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L'acquisition de la lecture : approche cognitive Alain Content Université libre de Bruxelles INTRODUCTION La lecture est une habileté complexe qui met en jeu l'entièreté de la personne. Dans nos sociétés, l'accès à l'écrit détermine un changement considérable dans la sphère des activités intellectuelles et culturelles de l'enfant. La maîtrise du code écrit donne accès à un très grand nombre de facettes de l'activité sociale et culturelle du monde adulte. Par ailleurs, l'apprentissage est contemporain de l'entrée à l'école primaire, dont les structures se caractérisent par de plus fortes contraintes sur les rythmes et sur les contenus des activités et par l'exigence d'une plus large autonomie de la part de l'enfant. Bref, il existe de nombreux facteurs qui font de l'apprentis- sage de la lecture un enjeu crucial dans le développement intellectuel, social et aussi affectif et on peut imaginer de nombreuses raisons pour lesquelles un enfant pourrait hésiter à faire l'effort nécessaire. Car en plus des questions de motivation, de désir d'apprendre et de grandir, qui existent et qui sont importantes, apprendre à lire et à écrire exige un effort intellectuel considérable. C'est peut-être justement dans la mesure où la tâche est intellectu- ellement complexe et ardue que les questions de motivation peuvent avoir un poids particulièrement important. L'approche que je vais présenter se donne pour objectif de décrire précisément la tâche intellectuelle à laquelle l'enfant va être exposé. D'une manière générale, l'objet de la recherche en psychologie cognitive est l'étude des mécanismes mentaux de traitement de l'information, c'est-à-dire l'ensemble des opérations volontaires ou non, conscientes ou non qui interviennent pour interpréter, enregistrer, ou retrouver une information. Plus spécifiquement, dans le domaine de la lecture, il s'agira de comprendre comment

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L'acquisition de la lecture : approche cognitive

Alain Content Université libre de Bruxelles

INTRODUCTION

La lecture est une habileté complexe qui met en jeu l'entièreté de la personne. Dans nos sociétés, l'accès à l'écrit détermine un changement considérable dans la sphère des activités intellectuelles et culturelles de l'enfant. La maîtrise du code écrit donne accès à un très grand nombre de facettes de l'activité sociale et culturelle du monde adulte. Par ailleurs, l'apprentissage est contemporain de l'entrée à l'école primaire, dont les structures se caractérisent par de plus fortes contraintes sur les rythmes et sur les contenus des activités et par l'exigence d'une plus large autonomie de la part de l'enfant. Bref, il existe de nombreux facteurs qui font de l'apprentis­sage de la lecture un enjeu crucial dans le développement intellectuel, social et aussi affectif et on peut imaginer de nombreuses raisons pour lesquelles un enfant pourrait hésiter à faire l'effort nécessaire. Car en plus des questions de motivation, de désir d'apprendre et de grandir, qui existent et qui sont importantes, apprendre à lire et à écrire exige un effort intellectuel considérable. C'est peut-être justement dans la mesure où la tâche est intellectu­ellement complexe et ardue que les questions de motivation peuvent avoir un poids particulièrement important.

L'approche que je vais présenter se donne pour objectif de décrire précisément la tâche intellectuelle à laquelle l'enfant va être exposé. D'une manière générale, l'objet de la recherche en psychologie cognitive est l'étude des mécanismes mentaux de traitement de l'information, c'est-à-dire l'ensemble des opérations volontaires ou non, conscientes ou non qui interviennent pour interpréter, enregistrer, ou retrouver une information. Plus spécifiquement, dans le domaine de la lecture, il s'agira de comprendre comment

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s'effectue le traitement de l'écrit et comment ces mécanismes se développent. Il s'agira aussi d'identifier quels aspects des processus impliqués posent problème chez les enfants qui ne progressent pas comme leurs pairs et de proposer éventuellement des stratégies d'intervention appropriées pour aider ceux qui vont moins vile, et ceux qui ont moins envie, à passer celte importante barrière que constitue l'accès à l'écrit.

L'existence d'une proportion non-négligeable d'enfants rencon­trant de sévères difficultés lors de l'apprentissage de la lecture, et la notion que ces difficultés pourraient être parfois spécifiques au code écrit ont évidemment contribué énormément au développe­ment de ce champ de recherche. Avant de décrire la manière dont ces troubles sont envisagés dans les recherches contemporaines, je voudrais évoquer une série de questions méthodologiques qui ont hanté la recherche sur les troubles d'acquisition de la lecture. L'intérêt de ce préalable n'est pas tant de mettre en évidence les progrès techniques réalisés au cours des dernières années que de signaler différentes difficultés et erreurs d'interprétation qui sont à la base de certaines idées très répandues à propos de la dyslexie.

La manière la plus simple et la plus immédiate d'abordeT l'étude des troubles consiste probablement à comparer des sujets classés comme présentant le trouble et des sujets qui ne le présentent pas. La méthode consiste à formuler une hypothèse différentielle simple (les sujets présentant le trouble T diffèrent des autres par la caractéristique observable C) et à la mettre ensuite à l'épreuve. Cette technique a été utilisée des centaines voire des milliers de fois (cf. Vellutino, 1979), mais elle pose une série de problèmes qui ont été longtemps négligés, et sont à la base d'incohérences et d'erreurs dans la littérature. Je vais en énumérer quelques-uns.

1. Définition des catégories Quel critère utiliser pour classer les sujets comme présentant un trouble de la lecture ou n'en présentant pas ? Selon les travaux, des mesures différentes sont utilisées (lecture de mots, lecture à voix haute, compréhension de mots, de phrases, de textes, écart oral-écrit, écart lecture-QI), et les tests développés peuvent être plus ou moins saturés en difficultés d'ordre orthographique (graphies rares), lexical (mots techniques ou peu fréquents), syntaxique (construc-

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tions peu usagées), mnémonique (phrases longues) et de connais­sances générales. Selon la mesure et les caractéristiques propres à chaque épreuve, des performances différentes peuvent être obser­vées.

Par ailleurs, on peut être amené à utiliser ses compétences de lecture dans des situations variées, pour des raisons diverses, el avec des objectifs multiples, de sorte qu'il est probablement illusoire d'imaginer une mesure appropriée de l'efficience de la lecture. Il semble donc de toute façon qu'il faille se contenter de métriques qui sont approximatives, et, dans une certaine mesure, conventionnelles et arbitraires. Mais il est utile de garder à l'esprit que les choix posés peuvent déterminer des partitions différentes dans la population examinée.

