la vocation de l’arbre d’orjamblique écrivait au début du ive siècle ap.j.-c. le livre de...

143

Upload: others

Post on 03-Mar-2021

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006

LA VOCATION DE LrsquoARBRE DrsquoOR

est de partager ses admirations avec les lecteurs son admiration pour les grands textes nourrissants du passeacute et celle aussi pour lrsquoœuvre de contem-porains majeurs qui seront probablement davantage appreacutecieacutes demain qursquoaujourdrsquohui

Trop drsquoouvrages essentiels agrave la culture de lrsquoacircme ou de lrsquoidentiteacute de cha-cun sont aujourdrsquohui indisponibles dans un marcheacute du livre transformeacute en industrie lourde Et quand par chance ils sont disponibles crsquoest finan-ciegraverement que trop souvent ils deviennent inaccessibles

La belle litteacuterature les outils de deacuteveloppement personnel drsquoidentiteacute et de progregraves on les trouvera donc au catalogue de lrsquoArbre drsquoOr agrave des prix reacutesolument bas pour la qualiteacute offerte

LES DROITS DES AUTEURS

Cet e-book est sous la protection de la loi feacutedeacuterale suisse sur le droit drsquoauteur et les droits voisins (art 2 al 2 tit a LDA) Il est eacutegalement pro-teacutegeacute par les traiteacutes internationaux sur la proprieacuteteacute industrielle

Comme un livre papier le preacutesent fichier et son image de couverture sont sous copyright vous ne devez en aucune faccedilon les modifier les utiliser ou les diffuser sans lrsquoaccord des ayant-droits Obtenir ce fichier autrement que suite agrave un teacuteleacutechargement apregraves paiement sur le site est un deacutelit Trans-mettre ce fichier encodeacute sur un autre ordinateur que celui avec lequel il a eacuteteacute payeacute et teacuteleacutechargeacute peut occasionner des dommages informatiques suscepti-bles drsquoengager votre responsabiliteacute civile

Ne diffusez pas votre copie mais au contraire quand un titre vous a plu encouragez-en lrsquoachat Vous contribuerez agrave ce que les auteurs vous reacuteservent agrave lrsquoavenir le meilleur de leur production parce qursquoils auront confiance en vous

copy Arbre drsquoOr Genegraveve juin 2007httpwwwarbredorcom

Tous droits reacuteserveacutes pour tous pays

Alexandre Moret

LES MYSTEgraveRES EacuteGYPTIENS

I

Mystegraveres eacutegyptIens

A cocircteacute des rites ougrave se formulait lrsquoadoration quotidienne des dieux les temples drsquoEacutegypte connaissaient des ceacutereacutemonies drsquoun caractegravere plus speacutecial drsquoune signifi-cation reacuteserveacutee agrave une eacutelite de precirctres et de spectateurs ceacuteleacutebreacutees dans des eacutedifices isoleacutes agrave des dates deacutetermineacutees ou agrave drsquoautres heures que celles du culte reacutegulier Les Grecs appelaient ces ceacutereacutemonies des laquo Mystegraveres raquo en langue eacutegyptienne le mot qui les deacutefinit le mieux semble ecirctre aihou qui a le sens vague de laquo cho-ses sacreacutees glorieuses profitables raquo Quand on accomplissait pour le compte drsquoun dieu ou drsquoun homme les rites capables de le transfigurer en ecirctre sacreacute laquo iahou raquo on laquo faisait les choses sacreacutees raquo siahou drsquoougrave la ceacuteleacutebration de ce que jrsquoappellerai apregraves les Grecs les laquo Mystegraveres eacutegyptiens raquo

Comment se repreacutesenter ces Mystegraveres Ce sont des rites ougrave srsquoassocient des paroles et des gestes des choses dites et mimeacutees dont lrsquoaction se complegravete reacuteci-proquement Jamblique qui a disserteacute sur les Mystegraveres des Eacutegyptiens nous dit 2 laquo Des choses qui srsquoaccomplissent pour le culte certaines ont une signification mysteacuterieuse et impossible agrave rendre par les paroles drsquoautres repreacutesentent (par al-leacutegorie) quelque autre image de mecircme que la nature exprime les formes visibles des raisons cacheacutees raquo Ainsi les Mystegraveres comportent des actes symboliques dont le sens est plus profond lrsquoaction plus efficace que les priegraveres reacuteciteacutees ou les dog-mes formuleacutes laquo La connaissance ou lrsquointelligence du divin ne suffit pas pour unir agrave Dieu les fidegraveles sans quoi les philosophes par leurs speacuteculations reacutealiseraient lrsquounion avec les dieuxhellip Crsquoest lrsquoexeacutecution parfaite et supeacuterieure agrave lrsquointelligence drsquoactes ineffables crsquoest la force inexplicable des symboles qui donnera lrsquointelli-gence des choses divines raquo

Autrement dit certains actes mimeacutes certaines alleacutegories ou images symboli-ques agiront par la vertu de la magie sympathique plus efficacement que toute priegravere ou seront plus utiles agrave connaicirctre que tout dogme

Crsquoest la formule funeacuteraire des stegraveles de la VIe dynastie laquo qursquoil soit consacreacute par lrsquoofficiant et lrsquoOut raquo2 I Jamblique eacutecrivait au deacutebut du ive siegravecle ap J-C Le livre de Jamblique sur les mystegraveres a eacuteteacute reacuteeacutediteacute aux eacuteditions arbredorcom en 2006 Jamblique De Mysteriis I

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Il nrsquoest pas douteux qursquoen Eacutegypte agrave lrsquoeacutepoque pharaonique de telles ceacutereacutemo-nies agrave sens symbolique aient eacuteteacute en usage Heacuterodote nous affirme qursquoil en fut spectateur

laquo A saiumls se trouve le tombeau de celui que je me fais scrupule de nommerhellip Sur le lac (du temple) les Eacutegyptiens font de nuit la repreacutesentation des souf-frances subies par Lui (τά δείκηλα τῶν παθέων αὐτοῦ) ils les appellent des Mystegravereshellip τὰ καλεῦσι μυστήρια Sur ces Mystegraveres qui tous sans exception me sont connus que ma bouche garde un religieux silencehellip raquo mdash Par conseacute-quent les mystegraveres connus drsquoHeacuterodote sont bien des rites joueacutes et mimeacutes dont la signification est symbolique et ne peut ecirctre reacuteveacuteleacutee en paroles qursquoagrave des initieacutes Nrsquoemployons-nous pas dans le mecircme sens le mot mystegravere pour deacutesigner soit laquo les drames mystiques raquo joueacutes dans les eacuteglises au moyen acircge soit les dogmes qui deacutepassent notre intelligence

Plutarque agrave son tour nous informe que des Mystegraveres ont eacuteteacute inventeacutes par Isis en lrsquohonneur drsquoOsiris

laquo Isishellip ne voulut pas que les combats et les traverses qursquoelle avait essuyeacutes que tant de traits de sa sagesse et de son courage fussent ensevelis dans lrsquooubli et le silence Elle institua donc des Mystegraveres (τελετοί) tregraves saints qui devaient ecirctre des images des repreacutesentations et des scegravenes mimeacutees des souffrances drsquoalors (εἰκὀνας καὶ ὑπονοίας καὶ μιμημὰ τῶν τότε παθημάτων) pour servir de leccedilon de pieacuteteacute et de consolation pour les hommes et les femmes qui passeraient par les mecircmes eacutepreuves raquo

Ainsi drsquoapregraves Heacuterodote et Plutarque les plus importants des Mystegraveres eacutegyp-tiens se rapportent au culte drsquoOsiris

En effet aux dates critiques de la leacutegende osirienne la mort lrsquoensevelisse-ment la reacutesurrection du dieu de grandes fecirctes dramatiques eacutetaient ceacuteleacutebreacutees El-les neacutecessitaient de nombreux figurants et une mise en scegravene importante on les jouait partie en plein air devant le grand public partie agrave lrsquointeacuterieur des temples et parfois dans des eacutedifices speacuteciaux les laquo chapelles drsquoOsiris raquo

Nous allons donner des exemples de ces deux cateacutegories de Mystegraveres les uns joueacutes en public les autres vraiment secrets

Aucun monument ne nous a encore apporteacute la repreacutesentation directe la mise

II 70 Cf Sourdille Heacuterodote et la religion de lrsquoeacutegypte p 28 Lrsquoauteur croit agrave tort que ce que Heacuterodote appelle laquo Mystegraveres raquo est une importation des Grecs en Eacutegypte (p ) De iside et Osiride 27 Reacuteeacuted arbredorcom 2002

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

en scegravene de la mort drsquoOsiris cependant celle-ci nous est figureacutee agrave lrsquoeacutetat alleacutego-rique dans une fecircte de la veacutegeacutetation ou fecircte de la gerbe qursquoon ceacuteleacutebrait le er Pachons 6

Figure Fecircte de la gerbe Ramsegraves III tranche la gerbe et sacrifie le taureau blanc

Le roi mimait la mort drsquoOsiris dieu de la veacutegeacutetation 7 en coupant de sa fau-cille une gerbe et en immolant un taureau blanc consacreacute agrave Min dieu de lrsquoeacutener-gie feacutecondante Ce taureau divin est une des formes drsquoOsiris 8 sa mort et le deacutemembrement des eacutepis se rattachent eacutevidemment aux rites agraires en usage chez bien des peuples

Apregraves la moisson exactement le 22 Thot se jouait un autre Mystegravere celui de lrsquoensevelissement drsquoOsiris Nous le connaissons par une inscription de la XIIe dy-nastie la stegravele du precirctre Igernefert 0 Au temps du roi Senousrit III Igernefert

6 La fecircte est figureacutee au Ramesseum (Ramsegraves II) et agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) Cf Wilk-inson Manners and Customs III2 pl LX Daressy notice de Meacutedinet-Habou p 2 et suiv Lefeacutebure sphinx VIII p Pour le nom de la Fecircte cf pyr de teli I 287 Sur cette interpreacutetation cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 2 sq8 Osiris est la laquo grande victime raquo le taureau du sacrifice Pour le bleacute cf Lacau Textes religieux ap Recueil XXXI p 20 sur un sarcophage du Moyen Empire un deacutefunt dit laquo Je suis Osi-rishellip je suis Neper (le dieu du bleacute) coupeacute raquo Voir les textes reacuteunis par J Frazer Le rameau drsquoor II que je cite au chapitre rois de Carnaval0 Stegravele ndeg 20 de Berlin cf H Schaeligfer Die Osirismysterien in Abydos 0 Les textes si-milaires y sont citeacutes

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

reccedilut lrsquoordre de preacuteparer la fecircte drsquoOsiris dans le temple drsquoAbydos la ville sainte du dieu des morts On appelait ce Mystegravere la fecircte de la pert acircat laquo grande sortie raquo ou laquo grande procession funegravebre raquo il eacutetait joueacute par la famille mecircme du dieu Isis Nephthys Thot Anubis et Horus Igernefert assume le tocircle principal ce-lui drsquoHorus fils drsquoOsiris il preacutepare lui-mecircme les accessoires augustes parmi lesquels se remarquait une barque portative avec cabine en bois de sycomore et drsquoacacia incrusteacute drsquoor drsquoargent et de lapis-lazuli A lrsquointeacuterieur on installe une statue drsquoOsiris en bois Igernefert srsquoacquitte en personne du soin drsquoorner le corps drsquoOrisis drsquoamulettes en lapis-lazuli malachite eacutelectrum puis il habille lui-mecircme le dieu et le revecirct de ses couronnes et de ses sceptres en ses fonctions de laquo chef du Mystegravere raquo herj seshta 2 il se charge en outre des rocircles de laquo sacrificateur raquo et de laquo servant raquo

Quant agrave la ceacutereacutemonie elle-mecircme voici comment lrsquoinscription la deacutecrit Une procession se forme car le meurtre drsquoOsiris est censeacute accompli et son

corps rejeteacute sur la rive du fleuve On porte donc la barque vers le lieu de nadit ougrave gicirct le corps drsquoOsiris (que cette localiteacute fucirct ou non dans le voisinage drsquoAby-dos elle est supposeacutee lrsquoecirctre pour lrsquoaction dramatique ) Anubis en sa qualiteacute de chien cherche le cadavre et le trouve mais quand il srsquoagit de mettre dans la barque le corps du dieu une bataille srsquoengage entre les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth les Osiriens sont vainqueurs et eacutecrasent leurs adversaires

Le cortegravege funegravebre se forme autour du cadavre divin processionnellement on suit Osiris vers la barque preacutepareacutee et ameneacutee par Igernefert On met agrave lrsquoeau la barque et Thot la dirige vers le tombeau du dieu agrave repeqer

Pendant ce temps Horus continue la lutte contre les ennemis drsquoOsiris sur la rive de Nadit apregraves un combat acharneacute il reste vainqueur

A Repeqer mecircme Horus confirme le triomphe drsquoOsiris Une statue habilleacutee et pareacutee remplace lrsquoimage cadaveacuterique du dieu Triomphalement dans lrsquoalleacutegres-

Le grand deuil μέγα πένθος (deacutecret de Canope I 7)2 Drsquoapregraves le rituel de lrsquoembaumement (Maspero papyrus du Louvre p ) lors des veacuteritables funeacuterailles drsquoOsiris crsquoest Anubis qui aurait rempli ce rocircle de laquo chef du Mystegravere raquo Anpou herj seshta Schaeligfer p 6-8 En reacutealiteacute nadit semble ecirctre une localiteacute de la Basse-Eacutegypte Du moins un texte dateacute de Sabacon mais reacutedigeacute au moins sous la XVIIIe dynastie (J Breasted Aegyptische Zeitschrift XXXIX p ) affirme que crsquoest en Basse-Eacutegypte que le corps drsquoOsiris a eacuteteacute immergeacute dans le Nil laquo Jrsquoai organiseacute la sortie drsquoOupouatou quand il alla pour venger son pegravere jrsquoai combattu les adversaires de la barque neshemt et jrsquoai renverseacute les ennemis drsquoOsiris raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se de tous les habitants de lrsquoEst et de lrsquoOuest la barque revient agrave Abydos le dieu rentre dans son temple et srsquoinstalle sur son trocircne au milieu de sa cour divine

La repreacutesentation de la Passion et de la Mort drsquoOsiris srsquoaccompagnait certai-nement de la Reacutesurrection du dieu Or dans la grande Procession et la fecircte de la Moisson nous ne voyons pas figureacutes les rites qui provoquent cette reacutesurrection drsquoOsiris crsquoest pourtant le nœud du drame sacreacute Sans doute cet acte reacuteputeacute secret se jouait-il hors de la vue du public aussi nrsquoest-il pas reacuteveacuteleacute par les ins-criptions et les tableaux On peut supposer que la curiositeacute du peuple se tenait satisfaite du deacutenouement du drame puisqursquoOsiris est rameneacute triomphant dans son temple crsquoest qursquoeacutevidemment il a vaincu Seth il srsquoest releveacute de la mort A Meacute-dinet-Hahou on proclame lrsquoavegravenement au trocircne drsquoHorus fils drsquoIsis et drsquoOsiris crsquoest dire qursquoOsiris est ressusciteacute sous la forme de son fils 6 De mecircme Osiris ne mourait pas avec le bleacute moissonneacute le vieux dieu de la veacutegeacutetation allait renaicirctre au printemps avec le bleacute nouveau 7

Toutefois agrave certaines dates le grand public assistait au triomphe drsquoOsiris que symbolisaient des ceacutereacutemonies moins secregravetes telles que lrsquoeacuterection du Ded et la fecircte sed drsquoOsiris

La premiegravere est repreacutesenteacutee dans un tombeau theacutebain datant du regravegne drsquoAmeacute-nophis III (XVIIIe dynastie) Le dieu de Busiris a souvent comme feacutetiche un pilier agrave quadruple chapiteau celui-ci repreacutesente probablement quatre colonnes vues lrsquoune derniegravere lrsquoautre selon les regravegles de la perspective eacutegyptienne ou peut-ecirctre un tronc drsquoarbre eacutebrancheacute devenu par stylisation Ce pilier est parfois surmonteacute drsquoun chef couronneacute muni drsquoyeux et de bras qui tiennent les sceptres canoniques (fig 2)

6 A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 07 Voir plus loin rois de Carnaval p 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Seti Ier redresse lrsquoOsiris-ded et lrsquohabille

Coucheacute agrave terre il signifiait qursquoOsiris gisait mort releveacute et redresseacute il sym-bolisait la reacutesurrection du dieu Aussi agrave la fecircte de redresser le Ded (sacirchacirc Ded) voyons-nous le roi lui-mecircme tirer sur les cacircbles qui permettent de relever le feacutetiche en preacutesence de la reine des officiers royaux et de la cour Les leacutegendes attestent que ce pilier nrsquoest autre que le dieu mort sokaris-Osiris dont on avait repreacutesenteacute les jours preacuteceacutedents les funeacuterailles

Au-dessous des precirctres et du roi les habitants de pe et de Dep dansent ges-ticulent luttent et eacutechangent des coups de poing crsquoest la population de Bouto lrsquoancien royaume drsquoOsiris 8 Rappelons-nous les luttes que deacutecrit Heacuterodote laquo A Busiris lors de la fecircte drsquoIsis on voit se frapper apregraves le sacrifice tous les hommes ainsi que toutes les femmes en nombre prodigieux raquo

Nous voilagrave donc en preacutesence de jeux sceacuteniques illustrant un Mystegravere Les lut-teurs sont les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth ils en viennent aux mains pour soutenir chacun leur dieu Quelques textes conserveacutes deacutefinissent les gestes des personnages Lrsquoun crie laquo jrsquoai saisi Horus raquo un autre laquo que la main tienne ferme raquo un autre laquo frappe raquo Enfin quatre troupeaux de bœufs et drsquoacircnes faisaient quatre fois le tour du mur de la ville que figuraient-ils sinon les animaux drsquoOsiris et de Seth qui srsquoopposent Peut-ecirctre la fecircte se terminait-elle par la mise agrave mort des acircnes qui est rituelle dans des fecirctes analogues Ainsi une ville entiegravere se mobilise et srsquoagite becirctes et gens pour la reacutealisation drsquoune scegravene du mythe osirien 20

8 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 II 6 cf II 220 Brugsch Thesaurus inscriptionum aegyptiacarum p 0-8 mdash Ad Erman La religion

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Fecircte de lrsquoeacuterection du Ded au matin de la fecircte Sed

Le triomphe drsquoOsiris se proclamait encore publiquement agrave la fecircte Sed ougrave lrsquoon installait dans un naos agrave deux siegraveges une double effigie drsquoOsiris en costume de roi de la Haute et de la Basse-Eacutegypte Par devant le dieu flottait sur un piquet une peau drsquoanimal typhonien sacrifieacute

Crsquoest la neacutebride ou peau qui sert drsquoenveloppe out 2 au dieu Anubis qursquoon appelle agrave cause de cela im-out laquo celui qui est dans Out raquo Anubis srsquoaffuble de cette

eacutegyptienne p 7 mdash A Moret sarcophages de lrsquoeacutepoque bubastite agrave lrsquoeacutepoque saiumlte pl IV (Caire 00 bis)2 Le sens originel de out drsquoapregraves la neacutebride doit ecirctre laquo peau raquo et peut-ecirctre laquo vulve raquo (Parthey Vocabularium coptico-latinum s V p 2) aussi est-il deacutetermineacute parfois par lrsquoœuf Par ex-tension out deacutesigne lrsquoappareil de lrsquoensevelissement les bandelettes drsquoune momie (cf Brugsch W s p 2 et suiv sinouhit I 2 Maspero Contes populaires e eacuted p ) Le precirctre drsquoAnubis qui joue les rites de la peau drsquoAnubis pour le compte des deacutefunts ou du dieu en laquo habille raquo les deacutefunts il srsquoappelle lui-mecircme out lrsquoout drsquoAnubis (pyr de teacuteti I 6) Cf Lacau textes religieux (ap recueil XXX p 70) laquo Horus te purifie Out trsquohabille raquo variante laquo Anubis trsquoa consacreacute avec sa peau out raquo Lrsquoout apparaicirct degraves lrsquoeacutepoque preacutehistorique cf Petrie royal tombs II pl 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

peau pour les rites que jrsquoexpliquerai plus tard Lui et un precirctre revecirctu la de peau de panthegravere lrsquoiounmoutef font exeacutecuter au dieu triomphant divers rites que les rois drsquoEacutegypte imitaient lors de jubileacutes appeleacutes fecirctes de la queue (Sed) il en sera aussi question plus loin Enfin lrsquoeacuterection de deux obeacutelisques attestait par un symbolisme comparable agrave celui de lrsquoeacuteleacutevation du Ded redresseacute la stabiliteacute du dieu vainqueur 22 Cette fecircte tregraves solennelle commeacutemorait devant le peuple en-tier le triomphe de lrsquoEcirctre Bon

Figure La neacutebride devant Osiris

Au cours de ces drames mimeacutes avec le concours du populaire srsquointercalaient certaines ceacutereacutemonies laquo secregravetes raquo que tout Mystegravere comprend par deacutefinition Tout ce qui se ceacuteleacutebrait agrave ciel ouvert et en public nrsquoeacutetait qursquoun moyen de popu-lariser les peacuteripeacuteties de la vie drsquoOsiris sa mort sa passion son triomphe Quant aux rites qui assuraient infailliblement la reacutesurrection du dieu on ne les ceacuteleacutebrait qursquoagrave lrsquointeacuterieur du sanctuaire dans des locaux fort reacuteduits par les soins de precirc-tres speacuteciaux et de quelques laiumlques initieacutes et instruits des choses divines Qursquoil y ait eu dans le culte une partie laquo secregravete raquo et laquo reacuteserveacutee aux initieacutes raquo cela nrsquoest point douteux 2 Degraves les temps de lrsquoAncien Empire on nous parle des laquo rites

22 La fecircte sed drsquoOsiris est souvent repreacutesenteacutee sur les cercueils agrave partir du Nouvel Empire Cf les tableaux reproduits par G Moumlller (Aegyptische Zeitschrift XXXIX pl IV et V A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 27 et Chassinat sarcophages de Deir-el-Bahari I pl V2 Ceci explique la division en deux parties des temples degraves les temps les plus anciens Cf le dernier chapitre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sacreacutes ceacuteleacutebreacutes conformeacutement agrave ce livre secret de lrsquoart de lrsquoofficiant 2 raquo ceux qui le connaissaient se disaient laquo chefs du secret ou du Mystegravere raquo herj seshta agrave lrsquoexemple du dieu Anubis inventeur des rites de la momification et de la reacutesur-rection qui eacutetait par excellence le laquo chef du Mystegravere 2 raquo Chaque dieu chaque culte avait son laquo Mystegravere raquo et les precirctres qui leur eacutetaient affecteacutes posseacutedaient seuls ce laquo Mystegravere du dieu raquo ou ce laquo Mystegravere des paroles divines raquo En particulier les Mystegraveres des funeacuterailles srsquoappelaient laquo les choses drsquoAbydos 26 raquo La tradition est si bien eacutetablie agrave ce sujet que Jamblique au livre des Mystegraveres (VI et 7) rappelle en termes analogues laquo les choses secregravetes drsquoAbydos raquo τὰ ἀπόρρητα τὰ κρύπτὰ

ἐν Άϐύδῳ

Les monuments nous montrent que des rites secrets rappelaient chaque jour les peacuteripeacuteties de la passion et de la reacutesurrection drsquoOsiris

Dans les grands temples ptoleacutemaiumlques qui sont parvenus jusqursquoagrave nous intacts ou peu srsquoen faut agrave Edfou Dendeacuterah et Philaelig on a retrouveacute les salles affecteacutees agrave la ceacuteleacutebration des Mystegraveres journaliers Elles sont releacutegueacutees dans les parties du sanctuaire dont lrsquoaccegraves est difficile ou interdit au public A Philaelig il existe un petit temple drsquoOsiris composeacute de deux chambres sur le toit en terrasse de lrsquoeacutedifice mais les rites journaliers sont deacutecrits par des tableaux graveacutes sur les faces des architraves du pronaos 27 A Dendeacuterah deux petits eacutedifices ont eacuteteacute consa-creacutes sur la terrasse du temple aux Mystegraveres drsquoOsiris lrsquoun drsquoeux que Manette appelle la chapelle drsquoOsiris du Sud est reacuteserveacute au culte journalier A Edfou deux chambres voisines du sanctuaire sont deacutedieacutees agrave Osiris-Sokaris Edfou a surtout conserveacute les textes des formules reacuteciteacutees mais Philaelig et Dendeacuterah srsquoils nous donnent moins de textes nous ont gardeacute des bas-reliefs ougrave sont figureacutes les personnages en scegravene et leurs gestes

2 J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl XXII (VIe dynastie) Mecircmes expressions ap Mariette Mastabas p Lepsius Denkm II 72 Mastabas p 7 Au rituel de lrsquoembaume-ment on cite les laquo livres secrets des rites raquo (Maspero papyrus du Louvre p 8 Virey religion p 278)2 Voir plus haut p n Le titre laquo chef du Mystegravere raquo nrsquoest drsquoailleurs pas speacutecialiseacute aux choses divines Tout office ou meacutetier pouvait ecirctre en Eacutegypte quelque peu secret en dehors des gens de meacutetier de mecircme que dans notre moyen acircge lrsquoart et mystegravere de tel ou tel meacutetier comportait des secrets bien gardeacutes Mais cette geacuteneacuteralisation du sens du titre herj seshta nrsquoimplique pas qursquoil ne puisse deacutesigner parfois les officiants preacuteposeacutes aux rites secrets26 VI et 7 Lrsquoexpression apparaicirct au tombeau de Neherj agrave Beacuteni-Hasan (Lepsius Denkm II 27) Le deacutefunt est repreacutesenteacute laquo naviguant pour connaicirctre ce qui concerne Abydos raquo crsquoest-agrave-dire les rites drsquoAbydos (hent r reh hert ibdou)27 Beacuteneacutedire philaelig IIe fasc p 7-2 et pl LI-LVIII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Le deacutecor comporte une statue drsquoOsiris enveloppeacute du maillot funeacuteraire un lit sur lequel la momie divine est eacutetendue diffeacuterents accessoires tels que couronnes sceptres armes des vases pleins drsquoeau beacutenite pour les libations des cassolettes drsquoencens et de myrrhe pour les fumigations 28

Le personnel se compose de precirctres qui jouent les rocircles de la famille osirienne Sont preacutesents Shou Geb le pegravere et lrsquoaiumleul drsquoOsiris Horus son fils Anubis Thot ses fregraveres ou parents et les enfants drsquoHorus les deacuteesses Isis et Nephthys femme et sœur drsquoOsiris et drsquoautres deacuteesses qui remplissent le rocircle de pleureuses A cocircteacute de ces precirctres acteurs il y avait les precirctres reacutecitants qui disaient les for-mules ce sont lrsquoofficiant qui reacutecite les textes le servant qui exeacutecute les rites tels que libations fumigations et qui manie les instruments magiques le prophegravete qui participe aux libations le grand voyant admis agrave voir le dieu

Les textes insistent sur le fait qursquoil y a une garde une faction monteacutee pendant les 2 heures du jour et les 2 heures de la nuit par les diviniteacutes eacutenumeacutereacutees laquo Elles veillent sur lui tout le jour elles gardent son corps constamment elles veillent sur lui lorsque la nuit vient et gardent ses membres jusqursquoau matin raquo Elles se chargent aussi laquo drsquoeacutecarter les ennemis de la couche funegravebre raquo Pour cela les diffeacuterents dieux laquo ont partageacute le jour et la nuit en heures 2 raquo et lrsquoun drsquoentre eux laquo prend la garde raquo chaque heure du jour et de la nuit Pendant que le dieu de service surveille lrsquoentreacutee possible des adversaires les autres exeacutecutent divers rites qursquoil nous faut maintenant exposer

Le drame comprend vingt-quatre scegravenes qui se succegravedent chaque heure de la nuit et du jour il commence agrave la premiegravere heure de la nuit (6 h du soir) et se termine agrave la derniegravere heure du jour suivant ( agrave 6 h du soir 0) De la premiegravere

28 Les deux chapelles drsquoOsiris agrave Dendeacuterah sont deacutecoreacutees de reliefs qui figurent ces divers acces-soires et statuettes (Cf Mariette Dendeacuterah t IV Budge Osiris II p 2 sq)2 II Junker Die studenwachen in den Osirismyrerien (Akad der Wiss Wien philos-hist Klas-se B LIV 0) p 2 et 0 M Junker dans sa remarquable publication des textes de Philaelig Edfou Dendeacuterah donne drsquoabord les 2 heures du jour suivies des 2 heures de la nuit Il nrsquoa pas remarqueacute que lrsquoordre des ceacutereacutemonies srsquooppose agrave ce classement Les rituels des Pyramides et ceux de lrsquooup-ra commen-cent par les libations et fumigations puis viennent le sacrifice des victimes la reacutesurrection du dieu les hymnes drsquoadoration et agrave la lin la fermeture des portes Crsquoest bien lrsquoordre observeacute ici agrave condition de commencer non par les heures du jour mais par celles de la nuit On sait drsquoailleurs que chez les Eacutegyptiens on compte les 2 heures drsquoune journeacutee complegravete agrave partir du soir agrave 6 heures (cf Ed Mahler eacutetudes sur le Calendrier eacutegyptien ap Museacutee Guimet Bibliothegraveque drsquoeacutetudes t XXIV p 7) Jrsquoobserverai donc pour ce reacutesumeacute des rites osiriens un ordre qui est lrsquoinverse de celui suivi par M Junker

Les Mystegraveres eacutegyptiens

heure agrave la derniegravere il y a progression dans le rite qui aboutit par eacutetapes agrave la reacute-surrection du dieu Cependant cette progression est peu sensible pour la raison suivante chaque heure est traiteacutee sceacuteniquement comme un petit drame com-plet ougrave le dieu passe successivement de la mort agrave la reacutesurrection Au deacutebut de chaque heure le dieu de garde entre avec ses comparses ils font agrave Osiris tel ou tel rite libation fumigation preacutesentation drsquooffrandes Vers le milieu de lrsquoheure on crie laquo Legraveve-toi reacuteveille-toi Osiris tu es triomphant Osiris tes ennemis sont renverseacutes raquo Malgreacute la proclamation de ce triomphe Isis nrsquoen reprend pas moins ses lamentations sur la mort de son eacutepoux et ses promesses de reacutesurrection Il semble que pour chaque heure il y ait un point de deacutepart qui est la mort du dieu un moment de triomphe sa reacutesurrection et un deacuteclin progressif qui ramegravene le dieu agrave sa deacutetresse premiegravere Puis les rites et les formules de lrsquoheure suivante tirent agrave nouveau Osiris de sa deacutetresse pour lrsquoy plonger derechef agrave la fin de la scegravene

Pour donner une ideacutee drsquoensemble de ce Mystegravere osirien il faut grouper les actes et les paroles Voici alors quelle description scheacutematique je pourrais preacute-senter

Les lamentations des pleureuses Isis et Nephthys deacutefinissent tout drsquoabord non sans eacuteloquence la deacutetresse du dieu laquo O Osiris je suis ta sœur Isis jrsquoai parcouru pour toi les chemins de lrsquohorizon je parcours la route du (soleil) Brillant hellip Jrsquoai traverseacute les mers jusqursquoaux frontiegraveres de la terre cherchant le lieu ougrave eacutetait mon seigneur 2 jrsquoai parcouru nadit dans la nuit jrsquoai chercheacutehellip celui qui est dans lrsquoeauhellip dans cette nuit de la grande deacutetresse Jrsquoai trouveacute le noyeacute de la terre de la premiegravere fois (sur cette rive de Nadit)hellip (var) sur cette rive nord drsquoAbydos Jrsquoai crieacute jusqursquoau ciel et jusqursquoaux habitants de lrsquoHadegraveshellip Mes doigts ont habilleacute (son corps) nu jrsquoai embrasseacute ses membres hellip Jrsquoai donneacute des souffles agrave sa narine pour qursquoil vive et que son gosier srsquoouvre en ce lieu sur la rive de Nadit en cette nuit du grand Mystegravere (seshta our )

laquo Je viens pour te pleurer ocirc grand dieu je pleure et je crie sur les hauteurs de Nadit Busiris se lamente 6 je trsquoamegravene tous les cœurs dans le deuil et lrsquoon te fait les grands rites (siaḫou ourou 7)

2e heure du jour2 2e heure de la nuit re heure du jour Chercheacute trouveacute mots sacramentels qui deacutesignent les phases de la quecircte du corps divin Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 87 2e heure de la nuit re heure du jour6 2e heure du jour7 2e heure de la nuit

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo O vous dieux pegraveres deacuteesses megraveres lamentez-vous de ce que vous voyez lamentez-vous de ce que vous entendez il vient celui qui vient dans la nuit il vient mon seigneur dans la nuit Geb lui amegravene les dieux ils le portent comme leur seigneur vers une place pure du ciel Allons pleurons-le lamentons-nous pleurons-le car il est abandonneacute Je viens et je me lamente dans mon cœur je pleure mes larmes moi ta sœur au cœur meurtri ta femme malade de dou-leurhellip8 raquo

Ces lamentations que nous connaissons aussi sous une forme plus litteacuteraire et plus complegravete par un papyrus conserveacute au museacutee de Berlin eacutetaient exeacutecuteacutees par des femmes agenouilleacutees sachant pleurer et deacutenouer leurs chevelures comme nrsquoont pas leurs pareilles les pleureuses drsquoOrient

Ainsi que le promettaient les Lamentations des dieux peacutenegravetrent dans le laquo lieu pur raquo (ouacircbt) ougrave gicirct Osiris mort ceux dont le rocircle est le plus actif sont Horus le fils du dieu deacutefunt Anubis son fregravere ou son parent Thot son allieacute Ils sont por-teurs drsquoinstruments magiques tels que cette baguette en forme de serpent qursquoon appelle laquo la grande magicienne raquo et lrsquoherminette drsquoAnubis Ils apportent aussi des vases pleins drsquoeau fraicircche de lrsquoencens et sept sortes de fards et drsquohuiles pour des onctions Les rites commencent parles libations et les fumigations

A six heures du soir on apporte un vase drsquoeau fraicircche Cette eau vient du Nil or le Nil est un eacutecoulement de lrsquooceacutean primordial le noun ougrave gisaient avant la creacuteation les germes de toutes choses et de tous les ecirctres 0 Le reacutecitant qui ap-porte le vase dit emphatiquement laquo Voici votre essence ocirc dieux le noun qui vous fait vivre en son nom de Vivanthellip Cette eau trsquoenfante comme racirc chaque jour elle te fait devenir comme Chepra 2 raquo En effet Racirc ou Chepra eacutetait sorti le pre-mier des dieux du noun au deacutebut du monde par la force de la libation Osiris renaicirct donc du noun primordial comme naquit Racirc au jour de la creacuteation

Degraves lors Osiris ne reste plus sur terre laquo il passe (au ciel) avec son Ka raquo com-me font les autres dieux Et lrsquoassistance srsquoexclame laquo Oh combien purs combien beaux sont ces rites mysteacuterieux drsquoOsiris Ounnefer raquo On brucircle alors lrsquoencens

8 6e heure de la nuit Voir dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 le texte du vocero drsquolsis drsquoapregraves le papyrus de Berlin0 re de la nuit p 66-67 Cf Au temps des pharaons p 28 et plus loin p 02 P 67-68 Le mort osirien renaicirct du noun (pyr drsquoOunas I 200) P 6 P 7

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo le parfum qui divinise raquo et lrsquoofficiant et la grande pleureuse alternent en paroles solennelles

Lrsquoofficiant laquo Le ciel se reacuteunit agrave la terre raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Lrsquoofficiant laquo Le dieu vient Rendez hommage raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Et ils frappent leurs tambourinsLrsquoofficiant et la pleureuse ensemble laquo La terre et le ciel sont en joie et se reacutejouis-

sent raquolaquo Notre seigneur est dans sa maison et il nrsquoa plus de crainte raquo ( fois)La deuxiegraveme libation apporteacutee agrave la 2 heure de la nuit est lrsquoeau fraicircche laquo qui

vient de ce pays raquo (et non du Noun) laquo elle suscite toutes les choses que donne ce pays 6 raquo et Osiris gracircce agrave elle laquo vivra de toutes les choses qursquoil peut aimer 7 raquo

La troisiegraveme libation a pour effet que laquo le dieu passe vers son pays dans ce lieu ougrave il a eacuteteacute enfanteacute et ougrave il est neacute de Racirc et ougrave chacun des dieux passe sa vieillesse avec ses enfants ainsi vont-ils au pays ougrave ils sont neacutes cette terre primordiale ougrave ils sont neacutes de Racirc ougrave ils vivaient eacutetant petits ougrave ils sont devenus adolescents crsquoest lagrave que tu es neacute que tu as grandi que tu deviendras vieux sain et sauf Prends cette eau qui vient de ce pays 8 raquo

La quatriegraveme libation est lrsquoeau fraicircche sortie drsquoEleacutephantine qui rafraicircchit et met en joie le cœur des dieux

Les autres libations et fumigations qui occupent les heures suivantes ne font que confirmer les reacutesultats deacutejagrave obtenus

Ces premiers rites accomplis les dieux exeacutecutent sur le corps drsquoOsiris une seacuterie de miracles qui se reacutepartissent sur les diffeacuterentes heures de la nuit et du jour

Mystegravere de la reconstitution du corps Osiris avait eacuteteacute deacutemembreacute par Seth Mais Isis et Nephthys ont retrouveacute chacun des lambeaux divins laquo elles mettent en ordre le squelette elles purifient les chairs reacuteunissent les membres seacutepareacutes 0 raquo puis la tecircte du dieu est assujettie sur le corps Les bras drsquoIsis et drsquoHorus entou-

P 7-726 P 77 P 808 P 87 P 0 e heure de la nuit p 8 2e heure du jour p 8-

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rent alors le cadavre reconstitueacute et le raniment par des passes magneacutetiques qui rappellent lrsquoacircme

Mystegravere du corps revivifieacute Avec lrsquoeau sainte qui donne la vie et la force et les nombreux fards et huiles preacutesenteacutes pendant les douze heures du jour on fait des onctions sur la bouche les yeux les oreilles et les diffeacuterents membres du corps reconstitueacute 2 Drsquoautre part la laquo grande magicienne raquo touche les mecircmes organes Ainsi la bouche les yeux les oreilles peuvent respirer parler et manger voir entendre les bras peuvent agir et les jambes marcher Crsquoest un miracle ducirc agrave la magie qui en imitant les mouvements propres agrave chaque membre ou agrave chaque organe a susciteacute le reacuteveil des fonctions dans chacun drsquoeux

Ces rites qui preacuteparent la renaissance du cadavre osirien nrsquoempecircchent point lrsquoemploi de pratiques ou de formules qui preacutevoient la renaissance par drsquoautres moyens

Mystegravere de la renaissance veacutegeacutetale A la e heure du jour on suppose que le corps rassembleacute momifieacute drsquoOsiris est enterreacute agrave Busiris Crsquoest ce qursquoon appelle laquo se reacuteunir agrave la terre agrave Busiris raquo Dans la terre se passait le mystegravere de la renais-sance veacutegeacutetale crsquoest-agrave-dire de la reacutesurrection drsquoOsiris compareacutee agrave la renaissance annuelle de la veacutegeacutetation Sur ces rites le culte journalier ne donne point de deacutetails mais nous les trouvons deacutecrits agrave Dendeacuterah dans le reacutecit des grandes fecirctes de Choiak 6

Mystegravere de la renaissance animale Dans cette mecircme e heure du jour on an-nonce agrave Osiris un autre mode de renaissance des victimes vont ecirctre ameneacutees et sacrifieacutees agrave la porte de lrsquoouacircbt (e et 6e heures du jour) Leur peau qui suivant les textes est la peau de Seth lrsquoadversaire 7 va servir de linceul pour envelopper Osiris crsquoest un laquo berceau raquo de peau (meshent 8) ougrave le dieu renaicirctra comme un enfant ou un animal laquo Salut agrave toi dit Isis Voici ta meshent la maison ougrave le ka divin renouvelle la vie raquo La peau assez souvent est celle drsquoune vache (le cette faccedilon on eacutevoque nout deacuteesse-vache du ciel megravere drsquoOsiris qui enfantera le

e heure de la nuit p 208 2e heure du jour p 2 e heure de la nuit p 0 2e heure du jour p 0 re heure du jour p Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 6 e heure du jour p 6 Traduit par V Loret recueil de travaux III-V Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 807 Junker p cf Maspero pap du Louvre p 08 Sur meshent (variantes meska mesi mesqet) cf Lefeacutebure proceedings s B A XV p et suiv et sphinx VIII p 7 Meshent est le nom drsquoune diviniteacute de lrsquoaccouchement e heure du jour p 0

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Veau-Soleil auquel Osiris est compareacute 60 Aussi agrave la e heure du jour dira-t-on agrave Osiris eacutetendu sous la peau que laquo sa megravere Nout srsquoapproche de lui et lui parle Oh relegraveve-toi mon seigneur dit la megravere Nout Me voici pour te proteacuteger je mrsquoeacutetends sur toi en mon nom laquo mystegravere du ciel 6 raquo

Le dieu qui preacuteside agrave ces rites est Anubis celui qui a pour insigne la neacutebride la peau de becircte attacheacutee agrave un pieu crsquoest lui qui dirige le sacrifice des victimes dont la peau sera le berceau drsquoOsiris renaissant Drsquoapregraves le Livre des Morts Anu-bis ne se contentait pas de faire passer Osiris par la peau-berceau Lui-mecircme (ou le precirctre qui jouait son rocircle) laquo passait sur raquo la peau 62 coucheacute il y prenait comme nous le verrons plus loin lrsquoattitude replieacutee du fœtus dans la matrice On croyait que les charmes de la magie imitative rendaient efficace ce simulacre de gesta-tion quand Osiris (et Anubis qui srsquoest substitueacute agrave lui) laquo sortent raquo sur la peau ils renaissent comme srsquoils sortaient du sein maternel Drsquoapregraves une autre tradition Horus fils drsquoOsiris traversait aussi la meshent pour son pegravere Les rituels anciens nous apprennent qursquoHorus passait encore au nom de son pegravere sur une autre peau-berceau le shedshed dont il sera question plus loin Mais dans les textes que nous analysons crsquoest Anubis et la meshent qui sont lrsquoun lrsquoagent lrsquoautre le berceau de la renaissance drsquoOsiris

A la 6e heure du jour on constate que laquo sa megravere Nout lrsquoa conccedilu en son temps et lrsquoa enfanteacute suivant le greacute de son cœur 6 raquo Pour attester cette reacutesurrection on eacuterige le pilier feacutetiche drsquoOsiris On ne fait ici que rappeler le souvenir de cette ceacutereacutemonie nous avons vu plus haut avec quel eacuteclat on la ceacuteleacutebrait le jour de la fecircte laquo drsquoeacuteriger le pilier raquo

A midi Osiris ressuscite en mecircme temps le soleil agrave son point culminant de midi eacutecarte les esprits des teacutenegravebres Pendant les six derniegraveres heures du jour les dieux de garde adorent Osiris et lui disent laquo Eacuteveille-toi en paix 6 raquo Le roi en per-sonne apparaicirct un instant agrave la e heure et apporte des offrandes (per-hrou ) A la 2e heure du jour lrsquooffice est termineacute on allume les lampes (pour eacutecarter les esprits des teacutenegravebres car il est six heures du soir) et on ferme les portes non sans avoir dit des paroles encourageantes au dieu laquo En paix Osiris Ah comme ces chants sont joyeux Comme ces femmes sont bonnes pour ton ka Que tu es

60 A Moret rituel de culte divin p208 Cf Sethe pyr II p 776 Junker p -662 Todtenbuch ch xvii (eacuted Naville II p 60 mdash Cf eacuted Budge eh clxxvi p 60) Voir agrave ce sujet Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (p s B A XV p )6 6e heure du jour p 76 0e heure du jour p 6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

beau beau dans ton repos Oh toi qui vis ta femme vient trsquoembrasser salut agrave toi acircme des dieux 6 raquo

Ce qui reste dans la chapelle nrsquoest drsquoailleurs que le corps divin Deacutejagrave lrsquoacircme drsquoOsiris ressusciteacute est partie pour le Ciel mais le corps comme lrsquoacircme jouissent deacutesormais de tous les privilegraveges des dieux

Ces privilegraveges sont deacutefinis par une eacutepithegravete qui revient comme un refrain au milieu de chaque heure laquo Tu es macirc-hrou Osiris chef de lrsquooccident 66 raquo Cette eacutepithegravete reacutesume un pouvoir miraculeux des ecirctres diviniseacutes par les rites Leur voix dans leur bouche quand elle profegravere des sons inarticuleacutes et agrave plus forte raison quand elle eacutemet des paroles ayant un sens deacutetermineacute a ce pouvoir creacuteateur que les Eacutegyptiens attribuaient au Verbe du Dieu deacutemiurge 67 La parole creacuteatrice permet au dieu de reacutesoudre toutes les difficulteacutes de deacutejouer toutes les ruses de preacutevenir tous les dangers par la faculteacute de creacuteer immeacutediatement ce qui est neacutecessaire en toute circonstance Gracircce agrave ces deux miracles permanents de la voix creacuteatrice (macirc-hrou) et de la voix productrice drsquooffrandes (per-hrou) le dieu pouvait seacutejourner en paix dans son naos Une derniegravere terreur lui reste peut-ecirctre celle de mourir une seconde fois 68 si Seth renouvelle ses attaques La vie nouvelle drsquoOsiris est vraiment preacutecaire mais le culte a eacuteteacute institueacute pour eacutecarter du dieu toute crainte en renouvelant chaque jour le Mystegravere du sacrifice et de la reacutesurrection

Jusqursquoici nous avons vu ce qui dans les Mystegraveres osiriens se rapporte agrave Osiris Mais ceux qui ceacutelegravebrent les Mystegraveres ne se proposent pas seulement comme but de perpeacutetuer le culte et par lagrave le salut eacuteternel drsquoun dieu ils preacutetendent srsquoattri-buer agrave eux-mecircmes les bienfaits des rites et participer agrave lrsquoimmortaliteacute qursquoils ont au prix de tant drsquoefforts assureacutee agrave Osiris Crsquoest ce que dit Plutarque 6 quand il fait remonter agrave la deacuteesse Isis lrsquoinvention des Mystegraveres qui commeacutemorent la passion de son fregravere et eacutepoux Osiris Isis institua des Mystegraveres laquo pour servir de leccedilon de pieacuteteacute et de consolation pour les hommes et les femmes qui passeraient par les mecircmes eacutepreuves raquo

Voyons donc comment les hommes tiraient beacuteneacutefice des Mystegraveres osiriensDrsquoabord crsquoest en vertu drsquoune loi geacuteneacuterale tout homme mort auquel on ap-

6 P 666 P 267 Voir plus loin Le Verbe creacuteateur p 768 e heure de la nuit p 86 De iside et Osiride 27

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plique les rites osiriens par un effet de magie imitative ressuscitera comme Osi-ris A cet effet la famille du deacutefunt reconstitue dans la maison ou le tombeau le drame de la mort et des funeacuterailles drsquoOsiris 70

Comme le fils de Geb et de Nout lrsquohomme mort est censeacute avoir eacuteteacute assassineacute par Seth jeteacute au fleuve repecirccheacute puis deacutemembreacute et retrouveacute une seconde fois La veuve jouait alors le rocircle drsquoIsis le fils remplissait le rocircle drsquoHorus ses amis ceux drsquoAnubis et de Thot 7 la famille proceacutedait agrave la reconstitution du corps deacute-membreacute et modelait une momie agrave lrsquoinstar de celle drsquoOsiris Au deacutebut des temps historiques la preacutesence dans les neacutecropoles de cadavres mis en morceaux par imitation des rites osiriens prouve qursquoon ne reculait devant aucune des conseacute-quences pratiques de cette theacuteorie mais dans la suite il parut suffisant de reacuteciter les formules qui assimilaient lrsquohomme agrave Orisis deacutemembreacute et reconstitueacute lrsquoon se bornait agrave faire une momie crsquoest-agrave-dire que lrsquoidentification avec Osiris semblait acquise degraves qursquoon transformait le cadavre agrave lrsquoimage du dieu momifieacute

Sur ce corps reconstitueacute et momifieacute la famille faisait exeacutecuter par les precirctres les ceacutereacutemonies deacutecrites par les rituels osiriens purifications qui lavent lrsquohomme de toutes les impureteacutes laquo qui ne doivent plus lui appartenir dans lrsquoautre monde raquo ouverture de la bouche et des yeux (oup-ra) qui ressuscitent la vie physique et intellectuelle renaissance veacutegeacutetale et animale qui de la deacutepouille mortelle font sortir un corps glorieux offrandes laquo sortant agrave la voix raquo cette voix creacuteatrice qui assure au nouvel Osiris la puissance contre ses ennemis et le garantit agrave jamais de la soif et de la faim Ainsi lrsquoaffilieacute au culte osirien srsquoapplique personnellement tout ce que son zegravele a assureacute au dieu son patron lui aussi renouvelle sa vie aussi vrai qursquoOsiris est vivant aussi vrai vivra-t-il agrave jamais

Les milliers de tombeaux qui ont eacuteteacute ouverts dans la valleacutee du Nil nous mon-trent par leurs tableaux que ces Mystegraveres eacutetaient joueacutes pour tout deacutefunt Il serait fastidieux de revenir ici sur les formules ou les gestes que nous avons deacutejagrave commenteacutes agrave propos drsquoOsiris lui-mecircme mais certains eacutepisodes repreacutesenteacutes dans les tombeaux projettent une lumiegravere tregraves vive sur quelques points resteacutes eacutenigma-tiques dans les rites deacutecrits plus haut

Le cortegravege qui accompagne le mort-dieu offre quelquefois drsquointeacuteressantes scegrave-nes de lamentations et de mimique funegravebres Un tombeau de la VIe dynastie

70 Voir les rituels funeacuteraires des Pyramides (eacuted Maspero et eacuted Sethe) et les laquo Livres de lrsquoOuverture de la bouche et des yeux raquo (Schiaparelli Libro dei funerali) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p sq7 Cf la formule des stegraveles funeacuteraires laquo Isis et Nephthys se sont lamenteacutees sur lui Anubis lui-mecircme lrsquoa fait momie raquo (Vienne stegravele ap Bergmann Das Buch vom Durehwanden der ewigkeit p 2-0)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

repreacutesente hommes et femmes tombant agrave terre tels qursquoOsiris et releveacutes par des comparses Ceux-ci semblent jouer le rocircle de laquo la grande pleureuse Isis 72 raquo au moment ougrave elle se lamente et laquo eacutebranle de ses cris le Ciel et lrsquoHadegraves raquo

Figure Les officiants miment la mort drsquoOsiris

Ailleurs crsquoest le rite de la renaissance veacutegeacutetale qui est preacutesenteacute de la plus inteacute-ressante maniegravere Dans plusieurs tombeaux de la XVIIIe dynastie on a retrouveacute des cadres en toile recouverts drsquoune couche de terreau disposeacutee en silhouette drsquoOsiris Des grains avaient eacuteteacute semeacutes lrsquoherbe avait pousseacute et on lrsquoavait tondue agrave une longueur de 0 m 0 de faccedilon agrave donner une verdoyante effigie drsquoOsiris veacutegeacutetant Sur les momies mecircmes on disposait parfois des grains de ceacutereacuteales ou des oignons de fleurs pour que leur germination ou leur floraison parucirct attester la reacutesurrection du deacutefunt 7

Une importance plus grande encore est donneacutee agrave la repreacutesentation de ce que jrsquoai appeleacute la renaissance animale Nous touchons ici agrave un des laquo secrets raquo les plus mysteacuterieux des rites eacutegyptiens et sur lesquels les monuments sont le plus avares drsquoexplications Le sujet nrsquoayant eacuteteacute que peu eacutetudieacute jusqursquoici je lui donnerai un

72 Cf J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl LXX et suiv7 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 02 et pl XI

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

deacuteveloppement particulier justifieacute par lrsquoantiquiteacute et lrsquoimportance des pratiques magiques qui srsquoy reacutevegravelent

En theacuteorie crsquoeacutetait le mort lui-mecircme qui renouvelait sa vie en passant par la peau des victimes 7 ainsi avait fait Osiris ainsi devait faire tout homme soucieux de son salut des monuments montrent en effet le deacutefunt ou lrsquoinitieacute exeacutecutant lui-mecircme le rite Mais drsquoordinaire le passage par la peau est confieacute agrave des officiants et neacutecessite des victimes humaines ou animales Cet eacutepisode offre plusieurs variantes

Figure 6Le tikenou hacircleacute sur un traicircneau

Le thegraveme originel semble avoir eacuteteacute celui-ci un homme ou plusieurs hommes sont eacutegorgeacutes pour que leur vie sacrifieacutee rachegravete le deacutefunt de la mort Au deacutebut et peut-ecirctre jusqursquoassez tard dans la peacuteriode historique on immolait reacuteellement des victimes humaines qui figuraient Seth lrsquoennemi de tout ecirctre osirien Dans la

7 Les tombeaux dont les textes ou les tableaux seront utiliseacutes ci-apregraves sont ceux de Sehete-pibracirc (XIIe dyn) publieacute par Quibell (ramesseum pl IX) de Sebekneht (XIIe dyn) publieacute par Tylor (pl III) de Renni et Paheri (publieacutes par Tylor) de Rehmacircracirc (publieacute par Virey Mission du Caire t V ) de Montouherjhepshef (publieacute par Maspero Mission du Caire t V ) de Menni (Maspero Archeacuteologie eacutegyptienne p 7) des scegravenes analogues sont figureacutees aux tombeaux de Nebamon (recueil de travaux IX p 7) et de Sennefer (Virey ap recueil XX p 22 sq et XXI p 28) ceux-ci sont de la XVIIIe dynastie Voir aussi le tombeau drsquolbi dateacute de Psammeacute-tique Ier (Scheil Mission du Caire V pl IX)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

suite on sacrifia le plus souvent des eacutetrangers probablement des prisonniers de guerre Nubiens ou Europeacuteens Au tombeau de Montouherjhepshef deux Nu-biens la corde au cou sont repreacutesenteacutes au moment ougrave ils vont ecirctre eacutetrangleacutes 7

Figure 7o Le tikenou ameneacute vers la laquo peau raquo2o Sacrifice des victimes animales

o Sacrifice des Nubiens

Un adoucissement agrave ce rite barbare fut la substitution des victimes animales aux victimes humaines Les animaux eacutetaient le taureau la gazelle lrsquooie le porc identifieacutes agrave Seth lrsquoadversaire Ces victimes animales payaient agrave la mort le tribut obligatoire et en rachetaient le deacutefunt 76 Lrsquoeacutegorgement des animaux srsquoaccompa-gnait toutefois drsquoun simulacre du sacrifice humain on faisait passer un homme ou un mannequin agrave travers la peau drsquoun taureau ou drsquoune gazelle sacrifieacutes

7 Cf G Maspero eacutetudes de mythologie I p 20876 Les theacuteologiens eacutegyptiens affirmaient que crsquoeacutetait lagrave lrsquoorigine des sacrifices drsquoanimaux laquo les victimes remplacegraverent les sacrifices humains raquo mdash Cf Au temps des pharaons p 22

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8On ouvre la terre et on creuse la fosse

Au tombeau de Montouherjhepshef on voit un personnage le tikenou ame-neacute sur un traicircneau en face drsquoune grande peau de becircte 77 La scegravene ougrave le Tikenou srsquohabille de la peau nrsquoest pas conserveacutee mais plus loin dans un trou creuseacute en terre on voit brucircler la peau la cuisse le cœur du taureau et aussi des cheveux du Tikenou qui sont jeteacutes lagrave semble-t-il pour remplacer le personnage lui-mecircme le sacrifice de la partie eacutequivalant agrave celui du tout Dans la flamme le simulacre de lrsquohomme et la peau de la victime montent vers le ciel emmenant avec eux le deacutefunt dans un monde divin

Figure On brucircle la peau le cœeur de la victime et les cheveux du tikenou

77 Les textes appellent la peau ou le lieu ougrave se trouve la peau mest meska meseq meshent en tous ces noms se trouve le radical mes = naicirctre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Crsquoest Anubis qui avait reacuteveacuteleacute aux dieux et aux hommes ce moyen de renaicirctre que les rituels deacutefinissent en ces termes laquo Il a passeacute pur sur la peau-berceau raquo pour le compte drsquoOsiris (todtenbuch ch xvii I 8) Ce rite semble avoir eacuteteacute en usage degraves lrsquoAncien Empire Lors des funeacuterailles les bas-reliefs des mastabas nous montrent la barque funeacuteraire amenant agrave la neacutecropole le cadavre sous la protection du precirctre drsquoAnubis lrsquoOut 78 Le cadavre nrsquoest pas seul dans la barque bien qursquoon ne distingue pas ce qui se passe dans le naos-cabine on peut supposer que le Tikenou y eacutetait aussi du moins dans les tombeaux theacutebains du Nouvel Empire agrave El Kab et agrave Thegravebes voit-on degraves que la barque a abordeacute le Tikenou ameneacute sur la rive et installeacute sur un traicircneau qursquoon traicircnait jusqursquoagrave laquo la terre qui renouvelle la vie raquo (fig 0)

Figure 0Le tikenou coucheacute sur la peau aborde agrave la neacutecropole Hacirclage sur le traineau

Mais voici une transformation du rite Le Tikenou eacutetait recouvert non plus drsquoune peau mais drsquoun long pagne ou

linceul qui est parfois (fig ) tacheteacute comme une peau Le tombeau de Renni a conserveacute la scegravene ougrave Isis-pleureuse (dert) drape dans ce linceul le Tikenou au moment ougrave le cortegravege funeacuteraire part pour la neacutecropole plus loin lrsquoindividu apparaicirct non plus coucheacute de son long mais accroupi sur le traicircneau (fig 2) Le Tikenou est alors repreacutesenteacute le visage deacutecouvert pour qursquoil puisse respirer (fig 0-2) parfois le linceul recouvre tout (fig ) solidement maintenu par de larges bandelettes (fig ) dans ce cas on doit supposer que sous le linceul il y a non plus un homme mais un mannequin ou simulacre Homme ou mannequin la figure rappelle exactement la silhouette qursquoon donnait aux victimes animales (cf fig ) et aussi lrsquoaspect du fœtus replieacute dans le sein maternel (cf fig 2)

78 Lepsius Denkm II 76 6 0 LrsquoOut apparaicirct fig 0

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Dans le naos Isis drape le tikenou Devant lrsquoofficiant un servant

verse de lrsquoeau sous le traicircneau et fait une libation de lait pour Renni laquo Celui qui passe sous la peau crsquoest Renni raquo

Arriveacute au tombeau le Tikenou exeacutecutait un rite qui consistait agrave se laquo coucher raquo sder 7 sur un lit bas (fig 7) dans la mecircme attitude replieacutee Tel nous apparaicirct-il au tombeau de Rehmaracirc avec la leacutegende explicative laquo Faire venir agrave la citeacute de la peau (Abydos) Voici le Tikenou coucheacute sous elle (la peau) dans la terre de trans-formation (ta heper) raquo Par la suite il nrsquoest plus question dans ces tombeaux de sacrifier le Tikenou Au sacrifice humain on a donc substitueacute le proceacutedeacute magi-que inventeacute par Anubis au profit drsquoOsiris se coucher dans une peau figureacutee par un linceul Sous cette peau qui rappelle eacutevidemment celle drsquoun animal sacrifieacute

7 Le mot laquo se coucher raquo sder deacutetermineacute soit par le lit drsquoapparat soit par le lit bas et court (lrsquoangareb des Nubiens cf Maspero eacutetudes de myth I p 28) comme sur notre fig est un terme technique des rituels qui deacutesigne lrsquoacte de laquo se coucher sous la peau meska raquo (fig ) de laquo se coucher sous le linceul raquo (fig 0 et ) de laquo se coucher dans la peau kenemt raquo Les listes de fecirctes connaissent laquo la nuit du coucher raquo (A Moret Catal museacutee guimet I p 6 n 6 cf tod-tenbuch ch xviii eacuted Budge p 7 I 0) ou laquo le jour du coucher du dieu raquo (Caire ndeg 206) Je suppose qursquoil srsquoagit de lrsquoacte de se coucher sous la peau pour simuler la renaissance

27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le Tikenou est dans le laquo lieu du Devenir des transformations de la vie renouve-leacutee raquo le Tikenou qui a pris lrsquoattitude de lrsquoembryon humain dans le sein mater-nel sortira de la peau tel que lrsquoenfant qui naicirct Par conseacutequent le mort pour qui se fait le rite renaicirctra lui-mecircme automatiquement

La repreacutesentation de ces eacutepisodes srsquoest encore simplifieacutee dans les tombeaux agrave partir de la XIXe dynastie Drsquoune part les scegravenes relatives au sacrifice humain nrsquoapparaissent plus on se contente des seules victimes animales Drsquoautre part le Tikenou ne joue mecircme plus Anubis passant par la peau il dis-paraicirct de la scegravene 80 son rocircle passe agrave un des officiants qui est drsquoordinaire le sem 8 Au deacutebut de lrsquooffice funegrave-bre quand on va faire subir au deacutefunt laquo la conseacutecration (deser) dans la salle drsquoor 82 raquo le sem se laquo couche raquo (fig 7) revecirctu drsquoun linceul

80 Les rituels qui forment le texte publieacute par Schiaparelli (Libro dei funerali) dont le plus an-cien est celui du tombeau de Seacuteti Ier ne font plus mention du tikenou8 Comme Lefeacutebure lrsquoa noteacute celui qui passe par la peau est aussi Horus pour Osiris crsquoest-agrave-dire le fils pour son pegravere Dans la stegravele de Metternich (I 7-7) Osiris dit agrave Horus laquo Crsquoest toi mon fils (qui passes) dans la Mesqt (lieu de la peau) sorti du Noun tu ne meurs point raquo Passer par la peau crsquoest donc la mecircme chose que sortir du Noun le chaos primordial le rite recommence la creacuteation (cf p 27) et assure lrsquoimmortaliteacute82 Cette phrase deser m hat noub laquo conseacutecration dans la salle drsquoor (sanctuaire du temple ou du tombeau) raquo est une rubrique speacutecialiseacutee aux rites de la renaissance et nrsquoest employeacutee qursquoagrave cette occasion Maspero (eacutetudes de mythologie I p 28) y voit une indication de mise en scegravene laquo dis-positif dans la salle drsquoor raquo ce qui ne me paraicirct pas justifieacute Ma traduction se rapproche de celle proposeacutee par Virey (rehmard p 6) elle attribue agrave deser le mecircme sens que ce mot a comme eacutepithegravete de la neacutecropole ta deser laquo terre consacreacutee raquo (pyr de teacuteti I 7) ou du sanctuaire des temples et tombeaux bou deser laquo lieu consacreacute raquo Anubis est souvent qualifieacute le laquo maicirctre de ta-de-ser raquo ce qui srsquoexplique puisque ce dieu preacuteside agrave la laquo conseacutecration raquo deser par la peau mdash Abydos la ville de la peau meska et du berceau meshent eacutetait par excellence la laquo terre consacreacutee raquo (Stegravele de Leyde ap Piehl i H III pl 2 I laquo jrsquoai fait mon tombeau sur la meshent drsquoAbydos la terre consacreacutee de la montagne occidentale raquo parce que lagrave eacutetait le berceau de certains dieux tels que Ilnoumou et Heqit les ancecirctres neacutes au deacutebut (des temps) sur la meshent drsquoAbydos raquo Sharpe eg i I 78 2 cf Louvre C 6 Une stegravele de la XIIe dynastie (Caire ndeg 206) mentionne aussi la laquo salle consacreacutee raquo (ist desert) agrave propos du rite du laquo coucher du dieu raquo (harou sdert neter)

Figure 2Le tikenou sorti du naos est conduit agrave la neacutecropole

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Halage du tikenou accroupi dans lrsquoeau

en preacutesence des bouffons couronneacutes XIIe dynastie

Ce rite est bien une imitation ou une simplification de ceux joueacutes par le Ti-kenou costume et deacutecor tout est pareil Toutefois le Sem ne prend plus la po-sition incommode du fœtus il se contente de se coucher raquo comme pour dormir (fig 6) Mais les effets de ce sommeil ne sont pas moins miraculeux Voici les paroles sibyllines que dit le sem coucheacute laquo Jrsquoai vu mon pegravere (le deacutefunt ou Osiris) en toutes ses transformations raquo Au-dessous de ces mots les rituels expliquent la mise en scegravene des rubriques

laquo Transformation en sauterelle raquo mdash laquo Empecircchez (hou) qursquoil ne soit plus (qursquoil ne meure) mdash (Transformation) en abeilles mdash laquo Il nrsquoy a plus rien de peacuterissable en lui raquo mdash (Transformation) en ombre 8 raquo Quand le Sent se relegraveve il est censeacute ra-mener avec lui de la peau-linceul lrsquoombre crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme renaissante du deacute-funt et aussi des sauterelles des abeilles qui attestent comme dans la leacutegende drsquoAristeacutee 8 que la peau a eacuteteacute feacuteconde geacuteneacuteratrice drsquoecirctres vivants et que drsquoelle srsquoenvole comme une vie nouvelle (fig 8) Quant au corps il ne meurt plus dans la momie consacreacutee il nrsquoy a plus rien de peacuterissable 8 Acircme et corps renaissent pour la vie eacuteternelle Au Livre des Morts le deacutefunt dit de lui-mecircme agrave ce moment laquo Je suis

8 Voir les textes ap Schiaparelli Libro dei funerali I p 6-66 mdash Cf Lefeacutebure eacutetude sur Aby-dos ap proceedings s B A XV p 8 ougrave je modifie le sens attribueacute agrave hou8 Ph Virey Observations sur lrsquoeacutepisode drsquoAristeacutee Sur la diffusion de cette croyance agrave la bugonia dont les anciens attribuaient lrsquoorigine agrave lrsquoEacutegypte voir Lefeacutebure Lrsquoabeille en eacutegypte ap sphinx XI p 8 et suiv cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20 sq8 Cf pyr de teti 26 et 278 in hnnt im k et todtenbuch ch cliv 2 au laquo chapitre de ne pas laisser le corps se corrompre raquo le deacutefunt dit laquo Je me suis eacuteveilleacute en paix et sans troubles (ou sans corruption) (in hnnou) raquo Ce laquo reacuteveil raquo est peut-ecirctre conseacutecutif au laquo coucher raquo sder

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

celui qui a traverseacute la peau-berceau agrave qui Osiris a donneacute sa conseacutecration (hou) au jour de lrsquoenterrement 86 raquo

Ainsi la repreacutesentation du Mystegravere de la renaissance est alleacutee se simplifiant au cours des siegravecles on a supprimeacute le sacrifice hu-main le Tikenou a perdu une partie de son rocircle puis a disparu complegravetement agrave sa place un precirctre opegravere sous un linceul substitueacute agrave la peau Quelles sont les dates preacutecises de cette eacutevolution Je ne saurais les dire avec certitu-de le choix des scegravenes dans les tombeaux est souvent capricieux et ne se precircte pas toujours agrave un classement chronologique tel tombeau de la XIXe dynastie peut reproduire un rite neacutegligeacute dans un autre tombeau plus ancien Cependant il semble que ce soit de la XVIIIe agrave la XIXe dynastie que le rocircle du Tikenou a eacuteteacute simplifieacute jusqursquoagrave disparaicirctre 87 La repreacutesentation de la renaissance animale est devenue degraves lors moins reacuteelle que symbolique

M Maspero a signaleacute qursquoune comparaison est possible entre les scegravenes relatives au Tikenou et certaines vignettes drsquoun chapitre fort rare du Livre des Morts classeacute dans lrsquoeacutedition Naville comme cha-pitre CLXVIII a (fig ) Voici comment jrsquoen expliquerais les fi-gures Paraissent drsquoabord deux adolescents porteacutes sur les eacutepaules des officiants (ce sont peut-ecirctre deux tikenou) deux pleureuses coucheacutees agrave terre un taureau sur

86 Lefeacutebure eacutetude sur Abydos p et 7687 Au tombeau de Rehmacircracirc (XVIIIe dyn) certaines scegravenes du Tikenou sont encore repreacutesen-teacutees et les rites du sem sont ceacuteleacutebreacutes en mecircme temps Crsquoest donc une eacutepoque de transition

Figure Halage du simulacre enveloppeacute

drsquoun linceul

Figure Attitudes du tikenou et de la victime

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pavois qui rappelle la victime animale un sphinx androceacutephale dont le rocircle dans une scegravene de renaissance srsquoexplique peut-ecirctre parce qursquoil repreacutesente Toum le deacutemiurge 88 Plus loin on voit une deacuteesse assise les bras eacutecarteacutes dans la position caracteacuteristique des deacuteesses qui accouchent est-ce Nout la megravere ceacuteleste qui va donner le jour au corps glorieux du nouvel Osiris 8 Puis Anubis tenant en mains les symboles de force et de vigueur et preacuteside au rite du laquo coucher raquo sder Deux momies sont eacutetendues sur des lits veilleacutees par une grande Uraeligus dont le rocircle sera deacutefini plus loin lrsquoUraeligus porte son nom laquo celle qui consacre la tecircte raquo des dieux 0 De lrsquoautre cocircteacute des lits apregraves le Mystegravere accompli srsquoavance un des officiants dont la tecircte est surmonteacutee de lrsquoUraeligus peut-ecirctre ce personnage joue-t-il le rocircle du mort ressusciteacute Un sphinx coucheacute sur le lit personnifiant ici le soleil levant Harmahis symbole de reacutesurrection clocirct la seacuterie des figures Nous pouvons attribuer sucircrement cette scegravene au mystegravere de la renaissance mais dans le deacutetail il reste bien des obscuriteacutes 2

Figure 6 mdash Le sem se drape dans le linceul et se couche

88 Ed Naville a deacutemontreacute que le sphinx eacutetait souvent identifieacute agrave Toum mdash (ap sphinx V p et suiv) Dans le protocole royal le sphinx peut signifier laquo image vivante de Toum raquo (Sethe Urk XViiie Dyn IV p 600)8 Cf les scegravenes drsquoaccouchement de Deir-el-Bahari et Louxor reproduites dans A Moret Du caractegravere religieux p On sait que Nout megravere drsquoOsiris est censeacutee enfanter le mort agrave une vie nouvelle mdash (pyr de pegravepi i 0-0) Aussi compare-t-on agrave Nout le lit sur lequel le mort est eacutetendu laquo O grand (Osiris) coucheacute (sder) sur ta megravere Nout raquo (teta I 80) Le lit est en effet le laquo berceau raquodu deacutefunt0 Cf pyr drsquoOunas I 8 deser-tep Crsquoest une allusion aux rites de la laquo conseacutecration raquo deser La leacutegende hed iment semble signifier laquo brillant chaque jour raquo Le rocircle du sphinx comme soleil levant Khepra est bien connu (cf eacuted Naville sphinx V p ) Le grand Sphinx de Gizeh exprime pour le compte du roi Cheacutephregraven le mecircme symbole de reacutesurrection2 Le texte du chap 68 A au-dessus duquel les vignettes sont traceacutees ne nous donne que peu de lumiegravere il invite le lecteur agrave faire une libation sur terre pour que le deacutefunt passe parmi le sui-vants drsquoOsiris les suivants de Racirc les variantes du chap 68 B ajoutent le souhait qursquoil connais-se tous les secrets et qursquoil soit laquo un iahou parfait raquo dans lrsquoautre monde Peut-ecirctre devons-nous rapprocher de ces textes le chap 70 (eacuted Naville) qui se prononce au moment laquo de dresser le lit funegravebre raquo et ougrave lrsquoon adresse au deacutefunt cette phrase laquo Tu es Horus agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoœuf raquo elle correspond bien aux ideacutees de laquo conception et de renaissance raquo que nous avons signaleacutees

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Tous les documents relatifs au tikenou que nous avons examineacutes sont de lrsquoeacutepoque theacutebaine Les rites de la renaissance par la peau nrsquoavaient-ils point eacuteteacute conccedilus anteacuterieurement A ma connaissance les mastabas de lrsquoAncien Empire ne contiennent aucun tableau analogue agrave ceux reproduits plus haut et les textes des Pyramides ne mentionnent pas le tikenou Lrsquoensevelissement par la peau est peut-ecirctre repreacutesenteacute dans une tombe de la IVe dynastie par un bas-relief eacutenigma-tique (fig 20) qui donnerait une variante unique de ce rite Du moins peut-on affirmer que lrsquoideacutee de la renaissance par la peau est aussi ancienne que les plus anciens monuments eacutegyptiens connus Lrsquoeacutecriture mecircme le prouve puisque le signe mes qui symbolise lrsquoideacutee laquo naicirctre enfanter raquo repreacutesente trois peaux en faisceau (fig 2) Je montrerai plus tard comment cette tradition apparaicirct clai-rement au cours des rites de la fecircte Sed que les rois ceacuteleacutebraient degraves la peacuteriode archaiumlque

Figure 7Conseacutecration dans la salle drsquoor Le sem se couche

Qursquoil me suffise de dire ici que dans les pyramides comme dans les tombeaux theacutebains le deacutefunt renaicirct quand il srsquoest coucheacute vecirctu drsquoune peau ou drsquoun linceul

Ces peaux mestou sont peut-ecirctre des peaux de chien du type du chien Anubis agrave lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque on eacutecrit parfois le mot mes (neacute de) par le signe du chien (H Ranke Aeg Zeits-chrift t XLV p 2) Sous un naos agrave colonnes orneacutees de bucranes un lit funeacuteraire supporte un cercueil duquel eacutemerge seule une tecircte de taureau A gauche un officiant Une scegravene voisine montre la capture du taureau ainsi sacrifieacute je suppose que sa peau sert agrave un rite analogue agrave celui du Tikenou de lrsquoeacutepoque theacutebaine

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sur un lit Une formule que je choisis entre beaucoup drsquoautres reacutesume avec concision ce que le lit symbolise laquo Ce deacutefunt dit-on de Peacutepi Ier est creacuteeacute par Racirc il se couche (sder-tou) (fig 2) il est conccedilu il est enfanteacute chaque jour 6 raquo Le lit a le plus souvent la forme caracteacuteristique du divan bas sur lequel srsquoeacutetend le Tikenou Sur ce lit il y a une peau de panthegravere laquo Ce grand (le deacutefunt ou Osiris) se couche de sa personne la peau (de panthegravere 7) du lit est pour lui raquo cette peau venant drsquoun animal typhonien est lagrave pour mimer laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo que les rituels posteacuterieurs mentionnent

Figure 8Lrsquoombre et les symboles de lrsquoacircme ressusciteacutee (Seacuteti Ier)

Drsquoautre part drsquoapregraves la tradition le costume funeacuteraire drsquoOsiris et du mort se reacutesumait en une eacutetoffe (daout) qui eacutetait laquo celle qursquoHorus a faite pour son pegravere Osiris 8 raquo Crsquoest peut-ecirctre le laquo linceul raquo comme traduit Maspero En tout cas le linceul comme le lit sont personnifieacutes par des deacuteesses qui sont les megraveres du deacutefunt laquo Ce grand se couche sur sa megravere Nout ta megravere Taat trsquoa revecirctu elle te

Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux (Lacau sarcophages du Caire fig 82) Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo (Borchardt Aeg Zeitsch 07 p 7)6 peacutepi ier I 820 (Sethe p 80 8) La reacutesurrection srsquoexprime souvent par le mot laquo reacuteveil srsquoeacuteveiller raquo mdash pyr de peacutepi ii I 760 laquo Tu te couches et tu trsquoeacuteveilles tu meurs et tu vis raquo peacutepi ier I laquo son jour de reacuteveil raquo7 Le sens laquo peau de panthegravere raquo drsquoapregraves peacutepi ier I 68 pyr de teacuteti I 7 Deacuteesse des bandelettes voir la figure

Les Mystegraveres eacutegyptiens

porte au ciel en son nom drsquooiseau dert 00 raquo Le linceul devient donc en mecircme temps qursquoun veacutehicule pour aller au ciel un agent de reacutesurrection il y a dans lrsquoeacutetoffe comme dans la peau du Tikenou une force geacuteneacuteratrice suffisante pour expliquer la renaissance ceci nous aide agrave comprendre pourquoi agrave la fin de lrsquoeacutepo-que theacutebaine on a pu remplacer la peau par le linceul

Figure Les rites de la renaissance drsquoapregraves une vignette du livre des morts

La renaissance srsquoexeacutecute encore agrave cette eacutepoque par le passage sur un objet appeleacute shedshed Horus en avait donneacute lrsquoexemple pour le compte de son pegravere Osiris laquo Les dieux dit-on au roi deacutefunt trsquoeacutelegravevent au ciel avec ton acircme tu es muni drsquoacircme parmi eux car tu es sorti au ciel tel qursquoHorus sur le shedshed du ciel en cette tienne forme qui est sortie (= creacuteeacutee) de la bouche de Racirc tel qursquoHorus agrave la tecircte des Iahou 0 raquo Nous verrons plus tard quels monuments permettent de preacuteciser ce qursquoest le shedshed et quel est son rocircle dans les mystegraveres Disons tout de suite que crsquoest aussi une enveloppe qui sert de laquo peau-berceau raquo le passage citeacute prouve que comme la daout elle fournit un veacutehicule pour aller au ciel Quant

00 pyr de teacuteti I 80-80 pyr de teacuteti I 7-7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave la phrase laquo en cette forme sortie de la bouche de Racirc raquo elle est importante en ce qursquoelle eacutevoque un autre texte relatif agrave la naissance dans la meshent ougrave il est dit de certains dieux laquo ils ont eacuteteacute creacuteeacutes au deacutebut des temps (sur) les peaux-berceaux (meshentou) primordiales drsquoAbydos ils sont sortis de la bouche de Racirc lui-mecircme lors du (rite de) la conseacutecration deser (drsquo) Abydos 02 raquo Concluons que le shedshed est aussi un agent ou un lieu de renaissance 0 analogue agrave la meshent quand on srsquoen sert pour la conseacutecration rituelle (deser) des Mystegraveres osiriens

Figure 20Lrsquoensevelissement dans la peau de bœuf Gizeh tombeau de Nebmahout (IVe dynastie)

Il est donc certain que le laquo Mystegravere de la peau raquo et la laquo renaissance par la peau raquo font partie du fonds ancien de la religion eacutegyptienne Drsquoailleurs agrave cocircteacute du shedshed les Pyramides reacutevegravelent lrsquoexistence drsquoautres peaux-berceaux meska meshent kenemt out shedt dont les noms servent agrave deacutesigner autant de laquo pays ou de citeacutes de la peau 0 raquo

02 Louvre stegravele C 60 La renaissance apparaicirct aussi degraves cette eacutepoque symboliseacutee par lrsquoapparition de sauterelles et drsquoabeilles pyr de Mirinri I 68 et de peacutepi ii I cf eacuted Sethe II p et 270 Out deacutesigne les oasis comme Kenemt qui est aussi un des noms de Diospolis parva (sphinx X p 07) et une ville mystique (pyr de teacuteti I 0) cf Maspero t de Montouherjhepshef p 6 laquo la terre de Kenemout raquo shedt est la ville du Fayoum et une citeacute mystique (Ounas I 28)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux

Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo

Lrsquoexistence de ces diverses localiteacutes mystiques indique peut-ecirctre autant de meacutethodes locales ou diffeacuterentes pour lrsquoexeacutecution drsquoun rite commun la renais-sance par la peau Les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont tregraves probablement amalgameacute des traditions deacutejagrave anciennes agrave cette eacutepoque et provenant de villes multiples

Pour le Moyen Empire les mecircmes rites me sont connus non point tant par des textes deacuteveloppeacutes que par des allusions qui se retrouvent dans les textes peints sur les cercueils Ces textes comme lrsquoa dit leur eacutediteur M Lacau sem-blent appartenir agrave un recueil distinct des rituels des Pyramides drsquoune part et des Livres des Morts theacutebains ou saiumltes drsquoautre part Mais il y a un fond drsquoideacutees qui subsiste si la reacutedaction est particuliegravere agrave lrsquoeacutepoque Le mystegravere de la peau est fort nettement deacutesigneacute dans les laquo chapitres des transformations raquo que subit le deacutefunt mots qui nous rappellent le laquo lieu de la transformation raquo crsquoest-agrave-dire la peau-berceau meska drsquoAbydos mdash Voici les passages caracteacuteristiques [laquo Le deacutefunt a sacrifieacute Seth lrsquoadversaire de son pegravere Osiris raquo] Venez Dieux Faites ses rites de protection agrave lrsquointeacuterieur de la vache et connaissez () dans vos cœurs votre maicirctre qui est ce dieu en son œuf 0 raquo Ailleurs le deacutefunt dit laquo Je me suis coucheacute dans le lieu (ouou pour Out ) des peaux divines renverseacute en preacutesence de la deacuteesse

0 Lacau textes religieux ap recueil XXVII p 7 Chapitre de laquo faire ses transformations en faucon raquo Cf p 8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Shesat dans lrsquoOccident 06hellip raquo mdash laquo Moi je suis celui qui passe dans la peau 07hellip raquo hellip laquo Moi je suis Osiris je suis un Iahou muni je ne suis pas pris pour le billot divin (du sacrifice) je me suis ceint de la peau qeni on ne me fait pas entrer vers le billot (bis) 08hellip raquo Enfin un texte tregraves court donne cette importante variante drsquoune phrase citeacutee plus haut laquo Je me suis coucheacute dans la peau (de cynoceacutephale) kenemt 0 raquo

Toutes ces allusions si bregraveves qursquoelles soient sont significatives Drsquoailleurs outre la tombe de Sehetepibracirc deacutejagrave citeacutee (fig ) la stegravele C du Louvre a conserveacute ce moment capital des rites osiriens repreacutesenteacute en traits syntheacutetiques 0 Au premier plan un lit funeacuteraire avec le cadavre les deux pleureuses Isis et Nephthys poussent leurs lamentations Cependant deux hommes amegravenent sur un pavois une becircte typhonienne probablement une panthegravere un autre porte sur lrsquoeacutepaule un adolescent en lequel je vois le tikenou coiffeacute de la couronne royale 2 A cocircteacute sont repreacutesenteacutes le traicircneau qui dans les tombeaux deacutecrits preacuteceacutedemment sert agrave haler le tikenou et les herminettes avec lesquelles on creuse la fosse ougrave brucirclera la peau de la victime Nous avons ainsi les personnages et le deacute-cor du drame

La scegravene se continue agrave droite Le cada-vre tout agrave lrsquoheure eacutetendu sur le lit est agrave preacutesent remplaceacute par un simulacre main-tenu debout par deux hommes Le corps ne comprend encore que la tecircte et le buste il repose sur des signes de vie planteacutes sur une sorte drsquoenclume Que signifie cette scegravene Crsquoest me semble-t-il le moment

06 ibid XXX p 0 (chap des transformations parmi les grands dieux drsquoHeacuteliopolis) Sur Shesat cf Lefeacutebure sphinx X p 007 ibid XXXI p 2 (se transformer en dieu Hent-hesem)08 ibid XXXI p 20 (chap de ne pas entrer au lieu du billot divin)0 Lacau sarcophages du Caire ndeg 280 p 70 M Maspero avait briegravevement signaleacute le rapprochement agrave faire entre les figures de la stegravele C et la scegravene du Tikenou (tomb de Montouherjhepshef p 6) Voir agrave lrsquoOsireion drsquoAbydos (M Murray pl V) hommes et femmes porteacutes sur lrsquoeacutepaule par les officiants ce sont des nemou comparses dont le rocircle ressemble agrave celui des tikenou et sera deacutefini plus loin2 Lrsquoimportance du fait que le tikenou est couronneacute comme le sont aussi les deux mimes sauteurs sera mise en lumiegravere plus loin

Figure 22 mdash Bouffons sautant

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ougrave lrsquoon commence agrave fabriquer la statue du deacutefunt pour reconstituer son corps au complet comme on lrsquoa fait pour Osiris

Figure 2Bouffons coiffeacutes de roseaux

Plus loin la peau de la panthegravere est suspendue agrave une hampe termineacutee par une fleur de lotus La becircte a donc eacuteteacute sacrifieacutee sa peau deacutepouilleacutee est precircte agrave servir Deux mimes couronneacutes de roseaux exeacutecutent les sauts qui accompagnent ha-bituellement dans les tombeaux theacutebains les scegravenes du tikenou (fig 22 et 2)

Maintenant les personnages ont pris place sur une barque divine sans lrsquoaide de nul rameur la barque se dirige vers Abydos Sur le pont de la barque on voit successivement un homme qui tient sur un pavois une tecircte gardeacutee par lrsquoUraeligus deser-tep un autre qui dresse une hampe surmonteacutee de la peau gonfleacutee (hen) je preacutesume que le tikenou porteacute tout agrave lrsquoheure sur les eacutepaules est censeacute y ecirctre renfermeacute lui ou son simulacre

Au temple de Philaelig on voit de mecircme les deacuteesses Isis et Selkit reconstituer le corps du dieu au moment ougrave il nrsquoa encore que les jambes et le buste Cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p P Il faut reconnaicirctre dans ces mimes les personnages grotesques qui jouent un rocircle dans les fecirctes des dieux de la moisson tel qursquoOsiris ils persistent encore agrave notre eacutepoque sous forme de masques du Carnaval Crsquoest probablement lrsquoimage de la tecircte drsquoOsiris phylactegravere puissant contre les esprits typho-niens elle apparaicirct en cette qualiteacute sur la stegravele de Metternich

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Voici que srsquoaccomplit le miracle de la renaissance A ce changement capital correspond une attitude nouvelle des personnages orienteacutes maintenant en sens contraire Face au porteur de la peau se tient dans la barque un homme qui preacutesente une tige de lotus 6 la peau deacutegonfleacutee flotte le long de la hampe agrave la faccedilon de la neacutebride drsquoAnubis Qursquoest devenu le tikenou Derriegravere la neacutebride apparaicirct un adolescent de taille plus petite que celle des deux hommes qui ten-dent vers lui leurs bras pour lui assurer la protection magique Crsquoest me semble-t-il lrsquoimage juveacutenile du mort qui renaicirct 7 le miracle de la peau lui a transfuseacute une vie nouvelle Peut-ecirctre lrsquoadolescent qui tenait preacuteceacutedemment le rocircle du Ti-kenou jouait-il agrave ce moment le personnage du deacutefunt renaissant

Enfin sur la rive abydeacutenienne ougrave le nouvel Osiris va descendre un cortegravege amegravene les statues des dieux ils viennent recevoir leur fregravere qui srsquoavance vers eux 8

Telle est lrsquointerpreacutetation que je propose pour cette scegravene lrsquoartiste y a repreacute-senteacute les rites secrets des Mystegraveres assez discregravetement pour ne les point divulguer aux profanes mais avec assez de preacutecision pour que nous y puissions discerner les traits saillants du drame osirien

Nous avons vu plus haut drsquoapregraves les monuments qui ont servi de point de deacutepart agrave ces recherches qursquoagrave la XVIIIe dynastie le Mystegravere de la peau se concentre dans le personnage du Tikenou qui va se simplifiant par la suite jusqursquoagrave disparaicirc-tre des tableaux ougrave il est remplaceacute par le precirctre sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine on ne voit plus guegravere agrave ma connaissance ni les tableaux relatifs au tikenou ni mecircme ceux du sem Des allusions succinctes aux rites de la peau-berceau subsis-tent cependant dans les Livres des Morts nous les avons citeacutees plus haut agrave propos du culte drsquoOsiris Crsquoest encore dans les vignettes des Rituels funeacuteraires que nous voyons figurer lors des cortegraveges funegravebres lrsquoenseigne drsquoAnubis avec le shedshed

6 Degraves les textes des Pyramides on assimile la renaissance du mort agrave la naissance du soleil Racirc sortant au matin sous le nom de Nefertoum du calice drsquoun lotus (Ounas I cf la vignette de Maspero Histoire I p 6) La queue de la neacutebride se termine parfois en lotus eacutepanoui7 Dans les Mystegraveres drsquolsis apregraves la scegravene de la reacutesurrection du dieu les precirctres faisaient ap-paraicirctre un enfant que lrsquoon saluait du nom drsquoOsiris renaissant mdash Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 888 La stegravele C preacutesente au-dessus de la scegravene deacutecrite une liste de diviniteacutes qursquoil faut rappro-cher de celle donneacutee dans un court chapitre du Livre des Morts (chap clxxi de lrsquoeacutedition Budge p ) qui a pour but de faire du mort un laquo iahou parfait raquo par le don drsquoune bandelette reacutesumeacute de lrsquoensevelissement total Tel est le cas pour le superbe tombeau de Patouamenap (eacutepoque saiumlte) publieacute par Duumlmi-chen

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dont nous avons deacutejagrave montreacute lrsquoemploi et lrsquoenseigne du nsout hen 20 dont nous allons parler Ces figures rappelaient pour les yeux seulement les antiques proceacutedeacutes drsquoinitiation que les textes ne deacutecrivaient plus

Les Mystegraveres ne servaient-ils qursquoaux morts Les vivants ne pouvaient-ils les ceacute-leacutebrer pour leur compte en vue drsquoun beacuteneacutefice terrestre ou en sauvegarde de leur vie future La reacuteponse nrsquoest point aiseacutee agrave fournir faute de documents explicites Cependant agrave un homme au moins sur terre les rites osiriens preacutetendaient assu-rer degraves ici-bas lrsquoimmortaliteacute Il est vrai qursquoil srsquoagit drsquoun homme qui est dieu le roi drsquoEacutegypte Pharaon

Pharaon en sa qualiteacute de fils des dieux de precirctre de tous les temples posseacutedait degraves son vivant cette pureteacute rituelle qursquoassurent les moyens que nous avons deacutecrits agrave propos drsquoOsiris Le roi devenait dieu par les rites osiriens lui aussi mais degraves son avegravenement eacutetait censeacute avoir passeacute par la mort osirienne et srsquoen ecirctre racheteacute comme avait fait Osiris Il nrsquoentre pas dans le cadre de cette eacutetude de reprendre la description du culte qui consacre la diviniteacute de Pharaon 2 je me contenterai drsquoattirer lrsquoattention sur le jubileacute sed qui renouvelait pour lui la digniteacute royale et divine et ougrave apparaissent quelques-uns des rites de la renaissance Cette fecircte consiste essentiellement en une Osirification 22 du roi elle parait semblable agrave la fecircte du couronnement drsquoOsiris

Pour le reste nous touchons agrave un sujet obscur ougrave mes recherches nrsquoont eacuteclaireacute que quelques points mais que je crois importants

Le nom mecircme du jubileacute sed signifie laquo fecircte de la queue raquo Cela ne nous donne aucune clarteacute sur le sens de la fecircte Sans doute le roi porte ordinaire-ment une queue postiche attacheacutee agrave sa ceinture mais nous ne voyons pas sur les tableaux conserveacutes par les monuments qursquoune importance particuliegravere soit attribueacutee agrave cette piegravece du costume au cours de la fecircte Sed au contraire le roi y porte comme Osiris une sorte de maillot funeacuteraire deacutepourvu de queue 2 Nous devons donc nous demander si sed nrsquoa pas eu un autre sens

Le mot sed laquo queue raquo employeacute pour deacutesigner le jubileacute est parfois remplaceacute par

20 Cf Pleyte up Aeg Zeitschrift 868 p 62 Cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute p 2022 Petrie The palace of Apries p 82 Voir les figures que jrsquoai reproduites ap Du caractegravere religieuxhellip p 0 28 22-22 2 20 22 262 27

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le mot seshed 2 laquo bandeau bandelette 2 raquo et ces deux mots sont agrave rapprocher drsquoun autre shed qui repreacutesente une laquo outre raquo et qui signifie originellement laquo peau deacutepouille peau preacutepareacutee pour faire une outre 26 raquo

Figure 2Lrsquooutre de peau

Le jubileacute royal eacutetait-il donc une fecircte de la renaissance par la peau Plusieurs faits semblent le confirmer Drsquoabord dans les fecirctes sed la plupart des officiants portent une peau de becircte 27 en particulier le precirctre qui par ses rites fait du roi un Osiris est toujours vecirctu de la peau de panthegravere Son nom ioun-moutef 28 signifie peut-ecirctre par jeu de mots laquo la peau est sa megravere 2 raquo Mais il est probable que cette graphie traduit une eacutetymologie populaire erroneacutee Les monuments tregraves anciens preacutesentent une orthographe ioun-kenmout 0 ougrave mout-ef est remplaceacute par kenmout nom du cynoceacutephale la peau de cynoceacutephale eacutetait nous lrsquoavons

2 pierre de palerme eacuted Schaeligfer p Quant agrave la forme shedshed elle indique grammatica-lement un duel le mot deacutesignerait peut-ecirctre originellement un objet double ce qui srsquoexpli-querait par la dualiteacute de la personne du Pharaon en qui lrsquoon distingue toujours le roi du Sud et le roi du Nord2 Par bandelette il faut entendre une eacutetoffe en piegravece qui peut ecirctre eacutetroite et mince comme un bandeau ou assez ample pour constituer un vecirctement Par bandeau il faut entendre le bandeau de tecircte formant couronne (cf A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 8 n stegravele de Kouban I 8)26 Cf V Loret ap recueil XI p 0 et Piehl proceedings s B A XII p 727 Naville The Festival Hall pl I II IV bis IX X XI XII XIII XIX XXI28 Le nom est connu degraves lrsquoAncien Empire Mariette Mastabas p 8 Autel de Turin (VIe dyn) trans s B A III pl I A pyramide de peacutepi ii 7722 Virey rehmacircracirc p n Il existe un mot iounou qui signifie peau (Brugsch Woumlrth p 88)0 Stegravele de Mentouhetep Caire 20 6 Sur ces graphies cf Erman Aeg grammatik p 0 Voir les textes des Pyramides (peacutepi i 776) citeacutes par Crum ap proceedings s B A XVI p 6 A Beacuteni-Hasan le mot ioun-moutef est deacutetermineacute par un homme debout tenant par la main un cynoceacutephale eacutegalement debout (Griffith Beni-Hasan III p 27) Osiris prend parfois la forme drsquoun cynoceacutephale (Chabas pap Harris p 6) ou cite laquo la peau du cynoceacutephale drsquoOsiris raquo (Pleyte eacutetude sur un rouleau p 22)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vu une peau-berceau du culte osirien Le premier sens du titre me paraicirct donc ecirctre laquo (celui qui porte) la peau du cynoceacutephale raquo une confusion explicable par la meacutetathegravese des signes a fait lire le mot ioun-kenmout de cette faccedilon erroneacutee ioun-mout-ek ce qui a pu se traduire par jeu de mots laquo peau ta megravere raquo devenu par la suite ioun-moutef laquo peau sa megravere raquo En fait la peau dont est revecirctu lrsquoofficiant des rites funeacuteraires est une peau de panthegravere et non de cynoceacutephale 2 Quoi qursquoil en soit on peut supposer que lrsquoioun-moutef lrsquohomme agrave la peau eacutetait le precirctre qui lors de lrsquoapplication au roi des rites osiriens mimait la renaissance du roi en passant pour lui dans une peau comme Anubis lrsquoavait fait pour Osiris

Le dieu Anubis figure preacuteciseacutement dans le cortegravege de la fecircte Sed avec un accessoire sin-gulier Parmi les enseignes (fig 26) qui sont porteacutees en tecircte du cortegravege sur un pavois le dieu-chien est debout devant une sorte drsquoenveloppe en forme de poche gardeacutee par lrsquoUraeligus Les textes disent de cette enve-loppe laquo on passe sur elle pour aller au ciel 6 raquo son nom shedshed ou seshed est apparenteacute au nom mecircme de la fecircte sed ou seshed et vient semble-t-il de la mecircme racine shed laquo peau raquo

2 Un autre vecirctement ritualistique le qeni est une peau de gazelle (von Bissing ap recueil XXIX p 8) Sur ces enseignes divines qui figurent dans les cortegraveges de toutes les fecirctes osiriennes (fecirctes royales fecirctes drsquoOsiris fecirctes des morts = Louvre C todlenbuch ch i) cf A Moret Du ca-ractegravere religieux p 26 27 2 22 22 26 27 272 Le dieu-chien est Anubis ou bien Oupouatou ou encore le dieu sed Ce der-nier nom qui est rare sous lrsquoAncien Empire (cf Schaeligfer pierre de palerme p 2) disparaicirct par la suite peut-ecirctre eacutetait-il reacuteserveacute agrave lrsquoorigine au dieu-chien jouant son rocircle dans la fecircle sed Lrsquoenveloppe nrsquoapparaicirct sur le pavois que devant le dieu chien le dieu-faucon (Horus) et peut-ecirctre devant lrsquoenseigne dou des monuments archaiumlques (cf Loret revue eacutegyptologique XI p 80) Eacutetoffes replieacutees de mecircme ap Setheacute pyram II p 66 28 68 Petrie et Sethe voient dans le shedshed une plume (Mahasna p ) or les monuments peints tels que les sarco-phages donnent au shedshed la couleur rouge et aux plumes la couleur blanche ou bleue (A Moret sarcophages Caire p )6 Mahasna p mdash Pour la forme exacte du deacuteterminatif cf Sethe pyramidentexte I p 27 (pyr de teacuteti I -2)

Figure 2Horus ioun-MoutefTombeau de Seti Ier

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 26Pharaon preacuteceacutedeacute de son precirctre et des enseignes divines

et suivi de son ka adolescent Dendeacuterah

Lrsquoenveloppe me paraicirct ecirctre une eacutetoffe replieacutee jouant le mecircme rocircle que le linceul dans les rites deacutejagrave deacutecrits crsquoest-agrave-dire rem-placcedilant la peau Si cette hypothegravese est exac-te lrsquoenseigne du chien au shedshed pourrait repreacutesenter Anubis au moment ougrave le dieu va exeacutecuter le rite qui assurera la naissance du roi

A cocircteacute du dieu-chien on porte sur pavois un objet jusqursquoici indeacutetermineacute

On a deacutefini cet objet laquo morceau de vian-de raquo et on y voit une forme du dieu Hon-sou drsquoapregraves un tableau de Dendeacuterah 7 La comparaison des diverses leacutegendes qui ac-compagnent lrsquoobjet 8 prouve que la lecture

7 Mariette Dendeacuterah IV pl 2 I pl 228 La tombe du roi Hormheb (deacutebut de la XIXe dynastie) deacutecouverte par M Davis en 08

Figure 27Le dieu-chien le shedshed et lrsquouraeus

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veacuteritable est nsout hen Dans le mot hen je propose de reconnaicirctre un terme usiteacute degraves lrsquoAncien Empire pour deacutesigner la laquo peau raquo lrsquolaquo outre raquo le laquo cuir raquo Le groupe complet nsout-hen signifierait donc laquo la peau du roi raquo ce serait la peau dont on se sert pour faire renaicirctre le roi conformeacutement aux rites osiriens

La forme de lrsquoobjet hen rappelle en effet exactement la silhouette du tikenou accroupi sous la peau (fig 28) Un fait deacutemontre que cette similitude est voulue Au tombeau de Renni (fig ) on dit du tikenou qursquoil est laquo celui qui passe par la peau raquo hensou 0 il y a donc analogie de forme et de nom entre les deux symboles de hen et de tikenou et les deux conceptions

Figure 28Le tikenou sous la peau

Pourquoi precirctait-on une attitude styliseacutee agrave lrsquoindividu cacheacute sous la peau-lin-ceul Que peut eacutevoquer cette position speacuteciale imposeacutee agrave tous les officiants de la peau Pour lrsquoexpliquer il convient de recourir aux images les plus mateacuterielles que pouvait suggeacuterer agrave des hommes primitifs lrsquoideacutee de la renaissance Je crois pouvoir deacutemontrer par les dessins ci-dessous donneacutes que le hen correspond exactement agrave

contenait parmi les objets ritualistiques deux simulacres de fœtus nsout-hen en bois de syco-more longs de 02 centimegravetre sur 00 centimegravetre de haut On les trouvera dans la publica-tion de M Davis (The tomb of Harmhabi 2) agrave la page 0 nos 26-7 catalogueacutes sous le nom erroneacute laquo emblegravemes de Honsou raquo Voir la forme des deux objets sur la palette de Narmer (Hieacuterakonpolis I pl 26 mdash Moret Du caractegravere rel p 26) Inscription drsquoHerhouf (Sethe Urk I 0 cf Aeg Z XLII p et les scegravenes de travail du cuir ap Deshasheh pl XXI)0 Le mot hen apparaicirct sous la graphie hens et hensou aux tableaux drsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque (Kom-Ombo I p 6 2 Dendeacuterah I 22 IV 2 cf Pleyte Aeg Zeitschrift 868 6-7)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la silhouette du fœtus gravide de lrsquoembryon humain agrave terme encore enveloppeacute dans la matrice (fig 28 et 2)

Ce symbolisme expressif srsquoexplique agrave merveille si lrsquoon admet que la fecircte sed renouvelle au beacuteneacutefice du roi drsquoEacutegypte le Mystegravere de la naissance lui procure peacuteriodiquement une vie renouveleacutee De pareils rites se retrouvent freacutequemment dans les socieacuteteacutes primitives

Nous devons admettre que les Eacutegyptiens comme tant drsquoautres peuples 2 re-doutaient que la force vitale ne srsquoeacutepuisacirct agrave la longue dans le corps du souverain Aussi avaient-ils imagineacute de laquo renouveler la naissance raquo du Pharaon afin de ne jamais laisser srsquoamoindrir sa diviniteacute Pour y arriver ils appliquegraverent au Pharaon les proceacutedeacutes magiques de renaissance dont on usait envers Osiris et les morts Le jubileacute royal comprenait donc lrsquoexeacutecution du mystegravere de la peau son nom mecircme sed ou seshed eacutevoquerait la peau ou le bandeau dont on ceignait lrsquoinitieacute apregraves qursquoil avait parfait les rites Peut-ecirctre la queue postiche que porte le roi drsquoha-bitude nrsquoest-elle qursquoun abreacutegeacute de la peau tout entiegravere et comme un rappel de lrsquoinitiation qui lui a valu la renaissance pour une peacuteriode drsquoanneacutees

Figure 2 mdash Aspect du fœtus gravide

Cette deacutemonstration a eacuteteacute proposeacutee le 22 janvier au Museacutee Guimet lors drsquoune confeacute-rence imprimeacutee en septembre au tome XXXVI de la Bibliothegraveque de vulgarisation La mecircme anneacutee M Seligmann et miss Murray publiaient dans Man (novembre ) une note upon early egyptian standard ougrave ils proposaient de reconnaicirctre dans le hen le placenta crsquoest-agrave-dire lrsquoannexe du fœtus Aujourdrsquohui encore certaines tribus des reacutegions du Haut-Nil lors de la naissance drsquoun futur roi traitent avec honneur le placenta et le cordon ombilical du prince royal le conservent dans un eacutedifice et lui attribuent un pouvoir mystique sur la vie du roi2 Cf Frazer Le rameau drsquoor II p et suiv Petrie sinaiuml p 82 Ouhem mestou laquo qui renouvelle les naissances raquo nom drsquoHorus drsquoAmenemhat I (Gauthier Livre des rois p 2 et suiv)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette interpreacutetation des rites de la fecircte Sed et des Mystegraveres osiriens causera peut-ecirctre quelque surprise A qui ne suffirait pas le teacutemoignage des monuments eacutegyptiens je rappellerai des scegravenes semblables mais commenteacutees par des textes tregraves explicites qui se trouvent dans les rituels veacutediques Il srsquoagit de faire renaicirctre agrave une autre existence lrsquoofficiant qui offre le sacrifice de le diviniser en le faisant mourir agrave la terre et renaicirctre dans le ciel Jrsquoemprunte ce qui suit au beau livre de Sylvain Leacutevi

laquo Alors la dicircksacirc intervient La dicircksacirc est un ensemble de ceacutereacutemonies preacutelimi-naires qui sert agrave deacuteifier la creacuteature humainehellip On eacutelegraveve un hangar particulier pour le sacrifiant qui fait la dicircksa on lui passe une peau drsquoantilope noire laquo le hangar crsquoest sa matrice la peau drsquoantilope noire crsquoest le chorion le vecirctement crsquoest lrsquoamnios la ceinture crsquoest le cordon ombilical celui qui fait la dicircksacirc est un embryon raquo

Un des Bracirchmanas rassemble dans un exposeacute concis les principaux actes de la dicircksacirc avec leur interpreacutetation laquo Les precirctres transforment en embryon celui agrave qui ils donnent la dicircksacirc Ils lrsquoaspergent avec de lrsquoeau lrsquoeau crsquoest la semence virile ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la semence virile mdash ils lui frottent les yeux drsquoonguent lrsquoonguent crsquoest la vigueur pour les yeux ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la vigueur Ils le font entrer dans le hangar speacutecial le hangar speacutecial crsquoest la matrice de qui fait la dicircksacirc ils le font entrer ainsi dans la matrice qui lui convient Ils le recouvrent drsquoun vecirctement le vecirctement crsquoest lrsquoamnios pour qui fait la dicircksacirc ils le recouvrent ainsi de lrsquoamnios On met par-dessus une peau drsquoantilope noire le chorion est en effet par-dessus lrsquoam-nios on le recouvre ainsi du chorion Il a les poings fermeacutes en effet lrsquoembryon a les poings fermeacutes tant qursquoil est dans le sein lrsquoenfant a les poings fermeacutes quand il naicircthellip Il deacutepouille la peau drsquoantilope pour entrer dans le bain crsquoest pourquoi les embryons viennent au monde deacutepouilleacutes du chorion Il garde son vecirctement pour y entrer et crsquoest pourquoi lrsquoenfant naicirct avec lrsquoamnios sur luihellip raquo

En somme conclut S Leacutevi la dicircksacirc est une seconde naissance une reacutegeacuteneacute-

Le chorion et lrsquoamnios sont deux membranes qui enveloppent le fœtus dans la matrice dans cet ordre en allant de lrsquoexteacuterieur agrave lrsquointeacuterieur Notons que si le hangar de la dicircksacirc est appeleacute laquo matrice raquo de lrsquoinitieacute en eacutegyptien les mots shed et out (la peau drsquoAnubis) peuvent avoir aussi le sens uteacuterus Ainsi devient intelligible lrsquousage de mots deacutesignant la peau et la matrice et drsquoobjets simulant la forme du fœtus agrave terme dans les fecirctes ceacuteleacutebreacutees pour les initieacutes du culte osirien

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ration qui fait de lrsquohomme un dieu laquo Lrsquohomme ne naicirct qursquoen partie crsquoest par le sacrifice qursquoil est veacuteritablement mis au monde 6 raquo

De tous les teacutemoignages eacutegyptiens citeacutes plus haut il reacutesulte qursquoon se figurait de mecircme faccedilon le meacutecanisme de la renaissance dans les mystegraveres osiriens parti-culiegraverement dans la fecircte sed ougrave il srsquoagit de laquo renouveler la vie raquo ou laquo la naissance raquo du roi vivant Purification par lrsquoeau-de-vie onction de fards passage par la peau construction drsquoun eacutedifice le pavillon des fecirctes sed ougrave ces rites eacutetaient ceacuteleacutebreacutes tout srsquoeacuteclaire singuliegraverement prend un sens intelligible par la compa-raison avec les rites hindous

Ainsi les rois drsquoEacutegypte recevaient des mystegraveres osiriens un renouvellement de vie Eacutetait-ce le privilegravege exclusif du roi Les autres hommes leurs sujets y eacutetaient-ils admis Eacutetait-ce apregraves la mort seulement que les initieacutes subissaient les rites qui assuraient la renaissance Les textes sont extrecircmement discrets agrave ce su-jet et peut-ecirctre ne devons-nous pas en ecirctre eacutetonneacutes puisqursquoil srsquoagit de Mystegraveres Toutefois je tiens pour bonne lrsquointerpreacutetation que Lefeacutebure a donneacutee drsquoune stegravele de la XIIe dynastie 7 ougrave il est question drsquoun certain Oupouatouacirca qui par faveur exceptionnelle degraves son vivant laquo passe par la peau raquo laquo Sa Majesteacute dit-il me placcedila comme sacrificateur des victimes bovines dans le temple drsquoOsiris Hentamenti dans Abydos du nome Thinite Je suis sorti sur les peaux meskaou pour moi-mecircme lagrave agrave cause de la grande faveur que Sa Majesteacute me teacutemoignaithellip8 raquo Jrsquoai noteacute que lrsquoexpression est tout agrave fait pareille agrave celle des Pyramides laquo Teacuteti sort vers le ciel sur le shedshed raquo Le favori du roi a donc connu de son vivant le mystegravere de la renaissance par la peau

Si nous voulons ecirctre eacuteclaireacutes sur le beacuteneacutefice drsquoun rite de ce genre consultons encore les commentaires des rites veacutediques laquo Gracircce aux pratiques de la dicircksacirc le sacrifiant se trouve en possession de deux corps lrsquoun mateacuteriel et mortel lrsquoautre rituel et immortelhellip En veacuteriteacute lrsquohomme naicirct trois fois drsquoabord il naicirct de son

6 Sylvain Leacutevi La doctrine du sacrifice dans les Bracirchmanas p 0 Cf Lefeacutebure sphinx Viii p 7 Lefeacutebure avait par ce rapprochement suggeacutereacute lrsquoidentiteacute du tikenou avec le precirctre qui passe par la dicircksacirc Mais il nrsquoavait point compareacute ces rites avec ceux de la fecircte sed7 Stegravele ndeg 0 de Munich (Dyroif et Poumlrtner pl II) La stegravele est du type de C (Louvre) et de Turin ndeg 07 (Maspero recueil III p ) elle comporte comme celles-ci une liste de diviniteacutes8 (I 2-22) Ce texte a eacuteteacute signaleacute et interpreacuteteacute par Crum ap proceedings s B A XVI p Lefeacutebure dans une note agrave lrsquoarticle de Crum dit laquo La question serait de savoir si la stegravele parle drsquoun sacrifice fait pendant la vie ou apregraves la mort du personnage Si crsquoest de son vivant il a eacuteteacute son propre tikenou raquo Le texte ne precircte pas agrave amphibologie Il srsquoagit bien drsquoun sacrifice fait pendant la vie drsquoOupouatouacirca

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pegravere et de sa megravere puis quand il se sacrifie ce que le sacrifice fait de lui crsquoest sa seconde naissance enfin quand il meurt et qursquoon le deacutepose dans le feu quand il naicirct de lagrave crsquoest sa troisiegraveme naissance Et crsquoest pourquoi il est dit que lrsquohomme naicirct trois fois 0 raquo

Tels eacutetaient pour les Eacutegyptiens les effets attendus de ces rites Une question se pose encore Les termes employeacutes par Oupouatouacirca indiquent que lrsquoinitia-tion reccedilue par lui eacutetait rarement accordeacutee aux hommes vivants Cette initiation est-elle complegravete Et y avait-il des degreacutes dans lrsquoinitiation Nous sommes trop mal renseigneacutes pour reacutepondre en toute certitude Le fait qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-ro-maine lrsquoinitiation complegravete aux mystegraveres drsquoIsis qui ont fait de larges emprunts agrave lrsquoEacutegypte comportait aussi une mort simuleacutee et une renaissance donne sans doute une preacutesomption pour affirmer qursquoOupouatouacirca a eacuteteacute admis aux derniers degreacutes de lrsquoinitiation Peut-ecirctre devons-nous consideacuterer comme des laquo initieacutes par-faits raquo ces hommes assez peu nombreux qui peuvent se vanter dans leurs eacutepita-phes drsquoecirctre laquo un iahou parfait muni qui connaicirct les formules raquo ou laquo qui connaicirct toute la magie secregravete de la cour 2 raquo Ceux-lagrave eacutetaient initieacutes degraves leur vivant les autres ne devenaient laquo iahou parfaits raquo qursquoapregraves la mort au moment ougrave les rites funeacuteraires faisaient drsquoeux des Osiris il nrsquoest pas prouveacute que tous les gens qui faisaient repreacutesenter dans leurs tombes le Mystegravere de la peau en aient beacuteneacuteficieacute avant les funeacuterailles

Les mecircmes restrictions doivent srsquoappliquer me semble-t-il agrave une autre eacutepi-thegravete donneacutee geacuteneacuteralement agrave ceux qui aspirent agrave la laquo feacuteauteacute raquo ou laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo imahou er neter acirca Lrsquoeacutepithegravete neb imahou laquo possesseur de la conseacutecration raquo ou comme on traduit drsquoordinaire laquo de la beacuteatitude raquo deacutesigne tous les Eacutegyptiens qui ont eu le beacuteneacutefice drsquoune seacutepulture consacreacutee suivant le rite osirien et qui attendent la vie divine apregraves la mort Le signe semble repreacute-senter un de ces pagnes munis drsquoune queue qursquoon mettait autour des reins

0 Citeacute par Frazer Le rameau drsquoor II p 0 drsquoapregraves les Lois de Manou Apuleacutee Meacutetamorphoses XI Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 et suiv2 Sethe Urkunden d A r I p 22 mdash Cf I p (VIe dyn) Cf peacutepi i I 78 et suiv Maspero recueil III P 0 eacutetudes de Mythologie I p 0 7 A Moret La condition des feacuteaux ap recueil XIX p Pour ces vecirctements agrave queue cf Lacau sarcophages du Caire pl XLIX et L Drsquoapregraves les rituels la beacuteatitude ou lrsquoinsigne de cette beacuteatitude arrive au mort venant du dos drsquoOsiris (Schia-parelli Libro dei funerali II p 87) Aux textes des Pyramides le mot laquo dos raquo (psed) drsquoOsiris est deacutetermineacute par un signe semblable agrave imah (Ounas I68 et cf eacutedition Sethe I p 26 et 227) mdash Lrsquoinsigne des imahou serait-il agrave comparer aussi avec la laquo ceinture drsquoherbes de Munga raquo que portent les initieacutes hindous imah a souvent la forme drsquoune gerbe lieacutee (Sethe pyramidentexte I p 0) Serait-ce une indication pour rattacher cette conception au mythe agraire osirien

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

comme la queue royale ce pagne rappellerait la peau de la renaissance Parfois aussi lrsquoinsigne se placcedilait sur la tecircte eacutevoquant ainsi lrsquousage du bandeau seshed 6 Queue ou bandeau lrsquoinsigne attestait que son possesseur eacutetait laquo initieacute raquo

Les textes speacutecifient que lrsquoimahou attendait de la faveur des dieux entre autres choses 7 sur terre une vie tregraves longue et apregraves la mort lrsquoeacutetat de laquo beacuteatitude 8 raquo Drsquoapregraves Apuleacutee ces mecircmes promesses rendaient bienheureux les initieacutes aux Mystegraveres drsquoIsis

On nrsquoarrivait le plus souvent qursquoagrave la fin de la vieillesse ou apregraves la mort agrave lrsquoeacutetat de beacuteatitude Ceux qui degraves leur jeunesse jouissent de cette faveur ne manquent pas de srsquoen vanter 60 Jrsquoen conclus qursquoagrave part ces favoriseacutes les hommes ne reacuteali-saient qursquoen mourant tous les avantages de la condition drsquoimahou rares eacutetaient ceux qui gracircce agrave une mort simuleacutee beacuteneacuteficiaient drsquoune initiation 6 complegravete Les autres nrsquoeacutetaient censeacutes renaicirctre qursquoapregraves la mort reacuteelle agrave condition que les rites osiriens leur fussent appliqueacutes ils parvenaient alors dans une autre vie agrave la laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo Une eacutepithegravete freacutequente depuis le Nouvel Empire srsquoajoute au nom du deacutefunt pour deacutefinir cet eacutetat de sainteteacute rituelle ouhem acircnh laquo celui qui renouvelle la vie raquo Cette renaissance reacutesultait de lrsquoinitiation que celle-ci fucirct acquise avant ou apregraves la mort

Pour reacutesumer le sujet dans ses grandes lignes je rappelle que nous avons pris comme point de deacutepart les donneacutees des rituels drsquoOsiris ces donneacutees sont tregraves bregraveves soit agrave cause du caractegravere secret des rites soit parce que les textes eacutetant de basse eacutepoque sont devenus obscurs et eacutecourteacutes agrave cause de lrsquoindiffeacuterence des precirctres et du public Jrsquoai chercheacute agrave ces obscuriteacutes des eacuteclaircissements dans le culte des morts imiteacute du culte drsquoOsiris entre tous les monuments les tableaux des tombes theacutebaines nous ont fourni les renseignements les plus clairs sur des

6 pyramide drsquoOunas I 66 laquo lrsquoinsigne imahou drsquoOunas (est) sur la tecircte drsquoOunas raquo7 Jrsquoai montreacute dans mon eacutetude sur La condition des feacuteaux que lrsquoimahou reccediloit un tombeau (ou au moins le terrain) des rations de nourriture pendant sa vie et des offrandes apregraves la mort le tout aux frais du patron dieu roi ou chef de famille (recueil XIX p et suiv)8 recueil de travaux XIX p 26 et suiv Meacutetamorphoses XI (eacuted Nisard p 02) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20860 recueil XIX p 27 et les exemples citeacutes plus haut6 M Paul Foucart cherchant en Eacutegypte un eacutequivalent agrave lrsquoinitieacute eacuteleusinien ou isiaque avait sur lrsquoindication de M Maspero proposeacute de le trouver dans lrsquoimahou (recherches sur les Mystegraveres drsquoeacuteleusis p 20) Jrsquoadopte actuellement cette ideacutee dans mon eacutetude sur La Condition des feacuteaux je mrsquoeacutetais preacuteoccupeacute exclusivement de la condition sociale des imahou jrsquoajouterai agrave cet exposeacute que le point de deacutepart de la condition drsquoimahou est une initiation aux rites deacutecrits ici initiation confeacutereacutee au myste par le dieu le roi ou le pegravere A la basse eacutepoque le precirctre qui initie aux mys-tegraveres prend encore le titre de pegravere

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rites dont jrsquoai prouveacute ensuite lrsquousage degraves lrsquoAncien et le Moyen Empire Passant au culte des vivants jrsquoai montreacute que les rites des fecirctes Sed renouvellent la vie du roi en lui confeacuterant lrsquoinitiation aux Mystegraveres osiriens et que parmi les hommes quelques-uns sont initieacutes pendant leur vie et la plupart apregraves leur mort

En proceacutedant ainsi jrsquoai passeacute du connu agrave lrsquoinconnu et je me suis efforceacute de mettre en lumiegravere les proceacutedeacutes drsquoinitiation et de deacutefinir les diverses classes drsquoini-tieacutes Lrsquoinconveacutenient de cette meacutethode crsquoest de neacutegliger en apparence lrsquoordre chronologique des documents puisque les rituels osiriens qui nous sont par-venus datent de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine tandis que lrsquoosirification du roi et des hommes est connue degraves lrsquoeacutepoque archaiumlque Aussi le sujet une fois eacuteclairci re-viendrai-je agrave lrsquoordre chronologique pour reacutesumer les conclusions que je voudrais proposer

La renaissance apregraves la mort gracircce agrave des rites magiques dont le plus important est celui de la peau telle est la raison drsquoecirctre des Mystegraveres osiriens la certitude drsquoune survivance eacuteternelle tel est le reacutesultat de lrsquoinitiation

Les monuments de lrsquoAncien Empire nous reacutevegravelent les proceacutedeacutes de lrsquoinitiation confeacutereacutee au roi vivant (fecircte Sed) et au roi mort (rites funegravebres) Les rites secrets se reacutesument dans le laquo mystegravere de la peau raquo Guideacutes par la reacuteveacutelation donneacutee par les dieux-chiens Sed Anubis Ouapouatou (ces deux derniers dieux de la peau out) et sous la garde de lrsquoUraeligus divine le roi ou un officiant (appeleacute Iounmou-tef et revecirctu drsquoune peau) passent pour renaicirctre au ciel sur lrsquoobjet shedshed (ou seshed) crsquoeacutetait une peau (shed) devenue par stylisation un vecirctement un linceul ou bandelette comme teacutemoignage du rite accompli le roi porte une bande-lette formant ceinture avec queue (sed) et un bandeau de tecircte (seshed) drsquoougrave le nom fecircte sed ou seshed donneacute au jubileacute royal ougrave le roi laquo renouvelle sa naissance raquo pour une peacuteriode variable Les mecircmes rites se ceacuteleacutebraient au moyen drsquoune peau appeleacutee laquo peau du roi raquo nsout-hen par laquelle passait le roi ou un officiant agrave sa place Dans les fecirctes du culte adresseacute au roi vivant ou mort on portait sur pavois le shedshed et le nsout-hen auxquels on donnait une forme styliseacutee rappelant pour le premier la matrice pour le second le fœtus humain agrave terme replieacute dans la matrice Lrsquointerpreacutetation de ces symboles srsquoeacuteclaire par lrsquoexistence drsquoalleacutegories analogues dans les rites veacutediques Il existait encore drsquoautres laquo peaux geacuteneacuteratri-ces raquo mes meska kenemt Le lieu ougrave se jouait le Mystegravere eacutetait qualifieacute laquo berceau raquo meshent Lors de la fecircte du jubileacute royal les rites srsquoexeacutecutent dans des pavillons munis drsquoun lit sur lequel le roi laquo se couche raquo (sder) pour mourir rituellement et

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

renaicirctre en roi comme Osiris 62 Pour les morts les lieux de renaissance sont des citeacutes mystiques dont les noms se rapportent aux diverses peaux villes de Out Meska Kenemt Shedt Lrsquoexistence de ces localiteacutes diverses et des proceacutedeacutes dif-feacuterents de renaissance fait supposer que les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont amalgameacute tant bien que mal des traditions locales anciennes qui par des meacutethodes diverses pratiquaient cependant un rite commun la renaissance par la peau

Lrsquoinitiation du roi nrsquoeacutetait qursquoune imitation des rites qursquoon avait pratiqueacutes laquo la premiegravere fois raquo pour Osiris Le Mystegravere osirien appliqueacute au dieu lui-mecircme existe donc degraves les temps archaiumlques bien que les textes jusqursquoici connus ne le deacutecrivent point et nrsquoy fassent allusion que par preacuteteacuterition

Les tombeaux de lrsquoAncien Empire montrent que tous ceux qui posseacutedaient un tombeau eacutetaient initieacutes aux rites osiriens Chaque deacutefunt enseveli rituelle-ment devenait dans lrsquoautre monde un ecirctre laquo consacreacute raquo iahou ou un laquo beacuteatifieacute raquo imahou Sauf de rares exceptions on ne devenait imahou qursquoapregraves la mort il y a cependant en dehors du roi des exemples certains drsquohommes initieacutes pendant leur vie

Les rites de lrsquoinitiation au moment des funeacuterailles sont repreacutesenteacutes depuis le Moyen Empire (stegravele C ) et les tableaux se multiplient dans les tombeaux que jrsquoai citeacutes A la XVIIIe dynastie on confie au tikenou le passage par la peau pour le compte du deacutefunt souvent on remplace la peau par un linceul et le tikenou par un precirctre ordinaire le sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine les tableaux des tom-bes montrent rarement les officiants coucheacutes sous la peau ou le linceul Mais des allusions subsistent dans les Livres des Morts les enseignes alleacutegoriques du shedshed et du nsout-hen figurent dans les processions

Quant aux rituels du culte drsquoOsiris qui devraient ecirctre les archeacutetypes de tous les autres nous ne les posseacutedons jusqursquoici que dans des reacutedactions illustreacutees de tableaux de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine Les rites de la renaissance par la peau-ber-ceau qui eacutevoque laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo y sont plutocirct rappe-leacutes que deacutecrits le rocircle drsquoAnubis et drsquoHorus comme prototypes du Tikenou ne sont deacutefinis que par allusion il nrsquoest plus question du shedshed ni du hen Sans les textes des Pyramides ou sans les tableaux des tombes theacutebaines les rituels nous sembleraient muets ou resteraient deacutesespeacutereacutement obscurs Sommes-nous ici en preacutesence de reacuteticences systeacutematiques agrave cause du caractegravere mysteacuterieux de ces ri-tes Je crois plutocirct qursquoagrave la basse eacutepoque les rites de la renaissance animale ont

62 Eacuted Naville The Festival Hall of Osorkon ii pl II Moret Du caractegravere religieux p 20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

perdu de leur importance et qursquoon leur a preacutefeacutereacute ceux de la renaissance veacutegeacutetale auquel est consacreacute agrave Dendeacuterah un tregraves long texte qui entre dans les moindres deacutetails Jrsquoai lrsquoimpression que si nous retrouvions par chance un rituel osirien de lrsquoAncien Empire les rites de la renaissance animale y seraient preacutedominants Les initieacutes aux Mystegraveres nrsquoauraient pas donneacute jusqursquoau Nouvel Empire une impor-tance si grande aux rites de la peau si leur patron Osiris nrsquoy avait pas lui-mecircme trouveacute son plus efficace proceacutedeacute de reacutesurrection

En reacutesumeacute le principe fondamental des Mystegraveres osiriens faire de la mort le berceau drsquoune vie nouvelle est une des conceptions les plus antiques de la religion eacutegyptienne elle apparaicirct vigoureuse et riche en applications diverses surtout aux eacutepoques tregraves anciennes et crsquoest par les documents les plus reculeacutes en acircge que nous pouvons le mieux en appreacutecier lrsquoimportance

Cette ideacutee que de la mort mecircme surgit pour lrsquoinitieacute la source drsquoune nouvelle vie a eacuteteacute commune agrave une grande partie de lrsquohumaniteacute Lrsquoeacutetude compareacutee des re-ligions a reacuteveacuteleacute que dans lrsquoantiquiteacute et de nos jours encore les peuples primitifs ont foi en des pratiques magiques qui transforment la mort en une eacutepreuve drsquoini-tiation ougrave lrsquoinitieacute puise une vie nouvelle

Que ce soit en Eacutegypte dans lrsquoInde ou chez les non-civiliseacutes les rites drsquoinitia-tion ont ceci de commun que le myste doit drsquoabord mourir agrave sa vie anteacuterieure pour renaicirctre Ainsi M Frazer nous montre lrsquoinitiation pratiqueacutee dans les tribus sauvages mdash speacutecialement chez celles qui srsquoadonnent au toteacutemisme Lrsquoadolescent lorsqursquoil atteint lrsquoacircge de puberteacute se soumet agrave certains rites dont le plus freacutequent consiste en la mort apparente suivie de la nouvelle naissance Le fondement de cette pratique crsquoest de faire sortir lrsquoacircme du jeune homme de son corps pour la transfeacuterer dans son totem laquo Lrsquoadolescent meurt en tant qursquohomme et ressuscite en tant qursquoanimal 6 raquo

La foi en ce simulacre de mort suivie de reacutesurrection ou si lrsquoon veut en cette seconde naissance srsquoest perpeacutetueacutee dans les civilisations plus avanceacutees Manou deacuteclarait laquo Suivant les injonctions des textes reacuteveacuteleacutes lrsquohomme naicirct une premiegravere fois de sa megravere naturelle il naicirct une seconde fois quand on attache autour de son corps la ceinture drsquoherbes de Munga il naicirct une troisiegraveme fois lorsqursquoil est initieacute aux rites drsquoun sacrifice Srauta 6 raquo

On sait que lrsquoinitiation aux Mystegraveres mithriaques comportait probablement

6 Le rameau drsquoor II p Il en est de mecircme pour lrsquoinitiation des sorciers Cf Leacutevy-Bruhl Les Fonctions mentales dans les socieacuteteacutes infeacuterieures p et 26 J Frazer Le rameau drsquoor II p 0

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

une mise agrave mort simuleacutee de mecircme que les Mystegraveres drsquoEacuteleusis et drsquoIsis compre-naient une ceacutereacutemonie de la mort figureacutee et de la renaissance inspireacutee tregraves proba-blement des antiques Mystegraveres eacutegyptiens 6

Rattacher ces rites de la vieille Eacutegypte agrave une tradition commune agrave lrsquohumaniteacute crsquoest les diminuer peut-ecirctre en singulariteacute mais crsquoest rendre lrsquointerpreacutetation que jrsquoen propose plus vraisemblable Certes les Mystegraveres eacutegyptiens meacuteritent bien leur nom les quelques informations donneacutees par le texte et lrsquoimage laissent en-core agrave lrsquointuition et au labeur de lrsquoeacutegyptologue un champ de teacutenegravebres agrave scruter Pourtant ce serait un pas de fait dans la recherche si agrave la lumiegravere que jrsquoai essayeacute de projeter sur eux jrsquoavais reacuteussi agrave eacutetablir ce point les Mystegraveres eacutegyptiens se relient dans le fond du passeacute agrave des croyances qui ont surveacutecu en drsquoautres pays Deacutepouilleacutes de la mise en scegravene speacuteciale reacuteduits agrave lrsquoideacutee ils prolongent jusqursquoagrave nous un eacutecho de la mystique primitive vivre est le plus grand bien mourir la pire deacutetresse La grande affaire des vivants que la mort guette crsquoest de se preacuteparer les moyens drsquoune renaissance eacuteternelle

6 A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7

II

Le Mystegravere du verbe creacuteateur

Louis Meacutenard qui a populariseacute en France lrsquoeacutetude des livres hermeacutetiques es-timait que ceux-ci derniegraveres productions de la philosophie greacuteco-alexandrine formaient un trait drsquounion entre la theacuteologie eacutegyptienne et le christianisme nais-sant laquo Les docteurs chreacutetiens en invoquaient souvent le teacutemoignage avec celui des Sibylles qui avaient annonceacute la venue du Christ aux paiumlens pendant que les Prophegravetes lrsquoannonccedilaient aux Heacutebreux Hermegraves dit Lactance a deacutecouvert je ne sais comment presque toute la veacuteriteacute On le regardait comme une sorte de reacuteveacutelateur inspireacute et ses eacutecrits passaient pour des monuments authentiques de lrsquoancienne theacuteologie des Eacutegyptiens 66 raquo Aujourdrsquohui lrsquoeacutetude des textes hieacuterogly-phiques est assez avanceacutee pour qursquoon puisse controcircler cette assertion de Meacutenard un peu aventureacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave elle fut eacutemise Est-il vrai que ces dissertations mystiques qui ont si bien preacutepareacute les esprits au Christianisme contiennent quelques reacuteminiscences des dogmes religieux de lrsquoancienne Eacutegypte Crsquoest ce que nous voudrions rechercher en examinant une des theacuteories essentielles preacutesenteacutees dans le poimandres celle du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur

Drsquoapregraves les livres hermeacutetiques lrsquoUnivers est lrsquoœuvre drsquoune Intelligence suprecirc-me qui preacuteexistait agrave tout 67 Avant la creacuteation nrsquoexistait que le Chaos laquo il y avait des teacutenegravebres sans limite sur lrsquoabicircme de lrsquoeau et un esprit (πνεῦμα) subtil et in-telligent contenus dans le Chaos par la puissance divine Alors jaillit la lumiegravere sainte et sous le sable les eacuteleacutements sortirent de lrsquoessence humide et tous les dieux deacutebrouillegraverent la nature feacuteconde 68 raquo Crsquoest en ces termes qursquoHermegraves Trismeacutegiste deacutecrit la creacuteation Ailleurs pour nous faire comprendre ce que pouvait ecirctre laquo la forme primordiale anteacuterieure raquo il nous parle laquo des teacutenegravebres qui se changent en je ne sais quelle nature humide et trouble exhalant une fumeacutee comme le feu et une sorte de bruit lugubre Puis il en sort un cri inarticuleacute qui semblait la voix de la

66 Louis Meacutenard Hermegraves trismeacutegiste Introduction Le poimandres drsquoHermegraves Trismeacutegiste tra-duit par Louis Meacutenard a eacuteteacute reacuteeacutediteacute aux eacuteditions arbredorcom en 200667 Id ibid p 68 Id ibid p 27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lumiegravere une parole sainte descend de la lumiegravere sur la Nature 6 raquo Cette lumiegravere nrsquoest autre que lrsquoIntelligence crsquoest-agrave-dire Dieu qui preacutecegravede la nature humide sortie des teacutenegravebres quant au Verbe parole lumineuse crsquoest le fils de Dieu (ὁ δὲ

ἐκ Νοὸς φωτεινὸς Λὁγος υἵος θεοῦ 70)On sait combien cette conception de la creacuteation du monde se rapproche de

celle que nous font connaicirctre lrsquoAncien et le Nouveau Testament Voici le deacutebut de la Genegravese laquo Au commencement Dieu creacutea les cieux et la terre La terre eacutetait informe et vide il y avait des teacutenegravebres agrave la surface de lrsquoabicircme et lrsquoesprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux Dieu dit laquo que la lumiegravere soit raquo et la lumiegravere fut 7 raquo Nous retrouvons ici des eacuteleacutements de description analogues agrave ceux des livres hermeacutetiques un abicircme de lrsquoeau des teacutenegravebres pour constituer le chaos originel puis un esprit flottant sur lrsquoabicircme un appel lanceacute par la voix de Dieu et la lumiegravere creacuteeacutee par ce Verbe LrsquoEacutevangile de saint Jean reacuteduit ces eacuteleacutements au minimum et nous donne une synthegravese plus mystique encore que le poimandres laquo Au commencement eacutetait le Verbe et le Verbe eacutetait avec Dieu et le Verbe eacutetait Dieuhellip Il eacutetait au commencement avec Dieu Toutes choses ont eacuteteacute faites par lui et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui En lui eacutetait la vie et la vie eacutetait la lumiegravere des hommes raquo

Que trouvons-nous dans les textes eacutegyptiens pharaoniques de ces eacuteleacutements et de ces concepts communs aux livres sacreacutes heacutebraiumlques et hermeacutetiques

Drsquoapregraves les plus anciens textes religieux actuellement connus ceux des Pyra-mides des Ve et VIe dynasties agrave Saqqarah 72 (vers 2600 av J-C) nous pouvons nous figurer comment les Eacutegyptiens imaginaient lrsquoUnivers avant la Creacuteation En ce temps laquo il nrsquoexistait pas encore de ciel il nrsquoy avait pas encore de terre il nrsquoy avait pas encore drsquohommes les dieux nrsquoeacutetaient pas encore neacutes il nrsquoy avait pas encore de mort 7 raquo Le papyrus de Nesiamsou eacutecrit au deacutebut de lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque mais dont le texte remonte certainement agrave lrsquoeacutepoque du Nouvel Empire theacutebain (600-200 av J-C) emploie des termes semblables laquo il nrsquoy avait alors ni ciel ni terre et nrsquoeacutetaient creacuteeacutes ni reptiles ni vermisseauxhellip7 raquo Les germes de tout ecirctre et de toute chose gisaient agrave lrsquoeacutetat inerte (nenou 7) confon-

6 Meacutenard Hermegraves p 70 Id ibid p 7 genegravese I -72 G Maspero Les inscriptions des pyramides de saqqarah87 pyr de peacutepi i 66 cf peacutepi ii 287 Publieacute par Budge dans Archaeligologia II 2 80 p 7 nesiamsou p 0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dus dans le sein drsquoun abicircme qursquoon appelait le noun ou les eaux neacutees du noun76 ou lrsquoabicircme du noun 77 dans les traductions coptes noun est le mot qui deacutesigne lrsquoἄϐυσσος

78 de la Genegravese Dans le Noun flottait un esprit divin indeacutefini mais portant en lui la somme

des existences futures drsquoougrave son nom de toum qui signifie agrave la fois laquo neacuteant raquo et laquo totaliteacute 7 raquo Il restait agrave lrsquoeacutetat informe inconsistant instable laquo Il ne trouvait pas drsquoendroit ougrave il pucirct se tenir 80 raquo Arriva lrsquoinstant ougrave Toum deacutesira deacutevelopper une activiteacute creacuteatrice il voulut laquo fonder dans son cœur 8 raquo tout ce qui existe Pour cela laquo il se dressa parmi ce qui eacutetait dans le Noun hors du Noun et des choses inertes 82 raquo un autre texte dit qursquoil laquo monta 8 raquo hors de lrsquoeau primordiale sans qursquoon sucirct preacuteciser comment il fit cette monteacutee 8 Degraves lors le soleil Racirc exista la Lumiegravere fut Les Eacutegyptiens nrsquoadmettaient pas qursquoil y eucirct en ce premier moment de la creacuteation deux dieux distincts Toum dans lrsquoeau primordiale et Racirc sorti de lrsquoeau Non point Toum srsquoeacutetait exteacuterioriseacute par la force de son deacutesir creacuteateur il eacutetait devenu Racirc-Soleil sans cesser drsquoecirctre Toum Le vulgaire ne faisait agrave cette theacuteorie imagineacutee par les theacuteologiens drsquoHeacuteliopolis drsquoautre objection que celle-ci laquo Comment la Lumiegravere (Racirc) pouvait-elle exister agrave lrsquoeacutetat inerte (Toum) dans lrsquoeau du Noun sans que cette eau eacuteteignicirct le feu raquo On reacutesolut la difficulteacute par des explications alleacutegoriques Toum-Racirc eacutetait dans le Noun comme un faucon qui ferme les deux yeux srsquoil les ouvre hors de lrsquoeau son œil droit le Soleil luit 8 ou

76 Pyr drsquoOunas 077 tepeht noun ap Hymns to Amon of pap Leyden publieacutes par Gardiner Aegyptische Zeits-chrift XLII p 7 Le manuscrit est dateacute du regravegne de Ramsegraves II par une indication donneacutee au verso (vers 20 av J-C)78 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 7 Quand les Eacutegyptiens essayaient de donner une forme concregravete agrave cette conception ils repreacutesentaient Noun sous la forme drsquoun dieu agrave forme humaine plongeacute jusqursquoagrave la poitrine dans un bassin plein drsquoeau et soutenant de ses bras leveacutes en lrsquoair les dieux qui sortirent de son sein CC Budge egyptian ideas of the future life p 27 Ce sens est expresseacutement indiqueacute au papyrus de Leyde (Aegyptische Zeitschrift XLVII p ) Les textes expriment souvent lrsquoideacutee que tout ecirctre et toute chose existent de toute eacuteterniteacute dans le Noun (pyr drsquoOunas 0 de teti 78) et y retournent apregraves la mort Cf Pierret eacutetudes eacutegyptologiques I p 80 Budge pap de nesiamsou p 08 nesiamsou p 082 nesiamsou p 8 pap de Leyde A Z XLII p -2 laquo Se levant sur son trocircne selon lrsquoacte de son cœurhellip on ne connaicirct pas sa monteacutee raquo8 Toum est la forme locale de Racirc agrave Heacuteliopolis et deacutesigne le soleil la tradition qui fait de Toum le dieu vivant au sein du Noun et le Deacutemiurge est donc drsquoorigine heacuteliopolitainne (cf Maspero eacutetudes de mythologie II p 26)8 Voir les textes citeacutes par Brugsch religion und Mythologie p 0 Cf Au temps des pharaons

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

bien Toum-Racirc eacutetait un lotus cacheacute au sein des eaux quand la fleur eacutemergea au-dessus de lrsquoonde Toum le jeune (Nefer-Toum) en surgit et devint le Soleil 86

Quant au proceacutedeacute de creacuteation employeacute par Toum il semble bien que ce fut la Voix ou le Verbe Drsquoapregraves la tradition la plus commune celle du Livre des Morts 87 (dont nous posseacutedons des reacutedactions degraves la Xie dynastie) le lieu ougrave Toum srsquoeacutetait manifesteacute en tant que Racirc eacutetait preacuteciseacutement la ville drsquoHermopolis la citeacute de Thot celui qursquoon appellera le dieu qui creacutee par la voix le Verbe fait Dieu 88 Ceci serait deacutejagrave une indication suffisante pour admettre lrsquohypothegravese de Brugsch 8 et de Maspero 0 crsquoest par le Verbe que Toum suscita la Lumiegravere Jrsquoajouterai que plusieurs textes la confirment expresseacutement Au papyrus de Leyde on rapporte du Deacutemiurge laquo qursquoil a dit ses formes raquo (ded-f qaou-f ) papyrus de Nesiamsou le deacutemiurge prononce laquo Jrsquoai creacuteeacute toutes les formes avec ce qui est sorti de ma bou-che alors qursquoil nrsquoy avait ni ciel ni terrehellip2 raquo Un des versets les plus anciens du chap xvii du Livre des Morts mentionne un certain jour qui porte le nom laquo Jour de Viens agrave moi raquo variantes laquo Viens ici Viens agrave nous raquo une glose explique crsquoest le jour ougrave Osiris a dit agrave Racirc laquo Viens ici raquo laquo Viens agrave moi raquo ou laquo Viens agrave nous raquo Or au cours du chapitre xvii Osiris deacuteclare srsquoidentifier agrave lrsquoEau primor-diale au Deacutemiurge Toum en ces termes laquo Je suis Toum celui qui existait seul dans le Nounhellip Je suis le dieu grand qui se creacutee lui-mecircme crsquoest-agrave-dire le Noun pegravere des dieuxhellip raquo Il est probable que selon lrsquointerpreacutetation de de Rougeacute 6 et de Maspero 7 le jour mentionneacute ici est celui de la creacuteation du monde Le cri Viens ici ou Viens agrave moi serait le Verbe profeacutereacute par Toum-Osiris qui a fait surgir la Lumiegravere du chaos

Tel fut le premier acte de la creacuteation Apregraves lrsquoapparition de la Lumiegravere susciteacutee

p 28 sq86 ibid p Cf todtenbuch eacuted Naville (ch 8) t I pl 2- Les textes des Pyramides mentionnent deacutejagrave Nefer-Toum sortant du lotus (Ounas I )87 Chap xvii eacuted Naville88 Brugsch religion p 2 678 religion und Mythologie p 00 Histoire I p 0 A Z XLII p 22 nesiamsou p Cf Naville Variantes p 7 Formule la plus ancienne qui apparaicirct aux sarcophages des XIe-XIIe dynasties (Maspero Mission du Caire I p 6 (Horhotep) p 22 (Hori) p 220 (Sitbaslit) Formule ordinaire depuis la XIIe dynastie (Louvre stegravele C I )6 revue archeacuteologique er avril 860 p 27 Bibliothegraveque eacutegyptologique t I p 6 ndeg 6

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

par le Verbe Toum-Racirc proceacuteda au second acte creacuteateur qui donna naissance aux ecirctres et aux choses Les textes sacreacutes affirment que tout ce qui existe au monde dieux hommes animaux plantes les terres et les eaux la matiegravere et lrsquoesprit universels ne sont qursquoune eacutemanation (tat) du Deacutemiurge et forment comme les membres de son corps aussi dit-on du dieu suprecircme laquo crsquoest la somme de lrsquoexis-tence et des ecirctres 8 raquo Je nrsquoinsisterai pas ici sur cette explication pantheacuteiste de lrsquoUnivers il nous inteacuteresse davantage de savoir si dans cette creacuteation des ecirctres et des choses les textes eacutegyptiens attribuent au Verbe divin le mecircme rocircle que les textes hermeacutetiques

A ce sujet les traditions diffeacuteraient en Eacutegypte suivant les lieux et le temps A Heacuteliopolis on enseignait aux plus anciennes eacutepoques que Toum-Racirc avait procreacuteeacute les dieux ancecirctres de tous les ecirctres vivants agrave la faccedilon humaine par une eacutemission de semence ou qursquoil srsquoeacutetait leveacute sur le site du temple du Pheacutenix agrave Heacuteliopolis et qursquoil y avait cracheacute le premier couple divin 200 Drsquoautres dieux qualifieacutes aussi de deacutemiurges avaient employeacute ailleurs drsquoautres proceacutedeacutes Phtah agrave Memphis 20 Hnoum agrave Eacuteleacutephantine 202 modelaient sur un tour les dieux et les hommes Thot-ibis couvait un œuf agrave Hermopolis 20 Neith la grande deacuteesse de Saiumls eacutetait le vautour ou la vache qui enfanta le Soleil Racirc alors que rien nrsquoexis-tait 20 Ce sont lagrave sans doute les explications les plus anciennes et les plus popu-laires de la creacuteation Mais une faccedilon plus subtile et moins mateacuterielle drsquoeacutenoncer que le monde est une eacutemanation divine apparaicirct degraves les textes des Pyramides la Voix du Deacutemiurge y devient un des agents de la creacuteation des ecirctres et des cho-ses

8 Sarcophage du Moyen Empire (Lepsius Aelteste texte p Maspero Mission I p 67 2 28 mdash Une glose qui apparaicirct degraves les textes de la XVIIIe dynastie (eacuted Naville Va-riantes p 0) ajoute laquo la somme de lrsquoexistence et des ecirctreshellip crsquoest son corps raquo pyr de peacutepi i 6 cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 27 laquo Comme Toum eacutetait seul dans le Noun la tradition disait brutalement agrave lrsquoorigine qursquoil avait joui de lui-mecircme et projeteacute deux jumeaux Shou et Tafnout Plus tard on avait cru adoucir la leacutegende en supposant qursquoil avait commenceacute par se creacuteer une femme la deacuteesse lousas dont le nom paraicirct indiquer une personnification de lrsquoacte mecircmehellip Cf sur ce proceacutedeacute de creacuteation A Wiedemann ein altaumlgyptischer Weltsshoumlpfungsmythus ap Urquell 88 p 7 voir aussi les papyrus de Leyde (A Z XLII p 2-6) et nesiamsou p 0200 pyr de peacutepi ii 66 Le premier couple est Shou et Tafnout le nom des dieux assone avec les termes eacutegyptiens qui deacutesignent lrsquoeacutemission de la salive Sur cette tradition cf pap de Leyde (A Z XLII p ) et nesiamsou p 020 Cf Brugsch religion und Mythologie p 202 ibid p 20 Erman religion eacutegyptienne p 0 (Livre des Morts ch 8 I )20 Brugsch religion p

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les hommes reconnaissaient deacutejagrave cette Voix dans le bruit du tonnerre (la voix du ciel hrou m pet) quand elle se manifeste laquo le ciel parle la terre tremble Geb (la terre) est eacutebranleacutee les reacutegions retentissent de cris les dieux srsquoagitent agrave la voix 20 raquo mais au temps de la creacuteation des ecirctres le jour de la laquo premiegravere fois raquo voici comment on se repreacutesentait lrsquoaction de la voix divine laquo hellip Le dieu apparut sur son trocircne quand son cœur le voulut alors tous les ecirctres eacutetaient dans la stu-peur silencieuse de sa force Il caqueta un cri comme lrsquooiseau grand caqueteur en tous lieux pour creacuteer et il eacutetait tout seul Il commenccedila agrave parler au milieu du silencehellip il commenccedila de crier la terre eacutetait dans une stupeur silencieuse ses ru-gissements ont circuleacute partout sans qursquoil y eucirct un second dieu (avec lui) faisant naicirctre les ecirctres il a donneacute qursquoils vivent 206 raquo En effet la Voix creacutee aussi la nourri-ture des dieux et des hommes celle-ci prend degraves lors le nom caracteacuteristique de per hrou (sortie de voix eacutemission de voix 207) La voix du dieu engendre encore les formes des deacutefunts ressusciteacutes apregraves la mort 208 Eacutemettre les paroles profeacuterer des ordres ou des jugements (out medtou oudacirc medtou) est une des expressions qui caracteacuterisent dans les textes des Pyramides le pouvoir souverain des dieux 20 Au cours des siegravecles on trouve pour cette ideacutee une expression plus abreacutegeacutee on dit qursquoil suffit au dieu pour creacuteer drsquoouvrir la bouche Une formule de la XIIe dy-nastie explique que laquo les dieux drsquoAbydos sont sortis de la bouche de Racirc 20 raquo Les hymnes qui fleurissent depuis la XVIIIe dynastie reacutepegravetent que le Deacutemiurge laquo a creacuteeacute les dieux en eacutemettant des paroles raquo on dit que les hommes sont sortis des yeux du dieu tels que des larmes tandis que les dieux tombent de sa bouche 2 A partir du Nouvel Empire theacutebain cette formule est une de celles qui se ren-contrent le plus communeacutement Voici quelques exemples laquo Il (le Deacutemiurge) a eacutedifieacute les hommes avec les pleurs de son œil il a parleacute ce qui appartient aux dieuxhellip Les hommes sont sortis de ses deux yeux les dieux se manifestent quand il parlehellip il a eacutemis la parole et les dieux se manifestenthellip les hommes sortent de ses deux yeux divins les dieux de sa bouche 22 Sa parole est une substance 2hellip raquo

20 Voir les textes des Pyramides citeacutes par A Moret rituel du culte divin p 7 et suiv206 papyrus de Leyde A Z XLII p 207 Maspero eacutetudes de Mythologie II p 7 n 208 pyr de peacutepi ii I 80 220 A Moret rituel du culte divin p 20 Louvre stegravele C I -62 A Moret rituel p nesiamsou p Il y a jeu de mot entre rmj-t laquo larme raquo et rmt laquo homme raquo22 Cf rituel du culte divin p -2 Greacutebaut Hymne agrave Amon racirc p -2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Nrsquoest-ce point lagrave lrsquoideacutee du Verbe creacuteateur qui inspire les textes hermeacutetiques et dont nous trouvons lrsquoeacutecho dans lrsquoEacutevangile selon saint Jean laquo Toutes choses ont eacuteteacute faites par le Verbe et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui 2 raquo

Au moment ougrave srsquoeacutelaboregraverent les plus anciens de ces textes ceux des Pyramides le Verbe nrsquoeacutevoquait peut-ecirctre encore pour les Eacutegyptiens que lrsquoimage mateacuterielle de ce qui eacutetait nommeacute et non pas un concept Former le nom de quelqursquoun ou de quelque chose cela eacutequivaut agrave faccedilonner une image elle prend vie degraves que la bouche prononce le nom 2 laquo Le nom est ainsi une image qui se confond avec son objet il devient cet objet lui-mecircme moins mateacuteriel adapteacute agrave lrsquousage de la penseacutee (Hartland) raquo Pour un Eacutegyptien le nom-image a une reacutealiteacute concregravete une leacutegende conserveacutee sur un papyrus dont Lefeacutebure a donneacute lrsquointerpreacutetation nous le prouve clairement Il y est question du dieu Racirc blesseacute dangereusement par un serpent le dieu ne sera gueacuteri que si lrsquoon prononce son nom en lequel reacuteside sa toute-puissance A la naissance du dieu ce nom avait eacuteteacute dit par son pegravere et sa megravere puis cacheacute dans sa poitrine afin que nul ne le pucirct deacuterober or Racirc consent agrave se laisser fouiller par Isis qui trouve le nom et srsquoen saisit disposant ainsi de lrsquoacircme et de la force du dieu 26 Le nom comme lrsquoa deacutemontreacute Lefeacutebure eacutetait donc pour les Eacutegyptiens une des formes de lrsquoacircme et le signe distinctif de la personnaliteacute 27

Dans ces conditions on comprendra pourquoi les Eacutegyptiens deacutefinissaient le pouvoir creacuteateur du Deacutemiurge en disant simplement qursquoil a nommeacute les dieux les hommes et les choses De lagrave lrsquoexplication de ce verset du Livre des Morts laquo Racirc a fait de tous ses noms le cycle des dieux qursquoest-ce que cela (glose) crsquoest Racirc qui a creacuteeacute ses membres devenus les dieux de sa suite 28 raquo Et ailleurs laquo il est le dieu aux grands noms qui a parleacute ses membres raquo Inversement on deacutecrira les temps anteacute-rieurs agrave la creacuteation en ces termes laquo Nul dieu nrsquoexistait encore on ne connaissait le nom drsquoaucune chose 2 raquo Enfin pour exprimer cette ideacutee que le Deacutemiurge a tout creacuteeacute de son propre fonds le papyrus de Leyde explique laquo Il nrsquoexistait point drsquoautre dieu avant lui ni drsquoautre dieu avec lui quand il a dit ses formes il nrsquoexis-tait point de megravere pour lui qui lui ait fait son nom point de pegravere pour lui qui lrsquoait

2 I 2 Cf Lefeacutebure La vertu et la vie du nom ap Meacutelusine VIII n 026 Lefeacutebure Un chapitre de la chronique solaire ap Zeitschrift fuumlr Aegyptische sprache 88 p 027 Lefeacutebure Meacutelusine VIII ndeg 0 p 2028 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 20 Cf Naville Variantes p ougrave lrsquoun des textes donne laquo Crsquoest Racirc ses creacuteations crsquoest le nom de ses membres devenus ses dieux raquo2 A Moret rituel p 2

60

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutemis en disant laquo Crsquoest moi (qui lrsquoai creacuteeacute) raquo Nrsquoest-ce pas affirmer formellement que rien nrsquoexiste avant que le creacuteateur ne lrsquoait nommeacute 220

Cette creacuteation par la parole nrsquoeacutetait-elle cependant qursquoune simple opeacuteration magique par laquelle la voix suscitait agrave la vie un ecirctre ou une chose en les deacutefinis-sant par le nom-image Crsquoest lagrave un concept de peuples resteacutes agrave un stade eacuteleacutemen-taire de civilisation II reste agrave savoir si les Eacutegyptiens ne se sont pas eacuteleveacutes jusqursquoagrave cette ideacutee que le Deacutemiurge avait penseacute le monde avant de le parler

Reacuteponse est faite par un precirctre du sacerdoce de Memphis dont le tombeau nous a conserveacute un chapitre de doctrine theacuteologique Longtemps mal publieacute et mal compris ce fragment a eacuteteacute reconnu agrave sa juste valeur par M Breasted et eacuteluci-deacute par MM Maspero et Erman 22 Il en ressort que les theacuteologiens distinguaient dans lrsquoœuvre du Verbe la part de la penseacutee creacuteatrice qursquoils appellent le cœur et celle de lrsquoinstrument de creacuteation la langue tout Verbe est drsquoabord un concept du cœur pour prendre corps et se reacutealiser celui-ci a besoin de la parole

Le texte deacutefinit drsquoabord le rocircle du Deacutemiurge laquo Crsquoest lui le premier dans le cœur et la bouche de tout dieu de tout homme de tout animal de tout vermis-seau qui tous ne vivent qursquoen vertu de la faculteacute qursquoil a de penser et drsquoeacutenoncer toute chose qui lui plaicirct (en particulier) son Enneacuteadehellip Or cette Enneacuteade crsquoest les dents et les legravevres les veines et les mains de Toumhellip LrsquoEnneacuteade crsquoest aussi les dents et les legravevres de cette bouche qui proclame le nom de toutes choses raquo (Toujours le rappel que les dieux ne sont que les membres du Deacutemiurge)

laquo La langue donne naissance agrave tous les dieux agrave Toum et agrave son Enneacuteade et ainsi se forme toute parole divine en penseacutee du cœur en eacutemission de la langue elle creacutee les forces vitales bienfaisantes apaise les nuisibleshellip par la vertu de cette parole qui creacutee ce qui est aimeacute et ce qui est deacutetesteacute (le mal et le bien) crsquoest la langue qui donne la vie au juste et la mort agrave lrsquoinjuste crsquoest elle qui creacutee tout travail tout meacutetier les mains agissent les pieds vont tous les membres srsquoagitent lorsqursquoelle eacutemet la parole penseacutee du cœurhellip raquo

Ce texte met en pleine lumiegravere le meacutecanisme de la creacuteation par le Verbe Voici les conclusions de M Maspero ainsi laquo selon notre auteur toute opeacuteration creacutea-trice doit proceacuteder du cœur et de la langue et ecirctre parleacutee en dedans penseacutee puis eacutenonceacutee au dehors en paroleshellip Les choses et les ecirctres dits en dedans nrsquoexistent

220 A Z XLII p Inversement pour tuer quelqursquoun par exemple le deacutemon Apophis on commence une incantation par ces termes laquo Que son nom ne soit plus raquo (nesiamsou p )22 Breasted ap A Z XXXIX ) - G Maspero ap recueil XXIV p 68-7 Erman ein Denkmal memphitischer Theologie (ap sitzungsberichte preussischen Akad Berlin )

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

qursquoen puissance pour qursquoils arrivent agrave lrsquoexistence reacuteelle il faut que la langue les parle au dehors solennellement raquo

Sans doute faut-il noter que ce texte est drsquoune reacutedaction qui ne remonte pas plus haut que le regravegne de Shabaka (vers 700 av J-C) Mais le reacutedacteur nrsquoa pas manqueacute drsquoavertir qursquoil copiait un original ancien 222 et qursquoil reproduisait une tra-dition seacuteculaire M Erman qui a distingueacute avec sagaciteacute les diffeacuterents eacuteleacutements du texte conclut que laquo crsquoest un document de la plus haute antiquiteacute 22 raquo Les allusions contenues dans les textes anteacuterieurs permettent de discerner derriegravere la theacuteorie de la toute-puissance du Verbe la notion drsquoune intelligence divine dont le Verbe nrsquoest que la manifestation creacuteatrice

Une autre ideacutee fort importante se deacutegage du texte commenteacute ci-dessus Il y est dit expresseacutement que le dieu Phtah renferme en lui la puissance du cœur (es-prit) et de la langue (verbe) mais cœur et langue tout en nrsquoeacutetant que des facul-teacutes de Phtah prennent les formes visibles de deux dieux Horus (cœur) et Thot (langue) Est-ce que Phtah Horus et Thot ne constitueraient pas une Uniteacute-Tri-niteacute conception qui fut si en faveur agrave la fin de la civilisation eacutegyptienne hellip

A lrsquoeacutepoque alexandrine lrsquounion de lrsquoIntelligence divine et du Verbe srsquoexprimait par le dogme de la triniteacute hermeacutetique qui deacutefinit la diviniteacute comme une associa-tion de lrsquointelligence νοῦς du verbe λόγος et de lrsquoesprit πνεῦμα Sous sa forme la plus mateacuterielle la triniteacute srsquoeacutetait imposeacutee depuis tregraves longtemps aux dieux eacutegyp-tiens dans chaque ville on imaginait que le dieu local formait avec sa femme et son fils 22 une famille qui devenait une triade Mais crsquoest lagrave une conception an-thropomorphique drsquoorigine populaire Les theacuteologiens trouvegraverent moyen agrave vrai dire de ramener la triade agrave lrsquouniteacute M Maspero a eacutetabli que dans les triades laquo le pegravere et le fils eacutetaient si lrsquoon voulait un personnage et que lrsquoun des deux parents dominait toujours lrsquoautre de si haut qursquoil lrsquoannulait presque entiegraverement tantocirct la deacuteesse disparaissait derriegravere son eacutepoux tantocirct le dieu nrsquoexistait que pour justi-fier la feacuteconditeacute de la deacuteesse et ne srsquoattribuait drsquoautre raison drsquoecirctre que son emploi de mari On en vint assez vite agrave mecircler deux personnages si eacutetroitement unis et agrave les deacutefinir comme eacutetant les deux faces les deux aspects masculin et feacuteminin drsquoun seul ecirctre Drsquoune part le pegravere eacutetait un avec le fils et de lrsquoautre il eacutetait un avec la

222 laquo Sa Majesteacute Shabaka eacutecrivit ce livre agrave nouveau dans la maison de son pegravere Phtah de Mem-phis Sa Majesteacute lrsquoavait trouveacute eacutecrit par les ancecirctres mais il avait eacuteteacute mangeacute des vers et on nrsquoy reconnaissait plus rien du commencement agrave la fin Sa Majesteacute lrsquoeacutecrivit agrave nouveau si bien qursquoil eacutetait plus beau qursquoavanthellip raquo (Erman l c p 2)22 L c p222 Un dieu peut se combiner aussi avec deux deacuteesses ou une deacuteesse avec deux macircles

62

Les Mystegraveres eacutegyptiens

megravere la megravere eacutetait donc une avec le fils comme avec le pegravere et les trois dieux de la triade se ramenaient agrave un dieu unique en trois personnes 22 raquo

En reacutealiteacute ce proceacutedeacute de ramener les triades agrave lrsquouniteacute relegraveve drsquoun systegraveme po-litique centralisateur plutocirct que drsquoun concept theacuteologique Mais le texte analyseacute plus haut donne une tout autre impression Il nrsquoest plus question ici drsquoune fa-mille divine crsquoest une association de trois dieux spirituels Phtah lrsquointelligence suprecircme Horus le cœur crsquoest-agrave-dire lrsquoesprit qui anime et Thot le verbe instru-ment de la creacuteation

laquo Celui qui devient Cœur celui qui devient Langue en eacutemission de Toum crsquoest le grand Phtah Horus srsquoest produit (en Toum) Thot srsquoest produit (en Toum) sous la forme de Phtah la puissance du Cœur et de la Langue se sont produi-tes en lui raquo Aussi Phtah est-il qualifieacute dans le mecircme texte laquo Cœur et Langue de lrsquoEnneacuteade raquo Il semble en reacutesulter que les theacuteologiens de lrsquoeacutepoque ramesside essayaient de constituer agrave cocircteacute de lrsquoEnneacuteade traditionnelle une Triniteacute-Uniteacute de conception purement meacutetaphysique celle de Phtah-Horus-Thot = Deacutemiurge-Esprit-Verbe Mais cette triniteacute ne se deacutegage pas des cadres theacuteologiques elle est subordonneacutee agrave Toum et ne peut encore se passer de lrsquoEnneacuteade

Un effort plus accentueacute vers la conception drsquoune Triniteacute-Uniteacute apparaicirct dans le papyrus de Leyde de lrsquoeacutepoque des Ramessides reacutecemment publieacute par M Gar-diner 226 Voici comment y est deacutefinie la nature du dieu suprecircme de lrsquoeacutepoque Amon-Theacutebain laquo Trois dieux sont tous les dieux Amon Racirc Phtah qui nrsquoont pas leurs pareils Celui dont la nature (litt le nom) est mysteacuterieuse crsquoest Amon Racirc est la tecircte Phtah est le corps Leurs villes sur terre eacutetablies agrave jamais sont Thegrave-bes Heacuteliopolis Memphis (stables) pour toujours Quand il y a un message du ciel on lrsquoentend agrave Heacuteliopolis on le reacutepegravete dans Memphis agrave Phtah (Neferher) on en fait une lettre eacutecrite en caractegraveres de Thot pour la ville drsquoAmon (Thegravebes) avec tout ce qui srsquoy rapporte La reacuteponse et la deacutecision sont donneacutees agrave Thegravebes et ce qui sort crsquoest agrave lrsquoadresse de lrsquoEnneacuteade divine tout ce qui sort de sa bouche celle drsquoAmon Les dieux sont eacutetablis pour lui suivant ses commandements Le message il est pour tuer ou pour faire vivre Vie et mort en deacutependent pour tous les ecirctres excepteacute pour lui Amon et pour Racirc (et pour Phtah) uniteacute-triniteacute 227 raquo

Malgreacute lrsquoobscuriteacute de certaines phrases il ressort que les trois grands dieux de

22 Maspero Histoire I p 0 0226 Hymns to Amon ap A Z XLII p 227 Litt laquo totaliseacutes trois raquo

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lrsquoeacutepoque ramesside constituent une Uniteacute-Triniteacute un Dieu en trois personnes que le texte deacutesigne en ces termes expregraves

Comme lrsquoexplique M Gardiner la volonteacute de la Triniteacute est une le texte cher-che comment fonctionne le meacutecanisme de cette commune administration du monde La penseacutee divine se reacutevegravele au ciel sous forme de message parleacute le Verbe divin reacutesonne aux oreilles dans la ville drsquoHeacuteliopolis dont le dieu repreacutesente la face de la triniteacute autant dire la tecircte pensante Le message est transmis agrave Phtah le corps de la triniteacute lagrave il est reacutepeacuteteacute prend une forme mateacuterielle et tangible une fois transcrit par lrsquoaide de Thot le scribe des dieux Quand le message a eacuteteacute agrave la fois penseacute agrave Heacuteliopolis et revecirctu drsquoune forme concregravete agrave Memphis il est soumis dans Thegravebes agrave lrsquoapprobation drsquoAmon le dieu dont le nom est cacheacute lrsquointelligence invisible Lui seul imprime lrsquoeacutelan deacutefinitif agrave la penseacutee divine et lrsquoenvoie comme un ordre de vie ou de mort aux dieux secondaires soumis agrave ses lois comme tout le reste des ecirctres

Si on compare le texte du papyrus de Leyde agrave lrsquoinscription graveacutee sous Sha-baka on lui trouvera me semble-t-il moins de subtiliteacute et une sorte de reacutealisme enfantin Le gouvernement divin y est preacutesenteacute sous une forme tangible et ma-teacuterielle et probablement imiteacutee du meacutecanisme de lrsquoadministration pharaonique Mecircme meacutelange de mysticisme et de mateacuterialisme dans la description suivante que le mecircme texte consacre agrave Amon lrsquointelligence suprecircme qui laquo a eacutemis Racirc et qui srsquounit agrave Toum de telle sorte qursquoil ne fait qursquoun avec lui raquo mdash laquo Amon raquo est-il dit laquo a son acircme au ciel son corps dans (la neacutecropole de) lrsquoAmenti sa statue dans Hermonthis pour servir de support agrave ses apparitionshellip Amon (celui qui se cache) se voile pour les dieux on ne connaicirct point son aspecthellip nul dieu ne connaicirct sa vraie nature et sa forme nrsquoest point deacutecrite dans les livreshellip il est trop mysteacuterieux pour qursquoon deacutecouvre sa gloire il est trop grand pour qursquoon le discute trop puissant pour qursquoon le connaissehellip228 raquo A coup sucircr nous sommes loin encore du concept de Dieu Intelligence pure Cependant nous approchons de la triniteacute hermeacutetique qui saura deacutefinir avec plus de preacutecision le dieu un et multiple agrave la fois intelligence esprit et raison

Lrsquointelligence divine apregraves avoir creacuteeacute et animeacute le monde par le Verbe ne se deacutesinteacuteressait pas de ses creacuteatures et gardait contact avec elles Quand Platon et apregraves lui saint Augustin deacutefinissent ainsi le pouvoir du dieu Thot laquo Crsquoest le dieu Verbe lui-mecircme le Verbe aileacute qui par le commerce les arts la science circule

228 Aeg Zeitschrift XLII p -

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

au travers des hommes les rapproche les civilise sert de messager agrave la penseacutee divine 22 raquo ils reprennent une conception traditionnelle en Eacutegypte drsquoapregraves la-quelle toute connaissance reacuteside en Dieu ou vient de Dieu Au papyrus de Leyde on lit agrave propos drsquoAmon laquo Son cœur connaicirct tout ses legravevres goucirctent tout son ka (son essence) crsquoest toutes les existences neacutees de sa langue 20 raquo Arts et sciences de tout genre eacutetaient des secrets des mystegraveres dont les hommes ne prenaient connaissance que par reacuteveacutelation divine Les papyrus meacutedicaux par exemple pas-saient pour ecirctre tombeacutes du ciel et avoir eacuteteacute trouveacutes dans les temples au pied drsquoune statue de dieu 2 De mecircme pour les rituels ou livres sacreacutes ils parviennent aux hommes par miracle eacutecrits de la main mecircme du dieu Thot Bien avant lrsquoeacutepo-que alexandrine Thot eacutetait deacutejagrave le grand initiateur de lrsquohumaniteacute en tant que laquo dieu des paroles divines raquo Et comme personnification de la laquo Langue il y avait en Thot le sage une force plus grande que celle de tous les dieux 22 raquo Mais les dieux principaux de chaque ville ne reacutepugnaient pas agrave jouer eux-mecircmes le rocircle de providence Ainsi disait-on drsquoAmon laquo Amon repousse les maux et chasse les maladies crsquoest un meacutedecin qui gueacuterit les yeux sans (avoir besoin de) remegravedes raquo

La parole divine eacutecrite ou parleacutee ne reacutevegravele pas seulement la science elle fait connaicirctre le sens de la vie lrsquointelligence des choses elle ouvre aux hommes les secrets de la suprecircme Raison Dans les eacutecrits hermeacutetiques le laquo Verbe raquo Λόγος si-gnifie laquo raison raquo aussi bien que laquo parole raquo dans les textes eacutegyptiens Thot le dieu de la parole sainte qui a reacuteveacuteleacute les arts les sciences les lettres aux hommes a comme compagne eacuteternelle Macirciumlt (Maacirct) la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Jus-tice et de la Raison

La Veacuteriteacute est le contraire de lrsquoerreur et du mensonge par conseacutequent son caractegravere propre est la science la justice la raison 2 Elle est la substance mecircme du Dieu creacuteateur elle se confond avec lui ou pour se servir des expressions liturgiques Macirciumlt est agrave la fois la megravere du dieu qui lrsquoa creacuteeacute sa fille puisqursquoelle est aussi œuvre du dieu le dieu lui-mecircme puisque Dieu est toute connaissance toute veacuteriteacute toute justice Elle est si semblable au dieu qursquoelle constitue la nour-

22 Reitzenstein Zwei relig Fragen p 820 A Z XLII p 8 Litteacuteralement la connaissance sa crsquoest son cœur le goucirct hou ce sont ses legravevres son ka crsquoest tout ce qui existe (issu) de sa langue laquo Sur les rapports de sa hou avec le ka voir plus loin2 Voir les textes reacuteunis par Weill Monuments de la iie et de la iiie dynasties p et suiv22 recueil de travaux XXIX p 72 Pierret eacutetudes eacutegyptologiques II p

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

riture journaliegravere des ecirctres divins agrave elle seule elle reacutesume toutes les offrandes mateacuterielles et spirituelles et crsquoest pourquoi il faut la preacutesenter au dieu quand on ceacutelegravebre lrsquooffice divin

Lrsquooffrande drsquoune statuette de Macirciumlt la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Justice de la Raison est toujours repreacutesenteacutee agrave la place drsquohonneur sur la paroi du fond dans les sanctuaires eacutegyptiens crsquoest donc lagrave lrsquoaboutissement du culte rendu aux dieux Celui qui offre Macirciumlt qursquoil soit le precirctre ou le roi est censeacute prendre agrave ce moment la personnaliteacute de Thot-Hermegraves le laquo maicirctre de Macirciumlt raquo et voici en quels termes il srsquoadresse au dieu laquo Je suis venu vers toi moi Thot (jrsquoarrive) les deux mains reacuteunies pour porter Macirciumlthellip Macirciumlt est venue pour qursquoelle soit avec toi Macirciumlt est en toute place qui est tienne pour que tu te poses sur ellehellip Voici venir les dieux et les deacuteesses qui sont avec toi en portant Macirciumlt ils savent que tu vis drsquoelle Ton œil droit est Macirciumlt ton œil gauche est Macirciumlt tes chairs et tes membres sont Macirciumlthellip le vecirctement de tes membres est Macirciumlt ce que tu manges est Macirciumlt ce que tu bois est Macirciumlt tes pains sont Macirciumlt ta biegravere est Macirciumlthellip Tu existes parce que Macirciumlt existehellip2 raquo

En lisant ces formules que lrsquoon retrouve plus ou moins deacuteveloppeacutees dans chaque sanctuaire eacutegyptien et agrave toutes les eacutepoques (agrave partir du moment ougrave les temples nous ont eacuteteacute conserveacutes crsquoest-agrave-dire depuis la XVIIIe dynastie) il est dif-ficile de ne point se rappeler ce que Platon dans le phegravedre nous dit de la Veacuteriteacute essence des dieux Voici les paroles qursquoil place dans la bouche de Socrate

laquo Aucun poegravete nrsquoa jamais ceacuteleacutebreacute la reacutegion qui srsquoeacutetend au-dessus du ciel aucun ne la ceacuteleacutebrera jamais dignement Voici pourtant ce qui en est car si lrsquoon doit toujours dire la Veacuteriteacute on y est surtout obligeacute quand on parle sur la Veacuteriteacute Lrsquoes-sence sans couleur impalpable sans forme ne peut ecirctre contempleacutee que par lrsquoIntelligence autour de lrsquoessence est le seacutejour de la science parfaite qursquoembrasse la Veacuteriteacute tout entiegravere Or la penseacutee des dieux qui se nourrit drsquoIntelligence et de Science sans meacutelange mdash comme celle de toute acircme avide de lrsquoaliment qui lui convient mdash admise agrave jouir de la contemplation de lrsquoEcirctre absolu srsquoabreuve de la Veacuteriteacute et est plongeacutee dans le ravissement elle contemple la Justice en soi la Science qui a pour objet lrsquoEcirctre des ecirctres Telle est la vie des dieuxhellip2 raquo Lrsquohymne du rituel eacutegyptien dont on a lu plus haut la traduction exprime les mecircmes ideacutees sous une forme agrave peine plus mateacuterielle Nous nrsquoexaminerons pas ici lrsquohypothegravese

2 rituel du culte divin p 8 et suiv laquo Chapitre de donner Macirciumlt raquo Les rois qui sont identifieacutes aux dieux disent de mecircme laquo Macirciumlt crsquoest mon pain raquo (Sethe Urkunden der 18 Dynastie p 8-7)2 Platon trad p

66

Les Mystegraveres eacutegyptiens

drsquoune influence de la penseacutee eacutegyptienne sur les theacuteories platoniciennes mais cette doctrine du Logos Verbe de raison et de veacuteriteacute que les philosophes greacuteco-alexandrins ont deacuteveloppeacutee avec tant de preacutedilection nrsquoavait-elle pas deacutejagrave reccedilu une expression fort preacutecise dans les eacutecoles theacuteologiques de lrsquoEacutegypte

La sagesse divine est donc reacuteveacuteleacutee aux hommes par la parole une loi morale srsquoen deacutegage qui se reacutesume en cette ideacutee laquo pratiquer la justice reacutealiser la Veacuteriteacute raquo

Les textes eacutegyptiens preacutecisent lrsquounion indissoluble de la Veacuteriteacute et du Verbe dans une expression caracteacuteristique un idiotisme intraduisible qui a eacutepuiseacute les efforts des eacutegyptologues Quand un ecirctre humain ou divin arrive soit par sa naissance soit par ses vertus ou meacuterites propres soit par proceacutedeacutes magiques agrave lrsquoeacutetat de gracircce que nous appelons sainteteacute ou diviniteacute les Eacutegyptiens disent de lui qursquoil reacutealise la voix qursquoil est Macirc-hrou Cette eacutepithegravete caracteacuterise les dieux le roi qui est un dieu vivant sur terre les hommes deacutefunts qui ont meacuteriteacute les paradis ou qui se sont munis des rites efficaces pour les atteindre enfin les hom-mes vivants en eacutetat de gracircce tels que les precirctres ceacuteleacutebrant lrsquooffice ou les magi-ciens armeacutes de formules Reacutealiser la voix cela veut dire avoir agrave sa disposition le Verbe creacuteateur qui donne toute puissance agrave nrsquoimporte quel moment et en toute occasion Le dieu ou lrsquohomme est-il en danger La parole divine dont il articule les sons renversera ses ennemis a-t-il quelques deacutesirs il en nomme lrsquoobjet qui se reacutealise aussitocirct a-t-il faim les laquo offrandes sortiront agrave la voix raquo degraves que leur nom aura eacuteteacute prononceacute car le miracle de la creacuteation par le Verbe se renouvelle dans tout temple et tout tombeau ougrave lrsquoon dit la parole efficace a-t-il besoin drsquoune justification devant le tribunal drsquoOsiris la parole divine vraie par sa na-ture donne agrave qui la possegravede la justice et la vertu Une expression si complexe peut se commenter non se traduire Aussi les eacutegyptologues ont-ils chacun agrave leur tour essayeacute vainement de rendre ces mots laquo Macirchrou raquo les traductions proposeacutees par Deveacuteria et Naville laquo triomphant raquo par Maspero laquo juste de voix raquo par Pierret laquo veacuteridique raquo par Virey laquo celui qui reacutealise en parlant dont la voix fait ecirctre vrai-ment raquo par moi-mecircme laquo creacuteateur par la voix doueacute de voix creacuteatrice 26 raquo sont inhabiles agrave rendre le sens complet de lrsquoexpression Ceci reste neacuteanmoins que pour caracteacuteriser la force la sagesse la vertu des ecirctres divins 27 les Eacutegyptiens ont associeacute le Verbe et la raison dans une expression composeacutee dont les deux termes

26 rituel du culte divin p 6 et suiv27 Et probablement aussi lrsquoinitiation aux rites osiriens qui reacutesume toutes les forces ou vertus deacutesirables

67

Les Mystegraveres eacutegyptiens

correspondent aux deux sens du mot non moins intraduisible Λόγος dont usent les textes hermeacutetiques

Il reacutesulte de cette reacutevision sommaire que pour les Eacutegyptiens cultiveacutes de lrsquoeacutepo-que pharaonique et des milliers drsquoanneacutees avant lrsquoegravere chreacutetienne le Dieu eacutetait conccedilu comme une Intelligence qui a penseacute le monde et qui a trouveacute le Verbe comme moyen drsquoexpression et comme instrument de creacuteation Cette parole creacutea-trice qui reacutesonne parfois au ciel telle que le tonnerre nrsquoatteste pas seulement la puissance du Dieu et nrsquoinspire pas seulement la terreur elle reacutevegravele aux hommes la science la raison la justice ce qui se reacutesume en un seul mot la Veacuteriteacute Par la theacuteorie du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur les eacutecrits hermeacutetiques nrsquoont fait que rajeunir une ideacutee ancienne en Eacutegypte et qui faisait partie essentielle du vieux fonds de la culture intellectuelle religieuse et morale 28

28 La planche II repreacutesente deux aspects du dieu Fils Horus portant le doigt agrave la bouche Ce geste qui agrave lrsquoorigine ne repreacutesente qursquoune attitude caracteacuteristique de lrsquoenfance semble avoir pris plus tard suivant une hypothegravese ingeacutenieuse de M Guimet une valeur symbolique et deacute-signerait un dieu du Verbe

68

III

La royauteacute dans Lrsquoeacutegypte prIMItIve pharaon et toteM

Il y a quinze ans encore la monarchie eacutegyptienne offrait une eacutenigme que lrsquoon deacutesespeacuterait presque de reacutesoudre jamais telle que la Minerve de la fable qui sortit tout armeacutee du cerveau de Jupiter elle se preacutesentait degraves lrsquoeacutepoque qursquoon appelait alors la plus lointaine (crsquoeacutetait la IVe dynastie 2800 ans avant notre egravere) comme un organisme adulte qui drsquoun seul jet et sans effort aurait atteint son complet deacuteveloppement Eacutetait-il possible que sans coup feacuterir la monarchie se fucirct incarneacutee dans un roi absolu veacuteneacutereacute en maicirctre sur la terre adoreacute en dieu dans les temples chef indiscuteacute des deux Eacutegyptes Comment en lrsquoabsence de monu-ments expliquer ce miracle Vinrent les fouilles drsquoAmeacutelineau de J de Morgan de Petrie qui jointes au labeur philologique drsquoautres savants ont enfin permis de remonter agrave un millier drsquoanneacutees plus haut vers les origines de la socieacuteteacute eacutegyp-tienne

Figure 0Eacutedifice surmonteacute drsquoune enseigne Poterie preacutehistorique 2

Dans les neacutecropoles archaiumlques drsquoAbydos de Negadah et drsquoHierakonpolis des vases ou fragments de vases en terre cuite ou en pierre dure ont revu le jour ils portaient sur leurs panses les noms des souverains des deux premiegraveres

2 Les figures reproduites ici dans le texte sont emprunteacutees agrave lrsquoillustration de la confeacuterence de V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme ougrave on trouvera leurs reacutefeacuterences Elles proviennent toutes de monuments archaiumlques

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dynasties et certaines repreacutesentations drsquoeacutedifices fortifieacutes Or ceux-ci sont sur-monteacutes drsquoenseignes qui ont la forme drsquoun animal drsquoune plante drsquoun objet Iden-tifier ces enseignes deacutefinir leur rocircle a eacuteteacute relativement facile la plupart eacutetant resteacutees en usage agrave lrsquoeacutepoque classique comme armoiries des provinces ou nomes crsquoest-agrave-dire comme laquo insignes de collectiviteacutes raquo on en a conclu avec raison que sur les monuments archaiumlques ces enseignes eacutetaient aussi des laquo emblegravemes ethni-ques raquo20 et qursquoelles peuvent nous eacuteclairer sur les premiers groupements sociaux de lrsquoEacutegypte Avant drsquoecirctre unifieacutee sous la domination drsquoun roi lrsquoEacutegypte avait eacuteteacute diviseacutee et de ces divisions ethniques nous connaissions tout au moins les signes de ralliement

En 06 M Loret dans une brillante confeacuterence faite au Museacutee Guimet sur lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme a deacutemontreacute que les enseignes qui apparaissent sur les monuments archaiumlques nrsquoeacutetaient pas seulement des drapeaux mais figuraient aussi pour les Eacutegyptiens primitifs les chefs et les dieux des diffeacuterents groupes ethniques Sur lrsquoune des enseignes celle du Faucon les monuments de lrsquoeacutepoque historique donnaient de preacutecieux eacuteclaircissements On savait qursquoelle avait donneacute son nom de Faucon agrave un groupe drsquoindividus laquo les compagnons ou adorateurs du Faucon raquo Hor shemsou et que le Pharaon lui-mecircme se dit un faucon et en porte le titre Hor faucon Or un objet qui est agrave la fois une enseigne un dieu un chef et en qui srsquoidentifient des hommes rentre dans une cateacutegorie bien deacutefinie crsquoest un totem le groupement ethnique auquel il preacuteside est un clan toteacutemique

M Loret reconnut donc sur les repreacutesentations des vases les totems du Faucon du Chien du Leacutevrier de lrsquoIbis du Scorpion du Lion des 2 Piques du Roseau etc Drsquoapregraves ce qursquoon savait du Faucon il conclut qursquoautour de chaque totem se groupait encore agrave cette eacutepoque un clan toteacutemique crsquoest pour cela que ces enseignes servaient de drapeaux agrave des groupements ethniques LrsquoEacutegypte en eacutetait donc vers 000 ans av J-C au reacutegime social du clan toteacutemique Pour deacutefinir cet eacutetat des rapprochements srsquoimposaient avec les peuples qui de nos jours vivent encore par clans ce sont les non-civiliseacutes des nouveaux mondes Lrsquoanalogie permettait de supposer que cette Eacutegypte archaiumlque dans laquelle on peacuteneacutetrait nrsquoeacutetait encore qursquoau degreacute de deacuteveloppement constateacute aujourdrsquohui chez telle peuplade de Negravegres ou drsquoAustraliens Le terrain de comparaison eacutetant trouveacute nous pouvons nous demander si ce que nous connaissons de lrsquoEacutegypte archaiumlque srsquoaccorde avec la deacutefinition de toute socieacuteteacute toteacutemique telle que lrsquoont

20 V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Bibliothegraveque de vulgarisation t XIX p 76)

70

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutetablie les travaux de Frazer et de Durkheim Quoique ces deux savants ne soient pas toujours drsquoaccord empruntons leurs lumiegraveres pour deacutefinir aussi exactement que possible ce qursquoest un totem et un clan toteacutemique 2

Le mot nrsquoest connu de nous que depuis les reacutecits des explorateurs du Nouveau Monde au xviiie siegravecle laquo Totem raquo est tireacute du dialecte objibway (tribu des Algon-quins) ougrave il signifie laquo marque famille raquo mais la chose la conception qursquoil deacutesigne srsquoest reacuteveacuteleacutee commune aux peuples non civiliseacutes dans beaucoup de pays Voici les traits geacuteneacuteraux du totem Avant tout ce nrsquoest pas un feacutetiche car le feacutetiche est un animal ou un objet diviniseacute La caracteacuteristique du totem au contraire crsquoest de deacutesigner un groupe une espegravece entiegravere drsquoecirctres ou drsquoobjets Il est pour cette espegravece comme le substratum des individus qui la composent en lui reacuteside agrave la fois la source vitale lrsquoeacutenergie geacuteneacuteratrice et le nom collectif (crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme perseacuteveacuterante) de la race puis encore la marque de cette parenteacute commune le blason et enfin lrsquoesprit protecteur la providence de cette race

Prenons un clan qui a adopteacute pour totem un loup Chaque membre du clan Loup est un loup il croit que le loup est lrsquoancecirctre animal mdash lui-mecircme sorti du sol comme les plantes mdash agrave qui des membres humains ont pousseacute qui srsquoest mis agrave marcher sur deux pattes a eacutepileacute son corps est devenu un loup-homme Tous les membres du clan descendent donc drsquoun vrai loup sont de la mecircme chair par conseacutequent fregraveres des autres loups resteacutes agrave lrsquoeacutetat sauvage (crsquoest-agrave-dire animal) mdash drsquoougrave lrsquointerdiction (tabou) de ne chasser ni tuer ni manger le loup-fregravere le totem

Une religion (au sens de lien) drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute groupe les membres du clan fils du totem autour de ce pegravere et bienfaiteur qui leur a donneacute vie et force Chacun porte la marque sacreacutee lrsquoeffigie du loup empreinte sur ses chairs on la tatoue sur les jeunes gens pendant les rites de lrsquoinitiation qui suit la puberteacute elle est apposeacutee en signature au bas des actes publics ou priveacutes on la sculpte ou on la peint sur les armes le mobilier les maisons on lrsquoeacuterige sur un poteau au faicircte des huttes ou agrave lrsquoentreacutee du village on la place sur la tombe des individus dont le nom toteacutemique (et non point personnel) sera ainsi sauvegardeacute pour lrsquoeacuteterniteacute Car apregraves la mort lrsquoindividu retourne agrave son totem Lrsquoeacutemanation du Loup qui srsquoeacutetait incarneacutee pour une existence passagegravere dans une forme humaine revient

2 J Frazer Le toteacutemisme (trad franccedil 88) Durkheim Les formes eacuteleacutementaires de la vie reli-gieuse le systegraveme toteacutemique en Australie 2 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode com-parative (ap revue de lrsquoHistoire des religions LVIII I p )

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

apregraves la mort se confondre et se reacutesorber dans le Loup ancestral drsquoougrave renaicirctront indeacutefiniment drsquoautres loups

Mais agrave chaque geacuteneacuteration lrsquoessence primitive du Loup devient plus lointai-ne sa force risque de srsquoatteacutenuer de srsquoaffaiblir Sans doute le Loup feacuteconde-t-il mystiquement toutes les megraveres mais encore faut-il peacuteriodiquement reprendre contact avec lrsquoancecirctre pour reacutegeacuteneacuterer le clan A cet effet une femme du clan souvent celle du chef srsquounira charnellement au totem Lrsquoacte est simuleacute si le to-tem est un ecirctre inanimeacute mais si crsquoest un animal lrsquoaccouplement drsquoune femme avec un repreacutesentant du type est souvent reacuteel Sauf cette exception religieuse toute relation sexuelle drsquohomme agrave femme dans le mecircme clan est rigoureusement prohibeacutee lrsquoexogamie crsquoest-agrave-dire le mariage en dehors du clan est la loi du groupement toteacutemique Hommes et femmes eacutepousent donc des individus de clans voisins et lrsquoenfant appartient au clan et au totem de sa megravere

De lagrave pour la vie du clan toteacutemique un germe drsquoaffaiblissement et de trans-formation Les enfants appartenant au totem de la megravere agrave chaque geacuteneacuteration toute la descendance macircle des hommes-loups passe aux clans des femmes eacutepou-seacutees agrave mesure que la tribu srsquoaccroicirct par mariages ses rejetons multiplient les clans nouveaux qui vivent cocircte agrave cocircte avec lrsquoancien Plus la tribu est nomade plus elle se dissout en uniteacutes nouvelles se subdivise en adoptant quelque varieacuteteacute animale ou aspect diffeacuterent du totem primitif (loup-chacal loup-cervier chien etc) Une socieacuteteacute agrave lrsquoeacutetat toteacutemique se preacutesente donc sous lrsquoaspect drsquoune cohue de plus en plus panacheacutee bigarreacutee et disperseacutee agrave chaque geacuteneacuteration Peu agrave peu la confusion devient telle qursquoune organisation nouvelle se creacutee par neacutecessiteacute alors la regravegle de lrsquoexogamie se relacircche et lrsquoon tolegravere les unions entre individus du mecircme groupe toteacutemique Le totem ne srsquoattachera plus agrave la race morceleacutee et alteacutereacutee apregraves tant de croisements mais agrave la localiteacute on aura des totems de pays agrave cocircteacute des totems de familles Enfin lrsquoimage du totem lui-mecircme arrive agrave figurer une sorte de geacutenie de la race qui joue encore le rocircle drsquoancecirctre et de providence mais perd peu agrave peu le contact avec les hommes du clan se retire de la terre et se transforme en dieu

Tel serait le scheacutema de lrsquoeacutevolution toteacutemique Retrouvons-nous dans lrsquoEacutegypte archaiumlque tous les traits ou seulement des traces drsquoun pareil eacutetat social

72

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure laquo Faucon combattant raquo nom royal de Ahacirc 2 laquo Faucon combattant raquo livre des prisonniers

Disons tout drsquoabord que les figures ou scegravenes graveacutees sur les vases et les pa-lettes votives ne reacutevegravelent que quelques eacutepisodes seulement de la vie des clans en Eacutegypte Lrsquoexistence mecircme des clans distingueacutes par des enseignes telles que M Loret les a reconnues nrsquoest pas douteuse car les enseignes apparaissent com-me marques distinctives dans des scegravenes qui touchent agrave la vie collective plus qursquoagrave la vie individuelle repreacutesentations de villages ou drsquoeacutedifices batailles fecirctes publi-ques cortegraveges etc Comme chez les autres primitifs la nature de ces enseignes est tregraves varieacutee ce sont des animaux (beacutelier chien lion leacutevrier eacuteleacutephant taureau faucon vautour ibis chouet-te vanneau silure abeille vi-pegravere scorpion) des veacutegeacutetaux (roseau sycomore palmier) des armes de chasse ou de guerre (flegraveches arc harpon hache boomerang) des si-gnes geacuteographiques (monta-gnes) ou astronomiques (cer-cle solaire 22)

22 La liste aussi complegravete que possible en a eacuteteacute dresseacutee par V Loret Les enseignes militaires des tribus et les symboles hieacuteroglyphiques des diviniteacutes (ap revue eacutegyptologique t X02)

Figure 2 mdash tLe nom royal de Narmer animeacute

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

On eacutelegraveve ces figures sur des pavois ou enseignes et on les arbore sur les eacutedifices ou les barques on les grave ou on les peint sur les vases les assiettes les statues car il faut que les membres du clan soient en communion constante avec leur totem

Figure Enseignes toteacutemiques animeacutees

Ces enseignes sont vivantes et interviennent dans la vie du clan On voit le faucon tenir dans ses serres le bouclier et le javelot (fig ) le silure brandit agrave deux bras greffeacutes sur son corps de poisson la massue pour assommer un ennemi (fig 2) le vautour amegravene des captifs par une corde (fig ) le faucon le scor-pion le lion manient le pic et deacutemolissent les remparts derriegravere lesquels srsquoabri-tent des rivaux (fig ) parfois lrsquoenseigne qui porte lrsquoemblegraveme a elle aussi des bras pour tenir la corde des captifs ou empoigner lrsquoadversaire 2 A cette vie on reconnaicirct que les emblegravemes sont des totems

2 V Loret Lrsquoeacutegyptehellip p 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figures -Eacutedicule drsquoenseigne et animal toteacutemique

Comme tels on les veacutenegravere en geacutenies protecteurs leurs images (si ce sont des objets inanimeacutes) leurs speacutecimens vivants (si ce sont des animaux) sont gardeacutes preacutecieusement dans des eacutedicules (fig -) construits de murs en clayonnage recouverts drsquoun toit en forme de demi-coupole aux parois on suspend des ob-jets votifs des palettes et des tablettes graveacutees de scegravenes qui commeacutemorent les victoires ou les fecirctes du clan 2 sur le toit on accroche le bucrane deacutepouille des animaux sacrifieacutes au totem un mur drsquoenceinte avec porte encadreacutee de deux haches planteacutees en terre encadre le sanctuaire primitif ougrave vit le palladium de la tribu Les monuments archaiumlques ne nous enseignent rien de plus sur le culte du totem mais des traditions resteacutees en honneur agrave lrsquoeacutepoque classique ont prolongeacute jusqursquoagrave nous lrsquoeacutecho des rites tregraves anciens qui se rapportent au culte des animaux toteacutemiques Si les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque romaine adoraient encore les taureaux Apis agrave Memphis Mneacutevis agrave Heacuteliopolis Bouchis agrave Hermonthis le bouc agrave Mendegraves le chat agrave Bubastis lrsquoibis agrave Hermopolis le faucon agrave Edfou le crocodile au Fayoum et agrave Ombos srsquoil eacutetait deacutefendu de tuer et de manger tel ou tel animal mais seule-ment dans la ville ougrave il eacutetait adoreacute mdash crsquoest par respect pour des traditions drsquoune antiquiteacute deacutemesureacutee qui nous ont conserveacute vivants les cultes des anciens clans toteacutemiques Aussi pouvons-nous admettre que les membres srsquoabstenaient de tuer et de manger le totem pendant sa vie on le nourrissait et on lrsquoadorait agrave sa mort on le pleurait solennellement jusqursquoagrave lrsquoinstallation de son successeur (comme on faisait pour les Apis agrave lrsquoeacutepoque classique)

2 Les plus importantes sont reproduites dans lrsquoouvrage de J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte 0

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

En retour le totem eacutetait la providence du clan eacutegyptien Pendant la paix sa preacutesence dans le sanctuaire du village assure la prospeacuteriteacute au combat il marche en tecircte des guerriers et il lutte agrave sa faccedilon contre les adversaires Le totem protegravege ainsi ses descendants et ses fregraveres Le lien du sang qui existe entre lui et la tribu qui porte son nom est tenu pour reacuteel et non fictif Peacuteriodiquement une femme du clan srsquounit au totem Heacuterodote 2 nous rapporte qursquoagrave Mendegraves de son temps le bouc sacreacute srsquoeacutetait accoupleacute agrave une femme Strabon et Diodore relatent le mecircme fait agrave Memphis et agrave Thegravebes le rite se pratiquait encore agrave Rome au temps de Tibegravere dans le temple drsquoAnubis 26 Ces unions monstrueuses qui persistaient drsquoune faccedilon sporadique ne sont qursquoune survivance du temps ougrave lrsquoanimal toteacute-mique perpeacutetuait sa race pour feacuteconder le clan

Crsquoest agrave peu pregraves tout ce que donnent les monuments sur lrsquoexistence drsquoun eacutetat social toteacutemique en Eacutegypte il est impossible de veacuterifier si lrsquoexogamie eacutetait en usage du moins aucune trace nrsquoen est resteacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave les documents commencent agrave nous renseigner sauf lrsquousage de la descendance en ligne feacutemi-nine encore srsquoexplique-t-elle aussi par la pratique de la polygamie En somme lrsquoEacutegypte mecircme agrave lrsquoeacutepoque archaiumlque ne preacutesente plus que des survivances de toteacutemisme 27 preuve en est la position du roi dans la socieacuteteacute drsquoalors

A partir du moment ougrave lrsquoon trouve dans les tombes autre chose que de sim-ples vases peu ou pas deacutecoreacutes degraves que les monuments agrave inscriptions ou figures descriptives apparaissent la socieacuteteacute se reacutevegravele monarchique et la monarchie se montre deacutejagrave centraliseacutee Les scegravenes graveacutees sur les vases et les palettes votives permettent de discerner des luttes de clans qui se terminent par le triomphe du clan du Faucon Or lrsquoexamen des monuments ougrave apparaicirct le faucon nous mon-tre que degraves cette eacutepoque tregraves lointaine lrsquoanimal est moins le chef drsquoun clan que le protecteur de la famille royale

2 II 626 Cf Ad-J Reinach Lrsquoeacutegypte preacutehistorique p 827 A Van Gennep revue de lrsquohistoire des religions LVIII p critiquant les conclusions trop absolues de V Loret se refusait en 08 agrave reconnaicirctre mecircme des traces de vrai toteacutemisme dans les donneacutees des documents eacutegyptiens et nrsquoy voyait qursquoune forme de zoolacirctrie Crsquoest agrave mon avis aller trop loin dans la reacuteserve prudente et la critique Jrsquoessaierai de montrer ci-apregraves que lrsquoideacutee toteacutemique a surveacutecu peut-ecirctre dans la notion du Ka ougrave ne se retrouve nulle trace de zoolacirctrie

76

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 6Le faucon proteacutegeant le roi

Le faucon apparaicirct drsquoabord comme enseigne royale porteacute sur un pavois il preacutecegravede le roi (et le roi seul) dans tous les tableaux des victoires ou des fecirctes royales srsquoil y a drsquoautres enseignes porteacutees devant le roi le faucon est le plus sou-vent en tecircte au premier rang Il combat pour le roi saisit ses ennemis ou les lui amegravene prisonniers Crsquoest donc le geacutenie protecteur du roi Comme tel on repreacute-sente le faucon volant (fig 6) ou au repos proteacutegeant la nuque du roi de ses ailes eacutetendues

Le faucon est avec le roi dans les rapports drsquoun totem avec son enfant De toute antiquiteacute le nom du faucon est le nom qui deacutesigne le roi (et le roi seul) Pour eacutecrire le nom du roi Ahacirc le laquo combattant raquo les Eacutegyptiens gra-vaient un faucon tenant dans ses serres bouclier et javelot (fig ) quoi de plus direct pour exprimer agrave tous les yeux lrsquoideacutee que le roi eacutetait le laquo faucon combat-tant raquo Depuis Ahacirc (qursquoil soit ou non le Menegraves des listes historiques) jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne signifiera laquo le roi raquo et sera le premier nom protocolaire du souverain Or qui dit nom dit essence acircme le roi est donc de mecircme essence que le faucon A lrsquoeacutepoque classique les textes srsquoeacutetendent avec complaisance sur la parenteacute du roi et du faucon Un prince royal enfant est ap-peleacute laquo le faucon dans son nid 28 raquo Monte-t-il sur le trocircne crsquoest le laquo faucon sur son cadre 2 raquo en cet instant dit Loret le Ka du faucon ancestral laquo descendait du ciel et venait srsquoincorporer srsquoincarner dans la personne du roi se surajouter raquo comme

28 Breasted A new chapter in the life of Thutmes iii p 62 A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p n litteacuteralement laquo sur son eacutedifice raquo

77

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le dit un texte du temple de Seacuteti Ier agrave Abydos 20 Le roi meurt-il Crsquoest laquo le faucon qui srsquoenvole au ciel 2 raquo pour rentrer dans le sein du dieu 22 dont il est issu

Sans doute ce sont lagrave figures de langage qui rappellent seulement des ideacutees et auxquelles on nrsquoattachait plus un sens litteacuteral Toutefois une tradition mon-tre combien fut durable en Eacutegypte la croyance de la parenteacute reacuteelle du roi et du totem A lrsquoeacutepoque classique les temples nous conservent le tableau de lrsquounion charnelle du dieu principal de lrsquoEacutegypte Racirc 2 ou Amon-Racirc avec la femme du roi de cette laquo theacuteogamie raquo naissait lrsquoheacuteritier royal 2 Il est difficile drsquoadmettre qursquoon crucirct agrave la reacutealiteacute effective de cette union nul ne pouvait se vanter drsquoavoir vu Amon descendre du ciel pour entrer dans la couche de la reine Il est plus probable que la scegravene de la theacuteogamie eacutetait admise comme un rappel adouci de la coutume citeacutee plus haut lrsquoaccouplement de lrsquoanimal-totem avec la femme du chef

Le faucon est aussi degraves ce moment le dieu de la famille royale Dans la premiegrave-re capitale connue la laquo ville des faucons raquo Hierakonpolis les rois de la Ire dynastie eacutelegravevent un temple au Faucon ougrave Quibell a trouveacute encore une magnifique tecircte de faucon en or datant de lrsquoAncien Empire Le faucon comme dieu est devenu Horus plus tard lrsquoHorus de la mythologie classique

En reacutesumeacute le roi dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est bien vis-agrave-vis du faucon dans la situation drsquoun clansman par rapport au totem le faucon est pour lui son en-seigne son geacutenie protecteur son nom son pegravere son dieu Est-ce assez pour dire que lrsquoEacutegypte drsquoalors en est encore au reacutegime du clan toteacutemique Tel nrsquoest point mon avis Ce qui a eacuteteacute dit plus haut caracteacuterise en effet les rapports du roi avec le faucon mais du roi seul et non pas de tous les Eacutegyptiens Au moment ougrave com-mence pour nous lrsquohistoire documentaire il nrsquoy a plus en Eacutegypte drsquoautre faucon que le roi et son dieu 2 Or la vraie socieacuteteacute toteacutemique ne connaicirct ni roi ni sujets

20 V Loret l c p 20 Cf Mariette Abydos I pl 22 Maspero Contes populaires p 20 7 Lrsquoexpression srsquoemploie aussi poeacutetiquement pour dire que le roi entre au sanctuaire (Breasted l c p et 7)22 Lrsquoexpression apparaicirct par exemple dans lrsquoinscription drsquoAnna (recueil XII p 06)2 Crsquoest depuis la Ve dynastie que les rois prennent reacuteguliegraverement le titre Sa-Racirc laquo fils de Racirc raquo ce qui semble indiquer une conseacutecration de la tradition de la theacuteogamie ceci concorde avec le teacutemoignage du papyrus Westcar2 Cf A Monet Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 0 et suiv2 Le nom de laquo compagnons du faucon raquo que les textes religieux nomment shemson Hor (ayant comme signes distinctifs le chien sur lrsquoenseigne lrsquoarc et le boomerang) ne srsquoappliquent reacuteel-lement pas dans les textes historiques agrave des hommes ordinaires mais agrave des rois tregraves anciens ou des dieux mdash Cf agrave ce sujet Sethe Die Horusdiener p 2 et Ed Meyer Chronologie (tr franccedilaise) p 2

78

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tous les membres du clan y vivent sur pied drsquoeacutegaliteacute par rapport agrave leur totem laquo Le toteacutemisme pur dit Frazer est deacutemocratique crsquoest une religion drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute chaque individu de lrsquoespegravece toteacutemique en vaut un autre Si par conseacutequent un individu de lrsquoespegravece a la digniteacute de fregravere aicircneacute drsquoesprit gardien srsquoil occupe un rang supeacuterieur en digniteacute agrave tout le reste le toteacutemisme est prati-quement abandonneacute et la religion srsquoachemine en mecircme temps que la socieacuteteacute au monarchisme 26 raquo

Crsquoest preacuteciseacutement agrave cette phase de lrsquoeacutevolution que lrsquoEacutegypte semble deacutejagrave par-venue au moment ougrave les monuments les plus anciens nous la reacutevegravelent Degraves la peacuteriode de Negadah et drsquoAbydos les Eacutegyptiens qui combattent pour le roi ne sont plus des laquo compagnons de clan raquo mais des sujets

Figure 7Ash animal divin anthropomorphe

Aucun texte ne permet de dire qursquoils srsquoappellent comme le roi des Faucons le lien est relacirccheacute entre eux et le totem ils ne communiquent plus avec Hor que par lrsquointermeacutediaire du Roi Le faucon mecircme se transforme apregraves avoir eacuteteacute la source de vie et le patrimoine du clan il preacuteside aux seules destineacutees de la famille royale Son aspect srsquohumanise et cette transformation srsquoannonce degraves le temps tregraves ancien ougrave on repreacutesente lrsquoanimal toteacutemique muni de bras pour deacutefendre le roi ou saisir ses ennemis bientocirct apparaicirctront certaines figures divines composi-tes tels que le dieu Ash sur les bouchons drsquoAbydos (fig 7) ougrave un corps humain se combine avec une tecircte de leacutevrier agrave dater de ce moment les totems drsquoEacutegypte subissent la loi commune ils deviennent laquo drsquoabord de simples animaux divini-

26 toteacutemisme p 28

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

seacutes puis des dieux anthropomorphes agrave attributs animaux 27 raquo Ainsi le faucon se transforme-t-il en Horus dieu agrave corps humain hieacuteracoceacutephale Dans la ville drsquoHieacuterakonpolis le Faucon nrsquoest deacutejagrave plus un totem mais le dieu de la famille royale

Cette eacutevolution monarchique qui apparaicirct dans la religion comme dans la socieacuteteacute srsquoaccentua rapidement au fur et agrave mesure que srsquoachevait la conquecircte de lrsquoEacutegypte par les rois Faucons tels que Narmer et Ahacirc Apregraves avoir absorbeacute leur propre clan ils subjuguegraverent les clans rivaux et srsquoannexegraverent les dieux des prin-cipales villes conquises

Crsquoest ainsi que le vautour drsquoEl-Kab et lrsquoUraeligus de Bouto le roseau de Koptos et lrsquoabeille drsquoHeacuteiacleacuteopolis et agrave certains moments lrsquoanimal typhonien furent adopteacutes comme patrons royaux secondaires Le roi srsquoidentifia agrave ces dieux comme il lrsquoavait fait pour le faucon leurs signes caracteacuteris-tiques etc deacutesignegraverent comme le faucon Hor le nom et lrsquoessence mecircme du Pharaon Il en fut de mecircme pour drsquoautres emblegravemes sacreacutes le laquo tau-reau puissant raquo le laquo lion androceacutephale ou hieacuteracoceacutephale raquo (sphinx ou griffon) le crocodile mecircme (sous la forme ati) le lotus de Thegravebes e t lrsquoautre lotus du Delta Faute de documents pour chacun drsquoeux nous devons nous contenter de raisonner par analogie si le Pharaon srsquoest comporteacute vis-agrave-vis de ces dieux comme il lrsquoa fait pour le Faucon crsquoest peut-ecirctre qursquoils furent jadis comme le Faucon les totems drsquoune race conquise par le roi 28

Le souvenir srsquoen est conserveacute jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne et cette tradition persistante explique certains deacuteveloppements poeacutetiques de la lit-teacuterature officielle Voici quelles eacutepithegravetes on deacutecerne encore agrave Seacuteti Ier au deacutebut de la XIXe dynastie (vers 00 avant notre egravere)

laquo Faucon divin aux plumes bigarreacutees il traverse le ciel comme la majesteacute de Racirc chacal agrave la deacutemarche rapide il fait le tour de cette terre en une heure lion

27 Frazer toteacutemisme p 2828 Voici quelques reacutefeacuterences pour les diffeacuterents aspects du roi Roi-taureau palettes archaiuml-ques citeacutees par J Capart Les deacutebuts de lrsquoart p 2 et suiv roi-lion palette archaiumlque ibid p 22 sphinx de Tanis (G Maspero Histoire I p 0) roi-griffon pectoral de Senousret III agrave Dahchour (de Morgan I pl XXI) panneau du trocircne de Thoutmegraves IV (Davis The tomb of Thoutmosegraves iV pl VI-VIII XII) roi-crocodile pap Prisse pl IV 2 pour une allusion au roseau et agrave lrsquoabeille cf Griffith papyrus de Kahun pl III 2 le lotus et le papyrus apparais-sent comme plantes heacuteraldiques royales sur les piliers de Thoutmegraves III agrave Karnak (G Maspero Histoire II p 7)

80

Les Mystegraveres eacutegyptiens

fascinateur il bondit sur les chemins inconnus de tout pays eacutetranger taureau puissant aux cornes aceacutereacutees il pieacutetine les Asiatiques et foule les Kheacutetas 2 raquo

En reacutesumeacute ce qursquoil y a eu de toteacutemique dans lrsquoeacutetat social de lrsquoEacutegypte primitive ne nous apparaicirct plus guegravere que deacuteformeacute et ramasseacute en une seule personnaliteacute celle du roi La socieacuteteacute dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est deacutejagrave niveleacutee et sur ce terrain deacuteblayeacute les rois et les precirctres eacutelegraveveront degraves le temps des Pyramides lrsquoeacutedifice somptueux de la monarchie absolue

Tel qursquoil est devenu au cours des acircges fils des dieux dieu lui-mecircme seul possesseur du sol dispensateur de toutes les gracircces terrestres et divines seul in-termeacutediaire entre les hommes et les dieux comme sorcier et comme precirctre guide des hommes dans la vie terrestre et sur le chemin qui megravene au ciel apregraves la mort Pharaon apparaicirct dans lrsquohistoire comme la plus formidable force morale qui ait eacuteteacute jamais conccedilue Tout cela eacutetait en germe dans la reacutevolution qui a permis au roi de confisquer agrave son profil lrsquoautoriteacute du totem sur le clan toteacutemique et de concentrer en sa personne royale lrsquoessence divine de la race

Pendant les quatre mille ans que duregraverent les dynasties pharaoniques une parcelle de lrsquoideacuteal toteacutemique semble avoir persisteacute neacuteanmoins malgreacute lrsquoheacutegeacutemo-nie royale crsquoest la croyance qursquoil existe un eacuteleacutement commun entre les Eacutegyptiens le roi et les dieux Crsquoest une sorte de geacutenie de la race et de la nature entiegravere il anime agrave la fois la matiegravere dans les corps inanimeacutes la chair des ecirctres animeacutes et les faculteacutes de lrsquoesprit Pour lrsquounivers tout entier et tous les ecirctres animeacutes ou inani-meacutes ce geacutenie qursquoils appelaient le Ka (mot qui signifie comme genius force geacuteneacuteratrice et esprit protecteur) jouait le rocircle de substance commune et drsquoacircme collective Nous avons vu que pour les affilieacutes des clans toteacutemiques naicirctre crsquoest sortir du Totem pour mener une vie consciente mourir crsquoest rentrer dans le sein du Totem et srsquoy reacutesorber 260 De mecircme pour les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque posteacute-rieure naicirctre crsquoeacutetait donner au Ka lrsquooccasion de se manifester dans une forme passagegravere une existence individuelle mourir crsquoeacutetait revenir agrave son essence pri-mordiale ou comme ils disaient laquo passer agrave son Ka raquo Nous croyons donc qursquoapregraves la reacutevolution sociale et religieuse qui marque le passage de lrsquoeacutetat toteacutemique agrave la monarchie centraliseacutee quelque chose de la mentaliteacute primitive a subsisteacute dans la socieacuteteacute eacutegyptienne par cette notion du Ka Le Ka a prolongeacute la meacutetaphysique primitive puisqursquoil semble ecirctre agrave la fois laquo la substance mecircme drsquoun individu son

2 Texte drsquoIpsamboul citeacute par Guieysse ap recueil XI p 7260 Frazer toteacutemisme p Lors de la mort le clansman cherche agrave srsquoidentifier agrave son totem On apostrophe ainsi le mort laquo Tu es venu ici de chez les animaux et tu trsquoen retournes chez euxhellip Tu vas chez les animaux tu vas rejoindre les ancecirctreshellip raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

nom vivant et impeacuterissable son totem 26 raquo Les documents montrent que le Ka est tout cela au moins pour Pharaon En fait le roi drsquoEacutegypte en mecircme temps qursquoil se confond avec le ou les totems devient aussi comme la forme visible de cette acircme collective de cette substance essentielle de la race dont on avait fait jadis le totem qursquoon appelait maintenant le Ka Les autres hommes ne reve-naient agrave leur Ka qursquoapregraves leur mort le roi degraves qursquoil est introniseacute degraves qursquoil srsquoap-pelle Faucon devient le Ka des vivants geacutenie de son peuple acircme et substance de ses sujets

Figure 8Nom royal de Ka et de faucon

Aussi le roi seul parmi les ecirctres fait-il repreacutesenter agrave cocircteacute de sa forme corpo-relle ordinaire son corps essentiel si je puis dire son corps en tant que Ka en tant qursquoacircme et corps collectifs de la race Sur les tableaux des temples on le voit derriegravere le roi crsquoest une figure de dieu adolescent portant sur sa tecircte le nom du Faucon royal 262 (cf fig 26)

Cette conception qui a perseacuteveacutereacute jusqursquoaux derniers temps de la monarchie eacutegyptienne montre mieux que toute autre ce qursquoeacutetait le Pharaon pour son peu-ple on le veacuteneacuterait sur terre comme la force primordiale des ecirctres et des choses comme le Ka incarneacute Eacutecoutez la doctrine qursquoun noble de la XIIe dynastie en-seignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu Sa (la science) qui est dans les cœurs (les esprits) ses yeux explorent toute conscience crsquoest Racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre

26 V Loret l c p 20262 Cf les repreacutesentations citeacutees par A Moret l c p 7 2 222 22

82

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plus que le Nil en crue quand il emplit les deux terres de force et de viehellip Il donne les largesses agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraie son chemin Crsquoest le Ka le roi Crsquoest la surabondance sa bouche 26 crsquoest sa creacuteation (tout) ce qui existe 26 raquo

En cette qualiteacute de successeurs des dieux les rois drsquoEacutegypte se trouvent dans des conditions de vie toutes speacuteciales Nos renseignements agrave ce sujet sont peu nombreux et fort incomplets parce que nous nrsquoavons conserveacute aucun texte deacute-veloppeacute anteacuterieur agrave lrsquoeacutepoque des grandes Pyramides Mais dans le grand nom-bre de traditions bizarres que nous ont transmises sur lrsquoEacutegypte ancienne soit les auteurs classiques soit les sources nationales il srsquoen trouve dont lrsquoexplication ne srsquoeacuteclaire que par les coutumes des peuples non civiliseacutes et speacutecialement de ceux qui vivent encore en Afrique ou ailleurs dans un eacutetat social toteacutemique Ces traditions qui concernent le pharaon semblent bien nous apporter un eacutecho de la primitive histoire

En tant que faucon ou dieu le roi possegravede les privilegraveges les plus eacutetendus et le pouvoir le plus absolu il est maicirctre de la vie de ses sujets et tout le sol lui ap-partient Avec son cortegravege drsquoanimaux dompteacutes par ses charmes la tecircte ceinte de lrsquoUraeligus 26 la nuque proteacutegeacutee par le faucon ou le vautour 266 ailes deacuteployeacutees es-corteacute par le lion Pharaon est drsquoun aspect terrible et drsquoun voisinage redoutable 267 Aussi de mecircme que le sauvage tremble drsquoapercevoir son totem lrsquoEacutegyptien re-doute de voir son roi agrave moins drsquoy ecirctre inviteacute quand il est admis en sa preacutesence le sujet se voile la face de ses mains tombe prosterneacute et ne se deacutecide agrave parler que lorsqursquoil en reccediloit lrsquoordre cateacutegorique 268 Il est interdit de profeacuterer le nom per-sonnel du roi-dieu On le deacutesigne par une peacuteriphrase laquo Sa Majesteacute raquo ou on lrsquoappelle laquo Notre Maicirctre raquo Quiconque prononce en vain le nom du roi deacutechaicircne une force si puissante que nul nrsquoen saurait arrecircter les effets 26

Dans ces conditions on conccediloit que lrsquoaccegraves du palais fucirct tregraves difficile et qursquoun ceacutereacutemonial scrupuleux reacuteglacirct les audiences Comparons avec le ceacutereacutemonial eacutegyp-

26 Le roi comme les dieux creacutee toute chose rien qursquoen parlant par la force du verbe sacreacute Voir plus haut26 Stegravele de Sehetepibracirc Caire 208 (face II I et suiv)26 Cf Maspero Contes (e eacuted) p laquo la royale Uraeligus qui enveloppe ta tecircte raquo Sur ce rocircle de lrsquoUraeligus cf Ad Erman Hymnen an das Diadem der pharaonen p 7 et suiv266 Statue de Cheacutephregraven Davis tomb of Thoutmosis iV pl X267 G Maspero Histoire II p 268 Frazer toteacutemisme p 26 ibid p 2

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tien ce reacutecit drsquoune audience chez le roi des Yolofs (drsquoapregraves les observations drsquoun voyageur au deacutebut du xviiie siegravecle 270)

laquo En avanccedilant vers le roi qui nrsquoaccorde ces audiences que devant la porte du palais le sujet se met agrave genoux agrave quelque distance baisse la tecircte et prend de cha-que main une poigneacutee de sable dont il se couvre la chevelure et le visage A me-sure qursquoil approche il reacutepegravete plusieurs fois la mecircme ceacutereacutemonie (Drsquoautres avan-cent continuellement agrave genoux en se couvrant de terre et de sable pour montrer qursquoils ne sont que poussiegravere en comparaison du roi) Enfin srsquoagenouillant agrave deux pas du monarque il explique les raisons qui lui ont fait deacutesirer une audience Apregraves ce compliment il se legraveve sans oser jeter les yeux devant lui Il tient les bras eacutetendus vers ses genoux et de temps en temps il se jette de la poussiegravere sur le front Le roi paraicirct lrsquoeacutecouter peu et tourne son attention sur quelque bagatelle qui lrsquoamuse Cependant il prend un air fort grave agrave la fin de la harangue et sa reacuteponse est un ordre auquel les suppliants nrsquoosent reacutepliquer Ils se confondent ensuite dans la foule des courtisans raquo

Voici comment au temps de la XIIe dynastie le prince Sinouhit de retour drsquoun exil en Asie se preacutesentait devant Pharaon 27 laquo Dix hommes vinrent pour me mener au palais Je touchai la terre du fronthellip puis on me conduisit au logis du roi Je trouvai Sa Majesteacute sur la grande estrade dans lrsquoembrasure de vermeil et je me jetai sur le ventre je perdis connaissance devant lui Ce dieu mrsquoadressa des paroles aimables mais je fus comme un individu qui est pris dans le creacute-puscule mon acircme deacutefaillit mes membres se deacuterobegraverent mon cœur ne fut plus dans ma poitrine et je connus quelle diffeacuterence il y a entre la vie et la mort raquo hellip Puis quand la parole lui est revenue Sinouhit profegravere drsquoune voix balbutiante laquo Me voici devant toi tu es la vie que Ta Majesteacute agisse agrave son plaisir raquo Alors Sa Majesteacute dit agrave la Reine laquo Voilagrave Sinouhit qui vient semblable agrave un Asiatique comme un Beacutedouin qursquoil est devenu raquo Elle poussa un tregraves grand eacuteclat de rire et les Infants royaux srsquoesclaffegraverent tous agrave la fois

On remarquera le trait final Lorsque le roi rit toute lrsquoassistance rit drsquoune seule bouche crsquoest encore une coutume respectueuse vis-agrave-vis drsquoun roi-dieu Chez les non-civiliseacutes lorsque le roi tousse rit ou pleure toute lrsquoassistance par politesse et respect fait de mecircme

Le roi primitif srsquoil a comme dieu tous les pouvoirs est par contre-partie

270 Walckenaer Histoire des voyages IV p 227 G Maspero Les contes populaires de lrsquoeacutegypte ancienne e eacutedit p 8

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soumis agrave des obligations rigoureuses M Frazer lrsquoa dit en termes excellents laquo La personne du roi est consideacutereacutee comme le centre dynamique du monde de lagrave sa force rayonne partout le moindre de ses gestes un mouvement de sa tecircte ou de ses bras peut troubler la nature Sur lui repose lrsquoeacutequilibre du monde la moindre faute de sa part peut tout deacuteranger Il doit donc prendre les plus gran-des preacutecautions toute sa vie doit ecirctre minutieusement reacutegleacutee dans les moindres deacutetails raquo mdash De lagrave les interdictions de faire telle ou telle chose de manger telle ou telle chose qui ont pour but de creacuteer autour du roi une zone drsquoisolement Ce sont les tabous Existaient-ils en Eacutegypte

Nous les connaissons mal mais il semble qursquoil y en ait eu de seacutevegraveres au moins agrave lrsquoeacutepoque tregraves ancienne Une tradition conserveacutee par Diodore (I 70) nous dit que laquo la vie des Pharaons eacutetait reacutegleacutee jusque dans ses moindres deacutetails ils ne devaient manger que du veau et de lrsquooie et ne boire qursquoune certaine quantiteacute de vin raquo Ces indications sont vraies en principe on a trouveacute dans les temples eacutegyptiens des listes 272 qui donnent pour chaque Nome agrave cocircteacute des noms des dieux des temples des precirctres la mention de la chose deacutefendue (bout) du tabou qui est le plus souvent un mets dont lrsquousage est interdit dans cette reacutegion Nul doute que le roi grand precirctre dans chaque temple ne fut astreint agrave lrsquoobservation des tabous au moins quand il se trouvait dans la reacutegion ougrave ce tabou devait ecirctre observeacute Quant aux regravegles de vie imposeacutees au Pharaon nous les ignorons Sou-haitons pour eux qursquoelles aient eacuteteacute moins strictes que celles auxquelles le Mikado eacutetait encore asservi il y a 200 ans 27

laquo Les princes de cette famille sont regardeacutes comme sacreacutes comme pontifes de naissance Ils sont obligeacutes de mener une vie toute speacuteciale Ils ne peuvent toucher le sol avec leurs pieds on les porte donc constamment Le Mikado ne peut ecirctre exposeacute agrave lrsquoair ni au soleil Son corps est sacreacute agrave un tel point qursquoil ne coupe ni ses cheveux ni ses ongles ni sa barbe On le lave pendant son sommeil ce qursquoon enlegraveve alors de son corps est consideacutereacute comme un vol qui ne porte aucun preacuteju-dice agrave sa sainteteacute Il devait jadis rester assis chaque matin plusieurs heures sur son trocircne sans remuer fut-ce une paupiegravere De son immobiliteacute deacutependaient la paix et le bonheur de son empire On a transfeacutereacute ce privilegravege agrave la couronne royale qui seule aujourdrsquohui est placeacutee sur le trocircne pendant plusieurs heures chaque matin Les mets du Mikado sont preacutepareacutes chaque fois dans des plats neufs par eacuteconomie ces plats sont en terre commune et ne servent qursquoune fois

272 Brugsch Dictionnaire geacuteographique p 627 Frazer Le rameau drsquoor I p 72 drsquoapregraves la relation de Kaempfer

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On les brise ensuite car si un profane srsquoen servait il aurait une inflammation de la bouche et de la gorge Les vecirctements feraient de mecircme enfler celui qui les porterait sans lrsquoautorisation du Mikado raquo

Le principal service que lrsquoon attende de ces rois-dieux crsquoest de commander agrave la nature On leur precircte le pouvoir de faire tomber la pluie briller le soleil pous-ser les reacutecoltes agrave ce titre on les appelle chez les non-civiliseacutes les rois du temps de lrsquoeau du feu des moissons

Ces pouvoirs on les precirctait certainement aux Pharaons primitifs Si en Eacutegyp-te les sorciers passaient pour avoir la puissance drsquoarrecircter le cours des astres et des fleuves de renverser le ciel ou la terre de faire agrave volonteacute la nuit ou le jour la pluie ou le beau temps nul doute que le Pharaon laquo le maicirctre des charmes magiques agrave qui Thot lui-mecircme avait enseigneacute tous ses secrets 27 raquo ne fucirct estimeacute plus capable encore que nrsquoimporte quel autre magicien drsquoagir agrave son greacute sur la nature Drsquoailleurs des traditions ou les attestations des monuments permettent de preacuteciser ces pouvoirs

Comme roi de lrsquoeau Pharaon commandait peut-ecirctre rarement la pluie car il ne pleut pas souvent en Eacutegypte ougrave lrsquoinondation peacuteriodique du Nil suppleacutee aux eaux du ciel Mais crsquoest Pharaon qui fait venir la crue par ses priegraveres (fig 0) ou ses incantations Nous savons par les stegraveles graveacutees agrave Silsilis au temps de Ramsegraves II qursquoau premier jour de la crue agrave la date ougrave du ciel tombait eacutechappeacutee aux yeux de Nout ou drsquoIsis la goutte drsquoeau qui deacuteclenche lrsquoinondation fertilisante le roi jetait lui-mecircme au fleuve un ordre eacutecrit de commencer la crue 27 crsquoeacutetait sans doute une formule magique de puissance irreacutesistible Quand les mineurs de la reacutegion de lrsquoEtbaye vinrent dire au roi Ramsegraves II que sur la route suivie par eux et leurs acircnes tous les puits eacutetaient taris Pharaon convoqua ses conseillers et ses magiciens et ceux-ci dirent au roi laquo Si tu dis agrave lrsquoeau ldquo Viens sur la montagne rdquo les eaux ceacutelestes sortiront tocirct agrave lrsquoappel de ta bouche 276 raquo Ramsegraves II fit forer des puits arteacutesiens qui permirent drsquoameacuteliorer le rendement des citernes mais dans lrsquoesprit du peuple lrsquoordre du roi avait suffi lrsquoeau avait surgi docile agrave sa voix

27 Sethe Urkunden IV p -2027 Aegyptische Zeitschrift 87 p 2276 stegravele de Kouban I 7

86

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ramsegraves III moissonne et implore le dieu Nil qui donne lrsquoabondance agrave lrsquoEacutegypte

Meacutedinet-Abou 277

Pharaon est aussi comme les autres rois primitifs roi du feu ceacuteleste la foudre Sa tecircte est ceinte de lrsquoUraeligus qui crache le feu agrave travers lrsquoespace ceacuteleste pareille agrave la comegravete eacutecheveleacutee sa voix terrifie ses ennemis par des hem hem 278 il est pareil agrave ces rois de Tahiti dont la voix est le tonnerre 27 Ne brandit-il pas le sceptre descendu du ciel en ses mains comme un carreau de foudre 280

Enfin roi des moissons Pharaon deacutefriche la terre avec le hoyau et preacuteside aux semailles 28 faucille en main crsquoest lui qui coupe la gerbe de bleacute 282 dans ces champs dont lrsquoabondance est due au Nil deacutebordeacute agrave son commandement Une tradition conserveacutee par les auteurs affirme la responsabiliteacute des animaux sacreacutes les anciens totems et du roi leur substitut laquo Lorsque dit Plutarque 28 il survient une chaleur excessive et pernicieuse qui produit ou des eacutepideacutemies ou drsquoautres calamiteacutes extraordinaires les precirctres font choix de quelques-uns des animaux sacreacutes et les emmenant avec le plus grand secret dans un lieu obscur

277 Drsquoapregraves un clicheacute obligeamment communiqueacute par M Lepage278 stegravele de Thoutmegraves iii 827 Frazer Le rameau drsquoor I p 7280 Sur la forme speacuteciale de certains sceptres royaux cf A Moret Du caractegravere religieux p 228 Un roi archaiumlque le laquo Scorpion raquo manie le hoyau assisteacute drsquoun servant qui tient le boisseau des grains pour les semailles sur une tecircte de massue sculpteacutee conserveacutee agrave Oxford Cf Quibell Hierakonpolis I pi XXVI c et J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte p 22-2282 Paneacutegyrie de Min au Ramesseum (Ramsegraves II) L D III 6 agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) L D III 22 b28 De iside et Osiride 7

87

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ils cherchent drsquoabord agrave les effrayer par des menaces si le mal continue ils les eacutegorgent et les offrent en sacrifice soit pour punir le mauvais geacutenie soit comme une des plus grandes expiations qursquoils puissent faire raquo Drsquoapregraves Ammien Marcel-lin (XXVIII ) ce ne sont point les animaux sacreacutes mais les rois eux-mecircmes qui sont responsables des calamiteacutes publiques de la guerre des mauvaises reacutecol-tes 28 Rapprochons de ces textes la tradition biblique qui impute aux Pharaons de Joseph ou de Moiumlse les sept anneacutees de famine et les dix plaies de lrsquoEacutegypte 28 la stegravele apocryphe du roi Deser ougrave un Pharaon de lrsquoeacutepoque archaiumlque cherche dans des grimoires magiques les moyens de conjurer la famine et la seacutecheresse 286 les leacutegendes maneacutethoniennes sur les rois Ameacutenophis 287 et Bocchoris 288 jugeacutes responsables de la santeacute publique lors drsquoune eacutepideacutemie de peste et nous aurons la certitude que les Eacutegyptiens comme certains non-civiliseacutes rendaient le roi res-ponsable des deacutefaillances de la nature 28

Ajoutons de suite le correctif neacutecessaire de bonne heure les Pharaons qui ont su si bien transformer en monarchie absolue le clan toteacutemique ont eacuteteacute assez avi-seacutes pour eacutechapper agrave leurs responsabiliteacutes Preuve en est la faccedilon dont ils semblent avoir corrigeacute agrave leur profit une coutume fort barbare qursquoon applique souvent aux rois des populations primitives

Cette coutume a eacuteteacute preacuteciseacutee par M Frazer en ces termes 20 laquo Les peuples primitifs croient souvent que leur seacutecuriteacute et celle du monde en-

tier deacutependent de la vie drsquoun de ces hommes-dieux qui incarnent agrave leurs yeux la diviniteacute Naturellement ils prennent le plus grand soin drsquoune vie aussi preacutecieuse en songeant surtout agrave conserver la leur Mais rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourirhellip Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastrophes ne se produiront pas lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de

28 En Germanie laquo rex ritu veteri potestate deposita rernovetur si sub eo fortuna titubaverit belli vel segetum copiam negaverit terra ut solent Aegyptii casus ejusmodi suis adsignare rectoribus raquo28 genegravese xli exode X 27286 Brugsch Die sieben biblisehen Jahre der Hungersnoth texte I I et suiv287 Josegravephe C Apion I 26288 A Moret De Bocchori rege p et suiv28 Cf Frazer Le rameau drsquoor I p 7 laquo Partouthellip le roi doit ecirctre consideacutereacute par ses sujets comme la source drsquoabondantes beacuteneacutedictions et de graves dangers Drsquoune part il fait tomber la pluie luire le soleil souffler les vents favorables mais drsquoautre part ce qursquoil donne il peut le refuser et la moindre irreacutegulariteacute commise par lui peut provoquer un cataclysme raquo20 Le rameau drsquoor II p -

88

Les Mystegraveres eacutegyptiens

transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Le meurtre rituel du roi quand lrsquoacircge commence agrave lrsquoaffaiblir srsquoest pratiqueacute chez la plupart des peuples sauvages ou demi-civiliseacutes en Afrique aux Indes en Australie au Mexique partout on retrouve cette coutume Parfois le peuple nrsquoat-tendait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau XVIe siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans Nous renvoyons au livre de Frazer pour le deacutetail et nous y ajouterons celui-ci dans la reacutegion du Haut-Nil (districts de Fachoda) les rois du Shilluk sont encore actuellement soumis agrave ce reacutegime meurtrier 2 Quand le roi du Shilluk montre des signes de seacuteniliteacute ou de maladie un de ses fils a le droit drsquoessayer de tuer son pegravere en peacuteneacutetrant de nuit aupregraves de lui Aussi le roi assurent les voyageurs ne dort-il que le jour et se tient-il eacuteveilleacute tout ou partie de la nuit En drsquoautres cas lrsquohonneur de tuer le roi revient aux membres drsquoune fa-mille de lrsquoaristocratie ils annoncent au roi que son heure de mourir est venue en jetant sur sa figure et ses genoux une piegravece drsquoeacutetoffe pendant son sommeil puis le roi est mureacute dans une cabane il y meurt de famine ou drsquoasphyxie agrave moins qursquoon ne lrsquoait preacutealablement eacutetrangleacute

Partout comme bien on pense les rois se sont efforceacutes drsquoeacutechapper agrave cette lamentable fin Ils y arrivegraverent les uns par la violence les autres en faisant ad-mettre des atteacutenuations progressives et la substitution de victimes reacuteelles ou fic-tives 22 Mais ces substitutions nrsquoeacutetaient toleacutereacutees qursquoagrave une condition crsquoest que le roi vieilli reccedilucirct du meurtre rituel fictif ou reacuteel un renouveau de jeunesse et de santeacute le sang verseacute de la victime reacutegeacuteneacuterait son corps affaibli par une sorte de baptecircme et de renaissance

Les premiers Pharaons durent-ils srsquoassujettir agrave ce sacrifice barbare Il eacutetait pra-tiqueacute disent les auteurs classiques dans une reacutegion toute voisine de lrsquoEacutegypte le pays de Meacuteroeacute dans le Haut-Nil laquo Les rois eacutethiopiens de Meacuteroeacute eacutetaient adoreacutes comme des dieux mais quand les precirctres le voulaient ils leur envoyaient par un messager lrsquoordre de se tuer ordre soi-disant reccedilu des dieux Jusqursquoau regravegne drsquoErgamegravene contemporain de Ptoleacutemeacutee II les princes eacutethiopiens obeacuteirent tou-jours agrave cet ordre Mais Ergamegravene avait reccedilu une eacuteducation grecque qui lrsquoavait affranchi des superstitions de ses concitoyens loin drsquoobeacuteir aux precirctres il entra

2 Seligmann The cult of nyakong end the divine Kings of the shilluk p 22 (IV Report of the Wellcome tropical research laboratories at the Gordon college Khartoum Vol B General Science )22 Voir plus loin rois de Carnaval p 22

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans le Temple drsquoor agrave la tecircte drsquoune troupe de soldats et fit passer les precirctres au fil de lrsquoeacutepeacutee 2 raquo

Pour lrsquoEacutegypte mecircme il ressort des documents que les Pharaons avaient depuis bien des siegravecles tourneacute la loi sanguinaire mais lrsquoexistence mecircme de cette loi dans lrsquoEacutegypte primitive me semble incontestable

Dans la plupart des temples drsquoEacutegypte et de toutes les eacutepoques des tableaux nous retracent les scegravenes principales drsquoune fecircte solennelle appeleacutee laquo fecircte de la queue raquo fecircte sed Elle consistait essentiellement en une repreacutesentation de la mort rituelle du roi suivie de sa renaissance 2

Figure 0laquo Osorkon II repose agrave lrsquointeacuterieur du tombeau raquo en preacutesence des dieux et de son ka lors de la fecircte Sed Au-dessous precirctres vecirctus de la peau

En cette circonstance le roi est identifieacute agrave Osiris le dieu qui agrave lrsquoeacutepoque histo-rique est le heacuteros du drame sacreacute de lrsquohumaniteacute qui nous guide agrave travers la triple eacutetape vie mort renaissance en lrsquoautre monde Aussi vecirctu du funeacuteraire drsquoOsi-ris le maillot collant en forme de linceul Pharaon est-il conduit au tombeau 2

2 Frazer Le rameau drsquoor II p 7 Cf Diodore III 6 Strabon XVII 2 2 Cf Fl Petrie researches in sinaiuml p 82 et suiv The palace of Apries (Memphis ii) p 8 et suiv2 Petrie gurneh pl V-VII et texte p cl Ed Naville The Festival Holl of Osorkon ii pl X notre fig 0

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

il en revient rajeuni et renaissant tel qursquoOsiris au sortir de la mort Comment se reacutealisait cette fiction et srsquoopeacuterait ce miracle par le sacrifice de victimes humaines ou animales Un precirctre se couche pour le compte du roi dans la peau de la vic-time animale il y prend la position caracteacuteristique qursquoa le fœtus dans le sein de la megravere quand il sortira de la peau il sera censeacute renaicirctre Pharaon pour qui ce rite est ceacuteleacutebreacute renaicirct lui-mecircme ou pour employer lrsquoexpression eacutegyptienne laquo il renouvelle ses naissances raquo Et en teacutemoignage que les rites ont eacuteteacute accomplis le roi ceint ses reins de la queue abreacutegeacute de la deacutepouille de la becircte sacrifieacutee (drsquoougrave le nom laquo fecircte de la queue raquo)

Comment srsquoexpliquer qursquoagrave un moment de son regravegne tout Pharaon doive su-bir cette mort rituelle suivie drsquoune renaissance fictive Srsquoagit-il seulement drsquoun renouvellement de lrsquoinitiation osirienne ou la fecircte offre-t-elle des caractegraveres plus particuliers Le rocircle drsquoailleurs mal deacutefini joueacute dans ces rites par les enfants royaux me semble indiquer que la fecircte sed met en scegravene drsquoautres eacutepisodes re-latifs agrave la transmission de la charge royale En Eacutegypte agrave lrsquoeacutepoque ougrave srsquoeacutebauchait la civilisation le peuple a peut-ecirctre connu lrsquoalternative ou de mettre agrave mort son roi en pleine vigueur afin que sa force soit transmise intacte au successeur ou de srsquoingeacutenier agrave rajeunir ce roi et agrave laquo renouveler sa vie raquo Ce dernier moyen les Pharaons lrsquoont trouveacute quoi de plus efficace que de srsquoidentifier agrave Osiris de srsquoappliquer agrave eux-mecircmes les proceacutedeacutes de reacutesurrection ces rites funeacuteraires par lesquels Isis au dire des precirctres avait magiquement sauveacute de la mort son eacutepoux Peut-ecirctre la mort fictive du roi apparaicirct-elle comme une atteacutenuation du meurtre primitif du roi-dieu une transition de la reacutealiteacute barbare aux symboles 26

Or si les monuments de lrsquoeacutepoque classique nous ont pieusement deacutecrit ces rites encore en vigueur nous constatons qursquoagrave lrsquoeacutepoque archaiumlque presque tous les monuments royaux se rapportent justement agrave des eacutepisodes de la fecircte Sed 27 Voici sur la palette de Narmer le cortegravege solennel de la fecircte le roi se dirige vers le pavillon des fecirctes Sed devant lui trois des enseignes toteacutemiques deux faucons un chacal et le fœtus preacutesage de la renaissance derriegravere lui un officiant que deacutesigne le mot laquo celui agrave prendre raquo (la victime) deacutejagrave revecirctu de la peau de becircte Crsquoest lui qui passera par la peau de la victime agrave moins qursquoil ne soit reacuteellement sacrifieacute Drsquoailleurs le roi assomme de sa propre main ou fait deacutecapiter un cer-

26 Sur lrsquouniversaliteacute de ces sacrifices rituels du roi et la survivance de ces ideacutees jusqursquoagrave notre eacutepoque voir plus bas rois de Carnaval27 A Moret Du caractegravere religieux p 20 2 262 cf Petrie royal tombs I pl VIII XI Les plus importants des monuments royaux sont les palettes votives dont les principales ont eacuteteacute reproduites par Legge (proceedings s B A XXII) cf J Capart l c p 22-2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tain nombre de prisonniers de guerre dont la vie freacutemissante assurera le rachat de la seacuteniliteacute royale 28

Apregraves le sacrifice le roi deacutejagrave revecirctu du maillot osirien est introniseacute en grand apparat Devant lui on amegravene les laquo enfants royaux raquo soit que le roi doive srsquoasso-cier son fils agrave ce moment (pour que la digniteacute royale continue drsquohabiter un corps jeune et vigoureux) soit que lrsquoheacuteritier soit preacutesent comme garantie de lrsquoavenir Et le roi exeacutecute une danse rituelle en lrsquohonneur des dieux les animaux eux-mecirc-mes tournent dans une aire comme pour un taurobole sacreacute La fecircte se termine par un sacrifice et des fondations de temples en lrsquohonneur des dieux protecteurs du roi et du roi-dieu lui-mecircme 2

Que conclure en outre de la preacutesence degraves lrsquoaube de lrsquoeacutepoque archaiumlque de certains traits comme le costume osirien 00 lrsquoenseigne du fœtus Crsquoest que les rois drsquoHierakonpolis de Negadah et drsquoAbydos ont su non seulement imposer la substitution drsquoune victime agrave eux-mecircmes pour le sacrifice royal mais ont fait deacutejagrave accepter agrave leurs sujets la leacutegende divine drsquoOsiris la substitution des victimes srsquoappuie deacutesormais sur lrsquoautoriteacute drsquoune reacuteveacutelation divine Si le peuple drsquoEacutegypte admet degraves cette eacutepoque que le roi peut laquo renouveler sa vie raquo au fur et agrave mesure qursquoil avance en acircge crsquoest que le dogme de la reacutedemption par le dieu Osiris a deacutejagrave produit dans les esprits une reacutevolution morale lrsquohistoire de la passion de la mort de la reacutesurrection du dieu avait ouvert aux hommes les perspectives drsquoun rajeunissement eacuteternel dont les rois ont eacuteteacute ici-bas et de leur vivant les premiers beacuteneacuteficiaires

Ainsi depuis quinze agrave vingt ans la science des origines de lrsquoEacutegypte a notable-ment progresseacute Les neacutecropoles archaiumlques nous ont livreacute au moins un de leurs secrets

Cette orgueilleuse monarchie eacutegyptienne qui se campait agrave lrsquoentreacutee de lrsquohistoire mdash comme les Pyramides son symbole agrave lrsquoentreacutee du deacutesert mdash et qui derriegravere son profil imposant masquait lrsquoeacutetendue du passeacute elle ne srsquoest pas eacutedifieacutee lagrave tout drsquoun coup Elle srsquoest faite bloc agrave bloc conquecircte apregraves conquecircte au cours de siegravecles teacuteneacutebreux qui remontent vers lrsquoinconnu vers ces temps ougrave lrsquoEacutegypte est morceleacutee en clans diviseacutee en tribus ennemies mais srsquoachemine peu agrave peu drsquoun Eacutetat deacute-mocratique sous lrsquoeacutegide des totems agrave lrsquoautocratie pure sous lrsquoeacutegide du Pharaon Apregraves combien de siegravecles srsquoopeacutera cette transformation quelle fut lrsquohistoire agiteacutee

28 Quibell Hierakonpolis pl XXIX J Capart l c p 262 Cf la masse drsquoarmes sculpteacutee Quibeli Hierakonpolis pl XXVI B La mecircme ap J Capart p 2 la course du roi est sur la tablette du roi Den ap Petrie royal tombs I pl XI et XV00 A Moret Du caractegravere religieux p 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de ces clans comment le clan lui-mecircme srsquoest formeacute et srsquoil srsquoest deacuteveloppeacute agrave la fa-ccedilon des clans toteacutemiques dans les autres pays non civiliseacutes autant de problegravemes qui restent agrave reacutesoudre

Le fait essentiel agrave retenir de ces investigations crsquoest que le premier groupe-ment social connu dans lrsquohistoire rappelle lrsquoorganisation toteacutemique des peupla-des sauvages drsquoaujourdrsquohui Si chez ces sauvages le toteacutemisme apparaicirct comme un rudiment de vie sociale est-il hasardeux drsquoinfeacuterer qursquoen Eacutegypte nous tou-chons mdash provisoirement mdash au point de deacutepart de lrsquohumaniteacute historique en mar-che vers la civilisation

Ces premiegraveres annales de lrsquohistoire ont une grandeur eacutemouvante La frater-niteacute le communisme lrsquoaltruisme auraient-ils donc eacuteteacute la religion des premiers acircges Ne nous laissons pas entraicircner vers des speacuteculations trop flatteuses Cette socieacuteteacute primitive se reacutevegravele agrave nous sous des eacutetendards de guerre en des scegravenes de massacre Pourtant lrsquoheacuteritier du roi-totem est une sorte de dieu la providence de son peuple qursquoil sauve en srsquoimmolant tant drsquoabneacutegation lui aurait fait deacutecer-ner par Carlyle la palme de premier heacuteros de lrsquohistoire si Carlyle avait connu ce lointain ancecirctre

Hacirctons-nous drsquoajouter que si la ligneacutee pitoyable et sublime de tels heacuteros a pu durer des milleacutenaires dans certains pays comme lrsquoEacutethiopie lrsquoEacutegypte a produit une race drsquohommes plus aviseacutes De bonne heure nous lrsquoavons vu Pharaon nrsquoa gardeacute du roi-dieu que les obligations agreacuteables et les privilegraveges glorieux il en a prudemment eacuteludeacute les charges surtout il a eacutechappeacute agrave la fataliteacute du meurtre final Politique retors precirctre subtil Pharaon nrsquoa pas briseacute avec la tradition il a adopteacute au lieu de les abattre les drapeaux ennemis il a preacuteposeacute drsquoautres victimes au sacrifice qursquoon exigeait de lui et inventeacute une meacutethode de rajeunissement qui ne le forccedilait ni agrave se deacutemettre ni agrave se tuer Les Eacutegyptiens reacuteclamaient des dieux un roi qui fucirct toujours jeune et vigoureux Pharaon a rempli ce vœu agrave tel point que la monarchie eacutegyptienne a fleuri forte et vivace pendant quatre mille ans

Iv

Le laquo ka raquo des eacutegyptIens est-IL un ancIen toteM

Le mot ka deacutefinit une conception qui joue un rocircle tregraves important dans la vie religieuse des anciens Eacutegyptiens Les dieux les rois les simples humains et mecircme des choses (par exemple certains eacutedifices) possegravedent un ka drsquoune faccedilon tregraves geacuteneacuterale il deacutesigne le principe de vie animeacutee ou inanimeacutee La traduction de ce mot est fort difficile car elle suppose une interpreacutetation

Lepage-Renouf dans une eacutetude exhaustive 0 a mis en lumiegravere les diffeacuterents aspects du ka tour agrave tour image genius dieu protecteur double spirituel mais il ne traduit point le mot Maspero a proposeacute de rendre ka par double 02 parce que le ka du roi est souvent repreacutesenteacute agrave cocircteacute du Pharaon comme laquo une sorte drsquoombre claire analogue agrave un reflet agrave une projection vivante et coloreacutee de la figure humaine un double qui reproduisait dans ses moindres deacutetails lrsquoimage entiegravere de lrsquoobjet ou de lrsquoindividu auquel il appartenait 0 raquo Ce sens double a eacuteteacute longtemps admis sans discussion Cependant Lefeacutebure preacutefeacuterait traduire geacute-nie 0 parce que la racine ka deacutetermineacutee par le taureau ou le phallus deacutesigne le taureau il semble par conseacutequent que si le ka exprime une forme drsquoacircme crsquoest au sens de geacutenie ce terme eacutetant lui aussi apparenteacute aux ideacutees de race γένος et de geacuteneacuteration Tout derniegraverement Steindorff 0 a contesteacute que le ka des rois soit une effigie agrave la ressemblance du Pharaon et que le ka des hommes ait jamais eacuteteacute repreacutesenteacute par les statues funeacuteraires ideacutee preacuteconiseacutee par Maspero 06 il a soutenu cette thegravese le ka est une image distincte du portrait du roi et plutocirct un laquo dieu protecteur raquo qui garde le roi pendant sa vie et dont on met la statue dans le tombeau royal pour proteacuteger le Pharaon dans lrsquoautre monde Drsquoautre part

0 On the sens of an important egyptian Word ap transactions of society of Biblical Archaeligology VI (878) p et suiv02 eacutetudes de mythologie et drsquoarcheacuteologie I p 7 et suiv0 Histoire I p 080 sphinx I p 080 Der Ka und die grabstatuen (Zeitschrift fuumlr aegyptische sprache XLVIII p 2 et suiv) Maspero a deacutefendu sa thegravese dans une reacuteponse Le laquo Ka raquo des Eacutegyptiens est-il un geacutenie ou un double parue dans Memnon VI 2- 206 eacutetudes de mythologie I p 7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

F von Bissing 07 relevant les textes ougrave la racine ka (au pluriel kaou) deacutesigne les aliments les offrandes et en geacuteneacuteral tout ce qui sert agrave sustenter la vie voit dans le ka une personnification laquo de ce qui dans lrsquohomme deacutepend de la nourriture et de lrsquoalimentation raquo un principe de vie et de force mateacuterielle Enfin degraves 06 Loret a preacutesenteacute une deacutefinition inteacuteressante et nouvelle laquo le ka drsquoun individu crsquoest sa substance mecircme son nom impeacuterissable son totem 08 raquo Mais Loret nrsquoa pas justifieacute dans le deacutetail son interpreacutetation 0 qui a passeacute inaperccedilue

La diversiteacute de ces traductions laquo double geacutenie dieu protecteur principe de vie mateacuterielle et intellectuelle totem raquo prouve au moins ceci crsquoest que lrsquoideacutee de ka est complexe plus qursquoon ne lrsquoavait soupccedilonneacute Il convient donc de preacuteciser les ideacutees ou les faits qui se rattachent au ka eacutegyptien

Sur les monuments les plus anciens les vases de lrsquoeacutepoque protohistorique le ka nous apparaicirct drsquoabord comme une enseigne de collectiviteacute 0 du type de celles qui ont persisteacute dans lrsquoEacutegypte historique et servent d rsquo e m b l egrave m e aux nomes eacutegyptiens Mais le signe ne srsquoest pas conserveacute dans cet emploi bien que dans lrsquoeacutecriture on ait gardeacute lrsquohabitude drsquoeacutecrire le mot ka par le signe des bras sur le pavois

Tregraves freacutequent au contraire depuis lrsquoeacutepoque archaiumlque et jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne est lrsquousage du ka comme nom Crsquoest une eacutepithegravete qursquoon accole aux noms des simples particuliers speacutecialement agrave lrsquoeacutepoque primitive il apparaicirct sur certaines stegraveles de Negadah et drsquoAbydost deacutedieacutees agrave tel ou tel indi-vidu laquo ka consacreacute raquo ka iahou Pris comme nom de particuliers lrsquousage ne srsquoen veacuterifie guegravere qursquoagrave la peacuteriode primitive Au contraire le ka est par ex-cellence agrave toutes les eacutepoques en relation avec le nom du roi Il srsquoeacutecrit alors par deux bras leveacutes supportant un plan rectangulaire drsquoeacutedifice agrave lrsquointeacuterieur du plan est un nom exprimant une qualiteacute laquo le batailleur raquo laquo le fort raquo le laquo veacuteneacuterable raquo etc

07 Versuch einer neuen erkaumldrung des Karsquoi (apud sitzberg Bayerischen Akad Maumlrz 0)08 Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Museacutee Guimet Bibl de vulgarisation t xix p 20)0 Cf revue eacutegyptologique 0 t XI p 87 Jrsquoespegravere pouvoir eacutetablir sous peu que ce mot ka deacutesigne agrave lrsquoorigine le totem personnel royal crsquoest-agrave-dire le Faucon En attendant et sans en faire la deacutemonstration pour le moment je me contenterai de dire que ce mot ka deacuterive drsquoune racine signifiant laquo engendrer raquo Le ka royal est donc laquo ce qui se perpeacutetue par engendrement raquo mdash De-puis Loret nrsquoa pas agrave ma connaissance donneacute drsquoautre exposeacute que la phrase citeacutee dans le texte et publieacutee en 060 V Loret revue eacutegyptologique XI p 80 fig et 6 Cf les stegraveles drsquoAbydos reproduites par de Morgan recherches sur les origines de lrsquoeacutegypte II p 2 20 Petrie royal tombs I pl XXXI-XXXII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et au-dessus on dessine lrsquoimage du faucon Comme le faucon est devenu par la suite le dieu Horus on a pris lrsquohabitude drsquoappeler ce nom de ka = le nom drsquoHo-rus 2 Il est bien connu que tout pharaon agrave son couronnement reccediloit un nom drsquoHorus crsquoest-agrave-dire un nom de ka Or le nom en Eacutegypte comme dans les autres socieacuteteacutes primitives est une veacuteritable deacutefinition de lrsquoessence intime des ecirctres la formule magique de sa nature secregravete que le mot eacutecrit reacutevegravele aux yeux crsquoest pourquoi quand on connaicirct le nom drsquoun ecirctre ou drsquoune chose on les tient en son pouvoir Parfois on repreacutesente ce nom muni de bras maniant des at-tributs (fig ) comme il arrive aussi pour le faucon crsquoest montrer que le nom nrsquoest pas seulement un symbole repreacutesentatif mais un ecirctre vivant et agis-sant Enfin pour les Eacutegyptiens les notions de ka et le nom royal se confondent si bien qursquoon trouve souvent le mot deacutetermineacute par le cartouche qui ceint le nom royal

Le ka nom du roi est donc la notation graphique de ce qursquoil y a drsquoessentiel dans la personne du roi Cependant le ka conserve une figure distincte de la figure royale A Louxor Deir-el-Bahari Dendeacuterah Erment dans les tableaux qui repreacutesentent la naissance du Pharaon 6 on voit naicirctre avec celui-ci le ka du roi sous la forme drsquoun enfant pareil agrave lrsquoenfant royal quand le roi devient adulte le ka grandit aussi mais tandis que le roi vieillit le ka se fixe dans la forme adulte 7 et drsquoaspect toujours jeune il ne semble pas subir les atteintes du temps 8

2 G Maspero sur les quatre noms officiels des rois drsquoeacutegypte (eacutetudes eacutegyptiennes II p 27 et suiv) et Histoire I p 28 et suiv cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 7 et suiv E Lefeacutebure Le nom dans lrsquoancienne eacutegypte (ap sphinx I p 06 et suiv) A Moret Du caractegravere religieux p 7 222 V Loret l c p 20 cf Brugsch Woumlrterbuch p 6 A Moret Du caractegravere religieux p 87 Crsquoest lrsquoaspect de la statue du ka du roi Hor Iouibracirc (De Morgan Dahchour I pl XXXIII)8 Crsquoest ce qursquoa bien montreacute Steindorff l c p 7-8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ameacutenophis III sacrifiant agrave Amon Derriegravere le roile laquo ka royal vivant raquo sous forme de nom animeacute

Drsquoailleurs le ka diffegravere du type consacreacute de la personne royale il porte la perruque divine la barbe divine et non la barbe carreacutee il nrsquoa pas lrsquoUraeligus au front sur sa tecircte se dresse le agrave la main il tient une hampe surmonteacutee drsquoune tecircte de ka 20 parfois comme les dieux le ka royal nrsquoa pas besoin du corps humain seul le signe hieacuteroglyphique muni de bras qui portent les insignes suffit agrave le repreacutesenter 2 On reconnaicirct agrave ces particulariteacutes que la figure du ka royal est celle drsquoun dieu Enfin quand le ka accompagne le roi il est toujours repreacutesenteacute derriegravere celui-ci crsquoest-agrave-dire dans lrsquoattitude de garde ( sa) 22 Drsquoougrave il suit que le ka est lagrave pour proteacuteger le roi Von Bissing et Spiegelberg ont mon-treacute qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine ka est rendu en deacutemotique par shaiuml = ψαίς ὁ

ἄγαθος δαίμων 2

Le ka royal est donc parfois un dieu protecteur mdash drsquoougrave la traduction schutzgott proposeacutee par Steindorff

Mariette Abydos pl Cf A Moret l c ) 2220 Le ka du roi est geacuteneacuteralement repreacutesenteacute par un dieu adulte plus petit que le pharaon il est cependant parfois de mecircme taille que le roi mdash Cf notre fig 22 Cf fig 22 A Moret l c p 7 2 222 222 Aeg Zeitschrift XLIX p 26 Von Bissing l c p

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette protection ne srsquoarrecircte pas a la mort elle se continue dans lrsquoautre vie Car le ka ne meurt point Quand le roi meurt on dit laquo que son ka le rejoint raquo au ciel ou laquo qursquoil srsquoen va avec son ka 2 raquo Crsquoest une loi geacuteneacuterale pour les dieux comme pour les hommes laquo Tout ce qui passe passe dans lrsquoautre monde avec son ka Horus passe avec son ka Thot passe avec son ka Sop passe avec son ka toi (ocirc mort) passe donc avec ton ka 2 raquo

Dans les tombes de lrsquoeacutepoque memphite les for-mules nous apprennent que laquo mourir raquo crsquoest laquo passer agrave son ka 26 raquo Crsquoest laquo srsquoen aller accompagneacute de ses kaou raquo dans lrsquoautre monde 27 Si pour tous les ecirctres vivants mourir crsquoest laquo aller vivre avec son ka 28 raquo naicirc-tre qursquoest-ce donc sinon sortir drsquoun ka primordial Concluons que le ka prend ici lrsquoaspect drsquoun geacutenie de la race qui naicirct avec lrsquoindividu grandit avec lui puis sans mourir reccediloit le deacutefunt dans son sein 2

Mais comment concilier ces notions avec le sens laquo nourriture offrandes raquo qui appartient agrave ce mecircme mot ka sous la forme plurielle kaou F von Bis-sing qui a reacutecemment attireacute lrsquoatten- tion sur ce sens speacutecial de la racine ka 0 a citeacute avec raison cer-tains tableaux des temples drsquoeacutepoque greacuteco-romaine ougrave lrsquoon a repreacutesenteacute non point une forme du ka royal mais quatorze (parfois mecircme vingt-huit car il y a ka femelles agrave cocircteacute de ka macircles) Chacune de ces figu-

2 sper ka-f r f (pyr drsquoOunas 8) seb hnacirc ka-f (Canas )2 Sethe pyramidentexte I p 0 0 60 II p 2 277 26 seb n ka-f (Sethe Urkunden alten reiches p 6 7 7 Aussi le mot ka est-il parfois deacutetermineacute par la momie )27 shest-f in kaou-f Mariette Mastabas p J Capart Une rue de tombeaux pl XI et p 7 et Aeg Zeitschrift XLII p Cf lrsquoexpression pour laquo mourir raquo hep n ka-f (Mastabas p 60) Un texte speacutecifie que le mort est tireacute accueilli par la main tendue laquo de ses kaou et de ses pegraveres raquo (Mastabas p ) Lrsquoendroit du ciel ougrave le deacutefunt et les dieux laquo passent agrave leurs kaou raquo est agrave lrsquoOrient pregraves du soleil levant crsquoest-agrave-dire aux sources de la renaissance (pyr de peacutepi i 8) et aussi vers le laquo champ des offrandes raquo crsquoest-agrave-dire aux sources de lrsquoalimentation (pyr de peacutepi i L 7 peacutepi ii 62)28 Anh hnacirc ka-f (pyr de peacutepi i 6)2 Il en est de mecircme pour le roi dans ses rapports avec le Faucon dont il naicirct qui grandit avec lui et en qui il se reacutesorbe apregraves la mort0 Versuch einer neuen erkluumlrung des Karsquoi

Figure 2Thoutmegraves et son ka visitent Amon le laquo ka royal vivant raquo sous forme de dieu adulte

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

res divines porte un nom la richesse la force la vigueur la stabiliteacute la noblesse lrsquointelligence (magique ) la lumiegravere la connaissance

le goucirct la vue lrsquoouiumle lrsquoabondance (litt lrsquoapprovisionne-ment) lrsquoalimentation la seacutepulture () Qursquoest-ce agrave dire sinon que ces quatorze formes du ka personnifient les eacuteleacutements de prospeacuteriteacute mateacuterielle et intellectuelle tout ce qui est neacutecessaire agrave la santeacute du corps et de lrsquoesprit Juste-ment un texte de philosophie memphite que von Bissing aurait ducirc citer 2 nous fournit un commentaire de ces tableaux Il est dit que le Deacutemiurge laquo creacutea de son Verbe les kaou et pacifia les forces hostiles (hm-stou) et creacutea toutes les provisions (kaou) et toutes les offrandes par sa parole creacuteant ainsi le bon et le mauvais raquo Sous ce nom de ka il faut donc entendre non pas seulement le prin-cipe de vie du Pharaon des dieux et des hommes mais lrsquoensemble des forces vitales (auxquelles srsquoopposent les forces mauvaises hm-stou) et la nourriture qui alimente et sans laquelle deacutepeacuterit tout ce qui existe dans lrsquounivers

Mais ces kaou des choses ont-ils quelque rapport avec le ka du Pharaon des hommes et des dieux La reacuteponse nous est donneacutee par les tableaux des temples A Ombos chacun de ces kaou agrave la fois physiques et meacutetaphysiques porte le nom du Pharaon reacutegnant les leacutegendes speacutecifient que nous avons sous les yeux le ka de la force le ka de la richesse le ka des approvisionnements dans Ptoleacutemeacutee et chacune de ces entiteacutes se confond avec le ka royal On pourrait suspecter ces teacutemoignages comme trop reacutecents et soupccedilonner que ces concepts nrsquoeacutetaient pas ceux des premiers Eacutegyptiens Je crois pour ma part que la division du ka en quatorze figures symboliques est une subtiliteacute de la speacuteculation theacuteologique mais cette speacuteculation remonte deacutejagrave agrave lrsquoAncien Empire Von Bissing a deacutemon-treacute que dans les noms de ka adopteacutes par les rois de lrsquoAncien Empire Ouserka-f shepseska-f Dadkaracirc Ouserkaracirc on retrouve les mots ouser shepes dad qui deacutesignent les kaou du roi dans les tableaux citeacutes plus haut Jrsquoajoute que les

Pour la discussion des noms de ces kaou royaux je renvoie a von Bissing p 2- Aux textes citeacutes il convient drsquoajouter les tableaux drsquoOmbos (De Morgan Ombos I p 87 et suiv A Moret Du caractegravere religieux p 22) et les commentaires de Piehl insc Hieacuteroglyphiques II p 86 et suiv2 Texte publieacute par Breasted (Aep Zeitschrift XXXIX p et suiv) et de nouveau par Erman (sitzungsberichte der koumln preussischen Akad XLIII (Cf G Maspero sur la toute-puis-sance de la parole ap recueil de travaux XXIV p 68) Sur le sens de mtn cf Brugsch W s p 62 De Morgan Ombos I p 87 et suiv Von Bissing l c p Ajoutons le nom Ouad Kara qui vient de sortir des fouilles de Ko-plos ougrave la faculteacute Ouad se trouve en composition dans un nom royal (R Weill Les deacutecrets royaux p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

textes des Pyramides nomment deacutejagrave les principes mauvais agrave cocircteacute des kaou com-me dieux asservis au deacutefunt 6 Lrsquoideacutee est donc tregraves ancienne qui associait le ka agrave la vie universelle sous des formes preacutecises et diffeacuterencieacutees par un nom Quant agrave la confusion des ideacutees relatives au ka et agrave la nourriture kaou elle apparaicirct aussi degraves le temps des Pyramides quand les textes parlent des dieux et de leurs kaou

il faut souvent comprendre laquo les dieux et leur nourriture 7 raquo lrsquoendroit du ciel qursquoon appelle laquo champ du ka raquo est proche du laquo champ des offrandes 8 raquo Ces paralleacutelismes ne sauraient ecirctre fortuits en fait le ka symbolise aussi la force de vie qui reacuteside dans la nourriture

Je reacutesume ces diffeacuterents traits le ka est une enseigne de tribu un nom du roi ou des particuliers un geacutenie protecteur la source de vie drsquoougrave sortent et ougrave retournent le roi les dieux les hommes les choses les forces mateacuterielles et in-tellectuelles crsquoest enfin la nourriture qui entretient la vie universelle Or les socieacuteteacutes primitives aux premiers stades de leur eacutevolution croient agrave une force suprecircme qui reacuteunit tous ces attributs et mecircme drsquoautres encore Cette puissance crsquoest le totem agrave la fois signe de ralliement marque distinctive nom substance source de vie drsquoougrave lrsquoon naicirct et agrave laquelle on revient par la mort enfin nourriture des hommes Si la deacutefinition du totem que je preacutesente ici drsquoapregraves les theacuteoriciens est exacte crsquoest donc lrsquohypothegravese preacutesenteacutee par Loret sur le ka qui serait la plus compreacutehensive

Peut-on renouveler contre lrsquoeacutequation ka=totem la mecircme objection qursquoa souleveacutee une autre proposition de Loret faucon=totem et dire qursquoil srsquoagit de zoolacirctrie et non de toteacutemisme Le ka nrsquoeacutetant point un animal comment se-rait-il question ici de zoolacirctrie Mais dira-t-on les monuments ne repreacutesentent presque uniquement que le ka du Pharaon 0 crsquoest le ka du roi seul qui apparaicirct

6 pyr drsquoOunas I 02-0 teacuteti I 20 (Sethe I p 207) laquo Les Kaou de Teacuteti sont derriegravere lui les hm-stou de Teacuteti sont sous ses pieds raquo Les principes femelles agrave lrsquoorigine malfaisants semblent plus tard se confondre avec les Kaou (Brugsch W s p 7) Ils seraient ainsi reacuteellement laquo pa-cifieacutes raquo7 Par exemple pepi i I 028 teacuteti I cf peacutepi i I 7 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode comparative (revue de lrsquoHistoire des religions 08 t LVIII p et suiv)0 Crsquoest la thegravese deacutefendue par Steindorff l c contre lrsquohypothegravese de Maspero que le ka pour vivre devait animer les corps fictifs mais ressemblants sculpteacutes dans les tombes bas-reliefs ou statues On doit se demander en effet si ces repreacutesentations sont celles du ka ou des deacutefunts Les seules statues de ka certaines sont celles que le roi Hor Iouiracirc avait deacutedieacutees laquo au ka vivant

00

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sculpteacute dans les temples ou eacuterigeacute en statue lui seul symbolise les forces mateacute-rielles ou intellectuelles Srsquoil est vrai que les particuliers et mecircme les choses possegravedent un ka du moins ce ka nrsquoest-il pas comme il devrait lrsquoecirctre lrsquoeacutegal du ka royal Cependant le toteacutemisme est un reacutegime eacutegalitaire ougrave tous les membres jouissent pareillement de la protection du totem

A cette objection je reacutepondrai que mecircme dans les socieacuteteacutes toteacutemiques il arrive que le chef du clan srsquoarroge sur le totem un droit plus grand que les autres clansmen Jrsquoajoute que je ne crois point deacutemontrable lrsquoexistence du toteacute-misme inteacutegral 2 en Eacutegypte avec les documents actuels car crsquoest une Eacutegypte deacutejagrave transformeacutee que nous font connaicirctre les monuments archaiumlques Toutefois cette question meacuterite drsquoecirctre poseacutee lrsquoideacutee du ka complexe comme je lrsquoai mon-treacutee correspond-elle agrave une notion qui a pu ecirctre aux temps anteacuterieurs celle du totem et qui a eacutevolueacute

Lrsquohistoire drsquoEacutegypte nous apprend que le but opiniacirctrement viseacute par les Pha-raons a eacuteteacute de deacutetourner sur eux la foi qui srsquoattachait aux ecirctres surnaturels et drsquoincorporer en leur personne divine le plus possible de la religion Ainsi agrave cocircteacute du ka il existe probablement une autre forme de totem qui serait celle du faucon Dans les temps primitifs nous soupccedilonnons lrsquoexistence drsquoun clan des Faucons ayant comme emblegraveme nom pegravere et protecteur un Faucon Mais agrave lrsquoeacutepoque historique seul le chef est resteacute un Faucon qui participe agrave la chair agrave lrsquoessence au nom de lrsquooiseau ancestral ce faucon crsquoest le roi Le patrimoine de tous est devenu lrsquoapanage exclusif du Pharaon

Une eacutevolution parallegravele srsquoest-elle produite pour lrsquoideacutee du ka Ce qui tendrait agrave le faire admettre crsquoest que ka et faucon se confondent en la personne du roi nous avons vu plus haut que le nom de ka crsquoest le nom royal preacuteceacutedeacute du faucon le nom drsquoHorus De mecircme que Pharaon est resteacute le Faucon unique de mecircme a-t-il pu garder pour lui seul certains privilegraveges relatifs au ka pharaon permet

qui reacuteside dans la double salle drsquoadoration raquo

(De Morgan Dahehour 8 p ) une autre statuette de ka du mecircme roi mais moins bien conserveacutee est citeacutee par de Morgan p Par exemple certains eacutedifices cf Steindorff l c p 2 Drsquoailleurs bien difficile agrave deacutefinir si lrsquoon en croit les conclusions actuelles de Frazer et van Gennep Je ne partage point lrsquoideacutee eacutemise par Steindorff (l c p ) que le roi a eu le premier un ka et qursquoil a eacutetendu ce privilegravege agrave ses sujets Les monuments indiquent au contraire me semble-t-il qursquoagrave lrsquoorigine les particuliers comme le roi veacuteneacuteraient leur ka (stegraveles archaiumlques cf p 20 et stegravele drsquoHessi au Caire Museacutee eacutegyptien pl XXII) mais le roi srsquoen reacuteserva par politique la pro-

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave ses sujets de croire qursquoils demeuraient en rapport avec le ka protecteur et source de vie mais il preacutetend devenir lrsquointermeacutediaire obligatoire entre les hommes et le ka ce qursquoindique la formule funeacuteraire laquo Le roi donne lrsquooffrande agrave Osiris pour que celui-ci donne lrsquooffrande au ka drsquoun tel raquo Ce rocircle drsquointermeacutediaire est bien deacute-fini encore par les formules du couronnement quand le roi monte sur le trocircne on proclame qursquoil est agrave la tecircte de tous les kaou vivants Ce nrsquoest point assez De mecircme que Pharaon est devenu le Faucon incarneacute de mecircme le ka acircme diffuse du clan primitif srsquoest sublimeacute dans le ka du surhomme qursquoest Pharaon Jrsquoai citeacute (plus haut) ce qursquoun noble de la XIIe dynastie enseignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu sa (la science) qui est dans les esprits ses yeux explorent toutes les consciences crsquoest racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre plus que le Nil en crue quand il em-plit les deux terres de force et de viehellip Il donne les faveurs agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraye son chemin Le roi crsquoest le ka sa bouche (creacutee) la surabondance tout ce qui existe est sa creacuteation raquo

La preacutepondeacuterance du ka royal sur les autres ka srsquoexpliquerait donc par les pro-gregraves de la monarchie Lrsquoideacutee du ka personnel agrave chaque homme nrsquoen persista pas moins dans la socieacuteteacute eacutegyptienne comme lrsquoeacutecho affaibli drsquoune conception tregraves ancienne celle drsquoune force vitale commune aux ecirctres et aux choses qui fournis-sait agrave tous existence et nourriture et que parfois lrsquoon personnifiait en lrsquoappelant laquo ka pegravere des pegraveres des dieux 6 raquo pour exprimer que crsquoeacutetait le substratum de tout ce qui existe

Voilagrave ce qursquoeacutetait le ka Pour le nom je ne proposerai pas de traduction 7 mieux vaut se servir du mot eacutegyptien apregraves lrsquoavoir expliqueacute Mais cette expli-

prieacuteteacute pour lui seul pendant la peacuteriode preacutememphite agrave partir de la Ve dynastie environ le roi a ducirc ou a voulu restituer agrave ses sujets la preacuterogative du ka comme il les a autoriseacutes graduellement agrave pratiquer les rites osiriens M Sottas me suggegravere que peut-ecirctre faut-il interpreacuteter laquo chef des kaou de tous les vivants raquo Stegravele de sehetepibracirc (Caire 2088 face 2 )6 Figure et leacutegende de la basse eacutepoque reproduite par Wilkinson (Manners and Customs III p 2 fig 0) sans indication de source Ici le ka est figureacute par un homme agrave tecircte de grenouille ce qui peut srsquoexpliquer parce que la grenouille eacutetait un symbole des transformations des espegraveces vivantes et drsquoimmortaliteacute (cf Spiegelberg ap sphinx VII p 22)7 Srsquoil fallait trouver un sens litteacuteral agrave il faudrait prendre en consideacuteration qursquoaux textes des Pyramides les deux bras leveacutes servent de deacuteterminatifs agrave des mots tels que agravehacircacirc (eacuted Sethe II p 0 76 ) et hch (II p 2) qui expriment des ideacutees de lever eacutelever Le ka serait-il lrsquoecirctre qursquoon invoque en levant les bras vers lui Erman tirant parti drsquoun texte du temple de Seacuteti I (Abydos I appendice tableau 6) montre que le Deacutemiurge Toum anime les dieux ses fils laquo en placcedilant ses deux bras derriegravere eux pour que son ka soit en eux raquo Les deux bras eacutevoqueraient alors le geste magique qui confegravere le ka ou la vie (religion eacuted franccedilaise p 2)

02

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cation ne pourrait se condenser dans lrsquoun quelconque des termes jusqursquoici pro-poseacutes double geacutenie de la race dieu protecteur nom nourriture Le ka est tout cela et nrsquoest point chacune de ces qualiteacutes isoleacutement Il mrsquoa sembleacute que dans le treacutesor des ideacutees primitives crsquoest celle de totem qui correspondrait le mieux au ka le totem comprend tous les traits du ka et drsquoautres encore qui ont disparu parce que la socieacuteteacute eacutegyptienne si haut que nous puissions remonter nous appa-raicirct comme une socieacuteteacute eacutevolueacutee

Ma tacircche consistait agrave rassembler les mateacuteriaux eacutegyptiens et agrave poser la ques-tion Crsquoest aux ethnographes qursquoil appartiendra de deacutecider si le ka aux aspects si varieacutes nrsquoa pas agrave ses origines un caractegravere toteacutemique

0

v

roIs de carnavaL

La fin de lrsquoanneacutee et la naissance de lrsquoan nouveau sont aujourdrsquohui encore lrsquooccasion drsquoune joie et drsquoune agitation geacuteneacuterales et de manifestations officielles Ces fecirctes populaires ont existeacute de tout temps Chez nous elles srsquoeacutechelonnent sur une peacuteriode qui va de Noeumll agrave Pacircques de la fin deacutecembre au commencement drsquoavril (fecirctes de saint Eacutetienne saint Jean saints Innocents saint Sylvestre Jour de lrsquoan des Rois Carnaval Mardi gras Mi-Carecircme Pacircques) Elles correspon-dent en bloc aux Saturnales Calendes de janvier Lupercales Liberalia des La-tins En remontant plus haut que lrsquoantiquiteacute romaine nous retrouvons chez tous les peuples des traditions de ce genre ou les souvenirs historiques qursquoelles ont laisseacutes les peuplades sauvages de nos jours se rattachent agrave lrsquohumaniteacute civiliseacutee par des coutumes semblables Plusieurs sociologues tels que Mannhardt Fra-zer Durkheim Hubert Mauss Van Gennep ont eacutetudieacute avec preacutedilection ces peacuteriodes de crise de lrsquoacircme populaire ils ont eacutetabli que ces coutumes devenues incompreacutehensibles chez les civiliseacutes preacutesentaient au contraire un sens reacutefleacutechi et une suite chez les non-civiliseacutes qui les ceacutelegravebrent reacuteguliegraverement lors des gran-des vicissitudes naturelles et au temps des semailles et des moissons Cherchons donc chez eux et dans les civilisations anciennes en prenant pour guide les ad-mirables travaux de Frazer 8 lrsquoexplication de ces mouvements qui dans notre corps social ne sont plus que des actes reacuteflexes fecirctes Sacaeliga de Babylone Kronia drsquoAthegravenes Saturnales de Rome Mascarades du moyen acircge fecirctes des Fous et de lrsquoAcircne cortegraveges de Carecircme et de Carnaval

Le Carnaval moderne se distingue par des processions et deacutefileacutes burlesques promenade de lrsquoOurs en Moravie et en Bohecircme de la Tarasque agrave Tarascon du Char naval (carrus navalis) en Allemagne du roi Reneacute agrave Aix du bonhomme Carnaval agrave Nice etchellip Drsquoordinaire on y exhibe des mannequins de taille colos-sale que lrsquoon conserve parfois drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre comme des feacutetiches citons les geacuteants Jan et Mieke agrave Bruxelles Druon et Antigon agrave Anvers Gilles agrave Mons Gog et Magog agrave Londres les Zigantiak dans le pays basque la Reina Caresma agrave

8 J Frazer Le rameau drsquoor trad (r par Stieacutebel et Toutain vol (Schleicher edit)

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Madrid Le plus souvent ces mannequins sont peacuterissables Presque chaque ville a son laquo Vieux raquo ou sa laquo Vieille raquo de Mi-Carecircme ou de Carnaval qursquoon deacutepegravece brucircle ou jette agrave lrsquoeau pour marquer la fin des reacutejouissances Mecircme srsquoils srsquoappel-lent Rois ils subissent ce mecircme sort On produit ces souverains de carnaval dans des ceacutereacutemonies bouffonnes ougrave ils sont coiffeacutes de couronnes enguirlandeacutes de feuillages munis de sceptres de roseaux et affubleacutes drsquooripeaux dans beaucoup de villes on les fait passer en jugement au cours de ceacutereacutemonies burlesques qui se deacuteveloppent parfois en veacuteritables drames et mettent en action la mort du grotesque heacuteros laquo En Provence on voyait un homme vecirctu en femme suivi par des gamins chercher Carnaval dans toute la ville il prenait des allures de veuve eacuteploreacutee et au cours de ses burlesques investigations il racontait comment Car-naval agrave cause de ses deacutebauches avait mal tourneacute et srsquoeacutetait pendu Dans beaucoup de villes on repreacutesentait un jugement de Carnaval le noble Magrimas (Carecircme) intentait un procegraves au prince Grossois (Mardi-gras) roi des ivrognes et des gour-mands devant la cour des risaflorets Hareng-saur assisteacute de lrsquoavocat Pain-sec soutenait que le jeucircne devait commencer de suitehellip Finalement Mardi-gras eacutetait condamneacute agrave mort et exeacutecuteacute au milieu de mille extravagances 0hellip raquo Un peu partout crsquoest le mecircme enterrement du Carnaval

De mecircme ordre que la royauteacute de Carnaval est encore laquo la royauteacute du jour des Rois raquo bien que la fecircte chreacutetienne de lrsquoEacutepiphanie en ait fait avancer la date Ce jour-lagrave on laquo tire (au sort) les rois raquo en se partageant les morceaux drsquoune galette dans laquelle une fegraveve ou une petite poupeacutee cacheacutee agrave lrsquoavance deacutesignera celui dont le sort veut comme roi Pendant la dureacutee drsquoune soireacutee ce roi donnera des ordres bouffons choisira une reine chacun imitera ses moindres gestes avec un respect simuleacute et une obeacuteissance feinte

Lrsquoorigine sinon lrsquoexplication de cette singuliegravere royauteacute apparaicirct dans la tra-dition greacuteco-romaine des fecirctes de Kronos-Saturne appeleacutees laquo Kronia raquo agrave Athegravenes et laquo Saturnales raquo agrave Rome Vers la fin de deacutecembre les esclaves reacuteunis dans un banquet laquo tiraient au sort raquo qui serait le laquo roi du festin raquo Celui-ci commandait quelques jours durant agrave tous maicirctres et serviteurs il faisait chanter ou danser ses sujets leur prescrivait de se masquer ou de se deacutevecirctir les barbouillait de suie ou de farine ou les jetait dans lrsquoeau glaceacutee Mais agrave cocircteacute de ces pratiques burlesques voici qursquoapparaissent par endroits de sauvages coutumes jadis les

Frazer Le rameau drsquoor II p 27 227 et suiv0 E Doutteacute Magie et religion dans lrsquoAfrique du nord 00 On trouvera dans ce livre de preacutecieux renseignements sur le carnaval marocain Le rameau drsquoor II p 6 et suiv p et suiv

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Saturnales srsquoaccompagnaient de sacrifices humains et mecircme en 0 de notre egravere des soldats romains campeacutes dans la valleacutee du Danube nrsquoen avaient pas perdu lrsquohabitude Avant les Saturnales ils deacutesignaient un roi pendant un mois celui-ci usait comme il lrsquoentendait de sa souveraineteacute puis on le sacrifiait Il arriva qursquoun chreacutetien nommeacute Dasius fut choisi pour cette paiumlenne royauteacute il refusa mais il ne gagna rien agrave ce refus sa deacutesobeacuteissance lui valut drsquoavoir la tecircte trancheacutee 2

Apregraves une eacutetude minutieuse des traditions de lrsquoantiquiteacute et des socieacuteteacutes sau-vages M Frazer a formuleacute la theacuteorie suivante dont nous avons veacuterifieacute deacutejagrave lrsquoap-plication dans lrsquoEacutegypte primitive et qui apregraves bien des deacutetours nous ramegravenera aux rois de Carnaval

Chez les peuples primitifs crsquoest une croyance absolue que leur seacutecuriteacute et celle du monde entier deacutependent de la volonteacute ou mecircme de la santeacute de leur roi Celui-ci en sa qualiteacute de dieu incarneacute et de sorcier a tout pouvoir sur la nature aussi est-il responsable des pheacutenomegravenes atmospheacuteriques et de la reacutegulariteacute des reacutecoltes Tant que le roi est jeune et vigoureux le peuple a confiance en lui mais laquo rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourir Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastro-phes ne se produiront pas lorsqursquoil srsquoaffaiblira peu agrave peu puis lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Les historiens grecs rapportent que telle eacutetait la destineacutee des rois de Meacuteroeacute (Nubie) A un certain moment les precirctres leur envoyaient lrsquoordre de se tuer coutume qui resta en usage jusqursquoau iiie siegravecle av J-C Parfois le peuple nrsquoatten-dait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau xvie siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans

Cependant agrave Meacuteroeacute Ergamegravene srsquoaffranchit de la coutume et massacra les precirctres Les rois de Calicut obtinrent le droit de se deacutefendre contre les assassins officiels qui les attaquaient au bout de douze ans Ailleurs on admit des atteacutenua-tions progressives le sultan de Java deacuteleacutegua aux membres drsquoune certaine famille lrsquohonneur de se tuer agrave sa place en eacutechange il accordait aux volontaires de la mort

2 Parmentier et Cumont Le roi des saturnales ap revue de philologie 87 p Frazer Le rameau drsquoor II p Voir lrsquoexemple des rois de Shilluk citeacute plus haut

06

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de grandes richesses pendant la vie et des funeacuterailles exceptionnelles Crsquoeacutetait le plus souvent dans la famille royale que le roi devait se chercher un substitut chez les peuples seacutemitiques les sacrifices si freacutequents des fils aicircneacutes se justifient par des raisons de cette nature

Puis les rites srsquoadoucirent encore Pour eacutepargner des innocents on choisit la victime parmi les condamneacutes agrave mort Mais il eacutetait neacutecessaire que le remplaccedilant du roi jouacirct vraiment le rocircle de roi au moins pendant quelques jours De lagrave des fecirctes comme celles des laquo Sacaeliga raquo que Beacuterose a vues agrave Babylone le 6 du mois Louumls un condamneacute agrave mort recevait les ornements royaux et jouissait de toutes les preacuterogatives du trocircne y compris lrsquousage du harem royalhellip Mais au bout de cinq jours on lui arrachait ses habits royaux et apregraves lrsquoavoir fouetteacute on lrsquoen-voyait agrave la potence ou agrave la croix 6

