l’activité enseignante, une architecture complexe de gestes professionnels/bucheton

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 L’activité enseignante, une architecture complexe de gestes professionnels  Dominique BUCHETON , Professeur, IUFM de Montpellier, LIRDEF, France, [email protected] Lisa-Marie BRUNET, Aurélie LIRIA, étudiantes, IUFM de Montpellier, LIRDEF, France. Mots clés : activité enseignante - geste professionnel - ergonomie - didactique de la lecture Résumé La communication présentée s’inscrit dans plusieurs questions de recherche emboîtées. La première vise à décrire l’activité enseignante réelle : sa dimension est ergonomique. Sa finalité est de donner à voir ce que c’est que ce métier, quels gestes professionnels il requiert pour mettre en activité des élèves et leur faire apprendre quelque chose. La deuxième s’inscrit dans le cadre précis d’une recherche didactique autour des modalités d’enseignement apprentissage de la lecture et leurs effets sur la réussite des élèves. La troisième relève de recherche sur la didactique de la formation. Nous étudions le rôle des analyses de pratiques pour la formation aux gestes professionnels. Ce troisième volet de notre travail n’est pas achevé. 1. Les questions principales qui sous-tendent la communication Où on verra qu’on n’a pas peur des grandes questions dès lors qu’elles s’enracinent dans de tous petits actes observables ! -Gestes de métier et gestes profess ionnels (d’ajustement dans l’a ction) : est-ce l a même chose ? A quoi faut – il former en premier ? Y-a-t-il des priorités, des obstacles dans le  parcours de formation ? Y-a-t-il des gestes fondateurs, nodaux qui conditionnent la mise en activité des élèves au niveau nécessaire pour qu’ils accèdent aux gestes d’étude visés. Ces gestes premiers servent-ils de matrice au développement ultérieur de gestes professionnels spécifiques ? -Peut-on dissocier les gestes proprement didactiques (si tant est qu’ils existent ) des gestes qu’on pourrait dire relevant du pédagogique et de l’éducatif. La répartition dans différents modules de ces différentes dimensions est structurée dans les cursus de formation en IUFM. Ce ne sont pas les mêmes formateurs qui en traitent. Cette partition est-elle tenable théoriquement? Efficace ? Professionnalisante ? - Le langage ne joue-t-il pas un rôle décisif dans le métier ? Quels sont ses spécificités. De quelle conception du langage pour agir dans la classe a-t-on besoin ? Une simple théâtralité (modules : le corps la voix à Montpellier) ou une extrême précision dans les conduites d’étayage de l’activité des élèves ? Peut-on former à ses arts de dire et de faire du maître en dehors des contextes didactiques, socio-professionnel et institutionnels ? Quelle est la place des simulations ? -Quelle est la part de l’observable : la réflexivité en actes de l’enseignant dans sa classe est- elle vraiment objectivable? Qu’est-ce qui relève de cadres plus obscurs et peu conscientisés 1

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La communication présentée s’inscrit dans plusieurs questions de rechercheemboîtées. La première vise à décrire l’activité enseignante réelle : sa dimension estergonomique. Sa finalité est de donner à voir ce que c’est que ce métier, quelsgestes professionnels il requiert pour mettre en activité des élèves et leur faireapprendre quelque chose. La deuxième s’inscrit dans le cadre précis d’unerecherche didactique autour des modalités d’enseignement apprentissage de lalecture et leurs effets sur la réussite des élèves. La troisième relève de recherche surla didactique de la formation. Nous étudions le rôle des analyses de pratiques pour laformation aux gestes professionnels. Ce troisième volet de notre travail n’est pasachevé.

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  • Lactivit enseignante, une architecture complexe de gestes professionnels

    Dominique BUCHETON, Professeur, IUFM de Montpellier, LIRDEF, France, [email protected] Lisa-Marie BRUNET, Aurlie LIRIA, tudiantes, IUFM de Montpellier, LIRDEF, France.

    Mots cls : activit enseignante - geste professionnel - ergonomie - didactique de la lecture Rsum

    La communication prsente sinscrit dans plusieurs questions de recherche embotes. La premire vise dcrire lactivit enseignante relle : sa dimension est ergonomique. Sa finalit est de donner voir ce que cest que ce mtier, quels gestes professionnels il requiert pour mettre en activit des lves et leur faire apprendre quelque chose. La deuxime sinscrit dans le cadre prcis dune recherche didactique autour des modalits denseignement apprentissage de la lecture et leurs effets sur la russite des lves. La troisime relve de recherche sur la didactique de la formation. Nous tudions le rle des analyses de pratiques pour la formation aux gestes professionnels. Ce troisime volet de notre travail nest pas achev.