Cette difficulté technique serait résolue si on observait des distributions non-continues de performances dans différentes épreuves de lecture, puisque cela fournirait un fondement empiri­que, non arbitraire, à la définition de sous-groupes. Malheureuse­ment, la nature n'a pas fait les choses pour aider les psychométri-ciens : quel que soit le critère d'évaluation adopté, il semble qu'on obtienne une gamme continue de variation entre les enfants qui progressent le plus rapidement et ceux qui ne progressent pas (Ellis, 1985; Stanovich, 1988). Où placer alors la frontière entre développe­ment normal et trouble ? A ce niveau également, les décisions relèvent de la tradition et de l'arbitraire, et peuvent déterminer des incohérences entre différentes études. Si un critère de catégorisation s'avère nécessaire, ne serait-ce qu'à des fins éducationnelles ou administratives, il est bon de garder à l'esprit qu'il n'a a priori aucune validité scientifique.

Enfin, comment distinguer entre trouble de lecture spécifique el non-spécifique ? Un trouble de lecture, aussi spécifique soit-il, peut avoir à moyen ou long terme des conséquences nombreuses, d'autant plus marquées que le trouble est important. Par con­séquent, dans certaines circonstances, limiter l'étude à des troubles spécifiques, revient à laisser de côté les cas les plus graves. En outre, une fois de plus, étant donné le degré d'arbitraire des choix effectués, il y a un risque que les résultats obtenus dans une étude ne concordent pas avec ceux d'autres travaux qui auraient éventuellement utilisé des critères de sélection ou de classification

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un peu différents, et ces divergences renvoient à des problèmes d'interprétation difficiles à résoudre.

Par exemple, dans certaines études on a trouvé des différences entre bons lecteurs et mauvais lecteurs dans l'effet de la similarité phonétique sur la performance de rétention en mémoire à court terme (cf. Lecocq, 1986, et dans ce volume, pour une revue plus détaillée de ces travaux). Les bons lecteurs ont des performances de rappel moins élevées pour des listes de mots qui riment que pour des listes de mots qui ne riment pas, tandis que cet effet n'apparaît pas chez les mauvais lecteurs ou apparaît à un moindre degré. La dégradation des performances de mémoire pour des listes d'élém­ents phonétiquement similaires est généralement considérée comme le signe d'un codage phonologique en mémoire à court terme, et par conséquent, l'absence ou la diminution de cet effet chez des mauvais lecteurs a parfois été interprétée comme l'indication d'un codage phonologique moins efficient en mémoire à court terme. La différence entre bons lecteurs et mauvais lecteurs est cependant instable, elle apparaît dans certaines études, mais pas dans d'autres. Une explication partielle possible de cette incohé­rence provient des critères de sélection des sujets : dans certaines études, les enfants ayant des problèmes en arithmétique sont éliminés (pour assurer la spécificité des troubles de lecture), et dans d'autres pas. On a suggéré que la différence entre bons lecteurs et mauvais lecteurs pour l'effet de la rime apparaîtrait plus clairement lorsque les habiletés arithmétiques ne sont pas contrôlées. U est possible que les tests arithmétiques mettent en oeuvre les mêmes processus de mémoire, et donc, que le fait d'éliminer du groupe de mauvais lecteurs ceux qui présentent des difficultés de calcul élimine la différence dans l'effet de la rime sur le rappel. Cette suggestion, si elle était confirmée, pourrait indiquer qu'une moindre sensibilité à la similarité phonologique dans des épreuves de mémoire caractériserait des enfants présentant des troubles globaux d'apprentissage, plutôt que ceux présentant des difficultés spéci­fiques en lecture. Mais une telle conclusion reste descriptive, et d'une portée très limitée, faute d'un cadre théorique susceptible de spécifier les relations causales entre codage phonoiogique, capacités arithmétiques et lecture.

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2. Interprétation des résultats D'autres problèmes se posent à l'issue de l'expérience.

Supposons d'abord que, comme attendu, les enfants définis comme mauvais lecteurs aient de moins bonnes performances dans les tâches-cibles. Une des questions critiques est de savoir si la différence observée est une cause, une conséquence, ou un simple corrélat des troubles de lecture (cf. aussi Lecocq, ce volume). On verra des illustrations de discussions portant sur cette question plus loin. Il faut se rendre compte qu'on ne peut pas interpréter directement les résultats d'une étude différentielle en termes causaux, et ce point a longtemps été négligé. Un exemple de ce type de raisonnement concerne l'interprétation de la relation souvent décrite entre troubles de lecture et discordance entre QI verbal et QI non-verbal. Un certain nombre de mauvais lecteurs montrent des déficits importants au niveau verbal et pas au niveau de perfor­mance. Cette observation a souvent été utilisée pour invoquer l'influence causale des compétences langagières dans l'explication des troubles spécifiques de la lecture. Or il semble actuellement que cette discordance est au moins en partie une conséquence des troubles : en effet, plusieurs études longitudinales (Bishop & Butterworth, 1980; Ellis & Large, 1987) montrent que l'écart entre Qï verbal et QI performance n'est pas observé chez des enfants dyslexiques lorsque le QI est mesuré avant le début de l'apprentis­sage, mais qu'il apparaît par la suite.

Inversement, supposons qu'aucune différence n'apparaisse : on ne peut certainement pas conclure que la variable testée n'a pas d'importance. Elle peut être critique pour un sous-ensemble des sujets, et cette différence peut être masquée par les résultats du groupe entier. Il est aussi possible qu'un facteur ait une influence importante à un moment précis du développement de l'habileté. Enfin, des différences éventuelles dans une habileté peuvent avoir été gommées par le travail rééducatif.

La conclusion de ces remarques méthodologiques, et un des leitmotives de cet article, est que pour progresser dans la com­préhension et le traitement des troubles, il ne suffit pas de constater des différences, il faut une théorie des mécanismes du développe­ment. Cela peut sembler banal, mais il est bon d'insister sur ce point. Paradoxalement, dans le domaine qui nous occupe, la

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quantité de recherche consacrée aux troubles est sans commune mesure avec celle consacrée à la description du développement normal. Et trop souvent, la recherche n'est pas allée au-delà du constat que bons lecteurs et mauvais lecteurs diffèrent sur une dimension donnée. Le résultat principal est qu'on sait maintenant avec un certain degré de confiance que les bons lecteurs sont meilleurs que les mauvais lecteurs pour un très grand nombre d'habiletés cognitives, mais ces connaissances ne nous aident à comprendre ni le pourquoi ni le comment. Ce n'est pas que le constat de différences soit inutile, mais ce ne peut jamais être qu'un tout premier stade dans la recherche, une sorte de débroussaille-ment grossier et rapide de la question. Dans la suite de cet article, je tenterai de présenter en synthèse l'état des connaissances sur les processus d'identification des mots écrits et leur développement, pour mettre en lumière les points du développement qui pourraient être critiques pour comprendre les troubles d'acquisition.

IDENTIFICATION DES MOTS ET INTEGRATION SYNTAXIQUE ET SEMANTIQUE

On distingue habituellement deux composantes dans le traitement de l'écrit : l'identification des mots et les processus d'intégration syntaxique, sémantique et textuelle. L'identification des mots con­cerne l'ensemble des opérations par lesquelles le sujet obtient l'information sur la signification et éventuellement la prononciation des mots, à partir du stimulus visuel, l'intégration, l'ensemble des opérations de traitement syntaxique et sémantique qui conduit à l'extraction d'une interprétation des phrases ou du texte.

