la vieille-lyre, la neuve-lyre autrefois

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Laurent RIDEL La Vieille-Lyre et La Neuve-Lyre Autrefois

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Laurent RIDEL

La Vieille-Lyre etLa Neuve-Lyre

Autrefois

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La Vieille-Lyre,

La Neuve-Lyre,

Autrefois

Laurent Ridel

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© 2008 - Auto-édition

Laurent Ridel. 3 rue Pierre Le Boulch. 27330 La Vieille-Lyre

En photos de couverture : le centre de la Vieille-Lyre et la place Emile Bourgeois à la Neuve-Lyre. En filigrane, l’abbaye de Lyre en 1678 d’après le Monasticon Gallicanum

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PréfaceCombien de livres d’Histoire ou d’histoires ai-je lus depuis mon enfance ?

Dieu seul le sait !

Combien m’ont captivé ?

L’instituteur de l’école primaire les auraient comptés sur les doigts d’une main !

Laurent Ridel a réussi l’exploit grâce à son travail d’historien de restituer à travers les époques la vie quotidienne des Lyrois. Dans son ouvrage, les grandes anecdotes de l’Histoire de France côtoient les anecdotes du cru. Et tout cela, à l’aide d’une plume alerte et concise ; l’ouvrage se déguste comme une saga familiale.

Avec précision, l’auteur cite des détails qui étonnent : en un instant, on se trouve plongé en plein conquête de l’Angleterre, tout juste si on se prend pas, l’espace d’un rêve, pour l’un des preux chevaliers de Guillaume.

Les couleurs sont présentes également dans ce livre-document. Le rouge écarlate du coquelicot s’associe au blanc de la marguerite, le bleuet est dissident.

Ce n’est déjà plus la Révolution, c’est la République : la France tranquille avec son clo-cher, sa mairie, son bistrot, ses champs de blé qui ondulent au gré du vent, la Risle qui s’écoule en boucles, calme et furieuse au rythme changeant des saisons.

L’odeur des braises dans l’âtre, l’odeur du labour après le passage de la charrue dans les champs ... la terre qui sèche après l’orage.

Un livre d’histoire en trois dimensions.

Bravo Laurent !

Il te reste à écrire la vie de tes contemporains immédiats et n’oublie pas que désormais nous sommes trois et qu’une partie de notre histoire se trouve depuis l’an 1086 à Eardisland en Grande-Bretagne. De bien belles pages en perspective.

Alors, à bientôt pour le tome 2, et ... Merci.

Michel DESSARTHE

Maire de la Vieille-Lyre

Juin 2007

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Avant-proposJe propose ici l’histoire de la Vieille-Lyre et de la Neuve-Lyre et comme toutes les his-

toires, chacun a sa manière de la raconter, chacun privilégie certains faits plutôt que d’autres. Pour ma part, je n’ai pas voulu dresser une chronologie d’événements ou une liste généalogi-que des anciens seigneurs du village. J’ai préféré raconter la vie des habitants, célèbres ou ano-nymes. J’ai aussi voulu recréer l’environnement dans lequel évoluaient ces gens, un cadre de vie parfois bien différent d’aujourd’hui. En fait, je ne propose pas ici l’histoire des Deux-Lyre mais plutôt une histoire des Deux-Lyre.

Fouiller le passé de la Vieille-Lyre amène inévitablement à rencontrer une grosse masse de granite : le monastère Notre-Dame de Lyre. Sans sa présence, on aurait peine à écrire quelques lignes sur la commune, tout du moins avant la

Révolution. Le travers serait de parler uniquement de ce lieu. Or, aux côtés des moines, vi-vaient d’autres groupes dans le village : des paysans bien sûr mais aussi de nombreuses familles d’artisans. Car autrefois on travaillait beaucoup le bois et le fer dans la région. Surtout au-delà du bourg, il y a de nombreux hameaux qu’il faudra évoquer. Car eux aussi ont une histoire.

Difficile d’évoquer la Vieille-Lyre sans rencontrer sa voisine, la Neuve-Lyre. D’ailleurs, vous constatez que de nombreux chapitres sont communs (les origines, la dernière guerre, le film Le Trou Normand). En 2000, est sorti un livret rédigé par Pierre MOLKHOU qui retraçait bien les événements qu’a vécu la commune. Il n’est pas question de refaire la même chose. Je me suis donc attaché à quelques thèmes oubliés par l’auteur (les anciens commerces, l’origine des noms de rue) ou d’en développer d’autres (l’usine de Chagny).

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec les deux villages, une présentation s’impose. Tous deux appartiennent au Pays d’Ouche, région aux confins des départements de l’Eure et de l’Orne. Évreux est à environ 35 km et L’Aigle à 20. Imbriquées l’une dans l’autre, la Neuve-Lyre et la Vieille-Lyre comptent un nombre d’habitants assez voisin, autour de 600 personnes. Bien que sœurs, elles n’en sont pas pour autant jumelles. Chacune affiche une identité propre. Constituée d’une pléiade de hameaux, la Vieille-Lyre est une commune au paysage champêtre et forestier. La Neuve-Lyre représente le modèle du bourg rural, avec ses nombreux commer-ces, ses services de base et son marché. La Vieille-Lyre s’étend sur 1700 ha alors que la Neuve-Lyre constitue l’une des plus petites communes du département de l’Eure (environ 260 ha). Au-delà de ces oppositions, un dénominateur commun les rapproche : la Risle. Cette rivière traverse les deux territoires communaux en leur milieu. C’est en suivant le cours d’eau qu’on découvre les plus charmants endroits et c’est en s’asseyant sur les pentes de la vallée qu’on admire les plus beaux panoramas des Deux-Lyre.

Afin de rédiger ce livre, il m’a fallu, d’une part, consulter les nombreux documents conservés aux Archives départementales de l’Eure à Évreux et, d’autre part, rencontrer des habitants de la région (pas seulement des deux Lyre). Je ne suis donc pas le seul artisan de

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cet ouvrage. J’adresse mes remerciements à toutes les personnes qui ont eu la gentillesse et la patience de témoigner : Hubert et Jacqueline BACLE, Yvonne BERGER, Francine et Jac-ques BESNARD-BERNADAC, Claude et Eliane BLANCHET, André et Thérèse BRISSET, Denise DESSARTHE, Yolande DROUET, Gérard DUMOUTIER, Lucienne GALERNE, Marc GAUTHIER, Jeanne GIRON, Jeanne GUÉRIN, Gilbert HUBERT, Georgette LE BOULCH, Pierre et Claudine LOISEAU, Yvette MADELON, Colette MOUSSE, Raymond PLAINE, Gilbert PÉCOT, Colette TOQUARD et Gaston TRÉHARD. Ce fut lors de chaque entretien un moment enrichissant qui m’offrait une autre image de la commune. En outre, j’exprime ma reconnaissance envers ceux qui m’ont aimablement accueilli dans leur propriété pour me dévoiler un élément de leur patrimoine : Francis BEAUMESNIL, Roger et Ginette MARCHAL, M. et Mme MORLAY et Raymonde PERRAULT. Enfin, je n’oublie pas ceux qui m’ont soutenu dans ce long projet, qui m’ont guidé vers les personnes bien informées ou qui m’ont prêté des documents : mes parents Claude et Martine RIDEL, le maire de la Vieille-Lyre Michel DESSARTHE, Jean Henri CARDON, Laurent COLOMBE, Pierre et Odette DHAESE, Josette DELAUNAY, Philippe et Odile DORCHIES, Jean-Claude et Chantal GA-LERNE, Véronique et Jean-Noël LEBORGNE, Bernard LIZOT, Gilles MÉDARD et le per-sonnel des Archives Départementales de l’Eure.

J’ai également une pensée particulière pour Paul DORCHIES, Jacques DESCOU-DRAS, Albert LECOCQ, Jeanne LE ROUX, Marie-Thérèse LOUTREL, Lucien et Henriette TOCQUARD qui ont chacun contribué à ce livre mais qui n’auront pas eu le temps de le voir achevé.

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La Vieille-Lyre et la Neuve-Lyre étaient-elles unies autrefois ?

La parenté de leur nom suggère en effet une union passée. D’ailleurs, nombreux sont les Lyrois qui pensent que les deux communes n’en formaient qu’une autrefois. C’est vrai, à ceci près qu’on ne peut pas parler de commune avant

1789, date de leur création en France. On doit parler de paroisse. Au Moyen Âge, la Vieille-Lyre et la Neuve-Lyre faisaient partie de la même paroisse. Mais la Vieille-Lyre en constituait la tête alors que sa voisine était considérée comme sa dépendance. Concrètement, les habitants de la Neuve-Lyre devaient se faire baptiser et enterrer en l’église de la Vieille-Lyre. À force de protestations, ils obtinrent en 1229 leur indépendance, c’est-à-dire que l’évêque d’Évreux leur accorda leur propre curé, leur propre cimetière et leurs propres fonts baptismaux. La paroisse de la Neuve-Lyre était née.

Depuis 1789, quelques tentatives de réunion des deux communes ont été tentées, avec l’insuccès que l’on sait. Dernièrement, en 1995, un référendum organisé dans les deux mairies échoua car si les électeurs de la Neuve-Lyre votèrent la fusion, leurs voisins la refusèrent par une légère majorité. Pendant la Révolution, les projets n’aboutirent pas non plus à cause de la rivalité entre les deux municipalités. Pourtant, chacune était favorable à une réunion des deux territoires à condition que l’opération soit une annexion à son profit et non une fusion. Autrement dit, l’une voulait rester chef-lieu et reléguer l’autre en simple hameau. Ce fut bien entendu un dialogue de sourds. Dans ce conflit de préséance, les phrases assassines fusaient au sein des lettres que chaque municipalité envoyait aux autorités chargées de trancher.

Par exemple, en 1790, la municipalité de la Vieille-Lyre se dit appartenir à « Lyre l’aînée » et qualifie dédaigneusement leur voisine de « Lyre la cadette ». En réponse, le maire de la Neuve-Lyre et ses assesseurs vantent l’importance de leur bourg en énumérant ses com-merçants et les nombreux services qu’il dispose : une poste aux lettres, une poste aux chevaux, des halles, des foires, un marché, trois marchands drapiers, six épiciers, cinq boulangers, deux chirurgiens, six maréchaux et des marchands de fer. Quand la Vieille-Lyre propose un même instituteur pour les deux communes, l’autre refuse et répond que la Vieille-Lyre n’est qu’« un désert plein de ruines ». Surtout, la lettre se termine par un argument qui en dit long sur les relations entre les deux communes à cette époque : la municipalité refuse de rassembler dans une même école les enfants des deux Lyre étant donné « la rivalité et l’antipatie qui règnent et qui ont de tout tems existé entre les deux Lires, spécialement dans la classe des enfants dont différentes rixes ont été portées a des extrémités facheuses capables d’amener du trouble dans les grands personnages ».

Aujourd’hui les relations sont bien plus saines puisque dans le primaire, les enfants des deux communes sont mélangées et on les voit jouer ensemble au sein de l’Union Sportive Ly-roise. Les municipalités savent maintenant s’entendre sur des projets communs. Enfin, quelle

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meilleure preuve de l’étroite parenté entre les deux villages que le fait d’appeler « Lyrois » aussi bien les habitants de la Neuve-Lyre que ceux de la Vieille-Lyre ! On ne parle pas de Nouveaux Lyrois, ni de Vieux Lyrois. Par contre, en 1914, on ne savait pas encore comment nommer les habitants des deux Lyre : on hésitait entre Lyrois, Lyrons, Lyrans, Lyrains, Lyrais, Lyriens. Le curé de la Neuve-Lyre, l’abbé THUILLIER, mena alors son enquête. Sa conclusion ne man-que pas de nous surprendre puisqu’il déclara : « Nous ferons remarquer que la désinence en -ois n’est pas très goûtée des Normands. Ils ont même difficulté à la prononcer sans exagé-ration ». Au terme d’une analyse étymologique, il fit le choix du nom « Lyron » ! Bonne lecture donc à tous les Lyrons !

À la quête des origines

La Vieille-Lyre est-elle si vieille et La Neuve-Lyre plus neuve ?

Expliquer l’origine des Deux-Lyre revient à résoudre une équation à plusieurs inconnues. Faute de documents et de sources, les hypothèses dépassent en nombre les certitudes. Observons les rares indices en nos mains. D’abord, le

nom de « Lyre ». D’où vient-il ? Bien-sûr, écartons tout de suite un quelconque rapport avec l’instrument de musique. L’étymologiste François de BEUREPAIRE nous explique plutôt que « Lyre » est dérivé du mot « Lera ». Celui-ci correspondant à l’ancien nom supposée de la Risle. Au cours du temps, il se serait déformé, allongé et raccourci devenant Lirizinus, Risilina puis Risla. Les Deux-Lyre recevraient donc leur appellation de la rivière qui les traverse. Pourquoi pas ? À Vire (Calvados), coule bien la Vire et la ville de Dives-sur-Mer (Calvados) ne se situe-t-elle pas à l’embouchure de la Dives ?

Le mot « Lera » est en tout cas très ancien puisque antérieur aux Romains selon Fran-çois de BEAUREPAIRE voire antérieur aux Gaulois si l’on suit le raisonnement du linguiste René LEPELLEY. Pour autant, n’en concluons pas que les deux villages remontent à cette très haute antiquité. Lera ne fut peut-être qu’un simple lieu-dit dans la vallée plusieurs siècles. Seule certitude, la Vieille-Lyre et la Neuve-Lyre existent au plus tard depuis l’an 1051, soit depuis le milieu du Moyen Age : nous avons en effet – c’est le deuxième indice – un parchemin de cette année qui les mentionne. C’est un document exceptionnel car c’est le plus vieux témoignage écrit qui évoque les deux communes. Sur ce parchemin très jauni, il est écrit que plusieurs sei-gneurs donnent à une certaine abbaye Notre-Dame de Lyre des terres et d’autres biens situés à la Vieille-Lyre et à la Neuve-Lyre. Le monastère, implanté à la Vieille-Lyre, a alors moins de cinq ans d’existence. La lecture du texte, en latin s’il vous plaît, nous apporte d’autres in-formations très intéressantes : des hameaux sont cités (Trisay, Le Chalet, Chagny) ainsi qu’un moulin entre la Neuve-Lyre et la Vieille-Lyre. Les moines de Lyre ne s’installent donc pas dans une portion déserte de la vallée de la Risle. Le secteur est peuplé depuis un certain temps sans

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qu’on puisse donner une date. La seule affirmation que nous pouvons déduire, c’est que les deux villages sont antérieurs à 1051.

Reste une dernière question : pourquoi Vieille et Neuve ? « Parce que la Vieille-Lyre est tout simplement plus ancienne que la Neuve-Lyre » me direz-vous. Oui, certainement mais essayons d’approfondir. Il est intéressant de faire un parallèle avec un village tout proche : la Ferrière-sur-Risle. La tradition rapporte qu’au-dessus du bourg, sur le plateau, existait une ville. Aujourd’hui, l’endroit se nomme les côtes de la Vieille-Ferrière. On n’y trouve plus qu’une maison, des bois et des champs mais plusieurs preuves indiquent en effet une occupation antérieure plus considérable. Un grand tertre artificiel, des talus doublés de profonds fossés attestent notamment l’existence d’un château.

De 1971 à 1974, des archéologues fouillèrent les restes de ce château. Sous la forti-fication, ils découvrirent des traces antérieures de bâtiments en bois, des sépultures et les fondations d’un édifice en pierre, vraisemblablement une église. Ce n’était pas une ville dispa-rue qu’ils mettaient au jour mais les vestiges de l’ancien village de la Ferrière. Car la Ferrière s’étendait à l’origine sur le plateau. Jusqu’au jour où le seigneur a décidé de développer un lieu voisin, en l’occurrence le site actuel dans la vallée. Cette décision est intervenue à la fin du XIe siècle d’après les monnaies retrouvées lors des fouilles archéologiques. Pourquoi ce transfert ? Les hypothèses sont nombreuses : la volonté de créer un village sur des bases nouvelles, le rapprochement avec une route importante ou encore la recherche d’un accès plus aisé à l’eau de la Risle. Au fil des années, l’ancien habitat fut déserté, les maisons vieillirent en ruines, les ronces s’y développèrent, les rues s’effacèrent, le silence s’installa. Dans la bouche des gens, ce lieu devint « la Vieille-Ferrière » par opposition au nouveau village dans la vallée. Ce dernier prit par contre le nom de Novae Ferrariæ (la Neuve-Ferrière). D’anciens textes du XIIe siècle nous le confirment. Puis le nom se simplifia en « la Ferrière », le bourg que l’on connaît.

La Neuve-Lyre et la Vieille-Lyre ont-elles la même origine ? Imaginons un village appelé « Lyre » établi au bord de la Risle. Le seigneur local bouleverse la situation. Il quitte Lyre pour résider 1000-1500 m plus loin. Il choisit un endroit au-dessus de la vallée où l’on jouit d’une vue panoramique sur les terres alentours. Le site est peut-être plus facile à défendre ; la proxi-mité de la forêt giboyeuse de Breteuil intéresse peut-être notre homme amateur de chasse, que sais-je ? Le seigneur invite (ou contraint) la population lyroise à rejoindre sa nouvelle résidence. Un nouveau village se forme autour. Des maisons s’élèvent. Des rues sont tracées. Le site ancien de Lyre est abandonné. Il meurt. On le désigne désormais sous le nom de « la Vieille-Lyre » par opposition au dynamique village qui se crée et qui devient « la Neuve-Lyre ».

Vieille-Ferrière et Neuve-Ferrière d’un côté, Vieille-Lyre et Neuve-Lyre de l’autre, l’his-toire n’est-elle pas la même ? Celle d’un ancien habitat déserté au profit d’un voisin plus attrac-tif ? Certainement. À une différence près. La Vieille-Ferrière a décliné à tel point qu’elle n’est plus, de nos jours, qu’un lieu-dit. Or, la Vieille-Lyre est aujourd’hui un village de 600 habitants. En d’autres termes, la Vieille-Lyre, c’est-à-dire le site originel de Lyre, a finalement survécu.

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Comment expliquer ce destin meilleur ? Parce que peu après la fondation de la Neuve-Lyre, un événement, évoqué plus haut, a permis la résurrection de la Vieille-Lyre : l’installation d’une abbaye en 1046.

Mais ceci est une autre histoire que nous aborderons quelques pages plus loin. Reve-nons à des temps plus anciens, à une époque où les deux villages n’existaient pas.

Des hommes préhistoriques aux Romains

Les hommes préhistoriques semblent avoir apprécié la région lyroise. Les collectionneurs y ont en effet trouvé de nombreux silex taillés. Certains remonteraient à plus de 120 000 ans. Quelques paléontologues avancent

même 350 000 ans. Ces datations donnent le vertige. Ces silex sont parmi les plus anciens de Normandie. A ce titre, un échantillon d’entre eux est présenté dans les vitrines du musée de Normandie à Caen. Rien de moins. Dans la région, les hommes préhistoriques trouvaient dans le sous-sol du silex en quantité tandis que la vallée de la Risle constituait une voie de passage pour les troupeaux sauvages qu’ils chassaient.

Un autre indice plus imposant prouve le peuplement préhistorique de la région : le menhir qui se dresse en contrebas de Neaufles-Auvergny. Cette grande pierre est surnommée « la Pierre de Gargantua » en référence à une célèbre légende. Les paysans racontaient que jadis le géant Gar-gantua avait fauché environ 15 ha de prairies en une seule journée. Sa besogne effectuée, il avait jeté sa pierre à faux qui lui avait servi à affûter sa lame. Elle se planta au milieu de la vallée de la

Risle. C’est elle que nous voyons aujourd’hui.

Beaucoup plus proches de nous, les Ro-mains ont aussi marqué la Vieille-Lyre de leur empreinte. De la Barre-en-Ouche à la Vieille-Lyre, puis de la Vieille-Lyre à Guernanville, la route est parfaitement droite à l’exception des passages dans les vallées ou vallons. Vous circulez en fait sur une voie romaine. L’axe reliait la ville de Lisieux (alors appelée Noviomagus) à Condé-sur-Iton (Condate). Ce village, près de Breteuil, était autrefois une importante agglomération gal-lo-romaine vers laquelle convergeaient plusieurs voies.

Outre le musée de Normandie, Mme PERRAULT, de Bois-Normand, conserve

une importante collection de silex ra-massés dans la région par son mari.

En haut à gauche, un talon de hache polie (le tranchant est du côté droit). En haut à droite, un os de cervidé dont la partie

inférieure servait à frapper les silex afin de les façonner (pièce ne provenant pas de la Vieille-Lyre) ; au centre, un caillou qui

avait le même rôle de percuteur ; en bas à gauche, une lame (on voit bien les éclats débités) ; les 2 pièces juste à droite sont des bifaces (outils utilisés pour couper et taillés sur les deux faces). Juste en des-

sous de l’os de cervidé, une pointe.

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Les Romains sont connus comme un peuple bâtisseur. Dans les Deux-Lyre, on cher-che malheureusement en vain un quelconque monument élevé de leurs mains. Pas de temple, ni de thermes, pas d’amphithéâtre, pas même une villa agricole. On ne sait pas si les deux villages exis-taient déjà. Bien que le site de la Vieille-Lyre, au carrefour d’une voie romaine et d’un cours d’eau (la Risle), soit favorable à l’instal-lation précoce d’une population, la terre ne nous a rien livré qui puisse attester cette occupation. En dehors de la voie antique, ces puissants Romains ne nous auraient donc rien laissé. C’est presque vrai. Le musée des An-tiquités de Rouen conserve sim-plement un minuscule récipient gallo-romain en verre (un barillet) trouvé sur la commune de la Vieille-Lyre. Maigre consola-tion.

La fondation de l’abbaye

1051 est une date à retenir dans l’histoire du village. En effet, c’est l’année du tout premier parchemin qui cite la Vieille-Lyre. En vérité, il ne dit pas nommément « Vieille-Lyre » mais « Vetus Lira » car à cette époque les actes officiels sont en latin. Nous avons déjà évoqué ce document plus haut : il correspond à un acte de donation – une charte – en faveur du mo-nastère de Lyre.

La fondation du monastère remonte quelques années auparavant, en l’an 1046. Cela fait plus de 600 ans que les Romains sont partis. De l’eau a coulé sous le pont de la Risle. Guillau-me le Bâtard (qui deviendra le fameux Guillaume le Conquérant) est alors duc de Normandie. Nous sommes dans une période de fort élan religieux : en vingt ans, sept monastères ont vu le jour dans le duché dont ceux de Conches et du Bec(-Hellouin). En ce qui concerne l’abbaye de Lyre, les fondateurs sont un couple d’aristocrates normands : Guillaume fils d’Osbern (ou Fitz-Osbern) et sa femme Adelise. Seigneur de Breteuil-sur-Iton, Guillaume fait partie des fidèles les plus proches du duc Guillaume le Bâtard, il en est peut-être même le plus proche.

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Vue aérienne des traces d’un bâtiment gallo-romain à la Vieille-Lyre

En 2004, deux spécialistes de l’archéologie aérienne, Véroni-que et Jean-Noël LEBORGNE, ont repéré d’avion des traces de fondations d’un bâtiment. L’endroit se situe au milieu des champs à quelques centaines de mètres du château de la

Bourgeraie. De forme rectangulaire, le bâtiment mesurait en-viron 20 m sur 10. Une fois au sol, les deux archéologues ont

ramassé entre autres sur le site des tuiles romaines (tegu-lae). Leur découverte pourrait donc bien remonter à l’époque antique ! Patientons quelques années ; d’autres campagnes d’observation aérienne doivent avoir lieu. Nous ne sommes

peut-être pas au bout de nos surprises (Photo Le Borgne/Du-mondelle/Archéo 27).

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Il faut dire qu’ils ont grandi et vécu ensemble des moments difficiles. Robert le Magnifique, duc de Normandie et père de Guillaume le Bâtard, était parti pour un pèlerinage à Jérusalem mais avait trouvé la mort sur le chemin de retour. Le prince n’avait que vingt-cinq ans. Son fils Guillaume se retrouvait donc duc mais, du haut de ses huit ans, il ne pouvait pas effficacement assumer cette fonction. En conséquence, l’anarchie se développa dans le duché ; plusieurs barons normands se rebellèrent. Une nuit, des rebelles pénétrèrent dans la chambre ducale et égorgèrent sous les yeux du duc un officier. Or la victime était justement le père de Guillaume fils d’Osbern, qui, sachant la vie du jeune duc menacée, dormait dans la même chambre. Une telle histoire ne pouvait que lier à jamais les deux enfants.

Pourquoi fonder une abbaye ? Guillaume fils d’Os-bern le dit clairement dans la charte : en bon chrétien, il espère par cet acte obtenir la rémission de ses péchés et contribuer au salut de l’âme de ses parents. Il attend précisément des moines des prières quotidiennes, pour lui et sa famille. Suffisamment pour lui ouvrir les portes du paradis lorsqu’il mourra à son tour. Pour permettre cette activité consacrée à Dieu et garantir l’auto-subsis-tance de la jeune communauté religieuse, Guillaume dote le monastère en terres et en revenus. Son épouse, Adelise, qui est la fille du puissant baron de Conches Roger de Tosny, contribue aussi à la pieuse fondation en donnant un domaine dans le pays de Caux ainsi que ses bijoux. Cette femme s’attache à Lyre à tel point qu’elle choisit d’y reposer pour l’éternité. À sa mort, elle est enterrée dans le cloître. Bien plus tard, au XVIe siècle, l’abbé de Lyre décide de célébrer la fondatrice en faisant sculpter sur sa

tombe une statue. Le monument existe toujours ; il trône désormais dans le chœur de l’église paroissiale du village. Adelise apparaît couchée les deux bras pliés en croix sur sa poitrine. Elle porte l’habit de moniale.

À la suite de Guillaume fils d’Osbern et de son épouse, des chevaliers, des petits nobles, de simples particuliers, soucieux de sauver leur âme, participent aussi à la dotation de la jeune abbaye. Son fondateur suit ensuite Guillaume le Conquérant dans la conquête de l’Angleterre. Le royaume anglo-saxon tombe et le duc de Normandie récompense son fidèle par des pro-priétés anglaises et par d’importants commandements. Ces différentes concessions permettent au seigneur de Breteuil de se montrer encore plus généreux envers Lyre. Les dons s’accumu-lent au cours des premiers siècles d’existence du monastère. Résultat, l’abbaye se retrouve rapi-dement à la tête de domaines nombreux et dispersés et jouit de revenus variés (dîmes, moulins, rentes en nature ou en argent…), tant en Normandie qu’en Angleterre.

Le gisant d’Adelise de Tosny, la fondatrice de l’abbaye de

Lyre, dans le chœur de l’église paroissiale.

L’abbé BOUSSEL, le curé de la Vieille-Lyre, découvrit la statue en 1925 : elle était retournée et

servait de marche-pied devant le grand autel de l’église ! Le dé-

cor de la statue est typiquement Renaissance. Ce n’est donc pas la

plaque tombale d’origine.

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L’abbaye Notre-Dame de Lyre

Visite des lieux

Il ne reste quasiment plus rien de ce monastère. Malgré ceci, une gravure datée de 1678 permet de se le représenter. D’abord, il faut prendre conscience de la sur-face importante de l’ensemble (voir carte p.47). Un mur d’enceinte d’environ 2,5

km enserrait le domaine constitué des bâtiments monastiques mais aussi d’un bois, de prés, de vergers, de jardins, de vignes, de champs et d’étangs. L’enclos abritait donc un concentré de campagne. L’église abbatiale étendait son ombre sur cette mosaïque de couleur. Longue d’en-viron 80m (deux fois l’église paroissiale actuelle), surmontée d’une haut clocher, elle dominait comme un phare et écrasait comme un château le paysage de la Vieille-Lyre.

Apparemment, l’architecture de cette grande église était gothique. L’édifice fut élevé vers 1200, après qu’un incendie dévastateur ait détruit le précédant sanctuaire. Les quêtes me-nées par les religieux d’église en église, les dons de l’évêque d’Évreux et de plusieurs seigneurs, permirent le financement des travaux de reconstruction. Les bâtisseurs utilisèrent peut-être la pierre locale, le grison, comme matériau de construction. Un croquis de la seconde moitié du XVIIe siècle le laisserait supposer. L’abbatiale de Lyre ne devait donc pas avoir la blancheur ou l’ocre des cathédrales mais plutôt une teinte marron-roux.

L’abbaye Notre-Dame de Lyre

L’abbaye de Lyre en 1678. d’après le Monasticon Gallicanum

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Mais le cœur de l’abbaye n’était pas l’église. Comme dans la plupart des monastères, l’espace s’organisait autour du cloître. C’était un espace de verdure, carré, entouré par une ga-lerie et encadré par les hauts murs des différents bâtiments monastiques. De ce lieu, le regard s’élevait naturellement vers le clocher et sa flèche puis vers le ciel. Du cloître, espace carrefour, les moines pouvaient se rendre au réfectoire, dans la salle du chapitre (salle de réunion de l’abbé et des moines), au dortoir et enfin à l’église lorsque la cloche les appelait à l’office et au repas. Lorsque Thomas CORNEILLE, le frère du dramaturge Pierre CORNEILLE, visite l’abbaye en 1704, il constate que l’église abbatiale est « grande et belle, a onze piliers en sa longueur et des bas côtéz. Le cloître est neuf et bâti à la moderne. Le réfectoire, la sacristie et la salle des Conférences sont des lieux ornéz de lambris de menuiserie ». Ces boiseries assuraient un peu de chaleur dans ces pièces envahies habituellement par le froid.