Ailleurs les ceacutereacutemonies lugubres se sont encore plus humaniseacutees dans lrsquoEacutegypte antique la fecircte sed nous a sembleacute rappeler le meurtre rituel du roi mais devenu symbolique et inoffensif par la substitution de victimes Au Cambodge de nos jours le laquo roi de feacutevrier raquo coiffeacute drsquoun bonnet blanc et armeacute drsquoun sceptre de bois remplace pendant trois jours le souverain Au Siam crsquoest agrave la fin drsquoavril que le roi temporaire jouit pendant trois jours de tout ce qui lui plaicirct au palais Plus de sacrifices mais on respecte la coutume en simulant lrsquoexeacutecution Voici ce qui se passait il nrsquoy a pas longtemps en Eacutegypte apregraves la moisson pendant trois jours le gouvernement est suspendu et chaque ville choisit son propre chef Ce chef porte une sorte de bonnet de fou et une longue barbe drsquoeacutetoupe il srsquoenveloppe drsquoun manteau bizarre Une baguette agrave la main escorteacute de scribes de bourreaux il se rend au palais du gouverneur qui se laisse deacuteposer par lui Au bout de trois jours le pseudo-roi est condamneacute agrave mort lrsquoenveloppe dans laquelle il se drape est brucircleacutee tandis que lui se retire agrave quatre pattes 7

Nous arrivons ainsi agrave des rites qui ont perdu presque tout leur caractegravere tra-gique Crsquoest tout au plus si lrsquoon a gardeacute le souvenir que le remplacement du roi reacutegnant par un roi inteacuterimaire symbolise un changement de regravegne et un renou-vellement de la force vitale du souverain seul reste perceptible pour le grand pu-blic le cocircteacute plaisant de cette substitution la royauteacute eacutepheacutemegravere drsquoun parvenu qui

Peut-ecirctre pour lrsquoEacutegypte pharaonique un eacutecho de cette tradition nous est-il parvenu dans un passage de la pyramide drsquoOunas (I 08) on lrsquoon rappelle laquo ce jour ougrave lrsquoon sacrifie lrsquoaicircneacute raquo (Cf pyr de teacuteti I 22)6 Sur lrsquoantiquiteacute de cette fecircte agrave Babylone et ses origines historiques cf Frazer l c II p 00 et suiv7 Frazer Le rameau drsquoor II p

07

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pendant trois jours fait ripaille sur le trocircne tel notre roi Carnaval Crsquoen est assez pour faire comprendre que celui-ci est lrsquoheacuteritier burlesque du roi inteacuterimaire qursquoon sacrifiait jadis pour sauver la vie du souverain reacutegnant

Mais la physionomie des fecirctes du Mardi gras est complexe et agrave cocircteacute de ce trait essentiel de victime substitueacutee il y en a drsquoautres emprunteacutes agrave diverses cou-tumes des populations agricoles civiliseacutees ou non civiliseacutees

Vers le temps des moissons dans plusieurs pays drsquoEurope la tradition existe encore de mettre agrave mort par le feu lrsquoeau ou agrave coups de faucille un mannequin en paille Celui-ci repreacutesente lrsquoEsprit du Bleacute ou de la Veacutegeacutetation laquo il vit dans les reacutecoltes et quand on les fauche on srsquoimagine qursquoil se reacutefugie dans la derniegravere gerbe Parfois on fabrique avec les eacutepis de cette gerbe le mannequin qui est censeacute incarner lrsquoesprit que ce soit la gerbe ou le mannequin on deacutesigne lrsquoune et lrsquoautre par les mecircmes noms le Vieux la Vieille la Megravere (du Bleacute) la GrandrsquoMegravere la Reine le Mort etc On conduit au village le Simulacre on le reccediloit triompha-lement comme un roi puis on le flagelle et on lrsquoexeacutecute Reste agrave le ressusciter pour qursquoil assure la feacutecondation des semailles prochaines En Bohecircme on revecirct le mannequin drsquoune chemise blanche apregraves lrsquoexeacutecution on prend cette chemise ougrave srsquoest reacutefugieacutee lrsquoacircme et la force du laquo Vieux raquo et on en habille un jeune arbre qursquoon ramegravene au village en chantant laquo Nous avons expulseacute la mort du village nous y ramenons le nouvel eacuteteacute Sois le bienvenu cher eacuteteacute petit bleacute vert raquo Ainsi le nou-veau bleacute est censeacute recueillir la force du vieux bleacute comme dans les rites royaux le nouveau roi heacuterite de la force vitale qui va eacutechapper au souverain deacutecreacutepit Ces traits caracteacuteristiques des coutumes agraires on les retrouve sans peine dans le Carnaval actuel drsquoelles nous viennent ces mannequins bourreacutes de paille qursquoon veacutenegravere et qursquoon bafoue et qursquoon brucircle ensuite en grand apparat 8

Mais voici drsquoautres traits Souvent dans le mannequin rituel on introduisait un ecirctre vivant comme pour donner plus de force agrave la fiction ou agrave la reacutealisation dramatique du Mystegravere des moissons Dans ce cas lrsquoecirctre vivant eacutetait mis agrave mort et mangeacute Au Mexique on reacutealisait de cette faccedilon le meurtre du dieu de la Veacute-geacutetation pendant un an un captif jouait le rocircle de la diviniteacute et comme le roi inteacuterimaire des Saturnales se passait toutes ses fantaisies puis il eacutetait tueacute et mangeacute en sacrifice solennel de sa peau eacutecorcheacutee on revecirctait un homme vivant qui lrsquoanneacutee suivante repreacutesentait aussi le dieu hellip Mais le plus souvent ce

8 Le rameau drsquoor III p et suiv 0 et suiv Le rameau drsquoor II p 7

08

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rite a eacutevolueacute Au lieu drsquoun homme on a pris un coq un bouc un bœuf on introduisait ces animaux vivants dans le mannequin de bleacute et ils animaient le Simulacre Aujourdrsquohui encore en Bohecircme dans certains cas le coq devient le roi Carnaval on lui met des vecirctements grotesques capuchon rouge culottes veste grise on le fait passer en jugement puis les assistants le sacrifient non sans lui avoir demandeacute pardon Chez nous crsquoest le bœuf gras qui personnifie lrsquoEsprit du bleacute le cortegravege ougrave il figure et sa mise agrave mort nrsquoont plus de caractegravere rituel mais on a gardeacute dans les campagnes quelques souvenirs des coutumes anciennes laquo A Pouilly pregraves de Dijon au moment de faucher la derniegravere gerbe on promenait trois fois autour du champ un bœuf orneacute de fleurs de rubans et drsquoeacutepis puis un homme deacuteguiseacute en diable coupait la gerbe et mettait le bœuf agrave mort Une par-tie des chairs eacutetait mangeacutee dans un souper donneacute agrave lrsquooccasion de la moisson le reste saleacute et gardeacute jusqursquoau jour des semailles 60 raquo

Au lieu drsquoanimaux vivants on se contente parfois de leur image en pacircte Avec la farine tireacutee de la derniegravere gerbe on peacutetrit un gacircteau en forme de silhouette humaine ou animale Sous cette forme ce bleacute passe pour repreacutesenter le corps de lrsquoEsprit du bleacute Dans le Wermland (Suegravede) la fermiegravere fait avec le grain de la derniegravere gerbe un pain qui a les contours drsquoune petite fille 6 il est partageacute entre tous les gens de la ferme et mangeacute par eux Il en est de mecircme en Eacutecosse ougrave lrsquoEsprit du bleacute est repreacutesenteacute par la derniegravere gerbe faccedilonneacutee en forme de femme et appeleacutee laquo la Vierge raquo Ailleurs comme au Japon ce sont des femmes qui cein-tes drsquoeacutepis jaunissants semblent de vivantes gerbes (cf pl VIII) De mecircme en France agrave La Palisse on suspend un bonhomme en pacircte agrave la plus haute branche du sapin qui orne la derniegravere charrette de bleacute Le sapin et le bonhomme sont porteacutes chez le maire qui les garde jusqursquoagrave ce que les vendanges soient faites Alors la fin de toutes les reacutecoltes est ceacuteleacutebreacutee par une fecircte dans laquelle le maire rompt le bonhomme de pacircte en plusieurs morceaux qursquoil distribue aux paysans et que ceux-ci mangent 62 Il paraicirct que dans le comteacute drsquoYork crsquoest le pasteur qui coupe le premier bleacute 6 avec ce bleacute on fabrique le pain de la communion Lagrave par la survivance drsquoun vieux rite paganisme et christianisme se confondent

60 Goblet drsquoAlviella Les rites de la moisson (revue de lrsquoHistoire des religions 88 II p )6 De mecircme nos galettes des rois contiennent une poupeacutee62 Frazer Le rameau drsquoor II p 27 et suiv6 Jrsquoai vu en Bretagne agrave La Clarteacute pregraves Perros-Guirec le cureacute mettre le feu agrave une meule de gerbes nouvelles (la veille du aoucirct) on peut reconnaicirctre ici encore lrsquoantique mannequin repreacutesentant lrsquoEsprit du bleacute Cet eacutepisode a eacuteteacute joliment deacutecrit dans le roman de G Sansrefus Fleur drsquoajonc

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

un moment On fait de religieuses agapes en Indochine avec le riz nouveau sur le Niger avec les nouvelles ignames de mecircme les peuples bergers et chasseurs qui vivent du gibier et de lrsquoeacutelevage mangent solennellement les animaux sauva-ges ou domestiques en qui srsquoincarnent pour eux les forces divines et nourriciegraveres de la nature

Donc sauvages et civiliseacutes mangent rituellement au temps des semailles ou des moissons lrsquohomme lrsquoanimal les gacircteaux qui figurent pour eux le Vieux dieu de lrsquoan qui finit Ils croient srsquoincorporer ainsi la force creacuteatrice de la divi-niteacute drsquoailleurs ils segravement dans les champs soit des fragments de chair ou de gacircteaux soit la cendre provenant du mannequin brucircleacute pour feacuteconder la terre Crsquoest en souvenir de ces coutumes que nos contemporains cachent une fegraveve ou une poupeacutee dans le gacircteau des Rois 6 et font bombance au temps du Carnaval partout on tue le bœuf gras lrsquooie ou le porc on preacutepare des mets speacuteciaux des gacircteaux des crecircpes beignets bonshommes en pain drsquoeacutepices qui gardent parfois lrsquoaspect des antiques victimes animales ou humaines Mais rappelons-nous que jadis le repas dont nous avons fait le festin des jours gras nrsquoeacutetait pas une fin en lui-mecircme ce nrsquoeacutetait qursquoun moyen pour le fidegravele de communier avec la chair et le sang du dieu en mangeant le pain et en buvant le vin

Les cultes agraires des anciens peuples nous fournissent aussi lrsquoexplication des mascarades et des cortegraveges burlesques en usage aux jours gras Avec le moment des semailles ou des moissons coiumlncide un rite drsquoune grande importance pour les peuples primitifs celui de lrsquoexpulsion geacuteneacuterale des deacutemons ceux drsquoabord qui deacutefendent les champs et qursquoil faut mettre agrave mort pour pouvoir moissonner ceux aussi qui infestent les maisons et dont la ruse malveillante amegravene les maladies et tous les maux Il srsquoagit drsquoune purification geacuteneacuterale drsquoune liquidation complegravete des malheurs ou des crimes occasionneacutes par les meacutechants esprits Ces exorcis-mes drsquoabord particuliers agrave chaque individu et mecircme agrave chaque cas de laquo posses-sion raquo ou de maleacutefice puis appliqueacutes agrave toute la collectiviteacute furent concentreacutes enfin dans une ceacutereacutemonie annuelle qui marquait le terme drsquoune peacuteriode et le deacutebut drsquoune nouvelle egravere

Ces fecirctes sont caracteacuteriseacutees par une exaltation speacuteciale qui srsquoempare de toute la population Une partie des hommes et des femmes srsquoaffublent de deacuteguisements grotesques ou effrayants se couvrent le corps de peaux la figure de masques se barbouillent de suie srsquoenduisent de poix ou se roulent dans les plumes en

6 Le rameau drsquoor II p

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cet appareil ils courent de maison en maison non sans faire un effroyable va-carme Crsquoest qursquoils donnent la chasse aux deacutemons invisibles et qursquoils les pour-suivent agrave coups de lances de flegraveches ou de fusils en criant laquo Allez-vous-en deacutemons raquo mdash jusqursquoagrave ce qursquoils croient les avoir repousseacutes bien loin des habita-tions 6 Ces coutumes se retrouvent partout dans lrsquoantiquiteacute comme de nos jours dans les deux mondes Les Grecs chassaient les mauvais esprits le jour des Anthesteacuteries les Romains pendant trois jours du mois de mai et il nrsquoy a point longtemps on expulsait encore de mecircme faccedilon les sorciegraveres et les deacutemons drsquoAuvergne de Bohegraveme et de Thuringe la nuit du er mai

Les Momons du moyen acircge qui faisaient irruption dans les maisons et ces bandes masqueacutees qui aujourdrsquohui encore dans nos campagnes parcourent les rues en jouant sur des instruments criards et forcent lrsquoentreacutee des portes ont per-peacutetueacute sans le savoir lrsquoantique charivari les clameurs de tout un peuple acharneacute agrave la poursuite des deacutemons des geacutenies malfaisants qui deacutetruisaient les reacutecoltes et la santeacute de lrsquohomme

Lrsquoexpulsion des deacutemons des maladies des peacutecheacutes et mecircme lrsquoexpulsion de la Mort la hideuse qui rocircde sous mille formes autour des vivants srsquoopegravere gracircce agrave divers proceacutedeacutes par exemple on les embarque (leurs repreacutesentants ou leurs symboles-mannequins) dans des veacutehicules chars ou navires qursquoon envoie au loin ou qursquoon lance agrave la mer pour que les maux se perdent avec eux 66 Lrsquoeacutepisode de la fecircte 67 du Vaisseau drsquoIsis deacutecrit par Apuleacutee 68 ougrave un cortegravege mi-religieux

6 Le rameau drsquoor II p et suiv66 Le rameau drsquoor II p 67 Ceacuteleacutebreacutee agrave Chenchreacutees le mars Apuleacutee (Meacutetamorphoses XI) deacutecrit le cortegravege burlesque analogue semble-t-il agrave ceux qui drsquoapregraves Frazer sont encore en usage chez beaucoup de peu-ples laquo On vit tout drsquoabord une troupe de personnes qui srsquoeacutetaient travesties par suite de vœuxhellip Lrsquoun ceint drsquoun baudrier repreacutesentait un soldat lrsquoautre avec sa chlamyde retrousseacutee son cou-telas et ses eacutepieux figurait un chasseur Celui-ci avait des brodequins doreacutes une robe de soie et des atours preacutecieux agrave ses cheveux attacheacutes sur le haut de sa tecircte agrave sa deacutemarche traicircnante on aurait dit une femme Celui-lagrave chausseacute de bottines armeacute drsquoun bouclier drsquoun casque et drsquoune eacutepeacutee semblait sortir drsquoune eacutecole de gladiateurs Un autre preacuteceacutedeacute de faisceaux et vecirctu de pourpre jouait le magistrat Un autre avait le manteau le bacircton et la barbe de bouc drsquoun philosophe Ici crsquoeacutetait un oiseleur avec ses gluaux lagrave un pecirccheur avec sa ligne et ses hameccedilons Je vis aussi une ourse apprivoiseacutee qursquoon portait dans une chaise en costume de matrone un singe coiffeacute drsquoun bonnet drsquoeacutetoffe couvert drsquoune robe phrygienne couleur de safran et tenant une coupe drsquoor repreacutesentait le berger Ganymegravede Enfin venait un acircne sur le dos duquel on avait colleacute des plumes et qursquoaccompagnait un vieillard tout casseacute crsquoeacutetaient Peacutegase et Belleacuterophon que parodiait ce couple risible Au milieu de ces mascarades qui couraient de cocircteacute et drsquoautre pour le plus grand amusement du peuple srsquoavanccedilait dans un ordre solennel la procession proprement dite de la deacuteessehellip raquo (Cf Lafaye Histoire du culte des diviniteacutes drsquoAlexandrie p 2) 68 Voir Mystegraveres drsquoisis dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mi-burlesque conduit agrave la mer un frecircle esquif chargeacute drsquooffrandes me semble ecirctre un rappel de lrsquoexpulsion des deacutemons Ou bien encore les maux sont figureacutes en bloc sous les traits drsquoun ecirctre vivant homme ou becircte que nous appelons le Bouc eacutemissaire Un Bouc eacutemissaire bien reacuteel est celui des Heacutebreux chaque anneacutee lors de la fecircte de lrsquoexpiation le grand precirctre drsquoIsraeumll le chargeait des crimes de tout son peuple et le chassait dans le deacutesert 6 Ailleurs crsquoest le rocircle drsquoun coq drsquoun ours agrave qui lrsquoon donne la chasse en temps de Carecircme En Gregravece agrave Rome et chez maints sauvages un homme deacuteguiseacute vecirctu drsquoune peau de becircte eacutetait expulseacute par-fois sacrifieacute La tradition du Bouc eacutemissaire et celle du roi-victime se combinent au Tibet dans un personnage appeleacute le Jalno 70 Le grand lama eacutetant deacuteposeacute pour un temps le Jalno joue le rocircle de roi inteacuterimaire il se promegravene dans les rues de Lhassa la figure peinte mi-partie en blanc mi-partie en noir il srsquoaffuble drsquoune peau de becircte et avec une queue de buffle il srsquoen va frottant un chacun pour balayer ainsi tous les maux et les peacutecheacutes du peuple puis il est honteuse-ment chasseacute de la ville parfois tueacute

Enfin lrsquoexpulsion des deacutemons a laisseacute chez nous des souvenirs durables soit dans nos cavalcades de Carnaval avec leurs chars et navires monteacutes drsquoeacutequipages diaboliques et treacutepidants soit dans lrsquoenterrement mecircme de Carnaval soit dans le cortegravege de notre Carecircme-prenant ou celui de la Reina Caresma agrave Madrid Ici srsquoassocient les thegravemes de lrsquoexpulsion des deacutemons et de la mort du Vieux dieu de la veacutegeacutetation Au jour du Mardi gras notre roi Carnaval est un joyeux et bedonnant compegravere promeneacute sur un acircne le lendemain on le sacrifie crsquoest-agrave-dire qursquoon le met en terre qursquoon le brucircle qursquoon le pend parmi des ceacutereacutemonies bouffonnes des complaintes funegravebres et des chants de joie Il a pour successeur le Prince Carecircme ou Carecircme-prenant qursquoon promegravene de dimanche en diman-che de plus en plus amaigri et deacutefait et qui par suite des jeunes forceacutes finit par expirer le samedi saint agrave midi On lui passe la corde au cou ou on le brucircle A Madrid la Reina Caresma est une vieille femme munie de sept jambes dont chacune lui est enleveacutee au cours des sept semaines du Carecircme jusqursquoagrave sa mise en piegraveces complegravete le jour de Pacircques 7 Crsquoest toujours quels que soient sa figure et son nom lrsquoEsprit du bleacute mourant qursquoon pleure et qursquoon enterre dans le deuil avant de le faire ressusciter dans la joie crsquoest encore le Bouc eacutemissaire qursquoon pourchasse et qursquoon deacutepegravece afin de supprimer tous les maux

6 Le rameau drsquoor II p 0 et suiv70 id II p 66 et suiv7 Le rameau drsquoor III p

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Dans lrsquoordre religieux ces coutumes sont resteacutees singuliegraverement vivaces Avant le printemps nous nous recueillons dans la tristesse et nous nous purifions par le jeucircne pour preacuteparer lrsquoavegravenement du renouveau physique et moral Pacircques fleu-ries Cette fecircte marque encore chez nous la grande purification annuelle laquo Tu te confesseras au moins agrave Pacircqueshellip une fois lrsquoan raquo mdash ainsi que le rajeunissement de lrsquoacircme et de la nature Encore faut-il deacutepouiller le vieil homme pour que naisse lrsquohomme nouveau et de mecircme qursquoautrefois nous continuons agrave tuer solennel-lement le dieu de la veacutegeacutetation agrave pourchasser les mauvais esprits et agrave stimuler les forces vitales quand nous exeacutecutons nos rites agrave la fois religieux et bouffons autour de ces successeurs de prototypes veacuteneacuterables personnages de Carecircme et rois de Carnaval animaux chasseacutes mannequins de paille gerbes de bleacute et feux de la Saint-Jean

Une autre tradition de Carnaval agrave laquelle mecircme nos contemporains se fe-raient scrupule de manquer crsquoest une activiteacute choreacutegraphique deacutesordonneacutee Aux temps anciens les danses avaient elles aussi un rocircle rituel on leur precirctait une influence de magie sympathique laquo Dans certaines reacutegions drsquoAllemagne au Mardi gras ou agrave la veille du er mai les jeunes filles dansent dans les champs ou agrave lrsquoauberge et crient laquo Lin grandis 72 raquo Plus haut elles sauteront en dansant plus le lin ou le bleacute grandiront raquo En Lithuanie au Siam on a gardeacute lrsquousage de se balancer en invoquant les esprits au temps des reacutecoltes crsquoest un moyen de faire croicirctre le bleacute ou le riz que de pousser tregraves haut la balanccediloire En bien des pays ce sont les danses speacuteciales agrave ce temps de Carnaval qursquoon reproduit lors drsquoautres solenniteacutes aux jours de grande liesse aux fecirctes locales Certaines sont resteacutees en honneur dans le pays basque et attestent combien vivaces sont encore les tradi-tions quoique agrave lrsquoeacutetat de gestes et de symboles aujourdrsquohui incompris

Jrsquoassistais les 6 et 7 aoucirct 2 agrave Saint-Jean-Pied-de-Port aux fecirctes drsquoAbbadie 7 qui coiumlncidaient avec la fecircte locale Dans le deacutefileacute des danseurs venus de toutes les provinces basques on reconnaicirct facilement les eacuteleacutements tra-ditionnels du cortegravege carnavalesque ainsi que le deacutecor de lrsquoantique sacrifice du roi ou du dieu de la veacutegeacutetation Les principaux figurants eacutetaient ceux du pays de

72 Le rameau drsquoor II p 67 La fondation drsquoAbbadie ou fecirctes de la Tradition basque sert agrave reacutecompenser des concours de pelote de poeacutesie basque de cris montagnards (irrintzina) ils ont lieu chaque anneacutee tour agrave tour dans un des 7 chefs-lieux de canton des Basses-Pyreacuteneacutees et sont en geacuteneacuteral rattacheacutes aux fecirctes locales La geacuteneacuterositeacute de M drsquoAbbadie a rendu la vie agrave des coutumes qui allaient tomber en deacutesueacutetude

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Soule (Mauleacuteon) A leur tecircte srsquoavance le Cherrero porteur du chasse-mouches (cherra) puis le samalzain crsquoest un roi burlesque couronneacute drsquoune mitre fleu-rie affubleacute jusqursquoau buste drsquoun cheval-jupon dont il dirige la tecircte minuscule tandis que le poitrail et la croupe enjuponneacutes eacutenormes se balancent grotesque-ment autour de ses reins Apregraves le roi voici la reine qui a pris ici lrsquoaspect drsquoune cantiniegravere avec jupon court guecirctres et bidon enfin les courtisans auxquels on donne le nom inattendu de satans ils sont vecirctus de dolmans rouges agrave brande-bourgs et galons drsquoor avec des culottes noires chargeacutees de rubans entrecroiseacutes et chausseacutes de sandales recouvertes de guecirctres brodeacutees Passent encore dominant les tecirctes et jucheacutees sur des bacirctons des poupeacutees geacuteantes et grotesques les Zigan-tiak puis des enfants en pages et en folies des gardes en bonnets agrave poil (ils rap-pellent les eacutenormes coiffures et masques en peaux de mouton qursquoon voit aux pro-cessions de Fontarabie et de Pampelune) et enfin les musiciens Les figurants de Basse-Navarre dansaient surtout le bolantak une varieacuteteacute du laquo saut basque raquo pas et changement de pied en avant volte saut en hauteur Ceux du pays de Labour (Cambo Hasparren Saint-Jean-de-Luz) eacutetaient speacutecialiseacutes dans le fandango et lrsquoarin-arin Quant au cortegravege du Samalzain venu du pays de Soule il exeacutecu-tait une prestigieuse gavotte et une danse autour drsquoun verre Tous ces danseurs eacutetaient des paysans des artisans non des professionnels mais aucun de ceux que jrsquointerrogeais dans cette troupe agile qui virevoltait autour du Samalzain ne se doutait qursquoil exeacutecutait des rites milleacutenaires Ils ressuscitaient cependant les fragments drsquoun drame qui a trop frappeacute lrsquoimagination de nos ancecirctres pour ne pas laisser aujourdrsquohui dans ces costumes ces mimiques et ces danses des traces eacutemouvantes Voici que le dieu haut mitreacute surpassait en choreacutegraphie agile ses courtisans les sacrificateurs agrave travers leurs gestes pouvaient srsquoeacutevoquer les peacuteri-peacuteties du conflit les essais de persuasion et de reacutesistance la lutte du roi le vain triomphe en agiliteacute et en prestesse lrsquoexpulsion du cercle le renoncement forceacute la bregraveve douleur des funeacuterailles Puis les sauts drsquoune envoleacutee superbe reacutepeacutetaient les gestes magiques ougrave srsquoefforccedilaient les sorciers de jadis pour activer la pousse du bleacute nouveauhellip Les sacrificateurs srsquoeacutetaient mueacutes par la confusion des souvenirs en de rouges Satans et la danse rituelle autour du roi du dieu de lrsquoEsprit du bleacute srsquoeacutechevelait maintenant en une poursuite de deacutemons parmi lrsquoexcitation des laquo fo-lies raquo et lrsquoapparition des Basanderiak ces feacutees basques en qui survivent les ecirctres surnaturels et sauvages que lrsquohomme a toujours redouteacuteshellip Et la freacuteneacutesie de ces danseurs leur eacutemulation agrave sauter le plus haut possible lrsquoalleacutegresse de cette foule se treacutemoussant drsquoune sandale leacutegegravere jeunes et vieux sur la place publique me

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rappelaient le deacutelire sacreacute des peuples agricoles quand ils excitaient du pied et du geste lrsquoeacutelan des jeunes frondaisons

Il y a un autre aspect de lrsquoexcitation populaire que nous nrsquoavons pas encore en-visageacute Un eacutepisode caracteacuteristique des Kronia agrave Athegravenes et des Saturnales agrave Rome eacutetait lrsquoeacutemancipation momentaneacutee des esclaves et la licence geacuteneacuterale Les esclaves coiffeacutes du bonnet pileus emblegraveme de la liberteacute eacutetaient dispenseacutes de tout travail et pendant quelques jours prenaient les habits de leurs maicirctres les singeaient de toutes les maniegraveres exigeaient drsquoecirctre servis par eux et se livraient agrave une deacutebauche effreacuteneacutee Il en eacutetait de mecircme aux fecirctes Sacaeliga pendant les jours ougrave le condamneacute agrave mort jouait le rocircle de roi le mecircme eacutetat reacutevolutionnaire se manifeste aussi dans les socieacuteteacutes sauvages au temps de lrsquoexpulsion des deacutemons Nous avons vu qursquoune partie de la population est chargeacutee de chasser les geacutenies malfaisants mais lrsquoautre partie des hommes et des femmes subit encore lrsquoattaque furieuse des malins et leur livre une reacutesistance deacutesespeacutereacutee si bien que poursuivants et poursuivis sont en proie agrave une surexcitation deacutemoniaque intense les hommes sont comme pos-seacutedeacutes et srsquoadonnent agrave mille extravagances

Alors on ne se contente point de prendre des masques et de changer lrsquoaspect officiel des figurants tous les rocircles sont renverseacutes dans la vie sociale le roi ab-dique un condamneacute un fou ou un enfant regravegnent les serviteurs donnent des ordres aux maicirctres le cours des lois est suspendu plus de tribunaux plus de dettes plus drsquoobligations sociales les crimes restent impunis Il y a plusieurs raisons qui expliquent cette licence geacuteneacuterale drsquoabord les gens sont endiableacutes par les deacutemons puis laquo quand les hommes savent qursquoils vont bientocirct ecirctre deacutelivreacutes de tous les maux et que tous les peacutecheacutes seront absous ils nrsquoheacutesitent plus agrave donner libre cours agrave leurs passions puisque la ceacutereacutemonie prochaine effacera toutes leurs fautes Drsquoautre part au lendemain drsquoune telle ceacutereacutemonie les esprits sont deacutelivreacutes du poids qui drsquohabitude les oppresse les hommes ne se sentent plus menaceacutes de toutes parts par les deacutemons dans lrsquoexplosion de leur joie ils deacutepassent les bornes que leur imposent en toute autre circonstance les coutumes et la mo-rale Lorsque la ceacutereacutemonie a lieu agrave lrsquoeacutepoque de la moisson ces sentiments de joie trouvent encore un stimulant dans lrsquoideacutee du bien-ecirctre physique que procure une abondante reacutecolte 7 raquo

Voici quelques exemples laquo Dans la tribu africaine des Pondos 7 au jour de

7 Le rameau drsquoor II p 77 id II p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la fecircte des premiers fruits le chef abdique ses fonctions pour toute la dureacutee de la fecircte des jeunes gens jouent dansent luttent font des courses puis tous les membres de la tribu se livrent agrave la deacutebauche srsquoenivrent et poussent de grands cris il nrsquoy a plus personne qui soit chargeacute de maintenir lrsquoordre et chacun fait ce qui lui semble bon Un homme poignarde-t-il son voisin il nrsquoencourt aucun chacirctiment il en est de mecircme pour tous les autres crimes contre les personnes la proprieacuteteacute et les mœurs On peut mecircme insulter le chef en face ce qui dans toute autre circonstance serait immeacutediatement puni de mort Tant que dure la fecircte on entend un vacarme continuel produit par des tambours par les cris de la fou-le par des battements de mains et par toutes sortes drsquoinstruments bruyantshellip raquo De mecircme sur la Cocircte drsquoOr lrsquoexpulsion annuelle des deacutemons est preacuteceacutedeacutee drsquoune fecircte qui dure huit jours pendant laquelle laquo la liberteacute du sarcasme est absolue les Negravegres parlent sans aucune contrainte de toutes les fautes vilenies et malhon-necircteteacutes commises par leurs supeacuterieurs ou leurs infeacuterieurs personne ne peut les punir ni mecircme les interrompre raquo Dans le nord de lrsquoInde la mecircme fecircte se ceacutelegravebre agrave la moisson laquo Alors les gens sont suivant leur propre expression endiableacutes ils croient qursquoagrave ce moment de lrsquoanneacutee hommes et femmes sont incapables de reacutesis-ter agrave leurs mauvais penchants et qursquoil est absolument neacutecessaire de laisser pen-dant quelque temps libre cours aux passionshellip Les Hos commencent par chasser les deacutemons malveillants qui habitent le pays hommes et femmes parcourent les villages en tenant des bacirctons en mains en chantant des chansons sauvages criant et vocifeacuterant jusqursquoagrave ce qursquoils soient convaincus drsquoavoir mis en fuite le mauvais esprit Ils se mettent ensuite agrave faire la fecircte et agrave boire de la biegravere de riz La fecircte devient alors une saturnale pendant laquelle les domestiques oublient quels sont leurs devoirs vis-agrave-vis de leurs maicirctres les enfants ne respectent plus leurs parents les hommes ne respectent plus les femmes et celles-ci perdent toute notion de deacutecence et de modestie elles deviennent des bacchantes enrageacuteeshellip raquo Dans une tribu voisine laquo la ressemblance avec les Saturnales est complegravete car les domestiques de fermes sont servis agrave table par leurs maicirctres et autoriseacutes agrave leur parler en toute liberteacute 76 raquo

LrsquoEacuteglise de mecircme a ducirc autoriser cette reacutevolution temporaire dans ses pro-pres usages religieux et ne pouvant supprimer les reacutejouissances populaires elle a essayeacute de les diriger ou de leur donner un sens moins sacrilegravege que bouffon Aux jours de saint Eacutetienne de saint Jean et des Innocents dans certaines villes un jeune clerc appeleacute laquo episcopus stultorum raquo occupait le siegravege eacutepiscopal avec les

76 Le rameau drsquoor II p et suiv

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ornements pontificaux et sur la tecircte un bourrelet en guise de mitre De mecircme agrave la fecircte des Fous et agrave la fecircte de lrsquoAcircne des laiumlques travestis en precirctres chantaient des obsceacuteniteacutes ou amenaient un acircne couronneacute devant lrsquoautel

Revenons maintenant agrave lrsquoEacutegypte et recherchons srsquoil nrsquoy a pas dans sa vie reli-gieuse et populaire des traits qui correspondent agrave la royauteacute eacutepheacutemegravere de Car-naval agrave lrsquoenterrement du Vieux dieu de la veacutegeacutetation lrsquoexpulsion de la mort et des deacutemons aux fecirctes orgiaques du renouveau A dire vrai lrsquoEacutegypte sur tous ces points paraicirct tregraves pauvre de teacutemoignages elle ne fournit ni texte coheacuterent et explicite ni tableau clairement composeacute nous devons saisir au passage des allusions bregraveves ou isoler certains personnages certaines repreacutesentations dont la valeur et le sens eacutechappent agrave qui ne srsquoest pas livreacute agrave une enquecircte comme celle qui preacutecegravede

Nous avons eacutetudieacute deacutejagrave les rites de la fecircte sed ougrave le Pharaon subit une mort fictive suivie drsquoune renaissance simuleacutee qui lui donne une vitaliteacute nouvelle Cette fecircte singuliegravere qui srsquoest perpeacutetueacutee pendant les quatre mille ans de la monarchie pharaonique ne pourrait-on lrsquoexpliquer par la tradition du meurtre rituel auquel se soumet le roi vieillissant Crsquoest agrave une eacutepoque anteacuterieure aux plus anciens monuments connus que le Pharaon fut reacuteellement immoleacute deacutejagrave sur les palettes archaiumlques il srsquoest eacutevadeacute de cette obligation et on lui substitue drsquoautres victimes humaines A lrsquoeacutepoque historique gracircce agrave la reacuteveacutelation osirienne qui a enseigneacute agrave la socieacuteteacute eacutegyptienne agrave transformer le treacutepas en vie eacuteternelle la renaissance du roi ne suppose plus neacutecessairement le sacrifice drsquoun remplaccedilant elle srsquoopegravere rituel-lement par la ceacuteleacutebration de Mystegraveres sans autre effusion de sang que celle des animaux qui remplacent les victimes humaines De ces atteacutenuations progressi-ves jrsquoai conclu que le roi drsquoEacutegypte semble bien avoir connu le meurtre rituel du roi qui sert de fondement agrave beaucoup de traditions de carnaval

Mais reste-t-il trace drsquoun roi inteacuterimaire personnage sacreacute au deacutebut devenu grotesque par la suite puis confondu par le meacutelange des traditions qui srsquoobscur-cissent avec le Vieux dieu de la veacutegeacutetation expirante

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Bouffons couronneacutes pirouettant

On remarque ceci seulement dans les cortegraveges des fecirctes Sed et parmi les officiants du culte funeacuteraire deacutefilent des personnages affubleacutes drsquoune couronne de roseaux (fig 0) qui est semblable agrave certaines coiffures royales A leur attitude compasseacutee on pourrait se demander srsquoils ne sont pas des mannequins habilleacutes en rois (fig ) en reacutealiteacute ce sont des bouffons Nous voyons aussi dans les reliefs des tombeaux des individus coiffeacutes de la mecircme couronne exeacutecuter les contorsions et les danses des baladins (fig )

Figure Bouffons couronneacutes

Ces personnages apparaissent sur la stegravele C du Louvre ougrave sont repreacutesenteacutes les mystegraveres osiriens lagrave leur couronne tresseacutee se heacuterisse de rubans de tortils de fleurs ou drsquoeacutepis les bras en mouvement une jambe en lrsquoair ils ont lrsquoallure de

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pantins deacutesarticuleacutes Qui sont ces bouffons couronneacutes qui se mecirclent partout aux officiants dans les scegravenes les plus lugubres des rites osiriens 77

Figure Baladines couronneacutees comme des bouffons

Ils nous rappellent les rois burlesques que nous trouvons chez drsquoautres peu-ples jouant le rocircle du roi condamneacute agrave mort ou du Vieux dieu de la veacutegeacutetation avec qui lrsquoOsiris eacutegyptien offre tant de traits communs On srsquoexpliquerait diffici-lement que ces personnages grotesques aient pu srsquoaffubler dans des ceacutereacutemonies solennelles de coiffures semblables aux couronnes royales si leur aspect nrsquoavait eacuteveilleacute lrsquoeacutecho de traditions sacreacutees auxquelles on se faisait scrupule de toucher (fig -0)

Figure 6Nains bouffons

Laissons ces analogies avec le roi inteacuterimaire de Carnaval (Fig 8) Ces mecirc-

77 Louvre stegravele C Tylor paheri pl V (cf fig 22) Virey rehmard pl XXVI Maspero Montouherjhepshef p 60 (cf fig 2) Sur ces bouffons cf Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (procee-dings sBA XV p )

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mes personnages qui sont mannequins couronneacutes aux funeacuterailles ou baladins aux fecirctes publiques srsquoappellent nemou nem et ce nom projette sur leur attitude une vive lumiegravere car on appelle aussi Nemou des nains danseurs dont le rocircle agrave la fois religieux et bouffon ne laisse aucun doute Les plus rechercheacutes de ces nains venaient du Haut-Nil ougrave vivait une tribu de pygmeacutees les Dang 78

Figure 7Danseuses coiffeacutees de roseaux et munies de sceptres

Sous lrsquoAncien Empire les Pharaons envoyaient des expeacuteditions jusqursquoen ces contreacutees lointaines (on les appelait du nom mystique la terre des Initieacutes iahou) pour ramener agrave la cour ces Dang dont on faisait les laquo danseurs du dieu raquo crsquoest-agrave-dire drsquoOsiris par leurs contorsions rythmeacutees leurs balancements ces pygmeacutees savaient laquo reacutejouir le cœur drsquoOsiris raquo au ciel et celui du Pharaon sur terre

78 Les bouffons ou nains portent sur les monuments diffeacuterents noms deg les nains nensou (Beni Hasan II 6 cf notre fig 6) 2deg les nains Dang citeacutes aux textes du tombeau drsquoHe-rhouf et des Pyramides (cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 2 et suiv) peut-ecirctre faut-il corriger en Danq le nom de Danb du second nain de Beni-Hasan (confusion du q et du b) deg les bouffons mw-w (paheri pl V Rehmacircracirc pl XXVI cf Gardiner ap recueil XXXIII p ) dont le nom eacutecrit en toutes lettres au tombeau de Sebekneht cf fig ) semble une lecture erroneacutee du mot nemi deg les officiants neniou les laquo affaisseacutes raquo qui semblent jouer le rocircle de vic-times peut-ecirctre de tikenou (pyr de teti I 20 + 2 id Sethe II p 7 sinouhit I ) Les trois mots nemiw mw-w neniw srsquoeacutecrivant agrave peu pregraves de la mecircme faccedilon ont pu ecirctre confondus au cours des siegravecles

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8Officiants et nains

Nous ne savons pas en quoi consistait ou ce que mimait en figures expressives la danse des Dang ou des nemou mais les textes des papyrus et des stegraveles nous confirment les donneacutees des tableaux retrouveacutes aux tombes des Moyen et Nouvel Empires leurs sauts 7 eacutetaient neacutecessaires lors des funeacuterailles comme partie in-teacutegrante du rituel on les faisait exeacutecuter devant la porte du tombeau 80 le plus souvent par des baladins de profession et agrave leur deacutefaut par des precirctres officiants quelquefois par de veacuteritables nains Quelques indices permettent de se repreacutesen-ter ces danses comme des incantations contre les deacutemons Seacutethiens adversaires drsquoOsiris Drsquoune part le nemi rappelait par son masque et ses difformiteacutes le dieu Bes dont la face eacutetait puissante contre les deacutemons 8 soit agrave la naissance 82 soit pendant la vie des hommes 8 aussi certains livres magiques contiennent-ils un laquo chapitre du Nemi raquo qui srsquoemploie comme phylactegravere 8 Peut-ecirctre aussi tirait-on parti de lrsquoaspect grotesque du nemi pour figurer les ennemis deacutetestables drsquoOsiris

7 La danse hb consiste en sauts en hauteur avec une rotation soit sur un pied soit en lrsquoair (cf fig ) et srsquoexeacutecute lors des laquo conseacutecrations raquo desertou (el Bersheh II 2)80 sinouhit - laquo on exeacutecutera les sauts des Neniou (hbb nnjw) agrave la porte de la tom-be raquo (XIIe dyn) Mariette Mon divers pl 6 Piehl inscriptions I laquo on exeacutecutera pour toi les sauts des nemiou agrave la porte de la tombe (le deacuteterminatif indique un personnage qui se renverse en arriegravere les pieds et mains touchant la terre) Piehl insc I 7 laquo on exeacutecutera pour moi les sauts de nemiou agrave la porte de la tombe raquo (le deacuteterminatif indique un personnage qui se laisse aller agrave terre comme agrave notre fig )8 Maspero eacutetudes de Mythologie II p cf Wiedemann recueil XVII p 282 Naissance du roi Louxor pl LXV8 Stegraveles du type dit de Metternich8 Pleyte eacutetude sur un rouleau magique p 8 et suiv

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et mimer la preacutesence et lrsquoexpulsion des deacutemons le mot nemi deacutetermineacute par lrsquoanimal typhonien deacutesigne parfois lrsquoesprit malfaisant 8

Figure Couronne royale du Sud Couronne de bouffon

Figure 0Couronnes de roseaux celle du bouffon et celle du roi

Nrsquooublions pas que drsquoautres indigegravenes des lointaines reacutegions du Haut-Nil sont exhibeacutes la figure couverte drsquoun masque grotesque au cours des fecirctes sed confon-dus avec les officiants (fig ) leur preacutesence srsquoexplique peut-ecirctre par les mecircmes raisons soit qursquoils chassent les deacutemons soit qursquoils figurent eux-mecircmes ces deacutemons expulseacutes Drsquoailleurs il est possible que ces bouffons couronneacutes ces danseurs deacutemo-niaques reacuteunissent en leur personne des rocircles distincts agrave lrsquoorigine et que drsquoautres peuples attribuent soit agrave des boucs eacutemissaires 86 soit agrave des rois de Carnaval

8 Brugsch Woumlrterbuch p 76 sup p 6786 Les ennemis drsquoOsiris eacutetaient figureacutes par des acteurs dans les fecirctes religieuses cela ressort des textes et tableaux eacutegyptiens et du teacutemoignage drsquoHeacuterodote (II 6) qui a eacuteteacute teacutemoin drsquoune effroyable bastonnade eacutechangeacutee entre adversaires et partisans du dieu

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Indigegravene de la tribu Oua-Oua mecircleacute aux officiants de la fecircte Sed

Il a un masque de bouffon

Les danses exeacutecuteacutees lors des rites funeacuteraires peuvent encore srsquoexpliquer par un autre motif un artifice de magie imitative Je ne parle point de ces tableaux ougrave le deacutefunt se deacutelecte agrave ouiumlr des chants accompagneacutes par les flucirctes et les har-pes cependant qursquoune troupe drsquoalmeacutees juveacuteniles multiplie ses pas cadenceacutes Il est drsquoautres danses qui ne sont point purs divertissements Regardez les sauts esquisseacutes par les Nemou au moment ougrave srsquoopegravere la renaissance par la peau ou bien suivez au tombeau drsquoAnhmacirchor lrsquoeacutevolution de ces danses (fig 2) qui font pendant au triste tableau des funeacuterailles avec quelle furie disciplineacutee les femmes jettent en avant le pied plus haut que la tecircte Est-ce vaine exhibition de figurants entraicircneacutes agrave des exercices rythmiques qui tiennent plus de la gymnastique que du ballet Non car sur la paroi drsquoen face regardant ces virtuoses voici drsquoautres freacuteneacutetiques qui deacutefaillent ils se pacircment se laissent tomber agrave terre gisent comme srsquoils simulaient lrsquoaffaissement du treacutepas (fig ) Comment croire qursquoon ait pu introduire en pleine fecircte funegravebre lrsquoeacutepisode de ce cake-walk eacutecheveleacute Nrsquoy pour-rait-on voir plutocirct une danse magique et solennelle qui a pour but en mimant la vie et la mort de susciter dans le corps inerte du deacutefunt quelque prodigieux eacutelan de vigueur et de reacutesurrection ou de stimuler dans le sol endormi la pousseacutee des semences et la croissance jusqursquoagrave une hauteur extraordinaire de la veacutegeacuteta-tion Ici comme dans les fecirctes agraires que nous avons citeacutees danses et sauts auraient le mecircme effet magique les pousses nouvelles image drsquoOsiris ou du deacutefunt renaissant grandiront en gloire srsquoeacutelegraveveront aussi haut que les sauteurs ont pu lancer le pied

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Danseuses

Les eacutepisodes orgiaques et licencieux qui accompagnent ailleurs les Saturnales et lrsquoeacutepheacutemegravere royauteacute du Carnaval se retrouvent eacutegalement en Eacutegypte Les tex-tes du temple de Dendeacuterah nous deacutecrivent une ceacutereacutemonie qursquoon ceacuteleacutebrait au deacute-but de lrsquoanneacutee eacutegyptienne le 20 Thot apregraves les vendanges et la moisson A cette date la deacuteesse Hathor et ses paregravedres sortaient du sanctuaire le cœur en liesse les precirctresses montraient agrave la foule les statues sacreacutees au son des cymbales et des tambourins pendant cinq jours tous les habitants de la ville se couronnaient de fleurs buvaient sans mesure chantaient et dansaient du lever au coucher du soleil 87

La fecircte laquo de lrsquoivresse raquo tombait presque aux mecircmes dates que les fecirctes de la moisson ceacuteleacutebreacutee dans la reacutegion theacutebaine et de lrsquoensevelissement drsquoOsiris qui se faisait agrave Abydos (22 Thot) je ne saurais voir lagrave une coiumlncidence fortuite Cette ivresse joyeuse qui se reacutepand sur toute une ville ce deacutechaicircnement des instincts une fois le travail termineacute a comme un goucirct avant-coureur de notre licence du Carnaval sauf que ce dernier a reporteacute les mecircmes scegravenes agrave la saison des se-mailles sans preacutejudice de celles qui ont lieu encore agrave la moisson Drsquoailleurs le deacuteregraveglement propre aux Saturnales nous apparaicirctra mieux encore dans la fecircte de Bubastis qursquoHeacuterodote a vue et deacutecrite au ve siegravecle avant J-C

87 Mariette Dendeacuterah III pl I pl 62 texte p 28 et 02

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On se rend agrave Bubastis par eau hommes et femmes pecircle-mecircle et confondus les uns avec les autres dans chaque bateau il y a un grand nombre de personnes de lrsquoun et de lrsquoautre sexe tant que dure la navigation les femmes jouent des cas-tagnettes et les hommes de la flucircte le reste autant hommes que femmes chante et bat des mains Lorsqursquoon passe pregraves drsquoune ville on fait approcher le bateau du rivage Parmi les femmes les unes continuent de chanter et de jouer des cas-tagnettes drsquoautres crient de toutes leurs forces et disent des injures agrave celles de la ville celles-ci se mettent agrave danser et celles-lagrave se tenant debout retroussent indeacutecemment leurs robes 88 La mecircme chose srsquoobserve agrave chaque ville qursquoon ren-contre le long du fleuve Quand on est arriveacute agrave Bubastis on ceacutelegravebre la fecircte de la deacuteesse en immolant un grand nombre de victimes et lrsquoon fait agrave cette fecircte une plus grande consommation de vin de vigne que dans tout le reste de lrsquoanneacutee car il srsquoy rend au rapport des habitants sept cent mille personnes tant hommes que femmes sans compter les enfantshellip8 raquo

Cette gaieteacute profane qui accompagne drsquoordinaire les foules en pegravelerinage marque drsquoeacutepisodes faceacutetieux les ceacutereacutemonies les plus graves Ainsi dans les pro-cessions religieuses et les cortegraveges sacerdotaux voyons-nous des precirctres chargeacutes de repreacutesenter les dieux pour rendre lrsquoeffigie plus ressemblante ils revecirctent des costumes ou portent des attributs eacutetranges et srsquoattachent sur la figure des mas-ques drsquoanimaux spectacle qui est sans doute eacutedifiant pour lrsquoeacutelite mais qui pour la foule precircte agrave lrsquoeacutequivoque et au rire tel deacutefileacute du clergeacute theacutebain qursquoon nous montre aux fecirctes de la moisson semble annoncer par son caractegravere mi-burlesque mi-sacreacute ces cortegraveges qursquoApuleacutee verra plus tard agrave Chenchreacutees et dont il nous a laisseacute une si pittoresque description

Figure Fecircte de la gerbe Precirctres portant les enseignes divines

le Nsout-Hen et les simulacres des dieux

88 Au chap II 8 Heacuterodote signale drsquoautres rites indeacutecents8 Heacuterodote II 60

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les monuments eacutegyptiens ne sont donc point autant qursquoil le paraicirct agrave pre-miegravere vue deacutepourvus de teacutemoignages sur les fecirctes agraires on les rites dits de Carnaval Seulement ils apportent peu de textes preacutecis peu de tableaux pourvus drsquoun commentaire ou qursquoon puisse expliquer avec entiegravere certitude Dans ces conditions lrsquoEacutegypte ne peut servir de point de deacutepart pour des recherches de cet ordre au contraire jrsquoai ducirc aller du connu agrave lrsquoinconnu mrsquoinformer ailleurs de certains rites et de lrsquoexplication qursquoon leur a trouveacutee puis revenir agrave lrsquoEacutegypte et interpreacuteter certaines expressions certaines figures eacutenigmatiques avec la clef que drsquoautres civilisations peuvent fournir Lrsquoanalogie est vraisemblable drsquoune part il serait surprenant que ces coutumes drsquousage universel aient eacuteteacute ignoreacutees des Eacutegyptiens drsquoautre part les rites burlesques observeacutes dans les funeacuterailles les fecirctes sed et les paneacutegyries sacreacutees srsquoexpliqueraient difficilement sans lrsquointerpreacutetation que drsquoautres peuples nous fournissent avec tant drsquoabondance et de preacutecision

Ces coutumes pratiqueacutees dans le monde entier ces fecirctes dont le sens se retrou-ve agrave peine obliteacutereacute dans la survivance eacutetonnante des mecircmes deacutecors ont ainsi leurs racines immeacutemoriales dans les limbes de lrsquoHistoire Ne nous meacuteprenons pas sur lrsquoaspect grotesque que ces traditions ont revecirctu au cours des siegravecles Veacute-neacuterables par leur passeacute elles nous montrent en action la religion primitive elles nous deacutecrivent cette lutte eacuteternelle pour la vie qui est agrave la base de la premiegravere foi de lrsquohumaniteacute Tous ces rites reposent sur le paralleacutelisme absolu entre lrsquohomme et la nature elle vit prospegravere grandit meurt comme lui et il est frappeacute par ce recommencement et ce retour perpeacutetuel des choses Il veut donc assurer le re-nouvellement constant des forces naturelles ou ce qui revient au mecircme en em-pecirccher lrsquoeacutepuisement Ce sentiment de preacutevoyance a persisteacute sous les conceptions meacutetaphysiques apporteacutees au cours des siegravecles par les philosophies qui recouvrirent peu agrave peu la religion naturelle Les fecirctes drsquoaujourdrsquohui preacutesentent lrsquoaspect drsquoun terrain geacuteologique ougrave les stratifications ont eacuteteacute bousculeacutees et mecircme interverties par les diverses convulsions de la foi religieuse depuis lrsquoantiquiteacute Dernier venu le christianisme a remanieacute le cadre mecircme de lrsquoanneacutee dont Pacircques eacutetait jadis le deacutebut de sorte que les fecirctes qui vont de deacutecembre agrave Pacircques ne coiumlncident plus avec le temps du renouveau et de la moisson qursquoelles marquaient autrefois et ne sont plus placeacutees aujourdrsquohui dans leur ordre logique neacuteanmoins se perpeacutetue agrave travers ces confusions la tradition antique jusqursquoagrave cette grande purification annuelle de Pacircques commandeacutee encore par le christianisme

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Expulser la mort eacuteliminer les deacutemons et les mauvais instincts faire renaicirctre en soi dans la socieacuteteacute et la nature des forces renouveleacutees et salutaires tel eacutetait le but de certaines fecirctes antiques que nous avons retrouveacutees en Eacutegypte et ailleurs tel encore est le sens oublieacute des fecirctes du Carnaval Le roi qui aux temps anti-ques y jouait le premier rocircle reste aujourdrsquohui reconnaissable sous son traves-tissement bouffon Ce deacutefileacute burlesque fut autrefois une procession auguste et le deacutenouement lamentable drsquoun drame Derriegravere le masque bafoueacute du roi deacutechu ou eacutepheacutemegravere nos ancecirctres ont vu la figure tragique de lrsquohomme-dieu qui pour le bien et la vie de ses semblables allait mourir

27

vI

sanctuaIres de LrsquoancIen eMpIre

Les grandes pyramides de Gizeh mdash celles de Cheacuteops Cheacutephregraven Myceri-nus mdash et les petites pyramides drsquoAbousir et de Saqqarah sont les tombeaux des pharaons de lrsquoAncien Empire Les momies royales ensevelies dans les profon-deurs de ces maccedilonneries eacutetaient inaccessibles deacutefendues par des herses de gra-nit qursquoon laissait tomber les funeacuterailles faites sur les couloirs descendant au caveau Il fallait cependant agrave des intervalles rapprocheacutes ceacuteleacutebrer le culte du roi deacutefunt car seul le culte pouvait prolonger sa vie drsquooutre-tombe Dans les tom-beaux des particuliers 0 la chapelle funeacuteraire restait accessible agrave lrsquointeacuterieur du mastaba eacuteleveacute sur le caveau dans les tombes royales le seuil de la pyramide eacutetant deacutesormais infranchissable il fallut reporter la salle du culte agrave lrsquoexteacuterieur dans un temple bacircti sur la faccedilade orientale de la pyramide

On a chercheacute ces temples funeacuteraires et on a pu en deacutegager les substructures agrave Meidoum agrave Saqqarah mais devant les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir les tumuli recouverts de sable qui srsquoeacutetendaient depuis leur face orientale jusqursquoagrave la valleacutee placeacutee en contre-bas preacutesentaient un aspect insolite Tout pregraves de la pyra-mide il y avait des deacutebris drsquoeacutedifices en descendant vers la valleacutee on remarquait les traces drsquoune chausseacutee qui avait servi agrave charrier les mateacuteriaux de construction enfin agrave la lisiegravere du deacutesert existaient encore les substructures de constructions imposantes dont la mieux conserveacutee eacutetait le fameux temple laquo de granit raquo ou laquo du Sphinx raquo ainsi nommeacute agrave cause de ses mateacuteriaux et de son voisinage ceacutelegravebre Lors-que Mariette le deacuteblaya drsquoailleurs partiellement de 8 agrave 860 il nrsquoy trouva que des statues colossales jeteacutees au fond drsquoun puits aucune inscription nul bas-relief ne deacutecorait ces murs de granit muets sur la destination de lrsquoeacutedifice son plan bizarre diffeacuterait eacutegalement de tous les monuments encore connus Entre les pyramides royales et ces eacutedifices plus ou moins ruineacutes situeacutes en bordure des ter-res cultiveacutees il ne semblait drsquoailleurs qursquoaucun lien existacirct La chausseacutee qui sub-sistait par places allait en obliquant de lrsquoeacutedifice agrave la pyramide et comme elle ne

0 On appelle mastaba la tombe de lrsquoAncien Empire qui a la forme exteacuterieure drsquoun cube de maccedilonnerie pleine sans autre ouverture que les portes Cf Au temps des pharaons p 78

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se trouvait dans lrsquoaxe ni du monument infeacuterieur ni du tombeau supeacuterieur lrsquoideacutee ne venait point drsquoun ensemble architectural ougrave la pyramide le temple la chaus-seacutee et lrsquoeacutedifice de la valleacutee auraient joueacute chacun leur rocircle Des fouilles meneacutees par M Borchardt sur le site drsquoAbousir par MM Steindorff et Reisner sur celui de Gizeh et qui viennent drsquoecirctre publieacutees ont cependant deacutemontreacute la reacutealiteacute de ce grand ensemble et reacuteveacuteleacute le rapport et mecircme la destination des parties

Ce nrsquoeacutetait point par hasard que le temple dit laquo du Sphinx raquo eacutetait situeacute au pied de la pyramide de Cheacutephregraven et que agrave Abousir par-devant les pyramides rui-neacutees de Sahouracirc et de Neouserracirc srsquoallongeait jusqursquoagrave la valleacutee lrsquoempierrement de constructions importantes qui se deacuteveloppaient sur une longueur de 00 00 ou 700 megravetres en escaladant le plateau Les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir sont ne lrsquooublions pas sur un plateau calcaire rebord du vaste deacutesert qui coupe en deux de lrsquoAtlantique au golfe Persique les continents de lrsquoAncien Monde Dans ce deacutesert la valleacutee du Nil est une zone drsquoeffondrement en partie combleacutee par les alluvions du fleuve aussi est-elle neacutecessairement en contrebas des deux legravevres de cette faille du plateau deacutesertique A la hauteur des pyramides de Gizeh la diffeacuterence de niveau entre le deacutesert et la plaine fertile atteint 6 megravetres Il fallait donc soit pour construire la pyramide soit apregraves son achegravevement pour y peacuteleriner gravir cette falaise sablonneuse On relia la valleacutee et le plateau au moyen drsquoune rampe en blocs solides de calcaire qui filait de biais pour racheter la pente insensiblement Ces chausseacutees dont Heacuterodote deacutejagrave relevait les traces nrsquoeacutetaient donc que le chemin drsquoaccegraves agrave la pyramide ou plutocirct au temple mor-tuaire eacuterigeacute sur son flanc oriental Seulement crsquoeacutetait un chemin couvert un long corridor bacircti qui inspirait moins lrsquoideacutee de fraicirccheur et drsquoombre que le silence et le recueillement drsquoune nef seacutepulcrale A Gizeh comme agrave Abousir le touriste doit restituer en imagination par-devant la face orientale de chaque pyramide un plan ascendant composeacute deg drsquoun portique monumental dans la plaine 2deg drsquoune galerie voucircteacutee et deg du temple proprement dit ougrave les rites renouvelaient agrave chaque ceacuteleacutebration de culte la vie du roi enseveli

A Gizeh ces ensembles architecturaux ont subi des fortunes varieacutees devant la plus grande pyramide celle de Cheacuteops il ne reste guegravere du temple funeacuteraire que le pavement en basalte et de la rampe que des deacutebris le portique de la val-leacutee a disparu La pyramide de Cheacutephregraven a conserveacute au contraire son portique le laquo temple du Sphinx raquo sa rampe drsquoaccegraves reacuteduite agrave la substructure et quelques pans de murs du temple funeacuteraire Devant la pyramide de Mycerinus le tem-

II 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ple est assez bien conserveacute et M Reisner y a trouveacute drsquoadmirables statues du roi constructeur

Examinons maintenant le groupe des constructions eacuteleveacute par Cheacutephregraven vers 280 avant J-C et commenccedilons agrave la lisiegravere de la valleacutee par ce laquo temple de gra-nit raquo ou laquo du Sphinx raquo que nous appellerons deacutesormais le Portique de cet ensem-ble 2 Fait exceptionnel dans lrsquohistoire monumentale de lrsquoEacutegypte il est tout en-tier construit murs plafond colonnes en granit rose drsquoAssouan crsquoest la pierre employeacutee aussi pour les caveaux inteacuterieurs des pyramides Le sol est partout paveacute drsquoalbacirctre et une chambre est mi-partie granit et mi-partie albacirctre Nul autre eacutedifice drsquoEacutegypte ne preacutesente un tel luxe uni agrave tant de soliditeacute et les pierres tailleacutees en dimensions colossales polies dans des mateacuteriaux qui deacutefiaient la main drsquoœuvre humaine srsquoy ajustent avec une preacutecision une perfection qui ont vaincu le temps En apparence cet eacutedifice est un carreacute de pierre de 0 megravetres de large sur 0 de long La faccedilade aux murs en talus construits en grand appareil hauts de megravetres et dont le toit est agrave profil semi-arrondi preacutesente lrsquoaspect drsquoun mastaba Deux portes larges de 2 m 80 hautes de 6 megravetres percent la faccedilade qui nrsquoa pas drsquoautre ornement que des leacutegendes hieacuteroglyphiques donnant les titres du roi Cheacutephregraven De doubles panneaux de bois agrave verrous eacutenormes garnissaient les portes Il y avait la porte du Nord ougrave le roi se deacuteclarait laquo lrsquoaimeacute de Bastit raquo la deacuteesse septentrionale et la porte du Sud ougrave le roi se disait laquo lrsquoaimeacute de Hathor raquo la deacuteesse meacuteridionale Comme dans les temples posteacuterieurs la division srsquoexpli-que donc par la dualiteacute du roi qui est le souverain des Deux Eacutegyptes

Chaque porte eacutetait encadreacutee de deux sphinx androceacutephales agrave corps de lion du moins pourrait-on le supposer drsquoapregraves une deacutecoration pareille devant le Por-tique de Sahouracirc agrave Abousir agrave Gizeh on a trouveacute en place la base des sphinx longue de 8 megravetres Ces figures incarnent le roi lui-mecircme le laquo Lion raquo des textes de lrsquoAncien Empire proteacutegeant son palais de sa force magique et divine Crsquoest aussi la signification du moins agrave lrsquoorigine du Sphinx qui se tient face leveacutee agrave la droite de notre eacutedifice drsquoun rocher long de 7 megravetres et haut de 20 qui offrait une ressemblance fortuite avec lrsquoanimal accroupi on avait fait un lion androceacutephale tenant entre ses pattes et sous sa tecircte une statue de Cheacutephregraven

2 Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 08 aux frais de M Ernst von Sieglin et dirigeacutees par MM Steindorff Borchardt et U Houmllscher Le compte rendu en a eacuteteacute donneacute par U Houmllscher Das grabdenkmal des Koumlnigs Chephren 2 Les blocs pesant plus de 0000 kilos ne sont pas rares il y en a qui deacutepassent 0000 kilos

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

aujourdrsquohui mutileacutee Ce rocher qursquoon ne pouvait supprimer prit ainsi sa place dans le plan du portique et forma avec lui un ensemble deacutecoratif Enfin au cen-tre de notre faccedilade il y avait un naos dont reste la substructure et qui contenait sans doute une statue de Cheacutephregraven

Cour du temple funeacuteraire

Figure Faccedilade du temple de granit (portique)

(Restitutions de M U Houmllscher)

Chacune des deux portes donne accegraves dans une chambre eacutetroite haute de megravetres drsquoougrave agrave droite et agrave gauche partent des corridors ils convergent dans un vestibule qui occupe toute la largeur de lrsquoeacutedifice Avant les fouilles de 08 on ne peacuteneacutetrait que jusque-lagrave et par le cocircteacute opposeacute agrave la faccedilade puisque celle-ci nrsquoeacutetait pas encore deacuteblayeacutee Dans un coin srsquoouvrait beacuteant un puits drsquoeacutepoque reacutecente crsquoest lagrave que Mariette trouva en 860 le fameux Cheacutephregraven en diorite orgueil du museacutee du Caire Du vestibule une grande porte nous introduit dans la salle principale qui est hypostyle et en forme de renverseacute Crsquoest donc la barre du qui se preacutesente drsquoabord sous lrsquoaspect drsquoune galerie diviseacutee en deux traveacutees par une rangeacutee centrale de six piliers rectangulaires au milieu srsquoouvre la galerie perpendiculaire diviseacutee en deux traveacutees par une double ligne de six pi-liers

Ici comme ailleurs les portes les murs les dalles du plafond sont unique-ment de granit rose par blocs de grand appareil longs de agrave 6 megravetres pesant de 0 000 agrave 0 000 kilogrammes les piliers hauts de 8 megravetres sont monolithes

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Aucun ornement aucune moulure nrsquoaltegravere le seacuterieux solennel de cette architec-ture pas une ligne qui ne se rapporte uniquement agrave la construction Le pave-ment est en dalles drsquoalbacirctre poli dont la blancheur laiteuse fait contraste avec la sombre splendeur du granit nu Des enfoncements encore visibles dans le paveacute drsquoalbacirctre permettent drsquoaffirmer que le long de ces murailles lisses en face de chacun des piliers il y avait vingt-trois statues royales plus grandes que nature repreacutesentant Cheacutephregraven assis sur son trocircne dans lrsquoattitude de majesteacute divine qursquoa populariseacutee lrsquoexemplaire deacutecouvert par Mariette Beaucoup de fragments de ces statues ont eacuteteacute retrouveacutes en particulier une tecircte admirable des morceaux de visages des parties du corps Si chaque statue donnait au roi la mecircme pose

Figure mdash Le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

toutes diffeacuteraient soit par le deacutetail soit par la matiegravere lrsquoune eacutetait en diorite verdacirctre veineacute de blanc lrsquoautre en albacirctre blanc lrsquoautre en schiste jaunacirctre Ces merveilleux modegraveles ougrave lrsquoart faisait encore palpiter une acircme srsquoirradiaient furti-vement dans un demi-jour car la salle hypostyle (dont le plafond est aujourdrsquohui deacutemanteleacute agrave lrsquoexception des poutres reliant les piliers) nrsquoeacutetait eacuteclaireacutee que par drsquoeacutetroites ouvertures meacutenageacutees agrave travers lrsquoeacutepaisseur des architraves et du plafond De quelle vie troublante devait srsquoanimer lrsquoimmobile assembleacutee des vingt-trois colosses assis dans leur pose inflexible quand le faisceau drsquoun rayon de soleil se glissant par les fenecirctres obliques venait se reacutefleacutechir sur le paveacute eacutetincelant avi-ver un pan de muraille rouge reacuteveacuteler quelques secondes durant le geste drsquoune main lrsquoeacuteclair drsquoun regard puis se retirant laissait retomber un lourd voile de teacutenegravebres sur lrsquohypostyle seacutepulcrale

Laissons de cocircteacute un eacutetroit corridor qui part de lrsquoangle gauche de lrsquohypostyle pour aboutir agrave trois cellules longues sortes de silos de granit agrave deux eacutetages ougrave lrsquoon serrait le mobilier les vecirctements sacreacutes les vases et lampes neacutecessaires aux ablutions et aux fumigations rituelles De lrsquoangle droit de notre grand part un autre couloir il dessert drsquoabord un plan inclineacute en albacirctre qui tourne agrave droite et conduit sur le toit puis une chambre de garde pour la surveillance du toit et de la sortie Nous arrivons en effet agrave lrsquoangle nord-ouest de lrsquoeacutedifice le couloir se poursuit et devient le chemin couvert qui durant 00 megravetres escalade le pla-teau deacutesertique suivant une pente assez rapide de dix pour cent Il est faiblement eacuteclaireacute par drsquoeacutetroites fenecirctres deacutecoupeacutees dans le plafond Les murs en calcaire blanc sans deacutecoration se raccordent agrave la voucircte en profil semi-arrondi La rampe deacutebouche obliquement dans la faccedilade du Temple funeacuteraire

Celui-ci (fig ) est un eacutedifice rectangulaire de mecircme largeur mdash 0 megrave-tres mdash que le Portique de la valleacutee mais drsquoune longueur supeacuterieure 0 megravetres au lieu de 0 Il se divise en deux parties de dimensions fort ineacutegales le temple public qui se deacuteveloppe sur une longueur drsquoenviron 00 megravetres et le temple intime ou priveacute reacuteduit agrave quelques megravetres de superficie

Le temple public nrsquoa pas de faccedilade monumentale le chemin couvert deacutebou-che en effet directement et de biais dans le cube de maccedilonnerie en plein vesti-bule flanqueacute de magasins Une autre porte mais dans lrsquoaxe central conduit du

Voici comment Heacuterodote (II 2) deacutecrit la chausseacutee de la pyramide de Cheacuteops laquo On passa dix ans agrave construire la chausseacutee par ougrave on devait traicircner les pierres Cette chausseacutee est un ouvrage qui nrsquoest guegravere moins consideacuterable agrave mon avis que la pyramide car elle a 2 megravetres de long sur megravetres de large et megravetres de haut dans sa plus grande hauteur elle est de pierres polies et orneacutee de figures drsquoanimaux raquo

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vestibule agrave deux grandes salles hypostyles aux piliers carreacutes disposeacutees en ren-verseacute comme dans le premier eacutedifice mais un eacutetranglement de la maccedilonnerie seacutepare ici les deux barres de notre pour en faire deux hypostyles indeacutependantes Il y avait lagrave aussi des statues colossales assises et peut-ecirctre comme dans le tem-ple funeacuteraire de Mycerinus des groupes formant bas-reliefs Particulariteacute notable agrave gauche et agrave droite srsquoenfoncent dans le plein de la maccedilonnerie deux boyaux pareils aux laquo serdabs raquo des mastabas et srsquoouvrant de mecircme dans la salle non par des portes mais par drsquoexigus soupiraux Crsquoest agrave lrsquointeacuterieur de ces oubliettes et avant drsquoen murer lrsquoentreacutee qursquoon deacuteposait des statues du roi constructeur les fouilleurs modernes nrsquoy ont trouveacute que des deacutebris

Au fond de la seconde hypostyle une porte deacutebouche en pleine lumiegravere dans une vaste cour occupant la largeur de lrsquoeacutedifice La cour srsquoencadre drsquoun portique qui a cinq ouvertures dans cette largeur et trois sur les cocircteacutes entre ces ouvertu-res la maccedilonnerie srsquoeacutepaissit en un massif pilier monolithe deacutecoreacute drsquoune statue sur sa face anteacuterieure (Fig ) Crsquoest le premier speacutecimen connu drsquoune de ces cours bordeacutees de statues qui se retrouvent dans les temples theacutebains agrave Louxor au Ramesseum agrave Meacutedinet-Habou (fig ) On suppose que les statues repreacutesen-taient alternativement le Pharaon en costume de roi du Sud et de roi du Nord Le portique du fond agrave cinq ouvertures donnait accegraves agrave cinq cellules parallegraveles fort eacutetroites sauf celle du milieu qui est plus large Or les temples de Sahouracirc et de Neouserracirc agrave Abousir nous ont appris que dans ces cinq cellules eacutetaient adoreacutees cinq statues du Pharaon nous pouvons supposer que ce nombre rituel de cinq chapelles et cinq statues srsquoexplique 6 par les cinq noms officiels du pro-tocole sous lesquels le roi eacutetait adoreacute

Le public nrsquoallait pas plus loin Seuls les precirctres et le roi peacuteneacutetraient dans un corridor menant par les cocircteacutes agrave une seacuterie de magasins puis dans une derniegravere sal-le semblable agrave un couloir mais de mecircme largeur que la cour et lrsquoeacutedifice crsquoeacutetait le Saint des Saints qui correspond agrave la chapelle inteacuterieure des mastabas En effet la paroi du fond celle qui est juxtaposeacutee au mur drsquoenceinte de la pyramide se creuse en son centre drsquoune niche rectangulaire ici se placcedilait la stegravele fausse-porte qui donnait accegraves dans lrsquoautre monde Il est probable que sur le flanc mecircme de la

Ces serdabs sont reacuteserveacutes agrave lrsquointeacuterieur de formidables noyaux de maccedilonnerie un des blocs de granit deacutepasse 70 megravetres cubes et pegravese plus de 70 000 kilos crsquoest agrave peu pregraves le poids drsquoun grand obeacutelisque6 Cheacutephregraven fut le premier agrave prendre le titre laquo fils de Racirc raquo ce qui complegravete agrave noms le proto-cole royal

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pyramide srsquoeacutelevait une autre stegravele 7 ou un naos situeacute dans le mecircme axe en face de la premiegravere stegravele et assurant ainsi une communication ideacuteale avec lrsquointeacuterieur de la pyramide

Tout ce temple funeacuteraire eacutetait construit comme les propyleacutees de la valleacutee en mateacuteriaux de choix granit rose pour les murs et les piliers albacirctre pour le pave-ment calcaire pour le remplissage de gros œuvre Ici non plus pas de deacutecoration sauf quelques lignes de textes encadrant les portiques de la cour deacutecouverte ou graveacutees sur les statues royales Crsquoest un art sobre srsquoexprimant directement par la statuaire ses personnages soit isoleacutes soit en groupes eacutenoncent toutes les ideacutees qui agrave lrsquoeacutepoque posteacuterieure seront deacuteveloppeacutees au moyen drsquoaccessoires textes ritualistiques bas-reliefs descriptifs

Revenons au rocircle du Portique dans cet ensemble Pour le deacuteterminer rap-pelons-nous qursquoil est situeacute juste entre le dessert et la valleacutee Si donc il fournit un pavillon drsquoentreacutee vers le chemin ouvert et le temple funeacuteraire il est aussi en contact avec le monde des vivants Devant lui dans la valleacutee srsquoeacutetendait comme agrave Abousir une laquo ville de la pyramide raquo Crsquoeacutetait sous lrsquoAncien Empire lrsquoendroit ougrave le Pharaon reacutesidait de son vivant agrave proximiteacute de son temple funeacuteraire et de sa pyramide qursquoil faisait bacirctir cette capitale eacutepheacutemegravere puisqursquoelle se deacuteplaccedilait avec chaque regravegne comprenait outre le palais et les habitations de la famille royale celle des parents des amis des clients des architectes de tous les em-ployeacutes dans le service des domaines funeacuteraires du Pharaon et dans le service des constructions Le Portique de la valleacutee eacutetait relieacute directement avec cette reacutesidence royale il eacutetait conccedilu avec sa faccedilade monumentale et son hypostyle grandiose pour servir de lieu de reacuteception ou de reacuteunion les ceacutereacutemonies qursquoon y ceacuteleacutebrait avaient sans doute un caractegravere plus officiel que religieux Les statues colossales du Pharaon qui veillaient dans lrsquohypostyle ne sont pas ces figures mobiles et portatives sur lesquelles on opeacuterait les rites funeacuteraires elles eacutetaient lagrave non pour recevoir ce culte funeacuteraire mais pour eacuteterniser la puissance et le nom du roi et agreacuteer lrsquoadoration de ses sujets Les accessoires de ce culte drsquoadoration eacutetaient sans doute peu importants car les magasins composeacutes de trois cellules doubles sont de faibles dimensions Jrsquoen conclus que le Portique participe du palais plu-tocirct que du temple

Quant au chemin couvert il nous conduit de ce Portique au Temple par un eacuteclairage endeuilleacute dans une ombre creacutepusculaire Nrsquoest-il pas agrave dessein mysteacute-

7 A Meidoum il y avait deux stegraveles dans une cour entre la chapelle et la pyramide de Snefrou (Maspero Histoire I p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rieux comme le passage de la vie agrave la mort et srsquoil se resserre nrsquoest-ce pas pour qursquoil laisse passer seulement un cortegravege choisi parents et amis du Pharaon lrsquoeacutelite seule convieacutee agrave partager lrsquoimmortaliteacute jusqursquoici reacuteserveacutee au roi et agrave participer agrave la destineacutee auguste des dieux

Nous voici dans le temple mortuaire dont le silence trompeur est peupleacute de la vie sourde intarissable qui srsquoeacutepanche des statues rituelles Invisibles mureacutees au fond des serdabs il y a les statues inviolables qui perpeacutetuent agrave lrsquoabri du danger des profanations le nom graveacute crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme du Pharaon son moi moral mais il y a aussi exposeacutees dans les cinq chapelles ou transporteacutees au moment du culte dans le secret du sanctuaire devant la stegravele fausse-porte drsquoautres statues portatives sur lesquelles on exeacutecutera les rites de reacutesurrection On a retrouveacute des fragments de plus de cent statues diffeacuterentes en albacirctre diorite basalte ou schis-te Petites ou colossales elles remplissaient les temples du paveacute jusqursquoau faicircte

Des rites speacuteciaux qursquoon ceacuteleacutebrait au Temple mortuaire peu de deacutetails sont connus puisqursquoici non plus que dans les caveaux des grandes pyramides les parois de granit ne portent ni figures ni inscriptions Toutefois la preacutesence des statues rituelles leur importance exceptionnelle qui srsquoatteste par leur nombre et leur qualiteacute suffisent agrave nous renseigner Ces statues sont lagrave drsquoabord pour com-meacutemorer le nom du roi deacutefunt prolonger sa personnaliteacute son acircme individuelle ensuite pour sauvegarder sa physionomie ses traits physiques car la momie deacuteposeacutee au fond de la pyramide si bien garantie qursquoelle soit de la corruption ne saurait les conserver dans leur inteacutegriteacute avec leur ressemblance Les merveilleu-ses tecirctes de Cheacutephregraven et de Mycerinus sont des portraits exacts quelque ideacutealiste et rituelle qursquoait eacuteteacute pour lrsquoensemble de la statue la maniegravere du sculpteur Il savait qursquoen modelant avec preacutecision les traits du roi il leur permettrait de srsquoanimer de revivre sous les formules toutes-puissantes de lrsquoouap-ra Le precirctre stimulerait par des rites magiques cette figure ressemblante mais inerte il rouvrirait ces yeux eacuteteints et ces oreilles closes il toucherait la langue rigide pour eacuteveiller la parole descellerait la bouche fermeacutee pour qursquoelle pucirct manger il ferait remuer les bras et les jambes pour y rappeler le mouvement aboli il solliciterait lrsquoacircme de revenir dans ce corps leacutethargique et bientocirct par les rites infaillibles cette statue prendrait vie On lui promettrait une vie eacuteternelle et on lrsquoenverrait rejoindre les dieuxhellip heacutelas la vitaliteacute des dieux eux-mecircmes eacutetait preacutecaire il fallait la renou-

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veler par les rites et certes le Pharaon srsquoinquieacutetait agrave bon droit de pourvoir pour lrsquoavenir agrave son propre culte Les statues multiplieacutees dans le temple funeacuteraire lui garantissaient ce regain de vie et de dureacutee

Celles que M Reisner a retrouveacutees en 08 dans la chapelle de Mycerinus preacutesentent un caractegravere qui semble confirmer ce que je viens drsquoavancer 8 Elles nous montrent le roi non plus figeacute dans sa majesteacute de maicirctre srsquoimposant agrave lrsquoad-miration de la foule prosterneacutee mais dans une attitude plus humaine plus fami-liegravere et ressemblante Mycerinus se tient debout cocircte agrave cocircte avec sa femme qui lrsquoenlace tendrement de son bras crsquoest la pose souriante et deacutetendue drsquoun couple quelconque qui appartiendrait agrave sa cour Lrsquoartiste eacutevidemment a voulu repreacute-senter lrsquohomme et non le Pharaon diviniseacute son œuvre porte le caractegravere intime qui se retrouve dans les dispositions de lrsquoeacutedifice En bas le Portique de la valleacutee est un palais royal rempli de statues de grand style en haut de la rampe crsquoest la chapelle priveacutee de Cheacutephregraven ou de Mycerinus destineacutee au culte familial

Pris ensemble les deux eacutedifices ne forment en somme qursquoun mastaba gigan-tesque dont les divisions ordinaires salle drsquoaccegraves corridor chapelle auraient eacuteteacute multiplieacutees et distendues sur une eacutechelle de plus de 700 megravetres Lrsquointeacuterieur de ce mastaba continuait drsquoabriter les statues tandis que la pyramide inviolable receacutelait la momie ici le corps gisait preacuteserveacute de la putreacutefaction incorruptible mais agrave jamais deacutepouilleacute de verdeur lagrave au contraire freacutemissaient des images res-semblantes qui se retrempaient eacuteternellement au culte funeacuteraire comme agrave une source magique qui srsquoabreuvaient de jeunesse agrave la fraicirccheur des rites hellip Et si le cadavre momifieacute garde encore les traces de la maladie les tares des organes les infirmiteacutes physiques en revanche les statues sont faites agrave lrsquoimage de lrsquohomme en sa fleur de santeacute agrave lrsquoapogeacutee de sa force de sa prospeacuteriteacute avant la deacutecheacuteance de lrsquoacircge ou de la carriegravere Ainsi le culte pourra les conserver en beauteacute et crsquoest pourquoi il les preacutefegravere au corps deacutecreacutepit ou desseacutecheacute drsquoailleurs inaccessible en son caveau Ces portraits drsquoinalteacuterable matiegravere ne se precirctent-ils pas bien mieux agrave la fiction drsquoune vie toujours reverdissante hellip

Donc dans ces temples tout concerne la vie ou le maintien de la vie dans les statues royales Par contre rien nrsquoy suggegravere lrsquousage drsquoun culte envers les dieux Ceux-ci nrsquoapparaissent dans la statuaire ou dans les rares inscriptions que pour escorter le dieu du logis qui est Pharaon leur personnaliteacute est deacutecorative nulles

8 Les fouilles de M Reisner nrsquoont pas eacuteteacute encore lrsquoobjet drsquoune publication drsquoensemble On trouvera drsquointeacuteressantes consideacuterations sur les statues royales trouveacutees lagrave dans un article de Mas-pero sur quelques portraits de Mycerinus reproduit dans ses essais sur lrsquoart eacutegyptien 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

priegraveres ni offrandes ne leur sont adresseacutees au contraire ce sont les dieux des Nomes qui viennent apporter leurs dons au roi Crsquoest lagrave un eacutetat drsquoesprit avec lequel les textes contemporains nous ont familiariseacutes Les dieux agrave cette eacutepoque sont certes de hauts et puissants seigneurs que lrsquoon traite avec deacutefeacuterence agrave qui lrsquoon paye sans enthousiasme le tribut qursquoils sauraient au besoin arracher mais ils nrsquoont presque ni deacutevots ni fidegraveles Ce nrsquoest pas la confiance la religion qui preacuteside aux rapports entre lrsquohumaniteacute et le ciel Prie-t-on un ecirctre que lrsquoon craint qui est redoutable parce que plus fort Par la magie au contraire on circonvient les dieux on peut les flatter les tromper voire leur faire peur et leur donner des ordres srsquoen servir sans les servir

Plus tard entre la IVe et la Ve dynastie la moraliteacute est en progregraves Les textes (ils deviennent plus nombreux dans les tombeaux memphites vers la fin de la Ve dy-nastie) commencent agrave parler de la providence ceacuteleste de la justice distributive du jugement qursquoOsiris impose apregraves la mort agrave tous les hommes Le culte des dieux gardiens de la morale et de la vertu srsquoeacutetablit Une eacutecole de theacuteologiens celle de Heacuteliopolis rallie agrave ses doctrines la famille royale et la cour une theacuteologie officielle est en formation et srsquoexprime en de longs textes religieux qursquoon grave dans les pyramides royales agrave la fin de la Ve dynastie Le dieu des morts Osiris et le dieu-soleil Racirc drsquoHeacuteliopolis deviennent les patrons du roi vivant sur terre et du roi vivant dans lrsquoautre monde un nouveau titre que prend le Pharaon celui de laquo fils du Soleil raquo exprime que le roi tient sur terre la place que son pegravere charnel Racirc creacuteateur du monde et bienfaiteur de la nature lui a faite et leacutegueacutee Le culte deacutesormais consiste en priegraveres en fondations territoriales pour les dieux et on construit en particulier des temples deacutedieacutes au Soleil

Crsquoest sur le site drsquoAbou-Gourab pregraves drsquoAbousir que M Borchardt a deacuteblayeacute un sanctuaire de la Ve dynastie consacreacute au soleil Jusqursquoici nous ne connais-sions lrsquoexistence de sanctuaires du soleil que par des inscriptions de lrsquoAncien Empire leurs noms srsquoaccompagnaient drsquoun deacuteterminatif singulier un tronc de pyramide surmonteacute drsquoun obeacutelisque au-dessus duquel se place adheacuterent ou non le disque solaire Cet hieacuteroglyphe eacutetait-il le dessin scheacutematiseacute mais exact drsquoun temple consacreacute agrave Racirc soleil drsquoHeacuteliopolis Les fouilles de M Borchardt lrsquoont prouveacute

Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 88 aux frais de M F von Bissing et publieacutees depuis 0 Le premier volume est celui analyseacute ici Das re-heiligtum der Koumlnigs ne-woser-re Band I Der Bau par L Borchardt

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Elles nous ont restitueacute le plan geacuteneacuteral drsquoun eacutedifice qui se rapproche de lrsquoen-semble funeacuteraire que nous venons de deacutecrire et qui comprend un Portique un Chemin couvert un Temple proprement dit mais ici le Saint des Saints nrsquoest pas une salle dans un temple crsquoest lrsquoObeacutelisque lui-mecircme dresseacute sur son socle la pyramide tronqueacutee (fig 6)

Le Portique preacutesente cette particulariteacute drsquoecirctre en plein dans la laquo ville de la pyramide raquo que le roi Neouserracirc eacutedifiait vers 20 av J-C on retrouve ses fondations agrave 0 megravetres agrave lrsquointeacuterieur du mur drsquoenceinte de la reacutesidence royale Crsquoest un eacutedifice carreacute de maccedilonnerie pleine qui avait peut-ecirctre une faccedilade en forme de double pylocircne Au centre de cette faccedilade srsquoouvre une salle soutenue par quatre colonnes en granit rose fasciculeacutees (elles sont massives dans le temple de Cheacutephregraven) Des corridors coudeacutes font deacuteboucher cette salle et deux petites salles lateacuterales dans une antichambre qui amorce le chemin couvert

Celui-ci forte chausseacutee en blocs calcaires gravit en pente raide sur une lon-gueur de 00 megravetres le plateau haut de 6 megravetres qui surplombe la valleacutee soit traceacute oblique aboutit devant la faccedilade orientale drsquoune enceinte rectangulaire de 0 megravetres de long sur 80 de large preacuteceacutedeacutee par une porte monumentale en granit rose orneacutee de reliefs colossaux Traversons le vestibule nous arrivons

Figure 6 mdash Temple de Racirc

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans une grande cour ougrave srsquoeacuterige au fond de la partie occidentale la pyramide tronqueacutee surmonteacutee de lrsquoobeacutelisque Deux corridors voucircteacutes filent agrave notre droite et agrave notre gauche suivons ce dernier Il se coude agrave lrsquoangle sud-est suivant le pourtour du temple et quoiqursquoil soit obscur comme au temple de Cheacutephregraven de fins reliefs couvrent ici les murs de calcaire blanc Une porte de granit srsquoouvre bientocirct agrave droite et un chemin encore plus eacutetroit et teacuteneacutebreux monte avec une pente accentueacutee au travers drsquoun gros de maccedilonnerie dans lrsquointeacuterieur mecircme de la pyramide Enfin ce boyau montant tortueux eacutetouffant deacutebouche agrave lrsquoair libre dans la lumiegravere eacuteblouissante nous sommes sur la plate-forme du socle tailleacute en pyramide tronqueacutee et au pied de lrsquoobeacutelisque agrave une hauteur de 20 megravetres au-des-sus de la cour du temple Les murs de la pyramide sont en calcaire mais ceints agrave la base drsquoun parement de granit La pointe de lrsquoobeacutelisque srsquoeacutelevait agrave 6 megravetres du socle crsquoest-agrave-dire agrave 6 megravetres au-dessus de la cour et 72 megravetres au-dessus de la valleacutee Lrsquoobeacutelisque nrsquoeacutetait pas monolithe mais bacircti en grands blocs calcaires jaunes pour le noyau blancs pour le revecirctement Peut-ecirctre eacutetait-il deacutecoreacute sur chaque face drsquoune inscription verticale au milieu de la paroi et un pyramidion de meacutetal le coiffait-il de sa pointe eacutetincelante

Lrsquoarchitecte de ce temple nrsquoavait-il pas merveilleusement combineacute ses effets LrsquoEacutegyptien venant de la valleacutee devait cheminer depuis le Portique sous une ga-lerie couverte puis dans des corridors resserreacutes dont lrsquoobscuriteacute devenait plus peacutenible agrave mesure qursquoil srsquoenfonccedilait en zigzag dans le flanc abrupt de ce cube de maccedilonnerie pareil agrave un mastaba lugubre Brusquement il eacutemergeait sur la terrasse dans lrsquoaveuglante lumiegravere sous la pierre leveacutee comme une flamme et drsquoun coup drsquoœil il embrassait lrsquoaire vibrante du temple la rampe le portique la reacutesidence royale et au delagrave les palmiers assombris les champs verdoyants ou doreacutes le Nil bleuissant et agrave lrsquohorizon la terrasse abrupte du Mokattam aux om-bres violettes Tant de lumiegravere et drsquoair pur apregraves cette monteacutee angoissante Le cœur dilateacute il tombait agrave genoux eacuteperdu de gratitude devant le dieu qursquoil venait adorer lrsquoobeacutelisque tout blanc qui jaillissait dans lrsquoazur comme un rayon peacutetrifieacute du pegravere et du bienfaiteur des hommes

Car lrsquoObeacutelisque eacutetait ici lrsquoidole et le sanctuaire agrave la fois Il semble bien que sa partie essentielle fut le pyramidion terminal dont les faces en forme de trian-gle isocegravele symbolisaient peut-ecirctre le triangle lumineux des rayons tombant du soleil sur la terre 00 Crsquoest sous ce signe qursquoon a deacutesigneacute aussi les rayons solaires

00 H Brugsch a deacutemontreacute que les Eacutegyptiens repreacutesentaient par un triangle isocegravele la lumiegravere zodiacale diviniseacutee crsquoest un pheacutenomegravene qui se manifeste en Eacutegypte avant le lever du soleil ou

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soit sous forme de perles triangulaires soit sous lrsquoaspect drsquoun triangle isocegravele soit comme au temps drsquoAmeacutenophis IV sous forme de rayons prolongeacutes par des mains 0 Les petites pyramides votives qursquoon rencontre dans les tombeaux por-tent toujours pregraves de la pointe lrsquoimage du soleil sur lrsquohorizon geacuteneacuteralement encadreacutee de deux personnages orants le grand pyramidion de Daschour srsquoeacutevase aussi sous un disque solaire aileacute enfin les obeacutelisques se terminaient par un py-ramidion drsquoor ou de meacutetal doreacute comme en teacutemoignent les textes ou lrsquoeacutetat ina-cheveacute de leur faicircte Pline lrsquoAncien se fait lrsquoeacutecho de cette tradition eacutegyptienne sur le caractegravere solaire de lrsquoObeacutelisque en nous disant expresseacutement laquo lrsquoObeacutelisque consacreacute au soleil eacutetait fait agrave lrsquoimage de ses rayons 02 raquo

Figure 7 mdash Autel-table drsquooffrande en albacirctre

apregraves le coucher par un rayon lumineux en forme de pyramide dont la base reposerait sur terre et dont la pointe se dirige vers le zeacutenith (proceedings of society of Biblical Archaeligology t XV p 2 et suiv)0 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 pl VIII 202 Hist nat XXXVI laquo Obeliscos vocantes Solis numini sacratos Radiorum ejus argu-mentum in effigie est et ita significatur nomine AEliggyptio raquo Sur ces derniers mots nous nrsquoavons pas de confirmation agrave donner La conseacutecration au dieu solaire Racirc des obeacutelisques est prouveacutee aussi par ce fait lors des rites osiriens on symbolisait la renaissance du dieu en eacuterigeant un obeacutelisque cela srsquoappelait laquo faire lever Racirc raquo (Aeg Zeitschrift 0 p 72)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Celui de notre temple solaire recevait le culte 0 au mecircme titre que les statues de Cheacutephregraven dans le temple funeacuteraire de ce Pharaon A droite des construc-tions il y avait des magasins pour les offrandes le paveacute de la cour y est encore creuseacute de longues rigoles et de vasques aligneacutees dans les premiegraveres srsquoeacutecoulait le sang des victimes eacutegorgeacutees dont les deacutebris eacutetaient recueillis dans les vasques et emporteacutes au dehors Au centre de la cour un autel en forme de quadruple table drsquooffrandes eacutetait orienteacute aux quatre coins de lrsquohorizon

A gauche il y avait une chapelle exigueuml preacuteceacutedeacutee de deux stegraveles et de deux bassins crsquoest lagrave que le roi se purifiait et revecirctait les vecirctements rituels avant de ceacuteleacutebrer le culte Une autre particulariteacute du culte solaire se remarque au tem-ple de Neouserracirc Un peu au fond et en dehors de lrsquoenceinte M Borchardt a deacuteblayeacute non sans surprise une construction qui se reacuteveacutela comme la carcasse infeacuterieure toute en briques drsquoune barque geacuteante longue de 0 megravetres la partie supeacuterieure qui comprenait le bordage la macircture les cabines les rames et tous les accessoires devait ecirctre en bois et avait naturellement disparu Telle quelle on avait lrsquoimage drsquoune des barques solaires celles ougrave lrsquoastre est censeacute naviguer dans la coupole bleue du ciel 0 Des inscriptions officielles de lrsquoAncien Empire nous avaient appris que les rois et en particulier Neouserracirc construisaient des barques de cotte sorte mais jamais encore on nrsquoavait retrouveacute lrsquoeacutedifice nautique Ces deacutetails ont drsquoautant plus drsquointeacuterecirct qursquoil est permis de supposer que le sanc-tuaire drsquoAbou-Gourab eacutetait bacircti sur le type du grand Temple de Racirc agrave Heacuteliopolis aujourdrsquohui totalement disparu agrave un obeacutelisque pregraves Gracircce aux fouilles et aux restitutions de MM Boichardt et Schaeligfer nous pouvons imaginer avec vraisem-blance ce qursquoeacutetait le fameux sanctuaire drsquoHeacuteliopolis

Compareacute avec le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven le temple du Soleil agrave Abou-Gourab nrsquooffre comme il est logique que des ressemblances exteacuterieures Tous deux ont pour point de deacutepart la citeacute royale et ont agrave reacutesoudre le mecircme problegraveme lrsquoaccegraves sur le plateau deacutesertique Ils ont donc en commun le Portique de la valleacutee et le Chemin couvert ascendant mais le Temple proprement dit diffegravere par sa destination lrsquoun sert de sanctuaire agrave des statues royales qursquoon y entretient dans une vie magique lrsquoautre formeacute seulement de lrsquoobeacutelisque et du socle expose la

0 M von Bissing a citeacute une inscription de Thoutmegraves III qui offre des pains et de la biegravere agrave des obeacutelisques (recueil de travaux XXIV p 67 XXV p 8)0 Les textes des Pyramides contemporaines du Temple nous donnent les noms de ces barques Macircndt Mesktet

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

forme concregravete du dieu Le principe de la deacutecoration nrsquoest pas moins dissembla-ble le temple de Cheacutephregraven ne contient guegravere que des statues le temple solaire des bas-reliefs Ceux-ci dont trop peu malheureusement sont conserveacutes nous fournissent les plus anciens speacutecimens de tableaux qui deviendront les poncifs de deacutecoration dans les temples theacutebains Fondation du temple par le roi assisteacute des dieux qui tend le cordeau drsquoarpentage pour orienter lrsquoeacutedifice vers lrsquoeacutetoile polaire deacutefileacute des produits des Nomes de lrsquoEacutegypte apporteacutes en offrande agrave la diviniteacute pu-rifications subies par le roi avant de ceacuteleacutebrer le culte comme grand-precirctre scegravenes du couronnement et de la renaissance fictive du roi apregraves la ceacuteleacutebration de la fecircte Sed toutes ces scegravenes sont reproduites sur les temples posteacuterieurs agrave des centai-nes drsquoexemplaires et ce nrsquoest pas le moindre enseignement du temple drsquoAbousir que de nous prouver lrsquoexistence degraves la Ve dynastie de ces deacutecorations rituelles qui resteront en usage jusqursquoau temps des Ceacutesars En outre le temple solaire contient en germe le dispositif qursquoobserveront les architectes theacutebains dans ces somptueux eacutedifices que nous a leacutegueacutes la XVIIIe dynastie 0 porte monumentale cour agrave deacutecouvert salle hypostyle naos du dieu Certes les architectes de lrsquoeacutepo-que memphite nrsquoont pu deacutevelopper leur plan avec tant drsquouniteacute et de clarteacute La nature du terrain lrsquoobligation de relier la pyramide et le temple funeacuteraire avec la citeacute des vivants au moyen drsquoune rampe leur creacuteait une difficulteacute consideacuterable ils srsquoen sont tireacutes agrave leur honneur et la justesse des proportions le concours des parties lrsquoharmonie de lrsquoensemble ne sont pas moins admirables que la perfection du deacutetail 06

Quels monuments en Eacutegypte ou ailleurs ont pu produire par lrsquoarchitecture seule ou la sculpture essentielle lrsquoeffet obtenu par la salle hypostyle du Portique de Cheacutephregraven ou le Temple solaire hellip Quelle puissance de recircve et drsquoexeacutecution dans ces artistes A peine pouvons-nous les comprendre agrave peine sommes-nous capables drsquoimaginer ces vingt-trois statues de Cheacutephregraven assises qui eacuteternisaient dans la peacutenombre leur volonteacute de vivre et deacutefiant la torpeur de lrsquoimmobile pose eacutepiant le flux et le reflux des jours se vecirctaient de lueurs changeantes et srsquoani-maient aux pulsations du tempshellip ou bien cet obeacutelisque colossal de Neouserracirc tout vibrant de lumiegravere comme un trait deacutecocheacute par lrsquoarcher glorieux hellip

0 Les piliers monolithes du temple de la IVe dynastie sont remplaceacutes ici par des colonnes fas-ciculeacutees du type lotiforme et des colonnes avec chapiteaux agrave palmes qui constituent deux traits caracteacuteristiques de lrsquoarchitecture eacutegyptienne (Cf Maspero Ars Una Eacutegypte fig 8-)06 Voir la gargouille en forme de lion motif qui se retrouvera dans la deacutecoration des temples posteacuterieurs

Les Mystegraveres eacutegyptiens

copy Arbre drsquoOr Genegraveve juin 2007httpwwwarbredorcom

Couverture illustration extraite du Livre des morts Museacutee du Louvre Paris DRComposition et mise en page copy Athena Productions JBS

Table des matiegraveres

I Mystegraveres eacutegyptiens II Le mystegravere du verbe creacuteateur III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem 68IV Le laquo ka raquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totem V Rois de carnaval 0VI Sanctuaires de lrsquoancien empire 27

  • I Mystegraveres eacutegyptiens
  • II Le mystegravere du verbe creacuteateur
  • III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem
  • IV Le laquothinspkathinspraquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totemthinsp
  • V Rois de carnaval
  • VI Sanctuaires de lrsquoancien empire
  • Table des matiegraveres
Page 2: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006

copy Arbre drsquoOr Genegraveve juin 2007httpwwwarbredorcom

Tous droits reacuteserveacutes pour tous pays

Alexandre Moret

LES MYSTEgraveRES EacuteGYPTIENS

I

Mystegraveres eacutegyptIens

A cocircteacute des rites ougrave se formulait lrsquoadoration quotidienne des dieux les temples drsquoEacutegypte connaissaient des ceacutereacutemonies drsquoun caractegravere plus speacutecial drsquoune signifi-cation reacuteserveacutee agrave une eacutelite de precirctres et de spectateurs ceacuteleacutebreacutees dans des eacutedifices isoleacutes agrave des dates deacutetermineacutees ou agrave drsquoautres heures que celles du culte reacutegulier Les Grecs appelaient ces ceacutereacutemonies des laquo Mystegraveres raquo en langue eacutegyptienne le mot qui les deacutefinit le mieux semble ecirctre aihou qui a le sens vague de laquo cho-ses sacreacutees glorieuses profitables raquo Quand on accomplissait pour le compte drsquoun dieu ou drsquoun homme les rites capables de le transfigurer en ecirctre sacreacute laquo iahou raquo on laquo faisait les choses sacreacutees raquo siahou drsquoougrave la ceacuteleacutebration de ce que jrsquoappellerai apregraves les Grecs les laquo Mystegraveres eacutegyptiens raquo

Comment se repreacutesenter ces Mystegraveres Ce sont des rites ougrave srsquoassocient des paroles et des gestes des choses dites et mimeacutees dont lrsquoaction se complegravete reacuteci-proquement Jamblique qui a disserteacute sur les Mystegraveres des Eacutegyptiens nous dit 2 laquo Des choses qui srsquoaccomplissent pour le culte certaines ont une signification mysteacuterieuse et impossible agrave rendre par les paroles drsquoautres repreacutesentent (par al-leacutegorie) quelque autre image de mecircme que la nature exprime les formes visibles des raisons cacheacutees raquo Ainsi les Mystegraveres comportent des actes symboliques dont le sens est plus profond lrsquoaction plus efficace que les priegraveres reacuteciteacutees ou les dog-mes formuleacutes laquo La connaissance ou lrsquointelligence du divin ne suffit pas pour unir agrave Dieu les fidegraveles sans quoi les philosophes par leurs speacuteculations reacutealiseraient lrsquounion avec les dieuxhellip Crsquoest lrsquoexeacutecution parfaite et supeacuterieure agrave lrsquointelligence drsquoactes ineffables crsquoest la force inexplicable des symboles qui donnera lrsquointelli-gence des choses divines raquo

Autrement dit certains actes mimeacutes certaines alleacutegories ou images symboli-ques agiront par la vertu de la magie sympathique plus efficacement que toute priegravere ou seront plus utiles agrave connaicirctre que tout dogme

Crsquoest la formule funeacuteraire des stegraveles de la VIe dynastie laquo qursquoil soit consacreacute par lrsquoofficiant et lrsquoOut raquo2 I Jamblique eacutecrivait au deacutebut du ive siegravecle ap J-C Le livre de Jamblique sur les mystegraveres a eacuteteacute reacuteeacutediteacute aux eacuteditions arbredorcom en 2006 Jamblique De Mysteriis I

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Il nrsquoest pas douteux qursquoen Eacutegypte agrave lrsquoeacutepoque pharaonique de telles ceacutereacutemo-nies agrave sens symbolique aient eacuteteacute en usage Heacuterodote nous affirme qursquoil en fut spectateur

laquo A saiumls se trouve le tombeau de celui que je me fais scrupule de nommerhellip Sur le lac (du temple) les Eacutegyptiens font de nuit la repreacutesentation des souf-frances subies par Lui (τά δείκηλα τῶν παθέων αὐτοῦ) ils les appellent des Mystegravereshellip τὰ καλεῦσι μυστήρια Sur ces Mystegraveres qui tous sans exception me sont connus que ma bouche garde un religieux silencehellip raquo mdash Par conseacute-quent les mystegraveres connus drsquoHeacuterodote sont bien des rites joueacutes et mimeacutes dont la signification est symbolique et ne peut ecirctre reacuteveacuteleacutee en paroles qursquoagrave des initieacutes Nrsquoemployons-nous pas dans le mecircme sens le mot mystegravere pour deacutesigner soit laquo les drames mystiques raquo joueacutes dans les eacuteglises au moyen acircge soit les dogmes qui deacutepassent notre intelligence

Plutarque agrave son tour nous informe que des Mystegraveres ont eacuteteacute inventeacutes par Isis en lrsquohonneur drsquoOsiris

laquo Isishellip ne voulut pas que les combats et les traverses qursquoelle avait essuyeacutes que tant de traits de sa sagesse et de son courage fussent ensevelis dans lrsquooubli et le silence Elle institua donc des Mystegraveres (τελετοί) tregraves saints qui devaient ecirctre des images des repreacutesentations et des scegravenes mimeacutees des souffrances drsquoalors (εἰκὀνας καὶ ὑπονοίας καὶ μιμημὰ τῶν τότε παθημάτων) pour servir de leccedilon de pieacuteteacute et de consolation pour les hommes et les femmes qui passeraient par les mecircmes eacutepreuves raquo

Ainsi drsquoapregraves Heacuterodote et Plutarque les plus importants des Mystegraveres eacutegyp-tiens se rapportent au culte drsquoOsiris

En effet aux dates critiques de la leacutegende osirienne la mort lrsquoensevelisse-ment la reacutesurrection du dieu de grandes fecirctes dramatiques eacutetaient ceacuteleacutebreacutees El-les neacutecessitaient de nombreux figurants et une mise en scegravene importante on les jouait partie en plein air devant le grand public partie agrave lrsquointeacuterieur des temples et parfois dans des eacutedifices speacuteciaux les laquo chapelles drsquoOsiris raquo

Nous allons donner des exemples de ces deux cateacutegories de Mystegraveres les uns joueacutes en public les autres vraiment secrets

Aucun monument ne nous a encore apporteacute la repreacutesentation directe la mise

II 70 Cf Sourdille Heacuterodote et la religion de lrsquoeacutegypte p 28 Lrsquoauteur croit agrave tort que ce que Heacuterodote appelle laquo Mystegraveres raquo est une importation des Grecs en Eacutegypte (p ) De iside et Osiride 27 Reacuteeacuted arbredorcom 2002

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

en scegravene de la mort drsquoOsiris cependant celle-ci nous est figureacutee agrave lrsquoeacutetat alleacutego-rique dans une fecircte de la veacutegeacutetation ou fecircte de la gerbe qursquoon ceacuteleacutebrait le er Pachons 6

Figure Fecircte de la gerbe Ramsegraves III tranche la gerbe et sacrifie le taureau blanc

Le roi mimait la mort drsquoOsiris dieu de la veacutegeacutetation 7 en coupant de sa fau-cille une gerbe et en immolant un taureau blanc consacreacute agrave Min dieu de lrsquoeacutener-gie feacutecondante Ce taureau divin est une des formes drsquoOsiris 8 sa mort et le deacutemembrement des eacutepis se rattachent eacutevidemment aux rites agraires en usage chez bien des peuples

Apregraves la moisson exactement le 22 Thot se jouait un autre Mystegravere celui de lrsquoensevelissement drsquoOsiris Nous le connaissons par une inscription de la XIIe dy-nastie la stegravele du precirctre Igernefert 0 Au temps du roi Senousrit III Igernefert

6 La fecircte est figureacutee au Ramesseum (Ramsegraves II) et agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) Cf Wilk-inson Manners and Customs III2 pl LX Daressy notice de Meacutedinet-Habou p 2 et suiv Lefeacutebure sphinx VIII p Pour le nom de la Fecircte cf pyr de teli I 287 Sur cette interpreacutetation cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 2 sq8 Osiris est la laquo grande victime raquo le taureau du sacrifice Pour le bleacute cf Lacau Textes religieux ap Recueil XXXI p 20 sur un sarcophage du Moyen Empire un deacutefunt dit laquo Je suis Osi-rishellip je suis Neper (le dieu du bleacute) coupeacute raquo Voir les textes reacuteunis par J Frazer Le rameau drsquoor II que je cite au chapitre rois de Carnaval0 Stegravele ndeg 20 de Berlin cf H Schaeligfer Die Osirismysterien in Abydos 0 Les textes si-milaires y sont citeacutes

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

reccedilut lrsquoordre de preacuteparer la fecircte drsquoOsiris dans le temple drsquoAbydos la ville sainte du dieu des morts On appelait ce Mystegravere la fecircte de la pert acircat laquo grande sortie raquo ou laquo grande procession funegravebre raquo il eacutetait joueacute par la famille mecircme du dieu Isis Nephthys Thot Anubis et Horus Igernefert assume le tocircle principal ce-lui drsquoHorus fils drsquoOsiris il preacutepare lui-mecircme les accessoires augustes parmi lesquels se remarquait une barque portative avec cabine en bois de sycomore et drsquoacacia incrusteacute drsquoor drsquoargent et de lapis-lazuli A lrsquointeacuterieur on installe une statue drsquoOsiris en bois Igernefert srsquoacquitte en personne du soin drsquoorner le corps drsquoOrisis drsquoamulettes en lapis-lazuli malachite eacutelectrum puis il habille lui-mecircme le dieu et le revecirct de ses couronnes et de ses sceptres en ses fonctions de laquo chef du Mystegravere raquo herj seshta 2 il se charge en outre des rocircles de laquo sacrificateur raquo et de laquo servant raquo

Quant agrave la ceacutereacutemonie elle-mecircme voici comment lrsquoinscription la deacutecrit Une procession se forme car le meurtre drsquoOsiris est censeacute accompli et son

corps rejeteacute sur la rive du fleuve On porte donc la barque vers le lieu de nadit ougrave gicirct le corps drsquoOsiris (que cette localiteacute fucirct ou non dans le voisinage drsquoAby-dos elle est supposeacutee lrsquoecirctre pour lrsquoaction dramatique ) Anubis en sa qualiteacute de chien cherche le cadavre et le trouve mais quand il srsquoagit de mettre dans la barque le corps du dieu une bataille srsquoengage entre les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth les Osiriens sont vainqueurs et eacutecrasent leurs adversaires

Le cortegravege funegravebre se forme autour du cadavre divin processionnellement on suit Osiris vers la barque preacutepareacutee et ameneacutee par Igernefert On met agrave lrsquoeau la barque et Thot la dirige vers le tombeau du dieu agrave repeqer

Pendant ce temps Horus continue la lutte contre les ennemis drsquoOsiris sur la rive de Nadit apregraves un combat acharneacute il reste vainqueur

A Repeqer mecircme Horus confirme le triomphe drsquoOsiris Une statue habilleacutee et pareacutee remplace lrsquoimage cadaveacuterique du dieu Triomphalement dans lrsquoalleacutegres-

Le grand deuil μέγα πένθος (deacutecret de Canope I 7)2 Drsquoapregraves le rituel de lrsquoembaumement (Maspero papyrus du Louvre p ) lors des veacuteritables funeacuterailles drsquoOsiris crsquoest Anubis qui aurait rempli ce rocircle de laquo chef du Mystegravere raquo Anpou herj seshta Schaeligfer p 6-8 En reacutealiteacute nadit semble ecirctre une localiteacute de la Basse-Eacutegypte Du moins un texte dateacute de Sabacon mais reacutedigeacute au moins sous la XVIIIe dynastie (J Breasted Aegyptische Zeitschrift XXXIX p ) affirme que crsquoest en Basse-Eacutegypte que le corps drsquoOsiris a eacuteteacute immergeacute dans le Nil laquo Jrsquoai organiseacute la sortie drsquoOupouatou quand il alla pour venger son pegravere jrsquoai combattu les adversaires de la barque neshemt et jrsquoai renverseacute les ennemis drsquoOsiris raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se de tous les habitants de lrsquoEst et de lrsquoOuest la barque revient agrave Abydos le dieu rentre dans son temple et srsquoinstalle sur son trocircne au milieu de sa cour divine

La repreacutesentation de la Passion et de la Mort drsquoOsiris srsquoaccompagnait certai-nement de la Reacutesurrection du dieu Or dans la grande Procession et la fecircte de la Moisson nous ne voyons pas figureacutes les rites qui provoquent cette reacutesurrection drsquoOsiris crsquoest pourtant le nœud du drame sacreacute Sans doute cet acte reacuteputeacute secret se jouait-il hors de la vue du public aussi nrsquoest-il pas reacuteveacuteleacute par les ins-criptions et les tableaux On peut supposer que la curiositeacute du peuple se tenait satisfaite du deacutenouement du drame puisqursquoOsiris est rameneacute triomphant dans son temple crsquoest qursquoeacutevidemment il a vaincu Seth il srsquoest releveacute de la mort A Meacute-dinet-Hahou on proclame lrsquoavegravenement au trocircne drsquoHorus fils drsquoIsis et drsquoOsiris crsquoest dire qursquoOsiris est ressusciteacute sous la forme de son fils 6 De mecircme Osiris ne mourait pas avec le bleacute moissonneacute le vieux dieu de la veacutegeacutetation allait renaicirctre au printemps avec le bleacute nouveau 7

Toutefois agrave certaines dates le grand public assistait au triomphe drsquoOsiris que symbolisaient des ceacutereacutemonies moins secregravetes telles que lrsquoeacuterection du Ded et la fecircte sed drsquoOsiris

La premiegravere est repreacutesenteacutee dans un tombeau theacutebain datant du regravegne drsquoAmeacute-nophis III (XVIIIe dynastie) Le dieu de Busiris a souvent comme feacutetiche un pilier agrave quadruple chapiteau celui-ci repreacutesente probablement quatre colonnes vues lrsquoune derniegravere lrsquoautre selon les regravegles de la perspective eacutegyptienne ou peut-ecirctre un tronc drsquoarbre eacutebrancheacute devenu par stylisation Ce pilier est parfois surmonteacute drsquoun chef couronneacute muni drsquoyeux et de bras qui tiennent les sceptres canoniques (fig 2)

6 A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 07 Voir plus loin rois de Carnaval p 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Seti Ier redresse lrsquoOsiris-ded et lrsquohabille

Coucheacute agrave terre il signifiait qursquoOsiris gisait mort releveacute et redresseacute il sym-bolisait la reacutesurrection du dieu Aussi agrave la fecircte de redresser le Ded (sacirchacirc Ded) voyons-nous le roi lui-mecircme tirer sur les cacircbles qui permettent de relever le feacutetiche en preacutesence de la reine des officiers royaux et de la cour Les leacutegendes attestent que ce pilier nrsquoest autre que le dieu mort sokaris-Osiris dont on avait repreacutesenteacute les jours preacuteceacutedents les funeacuterailles

Au-dessous des precirctres et du roi les habitants de pe et de Dep dansent ges-ticulent luttent et eacutechangent des coups de poing crsquoest la population de Bouto lrsquoancien royaume drsquoOsiris 8 Rappelons-nous les luttes que deacutecrit Heacuterodote laquo A Busiris lors de la fecircte drsquoIsis on voit se frapper apregraves le sacrifice tous les hommes ainsi que toutes les femmes en nombre prodigieux raquo

Nous voilagrave donc en preacutesence de jeux sceacuteniques illustrant un Mystegravere Les lut-teurs sont les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth ils en viennent aux mains pour soutenir chacun leur dieu Quelques textes conserveacutes deacutefinissent les gestes des personnages Lrsquoun crie laquo jrsquoai saisi Horus raquo un autre laquo que la main tienne ferme raquo un autre laquo frappe raquo Enfin quatre troupeaux de bœufs et drsquoacircnes faisaient quatre fois le tour du mur de la ville que figuraient-ils sinon les animaux drsquoOsiris et de Seth qui srsquoopposent Peut-ecirctre la fecircte se terminait-elle par la mise agrave mort des acircnes qui est rituelle dans des fecirctes analogues Ainsi une ville entiegravere se mobilise et srsquoagite becirctes et gens pour la reacutealisation drsquoune scegravene du mythe osirien 20

8 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 II 6 cf II 220 Brugsch Thesaurus inscriptionum aegyptiacarum p 0-8 mdash Ad Erman La religion

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Fecircte de lrsquoeacuterection du Ded au matin de la fecircte Sed

Le triomphe drsquoOsiris se proclamait encore publiquement agrave la fecircte Sed ougrave lrsquoon installait dans un naos agrave deux siegraveges une double effigie drsquoOsiris en costume de roi de la Haute et de la Basse-Eacutegypte Par devant le dieu flottait sur un piquet une peau drsquoanimal typhonien sacrifieacute

Crsquoest la neacutebride ou peau qui sert drsquoenveloppe out 2 au dieu Anubis qursquoon appelle agrave cause de cela im-out laquo celui qui est dans Out raquo Anubis srsquoaffuble de cette

eacutegyptienne p 7 mdash A Moret sarcophages de lrsquoeacutepoque bubastite agrave lrsquoeacutepoque saiumlte pl IV (Caire 00 bis)2 Le sens originel de out drsquoapregraves la neacutebride doit ecirctre laquo peau raquo et peut-ecirctre laquo vulve raquo (Parthey Vocabularium coptico-latinum s V p 2) aussi est-il deacutetermineacute parfois par lrsquoœuf Par ex-tension out deacutesigne lrsquoappareil de lrsquoensevelissement les bandelettes drsquoune momie (cf Brugsch W s p 2 et suiv sinouhit I 2 Maspero Contes populaires e eacuted p ) Le precirctre drsquoAnubis qui joue les rites de la peau drsquoAnubis pour le compte des deacutefunts ou du dieu en laquo habille raquo les deacutefunts il srsquoappelle lui-mecircme out lrsquoout drsquoAnubis (pyr de teacuteti I 6) Cf Lacau textes religieux (ap recueil XXX p 70) laquo Horus te purifie Out trsquohabille raquo variante laquo Anubis trsquoa consacreacute avec sa peau out raquo Lrsquoout apparaicirct degraves lrsquoeacutepoque preacutehistorique cf Petrie royal tombs II pl 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

peau pour les rites que jrsquoexpliquerai plus tard Lui et un precirctre revecirctu la de peau de panthegravere lrsquoiounmoutef font exeacutecuter au dieu triomphant divers rites que les rois drsquoEacutegypte imitaient lors de jubileacutes appeleacutes fecirctes de la queue (Sed) il en sera aussi question plus loin Enfin lrsquoeacuterection de deux obeacutelisques attestait par un symbolisme comparable agrave celui de lrsquoeacuteleacutevation du Ded redresseacute la stabiliteacute du dieu vainqueur 22 Cette fecircte tregraves solennelle commeacutemorait devant le peuple en-tier le triomphe de lrsquoEcirctre Bon

Figure La neacutebride devant Osiris

Au cours de ces drames mimeacutes avec le concours du populaire srsquointercalaient certaines ceacutereacutemonies laquo secregravetes raquo que tout Mystegravere comprend par deacutefinition Tout ce qui se ceacuteleacutebrait agrave ciel ouvert et en public nrsquoeacutetait qursquoun moyen de popu-lariser les peacuteripeacuteties de la vie drsquoOsiris sa mort sa passion son triomphe Quant aux rites qui assuraient infailliblement la reacutesurrection du dieu on ne les ceacuteleacutebrait qursquoagrave lrsquointeacuterieur du sanctuaire dans des locaux fort reacuteduits par les soins de precirc-tres speacuteciaux et de quelques laiumlques initieacutes et instruits des choses divines Qursquoil y ait eu dans le culte une partie laquo secregravete raquo et laquo reacuteserveacutee aux initieacutes raquo cela nrsquoest point douteux 2 Degraves les temps de lrsquoAncien Empire on nous parle des laquo rites

22 La fecircte sed drsquoOsiris est souvent repreacutesenteacutee sur les cercueils agrave partir du Nouvel Empire Cf les tableaux reproduits par G Moumlller (Aegyptische Zeitschrift XXXIX pl IV et V A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 27 et Chassinat sarcophages de Deir-el-Bahari I pl V2 Ceci explique la division en deux parties des temples degraves les temps les plus anciens Cf le dernier chapitre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sacreacutes ceacuteleacutebreacutes conformeacutement agrave ce livre secret de lrsquoart de lrsquoofficiant 2 raquo ceux qui le connaissaient se disaient laquo chefs du secret ou du Mystegravere raquo herj seshta agrave lrsquoexemple du dieu Anubis inventeur des rites de la momification et de la reacutesur-rection qui eacutetait par excellence le laquo chef du Mystegravere 2 raquo Chaque dieu chaque culte avait son laquo Mystegravere raquo et les precirctres qui leur eacutetaient affecteacutes posseacutedaient seuls ce laquo Mystegravere du dieu raquo ou ce laquo Mystegravere des paroles divines raquo En particulier les Mystegraveres des funeacuterailles srsquoappelaient laquo les choses drsquoAbydos 26 raquo La tradition est si bien eacutetablie agrave ce sujet que Jamblique au livre des Mystegraveres (VI et 7) rappelle en termes analogues laquo les choses secregravetes drsquoAbydos raquo τὰ ἀπόρρητα τὰ κρύπτὰ

ἐν Άϐύδῳ

Les monuments nous montrent que des rites secrets rappelaient chaque jour les peacuteripeacuteties de la passion et de la reacutesurrection drsquoOsiris

Dans les grands temples ptoleacutemaiumlques qui sont parvenus jusqursquoagrave nous intacts ou peu srsquoen faut agrave Edfou Dendeacuterah et Philaelig on a retrouveacute les salles affecteacutees agrave la ceacuteleacutebration des Mystegraveres journaliers Elles sont releacutegueacutees dans les parties du sanctuaire dont lrsquoaccegraves est difficile ou interdit au public A Philaelig il existe un petit temple drsquoOsiris composeacute de deux chambres sur le toit en terrasse de lrsquoeacutedifice mais les rites journaliers sont deacutecrits par des tableaux graveacutes sur les faces des architraves du pronaos 27 A Dendeacuterah deux petits eacutedifices ont eacuteteacute consa-creacutes sur la terrasse du temple aux Mystegraveres drsquoOsiris lrsquoun drsquoeux que Manette appelle la chapelle drsquoOsiris du Sud est reacuteserveacute au culte journalier A Edfou deux chambres voisines du sanctuaire sont deacutedieacutees agrave Osiris-Sokaris Edfou a surtout conserveacute les textes des formules reacuteciteacutees mais Philaelig et Dendeacuterah srsquoils nous donnent moins de textes nous ont gardeacute des bas-reliefs ougrave sont figureacutes les personnages en scegravene et leurs gestes

2 J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl XXII (VIe dynastie) Mecircmes expressions ap Mariette Mastabas p Lepsius Denkm II 72 Mastabas p 7 Au rituel de lrsquoembaume-ment on cite les laquo livres secrets des rites raquo (Maspero papyrus du Louvre p 8 Virey religion p 278)2 Voir plus haut p n Le titre laquo chef du Mystegravere raquo nrsquoest drsquoailleurs pas speacutecialiseacute aux choses divines Tout office ou meacutetier pouvait ecirctre en Eacutegypte quelque peu secret en dehors des gens de meacutetier de mecircme que dans notre moyen acircge lrsquoart et mystegravere de tel ou tel meacutetier comportait des secrets bien gardeacutes Mais cette geacuteneacuteralisation du sens du titre herj seshta nrsquoimplique pas qursquoil ne puisse deacutesigner parfois les officiants preacuteposeacutes aux rites secrets26 VI et 7 Lrsquoexpression apparaicirct au tombeau de Neherj agrave Beacuteni-Hasan (Lepsius Denkm II 27) Le deacutefunt est repreacutesenteacute laquo naviguant pour connaicirctre ce qui concerne Abydos raquo crsquoest-agrave-dire les rites drsquoAbydos (hent r reh hert ibdou)27 Beacuteneacutedire philaelig IIe fasc p 7-2 et pl LI-LVIII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Le deacutecor comporte une statue drsquoOsiris enveloppeacute du maillot funeacuteraire un lit sur lequel la momie divine est eacutetendue diffeacuterents accessoires tels que couronnes sceptres armes des vases pleins drsquoeau beacutenite pour les libations des cassolettes drsquoencens et de myrrhe pour les fumigations 28

Le personnel se compose de precirctres qui jouent les rocircles de la famille osirienne Sont preacutesents Shou Geb le pegravere et lrsquoaiumleul drsquoOsiris Horus son fils Anubis Thot ses fregraveres ou parents et les enfants drsquoHorus les deacuteesses Isis et Nephthys femme et sœur drsquoOsiris et drsquoautres deacuteesses qui remplissent le rocircle de pleureuses A cocircteacute de ces precirctres acteurs il y avait les precirctres reacutecitants qui disaient les for-mules ce sont lrsquoofficiant qui reacutecite les textes le servant qui exeacutecute les rites tels que libations fumigations et qui manie les instruments magiques le prophegravete qui participe aux libations le grand voyant admis agrave voir le dieu

Les textes insistent sur le fait qursquoil y a une garde une faction monteacutee pendant les 2 heures du jour et les 2 heures de la nuit par les diviniteacutes eacutenumeacutereacutees laquo Elles veillent sur lui tout le jour elles gardent son corps constamment elles veillent sur lui lorsque la nuit vient et gardent ses membres jusqursquoau matin raquo Elles se chargent aussi laquo drsquoeacutecarter les ennemis de la couche funegravebre raquo Pour cela les diffeacuterents dieux laquo ont partageacute le jour et la nuit en heures 2 raquo et lrsquoun drsquoentre eux laquo prend la garde raquo chaque heure du jour et de la nuit Pendant que le dieu de service surveille lrsquoentreacutee possible des adversaires les autres exeacutecutent divers rites qursquoil nous faut maintenant exposer

Le drame comprend vingt-quatre scegravenes qui se succegravedent chaque heure de la nuit et du jour il commence agrave la premiegravere heure de la nuit (6 h du soir) et se termine agrave la derniegravere heure du jour suivant ( agrave 6 h du soir 0) De la premiegravere

28 Les deux chapelles drsquoOsiris agrave Dendeacuterah sont deacutecoreacutees de reliefs qui figurent ces divers acces-soires et statuettes (Cf Mariette Dendeacuterah t IV Budge Osiris II p 2 sq)2 II Junker Die studenwachen in den Osirismyrerien (Akad der Wiss Wien philos-hist Klas-se B LIV 0) p 2 et 0 M Junker dans sa remarquable publication des textes de Philaelig Edfou Dendeacuterah donne drsquoabord les 2 heures du jour suivies des 2 heures de la nuit Il nrsquoa pas remarqueacute que lrsquoordre des ceacutereacutemonies srsquooppose agrave ce classement Les rituels des Pyramides et ceux de lrsquooup-ra commen-cent par les libations et fumigations puis viennent le sacrifice des victimes la reacutesurrection du dieu les hymnes drsquoadoration et agrave la lin la fermeture des portes Crsquoest bien lrsquoordre observeacute ici agrave condition de commencer non par les heures du jour mais par celles de la nuit On sait drsquoailleurs que chez les Eacutegyptiens on compte les 2 heures drsquoune journeacutee complegravete agrave partir du soir agrave 6 heures (cf Ed Mahler eacutetudes sur le Calendrier eacutegyptien ap Museacutee Guimet Bibliothegraveque drsquoeacutetudes t XXIV p 7) Jrsquoobserverai donc pour ce reacutesumeacute des rites osiriens un ordre qui est lrsquoinverse de celui suivi par M Junker

Les Mystegraveres eacutegyptiens

heure agrave la derniegravere il y a progression dans le rite qui aboutit par eacutetapes agrave la reacute-surrection du dieu Cependant cette progression est peu sensible pour la raison suivante chaque heure est traiteacutee sceacuteniquement comme un petit drame com-plet ougrave le dieu passe successivement de la mort agrave la reacutesurrection Au deacutebut de chaque heure le dieu de garde entre avec ses comparses ils font agrave Osiris tel ou tel rite libation fumigation preacutesentation drsquooffrandes Vers le milieu de lrsquoheure on crie laquo Legraveve-toi reacuteveille-toi Osiris tu es triomphant Osiris tes ennemis sont renverseacutes raquo Malgreacute la proclamation de ce triomphe Isis nrsquoen reprend pas moins ses lamentations sur la mort de son eacutepoux et ses promesses de reacutesurrection Il semble que pour chaque heure il y ait un point de deacutepart qui est la mort du dieu un moment de triomphe sa reacutesurrection et un deacuteclin progressif qui ramegravene le dieu agrave sa deacutetresse premiegravere Puis les rites et les formules de lrsquoheure suivante tirent agrave nouveau Osiris de sa deacutetresse pour lrsquoy plonger derechef agrave la fin de la scegravene

Pour donner une ideacutee drsquoensemble de ce Mystegravere osirien il faut grouper les actes et les paroles Voici alors quelle description scheacutematique je pourrais preacute-senter

Les lamentations des pleureuses Isis et Nephthys deacutefinissent tout drsquoabord non sans eacuteloquence la deacutetresse du dieu laquo O Osiris je suis ta sœur Isis jrsquoai parcouru pour toi les chemins de lrsquohorizon je parcours la route du (soleil) Brillant hellip Jrsquoai traverseacute les mers jusqursquoaux frontiegraveres de la terre cherchant le lieu ougrave eacutetait mon seigneur 2 jrsquoai parcouru nadit dans la nuit jrsquoai chercheacutehellip celui qui est dans lrsquoeauhellip dans cette nuit de la grande deacutetresse Jrsquoai trouveacute le noyeacute de la terre de la premiegravere fois (sur cette rive de Nadit)hellip (var) sur cette rive nord drsquoAbydos Jrsquoai crieacute jusqursquoau ciel et jusqursquoaux habitants de lrsquoHadegraveshellip Mes doigts ont habilleacute (son corps) nu jrsquoai embrasseacute ses membres hellip Jrsquoai donneacute des souffles agrave sa narine pour qursquoil vive et que son gosier srsquoouvre en ce lieu sur la rive de Nadit en cette nuit du grand Mystegravere (seshta our )

laquo Je viens pour te pleurer ocirc grand dieu je pleure et je crie sur les hauteurs de Nadit Busiris se lamente 6 je trsquoamegravene tous les cœurs dans le deuil et lrsquoon te fait les grands rites (siaḫou ourou 7)

2e heure du jour2 2e heure de la nuit re heure du jour Chercheacute trouveacute mots sacramentels qui deacutesignent les phases de la quecircte du corps divin Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 87 2e heure de la nuit re heure du jour6 2e heure du jour7 2e heure de la nuit

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo O vous dieux pegraveres deacuteesses megraveres lamentez-vous de ce que vous voyez lamentez-vous de ce que vous entendez il vient celui qui vient dans la nuit il vient mon seigneur dans la nuit Geb lui amegravene les dieux ils le portent comme leur seigneur vers une place pure du ciel Allons pleurons-le lamentons-nous pleurons-le car il est abandonneacute Je viens et je me lamente dans mon cœur je pleure mes larmes moi ta sœur au cœur meurtri ta femme malade de dou-leurhellip8 raquo

Ces lamentations que nous connaissons aussi sous une forme plus litteacuteraire et plus complegravete par un papyrus conserveacute au museacutee de Berlin eacutetaient exeacutecuteacutees par des femmes agenouilleacutees sachant pleurer et deacutenouer leurs chevelures comme nrsquoont pas leurs pareilles les pleureuses drsquoOrient

Ainsi que le promettaient les Lamentations des dieux peacutenegravetrent dans le laquo lieu pur raquo (ouacircbt) ougrave gicirct Osiris mort ceux dont le rocircle est le plus actif sont Horus le fils du dieu deacutefunt Anubis son fregravere ou son parent Thot son allieacute Ils sont por-teurs drsquoinstruments magiques tels que cette baguette en forme de serpent qursquoon appelle laquo la grande magicienne raquo et lrsquoherminette drsquoAnubis Ils apportent aussi des vases pleins drsquoeau fraicircche de lrsquoencens et sept sortes de fards et drsquohuiles pour des onctions Les rites commencent parles libations et les fumigations

A six heures du soir on apporte un vase drsquoeau fraicircche Cette eau vient du Nil or le Nil est un eacutecoulement de lrsquooceacutean primordial le noun ougrave gisaient avant la creacuteation les germes de toutes choses et de tous les ecirctres 0 Le reacutecitant qui ap-porte le vase dit emphatiquement laquo Voici votre essence ocirc dieux le noun qui vous fait vivre en son nom de Vivanthellip Cette eau trsquoenfante comme racirc chaque jour elle te fait devenir comme Chepra 2 raquo En effet Racirc ou Chepra eacutetait sorti le pre-mier des dieux du noun au deacutebut du monde par la force de la libation Osiris renaicirct donc du noun primordial comme naquit Racirc au jour de la creacuteation

Degraves lors Osiris ne reste plus sur terre laquo il passe (au ciel) avec son Ka raquo com-me font les autres dieux Et lrsquoassistance srsquoexclame laquo Oh combien purs combien beaux sont ces rites mysteacuterieux drsquoOsiris Ounnefer raquo On brucircle alors lrsquoencens

8 6e heure de la nuit Voir dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 le texte du vocero drsquolsis drsquoapregraves le papyrus de Berlin0 re de la nuit p 66-67 Cf Au temps des pharaons p 28 et plus loin p 02 P 67-68 Le mort osirien renaicirct du noun (pyr drsquoOunas I 200) P 6 P 7

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo le parfum qui divinise raquo et lrsquoofficiant et la grande pleureuse alternent en paroles solennelles

Lrsquoofficiant laquo Le ciel se reacuteunit agrave la terre raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Lrsquoofficiant laquo Le dieu vient Rendez hommage raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Et ils frappent leurs tambourinsLrsquoofficiant et la pleureuse ensemble laquo La terre et le ciel sont en joie et se reacutejouis-

sent raquolaquo Notre seigneur est dans sa maison et il nrsquoa plus de crainte raquo ( fois)La deuxiegraveme libation apporteacutee agrave la 2 heure de la nuit est lrsquoeau fraicircche laquo qui

vient de ce pays raquo (et non du Noun) laquo elle suscite toutes les choses que donne ce pays 6 raquo et Osiris gracircce agrave elle laquo vivra de toutes les choses qursquoil peut aimer 7 raquo

La troisiegraveme libation a pour effet que laquo le dieu passe vers son pays dans ce lieu ougrave il a eacuteteacute enfanteacute et ougrave il est neacute de Racirc et ougrave chacun des dieux passe sa vieillesse avec ses enfants ainsi vont-ils au pays ougrave ils sont neacutes cette terre primordiale ougrave ils sont neacutes de Racirc ougrave ils vivaient eacutetant petits ougrave ils sont devenus adolescents crsquoest lagrave que tu es neacute que tu as grandi que tu deviendras vieux sain et sauf Prends cette eau qui vient de ce pays 8 raquo

La quatriegraveme libation est lrsquoeau fraicircche sortie drsquoEleacutephantine qui rafraicircchit et met en joie le cœur des dieux

Les autres libations et fumigations qui occupent les heures suivantes ne font que confirmer les reacutesultats deacutejagrave obtenus

Ces premiers rites accomplis les dieux exeacutecutent sur le corps drsquoOsiris une seacuterie de miracles qui se reacutepartissent sur les diffeacuterentes heures de la nuit et du jour

Mystegravere de la reconstitution du corps Osiris avait eacuteteacute deacutemembreacute par Seth Mais Isis et Nephthys ont retrouveacute chacun des lambeaux divins laquo elles mettent en ordre le squelette elles purifient les chairs reacuteunissent les membres seacutepareacutes 0 raquo puis la tecircte du dieu est assujettie sur le corps Les bras drsquoIsis et drsquoHorus entou-

P 7-726 P 77 P 808 P 87 P 0 e heure de la nuit p 8 2e heure du jour p 8-

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rent alors le cadavre reconstitueacute et le raniment par des passes magneacutetiques qui rappellent lrsquoacircme

Mystegravere du corps revivifieacute Avec lrsquoeau sainte qui donne la vie et la force et les nombreux fards et huiles preacutesenteacutes pendant les douze heures du jour on fait des onctions sur la bouche les yeux les oreilles et les diffeacuterents membres du corps reconstitueacute 2 Drsquoautre part la laquo grande magicienne raquo touche les mecircmes organes Ainsi la bouche les yeux les oreilles peuvent respirer parler et manger voir entendre les bras peuvent agir et les jambes marcher Crsquoest un miracle ducirc agrave la magie qui en imitant les mouvements propres agrave chaque membre ou agrave chaque organe a susciteacute le reacuteveil des fonctions dans chacun drsquoeux

Ces rites qui preacuteparent la renaissance du cadavre osirien nrsquoempecircchent point lrsquoemploi de pratiques ou de formules qui preacutevoient la renaissance par drsquoautres moyens

Mystegravere de la renaissance veacutegeacutetale A la e heure du jour on suppose que le corps rassembleacute momifieacute drsquoOsiris est enterreacute agrave Busiris Crsquoest ce qursquoon appelle laquo se reacuteunir agrave la terre agrave Busiris raquo Dans la terre se passait le mystegravere de la renais-sance veacutegeacutetale crsquoest-agrave-dire de la reacutesurrection drsquoOsiris compareacutee agrave la renaissance annuelle de la veacutegeacutetation Sur ces rites le culte journalier ne donne point de deacutetails mais nous les trouvons deacutecrits agrave Dendeacuterah dans le reacutecit des grandes fecirctes de Choiak 6

Mystegravere de la renaissance animale Dans cette mecircme e heure du jour on an-nonce agrave Osiris un autre mode de renaissance des victimes vont ecirctre ameneacutees et sacrifieacutees agrave la porte de lrsquoouacircbt (e et 6e heures du jour) Leur peau qui suivant les textes est la peau de Seth lrsquoadversaire 7 va servir de linceul pour envelopper Osiris crsquoest un laquo berceau raquo de peau (meshent 8) ougrave le dieu renaicirctra comme un enfant ou un animal laquo Salut agrave toi dit Isis Voici ta meshent la maison ougrave le ka divin renouvelle la vie raquo La peau assez souvent est celle drsquoune vache (le cette faccedilon on eacutevoque nout deacuteesse-vache du ciel megravere drsquoOsiris qui enfantera le

e heure de la nuit p 208 2e heure du jour p 2 e heure de la nuit p 0 2e heure du jour p 0 re heure du jour p Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 6 e heure du jour p 6 Traduit par V Loret recueil de travaux III-V Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 807 Junker p cf Maspero pap du Louvre p 08 Sur meshent (variantes meska mesi mesqet) cf Lefeacutebure proceedings s B A XV p et suiv et sphinx VIII p 7 Meshent est le nom drsquoune diviniteacute de lrsquoaccouchement e heure du jour p 0

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Veau-Soleil auquel Osiris est compareacute 60 Aussi agrave la e heure du jour dira-t-on agrave Osiris eacutetendu sous la peau que laquo sa megravere Nout srsquoapproche de lui et lui parle Oh relegraveve-toi mon seigneur dit la megravere Nout Me voici pour te proteacuteger je mrsquoeacutetends sur toi en mon nom laquo mystegravere du ciel 6 raquo

Le dieu qui preacuteside agrave ces rites est Anubis celui qui a pour insigne la neacutebride la peau de becircte attacheacutee agrave un pieu crsquoest lui qui dirige le sacrifice des victimes dont la peau sera le berceau drsquoOsiris renaissant Drsquoapregraves le Livre des Morts Anu-bis ne se contentait pas de faire passer Osiris par la peau-berceau Lui-mecircme (ou le precirctre qui jouait son rocircle) laquo passait sur raquo la peau 62 coucheacute il y prenait comme nous le verrons plus loin lrsquoattitude replieacutee du fœtus dans la matrice On croyait que les charmes de la magie imitative rendaient efficace ce simulacre de gesta-tion quand Osiris (et Anubis qui srsquoest substitueacute agrave lui) laquo sortent raquo sur la peau ils renaissent comme srsquoils sortaient du sein maternel Drsquoapregraves une autre tradition Horus fils drsquoOsiris traversait aussi la meshent pour son pegravere Les rituels anciens nous apprennent qursquoHorus passait encore au nom de son pegravere sur une autre peau-berceau le shedshed dont il sera question plus loin Mais dans les textes que nous analysons crsquoest Anubis et la meshent qui sont lrsquoun lrsquoagent lrsquoautre le berceau de la renaissance drsquoOsiris

A la 6e heure du jour on constate que laquo sa megravere Nout lrsquoa conccedilu en son temps et lrsquoa enfanteacute suivant le greacute de son cœur 6 raquo Pour attester cette reacutesurrection on eacuterige le pilier feacutetiche drsquoOsiris On ne fait ici que rappeler le souvenir de cette ceacutereacutemonie nous avons vu plus haut avec quel eacuteclat on la ceacuteleacutebrait le jour de la fecircte laquo drsquoeacuteriger le pilier raquo

A midi Osiris ressuscite en mecircme temps le soleil agrave son point culminant de midi eacutecarte les esprits des teacutenegravebres Pendant les six derniegraveres heures du jour les dieux de garde adorent Osiris et lui disent laquo Eacuteveille-toi en paix 6 raquo Le roi en per-sonne apparaicirct un instant agrave la e heure et apporte des offrandes (per-hrou ) A la 2e heure du jour lrsquooffice est termineacute on allume les lampes (pour eacutecarter les esprits des teacutenegravebres car il est six heures du soir) et on ferme les portes non sans avoir dit des paroles encourageantes au dieu laquo En paix Osiris Ah comme ces chants sont joyeux Comme ces femmes sont bonnes pour ton ka Que tu es

60 A Moret rituel de culte divin p208 Cf Sethe pyr II p 776 Junker p -662 Todtenbuch ch xvii (eacuted Naville II p 60 mdash Cf eacuted Budge eh clxxvi p 60) Voir agrave ce sujet Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (p s B A XV p )6 6e heure du jour p 76 0e heure du jour p 6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

beau beau dans ton repos Oh toi qui vis ta femme vient trsquoembrasser salut agrave toi acircme des dieux 6 raquo

Ce qui reste dans la chapelle nrsquoest drsquoailleurs que le corps divin Deacutejagrave lrsquoacircme drsquoOsiris ressusciteacute est partie pour le Ciel mais le corps comme lrsquoacircme jouissent deacutesormais de tous les privilegraveges des dieux

Ces privilegraveges sont deacutefinis par une eacutepithegravete qui revient comme un refrain au milieu de chaque heure laquo Tu es macirc-hrou Osiris chef de lrsquooccident 66 raquo Cette eacutepithegravete reacutesume un pouvoir miraculeux des ecirctres diviniseacutes par les rites Leur voix dans leur bouche quand elle profegravere des sons inarticuleacutes et agrave plus forte raison quand elle eacutemet des paroles ayant un sens deacutetermineacute a ce pouvoir creacuteateur que les Eacutegyptiens attribuaient au Verbe du Dieu deacutemiurge 67 La parole creacuteatrice permet au dieu de reacutesoudre toutes les difficulteacutes de deacutejouer toutes les ruses de preacutevenir tous les dangers par la faculteacute de creacuteer immeacutediatement ce qui est neacutecessaire en toute circonstance Gracircce agrave ces deux miracles permanents de la voix creacuteatrice (macirc-hrou) et de la voix productrice drsquooffrandes (per-hrou) le dieu pouvait seacutejourner en paix dans son naos Une derniegravere terreur lui reste peut-ecirctre celle de mourir une seconde fois 68 si Seth renouvelle ses attaques La vie nouvelle drsquoOsiris est vraiment preacutecaire mais le culte a eacuteteacute institueacute pour eacutecarter du dieu toute crainte en renouvelant chaque jour le Mystegravere du sacrifice et de la reacutesurrection

Jusqursquoici nous avons vu ce qui dans les Mystegraveres osiriens se rapporte agrave Osiris Mais ceux qui ceacutelegravebrent les Mystegraveres ne se proposent pas seulement comme but de perpeacutetuer le culte et par lagrave le salut eacuteternel drsquoun dieu ils preacutetendent srsquoattri-buer agrave eux-mecircmes les bienfaits des rites et participer agrave lrsquoimmortaliteacute qursquoils ont au prix de tant drsquoefforts assureacutee agrave Osiris Crsquoest ce que dit Plutarque 6 quand il fait remonter agrave la deacuteesse Isis lrsquoinvention des Mystegraveres qui commeacutemorent la passion de son fregravere et eacutepoux Osiris Isis institua des Mystegraveres laquo pour servir de leccedilon de pieacuteteacute et de consolation pour les hommes et les femmes qui passeraient par les mecircmes eacutepreuves raquo

Voyons donc comment les hommes tiraient beacuteneacutefice des Mystegraveres osiriensDrsquoabord crsquoest en vertu drsquoune loi geacuteneacuterale tout homme mort auquel on ap-

6 P 666 P 267 Voir plus loin Le Verbe creacuteateur p 768 e heure de la nuit p 86 De iside et Osiride 27

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plique les rites osiriens par un effet de magie imitative ressuscitera comme Osi-ris A cet effet la famille du deacutefunt reconstitue dans la maison ou le tombeau le drame de la mort et des funeacuterailles drsquoOsiris 70

Comme le fils de Geb et de Nout lrsquohomme mort est censeacute avoir eacuteteacute assassineacute par Seth jeteacute au fleuve repecirccheacute puis deacutemembreacute et retrouveacute une seconde fois La veuve jouait alors le rocircle drsquoIsis le fils remplissait le rocircle drsquoHorus ses amis ceux drsquoAnubis et de Thot 7 la famille proceacutedait agrave la reconstitution du corps deacute-membreacute et modelait une momie agrave lrsquoinstar de celle drsquoOsiris Au deacutebut des temps historiques la preacutesence dans les neacutecropoles de cadavres mis en morceaux par imitation des rites osiriens prouve qursquoon ne reculait devant aucune des conseacute-quences pratiques de cette theacuteorie mais dans la suite il parut suffisant de reacuteciter les formules qui assimilaient lrsquohomme agrave Orisis deacutemembreacute et reconstitueacute lrsquoon se bornait agrave faire une momie crsquoest-agrave-dire que lrsquoidentification avec Osiris semblait acquise degraves qursquoon transformait le cadavre agrave lrsquoimage du dieu momifieacute

Sur ce corps reconstitueacute et momifieacute la famille faisait exeacutecuter par les precirctres les ceacutereacutemonies deacutecrites par les rituels osiriens purifications qui lavent lrsquohomme de toutes les impureteacutes laquo qui ne doivent plus lui appartenir dans lrsquoautre monde raquo ouverture de la bouche et des yeux (oup-ra) qui ressuscitent la vie physique et intellectuelle renaissance veacutegeacutetale et animale qui de la deacutepouille mortelle font sortir un corps glorieux offrandes laquo sortant agrave la voix raquo cette voix creacuteatrice qui assure au nouvel Osiris la puissance contre ses ennemis et le garantit agrave jamais de la soif et de la faim Ainsi lrsquoaffilieacute au culte osirien srsquoapplique personnellement tout ce que son zegravele a assureacute au dieu son patron lui aussi renouvelle sa vie aussi vrai qursquoOsiris est vivant aussi vrai vivra-t-il agrave jamais

Les milliers de tombeaux qui ont eacuteteacute ouverts dans la valleacutee du Nil nous mon-trent par leurs tableaux que ces Mystegraveres eacutetaient joueacutes pour tout deacutefunt Il serait fastidieux de revenir ici sur les formules ou les gestes que nous avons deacutejagrave commenteacutes agrave propos drsquoOsiris lui-mecircme mais certains eacutepisodes repreacutesenteacutes dans les tombeaux projettent une lumiegravere tregraves vive sur quelques points resteacutes eacutenigma-tiques dans les rites deacutecrits plus haut

Le cortegravege qui accompagne le mort-dieu offre quelquefois drsquointeacuteressantes scegrave-nes de lamentations et de mimique funegravebres Un tombeau de la VIe dynastie

70 Voir les rituels funeacuteraires des Pyramides (eacuted Maspero et eacuted Sethe) et les laquo Livres de lrsquoOuverture de la bouche et des yeux raquo (Schiaparelli Libro dei funerali) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p sq7 Cf la formule des stegraveles funeacuteraires laquo Isis et Nephthys se sont lamenteacutees sur lui Anubis lui-mecircme lrsquoa fait momie raquo (Vienne stegravele ap Bergmann Das Buch vom Durehwanden der ewigkeit p 2-0)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

repreacutesente hommes et femmes tombant agrave terre tels qursquoOsiris et releveacutes par des comparses Ceux-ci semblent jouer le rocircle de laquo la grande pleureuse Isis 72 raquo au moment ougrave elle se lamente et laquo eacutebranle de ses cris le Ciel et lrsquoHadegraves raquo

Figure Les officiants miment la mort drsquoOsiris

Ailleurs crsquoest le rite de la renaissance veacutegeacutetale qui est preacutesenteacute de la plus inteacute-ressante maniegravere Dans plusieurs tombeaux de la XVIIIe dynastie on a retrouveacute des cadres en toile recouverts drsquoune couche de terreau disposeacutee en silhouette drsquoOsiris Des grains avaient eacuteteacute semeacutes lrsquoherbe avait pousseacute et on lrsquoavait tondue agrave une longueur de 0 m 0 de faccedilon agrave donner une verdoyante effigie drsquoOsiris veacutegeacutetant Sur les momies mecircmes on disposait parfois des grains de ceacutereacuteales ou des oignons de fleurs pour que leur germination ou leur floraison parucirct attester la reacutesurrection du deacutefunt 7

Une importance plus grande encore est donneacutee agrave la repreacutesentation de ce que jrsquoai appeleacute la renaissance animale Nous touchons ici agrave un des laquo secrets raquo les plus mysteacuterieux des rites eacutegyptiens et sur lesquels les monuments sont le plus avares drsquoexplications Le sujet nrsquoayant eacuteteacute que peu eacutetudieacute jusqursquoici je lui donnerai un

72 Cf J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl LXX et suiv7 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 02 et pl XI

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

deacuteveloppement particulier justifieacute par lrsquoantiquiteacute et lrsquoimportance des pratiques magiques qui srsquoy reacutevegravelent

En theacuteorie crsquoeacutetait le mort lui-mecircme qui renouvelait sa vie en passant par la peau des victimes 7 ainsi avait fait Osiris ainsi devait faire tout homme soucieux de son salut des monuments montrent en effet le deacutefunt ou lrsquoinitieacute exeacutecutant lui-mecircme le rite Mais drsquoordinaire le passage par la peau est confieacute agrave des officiants et neacutecessite des victimes humaines ou animales Cet eacutepisode offre plusieurs variantes

Figure 6Le tikenou hacircleacute sur un traicircneau

Le thegraveme originel semble avoir eacuteteacute celui-ci un homme ou plusieurs hommes sont eacutegorgeacutes pour que leur vie sacrifieacutee rachegravete le deacutefunt de la mort Au deacutebut et peut-ecirctre jusqursquoassez tard dans la peacuteriode historique on immolait reacuteellement des victimes humaines qui figuraient Seth lrsquoennemi de tout ecirctre osirien Dans la

7 Les tombeaux dont les textes ou les tableaux seront utiliseacutes ci-apregraves sont ceux de Sehete-pibracirc (XIIe dyn) publieacute par Quibell (ramesseum pl IX) de Sebekneht (XIIe dyn) publieacute par Tylor (pl III) de Renni et Paheri (publieacutes par Tylor) de Rehmacircracirc (publieacute par Virey Mission du Caire t V ) de Montouherjhepshef (publieacute par Maspero Mission du Caire t V ) de Menni (Maspero Archeacuteologie eacutegyptienne p 7) des scegravenes analogues sont figureacutees aux tombeaux de Nebamon (recueil de travaux IX p 7) et de Sennefer (Virey ap recueil XX p 22 sq et XXI p 28) ceux-ci sont de la XVIIIe dynastie Voir aussi le tombeau drsquolbi dateacute de Psammeacute-tique Ier (Scheil Mission du Caire V pl IX)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

suite on sacrifia le plus souvent des eacutetrangers probablement des prisonniers de guerre Nubiens ou Europeacuteens Au tombeau de Montouherjhepshef deux Nu-biens la corde au cou sont repreacutesenteacutes au moment ougrave ils vont ecirctre eacutetrangleacutes 7

Figure 7o Le tikenou ameneacute vers la laquo peau raquo2o Sacrifice des victimes animales

o Sacrifice des Nubiens

Un adoucissement agrave ce rite barbare fut la substitution des victimes animales aux victimes humaines Les animaux eacutetaient le taureau la gazelle lrsquooie le porc identifieacutes agrave Seth lrsquoadversaire Ces victimes animales payaient agrave la mort le tribut obligatoire et en rachetaient le deacutefunt 76 Lrsquoeacutegorgement des animaux srsquoaccompa-gnait toutefois drsquoun simulacre du sacrifice humain on faisait passer un homme ou un mannequin agrave travers la peau drsquoun taureau ou drsquoune gazelle sacrifieacutes

7 Cf G Maspero eacutetudes de mythologie I p 20876 Les theacuteologiens eacutegyptiens affirmaient que crsquoeacutetait lagrave lrsquoorigine des sacrifices drsquoanimaux laquo les victimes remplacegraverent les sacrifices humains raquo mdash Cf Au temps des pharaons p 22

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8On ouvre la terre et on creuse la fosse

Au tombeau de Montouherjhepshef on voit un personnage le tikenou ame-neacute sur un traicircneau en face drsquoune grande peau de becircte 77 La scegravene ougrave le Tikenou srsquohabille de la peau nrsquoest pas conserveacutee mais plus loin dans un trou creuseacute en terre on voit brucircler la peau la cuisse le cœur du taureau et aussi des cheveux du Tikenou qui sont jeteacutes lagrave semble-t-il pour remplacer le personnage lui-mecircme le sacrifice de la partie eacutequivalant agrave celui du tout Dans la flamme le simulacre de lrsquohomme et la peau de la victime montent vers le ciel emmenant avec eux le deacutefunt dans un monde divin

Figure On brucircle la peau le cœeur de la victime et les cheveux du tikenou

77 Les textes appellent la peau ou le lieu ougrave se trouve la peau mest meska meseq meshent en tous ces noms se trouve le radical mes = naicirctre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Crsquoest Anubis qui avait reacuteveacuteleacute aux dieux et aux hommes ce moyen de renaicirctre que les rituels deacutefinissent en ces termes laquo Il a passeacute pur sur la peau-berceau raquo pour le compte drsquoOsiris (todtenbuch ch xvii I 8) Ce rite semble avoir eacuteteacute en usage degraves lrsquoAncien Empire Lors des funeacuterailles les bas-reliefs des mastabas nous montrent la barque funeacuteraire amenant agrave la neacutecropole le cadavre sous la protection du precirctre drsquoAnubis lrsquoOut 78 Le cadavre nrsquoest pas seul dans la barque bien qursquoon ne distingue pas ce qui se passe dans le naos-cabine on peut supposer que le Tikenou y eacutetait aussi du moins dans les tombeaux theacutebains du Nouvel Empire agrave El Kab et agrave Thegravebes voit-on degraves que la barque a abordeacute le Tikenou ameneacute sur la rive et installeacute sur un traicircneau qursquoon traicircnait jusqursquoagrave laquo la terre qui renouvelle la vie raquo (fig 0)

Figure 0Le tikenou coucheacute sur la peau aborde agrave la neacutecropole Hacirclage sur le traineau

Mais voici une transformation du rite Le Tikenou eacutetait recouvert non plus drsquoune peau mais drsquoun long pagne ou

linceul qui est parfois (fig ) tacheteacute comme une peau Le tombeau de Renni a conserveacute la scegravene ougrave Isis-pleureuse (dert) drape dans ce linceul le Tikenou au moment ougrave le cortegravege funeacuteraire part pour la neacutecropole plus loin lrsquoindividu apparaicirct non plus coucheacute de son long mais accroupi sur le traicircneau (fig 2) Le Tikenou est alors repreacutesenteacute le visage deacutecouvert pour qursquoil puisse respirer (fig 0-2) parfois le linceul recouvre tout (fig ) solidement maintenu par de larges bandelettes (fig ) dans ce cas on doit supposer que sous le linceul il y a non plus un homme mais un mannequin ou simulacre Homme ou mannequin la figure rappelle exactement la silhouette qursquoon donnait aux victimes animales (cf fig ) et aussi lrsquoaspect du fœtus replieacute dans le sein maternel (cf fig 2)

78 Lepsius Denkm II 76 6 0 LrsquoOut apparaicirct fig 0

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Dans le naos Isis drape le tikenou Devant lrsquoofficiant un servant

verse de lrsquoeau sous le traicircneau et fait une libation de lait pour Renni laquo Celui qui passe sous la peau crsquoest Renni raquo

Arriveacute au tombeau le Tikenou exeacutecutait un rite qui consistait agrave se laquo coucher raquo sder 7 sur un lit bas (fig 7) dans la mecircme attitude replieacutee Tel nous apparaicirct-il au tombeau de Rehmaracirc avec la leacutegende explicative laquo Faire venir agrave la citeacute de la peau (Abydos) Voici le Tikenou coucheacute sous elle (la peau) dans la terre de trans-formation (ta heper) raquo Par la suite il nrsquoest plus question dans ces tombeaux de sacrifier le Tikenou Au sacrifice humain on a donc substitueacute le proceacutedeacute magi-que inventeacute par Anubis au profit drsquoOsiris se coucher dans une peau figureacutee par un linceul Sous cette peau qui rappelle eacutevidemment celle drsquoun animal sacrifieacute

7 Le mot laquo se coucher raquo sder deacutetermineacute soit par le lit drsquoapparat soit par le lit bas et court (lrsquoangareb des Nubiens cf Maspero eacutetudes de myth I p 28) comme sur notre fig est un terme technique des rituels qui deacutesigne lrsquoacte de laquo se coucher sous la peau meska raquo (fig ) de laquo se coucher sous le linceul raquo (fig 0 et ) de laquo se coucher dans la peau kenemt raquo Les listes de fecirctes connaissent laquo la nuit du coucher raquo (A Moret Catal museacutee guimet I p 6 n 6 cf tod-tenbuch ch xviii eacuted Budge p 7 I 0) ou laquo le jour du coucher du dieu raquo (Caire ndeg 206) Je suppose qursquoil srsquoagit de lrsquoacte de se coucher sous la peau pour simuler la renaissance

27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le Tikenou est dans le laquo lieu du Devenir des transformations de la vie renouve-leacutee raquo le Tikenou qui a pris lrsquoattitude de lrsquoembryon humain dans le sein mater-nel sortira de la peau tel que lrsquoenfant qui naicirct Par conseacutequent le mort pour qui se fait le rite renaicirctra lui-mecircme automatiquement

La repreacutesentation de ces eacutepisodes srsquoest encore simplifieacutee dans les tombeaux agrave partir de la XIXe dynastie Drsquoune part les scegravenes relatives au sacrifice humain nrsquoapparaissent plus on se contente des seules victimes animales Drsquoautre part le Tikenou ne joue mecircme plus Anubis passant par la peau il dis-paraicirct de la scegravene 80 son rocircle passe agrave un des officiants qui est drsquoordinaire le sem 8 Au deacutebut de lrsquooffice funegrave-bre quand on va faire subir au deacutefunt laquo la conseacutecration (deser) dans la salle drsquoor 82 raquo le sem se laquo couche raquo (fig 7) revecirctu drsquoun linceul

80 Les rituels qui forment le texte publieacute par Schiaparelli (Libro dei funerali) dont le plus an-cien est celui du tombeau de Seacuteti Ier ne font plus mention du tikenou8 Comme Lefeacutebure lrsquoa noteacute celui qui passe par la peau est aussi Horus pour Osiris crsquoest-agrave-dire le fils pour son pegravere Dans la stegravele de Metternich (I 7-7) Osiris dit agrave Horus laquo Crsquoest toi mon fils (qui passes) dans la Mesqt (lieu de la peau) sorti du Noun tu ne meurs point raquo Passer par la peau crsquoest donc la mecircme chose que sortir du Noun le chaos primordial le rite recommence la creacuteation (cf p 27) et assure lrsquoimmortaliteacute82 Cette phrase deser m hat noub laquo conseacutecration dans la salle drsquoor (sanctuaire du temple ou du tombeau) raquo est une rubrique speacutecialiseacutee aux rites de la renaissance et nrsquoest employeacutee qursquoagrave cette occasion Maspero (eacutetudes de mythologie I p 28) y voit une indication de mise en scegravene laquo dis-positif dans la salle drsquoor raquo ce qui ne me paraicirct pas justifieacute Ma traduction se rapproche de celle proposeacutee par Virey (rehmard p 6) elle attribue agrave deser le mecircme sens que ce mot a comme eacutepithegravete de la neacutecropole ta deser laquo terre consacreacutee raquo (pyr de teacuteti I 7) ou du sanctuaire des temples et tombeaux bou deser laquo lieu consacreacute raquo Anubis est souvent qualifieacute le laquo maicirctre de ta-de-ser raquo ce qui srsquoexplique puisque ce dieu preacuteside agrave la laquo conseacutecration raquo deser par la peau mdash Abydos la ville de la peau meska et du berceau meshent eacutetait par excellence la laquo terre consacreacutee raquo (Stegravele de Leyde ap Piehl i H III pl 2 I laquo jrsquoai fait mon tombeau sur la meshent drsquoAbydos la terre consacreacutee de la montagne occidentale raquo parce que lagrave eacutetait le berceau de certains dieux tels que Ilnoumou et Heqit les ancecirctres neacutes au deacutebut (des temps) sur la meshent drsquoAbydos raquo Sharpe eg i I 78 2 cf Louvre C 6 Une stegravele de la XIIe dynastie (Caire ndeg 206) mentionne aussi la laquo salle consacreacutee raquo (ist desert) agrave propos du rite du laquo coucher du dieu raquo (harou sdert neter)

Figure 2Le tikenou sorti du naos est conduit agrave la neacutecropole

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Halage du tikenou accroupi dans lrsquoeau

en preacutesence des bouffons couronneacutes XIIe dynastie

Ce rite est bien une imitation ou une simplification de ceux joueacutes par le Ti-kenou costume et deacutecor tout est pareil Toutefois le Sem ne prend plus la po-sition incommode du fœtus il se contente de se coucher raquo comme pour dormir (fig 6) Mais les effets de ce sommeil ne sont pas moins miraculeux Voici les paroles sibyllines que dit le sem coucheacute laquo Jrsquoai vu mon pegravere (le deacutefunt ou Osiris) en toutes ses transformations raquo Au-dessous de ces mots les rituels expliquent la mise en scegravene des rubriques

laquo Transformation en sauterelle raquo mdash laquo Empecircchez (hou) qursquoil ne soit plus (qursquoil ne meure) mdash (Transformation) en abeilles mdash laquo Il nrsquoy a plus rien de peacuterissable en lui raquo mdash (Transformation) en ombre 8 raquo Quand le Sent se relegraveve il est censeacute ra-mener avec lui de la peau-linceul lrsquoombre crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme renaissante du deacute-funt et aussi des sauterelles des abeilles qui attestent comme dans la leacutegende drsquoAristeacutee 8 que la peau a eacuteteacute feacuteconde geacuteneacuteratrice drsquoecirctres vivants et que drsquoelle srsquoenvole comme une vie nouvelle (fig 8) Quant au corps il ne meurt plus dans la momie consacreacutee il nrsquoy a plus rien de peacuterissable 8 Acircme et corps renaissent pour la vie eacuteternelle Au Livre des Morts le deacutefunt dit de lui-mecircme agrave ce moment laquo Je suis

8 Voir les textes ap Schiaparelli Libro dei funerali I p 6-66 mdash Cf Lefeacutebure eacutetude sur Aby-dos ap proceedings s B A XV p 8 ougrave je modifie le sens attribueacute agrave hou8 Ph Virey Observations sur lrsquoeacutepisode drsquoAristeacutee Sur la diffusion de cette croyance agrave la bugonia dont les anciens attribuaient lrsquoorigine agrave lrsquoEacutegypte voir Lefeacutebure Lrsquoabeille en eacutegypte ap sphinx XI p 8 et suiv cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20 sq8 Cf pyr de teti 26 et 278 in hnnt im k et todtenbuch ch cliv 2 au laquo chapitre de ne pas laisser le corps se corrompre raquo le deacutefunt dit laquo Je me suis eacuteveilleacute en paix et sans troubles (ou sans corruption) (in hnnou) raquo Ce laquo reacuteveil raquo est peut-ecirctre conseacutecutif au laquo coucher raquo sder

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

celui qui a traverseacute la peau-berceau agrave qui Osiris a donneacute sa conseacutecration (hou) au jour de lrsquoenterrement 86 raquo

Ainsi la repreacutesentation du Mystegravere de la renaissance est alleacutee se simplifiant au cours des siegravecles on a supprimeacute le sacrifice hu-main le Tikenou a perdu une partie de son rocircle puis a disparu complegravetement agrave sa place un precirctre opegravere sous un linceul substitueacute agrave la peau Quelles sont les dates preacutecises de cette eacutevolution Je ne saurais les dire avec certitu-de le choix des scegravenes dans les tombeaux est souvent capricieux et ne se precircte pas toujours agrave un classement chronologique tel tombeau de la XIXe dynastie peut reproduire un rite neacutegligeacute dans un autre tombeau plus ancien Cependant il semble que ce soit de la XVIIIe agrave la XIXe dynastie que le rocircle du Tikenou a eacuteteacute simplifieacute jusqursquoagrave disparaicirctre 87 La repreacutesentation de la renaissance animale est devenue degraves lors moins reacuteelle que symbolique

M Maspero a signaleacute qursquoune comparaison est possible entre les scegravenes relatives au Tikenou et certaines vignettes drsquoun chapitre fort rare du Livre des Morts classeacute dans lrsquoeacutedition Naville comme cha-pitre CLXVIII a (fig ) Voici comment jrsquoen expliquerais les fi-gures Paraissent drsquoabord deux adolescents porteacutes sur les eacutepaules des officiants (ce sont peut-ecirctre deux tikenou) deux pleureuses coucheacutees agrave terre un taureau sur

86 Lefeacutebure eacutetude sur Abydos p et 7687 Au tombeau de Rehmacircracirc (XVIIIe dyn) certaines scegravenes du Tikenou sont encore repreacutesen-teacutees et les rites du sem sont ceacuteleacutebreacutes en mecircme temps Crsquoest donc une eacutepoque de transition

Figure Halage du simulacre enveloppeacute

drsquoun linceul

Figure Attitudes du tikenou et de la victime

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pavois qui rappelle la victime animale un sphinx androceacutephale dont le rocircle dans une scegravene de renaissance srsquoexplique peut-ecirctre parce qursquoil repreacutesente Toum le deacutemiurge 88 Plus loin on voit une deacuteesse assise les bras eacutecarteacutes dans la position caracteacuteristique des deacuteesses qui accouchent est-ce Nout la megravere ceacuteleste qui va donner le jour au corps glorieux du nouvel Osiris 8 Puis Anubis tenant en mains les symboles de force et de vigueur et preacuteside au rite du laquo coucher raquo sder Deux momies sont eacutetendues sur des lits veilleacutees par une grande Uraeligus dont le rocircle sera deacutefini plus loin lrsquoUraeligus porte son nom laquo celle qui consacre la tecircte raquo des dieux 0 De lrsquoautre cocircteacute des lits apregraves le Mystegravere accompli srsquoavance un des officiants dont la tecircte est surmonteacutee de lrsquoUraeligus peut-ecirctre ce personnage joue-t-il le rocircle du mort ressusciteacute Un sphinx coucheacute sur le lit personnifiant ici le soleil levant Harmahis symbole de reacutesurrection clocirct la seacuterie des figures Nous pouvons attribuer sucircrement cette scegravene au mystegravere de la renaissance mais dans le deacutetail il reste bien des obscuriteacutes 2

Figure 6 mdash Le sem se drape dans le linceul et se couche

88 Ed Naville a deacutemontreacute que le sphinx eacutetait souvent identifieacute agrave Toum mdash (ap sphinx V p et suiv) Dans le protocole royal le sphinx peut signifier laquo image vivante de Toum raquo (Sethe Urk XViiie Dyn IV p 600)8 Cf les scegravenes drsquoaccouchement de Deir-el-Bahari et Louxor reproduites dans A Moret Du caractegravere religieux p On sait que Nout megravere drsquoOsiris est censeacutee enfanter le mort agrave une vie nouvelle mdash (pyr de pegravepi i 0-0) Aussi compare-t-on agrave Nout le lit sur lequel le mort est eacutetendu laquo O grand (Osiris) coucheacute (sder) sur ta megravere Nout raquo (teta I 80) Le lit est en effet le laquo berceau raquodu deacutefunt0 Cf pyr drsquoOunas I 8 deser-tep Crsquoest une allusion aux rites de la laquo conseacutecration raquo deser La leacutegende hed iment semble signifier laquo brillant chaque jour raquo Le rocircle du sphinx comme soleil levant Khepra est bien connu (cf eacuted Naville sphinx V p ) Le grand Sphinx de Gizeh exprime pour le compte du roi Cheacutephregraven le mecircme symbole de reacutesurrection2 Le texte du chap 68 A au-dessus duquel les vignettes sont traceacutees ne nous donne que peu de lumiegravere il invite le lecteur agrave faire une libation sur terre pour que le deacutefunt passe parmi le sui-vants drsquoOsiris les suivants de Racirc les variantes du chap 68 B ajoutent le souhait qursquoil connais-se tous les secrets et qursquoil soit laquo un iahou parfait raquo dans lrsquoautre monde Peut-ecirctre devons-nous rapprocher de ces textes le chap 70 (eacuted Naville) qui se prononce au moment laquo de dresser le lit funegravebre raquo et ougrave lrsquoon adresse au deacutefunt cette phrase laquo Tu es Horus agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoœuf raquo elle correspond bien aux ideacutees de laquo conception et de renaissance raquo que nous avons signaleacutees

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Tous les documents relatifs au tikenou que nous avons examineacutes sont de lrsquoeacutepoque theacutebaine Les rites de la renaissance par la peau nrsquoavaient-ils point eacuteteacute conccedilus anteacuterieurement A ma connaissance les mastabas de lrsquoAncien Empire ne contiennent aucun tableau analogue agrave ceux reproduits plus haut et les textes des Pyramides ne mentionnent pas le tikenou Lrsquoensevelissement par la peau est peut-ecirctre repreacutesenteacute dans une tombe de la IVe dynastie par un bas-relief eacutenigma-tique (fig 20) qui donnerait une variante unique de ce rite Du moins peut-on affirmer que lrsquoideacutee de la renaissance par la peau est aussi ancienne que les plus anciens monuments eacutegyptiens connus Lrsquoeacutecriture mecircme le prouve puisque le signe mes qui symbolise lrsquoideacutee laquo naicirctre enfanter raquo repreacutesente trois peaux en faisceau (fig 2) Je montrerai plus tard comment cette tradition apparaicirct clai-rement au cours des rites de la fecircte Sed que les rois ceacuteleacutebraient degraves la peacuteriode archaiumlque

Figure 7Conseacutecration dans la salle drsquoor Le sem se couche

Qursquoil me suffise de dire ici que dans les pyramides comme dans les tombeaux theacutebains le deacutefunt renaicirct quand il srsquoest coucheacute vecirctu drsquoune peau ou drsquoun linceul

Ces peaux mestou sont peut-ecirctre des peaux de chien du type du chien Anubis agrave lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque on eacutecrit parfois le mot mes (neacute de) par le signe du chien (H Ranke Aeg Zeits-chrift t XLV p 2) Sous un naos agrave colonnes orneacutees de bucranes un lit funeacuteraire supporte un cercueil duquel eacutemerge seule une tecircte de taureau A gauche un officiant Une scegravene voisine montre la capture du taureau ainsi sacrifieacute je suppose que sa peau sert agrave un rite analogue agrave celui du Tikenou de lrsquoeacutepoque theacutebaine

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sur un lit Une formule que je choisis entre beaucoup drsquoautres reacutesume avec concision ce que le lit symbolise laquo Ce deacutefunt dit-on de Peacutepi Ier est creacuteeacute par Racirc il se couche (sder-tou) (fig 2) il est conccedilu il est enfanteacute chaque jour 6 raquo Le lit a le plus souvent la forme caracteacuteristique du divan bas sur lequel srsquoeacutetend le Tikenou Sur ce lit il y a une peau de panthegravere laquo Ce grand (le deacutefunt ou Osiris) se couche de sa personne la peau (de panthegravere 7) du lit est pour lui raquo cette peau venant drsquoun animal typhonien est lagrave pour mimer laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo que les rituels posteacuterieurs mentionnent

Figure 8Lrsquoombre et les symboles de lrsquoacircme ressusciteacutee (Seacuteti Ier)

Drsquoautre part drsquoapregraves la tradition le costume funeacuteraire drsquoOsiris et du mort se reacutesumait en une eacutetoffe (daout) qui eacutetait laquo celle qursquoHorus a faite pour son pegravere Osiris 8 raquo Crsquoest peut-ecirctre le laquo linceul raquo comme traduit Maspero En tout cas le linceul comme le lit sont personnifieacutes par des deacuteesses qui sont les megraveres du deacutefunt laquo Ce grand se couche sur sa megravere Nout ta megravere Taat trsquoa revecirctu elle te

Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux (Lacau sarcophages du Caire fig 82) Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo (Borchardt Aeg Zeitsch 07 p 7)6 peacutepi ier I 820 (Sethe p 80 8) La reacutesurrection srsquoexprime souvent par le mot laquo reacuteveil srsquoeacuteveiller raquo mdash pyr de peacutepi ii I 760 laquo Tu te couches et tu trsquoeacuteveilles tu meurs et tu vis raquo peacutepi ier I laquo son jour de reacuteveil raquo7 Le sens laquo peau de panthegravere raquo drsquoapregraves peacutepi ier I 68 pyr de teacuteti I 7 Deacuteesse des bandelettes voir la figure

Les Mystegraveres eacutegyptiens

porte au ciel en son nom drsquooiseau dert 00 raquo Le linceul devient donc en mecircme temps qursquoun veacutehicule pour aller au ciel un agent de reacutesurrection il y a dans lrsquoeacutetoffe comme dans la peau du Tikenou une force geacuteneacuteratrice suffisante pour expliquer la renaissance ceci nous aide agrave comprendre pourquoi agrave la fin de lrsquoeacutepo-que theacutebaine on a pu remplacer la peau par le linceul

Figure Les rites de la renaissance drsquoapregraves une vignette du livre des morts

La renaissance srsquoexeacutecute encore agrave cette eacutepoque par le passage sur un objet appeleacute shedshed Horus en avait donneacute lrsquoexemple pour le compte de son pegravere Osiris laquo Les dieux dit-on au roi deacutefunt trsquoeacutelegravevent au ciel avec ton acircme tu es muni drsquoacircme parmi eux car tu es sorti au ciel tel qursquoHorus sur le shedshed du ciel en cette tienne forme qui est sortie (= creacuteeacutee) de la bouche de Racirc tel qursquoHorus agrave la tecircte des Iahou 0 raquo Nous verrons plus tard quels monuments permettent de preacuteciser ce qursquoest le shedshed et quel est son rocircle dans les mystegraveres Disons tout de suite que crsquoest aussi une enveloppe qui sert de laquo peau-berceau raquo le passage citeacute prouve que comme la daout elle fournit un veacutehicule pour aller au ciel Quant

00 pyr de teacuteti I 80-80 pyr de teacuteti I 7-7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave la phrase laquo en cette forme sortie de la bouche de Racirc raquo elle est importante en ce qursquoelle eacutevoque un autre texte relatif agrave la naissance dans la meshent ougrave il est dit de certains dieux laquo ils ont eacuteteacute creacuteeacutes au deacutebut des temps (sur) les peaux-berceaux (meshentou) primordiales drsquoAbydos ils sont sortis de la bouche de Racirc lui-mecircme lors du (rite de) la conseacutecration deser (drsquo) Abydos 02 raquo Concluons que le shedshed est aussi un agent ou un lieu de renaissance 0 analogue agrave la meshent quand on srsquoen sert pour la conseacutecration rituelle (deser) des Mystegraveres osiriens

Figure 20Lrsquoensevelissement dans la peau de bœuf Gizeh tombeau de Nebmahout (IVe dynastie)

Il est donc certain que le laquo Mystegravere de la peau raquo et la laquo renaissance par la peau raquo font partie du fonds ancien de la religion eacutegyptienne Drsquoailleurs agrave cocircteacute du shedshed les Pyramides reacutevegravelent lrsquoexistence drsquoautres peaux-berceaux meska meshent kenemt out shedt dont les noms servent agrave deacutesigner autant de laquo pays ou de citeacutes de la peau 0 raquo

02 Louvre stegravele C 60 La renaissance apparaicirct aussi degraves cette eacutepoque symboliseacutee par lrsquoapparition de sauterelles et drsquoabeilles pyr de Mirinri I 68 et de peacutepi ii I cf eacuted Sethe II p et 270 Out deacutesigne les oasis comme Kenemt qui est aussi un des noms de Diospolis parva (sphinx X p 07) et une ville mystique (pyr de teacuteti I 0) cf Maspero t de Montouherjhepshef p 6 laquo la terre de Kenemout raquo shedt est la ville du Fayoum et une citeacute mystique (Ounas I 28)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux

Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo

Lrsquoexistence de ces diverses localiteacutes mystiques indique peut-ecirctre autant de meacutethodes locales ou diffeacuterentes pour lrsquoexeacutecution drsquoun rite commun la renais-sance par la peau Les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont tregraves probablement amalgameacute des traditions deacutejagrave anciennes agrave cette eacutepoque et provenant de villes multiples

Pour le Moyen Empire les mecircmes rites me sont connus non point tant par des textes deacuteveloppeacutes que par des allusions qui se retrouvent dans les textes peints sur les cercueils Ces textes comme lrsquoa dit leur eacutediteur M Lacau sem-blent appartenir agrave un recueil distinct des rituels des Pyramides drsquoune part et des Livres des Morts theacutebains ou saiumltes drsquoautre part Mais il y a un fond drsquoideacutees qui subsiste si la reacutedaction est particuliegravere agrave lrsquoeacutepoque Le mystegravere de la peau est fort nettement deacutesigneacute dans les laquo chapitres des transformations raquo que subit le deacutefunt mots qui nous rappellent le laquo lieu de la transformation raquo crsquoest-agrave-dire la peau-berceau meska drsquoAbydos mdash Voici les passages caracteacuteristiques [laquo Le deacutefunt a sacrifieacute Seth lrsquoadversaire de son pegravere Osiris raquo] Venez Dieux Faites ses rites de protection agrave lrsquointeacuterieur de la vache et connaissez () dans vos cœurs votre maicirctre qui est ce dieu en son œuf 0 raquo Ailleurs le deacutefunt dit laquo Je me suis coucheacute dans le lieu (ouou pour Out ) des peaux divines renverseacute en preacutesence de la deacuteesse

0 Lacau textes religieux ap recueil XXVII p 7 Chapitre de laquo faire ses transformations en faucon raquo Cf p 8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Shesat dans lrsquoOccident 06hellip raquo mdash laquo Moi je suis celui qui passe dans la peau 07hellip raquo hellip laquo Moi je suis Osiris je suis un Iahou muni je ne suis pas pris pour le billot divin (du sacrifice) je me suis ceint de la peau qeni on ne me fait pas entrer vers le billot (bis) 08hellip raquo Enfin un texte tregraves court donne cette importante variante drsquoune phrase citeacutee plus haut laquo Je me suis coucheacute dans la peau (de cynoceacutephale) kenemt 0 raquo

Toutes ces allusions si bregraveves qursquoelles soient sont significatives Drsquoailleurs outre la tombe de Sehetepibracirc deacutejagrave citeacutee (fig ) la stegravele C du Louvre a conserveacute ce moment capital des rites osiriens repreacutesenteacute en traits syntheacutetiques 0 Au premier plan un lit funeacuteraire avec le cadavre les deux pleureuses Isis et Nephthys poussent leurs lamentations Cependant deux hommes amegravenent sur un pavois une becircte typhonienne probablement une panthegravere un autre porte sur lrsquoeacutepaule un adolescent en lequel je vois le tikenou coiffeacute de la couronne royale 2 A cocircteacute sont repreacutesenteacutes le traicircneau qui dans les tombeaux deacutecrits preacuteceacutedemment sert agrave haler le tikenou et les herminettes avec lesquelles on creuse la fosse ougrave brucirclera la peau de la victime Nous avons ainsi les personnages et le deacute-cor du drame

La scegravene se continue agrave droite Le cada-vre tout agrave lrsquoheure eacutetendu sur le lit est agrave preacutesent remplaceacute par un simulacre main-tenu debout par deux hommes Le corps ne comprend encore que la tecircte et le buste il repose sur des signes de vie planteacutes sur une sorte drsquoenclume Que signifie cette scegravene Crsquoest me semble-t-il le moment

06 ibid XXX p 0 (chap des transformations parmi les grands dieux drsquoHeacuteliopolis) Sur Shesat cf Lefeacutebure sphinx X p 007 ibid XXXI p 2 (se transformer en dieu Hent-hesem)08 ibid XXXI p 20 (chap de ne pas entrer au lieu du billot divin)0 Lacau sarcophages du Caire ndeg 280 p 70 M Maspero avait briegravevement signaleacute le rapprochement agrave faire entre les figures de la stegravele C et la scegravene du Tikenou (tomb de Montouherjhepshef p 6) Voir agrave lrsquoOsireion drsquoAbydos (M Murray pl V) hommes et femmes porteacutes sur lrsquoeacutepaule par les officiants ce sont des nemou comparses dont le rocircle ressemble agrave celui des tikenou et sera deacutefini plus loin2 Lrsquoimportance du fait que le tikenou est couronneacute comme le sont aussi les deux mimes sauteurs sera mise en lumiegravere plus loin

Figure 22 mdash Bouffons sautant

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ougrave lrsquoon commence agrave fabriquer la statue du deacutefunt pour reconstituer son corps au complet comme on lrsquoa fait pour Osiris

Figure 2Bouffons coiffeacutes de roseaux

Plus loin la peau de la panthegravere est suspendue agrave une hampe termineacutee par une fleur de lotus La becircte a donc eacuteteacute sacrifieacutee sa peau deacutepouilleacutee est precircte agrave servir Deux mimes couronneacutes de roseaux exeacutecutent les sauts qui accompagnent ha-bituellement dans les tombeaux theacutebains les scegravenes du tikenou (fig 22 et 2)

Maintenant les personnages ont pris place sur une barque divine sans lrsquoaide de nul rameur la barque se dirige vers Abydos Sur le pont de la barque on voit successivement un homme qui tient sur un pavois une tecircte gardeacutee par lrsquoUraeligus deser-tep un autre qui dresse une hampe surmonteacutee de la peau gonfleacutee (hen) je preacutesume que le tikenou porteacute tout agrave lrsquoheure sur les eacutepaules est censeacute y ecirctre renfermeacute lui ou son simulacre

Au temple de Philaelig on voit de mecircme les deacuteesses Isis et Selkit reconstituer le corps du dieu au moment ougrave il nrsquoa encore que les jambes et le buste Cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p P Il faut reconnaicirctre dans ces mimes les personnages grotesques qui jouent un rocircle dans les fecirctes des dieux de la moisson tel qursquoOsiris ils persistent encore agrave notre eacutepoque sous forme de masques du Carnaval Crsquoest probablement lrsquoimage de la tecircte drsquoOsiris phylactegravere puissant contre les esprits typho-niens elle apparaicirct en cette qualiteacute sur la stegravele de Metternich

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Voici que srsquoaccomplit le miracle de la renaissance A ce changement capital correspond une attitude nouvelle des personnages orienteacutes maintenant en sens contraire Face au porteur de la peau se tient dans la barque un homme qui preacutesente une tige de lotus 6 la peau deacutegonfleacutee flotte le long de la hampe agrave la faccedilon de la neacutebride drsquoAnubis Qursquoest devenu le tikenou Derriegravere la neacutebride apparaicirct un adolescent de taille plus petite que celle des deux hommes qui ten-dent vers lui leurs bras pour lui assurer la protection magique Crsquoest me semble-t-il lrsquoimage juveacutenile du mort qui renaicirct 7 le miracle de la peau lui a transfuseacute une vie nouvelle Peut-ecirctre lrsquoadolescent qui tenait preacuteceacutedemment le rocircle du Ti-kenou jouait-il agrave ce moment le personnage du deacutefunt renaissant

Enfin sur la rive abydeacutenienne ougrave le nouvel Osiris va descendre un cortegravege amegravene les statues des dieux ils viennent recevoir leur fregravere qui srsquoavance vers eux 8

Telle est lrsquointerpreacutetation que je propose pour cette scegravene lrsquoartiste y a repreacute-senteacute les rites secrets des Mystegraveres assez discregravetement pour ne les point divulguer aux profanes mais avec assez de preacutecision pour que nous y puissions discerner les traits saillants du drame osirien

Nous avons vu plus haut drsquoapregraves les monuments qui ont servi de point de deacutepart agrave ces recherches qursquoagrave la XVIIIe dynastie le Mystegravere de la peau se concentre dans le personnage du Tikenou qui va se simplifiant par la suite jusqursquoagrave disparaicirc-tre des tableaux ougrave il est remplaceacute par le precirctre sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine on ne voit plus guegravere agrave ma connaissance ni les tableaux relatifs au tikenou ni mecircme ceux du sem Des allusions succinctes aux rites de la peau-berceau subsis-tent cependant dans les Livres des Morts nous les avons citeacutees plus haut agrave propos du culte drsquoOsiris Crsquoest encore dans les vignettes des Rituels funeacuteraires que nous voyons figurer lors des cortegraveges funegravebres lrsquoenseigne drsquoAnubis avec le shedshed

6 Degraves les textes des Pyramides on assimile la renaissance du mort agrave la naissance du soleil Racirc sortant au matin sous le nom de Nefertoum du calice drsquoun lotus (Ounas I cf la vignette de Maspero Histoire I p 6) La queue de la neacutebride se termine parfois en lotus eacutepanoui7 Dans les Mystegraveres drsquolsis apregraves la scegravene de la reacutesurrection du dieu les precirctres faisaient ap-paraicirctre un enfant que lrsquoon saluait du nom drsquoOsiris renaissant mdash Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 888 La stegravele C preacutesente au-dessus de la scegravene deacutecrite une liste de diviniteacutes qursquoil faut rappro-cher de celle donneacutee dans un court chapitre du Livre des Morts (chap clxxi de lrsquoeacutedition Budge p ) qui a pour but de faire du mort un laquo iahou parfait raquo par le don drsquoune bandelette reacutesumeacute de lrsquoensevelissement total Tel est le cas pour le superbe tombeau de Patouamenap (eacutepoque saiumlte) publieacute par Duumlmi-chen

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dont nous avons deacutejagrave montreacute lrsquoemploi et lrsquoenseigne du nsout hen 20 dont nous allons parler Ces figures rappelaient pour les yeux seulement les antiques proceacutedeacutes drsquoinitiation que les textes ne deacutecrivaient plus

Les Mystegraveres ne servaient-ils qursquoaux morts Les vivants ne pouvaient-ils les ceacute-leacutebrer pour leur compte en vue drsquoun beacuteneacutefice terrestre ou en sauvegarde de leur vie future La reacuteponse nrsquoest point aiseacutee agrave fournir faute de documents explicites Cependant agrave un homme au moins sur terre les rites osiriens preacutetendaient assu-rer degraves ici-bas lrsquoimmortaliteacute Il est vrai qursquoil srsquoagit drsquoun homme qui est dieu le roi drsquoEacutegypte Pharaon

Pharaon en sa qualiteacute de fils des dieux de precirctre de tous les temples posseacutedait degraves son vivant cette pureteacute rituelle qursquoassurent les moyens que nous avons deacutecrits agrave propos drsquoOsiris Le roi devenait dieu par les rites osiriens lui aussi mais degraves son avegravenement eacutetait censeacute avoir passeacute par la mort osirienne et srsquoen ecirctre racheteacute comme avait fait Osiris Il nrsquoentre pas dans le cadre de cette eacutetude de reprendre la description du culte qui consacre la diviniteacute de Pharaon 2 je me contenterai drsquoattirer lrsquoattention sur le jubileacute sed qui renouvelait pour lui la digniteacute royale et divine et ougrave apparaissent quelques-uns des rites de la renaissance Cette fecircte consiste essentiellement en une Osirification 22 du roi elle parait semblable agrave la fecircte du couronnement drsquoOsiris

Pour le reste nous touchons agrave un sujet obscur ougrave mes recherches nrsquoont eacuteclaireacute que quelques points mais que je crois importants

Le nom mecircme du jubileacute sed signifie laquo fecircte de la queue raquo Cela ne nous donne aucune clarteacute sur le sens de la fecircte Sans doute le roi porte ordinaire-ment une queue postiche attacheacutee agrave sa ceinture mais nous ne voyons pas sur les tableaux conserveacutes par les monuments qursquoune importance particuliegravere soit attribueacutee agrave cette piegravece du costume au cours de la fecircte Sed au contraire le roi y porte comme Osiris une sorte de maillot funeacuteraire deacutepourvu de queue 2 Nous devons donc nous demander si sed nrsquoa pas eu un autre sens

Le mot sed laquo queue raquo employeacute pour deacutesigner le jubileacute est parfois remplaceacute par

20 Cf Pleyte up Aeg Zeitschrift 868 p 62 Cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute p 2022 Petrie The palace of Apries p 82 Voir les figures que jrsquoai reproduites ap Du caractegravere religieuxhellip p 0 28 22-22 2 20 22 262 27

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le mot seshed 2 laquo bandeau bandelette 2 raquo et ces deux mots sont agrave rapprocher drsquoun autre shed qui repreacutesente une laquo outre raquo et qui signifie originellement laquo peau deacutepouille peau preacutepareacutee pour faire une outre 26 raquo

Figure 2Lrsquooutre de peau

Le jubileacute royal eacutetait-il donc une fecircte de la renaissance par la peau Plusieurs faits semblent le confirmer Drsquoabord dans les fecirctes sed la plupart des officiants portent une peau de becircte 27 en particulier le precirctre qui par ses rites fait du roi un Osiris est toujours vecirctu de la peau de panthegravere Son nom ioun-moutef 28 signifie peut-ecirctre par jeu de mots laquo la peau est sa megravere 2 raquo Mais il est probable que cette graphie traduit une eacutetymologie populaire erroneacutee Les monuments tregraves anciens preacutesentent une orthographe ioun-kenmout 0 ougrave mout-ef est remplaceacute par kenmout nom du cynoceacutephale la peau de cynoceacutephale eacutetait nous lrsquoavons

2 pierre de palerme eacuted Schaeligfer p Quant agrave la forme shedshed elle indique grammatica-lement un duel le mot deacutesignerait peut-ecirctre originellement un objet double ce qui srsquoexpli-querait par la dualiteacute de la personne du Pharaon en qui lrsquoon distingue toujours le roi du Sud et le roi du Nord2 Par bandelette il faut entendre une eacutetoffe en piegravece qui peut ecirctre eacutetroite et mince comme un bandeau ou assez ample pour constituer un vecirctement Par bandeau il faut entendre le bandeau de tecircte formant couronne (cf A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 8 n stegravele de Kouban I 8)26 Cf V Loret ap recueil XI p 0 et Piehl proceedings s B A XII p 727 Naville The Festival Hall pl I II IV bis IX X XI XII XIII XIX XXI28 Le nom est connu degraves lrsquoAncien Empire Mariette Mastabas p 8 Autel de Turin (VIe dyn) trans s B A III pl I A pyramide de peacutepi ii 7722 Virey rehmacircracirc p n Il existe un mot iounou qui signifie peau (Brugsch Woumlrth p 88)0 Stegravele de Mentouhetep Caire 20 6 Sur ces graphies cf Erman Aeg grammatik p 0 Voir les textes des Pyramides (peacutepi i 776) citeacutes par Crum ap proceedings s B A XVI p 6 A Beacuteni-Hasan le mot ioun-moutef est deacutetermineacute par un homme debout tenant par la main un cynoceacutephale eacutegalement debout (Griffith Beni-Hasan III p 27) Osiris prend parfois la forme drsquoun cynoceacutephale (Chabas pap Harris p 6) ou cite laquo la peau du cynoceacutephale drsquoOsiris raquo (Pleyte eacutetude sur un rouleau p 22)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vu une peau-berceau du culte osirien Le premier sens du titre me paraicirct donc ecirctre laquo (celui qui porte) la peau du cynoceacutephale raquo une confusion explicable par la meacutetathegravese des signes a fait lire le mot ioun-kenmout de cette faccedilon erroneacutee ioun-mout-ek ce qui a pu se traduire par jeu de mots laquo peau ta megravere raquo devenu par la suite ioun-moutef laquo peau sa megravere raquo En fait la peau dont est revecirctu lrsquoofficiant des rites funeacuteraires est une peau de panthegravere et non de cynoceacutephale 2 Quoi qursquoil en soit on peut supposer que lrsquoioun-moutef lrsquohomme agrave la peau eacutetait le precirctre qui lors de lrsquoapplication au roi des rites osiriens mimait la renaissance du roi en passant pour lui dans une peau comme Anubis lrsquoavait fait pour Osiris

Le dieu Anubis figure preacuteciseacutement dans le cortegravege de la fecircte Sed avec un accessoire sin-gulier Parmi les enseignes (fig 26) qui sont porteacutees en tecircte du cortegravege sur un pavois le dieu-chien est debout devant une sorte drsquoenveloppe en forme de poche gardeacutee par lrsquoUraeligus Les textes disent de cette enve-loppe laquo on passe sur elle pour aller au ciel 6 raquo son nom shedshed ou seshed est apparenteacute au nom mecircme de la fecircte sed ou seshed et vient semble-t-il de la mecircme racine shed laquo peau raquo

2 Un autre vecirctement ritualistique le qeni est une peau de gazelle (von Bissing ap recueil XXIX p 8) Sur ces enseignes divines qui figurent dans les cortegraveges de toutes les fecirctes osiriennes (fecirctes royales fecirctes drsquoOsiris fecirctes des morts = Louvre C todlenbuch ch i) cf A Moret Du ca-ractegravere religieux p 26 27 2 22 22 26 27 272 Le dieu-chien est Anubis ou bien Oupouatou ou encore le dieu sed Ce der-nier nom qui est rare sous lrsquoAncien Empire (cf Schaeligfer pierre de palerme p 2) disparaicirct par la suite peut-ecirctre eacutetait-il reacuteserveacute agrave lrsquoorigine au dieu-chien jouant son rocircle dans la fecircle sed Lrsquoenveloppe nrsquoapparaicirct sur le pavois que devant le dieu chien le dieu-faucon (Horus) et peut-ecirctre devant lrsquoenseigne dou des monuments archaiumlques (cf Loret revue eacutegyptologique XI p 80) Eacutetoffes replieacutees de mecircme ap Setheacute pyram II p 66 28 68 Petrie et Sethe voient dans le shedshed une plume (Mahasna p ) or les monuments peints tels que les sarco-phages donnent au shedshed la couleur rouge et aux plumes la couleur blanche ou bleue (A Moret sarcophages Caire p )6 Mahasna p mdash Pour la forme exacte du deacuteterminatif cf Sethe pyramidentexte I p 27 (pyr de teacuteti I -2)

Figure 2Horus ioun-MoutefTombeau de Seti Ier

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 26Pharaon preacuteceacutedeacute de son precirctre et des enseignes divines

et suivi de son ka adolescent Dendeacuterah

Lrsquoenveloppe me paraicirct ecirctre une eacutetoffe replieacutee jouant le mecircme rocircle que le linceul dans les rites deacutejagrave deacutecrits crsquoest-agrave-dire rem-placcedilant la peau Si cette hypothegravese est exac-te lrsquoenseigne du chien au shedshed pourrait repreacutesenter Anubis au moment ougrave le dieu va exeacutecuter le rite qui assurera la naissance du roi

A cocircteacute du dieu-chien on porte sur pavois un objet jusqursquoici indeacutetermineacute

On a deacutefini cet objet laquo morceau de vian-de raquo et on y voit une forme du dieu Hon-sou drsquoapregraves un tableau de Dendeacuterah 7 La comparaison des diverses leacutegendes qui ac-compagnent lrsquoobjet 8 prouve que la lecture

7 Mariette Dendeacuterah IV pl 2 I pl 228 La tombe du roi Hormheb (deacutebut de la XIXe dynastie) deacutecouverte par M Davis en 08

Figure 27Le dieu-chien le shedshed et lrsquouraeus

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veacuteritable est nsout hen Dans le mot hen je propose de reconnaicirctre un terme usiteacute degraves lrsquoAncien Empire pour deacutesigner la laquo peau raquo lrsquolaquo outre raquo le laquo cuir raquo Le groupe complet nsout-hen signifierait donc laquo la peau du roi raquo ce serait la peau dont on se sert pour faire renaicirctre le roi conformeacutement aux rites osiriens

La forme de lrsquoobjet hen rappelle en effet exactement la silhouette du tikenou accroupi sous la peau (fig 28) Un fait deacutemontre que cette similitude est voulue Au tombeau de Renni (fig ) on dit du tikenou qursquoil est laquo celui qui passe par la peau raquo hensou 0 il y a donc analogie de forme et de nom entre les deux symboles de hen et de tikenou et les deux conceptions

Figure 28Le tikenou sous la peau

Pourquoi precirctait-on une attitude styliseacutee agrave lrsquoindividu cacheacute sous la peau-lin-ceul Que peut eacutevoquer cette position speacuteciale imposeacutee agrave tous les officiants de la peau Pour lrsquoexpliquer il convient de recourir aux images les plus mateacuterielles que pouvait suggeacuterer agrave des hommes primitifs lrsquoideacutee de la renaissance Je crois pouvoir deacutemontrer par les dessins ci-dessous donneacutes que le hen correspond exactement agrave

contenait parmi les objets ritualistiques deux simulacres de fœtus nsout-hen en bois de syco-more longs de 02 centimegravetre sur 00 centimegravetre de haut On les trouvera dans la publica-tion de M Davis (The tomb of Harmhabi 2) agrave la page 0 nos 26-7 catalogueacutes sous le nom erroneacute laquo emblegravemes de Honsou raquo Voir la forme des deux objets sur la palette de Narmer (Hieacuterakonpolis I pl 26 mdash Moret Du caractegravere rel p 26) Inscription drsquoHerhouf (Sethe Urk I 0 cf Aeg Z XLII p et les scegravenes de travail du cuir ap Deshasheh pl XXI)0 Le mot hen apparaicirct sous la graphie hens et hensou aux tableaux drsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque (Kom-Ombo I p 6 2 Dendeacuterah I 22 IV 2 cf Pleyte Aeg Zeitschrift 868 6-7)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la silhouette du fœtus gravide de lrsquoembryon humain agrave terme encore enveloppeacute dans la matrice (fig 28 et 2)

Ce symbolisme expressif srsquoexplique agrave merveille si lrsquoon admet que la fecircte sed renouvelle au beacuteneacutefice du roi drsquoEacutegypte le Mystegravere de la naissance lui procure peacuteriodiquement une vie renouveleacutee De pareils rites se retrouvent freacutequemment dans les socieacuteteacutes primitives

Nous devons admettre que les Eacutegyptiens comme tant drsquoautres peuples 2 re-doutaient que la force vitale ne srsquoeacutepuisacirct agrave la longue dans le corps du souverain Aussi avaient-ils imagineacute de laquo renouveler la naissance raquo du Pharaon afin de ne jamais laisser srsquoamoindrir sa diviniteacute Pour y arriver ils appliquegraverent au Pharaon les proceacutedeacutes magiques de renaissance dont on usait envers Osiris et les morts Le jubileacute royal comprenait donc lrsquoexeacutecution du mystegravere de la peau son nom mecircme sed ou seshed eacutevoquerait la peau ou le bandeau dont on ceignait lrsquoinitieacute apregraves qursquoil avait parfait les rites Peut-ecirctre la queue postiche que porte le roi drsquoha-bitude nrsquoest-elle qursquoun abreacutegeacute de la peau tout entiegravere et comme un rappel de lrsquoinitiation qui lui a valu la renaissance pour une peacuteriode drsquoanneacutees

Figure 2 mdash Aspect du fœtus gravide

Cette deacutemonstration a eacuteteacute proposeacutee le 22 janvier au Museacutee Guimet lors drsquoune confeacute-rence imprimeacutee en septembre au tome XXXVI de la Bibliothegraveque de vulgarisation La mecircme anneacutee M Seligmann et miss Murray publiaient dans Man (novembre ) une note upon early egyptian standard ougrave ils proposaient de reconnaicirctre dans le hen le placenta crsquoest-agrave-dire lrsquoannexe du fœtus Aujourdrsquohui encore certaines tribus des reacutegions du Haut-Nil lors de la naissance drsquoun futur roi traitent avec honneur le placenta et le cordon ombilical du prince royal le conservent dans un eacutedifice et lui attribuent un pouvoir mystique sur la vie du roi2 Cf Frazer Le rameau drsquoor II p et suiv Petrie sinaiuml p 82 Ouhem mestou laquo qui renouvelle les naissances raquo nom drsquoHorus drsquoAmenemhat I (Gauthier Livre des rois p 2 et suiv)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette interpreacutetation des rites de la fecircte Sed et des Mystegraveres osiriens causera peut-ecirctre quelque surprise A qui ne suffirait pas le teacutemoignage des monuments eacutegyptiens je rappellerai des scegravenes semblables mais commenteacutees par des textes tregraves explicites qui se trouvent dans les rituels veacutediques Il srsquoagit de faire renaicirctre agrave une autre existence lrsquoofficiant qui offre le sacrifice de le diviniser en le faisant mourir agrave la terre et renaicirctre dans le ciel Jrsquoemprunte ce qui suit au beau livre de Sylvain Leacutevi

laquo Alors la dicircksacirc intervient La dicircksacirc est un ensemble de ceacutereacutemonies preacutelimi-naires qui sert agrave deacuteifier la creacuteature humainehellip On eacutelegraveve un hangar particulier pour le sacrifiant qui fait la dicircksa on lui passe une peau drsquoantilope noire laquo le hangar crsquoest sa matrice la peau drsquoantilope noire crsquoest le chorion le vecirctement crsquoest lrsquoamnios la ceinture crsquoest le cordon ombilical celui qui fait la dicircksacirc est un embryon raquo

Un des Bracirchmanas rassemble dans un exposeacute concis les principaux actes de la dicircksacirc avec leur interpreacutetation laquo Les precirctres transforment en embryon celui agrave qui ils donnent la dicircksacirc Ils lrsquoaspergent avec de lrsquoeau lrsquoeau crsquoest la semence virile ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la semence virile mdash ils lui frottent les yeux drsquoonguent lrsquoonguent crsquoest la vigueur pour les yeux ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la vigueur Ils le font entrer dans le hangar speacutecial le hangar speacutecial crsquoest la matrice de qui fait la dicircksacirc ils le font entrer ainsi dans la matrice qui lui convient Ils le recouvrent drsquoun vecirctement le vecirctement crsquoest lrsquoamnios pour qui fait la dicircksacirc ils le recouvrent ainsi de lrsquoamnios On met par-dessus une peau drsquoantilope noire le chorion est en effet par-dessus lrsquoam-nios on le recouvre ainsi du chorion Il a les poings fermeacutes en effet lrsquoembryon a les poings fermeacutes tant qursquoil est dans le sein lrsquoenfant a les poings fermeacutes quand il naicircthellip Il deacutepouille la peau drsquoantilope pour entrer dans le bain crsquoest pourquoi les embryons viennent au monde deacutepouilleacutes du chorion Il garde son vecirctement pour y entrer et crsquoest pourquoi lrsquoenfant naicirct avec lrsquoamnios sur luihellip raquo

En somme conclut S Leacutevi la dicircksacirc est une seconde naissance une reacutegeacuteneacute-

Le chorion et lrsquoamnios sont deux membranes qui enveloppent le fœtus dans la matrice dans cet ordre en allant de lrsquoexteacuterieur agrave lrsquointeacuterieur Notons que si le hangar de la dicircksacirc est appeleacute laquo matrice raquo de lrsquoinitieacute en eacutegyptien les mots shed et out (la peau drsquoAnubis) peuvent avoir aussi le sens uteacuterus Ainsi devient intelligible lrsquousage de mots deacutesignant la peau et la matrice et drsquoobjets simulant la forme du fœtus agrave terme dans les fecirctes ceacuteleacutebreacutees pour les initieacutes du culte osirien

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ration qui fait de lrsquohomme un dieu laquo Lrsquohomme ne naicirct qursquoen partie crsquoest par le sacrifice qursquoil est veacuteritablement mis au monde 6 raquo

De tous les teacutemoignages eacutegyptiens citeacutes plus haut il reacutesulte qursquoon se figurait de mecircme faccedilon le meacutecanisme de la renaissance dans les mystegraveres osiriens parti-culiegraverement dans la fecircte sed ougrave il srsquoagit de laquo renouveler la vie raquo ou laquo la naissance raquo du roi vivant Purification par lrsquoeau-de-vie onction de fards passage par la peau construction drsquoun eacutedifice le pavillon des fecirctes sed ougrave ces rites eacutetaient ceacuteleacutebreacutes tout srsquoeacuteclaire singuliegraverement prend un sens intelligible par la compa-raison avec les rites hindous

Ainsi les rois drsquoEacutegypte recevaient des mystegraveres osiriens un renouvellement de vie Eacutetait-ce le privilegravege exclusif du roi Les autres hommes leurs sujets y eacutetaient-ils admis Eacutetait-ce apregraves la mort seulement que les initieacutes subissaient les rites qui assuraient la renaissance Les textes sont extrecircmement discrets agrave ce su-jet et peut-ecirctre ne devons-nous pas en ecirctre eacutetonneacutes puisqursquoil srsquoagit de Mystegraveres Toutefois je tiens pour bonne lrsquointerpreacutetation que Lefeacutebure a donneacutee drsquoune stegravele de la XIIe dynastie 7 ougrave il est question drsquoun certain Oupouatouacirca qui par faveur exceptionnelle degraves son vivant laquo passe par la peau raquo laquo Sa Majesteacute dit-il me placcedila comme sacrificateur des victimes bovines dans le temple drsquoOsiris Hentamenti dans Abydos du nome Thinite Je suis sorti sur les peaux meskaou pour moi-mecircme lagrave agrave cause de la grande faveur que Sa Majesteacute me teacutemoignaithellip8 raquo Jrsquoai noteacute que lrsquoexpression est tout agrave fait pareille agrave celle des Pyramides laquo Teacuteti sort vers le ciel sur le shedshed raquo Le favori du roi a donc connu de son vivant le mystegravere de la renaissance par la peau

Si nous voulons ecirctre eacuteclaireacutes sur le beacuteneacutefice drsquoun rite de ce genre consultons encore les commentaires des rites veacutediques laquo Gracircce aux pratiques de la dicircksacirc le sacrifiant se trouve en possession de deux corps lrsquoun mateacuteriel et mortel lrsquoautre rituel et immortelhellip En veacuteriteacute lrsquohomme naicirct trois fois drsquoabord il naicirct de son

6 Sylvain Leacutevi La doctrine du sacrifice dans les Bracirchmanas p 0 Cf Lefeacutebure sphinx Viii p 7 Lefeacutebure avait par ce rapprochement suggeacutereacute lrsquoidentiteacute du tikenou avec le precirctre qui passe par la dicircksacirc Mais il nrsquoavait point compareacute ces rites avec ceux de la fecircte sed7 Stegravele ndeg 0 de Munich (Dyroif et Poumlrtner pl II) La stegravele est du type de C (Louvre) et de Turin ndeg 07 (Maspero recueil III p ) elle comporte comme celles-ci une liste de diviniteacutes8 (I 2-22) Ce texte a eacuteteacute signaleacute et interpreacuteteacute par Crum ap proceedings s B A XVI p Lefeacutebure dans une note agrave lrsquoarticle de Crum dit laquo La question serait de savoir si la stegravele parle drsquoun sacrifice fait pendant la vie ou apregraves la mort du personnage Si crsquoest de son vivant il a eacuteteacute son propre tikenou raquo Le texte ne precircte pas agrave amphibologie Il srsquoagit bien drsquoun sacrifice fait pendant la vie drsquoOupouatouacirca

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pegravere et de sa megravere puis quand il se sacrifie ce que le sacrifice fait de lui crsquoest sa seconde naissance enfin quand il meurt et qursquoon le deacutepose dans le feu quand il naicirct de lagrave crsquoest sa troisiegraveme naissance Et crsquoest pourquoi il est dit que lrsquohomme naicirct trois fois 0 raquo

Tels eacutetaient pour les Eacutegyptiens les effets attendus de ces rites Une question se pose encore Les termes employeacutes par Oupouatouacirca indiquent que lrsquoinitia-tion reccedilue par lui eacutetait rarement accordeacutee aux hommes vivants Cette initiation est-elle complegravete Et y avait-il des degreacutes dans lrsquoinitiation Nous sommes trop mal renseigneacutes pour reacutepondre en toute certitude Le fait qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-ro-maine lrsquoinitiation complegravete aux mystegraveres drsquoIsis qui ont fait de larges emprunts agrave lrsquoEacutegypte comportait aussi une mort simuleacutee et une renaissance donne sans doute une preacutesomption pour affirmer qursquoOupouatouacirca a eacuteteacute admis aux derniers degreacutes de lrsquoinitiation Peut-ecirctre devons-nous consideacuterer comme des laquo initieacutes par-faits raquo ces hommes assez peu nombreux qui peuvent se vanter dans leurs eacutepita-phes drsquoecirctre laquo un iahou parfait muni qui connaicirct les formules raquo ou laquo qui connaicirct toute la magie secregravete de la cour 2 raquo Ceux-lagrave eacutetaient initieacutes degraves leur vivant les autres ne devenaient laquo iahou parfaits raquo qursquoapregraves la mort au moment ougrave les rites funeacuteraires faisaient drsquoeux des Osiris il nrsquoest pas prouveacute que tous les gens qui faisaient repreacutesenter dans leurs tombes le Mystegravere de la peau en aient beacuteneacuteficieacute avant les funeacuterailles

Les mecircmes restrictions doivent srsquoappliquer me semble-t-il agrave une autre eacutepi-thegravete donneacutee geacuteneacuteralement agrave ceux qui aspirent agrave la laquo feacuteauteacute raquo ou laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo imahou er neter acirca Lrsquoeacutepithegravete neb imahou laquo possesseur de la conseacutecration raquo ou comme on traduit drsquoordinaire laquo de la beacuteatitude raquo deacutesigne tous les Eacutegyptiens qui ont eu le beacuteneacutefice drsquoune seacutepulture consacreacutee suivant le rite osirien et qui attendent la vie divine apregraves la mort Le signe semble repreacute-senter un de ces pagnes munis drsquoune queue qursquoon mettait autour des reins

0 Citeacute par Frazer Le rameau drsquoor II p 0 drsquoapregraves les Lois de Manou Apuleacutee Meacutetamorphoses XI Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 et suiv2 Sethe Urkunden d A r I p 22 mdash Cf I p (VIe dyn) Cf peacutepi i I 78 et suiv Maspero recueil III P 0 eacutetudes de Mythologie I p 0 7 A Moret La condition des feacuteaux ap recueil XIX p Pour ces vecirctements agrave queue cf Lacau sarcophages du Caire pl XLIX et L Drsquoapregraves les rituels la beacuteatitude ou lrsquoinsigne de cette beacuteatitude arrive au mort venant du dos drsquoOsiris (Schia-parelli Libro dei funerali II p 87) Aux textes des Pyramides le mot laquo dos raquo (psed) drsquoOsiris est deacutetermineacute par un signe semblable agrave imah (Ounas I68 et cf eacutedition Sethe I p 26 et 227) mdash Lrsquoinsigne des imahou serait-il agrave comparer aussi avec la laquo ceinture drsquoherbes de Munga raquo que portent les initieacutes hindous imah a souvent la forme drsquoune gerbe lieacutee (Sethe pyramidentexte I p 0) Serait-ce une indication pour rattacher cette conception au mythe agraire osirien

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

comme la queue royale ce pagne rappellerait la peau de la renaissance Parfois aussi lrsquoinsigne se placcedilait sur la tecircte eacutevoquant ainsi lrsquousage du bandeau seshed 6 Queue ou bandeau lrsquoinsigne attestait que son possesseur eacutetait laquo initieacute raquo

Les textes speacutecifient que lrsquoimahou attendait de la faveur des dieux entre autres choses 7 sur terre une vie tregraves longue et apregraves la mort lrsquoeacutetat de laquo beacuteatitude 8 raquo Drsquoapregraves Apuleacutee ces mecircmes promesses rendaient bienheureux les initieacutes aux Mystegraveres drsquoIsis

On nrsquoarrivait le plus souvent qursquoagrave la fin de la vieillesse ou apregraves la mort agrave lrsquoeacutetat de beacuteatitude Ceux qui degraves leur jeunesse jouissent de cette faveur ne manquent pas de srsquoen vanter 60 Jrsquoen conclus qursquoagrave part ces favoriseacutes les hommes ne reacuteali-saient qursquoen mourant tous les avantages de la condition drsquoimahou rares eacutetaient ceux qui gracircce agrave une mort simuleacutee beacuteneacuteficiaient drsquoune initiation 6 complegravete Les autres nrsquoeacutetaient censeacutes renaicirctre qursquoapregraves la mort reacuteelle agrave condition que les rites osiriens leur fussent appliqueacutes ils parvenaient alors dans une autre vie agrave la laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo Une eacutepithegravete freacutequente depuis le Nouvel Empire srsquoajoute au nom du deacutefunt pour deacutefinir cet eacutetat de sainteteacute rituelle ouhem acircnh laquo celui qui renouvelle la vie raquo Cette renaissance reacutesultait de lrsquoinitiation que celle-ci fucirct acquise avant ou apregraves la mort

Pour reacutesumer le sujet dans ses grandes lignes je rappelle que nous avons pris comme point de deacutepart les donneacutees des rituels drsquoOsiris ces donneacutees sont tregraves bregraveves soit agrave cause du caractegravere secret des rites soit parce que les textes eacutetant de basse eacutepoque sont devenus obscurs et eacutecourteacutes agrave cause de lrsquoindiffeacuterence des precirctres et du public Jrsquoai chercheacute agrave ces obscuriteacutes des eacuteclaircissements dans le culte des morts imiteacute du culte drsquoOsiris entre tous les monuments les tableaux des tombes theacutebaines nous ont fourni les renseignements les plus clairs sur des

6 pyramide drsquoOunas I 66 laquo lrsquoinsigne imahou drsquoOunas (est) sur la tecircte drsquoOunas raquo7 Jrsquoai montreacute dans mon eacutetude sur La condition des feacuteaux que lrsquoimahou reccediloit un tombeau (ou au moins le terrain) des rations de nourriture pendant sa vie et des offrandes apregraves la mort le tout aux frais du patron dieu roi ou chef de famille (recueil XIX p et suiv)8 recueil de travaux XIX p 26 et suiv Meacutetamorphoses XI (eacuted Nisard p 02) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20860 recueil XIX p 27 et les exemples citeacutes plus haut6 M Paul Foucart cherchant en Eacutegypte un eacutequivalent agrave lrsquoinitieacute eacuteleusinien ou isiaque avait sur lrsquoindication de M Maspero proposeacute de le trouver dans lrsquoimahou (recherches sur les Mystegraveres drsquoeacuteleusis p 20) Jrsquoadopte actuellement cette ideacutee dans mon eacutetude sur La Condition des feacuteaux je mrsquoeacutetais preacuteoccupeacute exclusivement de la condition sociale des imahou jrsquoajouterai agrave cet exposeacute que le point de deacutepart de la condition drsquoimahou est une initiation aux rites deacutecrits ici initiation confeacutereacutee au myste par le dieu le roi ou le pegravere A la basse eacutepoque le precirctre qui initie aux mys-tegraveres prend encore le titre de pegravere

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rites dont jrsquoai prouveacute ensuite lrsquousage degraves lrsquoAncien et le Moyen Empire Passant au culte des vivants jrsquoai montreacute que les rites des fecirctes Sed renouvellent la vie du roi en lui confeacuterant lrsquoinitiation aux Mystegraveres osiriens et que parmi les hommes quelques-uns sont initieacutes pendant leur vie et la plupart apregraves leur mort

En proceacutedant ainsi jrsquoai passeacute du connu agrave lrsquoinconnu et je me suis efforceacute de mettre en lumiegravere les proceacutedeacutes drsquoinitiation et de deacutefinir les diverses classes drsquoini-tieacutes Lrsquoinconveacutenient de cette meacutethode crsquoest de neacutegliger en apparence lrsquoordre chronologique des documents puisque les rituels osiriens qui nous sont par-venus datent de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine tandis que lrsquoosirification du roi et des hommes est connue degraves lrsquoeacutepoque archaiumlque Aussi le sujet une fois eacuteclairci re-viendrai-je agrave lrsquoordre chronologique pour reacutesumer les conclusions que je voudrais proposer

La renaissance apregraves la mort gracircce agrave des rites magiques dont le plus important est celui de la peau telle est la raison drsquoecirctre des Mystegraveres osiriens la certitude drsquoune survivance eacuteternelle tel est le reacutesultat de lrsquoinitiation

Les monuments de lrsquoAncien Empire nous reacutevegravelent les proceacutedeacutes de lrsquoinitiation confeacutereacutee au roi vivant (fecircte Sed) et au roi mort (rites funegravebres) Les rites secrets se reacutesument dans le laquo mystegravere de la peau raquo Guideacutes par la reacuteveacutelation donneacutee par les dieux-chiens Sed Anubis Ouapouatou (ces deux derniers dieux de la peau out) et sous la garde de lrsquoUraeligus divine le roi ou un officiant (appeleacute Iounmou-tef et revecirctu drsquoune peau) passent pour renaicirctre au ciel sur lrsquoobjet shedshed (ou seshed) crsquoeacutetait une peau (shed) devenue par stylisation un vecirctement un linceul ou bandelette comme teacutemoignage du rite accompli le roi porte une bande-lette formant ceinture avec queue (sed) et un bandeau de tecircte (seshed) drsquoougrave le nom fecircte sed ou seshed donneacute au jubileacute royal ougrave le roi laquo renouvelle sa naissance raquo pour une peacuteriode variable Les mecircmes rites se ceacuteleacutebraient au moyen drsquoune peau appeleacutee laquo peau du roi raquo nsout-hen par laquelle passait le roi ou un officiant agrave sa place Dans les fecirctes du culte adresseacute au roi vivant ou mort on portait sur pavois le shedshed et le nsout-hen auxquels on donnait une forme styliseacutee rappelant pour le premier la matrice pour le second le fœtus humain agrave terme replieacute dans la matrice Lrsquointerpreacutetation de ces symboles srsquoeacuteclaire par lrsquoexistence drsquoalleacutegories analogues dans les rites veacutediques Il existait encore drsquoautres laquo peaux geacuteneacuteratri-ces raquo mes meska kenemt Le lieu ougrave se jouait le Mystegravere eacutetait qualifieacute laquo berceau raquo meshent Lors de la fecircte du jubileacute royal les rites srsquoexeacutecutent dans des pavillons munis drsquoun lit sur lequel le roi laquo se couche raquo (sder) pour mourir rituellement et

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

renaicirctre en roi comme Osiris 62 Pour les morts les lieux de renaissance sont des citeacutes mystiques dont les noms se rapportent aux diverses peaux villes de Out Meska Kenemt Shedt Lrsquoexistence de ces localiteacutes diverses et des proceacutedeacutes dif-feacuterents de renaissance fait supposer que les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont amalgameacute tant bien que mal des traditions locales anciennes qui par des meacutethodes diverses pratiquaient cependant un rite commun la renaissance par la peau

Lrsquoinitiation du roi nrsquoeacutetait qursquoune imitation des rites qursquoon avait pratiqueacutes laquo la premiegravere fois raquo pour Osiris Le Mystegravere osirien appliqueacute au dieu lui-mecircme existe donc degraves les temps archaiumlques bien que les textes jusqursquoici connus ne le deacutecrivent point et nrsquoy fassent allusion que par preacuteteacuterition

Les tombeaux de lrsquoAncien Empire montrent que tous ceux qui posseacutedaient un tombeau eacutetaient initieacutes aux rites osiriens Chaque deacutefunt enseveli rituelle-ment devenait dans lrsquoautre monde un ecirctre laquo consacreacute raquo iahou ou un laquo beacuteatifieacute raquo imahou Sauf de rares exceptions on ne devenait imahou qursquoapregraves la mort il y a cependant en dehors du roi des exemples certains drsquohommes initieacutes pendant leur vie

Les rites de lrsquoinitiation au moment des funeacuterailles sont repreacutesenteacutes depuis le Moyen Empire (stegravele C ) et les tableaux se multiplient dans les tombeaux que jrsquoai citeacutes A la XVIIIe dynastie on confie au tikenou le passage par la peau pour le compte du deacutefunt souvent on remplace la peau par un linceul et le tikenou par un precirctre ordinaire le sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine les tableaux des tom-bes montrent rarement les officiants coucheacutes sous la peau ou le linceul Mais des allusions subsistent dans les Livres des Morts les enseignes alleacutegoriques du shedshed et du nsout-hen figurent dans les processions

Quant aux rituels du culte drsquoOsiris qui devraient ecirctre les archeacutetypes de tous les autres nous ne les posseacutedons jusqursquoici que dans des reacutedactions illustreacutees de tableaux de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine Les rites de la renaissance par la peau-ber-ceau qui eacutevoque laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo y sont plutocirct rappe-leacutes que deacutecrits le rocircle drsquoAnubis et drsquoHorus comme prototypes du Tikenou ne sont deacutefinis que par allusion il nrsquoest plus question du shedshed ni du hen Sans les textes des Pyramides ou sans les tableaux des tombes theacutebaines les rituels nous sembleraient muets ou resteraient deacutesespeacutereacutement obscurs Sommes-nous ici en preacutesence de reacuteticences systeacutematiques agrave cause du caractegravere mysteacuterieux de ces ri-tes Je crois plutocirct qursquoagrave la basse eacutepoque les rites de la renaissance animale ont

62 Eacuted Naville The Festival Hall of Osorkon ii pl II Moret Du caractegravere religieux p 20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

perdu de leur importance et qursquoon leur a preacutefeacutereacute ceux de la renaissance veacutegeacutetale auquel est consacreacute agrave Dendeacuterah un tregraves long texte qui entre dans les moindres deacutetails Jrsquoai lrsquoimpression que si nous retrouvions par chance un rituel osirien de lrsquoAncien Empire les rites de la renaissance animale y seraient preacutedominants Les initieacutes aux Mystegraveres nrsquoauraient pas donneacute jusqursquoau Nouvel Empire une impor-tance si grande aux rites de la peau si leur patron Osiris nrsquoy avait pas lui-mecircme trouveacute son plus efficace proceacutedeacute de reacutesurrection

En reacutesumeacute le principe fondamental des Mystegraveres osiriens faire de la mort le berceau drsquoune vie nouvelle est une des conceptions les plus antiques de la religion eacutegyptienne elle apparaicirct vigoureuse et riche en applications diverses surtout aux eacutepoques tregraves anciennes et crsquoest par les documents les plus reculeacutes en acircge que nous pouvons le mieux en appreacutecier lrsquoimportance

Cette ideacutee que de la mort mecircme surgit pour lrsquoinitieacute la source drsquoune nouvelle vie a eacuteteacute commune agrave une grande partie de lrsquohumaniteacute Lrsquoeacutetude compareacutee des re-ligions a reacuteveacuteleacute que dans lrsquoantiquiteacute et de nos jours encore les peuples primitifs ont foi en des pratiques magiques qui transforment la mort en une eacutepreuve drsquoini-tiation ougrave lrsquoinitieacute puise une vie nouvelle

Que ce soit en Eacutegypte dans lrsquoInde ou chez les non-civiliseacutes les rites drsquoinitia-tion ont ceci de commun que le myste doit drsquoabord mourir agrave sa vie anteacuterieure pour renaicirctre Ainsi M Frazer nous montre lrsquoinitiation pratiqueacutee dans les tribus sauvages mdash speacutecialement chez celles qui srsquoadonnent au toteacutemisme Lrsquoadolescent lorsqursquoil atteint lrsquoacircge de puberteacute se soumet agrave certains rites dont le plus freacutequent consiste en la mort apparente suivie de la nouvelle naissance Le fondement de cette pratique crsquoest de faire sortir lrsquoacircme du jeune homme de son corps pour la transfeacuterer dans son totem laquo Lrsquoadolescent meurt en tant qursquohomme et ressuscite en tant qursquoanimal 6 raquo

La foi en ce simulacre de mort suivie de reacutesurrection ou si lrsquoon veut en cette seconde naissance srsquoest perpeacutetueacutee dans les civilisations plus avanceacutees Manou deacuteclarait laquo Suivant les injonctions des textes reacuteveacuteleacutes lrsquohomme naicirct une premiegravere fois de sa megravere naturelle il naicirct une seconde fois quand on attache autour de son corps la ceinture drsquoherbes de Munga il naicirct une troisiegraveme fois lorsqursquoil est initieacute aux rites drsquoun sacrifice Srauta 6 raquo

On sait que lrsquoinitiation aux Mystegraveres mithriaques comportait probablement

6 Le rameau drsquoor II p Il en est de mecircme pour lrsquoinitiation des sorciers Cf Leacutevy-Bruhl Les Fonctions mentales dans les socieacuteteacutes infeacuterieures p et 26 J Frazer Le rameau drsquoor II p 0

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

une mise agrave mort simuleacutee de mecircme que les Mystegraveres drsquoEacuteleusis et drsquoIsis compre-naient une ceacutereacutemonie de la mort figureacutee et de la renaissance inspireacutee tregraves proba-blement des antiques Mystegraveres eacutegyptiens 6

Rattacher ces rites de la vieille Eacutegypte agrave une tradition commune agrave lrsquohumaniteacute crsquoest les diminuer peut-ecirctre en singulariteacute mais crsquoest rendre lrsquointerpreacutetation que jrsquoen propose plus vraisemblable Certes les Mystegraveres eacutegyptiens meacuteritent bien leur nom les quelques informations donneacutees par le texte et lrsquoimage laissent en-core agrave lrsquointuition et au labeur de lrsquoeacutegyptologue un champ de teacutenegravebres agrave scruter Pourtant ce serait un pas de fait dans la recherche si agrave la lumiegravere que jrsquoai essayeacute de projeter sur eux jrsquoavais reacuteussi agrave eacutetablir ce point les Mystegraveres eacutegyptiens se relient dans le fond du passeacute agrave des croyances qui ont surveacutecu en drsquoautres pays Deacutepouilleacutes de la mise en scegravene speacuteciale reacuteduits agrave lrsquoideacutee ils prolongent jusqursquoagrave nous un eacutecho de la mystique primitive vivre est le plus grand bien mourir la pire deacutetresse La grande affaire des vivants que la mort guette crsquoest de se preacuteparer les moyens drsquoune renaissance eacuteternelle

6 A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7

II

Le Mystegravere du verbe creacuteateur

Louis Meacutenard qui a populariseacute en France lrsquoeacutetude des livres hermeacutetiques es-timait que ceux-ci derniegraveres productions de la philosophie greacuteco-alexandrine formaient un trait drsquounion entre la theacuteologie eacutegyptienne et le christianisme nais-sant laquo Les docteurs chreacutetiens en invoquaient souvent le teacutemoignage avec celui des Sibylles qui avaient annonceacute la venue du Christ aux paiumlens pendant que les Prophegravetes lrsquoannonccedilaient aux Heacutebreux Hermegraves dit Lactance a deacutecouvert je ne sais comment presque toute la veacuteriteacute On le regardait comme une sorte de reacuteveacutelateur inspireacute et ses eacutecrits passaient pour des monuments authentiques de lrsquoancienne theacuteologie des Eacutegyptiens 66 raquo Aujourdrsquohui lrsquoeacutetude des textes hieacuterogly-phiques est assez avanceacutee pour qursquoon puisse controcircler cette assertion de Meacutenard un peu aventureacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave elle fut eacutemise Est-il vrai que ces dissertations mystiques qui ont si bien preacutepareacute les esprits au Christianisme contiennent quelques reacuteminiscences des dogmes religieux de lrsquoancienne Eacutegypte Crsquoest ce que nous voudrions rechercher en examinant une des theacuteories essentielles preacutesenteacutees dans le poimandres celle du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur

Drsquoapregraves les livres hermeacutetiques lrsquoUnivers est lrsquoœuvre drsquoune Intelligence suprecirc-me qui preacuteexistait agrave tout 67 Avant la creacuteation nrsquoexistait que le Chaos laquo il y avait des teacutenegravebres sans limite sur lrsquoabicircme de lrsquoeau et un esprit (πνεῦμα) subtil et in-telligent contenus dans le Chaos par la puissance divine Alors jaillit la lumiegravere sainte et sous le sable les eacuteleacutements sortirent de lrsquoessence humide et tous les dieux deacutebrouillegraverent la nature feacuteconde 68 raquo Crsquoest en ces termes qursquoHermegraves Trismeacutegiste deacutecrit la creacuteation Ailleurs pour nous faire comprendre ce que pouvait ecirctre laquo la forme primordiale anteacuterieure raquo il nous parle laquo des teacutenegravebres qui se changent en je ne sais quelle nature humide et trouble exhalant une fumeacutee comme le feu et une sorte de bruit lugubre Puis il en sort un cri inarticuleacute qui semblait la voix de la

66 Louis Meacutenard Hermegraves trismeacutegiste Introduction Le poimandres drsquoHermegraves Trismeacutegiste tra-duit par Louis Meacutenard a eacuteteacute reacuteeacutediteacute aux eacuteditions arbredorcom en 200667 Id ibid p 68 Id ibid p 27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lumiegravere une parole sainte descend de la lumiegravere sur la Nature 6 raquo Cette lumiegravere nrsquoest autre que lrsquoIntelligence crsquoest-agrave-dire Dieu qui preacutecegravede la nature humide sortie des teacutenegravebres quant au Verbe parole lumineuse crsquoest le fils de Dieu (ὁ δὲ

ἐκ Νοὸς φωτεινὸς Λὁγος υἵος θεοῦ 70)On sait combien cette conception de la creacuteation du monde se rapproche de

celle que nous font connaicirctre lrsquoAncien et le Nouveau Testament Voici le deacutebut de la Genegravese laquo Au commencement Dieu creacutea les cieux et la terre La terre eacutetait informe et vide il y avait des teacutenegravebres agrave la surface de lrsquoabicircme et lrsquoesprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux Dieu dit laquo que la lumiegravere soit raquo et la lumiegravere fut 7 raquo Nous retrouvons ici des eacuteleacutements de description analogues agrave ceux des livres hermeacutetiques un abicircme de lrsquoeau des teacutenegravebres pour constituer le chaos originel puis un esprit flottant sur lrsquoabicircme un appel lanceacute par la voix de Dieu et la lumiegravere creacuteeacutee par ce Verbe LrsquoEacutevangile de saint Jean reacuteduit ces eacuteleacutements au minimum et nous donne une synthegravese plus mystique encore que le poimandres laquo Au commencement eacutetait le Verbe et le Verbe eacutetait avec Dieu et le Verbe eacutetait Dieuhellip Il eacutetait au commencement avec Dieu Toutes choses ont eacuteteacute faites par lui et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui En lui eacutetait la vie et la vie eacutetait la lumiegravere des hommes raquo

Que trouvons-nous dans les textes eacutegyptiens pharaoniques de ces eacuteleacutements et de ces concepts communs aux livres sacreacutes heacutebraiumlques et hermeacutetiques

Drsquoapregraves les plus anciens textes religieux actuellement connus ceux des Pyra-mides des Ve et VIe dynasties agrave Saqqarah 72 (vers 2600 av J-C) nous pouvons nous figurer comment les Eacutegyptiens imaginaient lrsquoUnivers avant la Creacuteation En ce temps laquo il nrsquoexistait pas encore de ciel il nrsquoy avait pas encore de terre il nrsquoy avait pas encore drsquohommes les dieux nrsquoeacutetaient pas encore neacutes il nrsquoy avait pas encore de mort 7 raquo Le papyrus de Nesiamsou eacutecrit au deacutebut de lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque mais dont le texte remonte certainement agrave lrsquoeacutepoque du Nouvel Empire theacutebain (600-200 av J-C) emploie des termes semblables laquo il nrsquoy avait alors ni ciel ni terre et nrsquoeacutetaient creacuteeacutes ni reptiles ni vermisseauxhellip7 raquo Les germes de tout ecirctre et de toute chose gisaient agrave lrsquoeacutetat inerte (nenou 7) confon-

6 Meacutenard Hermegraves p 70 Id ibid p 7 genegravese I -72 G Maspero Les inscriptions des pyramides de saqqarah87 pyr de peacutepi i 66 cf peacutepi ii 287 Publieacute par Budge dans Archaeligologia II 2 80 p 7 nesiamsou p 0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dus dans le sein drsquoun abicircme qursquoon appelait le noun ou les eaux neacutees du noun76 ou lrsquoabicircme du noun 77 dans les traductions coptes noun est le mot qui deacutesigne lrsquoἄϐυσσος

78 de la Genegravese Dans le Noun flottait un esprit divin indeacutefini mais portant en lui la somme

des existences futures drsquoougrave son nom de toum qui signifie agrave la fois laquo neacuteant raquo et laquo totaliteacute 7 raquo Il restait agrave lrsquoeacutetat informe inconsistant instable laquo Il ne trouvait pas drsquoendroit ougrave il pucirct se tenir 80 raquo Arriva lrsquoinstant ougrave Toum deacutesira deacutevelopper une activiteacute creacuteatrice il voulut laquo fonder dans son cœur 8 raquo tout ce qui existe Pour cela laquo il se dressa parmi ce qui eacutetait dans le Noun hors du Noun et des choses inertes 82 raquo un autre texte dit qursquoil laquo monta 8 raquo hors de lrsquoeau primordiale sans qursquoon sucirct preacuteciser comment il fit cette monteacutee 8 Degraves lors le soleil Racirc exista la Lumiegravere fut Les Eacutegyptiens nrsquoadmettaient pas qursquoil y eucirct en ce premier moment de la creacuteation deux dieux distincts Toum dans lrsquoeau primordiale et Racirc sorti de lrsquoeau Non point Toum srsquoeacutetait exteacuterioriseacute par la force de son deacutesir creacuteateur il eacutetait devenu Racirc-Soleil sans cesser drsquoecirctre Toum Le vulgaire ne faisait agrave cette theacuteorie imagineacutee par les theacuteologiens drsquoHeacuteliopolis drsquoautre objection que celle-ci laquo Comment la Lumiegravere (Racirc) pouvait-elle exister agrave lrsquoeacutetat inerte (Toum) dans lrsquoeau du Noun sans que cette eau eacuteteignicirct le feu raquo On reacutesolut la difficulteacute par des explications alleacutegoriques Toum-Racirc eacutetait dans le Noun comme un faucon qui ferme les deux yeux srsquoil les ouvre hors de lrsquoeau son œil droit le Soleil luit 8 ou

76 Pyr drsquoOunas 077 tepeht noun ap Hymns to Amon of pap Leyden publieacutes par Gardiner Aegyptische Zeits-chrift XLII p 7 Le manuscrit est dateacute du regravegne de Ramsegraves II par une indication donneacutee au verso (vers 20 av J-C)78 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 7 Quand les Eacutegyptiens essayaient de donner une forme concregravete agrave cette conception ils repreacutesentaient Noun sous la forme drsquoun dieu agrave forme humaine plongeacute jusqursquoagrave la poitrine dans un bassin plein drsquoeau et soutenant de ses bras leveacutes en lrsquoair les dieux qui sortirent de son sein CC Budge egyptian ideas of the future life p 27 Ce sens est expresseacutement indiqueacute au papyrus de Leyde (Aegyptische Zeitschrift XLVII p ) Les textes expriment souvent lrsquoideacutee que tout ecirctre et toute chose existent de toute eacuteterniteacute dans le Noun (pyr drsquoOunas 0 de teti 78) et y retournent apregraves la mort Cf Pierret eacutetudes eacutegyptologiques I p 80 Budge pap de nesiamsou p 08 nesiamsou p 082 nesiamsou p 8 pap de Leyde A Z XLII p -2 laquo Se levant sur son trocircne selon lrsquoacte de son cœurhellip on ne connaicirct pas sa monteacutee raquo8 Toum est la forme locale de Racirc agrave Heacuteliopolis et deacutesigne le soleil la tradition qui fait de Toum le dieu vivant au sein du Noun et le Deacutemiurge est donc drsquoorigine heacuteliopolitainne (cf Maspero eacutetudes de mythologie II p 26)8 Voir les textes citeacutes par Brugsch religion und Mythologie p 0 Cf Au temps des pharaons

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

bien Toum-Racirc eacutetait un lotus cacheacute au sein des eaux quand la fleur eacutemergea au-dessus de lrsquoonde Toum le jeune (Nefer-Toum) en surgit et devint le Soleil 86

Quant au proceacutedeacute de creacuteation employeacute par Toum il semble bien que ce fut la Voix ou le Verbe Drsquoapregraves la tradition la plus commune celle du Livre des Morts 87 (dont nous posseacutedons des reacutedactions degraves la Xie dynastie) le lieu ougrave Toum srsquoeacutetait manifesteacute en tant que Racirc eacutetait preacuteciseacutement la ville drsquoHermopolis la citeacute de Thot celui qursquoon appellera le dieu qui creacutee par la voix le Verbe fait Dieu 88 Ceci serait deacutejagrave une indication suffisante pour admettre lrsquohypothegravese de Brugsch 8 et de Maspero 0 crsquoest par le Verbe que Toum suscita la Lumiegravere Jrsquoajouterai que plusieurs textes la confirment expresseacutement Au papyrus de Leyde on rapporte du Deacutemiurge laquo qursquoil a dit ses formes raquo (ded-f qaou-f ) papyrus de Nesiamsou le deacutemiurge prononce laquo Jrsquoai creacuteeacute toutes les formes avec ce qui est sorti de ma bou-che alors qursquoil nrsquoy avait ni ciel ni terrehellip2 raquo Un des versets les plus anciens du chap xvii du Livre des Morts mentionne un certain jour qui porte le nom laquo Jour de Viens agrave moi raquo variantes laquo Viens ici Viens agrave nous raquo une glose explique crsquoest le jour ougrave Osiris a dit agrave Racirc laquo Viens ici raquo laquo Viens agrave moi raquo ou laquo Viens agrave nous raquo Or au cours du chapitre xvii Osiris deacuteclare srsquoidentifier agrave lrsquoEau primor-diale au Deacutemiurge Toum en ces termes laquo Je suis Toum celui qui existait seul dans le Nounhellip Je suis le dieu grand qui se creacutee lui-mecircme crsquoest-agrave-dire le Noun pegravere des dieuxhellip raquo Il est probable que selon lrsquointerpreacutetation de de Rougeacute 6 et de Maspero 7 le jour mentionneacute ici est celui de la creacuteation du monde Le cri Viens ici ou Viens agrave moi serait le Verbe profeacutereacute par Toum-Osiris qui a fait surgir la Lumiegravere du chaos

Tel fut le premier acte de la creacuteation Apregraves lrsquoapparition de la Lumiegravere susciteacutee

p 28 sq86 ibid p Cf todtenbuch eacuted Naville (ch 8) t I pl 2- Les textes des Pyramides mentionnent deacutejagrave Nefer-Toum sortant du lotus (Ounas I )87 Chap xvii eacuted Naville88 Brugsch religion p 2 678 religion und Mythologie p 00 Histoire I p 0 A Z XLII p 22 nesiamsou p Cf Naville Variantes p 7 Formule la plus ancienne qui apparaicirct aux sarcophages des XIe-XIIe dynasties (Maspero Mission du Caire I p 6 (Horhotep) p 22 (Hori) p 220 (Sitbaslit) Formule ordinaire depuis la XIIe dynastie (Louvre stegravele C I )6 revue archeacuteologique er avril 860 p 27 Bibliothegraveque eacutegyptologique t I p 6 ndeg 6

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

par le Verbe Toum-Racirc proceacuteda au second acte creacuteateur qui donna naissance aux ecirctres et aux choses Les textes sacreacutes affirment que tout ce qui existe au monde dieux hommes animaux plantes les terres et les eaux la matiegravere et lrsquoesprit universels ne sont qursquoune eacutemanation (tat) du Deacutemiurge et forment comme les membres de son corps aussi dit-on du dieu suprecircme laquo crsquoest la somme de lrsquoexis-tence et des ecirctres 8 raquo Je nrsquoinsisterai pas ici sur cette explication pantheacuteiste de lrsquoUnivers il nous inteacuteresse davantage de savoir si dans cette creacuteation des ecirctres et des choses les textes eacutegyptiens attribuent au Verbe divin le mecircme rocircle que les textes hermeacutetiques

A ce sujet les traditions diffeacuteraient en Eacutegypte suivant les lieux et le temps A Heacuteliopolis on enseignait aux plus anciennes eacutepoques que Toum-Racirc avait procreacuteeacute les dieux ancecirctres de tous les ecirctres vivants agrave la faccedilon humaine par une eacutemission de semence ou qursquoil srsquoeacutetait leveacute sur le site du temple du Pheacutenix agrave Heacuteliopolis et qursquoil y avait cracheacute le premier couple divin 200 Drsquoautres dieux qualifieacutes aussi de deacutemiurges avaient employeacute ailleurs drsquoautres proceacutedeacutes Phtah agrave Memphis 20 Hnoum agrave Eacuteleacutephantine 202 modelaient sur un tour les dieux et les hommes Thot-ibis couvait un œuf agrave Hermopolis 20 Neith la grande deacuteesse de Saiumls eacutetait le vautour ou la vache qui enfanta le Soleil Racirc alors que rien nrsquoexis-tait 20 Ce sont lagrave sans doute les explications les plus anciennes et les plus popu-laires de la creacuteation Mais une faccedilon plus subtile et moins mateacuterielle drsquoeacutenoncer que le monde est une eacutemanation divine apparaicirct degraves les textes des Pyramides la Voix du Deacutemiurge y devient un des agents de la creacuteation des ecirctres et des cho-ses

8 Sarcophage du Moyen Empire (Lepsius Aelteste texte p Maspero Mission I p 67 2 28 mdash Une glose qui apparaicirct degraves les textes de la XVIIIe dynastie (eacuted Naville Va-riantes p 0) ajoute laquo la somme de lrsquoexistence et des ecirctreshellip crsquoest son corps raquo pyr de peacutepi i 6 cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 27 laquo Comme Toum eacutetait seul dans le Noun la tradition disait brutalement agrave lrsquoorigine qursquoil avait joui de lui-mecircme et projeteacute deux jumeaux Shou et Tafnout Plus tard on avait cru adoucir la leacutegende en supposant qursquoil avait commenceacute par se creacuteer une femme la deacuteesse lousas dont le nom paraicirct indiquer une personnification de lrsquoacte mecircmehellip Cf sur ce proceacutedeacute de creacuteation A Wiedemann ein altaumlgyptischer Weltsshoumlpfungsmythus ap Urquell 88 p 7 voir aussi les papyrus de Leyde (A Z XLII p 2-6) et nesiamsou p 0200 pyr de peacutepi ii 66 Le premier couple est Shou et Tafnout le nom des dieux assone avec les termes eacutegyptiens qui deacutesignent lrsquoeacutemission de la salive Sur cette tradition cf pap de Leyde (A Z XLII p ) et nesiamsou p 020 Cf Brugsch religion und Mythologie p 202 ibid p 20 Erman religion eacutegyptienne p 0 (Livre des Morts ch 8 I )20 Brugsch religion p

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les hommes reconnaissaient deacutejagrave cette Voix dans le bruit du tonnerre (la voix du ciel hrou m pet) quand elle se manifeste laquo le ciel parle la terre tremble Geb (la terre) est eacutebranleacutee les reacutegions retentissent de cris les dieux srsquoagitent agrave la voix 20 raquo mais au temps de la creacuteation des ecirctres le jour de la laquo premiegravere fois raquo voici comment on se repreacutesentait lrsquoaction de la voix divine laquo hellip Le dieu apparut sur son trocircne quand son cœur le voulut alors tous les ecirctres eacutetaient dans la stu-peur silencieuse de sa force Il caqueta un cri comme lrsquooiseau grand caqueteur en tous lieux pour creacuteer et il eacutetait tout seul Il commenccedila agrave parler au milieu du silencehellip il commenccedila de crier la terre eacutetait dans une stupeur silencieuse ses ru-gissements ont circuleacute partout sans qursquoil y eucirct un second dieu (avec lui) faisant naicirctre les ecirctres il a donneacute qursquoils vivent 206 raquo En effet la Voix creacutee aussi la nourri-ture des dieux et des hommes celle-ci prend degraves lors le nom caracteacuteristique de per hrou (sortie de voix eacutemission de voix 207) La voix du dieu engendre encore les formes des deacutefunts ressusciteacutes apregraves la mort 208 Eacutemettre les paroles profeacuterer des ordres ou des jugements (out medtou oudacirc medtou) est une des expressions qui caracteacuterisent dans les textes des Pyramides le pouvoir souverain des dieux 20 Au cours des siegravecles on trouve pour cette ideacutee une expression plus abreacutegeacutee on dit qursquoil suffit au dieu pour creacuteer drsquoouvrir la bouche Une formule de la XIIe dy-nastie explique que laquo les dieux drsquoAbydos sont sortis de la bouche de Racirc 20 raquo Les hymnes qui fleurissent depuis la XVIIIe dynastie reacutepegravetent que le Deacutemiurge laquo a creacuteeacute les dieux en eacutemettant des paroles raquo on dit que les hommes sont sortis des yeux du dieu tels que des larmes tandis que les dieux tombent de sa bouche 2 A partir du Nouvel Empire theacutebain cette formule est une de celles qui se ren-contrent le plus communeacutement Voici quelques exemples laquo Il (le Deacutemiurge) a eacutedifieacute les hommes avec les pleurs de son œil il a parleacute ce qui appartient aux dieuxhellip Les hommes sont sortis de ses deux yeux les dieux se manifestent quand il parlehellip il a eacutemis la parole et les dieux se manifestenthellip les hommes sortent de ses deux yeux divins les dieux de sa bouche 22 Sa parole est une substance 2hellip raquo

20 Voir les textes des Pyramides citeacutes par A Moret rituel du culte divin p 7 et suiv206 papyrus de Leyde A Z XLII p 207 Maspero eacutetudes de Mythologie II p 7 n 208 pyr de peacutepi ii I 80 220 A Moret rituel du culte divin p 20 Louvre stegravele C I -62 A Moret rituel p nesiamsou p Il y a jeu de mot entre rmj-t laquo larme raquo et rmt laquo homme raquo22 Cf rituel du culte divin p -2 Greacutebaut Hymne agrave Amon racirc p -2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Nrsquoest-ce point lagrave lrsquoideacutee du Verbe creacuteateur qui inspire les textes hermeacutetiques et dont nous trouvons lrsquoeacutecho dans lrsquoEacutevangile selon saint Jean laquo Toutes choses ont eacuteteacute faites par le Verbe et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui 2 raquo

Au moment ougrave srsquoeacutelaboregraverent les plus anciens de ces textes ceux des Pyramides le Verbe nrsquoeacutevoquait peut-ecirctre encore pour les Eacutegyptiens que lrsquoimage mateacuterielle de ce qui eacutetait nommeacute et non pas un concept Former le nom de quelqursquoun ou de quelque chose cela eacutequivaut agrave faccedilonner une image elle prend vie degraves que la bouche prononce le nom 2 laquo Le nom est ainsi une image qui se confond avec son objet il devient cet objet lui-mecircme moins mateacuteriel adapteacute agrave lrsquousage de la penseacutee (Hartland) raquo Pour un Eacutegyptien le nom-image a une reacutealiteacute concregravete une leacutegende conserveacutee sur un papyrus dont Lefeacutebure a donneacute lrsquointerpreacutetation nous le prouve clairement Il y est question du dieu Racirc blesseacute dangereusement par un serpent le dieu ne sera gueacuteri que si lrsquoon prononce son nom en lequel reacuteside sa toute-puissance A la naissance du dieu ce nom avait eacuteteacute dit par son pegravere et sa megravere puis cacheacute dans sa poitrine afin que nul ne le pucirct deacuterober or Racirc consent agrave se laisser fouiller par Isis qui trouve le nom et srsquoen saisit disposant ainsi de lrsquoacircme et de la force du dieu 26 Le nom comme lrsquoa deacutemontreacute Lefeacutebure eacutetait donc pour les Eacutegyptiens une des formes de lrsquoacircme et le signe distinctif de la personnaliteacute 27

Dans ces conditions on comprendra pourquoi les Eacutegyptiens deacutefinissaient le pouvoir creacuteateur du Deacutemiurge en disant simplement qursquoil a nommeacute les dieux les hommes et les choses De lagrave lrsquoexplication de ce verset du Livre des Morts laquo Racirc a fait de tous ses noms le cycle des dieux qursquoest-ce que cela (glose) crsquoest Racirc qui a creacuteeacute ses membres devenus les dieux de sa suite 28 raquo Et ailleurs laquo il est le dieu aux grands noms qui a parleacute ses membres raquo Inversement on deacutecrira les temps anteacute-rieurs agrave la creacuteation en ces termes laquo Nul dieu nrsquoexistait encore on ne connaissait le nom drsquoaucune chose 2 raquo Enfin pour exprimer cette ideacutee que le Deacutemiurge a tout creacuteeacute de son propre fonds le papyrus de Leyde explique laquo Il nrsquoexistait point drsquoautre dieu avant lui ni drsquoautre dieu avec lui quand il a dit ses formes il nrsquoexis-tait point de megravere pour lui qui lui ait fait son nom point de pegravere pour lui qui lrsquoait

2 I 2 Cf Lefeacutebure La vertu et la vie du nom ap Meacutelusine VIII n 026 Lefeacutebure Un chapitre de la chronique solaire ap Zeitschrift fuumlr Aegyptische sprache 88 p 027 Lefeacutebure Meacutelusine VIII ndeg 0 p 2028 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 20 Cf Naville Variantes p ougrave lrsquoun des textes donne laquo Crsquoest Racirc ses creacuteations crsquoest le nom de ses membres devenus ses dieux raquo2 A Moret rituel p 2

60

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutemis en disant laquo Crsquoest moi (qui lrsquoai creacuteeacute) raquo Nrsquoest-ce pas affirmer formellement que rien nrsquoexiste avant que le creacuteateur ne lrsquoait nommeacute 220

Cette creacuteation par la parole nrsquoeacutetait-elle cependant qursquoune simple opeacuteration magique par laquelle la voix suscitait agrave la vie un ecirctre ou une chose en les deacutefinis-sant par le nom-image Crsquoest lagrave un concept de peuples resteacutes agrave un stade eacuteleacutemen-taire de civilisation II reste agrave savoir si les Eacutegyptiens ne se sont pas eacuteleveacutes jusqursquoagrave cette ideacutee que le Deacutemiurge avait penseacute le monde avant de le parler

Reacuteponse est faite par un precirctre du sacerdoce de Memphis dont le tombeau nous a conserveacute un chapitre de doctrine theacuteologique Longtemps mal publieacute et mal compris ce fragment a eacuteteacute reconnu agrave sa juste valeur par M Breasted et eacuteluci-deacute par MM Maspero et Erman 22 Il en ressort que les theacuteologiens distinguaient dans lrsquoœuvre du Verbe la part de la penseacutee creacuteatrice qursquoils appellent le cœur et celle de lrsquoinstrument de creacuteation la langue tout Verbe est drsquoabord un concept du cœur pour prendre corps et se reacutealiser celui-ci a besoin de la parole

Le texte deacutefinit drsquoabord le rocircle du Deacutemiurge laquo Crsquoest lui le premier dans le cœur et la bouche de tout dieu de tout homme de tout animal de tout vermis-seau qui tous ne vivent qursquoen vertu de la faculteacute qursquoil a de penser et drsquoeacutenoncer toute chose qui lui plaicirct (en particulier) son Enneacuteadehellip Or cette Enneacuteade crsquoest les dents et les legravevres les veines et les mains de Toumhellip LrsquoEnneacuteade crsquoest aussi les dents et les legravevres de cette bouche qui proclame le nom de toutes choses raquo (Toujours le rappel que les dieux ne sont que les membres du Deacutemiurge)

laquo La langue donne naissance agrave tous les dieux agrave Toum et agrave son Enneacuteade et ainsi se forme toute parole divine en penseacutee du cœur en eacutemission de la langue elle creacutee les forces vitales bienfaisantes apaise les nuisibleshellip par la vertu de cette parole qui creacutee ce qui est aimeacute et ce qui est deacutetesteacute (le mal et le bien) crsquoest la langue qui donne la vie au juste et la mort agrave lrsquoinjuste crsquoest elle qui creacutee tout travail tout meacutetier les mains agissent les pieds vont tous les membres srsquoagitent lorsqursquoelle eacutemet la parole penseacutee du cœurhellip raquo

Ce texte met en pleine lumiegravere le meacutecanisme de la creacuteation par le Verbe Voici les conclusions de M Maspero ainsi laquo selon notre auteur toute opeacuteration creacutea-trice doit proceacuteder du cœur et de la langue et ecirctre parleacutee en dedans penseacutee puis eacutenonceacutee au dehors en paroleshellip Les choses et les ecirctres dits en dedans nrsquoexistent

220 A Z XLII p Inversement pour tuer quelqursquoun par exemple le deacutemon Apophis on commence une incantation par ces termes laquo Que son nom ne soit plus raquo (nesiamsou p )22 Breasted ap A Z XXXIX ) - G Maspero ap recueil XXIV p 68-7 Erman ein Denkmal memphitischer Theologie (ap sitzungsberichte preussischen Akad Berlin )

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

qursquoen puissance pour qursquoils arrivent agrave lrsquoexistence reacuteelle il faut que la langue les parle au dehors solennellement raquo

Sans doute faut-il noter que ce texte est drsquoune reacutedaction qui ne remonte pas plus haut que le regravegne de Shabaka (vers 700 av J-C) Mais le reacutedacteur nrsquoa pas manqueacute drsquoavertir qursquoil copiait un original ancien 222 et qursquoil reproduisait une tra-dition seacuteculaire M Erman qui a distingueacute avec sagaciteacute les diffeacuterents eacuteleacutements du texte conclut que laquo crsquoest un document de la plus haute antiquiteacute 22 raquo Les allusions contenues dans les textes anteacuterieurs permettent de discerner derriegravere la theacuteorie de la toute-puissance du Verbe la notion drsquoune intelligence divine dont le Verbe nrsquoest que la manifestation creacuteatrice

Une autre ideacutee fort importante se deacutegage du texte commenteacute ci-dessus Il y est dit expresseacutement que le dieu Phtah renferme en lui la puissance du cœur (es-prit) et de la langue (verbe) mais cœur et langue tout en nrsquoeacutetant que des facul-teacutes de Phtah prennent les formes visibles de deux dieux Horus (cœur) et Thot (langue) Est-ce que Phtah Horus et Thot ne constitueraient pas une Uniteacute-Tri-niteacute conception qui fut si en faveur agrave la fin de la civilisation eacutegyptienne hellip

A lrsquoeacutepoque alexandrine lrsquounion de lrsquoIntelligence divine et du Verbe srsquoexprimait par le dogme de la triniteacute hermeacutetique qui deacutefinit la diviniteacute comme une associa-tion de lrsquointelligence νοῦς du verbe λόγος et de lrsquoesprit πνεῦμα Sous sa forme la plus mateacuterielle la triniteacute srsquoeacutetait imposeacutee depuis tregraves longtemps aux dieux eacutegyp-tiens dans chaque ville on imaginait que le dieu local formait avec sa femme et son fils 22 une famille qui devenait une triade Mais crsquoest lagrave une conception an-thropomorphique drsquoorigine populaire Les theacuteologiens trouvegraverent moyen agrave vrai dire de ramener la triade agrave lrsquouniteacute M Maspero a eacutetabli que dans les triades laquo le pegravere et le fils eacutetaient si lrsquoon voulait un personnage et que lrsquoun des deux parents dominait toujours lrsquoautre de si haut qursquoil lrsquoannulait presque entiegraverement tantocirct la deacuteesse disparaissait derriegravere son eacutepoux tantocirct le dieu nrsquoexistait que pour justi-fier la feacuteconditeacute de la deacuteesse et ne srsquoattribuait drsquoautre raison drsquoecirctre que son emploi de mari On en vint assez vite agrave mecircler deux personnages si eacutetroitement unis et agrave les deacutefinir comme eacutetant les deux faces les deux aspects masculin et feacuteminin drsquoun seul ecirctre Drsquoune part le pegravere eacutetait un avec le fils et de lrsquoautre il eacutetait un avec la

222 laquo Sa Majesteacute Shabaka eacutecrivit ce livre agrave nouveau dans la maison de son pegravere Phtah de Mem-phis Sa Majesteacute lrsquoavait trouveacute eacutecrit par les ancecirctres mais il avait eacuteteacute mangeacute des vers et on nrsquoy reconnaissait plus rien du commencement agrave la fin Sa Majesteacute lrsquoeacutecrivit agrave nouveau si bien qursquoil eacutetait plus beau qursquoavanthellip raquo (Erman l c p 2)22 L c p222 Un dieu peut se combiner aussi avec deux deacuteesses ou une deacuteesse avec deux macircles

62

Les Mystegraveres eacutegyptiens

megravere la megravere eacutetait donc une avec le fils comme avec le pegravere et les trois dieux de la triade se ramenaient agrave un dieu unique en trois personnes 22 raquo

En reacutealiteacute ce proceacutedeacute de ramener les triades agrave lrsquouniteacute relegraveve drsquoun systegraveme po-litique centralisateur plutocirct que drsquoun concept theacuteologique Mais le texte analyseacute plus haut donne une tout autre impression Il nrsquoest plus question ici drsquoune fa-mille divine crsquoest une association de trois dieux spirituels Phtah lrsquointelligence suprecircme Horus le cœur crsquoest-agrave-dire lrsquoesprit qui anime et Thot le verbe instru-ment de la creacuteation

laquo Celui qui devient Cœur celui qui devient Langue en eacutemission de Toum crsquoest le grand Phtah Horus srsquoest produit (en Toum) Thot srsquoest produit (en Toum) sous la forme de Phtah la puissance du Cœur et de la Langue se sont produi-tes en lui raquo Aussi Phtah est-il qualifieacute dans le mecircme texte laquo Cœur et Langue de lrsquoEnneacuteade raquo Il semble en reacutesulter que les theacuteologiens de lrsquoeacutepoque ramesside essayaient de constituer agrave cocircteacute de lrsquoEnneacuteade traditionnelle une Triniteacute-Uniteacute de conception purement meacutetaphysique celle de Phtah-Horus-Thot = Deacutemiurge-Esprit-Verbe Mais cette triniteacute ne se deacutegage pas des cadres theacuteologiques elle est subordonneacutee agrave Toum et ne peut encore se passer de lrsquoEnneacuteade

Un effort plus accentueacute vers la conception drsquoune Triniteacute-Uniteacute apparaicirct dans le papyrus de Leyde de lrsquoeacutepoque des Ramessides reacutecemment publieacute par M Gar-diner 226 Voici comment y est deacutefinie la nature du dieu suprecircme de lrsquoeacutepoque Amon-Theacutebain laquo Trois dieux sont tous les dieux Amon Racirc Phtah qui nrsquoont pas leurs pareils Celui dont la nature (litt le nom) est mysteacuterieuse crsquoest Amon Racirc est la tecircte Phtah est le corps Leurs villes sur terre eacutetablies agrave jamais sont Thegrave-bes Heacuteliopolis Memphis (stables) pour toujours Quand il y a un message du ciel on lrsquoentend agrave Heacuteliopolis on le reacutepegravete dans Memphis agrave Phtah (Neferher) on en fait une lettre eacutecrite en caractegraveres de Thot pour la ville drsquoAmon (Thegravebes) avec tout ce qui srsquoy rapporte La reacuteponse et la deacutecision sont donneacutees agrave Thegravebes et ce qui sort crsquoest agrave lrsquoadresse de lrsquoEnneacuteade divine tout ce qui sort de sa bouche celle drsquoAmon Les dieux sont eacutetablis pour lui suivant ses commandements Le message il est pour tuer ou pour faire vivre Vie et mort en deacutependent pour tous les ecirctres excepteacute pour lui Amon et pour Racirc (et pour Phtah) uniteacute-triniteacute 227 raquo

Malgreacute lrsquoobscuriteacute de certaines phrases il ressort que les trois grands dieux de

22 Maspero Histoire I p 0 0226 Hymns to Amon ap A Z XLII p 227 Litt laquo totaliseacutes trois raquo

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lrsquoeacutepoque ramesside constituent une Uniteacute-Triniteacute un Dieu en trois personnes que le texte deacutesigne en ces termes expregraves

Comme lrsquoexplique M Gardiner la volonteacute de la Triniteacute est une le texte cher-che comment fonctionne le meacutecanisme de cette commune administration du monde La penseacutee divine se reacutevegravele au ciel sous forme de message parleacute le Verbe divin reacutesonne aux oreilles dans la ville drsquoHeacuteliopolis dont le dieu repreacutesente la face de la triniteacute autant dire la tecircte pensante Le message est transmis agrave Phtah le corps de la triniteacute lagrave il est reacutepeacuteteacute prend une forme mateacuterielle et tangible une fois transcrit par lrsquoaide de Thot le scribe des dieux Quand le message a eacuteteacute agrave la fois penseacute agrave Heacuteliopolis et revecirctu drsquoune forme concregravete agrave Memphis il est soumis dans Thegravebes agrave lrsquoapprobation drsquoAmon le dieu dont le nom est cacheacute lrsquointelligence invisible Lui seul imprime lrsquoeacutelan deacutefinitif agrave la penseacutee divine et lrsquoenvoie comme un ordre de vie ou de mort aux dieux secondaires soumis agrave ses lois comme tout le reste des ecirctres

Si on compare le texte du papyrus de Leyde agrave lrsquoinscription graveacutee sous Sha-baka on lui trouvera me semble-t-il moins de subtiliteacute et une sorte de reacutealisme enfantin Le gouvernement divin y est preacutesenteacute sous une forme tangible et ma-teacuterielle et probablement imiteacutee du meacutecanisme de lrsquoadministration pharaonique Mecircme meacutelange de mysticisme et de mateacuterialisme dans la description suivante que le mecircme texte consacre agrave Amon lrsquointelligence suprecircme qui laquo a eacutemis Racirc et qui srsquounit agrave Toum de telle sorte qursquoil ne fait qursquoun avec lui raquo mdash laquo Amon raquo est-il dit laquo a son acircme au ciel son corps dans (la neacutecropole de) lrsquoAmenti sa statue dans Hermonthis pour servir de support agrave ses apparitionshellip Amon (celui qui se cache) se voile pour les dieux on ne connaicirct point son aspecthellip nul dieu ne connaicirct sa vraie nature et sa forme nrsquoest point deacutecrite dans les livreshellip il est trop mysteacuterieux pour qursquoon deacutecouvre sa gloire il est trop grand pour qursquoon le discute trop puissant pour qursquoon le connaissehellip228 raquo A coup sucircr nous sommes loin encore du concept de Dieu Intelligence pure Cependant nous approchons de la triniteacute hermeacutetique qui saura deacutefinir avec plus de preacutecision le dieu un et multiple agrave la fois intelligence esprit et raison

Lrsquointelligence divine apregraves avoir creacuteeacute et animeacute le monde par le Verbe ne se deacutesinteacuteressait pas de ses creacuteatures et gardait contact avec elles Quand Platon et apregraves lui saint Augustin deacutefinissent ainsi le pouvoir du dieu Thot laquo Crsquoest le dieu Verbe lui-mecircme le Verbe aileacute qui par le commerce les arts la science circule

228 Aeg Zeitschrift XLII p -

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

au travers des hommes les rapproche les civilise sert de messager agrave la penseacutee divine 22 raquo ils reprennent une conception traditionnelle en Eacutegypte drsquoapregraves la-quelle toute connaissance reacuteside en Dieu ou vient de Dieu Au papyrus de Leyde on lit agrave propos drsquoAmon laquo Son cœur connaicirct tout ses legravevres goucirctent tout son ka (son essence) crsquoest toutes les existences neacutees de sa langue 20 raquo Arts et sciences de tout genre eacutetaient des secrets des mystegraveres dont les hommes ne prenaient connaissance que par reacuteveacutelation divine Les papyrus meacutedicaux par exemple pas-saient pour ecirctre tombeacutes du ciel et avoir eacuteteacute trouveacutes dans les temples au pied drsquoune statue de dieu 2 De mecircme pour les rituels ou livres sacreacutes ils parviennent aux hommes par miracle eacutecrits de la main mecircme du dieu Thot Bien avant lrsquoeacutepo-que alexandrine Thot eacutetait deacutejagrave le grand initiateur de lrsquohumaniteacute en tant que laquo dieu des paroles divines raquo Et comme personnification de la laquo Langue il y avait en Thot le sage une force plus grande que celle de tous les dieux 22 raquo Mais les dieux principaux de chaque ville ne reacutepugnaient pas agrave jouer eux-mecircmes le rocircle de providence Ainsi disait-on drsquoAmon laquo Amon repousse les maux et chasse les maladies crsquoest un meacutedecin qui gueacuterit les yeux sans (avoir besoin de) remegravedes raquo

La parole divine eacutecrite ou parleacutee ne reacutevegravele pas seulement la science elle fait connaicirctre le sens de la vie lrsquointelligence des choses elle ouvre aux hommes les secrets de la suprecircme Raison Dans les eacutecrits hermeacutetiques le laquo Verbe raquo Λόγος si-gnifie laquo raison raquo aussi bien que laquo parole raquo dans les textes eacutegyptiens Thot le dieu de la parole sainte qui a reacuteveacuteleacute les arts les sciences les lettres aux hommes a comme compagne eacuteternelle Macirciumlt (Maacirct) la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Jus-tice et de la Raison

La Veacuteriteacute est le contraire de lrsquoerreur et du mensonge par conseacutequent son caractegravere propre est la science la justice la raison 2 Elle est la substance mecircme du Dieu creacuteateur elle se confond avec lui ou pour se servir des expressions liturgiques Macirciumlt est agrave la fois la megravere du dieu qui lrsquoa creacuteeacute sa fille puisqursquoelle est aussi œuvre du dieu le dieu lui-mecircme puisque Dieu est toute connaissance toute veacuteriteacute toute justice Elle est si semblable au dieu qursquoelle constitue la nour-

22 Reitzenstein Zwei relig Fragen p 820 A Z XLII p 8 Litteacuteralement la connaissance sa crsquoest son cœur le goucirct hou ce sont ses legravevres son ka crsquoest tout ce qui existe (issu) de sa langue laquo Sur les rapports de sa hou avec le ka voir plus loin2 Voir les textes reacuteunis par Weill Monuments de la iie et de la iiie dynasties p et suiv22 recueil de travaux XXIX p 72 Pierret eacutetudes eacutegyptologiques II p

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

riture journaliegravere des ecirctres divins agrave elle seule elle reacutesume toutes les offrandes mateacuterielles et spirituelles et crsquoest pourquoi il faut la preacutesenter au dieu quand on ceacutelegravebre lrsquooffice divin

Lrsquooffrande drsquoune statuette de Macirciumlt la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Justice de la Raison est toujours repreacutesenteacutee agrave la place drsquohonneur sur la paroi du fond dans les sanctuaires eacutegyptiens crsquoest donc lagrave lrsquoaboutissement du culte rendu aux dieux Celui qui offre Macirciumlt qursquoil soit le precirctre ou le roi est censeacute prendre agrave ce moment la personnaliteacute de Thot-Hermegraves le laquo maicirctre de Macirciumlt raquo et voici en quels termes il srsquoadresse au dieu laquo Je suis venu vers toi moi Thot (jrsquoarrive) les deux mains reacuteunies pour porter Macirciumlthellip Macirciumlt est venue pour qursquoelle soit avec toi Macirciumlt est en toute place qui est tienne pour que tu te poses sur ellehellip Voici venir les dieux et les deacuteesses qui sont avec toi en portant Macirciumlt ils savent que tu vis drsquoelle Ton œil droit est Macirciumlt ton œil gauche est Macirciumlt tes chairs et tes membres sont Macirciumlthellip le vecirctement de tes membres est Macirciumlt ce que tu manges est Macirciumlt ce que tu bois est Macirciumlt tes pains sont Macirciumlt ta biegravere est Macirciumlthellip Tu existes parce que Macirciumlt existehellip2 raquo

En lisant ces formules que lrsquoon retrouve plus ou moins deacuteveloppeacutees dans chaque sanctuaire eacutegyptien et agrave toutes les eacutepoques (agrave partir du moment ougrave les temples nous ont eacuteteacute conserveacutes crsquoest-agrave-dire depuis la XVIIIe dynastie) il est dif-ficile de ne point se rappeler ce que Platon dans le phegravedre nous dit de la Veacuteriteacute essence des dieux Voici les paroles qursquoil place dans la bouche de Socrate

laquo Aucun poegravete nrsquoa jamais ceacuteleacutebreacute la reacutegion qui srsquoeacutetend au-dessus du ciel aucun ne la ceacuteleacutebrera jamais dignement Voici pourtant ce qui en est car si lrsquoon doit toujours dire la Veacuteriteacute on y est surtout obligeacute quand on parle sur la Veacuteriteacute Lrsquoes-sence sans couleur impalpable sans forme ne peut ecirctre contempleacutee que par lrsquoIntelligence autour de lrsquoessence est le seacutejour de la science parfaite qursquoembrasse la Veacuteriteacute tout entiegravere Or la penseacutee des dieux qui se nourrit drsquoIntelligence et de Science sans meacutelange mdash comme celle de toute acircme avide de lrsquoaliment qui lui convient mdash admise agrave jouir de la contemplation de lrsquoEcirctre absolu srsquoabreuve de la Veacuteriteacute et est plongeacutee dans le ravissement elle contemple la Justice en soi la Science qui a pour objet lrsquoEcirctre des ecirctres Telle est la vie des dieuxhellip2 raquo Lrsquohymne du rituel eacutegyptien dont on a lu plus haut la traduction exprime les mecircmes ideacutees sous une forme agrave peine plus mateacuterielle Nous nrsquoexaminerons pas ici lrsquohypothegravese

2 rituel du culte divin p 8 et suiv laquo Chapitre de donner Macirciumlt raquo Les rois qui sont identifieacutes aux dieux disent de mecircme laquo Macirciumlt crsquoest mon pain raquo (Sethe Urkunden der 18 Dynastie p 8-7)2 Platon trad p

66

Les Mystegraveres eacutegyptiens

drsquoune influence de la penseacutee eacutegyptienne sur les theacuteories platoniciennes mais cette doctrine du Logos Verbe de raison et de veacuteriteacute que les philosophes greacuteco-alexandrins ont deacuteveloppeacutee avec tant de preacutedilection nrsquoavait-elle pas deacutejagrave reccedilu une expression fort preacutecise dans les eacutecoles theacuteologiques de lrsquoEacutegypte

La sagesse divine est donc reacuteveacuteleacutee aux hommes par la parole une loi morale srsquoen deacutegage qui se reacutesume en cette ideacutee laquo pratiquer la justice reacutealiser la Veacuteriteacute raquo

Les textes eacutegyptiens preacutecisent lrsquounion indissoluble de la Veacuteriteacute et du Verbe dans une expression caracteacuteristique un idiotisme intraduisible qui a eacutepuiseacute les efforts des eacutegyptologues Quand un ecirctre humain ou divin arrive soit par sa naissance soit par ses vertus ou meacuterites propres soit par proceacutedeacutes magiques agrave lrsquoeacutetat de gracircce que nous appelons sainteteacute ou diviniteacute les Eacutegyptiens disent de lui qursquoil reacutealise la voix qursquoil est Macirc-hrou Cette eacutepithegravete caracteacuterise les dieux le roi qui est un dieu vivant sur terre les hommes deacutefunts qui ont meacuteriteacute les paradis ou qui se sont munis des rites efficaces pour les atteindre enfin les hom-mes vivants en eacutetat de gracircce tels que les precirctres ceacuteleacutebrant lrsquooffice ou les magi-ciens armeacutes de formules Reacutealiser la voix cela veut dire avoir agrave sa disposition le Verbe creacuteateur qui donne toute puissance agrave nrsquoimporte quel moment et en toute occasion Le dieu ou lrsquohomme est-il en danger La parole divine dont il articule les sons renversera ses ennemis a-t-il quelques deacutesirs il en nomme lrsquoobjet qui se reacutealise aussitocirct a-t-il faim les laquo offrandes sortiront agrave la voix raquo degraves que leur nom aura eacuteteacute prononceacute car le miracle de la creacuteation par le Verbe se renouvelle dans tout temple et tout tombeau ougrave lrsquoon dit la parole efficace a-t-il besoin drsquoune justification devant le tribunal drsquoOsiris la parole divine vraie par sa na-ture donne agrave qui la possegravede la justice et la vertu Une expression si complexe peut se commenter non se traduire Aussi les eacutegyptologues ont-ils chacun agrave leur tour essayeacute vainement de rendre ces mots laquo Macirchrou raquo les traductions proposeacutees par Deveacuteria et Naville laquo triomphant raquo par Maspero laquo juste de voix raquo par Pierret laquo veacuteridique raquo par Virey laquo celui qui reacutealise en parlant dont la voix fait ecirctre vrai-ment raquo par moi-mecircme laquo creacuteateur par la voix doueacute de voix creacuteatrice 26 raquo sont inhabiles agrave rendre le sens complet de lrsquoexpression Ceci reste neacuteanmoins que pour caracteacuteriser la force la sagesse la vertu des ecirctres divins 27 les Eacutegyptiens ont associeacute le Verbe et la raison dans une expression composeacutee dont les deux termes

26 rituel du culte divin p 6 et suiv27 Et probablement aussi lrsquoinitiation aux rites osiriens qui reacutesume toutes les forces ou vertus deacutesirables

67

Les Mystegraveres eacutegyptiens

correspondent aux deux sens du mot non moins intraduisible Λόγος dont usent les textes hermeacutetiques

Il reacutesulte de cette reacutevision sommaire que pour les Eacutegyptiens cultiveacutes de lrsquoeacutepo-que pharaonique et des milliers drsquoanneacutees avant lrsquoegravere chreacutetienne le Dieu eacutetait conccedilu comme une Intelligence qui a penseacute le monde et qui a trouveacute le Verbe comme moyen drsquoexpression et comme instrument de creacuteation Cette parole creacutea-trice qui reacutesonne parfois au ciel telle que le tonnerre nrsquoatteste pas seulement la puissance du Dieu et nrsquoinspire pas seulement la terreur elle reacutevegravele aux hommes la science la raison la justice ce qui se reacutesume en un seul mot la Veacuteriteacute Par la theacuteorie du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur les eacutecrits hermeacutetiques nrsquoont fait que rajeunir une ideacutee ancienne en Eacutegypte et qui faisait partie essentielle du vieux fonds de la culture intellectuelle religieuse et morale 28

28 La planche II repreacutesente deux aspects du dieu Fils Horus portant le doigt agrave la bouche Ce geste qui agrave lrsquoorigine ne repreacutesente qursquoune attitude caracteacuteristique de lrsquoenfance semble avoir pris plus tard suivant une hypothegravese ingeacutenieuse de M Guimet une valeur symbolique et deacute-signerait un dieu du Verbe

68

III

La royauteacute dans Lrsquoeacutegypte prIMItIve pharaon et toteM

Il y a quinze ans encore la monarchie eacutegyptienne offrait une eacutenigme que lrsquoon deacutesespeacuterait presque de reacutesoudre jamais telle que la Minerve de la fable qui sortit tout armeacutee du cerveau de Jupiter elle se preacutesentait degraves lrsquoeacutepoque qursquoon appelait alors la plus lointaine (crsquoeacutetait la IVe dynastie 2800 ans avant notre egravere) comme un organisme adulte qui drsquoun seul jet et sans effort aurait atteint son complet deacuteveloppement Eacutetait-il possible que sans coup feacuterir la monarchie se fucirct incarneacutee dans un roi absolu veacuteneacutereacute en maicirctre sur la terre adoreacute en dieu dans les temples chef indiscuteacute des deux Eacutegyptes Comment en lrsquoabsence de monu-ments expliquer ce miracle Vinrent les fouilles drsquoAmeacutelineau de J de Morgan de Petrie qui jointes au labeur philologique drsquoautres savants ont enfin permis de remonter agrave un millier drsquoanneacutees plus haut vers les origines de la socieacuteteacute eacutegyp-tienne

Figure 0Eacutedifice surmonteacute drsquoune enseigne Poterie preacutehistorique 2

Dans les neacutecropoles archaiumlques drsquoAbydos de Negadah et drsquoHierakonpolis des vases ou fragments de vases en terre cuite ou en pierre dure ont revu le jour ils portaient sur leurs panses les noms des souverains des deux premiegraveres

2 Les figures reproduites ici dans le texte sont emprunteacutees agrave lrsquoillustration de la confeacuterence de V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme ougrave on trouvera leurs reacutefeacuterences Elles proviennent toutes de monuments archaiumlques

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dynasties et certaines repreacutesentations drsquoeacutedifices fortifieacutes Or ceux-ci sont sur-monteacutes drsquoenseignes qui ont la forme drsquoun animal drsquoune plante drsquoun objet Iden-tifier ces enseignes deacutefinir leur rocircle a eacuteteacute relativement facile la plupart eacutetant resteacutees en usage agrave lrsquoeacutepoque classique comme armoiries des provinces ou nomes crsquoest-agrave-dire comme laquo insignes de collectiviteacutes raquo on en a conclu avec raison que sur les monuments archaiumlques ces enseignes eacutetaient aussi des laquo emblegravemes ethni-ques raquo20 et qursquoelles peuvent nous eacuteclairer sur les premiers groupements sociaux de lrsquoEacutegypte Avant drsquoecirctre unifieacutee sous la domination drsquoun roi lrsquoEacutegypte avait eacuteteacute diviseacutee et de ces divisions ethniques nous connaissions tout au moins les signes de ralliement

En 06 M Loret dans une brillante confeacuterence faite au Museacutee Guimet sur lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme a deacutemontreacute que les enseignes qui apparaissent sur les monuments archaiumlques nrsquoeacutetaient pas seulement des drapeaux mais figuraient aussi pour les Eacutegyptiens primitifs les chefs et les dieux des diffeacuterents groupes ethniques Sur lrsquoune des enseignes celle du Faucon les monuments de lrsquoeacutepoque historique donnaient de preacutecieux eacuteclaircissements On savait qursquoelle avait donneacute son nom de Faucon agrave un groupe drsquoindividus laquo les compagnons ou adorateurs du Faucon raquo Hor shemsou et que le Pharaon lui-mecircme se dit un faucon et en porte le titre Hor faucon Or un objet qui est agrave la fois une enseigne un dieu un chef et en qui srsquoidentifient des hommes rentre dans une cateacutegorie bien deacutefinie crsquoest un totem le groupement ethnique auquel il preacuteside est un clan toteacutemique

M Loret reconnut donc sur les repreacutesentations des vases les totems du Faucon du Chien du Leacutevrier de lrsquoIbis du Scorpion du Lion des 2 Piques du Roseau etc Drsquoapregraves ce qursquoon savait du Faucon il conclut qursquoautour de chaque totem se groupait encore agrave cette eacutepoque un clan toteacutemique crsquoest pour cela que ces enseignes servaient de drapeaux agrave des groupements ethniques LrsquoEacutegypte en eacutetait donc vers 000 ans av J-C au reacutegime social du clan toteacutemique Pour deacutefinir cet eacutetat des rapprochements srsquoimposaient avec les peuples qui de nos jours vivent encore par clans ce sont les non-civiliseacutes des nouveaux mondes Lrsquoanalogie permettait de supposer que cette Eacutegypte archaiumlque dans laquelle on peacuteneacutetrait nrsquoeacutetait encore qursquoau degreacute de deacuteveloppement constateacute aujourdrsquohui chez telle peuplade de Negravegres ou drsquoAustraliens Le terrain de comparaison eacutetant trouveacute nous pouvons nous demander si ce que nous connaissons de lrsquoEacutegypte archaiumlque srsquoaccorde avec la deacutefinition de toute socieacuteteacute toteacutemique telle que lrsquoont

20 V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Bibliothegraveque de vulgarisation t XIX p 76)

70

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutetablie les travaux de Frazer et de Durkheim Quoique ces deux savants ne soient pas toujours drsquoaccord empruntons leurs lumiegraveres pour deacutefinir aussi exactement que possible ce qursquoest un totem et un clan toteacutemique 2

Le mot nrsquoest connu de nous que depuis les reacutecits des explorateurs du Nouveau Monde au xviiie siegravecle laquo Totem raquo est tireacute du dialecte objibway (tribu des Algon-quins) ougrave il signifie laquo marque famille raquo mais la chose la conception qursquoil deacutesigne srsquoest reacuteveacuteleacutee commune aux peuples non civiliseacutes dans beaucoup de pays Voici les traits geacuteneacuteraux du totem Avant tout ce nrsquoest pas un feacutetiche car le feacutetiche est un animal ou un objet diviniseacute La caracteacuteristique du totem au contraire crsquoest de deacutesigner un groupe une espegravece entiegravere drsquoecirctres ou drsquoobjets Il est pour cette espegravece comme le substratum des individus qui la composent en lui reacuteside agrave la fois la source vitale lrsquoeacutenergie geacuteneacuteratrice et le nom collectif (crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme perseacuteveacuterante) de la race puis encore la marque de cette parenteacute commune le blason et enfin lrsquoesprit protecteur la providence de cette race

Prenons un clan qui a adopteacute pour totem un loup Chaque membre du clan Loup est un loup il croit que le loup est lrsquoancecirctre animal mdash lui-mecircme sorti du sol comme les plantes mdash agrave qui des membres humains ont pousseacute qui srsquoest mis agrave marcher sur deux pattes a eacutepileacute son corps est devenu un loup-homme Tous les membres du clan descendent donc drsquoun vrai loup sont de la mecircme chair par conseacutequent fregraveres des autres loups resteacutes agrave lrsquoeacutetat sauvage (crsquoest-agrave-dire animal) mdash drsquoougrave lrsquointerdiction (tabou) de ne chasser ni tuer ni manger le loup-fregravere le totem

Une religion (au sens de lien) drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute groupe les membres du clan fils du totem autour de ce pegravere et bienfaiteur qui leur a donneacute vie et force Chacun porte la marque sacreacutee lrsquoeffigie du loup empreinte sur ses chairs on la tatoue sur les jeunes gens pendant les rites de lrsquoinitiation qui suit la puberteacute elle est apposeacutee en signature au bas des actes publics ou priveacutes on la sculpte ou on la peint sur les armes le mobilier les maisons on lrsquoeacuterige sur un poteau au faicircte des huttes ou agrave lrsquoentreacutee du village on la place sur la tombe des individus dont le nom toteacutemique (et non point personnel) sera ainsi sauvegardeacute pour lrsquoeacuteterniteacute Car apregraves la mort lrsquoindividu retourne agrave son totem Lrsquoeacutemanation du Loup qui srsquoeacutetait incarneacutee pour une existence passagegravere dans une forme humaine revient

2 J Frazer Le toteacutemisme (trad franccedil 88) Durkheim Les formes eacuteleacutementaires de la vie reli-gieuse le systegraveme toteacutemique en Australie 2 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode com-parative (ap revue de lrsquoHistoire des religions LVIII I p )

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

apregraves la mort se confondre et se reacutesorber dans le Loup ancestral drsquoougrave renaicirctront indeacutefiniment drsquoautres loups