    1. Les questions principales qui sous-tendent la communication O on verra quon na pas peur des grandes questions ds lors quelles senracinent dans de tous petits actes observables !

    -Gestes de mtier et gestes professionnels (dajustement dans laction) : est-ce la mme chose ? A quoi faut il former en premier ? Y-a-t-il des priorits, des obstacles dans le parcours de formation ? Y-a-t-il des gestes fondateurs, nodaux qui conditionnent la mise en activit des lves au niveau ncessaire pour quils accdent aux gestes dtude viss. Ces gestes premiers servent-ils de matrice au dveloppement ultrieur de gestes professionnels spcifiques ?

    -Peut-on dissocier les gestes proprement didactiques (si tant est quils existent ) des gestes quon pourrait dire relevant du pdagogique et de lducatif. La rpartition dans diffrents modules de ces diffrentes dimensions est structure dans les cursus de formation en IUFM. Ce ne sont pas les mmes formateurs qui en traitent. Cette partition est-elle tenable thoriquement? Efficace ? Professionnalisante ?

    - Le langage ne joue-t-il pas un rle dcisif dans le mtier ? Quels sont ses spcificits. De quelle conception du langage pour agir dans la classe a-t-on besoin ? Une simple thtralit (modules : le corps la voix Montpellier) ou une extrme prcision dans les conduites dtayage de lactivit des lves ? Peut-on former ses arts de dire et de faire du matre en dehors des contextes didactiques, socio-professionnel et institutionnels ? Quelle est la place des simulations ?

    -Quelle est la part de lobservable : la rflexivit en actes de lenseignant dans sa classe est-elle vraiment objectivable? Quest-ce qui relve de cadres plus obscurs et peu conscientiss

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  • dans laction, qui lui prexistent : savoirs sur la discipline enseigne, conceptions de llve et de son ducabilit, systme de valeurs dans lequel sest inscrit le rapport au mtier et lexprience. Do une question thique pour la formation : peut-on, doit-on faire merger et travailler en formation des lments qui relvent de lidentit personnelle, prive. Les dimensions, professionnelle et prive, dans les mtiers de lducation sont-elles dissociables ?

    2. Le geste professionnel : un geste langagier mdiateur de la co-activit matre-lves. Nous dvelopperons peu ici le propos et nous renvoyons larticle paratre dans Repres N30, ainsi qu notre communication au colloque AIRDF de Qubec dAot 2004 (CD-ROM paratre.

    Le geste de mtier ( Jorro 2002), renvoie un savoir faire partag et reconnu par la profession, rattach un genre scolaire bien identifi par le matre et les lves (ex : le geste de correction de copie, la lecture magistrale du texte par le matre avant de commencer ltude dun texte). Il sest construit dans lhistoire de lcole, il est gnralement la mise en uvre dun genre de lactivit professionnelle.

    Nous appelons gestes professionnels les arts de faire et de dire qui permettent la conduite spcifique de la classe. Le geste professionnel est situ. Il ne se confond pas avec le genre mais le met en uvre, lactualise, lajuste. Le genre est statique, le geste dynamique.

    - Cest un agir essentiellement langagier mais aussi non langagier. Cette mdiation langagire du matre est htronome (Bucheton 2000). Elle conjugue divers systmes smiotiques qui se modulent et modrent mutuellement. Le regard, le ton de la voix appuient, nuancent ou dmentent tel ou tel propos ; la baguette magistrale dcoupe, anticipe ou accompagne la lecture dun texte au tableau.

    - Cette mdiation est disymtrique : la parole du matre encadre les taches donnes aux lves. Elle taye, accompagne, instrumente le dveloppement de la pense et du langage de llve (Bruner-Vygotski). La situation scolaire, la diffrence dautres formes dapprentissage, se caractrise par cette disymtrie entre la parole du matre et celle des lves.

    - Elle est situe. Ce couplage langage-action et situation est minemment complexe. Il est un concentr de multiples transactions et ajustements intra- et intersubjectifs.

