrique). Sur le thème de l'impunité,l'exemple des mobilisations dessociétés civiles pour la mise en placed'une Cour Pénale Internationale estégalement à retenir.

Lors de la mascarade électoraled'avril 2005 au Togo, la mobilisation

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conjointe de plusieurs organisationsafricaines et françaises a permis derassembler des témoignages directsde ce qui se déroulait sur place et depublier un rapport rédigé collective-ment en un tempsrecord.

Quelques semainesplus tard Survie adiffusé une lettreouverte sur la situa-tion au Tchadsignée par plusieursdizaines d'organisa-tions européenneset africaines et apoursuivi un impor-

tant travail de mobilisation tout aulong de la crise politique et militairedu printemps 2006.

A Paris, une plate-forme de résis-tance à la Françafrique regroupant

des représentantsd'organisations dela diaspora afri-caine tente de semettre en place.

(Manifestation à Bamakolors du Sommet

Afrique-France 2005)

Les artistes se mobilisent

La plume de l'Antillais Aimé Césaire, du Camerounais Mongo Béti, la voixde Franklin Moukaka, de Féla Kuti ont été autant d'armes au service del'émancipation de l'Afrique. Après les décennies perdues des années 70/80qui ont fait taire tant d'utopistes, la mobilisation des artistes reprendaujourd'hui tout son sens grâce au rap, au reggae mais aussi à la littératureet au théâtre.

L'essor du reggae et du rap a favorisé l'éclosion d'une nouvelle générationde chanteurs engagés. Le plus connu est Tiken Jah Fakoly dont l'album"Françafrique" (au titre inspiré par les écrits de François-Xavier Verschave)a été récompensé par une victoire de la musique en 2003. Ancien leader duPositive Black Soul, le rappeur Didier Awadi a sorti son album solo "Paroled'honneur" en 2003, puis l'album "Un autre monde est possible" en 2005.Au Mali le groupe Tata Pound est devenu en quelques années l'icône de lajeunesse du pays. Son message radical (à l'image de son dernier album "LaRévolution") a d'ailleurs valu au groupe quelques conflits avec des digni-taires maliens.

On retrouve ces artistes dans la première compilation de soutien à SurvieAfrica wants to be free ! sortie en février 2005, ainsi que dans le deuxièmevolume de ce projet, "Décolonisons” (sortie en février 2007).

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En novembre 2003 était publié auxEditions Vents d'Ailleurs le recueilDernières Nouvelles de laFrançafrique, un projet littérairerassemblant 13 auteurs africains réu-nis par un même désir : exprimer lesrelations souvent complexes et dou-teuses qu'entretiennent la France etles pays africains. Au Salon du livre deParis de 2006, plusieurs écrivainsayant participé à ce projet (dont Jean-Luc Raharimanana et SayoubaTraoré) présentaient un nouvelouvrage collectif intitulé DernièresNouvelles du Colonialisme (EditionsVents d'Ailleurs), la réponse des écri-vains au débat sur le rôle "positif " dela colonisation.

La Françafrique brûle aussi lesplanches. "Elf la pompe Afrique" estune pièce de théâtre créée, miseen scène et jouée par NicolasLambert, un comédien militant qui,après avoir assisté au procès Elf, a eul'idée un peu folle de mettre en scèneles audiences pour aider le spectateurà entrer au cœur de l'affaire. Jouanttour à tour tous les protagonistes, lecomédiendévoile en2 heuresl e sf a c e t t e spolitiques,géostraté-giques et

mafieuses du procès, dévoilant les ramificationsd'une affaire d'Etat tentaculaire. Succès inat-tendu, le spectacle a été joué un peu partout enFrance, souvent associé à des débats d'informa-tion. Une tournée en Afrique est prévue en mars2007.

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3.4 Discriminations à l'encontre des migrants etdescendants de migrants d'Afrique

Des citoyens pas ordinaires

"Avoir des Espagnols, des Polonais,des Portugais pose moins de pro-blèmes que d'avoir des musulmansou des noirs".

Jacques Chirac, lors d'un meeting(Dictionnaire de la lepénisation desesprits de Pierre Tevanian et SylvieTissot, L'esprit frappeur, 2002)

Si la politique de la France en Afriques'est toujours faite au mépris despopulations africaines, il subsisteaussi dans notre pays une véritableculture de discrimination à l'encontretant des migrants africains que descitoyens français ayant des originesafricaines.

Ainsi, l’expression "issus de l'immi-gration" est non seulement usitéepour désigner les étrangers qui onteffectivement migré en France, maisaussi des citoyens français n'ayantjamais migré. La société françaisedans sa globalité, ne semble toujourspas disposée à considérer une partiede ses citoyens seulement pour cequ'ils sont (des Français), mais pource que leurs aïeux furent (desAfricains, voire des sujets de l'Empirecolonial français).

Cette situation illustre la force despréjugés liés à la couleur de la peau,dont sont aussi victimes les Antillais,pourtant français de longue date.

Cette distinction lexicale entrecitoyens français constitue une dis-crimination. C'est aussi une atteinte à

l'identité des individus ainsi qu'unenégation des lois et de l'Histoire deFrance.