Mais agrave chaque geacuteneacuteration lrsquoessence primitive du Loup devient plus lointai-ne sa force risque de srsquoatteacutenuer de srsquoaffaiblir Sans doute le Loup feacuteconde-t-il mystiquement toutes les megraveres mais encore faut-il peacuteriodiquement reprendre contact avec lrsquoancecirctre pour reacutegeacuteneacuterer le clan A cet effet une femme du clan souvent celle du chef srsquounira charnellement au totem Lrsquoacte est simuleacute si le to-tem est un ecirctre inanimeacute mais si crsquoest un animal lrsquoaccouplement drsquoune femme avec un repreacutesentant du type est souvent reacuteel Sauf cette exception religieuse toute relation sexuelle drsquohomme agrave femme dans le mecircme clan est rigoureusement prohibeacutee lrsquoexogamie crsquoest-agrave-dire le mariage en dehors du clan est la loi du groupement toteacutemique Hommes et femmes eacutepousent donc des individus de clans voisins et lrsquoenfant appartient au clan et au totem de sa megravere

De lagrave pour la vie du clan toteacutemique un germe drsquoaffaiblissement et de trans-formation Les enfants appartenant au totem de la megravere agrave chaque geacuteneacuteration toute la descendance macircle des hommes-loups passe aux clans des femmes eacutepou-seacutees agrave mesure que la tribu srsquoaccroicirct par mariages ses rejetons multiplient les clans nouveaux qui vivent cocircte agrave cocircte avec lrsquoancien Plus la tribu est nomade plus elle se dissout en uniteacutes nouvelles se subdivise en adoptant quelque varieacuteteacute animale ou aspect diffeacuterent du totem primitif (loup-chacal loup-cervier chien etc) Une socieacuteteacute agrave lrsquoeacutetat toteacutemique se preacutesente donc sous lrsquoaspect drsquoune cohue de plus en plus panacheacutee bigarreacutee et disperseacutee agrave chaque geacuteneacuteration Peu agrave peu la confusion devient telle qursquoune organisation nouvelle se creacutee par neacutecessiteacute alors la regravegle de lrsquoexogamie se relacircche et lrsquoon tolegravere les unions entre individus du mecircme groupe toteacutemique Le totem ne srsquoattachera plus agrave la race morceleacutee et alteacutereacutee apregraves tant de croisements mais agrave la localiteacute on aura des totems de pays agrave cocircteacute des totems de familles Enfin lrsquoimage du totem lui-mecircme arrive agrave figurer une sorte de geacutenie de la race qui joue encore le rocircle drsquoancecirctre et de providence mais perd peu agrave peu le contact avec les hommes du clan se retire de la terre et se transforme en dieu

Tel serait le scheacutema de lrsquoeacutevolution toteacutemique Retrouvons-nous dans lrsquoEacutegypte archaiumlque tous les traits ou seulement des traces drsquoun pareil eacutetat social

72

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure laquo Faucon combattant raquo nom royal de Ahacirc 2 laquo Faucon combattant raquo livre des prisonniers

Disons tout drsquoabord que les figures ou scegravenes graveacutees sur les vases et les pa-lettes votives ne reacutevegravelent que quelques eacutepisodes seulement de la vie des clans en Eacutegypte Lrsquoexistence mecircme des clans distingueacutes par des enseignes telles que M Loret les a reconnues nrsquoest pas douteuse car les enseignes apparaissent com-me marques distinctives dans des scegravenes qui touchent agrave la vie collective plus qursquoagrave la vie individuelle repreacutesentations de villages ou drsquoeacutedifices batailles fecirctes publi-ques cortegraveges etc Comme chez les autres primitifs la nature de ces enseignes est tregraves varieacutee ce sont des animaux (beacutelier chien lion leacutevrier eacuteleacutephant taureau faucon vautour ibis chouet-te vanneau silure abeille vi-pegravere scorpion) des veacutegeacutetaux (roseau sycomore palmier) des armes de chasse ou de guerre (flegraveches arc harpon hache boomerang) des si-gnes geacuteographiques (monta-gnes) ou astronomiques (cer-cle solaire 22)

22 La liste aussi complegravete que possible en a eacuteteacute dresseacutee par V Loret Les enseignes militaires des tribus et les symboles hieacuteroglyphiques des diviniteacutes (ap revue eacutegyptologique t X02)

Figure 2 mdash tLe nom royal de Narmer animeacute

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

On eacutelegraveve ces figures sur des pavois ou enseignes et on les arbore sur les eacutedifices ou les barques on les grave ou on les peint sur les vases les assiettes les statues car il faut que les membres du clan soient en communion constante avec leur totem

Figure Enseignes toteacutemiques animeacutees

Ces enseignes sont vivantes et interviennent dans la vie du clan On voit le faucon tenir dans ses serres le bouclier et le javelot (fig ) le silure brandit agrave deux bras greffeacutes sur son corps de poisson la massue pour assommer un ennemi (fig 2) le vautour amegravene des captifs par une corde (fig ) le faucon le scor-pion le lion manient le pic et deacutemolissent les remparts derriegravere lesquels srsquoabri-tent des rivaux (fig ) parfois lrsquoenseigne qui porte lrsquoemblegraveme a elle aussi des bras pour tenir la corde des captifs ou empoigner lrsquoadversaire 2 A cette vie on reconnaicirct que les emblegravemes sont des totems

2 V Loret Lrsquoeacutegyptehellip p 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figures -Eacutedicule drsquoenseigne et animal toteacutemique

Comme tels on les veacutenegravere en geacutenies protecteurs leurs images (si ce sont des objets inanimeacutes) leurs speacutecimens vivants (si ce sont des animaux) sont gardeacutes preacutecieusement dans des eacutedicules (fig -) construits de murs en clayonnage recouverts drsquoun toit en forme de demi-coupole aux parois on suspend des ob-jets votifs des palettes et des tablettes graveacutees de scegravenes qui commeacutemorent les victoires ou les fecirctes du clan 2 sur le toit on accroche le bucrane deacutepouille des animaux sacrifieacutes au totem un mur drsquoenceinte avec porte encadreacutee de deux haches planteacutees en terre encadre le sanctuaire primitif ougrave vit le palladium de la tribu Les monuments archaiumlques ne nous enseignent rien de plus sur le culte du totem mais des traditions resteacutees en honneur agrave lrsquoeacutepoque classique ont prolongeacute jusqursquoagrave nous lrsquoeacutecho des rites tregraves anciens qui se rapportent au culte des animaux toteacutemiques Si les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque romaine adoraient encore les taureaux Apis agrave Memphis Mneacutevis agrave Heacuteliopolis Bouchis agrave Hermonthis le bouc agrave Mendegraves le chat agrave Bubastis lrsquoibis agrave Hermopolis le faucon agrave Edfou le crocodile au Fayoum et agrave Ombos srsquoil eacutetait deacutefendu de tuer et de manger tel ou tel animal mais seule-ment dans la ville ougrave il eacutetait adoreacute mdash crsquoest par respect pour des traditions drsquoune antiquiteacute deacutemesureacutee qui nous ont conserveacute vivants les cultes des anciens clans toteacutemiques Aussi pouvons-nous admettre que les membres srsquoabstenaient de tuer et de manger le totem pendant sa vie on le nourrissait et on lrsquoadorait agrave sa mort on le pleurait solennellement jusqursquoagrave lrsquoinstallation de son successeur (comme on faisait pour les Apis agrave lrsquoeacutepoque classique)

2 Les plus importantes sont reproduites dans lrsquoouvrage de J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte 0

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

En retour le totem eacutetait la providence du clan eacutegyptien Pendant la paix sa preacutesence dans le sanctuaire du village assure la prospeacuteriteacute au combat il marche en tecircte des guerriers et il lutte agrave sa faccedilon contre les adversaires Le totem protegravege ainsi ses descendants et ses fregraveres Le lien du sang qui existe entre lui et la tribu qui porte son nom est tenu pour reacuteel et non fictif Peacuteriodiquement une femme du clan srsquounit au totem Heacuterodote 2 nous rapporte qursquoagrave Mendegraves de son temps le bouc sacreacute srsquoeacutetait accoupleacute agrave une femme Strabon et Diodore relatent le mecircme fait agrave Memphis et agrave Thegravebes le rite se pratiquait encore agrave Rome au temps de Tibegravere dans le temple drsquoAnubis 26 Ces unions monstrueuses qui persistaient drsquoune faccedilon sporadique ne sont qursquoune survivance du temps ougrave lrsquoanimal toteacute-mique perpeacutetuait sa race pour feacuteconder le clan

Crsquoest agrave peu pregraves tout ce que donnent les monuments sur lrsquoexistence drsquoun eacutetat social toteacutemique en Eacutegypte il est impossible de veacuterifier si lrsquoexogamie eacutetait en usage du moins aucune trace nrsquoen est resteacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave les documents commencent agrave nous renseigner sauf lrsquousage de la descendance en ligne feacutemi-nine encore srsquoexplique-t-elle aussi par la pratique de la polygamie En somme lrsquoEacutegypte mecircme agrave lrsquoeacutepoque archaiumlque ne preacutesente plus que des survivances de toteacutemisme 27 preuve en est la position du roi dans la socieacuteteacute drsquoalors

A partir du moment ougrave lrsquoon trouve dans les tombes autre chose que de sim-ples vases peu ou pas deacutecoreacutes degraves que les monuments agrave inscriptions ou figures descriptives apparaissent la socieacuteteacute se reacutevegravele monarchique et la monarchie se montre deacutejagrave centraliseacutee Les scegravenes graveacutees sur les vases et les palettes votives permettent de discerner des luttes de clans qui se terminent par le triomphe du clan du Faucon Or lrsquoexamen des monuments ougrave apparaicirct le faucon nous mon-tre que degraves cette eacutepoque tregraves lointaine lrsquoanimal est moins le chef drsquoun clan que le protecteur de la famille royale

2 II 626 Cf Ad-J Reinach Lrsquoeacutegypte preacutehistorique p 827 A Van Gennep revue de lrsquohistoire des religions LVIII p critiquant les conclusions trop absolues de V Loret se refusait en 08 agrave reconnaicirctre mecircme des traces de vrai toteacutemisme dans les donneacutees des documents eacutegyptiens et nrsquoy voyait qursquoune forme de zoolacirctrie Crsquoest agrave mon avis aller trop loin dans la reacuteserve prudente et la critique Jrsquoessaierai de montrer ci-apregraves que lrsquoideacutee toteacutemique a surveacutecu peut-ecirctre dans la notion du Ka ougrave ne se retrouve nulle trace de zoolacirctrie

76

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 6Le faucon proteacutegeant le roi

Le faucon apparaicirct drsquoabord comme enseigne royale porteacute sur un pavois il preacutecegravede le roi (et le roi seul) dans tous les tableaux des victoires ou des fecirctes royales srsquoil y a drsquoautres enseignes porteacutees devant le roi le faucon est le plus sou-vent en tecircte au premier rang Il combat pour le roi saisit ses ennemis ou les lui amegravene prisonniers Crsquoest donc le geacutenie protecteur du roi Comme tel on repreacute-sente le faucon volant (fig 6) ou au repos proteacutegeant la nuque du roi de ses ailes eacutetendues

Le faucon est avec le roi dans les rapports drsquoun totem avec son enfant De toute antiquiteacute le nom du faucon est le nom qui deacutesigne le roi (et le roi seul) Pour eacutecrire le nom du roi Ahacirc le laquo combattant raquo les Eacutegyptiens gra-vaient un faucon tenant dans ses serres bouclier et javelot (fig ) quoi de plus direct pour exprimer agrave tous les yeux lrsquoideacutee que le roi eacutetait le laquo faucon combat-tant raquo Depuis Ahacirc (qursquoil soit ou non le Menegraves des listes historiques) jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne signifiera laquo le roi raquo et sera le premier nom protocolaire du souverain Or qui dit nom dit essence acircme le roi est donc de mecircme essence que le faucon A lrsquoeacutepoque classique les textes srsquoeacutetendent avec complaisance sur la parenteacute du roi et du faucon Un prince royal enfant est ap-peleacute laquo le faucon dans son nid 28 raquo Monte-t-il sur le trocircne crsquoest le laquo faucon sur son cadre 2 raquo en cet instant dit Loret le Ka du faucon ancestral laquo descendait du ciel et venait srsquoincorporer srsquoincarner dans la personne du roi se surajouter raquo comme

28 Breasted A new chapter in the life of Thutmes iii p 62 A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p n litteacuteralement laquo sur son eacutedifice raquo

77

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le dit un texte du temple de Seacuteti Ier agrave Abydos 20 Le roi meurt-il Crsquoest laquo le faucon qui srsquoenvole au ciel 2 raquo pour rentrer dans le sein du dieu 22 dont il est issu

Sans doute ce sont lagrave figures de langage qui rappellent seulement des ideacutees et auxquelles on nrsquoattachait plus un sens litteacuteral Toutefois une tradition mon-tre combien fut durable en Eacutegypte la croyance de la parenteacute reacuteelle du roi et du totem A lrsquoeacutepoque classique les temples nous conservent le tableau de lrsquounion charnelle du dieu principal de lrsquoEacutegypte Racirc 2 ou Amon-Racirc avec la femme du roi de cette laquo theacuteogamie raquo naissait lrsquoheacuteritier royal 2 Il est difficile drsquoadmettre qursquoon crucirct agrave la reacutealiteacute effective de cette union nul ne pouvait se vanter drsquoavoir vu Amon descendre du ciel pour entrer dans la couche de la reine Il est plus probable que la scegravene de la theacuteogamie eacutetait admise comme un rappel adouci de la coutume citeacutee plus haut lrsquoaccouplement de lrsquoanimal-totem avec la femme du chef

Le faucon est aussi degraves ce moment le dieu de la famille royale Dans la premiegrave-re capitale connue la laquo ville des faucons raquo Hierakonpolis les rois de la Ire dynastie eacutelegravevent un temple au Faucon ougrave Quibell a trouveacute encore une magnifique tecircte de faucon en or datant de lrsquoAncien Empire Le faucon comme dieu est devenu Horus plus tard lrsquoHorus de la mythologie classique

En reacutesumeacute le roi dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est bien vis-agrave-vis du faucon dans la situation drsquoun clansman par rapport au totem le faucon est pour lui son en-seigne son geacutenie protecteur son nom son pegravere son dieu Est-ce assez pour dire que lrsquoEacutegypte drsquoalors en est encore au reacutegime du clan toteacutemique Tel nrsquoest point mon avis Ce qui a eacuteteacute dit plus haut caracteacuterise en effet les rapports du roi avec le faucon mais du roi seul et non pas de tous les Eacutegyptiens Au moment ougrave com-mence pour nous lrsquohistoire documentaire il nrsquoy a plus en Eacutegypte drsquoautre faucon que le roi et son dieu 2 Or la vraie socieacuteteacute toteacutemique ne connaicirct ni roi ni sujets

20 V Loret l c p 20 Cf Mariette Abydos I pl 22 Maspero Contes populaires p 20 7 Lrsquoexpression srsquoemploie aussi poeacutetiquement pour dire que le roi entre au sanctuaire (Breasted l c p et 7)22 Lrsquoexpression apparaicirct par exemple dans lrsquoinscription drsquoAnna (recueil XII p 06)2 Crsquoest depuis la Ve dynastie que les rois prennent reacuteguliegraverement le titre Sa-Racirc laquo fils de Racirc raquo ce qui semble indiquer une conseacutecration de la tradition de la theacuteogamie ceci concorde avec le teacutemoignage du papyrus Westcar2 Cf A Monet Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 0 et suiv2 Le nom de laquo compagnons du faucon raquo que les textes religieux nomment shemson Hor (ayant comme signes distinctifs le chien sur lrsquoenseigne lrsquoarc et le boomerang) ne srsquoappliquent reacuteel-lement pas dans les textes historiques agrave des hommes ordinaires mais agrave des rois tregraves anciens ou des dieux mdash Cf agrave ce sujet Sethe Die Horusdiener p 2 et Ed Meyer Chronologie (tr franccedilaise) p 2

78

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tous les membres du clan y vivent sur pied drsquoeacutegaliteacute par rapport agrave leur totem laquo Le toteacutemisme pur dit Frazer est deacutemocratique crsquoest une religion drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute chaque individu de lrsquoespegravece toteacutemique en vaut un autre Si par conseacutequent un individu de lrsquoespegravece a la digniteacute de fregravere aicircneacute drsquoesprit gardien srsquoil occupe un rang supeacuterieur en digniteacute agrave tout le reste le toteacutemisme est prati-quement abandonneacute et la religion srsquoachemine en mecircme temps que la socieacuteteacute au monarchisme 26 raquo

Crsquoest preacuteciseacutement agrave cette phase de lrsquoeacutevolution que lrsquoEacutegypte semble deacutejagrave par-venue au moment ougrave les monuments les plus anciens nous la reacutevegravelent Degraves la peacuteriode de Negadah et drsquoAbydos les Eacutegyptiens qui combattent pour le roi ne sont plus des laquo compagnons de clan raquo mais des sujets

Figure 7Ash animal divin anthropomorphe

Aucun texte ne permet de dire qursquoils srsquoappellent comme le roi des Faucons le lien est relacirccheacute entre eux et le totem ils ne communiquent plus avec Hor que par lrsquointermeacutediaire du Roi Le faucon mecircme se transforme apregraves avoir eacuteteacute la source de vie et le patrimoine du clan il preacuteside aux seules destineacutees de la famille royale Son aspect srsquohumanise et cette transformation srsquoannonce degraves le temps tregraves ancien ougrave on repreacutesente lrsquoanimal toteacutemique muni de bras pour deacutefendre le roi ou saisir ses ennemis bientocirct apparaicirctront certaines figures divines composi-tes tels que le dieu Ash sur les bouchons drsquoAbydos (fig 7) ougrave un corps humain se combine avec une tecircte de leacutevrier agrave dater de ce moment les totems drsquoEacutegypte subissent la loi commune ils deviennent laquo drsquoabord de simples animaux divini-

26 toteacutemisme p 28

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

seacutes puis des dieux anthropomorphes agrave attributs animaux 27 raquo Ainsi le faucon se transforme-t-il en Horus dieu agrave corps humain hieacuteracoceacutephale Dans la ville drsquoHieacuterakonpolis le Faucon nrsquoest deacutejagrave plus un totem mais le dieu de la famille royale

Cette eacutevolution monarchique qui apparaicirct dans la religion comme dans la socieacuteteacute srsquoaccentua rapidement au fur et agrave mesure que srsquoachevait la conquecircte de lrsquoEacutegypte par les rois Faucons tels que Narmer et Ahacirc Apregraves avoir absorbeacute leur propre clan ils subjuguegraverent les clans rivaux et srsquoannexegraverent les dieux des prin-cipales villes conquises

Crsquoest ainsi que le vautour drsquoEl-Kab et lrsquoUraeligus de Bouto le roseau de Koptos et lrsquoabeille drsquoHeacuteiacleacuteopolis et agrave certains moments lrsquoanimal typhonien furent adopteacutes comme patrons royaux secondaires Le roi srsquoidentifia agrave ces dieux comme il lrsquoavait fait pour le faucon leurs signes caracteacuteris-tiques etc deacutesignegraverent comme le faucon Hor le nom et lrsquoessence mecircme du Pharaon Il en fut de mecircme pour drsquoautres emblegravemes sacreacutes le laquo tau-reau puissant raquo le laquo lion androceacutephale ou hieacuteracoceacutephale raquo (sphinx ou griffon) le crocodile mecircme (sous la forme ati) le lotus de Thegravebes e t lrsquoautre lotus du Delta Faute de documents pour chacun drsquoeux nous devons nous contenter de raisonner par analogie si le Pharaon srsquoest comporteacute vis-agrave-vis de ces dieux comme il lrsquoa fait pour le Faucon crsquoest peut-ecirctre qursquoils furent jadis comme le Faucon les totems drsquoune race conquise par le roi 28

Le souvenir srsquoen est conserveacute jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne et cette tradition persistante explique certains deacuteveloppements poeacutetiques de la lit-teacuterature officielle Voici quelles eacutepithegravetes on deacutecerne encore agrave Seacuteti Ier au deacutebut de la XIXe dynastie (vers 00 avant notre egravere)

laquo Faucon divin aux plumes bigarreacutees il traverse le ciel comme la majesteacute de Racirc chacal agrave la deacutemarche rapide il fait le tour de cette terre en une heure lion

27 Frazer toteacutemisme p 2828 Voici quelques reacutefeacuterences pour les diffeacuterents aspects du roi Roi-taureau palettes archaiuml-ques citeacutees par J Capart Les deacutebuts de lrsquoart p 2 et suiv roi-lion palette archaiumlque ibid p 22 sphinx de Tanis (G Maspero Histoire I p 0) roi-griffon pectoral de Senousret III agrave Dahchour (de Morgan I pl XXI) panneau du trocircne de Thoutmegraves IV (Davis The tomb of Thoutmosegraves iV pl VI-VIII XII) roi-crocodile pap Prisse pl IV 2 pour une allusion au roseau et agrave lrsquoabeille cf Griffith papyrus de Kahun pl III 2 le lotus et le papyrus apparais-sent comme plantes heacuteraldiques royales sur les piliers de Thoutmegraves III agrave Karnak (G Maspero Histoire II p 7)

80

Les Mystegraveres eacutegyptiens

fascinateur il bondit sur les chemins inconnus de tout pays eacutetranger taureau puissant aux cornes aceacutereacutees il pieacutetine les Asiatiques et foule les Kheacutetas 2 raquo

En reacutesumeacute ce qursquoil y a eu de toteacutemique dans lrsquoeacutetat social de lrsquoEacutegypte primitive ne nous apparaicirct plus guegravere que deacuteformeacute et ramasseacute en une seule personnaliteacute celle du roi La socieacuteteacute dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est deacutejagrave niveleacutee et sur ce terrain deacuteblayeacute les rois et les precirctres eacutelegraveveront degraves le temps des Pyramides lrsquoeacutedifice somptueux de la monarchie absolue

Tel qursquoil est devenu au cours des acircges fils des dieux dieu lui-mecircme seul possesseur du sol dispensateur de toutes les gracircces terrestres et divines seul in-termeacutediaire entre les hommes et les dieux comme sorcier et comme precirctre guide des hommes dans la vie terrestre et sur le chemin qui megravene au ciel apregraves la mort Pharaon apparaicirct dans lrsquohistoire comme la plus formidable force morale qui ait eacuteteacute jamais conccedilue Tout cela eacutetait en germe dans la reacutevolution qui a permis au roi de confisquer agrave son profil lrsquoautoriteacute du totem sur le clan toteacutemique et de concentrer en sa personne royale lrsquoessence divine de la race

Pendant les quatre mille ans que duregraverent les dynasties pharaoniques une parcelle de lrsquoideacuteal toteacutemique semble avoir persisteacute neacuteanmoins malgreacute lrsquoheacutegeacutemo-nie royale crsquoest la croyance qursquoil existe un eacuteleacutement commun entre les Eacutegyptiens le roi et les dieux Crsquoest une sorte de geacutenie de la race et de la nature entiegravere il anime agrave la fois la matiegravere dans les corps inanimeacutes la chair des ecirctres animeacutes et les faculteacutes de lrsquoesprit Pour lrsquounivers tout entier et tous les ecirctres animeacutes ou inani-meacutes ce geacutenie qursquoils appelaient le Ka (mot qui signifie comme genius force geacuteneacuteratrice et esprit protecteur) jouait le rocircle de substance commune et drsquoacircme collective Nous avons vu que pour les affilieacutes des clans toteacutemiques naicirctre crsquoest sortir du Totem pour mener une vie consciente mourir crsquoest rentrer dans le sein du Totem et srsquoy reacutesorber 260 De mecircme pour les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque posteacute-rieure naicirctre crsquoeacutetait donner au Ka lrsquooccasion de se manifester dans une forme passagegravere une existence individuelle mourir crsquoeacutetait revenir agrave son essence pri-mordiale ou comme ils disaient laquo passer agrave son Ka raquo Nous croyons donc qursquoapregraves la reacutevolution sociale et religieuse qui marque le passage de lrsquoeacutetat toteacutemique agrave la monarchie centraliseacutee quelque chose de la mentaliteacute primitive a subsisteacute dans la socieacuteteacute eacutegyptienne par cette notion du Ka Le Ka a prolongeacute la meacutetaphysique primitive puisqursquoil semble ecirctre agrave la fois laquo la substance mecircme drsquoun individu son

2 Texte drsquoIpsamboul citeacute par Guieysse ap recueil XI p 7260 Frazer toteacutemisme p Lors de la mort le clansman cherche agrave srsquoidentifier agrave son totem On apostrophe ainsi le mort laquo Tu es venu ici de chez les animaux et tu trsquoen retournes chez euxhellip Tu vas chez les animaux tu vas rejoindre les ancecirctreshellip raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

nom vivant et impeacuterissable son totem 26 raquo Les documents montrent que le Ka est tout cela au moins pour Pharaon En fait le roi drsquoEacutegypte en mecircme temps qursquoil se confond avec le ou les totems devient aussi comme la forme visible de cette acircme collective de cette substance essentielle de la race dont on avait fait jadis le totem qursquoon appelait maintenant le Ka Les autres hommes ne reve-naient agrave leur Ka qursquoapregraves leur mort le roi degraves qursquoil est introniseacute degraves qursquoil srsquoap-pelle Faucon devient le Ka des vivants geacutenie de son peuple acircme et substance de ses sujets

Figure 8Nom royal de Ka et de faucon

Aussi le roi seul parmi les ecirctres fait-il repreacutesenter agrave cocircteacute de sa forme corpo-relle ordinaire son corps essentiel si je puis dire son corps en tant que Ka en tant qursquoacircme et corps collectifs de la race Sur les tableaux des temples on le voit derriegravere le roi crsquoest une figure de dieu adolescent portant sur sa tecircte le nom du Faucon royal 262 (cf fig 26)

Cette conception qui a perseacuteveacutereacute jusqursquoaux derniers temps de la monarchie eacutegyptienne montre mieux que toute autre ce qursquoeacutetait le Pharaon pour son peu-ple on le veacuteneacuterait sur terre comme la force primordiale des ecirctres et des choses comme le Ka incarneacute Eacutecoutez la doctrine qursquoun noble de la XIIe dynastie en-seignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu Sa (la science) qui est dans les cœurs (les esprits) ses yeux explorent toute conscience crsquoest Racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre

26 V Loret l c p 20262 Cf les repreacutesentations citeacutees par A Moret l c p 7 2 222 22

82

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plus que le Nil en crue quand il emplit les deux terres de force et de viehellip Il donne les largesses agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraie son chemin Crsquoest le Ka le roi Crsquoest la surabondance sa bouche 26 crsquoest sa creacuteation (tout) ce qui existe 26 raquo

En cette qualiteacute de successeurs des dieux les rois drsquoEacutegypte se trouvent dans des conditions de vie toutes speacuteciales Nos renseignements agrave ce sujet sont peu nombreux et fort incomplets parce que nous nrsquoavons conserveacute aucun texte deacute-veloppeacute anteacuterieur agrave lrsquoeacutepoque des grandes Pyramides Mais dans le grand nom-bre de traditions bizarres que nous ont transmises sur lrsquoEacutegypte ancienne soit les auteurs classiques soit les sources nationales il srsquoen trouve dont lrsquoexplication ne srsquoeacuteclaire que par les coutumes des peuples non civiliseacutes et speacutecialement de ceux qui vivent encore en Afrique ou ailleurs dans un eacutetat social toteacutemique Ces traditions qui concernent le pharaon semblent bien nous apporter un eacutecho de la primitive histoire

En tant que faucon ou dieu le roi possegravede les privilegraveges les plus eacutetendus et le pouvoir le plus absolu il est maicirctre de la vie de ses sujets et tout le sol lui ap-partient Avec son cortegravege drsquoanimaux dompteacutes par ses charmes la tecircte ceinte de lrsquoUraeligus 26 la nuque proteacutegeacutee par le faucon ou le vautour 266 ailes deacuteployeacutees es-corteacute par le lion Pharaon est drsquoun aspect terrible et drsquoun voisinage redoutable 267 Aussi de mecircme que le sauvage tremble drsquoapercevoir son totem lrsquoEacutegyptien re-doute de voir son roi agrave moins drsquoy ecirctre inviteacute quand il est admis en sa preacutesence le sujet se voile la face de ses mains tombe prosterneacute et ne se deacutecide agrave parler que lorsqursquoil en reccediloit lrsquoordre cateacutegorique 268 Il est interdit de profeacuterer le nom per-sonnel du roi-dieu On le deacutesigne par une peacuteriphrase laquo Sa Majesteacute raquo ou on lrsquoappelle laquo Notre Maicirctre raquo Quiconque prononce en vain le nom du roi deacutechaicircne une force si puissante que nul nrsquoen saurait arrecircter les effets 26

Dans ces conditions on conccediloit que lrsquoaccegraves du palais fucirct tregraves difficile et qursquoun ceacutereacutemonial scrupuleux reacuteglacirct les audiences Comparons avec le ceacutereacutemonial eacutegyp-

26 Le roi comme les dieux creacutee toute chose rien qursquoen parlant par la force du verbe sacreacute Voir plus haut26 Stegravele de Sehetepibracirc Caire 208 (face II I et suiv)26 Cf Maspero Contes (e eacuted) p laquo la royale Uraeligus qui enveloppe ta tecircte raquo Sur ce rocircle de lrsquoUraeligus cf Ad Erman Hymnen an das Diadem der pharaonen p 7 et suiv266 Statue de Cheacutephregraven Davis tomb of Thoutmosis iV pl X267 G Maspero Histoire II p 268 Frazer toteacutemisme p 26 ibid p 2

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tien ce reacutecit drsquoune audience chez le roi des Yolofs (drsquoapregraves les observations drsquoun voyageur au deacutebut du xviiie siegravecle 270)

laquo En avanccedilant vers le roi qui nrsquoaccorde ces audiences que devant la porte du palais le sujet se met agrave genoux agrave quelque distance baisse la tecircte et prend de cha-que main une poigneacutee de sable dont il se couvre la chevelure et le visage A me-sure qursquoil approche il reacutepegravete plusieurs fois la mecircme ceacutereacutemonie (Drsquoautres avan-cent continuellement agrave genoux en se couvrant de terre et de sable pour montrer qursquoils ne sont que poussiegravere en comparaison du roi) Enfin srsquoagenouillant agrave deux pas du monarque il explique les raisons qui lui ont fait deacutesirer une audience Apregraves ce compliment il se legraveve sans oser jeter les yeux devant lui Il tient les bras eacutetendus vers ses genoux et de temps en temps il se jette de la poussiegravere sur le front Le roi paraicirct lrsquoeacutecouter peu et tourne son attention sur quelque bagatelle qui lrsquoamuse Cependant il prend un air fort grave agrave la fin de la harangue et sa reacuteponse est un ordre auquel les suppliants nrsquoosent reacutepliquer Ils se confondent ensuite dans la foule des courtisans raquo

Voici comment au temps de la XIIe dynastie le prince Sinouhit de retour drsquoun exil en Asie se preacutesentait devant Pharaon 27 laquo Dix hommes vinrent pour me mener au palais Je touchai la terre du fronthellip puis on me conduisit au logis du roi Je trouvai Sa Majesteacute sur la grande estrade dans lrsquoembrasure de vermeil et je me jetai sur le ventre je perdis connaissance devant lui Ce dieu mrsquoadressa des paroles aimables mais je fus comme un individu qui est pris dans le creacute-puscule mon acircme deacutefaillit mes membres se deacuterobegraverent mon cœur ne fut plus dans ma poitrine et je connus quelle diffeacuterence il y a entre la vie et la mort raquo hellip Puis quand la parole lui est revenue Sinouhit profegravere drsquoune voix balbutiante laquo Me voici devant toi tu es la vie que Ta Majesteacute agisse agrave son plaisir raquo Alors Sa Majesteacute dit agrave la Reine laquo Voilagrave Sinouhit qui vient semblable agrave un Asiatique comme un Beacutedouin qursquoil est devenu raquo Elle poussa un tregraves grand eacuteclat de rire et les Infants royaux srsquoesclaffegraverent tous agrave la fois

On remarquera le trait final Lorsque le roi rit toute lrsquoassistance rit drsquoune seule bouche crsquoest encore une coutume respectueuse vis-agrave-vis drsquoun roi-dieu Chez les non-civiliseacutes lorsque le roi tousse rit ou pleure toute lrsquoassistance par politesse et respect fait de mecircme

Le roi primitif srsquoil a comme dieu tous les pouvoirs est par contre-partie

270 Walckenaer Histoire des voyages IV p 227 G Maspero Les contes populaires de lrsquoeacutegypte ancienne e eacutedit p 8

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soumis agrave des obligations rigoureuses M Frazer lrsquoa dit en termes excellents laquo La personne du roi est consideacutereacutee comme le centre dynamique du monde de lagrave sa force rayonne partout le moindre de ses gestes un mouvement de sa tecircte ou de ses bras peut troubler la nature Sur lui repose lrsquoeacutequilibre du monde la moindre faute de sa part peut tout deacuteranger Il doit donc prendre les plus gran-des preacutecautions toute sa vie doit ecirctre minutieusement reacutegleacutee dans les moindres deacutetails raquo mdash De lagrave les interdictions de faire telle ou telle chose de manger telle ou telle chose qui ont pour but de creacuteer autour du roi une zone drsquoisolement Ce sont les tabous Existaient-ils en Eacutegypte

Nous les connaissons mal mais il semble qursquoil y en ait eu de seacutevegraveres au moins agrave lrsquoeacutepoque tregraves ancienne Une tradition conserveacutee par Diodore (I 70) nous dit que laquo la vie des Pharaons eacutetait reacutegleacutee jusque dans ses moindres deacutetails ils ne devaient manger que du veau et de lrsquooie et ne boire qursquoune certaine quantiteacute de vin raquo Ces indications sont vraies en principe on a trouveacute dans les temples eacutegyptiens des listes 272 qui donnent pour chaque Nome agrave cocircteacute des noms des dieux des temples des precirctres la mention de la chose deacutefendue (bout) du tabou qui est le plus souvent un mets dont lrsquousage est interdit dans cette reacutegion Nul doute que le roi grand precirctre dans chaque temple ne fut astreint agrave lrsquoobservation des tabous au moins quand il se trouvait dans la reacutegion ougrave ce tabou devait ecirctre observeacute Quant aux regravegles de vie imposeacutees au Pharaon nous les ignorons Sou-haitons pour eux qursquoelles aient eacuteteacute moins strictes que celles auxquelles le Mikado eacutetait encore asservi il y a 200 ans 27

laquo Les princes de cette famille sont regardeacutes comme sacreacutes comme pontifes de naissance Ils sont obligeacutes de mener une vie toute speacuteciale Ils ne peuvent toucher le sol avec leurs pieds on les porte donc constamment Le Mikado ne peut ecirctre exposeacute agrave lrsquoair ni au soleil Son corps est sacreacute agrave un tel point qursquoil ne coupe ni ses cheveux ni ses ongles ni sa barbe On le lave pendant son sommeil ce qursquoon enlegraveve alors de son corps est consideacutereacute comme un vol qui ne porte aucun preacuteju-dice agrave sa sainteteacute Il devait jadis rester assis chaque matin plusieurs heures sur son trocircne sans remuer fut-ce une paupiegravere De son immobiliteacute deacutependaient la paix et le bonheur de son empire On a transfeacutereacute ce privilegravege agrave la couronne royale qui seule aujourdrsquohui est placeacutee sur le trocircne pendant plusieurs heures chaque matin Les mets du Mikado sont preacutepareacutes chaque fois dans des plats neufs par eacuteconomie ces plats sont en terre commune et ne servent qursquoune fois

272 Brugsch Dictionnaire geacuteographique p 627 Frazer Le rameau drsquoor I p 72 drsquoapregraves la relation de Kaempfer

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On les brise ensuite car si un profane srsquoen servait il aurait une inflammation de la bouche et de la gorge Les vecirctements feraient de mecircme enfler celui qui les porterait sans lrsquoautorisation du Mikado raquo

Le principal service que lrsquoon attende de ces rois-dieux crsquoest de commander agrave la nature On leur precircte le pouvoir de faire tomber la pluie briller le soleil pous-ser les reacutecoltes agrave ce titre on les appelle chez les non-civiliseacutes les rois du temps de lrsquoeau du feu des moissons

Ces pouvoirs on les precirctait certainement aux Pharaons primitifs Si en Eacutegyp-te les sorciers passaient pour avoir la puissance drsquoarrecircter le cours des astres et des fleuves de renverser le ciel ou la terre de faire agrave volonteacute la nuit ou le jour la pluie ou le beau temps nul doute que le Pharaon laquo le maicirctre des charmes magiques agrave qui Thot lui-mecircme avait enseigneacute tous ses secrets 27 raquo ne fucirct estimeacute plus capable encore que nrsquoimporte quel autre magicien drsquoagir agrave son greacute sur la nature Drsquoailleurs des traditions ou les attestations des monuments permettent de preacuteciser ces pouvoirs

Comme roi de lrsquoeau Pharaon commandait peut-ecirctre rarement la pluie car il ne pleut pas souvent en Eacutegypte ougrave lrsquoinondation peacuteriodique du Nil suppleacutee aux eaux du ciel Mais crsquoest Pharaon qui fait venir la crue par ses priegraveres (fig 0) ou ses incantations Nous savons par les stegraveles graveacutees agrave Silsilis au temps de Ramsegraves II qursquoau premier jour de la crue agrave la date ougrave du ciel tombait eacutechappeacutee aux yeux de Nout ou drsquoIsis la goutte drsquoeau qui deacuteclenche lrsquoinondation fertilisante le roi jetait lui-mecircme au fleuve un ordre eacutecrit de commencer la crue 27 crsquoeacutetait sans doute une formule magique de puissance irreacutesistible Quand les mineurs de la reacutegion de lrsquoEtbaye vinrent dire au roi Ramsegraves II que sur la route suivie par eux et leurs acircnes tous les puits eacutetaient taris Pharaon convoqua ses conseillers et ses magiciens et ceux-ci dirent au roi laquo Si tu dis agrave lrsquoeau ldquo Viens sur la montagne rdquo les eaux ceacutelestes sortiront tocirct agrave lrsquoappel de ta bouche 276 raquo Ramsegraves II fit forer des puits arteacutesiens qui permirent drsquoameacuteliorer le rendement des citernes mais dans lrsquoesprit du peuple lrsquoordre du roi avait suffi lrsquoeau avait surgi docile agrave sa voix

27 Sethe Urkunden IV p -2027 Aegyptische Zeitschrift 87 p 2276 stegravele de Kouban I 7

86

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ramsegraves III moissonne et implore le dieu Nil qui donne lrsquoabondance agrave lrsquoEacutegypte

Meacutedinet-Abou 277

Pharaon est aussi comme les autres rois primitifs roi du feu ceacuteleste la foudre Sa tecircte est ceinte de lrsquoUraeligus qui crache le feu agrave travers lrsquoespace ceacuteleste pareille agrave la comegravete eacutecheveleacutee sa voix terrifie ses ennemis par des hem hem 278 il est pareil agrave ces rois de Tahiti dont la voix est le tonnerre 27 Ne brandit-il pas le sceptre descendu du ciel en ses mains comme un carreau de foudre 280

Enfin roi des moissons Pharaon deacutefriche la terre avec le hoyau et preacuteside aux semailles 28 faucille en main crsquoest lui qui coupe la gerbe de bleacute 282 dans ces champs dont lrsquoabondance est due au Nil deacutebordeacute agrave son commandement Une tradition conserveacutee par les auteurs affirme la responsabiliteacute des animaux sacreacutes les anciens totems et du roi leur substitut laquo Lorsque dit Plutarque 28 il survient une chaleur excessive et pernicieuse qui produit ou des eacutepideacutemies ou drsquoautres calamiteacutes extraordinaires les precirctres font choix de quelques-uns des animaux sacreacutes et les emmenant avec le plus grand secret dans un lieu obscur

277 Drsquoapregraves un clicheacute obligeamment communiqueacute par M Lepage278 stegravele de Thoutmegraves iii 827 Frazer Le rameau drsquoor I p 7280 Sur la forme speacuteciale de certains sceptres royaux cf A Moret Du caractegravere religieux p 228 Un roi archaiumlque le laquo Scorpion raquo manie le hoyau assisteacute drsquoun servant qui tient le boisseau des grains pour les semailles sur une tecircte de massue sculpteacutee conserveacutee agrave Oxford Cf Quibell Hierakonpolis I pi XXVI c et J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte p 22-2282 Paneacutegyrie de Min au Ramesseum (Ramsegraves II) L D III 6 agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) L D III 22 b28 De iside et Osiride 7

87

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ils cherchent drsquoabord agrave les effrayer par des menaces si le mal continue ils les eacutegorgent et les offrent en sacrifice soit pour punir le mauvais geacutenie soit comme une des plus grandes expiations qursquoils puissent faire raquo Drsquoapregraves Ammien Marcel-lin (XXVIII ) ce ne sont point les animaux sacreacutes mais les rois eux-mecircmes qui sont responsables des calamiteacutes publiques de la guerre des mauvaises reacutecol-tes 28 Rapprochons de ces textes la tradition biblique qui impute aux Pharaons de Joseph ou de Moiumlse les sept anneacutees de famine et les dix plaies de lrsquoEacutegypte 28 la stegravele apocryphe du roi Deser ougrave un Pharaon de lrsquoeacutepoque archaiumlque cherche dans des grimoires magiques les moyens de conjurer la famine et la seacutecheresse 286 les leacutegendes maneacutethoniennes sur les rois Ameacutenophis 287 et Bocchoris 288 jugeacutes responsables de la santeacute publique lors drsquoune eacutepideacutemie de peste et nous aurons la certitude que les Eacutegyptiens comme certains non-civiliseacutes rendaient le roi res-ponsable des deacutefaillances de la nature 28

Ajoutons de suite le correctif neacutecessaire de bonne heure les Pharaons qui ont su si bien transformer en monarchie absolue le clan toteacutemique ont eacuteteacute assez avi-seacutes pour eacutechapper agrave leurs responsabiliteacutes Preuve en est la faccedilon dont ils semblent avoir corrigeacute agrave leur profit une coutume fort barbare qursquoon applique souvent aux rois des populations primitives

Cette coutume a eacuteteacute preacuteciseacutee par M Frazer en ces termes 20 laquo Les peuples primitifs croient souvent que leur seacutecuriteacute et celle du monde en-

tier deacutependent de la vie drsquoun de ces hommes-dieux qui incarnent agrave leurs yeux la diviniteacute Naturellement ils prennent le plus grand soin drsquoune vie aussi preacutecieuse en songeant surtout agrave conserver la leur Mais rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourirhellip Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastrophes ne se produiront pas lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de

28 En Germanie laquo rex ritu veteri potestate deposita rernovetur si sub eo fortuna titubaverit belli vel segetum copiam negaverit terra ut solent Aegyptii casus ejusmodi suis adsignare rectoribus raquo28 genegravese xli exode X 27286 Brugsch Die sieben biblisehen Jahre der Hungersnoth texte I I et suiv287 Josegravephe C Apion I 26288 A Moret De Bocchori rege p et suiv28 Cf Frazer Le rameau drsquoor I p 7 laquo Partouthellip le roi doit ecirctre consideacutereacute par ses sujets comme la source drsquoabondantes beacuteneacutedictions et de graves dangers Drsquoune part il fait tomber la pluie luire le soleil souffler les vents favorables mais drsquoautre part ce qursquoil donne il peut le refuser et la moindre irreacutegulariteacute commise par lui peut provoquer un cataclysme raquo20 Le rameau drsquoor II p -

88

Les Mystegraveres eacutegyptiens

transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Le meurtre rituel du roi quand lrsquoacircge commence agrave lrsquoaffaiblir srsquoest pratiqueacute chez la plupart des peuples sauvages ou demi-civiliseacutes en Afrique aux Indes en Australie au Mexique partout on retrouve cette coutume Parfois le peuple nrsquoat-tendait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau XVIe siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans Nous renvoyons au livre de Frazer pour le deacutetail et nous y ajouterons celui-ci dans la reacutegion du Haut-Nil (districts de Fachoda) les rois du Shilluk sont encore actuellement soumis agrave ce reacutegime meurtrier 2 Quand le roi du Shilluk montre des signes de seacuteniliteacute ou de maladie un de ses fils a le droit drsquoessayer de tuer son pegravere en peacuteneacutetrant de nuit aupregraves de lui Aussi le roi assurent les voyageurs ne dort-il que le jour et se tient-il eacuteveilleacute tout ou partie de la nuit En drsquoautres cas lrsquohonneur de tuer le roi revient aux membres drsquoune fa-mille de lrsquoaristocratie ils annoncent au roi que son heure de mourir est venue en jetant sur sa figure et ses genoux une piegravece drsquoeacutetoffe pendant son sommeil puis le roi est mureacute dans une cabane il y meurt de famine ou drsquoasphyxie agrave moins qursquoon ne lrsquoait preacutealablement eacutetrangleacute

Partout comme bien on pense les rois se sont efforceacutes drsquoeacutechapper agrave cette lamentable fin Ils y arrivegraverent les uns par la violence les autres en faisant ad-mettre des atteacutenuations progressives et la substitution de victimes reacuteelles ou fic-tives 22 Mais ces substitutions nrsquoeacutetaient toleacutereacutees qursquoagrave une condition crsquoest que le roi vieilli reccedilucirct du meurtre rituel fictif ou reacuteel un renouveau de jeunesse et de santeacute le sang verseacute de la victime reacutegeacuteneacuterait son corps affaibli par une sorte de baptecircme et de renaissance

Les premiers Pharaons durent-ils srsquoassujettir agrave ce sacrifice barbare Il eacutetait pra-tiqueacute disent les auteurs classiques dans une reacutegion toute voisine de lrsquoEacutegypte le pays de Meacuteroeacute dans le Haut-Nil laquo Les rois eacutethiopiens de Meacuteroeacute eacutetaient adoreacutes comme des dieux mais quand les precirctres le voulaient ils leur envoyaient par un messager lrsquoordre de se tuer ordre soi-disant reccedilu des dieux Jusqursquoau regravegne drsquoErgamegravene contemporain de Ptoleacutemeacutee II les princes eacutethiopiens obeacuteirent tou-jours agrave cet ordre Mais Ergamegravene avait reccedilu une eacuteducation grecque qui lrsquoavait affranchi des superstitions de ses concitoyens loin drsquoobeacuteir aux precirctres il entra

2 Seligmann The cult of nyakong end the divine Kings of the shilluk p 22 (IV Report of the Wellcome tropical research laboratories at the Gordon college Khartoum Vol B General Science )22 Voir plus loin rois de Carnaval p 22

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans le Temple drsquoor agrave la tecircte drsquoune troupe de soldats et fit passer les precirctres au fil de lrsquoeacutepeacutee 2 raquo

Pour lrsquoEacutegypte mecircme il ressort des documents que les Pharaons avaient depuis bien des siegravecles tourneacute la loi sanguinaire mais lrsquoexistence mecircme de cette loi dans lrsquoEacutegypte primitive me semble incontestable

Dans la plupart des temples drsquoEacutegypte et de toutes les eacutepoques des tableaux nous retracent les scegravenes principales drsquoune fecircte solennelle appeleacutee laquo fecircte de la queue raquo fecircte sed Elle consistait essentiellement en une repreacutesentation de la mort rituelle du roi suivie de sa renaissance 2

Figure 0laquo Osorkon II repose agrave lrsquointeacuterieur du tombeau raquo en preacutesence des dieux et de son ka lors de la fecircte Sed Au-dessous precirctres vecirctus de la peau

En cette circonstance le roi est identifieacute agrave Osiris le dieu qui agrave lrsquoeacutepoque histo-rique est le heacuteros du drame sacreacute de lrsquohumaniteacute qui nous guide agrave travers la triple eacutetape vie mort renaissance en lrsquoautre monde Aussi vecirctu du funeacuteraire drsquoOsi-ris le maillot collant en forme de linceul Pharaon est-il conduit au tombeau 2

2 Frazer Le rameau drsquoor II p 7 Cf Diodore III 6 Strabon XVII 2 2 Cf Fl Petrie researches in sinaiuml p 82 et suiv The palace of Apries (Memphis ii) p 8 et suiv2 Petrie gurneh pl V-VII et texte p cl Ed Naville The Festival Holl of Osorkon ii pl X notre fig 0

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

il en revient rajeuni et renaissant tel qursquoOsiris au sortir de la mort Comment se reacutealisait cette fiction et srsquoopeacuterait ce miracle par le sacrifice de victimes humaines ou animales Un precirctre se couche pour le compte du roi dans la peau de la vic-time animale il y prend la position caracteacuteristique qursquoa le fœtus dans le sein de la megravere quand il sortira de la peau il sera censeacute renaicirctre Pharaon pour qui ce rite est ceacuteleacutebreacute renaicirct lui-mecircme ou pour employer lrsquoexpression eacutegyptienne laquo il renouvelle ses naissances raquo Et en teacutemoignage que les rites ont eacuteteacute accomplis le roi ceint ses reins de la queue abreacutegeacute de la deacutepouille de la becircte sacrifieacutee (drsquoougrave le nom laquo fecircte de la queue raquo)

Comment srsquoexpliquer qursquoagrave un moment de son regravegne tout Pharaon doive su-bir cette mort rituelle suivie drsquoune renaissance fictive Srsquoagit-il seulement drsquoun renouvellement de lrsquoinitiation osirienne ou la fecircte offre-t-elle des caractegraveres plus particuliers Le rocircle drsquoailleurs mal deacutefini joueacute dans ces rites par les enfants royaux me semble indiquer que la fecircte sed met en scegravene drsquoautres eacutepisodes re-latifs agrave la transmission de la charge royale En Eacutegypte agrave lrsquoeacutepoque ougrave srsquoeacutebauchait la civilisation le peuple a peut-ecirctre connu lrsquoalternative ou de mettre agrave mort son roi en pleine vigueur afin que sa force soit transmise intacte au successeur ou de srsquoingeacutenier agrave rajeunir ce roi et agrave laquo renouveler sa vie raquo Ce dernier moyen les Pharaons lrsquoont trouveacute quoi de plus efficace que de srsquoidentifier agrave Osiris de srsquoappliquer agrave eux-mecircmes les proceacutedeacutes de reacutesurrection ces rites funeacuteraires par lesquels Isis au dire des precirctres avait magiquement sauveacute de la mort son eacutepoux Peut-ecirctre la mort fictive du roi apparaicirct-elle comme une atteacutenuation du meurtre primitif du roi-dieu une transition de la reacutealiteacute barbare aux symboles 26

Or si les monuments de lrsquoeacutepoque classique nous ont pieusement deacutecrit ces rites encore en vigueur nous constatons qursquoagrave lrsquoeacutepoque archaiumlque presque tous les monuments royaux se rapportent justement agrave des eacutepisodes de la fecircte Sed 27 Voici sur la palette de Narmer le cortegravege solennel de la fecircte le roi se dirige vers le pavillon des fecirctes Sed devant lui trois des enseignes toteacutemiques deux faucons un chacal et le fœtus preacutesage de la renaissance derriegravere lui un officiant que deacutesigne le mot laquo celui agrave prendre raquo (la victime) deacutejagrave revecirctu de la peau de becircte Crsquoest lui qui passera par la peau de la victime agrave moins qursquoil ne soit reacuteellement sacrifieacute Drsquoailleurs le roi assomme de sa propre main ou fait deacutecapiter un cer-

26 Sur lrsquouniversaliteacute de ces sacrifices rituels du roi et la survivance de ces ideacutees jusqursquoagrave notre eacutepoque voir plus bas rois de Carnaval27 A Moret Du caractegravere religieux p 20 2 262 cf Petrie royal tombs I pl VIII XI Les plus importants des monuments royaux sont les palettes votives dont les principales ont eacuteteacute reproduites par Legge (proceedings s B A XXII) cf J Capart l c p 22-2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tain nombre de prisonniers de guerre dont la vie freacutemissante assurera le rachat de la seacuteniliteacute royale 28

Apregraves le sacrifice le roi deacutejagrave revecirctu du maillot osirien est introniseacute en grand apparat Devant lui on amegravene les laquo enfants royaux raquo soit que le roi doive srsquoasso-cier son fils agrave ce moment (pour que la digniteacute royale continue drsquohabiter un corps jeune et vigoureux) soit que lrsquoheacuteritier soit preacutesent comme garantie de lrsquoavenir Et le roi exeacutecute une danse rituelle en lrsquohonneur des dieux les animaux eux-mecirc-mes tournent dans une aire comme pour un taurobole sacreacute La fecircte se termine par un sacrifice et des fondations de temples en lrsquohonneur des dieux protecteurs du roi et du roi-dieu lui-mecircme 2

Que conclure en outre de la preacutesence degraves lrsquoaube de lrsquoeacutepoque archaiumlque de certains traits comme le costume osirien 00 lrsquoenseigne du fœtus Crsquoest que les rois drsquoHierakonpolis de Negadah et drsquoAbydos ont su non seulement imposer la substitution drsquoune victime agrave eux-mecircmes pour le sacrifice royal mais ont fait deacutejagrave accepter agrave leurs sujets la leacutegende divine drsquoOsiris la substitution des victimes srsquoappuie deacutesormais sur lrsquoautoriteacute drsquoune reacuteveacutelation divine Si le peuple drsquoEacutegypte admet degraves cette eacutepoque que le roi peut laquo renouveler sa vie raquo au fur et agrave mesure qursquoil avance en acircge crsquoest que le dogme de la reacutedemption par le dieu Osiris a deacutejagrave produit dans les esprits une reacutevolution morale lrsquohistoire de la passion de la mort de la reacutesurrection du dieu avait ouvert aux hommes les perspectives drsquoun rajeunissement eacuteternel dont les rois ont eacuteteacute ici-bas et de leur vivant les premiers beacuteneacuteficiaires

Ainsi depuis quinze agrave vingt ans la science des origines de lrsquoEacutegypte a notable-ment progresseacute Les neacutecropoles archaiumlques nous ont livreacute au moins un de leurs secrets

Cette orgueilleuse monarchie eacutegyptienne qui se campait agrave lrsquoentreacutee de lrsquohistoire mdash comme les Pyramides son symbole agrave lrsquoentreacutee du deacutesert mdash et qui derriegravere son profil imposant masquait lrsquoeacutetendue du passeacute elle ne srsquoest pas eacutedifieacutee lagrave tout drsquoun coup Elle srsquoest faite bloc agrave bloc conquecircte apregraves conquecircte au cours de siegravecles teacuteneacutebreux qui remontent vers lrsquoinconnu vers ces temps ougrave lrsquoEacutegypte est morceleacutee en clans diviseacutee en tribus ennemies mais srsquoachemine peu agrave peu drsquoun Eacutetat deacute-mocratique sous lrsquoeacutegide des totems agrave lrsquoautocratie pure sous lrsquoeacutegide du Pharaon Apregraves combien de siegravecles srsquoopeacutera cette transformation quelle fut lrsquohistoire agiteacutee

28 Quibell Hierakonpolis pl XXIX J Capart l c p 262 Cf la masse drsquoarmes sculpteacutee Quibeli Hierakonpolis pl XXVI B La mecircme ap J Capart p 2 la course du roi est sur la tablette du roi Den ap Petrie royal tombs I pl XI et XV00 A Moret Du caractegravere religieux p 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de ces clans comment le clan lui-mecircme srsquoest formeacute et srsquoil srsquoest deacuteveloppeacute agrave la fa-ccedilon des clans toteacutemiques dans les autres pays non civiliseacutes autant de problegravemes qui restent agrave reacutesoudre

Le fait essentiel agrave retenir de ces investigations crsquoest que le premier groupe-ment social connu dans lrsquohistoire rappelle lrsquoorganisation toteacutemique des peupla-des sauvages drsquoaujourdrsquohui Si chez ces sauvages le toteacutemisme apparaicirct comme un rudiment de vie sociale est-il hasardeux drsquoinfeacuterer qursquoen Eacutegypte nous tou-chons mdash provisoirement mdash au point de deacutepart de lrsquohumaniteacute historique en mar-che vers la civilisation

Ces premiegraveres annales de lrsquohistoire ont une grandeur eacutemouvante La frater-niteacute le communisme lrsquoaltruisme auraient-ils donc eacuteteacute la religion des premiers acircges Ne nous laissons pas entraicircner vers des speacuteculations trop flatteuses Cette socieacuteteacute primitive se reacutevegravele agrave nous sous des eacutetendards de guerre en des scegravenes de massacre Pourtant lrsquoheacuteritier du roi-totem est une sorte de dieu la providence de son peuple qursquoil sauve en srsquoimmolant tant drsquoabneacutegation lui aurait fait deacutecer-ner par Carlyle la palme de premier heacuteros de lrsquohistoire si Carlyle avait connu ce lointain ancecirctre

Hacirctons-nous drsquoajouter que si la ligneacutee pitoyable et sublime de tels heacuteros a pu durer des milleacutenaires dans certains pays comme lrsquoEacutethiopie lrsquoEacutegypte a produit une race drsquohommes plus aviseacutes De bonne heure nous lrsquoavons vu Pharaon nrsquoa gardeacute du roi-dieu que les obligations agreacuteables et les privilegraveges glorieux il en a prudemment eacuteludeacute les charges surtout il a eacutechappeacute agrave la fataliteacute du meurtre final Politique retors precirctre subtil Pharaon nrsquoa pas briseacute avec la tradition il a adopteacute au lieu de les abattre les drapeaux ennemis il a preacuteposeacute drsquoautres victimes au sacrifice qursquoon exigeait de lui et inventeacute une meacutethode de rajeunissement qui ne le forccedilait ni agrave se deacutemettre ni agrave se tuer Les Eacutegyptiens reacuteclamaient des dieux un roi qui fucirct toujours jeune et vigoureux Pharaon a rempli ce vœu agrave tel point que la monarchie eacutegyptienne a fleuri forte et vivace pendant quatre mille ans

Iv

Le laquo ka raquo des eacutegyptIens est-IL un ancIen toteM

Le mot ka deacutefinit une conception qui joue un rocircle tregraves important dans la vie religieuse des anciens Eacutegyptiens Les dieux les rois les simples humains et mecircme des choses (par exemple certains eacutedifices) possegravedent un ka drsquoune faccedilon tregraves geacuteneacuterale il deacutesigne le principe de vie animeacutee ou inanimeacutee La traduction de ce mot est fort difficile car elle suppose une interpreacutetation

Lepage-Renouf dans une eacutetude exhaustive 0 a mis en lumiegravere les diffeacuterents aspects du ka tour agrave tour image genius dieu protecteur double spirituel mais il ne traduit point le mot Maspero a proposeacute de rendre ka par double 02 parce que le ka du roi est souvent repreacutesenteacute agrave cocircteacute du Pharaon comme laquo une sorte drsquoombre claire analogue agrave un reflet agrave une projection vivante et coloreacutee de la figure humaine un double qui reproduisait dans ses moindres deacutetails lrsquoimage entiegravere de lrsquoobjet ou de lrsquoindividu auquel il appartenait 0 raquo Ce sens double a eacuteteacute longtemps admis sans discussion Cependant Lefeacutebure preacutefeacuterait traduire geacute-nie 0 parce que la racine ka deacutetermineacutee par le taureau ou le phallus deacutesigne le taureau il semble par conseacutequent que si le ka exprime une forme drsquoacircme crsquoest au sens de geacutenie ce terme eacutetant lui aussi apparenteacute aux ideacutees de race γένος et de geacuteneacuteration Tout derniegraverement Steindorff 0 a contesteacute que le ka des rois soit une effigie agrave la ressemblance du Pharaon et que le ka des hommes ait jamais eacuteteacute repreacutesenteacute par les statues funeacuteraires ideacutee preacuteconiseacutee par Maspero 06 il a soutenu cette thegravese le ka est une image distincte du portrait du roi et plutocirct un laquo dieu protecteur raquo qui garde le roi pendant sa vie et dont on met la statue dans le tombeau royal pour proteacuteger le Pharaon dans lrsquoautre monde Drsquoautre part

0 On the sens of an important egyptian Word ap transactions of society of Biblical Archaeligology VI (878) p et suiv02 eacutetudes de mythologie et drsquoarcheacuteologie I p 7 et suiv0 Histoire I p 080 sphinx I p 080 Der Ka und die grabstatuen (Zeitschrift fuumlr aegyptische sprache XLVIII p 2 et suiv) Maspero a deacutefendu sa thegravese dans une reacuteponse Le laquo Ka raquo des Eacutegyptiens est-il un geacutenie ou un double parue dans Memnon VI 2- 206 eacutetudes de mythologie I p 7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

F von Bissing 07 relevant les textes ougrave la racine ka (au pluriel kaou) deacutesigne les aliments les offrandes et en geacuteneacuteral tout ce qui sert agrave sustenter la vie voit dans le ka une personnification laquo de ce qui dans lrsquohomme deacutepend de la nourriture et de lrsquoalimentation raquo un principe de vie et de force mateacuterielle Enfin degraves 06 Loret a preacutesenteacute une deacutefinition inteacuteressante et nouvelle laquo le ka drsquoun individu crsquoest sa substance mecircme son nom impeacuterissable son totem 08 raquo Mais Loret nrsquoa pas justifieacute dans le deacutetail son interpreacutetation 0 qui a passeacute inaperccedilue

La diversiteacute de ces traductions laquo double geacutenie dieu protecteur principe de vie mateacuterielle et intellectuelle totem raquo prouve au moins ceci crsquoest que lrsquoideacutee de ka est complexe plus qursquoon ne lrsquoavait soupccedilonneacute Il convient donc de preacuteciser les ideacutees ou les faits qui se rattachent au ka eacutegyptien

Sur les monuments les plus anciens les vases de lrsquoeacutepoque protohistorique le ka nous apparaicirct drsquoabord comme une enseigne de collectiviteacute 0 du type de celles qui ont persisteacute dans lrsquoEacutegypte historique et servent d rsquo e m b l egrave m e aux nomes eacutegyptiens Mais le signe ne srsquoest pas conserveacute dans cet emploi bien que dans lrsquoeacutecriture on ait gardeacute lrsquohabitude drsquoeacutecrire le mot ka par le signe des bras sur le pavois

Tregraves freacutequent au contraire depuis lrsquoeacutepoque archaiumlque et jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne est lrsquousage du ka comme nom Crsquoest une eacutepithegravete qursquoon accole aux noms des simples particuliers speacutecialement agrave lrsquoeacutepoque primitive il apparaicirct sur certaines stegraveles de Negadah et drsquoAbydost deacutedieacutees agrave tel ou tel indi-vidu laquo ka consacreacute raquo ka iahou Pris comme nom de particuliers lrsquousage ne srsquoen veacuterifie guegravere qursquoagrave la peacuteriode primitive Au contraire le ka est par ex-cellence agrave toutes les eacutepoques en relation avec le nom du roi Il srsquoeacutecrit alors par deux bras leveacutes supportant un plan rectangulaire drsquoeacutedifice agrave lrsquointeacuterieur du plan est un nom exprimant une qualiteacute laquo le batailleur raquo laquo le fort raquo le laquo veacuteneacuterable raquo etc

07 Versuch einer neuen erkaumldrung des Karsquoi (apud sitzberg Bayerischen Akad Maumlrz 0)08 Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Museacutee Guimet Bibl de vulgarisation t xix p 20)0 Cf revue eacutegyptologique 0 t XI p 87 Jrsquoespegravere pouvoir eacutetablir sous peu que ce mot ka deacutesigne agrave lrsquoorigine le totem personnel royal crsquoest-agrave-dire le Faucon En attendant et sans en faire la deacutemonstration pour le moment je me contenterai de dire que ce mot ka deacuterive drsquoune racine signifiant laquo engendrer raquo Le ka royal est donc laquo ce qui se perpeacutetue par engendrement raquo mdash De-puis Loret nrsquoa pas agrave ma connaissance donneacute drsquoautre exposeacute que la phrase citeacutee dans le texte et publieacutee en 060 V Loret revue eacutegyptologique XI p 80 fig et 6 Cf les stegraveles drsquoAbydos reproduites par de Morgan recherches sur les origines de lrsquoeacutegypte II p 2 20 Petrie royal tombs I pl XXXI-XXXII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et au-dessus on dessine lrsquoimage du faucon Comme le faucon est devenu par la suite le dieu Horus on a pris lrsquohabitude drsquoappeler ce nom de ka = le nom drsquoHo-rus 2 Il est bien connu que tout pharaon agrave son couronnement reccediloit un nom drsquoHorus crsquoest-agrave-dire un nom de ka Or le nom en Eacutegypte comme dans les autres socieacuteteacutes primitives est une veacuteritable deacutefinition de lrsquoessence intime des ecirctres la formule magique de sa nature secregravete que le mot eacutecrit reacutevegravele aux yeux crsquoest pourquoi quand on connaicirct le nom drsquoun ecirctre ou drsquoune chose on les tient en son pouvoir Parfois on repreacutesente ce nom muni de bras maniant des at-tributs (fig ) comme il arrive aussi pour le faucon crsquoest montrer que le nom nrsquoest pas seulement un symbole repreacutesentatif mais un ecirctre vivant et agis-sant Enfin pour les Eacutegyptiens les notions de ka et le nom royal se confondent si bien qursquoon trouve souvent le mot deacutetermineacute par le cartouche qui ceint le nom royal

Le ka nom du roi est donc la notation graphique de ce qursquoil y a drsquoessentiel dans la personne du roi Cependant le ka conserve une figure distincte de la figure royale A Louxor Deir-el-Bahari Dendeacuterah Erment dans les tableaux qui repreacutesentent la naissance du Pharaon 6 on voit naicirctre avec celui-ci le ka du roi sous la forme drsquoun enfant pareil agrave lrsquoenfant royal quand le roi devient adulte le ka grandit aussi mais tandis que le roi vieillit le ka se fixe dans la forme adulte 7 et drsquoaspect toujours jeune il ne semble pas subir les atteintes du temps 8

2 G Maspero sur les quatre noms officiels des rois drsquoeacutegypte (eacutetudes eacutegyptiennes II p 27 et suiv) et Histoire I p 28 et suiv cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 7 et suiv E Lefeacutebure Le nom dans lrsquoancienne eacutegypte (ap sphinx I p 06 et suiv) A Moret Du caractegravere religieux p 7 222 V Loret l c p 20 cf Brugsch Woumlrterbuch p 6 A Moret Du caractegravere religieux p 87 Crsquoest lrsquoaspect de la statue du ka du roi Hor Iouibracirc (De Morgan Dahchour I pl XXXIII)8 Crsquoest ce qursquoa bien montreacute Steindorff l c p 7-8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ameacutenophis III sacrifiant agrave Amon Derriegravere le roile laquo ka royal vivant raquo sous forme de nom animeacute

Drsquoailleurs le ka diffegravere du type consacreacute de la personne royale il porte la perruque divine la barbe divine et non la barbe carreacutee il nrsquoa pas lrsquoUraeligus au front sur sa tecircte se dresse le agrave la main il tient une hampe surmonteacutee drsquoune tecircte de ka 20 parfois comme les dieux le ka royal nrsquoa pas besoin du corps humain seul le signe hieacuteroglyphique muni de bras qui portent les insignes suffit agrave le repreacutesenter 2 On reconnaicirct agrave ces particulariteacutes que la figure du ka royal est celle drsquoun dieu Enfin quand le ka accompagne le roi il est toujours repreacutesenteacute derriegravere celui-ci crsquoest-agrave-dire dans lrsquoattitude de garde ( sa) 22 Drsquoougrave il suit que le ka est lagrave pour proteacuteger le roi Von Bissing et Spiegelberg ont mon-treacute qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine ka est rendu en deacutemotique par shaiuml = ψαίς ὁ

ἄγαθος δαίμων 2

Le ka royal est donc parfois un dieu protecteur mdash drsquoougrave la traduction schutzgott proposeacutee par Steindorff

Mariette Abydos pl Cf A Moret l c ) 2220 Le ka du roi est geacuteneacuteralement repreacutesenteacute par un dieu adulte plus petit que le pharaon il est cependant parfois de mecircme taille que le roi mdash Cf notre fig 22 Cf fig 22 A Moret l c p 7 2 222 222 Aeg Zeitschrift XLIX p 26 Von Bissing l c p

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette protection ne srsquoarrecircte pas a la mort elle se continue dans lrsquoautre vie Car le ka ne meurt point Quand le roi meurt on dit laquo que son ka le rejoint raquo au ciel ou laquo qursquoil srsquoen va avec son ka 2 raquo Crsquoest une loi geacuteneacuterale pour les dieux comme pour les hommes laquo Tout ce qui passe passe dans lrsquoautre monde avec son ka Horus passe avec son ka Thot passe avec son ka Sop passe avec son ka toi (ocirc mort) passe donc avec ton ka 2 raquo

Dans les tombes de lrsquoeacutepoque memphite les for-mules nous apprennent que laquo mourir raquo crsquoest laquo passer agrave son ka 26 raquo Crsquoest laquo srsquoen aller accompagneacute de ses kaou raquo dans lrsquoautre monde 27 Si pour tous les ecirctres vivants mourir crsquoest laquo aller vivre avec son ka 28 raquo naicirc-tre qursquoest-ce donc sinon sortir drsquoun ka primordial Concluons que le ka prend ici lrsquoaspect drsquoun geacutenie de la race qui naicirct avec lrsquoindividu grandit avec lui puis sans mourir reccediloit le deacutefunt dans son sein 2

Mais comment concilier ces notions avec le sens laquo nourriture offrandes raquo qui appartient agrave ce mecircme mot ka sous la forme plurielle kaou F von Bis-sing qui a reacutecemment attireacute lrsquoatten- tion sur ce sens speacutecial de la racine ka 0 a citeacute avec raison cer-tains tableaux des temples drsquoeacutepoque greacuteco-romaine ougrave lrsquoon a repreacutesenteacute non point une forme du ka royal mais quatorze (parfois mecircme vingt-huit car il y a ka femelles agrave cocircteacute de ka macircles) Chacune de ces figu-

2 sper ka-f r f (pyr drsquoOunas 8) seb hnacirc ka-f (Canas )2 Sethe pyramidentexte I p 0 0 60 II p 2 277 26 seb n ka-f (Sethe Urkunden alten reiches p 6 7 7 Aussi le mot ka est-il parfois deacutetermineacute par la momie )27 shest-f in kaou-f Mariette Mastabas p J Capart Une rue de tombeaux pl XI et p 7 et Aeg Zeitschrift XLII p Cf lrsquoexpression pour laquo mourir raquo hep n ka-f (Mastabas p 60) Un texte speacutecifie que le mort est tireacute accueilli par la main tendue laquo de ses kaou et de ses pegraveres raquo (Mastabas p ) Lrsquoendroit du ciel ougrave le deacutefunt et les dieux laquo passent agrave leurs kaou raquo est agrave lrsquoOrient pregraves du soleil levant crsquoest-agrave-dire aux sources de la renaissance (pyr de peacutepi i 8) et aussi vers le laquo champ des offrandes raquo crsquoest-agrave-dire aux sources de lrsquoalimentation (pyr de peacutepi i L 7 peacutepi ii 62)28 Anh hnacirc ka-f (pyr de peacutepi i 6)2 Il en est de mecircme pour le roi dans ses rapports avec le Faucon dont il naicirct qui grandit avec lui et en qui il se reacutesorbe apregraves la mort0 Versuch einer neuen erkluumlrung des Karsquoi

Figure 2Thoutmegraves et son ka visitent Amon le laquo ka royal vivant raquo sous forme de dieu adulte

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

res divines porte un nom la richesse la force la vigueur la stabiliteacute la noblesse lrsquointelligence (magique ) la lumiegravere la connaissance

le goucirct la vue lrsquoouiumle lrsquoabondance (litt lrsquoapprovisionne-ment) lrsquoalimentation la seacutepulture () Qursquoest-ce agrave dire sinon que ces quatorze formes du ka personnifient les eacuteleacutements de prospeacuteriteacute mateacuterielle et intellectuelle tout ce qui est neacutecessaire agrave la santeacute du corps et de lrsquoesprit Juste-ment un texte de philosophie memphite que von Bissing aurait ducirc citer 2 nous fournit un commentaire de ces tableaux Il est dit que le Deacutemiurge laquo creacutea de son Verbe les kaou et pacifia les forces hostiles (hm-stou) et creacutea toutes les provisions (kaou) et toutes les offrandes par sa parole creacuteant ainsi le bon et le mauvais raquo Sous ce nom de ka il faut donc entendre non pas seulement le prin-cipe de vie du Pharaon des dieux et des hommes mais lrsquoensemble des forces vitales (auxquelles srsquoopposent les forces mauvaises hm-stou) et la nourriture qui alimente et sans laquelle deacutepeacuterit tout ce qui existe dans lrsquounivers

Mais ces kaou des choses ont-ils quelque rapport avec le ka du Pharaon des hommes et des dieux La reacuteponse nous est donneacutee par les tableaux des temples A Ombos chacun de ces kaou agrave la fois physiques et meacutetaphysiques porte le nom du Pharaon reacutegnant les leacutegendes speacutecifient que nous avons sous les yeux le ka de la force le ka de la richesse le ka des approvisionnements dans Ptoleacutemeacutee et chacune de ces entiteacutes se confond avec le ka royal On pourrait suspecter ces teacutemoignages comme trop reacutecents et soupccedilonner que ces concepts nrsquoeacutetaient pas ceux des premiers Eacutegyptiens Je crois pour ma part que la division du ka en quatorze figures symboliques est une subtiliteacute de la speacuteculation theacuteologique mais cette speacuteculation remonte deacutejagrave agrave lrsquoAncien Empire Von Bissing a deacutemon-treacute que dans les noms de ka adopteacutes par les rois de lrsquoAncien Empire Ouserka-f shepseska-f Dadkaracirc Ouserkaracirc on retrouve les mots ouser shepes dad qui deacutesignent les kaou du roi dans les tableaux citeacutes plus haut Jrsquoajoute que les

Pour la discussion des noms de ces kaou royaux je renvoie a von Bissing p 2- Aux textes citeacutes il convient drsquoajouter les tableaux drsquoOmbos (De Morgan Ombos I p 87 et suiv A Moret Du caractegravere religieux p 22) et les commentaires de Piehl insc Hieacuteroglyphiques II p 86 et suiv2 Texte publieacute par Breasted (Aep Zeitschrift XXXIX p et suiv) et de nouveau par Erman (sitzungsberichte der koumln preussischen Akad XLIII (Cf G Maspero sur la toute-puis-sance de la parole ap recueil de travaux XXIV p 68) Sur le sens de mtn cf Brugsch W s p 62 De Morgan Ombos I p 87 et suiv Von Bissing l c p Ajoutons le nom Ouad Kara qui vient de sortir des fouilles de Ko-plos ougrave la faculteacute Ouad se trouve en composition dans un nom royal (R Weill Les deacutecrets royaux p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

textes des Pyramides nomment deacutejagrave les principes mauvais agrave cocircteacute des kaou com-me dieux asservis au deacutefunt 6 Lrsquoideacutee est donc tregraves ancienne qui associait le ka agrave la vie universelle sous des formes preacutecises et diffeacuterencieacutees par un nom Quant agrave la confusion des ideacutees relatives au ka et agrave la nourriture kaou elle apparaicirct aussi degraves le temps des Pyramides quand les textes parlent des dieux et de leurs kaou

il faut souvent comprendre laquo les dieux et leur nourriture 7 raquo lrsquoendroit du ciel qursquoon appelle laquo champ du ka raquo est proche du laquo champ des offrandes 8 raquo Ces paralleacutelismes ne sauraient ecirctre fortuits en fait le ka symbolise aussi la force de vie qui reacuteside dans la nourriture

Je reacutesume ces diffeacuterents traits le ka est une enseigne de tribu un nom du roi ou des particuliers un geacutenie protecteur la source de vie drsquoougrave sortent et ougrave retournent le roi les dieux les hommes les choses les forces mateacuterielles et in-tellectuelles crsquoest enfin la nourriture qui entretient la vie universelle Or les socieacuteteacutes primitives aux premiers stades de leur eacutevolution croient agrave une force suprecircme qui reacuteunit tous ces attributs et mecircme drsquoautres encore Cette puissance crsquoest le totem agrave la fois signe de ralliement marque distinctive nom substance source de vie drsquoougrave lrsquoon naicirct et agrave laquelle on revient par la mort enfin nourriture des hommes Si la deacutefinition du totem que je preacutesente ici drsquoapregraves les theacuteoriciens est exacte crsquoest donc lrsquohypothegravese preacutesenteacutee par Loret sur le ka qui serait la plus compreacutehensive

Peut-on renouveler contre lrsquoeacutequation ka=totem la mecircme objection qursquoa souleveacutee une autre proposition de Loret faucon=totem et dire qursquoil srsquoagit de zoolacirctrie et non de toteacutemisme Le ka nrsquoeacutetant point un animal comment se-rait-il question ici de zoolacirctrie Mais dira-t-on les monuments ne repreacutesentent presque uniquement que le ka du Pharaon 0 crsquoest le ka du roi seul qui apparaicirct

6 pyr drsquoOunas I 02-0 teacuteti I 20 (Sethe I p 207) laquo Les Kaou de Teacuteti sont derriegravere lui les hm-stou de Teacuteti sont sous ses pieds raquo Les principes femelles agrave lrsquoorigine malfaisants semblent plus tard se confondre avec les Kaou (Brugsch W s p 7) Ils seraient ainsi reacuteellement laquo pa-cifieacutes raquo7 Par exemple pepi i I 028 teacuteti I cf peacutepi i I 7 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode comparative (revue de lrsquoHistoire des religions 08 t LVIII p et suiv)0 Crsquoest la thegravese deacutefendue par Steindorff l c contre lrsquohypothegravese de Maspero que le ka pour vivre devait animer les corps fictifs mais ressemblants sculpteacutes dans les tombes bas-reliefs ou statues On doit se demander en effet si ces repreacutesentations sont celles du ka ou des deacutefunts Les seules statues de ka certaines sont celles que le roi Hor Iouiracirc avait deacutedieacutees laquo au ka vivant

00

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sculpteacute dans les temples ou eacuterigeacute en statue lui seul symbolise les forces mateacute-rielles ou intellectuelles Srsquoil est vrai que les particuliers et mecircme les choses possegravedent un ka du moins ce ka nrsquoest-il pas comme il devrait lrsquoecirctre lrsquoeacutegal du ka royal Cependant le toteacutemisme est un reacutegime eacutegalitaire ougrave tous les membres jouissent pareillement de la protection du totem

A cette objection je reacutepondrai que mecircme dans les socieacuteteacutes toteacutemiques il arrive que le chef du clan srsquoarroge sur le totem un droit plus grand que les autres clansmen Jrsquoajoute que je ne crois point deacutemontrable lrsquoexistence du toteacute-misme inteacutegral 2 en Eacutegypte avec les documents actuels car crsquoest une Eacutegypte deacutejagrave transformeacutee que nous font connaicirctre les monuments archaiumlques Toutefois cette question meacuterite drsquoecirctre poseacutee lrsquoideacutee du ka complexe comme je lrsquoai mon-treacutee correspond-elle agrave une notion qui a pu ecirctre aux temps anteacuterieurs celle du totem et qui a eacutevolueacute

Lrsquohistoire drsquoEacutegypte nous apprend que le but opiniacirctrement viseacute par les Pha-raons a eacuteteacute de deacutetourner sur eux la foi qui srsquoattachait aux ecirctres surnaturels et drsquoincorporer en leur personne divine le plus possible de la religion Ainsi agrave cocircteacute du ka il existe probablement une autre forme de totem qui serait celle du faucon Dans les temps primitifs nous soupccedilonnons lrsquoexistence drsquoun clan des Faucons ayant comme emblegraveme nom pegravere et protecteur un Faucon Mais agrave lrsquoeacutepoque historique seul le chef est resteacute un Faucon qui participe agrave la chair agrave lrsquoessence au nom de lrsquooiseau ancestral ce faucon crsquoest le roi Le patrimoine de tous est devenu lrsquoapanage exclusif du Pharaon

Une eacutevolution parallegravele srsquoest-elle produite pour lrsquoideacutee du ka Ce qui tendrait agrave le faire admettre crsquoest que ka et faucon se confondent en la personne du roi nous avons vu plus haut que le nom de ka crsquoest le nom royal preacuteceacutedeacute du faucon le nom drsquoHorus De mecircme que Pharaon est resteacute le Faucon unique de mecircme a-t-il pu garder pour lui seul certains privilegraveges relatifs au ka pharaon permet

qui reacuteside dans la double salle drsquoadoration raquo

(De Morgan Dahehour 8 p ) une autre statuette de ka du mecircme roi mais moins bien conserveacutee est citeacutee par de Morgan p Par exemple certains eacutedifices cf Steindorff l c p 2 Drsquoailleurs bien difficile agrave deacutefinir si lrsquoon en croit les conclusions actuelles de Frazer et van Gennep Je ne partage point lrsquoideacutee eacutemise par Steindorff (l c p ) que le roi a eu le premier un ka et qursquoil a eacutetendu ce privilegravege agrave ses sujets Les monuments indiquent au contraire me semble-t-il qursquoagrave lrsquoorigine les particuliers comme le roi veacuteneacuteraient leur ka (stegraveles archaiumlques cf p 20 et stegravele drsquoHessi au Caire Museacutee eacutegyptien pl XXII) mais le roi srsquoen reacuteserva par politique la pro-

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave ses sujets de croire qursquoils demeuraient en rapport avec le ka protecteur et source de vie mais il preacutetend devenir lrsquointermeacutediaire obligatoire entre les hommes et le ka ce qursquoindique la formule funeacuteraire laquo Le roi donne lrsquooffrande agrave Osiris pour que celui-ci donne lrsquooffrande au ka drsquoun tel raquo Ce rocircle drsquointermeacutediaire est bien deacute-fini encore par les formules du couronnement quand le roi monte sur le trocircne on proclame qursquoil est agrave la tecircte de tous les kaou vivants Ce nrsquoest point assez De mecircme que Pharaon est devenu le Faucon incarneacute de mecircme le ka acircme diffuse du clan primitif srsquoest sublimeacute dans le ka du surhomme qursquoest Pharaon Jrsquoai citeacute (plus haut) ce qursquoun noble de la XIIe dynastie enseignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu sa (la science) qui est dans les esprits ses yeux explorent toutes les consciences crsquoest racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre plus que le Nil en crue quand il em-plit les deux terres de force et de viehellip Il donne les faveurs agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraye son chemin Le roi crsquoest le ka sa bouche (creacutee) la surabondance tout ce qui existe est sa creacuteation raquo

La preacutepondeacuterance du ka royal sur les autres ka srsquoexpliquerait donc par les pro-gregraves de la monarchie Lrsquoideacutee du ka personnel agrave chaque homme nrsquoen persista pas moins dans la socieacuteteacute eacutegyptienne comme lrsquoeacutecho affaibli drsquoune conception tregraves ancienne celle drsquoune force vitale commune aux ecirctres et aux choses qui fournis-sait agrave tous existence et nourriture et que parfois lrsquoon personnifiait en lrsquoappelant laquo ka pegravere des pegraveres des dieux 6 raquo pour exprimer que crsquoeacutetait le substratum de tout ce qui existe

Voilagrave ce qursquoeacutetait le ka Pour le nom je ne proposerai pas de traduction 7 mieux vaut se servir du mot eacutegyptien apregraves lrsquoavoir expliqueacute Mais cette expli-

prieacuteteacute pour lui seul pendant la peacuteriode preacutememphite agrave partir de la Ve dynastie environ le roi a ducirc ou a voulu restituer agrave ses sujets la preacuterogative du ka comme il les a autoriseacutes graduellement agrave pratiquer les rites osiriens M Sottas me suggegravere que peut-ecirctre faut-il interpreacuteter laquo chef des kaou de tous les vivants raquo Stegravele de sehetepibracirc (Caire 2088 face 2 )6 Figure et leacutegende de la basse eacutepoque reproduite par Wilkinson (Manners and Customs III p 2 fig 0) sans indication de source Ici le ka est figureacute par un homme agrave tecircte de grenouille ce qui peut srsquoexpliquer parce que la grenouille eacutetait un symbole des transformations des espegraveces vivantes et drsquoimmortaliteacute (cf Spiegelberg ap sphinx VII p 22)7 Srsquoil fallait trouver un sens litteacuteral agrave il faudrait prendre en consideacuteration qursquoaux textes des Pyramides les deux bras leveacutes servent de deacuteterminatifs agrave des mots tels que agravehacircacirc (eacuted Sethe II p 0 76 ) et hch (II p 2) qui expriment des ideacutees de lever eacutelever Le ka serait-il lrsquoecirctre qursquoon invoque en levant les bras vers lui Erman tirant parti drsquoun texte du temple de Seacuteti I (Abydos I appendice tableau 6) montre que le Deacutemiurge Toum anime les dieux ses fils laquo en placcedilant ses deux bras derriegravere eux pour que son ka soit en eux raquo Les deux bras eacutevoqueraient alors le geste magique qui confegravere le ka ou la vie (religion eacuted franccedilaise p 2)

02

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cation ne pourrait se condenser dans lrsquoun quelconque des termes jusqursquoici pro-poseacutes double geacutenie de la race dieu protecteur nom nourriture Le ka est tout cela et nrsquoest point chacune de ces qualiteacutes isoleacutement Il mrsquoa sembleacute que dans le treacutesor des ideacutees primitives crsquoest celle de totem qui correspondrait le mieux au ka le totem comprend tous les traits du ka et drsquoautres encore qui ont disparu parce que la socieacuteteacute eacutegyptienne si haut que nous puissions remonter nous appa-raicirct comme une socieacuteteacute eacutevolueacutee

Ma tacircche consistait agrave rassembler les mateacuteriaux eacutegyptiens et agrave poser la ques-tion Crsquoest aux ethnographes qursquoil appartiendra de deacutecider si le ka aux aspects si varieacutes nrsquoa pas agrave ses origines un caractegravere toteacutemique

0

v

roIs de carnavaL

La fin de lrsquoanneacutee et la naissance de lrsquoan nouveau sont aujourdrsquohui encore lrsquooccasion drsquoune joie et drsquoune agitation geacuteneacuterales et de manifestations officielles Ces fecirctes populaires ont existeacute de tout temps Chez nous elles srsquoeacutechelonnent sur une peacuteriode qui va de Noeumll agrave Pacircques de la fin deacutecembre au commencement drsquoavril (fecirctes de saint Eacutetienne saint Jean saints Innocents saint Sylvestre Jour de lrsquoan des Rois Carnaval Mardi gras Mi-Carecircme Pacircques) Elles correspon-dent en bloc aux Saturnales Calendes de janvier Lupercales Liberalia des La-tins En remontant plus haut que lrsquoantiquiteacute romaine nous retrouvons chez tous les peuples des traditions de ce genre ou les souvenirs historiques qursquoelles ont laisseacutes les peuplades sauvages de nos jours se rattachent agrave lrsquohumaniteacute civiliseacutee par des coutumes semblables Plusieurs sociologues tels que Mannhardt Fra-zer Durkheim Hubert Mauss Van Gennep ont eacutetudieacute avec preacutedilection ces peacuteriodes de crise de lrsquoacircme populaire ils ont eacutetabli que ces coutumes devenues incompreacutehensibles chez les civiliseacutes preacutesentaient au contraire un sens reacutefleacutechi et une suite chez les non-civiliseacutes qui les ceacutelegravebrent reacuteguliegraverement lors des gran-des vicissitudes naturelles et au temps des semailles et des moissons Cherchons donc chez eux et dans les civilisations anciennes en prenant pour guide les ad-mirables travaux de Frazer 8 lrsquoexplication de ces mouvements qui dans notre corps social ne sont plus que des actes reacuteflexes fecirctes Sacaeliga de Babylone Kronia drsquoAthegravenes Saturnales de Rome Mascarades du moyen acircge fecirctes des Fous et de lrsquoAcircne cortegraveges de Carecircme et de Carnaval

Le Carnaval moderne se distingue par des processions et deacutefileacutes burlesques promenade de lrsquoOurs en Moravie et en Bohecircme de la Tarasque agrave Tarascon du Char naval (carrus navalis) en Allemagne du roi Reneacute agrave Aix du bonhomme Carnaval agrave Nice etchellip Drsquoordinaire on y exhibe des mannequins de taille colos-sale que lrsquoon conserve parfois drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre comme des feacutetiches citons les geacuteants Jan et Mieke agrave Bruxelles Druon et Antigon agrave Anvers Gilles agrave Mons Gog et Magog agrave Londres les Zigantiak dans le pays basque la Reina Caresma agrave

8 J Frazer Le rameau drsquoor trad (r par Stieacutebel et Toutain vol (Schleicher edit)

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Madrid Le plus souvent ces mannequins sont peacuterissables Presque chaque ville a son laquo Vieux raquo ou sa laquo Vieille raquo de Mi-Carecircme ou de Carnaval qursquoon deacutepegravece brucircle ou jette agrave lrsquoeau pour marquer la fin des reacutejouissances Mecircme srsquoils srsquoappel-lent Rois ils subissent ce mecircme sort On produit ces souverains de carnaval dans des ceacutereacutemonies bouffonnes ougrave ils sont coiffeacutes de couronnes enguirlandeacutes de feuillages munis de sceptres de roseaux et affubleacutes drsquooripeaux dans beaucoup de villes on les fait passer en jugement au cours de ceacutereacutemonies burlesques qui se deacuteveloppent parfois en veacuteritables drames et mettent en action la mort du grotesque heacuteros laquo En Provence on voyait un homme vecirctu en femme suivi par des gamins chercher Carnaval dans toute la ville il prenait des allures de veuve eacuteploreacutee et au cours de ses burlesques investigations il racontait comment Car-naval agrave cause de ses deacutebauches avait mal tourneacute et srsquoeacutetait pendu Dans beaucoup de villes on repreacutesentait un jugement de Carnaval le noble Magrimas (Carecircme) intentait un procegraves au prince Grossois (Mardi-gras) roi des ivrognes et des gour-mands devant la cour des risaflorets Hareng-saur assisteacute de lrsquoavocat Pain-sec soutenait que le jeucircne devait commencer de suitehellip Finalement Mardi-gras eacutetait condamneacute agrave mort et exeacutecuteacute au milieu de mille extravagances 0hellip raquo Un peu partout crsquoest le mecircme enterrement du Carnaval

De mecircme ordre que la royauteacute de Carnaval est encore laquo la royauteacute du jour des Rois raquo bien que la fecircte chreacutetienne de lrsquoEacutepiphanie en ait fait avancer la date Ce jour-lagrave on laquo tire (au sort) les rois raquo en se partageant les morceaux drsquoune galette dans laquelle une fegraveve ou une petite poupeacutee cacheacutee agrave lrsquoavance deacutesignera celui dont le sort veut comme roi Pendant la dureacutee drsquoune soireacutee ce roi donnera des ordres bouffons choisira une reine chacun imitera ses moindres gestes avec un respect simuleacute et une obeacuteissance feinte

Lrsquoorigine sinon lrsquoexplication de cette singuliegravere royauteacute apparaicirct dans la tra-dition greacuteco-romaine des fecirctes de Kronos-Saturne appeleacutees laquo Kronia raquo agrave Athegravenes et laquo Saturnales raquo agrave Rome Vers la fin de deacutecembre les esclaves reacuteunis dans un banquet laquo tiraient au sort raquo qui serait le laquo roi du festin raquo Celui-ci commandait quelques jours durant agrave tous maicirctres et serviteurs il faisait chanter ou danser ses sujets leur prescrivait de se masquer ou de se deacutevecirctir les barbouillait de suie ou de farine ou les jetait dans lrsquoeau glaceacutee Mais agrave cocircteacute de ces pratiques burlesques voici qursquoapparaissent par endroits de sauvages coutumes jadis les

Frazer Le rameau drsquoor II p 27 227 et suiv0 E Doutteacute Magie et religion dans lrsquoAfrique du nord 00 On trouvera dans ce livre de preacutecieux renseignements sur le carnaval marocain Le rameau drsquoor II p 6 et suiv p et suiv

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Saturnales srsquoaccompagnaient de sacrifices humains et mecircme en 0 de notre egravere des soldats romains campeacutes dans la valleacutee du Danube nrsquoen avaient pas perdu lrsquohabitude Avant les Saturnales ils deacutesignaient un roi pendant un mois celui-ci usait comme il lrsquoentendait de sa souveraineteacute puis on le sacrifiait Il arriva qursquoun chreacutetien nommeacute Dasius fut choisi pour cette paiumlenne royauteacute il refusa mais il ne gagna rien agrave ce refus sa deacutesobeacuteissance lui valut drsquoavoir la tecircte trancheacutee 2

Apregraves une eacutetude minutieuse des traditions de lrsquoantiquiteacute et des socieacuteteacutes sau-vages M Frazer a formuleacute la theacuteorie suivante dont nous avons veacuterifieacute deacutejagrave lrsquoap-plication dans lrsquoEacutegypte primitive et qui apregraves bien des deacutetours nous ramegravenera aux rois de Carnaval

Chez les peuples primitifs crsquoest une croyance absolue que leur seacutecuriteacute et celle du monde entier deacutependent de la volonteacute ou mecircme de la santeacute de leur roi Celui-ci en sa qualiteacute de dieu incarneacute et de sorcier a tout pouvoir sur la nature aussi est-il responsable des pheacutenomegravenes atmospheacuteriques et de la reacutegulariteacute des reacutecoltes Tant que le roi est jeune et vigoureux le peuple a confiance en lui mais laquo rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourir Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastro-phes ne se produiront pas lorsqursquoil srsquoaffaiblira peu agrave peu puis lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Les historiens grecs rapportent que telle eacutetait la destineacutee des rois de Meacuteroeacute (Nubie) A un certain moment les precirctres leur envoyaient lrsquoordre de se tuer coutume qui resta en usage jusqursquoau iiie siegravecle av J-C Parfois le peuple nrsquoatten-dait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau xvie siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans

Cependant agrave Meacuteroeacute Ergamegravene srsquoaffranchit de la coutume et massacra les precirctres Les rois de Calicut obtinrent le droit de se deacutefendre contre les assassins officiels qui les attaquaient au bout de douze ans Ailleurs on admit des atteacutenua-tions progressives le sultan de Java deacuteleacutegua aux membres drsquoune certaine famille lrsquohonneur de se tuer agrave sa place en eacutechange il accordait aux volontaires de la mort

2 Parmentier et Cumont Le roi des saturnales ap revue de philologie 87 p Frazer Le rameau drsquoor II p Voir lrsquoexemple des rois de Shilluk citeacute plus haut

06

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de grandes richesses pendant la vie et des funeacuterailles exceptionnelles Crsquoeacutetait le plus souvent dans la famille royale que le roi devait se chercher un substitut chez les peuples seacutemitiques les sacrifices si freacutequents des fils aicircneacutes se justifient par des raisons de cette nature

Puis les rites srsquoadoucirent encore Pour eacutepargner des innocents on choisit la victime parmi les condamneacutes agrave mort Mais il eacutetait neacutecessaire que le remplaccedilant du roi jouacirct vraiment le rocircle de roi au moins pendant quelques jours De lagrave des fecirctes comme celles des laquo Sacaeliga raquo que Beacuterose a vues agrave Babylone le 6 du mois Louumls un condamneacute agrave mort recevait les ornements royaux et jouissait de toutes les preacuterogatives du trocircne y compris lrsquousage du harem royalhellip Mais au bout de cinq jours on lui arrachait ses habits royaux et apregraves lrsquoavoir fouetteacute on lrsquoen-voyait agrave la potence ou agrave la croix 6

Ailleurs les ceacutereacutemonies lugubres se sont encore plus humaniseacutees dans lrsquoEacutegypte antique la fecircte sed nous a sembleacute rappeler le meurtre rituel du roi mais devenu symbolique et inoffensif par la substitution de victimes Au Cambodge de nos jours le laquo roi de feacutevrier raquo coiffeacute drsquoun bonnet blanc et armeacute drsquoun sceptre de bois remplace pendant trois jours le souverain Au Siam crsquoest agrave la fin drsquoavril que le roi temporaire jouit pendant trois jours de tout ce qui lui plaicirct au palais Plus de sacrifices mais on respecte la coutume en simulant lrsquoexeacutecution Voici ce qui se passait il nrsquoy a pas longtemps en Eacutegypte apregraves la moisson pendant trois jours le gouvernement est suspendu et chaque ville choisit son propre chef Ce chef porte une sorte de bonnet de fou et une longue barbe drsquoeacutetoupe il srsquoenveloppe drsquoun manteau bizarre Une baguette agrave la main escorteacute de scribes de bourreaux il se rend au palais du gouverneur qui se laisse deacuteposer par lui Au bout de trois jours le pseudo-roi est condamneacute agrave mort lrsquoenveloppe dans laquelle il se drape est brucircleacutee tandis que lui se retire agrave quatre pattes 7

Nous arrivons ainsi agrave des rites qui ont perdu presque tout leur caractegravere tra-gique Crsquoest tout au plus si lrsquoon a gardeacute le souvenir que le remplacement du roi reacutegnant par un roi inteacuterimaire symbolise un changement de regravegne et un renou-vellement de la force vitale du souverain seul reste perceptible pour le grand pu-blic le cocircteacute plaisant de cette substitution la royauteacute eacutepheacutemegravere drsquoun parvenu qui

Peut-ecirctre pour lrsquoEacutegypte pharaonique un eacutecho de cette tradition nous est-il parvenu dans un passage de la pyramide drsquoOunas (I 08) on lrsquoon rappelle laquo ce jour ougrave lrsquoon sacrifie lrsquoaicircneacute raquo (Cf pyr de teacuteti I 22)6 Sur lrsquoantiquiteacute de cette fecircte agrave Babylone et ses origines historiques cf Frazer l c II p 00 et suiv7 Frazer Le rameau drsquoor II p

07

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pendant trois jours fait ripaille sur le trocircne tel notre roi Carnaval Crsquoen est assez pour faire comprendre que celui-ci est lrsquoheacuteritier burlesque du roi inteacuterimaire qursquoon sacrifiait jadis pour sauver la vie du souverain reacutegnant

Mais la physionomie des fecirctes du Mardi gras est complexe et agrave cocircteacute de ce trait essentiel de victime substitueacutee il y en a drsquoautres emprunteacutes agrave diverses cou-tumes des populations agricoles civiliseacutees ou non civiliseacutees

Vers le temps des moissons dans plusieurs pays drsquoEurope la tradition existe encore de mettre agrave mort par le feu lrsquoeau ou agrave coups de faucille un mannequin en paille Celui-ci repreacutesente lrsquoEsprit du Bleacute ou de la Veacutegeacutetation laquo il vit dans les reacutecoltes et quand on les fauche on srsquoimagine qursquoil se reacutefugie dans la derniegravere gerbe Parfois on fabrique avec les eacutepis de cette gerbe le mannequin qui est censeacute incarner lrsquoesprit que ce soit la gerbe ou le mannequin on deacutesigne lrsquoune et lrsquoautre par les mecircmes noms le Vieux la Vieille la Megravere (du Bleacute) la GrandrsquoMegravere la Reine le Mort etc On conduit au village le Simulacre on le reccediloit triompha-lement comme un roi puis on le flagelle et on lrsquoexeacutecute Reste agrave le ressusciter pour qursquoil assure la feacutecondation des semailles prochaines En Bohecircme on revecirct le mannequin drsquoune chemise blanche apregraves lrsquoexeacutecution on prend cette chemise ougrave srsquoest reacutefugieacutee lrsquoacircme et la force du laquo Vieux raquo et on en habille un jeune arbre qursquoon ramegravene au village en chantant laquo Nous avons expulseacute la mort du village nous y ramenons le nouvel eacuteteacute Sois le bienvenu cher eacuteteacute petit bleacute vert raquo Ainsi le nou-veau bleacute est censeacute recueillir la force du vieux bleacute comme dans les rites royaux le nouveau roi heacuterite de la force vitale qui va eacutechapper au souverain deacutecreacutepit Ces traits caracteacuteristiques des coutumes agraires on les retrouve sans peine dans le Carnaval actuel drsquoelles nous viennent ces mannequins bourreacutes de paille qursquoon veacutenegravere et qursquoon bafoue et qursquoon brucircle ensuite en grand apparat 8

Mais voici drsquoautres traits Souvent dans le mannequin rituel on introduisait un ecirctre vivant comme pour donner plus de force agrave la fiction ou agrave la reacutealisation dramatique du Mystegravere des moissons Dans ce cas lrsquoecirctre vivant eacutetait mis agrave mort et mangeacute Au Mexique on reacutealisait de cette faccedilon le meurtre du dieu de la Veacute-geacutetation pendant un an un captif jouait le rocircle de la diviniteacute et comme le roi inteacuterimaire des Saturnales se passait toutes ses fantaisies puis il eacutetait tueacute et mangeacute en sacrifice solennel de sa peau eacutecorcheacutee on revecirctait un homme vivant qui lrsquoanneacutee suivante repreacutesentait aussi le dieu hellip Mais le plus souvent ce

8 Le rameau drsquoor III p et suiv 0 et suiv Le rameau drsquoor II p 7

08

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rite a eacutevolueacute Au lieu drsquoun homme on a pris un coq un bouc un bœuf on introduisait ces animaux vivants dans le mannequin de bleacute et ils animaient le Simulacre Aujourdrsquohui encore en Bohecircme dans certains cas le coq devient le roi Carnaval on lui met des vecirctements grotesques capuchon rouge culottes veste grise on le fait passer en jugement puis les assistants le sacrifient non sans lui avoir demandeacute pardon Chez nous crsquoest le bœuf gras qui personnifie lrsquoEsprit du bleacute le cortegravege ougrave il figure et sa mise agrave mort nrsquoont plus de caractegravere rituel mais on a gardeacute dans les campagnes quelques souvenirs des coutumes anciennes laquo A Pouilly pregraves de Dijon au moment de faucher la derniegravere gerbe on promenait trois fois autour du champ un bœuf orneacute de fleurs de rubans et drsquoeacutepis puis un homme deacuteguiseacute en diable coupait la gerbe et mettait le bœuf agrave mort Une par-tie des chairs eacutetait mangeacutee dans un souper donneacute agrave lrsquooccasion de la moisson le reste saleacute et gardeacute jusqursquoau jour des semailles 60 raquo

Au lieu drsquoanimaux vivants on se contente parfois de leur image en pacircte Avec la farine tireacutee de la derniegravere gerbe on peacutetrit un gacircteau en forme de silhouette humaine ou animale Sous cette forme ce bleacute passe pour repreacutesenter le corps de lrsquoEsprit du bleacute Dans le Wermland (Suegravede) la fermiegravere fait avec le grain de la derniegravere gerbe un pain qui a les contours drsquoune petite fille 6 il est partageacute entre tous les gens de la ferme et mangeacute par eux Il en est de mecircme en Eacutecosse ougrave lrsquoEsprit du bleacute est repreacutesenteacute par la derniegravere gerbe faccedilonneacutee en forme de femme et appeleacutee laquo la Vierge raquo Ailleurs comme au Japon ce sont des femmes qui cein-tes drsquoeacutepis jaunissants semblent de vivantes gerbes (cf pl VIII) De mecircme en France agrave La Palisse on suspend un bonhomme en pacircte agrave la plus haute branche du sapin qui orne la derniegravere charrette de bleacute Le sapin et le bonhomme sont porteacutes chez le maire qui les garde jusqursquoagrave ce que les vendanges soient faites Alors la fin de toutes les reacutecoltes est ceacuteleacutebreacutee par une fecircte dans laquelle le maire rompt le bonhomme de pacircte en plusieurs morceaux qursquoil distribue aux paysans et que ceux-ci mangent 62 Il paraicirct que dans le comteacute drsquoYork crsquoest le pasteur qui coupe le premier bleacute 6 avec ce bleacute on fabrique le pain de la communion Lagrave par la survivance drsquoun vieux rite paganisme et christianisme se confondent

60 Goblet drsquoAlviella Les rites de la moisson (revue de lrsquoHistoire des religions 88 II p )6 De mecircme nos galettes des rois contiennent une poupeacutee62 Frazer Le rameau drsquoor II p 27 et suiv6 Jrsquoai vu en Bretagne agrave La Clarteacute pregraves Perros-Guirec le cureacute mettre le feu agrave une meule de gerbes nouvelles (la veille du aoucirct) on peut reconnaicirctre ici encore lrsquoantique mannequin repreacutesentant lrsquoEsprit du bleacute Cet eacutepisode a eacuteteacute joliment deacutecrit dans le roman de G Sansrefus Fleur drsquoajonc

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

un moment On fait de religieuses agapes en Indochine avec le riz nouveau sur le Niger avec les nouvelles ignames de mecircme les peuples bergers et chasseurs qui vivent du gibier et de lrsquoeacutelevage mangent solennellement les animaux sauva-ges ou domestiques en qui srsquoincarnent pour eux les forces divines et nourriciegraveres de la nature

Donc sauvages et civiliseacutes mangent rituellement au temps des semailles ou des moissons lrsquohomme lrsquoanimal les gacircteaux qui figurent pour eux le Vieux dieu de lrsquoan qui finit Ils croient srsquoincorporer ainsi la force creacuteatrice de la divi-niteacute drsquoailleurs ils segravement dans les champs soit des fragments de chair ou de gacircteaux soit la cendre provenant du mannequin brucircleacute pour feacuteconder la terre Crsquoest en souvenir de ces coutumes que nos contemporains cachent une fegraveve ou une poupeacutee dans le gacircteau des Rois 6 et font bombance au temps du Carnaval partout on tue le bœuf gras lrsquooie ou le porc on preacutepare des mets speacuteciaux des gacircteaux des crecircpes beignets bonshommes en pain drsquoeacutepices qui gardent parfois lrsquoaspect des antiques victimes animales ou humaines Mais rappelons-nous que jadis le repas dont nous avons fait le festin des jours gras nrsquoeacutetait pas une fin en lui-mecircme ce nrsquoeacutetait qursquoun moyen pour le fidegravele de communier avec la chair et le sang du dieu en mangeant le pain et en buvant le vin

Les cultes agraires des anciens peuples nous fournissent aussi lrsquoexplication des mascarades et des cortegraveges burlesques en usage aux jours gras Avec le moment des semailles ou des moissons coiumlncide un rite drsquoune grande importance pour les peuples primitifs celui de lrsquoexpulsion geacuteneacuterale des deacutemons ceux drsquoabord qui deacutefendent les champs et qursquoil faut mettre agrave mort pour pouvoir moissonner ceux aussi qui infestent les maisons et dont la ruse malveillante amegravene les maladies et tous les maux Il srsquoagit drsquoune purification geacuteneacuterale drsquoune liquidation complegravete des malheurs ou des crimes occasionneacutes par les meacutechants esprits Ces exorcis-mes drsquoabord particuliers agrave chaque individu et mecircme agrave chaque cas de laquo posses-sion raquo ou de maleacutefice puis appliqueacutes agrave toute la collectiviteacute furent concentreacutes enfin dans une ceacutereacutemonie annuelle qui marquait le terme drsquoune peacuteriode et le deacutebut drsquoune nouvelle egravere

Ces fecirctes sont caracteacuteriseacutees par une exaltation speacuteciale qui srsquoempare de toute la population Une partie des hommes et des femmes srsquoaffublent de deacuteguisements grotesques ou effrayants se couvrent le corps de peaux la figure de masques se barbouillent de suie srsquoenduisent de poix ou se roulent dans les plumes en

6 Le rameau drsquoor II p

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cet appareil ils courent de maison en maison non sans faire un effroyable va-carme Crsquoest qursquoils donnent la chasse aux deacutemons invisibles et qursquoils les pour-suivent agrave coups de lances de flegraveches ou de fusils en criant laquo Allez-vous-en deacutemons raquo mdash jusqursquoagrave ce qursquoils croient les avoir repousseacutes bien loin des habita-tions 6 Ces coutumes se retrouvent partout dans lrsquoantiquiteacute comme de nos jours dans les deux mondes Les Grecs chassaient les mauvais esprits le jour des Anthesteacuteries les Romains pendant trois jours du mois de mai et il nrsquoy a point longtemps on expulsait encore de mecircme faccedilon les sorciegraveres et les deacutemons drsquoAuvergne de Bohegraveme et de Thuringe la nuit du er mai

Les Momons du moyen acircge qui faisaient irruption dans les maisons et ces bandes masqueacutees qui aujourdrsquohui encore dans nos campagnes parcourent les rues en jouant sur des instruments criards et forcent lrsquoentreacutee des portes ont per-peacutetueacute sans le savoir lrsquoantique charivari les clameurs de tout un peuple acharneacute agrave la poursuite des deacutemons des geacutenies malfaisants qui deacutetruisaient les reacutecoltes et la santeacute de lrsquohomme

Lrsquoexpulsion des deacutemons des maladies des peacutecheacutes et mecircme lrsquoexpulsion de la Mort la hideuse qui rocircde sous mille formes autour des vivants srsquoopegravere gracircce agrave divers proceacutedeacutes par exemple on les embarque (leurs repreacutesentants ou leurs symboles-mannequins) dans des veacutehicules chars ou navires qursquoon envoie au loin ou qursquoon lance agrave la mer pour que les maux se perdent avec eux 66 Lrsquoeacutepisode de la fecircte 67 du Vaisseau drsquoIsis deacutecrit par Apuleacutee 68 ougrave un cortegravege mi-religieux

6 Le rameau drsquoor II p et suiv66 Le rameau drsquoor II p 67 Ceacuteleacutebreacutee agrave Chenchreacutees le mars Apuleacutee (Meacutetamorphoses XI) deacutecrit le cortegravege burlesque analogue semble-t-il agrave ceux qui drsquoapregraves Frazer sont encore en usage chez beaucoup de peu-ples laquo On vit tout drsquoabord une troupe de personnes qui srsquoeacutetaient travesties par suite de vœuxhellip Lrsquoun ceint drsquoun baudrier repreacutesentait un soldat lrsquoautre avec sa chlamyde retrousseacutee son cou-telas et ses eacutepieux figurait un chasseur Celui-ci avait des brodequins doreacutes une robe de soie et des atours preacutecieux agrave ses cheveux attacheacutes sur le haut de sa tecircte agrave sa deacutemarche traicircnante on aurait dit une femme Celui-lagrave chausseacute de bottines armeacute drsquoun bouclier drsquoun casque et drsquoune eacutepeacutee semblait sortir drsquoune eacutecole de gladiateurs Un autre preacuteceacutedeacute de faisceaux et vecirctu de pourpre jouait le magistrat Un autre avait le manteau le bacircton et la barbe de bouc drsquoun philosophe Ici crsquoeacutetait un oiseleur avec ses gluaux lagrave un pecirccheur avec sa ligne et ses hameccedilons Je vis aussi une ourse apprivoiseacutee qursquoon portait dans une chaise en costume de matrone un singe coiffeacute drsquoun bonnet drsquoeacutetoffe couvert drsquoune robe phrygienne couleur de safran et tenant une coupe drsquoor repreacutesentait le berger Ganymegravede Enfin venait un acircne sur le dos duquel on avait colleacute des plumes et qursquoaccompagnait un vieillard tout casseacute crsquoeacutetaient Peacutegase et Belleacuterophon que parodiait ce couple risible Au milieu de ces mascarades qui couraient de cocircteacute et drsquoautre pour le plus grand amusement du peuple srsquoavanccedilait dans un ordre solennel la procession proprement dite de la deacuteessehellip raquo (Cf Lafaye Histoire du culte des diviniteacutes drsquoAlexandrie p 2) 68 Voir Mystegraveres drsquoisis dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mi-burlesque conduit agrave la mer un frecircle esquif chargeacute drsquooffrandes me semble ecirctre un rappel de lrsquoexpulsion des deacutemons Ou bien encore les maux sont figureacutes en bloc sous les traits drsquoun ecirctre vivant homme ou becircte que nous appelons le Bouc eacutemissaire Un Bouc eacutemissaire bien reacuteel est celui des Heacutebreux chaque anneacutee lors de la fecircte de lrsquoexpiation le grand precirctre drsquoIsraeumll le chargeait des crimes de tout son peuple et le chassait dans le deacutesert 6 Ailleurs crsquoest le rocircle drsquoun coq drsquoun ours agrave qui lrsquoon donne la chasse en temps de Carecircme En Gregravece agrave Rome et chez maints sauvages un homme deacuteguiseacute vecirctu drsquoune peau de becircte eacutetait expulseacute par-fois sacrifieacute La tradition du Bouc eacutemissaire et celle du roi-victime se combinent au Tibet dans un personnage appeleacute le Jalno 70 Le grand lama eacutetant deacuteposeacute pour un temps le Jalno joue le rocircle de roi inteacuterimaire il se promegravene dans les rues de Lhassa la figure peinte mi-partie en blanc mi-partie en noir il srsquoaffuble drsquoune peau de becircte et avec une queue de buffle il srsquoen va frottant un chacun pour balayer ainsi tous les maux et les peacutecheacutes du peuple puis il est honteuse-ment chasseacute de la ville parfois tueacute

Enfin lrsquoexpulsion des deacutemons a laisseacute chez nous des souvenirs durables soit dans nos cavalcades de Carnaval avec leurs chars et navires monteacutes drsquoeacutequipages diaboliques et treacutepidants soit dans lrsquoenterrement mecircme de Carnaval soit dans le cortegravege de notre Carecircme-prenant ou celui de la Reina Caresma agrave Madrid Ici srsquoassocient les thegravemes de lrsquoexpulsion des deacutemons et de la mort du Vieux dieu de la veacutegeacutetation Au jour du Mardi gras notre roi Carnaval est un joyeux et bedonnant compegravere promeneacute sur un acircne le lendemain on le sacrifie crsquoest-agrave-dire qursquoon le met en terre qursquoon le brucircle qursquoon le pend parmi des ceacutereacutemonies bouffonnes des complaintes funegravebres et des chants de joie Il a pour successeur le Prince Carecircme ou Carecircme-prenant qursquoon promegravene de dimanche en diman-che de plus en plus amaigri et deacutefait et qui par suite des jeunes forceacutes finit par expirer le samedi saint agrave midi On lui passe la corde au cou ou on le brucircle A Madrid la Reina Caresma est une vieille femme munie de sept jambes dont chacune lui est enleveacutee au cours des sept semaines du Carecircme jusqursquoagrave sa mise en piegraveces complegravete le jour de Pacircques 7 Crsquoest toujours quels que soient sa figure et son nom lrsquoEsprit du bleacute mourant qursquoon pleure et qursquoon enterre dans le deuil avant de le faire ressusciter dans la joie crsquoest encore le Bouc eacutemissaire qursquoon pourchasse et qursquoon deacutepegravece afin de supprimer tous les maux

6 Le rameau drsquoor II p 0 et suiv70 id II p 66 et suiv7 Le rameau drsquoor III p

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Dans lrsquoordre religieux ces coutumes sont resteacutees singuliegraverement vivaces Avant le printemps nous nous recueillons dans la tristesse et nous nous purifions par le jeucircne pour preacuteparer lrsquoavegravenement du renouveau physique et moral Pacircques fleu-ries Cette fecircte marque encore chez nous la grande purification annuelle laquo Tu te confesseras au moins agrave Pacircqueshellip une fois lrsquoan raquo mdash ainsi que le rajeunissement de lrsquoacircme et de la nature Encore faut-il deacutepouiller le vieil homme pour que naisse lrsquohomme nouveau et de mecircme qursquoautrefois nous continuons agrave tuer solennel-lement le dieu de la veacutegeacutetation agrave pourchasser les mauvais esprits et agrave stimuler les forces vitales quand nous exeacutecutons nos rites agrave la fois religieux et bouffons autour de ces successeurs de prototypes veacuteneacuterables personnages de Carecircme et rois de Carnaval animaux chasseacutes mannequins de paille gerbes de bleacute et feux de la Saint-Jean

Une autre tradition de Carnaval agrave laquelle mecircme nos contemporains se fe-raient scrupule de manquer crsquoest une activiteacute choreacutegraphique deacutesordonneacutee Aux temps anciens les danses avaient elles aussi un rocircle rituel on leur precirctait une influence de magie sympathique laquo Dans certaines reacutegions drsquoAllemagne au Mardi gras ou agrave la veille du er mai les jeunes filles dansent dans les champs ou agrave lrsquoauberge et crient laquo Lin grandis 72 raquo Plus haut elles sauteront en dansant plus le lin ou le bleacute grandiront raquo En Lithuanie au Siam on a gardeacute lrsquousage de se balancer en invoquant les esprits au temps des reacutecoltes crsquoest un moyen de faire croicirctre le bleacute ou le riz que de pousser tregraves haut la balanccediloire En bien des pays ce sont les danses speacuteciales agrave ce temps de Carnaval qursquoon reproduit lors drsquoautres solenniteacutes aux jours de grande liesse aux fecirctes locales Certaines sont resteacutees en honneur dans le pays basque et attestent combien vivaces sont encore les tradi-tions quoique agrave lrsquoeacutetat de gestes et de symboles aujourdrsquohui incompris

Jrsquoassistais les 6 et 7 aoucirct 2 agrave Saint-Jean-Pied-de-Port aux fecirctes drsquoAbbadie 7 qui coiumlncidaient avec la fecircte locale Dans le deacutefileacute des danseurs venus de toutes les provinces basques on reconnaicirct facilement les eacuteleacutements tra-ditionnels du cortegravege carnavalesque ainsi que le deacutecor de lrsquoantique sacrifice du roi ou du dieu de la veacutegeacutetation Les principaux figurants eacutetaient ceux du pays de

72 Le rameau drsquoor II p 67 La fondation drsquoAbbadie ou fecirctes de la Tradition basque sert agrave reacutecompenser des concours de pelote de poeacutesie basque de cris montagnards (irrintzina) ils ont lieu chaque anneacutee tour agrave tour dans un des 7 chefs-lieux de canton des Basses-Pyreacuteneacutees et sont en geacuteneacuteral rattacheacutes aux fecirctes locales La geacuteneacuterositeacute de M drsquoAbbadie a rendu la vie agrave des coutumes qui allaient tomber en deacutesueacutetude

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Soule (Mauleacuteon) A leur tecircte srsquoavance le Cherrero porteur du chasse-mouches (cherra) puis le samalzain crsquoest un roi burlesque couronneacute drsquoune mitre fleu-rie affubleacute jusqursquoau buste drsquoun cheval-jupon dont il dirige la tecircte minuscule tandis que le poitrail et la croupe enjuponneacutes eacutenormes se balancent grotesque-ment autour de ses reins Apregraves le roi voici la reine qui a pris ici lrsquoaspect drsquoune cantiniegravere avec jupon court guecirctres et bidon enfin les courtisans auxquels on donne le nom inattendu de satans ils sont vecirctus de dolmans rouges agrave brande-bourgs et galons drsquoor avec des culottes noires chargeacutees de rubans entrecroiseacutes et chausseacutes de sandales recouvertes de guecirctres brodeacutees Passent encore dominant les tecirctes et jucheacutees sur des bacirctons des poupeacutees geacuteantes et grotesques les Zigan-tiak puis des enfants en pages et en folies des gardes en bonnets agrave poil (ils rap-pellent les eacutenormes coiffures et masques en peaux de mouton qursquoon voit aux pro-cessions de Fontarabie et de Pampelune) et enfin les musiciens Les figurants de Basse-Navarre dansaient surtout le bolantak une varieacuteteacute du laquo saut basque raquo pas et changement de pied en avant volte saut en hauteur Ceux du pays de Labour (Cambo Hasparren Saint-Jean-de-Luz) eacutetaient speacutecialiseacutes dans le fandango et lrsquoarin-arin Quant au cortegravege du Samalzain venu du pays de Soule il exeacutecu-tait une prestigieuse gavotte et une danse autour drsquoun verre Tous ces danseurs eacutetaient des paysans des artisans non des professionnels mais aucun de ceux que jrsquointerrogeais dans cette troupe agile qui virevoltait autour du Samalzain ne se doutait qursquoil exeacutecutait des rites milleacutenaires Ils ressuscitaient cependant les fragments drsquoun drame qui a trop frappeacute lrsquoimagination de nos ancecirctres pour ne pas laisser aujourdrsquohui dans ces costumes ces mimiques et ces danses des traces eacutemouvantes Voici que le dieu haut mitreacute surpassait en choreacutegraphie agile ses courtisans les sacrificateurs agrave travers leurs gestes pouvaient srsquoeacutevoquer les peacuteri-peacuteties du conflit les essais de persuasion et de reacutesistance la lutte du roi le vain triomphe en agiliteacute et en prestesse lrsquoexpulsion du cercle le renoncement forceacute la bregraveve douleur des funeacuterailles Puis les sauts drsquoune envoleacutee superbe reacutepeacutetaient les gestes magiques ougrave srsquoefforccedilaient les sorciers de jadis pour activer la pousse du bleacute nouveauhellip Les sacrificateurs srsquoeacutetaient mueacutes par la confusion des souvenirs en de rouges Satans et la danse rituelle autour du roi du dieu de lrsquoEsprit du bleacute srsquoeacutechevelait maintenant en une poursuite de deacutemons parmi lrsquoexcitation des laquo fo-lies raquo et lrsquoapparition des Basanderiak ces feacutees basques en qui survivent les ecirctres surnaturels et sauvages que lrsquohomme a toujours redouteacuteshellip Et la freacuteneacutesie de ces danseurs leur eacutemulation agrave sauter le plus haut possible lrsquoalleacutegresse de cette foule se treacutemoussant drsquoune sandale leacutegegravere jeunes et vieux sur la place publique me

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rappelaient le deacutelire sacreacute des peuples agricoles quand ils excitaient du pied et du geste lrsquoeacutelan des jeunes frondaisons

Il y a un autre aspect de lrsquoexcitation populaire que nous nrsquoavons pas encore en-visageacute Un eacutepisode caracteacuteristique des Kronia agrave Athegravenes et des Saturnales agrave Rome eacutetait lrsquoeacutemancipation momentaneacutee des esclaves et la licence geacuteneacuterale Les esclaves coiffeacutes du bonnet pileus emblegraveme de la liberteacute eacutetaient dispenseacutes de tout travail et pendant quelques jours prenaient les habits de leurs maicirctres les singeaient de toutes les maniegraveres exigeaient drsquoecirctre servis par eux et se livraient agrave une deacutebauche effreacuteneacutee Il en eacutetait de mecircme aux fecirctes Sacaeliga pendant les jours ougrave le condamneacute agrave mort jouait le rocircle de roi le mecircme eacutetat reacutevolutionnaire se manifeste aussi dans les socieacuteteacutes sauvages au temps de lrsquoexpulsion des deacutemons Nous avons vu qursquoune partie de la population est chargeacutee de chasser les geacutenies malfaisants mais lrsquoautre partie des hommes et des femmes subit encore lrsquoattaque furieuse des malins et leur livre une reacutesistance deacutesespeacutereacutee si bien que poursuivants et poursuivis sont en proie agrave une surexcitation deacutemoniaque intense les hommes sont comme pos-seacutedeacutes et srsquoadonnent agrave mille extravagances

Alors on ne se contente point de prendre des masques et de changer lrsquoaspect officiel des figurants tous les rocircles sont renverseacutes dans la vie sociale le roi ab-dique un condamneacute un fou ou un enfant regravegnent les serviteurs donnent des ordres aux maicirctres le cours des lois est suspendu plus de tribunaux plus de dettes plus drsquoobligations sociales les crimes restent impunis Il y a plusieurs raisons qui expliquent cette licence geacuteneacuterale drsquoabord les gens sont endiableacutes par les deacutemons puis laquo quand les hommes savent qursquoils vont bientocirct ecirctre deacutelivreacutes de tous les maux et que tous les peacutecheacutes seront absous ils nrsquoheacutesitent plus agrave donner libre cours agrave leurs passions puisque la ceacutereacutemonie prochaine effacera toutes leurs fautes Drsquoautre part au lendemain drsquoune telle ceacutereacutemonie les esprits sont deacutelivreacutes du poids qui drsquohabitude les oppresse les hommes ne se sentent plus menaceacutes de toutes parts par les deacutemons dans lrsquoexplosion de leur joie ils deacutepassent les bornes que leur imposent en toute autre circonstance les coutumes et la mo-rale Lorsque la ceacutereacutemonie a lieu agrave lrsquoeacutepoque de la moisson ces sentiments de joie trouvent encore un stimulant dans lrsquoideacutee du bien-ecirctre physique que procure une abondante reacutecolte 7 raquo

Voici quelques exemples laquo Dans la tribu africaine des Pondos 7 au jour de

7 Le rameau drsquoor II p 77 id II p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la fecircte des premiers fruits le chef abdique ses fonctions pour toute la dureacutee de la fecircte des jeunes gens jouent dansent luttent font des courses puis tous les membres de la tribu se livrent agrave la deacutebauche srsquoenivrent et poussent de grands cris il nrsquoy a plus personne qui soit chargeacute de maintenir lrsquoordre et chacun fait ce qui lui semble bon Un homme poignarde-t-il son voisin il nrsquoencourt aucun chacirctiment il en est de mecircme pour tous les autres crimes contre les personnes la proprieacuteteacute et les mœurs On peut mecircme insulter le chef en face ce qui dans toute autre circonstance serait immeacutediatement puni de mort Tant que dure la fecircte on entend un vacarme continuel produit par des tambours par les cris de la fou-le par des battements de mains et par toutes sortes drsquoinstruments bruyantshellip raquo De mecircme sur la Cocircte drsquoOr lrsquoexpulsion annuelle des deacutemons est preacuteceacutedeacutee drsquoune fecircte qui dure huit jours pendant laquelle laquo la liberteacute du sarcasme est absolue les Negravegres parlent sans aucune contrainte de toutes les fautes vilenies et malhon-necircteteacutes commises par leurs supeacuterieurs ou leurs infeacuterieurs personne ne peut les punir ni mecircme les interrompre raquo Dans le nord de lrsquoInde la mecircme fecircte se ceacutelegravebre agrave la moisson laquo Alors les gens sont suivant leur propre expression endiableacutes ils croient qursquoagrave ce moment de lrsquoanneacutee hommes et femmes sont incapables de reacutesis-ter agrave leurs mauvais penchants et qursquoil est absolument neacutecessaire de laisser pen-dant quelque temps libre cours aux passionshellip Les Hos commencent par chasser les deacutemons malveillants qui habitent le pays hommes et femmes parcourent les villages en tenant des bacirctons en mains en chantant des chansons sauvages criant et vocifeacuterant jusqursquoagrave ce qursquoils soient convaincus drsquoavoir mis en fuite le mauvais esprit Ils se mettent ensuite agrave faire la fecircte et agrave boire de la biegravere de riz La fecircte devient alors une saturnale pendant laquelle les domestiques oublient quels sont leurs devoirs vis-agrave-vis de leurs maicirctres les enfants ne respectent plus leurs parents les hommes ne respectent plus les femmes et celles-ci perdent toute notion de deacutecence et de modestie elles deviennent des bacchantes enrageacuteeshellip raquo Dans une tribu voisine laquo la ressemblance avec les Saturnales est complegravete car les domestiques de fermes sont servis agrave table par leurs maicirctres et autoriseacutes agrave leur parler en toute liberteacute 76 raquo

LrsquoEacuteglise de mecircme a ducirc autoriser cette reacutevolution temporaire dans ses pro-pres usages religieux et ne pouvant supprimer les reacutejouissances populaires elle a essayeacute de les diriger ou de leur donner un sens moins sacrilegravege que bouffon Aux jours de saint Eacutetienne de saint Jean et des Innocents dans certaines villes un jeune clerc appeleacute laquo episcopus stultorum raquo occupait le siegravege eacutepiscopal avec les

76 Le rameau drsquoor II p et suiv

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ornements pontificaux et sur la tecircte un bourrelet en guise de mitre De mecircme agrave la fecircte des Fous et agrave la fecircte de lrsquoAcircne des laiumlques travestis en precirctres chantaient des obsceacuteniteacutes ou amenaient un acircne couronneacute devant lrsquoautel

Revenons maintenant agrave lrsquoEacutegypte et recherchons srsquoil nrsquoy a pas dans sa vie reli-gieuse et populaire des traits qui correspondent agrave la royauteacute eacutepheacutemegravere de Car-naval agrave lrsquoenterrement du Vieux dieu de la veacutegeacutetation lrsquoexpulsion de la mort et des deacutemons aux fecirctes orgiaques du renouveau A dire vrai lrsquoEacutegypte sur tous ces points paraicirct tregraves pauvre de teacutemoignages elle ne fournit ni texte coheacuterent et explicite ni tableau clairement composeacute nous devons saisir au passage des allusions bregraveves ou isoler certains personnages certaines repreacutesentations dont la valeur et le sens eacutechappent agrave qui ne srsquoest pas livreacute agrave une enquecircte comme celle qui preacutecegravede

Nous avons eacutetudieacute deacutejagrave les rites de la fecircte sed ougrave le Pharaon subit une mort fictive suivie drsquoune renaissance simuleacutee qui lui donne une vitaliteacute nouvelle Cette fecircte singuliegravere qui srsquoest perpeacutetueacutee pendant les quatre mille ans de la monarchie pharaonique ne pourrait-on lrsquoexpliquer par la tradition du meurtre rituel auquel se soumet le roi vieillissant Crsquoest agrave une eacutepoque anteacuterieure aux plus anciens monuments connus que le Pharaon fut reacuteellement immoleacute deacutejagrave sur les palettes archaiumlques il srsquoest eacutevadeacute de cette obligation et on lui substitue drsquoautres victimes humaines A lrsquoeacutepoque historique gracircce agrave la reacuteveacutelation osirienne qui a enseigneacute agrave la socieacuteteacute eacutegyptienne agrave transformer le treacutepas en vie eacuteternelle la renaissance du roi ne suppose plus neacutecessairement le sacrifice drsquoun remplaccedilant elle srsquoopegravere rituel-lement par la ceacuteleacutebration de Mystegraveres sans autre effusion de sang que celle des animaux qui remplacent les victimes humaines De ces atteacutenuations progressi-ves jrsquoai conclu que le roi drsquoEacutegypte semble bien avoir connu le meurtre rituel du roi qui sert de fondement agrave beaucoup de traditions de carnaval

Mais reste-t-il trace drsquoun roi inteacuterimaire personnage sacreacute au deacutebut devenu grotesque par la suite puis confondu par le meacutelange des traditions qui srsquoobscur-cissent avec le Vieux dieu de la veacutegeacutetation expirante

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Bouffons couronneacutes pirouettant

On remarque ceci seulement dans les cortegraveges des fecirctes Sed et parmi les officiants du culte funeacuteraire deacutefilent des personnages affubleacutes drsquoune couronne de roseaux (fig 0) qui est semblable agrave certaines coiffures royales A leur attitude compasseacutee on pourrait se demander srsquoils ne sont pas des mannequins habilleacutes en rois (fig ) en reacutealiteacute ce sont des bouffons Nous voyons aussi dans les reliefs des tombeaux des individus coiffeacutes de la mecircme couronne exeacutecuter les contorsions et les danses des baladins (fig )

Figure Bouffons couronneacutes

Ces personnages apparaissent sur la stegravele C du Louvre ougrave sont repreacutesenteacutes les mystegraveres osiriens lagrave leur couronne tresseacutee se heacuterisse de rubans de tortils de fleurs ou drsquoeacutepis les bras en mouvement une jambe en lrsquoair ils ont lrsquoallure de

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pantins deacutesarticuleacutes Qui sont ces bouffons couronneacutes qui se mecirclent partout aux officiants dans les scegravenes les plus lugubres des rites osiriens 77

Figure Baladines couronneacutees comme des bouffons

Ils nous rappellent les rois burlesques que nous trouvons chez drsquoautres peu-ples jouant le rocircle du roi condamneacute agrave mort ou du Vieux dieu de la veacutegeacutetation avec qui lrsquoOsiris eacutegyptien offre tant de traits communs On srsquoexpliquerait diffici-lement que ces personnages grotesques aient pu srsquoaffubler dans des ceacutereacutemonies solennelles de coiffures semblables aux couronnes royales si leur aspect nrsquoavait eacuteveilleacute lrsquoeacutecho de traditions sacreacutees auxquelles on se faisait scrupule de toucher (fig -0)

Figure 6Nains bouffons

Laissons ces analogies avec le roi inteacuterimaire de Carnaval (Fig 8) Ces mecirc-

77 Louvre stegravele C Tylor paheri pl V (cf fig 22) Virey rehmard pl XXVI Maspero Montouherjhepshef p 60 (cf fig 2) Sur ces bouffons cf Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (procee-dings sBA XV p )

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mes personnages qui sont mannequins couronneacutes aux funeacuterailles ou baladins aux fecirctes publiques srsquoappellent nemou nem et ce nom projette sur leur attitude une vive lumiegravere car on appelle aussi Nemou des nains danseurs dont le rocircle agrave la fois religieux et bouffon ne laisse aucun doute Les plus rechercheacutes de ces nains venaient du Haut-Nil ougrave vivait une tribu de pygmeacutees les Dang 78

Figure 7Danseuses coiffeacutees de roseaux et munies de sceptres

Sous lrsquoAncien Empire les Pharaons envoyaient des expeacuteditions jusqursquoen ces contreacutees lointaines (on les appelait du nom mystique la terre des Initieacutes iahou) pour ramener agrave la cour ces Dang dont on faisait les laquo danseurs du dieu raquo crsquoest-agrave-dire drsquoOsiris par leurs contorsions rythmeacutees leurs balancements ces pygmeacutees savaient laquo reacutejouir le cœur drsquoOsiris raquo au ciel et celui du Pharaon sur terre

78 Les bouffons ou nains portent sur les monuments diffeacuterents noms deg les nains nensou (Beni Hasan II 6 cf notre fig 6) 2deg les nains Dang citeacutes aux textes du tombeau drsquoHe-rhouf et des Pyramides (cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 2 et suiv) peut-ecirctre faut-il corriger en Danq le nom de Danb du second nain de Beni-Hasan (confusion du q et du b) deg les bouffons mw-w (paheri pl V Rehmacircracirc pl XXVI cf Gardiner ap recueil XXXIII p ) dont le nom eacutecrit en toutes lettres au tombeau de Sebekneht cf fig ) semble une lecture erroneacutee du mot nemi deg les officiants neniou les laquo affaisseacutes raquo qui semblent jouer le rocircle de vic-times peut-ecirctre de tikenou (pyr de teti I 20 + 2 id Sethe II p 7 sinouhit I ) Les trois mots nemiw mw-w neniw srsquoeacutecrivant agrave peu pregraves de la mecircme faccedilon ont pu ecirctre confondus au cours des siegravecles

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8Officiants et nains

Nous ne savons pas en quoi consistait ou ce que mimait en figures expressives la danse des Dang ou des nemou mais les textes des papyrus et des stegraveles nous confirment les donneacutees des tableaux retrouveacutes aux tombes des Moyen et Nouvel Empires leurs sauts 7 eacutetaient neacutecessaires lors des funeacuterailles comme partie in-teacutegrante du rituel on les faisait exeacutecuter devant la porte du tombeau 80 le plus souvent par des baladins de profession et agrave leur deacutefaut par des precirctres officiants quelquefois par de veacuteritables nains Quelques indices permettent de se repreacutesen-ter ces danses comme des incantations contre les deacutemons Seacutethiens adversaires drsquoOsiris Drsquoune part le nemi rappelait par son masque et ses difformiteacutes le dieu Bes dont la face eacutetait puissante contre les deacutemons 8 soit agrave la naissance 82 soit pendant la vie des hommes 8 aussi certains livres magiques contiennent-ils un laquo chapitre du Nemi raquo qui srsquoemploie comme phylactegravere 8 Peut-ecirctre aussi tirait-on parti de lrsquoaspect grotesque du nemi pour figurer les ennemis deacutetestables drsquoOsiris

7 La danse hb consiste en sauts en hauteur avec une rotation soit sur un pied soit en lrsquoair (cf fig ) et srsquoexeacutecute lors des laquo conseacutecrations raquo desertou (el Bersheh II 2)80 sinouhit - laquo on exeacutecutera les sauts des Neniou (hbb nnjw) agrave la porte de la tom-be raquo (XIIe dyn) Mariette Mon divers pl 6 Piehl inscriptions I laquo on exeacutecutera pour toi les sauts des nemiou agrave la porte de la tombe (le deacuteterminatif indique un personnage qui se renverse en arriegravere les pieds et mains touchant la terre) Piehl insc I 7 laquo on exeacutecutera pour moi les sauts de nemiou agrave la porte de la tombe raquo (le deacuteterminatif indique un personnage qui se laisse aller agrave terre comme agrave notre fig )8 Maspero eacutetudes de Mythologie II p cf Wiedemann recueil XVII p 282 Naissance du roi Louxor pl LXV8 Stegraveles du type dit de Metternich8 Pleyte eacutetude sur un rouleau magique p 8 et suiv

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et mimer la preacutesence et lrsquoexpulsion des deacutemons le mot nemi deacutetermineacute par lrsquoanimal typhonien deacutesigne parfois lrsquoesprit malfaisant 8

Figure Couronne royale du Sud Couronne de bouffon

Figure 0Couronnes de roseaux celle du bouffon et celle du roi

Nrsquooublions pas que drsquoautres indigegravenes des lointaines reacutegions du Haut-Nil sont exhibeacutes la figure couverte drsquoun masque grotesque au cours des fecirctes sed confon-dus avec les officiants (fig ) leur preacutesence srsquoexplique peut-ecirctre par les mecircmes raisons soit qursquoils chassent les deacutemons soit qursquoils figurent eux-mecircmes ces deacutemons expulseacutes Drsquoailleurs il est possible que ces bouffons couronneacutes ces danseurs deacutemo-niaques reacuteunissent en leur personne des rocircles distincts agrave lrsquoorigine et que drsquoautres peuples attribuent soit agrave des boucs eacutemissaires 86 soit agrave des rois de Carnaval

8 Brugsch Woumlrterbuch p 76 sup p 6786 Les ennemis drsquoOsiris eacutetaient figureacutes par des acteurs dans les fecirctes religieuses cela ressort des textes et tableaux eacutegyptiens et du teacutemoignage drsquoHeacuterodote (II 6) qui a eacuteteacute teacutemoin drsquoune effroyable bastonnade eacutechangeacutee entre adversaires et partisans du dieu

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Indigegravene de la tribu Oua-Oua mecircleacute aux officiants de la fecircte Sed

Il a un masque de bouffon

Les danses exeacutecuteacutees lors des rites funeacuteraires peuvent encore srsquoexpliquer par un autre motif un artifice de magie imitative Je ne parle point de ces tableaux ougrave le deacutefunt se deacutelecte agrave ouiumlr des chants accompagneacutes par les flucirctes et les har-pes cependant qursquoune troupe drsquoalmeacutees juveacuteniles multiplie ses pas cadenceacutes Il est drsquoautres danses qui ne sont point purs divertissements Regardez les sauts esquisseacutes par les Nemou au moment ougrave srsquoopegravere la renaissance par la peau ou bien suivez au tombeau drsquoAnhmacirchor lrsquoeacutevolution de ces danses (fig 2) qui font pendant au triste tableau des funeacuterailles avec quelle furie disciplineacutee les femmes jettent en avant le pied plus haut que la tecircte Est-ce vaine exhibition de figurants entraicircneacutes agrave des exercices rythmiques qui tiennent plus de la gymnastique que du ballet Non car sur la paroi drsquoen face regardant ces virtuoses voici drsquoautres freacuteneacutetiques qui deacutefaillent ils se pacircment se laissent tomber agrave terre gisent comme srsquoils simulaient lrsquoaffaissement du treacutepas (fig ) Comment croire qursquoon ait pu introduire en pleine fecircte funegravebre lrsquoeacutepisode de ce cake-walk eacutecheveleacute Nrsquoy pour-rait-on voir plutocirct une danse magique et solennelle qui a pour but en mimant la vie et la mort de susciter dans le corps inerte du deacutefunt quelque prodigieux eacutelan de vigueur et de reacutesurrection ou de stimuler dans le sol endormi la pousseacutee des semences et la croissance jusqursquoagrave une hauteur extraordinaire de la veacutegeacuteta-tion Ici comme dans les fecirctes agraires que nous avons citeacutees danses et sauts auraient le mecircme effet magique les pousses nouvelles image drsquoOsiris ou du deacutefunt renaissant grandiront en gloire srsquoeacutelegraveveront aussi haut que les sauteurs ont pu lancer le pied

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Danseuses

Les eacutepisodes orgiaques et licencieux qui accompagnent ailleurs les Saturnales et lrsquoeacutepheacutemegravere royauteacute du Carnaval se retrouvent eacutegalement en Eacutegypte Les tex-tes du temple de Dendeacuterah nous deacutecrivent une ceacutereacutemonie qursquoon ceacuteleacutebrait au deacute-but de lrsquoanneacutee eacutegyptienne le 20 Thot apregraves les vendanges et la moisson A cette date la deacuteesse Hathor et ses paregravedres sortaient du sanctuaire le cœur en liesse les precirctresses montraient agrave la foule les statues sacreacutees au son des cymbales et des tambourins pendant cinq jours tous les habitants de la ville se couronnaient de fleurs buvaient sans mesure chantaient et dansaient du lever au coucher du soleil 87

La fecircte laquo de lrsquoivresse raquo tombait presque aux mecircmes dates que les fecirctes de la moisson ceacuteleacutebreacutee dans la reacutegion theacutebaine et de lrsquoensevelissement drsquoOsiris qui se faisait agrave Abydos (22 Thot) je ne saurais voir lagrave une coiumlncidence fortuite Cette ivresse joyeuse qui se reacutepand sur toute une ville ce deacutechaicircnement des instincts une fois le travail termineacute a comme un goucirct avant-coureur de notre licence du Carnaval sauf que ce dernier a reporteacute les mecircmes scegravenes agrave la saison des se-mailles sans preacutejudice de celles qui ont lieu encore agrave la moisson Drsquoailleurs le deacuteregraveglement propre aux Saturnales nous apparaicirctra mieux encore dans la fecircte de Bubastis qursquoHeacuterodote a vue et deacutecrite au ve siegravecle avant J-C

87 Mariette Dendeacuterah III pl I pl 62 texte p 28 et 02

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On se rend agrave Bubastis par eau hommes et femmes pecircle-mecircle et confondus les uns avec les autres dans chaque bateau il y a un grand nombre de personnes de lrsquoun et de lrsquoautre sexe tant que dure la navigation les femmes jouent des cas-tagnettes et les hommes de la flucircte le reste autant hommes que femmes chante et bat des mains Lorsqursquoon passe pregraves drsquoune ville on fait approcher le bateau du rivage Parmi les femmes les unes continuent de chanter et de jouer des cas-tagnettes drsquoautres crient de toutes leurs forces et disent des injures agrave celles de la ville celles-ci se mettent agrave danser et celles-lagrave se tenant debout retroussent indeacutecemment leurs robes 88 La mecircme chose srsquoobserve agrave chaque ville qursquoon ren-contre le long du fleuve Quand on est arriveacute agrave Bubastis on ceacutelegravebre la fecircte de la deacuteesse en immolant un grand nombre de victimes et lrsquoon fait agrave cette fecircte une plus grande consommation de vin de vigne que dans tout le reste de lrsquoanneacutee car il srsquoy rend au rapport des habitants sept cent mille personnes tant hommes que femmes sans compter les enfantshellip8 raquo

Cette gaieteacute profane qui accompagne drsquoordinaire les foules en pegravelerinage marque drsquoeacutepisodes faceacutetieux les ceacutereacutemonies les plus graves Ainsi dans les pro-cessions religieuses et les cortegraveges sacerdotaux voyons-nous des precirctres chargeacutes de repreacutesenter les dieux pour rendre lrsquoeffigie plus ressemblante ils revecirctent des costumes ou portent des attributs eacutetranges et srsquoattachent sur la figure des mas-ques drsquoanimaux spectacle qui est sans doute eacutedifiant pour lrsquoeacutelite mais qui pour la foule precircte agrave lrsquoeacutequivoque et au rire tel deacutefileacute du clergeacute theacutebain qursquoon nous montre aux fecirctes de la moisson semble annoncer par son caractegravere mi-burlesque mi-sacreacute ces cortegraveges qursquoApuleacutee verra plus tard agrave Chenchreacutees et dont il nous a laisseacute une si pittoresque description

Figure Fecircte de la gerbe Precirctres portant les enseignes divines

le Nsout-Hen et les simulacres des dieux

88 Au chap II 8 Heacuterodote signale drsquoautres rites indeacutecents8 Heacuterodote II 60

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les monuments eacutegyptiens ne sont donc point autant qursquoil le paraicirct agrave pre-miegravere vue deacutepourvus de teacutemoignages sur les fecirctes agraires on les rites dits de Carnaval Seulement ils apportent peu de textes preacutecis peu de tableaux pourvus drsquoun commentaire ou qursquoon puisse expliquer avec entiegravere certitude Dans ces conditions lrsquoEacutegypte ne peut servir de point de deacutepart pour des recherches de cet ordre au contraire jrsquoai ducirc aller du connu agrave lrsquoinconnu mrsquoinformer ailleurs de certains rites et de lrsquoexplication qursquoon leur a trouveacutee puis revenir agrave lrsquoEacutegypte et interpreacuteter certaines expressions certaines figures eacutenigmatiques avec la clef que drsquoautres civilisations peuvent fournir Lrsquoanalogie est vraisemblable drsquoune part il serait surprenant que ces coutumes drsquousage universel aient eacuteteacute ignoreacutees des Eacutegyptiens drsquoautre part les rites burlesques observeacutes dans les funeacuterailles les fecirctes sed et les paneacutegyries sacreacutees srsquoexpliqueraient difficilement sans lrsquointerpreacutetation que drsquoautres peuples nous fournissent avec tant drsquoabondance et de preacutecision

Ces coutumes pratiqueacutees dans le monde entier ces fecirctes dont le sens se retrou-ve agrave peine obliteacutereacute dans la survivance eacutetonnante des mecircmes deacutecors ont ainsi leurs racines immeacutemoriales dans les limbes de lrsquoHistoire Ne nous meacuteprenons pas sur lrsquoaspect grotesque que ces traditions ont revecirctu au cours des siegravecles Veacute-neacuterables par leur passeacute elles nous montrent en action la religion primitive elles nous deacutecrivent cette lutte eacuteternelle pour la vie qui est agrave la base de la premiegravere foi de lrsquohumaniteacute Tous ces rites reposent sur le paralleacutelisme absolu entre lrsquohomme et la nature elle vit prospegravere grandit meurt comme lui et il est frappeacute par ce recommencement et ce retour perpeacutetuel des choses Il veut donc assurer le re-nouvellement constant des forces naturelles ou ce qui revient au mecircme en em-pecirccher lrsquoeacutepuisement Ce sentiment de preacutevoyance a persisteacute sous les conceptions meacutetaphysiques apporteacutees au cours des siegravecles par les philosophies qui recouvrirent peu agrave peu la religion naturelle Les fecirctes drsquoaujourdrsquohui preacutesentent lrsquoaspect drsquoun terrain geacuteologique ougrave les stratifications ont eacuteteacute bousculeacutees et mecircme interverties par les diverses convulsions de la foi religieuse depuis lrsquoantiquiteacute Dernier venu le christianisme a remanieacute le cadre mecircme de lrsquoanneacutee dont Pacircques eacutetait jadis le deacutebut de sorte que les fecirctes qui vont de deacutecembre agrave Pacircques ne coiumlncident plus avec le temps du renouveau et de la moisson qursquoelles marquaient autrefois et ne sont plus placeacutees aujourdrsquohui dans leur ordre logique neacuteanmoins se perpeacutetue agrave travers ces confusions la tradition antique jusqursquoagrave cette grande purification annuelle de Pacircques commandeacutee encore par le christianisme

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Expulser la mort eacuteliminer les deacutemons et les mauvais instincts faire renaicirctre en soi dans la socieacuteteacute et la nature des forces renouveleacutees et salutaires tel eacutetait le but de certaines fecirctes antiques que nous avons retrouveacutees en Eacutegypte et ailleurs tel encore est le sens oublieacute des fecirctes du Carnaval Le roi qui aux temps anti-ques y jouait le premier rocircle reste aujourdrsquohui reconnaissable sous son traves-tissement bouffon Ce deacutefileacute burlesque fut autrefois une procession auguste et le deacutenouement lamentable drsquoun drame Derriegravere le masque bafoueacute du roi deacutechu ou eacutepheacutemegravere nos ancecirctres ont vu la figure tragique de lrsquohomme-dieu qui pour le bien et la vie de ses semblables allait mourir

27

vI

sanctuaIres de LrsquoancIen eMpIre

Les grandes pyramides de Gizeh mdash celles de Cheacuteops Cheacutephregraven Myceri-nus mdash et les petites pyramides drsquoAbousir et de Saqqarah sont les tombeaux des pharaons de lrsquoAncien Empire Les momies royales ensevelies dans les profon-deurs de ces maccedilonneries eacutetaient inaccessibles deacutefendues par des herses de gra-nit qursquoon laissait tomber les funeacuterailles faites sur les couloirs descendant au caveau Il fallait cependant agrave des intervalles rapprocheacutes ceacuteleacutebrer le culte du roi deacutefunt car seul le culte pouvait prolonger sa vie drsquooutre-tombe Dans les tom-beaux des particuliers 0 la chapelle funeacuteraire restait accessible agrave lrsquointeacuterieur du mastaba eacuteleveacute sur le caveau dans les tombes royales le seuil de la pyramide eacutetant deacutesormais infranchissable il fallut reporter la salle du culte agrave lrsquoexteacuterieur dans un temple bacircti sur la faccedilade orientale de la pyramide

On a chercheacute ces temples funeacuteraires et on a pu en deacutegager les substructures agrave Meidoum agrave Saqqarah mais devant les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir les tumuli recouverts de sable qui srsquoeacutetendaient depuis leur face orientale jusqursquoagrave la valleacutee placeacutee en contre-bas preacutesentaient un aspect insolite Tout pregraves de la pyra-mide il y avait des deacutebris drsquoeacutedifices en descendant vers la valleacutee on remarquait les traces drsquoune chausseacutee qui avait servi agrave charrier les mateacuteriaux de construction enfin agrave la lisiegravere du deacutesert existaient encore les substructures de constructions imposantes dont la mieux conserveacutee eacutetait le fameux temple laquo de granit raquo ou laquo du Sphinx raquo ainsi nommeacute agrave cause de ses mateacuteriaux et de son voisinage ceacutelegravebre Lors-que Mariette le deacuteblaya drsquoailleurs partiellement de 8 agrave 860 il nrsquoy trouva que des statues colossales jeteacutees au fond drsquoun puits aucune inscription nul bas-relief ne deacutecorait ces murs de granit muets sur la destination de lrsquoeacutedifice son plan bizarre diffeacuterait eacutegalement de tous les monuments encore connus Entre les pyramides royales et ces eacutedifices plus ou moins ruineacutes situeacutes en bordure des ter-res cultiveacutees il ne semblait drsquoailleurs qursquoaucun lien existacirct La chausseacutee qui sub-sistait par places allait en obliquant de lrsquoeacutedifice agrave la pyramide et comme elle ne

0 On appelle mastaba la tombe de lrsquoAncien Empire qui a la forme exteacuterieure drsquoun cube de maccedilonnerie pleine sans autre ouverture que les portes Cf Au temps des pharaons p 78

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se trouvait dans lrsquoaxe ni du monument infeacuterieur ni du tombeau supeacuterieur lrsquoideacutee ne venait point drsquoun ensemble architectural ougrave la pyramide le temple la chaus-seacutee et lrsquoeacutedifice de la valleacutee auraient joueacute chacun leur rocircle Des fouilles meneacutees par M Borchardt sur le site drsquoAbousir par MM Steindorff et Reisner sur celui de Gizeh et qui viennent drsquoecirctre publieacutees ont cependant deacutemontreacute la reacutealiteacute de ce grand ensemble et reacuteveacuteleacute le rapport et mecircme la destination des parties

Ce nrsquoeacutetait point par hasard que le temple dit laquo du Sphinx raquo eacutetait situeacute au pied de la pyramide de Cheacutephregraven et que agrave Abousir par-devant les pyramides rui-neacutees de Sahouracirc et de Neouserracirc srsquoallongeait jusqursquoagrave la valleacutee lrsquoempierrement de constructions importantes qui se deacuteveloppaient sur une longueur de 00 00 ou 700 megravetres en escaladant le plateau Les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir sont ne lrsquooublions pas sur un plateau calcaire rebord du vaste deacutesert qui coupe en deux de lrsquoAtlantique au golfe Persique les continents de lrsquoAncien Monde Dans ce deacutesert la valleacutee du Nil est une zone drsquoeffondrement en partie combleacutee par les alluvions du fleuve aussi est-elle neacutecessairement en contrebas des deux legravevres de cette faille du plateau deacutesertique A la hauteur des pyramides de Gizeh la diffeacuterence de niveau entre le deacutesert et la plaine fertile atteint 6 megravetres Il fallait donc soit pour construire la pyramide soit apregraves son achegravevement pour y peacuteleriner gravir cette falaise sablonneuse On relia la valleacutee et le plateau au moyen drsquoune rampe en blocs solides de calcaire qui filait de biais pour racheter la pente insensiblement Ces chausseacutees dont Heacuterodote deacutejagrave relevait les traces nrsquoeacutetaient donc que le chemin drsquoaccegraves agrave la pyramide ou plutocirct au temple mor-tuaire eacuterigeacute sur son flanc oriental Seulement crsquoeacutetait un chemin couvert un long corridor bacircti qui inspirait moins lrsquoideacutee de fraicirccheur et drsquoombre que le silence et le recueillement drsquoune nef seacutepulcrale A Gizeh comme agrave Abousir le touriste doit restituer en imagination par-devant la face orientale de chaque pyramide un plan ascendant composeacute deg drsquoun portique monumental dans la plaine 2deg drsquoune galerie voucircteacutee et deg du temple proprement dit ougrave les rites renouvelaient agrave chaque ceacuteleacutebration de culte la vie du roi enseveli

A Gizeh ces ensembles architecturaux ont subi des fortunes varieacutees devant la plus grande pyramide celle de Cheacuteops il ne reste guegravere du temple funeacuteraire que le pavement en basalte et de la rampe que des deacutebris le portique de la val-leacutee a disparu La pyramide de Cheacutephregraven a conserveacute au contraire son portique le laquo temple du Sphinx raquo sa rampe drsquoaccegraves reacuteduite agrave la substructure et quelques pans de murs du temple funeacuteraire Devant la pyramide de Mycerinus le tem-

II 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ple est assez bien conserveacute et M Reisner y a trouveacute drsquoadmirables statues du roi constructeur

Examinons maintenant le groupe des constructions eacuteleveacute par Cheacutephregraven vers 280 avant J-C et commenccedilons agrave la lisiegravere de la valleacutee par ce laquo temple de gra-nit raquo ou laquo du Sphinx raquo que nous appellerons deacutesormais le Portique de cet ensem-ble 2 Fait exceptionnel dans lrsquohistoire monumentale de lrsquoEacutegypte il est tout en-tier construit murs plafond colonnes en granit rose drsquoAssouan crsquoest la pierre employeacutee aussi pour les caveaux inteacuterieurs des pyramides Le sol est partout paveacute drsquoalbacirctre et une chambre est mi-partie granit et mi-partie albacirctre Nul autre eacutedifice drsquoEacutegypte ne preacutesente un tel luxe uni agrave tant de soliditeacute et les pierres tailleacutees en dimensions colossales polies dans des mateacuteriaux qui deacutefiaient la main drsquoœuvre humaine srsquoy ajustent avec une preacutecision une perfection qui ont vaincu le temps En apparence cet eacutedifice est un carreacute de pierre de 0 megravetres de large sur 0 de long La faccedilade aux murs en talus construits en grand appareil hauts de megravetres et dont le toit est agrave profil semi-arrondi preacutesente lrsquoaspect drsquoun mastaba Deux portes larges de 2 m 80 hautes de 6 megravetres percent la faccedilade qui nrsquoa pas drsquoautre ornement que des leacutegendes hieacuteroglyphiques donnant les titres du roi Cheacutephregraven De doubles panneaux de bois agrave verrous eacutenormes garnissaient les portes Il y avait la porte du Nord ougrave le roi se deacuteclarait laquo lrsquoaimeacute de Bastit raquo la deacuteesse septentrionale et la porte du Sud ougrave le roi se disait laquo lrsquoaimeacute de Hathor raquo la deacuteesse meacuteridionale Comme dans les temples posteacuterieurs la division srsquoexpli-que donc par la dualiteacute du roi qui est le souverain des Deux Eacutegyptes

Chaque porte eacutetait encadreacutee de deux sphinx androceacutephales agrave corps de lion du moins pourrait-on le supposer drsquoapregraves une deacutecoration pareille devant le Por-tique de Sahouracirc agrave Abousir agrave Gizeh on a trouveacute en place la base des sphinx longue de 8 megravetres Ces figures incarnent le roi lui-mecircme le laquo Lion raquo des textes de lrsquoAncien Empire proteacutegeant son palais de sa force magique et divine Crsquoest aussi la signification du moins agrave lrsquoorigine du Sphinx qui se tient face leveacutee agrave la droite de notre eacutedifice drsquoun rocher long de 7 megravetres et haut de 20 qui offrait une ressemblance fortuite avec lrsquoanimal accroupi on avait fait un lion androceacutephale tenant entre ses pattes et sous sa tecircte une statue de Cheacutephregraven

2 Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 08 aux frais de M Ernst von Sieglin et dirigeacutees par MM Steindorff Borchardt et U Houmllscher Le compte rendu en a eacuteteacute donneacute par U Houmllscher Das grabdenkmal des Koumlnigs Chephren 2 Les blocs pesant plus de 0000 kilos ne sont pas rares il y en a qui deacutepassent 0000 kilos

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

aujourdrsquohui mutileacutee Ce rocher qursquoon ne pouvait supprimer prit ainsi sa place dans le plan du portique et forma avec lui un ensemble deacutecoratif Enfin au cen-tre de notre faccedilade il y avait un naos dont reste la substructure et qui contenait sans doute une statue de Cheacutephregraven

Cour du temple funeacuteraire

Figure Faccedilade du temple de granit (portique)

(Restitutions de M U Houmllscher)

Chacune des deux portes donne accegraves dans une chambre eacutetroite haute de megravetres drsquoougrave agrave droite et agrave gauche partent des corridors ils convergent dans un vestibule qui occupe toute la largeur de lrsquoeacutedifice Avant les fouilles de 08 on ne peacuteneacutetrait que jusque-lagrave et par le cocircteacute opposeacute agrave la faccedilade puisque celle-ci nrsquoeacutetait pas encore deacuteblayeacutee Dans un coin srsquoouvrait beacuteant un puits drsquoeacutepoque reacutecente crsquoest lagrave que Mariette trouva en 860 le fameux Cheacutephregraven en diorite orgueil du museacutee du Caire Du vestibule une grande porte nous introduit dans la salle principale qui est hypostyle et en forme de renverseacute Crsquoest donc la barre du qui se preacutesente drsquoabord sous lrsquoaspect drsquoune galerie diviseacutee en deux traveacutees par une rangeacutee centrale de six piliers rectangulaires au milieu srsquoouvre la galerie perpendiculaire diviseacutee en deux traveacutees par une double ligne de six pi-liers

Ici comme ailleurs les portes les murs les dalles du plafond sont unique-ment de granit rose par blocs de grand appareil longs de agrave 6 megravetres pesant de 0 000 agrave 0 000 kilogrammes les piliers hauts de 8 megravetres sont monolithes

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Aucun ornement aucune moulure nrsquoaltegravere le seacuterieux solennel de cette architec-ture pas une ligne qui ne se rapporte uniquement agrave la construction Le pave-ment est en dalles drsquoalbacirctre poli dont la blancheur laiteuse fait contraste avec la sombre splendeur du granit nu Des enfoncements encore visibles dans le paveacute drsquoalbacirctre permettent drsquoaffirmer que le long de ces murailles lisses en face de chacun des piliers il y avait vingt-trois statues royales plus grandes que nature repreacutesentant Cheacutephregraven assis sur son trocircne dans lrsquoattitude de majesteacute divine qursquoa populariseacutee lrsquoexemplaire deacutecouvert par Mariette Beaucoup de fragments de ces statues ont eacuteteacute retrouveacutes en particulier une tecircte admirable des morceaux de visages des parties du corps Si chaque statue donnait au roi la mecircme pose

Figure mdash Le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

toutes diffeacuteraient soit par le deacutetail soit par la matiegravere lrsquoune eacutetait en diorite verdacirctre veineacute de blanc lrsquoautre en albacirctre blanc lrsquoautre en schiste jaunacirctre Ces merveilleux modegraveles ougrave lrsquoart faisait encore palpiter une acircme srsquoirradiaient furti-vement dans un demi-jour car la salle hypostyle (dont le plafond est aujourdrsquohui deacutemanteleacute agrave lrsquoexception des poutres reliant les piliers) nrsquoeacutetait eacuteclaireacutee que par drsquoeacutetroites ouvertures meacutenageacutees agrave travers lrsquoeacutepaisseur des architraves et du plafond De quelle vie troublante devait srsquoanimer lrsquoimmobile assembleacutee des vingt-trois colosses assis dans leur pose inflexible quand le faisceau drsquoun rayon de soleil se glissant par les fenecirctres obliques venait se reacutefleacutechir sur le paveacute eacutetincelant avi-ver un pan de muraille rouge reacuteveacuteler quelques secondes durant le geste drsquoune main lrsquoeacuteclair drsquoun regard puis se retirant laissait retomber un lourd voile de teacutenegravebres sur lrsquohypostyle seacutepulcrale

Laissons de cocircteacute un eacutetroit corridor qui part de lrsquoangle gauche de lrsquohypostyle pour aboutir agrave trois cellules longues sortes de silos de granit agrave deux eacutetages ougrave lrsquoon serrait le mobilier les vecirctements sacreacutes les vases et lampes neacutecessaires aux ablutions et aux fumigations rituelles De lrsquoangle droit de notre grand part un autre couloir il dessert drsquoabord un plan inclineacute en albacirctre qui tourne agrave droite et conduit sur le toit puis une chambre de garde pour la surveillance du toit et de la sortie Nous arrivons en effet agrave lrsquoangle nord-ouest de lrsquoeacutedifice le couloir se poursuit et devient le chemin couvert qui durant 00 megravetres escalade le pla-teau deacutesertique suivant une pente assez rapide de dix pour cent Il est faiblement eacuteclaireacute par drsquoeacutetroites fenecirctres deacutecoupeacutees dans le plafond Les murs en calcaire blanc sans deacutecoration se raccordent agrave la voucircte en profil semi-arrondi La rampe deacutebouche obliquement dans la faccedilade du Temple funeacuteraire

Celui-ci (fig ) est un eacutedifice rectangulaire de mecircme largeur mdash 0 megrave-tres mdash que le Portique de la valleacutee mais drsquoune longueur supeacuterieure 0 megravetres au lieu de 0 Il se divise en deux parties de dimensions fort ineacutegales le temple public qui se deacuteveloppe sur une longueur drsquoenviron 00 megravetres et le temple intime ou priveacute reacuteduit agrave quelques megravetres de superficie

Le temple public nrsquoa pas de faccedilade monumentale le chemin couvert deacutebou-che en effet directement et de biais dans le cube de maccedilonnerie en plein vesti-bule flanqueacute de magasins Une autre porte mais dans lrsquoaxe central conduit du

Voici comment Heacuterodote (II 2) deacutecrit la chausseacutee de la pyramide de Cheacuteops laquo On passa dix ans agrave construire la chausseacutee par ougrave on devait traicircner les pierres Cette chausseacutee est un ouvrage qui nrsquoest guegravere moins consideacuterable agrave mon avis que la pyramide car elle a 2 megravetres de long sur megravetres de large et megravetres de haut dans sa plus grande hauteur elle est de pierres polies et orneacutee de figures drsquoanimaux raquo

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vestibule agrave deux grandes salles hypostyles aux piliers carreacutes disposeacutees en ren-verseacute comme dans le premier eacutedifice mais un eacutetranglement de la maccedilonnerie seacutepare ici les deux barres de notre pour en faire deux hypostyles indeacutependantes Il y avait lagrave aussi des statues colossales assises et peut-ecirctre comme dans le tem-ple funeacuteraire de Mycerinus des groupes formant bas-reliefs Particulariteacute notable agrave gauche et agrave droite srsquoenfoncent dans le plein de la maccedilonnerie deux boyaux pareils aux laquo serdabs raquo des mastabas et srsquoouvrant de mecircme dans la salle non par des portes mais par drsquoexigus soupiraux Crsquoest agrave lrsquointeacuterieur de ces oubliettes et avant drsquoen murer lrsquoentreacutee qursquoon deacuteposait des statues du roi constructeur les fouilleurs modernes nrsquoy ont trouveacute que des deacutebris

Au fond de la seconde hypostyle une porte deacutebouche en pleine lumiegravere dans une vaste cour occupant la largeur de lrsquoeacutedifice La cour srsquoencadre drsquoun portique qui a cinq ouvertures dans cette largeur et trois sur les cocircteacutes entre ces ouvertu-res la maccedilonnerie srsquoeacutepaissit en un massif pilier monolithe deacutecoreacute drsquoune statue sur sa face anteacuterieure (Fig ) Crsquoest le premier speacutecimen connu drsquoune de ces cours bordeacutees de statues qui se retrouvent dans les temples theacutebains agrave Louxor au Ramesseum agrave Meacutedinet-Habou (fig ) On suppose que les statues repreacutesen-taient alternativement le Pharaon en costume de roi du Sud et de roi du Nord Le portique du fond agrave cinq ouvertures donnait accegraves agrave cinq cellules parallegraveles fort eacutetroites sauf celle du milieu qui est plus large Or les temples de Sahouracirc et de Neouserracirc agrave Abousir nous ont appris que dans ces cinq cellules eacutetaient adoreacutees cinq statues du Pharaon nous pouvons supposer que ce nombre rituel de cinq chapelles et cinq statues srsquoexplique 6 par les cinq noms officiels du pro-tocole sous lesquels le roi eacutetait adoreacute

Le public nrsquoallait pas plus loin Seuls les precirctres et le roi peacuteneacutetraient dans un corridor menant par les cocircteacutes agrave une seacuterie de magasins puis dans une derniegravere sal-le semblable agrave un couloir mais de mecircme largeur que la cour et lrsquoeacutedifice crsquoeacutetait le Saint des Saints qui correspond agrave la chapelle inteacuterieure des mastabas En effet la paroi du fond celle qui est juxtaposeacutee au mur drsquoenceinte de la pyramide se creuse en son centre drsquoune niche rectangulaire ici se placcedilait la stegravele fausse-porte qui donnait accegraves dans lrsquoautre monde Il est probable que sur le flanc mecircme de la

Ces serdabs sont reacuteserveacutes agrave lrsquointeacuterieur de formidables noyaux de maccedilonnerie un des blocs de granit deacutepasse 70 megravetres cubes et pegravese plus de 70 000 kilos crsquoest agrave peu pregraves le poids drsquoun grand obeacutelisque6 Cheacutephregraven fut le premier agrave prendre le titre laquo fils de Racirc raquo ce qui complegravete agrave noms le proto-cole royal

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pyramide srsquoeacutelevait une autre stegravele 7 ou un naos situeacute dans le mecircme axe en face de la premiegravere stegravele et assurant ainsi une communication ideacuteale avec lrsquointeacuterieur de la pyramide

Tout ce temple funeacuteraire eacutetait construit comme les propyleacutees de la valleacutee en mateacuteriaux de choix granit rose pour les murs et les piliers albacirctre pour le pave-ment calcaire pour le remplissage de gros œuvre Ici non plus pas de deacutecoration sauf quelques lignes de textes encadrant les portiques de la cour deacutecouverte ou graveacutees sur les statues royales Crsquoest un art sobre srsquoexprimant directement par la statuaire ses personnages soit isoleacutes soit en groupes eacutenoncent toutes les ideacutees qui agrave lrsquoeacutepoque posteacuterieure seront deacuteveloppeacutees au moyen drsquoaccessoires textes ritualistiques bas-reliefs descriptifs

Revenons au rocircle du Portique dans cet ensemble Pour le deacuteterminer rap-pelons-nous qursquoil est situeacute juste entre le dessert et la valleacutee Si donc il fournit un pavillon drsquoentreacutee vers le chemin ouvert et le temple funeacuteraire il est aussi en contact avec le monde des vivants Devant lui dans la valleacutee srsquoeacutetendait comme agrave Abousir une laquo ville de la pyramide raquo Crsquoeacutetait sous lrsquoAncien Empire lrsquoendroit ougrave le Pharaon reacutesidait de son vivant agrave proximiteacute de son temple funeacuteraire et de sa pyramide qursquoil faisait bacirctir cette capitale eacutepheacutemegravere puisqursquoelle se deacuteplaccedilait avec chaque regravegne comprenait outre le palais et les habitations de la famille royale celle des parents des amis des clients des architectes de tous les em-ployeacutes dans le service des domaines funeacuteraires du Pharaon et dans le service des constructions Le Portique de la valleacutee eacutetait relieacute directement avec cette reacutesidence royale il eacutetait conccedilu avec sa faccedilade monumentale et son hypostyle grandiose pour servir de lieu de reacuteception ou de reacuteunion les ceacutereacutemonies qursquoon y ceacuteleacutebrait avaient sans doute un caractegravere plus officiel que religieux Les statues colossales du Pharaon qui veillaient dans lrsquohypostyle ne sont pas ces figures mobiles et portatives sur lesquelles on opeacuterait les rites funeacuteraires elles eacutetaient lagrave non pour recevoir ce culte funeacuteraire mais pour eacuteterniser la puissance et le nom du roi et agreacuteer lrsquoadoration de ses sujets Les accessoires de ce culte drsquoadoration eacutetaient sans doute peu importants car les magasins composeacutes de trois cellules doubles sont de faibles dimensions Jrsquoen conclus que le Portique participe du palais plu-tocirct que du temple

Quant au chemin couvert il nous conduit de ce Portique au Temple par un eacuteclairage endeuilleacute dans une ombre creacutepusculaire Nrsquoest-il pas agrave dessein mysteacute-

7 A Meidoum il y avait deux stegraveles dans une cour entre la chapelle et la pyramide de Snefrou (Maspero Histoire I p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rieux comme le passage de la vie agrave la mort et srsquoil se resserre nrsquoest-ce pas pour qursquoil laisse passer seulement un cortegravege choisi parents et amis du Pharaon lrsquoeacutelite seule convieacutee agrave partager lrsquoimmortaliteacute jusqursquoici reacuteserveacutee au roi et agrave participer agrave la destineacutee auguste des dieux

Nous voici dans le temple mortuaire dont le silence trompeur est peupleacute de la vie sourde intarissable qui srsquoeacutepanche des statues rituelles Invisibles mureacutees au fond des serdabs il y a les statues inviolables qui perpeacutetuent agrave lrsquoabri du danger des profanations le nom graveacute crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme du Pharaon son moi moral mais il y a aussi exposeacutees dans les cinq chapelles ou transporteacutees au moment du culte dans le secret du sanctuaire devant la stegravele fausse-porte drsquoautres statues portatives sur lesquelles on exeacutecutera les rites de reacutesurrection On a retrouveacute des fragments de plus de cent statues diffeacuterentes en albacirctre diorite basalte ou schis-te Petites ou colossales elles remplissaient les temples du paveacute jusqursquoau faicircte

Des rites speacuteciaux qursquoon ceacuteleacutebrait au Temple mortuaire peu de deacutetails sont connus puisqursquoici non plus que dans les caveaux des grandes pyramides les parois de granit ne portent ni figures ni inscriptions Toutefois la preacutesence des statues rituelles leur importance exceptionnelle qui srsquoatteste par leur nombre et leur qualiteacute suffisent agrave nous renseigner Ces statues sont lagrave drsquoabord pour com-meacutemorer le nom du roi deacutefunt prolonger sa personnaliteacute son acircme individuelle ensuite pour sauvegarder sa physionomie ses traits physiques car la momie deacuteposeacutee au fond de la pyramide si bien garantie qursquoelle soit de la corruption ne saurait les conserver dans leur inteacutegriteacute avec leur ressemblance Les merveilleu-ses tecirctes de Cheacutephregraven et de Mycerinus sont des portraits exacts quelque ideacutealiste et rituelle qursquoait eacuteteacute pour lrsquoensemble de la statue la maniegravere du sculpteur Il savait qursquoen modelant avec preacutecision les traits du roi il leur permettrait de srsquoanimer de revivre sous les formules toutes-puissantes de lrsquoouap-ra Le precirctre stimulerait par des rites magiques cette figure ressemblante mais inerte il rouvrirait ces yeux eacuteteints et ces oreilles closes il toucherait la langue rigide pour eacuteveiller la parole descellerait la bouche fermeacutee pour qursquoelle pucirct manger il ferait remuer les bras et les jambes pour y rappeler le mouvement aboli il solliciterait lrsquoacircme de revenir dans ce corps leacutethargique et bientocirct par les rites infaillibles cette statue prendrait vie On lui promettrait une vie eacuteternelle et on lrsquoenverrait rejoindre les dieuxhellip heacutelas la vitaliteacute des dieux eux-mecircmes eacutetait preacutecaire il fallait la renou-

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veler par les rites et certes le Pharaon srsquoinquieacutetait agrave bon droit de pourvoir pour lrsquoavenir agrave son propre culte Les statues multiplieacutees dans le temple funeacuteraire lui garantissaient ce regain de vie et de dureacutee

Celles que M Reisner a retrouveacutees en 08 dans la chapelle de Mycerinus preacutesentent un caractegravere qui semble confirmer ce que je viens drsquoavancer 8 Elles nous montrent le roi non plus figeacute dans sa majesteacute de maicirctre srsquoimposant agrave lrsquoad-miration de la foule prosterneacutee mais dans une attitude plus humaine plus fami-liegravere et ressemblante Mycerinus se tient debout cocircte agrave cocircte avec sa femme qui lrsquoenlace tendrement de son bras crsquoest la pose souriante et deacutetendue drsquoun couple quelconque qui appartiendrait agrave sa cour Lrsquoartiste eacutevidemment a voulu repreacute-senter lrsquohomme et non le Pharaon diviniseacute son œuvre porte le caractegravere intime qui se retrouve dans les dispositions de lrsquoeacutedifice En bas le Portique de la valleacutee est un palais royal rempli de statues de grand style en haut de la rampe crsquoest la chapelle priveacutee de Cheacutephregraven ou de Mycerinus destineacutee au culte familial

Pris ensemble les deux eacutedifices ne forment en somme qursquoun mastaba gigan-tesque dont les divisions ordinaires salle drsquoaccegraves corridor chapelle auraient eacuteteacute multiplieacutees et distendues sur une eacutechelle de plus de 700 megravetres Lrsquointeacuterieur de ce mastaba continuait drsquoabriter les statues tandis que la pyramide inviolable receacutelait la momie ici le corps gisait preacuteserveacute de la putreacutefaction incorruptible mais agrave jamais deacutepouilleacute de verdeur lagrave au contraire freacutemissaient des images res-semblantes qui se retrempaient eacuteternellement au culte funeacuteraire comme agrave une source magique qui srsquoabreuvaient de jeunesse agrave la fraicirccheur des rites hellip Et si le cadavre momifieacute garde encore les traces de la maladie les tares des organes les infirmiteacutes physiques en revanche les statues sont faites agrave lrsquoimage de lrsquohomme en sa fleur de santeacute agrave lrsquoapogeacutee de sa force de sa prospeacuteriteacute avant la deacutecheacuteance de lrsquoacircge ou de la carriegravere Ainsi le culte pourra les conserver en beauteacute et crsquoest pourquoi il les preacutefegravere au corps deacutecreacutepit ou desseacutecheacute drsquoailleurs inaccessible en son caveau Ces portraits drsquoinalteacuterable matiegravere ne se precirctent-ils pas bien mieux agrave la fiction drsquoune vie toujours reverdissante hellip

Donc dans ces temples tout concerne la vie ou le maintien de la vie dans les statues royales Par contre rien nrsquoy suggegravere lrsquousage drsquoun culte envers les dieux Ceux-ci nrsquoapparaissent dans la statuaire ou dans les rares inscriptions que pour escorter le dieu du logis qui est Pharaon leur personnaliteacute est deacutecorative nulles

8 Les fouilles de M Reisner nrsquoont pas eacuteteacute encore lrsquoobjet drsquoune publication drsquoensemble On trouvera drsquointeacuteressantes consideacuterations sur les statues royales trouveacutees lagrave dans un article de Mas-pero sur quelques portraits de Mycerinus reproduit dans ses essais sur lrsquoart eacutegyptien 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

priegraveres ni offrandes ne leur sont adresseacutees au contraire ce sont les dieux des Nomes qui viennent apporter leurs dons au roi Crsquoest lagrave un eacutetat drsquoesprit avec lequel les textes contemporains nous ont familiariseacutes Les dieux agrave cette eacutepoque sont certes de hauts et puissants seigneurs que lrsquoon traite avec deacutefeacuterence agrave qui lrsquoon paye sans enthousiasme le tribut qursquoils sauraient au besoin arracher mais ils nrsquoont presque ni deacutevots ni fidegraveles Ce nrsquoest pas la confiance la religion qui preacuteside aux rapports entre lrsquohumaniteacute et le ciel Prie-t-on un ecirctre que lrsquoon craint qui est redoutable parce que plus fort Par la magie au contraire on circonvient les dieux on peut les flatter les tromper voire leur faire peur et leur donner des ordres srsquoen servir sans les servir

Plus tard entre la IVe et la Ve dynastie la moraliteacute est en progregraves Les textes (ils deviennent plus nombreux dans les tombeaux memphites vers la fin de la Ve dy-nastie) commencent agrave parler de la providence ceacuteleste de la justice distributive du jugement qursquoOsiris impose apregraves la mort agrave tous les hommes Le culte des dieux gardiens de la morale et de la vertu srsquoeacutetablit Une eacutecole de theacuteologiens celle de Heacuteliopolis rallie agrave ses doctrines la famille royale et la cour une theacuteologie officielle est en formation et srsquoexprime en de longs textes religieux qursquoon grave dans les pyramides royales agrave la fin de la Ve dynastie Le dieu des morts Osiris et le dieu-soleil Racirc drsquoHeacuteliopolis deviennent les patrons du roi vivant sur terre et du roi vivant dans lrsquoautre monde un nouveau titre que prend le Pharaon celui de laquo fils du Soleil raquo exprime que le roi tient sur terre la place que son pegravere charnel Racirc creacuteateur du monde et bienfaiteur de la nature lui a faite et leacutegueacutee Le culte deacutesormais consiste en priegraveres en fondations territoriales pour les dieux et on construit en particulier des temples deacutedieacutes au Soleil

Crsquoest sur le site drsquoAbou-Gourab pregraves drsquoAbousir que M Borchardt a deacuteblayeacute un sanctuaire de la Ve dynastie consacreacute au soleil Jusqursquoici nous ne connais-sions lrsquoexistence de sanctuaires du soleil que par des inscriptions de lrsquoAncien Empire leurs noms srsquoaccompagnaient drsquoun deacuteterminatif singulier un tronc de pyramide surmonteacute drsquoun obeacutelisque au-dessus duquel se place adheacuterent ou non le disque solaire Cet hieacuteroglyphe eacutetait-il le dessin scheacutematiseacute mais exact drsquoun temple consacreacute agrave Racirc soleil drsquoHeacuteliopolis Les fouilles de M Borchardt lrsquoont prouveacute

Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 88 aux frais de M F von Bissing et publieacutees depuis 0 Le premier volume est celui analyseacute ici Das re-heiligtum der Koumlnigs ne-woser-re Band I Der Bau par L Borchardt

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Elles nous ont restitueacute le plan geacuteneacuteral drsquoun eacutedifice qui se rapproche de lrsquoen-semble funeacuteraire que nous venons de deacutecrire et qui comprend un Portique un Chemin couvert un Temple proprement dit mais ici le Saint des Saints nrsquoest pas une salle dans un temple crsquoest lrsquoObeacutelisque lui-mecircme dresseacute sur son socle la pyramide tronqueacutee (fig 6)

Le Portique preacutesente cette particulariteacute drsquoecirctre en plein dans la laquo ville de la pyramide raquo que le roi Neouserracirc eacutedifiait vers 20 av J-C on retrouve ses fondations agrave 0 megravetres agrave lrsquointeacuterieur du mur drsquoenceinte de la reacutesidence royale Crsquoest un eacutedifice carreacute de maccedilonnerie pleine qui avait peut-ecirctre une faccedilade en forme de double pylocircne Au centre de cette faccedilade srsquoouvre une salle soutenue par quatre colonnes en granit rose fasciculeacutees (elles sont massives dans le temple de Cheacutephregraven) Des corridors coudeacutes font deacuteboucher cette salle et deux petites salles lateacuterales dans une antichambre qui amorce le chemin couvert

Celui-ci forte chausseacutee en blocs calcaires gravit en pente raide sur une lon-gueur de 00 megravetres le plateau haut de 6 megravetres qui surplombe la valleacutee soit traceacute oblique aboutit devant la faccedilade orientale drsquoune enceinte rectangulaire de 0 megravetres de long sur 80 de large preacuteceacutedeacutee par une porte monumentale en granit rose orneacutee de reliefs colossaux Traversons le vestibule nous arrivons

Figure 6 mdash Temple de Racirc

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans une grande cour ougrave srsquoeacuterige au fond de la partie occidentale la pyramide tronqueacutee surmonteacutee de lrsquoobeacutelisque Deux corridors voucircteacutes filent agrave notre droite et agrave notre gauche suivons ce dernier Il se coude agrave lrsquoangle sud-est suivant le pourtour du temple et quoiqursquoil soit obscur comme au temple de Cheacutephregraven de fins reliefs couvrent ici les murs de calcaire blanc Une porte de granit srsquoouvre bientocirct agrave droite et un chemin encore plus eacutetroit et teacuteneacutebreux monte avec une pente accentueacutee au travers drsquoun gros de maccedilonnerie dans lrsquointeacuterieur mecircme de la pyramide Enfin ce boyau montant tortueux eacutetouffant deacutebouche agrave lrsquoair libre dans la lumiegravere eacuteblouissante nous sommes sur la plate-forme du socle tailleacute en pyramide tronqueacutee et au pied de lrsquoobeacutelisque agrave une hauteur de 20 megravetres au-des-sus de la cour du temple Les murs de la pyramide sont en calcaire mais ceints agrave la base drsquoun parement de granit La pointe de lrsquoobeacutelisque srsquoeacutelevait agrave 6 megravetres du socle crsquoest-agrave-dire agrave 6 megravetres au-dessus de la cour et 72 megravetres au-dessus de la valleacutee Lrsquoobeacutelisque nrsquoeacutetait pas monolithe mais bacircti en grands blocs calcaires jaunes pour le noyau blancs pour le revecirctement Peut-ecirctre eacutetait-il deacutecoreacute sur chaque face drsquoune inscription verticale au milieu de la paroi et un pyramidion de meacutetal le coiffait-il de sa pointe eacutetincelante

Lrsquoarchitecte de ce temple nrsquoavait-il pas merveilleusement combineacute ses effets LrsquoEacutegyptien venant de la valleacutee devait cheminer depuis le Portique sous une ga-lerie couverte puis dans des corridors resserreacutes dont lrsquoobscuriteacute devenait plus peacutenible agrave mesure qursquoil srsquoenfonccedilait en zigzag dans le flanc abrupt de ce cube de maccedilonnerie pareil agrave un mastaba lugubre Brusquement il eacutemergeait sur la terrasse dans lrsquoaveuglante lumiegravere sous la pierre leveacutee comme une flamme et drsquoun coup drsquoœil il embrassait lrsquoaire vibrante du temple la rampe le portique la reacutesidence royale et au delagrave les palmiers assombris les champs verdoyants ou doreacutes le Nil bleuissant et agrave lrsquohorizon la terrasse abrupte du Mokattam aux om-bres violettes Tant de lumiegravere et drsquoair pur apregraves cette monteacutee angoissante Le cœur dilateacute il tombait agrave genoux eacuteperdu de gratitude devant le dieu qursquoil venait adorer lrsquoobeacutelisque tout blanc qui jaillissait dans lrsquoazur comme un rayon peacutetrifieacute du pegravere et du bienfaiteur des hommes

Car lrsquoObeacutelisque eacutetait ici lrsquoidole et le sanctuaire agrave la fois Il semble bien que sa partie essentielle fut le pyramidion terminal dont les faces en forme de trian-gle isocegravele symbolisaient peut-ecirctre le triangle lumineux des rayons tombant du soleil sur la terre 00 Crsquoest sous ce signe qursquoon a deacutesigneacute aussi les rayons solaires

00 H Brugsch a deacutemontreacute que les Eacutegyptiens repreacutesentaient par un triangle isocegravele la lumiegravere zodiacale diviniseacutee crsquoest un pheacutenomegravene qui se manifeste en Eacutegypte avant le lever du soleil ou

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soit sous forme de perles triangulaires soit sous lrsquoaspect drsquoun triangle isocegravele soit comme au temps drsquoAmeacutenophis IV sous forme de rayons prolongeacutes par des mains 0 Les petites pyramides votives qursquoon rencontre dans les tombeaux por-tent toujours pregraves de la pointe lrsquoimage du soleil sur lrsquohorizon geacuteneacuteralement encadreacutee de deux personnages orants le grand pyramidion de Daschour srsquoeacutevase aussi sous un disque solaire aileacute enfin les obeacutelisques se terminaient par un py-ramidion drsquoor ou de meacutetal doreacute comme en teacutemoignent les textes ou lrsquoeacutetat ina-cheveacute de leur faicircte Pline lrsquoAncien se fait lrsquoeacutecho de cette tradition eacutegyptienne sur le caractegravere solaire de lrsquoObeacutelisque en nous disant expresseacutement laquo lrsquoObeacutelisque consacreacute au soleil eacutetait fait agrave lrsquoimage de ses rayons 02 raquo

Figure 7 mdash Autel-table drsquooffrande en albacirctre

apregraves le coucher par un rayon lumineux en forme de pyramide dont la base reposerait sur terre et dont la pointe se dirige vers le zeacutenith (proceedings of society of Biblical Archaeligology t XV p 2 et suiv)0 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 pl VIII 202 Hist nat XXXVI laquo Obeliscos vocantes Solis numini sacratos Radiorum ejus argu-mentum in effigie est et ita significatur nomine AEliggyptio raquo Sur ces derniers mots nous nrsquoavons pas de confirmation agrave donner La conseacutecration au dieu solaire Racirc des obeacutelisques est prouveacutee aussi par ce fait lors des rites osiriens on symbolisait la renaissance du dieu en eacuterigeant un obeacutelisque cela srsquoappelait laquo faire lever Racirc raquo (Aeg Zeitschrift 0 p 72)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Celui de notre temple solaire recevait le culte 0 au mecircme titre que les statues de Cheacutephregraven dans le temple funeacuteraire de ce Pharaon A droite des construc-tions il y avait des magasins pour les offrandes le paveacute de la cour y est encore creuseacute de longues rigoles et de vasques aligneacutees dans les premiegraveres srsquoeacutecoulait le sang des victimes eacutegorgeacutees dont les deacutebris eacutetaient recueillis dans les vasques et emporteacutes au dehors Au centre de la cour un autel en forme de quadruple table drsquooffrandes eacutetait orienteacute aux quatre coins de lrsquohorizon

A gauche il y avait une chapelle exigueuml preacuteceacutedeacutee de deux stegraveles et de deux bassins crsquoest lagrave que le roi se purifiait et revecirctait les vecirctements rituels avant de ceacuteleacutebrer le culte Une autre particulariteacute du culte solaire se remarque au tem-ple de Neouserracirc Un peu au fond et en dehors de lrsquoenceinte M Borchardt a deacuteblayeacute non sans surprise une construction qui se reacuteveacutela comme la carcasse infeacuterieure toute en briques drsquoune barque geacuteante longue de 0 megravetres la partie supeacuterieure qui comprenait le bordage la macircture les cabines les rames et tous les accessoires devait ecirctre en bois et avait naturellement disparu Telle quelle on avait lrsquoimage drsquoune des barques solaires celles ougrave lrsquoastre est censeacute naviguer dans la coupole bleue du ciel 0 Des inscriptions officielles de lrsquoAncien Empire nous avaient appris que les rois et en particulier Neouserracirc construisaient des barques de cotte sorte mais jamais encore on nrsquoavait retrouveacute lrsquoeacutedifice nautique Ces deacutetails ont drsquoautant plus drsquointeacuterecirct qursquoil est permis de supposer que le sanc-tuaire drsquoAbou-Gourab eacutetait bacircti sur le type du grand Temple de Racirc agrave Heacuteliopolis aujourdrsquohui totalement disparu agrave un obeacutelisque pregraves Gracircce aux fouilles et aux restitutions de MM Boichardt et Schaeligfer nous pouvons imaginer avec vraisem-blance ce qursquoeacutetait le fameux sanctuaire drsquoHeacuteliopolis

Compareacute avec le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven le temple du Soleil agrave Abou-Gourab nrsquooffre comme il est logique que des ressemblances exteacuterieures Tous deux ont pour point de deacutepart la citeacute royale et ont agrave reacutesoudre le mecircme problegraveme lrsquoaccegraves sur le plateau deacutesertique Ils ont donc en commun le Portique de la valleacutee et le Chemin couvert ascendant mais le Temple proprement dit diffegravere par sa destination lrsquoun sert de sanctuaire agrave des statues royales qursquoon y entretient dans une vie magique lrsquoautre formeacute seulement de lrsquoobeacutelisque et du socle expose la

0 M von Bissing a citeacute une inscription de Thoutmegraves III qui offre des pains et de la biegravere agrave des obeacutelisques (recueil de travaux XXIV p 67 XXV p 8)0 Les textes des Pyramides contemporaines du Temple nous donnent les noms de ces barques Macircndt Mesktet

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

forme concregravete du dieu Le principe de la deacutecoration nrsquoest pas moins dissembla-ble le temple de Cheacutephregraven ne contient guegravere que des statues le temple solaire des bas-reliefs Ceux-ci dont trop peu malheureusement sont conserveacutes nous fournissent les plus anciens speacutecimens de tableaux qui deviendront les poncifs de deacutecoration dans les temples theacutebains Fondation du temple par le roi assisteacute des dieux qui tend le cordeau drsquoarpentage pour orienter lrsquoeacutedifice vers lrsquoeacutetoile polaire deacutefileacute des produits des Nomes de lrsquoEacutegypte apporteacutes en offrande agrave la diviniteacute pu-rifications subies par le roi avant de ceacuteleacutebrer le culte comme grand-precirctre scegravenes du couronnement et de la renaissance fictive du roi apregraves la ceacuteleacutebration de la fecircte Sed toutes ces scegravenes sont reproduites sur les temples posteacuterieurs agrave des centai-nes drsquoexemplaires et ce nrsquoest pas le moindre enseignement du temple drsquoAbousir que de nous prouver lrsquoexistence degraves la Ve dynastie de ces deacutecorations rituelles qui resteront en usage jusqursquoau temps des Ceacutesars En outre le temple solaire contient en germe le dispositif qursquoobserveront les architectes theacutebains dans ces somptueux eacutedifices que nous a leacutegueacutes la XVIIIe dynastie 0 porte monumentale cour agrave deacutecouvert salle hypostyle naos du dieu Certes les architectes de lrsquoeacutepo-que memphite nrsquoont pu deacutevelopper leur plan avec tant drsquouniteacute et de clarteacute La nature du terrain lrsquoobligation de relier la pyramide et le temple funeacuteraire avec la citeacute des vivants au moyen drsquoune rampe leur creacuteait une difficulteacute consideacuterable ils srsquoen sont tireacutes agrave leur honneur et la justesse des proportions le concours des parties lrsquoharmonie de lrsquoensemble ne sont pas moins admirables que la perfection du deacutetail 06

Quels monuments en Eacutegypte ou ailleurs ont pu produire par lrsquoarchitecture seule ou la sculpture essentielle lrsquoeffet obtenu par la salle hypostyle du Portique de Cheacutephregraven ou le Temple solaire hellip Quelle puissance de recircve et drsquoexeacutecution dans ces artistes A peine pouvons-nous les comprendre agrave peine sommes-nous capables drsquoimaginer ces vingt-trois statues de Cheacutephregraven assises qui eacuteternisaient dans la peacutenombre leur volonteacute de vivre et deacutefiant la torpeur de lrsquoimmobile pose eacutepiant le flux et le reflux des jours se vecirctaient de lueurs changeantes et srsquoani-maient aux pulsations du tempshellip ou bien cet obeacutelisque colossal de Neouserracirc tout vibrant de lumiegravere comme un trait deacutecocheacute par lrsquoarcher glorieux hellip

0 Les piliers monolithes du temple de la IVe dynastie sont remplaceacutes ici par des colonnes fas-ciculeacutees du type lotiforme et des colonnes avec chapiteaux agrave palmes qui constituent deux traits caracteacuteristiques de lrsquoarchitecture eacutegyptienne (Cf Maspero Ars Una Eacutegypte fig 8-)06 Voir la gargouille en forme de lion motif qui se retrouvera dans la deacutecoration des temples posteacuterieurs

Les Mystegraveres eacutegyptiens

copy Arbre drsquoOr Genegraveve juin 2007httpwwwarbredorcom

Couverture illustration extraite du Livre des morts Museacutee du Louvre Paris DRComposition et mise en page copy Athena Productions JBS

Table des matiegraveres

I Mystegraveres eacutegyptiens II Le mystegravere du verbe creacuteateur III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem 68IV Le laquo ka raquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totem V Rois de carnaval 0VI Sanctuaires de lrsquoancien empire 27

  • I Mystegraveres eacutegyptiens
  • II Le mystegravere du verbe creacuteateur
  • III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem
  • IV Le laquothinspkathinspraquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totemthinsp
  • V Rois de carnaval
  • VI Sanctuaires de lrsquoancien empire
  • Table des matiegraveres
Page 3: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006

I

Mystegraveres eacutegyptIens

A cocircteacute des rites ougrave se formulait lrsquoadoration quotidienne des dieux les temples drsquoEacutegypte connaissaient des ceacutereacutemonies drsquoun caractegravere plus speacutecial drsquoune signifi-cation reacuteserveacutee agrave une eacutelite de precirctres et de spectateurs ceacuteleacutebreacutees dans des eacutedifices isoleacutes agrave des dates deacutetermineacutees ou agrave drsquoautres heures que celles du culte reacutegulier Les Grecs appelaient ces ceacutereacutemonies des laquo Mystegraveres raquo en langue eacutegyptienne le mot qui les deacutefinit le mieux semble ecirctre aihou qui a le sens vague de laquo cho-ses sacreacutees glorieuses profitables raquo Quand on accomplissait pour le compte drsquoun dieu ou drsquoun homme les rites capables de le transfigurer en ecirctre sacreacute laquo iahou raquo on laquo faisait les choses sacreacutees raquo siahou drsquoougrave la ceacuteleacutebration de ce que jrsquoappellerai apregraves les Grecs les laquo Mystegraveres eacutegyptiens raquo

Comment se repreacutesenter ces Mystegraveres Ce sont des rites ougrave srsquoassocient des paroles et des gestes des choses dites et mimeacutees dont lrsquoaction se complegravete reacuteci-proquement Jamblique qui a disserteacute sur les Mystegraveres des Eacutegyptiens nous dit 2 laquo Des choses qui srsquoaccomplissent pour le culte certaines ont une signification mysteacuterieuse et impossible agrave rendre par les paroles drsquoautres repreacutesentent (par al-leacutegorie) quelque autre image de mecircme que la nature exprime les formes visibles des raisons cacheacutees raquo Ainsi les Mystegraveres comportent des actes symboliques dont le sens est plus profond lrsquoaction plus efficace que les priegraveres reacuteciteacutees ou les dog-mes formuleacutes laquo La connaissance ou lrsquointelligence du divin ne suffit pas pour unir agrave Dieu les fidegraveles sans quoi les philosophes par leurs speacuteculations reacutealiseraient lrsquounion avec les dieuxhellip Crsquoest lrsquoexeacutecution parfaite et supeacuterieure agrave lrsquointelligence drsquoactes ineffables crsquoest la force inexplicable des symboles qui donnera lrsquointelli-gence des choses divines raquo

Autrement dit certains actes mimeacutes certaines alleacutegories ou images symboli-ques agiront par la vertu de la magie sympathique plus efficacement que toute priegravere ou seront plus utiles agrave connaicirctre que tout dogme

Crsquoest la formule funeacuteraire des stegraveles de la VIe dynastie laquo qursquoil soit consacreacute par lrsquoofficiant et lrsquoOut raquo2 I Jamblique eacutecrivait au deacutebut du ive siegravecle ap J-C Le livre de Jamblique sur les mystegraveres a eacuteteacute reacuteeacutediteacute aux eacuteditions arbredorcom en 2006 Jamblique De Mysteriis I

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Il nrsquoest pas douteux qursquoen Eacutegypte agrave lrsquoeacutepoque pharaonique de telles ceacutereacutemo-nies agrave sens symbolique aient eacuteteacute en usage Heacuterodote nous affirme qursquoil en fut spectateur

laquo A saiumls se trouve le tombeau de celui que je me fais scrupule de nommerhellip Sur le lac (du temple) les Eacutegyptiens font de nuit la repreacutesentation des souf-frances subies par Lui (τά δείκηλα τῶν παθέων αὐτοῦ) ils les appellent des Mystegravereshellip τὰ καλεῦσι μυστήρια Sur ces Mystegraveres qui tous sans exception me sont connus que ma bouche garde un religieux silencehellip raquo mdash Par conseacute-quent les mystegraveres connus drsquoHeacuterodote sont bien des rites joueacutes et mimeacutes dont la signification est symbolique et ne peut ecirctre reacuteveacuteleacutee en paroles qursquoagrave des initieacutes Nrsquoemployons-nous pas dans le mecircme sens le mot mystegravere pour deacutesigner soit laquo les drames mystiques raquo joueacutes dans les eacuteglises au moyen acircge soit les dogmes qui deacutepassent notre intelligence

Plutarque agrave son tour nous informe que des Mystegraveres ont eacuteteacute inventeacutes par Isis en lrsquohonneur drsquoOsiris

laquo Isishellip ne voulut pas que les combats et les traverses qursquoelle avait essuyeacutes que tant de traits de sa sagesse et de son courage fussent ensevelis dans lrsquooubli et le silence Elle institua donc des Mystegraveres (τελετοί) tregraves saints qui devaient ecirctre des images des repreacutesentations et des scegravenes mimeacutees des souffrances drsquoalors (εἰκὀνας καὶ ὑπονοίας καὶ μιμημὰ τῶν τότε παθημάτων) pour servir de leccedilon de pieacuteteacute et de consolation pour les hommes et les femmes qui passeraient par les mecircmes eacutepreuves raquo

Ainsi drsquoapregraves Heacuterodote et Plutarque les plus importants des Mystegraveres eacutegyp-tiens se rapportent au culte drsquoOsiris

En effet aux dates critiques de la leacutegende osirienne la mort lrsquoensevelisse-ment la reacutesurrection du dieu de grandes fecirctes dramatiques eacutetaient ceacuteleacutebreacutees El-les neacutecessitaient de nombreux figurants et une mise en scegravene importante on les jouait partie en plein air devant le grand public partie agrave lrsquointeacuterieur des temples et parfois dans des eacutedifices speacuteciaux les laquo chapelles drsquoOsiris raquo

Nous allons donner des exemples de ces deux cateacutegories de Mystegraveres les uns joueacutes en public les autres vraiment secrets

Aucun monument ne nous a encore apporteacute la repreacutesentation directe la mise

II 70 Cf Sourdille Heacuterodote et la religion de lrsquoeacutegypte p 28 Lrsquoauteur croit agrave tort que ce que Heacuterodote appelle laquo Mystegraveres raquo est une importation des Grecs en Eacutegypte (p ) De iside et Osiride 27 Reacuteeacuted arbredorcom 2002

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

en scegravene de la mort drsquoOsiris cependant celle-ci nous est figureacutee agrave lrsquoeacutetat alleacutego-rique dans une fecircte de la veacutegeacutetation ou fecircte de la gerbe qursquoon ceacuteleacutebrait le er Pachons 6

Figure Fecircte de la gerbe Ramsegraves III tranche la gerbe et sacrifie le taureau blanc

Le roi mimait la mort drsquoOsiris dieu de la veacutegeacutetation 7 en coupant de sa fau-cille une gerbe et en immolant un taureau blanc consacreacute agrave Min dieu de lrsquoeacutener-gie feacutecondante Ce taureau divin est une des formes drsquoOsiris 8 sa mort et le deacutemembrement des eacutepis se rattachent eacutevidemment aux rites agraires en usage chez bien des peuples

Apregraves la moisson exactement le 22 Thot se jouait un autre Mystegravere celui de lrsquoensevelissement drsquoOsiris Nous le connaissons par une inscription de la XIIe dy-nastie la stegravele du precirctre Igernefert 0 Au temps du roi Senousrit III Igernefert

6 La fecircte est figureacutee au Ramesseum (Ramsegraves II) et agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) Cf Wilk-inson Manners and Customs III2 pl LX Daressy notice de Meacutedinet-Habou p 2 et suiv Lefeacutebure sphinx VIII p Pour le nom de la Fecircte cf pyr de teli I 287 Sur cette interpreacutetation cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 2 sq8 Osiris est la laquo grande victime raquo le taureau du sacrifice Pour le bleacute cf Lacau Textes religieux ap Recueil XXXI p 20 sur un sarcophage du Moyen Empire un deacutefunt dit laquo Je suis Osi-rishellip je suis Neper (le dieu du bleacute) coupeacute raquo Voir les textes reacuteunis par J Frazer Le rameau drsquoor II que je cite au chapitre rois de Carnaval0 Stegravele ndeg 20 de Berlin cf H Schaeligfer Die Osirismysterien in Abydos 0 Les textes si-milaires y sont citeacutes

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

reccedilut lrsquoordre de preacuteparer la fecircte drsquoOsiris dans le temple drsquoAbydos la ville sainte du dieu des morts On appelait ce Mystegravere la fecircte de la pert acircat laquo grande sortie raquo ou laquo grande procession funegravebre raquo il eacutetait joueacute par la famille mecircme du dieu Isis Nephthys Thot Anubis et Horus Igernefert assume le tocircle principal ce-lui drsquoHorus fils drsquoOsiris il preacutepare lui-mecircme les accessoires augustes parmi lesquels se remarquait une barque portative avec cabine en bois de sycomore et drsquoacacia incrusteacute drsquoor drsquoargent et de lapis-lazuli A lrsquointeacuterieur on installe une statue drsquoOsiris en bois Igernefert srsquoacquitte en personne du soin drsquoorner le corps drsquoOrisis drsquoamulettes en lapis-lazuli malachite eacutelectrum puis il habille lui-mecircme le dieu et le revecirct de ses couronnes et de ses sceptres en ses fonctions de laquo chef du Mystegravere raquo herj seshta 2 il se charge en outre des rocircles de laquo sacrificateur raquo et de laquo servant raquo

Quant agrave la ceacutereacutemonie elle-mecircme voici comment lrsquoinscription la deacutecrit Une procession se forme car le meurtre drsquoOsiris est censeacute accompli et son

corps rejeteacute sur la rive du fleuve On porte donc la barque vers le lieu de nadit ougrave gicirct le corps drsquoOsiris (que cette localiteacute fucirct ou non dans le voisinage drsquoAby-dos elle est supposeacutee lrsquoecirctre pour lrsquoaction dramatique ) Anubis en sa qualiteacute de chien cherche le cadavre et le trouve mais quand il srsquoagit de mettre dans la barque le corps du dieu une bataille srsquoengage entre les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth les Osiriens sont vainqueurs et eacutecrasent leurs adversaires

Le cortegravege funegravebre se forme autour du cadavre divin processionnellement on suit Osiris vers la barque preacutepareacutee et ameneacutee par Igernefert On met agrave lrsquoeau la barque et Thot la dirige vers le tombeau du dieu agrave repeqer

Pendant ce temps Horus continue la lutte contre les ennemis drsquoOsiris sur la rive de Nadit apregraves un combat acharneacute il reste vainqueur

A Repeqer mecircme Horus confirme le triomphe drsquoOsiris Une statue habilleacutee et pareacutee remplace lrsquoimage cadaveacuterique du dieu Triomphalement dans lrsquoalleacutegres-

Le grand deuil μέγα πένθος (deacutecret de Canope I 7)2 Drsquoapregraves le rituel de lrsquoembaumement (Maspero papyrus du Louvre p ) lors des veacuteritables funeacuterailles drsquoOsiris crsquoest Anubis qui aurait rempli ce rocircle de laquo chef du Mystegravere raquo Anpou herj seshta Schaeligfer p 6-8 En reacutealiteacute nadit semble ecirctre une localiteacute de la Basse-Eacutegypte Du moins un texte dateacute de Sabacon mais reacutedigeacute au moins sous la XVIIIe dynastie (J Breasted Aegyptische Zeitschrift XXXIX p ) affirme que crsquoest en Basse-Eacutegypte que le corps drsquoOsiris a eacuteteacute immergeacute dans le Nil laquo Jrsquoai organiseacute la sortie drsquoOupouatou quand il alla pour venger son pegravere jrsquoai combattu les adversaires de la barque neshemt et jrsquoai renverseacute les ennemis drsquoOsiris raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se de tous les habitants de lrsquoEst et de lrsquoOuest la barque revient agrave Abydos le dieu rentre dans son temple et srsquoinstalle sur son trocircne au milieu de sa cour divine

La repreacutesentation de la Passion et de la Mort drsquoOsiris srsquoaccompagnait certai-nement de la Reacutesurrection du dieu Or dans la grande Procession et la fecircte de la Moisson nous ne voyons pas figureacutes les rites qui provoquent cette reacutesurrection drsquoOsiris crsquoest pourtant le nœud du drame sacreacute Sans doute cet acte reacuteputeacute secret se jouait-il hors de la vue du public aussi nrsquoest-il pas reacuteveacuteleacute par les ins-criptions et les tableaux On peut supposer que la curiositeacute du peuple se tenait satisfaite du deacutenouement du drame puisqursquoOsiris est rameneacute triomphant dans son temple crsquoest qursquoeacutevidemment il a vaincu Seth il srsquoest releveacute de la mort A Meacute-dinet-Hahou on proclame lrsquoavegravenement au trocircne drsquoHorus fils drsquoIsis et drsquoOsiris crsquoest dire qursquoOsiris est ressusciteacute sous la forme de son fils 6 De mecircme Osiris ne mourait pas avec le bleacute moissonneacute le vieux dieu de la veacutegeacutetation allait renaicirctre au printemps avec le bleacute nouveau 7

Toutefois agrave certaines dates le grand public assistait au triomphe drsquoOsiris que symbolisaient des ceacutereacutemonies moins secregravetes telles que lrsquoeacuterection du Ded et la fecircte sed drsquoOsiris

La premiegravere est repreacutesenteacutee dans un tombeau theacutebain datant du regravegne drsquoAmeacute-nophis III (XVIIIe dynastie) Le dieu de Busiris a souvent comme feacutetiche un pilier agrave quadruple chapiteau celui-ci repreacutesente probablement quatre colonnes vues lrsquoune derniegravere lrsquoautre selon les regravegles de la perspective eacutegyptienne ou peut-ecirctre un tronc drsquoarbre eacutebrancheacute devenu par stylisation Ce pilier est parfois surmonteacute drsquoun chef couronneacute muni drsquoyeux et de bras qui tiennent les sceptres canoniques (fig 2)

6 A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 07 Voir plus loin rois de Carnaval p 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Seti Ier redresse lrsquoOsiris-ded et lrsquohabille

Coucheacute agrave terre il signifiait qursquoOsiris gisait mort releveacute et redresseacute il sym-bolisait la reacutesurrection du dieu Aussi agrave la fecircte de redresser le Ded (sacirchacirc Ded) voyons-nous le roi lui-mecircme tirer sur les cacircbles qui permettent de relever le feacutetiche en preacutesence de la reine des officiers royaux et de la cour Les leacutegendes attestent que ce pilier nrsquoest autre que le dieu mort sokaris-Osiris dont on avait repreacutesenteacute les jours preacuteceacutedents les funeacuterailles

Au-dessous des precirctres et du roi les habitants de pe et de Dep dansent ges-ticulent luttent et eacutechangent des coups de poing crsquoest la population de Bouto lrsquoancien royaume drsquoOsiris 8 Rappelons-nous les luttes que deacutecrit Heacuterodote laquo A Busiris lors de la fecircte drsquoIsis on voit se frapper apregraves le sacrifice tous les hommes ainsi que toutes les femmes en nombre prodigieux raquo

Nous voilagrave donc en preacutesence de jeux sceacuteniques illustrant un Mystegravere Les lut-teurs sont les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth ils en viennent aux mains pour soutenir chacun leur dieu Quelques textes conserveacutes deacutefinissent les gestes des personnages Lrsquoun crie laquo jrsquoai saisi Horus raquo un autre laquo que la main tienne ferme raquo un autre laquo frappe raquo Enfin quatre troupeaux de bœufs et drsquoacircnes faisaient quatre fois le tour du mur de la ville que figuraient-ils sinon les animaux drsquoOsiris et de Seth qui srsquoopposent Peut-ecirctre la fecircte se terminait-elle par la mise agrave mort des acircnes qui est rituelle dans des fecirctes analogues Ainsi une ville entiegravere se mobilise et srsquoagite becirctes et gens pour la reacutealisation drsquoune scegravene du mythe osirien 20

8 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 II 6 cf II 220 Brugsch Thesaurus inscriptionum aegyptiacarum p 0-8 mdash Ad Erman La religion

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Fecircte de lrsquoeacuterection du Ded au matin de la fecircte Sed

Le triomphe drsquoOsiris se proclamait encore publiquement agrave la fecircte Sed ougrave lrsquoon installait dans un naos agrave deux siegraveges une double effigie drsquoOsiris en costume de roi de la Haute et de la Basse-Eacutegypte Par devant le dieu flottait sur un piquet une peau drsquoanimal typhonien sacrifieacute

Crsquoest la neacutebride ou peau qui sert drsquoenveloppe out 2 au dieu Anubis qursquoon appelle agrave cause de cela im-out laquo celui qui est dans Out raquo Anubis srsquoaffuble de cette

eacutegyptienne p 7 mdash A Moret sarcophages de lrsquoeacutepoque bubastite agrave lrsquoeacutepoque saiumlte pl IV (Caire 00 bis)2 Le sens originel de out drsquoapregraves la neacutebride doit ecirctre laquo peau raquo et peut-ecirctre laquo vulve raquo (Parthey Vocabularium coptico-latinum s V p 2) aussi est-il deacutetermineacute parfois par lrsquoœuf Par ex-tension out deacutesigne lrsquoappareil de lrsquoensevelissement les bandelettes drsquoune momie (cf Brugsch W s p 2 et suiv sinouhit I 2 Maspero Contes populaires e eacuted p ) Le precirctre drsquoAnubis qui joue les rites de la peau drsquoAnubis pour le compte des deacutefunts ou du dieu en laquo habille raquo les deacutefunts il srsquoappelle lui-mecircme out lrsquoout drsquoAnubis (pyr de teacuteti I 6) Cf Lacau textes religieux (ap recueil XXX p 70) laquo Horus te purifie Out trsquohabille raquo variante laquo Anubis trsquoa consacreacute avec sa peau out raquo Lrsquoout apparaicirct degraves lrsquoeacutepoque preacutehistorique cf Petrie royal tombs II pl 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

peau pour les rites que jrsquoexpliquerai plus tard Lui et un precirctre revecirctu la de peau de panthegravere lrsquoiounmoutef font exeacutecuter au dieu triomphant divers rites que les rois drsquoEacutegypte imitaient lors de jubileacutes appeleacutes fecirctes de la queue (Sed) il en sera aussi question plus loin Enfin lrsquoeacuterection de deux obeacutelisques attestait par un symbolisme comparable agrave celui de lrsquoeacuteleacutevation du Ded redresseacute la stabiliteacute du dieu vainqueur 22 Cette fecircte tregraves solennelle commeacutemorait devant le peuple en-tier le triomphe de lrsquoEcirctre Bon

Figure La neacutebride devant Osiris

Au cours de ces drames mimeacutes avec le concours du populaire srsquointercalaient certaines ceacutereacutemonies laquo secregravetes raquo que tout Mystegravere comprend par deacutefinition Tout ce qui se ceacuteleacutebrait agrave ciel ouvert et en public nrsquoeacutetait qursquoun moyen de popu-lariser les peacuteripeacuteties de la vie drsquoOsiris sa mort sa passion son triomphe Quant aux rites qui assuraient infailliblement la reacutesurrection du dieu on ne les ceacuteleacutebrait qursquoagrave lrsquointeacuterieur du sanctuaire dans des locaux fort reacuteduits par les soins de precirc-tres speacuteciaux et de quelques laiumlques initieacutes et instruits des choses divines Qursquoil y ait eu dans le culte une partie laquo secregravete raquo et laquo reacuteserveacutee aux initieacutes raquo cela nrsquoest point douteux 2 Degraves les temps de lrsquoAncien Empire on nous parle des laquo rites

22 La fecircte sed drsquoOsiris est souvent repreacutesenteacutee sur les cercueils agrave partir du Nouvel Empire Cf les tableaux reproduits par G Moumlller (Aegyptische Zeitschrift XXXIX pl IV et V A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 27 et Chassinat sarcophages de Deir-el-Bahari I pl V2 Ceci explique la division en deux parties des temples degraves les temps les plus anciens Cf le dernier chapitre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sacreacutes ceacuteleacutebreacutes conformeacutement agrave ce livre secret de lrsquoart de lrsquoofficiant 2 raquo ceux qui le connaissaient se disaient laquo chefs du secret ou du Mystegravere raquo herj seshta agrave lrsquoexemple du dieu Anubis inventeur des rites de la momification et de la reacutesur-rection qui eacutetait par excellence le laquo chef du Mystegravere 2 raquo Chaque dieu chaque culte avait son laquo Mystegravere raquo et les precirctres qui leur eacutetaient affecteacutes posseacutedaient seuls ce laquo Mystegravere du dieu raquo ou ce laquo Mystegravere des paroles divines raquo En particulier les Mystegraveres des funeacuterailles srsquoappelaient laquo les choses drsquoAbydos 26 raquo La tradition est si bien eacutetablie agrave ce sujet que Jamblique au livre des Mystegraveres (VI et 7) rappelle en termes analogues laquo les choses secregravetes drsquoAbydos raquo τὰ ἀπόρρητα τὰ κρύπτὰ

ἐν Άϐύδῳ

Les monuments nous montrent que des rites secrets rappelaient chaque jour les peacuteripeacuteties de la passion et de la reacutesurrection drsquoOsiris

Dans les grands temples ptoleacutemaiumlques qui sont parvenus jusqursquoagrave nous intacts ou peu srsquoen faut agrave Edfou Dendeacuterah et Philaelig on a retrouveacute les salles affecteacutees agrave la ceacuteleacutebration des Mystegraveres journaliers Elles sont releacutegueacutees dans les parties du sanctuaire dont lrsquoaccegraves est difficile ou interdit au public A Philaelig il existe un petit temple drsquoOsiris composeacute de deux chambres sur le toit en terrasse de lrsquoeacutedifice mais les rites journaliers sont deacutecrits par des tableaux graveacutes sur les faces des architraves du pronaos 27 A Dendeacuterah deux petits eacutedifices ont eacuteteacute consa-creacutes sur la terrasse du temple aux Mystegraveres drsquoOsiris lrsquoun drsquoeux que Manette appelle la chapelle drsquoOsiris du Sud est reacuteserveacute au culte journalier A Edfou deux chambres voisines du sanctuaire sont deacutedieacutees agrave Osiris-Sokaris Edfou a surtout conserveacute les textes des formules reacuteciteacutees mais Philaelig et Dendeacuterah srsquoils nous donnent moins de textes nous ont gardeacute des bas-reliefs ougrave sont figureacutes les personnages en scegravene et leurs gestes

2 J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl XXII (VIe dynastie) Mecircmes expressions ap Mariette Mastabas p Lepsius Denkm II 72 Mastabas p 7 Au rituel de lrsquoembaume-ment on cite les laquo livres secrets des rites raquo (Maspero papyrus du Louvre p 8 Virey religion p 278)2 Voir plus haut p n Le titre laquo chef du Mystegravere raquo nrsquoest drsquoailleurs pas speacutecialiseacute aux choses divines Tout office ou meacutetier pouvait ecirctre en Eacutegypte quelque peu secret en dehors des gens de meacutetier de mecircme que dans notre moyen acircge lrsquoart et mystegravere de tel ou tel meacutetier comportait des secrets bien gardeacutes Mais cette geacuteneacuteralisation du sens du titre herj seshta nrsquoimplique pas qursquoil ne puisse deacutesigner parfois les officiants preacuteposeacutes aux rites secrets26 VI et 7 Lrsquoexpression apparaicirct au tombeau de Neherj agrave Beacuteni-Hasan (Lepsius Denkm II 27) Le deacutefunt est repreacutesenteacute laquo naviguant pour connaicirctre ce qui concerne Abydos raquo crsquoest-agrave-dire les rites drsquoAbydos (hent r reh hert ibdou)27 Beacuteneacutedire philaelig IIe fasc p 7-2 et pl LI-LVIII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Le deacutecor comporte une statue drsquoOsiris enveloppeacute du maillot funeacuteraire un lit sur lequel la momie divine est eacutetendue diffeacuterents accessoires tels que couronnes sceptres armes des vases pleins drsquoeau beacutenite pour les libations des cassolettes drsquoencens et de myrrhe pour les fumigations 28

Le personnel se compose de precirctres qui jouent les rocircles de la famille osirienne Sont preacutesents Shou Geb le pegravere et lrsquoaiumleul drsquoOsiris Horus son fils Anubis Thot ses fregraveres ou parents et les enfants drsquoHorus les deacuteesses Isis et Nephthys femme et sœur drsquoOsiris et drsquoautres deacuteesses qui remplissent le rocircle de pleureuses A cocircteacute de ces precirctres acteurs il y avait les precirctres reacutecitants qui disaient les for-mules ce sont lrsquoofficiant qui reacutecite les textes le servant qui exeacutecute les rites tels que libations fumigations et qui manie les instruments magiques le prophegravete qui participe aux libations le grand voyant admis agrave voir le dieu

Les textes insistent sur le fait qursquoil y a une garde une faction monteacutee pendant les 2 heures du jour et les 2 heures de la nuit par les diviniteacutes eacutenumeacutereacutees laquo Elles veillent sur lui tout le jour elles gardent son corps constamment elles veillent sur lui lorsque la nuit vient et gardent ses membres jusqursquoau matin raquo Elles se chargent aussi laquo drsquoeacutecarter les ennemis de la couche funegravebre raquo Pour cela les diffeacuterents dieux laquo ont partageacute le jour et la nuit en heures 2 raquo et lrsquoun drsquoentre eux laquo prend la garde raquo chaque heure du jour et de la nuit Pendant que le dieu de service surveille lrsquoentreacutee possible des adversaires les autres exeacutecutent divers rites qursquoil nous faut maintenant exposer

Le drame comprend vingt-quatre scegravenes qui se succegravedent chaque heure de la nuit et du jour il commence agrave la premiegravere heure de la nuit (6 h du soir) et se termine agrave la derniegravere heure du jour suivant ( agrave 6 h du soir 0) De la premiegravere

28 Les deux chapelles drsquoOsiris agrave Dendeacuterah sont deacutecoreacutees de reliefs qui figurent ces divers acces-soires et statuettes (Cf Mariette Dendeacuterah t IV Budge Osiris II p 2 sq)2 II Junker Die studenwachen in den Osirismyrerien (Akad der Wiss Wien philos-hist Klas-se B LIV 0) p 2 et 0 M Junker dans sa remarquable publication des textes de Philaelig Edfou Dendeacuterah donne drsquoabord les 2 heures du jour suivies des 2 heures de la nuit Il nrsquoa pas remarqueacute que lrsquoordre des ceacutereacutemonies srsquooppose agrave ce classement Les rituels des Pyramides et ceux de lrsquooup-ra commen-cent par les libations et fumigations puis viennent le sacrifice des victimes la reacutesurrection du dieu les hymnes drsquoadoration et agrave la lin la fermeture des portes Crsquoest bien lrsquoordre observeacute ici agrave condition de commencer non par les heures du jour mais par celles de la nuit On sait drsquoailleurs que chez les Eacutegyptiens on compte les 2 heures drsquoune journeacutee complegravete agrave partir du soir agrave 6 heures (cf Ed Mahler eacutetudes sur le Calendrier eacutegyptien ap Museacutee Guimet Bibliothegraveque drsquoeacutetudes t XXIV p 7) Jrsquoobserverai donc pour ce reacutesumeacute des rites osiriens un ordre qui est lrsquoinverse de celui suivi par M Junker

Les Mystegraveres eacutegyptiens

heure agrave la derniegravere il y a progression dans le rite qui aboutit par eacutetapes agrave la reacute-surrection du dieu Cependant cette progression est peu sensible pour la raison suivante chaque heure est traiteacutee sceacuteniquement comme un petit drame com-plet ougrave le dieu passe successivement de la mort agrave la reacutesurrection Au deacutebut de chaque heure le dieu de garde entre avec ses comparses ils font agrave Osiris tel ou tel rite libation fumigation preacutesentation drsquooffrandes Vers le milieu de lrsquoheure on crie laquo Legraveve-toi reacuteveille-toi Osiris tu es triomphant Osiris tes ennemis sont renverseacutes raquo Malgreacute la proclamation de ce triomphe Isis nrsquoen reprend pas moins ses lamentations sur la mort de son eacutepoux et ses promesses de reacutesurrection Il semble que pour chaque heure il y ait un point de deacutepart qui est la mort du dieu un moment de triomphe sa reacutesurrection et un deacuteclin progressif qui ramegravene le dieu agrave sa deacutetresse premiegravere Puis les rites et les formules de lrsquoheure suivante tirent agrave nouveau Osiris de sa deacutetresse pour lrsquoy plonger derechef agrave la fin de la scegravene

Pour donner une ideacutee drsquoensemble de ce Mystegravere osirien il faut grouper les actes et les paroles Voici alors quelle description scheacutematique je pourrais preacute-senter

Les lamentations des pleureuses Isis et Nephthys deacutefinissent tout drsquoabord non sans eacuteloquence la deacutetresse du dieu laquo O Osiris je suis ta sœur Isis jrsquoai parcouru pour toi les chemins de lrsquohorizon je parcours la route du (soleil) Brillant hellip Jrsquoai traverseacute les mers jusqursquoaux frontiegraveres de la terre cherchant le lieu ougrave eacutetait mon seigneur 2 jrsquoai parcouru nadit dans la nuit jrsquoai chercheacutehellip celui qui est dans lrsquoeauhellip dans cette nuit de la grande deacutetresse Jrsquoai trouveacute le noyeacute de la terre de la premiegravere fois (sur cette rive de Nadit)hellip (var) sur cette rive nord drsquoAbydos Jrsquoai crieacute jusqursquoau ciel et jusqursquoaux habitants de lrsquoHadegraveshellip Mes doigts ont habilleacute (son corps) nu jrsquoai embrasseacute ses membres hellip Jrsquoai donneacute des souffles agrave sa narine pour qursquoil vive et que son gosier srsquoouvre en ce lieu sur la rive de Nadit en cette nuit du grand Mystegravere (seshta our )

laquo Je viens pour te pleurer ocirc grand dieu je pleure et je crie sur les hauteurs de Nadit Busiris se lamente 6 je trsquoamegravene tous les cœurs dans le deuil et lrsquoon te fait les grands rites (siaḫou ourou 7)

2e heure du jour2 2e heure de la nuit re heure du jour Chercheacute trouveacute mots sacramentels qui deacutesignent les phases de la quecircte du corps divin Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 87 2e heure de la nuit re heure du jour6 2e heure du jour7 2e heure de la nuit

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo O vous dieux pegraveres deacuteesses megraveres lamentez-vous de ce que vous voyez lamentez-vous de ce que vous entendez il vient celui qui vient dans la nuit il vient mon seigneur dans la nuit Geb lui amegravene les dieux ils le portent comme leur seigneur vers une place pure du ciel Allons pleurons-le lamentons-nous pleurons-le car il est abandonneacute Je viens et je me lamente dans mon cœur je pleure mes larmes moi ta sœur au cœur meurtri ta femme malade de dou-leurhellip8 raquo

Ces lamentations que nous connaissons aussi sous une forme plus litteacuteraire et plus complegravete par un papyrus conserveacute au museacutee de Berlin eacutetaient exeacutecuteacutees par des femmes agenouilleacutees sachant pleurer et deacutenouer leurs chevelures comme nrsquoont pas leurs pareilles les pleureuses drsquoOrient

Ainsi que le promettaient les Lamentations des dieux peacutenegravetrent dans le laquo lieu pur raquo (ouacircbt) ougrave gicirct Osiris mort ceux dont le rocircle est le plus actif sont Horus le fils du dieu deacutefunt Anubis son fregravere ou son parent Thot son allieacute Ils sont por-teurs drsquoinstruments magiques tels que cette baguette en forme de serpent qursquoon appelle laquo la grande magicienne raquo et lrsquoherminette drsquoAnubis Ils apportent aussi des vases pleins drsquoeau fraicircche de lrsquoencens et sept sortes de fards et drsquohuiles pour des onctions Les rites commencent parles libations et les fumigations

A six heures du soir on apporte un vase drsquoeau fraicircche Cette eau vient du Nil or le Nil est un eacutecoulement de lrsquooceacutean primordial le noun ougrave gisaient avant la creacuteation les germes de toutes choses et de tous les ecirctres 0 Le reacutecitant qui ap-porte le vase dit emphatiquement laquo Voici votre essence ocirc dieux le noun qui vous fait vivre en son nom de Vivanthellip Cette eau trsquoenfante comme racirc chaque jour elle te fait devenir comme Chepra 2 raquo En effet Racirc ou Chepra eacutetait sorti le pre-mier des dieux du noun au deacutebut du monde par la force de la libation Osiris renaicirct donc du noun primordial comme naquit Racirc au jour de la creacuteation

Degraves lors Osiris ne reste plus sur terre laquo il passe (au ciel) avec son Ka raquo com-me font les autres dieux Et lrsquoassistance srsquoexclame laquo Oh combien purs combien beaux sont ces rites mysteacuterieux drsquoOsiris Ounnefer raquo On brucircle alors lrsquoencens

8 6e heure de la nuit Voir dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 le texte du vocero drsquolsis drsquoapregraves le papyrus de Berlin0 re de la nuit p 66-67 Cf Au temps des pharaons p 28 et plus loin p 02 P 67-68 Le mort osirien renaicirct du noun (pyr drsquoOunas I 200) P 6 P 7

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo le parfum qui divinise raquo et lrsquoofficiant et la grande pleureuse alternent en paroles solennelles

Lrsquoofficiant laquo Le ciel se reacuteunit agrave la terre raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Lrsquoofficiant laquo Le dieu vient Rendez hommage raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Et ils frappent leurs tambourinsLrsquoofficiant et la pleureuse ensemble laquo La terre et le ciel sont en joie et se reacutejouis-

sent raquolaquo Notre seigneur est dans sa maison et il nrsquoa plus de crainte raquo ( fois)La deuxiegraveme libation apporteacutee agrave la 2 heure de la nuit est lrsquoeau fraicircche laquo qui

vient de ce pays raquo (et non du Noun) laquo elle suscite toutes les choses que donne ce pays 6 raquo et Osiris gracircce agrave elle laquo vivra de toutes les choses qursquoil peut aimer 7 raquo

La troisiegraveme libation a pour effet que laquo le dieu passe vers son pays dans ce lieu ougrave il a eacuteteacute enfanteacute et ougrave il est neacute de Racirc et ougrave chacun des dieux passe sa vieillesse avec ses enfants ainsi vont-ils au pays ougrave ils sont neacutes cette terre primordiale ougrave ils sont neacutes de Racirc ougrave ils vivaient eacutetant petits ougrave ils sont devenus adolescents crsquoest lagrave que tu es neacute que tu as grandi que tu deviendras vieux sain et sauf Prends cette eau qui vient de ce pays 8 raquo

La quatriegraveme libation est lrsquoeau fraicircche sortie drsquoEleacutephantine qui rafraicircchit et met en joie le cœur des dieux

Les autres libations et fumigations qui occupent les heures suivantes ne font que confirmer les reacutesultats deacutejagrave obtenus

Ces premiers rites accomplis les dieux exeacutecutent sur le corps drsquoOsiris une seacuterie de miracles qui se reacutepartissent sur les diffeacuterentes heures de la nuit et du jour

Mystegravere de la reconstitution du corps Osiris avait eacuteteacute deacutemembreacute par Seth Mais Isis et Nephthys ont retrouveacute chacun des lambeaux divins laquo elles mettent en ordre le squelette elles purifient les chairs reacuteunissent les membres seacutepareacutes 0 raquo puis la tecircte du dieu est assujettie sur le corps Les bras drsquoIsis et drsquoHorus entou-

P 7-726 P 77 P 808 P 87 P 0 e heure de la nuit p 8 2e heure du jour p 8-

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rent alors le cadavre reconstitueacute et le raniment par des passes magneacutetiques qui rappellent lrsquoacircme

Mystegravere du corps revivifieacute Avec lrsquoeau sainte qui donne la vie et la force et les nombreux fards et huiles preacutesenteacutes pendant les douze heures du jour on fait des onctions sur la bouche les yeux les oreilles et les diffeacuterents membres du corps reconstitueacute 2 Drsquoautre part la laquo grande magicienne raquo touche les mecircmes organes Ainsi la bouche les yeux les oreilles peuvent respirer parler et manger voir entendre les bras peuvent agir et les jambes marcher Crsquoest un miracle ducirc agrave la magie qui en imitant les mouvements propres agrave chaque membre ou agrave chaque organe a susciteacute le reacuteveil des fonctions dans chacun drsquoeux

Ces rites qui preacuteparent la renaissance du cadavre osirien nrsquoempecircchent point lrsquoemploi de pratiques ou de formules qui preacutevoient la renaissance par drsquoautres moyens

Mystegravere de la renaissance veacutegeacutetale A la e heure du jour on suppose que le corps rassembleacute momifieacute drsquoOsiris est enterreacute agrave Busiris Crsquoest ce qursquoon appelle laquo se reacuteunir agrave la terre agrave Busiris raquo Dans la terre se passait le mystegravere de la renais-sance veacutegeacutetale crsquoest-agrave-dire de la reacutesurrection drsquoOsiris compareacutee agrave la renaissance annuelle de la veacutegeacutetation Sur ces rites le culte journalier ne donne point de deacutetails mais nous les trouvons deacutecrits agrave Dendeacuterah dans le reacutecit des grandes fecirctes de Choiak 6

Mystegravere de la renaissance animale Dans cette mecircme e heure du jour on an-nonce agrave Osiris un autre mode de renaissance des victimes vont ecirctre ameneacutees et sacrifieacutees agrave la porte de lrsquoouacircbt (e et 6e heures du jour) Leur peau qui suivant les textes est la peau de Seth lrsquoadversaire 7 va servir de linceul pour envelopper Osiris crsquoest un laquo berceau raquo de peau (meshent 8) ougrave le dieu renaicirctra comme un enfant ou un animal laquo Salut agrave toi dit Isis Voici ta meshent la maison ougrave le ka divin renouvelle la vie raquo La peau assez souvent est celle drsquoune vache (le cette faccedilon on eacutevoque nout deacuteesse-vache du ciel megravere drsquoOsiris qui enfantera le

e heure de la nuit p 208 2e heure du jour p 2 e heure de la nuit p 0 2e heure du jour p 0 re heure du jour p Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 6 e heure du jour p 6 Traduit par V Loret recueil de travaux III-V Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 807 Junker p cf Maspero pap du Louvre p 08 Sur meshent (variantes meska mesi mesqet) cf Lefeacutebure proceedings s B A XV p et suiv et sphinx VIII p 7 Meshent est le nom drsquoune diviniteacute de lrsquoaccouchement e heure du jour p 0

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Veau-Soleil auquel Osiris est compareacute 60 Aussi agrave la e heure du jour dira-t-on agrave Osiris eacutetendu sous la peau que laquo sa megravere Nout srsquoapproche de lui et lui parle Oh relegraveve-toi mon seigneur dit la megravere Nout Me voici pour te proteacuteger je mrsquoeacutetends sur toi en mon nom laquo mystegravere du ciel 6 raquo

Le dieu qui preacuteside agrave ces rites est Anubis celui qui a pour insigne la neacutebride la peau de becircte attacheacutee agrave un pieu crsquoest lui qui dirige le sacrifice des victimes dont la peau sera le berceau drsquoOsiris renaissant Drsquoapregraves le Livre des Morts Anu-bis ne se contentait pas de faire passer Osiris par la peau-berceau Lui-mecircme (ou le precirctre qui jouait son rocircle) laquo passait sur raquo la peau 62 coucheacute il y prenait comme nous le verrons plus loin lrsquoattitude replieacutee du fœtus dans la matrice On croyait que les charmes de la magie imitative rendaient efficace ce simulacre de gesta-tion quand Osiris (et Anubis qui srsquoest substitueacute agrave lui) laquo sortent raquo sur la peau ils renaissent comme srsquoils sortaient du sein maternel Drsquoapregraves une autre tradition Horus fils drsquoOsiris traversait aussi la meshent pour son pegravere Les rituels anciens nous apprennent qursquoHorus passait encore au nom de son pegravere sur une autre peau-berceau le shedshed dont il sera question plus loin Mais dans les textes que nous analysons crsquoest Anubis et la meshent qui sont lrsquoun lrsquoagent lrsquoautre le berceau de la renaissance drsquoOsiris

A la 6e heure du jour on constate que laquo sa megravere Nout lrsquoa conccedilu en son temps et lrsquoa enfanteacute suivant le greacute de son cœur 6 raquo Pour attester cette reacutesurrection on eacuterige le pilier feacutetiche drsquoOsiris On ne fait ici que rappeler le souvenir de cette ceacutereacutemonie nous avons vu plus haut avec quel eacuteclat on la ceacuteleacutebrait le jour de la fecircte laquo drsquoeacuteriger le pilier raquo

A midi Osiris ressuscite en mecircme temps le soleil agrave son point culminant de midi eacutecarte les esprits des teacutenegravebres Pendant les six derniegraveres heures du jour les dieux de garde adorent Osiris et lui disent laquo Eacuteveille-toi en paix 6 raquo Le roi en per-sonne apparaicirct un instant agrave la e heure et apporte des offrandes (per-hrou ) A la 2e heure du jour lrsquooffice est termineacute on allume les lampes (pour eacutecarter les esprits des teacutenegravebres car il est six heures du soir) et on ferme les portes non sans avoir dit des paroles encourageantes au dieu laquo En paix Osiris Ah comme ces chants sont joyeux Comme ces femmes sont bonnes pour ton ka Que tu es

60 A Moret rituel de culte divin p208 Cf Sethe pyr II p 776 Junker p -662 Todtenbuch ch xvii (eacuted Naville II p 60 mdash Cf eacuted Budge eh clxxvi p 60) Voir agrave ce sujet Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (p s B A XV p )6 6e heure du jour p 76 0e heure du jour p 6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

beau beau dans ton repos Oh toi qui vis ta femme vient trsquoembrasser salut agrave toi acircme des dieux 6 raquo

Ce qui reste dans la chapelle nrsquoest drsquoailleurs que le corps divin Deacutejagrave lrsquoacircme drsquoOsiris ressusciteacute est partie pour le Ciel mais le corps comme lrsquoacircme jouissent deacutesormais de tous les privilegraveges des dieux

Ces privilegraveges sont deacutefinis par une eacutepithegravete qui revient comme un refrain au milieu de chaque heure laquo Tu es macirc-hrou Osiris chef de lrsquooccident 66 raquo Cette eacutepithegravete reacutesume un pouvoir miraculeux des ecirctres diviniseacutes par les rites Leur voix dans leur bouche quand elle profegravere des sons inarticuleacutes et agrave plus forte raison quand elle eacutemet des paroles ayant un sens deacutetermineacute a ce pouvoir creacuteateur que les Eacutegyptiens attribuaient au Verbe du Dieu deacutemiurge 67 La parole creacuteatrice permet au dieu de reacutesoudre toutes les difficulteacutes de deacutejouer toutes les ruses de preacutevenir tous les dangers par la faculteacute de creacuteer immeacutediatement ce qui est neacutecessaire en toute circonstance Gracircce agrave ces deux miracles permanents de la voix creacuteatrice (macirc-hrou) et de la voix productrice drsquooffrandes (per-hrou) le dieu pouvait seacutejourner en paix dans son naos Une derniegravere terreur lui reste peut-ecirctre celle de mourir une seconde fois 68 si Seth renouvelle ses attaques La vie nouvelle drsquoOsiris est vraiment preacutecaire mais le culte a eacuteteacute institueacute pour eacutecarter du dieu toute crainte en renouvelant chaque jour le Mystegravere du sacrifice et de la reacutesurrection

Jusqursquoici nous avons vu ce qui dans les Mystegraveres osiriens se rapporte agrave Osiris Mais ceux qui ceacutelegravebrent les Mystegraveres ne se proposent pas seulement comme but de perpeacutetuer le culte et par lagrave le salut eacuteternel drsquoun dieu ils preacutetendent srsquoattri-buer agrave eux-mecircmes les bienfaits des rites et participer agrave lrsquoimmortaliteacute qursquoils ont au prix de tant drsquoefforts assureacutee agrave Osiris Crsquoest ce que dit Plutarque 6 quand il fait remonter agrave la deacuteesse Isis lrsquoinvention des Mystegraveres qui commeacutemorent la passion de son fregravere et eacutepoux Osiris Isis institua des Mystegraveres laquo pour servir de leccedilon de pieacuteteacute et de consolation pour les hommes et les femmes qui passeraient par les mecircmes eacutepreuves raquo

Voyons donc comment les hommes tiraient beacuteneacutefice des Mystegraveres osiriensDrsquoabord crsquoest en vertu drsquoune loi geacuteneacuterale tout homme mort auquel on ap-

6 P 666 P 267 Voir plus loin Le Verbe creacuteateur p 768 e heure de la nuit p 86 De iside et Osiride 27

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plique les rites osiriens par un effet de magie imitative ressuscitera comme Osi-ris A cet effet la famille du deacutefunt reconstitue dans la maison ou le tombeau le drame de la mort et des funeacuterailles drsquoOsiris 70

Comme le fils de Geb et de Nout lrsquohomme mort est censeacute avoir eacuteteacute assassineacute par Seth jeteacute au fleuve repecirccheacute puis deacutemembreacute et retrouveacute une seconde fois La veuve jouait alors le rocircle drsquoIsis le fils remplissait le rocircle drsquoHorus ses amis ceux drsquoAnubis et de Thot 7 la famille proceacutedait agrave la reconstitution du corps deacute-membreacute et modelait une momie agrave lrsquoinstar de celle drsquoOsiris Au deacutebut des temps historiques la preacutesence dans les neacutecropoles de cadavres mis en morceaux par imitation des rites osiriens prouve qursquoon ne reculait devant aucune des conseacute-quences pratiques de cette theacuteorie mais dans la suite il parut suffisant de reacuteciter les formules qui assimilaient lrsquohomme agrave Orisis deacutemembreacute et reconstitueacute lrsquoon se bornait agrave faire une momie crsquoest-agrave-dire que lrsquoidentification avec Osiris semblait acquise degraves qursquoon transformait le cadavre agrave lrsquoimage du dieu momifieacute

Sur ce corps reconstitueacute et momifieacute la famille faisait exeacutecuter par les precirctres les ceacutereacutemonies deacutecrites par les rituels osiriens purifications qui lavent lrsquohomme de toutes les impureteacutes laquo qui ne doivent plus lui appartenir dans lrsquoautre monde raquo ouverture de la bouche et des yeux (oup-ra) qui ressuscitent la vie physique et intellectuelle renaissance veacutegeacutetale et animale qui de la deacutepouille mortelle font sortir un corps glorieux offrandes laquo sortant agrave la voix raquo cette voix creacuteatrice qui assure au nouvel Osiris la puissance contre ses ennemis et le garantit agrave jamais de la soif et de la faim Ainsi lrsquoaffilieacute au culte osirien srsquoapplique personnellement tout ce que son zegravele a assureacute au dieu son patron lui aussi renouvelle sa vie aussi vrai qursquoOsiris est vivant aussi vrai vivra-t-il agrave jamais

Les milliers de tombeaux qui ont eacuteteacute ouverts dans la valleacutee du Nil nous mon-trent par leurs tableaux que ces Mystegraveres eacutetaient joueacutes pour tout deacutefunt Il serait fastidieux de revenir ici sur les formules ou les gestes que nous avons deacutejagrave commenteacutes agrave propos drsquoOsiris lui-mecircme mais certains eacutepisodes repreacutesenteacutes dans les tombeaux projettent une lumiegravere tregraves vive sur quelques points resteacutes eacutenigma-tiques dans les rites deacutecrits plus haut

Le cortegravege qui accompagne le mort-dieu offre quelquefois drsquointeacuteressantes scegrave-nes de lamentations et de mimique funegravebres Un tombeau de la VIe dynastie

70 Voir les rituels funeacuteraires des Pyramides (eacuted Maspero et eacuted Sethe) et les laquo Livres de lrsquoOuverture de la bouche et des yeux raquo (Schiaparelli Libro dei funerali) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p sq7 Cf la formule des stegraveles funeacuteraires laquo Isis et Nephthys se sont lamenteacutees sur lui Anubis lui-mecircme lrsquoa fait momie raquo (Vienne stegravele ap Bergmann Das Buch vom Durehwanden der ewigkeit p 2-0)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

repreacutesente hommes et femmes tombant agrave terre tels qursquoOsiris et releveacutes par des comparses Ceux-ci semblent jouer le rocircle de laquo la grande pleureuse Isis 72 raquo au moment ougrave elle se lamente et laquo eacutebranle de ses cris le Ciel et lrsquoHadegraves raquo

Figure Les officiants miment la mort drsquoOsiris

Ailleurs crsquoest le rite de la renaissance veacutegeacutetale qui est preacutesenteacute de la plus inteacute-ressante maniegravere Dans plusieurs tombeaux de la XVIIIe dynastie on a retrouveacute des cadres en toile recouverts drsquoune couche de terreau disposeacutee en silhouette drsquoOsiris Des grains avaient eacuteteacute semeacutes lrsquoherbe avait pousseacute et on lrsquoavait tondue agrave une longueur de 0 m 0 de faccedilon agrave donner une verdoyante effigie drsquoOsiris veacutegeacutetant Sur les momies mecircmes on disposait parfois des grains de ceacutereacuteales ou des oignons de fleurs pour que leur germination ou leur floraison parucirct attester la reacutesurrection du deacutefunt 7

Une importance plus grande encore est donneacutee agrave la repreacutesentation de ce que jrsquoai appeleacute la renaissance animale Nous touchons ici agrave un des laquo secrets raquo les plus mysteacuterieux des rites eacutegyptiens et sur lesquels les monuments sont le plus avares drsquoexplications Le sujet nrsquoayant eacuteteacute que peu eacutetudieacute jusqursquoici je lui donnerai un

72 Cf J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl LXX et suiv7 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 02 et pl XI

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

deacuteveloppement particulier justifieacute par lrsquoantiquiteacute et lrsquoimportance des pratiques magiques qui srsquoy reacutevegravelent

En theacuteorie crsquoeacutetait le mort lui-mecircme qui renouvelait sa vie en passant par la peau des victimes 7 ainsi avait fait Osiris ainsi devait faire tout homme soucieux de son salut des monuments montrent en effet le deacutefunt ou lrsquoinitieacute exeacutecutant lui-mecircme le rite Mais drsquoordinaire le passage par la peau est confieacute agrave des officiants et neacutecessite des victimes humaines ou animales Cet eacutepisode offre plusieurs variantes

Figure 6Le tikenou hacircleacute sur un traicircneau

Le thegraveme originel semble avoir eacuteteacute celui-ci un homme ou plusieurs hommes sont eacutegorgeacutes pour que leur vie sacrifieacutee rachegravete le deacutefunt de la mort Au deacutebut et peut-ecirctre jusqursquoassez tard dans la peacuteriode historique on immolait reacuteellement des victimes humaines qui figuraient Seth lrsquoennemi de tout ecirctre osirien Dans la

7 Les tombeaux dont les textes ou les tableaux seront utiliseacutes ci-apregraves sont ceux de Sehete-pibracirc (XIIe dyn) publieacute par Quibell (ramesseum pl IX) de Sebekneht (XIIe dyn) publieacute par Tylor (pl III) de Renni et Paheri (publieacutes par Tylor) de Rehmacircracirc (publieacute par Virey Mission du Caire t V ) de Montouherjhepshef (publieacute par Maspero Mission du Caire t V ) de Menni (Maspero Archeacuteologie eacutegyptienne p 7) des scegravenes analogues sont figureacutees aux tombeaux de Nebamon (recueil de travaux IX p 7) et de Sennefer (Virey ap recueil XX p 22 sq et XXI p 28) ceux-ci sont de la XVIIIe dynastie Voir aussi le tombeau drsquolbi dateacute de Psammeacute-tique Ier (Scheil Mission du Caire V pl IX)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

suite on sacrifia le plus souvent des eacutetrangers probablement des prisonniers de guerre Nubiens ou Europeacuteens Au tombeau de Montouherjhepshef deux Nu-biens la corde au cou sont repreacutesenteacutes au moment ougrave ils vont ecirctre eacutetrangleacutes 7

Figure 7o Le tikenou ameneacute vers la laquo peau raquo2o Sacrifice des victimes animales

o Sacrifice des Nubiens

Un adoucissement agrave ce rite barbare fut la substitution des victimes animales aux victimes humaines Les animaux eacutetaient le taureau la gazelle lrsquooie le porc identifieacutes agrave Seth lrsquoadversaire Ces victimes animales payaient agrave la mort le tribut obligatoire et en rachetaient le deacutefunt 76 Lrsquoeacutegorgement des animaux srsquoaccompa-gnait toutefois drsquoun simulacre du sacrifice humain on faisait passer un homme ou un mannequin agrave travers la peau drsquoun taureau ou drsquoune gazelle sacrifieacutes

7 Cf G Maspero eacutetudes de mythologie I p 20876 Les theacuteologiens eacutegyptiens affirmaient que crsquoeacutetait lagrave lrsquoorigine des sacrifices drsquoanimaux laquo les victimes remplacegraverent les sacrifices humains raquo mdash Cf Au temps des pharaons p 22

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8On ouvre la terre et on creuse la fosse

Au tombeau de Montouherjhepshef on voit un personnage le tikenou ame-neacute sur un traicircneau en face drsquoune grande peau de becircte 77 La scegravene ougrave le Tikenou srsquohabille de la peau nrsquoest pas conserveacutee mais plus loin dans un trou creuseacute en terre on voit brucircler la peau la cuisse le cœur du taureau et aussi des cheveux du Tikenou qui sont jeteacutes lagrave semble-t-il pour remplacer le personnage lui-mecircme le sacrifice de la partie eacutequivalant agrave celui du tout Dans la flamme le simulacre de lrsquohomme et la peau de la victime montent vers le ciel emmenant avec eux le deacutefunt dans un monde divin

Figure On brucircle la peau le cœeur de la victime et les cheveux du tikenou

77 Les textes appellent la peau ou le lieu ougrave se trouve la peau mest meska meseq meshent en tous ces noms se trouve le radical mes = naicirctre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Crsquoest Anubis qui avait reacuteveacuteleacute aux dieux et aux hommes ce moyen de renaicirctre que les rituels deacutefinissent en ces termes laquo Il a passeacute pur sur la peau-berceau raquo pour le compte drsquoOsiris (todtenbuch ch xvii I 8) Ce rite semble avoir eacuteteacute en usage degraves lrsquoAncien Empire Lors des funeacuterailles les bas-reliefs des mastabas nous montrent la barque funeacuteraire amenant agrave la neacutecropole le cadavre sous la protection du precirctre drsquoAnubis lrsquoOut 78 Le cadavre nrsquoest pas seul dans la barque bien qursquoon ne distingue pas ce qui se passe dans le naos-cabine on peut supposer que le Tikenou y eacutetait aussi du moins dans les tombeaux theacutebains du Nouvel Empire agrave El Kab et agrave Thegravebes voit-on degraves que la barque a abordeacute le Tikenou ameneacute sur la rive et installeacute sur un traicircneau qursquoon traicircnait jusqursquoagrave laquo la terre qui renouvelle la vie raquo (fig 0)

Figure 0Le tikenou coucheacute sur la peau aborde agrave la neacutecropole Hacirclage sur le traineau

Mais voici une transformation du rite Le Tikenou eacutetait recouvert non plus drsquoune peau mais drsquoun long pagne ou

linceul qui est parfois (fig ) tacheteacute comme une peau Le tombeau de Renni a conserveacute la scegravene ougrave Isis-pleureuse (dert) drape dans ce linceul le Tikenou au moment ougrave le cortegravege funeacuteraire part pour la neacutecropole plus loin lrsquoindividu apparaicirct non plus coucheacute de son long mais accroupi sur le traicircneau (fig 2) Le Tikenou est alors repreacutesenteacute le visage deacutecouvert pour qursquoil puisse respirer (fig 0-2) parfois le linceul recouvre tout (fig ) solidement maintenu par de larges bandelettes (fig ) dans ce cas on doit supposer que sous le linceul il y a non plus un homme mais un mannequin ou simulacre Homme ou mannequin la figure rappelle exactement la silhouette qursquoon donnait aux victimes animales (cf fig ) et aussi lrsquoaspect du fœtus replieacute dans le sein maternel (cf fig 2)

78 Lepsius Denkm II 76 6 0 LrsquoOut apparaicirct fig 0

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Dans le naos Isis drape le tikenou Devant lrsquoofficiant un servant

verse de lrsquoeau sous le traicircneau et fait une libation de lait pour Renni laquo Celui qui passe sous la peau crsquoest Renni raquo

Arriveacute au tombeau le Tikenou exeacutecutait un rite qui consistait agrave se laquo coucher raquo sder 7 sur un lit bas (fig 7) dans la mecircme attitude replieacutee Tel nous apparaicirct-il au tombeau de Rehmaracirc avec la leacutegende explicative laquo Faire venir agrave la citeacute de la peau (Abydos) Voici le Tikenou coucheacute sous elle (la peau) dans la terre de trans-formation (ta heper) raquo Par la suite il nrsquoest plus question dans ces tombeaux de sacrifier le Tikenou Au sacrifice humain on a donc substitueacute le proceacutedeacute magi-que inventeacute par Anubis au profit drsquoOsiris se coucher dans une peau figureacutee par un linceul Sous cette peau qui rappelle eacutevidemment celle drsquoun animal sacrifieacute

7 Le mot laquo se coucher raquo sder deacutetermineacute soit par le lit drsquoapparat soit par le lit bas et court (lrsquoangareb des Nubiens cf Maspero eacutetudes de myth I p 28) comme sur notre fig est un terme technique des rituels qui deacutesigne lrsquoacte de laquo se coucher sous la peau meska raquo (fig ) de laquo se coucher sous le linceul raquo (fig 0 et ) de laquo se coucher dans la peau kenemt raquo Les listes de fecirctes connaissent laquo la nuit du coucher raquo (A Moret Catal museacutee guimet I p 6 n 6 cf tod-tenbuch ch xviii eacuted Budge p 7 I 0) ou laquo le jour du coucher du dieu raquo (Caire ndeg 206) Je suppose qursquoil srsquoagit de lrsquoacte de se coucher sous la peau pour simuler la renaissance

27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le Tikenou est dans le laquo lieu du Devenir des transformations de la vie renouve-leacutee raquo le Tikenou qui a pris lrsquoattitude de lrsquoembryon humain dans le sein mater-nel sortira de la peau tel que lrsquoenfant qui naicirct Par conseacutequent le mort pour qui se fait le rite renaicirctra lui-mecircme automatiquement

La repreacutesentation de ces eacutepisodes srsquoest encore simplifieacutee dans les tombeaux agrave partir de la XIXe dynastie Drsquoune part les scegravenes relatives au sacrifice humain nrsquoapparaissent plus on se contente des seules victimes animales Drsquoautre part le Tikenou ne joue mecircme plus Anubis passant par la peau il dis-paraicirct de la scegravene 80 son rocircle passe agrave un des officiants qui est drsquoordinaire le sem 8 Au deacutebut de lrsquooffice funegrave-bre quand on va faire subir au deacutefunt laquo la conseacutecration (deser) dans la salle drsquoor 82 raquo le sem se laquo couche raquo (fig 7) revecirctu drsquoun linceul

80 Les rituels qui forment le texte publieacute par Schiaparelli (Libro dei funerali) dont le plus an-cien est celui du tombeau de Seacuteti Ier ne font plus mention du tikenou8 Comme Lefeacutebure lrsquoa noteacute celui qui passe par la peau est aussi Horus pour Osiris crsquoest-agrave-dire le fils pour son pegravere Dans la stegravele de Metternich (I 7-7) Osiris dit agrave Horus laquo Crsquoest toi mon fils (qui passes) dans la Mesqt (lieu de la peau) sorti du Noun tu ne meurs point raquo Passer par la peau crsquoest donc la mecircme chose que sortir du Noun le chaos primordial le rite recommence la creacuteation (cf p 27) et assure lrsquoimmortaliteacute82 Cette phrase deser m hat noub laquo conseacutecration dans la salle drsquoor (sanctuaire du temple ou du tombeau) raquo est une rubrique speacutecialiseacutee aux rites de la renaissance et nrsquoest employeacutee qursquoagrave cette occasion Maspero (eacutetudes de mythologie I p 28) y voit une indication de mise en scegravene laquo dis-positif dans la salle drsquoor raquo ce qui ne me paraicirct pas justifieacute Ma traduction se rapproche de celle proposeacutee par Virey (rehmard p 6) elle attribue agrave deser le mecircme sens que ce mot a comme eacutepithegravete de la neacutecropole ta deser laquo terre consacreacutee raquo (pyr de teacuteti I 7) ou du sanctuaire des temples et tombeaux bou deser laquo lieu consacreacute raquo Anubis est souvent qualifieacute le laquo maicirctre de ta-de-ser raquo ce qui srsquoexplique puisque ce dieu preacuteside agrave la laquo conseacutecration raquo deser par la peau mdash Abydos la ville de la peau meska et du berceau meshent eacutetait par excellence la laquo terre consacreacutee raquo (Stegravele de Leyde ap Piehl i H III pl 2 I laquo jrsquoai fait mon tombeau sur la meshent drsquoAbydos la terre consacreacutee de la montagne occidentale raquo parce que lagrave eacutetait le berceau de certains dieux tels que Ilnoumou et Heqit les ancecirctres neacutes au deacutebut (des temps) sur la meshent drsquoAbydos raquo Sharpe eg i I 78 2 cf Louvre C 6 Une stegravele de la XIIe dynastie (Caire ndeg 206) mentionne aussi la laquo salle consacreacutee raquo (ist desert) agrave propos du rite du laquo coucher du dieu raquo (harou sdert neter)

Figure 2Le tikenou sorti du naos est conduit agrave la neacutecropole

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Halage du tikenou accroupi dans lrsquoeau

en preacutesence des bouffons couronneacutes XIIe dynastie

Ce rite est bien une imitation ou une simplification de ceux joueacutes par le Ti-kenou costume et deacutecor tout est pareil Toutefois le Sem ne prend plus la po-sition incommode du fœtus il se contente de se coucher raquo comme pour dormir (fig 6) Mais les effets de ce sommeil ne sont pas moins miraculeux Voici les paroles sibyllines que dit le sem coucheacute laquo Jrsquoai vu mon pegravere (le deacutefunt ou Osiris) en toutes ses transformations raquo Au-dessous de ces mots les rituels expliquent la mise en scegravene des rubriques

laquo Transformation en sauterelle raquo mdash laquo Empecircchez (hou) qursquoil ne soit plus (qursquoil ne meure) mdash (Transformation) en abeilles mdash laquo Il nrsquoy a plus rien de peacuterissable en lui raquo mdash (Transformation) en ombre 8 raquo Quand le Sent se relegraveve il est censeacute ra-mener avec lui de la peau-linceul lrsquoombre crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme renaissante du deacute-funt et aussi des sauterelles des abeilles qui attestent comme dans la leacutegende drsquoAristeacutee 8 que la peau a eacuteteacute feacuteconde geacuteneacuteratrice drsquoecirctres vivants et que drsquoelle srsquoenvole comme une vie nouvelle (fig 8) Quant au corps il ne meurt plus dans la momie consacreacutee il nrsquoy a plus rien de peacuterissable 8 Acircme et corps renaissent pour la vie eacuteternelle Au Livre des Morts le deacutefunt dit de lui-mecircme agrave ce moment laquo Je suis

8 Voir les textes ap Schiaparelli Libro dei funerali I p 6-66 mdash Cf Lefeacutebure eacutetude sur Aby-dos ap proceedings s B A XV p 8 ougrave je modifie le sens attribueacute agrave hou8 Ph Virey Observations sur lrsquoeacutepisode drsquoAristeacutee Sur la diffusion de cette croyance agrave la bugonia dont les anciens attribuaient lrsquoorigine agrave lrsquoEacutegypte voir Lefeacutebure Lrsquoabeille en eacutegypte ap sphinx XI p 8 et suiv cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20 sq8 Cf pyr de teti 26 et 278 in hnnt im k et todtenbuch ch cliv 2 au laquo chapitre de ne pas laisser le corps se corrompre raquo le deacutefunt dit laquo Je me suis eacuteveilleacute en paix et sans troubles (ou sans corruption) (in hnnou) raquo Ce laquo reacuteveil raquo est peut-ecirctre conseacutecutif au laquo coucher raquo sder

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

celui qui a traverseacute la peau-berceau agrave qui Osiris a donneacute sa conseacutecration (hou) au jour de lrsquoenterrement 86 raquo

Ainsi la repreacutesentation du Mystegravere de la renaissance est alleacutee se simplifiant au cours des siegravecles on a supprimeacute le sacrifice hu-main le Tikenou a perdu une partie de son rocircle puis a disparu complegravetement agrave sa place un precirctre opegravere sous un linceul substitueacute agrave la peau Quelles sont les dates preacutecises de cette eacutevolution Je ne saurais les dire avec certitu-de le choix des scegravenes dans les tombeaux est souvent capricieux et ne se precircte pas toujours agrave un classement chronologique tel tombeau de la XIXe dynastie peut reproduire un rite neacutegligeacute dans un autre tombeau plus ancien Cependant il semble que ce soit de la XVIIIe agrave la XIXe dynastie que le rocircle du Tikenou a eacuteteacute simplifieacute jusqursquoagrave disparaicirctre 87 La repreacutesentation de la renaissance animale est devenue degraves lors moins reacuteelle que symbolique

M Maspero a signaleacute qursquoune comparaison est possible entre les scegravenes relatives au Tikenou et certaines vignettes drsquoun chapitre fort rare du Livre des Morts classeacute dans lrsquoeacutedition Naville comme cha-pitre CLXVIII a (fig ) Voici comment jrsquoen expliquerais les fi-gures Paraissent drsquoabord deux adolescents porteacutes sur les eacutepaules des officiants (ce sont peut-ecirctre deux tikenou) deux pleureuses coucheacutees agrave terre un taureau sur

86 Lefeacutebure eacutetude sur Abydos p et 7687 Au tombeau de Rehmacircracirc (XVIIIe dyn) certaines scegravenes du Tikenou sont encore repreacutesen-teacutees et les rites du sem sont ceacuteleacutebreacutes en mecircme temps Crsquoest donc une eacutepoque de transition

Figure Halage du simulacre enveloppeacute

drsquoun linceul

Figure Attitudes du tikenou et de la victime

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pavois qui rappelle la victime animale un sphinx androceacutephale dont le rocircle dans une scegravene de renaissance srsquoexplique peut-ecirctre parce qursquoil repreacutesente Toum le deacutemiurge 88 Plus loin on voit une deacuteesse assise les bras eacutecarteacutes dans la position caracteacuteristique des deacuteesses qui accouchent est-ce Nout la megravere ceacuteleste qui va donner le jour au corps glorieux du nouvel Osiris 8 Puis Anubis tenant en mains les symboles de force et de vigueur et preacuteside au rite du laquo coucher raquo sder Deux momies sont eacutetendues sur des lits veilleacutees par une grande Uraeligus dont le rocircle sera deacutefini plus loin lrsquoUraeligus porte son nom laquo celle qui consacre la tecircte raquo des dieux 0 De lrsquoautre cocircteacute des lits apregraves le Mystegravere accompli srsquoavance un des officiants dont la tecircte est surmonteacutee de lrsquoUraeligus peut-ecirctre ce personnage joue-t-il le rocircle du mort ressusciteacute Un sphinx coucheacute sur le lit personnifiant ici le soleil levant Harmahis symbole de reacutesurrection clocirct la seacuterie des figures Nous pouvons attribuer sucircrement cette scegravene au mystegravere de la renaissance mais dans le deacutetail il reste bien des obscuriteacutes 2

Figure 6 mdash Le sem se drape dans le linceul et se couche

88 Ed Naville a deacutemontreacute que le sphinx eacutetait souvent identifieacute agrave Toum mdash (ap sphinx V p et suiv) Dans le protocole royal le sphinx peut signifier laquo image vivante de Toum raquo (Sethe Urk XViiie Dyn IV p 600)8 Cf les scegravenes drsquoaccouchement de Deir-el-Bahari et Louxor reproduites dans A Moret Du caractegravere religieux p On sait que Nout megravere drsquoOsiris est censeacutee enfanter le mort agrave une vie nouvelle mdash (pyr de pegravepi i 0-0) Aussi compare-t-on agrave Nout le lit sur lequel le mort est eacutetendu laquo O grand (Osiris) coucheacute (sder) sur ta megravere Nout raquo (teta I 80) Le lit est en effet le laquo berceau raquodu deacutefunt0 Cf pyr drsquoOunas I 8 deser-tep Crsquoest une allusion aux rites de la laquo conseacutecration raquo deser La leacutegende hed iment semble signifier laquo brillant chaque jour raquo Le rocircle du sphinx comme soleil levant Khepra est bien connu (cf eacuted Naville sphinx V p ) Le grand Sphinx de Gizeh exprime pour le compte du roi Cheacutephregraven le mecircme symbole de reacutesurrection2 Le texte du chap 68 A au-dessus duquel les vignettes sont traceacutees ne nous donne que peu de lumiegravere il invite le lecteur agrave faire une libation sur terre pour que le deacutefunt passe parmi le sui-vants drsquoOsiris les suivants de Racirc les variantes du chap 68 B ajoutent le souhait qursquoil connais-se tous les secrets et qursquoil soit laquo un iahou parfait raquo dans lrsquoautre monde Peut-ecirctre devons-nous rapprocher de ces textes le chap 70 (eacuted Naville) qui se prononce au moment laquo de dresser le lit funegravebre raquo et ougrave lrsquoon adresse au deacutefunt cette phrase laquo Tu es Horus agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoœuf raquo elle correspond bien aux ideacutees de laquo conception et de renaissance raquo que nous avons signaleacutees

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Tous les documents relatifs au tikenou que nous avons examineacutes sont de lrsquoeacutepoque theacutebaine Les rites de la renaissance par la peau nrsquoavaient-ils point eacuteteacute conccedilus anteacuterieurement A ma connaissance les mastabas de lrsquoAncien Empire ne contiennent aucun tableau analogue agrave ceux reproduits plus haut et les textes des Pyramides ne mentionnent pas le tikenou Lrsquoensevelissement par la peau est peut-ecirctre repreacutesenteacute dans une tombe de la IVe dynastie par un bas-relief eacutenigma-tique (fig 20) qui donnerait une variante unique de ce rite Du moins peut-on affirmer que lrsquoideacutee de la renaissance par la peau est aussi ancienne que les plus anciens monuments eacutegyptiens connus Lrsquoeacutecriture mecircme le prouve puisque le signe mes qui symbolise lrsquoideacutee laquo naicirctre enfanter raquo repreacutesente trois peaux en faisceau (fig 2) Je montrerai plus tard comment cette tradition apparaicirct clai-rement au cours des rites de la fecircte Sed que les rois ceacuteleacutebraient degraves la peacuteriode archaiumlque

Figure 7Conseacutecration dans la salle drsquoor Le sem se couche

Qursquoil me suffise de dire ici que dans les pyramides comme dans les tombeaux theacutebains le deacutefunt renaicirct quand il srsquoest coucheacute vecirctu drsquoune peau ou drsquoun linceul

Ces peaux mestou sont peut-ecirctre des peaux de chien du type du chien Anubis agrave lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque on eacutecrit parfois le mot mes (neacute de) par le signe du chien (H Ranke Aeg Zeits-chrift t XLV p 2) Sous un naos agrave colonnes orneacutees de bucranes un lit funeacuteraire supporte un cercueil duquel eacutemerge seule une tecircte de taureau A gauche un officiant Une scegravene voisine montre la capture du taureau ainsi sacrifieacute je suppose que sa peau sert agrave un rite analogue agrave celui du Tikenou de lrsquoeacutepoque theacutebaine

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sur un lit Une formule que je choisis entre beaucoup drsquoautres reacutesume avec concision ce que le lit symbolise laquo Ce deacutefunt dit-on de Peacutepi Ier est creacuteeacute par Racirc il se couche (sder-tou) (fig 2) il est conccedilu il est enfanteacute chaque jour 6 raquo Le lit a le plus souvent la forme caracteacuteristique du divan bas sur lequel srsquoeacutetend le Tikenou Sur ce lit il y a une peau de panthegravere laquo Ce grand (le deacutefunt ou Osiris) se couche de sa personne la peau (de panthegravere 7) du lit est pour lui raquo cette peau venant drsquoun animal typhonien est lagrave pour mimer laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo que les rituels posteacuterieurs mentionnent

Figure 8Lrsquoombre et les symboles de lrsquoacircme ressusciteacutee (Seacuteti Ier)

Drsquoautre part drsquoapregraves la tradition le costume funeacuteraire drsquoOsiris et du mort se reacutesumait en une eacutetoffe (daout) qui eacutetait laquo celle qursquoHorus a faite pour son pegravere Osiris 8 raquo Crsquoest peut-ecirctre le laquo linceul raquo comme traduit Maspero En tout cas le linceul comme le lit sont personnifieacutes par des deacuteesses qui sont les megraveres du deacutefunt laquo Ce grand se couche sur sa megravere Nout ta megravere Taat trsquoa revecirctu elle te

Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux (Lacau sarcophages du Caire fig 82) Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo (Borchardt Aeg Zeitsch 07 p 7)6 peacutepi ier I 820 (Sethe p 80 8) La reacutesurrection srsquoexprime souvent par le mot laquo reacuteveil srsquoeacuteveiller raquo mdash pyr de peacutepi ii I 760 laquo Tu te couches et tu trsquoeacuteveilles tu meurs et tu vis raquo peacutepi ier I laquo son jour de reacuteveil raquo7 Le sens laquo peau de panthegravere raquo drsquoapregraves peacutepi ier I 68 pyr de teacuteti I 7 Deacuteesse des bandelettes voir la figure

Les Mystegraveres eacutegyptiens

porte au ciel en son nom drsquooiseau dert 00 raquo Le linceul devient donc en mecircme temps qursquoun veacutehicule pour aller au ciel un agent de reacutesurrection il y a dans lrsquoeacutetoffe comme dans la peau du Tikenou une force geacuteneacuteratrice suffisante pour expliquer la renaissance ceci nous aide agrave comprendre pourquoi agrave la fin de lrsquoeacutepo-que theacutebaine on a pu remplacer la peau par le linceul

Figure Les rites de la renaissance drsquoapregraves une vignette du livre des morts

La renaissance srsquoexeacutecute encore agrave cette eacutepoque par le passage sur un objet appeleacute shedshed Horus en avait donneacute lrsquoexemple pour le compte de son pegravere Osiris laquo Les dieux dit-on au roi deacutefunt trsquoeacutelegravevent au ciel avec ton acircme tu es muni drsquoacircme parmi eux car tu es sorti au ciel tel qursquoHorus sur le shedshed du ciel en cette tienne forme qui est sortie (= creacuteeacutee) de la bouche de Racirc tel qursquoHorus agrave la tecircte des Iahou 0 raquo Nous verrons plus tard quels monuments permettent de preacuteciser ce qursquoest le shedshed et quel est son rocircle dans les mystegraveres Disons tout de suite que crsquoest aussi une enveloppe qui sert de laquo peau-berceau raquo le passage citeacute prouve que comme la daout elle fournit un veacutehicule pour aller au ciel Quant

00 pyr de teacuteti I 80-80 pyr de teacuteti I 7-7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave la phrase laquo en cette forme sortie de la bouche de Racirc raquo elle est importante en ce qursquoelle eacutevoque un autre texte relatif agrave la naissance dans la meshent ougrave il est dit de certains dieux laquo ils ont eacuteteacute creacuteeacutes au deacutebut des temps (sur) les peaux-berceaux (meshentou) primordiales drsquoAbydos ils sont sortis de la bouche de Racirc lui-mecircme lors du (rite de) la conseacutecration deser (drsquo) Abydos 02 raquo Concluons que le shedshed est aussi un agent ou un lieu de renaissance 0 analogue agrave la meshent quand on srsquoen sert pour la conseacutecration rituelle (deser) des Mystegraveres osiriens

Figure 20Lrsquoensevelissement dans la peau de bœuf Gizeh tombeau de Nebmahout (IVe dynastie)

Il est donc certain que le laquo Mystegravere de la peau raquo et la laquo renaissance par la peau raquo font partie du fonds ancien de la religion eacutegyptienne Drsquoailleurs agrave cocircteacute du shedshed les Pyramides reacutevegravelent lrsquoexistence drsquoautres peaux-berceaux meska meshent kenemt out shedt dont les noms servent agrave deacutesigner autant de laquo pays ou de citeacutes de la peau 0 raquo

02 Louvre stegravele C 60 La renaissance apparaicirct aussi degraves cette eacutepoque symboliseacutee par lrsquoapparition de sauterelles et drsquoabeilles pyr de Mirinri I 68 et de peacutepi ii I cf eacuted Sethe II p et 270 Out deacutesigne les oasis comme Kenemt qui est aussi un des noms de Diospolis parva (sphinx X p 07) et une ville mystique (pyr de teacuteti I 0) cf Maspero t de Montouherjhepshef p 6 laquo la terre de Kenemout raquo shedt est la ville du Fayoum et une citeacute mystique (Ounas I 28)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux

Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo

Lrsquoexistence de ces diverses localiteacutes mystiques indique peut-ecirctre autant de meacutethodes locales ou diffeacuterentes pour lrsquoexeacutecution drsquoun rite commun la renais-sance par la peau Les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont tregraves probablement amalgameacute des traditions deacutejagrave anciennes agrave cette eacutepoque et provenant de villes multiples

Pour le Moyen Empire les mecircmes rites me sont connus non point tant par des textes deacuteveloppeacutes que par des allusions qui se retrouvent dans les textes peints sur les cercueils Ces textes comme lrsquoa dit leur eacutediteur M Lacau sem-blent appartenir agrave un recueil distinct des rituels des Pyramides drsquoune part et des Livres des Morts theacutebains ou saiumltes drsquoautre part Mais il y a un fond drsquoideacutees qui subsiste si la reacutedaction est particuliegravere agrave lrsquoeacutepoque Le mystegravere de la peau est fort nettement deacutesigneacute dans les laquo chapitres des transformations raquo que subit le deacutefunt mots qui nous rappellent le laquo lieu de la transformation raquo crsquoest-agrave-dire la peau-berceau meska drsquoAbydos mdash Voici les passages caracteacuteristiques [laquo Le deacutefunt a sacrifieacute Seth lrsquoadversaire de son pegravere Osiris raquo] Venez Dieux Faites ses rites de protection agrave lrsquointeacuterieur de la vache et connaissez () dans vos cœurs votre maicirctre qui est ce dieu en son œuf 0 raquo Ailleurs le deacutefunt dit laquo Je me suis coucheacute dans le lieu (ouou pour Out ) des peaux divines renverseacute en preacutesence de la deacuteesse

0 Lacau textes religieux ap recueil XXVII p 7 Chapitre de laquo faire ses transformations en faucon raquo Cf p 8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Shesat dans lrsquoOccident 06hellip raquo mdash laquo Moi je suis celui qui passe dans la peau 07hellip raquo hellip laquo Moi je suis Osiris je suis un Iahou muni je ne suis pas pris pour le billot divin (du sacrifice) je me suis ceint de la peau qeni on ne me fait pas entrer vers le billot (bis) 08hellip raquo Enfin un texte tregraves court donne cette importante variante drsquoune phrase citeacutee plus haut laquo Je me suis coucheacute dans la peau (de cynoceacutephale) kenemt 0 raquo

Toutes ces allusions si bregraveves qursquoelles soient sont significatives Drsquoailleurs outre la tombe de Sehetepibracirc deacutejagrave citeacutee (fig ) la stegravele C du Louvre a conserveacute ce moment capital des rites osiriens repreacutesenteacute en traits syntheacutetiques 0 Au premier plan un lit funeacuteraire avec le cadavre les deux pleureuses Isis et Nephthys poussent leurs lamentations Cependant deux hommes amegravenent sur un pavois une becircte typhonienne probablement une panthegravere un autre porte sur lrsquoeacutepaule un adolescent en lequel je vois le tikenou coiffeacute de la couronne royale 2 A cocircteacute sont repreacutesenteacutes le traicircneau qui dans les tombeaux deacutecrits preacuteceacutedemment sert agrave haler le tikenou et les herminettes avec lesquelles on creuse la fosse ougrave brucirclera la peau de la victime Nous avons ainsi les personnages et le deacute-cor du drame

La scegravene se continue agrave droite Le cada-vre tout agrave lrsquoheure eacutetendu sur le lit est agrave preacutesent remplaceacute par un simulacre main-tenu debout par deux hommes Le corps ne comprend encore que la tecircte et le buste il repose sur des signes de vie planteacutes sur une sorte drsquoenclume Que signifie cette scegravene Crsquoest me semble-t-il le moment

06 ibid XXX p 0 (chap des transformations parmi les grands dieux drsquoHeacuteliopolis) Sur Shesat cf Lefeacutebure sphinx X p 007 ibid XXXI p 2 (se transformer en dieu Hent-hesem)08 ibid XXXI p 20 (chap de ne pas entrer au lieu du billot divin)0 Lacau sarcophages du Caire ndeg 280 p 70 M Maspero avait briegravevement signaleacute le rapprochement agrave faire entre les figures de la stegravele C et la scegravene du Tikenou (tomb de Montouherjhepshef p 6) Voir agrave lrsquoOsireion drsquoAbydos (M Murray pl V) hommes et femmes porteacutes sur lrsquoeacutepaule par les officiants ce sont des nemou comparses dont le rocircle ressemble agrave celui des tikenou et sera deacutefini plus loin2 Lrsquoimportance du fait que le tikenou est couronneacute comme le sont aussi les deux mimes sauteurs sera mise en lumiegravere plus loin

Figure 22 mdash Bouffons sautant

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ougrave lrsquoon commence agrave fabriquer la statue du deacutefunt pour reconstituer son corps au complet comme on lrsquoa fait pour Osiris

Figure 2Bouffons coiffeacutes de roseaux

Plus loin la peau de la panthegravere est suspendue agrave une hampe termineacutee par une fleur de lotus La becircte a donc eacuteteacute sacrifieacutee sa peau deacutepouilleacutee est precircte agrave servir Deux mimes couronneacutes de roseaux exeacutecutent les sauts qui accompagnent ha-bituellement dans les tombeaux theacutebains les scegravenes du tikenou (fig 22 et 2)

Maintenant les personnages ont pris place sur une barque divine sans lrsquoaide de nul rameur la barque se dirige vers Abydos Sur le pont de la barque on voit successivement un homme qui tient sur un pavois une tecircte gardeacutee par lrsquoUraeligus deser-tep un autre qui dresse une hampe surmonteacutee de la peau gonfleacutee (hen) je preacutesume que le tikenou porteacute tout agrave lrsquoheure sur les eacutepaules est censeacute y ecirctre renfermeacute lui ou son simulacre

Au temple de Philaelig on voit de mecircme les deacuteesses Isis et Selkit reconstituer le corps du dieu au moment ougrave il nrsquoa encore que les jambes et le buste Cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p P Il faut reconnaicirctre dans ces mimes les personnages grotesques qui jouent un rocircle dans les fecirctes des dieux de la moisson tel qursquoOsiris ils persistent encore agrave notre eacutepoque sous forme de masques du Carnaval Crsquoest probablement lrsquoimage de la tecircte drsquoOsiris phylactegravere puissant contre les esprits typho-niens elle apparaicirct en cette qualiteacute sur la stegravele de Metternich

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Voici que srsquoaccomplit le miracle de la renaissance A ce changement capital correspond une attitude nouvelle des personnages orienteacutes maintenant en sens contraire Face au porteur de la peau se tient dans la barque un homme qui preacutesente une tige de lotus 6 la peau deacutegonfleacutee flotte le long de la hampe agrave la faccedilon de la neacutebride drsquoAnubis Qursquoest devenu le tikenou Derriegravere la neacutebride apparaicirct un adolescent de taille plus petite que celle des deux hommes qui ten-dent vers lui leurs bras pour lui assurer la protection magique Crsquoest me semble-t-il lrsquoimage juveacutenile du mort qui renaicirct 7 le miracle de la peau lui a transfuseacute une vie nouvelle Peut-ecirctre lrsquoadolescent qui tenait preacuteceacutedemment le rocircle du Ti-kenou jouait-il agrave ce moment le personnage du deacutefunt renaissant

Enfin sur la rive abydeacutenienne ougrave le nouvel Osiris va descendre un cortegravege amegravene les statues des dieux ils viennent recevoir leur fregravere qui srsquoavance vers eux 8

Telle est lrsquointerpreacutetation que je propose pour cette scegravene lrsquoartiste y a repreacute-senteacute les rites secrets des Mystegraveres assez discregravetement pour ne les point divulguer aux profanes mais avec assez de preacutecision pour que nous y puissions discerner les traits saillants du drame osirien

Nous avons vu plus haut drsquoapregraves les monuments qui ont servi de point de deacutepart agrave ces recherches qursquoagrave la XVIIIe dynastie le Mystegravere de la peau se concentre dans le personnage du Tikenou qui va se simplifiant par la suite jusqursquoagrave disparaicirc-tre des tableaux ougrave il est remplaceacute par le precirctre sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine on ne voit plus guegravere agrave ma connaissance ni les tableaux relatifs au tikenou ni mecircme ceux du sem Des allusions succinctes aux rites de la peau-berceau subsis-tent cependant dans les Livres des Morts nous les avons citeacutees plus haut agrave propos du culte drsquoOsiris Crsquoest encore dans les vignettes des Rituels funeacuteraires que nous voyons figurer lors des cortegraveges funegravebres lrsquoenseigne drsquoAnubis avec le shedshed

6 Degraves les textes des Pyramides on assimile la renaissance du mort agrave la naissance du soleil Racirc sortant au matin sous le nom de Nefertoum du calice drsquoun lotus (Ounas I cf la vignette de Maspero Histoire I p 6) La queue de la neacutebride se termine parfois en lotus eacutepanoui7 Dans les Mystegraveres drsquolsis apregraves la scegravene de la reacutesurrection du dieu les precirctres faisaient ap-paraicirctre un enfant que lrsquoon saluait du nom drsquoOsiris renaissant mdash Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 888 La stegravele C preacutesente au-dessus de la scegravene deacutecrite une liste de diviniteacutes qursquoil faut rappro-cher de celle donneacutee dans un court chapitre du Livre des Morts (chap clxxi de lrsquoeacutedition Budge p ) qui a pour but de faire du mort un laquo iahou parfait raquo par le don drsquoune bandelette reacutesumeacute de lrsquoensevelissement total Tel est le cas pour le superbe tombeau de Patouamenap (eacutepoque saiumlte) publieacute par Duumlmi-chen

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dont nous avons deacutejagrave montreacute lrsquoemploi et lrsquoenseigne du nsout hen 20 dont nous allons parler Ces figures rappelaient pour les yeux seulement les antiques proceacutedeacutes drsquoinitiation que les textes ne deacutecrivaient plus

Les Mystegraveres ne servaient-ils qursquoaux morts Les vivants ne pouvaient-ils les ceacute-leacutebrer pour leur compte en vue drsquoun beacuteneacutefice terrestre ou en sauvegarde de leur vie future La reacuteponse nrsquoest point aiseacutee agrave fournir faute de documents explicites Cependant agrave un homme au moins sur terre les rites osiriens preacutetendaient assu-rer degraves ici-bas lrsquoimmortaliteacute Il est vrai qursquoil srsquoagit drsquoun homme qui est dieu le roi drsquoEacutegypte Pharaon

Pharaon en sa qualiteacute de fils des dieux de precirctre de tous les temples posseacutedait degraves son vivant cette pureteacute rituelle qursquoassurent les moyens que nous avons deacutecrits agrave propos drsquoOsiris Le roi devenait dieu par les rites osiriens lui aussi mais degraves son avegravenement eacutetait censeacute avoir passeacute par la mort osirienne et srsquoen ecirctre racheteacute comme avait fait Osiris Il nrsquoentre pas dans le cadre de cette eacutetude de reprendre la description du culte qui consacre la diviniteacute de Pharaon 2 je me contenterai drsquoattirer lrsquoattention sur le jubileacute sed qui renouvelait pour lui la digniteacute royale et divine et ougrave apparaissent quelques-uns des rites de la renaissance Cette fecircte consiste essentiellement en une Osirification 22 du roi elle parait semblable agrave la fecircte du couronnement drsquoOsiris

Pour le reste nous touchons agrave un sujet obscur ougrave mes recherches nrsquoont eacuteclaireacute que quelques points mais que je crois importants