    - Elle est socialement, culturellement, historiquement construite dans lexprience scolaire des matres et des lves, dans celle de la communaut de pratiques enseignantes laquelle les matres sidentifient (dimension sociolinguistique et sociologique de lagir dans la classe).

    - Elle est dynamique, ouverte et largement imprvisible. Lajustement de lagir langagier du matre (qui supporte son cours daction) sur ce qui se passe en classe, partir de ce quil peroit, entend, comprend des actions, propos, silences, gestes, regards multiples des lves est permanent. Ce systme daction rtroaction- rflexion - prise de dcision dans la dynamique du cours, module le canevas prtabli et laisse de ce fait une grande place un travail important de gestion des imprvus : vnements cognitifs, affectifs ou relationnels. Cette part dimprvisibilit de lagir est une dimension forte de la professionnalit.

    -Elle se dveloppe sur le principe dune auto-organisation et rgulation spcifique. Chaque classe constitue une petite communaut de pratiques et de paroles (Lave 1988) qui trs vite se construit ses propres rgles internes de travail et de communication (Durand 1996). De mme, chaque situation (type de tche, thmatique, type de regroupement, type doutils mobiliss

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  • etc.) enclenche un systme de rgulation interne temporaire (Franois 1994) qui auto-engendre sa propre dynamique idologique, cognitive et langagire.

    - Cest un geste de rflexivit en acte qui sajuste sur laction et la rflexivit langagire de llve, sur les difficults possibles de la leon, sur les vnements qui surviennent dans son droulement, sur les instruments ou supports utiliss, comme sur la connaissance de la classe (savoirs pr-requis, culture, engagement).

    - Il est partiellement pr-pens (et sarticule alors aux gestes de mtier), partiellement invent dans laction. Il sinscrit dans des proccupations, une intentionnalit plus ou moins conscientises, plus ou moins mobilises et mobilisable. Lactivit de lenseignant consiste :

    1) mettre en jeu avant la classe une multitude de cadres de pense et dexprience (Goffman). Certains sont en partie implicites et non verbaliss : ce sont des savoirs thoriques, des modles didactiques, des doxa, des habitus, la micro socio-culture de la classe. Dautres cadres sont explicites : les contenus de savoir, choisis pour la leon et leurs scnarios, parfois pr-crits dans le livre du matre ou dans des prparations personnelles.

    2) les ajuster en ligne dans le contexte de la classe avec lactivit des lves dans leur diversit. Ce contexte, dynamique et volutif de la classe est cre en partie par la co-activit du matre et des lves, en partie par des lments de contexte, externes la classe (disposition des lves, instruments didactiques, etc.).

    Cet ajustement du geste professionnel du matre permet la mise en place, la rgulation, lvaluation des gestes spcifiques dtude des lves, la modification des contrats didactiques pendant la leon. Cest une rgulation tout la fois collective et individuelle. Les motions jouent un rle important dans la rgulation de lengagement du matre comme des lves. Il sinscrit dans des configurations interactionnelles matre lves plus ou moins euphoriques ou dysphoriques qui rythment la leon (Veyrunes 2004) et lui donne une part de sa dynamique.

    Une dimension plus spcifique du geste professionnel est son ancrage dans des configurations dautres gestes qui font avec lui systme. Lefficacit du geste spcifique serait alors plus lie diffrents niveaux de configurations densemble. Ce que nous montrerons plus particulirement dans la communication.

    3. Un corpus dtude limit et sa mthodologie O on verra comment partir dun corpus limit mais avec une mthodologie lourde on arrive rendre compte dune partie de la complexit de lactivit de lenseignant. O on verra aussi combien mthodologies, objets de recherches et rsultats se co-construisent, sauto-limitent. Do la prudence quant aux rsultats. O on montrera quil serait dangereux de confondre mthodologie de recherche et mthodologie danalyse de pratiques pour la formation.

    Le corpus : il est la fois trs lourd et limit. Ltude est quasi clinique. Nous avons observ deux matres utilisant le mme manuel Ratus de lecture dans deux coles publiques assez diffrentes du point de vue sociologiques1.