La gravure de 1678 révèle également que l’abbaye de Lyre n’était pas seulement un lieu de prière. On y trouvait tous les éléments d’une grande exploitation agricole : autour d’une cour de ferme, étaient disposés une écurie, des étables, une grange et un pressoir.

Mener une vie de moine

Vers 1130, un ancien moine du Bec(-Hellouin) prend la tête de l’abbaye No-tre-Dame de Lyre. Il en importe la règle bénédictine, qui va désormais régir la vie des moines jusqu’à la disparition du monastère lors de la Révolution

française. Cette règle, appliquée dans la plupart des abbayes, fixe l’organisation de la commu-nauté. Elle impose principalement la division des journées en trois temps : un temps pour les offices liturgiques, un temps pour le travail, un temps pour la lecture de la Bible ou d’autres ouvrages pieux.

La principale activité des religieux consiste en la célébration des offices liturgiques. Il y en a huit quotidiennement. Chaque matin, l’abbé ouvre un grand livre, le nécrologe, dans lequel figure la liste des morts que la communauté doit prier en ce jour. Les moines prient et chantent donc des heures durant et ce dès la première heure du jour. Une cérémonie a même lieu durant la nuit : les têtes tonsurées, ensommeillées, doivent descendre de leur dortoir pour se rendre dans le chœur de l’église. Il en va du salut des âmes des trépassés.

La communauté doit aussi travailler. Les premiers moines n’hésitent pas à cultiver la terre de leurs propres mains, comme les paysans du village. Mais il semble que ce lourd labeur soit progressivement effectué par des salariés et des serviteurs. Les moines ne transpirent bientôt plus que pour l’entretien de leurs carrés de jardin. Le travail monacal se résume alors à la copie de manuscrits anciens. Il faut l’avouer, les religieux de Lyre ont bien œuvré dans ce domaine. Seuls les monastères ont les moyens financiers d’entretenir des gens qui passent leur temps à écrire. Et il en fallait du temps quand on voit les beaux spécimens du XIe au XIVe siècles conservés de nos jours dans la bibliothèque municipale d’Évreux principalement. La réalisation d’une bible nécessitait un an de travail environ. La calligraphie et les enluminures

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contraignaient en effet à un soin permanent. Alors qu’il ne subsiste presque rien des bâtiments du mo-nastère, ces ouvrages forment aujourd’hui les plus anciens témoignages laissés par les moines de Lyre. Un inventaire de 1790 recensait 3825 volumes. Un certain nombre a disparu au moment de la Révolu-tion. Aujourd’hui, Évreux, Rouen, Paris et, plus éton-nant, Londres se partagent les ouvrages rescapés du pillage.

Le monastère est un peu comme une mai-sonnée dans laquelle l’abbé serait le chef de famille. C’est lui qui fixe au début de la journée les tâches des moines et qui les réprimande. D’ailleurs, en 1255, l’archevêque de Rouen Eudes RIGAUD visite l’éta-blissement et reproche à l’abbé Gilbert de LA HAYE de trop s’emporter contre les frères. Ces derniers sont alors au nombre de 60 mais une partie est installée en Angleterre et dans les différents prieurés qui sont sous la direction de l’abbaye. Certains moines ont une fonction précise. Ainsi, le prieur remplace l’abbé en son absence, ce qui devient fréquent dans les derniers siècles de vie de l’abbaye. Le chantre dirige le chant de ses compagnons lors des cérémonies. Quant au sacristain, il veille sur le trésor et sonne les cloches pour appeler les moines à l’office, notamment la nuit. L’aumônier accueille les pèlerins à pied et s’occupe des pauvres de la paroisse. Chaque jeudi saint, les moines lavaient les pieds de ces pauvres. Une forme de péni-tence qu’ils abandonnèrent assez vite. Un document signale enfin l’existence d’un maître des écoles. Ensei-gnait-il exclusivement aux novices ou s’ouvrait-il aux laïcs, fils de seigneurs ou simple villageois ?

Les moines mangeaient plutôt bien. L’abbaye possédait en effet de vastes champs cultivés et perce-vait des dîmes sur de nombreuses productions agri-coles. L’historien Bernard Bodinier a calculé qu’à la veille de sa disparition en 1791, le monastère détenait 911 ha dans l’Eure ! Cette surface faisait de Lyre l’un des vingt-cinq plus grands propriétaires du départe-

Si la fondation de l’abbaye m’était contée

Une version romancée de la naissan-ce de l’abbaye est parvenue jusqu’à nous. Dans les environs de la Vieille-Lyre, à Chalet, vivait un ermite du nom de Robert. Il menait une vie ascétique mais se souvenait qu’il n’y a pas si longtemps sa vie était autre. Robert était à l’origine un chevalier normand. Il avait combattu contre les Français puis contre les Musulmans en Es-pagne. Puis, il décida de renoncer à la guerre et aux plaisirs de la chair. Il laissa pousser sa barbe, abandonna ses habits de chevalier puis se retira dans notre secteur, à l’écart du monde.

Un jour qu’il chassait dans la forêt, une voix lui commanda de changer son er-mitage en église. À quelque temps de là, un prêtre du Bosc-Renoult, qui errait aussi dans les bois, parce qu’il était af-fligé de la lèpre, se plaça sur son pas-sage et lui demanda de l’écouter. Il lui raconta qu’à trois reprises, une voix ve-nue de nulle part l’enjoignait à se ren-dre auprès du puissant seigneur local, Guillaume fils d’Osbern, pour le convain-cre d’édifier un monastère en l’honneur de la Vierge. Cependant, étant donné sa maladie, il ne pouvait pas se rendre lui-même auprès de ce seigneur. Robert se sentit soulagé qu’un autre homme que lui ait reçu le même commande-ment. Il rassura le lépreux en lui disant qu’il exécuterait la mission à sa place.

Robert alla donc trouver Guillaume fils d’Osbern, avec qui il avait combattu à Tillières. Guillaume écouta l’ermite mais refusa d’accéder à son vœu, le prenant pour un exalté. Cependant, Robert ne renonça pas et comprit qu’en s’adressant à sa femme Adelise il trouverait une oreille plus attentive. En effet, Adelise l’écouta et lui promit de convaincre son mari. Elle y réussit. Ainsi fut décidée par le couple la fon-dation de l’abbaye de Lyre. L’ermite Robert en aurait été le premier abbé.

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ment. Les viviers (toujours visibles) alimentaient en poissons la table des moines lors des pé-riodes de carême tandis que le colombier offrait régulièrement des oeufs de pigeons. Dans les verres, le cidre coulait à flot, les vergers de pommiers enveloppant littéralement l’abbaye. Les moines buvaient aussi du vin, une partie du breuvage étant produite sur place. Car des vignes s’étendaient sur les pentes de la vallée. Des ceps à la Vieille-Lyre ! Il est vrai que le climat ne devait pas favoriser la maturité du raisin, ni l’exposition très moyenne à l’ouest-nord-ouest. Cependant, les moines de l’abbaye se sentaient fiers de tirer de leur terre un peu de vin. Fina-lement, en 1705, le prieur du monastère décida d’arracher la vigne pour planter à sa place du blé et des arbres fruitiers. L’acte dans lequel est consigné cette décision confirme nos crain-tes quant à la qualité du breuvage puisqu’il est écrit : « depuis plus de 15 ans la dite vigne ne rapporte que très peu de vin et pour l’ordinaire si méchant qu’on a de la peine à en boire ». Bref, la piquette de Lyre n’enchantait plus trop le palais des religieux.

Histoires et légendes

Les vieilles abbayes du Moyen Âge ont souvent servi de cadre à des histoires légendaires. Prenez le monastère de Mortemer, à l’autre extrémité du dépar-tement de l’Eure. Les habitants vous confient que quatre fantômes en habit

de religieux apparaissent parfois et qu’une Dame Blanche erre la nuit au milieu des ruines. Plusieurs témoins rapportent avoir vu des portes se fermer ou entendu des bruits de pas sans qu’une présence humaine soit visible. À Corneville-sur-Risle, on explique que pendant la Guerre de Cent Ans, les moines de l’abbaye voisine chargèrent leur trésor et leurs cloches dans une barque pour les soustraire aux Anglais. Mais le poids considérable du chargement fit chavirer l’embarcation. Les religieux récupérèrent le trésor et les cloches, sauf une, que l’on ne retrouva jamais. Et selon la légende, lorsque les cloches de l’abbaye sonnèrent à nouveau, celle restée au fond de la Risle répondit au carillon de Corneville. L’abbaye de Lyre a aussi sa petite histoire sauf qu’elle n’est peut-être pas si légendaire qu’on pourrait le croire. La frontière entre vérité historique et récit fantaisiste s’avère bien brumeuse.

On raconte qu’à la fin du XIIe siècle, les moines de Lyre durent quitter le village pour fuir la guerre. Ils embarquèrent dans un port de Normandie afin de traverser la Manche. La communauté religieuse trouva finalement asile sur l’île de Wight, au sud de l’Angleterre. C’est sur cette terre anglaise qu’elle choisit de bâtir un nouveau monastère. Un monastère baptisé « abbaye de Lyre » en mémoire du lieu que les moines venaient de quitter. Ils avaient emporté avec eux leurs trésors. Sauf un, dit la légende. Il s’agissait d’une vierge en or, intransporta-ble tant elle était grande. Elle fut donc cachée par les moines avant leur départ. Mais où ? Aujourd’hui encore, les amateurs de trésors se creusent la tête. Chacun a son idée sur l’endroit de la cachette. Beaucoup l’imaginent dans un des souterrains creusés sous la Vieille-Lyre. Ce n’est pas l’avis de tous. Une autre tradition rapporte que l’objet, pesant tout de même 800 kg, serait enterré au pied d’un chêne. Cet arbre se situerait dans le bois de l’enclos, au-dessus des étangs de la Risle. Étant donné le nombre de chênes dans ce secteur, la recherche risque d’être

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longue. Certains habitants pensent plutôt que la statue reposerait au fond de la Risle ou d’un étang. D’autres m’ont assuré que le trésor est caché sous les marches de l’église de la Vieille-Lyre. Mais alors quelles marches ? Celles à l’entrée ou celles à l’intérieur de l’édifice ? En tout cas, on cherche toujours la statue.

Revenons sur l’histoire de ce monastère fondé par des religieux lyrois en Angleterre. Est-ce une légende ? Quelques faits laissent planer le doute. D’abord, au Moyen Âge, d’impor-tants liens existaient entre Lyre et l’Angleterre. Grâce à Guillaume Fils d’Osbern, le fondateur de l’abbaye, et à d’autres seigneurs, le monastère avait reçu quelques terres et plusieurs rentes outre-Manche. En outre, l’abbé de Lyre avait obtenu le droit de nommer les curés de plusieurs dizaines de paroisses anglaises. Les relations anglo-lyroises étaient même plus fortes que je m’y attendais. Par exemple, écoutez cette vieille histoire qui circule sur l’île de Wight. Wight, c’est cette île que le ferry transmanche contourne juste avant d’approcher de Portsmouth. On raconte là-bas que vers l’an 1170, des moines venus de Normandie auraient débarqué sur la côte, à un endroit aujourd’hui baptisé Monks Bay (c’est-à-dire la Baie des Moines en anglais). À proximité, les nouveaux arrivants auraient édifié l’église de Bonchurch. Ce monument serait-il le monastère où se serait établis les moines lyrois à la fin du XIIe siècle ? Il est en tout cas troublant comment cette tradition anglaise rappelle notre légende locale.

Un autre fait ne manque pas d’intriguer. À une trentaine de kilomètres d’Eardisland, donc toujours en Grande-Bretagne, subsiste un prieuré (un petit monastère) nommé Livers Ocle. Il se situe précisément dans le comté de Hereford, dont le seigneur était au temps de Guillaume le Conquérant, Guillaume fils d’Osbern. Or, on pense là-bas que le nom de Livers dériverait de Lyre. Est-ce donc plutôt à cet endroit que les moines lyrois ont élevé leur monas-tère après leur fuite de Normandie ?

On se rend compte que les vieilles histoires ne sont jamais totalement des légendes. Simplement à force d’être raconté, le ré-cit fondé sur des faits réels s’est déformé au fil des générations. Les conteurs ont télescopé des événe-ments à l’origine distants dans le temps. Prenez l’histoire de la Vierge en or cachée. Encore une lé-gende ? Pas tout à fait. Il est facile de la rapprocher des événements qui ont

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L’église de Bonchurch sur l’île de Wight (Angleterre). Là-bas, les guides touristiques expliquent que ce monument fut

construit par des moines de Normandie. Certains affirment plus exac-tement que ces religieux venaient de Lyre.

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eu lieu dans la commune lors de la Révolution Française. En 1790, l’Assemblée Nationale ordonna la séquestre de tous les biens des églises. En conséquence, le 14 mai, la municipalité de la Vieille-Lyre entra dans l’abbaye pour procéder à un in-ventaire des biens mobiliers. Ces derniers devaient être saisis pour être vendus au bénéfice de l’État. Comme par hasard, dès le lendemain de l’inventaire, des objets précieux avaient dis-paru, les serrures de la sacristie ayant été brisées au préalable. Qui étaient les auteurs du vol ? Les moines, leurs domestiques, d’autres villageois ? Le maire DUVAL diligenta une enquête et installa des gardes dans l’abbaye. Dans les jours suivants, on retrouva une partie du trésor, souvent dans des endroits insolites : la statue de l’enfant Jésus en argent était caché sous une couverture du mur de l’enclos abbatial. Le potager recelait parmi ses légumes une petite plaque d’argent. Une autre partie de l’argenterie se trouvait dissimulée au-dessus des latrines de l’abbaye. Néanmoins tout ne fut pas retrouvé. Qu’en est-il par exemple de cette fameuse Vierge dorée, patronne de l’abbaye ? A t-elle existé ? En tout cas, l’inventaire fait en 1790 par la mu-nicipalité ne signale pas l’existence d’un tel trésor.

Si la statue a vraiment existé, elle pourrait se situer dans un des nombreux souterrains de la commune. Ne com-pare-t-on pas le sous-sol de la Vieille-Lyre à un gruyère ? On parle d’un souterrain qui sortirait au château de Bois-Anzeray, d’un autre qui mènerait à Conches. Un troisième passerait à Champignolles puis filerait à la Ferrière-sur-Risle et un dernier partirait vers la Neuve-Lyre pour se diriger vers l’abbaye de la Trappe, pourtant située à près de 40 km ! Il est difficile de vérifier leur existence puisque la plupart de ces passages sont dits murés aujourd’hui. Dans les temps difficiles, les moines s’y seraient terrés et auraient fui par ces boyaux. Même si l’abbaye

constituait une enceinte sacrée, leurs habitants n’étaient pas protégés de la fureur des armées. A plusieurs reprises, des bandes de soldats n’ont pas hésité à pénétrer à l’intérieur du monas-tère pour le saccager et le piller. Ce fut notamment le cas pendant la guerre de Cent Ans, dans les années 1355-1365.

À Rugles, comme me le raconta l’historien local Albert LECOCQ, beaucoup croient aussi à l’existence de souterrains sous la ville. Ils partiraient tous de l’ancien château (à l’empla-cement de la prairie bordée de tilleuls appelée « la Garenne »). À l’occasion de travaux ou lors d’éboulements, on a repéré des excavations et des voûtes maçonnées. Mais aucun curieux n’a

Le jumelage avec Eardisland

En décembre 2004, une let-tre partie d’Angleterre arriva à la mairie de la Vieille Lyre. Le courrier venait d’un cer-tain Paul SELFE, membre du conseil paroissial d’Ear-disland. Il y écrivait que son association d’histoire locale avait trouvé un passé com-mun entre son village an-glais et le nôtre : Eardisland versait autrefois une dîme à l’abbaye de Lyre. Paul SEL-FE proposait un échange entre les deux communes.

L’idée a fait son chemin. Après plusieurs rencontres chaleureuses entre Anglais et Lyrois, Ruth BRINTON-BIVAND, conseillère muni-cipale d’Eardisland, et Mi-chel DESSARTHE, maire de la Vieille-Lyre ont signé officiellement un accord de jumelage le 16 septembre 2006. Le ministre délégué au Tourisme Léon BER-TRAND assistait à l’évé-nement. Au cours de l’une des rencontres franco-an-glaises, le maire, pince-sans-rire, accorda une re-mise de dette à Eardisland. Les Anglais ne devaient-ils pas 600 années d’arriérés de dîme à sa commune ?

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pu ou n’a eu le courage de suivre en profondeur les galeries. En 1981, un radiesthésiste, invité par M. LECOCQ, a pourtant confirmé la présence de structures souterraines sous la Garenne à l’aide de son pendule. Faut-il croire les résultats de cette pratique considérée par quelques-uns comme du charlatanisme ?

Dans les Deux-Lyre, ce qui est indéniable, c’est que plusieurs propriétaires possèdent dans leur sous-sol des caves anciennes. À la Vieille-Lyre, l’une d’entre elle comporterait le dé-part de 11 souterrains ! J’ai eu la chance de visiter cette dernière. Elle consiste en deux couloirs perpendiculaires. L’une des branches descend assez profondément dans le sol et aboutit dans une pièce. Sur les murs, des groupes de bâtonnets sont gravés, laissant supposer que l’endroit a servi un temps de prison ou de lieu de stockage. Les deux couloirs comportent régulièrement des niches sur les côtés. Correspondent-elles à des départs de souterrains ? Je n’y crois pas. Il s’agit simplement de compartiments dans lesquels les moines installaient leur barrique de cidre ou de vin. C’est une disposition typique des caves monastiques médiévales. Alors, la Vieille-Lyre dissimule-t-elle vraiment dans son sol de longs souterrains ? Les anciens de la commune et de la Neuve-Lyre voisine l’affirment : ils s’y sont réfugiés pour se protéger des bombarde-ments pendant la guerre. Il faut l’avouer, il serait décevant d’apprendre que l’image de moines, une chandelle à la main, fuyant dans des couloirs sombres, ne se révèle qu’une légende.

Itinéraire à travers la Vieille-Lyre au temps des moines

La communauté religieuse de Lyre ne possédait pas tout le territoire communal actuel mais en tant que seigneur du village, elle en contrôlait l’essentiel. Les documents laissés par les moines et conservés aux Archives départementales permettent d’évoquer quelques lieux.

Dans le bourg

Imaginons que nous puissions revenir 300 ans en arrière et que nous parcourions la Vieille-Lyre. Que verrions-nous ? Nos yeux seraient d’abord attirés par la grande masse de l’abbaye. Nous l’avons décrite précédemment. C’était un monument très

vaste qui rendait ridicule la taille des maisons autour. Sortons donc du monastère par une des quatre portes. La principale donne sur le cœur du village (aujourd’hui cette porte se situerait juste à côté du gîte du Trou Normand, à l’emplacement actuel d’un beau portail de briques). En sortant de l’abbaye par ce passage, le marcheur découvre la place trapézoïdale du village. C’est ici que se déroulent le marché et les foires de la Vieille-Lyre. Des marchands et paysans des environs y conversent. On y négocie entre autres céréales, draps et bêtes. Des boutiques d’artisans et des auberges entourent à cette époque la place et contribuent à une animation plus importante qu’aujourd’hui.

Itinéraire à travers la Vieille-Lyre au temps des moines

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L’activité est à son comble lors des foires, notamment celle du 15 août. C’est une date-clé du calendrier lyrois car on fête l’As-somption de la Vierge, patronne de l’abbaye. À cette occasion, les moi-nes abandonnent leur frugal repas quotidien pour déguster un cerf capturé les jours précé-dents dans la forêt de Breteuil. Une grande cérémonie religieuse a lieu dans l’église abbatiale pour laquelle les habitants des paroisses en-vironnantes sont conviés. C’est l’occasion de remplir la nef si rarement occupée au cours de l’année puisque les moines n’utilisent que le chœur et la croisée du transept. Le sanctuaire était balayé et décoré. On sortait les objets les plus précieux : deux statues en argent, une croix ornée de pierreries et contenant un fragment de la croix du Christ, les châsses renfermant les reliques de saints, enfin un anneau serti d’une émeraude et remis, dit-on, par saint Thomas Becket. En conséquence, chaque 15 août, une foule de pèlerins se presse vers le village. Les moines de Lyre attendent de ces journées de marché et de foire de belles rentrées d’argent car non seulement ils en profitent pour vendre leur surplus agricoles mais en plus ils perçoivent une taxe sur les étalages et les produits vendus et enfin, récupèrent les aumônes des fidèles.

Sur le côté de la place, nous ne verrions pas le monuments aux morts (élevé en 1921), ni la route de la Ferrière-sur-Risle (tracée en 1843). À leur place, s’étend le cimetière qui des-cend donc plus bas qu’aujourd’hui. L’église paroissiale Saint-Pierre est déjà là. Seulement, à y regarder de près, elle ne ressemble pas totalement à celle que nous connaissons aujourd’hui. D’abord elle est moins longue. De plus, la porte d’entrée se situe sur la façade sud (côté rue saint-Pierre). Ce passage sera ensuite comblé.

Continuons à nous imaginer la Vieille-Lyre au temps des moines. Nous montons la rue saint-Pierre pour accéder aux champs sur le plateau. Les maisons s’alignent déjà de chaque côté. Il est certain que l’installation d’une communauté religieuse, par l’activité économique qu’elle engendrait et la protection spirituelle qu’elle assurait, a favorisé le peuplement du vil-lage. Sans la présence de l’abbaye, la Vieille-Lyre ne serait peut-être qu’un hameau.

L’église saint-Pierre de la Vieille-Lyre.

Itinéraire à travers la Vieille-Lyre au temps des moines

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De la Croix de Pierre au Mesnil, par le plateau

La rue Saint-Pierre amène au carrefour de la Croix de pierre (voir carte p.47). Ce point de repère sera déplacé au XIXe siècle à cause de l’installation de la voie ferrée. Le conseil municipal votera son transfert quelques dizaines de mètres

plus loin, à l’emplacement que nous connaissons aujourd’hui. De ce carrefour, partent le che-min de Rouen (l’actuelle petite route qui dessert la Bosselette et la Mare Plate ) et le chemin de Paris (l’actuelle route de Guernanville). Ce sont donc d’importantes voies à cette époque.

En suivant le chemin de Paris, on rejoint la ferme de la Bourgeraie, une des cinq exploi-tations que compte l’abbaye sur la paroisse de la Vieille-Lyre. Créée en limite de forêt, isolée, cette ferme ne semble pas très ancienne (mentionnée dès 1521).

De l’autre côté de la route, à quelques centaines de mètres, autrefois, se tient la léprose-rie de la Madeleine. C’est dans ce bâtiment isolé à l’est de la paroisse, que les lépreux devaient se retirer. La lèpre était au Moyen Age une maladie assez répandue. En être atteint signifiait l’exclusion de la société. Les lépreux n’avaient plus le droit d’entrer dans les églises ou dans les tavernes et on leur confisquait leurs biens. Ils n’avaient d’autres choix qu’errer sur les routes ou se retirer dans une léproserie. Un ou plusieurs moines dirigeait l’établissement lyrois dont l’existence remonte au moins à 1227. Lors de notre visite fictive, la léproserie est abandonnée car la maladie a presque disparu. Bientôt, en 1737, les ruines seront totalement abattues et les moines récupéreront les matériaux pour réparer le logis de l’abbé. Il n’en reste donc plus rien actuellement.

Nous arrivons aux limites communales. Au loin, on aperçoit, cernée par la forêt, la ferme des Noës. Il est temps de revenir au carrefour de la Croix de Pierre pour cette fois suivre le chemin de Rouen. La route longe le rebord de la vallée. C’est là, en bas de la pente, que s’étendaient les vignobles de la Vieille-Lyre. Sur la droite, s’élè-vent les bâtiments de la ferme de la Bosselette. La Bosselette (ou Boisselette) constitue la plus ancienne (mentionnée dès 1305) et la plus impor-tante ferme monastique de la Vieille-Lyre. Elle impressionne par le nombre de ses bâtiments (un plan de 1775 en figure 16 !) Derrière l’enclos de haies, on distingue notamment une grange, un co-lombier et même une tuilerie qui approvisionne le monastère en briques. Autour, plusieurs champs sont plantés de pommiers ! Cette étrange prati-que agricole ne s’étendaient pas seulement aux

Itinéraire à travers la Vieille-Lyre au temps des moines

La Croix de Pierre. Installée près d’un important carrefour, elle signalait pour le voyageur venant de l’est

l’arrivée à la Vieille-Lyre.

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alentours de la Bosselette. L’ombre de pommiers de-vaient certainement nuire à la croissance du blé poussant juste en dessous. Néanmoins, il semble que le souci de boire du cidre issu de ses pommes sem-blait à cette époque aussi vital que de cultiver le blé de son pain.

Après le val Pillier, la route monte et laisse sur la droite le hameau de la Secreterie (aujourd’hui nommé la Seigleterie). Ici aussi, le monastère possè-

de une ferme. Les moines de Lyre l’ont délicieusement nommée « le Clos des Anges ». Le che-min de Rouen se poursuit jusqu’à la Mare Plate avant de s’enfoncer dans la forêt de Conches. Cette dernière est très importante pour les Lyrois : ils y envoient leurs bêtes. Les porcs man-gent les glands des chênes pendant que les chevaux et les vaches broutaient l’herbe qui perce le tapis de feuilles mortes. C’était une façon économique de les nourrir pour celui qui ne possède ni prairies, ni fourrages. Dans la forêt, les gardiens de troupeaux croisent les bûcherons, les charbonniers ainsi que les voituriers qui emmènent le bois à l’extérieur. Du bois indispensable pour le chauffage des foyers et pour les nombreux menuisiers et charpentiers de la commune. Car, au temps des moines, la Vieille-Lyre n’est pas seulement un village d’agriculteurs. Il abrite beaucoup d’artisans du bois. Aujourd’hui encore, la commune compte le plus grand nombre de charpentiers et menuisiers du canton.

Au nord de la commune, le Mesnil forme le principal hameau de la commune. Les moi-nes n’en contrôlent qu’une partie. Un seigneur laïc possède le reste. Il y a donc un « sieur du Mesnil ». Il habite un beau manoir d’époque Louis XIII (encore debout) à la limite du coteau. Des Mesnil, il y a un peu partout à travers la campagne normande. L’explication est simple : en ancien français, le mot désigne un domaine rural. Pour le différencier des autres, le Mesnil de la Vieille-Lyre est surnommé le Mesnil de la Bretêche ou le Mesnil aux Bigres. Au Moyen Age, le bigre était un des nombreux travailleurs de la forêt. Ce personnage parcourait les bois afin de capturer des essaims. Puis tel un apiculteur, il élevait dans des ruches les « mouches à miel », autrement dit les abeilles. Ainsi le bigre produisait du miel – avec lequel on sucrait des boissons, les hydromels – et de la cire pour les bougies. Pour recueillir les abeilles, il avait l’autorisation de couper l’arbre qui abritait l’essaim.

Itinéraire à travers la Vieille-Lyre au temps des moines

La roue à aubes du Rouge-Moulin. L’ossature est en fer ; les pales sont en bois. Au début des années 1920, M. LOISON écrasait encore du grain pour des particuliers.

Aujourd’hui propriété de M. et Mme Marchal, ce lieu est l’un des plus charmants de la Vieille-Lyre

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En suivant la Risle, du Rouge-Moulin à Trisay

Continuons notre promenade dans la Vieille-Lyre autour de l’an 1700. Du Mes-nil, de nombreux chemins permettent de descendre dans la vallée de la Risle (voir carte p.45). La Vieille-Lyre reste inséparable de la rivière à qui elle doit

une partie de son développement. Le nom « Lyre » ne dériverait-il pas du nom primitif du fleuve : « Lera » ? C’est en tout cas ce qu’affirme l’érudit François de BEAUREPAIRE. Grâce à différentes donations, l’abbaye possède l’eau de la Risle à partir du pont de la Neuve-Lyre (celui sur lequel passe la route de Bois-Normand) jusqu’à la seigneurie de Champignolles. Ce qui signifie deux choses : d’abord, le contenu de la rivière revient aux moines, notamment les poissons. Pour preuve, en 1689, un paroissien de la Vieille-Lyre, Jacques DU HAMEL, est condamné à une amende car il a pêché dans la Risle. On le menaça du fouet s’il récidivait. Deuxièmement, cette concession de l’eau à la communauté des moines implique, à leur yeux, un droit de regard sur son utilisation par les riverains. Créer un moulin, détourner la rivière pour irriguer son pré, autant d’aménagements que l’abbé de Lyre surveille de près et admet difficilement s’il n’en est pas le commanditaire.

Itinéraire à travers la Vieille-Lyre au temps des moines

L’ancien moulin d’André LEGAL, situé au pied du village. « Dédé la farine », comme le surnommait certains habitants, préparait justement de la farine pour

les bêtes. Cet établissement occupe sûrement l’emplacement d’un très ancien moulin appartenant à l’abbaye.