Le nom mecircme du jubileacute sed signifie laquo fecircte de la queue raquo Cela ne nous donne aucune clarteacute sur le sens de la fecircte Sans doute le roi porte ordinaire-ment une queue postiche attacheacutee agrave sa ceinture mais nous ne voyons pas sur les tableaux conserveacutes par les monuments qursquoune importance particuliegravere soit attribueacutee agrave cette piegravece du costume au cours de la fecircte Sed au contraire le roi y porte comme Osiris une sorte de maillot funeacuteraire deacutepourvu de queue 2 Nous devons donc nous demander si sed nrsquoa pas eu un autre sens

Le mot sed laquo queue raquo employeacute pour deacutesigner le jubileacute est parfois remplaceacute par

20 Cf Pleyte up Aeg Zeitschrift 868 p 62 Cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute p 2022 Petrie The palace of Apries p 82 Voir les figures que jrsquoai reproduites ap Du caractegravere religieuxhellip p 0 28 22-22 2 20 22 262 27

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le mot seshed 2 laquo bandeau bandelette 2 raquo et ces deux mots sont agrave rapprocher drsquoun autre shed qui repreacutesente une laquo outre raquo et qui signifie originellement laquo peau deacutepouille peau preacutepareacutee pour faire une outre 26 raquo

Figure 2Lrsquooutre de peau

Le jubileacute royal eacutetait-il donc une fecircte de la renaissance par la peau Plusieurs faits semblent le confirmer Drsquoabord dans les fecirctes sed la plupart des officiants portent une peau de becircte 27 en particulier le precirctre qui par ses rites fait du roi un Osiris est toujours vecirctu de la peau de panthegravere Son nom ioun-moutef 28 signifie peut-ecirctre par jeu de mots laquo la peau est sa megravere 2 raquo Mais il est probable que cette graphie traduit une eacutetymologie populaire erroneacutee Les monuments tregraves anciens preacutesentent une orthographe ioun-kenmout 0 ougrave mout-ef est remplaceacute par kenmout nom du cynoceacutephale la peau de cynoceacutephale eacutetait nous lrsquoavons

2 pierre de palerme eacuted Schaeligfer p Quant agrave la forme shedshed elle indique grammatica-lement un duel le mot deacutesignerait peut-ecirctre originellement un objet double ce qui srsquoexpli-querait par la dualiteacute de la personne du Pharaon en qui lrsquoon distingue toujours le roi du Sud et le roi du Nord2 Par bandelette il faut entendre une eacutetoffe en piegravece qui peut ecirctre eacutetroite et mince comme un bandeau ou assez ample pour constituer un vecirctement Par bandeau il faut entendre le bandeau de tecircte formant couronne (cf A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 8 n stegravele de Kouban I 8)26 Cf V Loret ap recueil XI p 0 et Piehl proceedings s B A XII p 727 Naville The Festival Hall pl I II IV bis IX X XI XII XIII XIX XXI28 Le nom est connu degraves lrsquoAncien Empire Mariette Mastabas p 8 Autel de Turin (VIe dyn) trans s B A III pl I A pyramide de peacutepi ii 7722 Virey rehmacircracirc p n Il existe un mot iounou qui signifie peau (Brugsch Woumlrth p 88)0 Stegravele de Mentouhetep Caire 20 6 Sur ces graphies cf Erman Aeg grammatik p 0 Voir les textes des Pyramides (peacutepi i 776) citeacutes par Crum ap proceedings s B A XVI p 6 A Beacuteni-Hasan le mot ioun-moutef est deacutetermineacute par un homme debout tenant par la main un cynoceacutephale eacutegalement debout (Griffith Beni-Hasan III p 27) Osiris prend parfois la forme drsquoun cynoceacutephale (Chabas pap Harris p 6) ou cite laquo la peau du cynoceacutephale drsquoOsiris raquo (Pleyte eacutetude sur un rouleau p 22)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vu une peau-berceau du culte osirien Le premier sens du titre me paraicirct donc ecirctre laquo (celui qui porte) la peau du cynoceacutephale raquo une confusion explicable par la meacutetathegravese des signes a fait lire le mot ioun-kenmout de cette faccedilon erroneacutee ioun-mout-ek ce qui a pu se traduire par jeu de mots laquo peau ta megravere raquo devenu par la suite ioun-moutef laquo peau sa megravere raquo En fait la peau dont est revecirctu lrsquoofficiant des rites funeacuteraires est une peau de panthegravere et non de cynoceacutephale 2 Quoi qursquoil en soit on peut supposer que lrsquoioun-moutef lrsquohomme agrave la peau eacutetait le precirctre qui lors de lrsquoapplication au roi des rites osiriens mimait la renaissance du roi en passant pour lui dans une peau comme Anubis lrsquoavait fait pour Osiris

Le dieu Anubis figure preacuteciseacutement dans le cortegravege de la fecircte Sed avec un accessoire sin-gulier Parmi les enseignes (fig 26) qui sont porteacutees en tecircte du cortegravege sur un pavois le dieu-chien est debout devant une sorte drsquoenveloppe en forme de poche gardeacutee par lrsquoUraeligus Les textes disent de cette enve-loppe laquo on passe sur elle pour aller au ciel 6 raquo son nom shedshed ou seshed est apparenteacute au nom mecircme de la fecircte sed ou seshed et vient semble-t-il de la mecircme racine shed laquo peau raquo

2 Un autre vecirctement ritualistique le qeni est une peau de gazelle (von Bissing ap recueil XXIX p 8) Sur ces enseignes divines qui figurent dans les cortegraveges de toutes les fecirctes osiriennes (fecirctes royales fecirctes drsquoOsiris fecirctes des morts = Louvre C todlenbuch ch i) cf A Moret Du ca-ractegravere religieux p 26 27 2 22 22 26 27 272 Le dieu-chien est Anubis ou bien Oupouatou ou encore le dieu sed Ce der-nier nom qui est rare sous lrsquoAncien Empire (cf Schaeligfer pierre de palerme p 2) disparaicirct par la suite peut-ecirctre eacutetait-il reacuteserveacute agrave lrsquoorigine au dieu-chien jouant son rocircle dans la fecircle sed Lrsquoenveloppe nrsquoapparaicirct sur le pavois que devant le dieu chien le dieu-faucon (Horus) et peut-ecirctre devant lrsquoenseigne dou des monuments archaiumlques (cf Loret revue eacutegyptologique XI p 80) Eacutetoffes replieacutees de mecircme ap Setheacute pyram II p 66 28 68 Petrie et Sethe voient dans le shedshed une plume (Mahasna p ) or les monuments peints tels que les sarco-phages donnent au shedshed la couleur rouge et aux plumes la couleur blanche ou bleue (A Moret sarcophages Caire p )6 Mahasna p mdash Pour la forme exacte du deacuteterminatif cf Sethe pyramidentexte I p 27 (pyr de teacuteti I -2)

Figure 2Horus ioun-MoutefTombeau de Seti Ier

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 26Pharaon preacuteceacutedeacute de son precirctre et des enseignes divines

et suivi de son ka adolescent Dendeacuterah

Lrsquoenveloppe me paraicirct ecirctre une eacutetoffe replieacutee jouant le mecircme rocircle que le linceul dans les rites deacutejagrave deacutecrits crsquoest-agrave-dire rem-placcedilant la peau Si cette hypothegravese est exac-te lrsquoenseigne du chien au shedshed pourrait repreacutesenter Anubis au moment ougrave le dieu va exeacutecuter le rite qui assurera la naissance du roi

A cocircteacute du dieu-chien on porte sur pavois un objet jusqursquoici indeacutetermineacute

On a deacutefini cet objet laquo morceau de vian-de raquo et on y voit une forme du dieu Hon-sou drsquoapregraves un tableau de Dendeacuterah 7 La comparaison des diverses leacutegendes qui ac-compagnent lrsquoobjet 8 prouve que la lecture

7 Mariette Dendeacuterah IV pl 2 I pl 228 La tombe du roi Hormheb (deacutebut de la XIXe dynastie) deacutecouverte par M Davis en 08

Figure 27Le dieu-chien le shedshed et lrsquouraeus

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veacuteritable est nsout hen Dans le mot hen je propose de reconnaicirctre un terme usiteacute degraves lrsquoAncien Empire pour deacutesigner la laquo peau raquo lrsquolaquo outre raquo le laquo cuir raquo Le groupe complet nsout-hen signifierait donc laquo la peau du roi raquo ce serait la peau dont on se sert pour faire renaicirctre le roi conformeacutement aux rites osiriens

La forme de lrsquoobjet hen rappelle en effet exactement la silhouette du tikenou accroupi sous la peau (fig 28) Un fait deacutemontre que cette similitude est voulue Au tombeau de Renni (fig ) on dit du tikenou qursquoil est laquo celui qui passe par la peau raquo hensou 0 il y a donc analogie de forme et de nom entre les deux symboles de hen et de tikenou et les deux conceptions

Figure 28Le tikenou sous la peau

Pourquoi precirctait-on une attitude styliseacutee agrave lrsquoindividu cacheacute sous la peau-lin-ceul Que peut eacutevoquer cette position speacuteciale imposeacutee agrave tous les officiants de la peau Pour lrsquoexpliquer il convient de recourir aux images les plus mateacuterielles que pouvait suggeacuterer agrave des hommes primitifs lrsquoideacutee de la renaissance Je crois pouvoir deacutemontrer par les dessins ci-dessous donneacutes que le hen correspond exactement agrave

contenait parmi les objets ritualistiques deux simulacres de fœtus nsout-hen en bois de syco-more longs de 02 centimegravetre sur 00 centimegravetre de haut On les trouvera dans la publica-tion de M Davis (The tomb of Harmhabi 2) agrave la page 0 nos 26-7 catalogueacutes sous le nom erroneacute laquo emblegravemes de Honsou raquo Voir la forme des deux objets sur la palette de Narmer (Hieacuterakonpolis I pl 26 mdash Moret Du caractegravere rel p 26) Inscription drsquoHerhouf (Sethe Urk I 0 cf Aeg Z XLII p et les scegravenes de travail du cuir ap Deshasheh pl XXI)0 Le mot hen apparaicirct sous la graphie hens et hensou aux tableaux drsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque (Kom-Ombo I p 6 2 Dendeacuterah I 22 IV 2 cf Pleyte Aeg Zeitschrift 868 6-7)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la silhouette du fœtus gravide de lrsquoembryon humain agrave terme encore enveloppeacute dans la matrice (fig 28 et 2)

Ce symbolisme expressif srsquoexplique agrave merveille si lrsquoon admet que la fecircte sed renouvelle au beacuteneacutefice du roi drsquoEacutegypte le Mystegravere de la naissance lui procure peacuteriodiquement une vie renouveleacutee De pareils rites se retrouvent freacutequemment dans les socieacuteteacutes primitives

Nous devons admettre que les Eacutegyptiens comme tant drsquoautres peuples 2 re-doutaient que la force vitale ne srsquoeacutepuisacirct agrave la longue dans le corps du souverain Aussi avaient-ils imagineacute de laquo renouveler la naissance raquo du Pharaon afin de ne jamais laisser srsquoamoindrir sa diviniteacute Pour y arriver ils appliquegraverent au Pharaon les proceacutedeacutes magiques de renaissance dont on usait envers Osiris et les morts Le jubileacute royal comprenait donc lrsquoexeacutecution du mystegravere de la peau son nom mecircme sed ou seshed eacutevoquerait la peau ou le bandeau dont on ceignait lrsquoinitieacute apregraves qursquoil avait parfait les rites Peut-ecirctre la queue postiche que porte le roi drsquoha-bitude nrsquoest-elle qursquoun abreacutegeacute de la peau tout entiegravere et comme un rappel de lrsquoinitiation qui lui a valu la renaissance pour une peacuteriode drsquoanneacutees

Figure 2 mdash Aspect du fœtus gravide

Cette deacutemonstration a eacuteteacute proposeacutee le 22 janvier au Museacutee Guimet lors drsquoune confeacute-rence imprimeacutee en septembre au tome XXXVI de la Bibliothegraveque de vulgarisation La mecircme anneacutee M Seligmann et miss Murray publiaient dans Man (novembre ) une note upon early egyptian standard ougrave ils proposaient de reconnaicirctre dans le hen le placenta crsquoest-agrave-dire lrsquoannexe du fœtus Aujourdrsquohui encore certaines tribus des reacutegions du Haut-Nil lors de la naissance drsquoun futur roi traitent avec honneur le placenta et le cordon ombilical du prince royal le conservent dans un eacutedifice et lui attribuent un pouvoir mystique sur la vie du roi2 Cf Frazer Le rameau drsquoor II p et suiv Petrie sinaiuml p 82 Ouhem mestou laquo qui renouvelle les naissances raquo nom drsquoHorus drsquoAmenemhat I (Gauthier Livre des rois p 2 et suiv)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette interpreacutetation des rites de la fecircte Sed et des Mystegraveres osiriens causera peut-ecirctre quelque surprise A qui ne suffirait pas le teacutemoignage des monuments eacutegyptiens je rappellerai des scegravenes semblables mais commenteacutees par des textes tregraves explicites qui se trouvent dans les rituels veacutediques Il srsquoagit de faire renaicirctre agrave une autre existence lrsquoofficiant qui offre le sacrifice de le diviniser en le faisant mourir agrave la terre et renaicirctre dans le ciel Jrsquoemprunte ce qui suit au beau livre de Sylvain Leacutevi

laquo Alors la dicircksacirc intervient La dicircksacirc est un ensemble de ceacutereacutemonies preacutelimi-naires qui sert agrave deacuteifier la creacuteature humainehellip On eacutelegraveve un hangar particulier pour le sacrifiant qui fait la dicircksa on lui passe une peau drsquoantilope noire laquo le hangar crsquoest sa matrice la peau drsquoantilope noire crsquoest le chorion le vecirctement crsquoest lrsquoamnios la ceinture crsquoest le cordon ombilical celui qui fait la dicircksacirc est un embryon raquo

Un des Bracirchmanas rassemble dans un exposeacute concis les principaux actes de la dicircksacirc avec leur interpreacutetation laquo Les precirctres transforment en embryon celui agrave qui ils donnent la dicircksacirc Ils lrsquoaspergent avec de lrsquoeau lrsquoeau crsquoest la semence virile ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la semence virile mdash ils lui frottent les yeux drsquoonguent lrsquoonguent crsquoest la vigueur pour les yeux ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la vigueur Ils le font entrer dans le hangar speacutecial le hangar speacutecial crsquoest la matrice de qui fait la dicircksacirc ils le font entrer ainsi dans la matrice qui lui convient Ils le recouvrent drsquoun vecirctement le vecirctement crsquoest lrsquoamnios pour qui fait la dicircksacirc ils le recouvrent ainsi de lrsquoamnios On met par-dessus une peau drsquoantilope noire le chorion est en effet par-dessus lrsquoam-nios on le recouvre ainsi du chorion Il a les poings fermeacutes en effet lrsquoembryon a les poings fermeacutes tant qursquoil est dans le sein lrsquoenfant a les poings fermeacutes quand il naicircthellip Il deacutepouille la peau drsquoantilope pour entrer dans le bain crsquoest pourquoi les embryons viennent au monde deacutepouilleacutes du chorion Il garde son vecirctement pour y entrer et crsquoest pourquoi lrsquoenfant naicirct avec lrsquoamnios sur luihellip raquo

En somme conclut S Leacutevi la dicircksacirc est une seconde naissance une reacutegeacuteneacute-

Le chorion et lrsquoamnios sont deux membranes qui enveloppent le fœtus dans la matrice dans cet ordre en allant de lrsquoexteacuterieur agrave lrsquointeacuterieur Notons que si le hangar de la dicircksacirc est appeleacute laquo matrice raquo de lrsquoinitieacute en eacutegyptien les mots shed et out (la peau drsquoAnubis) peuvent avoir aussi le sens uteacuterus Ainsi devient intelligible lrsquousage de mots deacutesignant la peau et la matrice et drsquoobjets simulant la forme du fœtus agrave terme dans les fecirctes ceacuteleacutebreacutees pour les initieacutes du culte osirien

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ration qui fait de lrsquohomme un dieu laquo Lrsquohomme ne naicirct qursquoen partie crsquoest par le sacrifice qursquoil est veacuteritablement mis au monde 6 raquo

De tous les teacutemoignages eacutegyptiens citeacutes plus haut il reacutesulte qursquoon se figurait de mecircme faccedilon le meacutecanisme de la renaissance dans les mystegraveres osiriens parti-culiegraverement dans la fecircte sed ougrave il srsquoagit de laquo renouveler la vie raquo ou laquo la naissance raquo du roi vivant Purification par lrsquoeau-de-vie onction de fards passage par la peau construction drsquoun eacutedifice le pavillon des fecirctes sed ougrave ces rites eacutetaient ceacuteleacutebreacutes tout srsquoeacuteclaire singuliegraverement prend un sens intelligible par la compa-raison avec les rites hindous

Ainsi les rois drsquoEacutegypte recevaient des mystegraveres osiriens un renouvellement de vie Eacutetait-ce le privilegravege exclusif du roi Les autres hommes leurs sujets y eacutetaient-ils admis Eacutetait-ce apregraves la mort seulement que les initieacutes subissaient les rites qui assuraient la renaissance Les textes sont extrecircmement discrets agrave ce su-jet et peut-ecirctre ne devons-nous pas en ecirctre eacutetonneacutes puisqursquoil srsquoagit de Mystegraveres Toutefois je tiens pour bonne lrsquointerpreacutetation que Lefeacutebure a donneacutee drsquoune stegravele de la XIIe dynastie 7 ougrave il est question drsquoun certain Oupouatouacirca qui par faveur exceptionnelle degraves son vivant laquo passe par la peau raquo laquo Sa Majesteacute dit-il me placcedila comme sacrificateur des victimes bovines dans le temple drsquoOsiris Hentamenti dans Abydos du nome Thinite Je suis sorti sur les peaux meskaou pour moi-mecircme lagrave agrave cause de la grande faveur que Sa Majesteacute me teacutemoignaithellip8 raquo Jrsquoai noteacute que lrsquoexpression est tout agrave fait pareille agrave celle des Pyramides laquo Teacuteti sort vers le ciel sur le shedshed raquo Le favori du roi a donc connu de son vivant le mystegravere de la renaissance par la peau

Si nous voulons ecirctre eacuteclaireacutes sur le beacuteneacutefice drsquoun rite de ce genre consultons encore les commentaires des rites veacutediques laquo Gracircce aux pratiques de la dicircksacirc le sacrifiant se trouve en possession de deux corps lrsquoun mateacuteriel et mortel lrsquoautre rituel et immortelhellip En veacuteriteacute lrsquohomme naicirct trois fois drsquoabord il naicirct de son

6 Sylvain Leacutevi La doctrine du sacrifice dans les Bracirchmanas p 0 Cf Lefeacutebure sphinx Viii p 7 Lefeacutebure avait par ce rapprochement suggeacutereacute lrsquoidentiteacute du tikenou avec le precirctre qui passe par la dicircksacirc Mais il nrsquoavait point compareacute ces rites avec ceux de la fecircte sed7 Stegravele ndeg 0 de Munich (Dyroif et Poumlrtner pl II) La stegravele est du type de C (Louvre) et de Turin ndeg 07 (Maspero recueil III p ) elle comporte comme celles-ci une liste de diviniteacutes8 (I 2-22) Ce texte a eacuteteacute signaleacute et interpreacuteteacute par Crum ap proceedings s B A XVI p Lefeacutebure dans une note agrave lrsquoarticle de Crum dit laquo La question serait de savoir si la stegravele parle drsquoun sacrifice fait pendant la vie ou apregraves la mort du personnage Si crsquoest de son vivant il a eacuteteacute son propre tikenou raquo Le texte ne precircte pas agrave amphibologie Il srsquoagit bien drsquoun sacrifice fait pendant la vie drsquoOupouatouacirca

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pegravere et de sa megravere puis quand il se sacrifie ce que le sacrifice fait de lui crsquoest sa seconde naissance enfin quand il meurt et qursquoon le deacutepose dans le feu quand il naicirct de lagrave crsquoest sa troisiegraveme naissance Et crsquoest pourquoi il est dit que lrsquohomme naicirct trois fois 0 raquo

Tels eacutetaient pour les Eacutegyptiens les effets attendus de ces rites Une question se pose encore Les termes employeacutes par Oupouatouacirca indiquent que lrsquoinitia-tion reccedilue par lui eacutetait rarement accordeacutee aux hommes vivants Cette initiation est-elle complegravete Et y avait-il des degreacutes dans lrsquoinitiation Nous sommes trop mal renseigneacutes pour reacutepondre en toute certitude Le fait qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-ro-maine lrsquoinitiation complegravete aux mystegraveres drsquoIsis qui ont fait de larges emprunts agrave lrsquoEacutegypte comportait aussi une mort simuleacutee et une renaissance donne sans doute une preacutesomption pour affirmer qursquoOupouatouacirca a eacuteteacute admis aux derniers degreacutes de lrsquoinitiation Peut-ecirctre devons-nous consideacuterer comme des laquo initieacutes par-faits raquo ces hommes assez peu nombreux qui peuvent se vanter dans leurs eacutepita-phes drsquoecirctre laquo un iahou parfait muni qui connaicirct les formules raquo ou laquo qui connaicirct toute la magie secregravete de la cour 2 raquo Ceux-lagrave eacutetaient initieacutes degraves leur vivant les autres ne devenaient laquo iahou parfaits raquo qursquoapregraves la mort au moment ougrave les rites funeacuteraires faisaient drsquoeux des Osiris il nrsquoest pas prouveacute que tous les gens qui faisaient repreacutesenter dans leurs tombes le Mystegravere de la peau en aient beacuteneacuteficieacute avant les funeacuterailles

Les mecircmes restrictions doivent srsquoappliquer me semble-t-il agrave une autre eacutepi-thegravete donneacutee geacuteneacuteralement agrave ceux qui aspirent agrave la laquo feacuteauteacute raquo ou laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo imahou er neter acirca Lrsquoeacutepithegravete neb imahou laquo possesseur de la conseacutecration raquo ou comme on traduit drsquoordinaire laquo de la beacuteatitude raquo deacutesigne tous les Eacutegyptiens qui ont eu le beacuteneacutefice drsquoune seacutepulture consacreacutee suivant le rite osirien et qui attendent la vie divine apregraves la mort Le signe semble repreacute-senter un de ces pagnes munis drsquoune queue qursquoon mettait autour des reins

0 Citeacute par Frazer Le rameau drsquoor II p 0 drsquoapregraves les Lois de Manou Apuleacutee Meacutetamorphoses XI Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 et suiv2 Sethe Urkunden d A r I p 22 mdash Cf I p (VIe dyn) Cf peacutepi i I 78 et suiv Maspero recueil III P 0 eacutetudes de Mythologie I p 0 7 A Moret La condition des feacuteaux ap recueil XIX p Pour ces vecirctements agrave queue cf Lacau sarcophages du Caire pl XLIX et L Drsquoapregraves les rituels la beacuteatitude ou lrsquoinsigne de cette beacuteatitude arrive au mort venant du dos drsquoOsiris (Schia-parelli Libro dei funerali II p 87) Aux textes des Pyramides le mot laquo dos raquo (psed) drsquoOsiris est deacutetermineacute par un signe semblable agrave imah (Ounas I68 et cf eacutedition Sethe I p 26 et 227) mdash Lrsquoinsigne des imahou serait-il agrave comparer aussi avec la laquo ceinture drsquoherbes de Munga raquo que portent les initieacutes hindous imah a souvent la forme drsquoune gerbe lieacutee (Sethe pyramidentexte I p 0) Serait-ce une indication pour rattacher cette conception au mythe agraire osirien

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

comme la queue royale ce pagne rappellerait la peau de la renaissance Parfois aussi lrsquoinsigne se placcedilait sur la tecircte eacutevoquant ainsi lrsquousage du bandeau seshed 6 Queue ou bandeau lrsquoinsigne attestait que son possesseur eacutetait laquo initieacute raquo

Les textes speacutecifient que lrsquoimahou attendait de la faveur des dieux entre autres choses 7 sur terre une vie tregraves longue et apregraves la mort lrsquoeacutetat de laquo beacuteatitude 8 raquo Drsquoapregraves Apuleacutee ces mecircmes promesses rendaient bienheureux les initieacutes aux Mystegraveres drsquoIsis

On nrsquoarrivait le plus souvent qursquoagrave la fin de la vieillesse ou apregraves la mort agrave lrsquoeacutetat de beacuteatitude Ceux qui degraves leur jeunesse jouissent de cette faveur ne manquent pas de srsquoen vanter 60 Jrsquoen conclus qursquoagrave part ces favoriseacutes les hommes ne reacuteali-saient qursquoen mourant tous les avantages de la condition drsquoimahou rares eacutetaient ceux qui gracircce agrave une mort simuleacutee beacuteneacuteficiaient drsquoune initiation 6 complegravete Les autres nrsquoeacutetaient censeacutes renaicirctre qursquoapregraves la mort reacuteelle agrave condition que les rites osiriens leur fussent appliqueacutes ils parvenaient alors dans une autre vie agrave la laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo Une eacutepithegravete freacutequente depuis le Nouvel Empire srsquoajoute au nom du deacutefunt pour deacutefinir cet eacutetat de sainteteacute rituelle ouhem acircnh laquo celui qui renouvelle la vie raquo Cette renaissance reacutesultait de lrsquoinitiation que celle-ci fucirct acquise avant ou apregraves la mort

Pour reacutesumer le sujet dans ses grandes lignes je rappelle que nous avons pris comme point de deacutepart les donneacutees des rituels drsquoOsiris ces donneacutees sont tregraves bregraveves soit agrave cause du caractegravere secret des rites soit parce que les textes eacutetant de basse eacutepoque sont devenus obscurs et eacutecourteacutes agrave cause de lrsquoindiffeacuterence des precirctres et du public Jrsquoai chercheacute agrave ces obscuriteacutes des eacuteclaircissements dans le culte des morts imiteacute du culte drsquoOsiris entre tous les monuments les tableaux des tombes theacutebaines nous ont fourni les renseignements les plus clairs sur des

6 pyramide drsquoOunas I 66 laquo lrsquoinsigne imahou drsquoOunas (est) sur la tecircte drsquoOunas raquo7 Jrsquoai montreacute dans mon eacutetude sur La condition des feacuteaux que lrsquoimahou reccediloit un tombeau (ou au moins le terrain) des rations de nourriture pendant sa vie et des offrandes apregraves la mort le tout aux frais du patron dieu roi ou chef de famille (recueil XIX p et suiv)8 recueil de travaux XIX p 26 et suiv Meacutetamorphoses XI (eacuted Nisard p 02) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20860 recueil XIX p 27 et les exemples citeacutes plus haut6 M Paul Foucart cherchant en Eacutegypte un eacutequivalent agrave lrsquoinitieacute eacuteleusinien ou isiaque avait sur lrsquoindication de M Maspero proposeacute de le trouver dans lrsquoimahou (recherches sur les Mystegraveres drsquoeacuteleusis p 20) Jrsquoadopte actuellement cette ideacutee dans mon eacutetude sur La Condition des feacuteaux je mrsquoeacutetais preacuteoccupeacute exclusivement de la condition sociale des imahou jrsquoajouterai agrave cet exposeacute que le point de deacutepart de la condition drsquoimahou est une initiation aux rites deacutecrits ici initiation confeacutereacutee au myste par le dieu le roi ou le pegravere A la basse eacutepoque le precirctre qui initie aux mys-tegraveres prend encore le titre de pegravere

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rites dont jrsquoai prouveacute ensuite lrsquousage degraves lrsquoAncien et le Moyen Empire Passant au culte des vivants jrsquoai montreacute que les rites des fecirctes Sed renouvellent la vie du roi en lui confeacuterant lrsquoinitiation aux Mystegraveres osiriens et que parmi les hommes quelques-uns sont initieacutes pendant leur vie et la plupart apregraves leur mort

En proceacutedant ainsi jrsquoai passeacute du connu agrave lrsquoinconnu et je me suis efforceacute de mettre en lumiegravere les proceacutedeacutes drsquoinitiation et de deacutefinir les diverses classes drsquoini-tieacutes Lrsquoinconveacutenient de cette meacutethode crsquoest de neacutegliger en apparence lrsquoordre chronologique des documents puisque les rituels osiriens qui nous sont par-venus datent de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine tandis que lrsquoosirification du roi et des hommes est connue degraves lrsquoeacutepoque archaiumlque Aussi le sujet une fois eacuteclairci re-viendrai-je agrave lrsquoordre chronologique pour reacutesumer les conclusions que je voudrais proposer

La renaissance apregraves la mort gracircce agrave des rites magiques dont le plus important est celui de la peau telle est la raison drsquoecirctre des Mystegraveres osiriens la certitude drsquoune survivance eacuteternelle tel est le reacutesultat de lrsquoinitiation

Les monuments de lrsquoAncien Empire nous reacutevegravelent les proceacutedeacutes de lrsquoinitiation confeacutereacutee au roi vivant (fecircte Sed) et au roi mort (rites funegravebres) Les rites secrets se reacutesument dans le laquo mystegravere de la peau raquo Guideacutes par la reacuteveacutelation donneacutee par les dieux-chiens Sed Anubis Ouapouatou (ces deux derniers dieux de la peau out) et sous la garde de lrsquoUraeligus divine le roi ou un officiant (appeleacute Iounmou-tef et revecirctu drsquoune peau) passent pour renaicirctre au ciel sur lrsquoobjet shedshed (ou seshed) crsquoeacutetait une peau (shed) devenue par stylisation un vecirctement un linceul ou bandelette comme teacutemoignage du rite accompli le roi porte une bande-lette formant ceinture avec queue (sed) et un bandeau de tecircte (seshed) drsquoougrave le nom fecircte sed ou seshed donneacute au jubileacute royal ougrave le roi laquo renouvelle sa naissance raquo pour une peacuteriode variable Les mecircmes rites se ceacuteleacutebraient au moyen drsquoune peau appeleacutee laquo peau du roi raquo nsout-hen par laquelle passait le roi ou un officiant agrave sa place Dans les fecirctes du culte adresseacute au roi vivant ou mort on portait sur pavois le shedshed et le nsout-hen auxquels on donnait une forme styliseacutee rappelant pour le premier la matrice pour le second le fœtus humain agrave terme replieacute dans la matrice Lrsquointerpreacutetation de ces symboles srsquoeacuteclaire par lrsquoexistence drsquoalleacutegories analogues dans les rites veacutediques Il existait encore drsquoautres laquo peaux geacuteneacuteratri-ces raquo mes meska kenemt Le lieu ougrave se jouait le Mystegravere eacutetait qualifieacute laquo berceau raquo meshent Lors de la fecircte du jubileacute royal les rites srsquoexeacutecutent dans des pavillons munis drsquoun lit sur lequel le roi laquo se couche raquo (sder) pour mourir rituellement et

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

renaicirctre en roi comme Osiris 62 Pour les morts les lieux de renaissance sont des citeacutes mystiques dont les noms se rapportent aux diverses peaux villes de Out Meska Kenemt Shedt Lrsquoexistence de ces localiteacutes diverses et des proceacutedeacutes dif-feacuterents de renaissance fait supposer que les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont amalgameacute tant bien que mal des traditions locales anciennes qui par des meacutethodes diverses pratiquaient cependant un rite commun la renaissance par la peau

Lrsquoinitiation du roi nrsquoeacutetait qursquoune imitation des rites qursquoon avait pratiqueacutes laquo la premiegravere fois raquo pour Osiris Le Mystegravere osirien appliqueacute au dieu lui-mecircme existe donc degraves les temps archaiumlques bien que les textes jusqursquoici connus ne le deacutecrivent point et nrsquoy fassent allusion que par preacuteteacuterition

Les tombeaux de lrsquoAncien Empire montrent que tous ceux qui posseacutedaient un tombeau eacutetaient initieacutes aux rites osiriens Chaque deacutefunt enseveli rituelle-ment devenait dans lrsquoautre monde un ecirctre laquo consacreacute raquo iahou ou un laquo beacuteatifieacute raquo imahou Sauf de rares exceptions on ne devenait imahou qursquoapregraves la mort il y a cependant en dehors du roi des exemples certains drsquohommes initieacutes pendant leur vie

Les rites de lrsquoinitiation au moment des funeacuterailles sont repreacutesenteacutes depuis le Moyen Empire (stegravele C ) et les tableaux se multiplient dans les tombeaux que jrsquoai citeacutes A la XVIIIe dynastie on confie au tikenou le passage par la peau pour le compte du deacutefunt souvent on remplace la peau par un linceul et le tikenou par un precirctre ordinaire le sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine les tableaux des tom-bes montrent rarement les officiants coucheacutes sous la peau ou le linceul Mais des allusions subsistent dans les Livres des Morts les enseignes alleacutegoriques du shedshed et du nsout-hen figurent dans les processions

Quant aux rituels du culte drsquoOsiris qui devraient ecirctre les archeacutetypes de tous les autres nous ne les posseacutedons jusqursquoici que dans des reacutedactions illustreacutees de tableaux de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine Les rites de la renaissance par la peau-ber-ceau qui eacutevoque laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo y sont plutocirct rappe-leacutes que deacutecrits le rocircle drsquoAnubis et drsquoHorus comme prototypes du Tikenou ne sont deacutefinis que par allusion il nrsquoest plus question du shedshed ni du hen Sans les textes des Pyramides ou sans les tableaux des tombes theacutebaines les rituels nous sembleraient muets ou resteraient deacutesespeacutereacutement obscurs Sommes-nous ici en preacutesence de reacuteticences systeacutematiques agrave cause du caractegravere mysteacuterieux de ces ri-tes Je crois plutocirct qursquoagrave la basse eacutepoque les rites de la renaissance animale ont

62 Eacuted Naville The Festival Hall of Osorkon ii pl II Moret Du caractegravere religieux p 20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

perdu de leur importance et qursquoon leur a preacutefeacutereacute ceux de la renaissance veacutegeacutetale auquel est consacreacute agrave Dendeacuterah un tregraves long texte qui entre dans les moindres deacutetails Jrsquoai lrsquoimpression que si nous retrouvions par chance un rituel osirien de lrsquoAncien Empire les rites de la renaissance animale y seraient preacutedominants Les initieacutes aux Mystegraveres nrsquoauraient pas donneacute jusqursquoau Nouvel Empire une impor-tance si grande aux rites de la peau si leur patron Osiris nrsquoy avait pas lui-mecircme trouveacute son plus efficace proceacutedeacute de reacutesurrection

En reacutesumeacute le principe fondamental des Mystegraveres osiriens faire de la mort le berceau drsquoune vie nouvelle est une des conceptions les plus antiques de la religion eacutegyptienne elle apparaicirct vigoureuse et riche en applications diverses surtout aux eacutepoques tregraves anciennes et crsquoest par les documents les plus reculeacutes en acircge que nous pouvons le mieux en appreacutecier lrsquoimportance

Cette ideacutee que de la mort mecircme surgit pour lrsquoinitieacute la source drsquoune nouvelle vie a eacuteteacute commune agrave une grande partie de lrsquohumaniteacute Lrsquoeacutetude compareacutee des re-ligions a reacuteveacuteleacute que dans lrsquoantiquiteacute et de nos jours encore les peuples primitifs ont foi en des pratiques magiques qui transforment la mort en une eacutepreuve drsquoini-tiation ougrave lrsquoinitieacute puise une vie nouvelle

Que ce soit en Eacutegypte dans lrsquoInde ou chez les non-civiliseacutes les rites drsquoinitia-tion ont ceci de commun que le myste doit drsquoabord mourir agrave sa vie anteacuterieure pour renaicirctre Ainsi M Frazer nous montre lrsquoinitiation pratiqueacutee dans les tribus sauvages mdash speacutecialement chez celles qui srsquoadonnent au toteacutemisme Lrsquoadolescent lorsqursquoil atteint lrsquoacircge de puberteacute se soumet agrave certains rites dont le plus freacutequent consiste en la mort apparente suivie de la nouvelle naissance Le fondement de cette pratique crsquoest de faire sortir lrsquoacircme du jeune homme de son corps pour la transfeacuterer dans son totem laquo Lrsquoadolescent meurt en tant qursquohomme et ressuscite en tant qursquoanimal 6 raquo

La foi en ce simulacre de mort suivie de reacutesurrection ou si lrsquoon veut en cette seconde naissance srsquoest perpeacutetueacutee dans les civilisations plus avanceacutees Manou deacuteclarait laquo Suivant les injonctions des textes reacuteveacuteleacutes lrsquohomme naicirct une premiegravere fois de sa megravere naturelle il naicirct une seconde fois quand on attache autour de son corps la ceinture drsquoherbes de Munga il naicirct une troisiegraveme fois lorsqursquoil est initieacute aux rites drsquoun sacrifice Srauta 6 raquo

On sait que lrsquoinitiation aux Mystegraveres mithriaques comportait probablement

6 Le rameau drsquoor II p Il en est de mecircme pour lrsquoinitiation des sorciers Cf Leacutevy-Bruhl Les Fonctions mentales dans les socieacuteteacutes infeacuterieures p et 26 J Frazer Le rameau drsquoor II p 0

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

une mise agrave mort simuleacutee de mecircme que les Mystegraveres drsquoEacuteleusis et drsquoIsis compre-naient une ceacutereacutemonie de la mort figureacutee et de la renaissance inspireacutee tregraves proba-blement des antiques Mystegraveres eacutegyptiens 6

Rattacher ces rites de la vieille Eacutegypte agrave une tradition commune agrave lrsquohumaniteacute crsquoest les diminuer peut-ecirctre en singulariteacute mais crsquoest rendre lrsquointerpreacutetation que jrsquoen propose plus vraisemblable Certes les Mystegraveres eacutegyptiens meacuteritent bien leur nom les quelques informations donneacutees par le texte et lrsquoimage laissent en-core agrave lrsquointuition et au labeur de lrsquoeacutegyptologue un champ de teacutenegravebres agrave scruter Pourtant ce serait un pas de fait dans la recherche si agrave la lumiegravere que jrsquoai essayeacute de projeter sur eux jrsquoavais reacuteussi agrave eacutetablir ce point les Mystegraveres eacutegyptiens se relient dans le fond du passeacute agrave des croyances qui ont surveacutecu en drsquoautres pays Deacutepouilleacutes de la mise en scegravene speacuteciale reacuteduits agrave lrsquoideacutee ils prolongent jusqursquoagrave nous un eacutecho de la mystique primitive vivre est le plus grand bien mourir la pire deacutetresse La grande affaire des vivants que la mort guette crsquoest de se preacuteparer les moyens drsquoune renaissance eacuteternelle

6 A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7

II

Le Mystegravere du verbe creacuteateur

Louis Meacutenard qui a populariseacute en France lrsquoeacutetude des livres hermeacutetiques es-timait que ceux-ci derniegraveres productions de la philosophie greacuteco-alexandrine formaient un trait drsquounion entre la theacuteologie eacutegyptienne et le christianisme nais-sant laquo Les docteurs chreacutetiens en invoquaient souvent le teacutemoignage avec celui des Sibylles qui avaient annonceacute la venue du Christ aux paiumlens pendant que les Prophegravetes lrsquoannonccedilaient aux Heacutebreux Hermegraves dit Lactance a deacutecouvert je ne sais comment presque toute la veacuteriteacute On le regardait comme une sorte de reacuteveacutelateur inspireacute et ses eacutecrits passaient pour des monuments authentiques de lrsquoancienne theacuteologie des Eacutegyptiens 66 raquo Aujourdrsquohui lrsquoeacutetude des textes hieacuterogly-phiques est assez avanceacutee pour qursquoon puisse controcircler cette assertion de Meacutenard un peu aventureacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave elle fut eacutemise Est-il vrai que ces dissertations mystiques qui ont si bien preacutepareacute les esprits au Christianisme contiennent quelques reacuteminiscences des dogmes religieux de lrsquoancienne Eacutegypte Crsquoest ce que nous voudrions rechercher en examinant une des theacuteories essentielles preacutesenteacutees dans le poimandres celle du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur

Drsquoapregraves les livres hermeacutetiques lrsquoUnivers est lrsquoœuvre drsquoune Intelligence suprecirc-me qui preacuteexistait agrave tout 67 Avant la creacuteation nrsquoexistait que le Chaos laquo il y avait des teacutenegravebres sans limite sur lrsquoabicircme de lrsquoeau et un esprit (πνεῦμα) subtil et in-telligent contenus dans le Chaos par la puissance divine Alors jaillit la lumiegravere sainte et sous le sable les eacuteleacutements sortirent de lrsquoessence humide et tous les dieux deacutebrouillegraverent la nature feacuteconde 68 raquo Crsquoest en ces termes qursquoHermegraves Trismeacutegiste deacutecrit la creacuteation Ailleurs pour nous faire comprendre ce que pouvait ecirctre laquo la forme primordiale anteacuterieure raquo il nous parle laquo des teacutenegravebres qui se changent en je ne sais quelle nature humide et trouble exhalant une fumeacutee comme le feu et une sorte de bruit lugubre Puis il en sort un cri inarticuleacute qui semblait la voix de la

66 Louis Meacutenard Hermegraves trismeacutegiste Introduction Le poimandres drsquoHermegraves Trismeacutegiste tra-duit par Louis Meacutenard a eacuteteacute reacuteeacutediteacute aux eacuteditions arbredorcom en 200667 Id ibid p 68 Id ibid p 27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lumiegravere une parole sainte descend de la lumiegravere sur la Nature 6 raquo Cette lumiegravere nrsquoest autre que lrsquoIntelligence crsquoest-agrave-dire Dieu qui preacutecegravede la nature humide sortie des teacutenegravebres quant au Verbe parole lumineuse crsquoest le fils de Dieu (ὁ δὲ

ἐκ Νοὸς φωτεινὸς Λὁγος υἵος θεοῦ 70)On sait combien cette conception de la creacuteation du monde se rapproche de

celle que nous font connaicirctre lrsquoAncien et le Nouveau Testament Voici le deacutebut de la Genegravese laquo Au commencement Dieu creacutea les cieux et la terre La terre eacutetait informe et vide il y avait des teacutenegravebres agrave la surface de lrsquoabicircme et lrsquoesprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux Dieu dit laquo que la lumiegravere soit raquo et la lumiegravere fut 7 raquo Nous retrouvons ici des eacuteleacutements de description analogues agrave ceux des livres hermeacutetiques un abicircme de lrsquoeau des teacutenegravebres pour constituer le chaos originel puis un esprit flottant sur lrsquoabicircme un appel lanceacute par la voix de Dieu et la lumiegravere creacuteeacutee par ce Verbe LrsquoEacutevangile de saint Jean reacuteduit ces eacuteleacutements au minimum et nous donne une synthegravese plus mystique encore que le poimandres laquo Au commencement eacutetait le Verbe et le Verbe eacutetait avec Dieu et le Verbe eacutetait Dieuhellip Il eacutetait au commencement avec Dieu Toutes choses ont eacuteteacute faites par lui et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui En lui eacutetait la vie et la vie eacutetait la lumiegravere des hommes raquo

Que trouvons-nous dans les textes eacutegyptiens pharaoniques de ces eacuteleacutements et de ces concepts communs aux livres sacreacutes heacutebraiumlques et hermeacutetiques

Drsquoapregraves les plus anciens textes religieux actuellement connus ceux des Pyra-mides des Ve et VIe dynasties agrave Saqqarah 72 (vers 2600 av J-C) nous pouvons nous figurer comment les Eacutegyptiens imaginaient lrsquoUnivers avant la Creacuteation En ce temps laquo il nrsquoexistait pas encore de ciel il nrsquoy avait pas encore de terre il nrsquoy avait pas encore drsquohommes les dieux nrsquoeacutetaient pas encore neacutes il nrsquoy avait pas encore de mort 7 raquo Le papyrus de Nesiamsou eacutecrit au deacutebut de lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque mais dont le texte remonte certainement agrave lrsquoeacutepoque du Nouvel Empire theacutebain (600-200 av J-C) emploie des termes semblables laquo il nrsquoy avait alors ni ciel ni terre et nrsquoeacutetaient creacuteeacutes ni reptiles ni vermisseauxhellip7 raquo Les germes de tout ecirctre et de toute chose gisaient agrave lrsquoeacutetat inerte (nenou 7) confon-

6 Meacutenard Hermegraves p 70 Id ibid p 7 genegravese I -72 G Maspero Les inscriptions des pyramides de saqqarah87 pyr de peacutepi i 66 cf peacutepi ii 287 Publieacute par Budge dans Archaeligologia II 2 80 p 7 nesiamsou p 0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dus dans le sein drsquoun abicircme qursquoon appelait le noun ou les eaux neacutees du noun76 ou lrsquoabicircme du noun 77 dans les traductions coptes noun est le mot qui deacutesigne lrsquoἄϐυσσος

78 de la Genegravese Dans le Noun flottait un esprit divin indeacutefini mais portant en lui la somme

des existences futures drsquoougrave son nom de toum qui signifie agrave la fois laquo neacuteant raquo et laquo totaliteacute 7 raquo Il restait agrave lrsquoeacutetat informe inconsistant instable laquo Il ne trouvait pas drsquoendroit ougrave il pucirct se tenir 80 raquo Arriva lrsquoinstant ougrave Toum deacutesira deacutevelopper une activiteacute creacuteatrice il voulut laquo fonder dans son cœur 8 raquo tout ce qui existe Pour cela laquo il se dressa parmi ce qui eacutetait dans le Noun hors du Noun et des choses inertes 82 raquo un autre texte dit qursquoil laquo monta 8 raquo hors de lrsquoeau primordiale sans qursquoon sucirct preacuteciser comment il fit cette monteacutee 8 Degraves lors le soleil Racirc exista la Lumiegravere fut Les Eacutegyptiens nrsquoadmettaient pas qursquoil y eucirct en ce premier moment de la creacuteation deux dieux distincts Toum dans lrsquoeau primordiale et Racirc sorti de lrsquoeau Non point Toum srsquoeacutetait exteacuterioriseacute par la force de son deacutesir creacuteateur il eacutetait devenu Racirc-Soleil sans cesser drsquoecirctre Toum Le vulgaire ne faisait agrave cette theacuteorie imagineacutee par les theacuteologiens drsquoHeacuteliopolis drsquoautre objection que celle-ci laquo Comment la Lumiegravere (Racirc) pouvait-elle exister agrave lrsquoeacutetat inerte (Toum) dans lrsquoeau du Noun sans que cette eau eacuteteignicirct le feu raquo On reacutesolut la difficulteacute par des explications alleacutegoriques Toum-Racirc eacutetait dans le Noun comme un faucon qui ferme les deux yeux srsquoil les ouvre hors de lrsquoeau son œil droit le Soleil luit 8 ou

76 Pyr drsquoOunas 077 tepeht noun ap Hymns to Amon of pap Leyden publieacutes par Gardiner Aegyptische Zeits-chrift XLII p 7 Le manuscrit est dateacute du regravegne de Ramsegraves II par une indication donneacutee au verso (vers 20 av J-C)78 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 7 Quand les Eacutegyptiens essayaient de donner une forme concregravete agrave cette conception ils repreacutesentaient Noun sous la forme drsquoun dieu agrave forme humaine plongeacute jusqursquoagrave la poitrine dans un bassin plein drsquoeau et soutenant de ses bras leveacutes en lrsquoair les dieux qui sortirent de son sein CC Budge egyptian ideas of the future life p 27 Ce sens est expresseacutement indiqueacute au papyrus de Leyde (Aegyptische Zeitschrift XLVII p ) Les textes expriment souvent lrsquoideacutee que tout ecirctre et toute chose existent de toute eacuteterniteacute dans le Noun (pyr drsquoOunas 0 de teti 78) et y retournent apregraves la mort Cf Pierret eacutetudes eacutegyptologiques I p 80 Budge pap de nesiamsou p 08 nesiamsou p 082 nesiamsou p 8 pap de Leyde A Z XLII p -2 laquo Se levant sur son trocircne selon lrsquoacte de son cœurhellip on ne connaicirct pas sa monteacutee raquo8 Toum est la forme locale de Racirc agrave Heacuteliopolis et deacutesigne le soleil la tradition qui fait de Toum le dieu vivant au sein du Noun et le Deacutemiurge est donc drsquoorigine heacuteliopolitainne (cf Maspero eacutetudes de mythologie II p 26)8 Voir les textes citeacutes par Brugsch religion und Mythologie p 0 Cf Au temps des pharaons

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

bien Toum-Racirc eacutetait un lotus cacheacute au sein des eaux quand la fleur eacutemergea au-dessus de lrsquoonde Toum le jeune (Nefer-Toum) en surgit et devint le Soleil 86

Quant au proceacutedeacute de creacuteation employeacute par Toum il semble bien que ce fut la Voix ou le Verbe Drsquoapregraves la tradition la plus commune celle du Livre des Morts 87 (dont nous posseacutedons des reacutedactions degraves la Xie dynastie) le lieu ougrave Toum srsquoeacutetait manifesteacute en tant que Racirc eacutetait preacuteciseacutement la ville drsquoHermopolis la citeacute de Thot celui qursquoon appellera le dieu qui creacutee par la voix le Verbe fait Dieu 88 Ceci serait deacutejagrave une indication suffisante pour admettre lrsquohypothegravese de Brugsch 8 et de Maspero 0 crsquoest par le Verbe que Toum suscita la Lumiegravere Jrsquoajouterai que plusieurs textes la confirment expresseacutement Au papyrus de Leyde on rapporte du Deacutemiurge laquo qursquoil a dit ses formes raquo (ded-f qaou-f ) papyrus de Nesiamsou le deacutemiurge prononce laquo Jrsquoai creacuteeacute toutes les formes avec ce qui est sorti de ma bou-che alors qursquoil nrsquoy avait ni ciel ni terrehellip2 raquo Un des versets les plus anciens du chap xvii du Livre des Morts mentionne un certain jour qui porte le nom laquo Jour de Viens agrave moi raquo variantes laquo Viens ici Viens agrave nous raquo une glose explique crsquoest le jour ougrave Osiris a dit agrave Racirc laquo Viens ici raquo laquo Viens agrave moi raquo ou laquo Viens agrave nous raquo Or au cours du chapitre xvii Osiris deacuteclare srsquoidentifier agrave lrsquoEau primor-diale au Deacutemiurge Toum en ces termes laquo Je suis Toum celui qui existait seul dans le Nounhellip Je suis le dieu grand qui se creacutee lui-mecircme crsquoest-agrave-dire le Noun pegravere des dieuxhellip raquo Il est probable que selon lrsquointerpreacutetation de de Rougeacute 6 et de Maspero 7 le jour mentionneacute ici est celui de la creacuteation du monde Le cri Viens ici ou Viens agrave moi serait le Verbe profeacutereacute par Toum-Osiris qui a fait surgir la Lumiegravere du chaos

Tel fut le premier acte de la creacuteation Apregraves lrsquoapparition de la Lumiegravere susciteacutee

p 28 sq86 ibid p Cf todtenbuch eacuted Naville (ch 8) t I pl 2- Les textes des Pyramides mentionnent deacutejagrave Nefer-Toum sortant du lotus (Ounas I )87 Chap xvii eacuted Naville88 Brugsch religion p 2 678 religion und Mythologie p 00 Histoire I p 0 A Z XLII p 22 nesiamsou p Cf Naville Variantes p 7 Formule la plus ancienne qui apparaicirct aux sarcophages des XIe-XIIe dynasties (Maspero Mission du Caire I p 6 (Horhotep) p 22 (Hori) p 220 (Sitbaslit) Formule ordinaire depuis la XIIe dynastie (Louvre stegravele C I )6 revue archeacuteologique er avril 860 p 27 Bibliothegraveque eacutegyptologique t I p 6 ndeg 6

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

par le Verbe Toum-Racirc proceacuteda au second acte creacuteateur qui donna naissance aux ecirctres et aux choses Les textes sacreacutes affirment que tout ce qui existe au monde dieux hommes animaux plantes les terres et les eaux la matiegravere et lrsquoesprit universels ne sont qursquoune eacutemanation (tat) du Deacutemiurge et forment comme les membres de son corps aussi dit-on du dieu suprecircme laquo crsquoest la somme de lrsquoexis-tence et des ecirctres 8 raquo Je nrsquoinsisterai pas ici sur cette explication pantheacuteiste de lrsquoUnivers il nous inteacuteresse davantage de savoir si dans cette creacuteation des ecirctres et des choses les textes eacutegyptiens attribuent au Verbe divin le mecircme rocircle que les textes hermeacutetiques

A ce sujet les traditions diffeacuteraient en Eacutegypte suivant les lieux et le temps A Heacuteliopolis on enseignait aux plus anciennes eacutepoques que Toum-Racirc avait procreacuteeacute les dieux ancecirctres de tous les ecirctres vivants agrave la faccedilon humaine par une eacutemission de semence ou qursquoil srsquoeacutetait leveacute sur le site du temple du Pheacutenix agrave Heacuteliopolis et qursquoil y avait cracheacute le premier couple divin 200 Drsquoautres dieux qualifieacutes aussi de deacutemiurges avaient employeacute ailleurs drsquoautres proceacutedeacutes Phtah agrave Memphis 20 Hnoum agrave Eacuteleacutephantine 202 modelaient sur un tour les dieux et les hommes Thot-ibis couvait un œuf agrave Hermopolis 20 Neith la grande deacuteesse de Saiumls eacutetait le vautour ou la vache qui enfanta le Soleil Racirc alors que rien nrsquoexis-tait 20 Ce sont lagrave sans doute les explications les plus anciennes et les plus popu-laires de la creacuteation Mais une faccedilon plus subtile et moins mateacuterielle drsquoeacutenoncer que le monde est une eacutemanation divine apparaicirct degraves les textes des Pyramides la Voix du Deacutemiurge y devient un des agents de la creacuteation des ecirctres et des cho-ses

8 Sarcophage du Moyen Empire (Lepsius Aelteste texte p Maspero Mission I p 67 2 28 mdash Une glose qui apparaicirct degraves les textes de la XVIIIe dynastie (eacuted Naville Va-riantes p 0) ajoute laquo la somme de lrsquoexistence et des ecirctreshellip crsquoest son corps raquo pyr de peacutepi i 6 cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 27 laquo Comme Toum eacutetait seul dans le Noun la tradition disait brutalement agrave lrsquoorigine qursquoil avait joui de lui-mecircme et projeteacute deux jumeaux Shou et Tafnout Plus tard on avait cru adoucir la leacutegende en supposant qursquoil avait commenceacute par se creacuteer une femme la deacuteesse lousas dont le nom paraicirct indiquer une personnification de lrsquoacte mecircmehellip Cf sur ce proceacutedeacute de creacuteation A Wiedemann ein altaumlgyptischer Weltsshoumlpfungsmythus ap Urquell 88 p 7 voir aussi les papyrus de Leyde (A Z XLII p 2-6) et nesiamsou p 0200 pyr de peacutepi ii 66 Le premier couple est Shou et Tafnout le nom des dieux assone avec les termes eacutegyptiens qui deacutesignent lrsquoeacutemission de la salive Sur cette tradition cf pap de Leyde (A Z XLII p ) et nesiamsou p 020 Cf Brugsch religion und Mythologie p 202 ibid p 20 Erman religion eacutegyptienne p 0 (Livre des Morts ch 8 I )20 Brugsch religion p

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les hommes reconnaissaient deacutejagrave cette Voix dans le bruit du tonnerre (la voix du ciel hrou m pet) quand elle se manifeste laquo le ciel parle la terre tremble Geb (la terre) est eacutebranleacutee les reacutegions retentissent de cris les dieux srsquoagitent agrave la voix 20 raquo mais au temps de la creacuteation des ecirctres le jour de la laquo premiegravere fois raquo voici comment on se repreacutesentait lrsquoaction de la voix divine laquo hellip Le dieu apparut sur son trocircne quand son cœur le voulut alors tous les ecirctres eacutetaient dans la stu-peur silencieuse de sa force Il caqueta un cri comme lrsquooiseau grand caqueteur en tous lieux pour creacuteer et il eacutetait tout seul Il commenccedila agrave parler au milieu du silencehellip il commenccedila de crier la terre eacutetait dans une stupeur silencieuse ses ru-gissements ont circuleacute partout sans qursquoil y eucirct un second dieu (avec lui) faisant naicirctre les ecirctres il a donneacute qursquoils vivent 206 raquo En effet la Voix creacutee aussi la nourri-ture des dieux et des hommes celle-ci prend degraves lors le nom caracteacuteristique de per hrou (sortie de voix eacutemission de voix 207) La voix du dieu engendre encore les formes des deacutefunts ressusciteacutes apregraves la mort 208 Eacutemettre les paroles profeacuterer des ordres ou des jugements (out medtou oudacirc medtou) est une des expressions qui caracteacuterisent dans les textes des Pyramides le pouvoir souverain des dieux 20 Au cours des siegravecles on trouve pour cette ideacutee une expression plus abreacutegeacutee on dit qursquoil suffit au dieu pour creacuteer drsquoouvrir la bouche Une formule de la XIIe dy-nastie explique que laquo les dieux drsquoAbydos sont sortis de la bouche de Racirc 20 raquo Les hymnes qui fleurissent depuis la XVIIIe dynastie reacutepegravetent que le Deacutemiurge laquo a creacuteeacute les dieux en eacutemettant des paroles raquo on dit que les hommes sont sortis des yeux du dieu tels que des larmes tandis que les dieux tombent de sa bouche 2 A partir du Nouvel Empire theacutebain cette formule est une de celles qui se ren-contrent le plus communeacutement Voici quelques exemples laquo Il (le Deacutemiurge) a eacutedifieacute les hommes avec les pleurs de son œil il a parleacute ce qui appartient aux dieuxhellip Les hommes sont sortis de ses deux yeux les dieux se manifestent quand il parlehellip il a eacutemis la parole et les dieux se manifestenthellip les hommes sortent de ses deux yeux divins les dieux de sa bouche 22 Sa parole est une substance 2hellip raquo

20 Voir les textes des Pyramides citeacutes par A Moret rituel du culte divin p 7 et suiv206 papyrus de Leyde A Z XLII p 207 Maspero eacutetudes de Mythologie II p 7 n 208 pyr de peacutepi ii I 80 220 A Moret rituel du culte divin p 20 Louvre stegravele C I -62 A Moret rituel p nesiamsou p Il y a jeu de mot entre rmj-t laquo larme raquo et rmt laquo homme raquo22 Cf rituel du culte divin p -2 Greacutebaut Hymne agrave Amon racirc p -2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Nrsquoest-ce point lagrave lrsquoideacutee du Verbe creacuteateur qui inspire les textes hermeacutetiques et dont nous trouvons lrsquoeacutecho dans lrsquoEacutevangile selon saint Jean laquo Toutes choses ont eacuteteacute faites par le Verbe et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui 2 raquo

Au moment ougrave srsquoeacutelaboregraverent les plus anciens de ces textes ceux des Pyramides le Verbe nrsquoeacutevoquait peut-ecirctre encore pour les Eacutegyptiens que lrsquoimage mateacuterielle de ce qui eacutetait nommeacute et non pas un concept Former le nom de quelqursquoun ou de quelque chose cela eacutequivaut agrave faccedilonner une image elle prend vie degraves que la bouche prononce le nom 2 laquo Le nom est ainsi une image qui se confond avec son objet il devient cet objet lui-mecircme moins mateacuteriel adapteacute agrave lrsquousage de la penseacutee (Hartland) raquo Pour un Eacutegyptien le nom-image a une reacutealiteacute concregravete une leacutegende conserveacutee sur un papyrus dont Lefeacutebure a donneacute lrsquointerpreacutetation nous le prouve clairement Il y est question du dieu Racirc blesseacute dangereusement par un serpent le dieu ne sera gueacuteri que si lrsquoon prononce son nom en lequel reacuteside sa toute-puissance A la naissance du dieu ce nom avait eacuteteacute dit par son pegravere et sa megravere puis cacheacute dans sa poitrine afin que nul ne le pucirct deacuterober or Racirc consent agrave se laisser fouiller par Isis qui trouve le nom et srsquoen saisit disposant ainsi de lrsquoacircme et de la force du dieu 26 Le nom comme lrsquoa deacutemontreacute Lefeacutebure eacutetait donc pour les Eacutegyptiens une des formes de lrsquoacircme et le signe distinctif de la personnaliteacute 27

Dans ces conditions on comprendra pourquoi les Eacutegyptiens deacutefinissaient le pouvoir creacuteateur du Deacutemiurge en disant simplement qursquoil a nommeacute les dieux les hommes et les choses De lagrave lrsquoexplication de ce verset du Livre des Morts laquo Racirc a fait de tous ses noms le cycle des dieux qursquoest-ce que cela (glose) crsquoest Racirc qui a creacuteeacute ses membres devenus les dieux de sa suite 28 raquo Et ailleurs laquo il est le dieu aux grands noms qui a parleacute ses membres raquo Inversement on deacutecrira les temps anteacute-rieurs agrave la creacuteation en ces termes laquo Nul dieu nrsquoexistait encore on ne connaissait le nom drsquoaucune chose 2 raquo Enfin pour exprimer cette ideacutee que le Deacutemiurge a tout creacuteeacute de son propre fonds le papyrus de Leyde explique laquo Il nrsquoexistait point drsquoautre dieu avant lui ni drsquoautre dieu avec lui quand il a dit ses formes il nrsquoexis-tait point de megravere pour lui qui lui ait fait son nom point de pegravere pour lui qui lrsquoait

2 I 2 Cf Lefeacutebure La vertu et la vie du nom ap Meacutelusine VIII n 026 Lefeacutebure Un chapitre de la chronique solaire ap Zeitschrift fuumlr Aegyptische sprache 88 p 027 Lefeacutebure Meacutelusine VIII ndeg 0 p 2028 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 20 Cf Naville Variantes p ougrave lrsquoun des textes donne laquo Crsquoest Racirc ses creacuteations crsquoest le nom de ses membres devenus ses dieux raquo2 A Moret rituel p 2

60

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutemis en disant laquo Crsquoest moi (qui lrsquoai creacuteeacute) raquo Nrsquoest-ce pas affirmer formellement que rien nrsquoexiste avant que le creacuteateur ne lrsquoait nommeacute 220

Cette creacuteation par la parole nrsquoeacutetait-elle cependant qursquoune simple opeacuteration magique par laquelle la voix suscitait agrave la vie un ecirctre ou une chose en les deacutefinis-sant par le nom-image Crsquoest lagrave un concept de peuples resteacutes agrave un stade eacuteleacutemen-taire de civilisation II reste agrave savoir si les Eacutegyptiens ne se sont pas eacuteleveacutes jusqursquoagrave cette ideacutee que le Deacutemiurge avait penseacute le monde avant de le parler

Reacuteponse est faite par un precirctre du sacerdoce de Memphis dont le tombeau nous a conserveacute un chapitre de doctrine theacuteologique Longtemps mal publieacute et mal compris ce fragment a eacuteteacute reconnu agrave sa juste valeur par M Breasted et eacuteluci-deacute par MM Maspero et Erman 22 Il en ressort que les theacuteologiens distinguaient dans lrsquoœuvre du Verbe la part de la penseacutee creacuteatrice qursquoils appellent le cœur et celle de lrsquoinstrument de creacuteation la langue tout Verbe est drsquoabord un concept du cœur pour prendre corps et se reacutealiser celui-ci a besoin de la parole

Le texte deacutefinit drsquoabord le rocircle du Deacutemiurge laquo Crsquoest lui le premier dans le cœur et la bouche de tout dieu de tout homme de tout animal de tout vermis-seau qui tous ne vivent qursquoen vertu de la faculteacute qursquoil a de penser et drsquoeacutenoncer toute chose qui lui plaicirct (en particulier) son Enneacuteadehellip Or cette Enneacuteade crsquoest les dents et les legravevres les veines et les mains de Toumhellip LrsquoEnneacuteade crsquoest aussi les dents et les legravevres de cette bouche qui proclame le nom de toutes choses raquo (Toujours le rappel que les dieux ne sont que les membres du Deacutemiurge)

laquo La langue donne naissance agrave tous les dieux agrave Toum et agrave son Enneacuteade et ainsi se forme toute parole divine en penseacutee du cœur en eacutemission de la langue elle creacutee les forces vitales bienfaisantes apaise les nuisibleshellip par la vertu de cette parole qui creacutee ce qui est aimeacute et ce qui est deacutetesteacute (le mal et le bien) crsquoest la langue qui donne la vie au juste et la mort agrave lrsquoinjuste crsquoest elle qui creacutee tout travail tout meacutetier les mains agissent les pieds vont tous les membres srsquoagitent lorsqursquoelle eacutemet la parole penseacutee du cœurhellip raquo

Ce texte met en pleine lumiegravere le meacutecanisme de la creacuteation par le Verbe Voici les conclusions de M Maspero ainsi laquo selon notre auteur toute opeacuteration creacutea-trice doit proceacuteder du cœur et de la langue et ecirctre parleacutee en dedans penseacutee puis eacutenonceacutee au dehors en paroleshellip Les choses et les ecirctres dits en dedans nrsquoexistent

220 A Z XLII p Inversement pour tuer quelqursquoun par exemple le deacutemon Apophis on commence une incantation par ces termes laquo Que son nom ne soit plus raquo (nesiamsou p )22 Breasted ap A Z XXXIX ) - G Maspero ap recueil XXIV p 68-7 Erman ein Denkmal memphitischer Theologie (ap sitzungsberichte preussischen Akad Berlin )

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

qursquoen puissance pour qursquoils arrivent agrave lrsquoexistence reacuteelle il faut que la langue les parle au dehors solennellement raquo

Sans doute faut-il noter que ce texte est drsquoune reacutedaction qui ne remonte pas plus haut que le regravegne de Shabaka (vers 700 av J-C) Mais le reacutedacteur nrsquoa pas manqueacute drsquoavertir qursquoil copiait un original ancien 222 et qursquoil reproduisait une tra-dition seacuteculaire M Erman qui a distingueacute avec sagaciteacute les diffeacuterents eacuteleacutements du texte conclut que laquo crsquoest un document de la plus haute antiquiteacute 22 raquo Les allusions contenues dans les textes anteacuterieurs permettent de discerner derriegravere la theacuteorie de la toute-puissance du Verbe la notion drsquoune intelligence divine dont le Verbe nrsquoest que la manifestation creacuteatrice

Une autre ideacutee fort importante se deacutegage du texte commenteacute ci-dessus Il y est dit expresseacutement que le dieu Phtah renferme en lui la puissance du cœur (es-prit) et de la langue (verbe) mais cœur et langue tout en nrsquoeacutetant que des facul-teacutes de Phtah prennent les formes visibles de deux dieux Horus (cœur) et Thot (langue) Est-ce que Phtah Horus et Thot ne constitueraient pas une Uniteacute-Tri-niteacute conception qui fut si en faveur agrave la fin de la civilisation eacutegyptienne hellip

A lrsquoeacutepoque alexandrine lrsquounion de lrsquoIntelligence divine et du Verbe srsquoexprimait par le dogme de la triniteacute hermeacutetique qui deacutefinit la diviniteacute comme une associa-tion de lrsquointelligence νοῦς du verbe λόγος et de lrsquoesprit πνεῦμα Sous sa forme la plus mateacuterielle la triniteacute srsquoeacutetait imposeacutee depuis tregraves longtemps aux dieux eacutegyp-tiens dans chaque ville on imaginait que le dieu local formait avec sa femme et son fils 22 une famille qui devenait une triade Mais crsquoest lagrave une conception an-thropomorphique drsquoorigine populaire Les theacuteologiens trouvegraverent moyen agrave vrai dire de ramener la triade agrave lrsquouniteacute M Maspero a eacutetabli que dans les triades laquo le pegravere et le fils eacutetaient si lrsquoon voulait un personnage et que lrsquoun des deux parents dominait toujours lrsquoautre de si haut qursquoil lrsquoannulait presque entiegraverement tantocirct la deacuteesse disparaissait derriegravere son eacutepoux tantocirct le dieu nrsquoexistait que pour justi-fier la feacuteconditeacute de la deacuteesse et ne srsquoattribuait drsquoautre raison drsquoecirctre que son emploi de mari On en vint assez vite agrave mecircler deux personnages si eacutetroitement unis et agrave les deacutefinir comme eacutetant les deux faces les deux aspects masculin et feacuteminin drsquoun seul ecirctre Drsquoune part le pegravere eacutetait un avec le fils et de lrsquoautre il eacutetait un avec la

222 laquo Sa Majesteacute Shabaka eacutecrivit ce livre agrave nouveau dans la maison de son pegravere Phtah de Mem-phis Sa Majesteacute lrsquoavait trouveacute eacutecrit par les ancecirctres mais il avait eacuteteacute mangeacute des vers et on nrsquoy reconnaissait plus rien du commencement agrave la fin Sa Majesteacute lrsquoeacutecrivit agrave nouveau si bien qursquoil eacutetait plus beau qursquoavanthellip raquo (Erman l c p 2)22 L c p222 Un dieu peut se combiner aussi avec deux deacuteesses ou une deacuteesse avec deux macircles

62

Les Mystegraveres eacutegyptiens

megravere la megravere eacutetait donc une avec le fils comme avec le pegravere et les trois dieux de la triade se ramenaient agrave un dieu unique en trois personnes 22 raquo

En reacutealiteacute ce proceacutedeacute de ramener les triades agrave lrsquouniteacute relegraveve drsquoun systegraveme po-litique centralisateur plutocirct que drsquoun concept theacuteologique Mais le texte analyseacute plus haut donne une tout autre impression Il nrsquoest plus question ici drsquoune fa-mille divine crsquoest une association de trois dieux spirituels Phtah lrsquointelligence suprecircme Horus le cœur crsquoest-agrave-dire lrsquoesprit qui anime et Thot le verbe instru-ment de la creacuteation

laquo Celui qui devient Cœur celui qui devient Langue en eacutemission de Toum crsquoest le grand Phtah Horus srsquoest produit (en Toum) Thot srsquoest produit (en Toum) sous la forme de Phtah la puissance du Cœur et de la Langue se sont produi-tes en lui raquo Aussi Phtah est-il qualifieacute dans le mecircme texte laquo Cœur et Langue de lrsquoEnneacuteade raquo Il semble en reacutesulter que les theacuteologiens de lrsquoeacutepoque ramesside essayaient de constituer agrave cocircteacute de lrsquoEnneacuteade traditionnelle une Triniteacute-Uniteacute de conception purement meacutetaphysique celle de Phtah-Horus-Thot = Deacutemiurge-Esprit-Verbe Mais cette triniteacute ne se deacutegage pas des cadres theacuteologiques elle est subordonneacutee agrave Toum et ne peut encore se passer de lrsquoEnneacuteade

Un effort plus accentueacute vers la conception drsquoune Triniteacute-Uniteacute apparaicirct dans le papyrus de Leyde de lrsquoeacutepoque des Ramessides reacutecemment publieacute par M Gar-diner 226 Voici comment y est deacutefinie la nature du dieu suprecircme de lrsquoeacutepoque Amon-Theacutebain laquo Trois dieux sont tous les dieux Amon Racirc Phtah qui nrsquoont pas leurs pareils Celui dont la nature (litt le nom) est mysteacuterieuse crsquoest Amon Racirc est la tecircte Phtah est le corps Leurs villes sur terre eacutetablies agrave jamais sont Thegrave-bes Heacuteliopolis Memphis (stables) pour toujours Quand il y a un message du ciel on lrsquoentend agrave Heacuteliopolis on le reacutepegravete dans Memphis agrave Phtah (Neferher) on en fait une lettre eacutecrite en caractegraveres de Thot pour la ville drsquoAmon (Thegravebes) avec tout ce qui srsquoy rapporte La reacuteponse et la deacutecision sont donneacutees agrave Thegravebes et ce qui sort crsquoest agrave lrsquoadresse de lrsquoEnneacuteade divine tout ce qui sort de sa bouche celle drsquoAmon Les dieux sont eacutetablis pour lui suivant ses commandements Le message il est pour tuer ou pour faire vivre Vie et mort en deacutependent pour tous les ecirctres excepteacute pour lui Amon et pour Racirc (et pour Phtah) uniteacute-triniteacute 227 raquo

Malgreacute lrsquoobscuriteacute de certaines phrases il ressort que les trois grands dieux de

22 Maspero Histoire I p 0 0226 Hymns to Amon ap A Z XLII p 227 Litt laquo totaliseacutes trois raquo

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lrsquoeacutepoque ramesside constituent une Uniteacute-Triniteacute un Dieu en trois personnes que le texte deacutesigne en ces termes expregraves

Comme lrsquoexplique M Gardiner la volonteacute de la Triniteacute est une le texte cher-che comment fonctionne le meacutecanisme de cette commune administration du monde La penseacutee divine se reacutevegravele au ciel sous forme de message parleacute le Verbe divin reacutesonne aux oreilles dans la ville drsquoHeacuteliopolis dont le dieu repreacutesente la face de la triniteacute autant dire la tecircte pensante Le message est transmis agrave Phtah le corps de la triniteacute lagrave il est reacutepeacuteteacute prend une forme mateacuterielle et tangible une fois transcrit par lrsquoaide de Thot le scribe des dieux Quand le message a eacuteteacute agrave la fois penseacute agrave Heacuteliopolis et revecirctu drsquoune forme concregravete agrave Memphis il est soumis dans Thegravebes agrave lrsquoapprobation drsquoAmon le dieu dont le nom est cacheacute lrsquointelligence invisible Lui seul imprime lrsquoeacutelan deacutefinitif agrave la penseacutee divine et lrsquoenvoie comme un ordre de vie ou de mort aux dieux secondaires soumis agrave ses lois comme tout le reste des ecirctres

Si on compare le texte du papyrus de Leyde agrave lrsquoinscription graveacutee sous Sha-baka on lui trouvera me semble-t-il moins de subtiliteacute et une sorte de reacutealisme enfantin Le gouvernement divin y est preacutesenteacute sous une forme tangible et ma-teacuterielle et probablement imiteacutee du meacutecanisme de lrsquoadministration pharaonique Mecircme meacutelange de mysticisme et de mateacuterialisme dans la description suivante que le mecircme texte consacre agrave Amon lrsquointelligence suprecircme qui laquo a eacutemis Racirc et qui srsquounit agrave Toum de telle sorte qursquoil ne fait qursquoun avec lui raquo mdash laquo Amon raquo est-il dit laquo a son acircme au ciel son corps dans (la neacutecropole de) lrsquoAmenti sa statue dans Hermonthis pour servir de support agrave ses apparitionshellip Amon (celui qui se cache) se voile pour les dieux on ne connaicirct point son aspecthellip nul dieu ne connaicirct sa vraie nature et sa forme nrsquoest point deacutecrite dans les livreshellip il est trop mysteacuterieux pour qursquoon deacutecouvre sa gloire il est trop grand pour qursquoon le discute trop puissant pour qursquoon le connaissehellip228 raquo A coup sucircr nous sommes loin encore du concept de Dieu Intelligence pure Cependant nous approchons de la triniteacute hermeacutetique qui saura deacutefinir avec plus de preacutecision le dieu un et multiple agrave la fois intelligence esprit et raison

Lrsquointelligence divine apregraves avoir creacuteeacute et animeacute le monde par le Verbe ne se deacutesinteacuteressait pas de ses creacuteatures et gardait contact avec elles Quand Platon et apregraves lui saint Augustin deacutefinissent ainsi le pouvoir du dieu Thot laquo Crsquoest le dieu Verbe lui-mecircme le Verbe aileacute qui par le commerce les arts la science circule

228 Aeg Zeitschrift XLII p -

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

au travers des hommes les rapproche les civilise sert de messager agrave la penseacutee divine 22 raquo ils reprennent une conception traditionnelle en Eacutegypte drsquoapregraves la-quelle toute connaissance reacuteside en Dieu ou vient de Dieu Au papyrus de Leyde on lit agrave propos drsquoAmon laquo Son cœur connaicirct tout ses legravevres goucirctent tout son ka (son essence) crsquoest toutes les existences neacutees de sa langue 20 raquo Arts et sciences de tout genre eacutetaient des secrets des mystegraveres dont les hommes ne prenaient connaissance que par reacuteveacutelation divine Les papyrus meacutedicaux par exemple pas-saient pour ecirctre tombeacutes du ciel et avoir eacuteteacute trouveacutes dans les temples au pied drsquoune statue de dieu 2 De mecircme pour les rituels ou livres sacreacutes ils parviennent aux hommes par miracle eacutecrits de la main mecircme du dieu Thot Bien avant lrsquoeacutepo-que alexandrine Thot eacutetait deacutejagrave le grand initiateur de lrsquohumaniteacute en tant que laquo dieu des paroles divines raquo Et comme personnification de la laquo Langue il y avait en Thot le sage une force plus grande que celle de tous les dieux 22 raquo Mais les dieux principaux de chaque ville ne reacutepugnaient pas agrave jouer eux-mecircmes le rocircle de providence Ainsi disait-on drsquoAmon laquo Amon repousse les maux et chasse les maladies crsquoest un meacutedecin qui gueacuterit les yeux sans (avoir besoin de) remegravedes raquo

La parole divine eacutecrite ou parleacutee ne reacutevegravele pas seulement la science elle fait connaicirctre le sens de la vie lrsquointelligence des choses elle ouvre aux hommes les secrets de la suprecircme Raison Dans les eacutecrits hermeacutetiques le laquo Verbe raquo Λόγος si-gnifie laquo raison raquo aussi bien que laquo parole raquo dans les textes eacutegyptiens Thot le dieu de la parole sainte qui a reacuteveacuteleacute les arts les sciences les lettres aux hommes a comme compagne eacuteternelle Macirciumlt (Maacirct) la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Jus-tice et de la Raison

La Veacuteriteacute est le contraire de lrsquoerreur et du mensonge par conseacutequent son caractegravere propre est la science la justice la raison 2 Elle est la substance mecircme du Dieu creacuteateur elle se confond avec lui ou pour se servir des expressions liturgiques Macirciumlt est agrave la fois la megravere du dieu qui lrsquoa creacuteeacute sa fille puisqursquoelle est aussi œuvre du dieu le dieu lui-mecircme puisque Dieu est toute connaissance toute veacuteriteacute toute justice Elle est si semblable au dieu qursquoelle constitue la nour-

22 Reitzenstein Zwei relig Fragen p 820 A Z XLII p 8 Litteacuteralement la connaissance sa crsquoest son cœur le goucirct hou ce sont ses legravevres son ka crsquoest tout ce qui existe (issu) de sa langue laquo Sur les rapports de sa hou avec le ka voir plus loin2 Voir les textes reacuteunis par Weill Monuments de la iie et de la iiie dynasties p et suiv22 recueil de travaux XXIX p 72 Pierret eacutetudes eacutegyptologiques II p

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

riture journaliegravere des ecirctres divins agrave elle seule elle reacutesume toutes les offrandes mateacuterielles et spirituelles et crsquoest pourquoi il faut la preacutesenter au dieu quand on ceacutelegravebre lrsquooffice divin

Lrsquooffrande drsquoune statuette de Macirciumlt la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Justice de la Raison est toujours repreacutesenteacutee agrave la place drsquohonneur sur la paroi du fond dans les sanctuaires eacutegyptiens crsquoest donc lagrave lrsquoaboutissement du culte rendu aux dieux Celui qui offre Macirciumlt qursquoil soit le precirctre ou le roi est censeacute prendre agrave ce moment la personnaliteacute de Thot-Hermegraves le laquo maicirctre de Macirciumlt raquo et voici en quels termes il srsquoadresse au dieu laquo Je suis venu vers toi moi Thot (jrsquoarrive) les deux mains reacuteunies pour porter Macirciumlthellip Macirciumlt est venue pour qursquoelle soit avec toi Macirciumlt est en toute place qui est tienne pour que tu te poses sur ellehellip Voici venir les dieux et les deacuteesses qui sont avec toi en portant Macirciumlt ils savent que tu vis drsquoelle Ton œil droit est Macirciumlt ton œil gauche est Macirciumlt tes chairs et tes membres sont Macirciumlthellip le vecirctement de tes membres est Macirciumlt ce que tu manges est Macirciumlt ce que tu bois est Macirciumlt tes pains sont Macirciumlt ta biegravere est Macirciumlthellip Tu existes parce que Macirciumlt existehellip2 raquo

En lisant ces formules que lrsquoon retrouve plus ou moins deacuteveloppeacutees dans chaque sanctuaire eacutegyptien et agrave toutes les eacutepoques (agrave partir du moment ougrave les temples nous ont eacuteteacute conserveacutes crsquoest-agrave-dire depuis la XVIIIe dynastie) il est dif-ficile de ne point se rappeler ce que Platon dans le phegravedre nous dit de la Veacuteriteacute essence des dieux Voici les paroles qursquoil place dans la bouche de Socrate

laquo Aucun poegravete nrsquoa jamais ceacuteleacutebreacute la reacutegion qui srsquoeacutetend au-dessus du ciel aucun ne la ceacuteleacutebrera jamais dignement Voici pourtant ce qui en est car si lrsquoon doit toujours dire la Veacuteriteacute on y est surtout obligeacute quand on parle sur la Veacuteriteacute Lrsquoes-sence sans couleur impalpable sans forme ne peut ecirctre contempleacutee que par lrsquoIntelligence autour de lrsquoessence est le seacutejour de la science parfaite qursquoembrasse la Veacuteriteacute tout entiegravere Or la penseacutee des dieux qui se nourrit drsquoIntelligence et de Science sans meacutelange mdash comme celle de toute acircme avide de lrsquoaliment qui lui convient mdash admise agrave jouir de la contemplation de lrsquoEcirctre absolu srsquoabreuve de la Veacuteriteacute et est plongeacutee dans le ravissement elle contemple la Justice en soi la Science qui a pour objet lrsquoEcirctre des ecirctres Telle est la vie des dieuxhellip2 raquo Lrsquohymne du rituel eacutegyptien dont on a lu plus haut la traduction exprime les mecircmes ideacutees sous une forme agrave peine plus mateacuterielle Nous nrsquoexaminerons pas ici lrsquohypothegravese

2 rituel du culte divin p 8 et suiv laquo Chapitre de donner Macirciumlt raquo Les rois qui sont identifieacutes aux dieux disent de mecircme laquo Macirciumlt crsquoest mon pain raquo (Sethe Urkunden der 18 Dynastie p 8-7)2 Platon trad p

66

Les Mystegraveres eacutegyptiens

drsquoune influence de la penseacutee eacutegyptienne sur les theacuteories platoniciennes mais cette doctrine du Logos Verbe de raison et de veacuteriteacute que les philosophes greacuteco-alexandrins ont deacuteveloppeacutee avec tant de preacutedilection nrsquoavait-elle pas deacutejagrave reccedilu une expression fort preacutecise dans les eacutecoles theacuteologiques de lrsquoEacutegypte

La sagesse divine est donc reacuteveacuteleacutee aux hommes par la parole une loi morale srsquoen deacutegage qui se reacutesume en cette ideacutee laquo pratiquer la justice reacutealiser la Veacuteriteacute raquo

Les textes eacutegyptiens preacutecisent lrsquounion indissoluble de la Veacuteriteacute et du Verbe dans une expression caracteacuteristique un idiotisme intraduisible qui a eacutepuiseacute les efforts des eacutegyptologues Quand un ecirctre humain ou divin arrive soit par sa naissance soit par ses vertus ou meacuterites propres soit par proceacutedeacutes magiques agrave lrsquoeacutetat de gracircce que nous appelons sainteteacute ou diviniteacute les Eacutegyptiens disent de lui qursquoil reacutealise la voix qursquoil est Macirc-hrou Cette eacutepithegravete caracteacuterise les dieux le roi qui est un dieu vivant sur terre les hommes deacutefunts qui ont meacuteriteacute les paradis ou qui se sont munis des rites efficaces pour les atteindre enfin les hom-mes vivants en eacutetat de gracircce tels que les precirctres ceacuteleacutebrant lrsquooffice ou les magi-ciens armeacutes de formules Reacutealiser la voix cela veut dire avoir agrave sa disposition le Verbe creacuteateur qui donne toute puissance agrave nrsquoimporte quel moment et en toute occasion Le dieu ou lrsquohomme est-il en danger La parole divine dont il articule les sons renversera ses ennemis a-t-il quelques deacutesirs il en nomme lrsquoobjet qui se reacutealise aussitocirct a-t-il faim les laquo offrandes sortiront agrave la voix raquo degraves que leur nom aura eacuteteacute prononceacute car le miracle de la creacuteation par le Verbe se renouvelle dans tout temple et tout tombeau ougrave lrsquoon dit la parole efficace a-t-il besoin drsquoune justification devant le tribunal drsquoOsiris la parole divine vraie par sa na-ture donne agrave qui la possegravede la justice et la vertu Une expression si complexe peut se commenter non se traduire Aussi les eacutegyptologues ont-ils chacun agrave leur tour essayeacute vainement de rendre ces mots laquo Macirchrou raquo les traductions proposeacutees par Deveacuteria et Naville laquo triomphant raquo par Maspero laquo juste de voix raquo par Pierret laquo veacuteridique raquo par Virey laquo celui qui reacutealise en parlant dont la voix fait ecirctre vrai-ment raquo par moi-mecircme laquo creacuteateur par la voix doueacute de voix creacuteatrice 26 raquo sont inhabiles agrave rendre le sens complet de lrsquoexpression Ceci reste neacuteanmoins que pour caracteacuteriser la force la sagesse la vertu des ecirctres divins 27 les Eacutegyptiens ont associeacute le Verbe et la raison dans une expression composeacutee dont les deux termes

26 rituel du culte divin p 6 et suiv27 Et probablement aussi lrsquoinitiation aux rites osiriens qui reacutesume toutes les forces ou vertus deacutesirables

67

Les Mystegraveres eacutegyptiens

correspondent aux deux sens du mot non moins intraduisible Λόγος dont usent les textes hermeacutetiques

Il reacutesulte de cette reacutevision sommaire que pour les Eacutegyptiens cultiveacutes de lrsquoeacutepo-que pharaonique et des milliers drsquoanneacutees avant lrsquoegravere chreacutetienne le Dieu eacutetait conccedilu comme une Intelligence qui a penseacute le monde et qui a trouveacute le Verbe comme moyen drsquoexpression et comme instrument de creacuteation Cette parole creacutea-trice qui reacutesonne parfois au ciel telle que le tonnerre nrsquoatteste pas seulement la puissance du Dieu et nrsquoinspire pas seulement la terreur elle reacutevegravele aux hommes la science la raison la justice ce qui se reacutesume en un seul mot la Veacuteriteacute Par la theacuteorie du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur les eacutecrits hermeacutetiques nrsquoont fait que rajeunir une ideacutee ancienne en Eacutegypte et qui faisait partie essentielle du vieux fonds de la culture intellectuelle religieuse et morale 28

28 La planche II repreacutesente deux aspects du dieu Fils Horus portant le doigt agrave la bouche Ce geste qui agrave lrsquoorigine ne repreacutesente qursquoune attitude caracteacuteristique de lrsquoenfance semble avoir pris plus tard suivant une hypothegravese ingeacutenieuse de M Guimet une valeur symbolique et deacute-signerait un dieu du Verbe

68

III

La royauteacute dans Lrsquoeacutegypte prIMItIve pharaon et toteM

Il y a quinze ans encore la monarchie eacutegyptienne offrait une eacutenigme que lrsquoon deacutesespeacuterait presque de reacutesoudre jamais telle que la Minerve de la fable qui sortit tout armeacutee du cerveau de Jupiter elle se preacutesentait degraves lrsquoeacutepoque qursquoon appelait alors la plus lointaine (crsquoeacutetait la IVe dynastie 2800 ans avant notre egravere) comme un organisme adulte qui drsquoun seul jet et sans effort aurait atteint son complet deacuteveloppement Eacutetait-il possible que sans coup feacuterir la monarchie se fucirct incarneacutee dans un roi absolu veacuteneacutereacute en maicirctre sur la terre adoreacute en dieu dans les temples chef indiscuteacute des deux Eacutegyptes Comment en lrsquoabsence de monu-ments expliquer ce miracle Vinrent les fouilles drsquoAmeacutelineau de J de Morgan de Petrie qui jointes au labeur philologique drsquoautres savants ont enfin permis de remonter agrave un millier drsquoanneacutees plus haut vers les origines de la socieacuteteacute eacutegyp-tienne

Figure 0Eacutedifice surmonteacute drsquoune enseigne Poterie preacutehistorique 2

Dans les neacutecropoles archaiumlques drsquoAbydos de Negadah et drsquoHierakonpolis des vases ou fragments de vases en terre cuite ou en pierre dure ont revu le jour ils portaient sur leurs panses les noms des souverains des deux premiegraveres

2 Les figures reproduites ici dans le texte sont emprunteacutees agrave lrsquoillustration de la confeacuterence de V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme ougrave on trouvera leurs reacutefeacuterences Elles proviennent toutes de monuments archaiumlques

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dynasties et certaines repreacutesentations drsquoeacutedifices fortifieacutes Or ceux-ci sont sur-monteacutes drsquoenseignes qui ont la forme drsquoun animal drsquoune plante drsquoun objet Iden-tifier ces enseignes deacutefinir leur rocircle a eacuteteacute relativement facile la plupart eacutetant resteacutees en usage agrave lrsquoeacutepoque classique comme armoiries des provinces ou nomes crsquoest-agrave-dire comme laquo insignes de collectiviteacutes raquo on en a conclu avec raison que sur les monuments archaiumlques ces enseignes eacutetaient aussi des laquo emblegravemes ethni-ques raquo20 et qursquoelles peuvent nous eacuteclairer sur les premiers groupements sociaux de lrsquoEacutegypte Avant drsquoecirctre unifieacutee sous la domination drsquoun roi lrsquoEacutegypte avait eacuteteacute diviseacutee et de ces divisions ethniques nous connaissions tout au moins les signes de ralliement

En 06 M Loret dans une brillante confeacuterence faite au Museacutee Guimet sur lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme a deacutemontreacute que les enseignes qui apparaissent sur les monuments archaiumlques nrsquoeacutetaient pas seulement des drapeaux mais figuraient aussi pour les Eacutegyptiens primitifs les chefs et les dieux des diffeacuterents groupes ethniques Sur lrsquoune des enseignes celle du Faucon les monuments de lrsquoeacutepoque historique donnaient de preacutecieux eacuteclaircissements On savait qursquoelle avait donneacute son nom de Faucon agrave un groupe drsquoindividus laquo les compagnons ou adorateurs du Faucon raquo Hor shemsou et que le Pharaon lui-mecircme se dit un faucon et en porte le titre Hor faucon Or un objet qui est agrave la fois une enseigne un dieu un chef et en qui srsquoidentifient des hommes rentre dans une cateacutegorie bien deacutefinie crsquoest un totem le groupement ethnique auquel il preacuteside est un clan toteacutemique

M Loret reconnut donc sur les repreacutesentations des vases les totems du Faucon du Chien du Leacutevrier de lrsquoIbis du Scorpion du Lion des 2 Piques du Roseau etc Drsquoapregraves ce qursquoon savait du Faucon il conclut qursquoautour de chaque totem se groupait encore agrave cette eacutepoque un clan toteacutemique crsquoest pour cela que ces enseignes servaient de drapeaux agrave des groupements ethniques LrsquoEacutegypte en eacutetait donc vers 000 ans av J-C au reacutegime social du clan toteacutemique Pour deacutefinir cet eacutetat des rapprochements srsquoimposaient avec les peuples qui de nos jours vivent encore par clans ce sont les non-civiliseacutes des nouveaux mondes Lrsquoanalogie permettait de supposer que cette Eacutegypte archaiumlque dans laquelle on peacuteneacutetrait nrsquoeacutetait encore qursquoau degreacute de deacuteveloppement constateacute aujourdrsquohui chez telle peuplade de Negravegres ou drsquoAustraliens Le terrain de comparaison eacutetant trouveacute nous pouvons nous demander si ce que nous connaissons de lrsquoEacutegypte archaiumlque srsquoaccorde avec la deacutefinition de toute socieacuteteacute toteacutemique telle que lrsquoont

20 V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Bibliothegraveque de vulgarisation t XIX p 76)

70

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutetablie les travaux de Frazer et de Durkheim Quoique ces deux savants ne soient pas toujours drsquoaccord empruntons leurs lumiegraveres pour deacutefinir aussi exactement que possible ce qursquoest un totem et un clan toteacutemique 2

Le mot nrsquoest connu de nous que depuis les reacutecits des explorateurs du Nouveau Monde au xviiie siegravecle laquo Totem raquo est tireacute du dialecte objibway (tribu des Algon-quins) ougrave il signifie laquo marque famille raquo mais la chose la conception qursquoil deacutesigne srsquoest reacuteveacuteleacutee commune aux peuples non civiliseacutes dans beaucoup de pays Voici les traits geacuteneacuteraux du totem Avant tout ce nrsquoest pas un feacutetiche car le feacutetiche est un animal ou un objet diviniseacute La caracteacuteristique du totem au contraire crsquoest de deacutesigner un groupe une espegravece entiegravere drsquoecirctres ou drsquoobjets Il est pour cette espegravece comme le substratum des individus qui la composent en lui reacuteside agrave la fois la source vitale lrsquoeacutenergie geacuteneacuteratrice et le nom collectif (crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme perseacuteveacuterante) de la race puis encore la marque de cette parenteacute commune le blason et enfin lrsquoesprit protecteur la providence de cette race

Prenons un clan qui a adopteacute pour totem un loup Chaque membre du clan Loup est un loup il croit que le loup est lrsquoancecirctre animal mdash lui-mecircme sorti du sol comme les plantes mdash agrave qui des membres humains ont pousseacute qui srsquoest mis agrave marcher sur deux pattes a eacutepileacute son corps est devenu un loup-homme Tous les membres du clan descendent donc drsquoun vrai loup sont de la mecircme chair par conseacutequent fregraveres des autres loups resteacutes agrave lrsquoeacutetat sauvage (crsquoest-agrave-dire animal) mdash drsquoougrave lrsquointerdiction (tabou) de ne chasser ni tuer ni manger le loup-fregravere le totem

Une religion (au sens de lien) drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute groupe les membres du clan fils du totem autour de ce pegravere et bienfaiteur qui leur a donneacute vie et force Chacun porte la marque sacreacutee lrsquoeffigie du loup empreinte sur ses chairs on la tatoue sur les jeunes gens pendant les rites de lrsquoinitiation qui suit la puberteacute elle est apposeacutee en signature au bas des actes publics ou priveacutes on la sculpte ou on la peint sur les armes le mobilier les maisons on lrsquoeacuterige sur un poteau au faicircte des huttes ou agrave lrsquoentreacutee du village on la place sur la tombe des individus dont le nom toteacutemique (et non point personnel) sera ainsi sauvegardeacute pour lrsquoeacuteterniteacute Car apregraves la mort lrsquoindividu retourne agrave son totem Lrsquoeacutemanation du Loup qui srsquoeacutetait incarneacutee pour une existence passagegravere dans une forme humaine revient

2 J Frazer Le toteacutemisme (trad franccedil 88) Durkheim Les formes eacuteleacutementaires de la vie reli-gieuse le systegraveme toteacutemique en Australie 2 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode com-parative (ap revue de lrsquoHistoire des religions LVIII I p )

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

apregraves la mort se confondre et se reacutesorber dans le Loup ancestral drsquoougrave renaicirctront indeacutefiniment drsquoautres loups

Mais agrave chaque geacuteneacuteration lrsquoessence primitive du Loup devient plus lointai-ne sa force risque de srsquoatteacutenuer de srsquoaffaiblir Sans doute le Loup feacuteconde-t-il mystiquement toutes les megraveres mais encore faut-il peacuteriodiquement reprendre contact avec lrsquoancecirctre pour reacutegeacuteneacuterer le clan A cet effet une femme du clan souvent celle du chef srsquounira charnellement au totem Lrsquoacte est simuleacute si le to-tem est un ecirctre inanimeacute mais si crsquoest un animal lrsquoaccouplement drsquoune femme avec un repreacutesentant du type est souvent reacuteel Sauf cette exception religieuse toute relation sexuelle drsquohomme agrave femme dans le mecircme clan est rigoureusement prohibeacutee lrsquoexogamie crsquoest-agrave-dire le mariage en dehors du clan est la loi du groupement toteacutemique Hommes et femmes eacutepousent donc des individus de clans voisins et lrsquoenfant appartient au clan et au totem de sa megravere

De lagrave pour la vie du clan toteacutemique un germe drsquoaffaiblissement et de trans-formation Les enfants appartenant au totem de la megravere agrave chaque geacuteneacuteration toute la descendance macircle des hommes-loups passe aux clans des femmes eacutepou-seacutees agrave mesure que la tribu srsquoaccroicirct par mariages ses rejetons multiplient les clans nouveaux qui vivent cocircte agrave cocircte avec lrsquoancien Plus la tribu est nomade plus elle se dissout en uniteacutes nouvelles se subdivise en adoptant quelque varieacuteteacute animale ou aspect diffeacuterent du totem primitif (loup-chacal loup-cervier chien etc) Une socieacuteteacute agrave lrsquoeacutetat toteacutemique se preacutesente donc sous lrsquoaspect drsquoune cohue de plus en plus panacheacutee bigarreacutee et disperseacutee agrave chaque geacuteneacuteration Peu agrave peu la confusion devient telle qursquoune organisation nouvelle se creacutee par neacutecessiteacute alors la regravegle de lrsquoexogamie se relacircche et lrsquoon tolegravere les unions entre individus du mecircme groupe toteacutemique Le totem ne srsquoattachera plus agrave la race morceleacutee et alteacutereacutee apregraves tant de croisements mais agrave la localiteacute on aura des totems de pays agrave cocircteacute des totems de familles Enfin lrsquoimage du totem lui-mecircme arrive agrave figurer une sorte de geacutenie de la race qui joue encore le rocircle drsquoancecirctre et de providence mais perd peu agrave peu le contact avec les hommes du clan se retire de la terre et se transforme en dieu

Tel serait le scheacutema de lrsquoeacutevolution toteacutemique Retrouvons-nous dans lrsquoEacutegypte archaiumlque tous les traits ou seulement des traces drsquoun pareil eacutetat social

72

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure laquo Faucon combattant raquo nom royal de Ahacirc 2 laquo Faucon combattant raquo livre des prisonniers

Disons tout drsquoabord que les figures ou scegravenes graveacutees sur les vases et les pa-lettes votives ne reacutevegravelent que quelques eacutepisodes seulement de la vie des clans en Eacutegypte Lrsquoexistence mecircme des clans distingueacutes par des enseignes telles que M Loret les a reconnues nrsquoest pas douteuse car les enseignes apparaissent com-me marques distinctives dans des scegravenes qui touchent agrave la vie collective plus qursquoagrave la vie individuelle repreacutesentations de villages ou drsquoeacutedifices batailles fecirctes publi-ques cortegraveges etc Comme chez les autres primitifs la nature de ces enseignes est tregraves varieacutee ce sont des animaux (beacutelier chien lion leacutevrier eacuteleacutephant taureau faucon vautour ibis chouet-te vanneau silure abeille vi-pegravere scorpion) des veacutegeacutetaux (roseau sycomore palmier) des armes de chasse ou de guerre (flegraveches arc harpon hache boomerang) des si-gnes geacuteographiques (monta-gnes) ou astronomiques (cer-cle solaire 22)

22 La liste aussi complegravete que possible en a eacuteteacute dresseacutee par V Loret Les enseignes militaires des tribus et les symboles hieacuteroglyphiques des diviniteacutes (ap revue eacutegyptologique t X02)

Figure 2 mdash tLe nom royal de Narmer animeacute

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

On eacutelegraveve ces figures sur des pavois ou enseignes et on les arbore sur les eacutedifices ou les barques on les grave ou on les peint sur les vases les assiettes les statues car il faut que les membres du clan soient en communion constante avec leur totem

Figure Enseignes toteacutemiques animeacutees

Ces enseignes sont vivantes et interviennent dans la vie du clan On voit le faucon tenir dans ses serres le bouclier et le javelot (fig ) le silure brandit agrave deux bras greffeacutes sur son corps de poisson la massue pour assommer un ennemi (fig 2) le vautour amegravene des captifs par une corde (fig ) le faucon le scor-pion le lion manient le pic et deacutemolissent les remparts derriegravere lesquels srsquoabri-tent des rivaux (fig ) parfois lrsquoenseigne qui porte lrsquoemblegraveme a elle aussi des bras pour tenir la corde des captifs ou empoigner lrsquoadversaire 2 A cette vie on reconnaicirct que les emblegravemes sont des totems

2 V Loret Lrsquoeacutegyptehellip p 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figures -Eacutedicule drsquoenseigne et animal toteacutemique

Comme tels on les veacutenegravere en geacutenies protecteurs leurs images (si ce sont des objets inanimeacutes) leurs speacutecimens vivants (si ce sont des animaux) sont gardeacutes preacutecieusement dans des eacutedicules (fig -) construits de murs en clayonnage recouverts drsquoun toit en forme de demi-coupole aux parois on suspend des ob-jets votifs des palettes et des tablettes graveacutees de scegravenes qui commeacutemorent les victoires ou les fecirctes du clan 2 sur le toit on accroche le bucrane deacutepouille des animaux sacrifieacutes au totem un mur drsquoenceinte avec porte encadreacutee de deux haches planteacutees en terre encadre le sanctuaire primitif ougrave vit le palladium de la tribu Les monuments archaiumlques ne nous enseignent rien de plus sur le culte du totem mais des traditions resteacutees en honneur agrave lrsquoeacutepoque classique ont prolongeacute jusqursquoagrave nous lrsquoeacutecho des rites tregraves anciens qui se rapportent au culte des animaux toteacutemiques Si les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque romaine adoraient encore les taureaux Apis agrave Memphis Mneacutevis agrave Heacuteliopolis Bouchis agrave Hermonthis le bouc agrave Mendegraves le chat agrave Bubastis lrsquoibis agrave Hermopolis le faucon agrave Edfou le crocodile au Fayoum et agrave Ombos srsquoil eacutetait deacutefendu de tuer et de manger tel ou tel animal mais seule-ment dans la ville ougrave il eacutetait adoreacute mdash crsquoest par respect pour des traditions drsquoune antiquiteacute deacutemesureacutee qui nous ont conserveacute vivants les cultes des anciens clans toteacutemiques Aussi pouvons-nous admettre que les membres srsquoabstenaient de tuer et de manger le totem pendant sa vie on le nourrissait et on lrsquoadorait agrave sa mort on le pleurait solennellement jusqursquoagrave lrsquoinstallation de son successeur (comme on faisait pour les Apis agrave lrsquoeacutepoque classique)

2 Les plus importantes sont reproduites dans lrsquoouvrage de J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte 0

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

En retour le totem eacutetait la providence du clan eacutegyptien Pendant la paix sa preacutesence dans le sanctuaire du village assure la prospeacuteriteacute au combat il marche en tecircte des guerriers et il lutte agrave sa faccedilon contre les adversaires Le totem protegravege ainsi ses descendants et ses fregraveres Le lien du sang qui existe entre lui et la tribu qui porte son nom est tenu pour reacuteel et non fictif Peacuteriodiquement une femme du clan srsquounit au totem Heacuterodote 2 nous rapporte qursquoagrave Mendegraves de son temps le bouc sacreacute srsquoeacutetait accoupleacute agrave une femme Strabon et Diodore relatent le mecircme fait agrave Memphis et agrave Thegravebes le rite se pratiquait encore agrave Rome au temps de Tibegravere dans le temple drsquoAnubis 26 Ces unions monstrueuses qui persistaient drsquoune faccedilon sporadique ne sont qursquoune survivance du temps ougrave lrsquoanimal toteacute-mique perpeacutetuait sa race pour feacuteconder le clan

Crsquoest agrave peu pregraves tout ce que donnent les monuments sur lrsquoexistence drsquoun eacutetat social toteacutemique en Eacutegypte il est impossible de veacuterifier si lrsquoexogamie eacutetait en usage du moins aucune trace nrsquoen est resteacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave les documents commencent agrave nous renseigner sauf lrsquousage de la descendance en ligne feacutemi-nine encore srsquoexplique-t-elle aussi par la pratique de la polygamie En somme lrsquoEacutegypte mecircme agrave lrsquoeacutepoque archaiumlque ne preacutesente plus que des survivances de toteacutemisme 27 preuve en est la position du roi dans la socieacuteteacute drsquoalors

A partir du moment ougrave lrsquoon trouve dans les tombes autre chose que de sim-ples vases peu ou pas deacutecoreacutes degraves que les monuments agrave inscriptions ou figures descriptives apparaissent la socieacuteteacute se reacutevegravele monarchique et la monarchie se montre deacutejagrave centraliseacutee Les scegravenes graveacutees sur les vases et les palettes votives permettent de discerner des luttes de clans qui se terminent par le triomphe du clan du Faucon Or lrsquoexamen des monuments ougrave apparaicirct le faucon nous mon-tre que degraves cette eacutepoque tregraves lointaine lrsquoanimal est moins le chef drsquoun clan que le protecteur de la famille royale

2 II 626 Cf Ad-J Reinach Lrsquoeacutegypte preacutehistorique p 827 A Van Gennep revue de lrsquohistoire des religions LVIII p critiquant les conclusions trop absolues de V Loret se refusait en 08 agrave reconnaicirctre mecircme des traces de vrai toteacutemisme dans les donneacutees des documents eacutegyptiens et nrsquoy voyait qursquoune forme de zoolacirctrie Crsquoest agrave mon avis aller trop loin dans la reacuteserve prudente et la critique Jrsquoessaierai de montrer ci-apregraves que lrsquoideacutee toteacutemique a surveacutecu peut-ecirctre dans la notion du Ka ougrave ne se retrouve nulle trace de zoolacirctrie

76

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 6Le faucon proteacutegeant le roi

Le faucon apparaicirct drsquoabord comme enseigne royale porteacute sur un pavois il preacutecegravede le roi (et le roi seul) dans tous les tableaux des victoires ou des fecirctes royales srsquoil y a drsquoautres enseignes porteacutees devant le roi le faucon est le plus sou-vent en tecircte au premier rang Il combat pour le roi saisit ses ennemis ou les lui amegravene prisonniers Crsquoest donc le geacutenie protecteur du roi Comme tel on repreacute-sente le faucon volant (fig 6) ou au repos proteacutegeant la nuque du roi de ses ailes eacutetendues

Le faucon est avec le roi dans les rapports drsquoun totem avec son enfant De toute antiquiteacute le nom du faucon est le nom qui deacutesigne le roi (et le roi seul) Pour eacutecrire le nom du roi Ahacirc le laquo combattant raquo les Eacutegyptiens gra-vaient un faucon tenant dans ses serres bouclier et javelot (fig ) quoi de plus direct pour exprimer agrave tous les yeux lrsquoideacutee que le roi eacutetait le laquo faucon combat-tant raquo Depuis Ahacirc (qursquoil soit ou non le Menegraves des listes historiques) jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne signifiera laquo le roi raquo et sera le premier nom protocolaire du souverain Or qui dit nom dit essence acircme le roi est donc de mecircme essence que le faucon A lrsquoeacutepoque classique les textes srsquoeacutetendent avec complaisance sur la parenteacute du roi et du faucon Un prince royal enfant est ap-peleacute laquo le faucon dans son nid 28 raquo Monte-t-il sur le trocircne crsquoest le laquo faucon sur son cadre 2 raquo en cet instant dit Loret le Ka du faucon ancestral laquo descendait du ciel et venait srsquoincorporer srsquoincarner dans la personne du roi se surajouter raquo comme

28 Breasted A new chapter in the life of Thutmes iii p 62 A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p n litteacuteralement laquo sur son eacutedifice raquo

77

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le dit un texte du temple de Seacuteti Ier agrave Abydos 20 Le roi meurt-il Crsquoest laquo le faucon qui srsquoenvole au ciel 2 raquo pour rentrer dans le sein du dieu 22 dont il est issu

Sans doute ce sont lagrave figures de langage qui rappellent seulement des ideacutees et auxquelles on nrsquoattachait plus un sens litteacuteral Toutefois une tradition mon-tre combien fut durable en Eacutegypte la croyance de la parenteacute reacuteelle du roi et du totem A lrsquoeacutepoque classique les temples nous conservent le tableau de lrsquounion charnelle du dieu principal de lrsquoEacutegypte Racirc 2 ou Amon-Racirc avec la femme du roi de cette laquo theacuteogamie raquo naissait lrsquoheacuteritier royal 2 Il est difficile drsquoadmettre qursquoon crucirct agrave la reacutealiteacute effective de cette union nul ne pouvait se vanter drsquoavoir vu Amon descendre du ciel pour entrer dans la couche de la reine Il est plus probable que la scegravene de la theacuteogamie eacutetait admise comme un rappel adouci de la coutume citeacutee plus haut lrsquoaccouplement de lrsquoanimal-totem avec la femme du chef

Le faucon est aussi degraves ce moment le dieu de la famille royale Dans la premiegrave-re capitale connue la laquo ville des faucons raquo Hierakonpolis les rois de la Ire dynastie eacutelegravevent un temple au Faucon ougrave Quibell a trouveacute encore une magnifique tecircte de faucon en or datant de lrsquoAncien Empire Le faucon comme dieu est devenu Horus plus tard lrsquoHorus de la mythologie classique

En reacutesumeacute le roi dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est bien vis-agrave-vis du faucon dans la situation drsquoun clansman par rapport au totem le faucon est pour lui son en-seigne son geacutenie protecteur son nom son pegravere son dieu Est-ce assez pour dire que lrsquoEacutegypte drsquoalors en est encore au reacutegime du clan toteacutemique Tel nrsquoest point mon avis Ce qui a eacuteteacute dit plus haut caracteacuterise en effet les rapports du roi avec le faucon mais du roi seul et non pas de tous les Eacutegyptiens Au moment ougrave com-mence pour nous lrsquohistoire documentaire il nrsquoy a plus en Eacutegypte drsquoautre faucon que le roi et son dieu 2 Or la vraie socieacuteteacute toteacutemique ne connaicirct ni roi ni sujets

20 V Loret l c p 20 Cf Mariette Abydos I pl 22 Maspero Contes populaires p 20 7 Lrsquoexpression srsquoemploie aussi poeacutetiquement pour dire que le roi entre au sanctuaire (Breasted l c p et 7)22 Lrsquoexpression apparaicirct par exemple dans lrsquoinscription drsquoAnna (recueil XII p 06)2 Crsquoest depuis la Ve dynastie que les rois prennent reacuteguliegraverement le titre Sa-Racirc laquo fils de Racirc raquo ce qui semble indiquer une conseacutecration de la tradition de la theacuteogamie ceci concorde avec le teacutemoignage du papyrus Westcar2 Cf A Monet Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 0 et suiv2 Le nom de laquo compagnons du faucon raquo que les textes religieux nomment shemson Hor (ayant comme signes distinctifs le chien sur lrsquoenseigne lrsquoarc et le boomerang) ne srsquoappliquent reacuteel-lement pas dans les textes historiques agrave des hommes ordinaires mais agrave des rois tregraves anciens ou des dieux mdash Cf agrave ce sujet Sethe Die Horusdiener p 2 et Ed Meyer Chronologie (tr franccedilaise) p 2

78

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tous les membres du clan y vivent sur pied drsquoeacutegaliteacute par rapport agrave leur totem laquo Le toteacutemisme pur dit Frazer est deacutemocratique crsquoest une religion drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute chaque individu de lrsquoespegravece toteacutemique en vaut un autre Si par conseacutequent un individu de lrsquoespegravece a la digniteacute de fregravere aicircneacute drsquoesprit gardien srsquoil occupe un rang supeacuterieur en digniteacute agrave tout le reste le toteacutemisme est prati-quement abandonneacute et la religion srsquoachemine en mecircme temps que la socieacuteteacute au monarchisme 26 raquo

Crsquoest preacuteciseacutement agrave cette phase de lrsquoeacutevolution que lrsquoEacutegypte semble deacutejagrave par-venue au moment ougrave les monuments les plus anciens nous la reacutevegravelent Degraves la peacuteriode de Negadah et drsquoAbydos les Eacutegyptiens qui combattent pour le roi ne sont plus des laquo compagnons de clan raquo mais des sujets

Figure 7Ash animal divin anthropomorphe

Aucun texte ne permet de dire qursquoils srsquoappellent comme le roi des Faucons le lien est relacirccheacute entre eux et le totem ils ne communiquent plus avec Hor que par lrsquointermeacutediaire du Roi Le faucon mecircme se transforme apregraves avoir eacuteteacute la source de vie et le patrimoine du clan il preacuteside aux seules destineacutees de la famille royale Son aspect srsquohumanise et cette transformation srsquoannonce degraves le temps tregraves ancien ougrave on repreacutesente lrsquoanimal toteacutemique muni de bras pour deacutefendre le roi ou saisir ses ennemis bientocirct apparaicirctront certaines figures divines composi-tes tels que le dieu Ash sur les bouchons drsquoAbydos (fig 7) ougrave un corps humain se combine avec une tecircte de leacutevrier agrave dater de ce moment les totems drsquoEacutegypte subissent la loi commune ils deviennent laquo drsquoabord de simples animaux divini-

26 toteacutemisme p 28

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

seacutes puis des dieux anthropomorphes agrave attributs animaux 27 raquo Ainsi le faucon se transforme-t-il en Horus dieu agrave corps humain hieacuteracoceacutephale Dans la ville drsquoHieacuterakonpolis le Faucon nrsquoest deacutejagrave plus un totem mais le dieu de la famille royale

Cette eacutevolution monarchique qui apparaicirct dans la religion comme dans la socieacuteteacute srsquoaccentua rapidement au fur et agrave mesure que srsquoachevait la conquecircte de lrsquoEacutegypte par les rois Faucons tels que Narmer et Ahacirc Apregraves avoir absorbeacute leur propre clan ils subjuguegraverent les clans rivaux et srsquoannexegraverent les dieux des prin-cipales villes conquises

Crsquoest ainsi que le vautour drsquoEl-Kab et lrsquoUraeligus de Bouto le roseau de Koptos et lrsquoabeille drsquoHeacuteiacleacuteopolis et agrave certains moments lrsquoanimal typhonien furent adopteacutes comme patrons royaux secondaires Le roi srsquoidentifia agrave ces dieux comme il lrsquoavait fait pour le faucon leurs signes caracteacuteris-tiques etc deacutesignegraverent comme le faucon Hor le nom et lrsquoessence mecircme du Pharaon Il en fut de mecircme pour drsquoautres emblegravemes sacreacutes le laquo tau-reau puissant raquo le laquo lion androceacutephale ou hieacuteracoceacutephale raquo (sphinx ou griffon) le crocodile mecircme (sous la forme ati) le lotus de Thegravebes e t lrsquoautre lotus du Delta Faute de documents pour chacun drsquoeux nous devons nous contenter de raisonner par analogie si le Pharaon srsquoest comporteacute vis-agrave-vis de ces dieux comme il lrsquoa fait pour le Faucon crsquoest peut-ecirctre qursquoils furent jadis comme le Faucon les totems drsquoune race conquise par le roi 28

Le souvenir srsquoen est conserveacute jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne et cette tradition persistante explique certains deacuteveloppements poeacutetiques de la lit-teacuterature officielle Voici quelles eacutepithegravetes on deacutecerne encore agrave Seacuteti Ier au deacutebut de la XIXe dynastie (vers 00 avant notre egravere)

laquo Faucon divin aux plumes bigarreacutees il traverse le ciel comme la majesteacute de Racirc chacal agrave la deacutemarche rapide il fait le tour de cette terre en une heure lion

27 Frazer toteacutemisme p 2828 Voici quelques reacutefeacuterences pour les diffeacuterents aspects du roi Roi-taureau palettes archaiuml-ques citeacutees par J Capart Les deacutebuts de lrsquoart p 2 et suiv roi-lion palette archaiumlque ibid p 22 sphinx de Tanis (G Maspero Histoire I p 0) roi-griffon pectoral de Senousret III agrave Dahchour (de Morgan I pl XXI) panneau du trocircne de Thoutmegraves IV (Davis The tomb of Thoutmosegraves iV pl VI-VIII XII) roi-crocodile pap Prisse pl IV 2 pour une allusion au roseau et agrave lrsquoabeille cf Griffith papyrus de Kahun pl III 2 le lotus et le papyrus apparais-sent comme plantes heacuteraldiques royales sur les piliers de Thoutmegraves III agrave Karnak (G Maspero Histoire II p 7)

80

Les Mystegraveres eacutegyptiens

fascinateur il bondit sur les chemins inconnus de tout pays eacutetranger taureau puissant aux cornes aceacutereacutees il pieacutetine les Asiatiques et foule les Kheacutetas 2 raquo

En reacutesumeacute ce qursquoil y a eu de toteacutemique dans lrsquoeacutetat social de lrsquoEacutegypte primitive ne nous apparaicirct plus guegravere que deacuteformeacute et ramasseacute en une seule personnaliteacute celle du roi La socieacuteteacute dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est deacutejagrave niveleacutee et sur ce terrain deacuteblayeacute les rois et les precirctres eacutelegraveveront degraves le temps des Pyramides lrsquoeacutedifice somptueux de la monarchie absolue

Tel qursquoil est devenu au cours des acircges fils des dieux dieu lui-mecircme seul possesseur du sol dispensateur de toutes les gracircces terrestres et divines seul in-termeacutediaire entre les hommes et les dieux comme sorcier et comme precirctre guide des hommes dans la vie terrestre et sur le chemin qui megravene au ciel apregraves la mort Pharaon apparaicirct dans lrsquohistoire comme la plus formidable force morale qui ait eacuteteacute jamais conccedilue Tout cela eacutetait en germe dans la reacutevolution qui a permis au roi de confisquer agrave son profil lrsquoautoriteacute du totem sur le clan toteacutemique et de concentrer en sa personne royale lrsquoessence divine de la race

Pendant les quatre mille ans que duregraverent les dynasties pharaoniques une parcelle de lrsquoideacuteal toteacutemique semble avoir persisteacute neacuteanmoins malgreacute lrsquoheacutegeacutemo-nie royale crsquoest la croyance qursquoil existe un eacuteleacutement commun entre les Eacutegyptiens le roi et les dieux Crsquoest une sorte de geacutenie de la race et de la nature entiegravere il anime agrave la fois la matiegravere dans les corps inanimeacutes la chair des ecirctres animeacutes et les faculteacutes de lrsquoesprit Pour lrsquounivers tout entier et tous les ecirctres animeacutes ou inani-meacutes ce geacutenie qursquoils appelaient le Ka (mot qui signifie comme genius force geacuteneacuteratrice et esprit protecteur) jouait le rocircle de substance commune et drsquoacircme collective Nous avons vu que pour les affilieacutes des clans toteacutemiques naicirctre crsquoest sortir du Totem pour mener une vie consciente mourir crsquoest rentrer dans le sein du Totem et srsquoy reacutesorber 260 De mecircme pour les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque posteacute-rieure naicirctre crsquoeacutetait donner au Ka lrsquooccasion de se manifester dans une forme passagegravere une existence individuelle mourir crsquoeacutetait revenir agrave son essence pri-mordiale ou comme ils disaient laquo passer agrave son Ka raquo Nous croyons donc qursquoapregraves la reacutevolution sociale et religieuse qui marque le passage de lrsquoeacutetat toteacutemique agrave la monarchie centraliseacutee quelque chose de la mentaliteacute primitive a subsisteacute dans la socieacuteteacute eacutegyptienne par cette notion du Ka Le Ka a prolongeacute la meacutetaphysique primitive puisqursquoil semble ecirctre agrave la fois laquo la substance mecircme drsquoun individu son

2 Texte drsquoIpsamboul citeacute par Guieysse ap recueil XI p 7260 Frazer toteacutemisme p Lors de la mort le clansman cherche agrave srsquoidentifier agrave son totem On apostrophe ainsi le mort laquo Tu es venu ici de chez les animaux et tu trsquoen retournes chez euxhellip Tu vas chez les animaux tu vas rejoindre les ancecirctreshellip raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

nom vivant et impeacuterissable son totem 26 raquo Les documents montrent que le Ka est tout cela au moins pour Pharaon En fait le roi drsquoEacutegypte en mecircme temps qursquoil se confond avec le ou les totems devient aussi comme la forme visible de cette acircme collective de cette substance essentielle de la race dont on avait fait jadis le totem qursquoon appelait maintenant le Ka Les autres hommes ne reve-naient agrave leur Ka qursquoapregraves leur mort le roi degraves qursquoil est introniseacute degraves qursquoil srsquoap-pelle Faucon devient le Ka des vivants geacutenie de son peuple acircme et substance de ses sujets

Figure 8Nom royal de Ka et de faucon

Aussi le roi seul parmi les ecirctres fait-il repreacutesenter agrave cocircteacute de sa forme corpo-relle ordinaire son corps essentiel si je puis dire son corps en tant que Ka en tant qursquoacircme et corps collectifs de la race Sur les tableaux des temples on le voit derriegravere le roi crsquoest une figure de dieu adolescent portant sur sa tecircte le nom du Faucon royal 262 (cf fig 26)

Cette conception qui a perseacuteveacutereacute jusqursquoaux derniers temps de la monarchie eacutegyptienne montre mieux que toute autre ce qursquoeacutetait le Pharaon pour son peu-ple on le veacuteneacuterait sur terre comme la force primordiale des ecirctres et des choses comme le Ka incarneacute Eacutecoutez la doctrine qursquoun noble de la XIIe dynastie en-seignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu Sa (la science) qui est dans les cœurs (les esprits) ses yeux explorent toute conscience crsquoest Racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre

26 V Loret l c p 20262 Cf les repreacutesentations citeacutees par A Moret l c p 7 2 222 22

82

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plus que le Nil en crue quand il emplit les deux terres de force et de viehellip Il donne les largesses agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraie son chemin Crsquoest le Ka le roi Crsquoest la surabondance sa bouche 26 crsquoest sa creacuteation (tout) ce qui existe 26 raquo

En cette qualiteacute de successeurs des dieux les rois drsquoEacutegypte se trouvent dans des conditions de vie toutes speacuteciales Nos renseignements agrave ce sujet sont peu nombreux et fort incomplets parce que nous nrsquoavons conserveacute aucun texte deacute-veloppeacute anteacuterieur agrave lrsquoeacutepoque des grandes Pyramides Mais dans le grand nom-bre de traditions bizarres que nous ont transmises sur lrsquoEacutegypte ancienne soit les auteurs classiques soit les sources nationales il srsquoen trouve dont lrsquoexplication ne srsquoeacuteclaire que par les coutumes des peuples non civiliseacutes et speacutecialement de ceux qui vivent encore en Afrique ou ailleurs dans un eacutetat social toteacutemique Ces traditions qui concernent le pharaon semblent bien nous apporter un eacutecho de la primitive histoire

En tant que faucon ou dieu le roi possegravede les privilegraveges les plus eacutetendus et le pouvoir le plus absolu il est maicirctre de la vie de ses sujets et tout le sol lui ap-partient Avec son cortegravege drsquoanimaux dompteacutes par ses charmes la tecircte ceinte de lrsquoUraeligus 26 la nuque proteacutegeacutee par le faucon ou le vautour 266 ailes deacuteployeacutees es-corteacute par le lion Pharaon est drsquoun aspect terrible et drsquoun voisinage redoutable 267 Aussi de mecircme que le sauvage tremble drsquoapercevoir son totem lrsquoEacutegyptien re-doute de voir son roi agrave moins drsquoy ecirctre inviteacute quand il est admis en sa preacutesence le sujet se voile la face de ses mains tombe prosterneacute et ne se deacutecide agrave parler que lorsqursquoil en reccediloit lrsquoordre cateacutegorique 268 Il est interdit de profeacuterer le nom per-sonnel du roi-dieu On le deacutesigne par une peacuteriphrase laquo Sa Majesteacute raquo ou on lrsquoappelle laquo Notre Maicirctre raquo Quiconque prononce en vain le nom du roi deacutechaicircne une force si puissante que nul nrsquoen saurait arrecircter les effets 26

Dans ces conditions on conccediloit que lrsquoaccegraves du palais fucirct tregraves difficile et qursquoun ceacutereacutemonial scrupuleux reacuteglacirct les audiences Comparons avec le ceacutereacutemonial eacutegyp-

26 Le roi comme les dieux creacutee toute chose rien qursquoen parlant par la force du verbe sacreacute Voir plus haut26 Stegravele de Sehetepibracirc Caire 208 (face II I et suiv)26 Cf Maspero Contes (e eacuted) p laquo la royale Uraeligus qui enveloppe ta tecircte raquo Sur ce rocircle de lrsquoUraeligus cf Ad Erman Hymnen an das Diadem der pharaonen p 7 et suiv266 Statue de Cheacutephregraven Davis tomb of Thoutmosis iV pl X267 G Maspero Histoire II p 268 Frazer toteacutemisme p 26 ibid p 2

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tien ce reacutecit drsquoune audience chez le roi des Yolofs (drsquoapregraves les observations drsquoun voyageur au deacutebut du xviiie siegravecle 270)

laquo En avanccedilant vers le roi qui nrsquoaccorde ces audiences que devant la porte du palais le sujet se met agrave genoux agrave quelque distance baisse la tecircte et prend de cha-que main une poigneacutee de sable dont il se couvre la chevelure et le visage A me-sure qursquoil approche il reacutepegravete plusieurs fois la mecircme ceacutereacutemonie (Drsquoautres avan-cent continuellement agrave genoux en se couvrant de terre et de sable pour montrer qursquoils ne sont que poussiegravere en comparaison du roi) Enfin srsquoagenouillant agrave deux pas du monarque il explique les raisons qui lui ont fait deacutesirer une audience Apregraves ce compliment il se legraveve sans oser jeter les yeux devant lui Il tient les bras eacutetendus vers ses genoux et de temps en temps il se jette de la poussiegravere sur le front Le roi paraicirct lrsquoeacutecouter peu et tourne son attention sur quelque bagatelle qui lrsquoamuse Cependant il prend un air fort grave agrave la fin de la harangue et sa reacuteponse est un ordre auquel les suppliants nrsquoosent reacutepliquer Ils se confondent ensuite dans la foule des courtisans raquo

Voici comment au temps de la XIIe dynastie le prince Sinouhit de retour drsquoun exil en Asie se preacutesentait devant Pharaon 27 laquo Dix hommes vinrent pour me mener au palais Je touchai la terre du fronthellip puis on me conduisit au logis du roi Je trouvai Sa Majesteacute sur la grande estrade dans lrsquoembrasure de vermeil et je me jetai sur le ventre je perdis connaissance devant lui Ce dieu mrsquoadressa des paroles aimables mais je fus comme un individu qui est pris dans le creacute-puscule mon acircme deacutefaillit mes membres se deacuterobegraverent mon cœur ne fut plus dans ma poitrine et je connus quelle diffeacuterence il y a entre la vie et la mort raquo hellip Puis quand la parole lui est revenue Sinouhit profegravere drsquoune voix balbutiante laquo Me voici devant toi tu es la vie que Ta Majesteacute agisse agrave son plaisir raquo Alors Sa Majesteacute dit agrave la Reine laquo Voilagrave Sinouhit qui vient semblable agrave un Asiatique comme un Beacutedouin qursquoil est devenu raquo Elle poussa un tregraves grand eacuteclat de rire et les Infants royaux srsquoesclaffegraverent tous agrave la fois

On remarquera le trait final Lorsque le roi rit toute lrsquoassistance rit drsquoune seule bouche crsquoest encore une coutume respectueuse vis-agrave-vis drsquoun roi-dieu Chez les non-civiliseacutes lorsque le roi tousse rit ou pleure toute lrsquoassistance par politesse et respect fait de mecircme

Le roi primitif srsquoil a comme dieu tous les pouvoirs est par contre-partie

270 Walckenaer Histoire des voyages IV p 227 G Maspero Les contes populaires de lrsquoeacutegypte ancienne e eacutedit p 8

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soumis agrave des obligations rigoureuses M Frazer lrsquoa dit en termes excellents laquo La personne du roi est consideacutereacutee comme le centre dynamique du monde de lagrave sa force rayonne partout le moindre de ses gestes un mouvement de sa tecircte ou de ses bras peut troubler la nature Sur lui repose lrsquoeacutequilibre du monde la moindre faute de sa part peut tout deacuteranger Il doit donc prendre les plus gran-des preacutecautions toute sa vie doit ecirctre minutieusement reacutegleacutee dans les moindres deacutetails raquo mdash De lagrave les interdictions de faire telle ou telle chose de manger telle ou telle chose qui ont pour but de creacuteer autour du roi une zone drsquoisolement Ce sont les tabous Existaient-ils en Eacutegypte

Nous les connaissons mal mais il semble qursquoil y en ait eu de seacutevegraveres au moins agrave lrsquoeacutepoque tregraves ancienne Une tradition conserveacutee par Diodore (I 70) nous dit que laquo la vie des Pharaons eacutetait reacutegleacutee jusque dans ses moindres deacutetails ils ne devaient manger que du veau et de lrsquooie et ne boire qursquoune certaine quantiteacute de vin raquo Ces indications sont vraies en principe on a trouveacute dans les temples eacutegyptiens des listes 272 qui donnent pour chaque Nome agrave cocircteacute des noms des dieux des temples des precirctres la mention de la chose deacutefendue (bout) du tabou qui est le plus souvent un mets dont lrsquousage est interdit dans cette reacutegion Nul doute que le roi grand precirctre dans chaque temple ne fut astreint agrave lrsquoobservation des tabous au moins quand il se trouvait dans la reacutegion ougrave ce tabou devait ecirctre observeacute Quant aux regravegles de vie imposeacutees au Pharaon nous les ignorons Sou-haitons pour eux qursquoelles aient eacuteteacute moins strictes que celles auxquelles le Mikado eacutetait encore asservi il y a 200 ans 27

laquo Les princes de cette famille sont regardeacutes comme sacreacutes comme pontifes de naissance Ils sont obligeacutes de mener une vie toute speacuteciale Ils ne peuvent toucher le sol avec leurs pieds on les porte donc constamment Le Mikado ne peut ecirctre exposeacute agrave lrsquoair ni au soleil Son corps est sacreacute agrave un tel point qursquoil ne coupe ni ses cheveux ni ses ongles ni sa barbe On le lave pendant son sommeil ce qursquoon enlegraveve alors de son corps est consideacutereacute comme un vol qui ne porte aucun preacuteju-dice agrave sa sainteteacute Il devait jadis rester assis chaque matin plusieurs heures sur son trocircne sans remuer fut-ce une paupiegravere De son immobiliteacute deacutependaient la paix et le bonheur de son empire On a transfeacutereacute ce privilegravege agrave la couronne royale qui seule aujourdrsquohui est placeacutee sur le trocircne pendant plusieurs heures chaque matin Les mets du Mikado sont preacutepareacutes chaque fois dans des plats neufs par eacuteconomie ces plats sont en terre commune et ne servent qursquoune fois

272 Brugsch Dictionnaire geacuteographique p 627 Frazer Le rameau drsquoor I p 72 drsquoapregraves la relation de Kaempfer

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On les brise ensuite car si un profane srsquoen servait il aurait une inflammation de la bouche et de la gorge Les vecirctements feraient de mecircme enfler celui qui les porterait sans lrsquoautorisation du Mikado raquo

Le principal service que lrsquoon attende de ces rois-dieux crsquoest de commander agrave la nature On leur precircte le pouvoir de faire tomber la pluie briller le soleil pous-ser les reacutecoltes agrave ce titre on les appelle chez les non-civiliseacutes les rois du temps de lrsquoeau du feu des moissons

Ces pouvoirs on les precirctait certainement aux Pharaons primitifs Si en Eacutegyp-te les sorciers passaient pour avoir la puissance drsquoarrecircter le cours des astres et des fleuves de renverser le ciel ou la terre de faire agrave volonteacute la nuit ou le jour la pluie ou le beau temps nul doute que le Pharaon laquo le maicirctre des charmes magiques agrave qui Thot lui-mecircme avait enseigneacute tous ses secrets 27 raquo ne fucirct estimeacute plus capable encore que nrsquoimporte quel autre magicien drsquoagir agrave son greacute sur la nature Drsquoailleurs des traditions ou les attestations des monuments permettent de preacuteciser ces pouvoirs

Comme roi de lrsquoeau Pharaon commandait peut-ecirctre rarement la pluie car il ne pleut pas souvent en Eacutegypte ougrave lrsquoinondation peacuteriodique du Nil suppleacutee aux eaux du ciel Mais crsquoest Pharaon qui fait venir la crue par ses priegraveres (fig 0) ou ses incantations Nous savons par les stegraveles graveacutees agrave Silsilis au temps de Ramsegraves II qursquoau premier jour de la crue agrave la date ougrave du ciel tombait eacutechappeacutee aux yeux de Nout ou drsquoIsis la goutte drsquoeau qui deacuteclenche lrsquoinondation fertilisante le roi jetait lui-mecircme au fleuve un ordre eacutecrit de commencer la crue 27 crsquoeacutetait sans doute une formule magique de puissance irreacutesistible Quand les mineurs de la reacutegion de lrsquoEtbaye vinrent dire au roi Ramsegraves II que sur la route suivie par eux et leurs acircnes tous les puits eacutetaient taris Pharaon convoqua ses conseillers et ses magiciens et ceux-ci dirent au roi laquo Si tu dis agrave lrsquoeau ldquo Viens sur la montagne rdquo les eaux ceacutelestes sortiront tocirct agrave lrsquoappel de ta bouche 276 raquo Ramsegraves II fit forer des puits arteacutesiens qui permirent drsquoameacuteliorer le rendement des citernes mais dans lrsquoesprit du peuple lrsquoordre du roi avait suffi lrsquoeau avait surgi docile agrave sa voix

27 Sethe Urkunden IV p -2027 Aegyptische Zeitschrift 87 p 2276 stegravele de Kouban I 7

86

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ramsegraves III moissonne et implore le dieu Nil qui donne lrsquoabondance agrave lrsquoEacutegypte

Meacutedinet-Abou 277

Pharaon est aussi comme les autres rois primitifs roi du feu ceacuteleste la foudre Sa tecircte est ceinte de lrsquoUraeligus qui crache le feu agrave travers lrsquoespace ceacuteleste pareille agrave la comegravete eacutecheveleacutee sa voix terrifie ses ennemis par des hem hem 278 il est pareil agrave ces rois de Tahiti dont la voix est le tonnerre 27 Ne brandit-il pas le sceptre descendu du ciel en ses mains comme un carreau de foudre 280

Enfin roi des moissons Pharaon deacutefriche la terre avec le hoyau et preacuteside aux semailles 28 faucille en main crsquoest lui qui coupe la gerbe de bleacute 282 dans ces champs dont lrsquoabondance est due au Nil deacutebordeacute agrave son commandement Une tradition conserveacutee par les auteurs affirme la responsabiliteacute des animaux sacreacutes les anciens totems et du roi leur substitut laquo Lorsque dit Plutarque 28 il survient une chaleur excessive et pernicieuse qui produit ou des eacutepideacutemies ou drsquoautres calamiteacutes extraordinaires les precirctres font choix de quelques-uns des animaux sacreacutes et les emmenant avec le plus grand secret dans un lieu obscur

277 Drsquoapregraves un clicheacute obligeamment communiqueacute par M Lepage278 stegravele de Thoutmegraves iii 827 Frazer Le rameau drsquoor I p 7280 Sur la forme speacuteciale de certains sceptres royaux cf A Moret Du caractegravere religieux p 228 Un roi archaiumlque le laquo Scorpion raquo manie le hoyau assisteacute drsquoun servant qui tient le boisseau des grains pour les semailles sur une tecircte de massue sculpteacutee conserveacutee agrave Oxford Cf Quibell Hierakonpolis I pi XXVI c et J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte p 22-2282 Paneacutegyrie de Min au Ramesseum (Ramsegraves II) L D III 6 agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) L D III 22 b28 De iside et Osiride 7

87

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ils cherchent drsquoabord agrave les effrayer par des menaces si le mal continue ils les eacutegorgent et les offrent en sacrifice soit pour punir le mauvais geacutenie soit comme une des plus grandes expiations qursquoils puissent faire raquo Drsquoapregraves Ammien Marcel-lin (XXVIII ) ce ne sont point les animaux sacreacutes mais les rois eux-mecircmes qui sont responsables des calamiteacutes publiques de la guerre des mauvaises reacutecol-tes 28 Rapprochons de ces textes la tradition biblique qui impute aux Pharaons de Joseph ou de Moiumlse les sept anneacutees de famine et les dix plaies de lrsquoEacutegypte 28 la stegravele apocryphe du roi Deser ougrave un Pharaon de lrsquoeacutepoque archaiumlque cherche dans des grimoires magiques les moyens de conjurer la famine et la seacutecheresse 286 les leacutegendes maneacutethoniennes sur les rois Ameacutenophis 287 et Bocchoris 288 jugeacutes responsables de la santeacute publique lors drsquoune eacutepideacutemie de peste et nous aurons la certitude que les Eacutegyptiens comme certains non-civiliseacutes rendaient le roi res-ponsable des deacutefaillances de la nature 28

Ajoutons de suite le correctif neacutecessaire de bonne heure les Pharaons qui ont su si bien transformer en monarchie absolue le clan toteacutemique ont eacuteteacute assez avi-seacutes pour eacutechapper agrave leurs responsabiliteacutes Preuve en est la faccedilon dont ils semblent avoir corrigeacute agrave leur profit une coutume fort barbare qursquoon applique souvent aux rois des populations primitives

Cette coutume a eacuteteacute preacuteciseacutee par M Frazer en ces termes 20 laquo Les peuples primitifs croient souvent que leur seacutecuriteacute et celle du monde en-

tier deacutependent de la vie drsquoun de ces hommes-dieux qui incarnent agrave leurs yeux la diviniteacute Naturellement ils prennent le plus grand soin drsquoune vie aussi preacutecieuse en songeant surtout agrave conserver la leur Mais rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourirhellip Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastrophes ne se produiront pas lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de

28 En Germanie laquo rex ritu veteri potestate deposita rernovetur si sub eo fortuna titubaverit belli vel segetum copiam negaverit terra ut solent Aegyptii casus ejusmodi suis adsignare rectoribus raquo28 genegravese xli exode X 27286 Brugsch Die sieben biblisehen Jahre der Hungersnoth texte I I et suiv287 Josegravephe C Apion I 26288 A Moret De Bocchori rege p et suiv28 Cf Frazer Le rameau drsquoor I p 7 laquo Partouthellip le roi doit ecirctre consideacutereacute par ses sujets comme la source drsquoabondantes beacuteneacutedictions et de graves dangers Drsquoune part il fait tomber la pluie luire le soleil souffler les vents favorables mais drsquoautre part ce qursquoil donne il peut le refuser et la moindre irreacutegulariteacute commise par lui peut provoquer un cataclysme raquo20 Le rameau drsquoor II p -

88

Les Mystegraveres eacutegyptiens

transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Le meurtre rituel du roi quand lrsquoacircge commence agrave lrsquoaffaiblir srsquoest pratiqueacute chez la plupart des peuples sauvages ou demi-civiliseacutes en Afrique aux Indes en Australie au Mexique partout on retrouve cette coutume Parfois le peuple nrsquoat-tendait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau XVIe siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans Nous renvoyons au livre de Frazer pour le deacutetail et nous y ajouterons celui-ci dans la reacutegion du Haut-Nil (districts de Fachoda) les rois du Shilluk sont encore actuellement soumis agrave ce reacutegime meurtrier 2 Quand le roi du Shilluk montre des signes de seacuteniliteacute ou de maladie un de ses fils a le droit drsquoessayer de tuer son pegravere en peacuteneacutetrant de nuit aupregraves de lui Aussi le roi assurent les voyageurs ne dort-il que le jour et se tient-il eacuteveilleacute tout ou partie de la nuit En drsquoautres cas lrsquohonneur de tuer le roi revient aux membres drsquoune fa-mille de lrsquoaristocratie ils annoncent au roi que son heure de mourir est venue en jetant sur sa figure et ses genoux une piegravece drsquoeacutetoffe pendant son sommeil puis le roi est mureacute dans une cabane il y meurt de famine ou drsquoasphyxie agrave moins qursquoon ne lrsquoait preacutealablement eacutetrangleacute

Partout comme bien on pense les rois se sont efforceacutes drsquoeacutechapper agrave cette lamentable fin Ils y arrivegraverent les uns par la violence les autres en faisant ad-mettre des atteacutenuations progressives et la substitution de victimes reacuteelles ou fic-tives 22 Mais ces substitutions nrsquoeacutetaient toleacutereacutees qursquoagrave une condition crsquoest que le roi vieilli reccedilucirct du meurtre rituel fictif ou reacuteel un renouveau de jeunesse et de santeacute le sang verseacute de la victime reacutegeacuteneacuterait son corps affaibli par une sorte de baptecircme et de renaissance

Les premiers Pharaons durent-ils srsquoassujettir agrave ce sacrifice barbare Il eacutetait pra-tiqueacute disent les auteurs classiques dans une reacutegion toute voisine de lrsquoEacutegypte le pays de Meacuteroeacute dans le Haut-Nil laquo Les rois eacutethiopiens de Meacuteroeacute eacutetaient adoreacutes comme des dieux mais quand les precirctres le voulaient ils leur envoyaient par un messager lrsquoordre de se tuer ordre soi-disant reccedilu des dieux Jusqursquoau regravegne drsquoErgamegravene contemporain de Ptoleacutemeacutee II les princes eacutethiopiens obeacuteirent tou-jours agrave cet ordre Mais Ergamegravene avait reccedilu une eacuteducation grecque qui lrsquoavait affranchi des superstitions de ses concitoyens loin drsquoobeacuteir aux precirctres il entra

2 Seligmann The cult of nyakong end the divine Kings of the shilluk p 22 (IV Report of the Wellcome tropical research laboratories at the Gordon college Khartoum Vol B General Science )22 Voir plus loin rois de Carnaval p 22

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans le Temple drsquoor agrave la tecircte drsquoune troupe de soldats et fit passer les precirctres au fil de lrsquoeacutepeacutee 2 raquo

Pour lrsquoEacutegypte mecircme il ressort des documents que les Pharaons avaient depuis bien des siegravecles tourneacute la loi sanguinaire mais lrsquoexistence mecircme de cette loi dans lrsquoEacutegypte primitive me semble incontestable

Dans la plupart des temples drsquoEacutegypte et de toutes les eacutepoques des tableaux nous retracent les scegravenes principales drsquoune fecircte solennelle appeleacutee laquo fecircte de la queue raquo fecircte sed Elle consistait essentiellement en une repreacutesentation de la mort rituelle du roi suivie de sa renaissance 2

Figure 0laquo Osorkon II repose agrave lrsquointeacuterieur du tombeau raquo en preacutesence des dieux et de son ka lors de la fecircte Sed Au-dessous precirctres vecirctus de la peau

En cette circonstance le roi est identifieacute agrave Osiris le dieu qui agrave lrsquoeacutepoque histo-rique est le heacuteros du drame sacreacute de lrsquohumaniteacute qui nous guide agrave travers la triple eacutetape vie mort renaissance en lrsquoautre monde Aussi vecirctu du funeacuteraire drsquoOsi-ris le maillot collant en forme de linceul Pharaon est-il conduit au tombeau 2

2 Frazer Le rameau drsquoor II p 7 Cf Diodore III 6 Strabon XVII 2 2 Cf Fl Petrie researches in sinaiuml p 82 et suiv The palace of Apries (Memphis ii) p 8 et suiv2 Petrie gurneh pl V-VII et texte p cl Ed Naville The Festival Holl of Osorkon ii pl X notre fig 0

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

il en revient rajeuni et renaissant tel qursquoOsiris au sortir de la mort Comment se reacutealisait cette fiction et srsquoopeacuterait ce miracle par le sacrifice de victimes humaines ou animales Un precirctre se couche pour le compte du roi dans la peau de la vic-time animale il y prend la position caracteacuteristique qursquoa le fœtus dans le sein de la megravere quand il sortira de la peau il sera censeacute renaicirctre Pharaon pour qui ce rite est ceacuteleacutebreacute renaicirct lui-mecircme ou pour employer lrsquoexpression eacutegyptienne laquo il renouvelle ses naissances raquo Et en teacutemoignage que les rites ont eacuteteacute accomplis le roi ceint ses reins de la queue abreacutegeacute de la deacutepouille de la becircte sacrifieacutee (drsquoougrave le nom laquo fecircte de la queue raquo)

Comment srsquoexpliquer qursquoagrave un moment de son regravegne tout Pharaon doive su-bir cette mort rituelle suivie drsquoune renaissance fictive Srsquoagit-il seulement drsquoun renouvellement de lrsquoinitiation osirienne ou la fecircte offre-t-elle des caractegraveres plus particuliers Le rocircle drsquoailleurs mal deacutefini joueacute dans ces rites par les enfants royaux me semble indiquer que la fecircte sed met en scegravene drsquoautres eacutepisodes re-latifs agrave la transmission de la charge royale En Eacutegypte agrave lrsquoeacutepoque ougrave srsquoeacutebauchait la civilisation le peuple a peut-ecirctre connu lrsquoalternative ou de mettre agrave mort son roi en pleine vigueur afin que sa force soit transmise intacte au successeur ou de srsquoingeacutenier agrave rajeunir ce roi et agrave laquo renouveler sa vie raquo Ce dernier moyen les Pharaons lrsquoont trouveacute quoi de plus efficace que de srsquoidentifier agrave Osiris de srsquoappliquer agrave eux-mecircmes les proceacutedeacutes de reacutesurrection ces rites funeacuteraires par lesquels Isis au dire des precirctres avait magiquement sauveacute de la mort son eacutepoux Peut-ecirctre la mort fictive du roi apparaicirct-elle comme une atteacutenuation du meurtre primitif du roi-dieu une transition de la reacutealiteacute barbare aux symboles 26

Or si les monuments de lrsquoeacutepoque classique nous ont pieusement deacutecrit ces rites encore en vigueur nous constatons qursquoagrave lrsquoeacutepoque archaiumlque presque tous les monuments royaux se rapportent justement agrave des eacutepisodes de la fecircte Sed 27 Voici sur la palette de Narmer le cortegravege solennel de la fecircte le roi se dirige vers le pavillon des fecirctes Sed devant lui trois des enseignes toteacutemiques deux faucons un chacal et le fœtus preacutesage de la renaissance derriegravere lui un officiant que deacutesigne le mot laquo celui agrave prendre raquo (la victime) deacutejagrave revecirctu de la peau de becircte Crsquoest lui qui passera par la peau de la victime agrave moins qursquoil ne soit reacuteellement sacrifieacute Drsquoailleurs le roi assomme de sa propre main ou fait deacutecapiter un cer-

26 Sur lrsquouniversaliteacute de ces sacrifices rituels du roi et la survivance de ces ideacutees jusqursquoagrave notre eacutepoque voir plus bas rois de Carnaval27 A Moret Du caractegravere religieux p 20 2 262 cf Petrie royal tombs I pl VIII XI Les plus importants des monuments royaux sont les palettes votives dont les principales ont eacuteteacute reproduites par Legge (proceedings s B A XXII) cf J Capart l c p 22-2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tain nombre de prisonniers de guerre dont la vie freacutemissante assurera le rachat de la seacuteniliteacute royale 28

Apregraves le sacrifice le roi deacutejagrave revecirctu du maillot osirien est introniseacute en grand apparat Devant lui on amegravene les laquo enfants royaux raquo soit que le roi doive srsquoasso-cier son fils agrave ce moment (pour que la digniteacute royale continue drsquohabiter un corps jeune et vigoureux) soit que lrsquoheacuteritier soit preacutesent comme garantie de lrsquoavenir Et le roi exeacutecute une danse rituelle en lrsquohonneur des dieux les animaux eux-mecirc-mes tournent dans une aire comme pour un taurobole sacreacute La fecircte se termine par un sacrifice et des fondations de temples en lrsquohonneur des dieux protecteurs du roi et du roi-dieu lui-mecircme 2

Que conclure en outre de la preacutesence degraves lrsquoaube de lrsquoeacutepoque archaiumlque de certains traits comme le costume osirien 00 lrsquoenseigne du fœtus Crsquoest que les rois drsquoHierakonpolis de Negadah et drsquoAbydos ont su non seulement imposer la substitution drsquoune victime agrave eux-mecircmes pour le sacrifice royal mais ont fait deacutejagrave accepter agrave leurs sujets la leacutegende divine drsquoOsiris la substitution des victimes srsquoappuie deacutesormais sur lrsquoautoriteacute drsquoune reacuteveacutelation divine Si le peuple drsquoEacutegypte admet degraves cette eacutepoque que le roi peut laquo renouveler sa vie raquo au fur et agrave mesure qursquoil avance en acircge crsquoest que le dogme de la reacutedemption par le dieu Osiris a deacutejagrave produit dans les esprits une reacutevolution morale lrsquohistoire de la passion de la mort de la reacutesurrection du dieu avait ouvert aux hommes les perspectives drsquoun rajeunissement eacuteternel dont les rois ont eacuteteacute ici-bas et de leur vivant les premiers beacuteneacuteficiaires

Ainsi depuis quinze agrave vingt ans la science des origines de lrsquoEacutegypte a notable-ment progresseacute Les neacutecropoles archaiumlques nous ont livreacute au moins un de leurs secrets

Cette orgueilleuse monarchie eacutegyptienne qui se campait agrave lrsquoentreacutee de lrsquohistoire mdash comme les Pyramides son symbole agrave lrsquoentreacutee du deacutesert mdash et qui derriegravere son profil imposant masquait lrsquoeacutetendue du passeacute elle ne srsquoest pas eacutedifieacutee lagrave tout drsquoun coup Elle srsquoest faite bloc agrave bloc conquecircte apregraves conquecircte au cours de siegravecles teacuteneacutebreux qui remontent vers lrsquoinconnu vers ces temps ougrave lrsquoEacutegypte est morceleacutee en clans diviseacutee en tribus ennemies mais srsquoachemine peu agrave peu drsquoun Eacutetat deacute-mocratique sous lrsquoeacutegide des totems agrave lrsquoautocratie pure sous lrsquoeacutegide du Pharaon Apregraves combien de siegravecles srsquoopeacutera cette transformation quelle fut lrsquohistoire agiteacutee

28 Quibell Hierakonpolis pl XXIX J Capart l c p 262 Cf la masse drsquoarmes sculpteacutee Quibeli Hierakonpolis pl XXVI B La mecircme ap J Capart p 2 la course du roi est sur la tablette du roi Den ap Petrie royal tombs I pl XI et XV00 A Moret Du caractegravere religieux p 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de ces clans comment le clan lui-mecircme srsquoest formeacute et srsquoil srsquoest deacuteveloppeacute agrave la fa-ccedilon des clans toteacutemiques dans les autres pays non civiliseacutes autant de problegravemes qui restent agrave reacutesoudre

Le fait essentiel agrave retenir de ces investigations crsquoest que le premier groupe-ment social connu dans lrsquohistoire rappelle lrsquoorganisation toteacutemique des peupla-des sauvages drsquoaujourdrsquohui Si chez ces sauvages le toteacutemisme apparaicirct comme un rudiment de vie sociale est-il hasardeux drsquoinfeacuterer qursquoen Eacutegypte nous tou-chons mdash provisoirement mdash au point de deacutepart de lrsquohumaniteacute historique en mar-che vers la civilisation

Ces premiegraveres annales de lrsquohistoire ont une grandeur eacutemouvante La frater-niteacute le communisme lrsquoaltruisme auraient-ils donc eacuteteacute la religion des premiers acircges Ne nous laissons pas entraicircner vers des speacuteculations trop flatteuses Cette socieacuteteacute primitive se reacutevegravele agrave nous sous des eacutetendards de guerre en des scegravenes de massacre Pourtant lrsquoheacuteritier du roi-totem est une sorte de dieu la providence de son peuple qursquoil sauve en srsquoimmolant tant drsquoabneacutegation lui aurait fait deacutecer-ner par Carlyle la palme de premier heacuteros de lrsquohistoire si Carlyle avait connu ce lointain ancecirctre

Hacirctons-nous drsquoajouter que si la ligneacutee pitoyable et sublime de tels heacuteros a pu durer des milleacutenaires dans certains pays comme lrsquoEacutethiopie lrsquoEacutegypte a produit une race drsquohommes plus aviseacutes De bonne heure nous lrsquoavons vu Pharaon nrsquoa gardeacute du roi-dieu que les obligations agreacuteables et les privilegraveges glorieux il en a prudemment eacuteludeacute les charges surtout il a eacutechappeacute agrave la fataliteacute du meurtre final Politique retors precirctre subtil Pharaon nrsquoa pas briseacute avec la tradition il a adopteacute au lieu de les abattre les drapeaux ennemis il a preacuteposeacute drsquoautres victimes au sacrifice qursquoon exigeait de lui et inventeacute une meacutethode de rajeunissement qui ne le forccedilait ni agrave se deacutemettre ni agrave se tuer Les Eacutegyptiens reacuteclamaient des dieux un roi qui fucirct toujours jeune et vigoureux Pharaon a rempli ce vœu agrave tel point que la monarchie eacutegyptienne a fleuri forte et vivace pendant quatre mille ans

Iv

Le laquo ka raquo des eacutegyptIens est-IL un ancIen toteM

Le mot ka deacutefinit une conception qui joue un rocircle tregraves important dans la vie religieuse des anciens Eacutegyptiens Les dieux les rois les simples humains et mecircme des choses (par exemple certains eacutedifices) possegravedent un ka drsquoune faccedilon tregraves geacuteneacuterale il deacutesigne le principe de vie animeacutee ou inanimeacutee La traduction de ce mot est fort difficile car elle suppose une interpreacutetation

Lepage-Renouf dans une eacutetude exhaustive 0 a mis en lumiegravere les diffeacuterents aspects du ka tour agrave tour image genius dieu protecteur double spirituel mais il ne traduit point le mot Maspero a proposeacute de rendre ka par double 02 parce que le ka du roi est souvent repreacutesenteacute agrave cocircteacute du Pharaon comme laquo une sorte drsquoombre claire analogue agrave un reflet agrave une projection vivante et coloreacutee de la figure humaine un double qui reproduisait dans ses moindres deacutetails lrsquoimage entiegravere de lrsquoobjet ou de lrsquoindividu auquel il appartenait 0 raquo Ce sens double a eacuteteacute longtemps admis sans discussion Cependant Lefeacutebure preacutefeacuterait traduire geacute-nie 0 parce que la racine ka deacutetermineacutee par le taureau ou le phallus deacutesigne le taureau il semble par conseacutequent que si le ka exprime une forme drsquoacircme crsquoest au sens de geacutenie ce terme eacutetant lui aussi apparenteacute aux ideacutees de race γένος et de geacuteneacuteration Tout derniegraverement Steindorff 0 a contesteacute que le ka des rois soit une effigie agrave la ressemblance du Pharaon et que le ka des hommes ait jamais eacuteteacute repreacutesenteacute par les statues funeacuteraires ideacutee preacuteconiseacutee par Maspero 06 il a soutenu cette thegravese le ka est une image distincte du portrait du roi et plutocirct un laquo dieu protecteur raquo qui garde le roi pendant sa vie et dont on met la statue dans le tombeau royal pour proteacuteger le Pharaon dans lrsquoautre monde Drsquoautre part

0 On the sens of an important egyptian Word ap transactions of society of Biblical Archaeligology VI (878) p et suiv02 eacutetudes de mythologie et drsquoarcheacuteologie I p 7 et suiv0 Histoire I p 080 sphinx I p 080 Der Ka und die grabstatuen (Zeitschrift fuumlr aegyptische sprache XLVIII p 2 et suiv) Maspero a deacutefendu sa thegravese dans une reacuteponse Le laquo Ka raquo des Eacutegyptiens est-il un geacutenie ou un double parue dans Memnon VI 2- 206 eacutetudes de mythologie I p 7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

F von Bissing 07 relevant les textes ougrave la racine ka (au pluriel kaou) deacutesigne les aliments les offrandes et en geacuteneacuteral tout ce qui sert agrave sustenter la vie voit dans le ka une personnification laquo de ce qui dans lrsquohomme deacutepend de la nourriture et de lrsquoalimentation raquo un principe de vie et de force mateacuterielle Enfin degraves 06 Loret a preacutesenteacute une deacutefinition inteacuteressante et nouvelle laquo le ka drsquoun individu crsquoest sa substance mecircme son nom impeacuterissable son totem 08 raquo Mais Loret nrsquoa pas justifieacute dans le deacutetail son interpreacutetation 0 qui a passeacute inaperccedilue

La diversiteacute de ces traductions laquo double geacutenie dieu protecteur principe de vie mateacuterielle et intellectuelle totem raquo prouve au moins ceci crsquoest que lrsquoideacutee de ka est complexe plus qursquoon ne lrsquoavait soupccedilonneacute Il convient donc de preacuteciser les ideacutees ou les faits qui se rattachent au ka eacutegyptien

Sur les monuments les plus anciens les vases de lrsquoeacutepoque protohistorique le ka nous apparaicirct drsquoabord comme une enseigne de collectiviteacute 0 du type de celles qui ont persisteacute dans lrsquoEacutegypte historique et servent d rsquo e m b l egrave m e aux nomes eacutegyptiens Mais le signe ne srsquoest pas conserveacute dans cet emploi bien que dans lrsquoeacutecriture on ait gardeacute lrsquohabitude drsquoeacutecrire le mot ka par le signe des bras sur le pavois

Tregraves freacutequent au contraire depuis lrsquoeacutepoque archaiumlque et jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne est lrsquousage du ka comme nom Crsquoest une eacutepithegravete qursquoon accole aux noms des simples particuliers speacutecialement agrave lrsquoeacutepoque primitive il apparaicirct sur certaines stegraveles de Negadah et drsquoAbydost deacutedieacutees agrave tel ou tel indi-vidu laquo ka consacreacute raquo ka iahou Pris comme nom de particuliers lrsquousage ne srsquoen veacuterifie guegravere qursquoagrave la peacuteriode primitive Au contraire le ka est par ex-cellence agrave toutes les eacutepoques en relation avec le nom du roi Il srsquoeacutecrit alors par deux bras leveacutes supportant un plan rectangulaire drsquoeacutedifice agrave lrsquointeacuterieur du plan est un nom exprimant une qualiteacute laquo le batailleur raquo laquo le fort raquo le laquo veacuteneacuterable raquo etc

07 Versuch einer neuen erkaumldrung des Karsquoi (apud sitzberg Bayerischen Akad Maumlrz 0)08 Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Museacutee Guimet Bibl de vulgarisation t xix p 20)0 Cf revue eacutegyptologique 0 t XI p 87 Jrsquoespegravere pouvoir eacutetablir sous peu que ce mot ka deacutesigne agrave lrsquoorigine le totem personnel royal crsquoest-agrave-dire le Faucon En attendant et sans en faire la deacutemonstration pour le moment je me contenterai de dire que ce mot ka deacuterive drsquoune racine signifiant laquo engendrer raquo Le ka royal est donc laquo ce qui se perpeacutetue par engendrement raquo mdash De-puis Loret nrsquoa pas agrave ma connaissance donneacute drsquoautre exposeacute que la phrase citeacutee dans le texte et publieacutee en 060 V Loret revue eacutegyptologique XI p 80 fig et 6 Cf les stegraveles drsquoAbydos reproduites par de Morgan recherches sur les origines de lrsquoeacutegypte II p 2 20 Petrie royal tombs I pl XXXI-XXXII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et au-dessus on dessine lrsquoimage du faucon Comme le faucon est devenu par la suite le dieu Horus on a pris lrsquohabitude drsquoappeler ce nom de ka = le nom drsquoHo-rus 2 Il est bien connu que tout pharaon agrave son couronnement reccediloit un nom drsquoHorus crsquoest-agrave-dire un nom de ka Or le nom en Eacutegypte comme dans les autres socieacuteteacutes primitives est une veacuteritable deacutefinition de lrsquoessence intime des ecirctres la formule magique de sa nature secregravete que le mot eacutecrit reacutevegravele aux yeux crsquoest pourquoi quand on connaicirct le nom drsquoun ecirctre ou drsquoune chose on les tient en son pouvoir Parfois on repreacutesente ce nom muni de bras maniant des at-tributs (fig ) comme il arrive aussi pour le faucon crsquoest montrer que le nom nrsquoest pas seulement un symbole repreacutesentatif mais un ecirctre vivant et agis-sant Enfin pour les Eacutegyptiens les notions de ka et le nom royal se confondent si bien qursquoon trouve souvent le mot deacutetermineacute par le cartouche qui ceint le nom royal

Le ka nom du roi est donc la notation graphique de ce qursquoil y a drsquoessentiel dans la personne du roi Cependant le ka conserve une figure distincte de la figure royale A Louxor Deir-el-Bahari Dendeacuterah Erment dans les tableaux qui repreacutesentent la naissance du Pharaon 6 on voit naicirctre avec celui-ci le ka du roi sous la forme drsquoun enfant pareil agrave lrsquoenfant royal quand le roi devient adulte le ka grandit aussi mais tandis que le roi vieillit le ka se fixe dans la forme adulte 7 et drsquoaspect toujours jeune il ne semble pas subir les atteintes du temps 8

2 G Maspero sur les quatre noms officiels des rois drsquoeacutegypte (eacutetudes eacutegyptiennes II p 27 et suiv) et Histoire I p 28 et suiv cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 7 et suiv E Lefeacutebure Le nom dans lrsquoancienne eacutegypte (ap sphinx I p 06 et suiv) A Moret Du caractegravere religieux p 7 222 V Loret l c p 20 cf Brugsch Woumlrterbuch p 6 A Moret Du caractegravere religieux p 87 Crsquoest lrsquoaspect de la statue du ka du roi Hor Iouibracirc (De Morgan Dahchour I pl XXXIII)8 Crsquoest ce qursquoa bien montreacute Steindorff l c p 7-8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ameacutenophis III sacrifiant agrave Amon Derriegravere le roile laquo ka royal vivant raquo sous forme de nom animeacute

Drsquoailleurs le ka diffegravere du type consacreacute de la personne royale il porte la perruque divine la barbe divine et non la barbe carreacutee il nrsquoa pas lrsquoUraeligus au front sur sa tecircte se dresse le agrave la main il tient une hampe surmonteacutee drsquoune tecircte de ka 20 parfois comme les dieux le ka royal nrsquoa pas besoin du corps humain seul le signe hieacuteroglyphique muni de bras qui portent les insignes suffit agrave le repreacutesenter 2 On reconnaicirct agrave ces particulariteacutes que la figure du ka royal est celle drsquoun dieu Enfin quand le ka accompagne le roi il est toujours repreacutesenteacute derriegravere celui-ci crsquoest-agrave-dire dans lrsquoattitude de garde ( sa) 22 Drsquoougrave il suit que le ka est lagrave pour proteacuteger le roi Von Bissing et Spiegelberg ont mon-treacute qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine ka est rendu en deacutemotique par shaiuml = ψαίς ὁ

ἄγαθος δαίμων 2

Le ka royal est donc parfois un dieu protecteur mdash drsquoougrave la traduction schutzgott proposeacutee par Steindorff

Mariette Abydos pl Cf A Moret l c ) 2220 Le ka du roi est geacuteneacuteralement repreacutesenteacute par un dieu adulte plus petit que le pharaon il est cependant parfois de mecircme taille que le roi mdash Cf notre fig 22 Cf fig 22 A Moret l c p 7 2 222 222 Aeg Zeitschrift XLIX p 26 Von Bissing l c p

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette protection ne srsquoarrecircte pas a la mort elle se continue dans lrsquoautre vie Car le ka ne meurt point Quand le roi meurt on dit laquo que son ka le rejoint raquo au ciel ou laquo qursquoil srsquoen va avec son ka 2 raquo Crsquoest une loi geacuteneacuterale pour les dieux comme pour les hommes laquo Tout ce qui passe passe dans lrsquoautre monde avec son ka Horus passe avec son ka Thot passe avec son ka Sop passe avec son ka toi (ocirc mort) passe donc avec ton ka 2 raquo

Dans les tombes de lrsquoeacutepoque memphite les for-mules nous apprennent que laquo mourir raquo crsquoest laquo passer agrave son ka 26 raquo Crsquoest laquo srsquoen aller accompagneacute de ses kaou raquo dans lrsquoautre monde 27 Si pour tous les ecirctres vivants mourir crsquoest laquo aller vivre avec son ka 28 raquo naicirc-tre qursquoest-ce donc sinon sortir drsquoun ka primordial Concluons que le ka prend ici lrsquoaspect drsquoun geacutenie de la race qui naicirct avec lrsquoindividu grandit avec lui puis sans mourir reccediloit le deacutefunt dans son sein 2

Mais comment concilier ces notions avec le sens laquo nourriture offrandes raquo qui appartient agrave ce mecircme mot ka sous la forme plurielle kaou F von Bis-sing qui a reacutecemment attireacute lrsquoatten- tion sur ce sens speacutecial de la racine ka 0 a citeacute avec raison cer-tains tableaux des temples drsquoeacutepoque greacuteco-romaine ougrave lrsquoon a repreacutesenteacute non point une forme du ka royal mais quatorze (parfois mecircme vingt-huit car il y a ka femelles agrave cocircteacute de ka macircles) Chacune de ces figu-

2 sper ka-f r f (pyr drsquoOunas 8) seb hnacirc ka-f (Canas )2 Sethe pyramidentexte I p 0 0 60 II p 2 277 26 seb n ka-f (Sethe Urkunden alten reiches p 6 7 7 Aussi le mot ka est-il parfois deacutetermineacute par la momie )27 shest-f in kaou-f Mariette Mastabas p J Capart Une rue de tombeaux pl XI et p 7 et Aeg Zeitschrift XLII p Cf lrsquoexpression pour laquo mourir raquo hep n ka-f (Mastabas p 60) Un texte speacutecifie que le mort est tireacute accueilli par la main tendue laquo de ses kaou et de ses pegraveres raquo (Mastabas p ) Lrsquoendroit du ciel ougrave le deacutefunt et les dieux laquo passent agrave leurs kaou raquo est agrave lrsquoOrient pregraves du soleil levant crsquoest-agrave-dire aux sources de la renaissance (pyr de peacutepi i 8) et aussi vers le laquo champ des offrandes raquo crsquoest-agrave-dire aux sources de lrsquoalimentation (pyr de peacutepi i L 7 peacutepi ii 62)28 Anh hnacirc ka-f (pyr de peacutepi i 6)2 Il en est de mecircme pour le roi dans ses rapports avec le Faucon dont il naicirct qui grandit avec lui et en qui il se reacutesorbe apregraves la mort0 Versuch einer neuen erkluumlrung des Karsquoi

Figure 2Thoutmegraves et son ka visitent Amon le laquo ka royal vivant raquo sous forme de dieu adulte

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

res divines porte un nom la richesse la force la vigueur la stabiliteacute la noblesse lrsquointelligence (magique ) la lumiegravere la connaissance

le goucirct la vue lrsquoouiumle lrsquoabondance (litt lrsquoapprovisionne-ment) lrsquoalimentation la seacutepulture () Qursquoest-ce agrave dire sinon que ces quatorze formes du ka personnifient les eacuteleacutements de prospeacuteriteacute mateacuterielle et intellectuelle tout ce qui est neacutecessaire agrave la santeacute du corps et de lrsquoesprit Juste-ment un texte de philosophie memphite que von Bissing aurait ducirc citer 2 nous fournit un commentaire de ces tableaux Il est dit que le Deacutemiurge laquo creacutea de son Verbe les kaou et pacifia les forces hostiles (hm-stou) et creacutea toutes les provisions (kaou) et toutes les offrandes par sa parole creacuteant ainsi le bon et le mauvais raquo Sous ce nom de ka il faut donc entendre non pas seulement le prin-cipe de vie du Pharaon des dieux et des hommes mais lrsquoensemble des forces vitales (auxquelles srsquoopposent les forces mauvaises hm-stou) et la nourriture qui alimente et sans laquelle deacutepeacuterit tout ce qui existe dans lrsquounivers

Mais ces kaou des choses ont-ils quelque rapport avec le ka du Pharaon des hommes et des dieux La reacuteponse nous est donneacutee par les tableaux des temples A Ombos chacun de ces kaou agrave la fois physiques et meacutetaphysiques porte le nom du Pharaon reacutegnant les leacutegendes speacutecifient que nous avons sous les yeux le ka de la force le ka de la richesse le ka des approvisionnements dans Ptoleacutemeacutee et chacune de ces entiteacutes se confond avec le ka royal On pourrait suspecter ces teacutemoignages comme trop reacutecents et soupccedilonner que ces concepts nrsquoeacutetaient pas ceux des premiers Eacutegyptiens Je crois pour ma part que la division du ka en quatorze figures symboliques est une subtiliteacute de la speacuteculation theacuteologique mais cette speacuteculation remonte deacutejagrave agrave lrsquoAncien Empire Von Bissing a deacutemon-treacute que dans les noms de ka adopteacutes par les rois de lrsquoAncien Empire Ouserka-f shepseska-f Dadkaracirc Ouserkaracirc on retrouve les mots ouser shepes dad qui deacutesignent les kaou du roi dans les tableaux citeacutes plus haut Jrsquoajoute que les

Pour la discussion des noms de ces kaou royaux je renvoie a von Bissing p 2- Aux textes citeacutes il convient drsquoajouter les tableaux drsquoOmbos (De Morgan Ombos I p 87 et suiv A Moret Du caractegravere religieux p 22) et les commentaires de Piehl insc Hieacuteroglyphiques II p 86 et suiv2 Texte publieacute par Breasted (Aep Zeitschrift XXXIX p et suiv) et de nouveau par Erman (sitzungsberichte der koumln preussischen Akad XLIII (Cf G Maspero sur la toute-puis-sance de la parole ap recueil de travaux XXIV p 68) Sur le sens de mtn cf Brugsch W s p 62 De Morgan Ombos I p 87 et suiv Von Bissing l c p Ajoutons le nom Ouad Kara qui vient de sortir des fouilles de Ko-plos ougrave la faculteacute Ouad se trouve en composition dans un nom royal (R Weill Les deacutecrets royaux p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

textes des Pyramides nomment deacutejagrave les principes mauvais agrave cocircteacute des kaou com-me dieux asservis au deacutefunt 6 Lrsquoideacutee est donc tregraves ancienne qui associait le ka agrave la vie universelle sous des formes preacutecises et diffeacuterencieacutees par un nom Quant agrave la confusion des ideacutees relatives au ka et agrave la nourriture kaou elle apparaicirct aussi degraves le temps des Pyramides quand les textes parlent des dieux et de leurs kaou

il faut souvent comprendre laquo les dieux et leur nourriture 7 raquo lrsquoendroit du ciel qursquoon appelle laquo champ du ka raquo est proche du laquo champ des offrandes 8 raquo Ces paralleacutelismes ne sauraient ecirctre fortuits en fait le ka symbolise aussi la force de vie qui reacuteside dans la nourriture

Je reacutesume ces diffeacuterents traits le ka est une enseigne de tribu un nom du roi ou des particuliers un geacutenie protecteur la source de vie drsquoougrave sortent et ougrave retournent le roi les dieux les hommes les choses les forces mateacuterielles et in-tellectuelles crsquoest enfin la nourriture qui entretient la vie universelle Or les socieacuteteacutes primitives aux premiers stades de leur eacutevolution croient agrave une force suprecircme qui reacuteunit tous ces attributs et mecircme drsquoautres encore Cette puissance crsquoest le totem agrave la fois signe de ralliement marque distinctive nom substance source de vie drsquoougrave lrsquoon naicirct et agrave laquelle on revient par la mort enfin nourriture des hommes Si la deacutefinition du totem que je preacutesente ici drsquoapregraves les theacuteoriciens est exacte crsquoest donc lrsquohypothegravese preacutesenteacutee par Loret sur le ka qui serait la plus compreacutehensive

Peut-on renouveler contre lrsquoeacutequation ka=totem la mecircme objection qursquoa souleveacutee une autre proposition de Loret faucon=totem et dire qursquoil srsquoagit de zoolacirctrie et non de toteacutemisme Le ka nrsquoeacutetant point un animal comment se-rait-il question ici de zoolacirctrie Mais dira-t-on les monuments ne repreacutesentent presque uniquement que le ka du Pharaon 0 crsquoest le ka du roi seul qui apparaicirct

6 pyr drsquoOunas I 02-0 teacuteti I 20 (Sethe I p 207) laquo Les Kaou de Teacuteti sont derriegravere lui les hm-stou de Teacuteti sont sous ses pieds raquo Les principes femelles agrave lrsquoorigine malfaisants semblent plus tard se confondre avec les Kaou (Brugsch W s p 7) Ils seraient ainsi reacuteellement laquo pa-cifieacutes raquo7 Par exemple pepi i I 028 teacuteti I cf peacutepi i I 7 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode comparative (revue de lrsquoHistoire des religions 08 t LVIII p et suiv)0 Crsquoest la thegravese deacutefendue par Steindorff l c contre lrsquohypothegravese de Maspero que le ka pour vivre devait animer les corps fictifs mais ressemblants sculpteacutes dans les tombes bas-reliefs ou statues On doit se demander en effet si ces repreacutesentations sont celles du ka ou des deacutefunts Les seules statues de ka certaines sont celles que le roi Hor Iouiracirc avait deacutedieacutees laquo au ka vivant

00

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sculpteacute dans les temples ou eacuterigeacute en statue lui seul symbolise les forces mateacute-rielles ou intellectuelles Srsquoil est vrai que les particuliers et mecircme les choses possegravedent un ka du moins ce ka nrsquoest-il pas comme il devrait lrsquoecirctre lrsquoeacutegal du ka royal Cependant le toteacutemisme est un reacutegime eacutegalitaire ougrave tous les membres jouissent pareillement de la protection du totem

A cette objection je reacutepondrai que mecircme dans les socieacuteteacutes toteacutemiques il arrive que le chef du clan srsquoarroge sur le totem un droit plus grand que les autres clansmen Jrsquoajoute que je ne crois point deacutemontrable lrsquoexistence du toteacute-misme inteacutegral 2 en Eacutegypte avec les documents actuels car crsquoest une Eacutegypte deacutejagrave transformeacutee que nous font connaicirctre les monuments archaiumlques Toutefois cette question meacuterite drsquoecirctre poseacutee lrsquoideacutee du ka complexe comme je lrsquoai mon-treacutee correspond-elle agrave une notion qui a pu ecirctre aux temps anteacuterieurs celle du totem et qui a eacutevolueacute

Lrsquohistoire drsquoEacutegypte nous apprend que le but opiniacirctrement viseacute par les Pha-raons a eacuteteacute de deacutetourner sur eux la foi qui srsquoattachait aux ecirctres surnaturels et drsquoincorporer en leur personne divine le plus possible de la religion Ainsi agrave cocircteacute du ka il existe probablement une autre forme de totem qui serait celle du faucon Dans les temps primitifs nous soupccedilonnons lrsquoexistence drsquoun clan des Faucons ayant comme emblegraveme nom pegravere et protecteur un Faucon Mais agrave lrsquoeacutepoque historique seul le chef est resteacute un Faucon qui participe agrave la chair agrave lrsquoessence au nom de lrsquooiseau ancestral ce faucon crsquoest le roi Le patrimoine de tous est devenu lrsquoapanage exclusif du Pharaon

Une eacutevolution parallegravele srsquoest-elle produite pour lrsquoideacutee du ka Ce qui tendrait agrave le faire admettre crsquoest que ka et faucon se confondent en la personne du roi nous avons vu plus haut que le nom de ka crsquoest le nom royal preacuteceacutedeacute du faucon le nom drsquoHorus De mecircme que Pharaon est resteacute le Faucon unique de mecircme a-t-il pu garder pour lui seul certains privilegraveges relatifs au ka pharaon permet

qui reacuteside dans la double salle drsquoadoration raquo

(De Morgan Dahehour 8 p ) une autre statuette de ka du mecircme roi mais moins bien conserveacutee est citeacutee par de Morgan p Par exemple certains eacutedifices cf Steindorff l c p 2 Drsquoailleurs bien difficile agrave deacutefinir si lrsquoon en croit les conclusions actuelles de Frazer et van Gennep Je ne partage point lrsquoideacutee eacutemise par Steindorff (l c p ) que le roi a eu le premier un ka et qursquoil a eacutetendu ce privilegravege agrave ses sujets Les monuments indiquent au contraire me semble-t-il qursquoagrave lrsquoorigine les particuliers comme le roi veacuteneacuteraient leur ka (stegraveles archaiumlques cf p 20 et stegravele drsquoHessi au Caire Museacutee eacutegyptien pl XXII) mais le roi srsquoen reacuteserva par politique la pro-

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave ses sujets de croire qursquoils demeuraient en rapport avec le ka protecteur et source de vie mais il preacutetend devenir lrsquointermeacutediaire obligatoire entre les hommes et le ka ce qursquoindique la formule funeacuteraire laquo Le roi donne lrsquooffrande agrave Osiris pour que celui-ci donne lrsquooffrande au ka drsquoun tel raquo Ce rocircle drsquointermeacutediaire est bien deacute-fini encore par les formules du couronnement quand le roi monte sur le trocircne on proclame qursquoil est agrave la tecircte de tous les kaou vivants Ce nrsquoest point assez De mecircme que Pharaon est devenu le Faucon incarneacute de mecircme le ka acircme diffuse du clan primitif srsquoest sublimeacute dans le ka du surhomme qursquoest Pharaon Jrsquoai citeacute (plus haut) ce qursquoun noble de la XIIe dynastie enseignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu sa (la science) qui est dans les esprits ses yeux explorent toutes les consciences crsquoest racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre plus que le Nil en crue quand il em-plit les deux terres de force et de viehellip Il donne les faveurs agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraye son chemin Le roi crsquoest le ka sa bouche (creacutee) la surabondance tout ce qui existe est sa creacuteation raquo

La preacutepondeacuterance du ka royal sur les autres ka srsquoexpliquerait donc par les pro-gregraves de la monarchie Lrsquoideacutee du ka personnel agrave chaque homme nrsquoen persista pas moins dans la socieacuteteacute eacutegyptienne comme lrsquoeacutecho affaibli drsquoune conception tregraves ancienne celle drsquoune force vitale commune aux ecirctres et aux choses qui fournis-sait agrave tous existence et nourriture et que parfois lrsquoon personnifiait en lrsquoappelant laquo ka pegravere des pegraveres des dieux 6 raquo pour exprimer que crsquoeacutetait le substratum de tout ce qui existe

Voilagrave ce qursquoeacutetait le ka Pour le nom je ne proposerai pas de traduction 7 mieux vaut se servir du mot eacutegyptien apregraves lrsquoavoir expliqueacute Mais cette expli-

prieacuteteacute pour lui seul pendant la peacuteriode preacutememphite agrave partir de la Ve dynastie environ le roi a ducirc ou a voulu restituer agrave ses sujets la preacuterogative du ka comme il les a autoriseacutes graduellement agrave pratiquer les rites osiriens M Sottas me suggegravere que peut-ecirctre faut-il interpreacuteter laquo chef des kaou de tous les vivants raquo Stegravele de sehetepibracirc (Caire 2088 face 2 )6 Figure et leacutegende de la basse eacutepoque reproduite par Wilkinson (Manners and Customs III p 2 fig 0) sans indication de source Ici le ka est figureacute par un homme agrave tecircte de grenouille ce qui peut srsquoexpliquer parce que la grenouille eacutetait un symbole des transformations des espegraveces vivantes et drsquoimmortaliteacute (cf Spiegelberg ap sphinx VII p 22)7 Srsquoil fallait trouver un sens litteacuteral agrave il faudrait prendre en consideacuteration qursquoaux textes des Pyramides les deux bras leveacutes servent de deacuteterminatifs agrave des mots tels que agravehacircacirc (eacuted Sethe II p 0 76 ) et hch (II p 2) qui expriment des ideacutees de lever eacutelever Le ka serait-il lrsquoecirctre qursquoon invoque en levant les bras vers lui Erman tirant parti drsquoun texte du temple de Seacuteti I (Abydos I appendice tableau 6) montre que le Deacutemiurge Toum anime les dieux ses fils laquo en placcedilant ses deux bras derriegravere eux pour que son ka soit en eux raquo Les deux bras eacutevoqueraient alors le geste magique qui confegravere le ka ou la vie (religion eacuted franccedilaise p 2)

02

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cation ne pourrait se condenser dans lrsquoun quelconque des termes jusqursquoici pro-poseacutes double geacutenie de la race dieu protecteur nom nourriture Le ka est tout cela et nrsquoest point chacune de ces qualiteacutes isoleacutement Il mrsquoa sembleacute que dans le treacutesor des ideacutees primitives crsquoest celle de totem qui correspondrait le mieux au ka le totem comprend tous les traits du ka et drsquoautres encore qui ont disparu parce que la socieacuteteacute eacutegyptienne si haut que nous puissions remonter nous appa-raicirct comme une socieacuteteacute eacutevolueacutee

Ma tacircche consistait agrave rassembler les mateacuteriaux eacutegyptiens et agrave poser la ques-tion Crsquoest aux ethnographes qursquoil appartiendra de deacutecider si le ka aux aspects si varieacutes nrsquoa pas agrave ses origines un caractegravere toteacutemique

0

v

roIs de carnavaL

La fin de lrsquoanneacutee et la naissance de lrsquoan nouveau sont aujourdrsquohui encore lrsquooccasion drsquoune joie et drsquoune agitation geacuteneacuterales et de manifestations officielles Ces fecirctes populaires ont existeacute de tout temps Chez nous elles srsquoeacutechelonnent sur une peacuteriode qui va de Noeumll agrave Pacircques de la fin deacutecembre au commencement drsquoavril (fecirctes de saint Eacutetienne saint Jean saints Innocents saint Sylvestre Jour de lrsquoan des Rois Carnaval Mardi gras Mi-Carecircme Pacircques) Elles correspon-dent en bloc aux Saturnales Calendes de janvier Lupercales Liberalia des La-tins En remontant plus haut que lrsquoantiquiteacute romaine nous retrouvons chez tous les peuples des traditions de ce genre ou les souvenirs historiques qursquoelles ont laisseacutes les peuplades sauvages de nos jours se rattachent agrave lrsquohumaniteacute civiliseacutee par des coutumes semblables Plusieurs sociologues tels que Mannhardt Fra-zer Durkheim Hubert Mauss Van Gennep ont eacutetudieacute avec preacutedilection ces peacuteriodes de crise de lrsquoacircme populaire ils ont eacutetabli que ces coutumes devenues incompreacutehensibles chez les civiliseacutes preacutesentaient au contraire un sens reacutefleacutechi et une suite chez les non-civiliseacutes qui les ceacutelegravebrent reacuteguliegraverement lors des gran-des vicissitudes naturelles et au temps des semailles et des moissons Cherchons donc chez eux et dans les civilisations anciennes en prenant pour guide les ad-mirables travaux de Frazer 8 lrsquoexplication de ces mouvements qui dans notre corps social ne sont plus que des actes reacuteflexes fecirctes Sacaeliga de Babylone Kronia drsquoAthegravenes Saturnales de Rome Mascarades du moyen acircge fecirctes des Fous et de lrsquoAcircne cortegraveges de Carecircme et de Carnaval

Le Carnaval moderne se distingue par des processions et deacutefileacutes burlesques promenade de lrsquoOurs en Moravie et en Bohecircme de la Tarasque agrave Tarascon du Char naval (carrus navalis) en Allemagne du roi Reneacute agrave Aix du bonhomme Carnaval agrave Nice etchellip Drsquoordinaire on y exhibe des mannequins de taille colos-sale que lrsquoon conserve parfois drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre comme des feacutetiches citons les geacuteants Jan et Mieke agrave Bruxelles Druon et Antigon agrave Anvers Gilles agrave Mons Gog et Magog agrave Londres les Zigantiak dans le pays basque la Reina Caresma agrave

8 J Frazer Le rameau drsquoor trad (r par Stieacutebel et Toutain vol (Schleicher edit)

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Madrid Le plus souvent ces mannequins sont peacuterissables Presque chaque ville a son laquo Vieux raquo ou sa laquo Vieille raquo de Mi-Carecircme ou de Carnaval qursquoon deacutepegravece brucircle ou jette agrave lrsquoeau pour marquer la fin des reacutejouissances Mecircme srsquoils srsquoappel-lent Rois ils subissent ce mecircme sort On produit ces souverains de carnaval dans des ceacutereacutemonies bouffonnes ougrave ils sont coiffeacutes de couronnes enguirlandeacutes de feuillages munis de sceptres de roseaux et affubleacutes drsquooripeaux dans beaucoup de villes on les fait passer en jugement au cours de ceacutereacutemonies burlesques qui se deacuteveloppent parfois en veacuteritables drames et mettent en action la mort du grotesque heacuteros laquo En Provence on voyait un homme vecirctu en femme suivi par des gamins chercher Carnaval dans toute la ville il prenait des allures de veuve eacuteploreacutee et au cours de ses burlesques investigations il racontait comment Car-naval agrave cause de ses deacutebauches avait mal tourneacute et srsquoeacutetait pendu Dans beaucoup de villes on repreacutesentait un jugement de Carnaval le noble Magrimas (Carecircme) intentait un procegraves au prince Grossois (Mardi-gras) roi des ivrognes et des gour-mands devant la cour des risaflorets Hareng-saur assisteacute de lrsquoavocat Pain-sec soutenait que le jeucircne devait commencer de suitehellip Finalement Mardi-gras eacutetait condamneacute agrave mort et exeacutecuteacute au milieu de mille extravagances 0hellip raquo Un peu partout crsquoest le mecircme enterrement du Carnaval

De mecircme ordre que la royauteacute de Carnaval est encore laquo la royauteacute du jour des Rois raquo bien que la fecircte chreacutetienne de lrsquoEacutepiphanie en ait fait avancer la date Ce jour-lagrave on laquo tire (au sort) les rois raquo en se partageant les morceaux drsquoune galette dans laquelle une fegraveve ou une petite poupeacutee cacheacutee agrave lrsquoavance deacutesignera celui dont le sort veut comme roi Pendant la dureacutee drsquoune soireacutee ce roi donnera des ordres bouffons choisira une reine chacun imitera ses moindres gestes avec un respect simuleacute et une obeacuteissance feinte

Lrsquoorigine sinon lrsquoexplication de cette singuliegravere royauteacute apparaicirct dans la tra-dition greacuteco-romaine des fecirctes de Kronos-Saturne appeleacutees laquo Kronia raquo agrave Athegravenes et laquo Saturnales raquo agrave Rome Vers la fin de deacutecembre les esclaves reacuteunis dans un banquet laquo tiraient au sort raquo qui serait le laquo roi du festin raquo Celui-ci commandait quelques jours durant agrave tous maicirctres et serviteurs il faisait chanter ou danser ses sujets leur prescrivait de se masquer ou de se deacutevecirctir les barbouillait de suie ou de farine ou les jetait dans lrsquoeau glaceacutee Mais agrave cocircteacute de ces pratiques burlesques voici qursquoapparaissent par endroits de sauvages coutumes jadis les

Frazer Le rameau drsquoor II p 27 227 et suiv0 E Doutteacute Magie et religion dans lrsquoAfrique du nord 00 On trouvera dans ce livre de preacutecieux renseignements sur le carnaval marocain Le rameau drsquoor II p 6 et suiv p et suiv

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Saturnales srsquoaccompagnaient de sacrifices humains et mecircme en 0 de notre egravere des soldats romains campeacutes dans la valleacutee du Danube nrsquoen avaient pas perdu lrsquohabitude Avant les Saturnales ils deacutesignaient un roi pendant un mois celui-ci usait comme il lrsquoentendait de sa souveraineteacute puis on le sacrifiait Il arriva qursquoun chreacutetien nommeacute Dasius fut choisi pour cette paiumlenne royauteacute il refusa mais il ne gagna rien agrave ce refus sa deacutesobeacuteissance lui valut drsquoavoir la tecircte trancheacutee 2

Apregraves une eacutetude minutieuse des traditions de lrsquoantiquiteacute et des socieacuteteacutes sau-vages M Frazer a formuleacute la theacuteorie suivante dont nous avons veacuterifieacute deacutejagrave lrsquoap-plication dans lrsquoEacutegypte primitive et qui apregraves bien des deacutetours nous ramegravenera aux rois de Carnaval

Chez les peuples primitifs crsquoest une croyance absolue que leur seacutecuriteacute et celle du monde entier deacutependent de la volonteacute ou mecircme de la santeacute de leur roi Celui-ci en sa qualiteacute de dieu incarneacute et de sorcier a tout pouvoir sur la nature aussi est-il responsable des pheacutenomegravenes atmospheacuteriques et de la reacutegulariteacute des reacutecoltes Tant que le roi est jeune et vigoureux le peuple a confiance en lui mais laquo rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourir Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastro-phes ne se produiront pas lorsqursquoil srsquoaffaiblira peu agrave peu puis lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Les historiens grecs rapportent que telle eacutetait la destineacutee des rois de Meacuteroeacute (Nubie) A un certain moment les precirctres leur envoyaient lrsquoordre de se tuer coutume qui resta en usage jusqursquoau iiie siegravecle av J-C Parfois le peuple nrsquoatten-dait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau xvie siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans

Cependant agrave Meacuteroeacute Ergamegravene srsquoaffranchit de la coutume et massacra les precirctres Les rois de Calicut obtinrent le droit de se deacutefendre contre les assassins officiels qui les attaquaient au bout de douze ans Ailleurs on admit des atteacutenua-tions progressives le sultan de Java deacuteleacutegua aux membres drsquoune certaine famille lrsquohonneur de se tuer agrave sa place en eacutechange il accordait aux volontaires de la mort

2 Parmentier et Cumont Le roi des saturnales ap revue de philologie 87 p Frazer Le rameau drsquoor II p Voir lrsquoexemple des rois de Shilluk citeacute plus haut

06

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de grandes richesses pendant la vie et des funeacuterailles exceptionnelles Crsquoeacutetait le plus souvent dans la famille royale que le roi devait se chercher un substitut chez les peuples seacutemitiques les sacrifices si freacutequents des fils aicircneacutes se justifient par des raisons de cette nature

Puis les rites srsquoadoucirent encore Pour eacutepargner des innocents on choisit la victime parmi les condamneacutes agrave mort Mais il eacutetait neacutecessaire que le remplaccedilant du roi jouacirct vraiment le rocircle de roi au moins pendant quelques jours De lagrave des fecirctes comme celles des laquo Sacaeliga raquo que Beacuterose a vues agrave Babylone le 6 du mois Louumls un condamneacute agrave mort recevait les ornements royaux et jouissait de toutes les preacuterogatives du trocircne y compris lrsquousage du harem royalhellip Mais au bout de cinq jours on lui arrachait ses habits royaux et apregraves lrsquoavoir fouetteacute on lrsquoen-voyait agrave la potence ou agrave la croix 6

Ailleurs les ceacutereacutemonies lugubres se sont encore plus humaniseacutees dans lrsquoEacutegypte antique la fecircte sed nous a sembleacute rappeler le meurtre rituel du roi mais devenu symbolique et inoffensif par la substitution de victimes Au Cambodge de nos jours le laquo roi de feacutevrier raquo coiffeacute drsquoun bonnet blanc et armeacute drsquoun sceptre de bois remplace pendant trois jours le souverain Au Siam crsquoest agrave la fin drsquoavril que le roi temporaire jouit pendant trois jours de tout ce qui lui plaicirct au palais Plus de sacrifices mais on respecte la coutume en simulant lrsquoexeacutecution Voici ce qui se passait il nrsquoy a pas longtemps en Eacutegypte apregraves la moisson pendant trois jours le gouvernement est suspendu et chaque ville choisit son propre chef Ce chef porte une sorte de bonnet de fou et une longue barbe drsquoeacutetoupe il srsquoenveloppe drsquoun manteau bizarre Une baguette agrave la main escorteacute de scribes de bourreaux il se rend au palais du gouverneur qui se laisse deacuteposer par lui Au bout de trois jours le pseudo-roi est condamneacute agrave mort lrsquoenveloppe dans laquelle il se drape est brucircleacutee tandis que lui se retire agrave quatre pattes 7

Nous arrivons ainsi agrave des rites qui ont perdu presque tout leur caractegravere tra-gique Crsquoest tout au plus si lrsquoon a gardeacute le souvenir que le remplacement du roi reacutegnant par un roi inteacuterimaire symbolise un changement de regravegne et un renou-vellement de la force vitale du souverain seul reste perceptible pour le grand pu-blic le cocircteacute plaisant de cette substitution la royauteacute eacutepheacutemegravere drsquoun parvenu qui

Peut-ecirctre pour lrsquoEacutegypte pharaonique un eacutecho de cette tradition nous est-il parvenu dans un passage de la pyramide drsquoOunas (I 08) on lrsquoon rappelle laquo ce jour ougrave lrsquoon sacrifie lrsquoaicircneacute raquo (Cf pyr de teacuteti I 22)6 Sur lrsquoantiquiteacute de cette fecircte agrave Babylone et ses origines historiques cf Frazer l c II p 00 et suiv7 Frazer Le rameau drsquoor II p

07

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pendant trois jours fait ripaille sur le trocircne tel notre roi Carnaval Crsquoen est assez pour faire comprendre que celui-ci est lrsquoheacuteritier burlesque du roi inteacuterimaire qursquoon sacrifiait jadis pour sauver la vie du souverain reacutegnant

Mais la physionomie des fecirctes du Mardi gras est complexe et agrave cocircteacute de ce trait essentiel de victime substitueacutee il y en a drsquoautres emprunteacutes agrave diverses cou-tumes des populations agricoles civiliseacutees ou non civiliseacutees

Vers le temps des moissons dans plusieurs pays drsquoEurope la tradition existe encore de mettre agrave mort par le feu lrsquoeau ou agrave coups de faucille un mannequin en paille Celui-ci repreacutesente lrsquoEsprit du Bleacute ou de la Veacutegeacutetation laquo il vit dans les reacutecoltes et quand on les fauche on srsquoimagine qursquoil se reacutefugie dans la derniegravere gerbe Parfois on fabrique avec les eacutepis de cette gerbe le mannequin qui est censeacute incarner lrsquoesprit que ce soit la gerbe ou le mannequin on deacutesigne lrsquoune et lrsquoautre par les mecircmes noms le Vieux la Vieille la Megravere (du Bleacute) la GrandrsquoMegravere la Reine le Mort etc On conduit au village le Simulacre on le reccediloit triompha-lement comme un roi puis on le flagelle et on lrsquoexeacutecute Reste agrave le ressusciter pour qursquoil assure la feacutecondation des semailles prochaines En Bohecircme on revecirct le mannequin drsquoune chemise blanche apregraves lrsquoexeacutecution on prend cette chemise ougrave srsquoest reacutefugieacutee lrsquoacircme et la force du laquo Vieux raquo et on en habille un jeune arbre qursquoon ramegravene au village en chantant laquo Nous avons expulseacute la mort du village nous y ramenons le nouvel eacuteteacute Sois le bienvenu cher eacuteteacute petit bleacute vert raquo Ainsi le nou-veau bleacute est censeacute recueillir la force du vieux bleacute comme dans les rites royaux le nouveau roi heacuterite de la force vitale qui va eacutechapper au souverain deacutecreacutepit Ces traits caracteacuteristiques des coutumes agraires on les retrouve sans peine dans le Carnaval actuel drsquoelles nous viennent ces mannequins bourreacutes de paille qursquoon veacutenegravere et qursquoon bafoue et qursquoon brucircle ensuite en grand apparat 8

Mais voici drsquoautres traits Souvent dans le mannequin rituel on introduisait un ecirctre vivant comme pour donner plus de force agrave la fiction ou agrave la reacutealisation dramatique du Mystegravere des moissons Dans ce cas lrsquoecirctre vivant eacutetait mis agrave mort et mangeacute Au Mexique on reacutealisait de cette faccedilon le meurtre du dieu de la Veacute-geacutetation pendant un an un captif jouait le rocircle de la diviniteacute et comme le roi inteacuterimaire des Saturnales se passait toutes ses fantaisies puis il eacutetait tueacute et mangeacute en sacrifice solennel de sa peau eacutecorcheacutee on revecirctait un homme vivant qui lrsquoanneacutee suivante repreacutesentait aussi le dieu hellip Mais le plus souvent ce

8 Le rameau drsquoor III p et suiv 0 et suiv Le rameau drsquoor II p 7

08

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rite a eacutevolueacute Au lieu drsquoun homme on a pris un coq un bouc un bœuf on introduisait ces animaux vivants dans le mannequin de bleacute et ils animaient le Simulacre Aujourdrsquohui encore en Bohecircme dans certains cas le coq devient le roi Carnaval on lui met des vecirctements grotesques capuchon rouge culottes veste grise on le fait passer en jugement puis les assistants le sacrifient non sans lui avoir demandeacute pardon Chez nous crsquoest le bœuf gras qui personnifie lrsquoEsprit du bleacute le cortegravege ougrave il figure et sa mise agrave mort nrsquoont plus de caractegravere rituel mais on a gardeacute dans les campagnes quelques souvenirs des coutumes anciennes laquo A Pouilly pregraves de Dijon au moment de faucher la derniegravere gerbe on promenait trois fois autour du champ un bœuf orneacute de fleurs de rubans et drsquoeacutepis puis un homme deacuteguiseacute en diable coupait la gerbe et mettait le bœuf agrave mort Une par-tie des chairs eacutetait mangeacutee dans un souper donneacute agrave lrsquooccasion de la moisson le reste saleacute et gardeacute jusqursquoau jour des semailles 60 raquo

Au lieu drsquoanimaux vivants on se contente parfois de leur image en pacircte Avec la farine tireacutee de la derniegravere gerbe on peacutetrit un gacircteau en forme de silhouette humaine ou animale Sous cette forme ce bleacute passe pour repreacutesenter le corps de lrsquoEsprit du bleacute Dans le Wermland (Suegravede) la fermiegravere fait avec le grain de la derniegravere gerbe un pain qui a les contours drsquoune petite fille 6 il est partageacute entre tous les gens de la ferme et mangeacute par eux Il en est de mecircme en Eacutecosse ougrave lrsquoEsprit du bleacute est repreacutesenteacute par la derniegravere gerbe faccedilonneacutee en forme de femme et appeleacutee laquo la Vierge raquo Ailleurs comme au Japon ce sont des femmes qui cein-tes drsquoeacutepis jaunissants semblent de vivantes gerbes (cf pl VIII) De mecircme en France agrave La Palisse on suspend un bonhomme en pacircte agrave la plus haute branche du sapin qui orne la derniegravere charrette de bleacute Le sapin et le bonhomme sont porteacutes chez le maire qui les garde jusqursquoagrave ce que les vendanges soient faites Alors la fin de toutes les reacutecoltes est ceacuteleacutebreacutee par une fecircte dans laquelle le maire rompt le bonhomme de pacircte en plusieurs morceaux qursquoil distribue aux paysans et que ceux-ci mangent 62 Il paraicirct que dans le comteacute drsquoYork crsquoest le pasteur qui coupe le premier bleacute 6 avec ce bleacute on fabrique le pain de la communion Lagrave par la survivance drsquoun vieux rite paganisme et christianisme se confondent

60 Goblet drsquoAlviella Les rites de la moisson (revue de lrsquoHistoire des religions 88 II p )6 De mecircme nos galettes des rois contiennent une poupeacutee62 Frazer Le rameau drsquoor II p 27 et suiv6 Jrsquoai vu en Bretagne agrave La Clarteacute pregraves Perros-Guirec le cureacute mettre le feu agrave une meule de gerbes nouvelles (la veille du aoucirct) on peut reconnaicirctre ici encore lrsquoantique mannequin repreacutesentant lrsquoEsprit du bleacute Cet eacutepisode a eacuteteacute joliment deacutecrit dans le roman de G Sansrefus Fleur drsquoajonc

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

un moment On fait de religieuses agapes en Indochine avec le riz nouveau sur le Niger avec les nouvelles ignames de mecircme les peuples bergers et chasseurs qui vivent du gibier et de lrsquoeacutelevage mangent solennellement les animaux sauva-ges ou domestiques en qui srsquoincarnent pour eux les forces divines et nourriciegraveres de la nature

Donc sauvages et civiliseacutes mangent rituellement au temps des semailles ou des moissons lrsquohomme lrsquoanimal les gacircteaux qui figurent pour eux le Vieux dieu de lrsquoan qui finit Ils croient srsquoincorporer ainsi la force creacuteatrice de la divi-niteacute drsquoailleurs ils segravement dans les champs soit des fragments de chair ou de gacircteaux soit la cendre provenant du mannequin brucircleacute pour feacuteconder la terre Crsquoest en souvenir de ces coutumes que nos contemporains cachent une fegraveve ou une poupeacutee dans le gacircteau des Rois 6 et font bombance au temps du Carnaval partout on tue le bœuf gras lrsquooie ou le porc on preacutepare des mets speacuteciaux des gacircteaux des crecircpes beignets bonshommes en pain drsquoeacutepices qui gardent parfois lrsquoaspect des antiques victimes animales ou humaines Mais rappelons-nous que jadis le repas dont nous avons fait le festin des jours gras nrsquoeacutetait pas une fin en lui-mecircme ce nrsquoeacutetait qursquoun moyen pour le fidegravele de communier avec la chair et le sang du dieu en mangeant le pain et en buvant le vin

Les cultes agraires des anciens peuples nous fournissent aussi lrsquoexplication des mascarades et des cortegraveges burlesques en usage aux jours gras Avec le moment des semailles ou des moissons coiumlncide un rite drsquoune grande importance pour les peuples primitifs celui de lrsquoexpulsion geacuteneacuterale des deacutemons ceux drsquoabord qui deacutefendent les champs et qursquoil faut mettre agrave mort pour pouvoir moissonner ceux aussi qui infestent les maisons et dont la ruse malveillante amegravene les maladies et tous les maux Il srsquoagit drsquoune purification geacuteneacuterale drsquoune liquidation complegravete des malheurs ou des crimes occasionneacutes par les meacutechants esprits Ces exorcis-mes drsquoabord particuliers agrave chaque individu et mecircme agrave chaque cas de laquo posses-sion raquo ou de maleacutefice puis appliqueacutes agrave toute la collectiviteacute furent concentreacutes enfin dans une ceacutereacutemonie annuelle qui marquait le terme drsquoune peacuteriode et le deacutebut drsquoune nouvelle egravere

Ces fecirctes sont caracteacuteriseacutees par une exaltation speacuteciale qui srsquoempare de toute la population Une partie des hommes et des femmes srsquoaffublent de deacuteguisements grotesques ou effrayants se couvrent le corps de peaux la figure de masques se barbouillent de suie srsquoenduisent de poix ou se roulent dans les plumes en

6 Le rameau drsquoor II p

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cet appareil ils courent de maison en maison non sans faire un effroyable va-carme Crsquoest qursquoils donnent la chasse aux deacutemons invisibles et qursquoils les pour-suivent agrave coups de lances de flegraveches ou de fusils en criant laquo Allez-vous-en deacutemons raquo mdash jusqursquoagrave ce qursquoils croient les avoir repousseacutes bien loin des habita-tions 6 Ces coutumes se retrouvent partout dans lrsquoantiquiteacute comme de nos jours dans les deux mondes Les Grecs chassaient les mauvais esprits le jour des Anthesteacuteries les Romains pendant trois jours du mois de mai et il nrsquoy a point longtemps on expulsait encore de mecircme faccedilon les sorciegraveres et les deacutemons drsquoAuvergne de Bohegraveme et de Thuringe la nuit du er mai

Les Momons du moyen acircge qui faisaient irruption dans les maisons et ces bandes masqueacutees qui aujourdrsquohui encore dans nos campagnes parcourent les rues en jouant sur des instruments criards et forcent lrsquoentreacutee des portes ont per-peacutetueacute sans le savoir lrsquoantique charivari les clameurs de tout un peuple acharneacute agrave la poursuite des deacutemons des geacutenies malfaisants qui deacutetruisaient les reacutecoltes et la santeacute de lrsquohomme

Lrsquoexpulsion des deacutemons des maladies des peacutecheacutes et mecircme lrsquoexpulsion de la Mort la hideuse qui rocircde sous mille formes autour des vivants srsquoopegravere gracircce agrave divers proceacutedeacutes par exemple on les embarque (leurs repreacutesentants ou leurs symboles-mannequins) dans des veacutehicules chars ou navires qursquoon envoie au loin ou qursquoon lance agrave la mer pour que les maux se perdent avec eux 66 Lrsquoeacutepisode de la fecircte 67 du Vaisseau drsquoIsis deacutecrit par Apuleacutee 68 ougrave un cortegravege mi-religieux

6 Le rameau drsquoor II p et suiv66 Le rameau drsquoor II p 67 Ceacuteleacutebreacutee agrave Chenchreacutees le mars Apuleacutee (Meacutetamorphoses XI) deacutecrit le cortegravege burlesque analogue semble-t-il agrave ceux qui drsquoapregraves Frazer sont encore en usage chez beaucoup de peu-ples laquo On vit tout drsquoabord une troupe de personnes qui srsquoeacutetaient travesties par suite de vœuxhellip Lrsquoun ceint drsquoun baudrier repreacutesentait un soldat lrsquoautre avec sa chlamyde retrousseacutee son cou-telas et ses eacutepieux figurait un chasseur Celui-ci avait des brodequins doreacutes une robe de soie et des atours preacutecieux agrave ses cheveux attacheacutes sur le haut de sa tecircte agrave sa deacutemarche traicircnante on aurait dit une femme Celui-lagrave chausseacute de bottines armeacute drsquoun bouclier drsquoun casque et drsquoune eacutepeacutee semblait sortir drsquoune eacutecole de gladiateurs Un autre preacuteceacutedeacute de faisceaux et vecirctu de pourpre jouait le magistrat Un autre avait le manteau le bacircton et la barbe de bouc drsquoun philosophe Ici crsquoeacutetait un oiseleur avec ses gluaux lagrave un pecirccheur avec sa ligne et ses hameccedilons Je vis aussi une ourse apprivoiseacutee qursquoon portait dans une chaise en costume de matrone un singe coiffeacute drsquoun bonnet drsquoeacutetoffe couvert drsquoune robe phrygienne couleur de safran et tenant une coupe drsquoor repreacutesentait le berger Ganymegravede Enfin venait un acircne sur le dos duquel on avait colleacute des plumes et qursquoaccompagnait un vieillard tout casseacute crsquoeacutetaient Peacutegase et Belleacuterophon que parodiait ce couple risible Au milieu de ces mascarades qui couraient de cocircteacute et drsquoautre pour le plus grand amusement du peuple srsquoavanccedilait dans un ordre solennel la procession proprement dite de la deacuteessehellip raquo (Cf Lafaye Histoire du culte des diviniteacutes drsquoAlexandrie p 2) 68 Voir Mystegraveres drsquoisis dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mi-burlesque conduit agrave la mer un frecircle esquif chargeacute drsquooffrandes me semble ecirctre un rappel de lrsquoexpulsion des deacutemons Ou bien encore les maux sont figureacutes en bloc sous les traits drsquoun ecirctre vivant homme ou becircte que nous appelons le Bouc eacutemissaire Un Bouc eacutemissaire bien reacuteel est celui des Heacutebreux chaque anneacutee lors de la fecircte de lrsquoexpiation le grand precirctre drsquoIsraeumll le chargeait des crimes de tout son peuple et le chassait dans le deacutesert 6 Ailleurs crsquoest le rocircle drsquoun coq drsquoun ours agrave qui lrsquoon donne la chasse en temps de Carecircme En Gregravece agrave Rome et chez maints sauvages un homme deacuteguiseacute vecirctu drsquoune peau de becircte eacutetait expulseacute par-fois sacrifieacute La tradition du Bouc eacutemissaire et celle du roi-victime se combinent au Tibet dans un personnage appeleacute le Jalno 70 Le grand lama eacutetant deacuteposeacute pour un temps le Jalno joue le rocircle de roi inteacuterimaire il se promegravene dans les rues de Lhassa la figure peinte mi-partie en blanc mi-partie en noir il srsquoaffuble drsquoune peau de becircte et avec une queue de buffle il srsquoen va frottant un chacun pour balayer ainsi tous les maux et les peacutecheacutes du peuple puis il est honteuse-ment chasseacute de la ville parfois tueacute

Enfin lrsquoexpulsion des deacutemons a laisseacute chez nous des souvenirs durables soit dans nos cavalcades de Carnaval avec leurs chars et navires monteacutes drsquoeacutequipages diaboliques et treacutepidants soit dans lrsquoenterrement mecircme de Carnaval soit dans le cortegravege de notre Carecircme-prenant ou celui de la Reina Caresma agrave Madrid Ici srsquoassocient les thegravemes de lrsquoexpulsion des deacutemons et de la mort du Vieux dieu de la veacutegeacutetation Au jour du Mardi gras notre roi Carnaval est un joyeux et bedonnant compegravere promeneacute sur un acircne le lendemain on le sacrifie crsquoest-agrave-dire qursquoon le met en terre qursquoon le brucircle qursquoon le pend parmi des ceacutereacutemonies bouffonnes des complaintes funegravebres et des chants de joie Il a pour successeur le Prince Carecircme ou Carecircme-prenant qursquoon promegravene de dimanche en diman-che de plus en plus amaigri et deacutefait et qui par suite des jeunes forceacutes finit par expirer le samedi saint agrave midi On lui passe la corde au cou ou on le brucircle A Madrid la Reina Caresma est une vieille femme munie de sept jambes dont chacune lui est enleveacutee au cours des sept semaines du Carecircme jusqursquoagrave sa mise en piegraveces complegravete le jour de Pacircques 7 Crsquoest toujours quels que soient sa figure et son nom lrsquoEsprit du bleacute mourant qursquoon pleure et qursquoon enterre dans le deuil avant de le faire ressusciter dans la joie crsquoest encore le Bouc eacutemissaire qursquoon pourchasse et qursquoon deacutepegravece afin de supprimer tous les maux

6 Le rameau drsquoor II p 0 et suiv70 id II p 66 et suiv7 Le rameau drsquoor III p

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Dans lrsquoordre religieux ces coutumes sont resteacutees singuliegraverement vivaces Avant le printemps nous nous recueillons dans la tristesse et nous nous purifions par le jeucircne pour preacuteparer lrsquoavegravenement du renouveau physique et moral Pacircques fleu-ries Cette fecircte marque encore chez nous la grande purification annuelle laquo Tu te confesseras au moins agrave Pacircqueshellip une fois lrsquoan raquo mdash ainsi que le rajeunissement de lrsquoacircme et de la nature Encore faut-il deacutepouiller le vieil homme pour que naisse lrsquohomme nouveau et de mecircme qursquoautrefois nous continuons agrave tuer solennel-lement le dieu de la veacutegeacutetation agrave pourchasser les mauvais esprits et agrave stimuler les forces vitales quand nous exeacutecutons nos rites agrave la fois religieux et bouffons autour de ces successeurs de prototypes veacuteneacuterables personnages de Carecircme et rois de Carnaval animaux chasseacutes mannequins de paille gerbes de bleacute et feux de la Saint-Jean

Une autre tradition de Carnaval agrave laquelle mecircme nos contemporains se fe-raient scrupule de manquer crsquoest une activiteacute choreacutegraphique deacutesordonneacutee Aux temps anciens les danses avaient elles aussi un rocircle rituel on leur precirctait une influence de magie sympathique laquo Dans certaines reacutegions drsquoAllemagne au Mardi gras ou agrave la veille du er mai les jeunes filles dansent dans les champs ou agrave lrsquoauberge et crient laquo Lin grandis 72 raquo Plus haut elles sauteront en dansant plus le lin ou le bleacute grandiront raquo En Lithuanie au Siam on a gardeacute lrsquousage de se balancer en invoquant les esprits au temps des reacutecoltes crsquoest un moyen de faire croicirctre le bleacute ou le riz que de pousser tregraves haut la balanccediloire En bien des pays ce sont les danses speacuteciales agrave ce temps de Carnaval qursquoon reproduit lors drsquoautres solenniteacutes aux jours de grande liesse aux fecirctes locales Certaines sont resteacutees en honneur dans le pays basque et attestent combien vivaces sont encore les tradi-tions quoique agrave lrsquoeacutetat de gestes et de symboles aujourdrsquohui incompris

Jrsquoassistais les 6 et 7 aoucirct 2 agrave Saint-Jean-Pied-de-Port aux fecirctes drsquoAbbadie 7 qui coiumlncidaient avec la fecircte locale Dans le deacutefileacute des danseurs venus de toutes les provinces basques on reconnaicirct facilement les eacuteleacutements tra-ditionnels du cortegravege carnavalesque ainsi que le deacutecor de lrsquoantique sacrifice du roi ou du dieu de la veacutegeacutetation Les principaux figurants eacutetaient ceux du pays de

72 Le rameau drsquoor II p 67 La fondation drsquoAbbadie ou fecirctes de la Tradition basque sert agrave reacutecompenser des concours de pelote de poeacutesie basque de cris montagnards (irrintzina) ils ont lieu chaque anneacutee tour agrave tour dans un des 7 chefs-lieux de canton des Basses-Pyreacuteneacutees et sont en geacuteneacuteral rattacheacutes aux fecirctes locales La geacuteneacuterositeacute de M drsquoAbbadie a rendu la vie agrave des coutumes qui allaient tomber en deacutesueacutetude

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Soule (Mauleacuteon) A leur tecircte srsquoavance le Cherrero porteur du chasse-mouches (cherra) puis le samalzain crsquoest un roi burlesque couronneacute drsquoune mitre fleu-rie affubleacute jusqursquoau buste drsquoun cheval-jupon dont il dirige la tecircte minuscule tandis que le poitrail et la croupe enjuponneacutes eacutenormes se balancent grotesque-ment autour de ses reins Apregraves le roi voici la reine qui a pris ici lrsquoaspect drsquoune cantiniegravere avec jupon court guecirctres et bidon enfin les courtisans auxquels on donne le nom inattendu de satans ils sont vecirctus de dolmans rouges agrave brande-bourgs et galons drsquoor avec des culottes noires chargeacutees de rubans entrecroiseacutes et chausseacutes de sandales recouvertes de guecirctres brodeacutees Passent encore dominant les tecirctes et jucheacutees sur des bacirctons des poupeacutees geacuteantes et grotesques les Zigan-tiak puis des enfants en pages et en folies des gardes en bonnets agrave poil (ils rap-pellent les eacutenormes coiffures et masques en peaux de mouton qursquoon voit aux pro-cessions de Fontarabie et de Pampelune) et enfin les musiciens Les figurants de Basse-Navarre dansaient surtout le bolantak une varieacuteteacute du laquo saut basque raquo pas et changement de pied en avant volte saut en hauteur Ceux du pays de Labour (Cambo Hasparren Saint-Jean-de-Luz) eacutetaient speacutecialiseacutes dans le fandango et lrsquoarin-arin Quant au cortegravege du Samalzain venu du pays de Soule il exeacutecu-tait une prestigieuse gavotte et une danse autour drsquoun verre Tous ces danseurs eacutetaient des paysans des artisans non des professionnels mais aucun de ceux que jrsquointerrogeais dans cette troupe agile qui virevoltait autour du Samalzain ne se doutait qursquoil exeacutecutait des rites milleacutenaires Ils ressuscitaient cependant les fragments drsquoun drame qui a trop frappeacute lrsquoimagination de nos ancecirctres pour ne pas laisser aujourdrsquohui dans ces costumes ces mimiques et ces danses des traces eacutemouvantes Voici que le dieu haut mitreacute surpassait en choreacutegraphie agile ses courtisans les sacrificateurs agrave travers leurs gestes pouvaient srsquoeacutevoquer les peacuteri-peacuteties du conflit les essais de persuasion et de reacutesistance la lutte du roi le vain triomphe en agiliteacute et en prestesse lrsquoexpulsion du cercle le renoncement forceacute la bregraveve douleur des funeacuterailles Puis les sauts drsquoune envoleacutee superbe reacutepeacutetaient les gestes magiques ougrave srsquoefforccedilaient les sorciers de jadis pour activer la pousse du bleacute nouveauhellip Les sacrificateurs srsquoeacutetaient mueacutes par la confusion des souvenirs en de rouges Satans et la danse rituelle autour du roi du dieu de lrsquoEsprit du bleacute srsquoeacutechevelait maintenant en une poursuite de deacutemons parmi lrsquoexcitation des laquo fo-lies raquo et lrsquoapparition des Basanderiak ces feacutees basques en qui survivent les ecirctres surnaturels et sauvages que lrsquohomme a toujours redouteacuteshellip Et la freacuteneacutesie de ces danseurs leur eacutemulation agrave sauter le plus haut possible lrsquoalleacutegresse de cette foule se treacutemoussant drsquoune sandale leacutegegravere jeunes et vieux sur la place publique me

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rappelaient le deacutelire sacreacute des peuples agricoles quand ils excitaient du pied et du geste lrsquoeacutelan des jeunes frondaisons

Il y a un autre aspect de lrsquoexcitation populaire que nous nrsquoavons pas encore en-visageacute Un eacutepisode caracteacuteristique des Kronia agrave Athegravenes et des Saturnales agrave Rome eacutetait lrsquoeacutemancipation momentaneacutee des esclaves et la licence geacuteneacuterale Les esclaves coiffeacutes du bonnet pileus emblegraveme de la liberteacute eacutetaient dispenseacutes de tout travail et pendant quelques jours prenaient les habits de leurs maicirctres les singeaient de toutes les maniegraveres exigeaient drsquoecirctre servis par eux et se livraient agrave une deacutebauche effreacuteneacutee Il en eacutetait de mecircme aux fecirctes Sacaeliga pendant les jours ougrave le condamneacute agrave mort jouait le rocircle de roi le mecircme eacutetat reacutevolutionnaire se manifeste aussi dans les socieacuteteacutes sauvages au temps de lrsquoexpulsion des deacutemons Nous avons vu qursquoune partie de la population est chargeacutee de chasser les geacutenies malfaisants mais lrsquoautre partie des hommes et des femmes subit encore lrsquoattaque furieuse des malins et leur livre une reacutesistance deacutesespeacutereacutee si bien que poursuivants et poursuivis sont en proie agrave une surexcitation deacutemoniaque intense les hommes sont comme pos-seacutedeacutes et srsquoadonnent agrave mille extravagances

Alors on ne se contente point de prendre des masques et de changer lrsquoaspect officiel des figurants tous les rocircles sont renverseacutes dans la vie sociale le roi ab-dique un condamneacute un fou ou un enfant regravegnent les serviteurs donnent des ordres aux maicirctres le cours des lois est suspendu plus de tribunaux plus de dettes plus drsquoobligations sociales les crimes restent impunis Il y a plusieurs raisons qui expliquent cette licence geacuteneacuterale drsquoabord les gens sont endiableacutes par les deacutemons puis laquo quand les hommes savent qursquoils vont bientocirct ecirctre deacutelivreacutes de tous les maux et que tous les peacutecheacutes seront absous ils nrsquoheacutesitent plus agrave donner libre cours agrave leurs passions puisque la ceacutereacutemonie prochaine effacera toutes leurs fautes Drsquoautre part au lendemain drsquoune telle ceacutereacutemonie les esprits sont deacutelivreacutes du poids qui drsquohabitude les oppresse les hommes ne se sentent plus menaceacutes de toutes parts par les deacutemons dans lrsquoexplosion de leur joie ils deacutepassent les bornes que leur imposent en toute autre circonstance les coutumes et la mo-rale Lorsque la ceacutereacutemonie a lieu agrave lrsquoeacutepoque de la moisson ces sentiments de joie trouvent encore un stimulant dans lrsquoideacutee du bien-ecirctre physique que procure une abondante reacutecolte 7 raquo

Voici quelques exemples laquo Dans la tribu africaine des Pondos 7 au jour de

7 Le rameau drsquoor II p 77 id II p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la fecircte des premiers fruits le chef abdique ses fonctions pour toute la dureacutee de la fecircte des jeunes gens jouent dansent luttent font des courses puis tous les membres de la tribu se livrent agrave la deacutebauche srsquoenivrent et poussent de grands cris il nrsquoy a plus personne qui soit chargeacute de maintenir lrsquoordre et chacun fait ce qui lui semble bon Un homme poignarde-t-il son voisin il nrsquoencourt aucun chacirctiment il en est de mecircme pour tous les autres crimes contre les personnes la proprieacuteteacute et les mœurs On peut mecircme insulter le chef en face ce qui dans toute autre circonstance serait immeacutediatement puni de mort Tant que dure la fecircte on entend un vacarme continuel produit par des tambours par les cris de la fou-le par des battements de mains et par toutes sortes drsquoinstruments bruyantshellip raquo De mecircme sur la Cocircte drsquoOr lrsquoexpulsion annuelle des deacutemons est preacuteceacutedeacutee drsquoune fecircte qui dure huit jours pendant laquelle laquo la liberteacute du sarcasme est absolue les Negravegres parlent sans aucune contrainte de toutes les fautes vilenies et malhon-necircteteacutes commises par leurs supeacuterieurs ou leurs infeacuterieurs personne ne peut les punir ni mecircme les interrompre raquo Dans le nord de lrsquoInde la mecircme fecircte se ceacutelegravebre agrave la moisson laquo Alors les gens sont suivant leur propre expression endiableacutes ils croient qursquoagrave ce moment de lrsquoanneacutee hommes et femmes sont incapables de reacutesis-ter agrave leurs mauvais penchants et qursquoil est absolument neacutecessaire de laisser pen-dant quelque temps libre cours aux passionshellip Les Hos commencent par chasser les deacutemons malveillants qui habitent le pays hommes et femmes parcourent les villages en tenant des bacirctons en mains en chantant des chansons sauvages criant et vocifeacuterant jusqursquoagrave ce qursquoils soient convaincus drsquoavoir mis en fuite le mauvais esprit Ils se mettent ensuite agrave faire la fecircte et agrave boire de la biegravere de riz La fecircte devient alors une saturnale pendant laquelle les domestiques oublient quels sont leurs devoirs vis-agrave-vis de leurs maicirctres les enfants ne respectent plus leurs parents les hommes ne respectent plus les femmes et celles-ci perdent toute notion de deacutecence et de modestie elles deviennent des bacchantes enrageacuteeshellip raquo Dans une tribu voisine laquo la ressemblance avec les Saturnales est complegravete car les domestiques de fermes sont servis agrave table par leurs maicirctres et autoriseacutes agrave leur parler en toute liberteacute 76 raquo

LrsquoEacuteglise de mecircme a ducirc autoriser cette reacutevolution temporaire dans ses pro-pres usages religieux et ne pouvant supprimer les reacutejouissances populaires elle a essayeacute de les diriger ou de leur donner un sens moins sacrilegravege que bouffon Aux jours de saint Eacutetienne de saint Jean et des Innocents dans certaines villes un jeune clerc appeleacute laquo episcopus stultorum raquo occupait le siegravege eacutepiscopal avec les

76 Le rameau drsquoor II p et suiv

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ornements pontificaux et sur la tecircte un bourrelet en guise de mitre De mecircme agrave la fecircte des Fous et agrave la fecircte de lrsquoAcircne des laiumlques travestis en precirctres chantaient des obsceacuteniteacutes ou amenaient un acircne couronneacute devant lrsquoautel

Revenons maintenant agrave lrsquoEacutegypte et recherchons srsquoil nrsquoy a pas dans sa vie reli-gieuse et populaire des traits qui correspondent agrave la royauteacute eacutepheacutemegravere de Car-naval agrave lrsquoenterrement du Vieux dieu de la veacutegeacutetation lrsquoexpulsion de la mort et des deacutemons aux fecirctes orgiaques du renouveau A dire vrai lrsquoEacutegypte sur tous ces points paraicirct tregraves pauvre de teacutemoignages elle ne fournit ni texte coheacuterent et explicite ni tableau clairement composeacute nous devons saisir au passage des allusions bregraveves ou isoler certains personnages certaines repreacutesentations dont la valeur et le sens eacutechappent agrave qui ne srsquoest pas livreacute agrave une enquecircte comme celle qui preacutecegravede

Nous avons eacutetudieacute deacutejagrave les rites de la fecircte sed ougrave le Pharaon subit une mort fictive suivie drsquoune renaissance simuleacutee qui lui donne une vitaliteacute nouvelle Cette fecircte singuliegravere qui srsquoest perpeacutetueacutee pendant les quatre mille ans de la monarchie pharaonique ne pourrait-on lrsquoexpliquer par la tradition du meurtre rituel auquel se soumet le roi vieillissant Crsquoest agrave une eacutepoque anteacuterieure aux plus anciens monuments connus que le Pharaon fut reacuteellement immoleacute deacutejagrave sur les palettes archaiumlques il srsquoest eacutevadeacute de cette obligation et on lui substitue drsquoautres victimes humaines A lrsquoeacutepoque historique gracircce agrave la reacuteveacutelation osirienne qui a enseigneacute agrave la socieacuteteacute eacutegyptienne agrave transformer le treacutepas en vie eacuteternelle la renaissance du roi ne suppose plus neacutecessairement le sacrifice drsquoun remplaccedilant elle srsquoopegravere rituel-lement par la ceacuteleacutebration de Mystegraveres sans autre effusion de sang que celle des animaux qui remplacent les victimes humaines De ces atteacutenuations progressi-ves jrsquoai conclu que le roi drsquoEacutegypte semble bien avoir connu le meurtre rituel du roi qui sert de fondement agrave beaucoup de traditions de carnaval

Mais reste-t-il trace drsquoun roi inteacuterimaire personnage sacreacute au deacutebut devenu grotesque par la suite puis confondu par le meacutelange des traditions qui srsquoobscur-cissent avec le Vieux dieu de la veacutegeacutetation expirante

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Bouffons couronneacutes pirouettant

On remarque ceci seulement dans les cortegraveges des fecirctes Sed et parmi les officiants du culte funeacuteraire deacutefilent des personnages affubleacutes drsquoune couronne de roseaux (fig 0) qui est semblable agrave certaines coiffures royales A leur attitude compasseacutee on pourrait se demander srsquoils ne sont pas des mannequins habilleacutes en rois (fig ) en reacutealiteacute ce sont des bouffons Nous voyons aussi dans les reliefs des tombeaux des individus coiffeacutes de la mecircme couronne exeacutecuter les contorsions et les danses des baladins (fig )

Figure Bouffons couronneacutes

Ces personnages apparaissent sur la stegravele C du Louvre ougrave sont repreacutesenteacutes les mystegraveres osiriens lagrave leur couronne tresseacutee se heacuterisse de rubans de tortils de fleurs ou drsquoeacutepis les bras en mouvement une jambe en lrsquoair ils ont lrsquoallure de

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pantins deacutesarticuleacutes Qui sont ces bouffons couronneacutes qui se mecirclent partout aux officiants dans les scegravenes les plus lugubres des rites osiriens 77

Figure Baladines couronneacutees comme des bouffons

Ils nous rappellent les rois burlesques que nous trouvons chez drsquoautres peu-ples jouant le rocircle du roi condamneacute agrave mort ou du Vieux dieu de la veacutegeacutetation avec qui lrsquoOsiris eacutegyptien offre tant de traits communs On srsquoexpliquerait diffici-lement que ces personnages grotesques aient pu srsquoaffubler dans des ceacutereacutemonies solennelles de coiffures semblables aux couronnes royales si leur aspect nrsquoavait eacuteveilleacute lrsquoeacutecho de traditions sacreacutees auxquelles on se faisait scrupule de toucher (fig -0)

Figure 6Nains bouffons

Laissons ces analogies avec le roi inteacuterimaire de Carnaval (Fig 8) Ces mecirc-

77 Louvre stegravele C Tylor paheri pl V (cf fig 22) Virey rehmard pl XXVI Maspero Montouherjhepshef p 60 (cf fig 2) Sur ces bouffons cf Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (procee-dings sBA XV p )

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mes personnages qui sont mannequins couronneacutes aux funeacuterailles ou baladins aux fecirctes publiques srsquoappellent nemou nem et ce nom projette sur leur attitude une vive lumiegravere car on appelle aussi Nemou des nains danseurs dont le rocircle agrave la fois religieux et bouffon ne laisse aucun doute Les plus rechercheacutes de ces nains venaient du Haut-Nil ougrave vivait une tribu de pygmeacutees les Dang 78

Figure 7Danseuses coiffeacutees de roseaux et munies de sceptres

Sous lrsquoAncien Empire les Pharaons envoyaient des expeacuteditions jusqursquoen ces contreacutees lointaines (on les appelait du nom mystique la terre des Initieacutes iahou) pour ramener agrave la cour ces Dang dont on faisait les laquo danseurs du dieu raquo crsquoest-agrave-dire drsquoOsiris par leurs contorsions rythmeacutees leurs balancements ces pygmeacutees savaient laquo reacutejouir le cœur drsquoOsiris raquo au ciel et celui du Pharaon sur terre

78 Les bouffons ou nains portent sur les monuments diffeacuterents noms deg les nains nensou (Beni Hasan II 6 cf notre fig 6) 2deg les nains Dang citeacutes aux textes du tombeau drsquoHe-rhouf et des Pyramides (cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 2 et suiv) peut-ecirctre faut-il corriger en Danq le nom de Danb du second nain de Beni-Hasan (confusion du q et du b) deg les bouffons mw-w (paheri pl V Rehmacircracirc pl XXVI cf Gardiner ap recueil XXXIII p ) dont le nom eacutecrit en toutes lettres au tombeau de Sebekneht cf fig ) semble une lecture erroneacutee du mot nemi deg les officiants neniou les laquo affaisseacutes raquo qui semblent jouer le rocircle de vic-times peut-ecirctre de tikenou (pyr de teti I 20 + 2 id Sethe II p 7 sinouhit I ) Les trois mots nemiw mw-w neniw srsquoeacutecrivant agrave peu pregraves de la mecircme faccedilon ont pu ecirctre confondus au cours des siegravecles

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8Officiants et nains

Nous ne savons pas en quoi consistait ou ce que mimait en figures expressives la danse des Dang ou des nemou mais les textes des papyrus et des stegraveles nous confirment les donneacutees des tableaux retrouveacutes aux tombes des Moyen et Nouvel Empires leurs sauts 7 eacutetaient neacutecessaires lors des funeacuterailles comme partie in-teacutegrante du rituel on les faisait exeacutecuter devant la porte du tombeau 80 le plus souvent par des baladins de profession et agrave leur deacutefaut par des precirctres officiants quelquefois par de veacuteritables nains Quelques indices permettent de se repreacutesen-ter ces danses comme des incantations contre les deacutemons Seacutethiens adversaires drsquoOsiris Drsquoune part le nemi rappelait par son masque et ses difformiteacutes le dieu Bes dont la face eacutetait puissante contre les deacutemons 8 soit agrave la naissance 82 soit pendant la vie des hommes 8 aussi certains livres magiques contiennent-ils un laquo chapitre du Nemi raquo qui srsquoemploie comme phylactegravere 8 Peut-ecirctre aussi tirait-on parti de lrsquoaspect grotesque du nemi pour figurer les ennemis deacutetestables drsquoOsiris

7 La danse hb consiste en sauts en hauteur avec une rotation soit sur un pied soit en lrsquoair (cf fig ) et srsquoexeacutecute lors des laquo conseacutecrations raquo desertou (el Bersheh II 2)80 sinouhit - laquo on exeacutecutera les sauts des Neniou (hbb nnjw) agrave la porte de la tom-be raquo (XIIe dyn) Mariette Mon divers pl 6 Piehl inscriptions I laquo on exeacutecutera pour toi les sauts des nemiou agrave la porte de la tombe (le deacuteterminatif indique un personnage qui se renverse en arriegravere les pieds et mains touchant la terre) Piehl insc I 7 laquo on exeacutecutera pour moi les sauts de nemiou agrave la porte de la tombe raquo (le deacuteterminatif indique un personnage qui se laisse aller agrave terre comme agrave notre fig )8 Maspero eacutetudes de Mythologie II p cf Wiedemann recueil XVII p 282 Naissance du roi Louxor pl LXV8 Stegraveles du type dit de Metternich8 Pleyte eacutetude sur un rouleau magique p 8 et suiv

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et mimer la preacutesence et lrsquoexpulsion des deacutemons le mot nemi deacutetermineacute par lrsquoanimal typhonien deacutesigne parfois lrsquoesprit malfaisant 8

Figure Couronne royale du Sud Couronne de bouffon

Figure 0Couronnes de roseaux celle du bouffon et celle du roi

Nrsquooublions pas que drsquoautres indigegravenes des lointaines reacutegions du Haut-Nil sont exhibeacutes la figure couverte drsquoun masque grotesque au cours des fecirctes sed confon-dus avec les officiants (fig ) leur preacutesence srsquoexplique peut-ecirctre par les mecircmes raisons soit qursquoils chassent les deacutemons soit qursquoils figurent eux-mecircmes ces deacutemons expulseacutes Drsquoailleurs il est possible que ces bouffons couronneacutes ces danseurs deacutemo-niaques reacuteunissent en leur personne des rocircles distincts agrave lrsquoorigine et que drsquoautres peuples attribuent soit agrave des boucs eacutemissaires 86 soit agrave des rois de Carnaval

8 Brugsch Woumlrterbuch p 76 sup p 6786 Les ennemis drsquoOsiris eacutetaient figureacutes par des acteurs dans les fecirctes religieuses cela ressort des textes et tableaux eacutegyptiens et du teacutemoignage drsquoHeacuterodote (II 6) qui a eacuteteacute teacutemoin drsquoune effroyable bastonnade eacutechangeacutee entre adversaires et partisans du dieu

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Indigegravene de la tribu Oua-Oua mecircleacute aux officiants de la fecircte Sed

Il a un masque de bouffon

Les danses exeacutecuteacutees lors des rites funeacuteraires peuvent encore srsquoexpliquer par un autre motif un artifice de magie imitative Je ne parle point de ces tableaux ougrave le deacutefunt se deacutelecte agrave ouiumlr des chants accompagneacutes par les flucirctes et les har-pes cependant qursquoune troupe drsquoalmeacutees juveacuteniles multiplie ses pas cadenceacutes Il est drsquoautres danses qui ne sont point purs divertissements Regardez les sauts esquisseacutes par les Nemou au moment ougrave srsquoopegravere la renaissance par la peau ou bien suivez au tombeau drsquoAnhmacirchor lrsquoeacutevolution de ces danses (fig 2) qui font pendant au triste tableau des funeacuterailles avec quelle furie disciplineacutee les femmes jettent en avant le pied plus haut que la tecircte Est-ce vaine exhibition de figurants entraicircneacutes agrave des exercices rythmiques qui tiennent plus de la gymnastique que du ballet Non car sur la paroi drsquoen face regardant ces virtuoses voici drsquoautres freacuteneacutetiques qui deacutefaillent ils se pacircment se laissent tomber agrave terre gisent comme srsquoils simulaient lrsquoaffaissement du treacutepas (fig ) Comment croire qursquoon ait pu introduire en pleine fecircte funegravebre lrsquoeacutepisode de ce cake-walk eacutecheveleacute Nrsquoy pour-rait-on voir plutocirct une danse magique et solennelle qui a pour but en mimant la vie et la mort de susciter dans le corps inerte du deacutefunt quelque prodigieux eacutelan de vigueur et de reacutesurrection ou de stimuler dans le sol endormi la pousseacutee des semences et la croissance jusqursquoagrave une hauteur extraordinaire de la veacutegeacuteta-tion Ici comme dans les fecirctes agraires que nous avons citeacutees danses et sauts auraient le mecircme effet magique les pousses nouvelles image drsquoOsiris ou du deacutefunt renaissant grandiront en gloire srsquoeacutelegraveveront aussi haut que les sauteurs ont pu lancer le pied

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Danseuses

Les eacutepisodes orgiaques et licencieux qui accompagnent ailleurs les Saturnales et lrsquoeacutepheacutemegravere royauteacute du Carnaval se retrouvent eacutegalement en Eacutegypte Les tex-tes du temple de Dendeacuterah nous deacutecrivent une ceacutereacutemonie qursquoon ceacuteleacutebrait au deacute-but de lrsquoanneacutee eacutegyptienne le 20 Thot apregraves les vendanges et la moisson A cette date la deacuteesse Hathor et ses paregravedres sortaient du sanctuaire le cœur en liesse les precirctresses montraient agrave la foule les statues sacreacutees au son des cymbales et des tambourins pendant cinq jours tous les habitants de la ville se couronnaient de fleurs buvaient sans mesure chantaient et dansaient du lever au coucher du soleil 87

La fecircte laquo de lrsquoivresse raquo tombait presque aux mecircmes dates que les fecirctes de la moisson ceacuteleacutebreacutee dans la reacutegion theacutebaine et de lrsquoensevelissement drsquoOsiris qui se faisait agrave Abydos (22 Thot) je ne saurais voir lagrave une coiumlncidence fortuite Cette ivresse joyeuse qui se reacutepand sur toute une ville ce deacutechaicircnement des instincts une fois le travail termineacute a comme un goucirct avant-coureur de notre licence du Carnaval sauf que ce dernier a reporteacute les mecircmes scegravenes agrave la saison des se-mailles sans preacutejudice de celles qui ont lieu encore agrave la moisson Drsquoailleurs le deacuteregraveglement propre aux Saturnales nous apparaicirctra mieux encore dans la fecircte de Bubastis qursquoHeacuterodote a vue et deacutecrite au ve siegravecle avant J-C

87 Mariette Dendeacuterah III pl I pl 62 texte p 28 et 02

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On se rend agrave Bubastis par eau hommes et femmes pecircle-mecircle et confondus les uns avec les autres dans chaque bateau il y a un grand nombre de personnes de lrsquoun et de lrsquoautre sexe tant que dure la navigation les femmes jouent des cas-tagnettes et les hommes de la flucircte le reste autant hommes que femmes chante et bat des mains Lorsqursquoon passe pregraves drsquoune ville on fait approcher le bateau du rivage Parmi les femmes les unes continuent de chanter et de jouer des cas-tagnettes drsquoautres crient de toutes leurs forces et disent des injures agrave celles de la ville celles-ci se mettent agrave danser et celles-lagrave se tenant debout retroussent indeacutecemment leurs robes 88 La mecircme chose srsquoobserve agrave chaque ville qursquoon ren-contre le long du fleuve Quand on est arriveacute agrave Bubastis on ceacutelegravebre la fecircte de la deacuteesse en immolant un grand nombre de victimes et lrsquoon fait agrave cette fecircte une plus grande consommation de vin de vigne que dans tout le reste de lrsquoanneacutee car il srsquoy rend au rapport des habitants sept cent mille personnes tant hommes que femmes sans compter les enfantshellip8 raquo

Cette gaieteacute profane qui accompagne drsquoordinaire les foules en pegravelerinage marque drsquoeacutepisodes faceacutetieux les ceacutereacutemonies les plus graves Ainsi dans les pro-cessions religieuses et les cortegraveges sacerdotaux voyons-nous des precirctres chargeacutes de repreacutesenter les dieux pour rendre lrsquoeffigie plus ressemblante ils revecirctent des costumes ou portent des attributs eacutetranges et srsquoattachent sur la figure des mas-ques drsquoanimaux spectacle qui est sans doute eacutedifiant pour lrsquoeacutelite mais qui pour la foule precircte agrave lrsquoeacutequivoque et au rire tel deacutefileacute du clergeacute theacutebain qursquoon nous montre aux fecirctes de la moisson semble annoncer par son caractegravere mi-burlesque mi-sacreacute ces cortegraveges qursquoApuleacutee verra plus tard agrave Chenchreacutees et dont il nous a laisseacute une si pittoresque description

Figure Fecircte de la gerbe Precirctres portant les enseignes divines

le Nsout-Hen et les simulacres des dieux

88 Au chap II 8 Heacuterodote signale drsquoautres rites indeacutecents8 Heacuterodote II 60

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les monuments eacutegyptiens ne sont donc point autant qursquoil le paraicirct agrave pre-miegravere vue deacutepourvus de teacutemoignages sur les fecirctes agraires on les rites dits de Carnaval Seulement ils apportent peu de textes preacutecis peu de tableaux pourvus drsquoun commentaire ou qursquoon puisse expliquer avec entiegravere certitude Dans ces conditions lrsquoEacutegypte ne peut servir de point de deacutepart pour des recherches de cet ordre au contraire jrsquoai ducirc aller du connu agrave lrsquoinconnu mrsquoinformer ailleurs de certains rites et de lrsquoexplication qursquoon leur a trouveacutee puis revenir agrave lrsquoEacutegypte et interpreacuteter certaines expressions certaines figures eacutenigmatiques avec la clef que drsquoautres civilisations peuvent fournir Lrsquoanalogie est vraisemblable drsquoune part il serait surprenant que ces coutumes drsquousage universel aient eacuteteacute ignoreacutees des Eacutegyptiens drsquoautre part les rites burlesques observeacutes dans les funeacuterailles les fecirctes sed et les paneacutegyries sacreacutees srsquoexpliqueraient difficilement sans lrsquointerpreacutetation que drsquoautres peuples nous fournissent avec tant drsquoabondance et de preacutecision

Ces coutumes pratiqueacutees dans le monde entier ces fecirctes dont le sens se retrou-ve agrave peine obliteacutereacute dans la survivance eacutetonnante des mecircmes deacutecors ont ainsi leurs racines immeacutemoriales dans les limbes de lrsquoHistoire Ne nous meacuteprenons pas sur lrsquoaspect grotesque que ces traditions ont revecirctu au cours des siegravecles Veacute-neacuterables par leur passeacute elles nous montrent en action la religion primitive elles nous deacutecrivent cette lutte eacuteternelle pour la vie qui est agrave la base de la premiegravere foi de lrsquohumaniteacute Tous ces rites reposent sur le paralleacutelisme absolu entre lrsquohomme et la nature elle vit prospegravere grandit meurt comme lui et il est frappeacute par ce recommencement et ce retour perpeacutetuel des choses Il veut donc assurer le re-nouvellement constant des forces naturelles ou ce qui revient au mecircme en em-pecirccher lrsquoeacutepuisement Ce sentiment de preacutevoyance a persisteacute sous les conceptions meacutetaphysiques apporteacutees au cours des siegravecles par les philosophies qui recouvrirent peu agrave peu la religion naturelle Les fecirctes drsquoaujourdrsquohui preacutesentent lrsquoaspect drsquoun terrain geacuteologique ougrave les stratifications ont eacuteteacute bousculeacutees et mecircme interverties par les diverses convulsions de la foi religieuse depuis lrsquoantiquiteacute Dernier venu le christianisme a remanieacute le cadre mecircme de lrsquoanneacutee dont Pacircques eacutetait jadis le deacutebut de sorte que les fecirctes qui vont de deacutecembre agrave Pacircques ne coiumlncident plus avec le temps du renouveau et de la moisson qursquoelles marquaient autrefois et ne sont plus placeacutees aujourdrsquohui dans leur ordre logique neacuteanmoins se perpeacutetue agrave travers ces confusions la tradition antique jusqursquoagrave cette grande purification annuelle de Pacircques commandeacutee encore par le christianisme

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Expulser la mort eacuteliminer les deacutemons et les mauvais instincts faire renaicirctre en soi dans la socieacuteteacute et la nature des forces renouveleacutees et salutaires tel eacutetait le but de certaines fecirctes antiques que nous avons retrouveacutees en Eacutegypte et ailleurs tel encore est le sens oublieacute des fecirctes du Carnaval Le roi qui aux temps anti-ques y jouait le premier rocircle reste aujourdrsquohui reconnaissable sous son traves-tissement bouffon Ce deacutefileacute burlesque fut autrefois une procession auguste et le deacutenouement lamentable drsquoun drame Derriegravere le masque bafoueacute du roi deacutechu ou eacutepheacutemegravere nos ancecirctres ont vu la figure tragique de lrsquohomme-dieu qui pour le bien et la vie de ses semblables allait mourir

27

vI

sanctuaIres de LrsquoancIen eMpIre

Les grandes pyramides de Gizeh mdash celles de Cheacuteops Cheacutephregraven Myceri-nus mdash et les petites pyramides drsquoAbousir et de Saqqarah sont les tombeaux des pharaons de lrsquoAncien Empire Les momies royales ensevelies dans les profon-deurs de ces maccedilonneries eacutetaient inaccessibles deacutefendues par des herses de gra-nit qursquoon laissait tomber les funeacuterailles faites sur les couloirs descendant au caveau Il fallait cependant agrave des intervalles rapprocheacutes ceacuteleacutebrer le culte du roi deacutefunt car seul le culte pouvait prolonger sa vie drsquooutre-tombe Dans les tom-beaux des particuliers 0 la chapelle funeacuteraire restait accessible agrave lrsquointeacuterieur du mastaba eacuteleveacute sur le caveau dans les tombes royales le seuil de la pyramide eacutetant deacutesormais infranchissable il fallut reporter la salle du culte agrave lrsquoexteacuterieur dans un temple bacircti sur la faccedilade orientale de la pyramide

On a chercheacute ces temples funeacuteraires et on a pu en deacutegager les substructures agrave Meidoum agrave Saqqarah mais devant les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir les tumuli recouverts de sable qui srsquoeacutetendaient depuis leur face orientale jusqursquoagrave la valleacutee placeacutee en contre-bas preacutesentaient un aspect insolite Tout pregraves de la pyra-mide il y avait des deacutebris drsquoeacutedifices en descendant vers la valleacutee on remarquait les traces drsquoune chausseacutee qui avait servi agrave charrier les mateacuteriaux de construction enfin agrave la lisiegravere du deacutesert existaient encore les substructures de constructions imposantes dont la mieux conserveacutee eacutetait le fameux temple laquo de granit raquo ou laquo du Sphinx raquo ainsi nommeacute agrave cause de ses mateacuteriaux et de son voisinage ceacutelegravebre Lors-que Mariette le deacuteblaya drsquoailleurs partiellement de 8 agrave 860 il nrsquoy trouva que des statues colossales jeteacutees au fond drsquoun puits aucune inscription nul bas-relief ne deacutecorait ces murs de granit muets sur la destination de lrsquoeacutedifice son plan bizarre diffeacuterait eacutegalement de tous les monuments encore connus Entre les pyramides royales et ces eacutedifices plus ou moins ruineacutes situeacutes en bordure des ter-res cultiveacutees il ne semblait drsquoailleurs qursquoaucun lien existacirct La chausseacutee qui sub-sistait par places allait en obliquant de lrsquoeacutedifice agrave la pyramide et comme elle ne

0 On appelle mastaba la tombe de lrsquoAncien Empire qui a la forme exteacuterieure drsquoun cube de maccedilonnerie pleine sans autre ouverture que les portes Cf Au temps des pharaons p 78

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se trouvait dans lrsquoaxe ni du monument infeacuterieur ni du tombeau supeacuterieur lrsquoideacutee ne venait point drsquoun ensemble architectural ougrave la pyramide le temple la chaus-seacutee et lrsquoeacutedifice de la valleacutee auraient joueacute chacun leur rocircle Des fouilles meneacutees par M Borchardt sur le site drsquoAbousir par MM Steindorff et Reisner sur celui de Gizeh et qui viennent drsquoecirctre publieacutees ont cependant deacutemontreacute la reacutealiteacute de ce grand ensemble et reacuteveacuteleacute le rapport et mecircme la destination des parties

Ce nrsquoeacutetait point par hasard que le temple dit laquo du Sphinx raquo eacutetait situeacute au pied de la pyramide de Cheacutephregraven et que agrave Abousir par-devant les pyramides rui-neacutees de Sahouracirc et de Neouserracirc srsquoallongeait jusqursquoagrave la valleacutee lrsquoempierrement de constructions importantes qui se deacuteveloppaient sur une longueur de 00 00 ou 700 megravetres en escaladant le plateau Les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir sont ne lrsquooublions pas sur un plateau calcaire rebord du vaste deacutesert qui coupe en deux de lrsquoAtlantique au golfe Persique les continents de lrsquoAncien Monde Dans ce deacutesert la valleacutee du Nil est une zone drsquoeffondrement en partie combleacutee par les alluvions du fleuve aussi est-elle neacutecessairement en contrebas des deux legravevres de cette faille du plateau deacutesertique A la hauteur des pyramides de Gizeh la diffeacuterence de niveau entre le deacutesert et la plaine fertile atteint 6 megravetres Il fallait donc soit pour construire la pyramide soit apregraves son achegravevement pour y peacuteleriner gravir cette falaise sablonneuse On relia la valleacutee et le plateau au moyen drsquoune rampe en blocs solides de calcaire qui filait de biais pour racheter la pente insensiblement Ces chausseacutees dont Heacuterodote deacutejagrave relevait les traces nrsquoeacutetaient donc que le chemin drsquoaccegraves agrave la pyramide ou plutocirct au temple mor-tuaire eacuterigeacute sur son flanc oriental Seulement crsquoeacutetait un chemin couvert un long corridor bacircti qui inspirait moins lrsquoideacutee de fraicirccheur et drsquoombre que le silence et le recueillement drsquoune nef seacutepulcrale A Gizeh comme agrave Abousir le touriste doit restituer en imagination par-devant la face orientale de chaque pyramide un plan ascendant composeacute deg drsquoun portique monumental dans la plaine 2deg drsquoune galerie voucircteacutee et deg du temple proprement dit ougrave les rites renouvelaient agrave chaque ceacuteleacutebration de culte la vie du roi enseveli

A Gizeh ces ensembles architecturaux ont subi des fortunes varieacutees devant la plus grande pyramide celle de Cheacuteops il ne reste guegravere du temple funeacuteraire que le pavement en basalte et de la rampe que des deacutebris le portique de la val-leacutee a disparu La pyramide de Cheacutephregraven a conserveacute au contraire son portique le laquo temple du Sphinx raquo sa rampe drsquoaccegraves reacuteduite agrave la substructure et quelques pans de murs du temple funeacuteraire Devant la pyramide de Mycerinus le tem-

II 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ple est assez bien conserveacute et M Reisner y a trouveacute drsquoadmirables statues du roi constructeur

Examinons maintenant le groupe des constructions eacuteleveacute par Cheacutephregraven vers 280 avant J-C et commenccedilons agrave la lisiegravere de la valleacutee par ce laquo temple de gra-nit raquo ou laquo du Sphinx raquo que nous appellerons deacutesormais le Portique de cet ensem-ble 2 Fait exceptionnel dans lrsquohistoire monumentale de lrsquoEacutegypte il est tout en-tier construit murs plafond colonnes en granit rose drsquoAssouan crsquoest la pierre employeacutee aussi pour les caveaux inteacuterieurs des pyramides Le sol est partout paveacute drsquoalbacirctre et une chambre est mi-partie granit et mi-partie albacirctre Nul autre eacutedifice drsquoEacutegypte ne preacutesente un tel luxe uni agrave tant de soliditeacute et les pierres tailleacutees en dimensions colossales polies dans des mateacuteriaux qui deacutefiaient la main drsquoœuvre humaine srsquoy ajustent avec une preacutecision une perfection qui ont vaincu le temps En apparence cet eacutedifice est un carreacute de pierre de 0 megravetres de large sur 0 de long La faccedilade aux murs en talus construits en grand appareil hauts de megravetres et dont le toit est agrave profil semi-arrondi preacutesente lrsquoaspect drsquoun mastaba Deux portes larges de 2 m 80 hautes de 6 megravetres percent la faccedilade qui nrsquoa pas drsquoautre ornement que des leacutegendes hieacuteroglyphiques donnant les titres du roi Cheacutephregraven De doubles panneaux de bois agrave verrous eacutenormes garnissaient les portes Il y avait la porte du Nord ougrave le roi se deacuteclarait laquo lrsquoaimeacute de Bastit raquo la deacuteesse septentrionale et la porte du Sud ougrave le roi se disait laquo lrsquoaimeacute de Hathor raquo la deacuteesse meacuteridionale Comme dans les temples posteacuterieurs la division srsquoexpli-que donc par la dualiteacute du roi qui est le souverain des Deux Eacutegyptes

Chaque porte eacutetait encadreacutee de deux sphinx androceacutephales agrave corps de lion du moins pourrait-on le supposer drsquoapregraves une deacutecoration pareille devant le Por-tique de Sahouracirc agrave Abousir agrave Gizeh on a trouveacute en place la base des sphinx longue de 8 megravetres Ces figures incarnent le roi lui-mecircme le laquo Lion raquo des textes de lrsquoAncien Empire proteacutegeant son palais de sa force magique et divine Crsquoest aussi la signification du moins agrave lrsquoorigine du Sphinx qui se tient face leveacutee agrave la droite de notre eacutedifice drsquoun rocher long de 7 megravetres et haut de 20 qui offrait une ressemblance fortuite avec lrsquoanimal accroupi on avait fait un lion androceacutephale tenant entre ses pattes et sous sa tecircte une statue de Cheacutephregraven

2 Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 08 aux frais de M Ernst von Sieglin et dirigeacutees par MM Steindorff Borchardt et U Houmllscher Le compte rendu en a eacuteteacute donneacute par U Houmllscher Das grabdenkmal des Koumlnigs Chephren 2 Les blocs pesant plus de 0000 kilos ne sont pas rares il y en a qui deacutepassent 0000 kilos

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

aujourdrsquohui mutileacutee Ce rocher qursquoon ne pouvait supprimer prit ainsi sa place dans le plan du portique et forma avec lui un ensemble deacutecoratif Enfin au cen-tre de notre faccedilade il y avait un naos dont reste la substructure et qui contenait sans doute une statue de Cheacutephregraven

Cour du temple funeacuteraire

Figure Faccedilade du temple de granit (portique)

(Restitutions de M U Houmllscher)

Chacune des deux portes donne accegraves dans une chambre eacutetroite haute de megravetres drsquoougrave agrave droite et agrave gauche partent des corridors ils convergent dans un vestibule qui occupe toute la largeur de lrsquoeacutedifice Avant les fouilles de 08 on ne peacuteneacutetrait que jusque-lagrave et par le cocircteacute opposeacute agrave la faccedilade puisque celle-ci nrsquoeacutetait pas encore deacuteblayeacutee Dans un coin srsquoouvrait beacuteant un puits drsquoeacutepoque reacutecente crsquoest lagrave que Mariette trouva en 860 le fameux Cheacutephregraven en diorite orgueil du museacutee du Caire Du vestibule une grande porte nous introduit dans la salle principale qui est hypostyle et en forme de renverseacute Crsquoest donc la barre du qui se preacutesente drsquoabord sous lrsquoaspect drsquoune galerie diviseacutee en deux traveacutees par une rangeacutee centrale de six piliers rectangulaires au milieu srsquoouvre la galerie perpendiculaire diviseacutee en deux traveacutees par une double ligne de six pi-liers

Ici comme ailleurs les portes les murs les dalles du plafond sont unique-ment de granit rose par blocs de grand appareil longs de agrave 6 megravetres pesant de 0 000 agrave 0 000 kilogrammes les piliers hauts de 8 megravetres sont monolithes

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Aucun ornement aucune moulure nrsquoaltegravere le seacuterieux solennel de cette architec-ture pas une ligne qui ne se rapporte uniquement agrave la construction Le pave-ment est en dalles drsquoalbacirctre poli dont la blancheur laiteuse fait contraste avec la sombre splendeur du granit nu Des enfoncements encore visibles dans le paveacute drsquoalbacirctre permettent drsquoaffirmer que le long de ces murailles lisses en face de chacun des piliers il y avait vingt-trois statues royales plus grandes que nature repreacutesentant Cheacutephregraven assis sur son trocircne dans lrsquoattitude de majesteacute divine qursquoa populariseacutee lrsquoexemplaire deacutecouvert par Mariette Beaucoup de fragments de ces statues ont eacuteteacute retrouveacutes en particulier une tecircte admirable des morceaux de visages des parties du corps Si chaque statue donnait au roi la mecircme pose

Figure mdash Le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

toutes diffeacuteraient soit par le deacutetail soit par la matiegravere lrsquoune eacutetait en diorite verdacirctre veineacute de blanc lrsquoautre en albacirctre blanc lrsquoautre en schiste jaunacirctre Ces merveilleux modegraveles ougrave lrsquoart faisait encore palpiter une acircme srsquoirradiaient furti-vement dans un demi-jour car la salle hypostyle (dont le plafond est aujourdrsquohui deacutemanteleacute agrave lrsquoexception des poutres reliant les piliers) nrsquoeacutetait eacuteclaireacutee que par drsquoeacutetroites ouvertures meacutenageacutees agrave travers lrsquoeacutepaisseur des architraves et du plafond De quelle vie troublante devait srsquoanimer lrsquoimmobile assembleacutee des vingt-trois colosses assis dans leur pose inflexible quand le faisceau drsquoun rayon de soleil se glissant par les fenecirctres obliques venait se reacutefleacutechir sur le paveacute eacutetincelant avi-ver un pan de muraille rouge reacuteveacuteler quelques secondes durant le geste drsquoune main lrsquoeacuteclair drsquoun regard puis se retirant laissait retomber un lourd voile de teacutenegravebres sur lrsquohypostyle seacutepulcrale

Laissons de cocircteacute un eacutetroit corridor qui part de lrsquoangle gauche de lrsquohypostyle pour aboutir agrave trois cellules longues sortes de silos de granit agrave deux eacutetages ougrave lrsquoon serrait le mobilier les vecirctements sacreacutes les vases et lampes neacutecessaires aux ablutions et aux fumigations rituelles De lrsquoangle droit de notre grand part un autre couloir il dessert drsquoabord un plan inclineacute en albacirctre qui tourne agrave droite et conduit sur le toit puis une chambre de garde pour la surveillance du toit et de la sortie Nous arrivons en effet agrave lrsquoangle nord-ouest de lrsquoeacutedifice le couloir se poursuit et devient le chemin couvert qui durant 00 megravetres escalade le pla-teau deacutesertique suivant une pente assez rapide de dix pour cent Il est faiblement eacuteclaireacute par drsquoeacutetroites fenecirctres deacutecoupeacutees dans le plafond Les murs en calcaire blanc sans deacutecoration se raccordent agrave la voucircte en profil semi-arrondi La rampe deacutebouche obliquement dans la faccedilade du Temple funeacuteraire

Celui-ci (fig ) est un eacutedifice rectangulaire de mecircme largeur mdash 0 megrave-tres mdash que le Portique de la valleacutee mais drsquoune longueur supeacuterieure 0 megravetres au lieu de 0 Il se divise en deux parties de dimensions fort ineacutegales le temple public qui se deacuteveloppe sur une longueur drsquoenviron 00 megravetres et le temple intime ou priveacute reacuteduit agrave quelques megravetres de superficie

Le temple public nrsquoa pas de faccedilade monumentale le chemin couvert deacutebou-che en effet directement et de biais dans le cube de maccedilonnerie en plein vesti-bule flanqueacute de magasins Une autre porte mais dans lrsquoaxe central conduit du

Voici comment Heacuterodote (II 2) deacutecrit la chausseacutee de la pyramide de Cheacuteops laquo On passa dix ans agrave construire la chausseacutee par ougrave on devait traicircner les pierres Cette chausseacutee est un ouvrage qui nrsquoest guegravere moins consideacuterable agrave mon avis que la pyramide car elle a 2 megravetres de long sur megravetres de large et megravetres de haut dans sa plus grande hauteur elle est de pierres polies et orneacutee de figures drsquoanimaux raquo

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vestibule agrave deux grandes salles hypostyles aux piliers carreacutes disposeacutees en ren-verseacute comme dans le premier eacutedifice mais un eacutetranglement de la maccedilonnerie seacutepare ici les deux barres de notre pour en faire deux hypostyles indeacutependantes Il y avait lagrave aussi des statues colossales assises et peut-ecirctre comme dans le tem-ple funeacuteraire de Mycerinus des groupes formant bas-reliefs Particulariteacute notable agrave gauche et agrave droite srsquoenfoncent dans le plein de la maccedilonnerie deux boyaux pareils aux laquo serdabs raquo des mastabas et srsquoouvrant de mecircme dans la salle non par des portes mais par drsquoexigus soupiraux Crsquoest agrave lrsquointeacuterieur de ces oubliettes et avant drsquoen murer lrsquoentreacutee qursquoon deacuteposait des statues du roi constructeur les fouilleurs modernes nrsquoy ont trouveacute que des deacutebris

Au fond de la seconde hypostyle une porte deacutebouche en pleine lumiegravere dans une vaste cour occupant la largeur de lrsquoeacutedifice La cour srsquoencadre drsquoun portique qui a cinq ouvertures dans cette largeur et trois sur les cocircteacutes entre ces ouvertu-res la maccedilonnerie srsquoeacutepaissit en un massif pilier monolithe deacutecoreacute drsquoune statue sur sa face anteacuterieure (Fig ) Crsquoest le premier speacutecimen connu drsquoune de ces cours bordeacutees de statues qui se retrouvent dans les temples theacutebains agrave Louxor au Ramesseum agrave Meacutedinet-Habou (fig ) On suppose que les statues repreacutesen-taient alternativement le Pharaon en costume de roi du Sud et de roi du Nord Le portique du fond agrave cinq ouvertures donnait accegraves agrave cinq cellules parallegraveles fort eacutetroites sauf celle du milieu qui est plus large Or les temples de Sahouracirc et de Neouserracirc agrave Abousir nous ont appris que dans ces cinq cellules eacutetaient adoreacutees cinq statues du Pharaon nous pouvons supposer que ce nombre rituel de cinq chapelles et cinq statues srsquoexplique 6 par les cinq noms officiels du pro-tocole sous lesquels le roi eacutetait adoreacute

Le public nrsquoallait pas plus loin Seuls les precirctres et le roi peacuteneacutetraient dans un corridor menant par les cocircteacutes agrave une seacuterie de magasins puis dans une derniegravere sal-le semblable agrave un couloir mais de mecircme largeur que la cour et lrsquoeacutedifice crsquoeacutetait le Saint des Saints qui correspond agrave la chapelle inteacuterieure des mastabas En effet la paroi du fond celle qui est juxtaposeacutee au mur drsquoenceinte de la pyramide se creuse en son centre drsquoune niche rectangulaire ici se placcedilait la stegravele fausse-porte qui donnait accegraves dans lrsquoautre monde Il est probable que sur le flanc mecircme de la

Ces serdabs sont reacuteserveacutes agrave lrsquointeacuterieur de formidables noyaux de maccedilonnerie un des blocs de granit deacutepasse 70 megravetres cubes et pegravese plus de 70 000 kilos crsquoest agrave peu pregraves le poids drsquoun grand obeacutelisque6 Cheacutephregraven fut le premier agrave prendre le titre laquo fils de Racirc raquo ce qui complegravete agrave noms le proto-cole royal

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pyramide srsquoeacutelevait une autre stegravele 7 ou un naos situeacute dans le mecircme axe en face de la premiegravere stegravele et assurant ainsi une communication ideacuteale avec lrsquointeacuterieur de la pyramide

Tout ce temple funeacuteraire eacutetait construit comme les propyleacutees de la valleacutee en mateacuteriaux de choix granit rose pour les murs et les piliers albacirctre pour le pave-ment calcaire pour le remplissage de gros œuvre Ici non plus pas de deacutecoration sauf quelques lignes de textes encadrant les portiques de la cour deacutecouverte ou graveacutees sur les statues royales Crsquoest un art sobre srsquoexprimant directement par la statuaire ses personnages soit isoleacutes soit en groupes eacutenoncent toutes les ideacutees qui agrave lrsquoeacutepoque posteacuterieure seront deacuteveloppeacutees au moyen drsquoaccessoires textes ritualistiques bas-reliefs descriptifs

Revenons au rocircle du Portique dans cet ensemble Pour le deacuteterminer rap-pelons-nous qursquoil est situeacute juste entre le dessert et la valleacutee Si donc il fournit un pavillon drsquoentreacutee vers le chemin ouvert et le temple funeacuteraire il est aussi en contact avec le monde des vivants Devant lui dans la valleacutee srsquoeacutetendait comme agrave Abousir une laquo ville de la pyramide raquo Crsquoeacutetait sous lrsquoAncien Empire lrsquoendroit ougrave le Pharaon reacutesidait de son vivant agrave proximiteacute de son temple funeacuteraire et de sa pyramide qursquoil faisait bacirctir cette capitale eacutepheacutemegravere puisqursquoelle se deacuteplaccedilait avec chaque regravegne comprenait outre le palais et les habitations de la famille royale celle des parents des amis des clients des architectes de tous les em-ployeacutes dans le service des domaines funeacuteraires du Pharaon et dans le service des constructions Le Portique de la valleacutee eacutetait relieacute directement avec cette reacutesidence royale il eacutetait conccedilu avec sa faccedilade monumentale et son hypostyle grandiose pour servir de lieu de reacuteception ou de reacuteunion les ceacutereacutemonies qursquoon y ceacuteleacutebrait avaient sans doute un caractegravere plus officiel que religieux Les statues colossales du Pharaon qui veillaient dans lrsquohypostyle ne sont pas ces figures mobiles et portatives sur lesquelles on opeacuterait les rites funeacuteraires elles eacutetaient lagrave non pour recevoir ce culte funeacuteraire mais pour eacuteterniser la puissance et le nom du roi et agreacuteer lrsquoadoration de ses sujets Les accessoires de ce culte drsquoadoration eacutetaient sans doute peu importants car les magasins composeacutes de trois cellules doubles sont de faibles dimensions Jrsquoen conclus que le Portique participe du palais plu-tocirct que du temple

Quant au chemin couvert il nous conduit de ce Portique au Temple par un eacuteclairage endeuilleacute dans une ombre creacutepusculaire Nrsquoest-il pas agrave dessein mysteacute-

7 A Meidoum il y avait deux stegraveles dans une cour entre la chapelle et la pyramide de Snefrou (Maspero Histoire I p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rieux comme le passage de la vie agrave la mort et srsquoil se resserre nrsquoest-ce pas pour qursquoil laisse passer seulement un cortegravege choisi parents et amis du Pharaon lrsquoeacutelite seule convieacutee agrave partager lrsquoimmortaliteacute jusqursquoici reacuteserveacutee au roi et agrave participer agrave la destineacutee auguste des dieux

Nous voici dans le temple mortuaire dont le silence trompeur est peupleacute de la vie sourde intarissable qui srsquoeacutepanche des statues rituelles Invisibles mureacutees au fond des serdabs il y a les statues inviolables qui perpeacutetuent agrave lrsquoabri du danger des profanations le nom graveacute crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme du Pharaon son moi moral mais il y a aussi exposeacutees dans les cinq chapelles ou transporteacutees au moment du culte dans le secret du sanctuaire devant la stegravele fausse-porte drsquoautres statues portatives sur lesquelles on exeacutecutera les rites de reacutesurrection On a retrouveacute des fragments de plus de cent statues diffeacuterentes en albacirctre diorite basalte ou schis-te Petites ou colossales elles remplissaient les temples du paveacute jusqursquoau faicircte

Des rites speacuteciaux qursquoon ceacuteleacutebrait au Temple mortuaire peu de deacutetails sont connus puisqursquoici non plus que dans les caveaux des grandes pyramides les parois de granit ne portent ni figures ni inscriptions Toutefois la preacutesence des statues rituelles leur importance exceptionnelle qui srsquoatteste par leur nombre et leur qualiteacute suffisent agrave nous renseigner Ces statues sont lagrave drsquoabord pour com-meacutemorer le nom du roi deacutefunt prolonger sa personnaliteacute son acircme individuelle ensuite pour sauvegarder sa physionomie ses traits physiques car la momie deacuteposeacutee au fond de la pyramide si bien garantie qursquoelle soit de la corruption ne saurait les conserver dans leur inteacutegriteacute avec leur ressemblance Les merveilleu-ses tecirctes de Cheacutephregraven et de Mycerinus sont des portraits exacts quelque ideacutealiste et rituelle qursquoait eacuteteacute pour lrsquoensemble de la statue la maniegravere du sculpteur Il savait qursquoen modelant avec preacutecision les traits du roi il leur permettrait de srsquoanimer de revivre sous les formules toutes-puissantes de lrsquoouap-ra Le precirctre stimulerait par des rites magiques cette figure ressemblante mais inerte il rouvrirait ces yeux eacuteteints et ces oreilles closes il toucherait la langue rigide pour eacuteveiller la parole descellerait la bouche fermeacutee pour qursquoelle pucirct manger il ferait remuer les bras et les jambes pour y rappeler le mouvement aboli il solliciterait lrsquoacircme de revenir dans ce corps leacutethargique et bientocirct par les rites infaillibles cette statue prendrait vie On lui promettrait une vie eacuteternelle et on lrsquoenverrait rejoindre les dieuxhellip heacutelas la vitaliteacute des dieux eux-mecircmes eacutetait preacutecaire il fallait la renou-

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veler par les rites et certes le Pharaon srsquoinquieacutetait agrave bon droit de pourvoir pour lrsquoavenir agrave son propre culte Les statues multiplieacutees dans le temple funeacuteraire lui garantissaient ce regain de vie et de dureacutee

Celles que M Reisner a retrouveacutees en 08 dans la chapelle de Mycerinus preacutesentent un caractegravere qui semble confirmer ce que je viens drsquoavancer 8 Elles nous montrent le roi non plus figeacute dans sa majesteacute de maicirctre srsquoimposant agrave lrsquoad-miration de la foule prosterneacutee mais dans une attitude plus humaine plus fami-liegravere et ressemblante Mycerinus se tient debout cocircte agrave cocircte avec sa femme qui lrsquoenlace tendrement de son bras crsquoest la pose souriante et deacutetendue drsquoun couple quelconque qui appartiendrait agrave sa cour Lrsquoartiste eacutevidemment a voulu repreacute-senter lrsquohomme et non le Pharaon diviniseacute son œuvre porte le caractegravere intime qui se retrouve dans les dispositions de lrsquoeacutedifice En bas le Portique de la valleacutee est un palais royal rempli de statues de grand style en haut de la rampe crsquoest la chapelle priveacutee de Cheacutephregraven ou de Mycerinus destineacutee au culte familial

Pris ensemble les deux eacutedifices ne forment en somme qursquoun mastaba gigan-tesque dont les divisions ordinaires salle drsquoaccegraves corridor chapelle auraient eacuteteacute multiplieacutees et distendues sur une eacutechelle de plus de 700 megravetres Lrsquointeacuterieur de ce mastaba continuait drsquoabriter les statues tandis que la pyramide inviolable receacutelait la momie ici le corps gisait preacuteserveacute de la putreacutefaction incorruptible mais agrave jamais deacutepouilleacute de verdeur lagrave au contraire freacutemissaient des images res-semblantes qui se retrempaient eacuteternellement au culte funeacuteraire comme agrave une source magique qui srsquoabreuvaient de jeunesse agrave la fraicirccheur des rites hellip Et si le cadavre momifieacute garde encore les traces de la maladie les tares des organes les infirmiteacutes physiques en revanche les statues sont faites agrave lrsquoimage de lrsquohomme en sa fleur de santeacute agrave lrsquoapogeacutee de sa force de sa prospeacuteriteacute avant la deacutecheacuteance de lrsquoacircge ou de la carriegravere Ainsi le culte pourra les conserver en beauteacute et crsquoest pourquoi il les preacutefegravere au corps deacutecreacutepit ou desseacutecheacute drsquoailleurs inaccessible en son caveau Ces portraits drsquoinalteacuterable matiegravere ne se precirctent-ils pas bien mieux agrave la fiction drsquoune vie toujours reverdissante hellip

Donc dans ces temples tout concerne la vie ou le maintien de la vie dans les statues royales Par contre rien nrsquoy suggegravere lrsquousage drsquoun culte envers les dieux Ceux-ci nrsquoapparaissent dans la statuaire ou dans les rares inscriptions que pour escorter le dieu du logis qui est Pharaon leur personnaliteacute est deacutecorative nulles

8 Les fouilles de M Reisner nrsquoont pas eacuteteacute encore lrsquoobjet drsquoune publication drsquoensemble On trouvera drsquointeacuteressantes consideacuterations sur les statues royales trouveacutees lagrave dans un article de Mas-pero sur quelques portraits de Mycerinus reproduit dans ses essais sur lrsquoart eacutegyptien 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

priegraveres ni offrandes ne leur sont adresseacutees au contraire ce sont les dieux des Nomes qui viennent apporter leurs dons au roi Crsquoest lagrave un eacutetat drsquoesprit avec lequel les textes contemporains nous ont familiariseacutes Les dieux agrave cette eacutepoque sont certes de hauts et puissants seigneurs que lrsquoon traite avec deacutefeacuterence agrave qui lrsquoon paye sans enthousiasme le tribut qursquoils sauraient au besoin arracher mais ils nrsquoont presque ni deacutevots ni fidegraveles Ce nrsquoest pas la confiance la religion qui preacuteside aux rapports entre lrsquohumaniteacute et le ciel Prie-t-on un ecirctre que lrsquoon craint qui est redoutable parce que plus fort Par la magie au contraire on circonvient les dieux on peut les flatter les tromper voire leur faire peur et leur donner des ordres srsquoen servir sans les servir

Plus tard entre la IVe et la Ve dynastie la moraliteacute est en progregraves Les textes (ils deviennent plus nombreux dans les tombeaux memphites vers la fin de la Ve dy-nastie) commencent agrave parler de la providence ceacuteleste de la justice distributive du jugement qursquoOsiris impose apregraves la mort agrave tous les hommes Le culte des dieux gardiens de la morale et de la vertu srsquoeacutetablit Une eacutecole de theacuteologiens celle de Heacuteliopolis rallie agrave ses doctrines la famille royale et la cour une theacuteologie officielle est en formation et srsquoexprime en de longs textes religieux qursquoon grave dans les pyramides royales agrave la fin de la Ve dynastie Le dieu des morts Osiris et le dieu-soleil Racirc drsquoHeacuteliopolis deviennent les patrons du roi vivant sur terre et du roi vivant dans lrsquoautre monde un nouveau titre que prend le Pharaon celui de laquo fils du Soleil raquo exprime que le roi tient sur terre la place que son pegravere charnel Racirc creacuteateur du monde et bienfaiteur de la nature lui a faite et leacutegueacutee Le culte deacutesormais consiste en priegraveres en fondations territoriales pour les dieux et on construit en particulier des temples deacutedieacutes au Soleil

Crsquoest sur le site drsquoAbou-Gourab pregraves drsquoAbousir que M Borchardt a deacuteblayeacute un sanctuaire de la Ve dynastie consacreacute au soleil Jusqursquoici nous ne connais-sions lrsquoexistence de sanctuaires du soleil que par des inscriptions de lrsquoAncien Empire leurs noms srsquoaccompagnaient drsquoun deacuteterminatif singulier un tronc de pyramide surmonteacute drsquoun obeacutelisque au-dessus duquel se place adheacuterent ou non le disque solaire Cet hieacuteroglyphe eacutetait-il le dessin scheacutematiseacute mais exact drsquoun temple consacreacute agrave Racirc soleil drsquoHeacuteliopolis Les fouilles de M Borchardt lrsquoont prouveacute

Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 88 aux frais de M F von Bissing et publieacutees depuis 0 Le premier volume est celui analyseacute ici Das re-heiligtum der Koumlnigs ne-woser-re Band I Der Bau par L Borchardt

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Elles nous ont restitueacute le plan geacuteneacuteral drsquoun eacutedifice qui se rapproche de lrsquoen-semble funeacuteraire que nous venons de deacutecrire et qui comprend un Portique un Chemin couvert un Temple proprement dit mais ici le Saint des Saints nrsquoest pas une salle dans un temple crsquoest lrsquoObeacutelisque lui-mecircme dresseacute sur son socle la pyramide tronqueacutee (fig 6)

Le Portique preacutesente cette particulariteacute drsquoecirctre en plein dans la laquo ville de la pyramide raquo que le roi Neouserracirc eacutedifiait vers 20 av J-C on retrouve ses fondations agrave 0 megravetres agrave lrsquointeacuterieur du mur drsquoenceinte de la reacutesidence royale Crsquoest un eacutedifice carreacute de maccedilonnerie pleine qui avait peut-ecirctre une faccedilade en forme de double pylocircne Au centre de cette faccedilade srsquoouvre une salle soutenue par quatre colonnes en granit rose fasciculeacutees (elles sont massives dans le temple de Cheacutephregraven) Des corridors coudeacutes font deacuteboucher cette salle et deux petites salles lateacuterales dans une antichambre qui amorce le chemin couvert

Celui-ci forte chausseacutee en blocs calcaires gravit en pente raide sur une lon-gueur de 00 megravetres le plateau haut de 6 megravetres qui surplombe la valleacutee soit traceacute oblique aboutit devant la faccedilade orientale drsquoune enceinte rectangulaire de 0 megravetres de long sur 80 de large preacuteceacutedeacutee par une porte monumentale en granit rose orneacutee de reliefs colossaux Traversons le vestibule nous arrivons

Figure 6 mdash Temple de Racirc

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans une grande cour ougrave srsquoeacuterige au fond de la partie occidentale la pyramide tronqueacutee surmonteacutee de lrsquoobeacutelisque Deux corridors voucircteacutes filent agrave notre droite et agrave notre gauche suivons ce dernier Il se coude agrave lrsquoangle sud-est suivant le pourtour du temple et quoiqursquoil soit obscur comme au temple de Cheacutephregraven de fins reliefs couvrent ici les murs de calcaire blanc Une porte de granit srsquoouvre bientocirct agrave droite et un chemin encore plus eacutetroit et teacuteneacutebreux monte avec une pente accentueacutee au travers drsquoun gros de maccedilonnerie dans lrsquointeacuterieur mecircme de la pyramide Enfin ce boyau montant tortueux eacutetouffant deacutebouche agrave lrsquoair libre dans la lumiegravere eacuteblouissante nous sommes sur la plate-forme du socle tailleacute en pyramide tronqueacutee et au pied de lrsquoobeacutelisque agrave une hauteur de 20 megravetres au-des-sus de la cour du temple Les murs de la pyramide sont en calcaire mais ceints agrave la base drsquoun parement de granit La pointe de lrsquoobeacutelisque srsquoeacutelevait agrave 6 megravetres du socle crsquoest-agrave-dire agrave 6 megravetres au-dessus de la cour et 72 megravetres au-dessus de la valleacutee Lrsquoobeacutelisque nrsquoeacutetait pas monolithe mais bacircti en grands blocs calcaires jaunes pour le noyau blancs pour le revecirctement Peut-ecirctre eacutetait-il deacutecoreacute sur chaque face drsquoune inscription verticale au milieu de la paroi et un pyramidion de meacutetal le coiffait-il de sa pointe eacutetincelante

Lrsquoarchitecte de ce temple nrsquoavait-il pas merveilleusement combineacute ses effets LrsquoEacutegyptien venant de la valleacutee devait cheminer depuis le Portique sous une ga-lerie couverte puis dans des corridors resserreacutes dont lrsquoobscuriteacute devenait plus peacutenible agrave mesure qursquoil srsquoenfonccedilait en zigzag dans le flanc abrupt de ce cube de maccedilonnerie pareil agrave un mastaba lugubre Brusquement il eacutemergeait sur la terrasse dans lrsquoaveuglante lumiegravere sous la pierre leveacutee comme une flamme et drsquoun coup drsquoœil il embrassait lrsquoaire vibrante du temple la rampe le portique la reacutesidence royale et au delagrave les palmiers assombris les champs verdoyants ou doreacutes le Nil bleuissant et agrave lrsquohorizon la terrasse abrupte du Mokattam aux om-bres violettes Tant de lumiegravere et drsquoair pur apregraves cette monteacutee angoissante Le cœur dilateacute il tombait agrave genoux eacuteperdu de gratitude devant le dieu qursquoil venait adorer lrsquoobeacutelisque tout blanc qui jaillissait dans lrsquoazur comme un rayon peacutetrifieacute du pegravere et du bienfaiteur des hommes

Car lrsquoObeacutelisque eacutetait ici lrsquoidole et le sanctuaire agrave la fois Il semble bien que sa partie essentielle fut le pyramidion terminal dont les faces en forme de trian-gle isocegravele symbolisaient peut-ecirctre le triangle lumineux des rayons tombant du soleil sur la terre 00 Crsquoest sous ce signe qursquoon a deacutesigneacute aussi les rayons solaires

00 H Brugsch a deacutemontreacute que les Eacutegyptiens repreacutesentaient par un triangle isocegravele la lumiegravere zodiacale diviniseacutee crsquoest un pheacutenomegravene qui se manifeste en Eacutegypte avant le lever du soleil ou

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soit sous forme de perles triangulaires soit sous lrsquoaspect drsquoun triangle isocegravele soit comme au temps drsquoAmeacutenophis IV sous forme de rayons prolongeacutes par des mains 0 Les petites pyramides votives qursquoon rencontre dans les tombeaux por-tent toujours pregraves de la pointe lrsquoimage du soleil sur lrsquohorizon geacuteneacuteralement encadreacutee de deux personnages orants le grand pyramidion de Daschour srsquoeacutevase aussi sous un disque solaire aileacute enfin les obeacutelisques se terminaient par un py-ramidion drsquoor ou de meacutetal doreacute comme en teacutemoignent les textes ou lrsquoeacutetat ina-cheveacute de leur faicircte Pline lrsquoAncien se fait lrsquoeacutecho de cette tradition eacutegyptienne sur le caractegravere solaire de lrsquoObeacutelisque en nous disant expresseacutement laquo lrsquoObeacutelisque consacreacute au soleil eacutetait fait agrave lrsquoimage de ses rayons 02 raquo

Figure 7 mdash Autel-table drsquooffrande en albacirctre

apregraves le coucher par un rayon lumineux en forme de pyramide dont la base reposerait sur terre et dont la pointe se dirige vers le zeacutenith (proceedings of society of Biblical Archaeligology t XV p 2 et suiv)0 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 pl VIII 202 Hist nat XXXVI laquo Obeliscos vocantes Solis numini sacratos Radiorum ejus argu-mentum in effigie est et ita significatur nomine AEliggyptio raquo Sur ces derniers mots nous nrsquoavons pas de confirmation agrave donner La conseacutecration au dieu solaire Racirc des obeacutelisques est prouveacutee aussi par ce fait lors des rites osiriens on symbolisait la renaissance du dieu en eacuterigeant un obeacutelisque cela srsquoappelait laquo faire lever Racirc raquo (Aeg Zeitschrift 0 p 72)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Celui de notre temple solaire recevait le culte 0 au mecircme titre que les statues de Cheacutephregraven dans le temple funeacuteraire de ce Pharaon A droite des construc-tions il y avait des magasins pour les offrandes le paveacute de la cour y est encore creuseacute de longues rigoles et de vasques aligneacutees dans les premiegraveres srsquoeacutecoulait le sang des victimes eacutegorgeacutees dont les deacutebris eacutetaient recueillis dans les vasques et emporteacutes au dehors Au centre de la cour un autel en forme de quadruple table drsquooffrandes eacutetait orienteacute aux quatre coins de lrsquohorizon