    Le recueil de donnes est multiple : des observations filmes de leons ponctuelles (la dcouverte de la correspondance graphie-phonie dun son spcifique, tudie dans et partir du texte support du manuel) , des observations longitudinales de type ethnologique par

    1 Ltude sappuie sur le travail de matrise de sciences de lEducation de Lisa-marie Brunet et Aurlie Liria : Variations sur une mme partition : tude des gestes professionnels de deux enseignants de CP travaillant avec la mme mthode de lecture (2004)

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  • immersion frquente dans la classe des observateurs (participation active la classe ou position de simple observation ), des entretiens structurs ou informels avec les enseignants , avec les lves, des auto-confrontations sur des leons spcifiquement tudies.

    3.1.Une double mthodologie danalyse et de recueil de donnes Le point de vue du chercheur et celui de lacteur sont ici confronts.

    Dans les premires analyses le point de vue du chercheur est dterminant. Les sances filmes sont dcoupes en units didactiques danalyse pour identifier la dynamique temporelle des tches du matre et des lves, leurs objectifs et leur dure. A la diffrence du modle du cours daction de Theureau (1992), le dcoupage nest pas fait partir du point de vue de lacteur mais partir de celui du chercheur visionnant la cassette.

    Vient ensuite un travail de catgorisation fine pour discriminer les diffrents gestes de lenseignant. Une longue descente aux enfers de la description minutieuse, sengage alors pour les chercheurs : une cinquantaine de gestes pour les deux squences respectivement de 45 et 70 mn sont ainsi catgoriss, classs, mis en relation les uns avec les autres partir de cadres thoriques prcis.

    Ce travail long se fait par confrontation des deux corpus aux points de vue des chercheurs qui analysent le matriel verbal, para-verbal et instrumental de la leon.. Ces analyses sappuient sur plusieurs cadres thoriques :

    - sur des cadres didactiques (les travaux sur les premiers apprentissages du lire crire les travaux de Giasson (1995), Chauveau (1993, 2002), servent de rfrence principale principaux) ;

    - sur les cadres gnraux de lanalyse pragmatique, phnomnologique et nonciative des discours (interactionnisme socio discursif pour les questions de relations intersubjectives notion de places, face, ethos, actes de langage et daction, gestes non verbaux (Jorro)(On fait rfrence alors aux travaux de lcole de Chicago, Orchionni, Maingueneau, Vion, Picard, prise en compte de la notion de genre Bakhtine, mais aussi Bronchard et Clt) ;

    - sur des cadres relevant dune linguistique des oprations nonciatives selon Culioli et Franois qui ont montr chacun leur faon la manire dont le discours travaille avec ses entours (Franois 1994-2001), dont le langage pingle , articule le langagier et le non langagier : les oprations cognitives, affectives, la mmoire etc. (Culioli 1978) ;

    - sur des cadres thoriques relevant de la psychologie sociale : les notions dtayage de Vygotski et Bruner ;

    - sur les premiers ou plus rcents travaux dergonomie du travail du matre (Postic, De Landsheer, Perrenoud, Bressoux etc ).

    La confrontation avec le point de vue des acteurs : les matres et les lves

    Il sagit alors de documenter les sances enregistres partir dauto-confrontations sur les sances (selon la mthode de la clinique de lactivit de Clt), et avec des entretiens non directifs avec les matres et quelques lves, en dehors du contexte des sances observes. Ces auto-confrontations et entretiens nont pas t faits par des experts mais par des personnes ayant le statut dtudiants ou dattach dducation ce qui en module la porte et introduit un biais dans le dispositif de recueil des donnes.

    Ces analyses ont t croises avec les analyses externes notamment pour la discussion des rsultats de lanalyse externe.

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  • 4. Rsultats de la recherche CP. : des gestes de mtier aux gestes professionnels : une architecture complexe.

    Un genre solidement implant pilote la dynamique gnrale de la leon. Chez les deux enseignants qui ne se sont jamais rencontrs (ge, cole, exprience professionnelle, sexe, diffrents) on observe des constantes dans lorganisation et la gestion gnrale de la leon.