Du point de vue linguistique, on admet généralement que le langage écrit est un système secondaire et dérivé du langage parlé. Même s'il existe des différences importantes, dues à la nature et à la fonction propre à chaque support de communication, la langue parlée et la langue écrite ont un nombre important de traits communs, qui concernent tant la sélection des éléments lexicaux que la syntaxe. Il est donc plausible de supposer que pour la plupart des textes écrits, les composantes syntaxiques et sémantiques soient dans une large mesure les mêmes que celles mises en jeu dans la

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compréhension du langage parlé. Par contre, l'identification des mots écrits comporte nécessairement des processus spécifiques au code écrit, ne serait-ce que parce que la modalité d'entrée diffère. Intuitivement donc, ce raisonnement conduit à rechercher l'origine des troubles spécifiques au code écrit plutôt au niveau de la composante d'identification des mots.

Mais la question est de savoir dans quelle mesure ces deux composantes peuvent être considérées comme séparables. Cette question fait l'objet de discussions intenses. Une hypothèse, appelée souvent hypothèse d'autonomie (Förster, 1979; Stanovich, 1982) suppose que l'accès au lexique mental se déroule sans être influencé par les autres composantes, notamment sans être affecté par les connaissances extraites à partir du contexte sémantique et syntaxique. Inversement, l'autre position, ou hypothèse d'inter­action (Goodman, 1967; Rumelhart, 1977; Smith, 1971) considère au contraire que la vitesse, les opérations, les informations visuelles pertinentes pour atteindre les informations lexicales associées à un mot peuvent dépendre des connaissances déjà extraites à partir du contexte et donc des prédictions (syntaxiques et sémantiques) du sujet.

II semble assez largement admis que les informations contex­tuelles n'ont pas un rôle prépondérant dans la reconnaissance des mots écrits, tout au moins dans des conditions normales de lecture. L'argument le plus important dans ce sens (cf. Mitchell, 1982 pour une discussion) semble être l'observation que le temps nécessaire pour intégrer un passage de texte et en extraire des informations susceptibles de faciliter la reconnaissance de la suite est en général plus long que le temps nécessaire pour identifier les mots. Cette conclusion est basée notamment sur des résultats qui indiquent que l'effet de facilitation provoqué par une phrase sur le temps de reconnaissance d'un mot ultérieur prédictible (ex. la poule a pondu un... oeuf) disparaît lorsque le délai entre le contexte et le mot cible est réduit, ou lorsque les situations expérimentales utilisées sont plus semblables à des conditions normales de lecture. Les effets d'interférence obtenus dans de telles conditions sont probablement liés à la difficulté d'intégration syntaxique ou sémantique du mot inapproprié avec le contexte préalable, plutôt qu'à une influence directe sur l'accès lexical. Il est clair que le contexte sémantique et

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syntaxique peut, et doit, dans certaines circonstances, intervenir pour déterminer le choix entre plusieurs alternatives (ex. nous portions les portions). Mais ces effets n'impliquent pas nécessaire­ment que le contexte est utilisé pour faciliter l'accès au lexique, et les résultats de Swinney (1979) et d'autres, plus récemment, suggérant que les différentes significations d'un mot écrit seraient activées automatiquement pendant un bref laps de temps font penser que l'influence du contexte serait plutôt opérée après l'accès aux différentes significations possibles. Mais d'autres interpréta­tions de ces résultats ont été proposées (notamment en termes d'activatïon rétroactive) et la question n'est pas tranchée (cf. Pynte, 1989 pour une discussion récente de ce problème).

Quoi qu'il en soit, de nombreux effets qui ont été avancés comme démonstrations de l'effet du contexte sur la reconnaissance des mots (Smith, 1971), tels que l'effet de la structure syntaxique sur l'empan oeil-voix, l'observation que les erreurs de lecture orale sont dans une large proportion syntaxiquement appropriées, la plus grande rapidité de lecture, et la meilleure rétention de textes corrects paT rapport à des séquences aléatoires de mots, doivent très probablement être attribués à des étapes beaucoup plus tardives dans le processus de lecture que celles concernant l'identification des mots, el ils n'établissent pas que le contexte joue un rôle dans la reconnaissance des mots en tant que telle. En conclusion, il semble actuellement probable que la reconnaissance des mots fonctionne en règle générale comme une composante autonome du traitement, pour des raisons liées aux vitesses relatives des différents processus. Maïs cette conclusion ne s'applique que pour des conditions normales de lecture, c'est-à-dire lorsque le matériel n'est pas dégradé, et lorsque le lecteur a acquis un niveau relativement développé d'habileté. On peut imaginer que le problème ne se pose pas dans les mêmes termes chez le lecteur débutant.

Sur la base de l'hypothèse d'interaction, certains auteurs ont avancé l'idée que les processus d'identification des mots n'ont qu'une importance secondaire dans la lecture courante. Cette vue constitue un des fondements théoriques des méthodes de lecture rapide. En outre, des pédagogues, qui ne sont pas sans avoir une influence dans les milieux éducatifs francophones, ont développé

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des techniques éducatives basées sur le même principe. Ainsi, certains enseignants mettent en pratique les thèses de Foucambert (1976), elles-mêmes directement inspirées par les écrits des américains Smith et Goodman principalement. Il semble donc utile de faire le point.

L'idée centrale avancée par Smith (1971) et Goodman (1967) notamment (cf. aussi Rumelhart, 1977 pour une présentation synthétique de la position inleractionniste à propos de la lecture) est que l'identification des mois n'est pas toujours nécessaire dans la lecture habile, parce que le lecteur dispose, pour extraire la signification d'un texte, de plusieurs sources d'information en plus de l'information graphique. Goodman, par exemple, considère que la lecture est « un jeu de devinement psycholinguistique » basé sur quatre types d'informations : des informations graphiques dans les mots (relations entre lettres, groupes de lettres, forme des mots et prononciation), des informations fournies par le langage (indices syntaxiques, morphologiques, ponctuation...), des informations extérieures à la lecture (images, contexte pragmatique de la lecture) et des informations qui proviennent du lecteur lui-même (ses stratégies de compréhension, sa connaissance du monde et du domaine couvert par le texte, son expérience du langage...).