Cette discrimination sur les origineset la couleur a amené une partie despopulations concernées à se regrou-per au sein de collectifs afin de faireentendre leurs revendications : leConseil Représentatif des Associa-tions Noires (CRAN), le Collectif desAntillais, Guyanais, Réunionnais, les“Indigènes de la République”.

Diabolisation des "nouveauxbarbares"

Le malaise provoqué par cette discri-mination (dans les paroles maisaussi au logement, à l'emploi, etc.) aalimenté le mouvement de révolted'une partie de la jeunesse françaisequi a secoué plus de 250 villes fin2005.

"L'état d'urgence" alors proclamé parle gouvernement pour ramener lecalme ne constitue-t-il pas un aveu(conscient ou non) sur la nature colo-niale des "réponses" que le pouvoirpolitique entend donner aux revendi-cations d'égalité alors exprimées ?Rappelons que la dernière fois quefut instauré l'état d'urgence, c'était en1955 en Algérie au début de laguerre d'indépendance.

Dans ces conditions, les tardives etsoudaines déclarations politiques deprise de conscience de ces inégalitésde traitement et les simulacres desolutions évoquées à partir de la1000ème voiture brûlée, suffiront-

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elles à éclipser "le bruit et l'odeur", lestermes de "sauvageons”, de"racaille", la promesse de "nettoyerau Karsher", l'incrimination et la dia-bolisation de l'islam ou de la polyga-mie, la mise en valeur du “rôle positifde la colonisation”, ainsi que l'ensem-ble des offensives politiques etmédiatiques, des injustices socialeset juridiques, des amalgames et desracismes ordinaires ?

Immigration choisie contrepauvreté infligée

Quant au traitement réservé auxactuels migrants africains, il n'est, luinon plus, pas sans lien avec l'héritagecolonial. Il y a toujours deux poidsdeux mesures entre les droits del'Homme et le droit des étrangers enFrance. Les récentes déclarationsgouvernementales relatives à lavolonté de "passer d'une immigrationsubie à une immigration choisie" et laréforme sur le "Code de l'entrée et duséjour des étrangers et du droitd'asile" (CESEDA) qui l'accompagne,perpétue la posture "utilitariste" dugouvernement français à l'égard despopulations étrangères (voir encadrépage 56).

D'autre part, la focalisation sur l'immi-gration (depuis la diffusion desimages chocs de candidats à l'immi-gration s'empalant sur les barbelésde Ceuta et Melilla, aux frontières del'Europe), présentée comme un dan-ger et une menace, en masque sur-tout les causes principales, à savoirl'appauvrissement des populationsafricaines, dans lequel la France(entre autres) porte une lourde res-ponsabilité.

Cet appauvrissement des populationstient essentiellement au fait de ladomination qui s'exerce, politique-ment et économiquement, sur leurspays. Il est dû au pillage des matièrespremières, aux obstacles à la libreconcurrence (par les subventionsaccordées aux agricultures des paysdu Nord), à l'organisation inégale ducommerce international (incarnée parl'Organisation Mondiale duCommerce), à la privatisation à toutva des économies du Sud, au déla-brement des services publics (santé,éducation…), à la perpétuation dedictatures.

La contrainte migratoire est un symp-tôme du désordre mondial. Secontenter de lutter contre les effets,en faisant la guerre aux immigrés, aulieu de s'attaquer aux causes enréformant les facteurs structurels desrelations Nord-Sud, constitue unrisque de voir se perpétuer ce phéno-mène et se multiplier les atteintes auxdroits de l'Homme.

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Les mots de la discrimination

“Les discriminations à l'œuvre dans l'accès au logement social […] résultentd'abord d'un système qui fonctionne sur la base d'une sélection et d'unerépartition informelles et opaques des populations "désirables” et des popu-lations "indésirables", le caractère "étranger" étant bien évidemment un descritères de désirabilité".

Sylvie Tissot : "(Dé)loger les étrangers", Plein Droit n°68, avril 2006 Gisti."Nos constatations rejoignent celles de nos prédécesseurs : la discrimina-tion vis-à-vis des maghrébins ou des noirs, […], qu'ils soient français ou non,est dans le domaine de l'emploi, largement et impunément pratiquée. […] etcela quelque soit le niveau d'études ou de qualification du candidat."

Roger Fauroux, ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du loge-ment ; Rapport 2005."C'est un constat qui n'est pas nouveau : la couleur de peau des plaignantsest une donnée récurrente dans les bavures policières examinées par laCommission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), présidée parPierre Truche […] ancien président de la Cour de cassation {qui se declare}frappé par la couleur de peau et la fréquence statistique de personnes étran-gères et ou ayant des noms à consonance étrangère parmi les victimes deviolences policières […]". Jacky Durand, Libération, 18 avril 2005.

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Uni(e)s contre l'immigration jetable !