    La premire analyse en units didactiques est riche denseignement notamment pour identifier lextrme faiblesse des variations opres par rapport au plan daction propos par le livre du matre et par la mise en page de la leon sur le livre. Les deux matres disent ne pas se servir du livre du matre. Lun prpare ses leons longuement (cahier de prparation archi ratur et travaill) lautre dit ne pas faire de prparation. Les units didactiques identifies sont fortement communes chez ces deux matres utilisant le mme manuel. Elles sont au nombre de 12 pour lun et de 14 pour lautre. Chacun introduit cependant une ou deux lgres variantes inventives dans le dispositif. La dure des units par contre est trs variable et leur ordre peut trs lgrement diffrer. Les lves, lors des entretiens, sont capables de raconter dans le dtail la leon quils miment en en suivant du doigt, sur un manuel imaginaire ouvert devant eux, le droulement rituel. Le genre scolaire est donc bien partag. Ces mmes units didactiques et leur configuration densemble sont reprables avec dautres manuels de lecture et pourraient donc constituer les lments du genre: la dcouverte du texte et du son nouveau quil met en scne avec un manuel .

    La conformation ce genre ne gnre aucun malaise chez un des deux enseignants qui ne le questionne pas. Elle gne, drange lautre qui a du mal en sortir et le dit.

    Une architecture dense de gestes imbriqus et en rseau (Fig 1 et 2)

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  • La catgorisation, le dcorticage2 de la complexit de lactivit enseignante observe dans ce contexte spcifique sorganise en une architecture dense. Nous avons identifi dans nos corpus pas moins dune soixantaine de catgorisations dont nous avons repr la dimension sytmique et hirarchique. Ces catgories renvoient des proccupations conscientes des enseignants pendant le droulement de la sance, confirmes dans les auto-confrontations. Lanalyse comparative, en pourcentage, de ces divers niveaux de catgorisation des gestes rvle des points de convergence forts mais aussi des diffrences importantes.

    Remarque : nous ne pouvons ici dtailler les micro-gestes verbaux identifis (triangle) ou petits cercles (corporels) de la figure 1. Nous avons fait un zoom ( figure 2) sur les gestes plus spcifiquement didactiques du matre.

    Lactivit de lenseignant consiste mette en travail un ensemble complexe de proccupations Un premier niveau de ces macro-catgories ou macro proccupations a un caractre trs gnrique(fig 1 : rang A et B). Outre la proccupation centrale dans la leon spcifique denseigner un contenu spcifique (A), nous en avons identifi dans les sances tudies quatre autres :

    - le tissage : cest la proccupation de lenseignant qui lamne articuler les diffrentes units de la leon. Cette proccupation sactualise en deux modalits principales : souligner lentre en matire, oprer la transition la fin de lunit.

    - ltayage : cest le geste que lenseignant fait avec llve pour accompagner un geste dtude quil ne peut mener seul. Cette proccupation sactualise en trois sous-catgories : le soutien, la demande dapprofondissement, le contrle des rponses, lesquelles prennent la forme dune dizaine de formes dadresse spcifiques que nous avons identifies (rang D). Le contrle des rponses sapparente dans notre corpus une forme embryonnaire dinstitutionnalisation du savoir. Elle est collective et sadresse la classe ou individualise.

    - Le maintien dune certaine atmosphre. Il sagit ici de rendre compte du climat gnral cognitif et relationnel qui autorise ou non la prise de parole de llve et son niveau dengagement attendu dans lactivit. Ce sont des gestes langagiers qui soit par leur dimension ludique ou coercitive, soit par la nature du feed-back affectif, soit par les formes diverses de lenrlement (nominatif, regard insistant etc) dtendent ou crispent les lves, les stimulent ou non.

    -La gestion des dimensions spatio- temporelles : il sagit dune proccupation vaste et trs pragmatique : le contrle du timing par des regards frquents ou inexistants la pendule, les dplacements de lenseignant, le contrle de ceux des lves, lutilisation des instruments denseignement divers.

    Limbrication de ces proccupations communes est constante. Prenons un exemple : pour faire reprer un son dans la liste des mots crits au tableau, on observe que les matres optent :

    - pour diverses formes dtayage : pistage focalisation : Alors quelle autre couleur il y a o il y a le son JJJJ ?,

    synthse partielle : Alors on en a trouv dj deux : jumelle et jaune

    dveloppement : Allez, y en a dautres, alors quest ce quon peut dire ?

    - diverses manires de marquer son affectivit Viens ici Ismal , je tai pas entendu dire un seul mot. Super, a marche ! super forts les CP ! Mince alors, a vaut le coup

    2 Dcorticage : opration par laquelle on dgage une graine de son enveloppe (Petit Robert). Ce terme renvoie une mtaphore celle du grain danalyse ncessaire.