Celte analyse le conduit à proposer un modèle (Goodman, 1967) qui fait une très large part aux prédictions basées sur l'information extraite au préalable, mais qui n'exclut pas l'identification des mots. En bref, à chaque fixation, le lecteur sélectionne des indices graphiques en fonction de ses connaissances et des contraintes provenant de l'information extraite au préalable. « II forme une image perceptive en utilisant ces indices et ceux qu'il a anticipés. Cette image est partiellement ce qu'il voit, et partiellement ce qu'il s'attend à voir. Ensuite, il cherche dans sa mémoire des indices syntaxiques, sémantiques et phonologiques en relation » (p.507). Le lecteur fait alors un devinement, ou un premier choix sur base des indices graphiques recueillis, qu'il confronte avec l'information sémantique et syntaxique extraite lors des fixations précédentes. Si le choix n'est pas acceptable, le lecteur est susceptible de faire une régression pour reprendre de l'information graphique. Si le choix est cohérent, il assimile la signification obtenue avec celle de ce qui précède et développe de nouvelles prédictions pour la suite.

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Smith (1971) par contre rejette explicitement l'idée que les mots doivent être identifiés : « La question peul êlre posée comme une simple opposition d'alternatives : ou bien le lecteur habile identifie chaque mot pour obtenir la signification d'un passage, ou il acquiert la connaissance de la signification du passage pour identifier chaque mot... Les alternatives sont présentées de manière contrastée parce qu'il est un peu difficile de formuler la thèse majeure : l'identification des mots est complètement non-perti­nente lorsqu'on lit pour comprendre » (p. 195).

Ce type de description a conduit certains pédagogues à insister de manière parfois très radicale sur le rôle des informations contextuelles, et, en contrepartie, à considérer l'apprentissage d'habiletés d'identification des mots isolés comme secondaire (voire négatif, parce que conduisant à négliger l'extraction de la significa­tion et les processus d'inférence). La position la plus extrême est illustrée par l'anecdote, rapportée par Isabelle Liberman (1982) selon laquelle il faudrait féliciter le lecteur qui lirait « chien » pour le mot chat, parce qu'une telle erreur indiquerait qu'il aurait compris le thème général du texte. Il est clair que ces choix théoriques ne sont pas sans influence sur le plan pratique (l'étude des troubles, la pédagogie, les interventions rééducatives), et cela appelle quelques remarques. J'évoquerai quatre éléments.

1. Relations entre la compétence finale et le développement Même si l'identification des mots était influencée par l'information contextuelle chez le lecteur habile, ce qui, comme on l'a vu, est loin d'être démontré, cela ne devrait pas conduire directement à axer l'apprentissage sur cet aspect du traitement. L'idée que les objectifs et méthodes éducatives doivent être directement calquées sur les modèles du stade final du développement suppose implicitement que le développement ou l'apprentissage est continu, linéaire et basé sur une capacité sous-jacente unique et monoli­thique. Dès qu'on admet que l'habileté à acquérir possède une structure interne complexe, c'est-à-dire qu'elle peut être analysée en plusieurs sous-composantes, on ne peut plus prendre la structure finale comme modèle du développement, parce qu'il faut tenir compte également de la dynamique du développement, c'est-à-dire

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notamment de l'influence du développement de certaines sous-composantes sur les autres sous-composanles du système. Pour apprendre à jouer du piano il est probablement peu efficace de prendre comme modèle le comportement d'un virtuose et d'essayer de l'imiter. Le fait de pouvoir jouer des gammes rapidement et sans erreur n'est probablement pas une composante importante de la performance d'un virtuose en concert. Néanmoins, il est probable que de tels exercices ont une influence importante sur le développement de certaines capacités critiques pour devenir un virtuose.

2. Nécessité logique d'une compétence minimale d'identification Par ailleurs il est absuTde de négliger complètement l'information extraite à partir des mots du texte lui-même. Pour que le sujet puisse utiliser le contexte, il faut qu'il dispose déjà d'un minimum d'information, qui dans nombre de situations de lecture, ne peuvent être obtenues autrement que par l'intermédiaire du texte même. S'il est vrai que la lecture ne sert pas toujours, chez l'adulte, à extraire de l'information nouvelle peu ou pas prédictible (cf. la lecture des quotidiens ou d'un roman), on peut imaginer que c'est plus souvent le cas dans les situations d'apprentissage scolaire.

3. Déficits des lecteurs retardés dans l'identification des mots isolés Les données du développement et l'étude des troubles vont clairement à rencontre de la position interactionniste. En effet, des différences nettes apparaissent entre bons lecteurs et mauvais lecteurs dans l'efficacité des mécanismes d'identification des mots isolés. Il semble clair qu'on peut éliminer l'idée que les mauvais lecteurs seraient pour la plupart des enfants qui ont une bonne compétence pour l'identification des mots isolés, mais ne com­prennent pas ce qu'ils lisent.

Ainsi Perfetti et ses collaborateurs (Perfetti et Hogaboam, 1975; Hogaboam et Perfetti, 1978; Perfetti, Finger et Hogaboam, 1978; Perfetti, 1985) ont mis en évidence des difficultés dans la reconnaissance de mots isolés chez des enfants faibles en lecture. Le point de départ de ces travaux consiste à comparer les enfants

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tirés de classes normales, et répartis en deux groupes (bons lecteurs et mauvais lecteurs) en fonction de leur résultat pour des tests standardisés de lecture basés sur des épreuves de compréhension. Des différences importantes ont été observées dans la ialence de lecture orale de mots et de pseudomots. La différence la plus nette est obtenue pour des pseudomots, ce qui suggère que l'effet n'est pas dû à des différences de vocabulaire ou de familiarité avec les mots écrits. Les mauvais lecteurs sont plus affectés par la longueur des mots.

Ces caractéristiques sont même retrouvées chez des adultes qui ont suivi une rééducation suite à des problèmes de lecture en cours de scolarité et qui ont récupéré un niveau normal ultérieurement : comparés à un groupe d'adultes n'ayant pas rencontré de prob­lèmes, les personnes rééduquées obtenaient des performances moins bonnes dans les situations de reconnaissance de mots isolés, même pour ceux d'entre eux qui avaient atteint un niveau moyen ou bon dans des tests standardisés impliquant la compréhension (Brück, 1989).

4. Le paradoxe des mécanismes compensatoires: l'effet du contexte et le niveau de lecture

En outre, de manière apparemment paradoxale, il semble que les lecteurs faibles tendent à utiliser plus l'information contextuelle que les lecteurs habiles, et que l'effet du contexte diminue avec l'augmentation de la compétence de lecture. West et Stanovich (1978) ont comparé les latences de nomination de mots selon qu'ils étaient précédés d'une phrase contextuelle appropriée (ex. the dog ran after the corf), inappropriée (ex. the girl sat on the cat) ou neutre (ex. the cat). Les trois groupes testés (moyenne d'âge de 10 ans, 12 ans et 20 ans environ) montraient un effet de la phrase préalable, et dans chaque groupe, l'effet est d'autant plus grand que le niveau de lecture est faible. De plus, les enfants étaient avantagés par les contextes appropriés et ralentis par les contextes inappropriés, tandis que les adultes montraient de la facilitation sans inter­férence. West, Stanovich, Feeman et Cunningham (1983) ont également mis en évidence des effets de contexte plus importants chez des enfants de deuxième que chez des enfants de sixième

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année. Et plus récemment, Stanovich, Cunningham et Feeman (1984) ont réalisé une élude longitudinale qui indique que les effets de contexte peuvent être observés dès la première année, y compris chez les enfants qui sont moins avancés en lecture.