Pétition contre le projet de loi CESEDA, signée par plus de 300 organisa-tions françaises

Extraits :

[…] Le projet s'inscrit délibérément dans une perspective utilitariste. Le gou-vernement affiche sa volonté d'aller piller les capacités et talents dans lemonde. Ne sera "acceptable" quel'étranger perçu comme rentablepour l'économie française. Quantaux autres, ni leur situation per-sonnelle, ni leur situation familialene leur confére- ront désormaisdes droits, au point que lesrégularisations deviendront qua-siment impossi- bles. Ce projetcrée une nou- velle catégorie det r a v a i l l e u r s étrangers dont ladurée du séjour est limitée au bon vouloir de leur patron. De plus, la sup-pression du droit à la délivrance d'un titre de séjour, pour les étrangers pré-sents depuis au moins dix ans en France, les condamne à l'irrégularité per-pétuelle. Le projet sélectionnera également beaucoup plus l'entrée des étu-diants étrangers.

[…] En stigmatisant les étrangers, le gouvernement tente de nous opposerles uns aux autres et il brade les libertés fondamentales.

[…] Nous appelons donc à nous mobiliser contre la réforme CESEDA qui, sielle était adoptée, ferait des étrangers en France, réguliers ou irréguliers,une population de seconde zone, privée de droits, précarisée et livrée piedset poings liés à l'arbitraire du patronat, de l'administration et du pouvoir.

Remarque : cette loi a été adoptée par le Parlement français le 24 juillet 2006.

Expulsion par charter

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Aux tirailleurs vivants, la Patrie enfin reconnaissanteCe n'est qu'en septembre 2006, soit 61 ans après la fin de la 2ème Guerremondiale, que l'Etat français accepte enfin de revaloriser les pensions desanciens combattants africains qui ont contribué à sa libération.

La mesure (non rétroactive) de revalorisation décidée par le gouvernementfrançais sera appliquée à partir du 1er janvier 2007 à quelque 80 000anciens combattants de l'armée française, originaires de 23 pays, essentiel-lement d'Afrique noire et du Maghreb.

Les 53 000 engagés volontaires (ayant fait parfois un service de plus de 15ans dans l'armée française...) ne sont quant à eux pas concernés par cetterevalorisation qui, au final, est loin de sanctionner la "fin" des "différences[…] entre les combattants de ces pays [des ex-colonies françaises] et lesnationaux français", annoncée par le ministre délégué aux Anciens combat-tants.

3.5 Une Histoire officielle à décoloniserLa dissimulation et le déni des méca-nismes néocoloniaux s'appuient lar-gement sur une occultation, voireune réhabilitation, de la période colo-niale et des pseudo indépendances.

La France est encore aujourd'hui par-semée de noms de rues, de places

ou de bibliothèques publiques ren-dant hommage à des colonialistescélèbres.

On constate aussi des tentatives réi-térées d'orienter l'enseignement dufait colonial français, aggravant ainsiune situation déjà alarmante.

Les manuels scolaires : un enseignement sélectifLes manuels scolaires présententencore le colonialisme sous uneforme fortement euphémisée, et trèsloin de l'état des connaissancesactuelles, issues de la recherche uni-versitaire (encore faiblement déve-loppée), journalistique, ou des témoi-gnages d'origines diverses.

La colonisation occupe une placeridicule dans les programmes sco-laires ; sa violence et son racismeintrinsèques sont minorés ; ses effetsdémographiques et le nombre de vic-times passés sous silence ; les socié-tés pré-coloniales ignorées, et l'ons'obstine à mettre en balance des

aspects "négatifs" avec "le progrèsmédical, l'instruction, les routes, lesvoies ferrées" prétendument appor-tés aux colonisés, perpétuant ainsi lemythe de "l'œuvre civilisatrice".

Qu'importe si les vaccins et hôpitauxfurent arrachés très tardivement eten nombre restreint, si la scolarisa-tion n'était que normative et réservéeà une élite, ou que les infrastructuresn'étaient conçues qu'au bénéfice dela métropole et au détriment despopulations.

Le traitement de la décolonisation estencore plus affligeant. Les pro-grammes officiels opposent la déco-

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La loi du 23 février ou la légitimation de la colonisation

lonisation de l'Algérie et celle del'Afrique noire. Pour la première, lachronologie commence dans lesannées 50, occultant les raisons de larévolte armée du peuple algérien. Laviolence coloniale et celle du FLNsont renvoyées dos à dos. Les spéci-ficités criminelles de la "guerremoderne" menée par la France nesont pas analysées, et le bilan desvictimes reste à faire.

Concernant l'Afrique subsaharienne,les instructions officielles perpétuentun véritable négationnisme, en affir-mant que la décolonisation s'est faite"progressivement et sans conflit san-

glant", occultant les terribles massa-cres commis par l'armée française àMadagascar (89 000 morts reconnuspar l'armée) ou au Cameroun (entre100 000 et 400 000 victimes).Reprenant la thèse officielle d'unedécolonisation préparée par laFrance et accomplie après lesannées 60, il n'est bien sûr pas ques-tion de l'élimination de tous les parti-sans d'une indépendance véritable, etdu maintien jusqu'à nos jours desmécanismes de dominations quenous avons rappelé dans cette bro-chure. Mais il semble qu'aux yeux decertains, cela ne soit pas encore suf-fisant.

Le 23 février 2005 était adoptée uneloi qui n'avait suscité d'autre critiquede la part des parlementaires degauche que de ne pas aller assez loinen faveur des harkis et des rapatriésfrançais d'Algérie. Cette loi prévoyaitnotamment, en son article 4 :

"les programmes scolaires reconnais-sent en particulier le rôle positif de laprésence française outre-mer, notam-ment en Afrique du Nord, et accor-dent à l'histoire et aux sacrifices descombattants de l'armée françaiseissus de ces territoires la place émi-nente à laquelle ils ont droit."