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Les religieux de Lyre ont presque tous – sinon tous – les moulins sur la portion de la Risle qui traverse la paroisse. Les habitants des hameaux et villages proches sont sous le ban d’un de ces établissements c’est-à-dire qu’ils doivent obliga-toirement utiliser l’un d’entre eux. D’où leur nom de moulin banal. Vous produisez des céréales ? Vous devez les moudre au moulin banal. Vous tissez des étoffes de laine ? Vous devez les battre au moulin banal. Égrenons-les d’aval en amont. Au nord, fonctionne le Rouge Moulin, originellement appelé le moulin des Houmes (ou Heaumes). Depuis 1248, il accueille les pa-roissiens de la Barre, de Rubremont et du Bosc-Renoult venus moudre leur grain. La Risle se remonte ensuite sur quelques centaines de mètres et déjà Chalet apparaît sur la rive gauche. Installé sur une terrasse, Chalet est avec Trisay l’un des plus an-cien lieu-dit de la Vieille-Lyre puisqu’il figure dans la première grande charte de donation à l’abbaye datée d’environ 1051. Il y a un moulin à blé mais l’abbaye ne le possède pas (c’est une exception). Rapidement, on arrive à Trisay.

Au temps des moines, Trisay se repère de loin. Été comme hiver, une épaisse fumée s’en échappe. C’est qu’on y travaille durement. Depuis les années 1480, les religieux de Lyre y font marcher une forge. Cette activité métallurgique se perpétuera après la Révolution française. Nous y reviendrons.

Notre chemin se poursuit. Nous rejoignons la route de la Barre-en-Ouche. Le bourg de la Vieille-Lyre n’est plus loin. Nous longeons le mur d’enceinte de l’abbaye. Juste à l’entrée du village, sur la droite, un nouveau moulin à blé se dresse (il occuperait aujourd’hui l’emplacement du grand bâtiment blanc en contrebas du gîte du Trou Normand). Les habitants le nom-ment le moulin du Pré mais il fut longtemps désigné comme le moulin Anzerai car il fut donné à l’abbaye à la fin du XIIe siècle par le seigneur de Bois-Anzeray RICHARD. Soucieux de son salut, il termina sa vie comme moine de Lyre. Plus que quel-ques mètres et nous voilà revenu sur la place du bourg, devant l’entrée principale de l’abbaye. La boucle est bouclée.

La Haie de Lyre

L’abbaye de Lyre s’était ré-servé à son usage exclusif quelques portions de la fo-rêt, notamment le bois de la Bourgeraie et la Haie de Lyre (voir carte p.45). Environ 300 ha en tout. Elle y fabri-quait le charbon nécessaire à l’alimentation de sa forge et de sa tuilerie. Elle y cou-pait de beaux arbres, qu’el-le vendait quand elle avait un besoin d’argent urgent.

De profonds fossés isolaient ces bois du reste de la forêt et des autres usagers. Pour renforcer ses limites, la Haie de Lyre disposait de bornes de grès sur son périmètre. Plantées en 1535, toutes ont disparu. Sauf deux. Bien taillées, elles s’élèvent à environ 80 cm mais sur-tout elles portent sur deux faces opposées des signes gravés, en fait des blasons. Du côté qui regarde vers la commune, on distingue une harpe c’est-à-dire les armes de l’abbaye de Lyre. De l’autre, figure une fleur de lys. Ce motif rappelle que ce côté-ci de la forêt ap-partenait au roi de France.

Ce sont des vestiges ex-ceptionnels.

Itinéraire à travers la Vieille-Lyre au temps des moines

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La Révolution française Les documents manquent pour savoir comment les Lyrois ont réagi devant les pre-

miers événements de la Révolution : la prise de la Bastille, le vote de l’abolition des privilèges, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la mort du roi LOUIS XVI… La période révolutionnaire fut en tout cas un bouleversement : les moines quittent la Vieille Lyre. Désor-mais, un maire et quelques officiers municipaux (on ne dit pas encore conseillers municipaux) dirigent chacune des communes. Les anciennes divisions administratives disparaissent. À la place, sont mis en place les départements et les cantons. Les Deux-Lyre se retrouvent dans le département de l’Eure. La Neuve-Lyre devient chef-lieu d’un canton qui comprend entre autres la Vieille-Lyre. Quel renversement de situation ! La Vieille-Lyre, qui pendant plusieurs centaines d’années, était le siège du pouvoir seigneurial, celui de l’abbaye, se retrouve reléguée simple commune. À la faveur de la Révolution, c’est désormais sa voisine qui domine.

L’agonie de l’abbaye

Des malheurs, l’abbaye en a connu. Pourtant à chaque fois elle s’est relevée. Guerres et incendies accidentels ont à plusieurs reprises troublé la vie paisible des moines. En plus de ces événements ponctuels, des maux plus sournois

frappaient l’abbaye à partir du XVe siècle : des abbés absentéistes et rapaces se succédaient à Lyre ; les vocations de moines diminuaient. La Révolution française intervint à un moment où l’abbaye était très vulnérable. Cette fois, le coup fut fatal. Fatal pour les religieux mais aussi pour le monument. Pourtant, des opportunités se présentèrent pour éviter le pire.

« Des oisifs », « des êtres inutiles », « des âmes peu charitables », des « personnages débauchés » : à la veille de la Révolution de 1789, le peuple ne mâche pas ses mots pour dé-signer les moines en général. Les cahiers de doléances envoyés au roi attestent d’une certaine hostilité à leur encontre. Alors que le nombre de religieux ne cesse de diminuer, alors que de nombreuses familles vivent dans la crainte de la disette, les abbayes françaises touchent tou-jours d’énormes revenus grâce aux dîmes, aux fermages et à leurs nombreuses propriétés.

Les premiers Révolutionnaires s’attachent à remédier à cet abus. En novembre 1789, l’Assemblée nationale s’adjuge les biens du clergé afin de les vendre et ainsi rétablir des finances très mal en point. Trois mois plus tard, les députés votent la dissolution des ordres religieux.

Le 14 mai 1790, à 10h, le maire de la Vieille-Lyre François DUVAL se présente donc en compagnie de quatre officiers municipaux, Jacques MASSON, Jean-Baptiste MARAIS, Étienne LOISEAU et Jacques DUMOUTIER, à la porte de l’abbaye de Lyre. Il entend pro-céder à l’inventaire des biens du monastère qui seront, selon le vœu de l’Assemblée, vendus. L’abbaye offre à cette époque un visage paradoxal : seuls 10 moines hantent un monastère devenu bien trop grand pour leur petit nombre. Au Moyen Âge, ils étaient quatre fois plus. Le maire et ses assesseurs arpentent les différents bâtiments et pièces : sacristie, bibliothèque, cui-

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sine, dortoir, réfectoire, infirmerie, caves, écurie, grange. Le dortoir n’en est plus vraiment un : chaque moine dispose de ses propres appartements. Ceux du prieur comportent des fauteuils, un canapé et un secrétaire en marqueterie. Des domestiques logent dans les pièces voisines. Les vœux de pauvreté semblent oubliés depuis longtemps.

Dès le lendemain de l’inventaire, des vols se produisent dans le monastère. Ne s’agi-rait-il pas des moines, désireux de soustraire à la Nation les biens de l’Église ? En tout cas, ils sont vite suspectés. Des gardes nationaux surveillent désormais l’abbaye et ses occupants. Le climat s’envenime. Les moines craignent pour leur vie ; ils veulent partir. Finalement, après avoir reçu une pension, ils s’en vont définitivement, la plupart retournant dans leur famille. En novembre 1791, l’abbaye de Lyre est toujours debout mais elle présente l’image d’une grande coquille vide.

Cette impression est accentuée par la mise en vente des meubles du monastère. Tout est mis aux enchères : la vaisselle, les vêtements des moines, les tables, les tapis, les tableaux, les boiseries, les chaires à prêcher, les confessionnaux. Tout, même le buffet d’orgue et le grand autel du chœur qui trouvent preneur en la personne de Martin LE ROUX, le menuisier du village ! Rien ne se perd, tout se transforme.

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Le gîte rural du Trou Normand Très remanié, il est difficile de s’imaginer l’état du bâtiment lorsqu’il accueillait dès la fin du XVIIe

siècle l’abbé de Lyre

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Sans entretien, les bâtiments se dégradent rapidement. À la fin de l’année 1797, une partie de l’église, notamment la tour, s’écroule. On en profite pour vendre les débris tombés : le bois de la charpente, les pierres des murs, et même le plomb des gouttières et les pavés du sol. Ainsi s’esquisse la triste fin de l’abbaye. En 1798, les différents édifices sont vendus. L’ac-quéreur François LECERF les utilise comme carrière à matériaux. Un à un, les murs tombent sous la pioche. En moins de cinq ans, le monastère de Lyre disparaît. Il connaît en fait le sort de nombreux autres établissements religieux de Normandie en ce temps où l’intérêt pour le patrimoine commençait à peine à germer. Tout juste conserve-t-on aujourd’hui des murs de l’enclos, des caves et une partie du logis de l’abbé (l’actuel gîte de groupe du Trou Normand).

Une révolution tranquille ?

La lecture de certains livres d’histoire donne l’impression que la Révolution se déroule entièrement à Paris. La province, elle, ne fait que suivre les événements. L’histoire des deux-Lyre montre le contraire. Elle prouve aussi que l’époque

révolutionnaire ne fut pas toujours une période heureuse. Même si la guillotine n’a pas coupé de tête ici, plusieurs événements attestent d’une certaine agitation dans les deux villages.

Le premier se déroule à la fin de l’hiver 1792. Le pays d’Ouche gronde. Le pain est trop cher. Les producteurs de grains spéculent en accaparant les stocks pour faire monter les prix. Le lundi 27 février, environ 150 hommes des Baux, de Ste-Marguerite et de Guernanville envahissent le marché de la Neuve-Lyre. Grâce à leur nombre, ils imposent un prix maximum de vente du blé. Deux jours plus tard, une troupe se met en route vers la Barre-en-Ouche. On y reconnaît les gardes nationaux de la Vieille-Lyre et de la Neuve-Lyre, en habit et en armes. Derrière suit un cortège d’hommes armés de faux, de serpes, de haches, de piques… L’objectif est d’imposer au marché de la Barre, à son tour, une limite de prix au blé. Mais la municipalité barroise est au courant et la garde nationale locale se prépare à défendre le bourg. Tambour battant et drapeaux déployés, les Lyrois arrivent en vue de la Barre. Les deux camps se font face. Le maire et ses assesseurs, en écharpe, s’avancent auprès des émeutiers. On dis-cute et finalement la pression populaire l’emporte. La municipalité barroise accepte l’idée d’un prix maximum.

Quelques jours plus tard, le samedi 3 mars, dès sept heures du matin, la place de la Neuve-Lyre est de nouveau envahie. Cette fois, ce sont des habitants de Neaufles qui sont ve-nus protester. Ils se plaignent des prix exorbitants du fer, du charbon et du bois vendus par la grosse forge de Conches. Autant de matières premières que les Neaufléens, comme les Lyrois, utilise pour leur travail. En effet, les cloutiers, les sabotiers ou les charpentiers sont particuliè-rement nombreux parmi les communautés vivant près des forêts de Conches et de Breteuil. Les magistrats municipaux sont alertés de l’invasion et viennent à la rencontre des mécontents. En majorité, les autorités lyroises estiment qu’en vertu de la liberté du commerce, les émeu-tiers n’ont pas le droit de contester les prix. Cependant, le principal magistrat de la commune cède, sûrement par peur d’être taillé en pièces. Les caisses sont battues et les cloches de l’église

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saint-Gilles sonnent. La Garde Nationale accourt en armes et l’ensemble de la troupe prend la direction de Conches. Sur la route, elle s’arrête dans les villages et hameaux pour enrôler d’autres participants. La forge de Conches voit arriver quelques heures plus tard cette foule enragée. Le régisseur de l’usine ne se fait pas prier : il accepte l’imposition d’un prix maximum pour les fers qu’il vend.

Ce genre d’expédition touche peu à peu tous les bourgs et villes du Pays d’Ouche (Rugles, la Ferrière, Conches, Breteuil) puis s’étend à Damville, à Verneuil et au Neubourg. Dans cette dernière ville, on compte jusqu’à 5000 insurgés. Ils exigent un prix maximum pour le blé. Cette flambée de violence épouvante l’Assemblée Nationale même si elle ne semble pas meur-trière. Les députés décident de répondre par la force : 1500 gardes nationaux, une centaine de cavaliers, six canons sont envoyés pour rétablir l’ordre. Un général commande l’expédition punitive. Cette armée se rassemble à Évreux, rentre dans Conches puis atteint la Neuve-Lyre. Mais que ce soit à Conches ou à la Neuve-Lyre, aucun boulet, aucune balle ne sont tirés. Les soldats n’ont aucun opposant en face d’eux car les émeutiers sont tout simplement retournés chez eux ou ont fui dans la forêt. Trois semaines après les premières émeutes, le calme est revenu de lui-même.

Des Lyrois sans prêtre et sans église

Dans les mois suivant, la Révolution se durcit. Les prêtres qui ont refusé la Constitution Civile du Clergé (un ensemble de lois qui réforment le statut des ecclésiastiques) sont bannis de France. Pour le curé de la Neuve-Lyre,

l’abbé BESNARD, qui avait accepté le texte puis s’était rétracté, la situation devient précaire. Il doit célébrer clandestinement des messes dans les granges de ses paroissiens. Craignant probablement pour sa vie, il finit par s’enfuir en Angleterre. L’offensive contre les religieux se transforme rapidement en offensive contre la religion. Le gouvernement animé par RO-BESPIERRE promeut la déchristianisation du pays. En octobre 1793, il interdit le calendrier traditionnel et lui substitue le calendrier révolutionnaire : finis les semaines, les dimanches et les jours distingués par la fête d’un saint. Désormais les Français doivent compter le temps en décade (une semaine de 10 jours) et se reposer le decadi (nouveau dimanche mais tous les 10 jours...).

La déchristianisation se poursuit durant l’hiver 1793-1794 : les églises de la Neuve-Lyre et de la Vieille-Lyre, comme les autres lieux de culte français, sont fermées. Les cloches ne son-nent plus pour annoncer les heures et la messe. C’est un tout autre bruit qui résonne sous les voûtes de l’église de la Neuve-Lyre : celui du marteau. En effet, le vaste bâtiment est converti en forge ! Les nécessités de la guerre expliquent probablement cette nouvelle affectation. La France doit alors se battre contre les Vendéens à l’intérieur, et contre les Autrichiens et les Prussiens à l’extérieur. Il faut donc du fer pour équiper la cavalerie et fabriquer canons et fusils. Ce sont ces mêmes circonstances qui expliquent ensuite la transformation de l’église-forge en magasin de salpêtre. Selon un règlement militaire, chaque commune doit fournir des sacs de

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salpêtre, un produit indispensable à la fabrication de la poudre à canon. Les caves en pierres calcaires du bourg sont lessivées en conséquence. Le moindre geste est jugé indispensable pour conduire à la victoire de la France révolutionnaire.

Ces nouvelles affectations semblent peu durées. Une fois la menace d’invasion étran-gère écartée et après l’exécution de ROBESPIERRE, les esprits s’apaisent. Le 19 avril 1795, les femmes de la Neuve-Lyre manifestent pour la réouverture de l’église. Ce qu’elles obtiennent probablement quelques mois plus tard.

La vie avant-guerre à la Vieille-LyreAprès un saut dans le temps, nous abordons maintenant les années 1920 et 1930. L’his-

toire des Deux-Lyre s’affine car en plus des cartes postales, nous bénéficions des premiers té-moignages oraux. En effet, ce chapitre ainsi que les suivants sont le fruit d’une vingtaine d’en-tretiens que j’ai eu avec des personnes nées pendant cette période. Les discussions ont souvent durées plusieurs heures car je comprenais bien que ces témoins me brossaient un portrait des deux villages que les archives écrites ou les photos ne révéleraient jamais.

Les commerçants

Au vu des premières cartes postales, le bourg de la Vieille-Lyre n’a pas beau-coup changé. Tout au plus, a-t-il perdu un peu de son aspect champêtre. Autrefois, les routes n’étaient pas goudronnées, ce qui rendait les trajets à

La Vie avant-Guerre à la Vieille-Lyre

La place de l’église de la Vieille-Lyre entre 1908 et 1920. L’endroit a l’aspect d’un terrain vague. A la place de l’actuelle salle des fêtes, se dresse une vieille

maison à pan de bois dont l’étage s’avance au-dessus d’un passage. Appelé « le Porche », cet édi-fice donne du caractère à la place de l’église. Il passe pour une ancienne hôtellerie construite au XVe siècle ou au XVIe siècle. Malheureusement, en 1920, un Anglais du nom de DAVIS l’aurait achetée puis démontée afin de reconstruire le bâtiment dans son pays. Il est sûr qu’aujourd’hui, avec l’atta-chement que les gens portent au patrimoine, ce déménagement ne se serait pas produit (collection

Claude Blanchet).

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bicyclette plutôt chaotiques. Attention aux nids de poule en dévalant la rue saint-Pierre, la tête dans le guidon ! Il n’y avait pas de trottoirs. L’herbe croissait sur le bord des rues mais elle conservait une hauteur raisonnable grâce au broutement régulier des chevaux et des troupeaux de moutons.

La première chose qui frappe avant-guerre c’est le nombre de commerces. Aujourd’hui, il ne subsiste qu’un café. Avant-guerre, on en comptait six. On ne risquait pas de mourir de soif sur la commune. Il y avait ceux du bourg : l’hôtel de France, dirigé par M. et Mme GREVIN, le café de Mme GATINE, également sur la place de l’église. Les écarts de la commune n’étaient pas dépourvus : l’hôtel de la gare faisait également débit de boissons. Les paysans attachaient leur cheval aux troncs des marronniers voisins et entraient dans l’établissement, en attendant que leur train de marchandises arrive. A proximité, dans l’actuelle rue Pierre LE BOULCH (anciennement route de Guernanville puis rue du Stade), se tenait le café LEROUX. Il faut enfin ajouter l’établissement de Mme DOUCERIN à Trisay et celui de M. MOIRE au Mesnil. Dans ce dernier, le cafetier faisait également épicier et coiffeur.

D’autres commerçants animaient la commune : la charcuterie POUPARD, juste en face de l’hôtel de France, les épiceries PELVILAIN dans un coin de la place de l’église, et LAN-GLOIS, en contrebas de la mairie. On y trouvait du sucre, du café, de la farine, des pâtes, du

La Vie avant-Guerre à la Vieille-Lyre

L’ancien hôtel du Trou NormandC’est un lieu phare de la commune, qui changea plusieurs fois de nom. Sur la photo, il s’appelle

«Hôtel du Point du Jour». Nous sommes vers 1916. Il s’appelait avant café Fournot. Il prend le nom dans les années 20 d’hôtel de France. En 1952, il devient l’auberge du Trou Normand à l’occasion du

tournage d’un film (collection Claude Blanchet).

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chocolat, du rhum… mais les témoins que j’ai rencontrés se souviennent surtout des friandises qu’ils y achetaient quand ils étaient enfants. Par exemple, Éliane BLANCHET revoit encore l’épicier puiser dans une boîte cylindrique et en ressortir des bonbons rectangulaires rouges appelés coquelicot. L’enfant Gaston TRÉHARD appréciait notamment les caramels et les « surprises » (des bonbons et un petit jouet dans un cornet en papier). Née en 1922, Denise DESSARTHE se souvient également de l’odeur du café brûlé qui émanait de l’épicerie LAN-GLOIS lorsqu’elle partait à l’école. Raoul LANGLOIS et sa sœur Antoinette vendaient aussi des cierges et des médailles pour les pèlerins car l’église de la Vieille-Lyre constituait une desti-nation de pèlerinage. Une petite sonnerie avertissait l’épicière quand une cliente entrait. Route des Grands Prés (elle relie les deux bourgs de Lyre), M. MATHON tenait sa boutique de cycles et machines à coudre. De même le garage de Maurice COACHE, en haut de la rue St-Pierre, vendait et réparait les bicyclettes. À côté, madame tenait une épicerie, la quatrième du village.

L’agriculture d’autrefois

Bien entendu, l’agriculture d’avant-guerre se démarquait sensiblement de celle d’aujourd’hui. C’était une activité avec ses gestes (comme l’art de botteler ou de construire la meule) et son vocabulaire (« faire la batterie », « les javelles »,

« la gerbée », « le broqueteur »… ). C’était un travail qui faisait encore largement place à la force des bras et des chevaux bien que quelques engins mécaniques et de rares machines commençaient à alléger les efforts des hommes et des femmes. L’agriculture, c’était enfin la source de subsistance de la plupart des habitants car, à cette époque, presque chaque maison constituait en fait une petite ferme.

De grands travaux agricoles rythmaient l’année. D’abord, il y avait le labourage des champs. En 1930, les paysans utilisaient encore les vieilles charrues tirées par les chevaux : les mains tenant fermement les mancherons, ils peinaient à enfoncer le soc en fonte dans la terre et à maintenir l’engin droit. D’autres agriculteurs possédaient un brabant double, l’ancêtre de la charrue moderne. Double car l’instrument possédait des versoirs et des socs en dessous mais aussi au-dessus. Deux ou trois chevaux étaient nécessaires pour le tirer. Sa stabilité permettait au conducteur de marcher latéralement à l’ensemble. Arrivé au bout du champ, le laboureur faisait pivoter le brabant horizontalement pour utiliser le soc supérieur. Ainsi, lorsqu’il ouvrait la nouvelle raie, la terre se déversait contre la terre retournée au passage précédent.

En juin-juillet, on fauchait le foin. Un râteau à cheval rassemblait les herbes. Ensuite, les méthodes variaient pour faire sécher la récolte. Soit on déposait le foin sur un bâti en bois, à trois branches reliées au sommet, le perroquet. Soit on en faisait un gros amas appelé mulon. Le mulon dépassait généralement deux mètres et les enfants se faisaient un plaisir d’y monter afin de le tasser. Parfois, le vent s’amusait à tourbillonner dans le tas en construction pour en disperser les herbes. Dominés par ces mulons et perroquets, les prés fauchés offraient donc autrefois un paysage bien particulier.

La Vie avant-Guerre à la Vieille-Lyre

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Août, époque de la moisson, engendrait une grande ac-tivité dans les champs. Une moissonneuse-lieuse, tirée par un cheval, coupait les céréales, constituait des bottes et les aban-donnait sur le sol. Dans les petites fermes, le matériel de récolte était bien plus limité. Souvent, la modeste faux constituait l’ins-trument de coupe. Plus exactement, une faux à javellier puisque trois à cinq longues dents étaient fixées parallèlement à la lame. La faux coupait les tiges, le peigne les recueillait puis le faucheur déposait délicatement le bouquet au sol. Après la moisson, des recueilleurs, courbés sur le champ, ramassaient quatre ou cinq poignées de céréales tombées au sol et les liaient ensemble par un brin de seigle. La gerbe était ainsi confectionnée. Il n’y a avait plus qu’à mettre les gerbes en dizeaux, c’est-à-dire les ras-sembler par dizaine, épis en haut. Toujours dans le but de sé-cher. Certaines exploitations préféraient élever, à la place des dizeaux, une construction plus impressionnante : la meule. Les gerbes de blé étaient savamment montées et disposées – l’édi-fication de la meule revenait à une personne expérimentée – de manière à créer une forme de hutte pleine. Le « toit » laisserait ruisseler l’eau s’il se mettait à pleuvoir.

Quelques semaines plus tard, venait le temps du battage (en l’absence de moissonneuses-batteuses, arrivées après-guer-re, les activités de moisson et de battage était nettement séparées dans le temps). Pour cette tâche, on utilisait une machine à va-peur reliée par des courroies à la batteuse proprement dite. Très rares étaient ceux qui possédaient cet équipement très coûteux. La plupart des exploitants utilisaient les services d’une entre-prise de battage qui louait les machines. Battre impliquait une longue journée pour la dizaine voire la vingtaine de personnes venues mettre la main à la pâte. L’aube était à peine levée qu’un homme se chargeait de mettre la machine en température. La vapeur exerçait peu à peu sa pression puis le moteur produisait un « tac-tac-tac-tac » continu. Le travail pouvait commencer. Et là, chacun sa place, chacun son rôle ! Un ouvrier montait les bottes sur la batteuse, un autre les déliait, le suivant étalait les ti-ges de blé sur le tapis roulant, l’engreneur les introduisait dans la machine. Au sol, des hommes récupéraient le résultat : d’un côté, la paille, de l’autre les grains. Enfin, la menue-paille, constituée des enveloppes du grain, sortait d’une dernière ouverture. Il fallait encore des hommes pour transporter la paille jusqu’à la presse, emmener la menue-paille dans une toile et porter les sacs de grains. Des sacs qui, soit-dit en passant, pesaient entre

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Scènes de repas

Les jours de batterie, pas moins de cinq repas entre-coupaient la journée. Thé-rèse Brisset se souvient des coqs au vin, des pots au feu, des lapins en cocotte qu’elle a dû préparer pour ces dizai-nes de bouches affamées.

Certains repas se prenaient à côté de la batteuse telle que la « buvette » à 9h ou la « collation » à 16h. Les hommes s’installaient sur des ballots de paille. Au petit-déjeuner, à défaut d’assiette, une grande et épaisse tranche de pain re-cueillait le morceau de lard.

Dans la ferme du Chalet, chez la mère de Francine Besnard-Bernardac, on soupait dans un bâtiment d’exploitation suffisamment long pour accueillir la tablée.

À table, régnait une certaine hiérarchie : le maître était as-sis au bout ; les plus jeunes ouvriers agricoles ne pou-vaient pas prendre la parole durant le repas sauf si un « ancien » s’adressait à eux.

Le cidre coulait à flot ; la pipe de 600 litres installée dans la cave en prenait un coup. Un café arrosé de goutte concluait le repas. Puis le maître repliait son couteau et le rangeait dans sa po-che. Tout le monde avait compris le signal : c’était l’heure de repartir au travail.

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100 et 120 kg. Pierre LOISEAU se demande encore comment il a pu porter de tel poids. D’autant plus que le porteur devait les monter jusqu’au grenier par un escalier extérieur, au pire par une échelle. Arrivé en haut, André BRISSET se souvient d’une dernière difficulté, en l’occurrence franchir la porte du grenier. L’étroitesse de l’encadrement l’obligeait à se contorsionner pour passer avec le sac. Pendant que le porteur grimaçait de douleur sous le poids de sa charge, autour de la batteuse, les visages transpi-raient. La poussière, créée par la machine, collait à la peau, ternissait les cheveux, asséchait les palais. Les femmes circulaient au milieu de ce petit monde pour alimenter les assoiffés. Les enfants, qui ne vou-laient pas se montrer en reste, se mêlaient au travail des adultes. Au repas du soir, après la journée de labeur, ils se tenaient péniblement à table tant leurs paupières étaient lourdes.

Le travail à la ferme laissait peu de période d’inactivité dans l’année entre le labour, le hersage, le binage et l’arrachage des betteraves et la confection des liens de seigle. Même après septembre, alors que le sol s’engorgeait sous l’effet de pluies plus fréquentes et que les sabots des chevaux et les roues des charrettes peinaient à s’extraire de la terre boueuse, il fallait encore ramasser les pommes, tailler les haies, empierrer les chemins et couper le bois de chauffage. Surtout, toute l’année, il y avait les bêtes à s’occu-per. Chaque jour, les femmes allaient traire les vaches, à la main. On les voyait revenir à la mai-son, avec leurs bidons remplis de lait et disposés de part et d’autre d’un carcan. Les habitants de la Neuve-Lyre venaient chercher à la ferme le beurre et la crème.

En comparaison à d’autres régions françaises, l’agriculture du Pays d’Ouche ne brillait pas par son avance. De même, le confort dans les maisons laissait à désirer. Toutefois, après la Première Guerre Mondiale, l’arrivée et l’installation de réfugiés belges ou du nord de la France avaient apporté des germes de modernité dans le village. Ces nouveaux venus ne furent pas toujours bien accueillis par la population lyroise. C’est surtout après 1945 que l’agriculture fera d’impressionnants progrès. Symbole de cette révolution : le tracteur. Très rare avant-guerre dans la région, il deviendra peu à peu le véhicule indispensable des exploitations, faisant no-tamment les beaux jours du fabricant Vandeuvre.

La Vie avant-Guerre à la Vieille-Lyre

Un brabant double. A gauche, les parties incurvées corres-pondent aux deux versoirs avec à une extrémité les socs. Tandis que le soc

fend la terre horizontalement, le versoir la renverse à demi sur le côté. A droite, entre les deux grandes roues, le régu-lateur de la profondeur du labourage.

Aujourd’hui, les charrues ne servent plus qu’à orner les pelouses (propriété de

Francis BEAUMESNIL).