A gauche il y avait une chapelle exigueuml preacuteceacutedeacutee de deux stegraveles et de deux bassins crsquoest lagrave que le roi se purifiait et revecirctait les vecirctements rituels avant de ceacuteleacutebrer le culte Une autre particulariteacute du culte solaire se remarque au tem-ple de Neouserracirc Un peu au fond et en dehors de lrsquoenceinte M Borchardt a deacuteblayeacute non sans surprise une construction qui se reacuteveacutela comme la carcasse infeacuterieure toute en briques drsquoune barque geacuteante longue de 0 megravetres la partie supeacuterieure qui comprenait le bordage la macircture les cabines les rames et tous les accessoires devait ecirctre en bois et avait naturellement disparu Telle quelle on avait lrsquoimage drsquoune des barques solaires celles ougrave lrsquoastre est censeacute naviguer dans la coupole bleue du ciel 0 Des inscriptions officielles de lrsquoAncien Empire nous avaient appris que les rois et en particulier Neouserracirc construisaient des barques de cotte sorte mais jamais encore on nrsquoavait retrouveacute lrsquoeacutedifice nautique Ces deacutetails ont drsquoautant plus drsquointeacuterecirct qursquoil est permis de supposer que le sanc-tuaire drsquoAbou-Gourab eacutetait bacircti sur le type du grand Temple de Racirc agrave Heacuteliopolis aujourdrsquohui totalement disparu agrave un obeacutelisque pregraves Gracircce aux fouilles et aux restitutions de MM Boichardt et Schaeligfer nous pouvons imaginer avec vraisem-blance ce qursquoeacutetait le fameux sanctuaire drsquoHeacuteliopolis

Compareacute avec le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven le temple du Soleil agrave Abou-Gourab nrsquooffre comme il est logique que des ressemblances exteacuterieures Tous deux ont pour point de deacutepart la citeacute royale et ont agrave reacutesoudre le mecircme problegraveme lrsquoaccegraves sur le plateau deacutesertique Ils ont donc en commun le Portique de la valleacutee et le Chemin couvert ascendant mais le Temple proprement dit diffegravere par sa destination lrsquoun sert de sanctuaire agrave des statues royales qursquoon y entretient dans une vie magique lrsquoautre formeacute seulement de lrsquoobeacutelisque et du socle expose la

0 M von Bissing a citeacute une inscription de Thoutmegraves III qui offre des pains et de la biegravere agrave des obeacutelisques (recueil de travaux XXIV p 67 XXV p 8)0 Les textes des Pyramides contemporaines du Temple nous donnent les noms de ces barques Macircndt Mesktet

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

forme concregravete du dieu Le principe de la deacutecoration nrsquoest pas moins dissembla-ble le temple de Cheacutephregraven ne contient guegravere que des statues le temple solaire des bas-reliefs Ceux-ci dont trop peu malheureusement sont conserveacutes nous fournissent les plus anciens speacutecimens de tableaux qui deviendront les poncifs de deacutecoration dans les temples theacutebains Fondation du temple par le roi assisteacute des dieux qui tend le cordeau drsquoarpentage pour orienter lrsquoeacutedifice vers lrsquoeacutetoile polaire deacutefileacute des produits des Nomes de lrsquoEacutegypte apporteacutes en offrande agrave la diviniteacute pu-rifications subies par le roi avant de ceacuteleacutebrer le culte comme grand-precirctre scegravenes du couronnement et de la renaissance fictive du roi apregraves la ceacuteleacutebration de la fecircte Sed toutes ces scegravenes sont reproduites sur les temples posteacuterieurs agrave des centai-nes drsquoexemplaires et ce nrsquoest pas le moindre enseignement du temple drsquoAbousir que de nous prouver lrsquoexistence degraves la Ve dynastie de ces deacutecorations rituelles qui resteront en usage jusqursquoau temps des Ceacutesars En outre le temple solaire contient en germe le dispositif qursquoobserveront les architectes theacutebains dans ces somptueux eacutedifices que nous a leacutegueacutes la XVIIIe dynastie 0 porte monumentale cour agrave deacutecouvert salle hypostyle naos du dieu Certes les architectes de lrsquoeacutepo-que memphite nrsquoont pu deacutevelopper leur plan avec tant drsquouniteacute et de clarteacute La nature du terrain lrsquoobligation de relier la pyramide et le temple funeacuteraire avec la citeacute des vivants au moyen drsquoune rampe leur creacuteait une difficulteacute consideacuterable ils srsquoen sont tireacutes agrave leur honneur et la justesse des proportions le concours des parties lrsquoharmonie de lrsquoensemble ne sont pas moins admirables que la perfection du deacutetail 06

Quels monuments en Eacutegypte ou ailleurs ont pu produire par lrsquoarchitecture seule ou la sculpture essentielle lrsquoeffet obtenu par la salle hypostyle du Portique de Cheacutephregraven ou le Temple solaire hellip Quelle puissance de recircve et drsquoexeacutecution dans ces artistes A peine pouvons-nous les comprendre agrave peine sommes-nous capables drsquoimaginer ces vingt-trois statues de Cheacutephregraven assises qui eacuteternisaient dans la peacutenombre leur volonteacute de vivre et deacutefiant la torpeur de lrsquoimmobile pose eacutepiant le flux et le reflux des jours se vecirctaient de lueurs changeantes et srsquoani-maient aux pulsations du tempshellip ou bien cet obeacutelisque colossal de Neouserracirc tout vibrant de lumiegravere comme un trait deacutecocheacute par lrsquoarcher glorieux hellip

0 Les piliers monolithes du temple de la IVe dynastie sont remplaceacutes ici par des colonnes fas-ciculeacutees du type lotiforme et des colonnes avec chapiteaux agrave palmes qui constituent deux traits caracteacuteristiques de lrsquoarchitecture eacutegyptienne (Cf Maspero Ars Una Eacutegypte fig 8-)06 Voir la gargouille en forme de lion motif qui se retrouvera dans la deacutecoration des temples posteacuterieurs

Les Mystegraveres eacutegyptiens

copy Arbre drsquoOr Genegraveve juin 2007httpwwwarbredorcom

Couverture illustration extraite du Livre des morts Museacutee du Louvre Paris DRComposition et mise en page copy Athena Productions JBS

Table des matiegraveres

I Mystegraveres eacutegyptiens II Le mystegravere du verbe creacuteateur III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem 68IV Le laquo ka raquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totem V Rois de carnaval 0VI Sanctuaires de lrsquoancien empire 27

  • I Mystegraveres eacutegyptiens
  • II Le mystegravere du verbe creacuteateur
  • III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem
  • IV Le laquothinspkathinspraquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totemthinsp
  • V Rois de carnaval
  • VI Sanctuaires de lrsquoancien empire
  • Table des matiegraveres
Page 4: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Il nrsquoest pas douteux qursquoen Eacutegypte agrave lrsquoeacutepoque pharaonique de telles ceacutereacutemo-nies agrave sens symbolique aient eacuteteacute en usage Heacuterodote nous affirme qursquoil en fut spectateur

laquo A saiumls se trouve le tombeau de celui que je me fais scrupule de nommerhellip Sur le lac (du temple) les Eacutegyptiens font de nuit la repreacutesentation des souf-frances subies par Lui (τά δείκηλα τῶν παθέων αὐτοῦ) ils les appellent des Mystegravereshellip τὰ καλεῦσι μυστήρια Sur ces Mystegraveres qui tous sans exception me sont connus que ma bouche garde un religieux silencehellip raquo mdash Par conseacute-quent les mystegraveres connus drsquoHeacuterodote sont bien des rites joueacutes et mimeacutes dont la signification est symbolique et ne peut ecirctre reacuteveacuteleacutee en paroles qursquoagrave des initieacutes Nrsquoemployons-nous pas dans le mecircme sens le mot mystegravere pour deacutesigner soit laquo les drames mystiques raquo joueacutes dans les eacuteglises au moyen acircge soit les dogmes qui deacutepassent notre intelligence

Plutarque agrave son tour nous informe que des Mystegraveres ont eacuteteacute inventeacutes par Isis en lrsquohonneur drsquoOsiris

laquo Isishellip ne voulut pas que les combats et les traverses qursquoelle avait essuyeacutes que tant de traits de sa sagesse et de son courage fussent ensevelis dans lrsquooubli et le silence Elle institua donc des Mystegraveres (τελετοί) tregraves saints qui devaient ecirctre des images des repreacutesentations et des scegravenes mimeacutees des souffrances drsquoalors (εἰκὀνας καὶ ὑπονοίας καὶ μιμημὰ τῶν τότε παθημάτων) pour servir de leccedilon de pieacuteteacute et de consolation pour les hommes et les femmes qui passeraient par les mecircmes eacutepreuves raquo

Ainsi drsquoapregraves Heacuterodote et Plutarque les plus importants des Mystegraveres eacutegyp-tiens se rapportent au culte drsquoOsiris

En effet aux dates critiques de la leacutegende osirienne la mort lrsquoensevelisse-ment la reacutesurrection du dieu de grandes fecirctes dramatiques eacutetaient ceacuteleacutebreacutees El-les neacutecessitaient de nombreux figurants et une mise en scegravene importante on les jouait partie en plein air devant le grand public partie agrave lrsquointeacuterieur des temples et parfois dans des eacutedifices speacuteciaux les laquo chapelles drsquoOsiris raquo

Nous allons donner des exemples de ces deux cateacutegories de Mystegraveres les uns joueacutes en public les autres vraiment secrets

Aucun monument ne nous a encore apporteacute la repreacutesentation directe la mise

II 70 Cf Sourdille Heacuterodote et la religion de lrsquoeacutegypte p 28 Lrsquoauteur croit agrave tort que ce que Heacuterodote appelle laquo Mystegraveres raquo est une importation des Grecs en Eacutegypte (p ) De iside et Osiride 27 Reacuteeacuted arbredorcom 2002

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

en scegravene de la mort drsquoOsiris cependant celle-ci nous est figureacutee agrave lrsquoeacutetat alleacutego-rique dans une fecircte de la veacutegeacutetation ou fecircte de la gerbe qursquoon ceacuteleacutebrait le er Pachons 6

Figure Fecircte de la gerbe Ramsegraves III tranche la gerbe et sacrifie le taureau blanc

Le roi mimait la mort drsquoOsiris dieu de la veacutegeacutetation 7 en coupant de sa fau-cille une gerbe et en immolant un taureau blanc consacreacute agrave Min dieu de lrsquoeacutener-gie feacutecondante Ce taureau divin est une des formes drsquoOsiris 8 sa mort et le deacutemembrement des eacutepis se rattachent eacutevidemment aux rites agraires en usage chez bien des peuples

Apregraves la moisson exactement le 22 Thot se jouait un autre Mystegravere celui de lrsquoensevelissement drsquoOsiris Nous le connaissons par une inscription de la XIIe dy-nastie la stegravele du precirctre Igernefert 0 Au temps du roi Senousrit III Igernefert

6 La fecircte est figureacutee au Ramesseum (Ramsegraves II) et agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) Cf Wilk-inson Manners and Customs III2 pl LX Daressy notice de Meacutedinet-Habou p 2 et suiv Lefeacutebure sphinx VIII p Pour le nom de la Fecircte cf pyr de teli I 287 Sur cette interpreacutetation cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 2 sq8 Osiris est la laquo grande victime raquo le taureau du sacrifice Pour le bleacute cf Lacau Textes religieux ap Recueil XXXI p 20 sur un sarcophage du Moyen Empire un deacutefunt dit laquo Je suis Osi-rishellip je suis Neper (le dieu du bleacute) coupeacute raquo Voir les textes reacuteunis par J Frazer Le rameau drsquoor II que je cite au chapitre rois de Carnaval0 Stegravele ndeg 20 de Berlin cf H Schaeligfer Die Osirismysterien in Abydos 0 Les textes si-milaires y sont citeacutes

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

reccedilut lrsquoordre de preacuteparer la fecircte drsquoOsiris dans le temple drsquoAbydos la ville sainte du dieu des morts On appelait ce Mystegravere la fecircte de la pert acircat laquo grande sortie raquo ou laquo grande procession funegravebre raquo il eacutetait joueacute par la famille mecircme du dieu Isis Nephthys Thot Anubis et Horus Igernefert assume le tocircle principal ce-lui drsquoHorus fils drsquoOsiris il preacutepare lui-mecircme les accessoires augustes parmi lesquels se remarquait une barque portative avec cabine en bois de sycomore et drsquoacacia incrusteacute drsquoor drsquoargent et de lapis-lazuli A lrsquointeacuterieur on installe une statue drsquoOsiris en bois Igernefert srsquoacquitte en personne du soin drsquoorner le corps drsquoOrisis drsquoamulettes en lapis-lazuli malachite eacutelectrum puis il habille lui-mecircme le dieu et le revecirct de ses couronnes et de ses sceptres en ses fonctions de laquo chef du Mystegravere raquo herj seshta 2 il se charge en outre des rocircles de laquo sacrificateur raquo et de laquo servant raquo

Quant agrave la ceacutereacutemonie elle-mecircme voici comment lrsquoinscription la deacutecrit Une procession se forme car le meurtre drsquoOsiris est censeacute accompli et son

corps rejeteacute sur la rive du fleuve On porte donc la barque vers le lieu de nadit ougrave gicirct le corps drsquoOsiris (que cette localiteacute fucirct ou non dans le voisinage drsquoAby-dos elle est supposeacutee lrsquoecirctre pour lrsquoaction dramatique ) Anubis en sa qualiteacute de chien cherche le cadavre et le trouve mais quand il srsquoagit de mettre dans la barque le corps du dieu une bataille srsquoengage entre les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth les Osiriens sont vainqueurs et eacutecrasent leurs adversaires

Le cortegravege funegravebre se forme autour du cadavre divin processionnellement on suit Osiris vers la barque preacutepareacutee et ameneacutee par Igernefert On met agrave lrsquoeau la barque et Thot la dirige vers le tombeau du dieu agrave repeqer

Pendant ce temps Horus continue la lutte contre les ennemis drsquoOsiris sur la rive de Nadit apregraves un combat acharneacute il reste vainqueur

A Repeqer mecircme Horus confirme le triomphe drsquoOsiris Une statue habilleacutee et pareacutee remplace lrsquoimage cadaveacuterique du dieu Triomphalement dans lrsquoalleacutegres-

Le grand deuil μέγα πένθος (deacutecret de Canope I 7)2 Drsquoapregraves le rituel de lrsquoembaumement (Maspero papyrus du Louvre p ) lors des veacuteritables funeacuterailles drsquoOsiris crsquoest Anubis qui aurait rempli ce rocircle de laquo chef du Mystegravere raquo Anpou herj seshta Schaeligfer p 6-8 En reacutealiteacute nadit semble ecirctre une localiteacute de la Basse-Eacutegypte Du moins un texte dateacute de Sabacon mais reacutedigeacute au moins sous la XVIIIe dynastie (J Breasted Aegyptische Zeitschrift XXXIX p ) affirme que crsquoest en Basse-Eacutegypte que le corps drsquoOsiris a eacuteteacute immergeacute dans le Nil laquo Jrsquoai organiseacute la sortie drsquoOupouatou quand il alla pour venger son pegravere jrsquoai combattu les adversaires de la barque neshemt et jrsquoai renverseacute les ennemis drsquoOsiris raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se de tous les habitants de lrsquoEst et de lrsquoOuest la barque revient agrave Abydos le dieu rentre dans son temple et srsquoinstalle sur son trocircne au milieu de sa cour divine

La repreacutesentation de la Passion et de la Mort drsquoOsiris srsquoaccompagnait certai-nement de la Reacutesurrection du dieu Or dans la grande Procession et la fecircte de la Moisson nous ne voyons pas figureacutes les rites qui provoquent cette reacutesurrection drsquoOsiris crsquoest pourtant le nœud du drame sacreacute Sans doute cet acte reacuteputeacute secret se jouait-il hors de la vue du public aussi nrsquoest-il pas reacuteveacuteleacute par les ins-criptions et les tableaux On peut supposer que la curiositeacute du peuple se tenait satisfaite du deacutenouement du drame puisqursquoOsiris est rameneacute triomphant dans son temple crsquoest qursquoeacutevidemment il a vaincu Seth il srsquoest releveacute de la mort A Meacute-dinet-Hahou on proclame lrsquoavegravenement au trocircne drsquoHorus fils drsquoIsis et drsquoOsiris crsquoest dire qursquoOsiris est ressusciteacute sous la forme de son fils 6 De mecircme Osiris ne mourait pas avec le bleacute moissonneacute le vieux dieu de la veacutegeacutetation allait renaicirctre au printemps avec le bleacute nouveau 7

Toutefois agrave certaines dates le grand public assistait au triomphe drsquoOsiris que symbolisaient des ceacutereacutemonies moins secregravetes telles que lrsquoeacuterection du Ded et la fecircte sed drsquoOsiris

La premiegravere est repreacutesenteacutee dans un tombeau theacutebain datant du regravegne drsquoAmeacute-nophis III (XVIIIe dynastie) Le dieu de Busiris a souvent comme feacutetiche un pilier agrave quadruple chapiteau celui-ci repreacutesente probablement quatre colonnes vues lrsquoune derniegravere lrsquoautre selon les regravegles de la perspective eacutegyptienne ou peut-ecirctre un tronc drsquoarbre eacutebrancheacute devenu par stylisation Ce pilier est parfois surmonteacute drsquoun chef couronneacute muni drsquoyeux et de bras qui tiennent les sceptres canoniques (fig 2)

6 A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 07 Voir plus loin rois de Carnaval p 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Seti Ier redresse lrsquoOsiris-ded et lrsquohabille

Coucheacute agrave terre il signifiait qursquoOsiris gisait mort releveacute et redresseacute il sym-bolisait la reacutesurrection du dieu Aussi agrave la fecircte de redresser le Ded (sacirchacirc Ded) voyons-nous le roi lui-mecircme tirer sur les cacircbles qui permettent de relever le feacutetiche en preacutesence de la reine des officiers royaux et de la cour Les leacutegendes attestent que ce pilier nrsquoest autre que le dieu mort sokaris-Osiris dont on avait repreacutesenteacute les jours preacuteceacutedents les funeacuterailles

Au-dessous des precirctres et du roi les habitants de pe et de Dep dansent ges-ticulent luttent et eacutechangent des coups de poing crsquoest la population de Bouto lrsquoancien royaume drsquoOsiris 8 Rappelons-nous les luttes que deacutecrit Heacuterodote laquo A Busiris lors de la fecircte drsquoIsis on voit se frapper apregraves le sacrifice tous les hommes ainsi que toutes les femmes en nombre prodigieux raquo

Nous voilagrave donc en preacutesence de jeux sceacuteniques illustrant un Mystegravere Les lut-teurs sont les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth ils en viennent aux mains pour soutenir chacun leur dieu Quelques textes conserveacutes deacutefinissent les gestes des personnages Lrsquoun crie laquo jrsquoai saisi Horus raquo un autre laquo que la main tienne ferme raquo un autre laquo frappe raquo Enfin quatre troupeaux de bœufs et drsquoacircnes faisaient quatre fois le tour du mur de la ville que figuraient-ils sinon les animaux drsquoOsiris et de Seth qui srsquoopposent Peut-ecirctre la fecircte se terminait-elle par la mise agrave mort des acircnes qui est rituelle dans des fecirctes analogues Ainsi une ville entiegravere se mobilise et srsquoagite becirctes et gens pour la reacutealisation drsquoune scegravene du mythe osirien 20

8 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 II 6 cf II 220 Brugsch Thesaurus inscriptionum aegyptiacarum p 0-8 mdash Ad Erman La religion

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Fecircte de lrsquoeacuterection du Ded au matin de la fecircte Sed

Le triomphe drsquoOsiris se proclamait encore publiquement agrave la fecircte Sed ougrave lrsquoon installait dans un naos agrave deux siegraveges une double effigie drsquoOsiris en costume de roi de la Haute et de la Basse-Eacutegypte Par devant le dieu flottait sur un piquet une peau drsquoanimal typhonien sacrifieacute

Crsquoest la neacutebride ou peau qui sert drsquoenveloppe out 2 au dieu Anubis qursquoon appelle agrave cause de cela im-out laquo celui qui est dans Out raquo Anubis srsquoaffuble de cette

eacutegyptienne p 7 mdash A Moret sarcophages de lrsquoeacutepoque bubastite agrave lrsquoeacutepoque saiumlte pl IV (Caire 00 bis)2 Le sens originel de out drsquoapregraves la neacutebride doit ecirctre laquo peau raquo et peut-ecirctre laquo vulve raquo (Parthey Vocabularium coptico-latinum s V p 2) aussi est-il deacutetermineacute parfois par lrsquoœuf Par ex-tension out deacutesigne lrsquoappareil de lrsquoensevelissement les bandelettes drsquoune momie (cf Brugsch W s p 2 et suiv sinouhit I 2 Maspero Contes populaires e eacuted p ) Le precirctre drsquoAnubis qui joue les rites de la peau drsquoAnubis pour le compte des deacutefunts ou du dieu en laquo habille raquo les deacutefunts il srsquoappelle lui-mecircme out lrsquoout drsquoAnubis (pyr de teacuteti I 6) Cf Lacau textes religieux (ap recueil XXX p 70) laquo Horus te purifie Out trsquohabille raquo variante laquo Anubis trsquoa consacreacute avec sa peau out raquo Lrsquoout apparaicirct degraves lrsquoeacutepoque preacutehistorique cf Petrie royal tombs II pl 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

peau pour les rites que jrsquoexpliquerai plus tard Lui et un precirctre revecirctu la de peau de panthegravere lrsquoiounmoutef font exeacutecuter au dieu triomphant divers rites que les rois drsquoEacutegypte imitaient lors de jubileacutes appeleacutes fecirctes de la queue (Sed) il en sera aussi question plus loin Enfin lrsquoeacuterection de deux obeacutelisques attestait par un symbolisme comparable agrave celui de lrsquoeacuteleacutevation du Ded redresseacute la stabiliteacute du dieu vainqueur 22 Cette fecircte tregraves solennelle commeacutemorait devant le peuple en-tier le triomphe de lrsquoEcirctre Bon

Figure La neacutebride devant Osiris

Au cours de ces drames mimeacutes avec le concours du populaire srsquointercalaient certaines ceacutereacutemonies laquo secregravetes raquo que tout Mystegravere comprend par deacutefinition Tout ce qui se ceacuteleacutebrait agrave ciel ouvert et en public nrsquoeacutetait qursquoun moyen de popu-lariser les peacuteripeacuteties de la vie drsquoOsiris sa mort sa passion son triomphe Quant aux rites qui assuraient infailliblement la reacutesurrection du dieu on ne les ceacuteleacutebrait qursquoagrave lrsquointeacuterieur du sanctuaire dans des locaux fort reacuteduits par les soins de precirc-tres speacuteciaux et de quelques laiumlques initieacutes et instruits des choses divines Qursquoil y ait eu dans le culte une partie laquo secregravete raquo et laquo reacuteserveacutee aux initieacutes raquo cela nrsquoest point douteux 2 Degraves les temps de lrsquoAncien Empire on nous parle des laquo rites

22 La fecircte sed drsquoOsiris est souvent repreacutesenteacutee sur les cercueils agrave partir du Nouvel Empire Cf les tableaux reproduits par G Moumlller (Aegyptische Zeitschrift XXXIX pl IV et V A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 27 et Chassinat sarcophages de Deir-el-Bahari I pl V2 Ceci explique la division en deux parties des temples degraves les temps les plus anciens Cf le dernier chapitre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sacreacutes ceacuteleacutebreacutes conformeacutement agrave ce livre secret de lrsquoart de lrsquoofficiant 2 raquo ceux qui le connaissaient se disaient laquo chefs du secret ou du Mystegravere raquo herj seshta agrave lrsquoexemple du dieu Anubis inventeur des rites de la momification et de la reacutesur-rection qui eacutetait par excellence le laquo chef du Mystegravere 2 raquo Chaque dieu chaque culte avait son laquo Mystegravere raquo et les precirctres qui leur eacutetaient affecteacutes posseacutedaient seuls ce laquo Mystegravere du dieu raquo ou ce laquo Mystegravere des paroles divines raquo En particulier les Mystegraveres des funeacuterailles srsquoappelaient laquo les choses drsquoAbydos 26 raquo La tradition est si bien eacutetablie agrave ce sujet que Jamblique au livre des Mystegraveres (VI et 7) rappelle en termes analogues laquo les choses secregravetes drsquoAbydos raquo τὰ ἀπόρρητα τὰ κρύπτὰ

ἐν Άϐύδῳ

Les monuments nous montrent que des rites secrets rappelaient chaque jour les peacuteripeacuteties de la passion et de la reacutesurrection drsquoOsiris

Dans les grands temples ptoleacutemaiumlques qui sont parvenus jusqursquoagrave nous intacts ou peu srsquoen faut agrave Edfou Dendeacuterah et Philaelig on a retrouveacute les salles affecteacutees agrave la ceacuteleacutebration des Mystegraveres journaliers Elles sont releacutegueacutees dans les parties du sanctuaire dont lrsquoaccegraves est difficile ou interdit au public A Philaelig il existe un petit temple drsquoOsiris composeacute de deux chambres sur le toit en terrasse de lrsquoeacutedifice mais les rites journaliers sont deacutecrits par des tableaux graveacutes sur les faces des architraves du pronaos 27 A Dendeacuterah deux petits eacutedifices ont eacuteteacute consa-creacutes sur la terrasse du temple aux Mystegraveres drsquoOsiris lrsquoun drsquoeux que Manette appelle la chapelle drsquoOsiris du Sud est reacuteserveacute au culte journalier A Edfou deux chambres voisines du sanctuaire sont deacutedieacutees agrave Osiris-Sokaris Edfou a surtout conserveacute les textes des formules reacuteciteacutees mais Philaelig et Dendeacuterah srsquoils nous donnent moins de textes nous ont gardeacute des bas-reliefs ougrave sont figureacutes les personnages en scegravene et leurs gestes

2 J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl XXII (VIe dynastie) Mecircmes expressions ap Mariette Mastabas p Lepsius Denkm II 72 Mastabas p 7 Au rituel de lrsquoembaume-ment on cite les laquo livres secrets des rites raquo (Maspero papyrus du Louvre p 8 Virey religion p 278)2 Voir plus haut p n Le titre laquo chef du Mystegravere raquo nrsquoest drsquoailleurs pas speacutecialiseacute aux choses divines Tout office ou meacutetier pouvait ecirctre en Eacutegypte quelque peu secret en dehors des gens de meacutetier de mecircme que dans notre moyen acircge lrsquoart et mystegravere de tel ou tel meacutetier comportait des secrets bien gardeacutes Mais cette geacuteneacuteralisation du sens du titre herj seshta nrsquoimplique pas qursquoil ne puisse deacutesigner parfois les officiants preacuteposeacutes aux rites secrets26 VI et 7 Lrsquoexpression apparaicirct au tombeau de Neherj agrave Beacuteni-Hasan (Lepsius Denkm II 27) Le deacutefunt est repreacutesenteacute laquo naviguant pour connaicirctre ce qui concerne Abydos raquo crsquoest-agrave-dire les rites drsquoAbydos (hent r reh hert ibdou)27 Beacuteneacutedire philaelig IIe fasc p 7-2 et pl LI-LVIII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Le deacutecor comporte une statue drsquoOsiris enveloppeacute du maillot funeacuteraire un lit sur lequel la momie divine est eacutetendue diffeacuterents accessoires tels que couronnes sceptres armes des vases pleins drsquoeau beacutenite pour les libations des cassolettes drsquoencens et de myrrhe pour les fumigations 28

Le personnel se compose de precirctres qui jouent les rocircles de la famille osirienne Sont preacutesents Shou Geb le pegravere et lrsquoaiumleul drsquoOsiris Horus son fils Anubis Thot ses fregraveres ou parents et les enfants drsquoHorus les deacuteesses Isis et Nephthys femme et sœur drsquoOsiris et drsquoautres deacuteesses qui remplissent le rocircle de pleureuses A cocircteacute de ces precirctres acteurs il y avait les precirctres reacutecitants qui disaient les for-mules ce sont lrsquoofficiant qui reacutecite les textes le servant qui exeacutecute les rites tels que libations fumigations et qui manie les instruments magiques le prophegravete qui participe aux libations le grand voyant admis agrave voir le dieu

Les textes insistent sur le fait qursquoil y a une garde une faction monteacutee pendant les 2 heures du jour et les 2 heures de la nuit par les diviniteacutes eacutenumeacutereacutees laquo Elles veillent sur lui tout le jour elles gardent son corps constamment elles veillent sur lui lorsque la nuit vient et gardent ses membres jusqursquoau matin raquo Elles se chargent aussi laquo drsquoeacutecarter les ennemis de la couche funegravebre raquo Pour cela les diffeacuterents dieux laquo ont partageacute le jour et la nuit en heures 2 raquo et lrsquoun drsquoentre eux laquo prend la garde raquo chaque heure du jour et de la nuit Pendant que le dieu de service surveille lrsquoentreacutee possible des adversaires les autres exeacutecutent divers rites qursquoil nous faut maintenant exposer

Le drame comprend vingt-quatre scegravenes qui se succegravedent chaque heure de la nuit et du jour il commence agrave la premiegravere heure de la nuit (6 h du soir) et se termine agrave la derniegravere heure du jour suivant ( agrave 6 h du soir 0) De la premiegravere

28 Les deux chapelles drsquoOsiris agrave Dendeacuterah sont deacutecoreacutees de reliefs qui figurent ces divers acces-soires et statuettes (Cf Mariette Dendeacuterah t IV Budge Osiris II p 2 sq)2 II Junker Die studenwachen in den Osirismyrerien (Akad der Wiss Wien philos-hist Klas-se B LIV 0) p 2 et 0 M Junker dans sa remarquable publication des textes de Philaelig Edfou Dendeacuterah donne drsquoabord les 2 heures du jour suivies des 2 heures de la nuit Il nrsquoa pas remarqueacute que lrsquoordre des ceacutereacutemonies srsquooppose agrave ce classement Les rituels des Pyramides et ceux de lrsquooup-ra commen-cent par les libations et fumigations puis viennent le sacrifice des victimes la reacutesurrection du dieu les hymnes drsquoadoration et agrave la lin la fermeture des portes Crsquoest bien lrsquoordre observeacute ici agrave condition de commencer non par les heures du jour mais par celles de la nuit On sait drsquoailleurs que chez les Eacutegyptiens on compte les 2 heures drsquoune journeacutee complegravete agrave partir du soir agrave 6 heures (cf Ed Mahler eacutetudes sur le Calendrier eacutegyptien ap Museacutee Guimet Bibliothegraveque drsquoeacutetudes t XXIV p 7) Jrsquoobserverai donc pour ce reacutesumeacute des rites osiriens un ordre qui est lrsquoinverse de celui suivi par M Junker

Les Mystegraveres eacutegyptiens

heure agrave la derniegravere il y a progression dans le rite qui aboutit par eacutetapes agrave la reacute-surrection du dieu Cependant cette progression est peu sensible pour la raison suivante chaque heure est traiteacutee sceacuteniquement comme un petit drame com-plet ougrave le dieu passe successivement de la mort agrave la reacutesurrection Au deacutebut de chaque heure le dieu de garde entre avec ses comparses ils font agrave Osiris tel ou tel rite libation fumigation preacutesentation drsquooffrandes Vers le milieu de lrsquoheure on crie laquo Legraveve-toi reacuteveille-toi Osiris tu es triomphant Osiris tes ennemis sont renverseacutes raquo Malgreacute la proclamation de ce triomphe Isis nrsquoen reprend pas moins ses lamentations sur la mort de son eacutepoux et ses promesses de reacutesurrection Il semble que pour chaque heure il y ait un point de deacutepart qui est la mort du dieu un moment de triomphe sa reacutesurrection et un deacuteclin progressif qui ramegravene le dieu agrave sa deacutetresse premiegravere Puis les rites et les formules de lrsquoheure suivante tirent agrave nouveau Osiris de sa deacutetresse pour lrsquoy plonger derechef agrave la fin de la scegravene

Pour donner une ideacutee drsquoensemble de ce Mystegravere osirien il faut grouper les actes et les paroles Voici alors quelle description scheacutematique je pourrais preacute-senter

Les lamentations des pleureuses Isis et Nephthys deacutefinissent tout drsquoabord non sans eacuteloquence la deacutetresse du dieu laquo O Osiris je suis ta sœur Isis jrsquoai parcouru pour toi les chemins de lrsquohorizon je parcours la route du (soleil) Brillant hellip Jrsquoai traverseacute les mers jusqursquoaux frontiegraveres de la terre cherchant le lieu ougrave eacutetait mon seigneur 2 jrsquoai parcouru nadit dans la nuit jrsquoai chercheacutehellip celui qui est dans lrsquoeauhellip dans cette nuit de la grande deacutetresse Jrsquoai trouveacute le noyeacute de la terre de la premiegravere fois (sur cette rive de Nadit)hellip (var) sur cette rive nord drsquoAbydos Jrsquoai crieacute jusqursquoau ciel et jusqursquoaux habitants de lrsquoHadegraveshellip Mes doigts ont habilleacute (son corps) nu jrsquoai embrasseacute ses membres hellip Jrsquoai donneacute des souffles agrave sa narine pour qursquoil vive et que son gosier srsquoouvre en ce lieu sur la rive de Nadit en cette nuit du grand Mystegravere (seshta our )

laquo Je viens pour te pleurer ocirc grand dieu je pleure et je crie sur les hauteurs de Nadit Busiris se lamente 6 je trsquoamegravene tous les cœurs dans le deuil et lrsquoon te fait les grands rites (siaḫou ourou 7)

2e heure du jour2 2e heure de la nuit re heure du jour Chercheacute trouveacute mots sacramentels qui deacutesignent les phases de la quecircte du corps divin Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 87 2e heure de la nuit re heure du jour6 2e heure du jour7 2e heure de la nuit

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo O vous dieux pegraveres deacuteesses megraveres lamentez-vous de ce que vous voyez lamentez-vous de ce que vous entendez il vient celui qui vient dans la nuit il vient mon seigneur dans la nuit Geb lui amegravene les dieux ils le portent comme leur seigneur vers une place pure du ciel Allons pleurons-le lamentons-nous pleurons-le car il est abandonneacute Je viens et je me lamente dans mon cœur je pleure mes larmes moi ta sœur au cœur meurtri ta femme malade de dou-leurhellip8 raquo

Ces lamentations que nous connaissons aussi sous une forme plus litteacuteraire et plus complegravete par un papyrus conserveacute au museacutee de Berlin eacutetaient exeacutecuteacutees par des femmes agenouilleacutees sachant pleurer et deacutenouer leurs chevelures comme nrsquoont pas leurs pareilles les pleureuses drsquoOrient

Ainsi que le promettaient les Lamentations des dieux peacutenegravetrent dans le laquo lieu pur raquo (ouacircbt) ougrave gicirct Osiris mort ceux dont le rocircle est le plus actif sont Horus le fils du dieu deacutefunt Anubis son fregravere ou son parent Thot son allieacute Ils sont por-teurs drsquoinstruments magiques tels que cette baguette en forme de serpent qursquoon appelle laquo la grande magicienne raquo et lrsquoherminette drsquoAnubis Ils apportent aussi des vases pleins drsquoeau fraicircche de lrsquoencens et sept sortes de fards et drsquohuiles pour des onctions Les rites commencent parles libations et les fumigations

A six heures du soir on apporte un vase drsquoeau fraicircche Cette eau vient du Nil or le Nil est un eacutecoulement de lrsquooceacutean primordial le noun ougrave gisaient avant la creacuteation les germes de toutes choses et de tous les ecirctres 0 Le reacutecitant qui ap-porte le vase dit emphatiquement laquo Voici votre essence ocirc dieux le noun qui vous fait vivre en son nom de Vivanthellip Cette eau trsquoenfante comme racirc chaque jour elle te fait devenir comme Chepra 2 raquo En effet Racirc ou Chepra eacutetait sorti le pre-mier des dieux du noun au deacutebut du monde par la force de la libation Osiris renaicirct donc du noun primordial comme naquit Racirc au jour de la creacuteation

Degraves lors Osiris ne reste plus sur terre laquo il passe (au ciel) avec son Ka raquo com-me font les autres dieux Et lrsquoassistance srsquoexclame laquo Oh combien purs combien beaux sont ces rites mysteacuterieux drsquoOsiris Ounnefer raquo On brucircle alors lrsquoencens

8 6e heure de la nuit Voir dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 le texte du vocero drsquolsis drsquoapregraves le papyrus de Berlin0 re de la nuit p 66-67 Cf Au temps des pharaons p 28 et plus loin p 02 P 67-68 Le mort osirien renaicirct du noun (pyr drsquoOunas I 200) P 6 P 7

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo le parfum qui divinise raquo et lrsquoofficiant et la grande pleureuse alternent en paroles solennelles

Lrsquoofficiant laquo Le ciel se reacuteunit agrave la terre raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Lrsquoofficiant laquo Le dieu vient Rendez hommage raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Et ils frappent leurs tambourinsLrsquoofficiant et la pleureuse ensemble laquo La terre et le ciel sont en joie et se reacutejouis-

sent raquolaquo Notre seigneur est dans sa maison et il nrsquoa plus de crainte raquo ( fois)La deuxiegraveme libation apporteacutee agrave la 2 heure de la nuit est lrsquoeau fraicircche laquo qui

vient de ce pays raquo (et non du Noun) laquo elle suscite toutes les choses que donne ce pays 6 raquo et Osiris gracircce agrave elle laquo vivra de toutes les choses qursquoil peut aimer 7 raquo

La troisiegraveme libation a pour effet que laquo le dieu passe vers son pays dans ce lieu ougrave il a eacuteteacute enfanteacute et ougrave il est neacute de Racirc et ougrave chacun des dieux passe sa vieillesse avec ses enfants ainsi vont-ils au pays ougrave ils sont neacutes cette terre primordiale ougrave ils sont neacutes de Racirc ougrave ils vivaient eacutetant petits ougrave ils sont devenus adolescents crsquoest lagrave que tu es neacute que tu as grandi que tu deviendras vieux sain et sauf Prends cette eau qui vient de ce pays 8 raquo

La quatriegraveme libation est lrsquoeau fraicircche sortie drsquoEleacutephantine qui rafraicircchit et met en joie le cœur des dieux

Les autres libations et fumigations qui occupent les heures suivantes ne font que confirmer les reacutesultats deacutejagrave obtenus

Ces premiers rites accomplis les dieux exeacutecutent sur le corps drsquoOsiris une seacuterie de miracles qui se reacutepartissent sur les diffeacuterentes heures de la nuit et du jour

Mystegravere de la reconstitution du corps Osiris avait eacuteteacute deacutemembreacute par Seth Mais Isis et Nephthys ont retrouveacute chacun des lambeaux divins laquo elles mettent en ordre le squelette elles purifient les chairs reacuteunissent les membres seacutepareacutes 0 raquo puis la tecircte du dieu est assujettie sur le corps Les bras drsquoIsis et drsquoHorus entou-

P 7-726 P 77 P 808 P 87 P 0 e heure de la nuit p 8 2e heure du jour p 8-

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rent alors le cadavre reconstitueacute et le raniment par des passes magneacutetiques qui rappellent lrsquoacircme

Mystegravere du corps revivifieacute Avec lrsquoeau sainte qui donne la vie et la force et les nombreux fards et huiles preacutesenteacutes pendant les douze heures du jour on fait des onctions sur la bouche les yeux les oreilles et les diffeacuterents membres du corps reconstitueacute 2 Drsquoautre part la laquo grande magicienne raquo touche les mecircmes organes Ainsi la bouche les yeux les oreilles peuvent respirer parler et manger voir entendre les bras peuvent agir et les jambes marcher Crsquoest un miracle ducirc agrave la magie qui en imitant les mouvements propres agrave chaque membre ou agrave chaque organe a susciteacute le reacuteveil des fonctions dans chacun drsquoeux

Ces rites qui preacuteparent la renaissance du cadavre osirien nrsquoempecircchent point lrsquoemploi de pratiques ou de formules qui preacutevoient la renaissance par drsquoautres moyens

Mystegravere de la renaissance veacutegeacutetale A la e heure du jour on suppose que le corps rassembleacute momifieacute drsquoOsiris est enterreacute agrave Busiris Crsquoest ce qursquoon appelle laquo se reacuteunir agrave la terre agrave Busiris raquo Dans la terre se passait le mystegravere de la renais-sance veacutegeacutetale crsquoest-agrave-dire de la reacutesurrection drsquoOsiris compareacutee agrave la renaissance annuelle de la veacutegeacutetation Sur ces rites le culte journalier ne donne point de deacutetails mais nous les trouvons deacutecrits agrave Dendeacuterah dans le reacutecit des grandes fecirctes de Choiak 6

Mystegravere de la renaissance animale Dans cette mecircme e heure du jour on an-nonce agrave Osiris un autre mode de renaissance des victimes vont ecirctre ameneacutees et sacrifieacutees agrave la porte de lrsquoouacircbt (e et 6e heures du jour) Leur peau qui suivant les textes est la peau de Seth lrsquoadversaire 7 va servir de linceul pour envelopper Osiris crsquoest un laquo berceau raquo de peau (meshent 8) ougrave le dieu renaicirctra comme un enfant ou un animal laquo Salut agrave toi dit Isis Voici ta meshent la maison ougrave le ka divin renouvelle la vie raquo La peau assez souvent est celle drsquoune vache (le cette faccedilon on eacutevoque nout deacuteesse-vache du ciel megravere drsquoOsiris qui enfantera le

e heure de la nuit p 208 2e heure du jour p 2 e heure de la nuit p 0 2e heure du jour p 0 re heure du jour p Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 6 e heure du jour p 6 Traduit par V Loret recueil de travaux III-V Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 807 Junker p cf Maspero pap du Louvre p 08 Sur meshent (variantes meska mesi mesqet) cf Lefeacutebure proceedings s B A XV p et suiv et sphinx VIII p 7 Meshent est le nom drsquoune diviniteacute de lrsquoaccouchement e heure du jour p 0

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Veau-Soleil auquel Osiris est compareacute 60 Aussi agrave la e heure du jour dira-t-on agrave Osiris eacutetendu sous la peau que laquo sa megravere Nout srsquoapproche de lui et lui parle Oh relegraveve-toi mon seigneur dit la megravere Nout Me voici pour te proteacuteger je mrsquoeacutetends sur toi en mon nom laquo mystegravere du ciel 6 raquo

Le dieu qui preacuteside agrave ces rites est Anubis celui qui a pour insigne la neacutebride la peau de becircte attacheacutee agrave un pieu crsquoest lui qui dirige le sacrifice des victimes dont la peau sera le berceau drsquoOsiris renaissant Drsquoapregraves le Livre des Morts Anu-bis ne se contentait pas de faire passer Osiris par la peau-berceau Lui-mecircme (ou le precirctre qui jouait son rocircle) laquo passait sur raquo la peau 62 coucheacute il y prenait comme nous le verrons plus loin lrsquoattitude replieacutee du fœtus dans la matrice On croyait que les charmes de la magie imitative rendaient efficace ce simulacre de gesta-tion quand Osiris (et Anubis qui srsquoest substitueacute agrave lui) laquo sortent raquo sur la peau ils renaissent comme srsquoils sortaient du sein maternel Drsquoapregraves une autre tradition Horus fils drsquoOsiris traversait aussi la meshent pour son pegravere Les rituels anciens nous apprennent qursquoHorus passait encore au nom de son pegravere sur une autre peau-berceau le shedshed dont il sera question plus loin Mais dans les textes que nous analysons crsquoest Anubis et la meshent qui sont lrsquoun lrsquoagent lrsquoautre le berceau de la renaissance drsquoOsiris

A la 6e heure du jour on constate que laquo sa megravere Nout lrsquoa conccedilu en son temps et lrsquoa enfanteacute suivant le greacute de son cœur 6 raquo Pour attester cette reacutesurrection on eacuterige le pilier feacutetiche drsquoOsiris On ne fait ici que rappeler le souvenir de cette ceacutereacutemonie nous avons vu plus haut avec quel eacuteclat on la ceacuteleacutebrait le jour de la fecircte laquo drsquoeacuteriger le pilier raquo

A midi Osiris ressuscite en mecircme temps le soleil agrave son point culminant de midi eacutecarte les esprits des teacutenegravebres Pendant les six derniegraveres heures du jour les dieux de garde adorent Osiris et lui disent laquo Eacuteveille-toi en paix 6 raquo Le roi en per-sonne apparaicirct un instant agrave la e heure et apporte des offrandes (per-hrou ) A la 2e heure du jour lrsquooffice est termineacute on allume les lampes (pour eacutecarter les esprits des teacutenegravebres car il est six heures du soir) et on ferme les portes non sans avoir dit des paroles encourageantes au dieu laquo En paix Osiris Ah comme ces chants sont joyeux Comme ces femmes sont bonnes pour ton ka Que tu es

60 A Moret rituel de culte divin p208 Cf Sethe pyr II p 776 Junker p -662 Todtenbuch ch xvii (eacuted Naville II p 60 mdash Cf eacuted Budge eh clxxvi p 60) Voir agrave ce sujet Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (p s B A XV p )6 6e heure du jour p 76 0e heure du jour p 6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

beau beau dans ton repos Oh toi qui vis ta femme vient trsquoembrasser salut agrave toi acircme des dieux 6 raquo

Ce qui reste dans la chapelle nrsquoest drsquoailleurs que le corps divin Deacutejagrave lrsquoacircme drsquoOsiris ressusciteacute est partie pour le Ciel mais le corps comme lrsquoacircme jouissent deacutesormais de tous les privilegraveges des dieux

Ces privilegraveges sont deacutefinis par une eacutepithegravete qui revient comme un refrain au milieu de chaque heure laquo Tu es macirc-hrou Osiris chef de lrsquooccident 66 raquo Cette eacutepithegravete reacutesume un pouvoir miraculeux des ecirctres diviniseacutes par les rites Leur voix dans leur bouche quand elle profegravere des sons inarticuleacutes et agrave plus forte raison quand elle eacutemet des paroles ayant un sens deacutetermineacute a ce pouvoir creacuteateur que les Eacutegyptiens attribuaient au Verbe du Dieu deacutemiurge 67 La parole creacuteatrice permet au dieu de reacutesoudre toutes les difficulteacutes de deacutejouer toutes les ruses de preacutevenir tous les dangers par la faculteacute de creacuteer immeacutediatement ce qui est neacutecessaire en toute circonstance Gracircce agrave ces deux miracles permanents de la voix creacuteatrice (macirc-hrou) et de la voix productrice drsquooffrandes (per-hrou) le dieu pouvait seacutejourner en paix dans son naos Une derniegravere terreur lui reste peut-ecirctre celle de mourir une seconde fois 68 si Seth renouvelle ses attaques La vie nouvelle drsquoOsiris est vraiment preacutecaire mais le culte a eacuteteacute institueacute pour eacutecarter du dieu toute crainte en renouvelant chaque jour le Mystegravere du sacrifice et de la reacutesurrection

Jusqursquoici nous avons vu ce qui dans les Mystegraveres osiriens se rapporte agrave Osiris Mais ceux qui ceacutelegravebrent les Mystegraveres ne se proposent pas seulement comme but de perpeacutetuer le culte et par lagrave le salut eacuteternel drsquoun dieu ils preacutetendent srsquoattri-buer agrave eux-mecircmes les bienfaits des rites et participer agrave lrsquoimmortaliteacute qursquoils ont au prix de tant drsquoefforts assureacutee agrave Osiris Crsquoest ce que dit Plutarque 6 quand il fait remonter agrave la deacuteesse Isis lrsquoinvention des Mystegraveres qui commeacutemorent la passion de son fregravere et eacutepoux Osiris Isis institua des Mystegraveres laquo pour servir de leccedilon de pieacuteteacute et de consolation pour les hommes et les femmes qui passeraient par les mecircmes eacutepreuves raquo

Voyons donc comment les hommes tiraient beacuteneacutefice des Mystegraveres osiriensDrsquoabord crsquoest en vertu drsquoune loi geacuteneacuterale tout homme mort auquel on ap-

6 P 666 P 267 Voir plus loin Le Verbe creacuteateur p 768 e heure de la nuit p 86 De iside et Osiride 27

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plique les rites osiriens par un effet de magie imitative ressuscitera comme Osi-ris A cet effet la famille du deacutefunt reconstitue dans la maison ou le tombeau le drame de la mort et des funeacuterailles drsquoOsiris 70

Comme le fils de Geb et de Nout lrsquohomme mort est censeacute avoir eacuteteacute assassineacute par Seth jeteacute au fleuve repecirccheacute puis deacutemembreacute et retrouveacute une seconde fois La veuve jouait alors le rocircle drsquoIsis le fils remplissait le rocircle drsquoHorus ses amis ceux drsquoAnubis et de Thot 7 la famille proceacutedait agrave la reconstitution du corps deacute-membreacute et modelait une momie agrave lrsquoinstar de celle drsquoOsiris Au deacutebut des temps historiques la preacutesence dans les neacutecropoles de cadavres mis en morceaux par imitation des rites osiriens prouve qursquoon ne reculait devant aucune des conseacute-quences pratiques de cette theacuteorie mais dans la suite il parut suffisant de reacuteciter les formules qui assimilaient lrsquohomme agrave Orisis deacutemembreacute et reconstitueacute lrsquoon se bornait agrave faire une momie crsquoest-agrave-dire que lrsquoidentification avec Osiris semblait acquise degraves qursquoon transformait le cadavre agrave lrsquoimage du dieu momifieacute

Sur ce corps reconstitueacute et momifieacute la famille faisait exeacutecuter par les precirctres les ceacutereacutemonies deacutecrites par les rituels osiriens purifications qui lavent lrsquohomme de toutes les impureteacutes laquo qui ne doivent plus lui appartenir dans lrsquoautre monde raquo ouverture de la bouche et des yeux (oup-ra) qui ressuscitent la vie physique et intellectuelle renaissance veacutegeacutetale et animale qui de la deacutepouille mortelle font sortir un corps glorieux offrandes laquo sortant agrave la voix raquo cette voix creacuteatrice qui assure au nouvel Osiris la puissance contre ses ennemis et le garantit agrave jamais de la soif et de la faim Ainsi lrsquoaffilieacute au culte osirien srsquoapplique personnellement tout ce que son zegravele a assureacute au dieu son patron lui aussi renouvelle sa vie aussi vrai qursquoOsiris est vivant aussi vrai vivra-t-il agrave jamais

Les milliers de tombeaux qui ont eacuteteacute ouverts dans la valleacutee du Nil nous mon-trent par leurs tableaux que ces Mystegraveres eacutetaient joueacutes pour tout deacutefunt Il serait fastidieux de revenir ici sur les formules ou les gestes que nous avons deacutejagrave commenteacutes agrave propos drsquoOsiris lui-mecircme mais certains eacutepisodes repreacutesenteacutes dans les tombeaux projettent une lumiegravere tregraves vive sur quelques points resteacutes eacutenigma-tiques dans les rites deacutecrits plus haut

Le cortegravege qui accompagne le mort-dieu offre quelquefois drsquointeacuteressantes scegrave-nes de lamentations et de mimique funegravebres Un tombeau de la VIe dynastie

70 Voir les rituels funeacuteraires des Pyramides (eacuted Maspero et eacuted Sethe) et les laquo Livres de lrsquoOuverture de la bouche et des yeux raquo (Schiaparelli Libro dei funerali) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p sq7 Cf la formule des stegraveles funeacuteraires laquo Isis et Nephthys se sont lamenteacutees sur lui Anubis lui-mecircme lrsquoa fait momie raquo (Vienne stegravele ap Bergmann Das Buch vom Durehwanden der ewigkeit p 2-0)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

repreacutesente hommes et femmes tombant agrave terre tels qursquoOsiris et releveacutes par des comparses Ceux-ci semblent jouer le rocircle de laquo la grande pleureuse Isis 72 raquo au moment ougrave elle se lamente et laquo eacutebranle de ses cris le Ciel et lrsquoHadegraves raquo

Figure Les officiants miment la mort drsquoOsiris

Ailleurs crsquoest le rite de la renaissance veacutegeacutetale qui est preacutesenteacute de la plus inteacute-ressante maniegravere Dans plusieurs tombeaux de la XVIIIe dynastie on a retrouveacute des cadres en toile recouverts drsquoune couche de terreau disposeacutee en silhouette drsquoOsiris Des grains avaient eacuteteacute semeacutes lrsquoherbe avait pousseacute et on lrsquoavait tondue agrave une longueur de 0 m 0 de faccedilon agrave donner une verdoyante effigie drsquoOsiris veacutegeacutetant Sur les momies mecircmes on disposait parfois des grains de ceacutereacuteales ou des oignons de fleurs pour que leur germination ou leur floraison parucirct attester la reacutesurrection du deacutefunt 7

Une importance plus grande encore est donneacutee agrave la repreacutesentation de ce que jrsquoai appeleacute la renaissance animale Nous touchons ici agrave un des laquo secrets raquo les plus mysteacuterieux des rites eacutegyptiens et sur lesquels les monuments sont le plus avares drsquoexplications Le sujet nrsquoayant eacuteteacute que peu eacutetudieacute jusqursquoici je lui donnerai un

72 Cf J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl LXX et suiv7 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 02 et pl XI

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

deacuteveloppement particulier justifieacute par lrsquoantiquiteacute et lrsquoimportance des pratiques magiques qui srsquoy reacutevegravelent

En theacuteorie crsquoeacutetait le mort lui-mecircme qui renouvelait sa vie en passant par la peau des victimes 7 ainsi avait fait Osiris ainsi devait faire tout homme soucieux de son salut des monuments montrent en effet le deacutefunt ou lrsquoinitieacute exeacutecutant lui-mecircme le rite Mais drsquoordinaire le passage par la peau est confieacute agrave des officiants et neacutecessite des victimes humaines ou animales Cet eacutepisode offre plusieurs variantes

Figure 6Le tikenou hacircleacute sur un traicircneau

Le thegraveme originel semble avoir eacuteteacute celui-ci un homme ou plusieurs hommes sont eacutegorgeacutes pour que leur vie sacrifieacutee rachegravete le deacutefunt de la mort Au deacutebut et peut-ecirctre jusqursquoassez tard dans la peacuteriode historique on immolait reacuteellement des victimes humaines qui figuraient Seth lrsquoennemi de tout ecirctre osirien Dans la

7 Les tombeaux dont les textes ou les tableaux seront utiliseacutes ci-apregraves sont ceux de Sehete-pibracirc (XIIe dyn) publieacute par Quibell (ramesseum pl IX) de Sebekneht (XIIe dyn) publieacute par Tylor (pl III) de Renni et Paheri (publieacutes par Tylor) de Rehmacircracirc (publieacute par Virey Mission du Caire t V ) de Montouherjhepshef (publieacute par Maspero Mission du Caire t V ) de Menni (Maspero Archeacuteologie eacutegyptienne p 7) des scegravenes analogues sont figureacutees aux tombeaux de Nebamon (recueil de travaux IX p 7) et de Sennefer (Virey ap recueil XX p 22 sq et XXI p 28) ceux-ci sont de la XVIIIe dynastie Voir aussi le tombeau drsquolbi dateacute de Psammeacute-tique Ier (Scheil Mission du Caire V pl IX)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

suite on sacrifia le plus souvent des eacutetrangers probablement des prisonniers de guerre Nubiens ou Europeacuteens Au tombeau de Montouherjhepshef deux Nu-biens la corde au cou sont repreacutesenteacutes au moment ougrave ils vont ecirctre eacutetrangleacutes 7

Figure 7o Le tikenou ameneacute vers la laquo peau raquo2o Sacrifice des victimes animales

o Sacrifice des Nubiens

Un adoucissement agrave ce rite barbare fut la substitution des victimes animales aux victimes humaines Les animaux eacutetaient le taureau la gazelle lrsquooie le porc identifieacutes agrave Seth lrsquoadversaire Ces victimes animales payaient agrave la mort le tribut obligatoire et en rachetaient le deacutefunt 76 Lrsquoeacutegorgement des animaux srsquoaccompa-gnait toutefois drsquoun simulacre du sacrifice humain on faisait passer un homme ou un mannequin agrave travers la peau drsquoun taureau ou drsquoune gazelle sacrifieacutes

7 Cf G Maspero eacutetudes de mythologie I p 20876 Les theacuteologiens eacutegyptiens affirmaient que crsquoeacutetait lagrave lrsquoorigine des sacrifices drsquoanimaux laquo les victimes remplacegraverent les sacrifices humains raquo mdash Cf Au temps des pharaons p 22

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8On ouvre la terre et on creuse la fosse

Au tombeau de Montouherjhepshef on voit un personnage le tikenou ame-neacute sur un traicircneau en face drsquoune grande peau de becircte 77 La scegravene ougrave le Tikenou srsquohabille de la peau nrsquoest pas conserveacutee mais plus loin dans un trou creuseacute en terre on voit brucircler la peau la cuisse le cœur du taureau et aussi des cheveux du Tikenou qui sont jeteacutes lagrave semble-t-il pour remplacer le personnage lui-mecircme le sacrifice de la partie eacutequivalant agrave celui du tout Dans la flamme le simulacre de lrsquohomme et la peau de la victime montent vers le ciel emmenant avec eux le deacutefunt dans un monde divin

Figure On brucircle la peau le cœeur de la victime et les cheveux du tikenou

77 Les textes appellent la peau ou le lieu ougrave se trouve la peau mest meska meseq meshent en tous ces noms se trouve le radical mes = naicirctre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Crsquoest Anubis qui avait reacuteveacuteleacute aux dieux et aux hommes ce moyen de renaicirctre que les rituels deacutefinissent en ces termes laquo Il a passeacute pur sur la peau-berceau raquo pour le compte drsquoOsiris (todtenbuch ch xvii I 8) Ce rite semble avoir eacuteteacute en usage degraves lrsquoAncien Empire Lors des funeacuterailles les bas-reliefs des mastabas nous montrent la barque funeacuteraire amenant agrave la neacutecropole le cadavre sous la protection du precirctre drsquoAnubis lrsquoOut 78 Le cadavre nrsquoest pas seul dans la barque bien qursquoon ne distingue pas ce qui se passe dans le naos-cabine on peut supposer que le Tikenou y eacutetait aussi du moins dans les tombeaux theacutebains du Nouvel Empire agrave El Kab et agrave Thegravebes voit-on degraves que la barque a abordeacute le Tikenou ameneacute sur la rive et installeacute sur un traicircneau qursquoon traicircnait jusqursquoagrave laquo la terre qui renouvelle la vie raquo (fig 0)

Figure 0Le tikenou coucheacute sur la peau aborde agrave la neacutecropole Hacirclage sur le traineau

Mais voici une transformation du rite Le Tikenou eacutetait recouvert non plus drsquoune peau mais drsquoun long pagne ou

linceul qui est parfois (fig ) tacheteacute comme une peau Le tombeau de Renni a conserveacute la scegravene ougrave Isis-pleureuse (dert) drape dans ce linceul le Tikenou au moment ougrave le cortegravege funeacuteraire part pour la neacutecropole plus loin lrsquoindividu apparaicirct non plus coucheacute de son long mais accroupi sur le traicircneau (fig 2) Le Tikenou est alors repreacutesenteacute le visage deacutecouvert pour qursquoil puisse respirer (fig 0-2) parfois le linceul recouvre tout (fig ) solidement maintenu par de larges bandelettes (fig ) dans ce cas on doit supposer que sous le linceul il y a non plus un homme mais un mannequin ou simulacre Homme ou mannequin la figure rappelle exactement la silhouette qursquoon donnait aux victimes animales (cf fig ) et aussi lrsquoaspect du fœtus replieacute dans le sein maternel (cf fig 2)

78 Lepsius Denkm II 76 6 0 LrsquoOut apparaicirct fig 0

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Dans le naos Isis drape le tikenou Devant lrsquoofficiant un servant

verse de lrsquoeau sous le traicircneau et fait une libation de lait pour Renni laquo Celui qui passe sous la peau crsquoest Renni raquo

Arriveacute au tombeau le Tikenou exeacutecutait un rite qui consistait agrave se laquo coucher raquo sder 7 sur un lit bas (fig 7) dans la mecircme attitude replieacutee Tel nous apparaicirct-il au tombeau de Rehmaracirc avec la leacutegende explicative laquo Faire venir agrave la citeacute de la peau (Abydos) Voici le Tikenou coucheacute sous elle (la peau) dans la terre de trans-formation (ta heper) raquo Par la suite il nrsquoest plus question dans ces tombeaux de sacrifier le Tikenou Au sacrifice humain on a donc substitueacute le proceacutedeacute magi-que inventeacute par Anubis au profit drsquoOsiris se coucher dans une peau figureacutee par un linceul Sous cette peau qui rappelle eacutevidemment celle drsquoun animal sacrifieacute

7 Le mot laquo se coucher raquo sder deacutetermineacute soit par le lit drsquoapparat soit par le lit bas et court (lrsquoangareb des Nubiens cf Maspero eacutetudes de myth I p 28) comme sur notre fig est un terme technique des rituels qui deacutesigne lrsquoacte de laquo se coucher sous la peau meska raquo (fig ) de laquo se coucher sous le linceul raquo (fig 0 et ) de laquo se coucher dans la peau kenemt raquo Les listes de fecirctes connaissent laquo la nuit du coucher raquo (A Moret Catal museacutee guimet I p 6 n 6 cf tod-tenbuch ch xviii eacuted Budge p 7 I 0) ou laquo le jour du coucher du dieu raquo (Caire ndeg 206) Je suppose qursquoil srsquoagit de lrsquoacte de se coucher sous la peau pour simuler la renaissance

27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le Tikenou est dans le laquo lieu du Devenir des transformations de la vie renouve-leacutee raquo le Tikenou qui a pris lrsquoattitude de lrsquoembryon humain dans le sein mater-nel sortira de la peau tel que lrsquoenfant qui naicirct Par conseacutequent le mort pour qui se fait le rite renaicirctra lui-mecircme automatiquement

La repreacutesentation de ces eacutepisodes srsquoest encore simplifieacutee dans les tombeaux agrave partir de la XIXe dynastie Drsquoune part les scegravenes relatives au sacrifice humain nrsquoapparaissent plus on se contente des seules victimes animales Drsquoautre part le Tikenou ne joue mecircme plus Anubis passant par la peau il dis-paraicirct de la scegravene 80 son rocircle passe agrave un des officiants qui est drsquoordinaire le sem 8 Au deacutebut de lrsquooffice funegrave-bre quand on va faire subir au deacutefunt laquo la conseacutecration (deser) dans la salle drsquoor 82 raquo le sem se laquo couche raquo (fig 7) revecirctu drsquoun linceul

80 Les rituels qui forment le texte publieacute par Schiaparelli (Libro dei funerali) dont le plus an-cien est celui du tombeau de Seacuteti Ier ne font plus mention du tikenou8 Comme Lefeacutebure lrsquoa noteacute celui qui passe par la peau est aussi Horus pour Osiris crsquoest-agrave-dire le fils pour son pegravere Dans la stegravele de Metternich (I 7-7) Osiris dit agrave Horus laquo Crsquoest toi mon fils (qui passes) dans la Mesqt (lieu de la peau) sorti du Noun tu ne meurs point raquo Passer par la peau crsquoest donc la mecircme chose que sortir du Noun le chaos primordial le rite recommence la creacuteation (cf p 27) et assure lrsquoimmortaliteacute82 Cette phrase deser m hat noub laquo conseacutecration dans la salle drsquoor (sanctuaire du temple ou du tombeau) raquo est une rubrique speacutecialiseacutee aux rites de la renaissance et nrsquoest employeacutee qursquoagrave cette occasion Maspero (eacutetudes de mythologie I p 28) y voit une indication de mise en scegravene laquo dis-positif dans la salle drsquoor raquo ce qui ne me paraicirct pas justifieacute Ma traduction se rapproche de celle proposeacutee par Virey (rehmard p 6) elle attribue agrave deser le mecircme sens que ce mot a comme eacutepithegravete de la neacutecropole ta deser laquo terre consacreacutee raquo (pyr de teacuteti I 7) ou du sanctuaire des temples et tombeaux bou deser laquo lieu consacreacute raquo Anubis est souvent qualifieacute le laquo maicirctre de ta-de-ser raquo ce qui srsquoexplique puisque ce dieu preacuteside agrave la laquo conseacutecration raquo deser par la peau mdash Abydos la ville de la peau meska et du berceau meshent eacutetait par excellence la laquo terre consacreacutee raquo (Stegravele de Leyde ap Piehl i H III pl 2 I laquo jrsquoai fait mon tombeau sur la meshent drsquoAbydos la terre consacreacutee de la montagne occidentale raquo parce que lagrave eacutetait le berceau de certains dieux tels que Ilnoumou et Heqit les ancecirctres neacutes au deacutebut (des temps) sur la meshent drsquoAbydos raquo Sharpe eg i I 78 2 cf Louvre C 6 Une stegravele de la XIIe dynastie (Caire ndeg 206) mentionne aussi la laquo salle consacreacutee raquo (ist desert) agrave propos du rite du laquo coucher du dieu raquo (harou sdert neter)

Figure 2Le tikenou sorti du naos est conduit agrave la neacutecropole

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Halage du tikenou accroupi dans lrsquoeau

en preacutesence des bouffons couronneacutes XIIe dynastie

Ce rite est bien une imitation ou une simplification de ceux joueacutes par le Ti-kenou costume et deacutecor tout est pareil Toutefois le Sem ne prend plus la po-sition incommode du fœtus il se contente de se coucher raquo comme pour dormir (fig 6) Mais les effets de ce sommeil ne sont pas moins miraculeux Voici les paroles sibyllines que dit le sem coucheacute laquo Jrsquoai vu mon pegravere (le deacutefunt ou Osiris) en toutes ses transformations raquo Au-dessous de ces mots les rituels expliquent la mise en scegravene des rubriques

laquo Transformation en sauterelle raquo mdash laquo Empecircchez (hou) qursquoil ne soit plus (qursquoil ne meure) mdash (Transformation) en abeilles mdash laquo Il nrsquoy a plus rien de peacuterissable en lui raquo mdash (Transformation) en ombre 8 raquo Quand le Sent se relegraveve il est censeacute ra-mener avec lui de la peau-linceul lrsquoombre crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme renaissante du deacute-funt et aussi des sauterelles des abeilles qui attestent comme dans la leacutegende drsquoAristeacutee 8 que la peau a eacuteteacute feacuteconde geacuteneacuteratrice drsquoecirctres vivants et que drsquoelle srsquoenvole comme une vie nouvelle (fig 8) Quant au corps il ne meurt plus dans la momie consacreacutee il nrsquoy a plus rien de peacuterissable 8 Acircme et corps renaissent pour la vie eacuteternelle Au Livre des Morts le deacutefunt dit de lui-mecircme agrave ce moment laquo Je suis

8 Voir les textes ap Schiaparelli Libro dei funerali I p 6-66 mdash Cf Lefeacutebure eacutetude sur Aby-dos ap proceedings s B A XV p 8 ougrave je modifie le sens attribueacute agrave hou8 Ph Virey Observations sur lrsquoeacutepisode drsquoAristeacutee Sur la diffusion de cette croyance agrave la bugonia dont les anciens attribuaient lrsquoorigine agrave lrsquoEacutegypte voir Lefeacutebure Lrsquoabeille en eacutegypte ap sphinx XI p 8 et suiv cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20 sq8 Cf pyr de teti 26 et 278 in hnnt im k et todtenbuch ch cliv 2 au laquo chapitre de ne pas laisser le corps se corrompre raquo le deacutefunt dit laquo Je me suis eacuteveilleacute en paix et sans troubles (ou sans corruption) (in hnnou) raquo Ce laquo reacuteveil raquo est peut-ecirctre conseacutecutif au laquo coucher raquo sder

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

celui qui a traverseacute la peau-berceau agrave qui Osiris a donneacute sa conseacutecration (hou) au jour de lrsquoenterrement 86 raquo

Ainsi la repreacutesentation du Mystegravere de la renaissance est alleacutee se simplifiant au cours des siegravecles on a supprimeacute le sacrifice hu-main le Tikenou a perdu une partie de son rocircle puis a disparu complegravetement agrave sa place un precirctre opegravere sous un linceul substitueacute agrave la peau Quelles sont les dates preacutecises de cette eacutevolution Je ne saurais les dire avec certitu-de le choix des scegravenes dans les tombeaux est souvent capricieux et ne se precircte pas toujours agrave un classement chronologique tel tombeau de la XIXe dynastie peut reproduire un rite neacutegligeacute dans un autre tombeau plus ancien Cependant il semble que ce soit de la XVIIIe agrave la XIXe dynastie que le rocircle du Tikenou a eacuteteacute simplifieacute jusqursquoagrave disparaicirctre 87 La repreacutesentation de la renaissance animale est devenue degraves lors moins reacuteelle que symbolique

M Maspero a signaleacute qursquoune comparaison est possible entre les scegravenes relatives au Tikenou et certaines vignettes drsquoun chapitre fort rare du Livre des Morts classeacute dans lrsquoeacutedition Naville comme cha-pitre CLXVIII a (fig ) Voici comment jrsquoen expliquerais les fi-gures Paraissent drsquoabord deux adolescents porteacutes sur les eacutepaules des officiants (ce sont peut-ecirctre deux tikenou) deux pleureuses coucheacutees agrave terre un taureau sur

86 Lefeacutebure eacutetude sur Abydos p et 7687 Au tombeau de Rehmacircracirc (XVIIIe dyn) certaines scegravenes du Tikenou sont encore repreacutesen-teacutees et les rites du sem sont ceacuteleacutebreacutes en mecircme temps Crsquoest donc une eacutepoque de transition

Figure Halage du simulacre enveloppeacute

drsquoun linceul

Figure Attitudes du tikenou et de la victime

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pavois qui rappelle la victime animale un sphinx androceacutephale dont le rocircle dans une scegravene de renaissance srsquoexplique peut-ecirctre parce qursquoil repreacutesente Toum le deacutemiurge 88 Plus loin on voit une deacuteesse assise les bras eacutecarteacutes dans la position caracteacuteristique des deacuteesses qui accouchent est-ce Nout la megravere ceacuteleste qui va donner le jour au corps glorieux du nouvel Osiris 8 Puis Anubis tenant en mains les symboles de force et de vigueur et preacuteside au rite du laquo coucher raquo sder Deux momies sont eacutetendues sur des lits veilleacutees par une grande Uraeligus dont le rocircle sera deacutefini plus loin lrsquoUraeligus porte son nom laquo celle qui consacre la tecircte raquo des dieux 0 De lrsquoautre cocircteacute des lits apregraves le Mystegravere accompli srsquoavance un des officiants dont la tecircte est surmonteacutee de lrsquoUraeligus peut-ecirctre ce personnage joue-t-il le rocircle du mort ressusciteacute Un sphinx coucheacute sur le lit personnifiant ici le soleil levant Harmahis symbole de reacutesurrection clocirct la seacuterie des figures Nous pouvons attribuer sucircrement cette scegravene au mystegravere de la renaissance mais dans le deacutetail il reste bien des obscuriteacutes 2

Figure 6 mdash Le sem se drape dans le linceul et se couche

88 Ed Naville a deacutemontreacute que le sphinx eacutetait souvent identifieacute agrave Toum mdash (ap sphinx V p et suiv) Dans le protocole royal le sphinx peut signifier laquo image vivante de Toum raquo (Sethe Urk XViiie Dyn IV p 600)8 Cf les scegravenes drsquoaccouchement de Deir-el-Bahari et Louxor reproduites dans A Moret Du caractegravere religieux p On sait que Nout megravere drsquoOsiris est censeacutee enfanter le mort agrave une vie nouvelle mdash (pyr de pegravepi i 0-0) Aussi compare-t-on agrave Nout le lit sur lequel le mort est eacutetendu laquo O grand (Osiris) coucheacute (sder) sur ta megravere Nout raquo (teta I 80) Le lit est en effet le laquo berceau raquodu deacutefunt0 Cf pyr drsquoOunas I 8 deser-tep Crsquoest une allusion aux rites de la laquo conseacutecration raquo deser La leacutegende hed iment semble signifier laquo brillant chaque jour raquo Le rocircle du sphinx comme soleil levant Khepra est bien connu (cf eacuted Naville sphinx V p ) Le grand Sphinx de Gizeh exprime pour le compte du roi Cheacutephregraven le mecircme symbole de reacutesurrection2 Le texte du chap 68 A au-dessus duquel les vignettes sont traceacutees ne nous donne que peu de lumiegravere il invite le lecteur agrave faire une libation sur terre pour que le deacutefunt passe parmi le sui-vants drsquoOsiris les suivants de Racirc les variantes du chap 68 B ajoutent le souhait qursquoil connais-se tous les secrets et qursquoil soit laquo un iahou parfait raquo dans lrsquoautre monde Peut-ecirctre devons-nous rapprocher de ces textes le chap 70 (eacuted Naville) qui se prononce au moment laquo de dresser le lit funegravebre raquo et ougrave lrsquoon adresse au deacutefunt cette phrase laquo Tu es Horus agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoœuf raquo elle correspond bien aux ideacutees de laquo conception et de renaissance raquo que nous avons signaleacutees

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Tous les documents relatifs au tikenou que nous avons examineacutes sont de lrsquoeacutepoque theacutebaine Les rites de la renaissance par la peau nrsquoavaient-ils point eacuteteacute conccedilus anteacuterieurement A ma connaissance les mastabas de lrsquoAncien Empire ne contiennent aucun tableau analogue agrave ceux reproduits plus haut et les textes des Pyramides ne mentionnent pas le tikenou Lrsquoensevelissement par la peau est peut-ecirctre repreacutesenteacute dans une tombe de la IVe dynastie par un bas-relief eacutenigma-tique (fig 20) qui donnerait une variante unique de ce rite Du moins peut-on affirmer que lrsquoideacutee de la renaissance par la peau est aussi ancienne que les plus anciens monuments eacutegyptiens connus Lrsquoeacutecriture mecircme le prouve puisque le signe mes qui symbolise lrsquoideacutee laquo naicirctre enfanter raquo repreacutesente trois peaux en faisceau (fig 2) Je montrerai plus tard comment cette tradition apparaicirct clai-rement au cours des rites de la fecircte Sed que les rois ceacuteleacutebraient degraves la peacuteriode archaiumlque

Figure 7Conseacutecration dans la salle drsquoor Le sem se couche

Qursquoil me suffise de dire ici que dans les pyramides comme dans les tombeaux theacutebains le deacutefunt renaicirct quand il srsquoest coucheacute vecirctu drsquoune peau ou drsquoun linceul

Ces peaux mestou sont peut-ecirctre des peaux de chien du type du chien Anubis agrave lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque on eacutecrit parfois le mot mes (neacute de) par le signe du chien (H Ranke Aeg Zeits-chrift t XLV p 2) Sous un naos agrave colonnes orneacutees de bucranes un lit funeacuteraire supporte un cercueil duquel eacutemerge seule une tecircte de taureau A gauche un officiant Une scegravene voisine montre la capture du taureau ainsi sacrifieacute je suppose que sa peau sert agrave un rite analogue agrave celui du Tikenou de lrsquoeacutepoque theacutebaine

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sur un lit Une formule que je choisis entre beaucoup drsquoautres reacutesume avec concision ce que le lit symbolise laquo Ce deacutefunt dit-on de Peacutepi Ier est creacuteeacute par Racirc il se couche (sder-tou) (fig 2) il est conccedilu il est enfanteacute chaque jour 6 raquo Le lit a le plus souvent la forme caracteacuteristique du divan bas sur lequel srsquoeacutetend le Tikenou Sur ce lit il y a une peau de panthegravere laquo Ce grand (le deacutefunt ou Osiris) se couche de sa personne la peau (de panthegravere 7) du lit est pour lui raquo cette peau venant drsquoun animal typhonien est lagrave pour mimer laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo que les rituels posteacuterieurs mentionnent

Figure 8Lrsquoombre et les symboles de lrsquoacircme ressusciteacutee (Seacuteti Ier)

Drsquoautre part drsquoapregraves la tradition le costume funeacuteraire drsquoOsiris et du mort se reacutesumait en une eacutetoffe (daout) qui eacutetait laquo celle qursquoHorus a faite pour son pegravere Osiris 8 raquo Crsquoest peut-ecirctre le laquo linceul raquo comme traduit Maspero En tout cas le linceul comme le lit sont personnifieacutes par des deacuteesses qui sont les megraveres du deacutefunt laquo Ce grand se couche sur sa megravere Nout ta megravere Taat trsquoa revecirctu elle te

Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux (Lacau sarcophages du Caire fig 82) Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo (Borchardt Aeg Zeitsch 07 p 7)6 peacutepi ier I 820 (Sethe p 80 8) La reacutesurrection srsquoexprime souvent par le mot laquo reacuteveil srsquoeacuteveiller raquo mdash pyr de peacutepi ii I 760 laquo Tu te couches et tu trsquoeacuteveilles tu meurs et tu vis raquo peacutepi ier I laquo son jour de reacuteveil raquo7 Le sens laquo peau de panthegravere raquo drsquoapregraves peacutepi ier I 68 pyr de teacuteti I 7 Deacuteesse des bandelettes voir la figure

Les Mystegraveres eacutegyptiens

porte au ciel en son nom drsquooiseau dert 00 raquo Le linceul devient donc en mecircme temps qursquoun veacutehicule pour aller au ciel un agent de reacutesurrection il y a dans lrsquoeacutetoffe comme dans la peau du Tikenou une force geacuteneacuteratrice suffisante pour expliquer la renaissance ceci nous aide agrave comprendre pourquoi agrave la fin de lrsquoeacutepo-que theacutebaine on a pu remplacer la peau par le linceul

Figure Les rites de la renaissance drsquoapregraves une vignette du livre des morts

La renaissance srsquoexeacutecute encore agrave cette eacutepoque par le passage sur un objet appeleacute shedshed Horus en avait donneacute lrsquoexemple pour le compte de son pegravere Osiris laquo Les dieux dit-on au roi deacutefunt trsquoeacutelegravevent au ciel avec ton acircme tu es muni drsquoacircme parmi eux car tu es sorti au ciel tel qursquoHorus sur le shedshed du ciel en cette tienne forme qui est sortie (= creacuteeacutee) de la bouche de Racirc tel qursquoHorus agrave la tecircte des Iahou 0 raquo Nous verrons plus tard quels monuments permettent de preacuteciser ce qursquoest le shedshed et quel est son rocircle dans les mystegraveres Disons tout de suite que crsquoest aussi une enveloppe qui sert de laquo peau-berceau raquo le passage citeacute prouve que comme la daout elle fournit un veacutehicule pour aller au ciel Quant

00 pyr de teacuteti I 80-80 pyr de teacuteti I 7-7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave la phrase laquo en cette forme sortie de la bouche de Racirc raquo elle est importante en ce qursquoelle eacutevoque un autre texte relatif agrave la naissance dans la meshent ougrave il est dit de certains dieux laquo ils ont eacuteteacute creacuteeacutes au deacutebut des temps (sur) les peaux-berceaux (meshentou) primordiales drsquoAbydos ils sont sortis de la bouche de Racirc lui-mecircme lors du (rite de) la conseacutecration deser (drsquo) Abydos 02 raquo Concluons que le shedshed est aussi un agent ou un lieu de renaissance 0 analogue agrave la meshent quand on srsquoen sert pour la conseacutecration rituelle (deser) des Mystegraveres osiriens

Figure 20Lrsquoensevelissement dans la peau de bœuf Gizeh tombeau de Nebmahout (IVe dynastie)

Il est donc certain que le laquo Mystegravere de la peau raquo et la laquo renaissance par la peau raquo font partie du fonds ancien de la religion eacutegyptienne Drsquoailleurs agrave cocircteacute du shedshed les Pyramides reacutevegravelent lrsquoexistence drsquoautres peaux-berceaux meska meshent kenemt out shedt dont les noms servent agrave deacutesigner autant de laquo pays ou de citeacutes de la peau 0 raquo

02 Louvre stegravele C 60 La renaissance apparaicirct aussi degraves cette eacutepoque symboliseacutee par lrsquoapparition de sauterelles et drsquoabeilles pyr de Mirinri I 68 et de peacutepi ii I cf eacuted Sethe II p et 270 Out deacutesigne les oasis comme Kenemt qui est aussi un des noms de Diospolis parva (sphinx X p 07) et une ville mystique (pyr de teacuteti I 0) cf Maspero t de Montouherjhepshef p 6 laquo la terre de Kenemout raquo shedt est la ville du Fayoum et une citeacute mystique (Ounas I 28)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux

Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo

Lrsquoexistence de ces diverses localiteacutes mystiques indique peut-ecirctre autant de meacutethodes locales ou diffeacuterentes pour lrsquoexeacutecution drsquoun rite commun la renais-sance par la peau Les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont tregraves probablement amalgameacute des traditions deacutejagrave anciennes agrave cette eacutepoque et provenant de villes multiples

Pour le Moyen Empire les mecircmes rites me sont connus non point tant par des textes deacuteveloppeacutes que par des allusions qui se retrouvent dans les textes peints sur les cercueils Ces textes comme lrsquoa dit leur eacutediteur M Lacau sem-blent appartenir agrave un recueil distinct des rituels des Pyramides drsquoune part et des Livres des Morts theacutebains ou saiumltes drsquoautre part Mais il y a un fond drsquoideacutees qui subsiste si la reacutedaction est particuliegravere agrave lrsquoeacutepoque Le mystegravere de la peau est fort nettement deacutesigneacute dans les laquo chapitres des transformations raquo que subit le deacutefunt mots qui nous rappellent le laquo lieu de la transformation raquo crsquoest-agrave-dire la peau-berceau meska drsquoAbydos mdash Voici les passages caracteacuteristiques [laquo Le deacutefunt a sacrifieacute Seth lrsquoadversaire de son pegravere Osiris raquo] Venez Dieux Faites ses rites de protection agrave lrsquointeacuterieur de la vache et connaissez () dans vos cœurs votre maicirctre qui est ce dieu en son œuf 0 raquo Ailleurs le deacutefunt dit laquo Je me suis coucheacute dans le lieu (ouou pour Out ) des peaux divines renverseacute en preacutesence de la deacuteesse

0 Lacau textes religieux ap recueil XXVII p 7 Chapitre de laquo faire ses transformations en faucon raquo Cf p 8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Shesat dans lrsquoOccident 06hellip raquo mdash laquo Moi je suis celui qui passe dans la peau 07hellip raquo hellip laquo Moi je suis Osiris je suis un Iahou muni je ne suis pas pris pour le billot divin (du sacrifice) je me suis ceint de la peau qeni on ne me fait pas entrer vers le billot (bis) 08hellip raquo Enfin un texte tregraves court donne cette importante variante drsquoune phrase citeacutee plus haut laquo Je me suis coucheacute dans la peau (de cynoceacutephale) kenemt 0 raquo

Toutes ces allusions si bregraveves qursquoelles soient sont significatives Drsquoailleurs outre la tombe de Sehetepibracirc deacutejagrave citeacutee (fig ) la stegravele C du Louvre a conserveacute ce moment capital des rites osiriens repreacutesenteacute en traits syntheacutetiques 0 Au premier plan un lit funeacuteraire avec le cadavre les deux pleureuses Isis et Nephthys poussent leurs lamentations Cependant deux hommes amegravenent sur un pavois une becircte typhonienne probablement une panthegravere un autre porte sur lrsquoeacutepaule un adolescent en lequel je vois le tikenou coiffeacute de la couronne royale 2 A cocircteacute sont repreacutesenteacutes le traicircneau qui dans les tombeaux deacutecrits preacuteceacutedemment sert agrave haler le tikenou et les herminettes avec lesquelles on creuse la fosse ougrave brucirclera la peau de la victime Nous avons ainsi les personnages et le deacute-cor du drame

La scegravene se continue agrave droite Le cada-vre tout agrave lrsquoheure eacutetendu sur le lit est agrave preacutesent remplaceacute par un simulacre main-tenu debout par deux hommes Le corps ne comprend encore que la tecircte et le buste il repose sur des signes de vie planteacutes sur une sorte drsquoenclume Que signifie cette scegravene Crsquoest me semble-t-il le moment

06 ibid XXX p 0 (chap des transformations parmi les grands dieux drsquoHeacuteliopolis) Sur Shesat cf Lefeacutebure sphinx X p 007 ibid XXXI p 2 (se transformer en dieu Hent-hesem)08 ibid XXXI p 20 (chap de ne pas entrer au lieu du billot divin)0 Lacau sarcophages du Caire ndeg 280 p 70 M Maspero avait briegravevement signaleacute le rapprochement agrave faire entre les figures de la stegravele C et la scegravene du Tikenou (tomb de Montouherjhepshef p 6) Voir agrave lrsquoOsireion drsquoAbydos (M Murray pl V) hommes et femmes porteacutes sur lrsquoeacutepaule par les officiants ce sont des nemou comparses dont le rocircle ressemble agrave celui des tikenou et sera deacutefini plus loin2 Lrsquoimportance du fait que le tikenou est couronneacute comme le sont aussi les deux mimes sauteurs sera mise en lumiegravere plus loin

Figure 22 mdash Bouffons sautant

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ougrave lrsquoon commence agrave fabriquer la statue du deacutefunt pour reconstituer son corps au complet comme on lrsquoa fait pour Osiris

Figure 2Bouffons coiffeacutes de roseaux

Plus loin la peau de la panthegravere est suspendue agrave une hampe termineacutee par une fleur de lotus La becircte a donc eacuteteacute sacrifieacutee sa peau deacutepouilleacutee est precircte agrave servir Deux mimes couronneacutes de roseaux exeacutecutent les sauts qui accompagnent ha-bituellement dans les tombeaux theacutebains les scegravenes du tikenou (fig 22 et 2)

Maintenant les personnages ont pris place sur une barque divine sans lrsquoaide de nul rameur la barque se dirige vers Abydos Sur le pont de la barque on voit successivement un homme qui tient sur un pavois une tecircte gardeacutee par lrsquoUraeligus deser-tep un autre qui dresse une hampe surmonteacutee de la peau gonfleacutee (hen) je preacutesume que le tikenou porteacute tout agrave lrsquoheure sur les eacutepaules est censeacute y ecirctre renfermeacute lui ou son simulacre

Au temple de Philaelig on voit de mecircme les deacuteesses Isis et Selkit reconstituer le corps du dieu au moment ougrave il nrsquoa encore que les jambes et le buste Cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p P Il faut reconnaicirctre dans ces mimes les personnages grotesques qui jouent un rocircle dans les fecirctes des dieux de la moisson tel qursquoOsiris ils persistent encore agrave notre eacutepoque sous forme de masques du Carnaval Crsquoest probablement lrsquoimage de la tecircte drsquoOsiris phylactegravere puissant contre les esprits typho-niens elle apparaicirct en cette qualiteacute sur la stegravele de Metternich

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Voici que srsquoaccomplit le miracle de la renaissance A ce changement capital correspond une attitude nouvelle des personnages orienteacutes maintenant en sens contraire Face au porteur de la peau se tient dans la barque un homme qui preacutesente une tige de lotus 6 la peau deacutegonfleacutee flotte le long de la hampe agrave la faccedilon de la neacutebride drsquoAnubis Qursquoest devenu le tikenou Derriegravere la neacutebride apparaicirct un adolescent de taille plus petite que celle des deux hommes qui ten-dent vers lui leurs bras pour lui assurer la protection magique Crsquoest me semble-t-il lrsquoimage juveacutenile du mort qui renaicirct 7 le miracle de la peau lui a transfuseacute une vie nouvelle Peut-ecirctre lrsquoadolescent qui tenait preacuteceacutedemment le rocircle du Ti-kenou jouait-il agrave ce moment le personnage du deacutefunt renaissant

Enfin sur la rive abydeacutenienne ougrave le nouvel Osiris va descendre un cortegravege amegravene les statues des dieux ils viennent recevoir leur fregravere qui srsquoavance vers eux 8

Telle est lrsquointerpreacutetation que je propose pour cette scegravene lrsquoartiste y a repreacute-senteacute les rites secrets des Mystegraveres assez discregravetement pour ne les point divulguer aux profanes mais avec assez de preacutecision pour que nous y puissions discerner les traits saillants du drame osirien

Nous avons vu plus haut drsquoapregraves les monuments qui ont servi de point de deacutepart agrave ces recherches qursquoagrave la XVIIIe dynastie le Mystegravere de la peau se concentre dans le personnage du Tikenou qui va se simplifiant par la suite jusqursquoagrave disparaicirc-tre des tableaux ougrave il est remplaceacute par le precirctre sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine on ne voit plus guegravere agrave ma connaissance ni les tableaux relatifs au tikenou ni mecircme ceux du sem Des allusions succinctes aux rites de la peau-berceau subsis-tent cependant dans les Livres des Morts nous les avons citeacutees plus haut agrave propos du culte drsquoOsiris Crsquoest encore dans les vignettes des Rituels funeacuteraires que nous voyons figurer lors des cortegraveges funegravebres lrsquoenseigne drsquoAnubis avec le shedshed

6 Degraves les textes des Pyramides on assimile la renaissance du mort agrave la naissance du soleil Racirc sortant au matin sous le nom de Nefertoum du calice drsquoun lotus (Ounas I cf la vignette de Maspero Histoire I p 6) La queue de la neacutebride se termine parfois en lotus eacutepanoui7 Dans les Mystegraveres drsquolsis apregraves la scegravene de la reacutesurrection du dieu les precirctres faisaient ap-paraicirctre un enfant que lrsquoon saluait du nom drsquoOsiris renaissant mdash Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 888 La stegravele C preacutesente au-dessus de la scegravene deacutecrite une liste de diviniteacutes qursquoil faut rappro-cher de celle donneacutee dans un court chapitre du Livre des Morts (chap clxxi de lrsquoeacutedition Budge p ) qui a pour but de faire du mort un laquo iahou parfait raquo par le don drsquoune bandelette reacutesumeacute de lrsquoensevelissement total Tel est le cas pour le superbe tombeau de Patouamenap (eacutepoque saiumlte) publieacute par Duumlmi-chen

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dont nous avons deacutejagrave montreacute lrsquoemploi et lrsquoenseigne du nsout hen 20 dont nous allons parler Ces figures rappelaient pour les yeux seulement les antiques proceacutedeacutes drsquoinitiation que les textes ne deacutecrivaient plus

Les Mystegraveres ne servaient-ils qursquoaux morts Les vivants ne pouvaient-ils les ceacute-leacutebrer pour leur compte en vue drsquoun beacuteneacutefice terrestre ou en sauvegarde de leur vie future La reacuteponse nrsquoest point aiseacutee agrave fournir faute de documents explicites Cependant agrave un homme au moins sur terre les rites osiriens preacutetendaient assu-rer degraves ici-bas lrsquoimmortaliteacute Il est vrai qursquoil srsquoagit drsquoun homme qui est dieu le roi drsquoEacutegypte Pharaon

Pharaon en sa qualiteacute de fils des dieux de precirctre de tous les temples posseacutedait degraves son vivant cette pureteacute rituelle qursquoassurent les moyens que nous avons deacutecrits agrave propos drsquoOsiris Le roi devenait dieu par les rites osiriens lui aussi mais degraves son avegravenement eacutetait censeacute avoir passeacute par la mort osirienne et srsquoen ecirctre racheteacute comme avait fait Osiris Il nrsquoentre pas dans le cadre de cette eacutetude de reprendre la description du culte qui consacre la diviniteacute de Pharaon 2 je me contenterai drsquoattirer lrsquoattention sur le jubileacute sed qui renouvelait pour lui la digniteacute royale et divine et ougrave apparaissent quelques-uns des rites de la renaissance Cette fecircte consiste essentiellement en une Osirification 22 du roi elle parait semblable agrave la fecircte du couronnement drsquoOsiris

Pour le reste nous touchons agrave un sujet obscur ougrave mes recherches nrsquoont eacuteclaireacute que quelques points mais que je crois importants

Le nom mecircme du jubileacute sed signifie laquo fecircte de la queue raquo Cela ne nous donne aucune clarteacute sur le sens de la fecircte Sans doute le roi porte ordinaire-ment une queue postiche attacheacutee agrave sa ceinture mais nous ne voyons pas sur les tableaux conserveacutes par les monuments qursquoune importance particuliegravere soit attribueacutee agrave cette piegravece du costume au cours de la fecircte Sed au contraire le roi y porte comme Osiris une sorte de maillot funeacuteraire deacutepourvu de queue 2 Nous devons donc nous demander si sed nrsquoa pas eu un autre sens

Le mot sed laquo queue raquo employeacute pour deacutesigner le jubileacute est parfois remplaceacute par

20 Cf Pleyte up Aeg Zeitschrift 868 p 62 Cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute p 2022 Petrie The palace of Apries p 82 Voir les figures que jrsquoai reproduites ap Du caractegravere religieuxhellip p 0 28 22-22 2 20 22 262 27

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le mot seshed 2 laquo bandeau bandelette 2 raquo et ces deux mots sont agrave rapprocher drsquoun autre shed qui repreacutesente une laquo outre raquo et qui signifie originellement laquo peau deacutepouille peau preacutepareacutee pour faire une outre 26 raquo

Figure 2Lrsquooutre de peau

Le jubileacute royal eacutetait-il donc une fecircte de la renaissance par la peau Plusieurs faits semblent le confirmer Drsquoabord dans les fecirctes sed la plupart des officiants portent une peau de becircte 27 en particulier le precirctre qui par ses rites fait du roi un Osiris est toujours vecirctu de la peau de panthegravere Son nom ioun-moutef 28 signifie peut-ecirctre par jeu de mots laquo la peau est sa megravere 2 raquo Mais il est probable que cette graphie traduit une eacutetymologie populaire erroneacutee Les monuments tregraves anciens preacutesentent une orthographe ioun-kenmout 0 ougrave mout-ef est remplaceacute par kenmout nom du cynoceacutephale la peau de cynoceacutephale eacutetait nous lrsquoavons

2 pierre de palerme eacuted Schaeligfer p Quant agrave la forme shedshed elle indique grammatica-lement un duel le mot deacutesignerait peut-ecirctre originellement un objet double ce qui srsquoexpli-querait par la dualiteacute de la personne du Pharaon en qui lrsquoon distingue toujours le roi du Sud et le roi du Nord2 Par bandelette il faut entendre une eacutetoffe en piegravece qui peut ecirctre eacutetroite et mince comme un bandeau ou assez ample pour constituer un vecirctement Par bandeau il faut entendre le bandeau de tecircte formant couronne (cf A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 8 n stegravele de Kouban I 8)26 Cf V Loret ap recueil XI p 0 et Piehl proceedings s B A XII p 727 Naville The Festival Hall pl I II IV bis IX X XI XII XIII XIX XXI28 Le nom est connu degraves lrsquoAncien Empire Mariette Mastabas p 8 Autel de Turin (VIe dyn) trans s B A III pl I A pyramide de peacutepi ii 7722 Virey rehmacircracirc p n Il existe un mot iounou qui signifie peau (Brugsch Woumlrth p 88)0 Stegravele de Mentouhetep Caire 20 6 Sur ces graphies cf Erman Aeg grammatik p 0 Voir les textes des Pyramides (peacutepi i 776) citeacutes par Crum ap proceedings s B A XVI p 6 A Beacuteni-Hasan le mot ioun-moutef est deacutetermineacute par un homme debout tenant par la main un cynoceacutephale eacutegalement debout (Griffith Beni-Hasan III p 27) Osiris prend parfois la forme drsquoun cynoceacutephale (Chabas pap Harris p 6) ou cite laquo la peau du cynoceacutephale drsquoOsiris raquo (Pleyte eacutetude sur un rouleau p 22)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vu une peau-berceau du culte osirien Le premier sens du titre me paraicirct donc ecirctre laquo (celui qui porte) la peau du cynoceacutephale raquo une confusion explicable par la meacutetathegravese des signes a fait lire le mot ioun-kenmout de cette faccedilon erroneacutee ioun-mout-ek ce qui a pu se traduire par jeu de mots laquo peau ta megravere raquo devenu par la suite ioun-moutef laquo peau sa megravere raquo En fait la peau dont est revecirctu lrsquoofficiant des rites funeacuteraires est une peau de panthegravere et non de cynoceacutephale 2 Quoi qursquoil en soit on peut supposer que lrsquoioun-moutef lrsquohomme agrave la peau eacutetait le precirctre qui lors de lrsquoapplication au roi des rites osiriens mimait la renaissance du roi en passant pour lui dans une peau comme Anubis lrsquoavait fait pour Osiris

Le dieu Anubis figure preacuteciseacutement dans le cortegravege de la fecircte Sed avec un accessoire sin-gulier Parmi les enseignes (fig 26) qui sont porteacutees en tecircte du cortegravege sur un pavois le dieu-chien est debout devant une sorte drsquoenveloppe en forme de poche gardeacutee par lrsquoUraeligus Les textes disent de cette enve-loppe laquo on passe sur elle pour aller au ciel 6 raquo son nom shedshed ou seshed est apparenteacute au nom mecircme de la fecircte sed ou seshed et vient semble-t-il de la mecircme racine shed laquo peau raquo

2 Un autre vecirctement ritualistique le qeni est une peau de gazelle (von Bissing ap recueil XXIX p 8) Sur ces enseignes divines qui figurent dans les cortegraveges de toutes les fecirctes osiriennes (fecirctes royales fecirctes drsquoOsiris fecirctes des morts = Louvre C todlenbuch ch i) cf A Moret Du ca-ractegravere religieux p 26 27 2 22 22 26 27 272 Le dieu-chien est Anubis ou bien Oupouatou ou encore le dieu sed Ce der-nier nom qui est rare sous lrsquoAncien Empire (cf Schaeligfer pierre de palerme p 2) disparaicirct par la suite peut-ecirctre eacutetait-il reacuteserveacute agrave lrsquoorigine au dieu-chien jouant son rocircle dans la fecircle sed Lrsquoenveloppe nrsquoapparaicirct sur le pavois que devant le dieu chien le dieu-faucon (Horus) et peut-ecirctre devant lrsquoenseigne dou des monuments archaiumlques (cf Loret revue eacutegyptologique XI p 80) Eacutetoffes replieacutees de mecircme ap Setheacute pyram II p 66 28 68 Petrie et Sethe voient dans le shedshed une plume (Mahasna p ) or les monuments peints tels que les sarco-phages donnent au shedshed la couleur rouge et aux plumes la couleur blanche ou bleue (A Moret sarcophages Caire p )6 Mahasna p mdash Pour la forme exacte du deacuteterminatif cf Sethe pyramidentexte I p 27 (pyr de teacuteti I -2)

Figure 2Horus ioun-MoutefTombeau de Seti Ier

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 26Pharaon preacuteceacutedeacute de son precirctre et des enseignes divines

et suivi de son ka adolescent Dendeacuterah

Lrsquoenveloppe me paraicirct ecirctre une eacutetoffe replieacutee jouant le mecircme rocircle que le linceul dans les rites deacutejagrave deacutecrits crsquoest-agrave-dire rem-placcedilant la peau Si cette hypothegravese est exac-te lrsquoenseigne du chien au shedshed pourrait repreacutesenter Anubis au moment ougrave le dieu va exeacutecuter le rite qui assurera la naissance du roi

A cocircteacute du dieu-chien on porte sur pavois un objet jusqursquoici indeacutetermineacute

On a deacutefini cet objet laquo morceau de vian-de raquo et on y voit une forme du dieu Hon-sou drsquoapregraves un tableau de Dendeacuterah 7 La comparaison des diverses leacutegendes qui ac-compagnent lrsquoobjet 8 prouve que la lecture

7 Mariette Dendeacuterah IV pl 2 I pl 228 La tombe du roi Hormheb (deacutebut de la XIXe dynastie) deacutecouverte par M Davis en 08

Figure 27Le dieu-chien le shedshed et lrsquouraeus

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veacuteritable est nsout hen Dans le mot hen je propose de reconnaicirctre un terme usiteacute degraves lrsquoAncien Empire pour deacutesigner la laquo peau raquo lrsquolaquo outre raquo le laquo cuir raquo Le groupe complet nsout-hen signifierait donc laquo la peau du roi raquo ce serait la peau dont on se sert pour faire renaicirctre le roi conformeacutement aux rites osiriens

La forme de lrsquoobjet hen rappelle en effet exactement la silhouette du tikenou accroupi sous la peau (fig 28) Un fait deacutemontre que cette similitude est voulue Au tombeau de Renni (fig ) on dit du tikenou qursquoil est laquo celui qui passe par la peau raquo hensou 0 il y a donc analogie de forme et de nom entre les deux symboles de hen et de tikenou et les deux conceptions

Figure 28Le tikenou sous la peau

Pourquoi precirctait-on une attitude styliseacutee agrave lrsquoindividu cacheacute sous la peau-lin-ceul Que peut eacutevoquer cette position speacuteciale imposeacutee agrave tous les officiants de la peau Pour lrsquoexpliquer il convient de recourir aux images les plus mateacuterielles que pouvait suggeacuterer agrave des hommes primitifs lrsquoideacutee de la renaissance Je crois pouvoir deacutemontrer par les dessins ci-dessous donneacutes que le hen correspond exactement agrave

contenait parmi les objets ritualistiques deux simulacres de fœtus nsout-hen en bois de syco-more longs de 02 centimegravetre sur 00 centimegravetre de haut On les trouvera dans la publica-tion de M Davis (The tomb of Harmhabi 2) agrave la page 0 nos 26-7 catalogueacutes sous le nom erroneacute laquo emblegravemes de Honsou raquo Voir la forme des deux objets sur la palette de Narmer (Hieacuterakonpolis I pl 26 mdash Moret Du caractegravere rel p 26) Inscription drsquoHerhouf (Sethe Urk I 0 cf Aeg Z XLII p et les scegravenes de travail du cuir ap Deshasheh pl XXI)0 Le mot hen apparaicirct sous la graphie hens et hensou aux tableaux drsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque (Kom-Ombo I p 6 2 Dendeacuterah I 22 IV 2 cf Pleyte Aeg Zeitschrift 868 6-7)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la silhouette du fœtus gravide de lrsquoembryon humain agrave terme encore enveloppeacute dans la matrice (fig 28 et 2)

Ce symbolisme expressif srsquoexplique agrave merveille si lrsquoon admet que la fecircte sed renouvelle au beacuteneacutefice du roi drsquoEacutegypte le Mystegravere de la naissance lui procure peacuteriodiquement une vie renouveleacutee De pareils rites se retrouvent freacutequemment dans les socieacuteteacutes primitives

Nous devons admettre que les Eacutegyptiens comme tant drsquoautres peuples 2 re-doutaient que la force vitale ne srsquoeacutepuisacirct agrave la longue dans le corps du souverain Aussi avaient-ils imagineacute de laquo renouveler la naissance raquo du Pharaon afin de ne jamais laisser srsquoamoindrir sa diviniteacute Pour y arriver ils appliquegraverent au Pharaon les proceacutedeacutes magiques de renaissance dont on usait envers Osiris et les morts Le jubileacute royal comprenait donc lrsquoexeacutecution du mystegravere de la peau son nom mecircme sed ou seshed eacutevoquerait la peau ou le bandeau dont on ceignait lrsquoinitieacute apregraves qursquoil avait parfait les rites Peut-ecirctre la queue postiche que porte le roi drsquoha-bitude nrsquoest-elle qursquoun abreacutegeacute de la peau tout entiegravere et comme un rappel de lrsquoinitiation qui lui a valu la renaissance pour une peacuteriode drsquoanneacutees

Figure 2 mdash Aspect du fœtus gravide

Cette deacutemonstration a eacuteteacute proposeacutee le 22 janvier au Museacutee Guimet lors drsquoune confeacute-rence imprimeacutee en septembre au tome XXXVI de la Bibliothegraveque de vulgarisation La mecircme anneacutee M Seligmann et miss Murray publiaient dans Man (novembre ) une note upon early egyptian standard ougrave ils proposaient de reconnaicirctre dans le hen le placenta crsquoest-agrave-dire lrsquoannexe du fœtus Aujourdrsquohui encore certaines tribus des reacutegions du Haut-Nil lors de la naissance drsquoun futur roi traitent avec honneur le placenta et le cordon ombilical du prince royal le conservent dans un eacutedifice et lui attribuent un pouvoir mystique sur la vie du roi2 Cf Frazer Le rameau drsquoor II p et suiv Petrie sinaiuml p 82 Ouhem mestou laquo qui renouvelle les naissances raquo nom drsquoHorus drsquoAmenemhat I (Gauthier Livre des rois p 2 et suiv)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette interpreacutetation des rites de la fecircte Sed et des Mystegraveres osiriens causera peut-ecirctre quelque surprise A qui ne suffirait pas le teacutemoignage des monuments eacutegyptiens je rappellerai des scegravenes semblables mais commenteacutees par des textes tregraves explicites qui se trouvent dans les rituels veacutediques Il srsquoagit de faire renaicirctre agrave une autre existence lrsquoofficiant qui offre le sacrifice de le diviniser en le faisant mourir agrave la terre et renaicirctre dans le ciel Jrsquoemprunte ce qui suit au beau livre de Sylvain Leacutevi

laquo Alors la dicircksacirc intervient La dicircksacirc est un ensemble de ceacutereacutemonies preacutelimi-naires qui sert agrave deacuteifier la creacuteature humainehellip On eacutelegraveve un hangar particulier pour le sacrifiant qui fait la dicircksa on lui passe une peau drsquoantilope noire laquo le hangar crsquoest sa matrice la peau drsquoantilope noire crsquoest le chorion le vecirctement crsquoest lrsquoamnios la ceinture crsquoest le cordon ombilical celui qui fait la dicircksacirc est un embryon raquo

Un des Bracirchmanas rassemble dans un exposeacute concis les principaux actes de la dicircksacirc avec leur interpreacutetation laquo Les precirctres transforment en embryon celui agrave qui ils donnent la dicircksacirc Ils lrsquoaspergent avec de lrsquoeau lrsquoeau crsquoest la semence virile ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la semence virile mdash ils lui frottent les yeux drsquoonguent lrsquoonguent crsquoest la vigueur pour les yeux ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la vigueur Ils le font entrer dans le hangar speacutecial le hangar speacutecial crsquoest la matrice de qui fait la dicircksacirc ils le font entrer ainsi dans la matrice qui lui convient Ils le recouvrent drsquoun vecirctement le vecirctement crsquoest lrsquoamnios pour qui fait la dicircksacirc ils le recouvrent ainsi de lrsquoamnios On met par-dessus une peau drsquoantilope noire le chorion est en effet par-dessus lrsquoam-nios on le recouvre ainsi du chorion Il a les poings fermeacutes en effet lrsquoembryon a les poings fermeacutes tant qursquoil est dans le sein lrsquoenfant a les poings fermeacutes quand il naicircthellip Il deacutepouille la peau drsquoantilope pour entrer dans le bain crsquoest pourquoi les embryons viennent au monde deacutepouilleacutes du chorion Il garde son vecirctement pour y entrer et crsquoest pourquoi lrsquoenfant naicirct avec lrsquoamnios sur luihellip raquo

En somme conclut S Leacutevi la dicircksacirc est une seconde naissance une reacutegeacuteneacute-

Le chorion et lrsquoamnios sont deux membranes qui enveloppent le fœtus dans la matrice dans cet ordre en allant de lrsquoexteacuterieur agrave lrsquointeacuterieur Notons que si le hangar de la dicircksacirc est appeleacute laquo matrice raquo de lrsquoinitieacute en eacutegyptien les mots shed et out (la peau drsquoAnubis) peuvent avoir aussi le sens uteacuterus Ainsi devient intelligible lrsquousage de mots deacutesignant la peau et la matrice et drsquoobjets simulant la forme du fœtus agrave terme dans les fecirctes ceacuteleacutebreacutees pour les initieacutes du culte osirien

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ration qui fait de lrsquohomme un dieu laquo Lrsquohomme ne naicirct qursquoen partie crsquoest par le sacrifice qursquoil est veacuteritablement mis au monde 6 raquo

De tous les teacutemoignages eacutegyptiens citeacutes plus haut il reacutesulte qursquoon se figurait de mecircme faccedilon le meacutecanisme de la renaissance dans les mystegraveres osiriens parti-culiegraverement dans la fecircte sed ougrave il srsquoagit de laquo renouveler la vie raquo ou laquo la naissance raquo du roi vivant Purification par lrsquoeau-de-vie onction de fards passage par la peau construction drsquoun eacutedifice le pavillon des fecirctes sed ougrave ces rites eacutetaient ceacuteleacutebreacutes tout srsquoeacuteclaire singuliegraverement prend un sens intelligible par la compa-raison avec les rites hindous

Ainsi les rois drsquoEacutegypte recevaient des mystegraveres osiriens un renouvellement de vie Eacutetait-ce le privilegravege exclusif du roi Les autres hommes leurs sujets y eacutetaient-ils admis Eacutetait-ce apregraves la mort seulement que les initieacutes subissaient les rites qui assuraient la renaissance Les textes sont extrecircmement discrets agrave ce su-jet et peut-ecirctre ne devons-nous pas en ecirctre eacutetonneacutes puisqursquoil srsquoagit de Mystegraveres Toutefois je tiens pour bonne lrsquointerpreacutetation que Lefeacutebure a donneacutee drsquoune stegravele de la XIIe dynastie 7 ougrave il est question drsquoun certain Oupouatouacirca qui par faveur exceptionnelle degraves son vivant laquo passe par la peau raquo laquo Sa Majesteacute dit-il me placcedila comme sacrificateur des victimes bovines dans le temple drsquoOsiris Hentamenti dans Abydos du nome Thinite Je suis sorti sur les peaux meskaou pour moi-mecircme lagrave agrave cause de la grande faveur que Sa Majesteacute me teacutemoignaithellip8 raquo Jrsquoai noteacute que lrsquoexpression est tout agrave fait pareille agrave celle des Pyramides laquo Teacuteti sort vers le ciel sur le shedshed raquo Le favori du roi a donc connu de son vivant le mystegravere de la renaissance par la peau

Si nous voulons ecirctre eacuteclaireacutes sur le beacuteneacutefice drsquoun rite de ce genre consultons encore les commentaires des rites veacutediques laquo Gracircce aux pratiques de la dicircksacirc le sacrifiant se trouve en possession de deux corps lrsquoun mateacuteriel et mortel lrsquoautre rituel et immortelhellip En veacuteriteacute lrsquohomme naicirct trois fois drsquoabord il naicirct de son

6 Sylvain Leacutevi La doctrine du sacrifice dans les Bracirchmanas p 0 Cf Lefeacutebure sphinx Viii p 7 Lefeacutebure avait par ce rapprochement suggeacutereacute lrsquoidentiteacute du tikenou avec le precirctre qui passe par la dicircksacirc Mais il nrsquoavait point compareacute ces rites avec ceux de la fecircte sed7 Stegravele ndeg 0 de Munich (Dyroif et Poumlrtner pl II) La stegravele est du type de C (Louvre) et de Turin ndeg 07 (Maspero recueil III p ) elle comporte comme celles-ci une liste de diviniteacutes8 (I 2-22) Ce texte a eacuteteacute signaleacute et interpreacuteteacute par Crum ap proceedings s B A XVI p Lefeacutebure dans une note agrave lrsquoarticle de Crum dit laquo La question serait de savoir si la stegravele parle drsquoun sacrifice fait pendant la vie ou apregraves la mort du personnage Si crsquoest de son vivant il a eacuteteacute son propre tikenou raquo Le texte ne precircte pas agrave amphibologie Il srsquoagit bien drsquoun sacrifice fait pendant la vie drsquoOupouatouacirca

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pegravere et de sa megravere puis quand il se sacrifie ce que le sacrifice fait de lui crsquoest sa seconde naissance enfin quand il meurt et qursquoon le deacutepose dans le feu quand il naicirct de lagrave crsquoest sa troisiegraveme naissance Et crsquoest pourquoi il est dit que lrsquohomme naicirct trois fois 0 raquo

Tels eacutetaient pour les Eacutegyptiens les effets attendus de ces rites Une question se pose encore Les termes employeacutes par Oupouatouacirca indiquent que lrsquoinitia-tion reccedilue par lui eacutetait rarement accordeacutee aux hommes vivants Cette initiation est-elle complegravete Et y avait-il des degreacutes dans lrsquoinitiation Nous sommes trop mal renseigneacutes pour reacutepondre en toute certitude Le fait qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-ro-maine lrsquoinitiation complegravete aux mystegraveres drsquoIsis qui ont fait de larges emprunts agrave lrsquoEacutegypte comportait aussi une mort simuleacutee et une renaissance donne sans doute une preacutesomption pour affirmer qursquoOupouatouacirca a eacuteteacute admis aux derniers degreacutes de lrsquoinitiation Peut-ecirctre devons-nous consideacuterer comme des laquo initieacutes par-faits raquo ces hommes assez peu nombreux qui peuvent se vanter dans leurs eacutepita-phes drsquoecirctre laquo un iahou parfait muni qui connaicirct les formules raquo ou laquo qui connaicirct toute la magie secregravete de la cour 2 raquo Ceux-lagrave eacutetaient initieacutes degraves leur vivant les autres ne devenaient laquo iahou parfaits raquo qursquoapregraves la mort au moment ougrave les rites funeacuteraires faisaient drsquoeux des Osiris il nrsquoest pas prouveacute que tous les gens qui faisaient repreacutesenter dans leurs tombes le Mystegravere de la peau en aient beacuteneacuteficieacute avant les funeacuterailles

Les mecircmes restrictions doivent srsquoappliquer me semble-t-il agrave une autre eacutepi-thegravete donneacutee geacuteneacuteralement agrave ceux qui aspirent agrave la laquo feacuteauteacute raquo ou laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo imahou er neter acirca Lrsquoeacutepithegravete neb imahou laquo possesseur de la conseacutecration raquo ou comme on traduit drsquoordinaire laquo de la beacuteatitude raquo deacutesigne tous les Eacutegyptiens qui ont eu le beacuteneacutefice drsquoune seacutepulture consacreacutee suivant le rite osirien et qui attendent la vie divine apregraves la mort Le signe semble repreacute-senter un de ces pagnes munis drsquoune queue qursquoon mettait autour des reins

0 Citeacute par Frazer Le rameau drsquoor II p 0 drsquoapregraves les Lois de Manou Apuleacutee Meacutetamorphoses XI Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 et suiv2 Sethe Urkunden d A r I p 22 mdash Cf I p (VIe dyn) Cf peacutepi i I 78 et suiv Maspero recueil III P 0 eacutetudes de Mythologie I p 0 7 A Moret La condition des feacuteaux ap recueil XIX p Pour ces vecirctements agrave queue cf Lacau sarcophages du Caire pl XLIX et L Drsquoapregraves les rituels la beacuteatitude ou lrsquoinsigne de cette beacuteatitude arrive au mort venant du dos drsquoOsiris (Schia-parelli Libro dei funerali II p 87) Aux textes des Pyramides le mot laquo dos raquo (psed) drsquoOsiris est deacutetermineacute par un signe semblable agrave imah (Ounas I68 et cf eacutedition Sethe I p 26 et 227) mdash Lrsquoinsigne des imahou serait-il agrave comparer aussi avec la laquo ceinture drsquoherbes de Munga raquo que portent les initieacutes hindous imah a souvent la forme drsquoune gerbe lieacutee (Sethe pyramidentexte I p 0) Serait-ce une indication pour rattacher cette conception au mythe agraire osirien

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

comme la queue royale ce pagne rappellerait la peau de la renaissance Parfois aussi lrsquoinsigne se placcedilait sur la tecircte eacutevoquant ainsi lrsquousage du bandeau seshed 6 Queue ou bandeau lrsquoinsigne attestait que son possesseur eacutetait laquo initieacute raquo

Les textes speacutecifient que lrsquoimahou attendait de la faveur des dieux entre autres choses 7 sur terre une vie tregraves longue et apregraves la mort lrsquoeacutetat de laquo beacuteatitude 8 raquo Drsquoapregraves Apuleacutee ces mecircmes promesses rendaient bienheureux les initieacutes aux Mystegraveres drsquoIsis

On nrsquoarrivait le plus souvent qursquoagrave la fin de la vieillesse ou apregraves la mort agrave lrsquoeacutetat de beacuteatitude Ceux qui degraves leur jeunesse jouissent de cette faveur ne manquent pas de srsquoen vanter 60 Jrsquoen conclus qursquoagrave part ces favoriseacutes les hommes ne reacuteali-saient qursquoen mourant tous les avantages de la condition drsquoimahou rares eacutetaient ceux qui gracircce agrave une mort simuleacutee beacuteneacuteficiaient drsquoune initiation 6 complegravete Les autres nrsquoeacutetaient censeacutes renaicirctre qursquoapregraves la mort reacuteelle agrave condition que les rites osiriens leur fussent appliqueacutes ils parvenaient alors dans une autre vie agrave la laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo Une eacutepithegravete freacutequente depuis le Nouvel Empire srsquoajoute au nom du deacutefunt pour deacutefinir cet eacutetat de sainteteacute rituelle ouhem acircnh laquo celui qui renouvelle la vie raquo Cette renaissance reacutesultait de lrsquoinitiation que celle-ci fucirct acquise avant ou apregraves la mort

Pour reacutesumer le sujet dans ses grandes lignes je rappelle que nous avons pris comme point de deacutepart les donneacutees des rituels drsquoOsiris ces donneacutees sont tregraves bregraveves soit agrave cause du caractegravere secret des rites soit parce que les textes eacutetant de basse eacutepoque sont devenus obscurs et eacutecourteacutes agrave cause de lrsquoindiffeacuterence des precirctres et du public Jrsquoai chercheacute agrave ces obscuriteacutes des eacuteclaircissements dans le culte des morts imiteacute du culte drsquoOsiris entre tous les monuments les tableaux des tombes theacutebaines nous ont fourni les renseignements les plus clairs sur des

6 pyramide drsquoOunas I 66 laquo lrsquoinsigne imahou drsquoOunas (est) sur la tecircte drsquoOunas raquo7 Jrsquoai montreacute dans mon eacutetude sur La condition des feacuteaux que lrsquoimahou reccediloit un tombeau (ou au moins le terrain) des rations de nourriture pendant sa vie et des offrandes apregraves la mort le tout aux frais du patron dieu roi ou chef de famille (recueil XIX p et suiv)8 recueil de travaux XIX p 26 et suiv Meacutetamorphoses XI (eacuted Nisard p 02) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20860 recueil XIX p 27 et les exemples citeacutes plus haut6 M Paul Foucart cherchant en Eacutegypte un eacutequivalent agrave lrsquoinitieacute eacuteleusinien ou isiaque avait sur lrsquoindication de M Maspero proposeacute de le trouver dans lrsquoimahou (recherches sur les Mystegraveres drsquoeacuteleusis p 20) Jrsquoadopte actuellement cette ideacutee dans mon eacutetude sur La Condition des feacuteaux je mrsquoeacutetais preacuteoccupeacute exclusivement de la condition sociale des imahou jrsquoajouterai agrave cet exposeacute que le point de deacutepart de la condition drsquoimahou est une initiation aux rites deacutecrits ici initiation confeacutereacutee au myste par le dieu le roi ou le pegravere A la basse eacutepoque le precirctre qui initie aux mys-tegraveres prend encore le titre de pegravere

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rites dont jrsquoai prouveacute ensuite lrsquousage degraves lrsquoAncien et le Moyen Empire Passant au culte des vivants jrsquoai montreacute que les rites des fecirctes Sed renouvellent la vie du roi en lui confeacuterant lrsquoinitiation aux Mystegraveres osiriens et que parmi les hommes quelques-uns sont initieacutes pendant leur vie et la plupart apregraves leur mort

En proceacutedant ainsi jrsquoai passeacute du connu agrave lrsquoinconnu et je me suis efforceacute de mettre en lumiegravere les proceacutedeacutes drsquoinitiation et de deacutefinir les diverses classes drsquoini-tieacutes Lrsquoinconveacutenient de cette meacutethode crsquoest de neacutegliger en apparence lrsquoordre chronologique des documents puisque les rituels osiriens qui nous sont par-venus datent de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine tandis que lrsquoosirification du roi et des hommes est connue degraves lrsquoeacutepoque archaiumlque Aussi le sujet une fois eacuteclairci re-viendrai-je agrave lrsquoordre chronologique pour reacutesumer les conclusions que je voudrais proposer

La renaissance apregraves la mort gracircce agrave des rites magiques dont le plus important est celui de la peau telle est la raison drsquoecirctre des Mystegraveres osiriens la certitude drsquoune survivance eacuteternelle tel est le reacutesultat de lrsquoinitiation

Les monuments de lrsquoAncien Empire nous reacutevegravelent les proceacutedeacutes de lrsquoinitiation confeacutereacutee au roi vivant (fecircte Sed) et au roi mort (rites funegravebres) Les rites secrets se reacutesument dans le laquo mystegravere de la peau raquo Guideacutes par la reacuteveacutelation donneacutee par les dieux-chiens Sed Anubis Ouapouatou (ces deux derniers dieux de la peau out) et sous la garde de lrsquoUraeligus divine le roi ou un officiant (appeleacute Iounmou-tef et revecirctu drsquoune peau) passent pour renaicirctre au ciel sur lrsquoobjet shedshed (ou seshed) crsquoeacutetait une peau (shed) devenue par stylisation un vecirctement un linceul ou bandelette comme teacutemoignage du rite accompli le roi porte une bande-lette formant ceinture avec queue (sed) et un bandeau de tecircte (seshed) drsquoougrave le nom fecircte sed ou seshed donneacute au jubileacute royal ougrave le roi laquo renouvelle sa naissance raquo pour une peacuteriode variable Les mecircmes rites se ceacuteleacutebraient au moyen drsquoune peau appeleacutee laquo peau du roi raquo nsout-hen par laquelle passait le roi ou un officiant agrave sa place Dans les fecirctes du culte adresseacute au roi vivant ou mort on portait sur pavois le shedshed et le nsout-hen auxquels on donnait une forme styliseacutee rappelant pour le premier la matrice pour le second le fœtus humain agrave terme replieacute dans la matrice Lrsquointerpreacutetation de ces symboles srsquoeacuteclaire par lrsquoexistence drsquoalleacutegories analogues dans les rites veacutediques Il existait encore drsquoautres laquo peaux geacuteneacuteratri-ces raquo mes meska kenemt Le lieu ougrave se jouait le Mystegravere eacutetait qualifieacute laquo berceau raquo meshent Lors de la fecircte du jubileacute royal les rites srsquoexeacutecutent dans des pavillons munis drsquoun lit sur lequel le roi laquo se couche raquo (sder) pour mourir rituellement et

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

renaicirctre en roi comme Osiris 62 Pour les morts les lieux de renaissance sont des citeacutes mystiques dont les noms se rapportent aux diverses peaux villes de Out Meska Kenemt Shedt Lrsquoexistence de ces localiteacutes diverses et des proceacutedeacutes dif-feacuterents de renaissance fait supposer que les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont amalgameacute tant bien que mal des traditions locales anciennes qui par des meacutethodes diverses pratiquaient cependant un rite commun la renaissance par la peau

Lrsquoinitiation du roi nrsquoeacutetait qursquoune imitation des rites qursquoon avait pratiqueacutes laquo la premiegravere fois raquo pour Osiris Le Mystegravere osirien appliqueacute au dieu lui-mecircme existe donc degraves les temps archaiumlques bien que les textes jusqursquoici connus ne le deacutecrivent point et nrsquoy fassent allusion que par preacuteteacuterition

Les tombeaux de lrsquoAncien Empire montrent que tous ceux qui posseacutedaient un tombeau eacutetaient initieacutes aux rites osiriens Chaque deacutefunt enseveli rituelle-ment devenait dans lrsquoautre monde un ecirctre laquo consacreacute raquo iahou ou un laquo beacuteatifieacute raquo imahou Sauf de rares exceptions on ne devenait imahou qursquoapregraves la mort il y a cependant en dehors du roi des exemples certains drsquohommes initieacutes pendant leur vie

Les rites de lrsquoinitiation au moment des funeacuterailles sont repreacutesenteacutes depuis le Moyen Empire (stegravele C ) et les tableaux se multiplient dans les tombeaux que jrsquoai citeacutes A la XVIIIe dynastie on confie au tikenou le passage par la peau pour le compte du deacutefunt souvent on remplace la peau par un linceul et le tikenou par un precirctre ordinaire le sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine les tableaux des tom-bes montrent rarement les officiants coucheacutes sous la peau ou le linceul Mais des allusions subsistent dans les Livres des Morts les enseignes alleacutegoriques du shedshed et du nsout-hen figurent dans les processions

Quant aux rituels du culte drsquoOsiris qui devraient ecirctre les archeacutetypes de tous les autres nous ne les posseacutedons jusqursquoici que dans des reacutedactions illustreacutees de tableaux de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine Les rites de la renaissance par la peau-ber-ceau qui eacutevoque laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo y sont plutocirct rappe-leacutes que deacutecrits le rocircle drsquoAnubis et drsquoHorus comme prototypes du Tikenou ne sont deacutefinis que par allusion il nrsquoest plus question du shedshed ni du hen Sans les textes des Pyramides ou sans les tableaux des tombes theacutebaines les rituels nous sembleraient muets ou resteraient deacutesespeacutereacutement obscurs Sommes-nous ici en preacutesence de reacuteticences systeacutematiques agrave cause du caractegravere mysteacuterieux de ces ri-tes Je crois plutocirct qursquoagrave la basse eacutepoque les rites de la renaissance animale ont

62 Eacuted Naville The Festival Hall of Osorkon ii pl II Moret Du caractegravere religieux p 20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

perdu de leur importance et qursquoon leur a preacutefeacutereacute ceux de la renaissance veacutegeacutetale auquel est consacreacute agrave Dendeacuterah un tregraves long texte qui entre dans les moindres deacutetails Jrsquoai lrsquoimpression que si nous retrouvions par chance un rituel osirien de lrsquoAncien Empire les rites de la renaissance animale y seraient preacutedominants Les initieacutes aux Mystegraveres nrsquoauraient pas donneacute jusqursquoau Nouvel Empire une impor-tance si grande aux rites de la peau si leur patron Osiris nrsquoy avait pas lui-mecircme trouveacute son plus efficace proceacutedeacute de reacutesurrection

En reacutesumeacute le principe fondamental des Mystegraveres osiriens faire de la mort le berceau drsquoune vie nouvelle est une des conceptions les plus antiques de la religion eacutegyptienne elle apparaicirct vigoureuse et riche en applications diverses surtout aux eacutepoques tregraves anciennes et crsquoest par les documents les plus reculeacutes en acircge que nous pouvons le mieux en appreacutecier lrsquoimportance

Cette ideacutee que de la mort mecircme surgit pour lrsquoinitieacute la source drsquoune nouvelle vie a eacuteteacute commune agrave une grande partie de lrsquohumaniteacute Lrsquoeacutetude compareacutee des re-ligions a reacuteveacuteleacute que dans lrsquoantiquiteacute et de nos jours encore les peuples primitifs ont foi en des pratiques magiques qui transforment la mort en une eacutepreuve drsquoini-tiation ougrave lrsquoinitieacute puise une vie nouvelle

Que ce soit en Eacutegypte dans lrsquoInde ou chez les non-civiliseacutes les rites drsquoinitia-tion ont ceci de commun que le myste doit drsquoabord mourir agrave sa vie anteacuterieure pour renaicirctre Ainsi M Frazer nous montre lrsquoinitiation pratiqueacutee dans les tribus sauvages mdash speacutecialement chez celles qui srsquoadonnent au toteacutemisme Lrsquoadolescent lorsqursquoil atteint lrsquoacircge de puberteacute se soumet agrave certains rites dont le plus freacutequent consiste en la mort apparente suivie de la nouvelle naissance Le fondement de cette pratique crsquoest de faire sortir lrsquoacircme du jeune homme de son corps pour la transfeacuterer dans son totem laquo Lrsquoadolescent meurt en tant qursquohomme et ressuscite en tant qursquoanimal 6 raquo

La foi en ce simulacre de mort suivie de reacutesurrection ou si lrsquoon veut en cette seconde naissance srsquoest perpeacutetueacutee dans les civilisations plus avanceacutees Manou deacuteclarait laquo Suivant les injonctions des textes reacuteveacuteleacutes lrsquohomme naicirct une premiegravere fois de sa megravere naturelle il naicirct une seconde fois quand on attache autour de son corps la ceinture drsquoherbes de Munga il naicirct une troisiegraveme fois lorsqursquoil est initieacute aux rites drsquoun sacrifice Srauta 6 raquo

On sait que lrsquoinitiation aux Mystegraveres mithriaques comportait probablement

6 Le rameau drsquoor II p Il en est de mecircme pour lrsquoinitiation des sorciers Cf Leacutevy-Bruhl Les Fonctions mentales dans les socieacuteteacutes infeacuterieures p et 26 J Frazer Le rameau drsquoor II p 0

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

une mise agrave mort simuleacutee de mecircme que les Mystegraveres drsquoEacuteleusis et drsquoIsis compre-naient une ceacutereacutemonie de la mort figureacutee et de la renaissance inspireacutee tregraves proba-blement des antiques Mystegraveres eacutegyptiens 6

Rattacher ces rites de la vieille Eacutegypte agrave une tradition commune agrave lrsquohumaniteacute crsquoest les diminuer peut-ecirctre en singulariteacute mais crsquoest rendre lrsquointerpreacutetation que jrsquoen propose plus vraisemblable Certes les Mystegraveres eacutegyptiens meacuteritent bien leur nom les quelques informations donneacutees par le texte et lrsquoimage laissent en-core agrave lrsquointuition et au labeur de lrsquoeacutegyptologue un champ de teacutenegravebres agrave scruter Pourtant ce serait un pas de fait dans la recherche si agrave la lumiegravere que jrsquoai essayeacute de projeter sur eux jrsquoavais reacuteussi agrave eacutetablir ce point les Mystegraveres eacutegyptiens se relient dans le fond du passeacute agrave des croyances qui ont surveacutecu en drsquoautres pays Deacutepouilleacutes de la mise en scegravene speacuteciale reacuteduits agrave lrsquoideacutee ils prolongent jusqursquoagrave nous un eacutecho de la mystique primitive vivre est le plus grand bien mourir la pire deacutetresse La grande affaire des vivants que la mort guette crsquoest de se preacuteparer les moyens drsquoune renaissance eacuteternelle

6 A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7

II

Le Mystegravere du verbe creacuteateur

Louis Meacutenard qui a populariseacute en France lrsquoeacutetude des livres hermeacutetiques es-timait que ceux-ci derniegraveres productions de la philosophie greacuteco-alexandrine formaient un trait drsquounion entre la theacuteologie eacutegyptienne et le christianisme nais-sant laquo Les docteurs chreacutetiens en invoquaient souvent le teacutemoignage avec celui des Sibylles qui avaient annonceacute la venue du Christ aux paiumlens pendant que les Prophegravetes lrsquoannonccedilaient aux Heacutebreux Hermegraves dit Lactance a deacutecouvert je ne sais comment presque toute la veacuteriteacute On le regardait comme une sorte de reacuteveacutelateur inspireacute et ses eacutecrits passaient pour des monuments authentiques de lrsquoancienne theacuteologie des Eacutegyptiens 66 raquo Aujourdrsquohui lrsquoeacutetude des textes hieacuterogly-phiques est assez avanceacutee pour qursquoon puisse controcircler cette assertion de Meacutenard un peu aventureacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave elle fut eacutemise Est-il vrai que ces dissertations mystiques qui ont si bien preacutepareacute les esprits au Christianisme contiennent quelques reacuteminiscences des dogmes religieux de lrsquoancienne Eacutegypte Crsquoest ce que nous voudrions rechercher en examinant une des theacuteories essentielles preacutesenteacutees dans le poimandres celle du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur

Drsquoapregraves les livres hermeacutetiques lrsquoUnivers est lrsquoœuvre drsquoune Intelligence suprecirc-me qui preacuteexistait agrave tout 67 Avant la creacuteation nrsquoexistait que le Chaos laquo il y avait des teacutenegravebres sans limite sur lrsquoabicircme de lrsquoeau et un esprit (πνεῦμα) subtil et in-telligent contenus dans le Chaos par la puissance divine Alors jaillit la lumiegravere sainte et sous le sable les eacuteleacutements sortirent de lrsquoessence humide et tous les dieux deacutebrouillegraverent la nature feacuteconde 68 raquo Crsquoest en ces termes qursquoHermegraves Trismeacutegiste deacutecrit la creacuteation Ailleurs pour nous faire comprendre ce que pouvait ecirctre laquo la forme primordiale anteacuterieure raquo il nous parle laquo des teacutenegravebres qui se changent en je ne sais quelle nature humide et trouble exhalant une fumeacutee comme le feu et une sorte de bruit lugubre Puis il en sort un cri inarticuleacute qui semblait la voix de la

66 Louis Meacutenard Hermegraves trismeacutegiste Introduction Le poimandres drsquoHermegraves Trismeacutegiste tra-duit par Louis Meacutenard a eacuteteacute reacuteeacutediteacute aux eacuteditions arbredorcom en 200667 Id ibid p 68 Id ibid p 27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lumiegravere une parole sainte descend de la lumiegravere sur la Nature 6 raquo Cette lumiegravere nrsquoest autre que lrsquoIntelligence crsquoest-agrave-dire Dieu qui preacutecegravede la nature humide sortie des teacutenegravebres quant au Verbe parole lumineuse crsquoest le fils de Dieu (ὁ δὲ

ἐκ Νοὸς φωτεινὸς Λὁγος υἵος θεοῦ 70)On sait combien cette conception de la creacuteation du monde se rapproche de

celle que nous font connaicirctre lrsquoAncien et le Nouveau Testament Voici le deacutebut de la Genegravese laquo Au commencement Dieu creacutea les cieux et la terre La terre eacutetait informe et vide il y avait des teacutenegravebres agrave la surface de lrsquoabicircme et lrsquoesprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux Dieu dit laquo que la lumiegravere soit raquo et la lumiegravere fut 7 raquo Nous retrouvons ici des eacuteleacutements de description analogues agrave ceux des livres hermeacutetiques un abicircme de lrsquoeau des teacutenegravebres pour constituer le chaos originel puis un esprit flottant sur lrsquoabicircme un appel lanceacute par la voix de Dieu et la lumiegravere creacuteeacutee par ce Verbe LrsquoEacutevangile de saint Jean reacuteduit ces eacuteleacutements au minimum et nous donne une synthegravese plus mystique encore que le poimandres laquo Au commencement eacutetait le Verbe et le Verbe eacutetait avec Dieu et le Verbe eacutetait Dieuhellip Il eacutetait au commencement avec Dieu Toutes choses ont eacuteteacute faites par lui et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui En lui eacutetait la vie et la vie eacutetait la lumiegravere des hommes raquo

Que trouvons-nous dans les textes eacutegyptiens pharaoniques de ces eacuteleacutements et de ces concepts communs aux livres sacreacutes heacutebraiumlques et hermeacutetiques

Drsquoapregraves les plus anciens textes religieux actuellement connus ceux des Pyra-mides des Ve et VIe dynasties agrave Saqqarah 72 (vers 2600 av J-C) nous pouvons nous figurer comment les Eacutegyptiens imaginaient lrsquoUnivers avant la Creacuteation En ce temps laquo il nrsquoexistait pas encore de ciel il nrsquoy avait pas encore de terre il nrsquoy avait pas encore drsquohommes les dieux nrsquoeacutetaient pas encore neacutes il nrsquoy avait pas encore de mort 7 raquo Le papyrus de Nesiamsou eacutecrit au deacutebut de lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque mais dont le texte remonte certainement agrave lrsquoeacutepoque du Nouvel Empire theacutebain (600-200 av J-C) emploie des termes semblables laquo il nrsquoy avait alors ni ciel ni terre et nrsquoeacutetaient creacuteeacutes ni reptiles ni vermisseauxhellip7 raquo Les germes de tout ecirctre et de toute chose gisaient agrave lrsquoeacutetat inerte (nenou 7) confon-

6 Meacutenard Hermegraves p 70 Id ibid p 7 genegravese I -72 G Maspero Les inscriptions des pyramides de saqqarah87 pyr de peacutepi i 66 cf peacutepi ii 287 Publieacute par Budge dans Archaeligologia II 2 80 p 7 nesiamsou p 0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dus dans le sein drsquoun abicircme qursquoon appelait le noun ou les eaux neacutees du noun76 ou lrsquoabicircme du noun 77 dans les traductions coptes noun est le mot qui deacutesigne lrsquoἄϐυσσος

78 de la Genegravese Dans le Noun flottait un esprit divin indeacutefini mais portant en lui la somme

des existences futures drsquoougrave son nom de toum qui signifie agrave la fois laquo neacuteant raquo et laquo totaliteacute 7 raquo Il restait agrave lrsquoeacutetat informe inconsistant instable laquo Il ne trouvait pas drsquoendroit ougrave il pucirct se tenir 80 raquo Arriva lrsquoinstant ougrave Toum deacutesira deacutevelopper une activiteacute creacuteatrice il voulut laquo fonder dans son cœur 8 raquo tout ce qui existe Pour cela laquo il se dressa parmi ce qui eacutetait dans le Noun hors du Noun et des choses inertes 82 raquo un autre texte dit qursquoil laquo monta 8 raquo hors de lrsquoeau primordiale sans qursquoon sucirct preacuteciser comment il fit cette monteacutee 8 Degraves lors le soleil Racirc exista la Lumiegravere fut Les Eacutegyptiens nrsquoadmettaient pas qursquoil y eucirct en ce premier moment de la creacuteation deux dieux distincts Toum dans lrsquoeau primordiale et Racirc sorti de lrsquoeau Non point Toum srsquoeacutetait exteacuterioriseacute par la force de son deacutesir creacuteateur il eacutetait devenu Racirc-Soleil sans cesser drsquoecirctre Toum Le vulgaire ne faisait agrave cette theacuteorie imagineacutee par les theacuteologiens drsquoHeacuteliopolis drsquoautre objection que celle-ci laquo Comment la Lumiegravere (Racirc) pouvait-elle exister agrave lrsquoeacutetat inerte (Toum) dans lrsquoeau du Noun sans que cette eau eacuteteignicirct le feu raquo On reacutesolut la difficulteacute par des explications alleacutegoriques Toum-Racirc eacutetait dans le Noun comme un faucon qui ferme les deux yeux srsquoil les ouvre hors de lrsquoeau son œil droit le Soleil luit 8 ou

76 Pyr drsquoOunas 077 tepeht noun ap Hymns to Amon of pap Leyden publieacutes par Gardiner Aegyptische Zeits-chrift XLII p 7 Le manuscrit est dateacute du regravegne de Ramsegraves II par une indication donneacutee au verso (vers 20 av J-C)78 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 7 Quand les Eacutegyptiens essayaient de donner une forme concregravete agrave cette conception ils repreacutesentaient Noun sous la forme drsquoun dieu agrave forme humaine plongeacute jusqursquoagrave la poitrine dans un bassin plein drsquoeau et soutenant de ses bras leveacutes en lrsquoair les dieux qui sortirent de son sein CC Budge egyptian ideas of the future life p 27 Ce sens est expresseacutement indiqueacute au papyrus de Leyde (Aegyptische Zeitschrift XLVII p ) Les textes expriment souvent lrsquoideacutee que tout ecirctre et toute chose existent de toute eacuteterniteacute dans le Noun (pyr drsquoOunas 0 de teti 78) et y retournent apregraves la mort Cf Pierret eacutetudes eacutegyptologiques I p 80 Budge pap de nesiamsou p 08 nesiamsou p 082 nesiamsou p 8 pap de Leyde A Z XLII p -2 laquo Se levant sur son trocircne selon lrsquoacte de son cœurhellip on ne connaicirct pas sa monteacutee raquo8 Toum est la forme locale de Racirc agrave Heacuteliopolis et deacutesigne le soleil la tradition qui fait de Toum le dieu vivant au sein du Noun et le Deacutemiurge est donc drsquoorigine heacuteliopolitainne (cf Maspero eacutetudes de mythologie II p 26)8 Voir les textes citeacutes par Brugsch religion und Mythologie p 0 Cf Au temps des pharaons

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

bien Toum-Racirc eacutetait un lotus cacheacute au sein des eaux quand la fleur eacutemergea au-dessus de lrsquoonde Toum le jeune (Nefer-Toum) en surgit et devint le Soleil 86

Quant au proceacutedeacute de creacuteation employeacute par Toum il semble bien que ce fut la Voix ou le Verbe Drsquoapregraves la tradition la plus commune celle du Livre des Morts 87 (dont nous posseacutedons des reacutedactions degraves la Xie dynastie) le lieu ougrave Toum srsquoeacutetait manifesteacute en tant que Racirc eacutetait preacuteciseacutement la ville drsquoHermopolis la citeacute de Thot celui qursquoon appellera le dieu qui creacutee par la voix le Verbe fait Dieu 88 Ceci serait deacutejagrave une indication suffisante pour admettre lrsquohypothegravese de Brugsch 8 et de Maspero 0 crsquoest par le Verbe que Toum suscita la Lumiegravere Jrsquoajouterai que plusieurs textes la confirment expresseacutement Au papyrus de Leyde on rapporte du Deacutemiurge laquo qursquoil a dit ses formes raquo (ded-f qaou-f ) papyrus de Nesiamsou le deacutemiurge prononce laquo Jrsquoai creacuteeacute toutes les formes avec ce qui est sorti de ma bou-che alors qursquoil nrsquoy avait ni ciel ni terrehellip2 raquo Un des versets les plus anciens du chap xvii du Livre des Morts mentionne un certain jour qui porte le nom laquo Jour de Viens agrave moi raquo variantes laquo Viens ici Viens agrave nous raquo une glose explique crsquoest le jour ougrave Osiris a dit agrave Racirc laquo Viens ici raquo laquo Viens agrave moi raquo ou laquo Viens agrave nous raquo Or au cours du chapitre xvii Osiris deacuteclare srsquoidentifier agrave lrsquoEau primor-diale au Deacutemiurge Toum en ces termes laquo Je suis Toum celui qui existait seul dans le Nounhellip Je suis le dieu grand qui se creacutee lui-mecircme crsquoest-agrave-dire le Noun pegravere des dieuxhellip raquo Il est probable que selon lrsquointerpreacutetation de de Rougeacute 6 et de Maspero 7 le jour mentionneacute ici est celui de la creacuteation du monde Le cri Viens ici ou Viens agrave moi serait le Verbe profeacutereacute par Toum-Osiris qui a fait surgir la Lumiegravere du chaos

Tel fut le premier acte de la creacuteation Apregraves lrsquoapparition de la Lumiegravere susciteacutee

p 28 sq86 ibid p Cf todtenbuch eacuted Naville (ch 8) t I pl 2- Les textes des Pyramides mentionnent deacutejagrave Nefer-Toum sortant du lotus (Ounas I )87 Chap xvii eacuted Naville88 Brugsch religion p 2 678 religion und Mythologie p 00 Histoire I p 0 A Z XLII p 22 nesiamsou p Cf Naville Variantes p 7 Formule la plus ancienne qui apparaicirct aux sarcophages des XIe-XIIe dynasties (Maspero Mission du Caire I p 6 (Horhotep) p 22 (Hori) p 220 (Sitbaslit) Formule ordinaire depuis la XIIe dynastie (Louvre stegravele C I )6 revue archeacuteologique er avril 860 p 27 Bibliothegraveque eacutegyptologique t I p 6 ndeg 6

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

par le Verbe Toum-Racirc proceacuteda au second acte creacuteateur qui donna naissance aux ecirctres et aux choses Les textes sacreacutes affirment que tout ce qui existe au monde dieux hommes animaux plantes les terres et les eaux la matiegravere et lrsquoesprit universels ne sont qursquoune eacutemanation (tat) du Deacutemiurge et forment comme les membres de son corps aussi dit-on du dieu suprecircme laquo crsquoest la somme de lrsquoexis-tence et des ecirctres 8 raquo Je nrsquoinsisterai pas ici sur cette explication pantheacuteiste de lrsquoUnivers il nous inteacuteresse davantage de savoir si dans cette creacuteation des ecirctres et des choses les textes eacutegyptiens attribuent au Verbe divin le mecircme rocircle que les textes hermeacutetiques

A ce sujet les traditions diffeacuteraient en Eacutegypte suivant les lieux et le temps A Heacuteliopolis on enseignait aux plus anciennes eacutepoques que Toum-Racirc avait procreacuteeacute les dieux ancecirctres de tous les ecirctres vivants agrave la faccedilon humaine par une eacutemission de semence ou qursquoil srsquoeacutetait leveacute sur le site du temple du Pheacutenix agrave Heacuteliopolis et qursquoil y avait cracheacute le premier couple divin 200 Drsquoautres dieux qualifieacutes aussi de deacutemiurges avaient employeacute ailleurs drsquoautres proceacutedeacutes Phtah agrave Memphis 20 Hnoum agrave Eacuteleacutephantine 202 modelaient sur un tour les dieux et les hommes Thot-ibis couvait un œuf agrave Hermopolis 20 Neith la grande deacuteesse de Saiumls eacutetait le vautour ou la vache qui enfanta le Soleil Racirc alors que rien nrsquoexis-tait 20 Ce sont lagrave sans doute les explications les plus anciennes et les plus popu-laires de la creacuteation Mais une faccedilon plus subtile et moins mateacuterielle drsquoeacutenoncer que le monde est une eacutemanation divine apparaicirct degraves les textes des Pyramides la Voix du Deacutemiurge y devient un des agents de la creacuteation des ecirctres et des cho-ses

8 Sarcophage du Moyen Empire (Lepsius Aelteste texte p Maspero Mission I p 67 2 28 mdash Une glose qui apparaicirct degraves les textes de la XVIIIe dynastie (eacuted Naville Va-riantes p 0) ajoute laquo la somme de lrsquoexistence et des ecirctreshellip crsquoest son corps raquo pyr de peacutepi i 6 cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 27 laquo Comme Toum eacutetait seul dans le Noun la tradition disait brutalement agrave lrsquoorigine qursquoil avait joui de lui-mecircme et projeteacute deux jumeaux Shou et Tafnout Plus tard on avait cru adoucir la leacutegende en supposant qursquoil avait commenceacute par se creacuteer une femme la deacuteesse lousas dont le nom paraicirct indiquer une personnification de lrsquoacte mecircmehellip Cf sur ce proceacutedeacute de creacuteation A Wiedemann ein altaumlgyptischer Weltsshoumlpfungsmythus ap Urquell 88 p 7 voir aussi les papyrus de Leyde (A Z XLII p 2-6) et nesiamsou p 0200 pyr de peacutepi ii 66 Le premier couple est Shou et Tafnout le nom des dieux assone avec les termes eacutegyptiens qui deacutesignent lrsquoeacutemission de la salive Sur cette tradition cf pap de Leyde (A Z XLII p ) et nesiamsou p 020 Cf Brugsch religion und Mythologie p 202 ibid p 20 Erman religion eacutegyptienne p 0 (Livre des Morts ch 8 I )20 Brugsch religion p

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les hommes reconnaissaient deacutejagrave cette Voix dans le bruit du tonnerre (la voix du ciel hrou m pet) quand elle se manifeste laquo le ciel parle la terre tremble Geb (la terre) est eacutebranleacutee les reacutegions retentissent de cris les dieux srsquoagitent agrave la voix 20 raquo mais au temps de la creacuteation des ecirctres le jour de la laquo premiegravere fois raquo voici comment on se repreacutesentait lrsquoaction de la voix divine laquo hellip Le dieu apparut sur son trocircne quand son cœur le voulut alors tous les ecirctres eacutetaient dans la stu-peur silencieuse de sa force Il caqueta un cri comme lrsquooiseau grand caqueteur en tous lieux pour creacuteer et il eacutetait tout seul Il commenccedila agrave parler au milieu du silencehellip il commenccedila de crier la terre eacutetait dans une stupeur silencieuse ses ru-gissements ont circuleacute partout sans qursquoil y eucirct un second dieu (avec lui) faisant naicirctre les ecirctres il a donneacute qursquoils vivent 206 raquo En effet la Voix creacutee aussi la nourri-ture des dieux et des hommes celle-ci prend degraves lors le nom caracteacuteristique de per hrou (sortie de voix eacutemission de voix 207) La voix du dieu engendre encore les formes des deacutefunts ressusciteacutes apregraves la mort 208 Eacutemettre les paroles profeacuterer des ordres ou des jugements (out medtou oudacirc medtou) est une des expressions qui caracteacuterisent dans les textes des Pyramides le pouvoir souverain des dieux 20 Au cours des siegravecles on trouve pour cette ideacutee une expression plus abreacutegeacutee on dit qursquoil suffit au dieu pour creacuteer drsquoouvrir la bouche Une formule de la XIIe dy-nastie explique que laquo les dieux drsquoAbydos sont sortis de la bouche de Racirc 20 raquo Les hymnes qui fleurissent depuis la XVIIIe dynastie reacutepegravetent que le Deacutemiurge laquo a creacuteeacute les dieux en eacutemettant des paroles raquo on dit que les hommes sont sortis des yeux du dieu tels que des larmes tandis que les dieux tombent de sa bouche 2 A partir du Nouvel Empire theacutebain cette formule est une de celles qui se ren-contrent le plus communeacutement Voici quelques exemples laquo Il (le Deacutemiurge) a eacutedifieacute les hommes avec les pleurs de son œil il a parleacute ce qui appartient aux dieuxhellip Les hommes sont sortis de ses deux yeux les dieux se manifestent quand il parlehellip il a eacutemis la parole et les dieux se manifestenthellip les hommes sortent de ses deux yeux divins les dieux de sa bouche 22 Sa parole est une substance 2hellip raquo

20 Voir les textes des Pyramides citeacutes par A Moret rituel du culte divin p 7 et suiv206 papyrus de Leyde A Z XLII p 207 Maspero eacutetudes de Mythologie II p 7 n 208 pyr de peacutepi ii I 80 220 A Moret rituel du culte divin p 20 Louvre stegravele C I -62 A Moret rituel p nesiamsou p Il y a jeu de mot entre rmj-t laquo larme raquo et rmt laquo homme raquo22 Cf rituel du culte divin p -2 Greacutebaut Hymne agrave Amon racirc p -2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Nrsquoest-ce point lagrave lrsquoideacutee du Verbe creacuteateur qui inspire les textes hermeacutetiques et dont nous trouvons lrsquoeacutecho dans lrsquoEacutevangile selon saint Jean laquo Toutes choses ont eacuteteacute faites par le Verbe et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui 2 raquo

Au moment ougrave srsquoeacutelaboregraverent les plus anciens de ces textes ceux des Pyramides le Verbe nrsquoeacutevoquait peut-ecirctre encore pour les Eacutegyptiens que lrsquoimage mateacuterielle de ce qui eacutetait nommeacute et non pas un concept Former le nom de quelqursquoun ou de quelque chose cela eacutequivaut agrave faccedilonner une image elle prend vie degraves que la bouche prononce le nom 2 laquo Le nom est ainsi une image qui se confond avec son objet il devient cet objet lui-mecircme moins mateacuteriel adapteacute agrave lrsquousage de la penseacutee (Hartland) raquo Pour un Eacutegyptien le nom-image a une reacutealiteacute concregravete une leacutegende conserveacutee sur un papyrus dont Lefeacutebure a donneacute lrsquointerpreacutetation nous le prouve clairement Il y est question du dieu Racirc blesseacute dangereusement par un serpent le dieu ne sera gueacuteri que si lrsquoon prononce son nom en lequel reacuteside sa toute-puissance A la naissance du dieu ce nom avait eacuteteacute dit par son pegravere et sa megravere puis cacheacute dans sa poitrine afin que nul ne le pucirct deacuterober or Racirc consent agrave se laisser fouiller par Isis qui trouve le nom et srsquoen saisit disposant ainsi de lrsquoacircme et de la force du dieu 26 Le nom comme lrsquoa deacutemontreacute Lefeacutebure eacutetait donc pour les Eacutegyptiens une des formes de lrsquoacircme et le signe distinctif de la personnaliteacute 27

Dans ces conditions on comprendra pourquoi les Eacutegyptiens deacutefinissaient le pouvoir creacuteateur du Deacutemiurge en disant simplement qursquoil a nommeacute les dieux les hommes et les choses De lagrave lrsquoexplication de ce verset du Livre des Morts laquo Racirc a fait de tous ses noms le cycle des dieux qursquoest-ce que cela (glose) crsquoest Racirc qui a creacuteeacute ses membres devenus les dieux de sa suite 28 raquo Et ailleurs laquo il est le dieu aux grands noms qui a parleacute ses membres raquo Inversement on deacutecrira les temps anteacute-rieurs agrave la creacuteation en ces termes laquo Nul dieu nrsquoexistait encore on ne connaissait le nom drsquoaucune chose 2 raquo Enfin pour exprimer cette ideacutee que le Deacutemiurge a tout creacuteeacute de son propre fonds le papyrus de Leyde explique laquo Il nrsquoexistait point drsquoautre dieu avant lui ni drsquoautre dieu avec lui quand il a dit ses formes il nrsquoexis-tait point de megravere pour lui qui lui ait fait son nom point de pegravere pour lui qui lrsquoait

2 I 2 Cf Lefeacutebure La vertu et la vie du nom ap Meacutelusine VIII n 026 Lefeacutebure Un chapitre de la chronique solaire ap Zeitschrift fuumlr Aegyptische sprache 88 p 027 Lefeacutebure Meacutelusine VIII ndeg 0 p 2028 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 20 Cf Naville Variantes p ougrave lrsquoun des textes donne laquo Crsquoest Racirc ses creacuteations crsquoest le nom de ses membres devenus ses dieux raquo2 A Moret rituel p 2

60

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutemis en disant laquo Crsquoest moi (qui lrsquoai creacuteeacute) raquo Nrsquoest-ce pas affirmer formellement que rien nrsquoexiste avant que le creacuteateur ne lrsquoait nommeacute 220

Cette creacuteation par la parole nrsquoeacutetait-elle cependant qursquoune simple opeacuteration magique par laquelle la voix suscitait agrave la vie un ecirctre ou une chose en les deacutefinis-sant par le nom-image Crsquoest lagrave un concept de peuples resteacutes agrave un stade eacuteleacutemen-taire de civilisation II reste agrave savoir si les Eacutegyptiens ne se sont pas eacuteleveacutes jusqursquoagrave cette ideacutee que le Deacutemiurge avait penseacute le monde avant de le parler

Reacuteponse est faite par un precirctre du sacerdoce de Memphis dont le tombeau nous a conserveacute un chapitre de doctrine theacuteologique Longtemps mal publieacute et mal compris ce fragment a eacuteteacute reconnu agrave sa juste valeur par M Breasted et eacuteluci-deacute par MM Maspero et Erman 22 Il en ressort que les theacuteologiens distinguaient dans lrsquoœuvre du Verbe la part de la penseacutee creacuteatrice qursquoils appellent le cœur et celle de lrsquoinstrument de creacuteation la langue tout Verbe est drsquoabord un concept du cœur pour prendre corps et se reacutealiser celui-ci a besoin de la parole

Le texte deacutefinit drsquoabord le rocircle du Deacutemiurge laquo Crsquoest lui le premier dans le cœur et la bouche de tout dieu de tout homme de tout animal de tout vermis-seau qui tous ne vivent qursquoen vertu de la faculteacute qursquoil a de penser et drsquoeacutenoncer toute chose qui lui plaicirct (en particulier) son Enneacuteadehellip Or cette Enneacuteade crsquoest les dents et les legravevres les veines et les mains de Toumhellip LrsquoEnneacuteade crsquoest aussi les dents et les legravevres de cette bouche qui proclame le nom de toutes choses raquo (Toujours le rappel que les dieux ne sont que les membres du Deacutemiurge)

laquo La langue donne naissance agrave tous les dieux agrave Toum et agrave son Enneacuteade et ainsi se forme toute parole divine en penseacutee du cœur en eacutemission de la langue elle creacutee les forces vitales bienfaisantes apaise les nuisibleshellip par la vertu de cette parole qui creacutee ce qui est aimeacute et ce qui est deacutetesteacute (le mal et le bien) crsquoest la langue qui donne la vie au juste et la mort agrave lrsquoinjuste crsquoest elle qui creacutee tout travail tout meacutetier les mains agissent les pieds vont tous les membres srsquoagitent lorsqursquoelle eacutemet la parole penseacutee du cœurhellip raquo

Ce texte met en pleine lumiegravere le meacutecanisme de la creacuteation par le Verbe Voici les conclusions de M Maspero ainsi laquo selon notre auteur toute opeacuteration creacutea-trice doit proceacuteder du cœur et de la langue et ecirctre parleacutee en dedans penseacutee puis eacutenonceacutee au dehors en paroleshellip Les choses et les ecirctres dits en dedans nrsquoexistent

220 A Z XLII p Inversement pour tuer quelqursquoun par exemple le deacutemon Apophis on commence une incantation par ces termes laquo Que son nom ne soit plus raquo (nesiamsou p )22 Breasted ap A Z XXXIX ) - G Maspero ap recueil XXIV p 68-7 Erman ein Denkmal memphitischer Theologie (ap sitzungsberichte preussischen Akad Berlin )

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

qursquoen puissance pour qursquoils arrivent agrave lrsquoexistence reacuteelle il faut que la langue les parle au dehors solennellement raquo

Sans doute faut-il noter que ce texte est drsquoune reacutedaction qui ne remonte pas plus haut que le regravegne de Shabaka (vers 700 av J-C) Mais le reacutedacteur nrsquoa pas manqueacute drsquoavertir qursquoil copiait un original ancien 222 et qursquoil reproduisait une tra-dition seacuteculaire M Erman qui a distingueacute avec sagaciteacute les diffeacuterents eacuteleacutements du texte conclut que laquo crsquoest un document de la plus haute antiquiteacute 22 raquo Les allusions contenues dans les textes anteacuterieurs permettent de discerner derriegravere la theacuteorie de la toute-puissance du Verbe la notion drsquoune intelligence divine dont le Verbe nrsquoest que la manifestation creacuteatrice

Une autre ideacutee fort importante se deacutegage du texte commenteacute ci-dessus Il y est dit expresseacutement que le dieu Phtah renferme en lui la puissance du cœur (es-prit) et de la langue (verbe) mais cœur et langue tout en nrsquoeacutetant que des facul-teacutes de Phtah prennent les formes visibles de deux dieux Horus (cœur) et Thot (langue) Est-ce que Phtah Horus et Thot ne constitueraient pas une Uniteacute-Tri-niteacute conception qui fut si en faveur agrave la fin de la civilisation eacutegyptienne hellip

A lrsquoeacutepoque alexandrine lrsquounion de lrsquoIntelligence divine et du Verbe srsquoexprimait par le dogme de la triniteacute hermeacutetique qui deacutefinit la diviniteacute comme une associa-tion de lrsquointelligence νοῦς du verbe λόγος et de lrsquoesprit πνεῦμα Sous sa forme la plus mateacuterielle la triniteacute srsquoeacutetait imposeacutee depuis tregraves longtemps aux dieux eacutegyp-tiens dans chaque ville on imaginait que le dieu local formait avec sa femme et son fils 22 une famille qui devenait une triade Mais crsquoest lagrave une conception an-thropomorphique drsquoorigine populaire Les theacuteologiens trouvegraverent moyen agrave vrai dire de ramener la triade agrave lrsquouniteacute M Maspero a eacutetabli que dans les triades laquo le pegravere et le fils eacutetaient si lrsquoon voulait un personnage et que lrsquoun des deux parents dominait toujours lrsquoautre de si haut qursquoil lrsquoannulait presque entiegraverement tantocirct la deacuteesse disparaissait derriegravere son eacutepoux tantocirct le dieu nrsquoexistait que pour justi-fier la feacuteconditeacute de la deacuteesse et ne srsquoattribuait drsquoautre raison drsquoecirctre que son emploi de mari On en vint assez vite agrave mecircler deux personnages si eacutetroitement unis et agrave les deacutefinir comme eacutetant les deux faces les deux aspects masculin et feacuteminin drsquoun seul ecirctre Drsquoune part le pegravere eacutetait un avec le fils et de lrsquoautre il eacutetait un avec la

222 laquo Sa Majesteacute Shabaka eacutecrivit ce livre agrave nouveau dans la maison de son pegravere Phtah de Mem-phis Sa Majesteacute lrsquoavait trouveacute eacutecrit par les ancecirctres mais il avait eacuteteacute mangeacute des vers et on nrsquoy reconnaissait plus rien du commencement agrave la fin Sa Majesteacute lrsquoeacutecrivit agrave nouveau si bien qursquoil eacutetait plus beau qursquoavanthellip raquo (Erman l c p 2)22 L c p222 Un dieu peut se combiner aussi avec deux deacuteesses ou une deacuteesse avec deux macircles

62

Les Mystegraveres eacutegyptiens

megravere la megravere eacutetait donc une avec le fils comme avec le pegravere et les trois dieux de la triade se ramenaient agrave un dieu unique en trois personnes 22 raquo

En reacutealiteacute ce proceacutedeacute de ramener les triades agrave lrsquouniteacute relegraveve drsquoun systegraveme po-litique centralisateur plutocirct que drsquoun concept theacuteologique Mais le texte analyseacute plus haut donne une tout autre impression Il nrsquoest plus question ici drsquoune fa-mille divine crsquoest une association de trois dieux spirituels Phtah lrsquointelligence suprecircme Horus le cœur crsquoest-agrave-dire lrsquoesprit qui anime et Thot le verbe instru-ment de la creacuteation

laquo Celui qui devient Cœur celui qui devient Langue en eacutemission de Toum crsquoest le grand Phtah Horus srsquoest produit (en Toum) Thot srsquoest produit (en Toum) sous la forme de Phtah la puissance du Cœur et de la Langue se sont produi-tes en lui raquo Aussi Phtah est-il qualifieacute dans le mecircme texte laquo Cœur et Langue de lrsquoEnneacuteade raquo Il semble en reacutesulter que les theacuteologiens de lrsquoeacutepoque ramesside essayaient de constituer agrave cocircteacute de lrsquoEnneacuteade traditionnelle une Triniteacute-Uniteacute de conception purement meacutetaphysique celle de Phtah-Horus-Thot = Deacutemiurge-Esprit-Verbe Mais cette triniteacute ne se deacutegage pas des cadres theacuteologiques elle est subordonneacutee agrave Toum et ne peut encore se passer de lrsquoEnneacuteade

Un effort plus accentueacute vers la conception drsquoune Triniteacute-Uniteacute apparaicirct dans le papyrus de Leyde de lrsquoeacutepoque des Ramessides reacutecemment publieacute par M Gar-diner 226 Voici comment y est deacutefinie la nature du dieu suprecircme de lrsquoeacutepoque Amon-Theacutebain laquo Trois dieux sont tous les dieux Amon Racirc Phtah qui nrsquoont pas leurs pareils Celui dont la nature (litt le nom) est mysteacuterieuse crsquoest Amon Racirc est la tecircte Phtah est le corps Leurs villes sur terre eacutetablies agrave jamais sont Thegrave-bes Heacuteliopolis Memphis (stables) pour toujours Quand il y a un message du ciel on lrsquoentend agrave Heacuteliopolis on le reacutepegravete dans Memphis agrave Phtah (Neferher) on en fait une lettre eacutecrite en caractegraveres de Thot pour la ville drsquoAmon (Thegravebes) avec tout ce qui srsquoy rapporte La reacuteponse et la deacutecision sont donneacutees agrave Thegravebes et ce qui sort crsquoest agrave lrsquoadresse de lrsquoEnneacuteade divine tout ce qui sort de sa bouche celle drsquoAmon Les dieux sont eacutetablis pour lui suivant ses commandements Le message il est pour tuer ou pour faire vivre Vie et mort en deacutependent pour tous les ecirctres excepteacute pour lui Amon et pour Racirc (et pour Phtah) uniteacute-triniteacute 227 raquo

Malgreacute lrsquoobscuriteacute de certaines phrases il ressort que les trois grands dieux de

22 Maspero Histoire I p 0 0226 Hymns to Amon ap A Z XLII p 227 Litt laquo totaliseacutes trois raquo

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lrsquoeacutepoque ramesside constituent une Uniteacute-Triniteacute un Dieu en trois personnes que le texte deacutesigne en ces termes expregraves

Comme lrsquoexplique M Gardiner la volonteacute de la Triniteacute est une le texte cher-che comment fonctionne le meacutecanisme de cette commune administration du monde La penseacutee divine se reacutevegravele au ciel sous forme de message parleacute le Verbe divin reacutesonne aux oreilles dans la ville drsquoHeacuteliopolis dont le dieu repreacutesente la face de la triniteacute autant dire la tecircte pensante Le message est transmis agrave Phtah le corps de la triniteacute lagrave il est reacutepeacuteteacute prend une forme mateacuterielle et tangible une fois transcrit par lrsquoaide de Thot le scribe des dieux Quand le message a eacuteteacute agrave la fois penseacute agrave Heacuteliopolis et revecirctu drsquoune forme concregravete agrave Memphis il est soumis dans Thegravebes agrave lrsquoapprobation drsquoAmon le dieu dont le nom est cacheacute lrsquointelligence invisible Lui seul imprime lrsquoeacutelan deacutefinitif agrave la penseacutee divine et lrsquoenvoie comme un ordre de vie ou de mort aux dieux secondaires soumis agrave ses lois comme tout le reste des ecirctres

Si on compare le texte du papyrus de Leyde agrave lrsquoinscription graveacutee sous Sha-baka on lui trouvera me semble-t-il moins de subtiliteacute et une sorte de reacutealisme enfantin Le gouvernement divin y est preacutesenteacute sous une forme tangible et ma-teacuterielle et probablement imiteacutee du meacutecanisme de lrsquoadministration pharaonique Mecircme meacutelange de mysticisme et de mateacuterialisme dans la description suivante que le mecircme texte consacre agrave Amon lrsquointelligence suprecircme qui laquo a eacutemis Racirc et qui srsquounit agrave Toum de telle sorte qursquoil ne fait qursquoun avec lui raquo mdash laquo Amon raquo est-il dit laquo a son acircme au ciel son corps dans (la neacutecropole de) lrsquoAmenti sa statue dans Hermonthis pour servir de support agrave ses apparitionshellip Amon (celui qui se cache) se voile pour les dieux on ne connaicirct point son aspecthellip nul dieu ne connaicirct sa vraie nature et sa forme nrsquoest point deacutecrite dans les livreshellip il est trop mysteacuterieux pour qursquoon deacutecouvre sa gloire il est trop grand pour qursquoon le discute trop puissant pour qursquoon le connaissehellip228 raquo A coup sucircr nous sommes loin encore du concept de Dieu Intelligence pure Cependant nous approchons de la triniteacute hermeacutetique qui saura deacutefinir avec plus de preacutecision le dieu un et multiple agrave la fois intelligence esprit et raison

Lrsquointelligence divine apregraves avoir creacuteeacute et animeacute le monde par le Verbe ne se deacutesinteacuteressait pas de ses creacuteatures et gardait contact avec elles Quand Platon et apregraves lui saint Augustin deacutefinissent ainsi le pouvoir du dieu Thot laquo Crsquoest le dieu Verbe lui-mecircme le Verbe aileacute qui par le commerce les arts la science circule

228 Aeg Zeitschrift XLII p -

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

au travers des hommes les rapproche les civilise sert de messager agrave la penseacutee divine 22 raquo ils reprennent une conception traditionnelle en Eacutegypte drsquoapregraves la-quelle toute connaissance reacuteside en Dieu ou vient de Dieu Au papyrus de Leyde on lit agrave propos drsquoAmon laquo Son cœur connaicirct tout ses legravevres goucirctent tout son ka (son essence) crsquoest toutes les existences neacutees de sa langue 20 raquo Arts et sciences de tout genre eacutetaient des secrets des mystegraveres dont les hommes ne prenaient connaissance que par reacuteveacutelation divine Les papyrus meacutedicaux par exemple pas-saient pour ecirctre tombeacutes du ciel et avoir eacuteteacute trouveacutes dans les temples au pied drsquoune statue de dieu 2 De mecircme pour les rituels ou livres sacreacutes ils parviennent aux hommes par miracle eacutecrits de la main mecircme du dieu Thot Bien avant lrsquoeacutepo-que alexandrine Thot eacutetait deacutejagrave le grand initiateur de lrsquohumaniteacute en tant que laquo dieu des paroles divines raquo Et comme personnification de la laquo Langue il y avait en Thot le sage une force plus grande que celle de tous les dieux 22 raquo Mais les dieux principaux de chaque ville ne reacutepugnaient pas agrave jouer eux-mecircmes le rocircle de providence Ainsi disait-on drsquoAmon laquo Amon repousse les maux et chasse les maladies crsquoest un meacutedecin qui gueacuterit les yeux sans (avoir besoin de) remegravedes raquo

La parole divine eacutecrite ou parleacutee ne reacutevegravele pas seulement la science elle fait connaicirctre le sens de la vie lrsquointelligence des choses elle ouvre aux hommes les secrets de la suprecircme Raison Dans les eacutecrits hermeacutetiques le laquo Verbe raquo Λόγος si-gnifie laquo raison raquo aussi bien que laquo parole raquo dans les textes eacutegyptiens Thot le dieu de la parole sainte qui a reacuteveacuteleacute les arts les sciences les lettres aux hommes a comme compagne eacuteternelle Macirciumlt (Maacirct) la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Jus-tice et de la Raison

La Veacuteriteacute est le contraire de lrsquoerreur et du mensonge par conseacutequent son caractegravere propre est la science la justice la raison 2 Elle est la substance mecircme du Dieu creacuteateur elle se confond avec lui ou pour se servir des expressions liturgiques Macirciumlt est agrave la fois la megravere du dieu qui lrsquoa creacuteeacute sa fille puisqursquoelle est aussi œuvre du dieu le dieu lui-mecircme puisque Dieu est toute connaissance toute veacuteriteacute toute justice Elle est si semblable au dieu qursquoelle constitue la nour-

22 Reitzenstein Zwei relig Fragen p 820 A Z XLII p 8 Litteacuteralement la connaissance sa crsquoest son cœur le goucirct hou ce sont ses legravevres son ka crsquoest tout ce qui existe (issu) de sa langue laquo Sur les rapports de sa hou avec le ka voir plus loin2 Voir les textes reacuteunis par Weill Monuments de la iie et de la iiie dynasties p et suiv22 recueil de travaux XXIX p 72 Pierret eacutetudes eacutegyptologiques II p

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

riture journaliegravere des ecirctres divins agrave elle seule elle reacutesume toutes les offrandes mateacuterielles et spirituelles et crsquoest pourquoi il faut la preacutesenter au dieu quand on ceacutelegravebre lrsquooffice divin

Lrsquooffrande drsquoune statuette de Macirciumlt la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Justice de la Raison est toujours repreacutesenteacutee agrave la place drsquohonneur sur la paroi du fond dans les sanctuaires eacutegyptiens crsquoest donc lagrave lrsquoaboutissement du culte rendu aux dieux Celui qui offre Macirciumlt qursquoil soit le precirctre ou le roi est censeacute prendre agrave ce moment la personnaliteacute de Thot-Hermegraves le laquo maicirctre de Macirciumlt raquo et voici en quels termes il srsquoadresse au dieu laquo Je suis venu vers toi moi Thot (jrsquoarrive) les deux mains reacuteunies pour porter Macirciumlthellip Macirciumlt est venue pour qursquoelle soit avec toi Macirciumlt est en toute place qui est tienne pour que tu te poses sur ellehellip Voici venir les dieux et les deacuteesses qui sont avec toi en portant Macirciumlt ils savent que tu vis drsquoelle Ton œil droit est Macirciumlt ton œil gauche est Macirciumlt tes chairs et tes membres sont Macirciumlthellip le vecirctement de tes membres est Macirciumlt ce que tu manges est Macirciumlt ce que tu bois est Macirciumlt tes pains sont Macirciumlt ta biegravere est Macirciumlthellip Tu existes parce que Macirciumlt existehellip2 raquo

En lisant ces formules que lrsquoon retrouve plus ou moins deacuteveloppeacutees dans chaque sanctuaire eacutegyptien et agrave toutes les eacutepoques (agrave partir du moment ougrave les temples nous ont eacuteteacute conserveacutes crsquoest-agrave-dire depuis la XVIIIe dynastie) il est dif-ficile de ne point se rappeler ce que Platon dans le phegravedre nous dit de la Veacuteriteacute essence des dieux Voici les paroles qursquoil place dans la bouche de Socrate

laquo Aucun poegravete nrsquoa jamais ceacuteleacutebreacute la reacutegion qui srsquoeacutetend au-dessus du ciel aucun ne la ceacuteleacutebrera jamais dignement Voici pourtant ce qui en est car si lrsquoon doit toujours dire la Veacuteriteacute on y est surtout obligeacute quand on parle sur la Veacuteriteacute Lrsquoes-sence sans couleur impalpable sans forme ne peut ecirctre contempleacutee que par lrsquoIntelligence autour de lrsquoessence est le seacutejour de la science parfaite qursquoembrasse la Veacuteriteacute tout entiegravere Or la penseacutee des dieux qui se nourrit drsquoIntelligence et de Science sans meacutelange mdash comme celle de toute acircme avide de lrsquoaliment qui lui convient mdash admise agrave jouir de la contemplation de lrsquoEcirctre absolu srsquoabreuve de la Veacuteriteacute et est plongeacutee dans le ravissement elle contemple la Justice en soi la Science qui a pour objet lrsquoEcirctre des ecirctres Telle est la vie des dieuxhellip2 raquo Lrsquohymne du rituel eacutegyptien dont on a lu plus haut la traduction exprime les mecircmes ideacutees sous une forme agrave peine plus mateacuterielle Nous nrsquoexaminerons pas ici lrsquohypothegravese

2 rituel du culte divin p 8 et suiv laquo Chapitre de donner Macirciumlt raquo Les rois qui sont identifieacutes aux dieux disent de mecircme laquo Macirciumlt crsquoest mon pain raquo (Sethe Urkunden der 18 Dynastie p 8-7)2 Platon trad p

66

Les Mystegraveres eacutegyptiens

drsquoune influence de la penseacutee eacutegyptienne sur les theacuteories platoniciennes mais cette doctrine du Logos Verbe de raison et de veacuteriteacute que les philosophes greacuteco-alexandrins ont deacuteveloppeacutee avec tant de preacutedilection nrsquoavait-elle pas deacutejagrave reccedilu une expression fort preacutecise dans les eacutecoles theacuteologiques de lrsquoEacutegypte

La sagesse divine est donc reacuteveacuteleacutee aux hommes par la parole une loi morale srsquoen deacutegage qui se reacutesume en cette ideacutee laquo pratiquer la justice reacutealiser la Veacuteriteacute raquo

Les textes eacutegyptiens preacutecisent lrsquounion indissoluble de la Veacuteriteacute et du Verbe dans une expression caracteacuteristique un idiotisme intraduisible qui a eacutepuiseacute les efforts des eacutegyptologues Quand un ecirctre humain ou divin arrive soit par sa naissance soit par ses vertus ou meacuterites propres soit par proceacutedeacutes magiques agrave lrsquoeacutetat de gracircce que nous appelons sainteteacute ou diviniteacute les Eacutegyptiens disent de lui qursquoil reacutealise la voix qursquoil est Macirc-hrou Cette eacutepithegravete caracteacuterise les dieux le roi qui est un dieu vivant sur terre les hommes deacutefunts qui ont meacuteriteacute les paradis ou qui se sont munis des rites efficaces pour les atteindre enfin les hom-mes vivants en eacutetat de gracircce tels que les precirctres ceacuteleacutebrant lrsquooffice ou les magi-ciens armeacutes de formules Reacutealiser la voix cela veut dire avoir agrave sa disposition le Verbe creacuteateur qui donne toute puissance agrave nrsquoimporte quel moment et en toute occasion Le dieu ou lrsquohomme est-il en danger La parole divine dont il articule les sons renversera ses ennemis a-t-il quelques deacutesirs il en nomme lrsquoobjet qui se reacutealise aussitocirct a-t-il faim les laquo offrandes sortiront agrave la voix raquo degraves que leur nom aura eacuteteacute prononceacute car le miracle de la creacuteation par le Verbe se renouvelle dans tout temple et tout tombeau ougrave lrsquoon dit la parole efficace a-t-il besoin drsquoune justification devant le tribunal drsquoOsiris la parole divine vraie par sa na-ture donne agrave qui la possegravede la justice et la vertu Une expression si complexe peut se commenter non se traduire Aussi les eacutegyptologues ont-ils chacun agrave leur tour essayeacute vainement de rendre ces mots laquo Macirchrou raquo les traductions proposeacutees par Deveacuteria et Naville laquo triomphant raquo par Maspero laquo juste de voix raquo par Pierret laquo veacuteridique raquo par Virey laquo celui qui reacutealise en parlant dont la voix fait ecirctre vrai-ment raquo par moi-mecircme laquo creacuteateur par la voix doueacute de voix creacuteatrice 26 raquo sont inhabiles agrave rendre le sens complet de lrsquoexpression Ceci reste neacuteanmoins que pour caracteacuteriser la force la sagesse la vertu des ecirctres divins 27 les Eacutegyptiens ont associeacute le Verbe et la raison dans une expression composeacutee dont les deux termes

26 rituel du culte divin p 6 et suiv27 Et probablement aussi lrsquoinitiation aux rites osiriens qui reacutesume toutes les forces ou vertus deacutesirables

67

Les Mystegraveres eacutegyptiens

correspondent aux deux sens du mot non moins intraduisible Λόγος dont usent les textes hermeacutetiques

Il reacutesulte de cette reacutevision sommaire que pour les Eacutegyptiens cultiveacutes de lrsquoeacutepo-que pharaonique et des milliers drsquoanneacutees avant lrsquoegravere chreacutetienne le Dieu eacutetait conccedilu comme une Intelligence qui a penseacute le monde et qui a trouveacute le Verbe comme moyen drsquoexpression et comme instrument de creacuteation Cette parole creacutea-trice qui reacutesonne parfois au ciel telle que le tonnerre nrsquoatteste pas seulement la puissance du Dieu et nrsquoinspire pas seulement la terreur elle reacutevegravele aux hommes la science la raison la justice ce qui se reacutesume en un seul mot la Veacuteriteacute Par la theacuteorie du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur les eacutecrits hermeacutetiques nrsquoont fait que rajeunir une ideacutee ancienne en Eacutegypte et qui faisait partie essentielle du vieux fonds de la culture intellectuelle religieuse et morale 28

28 La planche II repreacutesente deux aspects du dieu Fils Horus portant le doigt agrave la bouche Ce geste qui agrave lrsquoorigine ne repreacutesente qursquoune attitude caracteacuteristique de lrsquoenfance semble avoir pris plus tard suivant une hypothegravese ingeacutenieuse de M Guimet une valeur symbolique et deacute-signerait un dieu du Verbe

68

III

La royauteacute dans Lrsquoeacutegypte prIMItIve pharaon et toteM

Il y a quinze ans encore la monarchie eacutegyptienne offrait une eacutenigme que lrsquoon deacutesespeacuterait presque de reacutesoudre jamais telle que la Minerve de la fable qui sortit tout armeacutee du cerveau de Jupiter elle se preacutesentait degraves lrsquoeacutepoque qursquoon appelait alors la plus lointaine (crsquoeacutetait la IVe dynastie 2800 ans avant notre egravere) comme un organisme adulte qui drsquoun seul jet et sans effort aurait atteint son complet deacuteveloppement Eacutetait-il possible que sans coup feacuterir la monarchie se fucirct incarneacutee dans un roi absolu veacuteneacutereacute en maicirctre sur la terre adoreacute en dieu dans les temples chef indiscuteacute des deux Eacutegyptes Comment en lrsquoabsence de monu-ments expliquer ce miracle Vinrent les fouilles drsquoAmeacutelineau de J de Morgan de Petrie qui jointes au labeur philologique drsquoautres savants ont enfin permis de remonter agrave un millier drsquoanneacutees plus haut vers les origines de la socieacuteteacute eacutegyp-tienne

Figure 0Eacutedifice surmonteacute drsquoune enseigne Poterie preacutehistorique 2

Dans les neacutecropoles archaiumlques drsquoAbydos de Negadah et drsquoHierakonpolis des vases ou fragments de vases en terre cuite ou en pierre dure ont revu le jour ils portaient sur leurs panses les noms des souverains des deux premiegraveres

2 Les figures reproduites ici dans le texte sont emprunteacutees agrave lrsquoillustration de la confeacuterence de V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme ougrave on trouvera leurs reacutefeacuterences Elles proviennent toutes de monuments archaiumlques

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dynasties et certaines repreacutesentations drsquoeacutedifices fortifieacutes Or ceux-ci sont sur-monteacutes drsquoenseignes qui ont la forme drsquoun animal drsquoune plante drsquoun objet Iden-tifier ces enseignes deacutefinir leur rocircle a eacuteteacute relativement facile la plupart eacutetant resteacutees en usage agrave lrsquoeacutepoque classique comme armoiries des provinces ou nomes crsquoest-agrave-dire comme laquo insignes de collectiviteacutes raquo on en a conclu avec raison que sur les monuments archaiumlques ces enseignes eacutetaient aussi des laquo emblegravemes ethni-ques raquo20 et qursquoelles peuvent nous eacuteclairer sur les premiers groupements sociaux de lrsquoEacutegypte Avant drsquoecirctre unifieacutee sous la domination drsquoun roi lrsquoEacutegypte avait eacuteteacute diviseacutee et de ces divisions ethniques nous connaissions tout au moins les signes de ralliement

En 06 M Loret dans une brillante confeacuterence faite au Museacutee Guimet sur lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme a deacutemontreacute que les enseignes qui apparaissent sur les monuments archaiumlques nrsquoeacutetaient pas seulement des drapeaux mais figuraient aussi pour les Eacutegyptiens primitifs les chefs et les dieux des diffeacuterents groupes ethniques Sur lrsquoune des enseignes celle du Faucon les monuments de lrsquoeacutepoque historique donnaient de preacutecieux eacuteclaircissements On savait qursquoelle avait donneacute son nom de Faucon agrave un groupe drsquoindividus laquo les compagnons ou adorateurs du Faucon raquo Hor shemsou et que le Pharaon lui-mecircme se dit un faucon et en porte le titre Hor faucon Or un objet qui est agrave la fois une enseigne un dieu un chef et en qui srsquoidentifient des hommes rentre dans une cateacutegorie bien deacutefinie crsquoest un totem le groupement ethnique auquel il preacuteside est un clan toteacutemique

M Loret reconnut donc sur les repreacutesentations des vases les totems du Faucon du Chien du Leacutevrier de lrsquoIbis du Scorpion du Lion des 2 Piques du Roseau etc Drsquoapregraves ce qursquoon savait du Faucon il conclut qursquoautour de chaque totem se groupait encore agrave cette eacutepoque un clan toteacutemique crsquoest pour cela que ces enseignes servaient de drapeaux agrave des groupements ethniques LrsquoEacutegypte en eacutetait donc vers 000 ans av J-C au reacutegime social du clan toteacutemique Pour deacutefinir cet eacutetat des rapprochements srsquoimposaient avec les peuples qui de nos jours vivent encore par clans ce sont les non-civiliseacutes des nouveaux mondes Lrsquoanalogie permettait de supposer que cette Eacutegypte archaiumlque dans laquelle on peacuteneacutetrait nrsquoeacutetait encore qursquoau degreacute de deacuteveloppement constateacute aujourdrsquohui chez telle peuplade de Negravegres ou drsquoAustraliens Le terrain de comparaison eacutetant trouveacute nous pouvons nous demander si ce que nous connaissons de lrsquoEacutegypte archaiumlque srsquoaccorde avec la deacutefinition de toute socieacuteteacute toteacutemique telle que lrsquoont

20 V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Bibliothegraveque de vulgarisation t XIX p 76)

70

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutetablie les travaux de Frazer et de Durkheim Quoique ces deux savants ne soient pas toujours drsquoaccord empruntons leurs lumiegraveres pour deacutefinir aussi exactement que possible ce qursquoest un totem et un clan toteacutemique 2

Le mot nrsquoest connu de nous que depuis les reacutecits des explorateurs du Nouveau Monde au xviiie siegravecle laquo Totem raquo est tireacute du dialecte objibway (tribu des Algon-quins) ougrave il signifie laquo marque famille raquo mais la chose la conception qursquoil deacutesigne srsquoest reacuteveacuteleacutee commune aux peuples non civiliseacutes dans beaucoup de pays Voici les traits geacuteneacuteraux du totem Avant tout ce nrsquoest pas un feacutetiche car le feacutetiche est un animal ou un objet diviniseacute La caracteacuteristique du totem au contraire crsquoest de deacutesigner un groupe une espegravece entiegravere drsquoecirctres ou drsquoobjets Il est pour cette espegravece comme le substratum des individus qui la composent en lui reacuteside agrave la fois la source vitale lrsquoeacutenergie geacuteneacuteratrice et le nom collectif (crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme perseacuteveacuterante) de la race puis encore la marque de cette parenteacute commune le blason et enfin lrsquoesprit protecteur la providence de cette race

Prenons un clan qui a adopteacute pour totem un loup Chaque membre du clan Loup est un loup il croit que le loup est lrsquoancecirctre animal mdash lui-mecircme sorti du sol comme les plantes mdash agrave qui des membres humains ont pousseacute qui srsquoest mis agrave marcher sur deux pattes a eacutepileacute son corps est devenu un loup-homme Tous les membres du clan descendent donc drsquoun vrai loup sont de la mecircme chair par conseacutequent fregraveres des autres loups resteacutes agrave lrsquoeacutetat sauvage (crsquoest-agrave-dire animal) mdash drsquoougrave lrsquointerdiction (tabou) de ne chasser ni tuer ni manger le loup-fregravere le totem

Une religion (au sens de lien) drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute groupe les membres du clan fils du totem autour de ce pegravere et bienfaiteur qui leur a donneacute vie et force Chacun porte la marque sacreacutee lrsquoeffigie du loup empreinte sur ses chairs on la tatoue sur les jeunes gens pendant les rites de lrsquoinitiation qui suit la puberteacute elle est apposeacutee en signature au bas des actes publics ou priveacutes on la sculpte ou on la peint sur les armes le mobilier les maisons on lrsquoeacuterige sur un poteau au faicircte des huttes ou agrave lrsquoentreacutee du village on la place sur la tombe des individus dont le nom toteacutemique (et non point personnel) sera ainsi sauvegardeacute pour lrsquoeacuteterniteacute Car apregraves la mort lrsquoindividu retourne agrave son totem Lrsquoeacutemanation du Loup qui srsquoeacutetait incarneacutee pour une existence passagegravere dans une forme humaine revient

2 J Frazer Le toteacutemisme (trad franccedil 88) Durkheim Les formes eacuteleacutementaires de la vie reli-gieuse le systegraveme toteacutemique en Australie 2 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode com-parative (ap revue de lrsquoHistoire des religions LVIII I p )

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

apregraves la mort se confondre et se reacutesorber dans le Loup ancestral drsquoougrave renaicirctront indeacutefiniment drsquoautres loups

Mais agrave chaque geacuteneacuteration lrsquoessence primitive du Loup devient plus lointai-ne sa force risque de srsquoatteacutenuer de srsquoaffaiblir Sans doute le Loup feacuteconde-t-il mystiquement toutes les megraveres mais encore faut-il peacuteriodiquement reprendre contact avec lrsquoancecirctre pour reacutegeacuteneacuterer le clan A cet effet une femme du clan souvent celle du chef srsquounira charnellement au totem Lrsquoacte est simuleacute si le to-tem est un ecirctre inanimeacute mais si crsquoest un animal lrsquoaccouplement drsquoune femme avec un repreacutesentant du type est souvent reacuteel Sauf cette exception religieuse toute relation sexuelle drsquohomme agrave femme dans le mecircme clan est rigoureusement prohibeacutee lrsquoexogamie crsquoest-agrave-dire le mariage en dehors du clan est la loi du groupement toteacutemique Hommes et femmes eacutepousent donc des individus de clans voisins et lrsquoenfant appartient au clan et au totem de sa megravere

De lagrave pour la vie du clan toteacutemique un germe drsquoaffaiblissement et de trans-formation Les enfants appartenant au totem de la megravere agrave chaque geacuteneacuteration toute la descendance macircle des hommes-loups passe aux clans des femmes eacutepou-seacutees agrave mesure que la tribu srsquoaccroicirct par mariages ses rejetons multiplient les clans nouveaux qui vivent cocircte agrave cocircte avec lrsquoancien Plus la tribu est nomade plus elle se dissout en uniteacutes nouvelles se subdivise en adoptant quelque varieacuteteacute animale ou aspect diffeacuterent du totem primitif (loup-chacal loup-cervier chien etc) Une socieacuteteacute agrave lrsquoeacutetat toteacutemique se preacutesente donc sous lrsquoaspect drsquoune cohue de plus en plus panacheacutee bigarreacutee et disperseacutee agrave chaque geacuteneacuteration Peu agrave peu la confusion devient telle qursquoune organisation nouvelle se creacutee par neacutecessiteacute alors la regravegle de lrsquoexogamie se relacircche et lrsquoon tolegravere les unions entre individus du mecircme groupe toteacutemique Le totem ne srsquoattachera plus agrave la race morceleacutee et alteacutereacutee apregraves tant de croisements mais agrave la localiteacute on aura des totems de pays agrave cocircteacute des totems de familles Enfin lrsquoimage du totem lui-mecircme arrive agrave figurer une sorte de geacutenie de la race qui joue encore le rocircle drsquoancecirctre et de providence mais perd peu agrave peu le contact avec les hommes du clan se retire de la terre et se transforme en dieu

Tel serait le scheacutema de lrsquoeacutevolution toteacutemique Retrouvons-nous dans lrsquoEacutegypte archaiumlque tous les traits ou seulement des traces drsquoun pareil eacutetat social

72

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure laquo Faucon combattant raquo nom royal de Ahacirc 2 laquo Faucon combattant raquo livre des prisonniers

Disons tout drsquoabord que les figures ou scegravenes graveacutees sur les vases et les pa-lettes votives ne reacutevegravelent que quelques eacutepisodes seulement de la vie des clans en Eacutegypte Lrsquoexistence mecircme des clans distingueacutes par des enseignes telles que M Loret les a reconnues nrsquoest pas douteuse car les enseignes apparaissent com-me marques distinctives dans des scegravenes qui touchent agrave la vie collective plus qursquoagrave la vie individuelle repreacutesentations de villages ou drsquoeacutedifices batailles fecirctes publi-ques cortegraveges etc Comme chez les autres primitifs la nature de ces enseignes est tregraves varieacutee ce sont des animaux (beacutelier chien lion leacutevrier eacuteleacutephant taureau faucon vautour ibis chouet-te vanneau silure abeille vi-pegravere scorpion) des veacutegeacutetaux (roseau sycomore palmier) des armes de chasse ou de guerre (flegraveches arc harpon hache boomerang) des si-gnes geacuteographiques (monta-gnes) ou astronomiques (cer-cle solaire 22)

22 La liste aussi complegravete que possible en a eacuteteacute dresseacutee par V Loret Les enseignes militaires des tribus et les symboles hieacuteroglyphiques des diviniteacutes (ap revue eacutegyptologique t X02)

Figure 2 mdash tLe nom royal de Narmer animeacute

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

On eacutelegraveve ces figures sur des pavois ou enseignes et on les arbore sur les eacutedifices ou les barques on les grave ou on les peint sur les vases les assiettes les statues car il faut que les membres du clan soient en communion constante avec leur totem

Figure Enseignes toteacutemiques animeacutees

Ces enseignes sont vivantes et interviennent dans la vie du clan On voit le faucon tenir dans ses serres le bouclier et le javelot (fig ) le silure brandit agrave deux bras greffeacutes sur son corps de poisson la massue pour assommer un ennemi (fig 2) le vautour amegravene des captifs par une corde (fig ) le faucon le scor-pion le lion manient le pic et deacutemolissent les remparts derriegravere lesquels srsquoabri-tent des rivaux (fig ) parfois lrsquoenseigne qui porte lrsquoemblegraveme a elle aussi des bras pour tenir la corde des captifs ou empoigner lrsquoadversaire 2 A cette vie on reconnaicirct que les emblegravemes sont des totems

2 V Loret Lrsquoeacutegyptehellip p 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figures -Eacutedicule drsquoenseigne et animal toteacutemique

Comme tels on les veacutenegravere en geacutenies protecteurs leurs images (si ce sont des objets inanimeacutes) leurs speacutecimens vivants (si ce sont des animaux) sont gardeacutes preacutecieusement dans des eacutedicules (fig -) construits de murs en clayonnage recouverts drsquoun toit en forme de demi-coupole aux parois on suspend des ob-jets votifs des palettes et des tablettes graveacutees de scegravenes qui commeacutemorent les victoires ou les fecirctes du clan 2 sur le toit on accroche le bucrane deacutepouille des animaux sacrifieacutes au totem un mur drsquoenceinte avec porte encadreacutee de deux haches planteacutees en terre encadre le sanctuaire primitif ougrave vit le palladium de la tribu Les monuments archaiumlques ne nous enseignent rien de plus sur le culte du totem mais des traditions resteacutees en honneur agrave lrsquoeacutepoque classique ont prolongeacute jusqursquoagrave nous lrsquoeacutecho des rites tregraves anciens qui se rapportent au culte des animaux toteacutemiques Si les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque romaine adoraient encore les taureaux Apis agrave Memphis Mneacutevis agrave Heacuteliopolis Bouchis agrave Hermonthis le bouc agrave Mendegraves le chat agrave Bubastis lrsquoibis agrave Hermopolis le faucon agrave Edfou le crocodile au Fayoum et agrave Ombos srsquoil eacutetait deacutefendu de tuer et de manger tel ou tel animal mais seule-ment dans la ville ougrave il eacutetait adoreacute mdash crsquoest par respect pour des traditions drsquoune antiquiteacute deacutemesureacutee qui nous ont conserveacute vivants les cultes des anciens clans toteacutemiques Aussi pouvons-nous admettre que les membres srsquoabstenaient de tuer et de manger le totem pendant sa vie on le nourrissait et on lrsquoadorait agrave sa mort on le pleurait solennellement jusqursquoagrave lrsquoinstallation de son successeur (comme on faisait pour les Apis agrave lrsquoeacutepoque classique)

2 Les plus importantes sont reproduites dans lrsquoouvrage de J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte 0

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

En retour le totem eacutetait la providence du clan eacutegyptien Pendant la paix sa preacutesence dans le sanctuaire du village assure la prospeacuteriteacute au combat il marche en tecircte des guerriers et il lutte agrave sa faccedilon contre les adversaires Le totem protegravege ainsi ses descendants et ses fregraveres Le lien du sang qui existe entre lui et la tribu qui porte son nom est tenu pour reacuteel et non fictif Peacuteriodiquement une femme du clan srsquounit au totem Heacuterodote 2 nous rapporte qursquoagrave Mendegraves de son temps le bouc sacreacute srsquoeacutetait accoupleacute agrave une femme Strabon et Diodore relatent le mecircme fait agrave Memphis et agrave Thegravebes le rite se pratiquait encore agrave Rome au temps de Tibegravere dans le temple drsquoAnubis 26 Ces unions monstrueuses qui persistaient drsquoune faccedilon sporadique ne sont qursquoune survivance du temps ougrave lrsquoanimal toteacute-mique perpeacutetuait sa race pour feacuteconder le clan

Crsquoest agrave peu pregraves tout ce que donnent les monuments sur lrsquoexistence drsquoun eacutetat social toteacutemique en Eacutegypte il est impossible de veacuterifier si lrsquoexogamie eacutetait en usage du moins aucune trace nrsquoen est resteacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave les documents commencent agrave nous renseigner sauf lrsquousage de la descendance en ligne feacutemi-nine encore srsquoexplique-t-elle aussi par la pratique de la polygamie En somme lrsquoEacutegypte mecircme agrave lrsquoeacutepoque archaiumlque ne preacutesente plus que des survivances de toteacutemisme 27 preuve en est la position du roi dans la socieacuteteacute drsquoalors

A partir du moment ougrave lrsquoon trouve dans les tombes autre chose que de sim-ples vases peu ou pas deacutecoreacutes degraves que les monuments agrave inscriptions ou figures descriptives apparaissent la socieacuteteacute se reacutevegravele monarchique et la monarchie se montre deacutejagrave centraliseacutee Les scegravenes graveacutees sur les vases et les palettes votives permettent de discerner des luttes de clans qui se terminent par le triomphe du clan du Faucon Or lrsquoexamen des monuments ougrave apparaicirct le faucon nous mon-tre que degraves cette eacutepoque tregraves lointaine lrsquoanimal est moins le chef drsquoun clan que le protecteur de la famille royale

2 II 626 Cf Ad-J Reinach Lrsquoeacutegypte preacutehistorique p 827 A Van Gennep revue de lrsquohistoire des religions LVIII p critiquant les conclusions trop absolues de V Loret se refusait en 08 agrave reconnaicirctre mecircme des traces de vrai toteacutemisme dans les donneacutees des documents eacutegyptiens et nrsquoy voyait qursquoune forme de zoolacirctrie Crsquoest agrave mon avis aller trop loin dans la reacuteserve prudente et la critique Jrsquoessaierai de montrer ci-apregraves que lrsquoideacutee toteacutemique a surveacutecu peut-ecirctre dans la notion du Ka ougrave ne se retrouve nulle trace de zoolacirctrie

76

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 6Le faucon proteacutegeant le roi

Le faucon apparaicirct drsquoabord comme enseigne royale porteacute sur un pavois il preacutecegravede le roi (et le roi seul) dans tous les tableaux des victoires ou des fecirctes royales srsquoil y a drsquoautres enseignes porteacutees devant le roi le faucon est le plus sou-vent en tecircte au premier rang Il combat pour le roi saisit ses ennemis ou les lui amegravene prisonniers Crsquoest donc le geacutenie protecteur du roi Comme tel on repreacute-sente le faucon volant (fig 6) ou au repos proteacutegeant la nuque du roi de ses ailes eacutetendues

Le faucon est avec le roi dans les rapports drsquoun totem avec son enfant De toute antiquiteacute le nom du faucon est le nom qui deacutesigne le roi (et le roi seul) Pour eacutecrire le nom du roi Ahacirc le laquo combattant raquo les Eacutegyptiens gra-vaient un faucon tenant dans ses serres bouclier et javelot (fig ) quoi de plus direct pour exprimer agrave tous les yeux lrsquoideacutee que le roi eacutetait le laquo faucon combat-tant raquo Depuis Ahacirc (qursquoil soit ou non le Menegraves des listes historiques) jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne signifiera laquo le roi raquo et sera le premier nom protocolaire du souverain Or qui dit nom dit essence acircme le roi est donc de mecircme essence que le faucon A lrsquoeacutepoque classique les textes srsquoeacutetendent avec complaisance sur la parenteacute du roi et du faucon Un prince royal enfant est ap-peleacute laquo le faucon dans son nid 28 raquo Monte-t-il sur le trocircne crsquoest le laquo faucon sur son cadre 2 raquo en cet instant dit Loret le Ka du faucon ancestral laquo descendait du ciel et venait srsquoincorporer srsquoincarner dans la personne du roi se surajouter raquo comme

28 Breasted A new chapter in the life of Thutmes iii p 62 A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p n litteacuteralement laquo sur son eacutedifice raquo

77

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le dit un texte du temple de Seacuteti Ier agrave Abydos 20 Le roi meurt-il Crsquoest laquo le faucon qui srsquoenvole au ciel 2 raquo pour rentrer dans le sein du dieu 22 dont il est issu

Sans doute ce sont lagrave figures de langage qui rappellent seulement des ideacutees et auxquelles on nrsquoattachait plus un sens litteacuteral Toutefois une tradition mon-tre combien fut durable en Eacutegypte la croyance de la parenteacute reacuteelle du roi et du totem A lrsquoeacutepoque classique les temples nous conservent le tableau de lrsquounion charnelle du dieu principal de lrsquoEacutegypte Racirc 2 ou Amon-Racirc avec la femme du roi de cette laquo theacuteogamie raquo naissait lrsquoheacuteritier royal 2 Il est difficile drsquoadmettre qursquoon crucirct agrave la reacutealiteacute effective de cette union nul ne pouvait se vanter drsquoavoir vu Amon descendre du ciel pour entrer dans la couche de la reine Il est plus probable que la scegravene de la theacuteogamie eacutetait admise comme un rappel adouci de la coutume citeacutee plus haut lrsquoaccouplement de lrsquoanimal-totem avec la femme du chef

Le faucon est aussi degraves ce moment le dieu de la famille royale Dans la premiegrave-re capitale connue la laquo ville des faucons raquo Hierakonpolis les rois de la Ire dynastie eacutelegravevent un temple au Faucon ougrave Quibell a trouveacute encore une magnifique tecircte de faucon en or datant de lrsquoAncien Empire Le faucon comme dieu est devenu Horus plus tard lrsquoHorus de la mythologie classique

En reacutesumeacute le roi dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est bien vis-agrave-vis du faucon dans la situation drsquoun clansman par rapport au totem le faucon est pour lui son en-seigne son geacutenie protecteur son nom son pegravere son dieu Est-ce assez pour dire que lrsquoEacutegypte drsquoalors en est encore au reacutegime du clan toteacutemique Tel nrsquoest point mon avis Ce qui a eacuteteacute dit plus haut caracteacuterise en effet les rapports du roi avec le faucon mais du roi seul et non pas de tous les Eacutegyptiens Au moment ougrave com-mence pour nous lrsquohistoire documentaire il nrsquoy a plus en Eacutegypte drsquoautre faucon que le roi et son dieu 2 Or la vraie socieacuteteacute toteacutemique ne connaicirct ni roi ni sujets

20 V Loret l c p 20 Cf Mariette Abydos I pl 22 Maspero Contes populaires p 20 7 Lrsquoexpression srsquoemploie aussi poeacutetiquement pour dire que le roi entre au sanctuaire (Breasted l c p et 7)22 Lrsquoexpression apparaicirct par exemple dans lrsquoinscription drsquoAnna (recueil XII p 06)2 Crsquoest depuis la Ve dynastie que les rois prennent reacuteguliegraverement le titre Sa-Racirc laquo fils de Racirc raquo ce qui semble indiquer une conseacutecration de la tradition de la theacuteogamie ceci concorde avec le teacutemoignage du papyrus Westcar2 Cf A Monet Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 0 et suiv2 Le nom de laquo compagnons du faucon raquo que les textes religieux nomment shemson Hor (ayant comme signes distinctifs le chien sur lrsquoenseigne lrsquoarc et le boomerang) ne srsquoappliquent reacuteel-lement pas dans les textes historiques agrave des hommes ordinaires mais agrave des rois tregraves anciens ou des dieux mdash Cf agrave ce sujet Sethe Die Horusdiener p 2 et Ed Meyer Chronologie (tr franccedilaise) p 2

78

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tous les membres du clan y vivent sur pied drsquoeacutegaliteacute par rapport agrave leur totem laquo Le toteacutemisme pur dit Frazer est deacutemocratique crsquoest une religion drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute chaque individu de lrsquoespegravece toteacutemique en vaut un autre Si par conseacutequent un individu de lrsquoespegravece a la digniteacute de fregravere aicircneacute drsquoesprit gardien srsquoil occupe un rang supeacuterieur en digniteacute agrave tout le reste le toteacutemisme est prati-quement abandonneacute et la religion srsquoachemine en mecircme temps que la socieacuteteacute au monarchisme 26 raquo

Crsquoest preacuteciseacutement agrave cette phase de lrsquoeacutevolution que lrsquoEacutegypte semble deacutejagrave par-venue au moment ougrave les monuments les plus anciens nous la reacutevegravelent Degraves la peacuteriode de Negadah et drsquoAbydos les Eacutegyptiens qui combattent pour le roi ne sont plus des laquo compagnons de clan raquo mais des sujets

Figure 7Ash animal divin anthropomorphe

Aucun texte ne permet de dire qursquoils srsquoappellent comme le roi des Faucons le lien est relacirccheacute entre eux et le totem ils ne communiquent plus avec Hor que par lrsquointermeacutediaire du Roi Le faucon mecircme se transforme apregraves avoir eacuteteacute la source de vie et le patrimoine du clan il preacuteside aux seules destineacutees de la famille royale Son aspect srsquohumanise et cette transformation srsquoannonce degraves le temps tregraves ancien ougrave on repreacutesente lrsquoanimal toteacutemique muni de bras pour deacutefendre le roi ou saisir ses ennemis bientocirct apparaicirctront certaines figures divines composi-tes tels que le dieu Ash sur les bouchons drsquoAbydos (fig 7) ougrave un corps humain se combine avec une tecircte de leacutevrier agrave dater de ce moment les totems drsquoEacutegypte subissent la loi commune ils deviennent laquo drsquoabord de simples animaux divini-

26 toteacutemisme p 28

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

seacutes puis des dieux anthropomorphes agrave attributs animaux 27 raquo Ainsi le faucon se transforme-t-il en Horus dieu agrave corps humain hieacuteracoceacutephale Dans la ville drsquoHieacuterakonpolis le Faucon nrsquoest deacutejagrave plus un totem mais le dieu de la famille royale

Cette eacutevolution monarchique qui apparaicirct dans la religion comme dans la socieacuteteacute srsquoaccentua rapidement au fur et agrave mesure que srsquoachevait la conquecircte de lrsquoEacutegypte par les rois Faucons tels que Narmer et Ahacirc Apregraves avoir absorbeacute leur propre clan ils subjuguegraverent les clans rivaux et srsquoannexegraverent les dieux des prin-cipales villes conquises

Crsquoest ainsi que le vautour drsquoEl-Kab et lrsquoUraeligus de Bouto le roseau de Koptos et lrsquoabeille drsquoHeacuteiacleacuteopolis et agrave certains moments lrsquoanimal typhonien furent adopteacutes comme patrons royaux secondaires Le roi srsquoidentifia agrave ces dieux comme il lrsquoavait fait pour le faucon leurs signes caracteacuteris-tiques etc deacutesignegraverent comme le faucon Hor le nom et lrsquoessence mecircme du Pharaon Il en fut de mecircme pour drsquoautres emblegravemes sacreacutes le laquo tau-reau puissant raquo le laquo lion androceacutephale ou hieacuteracoceacutephale raquo (sphinx ou griffon) le crocodile mecircme (sous la forme ati) le lotus de Thegravebes e t lrsquoautre lotus du Delta Faute de documents pour chacun drsquoeux nous devons nous contenter de raisonner par analogie si le Pharaon srsquoest comporteacute vis-agrave-vis de ces dieux comme il lrsquoa fait pour le Faucon crsquoest peut-ecirctre qursquoils furent jadis comme le Faucon les totems drsquoune race conquise par le roi 28

Le souvenir srsquoen est conserveacute jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne et cette tradition persistante explique certains deacuteveloppements poeacutetiques de la lit-teacuterature officielle Voici quelles eacutepithegravetes on deacutecerne encore agrave Seacuteti Ier au deacutebut de la XIXe dynastie (vers 00 avant notre egravere)

laquo Faucon divin aux plumes bigarreacutees il traverse le ciel comme la majesteacute de Racirc chacal agrave la deacutemarche rapide il fait le tour de cette terre en une heure lion

27 Frazer toteacutemisme p 2828 Voici quelques reacutefeacuterences pour les diffeacuterents aspects du roi Roi-taureau palettes archaiuml-ques citeacutees par J Capart Les deacutebuts de lrsquoart p 2 et suiv roi-lion palette archaiumlque ibid p 22 sphinx de Tanis (G Maspero Histoire I p 0) roi-griffon pectoral de Senousret III agrave Dahchour (de Morgan I pl XXI) panneau du trocircne de Thoutmegraves IV (Davis The tomb of Thoutmosegraves iV pl VI-VIII XII) roi-crocodile pap Prisse pl IV 2 pour une allusion au roseau et agrave lrsquoabeille cf Griffith papyrus de Kahun pl III 2 le lotus et le papyrus apparais-sent comme plantes heacuteraldiques royales sur les piliers de Thoutmegraves III agrave Karnak (G Maspero Histoire II p 7)

80

Les Mystegraveres eacutegyptiens

fascinateur il bondit sur les chemins inconnus de tout pays eacutetranger taureau puissant aux cornes aceacutereacutees il pieacutetine les Asiatiques et foule les Kheacutetas 2 raquo

En reacutesumeacute ce qursquoil y a eu de toteacutemique dans lrsquoeacutetat social de lrsquoEacutegypte primitive ne nous apparaicirct plus guegravere que deacuteformeacute et ramasseacute en une seule personnaliteacute celle du roi La socieacuteteacute dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est deacutejagrave niveleacutee et sur ce terrain deacuteblayeacute les rois et les precirctres eacutelegraveveront degraves le temps des Pyramides lrsquoeacutedifice somptueux de la monarchie absolue

Tel qursquoil est devenu au cours des acircges fils des dieux dieu lui-mecircme seul possesseur du sol dispensateur de toutes les gracircces terrestres et divines seul in-termeacutediaire entre les hommes et les dieux comme sorcier et comme precirctre guide des hommes dans la vie terrestre et sur le chemin qui megravene au ciel apregraves la mort Pharaon apparaicirct dans lrsquohistoire comme la plus formidable force morale qui ait eacuteteacute jamais conccedilue Tout cela eacutetait en germe dans la reacutevolution qui a permis au roi de confisquer agrave son profil lrsquoautoriteacute du totem sur le clan toteacutemique et de concentrer en sa personne royale lrsquoessence divine de la race

Pendant les quatre mille ans que duregraverent les dynasties pharaoniques une parcelle de lrsquoideacuteal toteacutemique semble avoir persisteacute neacuteanmoins malgreacute lrsquoheacutegeacutemo-nie royale crsquoest la croyance qursquoil existe un eacuteleacutement commun entre les Eacutegyptiens le roi et les dieux Crsquoest une sorte de geacutenie de la race et de la nature entiegravere il anime agrave la fois la matiegravere dans les corps inanimeacutes la chair des ecirctres animeacutes et les faculteacutes de lrsquoesprit Pour lrsquounivers tout entier et tous les ecirctres animeacutes ou inani-meacutes ce geacutenie qursquoils appelaient le Ka (mot qui signifie comme genius force geacuteneacuteratrice et esprit protecteur) jouait le rocircle de substance commune et drsquoacircme collective Nous avons vu que pour les affilieacutes des clans toteacutemiques naicirctre crsquoest sortir du Totem pour mener une vie consciente mourir crsquoest rentrer dans le sein du Totem et srsquoy reacutesorber 260 De mecircme pour les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque posteacute-rieure naicirctre crsquoeacutetait donner au Ka lrsquooccasion de se manifester dans une forme passagegravere une existence individuelle mourir crsquoeacutetait revenir agrave son essence pri-mordiale ou comme ils disaient laquo passer agrave son Ka raquo Nous croyons donc qursquoapregraves la reacutevolution sociale et religieuse qui marque le passage de lrsquoeacutetat toteacutemique agrave la monarchie centraliseacutee quelque chose de la mentaliteacute primitive a subsisteacute dans la socieacuteteacute eacutegyptienne par cette notion du Ka Le Ka a prolongeacute la meacutetaphysique primitive puisqursquoil semble ecirctre agrave la fois laquo la substance mecircme drsquoun individu son

2 Texte drsquoIpsamboul citeacute par Guieysse ap recueil XI p 7260 Frazer toteacutemisme p Lors de la mort le clansman cherche agrave srsquoidentifier agrave son totem On apostrophe ainsi le mort laquo Tu es venu ici de chez les animaux et tu trsquoen retournes chez euxhellip Tu vas chez les animaux tu vas rejoindre les ancecirctreshellip raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

nom vivant et impeacuterissable son totem 26 raquo Les documents montrent que le Ka est tout cela au moins pour Pharaon En fait le roi drsquoEacutegypte en mecircme temps qursquoil se confond avec le ou les totems devient aussi comme la forme visible de cette acircme collective de cette substance essentielle de la race dont on avait fait jadis le totem qursquoon appelait maintenant le Ka Les autres hommes ne reve-naient agrave leur Ka qursquoapregraves leur mort le roi degraves qursquoil est introniseacute degraves qursquoil srsquoap-pelle Faucon devient le Ka des vivants geacutenie de son peuple acircme et substance de ses sujets

Figure 8Nom royal de Ka et de faucon

Aussi le roi seul parmi les ecirctres fait-il repreacutesenter agrave cocircteacute de sa forme corpo-relle ordinaire son corps essentiel si je puis dire son corps en tant que Ka en tant qursquoacircme et corps collectifs de la race Sur les tableaux des temples on le voit derriegravere le roi crsquoest une figure de dieu adolescent portant sur sa tecircte le nom du Faucon royal 262 (cf fig 26)

Cette conception qui a perseacuteveacutereacute jusqursquoaux derniers temps de la monarchie eacutegyptienne montre mieux que toute autre ce qursquoeacutetait le Pharaon pour son peu-ple on le veacuteneacuterait sur terre comme la force primordiale des ecirctres et des choses comme le Ka incarneacute Eacutecoutez la doctrine qursquoun noble de la XIIe dynastie en-seignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu Sa (la science) qui est dans les cœurs (les esprits) ses yeux explorent toute conscience crsquoest Racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre

26 V Loret l c p 20262 Cf les repreacutesentations citeacutees par A Moret l c p 7 2 222 22

82

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plus que le Nil en crue quand il emplit les deux terres de force et de viehellip Il donne les largesses agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraie son chemin Crsquoest le Ka le roi Crsquoest la surabondance sa bouche 26 crsquoest sa creacuteation (tout) ce qui existe 26 raquo

En cette qualiteacute de successeurs des dieux les rois drsquoEacutegypte se trouvent dans des conditions de vie toutes speacuteciales Nos renseignements agrave ce sujet sont peu nombreux et fort incomplets parce que nous nrsquoavons conserveacute aucun texte deacute-veloppeacute anteacuterieur agrave lrsquoeacutepoque des grandes Pyramides Mais dans le grand nom-bre de traditions bizarres que nous ont transmises sur lrsquoEacutegypte ancienne soit les auteurs classiques soit les sources nationales il srsquoen trouve dont lrsquoexplication ne srsquoeacuteclaire que par les coutumes des peuples non civiliseacutes et speacutecialement de ceux qui vivent encore en Afrique ou ailleurs dans un eacutetat social toteacutemique Ces traditions qui concernent le pharaon semblent bien nous apporter un eacutecho de la primitive histoire

En tant que faucon ou dieu le roi possegravede les privilegraveges les plus eacutetendus et le pouvoir le plus absolu il est maicirctre de la vie de ses sujets et tout le sol lui ap-partient Avec son cortegravege drsquoanimaux dompteacutes par ses charmes la tecircte ceinte de lrsquoUraeligus 26 la nuque proteacutegeacutee par le faucon ou le vautour 266 ailes deacuteployeacutees es-corteacute par le lion Pharaon est drsquoun aspect terrible et drsquoun voisinage redoutable 267 Aussi de mecircme que le sauvage tremble drsquoapercevoir son totem lrsquoEacutegyptien re-doute de voir son roi agrave moins drsquoy ecirctre inviteacute quand il est admis en sa preacutesence le sujet se voile la face de ses mains tombe prosterneacute et ne se deacutecide agrave parler que lorsqursquoil en reccediloit lrsquoordre cateacutegorique 268 Il est interdit de profeacuterer le nom per-sonnel du roi-dieu On le deacutesigne par une peacuteriphrase laquo Sa Majesteacute raquo ou on lrsquoappelle laquo Notre Maicirctre raquo Quiconque prononce en vain le nom du roi deacutechaicircne une force si puissante que nul nrsquoen saurait arrecircter les effets 26

Dans ces conditions on conccediloit que lrsquoaccegraves du palais fucirct tregraves difficile et qursquoun ceacutereacutemonial scrupuleux reacuteglacirct les audiences Comparons avec le ceacutereacutemonial eacutegyp-

26 Le roi comme les dieux creacutee toute chose rien qursquoen parlant par la force du verbe sacreacute Voir plus haut26 Stegravele de Sehetepibracirc Caire 208 (face II I et suiv)26 Cf Maspero Contes (e eacuted) p laquo la royale Uraeligus qui enveloppe ta tecircte raquo Sur ce rocircle de lrsquoUraeligus cf Ad Erman Hymnen an das Diadem der pharaonen p 7 et suiv266 Statue de Cheacutephregraven Davis tomb of Thoutmosis iV pl X267 G Maspero Histoire II p 268 Frazer toteacutemisme p 26 ibid p 2

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tien ce reacutecit drsquoune audience chez le roi des Yolofs (drsquoapregraves les observations drsquoun voyageur au deacutebut du xviiie siegravecle 270)

laquo En avanccedilant vers le roi qui nrsquoaccorde ces audiences que devant la porte du palais le sujet se met agrave genoux agrave quelque distance baisse la tecircte et prend de cha-que main une poigneacutee de sable dont il se couvre la chevelure et le visage A me-sure qursquoil approche il reacutepegravete plusieurs fois la mecircme ceacutereacutemonie (Drsquoautres avan-cent continuellement agrave genoux en se couvrant de terre et de sable pour montrer qursquoils ne sont que poussiegravere en comparaison du roi) Enfin srsquoagenouillant agrave deux pas du monarque il explique les raisons qui lui ont fait deacutesirer une audience Apregraves ce compliment il se legraveve sans oser jeter les yeux devant lui Il tient les bras eacutetendus vers ses genoux et de temps en temps il se jette de la poussiegravere sur le front Le roi paraicirct lrsquoeacutecouter peu et tourne son attention sur quelque bagatelle qui lrsquoamuse Cependant il prend un air fort grave agrave la fin de la harangue et sa reacuteponse est un ordre auquel les suppliants nrsquoosent reacutepliquer Ils se confondent ensuite dans la foule des courtisans raquo

Voici comment au temps de la XIIe dynastie le prince Sinouhit de retour drsquoun exil en Asie se preacutesentait devant Pharaon 27 laquo Dix hommes vinrent pour me mener au palais Je touchai la terre du fronthellip puis on me conduisit au logis du roi Je trouvai Sa Majesteacute sur la grande estrade dans lrsquoembrasure de vermeil et je me jetai sur le ventre je perdis connaissance devant lui Ce dieu mrsquoadressa des paroles aimables mais je fus comme un individu qui est pris dans le creacute-puscule mon acircme deacutefaillit mes membres se deacuterobegraverent mon cœur ne fut plus dans ma poitrine et je connus quelle diffeacuterence il y a entre la vie et la mort raquo hellip Puis quand la parole lui est revenue Sinouhit profegravere drsquoune voix balbutiante laquo Me voici devant toi tu es la vie que Ta Majesteacute agisse agrave son plaisir raquo Alors Sa Majesteacute dit agrave la Reine laquo Voilagrave Sinouhit qui vient semblable agrave un Asiatique comme un Beacutedouin qursquoil est devenu raquo Elle poussa un tregraves grand eacuteclat de rire et les Infants royaux srsquoesclaffegraverent tous agrave la fois

On remarquera le trait final Lorsque le roi rit toute lrsquoassistance rit drsquoune seule bouche crsquoest encore une coutume respectueuse vis-agrave-vis drsquoun roi-dieu Chez les non-civiliseacutes lorsque le roi tousse rit ou pleure toute lrsquoassistance par politesse et respect fait de mecircme

Le roi primitif srsquoil a comme dieu tous les pouvoirs est par contre-partie

270 Walckenaer Histoire des voyages IV p 227 G Maspero Les contes populaires de lrsquoeacutegypte ancienne e eacutedit p 8

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soumis agrave des obligations rigoureuses M Frazer lrsquoa dit en termes excellents laquo La personne du roi est consideacutereacutee comme le centre dynamique du monde de lagrave sa force rayonne partout le moindre de ses gestes un mouvement de sa tecircte ou de ses bras peut troubler la nature Sur lui repose lrsquoeacutequilibre du monde la moindre faute de sa part peut tout deacuteranger Il doit donc prendre les plus gran-des preacutecautions toute sa vie doit ecirctre minutieusement reacutegleacutee dans les moindres deacutetails raquo mdash De lagrave les interdictions de faire telle ou telle chose de manger telle ou telle chose qui ont pour but de creacuteer autour du roi une zone drsquoisolement Ce sont les tabous Existaient-ils en Eacutegypte

Nous les connaissons mal mais il semble qursquoil y en ait eu de seacutevegraveres au moins agrave lrsquoeacutepoque tregraves ancienne Une tradition conserveacutee par Diodore (I 70) nous dit que laquo la vie des Pharaons eacutetait reacutegleacutee jusque dans ses moindres deacutetails ils ne devaient manger que du veau et de lrsquooie et ne boire qursquoune certaine quantiteacute de vin raquo Ces indications sont vraies en principe on a trouveacute dans les temples eacutegyptiens des listes 272 qui donnent pour chaque Nome agrave cocircteacute des noms des dieux des temples des precirctres la mention de la chose deacutefendue (bout) du tabou qui est le plus souvent un mets dont lrsquousage est interdit dans cette reacutegion Nul doute que le roi grand precirctre dans chaque temple ne fut astreint agrave lrsquoobservation des tabous au moins quand il se trouvait dans la reacutegion ougrave ce tabou devait ecirctre observeacute Quant aux regravegles de vie imposeacutees au Pharaon nous les ignorons Sou-haitons pour eux qursquoelles aient eacuteteacute moins strictes que celles auxquelles le Mikado eacutetait encore asservi il y a 200 ans 27

laquo Les princes de cette famille sont regardeacutes comme sacreacutes comme pontifes de naissance Ils sont obligeacutes de mener une vie toute speacuteciale Ils ne peuvent toucher le sol avec leurs pieds on les porte donc constamment Le Mikado ne peut ecirctre exposeacute agrave lrsquoair ni au soleil Son corps est sacreacute agrave un tel point qursquoil ne coupe ni ses cheveux ni ses ongles ni sa barbe On le lave pendant son sommeil ce qursquoon enlegraveve alors de son corps est consideacutereacute comme un vol qui ne porte aucun preacuteju-dice agrave sa sainteteacute Il devait jadis rester assis chaque matin plusieurs heures sur son trocircne sans remuer fut-ce une paupiegravere De son immobiliteacute deacutependaient la paix et le bonheur de son empire On a transfeacutereacute ce privilegravege agrave la couronne royale qui seule aujourdrsquohui est placeacutee sur le trocircne pendant plusieurs heures chaque matin Les mets du Mikado sont preacutepareacutes chaque fois dans des plats neufs par eacuteconomie ces plats sont en terre commune et ne servent qursquoune fois

272 Brugsch Dictionnaire geacuteographique p 627 Frazer Le rameau drsquoor I p 72 drsquoapregraves la relation de Kaempfer

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On les brise ensuite car si un profane srsquoen servait il aurait une inflammation de la bouche et de la gorge Les vecirctements feraient de mecircme enfler celui qui les porterait sans lrsquoautorisation du Mikado raquo

Le principal service que lrsquoon attende de ces rois-dieux crsquoest de commander agrave la nature On leur precircte le pouvoir de faire tomber la pluie briller le soleil pous-ser les reacutecoltes agrave ce titre on les appelle chez les non-civiliseacutes les rois du temps de lrsquoeau du feu des moissons

Ces pouvoirs on les precirctait certainement aux Pharaons primitifs Si en Eacutegyp-te les sorciers passaient pour avoir la puissance drsquoarrecircter le cours des astres et des fleuves de renverser le ciel ou la terre de faire agrave volonteacute la nuit ou le jour la pluie ou le beau temps nul doute que le Pharaon laquo le maicirctre des charmes magiques agrave qui Thot lui-mecircme avait enseigneacute tous ses secrets 27 raquo ne fucirct estimeacute plus capable encore que nrsquoimporte quel autre magicien drsquoagir agrave son greacute sur la nature Drsquoailleurs des traditions ou les attestations des monuments permettent de preacuteciser ces pouvoirs

Comme roi de lrsquoeau Pharaon commandait peut-ecirctre rarement la pluie car il ne pleut pas souvent en Eacutegypte ougrave lrsquoinondation peacuteriodique du Nil suppleacutee aux eaux du ciel Mais crsquoest Pharaon qui fait venir la crue par ses priegraveres (fig 0) ou ses incantations Nous savons par les stegraveles graveacutees agrave Silsilis au temps de Ramsegraves II qursquoau premier jour de la crue agrave la date ougrave du ciel tombait eacutechappeacutee aux yeux de Nout ou drsquoIsis la goutte drsquoeau qui deacuteclenche lrsquoinondation fertilisante le roi jetait lui-mecircme au fleuve un ordre eacutecrit de commencer la crue 27 crsquoeacutetait sans doute une formule magique de puissance irreacutesistible Quand les mineurs de la reacutegion de lrsquoEtbaye vinrent dire au roi Ramsegraves II que sur la route suivie par eux et leurs acircnes tous les puits eacutetaient taris Pharaon convoqua ses conseillers et ses magiciens et ceux-ci dirent au roi laquo Si tu dis agrave lrsquoeau ldquo Viens sur la montagne rdquo les eaux ceacutelestes sortiront tocirct agrave lrsquoappel de ta bouche 276 raquo Ramsegraves II fit forer des puits arteacutesiens qui permirent drsquoameacuteliorer le rendement des citernes mais dans lrsquoesprit du peuple lrsquoordre du roi avait suffi lrsquoeau avait surgi docile agrave sa voix

27 Sethe Urkunden IV p -2027 Aegyptische Zeitschrift 87 p 2276 stegravele de Kouban I 7

86

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ramsegraves III moissonne et implore le dieu Nil qui donne lrsquoabondance agrave lrsquoEacutegypte

Meacutedinet-Abou 277

Pharaon est aussi comme les autres rois primitifs roi du feu ceacuteleste la foudre Sa tecircte est ceinte de lrsquoUraeligus qui crache le feu agrave travers lrsquoespace ceacuteleste pareille agrave la comegravete eacutecheveleacutee sa voix terrifie ses ennemis par des hem hem 278 il est pareil agrave ces rois de Tahiti dont la voix est le tonnerre 27 Ne brandit-il pas le sceptre descendu du ciel en ses mains comme un carreau de foudre 280

Enfin roi des moissons Pharaon deacutefriche la terre avec le hoyau et preacuteside aux semailles 28 faucille en main crsquoest lui qui coupe la gerbe de bleacute 282 dans ces champs dont lrsquoabondance est due au Nil deacutebordeacute agrave son commandement Une tradition conserveacutee par les auteurs affirme la responsabiliteacute des animaux sacreacutes les anciens totems et du roi leur substitut laquo Lorsque dit Plutarque 28 il survient une chaleur excessive et pernicieuse qui produit ou des eacutepideacutemies ou drsquoautres calamiteacutes extraordinaires les precirctres font choix de quelques-uns des animaux sacreacutes et les emmenant avec le plus grand secret dans un lieu obscur

277 Drsquoapregraves un clicheacute obligeamment communiqueacute par M Lepage278 stegravele de Thoutmegraves iii 827 Frazer Le rameau drsquoor I p 7280 Sur la forme speacuteciale de certains sceptres royaux cf A Moret Du caractegravere religieux p 228 Un roi archaiumlque le laquo Scorpion raquo manie le hoyau assisteacute drsquoun servant qui tient le boisseau des grains pour les semailles sur une tecircte de massue sculpteacutee conserveacutee agrave Oxford Cf Quibell Hierakonpolis I pi XXVI c et J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte p 22-2282 Paneacutegyrie de Min au Ramesseum (Ramsegraves II) L D III 6 agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) L D III 22 b28 De iside et Osiride 7

87

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ils cherchent drsquoabord agrave les effrayer par des menaces si le mal continue ils les eacutegorgent et les offrent en sacrifice soit pour punir le mauvais geacutenie soit comme une des plus grandes expiations qursquoils puissent faire raquo Drsquoapregraves Ammien Marcel-lin (XXVIII ) ce ne sont point les animaux sacreacutes mais les rois eux-mecircmes qui sont responsables des calamiteacutes publiques de la guerre des mauvaises reacutecol-tes 28 Rapprochons de ces textes la tradition biblique qui impute aux Pharaons de Joseph ou de Moiumlse les sept anneacutees de famine et les dix plaies de lrsquoEacutegypte 28 la stegravele apocryphe du roi Deser ougrave un Pharaon de lrsquoeacutepoque archaiumlque cherche dans des grimoires magiques les moyens de conjurer la famine et la seacutecheresse 286 les leacutegendes maneacutethoniennes sur les rois Ameacutenophis 287 et Bocchoris 288 jugeacutes responsables de la santeacute publique lors drsquoune eacutepideacutemie de peste et nous aurons la certitude que les Eacutegyptiens comme certains non-civiliseacutes rendaient le roi res-ponsable des deacutefaillances de la nature 28

Ajoutons de suite le correctif neacutecessaire de bonne heure les Pharaons qui ont su si bien transformer en monarchie absolue le clan toteacutemique ont eacuteteacute assez avi-seacutes pour eacutechapper agrave leurs responsabiliteacutes Preuve en est la faccedilon dont ils semblent avoir corrigeacute agrave leur profit une coutume fort barbare qursquoon applique souvent aux rois des populations primitives

Cette coutume a eacuteteacute preacuteciseacutee par M Frazer en ces termes 20 laquo Les peuples primitifs croient souvent que leur seacutecuriteacute et celle du monde en-

tier deacutependent de la vie drsquoun de ces hommes-dieux qui incarnent agrave leurs yeux la diviniteacute Naturellement ils prennent le plus grand soin drsquoune vie aussi preacutecieuse en songeant surtout agrave conserver la leur Mais rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourirhellip Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastrophes ne se produiront pas lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de

28 En Germanie laquo rex ritu veteri potestate deposita rernovetur si sub eo fortuna titubaverit belli vel segetum copiam negaverit terra ut solent Aegyptii casus ejusmodi suis adsignare rectoribus raquo28 genegravese xli exode X 27286 Brugsch Die sieben biblisehen Jahre der Hungersnoth texte I I et suiv287 Josegravephe C Apion I 26288 A Moret De Bocchori rege p et suiv28 Cf Frazer Le rameau drsquoor I p 7 laquo Partouthellip le roi doit ecirctre consideacutereacute par ses sujets comme la source drsquoabondantes beacuteneacutedictions et de graves dangers Drsquoune part il fait tomber la pluie luire le soleil souffler les vents favorables mais drsquoautre part ce qursquoil donne il peut le refuser et la moindre irreacutegulariteacute commise par lui peut provoquer un cataclysme raquo20 Le rameau drsquoor II p -

88

Les Mystegraveres eacutegyptiens

transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Le meurtre rituel du roi quand lrsquoacircge commence agrave lrsquoaffaiblir srsquoest pratiqueacute chez la plupart des peuples sauvages ou demi-civiliseacutes en Afrique aux Indes en Australie au Mexique partout on retrouve cette coutume Parfois le peuple nrsquoat-tendait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau XVIe siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans Nous renvoyons au livre de Frazer pour le deacutetail et nous y ajouterons celui-ci dans la reacutegion du Haut-Nil (districts de Fachoda) les rois du Shilluk sont encore actuellement soumis agrave ce reacutegime meurtrier 2 Quand le roi du Shilluk montre des signes de seacuteniliteacute ou de maladie un de ses fils a le droit drsquoessayer de tuer son pegravere en peacuteneacutetrant de nuit aupregraves de lui Aussi le roi assurent les voyageurs ne dort-il que le jour et se tient-il eacuteveilleacute tout ou partie de la nuit En drsquoautres cas lrsquohonneur de tuer le roi revient aux membres drsquoune fa-mille de lrsquoaristocratie ils annoncent au roi que son heure de mourir est venue en jetant sur sa figure et ses genoux une piegravece drsquoeacutetoffe pendant son sommeil puis le roi est mureacute dans une cabane il y meurt de famine ou drsquoasphyxie agrave moins qursquoon ne lrsquoait preacutealablement eacutetrangleacute

Partout comme bien on pense les rois se sont efforceacutes drsquoeacutechapper agrave cette lamentable fin Ils y arrivegraverent les uns par la violence les autres en faisant ad-mettre des atteacutenuations progressives et la substitution de victimes reacuteelles ou fic-tives 22 Mais ces substitutions nrsquoeacutetaient toleacutereacutees qursquoagrave une condition crsquoest que le roi vieilli reccedilucirct du meurtre rituel fictif ou reacuteel un renouveau de jeunesse et de santeacute le sang verseacute de la victime reacutegeacuteneacuterait son corps affaibli par une sorte de baptecircme et de renaissance

Les premiers Pharaons durent-ils srsquoassujettir agrave ce sacrifice barbare Il eacutetait pra-tiqueacute disent les auteurs classiques dans une reacutegion toute voisine de lrsquoEacutegypte le pays de Meacuteroeacute dans le Haut-Nil laquo Les rois eacutethiopiens de Meacuteroeacute eacutetaient adoreacutes comme des dieux mais quand les precirctres le voulaient ils leur envoyaient par un messager lrsquoordre de se tuer ordre soi-disant reccedilu des dieux Jusqursquoau regravegne drsquoErgamegravene contemporain de Ptoleacutemeacutee II les princes eacutethiopiens obeacuteirent tou-jours agrave cet ordre Mais Ergamegravene avait reccedilu une eacuteducation grecque qui lrsquoavait affranchi des superstitions de ses concitoyens loin drsquoobeacuteir aux precirctres il entra

2 Seligmann The cult of nyakong end the divine Kings of the shilluk p 22 (IV Report of the Wellcome tropical research laboratories at the Gordon college Khartoum Vol B General Science )22 Voir plus loin rois de Carnaval p 22

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans le Temple drsquoor agrave la tecircte drsquoune troupe de soldats et fit passer les precirctres au fil de lrsquoeacutepeacutee 2 raquo

Pour lrsquoEacutegypte mecircme il ressort des documents que les Pharaons avaient depuis bien des siegravecles tourneacute la loi sanguinaire mais lrsquoexistence mecircme de cette loi dans lrsquoEacutegypte primitive me semble incontestable

Dans la plupart des temples drsquoEacutegypte et de toutes les eacutepoques des tableaux nous retracent les scegravenes principales drsquoune fecircte solennelle appeleacutee laquo fecircte de la queue raquo fecircte sed Elle consistait essentiellement en une repreacutesentation de la mort rituelle du roi suivie de sa renaissance 2

Figure 0laquo Osorkon II repose agrave lrsquointeacuterieur du tombeau raquo en preacutesence des dieux et de son ka lors de la fecircte Sed Au-dessous precirctres vecirctus de la peau

En cette circonstance le roi est identifieacute agrave Osiris le dieu qui agrave lrsquoeacutepoque histo-rique est le heacuteros du drame sacreacute de lrsquohumaniteacute qui nous guide agrave travers la triple eacutetape vie mort renaissance en lrsquoautre monde Aussi vecirctu du funeacuteraire drsquoOsi-ris le maillot collant en forme de linceul Pharaon est-il conduit au tombeau 2

2 Frazer Le rameau drsquoor II p 7 Cf Diodore III 6 Strabon XVII 2 2 Cf Fl Petrie researches in sinaiuml p 82 et suiv The palace of Apries (Memphis ii) p 8 et suiv2 Petrie gurneh pl V-VII et texte p cl Ed Naville The Festival Holl of Osorkon ii pl X notre fig 0

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

il en revient rajeuni et renaissant tel qursquoOsiris au sortir de la mort Comment se reacutealisait cette fiction et srsquoopeacuterait ce miracle par le sacrifice de victimes humaines ou animales Un precirctre se couche pour le compte du roi dans la peau de la vic-time animale il y prend la position caracteacuteristique qursquoa le fœtus dans le sein de la megravere quand il sortira de la peau il sera censeacute renaicirctre Pharaon pour qui ce rite est ceacuteleacutebreacute renaicirct lui-mecircme ou pour employer lrsquoexpression eacutegyptienne laquo il renouvelle ses naissances raquo Et en teacutemoignage que les rites ont eacuteteacute accomplis le roi ceint ses reins de la queue abreacutegeacute de la deacutepouille de la becircte sacrifieacutee (drsquoougrave le nom laquo fecircte de la queue raquo)

Comment srsquoexpliquer qursquoagrave un moment de son regravegne tout Pharaon doive su-bir cette mort rituelle suivie drsquoune renaissance fictive Srsquoagit-il seulement drsquoun renouvellement de lrsquoinitiation osirienne ou la fecircte offre-t-elle des caractegraveres plus particuliers Le rocircle drsquoailleurs mal deacutefini joueacute dans ces rites par les enfants royaux me semble indiquer que la fecircte sed met en scegravene drsquoautres eacutepisodes re-latifs agrave la transmission de la charge royale En Eacutegypte agrave lrsquoeacutepoque ougrave srsquoeacutebauchait la civilisation le peuple a peut-ecirctre connu lrsquoalternative ou de mettre agrave mort son roi en pleine vigueur afin que sa force soit transmise intacte au successeur ou de srsquoingeacutenier agrave rajeunir ce roi et agrave laquo renouveler sa vie raquo Ce dernier moyen les Pharaons lrsquoont trouveacute quoi de plus efficace que de srsquoidentifier agrave Osiris de srsquoappliquer agrave eux-mecircmes les proceacutedeacutes de reacutesurrection ces rites funeacuteraires par lesquels Isis au dire des precirctres avait magiquement sauveacute de la mort son eacutepoux Peut-ecirctre la mort fictive du roi apparaicirct-elle comme une atteacutenuation du meurtre primitif du roi-dieu une transition de la reacutealiteacute barbare aux symboles 26

Or si les monuments de lrsquoeacutepoque classique nous ont pieusement deacutecrit ces rites encore en vigueur nous constatons qursquoagrave lrsquoeacutepoque archaiumlque presque tous les monuments royaux se rapportent justement agrave des eacutepisodes de la fecircte Sed 27 Voici sur la palette de Narmer le cortegravege solennel de la fecircte le roi se dirige vers le pavillon des fecirctes Sed devant lui trois des enseignes toteacutemiques deux faucons un chacal et le fœtus preacutesage de la renaissance derriegravere lui un officiant que deacutesigne le mot laquo celui agrave prendre raquo (la victime) deacutejagrave revecirctu de la peau de becircte Crsquoest lui qui passera par la peau de la victime agrave moins qursquoil ne soit reacuteellement sacrifieacute Drsquoailleurs le roi assomme de sa propre main ou fait deacutecapiter un cer-

26 Sur lrsquouniversaliteacute de ces sacrifices rituels du roi et la survivance de ces ideacutees jusqursquoagrave notre eacutepoque voir plus bas rois de Carnaval27 A Moret Du caractegravere religieux p 20 2 262 cf Petrie royal tombs I pl VIII XI Les plus importants des monuments royaux sont les palettes votives dont les principales ont eacuteteacute reproduites par Legge (proceedings s B A XXII) cf J Capart l c p 22-2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tain nombre de prisonniers de guerre dont la vie freacutemissante assurera le rachat de la seacuteniliteacute royale 28

Apregraves le sacrifice le roi deacutejagrave revecirctu du maillot osirien est introniseacute en grand apparat Devant lui on amegravene les laquo enfants royaux raquo soit que le roi doive srsquoasso-cier son fils agrave ce moment (pour que la digniteacute royale continue drsquohabiter un corps jeune et vigoureux) soit que lrsquoheacuteritier soit preacutesent comme garantie de lrsquoavenir Et le roi exeacutecute une danse rituelle en lrsquohonneur des dieux les animaux eux-mecirc-mes tournent dans une aire comme pour un taurobole sacreacute La fecircte se termine par un sacrifice et des fondations de temples en lrsquohonneur des dieux protecteurs du roi et du roi-dieu lui-mecircme 2

Que conclure en outre de la preacutesence degraves lrsquoaube de lrsquoeacutepoque archaiumlque de certains traits comme le costume osirien 00 lrsquoenseigne du fœtus Crsquoest que les rois drsquoHierakonpolis de Negadah et drsquoAbydos ont su non seulement imposer la substitution drsquoune victime agrave eux-mecircmes pour le sacrifice royal mais ont fait deacutejagrave accepter agrave leurs sujets la leacutegende divine drsquoOsiris la substitution des victimes srsquoappuie deacutesormais sur lrsquoautoriteacute drsquoune reacuteveacutelation divine Si le peuple drsquoEacutegypte admet degraves cette eacutepoque que le roi peut laquo renouveler sa vie raquo au fur et agrave mesure qursquoil avance en acircge crsquoest que le dogme de la reacutedemption par le dieu Osiris a deacutejagrave produit dans les esprits une reacutevolution morale lrsquohistoire de la passion de la mort de la reacutesurrection du dieu avait ouvert aux hommes les perspectives drsquoun rajeunissement eacuteternel dont les rois ont eacuteteacute ici-bas et de leur vivant les premiers beacuteneacuteficiaires

Ainsi depuis quinze agrave vingt ans la science des origines de lrsquoEacutegypte a notable-ment progresseacute Les neacutecropoles archaiumlques nous ont livreacute au moins un de leurs secrets

Cette orgueilleuse monarchie eacutegyptienne qui se campait agrave lrsquoentreacutee de lrsquohistoire mdash comme les Pyramides son symbole agrave lrsquoentreacutee du deacutesert mdash et qui derriegravere son profil imposant masquait lrsquoeacutetendue du passeacute elle ne srsquoest pas eacutedifieacutee lagrave tout drsquoun coup Elle srsquoest faite bloc agrave bloc conquecircte apregraves conquecircte au cours de siegravecles teacuteneacutebreux qui remontent vers lrsquoinconnu vers ces temps ougrave lrsquoEacutegypte est morceleacutee en clans diviseacutee en tribus ennemies mais srsquoachemine peu agrave peu drsquoun Eacutetat deacute-mocratique sous lrsquoeacutegide des totems agrave lrsquoautocratie pure sous lrsquoeacutegide du Pharaon Apregraves combien de siegravecles srsquoopeacutera cette transformation quelle fut lrsquohistoire agiteacutee

28 Quibell Hierakonpolis pl XXIX J Capart l c p 262 Cf la masse drsquoarmes sculpteacutee Quibeli Hierakonpolis pl XXVI B La mecircme ap J Capart p 2 la course du roi est sur la tablette du roi Den ap Petrie royal tombs I pl XI et XV00 A Moret Du caractegravere religieux p 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de ces clans comment le clan lui-mecircme srsquoest formeacute et srsquoil srsquoest deacuteveloppeacute agrave la fa-ccedilon des clans toteacutemiques dans les autres pays non civiliseacutes autant de problegravemes qui restent agrave reacutesoudre

Le fait essentiel agrave retenir de ces investigations crsquoest que le premier groupe-ment social connu dans lrsquohistoire rappelle lrsquoorganisation toteacutemique des peupla-des sauvages drsquoaujourdrsquohui Si chez ces sauvages le toteacutemisme apparaicirct comme un rudiment de vie sociale est-il hasardeux drsquoinfeacuterer qursquoen Eacutegypte nous tou-chons mdash provisoirement mdash au point de deacutepart de lrsquohumaniteacute historique en mar-che vers la civilisation

Ces premiegraveres annales de lrsquohistoire ont une grandeur eacutemouvante La frater-niteacute le communisme lrsquoaltruisme auraient-ils donc eacuteteacute la religion des premiers acircges Ne nous laissons pas entraicircner vers des speacuteculations trop flatteuses Cette socieacuteteacute primitive se reacutevegravele agrave nous sous des eacutetendards de guerre en des scegravenes de massacre Pourtant lrsquoheacuteritier du roi-totem est une sorte de dieu la providence de son peuple qursquoil sauve en srsquoimmolant tant drsquoabneacutegation lui aurait fait deacutecer-ner par Carlyle la palme de premier heacuteros de lrsquohistoire si Carlyle avait connu ce lointain ancecirctre

Hacirctons-nous drsquoajouter que si la ligneacutee pitoyable et sublime de tels heacuteros a pu durer des milleacutenaires dans certains pays comme lrsquoEacutethiopie lrsquoEacutegypte a produit une race drsquohommes plus aviseacutes De bonne heure nous lrsquoavons vu Pharaon nrsquoa gardeacute du roi-dieu que les obligations agreacuteables et les privilegraveges glorieux il en a prudemment eacuteludeacute les charges surtout il a eacutechappeacute agrave la fataliteacute du meurtre final Politique retors precirctre subtil Pharaon nrsquoa pas briseacute avec la tradition il a adopteacute au lieu de les abattre les drapeaux ennemis il a preacuteposeacute drsquoautres victimes au sacrifice qursquoon exigeait de lui et inventeacute une meacutethode de rajeunissement qui ne le forccedilait ni agrave se deacutemettre ni agrave se tuer Les Eacutegyptiens reacuteclamaient des dieux un roi qui fucirct toujours jeune et vigoureux Pharaon a rempli ce vœu agrave tel point que la monarchie eacutegyptienne a fleuri forte et vivace pendant quatre mille ans

Iv

Le laquo ka raquo des eacutegyptIens est-IL un ancIen toteM

Le mot ka deacutefinit une conception qui joue un rocircle tregraves important dans la vie religieuse des anciens Eacutegyptiens Les dieux les rois les simples humains et mecircme des choses (par exemple certains eacutedifices) possegravedent un ka drsquoune faccedilon tregraves geacuteneacuterale il deacutesigne le principe de vie animeacutee ou inanimeacutee La traduction de ce mot est fort difficile car elle suppose une interpreacutetation

Lepage-Renouf dans une eacutetude exhaustive 0 a mis en lumiegravere les diffeacuterents aspects du ka tour agrave tour image genius dieu protecteur double spirituel mais il ne traduit point le mot Maspero a proposeacute de rendre ka par double 02 parce que le ka du roi est souvent repreacutesenteacute agrave cocircteacute du Pharaon comme laquo une sorte drsquoombre claire analogue agrave un reflet agrave une projection vivante et coloreacutee de la figure humaine un double qui reproduisait dans ses moindres deacutetails lrsquoimage entiegravere de lrsquoobjet ou de lrsquoindividu auquel il appartenait 0 raquo Ce sens double a eacuteteacute longtemps admis sans discussion Cependant Lefeacutebure preacutefeacuterait traduire geacute-nie 0 parce que la racine ka deacutetermineacutee par le taureau ou le phallus deacutesigne le taureau il semble par conseacutequent que si le ka exprime une forme drsquoacircme crsquoest au sens de geacutenie ce terme eacutetant lui aussi apparenteacute aux ideacutees de race γένος et de geacuteneacuteration Tout derniegraverement Steindorff 0 a contesteacute que le ka des rois soit une effigie agrave la ressemblance du Pharaon et que le ka des hommes ait jamais eacuteteacute repreacutesenteacute par les statues funeacuteraires ideacutee preacuteconiseacutee par Maspero 06 il a soutenu cette thegravese le ka est une image distincte du portrait du roi et plutocirct un laquo dieu protecteur raquo qui garde le roi pendant sa vie et dont on met la statue dans le tombeau royal pour proteacuteger le Pharaon dans lrsquoautre monde Drsquoautre part

0 On the sens of an important egyptian Word ap transactions of society of Biblical Archaeligology VI (878) p et suiv02 eacutetudes de mythologie et drsquoarcheacuteologie I p 7 et suiv0 Histoire I p 080 sphinx I p 080 Der Ka und die grabstatuen (Zeitschrift fuumlr aegyptische sprache XLVIII p 2 et suiv) Maspero a deacutefendu sa thegravese dans une reacuteponse Le laquo Ka raquo des Eacutegyptiens est-il un geacutenie ou un double parue dans Memnon VI 2- 206 eacutetudes de mythologie I p 7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

F von Bissing 07 relevant les textes ougrave la racine ka (au pluriel kaou) deacutesigne les aliments les offrandes et en geacuteneacuteral tout ce qui sert agrave sustenter la vie voit dans le ka une personnification laquo de ce qui dans lrsquohomme deacutepend de la nourriture et de lrsquoalimentation raquo un principe de vie et de force mateacuterielle Enfin degraves 06 Loret a preacutesenteacute une deacutefinition inteacuteressante et nouvelle laquo le ka drsquoun individu crsquoest sa substance mecircme son nom impeacuterissable son totem 08 raquo Mais Loret nrsquoa pas justifieacute dans le deacutetail son interpreacutetation 0 qui a passeacute inaperccedilue

La diversiteacute de ces traductions laquo double geacutenie dieu protecteur principe de vie mateacuterielle et intellectuelle totem raquo prouve au moins ceci crsquoest que lrsquoideacutee de ka est complexe plus qursquoon ne lrsquoavait soupccedilonneacute Il convient donc de preacuteciser les ideacutees ou les faits qui se rattachent au ka eacutegyptien

Sur les monuments les plus anciens les vases de lrsquoeacutepoque protohistorique le ka nous apparaicirct drsquoabord comme une enseigne de collectiviteacute 0 du type de celles qui ont persisteacute dans lrsquoEacutegypte historique et servent d rsquo e m b l egrave m e aux nomes eacutegyptiens Mais le signe ne srsquoest pas conserveacute dans cet emploi bien que dans lrsquoeacutecriture on ait gardeacute lrsquohabitude drsquoeacutecrire le mot ka par le signe des bras sur le pavois

Tregraves freacutequent au contraire depuis lrsquoeacutepoque archaiumlque et jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne est lrsquousage du ka comme nom Crsquoest une eacutepithegravete qursquoon accole aux noms des simples particuliers speacutecialement agrave lrsquoeacutepoque primitive il apparaicirct sur certaines stegraveles de Negadah et drsquoAbydost deacutedieacutees agrave tel ou tel indi-vidu laquo ka consacreacute raquo ka iahou Pris comme nom de particuliers lrsquousage ne srsquoen veacuterifie guegravere qursquoagrave la peacuteriode primitive Au contraire le ka est par ex-cellence agrave toutes les eacutepoques en relation avec le nom du roi Il srsquoeacutecrit alors par deux bras leveacutes supportant un plan rectangulaire drsquoeacutedifice agrave lrsquointeacuterieur du plan est un nom exprimant une qualiteacute laquo le batailleur raquo laquo le fort raquo le laquo veacuteneacuterable raquo etc

07 Versuch einer neuen erkaumldrung des Karsquoi (apud sitzberg Bayerischen Akad Maumlrz 0)08 Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Museacutee Guimet Bibl de vulgarisation t xix p 20)0 Cf revue eacutegyptologique 0 t XI p 87 Jrsquoespegravere pouvoir eacutetablir sous peu que ce mot ka deacutesigne agrave lrsquoorigine le totem personnel royal crsquoest-agrave-dire le Faucon En attendant et sans en faire la deacutemonstration pour le moment je me contenterai de dire que ce mot ka deacuterive drsquoune racine signifiant laquo engendrer raquo Le ka royal est donc laquo ce qui se perpeacutetue par engendrement raquo mdash De-puis Loret nrsquoa pas agrave ma connaissance donneacute drsquoautre exposeacute que la phrase citeacutee dans le texte et publieacutee en 060 V Loret revue eacutegyptologique XI p 80 fig et 6 Cf les stegraveles drsquoAbydos reproduites par de Morgan recherches sur les origines de lrsquoeacutegypte II p 2 20 Petrie royal tombs I pl XXXI-XXXII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et au-dessus on dessine lrsquoimage du faucon Comme le faucon est devenu par la suite le dieu Horus on a pris lrsquohabitude drsquoappeler ce nom de ka = le nom drsquoHo-rus 2 Il est bien connu que tout pharaon agrave son couronnement reccediloit un nom drsquoHorus crsquoest-agrave-dire un nom de ka Or le nom en Eacutegypte comme dans les autres socieacuteteacutes primitives est une veacuteritable deacutefinition de lrsquoessence intime des ecirctres la formule magique de sa nature secregravete que le mot eacutecrit reacutevegravele aux yeux crsquoest pourquoi quand on connaicirct le nom drsquoun ecirctre ou drsquoune chose on les tient en son pouvoir Parfois on repreacutesente ce nom muni de bras maniant des at-tributs (fig ) comme il arrive aussi pour le faucon crsquoest montrer que le nom nrsquoest pas seulement un symbole repreacutesentatif mais un ecirctre vivant et agis-sant Enfin pour les Eacutegyptiens les notions de ka et le nom royal se confondent si bien qursquoon trouve souvent le mot deacutetermineacute par le cartouche qui ceint le nom royal

Le ka nom du roi est donc la notation graphique de ce qursquoil y a drsquoessentiel dans la personne du roi Cependant le ka conserve une figure distincte de la figure royale A Louxor Deir-el-Bahari Dendeacuterah Erment dans les tableaux qui repreacutesentent la naissance du Pharaon 6 on voit naicirctre avec celui-ci le ka du roi sous la forme drsquoun enfant pareil agrave lrsquoenfant royal quand le roi devient adulte le ka grandit aussi mais tandis que le roi vieillit le ka se fixe dans la forme adulte 7 et drsquoaspect toujours jeune il ne semble pas subir les atteintes du temps 8

2 G Maspero sur les quatre noms officiels des rois drsquoeacutegypte (eacutetudes eacutegyptiennes II p 27 et suiv) et Histoire I p 28 et suiv cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 7 et suiv E Lefeacutebure Le nom dans lrsquoancienne eacutegypte (ap sphinx I p 06 et suiv) A Moret Du caractegravere religieux p 7 222 V Loret l c p 20 cf Brugsch Woumlrterbuch p 6 A Moret Du caractegravere religieux p 87 Crsquoest lrsquoaspect de la statue du ka du roi Hor Iouibracirc (De Morgan Dahchour I pl XXXIII)8 Crsquoest ce qursquoa bien montreacute Steindorff l c p 7-8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ameacutenophis III sacrifiant agrave Amon Derriegravere le roile laquo ka royal vivant raquo sous forme de nom animeacute

Drsquoailleurs le ka diffegravere du type consacreacute de la personne royale il porte la perruque divine la barbe divine et non la barbe carreacutee il nrsquoa pas lrsquoUraeligus au front sur sa tecircte se dresse le agrave la main il tient une hampe surmonteacutee drsquoune tecircte de ka 20 parfois comme les dieux le ka royal nrsquoa pas besoin du corps humain seul le signe hieacuteroglyphique muni de bras qui portent les insignes suffit agrave le repreacutesenter 2 On reconnaicirct agrave ces particulariteacutes que la figure du ka royal est celle drsquoun dieu Enfin quand le ka accompagne le roi il est toujours repreacutesenteacute derriegravere celui-ci crsquoest-agrave-dire dans lrsquoattitude de garde ( sa) 22 Drsquoougrave il suit que le ka est lagrave pour proteacuteger le roi Von Bissing et Spiegelberg ont mon-treacute qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine ka est rendu en deacutemotique par shaiuml = ψαίς ὁ

ἄγαθος δαίμων 2

Le ka royal est donc parfois un dieu protecteur mdash drsquoougrave la traduction schutzgott proposeacutee par Steindorff

Mariette Abydos pl Cf A Moret l c ) 2220 Le ka du roi est geacuteneacuteralement repreacutesenteacute par un dieu adulte plus petit que le pharaon il est cependant parfois de mecircme taille que le roi mdash Cf notre fig 22 Cf fig 22 A Moret l c p 7 2 222 222 Aeg Zeitschrift XLIX p 26 Von Bissing l c p

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette protection ne srsquoarrecircte pas a la mort elle se continue dans lrsquoautre vie Car le ka ne meurt point Quand le roi meurt on dit laquo que son ka le rejoint raquo au ciel ou laquo qursquoil srsquoen va avec son ka 2 raquo Crsquoest une loi geacuteneacuterale pour les dieux comme pour les hommes laquo Tout ce qui passe passe dans lrsquoautre monde avec son ka Horus passe avec son ka Thot passe avec son ka Sop passe avec son ka toi (ocirc mort) passe donc avec ton ka 2 raquo

Dans les tombes de lrsquoeacutepoque memphite les for-mules nous apprennent que laquo mourir raquo crsquoest laquo passer agrave son ka 26 raquo Crsquoest laquo srsquoen aller accompagneacute de ses kaou raquo dans lrsquoautre monde 27 Si pour tous les ecirctres vivants mourir crsquoest laquo aller vivre avec son ka 28 raquo naicirc-tre qursquoest-ce donc sinon sortir drsquoun ka primordial Concluons que le ka prend ici lrsquoaspect drsquoun geacutenie de la race qui naicirct avec lrsquoindividu grandit avec lui puis sans mourir reccediloit le deacutefunt dans son sein 2

Mais comment concilier ces notions avec le sens laquo nourriture offrandes raquo qui appartient agrave ce mecircme mot ka sous la forme plurielle kaou F von Bis-sing qui a reacutecemment attireacute lrsquoatten- tion sur ce sens speacutecial de la racine ka 0 a citeacute avec raison cer-tains tableaux des temples drsquoeacutepoque greacuteco-romaine ougrave lrsquoon a repreacutesenteacute non point une forme du ka royal mais quatorze (parfois mecircme vingt-huit car il y a ka femelles agrave cocircteacute de ka macircles) Chacune de ces figu-

2 sper ka-f r f (pyr drsquoOunas 8) seb hnacirc ka-f (Canas )2 Sethe pyramidentexte I p 0 0 60 II p 2 277 26 seb n ka-f (Sethe Urkunden alten reiches p 6 7 7 Aussi le mot ka est-il parfois deacutetermineacute par la momie )27 shest-f in kaou-f Mariette Mastabas p J Capart Une rue de tombeaux pl XI et p 7 et Aeg Zeitschrift XLII p Cf lrsquoexpression pour laquo mourir raquo hep n ka-f (Mastabas p 60) Un texte speacutecifie que le mort est tireacute accueilli par la main tendue laquo de ses kaou et de ses pegraveres raquo (Mastabas p ) Lrsquoendroit du ciel ougrave le deacutefunt et les dieux laquo passent agrave leurs kaou raquo est agrave lrsquoOrient pregraves du soleil levant crsquoest-agrave-dire aux sources de la renaissance (pyr de peacutepi i 8) et aussi vers le laquo champ des offrandes raquo crsquoest-agrave-dire aux sources de lrsquoalimentation (pyr de peacutepi i L 7 peacutepi ii 62)28 Anh hnacirc ka-f (pyr de peacutepi i 6)2 Il en est de mecircme pour le roi dans ses rapports avec le Faucon dont il naicirct qui grandit avec lui et en qui il se reacutesorbe apregraves la mort0 Versuch einer neuen erkluumlrung des Karsquoi

Figure 2Thoutmegraves et son ka visitent Amon le laquo ka royal vivant raquo sous forme de dieu adulte

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

res divines porte un nom la richesse la force la vigueur la stabiliteacute la noblesse lrsquointelligence (magique ) la lumiegravere la connaissance

le goucirct la vue lrsquoouiumle lrsquoabondance (litt lrsquoapprovisionne-ment) lrsquoalimentation la seacutepulture () Qursquoest-ce agrave dire sinon que ces quatorze formes du ka personnifient les eacuteleacutements de prospeacuteriteacute mateacuterielle et intellectuelle tout ce qui est neacutecessaire agrave la santeacute du corps et de lrsquoesprit Juste-ment un texte de philosophie memphite que von Bissing aurait ducirc citer 2 nous fournit un commentaire de ces tableaux Il est dit que le Deacutemiurge laquo creacutea de son Verbe les kaou et pacifia les forces hostiles (hm-stou) et creacutea toutes les provisions (kaou) et toutes les offrandes par sa parole creacuteant ainsi le bon et le mauvais raquo Sous ce nom de ka il faut donc entendre non pas seulement le prin-cipe de vie du Pharaon des dieux et des hommes mais lrsquoensemble des forces vitales (auxquelles srsquoopposent les forces mauvaises hm-stou) et la nourriture qui alimente et sans laquelle deacutepeacuterit tout ce qui existe dans lrsquounivers

Mais ces kaou des choses ont-ils quelque rapport avec le ka du Pharaon des hommes et des dieux La reacuteponse nous est donneacutee par les tableaux des temples A Ombos chacun de ces kaou agrave la fois physiques et meacutetaphysiques porte le nom du Pharaon reacutegnant les leacutegendes speacutecifient que nous avons sous les yeux le ka de la force le ka de la richesse le ka des approvisionnements dans Ptoleacutemeacutee et chacune de ces entiteacutes se confond avec le ka royal On pourrait suspecter ces teacutemoignages comme trop reacutecents et soupccedilonner que ces concepts nrsquoeacutetaient pas ceux des premiers Eacutegyptiens Je crois pour ma part que la division du ka en quatorze figures symboliques est une subtiliteacute de la speacuteculation theacuteologique mais cette speacuteculation remonte deacutejagrave agrave lrsquoAncien Empire Von Bissing a deacutemon-treacute que dans les noms de ka adopteacutes par les rois de lrsquoAncien Empire Ouserka-f shepseska-f Dadkaracirc Ouserkaracirc on retrouve les mots ouser shepes dad qui deacutesignent les kaou du roi dans les tableaux citeacutes plus haut Jrsquoajoute que les

Pour la discussion des noms de ces kaou royaux je renvoie a von Bissing p 2- Aux textes citeacutes il convient drsquoajouter les tableaux drsquoOmbos (De Morgan Ombos I p 87 et suiv A Moret Du caractegravere religieux p 22) et les commentaires de Piehl insc Hieacuteroglyphiques II p 86 et suiv2 Texte publieacute par Breasted (Aep Zeitschrift XXXIX p et suiv) et de nouveau par Erman (sitzungsberichte der koumln preussischen Akad XLIII (Cf G Maspero sur la toute-puis-sance de la parole ap recueil de travaux XXIV p 68) Sur le sens de mtn cf Brugsch W s p 62 De Morgan Ombos I p 87 et suiv Von Bissing l c p Ajoutons le nom Ouad Kara qui vient de sortir des fouilles de Ko-plos ougrave la faculteacute Ouad se trouve en composition dans un nom royal (R Weill Les deacutecrets royaux p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

textes des Pyramides nomment deacutejagrave les principes mauvais agrave cocircteacute des kaou com-me dieux asservis au deacutefunt 6 Lrsquoideacutee est donc tregraves ancienne qui associait le ka agrave la vie universelle sous des formes preacutecises et diffeacuterencieacutees par un nom Quant agrave la confusion des ideacutees relatives au ka et agrave la nourriture kaou elle apparaicirct aussi degraves le temps des Pyramides quand les textes parlent des dieux et de leurs kaou

il faut souvent comprendre laquo les dieux et leur nourriture 7 raquo lrsquoendroit du ciel qursquoon appelle laquo champ du ka raquo est proche du laquo champ des offrandes 8 raquo Ces paralleacutelismes ne sauraient ecirctre fortuits en fait le ka symbolise aussi la force de vie qui reacuteside dans la nourriture

Je reacutesume ces diffeacuterents traits le ka est une enseigne de tribu un nom du roi ou des particuliers un geacutenie protecteur la source de vie drsquoougrave sortent et ougrave retournent le roi les dieux les hommes les choses les forces mateacuterielles et in-tellectuelles crsquoest enfin la nourriture qui entretient la vie universelle Or les socieacuteteacutes primitives aux premiers stades de leur eacutevolution croient agrave une force suprecircme qui reacuteunit tous ces attributs et mecircme drsquoautres encore Cette puissance crsquoest le totem agrave la fois signe de ralliement marque distinctive nom substance source de vie drsquoougrave lrsquoon naicirct et agrave laquelle on revient par la mort enfin nourriture des hommes Si la deacutefinition du totem que je preacutesente ici drsquoapregraves les theacuteoriciens est exacte crsquoest donc lrsquohypothegravese preacutesenteacutee par Loret sur le ka qui serait la plus compreacutehensive

Peut-on renouveler contre lrsquoeacutequation ka=totem la mecircme objection qursquoa souleveacutee une autre proposition de Loret faucon=totem et dire qursquoil srsquoagit de zoolacirctrie et non de toteacutemisme Le ka nrsquoeacutetant point un animal comment se-rait-il question ici de zoolacirctrie Mais dira-t-on les monuments ne repreacutesentent presque uniquement que le ka du Pharaon 0 crsquoest le ka du roi seul qui apparaicirct

6 pyr drsquoOunas I 02-0 teacuteti I 20 (Sethe I p 207) laquo Les Kaou de Teacuteti sont derriegravere lui les hm-stou de Teacuteti sont sous ses pieds raquo Les principes femelles agrave lrsquoorigine malfaisants semblent plus tard se confondre avec les Kaou (Brugsch W s p 7) Ils seraient ainsi reacuteellement laquo pa-cifieacutes raquo7 Par exemple pepi i I 028 teacuteti I cf peacutepi i I 7 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode comparative (revue de lrsquoHistoire des religions 08 t LVIII p et suiv)0 Crsquoest la thegravese deacutefendue par Steindorff l c contre lrsquohypothegravese de Maspero que le ka pour vivre devait animer les corps fictifs mais ressemblants sculpteacutes dans les tombes bas-reliefs ou statues On doit se demander en effet si ces repreacutesentations sont celles du ka ou des deacutefunts Les seules statues de ka certaines sont celles que le roi Hor Iouiracirc avait deacutedieacutees laquo au ka vivant

00

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sculpteacute dans les temples ou eacuterigeacute en statue lui seul symbolise les forces mateacute-rielles ou intellectuelles Srsquoil est vrai que les particuliers et mecircme les choses possegravedent un ka du moins ce ka nrsquoest-il pas comme il devrait lrsquoecirctre lrsquoeacutegal du ka royal Cependant le toteacutemisme est un reacutegime eacutegalitaire ougrave tous les membres jouissent pareillement de la protection du totem

A cette objection je reacutepondrai que mecircme dans les socieacuteteacutes toteacutemiques il arrive que le chef du clan srsquoarroge sur le totem un droit plus grand que les autres clansmen Jrsquoajoute que je ne crois point deacutemontrable lrsquoexistence du toteacute-misme inteacutegral 2 en Eacutegypte avec les documents actuels car crsquoest une Eacutegypte deacutejagrave transformeacutee que nous font connaicirctre les monuments archaiumlques Toutefois cette question meacuterite drsquoecirctre poseacutee lrsquoideacutee du ka complexe comme je lrsquoai mon-treacutee correspond-elle agrave une notion qui a pu ecirctre aux temps anteacuterieurs celle du totem et qui a eacutevolueacute

Lrsquohistoire drsquoEacutegypte nous apprend que le but opiniacirctrement viseacute par les Pha-raons a eacuteteacute de deacutetourner sur eux la foi qui srsquoattachait aux ecirctres surnaturels et drsquoincorporer en leur personne divine le plus possible de la religion Ainsi agrave cocircteacute du ka il existe probablement une autre forme de totem qui serait celle du faucon Dans les temps primitifs nous soupccedilonnons lrsquoexistence drsquoun clan des Faucons ayant comme emblegraveme nom pegravere et protecteur un Faucon Mais agrave lrsquoeacutepoque historique seul le chef est resteacute un Faucon qui participe agrave la chair agrave lrsquoessence au nom de lrsquooiseau ancestral ce faucon crsquoest le roi Le patrimoine de tous est devenu lrsquoapanage exclusif du Pharaon

Une eacutevolution parallegravele srsquoest-elle produite pour lrsquoideacutee du ka Ce qui tendrait agrave le faire admettre crsquoest que ka et faucon se confondent en la personne du roi nous avons vu plus haut que le nom de ka crsquoest le nom royal preacuteceacutedeacute du faucon le nom drsquoHorus De mecircme que Pharaon est resteacute le Faucon unique de mecircme a-t-il pu garder pour lui seul certains privilegraveges relatifs au ka pharaon permet

qui reacuteside dans la double salle drsquoadoration raquo

(De Morgan Dahehour 8 p ) une autre statuette de ka du mecircme roi mais moins bien conserveacutee est citeacutee par de Morgan p Par exemple certains eacutedifices cf Steindorff l c p 2 Drsquoailleurs bien difficile agrave deacutefinir si lrsquoon en croit les conclusions actuelles de Frazer et van Gennep Je ne partage point lrsquoideacutee eacutemise par Steindorff (l c p ) que le roi a eu le premier un ka et qursquoil a eacutetendu ce privilegravege agrave ses sujets Les monuments indiquent au contraire me semble-t-il qursquoagrave lrsquoorigine les particuliers comme le roi veacuteneacuteraient leur ka (stegraveles archaiumlques cf p 20 et stegravele drsquoHessi au Caire Museacutee eacutegyptien pl XXII) mais le roi srsquoen reacuteserva par politique la pro-

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave ses sujets de croire qursquoils demeuraient en rapport avec le ka protecteur et source de vie mais il preacutetend devenir lrsquointermeacutediaire obligatoire entre les hommes et le ka ce qursquoindique la formule funeacuteraire laquo Le roi donne lrsquooffrande agrave Osiris pour que celui-ci donne lrsquooffrande au ka drsquoun tel raquo Ce rocircle drsquointermeacutediaire est bien deacute-fini encore par les formules du couronnement quand le roi monte sur le trocircne on proclame qursquoil est agrave la tecircte de tous les kaou vivants Ce nrsquoest point assez De mecircme que Pharaon est devenu le Faucon incarneacute de mecircme le ka acircme diffuse du clan primitif srsquoest sublimeacute dans le ka du surhomme qursquoest Pharaon Jrsquoai citeacute (plus haut) ce qursquoun noble de la XIIe dynastie enseignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu sa (la science) qui est dans les esprits ses yeux explorent toutes les consciences crsquoest racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre plus que le Nil en crue quand il em-plit les deux terres de force et de viehellip Il donne les faveurs agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraye son chemin Le roi crsquoest le ka sa bouche (creacutee) la surabondance tout ce qui existe est sa creacuteation raquo

La preacutepondeacuterance du ka royal sur les autres ka srsquoexpliquerait donc par les pro-gregraves de la monarchie Lrsquoideacutee du ka personnel agrave chaque homme nrsquoen persista pas moins dans la socieacuteteacute eacutegyptienne comme lrsquoeacutecho affaibli drsquoune conception tregraves ancienne celle drsquoune force vitale commune aux ecirctres et aux choses qui fournis-sait agrave tous existence et nourriture et que parfois lrsquoon personnifiait en lrsquoappelant laquo ka pegravere des pegraveres des dieux 6 raquo pour exprimer que crsquoeacutetait le substratum de tout ce qui existe

Voilagrave ce qursquoeacutetait le ka Pour le nom je ne proposerai pas de traduction 7 mieux vaut se servir du mot eacutegyptien apregraves lrsquoavoir expliqueacute Mais cette expli-

prieacuteteacute pour lui seul pendant la peacuteriode preacutememphite agrave partir de la Ve dynastie environ le roi a ducirc ou a voulu restituer agrave ses sujets la preacuterogative du ka comme il les a autoriseacutes graduellement agrave pratiquer les rites osiriens M Sottas me suggegravere que peut-ecirctre faut-il interpreacuteter laquo chef des kaou de tous les vivants raquo Stegravele de sehetepibracirc (Caire 2088 face 2 )6 Figure et leacutegende de la basse eacutepoque reproduite par Wilkinson (Manners and Customs III p 2 fig 0) sans indication de source Ici le ka est figureacute par un homme agrave tecircte de grenouille ce qui peut srsquoexpliquer parce que la grenouille eacutetait un symbole des transformations des espegraveces vivantes et drsquoimmortaliteacute (cf Spiegelberg ap sphinx VII p 22)7 Srsquoil fallait trouver un sens litteacuteral agrave il faudrait prendre en consideacuteration qursquoaux textes des Pyramides les deux bras leveacutes servent de deacuteterminatifs agrave des mots tels que agravehacircacirc (eacuted Sethe II p 0 76 ) et hch (II p 2) qui expriment des ideacutees de lever eacutelever Le ka serait-il lrsquoecirctre qursquoon invoque en levant les bras vers lui Erman tirant parti drsquoun texte du temple de Seacuteti I (Abydos I appendice tableau 6) montre que le Deacutemiurge Toum anime les dieux ses fils laquo en placcedilant ses deux bras derriegravere eux pour que son ka soit en eux raquo Les deux bras eacutevoqueraient alors le geste magique qui confegravere le ka ou la vie (religion eacuted franccedilaise p 2)

02

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cation ne pourrait se condenser dans lrsquoun quelconque des termes jusqursquoici pro-poseacutes double geacutenie de la race dieu protecteur nom nourriture Le ka est tout cela et nrsquoest point chacune de ces qualiteacutes isoleacutement Il mrsquoa sembleacute que dans le treacutesor des ideacutees primitives crsquoest celle de totem qui correspondrait le mieux au ka le totem comprend tous les traits du ka et drsquoautres encore qui ont disparu parce que la socieacuteteacute eacutegyptienne si haut que nous puissions remonter nous appa-raicirct comme une socieacuteteacute eacutevolueacutee

Ma tacircche consistait agrave rassembler les mateacuteriaux eacutegyptiens et agrave poser la ques-tion Crsquoest aux ethnographes qursquoil appartiendra de deacutecider si le ka aux aspects si varieacutes nrsquoa pas agrave ses origines un caractegravere toteacutemique

0

v

roIs de carnavaL

La fin de lrsquoanneacutee et la naissance de lrsquoan nouveau sont aujourdrsquohui encore lrsquooccasion drsquoune joie et drsquoune agitation geacuteneacuterales et de manifestations officielles Ces fecirctes populaires ont existeacute de tout temps Chez nous elles srsquoeacutechelonnent sur une peacuteriode qui va de Noeumll agrave Pacircques de la fin deacutecembre au commencement drsquoavril (fecirctes de saint Eacutetienne saint Jean saints Innocents saint Sylvestre Jour de lrsquoan des Rois Carnaval Mardi gras Mi-Carecircme Pacircques) Elles correspon-dent en bloc aux Saturnales Calendes de janvier Lupercales Liberalia des La-tins En remontant plus haut que lrsquoantiquiteacute romaine nous retrouvons chez tous les peuples des traditions de ce genre ou les souvenirs historiques qursquoelles ont laisseacutes les peuplades sauvages de nos jours se rattachent agrave lrsquohumaniteacute civiliseacutee par des coutumes semblables Plusieurs sociologues tels que Mannhardt Fra-zer Durkheim Hubert Mauss Van Gennep ont eacutetudieacute avec preacutedilection ces peacuteriodes de crise de lrsquoacircme populaire ils ont eacutetabli que ces coutumes devenues incompreacutehensibles chez les civiliseacutes preacutesentaient au contraire un sens reacutefleacutechi et une suite chez les non-civiliseacutes qui les ceacutelegravebrent reacuteguliegraverement lors des gran-des vicissitudes naturelles et au temps des semailles et des moissons Cherchons donc chez eux et dans les civilisations anciennes en prenant pour guide les ad-mirables travaux de Frazer 8 lrsquoexplication de ces mouvements qui dans notre corps social ne sont plus que des actes reacuteflexes fecirctes Sacaeliga de Babylone Kronia drsquoAthegravenes Saturnales de Rome Mascarades du moyen acircge fecirctes des Fous et de lrsquoAcircne cortegraveges de Carecircme et de Carnaval

Le Carnaval moderne se distingue par des processions et deacutefileacutes burlesques promenade de lrsquoOurs en Moravie et en Bohecircme de la Tarasque agrave Tarascon du Char naval (carrus navalis) en Allemagne du roi Reneacute agrave Aix du bonhomme Carnaval agrave Nice etchellip Drsquoordinaire on y exhibe des mannequins de taille colos-sale que lrsquoon conserve parfois drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre comme des feacutetiches citons les geacuteants Jan et Mieke agrave Bruxelles Druon et Antigon agrave Anvers Gilles agrave Mons Gog et Magog agrave Londres les Zigantiak dans le pays basque la Reina Caresma agrave

8 J Frazer Le rameau drsquoor trad (r par Stieacutebel et Toutain vol (Schleicher edit)

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Madrid Le plus souvent ces mannequins sont peacuterissables Presque chaque ville a son laquo Vieux raquo ou sa laquo Vieille raquo de Mi-Carecircme ou de Carnaval qursquoon deacutepegravece brucircle ou jette agrave lrsquoeau pour marquer la fin des reacutejouissances Mecircme srsquoils srsquoappel-lent Rois ils subissent ce mecircme sort On produit ces souverains de carnaval dans des ceacutereacutemonies bouffonnes ougrave ils sont coiffeacutes de couronnes enguirlandeacutes de feuillages munis de sceptres de roseaux et affubleacutes drsquooripeaux dans beaucoup de villes on les fait passer en jugement au cours de ceacutereacutemonies burlesques qui se deacuteveloppent parfois en veacuteritables drames et mettent en action la mort du grotesque heacuteros laquo En Provence on voyait un homme vecirctu en femme suivi par des gamins chercher Carnaval dans toute la ville il prenait des allures de veuve eacuteploreacutee et au cours de ses burlesques investigations il racontait comment Car-naval agrave cause de ses deacutebauches avait mal tourneacute et srsquoeacutetait pendu Dans beaucoup de villes on repreacutesentait un jugement de Carnaval le noble Magrimas (Carecircme) intentait un procegraves au prince Grossois (Mardi-gras) roi des ivrognes et des gour-mands devant la cour des risaflorets Hareng-saur assisteacute de lrsquoavocat Pain-sec soutenait que le jeucircne devait commencer de suitehellip Finalement Mardi-gras eacutetait condamneacute agrave mort et exeacutecuteacute au milieu de mille extravagances 0hellip raquo Un peu partout crsquoest le mecircme enterrement du Carnaval

De mecircme ordre que la royauteacute de Carnaval est encore laquo la royauteacute du jour des Rois raquo bien que la fecircte chreacutetienne de lrsquoEacutepiphanie en ait fait avancer la date Ce jour-lagrave on laquo tire (au sort) les rois raquo en se partageant les morceaux drsquoune galette dans laquelle une fegraveve ou une petite poupeacutee cacheacutee agrave lrsquoavance deacutesignera celui dont le sort veut comme roi Pendant la dureacutee drsquoune soireacutee ce roi donnera des ordres bouffons choisira une reine chacun imitera ses moindres gestes avec un respect simuleacute et une obeacuteissance feinte

Lrsquoorigine sinon lrsquoexplication de cette singuliegravere royauteacute apparaicirct dans la tra-dition greacuteco-romaine des fecirctes de Kronos-Saturne appeleacutees laquo Kronia raquo agrave Athegravenes et laquo Saturnales raquo agrave Rome Vers la fin de deacutecembre les esclaves reacuteunis dans un banquet laquo tiraient au sort raquo qui serait le laquo roi du festin raquo Celui-ci commandait quelques jours durant agrave tous maicirctres et serviteurs il faisait chanter ou danser ses sujets leur prescrivait de se masquer ou de se deacutevecirctir les barbouillait de suie ou de farine ou les jetait dans lrsquoeau glaceacutee Mais agrave cocircteacute de ces pratiques burlesques voici qursquoapparaissent par endroits de sauvages coutumes jadis les

Frazer Le rameau drsquoor II p 27 227 et suiv0 E Doutteacute Magie et religion dans lrsquoAfrique du nord 00 On trouvera dans ce livre de preacutecieux renseignements sur le carnaval marocain Le rameau drsquoor II p 6 et suiv p et suiv

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Saturnales srsquoaccompagnaient de sacrifices humains et mecircme en 0 de notre egravere des soldats romains campeacutes dans la valleacutee du Danube nrsquoen avaient pas perdu lrsquohabitude Avant les Saturnales ils deacutesignaient un roi pendant un mois celui-ci usait comme il lrsquoentendait de sa souveraineteacute puis on le sacrifiait Il arriva qursquoun chreacutetien nommeacute Dasius fut choisi pour cette paiumlenne royauteacute il refusa mais il ne gagna rien agrave ce refus sa deacutesobeacuteissance lui valut drsquoavoir la tecircte trancheacutee 2

Apregraves une eacutetude minutieuse des traditions de lrsquoantiquiteacute et des socieacuteteacutes sau-vages M Frazer a formuleacute la theacuteorie suivante dont nous avons veacuterifieacute deacutejagrave lrsquoap-plication dans lrsquoEacutegypte primitive et qui apregraves bien des deacutetours nous ramegravenera aux rois de Carnaval

Chez les peuples primitifs crsquoest une croyance absolue que leur seacutecuriteacute et celle du monde entier deacutependent de la volonteacute ou mecircme de la santeacute de leur roi Celui-ci en sa qualiteacute de dieu incarneacute et de sorcier a tout pouvoir sur la nature aussi est-il responsable des pheacutenomegravenes atmospheacuteriques et de la reacutegulariteacute des reacutecoltes Tant que le roi est jeune et vigoureux le peuple a confiance en lui mais laquo rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourir Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastro-phes ne se produiront pas lorsqursquoil srsquoaffaiblira peu agrave peu puis lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Les historiens grecs rapportent que telle eacutetait la destineacutee des rois de Meacuteroeacute (Nubie) A un certain moment les precirctres leur envoyaient lrsquoordre de se tuer coutume qui resta en usage jusqursquoau iiie siegravecle av J-C Parfois le peuple nrsquoatten-dait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau xvie siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans

Cependant agrave Meacuteroeacute Ergamegravene srsquoaffranchit de la coutume et massacra les precirctres Les rois de Calicut obtinrent le droit de se deacutefendre contre les assassins officiels qui les attaquaient au bout de douze ans Ailleurs on admit des atteacutenua-tions progressives le sultan de Java deacuteleacutegua aux membres drsquoune certaine famille lrsquohonneur de se tuer agrave sa place en eacutechange il accordait aux volontaires de la mort