Contrairement à ce qu'ont prétenducertains politiques, relayés par cer-tains journalistes, il ne s'agissait nul-lement d'un problème d'"inadver-tance" (Le Monde, 11 décembre2005). L'adoption de la loi faisait suiteà plusieurs rapports, à plusieurs dis-cussions de commissions, et consti-tuait l'aboutissement d'un long travail

de lobbying de la part de certainesassociations de rapatriés et deréseaux politiques nostalgiques del'Algérie française et de l'OAS(Organisation Armée Secrète dedéfense de l’Algérie française), com-plaisamment écoutés et relayés pardes politiques de droite comme degauche.

L'article 4 a fini par être abrogé surdemande du Président de laRépublique, après une campagned'opinion initiée par des universitaireset des enseignants, finalementrejointe par l'ensemble de la gaucheaprès un retard inexcusable, et endépit de l'opposition des parlemen-taires de droite, qui confirmeront leurvote.

Le problème n'est pas résolu pourautant. La loi stipule toujours que"la Nation exprime sa reconnaissanceaux femmes et aux hommes qui ontparticipé à l'œuvre accomplie par la

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France dans les anciensdépartements françaisd'Algérie, au Maroc, enTunisie et en Indochineainsi que dans les terri-toires placés antérieure-ment sous la souverainetéfrançaise.". Elle prévoittoujours la création d'unefondation "pour lamémoire de la guerred'Algérie" qui menace letravail des historiens. Ellerend hommage sur lemême plan aux victimes etaux tueurs de l'OAS et elleprévoit l'indemnisation deces derniers qui avaient fuià l'étranger pour échapperà la justice.

D'autres manifestations decette réhabilitation sontvisibles, en particulier dansles régions où certains lob-bies de rapatriés orientéstrès à droite sont influentset bénéficient du soutienou la complicité passive del'Etat : pose d'une stèle à lagloire de l'OAS àMarignane, mémoriauxprévus à Marseille ouMontpellier, etc.

Le Mémorial National de l'Outre Mer à MarseilleJean-Claude Gaudin a annoncé l'ouverture à Marseille d'un MémorialNational de l'Outre-Mer (associant la Mairie et l'Etat), à l'occasion du cente-naire de l'exposition coloniale de 1906, et sur son emplacement même. Leprojet remonte à l'ère Defferre. Ce n'est donc pas un hasard s'il a été réac-tivé au moment où se préparait la loi du 23 février. Si le directeur du futurédifice, l'historien Jean-Jacques Jordy, se veut rassurant, la consultation desstatuts (quasi clandestine : interdiction de faire des photocopies ou de pren-dre des notes !) se révèle autrement intéressante.Le Mémorial a ainsi pour fonction de valoriser la mémoire de "ceux qui sontpartis outre mer pour démarrer une autre vie" et d'eux seuls. Il a pour fonc-tion "de donner à voir, à comprendre cette période de l'histoire de France",et de France seulement ! La partie permanente de l'exposition exclut ainsi lavoix de ceux qui peuvent témoigner de la dimension intrinsèquement crimi-nelle et raciste du colonialisme. Un mémorial vise à rendre hommage auxvictimes de crimes publics. De quelles victimes s'agit-il, s'il n'est pas ques-tion des colonisés eux-mêmes ?De plus, le Mémorial affiche des prétentions exorbitantes à l'égard de l'édu-cation nationale. Il aurait pour fonction rien moins que de "transmettre desconnaissances aux élèves de tous niveaux par l'étude ciblée sur certainespériodes de l'histoire", "former les enseignants à cette période de l'histoire"et "contribuer à la réflexion sur les programmes scolaires et inviter les édi-teurs à un travail de cohérence entre les programmes et les manuelspubliés." Pourtant, ni l'Université, ni le CNRS, ni les archives d'Outre-mer nesont associés au projet et la mairie a la mainmise sur la composition duConseil d'Administration et du Conseil Scientifique.

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Conclusion

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Les préjugés sur l'incapacité postuléedes Africains à accéder à la démocratiesont tenaces, à l'image de la phraseprononcée en 1986 par Jacques Chiracà Abidjan "l'Afrique n'est pas mûre pourle démocratie".

Le conditionnement médiatique maisaussi idéologique (héritier de notre his-toire coloniale) est tel que beaucoup denos concitoyens et même de nos déci-deurs voient encore la dictature commeune fatalité pour l'Afrique ou, plus prag-matiquement, une garantie de stabilité.Cette "stabilité" rassure les investis-seurs et les prédateurs de matières pre-mières et pour les adeptes des visionssimplistes et tronquées, elle est censéeéviter les conflits dits "ethniques" quieffraient tant l'opinion publique occiden-tale. Ce dernier argument est particuliè-rement sournois car on sait que ce sontsouvent les dictateurs eux-mêmes quiexacerbent les sentiments identitairesen s'appuyant sur des systèmes cla-niques (les Kabiyé au Togo, lesZaghawas au Tchad, etc.).