Sianovich (1980) et PerfetU et Roth (1981) ont suggéré que l'utilisation du contexte ne différerait pas selon l'habileté en lecture et que les effets observés dépendraient essentiellement du temps d'identification des mots. Un argument convaincanl dans ce sens provient d'une étude de Perfetti et Roth (1981) qui ont montré que de bons lecteurs, auxquels on présente des mots dégradés visuelle­ment de façon à ralentir leur identification, montrent des effets de contexte quantitativement semblables à ceux observés chez de mauvais lecteurs, pour des mots présentés dans des conditions normales. Stanovich (1980) a développé une idée similaire en suggérant l'existence d'interactions compensatoires entre l'habileté de reconnaissance des mots et l'utilisation du contexte : l'influence du contexte serait plus marquée chez les lecteurs retardés ou débutants parce que la reconnaissance des mots serait chez eux moins rapide et moins efficace. D'autres chercheurs ont rapporté des observations cohérentes avec cette idée (Juel, 1980; Briggs, Austin et UndeTwood, 1984; Perfetti, Goldman et Hogaboam, 1979).

En conclusion, il y a actuellement de sérieuses raisons de penser que des difficultés particulières dans la reconnaissance des mots constituent un facteur important différenciant les bons des moins bons lecteurs. De larges différences sont obtenues, dès le début de l'apprentissage, au niveau de la reconnaissance des mots, et ces différences sont fortement corrélées aux résultats obtenus dans des épreuves qui évaluent la compréhension de textes. Les mauvais lecteurs tendent à utiliser plus les informations contextuelles, probablement pour compenser (volontairement ou non) les difficul­tés qu'ils rencontrent dans le traitement des mots. Mis à part un syndrome assez particulier et rare auquel on commence seulement à s'intéresser depuis quelques années, l'hyperlexie (cf. Aram, Rose & Horwitz, 1984), qui se caractérise inversement par d'excellentes compétences en lecture orale accompagnées d'une compréhension parfois extrêmement pauvre, la caractéristique générale des troubles de lecture est la présence d'une difficulté au niveau de l'identifica­tion des mots isolés.

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MECANISMES DE RECONNAISSANCE DES MOTS CHEZ LE LECTEUR HABILE

D'une manière générale, et indépendamment du code écrit, dans la mesure où les relations entre la forme phonologique d'un mot et le ou les concepts qu'il évoque sont arbitraires et conventionnelles, les linguistes et les psycholinguistes postulent généralement l'existence d'un lexique mental, constituant un répertoire d'associations entre des représentations phonologiques correspondant aux mots de la langue, et l'information syntaxique et sémantique. Dans ce cadre, on peut concevoir l'identification des mots écrits comme un problème d'accès au lexique mental, et cet accès peut a priori être envisagé de deux manières : soit en tirant parti des régularités grapho-phonologiques propres aux écritures alphabétiques pour effectuer une opération de transcodage de la forme orthographique en une représentation phonologique, qui servira de base à la consultation lexicale; soit, si on admet que le lexique mental s'enrichit progressivement de représentations orthographiques, en comparant la forme orthographique du mot présenté aux représen­tations orthographiques stockées lexicalement.

Le fait qu'on puisse prononcer des séquences de lettres qui ne constituent pas des mots de la langue suggère l'existence d'une procédure de transcodage, basée sur les régularités mettant en relation, dans tout système d'écriture alphabétique, des lettres ou groupes de lettres et des sons du langage. Inversement, le fait que la prononciation de mots soit obtenue plus rapidement que celle de pseudo-mots, qu'on puisse prononcer des mots qui dévient des régularités grapho-phonologiques (ex. oignon, monsieur), ou qu'on puisse identifier sans ambiguïté la signification de mots homo­phones (ex. sang, cent, sans), indique l'existence d'une procédure basée sur des associations lexicales entre représentations orthogra­phiques, phonologiques et sémantiques.

L'étude des processus d'accès à l'information lexicale pour les mots écrits a donné lieu à une littérature expérimentale très abondante depuis une vingtaine d'années (voir par exemple Holender, 1988 pour une discussion récente). Les questions actuelles portent principalement sur les relations entre les deux sous-systèmes et leur mode de fonctionnement propre, en particu-

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lier celui du mécanisme de transcodage. Selon certaines théories, le transcodage serait basé sur un ensemble d'associations grapho-phonologiques portant sur des unités orthographiques de taille variable (lettres, digrammes, groupes de lettres), relativement indépendant des connaissances lexicales; selon d'autres, le trans­codage serait déterminé par des mécanismes d'activation et de synthèse basés sur la similarité orthographique entre le mot présenté et d'autres associations stockées dans le lexique mental.

Grosso modo, il y a actuellement accord SUT l'existence de deux processus d'accès (orthographique et phonologique), et sur l'idée que chez le lecteur habile, l'identification des mots écrits serait principalement basée SUT l'accès à des représentations orthogra­phiques en mémoire. La fonction d'accès phonologique jouerait essentiellement un rôle pour l'identification de mots nouveaux ou peu familiers.

MECANISMES DE RECONNAISSANCE DES MOTS : LE DEVELOPPEMENT

Ce modèle grossier renvoie à une série de questions qui concernent le développement :

1. Comment le système se développe-t-il et quelles sont les relations entre les deux sous-systèmes au cours du développement ? En particulier, les deux composantes se développent-elles simul­tanément ou séquentiellement ?

2. Quelles sont les fonctions des mécanismes de transcodage au cours du développement ? En particulier comment réconcilier l'idée que les processus de transcodage grapho-phonologique sont impor­tants dans le développement et l'idée que l'accès orthographique est le mécanisme principal au stade final ?

3. Peut-on identifier des relations causales entre les deux sous-systèmes au cours du développement ? Les deux composantes se développent-elles indépendamment ou s'influençent-elles mutuelle­ment ? Par exemple, les mécanismes invoqués pour rendre compte des opérations de transcodage ont des implications différentes du point de vue des relations causales au cours du développement. Selon l'hypothèse d'activation et de synthèse, le transcodage dépendrait étroitement de la richesse du système orthographique

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lexical. Par contre, si le transcodage esl basé sur des associations grapho-phonologiques, il pourrait se développer avant et indépen­damment de la procédure lexicale.

Au cours des dernières années, plusieurs propositions théoriques successives ont été avancées. Je les présenterai succînlement.