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Quelques scènes désuètes de la vie quotidienne

Les années 30 renvoient à des images aujourd’hui anachroniques. C’était par exemple le temps où l’on croisait des femmes poussant une brouette chargée de linge. Elles prenaient la direction d’un des lavoirs communaux sur les bords

de la Risle. La tâche à venir était éreintante : les lavandières se tenaient à genoux dans un ca-bouret (une petite caisse). Le dos courbé, elle battait le linge dans l’eau froide. Heureusement, les conversations ne tarissaient pas et les potins du village circulaient de bouche à oreilles. C’était bien plus distrayant que la rubrique « faits divers » des journaux. Parfois, une des la-vandières tombait à l’eau. Cela se produisait quand une des femmes était prise d’un malaise ou quand une discussion vive dégénérait en crêpage de chignons. À la fin des années 50, des villageoises de la Vieille-Lyre allaient encore au lavoir.

Qui se souvient également de ces marchands ambulants qui allaient de porte en porte : le mercier qui proposait fil et aiguilles, le marchand de peaux de lapin, le marchand de poissons qui se ravitaillait à la gare et installait sa cargaison dans sa brouette ? La Vieille-Lyre de cette époque, c’était aussi les rues envahies par des moutons et des brebis. Encore après-guerre, des bergers emmenaient leurs bêtes pâturer les bords de chemins du canton ainsi que le stade de Lyre, tout juste créé. La tonte de l’herbe était ainsi assurée à moindre coût.

La Vie avant-Guerre à la Vieille-Lyre

Une scène de battage à l’ancienne. A gauche, la machine à vapeur est reliée par une courroie à la batteuse, à droite. Des ouvriers récu-pèrent des gerbes de blé dans une meule. Au premier plan, une charrue, probablement un brabant simple. Ce dessin figurait sur le papier à lettres de l’entreprise de battage GUERIN vers 1927. De

nombreux paysans de la Vieille-Lyre y louaient leurs machines. L’entreprise GUERIN existe toujours à Neaufles même si son activité s’est éloignée de l’agriculture.

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Beaucoup de personnes marchaient encore en sabots. D’ailleurs, l’entreprise FRABOU-LET installée à Chagny en fabriquait encore pendant la guerre. Le sabot était inconfortable bien qu’une semelle en peau de lapin pouvait en atténuer la dureté. La paille fourrée à l’intérieur réchauffait le pied en hiver. A cette saison, se préserver du froid était une lutte permanente. Même au sein de la maison car la cuisinière à bois ne pouvait pas chauffer toutes les pièces. Les chambres étaient souvent glaciales à tel point que certaines nuits , le contenu du pot de chambre pouvait geler. Mais, le dormeur, emmitouflé sous les couvertures, savait se réchauffer grâce à sa bouillote, un récipient de grès rempli d’eau chaude et installé à ses pieds. À défaut, une brique directement sortie de la cuisinière et enrobée dans un chiffon faisait l’affaire.

Un rituel entourait les en-terrements. Le menuisier du village confectionnait le cercueil. Le deuil qui affligeait la maison était signalé par les volets fermés et les tentures noires à la porte. Le corbillard tiré par le cheval d’un cultivateur venait cher-cher le corps du défunt à son domi-cile pour l’emmener au cimetière. La présence des frères de charité donnait une grande pompe au trajet et à la cé-rémonie funèbre. Les frères de charité étaient un groupe de bénévoles qui se chargeait des inhumations. Autrefois, chaque village normand avait sa cha-rité. Le convoi funéraire avait belle allure avec ces frères en habit. L’un d’entre eux, le tintenellier, ouvrait le chemin en agitant deux clochettes du nom de tintenelles. Dans l’église, les prières et les psaumes, en latin, résonnaient sous les voûtes.

Parallèlement la commune se modernisait sous l’impulsion de Jean DUVAL, maire de 1919 à 1944. Ce dernier appartenait à une famille qui avait déjà donné trois maires à la com-mune. C’était le plus grand propriétaire du village. Il habitait le petit château de la Bourgeraie, reconstruit après qu’un incendie l’eut ravagé dans la nuit du 26 au 27 octobre 1926. En 1935, Jean DUVAL inaugurait le château d’eau de la Croix de Pierre. Un événement car il marquait le départ de la distribution de l’eau courante dans les maisons du bourg. Avant, le puits, la citerne voire la rivière restaient les sources d’alimentation en eau. À l’occasion de l’inaugura-tion, le député et le sénateur de l’Eure s’étaient déplacés. La municipalité avait organisé une grande fête avec banquet le midi, lâcher de pigeons voyageurs, concert de la fanfare de Breteuil l’après-midi et grand bal le soir. Le matin, la commune avait procédé à une distribution de pain aux indigents ! La Vieille-Lyre goûtait enfin au progrès alors que sa voisine, La Neuve-Lyre,

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L’ancien lavoir communal de Trisay au bord de la Risle.

On aperçoit à gauche le mécanisme à crémaillère qui permettait de monter ou descendre le plancher selon la

hauteur de la rivière (propriété M. et Mme MORLAY)

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connaissait les bienfaits de l’eau courante et potable depuis plus de trente ans. La construction du château d’eau des Houssières intervint vers 1959 pour compléter les besoins croissants des deux Lyre.

Quant à l’électricité, elle arriva peu de temps après son installation à la Neuve-Lyre, peut-être vers 1908 mais elle ne concernait probablement que les maisons du bourg. Des po-teaux en bois furent plantés le long des rues. Progressivement les habitants se raccordèrent au réseau mais à l’origine, l’énergie électrique ne servit que pour l’éclairage des foyers. En 1935, en même temps que la mise en place de l’eau courante, on étendit l’électrification aux hameaux et écarts. Au total, la réalisation de ce dernier projet nécessita 35 km de circuit !

Le temps des portes-plumes

Le village a donc quelque peu changé par rapport aux années d’avant-guerre. On peut en dire de même de l’école. D’abord, il y en avait deux : une pour les filles (l’école aujourd’hui), une autre pour les garçons, à l’emplacement de la

place Flandres-Dunkerque. Un bombardement détruisit ce deuxième bâtiment en 1944. Les enfants étaient heureusement en vacances à ce moment-là. Un seul instituteur (ou une institu-trice) s’occupait de chacune des écoles ; il avait donc devant lui une classe unique dans laquelle les élèves de 5 ans côtoyaient ceux de 12 ans. Sur une vieille carte postale d’avant-guerre, on compte 37 enfants devant l’école des garçons du village. Aujourd’hui, avec un tel nombre, on parlerait de sureffectifs mais en ce temps, le maître d’école était craint, ce qui lui permettait de travailler dans de bonnes conditions. L’ancien écolier Jacques DESCOUDRAS, né en 1913, explique d’ailleurs qu’à son époque, « un enfant redoutait trois personnes : son père, le curé et l’instituteur ! ». Gare à l’impolitesse, à l’indiscipline, aux mains et aux ongles sales. L’instituteur sévissait : au minimum le coin, sinon l’épreuve de la règle sur les doigts ou encore la retenue le jeudi (jour sans école d’alors) à écrire des lignes. Ceux qui savaient manier deux porte-plumes ensemble voyaient cette corvée d’écriture allégée. Gare à la galoche derrière la tête quand le maître, passant dans les rangs, apercevait une faute d’orthographe sur le cahier d’une de ses têtes blondes. Les institutrices n’étaient pas moins craintes. Les anciennes écolières que j’ai rencontrées se souviennent notamment de la sévérité de Mlle LABICHE : elles ne l’ont jamais vue sourire. Il lui arrivait parfois de donner des gifles et l’enfant puni se gardait bien de le rap-porter à ses parents sous peine d’en recevoir une deuxième. Néanmoins, cela n’empêchait pas certains instituteurs et institutrices d’être très appréciés de leur élèves.

Puisque la cantine n’existait pas, les enfants apportaient leur déjeuner dans une musette pour les garçons, dans un panier pour les filles. La femme de l’instituteur prenait soin de ré-chauffer les gamelles sur le poêle de l’école, qui trônait au milieu de la classe. À la belle saison, le repas se passait sous le préau.

La remise des prix, le 14 juillet, marquait les derniers jours de l’année scolaire. A cette occasion, les enfants organisaient des saynètes et chantaient dans la salle des fêtes. Ginette

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DESMERGERS se rappelle l’une de ces journées. Déguisée en soleil, elle devait réciter un poème devant les parents d’élèves, les conseillers municipaux et les instituteurs rassemblés. Elle s’avança sur la scène et annonça le titre de sa récitation : « mon futur m’a trompé ». Aussi-tôt, des rires plus ou moins étouffés naquirent dans la salle. La pauvre Ginette, qui ne s’atten-dait pas à cette réaction, interrogeait du regard le public massé devant elle. Un peu déstabilisée, la petite fille de dix ans continua tout de même sa récitation jusqu’au bout. Sans comprendre en quoi une poésie sur le futur, le temps dont elle venait d’apprendre la conjugaison à l’école, pouvait avoir un sens comique.

À l’issue du spectacle, chacun recevait son prix. Même le dernier des cancres ne repartait pas les mains vides. Les récompenses les plus recherchées étaient bien sûr le prix d’honneur et le prix d’excellence qui sanctionnaient la 1ère et la 2ème place à l’école. Il y avait également le prix de la camaraderie, occasion pour les élèves de voter pour leur camarade préféré. L’institu-teur M. LANSONNEUR avait de plus institué un prix de la politesse ; l’ancien élève Gaston TRÉHARD se rappelle l’avoir gagné plusieurs fois. Les lauréats montaient sur l’estrade et re-cevaient des mains du maire, de l’adjoint ou d’un conseiller municipal un beau livre. Beaucoup gardent encore ce cadeau précieusement chez eux.

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L’école des garçons et ses 23 élèves en 1925-1926. Voici quelques noms : Albert Mallet (n°4), Lucien Billot (5), Bernard Hardy (6), Philippe Blanchet (8), Foulon (9), Jean Descoudras (11), Marcel Hardy (12), Colas (13), René Leroux (14), André Auvray (15), Colas (16), Georges Monnier (18), Maurice Hardy (19), Raymond Levillain (21) qui deviendra

instituteur à son tour dans la commune, Norbert Thibault (22), Marceau (23), M. Lapic (24), instituteur (collection Claude et Michel Blanchet)

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Le pèlerinage à Notre Dame de Lyre

Peu de gens le connaissent aujourd’hui mais il suffit de pénétrer dans l’église, d’avancer jusqu’au fond du chœur et de regarder les ex-voto de part et d’autre de l’autel pour se rendre compte que ce pèlerinage avait quelque succès au

début du XXe siècle. Les pèlerins venaient parfois de loin, du Calvados ou de l’Orne, pour de-mander l’intercession de la Vierge Marie, reine de tous les saints. Sans aucun doute, ce pèleri-nage poursuivait une tradition qui remontait au temps où la Vieille-Lyre comptait une abbaye. Souvenez-vous que le monastère était dédié à Notre Dame et conservait des reliques. Une fois les moines chassés, le pèlerinage a certainement été transféré dans l’église paroissiale.

Le pèlerin qui entrait dans le sanc-tuaire devait se soumettre à un rituel pour espérer que son vœu se réalise. D’abord il priait Jésus : « Ô seigneur Jésus-Christ, vous qui êtes dans les Saintes Hosties par amour pour nous, bénissez notre pèlerinage. Nous venons demander à la Sainte-Vierge et aux Saints de vous prier pour nous : daignez exaucer nos prières. » Puis il avançait jusqu’au fond de l’église afin de se retrouver devant le grand autel. Là, il était accueilli par les sta-tues de Marie au centre et de nombreux autres saints. Car l’une des particularités

du pèlerinage lyrois, c’est qu’on venait y trouver tous les saints. Si malgré le nombre de statues le pèlerin ne trouvait pas « son » protecteur, il passait par la Vierge qui avait réputation à Lyre d’intercéder pour tous. Agenouillé devant l’autel, notre voyageur devait invoquer trois fois « Notre-Dame de Lyre, Reine de tous les Saints, priez pour nous » puis « Saints et Saintes du ciel, intercédez pour nous ». Enfin, quelques dizaines de chapelets récités étaient nécessaires.

Les Annales de Lyre, le bulletin paroissial local, rapporta quelques miracles : un enfant de trois ans et demi se mit pour la première fois à marcher, une autre retrouva la vue, une femme de Fervaques vit enfin ses plaies aux jambes se cicatriser et disparaître… En 1915, alors que la première guerre mondiale meurtrissait les familles françaises, le curé de la Neuve-Lyre, le dynamique abbé THUILLIER, institua un pèlerinage régulier à Notre Dame de Lyre avec ses paroissiens et ceux des environs. Ainsi, chaque 15 août, une procession de plusieurs centai-nes de personnes se dirigeait de la Neuve-Lyre à l’église de la Vieille-Lyre dans le but d’obtenir la protection de la Vierge contre les malheurs de la guerre. En tête du cortège, un enfant de chœur brandissait une bannière figurant Marie avec son fils dans ses bras. La procession an-nuelle s’est depuis longtemps arrêtée mais la bannière est toujours là, accrochée à un mur de l’église saint-Pierre.

LA vie avant-Guerre à la Vieille-Lyre

La médaille de pèlerinage à Notre Dame de Lyre. Sur l’avers, la Vierge et l’enfant Jésus encerclé par le texte « Notre Dame de Lyre priez pour nous ». Au revers, le blason de l’abbaye de Lyre avec une har-pe (et non une lyre), traversé par la crosse abbatiale et surmonté de la mitre. En dessous, la date 1050, année approximative de la fondation de l’abbaye.

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La Neuve-Lyre dans les années 1930A la sortie de la Première Guerre Mondiale, la Neuve-Lyre se présentait comme un

prospère bourg de campagne. Son activité commerciale, artisanale et industrielle la rendait beaucoup animée que la Vieille-Lyre. L’électricité et l’eau courante équipaient depuis le début du siècle le bourg. Le train desservait la commune. Installée au pied de l’église, une fontaine monumentale donnait une touche d’urbanité à la Neuve-Lyre. Cependant, dans les années 1930, la France vivait des années noires. La crise économique mondiale, le chômage et les ten-sions diplomatiques avec l’Allemagne nazie entretenaient un climat d’inquiétude. Les Lyrois ressentaient aussi ces difficultés. Les prix agricoles chutaient et la principale entreprise lyroise, l’usine Baraguay-Fouquet, ferma. Dressons un tableau du village avant-guerre.

Les Lyrois en société

En 1932, Anatole BOULAY était élu maire de la commune. Ancien épicier du bas de Lyre, il possédait rue Loiziel plusieurs logements et jardins connus aujourd’hui sous le nom de « cité Boulay ». Sa petite-fille, Jeanne GIRON, se

rappelle d’un homme soigneux qui ne manquait pas de cirer ses guêtres et les sabots de son cheval avant de se rendre à la mairie. « Tins, v’là Anatole qui passe, t’es sûr qu’les rênes sont drètes » commentaient les Lyrois quand ils l’apercevaient.

Malgré le lourd contexte économique et international, la vie lyroise n’était pas fonda-mentalement perturbée. Ce qui nous frapperait le plus, ce serait sûrement l’atmosphère convi-viale du bourg. Au début de la journée, les femmes se rassemblaient autour des bornes-fontai-nes et bavardaient en attendant de remplir leur broc d’eau. Le soir, dans les cafés, les hommes engageaient des parties de cartes et de dominos. D’autres s’installaient sur les bancs publics et discutaient avant la tombée de la nuit. Hubert BACLE se souvient que les gens jouaient au bouchon sur la place Émile Bourgeois. Il s’agissait d’atteindre, avec deux palets qu’on jetait en l’air, un bouchon (en fait un cylindre de bois, haut d’une dizaine de centimètres) sur lequel on avait placé des pièces de monnaie (2, 5 ou 20 sous). Le premier palet était envoyé non loin du bouchon. Avec le second palet, le joueur visait le bouchon lui-même en s’efforçant de faire tomber l’argent plus près de son premier palet que du bouchon. Même si ses règles sont assez différentes, la pétanque a remplacé ce jeu traditionnel de l’ouest de la France.

Dans le village, le grand événement de l’année se situait le premier week-end du mois de septembre : les Lyrois organisaient la fête saint-Gilles. Les préparatifs mobilisaient la po-pulation. Tandis que des hommes dressaient des arcs de triomphes en bois au coeur et aux entrées de la Neuve-Lyre, d’autres se chargeaient de planter des bouleaux devant les maisons. Des femmes et des enfants couvraient ces arbres et ces arcs de guirlandes et de fleurs en pa-pier qu’ils avaient eux-même confectionnées. C’était une grande fête puisqu’elle s’étalait sur les deux places du bourg et sur la rue d’Alençon. M. ANTONY conduisait les Volontaires lyrois, autrement dit la fanfare locale, dans un défilé qui parcourait tout le village, même le bas

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de Lyre. Le samedi soir, les jeunes portaient des torches et des lampions et engageaient une procession en direction du Poirier Bonhomme, à la limite de la Neuve-Lyre. La population s’attroupait dans un pré puis attendait. Soudain un sifflement : une fusée déchirait le ciel noir. Puis une explosion de lumières. Le feu d’artifice s’engageait. Le lendemain, dès la fin d’après-midi, c’était bal. « Les gens attendaient cela » m’expliqua Jacqueline BACLE ; « c’était sacré au pays » renchérit son mari Hubert. Sous le chapiteau de la place Émile Bourgeois, l’orchestre de M. et Mme GUÉRIOT entraînait les couples à danser. Dernier moment de gaieté avant le retour au travail.

De nombreux commerçants et artisans

La Neuve-Lyre a une tradition commerciale qui remonte au moins au Moyen Âge. Un parchemin mentionne un marché dès 1277. Des halles, comme celles de la Ferrière-sur-Risle, abritaient les marchands jusqu’à leur destruction dans

la seconde moitié du XIXe siècle. À la veille de la seconde guerre mondiale, la Neuve-Lyre, c’était environ soixante commerces et ateliers d’artisans. Sachant que de nombreux établis-sements avaient plusieurs aides, commis, employés ou ouvriers, une centaine de personnes

LA Neuve-Lyre dans les années 1930

La rue d’Alençon vers 1902-1905. Un pavage semble couvrir la chaussée. A droite, l’Hôtel du Cygne (aujoud’hui résidence Antony) et

ses employés attendent le client. Leur regard converge vers la fontaine monumentale qui orne depuis peu le cœur du bourg. Un peu plus à droite du monument, la grande maison abrite l’épicerie de Louis

HAYE. C’est d’ailleurs toujours un commerce d’alimentation générale.

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devait vivre d’une activité commerciale ou artisanale sur la commune. Pour comparaison, les agriculteurs n’étaient que quatre (hors ouvriers agricoles).

Avec huit tenanciers (BARADUC, COESNON, LAMANDÉ, DOREL, MOREAU, VÉRET, LETORT, BOUGERIE), le café était le commerce le plus répandu. Leur densité était telle que dans la rue d’Alençon, deux d’entre eux se trouvaient installés l’un à côté de l’autre. Les Lyrois pouvaient faire leurs courses dans une des quatre épiceries (COESNON, JUMEAU, MOREAU, Mlles PLASSE et CHAMPIED). Ils y achetait en vrac le sel, le sucre, le café ou les légumes secs. L’épicier les versait dans un sachet qu’il pesait ensuite sur les pla-teaux de sa balance Roberval. Le compte était griffonné sur un papier. À noter que les épiciers exerçaient souvent plusieurs activités. Ainsi dans le bas de Lyre, MOREAU était également cafetier, mercier et enfin marchand de faïences et cristal. En somme, il exerçait quatre métiers. Un autre commerçant de la Neuve-Lyre se distinguait par sa pluri-activité : Prosper BASTIEN. Il vendait des journaux (il occupait d’ailleurs l’ancienne maison de la presse) mais aussi des parapluies, des articles de mercerie, des chapeaux et des chaussures. Plus surprenant, le vil-lage comptait quatre cordonniers (GONDOUIN, LEGUET, VALENTIN, MAROLLES). Au cours d’un entretien, Yolande DROUET m’expliqua qu’autrefois, on ne jetait pas les souliers usés ou béants ; on les faisait réparer.

Parmi les autres activités de base, citons deux boulangeries-pâtisseries (FILLEUL, HAYE), deux boucheries (LEMOINE, GUÉROULT), trois marchands de fruits et légumes (ANTONY, MARIE, JUMEAU), un pharmacien (COURTOIS). On trouvait aussi à la Neuve-Lyre des métiers plus originaux ou plus rares : deux blanchisseuses (THOUIN, IMBACH), un brocanteur (TURGIS), un marchand de bas et chaussettes (SCHECK), deux grainetiers (LE-GAL qui vendait aussi du charbon, LÉCUYER). Mme CARRÉ était la couturière du bourg. Les voyageurs pouvaient s’arrêter à l’Hôtel du Chemin de Fer de M. BARADUC, chez Mme DOREL ou à l’Hôtel du Cheval Blanc.

La vivacité de l’artisanat lyrois trouvait en partie son origine dans l’importance de l’em-ploi du cheval. A cette époque, l’animal servait autant au transport qu’aux travaux agricoles si bien que la Neuve-Lyre comptait deux bourreliers (PICAULT, CORMEIL), deux charrons (LE BOULCH et DESCHAMPS) et deux maréchaux-ferrants (BLONDEAU et RENAULT). Ces derniers fabriquaient aussi des outils pour les bûcherons. Dans ces années 30, les métiers du cheval commençaient à beaucoup souffrir de la diffusion des voitures et camions. L’épo-que des moteurs à explosion s’annonçait dans les campagnes. Les transporteurs automobiles VANDEWOORDE et LEGAL redistribuaient notamment les marchandises débarquées à la gare en lieu et place des charrettes. Autre signe, le garage DROUET venait de s’installer dans la commune pour réparer les autos. Les gens circulaient aussi en vélo d’où la présence de deux marchands de cycles (ALBERT, ÉRHART).

L’artisanat du bâtiment était également bien représenté avec trois entreprises de ma-çonnerie (BOUVRAY, BEAUFILS, ÉRHARD), trois menuiseries (COIPEL, BROC, DES-

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CHAMPS), deux peintres (PICARD, GASTINE), un couvreur (HERTORT) et un électricien (ALBERT). N’oublions pas parmi les artisans, le coiffeur, NENDZYNSKI, père d’un futur maire de la Vieille Lyre.

La métallurgie dont l’origine remonte au Moyen Age à la Neuve-Lyre perdurait. Outre les charrons et maréchaux-ferrants vus au-dessus, le bourg avaient deux quincailleries : l’une tenue par la veuve OURY et l’autre par Pierre CHRÉTIEN. En tant que ferblantiers, ces deux entreprises devaient vendre aussi des articles ménagers et autres objets en fer blanc (casserole, arrosoir par exemple). Mais ce qui est à souligner, c’est l’existence encore de nos jours de cette quincaillerie CHRÉTIEN. C’est le seul commerce de la commune qui ait conservé son nom jusqu’à aujourd’hui !

Il y avait enfin sur la commune des établissements plus importants : la laiterie des Prai-ries de l’Eure (actuelle salle des fêtes), la scierie mécanique des frères BLANCHET et deux distilleries-cidreries (celle du Cygne possédée par PUECH, route de la Gare, près de l’église et celle de BOULAY, rue aux Tanneurs).

Passant de 60 entreprises à la veille de la Seconde Guerre Mondiale à 24 en 2007, le paysage artisanal et commercial de la commune s’est considérablement restreint. Souvent, il ne reste plus aujourd’hui qu’un seul représentant par type de commerce : un seul épicier, un seul hôtel, un seul maçon, un seul charpentier, une seule quincaillerie, un seul marchand de jour-naux… Parfois, des métiers ont totalement disparu comme celui de cordonnier, de bourrelier ou de charron. Je me souviens de la fermeture il y a quelques années de la dernière grainete-rie et du dernier magasin de faïences (droguerie). Le développement d’autres commerce (un fleuriste), artisan (un plombier) ou service (une banque) n’a pas enrayé le déclin. Cette chute était-elle irrémédiable ? La comparaison avec la Vieille Lyre prouverait le contraire : une petite dizaine d’artisans-commerçants en 1939, à peu près autant aujourd’hui.

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Deux anciens commerces rue Loiziel. A gauche, la boucherie Lemoine. A droite, une épicerie qui était un café dans les années 1920

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Carte de la Vieille-Lyre et la Neuve-Lyre

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Plan de la Neuve-Lyre

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Essai de restitution de l’emplacement de l’abbaye de Lyre à la Vieille-Lyre

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La Vieille-Lyre. Au premier plan, la Risle

Le coeur de la Vieille-Lyre dominé par l’église saint-PierreLa mairie se devine au fond à droite

L’église saint-Pierre et son muret de pierre qui délimite le cimetièreLe gîte du Trou Normand se trouve au fond.

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Le coeur de la Neuve-LyreLa rue d’Alençon, la fontaine monumentale et derrière, la place de l’église

Le coeur de la Neuve-LyreLa place de l’église le lundi, jour du marché

La Neuve-LyreLe bourg est étalé sur la rive droite de la Risle

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Quelques commerces sur la place de la Neuve-Lyre.Le bourg propose tous les services commerciaux de base.

L’usine Baraguey-Fouquet à Chagny. La plupart des bâtiments a aujourd’hui disparu. Subsiste la cité Leroy (au fond, au centre) destinée à loger les ouvriers (collec-tion de l’auteur)

La rue Loiziel dans le bas de Lyre vers 1906.C’était autrefois une route fréquentée et commer-çante. À droite, la famille d’Anatole Boulay, futur maire, pose devant son café (collection Claude Blanchet)

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Le Rouge-Moulin à la Vieille-Lyre.

Ce moulin, inactif aujourd’hui, conserve sa

roue et sa lucarne meunière

La place et la rue saint-Pierre à la Vieille-Lyre vers

1908.Une vieille maison surnom-mée le Porche donnait un

côté pittoresque à l’endroit. Détruite en 1920, elle laissa la place à la salle des fêtes

(collection Claude Blanchet).

La rue saint-Pierre et la mairie de la Vieille-Lyre au début du XXe siècle.

Les enfants n’hésitent pas à se mettre au milieu de

la route. En ce temps, les automobiles étaient trop rares pour constituer un

danger (collection Claude Blanchet).

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Une affiche du film «Le Trou Normand».

C’est une des premières affiches du film car ne figure

pas en évidence la partici-pation de Brigitte Bardot.

Quand la belle blonde sera connue, les affiches mettront bien plus en valeur son nom.

La fontaine de la Neuve-Lyre. Elle fut offerte à la commune en 1902 par Emile Bourgeois.Détail sur les trois Amours.

Des «cailloux» bleus. En fait ce sont des clines, déchets de la produc-tion de fer ou de cuivre. Récupérées comme ma-térieux de construction, elles forment par exemple le socle du calvaire de la Vieille-Lyre, route de la

Barre-en-Ouche !

Un vitrail de l’église de la Vieille-Lyre. Derrière cette repré-sentation de Marie, Joseph et Jésus au travail, ne faudrait-il pas voir une famille lyroise dans son quo-tidien au XVIIIe ou au XIXe siècle ?

Un superbe manuscrit copié dans l’abbaye de

Lyre (vers 1100). A gauche, une lettre B historiée (Archives

municipales de la ville d’Evreux. Manuscrit

131b).

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La tactique du gendarme

Jusqu’aux années 1955-1960, la Neuve-Lyre a eu sa brigade de gendarmerie. La pré-sence des gendarmes a plutôt laissé un bon souvenir tant ils s’étaient fondus dans la population lyroise. Ils logeaient en plein coeur du bourg, place de l’église. Leurs

enfants fréquentaient l’école communale pendant que leurs femmes faisaient leurs courses chez les commerçants. Surtout ils savaient se montrer accommodants en cas de pépin ou d’in-fraction mineure. Trop peut-être, d’où un renouvellement régulier des effectifs afin de limiter les accointances avec la population.

L’activité du brigadier KUSTER et de ses subordonnés était des plus variés. Mais com-me le chanta BOURVIL en 1949 :

«La taca taca tac tac tiqu’Du gendarme,

C’est d’avoir avant toutLes yeux en fac’ des trous. »

Les gendarmes devaient en effet être attentifs. Ils vérifiaient que les vélos circulaient avec plaque d’identité, klaxon et feu rouge à l’arrière. Il surveillaient les fêtes et le marché. On les repère en uniforme sur quelques cartes postales anciennes parmi les étals. La nuit, ils pa-trouillaient dans le bourg pour vérifier que les débits de boisson fermaient à l’heure autorisée ou pour ramener dans leur prison un ivrogne un peu bruyant.

Toujours selon BOURVIL,« La taca taca tac tac tiqu’,

Du gendarme,C’est d’être perspicac’

Sous un p’tit air bonass’. »

La perspicacité du gendarme s’exerçait pendant les enquêtes sur les vols. Dans les an-nées 30, les voleurs dérobaient de préférence poules, lapins, bois, outils et bien sûr argent mais pas encore les téléphones portables. Les gendarmes interrogeaient les suspects ; en général, ils n’allaient pas les chercher bien loin : la domestique de la maison, l’étranger de passage et l’ouvrier du patron étaient des coupables désignés. Les conflits entre personnes faisaient partie des affaires prises en charge par la gendarmerie. Exemple, en 1932, le journalier Louis POR-CHER, âgé de 38 ans, demeurant à la Vieille-Lyre, porta plainte pour coups contre la nommée Alphonsine MALLET, âgée de 52 ans, journalière, qui l’avait frappé à coups de balai !