Un autre argument fallacieux régulière-ment brandi pour défendre le soutienaux régimes dictatoriaux est celui del'incapacité postulée des oppositionspolitiques africaines à proposer unealternative crédible à ces régimes. Maiscomment ne pas voir que la division oula faiblesse des oppositions politiquesest la conséquence logique de larépression, de l'exil, et de leur instru-mentalisation par le pouvoir.

C'est ainsi que le manque de crédibilitéde l'opposition togolaise ou tchadiennea souvent été brandi par la diplomatiefrançaise ou certains journalistes pourjustifier le maintien du régime Eyademaau Togo ou du clan Déby au Tchad.

Pire, un diplomate français a mêmedemandé un jour à une porte-parole dela société civile tchadienne qui elle vou-lait lui proposer à la place de Déby. LaFrance se considère-elle plus mûre queles Tchadiens pour choisir à leur placeleurs gouvernants ?

Les Français doivent élire leur nouveauprésident en 2007. La Françafrique dis-paraîtra-t-elle avec Jacques Chirac ?

C'est l'avis un peu optimiste de certainscommentateurs, tant le Président fran-çais a longtemps incarné ce système, àtravers ses amitiés multiples au seindes réseaux et surtout ses liens privilé-giés avec la plupart des dictateursd'Afrique francophone.

La succession est pourtant déjàouverte, si bien qu'on a pu dire qu'unepartie du premier tour des présiden-tielles de 2007 avait débuté... enAfrique. Les deux leaders de l'UMP(Dominique de Villepin, NicolasSarkozy) ont su s'attirer les sympathiesde quelques parrains locaux, en multi-pliant les déplacements en Afrique dansle cadre de leurs fonctions ministé-rielles. Un discours de rupture avec laFrançafrique a été prononcé à Cotonou(Bénin) par Nicolas Sarkozy en juin2006. Simple effet d'annonce ?

La France est-elle mûre pour la démocratie en Afrique ?

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A gauche, l'héritage des annéesMitterrand (qui a été un pilier de laFrançafrique) est lourd à porter etmalgré la persistance de quelquesréseaux résiduels et autres amitiésentretenues par certaines personnali-tés du PS avec des chefs d'Etat afri-cains, l'heure semble être à la remiseen cause ou à l'indifférence totale.Une remise en cause "molle", lemanque d'envergure de la réforme dela coopération sous Jospin ayantdéjà montré le peu d'intérêt accordépar une partie de la gauche àl'Afrique. C'est finalement le débat(particulièrement cynique) sur l'immi-gration qui a contraint certains lea-ders politiques à s'intéresser àl'Afrique.

D'autres voix plus radicales se fontcependant entendre, de l'extrêmegauche au centre droit. Seront-ellesen mesure de susciter les réformestant attendues ?

Les citoyens français ont un rôleimportant à jouer afin de provoquerun sursaut chez les décideurs poli-tiques, et ainsi contribuer à uneremise en cause de la Françafrique.Les élections législatives et présiden-tielle de 2007 sont l'occasion à saisirafin d'insérer dans le débat politiquela question des relations franco-afri-caines.

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- LIAUZU Claude et Josette Quand on chantait les colonies : Colonisation et culture populairede 1830 à nos jours, Syllepse, 2002

- LIAUZU Claude et MANCERON Gilles, La colonisation, la loi et l'histoire, Syllepse, 2006- LINDQVIST Sven, Exterminez touts ces brutes, Le Serpent à Plumes, 1998- LONDRES Albert, Terre d'ébène, Albin Michel, 1929- MANCERON Gilles, Marianne et les colonies. Une introduction à l'histoire coloniale de laFrance, La Découverte, 2003

- MILLET Damien, L'Afrique sans dette, CADTM-Syllepse, 2005- MOREL Jacques, Calendrier des crimes de la France outre-mer, L'Esprit frappeur, 2001- OLIVIER Guillaume, L'Aide publique au développement, un outil à réinventer, ECLM, 2004- RAJFUS Maurice, Dictionnaire du vocabulaire policier, L'Esprit frappeur, 2003- RENOU Xavier, La privatisation de la violence. Mercenaires et Sociétés militaires privées auservice du marché, Agone, 2006

- RUSCIO Alain, Le credo de l'homme blanc. Regards coloniaux français XIXème -XXèmesiècles, Complexe, 2002

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- VERSCHAVE François-Xavier, La Françafrique. Le plus long scandale de la République,Stock, 1999

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Bibliographie

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- VERSCHAVE François-Xavier , De la Françafrique à la Mafiafrique, Tribord, 2004- VERSCHAVE François-Xavier, Tobner Odile, Diop Boubacar Boris, Négrophobie, LesArènes, 2005

- VIDAL-NAQUET Pierre, Les crimes de l'Armée française, Algérie 1954-1962, LaDécouverte, 2001

- WESSELING Henri, Le Partage de l'Afrique, 1880-1914, Gallimard, 2002

SITES INTERNET :- Ligue des droits de l'Homme. Section de Toulon - www.ldh-toulon.net- Association pour la Connaissance de l'Histoire de l'Afrique Contemporainewww.achac.com