2 Parmentier et Cumont Le roi des saturnales ap revue de philologie 87 p Frazer Le rameau drsquoor II p Voir lrsquoexemple des rois de Shilluk citeacute plus haut

06

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de grandes richesses pendant la vie et des funeacuterailles exceptionnelles Crsquoeacutetait le plus souvent dans la famille royale que le roi devait se chercher un substitut chez les peuples seacutemitiques les sacrifices si freacutequents des fils aicircneacutes se justifient par des raisons de cette nature

Puis les rites srsquoadoucirent encore Pour eacutepargner des innocents on choisit la victime parmi les condamneacutes agrave mort Mais il eacutetait neacutecessaire que le remplaccedilant du roi jouacirct vraiment le rocircle de roi au moins pendant quelques jours De lagrave des fecirctes comme celles des laquo Sacaeliga raquo que Beacuterose a vues agrave Babylone le 6 du mois Louumls un condamneacute agrave mort recevait les ornements royaux et jouissait de toutes les preacuterogatives du trocircne y compris lrsquousage du harem royalhellip Mais au bout de cinq jours on lui arrachait ses habits royaux et apregraves lrsquoavoir fouetteacute on lrsquoen-voyait agrave la potence ou agrave la croix 6

Ailleurs les ceacutereacutemonies lugubres se sont encore plus humaniseacutees dans lrsquoEacutegypte antique la fecircte sed nous a sembleacute rappeler le meurtre rituel du roi mais devenu symbolique et inoffensif par la substitution de victimes Au Cambodge de nos jours le laquo roi de feacutevrier raquo coiffeacute drsquoun bonnet blanc et armeacute drsquoun sceptre de bois remplace pendant trois jours le souverain Au Siam crsquoest agrave la fin drsquoavril que le roi temporaire jouit pendant trois jours de tout ce qui lui plaicirct au palais Plus de sacrifices mais on respecte la coutume en simulant lrsquoexeacutecution Voici ce qui se passait il nrsquoy a pas longtemps en Eacutegypte apregraves la moisson pendant trois jours le gouvernement est suspendu et chaque ville choisit son propre chef Ce chef porte une sorte de bonnet de fou et une longue barbe drsquoeacutetoupe il srsquoenveloppe drsquoun manteau bizarre Une baguette agrave la main escorteacute de scribes de bourreaux il se rend au palais du gouverneur qui se laisse deacuteposer par lui Au bout de trois jours le pseudo-roi est condamneacute agrave mort lrsquoenveloppe dans laquelle il se drape est brucircleacutee tandis que lui se retire agrave quatre pattes 7

Nous arrivons ainsi agrave des rites qui ont perdu presque tout leur caractegravere tra-gique Crsquoest tout au plus si lrsquoon a gardeacute le souvenir que le remplacement du roi reacutegnant par un roi inteacuterimaire symbolise un changement de regravegne et un renou-vellement de la force vitale du souverain seul reste perceptible pour le grand pu-blic le cocircteacute plaisant de cette substitution la royauteacute eacutepheacutemegravere drsquoun parvenu qui

Peut-ecirctre pour lrsquoEacutegypte pharaonique un eacutecho de cette tradition nous est-il parvenu dans un passage de la pyramide drsquoOunas (I 08) on lrsquoon rappelle laquo ce jour ougrave lrsquoon sacrifie lrsquoaicircneacute raquo (Cf pyr de teacuteti I 22)6 Sur lrsquoantiquiteacute de cette fecircte agrave Babylone et ses origines historiques cf Frazer l c II p 00 et suiv7 Frazer Le rameau drsquoor II p

07

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pendant trois jours fait ripaille sur le trocircne tel notre roi Carnaval Crsquoen est assez pour faire comprendre que celui-ci est lrsquoheacuteritier burlesque du roi inteacuterimaire qursquoon sacrifiait jadis pour sauver la vie du souverain reacutegnant

Mais la physionomie des fecirctes du Mardi gras est complexe et agrave cocircteacute de ce trait essentiel de victime substitueacutee il y en a drsquoautres emprunteacutes agrave diverses cou-tumes des populations agricoles civiliseacutees ou non civiliseacutees

Vers le temps des moissons dans plusieurs pays drsquoEurope la tradition existe encore de mettre agrave mort par le feu lrsquoeau ou agrave coups de faucille un mannequin en paille Celui-ci repreacutesente lrsquoEsprit du Bleacute ou de la Veacutegeacutetation laquo il vit dans les reacutecoltes et quand on les fauche on srsquoimagine qursquoil se reacutefugie dans la derniegravere gerbe Parfois on fabrique avec les eacutepis de cette gerbe le mannequin qui est censeacute incarner lrsquoesprit que ce soit la gerbe ou le mannequin on deacutesigne lrsquoune et lrsquoautre par les mecircmes noms le Vieux la Vieille la Megravere (du Bleacute) la GrandrsquoMegravere la Reine le Mort etc On conduit au village le Simulacre on le reccediloit triompha-lement comme un roi puis on le flagelle et on lrsquoexeacutecute Reste agrave le ressusciter pour qursquoil assure la feacutecondation des semailles prochaines En Bohecircme on revecirct le mannequin drsquoune chemise blanche apregraves lrsquoexeacutecution on prend cette chemise ougrave srsquoest reacutefugieacutee lrsquoacircme et la force du laquo Vieux raquo et on en habille un jeune arbre qursquoon ramegravene au village en chantant laquo Nous avons expulseacute la mort du village nous y ramenons le nouvel eacuteteacute Sois le bienvenu cher eacuteteacute petit bleacute vert raquo Ainsi le nou-veau bleacute est censeacute recueillir la force du vieux bleacute comme dans les rites royaux le nouveau roi heacuterite de la force vitale qui va eacutechapper au souverain deacutecreacutepit Ces traits caracteacuteristiques des coutumes agraires on les retrouve sans peine dans le Carnaval actuel drsquoelles nous viennent ces mannequins bourreacutes de paille qursquoon veacutenegravere et qursquoon bafoue et qursquoon brucircle ensuite en grand apparat 8

Mais voici drsquoautres traits Souvent dans le mannequin rituel on introduisait un ecirctre vivant comme pour donner plus de force agrave la fiction ou agrave la reacutealisation dramatique du Mystegravere des moissons Dans ce cas lrsquoecirctre vivant eacutetait mis agrave mort et mangeacute Au Mexique on reacutealisait de cette faccedilon le meurtre du dieu de la Veacute-geacutetation pendant un an un captif jouait le rocircle de la diviniteacute et comme le roi inteacuterimaire des Saturnales se passait toutes ses fantaisies puis il eacutetait tueacute et mangeacute en sacrifice solennel de sa peau eacutecorcheacutee on revecirctait un homme vivant qui lrsquoanneacutee suivante repreacutesentait aussi le dieu hellip Mais le plus souvent ce

8 Le rameau drsquoor III p et suiv 0 et suiv Le rameau drsquoor II p 7

08

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rite a eacutevolueacute Au lieu drsquoun homme on a pris un coq un bouc un bœuf on introduisait ces animaux vivants dans le mannequin de bleacute et ils animaient le Simulacre Aujourdrsquohui encore en Bohecircme dans certains cas le coq devient le roi Carnaval on lui met des vecirctements grotesques capuchon rouge culottes veste grise on le fait passer en jugement puis les assistants le sacrifient non sans lui avoir demandeacute pardon Chez nous crsquoest le bœuf gras qui personnifie lrsquoEsprit du bleacute le cortegravege ougrave il figure et sa mise agrave mort nrsquoont plus de caractegravere rituel mais on a gardeacute dans les campagnes quelques souvenirs des coutumes anciennes laquo A Pouilly pregraves de Dijon au moment de faucher la derniegravere gerbe on promenait trois fois autour du champ un bœuf orneacute de fleurs de rubans et drsquoeacutepis puis un homme deacuteguiseacute en diable coupait la gerbe et mettait le bœuf agrave mort Une par-tie des chairs eacutetait mangeacutee dans un souper donneacute agrave lrsquooccasion de la moisson le reste saleacute et gardeacute jusqursquoau jour des semailles 60 raquo

Au lieu drsquoanimaux vivants on se contente parfois de leur image en pacircte Avec la farine tireacutee de la derniegravere gerbe on peacutetrit un gacircteau en forme de silhouette humaine ou animale Sous cette forme ce bleacute passe pour repreacutesenter le corps de lrsquoEsprit du bleacute Dans le Wermland (Suegravede) la fermiegravere fait avec le grain de la derniegravere gerbe un pain qui a les contours drsquoune petite fille 6 il est partageacute entre tous les gens de la ferme et mangeacute par eux Il en est de mecircme en Eacutecosse ougrave lrsquoEsprit du bleacute est repreacutesenteacute par la derniegravere gerbe faccedilonneacutee en forme de femme et appeleacutee laquo la Vierge raquo Ailleurs comme au Japon ce sont des femmes qui cein-tes drsquoeacutepis jaunissants semblent de vivantes gerbes (cf pl VIII) De mecircme en France agrave La Palisse on suspend un bonhomme en pacircte agrave la plus haute branche du sapin qui orne la derniegravere charrette de bleacute Le sapin et le bonhomme sont porteacutes chez le maire qui les garde jusqursquoagrave ce que les vendanges soient faites Alors la fin de toutes les reacutecoltes est ceacuteleacutebreacutee par une fecircte dans laquelle le maire rompt le bonhomme de pacircte en plusieurs morceaux qursquoil distribue aux paysans et que ceux-ci mangent 62 Il paraicirct que dans le comteacute drsquoYork crsquoest le pasteur qui coupe le premier bleacute 6 avec ce bleacute on fabrique le pain de la communion Lagrave par la survivance drsquoun vieux rite paganisme et christianisme se confondent

60 Goblet drsquoAlviella Les rites de la moisson (revue de lrsquoHistoire des religions 88 II p )6 De mecircme nos galettes des rois contiennent une poupeacutee62 Frazer Le rameau drsquoor II p 27 et suiv6 Jrsquoai vu en Bretagne agrave La Clarteacute pregraves Perros-Guirec le cureacute mettre le feu agrave une meule de gerbes nouvelles (la veille du aoucirct) on peut reconnaicirctre ici encore lrsquoantique mannequin repreacutesentant lrsquoEsprit du bleacute Cet eacutepisode a eacuteteacute joliment deacutecrit dans le roman de G Sansrefus Fleur drsquoajonc

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

un moment On fait de religieuses agapes en Indochine avec le riz nouveau sur le Niger avec les nouvelles ignames de mecircme les peuples bergers et chasseurs qui vivent du gibier et de lrsquoeacutelevage mangent solennellement les animaux sauva-ges ou domestiques en qui srsquoincarnent pour eux les forces divines et nourriciegraveres de la nature

Donc sauvages et civiliseacutes mangent rituellement au temps des semailles ou des moissons lrsquohomme lrsquoanimal les gacircteaux qui figurent pour eux le Vieux dieu de lrsquoan qui finit Ils croient srsquoincorporer ainsi la force creacuteatrice de la divi-niteacute drsquoailleurs ils segravement dans les champs soit des fragments de chair ou de gacircteaux soit la cendre provenant du mannequin brucircleacute pour feacuteconder la terre Crsquoest en souvenir de ces coutumes que nos contemporains cachent une fegraveve ou une poupeacutee dans le gacircteau des Rois 6 et font bombance au temps du Carnaval partout on tue le bœuf gras lrsquooie ou le porc on preacutepare des mets speacuteciaux des gacircteaux des crecircpes beignets bonshommes en pain drsquoeacutepices qui gardent parfois lrsquoaspect des antiques victimes animales ou humaines Mais rappelons-nous que jadis le repas dont nous avons fait le festin des jours gras nrsquoeacutetait pas une fin en lui-mecircme ce nrsquoeacutetait qursquoun moyen pour le fidegravele de communier avec la chair et le sang du dieu en mangeant le pain et en buvant le vin

Les cultes agraires des anciens peuples nous fournissent aussi lrsquoexplication des mascarades et des cortegraveges burlesques en usage aux jours gras Avec le moment des semailles ou des moissons coiumlncide un rite drsquoune grande importance pour les peuples primitifs celui de lrsquoexpulsion geacuteneacuterale des deacutemons ceux drsquoabord qui deacutefendent les champs et qursquoil faut mettre agrave mort pour pouvoir moissonner ceux aussi qui infestent les maisons et dont la ruse malveillante amegravene les maladies et tous les maux Il srsquoagit drsquoune purification geacuteneacuterale drsquoune liquidation complegravete des malheurs ou des crimes occasionneacutes par les meacutechants esprits Ces exorcis-mes drsquoabord particuliers agrave chaque individu et mecircme agrave chaque cas de laquo posses-sion raquo ou de maleacutefice puis appliqueacutes agrave toute la collectiviteacute furent concentreacutes enfin dans une ceacutereacutemonie annuelle qui marquait le terme drsquoune peacuteriode et le deacutebut drsquoune nouvelle egravere

Ces fecirctes sont caracteacuteriseacutees par une exaltation speacuteciale qui srsquoempare de toute la population Une partie des hommes et des femmes srsquoaffublent de deacuteguisements grotesques ou effrayants se couvrent le corps de peaux la figure de masques se barbouillent de suie srsquoenduisent de poix ou se roulent dans les plumes en

6 Le rameau drsquoor II p

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cet appareil ils courent de maison en maison non sans faire un effroyable va-carme Crsquoest qursquoils donnent la chasse aux deacutemons invisibles et qursquoils les pour-suivent agrave coups de lances de flegraveches ou de fusils en criant laquo Allez-vous-en deacutemons raquo mdash jusqursquoagrave ce qursquoils croient les avoir repousseacutes bien loin des habita-tions 6 Ces coutumes se retrouvent partout dans lrsquoantiquiteacute comme de nos jours dans les deux mondes Les Grecs chassaient les mauvais esprits le jour des Anthesteacuteries les Romains pendant trois jours du mois de mai et il nrsquoy a point longtemps on expulsait encore de mecircme faccedilon les sorciegraveres et les deacutemons drsquoAuvergne de Bohegraveme et de Thuringe la nuit du er mai

Les Momons du moyen acircge qui faisaient irruption dans les maisons et ces bandes masqueacutees qui aujourdrsquohui encore dans nos campagnes parcourent les rues en jouant sur des instruments criards et forcent lrsquoentreacutee des portes ont per-peacutetueacute sans le savoir lrsquoantique charivari les clameurs de tout un peuple acharneacute agrave la poursuite des deacutemons des geacutenies malfaisants qui deacutetruisaient les reacutecoltes et la santeacute de lrsquohomme

Lrsquoexpulsion des deacutemons des maladies des peacutecheacutes et mecircme lrsquoexpulsion de la Mort la hideuse qui rocircde sous mille formes autour des vivants srsquoopegravere gracircce agrave divers proceacutedeacutes par exemple on les embarque (leurs repreacutesentants ou leurs symboles-mannequins) dans des veacutehicules chars ou navires qursquoon envoie au loin ou qursquoon lance agrave la mer pour que les maux se perdent avec eux 66 Lrsquoeacutepisode de la fecircte 67 du Vaisseau drsquoIsis deacutecrit par Apuleacutee 68 ougrave un cortegravege mi-religieux

6 Le rameau drsquoor II p et suiv66 Le rameau drsquoor II p 67 Ceacuteleacutebreacutee agrave Chenchreacutees le mars Apuleacutee (Meacutetamorphoses XI) deacutecrit le cortegravege burlesque analogue semble-t-il agrave ceux qui drsquoapregraves Frazer sont encore en usage chez beaucoup de peu-ples laquo On vit tout drsquoabord une troupe de personnes qui srsquoeacutetaient travesties par suite de vœuxhellip Lrsquoun ceint drsquoun baudrier repreacutesentait un soldat lrsquoautre avec sa chlamyde retrousseacutee son cou-telas et ses eacutepieux figurait un chasseur Celui-ci avait des brodequins doreacutes une robe de soie et des atours preacutecieux agrave ses cheveux attacheacutes sur le haut de sa tecircte agrave sa deacutemarche traicircnante on aurait dit une femme Celui-lagrave chausseacute de bottines armeacute drsquoun bouclier drsquoun casque et drsquoune eacutepeacutee semblait sortir drsquoune eacutecole de gladiateurs Un autre preacuteceacutedeacute de faisceaux et vecirctu de pourpre jouait le magistrat Un autre avait le manteau le bacircton et la barbe de bouc drsquoun philosophe Ici crsquoeacutetait un oiseleur avec ses gluaux lagrave un pecirccheur avec sa ligne et ses hameccedilons Je vis aussi une ourse apprivoiseacutee qursquoon portait dans une chaise en costume de matrone un singe coiffeacute drsquoun bonnet drsquoeacutetoffe couvert drsquoune robe phrygienne couleur de safran et tenant une coupe drsquoor repreacutesentait le berger Ganymegravede Enfin venait un acircne sur le dos duquel on avait colleacute des plumes et qursquoaccompagnait un vieillard tout casseacute crsquoeacutetaient Peacutegase et Belleacuterophon que parodiait ce couple risible Au milieu de ces mascarades qui couraient de cocircteacute et drsquoautre pour le plus grand amusement du peuple srsquoavanccedilait dans un ordre solennel la procession proprement dite de la deacuteessehellip raquo (Cf Lafaye Histoire du culte des diviniteacutes drsquoAlexandrie p 2) 68 Voir Mystegraveres drsquoisis dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mi-burlesque conduit agrave la mer un frecircle esquif chargeacute drsquooffrandes me semble ecirctre un rappel de lrsquoexpulsion des deacutemons Ou bien encore les maux sont figureacutes en bloc sous les traits drsquoun ecirctre vivant homme ou becircte que nous appelons le Bouc eacutemissaire Un Bouc eacutemissaire bien reacuteel est celui des Heacutebreux chaque anneacutee lors de la fecircte de lrsquoexpiation le grand precirctre drsquoIsraeumll le chargeait des crimes de tout son peuple et le chassait dans le deacutesert 6 Ailleurs crsquoest le rocircle drsquoun coq drsquoun ours agrave qui lrsquoon donne la chasse en temps de Carecircme En Gregravece agrave Rome et chez maints sauvages un homme deacuteguiseacute vecirctu drsquoune peau de becircte eacutetait expulseacute par-fois sacrifieacute La tradition du Bouc eacutemissaire et celle du roi-victime se combinent au Tibet dans un personnage appeleacute le Jalno 70 Le grand lama eacutetant deacuteposeacute pour un temps le Jalno joue le rocircle de roi inteacuterimaire il se promegravene dans les rues de Lhassa la figure peinte mi-partie en blanc mi-partie en noir il srsquoaffuble drsquoune peau de becircte et avec une queue de buffle il srsquoen va frottant un chacun pour balayer ainsi tous les maux et les peacutecheacutes du peuple puis il est honteuse-ment chasseacute de la ville parfois tueacute

Enfin lrsquoexpulsion des deacutemons a laisseacute chez nous des souvenirs durables soit dans nos cavalcades de Carnaval avec leurs chars et navires monteacutes drsquoeacutequipages diaboliques et treacutepidants soit dans lrsquoenterrement mecircme de Carnaval soit dans le cortegravege de notre Carecircme-prenant ou celui de la Reina Caresma agrave Madrid Ici srsquoassocient les thegravemes de lrsquoexpulsion des deacutemons et de la mort du Vieux dieu de la veacutegeacutetation Au jour du Mardi gras notre roi Carnaval est un joyeux et bedonnant compegravere promeneacute sur un acircne le lendemain on le sacrifie crsquoest-agrave-dire qursquoon le met en terre qursquoon le brucircle qursquoon le pend parmi des ceacutereacutemonies bouffonnes des complaintes funegravebres et des chants de joie Il a pour successeur le Prince Carecircme ou Carecircme-prenant qursquoon promegravene de dimanche en diman-che de plus en plus amaigri et deacutefait et qui par suite des jeunes forceacutes finit par expirer le samedi saint agrave midi On lui passe la corde au cou ou on le brucircle A Madrid la Reina Caresma est une vieille femme munie de sept jambes dont chacune lui est enleveacutee au cours des sept semaines du Carecircme jusqursquoagrave sa mise en piegraveces complegravete le jour de Pacircques 7 Crsquoest toujours quels que soient sa figure et son nom lrsquoEsprit du bleacute mourant qursquoon pleure et qursquoon enterre dans le deuil avant de le faire ressusciter dans la joie crsquoest encore le Bouc eacutemissaire qursquoon pourchasse et qursquoon deacutepegravece afin de supprimer tous les maux

6 Le rameau drsquoor II p 0 et suiv70 id II p 66 et suiv7 Le rameau drsquoor III p

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Dans lrsquoordre religieux ces coutumes sont resteacutees singuliegraverement vivaces Avant le printemps nous nous recueillons dans la tristesse et nous nous purifions par le jeucircne pour preacuteparer lrsquoavegravenement du renouveau physique et moral Pacircques fleu-ries Cette fecircte marque encore chez nous la grande purification annuelle laquo Tu te confesseras au moins agrave Pacircqueshellip une fois lrsquoan raquo mdash ainsi que le rajeunissement de lrsquoacircme et de la nature Encore faut-il deacutepouiller le vieil homme pour que naisse lrsquohomme nouveau et de mecircme qursquoautrefois nous continuons agrave tuer solennel-lement le dieu de la veacutegeacutetation agrave pourchasser les mauvais esprits et agrave stimuler les forces vitales quand nous exeacutecutons nos rites agrave la fois religieux et bouffons autour de ces successeurs de prototypes veacuteneacuterables personnages de Carecircme et rois de Carnaval animaux chasseacutes mannequins de paille gerbes de bleacute et feux de la Saint-Jean

Une autre tradition de Carnaval agrave laquelle mecircme nos contemporains se fe-raient scrupule de manquer crsquoest une activiteacute choreacutegraphique deacutesordonneacutee Aux temps anciens les danses avaient elles aussi un rocircle rituel on leur precirctait une influence de magie sympathique laquo Dans certaines reacutegions drsquoAllemagne au Mardi gras ou agrave la veille du er mai les jeunes filles dansent dans les champs ou agrave lrsquoauberge et crient laquo Lin grandis 72 raquo Plus haut elles sauteront en dansant plus le lin ou le bleacute grandiront raquo En Lithuanie au Siam on a gardeacute lrsquousage de se balancer en invoquant les esprits au temps des reacutecoltes crsquoest un moyen de faire croicirctre le bleacute ou le riz que de pousser tregraves haut la balanccediloire En bien des pays ce sont les danses speacuteciales agrave ce temps de Carnaval qursquoon reproduit lors drsquoautres solenniteacutes aux jours de grande liesse aux fecirctes locales Certaines sont resteacutees en honneur dans le pays basque et attestent combien vivaces sont encore les tradi-tions quoique agrave lrsquoeacutetat de gestes et de symboles aujourdrsquohui incompris

Jrsquoassistais les 6 et 7 aoucirct 2 agrave Saint-Jean-Pied-de-Port aux fecirctes drsquoAbbadie 7 qui coiumlncidaient avec la fecircte locale Dans le deacutefileacute des danseurs venus de toutes les provinces basques on reconnaicirct facilement les eacuteleacutements tra-ditionnels du cortegravege carnavalesque ainsi que le deacutecor de lrsquoantique sacrifice du roi ou du dieu de la veacutegeacutetation Les principaux figurants eacutetaient ceux du pays de

72 Le rameau drsquoor II p 67 La fondation drsquoAbbadie ou fecirctes de la Tradition basque sert agrave reacutecompenser des concours de pelote de poeacutesie basque de cris montagnards (irrintzina) ils ont lieu chaque anneacutee tour agrave tour dans un des 7 chefs-lieux de canton des Basses-Pyreacuteneacutees et sont en geacuteneacuteral rattacheacutes aux fecirctes locales La geacuteneacuterositeacute de M drsquoAbbadie a rendu la vie agrave des coutumes qui allaient tomber en deacutesueacutetude

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Soule (Mauleacuteon) A leur tecircte srsquoavance le Cherrero porteur du chasse-mouches (cherra) puis le samalzain crsquoest un roi burlesque couronneacute drsquoune mitre fleu-rie affubleacute jusqursquoau buste drsquoun cheval-jupon dont il dirige la tecircte minuscule tandis que le poitrail et la croupe enjuponneacutes eacutenormes se balancent grotesque-ment autour de ses reins Apregraves le roi voici la reine qui a pris ici lrsquoaspect drsquoune cantiniegravere avec jupon court guecirctres et bidon enfin les courtisans auxquels on donne le nom inattendu de satans ils sont vecirctus de dolmans rouges agrave brande-bourgs et galons drsquoor avec des culottes noires chargeacutees de rubans entrecroiseacutes et chausseacutes de sandales recouvertes de guecirctres brodeacutees Passent encore dominant les tecirctes et jucheacutees sur des bacirctons des poupeacutees geacuteantes et grotesques les Zigan-tiak puis des enfants en pages et en folies des gardes en bonnets agrave poil (ils rap-pellent les eacutenormes coiffures et masques en peaux de mouton qursquoon voit aux pro-cessions de Fontarabie et de Pampelune) et enfin les musiciens Les figurants de Basse-Navarre dansaient surtout le bolantak une varieacuteteacute du laquo saut basque raquo pas et changement de pied en avant volte saut en hauteur Ceux du pays de Labour (Cambo Hasparren Saint-Jean-de-Luz) eacutetaient speacutecialiseacutes dans le fandango et lrsquoarin-arin Quant au cortegravege du Samalzain venu du pays de Soule il exeacutecu-tait une prestigieuse gavotte et une danse autour drsquoun verre Tous ces danseurs eacutetaient des paysans des artisans non des professionnels mais aucun de ceux que jrsquointerrogeais dans cette troupe agile qui virevoltait autour du Samalzain ne se doutait qursquoil exeacutecutait des rites milleacutenaires Ils ressuscitaient cependant les fragments drsquoun drame qui a trop frappeacute lrsquoimagination de nos ancecirctres pour ne pas laisser aujourdrsquohui dans ces costumes ces mimiques et ces danses des traces eacutemouvantes Voici que le dieu haut mitreacute surpassait en choreacutegraphie agile ses courtisans les sacrificateurs agrave travers leurs gestes pouvaient srsquoeacutevoquer les peacuteri-peacuteties du conflit les essais de persuasion et de reacutesistance la lutte du roi le vain triomphe en agiliteacute et en prestesse lrsquoexpulsion du cercle le renoncement forceacute la bregraveve douleur des funeacuterailles Puis les sauts drsquoune envoleacutee superbe reacutepeacutetaient les gestes magiques ougrave srsquoefforccedilaient les sorciers de jadis pour activer la pousse du bleacute nouveauhellip Les sacrificateurs srsquoeacutetaient mueacutes par la confusion des souvenirs en de rouges Satans et la danse rituelle autour du roi du dieu de lrsquoEsprit du bleacute srsquoeacutechevelait maintenant en une poursuite de deacutemons parmi lrsquoexcitation des laquo fo-lies raquo et lrsquoapparition des Basanderiak ces feacutees basques en qui survivent les ecirctres surnaturels et sauvages que lrsquohomme a toujours redouteacuteshellip Et la freacuteneacutesie de ces danseurs leur eacutemulation agrave sauter le plus haut possible lrsquoalleacutegresse de cette foule se treacutemoussant drsquoune sandale leacutegegravere jeunes et vieux sur la place publique me

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rappelaient le deacutelire sacreacute des peuples agricoles quand ils excitaient du pied et du geste lrsquoeacutelan des jeunes frondaisons

Il y a un autre aspect de lrsquoexcitation populaire que nous nrsquoavons pas encore en-visageacute Un eacutepisode caracteacuteristique des Kronia agrave Athegravenes et des Saturnales agrave Rome eacutetait lrsquoeacutemancipation momentaneacutee des esclaves et la licence geacuteneacuterale Les esclaves coiffeacutes du bonnet pileus emblegraveme de la liberteacute eacutetaient dispenseacutes de tout travail et pendant quelques jours prenaient les habits de leurs maicirctres les singeaient de toutes les maniegraveres exigeaient drsquoecirctre servis par eux et se livraient agrave une deacutebauche effreacuteneacutee Il en eacutetait de mecircme aux fecirctes Sacaeliga pendant les jours ougrave le condamneacute agrave mort jouait le rocircle de roi le mecircme eacutetat reacutevolutionnaire se manifeste aussi dans les socieacuteteacutes sauvages au temps de lrsquoexpulsion des deacutemons Nous avons vu qursquoune partie de la population est chargeacutee de chasser les geacutenies malfaisants mais lrsquoautre partie des hommes et des femmes subit encore lrsquoattaque furieuse des malins et leur livre une reacutesistance deacutesespeacutereacutee si bien que poursuivants et poursuivis sont en proie agrave une surexcitation deacutemoniaque intense les hommes sont comme pos-seacutedeacutes et srsquoadonnent agrave mille extravagances

Alors on ne se contente point de prendre des masques et de changer lrsquoaspect officiel des figurants tous les rocircles sont renverseacutes dans la vie sociale le roi ab-dique un condamneacute un fou ou un enfant regravegnent les serviteurs donnent des ordres aux maicirctres le cours des lois est suspendu plus de tribunaux plus de dettes plus drsquoobligations sociales les crimes restent impunis Il y a plusieurs raisons qui expliquent cette licence geacuteneacuterale drsquoabord les gens sont endiableacutes par les deacutemons puis laquo quand les hommes savent qursquoils vont bientocirct ecirctre deacutelivreacutes de tous les maux et que tous les peacutecheacutes seront absous ils nrsquoheacutesitent plus agrave donner libre cours agrave leurs passions puisque la ceacutereacutemonie prochaine effacera toutes leurs fautes Drsquoautre part au lendemain drsquoune telle ceacutereacutemonie les esprits sont deacutelivreacutes du poids qui drsquohabitude les oppresse les hommes ne se sentent plus menaceacutes de toutes parts par les deacutemons dans lrsquoexplosion de leur joie ils deacutepassent les bornes que leur imposent en toute autre circonstance les coutumes et la mo-rale Lorsque la ceacutereacutemonie a lieu agrave lrsquoeacutepoque de la moisson ces sentiments de joie trouvent encore un stimulant dans lrsquoideacutee du bien-ecirctre physique que procure une abondante reacutecolte 7 raquo

Voici quelques exemples laquo Dans la tribu africaine des Pondos 7 au jour de

7 Le rameau drsquoor II p 77 id II p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la fecircte des premiers fruits le chef abdique ses fonctions pour toute la dureacutee de la fecircte des jeunes gens jouent dansent luttent font des courses puis tous les membres de la tribu se livrent agrave la deacutebauche srsquoenivrent et poussent de grands cris il nrsquoy a plus personne qui soit chargeacute de maintenir lrsquoordre et chacun fait ce qui lui semble bon Un homme poignarde-t-il son voisin il nrsquoencourt aucun chacirctiment il en est de mecircme pour tous les autres crimes contre les personnes la proprieacuteteacute et les mœurs On peut mecircme insulter le chef en face ce qui dans toute autre circonstance serait immeacutediatement puni de mort Tant que dure la fecircte on entend un vacarme continuel produit par des tambours par les cris de la fou-le par des battements de mains et par toutes sortes drsquoinstruments bruyantshellip raquo De mecircme sur la Cocircte drsquoOr lrsquoexpulsion annuelle des deacutemons est preacuteceacutedeacutee drsquoune fecircte qui dure huit jours pendant laquelle laquo la liberteacute du sarcasme est absolue les Negravegres parlent sans aucune contrainte de toutes les fautes vilenies et malhon-necircteteacutes commises par leurs supeacuterieurs ou leurs infeacuterieurs personne ne peut les punir ni mecircme les interrompre raquo Dans le nord de lrsquoInde la mecircme fecircte se ceacutelegravebre agrave la moisson laquo Alors les gens sont suivant leur propre expression endiableacutes ils croient qursquoagrave ce moment de lrsquoanneacutee hommes et femmes sont incapables de reacutesis-ter agrave leurs mauvais penchants et qursquoil est absolument neacutecessaire de laisser pen-dant quelque temps libre cours aux passionshellip Les Hos commencent par chasser les deacutemons malveillants qui habitent le pays hommes et femmes parcourent les villages en tenant des bacirctons en mains en chantant des chansons sauvages criant et vocifeacuterant jusqursquoagrave ce qursquoils soient convaincus drsquoavoir mis en fuite le mauvais esprit Ils se mettent ensuite agrave faire la fecircte et agrave boire de la biegravere de riz La fecircte devient alors une saturnale pendant laquelle les domestiques oublient quels sont leurs devoirs vis-agrave-vis de leurs maicirctres les enfants ne respectent plus leurs parents les hommes ne respectent plus les femmes et celles-ci perdent toute notion de deacutecence et de modestie elles deviennent des bacchantes enrageacuteeshellip raquo Dans une tribu voisine laquo la ressemblance avec les Saturnales est complegravete car les domestiques de fermes sont servis agrave table par leurs maicirctres et autoriseacutes agrave leur parler en toute liberteacute 76 raquo

LrsquoEacuteglise de mecircme a ducirc autoriser cette reacutevolution temporaire dans ses pro-pres usages religieux et ne pouvant supprimer les reacutejouissances populaires elle a essayeacute de les diriger ou de leur donner un sens moins sacrilegravege que bouffon Aux jours de saint Eacutetienne de saint Jean et des Innocents dans certaines villes un jeune clerc appeleacute laquo episcopus stultorum raquo occupait le siegravege eacutepiscopal avec les

76 Le rameau drsquoor II p et suiv

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ornements pontificaux et sur la tecircte un bourrelet en guise de mitre De mecircme agrave la fecircte des Fous et agrave la fecircte de lrsquoAcircne des laiumlques travestis en precirctres chantaient des obsceacuteniteacutes ou amenaient un acircne couronneacute devant lrsquoautel

Revenons maintenant agrave lrsquoEacutegypte et recherchons srsquoil nrsquoy a pas dans sa vie reli-gieuse et populaire des traits qui correspondent agrave la royauteacute eacutepheacutemegravere de Car-naval agrave lrsquoenterrement du Vieux dieu de la veacutegeacutetation lrsquoexpulsion de la mort et des deacutemons aux fecirctes orgiaques du renouveau A dire vrai lrsquoEacutegypte sur tous ces points paraicirct tregraves pauvre de teacutemoignages elle ne fournit ni texte coheacuterent et explicite ni tableau clairement composeacute nous devons saisir au passage des allusions bregraveves ou isoler certains personnages certaines repreacutesentations dont la valeur et le sens eacutechappent agrave qui ne srsquoest pas livreacute agrave une enquecircte comme celle qui preacutecegravede

Nous avons eacutetudieacute deacutejagrave les rites de la fecircte sed ougrave le Pharaon subit une mort fictive suivie drsquoune renaissance simuleacutee qui lui donne une vitaliteacute nouvelle Cette fecircte singuliegravere qui srsquoest perpeacutetueacutee pendant les quatre mille ans de la monarchie pharaonique ne pourrait-on lrsquoexpliquer par la tradition du meurtre rituel auquel se soumet le roi vieillissant Crsquoest agrave une eacutepoque anteacuterieure aux plus anciens monuments connus que le Pharaon fut reacuteellement immoleacute deacutejagrave sur les palettes archaiumlques il srsquoest eacutevadeacute de cette obligation et on lui substitue drsquoautres victimes humaines A lrsquoeacutepoque historique gracircce agrave la reacuteveacutelation osirienne qui a enseigneacute agrave la socieacuteteacute eacutegyptienne agrave transformer le treacutepas en vie eacuteternelle la renaissance du roi ne suppose plus neacutecessairement le sacrifice drsquoun remplaccedilant elle srsquoopegravere rituel-lement par la ceacuteleacutebration de Mystegraveres sans autre effusion de sang que celle des animaux qui remplacent les victimes humaines De ces atteacutenuations progressi-ves jrsquoai conclu que le roi drsquoEacutegypte semble bien avoir connu le meurtre rituel du roi qui sert de fondement agrave beaucoup de traditions de carnaval

Mais reste-t-il trace drsquoun roi inteacuterimaire personnage sacreacute au deacutebut devenu grotesque par la suite puis confondu par le meacutelange des traditions qui srsquoobscur-cissent avec le Vieux dieu de la veacutegeacutetation expirante

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Bouffons couronneacutes pirouettant

On remarque ceci seulement dans les cortegraveges des fecirctes Sed et parmi les officiants du culte funeacuteraire deacutefilent des personnages affubleacutes drsquoune couronne de roseaux (fig 0) qui est semblable agrave certaines coiffures royales A leur attitude compasseacutee on pourrait se demander srsquoils ne sont pas des mannequins habilleacutes en rois (fig ) en reacutealiteacute ce sont des bouffons Nous voyons aussi dans les reliefs des tombeaux des individus coiffeacutes de la mecircme couronne exeacutecuter les contorsions et les danses des baladins (fig )

Figure Bouffons couronneacutes

Ces personnages apparaissent sur la stegravele C du Louvre ougrave sont repreacutesenteacutes les mystegraveres osiriens lagrave leur couronne tresseacutee se heacuterisse de rubans de tortils de fleurs ou drsquoeacutepis les bras en mouvement une jambe en lrsquoair ils ont lrsquoallure de

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pantins deacutesarticuleacutes Qui sont ces bouffons couronneacutes qui se mecirclent partout aux officiants dans les scegravenes les plus lugubres des rites osiriens 77

Figure Baladines couronneacutees comme des bouffons

Ils nous rappellent les rois burlesques que nous trouvons chez drsquoautres peu-ples jouant le rocircle du roi condamneacute agrave mort ou du Vieux dieu de la veacutegeacutetation avec qui lrsquoOsiris eacutegyptien offre tant de traits communs On srsquoexpliquerait diffici-lement que ces personnages grotesques aient pu srsquoaffubler dans des ceacutereacutemonies solennelles de coiffures semblables aux couronnes royales si leur aspect nrsquoavait eacuteveilleacute lrsquoeacutecho de traditions sacreacutees auxquelles on se faisait scrupule de toucher (fig -0)

Figure 6Nains bouffons

Laissons ces analogies avec le roi inteacuterimaire de Carnaval (Fig 8) Ces mecirc-

77 Louvre stegravele C Tylor paheri pl V (cf fig 22) Virey rehmard pl XXVI Maspero Montouherjhepshef p 60 (cf fig 2) Sur ces bouffons cf Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (procee-dings sBA XV p )

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mes personnages qui sont mannequins couronneacutes aux funeacuterailles ou baladins aux fecirctes publiques srsquoappellent nemou nem et ce nom projette sur leur attitude une vive lumiegravere car on appelle aussi Nemou des nains danseurs dont le rocircle agrave la fois religieux et bouffon ne laisse aucun doute Les plus rechercheacutes de ces nains venaient du Haut-Nil ougrave vivait une tribu de pygmeacutees les Dang 78

Figure 7Danseuses coiffeacutees de roseaux et munies de sceptres

Sous lrsquoAncien Empire les Pharaons envoyaient des expeacuteditions jusqursquoen ces contreacutees lointaines (on les appelait du nom mystique la terre des Initieacutes iahou) pour ramener agrave la cour ces Dang dont on faisait les laquo danseurs du dieu raquo crsquoest-agrave-dire drsquoOsiris par leurs contorsions rythmeacutees leurs balancements ces pygmeacutees savaient laquo reacutejouir le cœur drsquoOsiris raquo au ciel et celui du Pharaon sur terre

78 Les bouffons ou nains portent sur les monuments diffeacuterents noms deg les nains nensou (Beni Hasan II 6 cf notre fig 6) 2deg les nains Dang citeacutes aux textes du tombeau drsquoHe-rhouf et des Pyramides (cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 2 et suiv) peut-ecirctre faut-il corriger en Danq le nom de Danb du second nain de Beni-Hasan (confusion du q et du b) deg les bouffons mw-w (paheri pl V Rehmacircracirc pl XXVI cf Gardiner ap recueil XXXIII p ) dont le nom eacutecrit en toutes lettres au tombeau de Sebekneht cf fig ) semble une lecture erroneacutee du mot nemi deg les officiants neniou les laquo affaisseacutes raquo qui semblent jouer le rocircle de vic-times peut-ecirctre de tikenou (pyr de teti I 20 + 2 id Sethe II p 7 sinouhit I ) Les trois mots nemiw mw-w neniw srsquoeacutecrivant agrave peu pregraves de la mecircme faccedilon ont pu ecirctre confondus au cours des siegravecles

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8Officiants et nains

Nous ne savons pas en quoi consistait ou ce que mimait en figures expressives la danse des Dang ou des nemou mais les textes des papyrus et des stegraveles nous confirment les donneacutees des tableaux retrouveacutes aux tombes des Moyen et Nouvel Empires leurs sauts 7 eacutetaient neacutecessaires lors des funeacuterailles comme partie in-teacutegrante du rituel on les faisait exeacutecuter devant la porte du tombeau 80 le plus souvent par des baladins de profession et agrave leur deacutefaut par des precirctres officiants quelquefois par de veacuteritables nains Quelques indices permettent de se repreacutesen-ter ces danses comme des incantations contre les deacutemons Seacutethiens adversaires drsquoOsiris Drsquoune part le nemi rappelait par son masque et ses difformiteacutes le dieu Bes dont la face eacutetait puissante contre les deacutemons 8 soit agrave la naissance 82 soit pendant la vie des hommes 8 aussi certains livres magiques contiennent-ils un laquo chapitre du Nemi raquo qui srsquoemploie comme phylactegravere 8 Peut-ecirctre aussi tirait-on parti de lrsquoaspect grotesque du nemi pour figurer les ennemis deacutetestables drsquoOsiris

7 La danse hb consiste en sauts en hauteur avec une rotation soit sur un pied soit en lrsquoair (cf fig ) et srsquoexeacutecute lors des laquo conseacutecrations raquo desertou (el Bersheh II 2)80 sinouhit - laquo on exeacutecutera les sauts des Neniou (hbb nnjw) agrave la porte de la tom-be raquo (XIIe dyn) Mariette Mon divers pl 6 Piehl inscriptions I laquo on exeacutecutera pour toi les sauts des nemiou agrave la porte de la tombe (le deacuteterminatif indique un personnage qui se renverse en arriegravere les pieds et mains touchant la terre) Piehl insc I 7 laquo on exeacutecutera pour moi les sauts de nemiou agrave la porte de la tombe raquo (le deacuteterminatif indique un personnage qui se laisse aller agrave terre comme agrave notre fig )8 Maspero eacutetudes de Mythologie II p cf Wiedemann recueil XVII p 282 Naissance du roi Louxor pl LXV8 Stegraveles du type dit de Metternich8 Pleyte eacutetude sur un rouleau magique p 8 et suiv

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et mimer la preacutesence et lrsquoexpulsion des deacutemons le mot nemi deacutetermineacute par lrsquoanimal typhonien deacutesigne parfois lrsquoesprit malfaisant 8

Figure Couronne royale du Sud Couronne de bouffon

Figure 0Couronnes de roseaux celle du bouffon et celle du roi

Nrsquooublions pas que drsquoautres indigegravenes des lointaines reacutegions du Haut-Nil sont exhibeacutes la figure couverte drsquoun masque grotesque au cours des fecirctes sed confon-dus avec les officiants (fig ) leur preacutesence srsquoexplique peut-ecirctre par les mecircmes raisons soit qursquoils chassent les deacutemons soit qursquoils figurent eux-mecircmes ces deacutemons expulseacutes Drsquoailleurs il est possible que ces bouffons couronneacutes ces danseurs deacutemo-niaques reacuteunissent en leur personne des rocircles distincts agrave lrsquoorigine et que drsquoautres peuples attribuent soit agrave des boucs eacutemissaires 86 soit agrave des rois de Carnaval

8 Brugsch Woumlrterbuch p 76 sup p 6786 Les ennemis drsquoOsiris eacutetaient figureacutes par des acteurs dans les fecirctes religieuses cela ressort des textes et tableaux eacutegyptiens et du teacutemoignage drsquoHeacuterodote (II 6) qui a eacuteteacute teacutemoin drsquoune effroyable bastonnade eacutechangeacutee entre adversaires et partisans du dieu

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Indigegravene de la tribu Oua-Oua mecircleacute aux officiants de la fecircte Sed

Il a un masque de bouffon

Les danses exeacutecuteacutees lors des rites funeacuteraires peuvent encore srsquoexpliquer par un autre motif un artifice de magie imitative Je ne parle point de ces tableaux ougrave le deacutefunt se deacutelecte agrave ouiumlr des chants accompagneacutes par les flucirctes et les har-pes cependant qursquoune troupe drsquoalmeacutees juveacuteniles multiplie ses pas cadenceacutes Il est drsquoautres danses qui ne sont point purs divertissements Regardez les sauts esquisseacutes par les Nemou au moment ougrave srsquoopegravere la renaissance par la peau ou bien suivez au tombeau drsquoAnhmacirchor lrsquoeacutevolution de ces danses (fig 2) qui font pendant au triste tableau des funeacuterailles avec quelle furie disciplineacutee les femmes jettent en avant le pied plus haut que la tecircte Est-ce vaine exhibition de figurants entraicircneacutes agrave des exercices rythmiques qui tiennent plus de la gymnastique que du ballet Non car sur la paroi drsquoen face regardant ces virtuoses voici drsquoautres freacuteneacutetiques qui deacutefaillent ils se pacircment se laissent tomber agrave terre gisent comme srsquoils simulaient lrsquoaffaissement du treacutepas (fig ) Comment croire qursquoon ait pu introduire en pleine fecircte funegravebre lrsquoeacutepisode de ce cake-walk eacutecheveleacute Nrsquoy pour-rait-on voir plutocirct une danse magique et solennelle qui a pour but en mimant la vie et la mort de susciter dans le corps inerte du deacutefunt quelque prodigieux eacutelan de vigueur et de reacutesurrection ou de stimuler dans le sol endormi la pousseacutee des semences et la croissance jusqursquoagrave une hauteur extraordinaire de la veacutegeacuteta-tion Ici comme dans les fecirctes agraires que nous avons citeacutees danses et sauts auraient le mecircme effet magique les pousses nouvelles image drsquoOsiris ou du deacutefunt renaissant grandiront en gloire srsquoeacutelegraveveront aussi haut que les sauteurs ont pu lancer le pied

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Danseuses

Les eacutepisodes orgiaques et licencieux qui accompagnent ailleurs les Saturnales et lrsquoeacutepheacutemegravere royauteacute du Carnaval se retrouvent eacutegalement en Eacutegypte Les tex-tes du temple de Dendeacuterah nous deacutecrivent une ceacutereacutemonie qursquoon ceacuteleacutebrait au deacute-but de lrsquoanneacutee eacutegyptienne le 20 Thot apregraves les vendanges et la moisson A cette date la deacuteesse Hathor et ses paregravedres sortaient du sanctuaire le cœur en liesse les precirctresses montraient agrave la foule les statues sacreacutees au son des cymbales et des tambourins pendant cinq jours tous les habitants de la ville se couronnaient de fleurs buvaient sans mesure chantaient et dansaient du lever au coucher du soleil 87

La fecircte laquo de lrsquoivresse raquo tombait presque aux mecircmes dates que les fecirctes de la moisson ceacuteleacutebreacutee dans la reacutegion theacutebaine et de lrsquoensevelissement drsquoOsiris qui se faisait agrave Abydos (22 Thot) je ne saurais voir lagrave une coiumlncidence fortuite Cette ivresse joyeuse qui se reacutepand sur toute une ville ce deacutechaicircnement des instincts une fois le travail termineacute a comme un goucirct avant-coureur de notre licence du Carnaval sauf que ce dernier a reporteacute les mecircmes scegravenes agrave la saison des se-mailles sans preacutejudice de celles qui ont lieu encore agrave la moisson Drsquoailleurs le deacuteregraveglement propre aux Saturnales nous apparaicirctra mieux encore dans la fecircte de Bubastis qursquoHeacuterodote a vue et deacutecrite au ve siegravecle avant J-C

87 Mariette Dendeacuterah III pl I pl 62 texte p 28 et 02

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On se rend agrave Bubastis par eau hommes et femmes pecircle-mecircle et confondus les uns avec les autres dans chaque bateau il y a un grand nombre de personnes de lrsquoun et de lrsquoautre sexe tant que dure la navigation les femmes jouent des cas-tagnettes et les hommes de la flucircte le reste autant hommes que femmes chante et bat des mains Lorsqursquoon passe pregraves drsquoune ville on fait approcher le bateau du rivage Parmi les femmes les unes continuent de chanter et de jouer des cas-tagnettes drsquoautres crient de toutes leurs forces et disent des injures agrave celles de la ville celles-ci se mettent agrave danser et celles-lagrave se tenant debout retroussent indeacutecemment leurs robes 88 La mecircme chose srsquoobserve agrave chaque ville qursquoon ren-contre le long du fleuve Quand on est arriveacute agrave Bubastis on ceacutelegravebre la fecircte de la deacuteesse en immolant un grand nombre de victimes et lrsquoon fait agrave cette fecircte une plus grande consommation de vin de vigne que dans tout le reste de lrsquoanneacutee car il srsquoy rend au rapport des habitants sept cent mille personnes tant hommes que femmes sans compter les enfantshellip8 raquo

Cette gaieteacute profane qui accompagne drsquoordinaire les foules en pegravelerinage marque drsquoeacutepisodes faceacutetieux les ceacutereacutemonies les plus graves Ainsi dans les pro-cessions religieuses et les cortegraveges sacerdotaux voyons-nous des precirctres chargeacutes de repreacutesenter les dieux pour rendre lrsquoeffigie plus ressemblante ils revecirctent des costumes ou portent des attributs eacutetranges et srsquoattachent sur la figure des mas-ques drsquoanimaux spectacle qui est sans doute eacutedifiant pour lrsquoeacutelite mais qui pour la foule precircte agrave lrsquoeacutequivoque et au rire tel deacutefileacute du clergeacute theacutebain qursquoon nous montre aux fecirctes de la moisson semble annoncer par son caractegravere mi-burlesque mi-sacreacute ces cortegraveges qursquoApuleacutee verra plus tard agrave Chenchreacutees et dont il nous a laisseacute une si pittoresque description

Figure Fecircte de la gerbe Precirctres portant les enseignes divines

le Nsout-Hen et les simulacres des dieux

88 Au chap II 8 Heacuterodote signale drsquoautres rites indeacutecents8 Heacuterodote II 60

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les monuments eacutegyptiens ne sont donc point autant qursquoil le paraicirct agrave pre-miegravere vue deacutepourvus de teacutemoignages sur les fecirctes agraires on les rites dits de Carnaval Seulement ils apportent peu de textes preacutecis peu de tableaux pourvus drsquoun commentaire ou qursquoon puisse expliquer avec entiegravere certitude Dans ces conditions lrsquoEacutegypte ne peut servir de point de deacutepart pour des recherches de cet ordre au contraire jrsquoai ducirc aller du connu agrave lrsquoinconnu mrsquoinformer ailleurs de certains rites et de lrsquoexplication qursquoon leur a trouveacutee puis revenir agrave lrsquoEacutegypte et interpreacuteter certaines expressions certaines figures eacutenigmatiques avec la clef que drsquoautres civilisations peuvent fournir Lrsquoanalogie est vraisemblable drsquoune part il serait surprenant que ces coutumes drsquousage universel aient eacuteteacute ignoreacutees des Eacutegyptiens drsquoautre part les rites burlesques observeacutes dans les funeacuterailles les fecirctes sed et les paneacutegyries sacreacutees srsquoexpliqueraient difficilement sans lrsquointerpreacutetation que drsquoautres peuples nous fournissent avec tant drsquoabondance et de preacutecision

Ces coutumes pratiqueacutees dans le monde entier ces fecirctes dont le sens se retrou-ve agrave peine obliteacutereacute dans la survivance eacutetonnante des mecircmes deacutecors ont ainsi leurs racines immeacutemoriales dans les limbes de lrsquoHistoire Ne nous meacuteprenons pas sur lrsquoaspect grotesque que ces traditions ont revecirctu au cours des siegravecles Veacute-neacuterables par leur passeacute elles nous montrent en action la religion primitive elles nous deacutecrivent cette lutte eacuteternelle pour la vie qui est agrave la base de la premiegravere foi de lrsquohumaniteacute Tous ces rites reposent sur le paralleacutelisme absolu entre lrsquohomme et la nature elle vit prospegravere grandit meurt comme lui et il est frappeacute par ce recommencement et ce retour perpeacutetuel des choses Il veut donc assurer le re-nouvellement constant des forces naturelles ou ce qui revient au mecircme en em-pecirccher lrsquoeacutepuisement Ce sentiment de preacutevoyance a persisteacute sous les conceptions meacutetaphysiques apporteacutees au cours des siegravecles par les philosophies qui recouvrirent peu agrave peu la religion naturelle Les fecirctes drsquoaujourdrsquohui preacutesentent lrsquoaspect drsquoun terrain geacuteologique ougrave les stratifications ont eacuteteacute bousculeacutees et mecircme interverties par les diverses convulsions de la foi religieuse depuis lrsquoantiquiteacute Dernier venu le christianisme a remanieacute le cadre mecircme de lrsquoanneacutee dont Pacircques eacutetait jadis le deacutebut de sorte que les fecirctes qui vont de deacutecembre agrave Pacircques ne coiumlncident plus avec le temps du renouveau et de la moisson qursquoelles marquaient autrefois et ne sont plus placeacutees aujourdrsquohui dans leur ordre logique neacuteanmoins se perpeacutetue agrave travers ces confusions la tradition antique jusqursquoagrave cette grande purification annuelle de Pacircques commandeacutee encore par le christianisme

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Expulser la mort eacuteliminer les deacutemons et les mauvais instincts faire renaicirctre en soi dans la socieacuteteacute et la nature des forces renouveleacutees et salutaires tel eacutetait le but de certaines fecirctes antiques que nous avons retrouveacutees en Eacutegypte et ailleurs tel encore est le sens oublieacute des fecirctes du Carnaval Le roi qui aux temps anti-ques y jouait le premier rocircle reste aujourdrsquohui reconnaissable sous son traves-tissement bouffon Ce deacutefileacute burlesque fut autrefois une procession auguste et le deacutenouement lamentable drsquoun drame Derriegravere le masque bafoueacute du roi deacutechu ou eacutepheacutemegravere nos ancecirctres ont vu la figure tragique de lrsquohomme-dieu qui pour le bien et la vie de ses semblables allait mourir

27

vI

sanctuaIres de LrsquoancIen eMpIre

Les grandes pyramides de Gizeh mdash celles de Cheacuteops Cheacutephregraven Myceri-nus mdash et les petites pyramides drsquoAbousir et de Saqqarah sont les tombeaux des pharaons de lrsquoAncien Empire Les momies royales ensevelies dans les profon-deurs de ces maccedilonneries eacutetaient inaccessibles deacutefendues par des herses de gra-nit qursquoon laissait tomber les funeacuterailles faites sur les couloirs descendant au caveau Il fallait cependant agrave des intervalles rapprocheacutes ceacuteleacutebrer le culte du roi deacutefunt car seul le culte pouvait prolonger sa vie drsquooutre-tombe Dans les tom-beaux des particuliers 0 la chapelle funeacuteraire restait accessible agrave lrsquointeacuterieur du mastaba eacuteleveacute sur le caveau dans les tombes royales le seuil de la pyramide eacutetant deacutesormais infranchissable il fallut reporter la salle du culte agrave lrsquoexteacuterieur dans un temple bacircti sur la faccedilade orientale de la pyramide

On a chercheacute ces temples funeacuteraires et on a pu en deacutegager les substructures agrave Meidoum agrave Saqqarah mais devant les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir les tumuli recouverts de sable qui srsquoeacutetendaient depuis leur face orientale jusqursquoagrave la valleacutee placeacutee en contre-bas preacutesentaient un aspect insolite Tout pregraves de la pyra-mide il y avait des deacutebris drsquoeacutedifices en descendant vers la valleacutee on remarquait les traces drsquoune chausseacutee qui avait servi agrave charrier les mateacuteriaux de construction enfin agrave la lisiegravere du deacutesert existaient encore les substructures de constructions imposantes dont la mieux conserveacutee eacutetait le fameux temple laquo de granit raquo ou laquo du Sphinx raquo ainsi nommeacute agrave cause de ses mateacuteriaux et de son voisinage ceacutelegravebre Lors-que Mariette le deacuteblaya drsquoailleurs partiellement de 8 agrave 860 il nrsquoy trouva que des statues colossales jeteacutees au fond drsquoun puits aucune inscription nul bas-relief ne deacutecorait ces murs de granit muets sur la destination de lrsquoeacutedifice son plan bizarre diffeacuterait eacutegalement de tous les monuments encore connus Entre les pyramides royales et ces eacutedifices plus ou moins ruineacutes situeacutes en bordure des ter-res cultiveacutees il ne semblait drsquoailleurs qursquoaucun lien existacirct La chausseacutee qui sub-sistait par places allait en obliquant de lrsquoeacutedifice agrave la pyramide et comme elle ne

0 On appelle mastaba la tombe de lrsquoAncien Empire qui a la forme exteacuterieure drsquoun cube de maccedilonnerie pleine sans autre ouverture que les portes Cf Au temps des pharaons p 78

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se trouvait dans lrsquoaxe ni du monument infeacuterieur ni du tombeau supeacuterieur lrsquoideacutee ne venait point drsquoun ensemble architectural ougrave la pyramide le temple la chaus-seacutee et lrsquoeacutedifice de la valleacutee auraient joueacute chacun leur rocircle Des fouilles meneacutees par M Borchardt sur le site drsquoAbousir par MM Steindorff et Reisner sur celui de Gizeh et qui viennent drsquoecirctre publieacutees ont cependant deacutemontreacute la reacutealiteacute de ce grand ensemble et reacuteveacuteleacute le rapport et mecircme la destination des parties

Ce nrsquoeacutetait point par hasard que le temple dit laquo du Sphinx raquo eacutetait situeacute au pied de la pyramide de Cheacutephregraven et que agrave Abousir par-devant les pyramides rui-neacutees de Sahouracirc et de Neouserracirc srsquoallongeait jusqursquoagrave la valleacutee lrsquoempierrement de constructions importantes qui se deacuteveloppaient sur une longueur de 00 00 ou 700 megravetres en escaladant le plateau Les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir sont ne lrsquooublions pas sur un plateau calcaire rebord du vaste deacutesert qui coupe en deux de lrsquoAtlantique au golfe Persique les continents de lrsquoAncien Monde Dans ce deacutesert la valleacutee du Nil est une zone drsquoeffondrement en partie combleacutee par les alluvions du fleuve aussi est-elle neacutecessairement en contrebas des deux legravevres de cette faille du plateau deacutesertique A la hauteur des pyramides de Gizeh la diffeacuterence de niveau entre le deacutesert et la plaine fertile atteint 6 megravetres Il fallait donc soit pour construire la pyramide soit apregraves son achegravevement pour y peacuteleriner gravir cette falaise sablonneuse On relia la valleacutee et le plateau au moyen drsquoune rampe en blocs solides de calcaire qui filait de biais pour racheter la pente insensiblement Ces chausseacutees dont Heacuterodote deacutejagrave relevait les traces nrsquoeacutetaient donc que le chemin drsquoaccegraves agrave la pyramide ou plutocirct au temple mor-tuaire eacuterigeacute sur son flanc oriental Seulement crsquoeacutetait un chemin couvert un long corridor bacircti qui inspirait moins lrsquoideacutee de fraicirccheur et drsquoombre que le silence et le recueillement drsquoune nef seacutepulcrale A Gizeh comme agrave Abousir le touriste doit restituer en imagination par-devant la face orientale de chaque pyramide un plan ascendant composeacute deg drsquoun portique monumental dans la plaine 2deg drsquoune galerie voucircteacutee et deg du temple proprement dit ougrave les rites renouvelaient agrave chaque ceacuteleacutebration de culte la vie du roi enseveli

A Gizeh ces ensembles architecturaux ont subi des fortunes varieacutees devant la plus grande pyramide celle de Cheacuteops il ne reste guegravere du temple funeacuteraire que le pavement en basalte et de la rampe que des deacutebris le portique de la val-leacutee a disparu La pyramide de Cheacutephregraven a conserveacute au contraire son portique le laquo temple du Sphinx raquo sa rampe drsquoaccegraves reacuteduite agrave la substructure et quelques pans de murs du temple funeacuteraire Devant la pyramide de Mycerinus le tem-

II 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ple est assez bien conserveacute et M Reisner y a trouveacute drsquoadmirables statues du roi constructeur

Examinons maintenant le groupe des constructions eacuteleveacute par Cheacutephregraven vers 280 avant J-C et commenccedilons agrave la lisiegravere de la valleacutee par ce laquo temple de gra-nit raquo ou laquo du Sphinx raquo que nous appellerons deacutesormais le Portique de cet ensem-ble 2 Fait exceptionnel dans lrsquohistoire monumentale de lrsquoEacutegypte il est tout en-tier construit murs plafond colonnes en granit rose drsquoAssouan crsquoest la pierre employeacutee aussi pour les caveaux inteacuterieurs des pyramides Le sol est partout paveacute drsquoalbacirctre et une chambre est mi-partie granit et mi-partie albacirctre Nul autre eacutedifice drsquoEacutegypte ne preacutesente un tel luxe uni agrave tant de soliditeacute et les pierres tailleacutees en dimensions colossales polies dans des mateacuteriaux qui deacutefiaient la main drsquoœuvre humaine srsquoy ajustent avec une preacutecision une perfection qui ont vaincu le temps En apparence cet eacutedifice est un carreacute de pierre de 0 megravetres de large sur 0 de long La faccedilade aux murs en talus construits en grand appareil hauts de megravetres et dont le toit est agrave profil semi-arrondi preacutesente lrsquoaspect drsquoun mastaba Deux portes larges de 2 m 80 hautes de 6 megravetres percent la faccedilade qui nrsquoa pas drsquoautre ornement que des leacutegendes hieacuteroglyphiques donnant les titres du roi Cheacutephregraven De doubles panneaux de bois agrave verrous eacutenormes garnissaient les portes Il y avait la porte du Nord ougrave le roi se deacuteclarait laquo lrsquoaimeacute de Bastit raquo la deacuteesse septentrionale et la porte du Sud ougrave le roi se disait laquo lrsquoaimeacute de Hathor raquo la deacuteesse meacuteridionale Comme dans les temples posteacuterieurs la division srsquoexpli-que donc par la dualiteacute du roi qui est le souverain des Deux Eacutegyptes

Chaque porte eacutetait encadreacutee de deux sphinx androceacutephales agrave corps de lion du moins pourrait-on le supposer drsquoapregraves une deacutecoration pareille devant le Por-tique de Sahouracirc agrave Abousir agrave Gizeh on a trouveacute en place la base des sphinx longue de 8 megravetres Ces figures incarnent le roi lui-mecircme le laquo Lion raquo des textes de lrsquoAncien Empire proteacutegeant son palais de sa force magique et divine Crsquoest aussi la signification du moins agrave lrsquoorigine du Sphinx qui se tient face leveacutee agrave la droite de notre eacutedifice drsquoun rocher long de 7 megravetres et haut de 20 qui offrait une ressemblance fortuite avec lrsquoanimal accroupi on avait fait un lion androceacutephale tenant entre ses pattes et sous sa tecircte une statue de Cheacutephregraven

2 Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 08 aux frais de M Ernst von Sieglin et dirigeacutees par MM Steindorff Borchardt et U Houmllscher Le compte rendu en a eacuteteacute donneacute par U Houmllscher Das grabdenkmal des Koumlnigs Chephren 2 Les blocs pesant plus de 0000 kilos ne sont pas rares il y en a qui deacutepassent 0000 kilos

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

aujourdrsquohui mutileacutee Ce rocher qursquoon ne pouvait supprimer prit ainsi sa place dans le plan du portique et forma avec lui un ensemble deacutecoratif Enfin au cen-tre de notre faccedilade il y avait un naos dont reste la substructure et qui contenait sans doute une statue de Cheacutephregraven

Cour du temple funeacuteraire

Figure Faccedilade du temple de granit (portique)

(Restitutions de M U Houmllscher)

Chacune des deux portes donne accegraves dans une chambre eacutetroite haute de megravetres drsquoougrave agrave droite et agrave gauche partent des corridors ils convergent dans un vestibule qui occupe toute la largeur de lrsquoeacutedifice Avant les fouilles de 08 on ne peacuteneacutetrait que jusque-lagrave et par le cocircteacute opposeacute agrave la faccedilade puisque celle-ci nrsquoeacutetait pas encore deacuteblayeacutee Dans un coin srsquoouvrait beacuteant un puits drsquoeacutepoque reacutecente crsquoest lagrave que Mariette trouva en 860 le fameux Cheacutephregraven en diorite orgueil du museacutee du Caire Du vestibule une grande porte nous introduit dans la salle principale qui est hypostyle et en forme de renverseacute Crsquoest donc la barre du qui se preacutesente drsquoabord sous lrsquoaspect drsquoune galerie diviseacutee en deux traveacutees par une rangeacutee centrale de six piliers rectangulaires au milieu srsquoouvre la galerie perpendiculaire diviseacutee en deux traveacutees par une double ligne de six pi-liers

Ici comme ailleurs les portes les murs les dalles du plafond sont unique-ment de granit rose par blocs de grand appareil longs de agrave 6 megravetres pesant de 0 000 agrave 0 000 kilogrammes les piliers hauts de 8 megravetres sont monolithes

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Aucun ornement aucune moulure nrsquoaltegravere le seacuterieux solennel de cette architec-ture pas une ligne qui ne se rapporte uniquement agrave la construction Le pave-ment est en dalles drsquoalbacirctre poli dont la blancheur laiteuse fait contraste avec la sombre splendeur du granit nu Des enfoncements encore visibles dans le paveacute drsquoalbacirctre permettent drsquoaffirmer que le long de ces murailles lisses en face de chacun des piliers il y avait vingt-trois statues royales plus grandes que nature repreacutesentant Cheacutephregraven assis sur son trocircne dans lrsquoattitude de majesteacute divine qursquoa populariseacutee lrsquoexemplaire deacutecouvert par Mariette Beaucoup de fragments de ces statues ont eacuteteacute retrouveacutes en particulier une tecircte admirable des morceaux de visages des parties du corps Si chaque statue donnait au roi la mecircme pose

Figure mdash Le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

toutes diffeacuteraient soit par le deacutetail soit par la matiegravere lrsquoune eacutetait en diorite verdacirctre veineacute de blanc lrsquoautre en albacirctre blanc lrsquoautre en schiste jaunacirctre Ces merveilleux modegraveles ougrave lrsquoart faisait encore palpiter une acircme srsquoirradiaient furti-vement dans un demi-jour car la salle hypostyle (dont le plafond est aujourdrsquohui deacutemanteleacute agrave lrsquoexception des poutres reliant les piliers) nrsquoeacutetait eacuteclaireacutee que par drsquoeacutetroites ouvertures meacutenageacutees agrave travers lrsquoeacutepaisseur des architraves et du plafond De quelle vie troublante devait srsquoanimer lrsquoimmobile assembleacutee des vingt-trois colosses assis dans leur pose inflexible quand le faisceau drsquoun rayon de soleil se glissant par les fenecirctres obliques venait se reacutefleacutechir sur le paveacute eacutetincelant avi-ver un pan de muraille rouge reacuteveacuteler quelques secondes durant le geste drsquoune main lrsquoeacuteclair drsquoun regard puis se retirant laissait retomber un lourd voile de teacutenegravebres sur lrsquohypostyle seacutepulcrale

Laissons de cocircteacute un eacutetroit corridor qui part de lrsquoangle gauche de lrsquohypostyle pour aboutir agrave trois cellules longues sortes de silos de granit agrave deux eacutetages ougrave lrsquoon serrait le mobilier les vecirctements sacreacutes les vases et lampes neacutecessaires aux ablutions et aux fumigations rituelles De lrsquoangle droit de notre grand part un autre couloir il dessert drsquoabord un plan inclineacute en albacirctre qui tourne agrave droite et conduit sur le toit puis une chambre de garde pour la surveillance du toit et de la sortie Nous arrivons en effet agrave lrsquoangle nord-ouest de lrsquoeacutedifice le couloir se poursuit et devient le chemin couvert qui durant 00 megravetres escalade le pla-teau deacutesertique suivant une pente assez rapide de dix pour cent Il est faiblement eacuteclaireacute par drsquoeacutetroites fenecirctres deacutecoupeacutees dans le plafond Les murs en calcaire blanc sans deacutecoration se raccordent agrave la voucircte en profil semi-arrondi La rampe deacutebouche obliquement dans la faccedilade du Temple funeacuteraire

Celui-ci (fig ) est un eacutedifice rectangulaire de mecircme largeur mdash 0 megrave-tres mdash que le Portique de la valleacutee mais drsquoune longueur supeacuterieure 0 megravetres au lieu de 0 Il se divise en deux parties de dimensions fort ineacutegales le temple public qui se deacuteveloppe sur une longueur drsquoenviron 00 megravetres et le temple intime ou priveacute reacuteduit agrave quelques megravetres de superficie

Le temple public nrsquoa pas de faccedilade monumentale le chemin couvert deacutebou-che en effet directement et de biais dans le cube de maccedilonnerie en plein vesti-bule flanqueacute de magasins Une autre porte mais dans lrsquoaxe central conduit du

Voici comment Heacuterodote (II 2) deacutecrit la chausseacutee de la pyramide de Cheacuteops laquo On passa dix ans agrave construire la chausseacutee par ougrave on devait traicircner les pierres Cette chausseacutee est un ouvrage qui nrsquoest guegravere moins consideacuterable agrave mon avis que la pyramide car elle a 2 megravetres de long sur megravetres de large et megravetres de haut dans sa plus grande hauteur elle est de pierres polies et orneacutee de figures drsquoanimaux raquo

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vestibule agrave deux grandes salles hypostyles aux piliers carreacutes disposeacutees en ren-verseacute comme dans le premier eacutedifice mais un eacutetranglement de la maccedilonnerie seacutepare ici les deux barres de notre pour en faire deux hypostyles indeacutependantes Il y avait lagrave aussi des statues colossales assises et peut-ecirctre comme dans le tem-ple funeacuteraire de Mycerinus des groupes formant bas-reliefs Particulariteacute notable agrave gauche et agrave droite srsquoenfoncent dans le plein de la maccedilonnerie deux boyaux pareils aux laquo serdabs raquo des mastabas et srsquoouvrant de mecircme dans la salle non par des portes mais par drsquoexigus soupiraux Crsquoest agrave lrsquointeacuterieur de ces oubliettes et avant drsquoen murer lrsquoentreacutee qursquoon deacuteposait des statues du roi constructeur les fouilleurs modernes nrsquoy ont trouveacute que des deacutebris

Au fond de la seconde hypostyle une porte deacutebouche en pleine lumiegravere dans une vaste cour occupant la largeur de lrsquoeacutedifice La cour srsquoencadre drsquoun portique qui a cinq ouvertures dans cette largeur et trois sur les cocircteacutes entre ces ouvertu-res la maccedilonnerie srsquoeacutepaissit en un massif pilier monolithe deacutecoreacute drsquoune statue sur sa face anteacuterieure (Fig ) Crsquoest le premier speacutecimen connu drsquoune de ces cours bordeacutees de statues qui se retrouvent dans les temples theacutebains agrave Louxor au Ramesseum agrave Meacutedinet-Habou (fig ) On suppose que les statues repreacutesen-taient alternativement le Pharaon en costume de roi du Sud et de roi du Nord Le portique du fond agrave cinq ouvertures donnait accegraves agrave cinq cellules parallegraveles fort eacutetroites sauf celle du milieu qui est plus large Or les temples de Sahouracirc et de Neouserracirc agrave Abousir nous ont appris que dans ces cinq cellules eacutetaient adoreacutees cinq statues du Pharaon nous pouvons supposer que ce nombre rituel de cinq chapelles et cinq statues srsquoexplique 6 par les cinq noms officiels du pro-tocole sous lesquels le roi eacutetait adoreacute

Le public nrsquoallait pas plus loin Seuls les precirctres et le roi peacuteneacutetraient dans un corridor menant par les cocircteacutes agrave une seacuterie de magasins puis dans une derniegravere sal-le semblable agrave un couloir mais de mecircme largeur que la cour et lrsquoeacutedifice crsquoeacutetait le Saint des Saints qui correspond agrave la chapelle inteacuterieure des mastabas En effet la paroi du fond celle qui est juxtaposeacutee au mur drsquoenceinte de la pyramide se creuse en son centre drsquoune niche rectangulaire ici se placcedilait la stegravele fausse-porte qui donnait accegraves dans lrsquoautre monde Il est probable que sur le flanc mecircme de la

Ces serdabs sont reacuteserveacutes agrave lrsquointeacuterieur de formidables noyaux de maccedilonnerie un des blocs de granit deacutepasse 70 megravetres cubes et pegravese plus de 70 000 kilos crsquoest agrave peu pregraves le poids drsquoun grand obeacutelisque6 Cheacutephregraven fut le premier agrave prendre le titre laquo fils de Racirc raquo ce qui complegravete agrave noms le proto-cole royal

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pyramide srsquoeacutelevait une autre stegravele 7 ou un naos situeacute dans le mecircme axe en face de la premiegravere stegravele et assurant ainsi une communication ideacuteale avec lrsquointeacuterieur de la pyramide

Tout ce temple funeacuteraire eacutetait construit comme les propyleacutees de la valleacutee en mateacuteriaux de choix granit rose pour les murs et les piliers albacirctre pour le pave-ment calcaire pour le remplissage de gros œuvre Ici non plus pas de deacutecoration sauf quelques lignes de textes encadrant les portiques de la cour deacutecouverte ou graveacutees sur les statues royales Crsquoest un art sobre srsquoexprimant directement par la statuaire ses personnages soit isoleacutes soit en groupes eacutenoncent toutes les ideacutees qui agrave lrsquoeacutepoque posteacuterieure seront deacuteveloppeacutees au moyen drsquoaccessoires textes ritualistiques bas-reliefs descriptifs

Revenons au rocircle du Portique dans cet ensemble Pour le deacuteterminer rap-pelons-nous qursquoil est situeacute juste entre le dessert et la valleacutee Si donc il fournit un pavillon drsquoentreacutee vers le chemin ouvert et le temple funeacuteraire il est aussi en contact avec le monde des vivants Devant lui dans la valleacutee srsquoeacutetendait comme agrave Abousir une laquo ville de la pyramide raquo Crsquoeacutetait sous lrsquoAncien Empire lrsquoendroit ougrave le Pharaon reacutesidait de son vivant agrave proximiteacute de son temple funeacuteraire et de sa pyramide qursquoil faisait bacirctir cette capitale eacutepheacutemegravere puisqursquoelle se deacuteplaccedilait avec chaque regravegne comprenait outre le palais et les habitations de la famille royale celle des parents des amis des clients des architectes de tous les em-ployeacutes dans le service des domaines funeacuteraires du Pharaon et dans le service des constructions Le Portique de la valleacutee eacutetait relieacute directement avec cette reacutesidence royale il eacutetait conccedilu avec sa faccedilade monumentale et son hypostyle grandiose pour servir de lieu de reacuteception ou de reacuteunion les ceacutereacutemonies qursquoon y ceacuteleacutebrait avaient sans doute un caractegravere plus officiel que religieux Les statues colossales du Pharaon qui veillaient dans lrsquohypostyle ne sont pas ces figures mobiles et portatives sur lesquelles on opeacuterait les rites funeacuteraires elles eacutetaient lagrave non pour recevoir ce culte funeacuteraire mais pour eacuteterniser la puissance et le nom du roi et agreacuteer lrsquoadoration de ses sujets Les accessoires de ce culte drsquoadoration eacutetaient sans doute peu importants car les magasins composeacutes de trois cellules doubles sont de faibles dimensions Jrsquoen conclus que le Portique participe du palais plu-tocirct que du temple

Quant au chemin couvert il nous conduit de ce Portique au Temple par un eacuteclairage endeuilleacute dans une ombre creacutepusculaire Nrsquoest-il pas agrave dessein mysteacute-

7 A Meidoum il y avait deux stegraveles dans une cour entre la chapelle et la pyramide de Snefrou (Maspero Histoire I p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rieux comme le passage de la vie agrave la mort et srsquoil se resserre nrsquoest-ce pas pour qursquoil laisse passer seulement un cortegravege choisi parents et amis du Pharaon lrsquoeacutelite seule convieacutee agrave partager lrsquoimmortaliteacute jusqursquoici reacuteserveacutee au roi et agrave participer agrave la destineacutee auguste des dieux

Nous voici dans le temple mortuaire dont le silence trompeur est peupleacute de la vie sourde intarissable qui srsquoeacutepanche des statues rituelles Invisibles mureacutees au fond des serdabs il y a les statues inviolables qui perpeacutetuent agrave lrsquoabri du danger des profanations le nom graveacute crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme du Pharaon son moi moral mais il y a aussi exposeacutees dans les cinq chapelles ou transporteacutees au moment du culte dans le secret du sanctuaire devant la stegravele fausse-porte drsquoautres statues portatives sur lesquelles on exeacutecutera les rites de reacutesurrection On a retrouveacute des fragments de plus de cent statues diffeacuterentes en albacirctre diorite basalte ou schis-te Petites ou colossales elles remplissaient les temples du paveacute jusqursquoau faicircte

Des rites speacuteciaux qursquoon ceacuteleacutebrait au Temple mortuaire peu de deacutetails sont connus puisqursquoici non plus que dans les caveaux des grandes pyramides les parois de granit ne portent ni figures ni inscriptions Toutefois la preacutesence des statues rituelles leur importance exceptionnelle qui srsquoatteste par leur nombre et leur qualiteacute suffisent agrave nous renseigner Ces statues sont lagrave drsquoabord pour com-meacutemorer le nom du roi deacutefunt prolonger sa personnaliteacute son acircme individuelle ensuite pour sauvegarder sa physionomie ses traits physiques car la momie deacuteposeacutee au fond de la pyramide si bien garantie qursquoelle soit de la corruption ne saurait les conserver dans leur inteacutegriteacute avec leur ressemblance Les merveilleu-ses tecirctes de Cheacutephregraven et de Mycerinus sont des portraits exacts quelque ideacutealiste et rituelle qursquoait eacuteteacute pour lrsquoensemble de la statue la maniegravere du sculpteur Il savait qursquoen modelant avec preacutecision les traits du roi il leur permettrait de srsquoanimer de revivre sous les formules toutes-puissantes de lrsquoouap-ra Le precirctre stimulerait par des rites magiques cette figure ressemblante mais inerte il rouvrirait ces yeux eacuteteints et ces oreilles closes il toucherait la langue rigide pour eacuteveiller la parole descellerait la bouche fermeacutee pour qursquoelle pucirct manger il ferait remuer les bras et les jambes pour y rappeler le mouvement aboli il solliciterait lrsquoacircme de revenir dans ce corps leacutethargique et bientocirct par les rites infaillibles cette statue prendrait vie On lui promettrait une vie eacuteternelle et on lrsquoenverrait rejoindre les dieuxhellip heacutelas la vitaliteacute des dieux eux-mecircmes eacutetait preacutecaire il fallait la renou-

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veler par les rites et certes le Pharaon srsquoinquieacutetait agrave bon droit de pourvoir pour lrsquoavenir agrave son propre culte Les statues multiplieacutees dans le temple funeacuteraire lui garantissaient ce regain de vie et de dureacutee

Celles que M Reisner a retrouveacutees en 08 dans la chapelle de Mycerinus preacutesentent un caractegravere qui semble confirmer ce que je viens drsquoavancer 8 Elles nous montrent le roi non plus figeacute dans sa majesteacute de maicirctre srsquoimposant agrave lrsquoad-miration de la foule prosterneacutee mais dans une attitude plus humaine plus fami-liegravere et ressemblante Mycerinus se tient debout cocircte agrave cocircte avec sa femme qui lrsquoenlace tendrement de son bras crsquoest la pose souriante et deacutetendue drsquoun couple quelconque qui appartiendrait agrave sa cour Lrsquoartiste eacutevidemment a voulu repreacute-senter lrsquohomme et non le Pharaon diviniseacute son œuvre porte le caractegravere intime qui se retrouve dans les dispositions de lrsquoeacutedifice En bas le Portique de la valleacutee est un palais royal rempli de statues de grand style en haut de la rampe crsquoest la chapelle priveacutee de Cheacutephregraven ou de Mycerinus destineacutee au culte familial

Pris ensemble les deux eacutedifices ne forment en somme qursquoun mastaba gigan-tesque dont les divisions ordinaires salle drsquoaccegraves corridor chapelle auraient eacuteteacute multiplieacutees et distendues sur une eacutechelle de plus de 700 megravetres Lrsquointeacuterieur de ce mastaba continuait drsquoabriter les statues tandis que la pyramide inviolable receacutelait la momie ici le corps gisait preacuteserveacute de la putreacutefaction incorruptible mais agrave jamais deacutepouilleacute de verdeur lagrave au contraire freacutemissaient des images res-semblantes qui se retrempaient eacuteternellement au culte funeacuteraire comme agrave une source magique qui srsquoabreuvaient de jeunesse agrave la fraicirccheur des rites hellip Et si le cadavre momifieacute garde encore les traces de la maladie les tares des organes les infirmiteacutes physiques en revanche les statues sont faites agrave lrsquoimage de lrsquohomme en sa fleur de santeacute agrave lrsquoapogeacutee de sa force de sa prospeacuteriteacute avant la deacutecheacuteance de lrsquoacircge ou de la carriegravere Ainsi le culte pourra les conserver en beauteacute et crsquoest pourquoi il les preacutefegravere au corps deacutecreacutepit ou desseacutecheacute drsquoailleurs inaccessible en son caveau Ces portraits drsquoinalteacuterable matiegravere ne se precirctent-ils pas bien mieux agrave la fiction drsquoune vie toujours reverdissante hellip

Donc dans ces temples tout concerne la vie ou le maintien de la vie dans les statues royales Par contre rien nrsquoy suggegravere lrsquousage drsquoun culte envers les dieux Ceux-ci nrsquoapparaissent dans la statuaire ou dans les rares inscriptions que pour escorter le dieu du logis qui est Pharaon leur personnaliteacute est deacutecorative nulles

8 Les fouilles de M Reisner nrsquoont pas eacuteteacute encore lrsquoobjet drsquoune publication drsquoensemble On trouvera drsquointeacuteressantes consideacuterations sur les statues royales trouveacutees lagrave dans un article de Mas-pero sur quelques portraits de Mycerinus reproduit dans ses essais sur lrsquoart eacutegyptien 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

priegraveres ni offrandes ne leur sont adresseacutees au contraire ce sont les dieux des Nomes qui viennent apporter leurs dons au roi Crsquoest lagrave un eacutetat drsquoesprit avec lequel les textes contemporains nous ont familiariseacutes Les dieux agrave cette eacutepoque sont certes de hauts et puissants seigneurs que lrsquoon traite avec deacutefeacuterence agrave qui lrsquoon paye sans enthousiasme le tribut qursquoils sauraient au besoin arracher mais ils nrsquoont presque ni deacutevots ni fidegraveles Ce nrsquoest pas la confiance la religion qui preacuteside aux rapports entre lrsquohumaniteacute et le ciel Prie-t-on un ecirctre que lrsquoon craint qui est redoutable parce que plus fort Par la magie au contraire on circonvient les dieux on peut les flatter les tromper voire leur faire peur et leur donner des ordres srsquoen servir sans les servir

Plus tard entre la IVe et la Ve dynastie la moraliteacute est en progregraves Les textes (ils deviennent plus nombreux dans les tombeaux memphites vers la fin de la Ve dy-nastie) commencent agrave parler de la providence ceacuteleste de la justice distributive du jugement qursquoOsiris impose apregraves la mort agrave tous les hommes Le culte des dieux gardiens de la morale et de la vertu srsquoeacutetablit Une eacutecole de theacuteologiens celle de Heacuteliopolis rallie agrave ses doctrines la famille royale et la cour une theacuteologie officielle est en formation et srsquoexprime en de longs textes religieux qursquoon grave dans les pyramides royales agrave la fin de la Ve dynastie Le dieu des morts Osiris et le dieu-soleil Racirc drsquoHeacuteliopolis deviennent les patrons du roi vivant sur terre et du roi vivant dans lrsquoautre monde un nouveau titre que prend le Pharaon celui de laquo fils du Soleil raquo exprime que le roi tient sur terre la place que son pegravere charnel Racirc creacuteateur du monde et bienfaiteur de la nature lui a faite et leacutegueacutee Le culte deacutesormais consiste en priegraveres en fondations territoriales pour les dieux et on construit en particulier des temples deacutedieacutes au Soleil

Crsquoest sur le site drsquoAbou-Gourab pregraves drsquoAbousir que M Borchardt a deacuteblayeacute un sanctuaire de la Ve dynastie consacreacute au soleil Jusqursquoici nous ne connais-sions lrsquoexistence de sanctuaires du soleil que par des inscriptions de lrsquoAncien Empire leurs noms srsquoaccompagnaient drsquoun deacuteterminatif singulier un tronc de pyramide surmonteacute drsquoun obeacutelisque au-dessus duquel se place adheacuterent ou non le disque solaire Cet hieacuteroglyphe eacutetait-il le dessin scheacutematiseacute mais exact drsquoun temple consacreacute agrave Racirc soleil drsquoHeacuteliopolis Les fouilles de M Borchardt lrsquoont prouveacute

Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 88 aux frais de M F von Bissing et publieacutees depuis 0 Le premier volume est celui analyseacute ici Das re-heiligtum der Koumlnigs ne-woser-re Band I Der Bau par L Borchardt

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Elles nous ont restitueacute le plan geacuteneacuteral drsquoun eacutedifice qui se rapproche de lrsquoen-semble funeacuteraire que nous venons de deacutecrire et qui comprend un Portique un Chemin couvert un Temple proprement dit mais ici le Saint des Saints nrsquoest pas une salle dans un temple crsquoest lrsquoObeacutelisque lui-mecircme dresseacute sur son socle la pyramide tronqueacutee (fig 6)

Le Portique preacutesente cette particulariteacute drsquoecirctre en plein dans la laquo ville de la pyramide raquo que le roi Neouserracirc eacutedifiait vers 20 av J-C on retrouve ses fondations agrave 0 megravetres agrave lrsquointeacuterieur du mur drsquoenceinte de la reacutesidence royale Crsquoest un eacutedifice carreacute de maccedilonnerie pleine qui avait peut-ecirctre une faccedilade en forme de double pylocircne Au centre de cette faccedilade srsquoouvre une salle soutenue par quatre colonnes en granit rose fasciculeacutees (elles sont massives dans le temple de Cheacutephregraven) Des corridors coudeacutes font deacuteboucher cette salle et deux petites salles lateacuterales dans une antichambre qui amorce le chemin couvert

Celui-ci forte chausseacutee en blocs calcaires gravit en pente raide sur une lon-gueur de 00 megravetres le plateau haut de 6 megravetres qui surplombe la valleacutee soit traceacute oblique aboutit devant la faccedilade orientale drsquoune enceinte rectangulaire de 0 megravetres de long sur 80 de large preacuteceacutedeacutee par une porte monumentale en granit rose orneacutee de reliefs colossaux Traversons le vestibule nous arrivons

Figure 6 mdash Temple de Racirc

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans une grande cour ougrave srsquoeacuterige au fond de la partie occidentale la pyramide tronqueacutee surmonteacutee de lrsquoobeacutelisque Deux corridors voucircteacutes filent agrave notre droite et agrave notre gauche suivons ce dernier Il se coude agrave lrsquoangle sud-est suivant le pourtour du temple et quoiqursquoil soit obscur comme au temple de Cheacutephregraven de fins reliefs couvrent ici les murs de calcaire blanc Une porte de granit srsquoouvre bientocirct agrave droite et un chemin encore plus eacutetroit et teacuteneacutebreux monte avec une pente accentueacutee au travers drsquoun gros de maccedilonnerie dans lrsquointeacuterieur mecircme de la pyramide Enfin ce boyau montant tortueux eacutetouffant deacutebouche agrave lrsquoair libre dans la lumiegravere eacuteblouissante nous sommes sur la plate-forme du socle tailleacute en pyramide tronqueacutee et au pied de lrsquoobeacutelisque agrave une hauteur de 20 megravetres au-des-sus de la cour du temple Les murs de la pyramide sont en calcaire mais ceints agrave la base drsquoun parement de granit La pointe de lrsquoobeacutelisque srsquoeacutelevait agrave 6 megravetres du socle crsquoest-agrave-dire agrave 6 megravetres au-dessus de la cour et 72 megravetres au-dessus de la valleacutee Lrsquoobeacutelisque nrsquoeacutetait pas monolithe mais bacircti en grands blocs calcaires jaunes pour le noyau blancs pour le revecirctement Peut-ecirctre eacutetait-il deacutecoreacute sur chaque face drsquoune inscription verticale au milieu de la paroi et un pyramidion de meacutetal le coiffait-il de sa pointe eacutetincelante

Lrsquoarchitecte de ce temple nrsquoavait-il pas merveilleusement combineacute ses effets LrsquoEacutegyptien venant de la valleacutee devait cheminer depuis le Portique sous une ga-lerie couverte puis dans des corridors resserreacutes dont lrsquoobscuriteacute devenait plus peacutenible agrave mesure qursquoil srsquoenfonccedilait en zigzag dans le flanc abrupt de ce cube de maccedilonnerie pareil agrave un mastaba lugubre Brusquement il eacutemergeait sur la terrasse dans lrsquoaveuglante lumiegravere sous la pierre leveacutee comme une flamme et drsquoun coup drsquoœil il embrassait lrsquoaire vibrante du temple la rampe le portique la reacutesidence royale et au delagrave les palmiers assombris les champs verdoyants ou doreacutes le Nil bleuissant et agrave lrsquohorizon la terrasse abrupte du Mokattam aux om-bres violettes Tant de lumiegravere et drsquoair pur apregraves cette monteacutee angoissante Le cœur dilateacute il tombait agrave genoux eacuteperdu de gratitude devant le dieu qursquoil venait adorer lrsquoobeacutelisque tout blanc qui jaillissait dans lrsquoazur comme un rayon peacutetrifieacute du pegravere et du bienfaiteur des hommes

Car lrsquoObeacutelisque eacutetait ici lrsquoidole et le sanctuaire agrave la fois Il semble bien que sa partie essentielle fut le pyramidion terminal dont les faces en forme de trian-gle isocegravele symbolisaient peut-ecirctre le triangle lumineux des rayons tombant du soleil sur la terre 00 Crsquoest sous ce signe qursquoon a deacutesigneacute aussi les rayons solaires

00 H Brugsch a deacutemontreacute que les Eacutegyptiens repreacutesentaient par un triangle isocegravele la lumiegravere zodiacale diviniseacutee crsquoest un pheacutenomegravene qui se manifeste en Eacutegypte avant le lever du soleil ou

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soit sous forme de perles triangulaires soit sous lrsquoaspect drsquoun triangle isocegravele soit comme au temps drsquoAmeacutenophis IV sous forme de rayons prolongeacutes par des mains 0 Les petites pyramides votives qursquoon rencontre dans les tombeaux por-tent toujours pregraves de la pointe lrsquoimage du soleil sur lrsquohorizon geacuteneacuteralement encadreacutee de deux personnages orants le grand pyramidion de Daschour srsquoeacutevase aussi sous un disque solaire aileacute enfin les obeacutelisques se terminaient par un py-ramidion drsquoor ou de meacutetal doreacute comme en teacutemoignent les textes ou lrsquoeacutetat ina-cheveacute de leur faicircte Pline lrsquoAncien se fait lrsquoeacutecho de cette tradition eacutegyptienne sur le caractegravere solaire de lrsquoObeacutelisque en nous disant expresseacutement laquo lrsquoObeacutelisque consacreacute au soleil eacutetait fait agrave lrsquoimage de ses rayons 02 raquo

Figure 7 mdash Autel-table drsquooffrande en albacirctre

apregraves le coucher par un rayon lumineux en forme de pyramide dont la base reposerait sur terre et dont la pointe se dirige vers le zeacutenith (proceedings of society of Biblical Archaeligology t XV p 2 et suiv)0 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 pl VIII 202 Hist nat XXXVI laquo Obeliscos vocantes Solis numini sacratos Radiorum ejus argu-mentum in effigie est et ita significatur nomine AEliggyptio raquo Sur ces derniers mots nous nrsquoavons pas de confirmation agrave donner La conseacutecration au dieu solaire Racirc des obeacutelisques est prouveacutee aussi par ce fait lors des rites osiriens on symbolisait la renaissance du dieu en eacuterigeant un obeacutelisque cela srsquoappelait laquo faire lever Racirc raquo (Aeg Zeitschrift 0 p 72)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Celui de notre temple solaire recevait le culte 0 au mecircme titre que les statues de Cheacutephregraven dans le temple funeacuteraire de ce Pharaon A droite des construc-tions il y avait des magasins pour les offrandes le paveacute de la cour y est encore creuseacute de longues rigoles et de vasques aligneacutees dans les premiegraveres srsquoeacutecoulait le sang des victimes eacutegorgeacutees dont les deacutebris eacutetaient recueillis dans les vasques et emporteacutes au dehors Au centre de la cour un autel en forme de quadruple table drsquooffrandes eacutetait orienteacute aux quatre coins de lrsquohorizon

A gauche il y avait une chapelle exigueuml preacuteceacutedeacutee de deux stegraveles et de deux bassins crsquoest lagrave que le roi se purifiait et revecirctait les vecirctements rituels avant de ceacuteleacutebrer le culte Une autre particulariteacute du culte solaire se remarque au tem-ple de Neouserracirc Un peu au fond et en dehors de lrsquoenceinte M Borchardt a deacuteblayeacute non sans surprise une construction qui se reacuteveacutela comme la carcasse infeacuterieure toute en briques drsquoune barque geacuteante longue de 0 megravetres la partie supeacuterieure qui comprenait le bordage la macircture les cabines les rames et tous les accessoires devait ecirctre en bois et avait naturellement disparu Telle quelle on avait lrsquoimage drsquoune des barques solaires celles ougrave lrsquoastre est censeacute naviguer dans la coupole bleue du ciel 0 Des inscriptions officielles de lrsquoAncien Empire nous avaient appris que les rois et en particulier Neouserracirc construisaient des barques de cotte sorte mais jamais encore on nrsquoavait retrouveacute lrsquoeacutedifice nautique Ces deacutetails ont drsquoautant plus drsquointeacuterecirct qursquoil est permis de supposer que le sanc-tuaire drsquoAbou-Gourab eacutetait bacircti sur le type du grand Temple de Racirc agrave Heacuteliopolis aujourdrsquohui totalement disparu agrave un obeacutelisque pregraves Gracircce aux fouilles et aux restitutions de MM Boichardt et Schaeligfer nous pouvons imaginer avec vraisem-blance ce qursquoeacutetait le fameux sanctuaire drsquoHeacuteliopolis

Compareacute avec le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven le temple du Soleil agrave Abou-Gourab nrsquooffre comme il est logique que des ressemblances exteacuterieures Tous deux ont pour point de deacutepart la citeacute royale et ont agrave reacutesoudre le mecircme problegraveme lrsquoaccegraves sur le plateau deacutesertique Ils ont donc en commun le Portique de la valleacutee et le Chemin couvert ascendant mais le Temple proprement dit diffegravere par sa destination lrsquoun sert de sanctuaire agrave des statues royales qursquoon y entretient dans une vie magique lrsquoautre formeacute seulement de lrsquoobeacutelisque et du socle expose la

0 M von Bissing a citeacute une inscription de Thoutmegraves III qui offre des pains et de la biegravere agrave des obeacutelisques (recueil de travaux XXIV p 67 XXV p 8)0 Les textes des Pyramides contemporaines du Temple nous donnent les noms de ces barques Macircndt Mesktet

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

forme concregravete du dieu Le principe de la deacutecoration nrsquoest pas moins dissembla-ble le temple de Cheacutephregraven ne contient guegravere que des statues le temple solaire des bas-reliefs Ceux-ci dont trop peu malheureusement sont conserveacutes nous fournissent les plus anciens speacutecimens de tableaux qui deviendront les poncifs de deacutecoration dans les temples theacutebains Fondation du temple par le roi assisteacute des dieux qui tend le cordeau drsquoarpentage pour orienter lrsquoeacutedifice vers lrsquoeacutetoile polaire deacutefileacute des produits des Nomes de lrsquoEacutegypte apporteacutes en offrande agrave la diviniteacute pu-rifications subies par le roi avant de ceacuteleacutebrer le culte comme grand-precirctre scegravenes du couronnement et de la renaissance fictive du roi apregraves la ceacuteleacutebration de la fecircte Sed toutes ces scegravenes sont reproduites sur les temples posteacuterieurs agrave des centai-nes drsquoexemplaires et ce nrsquoest pas le moindre enseignement du temple drsquoAbousir que de nous prouver lrsquoexistence degraves la Ve dynastie de ces deacutecorations rituelles qui resteront en usage jusqursquoau temps des Ceacutesars En outre le temple solaire contient en germe le dispositif qursquoobserveront les architectes theacutebains dans ces somptueux eacutedifices que nous a leacutegueacutes la XVIIIe dynastie 0 porte monumentale cour agrave deacutecouvert salle hypostyle naos du dieu Certes les architectes de lrsquoeacutepo-que memphite nrsquoont pu deacutevelopper leur plan avec tant drsquouniteacute et de clarteacute La nature du terrain lrsquoobligation de relier la pyramide et le temple funeacuteraire avec la citeacute des vivants au moyen drsquoune rampe leur creacuteait une difficulteacute consideacuterable ils srsquoen sont tireacutes agrave leur honneur et la justesse des proportions le concours des parties lrsquoharmonie de lrsquoensemble ne sont pas moins admirables que la perfection du deacutetail 06

Quels monuments en Eacutegypte ou ailleurs ont pu produire par lrsquoarchitecture seule ou la sculpture essentielle lrsquoeffet obtenu par la salle hypostyle du Portique de Cheacutephregraven ou le Temple solaire hellip Quelle puissance de recircve et drsquoexeacutecution dans ces artistes A peine pouvons-nous les comprendre agrave peine sommes-nous capables drsquoimaginer ces vingt-trois statues de Cheacutephregraven assises qui eacuteternisaient dans la peacutenombre leur volonteacute de vivre et deacutefiant la torpeur de lrsquoimmobile pose eacutepiant le flux et le reflux des jours se vecirctaient de lueurs changeantes et srsquoani-maient aux pulsations du tempshellip ou bien cet obeacutelisque colossal de Neouserracirc tout vibrant de lumiegravere comme un trait deacutecocheacute par lrsquoarcher glorieux hellip

0 Les piliers monolithes du temple de la IVe dynastie sont remplaceacutes ici par des colonnes fas-ciculeacutees du type lotiforme et des colonnes avec chapiteaux agrave palmes qui constituent deux traits caracteacuteristiques de lrsquoarchitecture eacutegyptienne (Cf Maspero Ars Una Eacutegypte fig 8-)06 Voir la gargouille en forme de lion motif qui se retrouvera dans la deacutecoration des temples posteacuterieurs

Les Mystegraveres eacutegyptiens

copy Arbre drsquoOr Genegraveve juin 2007httpwwwarbredorcom

Couverture illustration extraite du Livre des morts Museacutee du Louvre Paris DRComposition et mise en page copy Athena Productions JBS

Table des matiegraveres

I Mystegraveres eacutegyptiens II Le mystegravere du verbe creacuteateur III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem 68IV Le laquo ka raquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totem V Rois de carnaval 0VI Sanctuaires de lrsquoancien empire 27

  • I Mystegraveres eacutegyptiens
  • II Le mystegravere du verbe creacuteateur
  • III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem
  • IV Le laquothinspkathinspraquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totemthinsp
  • V Rois de carnaval
  • VI Sanctuaires de lrsquoancien empire
  • Table des matiegraveres
Page 5: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

en scegravene de la mort drsquoOsiris cependant celle-ci nous est figureacutee agrave lrsquoeacutetat alleacutego-rique dans une fecircte de la veacutegeacutetation ou fecircte de la gerbe qursquoon ceacuteleacutebrait le er Pachons 6

Figure Fecircte de la gerbe Ramsegraves III tranche la gerbe et sacrifie le taureau blanc

Le roi mimait la mort drsquoOsiris dieu de la veacutegeacutetation 7 en coupant de sa fau-cille une gerbe et en immolant un taureau blanc consacreacute agrave Min dieu de lrsquoeacutener-gie feacutecondante Ce taureau divin est une des formes drsquoOsiris 8 sa mort et le deacutemembrement des eacutepis se rattachent eacutevidemment aux rites agraires en usage chez bien des peuples

Apregraves la moisson exactement le 22 Thot se jouait un autre Mystegravere celui de lrsquoensevelissement drsquoOsiris Nous le connaissons par une inscription de la XIIe dy-nastie la stegravele du precirctre Igernefert 0 Au temps du roi Senousrit III Igernefert

6 La fecircte est figureacutee au Ramesseum (Ramsegraves II) et agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) Cf Wilk-inson Manners and Customs III2 pl LX Daressy notice de Meacutedinet-Habou p 2 et suiv Lefeacutebure sphinx VIII p Pour le nom de la Fecircte cf pyr de teli I 287 Sur cette interpreacutetation cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 2 sq8 Osiris est la laquo grande victime raquo le taureau du sacrifice Pour le bleacute cf Lacau Textes religieux ap Recueil XXXI p 20 sur un sarcophage du Moyen Empire un deacutefunt dit laquo Je suis Osi-rishellip je suis Neper (le dieu du bleacute) coupeacute raquo Voir les textes reacuteunis par J Frazer Le rameau drsquoor II que je cite au chapitre rois de Carnaval0 Stegravele ndeg 20 de Berlin cf H Schaeligfer Die Osirismysterien in Abydos 0 Les textes si-milaires y sont citeacutes

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

reccedilut lrsquoordre de preacuteparer la fecircte drsquoOsiris dans le temple drsquoAbydos la ville sainte du dieu des morts On appelait ce Mystegravere la fecircte de la pert acircat laquo grande sortie raquo ou laquo grande procession funegravebre raquo il eacutetait joueacute par la famille mecircme du dieu Isis Nephthys Thot Anubis et Horus Igernefert assume le tocircle principal ce-lui drsquoHorus fils drsquoOsiris il preacutepare lui-mecircme les accessoires augustes parmi lesquels se remarquait une barque portative avec cabine en bois de sycomore et drsquoacacia incrusteacute drsquoor drsquoargent et de lapis-lazuli A lrsquointeacuterieur on installe une statue drsquoOsiris en bois Igernefert srsquoacquitte en personne du soin drsquoorner le corps drsquoOrisis drsquoamulettes en lapis-lazuli malachite eacutelectrum puis il habille lui-mecircme le dieu et le revecirct de ses couronnes et de ses sceptres en ses fonctions de laquo chef du Mystegravere raquo herj seshta 2 il se charge en outre des rocircles de laquo sacrificateur raquo et de laquo servant raquo

Quant agrave la ceacutereacutemonie elle-mecircme voici comment lrsquoinscription la deacutecrit Une procession se forme car le meurtre drsquoOsiris est censeacute accompli et son

corps rejeteacute sur la rive du fleuve On porte donc la barque vers le lieu de nadit ougrave gicirct le corps drsquoOsiris (que cette localiteacute fucirct ou non dans le voisinage drsquoAby-dos elle est supposeacutee lrsquoecirctre pour lrsquoaction dramatique ) Anubis en sa qualiteacute de chien cherche le cadavre et le trouve mais quand il srsquoagit de mettre dans la barque le corps du dieu une bataille srsquoengage entre les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth les Osiriens sont vainqueurs et eacutecrasent leurs adversaires

Le cortegravege funegravebre se forme autour du cadavre divin processionnellement on suit Osiris vers la barque preacutepareacutee et ameneacutee par Igernefert On met agrave lrsquoeau la barque et Thot la dirige vers le tombeau du dieu agrave repeqer

Pendant ce temps Horus continue la lutte contre les ennemis drsquoOsiris sur la rive de Nadit apregraves un combat acharneacute il reste vainqueur

A Repeqer mecircme Horus confirme le triomphe drsquoOsiris Une statue habilleacutee et pareacutee remplace lrsquoimage cadaveacuterique du dieu Triomphalement dans lrsquoalleacutegres-

Le grand deuil μέγα πένθος (deacutecret de Canope I 7)2 Drsquoapregraves le rituel de lrsquoembaumement (Maspero papyrus du Louvre p ) lors des veacuteritables funeacuterailles drsquoOsiris crsquoest Anubis qui aurait rempli ce rocircle de laquo chef du Mystegravere raquo Anpou herj seshta Schaeligfer p 6-8 En reacutealiteacute nadit semble ecirctre une localiteacute de la Basse-Eacutegypte Du moins un texte dateacute de Sabacon mais reacutedigeacute au moins sous la XVIIIe dynastie (J Breasted Aegyptische Zeitschrift XXXIX p ) affirme que crsquoest en Basse-Eacutegypte que le corps drsquoOsiris a eacuteteacute immergeacute dans le Nil laquo Jrsquoai organiseacute la sortie drsquoOupouatou quand il alla pour venger son pegravere jrsquoai combattu les adversaires de la barque neshemt et jrsquoai renverseacute les ennemis drsquoOsiris raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se de tous les habitants de lrsquoEst et de lrsquoOuest la barque revient agrave Abydos le dieu rentre dans son temple et srsquoinstalle sur son trocircne au milieu de sa cour divine

La repreacutesentation de la Passion et de la Mort drsquoOsiris srsquoaccompagnait certai-nement de la Reacutesurrection du dieu Or dans la grande Procession et la fecircte de la Moisson nous ne voyons pas figureacutes les rites qui provoquent cette reacutesurrection drsquoOsiris crsquoest pourtant le nœud du drame sacreacute Sans doute cet acte reacuteputeacute secret se jouait-il hors de la vue du public aussi nrsquoest-il pas reacuteveacuteleacute par les ins-criptions et les tableaux On peut supposer que la curiositeacute du peuple se tenait satisfaite du deacutenouement du drame puisqursquoOsiris est rameneacute triomphant dans son temple crsquoest qursquoeacutevidemment il a vaincu Seth il srsquoest releveacute de la mort A Meacute-dinet-Hahou on proclame lrsquoavegravenement au trocircne drsquoHorus fils drsquoIsis et drsquoOsiris crsquoest dire qursquoOsiris est ressusciteacute sous la forme de son fils 6 De mecircme Osiris ne mourait pas avec le bleacute moissonneacute le vieux dieu de la veacutegeacutetation allait renaicirctre au printemps avec le bleacute nouveau 7

Toutefois agrave certaines dates le grand public assistait au triomphe drsquoOsiris que symbolisaient des ceacutereacutemonies moins secregravetes telles que lrsquoeacuterection du Ded et la fecircte sed drsquoOsiris

La premiegravere est repreacutesenteacutee dans un tombeau theacutebain datant du regravegne drsquoAmeacute-nophis III (XVIIIe dynastie) Le dieu de Busiris a souvent comme feacutetiche un pilier agrave quadruple chapiteau celui-ci repreacutesente probablement quatre colonnes vues lrsquoune derniegravere lrsquoautre selon les regravegles de la perspective eacutegyptienne ou peut-ecirctre un tronc drsquoarbre eacutebrancheacute devenu par stylisation Ce pilier est parfois surmonteacute drsquoun chef couronneacute muni drsquoyeux et de bras qui tiennent les sceptres canoniques (fig 2)

6 A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 07 Voir plus loin rois de Carnaval p 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Seti Ier redresse lrsquoOsiris-ded et lrsquohabille

Coucheacute agrave terre il signifiait qursquoOsiris gisait mort releveacute et redresseacute il sym-bolisait la reacutesurrection du dieu Aussi agrave la fecircte de redresser le Ded (sacirchacirc Ded) voyons-nous le roi lui-mecircme tirer sur les cacircbles qui permettent de relever le feacutetiche en preacutesence de la reine des officiers royaux et de la cour Les leacutegendes attestent que ce pilier nrsquoest autre que le dieu mort sokaris-Osiris dont on avait repreacutesenteacute les jours preacuteceacutedents les funeacuterailles

Au-dessous des precirctres et du roi les habitants de pe et de Dep dansent ges-ticulent luttent et eacutechangent des coups de poing crsquoest la population de Bouto lrsquoancien royaume drsquoOsiris 8 Rappelons-nous les luttes que deacutecrit Heacuterodote laquo A Busiris lors de la fecircte drsquoIsis on voit se frapper apregraves le sacrifice tous les hommes ainsi que toutes les femmes en nombre prodigieux raquo

Nous voilagrave donc en preacutesence de jeux sceacuteniques illustrant un Mystegravere Les lut-teurs sont les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth ils en viennent aux mains pour soutenir chacun leur dieu Quelques textes conserveacutes deacutefinissent les gestes des personnages Lrsquoun crie laquo jrsquoai saisi Horus raquo un autre laquo que la main tienne ferme raquo un autre laquo frappe raquo Enfin quatre troupeaux de bœufs et drsquoacircnes faisaient quatre fois le tour du mur de la ville que figuraient-ils sinon les animaux drsquoOsiris et de Seth qui srsquoopposent Peut-ecirctre la fecircte se terminait-elle par la mise agrave mort des acircnes qui est rituelle dans des fecirctes analogues Ainsi une ville entiegravere se mobilise et srsquoagite becirctes et gens pour la reacutealisation drsquoune scegravene du mythe osirien 20

8 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 II 6 cf II 220 Brugsch Thesaurus inscriptionum aegyptiacarum p 0-8 mdash Ad Erman La religion

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Fecircte de lrsquoeacuterection du Ded au matin de la fecircte Sed

Le triomphe drsquoOsiris se proclamait encore publiquement agrave la fecircte Sed ougrave lrsquoon installait dans un naos agrave deux siegraveges une double effigie drsquoOsiris en costume de roi de la Haute et de la Basse-Eacutegypte Par devant le dieu flottait sur un piquet une peau drsquoanimal typhonien sacrifieacute

Crsquoest la neacutebride ou peau qui sert drsquoenveloppe out 2 au dieu Anubis qursquoon appelle agrave cause de cela im-out laquo celui qui est dans Out raquo Anubis srsquoaffuble de cette

eacutegyptienne p 7 mdash A Moret sarcophages de lrsquoeacutepoque bubastite agrave lrsquoeacutepoque saiumlte pl IV (Caire 00 bis)2 Le sens originel de out drsquoapregraves la neacutebride doit ecirctre laquo peau raquo et peut-ecirctre laquo vulve raquo (Parthey Vocabularium coptico-latinum s V p 2) aussi est-il deacutetermineacute parfois par lrsquoœuf Par ex-tension out deacutesigne lrsquoappareil de lrsquoensevelissement les bandelettes drsquoune momie (cf Brugsch W s p 2 et suiv sinouhit I 2 Maspero Contes populaires e eacuted p ) Le precirctre drsquoAnubis qui joue les rites de la peau drsquoAnubis pour le compte des deacutefunts ou du dieu en laquo habille raquo les deacutefunts il srsquoappelle lui-mecircme out lrsquoout drsquoAnubis (pyr de teacuteti I 6) Cf Lacau textes religieux (ap recueil XXX p 70) laquo Horus te purifie Out trsquohabille raquo variante laquo Anubis trsquoa consacreacute avec sa peau out raquo Lrsquoout apparaicirct degraves lrsquoeacutepoque preacutehistorique cf Petrie royal tombs II pl 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

peau pour les rites que jrsquoexpliquerai plus tard Lui et un precirctre revecirctu la de peau de panthegravere lrsquoiounmoutef font exeacutecuter au dieu triomphant divers rites que les rois drsquoEacutegypte imitaient lors de jubileacutes appeleacutes fecirctes de la queue (Sed) il en sera aussi question plus loin Enfin lrsquoeacuterection de deux obeacutelisques attestait par un symbolisme comparable agrave celui de lrsquoeacuteleacutevation du Ded redresseacute la stabiliteacute du dieu vainqueur 22 Cette fecircte tregraves solennelle commeacutemorait devant le peuple en-tier le triomphe de lrsquoEcirctre Bon

Figure La neacutebride devant Osiris

Au cours de ces drames mimeacutes avec le concours du populaire srsquointercalaient certaines ceacutereacutemonies laquo secregravetes raquo que tout Mystegravere comprend par deacutefinition Tout ce qui se ceacuteleacutebrait agrave ciel ouvert et en public nrsquoeacutetait qursquoun moyen de popu-lariser les peacuteripeacuteties de la vie drsquoOsiris sa mort sa passion son triomphe Quant aux rites qui assuraient infailliblement la reacutesurrection du dieu on ne les ceacuteleacutebrait qursquoagrave lrsquointeacuterieur du sanctuaire dans des locaux fort reacuteduits par les soins de precirc-tres speacuteciaux et de quelques laiumlques initieacutes et instruits des choses divines Qursquoil y ait eu dans le culte une partie laquo secregravete raquo et laquo reacuteserveacutee aux initieacutes raquo cela nrsquoest point douteux 2 Degraves les temps de lrsquoAncien Empire on nous parle des laquo rites

22 La fecircte sed drsquoOsiris est souvent repreacutesenteacutee sur les cercueils agrave partir du Nouvel Empire Cf les tableaux reproduits par G Moumlller (Aegyptische Zeitschrift XXXIX pl IV et V A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 27 et Chassinat sarcophages de Deir-el-Bahari I pl V2 Ceci explique la division en deux parties des temples degraves les temps les plus anciens Cf le dernier chapitre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sacreacutes ceacuteleacutebreacutes conformeacutement agrave ce livre secret de lrsquoart de lrsquoofficiant 2 raquo ceux qui le connaissaient se disaient laquo chefs du secret ou du Mystegravere raquo herj seshta agrave lrsquoexemple du dieu Anubis inventeur des rites de la momification et de la reacutesur-rection qui eacutetait par excellence le laquo chef du Mystegravere 2 raquo Chaque dieu chaque culte avait son laquo Mystegravere raquo et les precirctres qui leur eacutetaient affecteacutes posseacutedaient seuls ce laquo Mystegravere du dieu raquo ou ce laquo Mystegravere des paroles divines raquo En particulier les Mystegraveres des funeacuterailles srsquoappelaient laquo les choses drsquoAbydos 26 raquo La tradition est si bien eacutetablie agrave ce sujet que Jamblique au livre des Mystegraveres (VI et 7) rappelle en termes analogues laquo les choses secregravetes drsquoAbydos raquo τὰ ἀπόρρητα τὰ κρύπτὰ

ἐν Άϐύδῳ

Les monuments nous montrent que des rites secrets rappelaient chaque jour les peacuteripeacuteties de la passion et de la reacutesurrection drsquoOsiris

Dans les grands temples ptoleacutemaiumlques qui sont parvenus jusqursquoagrave nous intacts ou peu srsquoen faut agrave Edfou Dendeacuterah et Philaelig on a retrouveacute les salles affecteacutees agrave la ceacuteleacutebration des Mystegraveres journaliers Elles sont releacutegueacutees dans les parties du sanctuaire dont lrsquoaccegraves est difficile ou interdit au public A Philaelig il existe un petit temple drsquoOsiris composeacute de deux chambres sur le toit en terrasse de lrsquoeacutedifice mais les rites journaliers sont deacutecrits par des tableaux graveacutes sur les faces des architraves du pronaos 27 A Dendeacuterah deux petits eacutedifices ont eacuteteacute consa-creacutes sur la terrasse du temple aux Mystegraveres drsquoOsiris lrsquoun drsquoeux que Manette appelle la chapelle drsquoOsiris du Sud est reacuteserveacute au culte journalier A Edfou deux chambres voisines du sanctuaire sont deacutedieacutees agrave Osiris-Sokaris Edfou a surtout conserveacute les textes des formules reacuteciteacutees mais Philaelig et Dendeacuterah srsquoils nous donnent moins de textes nous ont gardeacute des bas-reliefs ougrave sont figureacutes les personnages en scegravene et leurs gestes

2 J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl XXII (VIe dynastie) Mecircmes expressions ap Mariette Mastabas p Lepsius Denkm II 72 Mastabas p 7 Au rituel de lrsquoembaume-ment on cite les laquo livres secrets des rites raquo (Maspero papyrus du Louvre p 8 Virey religion p 278)2 Voir plus haut p n Le titre laquo chef du Mystegravere raquo nrsquoest drsquoailleurs pas speacutecialiseacute aux choses divines Tout office ou meacutetier pouvait ecirctre en Eacutegypte quelque peu secret en dehors des gens de meacutetier de mecircme que dans notre moyen acircge lrsquoart et mystegravere de tel ou tel meacutetier comportait des secrets bien gardeacutes Mais cette geacuteneacuteralisation du sens du titre herj seshta nrsquoimplique pas qursquoil ne puisse deacutesigner parfois les officiants preacuteposeacutes aux rites secrets26 VI et 7 Lrsquoexpression apparaicirct au tombeau de Neherj agrave Beacuteni-Hasan (Lepsius Denkm II 27) Le deacutefunt est repreacutesenteacute laquo naviguant pour connaicirctre ce qui concerne Abydos raquo crsquoest-agrave-dire les rites drsquoAbydos (hent r reh hert ibdou)27 Beacuteneacutedire philaelig IIe fasc p 7-2 et pl LI-LVIII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Le deacutecor comporte une statue drsquoOsiris enveloppeacute du maillot funeacuteraire un lit sur lequel la momie divine est eacutetendue diffeacuterents accessoires tels que couronnes sceptres armes des vases pleins drsquoeau beacutenite pour les libations des cassolettes drsquoencens et de myrrhe pour les fumigations 28

Le personnel se compose de precirctres qui jouent les rocircles de la famille osirienne Sont preacutesents Shou Geb le pegravere et lrsquoaiumleul drsquoOsiris Horus son fils Anubis Thot ses fregraveres ou parents et les enfants drsquoHorus les deacuteesses Isis et Nephthys femme et sœur drsquoOsiris et drsquoautres deacuteesses qui remplissent le rocircle de pleureuses A cocircteacute de ces precirctres acteurs il y avait les precirctres reacutecitants qui disaient les for-mules ce sont lrsquoofficiant qui reacutecite les textes le servant qui exeacutecute les rites tels que libations fumigations et qui manie les instruments magiques le prophegravete qui participe aux libations le grand voyant admis agrave voir le dieu

Les textes insistent sur le fait qursquoil y a une garde une faction monteacutee pendant les 2 heures du jour et les 2 heures de la nuit par les diviniteacutes eacutenumeacutereacutees laquo Elles veillent sur lui tout le jour elles gardent son corps constamment elles veillent sur lui lorsque la nuit vient et gardent ses membres jusqursquoau matin raquo Elles se chargent aussi laquo drsquoeacutecarter les ennemis de la couche funegravebre raquo Pour cela les diffeacuterents dieux laquo ont partageacute le jour et la nuit en heures 2 raquo et lrsquoun drsquoentre eux laquo prend la garde raquo chaque heure du jour et de la nuit Pendant que le dieu de service surveille lrsquoentreacutee possible des adversaires les autres exeacutecutent divers rites qursquoil nous faut maintenant exposer

Le drame comprend vingt-quatre scegravenes qui se succegravedent chaque heure de la nuit et du jour il commence agrave la premiegravere heure de la nuit (6 h du soir) et se termine agrave la derniegravere heure du jour suivant ( agrave 6 h du soir 0) De la premiegravere

28 Les deux chapelles drsquoOsiris agrave Dendeacuterah sont deacutecoreacutees de reliefs qui figurent ces divers acces-soires et statuettes (Cf Mariette Dendeacuterah t IV Budge Osiris II p 2 sq)2 II Junker Die studenwachen in den Osirismyrerien (Akad der Wiss Wien philos-hist Klas-se B LIV 0) p 2 et 0 M Junker dans sa remarquable publication des textes de Philaelig Edfou Dendeacuterah donne drsquoabord les 2 heures du jour suivies des 2 heures de la nuit Il nrsquoa pas remarqueacute que lrsquoordre des ceacutereacutemonies srsquooppose agrave ce classement Les rituels des Pyramides et ceux de lrsquooup-ra commen-cent par les libations et fumigations puis viennent le sacrifice des victimes la reacutesurrection du dieu les hymnes drsquoadoration et agrave la lin la fermeture des portes Crsquoest bien lrsquoordre observeacute ici agrave condition de commencer non par les heures du jour mais par celles de la nuit On sait drsquoailleurs que chez les Eacutegyptiens on compte les 2 heures drsquoune journeacutee complegravete agrave partir du soir agrave 6 heures (cf Ed Mahler eacutetudes sur le Calendrier eacutegyptien ap Museacutee Guimet Bibliothegraveque drsquoeacutetudes t XXIV p 7) Jrsquoobserverai donc pour ce reacutesumeacute des rites osiriens un ordre qui est lrsquoinverse de celui suivi par M Junker

Les Mystegraveres eacutegyptiens

heure agrave la derniegravere il y a progression dans le rite qui aboutit par eacutetapes agrave la reacute-surrection du dieu Cependant cette progression est peu sensible pour la raison suivante chaque heure est traiteacutee sceacuteniquement comme un petit drame com-plet ougrave le dieu passe successivement de la mort agrave la reacutesurrection Au deacutebut de chaque heure le dieu de garde entre avec ses comparses ils font agrave Osiris tel ou tel rite libation fumigation preacutesentation drsquooffrandes Vers le milieu de lrsquoheure on crie laquo Legraveve-toi reacuteveille-toi Osiris tu es triomphant Osiris tes ennemis sont renverseacutes raquo Malgreacute la proclamation de ce triomphe Isis nrsquoen reprend pas moins ses lamentations sur la mort de son eacutepoux et ses promesses de reacutesurrection Il semble que pour chaque heure il y ait un point de deacutepart qui est la mort du dieu un moment de triomphe sa reacutesurrection et un deacuteclin progressif qui ramegravene le dieu agrave sa deacutetresse premiegravere Puis les rites et les formules de lrsquoheure suivante tirent agrave nouveau Osiris de sa deacutetresse pour lrsquoy plonger derechef agrave la fin de la scegravene

Pour donner une ideacutee drsquoensemble de ce Mystegravere osirien il faut grouper les actes et les paroles Voici alors quelle description scheacutematique je pourrais preacute-senter

Les lamentations des pleureuses Isis et Nephthys deacutefinissent tout drsquoabord non sans eacuteloquence la deacutetresse du dieu laquo O Osiris je suis ta sœur Isis jrsquoai parcouru pour toi les chemins de lrsquohorizon je parcours la route du (soleil) Brillant hellip Jrsquoai traverseacute les mers jusqursquoaux frontiegraveres de la terre cherchant le lieu ougrave eacutetait mon seigneur 2 jrsquoai parcouru nadit dans la nuit jrsquoai chercheacutehellip celui qui est dans lrsquoeauhellip dans cette nuit de la grande deacutetresse Jrsquoai trouveacute le noyeacute de la terre de la premiegravere fois (sur cette rive de Nadit)hellip (var) sur cette rive nord drsquoAbydos Jrsquoai crieacute jusqursquoau ciel et jusqursquoaux habitants de lrsquoHadegraveshellip Mes doigts ont habilleacute (son corps) nu jrsquoai embrasseacute ses membres hellip Jrsquoai donneacute des souffles agrave sa narine pour qursquoil vive et que son gosier srsquoouvre en ce lieu sur la rive de Nadit en cette nuit du grand Mystegravere (seshta our )

laquo Je viens pour te pleurer ocirc grand dieu je pleure et je crie sur les hauteurs de Nadit Busiris se lamente 6 je trsquoamegravene tous les cœurs dans le deuil et lrsquoon te fait les grands rites (siaḫou ourou 7)

2e heure du jour2 2e heure de la nuit re heure du jour Chercheacute trouveacute mots sacramentels qui deacutesignent les phases de la quecircte du corps divin Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 87 2e heure de la nuit re heure du jour6 2e heure du jour7 2e heure de la nuit

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo O vous dieux pegraveres deacuteesses megraveres lamentez-vous de ce que vous voyez lamentez-vous de ce que vous entendez il vient celui qui vient dans la nuit il vient mon seigneur dans la nuit Geb lui amegravene les dieux ils le portent comme leur seigneur vers une place pure du ciel Allons pleurons-le lamentons-nous pleurons-le car il est abandonneacute Je viens et je me lamente dans mon cœur je pleure mes larmes moi ta sœur au cœur meurtri ta femme malade de dou-leurhellip8 raquo

Ces lamentations que nous connaissons aussi sous une forme plus litteacuteraire et plus complegravete par un papyrus conserveacute au museacutee de Berlin eacutetaient exeacutecuteacutees par des femmes agenouilleacutees sachant pleurer et deacutenouer leurs chevelures comme nrsquoont pas leurs pareilles les pleureuses drsquoOrient

Ainsi que le promettaient les Lamentations des dieux peacutenegravetrent dans le laquo lieu pur raquo (ouacircbt) ougrave gicirct Osiris mort ceux dont le rocircle est le plus actif sont Horus le fils du dieu deacutefunt Anubis son fregravere ou son parent Thot son allieacute Ils sont por-teurs drsquoinstruments magiques tels que cette baguette en forme de serpent qursquoon appelle laquo la grande magicienne raquo et lrsquoherminette drsquoAnubis Ils apportent aussi des vases pleins drsquoeau fraicircche de lrsquoencens et sept sortes de fards et drsquohuiles pour des onctions Les rites commencent parles libations et les fumigations

A six heures du soir on apporte un vase drsquoeau fraicircche Cette eau vient du Nil or le Nil est un eacutecoulement de lrsquooceacutean primordial le noun ougrave gisaient avant la creacuteation les germes de toutes choses et de tous les ecirctres 0 Le reacutecitant qui ap-porte le vase dit emphatiquement laquo Voici votre essence ocirc dieux le noun qui vous fait vivre en son nom de Vivanthellip Cette eau trsquoenfante comme racirc chaque jour elle te fait devenir comme Chepra 2 raquo En effet Racirc ou Chepra eacutetait sorti le pre-mier des dieux du noun au deacutebut du monde par la force de la libation Osiris renaicirct donc du noun primordial comme naquit Racirc au jour de la creacuteation

Degraves lors Osiris ne reste plus sur terre laquo il passe (au ciel) avec son Ka raquo com-me font les autres dieux Et lrsquoassistance srsquoexclame laquo Oh combien purs combien beaux sont ces rites mysteacuterieux drsquoOsiris Ounnefer raquo On brucircle alors lrsquoencens

8 6e heure de la nuit Voir dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 le texte du vocero drsquolsis drsquoapregraves le papyrus de Berlin0 re de la nuit p 66-67 Cf Au temps des pharaons p 28 et plus loin p 02 P 67-68 Le mort osirien renaicirct du noun (pyr drsquoOunas I 200) P 6 P 7

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo le parfum qui divinise raquo et lrsquoofficiant et la grande pleureuse alternent en paroles solennelles

Lrsquoofficiant laquo Le ciel se reacuteunit agrave la terre raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Lrsquoofficiant laquo Le dieu vient Rendez hommage raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Et ils frappent leurs tambourinsLrsquoofficiant et la pleureuse ensemble laquo La terre et le ciel sont en joie et se reacutejouis-

sent raquolaquo Notre seigneur est dans sa maison et il nrsquoa plus de crainte raquo ( fois)La deuxiegraveme libation apporteacutee agrave la 2 heure de la nuit est lrsquoeau fraicircche laquo qui

vient de ce pays raquo (et non du Noun) laquo elle suscite toutes les choses que donne ce pays 6 raquo et Osiris gracircce agrave elle laquo vivra de toutes les choses qursquoil peut aimer 7 raquo

La troisiegraveme libation a pour effet que laquo le dieu passe vers son pays dans ce lieu ougrave il a eacuteteacute enfanteacute et ougrave il est neacute de Racirc et ougrave chacun des dieux passe sa vieillesse avec ses enfants ainsi vont-ils au pays ougrave ils sont neacutes cette terre primordiale ougrave ils sont neacutes de Racirc ougrave ils vivaient eacutetant petits ougrave ils sont devenus adolescents crsquoest lagrave que tu es neacute que tu as grandi que tu deviendras vieux sain et sauf Prends cette eau qui vient de ce pays 8 raquo

La quatriegraveme libation est lrsquoeau fraicircche sortie drsquoEleacutephantine qui rafraicircchit et met en joie le cœur des dieux

Les autres libations et fumigations qui occupent les heures suivantes ne font que confirmer les reacutesultats deacutejagrave obtenus

Ces premiers rites accomplis les dieux exeacutecutent sur le corps drsquoOsiris une seacuterie de miracles qui se reacutepartissent sur les diffeacuterentes heures de la nuit et du jour

Mystegravere de la reconstitution du corps Osiris avait eacuteteacute deacutemembreacute par Seth Mais Isis et Nephthys ont retrouveacute chacun des lambeaux divins laquo elles mettent en ordre le squelette elles purifient les chairs reacuteunissent les membres seacutepareacutes 0 raquo puis la tecircte du dieu est assujettie sur le corps Les bras drsquoIsis et drsquoHorus entou-

P 7-726 P 77 P 808 P 87 P 0 e heure de la nuit p 8 2e heure du jour p 8-

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rent alors le cadavre reconstitueacute et le raniment par des passes magneacutetiques qui rappellent lrsquoacircme

Mystegravere du corps revivifieacute Avec lrsquoeau sainte qui donne la vie et la force et les nombreux fards et huiles preacutesenteacutes pendant les douze heures du jour on fait des onctions sur la bouche les yeux les oreilles et les diffeacuterents membres du corps reconstitueacute 2 Drsquoautre part la laquo grande magicienne raquo touche les mecircmes organes Ainsi la bouche les yeux les oreilles peuvent respirer parler et manger voir entendre les bras peuvent agir et les jambes marcher Crsquoest un miracle ducirc agrave la magie qui en imitant les mouvements propres agrave chaque membre ou agrave chaque organe a susciteacute le reacuteveil des fonctions dans chacun drsquoeux

Ces rites qui preacuteparent la renaissance du cadavre osirien nrsquoempecircchent point lrsquoemploi de pratiques ou de formules qui preacutevoient la renaissance par drsquoautres moyens

Mystegravere de la renaissance veacutegeacutetale A la e heure du jour on suppose que le corps rassembleacute momifieacute drsquoOsiris est enterreacute agrave Busiris Crsquoest ce qursquoon appelle laquo se reacuteunir agrave la terre agrave Busiris raquo Dans la terre se passait le mystegravere de la renais-sance veacutegeacutetale crsquoest-agrave-dire de la reacutesurrection drsquoOsiris compareacutee agrave la renaissance annuelle de la veacutegeacutetation Sur ces rites le culte journalier ne donne point de deacutetails mais nous les trouvons deacutecrits agrave Dendeacuterah dans le reacutecit des grandes fecirctes de Choiak 6

Mystegravere de la renaissance animale Dans cette mecircme e heure du jour on an-nonce agrave Osiris un autre mode de renaissance des victimes vont ecirctre ameneacutees et sacrifieacutees agrave la porte de lrsquoouacircbt (e et 6e heures du jour) Leur peau qui suivant les textes est la peau de Seth lrsquoadversaire 7 va servir de linceul pour envelopper Osiris crsquoest un laquo berceau raquo de peau (meshent 8) ougrave le dieu renaicirctra comme un enfant ou un animal laquo Salut agrave toi dit Isis Voici ta meshent la maison ougrave le ka divin renouvelle la vie raquo La peau assez souvent est celle drsquoune vache (le cette faccedilon on eacutevoque nout deacuteesse-vache du ciel megravere drsquoOsiris qui enfantera le

e heure de la nuit p 208 2e heure du jour p 2 e heure de la nuit p 0 2e heure du jour p 0 re heure du jour p Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 6 e heure du jour p 6 Traduit par V Loret recueil de travaux III-V Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 807 Junker p cf Maspero pap du Louvre p 08 Sur meshent (variantes meska mesi mesqet) cf Lefeacutebure proceedings s B A XV p et suiv et sphinx VIII p 7 Meshent est le nom drsquoune diviniteacute de lrsquoaccouchement e heure du jour p 0

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Veau-Soleil auquel Osiris est compareacute 60 Aussi agrave la e heure du jour dira-t-on agrave Osiris eacutetendu sous la peau que laquo sa megravere Nout srsquoapproche de lui et lui parle Oh relegraveve-toi mon seigneur dit la megravere Nout Me voici pour te proteacuteger je mrsquoeacutetends sur toi en mon nom laquo mystegravere du ciel 6 raquo

Le dieu qui preacuteside agrave ces rites est Anubis celui qui a pour insigne la neacutebride la peau de becircte attacheacutee agrave un pieu crsquoest lui qui dirige le sacrifice des victimes dont la peau sera le berceau drsquoOsiris renaissant Drsquoapregraves le Livre des Morts Anu-bis ne se contentait pas de faire passer Osiris par la peau-berceau Lui-mecircme (ou le precirctre qui jouait son rocircle) laquo passait sur raquo la peau 62 coucheacute il y prenait comme nous le verrons plus loin lrsquoattitude replieacutee du fœtus dans la matrice On croyait que les charmes de la magie imitative rendaient efficace ce simulacre de gesta-tion quand Osiris (et Anubis qui srsquoest substitueacute agrave lui) laquo sortent raquo sur la peau ils renaissent comme srsquoils sortaient du sein maternel Drsquoapregraves une autre tradition Horus fils drsquoOsiris traversait aussi la meshent pour son pegravere Les rituels anciens nous apprennent qursquoHorus passait encore au nom de son pegravere sur une autre peau-berceau le shedshed dont il sera question plus loin Mais dans les textes que nous analysons crsquoest Anubis et la meshent qui sont lrsquoun lrsquoagent lrsquoautre le berceau de la renaissance drsquoOsiris

A la 6e heure du jour on constate que laquo sa megravere Nout lrsquoa conccedilu en son temps et lrsquoa enfanteacute suivant le greacute de son cœur 6 raquo Pour attester cette reacutesurrection on eacuterige le pilier feacutetiche drsquoOsiris On ne fait ici que rappeler le souvenir de cette ceacutereacutemonie nous avons vu plus haut avec quel eacuteclat on la ceacuteleacutebrait le jour de la fecircte laquo drsquoeacuteriger le pilier raquo

A midi Osiris ressuscite en mecircme temps le soleil agrave son point culminant de midi eacutecarte les esprits des teacutenegravebres Pendant les six derniegraveres heures du jour les dieux de garde adorent Osiris et lui disent laquo Eacuteveille-toi en paix 6 raquo Le roi en per-sonne apparaicirct un instant agrave la e heure et apporte des offrandes (per-hrou ) A la 2e heure du jour lrsquooffice est termineacute on allume les lampes (pour eacutecarter les esprits des teacutenegravebres car il est six heures du soir) et on ferme les portes non sans avoir dit des paroles encourageantes au dieu laquo En paix Osiris Ah comme ces chants sont joyeux Comme ces femmes sont bonnes pour ton ka Que tu es

60 A Moret rituel de culte divin p208 Cf Sethe pyr II p 776 Junker p -662 Todtenbuch ch xvii (eacuted Naville II p 60 mdash Cf eacuted Budge eh clxxvi p 60) Voir agrave ce sujet Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (p s B A XV p )6 6e heure du jour p 76 0e heure du jour p 6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

beau beau dans ton repos Oh toi qui vis ta femme vient trsquoembrasser salut agrave toi acircme des dieux 6 raquo

Ce qui reste dans la chapelle nrsquoest drsquoailleurs que le corps divin Deacutejagrave lrsquoacircme drsquoOsiris ressusciteacute est partie pour le Ciel mais le corps comme lrsquoacircme jouissent deacutesormais de tous les privilegraveges des dieux

Ces privilegraveges sont deacutefinis par une eacutepithegravete qui revient comme un refrain au milieu de chaque heure laquo Tu es macirc-hrou Osiris chef de lrsquooccident 66 raquo Cette eacutepithegravete reacutesume un pouvoir miraculeux des ecirctres diviniseacutes par les rites Leur voix dans leur bouche quand elle profegravere des sons inarticuleacutes et agrave plus forte raison quand elle eacutemet des paroles ayant un sens deacutetermineacute a ce pouvoir creacuteateur que les Eacutegyptiens attribuaient au Verbe du Dieu deacutemiurge 67 La parole creacuteatrice permet au dieu de reacutesoudre toutes les difficulteacutes de deacutejouer toutes les ruses de preacutevenir tous les dangers par la faculteacute de creacuteer immeacutediatement ce qui est neacutecessaire en toute circonstance Gracircce agrave ces deux miracles permanents de la voix creacuteatrice (macirc-hrou) et de la voix productrice drsquooffrandes (per-hrou) le dieu pouvait seacutejourner en paix dans son naos Une derniegravere terreur lui reste peut-ecirctre celle de mourir une seconde fois 68 si Seth renouvelle ses attaques La vie nouvelle drsquoOsiris est vraiment preacutecaire mais le culte a eacuteteacute institueacute pour eacutecarter du dieu toute crainte en renouvelant chaque jour le Mystegravere du sacrifice et de la reacutesurrection

Jusqursquoici nous avons vu ce qui dans les Mystegraveres osiriens se rapporte agrave Osiris Mais ceux qui ceacutelegravebrent les Mystegraveres ne se proposent pas seulement comme but de perpeacutetuer le culte et par lagrave le salut eacuteternel drsquoun dieu ils preacutetendent srsquoattri-buer agrave eux-mecircmes les bienfaits des rites et participer agrave lrsquoimmortaliteacute qursquoils ont au prix de tant drsquoefforts assureacutee agrave Osiris Crsquoest ce que dit Plutarque 6 quand il fait remonter agrave la deacuteesse Isis lrsquoinvention des Mystegraveres qui commeacutemorent la passion de son fregravere et eacutepoux Osiris Isis institua des Mystegraveres laquo pour servir de leccedilon de pieacuteteacute et de consolation pour les hommes et les femmes qui passeraient par les mecircmes eacutepreuves raquo

Voyons donc comment les hommes tiraient beacuteneacutefice des Mystegraveres osiriensDrsquoabord crsquoest en vertu drsquoune loi geacuteneacuterale tout homme mort auquel on ap-

6 P 666 P 267 Voir plus loin Le Verbe creacuteateur p 768 e heure de la nuit p 86 De iside et Osiride 27

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plique les rites osiriens par un effet de magie imitative ressuscitera comme Osi-ris A cet effet la famille du deacutefunt reconstitue dans la maison ou le tombeau le drame de la mort et des funeacuterailles drsquoOsiris 70

Comme le fils de Geb et de Nout lrsquohomme mort est censeacute avoir eacuteteacute assassineacute par Seth jeteacute au fleuve repecirccheacute puis deacutemembreacute et retrouveacute une seconde fois La veuve jouait alors le rocircle drsquoIsis le fils remplissait le rocircle drsquoHorus ses amis ceux drsquoAnubis et de Thot 7 la famille proceacutedait agrave la reconstitution du corps deacute-membreacute et modelait une momie agrave lrsquoinstar de celle drsquoOsiris Au deacutebut des temps historiques la preacutesence dans les neacutecropoles de cadavres mis en morceaux par imitation des rites osiriens prouve qursquoon ne reculait devant aucune des conseacute-quences pratiques de cette theacuteorie mais dans la suite il parut suffisant de reacuteciter les formules qui assimilaient lrsquohomme agrave Orisis deacutemembreacute et reconstitueacute lrsquoon se bornait agrave faire une momie crsquoest-agrave-dire que lrsquoidentification avec Osiris semblait acquise degraves qursquoon transformait le cadavre agrave lrsquoimage du dieu momifieacute

Sur ce corps reconstitueacute et momifieacute la famille faisait exeacutecuter par les precirctres les ceacutereacutemonies deacutecrites par les rituels osiriens purifications qui lavent lrsquohomme de toutes les impureteacutes laquo qui ne doivent plus lui appartenir dans lrsquoautre monde raquo ouverture de la bouche et des yeux (oup-ra) qui ressuscitent la vie physique et intellectuelle renaissance veacutegeacutetale et animale qui de la deacutepouille mortelle font sortir un corps glorieux offrandes laquo sortant agrave la voix raquo cette voix creacuteatrice qui assure au nouvel Osiris la puissance contre ses ennemis et le garantit agrave jamais de la soif et de la faim Ainsi lrsquoaffilieacute au culte osirien srsquoapplique personnellement tout ce que son zegravele a assureacute au dieu son patron lui aussi renouvelle sa vie aussi vrai qursquoOsiris est vivant aussi vrai vivra-t-il agrave jamais

Les milliers de tombeaux qui ont eacuteteacute ouverts dans la valleacutee du Nil nous mon-trent par leurs tableaux que ces Mystegraveres eacutetaient joueacutes pour tout deacutefunt Il serait fastidieux de revenir ici sur les formules ou les gestes que nous avons deacutejagrave commenteacutes agrave propos drsquoOsiris lui-mecircme mais certains eacutepisodes repreacutesenteacutes dans les tombeaux projettent une lumiegravere tregraves vive sur quelques points resteacutes eacutenigma-tiques dans les rites deacutecrits plus haut

Le cortegravege qui accompagne le mort-dieu offre quelquefois drsquointeacuteressantes scegrave-nes de lamentations et de mimique funegravebres Un tombeau de la VIe dynastie

70 Voir les rituels funeacuteraires des Pyramides (eacuted Maspero et eacuted Sethe) et les laquo Livres de lrsquoOuverture de la bouche et des yeux raquo (Schiaparelli Libro dei funerali) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p sq7 Cf la formule des stegraveles funeacuteraires laquo Isis et Nephthys se sont lamenteacutees sur lui Anubis lui-mecircme lrsquoa fait momie raquo (Vienne stegravele ap Bergmann Das Buch vom Durehwanden der ewigkeit p 2-0)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

repreacutesente hommes et femmes tombant agrave terre tels qursquoOsiris et releveacutes par des comparses Ceux-ci semblent jouer le rocircle de laquo la grande pleureuse Isis 72 raquo au moment ougrave elle se lamente et laquo eacutebranle de ses cris le Ciel et lrsquoHadegraves raquo

Figure Les officiants miment la mort drsquoOsiris

Ailleurs crsquoest le rite de la renaissance veacutegeacutetale qui est preacutesenteacute de la plus inteacute-ressante maniegravere Dans plusieurs tombeaux de la XVIIIe dynastie on a retrouveacute des cadres en toile recouverts drsquoune couche de terreau disposeacutee en silhouette drsquoOsiris Des grains avaient eacuteteacute semeacutes lrsquoherbe avait pousseacute et on lrsquoavait tondue agrave une longueur de 0 m 0 de faccedilon agrave donner une verdoyante effigie drsquoOsiris veacutegeacutetant Sur les momies mecircmes on disposait parfois des grains de ceacutereacuteales ou des oignons de fleurs pour que leur germination ou leur floraison parucirct attester la reacutesurrection du deacutefunt 7

Une importance plus grande encore est donneacutee agrave la repreacutesentation de ce que jrsquoai appeleacute la renaissance animale Nous touchons ici agrave un des laquo secrets raquo les plus mysteacuterieux des rites eacutegyptiens et sur lesquels les monuments sont le plus avares drsquoexplications Le sujet nrsquoayant eacuteteacute que peu eacutetudieacute jusqursquoici je lui donnerai un

72 Cf J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl LXX et suiv7 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 02 et pl XI

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

deacuteveloppement particulier justifieacute par lrsquoantiquiteacute et lrsquoimportance des pratiques magiques qui srsquoy reacutevegravelent

En theacuteorie crsquoeacutetait le mort lui-mecircme qui renouvelait sa vie en passant par la peau des victimes 7 ainsi avait fait Osiris ainsi devait faire tout homme soucieux de son salut des monuments montrent en effet le deacutefunt ou lrsquoinitieacute exeacutecutant lui-mecircme le rite Mais drsquoordinaire le passage par la peau est confieacute agrave des officiants et neacutecessite des victimes humaines ou animales Cet eacutepisode offre plusieurs variantes

Figure 6Le tikenou hacircleacute sur un traicircneau

Le thegraveme originel semble avoir eacuteteacute celui-ci un homme ou plusieurs hommes sont eacutegorgeacutes pour que leur vie sacrifieacutee rachegravete le deacutefunt de la mort Au deacutebut et peut-ecirctre jusqursquoassez tard dans la peacuteriode historique on immolait reacuteellement des victimes humaines qui figuraient Seth lrsquoennemi de tout ecirctre osirien Dans la

7 Les tombeaux dont les textes ou les tableaux seront utiliseacutes ci-apregraves sont ceux de Sehete-pibracirc (XIIe dyn) publieacute par Quibell (ramesseum pl IX) de Sebekneht (XIIe dyn) publieacute par Tylor (pl III) de Renni et Paheri (publieacutes par Tylor) de Rehmacircracirc (publieacute par Virey Mission du Caire t V ) de Montouherjhepshef (publieacute par Maspero Mission du Caire t V ) de Menni (Maspero Archeacuteologie eacutegyptienne p 7) des scegravenes analogues sont figureacutees aux tombeaux de Nebamon (recueil de travaux IX p 7) et de Sennefer (Virey ap recueil XX p 22 sq et XXI p 28) ceux-ci sont de la XVIIIe dynastie Voir aussi le tombeau drsquolbi dateacute de Psammeacute-tique Ier (Scheil Mission du Caire V pl IX)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

suite on sacrifia le plus souvent des eacutetrangers probablement des prisonniers de guerre Nubiens ou Europeacuteens Au tombeau de Montouherjhepshef deux Nu-biens la corde au cou sont repreacutesenteacutes au moment ougrave ils vont ecirctre eacutetrangleacutes 7

Figure 7o Le tikenou ameneacute vers la laquo peau raquo2o Sacrifice des victimes animales

o Sacrifice des Nubiens

Un adoucissement agrave ce rite barbare fut la substitution des victimes animales aux victimes humaines Les animaux eacutetaient le taureau la gazelle lrsquooie le porc identifieacutes agrave Seth lrsquoadversaire Ces victimes animales payaient agrave la mort le tribut obligatoire et en rachetaient le deacutefunt 76 Lrsquoeacutegorgement des animaux srsquoaccompa-gnait toutefois drsquoun simulacre du sacrifice humain on faisait passer un homme ou un mannequin agrave travers la peau drsquoun taureau ou drsquoune gazelle sacrifieacutes

7 Cf G Maspero eacutetudes de mythologie I p 20876 Les theacuteologiens eacutegyptiens affirmaient que crsquoeacutetait lagrave lrsquoorigine des sacrifices drsquoanimaux laquo les victimes remplacegraverent les sacrifices humains raquo mdash Cf Au temps des pharaons p 22

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8On ouvre la terre et on creuse la fosse

Au tombeau de Montouherjhepshef on voit un personnage le tikenou ame-neacute sur un traicircneau en face drsquoune grande peau de becircte 77 La scegravene ougrave le Tikenou srsquohabille de la peau nrsquoest pas conserveacutee mais plus loin dans un trou creuseacute en terre on voit brucircler la peau la cuisse le cœur du taureau et aussi des cheveux du Tikenou qui sont jeteacutes lagrave semble-t-il pour remplacer le personnage lui-mecircme le sacrifice de la partie eacutequivalant agrave celui du tout Dans la flamme le simulacre de lrsquohomme et la peau de la victime montent vers le ciel emmenant avec eux le deacutefunt dans un monde divin

Figure On brucircle la peau le cœeur de la victime et les cheveux du tikenou

77 Les textes appellent la peau ou le lieu ougrave se trouve la peau mest meska meseq meshent en tous ces noms se trouve le radical mes = naicirctre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Crsquoest Anubis qui avait reacuteveacuteleacute aux dieux et aux hommes ce moyen de renaicirctre que les rituels deacutefinissent en ces termes laquo Il a passeacute pur sur la peau-berceau raquo pour le compte drsquoOsiris (todtenbuch ch xvii I 8) Ce rite semble avoir eacuteteacute en usage degraves lrsquoAncien Empire Lors des funeacuterailles les bas-reliefs des mastabas nous montrent la barque funeacuteraire amenant agrave la neacutecropole le cadavre sous la protection du precirctre drsquoAnubis lrsquoOut 78 Le cadavre nrsquoest pas seul dans la barque bien qursquoon ne distingue pas ce qui se passe dans le naos-cabine on peut supposer que le Tikenou y eacutetait aussi du moins dans les tombeaux theacutebains du Nouvel Empire agrave El Kab et agrave Thegravebes voit-on degraves que la barque a abordeacute le Tikenou ameneacute sur la rive et installeacute sur un traicircneau qursquoon traicircnait jusqursquoagrave laquo la terre qui renouvelle la vie raquo (fig 0)

Figure 0Le tikenou coucheacute sur la peau aborde agrave la neacutecropole Hacirclage sur le traineau

Mais voici une transformation du rite Le Tikenou eacutetait recouvert non plus drsquoune peau mais drsquoun long pagne ou

linceul qui est parfois (fig ) tacheteacute comme une peau Le tombeau de Renni a conserveacute la scegravene ougrave Isis-pleureuse (dert) drape dans ce linceul le Tikenou au moment ougrave le cortegravege funeacuteraire part pour la neacutecropole plus loin lrsquoindividu apparaicirct non plus coucheacute de son long mais accroupi sur le traicircneau (fig 2) Le Tikenou est alors repreacutesenteacute le visage deacutecouvert pour qursquoil puisse respirer (fig 0-2) parfois le linceul recouvre tout (fig ) solidement maintenu par de larges bandelettes (fig ) dans ce cas on doit supposer que sous le linceul il y a non plus un homme mais un mannequin ou simulacre Homme ou mannequin la figure rappelle exactement la silhouette qursquoon donnait aux victimes animales (cf fig ) et aussi lrsquoaspect du fœtus replieacute dans le sein maternel (cf fig 2)

78 Lepsius Denkm II 76 6 0 LrsquoOut apparaicirct fig 0

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Dans le naos Isis drape le tikenou Devant lrsquoofficiant un servant

verse de lrsquoeau sous le traicircneau et fait une libation de lait pour Renni laquo Celui qui passe sous la peau crsquoest Renni raquo

Arriveacute au tombeau le Tikenou exeacutecutait un rite qui consistait agrave se laquo coucher raquo sder 7 sur un lit bas (fig 7) dans la mecircme attitude replieacutee Tel nous apparaicirct-il au tombeau de Rehmaracirc avec la leacutegende explicative laquo Faire venir agrave la citeacute de la peau (Abydos) Voici le Tikenou coucheacute sous elle (la peau) dans la terre de trans-formation (ta heper) raquo Par la suite il nrsquoest plus question dans ces tombeaux de sacrifier le Tikenou Au sacrifice humain on a donc substitueacute le proceacutedeacute magi-que inventeacute par Anubis au profit drsquoOsiris se coucher dans une peau figureacutee par un linceul Sous cette peau qui rappelle eacutevidemment celle drsquoun animal sacrifieacute

7 Le mot laquo se coucher raquo sder deacutetermineacute soit par le lit drsquoapparat soit par le lit bas et court (lrsquoangareb des Nubiens cf Maspero eacutetudes de myth I p 28) comme sur notre fig est un terme technique des rituels qui deacutesigne lrsquoacte de laquo se coucher sous la peau meska raquo (fig ) de laquo se coucher sous le linceul raquo (fig 0 et ) de laquo se coucher dans la peau kenemt raquo Les listes de fecirctes connaissent laquo la nuit du coucher raquo (A Moret Catal museacutee guimet I p 6 n 6 cf tod-tenbuch ch xviii eacuted Budge p 7 I 0) ou laquo le jour du coucher du dieu raquo (Caire ndeg 206) Je suppose qursquoil srsquoagit de lrsquoacte de se coucher sous la peau pour simuler la renaissance

27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le Tikenou est dans le laquo lieu du Devenir des transformations de la vie renouve-leacutee raquo le Tikenou qui a pris lrsquoattitude de lrsquoembryon humain dans le sein mater-nel sortira de la peau tel que lrsquoenfant qui naicirct Par conseacutequent le mort pour qui se fait le rite renaicirctra lui-mecircme automatiquement

La repreacutesentation de ces eacutepisodes srsquoest encore simplifieacutee dans les tombeaux agrave partir de la XIXe dynastie Drsquoune part les scegravenes relatives au sacrifice humain nrsquoapparaissent plus on se contente des seules victimes animales Drsquoautre part le Tikenou ne joue mecircme plus Anubis passant par la peau il dis-paraicirct de la scegravene 80 son rocircle passe agrave un des officiants qui est drsquoordinaire le sem 8 Au deacutebut de lrsquooffice funegrave-bre quand on va faire subir au deacutefunt laquo la conseacutecration (deser) dans la salle drsquoor 82 raquo le sem se laquo couche raquo (fig 7) revecirctu drsquoun linceul

80 Les rituels qui forment le texte publieacute par Schiaparelli (Libro dei funerali) dont le plus an-cien est celui du tombeau de Seacuteti Ier ne font plus mention du tikenou8 Comme Lefeacutebure lrsquoa noteacute celui qui passe par la peau est aussi Horus pour Osiris crsquoest-agrave-dire le fils pour son pegravere Dans la stegravele de Metternich (I 7-7) Osiris dit agrave Horus laquo Crsquoest toi mon fils (qui passes) dans la Mesqt (lieu de la peau) sorti du Noun tu ne meurs point raquo Passer par la peau crsquoest donc la mecircme chose que sortir du Noun le chaos primordial le rite recommence la creacuteation (cf p 27) et assure lrsquoimmortaliteacute82 Cette phrase deser m hat noub laquo conseacutecration dans la salle drsquoor (sanctuaire du temple ou du tombeau) raquo est une rubrique speacutecialiseacutee aux rites de la renaissance et nrsquoest employeacutee qursquoagrave cette occasion Maspero (eacutetudes de mythologie I p 28) y voit une indication de mise en scegravene laquo dis-positif dans la salle drsquoor raquo ce qui ne me paraicirct pas justifieacute Ma traduction se rapproche de celle proposeacutee par Virey (rehmard p 6) elle attribue agrave deser le mecircme sens que ce mot a comme eacutepithegravete de la neacutecropole ta deser laquo terre consacreacutee raquo (pyr de teacuteti I 7) ou du sanctuaire des temples et tombeaux bou deser laquo lieu consacreacute raquo Anubis est souvent qualifieacute le laquo maicirctre de ta-de-ser raquo ce qui srsquoexplique puisque ce dieu preacuteside agrave la laquo conseacutecration raquo deser par la peau mdash Abydos la ville de la peau meska et du berceau meshent eacutetait par excellence la laquo terre consacreacutee raquo (Stegravele de Leyde ap Piehl i H III pl 2 I laquo jrsquoai fait mon tombeau sur la meshent drsquoAbydos la terre consacreacutee de la montagne occidentale raquo parce que lagrave eacutetait le berceau de certains dieux tels que Ilnoumou et Heqit les ancecirctres neacutes au deacutebut (des temps) sur la meshent drsquoAbydos raquo Sharpe eg i I 78 2 cf Louvre C 6 Une stegravele de la XIIe dynastie (Caire ndeg 206) mentionne aussi la laquo salle consacreacutee raquo (ist desert) agrave propos du rite du laquo coucher du dieu raquo (harou sdert neter)

Figure 2Le tikenou sorti du naos est conduit agrave la neacutecropole

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Halage du tikenou accroupi dans lrsquoeau

en preacutesence des bouffons couronneacutes XIIe dynastie

Ce rite est bien une imitation ou une simplification de ceux joueacutes par le Ti-kenou costume et deacutecor tout est pareil Toutefois le Sem ne prend plus la po-sition incommode du fœtus il se contente de se coucher raquo comme pour dormir (fig 6) Mais les effets de ce sommeil ne sont pas moins miraculeux Voici les paroles sibyllines que dit le sem coucheacute laquo Jrsquoai vu mon pegravere (le deacutefunt ou Osiris) en toutes ses transformations raquo Au-dessous de ces mots les rituels expliquent la mise en scegravene des rubriques

laquo Transformation en sauterelle raquo mdash laquo Empecircchez (hou) qursquoil ne soit plus (qursquoil ne meure) mdash (Transformation) en abeilles mdash laquo Il nrsquoy a plus rien de peacuterissable en lui raquo mdash (Transformation) en ombre 8 raquo Quand le Sent se relegraveve il est censeacute ra-mener avec lui de la peau-linceul lrsquoombre crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme renaissante du deacute-funt et aussi des sauterelles des abeilles qui attestent comme dans la leacutegende drsquoAristeacutee 8 que la peau a eacuteteacute feacuteconde geacuteneacuteratrice drsquoecirctres vivants et que drsquoelle srsquoenvole comme une vie nouvelle (fig 8) Quant au corps il ne meurt plus dans la momie consacreacutee il nrsquoy a plus rien de peacuterissable 8 Acircme et corps renaissent pour la vie eacuteternelle Au Livre des Morts le deacutefunt dit de lui-mecircme agrave ce moment laquo Je suis

8 Voir les textes ap Schiaparelli Libro dei funerali I p 6-66 mdash Cf Lefeacutebure eacutetude sur Aby-dos ap proceedings s B A XV p 8 ougrave je modifie le sens attribueacute agrave hou8 Ph Virey Observations sur lrsquoeacutepisode drsquoAristeacutee Sur la diffusion de cette croyance agrave la bugonia dont les anciens attribuaient lrsquoorigine agrave lrsquoEacutegypte voir Lefeacutebure Lrsquoabeille en eacutegypte ap sphinx XI p 8 et suiv cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20 sq8 Cf pyr de teti 26 et 278 in hnnt im k et todtenbuch ch cliv 2 au laquo chapitre de ne pas laisser le corps se corrompre raquo le deacutefunt dit laquo Je me suis eacuteveilleacute en paix et sans troubles (ou sans corruption) (in hnnou) raquo Ce laquo reacuteveil raquo est peut-ecirctre conseacutecutif au laquo coucher raquo sder

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

celui qui a traverseacute la peau-berceau agrave qui Osiris a donneacute sa conseacutecration (hou) au jour de lrsquoenterrement 86 raquo

Ainsi la repreacutesentation du Mystegravere de la renaissance est alleacutee se simplifiant au cours des siegravecles on a supprimeacute le sacrifice hu-main le Tikenou a perdu une partie de son rocircle puis a disparu complegravetement agrave sa place un precirctre opegravere sous un linceul substitueacute agrave la peau Quelles sont les dates preacutecises de cette eacutevolution Je ne saurais les dire avec certitu-de le choix des scegravenes dans les tombeaux est souvent capricieux et ne se precircte pas toujours agrave un classement chronologique tel tombeau de la XIXe dynastie peut reproduire un rite neacutegligeacute dans un autre tombeau plus ancien Cependant il semble que ce soit de la XVIIIe agrave la XIXe dynastie que le rocircle du Tikenou a eacuteteacute simplifieacute jusqursquoagrave disparaicirctre 87 La repreacutesentation de la renaissance animale est devenue degraves lors moins reacuteelle que symbolique

M Maspero a signaleacute qursquoune comparaison est possible entre les scegravenes relatives au Tikenou et certaines vignettes drsquoun chapitre fort rare du Livre des Morts classeacute dans lrsquoeacutedition Naville comme cha-pitre CLXVIII a (fig ) Voici comment jrsquoen expliquerais les fi-gures Paraissent drsquoabord deux adolescents porteacutes sur les eacutepaules des officiants (ce sont peut-ecirctre deux tikenou) deux pleureuses coucheacutees agrave terre un taureau sur

86 Lefeacutebure eacutetude sur Abydos p et 7687 Au tombeau de Rehmacircracirc (XVIIIe dyn) certaines scegravenes du Tikenou sont encore repreacutesen-teacutees et les rites du sem sont ceacuteleacutebreacutes en mecircme temps Crsquoest donc une eacutepoque de transition

Figure Halage du simulacre enveloppeacute

drsquoun linceul

Figure Attitudes du tikenou et de la victime

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pavois qui rappelle la victime animale un sphinx androceacutephale dont le rocircle dans une scegravene de renaissance srsquoexplique peut-ecirctre parce qursquoil repreacutesente Toum le deacutemiurge 88 Plus loin on voit une deacuteesse assise les bras eacutecarteacutes dans la position caracteacuteristique des deacuteesses qui accouchent est-ce Nout la megravere ceacuteleste qui va donner le jour au corps glorieux du nouvel Osiris 8 Puis Anubis tenant en mains les symboles de force et de vigueur et preacuteside au rite du laquo coucher raquo sder Deux momies sont eacutetendues sur des lits veilleacutees par une grande Uraeligus dont le rocircle sera deacutefini plus loin lrsquoUraeligus porte son nom laquo celle qui consacre la tecircte raquo des dieux 0 De lrsquoautre cocircteacute des lits apregraves le Mystegravere accompli srsquoavance un des officiants dont la tecircte est surmonteacutee de lrsquoUraeligus peut-ecirctre ce personnage joue-t-il le rocircle du mort ressusciteacute Un sphinx coucheacute sur le lit personnifiant ici le soleil levant Harmahis symbole de reacutesurrection clocirct la seacuterie des figures Nous pouvons attribuer sucircrement cette scegravene au mystegravere de la renaissance mais dans le deacutetail il reste bien des obscuriteacutes 2

Figure 6 mdash Le sem se drape dans le linceul et se couche

88 Ed Naville a deacutemontreacute que le sphinx eacutetait souvent identifieacute agrave Toum mdash (ap sphinx V p et suiv) Dans le protocole royal le sphinx peut signifier laquo image vivante de Toum raquo (Sethe Urk XViiie Dyn IV p 600)8 Cf les scegravenes drsquoaccouchement de Deir-el-Bahari et Louxor reproduites dans A Moret Du caractegravere religieux p On sait que Nout megravere drsquoOsiris est censeacutee enfanter le mort agrave une vie nouvelle mdash (pyr de pegravepi i 0-0) Aussi compare-t-on agrave Nout le lit sur lequel le mort est eacutetendu laquo O grand (Osiris) coucheacute (sder) sur ta megravere Nout raquo (teta I 80) Le lit est en effet le laquo berceau raquodu deacutefunt0 Cf pyr drsquoOunas I 8 deser-tep Crsquoest une allusion aux rites de la laquo conseacutecration raquo deser La leacutegende hed iment semble signifier laquo brillant chaque jour raquo Le rocircle du sphinx comme soleil levant Khepra est bien connu (cf eacuted Naville sphinx V p ) Le grand Sphinx de Gizeh exprime pour le compte du roi Cheacutephregraven le mecircme symbole de reacutesurrection2 Le texte du chap 68 A au-dessus duquel les vignettes sont traceacutees ne nous donne que peu de lumiegravere il invite le lecteur agrave faire une libation sur terre pour que le deacutefunt passe parmi le sui-vants drsquoOsiris les suivants de Racirc les variantes du chap 68 B ajoutent le souhait qursquoil connais-se tous les secrets et qursquoil soit laquo un iahou parfait raquo dans lrsquoautre monde Peut-ecirctre devons-nous rapprocher de ces textes le chap 70 (eacuted Naville) qui se prononce au moment laquo de dresser le lit funegravebre raquo et ougrave lrsquoon adresse au deacutefunt cette phrase laquo Tu es Horus agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoœuf raquo elle correspond bien aux ideacutees de laquo conception et de renaissance raquo que nous avons signaleacutees

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Tous les documents relatifs au tikenou que nous avons examineacutes sont de lrsquoeacutepoque theacutebaine Les rites de la renaissance par la peau nrsquoavaient-ils point eacuteteacute conccedilus anteacuterieurement A ma connaissance les mastabas de lrsquoAncien Empire ne contiennent aucun tableau analogue agrave ceux reproduits plus haut et les textes des Pyramides ne mentionnent pas le tikenou Lrsquoensevelissement par la peau est peut-ecirctre repreacutesenteacute dans une tombe de la IVe dynastie par un bas-relief eacutenigma-tique (fig 20) qui donnerait une variante unique de ce rite Du moins peut-on affirmer que lrsquoideacutee de la renaissance par la peau est aussi ancienne que les plus anciens monuments eacutegyptiens connus Lrsquoeacutecriture mecircme le prouve puisque le signe mes qui symbolise lrsquoideacutee laquo naicirctre enfanter raquo repreacutesente trois peaux en faisceau (fig 2) Je montrerai plus tard comment cette tradition apparaicirct clai-rement au cours des rites de la fecircte Sed que les rois ceacuteleacutebraient degraves la peacuteriode archaiumlque

Figure 7Conseacutecration dans la salle drsquoor Le sem se couche

Qursquoil me suffise de dire ici que dans les pyramides comme dans les tombeaux theacutebains le deacutefunt renaicirct quand il srsquoest coucheacute vecirctu drsquoune peau ou drsquoun linceul

Ces peaux mestou sont peut-ecirctre des peaux de chien du type du chien Anubis agrave lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque on eacutecrit parfois le mot mes (neacute de) par le signe du chien (H Ranke Aeg Zeits-chrift t XLV p 2) Sous un naos agrave colonnes orneacutees de bucranes un lit funeacuteraire supporte un cercueil duquel eacutemerge seule une tecircte de taureau A gauche un officiant Une scegravene voisine montre la capture du taureau ainsi sacrifieacute je suppose que sa peau sert agrave un rite analogue agrave celui du Tikenou de lrsquoeacutepoque theacutebaine

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sur un lit Une formule que je choisis entre beaucoup drsquoautres reacutesume avec concision ce que le lit symbolise laquo Ce deacutefunt dit-on de Peacutepi Ier est creacuteeacute par Racirc il se couche (sder-tou) (fig 2) il est conccedilu il est enfanteacute chaque jour 6 raquo Le lit a le plus souvent la forme caracteacuteristique du divan bas sur lequel srsquoeacutetend le Tikenou Sur ce lit il y a une peau de panthegravere laquo Ce grand (le deacutefunt ou Osiris) se couche de sa personne la peau (de panthegravere 7) du lit est pour lui raquo cette peau venant drsquoun animal typhonien est lagrave pour mimer laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo que les rituels posteacuterieurs mentionnent

Figure 8Lrsquoombre et les symboles de lrsquoacircme ressusciteacutee (Seacuteti Ier)

Drsquoautre part drsquoapregraves la tradition le costume funeacuteraire drsquoOsiris et du mort se reacutesumait en une eacutetoffe (daout) qui eacutetait laquo celle qursquoHorus a faite pour son pegravere Osiris 8 raquo Crsquoest peut-ecirctre le laquo linceul raquo comme traduit Maspero En tout cas le linceul comme le lit sont personnifieacutes par des deacuteesses qui sont les megraveres du deacutefunt laquo Ce grand se couche sur sa megravere Nout ta megravere Taat trsquoa revecirctu elle te

Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux (Lacau sarcophages du Caire fig 82) Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo (Borchardt Aeg Zeitsch 07 p 7)6 peacutepi ier I 820 (Sethe p 80 8) La reacutesurrection srsquoexprime souvent par le mot laquo reacuteveil srsquoeacuteveiller raquo mdash pyr de peacutepi ii I 760 laquo Tu te couches et tu trsquoeacuteveilles tu meurs et tu vis raquo peacutepi ier I laquo son jour de reacuteveil raquo7 Le sens laquo peau de panthegravere raquo drsquoapregraves peacutepi ier I 68 pyr de teacuteti I 7 Deacuteesse des bandelettes voir la figure

Les Mystegraveres eacutegyptiens

porte au ciel en son nom drsquooiseau dert 00 raquo Le linceul devient donc en mecircme temps qursquoun veacutehicule pour aller au ciel un agent de reacutesurrection il y a dans lrsquoeacutetoffe comme dans la peau du Tikenou une force geacuteneacuteratrice suffisante pour expliquer la renaissance ceci nous aide agrave comprendre pourquoi agrave la fin de lrsquoeacutepo-que theacutebaine on a pu remplacer la peau par le linceul

Figure Les rites de la renaissance drsquoapregraves une vignette du livre des morts

La renaissance srsquoexeacutecute encore agrave cette eacutepoque par le passage sur un objet appeleacute shedshed Horus en avait donneacute lrsquoexemple pour le compte de son pegravere Osiris laquo Les dieux dit-on au roi deacutefunt trsquoeacutelegravevent au ciel avec ton acircme tu es muni drsquoacircme parmi eux car tu es sorti au ciel tel qursquoHorus sur le shedshed du ciel en cette tienne forme qui est sortie (= creacuteeacutee) de la bouche de Racirc tel qursquoHorus agrave la tecircte des Iahou 0 raquo Nous verrons plus tard quels monuments permettent de preacuteciser ce qursquoest le shedshed et quel est son rocircle dans les mystegraveres Disons tout de suite que crsquoest aussi une enveloppe qui sert de laquo peau-berceau raquo le passage citeacute prouve que comme la daout elle fournit un veacutehicule pour aller au ciel Quant

00 pyr de teacuteti I 80-80 pyr de teacuteti I 7-7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave la phrase laquo en cette forme sortie de la bouche de Racirc raquo elle est importante en ce qursquoelle eacutevoque un autre texte relatif agrave la naissance dans la meshent ougrave il est dit de certains dieux laquo ils ont eacuteteacute creacuteeacutes au deacutebut des temps (sur) les peaux-berceaux (meshentou) primordiales drsquoAbydos ils sont sortis de la bouche de Racirc lui-mecircme lors du (rite de) la conseacutecration deser (drsquo) Abydos 02 raquo Concluons que le shedshed est aussi un agent ou un lieu de renaissance 0 analogue agrave la meshent quand on srsquoen sert pour la conseacutecration rituelle (deser) des Mystegraveres osiriens

Figure 20Lrsquoensevelissement dans la peau de bœuf Gizeh tombeau de Nebmahout (IVe dynastie)

Il est donc certain que le laquo Mystegravere de la peau raquo et la laquo renaissance par la peau raquo font partie du fonds ancien de la religion eacutegyptienne Drsquoailleurs agrave cocircteacute du shedshed les Pyramides reacutevegravelent lrsquoexistence drsquoautres peaux-berceaux meska meshent kenemt out shedt dont les noms servent agrave deacutesigner autant de laquo pays ou de citeacutes de la peau 0 raquo

02 Louvre stegravele C 60 La renaissance apparaicirct aussi degraves cette eacutepoque symboliseacutee par lrsquoapparition de sauterelles et drsquoabeilles pyr de Mirinri I 68 et de peacutepi ii I cf eacuted Sethe II p et 270 Out deacutesigne les oasis comme Kenemt qui est aussi un des noms de Diospolis parva (sphinx X p 07) et une ville mystique (pyr de teacuteti I 0) cf Maspero t de Montouherjhepshef p 6 laquo la terre de Kenemout raquo shedt est la ville du Fayoum et une citeacute mystique (Ounas I 28)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux

Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo

Lrsquoexistence de ces diverses localiteacutes mystiques indique peut-ecirctre autant de meacutethodes locales ou diffeacuterentes pour lrsquoexeacutecution drsquoun rite commun la renais-sance par la peau Les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont tregraves probablement amalgameacute des traditions deacutejagrave anciennes agrave cette eacutepoque et provenant de villes multiples

Pour le Moyen Empire les mecircmes rites me sont connus non point tant par des textes deacuteveloppeacutes que par des allusions qui se retrouvent dans les textes peints sur les cercueils Ces textes comme lrsquoa dit leur eacutediteur M Lacau sem-blent appartenir agrave un recueil distinct des rituels des Pyramides drsquoune part et des Livres des Morts theacutebains ou saiumltes drsquoautre part Mais il y a un fond drsquoideacutees qui subsiste si la reacutedaction est particuliegravere agrave lrsquoeacutepoque Le mystegravere de la peau est fort nettement deacutesigneacute dans les laquo chapitres des transformations raquo que subit le deacutefunt mots qui nous rappellent le laquo lieu de la transformation raquo crsquoest-agrave-dire la peau-berceau meska drsquoAbydos mdash Voici les passages caracteacuteristiques [laquo Le deacutefunt a sacrifieacute Seth lrsquoadversaire de son pegravere Osiris raquo] Venez Dieux Faites ses rites de protection agrave lrsquointeacuterieur de la vache et connaissez () dans vos cœurs votre maicirctre qui est ce dieu en son œuf 0 raquo Ailleurs le deacutefunt dit laquo Je me suis coucheacute dans le lieu (ouou pour Out ) des peaux divines renverseacute en preacutesence de la deacuteesse

0 Lacau textes religieux ap recueil XXVII p 7 Chapitre de laquo faire ses transformations en faucon raquo Cf p 8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Shesat dans lrsquoOccident 06hellip raquo mdash laquo Moi je suis celui qui passe dans la peau 07hellip raquo hellip laquo Moi je suis Osiris je suis un Iahou muni je ne suis pas pris pour le billot divin (du sacrifice) je me suis ceint de la peau qeni on ne me fait pas entrer vers le billot (bis) 08hellip raquo Enfin un texte tregraves court donne cette importante variante drsquoune phrase citeacutee plus haut laquo Je me suis coucheacute dans la peau (de cynoceacutephale) kenemt 0 raquo

Toutes ces allusions si bregraveves qursquoelles soient sont significatives Drsquoailleurs outre la tombe de Sehetepibracirc deacutejagrave citeacutee (fig ) la stegravele C du Louvre a conserveacute ce moment capital des rites osiriens repreacutesenteacute en traits syntheacutetiques 0 Au premier plan un lit funeacuteraire avec le cadavre les deux pleureuses Isis et Nephthys poussent leurs lamentations Cependant deux hommes amegravenent sur un pavois une becircte typhonienne probablement une panthegravere un autre porte sur lrsquoeacutepaule un adolescent en lequel je vois le tikenou coiffeacute de la couronne royale 2 A cocircteacute sont repreacutesenteacutes le traicircneau qui dans les tombeaux deacutecrits preacuteceacutedemment sert agrave haler le tikenou et les herminettes avec lesquelles on creuse la fosse ougrave brucirclera la peau de la victime Nous avons ainsi les personnages et le deacute-cor du drame

La scegravene se continue agrave droite Le cada-vre tout agrave lrsquoheure eacutetendu sur le lit est agrave preacutesent remplaceacute par un simulacre main-tenu debout par deux hommes Le corps ne comprend encore que la tecircte et le buste il repose sur des signes de vie planteacutes sur une sorte drsquoenclume Que signifie cette scegravene Crsquoest me semble-t-il le moment

06 ibid XXX p 0 (chap des transformations parmi les grands dieux drsquoHeacuteliopolis) Sur Shesat cf Lefeacutebure sphinx X p 007 ibid XXXI p 2 (se transformer en dieu Hent-hesem)08 ibid XXXI p 20 (chap de ne pas entrer au lieu du billot divin)0 Lacau sarcophages du Caire ndeg 280 p 70 M Maspero avait briegravevement signaleacute le rapprochement agrave faire entre les figures de la stegravele C et la scegravene du Tikenou (tomb de Montouherjhepshef p 6) Voir agrave lrsquoOsireion drsquoAbydos (M Murray pl V) hommes et femmes porteacutes sur lrsquoeacutepaule par les officiants ce sont des nemou comparses dont le rocircle ressemble agrave celui des tikenou et sera deacutefini plus loin2 Lrsquoimportance du fait que le tikenou est couronneacute comme le sont aussi les deux mimes sauteurs sera mise en lumiegravere plus loin

Figure 22 mdash Bouffons sautant

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ougrave lrsquoon commence agrave fabriquer la statue du deacutefunt pour reconstituer son corps au complet comme on lrsquoa fait pour Osiris

Figure 2Bouffons coiffeacutes de roseaux

Plus loin la peau de la panthegravere est suspendue agrave une hampe termineacutee par une fleur de lotus La becircte a donc eacuteteacute sacrifieacutee sa peau deacutepouilleacutee est precircte agrave servir Deux mimes couronneacutes de roseaux exeacutecutent les sauts qui accompagnent ha-bituellement dans les tombeaux theacutebains les scegravenes du tikenou (fig 22 et 2)

Maintenant les personnages ont pris place sur une barque divine sans lrsquoaide de nul rameur la barque se dirige vers Abydos Sur le pont de la barque on voit successivement un homme qui tient sur un pavois une tecircte gardeacutee par lrsquoUraeligus deser-tep un autre qui dresse une hampe surmonteacutee de la peau gonfleacutee (hen) je preacutesume que le tikenou porteacute tout agrave lrsquoheure sur les eacutepaules est censeacute y ecirctre renfermeacute lui ou son simulacre

Au temple de Philaelig on voit de mecircme les deacuteesses Isis et Selkit reconstituer le corps du dieu au moment ougrave il nrsquoa encore que les jambes et le buste Cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p P Il faut reconnaicirctre dans ces mimes les personnages grotesques qui jouent un rocircle dans les fecirctes des dieux de la moisson tel qursquoOsiris ils persistent encore agrave notre eacutepoque sous forme de masques du Carnaval Crsquoest probablement lrsquoimage de la tecircte drsquoOsiris phylactegravere puissant contre les esprits typho-niens elle apparaicirct en cette qualiteacute sur la stegravele de Metternich

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Voici que srsquoaccomplit le miracle de la renaissance A ce changement capital correspond une attitude nouvelle des personnages orienteacutes maintenant en sens contraire Face au porteur de la peau se tient dans la barque un homme qui preacutesente une tige de lotus 6 la peau deacutegonfleacutee flotte le long de la hampe agrave la faccedilon de la neacutebride drsquoAnubis Qursquoest devenu le tikenou Derriegravere la neacutebride apparaicirct un adolescent de taille plus petite que celle des deux hommes qui ten-dent vers lui leurs bras pour lui assurer la protection magique Crsquoest me semble-t-il lrsquoimage juveacutenile du mort qui renaicirct 7 le miracle de la peau lui a transfuseacute une vie nouvelle Peut-ecirctre lrsquoadolescent qui tenait preacuteceacutedemment le rocircle du Ti-kenou jouait-il agrave ce moment le personnage du deacutefunt renaissant

Enfin sur la rive abydeacutenienne ougrave le nouvel Osiris va descendre un cortegravege amegravene les statues des dieux ils viennent recevoir leur fregravere qui srsquoavance vers eux 8

Telle est lrsquointerpreacutetation que je propose pour cette scegravene lrsquoartiste y a repreacute-senteacute les rites secrets des Mystegraveres assez discregravetement pour ne les point divulguer aux profanes mais avec assez de preacutecision pour que nous y puissions discerner les traits saillants du drame osirien

Nous avons vu plus haut drsquoapregraves les monuments qui ont servi de point de deacutepart agrave ces recherches qursquoagrave la XVIIIe dynastie le Mystegravere de la peau se concentre dans le personnage du Tikenou qui va se simplifiant par la suite jusqursquoagrave disparaicirc-tre des tableaux ougrave il est remplaceacute par le precirctre sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine on ne voit plus guegravere agrave ma connaissance ni les tableaux relatifs au tikenou ni mecircme ceux du sem Des allusions succinctes aux rites de la peau-berceau subsis-tent cependant dans les Livres des Morts nous les avons citeacutees plus haut agrave propos du culte drsquoOsiris Crsquoest encore dans les vignettes des Rituels funeacuteraires que nous voyons figurer lors des cortegraveges funegravebres lrsquoenseigne drsquoAnubis avec le shedshed

6 Degraves les textes des Pyramides on assimile la renaissance du mort agrave la naissance du soleil Racirc sortant au matin sous le nom de Nefertoum du calice drsquoun lotus (Ounas I cf la vignette de Maspero Histoire I p 6) La queue de la neacutebride se termine parfois en lotus eacutepanoui7 Dans les Mystegraveres drsquolsis apregraves la scegravene de la reacutesurrection du dieu les precirctres faisaient ap-paraicirctre un enfant que lrsquoon saluait du nom drsquoOsiris renaissant mdash Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 888 La stegravele C preacutesente au-dessus de la scegravene deacutecrite une liste de diviniteacutes qursquoil faut rappro-cher de celle donneacutee dans un court chapitre du Livre des Morts (chap clxxi de lrsquoeacutedition Budge p ) qui a pour but de faire du mort un laquo iahou parfait raquo par le don drsquoune bandelette reacutesumeacute de lrsquoensevelissement total Tel est le cas pour le superbe tombeau de Patouamenap (eacutepoque saiumlte) publieacute par Duumlmi-chen

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dont nous avons deacutejagrave montreacute lrsquoemploi et lrsquoenseigne du nsout hen 20 dont nous allons parler Ces figures rappelaient pour les yeux seulement les antiques proceacutedeacutes drsquoinitiation que les textes ne deacutecrivaient plus

Les Mystegraveres ne servaient-ils qursquoaux morts Les vivants ne pouvaient-ils les ceacute-leacutebrer pour leur compte en vue drsquoun beacuteneacutefice terrestre ou en sauvegarde de leur vie future La reacuteponse nrsquoest point aiseacutee agrave fournir faute de documents explicites Cependant agrave un homme au moins sur terre les rites osiriens preacutetendaient assu-rer degraves ici-bas lrsquoimmortaliteacute Il est vrai qursquoil srsquoagit drsquoun homme qui est dieu le roi drsquoEacutegypte Pharaon

Pharaon en sa qualiteacute de fils des dieux de precirctre de tous les temples posseacutedait degraves son vivant cette pureteacute rituelle qursquoassurent les moyens que nous avons deacutecrits agrave propos drsquoOsiris Le roi devenait dieu par les rites osiriens lui aussi mais degraves son avegravenement eacutetait censeacute avoir passeacute par la mort osirienne et srsquoen ecirctre racheteacute comme avait fait Osiris Il nrsquoentre pas dans le cadre de cette eacutetude de reprendre la description du culte qui consacre la diviniteacute de Pharaon 2 je me contenterai drsquoattirer lrsquoattention sur le jubileacute sed qui renouvelait pour lui la digniteacute royale et divine et ougrave apparaissent quelques-uns des rites de la renaissance Cette fecircte consiste essentiellement en une Osirification 22 du roi elle parait semblable agrave la fecircte du couronnement drsquoOsiris

Pour le reste nous touchons agrave un sujet obscur ougrave mes recherches nrsquoont eacuteclaireacute que quelques points mais que je crois importants

Le nom mecircme du jubileacute sed signifie laquo fecircte de la queue raquo Cela ne nous donne aucune clarteacute sur le sens de la fecircte Sans doute le roi porte ordinaire-ment une queue postiche attacheacutee agrave sa ceinture mais nous ne voyons pas sur les tableaux conserveacutes par les monuments qursquoune importance particuliegravere soit attribueacutee agrave cette piegravece du costume au cours de la fecircte Sed au contraire le roi y porte comme Osiris une sorte de maillot funeacuteraire deacutepourvu de queue 2 Nous devons donc nous demander si sed nrsquoa pas eu un autre sens

Le mot sed laquo queue raquo employeacute pour deacutesigner le jubileacute est parfois remplaceacute par

20 Cf Pleyte up Aeg Zeitschrift 868 p 62 Cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute p 2022 Petrie The palace of Apries p 82 Voir les figures que jrsquoai reproduites ap Du caractegravere religieuxhellip p 0 28 22-22 2 20 22 262 27

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le mot seshed 2 laquo bandeau bandelette 2 raquo et ces deux mots sont agrave rapprocher drsquoun autre shed qui repreacutesente une laquo outre raquo et qui signifie originellement laquo peau deacutepouille peau preacutepareacutee pour faire une outre 26 raquo

Figure 2Lrsquooutre de peau

Le jubileacute royal eacutetait-il donc une fecircte de la renaissance par la peau Plusieurs faits semblent le confirmer Drsquoabord dans les fecirctes sed la plupart des officiants portent une peau de becircte 27 en particulier le precirctre qui par ses rites fait du roi un Osiris est toujours vecirctu de la peau de panthegravere Son nom ioun-moutef 28 signifie peut-ecirctre par jeu de mots laquo la peau est sa megravere 2 raquo Mais il est probable que cette graphie traduit une eacutetymologie populaire erroneacutee Les monuments tregraves anciens preacutesentent une orthographe ioun-kenmout 0 ougrave mout-ef est remplaceacute par kenmout nom du cynoceacutephale la peau de cynoceacutephale eacutetait nous lrsquoavons

2 pierre de palerme eacuted Schaeligfer p Quant agrave la forme shedshed elle indique grammatica-lement un duel le mot deacutesignerait peut-ecirctre originellement un objet double ce qui srsquoexpli-querait par la dualiteacute de la personne du Pharaon en qui lrsquoon distingue toujours le roi du Sud et le roi du Nord2 Par bandelette il faut entendre une eacutetoffe en piegravece qui peut ecirctre eacutetroite et mince comme un bandeau ou assez ample pour constituer un vecirctement Par bandeau il faut entendre le bandeau de tecircte formant couronne (cf A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 8 n stegravele de Kouban I 8)26 Cf V Loret ap recueil XI p 0 et Piehl proceedings s B A XII p 727 Naville The Festival Hall pl I II IV bis IX X XI XII XIII XIX XXI28 Le nom est connu degraves lrsquoAncien Empire Mariette Mastabas p 8 Autel de Turin (VIe dyn) trans s B A III pl I A pyramide de peacutepi ii 7722 Virey rehmacircracirc p n Il existe un mot iounou qui signifie peau (Brugsch Woumlrth p 88)0 Stegravele de Mentouhetep Caire 20 6 Sur ces graphies cf Erman Aeg grammatik p 0 Voir les textes des Pyramides (peacutepi i 776) citeacutes par Crum ap proceedings s B A XVI p 6 A Beacuteni-Hasan le mot ioun-moutef est deacutetermineacute par un homme debout tenant par la main un cynoceacutephale eacutegalement debout (Griffith Beni-Hasan III p 27) Osiris prend parfois la forme drsquoun cynoceacutephale (Chabas pap Harris p 6) ou cite laquo la peau du cynoceacutephale drsquoOsiris raquo (Pleyte eacutetude sur un rouleau p 22)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vu une peau-berceau du culte osirien Le premier sens du titre me paraicirct donc ecirctre laquo (celui qui porte) la peau du cynoceacutephale raquo une confusion explicable par la meacutetathegravese des signes a fait lire le mot ioun-kenmout de cette faccedilon erroneacutee ioun-mout-ek ce qui a pu se traduire par jeu de mots laquo peau ta megravere raquo devenu par la suite ioun-moutef laquo peau sa megravere raquo En fait la peau dont est revecirctu lrsquoofficiant des rites funeacuteraires est une peau de panthegravere et non de cynoceacutephale 2 Quoi qursquoil en soit on peut supposer que lrsquoioun-moutef lrsquohomme agrave la peau eacutetait le precirctre qui lors de lrsquoapplication au roi des rites osiriens mimait la renaissance du roi en passant pour lui dans une peau comme Anubis lrsquoavait fait pour Osiris

Le dieu Anubis figure preacuteciseacutement dans le cortegravege de la fecircte Sed avec un accessoire sin-gulier Parmi les enseignes (fig 26) qui sont porteacutees en tecircte du cortegravege sur un pavois le dieu-chien est debout devant une sorte drsquoenveloppe en forme de poche gardeacutee par lrsquoUraeligus Les textes disent de cette enve-loppe laquo on passe sur elle pour aller au ciel 6 raquo son nom shedshed ou seshed est apparenteacute au nom mecircme de la fecircte sed ou seshed et vient semble-t-il de la mecircme racine shed laquo peau raquo

2 Un autre vecirctement ritualistique le qeni est une peau de gazelle (von Bissing ap recueil XXIX p 8) Sur ces enseignes divines qui figurent dans les cortegraveges de toutes les fecirctes osiriennes (fecirctes royales fecirctes drsquoOsiris fecirctes des morts = Louvre C todlenbuch ch i) cf A Moret Du ca-ractegravere religieux p 26 27 2 22 22 26 27 272 Le dieu-chien est Anubis ou bien Oupouatou ou encore le dieu sed Ce der-nier nom qui est rare sous lrsquoAncien Empire (cf Schaeligfer pierre de palerme p 2) disparaicirct par la suite peut-ecirctre eacutetait-il reacuteserveacute agrave lrsquoorigine au dieu-chien jouant son rocircle dans la fecircle sed Lrsquoenveloppe nrsquoapparaicirct sur le pavois que devant le dieu chien le dieu-faucon (Horus) et peut-ecirctre devant lrsquoenseigne dou des monuments archaiumlques (cf Loret revue eacutegyptologique XI p 80) Eacutetoffes replieacutees de mecircme ap Setheacute pyram II p 66 28 68 Petrie et Sethe voient dans le shedshed une plume (Mahasna p ) or les monuments peints tels que les sarco-phages donnent au shedshed la couleur rouge et aux plumes la couleur blanche ou bleue (A Moret sarcophages Caire p )6 Mahasna p mdash Pour la forme exacte du deacuteterminatif cf Sethe pyramidentexte I p 27 (pyr de teacuteti I -2)

Figure 2Horus ioun-MoutefTombeau de Seti Ier

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 26Pharaon preacuteceacutedeacute de son precirctre et des enseignes divines

et suivi de son ka adolescent Dendeacuterah

Lrsquoenveloppe me paraicirct ecirctre une eacutetoffe replieacutee jouant le mecircme rocircle que le linceul dans les rites deacutejagrave deacutecrits crsquoest-agrave-dire rem-placcedilant la peau Si cette hypothegravese est exac-te lrsquoenseigne du chien au shedshed pourrait repreacutesenter Anubis au moment ougrave le dieu va exeacutecuter le rite qui assurera la naissance du roi

A cocircteacute du dieu-chien on porte sur pavois un objet jusqursquoici indeacutetermineacute

On a deacutefini cet objet laquo morceau de vian-de raquo et on y voit une forme du dieu Hon-sou drsquoapregraves un tableau de Dendeacuterah 7 La comparaison des diverses leacutegendes qui ac-compagnent lrsquoobjet 8 prouve que la lecture

7 Mariette Dendeacuterah IV pl 2 I pl 228 La tombe du roi Hormheb (deacutebut de la XIXe dynastie) deacutecouverte par M Davis en 08

Figure 27Le dieu-chien le shedshed et lrsquouraeus

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veacuteritable est nsout hen Dans le mot hen je propose de reconnaicirctre un terme usiteacute degraves lrsquoAncien Empire pour deacutesigner la laquo peau raquo lrsquolaquo outre raquo le laquo cuir raquo Le groupe complet nsout-hen signifierait donc laquo la peau du roi raquo ce serait la peau dont on se sert pour faire renaicirctre le roi conformeacutement aux rites osiriens

La forme de lrsquoobjet hen rappelle en effet exactement la silhouette du tikenou accroupi sous la peau (fig 28) Un fait deacutemontre que cette similitude est voulue Au tombeau de Renni (fig ) on dit du tikenou qursquoil est laquo celui qui passe par la peau raquo hensou 0 il y a donc analogie de forme et de nom entre les deux symboles de hen et de tikenou et les deux conceptions

Figure 28Le tikenou sous la peau

Pourquoi precirctait-on une attitude styliseacutee agrave lrsquoindividu cacheacute sous la peau-lin-ceul Que peut eacutevoquer cette position speacuteciale imposeacutee agrave tous les officiants de la peau Pour lrsquoexpliquer il convient de recourir aux images les plus mateacuterielles que pouvait suggeacuterer agrave des hommes primitifs lrsquoideacutee de la renaissance Je crois pouvoir deacutemontrer par les dessins ci-dessous donneacutes que le hen correspond exactement agrave

contenait parmi les objets ritualistiques deux simulacres de fœtus nsout-hen en bois de syco-more longs de 02 centimegravetre sur 00 centimegravetre de haut On les trouvera dans la publica-tion de M Davis (The tomb of Harmhabi 2) agrave la page 0 nos 26-7 catalogueacutes sous le nom erroneacute laquo emblegravemes de Honsou raquo Voir la forme des deux objets sur la palette de Narmer (Hieacuterakonpolis I pl 26 mdash Moret Du caractegravere rel p 26) Inscription drsquoHerhouf (Sethe Urk I 0 cf Aeg Z XLII p et les scegravenes de travail du cuir ap Deshasheh pl XXI)0 Le mot hen apparaicirct sous la graphie hens et hensou aux tableaux drsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque (Kom-Ombo I p 6 2 Dendeacuterah I 22 IV 2 cf Pleyte Aeg Zeitschrift 868 6-7)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la silhouette du fœtus gravide de lrsquoembryon humain agrave terme encore enveloppeacute dans la matrice (fig 28 et 2)

Ce symbolisme expressif srsquoexplique agrave merveille si lrsquoon admet que la fecircte sed renouvelle au beacuteneacutefice du roi drsquoEacutegypte le Mystegravere de la naissance lui procure peacuteriodiquement une vie renouveleacutee De pareils rites se retrouvent freacutequemment dans les socieacuteteacutes primitives

Nous devons admettre que les Eacutegyptiens comme tant drsquoautres peuples 2 re-doutaient que la force vitale ne srsquoeacutepuisacirct agrave la longue dans le corps du souverain Aussi avaient-ils imagineacute de laquo renouveler la naissance raquo du Pharaon afin de ne jamais laisser srsquoamoindrir sa diviniteacute Pour y arriver ils appliquegraverent au Pharaon les proceacutedeacutes magiques de renaissance dont on usait envers Osiris et les morts Le jubileacute royal comprenait donc lrsquoexeacutecution du mystegravere de la peau son nom mecircme sed ou seshed eacutevoquerait la peau ou le bandeau dont on ceignait lrsquoinitieacute apregraves qursquoil avait parfait les rites Peut-ecirctre la queue postiche que porte le roi drsquoha-bitude nrsquoest-elle qursquoun abreacutegeacute de la peau tout entiegravere et comme un rappel de lrsquoinitiation qui lui a valu la renaissance pour une peacuteriode drsquoanneacutees

Figure 2 mdash Aspect du fœtus gravide

Cette deacutemonstration a eacuteteacute proposeacutee le 22 janvier au Museacutee Guimet lors drsquoune confeacute-rence imprimeacutee en septembre au tome XXXVI de la Bibliothegraveque de vulgarisation La mecircme anneacutee M Seligmann et miss Murray publiaient dans Man (novembre ) une note upon early egyptian standard ougrave ils proposaient de reconnaicirctre dans le hen le placenta crsquoest-agrave-dire lrsquoannexe du fœtus Aujourdrsquohui encore certaines tribus des reacutegions du Haut-Nil lors de la naissance drsquoun futur roi traitent avec honneur le placenta et le cordon ombilical du prince royal le conservent dans un eacutedifice et lui attribuent un pouvoir mystique sur la vie du roi2 Cf Frazer Le rameau drsquoor II p et suiv Petrie sinaiuml p 82 Ouhem mestou laquo qui renouvelle les naissances raquo nom drsquoHorus drsquoAmenemhat I (Gauthier Livre des rois p 2 et suiv)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette interpreacutetation des rites de la fecircte Sed et des Mystegraveres osiriens causera peut-ecirctre quelque surprise A qui ne suffirait pas le teacutemoignage des monuments eacutegyptiens je rappellerai des scegravenes semblables mais commenteacutees par des textes tregraves explicites qui se trouvent dans les rituels veacutediques Il srsquoagit de faire renaicirctre agrave une autre existence lrsquoofficiant qui offre le sacrifice de le diviniser en le faisant mourir agrave la terre et renaicirctre dans le ciel Jrsquoemprunte ce qui suit au beau livre de Sylvain Leacutevi

laquo Alors la dicircksacirc intervient La dicircksacirc est un ensemble de ceacutereacutemonies preacutelimi-naires qui sert agrave deacuteifier la creacuteature humainehellip On eacutelegraveve un hangar particulier pour le sacrifiant qui fait la dicircksa on lui passe une peau drsquoantilope noire laquo le hangar crsquoest sa matrice la peau drsquoantilope noire crsquoest le chorion le vecirctement crsquoest lrsquoamnios la ceinture crsquoest le cordon ombilical celui qui fait la dicircksacirc est un embryon raquo

Un des Bracirchmanas rassemble dans un exposeacute concis les principaux actes de la dicircksacirc avec leur interpreacutetation laquo Les precirctres transforment en embryon celui agrave qui ils donnent la dicircksacirc Ils lrsquoaspergent avec de lrsquoeau lrsquoeau crsquoest la semence virile ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la semence virile mdash ils lui frottent les yeux drsquoonguent lrsquoonguent crsquoest la vigueur pour les yeux ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la vigueur Ils le font entrer dans le hangar speacutecial le hangar speacutecial crsquoest la matrice de qui fait la dicircksacirc ils le font entrer ainsi dans la matrice qui lui convient Ils le recouvrent drsquoun vecirctement le vecirctement crsquoest lrsquoamnios pour qui fait la dicircksacirc ils le recouvrent ainsi de lrsquoamnios On met par-dessus une peau drsquoantilope noire le chorion est en effet par-dessus lrsquoam-nios on le recouvre ainsi du chorion Il a les poings fermeacutes en effet lrsquoembryon a les poings fermeacutes tant qursquoil est dans le sein lrsquoenfant a les poings fermeacutes quand il naicircthellip Il deacutepouille la peau drsquoantilope pour entrer dans le bain crsquoest pourquoi les embryons viennent au monde deacutepouilleacutes du chorion Il garde son vecirctement pour y entrer et crsquoest pourquoi lrsquoenfant naicirct avec lrsquoamnios sur luihellip raquo

En somme conclut S Leacutevi la dicircksacirc est une seconde naissance une reacutegeacuteneacute-

Le chorion et lrsquoamnios sont deux membranes qui enveloppent le fœtus dans la matrice dans cet ordre en allant de lrsquoexteacuterieur agrave lrsquointeacuterieur Notons que si le hangar de la dicircksacirc est appeleacute laquo matrice raquo de lrsquoinitieacute en eacutegyptien les mots shed et out (la peau drsquoAnubis) peuvent avoir aussi le sens uteacuterus Ainsi devient intelligible lrsquousage de mots deacutesignant la peau et la matrice et drsquoobjets simulant la forme du fœtus agrave terme dans les fecirctes ceacuteleacutebreacutees pour les initieacutes du culte osirien

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ration qui fait de lrsquohomme un dieu laquo Lrsquohomme ne naicirct qursquoen partie crsquoest par le sacrifice qursquoil est veacuteritablement mis au monde 6 raquo

De tous les teacutemoignages eacutegyptiens citeacutes plus haut il reacutesulte qursquoon se figurait de mecircme faccedilon le meacutecanisme de la renaissance dans les mystegraveres osiriens parti-culiegraverement dans la fecircte sed ougrave il srsquoagit de laquo renouveler la vie raquo ou laquo la naissance raquo du roi vivant Purification par lrsquoeau-de-vie onction de fards passage par la peau construction drsquoun eacutedifice le pavillon des fecirctes sed ougrave ces rites eacutetaient ceacuteleacutebreacutes tout srsquoeacuteclaire singuliegraverement prend un sens intelligible par la compa-raison avec les rites hindous

Ainsi les rois drsquoEacutegypte recevaient des mystegraveres osiriens un renouvellement de vie Eacutetait-ce le privilegravege exclusif du roi Les autres hommes leurs sujets y eacutetaient-ils admis Eacutetait-ce apregraves la mort seulement que les initieacutes subissaient les rites qui assuraient la renaissance Les textes sont extrecircmement discrets agrave ce su-jet et peut-ecirctre ne devons-nous pas en ecirctre eacutetonneacutes puisqursquoil srsquoagit de Mystegraveres Toutefois je tiens pour bonne lrsquointerpreacutetation que Lefeacutebure a donneacutee drsquoune stegravele de la XIIe dynastie 7 ougrave il est question drsquoun certain Oupouatouacirca qui par faveur exceptionnelle degraves son vivant laquo passe par la peau raquo laquo Sa Majesteacute dit-il me placcedila comme sacrificateur des victimes bovines dans le temple drsquoOsiris Hentamenti dans Abydos du nome Thinite Je suis sorti sur les peaux meskaou pour moi-mecircme lagrave agrave cause de la grande faveur que Sa Majesteacute me teacutemoignaithellip8 raquo Jrsquoai noteacute que lrsquoexpression est tout agrave fait pareille agrave celle des Pyramides laquo Teacuteti sort vers le ciel sur le shedshed raquo Le favori du roi a donc connu de son vivant le mystegravere de la renaissance par la peau

Si nous voulons ecirctre eacuteclaireacutes sur le beacuteneacutefice drsquoun rite de ce genre consultons encore les commentaires des rites veacutediques laquo Gracircce aux pratiques de la dicircksacirc le sacrifiant se trouve en possession de deux corps lrsquoun mateacuteriel et mortel lrsquoautre rituel et immortelhellip En veacuteriteacute lrsquohomme naicirct trois fois drsquoabord il naicirct de son

6 Sylvain Leacutevi La doctrine du sacrifice dans les Bracirchmanas p 0 Cf Lefeacutebure sphinx Viii p 7 Lefeacutebure avait par ce rapprochement suggeacutereacute lrsquoidentiteacute du tikenou avec le precirctre qui passe par la dicircksacirc Mais il nrsquoavait point compareacute ces rites avec ceux de la fecircte sed7 Stegravele ndeg 0 de Munich (Dyroif et Poumlrtner pl II) La stegravele est du type de C (Louvre) et de Turin ndeg 07 (Maspero recueil III p ) elle comporte comme celles-ci une liste de diviniteacutes8 (I 2-22) Ce texte a eacuteteacute signaleacute et interpreacuteteacute par Crum ap proceedings s B A XVI p Lefeacutebure dans une note agrave lrsquoarticle de Crum dit laquo La question serait de savoir si la stegravele parle drsquoun sacrifice fait pendant la vie ou apregraves la mort du personnage Si crsquoest de son vivant il a eacuteteacute son propre tikenou raquo Le texte ne precircte pas agrave amphibologie Il srsquoagit bien drsquoun sacrifice fait pendant la vie drsquoOupouatouacirca

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pegravere et de sa megravere puis quand il se sacrifie ce que le sacrifice fait de lui crsquoest sa seconde naissance enfin quand il meurt et qursquoon le deacutepose dans le feu quand il naicirct de lagrave crsquoest sa troisiegraveme naissance Et crsquoest pourquoi il est dit que lrsquohomme naicirct trois fois 0 raquo

Tels eacutetaient pour les Eacutegyptiens les effets attendus de ces rites Une question se pose encore Les termes employeacutes par Oupouatouacirca indiquent que lrsquoinitia-tion reccedilue par lui eacutetait rarement accordeacutee aux hommes vivants Cette initiation est-elle complegravete Et y avait-il des degreacutes dans lrsquoinitiation Nous sommes trop mal renseigneacutes pour reacutepondre en toute certitude Le fait qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-ro-maine lrsquoinitiation complegravete aux mystegraveres drsquoIsis qui ont fait de larges emprunts agrave lrsquoEacutegypte comportait aussi une mort simuleacutee et une renaissance donne sans doute une preacutesomption pour affirmer qursquoOupouatouacirca a eacuteteacute admis aux derniers degreacutes de lrsquoinitiation Peut-ecirctre devons-nous consideacuterer comme des laquo initieacutes par-faits raquo ces hommes assez peu nombreux qui peuvent se vanter dans leurs eacutepita-phes drsquoecirctre laquo un iahou parfait muni qui connaicirct les formules raquo ou laquo qui connaicirct toute la magie secregravete de la cour 2 raquo Ceux-lagrave eacutetaient initieacutes degraves leur vivant les autres ne devenaient laquo iahou parfaits raquo qursquoapregraves la mort au moment ougrave les rites funeacuteraires faisaient drsquoeux des Osiris il nrsquoest pas prouveacute que tous les gens qui faisaient repreacutesenter dans leurs tombes le Mystegravere de la peau en aient beacuteneacuteficieacute avant les funeacuterailles

Les mecircmes restrictions doivent srsquoappliquer me semble-t-il agrave une autre eacutepi-thegravete donneacutee geacuteneacuteralement agrave ceux qui aspirent agrave la laquo feacuteauteacute raquo ou laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo imahou er neter acirca Lrsquoeacutepithegravete neb imahou laquo possesseur de la conseacutecration raquo ou comme on traduit drsquoordinaire laquo de la beacuteatitude raquo deacutesigne tous les Eacutegyptiens qui ont eu le beacuteneacutefice drsquoune seacutepulture consacreacutee suivant le rite osirien et qui attendent la vie divine apregraves la mort Le signe semble repreacute-senter un de ces pagnes munis drsquoune queue qursquoon mettait autour des reins

0 Citeacute par Frazer Le rameau drsquoor II p 0 drsquoapregraves les Lois de Manou Apuleacutee Meacutetamorphoses XI Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 et suiv2 Sethe Urkunden d A r I p 22 mdash Cf I p (VIe dyn) Cf peacutepi i I 78 et suiv Maspero recueil III P 0 eacutetudes de Mythologie I p 0 7 A Moret La condition des feacuteaux ap recueil XIX p Pour ces vecirctements agrave queue cf Lacau sarcophages du Caire pl XLIX et L Drsquoapregraves les rituels la beacuteatitude ou lrsquoinsigne de cette beacuteatitude arrive au mort venant du dos drsquoOsiris (Schia-parelli Libro dei funerali II p 87) Aux textes des Pyramides le mot laquo dos raquo (psed) drsquoOsiris est deacutetermineacute par un signe semblable agrave imah (Ounas I68 et cf eacutedition Sethe I p 26 et 227) mdash Lrsquoinsigne des imahou serait-il agrave comparer aussi avec la laquo ceinture drsquoherbes de Munga raquo que portent les initieacutes hindous imah a souvent la forme drsquoune gerbe lieacutee (Sethe pyramidentexte I p 0) Serait-ce une indication pour rattacher cette conception au mythe agraire osirien

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

comme la queue royale ce pagne rappellerait la peau de la renaissance Parfois aussi lrsquoinsigne se placcedilait sur la tecircte eacutevoquant ainsi lrsquousage du bandeau seshed 6 Queue ou bandeau lrsquoinsigne attestait que son possesseur eacutetait laquo initieacute raquo

Les textes speacutecifient que lrsquoimahou attendait de la faveur des dieux entre autres choses 7 sur terre une vie tregraves longue et apregraves la mort lrsquoeacutetat de laquo beacuteatitude 8 raquo Drsquoapregraves Apuleacutee ces mecircmes promesses rendaient bienheureux les initieacutes aux Mystegraveres drsquoIsis

On nrsquoarrivait le plus souvent qursquoagrave la fin de la vieillesse ou apregraves la mort agrave lrsquoeacutetat de beacuteatitude Ceux qui degraves leur jeunesse jouissent de cette faveur ne manquent pas de srsquoen vanter 60 Jrsquoen conclus qursquoagrave part ces favoriseacutes les hommes ne reacuteali-saient qursquoen mourant tous les avantages de la condition drsquoimahou rares eacutetaient ceux qui gracircce agrave une mort simuleacutee beacuteneacuteficiaient drsquoune initiation 6 complegravete Les autres nrsquoeacutetaient censeacutes renaicirctre qursquoapregraves la mort reacuteelle agrave condition que les rites osiriens leur fussent appliqueacutes ils parvenaient alors dans une autre vie agrave la laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo Une eacutepithegravete freacutequente depuis le Nouvel Empire srsquoajoute au nom du deacutefunt pour deacutefinir cet eacutetat de sainteteacute rituelle ouhem acircnh laquo celui qui renouvelle la vie raquo Cette renaissance reacutesultait de lrsquoinitiation que celle-ci fucirct acquise avant ou apregraves la mort

Pour reacutesumer le sujet dans ses grandes lignes je rappelle que nous avons pris comme point de deacutepart les donneacutees des rituels drsquoOsiris ces donneacutees sont tregraves bregraveves soit agrave cause du caractegravere secret des rites soit parce que les textes eacutetant de basse eacutepoque sont devenus obscurs et eacutecourteacutes agrave cause de lrsquoindiffeacuterence des precirctres et du public Jrsquoai chercheacute agrave ces obscuriteacutes des eacuteclaircissements dans le culte des morts imiteacute du culte drsquoOsiris entre tous les monuments les tableaux des tombes theacutebaines nous ont fourni les renseignements les plus clairs sur des

6 pyramide drsquoOunas I 66 laquo lrsquoinsigne imahou drsquoOunas (est) sur la tecircte drsquoOunas raquo7 Jrsquoai montreacute dans mon eacutetude sur La condition des feacuteaux que lrsquoimahou reccediloit un tombeau (ou au moins le terrain) des rations de nourriture pendant sa vie et des offrandes apregraves la mort le tout aux frais du patron dieu roi ou chef de famille (recueil XIX p et suiv)8 recueil de travaux XIX p 26 et suiv Meacutetamorphoses XI (eacuted Nisard p 02) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20860 recueil XIX p 27 et les exemples citeacutes plus haut6 M Paul Foucart cherchant en Eacutegypte un eacutequivalent agrave lrsquoinitieacute eacuteleusinien ou isiaque avait sur lrsquoindication de M Maspero proposeacute de le trouver dans lrsquoimahou (recherches sur les Mystegraveres drsquoeacuteleusis p 20) Jrsquoadopte actuellement cette ideacutee dans mon eacutetude sur La Condition des feacuteaux je mrsquoeacutetais preacuteoccupeacute exclusivement de la condition sociale des imahou jrsquoajouterai agrave cet exposeacute que le point de deacutepart de la condition drsquoimahou est une initiation aux rites deacutecrits ici initiation confeacutereacutee au myste par le dieu le roi ou le pegravere A la basse eacutepoque le precirctre qui initie aux mys-tegraveres prend encore le titre de pegravere

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rites dont jrsquoai prouveacute ensuite lrsquousage degraves lrsquoAncien et le Moyen Empire Passant au culte des vivants jrsquoai montreacute que les rites des fecirctes Sed renouvellent la vie du roi en lui confeacuterant lrsquoinitiation aux Mystegraveres osiriens et que parmi les hommes quelques-uns sont initieacutes pendant leur vie et la plupart apregraves leur mort

En proceacutedant ainsi jrsquoai passeacute du connu agrave lrsquoinconnu et je me suis efforceacute de mettre en lumiegravere les proceacutedeacutes drsquoinitiation et de deacutefinir les diverses classes drsquoini-tieacutes Lrsquoinconveacutenient de cette meacutethode crsquoest de neacutegliger en apparence lrsquoordre chronologique des documents puisque les rituels osiriens qui nous sont par-venus datent de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine tandis que lrsquoosirification du roi et des hommes est connue degraves lrsquoeacutepoque archaiumlque Aussi le sujet une fois eacuteclairci re-viendrai-je agrave lrsquoordre chronologique pour reacutesumer les conclusions que je voudrais proposer

La renaissance apregraves la mort gracircce agrave des rites magiques dont le plus important est celui de la peau telle est la raison drsquoecirctre des Mystegraveres osiriens la certitude drsquoune survivance eacuteternelle tel est le reacutesultat de lrsquoinitiation

Les monuments de lrsquoAncien Empire nous reacutevegravelent les proceacutedeacutes de lrsquoinitiation confeacutereacutee au roi vivant (fecircte Sed) et au roi mort (rites funegravebres) Les rites secrets se reacutesument dans le laquo mystegravere de la peau raquo Guideacutes par la reacuteveacutelation donneacutee par les dieux-chiens Sed Anubis Ouapouatou (ces deux derniers dieux de la peau out) et sous la garde de lrsquoUraeligus divine le roi ou un officiant (appeleacute Iounmou-tef et revecirctu drsquoune peau) passent pour renaicirctre au ciel sur lrsquoobjet shedshed (ou seshed) crsquoeacutetait une peau (shed) devenue par stylisation un vecirctement un linceul ou bandelette comme teacutemoignage du rite accompli le roi porte une bande-lette formant ceinture avec queue (sed) et un bandeau de tecircte (seshed) drsquoougrave le nom fecircte sed ou seshed donneacute au jubileacute royal ougrave le roi laquo renouvelle sa naissance raquo pour une peacuteriode variable Les mecircmes rites se ceacuteleacutebraient au moyen drsquoune peau appeleacutee laquo peau du roi raquo nsout-hen par laquelle passait le roi ou un officiant agrave sa place Dans les fecirctes du culte adresseacute au roi vivant ou mort on portait sur pavois le shedshed et le nsout-hen auxquels on donnait une forme styliseacutee rappelant pour le premier la matrice pour le second le fœtus humain agrave terme replieacute dans la matrice Lrsquointerpreacutetation de ces symboles srsquoeacuteclaire par lrsquoexistence drsquoalleacutegories analogues dans les rites veacutediques Il existait encore drsquoautres laquo peaux geacuteneacuteratri-ces raquo mes meska kenemt Le lieu ougrave se jouait le Mystegravere eacutetait qualifieacute laquo berceau raquo meshent Lors de la fecircte du jubileacute royal les rites srsquoexeacutecutent dans des pavillons munis drsquoun lit sur lequel le roi laquo se couche raquo (sder) pour mourir rituellement et

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

renaicirctre en roi comme Osiris 62 Pour les morts les lieux de renaissance sont des citeacutes mystiques dont les noms se rapportent aux diverses peaux villes de Out Meska Kenemt Shedt Lrsquoexistence de ces localiteacutes diverses et des proceacutedeacutes dif-feacuterents de renaissance fait supposer que les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont amalgameacute tant bien que mal des traditions locales anciennes qui par des meacutethodes diverses pratiquaient cependant un rite commun la renaissance par la peau

Lrsquoinitiation du roi nrsquoeacutetait qursquoune imitation des rites qursquoon avait pratiqueacutes laquo la premiegravere fois raquo pour Osiris Le Mystegravere osirien appliqueacute au dieu lui-mecircme existe donc degraves les temps archaiumlques bien que les textes jusqursquoici connus ne le deacutecrivent point et nrsquoy fassent allusion que par preacuteteacuterition

Les tombeaux de lrsquoAncien Empire montrent que tous ceux qui posseacutedaient un tombeau eacutetaient initieacutes aux rites osiriens Chaque deacutefunt enseveli rituelle-ment devenait dans lrsquoautre monde un ecirctre laquo consacreacute raquo iahou ou un laquo beacuteatifieacute raquo imahou Sauf de rares exceptions on ne devenait imahou qursquoapregraves la mort il y a cependant en dehors du roi des exemples certains drsquohommes initieacutes pendant leur vie

Les rites de lrsquoinitiation au moment des funeacuterailles sont repreacutesenteacutes depuis le Moyen Empire (stegravele C ) et les tableaux se multiplient dans les tombeaux que jrsquoai citeacutes A la XVIIIe dynastie on confie au tikenou le passage par la peau pour le compte du deacutefunt souvent on remplace la peau par un linceul et le tikenou par un precirctre ordinaire le sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine les tableaux des tom-bes montrent rarement les officiants coucheacutes sous la peau ou le linceul Mais des allusions subsistent dans les Livres des Morts les enseignes alleacutegoriques du shedshed et du nsout-hen figurent dans les processions

Quant aux rituels du culte drsquoOsiris qui devraient ecirctre les archeacutetypes de tous les autres nous ne les posseacutedons jusqursquoici que dans des reacutedactions illustreacutees de tableaux de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine Les rites de la renaissance par la peau-ber-ceau qui eacutevoque laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo y sont plutocirct rappe-leacutes que deacutecrits le rocircle drsquoAnubis et drsquoHorus comme prototypes du Tikenou ne sont deacutefinis que par allusion il nrsquoest plus question du shedshed ni du hen Sans les textes des Pyramides ou sans les tableaux des tombes theacutebaines les rituels nous sembleraient muets ou resteraient deacutesespeacutereacutement obscurs Sommes-nous ici en preacutesence de reacuteticences systeacutematiques agrave cause du caractegravere mysteacuterieux de ces ri-tes Je crois plutocirct qursquoagrave la basse eacutepoque les rites de la renaissance animale ont

62 Eacuted Naville The Festival Hall of Osorkon ii pl II Moret Du caractegravere religieux p 20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

perdu de leur importance et qursquoon leur a preacutefeacutereacute ceux de la renaissance veacutegeacutetale auquel est consacreacute agrave Dendeacuterah un tregraves long texte qui entre dans les moindres deacutetails Jrsquoai lrsquoimpression que si nous retrouvions par chance un rituel osirien de lrsquoAncien Empire les rites de la renaissance animale y seraient preacutedominants Les initieacutes aux Mystegraveres nrsquoauraient pas donneacute jusqursquoau Nouvel Empire une impor-tance si grande aux rites de la peau si leur patron Osiris nrsquoy avait pas lui-mecircme trouveacute son plus efficace proceacutedeacute de reacutesurrection

En reacutesumeacute le principe fondamental des Mystegraveres osiriens faire de la mort le berceau drsquoune vie nouvelle est une des conceptions les plus antiques de la religion eacutegyptienne elle apparaicirct vigoureuse et riche en applications diverses surtout aux eacutepoques tregraves anciennes et crsquoest par les documents les plus reculeacutes en acircge que nous pouvons le mieux en appreacutecier lrsquoimportance

Cette ideacutee que de la mort mecircme surgit pour lrsquoinitieacute la source drsquoune nouvelle vie a eacuteteacute commune agrave une grande partie de lrsquohumaniteacute Lrsquoeacutetude compareacutee des re-ligions a reacuteveacuteleacute que dans lrsquoantiquiteacute et de nos jours encore les peuples primitifs ont foi en des pratiques magiques qui transforment la mort en une eacutepreuve drsquoini-tiation ougrave lrsquoinitieacute puise une vie nouvelle

Que ce soit en Eacutegypte dans lrsquoInde ou chez les non-civiliseacutes les rites drsquoinitia-tion ont ceci de commun que le myste doit drsquoabord mourir agrave sa vie anteacuterieure pour renaicirctre Ainsi M Frazer nous montre lrsquoinitiation pratiqueacutee dans les tribus sauvages mdash speacutecialement chez celles qui srsquoadonnent au toteacutemisme Lrsquoadolescent lorsqursquoil atteint lrsquoacircge de puberteacute se soumet agrave certains rites dont le plus freacutequent consiste en la mort apparente suivie de la nouvelle naissance Le fondement de cette pratique crsquoest de faire sortir lrsquoacircme du jeune homme de son corps pour la transfeacuterer dans son totem laquo Lrsquoadolescent meurt en tant qursquohomme et ressuscite en tant qursquoanimal 6 raquo

La foi en ce simulacre de mort suivie de reacutesurrection ou si lrsquoon veut en cette seconde naissance srsquoest perpeacutetueacutee dans les civilisations plus avanceacutees Manou deacuteclarait laquo Suivant les injonctions des textes reacuteveacuteleacutes lrsquohomme naicirct une premiegravere fois de sa megravere naturelle il naicirct une seconde fois quand on attache autour de son corps la ceinture drsquoherbes de Munga il naicirct une troisiegraveme fois lorsqursquoil est initieacute aux rites drsquoun sacrifice Srauta 6 raquo

On sait que lrsquoinitiation aux Mystegraveres mithriaques comportait probablement

6 Le rameau drsquoor II p Il en est de mecircme pour lrsquoinitiation des sorciers Cf Leacutevy-Bruhl Les Fonctions mentales dans les socieacuteteacutes infeacuterieures p et 26 J Frazer Le rameau drsquoor II p 0

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

une mise agrave mort simuleacutee de mecircme que les Mystegraveres drsquoEacuteleusis et drsquoIsis compre-naient une ceacutereacutemonie de la mort figureacutee et de la renaissance inspireacutee tregraves proba-blement des antiques Mystegraveres eacutegyptiens 6

Rattacher ces rites de la vieille Eacutegypte agrave une tradition commune agrave lrsquohumaniteacute crsquoest les diminuer peut-ecirctre en singulariteacute mais crsquoest rendre lrsquointerpreacutetation que jrsquoen propose plus vraisemblable Certes les Mystegraveres eacutegyptiens meacuteritent bien leur nom les quelques informations donneacutees par le texte et lrsquoimage laissent en-core agrave lrsquointuition et au labeur de lrsquoeacutegyptologue un champ de teacutenegravebres agrave scruter Pourtant ce serait un pas de fait dans la recherche si agrave la lumiegravere que jrsquoai essayeacute de projeter sur eux jrsquoavais reacuteussi agrave eacutetablir ce point les Mystegraveres eacutegyptiens se relient dans le fond du passeacute agrave des croyances qui ont surveacutecu en drsquoautres pays Deacutepouilleacutes de la mise en scegravene speacuteciale reacuteduits agrave lrsquoideacutee ils prolongent jusqursquoagrave nous un eacutecho de la mystique primitive vivre est le plus grand bien mourir la pire deacutetresse La grande affaire des vivants que la mort guette crsquoest de se preacuteparer les moyens drsquoune renaissance eacuteternelle

6 A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7

II

Le Mystegravere du verbe creacuteateur

Louis Meacutenard qui a populariseacute en France lrsquoeacutetude des livres hermeacutetiques es-timait que ceux-ci derniegraveres productions de la philosophie greacuteco-alexandrine formaient un trait drsquounion entre la theacuteologie eacutegyptienne et le christianisme nais-sant laquo Les docteurs chreacutetiens en invoquaient souvent le teacutemoignage avec celui des Sibylles qui avaient annonceacute la venue du Christ aux paiumlens pendant que les Prophegravetes lrsquoannonccedilaient aux Heacutebreux Hermegraves dit Lactance a deacutecouvert je ne sais comment presque toute la veacuteriteacute On le regardait comme une sorte de reacuteveacutelateur inspireacute et ses eacutecrits passaient pour des monuments authentiques de lrsquoancienne theacuteologie des Eacutegyptiens 66 raquo Aujourdrsquohui lrsquoeacutetude des textes hieacuterogly-phiques est assez avanceacutee pour qursquoon puisse controcircler cette assertion de Meacutenard un peu aventureacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave elle fut eacutemise Est-il vrai que ces dissertations mystiques qui ont si bien preacutepareacute les esprits au Christianisme contiennent quelques reacuteminiscences des dogmes religieux de lrsquoancienne Eacutegypte Crsquoest ce que nous voudrions rechercher en examinant une des theacuteories essentielles preacutesenteacutees dans le poimandres celle du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur

Drsquoapregraves les livres hermeacutetiques lrsquoUnivers est lrsquoœuvre drsquoune Intelligence suprecirc-me qui preacuteexistait agrave tout 67 Avant la creacuteation nrsquoexistait que le Chaos laquo il y avait des teacutenegravebres sans limite sur lrsquoabicircme de lrsquoeau et un esprit (πνεῦμα) subtil et in-telligent contenus dans le Chaos par la puissance divine Alors jaillit la lumiegravere sainte et sous le sable les eacuteleacutements sortirent de lrsquoessence humide et tous les dieux deacutebrouillegraverent la nature feacuteconde 68 raquo Crsquoest en ces termes qursquoHermegraves Trismeacutegiste deacutecrit la creacuteation Ailleurs pour nous faire comprendre ce que pouvait ecirctre laquo la forme primordiale anteacuterieure raquo il nous parle laquo des teacutenegravebres qui se changent en je ne sais quelle nature humide et trouble exhalant une fumeacutee comme le feu et une sorte de bruit lugubre Puis il en sort un cri inarticuleacute qui semblait la voix de la

66 Louis Meacutenard Hermegraves trismeacutegiste Introduction Le poimandres drsquoHermegraves Trismeacutegiste tra-duit par Louis Meacutenard a eacuteteacute reacuteeacutediteacute aux eacuteditions arbredorcom en 200667 Id ibid p 68 Id ibid p 27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lumiegravere une parole sainte descend de la lumiegravere sur la Nature 6 raquo Cette lumiegravere nrsquoest autre que lrsquoIntelligence crsquoest-agrave-dire Dieu qui preacutecegravede la nature humide sortie des teacutenegravebres quant au Verbe parole lumineuse crsquoest le fils de Dieu (ὁ δὲ

ἐκ Νοὸς φωτεινὸς Λὁγος υἵος θεοῦ 70)On sait combien cette conception de la creacuteation du monde se rapproche de

celle que nous font connaicirctre lrsquoAncien et le Nouveau Testament Voici le deacutebut de la Genegravese laquo Au commencement Dieu creacutea les cieux et la terre La terre eacutetait informe et vide il y avait des teacutenegravebres agrave la surface de lrsquoabicircme et lrsquoesprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux Dieu dit laquo que la lumiegravere soit raquo et la lumiegravere fut 7 raquo Nous retrouvons ici des eacuteleacutements de description analogues agrave ceux des livres hermeacutetiques un abicircme de lrsquoeau des teacutenegravebres pour constituer le chaos originel puis un esprit flottant sur lrsquoabicircme un appel lanceacute par la voix de Dieu et la lumiegravere creacuteeacutee par ce Verbe LrsquoEacutevangile de saint Jean reacuteduit ces eacuteleacutements au minimum et nous donne une synthegravese plus mystique encore que le poimandres laquo Au commencement eacutetait le Verbe et le Verbe eacutetait avec Dieu et le Verbe eacutetait Dieuhellip Il eacutetait au commencement avec Dieu Toutes choses ont eacuteteacute faites par lui et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui En lui eacutetait la vie et la vie eacutetait la lumiegravere des hommes raquo

Que trouvons-nous dans les textes eacutegyptiens pharaoniques de ces eacuteleacutements et de ces concepts communs aux livres sacreacutes heacutebraiumlques et hermeacutetiques

Drsquoapregraves les plus anciens textes religieux actuellement connus ceux des Pyra-mides des Ve et VIe dynasties agrave Saqqarah 72 (vers 2600 av J-C) nous pouvons nous figurer comment les Eacutegyptiens imaginaient lrsquoUnivers avant la Creacuteation En ce temps laquo il nrsquoexistait pas encore de ciel il nrsquoy avait pas encore de terre il nrsquoy avait pas encore drsquohommes les dieux nrsquoeacutetaient pas encore neacutes il nrsquoy avait pas encore de mort 7 raquo Le papyrus de Nesiamsou eacutecrit au deacutebut de lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque mais dont le texte remonte certainement agrave lrsquoeacutepoque du Nouvel Empire theacutebain (600-200 av J-C) emploie des termes semblables laquo il nrsquoy avait alors ni ciel ni terre et nrsquoeacutetaient creacuteeacutes ni reptiles ni vermisseauxhellip7 raquo Les germes de tout ecirctre et de toute chose gisaient agrave lrsquoeacutetat inerte (nenou 7) confon-

6 Meacutenard Hermegraves p 70 Id ibid p 7 genegravese I -72 G Maspero Les inscriptions des pyramides de saqqarah87 pyr de peacutepi i 66 cf peacutepi ii 287 Publieacute par Budge dans Archaeligologia II 2 80 p 7 nesiamsou p 0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dus dans le sein drsquoun abicircme qursquoon appelait le noun ou les eaux neacutees du noun76 ou lrsquoabicircme du noun 77 dans les traductions coptes noun est le mot qui deacutesigne lrsquoἄϐυσσος

78 de la Genegravese Dans le Noun flottait un esprit divin indeacutefini mais portant en lui la somme

des existences futures drsquoougrave son nom de toum qui signifie agrave la fois laquo neacuteant raquo et laquo totaliteacute 7 raquo Il restait agrave lrsquoeacutetat informe inconsistant instable laquo Il ne trouvait pas drsquoendroit ougrave il pucirct se tenir 80 raquo Arriva lrsquoinstant ougrave Toum deacutesira deacutevelopper une activiteacute creacuteatrice il voulut laquo fonder dans son cœur 8 raquo tout ce qui existe Pour cela laquo il se dressa parmi ce qui eacutetait dans le Noun hors du Noun et des choses inertes 82 raquo un autre texte dit qursquoil laquo monta 8 raquo hors de lrsquoeau primordiale sans qursquoon sucirct preacuteciser comment il fit cette monteacutee 8 Degraves lors le soleil Racirc exista la Lumiegravere fut Les Eacutegyptiens nrsquoadmettaient pas qursquoil y eucirct en ce premier moment de la creacuteation deux dieux distincts Toum dans lrsquoeau primordiale et Racirc sorti de lrsquoeau Non point Toum srsquoeacutetait exteacuterioriseacute par la force de son deacutesir creacuteateur il eacutetait devenu Racirc-Soleil sans cesser drsquoecirctre Toum Le vulgaire ne faisait agrave cette theacuteorie imagineacutee par les theacuteologiens drsquoHeacuteliopolis drsquoautre objection que celle-ci laquo Comment la Lumiegravere (Racirc) pouvait-elle exister agrave lrsquoeacutetat inerte (Toum) dans lrsquoeau du Noun sans que cette eau eacuteteignicirct le feu raquo On reacutesolut la difficulteacute par des explications alleacutegoriques Toum-Racirc eacutetait dans le Noun comme un faucon qui ferme les deux yeux srsquoil les ouvre hors de lrsquoeau son œil droit le Soleil luit 8 ou

76 Pyr drsquoOunas 077 tepeht noun ap Hymns to Amon of pap Leyden publieacutes par Gardiner Aegyptische Zeits-chrift XLII p 7 Le manuscrit est dateacute du regravegne de Ramsegraves II par une indication donneacutee au verso (vers 20 av J-C)78 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 7 Quand les Eacutegyptiens essayaient de donner une forme concregravete agrave cette conception ils repreacutesentaient Noun sous la forme drsquoun dieu agrave forme humaine plongeacute jusqursquoagrave la poitrine dans un bassin plein drsquoeau et soutenant de ses bras leveacutes en lrsquoair les dieux qui sortirent de son sein CC Budge egyptian ideas of the future life p 27 Ce sens est expresseacutement indiqueacute au papyrus de Leyde (Aegyptische Zeitschrift XLVII p ) Les textes expriment souvent lrsquoideacutee que tout ecirctre et toute chose existent de toute eacuteterniteacute dans le Noun (pyr drsquoOunas 0 de teti 78) et y retournent apregraves la mort Cf Pierret eacutetudes eacutegyptologiques I p 80 Budge pap de nesiamsou p 08 nesiamsou p 082 nesiamsou p 8 pap de Leyde A Z XLII p -2 laquo Se levant sur son trocircne selon lrsquoacte de son cœurhellip on ne connaicirct pas sa monteacutee raquo8 Toum est la forme locale de Racirc agrave Heacuteliopolis et deacutesigne le soleil la tradition qui fait de Toum le dieu vivant au sein du Noun et le Deacutemiurge est donc drsquoorigine heacuteliopolitainne (cf Maspero eacutetudes de mythologie II p 26)8 Voir les textes citeacutes par Brugsch religion und Mythologie p 0 Cf Au temps des pharaons

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

bien Toum-Racirc eacutetait un lotus cacheacute au sein des eaux quand la fleur eacutemergea au-dessus de lrsquoonde Toum le jeune (Nefer-Toum) en surgit et devint le Soleil 86

Quant au proceacutedeacute de creacuteation employeacute par Toum il semble bien que ce fut la Voix ou le Verbe Drsquoapregraves la tradition la plus commune celle du Livre des Morts 87 (dont nous posseacutedons des reacutedactions degraves la Xie dynastie) le lieu ougrave Toum srsquoeacutetait manifesteacute en tant que Racirc eacutetait preacuteciseacutement la ville drsquoHermopolis la citeacute de Thot celui qursquoon appellera le dieu qui creacutee par la voix le Verbe fait Dieu 88 Ceci serait deacutejagrave une indication suffisante pour admettre lrsquohypothegravese de Brugsch 8 et de Maspero 0 crsquoest par le Verbe que Toum suscita la Lumiegravere Jrsquoajouterai que plusieurs textes la confirment expresseacutement Au papyrus de Leyde on rapporte du Deacutemiurge laquo qursquoil a dit ses formes raquo (ded-f qaou-f ) papyrus de Nesiamsou le deacutemiurge prononce laquo Jrsquoai creacuteeacute toutes les formes avec ce qui est sorti de ma bou-che alors qursquoil nrsquoy avait ni ciel ni terrehellip2 raquo Un des versets les plus anciens du chap xvii du Livre des Morts mentionne un certain jour qui porte le nom laquo Jour de Viens agrave moi raquo variantes laquo Viens ici Viens agrave nous raquo une glose explique crsquoest le jour ougrave Osiris a dit agrave Racirc laquo Viens ici raquo laquo Viens agrave moi raquo ou laquo Viens agrave nous raquo Or au cours du chapitre xvii Osiris deacuteclare srsquoidentifier agrave lrsquoEau primor-diale au Deacutemiurge Toum en ces termes laquo Je suis Toum celui qui existait seul dans le Nounhellip Je suis le dieu grand qui se creacutee lui-mecircme crsquoest-agrave-dire le Noun pegravere des dieuxhellip raquo Il est probable que selon lrsquointerpreacutetation de de Rougeacute 6 et de Maspero 7 le jour mentionneacute ici est celui de la creacuteation du monde Le cri Viens ici ou Viens agrave moi serait le Verbe profeacutereacute par Toum-Osiris qui a fait surgir la Lumiegravere du chaos

Tel fut le premier acte de la creacuteation Apregraves lrsquoapparition de la Lumiegravere susciteacutee

p 28 sq86 ibid p Cf todtenbuch eacuted Naville (ch 8) t I pl 2- Les textes des Pyramides mentionnent deacutejagrave Nefer-Toum sortant du lotus (Ounas I )87 Chap xvii eacuted Naville88 Brugsch religion p 2 678 religion und Mythologie p 00 Histoire I p 0 A Z XLII p 22 nesiamsou p Cf Naville Variantes p 7 Formule la plus ancienne qui apparaicirct aux sarcophages des XIe-XIIe dynasties (Maspero Mission du Caire I p 6 (Horhotep) p 22 (Hori) p 220 (Sitbaslit) Formule ordinaire depuis la XIIe dynastie (Louvre stegravele C I )6 revue archeacuteologique er avril 860 p 27 Bibliothegraveque eacutegyptologique t I p 6 ndeg 6

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

par le Verbe Toum-Racirc proceacuteda au second acte creacuteateur qui donna naissance aux ecirctres et aux choses Les textes sacreacutes affirment que tout ce qui existe au monde dieux hommes animaux plantes les terres et les eaux la matiegravere et lrsquoesprit universels ne sont qursquoune eacutemanation (tat) du Deacutemiurge et forment comme les membres de son corps aussi dit-on du dieu suprecircme laquo crsquoest la somme de lrsquoexis-tence et des ecirctres 8 raquo Je nrsquoinsisterai pas ici sur cette explication pantheacuteiste de lrsquoUnivers il nous inteacuteresse davantage de savoir si dans cette creacuteation des ecirctres et des choses les textes eacutegyptiens attribuent au Verbe divin le mecircme rocircle que les textes hermeacutetiques

A ce sujet les traditions diffeacuteraient en Eacutegypte suivant les lieux et le temps A Heacuteliopolis on enseignait aux plus anciennes eacutepoques que Toum-Racirc avait procreacuteeacute les dieux ancecirctres de tous les ecirctres vivants agrave la faccedilon humaine par une eacutemission de semence ou qursquoil srsquoeacutetait leveacute sur le site du temple du Pheacutenix agrave Heacuteliopolis et qursquoil y avait cracheacute le premier couple divin 200 Drsquoautres dieux qualifieacutes aussi de deacutemiurges avaient employeacute ailleurs drsquoautres proceacutedeacutes Phtah agrave Memphis 20 Hnoum agrave Eacuteleacutephantine 202 modelaient sur un tour les dieux et les hommes Thot-ibis couvait un œuf agrave Hermopolis 20 Neith la grande deacuteesse de Saiumls eacutetait le vautour ou la vache qui enfanta le Soleil Racirc alors que rien nrsquoexis-tait 20 Ce sont lagrave sans doute les explications les plus anciennes et les plus popu-laires de la creacuteation Mais une faccedilon plus subtile et moins mateacuterielle drsquoeacutenoncer que le monde est une eacutemanation divine apparaicirct degraves les textes des Pyramides la Voix du Deacutemiurge y devient un des agents de la creacuteation des ecirctres et des cho-ses

8 Sarcophage du Moyen Empire (Lepsius Aelteste texte p Maspero Mission I p 67 2 28 mdash Une glose qui apparaicirct degraves les textes de la XVIIIe dynastie (eacuted Naville Va-riantes p 0) ajoute laquo la somme de lrsquoexistence et des ecirctreshellip crsquoest son corps raquo pyr de peacutepi i 6 cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 27 laquo Comme Toum eacutetait seul dans le Noun la tradition disait brutalement agrave lrsquoorigine qursquoil avait joui de lui-mecircme et projeteacute deux jumeaux Shou et Tafnout Plus tard on avait cru adoucir la leacutegende en supposant qursquoil avait commenceacute par se creacuteer une femme la deacuteesse lousas dont le nom paraicirct indiquer une personnification de lrsquoacte mecircmehellip Cf sur ce proceacutedeacute de creacuteation A Wiedemann ein altaumlgyptischer Weltsshoumlpfungsmythus ap Urquell 88 p 7 voir aussi les papyrus de Leyde (A Z XLII p 2-6) et nesiamsou p 0200 pyr de peacutepi ii 66 Le premier couple est Shou et Tafnout le nom des dieux assone avec les termes eacutegyptiens qui deacutesignent lrsquoeacutemission de la salive Sur cette tradition cf pap de Leyde (A Z XLII p ) et nesiamsou p 020 Cf Brugsch religion und Mythologie p 202 ibid p 20 Erman religion eacutegyptienne p 0 (Livre des Morts ch 8 I )20 Brugsch religion p

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les hommes reconnaissaient deacutejagrave cette Voix dans le bruit du tonnerre (la voix du ciel hrou m pet) quand elle se manifeste laquo le ciel parle la terre tremble Geb (la terre) est eacutebranleacutee les reacutegions retentissent de cris les dieux srsquoagitent agrave la voix 20 raquo mais au temps de la creacuteation des ecirctres le jour de la laquo premiegravere fois raquo voici comment on se repreacutesentait lrsquoaction de la voix divine laquo hellip Le dieu apparut sur son trocircne quand son cœur le voulut alors tous les ecirctres eacutetaient dans la stu-peur silencieuse de sa force Il caqueta un cri comme lrsquooiseau grand caqueteur en tous lieux pour creacuteer et il eacutetait tout seul Il commenccedila agrave parler au milieu du silencehellip il commenccedila de crier la terre eacutetait dans une stupeur silencieuse ses ru-gissements ont circuleacute partout sans qursquoil y eucirct un second dieu (avec lui) faisant naicirctre les ecirctres il a donneacute qursquoils vivent 206 raquo En effet la Voix creacutee aussi la nourri-ture des dieux et des hommes celle-ci prend degraves lors le nom caracteacuteristique de per hrou (sortie de voix eacutemission de voix 207) La voix du dieu engendre encore les formes des deacutefunts ressusciteacutes apregraves la mort 208 Eacutemettre les paroles profeacuterer des ordres ou des jugements (out medtou oudacirc medtou) est une des expressions qui caracteacuterisent dans les textes des Pyramides le pouvoir souverain des dieux 20 Au cours des siegravecles on trouve pour cette ideacutee une expression plus abreacutegeacutee on dit qursquoil suffit au dieu pour creacuteer drsquoouvrir la bouche Une formule de la XIIe dy-nastie explique que laquo les dieux drsquoAbydos sont sortis de la bouche de Racirc 20 raquo Les hymnes qui fleurissent depuis la XVIIIe dynastie reacutepegravetent que le Deacutemiurge laquo a creacuteeacute les dieux en eacutemettant des paroles raquo on dit que les hommes sont sortis des yeux du dieu tels que des larmes tandis que les dieux tombent de sa bouche 2 A partir du Nouvel Empire theacutebain cette formule est une de celles qui se ren-contrent le plus communeacutement Voici quelques exemples laquo Il (le Deacutemiurge) a eacutedifieacute les hommes avec les pleurs de son œil il a parleacute ce qui appartient aux dieuxhellip Les hommes sont sortis de ses deux yeux les dieux se manifestent quand il parlehellip il a eacutemis la parole et les dieux se manifestenthellip les hommes sortent de ses deux yeux divins les dieux de sa bouche 22 Sa parole est une substance 2hellip raquo

20 Voir les textes des Pyramides citeacutes par A Moret rituel du culte divin p 7 et suiv206 papyrus de Leyde A Z XLII p 207 Maspero eacutetudes de Mythologie II p 7 n 208 pyr de peacutepi ii I 80 220 A Moret rituel du culte divin p 20 Louvre stegravele C I -62 A Moret rituel p nesiamsou p Il y a jeu de mot entre rmj-t laquo larme raquo et rmt laquo homme raquo22 Cf rituel du culte divin p -2 Greacutebaut Hymne agrave Amon racirc p -2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Nrsquoest-ce point lagrave lrsquoideacutee du Verbe creacuteateur qui inspire les textes hermeacutetiques et dont nous trouvons lrsquoeacutecho dans lrsquoEacutevangile selon saint Jean laquo Toutes choses ont eacuteteacute faites par le Verbe et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui 2 raquo

Au moment ougrave srsquoeacutelaboregraverent les plus anciens de ces textes ceux des Pyramides le Verbe nrsquoeacutevoquait peut-ecirctre encore pour les Eacutegyptiens que lrsquoimage mateacuterielle de ce qui eacutetait nommeacute et non pas un concept Former le nom de quelqursquoun ou de quelque chose cela eacutequivaut agrave faccedilonner une image elle prend vie degraves que la bouche prononce le nom 2 laquo Le nom est ainsi une image qui se confond avec son objet il devient cet objet lui-mecircme moins mateacuteriel adapteacute agrave lrsquousage de la penseacutee (Hartland) raquo Pour un Eacutegyptien le nom-image a une reacutealiteacute concregravete une leacutegende conserveacutee sur un papyrus dont Lefeacutebure a donneacute lrsquointerpreacutetation nous le prouve clairement Il y est question du dieu Racirc blesseacute dangereusement par un serpent le dieu ne sera gueacuteri que si lrsquoon prononce son nom en lequel reacuteside sa toute-puissance A la naissance du dieu ce nom avait eacuteteacute dit par son pegravere et sa megravere puis cacheacute dans sa poitrine afin que nul ne le pucirct deacuterober or Racirc consent agrave se laisser fouiller par Isis qui trouve le nom et srsquoen saisit disposant ainsi de lrsquoacircme et de la force du dieu 26 Le nom comme lrsquoa deacutemontreacute Lefeacutebure eacutetait donc pour les Eacutegyptiens une des formes de lrsquoacircme et le signe distinctif de la personnaliteacute 27

Dans ces conditions on comprendra pourquoi les Eacutegyptiens deacutefinissaient le pouvoir creacuteateur du Deacutemiurge en disant simplement qursquoil a nommeacute les dieux les hommes et les choses De lagrave lrsquoexplication de ce verset du Livre des Morts laquo Racirc a fait de tous ses noms le cycle des dieux qursquoest-ce que cela (glose) crsquoest Racirc qui a creacuteeacute ses membres devenus les dieux de sa suite 28 raquo Et ailleurs laquo il est le dieu aux grands noms qui a parleacute ses membres raquo Inversement on deacutecrira les temps anteacute-rieurs agrave la creacuteation en ces termes laquo Nul dieu nrsquoexistait encore on ne connaissait le nom drsquoaucune chose 2 raquo Enfin pour exprimer cette ideacutee que le Deacutemiurge a tout creacuteeacute de son propre fonds le papyrus de Leyde explique laquo Il nrsquoexistait point drsquoautre dieu avant lui ni drsquoautre dieu avec lui quand il a dit ses formes il nrsquoexis-tait point de megravere pour lui qui lui ait fait son nom point de pegravere pour lui qui lrsquoait

2 I 2 Cf Lefeacutebure La vertu et la vie du nom ap Meacutelusine VIII n 026 Lefeacutebure Un chapitre de la chronique solaire ap Zeitschrift fuumlr Aegyptische sprache 88 p 027 Lefeacutebure Meacutelusine VIII ndeg 0 p 2028 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 20 Cf Naville Variantes p ougrave lrsquoun des textes donne laquo Crsquoest Racirc ses creacuteations crsquoest le nom de ses membres devenus ses dieux raquo2 A Moret rituel p 2

60

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutemis en disant laquo Crsquoest moi (qui lrsquoai creacuteeacute) raquo Nrsquoest-ce pas affirmer formellement que rien nrsquoexiste avant que le creacuteateur ne lrsquoait nommeacute 220

Cette creacuteation par la parole nrsquoeacutetait-elle cependant qursquoune simple opeacuteration magique par laquelle la voix suscitait agrave la vie un ecirctre ou une chose en les deacutefinis-sant par le nom-image Crsquoest lagrave un concept de peuples resteacutes agrave un stade eacuteleacutemen-taire de civilisation II reste agrave savoir si les Eacutegyptiens ne se sont pas eacuteleveacutes jusqursquoagrave cette ideacutee que le Deacutemiurge avait penseacute le monde avant de le parler

Reacuteponse est faite par un precirctre du sacerdoce de Memphis dont le tombeau nous a conserveacute un chapitre de doctrine theacuteologique Longtemps mal publieacute et mal compris ce fragment a eacuteteacute reconnu agrave sa juste valeur par M Breasted et eacuteluci-deacute par MM Maspero et Erman 22 Il en ressort que les theacuteologiens distinguaient dans lrsquoœuvre du Verbe la part de la penseacutee creacuteatrice qursquoils appellent le cœur et celle de lrsquoinstrument de creacuteation la langue tout Verbe est drsquoabord un concept du cœur pour prendre corps et se reacutealiser celui-ci a besoin de la parole

Le texte deacutefinit drsquoabord le rocircle du Deacutemiurge laquo Crsquoest lui le premier dans le cœur et la bouche de tout dieu de tout homme de tout animal de tout vermis-seau qui tous ne vivent qursquoen vertu de la faculteacute qursquoil a de penser et drsquoeacutenoncer toute chose qui lui plaicirct (en particulier) son Enneacuteadehellip Or cette Enneacuteade crsquoest les dents et les legravevres les veines et les mains de Toumhellip LrsquoEnneacuteade crsquoest aussi les dents et les legravevres de cette bouche qui proclame le nom de toutes choses raquo (Toujours le rappel que les dieux ne sont que les membres du Deacutemiurge)

laquo La langue donne naissance agrave tous les dieux agrave Toum et agrave son Enneacuteade et ainsi se forme toute parole divine en penseacutee du cœur en eacutemission de la langue elle creacutee les forces vitales bienfaisantes apaise les nuisibleshellip par la vertu de cette parole qui creacutee ce qui est aimeacute et ce qui est deacutetesteacute (le mal et le bien) crsquoest la langue qui donne la vie au juste et la mort agrave lrsquoinjuste crsquoest elle qui creacutee tout travail tout meacutetier les mains agissent les pieds vont tous les membres srsquoagitent lorsqursquoelle eacutemet la parole penseacutee du cœurhellip raquo

Ce texte met en pleine lumiegravere le meacutecanisme de la creacuteation par le Verbe Voici les conclusions de M Maspero ainsi laquo selon notre auteur toute opeacuteration creacutea-trice doit proceacuteder du cœur et de la langue et ecirctre parleacutee en dedans penseacutee puis eacutenonceacutee au dehors en paroleshellip Les choses et les ecirctres dits en dedans nrsquoexistent

220 A Z XLII p Inversement pour tuer quelqursquoun par exemple le deacutemon Apophis on commence une incantation par ces termes laquo Que son nom ne soit plus raquo (nesiamsou p )22 Breasted ap A Z XXXIX ) - G Maspero ap recueil XXIV p 68-7 Erman ein Denkmal memphitischer Theologie (ap sitzungsberichte preussischen Akad Berlin )

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

qursquoen puissance pour qursquoils arrivent agrave lrsquoexistence reacuteelle il faut que la langue les parle au dehors solennellement raquo

Sans doute faut-il noter que ce texte est drsquoune reacutedaction qui ne remonte pas plus haut que le regravegne de Shabaka (vers 700 av J-C) Mais le reacutedacteur nrsquoa pas manqueacute drsquoavertir qursquoil copiait un original ancien 222 et qursquoil reproduisait une tra-dition seacuteculaire M Erman qui a distingueacute avec sagaciteacute les diffeacuterents eacuteleacutements du texte conclut que laquo crsquoest un document de la plus haute antiquiteacute 22 raquo Les allusions contenues dans les textes anteacuterieurs permettent de discerner derriegravere la theacuteorie de la toute-puissance du Verbe la notion drsquoune intelligence divine dont le Verbe nrsquoest que la manifestation creacuteatrice

Une autre ideacutee fort importante se deacutegage du texte commenteacute ci-dessus Il y est dit expresseacutement que le dieu Phtah renferme en lui la puissance du cœur (es-prit) et de la langue (verbe) mais cœur et langue tout en nrsquoeacutetant que des facul-teacutes de Phtah prennent les formes visibles de deux dieux Horus (cœur) et Thot (langue) Est-ce que Phtah Horus et Thot ne constitueraient pas une Uniteacute-Tri-niteacute conception qui fut si en faveur agrave la fin de la civilisation eacutegyptienne hellip

A lrsquoeacutepoque alexandrine lrsquounion de lrsquoIntelligence divine et du Verbe srsquoexprimait par le dogme de la triniteacute hermeacutetique qui deacutefinit la diviniteacute comme une associa-tion de lrsquointelligence νοῦς du verbe λόγος et de lrsquoesprit πνεῦμα Sous sa forme la plus mateacuterielle la triniteacute srsquoeacutetait imposeacutee depuis tregraves longtemps aux dieux eacutegyp-tiens dans chaque ville on imaginait que le dieu local formait avec sa femme et son fils 22 une famille qui devenait une triade Mais crsquoest lagrave une conception an-thropomorphique drsquoorigine populaire Les theacuteologiens trouvegraverent moyen agrave vrai dire de ramener la triade agrave lrsquouniteacute M Maspero a eacutetabli que dans les triades laquo le pegravere et le fils eacutetaient si lrsquoon voulait un personnage et que lrsquoun des deux parents dominait toujours lrsquoautre de si haut qursquoil lrsquoannulait presque entiegraverement tantocirct la deacuteesse disparaissait derriegravere son eacutepoux tantocirct le dieu nrsquoexistait que pour justi-fier la feacuteconditeacute de la deacuteesse et ne srsquoattribuait drsquoautre raison drsquoecirctre que son emploi de mari On en vint assez vite agrave mecircler deux personnages si eacutetroitement unis et agrave les deacutefinir comme eacutetant les deux faces les deux aspects masculin et feacuteminin drsquoun seul ecirctre Drsquoune part le pegravere eacutetait un avec le fils et de lrsquoautre il eacutetait un avec la

222 laquo Sa Majesteacute Shabaka eacutecrivit ce livre agrave nouveau dans la maison de son pegravere Phtah de Mem-phis Sa Majesteacute lrsquoavait trouveacute eacutecrit par les ancecirctres mais il avait eacuteteacute mangeacute des vers et on nrsquoy reconnaissait plus rien du commencement agrave la fin Sa Majesteacute lrsquoeacutecrivit agrave nouveau si bien qursquoil eacutetait plus beau qursquoavanthellip raquo (Erman l c p 2)22 L c p222 Un dieu peut se combiner aussi avec deux deacuteesses ou une deacuteesse avec deux macircles

62

Les Mystegraveres eacutegyptiens

megravere la megravere eacutetait donc une avec le fils comme avec le pegravere et les trois dieux de la triade se ramenaient agrave un dieu unique en trois personnes 22 raquo

En reacutealiteacute ce proceacutedeacute de ramener les triades agrave lrsquouniteacute relegraveve drsquoun systegraveme po-litique centralisateur plutocirct que drsquoun concept theacuteologique Mais le texte analyseacute plus haut donne une tout autre impression Il nrsquoest plus question ici drsquoune fa-mille divine crsquoest une association de trois dieux spirituels Phtah lrsquointelligence suprecircme Horus le cœur crsquoest-agrave-dire lrsquoesprit qui anime et Thot le verbe instru-ment de la creacuteation

laquo Celui qui devient Cœur celui qui devient Langue en eacutemission de Toum crsquoest le grand Phtah Horus srsquoest produit (en Toum) Thot srsquoest produit (en Toum) sous la forme de Phtah la puissance du Cœur et de la Langue se sont produi-tes en lui raquo Aussi Phtah est-il qualifieacute dans le mecircme texte laquo Cœur et Langue de lrsquoEnneacuteade raquo Il semble en reacutesulter que les theacuteologiens de lrsquoeacutepoque ramesside essayaient de constituer agrave cocircteacute de lrsquoEnneacuteade traditionnelle une Triniteacute-Uniteacute de conception purement meacutetaphysique celle de Phtah-Horus-Thot = Deacutemiurge-Esprit-Verbe Mais cette triniteacute ne se deacutegage pas des cadres theacuteologiques elle est subordonneacutee agrave Toum et ne peut encore se passer de lrsquoEnneacuteade

Un effort plus accentueacute vers la conception drsquoune Triniteacute-Uniteacute apparaicirct dans le papyrus de Leyde de lrsquoeacutepoque des Ramessides reacutecemment publieacute par M Gar-diner 226 Voici comment y est deacutefinie la nature du dieu suprecircme de lrsquoeacutepoque Amon-Theacutebain laquo Trois dieux sont tous les dieux Amon Racirc Phtah qui nrsquoont pas leurs pareils Celui dont la nature (litt le nom) est mysteacuterieuse crsquoest Amon Racirc est la tecircte Phtah est le corps Leurs villes sur terre eacutetablies agrave jamais sont Thegrave-bes Heacuteliopolis Memphis (stables) pour toujours Quand il y a un message du ciel on lrsquoentend agrave Heacuteliopolis on le reacutepegravete dans Memphis agrave Phtah (Neferher) on en fait une lettre eacutecrite en caractegraveres de Thot pour la ville drsquoAmon (Thegravebes) avec tout ce qui srsquoy rapporte La reacuteponse et la deacutecision sont donneacutees agrave Thegravebes et ce qui sort crsquoest agrave lrsquoadresse de lrsquoEnneacuteade divine tout ce qui sort de sa bouche celle drsquoAmon Les dieux sont eacutetablis pour lui suivant ses commandements Le message il est pour tuer ou pour faire vivre Vie et mort en deacutependent pour tous les ecirctres excepteacute pour lui Amon et pour Racirc (et pour Phtah) uniteacute-triniteacute 227 raquo

Malgreacute lrsquoobscuriteacute de certaines phrases il ressort que les trois grands dieux de

22 Maspero Histoire I p 0 0226 Hymns to Amon ap A Z XLII p 227 Litt laquo totaliseacutes trois raquo

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lrsquoeacutepoque ramesside constituent une Uniteacute-Triniteacute un Dieu en trois personnes que le texte deacutesigne en ces termes expregraves

Comme lrsquoexplique M Gardiner la volonteacute de la Triniteacute est une le texte cher-che comment fonctionne le meacutecanisme de cette commune administration du monde La penseacutee divine se reacutevegravele au ciel sous forme de message parleacute le Verbe divin reacutesonne aux oreilles dans la ville drsquoHeacuteliopolis dont le dieu repreacutesente la face de la triniteacute autant dire la tecircte pensante Le message est transmis agrave Phtah le corps de la triniteacute lagrave il est reacutepeacuteteacute prend une forme mateacuterielle et tangible une fois transcrit par lrsquoaide de Thot le scribe des dieux Quand le message a eacuteteacute agrave la fois penseacute agrave Heacuteliopolis et revecirctu drsquoune forme concregravete agrave Memphis il est soumis dans Thegravebes agrave lrsquoapprobation drsquoAmon le dieu dont le nom est cacheacute lrsquointelligence invisible Lui seul imprime lrsquoeacutelan deacutefinitif agrave la penseacutee divine et lrsquoenvoie comme un ordre de vie ou de mort aux dieux secondaires soumis agrave ses lois comme tout le reste des ecirctres

Si on compare le texte du papyrus de Leyde agrave lrsquoinscription graveacutee sous Sha-baka on lui trouvera me semble-t-il moins de subtiliteacute et une sorte de reacutealisme enfantin Le gouvernement divin y est preacutesenteacute sous une forme tangible et ma-teacuterielle et probablement imiteacutee du meacutecanisme de lrsquoadministration pharaonique Mecircme meacutelange de mysticisme et de mateacuterialisme dans la description suivante que le mecircme texte consacre agrave Amon lrsquointelligence suprecircme qui laquo a eacutemis Racirc et qui srsquounit agrave Toum de telle sorte qursquoil ne fait qursquoun avec lui raquo mdash laquo Amon raquo est-il dit laquo a son acircme au ciel son corps dans (la neacutecropole de) lrsquoAmenti sa statue dans Hermonthis pour servir de support agrave ses apparitionshellip Amon (celui qui se cache) se voile pour les dieux on ne connaicirct point son aspecthellip nul dieu ne connaicirct sa vraie nature et sa forme nrsquoest point deacutecrite dans les livreshellip il est trop mysteacuterieux pour qursquoon deacutecouvre sa gloire il est trop grand pour qursquoon le discute trop puissant pour qursquoon le connaissehellip228 raquo A coup sucircr nous sommes loin encore du concept de Dieu Intelligence pure Cependant nous approchons de la triniteacute hermeacutetique qui saura deacutefinir avec plus de preacutecision le dieu un et multiple agrave la fois intelligence esprit et raison

Lrsquointelligence divine apregraves avoir creacuteeacute et animeacute le monde par le Verbe ne se deacutesinteacuteressait pas de ses creacuteatures et gardait contact avec elles Quand Platon et apregraves lui saint Augustin deacutefinissent ainsi le pouvoir du dieu Thot laquo Crsquoest le dieu Verbe lui-mecircme le Verbe aileacute qui par le commerce les arts la science circule

228 Aeg Zeitschrift XLII p -

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

au travers des hommes les rapproche les civilise sert de messager agrave la penseacutee divine 22 raquo ils reprennent une conception traditionnelle en Eacutegypte drsquoapregraves la-quelle toute connaissance reacuteside en Dieu ou vient de Dieu Au papyrus de Leyde on lit agrave propos drsquoAmon laquo Son cœur connaicirct tout ses legravevres goucirctent tout son ka (son essence) crsquoest toutes les existences neacutees de sa langue 20 raquo Arts et sciences de tout genre eacutetaient des secrets des mystegraveres dont les hommes ne prenaient connaissance que par reacuteveacutelation divine Les papyrus meacutedicaux par exemple pas-saient pour ecirctre tombeacutes du ciel et avoir eacuteteacute trouveacutes dans les temples au pied drsquoune statue de dieu 2 De mecircme pour les rituels ou livres sacreacutes ils parviennent aux hommes par miracle eacutecrits de la main mecircme du dieu Thot Bien avant lrsquoeacutepo-que alexandrine Thot eacutetait deacutejagrave le grand initiateur de lrsquohumaniteacute en tant que laquo dieu des paroles divines raquo Et comme personnification de la laquo Langue il y avait en Thot le sage une force plus grande que celle de tous les dieux 22 raquo Mais les dieux principaux de chaque ville ne reacutepugnaient pas agrave jouer eux-mecircmes le rocircle de providence Ainsi disait-on drsquoAmon laquo Amon repousse les maux et chasse les maladies crsquoest un meacutedecin qui gueacuterit les yeux sans (avoir besoin de) remegravedes raquo

La parole divine eacutecrite ou parleacutee ne reacutevegravele pas seulement la science elle fait connaicirctre le sens de la vie lrsquointelligence des choses elle ouvre aux hommes les secrets de la suprecircme Raison Dans les eacutecrits hermeacutetiques le laquo Verbe raquo Λόγος si-gnifie laquo raison raquo aussi bien que laquo parole raquo dans les textes eacutegyptiens Thot le dieu de la parole sainte qui a reacuteveacuteleacute les arts les sciences les lettres aux hommes a comme compagne eacuteternelle Macirciumlt (Maacirct) la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Jus-tice et de la Raison

La Veacuteriteacute est le contraire de lrsquoerreur et du mensonge par conseacutequent son caractegravere propre est la science la justice la raison 2 Elle est la substance mecircme du Dieu creacuteateur elle se confond avec lui ou pour se servir des expressions liturgiques Macirciumlt est agrave la fois la megravere du dieu qui lrsquoa creacuteeacute sa fille puisqursquoelle est aussi œuvre du dieu le dieu lui-mecircme puisque Dieu est toute connaissance toute veacuteriteacute toute justice Elle est si semblable au dieu qursquoelle constitue la nour-

22 Reitzenstein Zwei relig Fragen p 820 A Z XLII p 8 Litteacuteralement la connaissance sa crsquoest son cœur le goucirct hou ce sont ses legravevres son ka crsquoest tout ce qui existe (issu) de sa langue laquo Sur les rapports de sa hou avec le ka voir plus loin2 Voir les textes reacuteunis par Weill Monuments de la iie et de la iiie dynasties p et suiv22 recueil de travaux XXIX p 72 Pierret eacutetudes eacutegyptologiques II p

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

riture journaliegravere des ecirctres divins agrave elle seule elle reacutesume toutes les offrandes mateacuterielles et spirituelles et crsquoest pourquoi il faut la preacutesenter au dieu quand on ceacutelegravebre lrsquooffice divin

Lrsquooffrande drsquoune statuette de Macirciumlt la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Justice de la Raison est toujours repreacutesenteacutee agrave la place drsquohonneur sur la paroi du fond dans les sanctuaires eacutegyptiens crsquoest donc lagrave lrsquoaboutissement du culte rendu aux dieux Celui qui offre Macirciumlt qursquoil soit le precirctre ou le roi est censeacute prendre agrave ce moment la personnaliteacute de Thot-Hermegraves le laquo maicirctre de Macirciumlt raquo et voici en quels termes il srsquoadresse au dieu laquo Je suis venu vers toi moi Thot (jrsquoarrive) les deux mains reacuteunies pour porter Macirciumlthellip Macirciumlt est venue pour qursquoelle soit avec toi Macirciumlt est en toute place qui est tienne pour que tu te poses sur ellehellip Voici venir les dieux et les deacuteesses qui sont avec toi en portant Macirciumlt ils savent que tu vis drsquoelle Ton œil droit est Macirciumlt ton œil gauche est Macirciumlt tes chairs et tes membres sont Macirciumlthellip le vecirctement de tes membres est Macirciumlt ce que tu manges est Macirciumlt ce que tu bois est Macirciumlt tes pains sont Macirciumlt ta biegravere est Macirciumlthellip Tu existes parce que Macirciumlt existehellip2 raquo

En lisant ces formules que lrsquoon retrouve plus ou moins deacuteveloppeacutees dans chaque sanctuaire eacutegyptien et agrave toutes les eacutepoques (agrave partir du moment ougrave les temples nous ont eacuteteacute conserveacutes crsquoest-agrave-dire depuis la XVIIIe dynastie) il est dif-ficile de ne point se rappeler ce que Platon dans le phegravedre nous dit de la Veacuteriteacute essence des dieux Voici les paroles qursquoil place dans la bouche de Socrate

laquo Aucun poegravete nrsquoa jamais ceacuteleacutebreacute la reacutegion qui srsquoeacutetend au-dessus du ciel aucun ne la ceacuteleacutebrera jamais dignement Voici pourtant ce qui en est car si lrsquoon doit toujours dire la Veacuteriteacute on y est surtout obligeacute quand on parle sur la Veacuteriteacute Lrsquoes-sence sans couleur impalpable sans forme ne peut ecirctre contempleacutee que par lrsquoIntelligence autour de lrsquoessence est le seacutejour de la science parfaite qursquoembrasse la Veacuteriteacute tout entiegravere Or la penseacutee des dieux qui se nourrit drsquoIntelligence et de Science sans meacutelange mdash comme celle de toute acircme avide de lrsquoaliment qui lui convient mdash admise agrave jouir de la contemplation de lrsquoEcirctre absolu srsquoabreuve de la Veacuteriteacute et est plongeacutee dans le ravissement elle contemple la Justice en soi la Science qui a pour objet lrsquoEcirctre des ecirctres Telle est la vie des dieuxhellip2 raquo Lrsquohymne du rituel eacutegyptien dont on a lu plus haut la traduction exprime les mecircmes ideacutees sous une forme agrave peine plus mateacuterielle Nous nrsquoexaminerons pas ici lrsquohypothegravese

2 rituel du culte divin p 8 et suiv laquo Chapitre de donner Macirciumlt raquo Les rois qui sont identifieacutes aux dieux disent de mecircme laquo Macirciumlt crsquoest mon pain raquo (Sethe Urkunden der 18 Dynastie p 8-7)2 Platon trad p

66

Les Mystegraveres eacutegyptiens

drsquoune influence de la penseacutee eacutegyptienne sur les theacuteories platoniciennes mais cette doctrine du Logos Verbe de raison et de veacuteriteacute que les philosophes greacuteco-alexandrins ont deacuteveloppeacutee avec tant de preacutedilection nrsquoavait-elle pas deacutejagrave reccedilu une expression fort preacutecise dans les eacutecoles theacuteologiques de lrsquoEacutegypte

La sagesse divine est donc reacuteveacuteleacutee aux hommes par la parole une loi morale srsquoen deacutegage qui se reacutesume en cette ideacutee laquo pratiquer la justice reacutealiser la Veacuteriteacute raquo

Les textes eacutegyptiens preacutecisent lrsquounion indissoluble de la Veacuteriteacute et du Verbe dans une expression caracteacuteristique un idiotisme intraduisible qui a eacutepuiseacute les efforts des eacutegyptologues Quand un ecirctre humain ou divin arrive soit par sa naissance soit par ses vertus ou meacuterites propres soit par proceacutedeacutes magiques agrave lrsquoeacutetat de gracircce que nous appelons sainteteacute ou diviniteacute les Eacutegyptiens disent de lui qursquoil reacutealise la voix qursquoil est Macirc-hrou Cette eacutepithegravete caracteacuterise les dieux le roi qui est un dieu vivant sur terre les hommes deacutefunts qui ont meacuteriteacute les paradis ou qui se sont munis des rites efficaces pour les atteindre enfin les hom-mes vivants en eacutetat de gracircce tels que les precirctres ceacuteleacutebrant lrsquooffice ou les magi-ciens armeacutes de formules Reacutealiser la voix cela veut dire avoir agrave sa disposition le Verbe creacuteateur qui donne toute puissance agrave nrsquoimporte quel moment et en toute occasion Le dieu ou lrsquohomme est-il en danger La parole divine dont il articule les sons renversera ses ennemis a-t-il quelques deacutesirs il en nomme lrsquoobjet qui se reacutealise aussitocirct a-t-il faim les laquo offrandes sortiront agrave la voix raquo degraves que leur nom aura eacuteteacute prononceacute car le miracle de la creacuteation par le Verbe se renouvelle dans tout temple et tout tombeau ougrave lrsquoon dit la parole efficace a-t-il besoin drsquoune justification devant le tribunal drsquoOsiris la parole divine vraie par sa na-ture donne agrave qui la possegravede la justice et la vertu Une expression si complexe peut se commenter non se traduire Aussi les eacutegyptologues ont-ils chacun agrave leur tour essayeacute vainement de rendre ces mots laquo Macirchrou raquo les traductions proposeacutees par Deveacuteria et Naville laquo triomphant raquo par Maspero laquo juste de voix raquo par Pierret laquo veacuteridique raquo par Virey laquo celui qui reacutealise en parlant dont la voix fait ecirctre vrai-ment raquo par moi-mecircme laquo creacuteateur par la voix doueacute de voix creacuteatrice 26 raquo sont inhabiles agrave rendre le sens complet de lrsquoexpression Ceci reste neacuteanmoins que pour caracteacuteriser la force la sagesse la vertu des ecirctres divins 27 les Eacutegyptiens ont associeacute le Verbe et la raison dans une expression composeacutee dont les deux termes

26 rituel du culte divin p 6 et suiv27 Et probablement aussi lrsquoinitiation aux rites osiriens qui reacutesume toutes les forces ou vertus deacutesirables

67

Les Mystegraveres eacutegyptiens

correspondent aux deux sens du mot non moins intraduisible Λόγος dont usent les textes hermeacutetiques

Il reacutesulte de cette reacutevision sommaire que pour les Eacutegyptiens cultiveacutes de lrsquoeacutepo-que pharaonique et des milliers drsquoanneacutees avant lrsquoegravere chreacutetienne le Dieu eacutetait conccedilu comme une Intelligence qui a penseacute le monde et qui a trouveacute le Verbe comme moyen drsquoexpression et comme instrument de creacuteation Cette parole creacutea-trice qui reacutesonne parfois au ciel telle que le tonnerre nrsquoatteste pas seulement la puissance du Dieu et nrsquoinspire pas seulement la terreur elle reacutevegravele aux hommes la science la raison la justice ce qui se reacutesume en un seul mot la Veacuteriteacute Par la theacuteorie du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur les eacutecrits hermeacutetiques nrsquoont fait que rajeunir une ideacutee ancienne en Eacutegypte et qui faisait partie essentielle du vieux fonds de la culture intellectuelle religieuse et morale 28

28 La planche II repreacutesente deux aspects du dieu Fils Horus portant le doigt agrave la bouche Ce geste qui agrave lrsquoorigine ne repreacutesente qursquoune attitude caracteacuteristique de lrsquoenfance semble avoir pris plus tard suivant une hypothegravese ingeacutenieuse de M Guimet une valeur symbolique et deacute-signerait un dieu du Verbe

68

III

La royauteacute dans Lrsquoeacutegypte prIMItIve pharaon et toteM

Il y a quinze ans encore la monarchie eacutegyptienne offrait une eacutenigme que lrsquoon deacutesespeacuterait presque de reacutesoudre jamais telle que la Minerve de la fable qui sortit tout armeacutee du cerveau de Jupiter elle se preacutesentait degraves lrsquoeacutepoque qursquoon appelait alors la plus lointaine (crsquoeacutetait la IVe dynastie 2800 ans avant notre egravere) comme un organisme adulte qui drsquoun seul jet et sans effort aurait atteint son complet deacuteveloppement Eacutetait-il possible que sans coup feacuterir la monarchie se fucirct incarneacutee dans un roi absolu veacuteneacutereacute en maicirctre sur la terre adoreacute en dieu dans les temples chef indiscuteacute des deux Eacutegyptes Comment en lrsquoabsence de monu-ments expliquer ce miracle Vinrent les fouilles drsquoAmeacutelineau de J de Morgan de Petrie qui jointes au labeur philologique drsquoautres savants ont enfin permis de remonter agrave un millier drsquoanneacutees plus haut vers les origines de la socieacuteteacute eacutegyp-tienne

Figure 0Eacutedifice surmonteacute drsquoune enseigne Poterie preacutehistorique 2

Dans les neacutecropoles archaiumlques drsquoAbydos de Negadah et drsquoHierakonpolis des vases ou fragments de vases en terre cuite ou en pierre dure ont revu le jour ils portaient sur leurs panses les noms des souverains des deux premiegraveres

2 Les figures reproduites ici dans le texte sont emprunteacutees agrave lrsquoillustration de la confeacuterence de V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme ougrave on trouvera leurs reacutefeacuterences Elles proviennent toutes de monuments archaiumlques

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dynasties et certaines repreacutesentations drsquoeacutedifices fortifieacutes Or ceux-ci sont sur-monteacutes drsquoenseignes qui ont la forme drsquoun animal drsquoune plante drsquoun objet Iden-tifier ces enseignes deacutefinir leur rocircle a eacuteteacute relativement facile la plupart eacutetant resteacutees en usage agrave lrsquoeacutepoque classique comme armoiries des provinces ou nomes crsquoest-agrave-dire comme laquo insignes de collectiviteacutes raquo on en a conclu avec raison que sur les monuments archaiumlques ces enseignes eacutetaient aussi des laquo emblegravemes ethni-ques raquo20 et qursquoelles peuvent nous eacuteclairer sur les premiers groupements sociaux de lrsquoEacutegypte Avant drsquoecirctre unifieacutee sous la domination drsquoun roi lrsquoEacutegypte avait eacuteteacute diviseacutee et de ces divisions ethniques nous connaissions tout au moins les signes de ralliement

En 06 M Loret dans une brillante confeacuterence faite au Museacutee Guimet sur lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme a deacutemontreacute que les enseignes qui apparaissent sur les monuments archaiumlques nrsquoeacutetaient pas seulement des drapeaux mais figuraient aussi pour les Eacutegyptiens primitifs les chefs et les dieux des diffeacuterents groupes ethniques Sur lrsquoune des enseignes celle du Faucon les monuments de lrsquoeacutepoque historique donnaient de preacutecieux eacuteclaircissements On savait qursquoelle avait donneacute son nom de Faucon agrave un groupe drsquoindividus laquo les compagnons ou adorateurs du Faucon raquo Hor shemsou et que le Pharaon lui-mecircme se dit un faucon et en porte le titre Hor faucon Or un objet qui est agrave la fois une enseigne un dieu un chef et en qui srsquoidentifient des hommes rentre dans une cateacutegorie bien deacutefinie crsquoest un totem le groupement ethnique auquel il preacuteside est un clan toteacutemique

M Loret reconnut donc sur les repreacutesentations des vases les totems du Faucon du Chien du Leacutevrier de lrsquoIbis du Scorpion du Lion des 2 Piques du Roseau etc Drsquoapregraves ce qursquoon savait du Faucon il conclut qursquoautour de chaque totem se groupait encore agrave cette eacutepoque un clan toteacutemique crsquoest pour cela que ces enseignes servaient de drapeaux agrave des groupements ethniques LrsquoEacutegypte en eacutetait donc vers 000 ans av J-C au reacutegime social du clan toteacutemique Pour deacutefinir cet eacutetat des rapprochements srsquoimposaient avec les peuples qui de nos jours vivent encore par clans ce sont les non-civiliseacutes des nouveaux mondes Lrsquoanalogie permettait de supposer que cette Eacutegypte archaiumlque dans laquelle on peacuteneacutetrait nrsquoeacutetait encore qursquoau degreacute de deacuteveloppement constateacute aujourdrsquohui chez telle peuplade de Negravegres ou drsquoAustraliens Le terrain de comparaison eacutetant trouveacute nous pouvons nous demander si ce que nous connaissons de lrsquoEacutegypte archaiumlque srsquoaccorde avec la deacutefinition de toute socieacuteteacute toteacutemique telle que lrsquoont

20 V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Bibliothegraveque de vulgarisation t XIX p 76)

70

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutetablie les travaux de Frazer et de Durkheim Quoique ces deux savants ne soient pas toujours drsquoaccord empruntons leurs lumiegraveres pour deacutefinir aussi exactement que possible ce qursquoest un totem et un clan toteacutemique 2

Le mot nrsquoest connu de nous que depuis les reacutecits des explorateurs du Nouveau Monde au xviiie siegravecle laquo Totem raquo est tireacute du dialecte objibway (tribu des Algon-quins) ougrave il signifie laquo marque famille raquo mais la chose la conception qursquoil deacutesigne srsquoest reacuteveacuteleacutee commune aux peuples non civiliseacutes dans beaucoup de pays Voici les traits geacuteneacuteraux du totem Avant tout ce nrsquoest pas un feacutetiche car le feacutetiche est un animal ou un objet diviniseacute La caracteacuteristique du totem au contraire crsquoest de deacutesigner un groupe une espegravece entiegravere drsquoecirctres ou drsquoobjets Il est pour cette espegravece comme le substratum des individus qui la composent en lui reacuteside agrave la fois la source vitale lrsquoeacutenergie geacuteneacuteratrice et le nom collectif (crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme perseacuteveacuterante) de la race puis encore la marque de cette parenteacute commune le blason et enfin lrsquoesprit protecteur la providence de cette race

Prenons un clan qui a adopteacute pour totem un loup Chaque membre du clan Loup est un loup il croit que le loup est lrsquoancecirctre animal mdash lui-mecircme sorti du sol comme les plantes mdash agrave qui des membres humains ont pousseacute qui srsquoest mis agrave marcher sur deux pattes a eacutepileacute son corps est devenu un loup-homme Tous les membres du clan descendent donc drsquoun vrai loup sont de la mecircme chair par conseacutequent fregraveres des autres loups resteacutes agrave lrsquoeacutetat sauvage (crsquoest-agrave-dire animal) mdash drsquoougrave lrsquointerdiction (tabou) de ne chasser ni tuer ni manger le loup-fregravere le totem

Une religion (au sens de lien) drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute groupe les membres du clan fils du totem autour de ce pegravere et bienfaiteur qui leur a donneacute vie et force Chacun porte la marque sacreacutee lrsquoeffigie du loup empreinte sur ses chairs on la tatoue sur les jeunes gens pendant les rites de lrsquoinitiation qui suit la puberteacute elle est apposeacutee en signature au bas des actes publics ou priveacutes on la sculpte ou on la peint sur les armes le mobilier les maisons on lrsquoeacuterige sur un poteau au faicircte des huttes ou agrave lrsquoentreacutee du village on la place sur la tombe des individus dont le nom toteacutemique (et non point personnel) sera ainsi sauvegardeacute pour lrsquoeacuteterniteacute Car apregraves la mort lrsquoindividu retourne agrave son totem Lrsquoeacutemanation du Loup qui srsquoeacutetait incarneacutee pour une existence passagegravere dans une forme humaine revient

2 J Frazer Le toteacutemisme (trad franccedil 88) Durkheim Les formes eacuteleacutementaires de la vie reli-gieuse le systegraveme toteacutemique en Australie 2 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode com-parative (ap revue de lrsquoHistoire des religions LVIII I p )

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

apregraves la mort se confondre et se reacutesorber dans le Loup ancestral drsquoougrave renaicirctront indeacutefiniment drsquoautres loups

Mais agrave chaque geacuteneacuteration lrsquoessence primitive du Loup devient plus lointai-ne sa force risque de srsquoatteacutenuer de srsquoaffaiblir Sans doute le Loup feacuteconde-t-il mystiquement toutes les megraveres mais encore faut-il peacuteriodiquement reprendre contact avec lrsquoancecirctre pour reacutegeacuteneacuterer le clan A cet effet une femme du clan souvent celle du chef srsquounira charnellement au totem Lrsquoacte est simuleacute si le to-tem est un ecirctre inanimeacute mais si crsquoest un animal lrsquoaccouplement drsquoune femme avec un repreacutesentant du type est souvent reacuteel Sauf cette exception religieuse toute relation sexuelle drsquohomme agrave femme dans le mecircme clan est rigoureusement prohibeacutee lrsquoexogamie crsquoest-agrave-dire le mariage en dehors du clan est la loi du groupement toteacutemique Hommes et femmes eacutepousent donc des individus de clans voisins et lrsquoenfant appartient au clan et au totem de sa megravere

De lagrave pour la vie du clan toteacutemique un germe drsquoaffaiblissement et de trans-formation Les enfants appartenant au totem de la megravere agrave chaque geacuteneacuteration toute la descendance macircle des hommes-loups passe aux clans des femmes eacutepou-seacutees agrave mesure que la tribu srsquoaccroicirct par mariages ses rejetons multiplient les clans nouveaux qui vivent cocircte agrave cocircte avec lrsquoancien Plus la tribu est nomade plus elle se dissout en uniteacutes nouvelles se subdivise en adoptant quelque varieacuteteacute animale ou aspect diffeacuterent du totem primitif (loup-chacal loup-cervier chien etc) Une socieacuteteacute agrave lrsquoeacutetat toteacutemique se preacutesente donc sous lrsquoaspect drsquoune cohue de plus en plus panacheacutee bigarreacutee et disperseacutee agrave chaque geacuteneacuteration Peu agrave peu la confusion devient telle qursquoune organisation nouvelle se creacutee par neacutecessiteacute alors la regravegle de lrsquoexogamie se relacircche et lrsquoon tolegravere les unions entre individus du mecircme groupe toteacutemique Le totem ne srsquoattachera plus agrave la race morceleacutee et alteacutereacutee apregraves tant de croisements mais agrave la localiteacute on aura des totems de pays agrave cocircteacute des totems de familles Enfin lrsquoimage du totem lui-mecircme arrive agrave figurer une sorte de geacutenie de la race qui joue encore le rocircle drsquoancecirctre et de providence mais perd peu agrave peu le contact avec les hommes du clan se retire de la terre et se transforme en dieu

Tel serait le scheacutema de lrsquoeacutevolution toteacutemique Retrouvons-nous dans lrsquoEacutegypte archaiumlque tous les traits ou seulement des traces drsquoun pareil eacutetat social

72

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure laquo Faucon combattant raquo nom royal de Ahacirc 2 laquo Faucon combattant raquo livre des prisonniers

Disons tout drsquoabord que les figures ou scegravenes graveacutees sur les vases et les pa-lettes votives ne reacutevegravelent que quelques eacutepisodes seulement de la vie des clans en Eacutegypte Lrsquoexistence mecircme des clans distingueacutes par des enseignes telles que M Loret les a reconnues nrsquoest pas douteuse car les enseignes apparaissent com-me marques distinctives dans des scegravenes qui touchent agrave la vie collective plus qursquoagrave la vie individuelle repreacutesentations de villages ou drsquoeacutedifices batailles fecirctes publi-ques cortegraveges etc Comme chez les autres primitifs la nature de ces enseignes est tregraves varieacutee ce sont des animaux (beacutelier chien lion leacutevrier eacuteleacutephant taureau faucon vautour ibis chouet-te vanneau silure abeille vi-pegravere scorpion) des veacutegeacutetaux (roseau sycomore palmier) des armes de chasse ou de guerre (flegraveches arc harpon hache boomerang) des si-gnes geacuteographiques (monta-gnes) ou astronomiques (cer-cle solaire 22)

22 La liste aussi complegravete que possible en a eacuteteacute dresseacutee par V Loret Les enseignes militaires des tribus et les symboles hieacuteroglyphiques des diviniteacutes (ap revue eacutegyptologique t X02)

Figure 2 mdash tLe nom royal de Narmer animeacute

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

On eacutelegraveve ces figures sur des pavois ou enseignes et on les arbore sur les eacutedifices ou les barques on les grave ou on les peint sur les vases les assiettes les statues car il faut que les membres du clan soient en communion constante avec leur totem