1. Développement séquentiel des deux composantes La procédure de transcodage permet d'identifier des mots écrits non-familiers, par le biais de leur forme phonologique. Si on admet que la procédure orthographique se construit progressivement, puisqu'elle implique la mémorisation de chaque forme orthogra­phique, on peut supposer que la procédure de transcodage jouerait un rôle particulièrement important au début de l'apprentissage, et que la procédure orthographique prendrait progressivement le pas.

Plusieurs chercheurs ont essayé de vérifier l'existence d'une diminution progressive du recours à une procédure de conversion phonoiogique (Barron et Baron, 1977; Condry, McMahon-Rideout et Levy, 1979, Doctor et Coltheart, 1980; Snowling et Frith, 1981, Backman, Brück, Hebert et Seidenberg, 1984). Dans l'ensemble, les résultats confirment cette tendance, mais ils indiquent également l'existence de signes d'accès orthographique très tôt au cours de l'apprentissage. On peut donc penser que les deux systèmes se développent simultanément, mais ont des poids différents selon le degré d'élaboration de la base de connaissances sur laquelle chacun des mécanismes s'appuie.

2. Marsh et al (1981) : les modèles de stades Marsh, Friedman, Welch & Desberg (1981) ont introduit l'idée, calquée sur les théories piagétiennes, de stades dans le développe­ment de la reconnaissance des mots. Ils considèrent quatre stades : devinement linguistique, mémorisation par discrimination d'indices visuels, décodage séquentiel, décodage hiérarchique. Le moteur principal du développement est le conflit entre les exigences de la tâche et là stratégie utilisée. Mais d'une part le modèle ne rend pas compte de l'atteinte de la compétence adulte, et d'autre part, i! n'y a pas de réelle évidence en faveur de l'idée de stades distincts, au sens strict du terme.

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3. Frith (1985) : la dynamique du développement et les troubles Un des apports de Frith est l'insistance à distinguer entre modèle structural el modèle du développement, et la référence à un modèle du développement pour l'interprétation des troubles. Une autre particularité du modöle de Uta Frith est sa connexion étroite avec l'étude des troubles. L'idée principale est que les troubles peuvent être vus comme des perturbations (arrêt, ralentissement) dans la séquence normale des stades du développement.

Frith distingue trois stratégies: — une stratégie Iogographique, dans laquelle la reconnaissance

serait basée sur des traits graphiques saillants (Seymour & Elder, 1986).

— une stratégie alphabétique, qui correspond au décodage séquentiel selon la terminologie de Marsh. Il s'agit de l'application systématique d'une stratégie de déchiffrement basée sur des « règles de correspondance » simples.

— une stratégie orthographique, qui semble correspondre à la voie orthographique dans les modèles structuraux de la lecture habile: existence d'un lexique orthographique large et capacités d'assem­blage sophistiquées, basées sur un système de connaissance plus élaboré qu'au stade alphabétique. Selon l'auteur, « les mots sont instantanément analysés en unités orthographiques (morphèmes) sans conversion phonologique ».

Selon Frith, ces stratégies apparaissent successivement, el cha­cune capitalise sur les acquis précédents. Chaque nouveau stade résulte de la combinaison d'habiletés anciennes avec des habiletés nouvelles. On ne peut donc atteindre un stade sans être passé par le stade précédent II en résulte des prédictions sur les caractéristiques des troubles développementaux possibles.

Une autre caractéristique intéressante du modèle est qu'il .prend en considération à la fois l'acquisition de la lecture el l'acquisition de l'orthographe (production écrite), à l'élude de laquelle Frith a fait plusieurs contributions originales. Elle propose l'hypothèse d'une interaction entre la lecture et la production, selon laquelle réception et production se développeraient de façon déphasée, et tantôt l'un tantôt l'autre aspect jouerait le rôle de déclencheur dans le développement.

Ainsi, l'utilisation de la stratégie alphabétique apparaîtrait

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d'abord dans la production parce qu'elle serait plus appropriée à l'écrilure qu'à la lecture. Alors qu'il est possible de reconnaître un mol sur base d'indices partiels, l'écrire exige une représentation complète de la forme orthographique, de sorte que la stratégie logographique serait plus rapidement mise en échec. Par ailleurs, la stratégie logographique serait selon Friih plus adaptée aux besoins de la lecture, notamment en ce qui concerne les contraintes temporelles : il est utile de lire rapidement, parce qu'il est nécessaire de conserver des séquences suffisantes d'information littérale pour pouvoir effectuer l'intégration syntaxique et l'extrac­tion de la signification. Par contre, dans la mesure où la production suppose qu'on sache quel message on veut communiquer, il n'est pas indispensable d'aller aussi vite pour écrire.

De manière analogue, le passage à la stratégie orthographique se ferait d'abord dans la lecture mais la justification de cette hypothèse n'est pas claire. Ainsi, en français, et en anglais dans une moindre mesure, les ambiguïtés au niveau des correspondances grapho-phonologiques sont beaucoup plus fréquentes dans la production que dans la lecture. La stratégie « alphabétique » serait donc moins adéquate pour la production que pour la lecture, et on pourrait imaginer que c'est principalement pour parvenir à orthographier correctement que l'on est amené à stocker plus systématiquement des représentations orthographiques plus complètes. Un élément d'explication possible serait la contrainte de rapidité de la lecture.

Mis à part les patrons de perturbations observés dans les troubles quelques données du développement appuient les hypothèses de Frilh, mais les données ne sont pas suffisantes pour établir l'existence de stades au sens fort : par exemple, à ma connaissance, il n'existe pas d'indications que les signes d'utilisation d'une stratégie logographique disparaissent à un certain moment pour faire place à l'utilisation de la stratégie alphabétique, ce qui devrait impliquer une régression de la lecture, spécifique à certains mots familiers et irréguliers. Par contre, il existe quelques indications en faveur de l'existence de dissociations entre la lecture et la production. En voici deux illustrations : Read (1971) a publié des analyses de productions écrites spontanées inventées d'un groupe d'enfants non-lecteurs de trois à cinq ans qui avaient appris par leurs parents le nom des lettres. Les messages écrits mettaient en

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évidence une orthographe phonologiquement acceptable dans une très large mesure, donc basée sur une procédure d'assemblage phonologique. Une observation qui vient à l'appui de l'hypothèse d'une phase « logographique » en lecture et « alphabétique » en production est le fait que, selon Read, ces enfants étaient généralement incapables de lire les messages écrits qu'ils compo­saient. Bryant et Bradley (1980) ont rapporté des résultats expéri­mentaux qui vont dans le même sens. Ils montraient que les enfants testés au début de l'apprentissage, pouvaient orthographier correcte­ment des mots qu'ils ne parvenaient pas à lire. Il s'agissait pour l'essentiel de mots réguliers et non familiers pour ces enfants.

En bref, l'intérêt de la contribution de Frith provient d'une part de la proposition explicite d'un modèle développemental comme cadre explicatif, d'autre part de l'accent mis sur le rôle des interactions, généralement négligées, entre réception et production dans le développement.