- Les Indigènes de la République - www.indigenes-republique.org- Groupe d'intervention et de soutien des immigrés - www.gisti.org- Cimade - Servie œcuménique d'entraide - www.cimade.org- Centre de recherche et d'information pour le développement - www.crid.asso.fr- Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde - www.cadtm.org- Coalition des Alternatives africaines - Dette et développement - Maliwww.cadmali.org

- Publiez ce que vous payez ! - www.publishwhatyoupay.org- Survie www.survie-france.org- Survie-Média (documents audio et vidéo de Survie) - www.survie-media.info- Billets d'Afrique et d'ailleurs (Bulletin d'info de Survie) - www.billetsdafrique.info

FILMOGRAPHIE :- BOUCHAREB Rachid, Indigènes, France, 128 min 2006- BOS Josette-Alice, Une Commission d'Enquête Citoyenne sur le Rwanda, pour quoifaire ?, France, 26 min, 2005

- CALVI Fabrizio et MEURICE Jean-Michel, Elf : Les chasses au trésoret Elf : Une Afrique sous influence, France, 136 min, 2000

- DE HEUSCH Luc, Rwanda. Une République devenue folle, 1894-1994, Belgique, 73min, 1996

- GLUCKSMANN Raphaël, HAZAN David et MEZERETTE Pierre, Tuez les tous !Histoire d'un génocide "sans importance" ; France, 97 min, 2004

- KEST et Survie 69, La Françafrique, France, 15 min, 2002- LEGOFF Arnaud et SCHO Bernard, Elf, la pompe Afrique (lecture d'un procès de etpar Nicolas Lambert), France, 130 min, 2006

- RISCH Thomas, Bob Denard, Profession mercenaire, France, 52 min, 2005- SEMBENE Ousmane, Camp de Thiaroye, Sénégal, 148 min, 1988- TENO Jean Marie, Afrique je te plumerai, Cameroun, 88 min, 1992, Chef !, Cameroun,61 min, 1999 et Le malentendu colonial, Cameroun, 78 min, 2004

- VAUTIER René, Afrique 50, 20 min, 1950, Avoir 20 ans dans les Aurès, 100 min, 1972

DISCOGRAPHIE :- Compilation Africa wants to be free! (Survie) 2005- Compilation Décolonisons ! (Survie) 2007- DIDIER AWADI, Un autre monde est possible, (Sankara/Codex), 2005- TATA POUND, La révolution (Mali k7) 2006- TIKEN JAH FAKOLY, Françafrique (Barclay) 2002- TIKEN JAH FAKOLY, Coup de Gueule (Barclay) 2004

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BibliographieXIIIème siècleDes marchands de Dieppe achètent del'ivoire sur la côte d'Assinie (Côte d'Ivoire)

1664 - Création de la Compagnie françaisedes Indes Orientales

1672 - Prime de 13 livres pour chaque " têtede Nègre " importée aux Antillesfrançaises

1673 - Création de la Compagnie duSénégal pour la traite des esclaves

1685 - Publication du Code noir par LouisXIV

1794 - Abolition de la traite et de l'escla-vage par la 1ère République

1804 - Indépendance d'Haïti1830 - Prise d'Alger. "Pacification" de

l'Algérie1848 - Création des départements français

d'Algérie1848 - Abolition de l'esclavage1853-1855 - Essai sur l'inégalité des races

de Gobineau1857 - Création des bataillons de Tirailleurs

sénégalais par Faidherbe1880 - Création du Congo français1885 - Conférence de Berlin1894 - Création du ministère des Colonies1898 - La colonne infernale de Voulet et

Chanoine part du Soudan pour leTchad

1898 - Bataille de Fachoda (Tchad) entreFrançais et Anglais

- Capture de Samory Touré1904 - Création de l'AOF (Afrique

Occidentale Française), capitaleDakar

1906 - Exposition coloniale à Marseille1910 - Création de l'AEF (Afrique Equato-

riale Française), capitale Brazzaville1920 - Mandat de la Société des Nations,

donné à la France, sur les coloniesallemandes du Togo et duCameroun

1921--1933 - Construction du chemin de ferCongo-Océan

1931 - Exposition coloniale de Paris1940 - Août. Ralliement de l'AEF à la

France libre

1944 - Conférence de Brazzaville1945 - Révoltes et répressions en Algérie

(Sétif et Guelma) et au Cameroun(Douala)

1946 - Création de l'Union française(IVème République), qui remplacel'Empire

1947 - Répression de l'insurrection deMadagascar (environ 100 000morts)

1954 -7 mai - Défaite de Diên-Biên-Phu(Indochine)

1954 - 1962 - Guerre d'Algérie1955 - Conférence de Bandung (Indonésie)1956 - La loi-cadre Deferre organise l'auto-

nomie des colonies françaises- Indépendance de la Tunisie et duMaroc

1956 - 1960 - Corps expéditionnaire auCameroun pour lutter contre la gué-rilla

1958 - Référendum pour l'adhésion à laCommunauté française. La Guinéevote Non et accède à l'indépen-dance

- Assassinat du leader camerounaisde l'UPC Ruben Um Nyobé

1960 - Assassinat de Félix Moumiè chef del'UPC (Cameroun)

- Quinze pays d'Afrique francophoneaccèdent à l'indépendance

1960 - 1962 - Cameroun, soutien militairefrançais contre les maquis

1961 - Assassinat de Lumumba (ex-Congobelge)