La sécurité routière entrait peu dans le champ d’action des gendarmes bien qu’un nou-veau danger apparaissait sur les routes : l’automobile. Leur nombre ne cessait d’augmenter (1 voiture pour 17 habitants dans le département de l’Eure en 1931). Les journaux s’indi-gnaient du nombre d’accidents qu’elles causaient. Pourtant, des mesures avaient été prises.

LA Neuve-Lyre dans les années 1930

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Par exemple, depuis 1924, la conduite dans le bourg était li-mitée à 18 km/h ! Néanmoins, les gendarmes n’étaient pas par-ticulièrement attentifs aux excès de vitesse ; le temps des radars n’était pas encore venu. Surtout, avec leur bicyclette, le brigadier et ses trois acolytes paraissaient dé-passés, au sens propre comme au figuré, par rapport aux automo-bilistes. Toujours dans l’objectif d’améliorer la sécurité, on instal-lait des panneaux de signalisation sur les bords des routes. En 1929, une codification de leur forme fut

proposée : triangulaire pour signaler un danger, circulaire pour indiquer un mode de régulation (sens interdit). Quelques années plus tard, le code de la route s’étoffa de nouvelles règles : un rétroviseur devait équiper les voitures, il était interdit de stationner en haut des côtes. Cela n’empêchait pas les accrochages entre voitures ou, plus souvent, entre voiture et vélo ou en-core, entre voiture et piéton. Malgré la faible vitesse des véhicules, l’accident pouvait se révéler grave voire mortel. Des blessés ? On appelait alors non pas les pompiers – ces derniers ne s’occupant à cette époque que des incendies – mais le docteur du bourg, M. DENICHOU. Lequel arrivait en automobile.

Le nécessaire partage de la route entre véhicules motorisés et véhicule à cheval était parfois conflictuel. En 1931, un chauffeur de camion de livraison voulait doubler l’attelage d’un cultivateur de la Vieille-Lyre, François CAUCHOIS. Cependant, celui-ci ne lui laissait pas le passage. Le chauffeur ne cessait de klaxonner. Énervé par ce bruit, l’agriculteur descendit de sa charrette, se dirigea vers le mécontent et lui donna un coup de manche de son fouet. L’automobiliste, aveuglé par le sang, dut abandonner son camion. Il partit se plaindre à la gen-darmerie.

Lyre dans la guerre (1940-1944)Si la première guerre mondiale a causé plus de morts dans les deux communes que la

Seconde Guerre mondiale (48 morts en 1914-1918 contre 10 morts dont 6 civils en 1939-1945), les habitants ont beaucoup plus subi le dernier conflit puisqu’ils ont connu l’occupation allemande et les bombardements.

LA Neuve-Lyre dans les années 1930

L’ancienne gendarmerie de la Neuve-Lyre. Elle se situe au fond de la place de l’église. A droite de la

bâtisse, les gendarmes disposaient d’une cour fermée et un peu plus bas d’un jardin potager. Ce sont aujourd’hui des

parkings.

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L’arrivée des Allemands

En France, la seconde guerre mondiale commence vraiment en 1940 quand l’armée allemande décide de passer à l’offensive. Les soldats français sont bousculés et doivent rapidement battre en retraite. Les populations du nord

partent sur les routes. Les Lyrois voit alors passer devant leurs fenêtres des centaines de ré-fugiés, à pied, à vélo, parfois à cheval. En conséquence, la mairie de la Vieille-Lyre organise un point de ravitaillement près de la Croix de Pierre pour ces malheureux. Au bout de quel-ques semaines d’offensive, les Allemands franchissent la Seine. Les deux villages s’alarment. D’autant plus que les réfugiés et les soldats belges en reflux entretiennent des rumeurs ter-rifiantes : l’ennemi tue les jeunes, viole les femmes et coupe les mains des civils. La plupart des habitants préfèrent fuir à leur tour. Avant de partir, quelques-uns pillent les épiceries de la Neuve-Lyre.

A la mi-juin 1940, les Allemands pénètrent dans les Deux-Lyre, largement désertées. Les jours suivants, ils inspectent les maisons vidées de leur habitants afin de les occuper. Un soldat passe dans la rue de l’Union et repère la maison abandonnée du charron Charles LE BOULCH. Pauline B., une voisine, observe l’Allemand pénétrer à l’intérieur. Il trouve la mai-son à son goût mais ses yeux s’arrêtent sur une chaise longue. La chaise longue qu’utilisait le fils du charron car il s’était cassé la jambe. Une chaise qu’avait dû abandonner la famille LE BOULCH avant d’évacuer. Pauline B. s’approche de l’Allemand et l’avertit : « tuberculeux ici !». Pour bien lui faire comprendre, elle se met à tousser exagérément. Le soldat prend peur. Il sort, referme la porte et trace une grande croix dessus. La maison ne sera pas réquisitionnée.

L’occupation allemande

Constatant que les horreurs racontées sur les Allemands n’étaient pas fondées, les Lyrois en exil reviennent dans leur demeure au bout de quelques jours voire de quelques semaines. La cohabitation avec l’occupant se met en place.

Les Allemands sont assez nombreux, peut-être une quarantaine, sans oublier quelques Polo-nais enrôlés dans la Wehrmacht. Ce sont en général des hommes plutôt âgés pour qui l’af-fectation dans la région représente une période de repos loin de l’enfer des combats et des bombardements. Du moins avant le Débarquement. Les soldats s’installent dans le quotidien des Lyrois. Une kommandantur est établie à la Neuve-Lyre. Les Allemands prennent place dans les plus belles propriétés de la commune (le château de la Chapelle, la Glycine, la Campana...). Quelques habitants doivent temporairement accueillir dans leur maison des soldats ou des officiers. Ces derniers se montrent en général corrects ; ils sont indiscutablement disciplinés. Ils ne sont pas pour autant plaisants. Un jour, un officier ordonne aux habitants de la Neuve-Lyre de nettoyer les rues du bourg sinon le maire sera exécuté. Le lendemain, tous les Lyrois s’activent à balayer les trottoirs.

Lyre dans la guerre (1940-1944)

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L’occupation produit comme une chape de plomb sur les deux villages : les gens sortent peu, excepté pour aller travailler, il n’y a plus de fêtes, un couvre-feu contraint les civils à rester chez eux la nuit. Or, il n’est pas toujours simple de respecter cette interdiction. Plusieurs Lyrois doivent déjouer la surveillance des Allemands. Alors jeune homme, Gilbert HUBERT expli-que par exemple comment, à la sortie du cinéma de la Neuve-Lyre, il devait rentrer au Mesnil la nuit : « dès qu’on entendait un bruit de moteur, on courrait se cacher dans les champs ». Parmi les autres contraintes, les Allemands demandent à ce que chaque foyer leur livre son poste de radio mais Marie-Thérèse LOUTREL se souvient qu’« on leur donnait les vieux et on gardait les neufs ».

Pendant la guerre, les produits de consommation courante manquent : le pain, la viande, les vêtements, les chaussures sont rationnés tandis qu’on ne trouve plus de sucre, de chocolat, de café, d’huile, d’essence. Toutefois, étant donné que la plupart des Lyrois de cette époque exploitent une ferme, ils ressentent moins que les citadins la pénurie de denrées. Et puis ils savent se débrouiller. Ainsi, le café est fait à partir d’orge grillé. En l’absence de sucre, on y met un produit de substitution : la saccharine. Il s’agit de pastilles blanches qui, ajoutées dans le café, le font mousser. Autre conséquence de la pénurie, certains cyclistes cerclent leur roue de bouchons en liège à défaut de pouvoir remplacer leur pneu sur leur vélo. Sinon l’entraide, les échanges clandestins entre habitants permettent de se procurer les choses nécessaires.

L’occupation pèse aussi par les livraisons régulières que les fermes doivent apporter aux Allemands. Chaque lundi, ceux-ci exigent du blé, des œufs, du beurre, de la crème, du foin, de l’avoine… Enfin ils veulent du charbon de bois et c’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle ils s’installent dans les deux Lyre. Un long bâtiment en bois est construit près du site actuel du stade (il sera détruit lors de la construction du gymnase en 2004) pour accueillir les bureaux de l’organisation Todt. Cette administration allemande a pour mission de superviser l’approvisionnement du Reich en charbon. Or, compte tenu de la rareté de l’essence, le bois est très demandé pour faire marcher les machines et les véhicules. La production est rigoureu-sement organisée par l’organisation Todt : des requis abattent le bois dans la forêt de Conches, le matériau est transporté jusqu’à l’ancienne usine de Chagny où des ouvriers et ouvrières le scient, le fendent puis le chauffent afin de l’assécher. Près du Mesnil, dans la forêt de la Fer-rière, d’autres travailleurs fabriquent pour « la Todt » du charbon dans des fours à carboniser. Les morceaux de charbon ou de bois sec sont mis dans des sacs qu’on transporte jusqu’à la gare de Lyre. Des trains emportent la production.

L’été 1944

La monotonie des premières années de l’occupation laisse place à partir du 6 juin 1944 à une fiévreuse agitation. Les Alliés viennent de débarquer sur les plages de Normandie si bien que la guerre s’est soudainement rapprochée de la

Vieille-Lyre. Dès lors, de longs convois allemands traversent régulièrement la commune pour se rendre sur les zones de combats. Quelques-uns s’arrêtent à la ferme de la Bourgeraie où

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habite la famille DORCHIES. Fréquemment un officier demande la direction de Caen : « où est Kann (sic) ? ». Le père de Paul DORCHIES leur répond pour les effrayer : « Attention, à Caen, beaucoup de bombes » tout en mimant du bras et de la main les projectiles qui tombent du ciel.

La Vieille-Lyre accueille des réfugiés fuyant les régions bombardées. La municipalité met à leur disposition la salle des fêtes. Le 7 août 1944, comme chaque jour, la jeune Francine DELPLANQUE leur apporte à boire et à manger. Un vrombissement de plus en plus proche se fait entendre : des bombardiers ! Les gens se réfugient dans la salle des fêtes. Soudain, une grosse explosion puis une autre font trembler le bâtiment et éclater les carreaux. On sort pour découvrir les dégâts. A l’extérieur, un nuage de poussière empêche de bien distinguer puis la réalité devient nette : les avions alliés ont lâché leurs bombes sur le bas de la rue saint-Pierre et sur les bâtiments près du moulin. On compte trois morts : l’épicier Raoul LANGLOIS, M. FOURNOT et un réfugié qui était avec lui. L’école des garçons est en ruine. La grand-mère de Denise DESSARTHE, Mme GALOPIN, voit sa maison entièrement détruite excepté un côté où justement elle se tenait lors du bombardement. Les Alliés cherchaient-ils à viser le carrefour de la place ?

La Libération semble proche en ce mois d’août. La BBC relate les défaites et le recul inexorable de l’armée allemande. Les avions alliés survolent les Deux-Lyre pour aller bombarder des objectifs voisins : le dépôt de munitions caché dans la forêt près de Sainte-Anne et le camp d’aviation de Nagel. Les Lyrois voient refluer des fils de camions allemands.

Un matin, peu après la mi-août, un soldat allemand crie dans les rues du bas de Lyre. Il ordonne aux habitants de quitter immédiatement leur maison. Inquiets, ils se dis-persent dans les champs alentours. Quelques-uns n’ont même pas eu le temps de s’habiller et marchent en robe de chambre. Un bruit déchire soudain les tympans : les Allemands viennent d’exploser le pont. Il en sera de même pour tous les autres ouvrages sur la Risle. Les soldats de la Wehrmacht préparent leur fuite. Ils sont tendus et cette tension explique au moins en partie la tragédie qu’a connu la Vieille-Lyre la veille de la Libération. Deux jeunes Lyrois, Jac-ques BERMENT et Marcel BOUCHER, avaient été requis par l’occupant pour une corvée de transport à cheval jusqu’au bord de la Seine. Arrivés à destination, ils avaient dû laisser leur bêtes de trait aux Allemands et repartir chez eux à pied. Le 23 août, ils sont de retour à la Vieille-Lyre. Sans que l’on sache véritablement la raison, les Allemands les abattent.

Lyre dans la guerre (1940-1944)

L’école des garçons, peu de temps après le bombardement du 7 août 1944.

Le bâtiment est soufflée. La place Flandres-Dun-kerque occupe aujourd’hui l’endroit (Collection

Claude BLANCHET)

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Ce même 23 août 1944, Gaston TRÉHARD découvre dans la cour de sa ferme de la Bosselette des Allemands en train de creuser sous ses pom-miers : ils veulent installer des canons car les Alliés sont tout proches, à la Neuve-Lyre. Les Libéra-teurs viennent en effet d’y faire leur entrée. Pour l’occasion, le curé fait sonner les cloches de l’église saint-Gilles. Les habitants de la Neuve-Lyre sortent peu à peu de chez eux pour voir les Anglais. Mais pendant ce temps, les Allemands mettent en place des canons à la Bosselette et dans une ferme de la Seigleterie. En vérité, la résistance est plus formelle

que réelle : juste le temps de tirer deux ou trois obus. Les Allemands fuient.

Le lendemain, le 24, les premiers Anglais pénètrent dans la Vieille-Lyre N’imaginons pas une Libération avec foule en délire, rassemblée le long de la route, défilé de chars alliés et fanfare. Les quelques jeeps anglaises entrent dans un village où les gens se terrent. Au Mesnil, ils semblent que les Libérateurs soient des Américains. Ils arrivent en char et commandent aux habitants de ne pas sortir de chez eux, craignant quelque soldat allemand embusqué. Ici aussi, la Libération s’effectue dans une atmosphère pesante. Les jours suivants, d’impressionnantes colonnes de jeeps, de camions et de chars alliés roulent sur la route d’Évreux, en direction de Conches. Les quatre années d’occupation sont terminées.

Divertissements autour de 1950 Yolande DROUET, aujourd’hui l’une des doyennes de la Neuve-Lyre, se rappelle que

dans sa jeunesse, on sortait peu. Les divertissements étaient rares dans les communes. D’où le succès des fêtes annuelles de village, de hameaux et de quartier .

Fêtes d’après-guerre

L a principale fête de la Vieille-Lyre était celle de la Saint-Pierre, fin juin ou dé-but juillet. Le samedi matin, on bourrait un petit canon de papier et de poudre qu’on faisait tonner. C’était parti pour trois jours d’animation jusqu’au lundi.

Les gens convergeaient place de l’église où se concentraient les attractions. Les enfants tiraient leurs parents jusqu’au manège à chevaux de LucienTOQUARD. Certains préféraient s’essayer à des jeux d’adresse : le tir à la carabine et le « chamboule-tout » pour lequel on devait faire tomber des empilements de boîtes de conserve à l’aide de balles. Tout proche, des rires éma-naient du « tape-cul ». Dans ce manège, chacun essayait d’attraper le siège de son voisin pour le repousser et le faire partir en vrille. La musique était bien sûr de la partie : M. ANTONY défilait dans les rues avec ses musiciens ; le son du tambour, du clairon et de la trompette enva-

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Le pont de la Neuve-Lyre (route de Bois-Normand).

Il fut sauté par les Allemands avant leur départ en août 1944 (Collection Claude

Blanchet)

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hissait la fête. L’animation ne retombait pas le samedi soir. Un cortège de lampions se rendait de la Neuve-Lyre à la Vieille-Lyre : les enfants, au milieu de leurs parents, portaient les lumières multicolores et fendaient la nuit. Le soir c’était aussi le bal en plein air, les couples dansaient main dans la main, entraînés par la musique de l’orchestre dirigé par Claude GALERNE (qui plus tard créera le club de majorettes local). Enfin, le feu d’artifice offrait la touche de mer-veilleux à ce jour festif.

Le lundi de la fête St-Pierre avait une saveur particulière. Il n’y avait exceptionnellement pas d’école et les enfants en profitaient tous pour s’amuser aux attractions. D’autant plus que ce n’étaient pas cette fois les parents qui payaient. Le maire, puis tour à tour les conseillers municipaux, offraient chacun un tour de manège. En retour, ils recevaient les visages heureux des enfants qui s’étourdissaient sur leur cheval de bois.

Après guerre, d’autres fêtes animaient la commune de la Vieille-Lyre : une avait lieu cha-que lundi de Pentecôte à Trisay, auprès du café ; une autre, chaque 15 août sur le stade. Le hameau du Mesnil eut aussi pen-dant quelques années ses propres réjouissances. À chaque fois, Lucien TO-QUARD installait ses stands de jeu.

La Neuve-Lyre n’avait pas autant de fê-tes. La fête communale Saint-Gilles était en fait le principal événement. Au début du siècle, Chagny avait tout de même sa propre animation, tous les 15 août. C’était une belle fête avec tout ce qu’il fallait : une fanfare, une décoration (des allées de sapins fleuris et bariolés, des arcs de triomphe en bois), une course de bicyclette, une course en sac et un feu d’artifice. Elle a disparu dans les années 1920. Restait donc la fête saint-Gilles à la Neuve-Lyre. Le bal se tenait à l’étage de l’école qui jouait à cette époque le rôle de salle des fêtes. Mais la croissance des effectifs scolaires contraignit vers 1955 à trouver un autre lieu pour accueillir les festivités. Ce transfert était d’autant plus urgent que les personnes vivant au rez-de-chaussée, en l’occurrence les instituteurs Jacques LEGRAND et sa femme, éprouvaient quelque crainte quand ils voyaient le plafond trembler sous les pas des danseurs ! La nouvelle salle des fêtes

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Le café Bruni à Trisay dans les années 1950Pour s’amuser, les gens pouvaient compter sur les bals du dimanche notamment au café-épicerie de Mme DOUCERIN puis de Jeannette BRUNI à Trisay. Chaque dimanche après-midi, on venait y danser et pour cela, on pouvait compter sur le Claguy Jazz, l’orchestre local.

Il s’agissait en fait d’un quatuor : Claude GALERNE jouait de la trompette, Pierre DELAMARE soufflait lui dans le saxophone, Henri

TERRASSE ajoutait les indispensables notes d’accordéon tandis que Guy BRUNI rythmait la musique de sa batterie (collection de l’auteur)

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s’installa donc dans une laiterie abandonnée, rue de l’Union (elle est toujours à cet endroit) tandis que deux salles de classe prenaient la place de l’ancienne salle de bal.

En 1958, Raymond PLAINE, adjoint au maire (mais futur maire), organisa le premier concours hippique de la Neuve-Lyre. Il se reproduisit chaque 14 juillet. Les cavaliers venaient participer à un concours complet avec dressage, saut d’obstacles et épreuve de fond. Au cours de cette dernière, les chevaux devaient suivre un parcours éprouvant puisqu’ils traversaient la Risle, montaient les coteaux de la vallée et galopaient dans les bois de Chagny. Le succès fut tel qu’il fit de l’ombre aux autres concours régionaux. Le directeur du Haras du Pin goûta peu cette concurrence et interdit à ses palefreniers d’aider à l’organisation du concours. Mais ce passionné d’hippisme qu’est M. PLAINE trouva facilement parmi ses amis de quoi suppléer à ces défections. La construction des lotissements du Four à Chaux et de la Pommeraie obligea le déménagement des épreuves près du stade. J’ai quelques souvenirs de ce spectacle si ori-ginal pour l’enfant de dix ans que j’étais : les herbages exceptionnellement ouverts à la foule, les hauts-parleurs annonçant les cavaliers et les chevaux qui sautaient des barrières peintes en bleu, blanc, rouge, 14 juillet oblige.

Les débuts délicats de l’Union Sportive Lyroise

Le premier club sportif de Lyre remonte à 1921 mais il fut abandonné. La guer-re terminée, plusieurs Lyrois s’activèrent à le refonder. En 1945, naquit donc l’Union Sportive Lyroise. Les communes de la Neuve-Lyre et de la Vieille-

Lyre s’associaient dans ce projet. L’article 2 des statuts expliquait que l’USL avait « pour buts l’éducation physique, la préparation militaire et la pratique des sports ci-après : football association, athlétisme, basket-ball, natation et tennis; afin de préparer au pays des hommes robustes et créer entre tous ses membres des liens d’amitié et de bonne camaraderie. Toutes discussions politiques ou religieuses sont interdites ». Ce paragraphe est sûrement la reprise d’un modèle d’avant-guerre d’où certains éléments quelque peu anachroniques.

La nouvelle équipe de football reçut comme aire de jeu un terrain acquis conjointement par les deux communes, près de la gare (le terrain d’honneur du stade actuel). Le bâtiment en bois de l’ancienne organisation Todt servait de vestiaire. Il n’y avait pas de douches, juste deux robinets extérieurs. Les poteaux de but, en bois et de section carrée, étaient tout droit sortis de la scierie BLANCHET à la Neuve-Lyre. Les moutons maintenaient plus ou moins bien la hauteur de la pelouse. Quand l’équipe jouait à l’extérieur, le président du club, André LEGAL, meunier de son métier, installait à l’arrière de son camion bâché des bancs pour emmener ses joueurs.

Les débuts du club furent difficiles. Les résultats sportifs étaient généralement mau-vais. Des joueurs ne se présentaient pas aux matches. Le trésorier Marcel LE COUEDIC se plaignait d’une situation financière presque catastrophique. Au terme de la saison 1949-1950, le bureau se réunit et envisagea la dissolution de l’USL. Un mois plus tard, dans un dernier

DIVERTISSEMENTS AUTOUR DE 1950

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sursaut, on trouva finalement de nouvelles économies à faire et on convainquit les joueurs de frapper à toutes les maisons lyroises pour recueillir des dons. Le club survécut.

Assister aux matches des footballeurs lyrois assurait de voir beaucoup de buts. Le pro-blème, du moins dans un premier temps, c’est qu’ils étaient souvent marqués du mauvais côté. Lors de sa première saison de championnat, l’équipe première perdit 22 matches, en gagna seulement six et encaissa 121 buts ! Un nombre considérable qui sera pourtant battu en 1951 avec 131 buts pris en 33 rencontres. Une simple division permet de prendre la mesure de l’hémorragie : en moyenne, le gardien de Lyre allait chercher le ballon dans ses filets environ quatre fois par match ! Au terme de la saison 1947-1948, l’équipe termina cinquième du cham-pionnat. « Pas mal » pensez-vous. Oui, sauf que ce championnat ne comptait que six équipes. Au milieu de ce marasme, surnageait quand même un joueur : le futur maire de la Vieille-Lyre. Claude BLANCHET était en effet un redoutable avant-centre, rapide et efficace. Avec Pierre GOBEAUX, nous avons retrouvé des statistiques le concernant : il marqua 37 buts à l’issue de la saison 1946-1947, 52 la suivante puis 62 en 1948-1949 ! Si l’USL avait une misérable défense, elle comptait en revanche un goleador dans ses rangs.

Le football n’était pas l’unique activité de l’Union Sportive Lyroise : en 1946-1947 sont mises en place deux équipes de basket (féminine et masculine), une section « tennis de table » et une dernière de « cross-country. » De quoi former des hommes et des femmes robustes pour le pays ! Ces différents sports n’ont toutefois pas perduré. À plusieurs reprises, les équi-pes de basket renoncèrent à participer au championnat par manque de joueurs et de fonds.

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L’équipe première de football en 1955. Au premier rang, à partir de la gauche, Jean Gigaut, Claude Blanchet, Jean Baillon, Gilbert Pécot, Pierre Mariette. Debout, à partir de la gauche, André Legal (vice-président), Houard, Luc Delmotte, Tétrel, Claude Cadot, Jean Tilmant, Michel Toquard, Malterre (trésorier). Collection Claude Blanchet

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Resta donc le football. Au fil des années, les équipes s’améliorèrent, les budgets s’équilibrèrent. L’USL s’ouvrit de plus en plus aux jeunes. Les résultats suivirent. Dans les années 1960, l’équipe première monta même en Promotion d’Hon-neur. Un événement pour un modeste club rural.

L’USL peut aujourd’hui être fier d’avoir formé et de continuer à former des centaines d’enfants de Lyre et des envi-rons. Ils se souviennent tous des âpres « derbys » face à l’équipe voisine de Rugles. Les infrastructures du club se sont renfor-cées : un court de tennis, des vestiaires, et surtout un gymnase. Inauguré en 2004 en présence du ministre des sports, Jean-François LAMOUR, ce bâtiment consacre la collaboration en-tre les Deux-Lyre et les vertus de l’intercommunalité.

Histoire de quelques entreprises lyroises

L’entreprise Le Boulch : de la charronnerie à l’industrie

« Vous habitez la Vieille-Lyre ? C’est là que se trouve l’usine Le Boulch, n’est-ce pas ? ». Combien de Lyrois ont déjà entendu cette remarque quand ils expliquaient dans quel village ils vivaient ? Par son importance et par l’originalité de sa pro-duction, l’usine qui fabrique des remorques et autres véhicules pour l’agriculture (bennes, épandeurs, bétaillères, plateaux) est un point de repère pour les personnes extérieures. Quand on pense à Le Boulch, on pense donc à la Vieille-Lyre mais aussi à un homme, Pierre LE BOULCH (1924-2001). Grâce à un tra-vail acharné et un esprit visionnaire, il a réussi à développer une simple affaire familiale en une PME exportatrice. Revenons sur les origines de cette entreprise.

Avant-guerre, chaque village comptait un maréchal-ferrant, un bourrelier et un char-ron. Charles LE BOULCH, le père de Pierre, était le charron de la Neuve-Lyre. Son atelier se trouvait dans le bas de Lyre. Par manque de place, il débordait sur la rue voisine, la rue de l’Union. Des banneaux, des charrettes et des gribanes encombraient la voie en attendant leur réparation.

DIVERTISSEMENTS AUTOUR DE 1950

Les licenciés de l’USL en 1948-1949

Les seniors (19 ans et plus) : Georges Passard, André Leroux, Gérard De-pouilly, Pierre Barre, Claude Delmotte, Gilbert Evrard, Herbert Millet, Marcel Cre-nier, Jean Duret, Roger Lefèvre, Claude Blanchet, Jacques Loutrel, Pierre Leroux, Eugène Hubert, Olivier Asselin, Camille Delsaut, Marcel Evrart, Luc Delmotte, André Crenier, Pierre Droulin, Michel Vau-tier, Maurice Girard, Albert Mereau, Marcel Olivier, Ludovic Kronich, Maurice Armonault, André Goyer, Jean Renout, Claude To-rasso, Jacques Hannoteaux

Les juniors (17-18 ans) : Jacques Anne, André Cadot, Jacques Sauteur

Les cadets (15-16ans) : Jean Evrard, Jean Tilmant, Pierre Mariette, Michel Le-couedic, Claude Laqueste

Les minimes (13-14 ans) : Jacques Mallet, Gérard Leboulch, Pierre Loiseau, Guy Bourekovitch, Claude Madelon, Claude Bouet, Michel Renaut, Robert Des-champs, Alexis Ciroboff, Guy Bouet, Pierre Auvray, Jacques Robert, Marcel Moncel, Roland Mariette.

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Le travail le plus délicat du charron consistait à confectionner les roues. Une fois as-semblés les moyeux, les rayons et les jantes, Charles, aidé de quelques compagnons, cerclait de fer l’ensemble. À cet instant, tous les bras de l’atelier étaient mis à contribution. Dans la rue, les enfants s’arrêtaient de jouer et venaient contempler la scène. Dans un large feu, chauffait le cercle de fer en dilatation. Quand le charron jugeait le bandage suffisamment rougeoyant, les ouvriers en tablier de cuir le retiraient du foyer à l’aide de grosses tenailles. Le cercle était alors mis en place sur la roue posée à plat ; aussitôt les coups de marteaux s’abattaient sur le fer pour qu’il se scelle au bois. Ça ne suffisait pas. On déversait dessus des seaux d’eau puisés dans la Risle voisine ; de la vapeur s’élevait soudainement. Refroidi, le fer se rétractait et s’enfonçait dans le bois de la roue. Pierre LE BOULCH fut initié à ces travaux dans l’atelier de son père. Mais le jeune apprenti s’ima-ginait un autre destin que celui d’artisan : le grand large l’attirait. Il s’engagea dans la marine nationale. Cependant, la Seconde Guerre mondiale l’obligea à quitter l’arsenal de Lorient pour rejoindre les siens. Pierre se destina dès lors à succéder à son père.

L’atelier de charronnage vécut difficilement pendant la guerre mais une fois la paix revenue en Europe, l’activité connut une forte expansion. La reconstruction du pays et la modernisation de l’agriculture créaient un contexte économique favorable. LE BOULCH père et fils fabriquaient l’ensemble des véhicules agricoles : gribanes, tombereaux, plateaux. Toutefois, pour profiter de la croissance, encore fallait-il s’adapter à la rapide évolution technique des années d’après-guerre. Pierre et son père ne laissèrent pas filer le train du progrès, ils y montèrent. Les tracteurs se multipliant, il fallait complètement repen-ser l’attelage, conçu à l’origine pour les chevaux. Les timons et limons furent abandonnés pour l’attelage à œil. En outre, il n’était plus question d’installer sur les véhicules des roues ferrées à rayons, le temps était désormais aux pneumatiques. Enfin, le bois disparut peu à peu de la fabrication au profit du fer.