Figure Enseignes toteacutemiques animeacutees

Ces enseignes sont vivantes et interviennent dans la vie du clan On voit le faucon tenir dans ses serres le bouclier et le javelot (fig ) le silure brandit agrave deux bras greffeacutes sur son corps de poisson la massue pour assommer un ennemi (fig 2) le vautour amegravene des captifs par une corde (fig ) le faucon le scor-pion le lion manient le pic et deacutemolissent les remparts derriegravere lesquels srsquoabri-tent des rivaux (fig ) parfois lrsquoenseigne qui porte lrsquoemblegraveme a elle aussi des bras pour tenir la corde des captifs ou empoigner lrsquoadversaire 2 A cette vie on reconnaicirct que les emblegravemes sont des totems

2 V Loret Lrsquoeacutegyptehellip p 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figures -Eacutedicule drsquoenseigne et animal toteacutemique

Comme tels on les veacutenegravere en geacutenies protecteurs leurs images (si ce sont des objets inanimeacutes) leurs speacutecimens vivants (si ce sont des animaux) sont gardeacutes preacutecieusement dans des eacutedicules (fig -) construits de murs en clayonnage recouverts drsquoun toit en forme de demi-coupole aux parois on suspend des ob-jets votifs des palettes et des tablettes graveacutees de scegravenes qui commeacutemorent les victoires ou les fecirctes du clan 2 sur le toit on accroche le bucrane deacutepouille des animaux sacrifieacutes au totem un mur drsquoenceinte avec porte encadreacutee de deux haches planteacutees en terre encadre le sanctuaire primitif ougrave vit le palladium de la tribu Les monuments archaiumlques ne nous enseignent rien de plus sur le culte du totem mais des traditions resteacutees en honneur agrave lrsquoeacutepoque classique ont prolongeacute jusqursquoagrave nous lrsquoeacutecho des rites tregraves anciens qui se rapportent au culte des animaux toteacutemiques Si les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque romaine adoraient encore les taureaux Apis agrave Memphis Mneacutevis agrave Heacuteliopolis Bouchis agrave Hermonthis le bouc agrave Mendegraves le chat agrave Bubastis lrsquoibis agrave Hermopolis le faucon agrave Edfou le crocodile au Fayoum et agrave Ombos srsquoil eacutetait deacutefendu de tuer et de manger tel ou tel animal mais seule-ment dans la ville ougrave il eacutetait adoreacute mdash crsquoest par respect pour des traditions drsquoune antiquiteacute deacutemesureacutee qui nous ont conserveacute vivants les cultes des anciens clans toteacutemiques Aussi pouvons-nous admettre que les membres srsquoabstenaient de tuer et de manger le totem pendant sa vie on le nourrissait et on lrsquoadorait agrave sa mort on le pleurait solennellement jusqursquoagrave lrsquoinstallation de son successeur (comme on faisait pour les Apis agrave lrsquoeacutepoque classique)

2 Les plus importantes sont reproduites dans lrsquoouvrage de J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte 0

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

En retour le totem eacutetait la providence du clan eacutegyptien Pendant la paix sa preacutesence dans le sanctuaire du village assure la prospeacuteriteacute au combat il marche en tecircte des guerriers et il lutte agrave sa faccedilon contre les adversaires Le totem protegravege ainsi ses descendants et ses fregraveres Le lien du sang qui existe entre lui et la tribu qui porte son nom est tenu pour reacuteel et non fictif Peacuteriodiquement une femme du clan srsquounit au totem Heacuterodote 2 nous rapporte qursquoagrave Mendegraves de son temps le bouc sacreacute srsquoeacutetait accoupleacute agrave une femme Strabon et Diodore relatent le mecircme fait agrave Memphis et agrave Thegravebes le rite se pratiquait encore agrave Rome au temps de Tibegravere dans le temple drsquoAnubis 26 Ces unions monstrueuses qui persistaient drsquoune faccedilon sporadique ne sont qursquoune survivance du temps ougrave lrsquoanimal toteacute-mique perpeacutetuait sa race pour feacuteconder le clan

Crsquoest agrave peu pregraves tout ce que donnent les monuments sur lrsquoexistence drsquoun eacutetat social toteacutemique en Eacutegypte il est impossible de veacuterifier si lrsquoexogamie eacutetait en usage du moins aucune trace nrsquoen est resteacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave les documents commencent agrave nous renseigner sauf lrsquousage de la descendance en ligne feacutemi-nine encore srsquoexplique-t-elle aussi par la pratique de la polygamie En somme lrsquoEacutegypte mecircme agrave lrsquoeacutepoque archaiumlque ne preacutesente plus que des survivances de toteacutemisme 27 preuve en est la position du roi dans la socieacuteteacute drsquoalors

A partir du moment ougrave lrsquoon trouve dans les tombes autre chose que de sim-ples vases peu ou pas deacutecoreacutes degraves que les monuments agrave inscriptions ou figures descriptives apparaissent la socieacuteteacute se reacutevegravele monarchique et la monarchie se montre deacutejagrave centraliseacutee Les scegravenes graveacutees sur les vases et les palettes votives permettent de discerner des luttes de clans qui se terminent par le triomphe du clan du Faucon Or lrsquoexamen des monuments ougrave apparaicirct le faucon nous mon-tre que degraves cette eacutepoque tregraves lointaine lrsquoanimal est moins le chef drsquoun clan que le protecteur de la famille royale

2 II 626 Cf Ad-J Reinach Lrsquoeacutegypte preacutehistorique p 827 A Van Gennep revue de lrsquohistoire des religions LVIII p critiquant les conclusions trop absolues de V Loret se refusait en 08 agrave reconnaicirctre mecircme des traces de vrai toteacutemisme dans les donneacutees des documents eacutegyptiens et nrsquoy voyait qursquoune forme de zoolacirctrie Crsquoest agrave mon avis aller trop loin dans la reacuteserve prudente et la critique Jrsquoessaierai de montrer ci-apregraves que lrsquoideacutee toteacutemique a surveacutecu peut-ecirctre dans la notion du Ka ougrave ne se retrouve nulle trace de zoolacirctrie

76

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 6Le faucon proteacutegeant le roi

Le faucon apparaicirct drsquoabord comme enseigne royale porteacute sur un pavois il preacutecegravede le roi (et le roi seul) dans tous les tableaux des victoires ou des fecirctes royales srsquoil y a drsquoautres enseignes porteacutees devant le roi le faucon est le plus sou-vent en tecircte au premier rang Il combat pour le roi saisit ses ennemis ou les lui amegravene prisonniers Crsquoest donc le geacutenie protecteur du roi Comme tel on repreacute-sente le faucon volant (fig 6) ou au repos proteacutegeant la nuque du roi de ses ailes eacutetendues

Le faucon est avec le roi dans les rapports drsquoun totem avec son enfant De toute antiquiteacute le nom du faucon est le nom qui deacutesigne le roi (et le roi seul) Pour eacutecrire le nom du roi Ahacirc le laquo combattant raquo les Eacutegyptiens gra-vaient un faucon tenant dans ses serres bouclier et javelot (fig ) quoi de plus direct pour exprimer agrave tous les yeux lrsquoideacutee que le roi eacutetait le laquo faucon combat-tant raquo Depuis Ahacirc (qursquoil soit ou non le Menegraves des listes historiques) jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne signifiera laquo le roi raquo et sera le premier nom protocolaire du souverain Or qui dit nom dit essence acircme le roi est donc de mecircme essence que le faucon A lrsquoeacutepoque classique les textes srsquoeacutetendent avec complaisance sur la parenteacute du roi et du faucon Un prince royal enfant est ap-peleacute laquo le faucon dans son nid 28 raquo Monte-t-il sur le trocircne crsquoest le laquo faucon sur son cadre 2 raquo en cet instant dit Loret le Ka du faucon ancestral laquo descendait du ciel et venait srsquoincorporer srsquoincarner dans la personne du roi se surajouter raquo comme

28 Breasted A new chapter in the life of Thutmes iii p 62 A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p n litteacuteralement laquo sur son eacutedifice raquo

77

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le dit un texte du temple de Seacuteti Ier agrave Abydos 20 Le roi meurt-il Crsquoest laquo le faucon qui srsquoenvole au ciel 2 raquo pour rentrer dans le sein du dieu 22 dont il est issu

Sans doute ce sont lagrave figures de langage qui rappellent seulement des ideacutees et auxquelles on nrsquoattachait plus un sens litteacuteral Toutefois une tradition mon-tre combien fut durable en Eacutegypte la croyance de la parenteacute reacuteelle du roi et du totem A lrsquoeacutepoque classique les temples nous conservent le tableau de lrsquounion charnelle du dieu principal de lrsquoEacutegypte Racirc 2 ou Amon-Racirc avec la femme du roi de cette laquo theacuteogamie raquo naissait lrsquoheacuteritier royal 2 Il est difficile drsquoadmettre qursquoon crucirct agrave la reacutealiteacute effective de cette union nul ne pouvait se vanter drsquoavoir vu Amon descendre du ciel pour entrer dans la couche de la reine Il est plus probable que la scegravene de la theacuteogamie eacutetait admise comme un rappel adouci de la coutume citeacutee plus haut lrsquoaccouplement de lrsquoanimal-totem avec la femme du chef

Le faucon est aussi degraves ce moment le dieu de la famille royale Dans la premiegrave-re capitale connue la laquo ville des faucons raquo Hierakonpolis les rois de la Ire dynastie eacutelegravevent un temple au Faucon ougrave Quibell a trouveacute encore une magnifique tecircte de faucon en or datant de lrsquoAncien Empire Le faucon comme dieu est devenu Horus plus tard lrsquoHorus de la mythologie classique

En reacutesumeacute le roi dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est bien vis-agrave-vis du faucon dans la situation drsquoun clansman par rapport au totem le faucon est pour lui son en-seigne son geacutenie protecteur son nom son pegravere son dieu Est-ce assez pour dire que lrsquoEacutegypte drsquoalors en est encore au reacutegime du clan toteacutemique Tel nrsquoest point mon avis Ce qui a eacuteteacute dit plus haut caracteacuterise en effet les rapports du roi avec le faucon mais du roi seul et non pas de tous les Eacutegyptiens Au moment ougrave com-mence pour nous lrsquohistoire documentaire il nrsquoy a plus en Eacutegypte drsquoautre faucon que le roi et son dieu 2 Or la vraie socieacuteteacute toteacutemique ne connaicirct ni roi ni sujets

20 V Loret l c p 20 Cf Mariette Abydos I pl 22 Maspero Contes populaires p 20 7 Lrsquoexpression srsquoemploie aussi poeacutetiquement pour dire que le roi entre au sanctuaire (Breasted l c p et 7)22 Lrsquoexpression apparaicirct par exemple dans lrsquoinscription drsquoAnna (recueil XII p 06)2 Crsquoest depuis la Ve dynastie que les rois prennent reacuteguliegraverement le titre Sa-Racirc laquo fils de Racirc raquo ce qui semble indiquer une conseacutecration de la tradition de la theacuteogamie ceci concorde avec le teacutemoignage du papyrus Westcar2 Cf A Monet Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 0 et suiv2 Le nom de laquo compagnons du faucon raquo que les textes religieux nomment shemson Hor (ayant comme signes distinctifs le chien sur lrsquoenseigne lrsquoarc et le boomerang) ne srsquoappliquent reacuteel-lement pas dans les textes historiques agrave des hommes ordinaires mais agrave des rois tregraves anciens ou des dieux mdash Cf agrave ce sujet Sethe Die Horusdiener p 2 et Ed Meyer Chronologie (tr franccedilaise) p 2

78

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tous les membres du clan y vivent sur pied drsquoeacutegaliteacute par rapport agrave leur totem laquo Le toteacutemisme pur dit Frazer est deacutemocratique crsquoest une religion drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute chaque individu de lrsquoespegravece toteacutemique en vaut un autre Si par conseacutequent un individu de lrsquoespegravece a la digniteacute de fregravere aicircneacute drsquoesprit gardien srsquoil occupe un rang supeacuterieur en digniteacute agrave tout le reste le toteacutemisme est prati-quement abandonneacute et la religion srsquoachemine en mecircme temps que la socieacuteteacute au monarchisme 26 raquo

Crsquoest preacuteciseacutement agrave cette phase de lrsquoeacutevolution que lrsquoEacutegypte semble deacutejagrave par-venue au moment ougrave les monuments les plus anciens nous la reacutevegravelent Degraves la peacuteriode de Negadah et drsquoAbydos les Eacutegyptiens qui combattent pour le roi ne sont plus des laquo compagnons de clan raquo mais des sujets

Figure 7Ash animal divin anthropomorphe

Aucun texte ne permet de dire qursquoils srsquoappellent comme le roi des Faucons le lien est relacirccheacute entre eux et le totem ils ne communiquent plus avec Hor que par lrsquointermeacutediaire du Roi Le faucon mecircme se transforme apregraves avoir eacuteteacute la source de vie et le patrimoine du clan il preacuteside aux seules destineacutees de la famille royale Son aspect srsquohumanise et cette transformation srsquoannonce degraves le temps tregraves ancien ougrave on repreacutesente lrsquoanimal toteacutemique muni de bras pour deacutefendre le roi ou saisir ses ennemis bientocirct apparaicirctront certaines figures divines composi-tes tels que le dieu Ash sur les bouchons drsquoAbydos (fig 7) ougrave un corps humain se combine avec une tecircte de leacutevrier agrave dater de ce moment les totems drsquoEacutegypte subissent la loi commune ils deviennent laquo drsquoabord de simples animaux divini-

26 toteacutemisme p 28

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

seacutes puis des dieux anthropomorphes agrave attributs animaux 27 raquo Ainsi le faucon se transforme-t-il en Horus dieu agrave corps humain hieacuteracoceacutephale Dans la ville drsquoHieacuterakonpolis le Faucon nrsquoest deacutejagrave plus un totem mais le dieu de la famille royale

Cette eacutevolution monarchique qui apparaicirct dans la religion comme dans la socieacuteteacute srsquoaccentua rapidement au fur et agrave mesure que srsquoachevait la conquecircte de lrsquoEacutegypte par les rois Faucons tels que Narmer et Ahacirc Apregraves avoir absorbeacute leur propre clan ils subjuguegraverent les clans rivaux et srsquoannexegraverent les dieux des prin-cipales villes conquises

Crsquoest ainsi que le vautour drsquoEl-Kab et lrsquoUraeligus de Bouto le roseau de Koptos et lrsquoabeille drsquoHeacuteiacleacuteopolis et agrave certains moments lrsquoanimal typhonien furent adopteacutes comme patrons royaux secondaires Le roi srsquoidentifia agrave ces dieux comme il lrsquoavait fait pour le faucon leurs signes caracteacuteris-tiques etc deacutesignegraverent comme le faucon Hor le nom et lrsquoessence mecircme du Pharaon Il en fut de mecircme pour drsquoautres emblegravemes sacreacutes le laquo tau-reau puissant raquo le laquo lion androceacutephale ou hieacuteracoceacutephale raquo (sphinx ou griffon) le crocodile mecircme (sous la forme ati) le lotus de Thegravebes e t lrsquoautre lotus du Delta Faute de documents pour chacun drsquoeux nous devons nous contenter de raisonner par analogie si le Pharaon srsquoest comporteacute vis-agrave-vis de ces dieux comme il lrsquoa fait pour le Faucon crsquoest peut-ecirctre qursquoils furent jadis comme le Faucon les totems drsquoune race conquise par le roi 28

Le souvenir srsquoen est conserveacute jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne et cette tradition persistante explique certains deacuteveloppements poeacutetiques de la lit-teacuterature officielle Voici quelles eacutepithegravetes on deacutecerne encore agrave Seacuteti Ier au deacutebut de la XIXe dynastie (vers 00 avant notre egravere)

laquo Faucon divin aux plumes bigarreacutees il traverse le ciel comme la majesteacute de Racirc chacal agrave la deacutemarche rapide il fait le tour de cette terre en une heure lion

27 Frazer toteacutemisme p 2828 Voici quelques reacutefeacuterences pour les diffeacuterents aspects du roi Roi-taureau palettes archaiuml-ques citeacutees par J Capart Les deacutebuts de lrsquoart p 2 et suiv roi-lion palette archaiumlque ibid p 22 sphinx de Tanis (G Maspero Histoire I p 0) roi-griffon pectoral de Senousret III agrave Dahchour (de Morgan I pl XXI) panneau du trocircne de Thoutmegraves IV (Davis The tomb of Thoutmosegraves iV pl VI-VIII XII) roi-crocodile pap Prisse pl IV 2 pour une allusion au roseau et agrave lrsquoabeille cf Griffith papyrus de Kahun pl III 2 le lotus et le papyrus apparais-sent comme plantes heacuteraldiques royales sur les piliers de Thoutmegraves III agrave Karnak (G Maspero Histoire II p 7)

80

Les Mystegraveres eacutegyptiens

fascinateur il bondit sur les chemins inconnus de tout pays eacutetranger taureau puissant aux cornes aceacutereacutees il pieacutetine les Asiatiques et foule les Kheacutetas 2 raquo

En reacutesumeacute ce qursquoil y a eu de toteacutemique dans lrsquoeacutetat social de lrsquoEacutegypte primitive ne nous apparaicirct plus guegravere que deacuteformeacute et ramasseacute en une seule personnaliteacute celle du roi La socieacuteteacute dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est deacutejagrave niveleacutee et sur ce terrain deacuteblayeacute les rois et les precirctres eacutelegraveveront degraves le temps des Pyramides lrsquoeacutedifice somptueux de la monarchie absolue

Tel qursquoil est devenu au cours des acircges fils des dieux dieu lui-mecircme seul possesseur du sol dispensateur de toutes les gracircces terrestres et divines seul in-termeacutediaire entre les hommes et les dieux comme sorcier et comme precirctre guide des hommes dans la vie terrestre et sur le chemin qui megravene au ciel apregraves la mort Pharaon apparaicirct dans lrsquohistoire comme la plus formidable force morale qui ait eacuteteacute jamais conccedilue Tout cela eacutetait en germe dans la reacutevolution qui a permis au roi de confisquer agrave son profil lrsquoautoriteacute du totem sur le clan toteacutemique et de concentrer en sa personne royale lrsquoessence divine de la race

Pendant les quatre mille ans que duregraverent les dynasties pharaoniques une parcelle de lrsquoideacuteal toteacutemique semble avoir persisteacute neacuteanmoins malgreacute lrsquoheacutegeacutemo-nie royale crsquoest la croyance qursquoil existe un eacuteleacutement commun entre les Eacutegyptiens le roi et les dieux Crsquoest une sorte de geacutenie de la race et de la nature entiegravere il anime agrave la fois la matiegravere dans les corps inanimeacutes la chair des ecirctres animeacutes et les faculteacutes de lrsquoesprit Pour lrsquounivers tout entier et tous les ecirctres animeacutes ou inani-meacutes ce geacutenie qursquoils appelaient le Ka (mot qui signifie comme genius force geacuteneacuteratrice et esprit protecteur) jouait le rocircle de substance commune et drsquoacircme collective Nous avons vu que pour les affilieacutes des clans toteacutemiques naicirctre crsquoest sortir du Totem pour mener une vie consciente mourir crsquoest rentrer dans le sein du Totem et srsquoy reacutesorber 260 De mecircme pour les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque posteacute-rieure naicirctre crsquoeacutetait donner au Ka lrsquooccasion de se manifester dans une forme passagegravere une existence individuelle mourir crsquoeacutetait revenir agrave son essence pri-mordiale ou comme ils disaient laquo passer agrave son Ka raquo Nous croyons donc qursquoapregraves la reacutevolution sociale et religieuse qui marque le passage de lrsquoeacutetat toteacutemique agrave la monarchie centraliseacutee quelque chose de la mentaliteacute primitive a subsisteacute dans la socieacuteteacute eacutegyptienne par cette notion du Ka Le Ka a prolongeacute la meacutetaphysique primitive puisqursquoil semble ecirctre agrave la fois laquo la substance mecircme drsquoun individu son

2 Texte drsquoIpsamboul citeacute par Guieysse ap recueil XI p 7260 Frazer toteacutemisme p Lors de la mort le clansman cherche agrave srsquoidentifier agrave son totem On apostrophe ainsi le mort laquo Tu es venu ici de chez les animaux et tu trsquoen retournes chez euxhellip Tu vas chez les animaux tu vas rejoindre les ancecirctreshellip raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

nom vivant et impeacuterissable son totem 26 raquo Les documents montrent que le Ka est tout cela au moins pour Pharaon En fait le roi drsquoEacutegypte en mecircme temps qursquoil se confond avec le ou les totems devient aussi comme la forme visible de cette acircme collective de cette substance essentielle de la race dont on avait fait jadis le totem qursquoon appelait maintenant le Ka Les autres hommes ne reve-naient agrave leur Ka qursquoapregraves leur mort le roi degraves qursquoil est introniseacute degraves qursquoil srsquoap-pelle Faucon devient le Ka des vivants geacutenie de son peuple acircme et substance de ses sujets

Figure 8Nom royal de Ka et de faucon

Aussi le roi seul parmi les ecirctres fait-il repreacutesenter agrave cocircteacute de sa forme corpo-relle ordinaire son corps essentiel si je puis dire son corps en tant que Ka en tant qursquoacircme et corps collectifs de la race Sur les tableaux des temples on le voit derriegravere le roi crsquoest une figure de dieu adolescent portant sur sa tecircte le nom du Faucon royal 262 (cf fig 26)

Cette conception qui a perseacuteveacutereacute jusqursquoaux derniers temps de la monarchie eacutegyptienne montre mieux que toute autre ce qursquoeacutetait le Pharaon pour son peu-ple on le veacuteneacuterait sur terre comme la force primordiale des ecirctres et des choses comme le Ka incarneacute Eacutecoutez la doctrine qursquoun noble de la XIIe dynastie en-seignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu Sa (la science) qui est dans les cœurs (les esprits) ses yeux explorent toute conscience crsquoest Racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre

26 V Loret l c p 20262 Cf les repreacutesentations citeacutees par A Moret l c p 7 2 222 22

82

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plus que le Nil en crue quand il emplit les deux terres de force et de viehellip Il donne les largesses agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraie son chemin Crsquoest le Ka le roi Crsquoest la surabondance sa bouche 26 crsquoest sa creacuteation (tout) ce qui existe 26 raquo

En cette qualiteacute de successeurs des dieux les rois drsquoEacutegypte se trouvent dans des conditions de vie toutes speacuteciales Nos renseignements agrave ce sujet sont peu nombreux et fort incomplets parce que nous nrsquoavons conserveacute aucun texte deacute-veloppeacute anteacuterieur agrave lrsquoeacutepoque des grandes Pyramides Mais dans le grand nom-bre de traditions bizarres que nous ont transmises sur lrsquoEacutegypte ancienne soit les auteurs classiques soit les sources nationales il srsquoen trouve dont lrsquoexplication ne srsquoeacuteclaire que par les coutumes des peuples non civiliseacutes et speacutecialement de ceux qui vivent encore en Afrique ou ailleurs dans un eacutetat social toteacutemique Ces traditions qui concernent le pharaon semblent bien nous apporter un eacutecho de la primitive histoire

En tant que faucon ou dieu le roi possegravede les privilegraveges les plus eacutetendus et le pouvoir le plus absolu il est maicirctre de la vie de ses sujets et tout le sol lui ap-partient Avec son cortegravege drsquoanimaux dompteacutes par ses charmes la tecircte ceinte de lrsquoUraeligus 26 la nuque proteacutegeacutee par le faucon ou le vautour 266 ailes deacuteployeacutees es-corteacute par le lion Pharaon est drsquoun aspect terrible et drsquoun voisinage redoutable 267 Aussi de mecircme que le sauvage tremble drsquoapercevoir son totem lrsquoEacutegyptien re-doute de voir son roi agrave moins drsquoy ecirctre inviteacute quand il est admis en sa preacutesence le sujet se voile la face de ses mains tombe prosterneacute et ne se deacutecide agrave parler que lorsqursquoil en reccediloit lrsquoordre cateacutegorique 268 Il est interdit de profeacuterer le nom per-sonnel du roi-dieu On le deacutesigne par une peacuteriphrase laquo Sa Majesteacute raquo ou on lrsquoappelle laquo Notre Maicirctre raquo Quiconque prononce en vain le nom du roi deacutechaicircne une force si puissante que nul nrsquoen saurait arrecircter les effets 26

Dans ces conditions on conccediloit que lrsquoaccegraves du palais fucirct tregraves difficile et qursquoun ceacutereacutemonial scrupuleux reacuteglacirct les audiences Comparons avec le ceacutereacutemonial eacutegyp-

26 Le roi comme les dieux creacutee toute chose rien qursquoen parlant par la force du verbe sacreacute Voir plus haut26 Stegravele de Sehetepibracirc Caire 208 (face II I et suiv)26 Cf Maspero Contes (e eacuted) p laquo la royale Uraeligus qui enveloppe ta tecircte raquo Sur ce rocircle de lrsquoUraeligus cf Ad Erman Hymnen an das Diadem der pharaonen p 7 et suiv266 Statue de Cheacutephregraven Davis tomb of Thoutmosis iV pl X267 G Maspero Histoire II p 268 Frazer toteacutemisme p 26 ibid p 2

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tien ce reacutecit drsquoune audience chez le roi des Yolofs (drsquoapregraves les observations drsquoun voyageur au deacutebut du xviiie siegravecle 270)

laquo En avanccedilant vers le roi qui nrsquoaccorde ces audiences que devant la porte du palais le sujet se met agrave genoux agrave quelque distance baisse la tecircte et prend de cha-que main une poigneacutee de sable dont il se couvre la chevelure et le visage A me-sure qursquoil approche il reacutepegravete plusieurs fois la mecircme ceacutereacutemonie (Drsquoautres avan-cent continuellement agrave genoux en se couvrant de terre et de sable pour montrer qursquoils ne sont que poussiegravere en comparaison du roi) Enfin srsquoagenouillant agrave deux pas du monarque il explique les raisons qui lui ont fait deacutesirer une audience Apregraves ce compliment il se legraveve sans oser jeter les yeux devant lui Il tient les bras eacutetendus vers ses genoux et de temps en temps il se jette de la poussiegravere sur le front Le roi paraicirct lrsquoeacutecouter peu et tourne son attention sur quelque bagatelle qui lrsquoamuse Cependant il prend un air fort grave agrave la fin de la harangue et sa reacuteponse est un ordre auquel les suppliants nrsquoosent reacutepliquer Ils se confondent ensuite dans la foule des courtisans raquo

Voici comment au temps de la XIIe dynastie le prince Sinouhit de retour drsquoun exil en Asie se preacutesentait devant Pharaon 27 laquo Dix hommes vinrent pour me mener au palais Je touchai la terre du fronthellip puis on me conduisit au logis du roi Je trouvai Sa Majesteacute sur la grande estrade dans lrsquoembrasure de vermeil et je me jetai sur le ventre je perdis connaissance devant lui Ce dieu mrsquoadressa des paroles aimables mais je fus comme un individu qui est pris dans le creacute-puscule mon acircme deacutefaillit mes membres se deacuterobegraverent mon cœur ne fut plus dans ma poitrine et je connus quelle diffeacuterence il y a entre la vie et la mort raquo hellip Puis quand la parole lui est revenue Sinouhit profegravere drsquoune voix balbutiante laquo Me voici devant toi tu es la vie que Ta Majesteacute agisse agrave son plaisir raquo Alors Sa Majesteacute dit agrave la Reine laquo Voilagrave Sinouhit qui vient semblable agrave un Asiatique comme un Beacutedouin qursquoil est devenu raquo Elle poussa un tregraves grand eacuteclat de rire et les Infants royaux srsquoesclaffegraverent tous agrave la fois

On remarquera le trait final Lorsque le roi rit toute lrsquoassistance rit drsquoune seule bouche crsquoest encore une coutume respectueuse vis-agrave-vis drsquoun roi-dieu Chez les non-civiliseacutes lorsque le roi tousse rit ou pleure toute lrsquoassistance par politesse et respect fait de mecircme

Le roi primitif srsquoil a comme dieu tous les pouvoirs est par contre-partie

270 Walckenaer Histoire des voyages IV p 227 G Maspero Les contes populaires de lrsquoeacutegypte ancienne e eacutedit p 8

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soumis agrave des obligations rigoureuses M Frazer lrsquoa dit en termes excellents laquo La personne du roi est consideacutereacutee comme le centre dynamique du monde de lagrave sa force rayonne partout le moindre de ses gestes un mouvement de sa tecircte ou de ses bras peut troubler la nature Sur lui repose lrsquoeacutequilibre du monde la moindre faute de sa part peut tout deacuteranger Il doit donc prendre les plus gran-des preacutecautions toute sa vie doit ecirctre minutieusement reacutegleacutee dans les moindres deacutetails raquo mdash De lagrave les interdictions de faire telle ou telle chose de manger telle ou telle chose qui ont pour but de creacuteer autour du roi une zone drsquoisolement Ce sont les tabous Existaient-ils en Eacutegypte

Nous les connaissons mal mais il semble qursquoil y en ait eu de seacutevegraveres au moins agrave lrsquoeacutepoque tregraves ancienne Une tradition conserveacutee par Diodore (I 70) nous dit que laquo la vie des Pharaons eacutetait reacutegleacutee jusque dans ses moindres deacutetails ils ne devaient manger que du veau et de lrsquooie et ne boire qursquoune certaine quantiteacute de vin raquo Ces indications sont vraies en principe on a trouveacute dans les temples eacutegyptiens des listes 272 qui donnent pour chaque Nome agrave cocircteacute des noms des dieux des temples des precirctres la mention de la chose deacutefendue (bout) du tabou qui est le plus souvent un mets dont lrsquousage est interdit dans cette reacutegion Nul doute que le roi grand precirctre dans chaque temple ne fut astreint agrave lrsquoobservation des tabous au moins quand il se trouvait dans la reacutegion ougrave ce tabou devait ecirctre observeacute Quant aux regravegles de vie imposeacutees au Pharaon nous les ignorons Sou-haitons pour eux qursquoelles aient eacuteteacute moins strictes que celles auxquelles le Mikado eacutetait encore asservi il y a 200 ans 27

laquo Les princes de cette famille sont regardeacutes comme sacreacutes comme pontifes de naissance Ils sont obligeacutes de mener une vie toute speacuteciale Ils ne peuvent toucher le sol avec leurs pieds on les porte donc constamment Le Mikado ne peut ecirctre exposeacute agrave lrsquoair ni au soleil Son corps est sacreacute agrave un tel point qursquoil ne coupe ni ses cheveux ni ses ongles ni sa barbe On le lave pendant son sommeil ce qursquoon enlegraveve alors de son corps est consideacutereacute comme un vol qui ne porte aucun preacuteju-dice agrave sa sainteteacute Il devait jadis rester assis chaque matin plusieurs heures sur son trocircne sans remuer fut-ce une paupiegravere De son immobiliteacute deacutependaient la paix et le bonheur de son empire On a transfeacutereacute ce privilegravege agrave la couronne royale qui seule aujourdrsquohui est placeacutee sur le trocircne pendant plusieurs heures chaque matin Les mets du Mikado sont preacutepareacutes chaque fois dans des plats neufs par eacuteconomie ces plats sont en terre commune et ne servent qursquoune fois

272 Brugsch Dictionnaire geacuteographique p 627 Frazer Le rameau drsquoor I p 72 drsquoapregraves la relation de Kaempfer

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On les brise ensuite car si un profane srsquoen servait il aurait une inflammation de la bouche et de la gorge Les vecirctements feraient de mecircme enfler celui qui les porterait sans lrsquoautorisation du Mikado raquo

Le principal service que lrsquoon attende de ces rois-dieux crsquoest de commander agrave la nature On leur precircte le pouvoir de faire tomber la pluie briller le soleil pous-ser les reacutecoltes agrave ce titre on les appelle chez les non-civiliseacutes les rois du temps de lrsquoeau du feu des moissons

Ces pouvoirs on les precirctait certainement aux Pharaons primitifs Si en Eacutegyp-te les sorciers passaient pour avoir la puissance drsquoarrecircter le cours des astres et des fleuves de renverser le ciel ou la terre de faire agrave volonteacute la nuit ou le jour la pluie ou le beau temps nul doute que le Pharaon laquo le maicirctre des charmes magiques agrave qui Thot lui-mecircme avait enseigneacute tous ses secrets 27 raquo ne fucirct estimeacute plus capable encore que nrsquoimporte quel autre magicien drsquoagir agrave son greacute sur la nature Drsquoailleurs des traditions ou les attestations des monuments permettent de preacuteciser ces pouvoirs

Comme roi de lrsquoeau Pharaon commandait peut-ecirctre rarement la pluie car il ne pleut pas souvent en Eacutegypte ougrave lrsquoinondation peacuteriodique du Nil suppleacutee aux eaux du ciel Mais crsquoest Pharaon qui fait venir la crue par ses priegraveres (fig 0) ou ses incantations Nous savons par les stegraveles graveacutees agrave Silsilis au temps de Ramsegraves II qursquoau premier jour de la crue agrave la date ougrave du ciel tombait eacutechappeacutee aux yeux de Nout ou drsquoIsis la goutte drsquoeau qui deacuteclenche lrsquoinondation fertilisante le roi jetait lui-mecircme au fleuve un ordre eacutecrit de commencer la crue 27 crsquoeacutetait sans doute une formule magique de puissance irreacutesistible Quand les mineurs de la reacutegion de lrsquoEtbaye vinrent dire au roi Ramsegraves II que sur la route suivie par eux et leurs acircnes tous les puits eacutetaient taris Pharaon convoqua ses conseillers et ses magiciens et ceux-ci dirent au roi laquo Si tu dis agrave lrsquoeau ldquo Viens sur la montagne rdquo les eaux ceacutelestes sortiront tocirct agrave lrsquoappel de ta bouche 276 raquo Ramsegraves II fit forer des puits arteacutesiens qui permirent drsquoameacuteliorer le rendement des citernes mais dans lrsquoesprit du peuple lrsquoordre du roi avait suffi lrsquoeau avait surgi docile agrave sa voix

27 Sethe Urkunden IV p -2027 Aegyptische Zeitschrift 87 p 2276 stegravele de Kouban I 7

86

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ramsegraves III moissonne et implore le dieu Nil qui donne lrsquoabondance agrave lrsquoEacutegypte

Meacutedinet-Abou 277

Pharaon est aussi comme les autres rois primitifs roi du feu ceacuteleste la foudre Sa tecircte est ceinte de lrsquoUraeligus qui crache le feu agrave travers lrsquoespace ceacuteleste pareille agrave la comegravete eacutecheveleacutee sa voix terrifie ses ennemis par des hem hem 278 il est pareil agrave ces rois de Tahiti dont la voix est le tonnerre 27 Ne brandit-il pas le sceptre descendu du ciel en ses mains comme un carreau de foudre 280

Enfin roi des moissons Pharaon deacutefriche la terre avec le hoyau et preacuteside aux semailles 28 faucille en main crsquoest lui qui coupe la gerbe de bleacute 282 dans ces champs dont lrsquoabondance est due au Nil deacutebordeacute agrave son commandement Une tradition conserveacutee par les auteurs affirme la responsabiliteacute des animaux sacreacutes les anciens totems et du roi leur substitut laquo Lorsque dit Plutarque 28 il survient une chaleur excessive et pernicieuse qui produit ou des eacutepideacutemies ou drsquoautres calamiteacutes extraordinaires les precirctres font choix de quelques-uns des animaux sacreacutes et les emmenant avec le plus grand secret dans un lieu obscur

277 Drsquoapregraves un clicheacute obligeamment communiqueacute par M Lepage278 stegravele de Thoutmegraves iii 827 Frazer Le rameau drsquoor I p 7280 Sur la forme speacuteciale de certains sceptres royaux cf A Moret Du caractegravere religieux p 228 Un roi archaiumlque le laquo Scorpion raquo manie le hoyau assisteacute drsquoun servant qui tient le boisseau des grains pour les semailles sur une tecircte de massue sculpteacutee conserveacutee agrave Oxford Cf Quibell Hierakonpolis I pi XXVI c et J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte p 22-2282 Paneacutegyrie de Min au Ramesseum (Ramsegraves II) L D III 6 agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) L D III 22 b28 De iside et Osiride 7

87

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ils cherchent drsquoabord agrave les effrayer par des menaces si le mal continue ils les eacutegorgent et les offrent en sacrifice soit pour punir le mauvais geacutenie soit comme une des plus grandes expiations qursquoils puissent faire raquo Drsquoapregraves Ammien Marcel-lin (XXVIII ) ce ne sont point les animaux sacreacutes mais les rois eux-mecircmes qui sont responsables des calamiteacutes publiques de la guerre des mauvaises reacutecol-tes 28 Rapprochons de ces textes la tradition biblique qui impute aux Pharaons de Joseph ou de Moiumlse les sept anneacutees de famine et les dix plaies de lrsquoEacutegypte 28 la stegravele apocryphe du roi Deser ougrave un Pharaon de lrsquoeacutepoque archaiumlque cherche dans des grimoires magiques les moyens de conjurer la famine et la seacutecheresse 286 les leacutegendes maneacutethoniennes sur les rois Ameacutenophis 287 et Bocchoris 288 jugeacutes responsables de la santeacute publique lors drsquoune eacutepideacutemie de peste et nous aurons la certitude que les Eacutegyptiens comme certains non-civiliseacutes rendaient le roi res-ponsable des deacutefaillances de la nature 28

Ajoutons de suite le correctif neacutecessaire de bonne heure les Pharaons qui ont su si bien transformer en monarchie absolue le clan toteacutemique ont eacuteteacute assez avi-seacutes pour eacutechapper agrave leurs responsabiliteacutes Preuve en est la faccedilon dont ils semblent avoir corrigeacute agrave leur profit une coutume fort barbare qursquoon applique souvent aux rois des populations primitives

Cette coutume a eacuteteacute preacuteciseacutee par M Frazer en ces termes 20 laquo Les peuples primitifs croient souvent que leur seacutecuriteacute et celle du monde en-

tier deacutependent de la vie drsquoun de ces hommes-dieux qui incarnent agrave leurs yeux la diviniteacute Naturellement ils prennent le plus grand soin drsquoune vie aussi preacutecieuse en songeant surtout agrave conserver la leur Mais rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourirhellip Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastrophes ne se produiront pas lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de

28 En Germanie laquo rex ritu veteri potestate deposita rernovetur si sub eo fortuna titubaverit belli vel segetum copiam negaverit terra ut solent Aegyptii casus ejusmodi suis adsignare rectoribus raquo28 genegravese xli exode X 27286 Brugsch Die sieben biblisehen Jahre der Hungersnoth texte I I et suiv287 Josegravephe C Apion I 26288 A Moret De Bocchori rege p et suiv28 Cf Frazer Le rameau drsquoor I p 7 laquo Partouthellip le roi doit ecirctre consideacutereacute par ses sujets comme la source drsquoabondantes beacuteneacutedictions et de graves dangers Drsquoune part il fait tomber la pluie luire le soleil souffler les vents favorables mais drsquoautre part ce qursquoil donne il peut le refuser et la moindre irreacutegulariteacute commise par lui peut provoquer un cataclysme raquo20 Le rameau drsquoor II p -

88

Les Mystegraveres eacutegyptiens

transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Le meurtre rituel du roi quand lrsquoacircge commence agrave lrsquoaffaiblir srsquoest pratiqueacute chez la plupart des peuples sauvages ou demi-civiliseacutes en Afrique aux Indes en Australie au Mexique partout on retrouve cette coutume Parfois le peuple nrsquoat-tendait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau XVIe siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans Nous renvoyons au livre de Frazer pour le deacutetail et nous y ajouterons celui-ci dans la reacutegion du Haut-Nil (districts de Fachoda) les rois du Shilluk sont encore actuellement soumis agrave ce reacutegime meurtrier 2 Quand le roi du Shilluk montre des signes de seacuteniliteacute ou de maladie un de ses fils a le droit drsquoessayer de tuer son pegravere en peacuteneacutetrant de nuit aupregraves de lui Aussi le roi assurent les voyageurs ne dort-il que le jour et se tient-il eacuteveilleacute tout ou partie de la nuit En drsquoautres cas lrsquohonneur de tuer le roi revient aux membres drsquoune fa-mille de lrsquoaristocratie ils annoncent au roi que son heure de mourir est venue en jetant sur sa figure et ses genoux une piegravece drsquoeacutetoffe pendant son sommeil puis le roi est mureacute dans une cabane il y meurt de famine ou drsquoasphyxie agrave moins qursquoon ne lrsquoait preacutealablement eacutetrangleacute

Partout comme bien on pense les rois se sont efforceacutes drsquoeacutechapper agrave cette lamentable fin Ils y arrivegraverent les uns par la violence les autres en faisant ad-mettre des atteacutenuations progressives et la substitution de victimes reacuteelles ou fic-tives 22 Mais ces substitutions nrsquoeacutetaient toleacutereacutees qursquoagrave une condition crsquoest que le roi vieilli reccedilucirct du meurtre rituel fictif ou reacuteel un renouveau de jeunesse et de santeacute le sang verseacute de la victime reacutegeacuteneacuterait son corps affaibli par une sorte de baptecircme et de renaissance

Les premiers Pharaons durent-ils srsquoassujettir agrave ce sacrifice barbare Il eacutetait pra-tiqueacute disent les auteurs classiques dans une reacutegion toute voisine de lrsquoEacutegypte le pays de Meacuteroeacute dans le Haut-Nil laquo Les rois eacutethiopiens de Meacuteroeacute eacutetaient adoreacutes comme des dieux mais quand les precirctres le voulaient ils leur envoyaient par un messager lrsquoordre de se tuer ordre soi-disant reccedilu des dieux Jusqursquoau regravegne drsquoErgamegravene contemporain de Ptoleacutemeacutee II les princes eacutethiopiens obeacuteirent tou-jours agrave cet ordre Mais Ergamegravene avait reccedilu une eacuteducation grecque qui lrsquoavait affranchi des superstitions de ses concitoyens loin drsquoobeacuteir aux precirctres il entra

2 Seligmann The cult of nyakong end the divine Kings of the shilluk p 22 (IV Report of the Wellcome tropical research laboratories at the Gordon college Khartoum Vol B General Science )22 Voir plus loin rois de Carnaval p 22

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans le Temple drsquoor agrave la tecircte drsquoune troupe de soldats et fit passer les precirctres au fil de lrsquoeacutepeacutee 2 raquo

Pour lrsquoEacutegypte mecircme il ressort des documents que les Pharaons avaient depuis bien des siegravecles tourneacute la loi sanguinaire mais lrsquoexistence mecircme de cette loi dans lrsquoEacutegypte primitive me semble incontestable

Dans la plupart des temples drsquoEacutegypte et de toutes les eacutepoques des tableaux nous retracent les scegravenes principales drsquoune fecircte solennelle appeleacutee laquo fecircte de la queue raquo fecircte sed Elle consistait essentiellement en une repreacutesentation de la mort rituelle du roi suivie de sa renaissance 2

Figure 0laquo Osorkon II repose agrave lrsquointeacuterieur du tombeau raquo en preacutesence des dieux et de son ka lors de la fecircte Sed Au-dessous precirctres vecirctus de la peau

En cette circonstance le roi est identifieacute agrave Osiris le dieu qui agrave lrsquoeacutepoque histo-rique est le heacuteros du drame sacreacute de lrsquohumaniteacute qui nous guide agrave travers la triple eacutetape vie mort renaissance en lrsquoautre monde Aussi vecirctu du funeacuteraire drsquoOsi-ris le maillot collant en forme de linceul Pharaon est-il conduit au tombeau 2

2 Frazer Le rameau drsquoor II p 7 Cf Diodore III 6 Strabon XVII 2 2 Cf Fl Petrie researches in sinaiuml p 82 et suiv The palace of Apries (Memphis ii) p 8 et suiv2 Petrie gurneh pl V-VII et texte p cl Ed Naville The Festival Holl of Osorkon ii pl X notre fig 0

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

il en revient rajeuni et renaissant tel qursquoOsiris au sortir de la mort Comment se reacutealisait cette fiction et srsquoopeacuterait ce miracle par le sacrifice de victimes humaines ou animales Un precirctre se couche pour le compte du roi dans la peau de la vic-time animale il y prend la position caracteacuteristique qursquoa le fœtus dans le sein de la megravere quand il sortira de la peau il sera censeacute renaicirctre Pharaon pour qui ce rite est ceacuteleacutebreacute renaicirct lui-mecircme ou pour employer lrsquoexpression eacutegyptienne laquo il renouvelle ses naissances raquo Et en teacutemoignage que les rites ont eacuteteacute accomplis le roi ceint ses reins de la queue abreacutegeacute de la deacutepouille de la becircte sacrifieacutee (drsquoougrave le nom laquo fecircte de la queue raquo)

Comment srsquoexpliquer qursquoagrave un moment de son regravegne tout Pharaon doive su-bir cette mort rituelle suivie drsquoune renaissance fictive Srsquoagit-il seulement drsquoun renouvellement de lrsquoinitiation osirienne ou la fecircte offre-t-elle des caractegraveres plus particuliers Le rocircle drsquoailleurs mal deacutefini joueacute dans ces rites par les enfants royaux me semble indiquer que la fecircte sed met en scegravene drsquoautres eacutepisodes re-latifs agrave la transmission de la charge royale En Eacutegypte agrave lrsquoeacutepoque ougrave srsquoeacutebauchait la civilisation le peuple a peut-ecirctre connu lrsquoalternative ou de mettre agrave mort son roi en pleine vigueur afin que sa force soit transmise intacte au successeur ou de srsquoingeacutenier agrave rajeunir ce roi et agrave laquo renouveler sa vie raquo Ce dernier moyen les Pharaons lrsquoont trouveacute quoi de plus efficace que de srsquoidentifier agrave Osiris de srsquoappliquer agrave eux-mecircmes les proceacutedeacutes de reacutesurrection ces rites funeacuteraires par lesquels Isis au dire des precirctres avait magiquement sauveacute de la mort son eacutepoux Peut-ecirctre la mort fictive du roi apparaicirct-elle comme une atteacutenuation du meurtre primitif du roi-dieu une transition de la reacutealiteacute barbare aux symboles 26

Or si les monuments de lrsquoeacutepoque classique nous ont pieusement deacutecrit ces rites encore en vigueur nous constatons qursquoagrave lrsquoeacutepoque archaiumlque presque tous les monuments royaux se rapportent justement agrave des eacutepisodes de la fecircte Sed 27 Voici sur la palette de Narmer le cortegravege solennel de la fecircte le roi se dirige vers le pavillon des fecirctes Sed devant lui trois des enseignes toteacutemiques deux faucons un chacal et le fœtus preacutesage de la renaissance derriegravere lui un officiant que deacutesigne le mot laquo celui agrave prendre raquo (la victime) deacutejagrave revecirctu de la peau de becircte Crsquoest lui qui passera par la peau de la victime agrave moins qursquoil ne soit reacuteellement sacrifieacute Drsquoailleurs le roi assomme de sa propre main ou fait deacutecapiter un cer-

26 Sur lrsquouniversaliteacute de ces sacrifices rituels du roi et la survivance de ces ideacutees jusqursquoagrave notre eacutepoque voir plus bas rois de Carnaval27 A Moret Du caractegravere religieux p 20 2 262 cf Petrie royal tombs I pl VIII XI Les plus importants des monuments royaux sont les palettes votives dont les principales ont eacuteteacute reproduites par Legge (proceedings s B A XXII) cf J Capart l c p 22-2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tain nombre de prisonniers de guerre dont la vie freacutemissante assurera le rachat de la seacuteniliteacute royale 28

Apregraves le sacrifice le roi deacutejagrave revecirctu du maillot osirien est introniseacute en grand apparat Devant lui on amegravene les laquo enfants royaux raquo soit que le roi doive srsquoasso-cier son fils agrave ce moment (pour que la digniteacute royale continue drsquohabiter un corps jeune et vigoureux) soit que lrsquoheacuteritier soit preacutesent comme garantie de lrsquoavenir Et le roi exeacutecute une danse rituelle en lrsquohonneur des dieux les animaux eux-mecirc-mes tournent dans une aire comme pour un taurobole sacreacute La fecircte se termine par un sacrifice et des fondations de temples en lrsquohonneur des dieux protecteurs du roi et du roi-dieu lui-mecircme 2

Que conclure en outre de la preacutesence degraves lrsquoaube de lrsquoeacutepoque archaiumlque de certains traits comme le costume osirien 00 lrsquoenseigne du fœtus Crsquoest que les rois drsquoHierakonpolis de Negadah et drsquoAbydos ont su non seulement imposer la substitution drsquoune victime agrave eux-mecircmes pour le sacrifice royal mais ont fait deacutejagrave accepter agrave leurs sujets la leacutegende divine drsquoOsiris la substitution des victimes srsquoappuie deacutesormais sur lrsquoautoriteacute drsquoune reacuteveacutelation divine Si le peuple drsquoEacutegypte admet degraves cette eacutepoque que le roi peut laquo renouveler sa vie raquo au fur et agrave mesure qursquoil avance en acircge crsquoest que le dogme de la reacutedemption par le dieu Osiris a deacutejagrave produit dans les esprits une reacutevolution morale lrsquohistoire de la passion de la mort de la reacutesurrection du dieu avait ouvert aux hommes les perspectives drsquoun rajeunissement eacuteternel dont les rois ont eacuteteacute ici-bas et de leur vivant les premiers beacuteneacuteficiaires

Ainsi depuis quinze agrave vingt ans la science des origines de lrsquoEacutegypte a notable-ment progresseacute Les neacutecropoles archaiumlques nous ont livreacute au moins un de leurs secrets

Cette orgueilleuse monarchie eacutegyptienne qui se campait agrave lrsquoentreacutee de lrsquohistoire mdash comme les Pyramides son symbole agrave lrsquoentreacutee du deacutesert mdash et qui derriegravere son profil imposant masquait lrsquoeacutetendue du passeacute elle ne srsquoest pas eacutedifieacutee lagrave tout drsquoun coup Elle srsquoest faite bloc agrave bloc conquecircte apregraves conquecircte au cours de siegravecles teacuteneacutebreux qui remontent vers lrsquoinconnu vers ces temps ougrave lrsquoEacutegypte est morceleacutee en clans diviseacutee en tribus ennemies mais srsquoachemine peu agrave peu drsquoun Eacutetat deacute-mocratique sous lrsquoeacutegide des totems agrave lrsquoautocratie pure sous lrsquoeacutegide du Pharaon Apregraves combien de siegravecles srsquoopeacutera cette transformation quelle fut lrsquohistoire agiteacutee

28 Quibell Hierakonpolis pl XXIX J Capart l c p 262 Cf la masse drsquoarmes sculpteacutee Quibeli Hierakonpolis pl XXVI B La mecircme ap J Capart p 2 la course du roi est sur la tablette du roi Den ap Petrie royal tombs I pl XI et XV00 A Moret Du caractegravere religieux p 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de ces clans comment le clan lui-mecircme srsquoest formeacute et srsquoil srsquoest deacuteveloppeacute agrave la fa-ccedilon des clans toteacutemiques dans les autres pays non civiliseacutes autant de problegravemes qui restent agrave reacutesoudre

Le fait essentiel agrave retenir de ces investigations crsquoest que le premier groupe-ment social connu dans lrsquohistoire rappelle lrsquoorganisation toteacutemique des peupla-des sauvages drsquoaujourdrsquohui Si chez ces sauvages le toteacutemisme apparaicirct comme un rudiment de vie sociale est-il hasardeux drsquoinfeacuterer qursquoen Eacutegypte nous tou-chons mdash provisoirement mdash au point de deacutepart de lrsquohumaniteacute historique en mar-che vers la civilisation

Ces premiegraveres annales de lrsquohistoire ont une grandeur eacutemouvante La frater-niteacute le communisme lrsquoaltruisme auraient-ils donc eacuteteacute la religion des premiers acircges Ne nous laissons pas entraicircner vers des speacuteculations trop flatteuses Cette socieacuteteacute primitive se reacutevegravele agrave nous sous des eacutetendards de guerre en des scegravenes de massacre Pourtant lrsquoheacuteritier du roi-totem est une sorte de dieu la providence de son peuple qursquoil sauve en srsquoimmolant tant drsquoabneacutegation lui aurait fait deacutecer-ner par Carlyle la palme de premier heacuteros de lrsquohistoire si Carlyle avait connu ce lointain ancecirctre

Hacirctons-nous drsquoajouter que si la ligneacutee pitoyable et sublime de tels heacuteros a pu durer des milleacutenaires dans certains pays comme lrsquoEacutethiopie lrsquoEacutegypte a produit une race drsquohommes plus aviseacutes De bonne heure nous lrsquoavons vu Pharaon nrsquoa gardeacute du roi-dieu que les obligations agreacuteables et les privilegraveges glorieux il en a prudemment eacuteludeacute les charges surtout il a eacutechappeacute agrave la fataliteacute du meurtre final Politique retors precirctre subtil Pharaon nrsquoa pas briseacute avec la tradition il a adopteacute au lieu de les abattre les drapeaux ennemis il a preacuteposeacute drsquoautres victimes au sacrifice qursquoon exigeait de lui et inventeacute une meacutethode de rajeunissement qui ne le forccedilait ni agrave se deacutemettre ni agrave se tuer Les Eacutegyptiens reacuteclamaient des dieux un roi qui fucirct toujours jeune et vigoureux Pharaon a rempli ce vœu agrave tel point que la monarchie eacutegyptienne a fleuri forte et vivace pendant quatre mille ans

Iv

Le laquo ka raquo des eacutegyptIens est-IL un ancIen toteM

Le mot ka deacutefinit une conception qui joue un rocircle tregraves important dans la vie religieuse des anciens Eacutegyptiens Les dieux les rois les simples humains et mecircme des choses (par exemple certains eacutedifices) possegravedent un ka drsquoune faccedilon tregraves geacuteneacuterale il deacutesigne le principe de vie animeacutee ou inanimeacutee La traduction de ce mot est fort difficile car elle suppose une interpreacutetation

Lepage-Renouf dans une eacutetude exhaustive 0 a mis en lumiegravere les diffeacuterents aspects du ka tour agrave tour image genius dieu protecteur double spirituel mais il ne traduit point le mot Maspero a proposeacute de rendre ka par double 02 parce que le ka du roi est souvent repreacutesenteacute agrave cocircteacute du Pharaon comme laquo une sorte drsquoombre claire analogue agrave un reflet agrave une projection vivante et coloreacutee de la figure humaine un double qui reproduisait dans ses moindres deacutetails lrsquoimage entiegravere de lrsquoobjet ou de lrsquoindividu auquel il appartenait 0 raquo Ce sens double a eacuteteacute longtemps admis sans discussion Cependant Lefeacutebure preacutefeacuterait traduire geacute-nie 0 parce que la racine ka deacutetermineacutee par le taureau ou le phallus deacutesigne le taureau il semble par conseacutequent que si le ka exprime une forme drsquoacircme crsquoest au sens de geacutenie ce terme eacutetant lui aussi apparenteacute aux ideacutees de race γένος et de geacuteneacuteration Tout derniegraverement Steindorff 0 a contesteacute que le ka des rois soit une effigie agrave la ressemblance du Pharaon et que le ka des hommes ait jamais eacuteteacute repreacutesenteacute par les statues funeacuteraires ideacutee preacuteconiseacutee par Maspero 06 il a soutenu cette thegravese le ka est une image distincte du portrait du roi et plutocirct un laquo dieu protecteur raquo qui garde le roi pendant sa vie et dont on met la statue dans le tombeau royal pour proteacuteger le Pharaon dans lrsquoautre monde Drsquoautre part

0 On the sens of an important egyptian Word ap transactions of society of Biblical Archaeligology VI (878) p et suiv02 eacutetudes de mythologie et drsquoarcheacuteologie I p 7 et suiv0 Histoire I p 080 sphinx I p 080 Der Ka und die grabstatuen (Zeitschrift fuumlr aegyptische sprache XLVIII p 2 et suiv) Maspero a deacutefendu sa thegravese dans une reacuteponse Le laquo Ka raquo des Eacutegyptiens est-il un geacutenie ou un double parue dans Memnon VI 2- 206 eacutetudes de mythologie I p 7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

F von Bissing 07 relevant les textes ougrave la racine ka (au pluriel kaou) deacutesigne les aliments les offrandes et en geacuteneacuteral tout ce qui sert agrave sustenter la vie voit dans le ka une personnification laquo de ce qui dans lrsquohomme deacutepend de la nourriture et de lrsquoalimentation raquo un principe de vie et de force mateacuterielle Enfin degraves 06 Loret a preacutesenteacute une deacutefinition inteacuteressante et nouvelle laquo le ka drsquoun individu crsquoest sa substance mecircme son nom impeacuterissable son totem 08 raquo Mais Loret nrsquoa pas justifieacute dans le deacutetail son interpreacutetation 0 qui a passeacute inaperccedilue

La diversiteacute de ces traductions laquo double geacutenie dieu protecteur principe de vie mateacuterielle et intellectuelle totem raquo prouve au moins ceci crsquoest que lrsquoideacutee de ka est complexe plus qursquoon ne lrsquoavait soupccedilonneacute Il convient donc de preacuteciser les ideacutees ou les faits qui se rattachent au ka eacutegyptien

Sur les monuments les plus anciens les vases de lrsquoeacutepoque protohistorique le ka nous apparaicirct drsquoabord comme une enseigne de collectiviteacute 0 du type de celles qui ont persisteacute dans lrsquoEacutegypte historique et servent d rsquo e m b l egrave m e aux nomes eacutegyptiens Mais le signe ne srsquoest pas conserveacute dans cet emploi bien que dans lrsquoeacutecriture on ait gardeacute lrsquohabitude drsquoeacutecrire le mot ka par le signe des bras sur le pavois

Tregraves freacutequent au contraire depuis lrsquoeacutepoque archaiumlque et jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne est lrsquousage du ka comme nom Crsquoest une eacutepithegravete qursquoon accole aux noms des simples particuliers speacutecialement agrave lrsquoeacutepoque primitive il apparaicirct sur certaines stegraveles de Negadah et drsquoAbydost deacutedieacutees agrave tel ou tel indi-vidu laquo ka consacreacute raquo ka iahou Pris comme nom de particuliers lrsquousage ne srsquoen veacuterifie guegravere qursquoagrave la peacuteriode primitive Au contraire le ka est par ex-cellence agrave toutes les eacutepoques en relation avec le nom du roi Il srsquoeacutecrit alors par deux bras leveacutes supportant un plan rectangulaire drsquoeacutedifice agrave lrsquointeacuterieur du plan est un nom exprimant une qualiteacute laquo le batailleur raquo laquo le fort raquo le laquo veacuteneacuterable raquo etc

07 Versuch einer neuen erkaumldrung des Karsquoi (apud sitzberg Bayerischen Akad Maumlrz 0)08 Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Museacutee Guimet Bibl de vulgarisation t xix p 20)0 Cf revue eacutegyptologique 0 t XI p 87 Jrsquoespegravere pouvoir eacutetablir sous peu que ce mot ka deacutesigne agrave lrsquoorigine le totem personnel royal crsquoest-agrave-dire le Faucon En attendant et sans en faire la deacutemonstration pour le moment je me contenterai de dire que ce mot ka deacuterive drsquoune racine signifiant laquo engendrer raquo Le ka royal est donc laquo ce qui se perpeacutetue par engendrement raquo mdash De-puis Loret nrsquoa pas agrave ma connaissance donneacute drsquoautre exposeacute que la phrase citeacutee dans le texte et publieacutee en 060 V Loret revue eacutegyptologique XI p 80 fig et 6 Cf les stegraveles drsquoAbydos reproduites par de Morgan recherches sur les origines de lrsquoeacutegypte II p 2 20 Petrie royal tombs I pl XXXI-XXXII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et au-dessus on dessine lrsquoimage du faucon Comme le faucon est devenu par la suite le dieu Horus on a pris lrsquohabitude drsquoappeler ce nom de ka = le nom drsquoHo-rus 2 Il est bien connu que tout pharaon agrave son couronnement reccediloit un nom drsquoHorus crsquoest-agrave-dire un nom de ka Or le nom en Eacutegypte comme dans les autres socieacuteteacutes primitives est une veacuteritable deacutefinition de lrsquoessence intime des ecirctres la formule magique de sa nature secregravete que le mot eacutecrit reacutevegravele aux yeux crsquoest pourquoi quand on connaicirct le nom drsquoun ecirctre ou drsquoune chose on les tient en son pouvoir Parfois on repreacutesente ce nom muni de bras maniant des at-tributs (fig ) comme il arrive aussi pour le faucon crsquoest montrer que le nom nrsquoest pas seulement un symbole repreacutesentatif mais un ecirctre vivant et agis-sant Enfin pour les Eacutegyptiens les notions de ka et le nom royal se confondent si bien qursquoon trouve souvent le mot deacutetermineacute par le cartouche qui ceint le nom royal

Le ka nom du roi est donc la notation graphique de ce qursquoil y a drsquoessentiel dans la personne du roi Cependant le ka conserve une figure distincte de la figure royale A Louxor Deir-el-Bahari Dendeacuterah Erment dans les tableaux qui repreacutesentent la naissance du Pharaon 6 on voit naicirctre avec celui-ci le ka du roi sous la forme drsquoun enfant pareil agrave lrsquoenfant royal quand le roi devient adulte le ka grandit aussi mais tandis que le roi vieillit le ka se fixe dans la forme adulte 7 et drsquoaspect toujours jeune il ne semble pas subir les atteintes du temps 8

2 G Maspero sur les quatre noms officiels des rois drsquoeacutegypte (eacutetudes eacutegyptiennes II p 27 et suiv) et Histoire I p 28 et suiv cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 7 et suiv E Lefeacutebure Le nom dans lrsquoancienne eacutegypte (ap sphinx I p 06 et suiv) A Moret Du caractegravere religieux p 7 222 V Loret l c p 20 cf Brugsch Woumlrterbuch p 6 A Moret Du caractegravere religieux p 87 Crsquoest lrsquoaspect de la statue du ka du roi Hor Iouibracirc (De Morgan Dahchour I pl XXXIII)8 Crsquoest ce qursquoa bien montreacute Steindorff l c p 7-8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ameacutenophis III sacrifiant agrave Amon Derriegravere le roile laquo ka royal vivant raquo sous forme de nom animeacute

Drsquoailleurs le ka diffegravere du type consacreacute de la personne royale il porte la perruque divine la barbe divine et non la barbe carreacutee il nrsquoa pas lrsquoUraeligus au front sur sa tecircte se dresse le agrave la main il tient une hampe surmonteacutee drsquoune tecircte de ka 20 parfois comme les dieux le ka royal nrsquoa pas besoin du corps humain seul le signe hieacuteroglyphique muni de bras qui portent les insignes suffit agrave le repreacutesenter 2 On reconnaicirct agrave ces particulariteacutes que la figure du ka royal est celle drsquoun dieu Enfin quand le ka accompagne le roi il est toujours repreacutesenteacute derriegravere celui-ci crsquoest-agrave-dire dans lrsquoattitude de garde ( sa) 22 Drsquoougrave il suit que le ka est lagrave pour proteacuteger le roi Von Bissing et Spiegelberg ont mon-treacute qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine ka est rendu en deacutemotique par shaiuml = ψαίς ὁ

ἄγαθος δαίμων 2

Le ka royal est donc parfois un dieu protecteur mdash drsquoougrave la traduction schutzgott proposeacutee par Steindorff

Mariette Abydos pl Cf A Moret l c ) 2220 Le ka du roi est geacuteneacuteralement repreacutesenteacute par un dieu adulte plus petit que le pharaon il est cependant parfois de mecircme taille que le roi mdash Cf notre fig 22 Cf fig 22 A Moret l c p 7 2 222 222 Aeg Zeitschrift XLIX p 26 Von Bissing l c p

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette protection ne srsquoarrecircte pas a la mort elle se continue dans lrsquoautre vie Car le ka ne meurt point Quand le roi meurt on dit laquo que son ka le rejoint raquo au ciel ou laquo qursquoil srsquoen va avec son ka 2 raquo Crsquoest une loi geacuteneacuterale pour les dieux comme pour les hommes laquo Tout ce qui passe passe dans lrsquoautre monde avec son ka Horus passe avec son ka Thot passe avec son ka Sop passe avec son ka toi (ocirc mort) passe donc avec ton ka 2 raquo

Dans les tombes de lrsquoeacutepoque memphite les for-mules nous apprennent que laquo mourir raquo crsquoest laquo passer agrave son ka 26 raquo Crsquoest laquo srsquoen aller accompagneacute de ses kaou raquo dans lrsquoautre monde 27 Si pour tous les ecirctres vivants mourir crsquoest laquo aller vivre avec son ka 28 raquo naicirc-tre qursquoest-ce donc sinon sortir drsquoun ka primordial Concluons que le ka prend ici lrsquoaspect drsquoun geacutenie de la race qui naicirct avec lrsquoindividu grandit avec lui puis sans mourir reccediloit le deacutefunt dans son sein 2

Mais comment concilier ces notions avec le sens laquo nourriture offrandes raquo qui appartient agrave ce mecircme mot ka sous la forme plurielle kaou F von Bis-sing qui a reacutecemment attireacute lrsquoatten- tion sur ce sens speacutecial de la racine ka 0 a citeacute avec raison cer-tains tableaux des temples drsquoeacutepoque greacuteco-romaine ougrave lrsquoon a repreacutesenteacute non point une forme du ka royal mais quatorze (parfois mecircme vingt-huit car il y a ka femelles agrave cocircteacute de ka macircles) Chacune de ces figu-

2 sper ka-f r f (pyr drsquoOunas 8) seb hnacirc ka-f (Canas )2 Sethe pyramidentexte I p 0 0 60 II p 2 277 26 seb n ka-f (Sethe Urkunden alten reiches p 6 7 7 Aussi le mot ka est-il parfois deacutetermineacute par la momie )27 shest-f in kaou-f Mariette Mastabas p J Capart Une rue de tombeaux pl XI et p 7 et Aeg Zeitschrift XLII p Cf lrsquoexpression pour laquo mourir raquo hep n ka-f (Mastabas p 60) Un texte speacutecifie que le mort est tireacute accueilli par la main tendue laquo de ses kaou et de ses pegraveres raquo (Mastabas p ) Lrsquoendroit du ciel ougrave le deacutefunt et les dieux laquo passent agrave leurs kaou raquo est agrave lrsquoOrient pregraves du soleil levant crsquoest-agrave-dire aux sources de la renaissance (pyr de peacutepi i 8) et aussi vers le laquo champ des offrandes raquo crsquoest-agrave-dire aux sources de lrsquoalimentation (pyr de peacutepi i L 7 peacutepi ii 62)28 Anh hnacirc ka-f (pyr de peacutepi i 6)2 Il en est de mecircme pour le roi dans ses rapports avec le Faucon dont il naicirct qui grandit avec lui et en qui il se reacutesorbe apregraves la mort0 Versuch einer neuen erkluumlrung des Karsquoi

Figure 2Thoutmegraves et son ka visitent Amon le laquo ka royal vivant raquo sous forme de dieu adulte

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

res divines porte un nom la richesse la force la vigueur la stabiliteacute la noblesse lrsquointelligence (magique ) la lumiegravere la connaissance

le goucirct la vue lrsquoouiumle lrsquoabondance (litt lrsquoapprovisionne-ment) lrsquoalimentation la seacutepulture () Qursquoest-ce agrave dire sinon que ces quatorze formes du ka personnifient les eacuteleacutements de prospeacuteriteacute mateacuterielle et intellectuelle tout ce qui est neacutecessaire agrave la santeacute du corps et de lrsquoesprit Juste-ment un texte de philosophie memphite que von Bissing aurait ducirc citer 2 nous fournit un commentaire de ces tableaux Il est dit que le Deacutemiurge laquo creacutea de son Verbe les kaou et pacifia les forces hostiles (hm-stou) et creacutea toutes les provisions (kaou) et toutes les offrandes par sa parole creacuteant ainsi le bon et le mauvais raquo Sous ce nom de ka il faut donc entendre non pas seulement le prin-cipe de vie du Pharaon des dieux et des hommes mais lrsquoensemble des forces vitales (auxquelles srsquoopposent les forces mauvaises hm-stou) et la nourriture qui alimente et sans laquelle deacutepeacuterit tout ce qui existe dans lrsquounivers

Mais ces kaou des choses ont-ils quelque rapport avec le ka du Pharaon des hommes et des dieux La reacuteponse nous est donneacutee par les tableaux des temples A Ombos chacun de ces kaou agrave la fois physiques et meacutetaphysiques porte le nom du Pharaon reacutegnant les leacutegendes speacutecifient que nous avons sous les yeux le ka de la force le ka de la richesse le ka des approvisionnements dans Ptoleacutemeacutee et chacune de ces entiteacutes se confond avec le ka royal On pourrait suspecter ces teacutemoignages comme trop reacutecents et soupccedilonner que ces concepts nrsquoeacutetaient pas ceux des premiers Eacutegyptiens Je crois pour ma part que la division du ka en quatorze figures symboliques est une subtiliteacute de la speacuteculation theacuteologique mais cette speacuteculation remonte deacutejagrave agrave lrsquoAncien Empire Von Bissing a deacutemon-treacute que dans les noms de ka adopteacutes par les rois de lrsquoAncien Empire Ouserka-f shepseska-f Dadkaracirc Ouserkaracirc on retrouve les mots ouser shepes dad qui deacutesignent les kaou du roi dans les tableaux citeacutes plus haut Jrsquoajoute que les

Pour la discussion des noms de ces kaou royaux je renvoie a von Bissing p 2- Aux textes citeacutes il convient drsquoajouter les tableaux drsquoOmbos (De Morgan Ombos I p 87 et suiv A Moret Du caractegravere religieux p 22) et les commentaires de Piehl insc Hieacuteroglyphiques II p 86 et suiv2 Texte publieacute par Breasted (Aep Zeitschrift XXXIX p et suiv) et de nouveau par Erman (sitzungsberichte der koumln preussischen Akad XLIII (Cf G Maspero sur la toute-puis-sance de la parole ap recueil de travaux XXIV p 68) Sur le sens de mtn cf Brugsch W s p 62 De Morgan Ombos I p 87 et suiv Von Bissing l c p Ajoutons le nom Ouad Kara qui vient de sortir des fouilles de Ko-plos ougrave la faculteacute Ouad se trouve en composition dans un nom royal (R Weill Les deacutecrets royaux p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

textes des Pyramides nomment deacutejagrave les principes mauvais agrave cocircteacute des kaou com-me dieux asservis au deacutefunt 6 Lrsquoideacutee est donc tregraves ancienne qui associait le ka agrave la vie universelle sous des formes preacutecises et diffeacuterencieacutees par un nom Quant agrave la confusion des ideacutees relatives au ka et agrave la nourriture kaou elle apparaicirct aussi degraves le temps des Pyramides quand les textes parlent des dieux et de leurs kaou

il faut souvent comprendre laquo les dieux et leur nourriture 7 raquo lrsquoendroit du ciel qursquoon appelle laquo champ du ka raquo est proche du laquo champ des offrandes 8 raquo Ces paralleacutelismes ne sauraient ecirctre fortuits en fait le ka symbolise aussi la force de vie qui reacuteside dans la nourriture

Je reacutesume ces diffeacuterents traits le ka est une enseigne de tribu un nom du roi ou des particuliers un geacutenie protecteur la source de vie drsquoougrave sortent et ougrave retournent le roi les dieux les hommes les choses les forces mateacuterielles et in-tellectuelles crsquoest enfin la nourriture qui entretient la vie universelle Or les socieacuteteacutes primitives aux premiers stades de leur eacutevolution croient agrave une force suprecircme qui reacuteunit tous ces attributs et mecircme drsquoautres encore Cette puissance crsquoest le totem agrave la fois signe de ralliement marque distinctive nom substance source de vie drsquoougrave lrsquoon naicirct et agrave laquelle on revient par la mort enfin nourriture des hommes Si la deacutefinition du totem que je preacutesente ici drsquoapregraves les theacuteoriciens est exacte crsquoest donc lrsquohypothegravese preacutesenteacutee par Loret sur le ka qui serait la plus compreacutehensive

Peut-on renouveler contre lrsquoeacutequation ka=totem la mecircme objection qursquoa souleveacutee une autre proposition de Loret faucon=totem et dire qursquoil srsquoagit de zoolacirctrie et non de toteacutemisme Le ka nrsquoeacutetant point un animal comment se-rait-il question ici de zoolacirctrie Mais dira-t-on les monuments ne repreacutesentent presque uniquement que le ka du Pharaon 0 crsquoest le ka du roi seul qui apparaicirct

6 pyr drsquoOunas I 02-0 teacuteti I 20 (Sethe I p 207) laquo Les Kaou de Teacuteti sont derriegravere lui les hm-stou de Teacuteti sont sous ses pieds raquo Les principes femelles agrave lrsquoorigine malfaisants semblent plus tard se confondre avec les Kaou (Brugsch W s p 7) Ils seraient ainsi reacuteellement laquo pa-cifieacutes raquo7 Par exemple pepi i I 028 teacuteti I cf peacutepi i I 7 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode comparative (revue de lrsquoHistoire des religions 08 t LVIII p et suiv)0 Crsquoest la thegravese deacutefendue par Steindorff l c contre lrsquohypothegravese de Maspero que le ka pour vivre devait animer les corps fictifs mais ressemblants sculpteacutes dans les tombes bas-reliefs ou statues On doit se demander en effet si ces repreacutesentations sont celles du ka ou des deacutefunts Les seules statues de ka certaines sont celles que le roi Hor Iouiracirc avait deacutedieacutees laquo au ka vivant

00

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sculpteacute dans les temples ou eacuterigeacute en statue lui seul symbolise les forces mateacute-rielles ou intellectuelles Srsquoil est vrai que les particuliers et mecircme les choses possegravedent un ka du moins ce ka nrsquoest-il pas comme il devrait lrsquoecirctre lrsquoeacutegal du ka royal Cependant le toteacutemisme est un reacutegime eacutegalitaire ougrave tous les membres jouissent pareillement de la protection du totem

A cette objection je reacutepondrai que mecircme dans les socieacuteteacutes toteacutemiques il arrive que le chef du clan srsquoarroge sur le totem un droit plus grand que les autres clansmen Jrsquoajoute que je ne crois point deacutemontrable lrsquoexistence du toteacute-misme inteacutegral 2 en Eacutegypte avec les documents actuels car crsquoest une Eacutegypte deacutejagrave transformeacutee que nous font connaicirctre les monuments archaiumlques Toutefois cette question meacuterite drsquoecirctre poseacutee lrsquoideacutee du ka complexe comme je lrsquoai mon-treacutee correspond-elle agrave une notion qui a pu ecirctre aux temps anteacuterieurs celle du totem et qui a eacutevolueacute

Lrsquohistoire drsquoEacutegypte nous apprend que le but opiniacirctrement viseacute par les Pha-raons a eacuteteacute de deacutetourner sur eux la foi qui srsquoattachait aux ecirctres surnaturels et drsquoincorporer en leur personne divine le plus possible de la religion Ainsi agrave cocircteacute du ka il existe probablement une autre forme de totem qui serait celle du faucon Dans les temps primitifs nous soupccedilonnons lrsquoexistence drsquoun clan des Faucons ayant comme emblegraveme nom pegravere et protecteur un Faucon Mais agrave lrsquoeacutepoque historique seul le chef est resteacute un Faucon qui participe agrave la chair agrave lrsquoessence au nom de lrsquooiseau ancestral ce faucon crsquoest le roi Le patrimoine de tous est devenu lrsquoapanage exclusif du Pharaon

Une eacutevolution parallegravele srsquoest-elle produite pour lrsquoideacutee du ka Ce qui tendrait agrave le faire admettre crsquoest que ka et faucon se confondent en la personne du roi nous avons vu plus haut que le nom de ka crsquoest le nom royal preacuteceacutedeacute du faucon le nom drsquoHorus De mecircme que Pharaon est resteacute le Faucon unique de mecircme a-t-il pu garder pour lui seul certains privilegraveges relatifs au ka pharaon permet

qui reacuteside dans la double salle drsquoadoration raquo

(De Morgan Dahehour 8 p ) une autre statuette de ka du mecircme roi mais moins bien conserveacutee est citeacutee par de Morgan p Par exemple certains eacutedifices cf Steindorff l c p 2 Drsquoailleurs bien difficile agrave deacutefinir si lrsquoon en croit les conclusions actuelles de Frazer et van Gennep Je ne partage point lrsquoideacutee eacutemise par Steindorff (l c p ) que le roi a eu le premier un ka et qursquoil a eacutetendu ce privilegravege agrave ses sujets Les monuments indiquent au contraire me semble-t-il qursquoagrave lrsquoorigine les particuliers comme le roi veacuteneacuteraient leur ka (stegraveles archaiumlques cf p 20 et stegravele drsquoHessi au Caire Museacutee eacutegyptien pl XXII) mais le roi srsquoen reacuteserva par politique la pro-

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave ses sujets de croire qursquoils demeuraient en rapport avec le ka protecteur et source de vie mais il preacutetend devenir lrsquointermeacutediaire obligatoire entre les hommes et le ka ce qursquoindique la formule funeacuteraire laquo Le roi donne lrsquooffrande agrave Osiris pour que celui-ci donne lrsquooffrande au ka drsquoun tel raquo Ce rocircle drsquointermeacutediaire est bien deacute-fini encore par les formules du couronnement quand le roi monte sur le trocircne on proclame qursquoil est agrave la tecircte de tous les kaou vivants Ce nrsquoest point assez De mecircme que Pharaon est devenu le Faucon incarneacute de mecircme le ka acircme diffuse du clan primitif srsquoest sublimeacute dans le ka du surhomme qursquoest Pharaon Jrsquoai citeacute (plus haut) ce qursquoun noble de la XIIe dynastie enseignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu sa (la science) qui est dans les esprits ses yeux explorent toutes les consciences crsquoest racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre plus que le Nil en crue quand il em-plit les deux terres de force et de viehellip Il donne les faveurs agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraye son chemin Le roi crsquoest le ka sa bouche (creacutee) la surabondance tout ce qui existe est sa creacuteation raquo

La preacutepondeacuterance du ka royal sur les autres ka srsquoexpliquerait donc par les pro-gregraves de la monarchie Lrsquoideacutee du ka personnel agrave chaque homme nrsquoen persista pas moins dans la socieacuteteacute eacutegyptienne comme lrsquoeacutecho affaibli drsquoune conception tregraves ancienne celle drsquoune force vitale commune aux ecirctres et aux choses qui fournis-sait agrave tous existence et nourriture et que parfois lrsquoon personnifiait en lrsquoappelant laquo ka pegravere des pegraveres des dieux 6 raquo pour exprimer que crsquoeacutetait le substratum de tout ce qui existe

Voilagrave ce qursquoeacutetait le ka Pour le nom je ne proposerai pas de traduction 7 mieux vaut se servir du mot eacutegyptien apregraves lrsquoavoir expliqueacute Mais cette expli-

prieacuteteacute pour lui seul pendant la peacuteriode preacutememphite agrave partir de la Ve dynastie environ le roi a ducirc ou a voulu restituer agrave ses sujets la preacuterogative du ka comme il les a autoriseacutes graduellement agrave pratiquer les rites osiriens M Sottas me suggegravere que peut-ecirctre faut-il interpreacuteter laquo chef des kaou de tous les vivants raquo Stegravele de sehetepibracirc (Caire 2088 face 2 )6 Figure et leacutegende de la basse eacutepoque reproduite par Wilkinson (Manners and Customs III p 2 fig 0) sans indication de source Ici le ka est figureacute par un homme agrave tecircte de grenouille ce qui peut srsquoexpliquer parce que la grenouille eacutetait un symbole des transformations des espegraveces vivantes et drsquoimmortaliteacute (cf Spiegelberg ap sphinx VII p 22)7 Srsquoil fallait trouver un sens litteacuteral agrave il faudrait prendre en consideacuteration qursquoaux textes des Pyramides les deux bras leveacutes servent de deacuteterminatifs agrave des mots tels que agravehacircacirc (eacuted Sethe II p 0 76 ) et hch (II p 2) qui expriment des ideacutees de lever eacutelever Le ka serait-il lrsquoecirctre qursquoon invoque en levant les bras vers lui Erman tirant parti drsquoun texte du temple de Seacuteti I (Abydos I appendice tableau 6) montre que le Deacutemiurge Toum anime les dieux ses fils laquo en placcedilant ses deux bras derriegravere eux pour que son ka soit en eux raquo Les deux bras eacutevoqueraient alors le geste magique qui confegravere le ka ou la vie (religion eacuted franccedilaise p 2)

02

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cation ne pourrait se condenser dans lrsquoun quelconque des termes jusqursquoici pro-poseacutes double geacutenie de la race dieu protecteur nom nourriture Le ka est tout cela et nrsquoest point chacune de ces qualiteacutes isoleacutement Il mrsquoa sembleacute que dans le treacutesor des ideacutees primitives crsquoest celle de totem qui correspondrait le mieux au ka le totem comprend tous les traits du ka et drsquoautres encore qui ont disparu parce que la socieacuteteacute eacutegyptienne si haut que nous puissions remonter nous appa-raicirct comme une socieacuteteacute eacutevolueacutee

Ma tacircche consistait agrave rassembler les mateacuteriaux eacutegyptiens et agrave poser la ques-tion Crsquoest aux ethnographes qursquoil appartiendra de deacutecider si le ka aux aspects si varieacutes nrsquoa pas agrave ses origines un caractegravere toteacutemique

0

v

roIs de carnavaL

La fin de lrsquoanneacutee et la naissance de lrsquoan nouveau sont aujourdrsquohui encore lrsquooccasion drsquoune joie et drsquoune agitation geacuteneacuterales et de manifestations officielles Ces fecirctes populaires ont existeacute de tout temps Chez nous elles srsquoeacutechelonnent sur une peacuteriode qui va de Noeumll agrave Pacircques de la fin deacutecembre au commencement drsquoavril (fecirctes de saint Eacutetienne saint Jean saints Innocents saint Sylvestre Jour de lrsquoan des Rois Carnaval Mardi gras Mi-Carecircme Pacircques) Elles correspon-dent en bloc aux Saturnales Calendes de janvier Lupercales Liberalia des La-tins En remontant plus haut que lrsquoantiquiteacute romaine nous retrouvons chez tous les peuples des traditions de ce genre ou les souvenirs historiques qursquoelles ont laisseacutes les peuplades sauvages de nos jours se rattachent agrave lrsquohumaniteacute civiliseacutee par des coutumes semblables Plusieurs sociologues tels que Mannhardt Fra-zer Durkheim Hubert Mauss Van Gennep ont eacutetudieacute avec preacutedilection ces peacuteriodes de crise de lrsquoacircme populaire ils ont eacutetabli que ces coutumes devenues incompreacutehensibles chez les civiliseacutes preacutesentaient au contraire un sens reacutefleacutechi et une suite chez les non-civiliseacutes qui les ceacutelegravebrent reacuteguliegraverement lors des gran-des vicissitudes naturelles et au temps des semailles et des moissons Cherchons donc chez eux et dans les civilisations anciennes en prenant pour guide les ad-mirables travaux de Frazer 8 lrsquoexplication de ces mouvements qui dans notre corps social ne sont plus que des actes reacuteflexes fecirctes Sacaeliga de Babylone Kronia drsquoAthegravenes Saturnales de Rome Mascarades du moyen acircge fecirctes des Fous et de lrsquoAcircne cortegraveges de Carecircme et de Carnaval

Le Carnaval moderne se distingue par des processions et deacutefileacutes burlesques promenade de lrsquoOurs en Moravie et en Bohecircme de la Tarasque agrave Tarascon du Char naval (carrus navalis) en Allemagne du roi Reneacute agrave Aix du bonhomme Carnaval agrave Nice etchellip Drsquoordinaire on y exhibe des mannequins de taille colos-sale que lrsquoon conserve parfois drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre comme des feacutetiches citons les geacuteants Jan et Mieke agrave Bruxelles Druon et Antigon agrave Anvers Gilles agrave Mons Gog et Magog agrave Londres les Zigantiak dans le pays basque la Reina Caresma agrave

8 J Frazer Le rameau drsquoor trad (r par Stieacutebel et Toutain vol (Schleicher edit)

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Madrid Le plus souvent ces mannequins sont peacuterissables Presque chaque ville a son laquo Vieux raquo ou sa laquo Vieille raquo de Mi-Carecircme ou de Carnaval qursquoon deacutepegravece brucircle ou jette agrave lrsquoeau pour marquer la fin des reacutejouissances Mecircme srsquoils srsquoappel-lent Rois ils subissent ce mecircme sort On produit ces souverains de carnaval dans des ceacutereacutemonies bouffonnes ougrave ils sont coiffeacutes de couronnes enguirlandeacutes de feuillages munis de sceptres de roseaux et affubleacutes drsquooripeaux dans beaucoup de villes on les fait passer en jugement au cours de ceacutereacutemonies burlesques qui se deacuteveloppent parfois en veacuteritables drames et mettent en action la mort du grotesque heacuteros laquo En Provence on voyait un homme vecirctu en femme suivi par des gamins chercher Carnaval dans toute la ville il prenait des allures de veuve eacuteploreacutee et au cours de ses burlesques investigations il racontait comment Car-naval agrave cause de ses deacutebauches avait mal tourneacute et srsquoeacutetait pendu Dans beaucoup de villes on repreacutesentait un jugement de Carnaval le noble Magrimas (Carecircme) intentait un procegraves au prince Grossois (Mardi-gras) roi des ivrognes et des gour-mands devant la cour des risaflorets Hareng-saur assisteacute de lrsquoavocat Pain-sec soutenait que le jeucircne devait commencer de suitehellip Finalement Mardi-gras eacutetait condamneacute agrave mort et exeacutecuteacute au milieu de mille extravagances 0hellip raquo Un peu partout crsquoest le mecircme enterrement du Carnaval

De mecircme ordre que la royauteacute de Carnaval est encore laquo la royauteacute du jour des Rois raquo bien que la fecircte chreacutetienne de lrsquoEacutepiphanie en ait fait avancer la date Ce jour-lagrave on laquo tire (au sort) les rois raquo en se partageant les morceaux drsquoune galette dans laquelle une fegraveve ou une petite poupeacutee cacheacutee agrave lrsquoavance deacutesignera celui dont le sort veut comme roi Pendant la dureacutee drsquoune soireacutee ce roi donnera des ordres bouffons choisira une reine chacun imitera ses moindres gestes avec un respect simuleacute et une obeacuteissance feinte

Lrsquoorigine sinon lrsquoexplication de cette singuliegravere royauteacute apparaicirct dans la tra-dition greacuteco-romaine des fecirctes de Kronos-Saturne appeleacutees laquo Kronia raquo agrave Athegravenes et laquo Saturnales raquo agrave Rome Vers la fin de deacutecembre les esclaves reacuteunis dans un banquet laquo tiraient au sort raquo qui serait le laquo roi du festin raquo Celui-ci commandait quelques jours durant agrave tous maicirctres et serviteurs il faisait chanter ou danser ses sujets leur prescrivait de se masquer ou de se deacutevecirctir les barbouillait de suie ou de farine ou les jetait dans lrsquoeau glaceacutee Mais agrave cocircteacute de ces pratiques burlesques voici qursquoapparaissent par endroits de sauvages coutumes jadis les

Frazer Le rameau drsquoor II p 27 227 et suiv0 E Doutteacute Magie et religion dans lrsquoAfrique du nord 00 On trouvera dans ce livre de preacutecieux renseignements sur le carnaval marocain Le rameau drsquoor II p 6 et suiv p et suiv

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Saturnales srsquoaccompagnaient de sacrifices humains et mecircme en 0 de notre egravere des soldats romains campeacutes dans la valleacutee du Danube nrsquoen avaient pas perdu lrsquohabitude Avant les Saturnales ils deacutesignaient un roi pendant un mois celui-ci usait comme il lrsquoentendait de sa souveraineteacute puis on le sacrifiait Il arriva qursquoun chreacutetien nommeacute Dasius fut choisi pour cette paiumlenne royauteacute il refusa mais il ne gagna rien agrave ce refus sa deacutesobeacuteissance lui valut drsquoavoir la tecircte trancheacutee 2

Apregraves une eacutetude minutieuse des traditions de lrsquoantiquiteacute et des socieacuteteacutes sau-vages M Frazer a formuleacute la theacuteorie suivante dont nous avons veacuterifieacute deacutejagrave lrsquoap-plication dans lrsquoEacutegypte primitive et qui apregraves bien des deacutetours nous ramegravenera aux rois de Carnaval

Chez les peuples primitifs crsquoest une croyance absolue que leur seacutecuriteacute et celle du monde entier deacutependent de la volonteacute ou mecircme de la santeacute de leur roi Celui-ci en sa qualiteacute de dieu incarneacute et de sorcier a tout pouvoir sur la nature aussi est-il responsable des pheacutenomegravenes atmospheacuteriques et de la reacutegulariteacute des reacutecoltes Tant que le roi est jeune et vigoureux le peuple a confiance en lui mais laquo rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourir Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastro-phes ne se produiront pas lorsqursquoil srsquoaffaiblira peu agrave peu puis lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Les historiens grecs rapportent que telle eacutetait la destineacutee des rois de Meacuteroeacute (Nubie) A un certain moment les precirctres leur envoyaient lrsquoordre de se tuer coutume qui resta en usage jusqursquoau iiie siegravecle av J-C Parfois le peuple nrsquoatten-dait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau xvie siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans

Cependant agrave Meacuteroeacute Ergamegravene srsquoaffranchit de la coutume et massacra les precirctres Les rois de Calicut obtinrent le droit de se deacutefendre contre les assassins officiels qui les attaquaient au bout de douze ans Ailleurs on admit des atteacutenua-tions progressives le sultan de Java deacuteleacutegua aux membres drsquoune certaine famille lrsquohonneur de se tuer agrave sa place en eacutechange il accordait aux volontaires de la mort

2 Parmentier et Cumont Le roi des saturnales ap revue de philologie 87 p Frazer Le rameau drsquoor II p Voir lrsquoexemple des rois de Shilluk citeacute plus haut

06

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de grandes richesses pendant la vie et des funeacuterailles exceptionnelles Crsquoeacutetait le plus souvent dans la famille royale que le roi devait se chercher un substitut chez les peuples seacutemitiques les sacrifices si freacutequents des fils aicircneacutes se justifient par des raisons de cette nature

Puis les rites srsquoadoucirent encore Pour eacutepargner des innocents on choisit la victime parmi les condamneacutes agrave mort Mais il eacutetait neacutecessaire que le remplaccedilant du roi jouacirct vraiment le rocircle de roi au moins pendant quelques jours De lagrave des fecirctes comme celles des laquo Sacaeliga raquo que Beacuterose a vues agrave Babylone le 6 du mois Louumls un condamneacute agrave mort recevait les ornements royaux et jouissait de toutes les preacuterogatives du trocircne y compris lrsquousage du harem royalhellip Mais au bout de cinq jours on lui arrachait ses habits royaux et apregraves lrsquoavoir fouetteacute on lrsquoen-voyait agrave la potence ou agrave la croix 6

Ailleurs les ceacutereacutemonies lugubres se sont encore plus humaniseacutees dans lrsquoEacutegypte antique la fecircte sed nous a sembleacute rappeler le meurtre rituel du roi mais devenu symbolique et inoffensif par la substitution de victimes Au Cambodge de nos jours le laquo roi de feacutevrier raquo coiffeacute drsquoun bonnet blanc et armeacute drsquoun sceptre de bois remplace pendant trois jours le souverain Au Siam crsquoest agrave la fin drsquoavril que le roi temporaire jouit pendant trois jours de tout ce qui lui plaicirct au palais Plus de sacrifices mais on respecte la coutume en simulant lrsquoexeacutecution Voici ce qui se passait il nrsquoy a pas longtemps en Eacutegypte apregraves la moisson pendant trois jours le gouvernement est suspendu et chaque ville choisit son propre chef Ce chef porte une sorte de bonnet de fou et une longue barbe drsquoeacutetoupe il srsquoenveloppe drsquoun manteau bizarre Une baguette agrave la main escorteacute de scribes de bourreaux il se rend au palais du gouverneur qui se laisse deacuteposer par lui Au bout de trois jours le pseudo-roi est condamneacute agrave mort lrsquoenveloppe dans laquelle il se drape est brucircleacutee tandis que lui se retire agrave quatre pattes 7

Nous arrivons ainsi agrave des rites qui ont perdu presque tout leur caractegravere tra-gique Crsquoest tout au plus si lrsquoon a gardeacute le souvenir que le remplacement du roi reacutegnant par un roi inteacuterimaire symbolise un changement de regravegne et un renou-vellement de la force vitale du souverain seul reste perceptible pour le grand pu-blic le cocircteacute plaisant de cette substitution la royauteacute eacutepheacutemegravere drsquoun parvenu qui

Peut-ecirctre pour lrsquoEacutegypte pharaonique un eacutecho de cette tradition nous est-il parvenu dans un passage de la pyramide drsquoOunas (I 08) on lrsquoon rappelle laquo ce jour ougrave lrsquoon sacrifie lrsquoaicircneacute raquo (Cf pyr de teacuteti I 22)6 Sur lrsquoantiquiteacute de cette fecircte agrave Babylone et ses origines historiques cf Frazer l c II p 00 et suiv7 Frazer Le rameau drsquoor II p

07

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pendant trois jours fait ripaille sur le trocircne tel notre roi Carnaval Crsquoen est assez pour faire comprendre que celui-ci est lrsquoheacuteritier burlesque du roi inteacuterimaire qursquoon sacrifiait jadis pour sauver la vie du souverain reacutegnant

Mais la physionomie des fecirctes du Mardi gras est complexe et agrave cocircteacute de ce trait essentiel de victime substitueacutee il y en a drsquoautres emprunteacutes agrave diverses cou-tumes des populations agricoles civiliseacutees ou non civiliseacutees

Vers le temps des moissons dans plusieurs pays drsquoEurope la tradition existe encore de mettre agrave mort par le feu lrsquoeau ou agrave coups de faucille un mannequin en paille Celui-ci repreacutesente lrsquoEsprit du Bleacute ou de la Veacutegeacutetation laquo il vit dans les reacutecoltes et quand on les fauche on srsquoimagine qursquoil se reacutefugie dans la derniegravere gerbe Parfois on fabrique avec les eacutepis de cette gerbe le mannequin qui est censeacute incarner lrsquoesprit que ce soit la gerbe ou le mannequin on deacutesigne lrsquoune et lrsquoautre par les mecircmes noms le Vieux la Vieille la Megravere (du Bleacute) la GrandrsquoMegravere la Reine le Mort etc On conduit au village le Simulacre on le reccediloit triompha-lement comme un roi puis on le flagelle et on lrsquoexeacutecute Reste agrave le ressusciter pour qursquoil assure la feacutecondation des semailles prochaines En Bohecircme on revecirct le mannequin drsquoune chemise blanche apregraves lrsquoexeacutecution on prend cette chemise ougrave srsquoest reacutefugieacutee lrsquoacircme et la force du laquo Vieux raquo et on en habille un jeune arbre qursquoon ramegravene au village en chantant laquo Nous avons expulseacute la mort du village nous y ramenons le nouvel eacuteteacute Sois le bienvenu cher eacuteteacute petit bleacute vert raquo Ainsi le nou-veau bleacute est censeacute recueillir la force du vieux bleacute comme dans les rites royaux le nouveau roi heacuterite de la force vitale qui va eacutechapper au souverain deacutecreacutepit Ces traits caracteacuteristiques des coutumes agraires on les retrouve sans peine dans le Carnaval actuel drsquoelles nous viennent ces mannequins bourreacutes de paille qursquoon veacutenegravere et qursquoon bafoue et qursquoon brucircle ensuite en grand apparat 8

Mais voici drsquoautres traits Souvent dans le mannequin rituel on introduisait un ecirctre vivant comme pour donner plus de force agrave la fiction ou agrave la reacutealisation dramatique du Mystegravere des moissons Dans ce cas lrsquoecirctre vivant eacutetait mis agrave mort et mangeacute Au Mexique on reacutealisait de cette faccedilon le meurtre du dieu de la Veacute-geacutetation pendant un an un captif jouait le rocircle de la diviniteacute et comme le roi inteacuterimaire des Saturnales se passait toutes ses fantaisies puis il eacutetait tueacute et mangeacute en sacrifice solennel de sa peau eacutecorcheacutee on revecirctait un homme vivant qui lrsquoanneacutee suivante repreacutesentait aussi le dieu hellip Mais le plus souvent ce

8 Le rameau drsquoor III p et suiv 0 et suiv Le rameau drsquoor II p 7

08

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rite a eacutevolueacute Au lieu drsquoun homme on a pris un coq un bouc un bœuf on introduisait ces animaux vivants dans le mannequin de bleacute et ils animaient le Simulacre Aujourdrsquohui encore en Bohecircme dans certains cas le coq devient le roi Carnaval on lui met des vecirctements grotesques capuchon rouge culottes veste grise on le fait passer en jugement puis les assistants le sacrifient non sans lui avoir demandeacute pardon Chez nous crsquoest le bœuf gras qui personnifie lrsquoEsprit du bleacute le cortegravege ougrave il figure et sa mise agrave mort nrsquoont plus de caractegravere rituel mais on a gardeacute dans les campagnes quelques souvenirs des coutumes anciennes laquo A Pouilly pregraves de Dijon au moment de faucher la derniegravere gerbe on promenait trois fois autour du champ un bœuf orneacute de fleurs de rubans et drsquoeacutepis puis un homme deacuteguiseacute en diable coupait la gerbe et mettait le bœuf agrave mort Une par-tie des chairs eacutetait mangeacutee dans un souper donneacute agrave lrsquooccasion de la moisson le reste saleacute et gardeacute jusqursquoau jour des semailles 60 raquo

Au lieu drsquoanimaux vivants on se contente parfois de leur image en pacircte Avec la farine tireacutee de la derniegravere gerbe on peacutetrit un gacircteau en forme de silhouette humaine ou animale Sous cette forme ce bleacute passe pour repreacutesenter le corps de lrsquoEsprit du bleacute Dans le Wermland (Suegravede) la fermiegravere fait avec le grain de la derniegravere gerbe un pain qui a les contours drsquoune petite fille 6 il est partageacute entre tous les gens de la ferme et mangeacute par eux Il en est de mecircme en Eacutecosse ougrave lrsquoEsprit du bleacute est repreacutesenteacute par la derniegravere gerbe faccedilonneacutee en forme de femme et appeleacutee laquo la Vierge raquo Ailleurs comme au Japon ce sont des femmes qui cein-tes drsquoeacutepis jaunissants semblent de vivantes gerbes (cf pl VIII) De mecircme en France agrave La Palisse on suspend un bonhomme en pacircte agrave la plus haute branche du sapin qui orne la derniegravere charrette de bleacute Le sapin et le bonhomme sont porteacutes chez le maire qui les garde jusqursquoagrave ce que les vendanges soient faites Alors la fin de toutes les reacutecoltes est ceacuteleacutebreacutee par une fecircte dans laquelle le maire rompt le bonhomme de pacircte en plusieurs morceaux qursquoil distribue aux paysans et que ceux-ci mangent 62 Il paraicirct que dans le comteacute drsquoYork crsquoest le pasteur qui coupe le premier bleacute 6 avec ce bleacute on fabrique le pain de la communion Lagrave par la survivance drsquoun vieux rite paganisme et christianisme se confondent

60 Goblet drsquoAlviella Les rites de la moisson (revue de lrsquoHistoire des religions 88 II p )6 De mecircme nos galettes des rois contiennent une poupeacutee62 Frazer Le rameau drsquoor II p 27 et suiv6 Jrsquoai vu en Bretagne agrave La Clarteacute pregraves Perros-Guirec le cureacute mettre le feu agrave une meule de gerbes nouvelles (la veille du aoucirct) on peut reconnaicirctre ici encore lrsquoantique mannequin repreacutesentant lrsquoEsprit du bleacute Cet eacutepisode a eacuteteacute joliment deacutecrit dans le roman de G Sansrefus Fleur drsquoajonc

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

un moment On fait de religieuses agapes en Indochine avec le riz nouveau sur le Niger avec les nouvelles ignames de mecircme les peuples bergers et chasseurs qui vivent du gibier et de lrsquoeacutelevage mangent solennellement les animaux sauva-ges ou domestiques en qui srsquoincarnent pour eux les forces divines et nourriciegraveres de la nature

Donc sauvages et civiliseacutes mangent rituellement au temps des semailles ou des moissons lrsquohomme lrsquoanimal les gacircteaux qui figurent pour eux le Vieux dieu de lrsquoan qui finit Ils croient srsquoincorporer ainsi la force creacuteatrice de la divi-niteacute drsquoailleurs ils segravement dans les champs soit des fragments de chair ou de gacircteaux soit la cendre provenant du mannequin brucircleacute pour feacuteconder la terre Crsquoest en souvenir de ces coutumes que nos contemporains cachent une fegraveve ou une poupeacutee dans le gacircteau des Rois 6 et font bombance au temps du Carnaval partout on tue le bœuf gras lrsquooie ou le porc on preacutepare des mets speacuteciaux des gacircteaux des crecircpes beignets bonshommes en pain drsquoeacutepices qui gardent parfois lrsquoaspect des antiques victimes animales ou humaines Mais rappelons-nous que jadis le repas dont nous avons fait le festin des jours gras nrsquoeacutetait pas une fin en lui-mecircme ce nrsquoeacutetait qursquoun moyen pour le fidegravele de communier avec la chair et le sang du dieu en mangeant le pain et en buvant le vin

Les cultes agraires des anciens peuples nous fournissent aussi lrsquoexplication des mascarades et des cortegraveges burlesques en usage aux jours gras Avec le moment des semailles ou des moissons coiumlncide un rite drsquoune grande importance pour les peuples primitifs celui de lrsquoexpulsion geacuteneacuterale des deacutemons ceux drsquoabord qui deacutefendent les champs et qursquoil faut mettre agrave mort pour pouvoir moissonner ceux aussi qui infestent les maisons et dont la ruse malveillante amegravene les maladies et tous les maux Il srsquoagit drsquoune purification geacuteneacuterale drsquoune liquidation complegravete des malheurs ou des crimes occasionneacutes par les meacutechants esprits Ces exorcis-mes drsquoabord particuliers agrave chaque individu et mecircme agrave chaque cas de laquo posses-sion raquo ou de maleacutefice puis appliqueacutes agrave toute la collectiviteacute furent concentreacutes enfin dans une ceacutereacutemonie annuelle qui marquait le terme drsquoune peacuteriode et le deacutebut drsquoune nouvelle egravere

Ces fecirctes sont caracteacuteriseacutees par une exaltation speacuteciale qui srsquoempare de toute la population Une partie des hommes et des femmes srsquoaffublent de deacuteguisements grotesques ou effrayants se couvrent le corps de peaux la figure de masques se barbouillent de suie srsquoenduisent de poix ou se roulent dans les plumes en

6 Le rameau drsquoor II p

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cet appareil ils courent de maison en maison non sans faire un effroyable va-carme Crsquoest qursquoils donnent la chasse aux deacutemons invisibles et qursquoils les pour-suivent agrave coups de lances de flegraveches ou de fusils en criant laquo Allez-vous-en deacutemons raquo mdash jusqursquoagrave ce qursquoils croient les avoir repousseacutes bien loin des habita-tions 6 Ces coutumes se retrouvent partout dans lrsquoantiquiteacute comme de nos jours dans les deux mondes Les Grecs chassaient les mauvais esprits le jour des Anthesteacuteries les Romains pendant trois jours du mois de mai et il nrsquoy a point longtemps on expulsait encore de mecircme faccedilon les sorciegraveres et les deacutemons drsquoAuvergne de Bohegraveme et de Thuringe la nuit du er mai

Les Momons du moyen acircge qui faisaient irruption dans les maisons et ces bandes masqueacutees qui aujourdrsquohui encore dans nos campagnes parcourent les rues en jouant sur des instruments criards et forcent lrsquoentreacutee des portes ont per-peacutetueacute sans le savoir lrsquoantique charivari les clameurs de tout un peuple acharneacute agrave la poursuite des deacutemons des geacutenies malfaisants qui deacutetruisaient les reacutecoltes et la santeacute de lrsquohomme

Lrsquoexpulsion des deacutemons des maladies des peacutecheacutes et mecircme lrsquoexpulsion de la Mort la hideuse qui rocircde sous mille formes autour des vivants srsquoopegravere gracircce agrave divers proceacutedeacutes par exemple on les embarque (leurs repreacutesentants ou leurs symboles-mannequins) dans des veacutehicules chars ou navires qursquoon envoie au loin ou qursquoon lance agrave la mer pour que les maux se perdent avec eux 66 Lrsquoeacutepisode de la fecircte 67 du Vaisseau drsquoIsis deacutecrit par Apuleacutee 68 ougrave un cortegravege mi-religieux

6 Le rameau drsquoor II p et suiv66 Le rameau drsquoor II p 67 Ceacuteleacutebreacutee agrave Chenchreacutees le mars Apuleacutee (Meacutetamorphoses XI) deacutecrit le cortegravege burlesque analogue semble-t-il agrave ceux qui drsquoapregraves Frazer sont encore en usage chez beaucoup de peu-ples laquo On vit tout drsquoabord une troupe de personnes qui srsquoeacutetaient travesties par suite de vœuxhellip Lrsquoun ceint drsquoun baudrier repreacutesentait un soldat lrsquoautre avec sa chlamyde retrousseacutee son cou-telas et ses eacutepieux figurait un chasseur Celui-ci avait des brodequins doreacutes une robe de soie et des atours preacutecieux agrave ses cheveux attacheacutes sur le haut de sa tecircte agrave sa deacutemarche traicircnante on aurait dit une femme Celui-lagrave chausseacute de bottines armeacute drsquoun bouclier drsquoun casque et drsquoune eacutepeacutee semblait sortir drsquoune eacutecole de gladiateurs Un autre preacuteceacutedeacute de faisceaux et vecirctu de pourpre jouait le magistrat Un autre avait le manteau le bacircton et la barbe de bouc drsquoun philosophe Ici crsquoeacutetait un oiseleur avec ses gluaux lagrave un pecirccheur avec sa ligne et ses hameccedilons Je vis aussi une ourse apprivoiseacutee qursquoon portait dans une chaise en costume de matrone un singe coiffeacute drsquoun bonnet drsquoeacutetoffe couvert drsquoune robe phrygienne couleur de safran et tenant une coupe drsquoor repreacutesentait le berger Ganymegravede Enfin venait un acircne sur le dos duquel on avait colleacute des plumes et qursquoaccompagnait un vieillard tout casseacute crsquoeacutetaient Peacutegase et Belleacuterophon que parodiait ce couple risible Au milieu de ces mascarades qui couraient de cocircteacute et drsquoautre pour le plus grand amusement du peuple srsquoavanccedilait dans un ordre solennel la procession proprement dite de la deacuteessehellip raquo (Cf Lafaye Histoire du culte des diviniteacutes drsquoAlexandrie p 2) 68 Voir Mystegraveres drsquoisis dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mi-burlesque conduit agrave la mer un frecircle esquif chargeacute drsquooffrandes me semble ecirctre un rappel de lrsquoexpulsion des deacutemons Ou bien encore les maux sont figureacutes en bloc sous les traits drsquoun ecirctre vivant homme ou becircte que nous appelons le Bouc eacutemissaire Un Bouc eacutemissaire bien reacuteel est celui des Heacutebreux chaque anneacutee lors de la fecircte de lrsquoexpiation le grand precirctre drsquoIsraeumll le chargeait des crimes de tout son peuple et le chassait dans le deacutesert 6 Ailleurs crsquoest le rocircle drsquoun coq drsquoun ours agrave qui lrsquoon donne la chasse en temps de Carecircme En Gregravece agrave Rome et chez maints sauvages un homme deacuteguiseacute vecirctu drsquoune peau de becircte eacutetait expulseacute par-fois sacrifieacute La tradition du Bouc eacutemissaire et celle du roi-victime se combinent au Tibet dans un personnage appeleacute le Jalno 70 Le grand lama eacutetant deacuteposeacute pour un temps le Jalno joue le rocircle de roi inteacuterimaire il se promegravene dans les rues de Lhassa la figure peinte mi-partie en blanc mi-partie en noir il srsquoaffuble drsquoune peau de becircte et avec une queue de buffle il srsquoen va frottant un chacun pour balayer ainsi tous les maux et les peacutecheacutes du peuple puis il est honteuse-ment chasseacute de la ville parfois tueacute

Enfin lrsquoexpulsion des deacutemons a laisseacute chez nous des souvenirs durables soit dans nos cavalcades de Carnaval avec leurs chars et navires monteacutes drsquoeacutequipages diaboliques et treacutepidants soit dans lrsquoenterrement mecircme de Carnaval soit dans le cortegravege de notre Carecircme-prenant ou celui de la Reina Caresma agrave Madrid Ici srsquoassocient les thegravemes de lrsquoexpulsion des deacutemons et de la mort du Vieux dieu de la veacutegeacutetation Au jour du Mardi gras notre roi Carnaval est un joyeux et bedonnant compegravere promeneacute sur un acircne le lendemain on le sacrifie crsquoest-agrave-dire qursquoon le met en terre qursquoon le brucircle qursquoon le pend parmi des ceacutereacutemonies bouffonnes des complaintes funegravebres et des chants de joie Il a pour successeur le Prince Carecircme ou Carecircme-prenant qursquoon promegravene de dimanche en diman-che de plus en plus amaigri et deacutefait et qui par suite des jeunes forceacutes finit par expirer le samedi saint agrave midi On lui passe la corde au cou ou on le brucircle A Madrid la Reina Caresma est une vieille femme munie de sept jambes dont chacune lui est enleveacutee au cours des sept semaines du Carecircme jusqursquoagrave sa mise en piegraveces complegravete le jour de Pacircques 7 Crsquoest toujours quels que soient sa figure et son nom lrsquoEsprit du bleacute mourant qursquoon pleure et qursquoon enterre dans le deuil avant de le faire ressusciter dans la joie crsquoest encore le Bouc eacutemissaire qursquoon pourchasse et qursquoon deacutepegravece afin de supprimer tous les maux

6 Le rameau drsquoor II p 0 et suiv70 id II p 66 et suiv7 Le rameau drsquoor III p

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Dans lrsquoordre religieux ces coutumes sont resteacutees singuliegraverement vivaces Avant le printemps nous nous recueillons dans la tristesse et nous nous purifions par le jeucircne pour preacuteparer lrsquoavegravenement du renouveau physique et moral Pacircques fleu-ries Cette fecircte marque encore chez nous la grande purification annuelle laquo Tu te confesseras au moins agrave Pacircqueshellip une fois lrsquoan raquo mdash ainsi que le rajeunissement de lrsquoacircme et de la nature Encore faut-il deacutepouiller le vieil homme pour que naisse lrsquohomme nouveau et de mecircme qursquoautrefois nous continuons agrave tuer solennel-lement le dieu de la veacutegeacutetation agrave pourchasser les mauvais esprits et agrave stimuler les forces vitales quand nous exeacutecutons nos rites agrave la fois religieux et bouffons autour de ces successeurs de prototypes veacuteneacuterables personnages de Carecircme et rois de Carnaval animaux chasseacutes mannequins de paille gerbes de bleacute et feux de la Saint-Jean

Une autre tradition de Carnaval agrave laquelle mecircme nos contemporains se fe-raient scrupule de manquer crsquoest une activiteacute choreacutegraphique deacutesordonneacutee Aux temps anciens les danses avaient elles aussi un rocircle rituel on leur precirctait une influence de magie sympathique laquo Dans certaines reacutegions drsquoAllemagne au Mardi gras ou agrave la veille du er mai les jeunes filles dansent dans les champs ou agrave lrsquoauberge et crient laquo Lin grandis 72 raquo Plus haut elles sauteront en dansant plus le lin ou le bleacute grandiront raquo En Lithuanie au Siam on a gardeacute lrsquousage de se balancer en invoquant les esprits au temps des reacutecoltes crsquoest un moyen de faire croicirctre le bleacute ou le riz que de pousser tregraves haut la balanccediloire En bien des pays ce sont les danses speacuteciales agrave ce temps de Carnaval qursquoon reproduit lors drsquoautres solenniteacutes aux jours de grande liesse aux fecirctes locales Certaines sont resteacutees en honneur dans le pays basque et attestent combien vivaces sont encore les tradi-tions quoique agrave lrsquoeacutetat de gestes et de symboles aujourdrsquohui incompris

Jrsquoassistais les 6 et 7 aoucirct 2 agrave Saint-Jean-Pied-de-Port aux fecirctes drsquoAbbadie 7 qui coiumlncidaient avec la fecircte locale Dans le deacutefileacute des danseurs venus de toutes les provinces basques on reconnaicirct facilement les eacuteleacutements tra-ditionnels du cortegravege carnavalesque ainsi que le deacutecor de lrsquoantique sacrifice du roi ou du dieu de la veacutegeacutetation Les principaux figurants eacutetaient ceux du pays de

72 Le rameau drsquoor II p 67 La fondation drsquoAbbadie ou fecirctes de la Tradition basque sert agrave reacutecompenser des concours de pelote de poeacutesie basque de cris montagnards (irrintzina) ils ont lieu chaque anneacutee tour agrave tour dans un des 7 chefs-lieux de canton des Basses-Pyreacuteneacutees et sont en geacuteneacuteral rattacheacutes aux fecirctes locales La geacuteneacuterositeacute de M drsquoAbbadie a rendu la vie agrave des coutumes qui allaient tomber en deacutesueacutetude

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Soule (Mauleacuteon) A leur tecircte srsquoavance le Cherrero porteur du chasse-mouches (cherra) puis le samalzain crsquoest un roi burlesque couronneacute drsquoune mitre fleu-rie affubleacute jusqursquoau buste drsquoun cheval-jupon dont il dirige la tecircte minuscule tandis que le poitrail et la croupe enjuponneacutes eacutenormes se balancent grotesque-ment autour de ses reins Apregraves le roi voici la reine qui a pris ici lrsquoaspect drsquoune cantiniegravere avec jupon court guecirctres et bidon enfin les courtisans auxquels on donne le nom inattendu de satans ils sont vecirctus de dolmans rouges agrave brande-bourgs et galons drsquoor avec des culottes noires chargeacutees de rubans entrecroiseacutes et chausseacutes de sandales recouvertes de guecirctres brodeacutees Passent encore dominant les tecirctes et jucheacutees sur des bacirctons des poupeacutees geacuteantes et grotesques les Zigan-tiak puis des enfants en pages et en folies des gardes en bonnets agrave poil (ils rap-pellent les eacutenormes coiffures et masques en peaux de mouton qursquoon voit aux pro-cessions de Fontarabie et de Pampelune) et enfin les musiciens Les figurants de Basse-Navarre dansaient surtout le bolantak une varieacuteteacute du laquo saut basque raquo pas et changement de pied en avant volte saut en hauteur Ceux du pays de Labour (Cambo Hasparren Saint-Jean-de-Luz) eacutetaient speacutecialiseacutes dans le fandango et lrsquoarin-arin Quant au cortegravege du Samalzain venu du pays de Soule il exeacutecu-tait une prestigieuse gavotte et une danse autour drsquoun verre Tous ces danseurs eacutetaient des paysans des artisans non des professionnels mais aucun de ceux que jrsquointerrogeais dans cette troupe agile qui virevoltait autour du Samalzain ne se doutait qursquoil exeacutecutait des rites milleacutenaires Ils ressuscitaient cependant les fragments drsquoun drame qui a trop frappeacute lrsquoimagination de nos ancecirctres pour ne pas laisser aujourdrsquohui dans ces costumes ces mimiques et ces danses des traces eacutemouvantes Voici que le dieu haut mitreacute surpassait en choreacutegraphie agile ses courtisans les sacrificateurs agrave travers leurs gestes pouvaient srsquoeacutevoquer les peacuteri-peacuteties du conflit les essais de persuasion et de reacutesistance la lutte du roi le vain triomphe en agiliteacute et en prestesse lrsquoexpulsion du cercle le renoncement forceacute la bregraveve douleur des funeacuterailles Puis les sauts drsquoune envoleacutee superbe reacutepeacutetaient les gestes magiques ougrave srsquoefforccedilaient les sorciers de jadis pour activer la pousse du bleacute nouveauhellip Les sacrificateurs srsquoeacutetaient mueacutes par la confusion des souvenirs en de rouges Satans et la danse rituelle autour du roi du dieu de lrsquoEsprit du bleacute srsquoeacutechevelait maintenant en une poursuite de deacutemons parmi lrsquoexcitation des laquo fo-lies raquo et lrsquoapparition des Basanderiak ces feacutees basques en qui survivent les ecirctres surnaturels et sauvages que lrsquohomme a toujours redouteacuteshellip Et la freacuteneacutesie de ces danseurs leur eacutemulation agrave sauter le plus haut possible lrsquoalleacutegresse de cette foule se treacutemoussant drsquoune sandale leacutegegravere jeunes et vieux sur la place publique me

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rappelaient le deacutelire sacreacute des peuples agricoles quand ils excitaient du pied et du geste lrsquoeacutelan des jeunes frondaisons

Il y a un autre aspect de lrsquoexcitation populaire que nous nrsquoavons pas encore en-visageacute Un eacutepisode caracteacuteristique des Kronia agrave Athegravenes et des Saturnales agrave Rome eacutetait lrsquoeacutemancipation momentaneacutee des esclaves et la licence geacuteneacuterale Les esclaves coiffeacutes du bonnet pileus emblegraveme de la liberteacute eacutetaient dispenseacutes de tout travail et pendant quelques jours prenaient les habits de leurs maicirctres les singeaient de toutes les maniegraveres exigeaient drsquoecirctre servis par eux et se livraient agrave une deacutebauche effreacuteneacutee Il en eacutetait de mecircme aux fecirctes Sacaeliga pendant les jours ougrave le condamneacute agrave mort jouait le rocircle de roi le mecircme eacutetat reacutevolutionnaire se manifeste aussi dans les socieacuteteacutes sauvages au temps de lrsquoexpulsion des deacutemons Nous avons vu qursquoune partie de la population est chargeacutee de chasser les geacutenies malfaisants mais lrsquoautre partie des hommes et des femmes subit encore lrsquoattaque furieuse des malins et leur livre une reacutesistance deacutesespeacutereacutee si bien que poursuivants et poursuivis sont en proie agrave une surexcitation deacutemoniaque intense les hommes sont comme pos-seacutedeacutes et srsquoadonnent agrave mille extravagances

Alors on ne se contente point de prendre des masques et de changer lrsquoaspect officiel des figurants tous les rocircles sont renverseacutes dans la vie sociale le roi ab-dique un condamneacute un fou ou un enfant regravegnent les serviteurs donnent des ordres aux maicirctres le cours des lois est suspendu plus de tribunaux plus de dettes plus drsquoobligations sociales les crimes restent impunis Il y a plusieurs raisons qui expliquent cette licence geacuteneacuterale drsquoabord les gens sont endiableacutes par les deacutemons puis laquo quand les hommes savent qursquoils vont bientocirct ecirctre deacutelivreacutes de tous les maux et que tous les peacutecheacutes seront absous ils nrsquoheacutesitent plus agrave donner libre cours agrave leurs passions puisque la ceacutereacutemonie prochaine effacera toutes leurs fautes Drsquoautre part au lendemain drsquoune telle ceacutereacutemonie les esprits sont deacutelivreacutes du poids qui drsquohabitude les oppresse les hommes ne se sentent plus menaceacutes de toutes parts par les deacutemons dans lrsquoexplosion de leur joie ils deacutepassent les bornes que leur imposent en toute autre circonstance les coutumes et la mo-rale Lorsque la ceacutereacutemonie a lieu agrave lrsquoeacutepoque de la moisson ces sentiments de joie trouvent encore un stimulant dans lrsquoideacutee du bien-ecirctre physique que procure une abondante reacutecolte 7 raquo

Voici quelques exemples laquo Dans la tribu africaine des Pondos 7 au jour de

7 Le rameau drsquoor II p 77 id II p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la fecircte des premiers fruits le chef abdique ses fonctions pour toute la dureacutee de la fecircte des jeunes gens jouent dansent luttent font des courses puis tous les membres de la tribu se livrent agrave la deacutebauche srsquoenivrent et poussent de grands cris il nrsquoy a plus personne qui soit chargeacute de maintenir lrsquoordre et chacun fait ce qui lui semble bon Un homme poignarde-t-il son voisin il nrsquoencourt aucun chacirctiment il en est de mecircme pour tous les autres crimes contre les personnes la proprieacuteteacute et les mœurs On peut mecircme insulter le chef en face ce qui dans toute autre circonstance serait immeacutediatement puni de mort Tant que dure la fecircte on entend un vacarme continuel produit par des tambours par les cris de la fou-le par des battements de mains et par toutes sortes drsquoinstruments bruyantshellip raquo De mecircme sur la Cocircte drsquoOr lrsquoexpulsion annuelle des deacutemons est preacuteceacutedeacutee drsquoune fecircte qui dure huit jours pendant laquelle laquo la liberteacute du sarcasme est absolue les Negravegres parlent sans aucune contrainte de toutes les fautes vilenies et malhon-necircteteacutes commises par leurs supeacuterieurs ou leurs infeacuterieurs personne ne peut les punir ni mecircme les interrompre raquo Dans le nord de lrsquoInde la mecircme fecircte se ceacutelegravebre agrave la moisson laquo Alors les gens sont suivant leur propre expression endiableacutes ils croient qursquoagrave ce moment de lrsquoanneacutee hommes et femmes sont incapables de reacutesis-ter agrave leurs mauvais penchants et qursquoil est absolument neacutecessaire de laisser pen-dant quelque temps libre cours aux passionshellip Les Hos commencent par chasser les deacutemons malveillants qui habitent le pays hommes et femmes parcourent les villages en tenant des bacirctons en mains en chantant des chansons sauvages criant et vocifeacuterant jusqursquoagrave ce qursquoils soient convaincus drsquoavoir mis en fuite le mauvais esprit Ils se mettent ensuite agrave faire la fecircte et agrave boire de la biegravere de riz La fecircte devient alors une saturnale pendant laquelle les domestiques oublient quels sont leurs devoirs vis-agrave-vis de leurs maicirctres les enfants ne respectent plus leurs parents les hommes ne respectent plus les femmes et celles-ci perdent toute notion de deacutecence et de modestie elles deviennent des bacchantes enrageacuteeshellip raquo Dans une tribu voisine laquo la ressemblance avec les Saturnales est complegravete car les domestiques de fermes sont servis agrave table par leurs maicirctres et autoriseacutes agrave leur parler en toute liberteacute 76 raquo

LrsquoEacuteglise de mecircme a ducirc autoriser cette reacutevolution temporaire dans ses pro-pres usages religieux et ne pouvant supprimer les reacutejouissances populaires elle a essayeacute de les diriger ou de leur donner un sens moins sacrilegravege que bouffon Aux jours de saint Eacutetienne de saint Jean et des Innocents dans certaines villes un jeune clerc appeleacute laquo episcopus stultorum raquo occupait le siegravege eacutepiscopal avec les

76 Le rameau drsquoor II p et suiv

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ornements pontificaux et sur la tecircte un bourrelet en guise de mitre De mecircme agrave la fecircte des Fous et agrave la fecircte de lrsquoAcircne des laiumlques travestis en precirctres chantaient des obsceacuteniteacutes ou amenaient un acircne couronneacute devant lrsquoautel

Revenons maintenant agrave lrsquoEacutegypte et recherchons srsquoil nrsquoy a pas dans sa vie reli-gieuse et populaire des traits qui correspondent agrave la royauteacute eacutepheacutemegravere de Car-naval agrave lrsquoenterrement du Vieux dieu de la veacutegeacutetation lrsquoexpulsion de la mort et des deacutemons aux fecirctes orgiaques du renouveau A dire vrai lrsquoEacutegypte sur tous ces points paraicirct tregraves pauvre de teacutemoignages elle ne fournit ni texte coheacuterent et explicite ni tableau clairement composeacute nous devons saisir au passage des allusions bregraveves ou isoler certains personnages certaines repreacutesentations dont la valeur et le sens eacutechappent agrave qui ne srsquoest pas livreacute agrave une enquecircte comme celle qui preacutecegravede

Nous avons eacutetudieacute deacutejagrave les rites de la fecircte sed ougrave le Pharaon subit une mort fictive suivie drsquoune renaissance simuleacutee qui lui donne une vitaliteacute nouvelle Cette fecircte singuliegravere qui srsquoest perpeacutetueacutee pendant les quatre mille ans de la monarchie pharaonique ne pourrait-on lrsquoexpliquer par la tradition du meurtre rituel auquel se soumet le roi vieillissant Crsquoest agrave une eacutepoque anteacuterieure aux plus anciens monuments connus que le Pharaon fut reacuteellement immoleacute deacutejagrave sur les palettes archaiumlques il srsquoest eacutevadeacute de cette obligation et on lui substitue drsquoautres victimes humaines A lrsquoeacutepoque historique gracircce agrave la reacuteveacutelation osirienne qui a enseigneacute agrave la socieacuteteacute eacutegyptienne agrave transformer le treacutepas en vie eacuteternelle la renaissance du roi ne suppose plus neacutecessairement le sacrifice drsquoun remplaccedilant elle srsquoopegravere rituel-lement par la ceacuteleacutebration de Mystegraveres sans autre effusion de sang que celle des animaux qui remplacent les victimes humaines De ces atteacutenuations progressi-ves jrsquoai conclu que le roi drsquoEacutegypte semble bien avoir connu le meurtre rituel du roi qui sert de fondement agrave beaucoup de traditions de carnaval

Mais reste-t-il trace drsquoun roi inteacuterimaire personnage sacreacute au deacutebut devenu grotesque par la suite puis confondu par le meacutelange des traditions qui srsquoobscur-cissent avec le Vieux dieu de la veacutegeacutetation expirante

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Bouffons couronneacutes pirouettant

On remarque ceci seulement dans les cortegraveges des fecirctes Sed et parmi les officiants du culte funeacuteraire deacutefilent des personnages affubleacutes drsquoune couronne de roseaux (fig 0) qui est semblable agrave certaines coiffures royales A leur attitude compasseacutee on pourrait se demander srsquoils ne sont pas des mannequins habilleacutes en rois (fig ) en reacutealiteacute ce sont des bouffons Nous voyons aussi dans les reliefs des tombeaux des individus coiffeacutes de la mecircme couronne exeacutecuter les contorsions et les danses des baladins (fig )

Figure Bouffons couronneacutes

Ces personnages apparaissent sur la stegravele C du Louvre ougrave sont repreacutesenteacutes les mystegraveres osiriens lagrave leur couronne tresseacutee se heacuterisse de rubans de tortils de fleurs ou drsquoeacutepis les bras en mouvement une jambe en lrsquoair ils ont lrsquoallure de

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pantins deacutesarticuleacutes Qui sont ces bouffons couronneacutes qui se mecirclent partout aux officiants dans les scegravenes les plus lugubres des rites osiriens 77

Figure Baladines couronneacutees comme des bouffons

Ils nous rappellent les rois burlesques que nous trouvons chez drsquoautres peu-ples jouant le rocircle du roi condamneacute agrave mort ou du Vieux dieu de la veacutegeacutetation avec qui lrsquoOsiris eacutegyptien offre tant de traits communs On srsquoexpliquerait diffici-lement que ces personnages grotesques aient pu srsquoaffubler dans des ceacutereacutemonies solennelles de coiffures semblables aux couronnes royales si leur aspect nrsquoavait eacuteveilleacute lrsquoeacutecho de traditions sacreacutees auxquelles on se faisait scrupule de toucher (fig -0)

Figure 6Nains bouffons

Laissons ces analogies avec le roi inteacuterimaire de Carnaval (Fig 8) Ces mecirc-

77 Louvre stegravele C Tylor paheri pl V (cf fig 22) Virey rehmard pl XXVI Maspero Montouherjhepshef p 60 (cf fig 2) Sur ces bouffons cf Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (procee-dings sBA XV p )

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mes personnages qui sont mannequins couronneacutes aux funeacuterailles ou baladins aux fecirctes publiques srsquoappellent nemou nem et ce nom projette sur leur attitude une vive lumiegravere car on appelle aussi Nemou des nains danseurs dont le rocircle agrave la fois religieux et bouffon ne laisse aucun doute Les plus rechercheacutes de ces nains venaient du Haut-Nil ougrave vivait une tribu de pygmeacutees les Dang 78

Figure 7Danseuses coiffeacutees de roseaux et munies de sceptres

Sous lrsquoAncien Empire les Pharaons envoyaient des expeacuteditions jusqursquoen ces contreacutees lointaines (on les appelait du nom mystique la terre des Initieacutes iahou) pour ramener agrave la cour ces Dang dont on faisait les laquo danseurs du dieu raquo crsquoest-agrave-dire drsquoOsiris par leurs contorsions rythmeacutees leurs balancements ces pygmeacutees savaient laquo reacutejouir le cœur drsquoOsiris raquo au ciel et celui du Pharaon sur terre

78 Les bouffons ou nains portent sur les monuments diffeacuterents noms deg les nains nensou (Beni Hasan II 6 cf notre fig 6) 2deg les nains Dang citeacutes aux textes du tombeau drsquoHe-rhouf et des Pyramides (cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 2 et suiv) peut-ecirctre faut-il corriger en Danq le nom de Danb du second nain de Beni-Hasan (confusion du q et du b) deg les bouffons mw-w (paheri pl V Rehmacircracirc pl XXVI cf Gardiner ap recueil XXXIII p ) dont le nom eacutecrit en toutes lettres au tombeau de Sebekneht cf fig ) semble une lecture erroneacutee du mot nemi deg les officiants neniou les laquo affaisseacutes raquo qui semblent jouer le rocircle de vic-times peut-ecirctre de tikenou (pyr de teti I 20 + 2 id Sethe II p 7 sinouhit I ) Les trois mots nemiw mw-w neniw srsquoeacutecrivant agrave peu pregraves de la mecircme faccedilon ont pu ecirctre confondus au cours des siegravecles

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8Officiants et nains

Nous ne savons pas en quoi consistait ou ce que mimait en figures expressives la danse des Dang ou des nemou mais les textes des papyrus et des stegraveles nous confirment les donneacutees des tableaux retrouveacutes aux tombes des Moyen et Nouvel Empires leurs sauts 7 eacutetaient neacutecessaires lors des funeacuterailles comme partie in-teacutegrante du rituel on les faisait exeacutecuter devant la porte du tombeau 80 le plus souvent par des baladins de profession et agrave leur deacutefaut par des precirctres officiants quelquefois par de veacuteritables nains Quelques indices permettent de se repreacutesen-ter ces danses comme des incantations contre les deacutemons Seacutethiens adversaires drsquoOsiris Drsquoune part le nemi rappelait par son masque et ses difformiteacutes le dieu Bes dont la face eacutetait puissante contre les deacutemons 8 soit agrave la naissance 82 soit pendant la vie des hommes 8 aussi certains livres magiques contiennent-ils un laquo chapitre du Nemi raquo qui srsquoemploie comme phylactegravere 8 Peut-ecirctre aussi tirait-on parti de lrsquoaspect grotesque du nemi pour figurer les ennemis deacutetestables drsquoOsiris

7 La danse hb consiste en sauts en hauteur avec une rotation soit sur un pied soit en lrsquoair (cf fig ) et srsquoexeacutecute lors des laquo conseacutecrations raquo desertou (el Bersheh II 2)80 sinouhit - laquo on exeacutecutera les sauts des Neniou (hbb nnjw) agrave la porte de la tom-be raquo (XIIe dyn) Mariette Mon divers pl 6 Piehl inscriptions I laquo on exeacutecutera pour toi les sauts des nemiou agrave la porte de la tombe (le deacuteterminatif indique un personnage qui se renverse en arriegravere les pieds et mains touchant la terre) Piehl insc I 7 laquo on exeacutecutera pour moi les sauts de nemiou agrave la porte de la tombe raquo (le deacuteterminatif indique un personnage qui se laisse aller agrave terre comme agrave notre fig )8 Maspero eacutetudes de Mythologie II p cf Wiedemann recueil XVII p 282 Naissance du roi Louxor pl LXV8 Stegraveles du type dit de Metternich8 Pleyte eacutetude sur un rouleau magique p 8 et suiv

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et mimer la preacutesence et lrsquoexpulsion des deacutemons le mot nemi deacutetermineacute par lrsquoanimal typhonien deacutesigne parfois lrsquoesprit malfaisant 8

Figure Couronne royale du Sud Couronne de bouffon

Figure 0Couronnes de roseaux celle du bouffon et celle du roi

Nrsquooublions pas que drsquoautres indigegravenes des lointaines reacutegions du Haut-Nil sont exhibeacutes la figure couverte drsquoun masque grotesque au cours des fecirctes sed confon-dus avec les officiants (fig ) leur preacutesence srsquoexplique peut-ecirctre par les mecircmes raisons soit qursquoils chassent les deacutemons soit qursquoils figurent eux-mecircmes ces deacutemons expulseacutes Drsquoailleurs il est possible que ces bouffons couronneacutes ces danseurs deacutemo-niaques reacuteunissent en leur personne des rocircles distincts agrave lrsquoorigine et que drsquoautres peuples attribuent soit agrave des boucs eacutemissaires 86 soit agrave des rois de Carnaval

8 Brugsch Woumlrterbuch p 76 sup p 6786 Les ennemis drsquoOsiris eacutetaient figureacutes par des acteurs dans les fecirctes religieuses cela ressort des textes et tableaux eacutegyptiens et du teacutemoignage drsquoHeacuterodote (II 6) qui a eacuteteacute teacutemoin drsquoune effroyable bastonnade eacutechangeacutee entre adversaires et partisans du dieu

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Indigegravene de la tribu Oua-Oua mecircleacute aux officiants de la fecircte Sed

Il a un masque de bouffon

Les danses exeacutecuteacutees lors des rites funeacuteraires peuvent encore srsquoexpliquer par un autre motif un artifice de magie imitative Je ne parle point de ces tableaux ougrave le deacutefunt se deacutelecte agrave ouiumlr des chants accompagneacutes par les flucirctes et les har-pes cependant qursquoune troupe drsquoalmeacutees juveacuteniles multiplie ses pas cadenceacutes Il est drsquoautres danses qui ne sont point purs divertissements Regardez les sauts esquisseacutes par les Nemou au moment ougrave srsquoopegravere la renaissance par la peau ou bien suivez au tombeau drsquoAnhmacirchor lrsquoeacutevolution de ces danses (fig 2) qui font pendant au triste tableau des funeacuterailles avec quelle furie disciplineacutee les femmes jettent en avant le pied plus haut que la tecircte Est-ce vaine exhibition de figurants entraicircneacutes agrave des exercices rythmiques qui tiennent plus de la gymnastique que du ballet Non car sur la paroi drsquoen face regardant ces virtuoses voici drsquoautres freacuteneacutetiques qui deacutefaillent ils se pacircment se laissent tomber agrave terre gisent comme srsquoils simulaient lrsquoaffaissement du treacutepas (fig ) Comment croire qursquoon ait pu introduire en pleine fecircte funegravebre lrsquoeacutepisode de ce cake-walk eacutecheveleacute Nrsquoy pour-rait-on voir plutocirct une danse magique et solennelle qui a pour but en mimant la vie et la mort de susciter dans le corps inerte du deacutefunt quelque prodigieux eacutelan de vigueur et de reacutesurrection ou de stimuler dans le sol endormi la pousseacutee des semences et la croissance jusqursquoagrave une hauteur extraordinaire de la veacutegeacuteta-tion Ici comme dans les fecirctes agraires que nous avons citeacutees danses et sauts auraient le mecircme effet magique les pousses nouvelles image drsquoOsiris ou du deacutefunt renaissant grandiront en gloire srsquoeacutelegraveveront aussi haut que les sauteurs ont pu lancer le pied

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Danseuses

Les eacutepisodes orgiaques et licencieux qui accompagnent ailleurs les Saturnales et lrsquoeacutepheacutemegravere royauteacute du Carnaval se retrouvent eacutegalement en Eacutegypte Les tex-tes du temple de Dendeacuterah nous deacutecrivent une ceacutereacutemonie qursquoon ceacuteleacutebrait au deacute-but de lrsquoanneacutee eacutegyptienne le 20 Thot apregraves les vendanges et la moisson A cette date la deacuteesse Hathor et ses paregravedres sortaient du sanctuaire le cœur en liesse les precirctresses montraient agrave la foule les statues sacreacutees au son des cymbales et des tambourins pendant cinq jours tous les habitants de la ville se couronnaient de fleurs buvaient sans mesure chantaient et dansaient du lever au coucher du soleil 87

La fecircte laquo de lrsquoivresse raquo tombait presque aux mecircmes dates que les fecirctes de la moisson ceacuteleacutebreacutee dans la reacutegion theacutebaine et de lrsquoensevelissement drsquoOsiris qui se faisait agrave Abydos (22 Thot) je ne saurais voir lagrave une coiumlncidence fortuite Cette ivresse joyeuse qui se reacutepand sur toute une ville ce deacutechaicircnement des instincts une fois le travail termineacute a comme un goucirct avant-coureur de notre licence du Carnaval sauf que ce dernier a reporteacute les mecircmes scegravenes agrave la saison des se-mailles sans preacutejudice de celles qui ont lieu encore agrave la moisson Drsquoailleurs le deacuteregraveglement propre aux Saturnales nous apparaicirctra mieux encore dans la fecircte de Bubastis qursquoHeacuterodote a vue et deacutecrite au ve siegravecle avant J-C

87 Mariette Dendeacuterah III pl I pl 62 texte p 28 et 02

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On se rend agrave Bubastis par eau hommes et femmes pecircle-mecircle et confondus les uns avec les autres dans chaque bateau il y a un grand nombre de personnes de lrsquoun et de lrsquoautre sexe tant que dure la navigation les femmes jouent des cas-tagnettes et les hommes de la flucircte le reste autant hommes que femmes chante et bat des mains Lorsqursquoon passe pregraves drsquoune ville on fait approcher le bateau du rivage Parmi les femmes les unes continuent de chanter et de jouer des cas-tagnettes drsquoautres crient de toutes leurs forces et disent des injures agrave celles de la ville celles-ci se mettent agrave danser et celles-lagrave se tenant debout retroussent indeacutecemment leurs robes 88 La mecircme chose srsquoobserve agrave chaque ville qursquoon ren-contre le long du fleuve Quand on est arriveacute agrave Bubastis on ceacutelegravebre la fecircte de la deacuteesse en immolant un grand nombre de victimes et lrsquoon fait agrave cette fecircte une plus grande consommation de vin de vigne que dans tout le reste de lrsquoanneacutee car il srsquoy rend au rapport des habitants sept cent mille personnes tant hommes que femmes sans compter les enfantshellip8 raquo

Cette gaieteacute profane qui accompagne drsquoordinaire les foules en pegravelerinage marque drsquoeacutepisodes faceacutetieux les ceacutereacutemonies les plus graves Ainsi dans les pro-cessions religieuses et les cortegraveges sacerdotaux voyons-nous des precirctres chargeacutes de repreacutesenter les dieux pour rendre lrsquoeffigie plus ressemblante ils revecirctent des costumes ou portent des attributs eacutetranges et srsquoattachent sur la figure des mas-ques drsquoanimaux spectacle qui est sans doute eacutedifiant pour lrsquoeacutelite mais qui pour la foule precircte agrave lrsquoeacutequivoque et au rire tel deacutefileacute du clergeacute theacutebain qursquoon nous montre aux fecirctes de la moisson semble annoncer par son caractegravere mi-burlesque mi-sacreacute ces cortegraveges qursquoApuleacutee verra plus tard agrave Chenchreacutees et dont il nous a laisseacute une si pittoresque description

Figure Fecircte de la gerbe Precirctres portant les enseignes divines

le Nsout-Hen et les simulacres des dieux

88 Au chap II 8 Heacuterodote signale drsquoautres rites indeacutecents8 Heacuterodote II 60

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les monuments eacutegyptiens ne sont donc point autant qursquoil le paraicirct agrave pre-miegravere vue deacutepourvus de teacutemoignages sur les fecirctes agraires on les rites dits de Carnaval Seulement ils apportent peu de textes preacutecis peu de tableaux pourvus drsquoun commentaire ou qursquoon puisse expliquer avec entiegravere certitude Dans ces conditions lrsquoEacutegypte ne peut servir de point de deacutepart pour des recherches de cet ordre au contraire jrsquoai ducirc aller du connu agrave lrsquoinconnu mrsquoinformer ailleurs de certains rites et de lrsquoexplication qursquoon leur a trouveacutee puis revenir agrave lrsquoEacutegypte et interpreacuteter certaines expressions certaines figures eacutenigmatiques avec la clef que drsquoautres civilisations peuvent fournir Lrsquoanalogie est vraisemblable drsquoune part il serait surprenant que ces coutumes drsquousage universel aient eacuteteacute ignoreacutees des Eacutegyptiens drsquoautre part les rites burlesques observeacutes dans les funeacuterailles les fecirctes sed et les paneacutegyries sacreacutees srsquoexpliqueraient difficilement sans lrsquointerpreacutetation que drsquoautres peuples nous fournissent avec tant drsquoabondance et de preacutecision

Ces coutumes pratiqueacutees dans le monde entier ces fecirctes dont le sens se retrou-ve agrave peine obliteacutereacute dans la survivance eacutetonnante des mecircmes deacutecors ont ainsi leurs racines immeacutemoriales dans les limbes de lrsquoHistoire Ne nous meacuteprenons pas sur lrsquoaspect grotesque que ces traditions ont revecirctu au cours des siegravecles Veacute-neacuterables par leur passeacute elles nous montrent en action la religion primitive elles nous deacutecrivent cette lutte eacuteternelle pour la vie qui est agrave la base de la premiegravere foi de lrsquohumaniteacute Tous ces rites reposent sur le paralleacutelisme absolu entre lrsquohomme et la nature elle vit prospegravere grandit meurt comme lui et il est frappeacute par ce recommencement et ce retour perpeacutetuel des choses Il veut donc assurer le re-nouvellement constant des forces naturelles ou ce qui revient au mecircme en em-pecirccher lrsquoeacutepuisement Ce sentiment de preacutevoyance a persisteacute sous les conceptions meacutetaphysiques apporteacutees au cours des siegravecles par les philosophies qui recouvrirent peu agrave peu la religion naturelle Les fecirctes drsquoaujourdrsquohui preacutesentent lrsquoaspect drsquoun terrain geacuteologique ougrave les stratifications ont eacuteteacute bousculeacutees et mecircme interverties par les diverses convulsions de la foi religieuse depuis lrsquoantiquiteacute Dernier venu le christianisme a remanieacute le cadre mecircme de lrsquoanneacutee dont Pacircques eacutetait jadis le deacutebut de sorte que les fecirctes qui vont de deacutecembre agrave Pacircques ne coiumlncident plus avec le temps du renouveau et de la moisson qursquoelles marquaient autrefois et ne sont plus placeacutees aujourdrsquohui dans leur ordre logique neacuteanmoins se perpeacutetue agrave travers ces confusions la tradition antique jusqursquoagrave cette grande purification annuelle de Pacircques commandeacutee encore par le christianisme

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Expulser la mort eacuteliminer les deacutemons et les mauvais instincts faire renaicirctre en soi dans la socieacuteteacute et la nature des forces renouveleacutees et salutaires tel eacutetait le but de certaines fecirctes antiques que nous avons retrouveacutees en Eacutegypte et ailleurs tel encore est le sens oublieacute des fecirctes du Carnaval Le roi qui aux temps anti-ques y jouait le premier rocircle reste aujourdrsquohui reconnaissable sous son traves-tissement bouffon Ce deacutefileacute burlesque fut autrefois une procession auguste et le deacutenouement lamentable drsquoun drame Derriegravere le masque bafoueacute du roi deacutechu ou eacutepheacutemegravere nos ancecirctres ont vu la figure tragique de lrsquohomme-dieu qui pour le bien et la vie de ses semblables allait mourir

27

vI

sanctuaIres de LrsquoancIen eMpIre

Les grandes pyramides de Gizeh mdash celles de Cheacuteops Cheacutephregraven Myceri-nus mdash et les petites pyramides drsquoAbousir et de Saqqarah sont les tombeaux des pharaons de lrsquoAncien Empire Les momies royales ensevelies dans les profon-deurs de ces maccedilonneries eacutetaient inaccessibles deacutefendues par des herses de gra-nit qursquoon laissait tomber les funeacuterailles faites sur les couloirs descendant au caveau Il fallait cependant agrave des intervalles rapprocheacutes ceacuteleacutebrer le culte du roi deacutefunt car seul le culte pouvait prolonger sa vie drsquooutre-tombe Dans les tom-beaux des particuliers 0 la chapelle funeacuteraire restait accessible agrave lrsquointeacuterieur du mastaba eacuteleveacute sur le caveau dans les tombes royales le seuil de la pyramide eacutetant deacutesormais infranchissable il fallut reporter la salle du culte agrave lrsquoexteacuterieur dans un temple bacircti sur la faccedilade orientale de la pyramide

On a chercheacute ces temples funeacuteraires et on a pu en deacutegager les substructures agrave Meidoum agrave Saqqarah mais devant les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir les tumuli recouverts de sable qui srsquoeacutetendaient depuis leur face orientale jusqursquoagrave la valleacutee placeacutee en contre-bas preacutesentaient un aspect insolite Tout pregraves de la pyra-mide il y avait des deacutebris drsquoeacutedifices en descendant vers la valleacutee on remarquait les traces drsquoune chausseacutee qui avait servi agrave charrier les mateacuteriaux de construction enfin agrave la lisiegravere du deacutesert existaient encore les substructures de constructions imposantes dont la mieux conserveacutee eacutetait le fameux temple laquo de granit raquo ou laquo du Sphinx raquo ainsi nommeacute agrave cause de ses mateacuteriaux et de son voisinage ceacutelegravebre Lors-que Mariette le deacuteblaya drsquoailleurs partiellement de 8 agrave 860 il nrsquoy trouva que des statues colossales jeteacutees au fond drsquoun puits aucune inscription nul bas-relief ne deacutecorait ces murs de granit muets sur la destination de lrsquoeacutedifice son plan bizarre diffeacuterait eacutegalement de tous les monuments encore connus Entre les pyramides royales et ces eacutedifices plus ou moins ruineacutes situeacutes en bordure des ter-res cultiveacutees il ne semblait drsquoailleurs qursquoaucun lien existacirct La chausseacutee qui sub-sistait par places allait en obliquant de lrsquoeacutedifice agrave la pyramide et comme elle ne

0 On appelle mastaba la tombe de lrsquoAncien Empire qui a la forme exteacuterieure drsquoun cube de maccedilonnerie pleine sans autre ouverture que les portes Cf Au temps des pharaons p 78

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se trouvait dans lrsquoaxe ni du monument infeacuterieur ni du tombeau supeacuterieur lrsquoideacutee ne venait point drsquoun ensemble architectural ougrave la pyramide le temple la chaus-seacutee et lrsquoeacutedifice de la valleacutee auraient joueacute chacun leur rocircle Des fouilles meneacutees par M Borchardt sur le site drsquoAbousir par MM Steindorff et Reisner sur celui de Gizeh et qui viennent drsquoecirctre publieacutees ont cependant deacutemontreacute la reacutealiteacute de ce grand ensemble et reacuteveacuteleacute le rapport et mecircme la destination des parties

Ce nrsquoeacutetait point par hasard que le temple dit laquo du Sphinx raquo eacutetait situeacute au pied de la pyramide de Cheacutephregraven et que agrave Abousir par-devant les pyramides rui-neacutees de Sahouracirc et de Neouserracirc srsquoallongeait jusqursquoagrave la valleacutee lrsquoempierrement de constructions importantes qui se deacuteveloppaient sur une longueur de 00 00 ou 700 megravetres en escaladant le plateau Les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir sont ne lrsquooublions pas sur un plateau calcaire rebord du vaste deacutesert qui coupe en deux de lrsquoAtlantique au golfe Persique les continents de lrsquoAncien Monde Dans ce deacutesert la valleacutee du Nil est une zone drsquoeffondrement en partie combleacutee par les alluvions du fleuve aussi est-elle neacutecessairement en contrebas des deux legravevres de cette faille du plateau deacutesertique A la hauteur des pyramides de Gizeh la diffeacuterence de niveau entre le deacutesert et la plaine fertile atteint 6 megravetres Il fallait donc soit pour construire la pyramide soit apregraves son achegravevement pour y peacuteleriner gravir cette falaise sablonneuse On relia la valleacutee et le plateau au moyen drsquoune rampe en blocs solides de calcaire qui filait de biais pour racheter la pente insensiblement Ces chausseacutees dont Heacuterodote deacutejagrave relevait les traces nrsquoeacutetaient donc que le chemin drsquoaccegraves agrave la pyramide ou plutocirct au temple mor-tuaire eacuterigeacute sur son flanc oriental Seulement crsquoeacutetait un chemin couvert un long corridor bacircti qui inspirait moins lrsquoideacutee de fraicirccheur et drsquoombre que le silence et le recueillement drsquoune nef seacutepulcrale A Gizeh comme agrave Abousir le touriste doit restituer en imagination par-devant la face orientale de chaque pyramide un plan ascendant composeacute deg drsquoun portique monumental dans la plaine 2deg drsquoune galerie voucircteacutee et deg du temple proprement dit ougrave les rites renouvelaient agrave chaque ceacuteleacutebration de culte la vie du roi enseveli

A Gizeh ces ensembles architecturaux ont subi des fortunes varieacutees devant la plus grande pyramide celle de Cheacuteops il ne reste guegravere du temple funeacuteraire que le pavement en basalte et de la rampe que des deacutebris le portique de la val-leacutee a disparu La pyramide de Cheacutephregraven a conserveacute au contraire son portique le laquo temple du Sphinx raquo sa rampe drsquoaccegraves reacuteduite agrave la substructure et quelques pans de murs du temple funeacuteraire Devant la pyramide de Mycerinus le tem-

II 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ple est assez bien conserveacute et M Reisner y a trouveacute drsquoadmirables statues du roi constructeur

Examinons maintenant le groupe des constructions eacuteleveacute par Cheacutephregraven vers 280 avant J-C et commenccedilons agrave la lisiegravere de la valleacutee par ce laquo temple de gra-nit raquo ou laquo du Sphinx raquo que nous appellerons deacutesormais le Portique de cet ensem-ble 2 Fait exceptionnel dans lrsquohistoire monumentale de lrsquoEacutegypte il est tout en-tier construit murs plafond colonnes en granit rose drsquoAssouan crsquoest la pierre employeacutee aussi pour les caveaux inteacuterieurs des pyramides Le sol est partout paveacute drsquoalbacirctre et une chambre est mi-partie granit et mi-partie albacirctre Nul autre eacutedifice drsquoEacutegypte ne preacutesente un tel luxe uni agrave tant de soliditeacute et les pierres tailleacutees en dimensions colossales polies dans des mateacuteriaux qui deacutefiaient la main drsquoœuvre humaine srsquoy ajustent avec une preacutecision une perfection qui ont vaincu le temps En apparence cet eacutedifice est un carreacute de pierre de 0 megravetres de large sur 0 de long La faccedilade aux murs en talus construits en grand appareil hauts de megravetres et dont le toit est agrave profil semi-arrondi preacutesente lrsquoaspect drsquoun mastaba Deux portes larges de 2 m 80 hautes de 6 megravetres percent la faccedilade qui nrsquoa pas drsquoautre ornement que des leacutegendes hieacuteroglyphiques donnant les titres du roi Cheacutephregraven De doubles panneaux de bois agrave verrous eacutenormes garnissaient les portes Il y avait la porte du Nord ougrave le roi se deacuteclarait laquo lrsquoaimeacute de Bastit raquo la deacuteesse septentrionale et la porte du Sud ougrave le roi se disait laquo lrsquoaimeacute de Hathor raquo la deacuteesse meacuteridionale Comme dans les temples posteacuterieurs la division srsquoexpli-que donc par la dualiteacute du roi qui est le souverain des Deux Eacutegyptes

Chaque porte eacutetait encadreacutee de deux sphinx androceacutephales agrave corps de lion du moins pourrait-on le supposer drsquoapregraves une deacutecoration pareille devant le Por-tique de Sahouracirc agrave Abousir agrave Gizeh on a trouveacute en place la base des sphinx longue de 8 megravetres Ces figures incarnent le roi lui-mecircme le laquo Lion raquo des textes de lrsquoAncien Empire proteacutegeant son palais de sa force magique et divine Crsquoest aussi la signification du moins agrave lrsquoorigine du Sphinx qui se tient face leveacutee agrave la droite de notre eacutedifice drsquoun rocher long de 7 megravetres et haut de 20 qui offrait une ressemblance fortuite avec lrsquoanimal accroupi on avait fait un lion androceacutephale tenant entre ses pattes et sous sa tecircte une statue de Cheacutephregraven

2 Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 08 aux frais de M Ernst von Sieglin et dirigeacutees par MM Steindorff Borchardt et U Houmllscher Le compte rendu en a eacuteteacute donneacute par U Houmllscher Das grabdenkmal des Koumlnigs Chephren 2 Les blocs pesant plus de 0000 kilos ne sont pas rares il y en a qui deacutepassent 0000 kilos

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

aujourdrsquohui mutileacutee Ce rocher qursquoon ne pouvait supprimer prit ainsi sa place dans le plan du portique et forma avec lui un ensemble deacutecoratif Enfin au cen-tre de notre faccedilade il y avait un naos dont reste la substructure et qui contenait sans doute une statue de Cheacutephregraven

Cour du temple funeacuteraire

Figure Faccedilade du temple de granit (portique)

(Restitutions de M U Houmllscher)

Chacune des deux portes donne accegraves dans une chambre eacutetroite haute de megravetres drsquoougrave agrave droite et agrave gauche partent des corridors ils convergent dans un vestibule qui occupe toute la largeur de lrsquoeacutedifice Avant les fouilles de 08 on ne peacuteneacutetrait que jusque-lagrave et par le cocircteacute opposeacute agrave la faccedilade puisque celle-ci nrsquoeacutetait pas encore deacuteblayeacutee Dans un coin srsquoouvrait beacuteant un puits drsquoeacutepoque reacutecente crsquoest lagrave que Mariette trouva en 860 le fameux Cheacutephregraven en diorite orgueil du museacutee du Caire Du vestibule une grande porte nous introduit dans la salle principale qui est hypostyle et en forme de renverseacute Crsquoest donc la barre du qui se preacutesente drsquoabord sous lrsquoaspect drsquoune galerie diviseacutee en deux traveacutees par une rangeacutee centrale de six piliers rectangulaires au milieu srsquoouvre la galerie perpendiculaire diviseacutee en deux traveacutees par une double ligne de six pi-liers

Ici comme ailleurs les portes les murs les dalles du plafond sont unique-ment de granit rose par blocs de grand appareil longs de agrave 6 megravetres pesant de 0 000 agrave 0 000 kilogrammes les piliers hauts de 8 megravetres sont monolithes

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Aucun ornement aucune moulure nrsquoaltegravere le seacuterieux solennel de cette architec-ture pas une ligne qui ne se rapporte uniquement agrave la construction Le pave-ment est en dalles drsquoalbacirctre poli dont la blancheur laiteuse fait contraste avec la sombre splendeur du granit nu Des enfoncements encore visibles dans le paveacute drsquoalbacirctre permettent drsquoaffirmer que le long de ces murailles lisses en face de chacun des piliers il y avait vingt-trois statues royales plus grandes que nature repreacutesentant Cheacutephregraven assis sur son trocircne dans lrsquoattitude de majesteacute divine qursquoa populariseacutee lrsquoexemplaire deacutecouvert par Mariette Beaucoup de fragments de ces statues ont eacuteteacute retrouveacutes en particulier une tecircte admirable des morceaux de visages des parties du corps Si chaque statue donnait au roi la mecircme pose

Figure mdash Le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

toutes diffeacuteraient soit par le deacutetail soit par la matiegravere lrsquoune eacutetait en diorite verdacirctre veineacute de blanc lrsquoautre en albacirctre blanc lrsquoautre en schiste jaunacirctre Ces merveilleux modegraveles ougrave lrsquoart faisait encore palpiter une acircme srsquoirradiaient furti-vement dans un demi-jour car la salle hypostyle (dont le plafond est aujourdrsquohui deacutemanteleacute agrave lrsquoexception des poutres reliant les piliers) nrsquoeacutetait eacuteclaireacutee que par drsquoeacutetroites ouvertures meacutenageacutees agrave travers lrsquoeacutepaisseur des architraves et du plafond De quelle vie troublante devait srsquoanimer lrsquoimmobile assembleacutee des vingt-trois colosses assis dans leur pose inflexible quand le faisceau drsquoun rayon de soleil se glissant par les fenecirctres obliques venait se reacutefleacutechir sur le paveacute eacutetincelant avi-ver un pan de muraille rouge reacuteveacuteler quelques secondes durant le geste drsquoune main lrsquoeacuteclair drsquoun regard puis se retirant laissait retomber un lourd voile de teacutenegravebres sur lrsquohypostyle seacutepulcrale

Laissons de cocircteacute un eacutetroit corridor qui part de lrsquoangle gauche de lrsquohypostyle pour aboutir agrave trois cellules longues sortes de silos de granit agrave deux eacutetages ougrave lrsquoon serrait le mobilier les vecirctements sacreacutes les vases et lampes neacutecessaires aux ablutions et aux fumigations rituelles De lrsquoangle droit de notre grand part un autre couloir il dessert drsquoabord un plan inclineacute en albacirctre qui tourne agrave droite et conduit sur le toit puis une chambre de garde pour la surveillance du toit et de la sortie Nous arrivons en effet agrave lrsquoangle nord-ouest de lrsquoeacutedifice le couloir se poursuit et devient le chemin couvert qui durant 00 megravetres escalade le pla-teau deacutesertique suivant une pente assez rapide de dix pour cent Il est faiblement eacuteclaireacute par drsquoeacutetroites fenecirctres deacutecoupeacutees dans le plafond Les murs en calcaire blanc sans deacutecoration se raccordent agrave la voucircte en profil semi-arrondi La rampe deacutebouche obliquement dans la faccedilade du Temple funeacuteraire

Celui-ci (fig ) est un eacutedifice rectangulaire de mecircme largeur mdash 0 megrave-tres mdash que le Portique de la valleacutee mais drsquoune longueur supeacuterieure 0 megravetres au lieu de 0 Il se divise en deux parties de dimensions fort ineacutegales le temple public qui se deacuteveloppe sur une longueur drsquoenviron 00 megravetres et le temple intime ou priveacute reacuteduit agrave quelques megravetres de superficie

Le temple public nrsquoa pas de faccedilade monumentale le chemin couvert deacutebou-che en effet directement et de biais dans le cube de maccedilonnerie en plein vesti-bule flanqueacute de magasins Une autre porte mais dans lrsquoaxe central conduit du

Voici comment Heacuterodote (II 2) deacutecrit la chausseacutee de la pyramide de Cheacuteops laquo On passa dix ans agrave construire la chausseacutee par ougrave on devait traicircner les pierres Cette chausseacutee est un ouvrage qui nrsquoest guegravere moins consideacuterable agrave mon avis que la pyramide car elle a 2 megravetres de long sur megravetres de large et megravetres de haut dans sa plus grande hauteur elle est de pierres polies et orneacutee de figures drsquoanimaux raquo

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vestibule agrave deux grandes salles hypostyles aux piliers carreacutes disposeacutees en ren-verseacute comme dans le premier eacutedifice mais un eacutetranglement de la maccedilonnerie seacutepare ici les deux barres de notre pour en faire deux hypostyles indeacutependantes Il y avait lagrave aussi des statues colossales assises et peut-ecirctre comme dans le tem-ple funeacuteraire de Mycerinus des groupes formant bas-reliefs Particulariteacute notable agrave gauche et agrave droite srsquoenfoncent dans le plein de la maccedilonnerie deux boyaux pareils aux laquo serdabs raquo des mastabas et srsquoouvrant de mecircme dans la salle non par des portes mais par drsquoexigus soupiraux Crsquoest agrave lrsquointeacuterieur de ces oubliettes et avant drsquoen murer lrsquoentreacutee qursquoon deacuteposait des statues du roi constructeur les fouilleurs modernes nrsquoy ont trouveacute que des deacutebris

Au fond de la seconde hypostyle une porte deacutebouche en pleine lumiegravere dans une vaste cour occupant la largeur de lrsquoeacutedifice La cour srsquoencadre drsquoun portique qui a cinq ouvertures dans cette largeur et trois sur les cocircteacutes entre ces ouvertu-res la maccedilonnerie srsquoeacutepaissit en un massif pilier monolithe deacutecoreacute drsquoune statue sur sa face anteacuterieure (Fig ) Crsquoest le premier speacutecimen connu drsquoune de ces cours bordeacutees de statues qui se retrouvent dans les temples theacutebains agrave Louxor au Ramesseum agrave Meacutedinet-Habou (fig ) On suppose que les statues repreacutesen-taient alternativement le Pharaon en costume de roi du Sud et de roi du Nord Le portique du fond agrave cinq ouvertures donnait accegraves agrave cinq cellules parallegraveles fort eacutetroites sauf celle du milieu qui est plus large Or les temples de Sahouracirc et de Neouserracirc agrave Abousir nous ont appris que dans ces cinq cellules eacutetaient adoreacutees cinq statues du Pharaon nous pouvons supposer que ce nombre rituel de cinq chapelles et cinq statues srsquoexplique 6 par les cinq noms officiels du pro-tocole sous lesquels le roi eacutetait adoreacute

Le public nrsquoallait pas plus loin Seuls les precirctres et le roi peacuteneacutetraient dans un corridor menant par les cocircteacutes agrave une seacuterie de magasins puis dans une derniegravere sal-le semblable agrave un couloir mais de mecircme largeur que la cour et lrsquoeacutedifice crsquoeacutetait le Saint des Saints qui correspond agrave la chapelle inteacuterieure des mastabas En effet la paroi du fond celle qui est juxtaposeacutee au mur drsquoenceinte de la pyramide se creuse en son centre drsquoune niche rectangulaire ici se placcedilait la stegravele fausse-porte qui donnait accegraves dans lrsquoautre monde Il est probable que sur le flanc mecircme de la

Ces serdabs sont reacuteserveacutes agrave lrsquointeacuterieur de formidables noyaux de maccedilonnerie un des blocs de granit deacutepasse 70 megravetres cubes et pegravese plus de 70 000 kilos crsquoest agrave peu pregraves le poids drsquoun grand obeacutelisque6 Cheacutephregraven fut le premier agrave prendre le titre laquo fils de Racirc raquo ce qui complegravete agrave noms le proto-cole royal

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pyramide srsquoeacutelevait une autre stegravele 7 ou un naos situeacute dans le mecircme axe en face de la premiegravere stegravele et assurant ainsi une communication ideacuteale avec lrsquointeacuterieur de la pyramide

Tout ce temple funeacuteraire eacutetait construit comme les propyleacutees de la valleacutee en mateacuteriaux de choix granit rose pour les murs et les piliers albacirctre pour le pave-ment calcaire pour le remplissage de gros œuvre Ici non plus pas de deacutecoration sauf quelques lignes de textes encadrant les portiques de la cour deacutecouverte ou graveacutees sur les statues royales Crsquoest un art sobre srsquoexprimant directement par la statuaire ses personnages soit isoleacutes soit en groupes eacutenoncent toutes les ideacutees qui agrave lrsquoeacutepoque posteacuterieure seront deacuteveloppeacutees au moyen drsquoaccessoires textes ritualistiques bas-reliefs descriptifs

Revenons au rocircle du Portique dans cet ensemble Pour le deacuteterminer rap-pelons-nous qursquoil est situeacute juste entre le dessert et la valleacutee Si donc il fournit un pavillon drsquoentreacutee vers le chemin ouvert et le temple funeacuteraire il est aussi en contact avec le monde des vivants Devant lui dans la valleacutee srsquoeacutetendait comme agrave Abousir une laquo ville de la pyramide raquo Crsquoeacutetait sous lrsquoAncien Empire lrsquoendroit ougrave le Pharaon reacutesidait de son vivant agrave proximiteacute de son temple funeacuteraire et de sa pyramide qursquoil faisait bacirctir cette capitale eacutepheacutemegravere puisqursquoelle se deacuteplaccedilait avec chaque regravegne comprenait outre le palais et les habitations de la famille royale celle des parents des amis des clients des architectes de tous les em-ployeacutes dans le service des domaines funeacuteraires du Pharaon et dans le service des constructions Le Portique de la valleacutee eacutetait relieacute directement avec cette reacutesidence royale il eacutetait conccedilu avec sa faccedilade monumentale et son hypostyle grandiose pour servir de lieu de reacuteception ou de reacuteunion les ceacutereacutemonies qursquoon y ceacuteleacutebrait avaient sans doute un caractegravere plus officiel que religieux Les statues colossales du Pharaon qui veillaient dans lrsquohypostyle ne sont pas ces figures mobiles et portatives sur lesquelles on opeacuterait les rites funeacuteraires elles eacutetaient lagrave non pour recevoir ce culte funeacuteraire mais pour eacuteterniser la puissance et le nom du roi et agreacuteer lrsquoadoration de ses sujets Les accessoires de ce culte drsquoadoration eacutetaient sans doute peu importants car les magasins composeacutes de trois cellules doubles sont de faibles dimensions Jrsquoen conclus que le Portique participe du palais plu-tocirct que du temple

Quant au chemin couvert il nous conduit de ce Portique au Temple par un eacuteclairage endeuilleacute dans une ombre creacutepusculaire Nrsquoest-il pas agrave dessein mysteacute-

7 A Meidoum il y avait deux stegraveles dans une cour entre la chapelle et la pyramide de Snefrou (Maspero Histoire I p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rieux comme le passage de la vie agrave la mort et srsquoil se resserre nrsquoest-ce pas pour qursquoil laisse passer seulement un cortegravege choisi parents et amis du Pharaon lrsquoeacutelite seule convieacutee agrave partager lrsquoimmortaliteacute jusqursquoici reacuteserveacutee au roi et agrave participer agrave la destineacutee auguste des dieux

Nous voici dans le temple mortuaire dont le silence trompeur est peupleacute de la vie sourde intarissable qui srsquoeacutepanche des statues rituelles Invisibles mureacutees au fond des serdabs il y a les statues inviolables qui perpeacutetuent agrave lrsquoabri du danger des profanations le nom graveacute crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme du Pharaon son moi moral mais il y a aussi exposeacutees dans les cinq chapelles ou transporteacutees au moment du culte dans le secret du sanctuaire devant la stegravele fausse-porte drsquoautres statues portatives sur lesquelles on exeacutecutera les rites de reacutesurrection On a retrouveacute des fragments de plus de cent statues diffeacuterentes en albacirctre diorite basalte ou schis-te Petites ou colossales elles remplissaient les temples du paveacute jusqursquoau faicircte

Des rites speacuteciaux qursquoon ceacuteleacutebrait au Temple mortuaire peu de deacutetails sont connus puisqursquoici non plus que dans les caveaux des grandes pyramides les parois de granit ne portent ni figures ni inscriptions Toutefois la preacutesence des statues rituelles leur importance exceptionnelle qui srsquoatteste par leur nombre et leur qualiteacute suffisent agrave nous renseigner Ces statues sont lagrave drsquoabord pour com-meacutemorer le nom du roi deacutefunt prolonger sa personnaliteacute son acircme individuelle ensuite pour sauvegarder sa physionomie ses traits physiques car la momie deacuteposeacutee au fond de la pyramide si bien garantie qursquoelle soit de la corruption ne saurait les conserver dans leur inteacutegriteacute avec leur ressemblance Les merveilleu-ses tecirctes de Cheacutephregraven et de Mycerinus sont des portraits exacts quelque ideacutealiste et rituelle qursquoait eacuteteacute pour lrsquoensemble de la statue la maniegravere du sculpteur Il savait qursquoen modelant avec preacutecision les traits du roi il leur permettrait de srsquoanimer de revivre sous les formules toutes-puissantes de lrsquoouap-ra Le precirctre stimulerait par des rites magiques cette figure ressemblante mais inerte il rouvrirait ces yeux eacuteteints et ces oreilles closes il toucherait la langue rigide pour eacuteveiller la parole descellerait la bouche fermeacutee pour qursquoelle pucirct manger il ferait remuer les bras et les jambes pour y rappeler le mouvement aboli il solliciterait lrsquoacircme de revenir dans ce corps leacutethargique et bientocirct par les rites infaillibles cette statue prendrait vie On lui promettrait une vie eacuteternelle et on lrsquoenverrait rejoindre les dieuxhellip heacutelas la vitaliteacute des dieux eux-mecircmes eacutetait preacutecaire il fallait la renou-

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veler par les rites et certes le Pharaon srsquoinquieacutetait agrave bon droit de pourvoir pour lrsquoavenir agrave son propre culte Les statues multiplieacutees dans le temple funeacuteraire lui garantissaient ce regain de vie et de dureacutee

Celles que M Reisner a retrouveacutees en 08 dans la chapelle de Mycerinus preacutesentent un caractegravere qui semble confirmer ce que je viens drsquoavancer 8 Elles nous montrent le roi non plus figeacute dans sa majesteacute de maicirctre srsquoimposant agrave lrsquoad-miration de la foule prosterneacutee mais dans une attitude plus humaine plus fami-liegravere et ressemblante Mycerinus se tient debout cocircte agrave cocircte avec sa femme qui lrsquoenlace tendrement de son bras crsquoest la pose souriante et deacutetendue drsquoun couple quelconque qui appartiendrait agrave sa cour Lrsquoartiste eacutevidemment a voulu repreacute-senter lrsquohomme et non le Pharaon diviniseacute son œuvre porte le caractegravere intime qui se retrouve dans les dispositions de lrsquoeacutedifice En bas le Portique de la valleacutee est un palais royal rempli de statues de grand style en haut de la rampe crsquoest la chapelle priveacutee de Cheacutephregraven ou de Mycerinus destineacutee au culte familial

Pris ensemble les deux eacutedifices ne forment en somme qursquoun mastaba gigan-tesque dont les divisions ordinaires salle drsquoaccegraves corridor chapelle auraient eacuteteacute multiplieacutees et distendues sur une eacutechelle de plus de 700 megravetres Lrsquointeacuterieur de ce mastaba continuait drsquoabriter les statues tandis que la pyramide inviolable receacutelait la momie ici le corps gisait preacuteserveacute de la putreacutefaction incorruptible mais agrave jamais deacutepouilleacute de verdeur lagrave au contraire freacutemissaient des images res-semblantes qui se retrempaient eacuteternellement au culte funeacuteraire comme agrave une source magique qui srsquoabreuvaient de jeunesse agrave la fraicirccheur des rites hellip Et si le cadavre momifieacute garde encore les traces de la maladie les tares des organes les infirmiteacutes physiques en revanche les statues sont faites agrave lrsquoimage de lrsquohomme en sa fleur de santeacute agrave lrsquoapogeacutee de sa force de sa prospeacuteriteacute avant la deacutecheacuteance de lrsquoacircge ou de la carriegravere Ainsi le culte pourra les conserver en beauteacute et crsquoest pourquoi il les preacutefegravere au corps deacutecreacutepit ou desseacutecheacute drsquoailleurs inaccessible en son caveau Ces portraits drsquoinalteacuterable matiegravere ne se precirctent-ils pas bien mieux agrave la fiction drsquoune vie toujours reverdissante hellip

Donc dans ces temples tout concerne la vie ou le maintien de la vie dans les statues royales Par contre rien nrsquoy suggegravere lrsquousage drsquoun culte envers les dieux Ceux-ci nrsquoapparaissent dans la statuaire ou dans les rares inscriptions que pour escorter le dieu du logis qui est Pharaon leur personnaliteacute est deacutecorative nulles

8 Les fouilles de M Reisner nrsquoont pas eacuteteacute encore lrsquoobjet drsquoune publication drsquoensemble On trouvera drsquointeacuteressantes consideacuterations sur les statues royales trouveacutees lagrave dans un article de Mas-pero sur quelques portraits de Mycerinus reproduit dans ses essais sur lrsquoart eacutegyptien 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

priegraveres ni offrandes ne leur sont adresseacutees au contraire ce sont les dieux des Nomes qui viennent apporter leurs dons au roi Crsquoest lagrave un eacutetat drsquoesprit avec lequel les textes contemporains nous ont familiariseacutes Les dieux agrave cette eacutepoque sont certes de hauts et puissants seigneurs que lrsquoon traite avec deacutefeacuterence agrave qui lrsquoon paye sans enthousiasme le tribut qursquoils sauraient au besoin arracher mais ils nrsquoont presque ni deacutevots ni fidegraveles Ce nrsquoest pas la confiance la religion qui preacuteside aux rapports entre lrsquohumaniteacute et le ciel Prie-t-on un ecirctre que lrsquoon craint qui est redoutable parce que plus fort Par la magie au contraire on circonvient les dieux on peut les flatter les tromper voire leur faire peur et leur donner des ordres srsquoen servir sans les servir

Plus tard entre la IVe et la Ve dynastie la moraliteacute est en progregraves Les textes (ils deviennent plus nombreux dans les tombeaux memphites vers la fin de la Ve dy-nastie) commencent agrave parler de la providence ceacuteleste de la justice distributive du jugement qursquoOsiris impose apregraves la mort agrave tous les hommes Le culte des dieux gardiens de la morale et de la vertu srsquoeacutetablit Une eacutecole de theacuteologiens celle de Heacuteliopolis rallie agrave ses doctrines la famille royale et la cour une theacuteologie officielle est en formation et srsquoexprime en de longs textes religieux qursquoon grave dans les pyramides royales agrave la fin de la Ve dynastie Le dieu des morts Osiris et le dieu-soleil Racirc drsquoHeacuteliopolis deviennent les patrons du roi vivant sur terre et du roi vivant dans lrsquoautre monde un nouveau titre que prend le Pharaon celui de laquo fils du Soleil raquo exprime que le roi tient sur terre la place que son pegravere charnel Racirc creacuteateur du monde et bienfaiteur de la nature lui a faite et leacutegueacutee Le culte deacutesormais consiste en priegraveres en fondations territoriales pour les dieux et on construit en particulier des temples deacutedieacutes au Soleil

Crsquoest sur le site drsquoAbou-Gourab pregraves drsquoAbousir que M Borchardt a deacuteblayeacute un sanctuaire de la Ve dynastie consacreacute au soleil Jusqursquoici nous ne connais-sions lrsquoexistence de sanctuaires du soleil que par des inscriptions de lrsquoAncien Empire leurs noms srsquoaccompagnaient drsquoun deacuteterminatif singulier un tronc de pyramide surmonteacute drsquoun obeacutelisque au-dessus duquel se place adheacuterent ou non le disque solaire Cet hieacuteroglyphe eacutetait-il le dessin scheacutematiseacute mais exact drsquoun temple consacreacute agrave Racirc soleil drsquoHeacuteliopolis Les fouilles de M Borchardt lrsquoont prouveacute

Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 88 aux frais de M F von Bissing et publieacutees depuis 0 Le premier volume est celui analyseacute ici Das re-heiligtum der Koumlnigs ne-woser-re Band I Der Bau par L Borchardt

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Elles nous ont restitueacute le plan geacuteneacuteral drsquoun eacutedifice qui se rapproche de lrsquoen-semble funeacuteraire que nous venons de deacutecrire et qui comprend un Portique un Chemin couvert un Temple proprement dit mais ici le Saint des Saints nrsquoest pas une salle dans un temple crsquoest lrsquoObeacutelisque lui-mecircme dresseacute sur son socle la pyramide tronqueacutee (fig 6)

Le Portique preacutesente cette particulariteacute drsquoecirctre en plein dans la laquo ville de la pyramide raquo que le roi Neouserracirc eacutedifiait vers 20 av J-C on retrouve ses fondations agrave 0 megravetres agrave lrsquointeacuterieur du mur drsquoenceinte de la reacutesidence royale Crsquoest un eacutedifice carreacute de maccedilonnerie pleine qui avait peut-ecirctre une faccedilade en forme de double pylocircne Au centre de cette faccedilade srsquoouvre une salle soutenue par quatre colonnes en granit rose fasciculeacutees (elles sont massives dans le temple de Cheacutephregraven) Des corridors coudeacutes font deacuteboucher cette salle et deux petites salles lateacuterales dans une antichambre qui amorce le chemin couvert

Celui-ci forte chausseacutee en blocs calcaires gravit en pente raide sur une lon-gueur de 00 megravetres le plateau haut de 6 megravetres qui surplombe la valleacutee soit traceacute oblique aboutit devant la faccedilade orientale drsquoune enceinte rectangulaire de 0 megravetres de long sur 80 de large preacuteceacutedeacutee par une porte monumentale en granit rose orneacutee de reliefs colossaux Traversons le vestibule nous arrivons

Figure 6 mdash Temple de Racirc

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans une grande cour ougrave srsquoeacuterige au fond de la partie occidentale la pyramide tronqueacutee surmonteacutee de lrsquoobeacutelisque Deux corridors voucircteacutes filent agrave notre droite et agrave notre gauche suivons ce dernier Il se coude agrave lrsquoangle sud-est suivant le pourtour du temple et quoiqursquoil soit obscur comme au temple de Cheacutephregraven de fins reliefs couvrent ici les murs de calcaire blanc Une porte de granit srsquoouvre bientocirct agrave droite et un chemin encore plus eacutetroit et teacuteneacutebreux monte avec une pente accentueacutee au travers drsquoun gros de maccedilonnerie dans lrsquointeacuterieur mecircme de la pyramide Enfin ce boyau montant tortueux eacutetouffant deacutebouche agrave lrsquoair libre dans la lumiegravere eacuteblouissante nous sommes sur la plate-forme du socle tailleacute en pyramide tronqueacutee et au pied de lrsquoobeacutelisque agrave une hauteur de 20 megravetres au-des-sus de la cour du temple Les murs de la pyramide sont en calcaire mais ceints agrave la base drsquoun parement de granit La pointe de lrsquoobeacutelisque srsquoeacutelevait agrave 6 megravetres du socle crsquoest-agrave-dire agrave 6 megravetres au-dessus de la cour et 72 megravetres au-dessus de la valleacutee Lrsquoobeacutelisque nrsquoeacutetait pas monolithe mais bacircti en grands blocs calcaires jaunes pour le noyau blancs pour le revecirctement Peut-ecirctre eacutetait-il deacutecoreacute sur chaque face drsquoune inscription verticale au milieu de la paroi et un pyramidion de meacutetal le coiffait-il de sa pointe eacutetincelante

Lrsquoarchitecte de ce temple nrsquoavait-il pas merveilleusement combineacute ses effets LrsquoEacutegyptien venant de la valleacutee devait cheminer depuis le Portique sous une ga-lerie couverte puis dans des corridors resserreacutes dont lrsquoobscuriteacute devenait plus peacutenible agrave mesure qursquoil srsquoenfonccedilait en zigzag dans le flanc abrupt de ce cube de maccedilonnerie pareil agrave un mastaba lugubre Brusquement il eacutemergeait sur la terrasse dans lrsquoaveuglante lumiegravere sous la pierre leveacutee comme une flamme et drsquoun coup drsquoœil il embrassait lrsquoaire vibrante du temple la rampe le portique la reacutesidence royale et au delagrave les palmiers assombris les champs verdoyants ou doreacutes le Nil bleuissant et agrave lrsquohorizon la terrasse abrupte du Mokattam aux om-bres violettes Tant de lumiegravere et drsquoair pur apregraves cette monteacutee angoissante Le cœur dilateacute il tombait agrave genoux eacuteperdu de gratitude devant le dieu qursquoil venait adorer lrsquoobeacutelisque tout blanc qui jaillissait dans lrsquoazur comme un rayon peacutetrifieacute du pegravere et du bienfaiteur des hommes

Car lrsquoObeacutelisque eacutetait ici lrsquoidole et le sanctuaire agrave la fois Il semble bien que sa partie essentielle fut le pyramidion terminal dont les faces en forme de trian-gle isocegravele symbolisaient peut-ecirctre le triangle lumineux des rayons tombant du soleil sur la terre 00 Crsquoest sous ce signe qursquoon a deacutesigneacute aussi les rayons solaires

00 H Brugsch a deacutemontreacute que les Eacutegyptiens repreacutesentaient par un triangle isocegravele la lumiegravere zodiacale diviniseacutee crsquoest un pheacutenomegravene qui se manifeste en Eacutegypte avant le lever du soleil ou

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soit sous forme de perles triangulaires soit sous lrsquoaspect drsquoun triangle isocegravele soit comme au temps drsquoAmeacutenophis IV sous forme de rayons prolongeacutes par des mains 0 Les petites pyramides votives qursquoon rencontre dans les tombeaux por-tent toujours pregraves de la pointe lrsquoimage du soleil sur lrsquohorizon geacuteneacuteralement encadreacutee de deux personnages orants le grand pyramidion de Daschour srsquoeacutevase aussi sous un disque solaire aileacute enfin les obeacutelisques se terminaient par un py-ramidion drsquoor ou de meacutetal doreacute comme en teacutemoignent les textes ou lrsquoeacutetat ina-cheveacute de leur faicircte Pline lrsquoAncien se fait lrsquoeacutecho de cette tradition eacutegyptienne sur le caractegravere solaire de lrsquoObeacutelisque en nous disant expresseacutement laquo lrsquoObeacutelisque consacreacute au soleil eacutetait fait agrave lrsquoimage de ses rayons 02 raquo

Figure 7 mdash Autel-table drsquooffrande en albacirctre

apregraves le coucher par un rayon lumineux en forme de pyramide dont la base reposerait sur terre et dont la pointe se dirige vers le zeacutenith (proceedings of society of Biblical Archaeligology t XV p 2 et suiv)0 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 pl VIII 202 Hist nat XXXVI laquo Obeliscos vocantes Solis numini sacratos Radiorum ejus argu-mentum in effigie est et ita significatur nomine AEliggyptio raquo Sur ces derniers mots nous nrsquoavons pas de confirmation agrave donner La conseacutecration au dieu solaire Racirc des obeacutelisques est prouveacutee aussi par ce fait lors des rites osiriens on symbolisait la renaissance du dieu en eacuterigeant un obeacutelisque cela srsquoappelait laquo faire lever Racirc raquo (Aeg Zeitschrift 0 p 72)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Celui de notre temple solaire recevait le culte 0 au mecircme titre que les statues de Cheacutephregraven dans le temple funeacuteraire de ce Pharaon A droite des construc-tions il y avait des magasins pour les offrandes le paveacute de la cour y est encore creuseacute de longues rigoles et de vasques aligneacutees dans les premiegraveres srsquoeacutecoulait le sang des victimes eacutegorgeacutees dont les deacutebris eacutetaient recueillis dans les vasques et emporteacutes au dehors Au centre de la cour un autel en forme de quadruple table drsquooffrandes eacutetait orienteacute aux quatre coins de lrsquohorizon

A gauche il y avait une chapelle exigueuml preacuteceacutedeacutee de deux stegraveles et de deux bassins crsquoest lagrave que le roi se purifiait et revecirctait les vecirctements rituels avant de ceacuteleacutebrer le culte Une autre particulariteacute du culte solaire se remarque au tem-ple de Neouserracirc Un peu au fond et en dehors de lrsquoenceinte M Borchardt a deacuteblayeacute non sans surprise une construction qui se reacuteveacutela comme la carcasse infeacuterieure toute en briques drsquoune barque geacuteante longue de 0 megravetres la partie supeacuterieure qui comprenait le bordage la macircture les cabines les rames et tous les accessoires devait ecirctre en bois et avait naturellement disparu Telle quelle on avait lrsquoimage drsquoune des barques solaires celles ougrave lrsquoastre est censeacute naviguer dans la coupole bleue du ciel 0 Des inscriptions officielles de lrsquoAncien Empire nous avaient appris que les rois et en particulier Neouserracirc construisaient des barques de cotte sorte mais jamais encore on nrsquoavait retrouveacute lrsquoeacutedifice nautique Ces deacutetails ont drsquoautant plus drsquointeacuterecirct qursquoil est permis de supposer que le sanc-tuaire drsquoAbou-Gourab eacutetait bacircti sur le type du grand Temple de Racirc agrave Heacuteliopolis aujourdrsquohui totalement disparu agrave un obeacutelisque pregraves Gracircce aux fouilles et aux restitutions de MM Boichardt et Schaeligfer nous pouvons imaginer avec vraisem-blance ce qursquoeacutetait le fameux sanctuaire drsquoHeacuteliopolis

Compareacute avec le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven le temple du Soleil agrave Abou-Gourab nrsquooffre comme il est logique que des ressemblances exteacuterieures Tous deux ont pour point de deacutepart la citeacute royale et ont agrave reacutesoudre le mecircme problegraveme lrsquoaccegraves sur le plateau deacutesertique Ils ont donc en commun le Portique de la valleacutee et le Chemin couvert ascendant mais le Temple proprement dit diffegravere par sa destination lrsquoun sert de sanctuaire agrave des statues royales qursquoon y entretient dans une vie magique lrsquoautre formeacute seulement de lrsquoobeacutelisque et du socle expose la

0 M von Bissing a citeacute une inscription de Thoutmegraves III qui offre des pains et de la biegravere agrave des obeacutelisques (recueil de travaux XXIV p 67 XXV p 8)0 Les textes des Pyramides contemporaines du Temple nous donnent les noms de ces barques Macircndt Mesktet

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

forme concregravete du dieu Le principe de la deacutecoration nrsquoest pas moins dissembla-ble le temple de Cheacutephregraven ne contient guegravere que des statues le temple solaire des bas-reliefs Ceux-ci dont trop peu malheureusement sont conserveacutes nous fournissent les plus anciens speacutecimens de tableaux qui deviendront les poncifs de deacutecoration dans les temples theacutebains Fondation du temple par le roi assisteacute des dieux qui tend le cordeau drsquoarpentage pour orienter lrsquoeacutedifice vers lrsquoeacutetoile polaire deacutefileacute des produits des Nomes de lrsquoEacutegypte apporteacutes en offrande agrave la diviniteacute pu-rifications subies par le roi avant de ceacuteleacutebrer le culte comme grand-precirctre scegravenes du couronnement et de la renaissance fictive du roi apregraves la ceacuteleacutebration de la fecircte Sed toutes ces scegravenes sont reproduites sur les temples posteacuterieurs agrave des centai-nes drsquoexemplaires et ce nrsquoest pas le moindre enseignement du temple drsquoAbousir que de nous prouver lrsquoexistence degraves la Ve dynastie de ces deacutecorations rituelles qui resteront en usage jusqursquoau temps des Ceacutesars En outre le temple solaire contient en germe le dispositif qursquoobserveront les architectes theacutebains dans ces somptueux eacutedifices que nous a leacutegueacutes la XVIIIe dynastie 0 porte monumentale cour agrave deacutecouvert salle hypostyle naos du dieu Certes les architectes de lrsquoeacutepo-que memphite nrsquoont pu deacutevelopper leur plan avec tant drsquouniteacute et de clarteacute La nature du terrain lrsquoobligation de relier la pyramide et le temple funeacuteraire avec la citeacute des vivants au moyen drsquoune rampe leur creacuteait une difficulteacute consideacuterable ils srsquoen sont tireacutes agrave leur honneur et la justesse des proportions le concours des parties lrsquoharmonie de lrsquoensemble ne sont pas moins admirables que la perfection du deacutetail 06

Quels monuments en Eacutegypte ou ailleurs ont pu produire par lrsquoarchitecture seule ou la sculpture essentielle lrsquoeffet obtenu par la salle hypostyle du Portique de Cheacutephregraven ou le Temple solaire hellip Quelle puissance de recircve et drsquoexeacutecution dans ces artistes A peine pouvons-nous les comprendre agrave peine sommes-nous capables drsquoimaginer ces vingt-trois statues de Cheacutephregraven assises qui eacuteternisaient dans la peacutenombre leur volonteacute de vivre et deacutefiant la torpeur de lrsquoimmobile pose eacutepiant le flux et le reflux des jours se vecirctaient de lueurs changeantes et srsquoani-maient aux pulsations du tempshellip ou bien cet obeacutelisque colossal de Neouserracirc tout vibrant de lumiegravere comme un trait deacutecocheacute par lrsquoarcher glorieux hellip

0 Les piliers monolithes du temple de la IVe dynastie sont remplaceacutes ici par des colonnes fas-ciculeacutees du type lotiforme et des colonnes avec chapiteaux agrave palmes qui constituent deux traits caracteacuteristiques de lrsquoarchitecture eacutegyptienne (Cf Maspero Ars Una Eacutegypte fig 8-)06 Voir la gargouille en forme de lion motif qui se retrouvera dans la deacutecoration des temples posteacuterieurs

Les Mystegraveres eacutegyptiens

copy Arbre drsquoOr Genegraveve juin 2007httpwwwarbredorcom

Couverture illustration extraite du Livre des morts Museacutee du Louvre Paris DRComposition et mise en page copy Athena Productions JBS

Table des matiegraveres

I Mystegraveres eacutegyptiens II Le mystegravere du verbe creacuteateur III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem 68IV Le laquo ka raquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totem V Rois de carnaval 0VI Sanctuaires de lrsquoancien empire 27

  • I Mystegraveres eacutegyptiens
  • II Le mystegravere du verbe creacuteateur
  • III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem
  • IV Le laquothinspkathinspraquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totemthinsp
  • V Rois de carnaval
  • VI Sanctuaires de lrsquoancien empire
  • Table des matiegraveres
Page 6: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

reccedilut lrsquoordre de preacuteparer la fecircte drsquoOsiris dans le temple drsquoAbydos la ville sainte du dieu des morts On appelait ce Mystegravere la fecircte de la pert acircat laquo grande sortie raquo ou laquo grande procession funegravebre raquo il eacutetait joueacute par la famille mecircme du dieu Isis Nephthys Thot Anubis et Horus Igernefert assume le tocircle principal ce-lui drsquoHorus fils drsquoOsiris il preacutepare lui-mecircme les accessoires augustes parmi lesquels se remarquait une barque portative avec cabine en bois de sycomore et drsquoacacia incrusteacute drsquoor drsquoargent et de lapis-lazuli A lrsquointeacuterieur on installe une statue drsquoOsiris en bois Igernefert srsquoacquitte en personne du soin drsquoorner le corps drsquoOrisis drsquoamulettes en lapis-lazuli malachite eacutelectrum puis il habille lui-mecircme le dieu et le revecirct de ses couronnes et de ses sceptres en ses fonctions de laquo chef du Mystegravere raquo herj seshta 2 il se charge en outre des rocircles de laquo sacrificateur raquo et de laquo servant raquo

Quant agrave la ceacutereacutemonie elle-mecircme voici comment lrsquoinscription la deacutecrit Une procession se forme car le meurtre drsquoOsiris est censeacute accompli et son

corps rejeteacute sur la rive du fleuve On porte donc la barque vers le lieu de nadit ougrave gicirct le corps drsquoOsiris (que cette localiteacute fucirct ou non dans le voisinage drsquoAby-dos elle est supposeacutee lrsquoecirctre pour lrsquoaction dramatique ) Anubis en sa qualiteacute de chien cherche le cadavre et le trouve mais quand il srsquoagit de mettre dans la barque le corps du dieu une bataille srsquoengage entre les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth les Osiriens sont vainqueurs et eacutecrasent leurs adversaires

Le cortegravege funegravebre se forme autour du cadavre divin processionnellement on suit Osiris vers la barque preacutepareacutee et ameneacutee par Igernefert On met agrave lrsquoeau la barque et Thot la dirige vers le tombeau du dieu agrave repeqer

Pendant ce temps Horus continue la lutte contre les ennemis drsquoOsiris sur la rive de Nadit apregraves un combat acharneacute il reste vainqueur

A Repeqer mecircme Horus confirme le triomphe drsquoOsiris Une statue habilleacutee et pareacutee remplace lrsquoimage cadaveacuterique du dieu Triomphalement dans lrsquoalleacutegres-

Le grand deuil μέγα πένθος (deacutecret de Canope I 7)2 Drsquoapregraves le rituel de lrsquoembaumement (Maspero papyrus du Louvre p ) lors des veacuteritables funeacuterailles drsquoOsiris crsquoest Anubis qui aurait rempli ce rocircle de laquo chef du Mystegravere raquo Anpou herj seshta Schaeligfer p 6-8 En reacutealiteacute nadit semble ecirctre une localiteacute de la Basse-Eacutegypte Du moins un texte dateacute de Sabacon mais reacutedigeacute au moins sous la XVIIIe dynastie (J Breasted Aegyptische Zeitschrift XXXIX p ) affirme que crsquoest en Basse-Eacutegypte que le corps drsquoOsiris a eacuteteacute immergeacute dans le Nil laquo Jrsquoai organiseacute la sortie drsquoOupouatou quand il alla pour venger son pegravere jrsquoai combattu les adversaires de la barque neshemt et jrsquoai renverseacute les ennemis drsquoOsiris raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se de tous les habitants de lrsquoEst et de lrsquoOuest la barque revient agrave Abydos le dieu rentre dans son temple et srsquoinstalle sur son trocircne au milieu de sa cour divine

La repreacutesentation de la Passion et de la Mort drsquoOsiris srsquoaccompagnait certai-nement de la Reacutesurrection du dieu Or dans la grande Procession et la fecircte de la Moisson nous ne voyons pas figureacutes les rites qui provoquent cette reacutesurrection drsquoOsiris crsquoest pourtant le nœud du drame sacreacute Sans doute cet acte reacuteputeacute secret se jouait-il hors de la vue du public aussi nrsquoest-il pas reacuteveacuteleacute par les ins-criptions et les tableaux On peut supposer que la curiositeacute du peuple se tenait satisfaite du deacutenouement du drame puisqursquoOsiris est rameneacute triomphant dans son temple crsquoest qursquoeacutevidemment il a vaincu Seth il srsquoest releveacute de la mort A Meacute-dinet-Hahou on proclame lrsquoavegravenement au trocircne drsquoHorus fils drsquoIsis et drsquoOsiris crsquoest dire qursquoOsiris est ressusciteacute sous la forme de son fils 6 De mecircme Osiris ne mourait pas avec le bleacute moissonneacute le vieux dieu de la veacutegeacutetation allait renaicirctre au printemps avec le bleacute nouveau 7

Toutefois agrave certaines dates le grand public assistait au triomphe drsquoOsiris que symbolisaient des ceacutereacutemonies moins secregravetes telles que lrsquoeacuterection du Ded et la fecircte sed drsquoOsiris

La premiegravere est repreacutesenteacutee dans un tombeau theacutebain datant du regravegne drsquoAmeacute-nophis III (XVIIIe dynastie) Le dieu de Busiris a souvent comme feacutetiche un pilier agrave quadruple chapiteau celui-ci repreacutesente probablement quatre colonnes vues lrsquoune derniegravere lrsquoautre selon les regravegles de la perspective eacutegyptienne ou peut-ecirctre un tronc drsquoarbre eacutebrancheacute devenu par stylisation Ce pilier est parfois surmonteacute drsquoun chef couronneacute muni drsquoyeux et de bras qui tiennent les sceptres canoniques (fig 2)

6 A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 07 Voir plus loin rois de Carnaval p 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Seti Ier redresse lrsquoOsiris-ded et lrsquohabille

Coucheacute agrave terre il signifiait qursquoOsiris gisait mort releveacute et redresseacute il sym-bolisait la reacutesurrection du dieu Aussi agrave la fecircte de redresser le Ded (sacirchacirc Ded) voyons-nous le roi lui-mecircme tirer sur les cacircbles qui permettent de relever le feacutetiche en preacutesence de la reine des officiers royaux et de la cour Les leacutegendes attestent que ce pilier nrsquoest autre que le dieu mort sokaris-Osiris dont on avait repreacutesenteacute les jours preacuteceacutedents les funeacuterailles

Au-dessous des precirctres et du roi les habitants de pe et de Dep dansent ges-ticulent luttent et eacutechangent des coups de poing crsquoest la population de Bouto lrsquoancien royaume drsquoOsiris 8 Rappelons-nous les luttes que deacutecrit Heacuterodote laquo A Busiris lors de la fecircte drsquoIsis on voit se frapper apregraves le sacrifice tous les hommes ainsi que toutes les femmes en nombre prodigieux raquo

Nous voilagrave donc en preacutesence de jeux sceacuteniques illustrant un Mystegravere Les lut-teurs sont les partisans drsquoOsiris et ceux de Seth ils en viennent aux mains pour soutenir chacun leur dieu Quelques textes conserveacutes deacutefinissent les gestes des personnages Lrsquoun crie laquo jrsquoai saisi Horus raquo un autre laquo que la main tienne ferme raquo un autre laquo frappe raquo Enfin quatre troupeaux de bœufs et drsquoacircnes faisaient quatre fois le tour du mur de la ville que figuraient-ils sinon les animaux drsquoOsiris et de Seth qui srsquoopposent Peut-ecirctre la fecircte se terminait-elle par la mise agrave mort des acircnes qui est rituelle dans des fecirctes analogues Ainsi une ville entiegravere se mobilise et srsquoagite becirctes et gens pour la reacutealisation drsquoune scegravene du mythe osirien 20

8 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 II 6 cf II 220 Brugsch Thesaurus inscriptionum aegyptiacarum p 0-8 mdash Ad Erman La religion

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Fecircte de lrsquoeacuterection du Ded au matin de la fecircte Sed

Le triomphe drsquoOsiris se proclamait encore publiquement agrave la fecircte Sed ougrave lrsquoon installait dans un naos agrave deux siegraveges une double effigie drsquoOsiris en costume de roi de la Haute et de la Basse-Eacutegypte Par devant le dieu flottait sur un piquet une peau drsquoanimal typhonien sacrifieacute

Crsquoest la neacutebride ou peau qui sert drsquoenveloppe out 2 au dieu Anubis qursquoon appelle agrave cause de cela im-out laquo celui qui est dans Out raquo Anubis srsquoaffuble de cette

eacutegyptienne p 7 mdash A Moret sarcophages de lrsquoeacutepoque bubastite agrave lrsquoeacutepoque saiumlte pl IV (Caire 00 bis)2 Le sens originel de out drsquoapregraves la neacutebride doit ecirctre laquo peau raquo et peut-ecirctre laquo vulve raquo (Parthey Vocabularium coptico-latinum s V p 2) aussi est-il deacutetermineacute parfois par lrsquoœuf Par ex-tension out deacutesigne lrsquoappareil de lrsquoensevelissement les bandelettes drsquoune momie (cf Brugsch W s p 2 et suiv sinouhit I 2 Maspero Contes populaires e eacuted p ) Le precirctre drsquoAnubis qui joue les rites de la peau drsquoAnubis pour le compte des deacutefunts ou du dieu en laquo habille raquo les deacutefunts il srsquoappelle lui-mecircme out lrsquoout drsquoAnubis (pyr de teacuteti I 6) Cf Lacau textes religieux (ap recueil XXX p 70) laquo Horus te purifie Out trsquohabille raquo variante laquo Anubis trsquoa consacreacute avec sa peau out raquo Lrsquoout apparaicirct degraves lrsquoeacutepoque preacutehistorique cf Petrie royal tombs II pl 2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

peau pour les rites que jrsquoexpliquerai plus tard Lui et un precirctre revecirctu la de peau de panthegravere lrsquoiounmoutef font exeacutecuter au dieu triomphant divers rites que les rois drsquoEacutegypte imitaient lors de jubileacutes appeleacutes fecirctes de la queue (Sed) il en sera aussi question plus loin Enfin lrsquoeacuterection de deux obeacutelisques attestait par un symbolisme comparable agrave celui de lrsquoeacuteleacutevation du Ded redresseacute la stabiliteacute du dieu vainqueur 22 Cette fecircte tregraves solennelle commeacutemorait devant le peuple en-tier le triomphe de lrsquoEcirctre Bon

Figure La neacutebride devant Osiris

Au cours de ces drames mimeacutes avec le concours du populaire srsquointercalaient certaines ceacutereacutemonies laquo secregravetes raquo que tout Mystegravere comprend par deacutefinition Tout ce qui se ceacuteleacutebrait agrave ciel ouvert et en public nrsquoeacutetait qursquoun moyen de popu-lariser les peacuteripeacuteties de la vie drsquoOsiris sa mort sa passion son triomphe Quant aux rites qui assuraient infailliblement la reacutesurrection du dieu on ne les ceacuteleacutebrait qursquoagrave lrsquointeacuterieur du sanctuaire dans des locaux fort reacuteduits par les soins de precirc-tres speacuteciaux et de quelques laiumlques initieacutes et instruits des choses divines Qursquoil y ait eu dans le culte une partie laquo secregravete raquo et laquo reacuteserveacutee aux initieacutes raquo cela nrsquoest point douteux 2 Degraves les temps de lrsquoAncien Empire on nous parle des laquo rites

22 La fecircte sed drsquoOsiris est souvent repreacutesenteacutee sur les cercueils agrave partir du Nouvel Empire Cf les tableaux reproduits par G Moumlller (Aegyptische Zeitschrift XXXIX pl IV et V A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 27 et Chassinat sarcophages de Deir-el-Bahari I pl V2 Ceci explique la division en deux parties des temples degraves les temps les plus anciens Cf le dernier chapitre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sacreacutes ceacuteleacutebreacutes conformeacutement agrave ce livre secret de lrsquoart de lrsquoofficiant 2 raquo ceux qui le connaissaient se disaient laquo chefs du secret ou du Mystegravere raquo herj seshta agrave lrsquoexemple du dieu Anubis inventeur des rites de la momification et de la reacutesur-rection qui eacutetait par excellence le laquo chef du Mystegravere 2 raquo Chaque dieu chaque culte avait son laquo Mystegravere raquo et les precirctres qui leur eacutetaient affecteacutes posseacutedaient seuls ce laquo Mystegravere du dieu raquo ou ce laquo Mystegravere des paroles divines raquo En particulier les Mystegraveres des funeacuterailles srsquoappelaient laquo les choses drsquoAbydos 26 raquo La tradition est si bien eacutetablie agrave ce sujet que Jamblique au livre des Mystegraveres (VI et 7) rappelle en termes analogues laquo les choses secregravetes drsquoAbydos raquo τὰ ἀπόρρητα τὰ κρύπτὰ

ἐν Άϐύδῳ

Les monuments nous montrent que des rites secrets rappelaient chaque jour les peacuteripeacuteties de la passion et de la reacutesurrection drsquoOsiris

Dans les grands temples ptoleacutemaiumlques qui sont parvenus jusqursquoagrave nous intacts ou peu srsquoen faut agrave Edfou Dendeacuterah et Philaelig on a retrouveacute les salles affecteacutees agrave la ceacuteleacutebration des Mystegraveres journaliers Elles sont releacutegueacutees dans les parties du sanctuaire dont lrsquoaccegraves est difficile ou interdit au public A Philaelig il existe un petit temple drsquoOsiris composeacute de deux chambres sur le toit en terrasse de lrsquoeacutedifice mais les rites journaliers sont deacutecrits par des tableaux graveacutes sur les faces des architraves du pronaos 27 A Dendeacuterah deux petits eacutedifices ont eacuteteacute consa-creacutes sur la terrasse du temple aux Mystegraveres drsquoOsiris lrsquoun drsquoeux que Manette appelle la chapelle drsquoOsiris du Sud est reacuteserveacute au culte journalier A Edfou deux chambres voisines du sanctuaire sont deacutedieacutees agrave Osiris-Sokaris Edfou a surtout conserveacute les textes des formules reacuteciteacutees mais Philaelig et Dendeacuterah srsquoils nous donnent moins de textes nous ont gardeacute des bas-reliefs ougrave sont figureacutes les personnages en scegravene et leurs gestes

2 J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl XXII (VIe dynastie) Mecircmes expressions ap Mariette Mastabas p Lepsius Denkm II 72 Mastabas p 7 Au rituel de lrsquoembaume-ment on cite les laquo livres secrets des rites raquo (Maspero papyrus du Louvre p 8 Virey religion p 278)2 Voir plus haut p n Le titre laquo chef du Mystegravere raquo nrsquoest drsquoailleurs pas speacutecialiseacute aux choses divines Tout office ou meacutetier pouvait ecirctre en Eacutegypte quelque peu secret en dehors des gens de meacutetier de mecircme que dans notre moyen acircge lrsquoart et mystegravere de tel ou tel meacutetier comportait des secrets bien gardeacutes Mais cette geacuteneacuteralisation du sens du titre herj seshta nrsquoimplique pas qursquoil ne puisse deacutesigner parfois les officiants preacuteposeacutes aux rites secrets26 VI et 7 Lrsquoexpression apparaicirct au tombeau de Neherj agrave Beacuteni-Hasan (Lepsius Denkm II 27) Le deacutefunt est repreacutesenteacute laquo naviguant pour connaicirctre ce qui concerne Abydos raquo crsquoest-agrave-dire les rites drsquoAbydos (hent r reh hert ibdou)27 Beacuteneacutedire philaelig IIe fasc p 7-2 et pl LI-LVIII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Le deacutecor comporte une statue drsquoOsiris enveloppeacute du maillot funeacuteraire un lit sur lequel la momie divine est eacutetendue diffeacuterents accessoires tels que couronnes sceptres armes des vases pleins drsquoeau beacutenite pour les libations des cassolettes drsquoencens et de myrrhe pour les fumigations 28

Le personnel se compose de precirctres qui jouent les rocircles de la famille osirienne Sont preacutesents Shou Geb le pegravere et lrsquoaiumleul drsquoOsiris Horus son fils Anubis Thot ses fregraveres ou parents et les enfants drsquoHorus les deacuteesses Isis et Nephthys femme et sœur drsquoOsiris et drsquoautres deacuteesses qui remplissent le rocircle de pleureuses A cocircteacute de ces precirctres acteurs il y avait les precirctres reacutecitants qui disaient les for-mules ce sont lrsquoofficiant qui reacutecite les textes le servant qui exeacutecute les rites tels que libations fumigations et qui manie les instruments magiques le prophegravete qui participe aux libations le grand voyant admis agrave voir le dieu

Les textes insistent sur le fait qursquoil y a une garde une faction monteacutee pendant les 2 heures du jour et les 2 heures de la nuit par les diviniteacutes eacutenumeacutereacutees laquo Elles veillent sur lui tout le jour elles gardent son corps constamment elles veillent sur lui lorsque la nuit vient et gardent ses membres jusqursquoau matin raquo Elles se chargent aussi laquo drsquoeacutecarter les ennemis de la couche funegravebre raquo Pour cela les diffeacuterents dieux laquo ont partageacute le jour et la nuit en heures 2 raquo et lrsquoun drsquoentre eux laquo prend la garde raquo chaque heure du jour et de la nuit Pendant que le dieu de service surveille lrsquoentreacutee possible des adversaires les autres exeacutecutent divers rites qursquoil nous faut maintenant exposer

Le drame comprend vingt-quatre scegravenes qui se succegravedent chaque heure de la nuit et du jour il commence agrave la premiegravere heure de la nuit (6 h du soir) et se termine agrave la derniegravere heure du jour suivant ( agrave 6 h du soir 0) De la premiegravere

28 Les deux chapelles drsquoOsiris agrave Dendeacuterah sont deacutecoreacutees de reliefs qui figurent ces divers acces-soires et statuettes (Cf Mariette Dendeacuterah t IV Budge Osiris II p 2 sq)2 II Junker Die studenwachen in den Osirismyrerien (Akad der Wiss Wien philos-hist Klas-se B LIV 0) p 2 et 0 M Junker dans sa remarquable publication des textes de Philaelig Edfou Dendeacuterah donne drsquoabord les 2 heures du jour suivies des 2 heures de la nuit Il nrsquoa pas remarqueacute que lrsquoordre des ceacutereacutemonies srsquooppose agrave ce classement Les rituels des Pyramides et ceux de lrsquooup-ra commen-cent par les libations et fumigations puis viennent le sacrifice des victimes la reacutesurrection du dieu les hymnes drsquoadoration et agrave la lin la fermeture des portes Crsquoest bien lrsquoordre observeacute ici agrave condition de commencer non par les heures du jour mais par celles de la nuit On sait drsquoailleurs que chez les Eacutegyptiens on compte les 2 heures drsquoune journeacutee complegravete agrave partir du soir agrave 6 heures (cf Ed Mahler eacutetudes sur le Calendrier eacutegyptien ap Museacutee Guimet Bibliothegraveque drsquoeacutetudes t XXIV p 7) Jrsquoobserverai donc pour ce reacutesumeacute des rites osiriens un ordre qui est lrsquoinverse de celui suivi par M Junker

Les Mystegraveres eacutegyptiens

heure agrave la derniegravere il y a progression dans le rite qui aboutit par eacutetapes agrave la reacute-surrection du dieu Cependant cette progression est peu sensible pour la raison suivante chaque heure est traiteacutee sceacuteniquement comme un petit drame com-plet ougrave le dieu passe successivement de la mort agrave la reacutesurrection Au deacutebut de chaque heure le dieu de garde entre avec ses comparses ils font agrave Osiris tel ou tel rite libation fumigation preacutesentation drsquooffrandes Vers le milieu de lrsquoheure on crie laquo Legraveve-toi reacuteveille-toi Osiris tu es triomphant Osiris tes ennemis sont renverseacutes raquo Malgreacute la proclamation de ce triomphe Isis nrsquoen reprend pas moins ses lamentations sur la mort de son eacutepoux et ses promesses de reacutesurrection Il semble que pour chaque heure il y ait un point de deacutepart qui est la mort du dieu un moment de triomphe sa reacutesurrection et un deacuteclin progressif qui ramegravene le dieu agrave sa deacutetresse premiegravere Puis les rites et les formules de lrsquoheure suivante tirent agrave nouveau Osiris de sa deacutetresse pour lrsquoy plonger derechef agrave la fin de la scegravene

Pour donner une ideacutee drsquoensemble de ce Mystegravere osirien il faut grouper les actes et les paroles Voici alors quelle description scheacutematique je pourrais preacute-senter

Les lamentations des pleureuses Isis et Nephthys deacutefinissent tout drsquoabord non sans eacuteloquence la deacutetresse du dieu laquo O Osiris je suis ta sœur Isis jrsquoai parcouru pour toi les chemins de lrsquohorizon je parcours la route du (soleil) Brillant hellip Jrsquoai traverseacute les mers jusqursquoaux frontiegraveres de la terre cherchant le lieu ougrave eacutetait mon seigneur 2 jrsquoai parcouru nadit dans la nuit jrsquoai chercheacutehellip celui qui est dans lrsquoeauhellip dans cette nuit de la grande deacutetresse Jrsquoai trouveacute le noyeacute de la terre de la premiegravere fois (sur cette rive de Nadit)hellip (var) sur cette rive nord drsquoAbydos Jrsquoai crieacute jusqursquoau ciel et jusqursquoaux habitants de lrsquoHadegraveshellip Mes doigts ont habilleacute (son corps) nu jrsquoai embrasseacute ses membres hellip Jrsquoai donneacute des souffles agrave sa narine pour qursquoil vive et que son gosier srsquoouvre en ce lieu sur la rive de Nadit en cette nuit du grand Mystegravere (seshta our )

laquo Je viens pour te pleurer ocirc grand dieu je pleure et je crie sur les hauteurs de Nadit Busiris se lamente 6 je trsquoamegravene tous les cœurs dans le deuil et lrsquoon te fait les grands rites (siaḫou ourou 7)

2e heure du jour2 2e heure de la nuit re heure du jour Chercheacute trouveacute mots sacramentels qui deacutesignent les phases de la quecircte du corps divin Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 87 2e heure de la nuit re heure du jour6 2e heure du jour7 2e heure de la nuit

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo O vous dieux pegraveres deacuteesses megraveres lamentez-vous de ce que vous voyez lamentez-vous de ce que vous entendez il vient celui qui vient dans la nuit il vient mon seigneur dans la nuit Geb lui amegravene les dieux ils le portent comme leur seigneur vers une place pure du ciel Allons pleurons-le lamentons-nous pleurons-le car il est abandonneacute Je viens et je me lamente dans mon cœur je pleure mes larmes moi ta sœur au cœur meurtri ta femme malade de dou-leurhellip8 raquo

Ces lamentations que nous connaissons aussi sous une forme plus litteacuteraire et plus complegravete par un papyrus conserveacute au museacutee de Berlin eacutetaient exeacutecuteacutees par des femmes agenouilleacutees sachant pleurer et deacutenouer leurs chevelures comme nrsquoont pas leurs pareilles les pleureuses drsquoOrient

Ainsi que le promettaient les Lamentations des dieux peacutenegravetrent dans le laquo lieu pur raquo (ouacircbt) ougrave gicirct Osiris mort ceux dont le rocircle est le plus actif sont Horus le fils du dieu deacutefunt Anubis son fregravere ou son parent Thot son allieacute Ils sont por-teurs drsquoinstruments magiques tels que cette baguette en forme de serpent qursquoon appelle laquo la grande magicienne raquo et lrsquoherminette drsquoAnubis Ils apportent aussi des vases pleins drsquoeau fraicircche de lrsquoencens et sept sortes de fards et drsquohuiles pour des onctions Les rites commencent parles libations et les fumigations

A six heures du soir on apporte un vase drsquoeau fraicircche Cette eau vient du Nil or le Nil est un eacutecoulement de lrsquooceacutean primordial le noun ougrave gisaient avant la creacuteation les germes de toutes choses et de tous les ecirctres 0 Le reacutecitant qui ap-porte le vase dit emphatiquement laquo Voici votre essence ocirc dieux le noun qui vous fait vivre en son nom de Vivanthellip Cette eau trsquoenfante comme racirc chaque jour elle te fait devenir comme Chepra 2 raquo En effet Racirc ou Chepra eacutetait sorti le pre-mier des dieux du noun au deacutebut du monde par la force de la libation Osiris renaicirct donc du noun primordial comme naquit Racirc au jour de la creacuteation

Degraves lors Osiris ne reste plus sur terre laquo il passe (au ciel) avec son Ka raquo com-me font les autres dieux Et lrsquoassistance srsquoexclame laquo Oh combien purs combien beaux sont ces rites mysteacuterieux drsquoOsiris Ounnefer raquo On brucircle alors lrsquoencens

8 6e heure de la nuit Voir dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8 le texte du vocero drsquolsis drsquoapregraves le papyrus de Berlin0 re de la nuit p 66-67 Cf Au temps des pharaons p 28 et plus loin p 02 P 67-68 Le mort osirien renaicirct du noun (pyr drsquoOunas I 200) P 6 P 7

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo le parfum qui divinise raquo et lrsquoofficiant et la grande pleureuse alternent en paroles solennelles

Lrsquoofficiant laquo Le ciel se reacuteunit agrave la terre raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Lrsquoofficiant laquo Le dieu vient Rendez hommage raquo ( fois)La grande pleureuse laquo Joie du ciel sur la terre raquo ( fois)Et ils frappent leurs tambourinsLrsquoofficiant et la pleureuse ensemble laquo La terre et le ciel sont en joie et se reacutejouis-

sent raquolaquo Notre seigneur est dans sa maison et il nrsquoa plus de crainte raquo ( fois)La deuxiegraveme libation apporteacutee agrave la 2 heure de la nuit est lrsquoeau fraicircche laquo qui

vient de ce pays raquo (et non du Noun) laquo elle suscite toutes les choses que donne ce pays 6 raquo et Osiris gracircce agrave elle laquo vivra de toutes les choses qursquoil peut aimer 7 raquo

La troisiegraveme libation a pour effet que laquo le dieu passe vers son pays dans ce lieu ougrave il a eacuteteacute enfanteacute et ougrave il est neacute de Racirc et ougrave chacun des dieux passe sa vieillesse avec ses enfants ainsi vont-ils au pays ougrave ils sont neacutes cette terre primordiale ougrave ils sont neacutes de Racirc ougrave ils vivaient eacutetant petits ougrave ils sont devenus adolescents crsquoest lagrave que tu es neacute que tu as grandi que tu deviendras vieux sain et sauf Prends cette eau qui vient de ce pays 8 raquo

La quatriegraveme libation est lrsquoeau fraicircche sortie drsquoEleacutephantine qui rafraicircchit et met en joie le cœur des dieux

Les autres libations et fumigations qui occupent les heures suivantes ne font que confirmer les reacutesultats deacutejagrave obtenus

Ces premiers rites accomplis les dieux exeacutecutent sur le corps drsquoOsiris une seacuterie de miracles qui se reacutepartissent sur les diffeacuterentes heures de la nuit et du jour

Mystegravere de la reconstitution du corps Osiris avait eacuteteacute deacutemembreacute par Seth Mais Isis et Nephthys ont retrouveacute chacun des lambeaux divins laquo elles mettent en ordre le squelette elles purifient les chairs reacuteunissent les membres seacutepareacutes 0 raquo puis la tecircte du dieu est assujettie sur le corps Les bras drsquoIsis et drsquoHorus entou-

P 7-726 P 77 P 808 P 87 P 0 e heure de la nuit p 8 2e heure du jour p 8-

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rent alors le cadavre reconstitueacute et le raniment par des passes magneacutetiques qui rappellent lrsquoacircme

Mystegravere du corps revivifieacute Avec lrsquoeau sainte qui donne la vie et la force et les nombreux fards et huiles preacutesenteacutes pendant les douze heures du jour on fait des onctions sur la bouche les yeux les oreilles et les diffeacuterents membres du corps reconstitueacute 2 Drsquoautre part la laquo grande magicienne raquo touche les mecircmes organes Ainsi la bouche les yeux les oreilles peuvent respirer parler et manger voir entendre les bras peuvent agir et les jambes marcher Crsquoest un miracle ducirc agrave la magie qui en imitant les mouvements propres agrave chaque membre ou agrave chaque organe a susciteacute le reacuteveil des fonctions dans chacun drsquoeux

Ces rites qui preacuteparent la renaissance du cadavre osirien nrsquoempecircchent point lrsquoemploi de pratiques ou de formules qui preacutevoient la renaissance par drsquoautres moyens

Mystegravere de la renaissance veacutegeacutetale A la e heure du jour on suppose que le corps rassembleacute momifieacute drsquoOsiris est enterreacute agrave Busiris Crsquoest ce qursquoon appelle laquo se reacuteunir agrave la terre agrave Busiris raquo Dans la terre se passait le mystegravere de la renais-sance veacutegeacutetale crsquoest-agrave-dire de la reacutesurrection drsquoOsiris compareacutee agrave la renaissance annuelle de la veacutegeacutetation Sur ces rites le culte journalier ne donne point de deacutetails mais nous les trouvons deacutecrits agrave Dendeacuterah dans le reacutecit des grandes fecirctes de Choiak 6

Mystegravere de la renaissance animale Dans cette mecircme e heure du jour on an-nonce agrave Osiris un autre mode de renaissance des victimes vont ecirctre ameneacutees et sacrifieacutees agrave la porte de lrsquoouacircbt (e et 6e heures du jour) Leur peau qui suivant les textes est la peau de Seth lrsquoadversaire 7 va servir de linceul pour envelopper Osiris crsquoest un laquo berceau raquo de peau (meshent 8) ougrave le dieu renaicirctra comme un enfant ou un animal laquo Salut agrave toi dit Isis Voici ta meshent la maison ougrave le ka divin renouvelle la vie raquo La peau assez souvent est celle drsquoune vache (le cette faccedilon on eacutevoque nout deacuteesse-vache du ciel megravere drsquoOsiris qui enfantera le

e heure de la nuit p 208 2e heure du jour p 2 e heure de la nuit p 0 2e heure du jour p 0 re heure du jour p Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 6 e heure du jour p 6 Traduit par V Loret recueil de travaux III-V Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 807 Junker p cf Maspero pap du Louvre p 08 Sur meshent (variantes meska mesi mesqet) cf Lefeacutebure proceedings s B A XV p et suiv et sphinx VIII p 7 Meshent est le nom drsquoune diviniteacute de lrsquoaccouchement e heure du jour p 0

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Veau-Soleil auquel Osiris est compareacute 60 Aussi agrave la e heure du jour dira-t-on agrave Osiris eacutetendu sous la peau que laquo sa megravere Nout srsquoapproche de lui et lui parle Oh relegraveve-toi mon seigneur dit la megravere Nout Me voici pour te proteacuteger je mrsquoeacutetends sur toi en mon nom laquo mystegravere du ciel 6 raquo

Le dieu qui preacuteside agrave ces rites est Anubis celui qui a pour insigne la neacutebride la peau de becircte attacheacutee agrave un pieu crsquoest lui qui dirige le sacrifice des victimes dont la peau sera le berceau drsquoOsiris renaissant Drsquoapregraves le Livre des Morts Anu-bis ne se contentait pas de faire passer Osiris par la peau-berceau Lui-mecircme (ou le precirctre qui jouait son rocircle) laquo passait sur raquo la peau 62 coucheacute il y prenait comme nous le verrons plus loin lrsquoattitude replieacutee du fœtus dans la matrice On croyait que les charmes de la magie imitative rendaient efficace ce simulacre de gesta-tion quand Osiris (et Anubis qui srsquoest substitueacute agrave lui) laquo sortent raquo sur la peau ils renaissent comme srsquoils sortaient du sein maternel Drsquoapregraves une autre tradition Horus fils drsquoOsiris traversait aussi la meshent pour son pegravere Les rituels anciens nous apprennent qursquoHorus passait encore au nom de son pegravere sur une autre peau-berceau le shedshed dont il sera question plus loin Mais dans les textes que nous analysons crsquoest Anubis et la meshent qui sont lrsquoun lrsquoagent lrsquoautre le berceau de la renaissance drsquoOsiris

A la 6e heure du jour on constate que laquo sa megravere Nout lrsquoa conccedilu en son temps et lrsquoa enfanteacute suivant le greacute de son cœur 6 raquo Pour attester cette reacutesurrection on eacuterige le pilier feacutetiche drsquoOsiris On ne fait ici que rappeler le souvenir de cette ceacutereacutemonie nous avons vu plus haut avec quel eacuteclat on la ceacuteleacutebrait le jour de la fecircte laquo drsquoeacuteriger le pilier raquo

A midi Osiris ressuscite en mecircme temps le soleil agrave son point culminant de midi eacutecarte les esprits des teacutenegravebres Pendant les six derniegraveres heures du jour les dieux de garde adorent Osiris et lui disent laquo Eacuteveille-toi en paix 6 raquo Le roi en per-sonne apparaicirct un instant agrave la e heure et apporte des offrandes (per-hrou ) A la 2e heure du jour lrsquooffice est termineacute on allume les lampes (pour eacutecarter les esprits des teacutenegravebres car il est six heures du soir) et on ferme les portes non sans avoir dit des paroles encourageantes au dieu laquo En paix Osiris Ah comme ces chants sont joyeux Comme ces femmes sont bonnes pour ton ka Que tu es

60 A Moret rituel de culte divin p208 Cf Sethe pyr II p 776 Junker p -662 Todtenbuch ch xvii (eacuted Naville II p 60 mdash Cf eacuted Budge eh clxxvi p 60) Voir agrave ce sujet Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (p s B A XV p )6 6e heure du jour p 76 0e heure du jour p 6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

beau beau dans ton repos Oh toi qui vis ta femme vient trsquoembrasser salut agrave toi acircme des dieux 6 raquo

Ce qui reste dans la chapelle nrsquoest drsquoailleurs que le corps divin Deacutejagrave lrsquoacircme drsquoOsiris ressusciteacute est partie pour le Ciel mais le corps comme lrsquoacircme jouissent deacutesormais de tous les privilegraveges des dieux

Ces privilegraveges sont deacutefinis par une eacutepithegravete qui revient comme un refrain au milieu de chaque heure laquo Tu es macirc-hrou Osiris chef de lrsquooccident 66 raquo Cette eacutepithegravete reacutesume un pouvoir miraculeux des ecirctres diviniseacutes par les rites Leur voix dans leur bouche quand elle profegravere des sons inarticuleacutes et agrave plus forte raison quand elle eacutemet des paroles ayant un sens deacutetermineacute a ce pouvoir creacuteateur que les Eacutegyptiens attribuaient au Verbe du Dieu deacutemiurge 67 La parole creacuteatrice permet au dieu de reacutesoudre toutes les difficulteacutes de deacutejouer toutes les ruses de preacutevenir tous les dangers par la faculteacute de creacuteer immeacutediatement ce qui est neacutecessaire en toute circonstance Gracircce agrave ces deux miracles permanents de la voix creacuteatrice (macirc-hrou) et de la voix productrice drsquooffrandes (per-hrou) le dieu pouvait seacutejourner en paix dans son naos Une derniegravere terreur lui reste peut-ecirctre celle de mourir une seconde fois 68 si Seth renouvelle ses attaques La vie nouvelle drsquoOsiris est vraiment preacutecaire mais le culte a eacuteteacute institueacute pour eacutecarter du dieu toute crainte en renouvelant chaque jour le Mystegravere du sacrifice et de la reacutesurrection

Jusqursquoici nous avons vu ce qui dans les Mystegraveres osiriens se rapporte agrave Osiris Mais ceux qui ceacutelegravebrent les Mystegraveres ne se proposent pas seulement comme but de perpeacutetuer le culte et par lagrave le salut eacuteternel drsquoun dieu ils preacutetendent srsquoattri-buer agrave eux-mecircmes les bienfaits des rites et participer agrave lrsquoimmortaliteacute qursquoils ont au prix de tant drsquoefforts assureacutee agrave Osiris Crsquoest ce que dit Plutarque 6 quand il fait remonter agrave la deacuteesse Isis lrsquoinvention des Mystegraveres qui commeacutemorent la passion de son fregravere et eacutepoux Osiris Isis institua des Mystegraveres laquo pour servir de leccedilon de pieacuteteacute et de consolation pour les hommes et les femmes qui passeraient par les mecircmes eacutepreuves raquo

Voyons donc comment les hommes tiraient beacuteneacutefice des Mystegraveres osiriensDrsquoabord crsquoest en vertu drsquoune loi geacuteneacuterale tout homme mort auquel on ap-

6 P 666 P 267 Voir plus loin Le Verbe creacuteateur p 768 e heure de la nuit p 86 De iside et Osiride 27

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plique les rites osiriens par un effet de magie imitative ressuscitera comme Osi-ris A cet effet la famille du deacutefunt reconstitue dans la maison ou le tombeau le drame de la mort et des funeacuterailles drsquoOsiris 70

Comme le fils de Geb et de Nout lrsquohomme mort est censeacute avoir eacuteteacute assassineacute par Seth jeteacute au fleuve repecirccheacute puis deacutemembreacute et retrouveacute une seconde fois La veuve jouait alors le rocircle drsquoIsis le fils remplissait le rocircle drsquoHorus ses amis ceux drsquoAnubis et de Thot 7 la famille proceacutedait agrave la reconstitution du corps deacute-membreacute et modelait une momie agrave lrsquoinstar de celle drsquoOsiris Au deacutebut des temps historiques la preacutesence dans les neacutecropoles de cadavres mis en morceaux par imitation des rites osiriens prouve qursquoon ne reculait devant aucune des conseacute-quences pratiques de cette theacuteorie mais dans la suite il parut suffisant de reacuteciter les formules qui assimilaient lrsquohomme agrave Orisis deacutemembreacute et reconstitueacute lrsquoon se bornait agrave faire une momie crsquoest-agrave-dire que lrsquoidentification avec Osiris semblait acquise degraves qursquoon transformait le cadavre agrave lrsquoimage du dieu momifieacute

Sur ce corps reconstitueacute et momifieacute la famille faisait exeacutecuter par les precirctres les ceacutereacutemonies deacutecrites par les rituels osiriens purifications qui lavent lrsquohomme de toutes les impureteacutes laquo qui ne doivent plus lui appartenir dans lrsquoautre monde raquo ouverture de la bouche et des yeux (oup-ra) qui ressuscitent la vie physique et intellectuelle renaissance veacutegeacutetale et animale qui de la deacutepouille mortelle font sortir un corps glorieux offrandes laquo sortant agrave la voix raquo cette voix creacuteatrice qui assure au nouvel Osiris la puissance contre ses ennemis et le garantit agrave jamais de la soif et de la faim Ainsi lrsquoaffilieacute au culte osirien srsquoapplique personnellement tout ce que son zegravele a assureacute au dieu son patron lui aussi renouvelle sa vie aussi vrai qursquoOsiris est vivant aussi vrai vivra-t-il agrave jamais

Les milliers de tombeaux qui ont eacuteteacute ouverts dans la valleacutee du Nil nous mon-trent par leurs tableaux que ces Mystegraveres eacutetaient joueacutes pour tout deacutefunt Il serait fastidieux de revenir ici sur les formules ou les gestes que nous avons deacutejagrave commenteacutes agrave propos drsquoOsiris lui-mecircme mais certains eacutepisodes repreacutesenteacutes dans les tombeaux projettent une lumiegravere tregraves vive sur quelques points resteacutes eacutenigma-tiques dans les rites deacutecrits plus haut

Le cortegravege qui accompagne le mort-dieu offre quelquefois drsquointeacuteressantes scegrave-nes de lamentations et de mimique funegravebres Un tombeau de la VIe dynastie

70 Voir les rituels funeacuteraires des Pyramides (eacuted Maspero et eacuted Sethe) et les laquo Livres de lrsquoOuverture de la bouche et des yeux raquo (Schiaparelli Libro dei funerali) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p sq7 Cf la formule des stegraveles funeacuteraires laquo Isis et Nephthys se sont lamenteacutees sur lui Anubis lui-mecircme lrsquoa fait momie raquo (Vienne stegravele ap Bergmann Das Buch vom Durehwanden der ewigkeit p 2-0)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

repreacutesente hommes et femmes tombant agrave terre tels qursquoOsiris et releveacutes par des comparses Ceux-ci semblent jouer le rocircle de laquo la grande pleureuse Isis 72 raquo au moment ougrave elle se lamente et laquo eacutebranle de ses cris le Ciel et lrsquoHadegraves raquo

Figure Les officiants miment la mort drsquoOsiris

Ailleurs crsquoest le rite de la renaissance veacutegeacutetale qui est preacutesenteacute de la plus inteacute-ressante maniegravere Dans plusieurs tombeaux de la XVIIIe dynastie on a retrouveacute des cadres en toile recouverts drsquoune couche de terreau disposeacutee en silhouette drsquoOsiris Des grains avaient eacuteteacute semeacutes lrsquoherbe avait pousseacute et on lrsquoavait tondue agrave une longueur de 0 m 0 de faccedilon agrave donner une verdoyante effigie drsquoOsiris veacutegeacutetant Sur les momies mecircmes on disposait parfois des grains de ceacutereacuteales ou des oignons de fleurs pour que leur germination ou leur floraison parucirct attester la reacutesurrection du deacutefunt 7

Une importance plus grande encore est donneacutee agrave la repreacutesentation de ce que jrsquoai appeleacute la renaissance animale Nous touchons ici agrave un des laquo secrets raquo les plus mysteacuterieux des rites eacutegyptiens et sur lesquels les monuments sont le plus avares drsquoexplications Le sujet nrsquoayant eacuteteacute que peu eacutetudieacute jusqursquoici je lui donnerai un

72 Cf J Capart Une rue de tombeaux agrave saqqarah pl LXX et suiv7 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 02 et pl XI

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

deacuteveloppement particulier justifieacute par lrsquoantiquiteacute et lrsquoimportance des pratiques magiques qui srsquoy reacutevegravelent

En theacuteorie crsquoeacutetait le mort lui-mecircme qui renouvelait sa vie en passant par la peau des victimes 7 ainsi avait fait Osiris ainsi devait faire tout homme soucieux de son salut des monuments montrent en effet le deacutefunt ou lrsquoinitieacute exeacutecutant lui-mecircme le rite Mais drsquoordinaire le passage par la peau est confieacute agrave des officiants et neacutecessite des victimes humaines ou animales Cet eacutepisode offre plusieurs variantes

Figure 6Le tikenou hacircleacute sur un traicircneau

Le thegraveme originel semble avoir eacuteteacute celui-ci un homme ou plusieurs hommes sont eacutegorgeacutes pour que leur vie sacrifieacutee rachegravete le deacutefunt de la mort Au deacutebut et peut-ecirctre jusqursquoassez tard dans la peacuteriode historique on immolait reacuteellement des victimes humaines qui figuraient Seth lrsquoennemi de tout ecirctre osirien Dans la

7 Les tombeaux dont les textes ou les tableaux seront utiliseacutes ci-apregraves sont ceux de Sehete-pibracirc (XIIe dyn) publieacute par Quibell (ramesseum pl IX) de Sebekneht (XIIe dyn) publieacute par Tylor (pl III) de Renni et Paheri (publieacutes par Tylor) de Rehmacircracirc (publieacute par Virey Mission du Caire t V ) de Montouherjhepshef (publieacute par Maspero Mission du Caire t V ) de Menni (Maspero Archeacuteologie eacutegyptienne p 7) des scegravenes analogues sont figureacutees aux tombeaux de Nebamon (recueil de travaux IX p 7) et de Sennefer (Virey ap recueil XX p 22 sq et XXI p 28) ceux-ci sont de la XVIIIe dynastie Voir aussi le tombeau drsquolbi dateacute de Psammeacute-tique Ier (Scheil Mission du Caire V pl IX)

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

suite on sacrifia le plus souvent des eacutetrangers probablement des prisonniers de guerre Nubiens ou Europeacuteens Au tombeau de Montouherjhepshef deux Nu-biens la corde au cou sont repreacutesenteacutes au moment ougrave ils vont ecirctre eacutetrangleacutes 7

Figure 7o Le tikenou ameneacute vers la laquo peau raquo2o Sacrifice des victimes animales

o Sacrifice des Nubiens

Un adoucissement agrave ce rite barbare fut la substitution des victimes animales aux victimes humaines Les animaux eacutetaient le taureau la gazelle lrsquooie le porc identifieacutes agrave Seth lrsquoadversaire Ces victimes animales payaient agrave la mort le tribut obligatoire et en rachetaient le deacutefunt 76 Lrsquoeacutegorgement des animaux srsquoaccompa-gnait toutefois drsquoun simulacre du sacrifice humain on faisait passer un homme ou un mannequin agrave travers la peau drsquoun taureau ou drsquoune gazelle sacrifieacutes

7 Cf G Maspero eacutetudes de mythologie I p 20876 Les theacuteologiens eacutegyptiens affirmaient que crsquoeacutetait lagrave lrsquoorigine des sacrifices drsquoanimaux laquo les victimes remplacegraverent les sacrifices humains raquo mdash Cf Au temps des pharaons p 22

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8On ouvre la terre et on creuse la fosse

Au tombeau de Montouherjhepshef on voit un personnage le tikenou ame-neacute sur un traicircneau en face drsquoune grande peau de becircte 77 La scegravene ougrave le Tikenou srsquohabille de la peau nrsquoest pas conserveacutee mais plus loin dans un trou creuseacute en terre on voit brucircler la peau la cuisse le cœur du taureau et aussi des cheveux du Tikenou qui sont jeteacutes lagrave semble-t-il pour remplacer le personnage lui-mecircme le sacrifice de la partie eacutequivalant agrave celui du tout Dans la flamme le simulacre de lrsquohomme et la peau de la victime montent vers le ciel emmenant avec eux le deacutefunt dans un monde divin

Figure On brucircle la peau le cœeur de la victime et les cheveux du tikenou

77 Les textes appellent la peau ou le lieu ougrave se trouve la peau mest meska meseq meshent en tous ces noms se trouve le radical mes = naicirctre

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Crsquoest Anubis qui avait reacuteveacuteleacute aux dieux et aux hommes ce moyen de renaicirctre que les rituels deacutefinissent en ces termes laquo Il a passeacute pur sur la peau-berceau raquo pour le compte drsquoOsiris (todtenbuch ch xvii I 8) Ce rite semble avoir eacuteteacute en usage degraves lrsquoAncien Empire Lors des funeacuterailles les bas-reliefs des mastabas nous montrent la barque funeacuteraire amenant agrave la neacutecropole le cadavre sous la protection du precirctre drsquoAnubis lrsquoOut 78 Le cadavre nrsquoest pas seul dans la barque bien qursquoon ne distingue pas ce qui se passe dans le naos-cabine on peut supposer que le Tikenou y eacutetait aussi du moins dans les tombeaux theacutebains du Nouvel Empire agrave El Kab et agrave Thegravebes voit-on degraves que la barque a abordeacute le Tikenou ameneacute sur la rive et installeacute sur un traicircneau qursquoon traicircnait jusqursquoagrave laquo la terre qui renouvelle la vie raquo (fig 0)

Figure 0Le tikenou coucheacute sur la peau aborde agrave la neacutecropole Hacirclage sur le traineau

Mais voici une transformation du rite Le Tikenou eacutetait recouvert non plus drsquoune peau mais drsquoun long pagne ou

linceul qui est parfois (fig ) tacheteacute comme une peau Le tombeau de Renni a conserveacute la scegravene ougrave Isis-pleureuse (dert) drape dans ce linceul le Tikenou au moment ougrave le cortegravege funeacuteraire part pour la neacutecropole plus loin lrsquoindividu apparaicirct non plus coucheacute de son long mais accroupi sur le traicircneau (fig 2) Le Tikenou est alors repreacutesenteacute le visage deacutecouvert pour qursquoil puisse respirer (fig 0-2) parfois le linceul recouvre tout (fig ) solidement maintenu par de larges bandelettes (fig ) dans ce cas on doit supposer que sous le linceul il y a non plus un homme mais un mannequin ou simulacre Homme ou mannequin la figure rappelle exactement la silhouette qursquoon donnait aux victimes animales (cf fig ) et aussi lrsquoaspect du fœtus replieacute dans le sein maternel (cf fig 2)

78 Lepsius Denkm II 76 6 0 LrsquoOut apparaicirct fig 0

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Dans le naos Isis drape le tikenou Devant lrsquoofficiant un servant

verse de lrsquoeau sous le traicircneau et fait une libation de lait pour Renni laquo Celui qui passe sous la peau crsquoest Renni raquo

Arriveacute au tombeau le Tikenou exeacutecutait un rite qui consistait agrave se laquo coucher raquo sder 7 sur un lit bas (fig 7) dans la mecircme attitude replieacutee Tel nous apparaicirct-il au tombeau de Rehmaracirc avec la leacutegende explicative laquo Faire venir agrave la citeacute de la peau (Abydos) Voici le Tikenou coucheacute sous elle (la peau) dans la terre de trans-formation (ta heper) raquo Par la suite il nrsquoest plus question dans ces tombeaux de sacrifier le Tikenou Au sacrifice humain on a donc substitueacute le proceacutedeacute magi-que inventeacute par Anubis au profit drsquoOsiris se coucher dans une peau figureacutee par un linceul Sous cette peau qui rappelle eacutevidemment celle drsquoun animal sacrifieacute

7 Le mot laquo se coucher raquo sder deacutetermineacute soit par le lit drsquoapparat soit par le lit bas et court (lrsquoangareb des Nubiens cf Maspero eacutetudes de myth I p 28) comme sur notre fig est un terme technique des rituels qui deacutesigne lrsquoacte de laquo se coucher sous la peau meska raquo (fig ) de laquo se coucher sous le linceul raquo (fig 0 et ) de laquo se coucher dans la peau kenemt raquo Les listes de fecirctes connaissent laquo la nuit du coucher raquo (A Moret Catal museacutee guimet I p 6 n 6 cf tod-tenbuch ch xviii eacuted Budge p 7 I 0) ou laquo le jour du coucher du dieu raquo (Caire ndeg 206) Je suppose qursquoil srsquoagit de lrsquoacte de se coucher sous la peau pour simuler la renaissance

27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le Tikenou est dans le laquo lieu du Devenir des transformations de la vie renouve-leacutee raquo le Tikenou qui a pris lrsquoattitude de lrsquoembryon humain dans le sein mater-nel sortira de la peau tel que lrsquoenfant qui naicirct Par conseacutequent le mort pour qui se fait le rite renaicirctra lui-mecircme automatiquement

La repreacutesentation de ces eacutepisodes srsquoest encore simplifieacutee dans les tombeaux agrave partir de la XIXe dynastie Drsquoune part les scegravenes relatives au sacrifice humain nrsquoapparaissent plus on se contente des seules victimes animales Drsquoautre part le Tikenou ne joue mecircme plus Anubis passant par la peau il dis-paraicirct de la scegravene 80 son rocircle passe agrave un des officiants qui est drsquoordinaire le sem 8 Au deacutebut de lrsquooffice funegrave-bre quand on va faire subir au deacutefunt laquo la conseacutecration (deser) dans la salle drsquoor 82 raquo le sem se laquo couche raquo (fig 7) revecirctu drsquoun linceul

80 Les rituels qui forment le texte publieacute par Schiaparelli (Libro dei funerali) dont le plus an-cien est celui du tombeau de Seacuteti Ier ne font plus mention du tikenou8 Comme Lefeacutebure lrsquoa noteacute celui qui passe par la peau est aussi Horus pour Osiris crsquoest-agrave-dire le fils pour son pegravere Dans la stegravele de Metternich (I 7-7) Osiris dit agrave Horus laquo Crsquoest toi mon fils (qui passes) dans la Mesqt (lieu de la peau) sorti du Noun tu ne meurs point raquo Passer par la peau crsquoest donc la mecircme chose que sortir du Noun le chaos primordial le rite recommence la creacuteation (cf p 27) et assure lrsquoimmortaliteacute82 Cette phrase deser m hat noub laquo conseacutecration dans la salle drsquoor (sanctuaire du temple ou du tombeau) raquo est une rubrique speacutecialiseacutee aux rites de la renaissance et nrsquoest employeacutee qursquoagrave cette occasion Maspero (eacutetudes de mythologie I p 28) y voit une indication de mise en scegravene laquo dis-positif dans la salle drsquoor raquo ce qui ne me paraicirct pas justifieacute Ma traduction se rapproche de celle proposeacutee par Virey (rehmard p 6) elle attribue agrave deser le mecircme sens que ce mot a comme eacutepithegravete de la neacutecropole ta deser laquo terre consacreacutee raquo (pyr de teacuteti I 7) ou du sanctuaire des temples et tombeaux bou deser laquo lieu consacreacute raquo Anubis est souvent qualifieacute le laquo maicirctre de ta-de-ser raquo ce qui srsquoexplique puisque ce dieu preacuteside agrave la laquo conseacutecration raquo deser par la peau mdash Abydos la ville de la peau meska et du berceau meshent eacutetait par excellence la laquo terre consacreacutee raquo (Stegravele de Leyde ap Piehl i H III pl 2 I laquo jrsquoai fait mon tombeau sur la meshent drsquoAbydos la terre consacreacutee de la montagne occidentale raquo parce que lagrave eacutetait le berceau de certains dieux tels que Ilnoumou et Heqit les ancecirctres neacutes au deacutebut (des temps) sur la meshent drsquoAbydos raquo Sharpe eg i I 78 2 cf Louvre C 6 Une stegravele de la XIIe dynastie (Caire ndeg 206) mentionne aussi la laquo salle consacreacutee raquo (ist desert) agrave propos du rite du laquo coucher du dieu raquo (harou sdert neter)

Figure 2Le tikenou sorti du naos est conduit agrave la neacutecropole

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Halage du tikenou accroupi dans lrsquoeau

en preacutesence des bouffons couronneacutes XIIe dynastie

Ce rite est bien une imitation ou une simplification de ceux joueacutes par le Ti-kenou costume et deacutecor tout est pareil Toutefois le Sem ne prend plus la po-sition incommode du fœtus il se contente de se coucher raquo comme pour dormir (fig 6) Mais les effets de ce sommeil ne sont pas moins miraculeux Voici les paroles sibyllines que dit le sem coucheacute laquo Jrsquoai vu mon pegravere (le deacutefunt ou Osiris) en toutes ses transformations raquo Au-dessous de ces mots les rituels expliquent la mise en scegravene des rubriques

laquo Transformation en sauterelle raquo mdash laquo Empecircchez (hou) qursquoil ne soit plus (qursquoil ne meure) mdash (Transformation) en abeilles mdash laquo Il nrsquoy a plus rien de peacuterissable en lui raquo mdash (Transformation) en ombre 8 raquo Quand le Sent se relegraveve il est censeacute ra-mener avec lui de la peau-linceul lrsquoombre crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme renaissante du deacute-funt et aussi des sauterelles des abeilles qui attestent comme dans la leacutegende drsquoAristeacutee 8 que la peau a eacuteteacute feacuteconde geacuteneacuteratrice drsquoecirctres vivants et que drsquoelle srsquoenvole comme une vie nouvelle (fig 8) Quant au corps il ne meurt plus dans la momie consacreacutee il nrsquoy a plus rien de peacuterissable 8 Acircme et corps renaissent pour la vie eacuteternelle Au Livre des Morts le deacutefunt dit de lui-mecircme agrave ce moment laquo Je suis

8 Voir les textes ap Schiaparelli Libro dei funerali I p 6-66 mdash Cf Lefeacutebure eacutetude sur Aby-dos ap proceedings s B A XV p 8 ougrave je modifie le sens attribueacute agrave hou8 Ph Virey Observations sur lrsquoeacutepisode drsquoAristeacutee Sur la diffusion de cette croyance agrave la bugonia dont les anciens attribuaient lrsquoorigine agrave lrsquoEacutegypte voir Lefeacutebure Lrsquoabeille en eacutegypte ap sphinx XI p 8 et suiv cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20 sq8 Cf pyr de teti 26 et 278 in hnnt im k et todtenbuch ch cliv 2 au laquo chapitre de ne pas laisser le corps se corrompre raquo le deacutefunt dit laquo Je me suis eacuteveilleacute en paix et sans troubles (ou sans corruption) (in hnnou) raquo Ce laquo reacuteveil raquo est peut-ecirctre conseacutecutif au laquo coucher raquo sder

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

celui qui a traverseacute la peau-berceau agrave qui Osiris a donneacute sa conseacutecration (hou) au jour de lrsquoenterrement 86 raquo

Ainsi la repreacutesentation du Mystegravere de la renaissance est alleacutee se simplifiant au cours des siegravecles on a supprimeacute le sacrifice hu-main le Tikenou a perdu une partie de son rocircle puis a disparu complegravetement agrave sa place un precirctre opegravere sous un linceul substitueacute agrave la peau Quelles sont les dates preacutecises de cette eacutevolution Je ne saurais les dire avec certitu-de le choix des scegravenes dans les tombeaux est souvent capricieux et ne se precircte pas toujours agrave un classement chronologique tel tombeau de la XIXe dynastie peut reproduire un rite neacutegligeacute dans un autre tombeau plus ancien Cependant il semble que ce soit de la XVIIIe agrave la XIXe dynastie que le rocircle du Tikenou a eacuteteacute simplifieacute jusqursquoagrave disparaicirctre 87 La repreacutesentation de la renaissance animale est devenue degraves lors moins reacuteelle que symbolique

M Maspero a signaleacute qursquoune comparaison est possible entre les scegravenes relatives au Tikenou et certaines vignettes drsquoun chapitre fort rare du Livre des Morts classeacute dans lrsquoeacutedition Naville comme cha-pitre CLXVIII a (fig ) Voici comment jrsquoen expliquerais les fi-gures Paraissent drsquoabord deux adolescents porteacutes sur les eacutepaules des officiants (ce sont peut-ecirctre deux tikenou) deux pleureuses coucheacutees agrave terre un taureau sur

86 Lefeacutebure eacutetude sur Abydos p et 7687 Au tombeau de Rehmacircracirc (XVIIIe dyn) certaines scegravenes du Tikenou sont encore repreacutesen-teacutees et les rites du sem sont ceacuteleacutebreacutes en mecircme temps Crsquoest donc une eacutepoque de transition

Figure Halage du simulacre enveloppeacute

drsquoun linceul

Figure Attitudes du tikenou et de la victime

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pavois qui rappelle la victime animale un sphinx androceacutephale dont le rocircle dans une scegravene de renaissance srsquoexplique peut-ecirctre parce qursquoil repreacutesente Toum le deacutemiurge 88 Plus loin on voit une deacuteesse assise les bras eacutecarteacutes dans la position caracteacuteristique des deacuteesses qui accouchent est-ce Nout la megravere ceacuteleste qui va donner le jour au corps glorieux du nouvel Osiris 8 Puis Anubis tenant en mains les symboles de force et de vigueur et preacuteside au rite du laquo coucher raquo sder Deux momies sont eacutetendues sur des lits veilleacutees par une grande Uraeligus dont le rocircle sera deacutefini plus loin lrsquoUraeligus porte son nom laquo celle qui consacre la tecircte raquo des dieux 0 De lrsquoautre cocircteacute des lits apregraves le Mystegravere accompli srsquoavance un des officiants dont la tecircte est surmonteacutee de lrsquoUraeligus peut-ecirctre ce personnage joue-t-il le rocircle du mort ressusciteacute Un sphinx coucheacute sur le lit personnifiant ici le soleil levant Harmahis symbole de reacutesurrection clocirct la seacuterie des figures Nous pouvons attribuer sucircrement cette scegravene au mystegravere de la renaissance mais dans le deacutetail il reste bien des obscuriteacutes 2

Figure 6 mdash Le sem se drape dans le linceul et se couche

88 Ed Naville a deacutemontreacute que le sphinx eacutetait souvent identifieacute agrave Toum mdash (ap sphinx V p et suiv) Dans le protocole royal le sphinx peut signifier laquo image vivante de Toum raquo (Sethe Urk XViiie Dyn IV p 600)8 Cf les scegravenes drsquoaccouchement de Deir-el-Bahari et Louxor reproduites dans A Moret Du caractegravere religieux p On sait que Nout megravere drsquoOsiris est censeacutee enfanter le mort agrave une vie nouvelle mdash (pyr de pegravepi i 0-0) Aussi compare-t-on agrave Nout le lit sur lequel le mort est eacutetendu laquo O grand (Osiris) coucheacute (sder) sur ta megravere Nout raquo (teta I 80) Le lit est en effet le laquo berceau raquodu deacutefunt0 Cf pyr drsquoOunas I 8 deser-tep Crsquoest une allusion aux rites de la laquo conseacutecration raquo deser La leacutegende hed iment semble signifier laquo brillant chaque jour raquo Le rocircle du sphinx comme soleil levant Khepra est bien connu (cf eacuted Naville sphinx V p ) Le grand Sphinx de Gizeh exprime pour le compte du roi Cheacutephregraven le mecircme symbole de reacutesurrection2 Le texte du chap 68 A au-dessus duquel les vignettes sont traceacutees ne nous donne que peu de lumiegravere il invite le lecteur agrave faire une libation sur terre pour que le deacutefunt passe parmi le sui-vants drsquoOsiris les suivants de Racirc les variantes du chap 68 B ajoutent le souhait qursquoil connais-se tous les secrets et qursquoil soit laquo un iahou parfait raquo dans lrsquoautre monde Peut-ecirctre devons-nous rapprocher de ces textes le chap 70 (eacuted Naville) qui se prononce au moment laquo de dresser le lit funegravebre raquo et ougrave lrsquoon adresse au deacutefunt cette phrase laquo Tu es Horus agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoœuf raquo elle correspond bien aux ideacutees de laquo conception et de renaissance raquo que nous avons signaleacutees

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Tous les documents relatifs au tikenou que nous avons examineacutes sont de lrsquoeacutepoque theacutebaine Les rites de la renaissance par la peau nrsquoavaient-ils point eacuteteacute conccedilus anteacuterieurement A ma connaissance les mastabas de lrsquoAncien Empire ne contiennent aucun tableau analogue agrave ceux reproduits plus haut et les textes des Pyramides ne mentionnent pas le tikenou Lrsquoensevelissement par la peau est peut-ecirctre repreacutesenteacute dans une tombe de la IVe dynastie par un bas-relief eacutenigma-tique (fig 20) qui donnerait une variante unique de ce rite Du moins peut-on affirmer que lrsquoideacutee de la renaissance par la peau est aussi ancienne que les plus anciens monuments eacutegyptiens connus Lrsquoeacutecriture mecircme le prouve puisque le signe mes qui symbolise lrsquoideacutee laquo naicirctre enfanter raquo repreacutesente trois peaux en faisceau (fig 2) Je montrerai plus tard comment cette tradition apparaicirct clai-rement au cours des rites de la fecircte Sed que les rois ceacuteleacutebraient degraves la peacuteriode archaiumlque

Figure 7Conseacutecration dans la salle drsquoor Le sem se couche

Qursquoil me suffise de dire ici que dans les pyramides comme dans les tombeaux theacutebains le deacutefunt renaicirct quand il srsquoest coucheacute vecirctu drsquoune peau ou drsquoun linceul

Ces peaux mestou sont peut-ecirctre des peaux de chien du type du chien Anubis agrave lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque on eacutecrit parfois le mot mes (neacute de) par le signe du chien (H Ranke Aeg Zeits-chrift t XLV p 2) Sous un naos agrave colonnes orneacutees de bucranes un lit funeacuteraire supporte un cercueil duquel eacutemerge seule une tecircte de taureau A gauche un officiant Une scegravene voisine montre la capture du taureau ainsi sacrifieacute je suppose que sa peau sert agrave un rite analogue agrave celui du Tikenou de lrsquoeacutepoque theacutebaine

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sur un lit Une formule que je choisis entre beaucoup drsquoautres reacutesume avec concision ce que le lit symbolise laquo Ce deacutefunt dit-on de Peacutepi Ier est creacuteeacute par Racirc il se couche (sder-tou) (fig 2) il est conccedilu il est enfanteacute chaque jour 6 raquo Le lit a le plus souvent la forme caracteacuteristique du divan bas sur lequel srsquoeacutetend le Tikenou Sur ce lit il y a une peau de panthegravere laquo Ce grand (le deacutefunt ou Osiris) se couche de sa personne la peau (de panthegravere 7) du lit est pour lui raquo cette peau venant drsquoun animal typhonien est lagrave pour mimer laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo que les rituels posteacuterieurs mentionnent

Figure 8Lrsquoombre et les symboles de lrsquoacircme ressusciteacutee (Seacuteti Ier)

Drsquoautre part drsquoapregraves la tradition le costume funeacuteraire drsquoOsiris et du mort se reacutesumait en une eacutetoffe (daout) qui eacutetait laquo celle qursquoHorus a faite pour son pegravere Osiris 8 raquo Crsquoest peut-ecirctre le laquo linceul raquo comme traduit Maspero En tout cas le linceul comme le lit sont personnifieacutes par des deacuteesses qui sont les megraveres du deacutefunt laquo Ce grand se couche sur sa megravere Nout ta megravere Taat trsquoa revecirctu elle te

Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux (Lacau sarcophages du Caire fig 82) Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo (Borchardt Aeg Zeitsch 07 p 7)6 peacutepi ier I 820 (Sethe p 80 8) La reacutesurrection srsquoexprime souvent par le mot laquo reacuteveil srsquoeacuteveiller raquo mdash pyr de peacutepi ii I 760 laquo Tu te couches et tu trsquoeacuteveilles tu meurs et tu vis raquo peacutepi ier I laquo son jour de reacuteveil raquo7 Le sens laquo peau de panthegravere raquo drsquoapregraves peacutepi ier I 68 pyr de teacuteti I 7 Deacuteesse des bandelettes voir la figure

Les Mystegraveres eacutegyptiens

porte au ciel en son nom drsquooiseau dert 00 raquo Le linceul devient donc en mecircme temps qursquoun veacutehicule pour aller au ciel un agent de reacutesurrection il y a dans lrsquoeacutetoffe comme dans la peau du Tikenou une force geacuteneacuteratrice suffisante pour expliquer la renaissance ceci nous aide agrave comprendre pourquoi agrave la fin de lrsquoeacutepo-que theacutebaine on a pu remplacer la peau par le linceul

Figure Les rites de la renaissance drsquoapregraves une vignette du livre des morts

La renaissance srsquoexeacutecute encore agrave cette eacutepoque par le passage sur un objet appeleacute shedshed Horus en avait donneacute lrsquoexemple pour le compte de son pegravere Osiris laquo Les dieux dit-on au roi deacutefunt trsquoeacutelegravevent au ciel avec ton acircme tu es muni drsquoacircme parmi eux car tu es sorti au ciel tel qursquoHorus sur le shedshed du ciel en cette tienne forme qui est sortie (= creacuteeacutee) de la bouche de Racirc tel qursquoHorus agrave la tecircte des Iahou 0 raquo Nous verrons plus tard quels monuments permettent de preacuteciser ce qursquoest le shedshed et quel est son rocircle dans les mystegraveres Disons tout de suite que crsquoest aussi une enveloppe qui sert de laquo peau-berceau raquo le passage citeacute prouve que comme la daout elle fournit un veacutehicule pour aller au ciel Quant

00 pyr de teacuteti I 80-80 pyr de teacuteti I 7-7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave la phrase laquo en cette forme sortie de la bouche de Racirc raquo elle est importante en ce qursquoelle eacutevoque un autre texte relatif agrave la naissance dans la meshent ougrave il est dit de certains dieux laquo ils ont eacuteteacute creacuteeacutes au deacutebut des temps (sur) les peaux-berceaux (meshentou) primordiales drsquoAbydos ils sont sortis de la bouche de Racirc lui-mecircme lors du (rite de) la conseacutecration deser (drsquo) Abydos 02 raquo Concluons que le shedshed est aussi un agent ou un lieu de renaissance 0 analogue agrave la meshent quand on srsquoen sert pour la conseacutecration rituelle (deser) des Mystegraveres osiriens

Figure 20Lrsquoensevelissement dans la peau de bœuf Gizeh tombeau de Nebmahout (IVe dynastie)

Il est donc certain que le laquo Mystegravere de la peau raquo et la laquo renaissance par la peau raquo font partie du fonds ancien de la religion eacutegyptienne Drsquoailleurs agrave cocircteacute du shedshed les Pyramides reacutevegravelent lrsquoexistence drsquoautres peaux-berceaux meska meshent kenemt out shedt dont les noms servent agrave deacutesigner autant de laquo pays ou de citeacutes de la peau 0 raquo

02 Louvre stegravele C 60 La renaissance apparaicirct aussi degraves cette eacutepoque symboliseacutee par lrsquoapparition de sauterelles et drsquoabeilles pyr de Mirinri I 68 et de peacutepi ii I cf eacuted Sethe II p et 270 Out deacutesigne les oasis comme Kenemt qui est aussi un des noms de Diospolis parva (sphinx X p 07) et une ville mystique (pyr de teacuteti I 0) cf Maspero t de Montouherjhepshef p 6 laquo la terre de Kenemout raquo shedt est la ville du Fayoum et une citeacute mystique (Ounas I 28)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Le signe est lrsquoamulette mest deacuteposeacutee dans les tombeaux

Le signe 2 est lrsquohieacuteroglyphe mes laquo naicirctre raquo

Lrsquoexistence de ces diverses localiteacutes mystiques indique peut-ecirctre autant de meacutethodes locales ou diffeacuterentes pour lrsquoexeacutecution drsquoun rite commun la renais-sance par la peau Les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont tregraves probablement amalgameacute des traditions deacutejagrave anciennes agrave cette eacutepoque et provenant de villes multiples

Pour le Moyen Empire les mecircmes rites me sont connus non point tant par des textes deacuteveloppeacutes que par des allusions qui se retrouvent dans les textes peints sur les cercueils Ces textes comme lrsquoa dit leur eacutediteur M Lacau sem-blent appartenir agrave un recueil distinct des rituels des Pyramides drsquoune part et des Livres des Morts theacutebains ou saiumltes drsquoautre part Mais il y a un fond drsquoideacutees qui subsiste si la reacutedaction est particuliegravere agrave lrsquoeacutepoque Le mystegravere de la peau est fort nettement deacutesigneacute dans les laquo chapitres des transformations raquo que subit le deacutefunt mots qui nous rappellent le laquo lieu de la transformation raquo crsquoest-agrave-dire la peau-berceau meska drsquoAbydos mdash Voici les passages caracteacuteristiques [laquo Le deacutefunt a sacrifieacute Seth lrsquoadversaire de son pegravere Osiris raquo] Venez Dieux Faites ses rites de protection agrave lrsquointeacuterieur de la vache et connaissez () dans vos cœurs votre maicirctre qui est ce dieu en son œuf 0 raquo Ailleurs le deacutefunt dit laquo Je me suis coucheacute dans le lieu (ouou pour Out ) des peaux divines renverseacute en preacutesence de la deacuteesse

0 Lacau textes religieux ap recueil XXVII p 7 Chapitre de laquo faire ses transformations en faucon raquo Cf p 8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Shesat dans lrsquoOccident 06hellip raquo mdash laquo Moi je suis celui qui passe dans la peau 07hellip raquo hellip laquo Moi je suis Osiris je suis un Iahou muni je ne suis pas pris pour le billot divin (du sacrifice) je me suis ceint de la peau qeni on ne me fait pas entrer vers le billot (bis) 08hellip raquo Enfin un texte tregraves court donne cette importante variante drsquoune phrase citeacutee plus haut laquo Je me suis coucheacute dans la peau (de cynoceacutephale) kenemt 0 raquo

Toutes ces allusions si bregraveves qursquoelles soient sont significatives Drsquoailleurs outre la tombe de Sehetepibracirc deacutejagrave citeacutee (fig ) la stegravele C du Louvre a conserveacute ce moment capital des rites osiriens repreacutesenteacute en traits syntheacutetiques 0 Au premier plan un lit funeacuteraire avec le cadavre les deux pleureuses Isis et Nephthys poussent leurs lamentations Cependant deux hommes amegravenent sur un pavois une becircte typhonienne probablement une panthegravere un autre porte sur lrsquoeacutepaule un adolescent en lequel je vois le tikenou coiffeacute de la couronne royale 2 A cocircteacute sont repreacutesenteacutes le traicircneau qui dans les tombeaux deacutecrits preacuteceacutedemment sert agrave haler le tikenou et les herminettes avec lesquelles on creuse la fosse ougrave brucirclera la peau de la victime Nous avons ainsi les personnages et le deacute-cor du drame

La scegravene se continue agrave droite Le cada-vre tout agrave lrsquoheure eacutetendu sur le lit est agrave preacutesent remplaceacute par un simulacre main-tenu debout par deux hommes Le corps ne comprend encore que la tecircte et le buste il repose sur des signes de vie planteacutes sur une sorte drsquoenclume Que signifie cette scegravene Crsquoest me semble-t-il le moment

06 ibid XXX p 0 (chap des transformations parmi les grands dieux drsquoHeacuteliopolis) Sur Shesat cf Lefeacutebure sphinx X p 007 ibid XXXI p 2 (se transformer en dieu Hent-hesem)08 ibid XXXI p 20 (chap de ne pas entrer au lieu du billot divin)0 Lacau sarcophages du Caire ndeg 280 p 70 M Maspero avait briegravevement signaleacute le rapprochement agrave faire entre les figures de la stegravele C et la scegravene du Tikenou (tomb de Montouherjhepshef p 6) Voir agrave lrsquoOsireion drsquoAbydos (M Murray pl V) hommes et femmes porteacutes sur lrsquoeacutepaule par les officiants ce sont des nemou comparses dont le rocircle ressemble agrave celui des tikenou et sera deacutefini plus loin2 Lrsquoimportance du fait que le tikenou est couronneacute comme le sont aussi les deux mimes sauteurs sera mise en lumiegravere plus loin

Figure 22 mdash Bouffons sautant

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ougrave lrsquoon commence agrave fabriquer la statue du deacutefunt pour reconstituer son corps au complet comme on lrsquoa fait pour Osiris

Figure 2Bouffons coiffeacutes de roseaux

Plus loin la peau de la panthegravere est suspendue agrave une hampe termineacutee par une fleur de lotus La becircte a donc eacuteteacute sacrifieacutee sa peau deacutepouilleacutee est precircte agrave servir Deux mimes couronneacutes de roseaux exeacutecutent les sauts qui accompagnent ha-bituellement dans les tombeaux theacutebains les scegravenes du tikenou (fig 22 et 2)

Maintenant les personnages ont pris place sur une barque divine sans lrsquoaide de nul rameur la barque se dirige vers Abydos Sur le pont de la barque on voit successivement un homme qui tient sur un pavois une tecircte gardeacutee par lrsquoUraeligus deser-tep un autre qui dresse une hampe surmonteacutee de la peau gonfleacutee (hen) je preacutesume que le tikenou porteacute tout agrave lrsquoheure sur les eacutepaules est censeacute y ecirctre renfermeacute lui ou son simulacre

Au temple de Philaelig on voit de mecircme les deacuteesses Isis et Selkit reconstituer le corps du dieu au moment ougrave il nrsquoa encore que les jambes et le buste Cf A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p P Il faut reconnaicirctre dans ces mimes les personnages grotesques qui jouent un rocircle dans les fecirctes des dieux de la moisson tel qursquoOsiris ils persistent encore agrave notre eacutepoque sous forme de masques du Carnaval Crsquoest probablement lrsquoimage de la tecircte drsquoOsiris phylactegravere puissant contre les esprits typho-niens elle apparaicirct en cette qualiteacute sur la stegravele de Metternich

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Voici que srsquoaccomplit le miracle de la renaissance A ce changement capital correspond une attitude nouvelle des personnages orienteacutes maintenant en sens contraire Face au porteur de la peau se tient dans la barque un homme qui preacutesente une tige de lotus 6 la peau deacutegonfleacutee flotte le long de la hampe agrave la faccedilon de la neacutebride drsquoAnubis Qursquoest devenu le tikenou Derriegravere la neacutebride apparaicirct un adolescent de taille plus petite que celle des deux hommes qui ten-dent vers lui leurs bras pour lui assurer la protection magique Crsquoest me semble-t-il lrsquoimage juveacutenile du mort qui renaicirct 7 le miracle de la peau lui a transfuseacute une vie nouvelle Peut-ecirctre lrsquoadolescent qui tenait preacuteceacutedemment le rocircle du Ti-kenou jouait-il agrave ce moment le personnage du deacutefunt renaissant

Enfin sur la rive abydeacutenienne ougrave le nouvel Osiris va descendre un cortegravege amegravene les statues des dieux ils viennent recevoir leur fregravere qui srsquoavance vers eux 8

Telle est lrsquointerpreacutetation que je propose pour cette scegravene lrsquoartiste y a repreacute-senteacute les rites secrets des Mystegraveres assez discregravetement pour ne les point divulguer aux profanes mais avec assez de preacutecision pour que nous y puissions discerner les traits saillants du drame osirien

Nous avons vu plus haut drsquoapregraves les monuments qui ont servi de point de deacutepart agrave ces recherches qursquoagrave la XVIIIe dynastie le Mystegravere de la peau se concentre dans le personnage du Tikenou qui va se simplifiant par la suite jusqursquoagrave disparaicirc-tre des tableaux ougrave il est remplaceacute par le precirctre sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine on ne voit plus guegravere agrave ma connaissance ni les tableaux relatifs au tikenou ni mecircme ceux du sem Des allusions succinctes aux rites de la peau-berceau subsis-tent cependant dans les Livres des Morts nous les avons citeacutees plus haut agrave propos du culte drsquoOsiris Crsquoest encore dans les vignettes des Rituels funeacuteraires que nous voyons figurer lors des cortegraveges funegravebres lrsquoenseigne drsquoAnubis avec le shedshed

6 Degraves les textes des Pyramides on assimile la renaissance du mort agrave la naissance du soleil Racirc sortant au matin sous le nom de Nefertoum du calice drsquoun lotus (Ounas I cf la vignette de Maspero Histoire I p 6) La queue de la neacutebride se termine parfois en lotus eacutepanoui7 Dans les Mystegraveres drsquolsis apregraves la scegravene de la reacutesurrection du dieu les precirctres faisaient ap-paraicirctre un enfant que lrsquoon saluait du nom drsquoOsiris renaissant mdash Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 888 La stegravele C preacutesente au-dessus de la scegravene deacutecrite une liste de diviniteacutes qursquoil faut rappro-cher de celle donneacutee dans un court chapitre du Livre des Morts (chap clxxi de lrsquoeacutedition Budge p ) qui a pour but de faire du mort un laquo iahou parfait raquo par le don drsquoune bandelette reacutesumeacute de lrsquoensevelissement total Tel est le cas pour le superbe tombeau de Patouamenap (eacutepoque saiumlte) publieacute par Duumlmi-chen

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dont nous avons deacutejagrave montreacute lrsquoemploi et lrsquoenseigne du nsout hen 20 dont nous allons parler Ces figures rappelaient pour les yeux seulement les antiques proceacutedeacutes drsquoinitiation que les textes ne deacutecrivaient plus

Les Mystegraveres ne servaient-ils qursquoaux morts Les vivants ne pouvaient-ils les ceacute-leacutebrer pour leur compte en vue drsquoun beacuteneacutefice terrestre ou en sauvegarde de leur vie future La reacuteponse nrsquoest point aiseacutee agrave fournir faute de documents explicites Cependant agrave un homme au moins sur terre les rites osiriens preacutetendaient assu-rer degraves ici-bas lrsquoimmortaliteacute Il est vrai qursquoil srsquoagit drsquoun homme qui est dieu le roi drsquoEacutegypte Pharaon

Pharaon en sa qualiteacute de fils des dieux de precirctre de tous les temples posseacutedait degraves son vivant cette pureteacute rituelle qursquoassurent les moyens que nous avons deacutecrits agrave propos drsquoOsiris Le roi devenait dieu par les rites osiriens lui aussi mais degraves son avegravenement eacutetait censeacute avoir passeacute par la mort osirienne et srsquoen ecirctre racheteacute comme avait fait Osiris Il nrsquoentre pas dans le cadre de cette eacutetude de reprendre la description du culte qui consacre la diviniteacute de Pharaon 2 je me contenterai drsquoattirer lrsquoattention sur le jubileacute sed qui renouvelait pour lui la digniteacute royale et divine et ougrave apparaissent quelques-uns des rites de la renaissance Cette fecircte consiste essentiellement en une Osirification 22 du roi elle parait semblable agrave la fecircte du couronnement drsquoOsiris

Pour le reste nous touchons agrave un sujet obscur ougrave mes recherches nrsquoont eacuteclaireacute que quelques points mais que je crois importants

Le nom mecircme du jubileacute sed signifie laquo fecircte de la queue raquo Cela ne nous donne aucune clarteacute sur le sens de la fecircte Sans doute le roi porte ordinaire-ment une queue postiche attacheacutee agrave sa ceinture mais nous ne voyons pas sur les tableaux conserveacutes par les monuments qursquoune importance particuliegravere soit attribueacutee agrave cette piegravece du costume au cours de la fecircte Sed au contraire le roi y porte comme Osiris une sorte de maillot funeacuteraire deacutepourvu de queue 2 Nous devons donc nous demander si sed nrsquoa pas eu un autre sens

Le mot sed laquo queue raquo employeacute pour deacutesigner le jubileacute est parfois remplaceacute par

20 Cf Pleyte up Aeg Zeitschrift 868 p 62 Cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute p 2022 Petrie The palace of Apries p 82 Voir les figures que jrsquoai reproduites ap Du caractegravere religieuxhellip p 0 28 22-22 2 20 22 262 27

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le mot seshed 2 laquo bandeau bandelette 2 raquo et ces deux mots sont agrave rapprocher drsquoun autre shed qui repreacutesente une laquo outre raquo et qui signifie originellement laquo peau deacutepouille peau preacutepareacutee pour faire une outre 26 raquo

Figure 2Lrsquooutre de peau

Le jubileacute royal eacutetait-il donc une fecircte de la renaissance par la peau Plusieurs faits semblent le confirmer Drsquoabord dans les fecirctes sed la plupart des officiants portent une peau de becircte 27 en particulier le precirctre qui par ses rites fait du roi un Osiris est toujours vecirctu de la peau de panthegravere Son nom ioun-moutef 28 signifie peut-ecirctre par jeu de mots laquo la peau est sa megravere 2 raquo Mais il est probable que cette graphie traduit une eacutetymologie populaire erroneacutee Les monuments tregraves anciens preacutesentent une orthographe ioun-kenmout 0 ougrave mout-ef est remplaceacute par kenmout nom du cynoceacutephale la peau de cynoceacutephale eacutetait nous lrsquoavons

2 pierre de palerme eacuted Schaeligfer p Quant agrave la forme shedshed elle indique grammatica-lement un duel le mot deacutesignerait peut-ecirctre originellement un objet double ce qui srsquoexpli-querait par la dualiteacute de la personne du Pharaon en qui lrsquoon distingue toujours le roi du Sud et le roi du Nord2 Par bandelette il faut entendre une eacutetoffe en piegravece qui peut ecirctre eacutetroite et mince comme un bandeau ou assez ample pour constituer un vecirctement Par bandeau il faut entendre le bandeau de tecircte formant couronne (cf A Moret Du caractegravere religieuxhellip p 8 n stegravele de Kouban I 8)26 Cf V Loret ap recueil XI p 0 et Piehl proceedings s B A XII p 727 Naville The Festival Hall pl I II IV bis IX X XI XII XIII XIX XXI28 Le nom est connu degraves lrsquoAncien Empire Mariette Mastabas p 8 Autel de Turin (VIe dyn) trans s B A III pl I A pyramide de peacutepi ii 7722 Virey rehmacircracirc p n Il existe un mot iounou qui signifie peau (Brugsch Woumlrth p 88)0 Stegravele de Mentouhetep Caire 20 6 Sur ces graphies cf Erman Aeg grammatik p 0 Voir les textes des Pyramides (peacutepi i 776) citeacutes par Crum ap proceedings s B A XVI p 6 A Beacuteni-Hasan le mot ioun-moutef est deacutetermineacute par un homme debout tenant par la main un cynoceacutephale eacutegalement debout (Griffith Beni-Hasan III p 27) Osiris prend parfois la forme drsquoun cynoceacutephale (Chabas pap Harris p 6) ou cite laquo la peau du cynoceacutephale drsquoOsiris raquo (Pleyte eacutetude sur un rouleau p 22)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vu une peau-berceau du culte osirien Le premier sens du titre me paraicirct donc ecirctre laquo (celui qui porte) la peau du cynoceacutephale raquo une confusion explicable par la meacutetathegravese des signes a fait lire le mot ioun-kenmout de cette faccedilon erroneacutee ioun-mout-ek ce qui a pu se traduire par jeu de mots laquo peau ta megravere raquo devenu par la suite ioun-moutef laquo peau sa megravere raquo En fait la peau dont est revecirctu lrsquoofficiant des rites funeacuteraires est une peau de panthegravere et non de cynoceacutephale 2 Quoi qursquoil en soit on peut supposer que lrsquoioun-moutef lrsquohomme agrave la peau eacutetait le precirctre qui lors de lrsquoapplication au roi des rites osiriens mimait la renaissance du roi en passant pour lui dans une peau comme Anubis lrsquoavait fait pour Osiris

Le dieu Anubis figure preacuteciseacutement dans le cortegravege de la fecircte Sed avec un accessoire sin-gulier Parmi les enseignes (fig 26) qui sont porteacutees en tecircte du cortegravege sur un pavois le dieu-chien est debout devant une sorte drsquoenveloppe en forme de poche gardeacutee par lrsquoUraeligus Les textes disent de cette enve-loppe laquo on passe sur elle pour aller au ciel 6 raquo son nom shedshed ou seshed est apparenteacute au nom mecircme de la fecircte sed ou seshed et vient semble-t-il de la mecircme racine shed laquo peau raquo

2 Un autre vecirctement ritualistique le qeni est une peau de gazelle (von Bissing ap recueil XXIX p 8) Sur ces enseignes divines qui figurent dans les cortegraveges de toutes les fecirctes osiriennes (fecirctes royales fecirctes drsquoOsiris fecirctes des morts = Louvre C todlenbuch ch i) cf A Moret Du ca-ractegravere religieux p 26 27 2 22 22 26 27 272 Le dieu-chien est Anubis ou bien Oupouatou ou encore le dieu sed Ce der-nier nom qui est rare sous lrsquoAncien Empire (cf Schaeligfer pierre de palerme p 2) disparaicirct par la suite peut-ecirctre eacutetait-il reacuteserveacute agrave lrsquoorigine au dieu-chien jouant son rocircle dans la fecircle sed Lrsquoenveloppe nrsquoapparaicirct sur le pavois que devant le dieu chien le dieu-faucon (Horus) et peut-ecirctre devant lrsquoenseigne dou des monuments archaiumlques (cf Loret revue eacutegyptologique XI p 80) Eacutetoffes replieacutees de mecircme ap Setheacute pyram II p 66 28 68 Petrie et Sethe voient dans le shedshed une plume (Mahasna p ) or les monuments peints tels que les sarco-phages donnent au shedshed la couleur rouge et aux plumes la couleur blanche ou bleue (A Moret sarcophages Caire p )6 Mahasna p mdash Pour la forme exacte du deacuteterminatif cf Sethe pyramidentexte I p 27 (pyr de teacuteti I -2)

Figure 2Horus ioun-MoutefTombeau de Seti Ier

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 26Pharaon preacuteceacutedeacute de son precirctre et des enseignes divines

et suivi de son ka adolescent Dendeacuterah

Lrsquoenveloppe me paraicirct ecirctre une eacutetoffe replieacutee jouant le mecircme rocircle que le linceul dans les rites deacutejagrave deacutecrits crsquoest-agrave-dire rem-placcedilant la peau Si cette hypothegravese est exac-te lrsquoenseigne du chien au shedshed pourrait repreacutesenter Anubis au moment ougrave le dieu va exeacutecuter le rite qui assurera la naissance du roi

A cocircteacute du dieu-chien on porte sur pavois un objet jusqursquoici indeacutetermineacute

On a deacutefini cet objet laquo morceau de vian-de raquo et on y voit une forme du dieu Hon-sou drsquoapregraves un tableau de Dendeacuterah 7 La comparaison des diverses leacutegendes qui ac-compagnent lrsquoobjet 8 prouve que la lecture

7 Mariette Dendeacuterah IV pl 2 I pl 228 La tombe du roi Hormheb (deacutebut de la XIXe dynastie) deacutecouverte par M Davis en 08

Figure 27Le dieu-chien le shedshed et lrsquouraeus

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veacuteritable est nsout hen Dans le mot hen je propose de reconnaicirctre un terme usiteacute degraves lrsquoAncien Empire pour deacutesigner la laquo peau raquo lrsquolaquo outre raquo le laquo cuir raquo Le groupe complet nsout-hen signifierait donc laquo la peau du roi raquo ce serait la peau dont on se sert pour faire renaicirctre le roi conformeacutement aux rites osiriens

La forme de lrsquoobjet hen rappelle en effet exactement la silhouette du tikenou accroupi sous la peau (fig 28) Un fait deacutemontre que cette similitude est voulue Au tombeau de Renni (fig ) on dit du tikenou qursquoil est laquo celui qui passe par la peau raquo hensou 0 il y a donc analogie de forme et de nom entre les deux symboles de hen et de tikenou et les deux conceptions

Figure 28Le tikenou sous la peau

Pourquoi precirctait-on une attitude styliseacutee agrave lrsquoindividu cacheacute sous la peau-lin-ceul Que peut eacutevoquer cette position speacuteciale imposeacutee agrave tous les officiants de la peau Pour lrsquoexpliquer il convient de recourir aux images les plus mateacuterielles que pouvait suggeacuterer agrave des hommes primitifs lrsquoideacutee de la renaissance Je crois pouvoir deacutemontrer par les dessins ci-dessous donneacutes que le hen correspond exactement agrave

contenait parmi les objets ritualistiques deux simulacres de fœtus nsout-hen en bois de syco-more longs de 02 centimegravetre sur 00 centimegravetre de haut On les trouvera dans la publica-tion de M Davis (The tomb of Harmhabi 2) agrave la page 0 nos 26-7 catalogueacutes sous le nom erroneacute laquo emblegravemes de Honsou raquo Voir la forme des deux objets sur la palette de Narmer (Hieacuterakonpolis I pl 26 mdash Moret Du caractegravere rel p 26) Inscription drsquoHerhouf (Sethe Urk I 0 cf Aeg Z XLII p et les scegravenes de travail du cuir ap Deshasheh pl XXI)0 Le mot hen apparaicirct sous la graphie hens et hensou aux tableaux drsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque (Kom-Ombo I p 6 2 Dendeacuterah I 22 IV 2 cf Pleyte Aeg Zeitschrift 868 6-7)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la silhouette du fœtus gravide de lrsquoembryon humain agrave terme encore enveloppeacute dans la matrice (fig 28 et 2)

Ce symbolisme expressif srsquoexplique agrave merveille si lrsquoon admet que la fecircte sed renouvelle au beacuteneacutefice du roi drsquoEacutegypte le Mystegravere de la naissance lui procure peacuteriodiquement une vie renouveleacutee De pareils rites se retrouvent freacutequemment dans les socieacuteteacutes primitives

Nous devons admettre que les Eacutegyptiens comme tant drsquoautres peuples 2 re-doutaient que la force vitale ne srsquoeacutepuisacirct agrave la longue dans le corps du souverain Aussi avaient-ils imagineacute de laquo renouveler la naissance raquo du Pharaon afin de ne jamais laisser srsquoamoindrir sa diviniteacute Pour y arriver ils appliquegraverent au Pharaon les proceacutedeacutes magiques de renaissance dont on usait envers Osiris et les morts Le jubileacute royal comprenait donc lrsquoexeacutecution du mystegravere de la peau son nom mecircme sed ou seshed eacutevoquerait la peau ou le bandeau dont on ceignait lrsquoinitieacute apregraves qursquoil avait parfait les rites Peut-ecirctre la queue postiche que porte le roi drsquoha-bitude nrsquoest-elle qursquoun abreacutegeacute de la peau tout entiegravere et comme un rappel de lrsquoinitiation qui lui a valu la renaissance pour une peacuteriode drsquoanneacutees