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  • dtre malade (rires). Je vais confisquer la rgle, vous me fatiguez, toi, tu tavances, viens ici prs du tableau .

    - diverses manires de grer le temps (regard inquiet sur la pendule et le journal de bord), de se dplacer auprs dun lve pour cacher de la main une partie du mot, divers allers et retours entre le tableau et les affiches aux murs, baguette en main pour tisser des relations avec les mots dj lus appris.

    Des gestes de mtier fortement communs :

    Ltude comparative des macro-proccupations montre des pourcentages relativement semblables pour les deux matres dans les 5. principales catgories : beaucoup dtayage, trs peu de tissage entre les units qui se succdent essentiellement par simple juxtaposition , trs peu dactivit de lecture personnelle (rsolution de problme)des lves.. Une dcontextualisation forte du travail phonographique. Le texte est vraiment un prtexte rabcher un son. Lactivit est phono-centre (figure 2) : travail sur la conscience phonique (loreille), articulatoire (travail de la bouche) doubl dun deuxime code (jeu de doigts codant des sons appel par nous la kin des sons). Elle est trs peu centr sur la conscience morpho syntaxique ou sur le contexte smantique. Aucune criture nest propose aux lves. Les lves pour lessentiel sont dans lobserver, lcouter, le rpter derrire le matre. Les deux matres sur-tayent tout le travail cognitif des lves, les gestes didactiques du faire dcoder et dcouvrir le sens par llve tout seul sont quasi inexistants. La lecture est relaye : le matre souffle le mot, elle est pointe : le matre suit du doigt sur le texte de llve, elle est chorale (le matre lit et la phrase rpte dans sa voix) elle est magistrale : les lves coutent, elle est une fois accompagne dune criture magistrale au tableau.

    Nous en concluons que le genre didactique et scolaire et les conceptions du lire quil met en uvre, structure une trs grande cohrence entre les divers micro-gestes identifis (rang D et D). Les enseignants sont-ils conscients de cette logique conceptuelle quils actualisent? Se contentent-ils dun faire rptitif , ces gestes de mtier sont-ils interrogs ? Qui pilote la classe ? Le matre, la mthode ? O se situe lespace de dcision du matre ? Il est clair ainsi que dans une la logique observe, lcriture des lves pendant la leon de lecture ne peut prendre place moins dun coup de force du matre, dune rupture importante assume. Peut-il laccomplir seul ?

    Et pourtant des diffrences de styles, identifiables.

    Ltude bien que limite apporte des rsultats quant aux lments de style ( nous reprenons la dfinition de Clt : le style comme actualisation dans la pratique singulire dun genre). Autrement dit o se logent ces arts de faire dajustement et dinventivit en acte de lenseignant ?

    Notre tude rvle que si la dimension didactique et notamment les conceptions de lapprentissage du lire, dans ses objets et processus, semblent bien larticulateur principal du genre de lactivit du matre et de ses gestes de mtier communs, les diffrences entre nos deux matres se marquent davantage dans leurs conceptions ducatives, dans le regard port sur les lves, dans latmosphre et les marqueurs daffectivit qui en rsultent. Ces diffrences modulent du coup nombre des gestes didactiques mis en uvre et en slectionnent dautres.

    Ainsi chez lun des matres le fait de croire en la capacit dapprendre des lves ainsi que latmosphre favorable lapprentissage quil met en scne dans des jeux de langages, rires et plaisanteries constantes, saccompagnent de gestes dtayage plus individualiss (lautre matre reste dans un tayage collectif), dveloppe plus des gestes dapprofondissement

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  • mtalinguistique et mta-procdural (comment tu fais pour trouver a) qui rendent visible aux lves la diversit des procdures adopter pour lire. Cependant on constate que le genre trs fort de la mthode RATUS empche que ses comptences mises en uvre dans la dimension pdagogique et culturelle, ne soient transfres dans la dimension didactique, vcue comme rigide et contraignante. Les tensions vcues par cet enseignant sont fortes, son malaise est verbalis de multiples reprises. On pourrait dire de son style quil nest pas homogne, quil est empch . Il abandonnera le CP en fin danne. On retrouve ici confirmation des travaux de Dejours (2000) sur la souffrance au travail comme relevant des gestes empchs.