En 1953, Charles céda son fonds à son fils. Celui-ci déploya une forte activité pour faire connaître ses produits. Avec sa vieille voiture auquel il attachait un plateau à foin, il se ren-dait sur les différents marchés de la région : la Barre-en-Ouche, L’Aigle, Conches. Il exposait également lors de la foire saint-Nicolas à Évreux si bien que les commandes se multipliaient. Pierre n’avait pas d’autres choix qu’embaucher et transférer son atelier dans des locaux plus grands. Surtout que les engins fabriqués prenaient beaucoup d’espace. Il fallut donc construire des bâtiments route de Conches (actuels station service et garage Legrand) et s’y installer vers 1958. De plus, Pierre LE BOULCH s’associa avec son beau-frère Bernard FELIZIANI qui rapidement s’occupa des démarches commerciales. L’entreprise n’avait plus grand chose à voir avec l’atelier du bas de Lyre : vers 1967, on comptait une trentaine d’ouvriers (contre deux à l’origine), des machines investissaient les locaux (cabines de peinture, plieuses, scies, tours).

Histoire de Quelques Entreprises Lyroises

Pierre le Boulch

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Pendant l’hiver 1968-1969, l’entreprise fut transférée sur son site actuel, aux Hous-sières. Grâce à un embranchement, elle put exporter une partie de ses remorques par la voie ferrée voisine. Certains produits partaient jusqu’en Angleterre, en Allemagne et en Belgique. Dans les années 70, la société LE BOULCH continuait à élargir sa gamme et à embaucher. Encore à cette époque, les ouvriers formaient comme une famille dont le patron serait une sorte de père. Très apprécié de ses employés, Pierre n’hésitait pas, par exemple, à se porter cau-tion lorsqu’un de ses employés demandait un prêt bancaire pour l’achat d’une maison. Entré dans l’usine en 1968, Marc GAUTHIER, se souvient de l’esprit d’entraide qui y régnait. À son apogée, l’entreprise employait plus de 130 personnes.

L’année 1987 marqua un tournant : Pierre LE BOULCH, après environ 50 ans dévolus à l’entreprise familiale, céda son usine. La SARL devint SA et se retrouva intégrée dans un groupe de dimension européenne. Depuis les années 1990, les difficultés naquirent. Les comp-tent viraient dans le rouge. Dépôts de bilan et repreneurs alternèrent. Le nombre d’ouvriers oscilla fortement mais l’entreprise est toujours là. Parallèlement, la modernisation se pour-suivait : construction d’une nouvelle unité de fabrication de 13000 m² puis intégration des premiers systèmes électroniques sur les remorques. Le temps des tombereaux en bois parait bien loin.

Le samedi 9 mars 2002, les municipalités de la Neuve-Lyre et de la Vieille-Lyre et le co-mité d’entreprise des établissements Le Boulch ont inauguré la rue Pierre Le Boulch (ancienne rue du stade). Ce baptême marquait la reconnaissance officielle envers un homme respecté qui a beaucoup donné à son entreprise et à sa commune.

La forge de Trisay

On oublierait un aspect important de l’histoire des Deux-Lyre si on n’évoquait pas la métallurgie. Le Pays d’Ouche a été fort longtemps l’une des princi-pales régions productrices de fer en Normandie puis en France. Rouen y

achetait ses produits ferreux dès le Moyen-Age et les marchands rouennais les exportaient.

Histoire de Quelques Entreprises Lyroises

Une gribane Le Boulch d’après-guerre. Elle servait à transporter les gerbes de blé.

Quant au tombereau, autre production de l’en-treprise, on y mettait du fumier.

Une benne Le Boulch en 2008. Le métal a remplacé le bois. Les roues sont

équipées de pneumatiques. Un système hydrau-lique permet le bennage et l’ouverture de porte.

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N’a-t-on pas emporté par bateau des pots de fonte « façon de Lyre » jusqu’en Espagne et au Portugal ? Le Pays d’Ouche recelait en effet des trois richesses indispensables au développe-ment d’une industrie métallurgique : des gisements de fer bien sûr, souvent exploitables à ciel ouvert, des forêts qui fournissaient le bois nécessaire à la fonte du minerai, enfin des rivières dont la force pouvait actionner les forges.

Le passé métallurgique de la Neuve-Lyre remonte au plus tard au XIIe siècle. Un docu-ment parle de l’existence de forges. Au Moyen Age, le bourg est reconnu comme un des plus importants centres du Pays d’Ouche avec Glos-la-Ferrière, Rugles et le Sap. On y trouve en effet de nombreux « férons » : ces artisans non seulement travaillent le fer mais le produise. Les férons des différents villages de la région forment une corporation chargée de réglementer le travail et de veiller aux règles d’accession au métier. Ils se réunissent à Glos-la-Ferrière (la bien nommée) sous la direction d’un maître des férons élu par ses confrères. Pour prix de cette relative liberté, la corporation paie annuellement au roi une redevance en barres de fer !

La Vieille-Lyre se met aussi à la métallurgie sur l’impulsion de l’abbaye de Lyre, un acteur omniprésent dans l’histoire lyroise. Vers 1488, les moines décident de fonder un haut-fourneau près du monastère et une forge à Trisay. Probablement, de manière à produire eux-même les outils (houes, pelles, haches), les socs de charrues et les clous dont ils avaient besoin. Sans oublier que l'établissement pouvait fournir d’importants revenus. Le projet des religieux suscite l’inquiétude des férons qui comprennent qu’un puissant concurrent voit le jour. Com-ment résister à la modernité des nouveaux bâtiments ? On compte un haut-fourneau (inédit dans la région), une forge équipée d’un gros marteau et une affinerie. Le maître des férons demande la destruction du nouvel établissement. Il n’est pas entendu.

Peu à peu, l’usine s’enrichit de nouveaux équipements et les ouvriers s’installent autour. Trisay devient le hameau des travailleurs du fer. Le travail dans la forge est particulièrement physique. Les ouvriers œuvrent à proximité des foyers dans une chaleur étouffante ; ils ma-nient avec des tenailles de lourds blocs de fer rougeoyants ; le choc du marteau, soulevé par la force hydraulique, entretient un bruit régulier. En dehors de l’usine, dans la majorité des maisonnées de la Vieille-Lyre, on travaille aussi le métal, à domicile. À la fin du XVIIIe siècle, nombreux dans la commune sont ceux qui possèdent chez eux une enclume et un modeste outillage et qui réalisent, autour d’un foyer, des marteaux, des tenailles, des broches à filer de la laine et du coton, des clous.

La disparition de l’abbaye sous la Révolution ne stoppe pas l’activité de la forge à Trisay, qui passe simplement à de nouveaux propriétaires. À cette époque, sortent des ateliers marmi-tes et chaudrons sans oublier boulets de fonte et canons, guerre oblige. Quant à la Neuve-Lyre, elle conserve encore des petits producteurs de fer, héritiers des férons du Moyen Age. Sous Napoléon, la production de clous est la spécialité de la commune. On en utilise aussi bien pour lier des pièces de bois que pour fabriquer des souliers ou encore pour fixer les fers à cheval.

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À la fin des années 1860, l’usine de Trisay utilise encore du charbon de bois pour la fonte du minerai (mais pas la houille) et fonctionne toujours à l’énergie hydraulique (et non, comme ses concurrentes, à la machine à vapeur). Elle paie cet archaïsme. Non rentable, la pro-duction s’arrête pendant que les bâtiments menacent ruine. La réorientation de la production s’avère indispensable pour sauver l’activité. La fabrication d’épingles prend finalement le relais. C’est une rupture dans l’histoire de Trisay. Ne sortent plus de l'entreprise de lourds objets en fer mais de modestes pointes qui peuvent tenir par centaines dans une seule main. Désormais inutile, une partie de l’usine est alors abandonnée. Le grand marteau de la forge reste désespé-rément immobile et les roues hydrauliques laissent passer l’eau sans tourner.

Calixte MARQUIS reprend l’établissement et continue la modeste production d’épin-gles. Le travail est moins rude et permet l’embauche de femmes. Le patron M. MARQUIS est aimé. Il offre à son personnel une matinée-concert à l’occasion de son mariage ! L’esprit qui règne alors dans les ateliers appartient à un autre temps : chaque année, les ouvriers s’amu-sent par exemple à monter un spectacle théâtral. En 1912, un autre grand nom de la région achète l’entreprise. Il s’agit de Benjamin BOHIN. Malheureusement, vers 1923, Trisay arrête définitivement l’épingle. D’autres types de production, balbutiantes, s’installent dans les murs mais le travail des métaux est définitivement terminé. Trisay rompt avec une tradition vieille de 450 ans. Les semis de scories bleues qu’on retrouve aujourd’hui dans les champs rappellent ce passé métallurgique.

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Site de l’usine de Trisay. Au premier plan, l’étang qui servait de réservoir hydraulique pour l’alimentation des roues. Une fois rempli, les ouvriers ouvraient les vannages des coursières. Le courant ainsi créé mettait en marche

les roues. A droite, subsiste ce qui devait être l’ancienne demeure du maître des forges. A gauche, se trouvaient les bâtiments industriels.

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La grande usine oubliée de la Neuve-Lyre

À son apogée, pendant la première guerre mon-diale, 240 ouvriers y travaillaient jour et nuit. Soit bien plus que l'usine Le Boulch n'en a ja-

mais contenu. Les premières photographies du lieu révèlent une entreprise gigantesque : imaginez sur environ 250 m un amas de bâtiments étalés sur la pente de la vallée et dominé par quatre che-minées de plus de 20 m de haut (voir photo p.50). C'est le spectacle qu'on pouvait découvrir à Chagny. Ce hameau accueillait en effet la principale usine que les Deux-Lyre aient connue. Aujourd’hui, il ne reste plus grand chose de ce fleuron économique. Les che-minées ont toutes été abattues et la broussaille a repris en partie possession des lieux. Néanmoins, une partie des bâtiments est encore debout, occupée par l'entreprise Paprec Plastiques.

Que produisait-on autrefois dans cette usine ? Une fois encore, il faut en revenir à la métallurgie. Chagny était spécialisée dans la production de plaques et de fils en cuivre ou en laiton. Ces objets étaient destinés aussi bien à de grosses industries comme la chaudronnerie ou la marine qu'à des artisans comme les bijou-tiers ou les graveurs. L'usine disposait de fours dans lesquels les ouvriers fondaient le minerai de cuivre. Le métal sortait en barres ou en lingots qu'on laminait ensuite pour en faire des verges ou des planches de différentes épaisseurs.

En 1842, Germain BARAGUAY, un marchand ruglois d'épingles, transforme le moulin à blé de Chagny en une petite usine. C'est la naissance de l'entreprise. L'acte de BARAGUAY n'est pas isolé : depuis les années 1820, des entrepreneurs ruglois ou aiglon rachètent puis réaménagent un à un les vieux moulins de la haute vallée de la Risle. Les roues hydrauliques ne tournent plus pour mouvoir des meules mais pour animer des usi-nes métallurgiques. L'industrialisation de la région est en marche. Elle métamorphose les rives autrefois si paisibles de la Risle.

L'usine de Chagny connaît une forte ascension sous la direction du fils de Germain, Émile BARAGUAY-FOUQUET. C'est lui qui installe les premières machines à vapeur alors qu'auparavant, le fonctionnement de l'entreprise reposait uniquement sur la force hydrau-lique. L'ouverture de la ligne de chemin de fer l'Aigle-Conches en 1866 ouvre de nouvelles perspectives d'exportation et d'importation. Émile BARAGUEY-FOUQET est un person-nage important de l'histoire lyroise. Il offre l’image du parfait notable, le personnage devant

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Les « cailloux » bleus

Avez-vous remarqué des cailloux bleux dans les jar-dins et les champs de la vallée ? Si vous êtes par-ticulièrement observateur, vous en avez peut-être vus dans les mortiers et les enduits des anciens bâti-ments (voir photos p.52).

Enfant, je croyais avoir en main des pierres précieu-ses. Depuis, j’ai appris que ces cailloux corres-pondaient simplement à des déchets de produc-tion de fer ou de cuivre. Ils n’ont donc rien de naturel.

Appelés dans le pays d’Ouche mâchefer, lai-tiers, scories ou clines, ils témoignent de l’activité des forges et fonderies sur les deux communes. Les Lyrois ne savaient pas quoi faire de ces tas de ré-sidus. Des clines ont donc été épandues dans les champs ; d’autres ont servi de matériaux de construc-tion. Certaines ont même été envoyées en Lorraine par train pour être à nou-veau fondues dans les usines métallurgiques.

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lequel on se découvre quand on le croise. Il possède la plus belle demeure de la Neuve-Lyre, le château de la Chapelle, à partir de laquelle il organise des parties de chasse. On lui reconnaît une piété profonde et une discrète générosité envers l’Église. L’image du patron ne déroge pas au modèle : paternaliste, Émile considère ses ouvriers comme sa famille. Il devient maire de la Neuve-Lyre en 1862 et le reste jusqu’à sa mort à la fin de l’année 1895, soit pendant 33 ans. C’est le deuxième plus long mandat de maire sur la commune (après celui de Raymond PLAINE). Cette longévité étonne d’autant plus que la France connaît dans le même temps d’importants changements politiques (notamment le passage de l’Empire à la IIIe République en 1870), occasions de renouveler les hommes en place. Pourtant, Émile BARAGUEY-FOU-QUET se maintient dans son fauteuil de maire.

Après quelques difficultés à la fin du XIXe siècle, les signes d’une reprise apparaissent dans les années 1905-1910. Des bâtiments sont édifiés en haut de la côte de Chagny. En 1908, l’usine acquiert une nouvelle chaudière en fonte. Elle est arrivée par le chemin de fer ; son transfert de la gare jusqu'à Chagny nécessite 15 chevaux tant elle pèse lourd : 25 tonnes ! Les hautes températures des chaudières et des métaux produits rendent les accidents du travail fréquents. Ainsi en juin 1908, alors qu’un ouvrier retire du feu un creuset, celui-ci éclate. Le cuivre en fusion contenu à l’intérieur jaillit sur l’homme en gouttelettes brûlantes. Son visage, notamment ses yeux, sont touchés. Plus tard, le père d'Hubert BACLE glisse sur une plaque de cuivre brûlant : il est brûlée au 3e degré.

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L’usine Baraguey-Fouquet à Chagny. Les ouvriers et ouvrières sortent de l’usine dont les bâtiments couvrent toute la pente de la vallée.

Plusieurs hautes cheminées se dressent.

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Le fils d'Émile BARAGUEY-FOUQUET, Lucien, a repris l'entreprise mais elle est parvenue à une telle taille qu’elle ne peut plus rester une simple affaire familiale. Un apport de capitaux s’avère nécessaire pour s’étendre. En 1913, l’entreprise est abandonnée aux capitalis-tes et devient une société anonyme sous le nom des Laminoirs BA-RAGUEY-FOUQUET. La première Guerre Mondiale contraint à une réorientation de la production. On fond désormais le cuivre pour alimenter l'armée française en cartouches et en culots d'obus. Dans le paysage d'apocalypse autour des tranchées, on tire, on mi-traille, on bombarde. La production d'armes doit suivre dans les usines. Chagny achète de nouvelles machines, embauche des hom-mes, des femmes et des immigrés.

Une fois la guerre terminée, on rapatrie ces travailleurs étrangers dont on ne souhaite plus qu’ils restent en France. Belle ingratitude ! L’usine de Chagny retrouve une activité normale. Ce-pendant, les ouvriers locaux entendent bien être récompensés de leurs sacrifices durant le conflit. Pourquoi n’auraient-ils pas droit à des avantages, eux qui au prix d’heures de travail démentielles et de cadences usantes, ont participé à la victoire de la France ? En juin 1919, ils se mettent en grève. C’est la première fois ! Jamais auparavant au cours de ses 77 ans d’existence, l’usine n’avait connu une grève. Mais cette expérience inédite échoue. Au terme d’un mois de chômage, la direction ne cède pas. Il faut avouer que la principale revendication des ouvriers est plutôt audacieuse : une augmentation de leur salaire de 75 % ! Ils se remettent donc à leurs machines. En dépit de cet échec, les conditions de travail s’améliorent grâce aux nouvelles lois comme celle qui instaure la journée de huit heures (contre dix auparavant). De plus, une société de secours mutuels propre à l'usine assure une protection sociale aux ouvriers.

Dans les années 1924-1926, l’activité s’emballe à tel point que la direction doit embau-cher. Mais dans un pays saigné par la Grande Guerre, il n’y a pas d’autres choix que de faire venir des travailleurs étrangers. La Pologne fournit une grande partie de la main-d’œuvre né-cessaire. Les nouveaux arrivants, du nom de NOVITZSKY, KASUW, SAS, GRABOWSKY… s’installent à Chagny ou à Normand.

En avril 1931, l’inquiétude se dessine sur les visages. La rumeur se répand que l’usine s’apprête à fermer ses portes. Il est vrai que la conjoncture est mauvaise : on ne cesse d’évo-quer la crise économique qui, apparue aux États-Unis en 1929, commence à toucher la France. Quelques mois plus tard, début juillet, la société des Laminoirs BARAGUEY-FOUQUET s’éteint effectivement. Environ 200 ouvriers se retrouvent au chômage. Le coup est terrible pour la Neuve-Lyre. Trois générations et plusieurs centaines de Lyrois ont travaillé dans cette usine si bien que la santé économique de la commune évoluait selon le niveau de l’activité in-dustrielle. Alors quand l’entreprise ferme, l’exode rural, jusqu’alors contenu dans la commune,

Histoire de Quelques Entreprises Lyroises

Portrait d’Émile Ba-raguey, maire de la

Neuve-Lyre, patron de l’usine de Chagny et bienfaiteur de la pa-

roisse. Ce portrait figure d’ailleurs dans l’église

de la Neuve-Lyre, sur le vitrail du fond du chœur.

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se libère. En dix ans, de 1926 à 1936, la Neuve-Lyre perd 162 habitants, soit plus d’1/5e de sa population !

Après-guerre, d’autres activités prennent le relais sur le site de Chagny sans toutefois atteindre le niveau d’emploi passé : la carrosserie Rotrou, les fabricants de bennes SAPHEM puis Eurebenne, ensuite Frémarsag (entreprise de sablage, de métallisation et de peintures). Aujourd’hui, Paprec Plastiques, une société de recyclage, occupe une partie des bâtiments de l’ancienne usine BARAGUEY-FOUQUET.

Dans la mémoire des Lyrois, le souvenir de l’ancienne usine métallurgique s’estompe. Le chapitre industriel de la Neuve-Lyre est tombé dans l’oubli d’autant plus qu’aucun nom de rue ne rappelle la famille BARAGUEY.

Les noms de rue de la Neuve-LyreLa Neuve-Lyre offre une variété de noms de rue qui souvent n’évoquent plus grand

chose pour l’habitant ou le visiteur d’aujourd’hui (voir carte p.46). Pourtant, en connaissant l’origine de ces dénominations, c’est un peu de l’histoire de la Neuve-Lyre qui se laisse décou-vrir. Vissées sur les façades, les petites plaques blanches rappellent des personnages disparus, des vieux métiers, des édifices maintenant détruits... Ce sont souvent les seuls souvenirs d’un passé lyrois largement tombé dans l’oubli.

Des rues « historiques »

Rue d’Alençon

À tout seigneur, tout honneur, commençons par la rue principale du village. L’origine de son nom ne fait pas mystère : la route mène en effet à Alençon via L’Aigle. La Neuve-Lyre se trouve à environ 80 km de la préfecture de l’Orne. La rue d’Alençon est un élément de RD830. Tracée dans les premières décennies du XIXe siècle, cette route avait pour but de relier les chefs-lieux de département de l’Eure et de l’Orne. Un chemin assurait déjà la liaison entre Évreux et Alençon mais sa sinuosité, ses détours et son étroitesse n’en faisaient pas un axe ef-ficace de grande circulation. La nouvelle route, conçue par les ingénieurs des Ponts-et-Chaus-sées, revêtait par contre tous les caractères d’une voie moderne ; l’automobiliste d’aujourd’hui qui emprunte la RD830 s’en rend compte : la route est large et formées de longues lignes droites. Les hameaux et petits villages sont évités le plus possible pour aller au plus court.

Place de l’église

Cœur commerçant de la commune, elle fut réaménagée en 2003. Les vieilles cartes pos-tales du début du XXe siècle montrent qu’autrefois la mairie trônait sur cette place. Mairie qui est détruite en 1935. Si on continue à remonter le temps, la place avait un aspect encore diffé-

Histoire de quelques entreprises lyroises

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rent. Au XVIIIe siècle, la mairie n’existait pas (pas de maire donc pas de mairie). En revanche, un long bâtiment fermait la place du côté de la rue d’Alençon. Il s’agissait d’une halle, proba-blement en charpente, c’est-à-dire du même type que celle de la Ferrière-sur-Risle (qui, elle, est toujours debout). Sous le toit du bâtiment, les bouchers et les marchands de blé faisaient commerce. Et ce jusqu’en 1869, date de la démolition complète de la halle. Si un tel monument avait subsisté jusqu’à aujourd’hui, le centre de la Neuve-Lyre n’aurait pas manqué de charme.

Le bourg était autrefois une étape importante pour les voyageurs et rouliers qui se rendaient à Paris, à Rouen ou en Bretagne. Un plan de 1738 indique autour de la place plu-sieurs lieux de repos : l’auberge du Lion d’or (à peu près à l’emplacement de la pharmacie aujourd’hui), l’hôtellerie du Dauphin (à la place de la boulangerie) et de l’autre côté de la rue d’Alençon l’hôtel du Cygne (actuelle résidence Antony). Ce dernier a fonctionné jusque dans les années 1920-1930. Son nom provient sûrement de son enseigne représentant un cygne. Car en un temps où beaucoup ne savaient pas lire, mieux valait afficher un dessin pour être reconnu. De même, l’auberge du Lion d’or montrait certainement un animal comme on en voit sur le blason de la Normandie.

L’église saint-Gilles occupe une partie de la place. Plus ancien édifice de la commune, elle remonterait au XIIIe siè-cle, c’est-à-dire après le détachement de la Neuve-Lyre de la paroisse de la Vieille-Lyre. À l’extérieur, le bâtiment apparaît assez austère car une partie des murs est composée de grison, une pierre marron foncée. Le grison fait partie de l’identité du Pays d’Ouche. Combien d’églises médiévales en compor-tent ? Combien d’agriculteurs ont abîmé leur soc de charrue en rencontrant un de ces blocs ? Étonnamment, cette pierre est argileuse à l’état originel et ne devient dure qu’au contact de l’air. Les hommes du Moyen Age l’utilisaient beaucoup, non seulement comme pierre à bâtir mais aussi comme minerai. Car, grâce à sa teneur en fer (42 à 50 %), le grison servait aux forgerons pour obtenir leur matière première. Le grison, une richesse alors ? Oui, dans un premier temps puis la population s’en est détournée. Rugueux, roux, rebelle à sculpter, il ne possédait ni la noblesse, ni la blancheur, ni la finesse du grain de la pierre calcaire.

Rue aux tanneurs

Est-il vraiment nécessaire d’expliquer son origine ? Oui, car si tout le monde sait qu’un tanneur était un artisan chargé de tanner les peaux de bêtes, leur travail est aujourd’hui peu connu. L’activité était florissante autrefois dans toute la haute vallée de la Risle car la rivière voisinait de nombreuses forêts. Or, les tanneurs avaient besoin de tan, c’est-à-dire de l’écorce de chêne broyé, pour rendre leur peaux imputrescibles. Et comment réduisait-on en poudre l’écorce ? Grâce à un moulin à tan, d’où l’importance pour les tanneurs de travailler à proxi-mité de l’eau. En effet, quelques mètres en contrebas de la rue, passe un bras artificiel de la

Les Noms de rue de la Neuve-Lyre

Le grison, conglomérat de silex ferrugineux, qui servit de matériau de construction de

l’église

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Risle. Les textes anciens le nomment « la Petite Rivière ». De l’eau, il en fallait également pour épiler, nettoyer, tanner et rincer les peaux. Le tannage consistait précisément à baigner les cuirs dans des cuves remplies d’eau et de tan. La Petite Rivière devait autrefois avoir un aspect assez pittoresque avec son moulin et les séchoirs installés à l’étage des bâtiments. Par contre, la tan-nerie devait entretenir une odeur nauséabonde dans le quartier et les rejets rendaient sûrement l’eau du canal non potable.

Rue Derrière-le-bourg

Décrivant un large arc de cercle, elle marque la limite entre le bourg de la Neuve-Lyre et la commune de la Vieille-Lyre. Une frontière qui semble aujourd’hui aberrante. Pourquoi les habitants de la Mare Thierry ou de la route d’Évreux appartiennent à la commune de la Vieille-Lyre alors que le centre de la Neuve-Lyre se trouve à quelques pas ? Mais cette question ne se posait pas il y a 150 ans car les quartiers sus-dits n’existaient pas. Une fois passée la rue Derrière-le-bourg, on arrivait tout simplement dans les champs.

Avez-vous remarqué qu’au niveau de l’entrée du cimetière la rue Derrière–le-Bourg tra-verse une légère dépression sur environ soixante-dix mètres ? Est-ce juste un hasard du relief ?

Les Noms de rue de la Neuve-Lyre

La place de l’église vers 1905-1915. La photo est intéressante car elle permet de voir à gauche l’ancienne mairie. Que de péripéties pour la construire ! On pensa longtemps installer la mairie au fond de la place, puis le conseil municipal hésita à l’implanter dans une des maisons autour. Finalement en 1868, le maire imposa l’emplace-ment sur la photo. Non sans susciter une protestation des voisins qui estimaient que le nouveau

bâtiment allait couper le marché en deux et masquer les vitrines des commerçants vues depuis la rue d’Alençon. La mairie fut tout de même construite en 1869-1871 mais elle resta peu de temps sur la

place. 64 ans plus tard, en 1935, elle est abattue (collection de l’auteur).

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Je ne le pense pas et j’expliquerais volontiers cette anomalie par l’existence du château. Car la Neuve-Lyre avait son château médiéval. N’imaginez pas une impressionnante forteresse avec un donjon, d’épais remparts de pierre et des créneaux. Il s’agissait plus modestement d’une forme de château autrefois très courante dans les campagnes du Moyen Age : elle se résumait à une motte de terre, entourée de fossés et surmontée d’une tour sûrement en bois. Une construction à peu de frais mais suffisante pour résister à une bande de chevaliers. La première mention du château de la Neuve-Lyre remonte à 1119 au temps où les barons de Breteuil était les seigneurs d’une bonne partie du village. Ils ne pouvaient pas laisser sans défense la Neuve-Lyre, un de leurs principaux points d’appui. Il n’est pas sûr que le château servait encore sous la Guerre de Cent Ans. Il avait perdu un quelconque intérêt stratégique. Son abandon était tel qu’au XVIIIe siècle, un calvaire remplaçait la tour et que les moutons pâturaient l’endroit. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la terre de la motte servit à combler les fossés mais le sol a fini par se tasser, d’où l’affaissement actuel de la route sur quelques soixante-dix mètres.

Des noms en l’honneur de personnalités lyroises

Place Émile Bourgeois

« Un illustre inconnu » : pourrait-on dire de ce Émile Bourgeois. Alors que la deuxiè-me place de Lyre porte son nom et qu’une plaque fixée sur la grande fontaine du bourg le cite comme bienfaiteur de la Neuve-Lyre, combien de villageois savent aujourd’hui qui était ce personnage ? A-t-il été maire ? Non, il ne figure pas dans la liste, pas même parmi les conseillers municipaux. Fut-il un savant, un grand général, un résistant ? Non plus. La délibé-ration du conseil municipal remerciant Émile Bourgeois du don de la fontaine indique simple-ment qu’il était « propriétaire, 21 rue Drouot à Paris ». Nous voilà bien avancés.

Pour des cas d’identification difficiles comme celui-ci, une seule solution : l’Internet. Après avoir parcouru plusieurs sites web, je découvris enfin notre homme. Né en 1857, mort en 1934, Émile BOURGEOIS, reçu docteur es-lettres, fut professeur d’histoire moderne et contemporaine à l’École Nationale Supérieure de Paris et membre de l’Institut. En somme, un intellectuel de haut vol. Ses dates et le fait qu’il était parisien pouvaient accréditer l’hypothèse que ce personnage était bien le donateur de la fontaine. Néanmoins, l’Histoire étant une en-quête, il ne faut pas se contenter de présomptions.

C’est en parcourant les Annales de Lyre, le journal paroissial du début du XXe siècle, que je me rendis compte de mon erreur. Dans un numéro de l’année 1926, un article faisait l’éloge nécrologique d’Émile BOURGEOIS, bienfaiteur de la Neuve-Lyre et son contenu ne collait pas du tout avec la figure de l’intellectuel présenté plus haut. Je lisais enfin la véritable identité du donateur de la fontaine. Son histoire et sa fonction m’apportèrent quelques surprises.