On peut émettre certaines critiques ou discuter certains postulats du modèle. Malgré ces remarques, la théorie proposée par Frith contient une série de suggestions intéressantes qui justifient son succès actuel comme point de repère.

L'idée de stades est probablement trop forte dans ce domaine; il n'est pas du tout certain qu'il soit judicieux de décrire le développement de la lecture comme une succession de stades au sens strict d'états stables d'organisation des habiletés. Par ailleurs, un certain nombre d'auteurs ont mis en cause la nécessité du stade logographique. Si l'idée d'une stratégie constitue autre chose que l'application de processus purement visuels à la reconnaissance de mots écrits (mémorisation de symboles, de signes, de logos . . .), on ne voit pas clairement comment l'en distinguer. Dans le cas contraire, cette hypothèse revient à affirmer, de manière un peu triviale, que l'intégrité du fonctionnement du système de perception visuelle est nécessaire pour la lecture.

Par ailleurs l'influence des méthodes d'enseignement n'est pas considérée, et il est concevable que les phases de l'acquisition diffèrent selon le type de méthode rencontré. A ce niveau les résultats que nous avons obtenus (Content et Leybaert, 1989) semblent toutefois assez bien concorder avec un des points critiques de la thèse de Frith : il semble que les enfants qui

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apprennent à lire par une méthode globale passent également par une phase d'utilisation massive des correspondances grapho-phonologiques, ce qui suggère qu'il n'est pas possible, dans des conditions normales, d'éviter le passage par une phase « alpha­bétique ».

Enfin, la description des mécanismes à chacun des stades reste floue - par exemple on ne voit pas comment distinguer empirique­ment entre la reconnaissance directe visuelle au stade logogra­phique et la reconnaissance directe visuelle-orthographique au stade orthographique. Enfin les suggestions de Frith restent essen- i tiellement descriptives : elles n'expliquent pas comment les acquis \ d'un stade s'intègrent et déterminent le stade suivant.

4. Le développement et les troubles i A chacune des composantes du système on peut faire correspondre ! une catégorie de troubles : d'une part ce qu'on a appelé la dyslexie phonologique (également dyslexie dysphonétique, Boder, 1973), qui se caractérise par une difficulté particulière à lire des mots écrits i non-familiers ou des pseudomots (Seymour, 1986; Seymour & MacGregor, 1984; Temple & Marshall, 1983). Dans certains cas extrêmes, il n'est pas clair qu'on puisse encore parler de « dys­lexie », puisque la performance de lecture de mots est apparem­ment normale (Campbell & Butterworth, 1985).

D'autre part, il existe une catégorie de troubles appelée dyslexie morphémique (Seymour, 1986; Seymour & MacGregor, 1984) ou encore dyslexie dyséidétique (Boder, 1973) qui se caractérise par une lecture orale basée sur l'utilisation des associations grapho-phonologiques : lecture lente aussi bien pour les mots que les pseudomots, erreurs nombreuses pour les mots irréguliers.

L'analyse de Frith laisse supposer que les deux catégories princi­pales de dyslexies ont des sources complètement distinctes : la dyslexie phonologique résulterait d'un blocage du développement au stade logographique - une incapacité à accéder au stade alphabétique; la dyslexie morphémique pourrait quant à elle résulter soit d'un non-développement de la stratégie logographique (cf. Seymour & MacGregor, 1984), soit d'un blocage au stade alphabétique. Seymour, qui a repris et développé le cadre théorique proposé paT Frith, suggère que la dyslexie morphémique s'expli-

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querait par « un défaut primaire des fondions holistiques et en bloc du processeur visuel (graphémîque) » (Seymour & MacGregor, 1984, 62).

Mais les choses sont plus complexes, parce qu'il est très probable que les deux systèmes ne sont pas indépendants au cours du développement. Ainsi, notamment, on peut penser que l'acquisition d'associations entre unités orthographiques et unités phonologiques ne sert pas uniquement au développement d'une procédure de transcodage phonologique, qui rendrait l'enfant plus rapidement autonome grâce au déchiffrement.

Non seulement le fait de pouvoir déchiffrer pourrait favoriser, et accélérer la mémorisation (Jorm et Share, 1983), mais en outre, l'existence d'associations partielles est susceptible de modifier radicalement les procédures de mémorisation des formes orthogra­phiques, et ce, de différentes manières : en favorisant l'attention au détail de la forme orthographique; en offrant un mode de représentation de l'orthographe des mots selon une forme structurée en fonction de la prononciation ou des associations grapho-phonologiques, rendant possible l'exploitation productive des con­naissances lexicales; en rendant possible l'auto-génératïon de formes orthographiques partielles et le marquage des propriétés orthographiques exceptionnelles, ambiguës ou non-prédictibles, ce qui pourrait accélérer le développement des connaissances ortho­graphiques lexicales. Enfin, ultérieurement, l'attention au détail de la structure orthographique pourrait également être critique pour le développement de liens morphologiques entre les entrées orthogra­phiques lexicales (cf. Content, 1986; Stuart & Coltheart, 1988; Ehrï & Wilce, 1985; Bradley, 1988).

Cette conception conduit à accorder un rôle de premier plan au développement des associations grapho-phonologiques, puisque ce passage fonctionnerait en quelque sorte comme un servo­mécanisme : l'acquisition d'associations faciliterait le déchiffre­ment, l'auto-apprentissage, modifierait les processus de mémori­sation de l'information orthographique, en les facilitant et en les accélérant, augmentant ainsi la base de données grapho-phonolo-gique disponible pour développer le système d'associations par­tielles, et ainsi de suite.

Selon cette vue, il n'est pas impossible que les difficultés mises

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en évidence dans la dyslexie « morphémique » résultent en fait d'une faiblesse dans le développement ou l'utilisation des associa­tions grapho-phonologique moins marquée que dans la dyslexie phonologique, de telle sorte que les associations seraient suffi­samment maîtrisées pour constituer la stratégie principale, mais pas suffisamment pour alimenter le processus d'enregistrement ortho­graphique.

En relation avec cette hypothèse, il est intéressant de mentionner un ensemble important de travaux qui indiquent l'influence causale des capacités d'analyse segmentale de la parole sur le succès de l'acquisition. Un grand nombre d'études corrélationnelles, ainsi que plusieurs études longitudinales et expérimentales renforcent cette conclusion (cf. Morais, Alegria et Content, 1987 pour une revue récente). Les capacités d'analyse de la parole sont nécessaire pour que l'enfant puisse acquérir des associations élémentaires. Il est donc probable que les capacités d'analyse forment un des moteurs du servo-mécanisme. D'autres habiletés, impliquées dans l'identifi­cation visuelle et la mémorisation des lettres pourraient constituer un autre facteur fondamental au démarrage de l'acquisition. C'est du moins ce que suggèrent quelques études récentes qui mettent en évidence l'importance d'habiletés liées à la reconnaissance des lettres, mais les données sont moins claires et moins nombreuses à l'heure actuelle que pour ce qui concerne la composante d'analyse phonologique.