Figure 2 mdash Aspect du fœtus gravide

Cette deacutemonstration a eacuteteacute proposeacutee le 22 janvier au Museacutee Guimet lors drsquoune confeacute-rence imprimeacutee en septembre au tome XXXVI de la Bibliothegraveque de vulgarisation La mecircme anneacutee M Seligmann et miss Murray publiaient dans Man (novembre ) une note upon early egyptian standard ougrave ils proposaient de reconnaicirctre dans le hen le placenta crsquoest-agrave-dire lrsquoannexe du fœtus Aujourdrsquohui encore certaines tribus des reacutegions du Haut-Nil lors de la naissance drsquoun futur roi traitent avec honneur le placenta et le cordon ombilical du prince royal le conservent dans un eacutedifice et lui attribuent un pouvoir mystique sur la vie du roi2 Cf Frazer Le rameau drsquoor II p et suiv Petrie sinaiuml p 82 Ouhem mestou laquo qui renouvelle les naissances raquo nom drsquoHorus drsquoAmenemhat I (Gauthier Livre des rois p 2 et suiv)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette interpreacutetation des rites de la fecircte Sed et des Mystegraveres osiriens causera peut-ecirctre quelque surprise A qui ne suffirait pas le teacutemoignage des monuments eacutegyptiens je rappellerai des scegravenes semblables mais commenteacutees par des textes tregraves explicites qui se trouvent dans les rituels veacutediques Il srsquoagit de faire renaicirctre agrave une autre existence lrsquoofficiant qui offre le sacrifice de le diviniser en le faisant mourir agrave la terre et renaicirctre dans le ciel Jrsquoemprunte ce qui suit au beau livre de Sylvain Leacutevi

laquo Alors la dicircksacirc intervient La dicircksacirc est un ensemble de ceacutereacutemonies preacutelimi-naires qui sert agrave deacuteifier la creacuteature humainehellip On eacutelegraveve un hangar particulier pour le sacrifiant qui fait la dicircksa on lui passe une peau drsquoantilope noire laquo le hangar crsquoest sa matrice la peau drsquoantilope noire crsquoest le chorion le vecirctement crsquoest lrsquoamnios la ceinture crsquoest le cordon ombilical celui qui fait la dicircksacirc est un embryon raquo

Un des Bracirchmanas rassemble dans un exposeacute concis les principaux actes de la dicircksacirc avec leur interpreacutetation laquo Les precirctres transforment en embryon celui agrave qui ils donnent la dicircksacirc Ils lrsquoaspergent avec de lrsquoeau lrsquoeau crsquoest la semence virile ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la semence virile mdash ils lui frottent les yeux drsquoonguent lrsquoonguent crsquoest la vigueur pour les yeux ils lui donnent ainsi la dicircksacirc en lui donnant la vigueur Ils le font entrer dans le hangar speacutecial le hangar speacutecial crsquoest la matrice de qui fait la dicircksacirc ils le font entrer ainsi dans la matrice qui lui convient Ils le recouvrent drsquoun vecirctement le vecirctement crsquoest lrsquoamnios pour qui fait la dicircksacirc ils le recouvrent ainsi de lrsquoamnios On met par-dessus une peau drsquoantilope noire le chorion est en effet par-dessus lrsquoam-nios on le recouvre ainsi du chorion Il a les poings fermeacutes en effet lrsquoembryon a les poings fermeacutes tant qursquoil est dans le sein lrsquoenfant a les poings fermeacutes quand il naicircthellip Il deacutepouille la peau drsquoantilope pour entrer dans le bain crsquoest pourquoi les embryons viennent au monde deacutepouilleacutes du chorion Il garde son vecirctement pour y entrer et crsquoest pourquoi lrsquoenfant naicirct avec lrsquoamnios sur luihellip raquo

En somme conclut S Leacutevi la dicircksacirc est une seconde naissance une reacutegeacuteneacute-

Le chorion et lrsquoamnios sont deux membranes qui enveloppent le fœtus dans la matrice dans cet ordre en allant de lrsquoexteacuterieur agrave lrsquointeacuterieur Notons que si le hangar de la dicircksacirc est appeleacute laquo matrice raquo de lrsquoinitieacute en eacutegyptien les mots shed et out (la peau drsquoAnubis) peuvent avoir aussi le sens uteacuterus Ainsi devient intelligible lrsquousage de mots deacutesignant la peau et la matrice et drsquoobjets simulant la forme du fœtus agrave terme dans les fecirctes ceacuteleacutebreacutees pour les initieacutes du culte osirien

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ration qui fait de lrsquohomme un dieu laquo Lrsquohomme ne naicirct qursquoen partie crsquoest par le sacrifice qursquoil est veacuteritablement mis au monde 6 raquo

De tous les teacutemoignages eacutegyptiens citeacutes plus haut il reacutesulte qursquoon se figurait de mecircme faccedilon le meacutecanisme de la renaissance dans les mystegraveres osiriens parti-culiegraverement dans la fecircte sed ougrave il srsquoagit de laquo renouveler la vie raquo ou laquo la naissance raquo du roi vivant Purification par lrsquoeau-de-vie onction de fards passage par la peau construction drsquoun eacutedifice le pavillon des fecirctes sed ougrave ces rites eacutetaient ceacuteleacutebreacutes tout srsquoeacuteclaire singuliegraverement prend un sens intelligible par la compa-raison avec les rites hindous

Ainsi les rois drsquoEacutegypte recevaient des mystegraveres osiriens un renouvellement de vie Eacutetait-ce le privilegravege exclusif du roi Les autres hommes leurs sujets y eacutetaient-ils admis Eacutetait-ce apregraves la mort seulement que les initieacutes subissaient les rites qui assuraient la renaissance Les textes sont extrecircmement discrets agrave ce su-jet et peut-ecirctre ne devons-nous pas en ecirctre eacutetonneacutes puisqursquoil srsquoagit de Mystegraveres Toutefois je tiens pour bonne lrsquointerpreacutetation que Lefeacutebure a donneacutee drsquoune stegravele de la XIIe dynastie 7 ougrave il est question drsquoun certain Oupouatouacirca qui par faveur exceptionnelle degraves son vivant laquo passe par la peau raquo laquo Sa Majesteacute dit-il me placcedila comme sacrificateur des victimes bovines dans le temple drsquoOsiris Hentamenti dans Abydos du nome Thinite Je suis sorti sur les peaux meskaou pour moi-mecircme lagrave agrave cause de la grande faveur que Sa Majesteacute me teacutemoignaithellip8 raquo Jrsquoai noteacute que lrsquoexpression est tout agrave fait pareille agrave celle des Pyramides laquo Teacuteti sort vers le ciel sur le shedshed raquo Le favori du roi a donc connu de son vivant le mystegravere de la renaissance par la peau

Si nous voulons ecirctre eacuteclaireacutes sur le beacuteneacutefice drsquoun rite de ce genre consultons encore les commentaires des rites veacutediques laquo Gracircce aux pratiques de la dicircksacirc le sacrifiant se trouve en possession de deux corps lrsquoun mateacuteriel et mortel lrsquoautre rituel et immortelhellip En veacuteriteacute lrsquohomme naicirct trois fois drsquoabord il naicirct de son

6 Sylvain Leacutevi La doctrine du sacrifice dans les Bracirchmanas p 0 Cf Lefeacutebure sphinx Viii p 7 Lefeacutebure avait par ce rapprochement suggeacutereacute lrsquoidentiteacute du tikenou avec le precirctre qui passe par la dicircksacirc Mais il nrsquoavait point compareacute ces rites avec ceux de la fecircte sed7 Stegravele ndeg 0 de Munich (Dyroif et Poumlrtner pl II) La stegravele est du type de C (Louvre) et de Turin ndeg 07 (Maspero recueil III p ) elle comporte comme celles-ci une liste de diviniteacutes8 (I 2-22) Ce texte a eacuteteacute signaleacute et interpreacuteteacute par Crum ap proceedings s B A XVI p Lefeacutebure dans une note agrave lrsquoarticle de Crum dit laquo La question serait de savoir si la stegravele parle drsquoun sacrifice fait pendant la vie ou apregraves la mort du personnage Si crsquoest de son vivant il a eacuteteacute son propre tikenou raquo Le texte ne precircte pas agrave amphibologie Il srsquoagit bien drsquoun sacrifice fait pendant la vie drsquoOupouatouacirca

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pegravere et de sa megravere puis quand il se sacrifie ce que le sacrifice fait de lui crsquoest sa seconde naissance enfin quand il meurt et qursquoon le deacutepose dans le feu quand il naicirct de lagrave crsquoest sa troisiegraveme naissance Et crsquoest pourquoi il est dit que lrsquohomme naicirct trois fois 0 raquo

Tels eacutetaient pour les Eacutegyptiens les effets attendus de ces rites Une question se pose encore Les termes employeacutes par Oupouatouacirca indiquent que lrsquoinitia-tion reccedilue par lui eacutetait rarement accordeacutee aux hommes vivants Cette initiation est-elle complegravete Et y avait-il des degreacutes dans lrsquoinitiation Nous sommes trop mal renseigneacutes pour reacutepondre en toute certitude Le fait qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-ro-maine lrsquoinitiation complegravete aux mystegraveres drsquoIsis qui ont fait de larges emprunts agrave lrsquoEacutegypte comportait aussi une mort simuleacutee et une renaissance donne sans doute une preacutesomption pour affirmer qursquoOupouatouacirca a eacuteteacute admis aux derniers degreacutes de lrsquoinitiation Peut-ecirctre devons-nous consideacuterer comme des laquo initieacutes par-faits raquo ces hommes assez peu nombreux qui peuvent se vanter dans leurs eacutepita-phes drsquoecirctre laquo un iahou parfait muni qui connaicirct les formules raquo ou laquo qui connaicirct toute la magie secregravete de la cour 2 raquo Ceux-lagrave eacutetaient initieacutes degraves leur vivant les autres ne devenaient laquo iahou parfaits raquo qursquoapregraves la mort au moment ougrave les rites funeacuteraires faisaient drsquoeux des Osiris il nrsquoest pas prouveacute que tous les gens qui faisaient repreacutesenter dans leurs tombes le Mystegravere de la peau en aient beacuteneacuteficieacute avant les funeacuterailles

Les mecircmes restrictions doivent srsquoappliquer me semble-t-il agrave une autre eacutepi-thegravete donneacutee geacuteneacuteralement agrave ceux qui aspirent agrave la laquo feacuteauteacute raquo ou laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo imahou er neter acirca Lrsquoeacutepithegravete neb imahou laquo possesseur de la conseacutecration raquo ou comme on traduit drsquoordinaire laquo de la beacuteatitude raquo deacutesigne tous les Eacutegyptiens qui ont eu le beacuteneacutefice drsquoune seacutepulture consacreacutee suivant le rite osirien et qui attendent la vie divine apregraves la mort Le signe semble repreacute-senter un de ces pagnes munis drsquoune queue qursquoon mettait autour des reins

0 Citeacute par Frazer Le rameau drsquoor II p 0 drsquoapregraves les Lois de Manou Apuleacutee Meacutetamorphoses XI Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 et suiv2 Sethe Urkunden d A r I p 22 mdash Cf I p (VIe dyn) Cf peacutepi i I 78 et suiv Maspero recueil III P 0 eacutetudes de Mythologie I p 0 7 A Moret La condition des feacuteaux ap recueil XIX p Pour ces vecirctements agrave queue cf Lacau sarcophages du Caire pl XLIX et L Drsquoapregraves les rituels la beacuteatitude ou lrsquoinsigne de cette beacuteatitude arrive au mort venant du dos drsquoOsiris (Schia-parelli Libro dei funerali II p 87) Aux textes des Pyramides le mot laquo dos raquo (psed) drsquoOsiris est deacutetermineacute par un signe semblable agrave imah (Ounas I68 et cf eacutedition Sethe I p 26 et 227) mdash Lrsquoinsigne des imahou serait-il agrave comparer aussi avec la laquo ceinture drsquoherbes de Munga raquo que portent les initieacutes hindous imah a souvent la forme drsquoune gerbe lieacutee (Sethe pyramidentexte I p 0) Serait-ce une indication pour rattacher cette conception au mythe agraire osirien

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

comme la queue royale ce pagne rappellerait la peau de la renaissance Parfois aussi lrsquoinsigne se placcedilait sur la tecircte eacutevoquant ainsi lrsquousage du bandeau seshed 6 Queue ou bandeau lrsquoinsigne attestait que son possesseur eacutetait laquo initieacute raquo

Les textes speacutecifient que lrsquoimahou attendait de la faveur des dieux entre autres choses 7 sur terre une vie tregraves longue et apregraves la mort lrsquoeacutetat de laquo beacuteatitude 8 raquo Drsquoapregraves Apuleacutee ces mecircmes promesses rendaient bienheureux les initieacutes aux Mystegraveres drsquoIsis

On nrsquoarrivait le plus souvent qursquoagrave la fin de la vieillesse ou apregraves la mort agrave lrsquoeacutetat de beacuteatitude Ceux qui degraves leur jeunesse jouissent de cette faveur ne manquent pas de srsquoen vanter 60 Jrsquoen conclus qursquoagrave part ces favoriseacutes les hommes ne reacuteali-saient qursquoen mourant tous les avantages de la condition drsquoimahou rares eacutetaient ceux qui gracircce agrave une mort simuleacutee beacuteneacuteficiaient drsquoune initiation 6 complegravete Les autres nrsquoeacutetaient censeacutes renaicirctre qursquoapregraves la mort reacuteelle agrave condition que les rites osiriens leur fussent appliqueacutes ils parvenaient alors dans une autre vie agrave la laquo beacuteatitude aupregraves drsquoOsiris raquo Une eacutepithegravete freacutequente depuis le Nouvel Empire srsquoajoute au nom du deacutefunt pour deacutefinir cet eacutetat de sainteteacute rituelle ouhem acircnh laquo celui qui renouvelle la vie raquo Cette renaissance reacutesultait de lrsquoinitiation que celle-ci fucirct acquise avant ou apregraves la mort

Pour reacutesumer le sujet dans ses grandes lignes je rappelle que nous avons pris comme point de deacutepart les donneacutees des rituels drsquoOsiris ces donneacutees sont tregraves bregraveves soit agrave cause du caractegravere secret des rites soit parce que les textes eacutetant de basse eacutepoque sont devenus obscurs et eacutecourteacutes agrave cause de lrsquoindiffeacuterence des precirctres et du public Jrsquoai chercheacute agrave ces obscuriteacutes des eacuteclaircissements dans le culte des morts imiteacute du culte drsquoOsiris entre tous les monuments les tableaux des tombes theacutebaines nous ont fourni les renseignements les plus clairs sur des

6 pyramide drsquoOunas I 66 laquo lrsquoinsigne imahou drsquoOunas (est) sur la tecircte drsquoOunas raquo7 Jrsquoai montreacute dans mon eacutetude sur La condition des feacuteaux que lrsquoimahou reccediloit un tombeau (ou au moins le terrain) des rations de nourriture pendant sa vie et des offrandes apregraves la mort le tout aux frais du patron dieu roi ou chef de famille (recueil XIX p et suiv)8 recueil de travaux XIX p 26 et suiv Meacutetamorphoses XI (eacuted Nisard p 02) Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 20860 recueil XIX p 27 et les exemples citeacutes plus haut6 M Paul Foucart cherchant en Eacutegypte un eacutequivalent agrave lrsquoinitieacute eacuteleusinien ou isiaque avait sur lrsquoindication de M Maspero proposeacute de le trouver dans lrsquoimahou (recherches sur les Mystegraveres drsquoeacuteleusis p 20) Jrsquoadopte actuellement cette ideacutee dans mon eacutetude sur La Condition des feacuteaux je mrsquoeacutetais preacuteoccupeacute exclusivement de la condition sociale des imahou jrsquoajouterai agrave cet exposeacute que le point de deacutepart de la condition drsquoimahou est une initiation aux rites deacutecrits ici initiation confeacutereacutee au myste par le dieu le roi ou le pegravere A la basse eacutepoque le precirctre qui initie aux mys-tegraveres prend encore le titre de pegravere

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rites dont jrsquoai prouveacute ensuite lrsquousage degraves lrsquoAncien et le Moyen Empire Passant au culte des vivants jrsquoai montreacute que les rites des fecirctes Sed renouvellent la vie du roi en lui confeacuterant lrsquoinitiation aux Mystegraveres osiriens et que parmi les hommes quelques-uns sont initieacutes pendant leur vie et la plupart apregraves leur mort

En proceacutedant ainsi jrsquoai passeacute du connu agrave lrsquoinconnu et je me suis efforceacute de mettre en lumiegravere les proceacutedeacutes drsquoinitiation et de deacutefinir les diverses classes drsquoini-tieacutes Lrsquoinconveacutenient de cette meacutethode crsquoest de neacutegliger en apparence lrsquoordre chronologique des documents puisque les rituels osiriens qui nous sont par-venus datent de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine tandis que lrsquoosirification du roi et des hommes est connue degraves lrsquoeacutepoque archaiumlque Aussi le sujet une fois eacuteclairci re-viendrai-je agrave lrsquoordre chronologique pour reacutesumer les conclusions que je voudrais proposer

La renaissance apregraves la mort gracircce agrave des rites magiques dont le plus important est celui de la peau telle est la raison drsquoecirctre des Mystegraveres osiriens la certitude drsquoune survivance eacuteternelle tel est le reacutesultat de lrsquoinitiation

Les monuments de lrsquoAncien Empire nous reacutevegravelent les proceacutedeacutes de lrsquoinitiation confeacutereacutee au roi vivant (fecircte Sed) et au roi mort (rites funegravebres) Les rites secrets se reacutesument dans le laquo mystegravere de la peau raquo Guideacutes par la reacuteveacutelation donneacutee par les dieux-chiens Sed Anubis Ouapouatou (ces deux derniers dieux de la peau out) et sous la garde de lrsquoUraeligus divine le roi ou un officiant (appeleacute Iounmou-tef et revecirctu drsquoune peau) passent pour renaicirctre au ciel sur lrsquoobjet shedshed (ou seshed) crsquoeacutetait une peau (shed) devenue par stylisation un vecirctement un linceul ou bandelette comme teacutemoignage du rite accompli le roi porte une bande-lette formant ceinture avec queue (sed) et un bandeau de tecircte (seshed) drsquoougrave le nom fecircte sed ou seshed donneacute au jubileacute royal ougrave le roi laquo renouvelle sa naissance raquo pour une peacuteriode variable Les mecircmes rites se ceacuteleacutebraient au moyen drsquoune peau appeleacutee laquo peau du roi raquo nsout-hen par laquelle passait le roi ou un officiant agrave sa place Dans les fecirctes du culte adresseacute au roi vivant ou mort on portait sur pavois le shedshed et le nsout-hen auxquels on donnait une forme styliseacutee rappelant pour le premier la matrice pour le second le fœtus humain agrave terme replieacute dans la matrice Lrsquointerpreacutetation de ces symboles srsquoeacuteclaire par lrsquoexistence drsquoalleacutegories analogues dans les rites veacutediques Il existait encore drsquoautres laquo peaux geacuteneacuteratri-ces raquo mes meska kenemt Le lieu ougrave se jouait le Mystegravere eacutetait qualifieacute laquo berceau raquo meshent Lors de la fecircte du jubileacute royal les rites srsquoexeacutecutent dans des pavillons munis drsquoun lit sur lequel le roi laquo se couche raquo (sder) pour mourir rituellement et

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

renaicirctre en roi comme Osiris 62 Pour les morts les lieux de renaissance sont des citeacutes mystiques dont les noms se rapportent aux diverses peaux villes de Out Meska Kenemt Shedt Lrsquoexistence de ces localiteacutes diverses et des proceacutedeacutes dif-feacuterents de renaissance fait supposer que les reacutedacteurs des textes des Pyramides ont amalgameacute tant bien que mal des traditions locales anciennes qui par des meacutethodes diverses pratiquaient cependant un rite commun la renaissance par la peau

Lrsquoinitiation du roi nrsquoeacutetait qursquoune imitation des rites qursquoon avait pratiqueacutes laquo la premiegravere fois raquo pour Osiris Le Mystegravere osirien appliqueacute au dieu lui-mecircme existe donc degraves les temps archaiumlques bien que les textes jusqursquoici connus ne le deacutecrivent point et nrsquoy fassent allusion que par preacuteteacuterition

Les tombeaux de lrsquoAncien Empire montrent que tous ceux qui posseacutedaient un tombeau eacutetaient initieacutes aux rites osiriens Chaque deacutefunt enseveli rituelle-ment devenait dans lrsquoautre monde un ecirctre laquo consacreacute raquo iahou ou un laquo beacuteatifieacute raquo imahou Sauf de rares exceptions on ne devenait imahou qursquoapregraves la mort il y a cependant en dehors du roi des exemples certains drsquohommes initieacutes pendant leur vie

Les rites de lrsquoinitiation au moment des funeacuterailles sont repreacutesenteacutes depuis le Moyen Empire (stegravele C ) et les tableaux se multiplient dans les tombeaux que jrsquoai citeacutes A la XVIIIe dynastie on confie au tikenou le passage par la peau pour le compte du deacutefunt souvent on remplace la peau par un linceul et le tikenou par un precirctre ordinaire le sem Apregraves la peacuteriode theacutebaine les tableaux des tom-bes montrent rarement les officiants coucheacutes sous la peau ou le linceul Mais des allusions subsistent dans les Livres des Morts les enseignes alleacutegoriques du shedshed et du nsout-hen figurent dans les processions

Quant aux rituels du culte drsquoOsiris qui devraient ecirctre les archeacutetypes de tous les autres nous ne les posseacutedons jusqursquoici que dans des reacutedactions illustreacutees de tableaux de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine Les rites de la renaissance par la peau-ber-ceau qui eacutevoque laquo la bonne seacutepulture dans la peau de Seth raquo y sont plutocirct rappe-leacutes que deacutecrits le rocircle drsquoAnubis et drsquoHorus comme prototypes du Tikenou ne sont deacutefinis que par allusion il nrsquoest plus question du shedshed ni du hen Sans les textes des Pyramides ou sans les tableaux des tombes theacutebaines les rituels nous sembleraient muets ou resteraient deacutesespeacutereacutement obscurs Sommes-nous ici en preacutesence de reacuteticences systeacutematiques agrave cause du caractegravere mysteacuterieux de ces ri-tes Je crois plutocirct qursquoagrave la basse eacutepoque les rites de la renaissance animale ont

62 Eacuted Naville The Festival Hall of Osorkon ii pl II Moret Du caractegravere religieux p 20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

perdu de leur importance et qursquoon leur a preacutefeacutereacute ceux de la renaissance veacutegeacutetale auquel est consacreacute agrave Dendeacuterah un tregraves long texte qui entre dans les moindres deacutetails Jrsquoai lrsquoimpression que si nous retrouvions par chance un rituel osirien de lrsquoAncien Empire les rites de la renaissance animale y seraient preacutedominants Les initieacutes aux Mystegraveres nrsquoauraient pas donneacute jusqursquoau Nouvel Empire une impor-tance si grande aux rites de la peau si leur patron Osiris nrsquoy avait pas lui-mecircme trouveacute son plus efficace proceacutedeacute de reacutesurrection

En reacutesumeacute le principe fondamental des Mystegraveres osiriens faire de la mort le berceau drsquoune vie nouvelle est une des conceptions les plus antiques de la religion eacutegyptienne elle apparaicirct vigoureuse et riche en applications diverses surtout aux eacutepoques tregraves anciennes et crsquoest par les documents les plus reculeacutes en acircge que nous pouvons le mieux en appreacutecier lrsquoimportance

Cette ideacutee que de la mort mecircme surgit pour lrsquoinitieacute la source drsquoune nouvelle vie a eacuteteacute commune agrave une grande partie de lrsquohumaniteacute Lrsquoeacutetude compareacutee des re-ligions a reacuteveacuteleacute que dans lrsquoantiquiteacute et de nos jours encore les peuples primitifs ont foi en des pratiques magiques qui transforment la mort en une eacutepreuve drsquoini-tiation ougrave lrsquoinitieacute puise une vie nouvelle

Que ce soit en Eacutegypte dans lrsquoInde ou chez les non-civiliseacutes les rites drsquoinitia-tion ont ceci de commun que le myste doit drsquoabord mourir agrave sa vie anteacuterieure pour renaicirctre Ainsi M Frazer nous montre lrsquoinitiation pratiqueacutee dans les tribus sauvages mdash speacutecialement chez celles qui srsquoadonnent au toteacutemisme Lrsquoadolescent lorsqursquoil atteint lrsquoacircge de puberteacute se soumet agrave certains rites dont le plus freacutequent consiste en la mort apparente suivie de la nouvelle naissance Le fondement de cette pratique crsquoest de faire sortir lrsquoacircme du jeune homme de son corps pour la transfeacuterer dans son totem laquo Lrsquoadolescent meurt en tant qursquohomme et ressuscite en tant qursquoanimal 6 raquo

La foi en ce simulacre de mort suivie de reacutesurrection ou si lrsquoon veut en cette seconde naissance srsquoest perpeacutetueacutee dans les civilisations plus avanceacutees Manou deacuteclarait laquo Suivant les injonctions des textes reacuteveacuteleacutes lrsquohomme naicirct une premiegravere fois de sa megravere naturelle il naicirct une seconde fois quand on attache autour de son corps la ceinture drsquoherbes de Munga il naicirct une troisiegraveme fois lorsqursquoil est initieacute aux rites drsquoun sacrifice Srauta 6 raquo

On sait que lrsquoinitiation aux Mystegraveres mithriaques comportait probablement

6 Le rameau drsquoor II p Il en est de mecircme pour lrsquoinitiation des sorciers Cf Leacutevy-Bruhl Les Fonctions mentales dans les socieacuteteacutes infeacuterieures p et 26 J Frazer Le rameau drsquoor II p 0

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

une mise agrave mort simuleacutee de mecircme que les Mystegraveres drsquoEacuteleusis et drsquoIsis compre-naient une ceacutereacutemonie de la mort figureacutee et de la renaissance inspireacutee tregraves proba-blement des antiques Mystegraveres eacutegyptiens 6

Rattacher ces rites de la vieille Eacutegypte agrave une tradition commune agrave lrsquohumaniteacute crsquoest les diminuer peut-ecirctre en singulariteacute mais crsquoest rendre lrsquointerpreacutetation que jrsquoen propose plus vraisemblable Certes les Mystegraveres eacutegyptiens meacuteritent bien leur nom les quelques informations donneacutees par le texte et lrsquoimage laissent en-core agrave lrsquointuition et au labeur de lrsquoeacutegyptologue un champ de teacutenegravebres agrave scruter Pourtant ce serait un pas de fait dans la recherche si agrave la lumiegravere que jrsquoai essayeacute de projeter sur eux jrsquoavais reacuteussi agrave eacutetablir ce point les Mystegraveres eacutegyptiens se relient dans le fond du passeacute agrave des croyances qui ont surveacutecu en drsquoautres pays Deacutepouilleacutes de la mise en scegravene speacuteciale reacuteduits agrave lrsquoideacutee ils prolongent jusqursquoagrave nous un eacutecho de la mystique primitive vivre est le plus grand bien mourir la pire deacutetresse La grande affaire des vivants que la mort guette crsquoest de se preacuteparer les moyens drsquoune renaissance eacuteternelle

6 A Moret rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7

II

Le Mystegravere du verbe creacuteateur

Louis Meacutenard qui a populariseacute en France lrsquoeacutetude des livres hermeacutetiques es-timait que ceux-ci derniegraveres productions de la philosophie greacuteco-alexandrine formaient un trait drsquounion entre la theacuteologie eacutegyptienne et le christianisme nais-sant laquo Les docteurs chreacutetiens en invoquaient souvent le teacutemoignage avec celui des Sibylles qui avaient annonceacute la venue du Christ aux paiumlens pendant que les Prophegravetes lrsquoannonccedilaient aux Heacutebreux Hermegraves dit Lactance a deacutecouvert je ne sais comment presque toute la veacuteriteacute On le regardait comme une sorte de reacuteveacutelateur inspireacute et ses eacutecrits passaient pour des monuments authentiques de lrsquoancienne theacuteologie des Eacutegyptiens 66 raquo Aujourdrsquohui lrsquoeacutetude des textes hieacuterogly-phiques est assez avanceacutee pour qursquoon puisse controcircler cette assertion de Meacutenard un peu aventureacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave elle fut eacutemise Est-il vrai que ces dissertations mystiques qui ont si bien preacutepareacute les esprits au Christianisme contiennent quelques reacuteminiscences des dogmes religieux de lrsquoancienne Eacutegypte Crsquoest ce que nous voudrions rechercher en examinant une des theacuteories essentielles preacutesenteacutees dans le poimandres celle du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur

Drsquoapregraves les livres hermeacutetiques lrsquoUnivers est lrsquoœuvre drsquoune Intelligence suprecirc-me qui preacuteexistait agrave tout 67 Avant la creacuteation nrsquoexistait que le Chaos laquo il y avait des teacutenegravebres sans limite sur lrsquoabicircme de lrsquoeau et un esprit (πνεῦμα) subtil et in-telligent contenus dans le Chaos par la puissance divine Alors jaillit la lumiegravere sainte et sous le sable les eacuteleacutements sortirent de lrsquoessence humide et tous les dieux deacutebrouillegraverent la nature feacuteconde 68 raquo Crsquoest en ces termes qursquoHermegraves Trismeacutegiste deacutecrit la creacuteation Ailleurs pour nous faire comprendre ce que pouvait ecirctre laquo la forme primordiale anteacuterieure raquo il nous parle laquo des teacutenegravebres qui se changent en je ne sais quelle nature humide et trouble exhalant une fumeacutee comme le feu et une sorte de bruit lugubre Puis il en sort un cri inarticuleacute qui semblait la voix de la

66 Louis Meacutenard Hermegraves trismeacutegiste Introduction Le poimandres drsquoHermegraves Trismeacutegiste tra-duit par Louis Meacutenard a eacuteteacute reacuteeacutediteacute aux eacuteditions arbredorcom en 200667 Id ibid p 68 Id ibid p 27

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lumiegravere une parole sainte descend de la lumiegravere sur la Nature 6 raquo Cette lumiegravere nrsquoest autre que lrsquoIntelligence crsquoest-agrave-dire Dieu qui preacutecegravede la nature humide sortie des teacutenegravebres quant au Verbe parole lumineuse crsquoest le fils de Dieu (ὁ δὲ

ἐκ Νοὸς φωτεινὸς Λὁγος υἵος θεοῦ 70)On sait combien cette conception de la creacuteation du monde se rapproche de

celle que nous font connaicirctre lrsquoAncien et le Nouveau Testament Voici le deacutebut de la Genegravese laquo Au commencement Dieu creacutea les cieux et la terre La terre eacutetait informe et vide il y avait des teacutenegravebres agrave la surface de lrsquoabicircme et lrsquoesprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux Dieu dit laquo que la lumiegravere soit raquo et la lumiegravere fut 7 raquo Nous retrouvons ici des eacuteleacutements de description analogues agrave ceux des livres hermeacutetiques un abicircme de lrsquoeau des teacutenegravebres pour constituer le chaos originel puis un esprit flottant sur lrsquoabicircme un appel lanceacute par la voix de Dieu et la lumiegravere creacuteeacutee par ce Verbe LrsquoEacutevangile de saint Jean reacuteduit ces eacuteleacutements au minimum et nous donne une synthegravese plus mystique encore que le poimandres laquo Au commencement eacutetait le Verbe et le Verbe eacutetait avec Dieu et le Verbe eacutetait Dieuhellip Il eacutetait au commencement avec Dieu Toutes choses ont eacuteteacute faites par lui et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui En lui eacutetait la vie et la vie eacutetait la lumiegravere des hommes raquo

Que trouvons-nous dans les textes eacutegyptiens pharaoniques de ces eacuteleacutements et de ces concepts communs aux livres sacreacutes heacutebraiumlques et hermeacutetiques

Drsquoapregraves les plus anciens textes religieux actuellement connus ceux des Pyra-mides des Ve et VIe dynasties agrave Saqqarah 72 (vers 2600 av J-C) nous pouvons nous figurer comment les Eacutegyptiens imaginaient lrsquoUnivers avant la Creacuteation En ce temps laquo il nrsquoexistait pas encore de ciel il nrsquoy avait pas encore de terre il nrsquoy avait pas encore drsquohommes les dieux nrsquoeacutetaient pas encore neacutes il nrsquoy avait pas encore de mort 7 raquo Le papyrus de Nesiamsou eacutecrit au deacutebut de lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque mais dont le texte remonte certainement agrave lrsquoeacutepoque du Nouvel Empire theacutebain (600-200 av J-C) emploie des termes semblables laquo il nrsquoy avait alors ni ciel ni terre et nrsquoeacutetaient creacuteeacutes ni reptiles ni vermisseauxhellip7 raquo Les germes de tout ecirctre et de toute chose gisaient agrave lrsquoeacutetat inerte (nenou 7) confon-

6 Meacutenard Hermegraves p 70 Id ibid p 7 genegravese I -72 G Maspero Les inscriptions des pyramides de saqqarah87 pyr de peacutepi i 66 cf peacutepi ii 287 Publieacute par Budge dans Archaeligologia II 2 80 p 7 nesiamsou p 0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dus dans le sein drsquoun abicircme qursquoon appelait le noun ou les eaux neacutees du noun76 ou lrsquoabicircme du noun 77 dans les traductions coptes noun est le mot qui deacutesigne lrsquoἄϐυσσος

78 de la Genegravese Dans le Noun flottait un esprit divin indeacutefini mais portant en lui la somme

des existences futures drsquoougrave son nom de toum qui signifie agrave la fois laquo neacuteant raquo et laquo totaliteacute 7 raquo Il restait agrave lrsquoeacutetat informe inconsistant instable laquo Il ne trouvait pas drsquoendroit ougrave il pucirct se tenir 80 raquo Arriva lrsquoinstant ougrave Toum deacutesira deacutevelopper une activiteacute creacuteatrice il voulut laquo fonder dans son cœur 8 raquo tout ce qui existe Pour cela laquo il se dressa parmi ce qui eacutetait dans le Noun hors du Noun et des choses inertes 82 raquo un autre texte dit qursquoil laquo monta 8 raquo hors de lrsquoeau primordiale sans qursquoon sucirct preacuteciser comment il fit cette monteacutee 8 Degraves lors le soleil Racirc exista la Lumiegravere fut Les Eacutegyptiens nrsquoadmettaient pas qursquoil y eucirct en ce premier moment de la creacuteation deux dieux distincts Toum dans lrsquoeau primordiale et Racirc sorti de lrsquoeau Non point Toum srsquoeacutetait exteacuterioriseacute par la force de son deacutesir creacuteateur il eacutetait devenu Racirc-Soleil sans cesser drsquoecirctre Toum Le vulgaire ne faisait agrave cette theacuteorie imagineacutee par les theacuteologiens drsquoHeacuteliopolis drsquoautre objection que celle-ci laquo Comment la Lumiegravere (Racirc) pouvait-elle exister agrave lrsquoeacutetat inerte (Toum) dans lrsquoeau du Noun sans que cette eau eacuteteignicirct le feu raquo On reacutesolut la difficulteacute par des explications alleacutegoriques Toum-Racirc eacutetait dans le Noun comme un faucon qui ferme les deux yeux srsquoil les ouvre hors de lrsquoeau son œil droit le Soleil luit 8 ou

76 Pyr drsquoOunas 077 tepeht noun ap Hymns to Amon of pap Leyden publieacutes par Gardiner Aegyptische Zeits-chrift XLII p 7 Le manuscrit est dateacute du regravegne de Ramsegraves II par une indication donneacutee au verso (vers 20 av J-C)78 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 7 Quand les Eacutegyptiens essayaient de donner une forme concregravete agrave cette conception ils repreacutesentaient Noun sous la forme drsquoun dieu agrave forme humaine plongeacute jusqursquoagrave la poitrine dans un bassin plein drsquoeau et soutenant de ses bras leveacutes en lrsquoair les dieux qui sortirent de son sein CC Budge egyptian ideas of the future life p 27 Ce sens est expresseacutement indiqueacute au papyrus de Leyde (Aegyptische Zeitschrift XLVII p ) Les textes expriment souvent lrsquoideacutee que tout ecirctre et toute chose existent de toute eacuteterniteacute dans le Noun (pyr drsquoOunas 0 de teti 78) et y retournent apregraves la mort Cf Pierret eacutetudes eacutegyptologiques I p 80 Budge pap de nesiamsou p 08 nesiamsou p 082 nesiamsou p 8 pap de Leyde A Z XLII p -2 laquo Se levant sur son trocircne selon lrsquoacte de son cœurhellip on ne connaicirct pas sa monteacutee raquo8 Toum est la forme locale de Racirc agrave Heacuteliopolis et deacutesigne le soleil la tradition qui fait de Toum le dieu vivant au sein du Noun et le Deacutemiurge est donc drsquoorigine heacuteliopolitainne (cf Maspero eacutetudes de mythologie II p 26)8 Voir les textes citeacutes par Brugsch religion und Mythologie p 0 Cf Au temps des pharaons

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

bien Toum-Racirc eacutetait un lotus cacheacute au sein des eaux quand la fleur eacutemergea au-dessus de lrsquoonde Toum le jeune (Nefer-Toum) en surgit et devint le Soleil 86

Quant au proceacutedeacute de creacuteation employeacute par Toum il semble bien que ce fut la Voix ou le Verbe Drsquoapregraves la tradition la plus commune celle du Livre des Morts 87 (dont nous posseacutedons des reacutedactions degraves la Xie dynastie) le lieu ougrave Toum srsquoeacutetait manifesteacute en tant que Racirc eacutetait preacuteciseacutement la ville drsquoHermopolis la citeacute de Thot celui qursquoon appellera le dieu qui creacutee par la voix le Verbe fait Dieu 88 Ceci serait deacutejagrave une indication suffisante pour admettre lrsquohypothegravese de Brugsch 8 et de Maspero 0 crsquoest par le Verbe que Toum suscita la Lumiegravere Jrsquoajouterai que plusieurs textes la confirment expresseacutement Au papyrus de Leyde on rapporte du Deacutemiurge laquo qursquoil a dit ses formes raquo (ded-f qaou-f ) papyrus de Nesiamsou le deacutemiurge prononce laquo Jrsquoai creacuteeacute toutes les formes avec ce qui est sorti de ma bou-che alors qursquoil nrsquoy avait ni ciel ni terrehellip2 raquo Un des versets les plus anciens du chap xvii du Livre des Morts mentionne un certain jour qui porte le nom laquo Jour de Viens agrave moi raquo variantes laquo Viens ici Viens agrave nous raquo une glose explique crsquoest le jour ougrave Osiris a dit agrave Racirc laquo Viens ici raquo laquo Viens agrave moi raquo ou laquo Viens agrave nous raquo Or au cours du chapitre xvii Osiris deacuteclare srsquoidentifier agrave lrsquoEau primor-diale au Deacutemiurge Toum en ces termes laquo Je suis Toum celui qui existait seul dans le Nounhellip Je suis le dieu grand qui se creacutee lui-mecircme crsquoest-agrave-dire le Noun pegravere des dieuxhellip raquo Il est probable que selon lrsquointerpreacutetation de de Rougeacute 6 et de Maspero 7 le jour mentionneacute ici est celui de la creacuteation du monde Le cri Viens ici ou Viens agrave moi serait le Verbe profeacutereacute par Toum-Osiris qui a fait surgir la Lumiegravere du chaos

Tel fut le premier acte de la creacuteation Apregraves lrsquoapparition de la Lumiegravere susciteacutee

p 28 sq86 ibid p Cf todtenbuch eacuted Naville (ch 8) t I pl 2- Les textes des Pyramides mentionnent deacutejagrave Nefer-Toum sortant du lotus (Ounas I )87 Chap xvii eacuted Naville88 Brugsch religion p 2 678 religion und Mythologie p 00 Histoire I p 0 A Z XLII p 22 nesiamsou p Cf Naville Variantes p 7 Formule la plus ancienne qui apparaicirct aux sarcophages des XIe-XIIe dynasties (Maspero Mission du Caire I p 6 (Horhotep) p 22 (Hori) p 220 (Sitbaslit) Formule ordinaire depuis la XIIe dynastie (Louvre stegravele C I )6 revue archeacuteologique er avril 860 p 27 Bibliothegraveque eacutegyptologique t I p 6 ndeg 6

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

par le Verbe Toum-Racirc proceacuteda au second acte creacuteateur qui donna naissance aux ecirctres et aux choses Les textes sacreacutes affirment que tout ce qui existe au monde dieux hommes animaux plantes les terres et les eaux la matiegravere et lrsquoesprit universels ne sont qursquoune eacutemanation (tat) du Deacutemiurge et forment comme les membres de son corps aussi dit-on du dieu suprecircme laquo crsquoest la somme de lrsquoexis-tence et des ecirctres 8 raquo Je nrsquoinsisterai pas ici sur cette explication pantheacuteiste de lrsquoUnivers il nous inteacuteresse davantage de savoir si dans cette creacuteation des ecirctres et des choses les textes eacutegyptiens attribuent au Verbe divin le mecircme rocircle que les textes hermeacutetiques

A ce sujet les traditions diffeacuteraient en Eacutegypte suivant les lieux et le temps A Heacuteliopolis on enseignait aux plus anciennes eacutepoques que Toum-Racirc avait procreacuteeacute les dieux ancecirctres de tous les ecirctres vivants agrave la faccedilon humaine par une eacutemission de semence ou qursquoil srsquoeacutetait leveacute sur le site du temple du Pheacutenix agrave Heacuteliopolis et qursquoil y avait cracheacute le premier couple divin 200 Drsquoautres dieux qualifieacutes aussi de deacutemiurges avaient employeacute ailleurs drsquoautres proceacutedeacutes Phtah agrave Memphis 20 Hnoum agrave Eacuteleacutephantine 202 modelaient sur un tour les dieux et les hommes Thot-ibis couvait un œuf agrave Hermopolis 20 Neith la grande deacuteesse de Saiumls eacutetait le vautour ou la vache qui enfanta le Soleil Racirc alors que rien nrsquoexis-tait 20 Ce sont lagrave sans doute les explications les plus anciennes et les plus popu-laires de la creacuteation Mais une faccedilon plus subtile et moins mateacuterielle drsquoeacutenoncer que le monde est une eacutemanation divine apparaicirct degraves les textes des Pyramides la Voix du Deacutemiurge y devient un des agents de la creacuteation des ecirctres et des cho-ses

8 Sarcophage du Moyen Empire (Lepsius Aelteste texte p Maspero Mission I p 67 2 28 mdash Une glose qui apparaicirct degraves les textes de la XVIIIe dynastie (eacuted Naville Va-riantes p 0) ajoute laquo la somme de lrsquoexistence et des ecirctreshellip crsquoest son corps raquo pyr de peacutepi i 6 cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 27 laquo Comme Toum eacutetait seul dans le Noun la tradition disait brutalement agrave lrsquoorigine qursquoil avait joui de lui-mecircme et projeteacute deux jumeaux Shou et Tafnout Plus tard on avait cru adoucir la leacutegende en supposant qursquoil avait commenceacute par se creacuteer une femme la deacuteesse lousas dont le nom paraicirct indiquer une personnification de lrsquoacte mecircmehellip Cf sur ce proceacutedeacute de creacuteation A Wiedemann ein altaumlgyptischer Weltsshoumlpfungsmythus ap Urquell 88 p 7 voir aussi les papyrus de Leyde (A Z XLII p 2-6) et nesiamsou p 0200 pyr de peacutepi ii 66 Le premier couple est Shou et Tafnout le nom des dieux assone avec les termes eacutegyptiens qui deacutesignent lrsquoeacutemission de la salive Sur cette tradition cf pap de Leyde (A Z XLII p ) et nesiamsou p 020 Cf Brugsch religion und Mythologie p 202 ibid p 20 Erman religion eacutegyptienne p 0 (Livre des Morts ch 8 I )20 Brugsch religion p

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les hommes reconnaissaient deacutejagrave cette Voix dans le bruit du tonnerre (la voix du ciel hrou m pet) quand elle se manifeste laquo le ciel parle la terre tremble Geb (la terre) est eacutebranleacutee les reacutegions retentissent de cris les dieux srsquoagitent agrave la voix 20 raquo mais au temps de la creacuteation des ecirctres le jour de la laquo premiegravere fois raquo voici comment on se repreacutesentait lrsquoaction de la voix divine laquo hellip Le dieu apparut sur son trocircne quand son cœur le voulut alors tous les ecirctres eacutetaient dans la stu-peur silencieuse de sa force Il caqueta un cri comme lrsquooiseau grand caqueteur en tous lieux pour creacuteer et il eacutetait tout seul Il commenccedila agrave parler au milieu du silencehellip il commenccedila de crier la terre eacutetait dans une stupeur silencieuse ses ru-gissements ont circuleacute partout sans qursquoil y eucirct un second dieu (avec lui) faisant naicirctre les ecirctres il a donneacute qursquoils vivent 206 raquo En effet la Voix creacutee aussi la nourri-ture des dieux et des hommes celle-ci prend degraves lors le nom caracteacuteristique de per hrou (sortie de voix eacutemission de voix 207) La voix du dieu engendre encore les formes des deacutefunts ressusciteacutes apregraves la mort 208 Eacutemettre les paroles profeacuterer des ordres ou des jugements (out medtou oudacirc medtou) est une des expressions qui caracteacuterisent dans les textes des Pyramides le pouvoir souverain des dieux 20 Au cours des siegravecles on trouve pour cette ideacutee une expression plus abreacutegeacutee on dit qursquoil suffit au dieu pour creacuteer drsquoouvrir la bouche Une formule de la XIIe dy-nastie explique que laquo les dieux drsquoAbydos sont sortis de la bouche de Racirc 20 raquo Les hymnes qui fleurissent depuis la XVIIIe dynastie reacutepegravetent que le Deacutemiurge laquo a creacuteeacute les dieux en eacutemettant des paroles raquo on dit que les hommes sont sortis des yeux du dieu tels que des larmes tandis que les dieux tombent de sa bouche 2 A partir du Nouvel Empire theacutebain cette formule est une de celles qui se ren-contrent le plus communeacutement Voici quelques exemples laquo Il (le Deacutemiurge) a eacutedifieacute les hommes avec les pleurs de son œil il a parleacute ce qui appartient aux dieuxhellip Les hommes sont sortis de ses deux yeux les dieux se manifestent quand il parlehellip il a eacutemis la parole et les dieux se manifestenthellip les hommes sortent de ses deux yeux divins les dieux de sa bouche 22 Sa parole est une substance 2hellip raquo

20 Voir les textes des Pyramides citeacutes par A Moret rituel du culte divin p 7 et suiv206 papyrus de Leyde A Z XLII p 207 Maspero eacutetudes de Mythologie II p 7 n 208 pyr de peacutepi ii I 80 220 A Moret rituel du culte divin p 20 Louvre stegravele C I -62 A Moret rituel p nesiamsou p Il y a jeu de mot entre rmj-t laquo larme raquo et rmt laquo homme raquo22 Cf rituel du culte divin p -2 Greacutebaut Hymne agrave Amon racirc p -2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Nrsquoest-ce point lagrave lrsquoideacutee du Verbe creacuteateur qui inspire les textes hermeacutetiques et dont nous trouvons lrsquoeacutecho dans lrsquoEacutevangile selon saint Jean laquo Toutes choses ont eacuteteacute faites par le Verbe et rien de ce qui a eacuteteacute fait nrsquoa eacuteteacute fait sans lui 2 raquo

Au moment ougrave srsquoeacutelaboregraverent les plus anciens de ces textes ceux des Pyramides le Verbe nrsquoeacutevoquait peut-ecirctre encore pour les Eacutegyptiens que lrsquoimage mateacuterielle de ce qui eacutetait nommeacute et non pas un concept Former le nom de quelqursquoun ou de quelque chose cela eacutequivaut agrave faccedilonner une image elle prend vie degraves que la bouche prononce le nom 2 laquo Le nom est ainsi une image qui se confond avec son objet il devient cet objet lui-mecircme moins mateacuteriel adapteacute agrave lrsquousage de la penseacutee (Hartland) raquo Pour un Eacutegyptien le nom-image a une reacutealiteacute concregravete une leacutegende conserveacutee sur un papyrus dont Lefeacutebure a donneacute lrsquointerpreacutetation nous le prouve clairement Il y est question du dieu Racirc blesseacute dangereusement par un serpent le dieu ne sera gueacuteri que si lrsquoon prononce son nom en lequel reacuteside sa toute-puissance A la naissance du dieu ce nom avait eacuteteacute dit par son pegravere et sa megravere puis cacheacute dans sa poitrine afin que nul ne le pucirct deacuterober or Racirc consent agrave se laisser fouiller par Isis qui trouve le nom et srsquoen saisit disposant ainsi de lrsquoacircme et de la force du dieu 26 Le nom comme lrsquoa deacutemontreacute Lefeacutebure eacutetait donc pour les Eacutegyptiens une des formes de lrsquoacircme et le signe distinctif de la personnaliteacute 27

Dans ces conditions on comprendra pourquoi les Eacutegyptiens deacutefinissaient le pouvoir creacuteateur du Deacutemiurge en disant simplement qursquoil a nommeacute les dieux les hommes et les choses De lagrave lrsquoexplication de ce verset du Livre des Morts laquo Racirc a fait de tous ses noms le cycle des dieux qursquoest-ce que cela (glose) crsquoest Racirc qui a creacuteeacute ses membres devenus les dieux de sa suite 28 raquo Et ailleurs laquo il est le dieu aux grands noms qui a parleacute ses membres raquo Inversement on deacutecrira les temps anteacute-rieurs agrave la creacuteation en ces termes laquo Nul dieu nrsquoexistait encore on ne connaissait le nom drsquoaucune chose 2 raquo Enfin pour exprimer cette ideacutee que le Deacutemiurge a tout creacuteeacute de son propre fonds le papyrus de Leyde explique laquo Il nrsquoexistait point drsquoautre dieu avant lui ni drsquoautre dieu avec lui quand il a dit ses formes il nrsquoexis-tait point de megravere pour lui qui lui ait fait son nom point de pegravere pour lui qui lrsquoait

2 I 2 Cf Lefeacutebure La vertu et la vie du nom ap Meacutelusine VIII n 026 Lefeacutebure Un chapitre de la chronique solaire ap Zeitschrift fuumlr Aegyptische sprache 88 p 027 Lefeacutebure Meacutelusine VIII ndeg 0 p 2028 Lepsius Aelteste texte des todtenbuchs p 20 Cf Naville Variantes p ougrave lrsquoun des textes donne laquo Crsquoest Racirc ses creacuteations crsquoest le nom de ses membres devenus ses dieux raquo2 A Moret rituel p 2

60

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutemis en disant laquo Crsquoest moi (qui lrsquoai creacuteeacute) raquo Nrsquoest-ce pas affirmer formellement que rien nrsquoexiste avant que le creacuteateur ne lrsquoait nommeacute 220

Cette creacuteation par la parole nrsquoeacutetait-elle cependant qursquoune simple opeacuteration magique par laquelle la voix suscitait agrave la vie un ecirctre ou une chose en les deacutefinis-sant par le nom-image Crsquoest lagrave un concept de peuples resteacutes agrave un stade eacuteleacutemen-taire de civilisation II reste agrave savoir si les Eacutegyptiens ne se sont pas eacuteleveacutes jusqursquoagrave cette ideacutee que le Deacutemiurge avait penseacute le monde avant de le parler

Reacuteponse est faite par un precirctre du sacerdoce de Memphis dont le tombeau nous a conserveacute un chapitre de doctrine theacuteologique Longtemps mal publieacute et mal compris ce fragment a eacuteteacute reconnu agrave sa juste valeur par M Breasted et eacuteluci-deacute par MM Maspero et Erman 22 Il en ressort que les theacuteologiens distinguaient dans lrsquoœuvre du Verbe la part de la penseacutee creacuteatrice qursquoils appellent le cœur et celle de lrsquoinstrument de creacuteation la langue tout Verbe est drsquoabord un concept du cœur pour prendre corps et se reacutealiser celui-ci a besoin de la parole

Le texte deacutefinit drsquoabord le rocircle du Deacutemiurge laquo Crsquoest lui le premier dans le cœur et la bouche de tout dieu de tout homme de tout animal de tout vermis-seau qui tous ne vivent qursquoen vertu de la faculteacute qursquoil a de penser et drsquoeacutenoncer toute chose qui lui plaicirct (en particulier) son Enneacuteadehellip Or cette Enneacuteade crsquoest les dents et les legravevres les veines et les mains de Toumhellip LrsquoEnneacuteade crsquoest aussi les dents et les legravevres de cette bouche qui proclame le nom de toutes choses raquo (Toujours le rappel que les dieux ne sont que les membres du Deacutemiurge)

laquo La langue donne naissance agrave tous les dieux agrave Toum et agrave son Enneacuteade et ainsi se forme toute parole divine en penseacutee du cœur en eacutemission de la langue elle creacutee les forces vitales bienfaisantes apaise les nuisibleshellip par la vertu de cette parole qui creacutee ce qui est aimeacute et ce qui est deacutetesteacute (le mal et le bien) crsquoest la langue qui donne la vie au juste et la mort agrave lrsquoinjuste crsquoest elle qui creacutee tout travail tout meacutetier les mains agissent les pieds vont tous les membres srsquoagitent lorsqursquoelle eacutemet la parole penseacutee du cœurhellip raquo

Ce texte met en pleine lumiegravere le meacutecanisme de la creacuteation par le Verbe Voici les conclusions de M Maspero ainsi laquo selon notre auteur toute opeacuteration creacutea-trice doit proceacuteder du cœur et de la langue et ecirctre parleacutee en dedans penseacutee puis eacutenonceacutee au dehors en paroleshellip Les choses et les ecirctres dits en dedans nrsquoexistent

220 A Z XLII p Inversement pour tuer quelqursquoun par exemple le deacutemon Apophis on commence une incantation par ces termes laquo Que son nom ne soit plus raquo (nesiamsou p )22 Breasted ap A Z XXXIX ) - G Maspero ap recueil XXIV p 68-7 Erman ein Denkmal memphitischer Theologie (ap sitzungsberichte preussischen Akad Berlin )

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

qursquoen puissance pour qursquoils arrivent agrave lrsquoexistence reacuteelle il faut que la langue les parle au dehors solennellement raquo

Sans doute faut-il noter que ce texte est drsquoune reacutedaction qui ne remonte pas plus haut que le regravegne de Shabaka (vers 700 av J-C) Mais le reacutedacteur nrsquoa pas manqueacute drsquoavertir qursquoil copiait un original ancien 222 et qursquoil reproduisait une tra-dition seacuteculaire M Erman qui a distingueacute avec sagaciteacute les diffeacuterents eacuteleacutements du texte conclut que laquo crsquoest un document de la plus haute antiquiteacute 22 raquo Les allusions contenues dans les textes anteacuterieurs permettent de discerner derriegravere la theacuteorie de la toute-puissance du Verbe la notion drsquoune intelligence divine dont le Verbe nrsquoest que la manifestation creacuteatrice

Une autre ideacutee fort importante se deacutegage du texte commenteacute ci-dessus Il y est dit expresseacutement que le dieu Phtah renferme en lui la puissance du cœur (es-prit) et de la langue (verbe) mais cœur et langue tout en nrsquoeacutetant que des facul-teacutes de Phtah prennent les formes visibles de deux dieux Horus (cœur) et Thot (langue) Est-ce que Phtah Horus et Thot ne constitueraient pas une Uniteacute-Tri-niteacute conception qui fut si en faveur agrave la fin de la civilisation eacutegyptienne hellip

A lrsquoeacutepoque alexandrine lrsquounion de lrsquoIntelligence divine et du Verbe srsquoexprimait par le dogme de la triniteacute hermeacutetique qui deacutefinit la diviniteacute comme une associa-tion de lrsquointelligence νοῦς du verbe λόγος et de lrsquoesprit πνεῦμα Sous sa forme la plus mateacuterielle la triniteacute srsquoeacutetait imposeacutee depuis tregraves longtemps aux dieux eacutegyp-tiens dans chaque ville on imaginait que le dieu local formait avec sa femme et son fils 22 une famille qui devenait une triade Mais crsquoest lagrave une conception an-thropomorphique drsquoorigine populaire Les theacuteologiens trouvegraverent moyen agrave vrai dire de ramener la triade agrave lrsquouniteacute M Maspero a eacutetabli que dans les triades laquo le pegravere et le fils eacutetaient si lrsquoon voulait un personnage et que lrsquoun des deux parents dominait toujours lrsquoautre de si haut qursquoil lrsquoannulait presque entiegraverement tantocirct la deacuteesse disparaissait derriegravere son eacutepoux tantocirct le dieu nrsquoexistait que pour justi-fier la feacuteconditeacute de la deacuteesse et ne srsquoattribuait drsquoautre raison drsquoecirctre que son emploi de mari On en vint assez vite agrave mecircler deux personnages si eacutetroitement unis et agrave les deacutefinir comme eacutetant les deux faces les deux aspects masculin et feacuteminin drsquoun seul ecirctre Drsquoune part le pegravere eacutetait un avec le fils et de lrsquoautre il eacutetait un avec la

222 laquo Sa Majesteacute Shabaka eacutecrivit ce livre agrave nouveau dans la maison de son pegravere Phtah de Mem-phis Sa Majesteacute lrsquoavait trouveacute eacutecrit par les ancecirctres mais il avait eacuteteacute mangeacute des vers et on nrsquoy reconnaissait plus rien du commencement agrave la fin Sa Majesteacute lrsquoeacutecrivit agrave nouveau si bien qursquoil eacutetait plus beau qursquoavanthellip raquo (Erman l c p 2)22 L c p222 Un dieu peut se combiner aussi avec deux deacuteesses ou une deacuteesse avec deux macircles

62

Les Mystegraveres eacutegyptiens

megravere la megravere eacutetait donc une avec le fils comme avec le pegravere et les trois dieux de la triade se ramenaient agrave un dieu unique en trois personnes 22 raquo

En reacutealiteacute ce proceacutedeacute de ramener les triades agrave lrsquouniteacute relegraveve drsquoun systegraveme po-litique centralisateur plutocirct que drsquoun concept theacuteologique Mais le texte analyseacute plus haut donne une tout autre impression Il nrsquoest plus question ici drsquoune fa-mille divine crsquoest une association de trois dieux spirituels Phtah lrsquointelligence suprecircme Horus le cœur crsquoest-agrave-dire lrsquoesprit qui anime et Thot le verbe instru-ment de la creacuteation

laquo Celui qui devient Cœur celui qui devient Langue en eacutemission de Toum crsquoest le grand Phtah Horus srsquoest produit (en Toum) Thot srsquoest produit (en Toum) sous la forme de Phtah la puissance du Cœur et de la Langue se sont produi-tes en lui raquo Aussi Phtah est-il qualifieacute dans le mecircme texte laquo Cœur et Langue de lrsquoEnneacuteade raquo Il semble en reacutesulter que les theacuteologiens de lrsquoeacutepoque ramesside essayaient de constituer agrave cocircteacute de lrsquoEnneacuteade traditionnelle une Triniteacute-Uniteacute de conception purement meacutetaphysique celle de Phtah-Horus-Thot = Deacutemiurge-Esprit-Verbe Mais cette triniteacute ne se deacutegage pas des cadres theacuteologiques elle est subordonneacutee agrave Toum et ne peut encore se passer de lrsquoEnneacuteade

Un effort plus accentueacute vers la conception drsquoune Triniteacute-Uniteacute apparaicirct dans le papyrus de Leyde de lrsquoeacutepoque des Ramessides reacutecemment publieacute par M Gar-diner 226 Voici comment y est deacutefinie la nature du dieu suprecircme de lrsquoeacutepoque Amon-Theacutebain laquo Trois dieux sont tous les dieux Amon Racirc Phtah qui nrsquoont pas leurs pareils Celui dont la nature (litt le nom) est mysteacuterieuse crsquoest Amon Racirc est la tecircte Phtah est le corps Leurs villes sur terre eacutetablies agrave jamais sont Thegrave-bes Heacuteliopolis Memphis (stables) pour toujours Quand il y a un message du ciel on lrsquoentend agrave Heacuteliopolis on le reacutepegravete dans Memphis agrave Phtah (Neferher) on en fait une lettre eacutecrite en caractegraveres de Thot pour la ville drsquoAmon (Thegravebes) avec tout ce qui srsquoy rapporte La reacuteponse et la deacutecision sont donneacutees agrave Thegravebes et ce qui sort crsquoest agrave lrsquoadresse de lrsquoEnneacuteade divine tout ce qui sort de sa bouche celle drsquoAmon Les dieux sont eacutetablis pour lui suivant ses commandements Le message il est pour tuer ou pour faire vivre Vie et mort en deacutependent pour tous les ecirctres excepteacute pour lui Amon et pour Racirc (et pour Phtah) uniteacute-triniteacute 227 raquo

Malgreacute lrsquoobscuriteacute de certaines phrases il ressort que les trois grands dieux de

22 Maspero Histoire I p 0 0226 Hymns to Amon ap A Z XLII p 227 Litt laquo totaliseacutes trois raquo

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

lrsquoeacutepoque ramesside constituent une Uniteacute-Triniteacute un Dieu en trois personnes que le texte deacutesigne en ces termes expregraves

Comme lrsquoexplique M Gardiner la volonteacute de la Triniteacute est une le texte cher-che comment fonctionne le meacutecanisme de cette commune administration du monde La penseacutee divine se reacutevegravele au ciel sous forme de message parleacute le Verbe divin reacutesonne aux oreilles dans la ville drsquoHeacuteliopolis dont le dieu repreacutesente la face de la triniteacute autant dire la tecircte pensante Le message est transmis agrave Phtah le corps de la triniteacute lagrave il est reacutepeacuteteacute prend une forme mateacuterielle et tangible une fois transcrit par lrsquoaide de Thot le scribe des dieux Quand le message a eacuteteacute agrave la fois penseacute agrave Heacuteliopolis et revecirctu drsquoune forme concregravete agrave Memphis il est soumis dans Thegravebes agrave lrsquoapprobation drsquoAmon le dieu dont le nom est cacheacute lrsquointelligence invisible Lui seul imprime lrsquoeacutelan deacutefinitif agrave la penseacutee divine et lrsquoenvoie comme un ordre de vie ou de mort aux dieux secondaires soumis agrave ses lois comme tout le reste des ecirctres

Si on compare le texte du papyrus de Leyde agrave lrsquoinscription graveacutee sous Sha-baka on lui trouvera me semble-t-il moins de subtiliteacute et une sorte de reacutealisme enfantin Le gouvernement divin y est preacutesenteacute sous une forme tangible et ma-teacuterielle et probablement imiteacutee du meacutecanisme de lrsquoadministration pharaonique Mecircme meacutelange de mysticisme et de mateacuterialisme dans la description suivante que le mecircme texte consacre agrave Amon lrsquointelligence suprecircme qui laquo a eacutemis Racirc et qui srsquounit agrave Toum de telle sorte qursquoil ne fait qursquoun avec lui raquo mdash laquo Amon raquo est-il dit laquo a son acircme au ciel son corps dans (la neacutecropole de) lrsquoAmenti sa statue dans Hermonthis pour servir de support agrave ses apparitionshellip Amon (celui qui se cache) se voile pour les dieux on ne connaicirct point son aspecthellip nul dieu ne connaicirct sa vraie nature et sa forme nrsquoest point deacutecrite dans les livreshellip il est trop mysteacuterieux pour qursquoon deacutecouvre sa gloire il est trop grand pour qursquoon le discute trop puissant pour qursquoon le connaissehellip228 raquo A coup sucircr nous sommes loin encore du concept de Dieu Intelligence pure Cependant nous approchons de la triniteacute hermeacutetique qui saura deacutefinir avec plus de preacutecision le dieu un et multiple agrave la fois intelligence esprit et raison

Lrsquointelligence divine apregraves avoir creacuteeacute et animeacute le monde par le Verbe ne se deacutesinteacuteressait pas de ses creacuteatures et gardait contact avec elles Quand Platon et apregraves lui saint Augustin deacutefinissent ainsi le pouvoir du dieu Thot laquo Crsquoest le dieu Verbe lui-mecircme le Verbe aileacute qui par le commerce les arts la science circule

228 Aeg Zeitschrift XLII p -

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

au travers des hommes les rapproche les civilise sert de messager agrave la penseacutee divine 22 raquo ils reprennent une conception traditionnelle en Eacutegypte drsquoapregraves la-quelle toute connaissance reacuteside en Dieu ou vient de Dieu Au papyrus de Leyde on lit agrave propos drsquoAmon laquo Son cœur connaicirct tout ses legravevres goucirctent tout son ka (son essence) crsquoest toutes les existences neacutees de sa langue 20 raquo Arts et sciences de tout genre eacutetaient des secrets des mystegraveres dont les hommes ne prenaient connaissance que par reacuteveacutelation divine Les papyrus meacutedicaux par exemple pas-saient pour ecirctre tombeacutes du ciel et avoir eacuteteacute trouveacutes dans les temples au pied drsquoune statue de dieu 2 De mecircme pour les rituels ou livres sacreacutes ils parviennent aux hommes par miracle eacutecrits de la main mecircme du dieu Thot Bien avant lrsquoeacutepo-que alexandrine Thot eacutetait deacutejagrave le grand initiateur de lrsquohumaniteacute en tant que laquo dieu des paroles divines raquo Et comme personnification de la laquo Langue il y avait en Thot le sage une force plus grande que celle de tous les dieux 22 raquo Mais les dieux principaux de chaque ville ne reacutepugnaient pas agrave jouer eux-mecircmes le rocircle de providence Ainsi disait-on drsquoAmon laquo Amon repousse les maux et chasse les maladies crsquoest un meacutedecin qui gueacuterit les yeux sans (avoir besoin de) remegravedes raquo

La parole divine eacutecrite ou parleacutee ne reacutevegravele pas seulement la science elle fait connaicirctre le sens de la vie lrsquointelligence des choses elle ouvre aux hommes les secrets de la suprecircme Raison Dans les eacutecrits hermeacutetiques le laquo Verbe raquo Λόγος si-gnifie laquo raison raquo aussi bien que laquo parole raquo dans les textes eacutegyptiens Thot le dieu de la parole sainte qui a reacuteveacuteleacute les arts les sciences les lettres aux hommes a comme compagne eacuteternelle Macirciumlt (Maacirct) la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Jus-tice et de la Raison

La Veacuteriteacute est le contraire de lrsquoerreur et du mensonge par conseacutequent son caractegravere propre est la science la justice la raison 2 Elle est la substance mecircme du Dieu creacuteateur elle se confond avec lui ou pour se servir des expressions liturgiques Macirciumlt est agrave la fois la megravere du dieu qui lrsquoa creacuteeacute sa fille puisqursquoelle est aussi œuvre du dieu le dieu lui-mecircme puisque Dieu est toute connaissance toute veacuteriteacute toute justice Elle est si semblable au dieu qursquoelle constitue la nour-

22 Reitzenstein Zwei relig Fragen p 820 A Z XLII p 8 Litteacuteralement la connaissance sa crsquoest son cœur le goucirct hou ce sont ses legravevres son ka crsquoest tout ce qui existe (issu) de sa langue laquo Sur les rapports de sa hou avec le ka voir plus loin2 Voir les textes reacuteunis par Weill Monuments de la iie et de la iiie dynasties p et suiv22 recueil de travaux XXIX p 72 Pierret eacutetudes eacutegyptologiques II p

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

riture journaliegravere des ecirctres divins agrave elle seule elle reacutesume toutes les offrandes mateacuterielles et spirituelles et crsquoest pourquoi il faut la preacutesenter au dieu quand on ceacutelegravebre lrsquooffice divin

Lrsquooffrande drsquoune statuette de Macirciumlt la deacuteesse de la Veacuteriteacute de la Justice de la Raison est toujours repreacutesenteacutee agrave la place drsquohonneur sur la paroi du fond dans les sanctuaires eacutegyptiens crsquoest donc lagrave lrsquoaboutissement du culte rendu aux dieux Celui qui offre Macirciumlt qursquoil soit le precirctre ou le roi est censeacute prendre agrave ce moment la personnaliteacute de Thot-Hermegraves le laquo maicirctre de Macirciumlt raquo et voici en quels termes il srsquoadresse au dieu laquo Je suis venu vers toi moi Thot (jrsquoarrive) les deux mains reacuteunies pour porter Macirciumlthellip Macirciumlt est venue pour qursquoelle soit avec toi Macirciumlt est en toute place qui est tienne pour que tu te poses sur ellehellip Voici venir les dieux et les deacuteesses qui sont avec toi en portant Macirciumlt ils savent que tu vis drsquoelle Ton œil droit est Macirciumlt ton œil gauche est Macirciumlt tes chairs et tes membres sont Macirciumlthellip le vecirctement de tes membres est Macirciumlt ce que tu manges est Macirciumlt ce que tu bois est Macirciumlt tes pains sont Macirciumlt ta biegravere est Macirciumlthellip Tu existes parce que Macirciumlt existehellip2 raquo

En lisant ces formules que lrsquoon retrouve plus ou moins deacuteveloppeacutees dans chaque sanctuaire eacutegyptien et agrave toutes les eacutepoques (agrave partir du moment ougrave les temples nous ont eacuteteacute conserveacutes crsquoest-agrave-dire depuis la XVIIIe dynastie) il est dif-ficile de ne point se rappeler ce que Platon dans le phegravedre nous dit de la Veacuteriteacute essence des dieux Voici les paroles qursquoil place dans la bouche de Socrate

laquo Aucun poegravete nrsquoa jamais ceacuteleacutebreacute la reacutegion qui srsquoeacutetend au-dessus du ciel aucun ne la ceacuteleacutebrera jamais dignement Voici pourtant ce qui en est car si lrsquoon doit toujours dire la Veacuteriteacute on y est surtout obligeacute quand on parle sur la Veacuteriteacute Lrsquoes-sence sans couleur impalpable sans forme ne peut ecirctre contempleacutee que par lrsquoIntelligence autour de lrsquoessence est le seacutejour de la science parfaite qursquoembrasse la Veacuteriteacute tout entiegravere Or la penseacutee des dieux qui se nourrit drsquoIntelligence et de Science sans meacutelange mdash comme celle de toute acircme avide de lrsquoaliment qui lui convient mdash admise agrave jouir de la contemplation de lrsquoEcirctre absolu srsquoabreuve de la Veacuteriteacute et est plongeacutee dans le ravissement elle contemple la Justice en soi la Science qui a pour objet lrsquoEcirctre des ecirctres Telle est la vie des dieuxhellip2 raquo Lrsquohymne du rituel eacutegyptien dont on a lu plus haut la traduction exprime les mecircmes ideacutees sous une forme agrave peine plus mateacuterielle Nous nrsquoexaminerons pas ici lrsquohypothegravese

2 rituel du culte divin p 8 et suiv laquo Chapitre de donner Macirciumlt raquo Les rois qui sont identifieacutes aux dieux disent de mecircme laquo Macirciumlt crsquoest mon pain raquo (Sethe Urkunden der 18 Dynastie p 8-7)2 Platon trad p

66

Les Mystegraveres eacutegyptiens

drsquoune influence de la penseacutee eacutegyptienne sur les theacuteories platoniciennes mais cette doctrine du Logos Verbe de raison et de veacuteriteacute que les philosophes greacuteco-alexandrins ont deacuteveloppeacutee avec tant de preacutedilection nrsquoavait-elle pas deacutejagrave reccedilu une expression fort preacutecise dans les eacutecoles theacuteologiques de lrsquoEacutegypte

La sagesse divine est donc reacuteveacuteleacutee aux hommes par la parole une loi morale srsquoen deacutegage qui se reacutesume en cette ideacutee laquo pratiquer la justice reacutealiser la Veacuteriteacute raquo

Les textes eacutegyptiens preacutecisent lrsquounion indissoluble de la Veacuteriteacute et du Verbe dans une expression caracteacuteristique un idiotisme intraduisible qui a eacutepuiseacute les efforts des eacutegyptologues Quand un ecirctre humain ou divin arrive soit par sa naissance soit par ses vertus ou meacuterites propres soit par proceacutedeacutes magiques agrave lrsquoeacutetat de gracircce que nous appelons sainteteacute ou diviniteacute les Eacutegyptiens disent de lui qursquoil reacutealise la voix qursquoil est Macirc-hrou Cette eacutepithegravete caracteacuterise les dieux le roi qui est un dieu vivant sur terre les hommes deacutefunts qui ont meacuteriteacute les paradis ou qui se sont munis des rites efficaces pour les atteindre enfin les hom-mes vivants en eacutetat de gracircce tels que les precirctres ceacuteleacutebrant lrsquooffice ou les magi-ciens armeacutes de formules Reacutealiser la voix cela veut dire avoir agrave sa disposition le Verbe creacuteateur qui donne toute puissance agrave nrsquoimporte quel moment et en toute occasion Le dieu ou lrsquohomme est-il en danger La parole divine dont il articule les sons renversera ses ennemis a-t-il quelques deacutesirs il en nomme lrsquoobjet qui se reacutealise aussitocirct a-t-il faim les laquo offrandes sortiront agrave la voix raquo degraves que leur nom aura eacuteteacute prononceacute car le miracle de la creacuteation par le Verbe se renouvelle dans tout temple et tout tombeau ougrave lrsquoon dit la parole efficace a-t-il besoin drsquoune justification devant le tribunal drsquoOsiris la parole divine vraie par sa na-ture donne agrave qui la possegravede la justice et la vertu Une expression si complexe peut se commenter non se traduire Aussi les eacutegyptologues ont-ils chacun agrave leur tour essayeacute vainement de rendre ces mots laquo Macirchrou raquo les traductions proposeacutees par Deveacuteria et Naville laquo triomphant raquo par Maspero laquo juste de voix raquo par Pierret laquo veacuteridique raquo par Virey laquo celui qui reacutealise en parlant dont la voix fait ecirctre vrai-ment raquo par moi-mecircme laquo creacuteateur par la voix doueacute de voix creacuteatrice 26 raquo sont inhabiles agrave rendre le sens complet de lrsquoexpression Ceci reste neacuteanmoins que pour caracteacuteriser la force la sagesse la vertu des ecirctres divins 27 les Eacutegyptiens ont associeacute le Verbe et la raison dans une expression composeacutee dont les deux termes

26 rituel du culte divin p 6 et suiv27 Et probablement aussi lrsquoinitiation aux rites osiriens qui reacutesume toutes les forces ou vertus deacutesirables

67

Les Mystegraveres eacutegyptiens

correspondent aux deux sens du mot non moins intraduisible Λόγος dont usent les textes hermeacutetiques

Il reacutesulte de cette reacutevision sommaire que pour les Eacutegyptiens cultiveacutes de lrsquoeacutepo-que pharaonique et des milliers drsquoanneacutees avant lrsquoegravere chreacutetienne le Dieu eacutetait conccedilu comme une Intelligence qui a penseacute le monde et qui a trouveacute le Verbe comme moyen drsquoexpression et comme instrument de creacuteation Cette parole creacutea-trice qui reacutesonne parfois au ciel telle que le tonnerre nrsquoatteste pas seulement la puissance du Dieu et nrsquoinspire pas seulement la terreur elle reacutevegravele aux hommes la science la raison la justice ce qui se reacutesume en un seul mot la Veacuteriteacute Par la theacuteorie du Verbe creacuteateur et reacuteveacutelateur les eacutecrits hermeacutetiques nrsquoont fait que rajeunir une ideacutee ancienne en Eacutegypte et qui faisait partie essentielle du vieux fonds de la culture intellectuelle religieuse et morale 28

28 La planche II repreacutesente deux aspects du dieu Fils Horus portant le doigt agrave la bouche Ce geste qui agrave lrsquoorigine ne repreacutesente qursquoune attitude caracteacuteristique de lrsquoenfance semble avoir pris plus tard suivant une hypothegravese ingeacutenieuse de M Guimet une valeur symbolique et deacute-signerait un dieu du Verbe

68

III

La royauteacute dans Lrsquoeacutegypte prIMItIve pharaon et toteM

Il y a quinze ans encore la monarchie eacutegyptienne offrait une eacutenigme que lrsquoon deacutesespeacuterait presque de reacutesoudre jamais telle que la Minerve de la fable qui sortit tout armeacutee du cerveau de Jupiter elle se preacutesentait degraves lrsquoeacutepoque qursquoon appelait alors la plus lointaine (crsquoeacutetait la IVe dynastie 2800 ans avant notre egravere) comme un organisme adulte qui drsquoun seul jet et sans effort aurait atteint son complet deacuteveloppement Eacutetait-il possible que sans coup feacuterir la monarchie se fucirct incarneacutee dans un roi absolu veacuteneacutereacute en maicirctre sur la terre adoreacute en dieu dans les temples chef indiscuteacute des deux Eacutegyptes Comment en lrsquoabsence de monu-ments expliquer ce miracle Vinrent les fouilles drsquoAmeacutelineau de J de Morgan de Petrie qui jointes au labeur philologique drsquoautres savants ont enfin permis de remonter agrave un millier drsquoanneacutees plus haut vers les origines de la socieacuteteacute eacutegyp-tienne

Figure 0Eacutedifice surmonteacute drsquoune enseigne Poterie preacutehistorique 2

Dans les neacutecropoles archaiumlques drsquoAbydos de Negadah et drsquoHierakonpolis des vases ou fragments de vases en terre cuite ou en pierre dure ont revu le jour ils portaient sur leurs panses les noms des souverains des deux premiegraveres

2 Les figures reproduites ici dans le texte sont emprunteacutees agrave lrsquoillustration de la confeacuterence de V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme ougrave on trouvera leurs reacutefeacuterences Elles proviennent toutes de monuments archaiumlques

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dynasties et certaines repreacutesentations drsquoeacutedifices fortifieacutes Or ceux-ci sont sur-monteacutes drsquoenseignes qui ont la forme drsquoun animal drsquoune plante drsquoun objet Iden-tifier ces enseignes deacutefinir leur rocircle a eacuteteacute relativement facile la plupart eacutetant resteacutees en usage agrave lrsquoeacutepoque classique comme armoiries des provinces ou nomes crsquoest-agrave-dire comme laquo insignes de collectiviteacutes raquo on en a conclu avec raison que sur les monuments archaiumlques ces enseignes eacutetaient aussi des laquo emblegravemes ethni-ques raquo20 et qursquoelles peuvent nous eacuteclairer sur les premiers groupements sociaux de lrsquoEacutegypte Avant drsquoecirctre unifieacutee sous la domination drsquoun roi lrsquoEacutegypte avait eacuteteacute diviseacutee et de ces divisions ethniques nous connaissions tout au moins les signes de ralliement

En 06 M Loret dans une brillante confeacuterence faite au Museacutee Guimet sur lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme a deacutemontreacute que les enseignes qui apparaissent sur les monuments archaiumlques nrsquoeacutetaient pas seulement des drapeaux mais figuraient aussi pour les Eacutegyptiens primitifs les chefs et les dieux des diffeacuterents groupes ethniques Sur lrsquoune des enseignes celle du Faucon les monuments de lrsquoeacutepoque historique donnaient de preacutecieux eacuteclaircissements On savait qursquoelle avait donneacute son nom de Faucon agrave un groupe drsquoindividus laquo les compagnons ou adorateurs du Faucon raquo Hor shemsou et que le Pharaon lui-mecircme se dit un faucon et en porte le titre Hor faucon Or un objet qui est agrave la fois une enseigne un dieu un chef et en qui srsquoidentifient des hommes rentre dans une cateacutegorie bien deacutefinie crsquoest un totem le groupement ethnique auquel il preacuteside est un clan toteacutemique

M Loret reconnut donc sur les repreacutesentations des vases les totems du Faucon du Chien du Leacutevrier de lrsquoIbis du Scorpion du Lion des 2 Piques du Roseau etc Drsquoapregraves ce qursquoon savait du Faucon il conclut qursquoautour de chaque totem se groupait encore agrave cette eacutepoque un clan toteacutemique crsquoest pour cela que ces enseignes servaient de drapeaux agrave des groupements ethniques LrsquoEacutegypte en eacutetait donc vers 000 ans av J-C au reacutegime social du clan toteacutemique Pour deacutefinir cet eacutetat des rapprochements srsquoimposaient avec les peuples qui de nos jours vivent encore par clans ce sont les non-civiliseacutes des nouveaux mondes Lrsquoanalogie permettait de supposer que cette Eacutegypte archaiumlque dans laquelle on peacuteneacutetrait nrsquoeacutetait encore qursquoau degreacute de deacuteveloppement constateacute aujourdrsquohui chez telle peuplade de Negravegres ou drsquoAustraliens Le terrain de comparaison eacutetant trouveacute nous pouvons nous demander si ce que nous connaissons de lrsquoEacutegypte archaiumlque srsquoaccorde avec la deacutefinition de toute socieacuteteacute toteacutemique telle que lrsquoont

20 V Loret Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Bibliothegraveque de vulgarisation t XIX p 76)

70

Les Mystegraveres eacutegyptiens

eacutetablie les travaux de Frazer et de Durkheim Quoique ces deux savants ne soient pas toujours drsquoaccord empruntons leurs lumiegraveres pour deacutefinir aussi exactement que possible ce qursquoest un totem et un clan toteacutemique 2

Le mot nrsquoest connu de nous que depuis les reacutecits des explorateurs du Nouveau Monde au xviiie siegravecle laquo Totem raquo est tireacute du dialecte objibway (tribu des Algon-quins) ougrave il signifie laquo marque famille raquo mais la chose la conception qursquoil deacutesigne srsquoest reacuteveacuteleacutee commune aux peuples non civiliseacutes dans beaucoup de pays Voici les traits geacuteneacuteraux du totem Avant tout ce nrsquoest pas un feacutetiche car le feacutetiche est un animal ou un objet diviniseacute La caracteacuteristique du totem au contraire crsquoest de deacutesigner un groupe une espegravece entiegravere drsquoecirctres ou drsquoobjets Il est pour cette espegravece comme le substratum des individus qui la composent en lui reacuteside agrave la fois la source vitale lrsquoeacutenergie geacuteneacuteratrice et le nom collectif (crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme perseacuteveacuterante) de la race puis encore la marque de cette parenteacute commune le blason et enfin lrsquoesprit protecteur la providence de cette race

Prenons un clan qui a adopteacute pour totem un loup Chaque membre du clan Loup est un loup il croit que le loup est lrsquoancecirctre animal mdash lui-mecircme sorti du sol comme les plantes mdash agrave qui des membres humains ont pousseacute qui srsquoest mis agrave marcher sur deux pattes a eacutepileacute son corps est devenu un loup-homme Tous les membres du clan descendent donc drsquoun vrai loup sont de la mecircme chair par conseacutequent fregraveres des autres loups resteacutes agrave lrsquoeacutetat sauvage (crsquoest-agrave-dire animal) mdash drsquoougrave lrsquointerdiction (tabou) de ne chasser ni tuer ni manger le loup-fregravere le totem

Une religion (au sens de lien) drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute groupe les membres du clan fils du totem autour de ce pegravere et bienfaiteur qui leur a donneacute vie et force Chacun porte la marque sacreacutee lrsquoeffigie du loup empreinte sur ses chairs on la tatoue sur les jeunes gens pendant les rites de lrsquoinitiation qui suit la puberteacute elle est apposeacutee en signature au bas des actes publics ou priveacutes on la sculpte ou on la peint sur les armes le mobilier les maisons on lrsquoeacuterige sur un poteau au faicircte des huttes ou agrave lrsquoentreacutee du village on la place sur la tombe des individus dont le nom toteacutemique (et non point personnel) sera ainsi sauvegardeacute pour lrsquoeacuteterniteacute Car apregraves la mort lrsquoindividu retourne agrave son totem Lrsquoeacutemanation du Loup qui srsquoeacutetait incarneacutee pour une existence passagegravere dans une forme humaine revient

2 J Frazer Le toteacutemisme (trad franccedil 88) Durkheim Les formes eacuteleacutementaires de la vie reli-gieuse le systegraveme toteacutemique en Australie 2 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode com-parative (ap revue de lrsquoHistoire des religions LVIII I p )

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

apregraves la mort se confondre et se reacutesorber dans le Loup ancestral drsquoougrave renaicirctront indeacutefiniment drsquoautres loups

Mais agrave chaque geacuteneacuteration lrsquoessence primitive du Loup devient plus lointai-ne sa force risque de srsquoatteacutenuer de srsquoaffaiblir Sans doute le Loup feacuteconde-t-il mystiquement toutes les megraveres mais encore faut-il peacuteriodiquement reprendre contact avec lrsquoancecirctre pour reacutegeacuteneacuterer le clan A cet effet une femme du clan souvent celle du chef srsquounira charnellement au totem Lrsquoacte est simuleacute si le to-tem est un ecirctre inanimeacute mais si crsquoest un animal lrsquoaccouplement drsquoune femme avec un repreacutesentant du type est souvent reacuteel Sauf cette exception religieuse toute relation sexuelle drsquohomme agrave femme dans le mecircme clan est rigoureusement prohibeacutee lrsquoexogamie crsquoest-agrave-dire le mariage en dehors du clan est la loi du groupement toteacutemique Hommes et femmes eacutepousent donc des individus de clans voisins et lrsquoenfant appartient au clan et au totem de sa megravere

De lagrave pour la vie du clan toteacutemique un germe drsquoaffaiblissement et de trans-formation Les enfants appartenant au totem de la megravere agrave chaque geacuteneacuteration toute la descendance macircle des hommes-loups passe aux clans des femmes eacutepou-seacutees agrave mesure que la tribu srsquoaccroicirct par mariages ses rejetons multiplient les clans nouveaux qui vivent cocircte agrave cocircte avec lrsquoancien Plus la tribu est nomade plus elle se dissout en uniteacutes nouvelles se subdivise en adoptant quelque varieacuteteacute animale ou aspect diffeacuterent du totem primitif (loup-chacal loup-cervier chien etc) Une socieacuteteacute agrave lrsquoeacutetat toteacutemique se preacutesente donc sous lrsquoaspect drsquoune cohue de plus en plus panacheacutee bigarreacutee et disperseacutee agrave chaque geacuteneacuteration Peu agrave peu la confusion devient telle qursquoune organisation nouvelle se creacutee par neacutecessiteacute alors la regravegle de lrsquoexogamie se relacircche et lrsquoon tolegravere les unions entre individus du mecircme groupe toteacutemique Le totem ne srsquoattachera plus agrave la race morceleacutee et alteacutereacutee apregraves tant de croisements mais agrave la localiteacute on aura des totems de pays agrave cocircteacute des totems de familles Enfin lrsquoimage du totem lui-mecircme arrive agrave figurer une sorte de geacutenie de la race qui joue encore le rocircle drsquoancecirctre et de providence mais perd peu agrave peu le contact avec les hommes du clan se retire de la terre et se transforme en dieu

Tel serait le scheacutema de lrsquoeacutevolution toteacutemique Retrouvons-nous dans lrsquoEacutegypte archaiumlque tous les traits ou seulement des traces drsquoun pareil eacutetat social

72

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure laquo Faucon combattant raquo nom royal de Ahacirc 2 laquo Faucon combattant raquo livre des prisonniers

Disons tout drsquoabord que les figures ou scegravenes graveacutees sur les vases et les pa-lettes votives ne reacutevegravelent que quelques eacutepisodes seulement de la vie des clans en Eacutegypte Lrsquoexistence mecircme des clans distingueacutes par des enseignes telles que M Loret les a reconnues nrsquoest pas douteuse car les enseignes apparaissent com-me marques distinctives dans des scegravenes qui touchent agrave la vie collective plus qursquoagrave la vie individuelle repreacutesentations de villages ou drsquoeacutedifices batailles fecirctes publi-ques cortegraveges etc Comme chez les autres primitifs la nature de ces enseignes est tregraves varieacutee ce sont des animaux (beacutelier chien lion leacutevrier eacuteleacutephant taureau faucon vautour ibis chouet-te vanneau silure abeille vi-pegravere scorpion) des veacutegeacutetaux (roseau sycomore palmier) des armes de chasse ou de guerre (flegraveches arc harpon hache boomerang) des si-gnes geacuteographiques (monta-gnes) ou astronomiques (cer-cle solaire 22)

22 La liste aussi complegravete que possible en a eacuteteacute dresseacutee par V Loret Les enseignes militaires des tribus et les symboles hieacuteroglyphiques des diviniteacutes (ap revue eacutegyptologique t X02)

Figure 2 mdash tLe nom royal de Narmer animeacute

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

On eacutelegraveve ces figures sur des pavois ou enseignes et on les arbore sur les eacutedifices ou les barques on les grave ou on les peint sur les vases les assiettes les statues car il faut que les membres du clan soient en communion constante avec leur totem

Figure Enseignes toteacutemiques animeacutees

Ces enseignes sont vivantes et interviennent dans la vie du clan On voit le faucon tenir dans ses serres le bouclier et le javelot (fig ) le silure brandit agrave deux bras greffeacutes sur son corps de poisson la massue pour assommer un ennemi (fig 2) le vautour amegravene des captifs par une corde (fig ) le faucon le scor-pion le lion manient le pic et deacutemolissent les remparts derriegravere lesquels srsquoabri-tent des rivaux (fig ) parfois lrsquoenseigne qui porte lrsquoemblegraveme a elle aussi des bras pour tenir la corde des captifs ou empoigner lrsquoadversaire 2 A cette vie on reconnaicirct que les emblegravemes sont des totems

2 V Loret Lrsquoeacutegyptehellip p 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figures -Eacutedicule drsquoenseigne et animal toteacutemique

Comme tels on les veacutenegravere en geacutenies protecteurs leurs images (si ce sont des objets inanimeacutes) leurs speacutecimens vivants (si ce sont des animaux) sont gardeacutes preacutecieusement dans des eacutedicules (fig -) construits de murs en clayonnage recouverts drsquoun toit en forme de demi-coupole aux parois on suspend des ob-jets votifs des palettes et des tablettes graveacutees de scegravenes qui commeacutemorent les victoires ou les fecirctes du clan 2 sur le toit on accroche le bucrane deacutepouille des animaux sacrifieacutes au totem un mur drsquoenceinte avec porte encadreacutee de deux haches planteacutees en terre encadre le sanctuaire primitif ougrave vit le palladium de la tribu Les monuments archaiumlques ne nous enseignent rien de plus sur le culte du totem mais des traditions resteacutees en honneur agrave lrsquoeacutepoque classique ont prolongeacute jusqursquoagrave nous lrsquoeacutecho des rites tregraves anciens qui se rapportent au culte des animaux toteacutemiques Si les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque romaine adoraient encore les taureaux Apis agrave Memphis Mneacutevis agrave Heacuteliopolis Bouchis agrave Hermonthis le bouc agrave Mendegraves le chat agrave Bubastis lrsquoibis agrave Hermopolis le faucon agrave Edfou le crocodile au Fayoum et agrave Ombos srsquoil eacutetait deacutefendu de tuer et de manger tel ou tel animal mais seule-ment dans la ville ougrave il eacutetait adoreacute mdash crsquoest par respect pour des traditions drsquoune antiquiteacute deacutemesureacutee qui nous ont conserveacute vivants les cultes des anciens clans toteacutemiques Aussi pouvons-nous admettre que les membres srsquoabstenaient de tuer et de manger le totem pendant sa vie on le nourrissait et on lrsquoadorait agrave sa mort on le pleurait solennellement jusqursquoagrave lrsquoinstallation de son successeur (comme on faisait pour les Apis agrave lrsquoeacutepoque classique)

2 Les plus importantes sont reproduites dans lrsquoouvrage de J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte 0

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

En retour le totem eacutetait la providence du clan eacutegyptien Pendant la paix sa preacutesence dans le sanctuaire du village assure la prospeacuteriteacute au combat il marche en tecircte des guerriers et il lutte agrave sa faccedilon contre les adversaires Le totem protegravege ainsi ses descendants et ses fregraveres Le lien du sang qui existe entre lui et la tribu qui porte son nom est tenu pour reacuteel et non fictif Peacuteriodiquement une femme du clan srsquounit au totem Heacuterodote 2 nous rapporte qursquoagrave Mendegraves de son temps le bouc sacreacute srsquoeacutetait accoupleacute agrave une femme Strabon et Diodore relatent le mecircme fait agrave Memphis et agrave Thegravebes le rite se pratiquait encore agrave Rome au temps de Tibegravere dans le temple drsquoAnubis 26 Ces unions monstrueuses qui persistaient drsquoune faccedilon sporadique ne sont qursquoune survivance du temps ougrave lrsquoanimal toteacute-mique perpeacutetuait sa race pour feacuteconder le clan

Crsquoest agrave peu pregraves tout ce que donnent les monuments sur lrsquoexistence drsquoun eacutetat social toteacutemique en Eacutegypte il est impossible de veacuterifier si lrsquoexogamie eacutetait en usage du moins aucune trace nrsquoen est resteacutee agrave lrsquoeacutepoque ougrave les documents commencent agrave nous renseigner sauf lrsquousage de la descendance en ligne feacutemi-nine encore srsquoexplique-t-elle aussi par la pratique de la polygamie En somme lrsquoEacutegypte mecircme agrave lrsquoeacutepoque archaiumlque ne preacutesente plus que des survivances de toteacutemisme 27 preuve en est la position du roi dans la socieacuteteacute drsquoalors

A partir du moment ougrave lrsquoon trouve dans les tombes autre chose que de sim-ples vases peu ou pas deacutecoreacutes degraves que les monuments agrave inscriptions ou figures descriptives apparaissent la socieacuteteacute se reacutevegravele monarchique et la monarchie se montre deacutejagrave centraliseacutee Les scegravenes graveacutees sur les vases et les palettes votives permettent de discerner des luttes de clans qui se terminent par le triomphe du clan du Faucon Or lrsquoexamen des monuments ougrave apparaicirct le faucon nous mon-tre que degraves cette eacutepoque tregraves lointaine lrsquoanimal est moins le chef drsquoun clan que le protecteur de la famille royale

2 II 626 Cf Ad-J Reinach Lrsquoeacutegypte preacutehistorique p 827 A Van Gennep revue de lrsquohistoire des religions LVIII p critiquant les conclusions trop absolues de V Loret se refusait en 08 agrave reconnaicirctre mecircme des traces de vrai toteacutemisme dans les donneacutees des documents eacutegyptiens et nrsquoy voyait qursquoune forme de zoolacirctrie Crsquoest agrave mon avis aller trop loin dans la reacuteserve prudente et la critique Jrsquoessaierai de montrer ci-apregraves que lrsquoideacutee toteacutemique a surveacutecu peut-ecirctre dans la notion du Ka ougrave ne se retrouve nulle trace de zoolacirctrie

76

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 6Le faucon proteacutegeant le roi

Le faucon apparaicirct drsquoabord comme enseigne royale porteacute sur un pavois il preacutecegravede le roi (et le roi seul) dans tous les tableaux des victoires ou des fecirctes royales srsquoil y a drsquoautres enseignes porteacutees devant le roi le faucon est le plus sou-vent en tecircte au premier rang Il combat pour le roi saisit ses ennemis ou les lui amegravene prisonniers Crsquoest donc le geacutenie protecteur du roi Comme tel on repreacute-sente le faucon volant (fig 6) ou au repos proteacutegeant la nuque du roi de ses ailes eacutetendues

Le faucon est avec le roi dans les rapports drsquoun totem avec son enfant De toute antiquiteacute le nom du faucon est le nom qui deacutesigne le roi (et le roi seul) Pour eacutecrire le nom du roi Ahacirc le laquo combattant raquo les Eacutegyptiens gra-vaient un faucon tenant dans ses serres bouclier et javelot (fig ) quoi de plus direct pour exprimer agrave tous les yeux lrsquoideacutee que le roi eacutetait le laquo faucon combat-tant raquo Depuis Ahacirc (qursquoil soit ou non le Menegraves des listes historiques) jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne signifiera laquo le roi raquo et sera le premier nom protocolaire du souverain Or qui dit nom dit essence acircme le roi est donc de mecircme essence que le faucon A lrsquoeacutepoque classique les textes srsquoeacutetendent avec complaisance sur la parenteacute du roi et du faucon Un prince royal enfant est ap-peleacute laquo le faucon dans son nid 28 raquo Monte-t-il sur le trocircne crsquoest le laquo faucon sur son cadre 2 raquo en cet instant dit Loret le Ka du faucon ancestral laquo descendait du ciel et venait srsquoincorporer srsquoincarner dans la personne du roi se surajouter raquo comme

28 Breasted A new chapter in the life of Thutmes iii p 62 A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p n litteacuteralement laquo sur son eacutedifice raquo

77

Les Mystegraveres eacutegyptiens

le dit un texte du temple de Seacuteti Ier agrave Abydos 20 Le roi meurt-il Crsquoest laquo le faucon qui srsquoenvole au ciel 2 raquo pour rentrer dans le sein du dieu 22 dont il est issu

Sans doute ce sont lagrave figures de langage qui rappellent seulement des ideacutees et auxquelles on nrsquoattachait plus un sens litteacuteral Toutefois une tradition mon-tre combien fut durable en Eacutegypte la croyance de la parenteacute reacuteelle du roi et du totem A lrsquoeacutepoque classique les temples nous conservent le tableau de lrsquounion charnelle du dieu principal de lrsquoEacutegypte Racirc 2 ou Amon-Racirc avec la femme du roi de cette laquo theacuteogamie raquo naissait lrsquoheacuteritier royal 2 Il est difficile drsquoadmettre qursquoon crucirct agrave la reacutealiteacute effective de cette union nul ne pouvait se vanter drsquoavoir vu Amon descendre du ciel pour entrer dans la couche de la reine Il est plus probable que la scegravene de la theacuteogamie eacutetait admise comme un rappel adouci de la coutume citeacutee plus haut lrsquoaccouplement de lrsquoanimal-totem avec la femme du chef

Le faucon est aussi degraves ce moment le dieu de la famille royale Dans la premiegrave-re capitale connue la laquo ville des faucons raquo Hierakonpolis les rois de la Ire dynastie eacutelegravevent un temple au Faucon ougrave Quibell a trouveacute encore une magnifique tecircte de faucon en or datant de lrsquoAncien Empire Le faucon comme dieu est devenu Horus plus tard lrsquoHorus de la mythologie classique

En reacutesumeacute le roi dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est bien vis-agrave-vis du faucon dans la situation drsquoun clansman par rapport au totem le faucon est pour lui son en-seigne son geacutenie protecteur son nom son pegravere son dieu Est-ce assez pour dire que lrsquoEacutegypte drsquoalors en est encore au reacutegime du clan toteacutemique Tel nrsquoest point mon avis Ce qui a eacuteteacute dit plus haut caracteacuterise en effet les rapports du roi avec le faucon mais du roi seul et non pas de tous les Eacutegyptiens Au moment ougrave com-mence pour nous lrsquohistoire documentaire il nrsquoy a plus en Eacutegypte drsquoautre faucon que le roi et son dieu 2 Or la vraie socieacuteteacute toteacutemique ne connaicirct ni roi ni sujets

20 V Loret l c p 20 Cf Mariette Abydos I pl 22 Maspero Contes populaires p 20 7 Lrsquoexpression srsquoemploie aussi poeacutetiquement pour dire que le roi entre au sanctuaire (Breasted l c p et 7)22 Lrsquoexpression apparaicirct par exemple dans lrsquoinscription drsquoAnna (recueil XII p 06)2 Crsquoest depuis la Ve dynastie que les rois prennent reacuteguliegraverement le titre Sa-Racirc laquo fils de Racirc raquo ce qui semble indiquer une conseacutecration de la tradition de la theacuteogamie ceci concorde avec le teacutemoignage du papyrus Westcar2 Cf A Monet Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 0 et suiv2 Le nom de laquo compagnons du faucon raquo que les textes religieux nomment shemson Hor (ayant comme signes distinctifs le chien sur lrsquoenseigne lrsquoarc et le boomerang) ne srsquoappliquent reacuteel-lement pas dans les textes historiques agrave des hommes ordinaires mais agrave des rois tregraves anciens ou des dieux mdash Cf agrave ce sujet Sethe Die Horusdiener p 2 et Ed Meyer Chronologie (tr franccedilaise) p 2

78

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tous les membres du clan y vivent sur pied drsquoeacutegaliteacute par rapport agrave leur totem laquo Le toteacutemisme pur dit Frazer est deacutemocratique crsquoest une religion drsquoeacutegaliteacute et de fraterniteacute chaque individu de lrsquoespegravece toteacutemique en vaut un autre Si par conseacutequent un individu de lrsquoespegravece a la digniteacute de fregravere aicircneacute drsquoesprit gardien srsquoil occupe un rang supeacuterieur en digniteacute agrave tout le reste le toteacutemisme est prati-quement abandonneacute et la religion srsquoachemine en mecircme temps que la socieacuteteacute au monarchisme 26 raquo

Crsquoest preacuteciseacutement agrave cette phase de lrsquoeacutevolution que lrsquoEacutegypte semble deacutejagrave par-venue au moment ougrave les monuments les plus anciens nous la reacutevegravelent Degraves la peacuteriode de Negadah et drsquoAbydos les Eacutegyptiens qui combattent pour le roi ne sont plus des laquo compagnons de clan raquo mais des sujets

Figure 7Ash animal divin anthropomorphe

Aucun texte ne permet de dire qursquoils srsquoappellent comme le roi des Faucons le lien est relacirccheacute entre eux et le totem ils ne communiquent plus avec Hor que par lrsquointermeacutediaire du Roi Le faucon mecircme se transforme apregraves avoir eacuteteacute la source de vie et le patrimoine du clan il preacuteside aux seules destineacutees de la famille royale Son aspect srsquohumanise et cette transformation srsquoannonce degraves le temps tregraves ancien ougrave on repreacutesente lrsquoanimal toteacutemique muni de bras pour deacutefendre le roi ou saisir ses ennemis bientocirct apparaicirctront certaines figures divines composi-tes tels que le dieu Ash sur les bouchons drsquoAbydos (fig 7) ougrave un corps humain se combine avec une tecircte de leacutevrier agrave dater de ce moment les totems drsquoEacutegypte subissent la loi commune ils deviennent laquo drsquoabord de simples animaux divini-

26 toteacutemisme p 28

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

seacutes puis des dieux anthropomorphes agrave attributs animaux 27 raquo Ainsi le faucon se transforme-t-il en Horus dieu agrave corps humain hieacuteracoceacutephale Dans la ville drsquoHieacuterakonpolis le Faucon nrsquoest deacutejagrave plus un totem mais le dieu de la famille royale

Cette eacutevolution monarchique qui apparaicirct dans la religion comme dans la socieacuteteacute srsquoaccentua rapidement au fur et agrave mesure que srsquoachevait la conquecircte de lrsquoEacutegypte par les rois Faucons tels que Narmer et Ahacirc Apregraves avoir absorbeacute leur propre clan ils subjuguegraverent les clans rivaux et srsquoannexegraverent les dieux des prin-cipales villes conquises

Crsquoest ainsi que le vautour drsquoEl-Kab et lrsquoUraeligus de Bouto le roseau de Koptos et lrsquoabeille drsquoHeacuteiacleacuteopolis et agrave certains moments lrsquoanimal typhonien furent adopteacutes comme patrons royaux secondaires Le roi srsquoidentifia agrave ces dieux comme il lrsquoavait fait pour le faucon leurs signes caracteacuteris-tiques etc deacutesignegraverent comme le faucon Hor le nom et lrsquoessence mecircme du Pharaon Il en fut de mecircme pour drsquoautres emblegravemes sacreacutes le laquo tau-reau puissant raquo le laquo lion androceacutephale ou hieacuteracoceacutephale raquo (sphinx ou griffon) le crocodile mecircme (sous la forme ati) le lotus de Thegravebes e t lrsquoautre lotus du Delta Faute de documents pour chacun drsquoeux nous devons nous contenter de raisonner par analogie si le Pharaon srsquoest comporteacute vis-agrave-vis de ces dieux comme il lrsquoa fait pour le Faucon crsquoest peut-ecirctre qursquoils furent jadis comme le Faucon les totems drsquoune race conquise par le roi 28

Le souvenir srsquoen est conserveacute jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne et cette tradition persistante explique certains deacuteveloppements poeacutetiques de la lit-teacuterature officielle Voici quelles eacutepithegravetes on deacutecerne encore agrave Seacuteti Ier au deacutebut de la XIXe dynastie (vers 00 avant notre egravere)

laquo Faucon divin aux plumes bigarreacutees il traverse le ciel comme la majesteacute de Racirc chacal agrave la deacutemarche rapide il fait le tour de cette terre en une heure lion

27 Frazer toteacutemisme p 2828 Voici quelques reacutefeacuterences pour les diffeacuterents aspects du roi Roi-taureau palettes archaiuml-ques citeacutees par J Capart Les deacutebuts de lrsquoart p 2 et suiv roi-lion palette archaiumlque ibid p 22 sphinx de Tanis (G Maspero Histoire I p 0) roi-griffon pectoral de Senousret III agrave Dahchour (de Morgan I pl XXI) panneau du trocircne de Thoutmegraves IV (Davis The tomb of Thoutmosegraves iV pl VI-VIII XII) roi-crocodile pap Prisse pl IV 2 pour une allusion au roseau et agrave lrsquoabeille cf Griffith papyrus de Kahun pl III 2 le lotus et le papyrus apparais-sent comme plantes heacuteraldiques royales sur les piliers de Thoutmegraves III agrave Karnak (G Maspero Histoire II p 7)

80

Les Mystegraveres eacutegyptiens

fascinateur il bondit sur les chemins inconnus de tout pays eacutetranger taureau puissant aux cornes aceacutereacutees il pieacutetine les Asiatiques et foule les Kheacutetas 2 raquo

En reacutesumeacute ce qursquoil y a eu de toteacutemique dans lrsquoeacutetat social de lrsquoEacutegypte primitive ne nous apparaicirct plus guegravere que deacuteformeacute et ramasseacute en une seule personnaliteacute celle du roi La socieacuteteacute dans lrsquoEacutegypte archaiumlque est deacutejagrave niveleacutee et sur ce terrain deacuteblayeacute les rois et les precirctres eacutelegraveveront degraves le temps des Pyramides lrsquoeacutedifice somptueux de la monarchie absolue

Tel qursquoil est devenu au cours des acircges fils des dieux dieu lui-mecircme seul possesseur du sol dispensateur de toutes les gracircces terrestres et divines seul in-termeacutediaire entre les hommes et les dieux comme sorcier et comme precirctre guide des hommes dans la vie terrestre et sur le chemin qui megravene au ciel apregraves la mort Pharaon apparaicirct dans lrsquohistoire comme la plus formidable force morale qui ait eacuteteacute jamais conccedilue Tout cela eacutetait en germe dans la reacutevolution qui a permis au roi de confisquer agrave son profil lrsquoautoriteacute du totem sur le clan toteacutemique et de concentrer en sa personne royale lrsquoessence divine de la race

Pendant les quatre mille ans que duregraverent les dynasties pharaoniques une parcelle de lrsquoideacuteal toteacutemique semble avoir persisteacute neacuteanmoins malgreacute lrsquoheacutegeacutemo-nie royale crsquoest la croyance qursquoil existe un eacuteleacutement commun entre les Eacutegyptiens le roi et les dieux Crsquoest une sorte de geacutenie de la race et de la nature entiegravere il anime agrave la fois la matiegravere dans les corps inanimeacutes la chair des ecirctres animeacutes et les faculteacutes de lrsquoesprit Pour lrsquounivers tout entier et tous les ecirctres animeacutes ou inani-meacutes ce geacutenie qursquoils appelaient le Ka (mot qui signifie comme genius force geacuteneacuteratrice et esprit protecteur) jouait le rocircle de substance commune et drsquoacircme collective Nous avons vu que pour les affilieacutes des clans toteacutemiques naicirctre crsquoest sortir du Totem pour mener une vie consciente mourir crsquoest rentrer dans le sein du Totem et srsquoy reacutesorber 260 De mecircme pour les Eacutegyptiens de lrsquoeacutepoque posteacute-rieure naicirctre crsquoeacutetait donner au Ka lrsquooccasion de se manifester dans une forme passagegravere une existence individuelle mourir crsquoeacutetait revenir agrave son essence pri-mordiale ou comme ils disaient laquo passer agrave son Ka raquo Nous croyons donc qursquoapregraves la reacutevolution sociale et religieuse qui marque le passage de lrsquoeacutetat toteacutemique agrave la monarchie centraliseacutee quelque chose de la mentaliteacute primitive a subsisteacute dans la socieacuteteacute eacutegyptienne par cette notion du Ka Le Ka a prolongeacute la meacutetaphysique primitive puisqursquoil semble ecirctre agrave la fois laquo la substance mecircme drsquoun individu son

2 Texte drsquoIpsamboul citeacute par Guieysse ap recueil XI p 7260 Frazer toteacutemisme p Lors de la mort le clansman cherche agrave srsquoidentifier agrave son totem On apostrophe ainsi le mort laquo Tu es venu ici de chez les animaux et tu trsquoen retournes chez euxhellip Tu vas chez les animaux tu vas rejoindre les ancecirctreshellip raquo

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

nom vivant et impeacuterissable son totem 26 raquo Les documents montrent que le Ka est tout cela au moins pour Pharaon En fait le roi drsquoEacutegypte en mecircme temps qursquoil se confond avec le ou les totems devient aussi comme la forme visible de cette acircme collective de cette substance essentielle de la race dont on avait fait jadis le totem qursquoon appelait maintenant le Ka Les autres hommes ne reve-naient agrave leur Ka qursquoapregraves leur mort le roi degraves qursquoil est introniseacute degraves qursquoil srsquoap-pelle Faucon devient le Ka des vivants geacutenie de son peuple acircme et substance de ses sujets

Figure 8Nom royal de Ka et de faucon

Aussi le roi seul parmi les ecirctres fait-il repreacutesenter agrave cocircteacute de sa forme corpo-relle ordinaire son corps essentiel si je puis dire son corps en tant que Ka en tant qursquoacircme et corps collectifs de la race Sur les tableaux des temples on le voit derriegravere le roi crsquoest une figure de dieu adolescent portant sur sa tecircte le nom du Faucon royal 262 (cf fig 26)

Cette conception qui a perseacuteveacutereacute jusqursquoaux derniers temps de la monarchie eacutegyptienne montre mieux que toute autre ce qursquoeacutetait le Pharaon pour son peu-ple on le veacuteneacuterait sur terre comme la force primordiale des ecirctres et des choses comme le Ka incarneacute Eacutecoutez la doctrine qursquoun noble de la XIIe dynastie en-seignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu Sa (la science) qui est dans les cœurs (les esprits) ses yeux explorent toute conscience crsquoest Racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre

26 V Loret l c p 20262 Cf les repreacutesentations citeacutees par A Moret l c p 7 2 222 22

82

Les Mystegraveres eacutegyptiens

plus que le Nil en crue quand il emplit les deux terres de force et de viehellip Il donne les largesses agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraie son chemin Crsquoest le Ka le roi Crsquoest la surabondance sa bouche 26 crsquoest sa creacuteation (tout) ce qui existe 26 raquo

En cette qualiteacute de successeurs des dieux les rois drsquoEacutegypte se trouvent dans des conditions de vie toutes speacuteciales Nos renseignements agrave ce sujet sont peu nombreux et fort incomplets parce que nous nrsquoavons conserveacute aucun texte deacute-veloppeacute anteacuterieur agrave lrsquoeacutepoque des grandes Pyramides Mais dans le grand nom-bre de traditions bizarres que nous ont transmises sur lrsquoEacutegypte ancienne soit les auteurs classiques soit les sources nationales il srsquoen trouve dont lrsquoexplication ne srsquoeacuteclaire que par les coutumes des peuples non civiliseacutes et speacutecialement de ceux qui vivent encore en Afrique ou ailleurs dans un eacutetat social toteacutemique Ces traditions qui concernent le pharaon semblent bien nous apporter un eacutecho de la primitive histoire

En tant que faucon ou dieu le roi possegravede les privilegraveges les plus eacutetendus et le pouvoir le plus absolu il est maicirctre de la vie de ses sujets et tout le sol lui ap-partient Avec son cortegravege drsquoanimaux dompteacutes par ses charmes la tecircte ceinte de lrsquoUraeligus 26 la nuque proteacutegeacutee par le faucon ou le vautour 266 ailes deacuteployeacutees es-corteacute par le lion Pharaon est drsquoun aspect terrible et drsquoun voisinage redoutable 267 Aussi de mecircme que le sauvage tremble drsquoapercevoir son totem lrsquoEacutegyptien re-doute de voir son roi agrave moins drsquoy ecirctre inviteacute quand il est admis en sa preacutesence le sujet se voile la face de ses mains tombe prosterneacute et ne se deacutecide agrave parler que lorsqursquoil en reccediloit lrsquoordre cateacutegorique 268 Il est interdit de profeacuterer le nom per-sonnel du roi-dieu On le deacutesigne par une peacuteriphrase laquo Sa Majesteacute raquo ou on lrsquoappelle laquo Notre Maicirctre raquo Quiconque prononce en vain le nom du roi deacutechaicircne une force si puissante que nul nrsquoen saurait arrecircter les effets 26

Dans ces conditions on conccediloit que lrsquoaccegraves du palais fucirct tregraves difficile et qursquoun ceacutereacutemonial scrupuleux reacuteglacirct les audiences Comparons avec le ceacutereacutemonial eacutegyp-

26 Le roi comme les dieux creacutee toute chose rien qursquoen parlant par la force du verbe sacreacute Voir plus haut26 Stegravele de Sehetepibracirc Caire 208 (face II I et suiv)26 Cf Maspero Contes (e eacuted) p laquo la royale Uraeligus qui enveloppe ta tecircte raquo Sur ce rocircle de lrsquoUraeligus cf Ad Erman Hymnen an das Diadem der pharaonen p 7 et suiv266 Statue de Cheacutephregraven Davis tomb of Thoutmosis iV pl X267 G Maspero Histoire II p 268 Frazer toteacutemisme p 26 ibid p 2

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tien ce reacutecit drsquoune audience chez le roi des Yolofs (drsquoapregraves les observations drsquoun voyageur au deacutebut du xviiie siegravecle 270)

laquo En avanccedilant vers le roi qui nrsquoaccorde ces audiences que devant la porte du palais le sujet se met agrave genoux agrave quelque distance baisse la tecircte et prend de cha-que main une poigneacutee de sable dont il se couvre la chevelure et le visage A me-sure qursquoil approche il reacutepegravete plusieurs fois la mecircme ceacutereacutemonie (Drsquoautres avan-cent continuellement agrave genoux en se couvrant de terre et de sable pour montrer qursquoils ne sont que poussiegravere en comparaison du roi) Enfin srsquoagenouillant agrave deux pas du monarque il explique les raisons qui lui ont fait deacutesirer une audience Apregraves ce compliment il se legraveve sans oser jeter les yeux devant lui Il tient les bras eacutetendus vers ses genoux et de temps en temps il se jette de la poussiegravere sur le front Le roi paraicirct lrsquoeacutecouter peu et tourne son attention sur quelque bagatelle qui lrsquoamuse Cependant il prend un air fort grave agrave la fin de la harangue et sa reacuteponse est un ordre auquel les suppliants nrsquoosent reacutepliquer Ils se confondent ensuite dans la foule des courtisans raquo

Voici comment au temps de la XIIe dynastie le prince Sinouhit de retour drsquoun exil en Asie se preacutesentait devant Pharaon 27 laquo Dix hommes vinrent pour me mener au palais Je touchai la terre du fronthellip puis on me conduisit au logis du roi Je trouvai Sa Majesteacute sur la grande estrade dans lrsquoembrasure de vermeil et je me jetai sur le ventre je perdis connaissance devant lui Ce dieu mrsquoadressa des paroles aimables mais je fus comme un individu qui est pris dans le creacute-puscule mon acircme deacutefaillit mes membres se deacuterobegraverent mon cœur ne fut plus dans ma poitrine et je connus quelle diffeacuterence il y a entre la vie et la mort raquo hellip Puis quand la parole lui est revenue Sinouhit profegravere drsquoune voix balbutiante laquo Me voici devant toi tu es la vie que Ta Majesteacute agisse agrave son plaisir raquo Alors Sa Majesteacute dit agrave la Reine laquo Voilagrave Sinouhit qui vient semblable agrave un Asiatique comme un Beacutedouin qursquoil est devenu raquo Elle poussa un tregraves grand eacuteclat de rire et les Infants royaux srsquoesclaffegraverent tous agrave la fois

On remarquera le trait final Lorsque le roi rit toute lrsquoassistance rit drsquoune seule bouche crsquoest encore une coutume respectueuse vis-agrave-vis drsquoun roi-dieu Chez les non-civiliseacutes lorsque le roi tousse rit ou pleure toute lrsquoassistance par politesse et respect fait de mecircme

Le roi primitif srsquoil a comme dieu tous les pouvoirs est par contre-partie

270 Walckenaer Histoire des voyages IV p 227 G Maspero Les contes populaires de lrsquoeacutegypte ancienne e eacutedit p 8

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soumis agrave des obligations rigoureuses M Frazer lrsquoa dit en termes excellents laquo La personne du roi est consideacutereacutee comme le centre dynamique du monde de lagrave sa force rayonne partout le moindre de ses gestes un mouvement de sa tecircte ou de ses bras peut troubler la nature Sur lui repose lrsquoeacutequilibre du monde la moindre faute de sa part peut tout deacuteranger Il doit donc prendre les plus gran-des preacutecautions toute sa vie doit ecirctre minutieusement reacutegleacutee dans les moindres deacutetails raquo mdash De lagrave les interdictions de faire telle ou telle chose de manger telle ou telle chose qui ont pour but de creacuteer autour du roi une zone drsquoisolement Ce sont les tabous Existaient-ils en Eacutegypte

Nous les connaissons mal mais il semble qursquoil y en ait eu de seacutevegraveres au moins agrave lrsquoeacutepoque tregraves ancienne Une tradition conserveacutee par Diodore (I 70) nous dit que laquo la vie des Pharaons eacutetait reacutegleacutee jusque dans ses moindres deacutetails ils ne devaient manger que du veau et de lrsquooie et ne boire qursquoune certaine quantiteacute de vin raquo Ces indications sont vraies en principe on a trouveacute dans les temples eacutegyptiens des listes 272 qui donnent pour chaque Nome agrave cocircteacute des noms des dieux des temples des precirctres la mention de la chose deacutefendue (bout) du tabou qui est le plus souvent un mets dont lrsquousage est interdit dans cette reacutegion Nul doute que le roi grand precirctre dans chaque temple ne fut astreint agrave lrsquoobservation des tabous au moins quand il se trouvait dans la reacutegion ougrave ce tabou devait ecirctre observeacute Quant aux regravegles de vie imposeacutees au Pharaon nous les ignorons Sou-haitons pour eux qursquoelles aient eacuteteacute moins strictes que celles auxquelles le Mikado eacutetait encore asservi il y a 200 ans 27

laquo Les princes de cette famille sont regardeacutes comme sacreacutes comme pontifes de naissance Ils sont obligeacutes de mener une vie toute speacuteciale Ils ne peuvent toucher le sol avec leurs pieds on les porte donc constamment Le Mikado ne peut ecirctre exposeacute agrave lrsquoair ni au soleil Son corps est sacreacute agrave un tel point qursquoil ne coupe ni ses cheveux ni ses ongles ni sa barbe On le lave pendant son sommeil ce qursquoon enlegraveve alors de son corps est consideacutereacute comme un vol qui ne porte aucun preacuteju-dice agrave sa sainteteacute Il devait jadis rester assis chaque matin plusieurs heures sur son trocircne sans remuer fut-ce une paupiegravere De son immobiliteacute deacutependaient la paix et le bonheur de son empire On a transfeacutereacute ce privilegravege agrave la couronne royale qui seule aujourdrsquohui est placeacutee sur le trocircne pendant plusieurs heures chaque matin Les mets du Mikado sont preacutepareacutes chaque fois dans des plats neufs par eacuteconomie ces plats sont en terre commune et ne servent qursquoune fois

272 Brugsch Dictionnaire geacuteographique p 627 Frazer Le rameau drsquoor I p 72 drsquoapregraves la relation de Kaempfer

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On les brise ensuite car si un profane srsquoen servait il aurait une inflammation de la bouche et de la gorge Les vecirctements feraient de mecircme enfler celui qui les porterait sans lrsquoautorisation du Mikado raquo

Le principal service que lrsquoon attende de ces rois-dieux crsquoest de commander agrave la nature On leur precircte le pouvoir de faire tomber la pluie briller le soleil pous-ser les reacutecoltes agrave ce titre on les appelle chez les non-civiliseacutes les rois du temps de lrsquoeau du feu des moissons

Ces pouvoirs on les precirctait certainement aux Pharaons primitifs Si en Eacutegyp-te les sorciers passaient pour avoir la puissance drsquoarrecircter le cours des astres et des fleuves de renverser le ciel ou la terre de faire agrave volonteacute la nuit ou le jour la pluie ou le beau temps nul doute que le Pharaon laquo le maicirctre des charmes magiques agrave qui Thot lui-mecircme avait enseigneacute tous ses secrets 27 raquo ne fucirct estimeacute plus capable encore que nrsquoimporte quel autre magicien drsquoagir agrave son greacute sur la nature Drsquoailleurs des traditions ou les attestations des monuments permettent de preacuteciser ces pouvoirs

Comme roi de lrsquoeau Pharaon commandait peut-ecirctre rarement la pluie car il ne pleut pas souvent en Eacutegypte ougrave lrsquoinondation peacuteriodique du Nil suppleacutee aux eaux du ciel Mais crsquoest Pharaon qui fait venir la crue par ses priegraveres (fig 0) ou ses incantations Nous savons par les stegraveles graveacutees agrave Silsilis au temps de Ramsegraves II qursquoau premier jour de la crue agrave la date ougrave du ciel tombait eacutechappeacutee aux yeux de Nout ou drsquoIsis la goutte drsquoeau qui deacuteclenche lrsquoinondation fertilisante le roi jetait lui-mecircme au fleuve un ordre eacutecrit de commencer la crue 27 crsquoeacutetait sans doute une formule magique de puissance irreacutesistible Quand les mineurs de la reacutegion de lrsquoEtbaye vinrent dire au roi Ramsegraves II que sur la route suivie par eux et leurs acircnes tous les puits eacutetaient taris Pharaon convoqua ses conseillers et ses magiciens et ceux-ci dirent au roi laquo Si tu dis agrave lrsquoeau ldquo Viens sur la montagne rdquo les eaux ceacutelestes sortiront tocirct agrave lrsquoappel de ta bouche 276 raquo Ramsegraves II fit forer des puits arteacutesiens qui permirent drsquoameacuteliorer le rendement des citernes mais dans lrsquoesprit du peuple lrsquoordre du roi avait suffi lrsquoeau avait surgi docile agrave sa voix

27 Sethe Urkunden IV p -2027 Aegyptische Zeitschrift 87 p 2276 stegravele de Kouban I 7

86

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ramsegraves III moissonne et implore le dieu Nil qui donne lrsquoabondance agrave lrsquoEacutegypte

Meacutedinet-Abou 277

Pharaon est aussi comme les autres rois primitifs roi du feu ceacuteleste la foudre Sa tecircte est ceinte de lrsquoUraeligus qui crache le feu agrave travers lrsquoespace ceacuteleste pareille agrave la comegravete eacutecheveleacutee sa voix terrifie ses ennemis par des hem hem 278 il est pareil agrave ces rois de Tahiti dont la voix est le tonnerre 27 Ne brandit-il pas le sceptre descendu du ciel en ses mains comme un carreau de foudre 280

Enfin roi des moissons Pharaon deacutefriche la terre avec le hoyau et preacuteside aux semailles 28 faucille en main crsquoest lui qui coupe la gerbe de bleacute 282 dans ces champs dont lrsquoabondance est due au Nil deacutebordeacute agrave son commandement Une tradition conserveacutee par les auteurs affirme la responsabiliteacute des animaux sacreacutes les anciens totems et du roi leur substitut laquo Lorsque dit Plutarque 28 il survient une chaleur excessive et pernicieuse qui produit ou des eacutepideacutemies ou drsquoautres calamiteacutes extraordinaires les precirctres font choix de quelques-uns des animaux sacreacutes et les emmenant avec le plus grand secret dans un lieu obscur

277 Drsquoapregraves un clicheacute obligeamment communiqueacute par M Lepage278 stegravele de Thoutmegraves iii 827 Frazer Le rameau drsquoor I p 7280 Sur la forme speacuteciale de certains sceptres royaux cf A Moret Du caractegravere religieux p 228 Un roi archaiumlque le laquo Scorpion raquo manie le hoyau assisteacute drsquoun servant qui tient le boisseau des grains pour les semailles sur une tecircte de massue sculpteacutee conserveacutee agrave Oxford Cf Quibell Hierakonpolis I pi XXVI c et J Capart Les deacutebuts de lrsquoart en eacutegypte p 22-2282 Paneacutegyrie de Min au Ramesseum (Ramsegraves II) L D III 6 agrave Meacutedinet-Habou (Ramsegraves III) L D III 22 b28 De iside et Osiride 7

87

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ils cherchent drsquoabord agrave les effrayer par des menaces si le mal continue ils les eacutegorgent et les offrent en sacrifice soit pour punir le mauvais geacutenie soit comme une des plus grandes expiations qursquoils puissent faire raquo Drsquoapregraves Ammien Marcel-lin (XXVIII ) ce ne sont point les animaux sacreacutes mais les rois eux-mecircmes qui sont responsables des calamiteacutes publiques de la guerre des mauvaises reacutecol-tes 28 Rapprochons de ces textes la tradition biblique qui impute aux Pharaons de Joseph ou de Moiumlse les sept anneacutees de famine et les dix plaies de lrsquoEacutegypte 28 la stegravele apocryphe du roi Deser ougrave un Pharaon de lrsquoeacutepoque archaiumlque cherche dans des grimoires magiques les moyens de conjurer la famine et la seacutecheresse 286 les leacutegendes maneacutethoniennes sur les rois Ameacutenophis 287 et Bocchoris 288 jugeacutes responsables de la santeacute publique lors drsquoune eacutepideacutemie de peste et nous aurons la certitude que les Eacutegyptiens comme certains non-civiliseacutes rendaient le roi res-ponsable des deacutefaillances de la nature 28

Ajoutons de suite le correctif neacutecessaire de bonne heure les Pharaons qui ont su si bien transformer en monarchie absolue le clan toteacutemique ont eacuteteacute assez avi-seacutes pour eacutechapper agrave leurs responsabiliteacutes Preuve en est la faccedilon dont ils semblent avoir corrigeacute agrave leur profit une coutume fort barbare qursquoon applique souvent aux rois des populations primitives

Cette coutume a eacuteteacute preacuteciseacutee par M Frazer en ces termes 20 laquo Les peuples primitifs croient souvent que leur seacutecuriteacute et celle du monde en-

tier deacutependent de la vie drsquoun de ces hommes-dieux qui incarnent agrave leurs yeux la diviniteacute Naturellement ils prennent le plus grand soin drsquoune vie aussi preacutecieuse en songeant surtout agrave conserver la leur Mais rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourirhellip Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastrophes ne se produiront pas lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de

28 En Germanie laquo rex ritu veteri potestate deposita rernovetur si sub eo fortuna titubaverit belli vel segetum copiam negaverit terra ut solent Aegyptii casus ejusmodi suis adsignare rectoribus raquo28 genegravese xli exode X 27286 Brugsch Die sieben biblisehen Jahre der Hungersnoth texte I I et suiv287 Josegravephe C Apion I 26288 A Moret De Bocchori rege p et suiv28 Cf Frazer Le rameau drsquoor I p 7 laquo Partouthellip le roi doit ecirctre consideacutereacute par ses sujets comme la source drsquoabondantes beacuteneacutedictions et de graves dangers Drsquoune part il fait tomber la pluie luire le soleil souffler les vents favorables mais drsquoautre part ce qursquoil donne il peut le refuser et la moindre irreacutegulariteacute commise par lui peut provoquer un cataclysme raquo20 Le rameau drsquoor II p -

88

Les Mystegraveres eacutegyptiens

transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Le meurtre rituel du roi quand lrsquoacircge commence agrave lrsquoaffaiblir srsquoest pratiqueacute chez la plupart des peuples sauvages ou demi-civiliseacutes en Afrique aux Indes en Australie au Mexique partout on retrouve cette coutume Parfois le peuple nrsquoat-tendait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau XVIe siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans Nous renvoyons au livre de Frazer pour le deacutetail et nous y ajouterons celui-ci dans la reacutegion du Haut-Nil (districts de Fachoda) les rois du Shilluk sont encore actuellement soumis agrave ce reacutegime meurtrier 2 Quand le roi du Shilluk montre des signes de seacuteniliteacute ou de maladie un de ses fils a le droit drsquoessayer de tuer son pegravere en peacuteneacutetrant de nuit aupregraves de lui Aussi le roi assurent les voyageurs ne dort-il que le jour et se tient-il eacuteveilleacute tout ou partie de la nuit En drsquoautres cas lrsquohonneur de tuer le roi revient aux membres drsquoune fa-mille de lrsquoaristocratie ils annoncent au roi que son heure de mourir est venue en jetant sur sa figure et ses genoux une piegravece drsquoeacutetoffe pendant son sommeil puis le roi est mureacute dans une cabane il y meurt de famine ou drsquoasphyxie agrave moins qursquoon ne lrsquoait preacutealablement eacutetrangleacute

Partout comme bien on pense les rois se sont efforceacutes drsquoeacutechapper agrave cette lamentable fin Ils y arrivegraverent les uns par la violence les autres en faisant ad-mettre des atteacutenuations progressives et la substitution de victimes reacuteelles ou fic-tives 22 Mais ces substitutions nrsquoeacutetaient toleacutereacutees qursquoagrave une condition crsquoest que le roi vieilli reccedilucirct du meurtre rituel fictif ou reacuteel un renouveau de jeunesse et de santeacute le sang verseacute de la victime reacutegeacuteneacuterait son corps affaibli par une sorte de baptecircme et de renaissance

Les premiers Pharaons durent-ils srsquoassujettir agrave ce sacrifice barbare Il eacutetait pra-tiqueacute disent les auteurs classiques dans une reacutegion toute voisine de lrsquoEacutegypte le pays de Meacuteroeacute dans le Haut-Nil laquo Les rois eacutethiopiens de Meacuteroeacute eacutetaient adoreacutes comme des dieux mais quand les precirctres le voulaient ils leur envoyaient par un messager lrsquoordre de se tuer ordre soi-disant reccedilu des dieux Jusqursquoau regravegne drsquoErgamegravene contemporain de Ptoleacutemeacutee II les princes eacutethiopiens obeacuteirent tou-jours agrave cet ordre Mais Ergamegravene avait reccedilu une eacuteducation grecque qui lrsquoavait affranchi des superstitions de ses concitoyens loin drsquoobeacuteir aux precirctres il entra

2 Seligmann The cult of nyakong end the divine Kings of the shilluk p 22 (IV Report of the Wellcome tropical research laboratories at the Gordon college Khartoum Vol B General Science )22 Voir plus loin rois de Carnaval p 22

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans le Temple drsquoor agrave la tecircte drsquoune troupe de soldats et fit passer les precirctres au fil de lrsquoeacutepeacutee 2 raquo

Pour lrsquoEacutegypte mecircme il ressort des documents que les Pharaons avaient depuis bien des siegravecles tourneacute la loi sanguinaire mais lrsquoexistence mecircme de cette loi dans lrsquoEacutegypte primitive me semble incontestable

Dans la plupart des temples drsquoEacutegypte et de toutes les eacutepoques des tableaux nous retracent les scegravenes principales drsquoune fecircte solennelle appeleacutee laquo fecircte de la queue raquo fecircte sed Elle consistait essentiellement en une repreacutesentation de la mort rituelle du roi suivie de sa renaissance 2

Figure 0laquo Osorkon II repose agrave lrsquointeacuterieur du tombeau raquo en preacutesence des dieux et de son ka lors de la fecircte Sed Au-dessous precirctres vecirctus de la peau

En cette circonstance le roi est identifieacute agrave Osiris le dieu qui agrave lrsquoeacutepoque histo-rique est le heacuteros du drame sacreacute de lrsquohumaniteacute qui nous guide agrave travers la triple eacutetape vie mort renaissance en lrsquoautre monde Aussi vecirctu du funeacuteraire drsquoOsi-ris le maillot collant en forme de linceul Pharaon est-il conduit au tombeau 2

2 Frazer Le rameau drsquoor II p 7 Cf Diodore III 6 Strabon XVII 2 2 Cf Fl Petrie researches in sinaiuml p 82 et suiv The palace of Apries (Memphis ii) p 8 et suiv2 Petrie gurneh pl V-VII et texte p cl Ed Naville The Festival Holl of Osorkon ii pl X notre fig 0

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

il en revient rajeuni et renaissant tel qursquoOsiris au sortir de la mort Comment se reacutealisait cette fiction et srsquoopeacuterait ce miracle par le sacrifice de victimes humaines ou animales Un precirctre se couche pour le compte du roi dans la peau de la vic-time animale il y prend la position caracteacuteristique qursquoa le fœtus dans le sein de la megravere quand il sortira de la peau il sera censeacute renaicirctre Pharaon pour qui ce rite est ceacuteleacutebreacute renaicirct lui-mecircme ou pour employer lrsquoexpression eacutegyptienne laquo il renouvelle ses naissances raquo Et en teacutemoignage que les rites ont eacuteteacute accomplis le roi ceint ses reins de la queue abreacutegeacute de la deacutepouille de la becircte sacrifieacutee (drsquoougrave le nom laquo fecircte de la queue raquo)

Comment srsquoexpliquer qursquoagrave un moment de son regravegne tout Pharaon doive su-bir cette mort rituelle suivie drsquoune renaissance fictive Srsquoagit-il seulement drsquoun renouvellement de lrsquoinitiation osirienne ou la fecircte offre-t-elle des caractegraveres plus particuliers Le rocircle drsquoailleurs mal deacutefini joueacute dans ces rites par les enfants royaux me semble indiquer que la fecircte sed met en scegravene drsquoautres eacutepisodes re-latifs agrave la transmission de la charge royale En Eacutegypte agrave lrsquoeacutepoque ougrave srsquoeacutebauchait la civilisation le peuple a peut-ecirctre connu lrsquoalternative ou de mettre agrave mort son roi en pleine vigueur afin que sa force soit transmise intacte au successeur ou de srsquoingeacutenier agrave rajeunir ce roi et agrave laquo renouveler sa vie raquo Ce dernier moyen les Pharaons lrsquoont trouveacute quoi de plus efficace que de srsquoidentifier agrave Osiris de srsquoappliquer agrave eux-mecircmes les proceacutedeacutes de reacutesurrection ces rites funeacuteraires par lesquels Isis au dire des precirctres avait magiquement sauveacute de la mort son eacutepoux Peut-ecirctre la mort fictive du roi apparaicirct-elle comme une atteacutenuation du meurtre primitif du roi-dieu une transition de la reacutealiteacute barbare aux symboles 26

Or si les monuments de lrsquoeacutepoque classique nous ont pieusement deacutecrit ces rites encore en vigueur nous constatons qursquoagrave lrsquoeacutepoque archaiumlque presque tous les monuments royaux se rapportent justement agrave des eacutepisodes de la fecircte Sed 27 Voici sur la palette de Narmer le cortegravege solennel de la fecircte le roi se dirige vers le pavillon des fecirctes Sed devant lui trois des enseignes toteacutemiques deux faucons un chacal et le fœtus preacutesage de la renaissance derriegravere lui un officiant que deacutesigne le mot laquo celui agrave prendre raquo (la victime) deacutejagrave revecirctu de la peau de becircte Crsquoest lui qui passera par la peau de la victime agrave moins qursquoil ne soit reacuteellement sacrifieacute Drsquoailleurs le roi assomme de sa propre main ou fait deacutecapiter un cer-

26 Sur lrsquouniversaliteacute de ces sacrifices rituels du roi et la survivance de ces ideacutees jusqursquoagrave notre eacutepoque voir plus bas rois de Carnaval27 A Moret Du caractegravere religieux p 20 2 262 cf Petrie royal tombs I pl VIII XI Les plus importants des monuments royaux sont les palettes votives dont les principales ont eacuteteacute reproduites par Legge (proceedings s B A XXII) cf J Capart l c p 22-2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

tain nombre de prisonniers de guerre dont la vie freacutemissante assurera le rachat de la seacuteniliteacute royale 28

Apregraves le sacrifice le roi deacutejagrave revecirctu du maillot osirien est introniseacute en grand apparat Devant lui on amegravene les laquo enfants royaux raquo soit que le roi doive srsquoasso-cier son fils agrave ce moment (pour que la digniteacute royale continue drsquohabiter un corps jeune et vigoureux) soit que lrsquoheacuteritier soit preacutesent comme garantie de lrsquoavenir Et le roi exeacutecute une danse rituelle en lrsquohonneur des dieux les animaux eux-mecirc-mes tournent dans une aire comme pour un taurobole sacreacute La fecircte se termine par un sacrifice et des fondations de temples en lrsquohonneur des dieux protecteurs du roi et du roi-dieu lui-mecircme 2

Que conclure en outre de la preacutesence degraves lrsquoaube de lrsquoeacutepoque archaiumlque de certains traits comme le costume osirien 00 lrsquoenseigne du fœtus Crsquoest que les rois drsquoHierakonpolis de Negadah et drsquoAbydos ont su non seulement imposer la substitution drsquoune victime agrave eux-mecircmes pour le sacrifice royal mais ont fait deacutejagrave accepter agrave leurs sujets la leacutegende divine drsquoOsiris la substitution des victimes srsquoappuie deacutesormais sur lrsquoautoriteacute drsquoune reacuteveacutelation divine Si le peuple drsquoEacutegypte admet degraves cette eacutepoque que le roi peut laquo renouveler sa vie raquo au fur et agrave mesure qursquoil avance en acircge crsquoest que le dogme de la reacutedemption par le dieu Osiris a deacutejagrave produit dans les esprits une reacutevolution morale lrsquohistoire de la passion de la mort de la reacutesurrection du dieu avait ouvert aux hommes les perspectives drsquoun rajeunissement eacuteternel dont les rois ont eacuteteacute ici-bas et de leur vivant les premiers beacuteneacuteficiaires

Ainsi depuis quinze agrave vingt ans la science des origines de lrsquoEacutegypte a notable-ment progresseacute Les neacutecropoles archaiumlques nous ont livreacute au moins un de leurs secrets

Cette orgueilleuse monarchie eacutegyptienne qui se campait agrave lrsquoentreacutee de lrsquohistoire mdash comme les Pyramides son symbole agrave lrsquoentreacutee du deacutesert mdash et qui derriegravere son profil imposant masquait lrsquoeacutetendue du passeacute elle ne srsquoest pas eacutedifieacutee lagrave tout drsquoun coup Elle srsquoest faite bloc agrave bloc conquecircte apregraves conquecircte au cours de siegravecles teacuteneacutebreux qui remontent vers lrsquoinconnu vers ces temps ougrave lrsquoEacutegypte est morceleacutee en clans diviseacutee en tribus ennemies mais srsquoachemine peu agrave peu drsquoun Eacutetat deacute-mocratique sous lrsquoeacutegide des totems agrave lrsquoautocratie pure sous lrsquoeacutegide du Pharaon Apregraves combien de siegravecles srsquoopeacutera cette transformation quelle fut lrsquohistoire agiteacutee

28 Quibell Hierakonpolis pl XXIX J Capart l c p 262 Cf la masse drsquoarmes sculpteacutee Quibeli Hierakonpolis pl XXVI B La mecircme ap J Capart p 2 la course du roi est sur la tablette du roi Den ap Petrie royal tombs I pl XI et XV00 A Moret Du caractegravere religieux p 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de ces clans comment le clan lui-mecircme srsquoest formeacute et srsquoil srsquoest deacuteveloppeacute agrave la fa-ccedilon des clans toteacutemiques dans les autres pays non civiliseacutes autant de problegravemes qui restent agrave reacutesoudre

Le fait essentiel agrave retenir de ces investigations crsquoest que le premier groupe-ment social connu dans lrsquohistoire rappelle lrsquoorganisation toteacutemique des peupla-des sauvages drsquoaujourdrsquohui Si chez ces sauvages le toteacutemisme apparaicirct comme un rudiment de vie sociale est-il hasardeux drsquoinfeacuterer qursquoen Eacutegypte nous tou-chons mdash provisoirement mdash au point de deacutepart de lrsquohumaniteacute historique en mar-che vers la civilisation

Ces premiegraveres annales de lrsquohistoire ont une grandeur eacutemouvante La frater-niteacute le communisme lrsquoaltruisme auraient-ils donc eacuteteacute la religion des premiers acircges Ne nous laissons pas entraicircner vers des speacuteculations trop flatteuses Cette socieacuteteacute primitive se reacutevegravele agrave nous sous des eacutetendards de guerre en des scegravenes de massacre Pourtant lrsquoheacuteritier du roi-totem est une sorte de dieu la providence de son peuple qursquoil sauve en srsquoimmolant tant drsquoabneacutegation lui aurait fait deacutecer-ner par Carlyle la palme de premier heacuteros de lrsquohistoire si Carlyle avait connu ce lointain ancecirctre

Hacirctons-nous drsquoajouter que si la ligneacutee pitoyable et sublime de tels heacuteros a pu durer des milleacutenaires dans certains pays comme lrsquoEacutethiopie lrsquoEacutegypte a produit une race drsquohommes plus aviseacutes De bonne heure nous lrsquoavons vu Pharaon nrsquoa gardeacute du roi-dieu que les obligations agreacuteables et les privilegraveges glorieux il en a prudemment eacuteludeacute les charges surtout il a eacutechappeacute agrave la fataliteacute du meurtre final Politique retors precirctre subtil Pharaon nrsquoa pas briseacute avec la tradition il a adopteacute au lieu de les abattre les drapeaux ennemis il a preacuteposeacute drsquoautres victimes au sacrifice qursquoon exigeait de lui et inventeacute une meacutethode de rajeunissement qui ne le forccedilait ni agrave se deacutemettre ni agrave se tuer Les Eacutegyptiens reacuteclamaient des dieux un roi qui fucirct toujours jeune et vigoureux Pharaon a rempli ce vœu agrave tel point que la monarchie eacutegyptienne a fleuri forte et vivace pendant quatre mille ans

Iv

Le laquo ka raquo des eacutegyptIens est-IL un ancIen toteM

Le mot ka deacutefinit une conception qui joue un rocircle tregraves important dans la vie religieuse des anciens Eacutegyptiens Les dieux les rois les simples humains et mecircme des choses (par exemple certains eacutedifices) possegravedent un ka drsquoune faccedilon tregraves geacuteneacuterale il deacutesigne le principe de vie animeacutee ou inanimeacutee La traduction de ce mot est fort difficile car elle suppose une interpreacutetation

Lepage-Renouf dans une eacutetude exhaustive 0 a mis en lumiegravere les diffeacuterents aspects du ka tour agrave tour image genius dieu protecteur double spirituel mais il ne traduit point le mot Maspero a proposeacute de rendre ka par double 02 parce que le ka du roi est souvent repreacutesenteacute agrave cocircteacute du Pharaon comme laquo une sorte drsquoombre claire analogue agrave un reflet agrave une projection vivante et coloreacutee de la figure humaine un double qui reproduisait dans ses moindres deacutetails lrsquoimage entiegravere de lrsquoobjet ou de lrsquoindividu auquel il appartenait 0 raquo Ce sens double a eacuteteacute longtemps admis sans discussion Cependant Lefeacutebure preacutefeacuterait traduire geacute-nie 0 parce que la racine ka deacutetermineacutee par le taureau ou le phallus deacutesigne le taureau il semble par conseacutequent que si le ka exprime une forme drsquoacircme crsquoest au sens de geacutenie ce terme eacutetant lui aussi apparenteacute aux ideacutees de race γένος et de geacuteneacuteration Tout derniegraverement Steindorff 0 a contesteacute que le ka des rois soit une effigie agrave la ressemblance du Pharaon et que le ka des hommes ait jamais eacuteteacute repreacutesenteacute par les statues funeacuteraires ideacutee preacuteconiseacutee par Maspero 06 il a soutenu cette thegravese le ka est une image distincte du portrait du roi et plutocirct un laquo dieu protecteur raquo qui garde le roi pendant sa vie et dont on met la statue dans le tombeau royal pour proteacuteger le Pharaon dans lrsquoautre monde Drsquoautre part

0 On the sens of an important egyptian Word ap transactions of society of Biblical Archaeligology VI (878) p et suiv02 eacutetudes de mythologie et drsquoarcheacuteologie I p 7 et suiv0 Histoire I p 080 sphinx I p 080 Der Ka und die grabstatuen (Zeitschrift fuumlr aegyptische sprache XLVIII p 2 et suiv) Maspero a deacutefendu sa thegravese dans une reacuteponse Le laquo Ka raquo des Eacutegyptiens est-il un geacutenie ou un double parue dans Memnon VI 2- 206 eacutetudes de mythologie I p 7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

F von Bissing 07 relevant les textes ougrave la racine ka (au pluriel kaou) deacutesigne les aliments les offrandes et en geacuteneacuteral tout ce qui sert agrave sustenter la vie voit dans le ka une personnification laquo de ce qui dans lrsquohomme deacutepend de la nourriture et de lrsquoalimentation raquo un principe de vie et de force mateacuterielle Enfin degraves 06 Loret a preacutesenteacute une deacutefinition inteacuteressante et nouvelle laquo le ka drsquoun individu crsquoest sa substance mecircme son nom impeacuterissable son totem 08 raquo Mais Loret nrsquoa pas justifieacute dans le deacutetail son interpreacutetation 0 qui a passeacute inaperccedilue

La diversiteacute de ces traductions laquo double geacutenie dieu protecteur principe de vie mateacuterielle et intellectuelle totem raquo prouve au moins ceci crsquoest que lrsquoideacutee de ka est complexe plus qursquoon ne lrsquoavait soupccedilonneacute Il convient donc de preacuteciser les ideacutees ou les faits qui se rattachent au ka eacutegyptien

Sur les monuments les plus anciens les vases de lrsquoeacutepoque protohistorique le ka nous apparaicirct drsquoabord comme une enseigne de collectiviteacute 0 du type de celles qui ont persisteacute dans lrsquoEacutegypte historique et servent d rsquo e m b l egrave m e aux nomes eacutegyptiens Mais le signe ne srsquoest pas conserveacute dans cet emploi bien que dans lrsquoeacutecriture on ait gardeacute lrsquohabitude drsquoeacutecrire le mot ka par le signe des bras sur le pavois

Tregraves freacutequent au contraire depuis lrsquoeacutepoque archaiumlque et jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne est lrsquousage du ka comme nom Crsquoest une eacutepithegravete qursquoon accole aux noms des simples particuliers speacutecialement agrave lrsquoeacutepoque primitive il apparaicirct sur certaines stegraveles de Negadah et drsquoAbydost deacutedieacutees agrave tel ou tel indi-vidu laquo ka consacreacute raquo ka iahou Pris comme nom de particuliers lrsquousage ne srsquoen veacuterifie guegravere qursquoagrave la peacuteriode primitive Au contraire le ka est par ex-cellence agrave toutes les eacutepoques en relation avec le nom du roi Il srsquoeacutecrit alors par deux bras leveacutes supportant un plan rectangulaire drsquoeacutedifice agrave lrsquointeacuterieur du plan est un nom exprimant une qualiteacute laquo le batailleur raquo laquo le fort raquo le laquo veacuteneacuterable raquo etc

07 Versuch einer neuen erkaumldrung des Karsquoi (apud sitzberg Bayerischen Akad Maumlrz 0)08 Lrsquoeacutegypte au temps du toteacutemisme (Museacutee Guimet Bibl de vulgarisation t xix p 20)0 Cf revue eacutegyptologique 0 t XI p 87 Jrsquoespegravere pouvoir eacutetablir sous peu que ce mot ka deacutesigne agrave lrsquoorigine le totem personnel royal crsquoest-agrave-dire le Faucon En attendant et sans en faire la deacutemonstration pour le moment je me contenterai de dire que ce mot ka deacuterive drsquoune racine signifiant laquo engendrer raquo Le ka royal est donc laquo ce qui se perpeacutetue par engendrement raquo mdash De-puis Loret nrsquoa pas agrave ma connaissance donneacute drsquoautre exposeacute que la phrase citeacutee dans le texte et publieacutee en 060 V Loret revue eacutegyptologique XI p 80 fig et 6 Cf les stegraveles drsquoAbydos reproduites par de Morgan recherches sur les origines de lrsquoeacutegypte II p 2 20 Petrie royal tombs I pl XXXI-XXXII

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et au-dessus on dessine lrsquoimage du faucon Comme le faucon est devenu par la suite le dieu Horus on a pris lrsquohabitude drsquoappeler ce nom de ka = le nom drsquoHo-rus 2 Il est bien connu que tout pharaon agrave son couronnement reccediloit un nom drsquoHorus crsquoest-agrave-dire un nom de ka Or le nom en Eacutegypte comme dans les autres socieacuteteacutes primitives est une veacuteritable deacutefinition de lrsquoessence intime des ecirctres la formule magique de sa nature secregravete que le mot eacutecrit reacutevegravele aux yeux crsquoest pourquoi quand on connaicirct le nom drsquoun ecirctre ou drsquoune chose on les tient en son pouvoir Parfois on repreacutesente ce nom muni de bras maniant des at-tributs (fig ) comme il arrive aussi pour le faucon crsquoest montrer que le nom nrsquoest pas seulement un symbole repreacutesentatif mais un ecirctre vivant et agis-sant Enfin pour les Eacutegyptiens les notions de ka et le nom royal se confondent si bien qursquoon trouve souvent le mot deacutetermineacute par le cartouche qui ceint le nom royal

Le ka nom du roi est donc la notation graphique de ce qursquoil y a drsquoessentiel dans la personne du roi Cependant le ka conserve une figure distincte de la figure royale A Louxor Deir-el-Bahari Dendeacuterah Erment dans les tableaux qui repreacutesentent la naissance du Pharaon 6 on voit naicirctre avec celui-ci le ka du roi sous la forme drsquoun enfant pareil agrave lrsquoenfant royal quand le roi devient adulte le ka grandit aussi mais tandis que le roi vieillit le ka se fixe dans la forme adulte 7 et drsquoaspect toujours jeune il ne semble pas subir les atteintes du temps 8

2 G Maspero sur les quatre noms officiels des rois drsquoeacutegypte (eacutetudes eacutegyptiennes II p 27 et suiv) et Histoire I p 28 et suiv cf A Moret Du caractegravere religieux de la royauteacute pharaonique p 7 et suiv E Lefeacutebure Le nom dans lrsquoancienne eacutegypte (ap sphinx I p 06 et suiv) A Moret Du caractegravere religieux p 7 222 V Loret l c p 20 cf Brugsch Woumlrterbuch p 6 A Moret Du caractegravere religieux p 87 Crsquoest lrsquoaspect de la statue du ka du roi Hor Iouibracirc (De Morgan Dahchour I pl XXXIII)8 Crsquoest ce qursquoa bien montreacute Steindorff l c p 7-8

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Ameacutenophis III sacrifiant agrave Amon Derriegravere le roile laquo ka royal vivant raquo sous forme de nom animeacute

Drsquoailleurs le ka diffegravere du type consacreacute de la personne royale il porte la perruque divine la barbe divine et non la barbe carreacutee il nrsquoa pas lrsquoUraeligus au front sur sa tecircte se dresse le agrave la main il tient une hampe surmonteacutee drsquoune tecircte de ka 20 parfois comme les dieux le ka royal nrsquoa pas besoin du corps humain seul le signe hieacuteroglyphique muni de bras qui portent les insignes suffit agrave le repreacutesenter 2 On reconnaicirct agrave ces particulariteacutes que la figure du ka royal est celle drsquoun dieu Enfin quand le ka accompagne le roi il est toujours repreacutesenteacute derriegravere celui-ci crsquoest-agrave-dire dans lrsquoattitude de garde ( sa) 22 Drsquoougrave il suit que le ka est lagrave pour proteacuteger le roi Von Bissing et Spiegelberg ont mon-treacute qursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine ka est rendu en deacutemotique par shaiuml = ψαίς ὁ

ἄγαθος δαίμων 2

Le ka royal est donc parfois un dieu protecteur mdash drsquoougrave la traduction schutzgott proposeacutee par Steindorff

Mariette Abydos pl Cf A Moret l c ) 2220 Le ka du roi est geacuteneacuteralement repreacutesenteacute par un dieu adulte plus petit que le pharaon il est cependant parfois de mecircme taille que le roi mdash Cf notre fig 22 Cf fig 22 A Moret l c p 7 2 222 222 Aeg Zeitschrift XLIX p 26 Von Bissing l c p

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Cette protection ne srsquoarrecircte pas a la mort elle se continue dans lrsquoautre vie Car le ka ne meurt point Quand le roi meurt on dit laquo que son ka le rejoint raquo au ciel ou laquo qursquoil srsquoen va avec son ka 2 raquo Crsquoest une loi geacuteneacuterale pour les dieux comme pour les hommes laquo Tout ce qui passe passe dans lrsquoautre monde avec son ka Horus passe avec son ka Thot passe avec son ka Sop passe avec son ka toi (ocirc mort) passe donc avec ton ka 2 raquo

Dans les tombes de lrsquoeacutepoque memphite les for-mules nous apprennent que laquo mourir raquo crsquoest laquo passer agrave son ka 26 raquo Crsquoest laquo srsquoen aller accompagneacute de ses kaou raquo dans lrsquoautre monde 27 Si pour tous les ecirctres vivants mourir crsquoest laquo aller vivre avec son ka 28 raquo naicirc-tre qursquoest-ce donc sinon sortir drsquoun ka primordial Concluons que le ka prend ici lrsquoaspect drsquoun geacutenie de la race qui naicirct avec lrsquoindividu grandit avec lui puis sans mourir reccediloit le deacutefunt dans son sein 2

Mais comment concilier ces notions avec le sens laquo nourriture offrandes raquo qui appartient agrave ce mecircme mot ka sous la forme plurielle kaou F von Bis-sing qui a reacutecemment attireacute lrsquoatten- tion sur ce sens speacutecial de la racine ka 0 a citeacute avec raison cer-tains tableaux des temples drsquoeacutepoque greacuteco-romaine ougrave lrsquoon a repreacutesenteacute non point une forme du ka royal mais quatorze (parfois mecircme vingt-huit car il y a ka femelles agrave cocircteacute de ka macircles) Chacune de ces figu-

2 sper ka-f r f (pyr drsquoOunas 8) seb hnacirc ka-f (Canas )2 Sethe pyramidentexte I p 0 0 60 II p 2 277 26 seb n ka-f (Sethe Urkunden alten reiches p 6 7 7 Aussi le mot ka est-il parfois deacutetermineacute par la momie )27 shest-f in kaou-f Mariette Mastabas p J Capart Une rue de tombeaux pl XI et p 7 et Aeg Zeitschrift XLII p Cf lrsquoexpression pour laquo mourir raquo hep n ka-f (Mastabas p 60) Un texte speacutecifie que le mort est tireacute accueilli par la main tendue laquo de ses kaou et de ses pegraveres raquo (Mastabas p ) Lrsquoendroit du ciel ougrave le deacutefunt et les dieux laquo passent agrave leurs kaou raquo est agrave lrsquoOrient pregraves du soleil levant crsquoest-agrave-dire aux sources de la renaissance (pyr de peacutepi i 8) et aussi vers le laquo champ des offrandes raquo crsquoest-agrave-dire aux sources de lrsquoalimentation (pyr de peacutepi i L 7 peacutepi ii 62)28 Anh hnacirc ka-f (pyr de peacutepi i 6)2 Il en est de mecircme pour le roi dans ses rapports avec le Faucon dont il naicirct qui grandit avec lui et en qui il se reacutesorbe apregraves la mort0 Versuch einer neuen erkluumlrung des Karsquoi

Figure 2Thoutmegraves et son ka visitent Amon le laquo ka royal vivant raquo sous forme de dieu adulte

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

res divines porte un nom la richesse la force la vigueur la stabiliteacute la noblesse lrsquointelligence (magique ) la lumiegravere la connaissance

le goucirct la vue lrsquoouiumle lrsquoabondance (litt lrsquoapprovisionne-ment) lrsquoalimentation la seacutepulture () Qursquoest-ce agrave dire sinon que ces quatorze formes du ka personnifient les eacuteleacutements de prospeacuteriteacute mateacuterielle et intellectuelle tout ce qui est neacutecessaire agrave la santeacute du corps et de lrsquoesprit Juste-ment un texte de philosophie memphite que von Bissing aurait ducirc citer 2 nous fournit un commentaire de ces tableaux Il est dit que le Deacutemiurge laquo creacutea de son Verbe les kaou et pacifia les forces hostiles (hm-stou) et creacutea toutes les provisions (kaou) et toutes les offrandes par sa parole creacuteant ainsi le bon et le mauvais raquo Sous ce nom de ka il faut donc entendre non pas seulement le prin-cipe de vie du Pharaon des dieux et des hommes mais lrsquoensemble des forces vitales (auxquelles srsquoopposent les forces mauvaises hm-stou) et la nourriture qui alimente et sans laquelle deacutepeacuterit tout ce qui existe dans lrsquounivers

Mais ces kaou des choses ont-ils quelque rapport avec le ka du Pharaon des hommes et des dieux La reacuteponse nous est donneacutee par les tableaux des temples A Ombos chacun de ces kaou agrave la fois physiques et meacutetaphysiques porte le nom du Pharaon reacutegnant les leacutegendes speacutecifient que nous avons sous les yeux le ka de la force le ka de la richesse le ka des approvisionnements dans Ptoleacutemeacutee et chacune de ces entiteacutes se confond avec le ka royal On pourrait suspecter ces teacutemoignages comme trop reacutecents et soupccedilonner que ces concepts nrsquoeacutetaient pas ceux des premiers Eacutegyptiens Je crois pour ma part que la division du ka en quatorze figures symboliques est une subtiliteacute de la speacuteculation theacuteologique mais cette speacuteculation remonte deacutejagrave agrave lrsquoAncien Empire Von Bissing a deacutemon-treacute que dans les noms de ka adopteacutes par les rois de lrsquoAncien Empire Ouserka-f shepseska-f Dadkaracirc Ouserkaracirc on retrouve les mots ouser shepes dad qui deacutesignent les kaou du roi dans les tableaux citeacutes plus haut Jrsquoajoute que les

Pour la discussion des noms de ces kaou royaux je renvoie a von Bissing p 2- Aux textes citeacutes il convient drsquoajouter les tableaux drsquoOmbos (De Morgan Ombos I p 87 et suiv A Moret Du caractegravere religieux p 22) et les commentaires de Piehl insc Hieacuteroglyphiques II p 86 et suiv2 Texte publieacute par Breasted (Aep Zeitschrift XXXIX p et suiv) et de nouveau par Erman (sitzungsberichte der koumln preussischen Akad XLIII (Cf G Maspero sur la toute-puis-sance de la parole ap recueil de travaux XXIV p 68) Sur le sens de mtn cf Brugsch W s p 62 De Morgan Ombos I p 87 et suiv Von Bissing l c p Ajoutons le nom Ouad Kara qui vient de sortir des fouilles de Ko-plos ougrave la faculteacute Ouad se trouve en composition dans un nom royal (R Weill Les deacutecrets royaux p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

textes des Pyramides nomment deacutejagrave les principes mauvais agrave cocircteacute des kaou com-me dieux asservis au deacutefunt 6 Lrsquoideacutee est donc tregraves ancienne qui associait le ka agrave la vie universelle sous des formes preacutecises et diffeacuterencieacutees par un nom Quant agrave la confusion des ideacutees relatives au ka et agrave la nourriture kaou elle apparaicirct aussi degraves le temps des Pyramides quand les textes parlent des dieux et de leurs kaou

il faut souvent comprendre laquo les dieux et leur nourriture 7 raquo lrsquoendroit du ciel qursquoon appelle laquo champ du ka raquo est proche du laquo champ des offrandes 8 raquo Ces paralleacutelismes ne sauraient ecirctre fortuits en fait le ka symbolise aussi la force de vie qui reacuteside dans la nourriture

Je reacutesume ces diffeacuterents traits le ka est une enseigne de tribu un nom du roi ou des particuliers un geacutenie protecteur la source de vie drsquoougrave sortent et ougrave retournent le roi les dieux les hommes les choses les forces mateacuterielles et in-tellectuelles crsquoest enfin la nourriture qui entretient la vie universelle Or les socieacuteteacutes primitives aux premiers stades de leur eacutevolution croient agrave une force suprecircme qui reacuteunit tous ces attributs et mecircme drsquoautres encore Cette puissance crsquoest le totem agrave la fois signe de ralliement marque distinctive nom substance source de vie drsquoougrave lrsquoon naicirct et agrave laquelle on revient par la mort enfin nourriture des hommes Si la deacutefinition du totem que je preacutesente ici drsquoapregraves les theacuteoriciens est exacte crsquoest donc lrsquohypothegravese preacutesenteacutee par Loret sur le ka qui serait la plus compreacutehensive

Peut-on renouveler contre lrsquoeacutequation ka=totem la mecircme objection qursquoa souleveacutee une autre proposition de Loret faucon=totem et dire qursquoil srsquoagit de zoolacirctrie et non de toteacutemisme Le ka nrsquoeacutetant point un animal comment se-rait-il question ici de zoolacirctrie Mais dira-t-on les monuments ne repreacutesentent presque uniquement que le ka du Pharaon 0 crsquoest le ka du roi seul qui apparaicirct

6 pyr drsquoOunas I 02-0 teacuteti I 20 (Sethe I p 207) laquo Les Kaou de Teacuteti sont derriegravere lui les hm-stou de Teacuteti sont sous ses pieds raquo Les principes femelles agrave lrsquoorigine malfaisants semblent plus tard se confondre avec les Kaou (Brugsch W s p 7) Ils seraient ainsi reacuteellement laquo pa-cifieacutes raquo7 Par exemple pepi i I 028 teacuteti I cf peacutepi i I 7 Cf A Van Gennep toteacutemisme et meacutethode comparative (revue de lrsquoHistoire des religions 08 t LVIII p et suiv)0 Crsquoest la thegravese deacutefendue par Steindorff l c contre lrsquohypothegravese de Maspero que le ka pour vivre devait animer les corps fictifs mais ressemblants sculpteacutes dans les tombes bas-reliefs ou statues On doit se demander en effet si ces repreacutesentations sont celles du ka ou des deacutefunts Les seules statues de ka certaines sont celles que le roi Hor Iouiracirc avait deacutedieacutees laquo au ka vivant

00

Les Mystegraveres eacutegyptiens

sculpteacute dans les temples ou eacuterigeacute en statue lui seul symbolise les forces mateacute-rielles ou intellectuelles Srsquoil est vrai que les particuliers et mecircme les choses possegravedent un ka du moins ce ka nrsquoest-il pas comme il devrait lrsquoecirctre lrsquoeacutegal du ka royal Cependant le toteacutemisme est un reacutegime eacutegalitaire ougrave tous les membres jouissent pareillement de la protection du totem

A cette objection je reacutepondrai que mecircme dans les socieacuteteacutes toteacutemiques il arrive que le chef du clan srsquoarroge sur le totem un droit plus grand que les autres clansmen Jrsquoajoute que je ne crois point deacutemontrable lrsquoexistence du toteacute-misme inteacutegral 2 en Eacutegypte avec les documents actuels car crsquoest une Eacutegypte deacutejagrave transformeacutee que nous font connaicirctre les monuments archaiumlques Toutefois cette question meacuterite drsquoecirctre poseacutee lrsquoideacutee du ka complexe comme je lrsquoai mon-treacutee correspond-elle agrave une notion qui a pu ecirctre aux temps anteacuterieurs celle du totem et qui a eacutevolueacute

Lrsquohistoire drsquoEacutegypte nous apprend que le but opiniacirctrement viseacute par les Pha-raons a eacuteteacute de deacutetourner sur eux la foi qui srsquoattachait aux ecirctres surnaturels et drsquoincorporer en leur personne divine le plus possible de la religion Ainsi agrave cocircteacute du ka il existe probablement une autre forme de totem qui serait celle du faucon Dans les temps primitifs nous soupccedilonnons lrsquoexistence drsquoun clan des Faucons ayant comme emblegraveme nom pegravere et protecteur un Faucon Mais agrave lrsquoeacutepoque historique seul le chef est resteacute un Faucon qui participe agrave la chair agrave lrsquoessence au nom de lrsquooiseau ancestral ce faucon crsquoest le roi Le patrimoine de tous est devenu lrsquoapanage exclusif du Pharaon

Une eacutevolution parallegravele srsquoest-elle produite pour lrsquoideacutee du ka Ce qui tendrait agrave le faire admettre crsquoest que ka et faucon se confondent en la personne du roi nous avons vu plus haut que le nom de ka crsquoest le nom royal preacuteceacutedeacute du faucon le nom drsquoHorus De mecircme que Pharaon est resteacute le Faucon unique de mecircme a-t-il pu garder pour lui seul certains privilegraveges relatifs au ka pharaon permet

qui reacuteside dans la double salle drsquoadoration raquo

(De Morgan Dahehour 8 p ) une autre statuette de ka du mecircme roi mais moins bien conserveacutee est citeacutee par de Morgan p Par exemple certains eacutedifices cf Steindorff l c p 2 Drsquoailleurs bien difficile agrave deacutefinir si lrsquoon en croit les conclusions actuelles de Frazer et van Gennep Je ne partage point lrsquoideacutee eacutemise par Steindorff (l c p ) que le roi a eu le premier un ka et qursquoil a eacutetendu ce privilegravege agrave ses sujets Les monuments indiquent au contraire me semble-t-il qursquoagrave lrsquoorigine les particuliers comme le roi veacuteneacuteraient leur ka (stegraveles archaiumlques cf p 20 et stegravele drsquoHessi au Caire Museacutee eacutegyptien pl XXII) mais le roi srsquoen reacuteserva par politique la pro-

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

agrave ses sujets de croire qursquoils demeuraient en rapport avec le ka protecteur et source de vie mais il preacutetend devenir lrsquointermeacutediaire obligatoire entre les hommes et le ka ce qursquoindique la formule funeacuteraire laquo Le roi donne lrsquooffrande agrave Osiris pour que celui-ci donne lrsquooffrande au ka drsquoun tel raquo Ce rocircle drsquointermeacutediaire est bien deacute-fini encore par les formules du couronnement quand le roi monte sur le trocircne on proclame qursquoil est agrave la tecircte de tous les kaou vivants Ce nrsquoest point assez De mecircme que Pharaon est devenu le Faucon incarneacute de mecircme le ka acircme diffuse du clan primitif srsquoest sublimeacute dans le ka du surhomme qursquoest Pharaon Jrsquoai citeacute (plus haut) ce qursquoun noble de la XIIe dynastie enseignait agrave ses enfants laquo Le roi crsquoest le dieu sa (la science) qui est dans les esprits ses yeux explorent toutes les consciences crsquoest racirc il est visible par ses rayons il eacuteclaire les deux terres plus que le disque solaire il fait germer la terre plus que le Nil en crue quand il em-plit les deux terres de force et de viehellip Il donne les faveurs agrave ceux qui le servent il nourrit celui qui fraye son chemin Le roi crsquoest le ka sa bouche (creacutee) la surabondance tout ce qui existe est sa creacuteation raquo

La preacutepondeacuterance du ka royal sur les autres ka srsquoexpliquerait donc par les pro-gregraves de la monarchie Lrsquoideacutee du ka personnel agrave chaque homme nrsquoen persista pas moins dans la socieacuteteacute eacutegyptienne comme lrsquoeacutecho affaibli drsquoune conception tregraves ancienne celle drsquoune force vitale commune aux ecirctres et aux choses qui fournis-sait agrave tous existence et nourriture et que parfois lrsquoon personnifiait en lrsquoappelant laquo ka pegravere des pegraveres des dieux 6 raquo pour exprimer que crsquoeacutetait le substratum de tout ce qui existe

Voilagrave ce qursquoeacutetait le ka Pour le nom je ne proposerai pas de traduction 7 mieux vaut se servir du mot eacutegyptien apregraves lrsquoavoir expliqueacute Mais cette expli-

prieacuteteacute pour lui seul pendant la peacuteriode preacutememphite agrave partir de la Ve dynastie environ le roi a ducirc ou a voulu restituer agrave ses sujets la preacuterogative du ka comme il les a autoriseacutes graduellement agrave pratiquer les rites osiriens M Sottas me suggegravere que peut-ecirctre faut-il interpreacuteter laquo chef des kaou de tous les vivants raquo Stegravele de sehetepibracirc (Caire 2088 face 2 )6 Figure et leacutegende de la basse eacutepoque reproduite par Wilkinson (Manners and Customs III p 2 fig 0) sans indication de source Ici le ka est figureacute par un homme agrave tecircte de grenouille ce qui peut srsquoexpliquer parce que la grenouille eacutetait un symbole des transformations des espegraveces vivantes et drsquoimmortaliteacute (cf Spiegelberg ap sphinx VII p 22)7 Srsquoil fallait trouver un sens litteacuteral agrave il faudrait prendre en consideacuteration qursquoaux textes des Pyramides les deux bras leveacutes servent de deacuteterminatifs agrave des mots tels que agravehacircacirc (eacuted Sethe II p 0 76 ) et hch (II p 2) qui expriment des ideacutees de lever eacutelever Le ka serait-il lrsquoecirctre qursquoon invoque en levant les bras vers lui Erman tirant parti drsquoun texte du temple de Seacuteti I (Abydos I appendice tableau 6) montre que le Deacutemiurge Toum anime les dieux ses fils laquo en placcedilant ses deux bras derriegravere eux pour que son ka soit en eux raquo Les deux bras eacutevoqueraient alors le geste magique qui confegravere le ka ou la vie (religion eacuted franccedilaise p 2)

02

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cation ne pourrait se condenser dans lrsquoun quelconque des termes jusqursquoici pro-poseacutes double geacutenie de la race dieu protecteur nom nourriture Le ka est tout cela et nrsquoest point chacune de ces qualiteacutes isoleacutement Il mrsquoa sembleacute que dans le treacutesor des ideacutees primitives crsquoest celle de totem qui correspondrait le mieux au ka le totem comprend tous les traits du ka et drsquoautres encore qui ont disparu parce que la socieacuteteacute eacutegyptienne si haut que nous puissions remonter nous appa-raicirct comme une socieacuteteacute eacutevolueacutee

Ma tacircche consistait agrave rassembler les mateacuteriaux eacutegyptiens et agrave poser la ques-tion Crsquoest aux ethnographes qursquoil appartiendra de deacutecider si le ka aux aspects si varieacutes nrsquoa pas agrave ses origines un caractegravere toteacutemique

0

v

roIs de carnavaL

La fin de lrsquoanneacutee et la naissance de lrsquoan nouveau sont aujourdrsquohui encore lrsquooccasion drsquoune joie et drsquoune agitation geacuteneacuterales et de manifestations officielles Ces fecirctes populaires ont existeacute de tout temps Chez nous elles srsquoeacutechelonnent sur une peacuteriode qui va de Noeumll agrave Pacircques de la fin deacutecembre au commencement drsquoavril (fecirctes de saint Eacutetienne saint Jean saints Innocents saint Sylvestre Jour de lrsquoan des Rois Carnaval Mardi gras Mi-Carecircme Pacircques) Elles correspon-dent en bloc aux Saturnales Calendes de janvier Lupercales Liberalia des La-tins En remontant plus haut que lrsquoantiquiteacute romaine nous retrouvons chez tous les peuples des traditions de ce genre ou les souvenirs historiques qursquoelles ont laisseacutes les peuplades sauvages de nos jours se rattachent agrave lrsquohumaniteacute civiliseacutee par des coutumes semblables Plusieurs sociologues tels que Mannhardt Fra-zer Durkheim Hubert Mauss Van Gennep ont eacutetudieacute avec preacutedilection ces peacuteriodes de crise de lrsquoacircme populaire ils ont eacutetabli que ces coutumes devenues incompreacutehensibles chez les civiliseacutes preacutesentaient au contraire un sens reacutefleacutechi et une suite chez les non-civiliseacutes qui les ceacutelegravebrent reacuteguliegraverement lors des gran-des vicissitudes naturelles et au temps des semailles et des moissons Cherchons donc chez eux et dans les civilisations anciennes en prenant pour guide les ad-mirables travaux de Frazer 8 lrsquoexplication de ces mouvements qui dans notre corps social ne sont plus que des actes reacuteflexes fecirctes Sacaeliga de Babylone Kronia drsquoAthegravenes Saturnales de Rome Mascarades du moyen acircge fecirctes des Fous et de lrsquoAcircne cortegraveges de Carecircme et de Carnaval

Le Carnaval moderne se distingue par des processions et deacutefileacutes burlesques promenade de lrsquoOurs en Moravie et en Bohecircme de la Tarasque agrave Tarascon du Char naval (carrus navalis) en Allemagne du roi Reneacute agrave Aix du bonhomme Carnaval agrave Nice etchellip Drsquoordinaire on y exhibe des mannequins de taille colos-sale que lrsquoon conserve parfois drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre comme des feacutetiches citons les geacuteants Jan et Mieke agrave Bruxelles Druon et Antigon agrave Anvers Gilles agrave Mons Gog et Magog agrave Londres les Zigantiak dans le pays basque la Reina Caresma agrave

8 J Frazer Le rameau drsquoor trad (r par Stieacutebel et Toutain vol (Schleicher edit)

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Madrid Le plus souvent ces mannequins sont peacuterissables Presque chaque ville a son laquo Vieux raquo ou sa laquo Vieille raquo de Mi-Carecircme ou de Carnaval qursquoon deacutepegravece brucircle ou jette agrave lrsquoeau pour marquer la fin des reacutejouissances Mecircme srsquoils srsquoappel-lent Rois ils subissent ce mecircme sort On produit ces souverains de carnaval dans des ceacutereacutemonies bouffonnes ougrave ils sont coiffeacutes de couronnes enguirlandeacutes de feuillages munis de sceptres de roseaux et affubleacutes drsquooripeaux dans beaucoup de villes on les fait passer en jugement au cours de ceacutereacutemonies burlesques qui se deacuteveloppent parfois en veacuteritables drames et mettent en action la mort du grotesque heacuteros laquo En Provence on voyait un homme vecirctu en femme suivi par des gamins chercher Carnaval dans toute la ville il prenait des allures de veuve eacuteploreacutee et au cours de ses burlesques investigations il racontait comment Car-naval agrave cause de ses deacutebauches avait mal tourneacute et srsquoeacutetait pendu Dans beaucoup de villes on repreacutesentait un jugement de Carnaval le noble Magrimas (Carecircme) intentait un procegraves au prince Grossois (Mardi-gras) roi des ivrognes et des gour-mands devant la cour des risaflorets Hareng-saur assisteacute de lrsquoavocat Pain-sec soutenait que le jeucircne devait commencer de suitehellip Finalement Mardi-gras eacutetait condamneacute agrave mort et exeacutecuteacute au milieu de mille extravagances 0hellip raquo Un peu partout crsquoest le mecircme enterrement du Carnaval

De mecircme ordre que la royauteacute de Carnaval est encore laquo la royauteacute du jour des Rois raquo bien que la fecircte chreacutetienne de lrsquoEacutepiphanie en ait fait avancer la date Ce jour-lagrave on laquo tire (au sort) les rois raquo en se partageant les morceaux drsquoune galette dans laquelle une fegraveve ou une petite poupeacutee cacheacutee agrave lrsquoavance deacutesignera celui dont le sort veut comme roi Pendant la dureacutee drsquoune soireacutee ce roi donnera des ordres bouffons choisira une reine chacun imitera ses moindres gestes avec un respect simuleacute et une obeacuteissance feinte

Lrsquoorigine sinon lrsquoexplication de cette singuliegravere royauteacute apparaicirct dans la tra-dition greacuteco-romaine des fecirctes de Kronos-Saturne appeleacutees laquo Kronia raquo agrave Athegravenes et laquo Saturnales raquo agrave Rome Vers la fin de deacutecembre les esclaves reacuteunis dans un banquet laquo tiraient au sort raquo qui serait le laquo roi du festin raquo Celui-ci commandait quelques jours durant agrave tous maicirctres et serviteurs il faisait chanter ou danser ses sujets leur prescrivait de se masquer ou de se deacutevecirctir les barbouillait de suie ou de farine ou les jetait dans lrsquoeau glaceacutee Mais agrave cocircteacute de ces pratiques burlesques voici qursquoapparaissent par endroits de sauvages coutumes jadis les

Frazer Le rameau drsquoor II p 27 227 et suiv0 E Doutteacute Magie et religion dans lrsquoAfrique du nord 00 On trouvera dans ce livre de preacutecieux renseignements sur le carnaval marocain Le rameau drsquoor II p 6 et suiv p et suiv

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Saturnales srsquoaccompagnaient de sacrifices humains et mecircme en 0 de notre egravere des soldats romains campeacutes dans la valleacutee du Danube nrsquoen avaient pas perdu lrsquohabitude Avant les Saturnales ils deacutesignaient un roi pendant un mois celui-ci usait comme il lrsquoentendait de sa souveraineteacute puis on le sacrifiait Il arriva qursquoun chreacutetien nommeacute Dasius fut choisi pour cette paiumlenne royauteacute il refusa mais il ne gagna rien agrave ce refus sa deacutesobeacuteissance lui valut drsquoavoir la tecircte trancheacutee 2

Apregraves une eacutetude minutieuse des traditions de lrsquoantiquiteacute et des socieacuteteacutes sau-vages M Frazer a formuleacute la theacuteorie suivante dont nous avons veacuterifieacute deacutejagrave lrsquoap-plication dans lrsquoEacutegypte primitive et qui apregraves bien des deacutetours nous ramegravenera aux rois de Carnaval

Chez les peuples primitifs crsquoest une croyance absolue que leur seacutecuriteacute et celle du monde entier deacutependent de la volonteacute ou mecircme de la santeacute de leur roi Celui-ci en sa qualiteacute de dieu incarneacute et de sorcier a tout pouvoir sur la nature aussi est-il responsable des pheacutenomegravenes atmospheacuteriques et de la reacutegulariteacute des reacutecoltes Tant que le roi est jeune et vigoureux le peuple a confiance en lui mais laquo rien nrsquoempecircchera lrsquohomme-dieu de vieillir et de mourir Le danger est terrible car si le cours de la nature deacutepend de la vie de lrsquohomme-dieu quelles catastro-phes ne se produiront pas lorsqursquoil srsquoaffaiblira peu agrave peu puis lorsqursquoil mourra Il nrsquoy a qursquoun moyen de deacutetourner le peacuteril Crsquoest de tuer lrsquohomme-dieu aussitocirct qursquoapparaissent les premiers symptocircmes de son affaiblissement et de transfeacuterer son acircme dans un corps plus solide par exemple dans le corps drsquoun successeur vigoureux raquo

Les historiens grecs rapportent que telle eacutetait la destineacutee des rois de Meacuteroeacute (Nubie) A un certain moment les precirctres leur envoyaient lrsquoordre de se tuer coutume qui resta en usage jusqursquoau iiie siegravecle av J-C Parfois le peuple nrsquoatten-dait pas la maladie ou la vieillesse du roi il fixait par avance la dureacutee maxima du regravegne Au Malabar jusqursquoau xvie siegravecle le roi devait se couper lui-mecircme la gorge au bout de douze ans

Cependant agrave Meacuteroeacute Ergamegravene srsquoaffranchit de la coutume et massacra les precirctres Les rois de Calicut obtinrent le droit de se deacutefendre contre les assassins officiels qui les attaquaient au bout de douze ans Ailleurs on admit des atteacutenua-tions progressives le sultan de Java deacuteleacutegua aux membres drsquoune certaine famille lrsquohonneur de se tuer agrave sa place en eacutechange il accordait aux volontaires de la mort

2 Parmentier et Cumont Le roi des saturnales ap revue de philologie 87 p Frazer Le rameau drsquoor II p Voir lrsquoexemple des rois de Shilluk citeacute plus haut

06

Les Mystegraveres eacutegyptiens

de grandes richesses pendant la vie et des funeacuterailles exceptionnelles Crsquoeacutetait le plus souvent dans la famille royale que le roi devait se chercher un substitut chez les peuples seacutemitiques les sacrifices si freacutequents des fils aicircneacutes se justifient par des raisons de cette nature

Puis les rites srsquoadoucirent encore Pour eacutepargner des innocents on choisit la victime parmi les condamneacutes agrave mort Mais il eacutetait neacutecessaire que le remplaccedilant du roi jouacirct vraiment le rocircle de roi au moins pendant quelques jours De lagrave des fecirctes comme celles des laquo Sacaeliga raquo que Beacuterose a vues agrave Babylone le 6 du mois Louumls un condamneacute agrave mort recevait les ornements royaux et jouissait de toutes les preacuterogatives du trocircne y compris lrsquousage du harem royalhellip Mais au bout de cinq jours on lui arrachait ses habits royaux et apregraves lrsquoavoir fouetteacute on lrsquoen-voyait agrave la potence ou agrave la croix 6

Ailleurs les ceacutereacutemonies lugubres se sont encore plus humaniseacutees dans lrsquoEacutegypte antique la fecircte sed nous a sembleacute rappeler le meurtre rituel du roi mais devenu symbolique et inoffensif par la substitution de victimes Au Cambodge de nos jours le laquo roi de feacutevrier raquo coiffeacute drsquoun bonnet blanc et armeacute drsquoun sceptre de bois remplace pendant trois jours le souverain Au Siam crsquoest agrave la fin drsquoavril que le roi temporaire jouit pendant trois jours de tout ce qui lui plaicirct au palais Plus de sacrifices mais on respecte la coutume en simulant lrsquoexeacutecution Voici ce qui se passait il nrsquoy a pas longtemps en Eacutegypte apregraves la moisson pendant trois jours le gouvernement est suspendu et chaque ville choisit son propre chef Ce chef porte une sorte de bonnet de fou et une longue barbe drsquoeacutetoupe il srsquoenveloppe drsquoun manteau bizarre Une baguette agrave la main escorteacute de scribes de bourreaux il se rend au palais du gouverneur qui se laisse deacuteposer par lui Au bout de trois jours le pseudo-roi est condamneacute agrave mort lrsquoenveloppe dans laquelle il se drape est brucircleacutee tandis que lui se retire agrave quatre pattes 7

Nous arrivons ainsi agrave des rites qui ont perdu presque tout leur caractegravere tra-gique Crsquoest tout au plus si lrsquoon a gardeacute le souvenir que le remplacement du roi reacutegnant par un roi inteacuterimaire symbolise un changement de regravegne et un renou-vellement de la force vitale du souverain seul reste perceptible pour le grand pu-blic le cocircteacute plaisant de cette substitution la royauteacute eacutepheacutemegravere drsquoun parvenu qui

Peut-ecirctre pour lrsquoEacutegypte pharaonique un eacutecho de cette tradition nous est-il parvenu dans un passage de la pyramide drsquoOunas (I 08) on lrsquoon rappelle laquo ce jour ougrave lrsquoon sacrifie lrsquoaicircneacute raquo (Cf pyr de teacuteti I 22)6 Sur lrsquoantiquiteacute de cette fecircte agrave Babylone et ses origines historiques cf Frazer l c II p 00 et suiv7 Frazer Le rameau drsquoor II p

07

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pendant trois jours fait ripaille sur le trocircne tel notre roi Carnaval Crsquoen est assez pour faire comprendre que celui-ci est lrsquoheacuteritier burlesque du roi inteacuterimaire qursquoon sacrifiait jadis pour sauver la vie du souverain reacutegnant

Mais la physionomie des fecirctes du Mardi gras est complexe et agrave cocircteacute de ce trait essentiel de victime substitueacutee il y en a drsquoautres emprunteacutes agrave diverses cou-tumes des populations agricoles civiliseacutees ou non civiliseacutees

Vers le temps des moissons dans plusieurs pays drsquoEurope la tradition existe encore de mettre agrave mort par le feu lrsquoeau ou agrave coups de faucille un mannequin en paille Celui-ci repreacutesente lrsquoEsprit du Bleacute ou de la Veacutegeacutetation laquo il vit dans les reacutecoltes et quand on les fauche on srsquoimagine qursquoil se reacutefugie dans la derniegravere gerbe Parfois on fabrique avec les eacutepis de cette gerbe le mannequin qui est censeacute incarner lrsquoesprit que ce soit la gerbe ou le mannequin on deacutesigne lrsquoune et lrsquoautre par les mecircmes noms le Vieux la Vieille la Megravere (du Bleacute) la GrandrsquoMegravere la Reine le Mort etc On conduit au village le Simulacre on le reccediloit triompha-lement comme un roi puis on le flagelle et on lrsquoexeacutecute Reste agrave le ressusciter pour qursquoil assure la feacutecondation des semailles prochaines En Bohecircme on revecirct le mannequin drsquoune chemise blanche apregraves lrsquoexeacutecution on prend cette chemise ougrave srsquoest reacutefugieacutee lrsquoacircme et la force du laquo Vieux raquo et on en habille un jeune arbre qursquoon ramegravene au village en chantant laquo Nous avons expulseacute la mort du village nous y ramenons le nouvel eacuteteacute Sois le bienvenu cher eacuteteacute petit bleacute vert raquo Ainsi le nou-veau bleacute est censeacute recueillir la force du vieux bleacute comme dans les rites royaux le nouveau roi heacuterite de la force vitale qui va eacutechapper au souverain deacutecreacutepit Ces traits caracteacuteristiques des coutumes agraires on les retrouve sans peine dans le Carnaval actuel drsquoelles nous viennent ces mannequins bourreacutes de paille qursquoon veacutenegravere et qursquoon bafoue et qursquoon brucircle ensuite en grand apparat 8

Mais voici drsquoautres traits Souvent dans le mannequin rituel on introduisait un ecirctre vivant comme pour donner plus de force agrave la fiction ou agrave la reacutealisation dramatique du Mystegravere des moissons Dans ce cas lrsquoecirctre vivant eacutetait mis agrave mort et mangeacute Au Mexique on reacutealisait de cette faccedilon le meurtre du dieu de la Veacute-geacutetation pendant un an un captif jouait le rocircle de la diviniteacute et comme le roi inteacuterimaire des Saturnales se passait toutes ses fantaisies puis il eacutetait tueacute et mangeacute en sacrifice solennel de sa peau eacutecorcheacutee on revecirctait un homme vivant qui lrsquoanneacutee suivante repreacutesentait aussi le dieu hellip Mais le plus souvent ce

8 Le rameau drsquoor III p et suiv 0 et suiv Le rameau drsquoor II p 7

08

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rite a eacutevolueacute Au lieu drsquoun homme on a pris un coq un bouc un bœuf on introduisait ces animaux vivants dans le mannequin de bleacute et ils animaient le Simulacre Aujourdrsquohui encore en Bohecircme dans certains cas le coq devient le roi Carnaval on lui met des vecirctements grotesques capuchon rouge culottes veste grise on le fait passer en jugement puis les assistants le sacrifient non sans lui avoir demandeacute pardon Chez nous crsquoest le bœuf gras qui personnifie lrsquoEsprit du bleacute le cortegravege ougrave il figure et sa mise agrave mort nrsquoont plus de caractegravere rituel mais on a gardeacute dans les campagnes quelques souvenirs des coutumes anciennes laquo A Pouilly pregraves de Dijon au moment de faucher la derniegravere gerbe on promenait trois fois autour du champ un bœuf orneacute de fleurs de rubans et drsquoeacutepis puis un homme deacuteguiseacute en diable coupait la gerbe et mettait le bœuf agrave mort Une par-tie des chairs eacutetait mangeacutee dans un souper donneacute agrave lrsquooccasion de la moisson le reste saleacute et gardeacute jusqursquoau jour des semailles 60 raquo

Au lieu drsquoanimaux vivants on se contente parfois de leur image en pacircte Avec la farine tireacutee de la derniegravere gerbe on peacutetrit un gacircteau en forme de silhouette humaine ou animale Sous cette forme ce bleacute passe pour repreacutesenter le corps de lrsquoEsprit du bleacute Dans le Wermland (Suegravede) la fermiegravere fait avec le grain de la derniegravere gerbe un pain qui a les contours drsquoune petite fille 6 il est partageacute entre tous les gens de la ferme et mangeacute par eux Il en est de mecircme en Eacutecosse ougrave lrsquoEsprit du bleacute est repreacutesenteacute par la derniegravere gerbe faccedilonneacutee en forme de femme et appeleacutee laquo la Vierge raquo Ailleurs comme au Japon ce sont des femmes qui cein-tes drsquoeacutepis jaunissants semblent de vivantes gerbes (cf pl VIII) De mecircme en France agrave La Palisse on suspend un bonhomme en pacircte agrave la plus haute branche du sapin qui orne la derniegravere charrette de bleacute Le sapin et le bonhomme sont porteacutes chez le maire qui les garde jusqursquoagrave ce que les vendanges soient faites Alors la fin de toutes les reacutecoltes est ceacuteleacutebreacutee par une fecircte dans laquelle le maire rompt le bonhomme de pacircte en plusieurs morceaux qursquoil distribue aux paysans et que ceux-ci mangent 62 Il paraicirct que dans le comteacute drsquoYork crsquoest le pasteur qui coupe le premier bleacute 6 avec ce bleacute on fabrique le pain de la communion Lagrave par la survivance drsquoun vieux rite paganisme et christianisme se confondent

60 Goblet drsquoAlviella Les rites de la moisson (revue de lrsquoHistoire des religions 88 II p )6 De mecircme nos galettes des rois contiennent une poupeacutee62 Frazer Le rameau drsquoor II p 27 et suiv6 Jrsquoai vu en Bretagne agrave La Clarteacute pregraves Perros-Guirec le cureacute mettre le feu agrave une meule de gerbes nouvelles (la veille du aoucirct) on peut reconnaicirctre ici encore lrsquoantique mannequin repreacutesentant lrsquoEsprit du bleacute Cet eacutepisode a eacuteteacute joliment deacutecrit dans le roman de G Sansrefus Fleur drsquoajonc

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

un moment On fait de religieuses agapes en Indochine avec le riz nouveau sur le Niger avec les nouvelles ignames de mecircme les peuples bergers et chasseurs qui vivent du gibier et de lrsquoeacutelevage mangent solennellement les animaux sauva-ges ou domestiques en qui srsquoincarnent pour eux les forces divines et nourriciegraveres de la nature

Donc sauvages et civiliseacutes mangent rituellement au temps des semailles ou des moissons lrsquohomme lrsquoanimal les gacircteaux qui figurent pour eux le Vieux dieu de lrsquoan qui finit Ils croient srsquoincorporer ainsi la force creacuteatrice de la divi-niteacute drsquoailleurs ils segravement dans les champs soit des fragments de chair ou de gacircteaux soit la cendre provenant du mannequin brucircleacute pour feacuteconder la terre Crsquoest en souvenir de ces coutumes que nos contemporains cachent une fegraveve ou une poupeacutee dans le gacircteau des Rois 6 et font bombance au temps du Carnaval partout on tue le bœuf gras lrsquooie ou le porc on preacutepare des mets speacuteciaux des gacircteaux des crecircpes beignets bonshommes en pain drsquoeacutepices qui gardent parfois lrsquoaspect des antiques victimes animales ou humaines Mais rappelons-nous que jadis le repas dont nous avons fait le festin des jours gras nrsquoeacutetait pas une fin en lui-mecircme ce nrsquoeacutetait qursquoun moyen pour le fidegravele de communier avec la chair et le sang du dieu en mangeant le pain et en buvant le vin

Les cultes agraires des anciens peuples nous fournissent aussi lrsquoexplication des mascarades et des cortegraveges burlesques en usage aux jours gras Avec le moment des semailles ou des moissons coiumlncide un rite drsquoune grande importance pour les peuples primitifs celui de lrsquoexpulsion geacuteneacuterale des deacutemons ceux drsquoabord qui deacutefendent les champs et qursquoil faut mettre agrave mort pour pouvoir moissonner ceux aussi qui infestent les maisons et dont la ruse malveillante amegravene les maladies et tous les maux Il srsquoagit drsquoune purification geacuteneacuterale drsquoune liquidation complegravete des malheurs ou des crimes occasionneacutes par les meacutechants esprits Ces exorcis-mes drsquoabord particuliers agrave chaque individu et mecircme agrave chaque cas de laquo posses-sion raquo ou de maleacutefice puis appliqueacutes agrave toute la collectiviteacute furent concentreacutes enfin dans une ceacutereacutemonie annuelle qui marquait le terme drsquoune peacuteriode et le deacutebut drsquoune nouvelle egravere

Ces fecirctes sont caracteacuteriseacutees par une exaltation speacuteciale qui srsquoempare de toute la population Une partie des hommes et des femmes srsquoaffublent de deacuteguisements grotesques ou effrayants se couvrent le corps de peaux la figure de masques se barbouillent de suie srsquoenduisent de poix ou se roulent dans les plumes en

6 Le rameau drsquoor II p

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

cet appareil ils courent de maison en maison non sans faire un effroyable va-carme Crsquoest qursquoils donnent la chasse aux deacutemons invisibles et qursquoils les pour-suivent agrave coups de lances de flegraveches ou de fusils en criant laquo Allez-vous-en deacutemons raquo mdash jusqursquoagrave ce qursquoils croient les avoir repousseacutes bien loin des habita-tions 6 Ces coutumes se retrouvent partout dans lrsquoantiquiteacute comme de nos jours dans les deux mondes Les Grecs chassaient les mauvais esprits le jour des Anthesteacuteries les Romains pendant trois jours du mois de mai et il nrsquoy a point longtemps on expulsait encore de mecircme faccedilon les sorciegraveres et les deacutemons drsquoAuvergne de Bohegraveme et de Thuringe la nuit du er mai

Les Momons du moyen acircge qui faisaient irruption dans les maisons et ces bandes masqueacutees qui aujourdrsquohui encore dans nos campagnes parcourent les rues en jouant sur des instruments criards et forcent lrsquoentreacutee des portes ont per-peacutetueacute sans le savoir lrsquoantique charivari les clameurs de tout un peuple acharneacute agrave la poursuite des deacutemons des geacutenies malfaisants qui deacutetruisaient les reacutecoltes et la santeacute de lrsquohomme

Lrsquoexpulsion des deacutemons des maladies des peacutecheacutes et mecircme lrsquoexpulsion de la Mort la hideuse qui rocircde sous mille formes autour des vivants srsquoopegravere gracircce agrave divers proceacutedeacutes par exemple on les embarque (leurs repreacutesentants ou leurs symboles-mannequins) dans des veacutehicules chars ou navires qursquoon envoie au loin ou qursquoon lance agrave la mer pour que les maux se perdent avec eux 66 Lrsquoeacutepisode de la fecircte 67 du Vaisseau drsquoIsis deacutecrit par Apuleacutee 68 ougrave un cortegravege mi-religieux

6 Le rameau drsquoor II p et suiv66 Le rameau drsquoor II p 67 Ceacuteleacutebreacutee agrave Chenchreacutees le mars Apuleacutee (Meacutetamorphoses XI) deacutecrit le cortegravege burlesque analogue semble-t-il agrave ceux qui drsquoapregraves Frazer sont encore en usage chez beaucoup de peu-ples laquo On vit tout drsquoabord une troupe de personnes qui srsquoeacutetaient travesties par suite de vœuxhellip Lrsquoun ceint drsquoun baudrier repreacutesentait un soldat lrsquoautre avec sa chlamyde retrousseacutee son cou-telas et ses eacutepieux figurait un chasseur Celui-ci avait des brodequins doreacutes une robe de soie et des atours preacutecieux agrave ses cheveux attacheacutes sur le haut de sa tecircte agrave sa deacutemarche traicircnante on aurait dit une femme Celui-lagrave chausseacute de bottines armeacute drsquoun bouclier drsquoun casque et drsquoune eacutepeacutee semblait sortir drsquoune eacutecole de gladiateurs Un autre preacuteceacutedeacute de faisceaux et vecirctu de pourpre jouait le magistrat Un autre avait le manteau le bacircton et la barbe de bouc drsquoun philosophe Ici crsquoeacutetait un oiseleur avec ses gluaux lagrave un pecirccheur avec sa ligne et ses hameccedilons Je vis aussi une ourse apprivoiseacutee qursquoon portait dans une chaise en costume de matrone un singe coiffeacute drsquoun bonnet drsquoeacutetoffe couvert drsquoune robe phrygienne couleur de safran et tenant une coupe drsquoor repreacutesentait le berger Ganymegravede Enfin venait un acircne sur le dos duquel on avait colleacute des plumes et qursquoaccompagnait un vieillard tout casseacute crsquoeacutetaient Peacutegase et Belleacuterophon que parodiait ce couple risible Au milieu de ces mascarades qui couraient de cocircteacute et drsquoautre pour le plus grand amusement du peuple srsquoavanccedilait dans un ordre solennel la procession proprement dite de la deacuteessehellip raquo (Cf Lafaye Histoire du culte des diviniteacutes drsquoAlexandrie p 2) 68 Voir Mystegraveres drsquoisis dans rois et Dieux drsquoeacutegypte p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mi-burlesque conduit agrave la mer un frecircle esquif chargeacute drsquooffrandes me semble ecirctre un rappel de lrsquoexpulsion des deacutemons Ou bien encore les maux sont figureacutes en bloc sous les traits drsquoun ecirctre vivant homme ou becircte que nous appelons le Bouc eacutemissaire Un Bouc eacutemissaire bien reacuteel est celui des Heacutebreux chaque anneacutee lors de la fecircte de lrsquoexpiation le grand precirctre drsquoIsraeumll le chargeait des crimes de tout son peuple et le chassait dans le deacutesert 6 Ailleurs crsquoest le rocircle drsquoun coq drsquoun ours agrave qui lrsquoon donne la chasse en temps de Carecircme En Gregravece agrave Rome et chez maints sauvages un homme deacuteguiseacute vecirctu drsquoune peau de becircte eacutetait expulseacute par-fois sacrifieacute La tradition du Bouc eacutemissaire et celle du roi-victime se combinent au Tibet dans un personnage appeleacute le Jalno 70 Le grand lama eacutetant deacuteposeacute pour un temps le Jalno joue le rocircle de roi inteacuterimaire il se promegravene dans les rues de Lhassa la figure peinte mi-partie en blanc mi-partie en noir il srsquoaffuble drsquoune peau de becircte et avec une queue de buffle il srsquoen va frottant un chacun pour balayer ainsi tous les maux et les peacutecheacutes du peuple puis il est honteuse-ment chasseacute de la ville parfois tueacute

Enfin lrsquoexpulsion des deacutemons a laisseacute chez nous des souvenirs durables soit dans nos cavalcades de Carnaval avec leurs chars et navires monteacutes drsquoeacutequipages diaboliques et treacutepidants soit dans lrsquoenterrement mecircme de Carnaval soit dans le cortegravege de notre Carecircme-prenant ou celui de la Reina Caresma agrave Madrid Ici srsquoassocient les thegravemes de lrsquoexpulsion des deacutemons et de la mort du Vieux dieu de la veacutegeacutetation Au jour du Mardi gras notre roi Carnaval est un joyeux et bedonnant compegravere promeneacute sur un acircne le lendemain on le sacrifie crsquoest-agrave-dire qursquoon le met en terre qursquoon le brucircle qursquoon le pend parmi des ceacutereacutemonies bouffonnes des complaintes funegravebres et des chants de joie Il a pour successeur le Prince Carecircme ou Carecircme-prenant qursquoon promegravene de dimanche en diman-che de plus en plus amaigri et deacutefait et qui par suite des jeunes forceacutes finit par expirer le samedi saint agrave midi On lui passe la corde au cou ou on le brucircle A Madrid la Reina Caresma est une vieille femme munie de sept jambes dont chacune lui est enleveacutee au cours des sept semaines du Carecircme jusqursquoagrave sa mise en piegraveces complegravete le jour de Pacircques 7 Crsquoest toujours quels que soient sa figure et son nom lrsquoEsprit du bleacute mourant qursquoon pleure et qursquoon enterre dans le deuil avant de le faire ressusciter dans la joie crsquoest encore le Bouc eacutemissaire qursquoon pourchasse et qursquoon deacutepegravece afin de supprimer tous les maux

6 Le rameau drsquoor II p 0 et suiv70 id II p 66 et suiv7 Le rameau drsquoor III p

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Dans lrsquoordre religieux ces coutumes sont resteacutees singuliegraverement vivaces Avant le printemps nous nous recueillons dans la tristesse et nous nous purifions par le jeucircne pour preacuteparer lrsquoavegravenement du renouveau physique et moral Pacircques fleu-ries Cette fecircte marque encore chez nous la grande purification annuelle laquo Tu te confesseras au moins agrave Pacircqueshellip une fois lrsquoan raquo mdash ainsi que le rajeunissement de lrsquoacircme et de la nature Encore faut-il deacutepouiller le vieil homme pour que naisse lrsquohomme nouveau et de mecircme qursquoautrefois nous continuons agrave tuer solennel-lement le dieu de la veacutegeacutetation agrave pourchasser les mauvais esprits et agrave stimuler les forces vitales quand nous exeacutecutons nos rites agrave la fois religieux et bouffons autour de ces successeurs de prototypes veacuteneacuterables personnages de Carecircme et rois de Carnaval animaux chasseacutes mannequins de paille gerbes de bleacute et feux de la Saint-Jean

Une autre tradition de Carnaval agrave laquelle mecircme nos contemporains se fe-raient scrupule de manquer crsquoest une activiteacute choreacutegraphique deacutesordonneacutee Aux temps anciens les danses avaient elles aussi un rocircle rituel on leur precirctait une influence de magie sympathique laquo Dans certaines reacutegions drsquoAllemagne au Mardi gras ou agrave la veille du er mai les jeunes filles dansent dans les champs ou agrave lrsquoauberge et crient laquo Lin grandis 72 raquo Plus haut elles sauteront en dansant plus le lin ou le bleacute grandiront raquo En Lithuanie au Siam on a gardeacute lrsquousage de se balancer en invoquant les esprits au temps des reacutecoltes crsquoest un moyen de faire croicirctre le bleacute ou le riz que de pousser tregraves haut la balanccediloire En bien des pays ce sont les danses speacuteciales agrave ce temps de Carnaval qursquoon reproduit lors drsquoautres solenniteacutes aux jours de grande liesse aux fecirctes locales Certaines sont resteacutees en honneur dans le pays basque et attestent combien vivaces sont encore les tradi-tions quoique agrave lrsquoeacutetat de gestes et de symboles aujourdrsquohui incompris

Jrsquoassistais les 6 et 7 aoucirct 2 agrave Saint-Jean-Pied-de-Port aux fecirctes drsquoAbbadie 7 qui coiumlncidaient avec la fecircte locale Dans le deacutefileacute des danseurs venus de toutes les provinces basques on reconnaicirct facilement les eacuteleacutements tra-ditionnels du cortegravege carnavalesque ainsi que le deacutecor de lrsquoantique sacrifice du roi ou du dieu de la veacutegeacutetation Les principaux figurants eacutetaient ceux du pays de

72 Le rameau drsquoor II p 67 La fondation drsquoAbbadie ou fecirctes de la Tradition basque sert agrave reacutecompenser des concours de pelote de poeacutesie basque de cris montagnards (irrintzina) ils ont lieu chaque anneacutee tour agrave tour dans un des 7 chefs-lieux de canton des Basses-Pyreacuteneacutees et sont en geacuteneacuteral rattacheacutes aux fecirctes locales La geacuteneacuterositeacute de M drsquoAbbadie a rendu la vie agrave des coutumes qui allaient tomber en deacutesueacutetude

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Soule (Mauleacuteon) A leur tecircte srsquoavance le Cherrero porteur du chasse-mouches (cherra) puis le samalzain crsquoest un roi burlesque couronneacute drsquoune mitre fleu-rie affubleacute jusqursquoau buste drsquoun cheval-jupon dont il dirige la tecircte minuscule tandis que le poitrail et la croupe enjuponneacutes eacutenormes se balancent grotesque-ment autour de ses reins Apregraves le roi voici la reine qui a pris ici lrsquoaspect drsquoune cantiniegravere avec jupon court guecirctres et bidon enfin les courtisans auxquels on donne le nom inattendu de satans ils sont vecirctus de dolmans rouges agrave brande-bourgs et galons drsquoor avec des culottes noires chargeacutees de rubans entrecroiseacutes et chausseacutes de sandales recouvertes de guecirctres brodeacutees Passent encore dominant les tecirctes et jucheacutees sur des bacirctons des poupeacutees geacuteantes et grotesques les Zigan-tiak puis des enfants en pages et en folies des gardes en bonnets agrave poil (ils rap-pellent les eacutenormes coiffures et masques en peaux de mouton qursquoon voit aux pro-cessions de Fontarabie et de Pampelune) et enfin les musiciens Les figurants de Basse-Navarre dansaient surtout le bolantak une varieacuteteacute du laquo saut basque raquo pas et changement de pied en avant volte saut en hauteur Ceux du pays de Labour (Cambo Hasparren Saint-Jean-de-Luz) eacutetaient speacutecialiseacutes dans le fandango et lrsquoarin-arin Quant au cortegravege du Samalzain venu du pays de Soule il exeacutecu-tait une prestigieuse gavotte et une danse autour drsquoun verre Tous ces danseurs eacutetaient des paysans des artisans non des professionnels mais aucun de ceux que jrsquointerrogeais dans cette troupe agile qui virevoltait autour du Samalzain ne se doutait qursquoil exeacutecutait des rites milleacutenaires Ils ressuscitaient cependant les fragments drsquoun drame qui a trop frappeacute lrsquoimagination de nos ancecirctres pour ne pas laisser aujourdrsquohui dans ces costumes ces mimiques et ces danses des traces eacutemouvantes Voici que le dieu haut mitreacute surpassait en choreacutegraphie agile ses courtisans les sacrificateurs agrave travers leurs gestes pouvaient srsquoeacutevoquer les peacuteri-peacuteties du conflit les essais de persuasion et de reacutesistance la lutte du roi le vain triomphe en agiliteacute et en prestesse lrsquoexpulsion du cercle le renoncement forceacute la bregraveve douleur des funeacuterailles Puis les sauts drsquoune envoleacutee superbe reacutepeacutetaient les gestes magiques ougrave srsquoefforccedilaient les sorciers de jadis pour activer la pousse du bleacute nouveauhellip Les sacrificateurs srsquoeacutetaient mueacutes par la confusion des souvenirs en de rouges Satans et la danse rituelle autour du roi du dieu de lrsquoEsprit du bleacute srsquoeacutechevelait maintenant en une poursuite de deacutemons parmi lrsquoexcitation des laquo fo-lies raquo et lrsquoapparition des Basanderiak ces feacutees basques en qui survivent les ecirctres surnaturels et sauvages que lrsquohomme a toujours redouteacuteshellip Et la freacuteneacutesie de ces danseurs leur eacutemulation agrave sauter le plus haut possible lrsquoalleacutegresse de cette foule se treacutemoussant drsquoune sandale leacutegegravere jeunes et vieux sur la place publique me

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rappelaient le deacutelire sacreacute des peuples agricoles quand ils excitaient du pied et du geste lrsquoeacutelan des jeunes frondaisons

Il y a un autre aspect de lrsquoexcitation populaire que nous nrsquoavons pas encore en-visageacute Un eacutepisode caracteacuteristique des Kronia agrave Athegravenes et des Saturnales agrave Rome eacutetait lrsquoeacutemancipation momentaneacutee des esclaves et la licence geacuteneacuterale Les esclaves coiffeacutes du bonnet pileus emblegraveme de la liberteacute eacutetaient dispenseacutes de tout travail et pendant quelques jours prenaient les habits de leurs maicirctres les singeaient de toutes les maniegraveres exigeaient drsquoecirctre servis par eux et se livraient agrave une deacutebauche effreacuteneacutee Il en eacutetait de mecircme aux fecirctes Sacaeliga pendant les jours ougrave le condamneacute agrave mort jouait le rocircle de roi le mecircme eacutetat reacutevolutionnaire se manifeste aussi dans les socieacuteteacutes sauvages au temps de lrsquoexpulsion des deacutemons Nous avons vu qursquoune partie de la population est chargeacutee de chasser les geacutenies malfaisants mais lrsquoautre partie des hommes et des femmes subit encore lrsquoattaque furieuse des malins et leur livre une reacutesistance deacutesespeacutereacutee si bien que poursuivants et poursuivis sont en proie agrave une surexcitation deacutemoniaque intense les hommes sont comme pos-seacutedeacutes et srsquoadonnent agrave mille extravagances

Alors on ne se contente point de prendre des masques et de changer lrsquoaspect officiel des figurants tous les rocircles sont renverseacutes dans la vie sociale le roi ab-dique un condamneacute un fou ou un enfant regravegnent les serviteurs donnent des ordres aux maicirctres le cours des lois est suspendu plus de tribunaux plus de dettes plus drsquoobligations sociales les crimes restent impunis Il y a plusieurs raisons qui expliquent cette licence geacuteneacuterale drsquoabord les gens sont endiableacutes par les deacutemons puis laquo quand les hommes savent qursquoils vont bientocirct ecirctre deacutelivreacutes de tous les maux et que tous les peacutecheacutes seront absous ils nrsquoheacutesitent plus agrave donner libre cours agrave leurs passions puisque la ceacutereacutemonie prochaine effacera toutes leurs fautes Drsquoautre part au lendemain drsquoune telle ceacutereacutemonie les esprits sont deacutelivreacutes du poids qui drsquohabitude les oppresse les hommes ne se sentent plus menaceacutes de toutes parts par les deacutemons dans lrsquoexplosion de leur joie ils deacutepassent les bornes que leur imposent en toute autre circonstance les coutumes et la mo-rale Lorsque la ceacutereacutemonie a lieu agrave lrsquoeacutepoque de la moisson ces sentiments de joie trouvent encore un stimulant dans lrsquoideacutee du bien-ecirctre physique que procure une abondante reacutecolte 7 raquo

Voici quelques exemples laquo Dans la tribu africaine des Pondos 7 au jour de

7 Le rameau drsquoor II p 77 id II p 8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

la fecircte des premiers fruits le chef abdique ses fonctions pour toute la dureacutee de la fecircte des jeunes gens jouent dansent luttent font des courses puis tous les membres de la tribu se livrent agrave la deacutebauche srsquoenivrent et poussent de grands cris il nrsquoy a plus personne qui soit chargeacute de maintenir lrsquoordre et chacun fait ce qui lui semble bon Un homme poignarde-t-il son voisin il nrsquoencourt aucun chacirctiment il en est de mecircme pour tous les autres crimes contre les personnes la proprieacuteteacute et les mœurs On peut mecircme insulter le chef en face ce qui dans toute autre circonstance serait immeacutediatement puni de mort Tant que dure la fecircte on entend un vacarme continuel produit par des tambours par les cris de la fou-le par des battements de mains et par toutes sortes drsquoinstruments bruyantshellip raquo De mecircme sur la Cocircte drsquoOr lrsquoexpulsion annuelle des deacutemons est preacuteceacutedeacutee drsquoune fecircte qui dure huit jours pendant laquelle laquo la liberteacute du sarcasme est absolue les Negravegres parlent sans aucune contrainte de toutes les fautes vilenies et malhon-necircteteacutes commises par leurs supeacuterieurs ou leurs infeacuterieurs personne ne peut les punir ni mecircme les interrompre raquo Dans le nord de lrsquoInde la mecircme fecircte se ceacutelegravebre agrave la moisson laquo Alors les gens sont suivant leur propre expression endiableacutes ils croient qursquoagrave ce moment de lrsquoanneacutee hommes et femmes sont incapables de reacutesis-ter agrave leurs mauvais penchants et qursquoil est absolument neacutecessaire de laisser pen-dant quelque temps libre cours aux passionshellip Les Hos commencent par chasser les deacutemons malveillants qui habitent le pays hommes et femmes parcourent les villages en tenant des bacirctons en mains en chantant des chansons sauvages criant et vocifeacuterant jusqursquoagrave ce qursquoils soient convaincus drsquoavoir mis en fuite le mauvais esprit Ils se mettent ensuite agrave faire la fecircte et agrave boire de la biegravere de riz La fecircte devient alors une saturnale pendant laquelle les domestiques oublient quels sont leurs devoirs vis-agrave-vis de leurs maicirctres les enfants ne respectent plus leurs parents les hommes ne respectent plus les femmes et celles-ci perdent toute notion de deacutecence et de modestie elles deviennent des bacchantes enrageacuteeshellip raquo Dans une tribu voisine laquo la ressemblance avec les Saturnales est complegravete car les domestiques de fermes sont servis agrave table par leurs maicirctres et autoriseacutes agrave leur parler en toute liberteacute 76 raquo

LrsquoEacuteglise de mecircme a ducirc autoriser cette reacutevolution temporaire dans ses pro-pres usages religieux et ne pouvant supprimer les reacutejouissances populaires elle a essayeacute de les diriger ou de leur donner un sens moins sacrilegravege que bouffon Aux jours de saint Eacutetienne de saint Jean et des Innocents dans certaines villes un jeune clerc appeleacute laquo episcopus stultorum raquo occupait le siegravege eacutepiscopal avec les

76 Le rameau drsquoor II p et suiv

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ornements pontificaux et sur la tecircte un bourrelet en guise de mitre De mecircme agrave la fecircte des Fous et agrave la fecircte de lrsquoAcircne des laiumlques travestis en precirctres chantaient des obsceacuteniteacutes ou amenaient un acircne couronneacute devant lrsquoautel

Revenons maintenant agrave lrsquoEacutegypte et recherchons srsquoil nrsquoy a pas dans sa vie reli-gieuse et populaire des traits qui correspondent agrave la royauteacute eacutepheacutemegravere de Car-naval agrave lrsquoenterrement du Vieux dieu de la veacutegeacutetation lrsquoexpulsion de la mort et des deacutemons aux fecirctes orgiaques du renouveau A dire vrai lrsquoEacutegypte sur tous ces points paraicirct tregraves pauvre de teacutemoignages elle ne fournit ni texte coheacuterent et explicite ni tableau clairement composeacute nous devons saisir au passage des allusions bregraveves ou isoler certains personnages certaines repreacutesentations dont la valeur et le sens eacutechappent agrave qui ne srsquoest pas livreacute agrave une enquecircte comme celle qui preacutecegravede

Nous avons eacutetudieacute deacutejagrave les rites de la fecircte sed ougrave le Pharaon subit une mort fictive suivie drsquoune renaissance simuleacutee qui lui donne une vitaliteacute nouvelle Cette fecircte singuliegravere qui srsquoest perpeacutetueacutee pendant les quatre mille ans de la monarchie pharaonique ne pourrait-on lrsquoexpliquer par la tradition du meurtre rituel auquel se soumet le roi vieillissant Crsquoest agrave une eacutepoque anteacuterieure aux plus anciens monuments connus que le Pharaon fut reacuteellement immoleacute deacutejagrave sur les palettes archaiumlques il srsquoest eacutevadeacute de cette obligation et on lui substitue drsquoautres victimes humaines A lrsquoeacutepoque historique gracircce agrave la reacuteveacutelation osirienne qui a enseigneacute agrave la socieacuteteacute eacutegyptienne agrave transformer le treacutepas en vie eacuteternelle la renaissance du roi ne suppose plus neacutecessairement le sacrifice drsquoun remplaccedilant elle srsquoopegravere rituel-lement par la ceacuteleacutebration de Mystegraveres sans autre effusion de sang que celle des animaux qui remplacent les victimes humaines De ces atteacutenuations progressi-ves jrsquoai conclu que le roi drsquoEacutegypte semble bien avoir connu le meurtre rituel du roi qui sert de fondement agrave beaucoup de traditions de carnaval

Mais reste-t-il trace drsquoun roi inteacuterimaire personnage sacreacute au deacutebut devenu grotesque par la suite puis confondu par le meacutelange des traditions qui srsquoobscur-cissent avec le Vieux dieu de la veacutegeacutetation expirante

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Bouffons couronneacutes pirouettant

On remarque ceci seulement dans les cortegraveges des fecirctes Sed et parmi les officiants du culte funeacuteraire deacutefilent des personnages affubleacutes drsquoune couronne de roseaux (fig 0) qui est semblable agrave certaines coiffures royales A leur attitude compasseacutee on pourrait se demander srsquoils ne sont pas des mannequins habilleacutes en rois (fig ) en reacutealiteacute ce sont des bouffons Nous voyons aussi dans les reliefs des tombeaux des individus coiffeacutes de la mecircme couronne exeacutecuter les contorsions et les danses des baladins (fig )

Figure Bouffons couronneacutes

Ces personnages apparaissent sur la stegravele C du Louvre ougrave sont repreacutesenteacutes les mystegraveres osiriens lagrave leur couronne tresseacutee se heacuterisse de rubans de tortils de fleurs ou drsquoeacutepis les bras en mouvement une jambe en lrsquoair ils ont lrsquoallure de

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pantins deacutesarticuleacutes Qui sont ces bouffons couronneacutes qui se mecirclent partout aux officiants dans les scegravenes les plus lugubres des rites osiriens 77

Figure Baladines couronneacutees comme des bouffons

Ils nous rappellent les rois burlesques que nous trouvons chez drsquoautres peu-ples jouant le rocircle du roi condamneacute agrave mort ou du Vieux dieu de la veacutegeacutetation avec qui lrsquoOsiris eacutegyptien offre tant de traits communs On srsquoexpliquerait diffici-lement que ces personnages grotesques aient pu srsquoaffubler dans des ceacutereacutemonies solennelles de coiffures semblables aux couronnes royales si leur aspect nrsquoavait eacuteveilleacute lrsquoeacutecho de traditions sacreacutees auxquelles on se faisait scrupule de toucher (fig -0)

Figure 6Nains bouffons

Laissons ces analogies avec le roi inteacuterimaire de Carnaval (Fig 8) Ces mecirc-

77 Louvre stegravele C Tylor paheri pl V (cf fig 22) Virey rehmard pl XXVI Maspero Montouherjhepshef p 60 (cf fig 2) Sur ces bouffons cf Lefeacutebure eacutetude sur Abydos (procee-dings sBA XV p )

Les Mystegraveres eacutegyptiens

mes personnages qui sont mannequins couronneacutes aux funeacuterailles ou baladins aux fecirctes publiques srsquoappellent nemou nem et ce nom projette sur leur attitude une vive lumiegravere car on appelle aussi Nemou des nains danseurs dont le rocircle agrave la fois religieux et bouffon ne laisse aucun doute Les plus rechercheacutes de ces nains venaient du Haut-Nil ougrave vivait une tribu de pygmeacutees les Dang 78

Figure 7Danseuses coiffeacutees de roseaux et munies de sceptres

Sous lrsquoAncien Empire les Pharaons envoyaient des expeacuteditions jusqursquoen ces contreacutees lointaines (on les appelait du nom mystique la terre des Initieacutes iahou) pour ramener agrave la cour ces Dang dont on faisait les laquo danseurs du dieu raquo crsquoest-agrave-dire drsquoOsiris par leurs contorsions rythmeacutees leurs balancements ces pygmeacutees savaient laquo reacutejouir le cœur drsquoOsiris raquo au ciel et celui du Pharaon sur terre

78 Les bouffons ou nains portent sur les monuments diffeacuterents noms deg les nains nensou (Beni Hasan II 6 cf notre fig 6) 2deg les nains Dang citeacutes aux textes du tombeau drsquoHe-rhouf et des Pyramides (cf Maspero eacutetudes de Mythologie II p 2 et suiv) peut-ecirctre faut-il corriger en Danq le nom de Danb du second nain de Beni-Hasan (confusion du q et du b) deg les bouffons mw-w (paheri pl V Rehmacircracirc pl XXVI cf Gardiner ap recueil XXXIII p ) dont le nom eacutecrit en toutes lettres au tombeau de Sebekneht cf fig ) semble une lecture erroneacutee du mot nemi deg les officiants neniou les laquo affaisseacutes raquo qui semblent jouer le rocircle de vic-times peut-ecirctre de tikenou (pyr de teti I 20 + 2 id Sethe II p 7 sinouhit I ) Les trois mots nemiw mw-w neniw srsquoeacutecrivant agrave peu pregraves de la mecircme faccedilon ont pu ecirctre confondus au cours des siegravecles

20

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 8Officiants et nains

Nous ne savons pas en quoi consistait ou ce que mimait en figures expressives la danse des Dang ou des nemou mais les textes des papyrus et des stegraveles nous confirment les donneacutees des tableaux retrouveacutes aux tombes des Moyen et Nouvel Empires leurs sauts 7 eacutetaient neacutecessaires lors des funeacuterailles comme partie in-teacutegrante du rituel on les faisait exeacutecuter devant la porte du tombeau 80 le plus souvent par des baladins de profession et agrave leur deacutefaut par des precirctres officiants quelquefois par de veacuteritables nains Quelques indices permettent de se repreacutesen-ter ces danses comme des incantations contre les deacutemons Seacutethiens adversaires drsquoOsiris Drsquoune part le nemi rappelait par son masque et ses difformiteacutes le dieu Bes dont la face eacutetait puissante contre les deacutemons 8 soit agrave la naissance 82 soit pendant la vie des hommes 8 aussi certains livres magiques contiennent-ils un laquo chapitre du Nemi raquo qui srsquoemploie comme phylactegravere 8 Peut-ecirctre aussi tirait-on parti de lrsquoaspect grotesque du nemi pour figurer les ennemis deacutetestables drsquoOsiris

7 La danse hb consiste en sauts en hauteur avec une rotation soit sur un pied soit en lrsquoair (cf fig ) et srsquoexeacutecute lors des laquo conseacutecrations raquo desertou (el Bersheh II 2)80 sinouhit - laquo on exeacutecutera les sauts des Neniou (hbb nnjw) agrave la porte de la tom-be raquo (XIIe dyn) Mariette Mon divers pl 6 Piehl inscriptions I laquo on exeacutecutera pour toi les sauts des nemiou agrave la porte de la tombe (le deacuteterminatif indique un personnage qui se renverse en arriegravere les pieds et mains touchant la terre) Piehl insc I 7 laquo on exeacutecutera pour moi les sauts de nemiou agrave la porte de la tombe raquo (le deacuteterminatif indique un personnage qui se laisse aller agrave terre comme agrave notre fig )8 Maspero eacutetudes de Mythologie II p cf Wiedemann recueil XVII p 282 Naissance du roi Louxor pl LXV8 Stegraveles du type dit de Metternich8 Pleyte eacutetude sur un rouleau magique p 8 et suiv

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

et mimer la preacutesence et lrsquoexpulsion des deacutemons le mot nemi deacutetermineacute par lrsquoanimal typhonien deacutesigne parfois lrsquoesprit malfaisant 8

Figure Couronne royale du Sud Couronne de bouffon

Figure 0Couronnes de roseaux celle du bouffon et celle du roi

Nrsquooublions pas que drsquoautres indigegravenes des lointaines reacutegions du Haut-Nil sont exhibeacutes la figure couverte drsquoun masque grotesque au cours des fecirctes sed confon-dus avec les officiants (fig ) leur preacutesence srsquoexplique peut-ecirctre par les mecircmes raisons soit qursquoils chassent les deacutemons soit qursquoils figurent eux-mecircmes ces deacutemons expulseacutes Drsquoailleurs il est possible que ces bouffons couronneacutes ces danseurs deacutemo-niaques reacuteunissent en leur personne des rocircles distincts agrave lrsquoorigine et que drsquoautres peuples attribuent soit agrave des boucs eacutemissaires 86 soit agrave des rois de Carnaval

8 Brugsch Woumlrterbuch p 76 sup p 6786 Les ennemis drsquoOsiris eacutetaient figureacutes par des acteurs dans les fecirctes religieuses cela ressort des textes et tableaux eacutegyptiens et du teacutemoignage drsquoHeacuterodote (II 6) qui a eacuteteacute teacutemoin drsquoune effroyable bastonnade eacutechangeacutee entre adversaires et partisans du dieu

22

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure Indigegravene de la tribu Oua-Oua mecircleacute aux officiants de la fecircte Sed

Il a un masque de bouffon

Les danses exeacutecuteacutees lors des rites funeacuteraires peuvent encore srsquoexpliquer par un autre motif un artifice de magie imitative Je ne parle point de ces tableaux ougrave le deacutefunt se deacutelecte agrave ouiumlr des chants accompagneacutes par les flucirctes et les har-pes cependant qursquoune troupe drsquoalmeacutees juveacuteniles multiplie ses pas cadenceacutes Il est drsquoautres danses qui ne sont point purs divertissements Regardez les sauts esquisseacutes par les Nemou au moment ougrave srsquoopegravere la renaissance par la peau ou bien suivez au tombeau drsquoAnhmacirchor lrsquoeacutevolution de ces danses (fig 2) qui font pendant au triste tableau des funeacuterailles avec quelle furie disciplineacutee les femmes jettent en avant le pied plus haut que la tecircte Est-ce vaine exhibition de figurants entraicircneacutes agrave des exercices rythmiques qui tiennent plus de la gymnastique que du ballet Non car sur la paroi drsquoen face regardant ces virtuoses voici drsquoautres freacuteneacutetiques qui deacutefaillent ils se pacircment se laissent tomber agrave terre gisent comme srsquoils simulaient lrsquoaffaissement du treacutepas (fig ) Comment croire qursquoon ait pu introduire en pleine fecircte funegravebre lrsquoeacutepisode de ce cake-walk eacutecheveleacute Nrsquoy pour-rait-on voir plutocirct une danse magique et solennelle qui a pour but en mimant la vie et la mort de susciter dans le corps inerte du deacutefunt quelque prodigieux eacutelan de vigueur et de reacutesurrection ou de stimuler dans le sol endormi la pousseacutee des semences et la croissance jusqursquoagrave une hauteur extraordinaire de la veacutegeacuteta-tion Ici comme dans les fecirctes agraires que nous avons citeacutees danses et sauts auraient le mecircme effet magique les pousses nouvelles image drsquoOsiris ou du deacutefunt renaissant grandiront en gloire srsquoeacutelegraveveront aussi haut que les sauteurs ont pu lancer le pied

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Figure 2Danseuses

Les eacutepisodes orgiaques et licencieux qui accompagnent ailleurs les Saturnales et lrsquoeacutepheacutemegravere royauteacute du Carnaval se retrouvent eacutegalement en Eacutegypte Les tex-tes du temple de Dendeacuterah nous deacutecrivent une ceacutereacutemonie qursquoon ceacuteleacutebrait au deacute-but de lrsquoanneacutee eacutegyptienne le 20 Thot apregraves les vendanges et la moisson A cette date la deacuteesse Hathor et ses paregravedres sortaient du sanctuaire le cœur en liesse les precirctresses montraient agrave la foule les statues sacreacutees au son des cymbales et des tambourins pendant cinq jours tous les habitants de la ville se couronnaient de fleurs buvaient sans mesure chantaient et dansaient du lever au coucher du soleil 87

La fecircte laquo de lrsquoivresse raquo tombait presque aux mecircmes dates que les fecirctes de la moisson ceacuteleacutebreacutee dans la reacutegion theacutebaine et de lrsquoensevelissement drsquoOsiris qui se faisait agrave Abydos (22 Thot) je ne saurais voir lagrave une coiumlncidence fortuite Cette ivresse joyeuse qui se reacutepand sur toute une ville ce deacutechaicircnement des instincts une fois le travail termineacute a comme un goucirct avant-coureur de notre licence du Carnaval sauf que ce dernier a reporteacute les mecircmes scegravenes agrave la saison des se-mailles sans preacutejudice de celles qui ont lieu encore agrave la moisson Drsquoailleurs le deacuteregraveglement propre aux Saturnales nous apparaicirctra mieux encore dans la fecircte de Bubastis qursquoHeacuterodote a vue et deacutecrite au ve siegravecle avant J-C

87 Mariette Dendeacuterah III pl I pl 62 texte p 28 et 02

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

laquo On se rend agrave Bubastis par eau hommes et femmes pecircle-mecircle et confondus les uns avec les autres dans chaque bateau il y a un grand nombre de personnes de lrsquoun et de lrsquoautre sexe tant que dure la navigation les femmes jouent des cas-tagnettes et les hommes de la flucircte le reste autant hommes que femmes chante et bat des mains Lorsqursquoon passe pregraves drsquoune ville on fait approcher le bateau du rivage Parmi les femmes les unes continuent de chanter et de jouer des cas-tagnettes drsquoautres crient de toutes leurs forces et disent des injures agrave celles de la ville celles-ci se mettent agrave danser et celles-lagrave se tenant debout retroussent indeacutecemment leurs robes 88 La mecircme chose srsquoobserve agrave chaque ville qursquoon ren-contre le long du fleuve Quand on est arriveacute agrave Bubastis on ceacutelegravebre la fecircte de la deacuteesse en immolant un grand nombre de victimes et lrsquoon fait agrave cette fecircte une plus grande consommation de vin de vigne que dans tout le reste de lrsquoanneacutee car il srsquoy rend au rapport des habitants sept cent mille personnes tant hommes que femmes sans compter les enfantshellip8 raquo

Cette gaieteacute profane qui accompagne drsquoordinaire les foules en pegravelerinage marque drsquoeacutepisodes faceacutetieux les ceacutereacutemonies les plus graves Ainsi dans les pro-cessions religieuses et les cortegraveges sacerdotaux voyons-nous des precirctres chargeacutes de repreacutesenter les dieux pour rendre lrsquoeffigie plus ressemblante ils revecirctent des costumes ou portent des attributs eacutetranges et srsquoattachent sur la figure des mas-ques drsquoanimaux spectacle qui est sans doute eacutedifiant pour lrsquoeacutelite mais qui pour la foule precircte agrave lrsquoeacutequivoque et au rire tel deacutefileacute du clergeacute theacutebain qursquoon nous montre aux fecirctes de la moisson semble annoncer par son caractegravere mi-burlesque mi-sacreacute ces cortegraveges qursquoApuleacutee verra plus tard agrave Chenchreacutees et dont il nous a laisseacute une si pittoresque description

Figure Fecircte de la gerbe Precirctres portant les enseignes divines

le Nsout-Hen et les simulacres des dieux

88 Au chap II 8 Heacuterodote signale drsquoautres rites indeacutecents8 Heacuterodote II 60

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Les monuments eacutegyptiens ne sont donc point autant qursquoil le paraicirct agrave pre-miegravere vue deacutepourvus de teacutemoignages sur les fecirctes agraires on les rites dits de Carnaval Seulement ils apportent peu de textes preacutecis peu de tableaux pourvus drsquoun commentaire ou qursquoon puisse expliquer avec entiegravere certitude Dans ces conditions lrsquoEacutegypte ne peut servir de point de deacutepart pour des recherches de cet ordre au contraire jrsquoai ducirc aller du connu agrave lrsquoinconnu mrsquoinformer ailleurs de certains rites et de lrsquoexplication qursquoon leur a trouveacutee puis revenir agrave lrsquoEacutegypte et interpreacuteter certaines expressions certaines figures eacutenigmatiques avec la clef que drsquoautres civilisations peuvent fournir Lrsquoanalogie est vraisemblable drsquoune part il serait surprenant que ces coutumes drsquousage universel aient eacuteteacute ignoreacutees des Eacutegyptiens drsquoautre part les rites burlesques observeacutes dans les funeacuterailles les fecirctes sed et les paneacutegyries sacreacutees srsquoexpliqueraient difficilement sans lrsquointerpreacutetation que drsquoautres peuples nous fournissent avec tant drsquoabondance et de preacutecision

Ces coutumes pratiqueacutees dans le monde entier ces fecirctes dont le sens se retrou-ve agrave peine obliteacutereacute dans la survivance eacutetonnante des mecircmes deacutecors ont ainsi leurs racines immeacutemoriales dans les limbes de lrsquoHistoire Ne nous meacuteprenons pas sur lrsquoaspect grotesque que ces traditions ont revecirctu au cours des siegravecles Veacute-neacuterables par leur passeacute elles nous montrent en action la religion primitive elles nous deacutecrivent cette lutte eacuteternelle pour la vie qui est agrave la base de la premiegravere foi de lrsquohumaniteacute Tous ces rites reposent sur le paralleacutelisme absolu entre lrsquohomme et la nature elle vit prospegravere grandit meurt comme lui et il est frappeacute par ce recommencement et ce retour perpeacutetuel des choses Il veut donc assurer le re-nouvellement constant des forces naturelles ou ce qui revient au mecircme en em-pecirccher lrsquoeacutepuisement Ce sentiment de preacutevoyance a persisteacute sous les conceptions meacutetaphysiques apporteacutees au cours des siegravecles par les philosophies qui recouvrirent peu agrave peu la religion naturelle Les fecirctes drsquoaujourdrsquohui preacutesentent lrsquoaspect drsquoun terrain geacuteologique ougrave les stratifications ont eacuteteacute bousculeacutees et mecircme interverties par les diverses convulsions de la foi religieuse depuis lrsquoantiquiteacute Dernier venu le christianisme a remanieacute le cadre mecircme de lrsquoanneacutee dont Pacircques eacutetait jadis le deacutebut de sorte que les fecirctes qui vont de deacutecembre agrave Pacircques ne coiumlncident plus avec le temps du renouveau et de la moisson qursquoelles marquaient autrefois et ne sont plus placeacutees aujourdrsquohui dans leur ordre logique neacuteanmoins se perpeacutetue agrave travers ces confusions la tradition antique jusqursquoagrave cette grande purification annuelle de Pacircques commandeacutee encore par le christianisme

26

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Expulser la mort eacuteliminer les deacutemons et les mauvais instincts faire renaicirctre en soi dans la socieacuteteacute et la nature des forces renouveleacutees et salutaires tel eacutetait le but de certaines fecirctes antiques que nous avons retrouveacutees en Eacutegypte et ailleurs tel encore est le sens oublieacute des fecirctes du Carnaval Le roi qui aux temps anti-ques y jouait le premier rocircle reste aujourdrsquohui reconnaissable sous son traves-tissement bouffon Ce deacutefileacute burlesque fut autrefois une procession auguste et le deacutenouement lamentable drsquoun drame Derriegravere le masque bafoueacute du roi deacutechu ou eacutepheacutemegravere nos ancecirctres ont vu la figure tragique de lrsquohomme-dieu qui pour le bien et la vie de ses semblables allait mourir

27

vI

sanctuaIres de LrsquoancIen eMpIre

Les grandes pyramides de Gizeh mdash celles de Cheacuteops Cheacutephregraven Myceri-nus mdash et les petites pyramides drsquoAbousir et de Saqqarah sont les tombeaux des pharaons de lrsquoAncien Empire Les momies royales ensevelies dans les profon-deurs de ces maccedilonneries eacutetaient inaccessibles deacutefendues par des herses de gra-nit qursquoon laissait tomber les funeacuterailles faites sur les couloirs descendant au caveau Il fallait cependant agrave des intervalles rapprocheacutes ceacuteleacutebrer le culte du roi deacutefunt car seul le culte pouvait prolonger sa vie drsquooutre-tombe Dans les tom-beaux des particuliers 0 la chapelle funeacuteraire restait accessible agrave lrsquointeacuterieur du mastaba eacuteleveacute sur le caveau dans les tombes royales le seuil de la pyramide eacutetant deacutesormais infranchissable il fallut reporter la salle du culte agrave lrsquoexteacuterieur dans un temple bacircti sur la faccedilade orientale de la pyramide

On a chercheacute ces temples funeacuteraires et on a pu en deacutegager les substructures agrave Meidoum agrave Saqqarah mais devant les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir les tumuli recouverts de sable qui srsquoeacutetendaient depuis leur face orientale jusqursquoagrave la valleacutee placeacutee en contre-bas preacutesentaient un aspect insolite Tout pregraves de la pyra-mide il y avait des deacutebris drsquoeacutedifices en descendant vers la valleacutee on remarquait les traces drsquoune chausseacutee qui avait servi agrave charrier les mateacuteriaux de construction enfin agrave la lisiegravere du deacutesert existaient encore les substructures de constructions imposantes dont la mieux conserveacutee eacutetait le fameux temple laquo de granit raquo ou laquo du Sphinx raquo ainsi nommeacute agrave cause de ses mateacuteriaux et de son voisinage ceacutelegravebre Lors-que Mariette le deacuteblaya drsquoailleurs partiellement de 8 agrave 860 il nrsquoy trouva que des statues colossales jeteacutees au fond drsquoun puits aucune inscription nul bas-relief ne deacutecorait ces murs de granit muets sur la destination de lrsquoeacutedifice son plan bizarre diffeacuterait eacutegalement de tous les monuments encore connus Entre les pyramides royales et ces eacutedifices plus ou moins ruineacutes situeacutes en bordure des ter-res cultiveacutees il ne semblait drsquoailleurs qursquoaucun lien existacirct La chausseacutee qui sub-sistait par places allait en obliquant de lrsquoeacutedifice agrave la pyramide et comme elle ne

0 On appelle mastaba la tombe de lrsquoAncien Empire qui a la forme exteacuterieure drsquoun cube de maccedilonnerie pleine sans autre ouverture que les portes Cf Au temps des pharaons p 78

28

Les Mystegraveres eacutegyptiens

se trouvait dans lrsquoaxe ni du monument infeacuterieur ni du tombeau supeacuterieur lrsquoideacutee ne venait point drsquoun ensemble architectural ougrave la pyramide le temple la chaus-seacutee et lrsquoeacutedifice de la valleacutee auraient joueacute chacun leur rocircle Des fouilles meneacutees par M Borchardt sur le site drsquoAbousir par MM Steindorff et Reisner sur celui de Gizeh et qui viennent drsquoecirctre publieacutees ont cependant deacutemontreacute la reacutealiteacute de ce grand ensemble et reacuteveacuteleacute le rapport et mecircme la destination des parties

Ce nrsquoeacutetait point par hasard que le temple dit laquo du Sphinx raquo eacutetait situeacute au pied de la pyramide de Cheacutephregraven et que agrave Abousir par-devant les pyramides rui-neacutees de Sahouracirc et de Neouserracirc srsquoallongeait jusqursquoagrave la valleacutee lrsquoempierrement de constructions importantes qui se deacuteveloppaient sur une longueur de 00 00 ou 700 megravetres en escaladant le plateau Les pyramides de Gizeh et drsquoAbousir sont ne lrsquooublions pas sur un plateau calcaire rebord du vaste deacutesert qui coupe en deux de lrsquoAtlantique au golfe Persique les continents de lrsquoAncien Monde Dans ce deacutesert la valleacutee du Nil est une zone drsquoeffondrement en partie combleacutee par les alluvions du fleuve aussi est-elle neacutecessairement en contrebas des deux legravevres de cette faille du plateau deacutesertique A la hauteur des pyramides de Gizeh la diffeacuterence de niveau entre le deacutesert et la plaine fertile atteint 6 megravetres Il fallait donc soit pour construire la pyramide soit apregraves son achegravevement pour y peacuteleriner gravir cette falaise sablonneuse On relia la valleacutee et le plateau au moyen drsquoune rampe en blocs solides de calcaire qui filait de biais pour racheter la pente insensiblement Ces chausseacutees dont Heacuterodote deacutejagrave relevait les traces nrsquoeacutetaient donc que le chemin drsquoaccegraves agrave la pyramide ou plutocirct au temple mor-tuaire eacuterigeacute sur son flanc oriental Seulement crsquoeacutetait un chemin couvert un long corridor bacircti qui inspirait moins lrsquoideacutee de fraicirccheur et drsquoombre que le silence et le recueillement drsquoune nef seacutepulcrale A Gizeh comme agrave Abousir le touriste doit restituer en imagination par-devant la face orientale de chaque pyramide un plan ascendant composeacute deg drsquoun portique monumental dans la plaine 2deg drsquoune galerie voucircteacutee et deg du temple proprement dit ougrave les rites renouvelaient agrave chaque ceacuteleacutebration de culte la vie du roi enseveli

A Gizeh ces ensembles architecturaux ont subi des fortunes varieacutees devant la plus grande pyramide celle de Cheacuteops il ne reste guegravere du temple funeacuteraire que le pavement en basalte et de la rampe que des deacutebris le portique de la val-leacutee a disparu La pyramide de Cheacutephregraven a conserveacute au contraire son portique le laquo temple du Sphinx raquo sa rampe drsquoaccegraves reacuteduite agrave la substructure et quelques pans de murs du temple funeacuteraire Devant la pyramide de Mycerinus le tem-

II 2

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

ple est assez bien conserveacute et M Reisner y a trouveacute drsquoadmirables statues du roi constructeur

Examinons maintenant le groupe des constructions eacuteleveacute par Cheacutephregraven vers 280 avant J-C et commenccedilons agrave la lisiegravere de la valleacutee par ce laquo temple de gra-nit raquo ou laquo du Sphinx raquo que nous appellerons deacutesormais le Portique de cet ensem-ble 2 Fait exceptionnel dans lrsquohistoire monumentale de lrsquoEacutegypte il est tout en-tier construit murs plafond colonnes en granit rose drsquoAssouan crsquoest la pierre employeacutee aussi pour les caveaux inteacuterieurs des pyramides Le sol est partout paveacute drsquoalbacirctre et une chambre est mi-partie granit et mi-partie albacirctre Nul autre eacutedifice drsquoEacutegypte ne preacutesente un tel luxe uni agrave tant de soliditeacute et les pierres tailleacutees en dimensions colossales polies dans des mateacuteriaux qui deacutefiaient la main drsquoœuvre humaine srsquoy ajustent avec une preacutecision une perfection qui ont vaincu le temps En apparence cet eacutedifice est un carreacute de pierre de 0 megravetres de large sur 0 de long La faccedilade aux murs en talus construits en grand appareil hauts de megravetres et dont le toit est agrave profil semi-arrondi preacutesente lrsquoaspect drsquoun mastaba Deux portes larges de 2 m 80 hautes de 6 megravetres percent la faccedilade qui nrsquoa pas drsquoautre ornement que des leacutegendes hieacuteroglyphiques donnant les titres du roi Cheacutephregraven De doubles panneaux de bois agrave verrous eacutenormes garnissaient les portes Il y avait la porte du Nord ougrave le roi se deacuteclarait laquo lrsquoaimeacute de Bastit raquo la deacuteesse septentrionale et la porte du Sud ougrave le roi se disait laquo lrsquoaimeacute de Hathor raquo la deacuteesse meacuteridionale Comme dans les temples posteacuterieurs la division srsquoexpli-que donc par la dualiteacute du roi qui est le souverain des Deux Eacutegyptes

Chaque porte eacutetait encadreacutee de deux sphinx androceacutephales agrave corps de lion du moins pourrait-on le supposer drsquoapregraves une deacutecoration pareille devant le Por-tique de Sahouracirc agrave Abousir agrave Gizeh on a trouveacute en place la base des sphinx longue de 8 megravetres Ces figures incarnent le roi lui-mecircme le laquo Lion raquo des textes de lrsquoAncien Empire proteacutegeant son palais de sa force magique et divine Crsquoest aussi la signification du moins agrave lrsquoorigine du Sphinx qui se tient face leveacutee agrave la droite de notre eacutedifice drsquoun rocher long de 7 megravetres et haut de 20 qui offrait une ressemblance fortuite avec lrsquoanimal accroupi on avait fait un lion androceacutephale tenant entre ses pattes et sous sa tecircte une statue de Cheacutephregraven

2 Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 08 aux frais de M Ernst von Sieglin et dirigeacutees par MM Steindorff Borchardt et U Houmllscher Le compte rendu en a eacuteteacute donneacute par U Houmllscher Das grabdenkmal des Koumlnigs Chephren 2 Les blocs pesant plus de 0000 kilos ne sont pas rares il y en a qui deacutepassent 0000 kilos

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

aujourdrsquohui mutileacutee Ce rocher qursquoon ne pouvait supprimer prit ainsi sa place dans le plan du portique et forma avec lui un ensemble deacutecoratif Enfin au cen-tre de notre faccedilade il y avait un naos dont reste la substructure et qui contenait sans doute une statue de Cheacutephregraven

Cour du temple funeacuteraire

Figure Faccedilade du temple de granit (portique)

(Restitutions de M U Houmllscher)

Chacune des deux portes donne accegraves dans une chambre eacutetroite haute de megravetres drsquoougrave agrave droite et agrave gauche partent des corridors ils convergent dans un vestibule qui occupe toute la largeur de lrsquoeacutedifice Avant les fouilles de 08 on ne peacuteneacutetrait que jusque-lagrave et par le cocircteacute opposeacute agrave la faccedilade puisque celle-ci nrsquoeacutetait pas encore deacuteblayeacutee Dans un coin srsquoouvrait beacuteant un puits drsquoeacutepoque reacutecente crsquoest lagrave que Mariette trouva en 860 le fameux Cheacutephregraven en diorite orgueil du museacutee du Caire Du vestibule une grande porte nous introduit dans la salle principale qui est hypostyle et en forme de renverseacute Crsquoest donc la barre du qui se preacutesente drsquoabord sous lrsquoaspect drsquoune galerie diviseacutee en deux traveacutees par une rangeacutee centrale de six piliers rectangulaires au milieu srsquoouvre la galerie perpendiculaire diviseacutee en deux traveacutees par une double ligne de six pi-liers

Ici comme ailleurs les portes les murs les dalles du plafond sont unique-ment de granit rose par blocs de grand appareil longs de agrave 6 megravetres pesant de 0 000 agrave 0 000 kilogrammes les piliers hauts de 8 megravetres sont monolithes

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Aucun ornement aucune moulure nrsquoaltegravere le seacuterieux solennel de cette architec-ture pas une ligne qui ne se rapporte uniquement agrave la construction Le pave-ment est en dalles drsquoalbacirctre poli dont la blancheur laiteuse fait contraste avec la sombre splendeur du granit nu Des enfoncements encore visibles dans le paveacute drsquoalbacirctre permettent drsquoaffirmer que le long de ces murailles lisses en face de chacun des piliers il y avait vingt-trois statues royales plus grandes que nature repreacutesentant Cheacutephregraven assis sur son trocircne dans lrsquoattitude de majesteacute divine qursquoa populariseacutee lrsquoexemplaire deacutecouvert par Mariette Beaucoup de fragments de ces statues ont eacuteteacute retrouveacutes en particulier une tecircte admirable des morceaux de visages des parties du corps Si chaque statue donnait au roi la mecircme pose

Figure mdash Le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

toutes diffeacuteraient soit par le deacutetail soit par la matiegravere lrsquoune eacutetait en diorite verdacirctre veineacute de blanc lrsquoautre en albacirctre blanc lrsquoautre en schiste jaunacirctre Ces merveilleux modegraveles ougrave lrsquoart faisait encore palpiter une acircme srsquoirradiaient furti-vement dans un demi-jour car la salle hypostyle (dont le plafond est aujourdrsquohui deacutemanteleacute agrave lrsquoexception des poutres reliant les piliers) nrsquoeacutetait eacuteclaireacutee que par drsquoeacutetroites ouvertures meacutenageacutees agrave travers lrsquoeacutepaisseur des architraves et du plafond De quelle vie troublante devait srsquoanimer lrsquoimmobile assembleacutee des vingt-trois colosses assis dans leur pose inflexible quand le faisceau drsquoun rayon de soleil se glissant par les fenecirctres obliques venait se reacutefleacutechir sur le paveacute eacutetincelant avi-ver un pan de muraille rouge reacuteveacuteler quelques secondes durant le geste drsquoune main lrsquoeacuteclair drsquoun regard puis se retirant laissait retomber un lourd voile de teacutenegravebres sur lrsquohypostyle seacutepulcrale

Laissons de cocircteacute un eacutetroit corridor qui part de lrsquoangle gauche de lrsquohypostyle pour aboutir agrave trois cellules longues sortes de silos de granit agrave deux eacutetages ougrave lrsquoon serrait le mobilier les vecirctements sacreacutes les vases et lampes neacutecessaires aux ablutions et aux fumigations rituelles De lrsquoangle droit de notre grand part un autre couloir il dessert drsquoabord un plan inclineacute en albacirctre qui tourne agrave droite et conduit sur le toit puis une chambre de garde pour la surveillance du toit et de la sortie Nous arrivons en effet agrave lrsquoangle nord-ouest de lrsquoeacutedifice le couloir se poursuit et devient le chemin couvert qui durant 00 megravetres escalade le pla-teau deacutesertique suivant une pente assez rapide de dix pour cent Il est faiblement eacuteclaireacute par drsquoeacutetroites fenecirctres deacutecoupeacutees dans le plafond Les murs en calcaire blanc sans deacutecoration se raccordent agrave la voucircte en profil semi-arrondi La rampe deacutebouche obliquement dans la faccedilade du Temple funeacuteraire

Celui-ci (fig ) est un eacutedifice rectangulaire de mecircme largeur mdash 0 megrave-tres mdash que le Portique de la valleacutee mais drsquoune longueur supeacuterieure 0 megravetres au lieu de 0 Il se divise en deux parties de dimensions fort ineacutegales le temple public qui se deacuteveloppe sur une longueur drsquoenviron 00 megravetres et le temple intime ou priveacute reacuteduit agrave quelques megravetres de superficie

Le temple public nrsquoa pas de faccedilade monumentale le chemin couvert deacutebou-che en effet directement et de biais dans le cube de maccedilonnerie en plein vesti-bule flanqueacute de magasins Une autre porte mais dans lrsquoaxe central conduit du

Voici comment Heacuterodote (II 2) deacutecrit la chausseacutee de la pyramide de Cheacuteops laquo On passa dix ans agrave construire la chausseacutee par ougrave on devait traicircner les pierres Cette chausseacutee est un ouvrage qui nrsquoest guegravere moins consideacuterable agrave mon avis que la pyramide car elle a 2 megravetres de long sur megravetres de large et megravetres de haut dans sa plus grande hauteur elle est de pierres polies et orneacutee de figures drsquoanimaux raquo

Les Mystegraveres eacutegyptiens

vestibule agrave deux grandes salles hypostyles aux piliers carreacutes disposeacutees en ren-verseacute comme dans le premier eacutedifice mais un eacutetranglement de la maccedilonnerie seacutepare ici les deux barres de notre pour en faire deux hypostyles indeacutependantes Il y avait lagrave aussi des statues colossales assises et peut-ecirctre comme dans le tem-ple funeacuteraire de Mycerinus des groupes formant bas-reliefs Particulariteacute notable agrave gauche et agrave droite srsquoenfoncent dans le plein de la maccedilonnerie deux boyaux pareils aux laquo serdabs raquo des mastabas et srsquoouvrant de mecircme dans la salle non par des portes mais par drsquoexigus soupiraux Crsquoest agrave lrsquointeacuterieur de ces oubliettes et avant drsquoen murer lrsquoentreacutee qursquoon deacuteposait des statues du roi constructeur les fouilleurs modernes nrsquoy ont trouveacute que des deacutebris

Au fond de la seconde hypostyle une porte deacutebouche en pleine lumiegravere dans une vaste cour occupant la largeur de lrsquoeacutedifice La cour srsquoencadre drsquoun portique qui a cinq ouvertures dans cette largeur et trois sur les cocircteacutes entre ces ouvertu-res la maccedilonnerie srsquoeacutepaissit en un massif pilier monolithe deacutecoreacute drsquoune statue sur sa face anteacuterieure (Fig ) Crsquoest le premier speacutecimen connu drsquoune de ces cours bordeacutees de statues qui se retrouvent dans les temples theacutebains agrave Louxor au Ramesseum agrave Meacutedinet-Habou (fig ) On suppose que les statues repreacutesen-taient alternativement le Pharaon en costume de roi du Sud et de roi du Nord Le portique du fond agrave cinq ouvertures donnait accegraves agrave cinq cellules parallegraveles fort eacutetroites sauf celle du milieu qui est plus large Or les temples de Sahouracirc et de Neouserracirc agrave Abousir nous ont appris que dans ces cinq cellules eacutetaient adoreacutees cinq statues du Pharaon nous pouvons supposer que ce nombre rituel de cinq chapelles et cinq statues srsquoexplique 6 par les cinq noms officiels du pro-tocole sous lesquels le roi eacutetait adoreacute

Le public nrsquoallait pas plus loin Seuls les precirctres et le roi peacuteneacutetraient dans un corridor menant par les cocircteacutes agrave une seacuterie de magasins puis dans une derniegravere sal-le semblable agrave un couloir mais de mecircme largeur que la cour et lrsquoeacutedifice crsquoeacutetait le Saint des Saints qui correspond agrave la chapelle inteacuterieure des mastabas En effet la paroi du fond celle qui est juxtaposeacutee au mur drsquoenceinte de la pyramide se creuse en son centre drsquoune niche rectangulaire ici se placcedilait la stegravele fausse-porte qui donnait accegraves dans lrsquoautre monde Il est probable que sur le flanc mecircme de la

Ces serdabs sont reacuteserveacutes agrave lrsquointeacuterieur de formidables noyaux de maccedilonnerie un des blocs de granit deacutepasse 70 megravetres cubes et pegravese plus de 70 000 kilos crsquoest agrave peu pregraves le poids drsquoun grand obeacutelisque6 Cheacutephregraven fut le premier agrave prendre le titre laquo fils de Racirc raquo ce qui complegravete agrave noms le proto-cole royal

Les Mystegraveres eacutegyptiens

pyramide srsquoeacutelevait une autre stegravele 7 ou un naos situeacute dans le mecircme axe en face de la premiegravere stegravele et assurant ainsi une communication ideacuteale avec lrsquointeacuterieur de la pyramide

Tout ce temple funeacuteraire eacutetait construit comme les propyleacutees de la valleacutee en mateacuteriaux de choix granit rose pour les murs et les piliers albacirctre pour le pave-ment calcaire pour le remplissage de gros œuvre Ici non plus pas de deacutecoration sauf quelques lignes de textes encadrant les portiques de la cour deacutecouverte ou graveacutees sur les statues royales Crsquoest un art sobre srsquoexprimant directement par la statuaire ses personnages soit isoleacutes soit en groupes eacutenoncent toutes les ideacutees qui agrave lrsquoeacutepoque posteacuterieure seront deacuteveloppeacutees au moyen drsquoaccessoires textes ritualistiques bas-reliefs descriptifs

Revenons au rocircle du Portique dans cet ensemble Pour le deacuteterminer rap-pelons-nous qursquoil est situeacute juste entre le dessert et la valleacutee Si donc il fournit un pavillon drsquoentreacutee vers le chemin ouvert et le temple funeacuteraire il est aussi en contact avec le monde des vivants Devant lui dans la valleacutee srsquoeacutetendait comme agrave Abousir une laquo ville de la pyramide raquo Crsquoeacutetait sous lrsquoAncien Empire lrsquoendroit ougrave le Pharaon reacutesidait de son vivant agrave proximiteacute de son temple funeacuteraire et de sa pyramide qursquoil faisait bacirctir cette capitale eacutepheacutemegravere puisqursquoelle se deacuteplaccedilait avec chaque regravegne comprenait outre le palais et les habitations de la famille royale celle des parents des amis des clients des architectes de tous les em-ployeacutes dans le service des domaines funeacuteraires du Pharaon et dans le service des constructions Le Portique de la valleacutee eacutetait relieacute directement avec cette reacutesidence royale il eacutetait conccedilu avec sa faccedilade monumentale et son hypostyle grandiose pour servir de lieu de reacuteception ou de reacuteunion les ceacutereacutemonies qursquoon y ceacuteleacutebrait avaient sans doute un caractegravere plus officiel que religieux Les statues colossales du Pharaon qui veillaient dans lrsquohypostyle ne sont pas ces figures mobiles et portatives sur lesquelles on opeacuterait les rites funeacuteraires elles eacutetaient lagrave non pour recevoir ce culte funeacuteraire mais pour eacuteterniser la puissance et le nom du roi et agreacuteer lrsquoadoration de ses sujets Les accessoires de ce culte drsquoadoration eacutetaient sans doute peu importants car les magasins composeacutes de trois cellules doubles sont de faibles dimensions Jrsquoen conclus que le Portique participe du palais plu-tocirct que du temple

Quant au chemin couvert il nous conduit de ce Portique au Temple par un eacuteclairage endeuilleacute dans une ombre creacutepusculaire Nrsquoest-il pas agrave dessein mysteacute-

7 A Meidoum il y avait deux stegraveles dans une cour entre la chapelle et la pyramide de Snefrou (Maspero Histoire I p 6)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

rieux comme le passage de la vie agrave la mort et srsquoil se resserre nrsquoest-ce pas pour qursquoil laisse passer seulement un cortegravege choisi parents et amis du Pharaon lrsquoeacutelite seule convieacutee agrave partager lrsquoimmortaliteacute jusqursquoici reacuteserveacutee au roi et agrave participer agrave la destineacutee auguste des dieux

Nous voici dans le temple mortuaire dont le silence trompeur est peupleacute de la vie sourde intarissable qui srsquoeacutepanche des statues rituelles Invisibles mureacutees au fond des serdabs il y a les statues inviolables qui perpeacutetuent agrave lrsquoabri du danger des profanations le nom graveacute crsquoest-agrave-dire lrsquoacircme du Pharaon son moi moral mais il y a aussi exposeacutees dans les cinq chapelles ou transporteacutees au moment du culte dans le secret du sanctuaire devant la stegravele fausse-porte drsquoautres statues portatives sur lesquelles on exeacutecutera les rites de reacutesurrection On a retrouveacute des fragments de plus de cent statues diffeacuterentes en albacirctre diorite basalte ou schis-te Petites ou colossales elles remplissaient les temples du paveacute jusqursquoau faicircte

Des rites speacuteciaux qursquoon ceacuteleacutebrait au Temple mortuaire peu de deacutetails sont connus puisqursquoici non plus que dans les caveaux des grandes pyramides les parois de granit ne portent ni figures ni inscriptions Toutefois la preacutesence des statues rituelles leur importance exceptionnelle qui srsquoatteste par leur nombre et leur qualiteacute suffisent agrave nous renseigner Ces statues sont lagrave drsquoabord pour com-meacutemorer le nom du roi deacutefunt prolonger sa personnaliteacute son acircme individuelle ensuite pour sauvegarder sa physionomie ses traits physiques car la momie deacuteposeacutee au fond de la pyramide si bien garantie qursquoelle soit de la corruption ne saurait les conserver dans leur inteacutegriteacute avec leur ressemblance Les merveilleu-ses tecirctes de Cheacutephregraven et de Mycerinus sont des portraits exacts quelque ideacutealiste et rituelle qursquoait eacuteteacute pour lrsquoensemble de la statue la maniegravere du sculpteur Il savait qursquoen modelant avec preacutecision les traits du roi il leur permettrait de srsquoanimer de revivre sous les formules toutes-puissantes de lrsquoouap-ra Le precirctre stimulerait par des rites magiques cette figure ressemblante mais inerte il rouvrirait ces yeux eacuteteints et ces oreilles closes il toucherait la langue rigide pour eacuteveiller la parole descellerait la bouche fermeacutee pour qursquoelle pucirct manger il ferait remuer les bras et les jambes pour y rappeler le mouvement aboli il solliciterait lrsquoacircme de revenir dans ce corps leacutethargique et bientocirct par les rites infaillibles cette statue prendrait vie On lui promettrait une vie eacuteternelle et on lrsquoenverrait rejoindre les dieuxhellip heacutelas la vitaliteacute des dieux eux-mecircmes eacutetait preacutecaire il fallait la renou-

6

Les Mystegraveres eacutegyptiens

veler par les rites et certes le Pharaon srsquoinquieacutetait agrave bon droit de pourvoir pour lrsquoavenir agrave son propre culte Les statues multiplieacutees dans le temple funeacuteraire lui garantissaient ce regain de vie et de dureacutee

Celles que M Reisner a retrouveacutees en 08 dans la chapelle de Mycerinus preacutesentent un caractegravere qui semble confirmer ce que je viens drsquoavancer 8 Elles nous montrent le roi non plus figeacute dans sa majesteacute de maicirctre srsquoimposant agrave lrsquoad-miration de la foule prosterneacutee mais dans une attitude plus humaine plus fami-liegravere et ressemblante Mycerinus se tient debout cocircte agrave cocircte avec sa femme qui lrsquoenlace tendrement de son bras crsquoest la pose souriante et deacutetendue drsquoun couple quelconque qui appartiendrait agrave sa cour Lrsquoartiste eacutevidemment a voulu repreacute-senter lrsquohomme et non le Pharaon diviniseacute son œuvre porte le caractegravere intime qui se retrouve dans les dispositions de lrsquoeacutedifice En bas le Portique de la valleacutee est un palais royal rempli de statues de grand style en haut de la rampe crsquoest la chapelle priveacutee de Cheacutephregraven ou de Mycerinus destineacutee au culte familial

Pris ensemble les deux eacutedifices ne forment en somme qursquoun mastaba gigan-tesque dont les divisions ordinaires salle drsquoaccegraves corridor chapelle auraient eacuteteacute multiplieacutees et distendues sur une eacutechelle de plus de 700 megravetres Lrsquointeacuterieur de ce mastaba continuait drsquoabriter les statues tandis que la pyramide inviolable receacutelait la momie ici le corps gisait preacuteserveacute de la putreacutefaction incorruptible mais agrave jamais deacutepouilleacute de verdeur lagrave au contraire freacutemissaient des images res-semblantes qui se retrempaient eacuteternellement au culte funeacuteraire comme agrave une source magique qui srsquoabreuvaient de jeunesse agrave la fraicirccheur des rites hellip Et si le cadavre momifieacute garde encore les traces de la maladie les tares des organes les infirmiteacutes physiques en revanche les statues sont faites agrave lrsquoimage de lrsquohomme en sa fleur de santeacute agrave lrsquoapogeacutee de sa force de sa prospeacuteriteacute avant la deacutecheacuteance de lrsquoacircge ou de la carriegravere Ainsi le culte pourra les conserver en beauteacute et crsquoest pourquoi il les preacutefegravere au corps deacutecreacutepit ou desseacutecheacute drsquoailleurs inaccessible en son caveau Ces portraits drsquoinalteacuterable matiegravere ne se precirctent-ils pas bien mieux agrave la fiction drsquoune vie toujours reverdissante hellip

Donc dans ces temples tout concerne la vie ou le maintien de la vie dans les statues royales Par contre rien nrsquoy suggegravere lrsquousage drsquoun culte envers les dieux Ceux-ci nrsquoapparaissent dans la statuaire ou dans les rares inscriptions que pour escorter le dieu du logis qui est Pharaon leur personnaliteacute est deacutecorative nulles

8 Les fouilles de M Reisner nrsquoont pas eacuteteacute encore lrsquoobjet drsquoune publication drsquoensemble On trouvera drsquointeacuteressantes consideacuterations sur les statues royales trouveacutees lagrave dans un article de Mas-pero sur quelques portraits de Mycerinus reproduit dans ses essais sur lrsquoart eacutegyptien 2

7

Les Mystegraveres eacutegyptiens

priegraveres ni offrandes ne leur sont adresseacutees au contraire ce sont les dieux des Nomes qui viennent apporter leurs dons au roi Crsquoest lagrave un eacutetat drsquoesprit avec lequel les textes contemporains nous ont familiariseacutes Les dieux agrave cette eacutepoque sont certes de hauts et puissants seigneurs que lrsquoon traite avec deacutefeacuterence agrave qui lrsquoon paye sans enthousiasme le tribut qursquoils sauraient au besoin arracher mais ils nrsquoont presque ni deacutevots ni fidegraveles Ce nrsquoest pas la confiance la religion qui preacuteside aux rapports entre lrsquohumaniteacute et le ciel Prie-t-on un ecirctre que lrsquoon craint qui est redoutable parce que plus fort Par la magie au contraire on circonvient les dieux on peut les flatter les tromper voire leur faire peur et leur donner des ordres srsquoen servir sans les servir

Plus tard entre la IVe et la Ve dynastie la moraliteacute est en progregraves Les textes (ils deviennent plus nombreux dans les tombeaux memphites vers la fin de la Ve dy-nastie) commencent agrave parler de la providence ceacuteleste de la justice distributive du jugement qursquoOsiris impose apregraves la mort agrave tous les hommes Le culte des dieux gardiens de la morale et de la vertu srsquoeacutetablit Une eacutecole de theacuteologiens celle de Heacuteliopolis rallie agrave ses doctrines la famille royale et la cour une theacuteologie officielle est en formation et srsquoexprime en de longs textes religieux qursquoon grave dans les pyramides royales agrave la fin de la Ve dynastie Le dieu des morts Osiris et le dieu-soleil Racirc drsquoHeacuteliopolis deviennent les patrons du roi vivant sur terre et du roi vivant dans lrsquoautre monde un nouveau titre que prend le Pharaon celui de laquo fils du Soleil raquo exprime que le roi tient sur terre la place que son pegravere charnel Racirc creacuteateur du monde et bienfaiteur de la nature lui a faite et leacutegueacutee Le culte deacutesormais consiste en priegraveres en fondations territoriales pour les dieux et on construit en particulier des temples deacutedieacutes au Soleil

Crsquoest sur le site drsquoAbou-Gourab pregraves drsquoAbousir que M Borchardt a deacuteblayeacute un sanctuaire de la Ve dynastie consacreacute au soleil Jusqursquoici nous ne connais-sions lrsquoexistence de sanctuaires du soleil que par des inscriptions de lrsquoAncien Empire leurs noms srsquoaccompagnaient drsquoun deacuteterminatif singulier un tronc de pyramide surmonteacute drsquoun obeacutelisque au-dessus duquel se place adheacuterent ou non le disque solaire Cet hieacuteroglyphe eacutetait-il le dessin scheacutematiseacute mais exact drsquoun temple consacreacute agrave Racirc soleil drsquoHeacuteliopolis Les fouilles de M Borchardt lrsquoont prouveacute

Les fouilles ont eacuteteacute faites depuis 88 aux frais de M F von Bissing et publieacutees depuis 0 Le premier volume est celui analyseacute ici Das re-heiligtum der Koumlnigs ne-woser-re Band I Der Bau par L Borchardt

8

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Elles nous ont restitueacute le plan geacuteneacuteral drsquoun eacutedifice qui se rapproche de lrsquoen-semble funeacuteraire que nous venons de deacutecrire et qui comprend un Portique un Chemin couvert un Temple proprement dit mais ici le Saint des Saints nrsquoest pas une salle dans un temple crsquoest lrsquoObeacutelisque lui-mecircme dresseacute sur son socle la pyramide tronqueacutee (fig 6)

Le Portique preacutesente cette particulariteacute drsquoecirctre en plein dans la laquo ville de la pyramide raquo que le roi Neouserracirc eacutedifiait vers 20 av J-C on retrouve ses fondations agrave 0 megravetres agrave lrsquointeacuterieur du mur drsquoenceinte de la reacutesidence royale Crsquoest un eacutedifice carreacute de maccedilonnerie pleine qui avait peut-ecirctre une faccedilade en forme de double pylocircne Au centre de cette faccedilade srsquoouvre une salle soutenue par quatre colonnes en granit rose fasciculeacutees (elles sont massives dans le temple de Cheacutephregraven) Des corridors coudeacutes font deacuteboucher cette salle et deux petites salles lateacuterales dans une antichambre qui amorce le chemin couvert

Celui-ci forte chausseacutee en blocs calcaires gravit en pente raide sur une lon-gueur de 00 megravetres le plateau haut de 6 megravetres qui surplombe la valleacutee soit traceacute oblique aboutit devant la faccedilade orientale drsquoune enceinte rectangulaire de 0 megravetres de long sur 80 de large preacuteceacutedeacutee par une porte monumentale en granit rose orneacutee de reliefs colossaux Traversons le vestibule nous arrivons

Figure 6 mdash Temple de Racirc

Les Mystegraveres eacutegyptiens

dans une grande cour ougrave srsquoeacuterige au fond de la partie occidentale la pyramide tronqueacutee surmonteacutee de lrsquoobeacutelisque Deux corridors voucircteacutes filent agrave notre droite et agrave notre gauche suivons ce dernier Il se coude agrave lrsquoangle sud-est suivant le pourtour du temple et quoiqursquoil soit obscur comme au temple de Cheacutephregraven de fins reliefs couvrent ici les murs de calcaire blanc Une porte de granit srsquoouvre bientocirct agrave droite et un chemin encore plus eacutetroit et teacuteneacutebreux monte avec une pente accentueacutee au travers drsquoun gros de maccedilonnerie dans lrsquointeacuterieur mecircme de la pyramide Enfin ce boyau montant tortueux eacutetouffant deacutebouche agrave lrsquoair libre dans la lumiegravere eacuteblouissante nous sommes sur la plate-forme du socle tailleacute en pyramide tronqueacutee et au pied de lrsquoobeacutelisque agrave une hauteur de 20 megravetres au-des-sus de la cour du temple Les murs de la pyramide sont en calcaire mais ceints agrave la base drsquoun parement de granit La pointe de lrsquoobeacutelisque srsquoeacutelevait agrave 6 megravetres du socle crsquoest-agrave-dire agrave 6 megravetres au-dessus de la cour et 72 megravetres au-dessus de la valleacutee Lrsquoobeacutelisque nrsquoeacutetait pas monolithe mais bacircti en grands blocs calcaires jaunes pour le noyau blancs pour le revecirctement Peut-ecirctre eacutetait-il deacutecoreacute sur chaque face drsquoune inscription verticale au milieu de la paroi et un pyramidion de meacutetal le coiffait-il de sa pointe eacutetincelante

Lrsquoarchitecte de ce temple nrsquoavait-il pas merveilleusement combineacute ses effets LrsquoEacutegyptien venant de la valleacutee devait cheminer depuis le Portique sous une ga-lerie couverte puis dans des corridors resserreacutes dont lrsquoobscuriteacute devenait plus peacutenible agrave mesure qursquoil srsquoenfonccedilait en zigzag dans le flanc abrupt de ce cube de maccedilonnerie pareil agrave un mastaba lugubre Brusquement il eacutemergeait sur la terrasse dans lrsquoaveuglante lumiegravere sous la pierre leveacutee comme une flamme et drsquoun coup drsquoœil il embrassait lrsquoaire vibrante du temple la rampe le portique la reacutesidence royale et au delagrave les palmiers assombris les champs verdoyants ou doreacutes le Nil bleuissant et agrave lrsquohorizon la terrasse abrupte du Mokattam aux om-bres violettes Tant de lumiegravere et drsquoair pur apregraves cette monteacutee angoissante Le cœur dilateacute il tombait agrave genoux eacuteperdu de gratitude devant le dieu qursquoil venait adorer lrsquoobeacutelisque tout blanc qui jaillissait dans lrsquoazur comme un rayon peacutetrifieacute du pegravere et du bienfaiteur des hommes

Car lrsquoObeacutelisque eacutetait ici lrsquoidole et le sanctuaire agrave la fois Il semble bien que sa partie essentielle fut le pyramidion terminal dont les faces en forme de trian-gle isocegravele symbolisaient peut-ecirctre le triangle lumineux des rayons tombant du soleil sur la terre 00 Crsquoest sous ce signe qursquoon a deacutesigneacute aussi les rayons solaires

00 H Brugsch a deacutemontreacute que les Eacutegyptiens repreacutesentaient par un triangle isocegravele la lumiegravere zodiacale diviniseacutee crsquoest un pheacutenomegravene qui se manifeste en Eacutegypte avant le lever du soleil ou

0

Les Mystegraveres eacutegyptiens

soit sous forme de perles triangulaires soit sous lrsquoaspect drsquoun triangle isocegravele soit comme au temps drsquoAmeacutenophis IV sous forme de rayons prolongeacutes par des mains 0 Les petites pyramides votives qursquoon rencontre dans les tombeaux por-tent toujours pregraves de la pointe lrsquoimage du soleil sur lrsquohorizon geacuteneacuteralement encadreacutee de deux personnages orants le grand pyramidion de Daschour srsquoeacutevase aussi sous un disque solaire aileacute enfin les obeacutelisques se terminaient par un py-ramidion drsquoor ou de meacutetal doreacute comme en teacutemoignent les textes ou lrsquoeacutetat ina-cheveacute de leur faicircte Pline lrsquoAncien se fait lrsquoeacutecho de cette tradition eacutegyptienne sur le caractegravere solaire de lrsquoObeacutelisque en nous disant expresseacutement laquo lrsquoObeacutelisque consacreacute au soleil eacutetait fait agrave lrsquoimage de ses rayons 02 raquo

Figure 7 mdash Autel-table drsquooffrande en albacirctre

apregraves le coucher par un rayon lumineux en forme de pyramide dont la base reposerait sur terre et dont la pointe se dirige vers le zeacutenith (proceedings of society of Biblical Archaeligology t XV p 2 et suiv)0 Cf rois et Dieux drsquoeacutegypte p 7 pl VIII 202 Hist nat XXXVI laquo Obeliscos vocantes Solis numini sacratos Radiorum ejus argu-mentum in effigie est et ita significatur nomine AEliggyptio raquo Sur ces derniers mots nous nrsquoavons pas de confirmation agrave donner La conseacutecration au dieu solaire Racirc des obeacutelisques est prouveacutee aussi par ce fait lors des rites osiriens on symbolisait la renaissance du dieu en eacuterigeant un obeacutelisque cela srsquoappelait laquo faire lever Racirc raquo (Aeg Zeitschrift 0 p 72)

Les Mystegraveres eacutegyptiens

Celui de notre temple solaire recevait le culte 0 au mecircme titre que les statues de Cheacutephregraven dans le temple funeacuteraire de ce Pharaon A droite des construc-tions il y avait des magasins pour les offrandes le paveacute de la cour y est encore creuseacute de longues rigoles et de vasques aligneacutees dans les premiegraveres srsquoeacutecoulait le sang des victimes eacutegorgeacutees dont les deacutebris eacutetaient recueillis dans les vasques et emporteacutes au dehors Au centre de la cour un autel en forme de quadruple table drsquooffrandes eacutetait orienteacute aux quatre coins de lrsquohorizon

A gauche il y avait une chapelle exigueuml preacuteceacutedeacutee de deux stegraveles et de deux bassins crsquoest lagrave que le roi se purifiait et revecirctait les vecirctements rituels avant de ceacuteleacutebrer le culte Une autre particulariteacute du culte solaire se remarque au tem-ple de Neouserracirc Un peu au fond et en dehors de lrsquoenceinte M Borchardt a deacuteblayeacute non sans surprise une construction qui se reacuteveacutela comme la carcasse infeacuterieure toute en briques drsquoune barque geacuteante longue de 0 megravetres la partie supeacuterieure qui comprenait le bordage la macircture les cabines les rames et tous les accessoires devait ecirctre en bois et avait naturellement disparu Telle quelle on avait lrsquoimage drsquoune des barques solaires celles ougrave lrsquoastre est censeacute naviguer dans la coupole bleue du ciel 0 Des inscriptions officielles de lrsquoAncien Empire nous avaient appris que les rois et en particulier Neouserracirc construisaient des barques de cotte sorte mais jamais encore on nrsquoavait retrouveacute lrsquoeacutedifice nautique Ces deacutetails ont drsquoautant plus drsquointeacuterecirct qursquoil est permis de supposer que le sanc-tuaire drsquoAbou-Gourab eacutetait bacircti sur le type du grand Temple de Racirc agrave Heacuteliopolis aujourdrsquohui totalement disparu agrave un obeacutelisque pregraves Gracircce aux fouilles et aux restitutions de MM Boichardt et Schaeligfer nous pouvons imaginer avec vraisem-blance ce qursquoeacutetait le fameux sanctuaire drsquoHeacuteliopolis

Compareacute avec le temple funeacuteraire de Cheacutephregraven le temple du Soleil agrave Abou-Gourab nrsquooffre comme il est logique que des ressemblances exteacuterieures Tous deux ont pour point de deacutepart la citeacute royale et ont agrave reacutesoudre le mecircme problegraveme lrsquoaccegraves sur le plateau deacutesertique Ils ont donc en commun le Portique de la valleacutee et le Chemin couvert ascendant mais le Temple proprement dit diffegravere par sa destination lrsquoun sert de sanctuaire agrave des statues royales qursquoon y entretient dans une vie magique lrsquoautre formeacute seulement de lrsquoobeacutelisque et du socle expose la

0 M von Bissing a citeacute une inscription de Thoutmegraves III qui offre des pains et de la biegravere agrave des obeacutelisques (recueil de travaux XXIV p 67 XXV p 8)0 Les textes des Pyramides contemporaines du Temple nous donnent les noms de ces barques Macircndt Mesktet

2

Les Mystegraveres eacutegyptiens

forme concregravete du dieu Le principe de la deacutecoration nrsquoest pas moins dissembla-ble le temple de Cheacutephregraven ne contient guegravere que des statues le temple solaire des bas-reliefs Ceux-ci dont trop peu malheureusement sont conserveacutes nous fournissent les plus anciens speacutecimens de tableaux qui deviendront les poncifs de deacutecoration dans les temples theacutebains Fondation du temple par le roi assisteacute des dieux qui tend le cordeau drsquoarpentage pour orienter lrsquoeacutedifice vers lrsquoeacutetoile polaire deacutefileacute des produits des Nomes de lrsquoEacutegypte apporteacutes en offrande agrave la diviniteacute pu-rifications subies par le roi avant de ceacuteleacutebrer le culte comme grand-precirctre scegravenes du couronnement et de la renaissance fictive du roi apregraves la ceacuteleacutebration de la fecircte Sed toutes ces scegravenes sont reproduites sur les temples posteacuterieurs agrave des centai-nes drsquoexemplaires et ce nrsquoest pas le moindre enseignement du temple drsquoAbousir que de nous prouver lrsquoexistence degraves la Ve dynastie de ces deacutecorations rituelles qui resteront en usage jusqursquoau temps des Ceacutesars En outre le temple solaire contient en germe le dispositif qursquoobserveront les architectes theacutebains dans ces somptueux eacutedifices que nous a leacutegueacutes la XVIIIe dynastie 0 porte monumentale cour agrave deacutecouvert salle hypostyle naos du dieu Certes les architectes de lrsquoeacutepo-que memphite nrsquoont pu deacutevelopper leur plan avec tant drsquouniteacute et de clarteacute La nature du terrain lrsquoobligation de relier la pyramide et le temple funeacuteraire avec la citeacute des vivants au moyen drsquoune rampe leur creacuteait une difficulteacute consideacuterable ils srsquoen sont tireacutes agrave leur honneur et la justesse des proportions le concours des parties lrsquoharmonie de lrsquoensemble ne sont pas moins admirables que la perfection du deacutetail 06

Quels monuments en Eacutegypte ou ailleurs ont pu produire par lrsquoarchitecture seule ou la sculpture essentielle lrsquoeffet obtenu par la salle hypostyle du Portique de Cheacutephregraven ou le Temple solaire hellip Quelle puissance de recircve et drsquoexeacutecution dans ces artistes A peine pouvons-nous les comprendre agrave peine sommes-nous capables drsquoimaginer ces vingt-trois statues de Cheacutephregraven assises qui eacuteternisaient dans la peacutenombre leur volonteacute de vivre et deacutefiant la torpeur de lrsquoimmobile pose eacutepiant le flux et le reflux des jours se vecirctaient de lueurs changeantes et srsquoani-maient aux pulsations du tempshellip ou bien cet obeacutelisque colossal de Neouserracirc tout vibrant de lumiegravere comme un trait deacutecocheacute par lrsquoarcher glorieux hellip

0 Les piliers monolithes du temple de la IVe dynastie sont remplaceacutes ici par des colonnes fas-ciculeacutees du type lotiforme et des colonnes avec chapiteaux agrave palmes qui constituent deux traits caracteacuteristiques de lrsquoarchitecture eacutegyptienne (Cf Maspero Ars Una Eacutegypte fig 8-)06 Voir la gargouille en forme de lion motif qui se retrouvera dans la deacutecoration des temples posteacuterieurs

Les Mystegraveres eacutegyptiens

copy Arbre drsquoOr Genegraveve juin 2007httpwwwarbredorcom

Couverture illustration extraite du Livre des morts Museacutee du Louvre Paris DRComposition et mise en page copy Athena Productions JBS

Table des matiegraveres

I Mystegraveres eacutegyptiens II Le mystegravere du verbe creacuteateur III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem 68IV Le laquo ka raquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totem V Rois de carnaval 0VI Sanctuaires de lrsquoancien empire 27

  • I Mystegraveres eacutegyptiens
  • II Le mystegravere du verbe creacuteateur
  • III La royauteacute dans lrsquoEacutegypte primitive Pharaon et Totem
  • IV Le laquothinspkathinspraquo des Eacutegyptiens est-il un ancien totemthinsp
  • V Rois de carnaval
  • VI Sanctuaires de lrsquoancien empire
  • Table des matiegraveres
Page 7: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 8: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 9: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 10: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 11: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 12: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 13: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 14: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 15: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 16: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 17: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 18: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 19: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 20: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 21: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 22: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 23: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 24: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 25: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 26: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 27: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 28: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 29: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 30: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 31: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 32: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 33: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 34: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 35: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 36: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 37: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 38: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 39: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 40: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 41: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 42: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 43: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 44: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 45: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 46: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 47: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 48: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 49: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 50: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 51: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 52: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 53: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 54: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 55: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 56: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 57: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 58: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 59: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 60: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 61: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 62: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 63: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 64: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 65: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 66: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 67: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 68: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 69: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 70: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 71: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 72: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 73: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 74: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 75: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 76: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 77: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 78: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 79: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 80: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 81: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 82: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 83: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 84: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 85: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 86: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 87: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 88: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 89: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 90: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 91: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 92: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 93: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 94: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 95: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 96: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 97: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 98: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 99: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 100: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 101: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 102: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 103: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 104: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 105: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 106: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 107: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 108: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 109: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 110: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 111: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 112: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 113: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 114: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 115: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 116: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 117: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 118: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 119: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 120: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 121: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 122: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 123: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 124: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 125: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 126: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 127: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 128: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 129: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 130: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 131: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 132: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 133: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 134: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 135: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 136: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 137: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 138: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 139: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 140: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 141: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006
Page 142: LA VOCATION DE L’ARBRE D’ORJamblique écrivait au début du ive siècle ap.J.-C. Le livre de Jamblique sur les mystères a été réédité aux éditions arbredor.com, en 2006