    A loppos, chez le deuxime enseignant, qui a une classe de ZEP, plus difficile, la vision dfaitiste des lves : De toute faon ils sont en difficults parce quils ont tout pas dattention, pas de vocabulaire tous les handicaps ! (autoconfrontation), saccompagne de formes dtayage essentiellement fondes sur la rptition et la monstration : Pour les lves en difficults, il faut que je fasse CH et O =CHO, CH et I =CHI. Tant que a leur est pas rentr . Peu de place est donc laisse lexpression et la rflexion au profit dun sur-enrichissement, sur tayage verbal de la part du matre qui parle constamment. Latmosphre gnrale est trs marque par les injonctions ngatives (2/3 des feed-back), voire de privation de certaines tches . Les lves en difficults nont pas droit au cahier dexpression crite ( pour eux cest pas la peine, je leur ai retir le cahier) et lorsquils crivent, ils font seulement des activits plus faciles de graphisme ou un travail sur la syllabe .

    Chez ce dernier enseignant, il apparat que les gestes mis en oeuvre dans les trois dimensions

    pdagogique, didactique et ducative fonctionnent sur le principe de la congruence. Nous pensons quils dmultiplient pour certains lves fragiles les effets ngatifs de certains gestes3. (Hypothse du cumul, rseau RESEIDA). Chez ce matre, loppos du premier, on ne relve dans les entretiens et auto-confrontations ni doutes, ni manifestations dinsatisfactions importantes verbalises. Les proccupations de changement existent mais portent sur des problmes tel que lemploi de lcriture scripte ou attache au tableau, lcriture ou non du texte du livre sur le tableau. La place plus grande de lcriture pour les lves commence tre pose en fin danne.

    On peut avancer que les conceptions de lapprentissage, de la lecture, les valeurs personnelles de lenseignant entrent en adquation avec la mthode. Cette adquation freine la rflexivit, le questionnement sur la pratique. Dans la classe, cette non-rflexivit sur la pratique et ses prsupposes, pourrait organiser ce cumul des effets stigmatisants et diffrenciateurs pour certains lves.

    Autrement dit et cest ce qui nous apparat peut-tre de plus importants dans nos rsultats , il semblerait quau final, des logiques profondes (dernier cercle X de la figure 1) ancres dans la culture de lenseignant, son exprience, ltat de ses connaissances sur la matire enseigne, ses valeurs, son engagement dans le pari dducabilit des lves, structurent en arrire-plan les ajustements professionnels dans laction en classe . Nous sont-ils accessibles en formation ? Avons nous le droit de les faire merger ? Avec quels dispositifs de formation ?

    Une rcente prsentation de F. Saugeat (IUFM Aix-marseille) de la technique de linstruction au sosie en formation (2004) semblerait pouvoir permettre daccder ce niveau dinvestigation.

    3 Ce quune autre tude ponctuelle dans une autre classe de CP, centre celles-ci sur les effets de certains gestes professionnels sur les lves en difficults semble confirmer (Mmoire de Mitrise de Sciences de lEducation de Marie Cabaret 2004)

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  • Discussion : Nos donnes et analyses sont trs limites et situes dans le contexte spcifique dune leon en CP partir dun manuel Ratus, en novembre. Sil y a style et genre cest bien exclusivement pour dcrire ce moment spcifique.

    Nous avons identifi lorganisation trs sytmique et hirarchise des gestes professionnels. (fig 1). On peut se demander sil ny a pas l un biais d la mthode de dconstruction -reconstruction progressive des gestes partir dun grain danalyse trs fin, mthode qui nvacue pas la subjectivit certes croises des observateurs.

    Une autre question est de se demander si cette hirarchisation en macro et micro-gestes est- heuristique et permet de comprendre les processus de dveloppement de la comptence professionnelle. Autrement dit, faut-il enseigner des macro-gestes gnriques, relativement transversaux, sortes de pr-concepts pragmatiques pour grer laction ?Des proccupations majeures ? Ou faut-il toujours les relier aux gestes spcifiquement didactiques avec lesquels ils font systme ? Dans ce cas le geste micro (les triangles dans notre figure), pourrait alors tre considr comme le degr le plus accompli de la professionnalit. A condition 1) quil ne soit pas un geste aveugle, limit et imit mais quil soit investi des significations gnriques plus larges contenus dans le geste de rang directement suprieur. 2) quil sarticule la complexit des autres gestes dont les finalits sont complmentaires. Ce qui donne aux verbalisations de lenseignant un sens plus pais .