- 17 octobre : Massacre des Algérienspar la police parisienne sous lesordres de Maurice Papon, instaura-tion de l'Etat d'urgence

1962 - Juillet. Accords d'Evian.Proclamation de l'indépendance del'Algérie

1963 - Assassinat de Sylvanus Olympio(Togo)

- Création de l'OUA (Organisation del'Unité Africaine)

1964 - Expédition de mercenaires auCongo pour vaincre la rébellion deMulele

Chronologie

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1964 - Léon Mba est remis au pouvoir auGabon par des paras français

1965 - Enlèvement de Ben Barka (Maroc)à Paris

1967 - Création d'Elf1967 - 1970 - Guerre du Biafra. La France

soutien la sécession1968 - Renversement de Modibo Keita au

Mali1968 - 1972 - Soutien des troupes fran-

çaises contre la rébellion au Tchad1970 - Création de l'Agence de coopération

culturelle et technique (ACCT)1972 - Décret d'interdiction en France de

Main basse sur le Cameroun deMongo Beti

1973 - Assassinat de l'opposant tchadienOutel Bono à Paris

1974 - Renversement de Hamani Diori auNiger

1977 - Aide française à Mobutu pour défen-dre le Shaba (Zaïre)

1978 -1980 - Opération Tacaud au Tchad(2000 hommes)

1978 - 600 paras français interviennent àKolwezi (Zaïre) pour évacuer lesEuropéens

1979 - Opération Barracuda enCentrafrique, pour déposer Bokassa

1983 - 1984 - Opération Manta au Tchad,pour soutenir Hissène Habré (3000hommes)

1986 - Premier Sommet de la francophonieà Versailles

- Opération Epervier au Tchad (tou-jours en place en 2006)

- 150 paras et 4 jaguars françaisenvoyés au Togo pour soutenirEyadema

1987 - Assassinat du président ThomasSankara (Burkina-Faso)

1988 - Assassinat de Dulcie September,représentante de l'ANC (Afrique duSud) en France

1989 - Intervention françaises au Gabonpour maîtriser des émeutes

1990 - Discours de La Baule de FrançoisMitterrand

1990 - 1993 - 600 soldats français auRwanda en soutien à Habyarimanacontre le FPR

1991 - Evacuation de ressortissants fran-çais au Zaïre

- Renforcement du dispositif françaisà Djibouti

1992 - 1994 - La France participe à l'opéra-tion Restore Hope en Somalie

1994 - Janvier - Dévaluation de 50 % duFranc CFA

- Avril. 500 paras évacuent lesFrançais du Rwanda. OpérationAmaryllis

- Avril-juillet. Génocide des Tutsi. Unmillion de morts

- Juin-août. 2500 soldats françaispour l'opération Turquoise (Rwanda)

1995 - Bob Denard renverse le PrésidentDjohar aux Comores

1996 - Deux opérations en Centrafriquecontre les mutineries dans l'armée

1997 - Laurent-Désiré Kabila entre àKinshasa (Zaïre). Mort de Mobutuau Maroc

- Nouvelle intervention enCentrafrique

- Opération Pélican au Congo-Brazzaville. Evacuation des ressor-tissants français

- Coup d'Etat de Sassou Nguesso(Congo-Brazzaville) avec le soutiend'Elf

2002 - Opération Licorne en Côte d'Ivoire.A ce jour 4000 soldats

- Procès Elf en France- Révolution malgache qui renverseRatsiraka, soutenu par la France- Tentative de coup d'Etat en Côted'Ivoire. Les rebelles s'emparent duNord.

2003 - Opération Artémis en Ituri(RD-Congo) sous l'égide de l'ONU

2004 - Paris abat l'aviation ivoirienne qui atué 9 soldats français. Fusillade del'Hotel Ivoire. Manifestations anti-françaises à Abidjan

2005 - Vote de la loi du 23 février sur lerôle positif de la colonisation (art. 4)

- Mort de Gnassingbé Eyadema(Togo). Prise du pouvoir par son filsFaure Gnassingbé

2006 - Avril. L'intervention des Miragesfrançais sauve le régime de Déby(Tchad)- Vote de la loi sur l'immigration choi-sie (CESEDA)

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Décolonisons !Une compilation politico-musicale

Survie a produit en 2004 une compi-lation de soutien intitulée "Africa

wants to be free!", un espace de ren-contre où 16 chanteurs et groupes derap et de reggae, venus de France etd'Afrique, dénonçaient la dictature et lenéocolonialisme.

Afin cette fois-ci de mettre en évidencela filiation entre le néocolonialisme etles pratiques d'antan et de dénoncer lapersistance d'imaginaires coloniaux ausein de la société française (débat surle "rôle positif de la colonisation", discri-minations envers les Français "issus del'immigration"), Survie et plusieursartistes ont décidé de poursuivre l'aven-ture et de lancer le projet politico-musi-cal "Décolonisons !".

"Décolonisons !" est la rencontred'artistes d'une dizaine de pays quientendent porter la parole de celles etceux qui ne l'ont pas, afin de favoriserun dialogue citoyen de part et d'autre dela Méditerranée.