DIAGNOSTIC, INTERVENTION ET PREVENTION

En guise de conclusion je voudrais décrire quelques études récentes, qui appuient les propositions que j'ai avancées et mettent en évidence certaines conséquences pratiques de ces vues. Elles suggèrent en effet que l'intervention précoce — préventive — peut être étonnamment plus efficace qu'une intervention remédiatrice.

Bradley (1987) a récemment examiné l'évolution à long terme des enfants qui avaient participé à l'expérience d'entraînement publiée en 1983. Rappelons que dans ce travail, 65 enfants avaient été sélectionnés sur base de leur faible performance dans l'épreuve d'analyse de la parole. Il s'agit donc d'enfants dont on pouvait

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prévoir qu'ils rencontreraient des difficultés dans l'apprentissage de la lecture. Ces enfants avaient été répartis en 4 groupes compa­rables, deux groupes expérimentaux et deux groupes contrôles. Un des groupes expérimentaux (i) avait été entraîné à classer des mots en fonction des sons qui les composent (ex. « sac », « bac » et « lac » riment). Le second (II) recevait le même type d'entraînement, mais apprenait aussi à écrire les mots avec des lettres en plastique. Un groupe contrôle consacrait le temps d'entraînement à classer les mêmes mots selon des relations sémantiques et non phonologiques et l'autre ne recevait aucun entraînement. L'entraînement compor­tait 40 séances étalées sur une période de deux ans.

A la fin de cette période, le groupe II était significativement meilleur en lecture et en orthographe que les groupes contrôles. Le groupe I avait également progressé plus que les groupes contrôles, mais pas significativement. Mais les résultats les plus impression­nants sont ceux obtenus environ 4 ans plus tard. Parmi les enfants des groupes contrôles, 46% et 54% respectivement ont eu besoin d'une intervention spéciale pour les aider. Dans les groupes expérimentaux, seulement 23% (groupe I) et 8% (groupe II) ont eu besoin d'une aide spéciale. Ce fait en lui-même constitue une indication supplémentaire de l'efficience de l'entraînement initial. Mais le point le plus intéressant est que, malgré ces interventions, l'écart entre les groupes subsiste : ainsi, le groupe II conserve une avance d'environ 1 an sur les groupes contrôles, en termes de niveau de lecture et d'orthographe. Outre qu'elles renforcent l'idée que les capacités d'analyse jouent un rôle crucial au début de l'apprentissage, ces données suggèrent également qu'une interven­tion précoce, et préventive, puisque l'entraînement se déroulait dès le début de l'apprentissage formel de la lecture, a de grandes chances de donner de meilleurs résultats qu'une intervention purement remédiatrice, plus tardive.

Nos propres travaux (Content et al., 1982,1986) indiquent que les habiletés d'analyse de la parole peuvent se développer assez rapidement chez des enfants prélecteurs soumis à des exercices ou à des jeux appropriés. Cela ne signifie pas que la découverte de la structure segmentale de la parole soit aisée : souvent ces activités d'analyse de la parole donnent l'impression d'exiger de l'enfant un grand effort d'attention et de concentration. Il n'est pas rare

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d'observer des variations importantes dans la performance à la suite de l'introduction d'un élément distracleur qui semblait pourtant minime. Par exemple, dans son mémoire de licence, Kolinsky (1984) avait observé que des enfants prélecteurs réussissaient sans grande difficulté à classer des images en fonction de la longueur du nom de l'objet représenté (« chaussette » est plus long que « pied »). Mais la performance dans les jugements de longueur se dégradait fortement lorsque la taille réelle des objets (la dimension sémantique) n'était pas contrôlée : ainsi beaucoup d'enfants jugeaient que « train » est plus long que « araignée ».

Il est possible, et même probable, qu 'une partie des enfants qui ont des difficultés sévères d'apprentissage de la lecture échouent parce qu'ils ne parviennent pas à développer avec l'efficience nécessaire ces habiletés d'analyse de la parole, et, même s'ils ne sont pas incapables de telles activités, restent par trop sensibles à tous les facteurs distractifs possibles, internes ou externes. Une question importante, pour l'avenir de la recherche dans le domaine des troubles de la lecture, serait de comprendre l'origine de ces difficultés dans la manipulation et l'analyse de la parole.

© Alain Content 1990

Remerciements La préparation de ce texte a bénéficié de crédits accordés par le Ministère belge de la Politique scientifique (Action de Recherche concertée « Processus cognitifs dans la lecture »}, et du Fonds de la Recherche scientifique fondamentale collective d'Initiative ministérielle (Convention « Evaluation des effets des méthodes d'enseignement sur les mécanismes cognitifs de îa lecture et de l'écriture »). Je remercie Jacqueline Leybaert pour de nombreuses discussions qui m'ont aidé à clarifier certaines des questions abordées dans le texte.

Adresse de l'auteur : Alain Content Laboratoire de Psychologie expérimentale av. A. Buyl, 117 B-1050 Bruxelles

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Dyslexies acquises et dyslexies de développement :

réflexions sur des similitudes éventuelles

José Morais et Philippe Mousty Université libre de Bruxelles

DU POINT DE VUE de la théorie du traitement de l'information, le progrès dans la connnaïssance d'une fonction se mesure au degré de résolution avec lequel nous spécifions ses composantes. En d'autres termes, il s'agit de mettre en évidence les processus et représentations intermédiaires mis en jeu par la fonction, ainsi que les relations qui existent entre eux. De ce point de vue, l'étude des troubles de l'habileté de lecture consécutifs à une atteinte cérébrale a sans doute constitué le meilleur apport de la neuropsychologie à la compréhension d'une fonction chez l'individu normal arrivé à maturité. Ce succès a vite mobilisé les chercheurs qui étudiaient les troubles de l'acquisition de la lecture. L'influence a eu lieu à deux niveaux : d'une part au niveau de la méthodologie de recherche, essentiellement par la réorientation vers l'étude de cas, par l'examen des effets de variables linguistiques, et par l'étude rninutieuse des types d'erreurs; et d'autre part au niveau du cadre de référence théorique, par l'acceptation à la fois des modèles décrivant l'état final et de l'idée qu'un trouble de l'acquisition doit concerner les mêmes sous-systèmes qu'un trouble qui survient après l'acquisition.

Les premières tentatives de recherche de similitudes se sont préoccupées essentiellement de trouver la meilleure analogie entre la dyslexie de développement et les différentes formes de dyslexie acquise : dyslexie de surface, dyslexie phonologique, ou encore dyslexie profonde. En simplifiant beaucoup, on peut dire qu'une dyslexie de surface correspond à un trouble qui altère à peu près autant la lecture de non-mots que celle de mots, que la performance est très affectée par l'irrégularité orthographique, et