    Par exemple - et nous sortons du corpus tudi jusquici-, le geste didactique du matre pour faire lire individuellement un enfant (niveau D fig 1) sans laider Lis ce que tu peux dans le texte, et discute ensuite avec ton voisin na de sens que sil sait quun sur-tayage de sa part ce moment l, serait contre-productif. Sil sait aussi quun tel geste dtude de llve est fortement risque pour le trs jeune enfant et ncessite donc un feed-back bienveillant et chaleureux. Sil sait aussi quune taquinerie pour lancer aux lves un dfi stimulant : Alors l, les petits, je ne suis pas sr que cette phrase l vous arriviez la lire ! , sera peut- tre le moteur principal de lactivit de dcouverte des lves.

    Cependant, si cette vision architecture des gestes professionnels rend compte de lpaisseur des gestes langagiers du matre, de leur polysmie, de leur complexit, elle rend mal compte de leur dynamique. Certains gestes jouent plus probablement ce rle et sont dune grande importance ce titre. Ce sont les gestes que nous appelons de tissage qui structurent progressivement le sens, balisent le parcours cognitif, lvaluent, le re-finalisent, modifiant et ponctuant en permanence les changements de contrat didactique. Ils sont fortement dficitaires chez les jeunes enseignants mais aussi chez les experts. Leur manque pourrait expliquer certaines formes de dcrochage.

    Nous pensons aujourdhui (travaux en cours) quune bonne partie de la dynamique du sens, la re-mobilisation des lves dans le cours se jouerait dans les failles, les imprvus, les vnements inattendus que le matre est en mesure de percevoir et de traiter. Encore faut-il quun espace suffisant de paroles soit laiss aux lves pour que ces imprvus mergent ! Les gestes dajustement dans un tel modle prendraient alors un relief singulier. Mais il reste construire dautres genres scolaires de la co-activit matre-lves. Ils sont encore peu prsents sur le terrain.

    Dernire remarque plus gnrale pour la discussion de nos travaux : nous pensons quil est dommageable pour la formation lanalyse rflexive sur la pratique de confondre mthodologie de recherche pour lanalyse des pratiques et dispositif de formation. Nous ne proposons pour linstant aucune didactisation partir de ce modle hirarchis des gestes professionnels. Nous cherchons simplement tester lefficacit des concepts intermdiaires tels que Tissage , tayage , atmosphres , gestes didactiques , gestes dtude des

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  • lves , gestion spatio- temporelle de la classe , en nous demandant sils sont bien des concepts nodaux pour organiser laction et la rflexivit sur laction. Nous nen sommes pas plus loin.

    Conclusion : aller voir devant et derrire le miroir Ainsi derrire le miroir de laction, enregistrable, montrable ou racontable des divergences profondes apparaissent dans les systmes de valeurs, les conceptions de lducation, les connaissances sur la discipline enseigne, les conceptions de lenfant et de son dveloppement, les modles pdagogiques valoriss.

    Ces premiers rsultats nous amnent penser quune vision purement techniciste voire technologique de la professionnalit enseignante est trs rductrice et dangereuse. Pour autant ils rvlent aussi quune tude minutieuse des arts de faire et de dire des matres est indispensable. Comment alors la formation peut-elle prendre en compte lensemble de ces gestes et attitudes professionnelles ? Une simple formation ces gestes prcis par compagnonnage permet-elle laccs aux logiques essentielles qui pilotent laction dans la classe ?Telle est bien linquitude de fond qui sous-tend nos travaux.

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    Lactivit enseignante, une architecture complex1. Les questions principales qui sous-tendent la communication2. Le geste professionnel: un geste langagier m3. Un corpus dtude limit et sa mthodologie3.1.Une double mthodologie danalyse et de recuLa confrontation avec le point de vue des acteurs

    4. Rsultats de la recherche CP.: des gestes deUn genre solidement implant pilote la dynamique

    Une architecture dense de gestes imbriqus et enDes gestes de mtier fortement communs:Et pourtant des diffrences de styles, identifia

    Discussion:Conclusion: aller voir devant et derrire le mi

    Bibliographie