1/ "Décolonisons!", morceau collectif2/ Ministère des Affaires Populaires, "Elle est belle la France"3/ Didier Awadi, "Le cri du peuple"4/ Bernard Lavilliers et Tiken Jah Fakoly, "Question de peau"5/ Kwal et Adama Yalomba, "Adama den Ko"6/ Tata Pound, "Yelema"7 Kajeem, "Dépendance"8/ Desert Rebel, "70 litres"9/ Meltin et Sofaa, "Au nom du peuple"10/ Komandant SIMI OL, "Où est la justice"11/ Jahwise, "Désamorcer"12/ Casey, "Dans nos histoires"13/ Apkass et Hamé, "La victoire des vaincus"14/ Lassy King Massassy, "Fabara"15/ Papa Poué et Nasree, "Laissez moi rire"16/ Axiom, "Ma lettre au Président"17/ Synaps, "Zone grise”18/ Duval MC, "Mémoire mauvaise"

Sortie en février 2007, disponible sur commande à Survie dès novembre 2006.Prix : 12 euros

Africa wants to be free! : Acte II

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Survie est une association (loi 1901) qui milite :

- en faveur de l'assainissement des relations franco-africaines,

- en faveur de l'accès de tous aux biens publics

- contre la banalisation du génocide.

Elle fonde son action sur la légitimité qui incombe à chaque citoyen d'interpellerses élus et d'exiger un contrôle réel des choix politiques dans tous les domaines.

Elle fonde son engagement sur la constatation que les problèmes de développe-ment en Afrique sont avant tout d'ordre politique.

Survie mène ainsi des campagnes d'information et de sensibilisation et réalise untravail d'interpellation des responsables politiques français.

A travers sa campagne intitulée "les dictateurs amis de la France ?!" Surviedénonce le soutien de la France aux dictatures africaines (coups d'Etat, électionstruquées, fourniture d'armes) dans le but de ramener à la raison démocratique lapolitique de la France en Afrique, largement monopolisée par l'Elysée.

A travers l'instauration d'une Commission d'enquête citoyenne (CEC) sur le rôlede la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, Survie milite pourla vérité et contre l'impunité des crimes de la France en Afrique.

En faisant la promotion des biens publics mondiaux, Survie milite en faveur del'accès de tous (au Nord comme au Sud) aux biens publics (eau, nourriture,santé, éducation, justice, etc.)

Assistez aux colloques, projections-débats ou contre-sommets organisés parSurvie, que vous pouvez retrouver sur www.survie-media.info

Informez-vous en lisant nos publications : livres, brochures pédagogiques, larevue “Billets d'Afrique et d'ailleurs”, les “Dossiers noirs de la politique de laFrance en Afrique” ou en vous abonnant à “Survie Info” notre lettre électroniquemensuelle d'information.

Agissez en rejoignant l'un de nos 23 groupes locaux un peu partout en France.

Pour plus d'information : www.survie-france.org

Pour nous contacter : [email protected]

Tél : 01 44 61 03 25

Fax : 01 44 61 03 20

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En février 2005, les députés français votaient une loi qui, dans sonarticle 4, reconnaissait "le rôle positif de la présence française outre-

mer, notamment en Afrique du Nord", mythifiant ainsi la période colonialeet nourrissant l'orgueil national de certains nostalgiques (notamment del'Algérie française).

Cette volonté d'instaurer une telle version officielle de l'Histoire de laFrance montre que, plus de 40 ans après les indépendances, la colonisa-tion (qui a consisté à imposer la domination française, souvent par la vio-lence) n'a toujours pas été officiellement remise en cause. Au contraire,c'est à une véritable tentative de légitimation que nous assistons, nousrévélant que les mentalités ont finalement peu évolué.

A regarder de plus près les rapports que la France entretient encoreaujourd'hui avec ses anciennes colonies, nous pouvons constater qu'euxnon plus n'ont pas beaucoup évolué depuis les prétendues "indépen-dances".

La France y perpétue une stratégie de domination au nom de la défensede ses propres intérêts : ingérence dans les affaires africaines (soutien àdes dictatures et à l'organisation d'élections truquées) ; maintien desEtats africains dans la dépendance via l'Aide publique au développement(et à la dette) ; pillage des richesses du continent.

La filiation entre la politique de la France en Afrique depuis 1960 et lacolonisation qui l'a précédée est une évidence. La première prend incon-testablement ses racines dans la seconde.

C'est ce que veut montrer cette brochure en mettant en parallèle lesprincipaux aspects et ressorts du colonialisme français et les pratiquesnéocoloniales de la France et de ses entreprises en Afrique, jusqu'au-jourd'hui.

Cette brochure retrace ainsi plus de 3 siècles de conquêtes, d'exploita-tion et d'idéologie coloniales, et près de 50 ans de pseudo-indépendancedes ex-colonies françaises d'Afrique.

Survie, qui milite depuis maintenant une quinzaine d'années pour uneréforme de la politique de la France en Afrique, entend ainsi informer etinterpeller les Français sur ce que les gouvernements français continuent(comme à l'époque coloniale) de faire en Afrique en leur nom.

210, rue Saint Martin 75003 ParisTél : 01 44 61 03 25Fax : 01 44 61 03 20

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