Les Noms de rue de la Neuve-Lyre

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Fils d’un maçon et d’une couturière, Émile BOURGEOIS naquit en 1832 à la Neuve-Lyre. Il ne suivit pas du tout la voie paternelle puisqu’à l’âge de 16 ans il entra comme com-mis dans une faïencerie chinoise à Paris. Après son service militaire passé en Algérie, Émile s’installa en Angleterre. Les relations qu’il noua dans ce pays lui servirent puisque, de retour en France, il devint le représentant des principales manufactures de faïences anglaises à Paris. Non sans humour, un récent article anglais expliquait que « sa tâche se révéla aussi difficile que de vendre du boeuf britannique aujourd’hui » car les détaillants français n’étaient pas convaincus par la supériorité des produits anglais. Un marchand lui aurait répondu que les seules choses valables à importer d’Angleterre étaient les biscuits et les rasoirs ! Convaincu de la qualité de ses faïences, notre Lyrois préféra les vendre soi-même. Il loua dans la capitale une partie d’un immeuble et y ouvrit Le Grand Dépôt. Le marché de la céramique était alors en pleine croissance. La population bourgeoise de Paris s’enthousiasma pour les faïences, les porcelaines et les verreries que le magasin proposait. Émile BOURGEOIS lança la mode des intérieurs décorés avec des céramiques. En cinq ans, il devint très riche.

Le Grand Dépôt était une curiosité du Paris industriel et artistique. On y trouvait entre autres les produits des cristalleries de Baccarat et des vases dessinés par les artistes « Art Nou-veau ». Les clients pouvaient acheter sur catalogue. Cette méthode de vente par correspon-dance était moderne pour l’époque. Le Grand Dépôt appartenait à cette première génération de grands magasins parisiens qui révolutionna la grande distribution dans la seconde moitié du

Les Noms de rue de la Neuve-Lyre

La place Émile BOURGEOIS vers 1928-1935. Elle s’appelait autrefois place de la Croix à cause du calvaire installé à gauche (et toujours présent actuellement près du monument aux morts). On se rend compte qu’autour de 1930, l’endroit avait un aspect assez champêtre en raison de l’herbe qui y poussait. Le bâtiment de droite correspond à la Poste. Sur la pancarte de la façade, on peut lire « LA NEUVE LYRE POSTE TELEGRAPHE

TELEPHONE CAISSE NATIONALE D’EPARGNE ». Auparavant, le service postal se trouvait dans un bâtiment plus étroit, 100 m en contrebas, rue Jacques Berment (collection de l’auteur).

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XIXe siècle : du Bon Marché au Printemps en passant par la Samaritaine et les Galeries Lafayette. Leur histoire se ressemble beaucoup : à l’origine de chacun, on trouve toujours un homme modeste, souvent provincial, qui commença comme employé puis qui parvint à ouvrir son propre magasin à force d’économies.

Malgré sa réussite parisienne, Émile BOURGEOIS n’oublia pas sa région natale. En 1874, il acheta l’ancienne abbaye et le château de Chaise-Dieu. Puis commencèrent ses premières actions bienfaitrices vis-à-vis de sa commune natale, la Neuve-Lyre. Alors que le maire Jo-seph LOIZIEL cherchait à distri-buer l’eau dans la commune, Émile BOURGEOIS offrit en 1902 l’ar-gent nécessaire à l’achat de sept bor-nes-fontaines. De plus, il finança la grande fontaine à côté de l’église. Le monument fut installé dans l’axe du chemin de la gare (actuelle rue Pier-re Le Boulch) pour que le donateur l’aperçut une fois descendu à la gare de Lyre. En 1922, Chaise-Dieu-du-Theil et la Neuve-Lyre bénéficièrent une nouvelle fois de sa générosité : à la première, il donna 36000 francs pour l’électrification de la commune, dans la seconde, il souscrivit largement à l’élévation du monument aux morts. En 1926, il mourut dans sa propriété de Chaise-Dieu. Il avait 94 ans.

L’ascension de ce fils de maçon force l’admiration. Il est à l’origine d’un des magasins parisiens les plus célèbres de la fin du XIXe siècle. Sinon comment expliquer qu’un vase vendu au Grand Dépôt se trouvait sur le bureau de l’impératrice de Russie, Alexandra Fiodorovna ? Un conseil : n’hésitez pas à retourner vos tasses, assiettes et autres céramiques pour vérifier qu’elles ne portent pas le tampon « E. Bourgeois, Grand Dépôt, Paris/Marseille ». Ce sont des pièces de collection !

Rue Raoul et Auguste Loiziel (ou rue des frères Loiziel)

Cette voie qui mène à Bois-Normand mériterait bien le surnom de « rue des faux frè-res » car Auguste et Raoul n’étaient pas frères mais père et fils ! Cette méprise surprend d’autant plus que les deux hommes ne vivaient pas il y a si longtemps.

Les Noms de rue de la Neuve-Lyre

L’immeuble du Grand Dépôt à Paris. Il se situe dans le IXe arrondissement, entre le musée Grévin et la gare saint-Lazare. Occupé aujourd’hui par

plusieurs petites boutiques, le magasin d’Emile Bourgeois n’existe plus. Au XIXe siècle, les affiches publicitaires le qualifiaient de «plus grande maison du monde pour les

services de tables, desserts et cristal».

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Auguste LOIZIEL (prénommé aussi Joseph) et son fils Raoul LOIZIEL furent en effet maires de la Neuve-Lyre dans la première moitié du XXe siècle. L’un était huissier, le suivant avocat. Il est d’ailleurs assez remarquable de voir plusieurs maires lyrois dont le métier tournait autour du droit. Il en fut ainsi du premier maire, Jacques LE BAS, mais aussi d’un des derniers, Raymond PLAINE, puisqu’il était notaire. Revenons au premier des LOIZIEL, Jo-seph-Auguste. En raison ses dix huit années de bons et loyaux services à la tête de la municipa-lité (1896-1914), la Neuve-Lyre conserve son empreinte. Nous lui devons d’abord l’installation d’un réseau de distribution d’eau à travers la commune. À cet effet, on a construit le château d’eau en brique qui se dresse encore à l’entrée du bourg. Une éolienne – on en construisait déjà à cette époque – permettait de monter l’eau dans le réservoir. L’autre grand changement dans la commune sous le mandat d’Auguste LOIZIEL fut l’arrivée de l’électricité en 1905. Lyre abandonna alors les lanternes pour l’éclairage de ses rues principales. À cette époque, l’État n’ayant pas encore le monopole de la production électrique, c’était une usine installée au fond de la vallée qui fournissait à la commune et aux particuliers l’énergie. Électrifiée et alimentée en eau courante dès 1905, la Neuve-Lyre figurait comme un bourg de campagne moderne.

Joseph-Auguste LOIZIEL est à l’initiative de l’organisation des premiers comices agri-coles à la Neuve-Lyre. Les paysans du canton venaient y présenter leurs animaux ou leur production. Les juges analysaient les bêtes ou goûtaient les cidres et eaux-de-vie. Il y avait même un concours de labourage et de maréchalerie. Le soir, le maire, monté sur une estrade

Les Noms de rue de la Neuve-Lyre

La mairie-école de la Neuve-Lyre.La commune s’est dotée de ce bel édifice en 1932. Son architecture et ses matériaux en font un

bâtiment particulièrement original dans la région.

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devant la mairie, prononçait le palmarès. Chaque lauréat mon-tait à la tribune pour recevoir son prix. Parmi les gagnants de la journée, certains n’avaient pourtant rien montré. Il s’agissait d’ouvriers agricoles dont on récompensait la fidélité. Ils étaient restés vingt-cinq, trente voire quarante ans au service du même maître.

Ajoutons à l’action du maire et de son équipe, la res-tauration de l’église et l’agrandissement de son chœur. D’autres projets tenaient à cœur Joseph-Auguste LOIZIEL mais sa mort en 1914 l’empêcha de les concrétiser.

Parmi ces projets, la construction d’une nouvelle mai-rie-école. Ce fut donc tout un symbole quand son fils Raoul, devenu maire à son tour, posa la première pierre de cet édifice en 1931. La Neuve-Lyre peut s’enorgueillir d’avoir une mairie à l’architecture originale : si les façades reprennent la tradition normande des pans de bois, un long balcon en pierre surmonte l’entrée tandis qu’un toit pyramidal recouvre l’ensemble de la construction. Enfin, pendant son mandat, Raoul LOIZIEL installa la poste dans le bâtiment actuel, non sans avoir au préalable expulsé le précédent locataire, en l’occurrence le curé. L’édi-fice était en effet un presbytère.

La rue Loiziel a beaucoup perdu de son importance. Encore au début du XXe siè-cle, elle constituait une artère commerçante, en témoigne aujourd’hui quelques enseignes de façades défraîchie. Il y a dix ans il y avait toujours une boulangerie. L’importance de la rue reposait sur le pont qui permettait de franchir la Risle. Avant le XIXe siècle, peu de passages s’offraient dans ce secteur pour traverser la rivière au sec, la plupart des ponts actuels (tel celui de Chagny) n’étant que des gués. De surcroît, la rue n’était pas un chemin fangeux ; un pavage de grès la rendait praticable pour les équipages, d’où son ancien nom de « rue du Pavé ». Par conséquent, il y a 200-300 ans, de nombreux marchands de bestiaux venant de Basse-Nor-mandie empruntaient cette route pour aller vendre leurs bêtes dans les foires haut-normandes ou parisiennes.

Rue Nicolas de Lyre

Ne cherchez pas, elle n’existe pas. Pourtant, Nicolas de LYRE ne mériterait-il pas un petit bout de rue ? En effet, il est la seule personnalité du village de dimension internationale. Sa réputation dépasse les frontières de la France même si, je le reconnais, seule une minorité d’historiens et de théologiens le connaisse aujourd’hui. Il vécut il y a plus de 600 ans.

La tradition (douteuse) rapporte que sa famille était juive et avait sa maison rue Loiziel. Ce qui est certain, c’est que les capacités intellectuelles de Nicolas de LYRE l’emmenèrent bien

Les Noms de rue de la Neuve-Lyre

L’ancien château d’eau de la Neuve-Lyre.

Située sur le bord de la route de L’Aigle, cette simple tour en brique

construite en 1900 (d’après l’inscription qui se trouve à l’intérieur) alimentait en eau potable sept bornes-

fontaines sur la commune. Les particuliers se sont

progressivement raccordés à ce réseau pour avoir

l’eau à domicile

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au-delà de l’horizon lyrois. Vers 1300, il entra dans un couvent à Verneuil-sur-Avre : celui des Franciscains. Au Moyen Age, entrer dans les ordres était la voie classique pour un intellectuel amoureux des livres et des lettres. À la différence des moines de Lyre, les religieux franciscains ne vivaient que d’aumônes et de mendicité (du moins dans un premier temps). Bannissant le luxe, ils ne portaient qu’une robe de bure non teintée mais serrée à la taille par une corde à trois nœuds. De Verneuil, Nicolas fut envoyé étudier à Paris. Il en sortit avec le titre le plus élevé : docteur en théologie. Il put dès lors enseigner à l’université de Paris. Ses mérites lui permirent de devenir l’un des principaux représentants de l’ordre des Franciscains en France. Mais il acquit surtout une haute réputation dans le monde chrétien en commentant la Bible en son entier. Il n’était pas le premier à effectuer ce travail mais sa connaissance de l’hébreu et des commentaires d’auteurs juifs donna une profonde originalité à son oeuvre. En Europe, elle devint une référence dans les études universitaires de théologie au XIVe et au XVe siècle.

Jusqu’à sa mort en 1349, le moine Nicolas de Lyre côtoya les grands personnages de son temps. Jeanne de BOURGOGNE, la veuve du roi de France Philippe V, en fit son exécu-teur testamentaire.

Des rues méconnues

Rue de l’Union

Perpendiculaire à la rue Flandres-Dunkerque, elle mène jusqu’à la salle des fêtes du bas de Lyre (voir carte p.46). Anciennement « rue aux Juifs », son nom actuel reste difficile à expliquer. Une hypothèse verrait dans « l’union » le rappel d’une association ou d’une coopé-rative installée dans la rue. Ma préférence va vers une autre explication : il pourrait s’agir d’une dénomination attribuée lors de la Révolution. En 1793 précisément, plusieurs municipalités entreprirent d’effacer tout lieu ou nom qui rappelait la religion. Cette volonté de laïcisation contraignait à renommer quantité de noms de rue ou de village. Ainsi, Saint-Marguerite-de-l’Autel devint pour un temps « Marguerite ». Pont-l’Évêque devint « Pont-Châlier » en mé-moire d’un député assassiné. À Évreux, la rue Saint-Taurin fut rebaptisée rue de l’Union. La Neuve-Lyre a-t-elle connu cette transformation ? Il est très probable qu’on substitua le nom plus révolutionnaire de « rue de l’Union » à celui de « rue aux Juifs ». À la différence de Pont-Châlier ou de Marguerite, la nouvelle appellation a ici survécu.

Ruelle Dauphine

Comme une partie de la ruelle Puet, elle est bien trop étroite pour qu’une voiture puisse y passer. Seuls les marcheurs peuvent donc la connaître. Et encore, rares sont ceux qui s’y aventurent. Dissimulée derrière la boulangerie, elle se termine par un escalier débouchant à mi-pente de la rue Loiziel. Un vrai coupe-gorge ! La ruelle Dauphine longeait au XVIIIe siècle les derrières de l’hôtellerie du Dauphin d’où son nom.

Rue du Goulet

Les Noms de rue de la Neuve-Lyre

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Continuons à suivre les rues peu connues de la Neuve-Lyre. La rue du Goulet est une de ces voies qui partent de la rue aux tanneurs pour monter abruptement dans le bourg. Combien de fois je l’ai descendu avec mon vélo aux freins mal assurés au risque de ne pas m’arrêter en bas ! Le goulet évoque un passage étroit. Il est vrai que la rue de ce nom n’est pas particulièrement large.

Plus intéressante est son ancienne désignation : ruelle des écoles. Ce nom mérite une explication sachant que l’école se trouve aujourd’hui dans un autre secteur, rue Loiziel à côté de la mairie. Avant la construction de cette école en 1931, les jeunes Lyroises se rendaient dans une maison à mi-pente suivre l’enseignement des institutrices. L’établissement se trouvait exactement entre la ruelle Puet et la rue du Goulet. En 1910, l’inspecteur d’académie visita l’endroit et s’alarma de l’insuffisance des locaux. Il écrivit au préfet : « à mon dernier passage à la Neuve-Lyre, j’ai trouvé 55 élèves à l’école des filles et nous ne sommes qu’en septembre. Il est impossible de circuler entre les tables, à peine si on a pu ménager un passage étroit le long d’un mur et encore les bancs sur lesquels prennent place les jeunes enfants empêchent-ils les plus âgés d’aller au tableau ». Les garçons n’étaient pas mieux lotis puisque leur salle de classe était dans la petite mairie installée autrefois sur la place de l’église. Soulignons-le : la construction d’une grande école mixte fut le projet le plus difficile que la municipalité entreprit. Le maire et les conseillers en débattaient déjà en 1858. Ils en débattront jusqu’en 1931, date de la construction de la mairie-école actuelle. Pourquoi tant de temps ? Parmi les nombreuses raisons, le problème de terrain se dégage. La commune fut longtemps incapable de trouver un emplacement pour la nouvelle construction. Lisons le commentaire de l’inspecteur d’académie de l’Eure en 1887 : « La question du choix de l’emplacement est assez difficile car le territoire de la commune de la Vieille-Lyre enserre le bourg de la Neuve-Lyre du côté où la construc-tion doit être placée. À l’opposé se trouve la vallée de la Risle où la déclivité du terrain est telle qu’on ne trouve aucun emplacement. Un seul coin de terrain sur le territoire de la Neuve-Lyre et le long de la route de Rugles pourrait convenir ; mais il n’est qu’à une vingtaine de mètres du cimetière. La seule solution acceptable serait donc l’acquisition d’un emplacement faite à la commune de la Vieille-Lyre par celle de Neuve-Lyre ». Quand le conseil municipal apprit cette proposition, il n’en crut pas ses oreilles. Mettre l’école sur le territoire de la Vieille-Lyre !!!?? Une humiliation ! Pas question de dépendre de la commune voisine. Les conseillers municipaux ne suivirent donc pas l’idée tabou de l’inspecteur. Et les écoliers continuèrent à se serrer pendant 44 ans dans leurs étroites salles de classe.

Rue de la Sergenterie.

Elle part de la côte de la rue Loiziel, grimpe le coteau de la vallée et aboutit au com-mencement de la route d’Évreux. Au Moyen-Age et sous l’Ancien Régime, une sergenterie était en Normandie une petite circonscription administrative qui englobait seulement quelques villages. À sa tête se trouvait un sergent. Cet officier était le représentant du roi dans le secteur. Il devait habiter dans cette rue de la Neuve-Lyre ou, plus vraisemblablement, devait posséder une terre à proximité. Les villageois ne l’appréciaient guère car il symbolisait l’autorité royale

Les noms de rue de la Neuve-Lyre

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dans ce qu’elle avait de plus contraignant et de plus arbitraire. Sa fonction correspondait en effet à celle de nos huissiers actuels : il rédigeait procès-verbaux, assignation et sommation.

Ruelle saint-Nicolas

Pourquoi cette courte voie qui mène au cimetière à partir de la rue Jacques Berment mérite quelques mots ? Une impasse de surcroît ! Car son nom fait ressurgir le passé le plus lointain de la commune. Saint-Nicolas rappelle le souvenir d’une église implantée près du ci-metière. La chapelle saint-Nicolas était l’ancienne chapelle du château de la Neuve-Lyre. J’ai déjà évoqué cette forteresse plus haut. Il y avait donc autrefois deux églises dans le village.

Comme le château, la chapelle fut abandonnée puis, vers 1749, on décida sa démolition. Quelques paroissiens s’y opposèrent en sabotant le chantier. Le charpentier PASDELOUD re-trouva un matin son échelle découpée en trois ! Ce qui n’empêcha pas la destruction totale de la petite église. Les voisins récupérèrent probablement les pierres. Regardez en effet les murs de certaines maisons proches du cimetière : ils comportent de beaux blocs de pierre.

Les noms de rue liés à la Seconde Guerre Mondiale

Dans les années 1960, la municipalité de la Neuve-Lyre a décidé d’honorer certains héros de la seconde guerre mondiale en leur dédiant le nom d’une rue.

Rue Jacques Berment

Jacques BERMENT fut évoqué dans le chapitre sur la Se-conde Guerre Mondiale à la Vieille-Lyre. Enfant de la Neuve-Lyre, il était ouvrier agricole dans la ferme du Chêtre. Il mourut abat-tu par les Allemands, le jour de la libération du village. Il n’avait que 19 ans. En souvenir, la rue qui longeait la ferme (la route de L’Aigle) reçut son nom.

Rue Michel Blanchet

Cette rue fut la première tracée du nouveau lotissement bordant la route de l’Aigle à la sortie de la Neuve-Lyre (voir carte p.46). L’initiative de ce groupement de maisons ne revint pas à la municipalité mais à un propriétaire privé. Au début des années 1960, Gaston BRARD décida d’abandonner l’élevage des vaches dans sa ferme du Chêtre. Il se débarrassa alors de ses prairies en les lotissant puis en les viabilisant. Puis, à la place d’un bois, furent édifiées entre 1966 et 1970 les maisons autour de la rue Michel Blanchet. Marguerite LE COUEDIC, propriétaire des herbages et

Les noms de rue de la Neuve-Lyre

Jacques BERMENT Assassiné par les

Allemands, il est enterré dans le cimetière de la Neuve-Lyre. Une stèle située à la Vieille-Lyre

près de la Croix de Pierre sur le bord de

la route d’Évreux a été installée près du lieu du

drame.

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bois voisins, lotit à son tour ses parcelles. Ainsi sont nés les lotisse-ments du Four à Chaux et de la Pommeraie.

Michel BLANCHET était sous-lieutenant du G. A. O. (Groupe Aérien d’Observation) 509 pendant la guerre. Il décolla de l’aérodrome de Saint-Valéry-en-Vaux le 5 juin 1940 pour une mission de reconnaissance. Moins d’une heure plus tard, l’avion, un bimoteur Potez 63, fut repéré et abattu par la chasse allemande près de la Somme. L’engin s’écrasa dans un bois près de Campneu-seville (Seine-Maritime). On retrouva morts ses trois occupants, le pilote, l’observateur et le mitrailleur, en l’occurrence Michel BLANCHET.

Avenue François de Hauteclocque

Encore une rue du lotissement du Four à chaux et encore un personnage de la seconde Guerre Mondiale. Un Lyrois, Jean Henri CARDON, a écrit un texte sur François de HAU-TECLOCQUE dont je reproduis ci-après le contenu :

Combien de touristes, normands ou autres, se promenant à la lisière de cet accueillant pays de «La Neuve-Lyre» se sont-ils trouvés devant une plaque portant cette inscription : Avenue du Commandant François de Hauteclocque chef d’escadrons au 6ème GRCA 1939-1940 et parmi eux, combien ont-ils pu dire qui était ce mystérieux soldat et pourquoi il est célébré en ce lieu tout proche de la paisible vallée de la Risle.

À l’évidence il fait partie de la grande et ancienne famille des HAUTECLOCQUE qui comporte beaucoup d’hommes illustres, le dernier et le plus connu des récentes générations étant le Maréchal LECLERC, héros de la deuxième guerre mondiale qui avait pris ce pseudo-nyme pour éviter des représailles à sa famille. François était son cousin germain puisque fils de Henri de HAUTECLOCQUE, tué en décembre 1914, frère d’Adrien père du futur Maréchal de France. Né en 1888, François avait donc 26 ans en 1914. Sorti de Saint Cyr, puis de l’École de Cavalerie de Saumur, il fut aussitôt plongé dans la guerre. Cité à cinq reprises pour «sa bra-voure légendaire, d’une énergie farouche, d’un admirable calme, enfin ... véritable entraîneur d’hommes», il est décoré de la légion d’honneur. Mais il ne souhaite pas poursuivre la carrière des armes, il devient journaliste et milite activement au sein des Croix de feu. En 1938, à la veille de la conférence de Munich, ayant compris les arrière-pensées de HITLER, il publie un article où il prend une position très anti-munichoise.

A 51 ans, il est à nouveau mobilisé en 1939 avec le grade de chef d’escadrons, il par-ticipe aux opérations menées par le 6e Groupement de Reconnaissance de Corps d’Armée (GRCA). Ce type d’unité, constitué essentiellement de cavaliers, était destiné soit à effectuer des pointes dans les lignes ennemies pour reconnaître son dispositif, soit à retarder une avan-cée éventuelle de l’adversaire afin de donner le temps au corps d’armée de reconstituer des

Les noms de rue de la Neuve-Lyre

Michel Blanchet (1919-1940).

Il n’avait que 21 ans lorsqu’un chasseur

allemand descendit son avion

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défenses en retrait. Le 6ème GRCA, formé à Évreux en 1939, avec les éléments du 7e chasseur à cheval et des dragons, fut incorporé dès la mobilisation au 3ème corps d’armée, aux ordres du général de FORNEL de la LAURENCIE. Sa devise était «Premier et dernier au feu» et son blason formé d’une tête de cavalier gaulois au casque ailé, entourée d’un fer à cheval, portait l’inscription DIEX AÏE, c’est-à-dire que les dieux nous soient favorables.

Le 10 mai 1940, après l’entrée en Belgique des Allemands, ces hommes se portent au-devant d’eux et le 13 mai ils parviennent à stopper l’avance de leurs divisions blindées. Le combat fut héroïque mais par trop inégal tant en raison du nombre que de la puissance du ma-tériel engagé par l’adversaire. Ceux qui n’étaient ni tués ni blessés furent emmenés en captivité. Pourtant les éléments des deux escadrons qui n’avaient pas encore été au feu se replient sur la région de Dunkerque ou ils résistent aux assaillants avant de rejoindre les lignes françaises en passant par l’Angleterre. Et c’est alors que rentré avec eux dans l’hexagone, le Commandant François de HAUTECLOCQUE, aidé du courageux Capitaine DE CARNE, se distingue tout particulièrement dans les combats du nord de la Loire. Privés de leurs chevaux qu’ils ont dû abandonner à Dunkerque ses hommes se battent à pied avec un courage exemplaire, comme une troupe de partisans, tantôt devant tantôt en arrière des lignes ennemies. Ils infligent des pertes aux Allemands, font même des prisonniers qu’ils libéreront seulement après l’armistice. Cet officier modèle a su conserver à sa troupe un moral élevé et une discipline exemplaire malgré une situation que les autorités civiles ou militaires ne maîtrisent plus.

Après le 25 juin 1940 l’armistice signé, la poursuite du combat est devenue impossible. Il démobilise donc lui-même les hommes de son dernier escadron qu’il renvoie dans leur foyer par petits groupes, de nuit, habillés en civil pour éviter qu’ils soient capturés. Pourtant il put garder près de lui son fils, âgé de 19 ans, Wallerand de HAUTECLOCQUE, qui parti de la propriété familiale de la Manche pour échapper aux envahisseurs lui était apparu par un hasard extraordinaire à un carrefour routier au-dessus de Segré. Immédiatement engagé dans l’unité, le jeune homme se battit aux côtés de son père pendant les derniers jours de la ampagne de France. Il reprit un peu plus tard du service our rentrer dans Paris avec la 2ème DB (Division Blindée) commandée par son cousin le général LECLERC. Mais ceci est une autre histoire !

Quant à François de HAUTECLOCQUE, il retrouve son domaine de Sainte Suzanne où il conduit une résistance civile obstinée. Alors qu’il est Maire de cette commune, les occu-pants l’arrêtent avec son épouse le 5 août 1940 au motif qu’ils ont caché des armes. Les deux époux sont emprisonnés en Allemagne, le Commandant pendant six mois à Wittlich en Rhé-nanie, d’où il sera libéré en février 1941, et son épouse pendant quatre mois à Cologne.

Pourtant jusqu’à la Libération de la France, François de HAUTECLOCQUE freine les exactions, les réquisitions de l’occupant et cachera dans les fermes environnantes les requis du STO (Service du Travail Obligatoire). Il a bien entendu été révoqué par le gouvernement de Vichy, et mis sous surveillance par la Gestapo jusqu’en 1944. Père de trois enfants dont deux filles, il décède en 1956 à l’âge de 68 ans.

Les noms de rue de la Neuve-Lyre

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Mais comment cette voie lui a-t-elle été consacrée sur le territoire de la commune de La Neuve-Lyre ? Inaugurée comme rue le 11 mai 1980, puis comme avenue en 1985, après plantation de 50 arbres, de trois teintes différentes évoquant le drapeau tricolore, chacun offert par un donateur particulier. C’est à cause de la fidélité, de l’initiative et de l’obstination d’un ancien du 6ème GRCA, Monsieur René RICHER, domicilié dans cette localité d’où il a toujours réussi à faire perdurer le souvenir de son unité et celui du Commandant qui a « su conserver à ses hommes leur honneur et leur fierté» tout en sauvegardant la vie de la grande majorité d’entre eux. »

Jean Henri CARDON remercie tous ceux qui ont participé à la réalisation de cette biographie : Monsieur Wallerand de HAUTECLOCQUE, René RICHER (in memoriam), l’Institut Charles de Gaulle, le Mémorial Leclerc de Paris et la Mairie de La Neuve-Lyre.

Rue Flandres-Dunkerque 40

Une fois passée la Risle, la rue des Frères Loiziel devient rue Flandres-Dunkerque. Ce nom de rue courant (il y a d’ailleurs une place Flandres-Dunkerque à la Vieille-Lyre) rappelle la retraite des soldats anglo-français vers le port de Dunkerque en 1940. Pris en tenaille par les Allemands, ils n’eurent d’autres choix que s’enfuir de France par bateaux. Environ 350 000 hommes réussirent à embarquer et quitter Dunkerque sous les bombes.

Hameaux et lieux-dits de la Neuve-LyreÉtant donné l’exiguïté du territoire communal, la Neuve-Lyre compte peu de hameaux,

à la différence de la Vieille-Lyre.

Le Chêtre

Autrefois la Chette ou Chaite, ce lieu a connu plusieurs orthographes comme beaucoup de toponymes. Mais toutes ces variantes s’approchent du vieux français « chaistre », désignant un château. Or, l’ancienne forteresse médié-

vale de la Neuve-Lyre n’était qu’à quelques centaines de mètres (voir carte p.46). Il y a proba-blement un lien entre le nom du hameau et le château voisin.

Le Chêtre fut longtemps le nom d’une importante ferme. On en voit encore les beaux bâtiments (du XVIIIe siècle ?) en contrebas de la rue du relais de la Chête. Le nom de cette der-nière supposerait d’ailleurs que cette ferme correspondait autrefois à une poste aux chevaux. Cette affectation est probable puisque les archives du XVIIIe siècle mentionnent l’existence d’un établissement de ce genre sur la commune. Les postes aux chevaux se situaient le long des routes importantes, à intervalles réguliers (en théorie tous les quatre lieues soit environ 16 km). Le maître du relais de poste avait notamment pour fonction de louer des chevaux frais aux voyageurs. Employé du roi, il portait un uniforme écarlate avec un manteau bleu roi à ga-

Hameaux et Lieux-dits de la Neuve-Lyre

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lon d’argent. La Neuve-Lyre se situait sur une itinéraire important (Sées-Rouen) et, pour cette raison, avait sa poste aux chevaux. À la veille de la Révolution, six chevaux garnissaient l’écurie. Deux postillons s’occupaient de les soigner ou conduisaient les voyageurs. La Ferrière-sur-Risle, Rugles et L’Aigle constituaient d’autres étapes sur ce grand chemin de Sées à Rouen

Vers 1968, le propriétaire de la ferme du Chêtre, Gaston BRARD, a loti la grande cour de son corps de ferme. Ainsi sont sorties de terre les différentes maisons qui composent aujourd’hui le Chêtre.

Chagny

Ce hameau a la particularité de se trouver à cheval sur les communes de la Neuve-Lyre et de Neaufles-Auvergny. La forme « Chagny » ressemble beau-coup à d’autres toponymes de Normandie : Chaignes, Chahains, Cahagnes,

Cahaignes. Le professeur de linguistique René LEPELLEY considère que toutes ces appella-tions sont formées à partir du mot latin catanus, c’est-à-dire genévrier. Ainsi, Chagny désignent peut-être « un lieu planté de genévriers ».

La terre de Chagny entre dans les premières donations à l’abbaye de Lyre. Elle figure en effet dans la charte de fondation rédigée vers 1050. Chagny fait donc partie des plus an-ciens noms de lieux connus de la Neuve-Lyre. L’abbaye y possédait un moulin à blé au bord de la Risle. C’est à partir de ce lieu que se développa l’usine Baraguey-Fouquet au XIXe siècle. La croissance du nombre d’ouvriers entraîna la construction de logements sur le plateau. En 1906, on bâtit notamment la cité Leroy. L’afflux de population transforma le lieu-dit en un petit village : Chagny avait dans les années 1910 un café, une épicerie (plus exactement une coopérative) et même sa fête annuelle.

Le Village Normand

C e hameau dont le nom fleure bon le pays est installé au bord de la Risle, non loin du château de la Chapelle. De nombreux Lyrois ne connaissent pas ce secteur ; tout au plus l’ont-ils longé en prenant la route de la Neuve-Lyre à

Auvergny. Pourtant, si on ose quitter le bitume pour emprunter le chemin qui traverse le ha-meau, on découvre un lieu charmant. Les toits des longues maisons basses émergent à peine des haies. Le bruit de la rivière invite à la promenade.

L’histoire du Village Normand est comparable à celle de Chagny. Un moulin y fonc-tionnait dès le début du XIIIe siècle. Les anciens textes l’appellent le « Moulin Normand » car il dépendait de la seigneurie et de la paroisse de Bois-Normand. C’est ici que les paysans du seigneur devaient moudre obligatoirement leur grain. Beaucoup plus tard, en 1824, le fu-tur fondateur de l’usine de Chagny, Germain BARAGUEY, acheta le moulin à blé puis le transforma en une petite usine, une tréfilerie. C’est probablement à partir de ce moment que des maisons s’établirent autour de l’ancien moulin. L’édifice avait la particularité d’avoir deux

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roues hydrauliques, une de chaque côté du bâtiment. La tréfilerie eut une existence chaotique : elle ferma à la fin du XIXe siècle mais rouvrit en 1911. En sortaient du fil de cuivre et des tubes. Elle a certainement fermé dans les années 1920, soit quelques années avant la grande usine de Chagny. Aujourd’hui, le site est à l’abandon et envahi par la végétation. Une chute d’eau et quelques pans de murs éboulés témoignent de l’ancienne activité industrielle.

La Chapelle

À la veille de la Révolution, la Neuve-Lyre est principalement partagée entre deux seigneurs : d’une part, l’abbé et les moines de la Vieille-Lyre, d’autre part le seigneur de la Chapelle et de la Salle. Le domaine de ce dernier s’étend

jusque dans le bourg. Depuis 1651, la famille DE LA VALLÉE possédait la seigneurie de la Chapelle et de la Salle. Elle appartient à une catégorie que les historiens appellent la noblesse d’épée, par opposition à la noblesse de robe. Cela signife que la fortune et la carrière de ces nobles reposent sur le service du roi au sein des armées royales. Le capitaine de cavalerie Esme DE LA VALLÉE a par exemple combattu pour le jeune LOUIS XIV à l’époque de la Fronde. Sa fidélité lui vaut certainement une récompense qui lui donna les moyens financiers d’acheter en 1651 les seigneuries de la Chapelle et de la Salle à la Neuve-Lyre.

Après la Révolution, il n’y a plus de seigneurs de la Chapelle. Le manoir tombe en des mains roturières. À une date incertaine, entre 1825 et 1840, Germain Honoré BARAGUAY épouse en secondes noces Anne-Élisabeth GER-VAIS. Le premier person-nage nous est déjà connu : c’est l’entrepreneur qui développera l’usine métal-lurgique de Chagny mais au moment de son maria-ge, il fait partie des prin-cipales fortunes de Rugles grâce à son activité de négociant. Précisément, il est marchand d’épingles. Il est étonnant de constater que ce modeste produit a servi de fondement à l’en-richissement de plusieurs familles du pays d’Ouche. La mariée nous est moins connue. C’est la veuve de

Hameaux et Lieux-dits de la Neuve-Lyre

Le château de la Chapelle élevé en 1879 pour Émile BARAGUEY. Le service des Monuments Historiques juge que « cet ensemble, qui témoigne de la réussite sociale d’un grand capitaine d’indus-

trie, est assez exceptionnel tant par l’ ampleur de la composition, la notoriété de son architecte, la qualité de cette architecture, son style éclectique, la conservation des dispositions intérieures et du décor d’origine ». D’où son classement il y a quelques années. La Neuve-

Lyre et M. BARREZ, son propriétaire actuel, peuvent être fiers d’avoir l’un des châteaux de Haute-Normandie les plus intéressants du XIXe

siècle.

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François DESMOUSSEAUX, un négociant (encore un !) de Paris. Elle a hérité de son défunt mari le manoir de la Chapelle. Le couple s’installe dans cette demeure.

Fondée en 1842, l’usine de Chagny prospère. Son patron Germain BARAGUAY de-vient très riche. Son fils Émile BARAGUEY-FOUQUET lui succède et modernise l’entre-prise. Maire de la Neuve-Lyre en 1862, il juge nécessaire de vivre dans une demeure conforme à son statut. Vers 1876, il confie donc à l’architecte caennais Jacques BAUMIER la tâche de transformer le manoir de la Chapelle en château. BAUMIER jouit d’une solide réputation. Il a conçu le plan de la station balnéaire d’Houlgate près de Cabourg, et y a édifié le Grand Hôtel, l’église et plusieurs villas. Pour le château de la Chapelle, l’architecte reprend un style archi-tectural à la mode : l‘éclectisme. Il consiste à mêler différents répertoires artistiques passés. Le style Renaissance inspire par exemple le dessin des lucarnes et de l’avant-corps tandis que le classicisme se traduit dans la régularité des ouvertures et dans la symétrie du plan. Jacques BAUMIER joue sur les styles, les formes mais aussi sur les couleurs. Chaque matériau apporte sa touche : la brique rouge des façades, le bleu gris des ardoises du toit, les céramiques oran-gés des chapiteaux. Mêmes les silex et les mortiers sont choisis selon leurs teintes : si certains sont gris, d’autres présentent des tons jaunâtre, violacé ou rosé. Homme pieux et passionné de chasse, Émile BARAGUEY commande aussi la construction de deux pavillons indépendants, placés en vis-à-vis devant la demeure : l’un accueille la chapelle, l’autre sert de pavillon de chasse. La façade principale de ce dernier est ornée des bustes en céramique d’un chien, d’un sanglier et d’un cerf. Enfin, aux différentes entrées du château, sont installés de grandes grilles en fer forgé, toutes surmontées d’un B majuscule. B comme BARAGUEY.

Le Trou Normand : le filmJeanne LE ROUX travaille dans sa charcuterie installée à la Neuve-Lyre quand elle

aperçoit à travers sa vitrine deux personnes deviser à propos de son commerce. Ils finissent par entrer. L’un se présente : il s’appelle Jean BOYER, réalisateur de films. L’homme voudrait utiliser la boutique pour son prochain long-métrage. Jeanne LE ROUX accepte sans vraiment deviner les conséquences. Quelques mois plus tard - nous sommes en 1952 - une équipe de cinéma envahit la place de l’église. La façade de la charcuterie reçoit un nouveau décor et doit fermer toute la matinée. Le Trou Normand avec en tête d’affiche BOURVIL va pouvoir être tourné.

Début de carrière pour Bourvil et Brigitte Bardot

Ce n’est pas la première fois que la Neuve-Lyre accueille un tournage. Deux ans auparavant, le même réalisateur, Jean BOYER, avait filmé ici quelques scènes pour le Rosier de Madame Husson. BOURVIL en était déjà la vedette. Autre-

ment dit les deux hommes connaissent bien la région. Avec le Trou Normand, l’acteur co-

Le Trou Normand ; Le Film

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mique joue dans son 11e film. Ce n’est donc pas un novice mais ses grands succès tels la Grande Va-drouille, Le Corniaud et la Traversée de Paris sont postérieurs. En 1952, les gens connaissent surtout BOURVIL pour ses chan-sons légères et burlesques et ses sketches. Des an-nées précédentes datent par exemple la Tactique du gendarme et la Causerie anti-alcoolique dans laquel-le il vante les mérites de l’eau ferrugineuse.

Rappelons brièvement l’histoire du film : Hippolyte Lemoine interprété par BOURVIL doit hériter, à la mort de son oncle, de l’auberge du Trou Normand. Dans son testament, le défunt émet toutefois une condition : Hippolyte doit obtenir son certificat d’études ! Pas facile sachant que le jeune homme n’est pas une lumière. De plus, sa tante entend bien le détourner de ce projet afin de lui ravir l’héritage.

Bien que le Trou Normand n’ait pas marqué l’histoire du cinéma, la distribution du film autour de Bourvil mérite qu’on s’y arrête. Le Trou Normand marque d’abord les débuts cinématographiques d’une des plus grandes actrices du cinéma français. Pour jouer la cousine d’Hippolyte, le producteur et le réalisateur cherchaient une fille de 17-18 ans. Le deuxième assistant-metteur en scène propose une jeune mannequin du nom de Brigitte BARDOT. Cet assistant n’est autre que Roger VADIM, le futur mari de BB. Bien qu’elle n’ait jamais tourné, elle est engagée. Malheureusement le tournage ne passe pas très bien pour elle. L’équipe l’accueille fraîchement. On la trouve certes jolie mais pas bonne comédienne. Bri-gitte BARDOT avouera plus tard que ce film faillit lui faire renoncer à sa carrière d’actrice. En effet, Le Trou Normand correspondait as-sez peu à ses rêves de jeune fille : une fable tournée en plein campagne, un rôle sans en-

LE Trou Normand : le Film

Une scène comique du film le Trou Normand. Hippolyte Lemoine (Bourvil), habillé pour l’enterrement de son oncle,

actionne la pompe à essence de l’auberge

Au bal de la Ferrière-sur-Risle Le couple du film Le Trou Normand danse : Javotte (jouée par Brigitte BARDOT) et Jean

Marco (joué par Roger PIERRE)

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vergure aux côtés d’une vedette, BOURVIL, peu conforme à son image du prince charmant. Précisément, elle joue le rôle de la belle Javotte. Hippolyte en est amoureux (qui ne peut pas l’être ?) mais Javotte refuse d’épouser ce benêt et rêve plutôt de devenir comédienne. Un avenir que l’impresario Jean Marco lui fait miroiter. Pour jouer ce bel homme, Jean BOYER a choisi Roger PIERRE, coauteur avec BOURVIL de la Causerie anti-alcoolique et surtout compère de Jean-Marc THIBAULT.

Autour de BOUR-VIL et de Brigitte BAR-DOT, on repère quelques vieux routards du 7e art : Jane MARKEN (la cupide tante et mère de Javotte) et Pierre LARQUEY (le cafetier) ont entamé leur carrière pendant la pre-mière guerre mondiale, c’est-à-dire au temps du cinéma muet. Un autre ponte, Noël ROQUE-VERT, endosse la tenue du maire de Courteville et jouera par la suite dans plusieurs films célèbres : Cartouche (avec Jean-Paul BELMONDO), Angélique, marquise des Anges (avec Michèle MERCIER), Le Viager (avec Michel SERRAULT). Il sera aussi le chef des Barbouzes. Enfin, les cinéphiles les plus avertis auront reconnu Jacques DERAY dans un petit rôle de journaliste. Le futur réalisateur de Borsalino, de la Piscine et du Marginal apparaît donc en comédien mais parallèlement, il assiste Jean BOYER sur le tour-nage. Fatigué de faire la course aux rôles, il se prépare à passer derrière la caméra.

Les Deux-Lyre comme décor du film

L ’histoire se déroule dans un village fictif : Courteville qui est en réalité un assemblage de différentes communes du Pays d’Ouche. Il y a la Neuve-Lyre, on l’a dit, dont la rue d’Alençon sert de vitrine commerçante. Il est d’ailleurs

intéressant de visionner le film car il donne un aperçu du bourg au début des années 1950. On reconnaît sur la place l’épicerie VANDEVOORDE et la graineterie juste à côté. Sur la rue d’Alençon, on aperçoit le salon de coiffure NENDZYNSKI, la pâtisserie « Aux Gourmets lyrois » de M. GAUTHIER, le café-hôtel DOREL, le magasin de « nouveautés » de M. et Mme MARIETTE (un magasin de vêtements) et bien sûr la charcuterie LE ROUX. Les plus observateurs remarqueront des plans montrant la ruelle Puet, la rue du Goulet et une partie de la place Émile Bourgeois. Par contre, l’école est celle de Sainte-Marthe et les scènes intérieures sont pour la plupart filmées à Conches.

LE Trou Normand : le Film

Dispute sur la place de l’église entre Hippolyte et sa tante.En arrière plan, quelques figurants lyrois.

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Enfin, la Vieille-Lyre accueille l’auberge que Bourvil alias Hippolyte LEMOINE doit essayer d’acquérir. En 1952, l’établissement appartient à la famille COMBON et porte le nom d’« hôtel de France ». Il est rebaptisé « Le Trou Normand » pour les besoins du film et gar-dera d’ailleurs cette désignation à l’issue du tournage. Le réalisateur Jean BOYER a installé sa caméra à d’autres endroits de la commune. On reconnaît la mairie sur laquelle les habitants lisent l’annonce de la mort de l’oncle Célestin LEMOINE, le cimetière dans lequel se déroule l’enterrement, l’église à l’intérieur de laquelle prie Maria, la gouvernante d’Hippolyte, afin qu’il obtienne le certif ’.

Plusieurs scènes nécessitaient la participa-tion de figurants ; les Ly-rois se sont prêtés au jeu. Pour figurer dans le film, c’était assez simple : un homme demandait sur la place de la Neuve-Lyre qui voulait participer. Les Lyrois intéressés levaient la main et donnaient leur nom. Pas de contrat. Ren-dez-vous le lendemain. Au final, le figurant recevait dix francs. De quoi ache-ter une bière, un paquet de cigarettes et une entrée au prochain bal. Pierre MARIETTE fut une de ces personnes qui levèrent la main. Il avait alors 18 ans et cinquante-cinq ans plus tard, le tournage laisse chez lui un souvenir impérissable. Et on le comprend à écouter l’anecdote qu’il se plaît à raconter : « Brigitte BARDOT s’apprêtait à tourner une scène mais le metteur en scène voulait qu’elle change son haut car ça ne collait pas avec la caméra. Alors, je l’ai em-mené dans le magasin de vêtements de mes parents, qui était tout près. C’est là qu’elle s’est rapidement changée. Je l’ai vu enlevé son haut et soudain j’ai aperçu ses seins. J’étais subjugué [...] Depuis, je porte des lunettes ».

L’atmosphère était bon enfant. Acteurs, figurants et habitants se mêlaient facilement. À la Neuve-Lyre, l’équipe du film achetait des croissants dans la boulangerie de Denise DES-SARTHE ; Brigitte BARDOT prenait des glaces à la pâtisserie Gauthier et discutait avec les jeunes du village. À la Vieille-Lyre, l’hôtelier Daniel COMBON leur vendait du fromage. BOURVIL mangea un soir chez les parents de Guy LECOUEDIC. Selon ce dernier, il en sortit avec une cuite due au cidre bouché !

LE Trou Normand : le Film

L’auberge du Trou Normand. C’est la fête à la Vieille-Lyre : Hippolyte a son certificat d’études.

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Les maires de la Vieille-LyreDans les premières années, les mandats sont lacunaires.

Dates de mandat Noms FonctionEn 1790 François DUVAL Propriétaire, agriculteurEn 1793 Simon FONTAINE Meunier, agriculteur

1793-1797 François CLOSET Bouilleur d’eau de vieVers 1800 Simon FONTAINE Meunier, agriculteur1804-1807 François DUVAL Propriétaire, agriculteur1808-1810 Antoine BUCAILLE1810-1812 Auguste CAPLET1812-1815 Jacques BUCAILLE Propriétaire, agriculteur1815-1841 Jean ALEXANDRE Régisseur des forges de

Trisay1841-1845 Louis HOUDEMER Agriculteur1845-1848 Jacques QUELIN Marchand de fer1848-1852 François LENOBLE1852-1873 Thomas HERISSON Agriculteur, sabotier1873-1878 Eléonor DESSEAUX Agriculteur1878-1888 Gustave DUVAL1888-1901 Armand BILLARD Propriétaire1901-1912 Léon DUVAL Propriétaire1912-1919 Adrien HERISSON Agriculteur1919-1944 Jean DUVAL Propriétaire1944-1945 Henri BILLOT Agriculteur1945-1959 Marcel BLANCHET Marchand de bois

1959-1989 Claude BLANCHET Marchand de bois

1989-2000 Jacques NENDZYNSKI Transporteur2000- Michel DESSARTHE Directeur des ressources

humaines

Les Maires de la Vieille-Lyre

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Les maires de la Neuve-LyreDate de mandat Noms Fonction1790-1807 Jacques LE BAS Propriétaire1807-1831 Jean-Michel GUEFFE1831-1836 Armand MESNIL1836-1844 Pierre-Casimir QUEREY1844-1848 Jean-Jacques GUEFFE1848-1852 Germain BARAGUEY Industriel1852-1862 Jean-Jacques GUEFFE1862-1896 Émile BARAGUEY-FOUQUET Industriel

1896-1914 Joseph LOIZIEL Huissier1914-1919 Prosper BASTIEN Marchand Mercier1919-1926 Pierre REMY Huissier1926-1932 Raoul LOIZIEL Avocat1932-1940 Anatole BOULAY Cafetier

1940-1944 Victor de KERMEL Comte1944-1959 Yvan BLANCHET Marchand de bois

1959-1995 Raymond PLAINE Notaire

1995- Jean-Claude FRANCOIS Chauffeur

Les maires de la Neuve-Lyre

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ConclusionLa Vieille-Lyre, la Neuve-Lyre, deux villages voisins du Pays d’Ouche, deux communes

soeurs unies par la Risle mais dont le destin divergea très tôt.

La Vieille-Lyre, c’est la grande soeur. Elle a quelques années de plus. Sa position au carrefour d’une voie romaine et d’une grande rivière laisse supposer une origine antique. Un pont a dû être construit très tôt. On imagine difficilement que ce point de passage n’ait pas in-téressé les hommes dès l’Antiquité. Rappelons que l’archéologie aérienne a permis de repérer les fondations d’un bâtiment gallo-romain à l’est de la commune.

La Neuve-Lyre, c’est la petite-soeur. Au Moyen Âge, son dynamisme vampirise l’aînée.La grande soeur dépérit jusqu’en l’an 1046, lorsque une abbaye dédiée à Notre-Dame s’y ins-talle. Les moines relancent la Vieille-Lyre en impulsant l’activité économique : ils exploitent plusieurs fermes, font tourner des moulins et organisent deux foires par an. Incontestable-ment, l’abbaye domine et marque le paysage lyrois. On l’aperçoit de fort loin tant l’église abba-tiale est haute et vaste par rapport à la modeste église paroissiale. L’enceinte du domaine court sur près de 2,5 km. Les religieux, malgré un climat peu encourageant, s’attachent à cultiver de la vigne sur les premières pentes du coteau.

En 1229, c’est la séparation. La Neuve-Lyre, qui faisait jusque là partie de la paroisse de la Vieille-Lyre, obtient son émancipation. La petite soeur est tellement différente physi-quement. C’est un bourg commerçant alors que l’autre est un village agricole et forestier. La Neuve-Lyre a son château tandis que la Vieille-Lyre a son abbaye. Le caractère de chacune s’affirme au cours du Moyen Âge. Le commerce prospère chez la première : un marché est signalé dès 1277, des halles le sont dès 1449.

Parallèlement, on trouve quelques traits communs. Par exemple, le fer. On travaille le métal aussi bien à la forge de Trisay que dans les petits ateliers de la Neuve-Lyre. Rappelons que sous Napoléon, les clous sont la spécialité artisanale de la commune. La Révolution In-dustrielle balaie cette micro-production. Sans pour autant faire disparaître la tradition métal-lurgique puisqu’une usine fondée à Chagny par la famille BARAGUEY prend le relais. Une modeste entreprise à ses débuts en 1842, coincée entre la rivière et les premières pentes de la vallée. Puis quelques dizaines d’années plus tard, un mastodonte, la plus grande usine que les Deux-Lyre ait connue.

Au XIXe siècle, la Neuve-Lyre n’est pas sans rappeler le Yonville du roman Mme Bo-vary, avec son marché, son élite sociale de petits commerçants, ses auberges fréquentées par les rouliers, et bientôt ses comices agricoles. Mais, le Yonville du Pays d’Ouche, dynamisé par l’arrivée du chemin de fer, se donne rapidement des airs de petite ville. Autour de 1900, les premières ampoules électriques éclairent les rues ; l’eau courante arrive dans les foyers. Une fontaine monumentale vient souligner le contraste avec sa grande soeur.

Conclusion

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En effet, depuis la Révolution, la Vieille-Lyre n’a plus l’abbaye, son pôle d’impulsion. En 1800, il ne subsiste presque plus rien des imposants bâtiments. Les tentatives de fusion avec Lyre-la-cadette (c’est le nom donné par les autorités de la Vieille-Lyre à leur voisine) échouent. Au cours du siècle suivant, la population régresse régulièrement. L’agriculture continue à utili-ser beaucoup de main d’oeuvre. Bref, Lyre l’aînée vit au rythme du cheval et des saisons.

Au début du XXe siècle, l’image des deux communes s’affine. Nous bénéficions des premières cartes postales, puis de témoignages oraux. Au fil des entretiens que j’ai eu avec la population, s’est révélé un monde quelque peu exotique, bien qu’il ne date que de 80 ans au maximum. Je retiendrai quelques images et ambiances : les prés recouverts de mulons, le bruit régulier de la batteuse à vapeur, les roues hydrauliques animées par la Risle, les hommes discu-tant sur les bancs de la place Émile Bourgeois à la tombée de la nuit, les femmes rassemblées autour des bornes-fontaine ou des lavoirs... La Neuve-Lyre comptait alors près de 60 artisans et commerçants. La Vieille-Lyre avait une activité commerciale beaucoup moins importante mais notons qu’autrefois chaque gros hameau de la commune avait son café-épicerie, et aussi sa fête.

En dépit de l’importance de l’événement, la fermeture de l’usine Baraguey-Fouquet en 1931 a peu marqué les témoins que j’ai rencontrés. Le fait est probablement trop ancien. Pourtant, on imagine le choc causé par le brusque licenciement d’environ 200 employés. De nombreuses familles ont dû quitter la Neuve-Lyre. La commune ne s’en releva jamais. La der-nière guerre reste par contre dans les esprits. Lors des entretiens, les Lyrois m’ont confié de nombreuses anecdotes, qui étaient autant de pied-de-nez faits aux Allemands. Mais, au-delà de ces histoires divertissantes, il y avait la peur. Peur d’être dénoncé, arrêté, exécuté, peur de dis-paraître sous les décombres de sa maison bombardée, peur d’apprendre la mort d’un proche. Aujourd’hui, prenons conscience de la chance de vivre en paix.

L’avenir n’est pourtant pas sans inquiétude. Face au déclin du monde rural profond, que vont devenir les Deux-Lyre ? Les projets récemment aboutis attestent un certain dyna-misme : la réhabilitation du centre-bourg de la Neuve-Lyre, la construction d’un centre sportif intercommunal, le jumelage entre la Vieille-Lyre et Eardisland et l’établissement d’un gîte de groupe sont autant de signes d’une volonté de ne pas voir les deux villages s’assoupir. Même si ce livre s’achève, l’histoire de ces deux soeurs, si proches et même temps si différentes, conti-nue à s’écrire.

Conclusion

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Sources et documentsCette histoire de la Vieille-Lyre et de la Neuve-Lyre s’est appuyée sur :

Des archives

On trouve des documents aux Archives Nationales et à la Bibliothèque Nationale de France mais je me suis surtout rendu aux Archives départementales de l’Eure à Évreux. Voici les cotes des liasses de documents (sans exhaustivité)

H 587 et H 588 (deux manuscrits écrits vers 1730-1740 par des moines de Lyre et qui inventorient les archives de l’abbaye)

12 L 20 (sur les troubles dans le Pays d’Ouche en mars 1792)288 L 1 jusqu’à 288 L 9 (sur la période révolutionnaire dans l’ancien canton de la

Neuve- Lyre)5 M 308 (sur les entreprises au bord de la Risle dont l’usine de Chagny)5 M 313 (sur des entreprises de la Vieille-Lyre qui utilisent une machine à vapeur au

XIXe et XXe siècle)5 O 6 (sur les bâtiments communaux des Deux-Lyre comme les églises, les mairies ou

les écoles)2 Pl123 (Plan de la Neuve-Lyre en 1738 avec le nom de tous les propriétaires de l’épo-

que)19 S 46 (sur la Risle, ses moulins et ses usines au XIXe siècle dont la forge de Trisay)Les Annales de Lyre, le bulletin paroissial de la Neuve-Lyre et des communes environ-

nantes, publié entre 1905 et le début des années 1930. Un vrai journal local. Le Courrier de l’Eure, le journal du département Le Progrès de Conches, journal paru entre 1911 et la seconde guerre mondiale

Les archives privées de M. Jean-François BARREZ, de Pierre GOBEAUX et de Claude BLANCHET

Des livres

ARNOUX (Mathieu), Mineurs, férons et maîtres de forge, étude sur la production du fer dans la Normandie du Moyen Age (XIe-XVe siècles), éditions du CTHS, 1993.

BELHOSTE (J.-F.), LECHARBONNIER (Y.), ARNOUX (M.), ARRIBET (D.), AWTY (B. G.), RIOULT (M.), La métallurgie normande (XIIe-XVIIe siècles), la révolution du haut-fourneau, Caen, Histoire et patrimoine industriels de la Normandie, 1991.

BODINIER (sous la dir. de Bernard), L’Eure. De la Préhistoire à nos jours, Saint-Jean d’Angely, éditions J.-M. Bourdessoules, 2001.

CHARPILLON et CARESME, Département de l’Eure. Dictionnaire des communes de M à V, volume II, deuxième partie, Paris, Res Universis, 1992 (1ère édition en 1879).

Sources et Documents

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��

COLOMBE (Laurent), La Risle : fleuve de Normandie. Une histoire d’eau, Paris, Jouve, 2003, 172 p.

DERRIEN (Jean-Marc), Les années 1900 à Rugles et à la Neuve-Lyre, Saint-Aubin-lès-Elbeuf, Page de Garde, 1997, 155 p. (Recueil de cartes postales de Joël Renou et de Gérard Jacquet)

GUERY (C.), Histoire de l’abbaye de Lyre, Évreux, Imprimerie de l’Eure, 1917. LECOCQ (Albert), Notes Historiques sur Rugles, tome 3, Elbeuf, Page de Garde,

2006, 130 p. LEPREVOST (Auguste), Mémoires et notes pour servir à l’histoire du département de

l’Eure, recueillis et publiés par L. Delisle et L. Passy, Évreux, 1862-1869 MOLKHOU (Pierre), La Neuve-Lyre, l’histoire en mouvement, Imprimerie Genty, 2000,

18 p.

Des sites web

http://www.francegenweb.org/mairesgenweb. Ce site de généalogie propose la liste des maires de plusieurs communes de France dont la Vieille-Lyre (mais pas la Neuve-Lyre)

http://users.bart.nl/~roestb/franciscan/franautn.htm. Site en anglais sur les auteurs franciscains dont Nicolas de Lyre

http://www.objectif-cinema.com De nombreuses articles fouillés sur les films de cinéma dont le Trou Normand

http://www.thepotlidcircle.co.uk/grand_depot.htm. Dans ce site d’amateurs anglais en céramique, un article présente la biographie d’Emile Bourgeois.

Des visites de lieux

Le musée de Normandie à Caen, l’abbaye Saint-Georges-de-Boscherville (près de Rouen), l’abbaye Saint-Etienne-de-Caen, la forge d’Aube (près de L’Aigle). En s’immergeant dans ces sites, il a été plus facile d’évoquer le monastère de Lyre et la forge de Trisay.

Un film

Le Trou Normand, DVD vidéo, René Château, Roissy Films, TF1 vidéo, 2004.

Des témoignages

Ceux de Hubert et Jacqueline BACLE, Yvonne BERGER, Francine et Jacques BES-NARD-BERNADAC, Claude et Eliane BLANCHET, André et Thérèse BRISSET, Jacques DESCOUDRAS, Denise DESSARTHE, Paul DORCHIES, Yolande DROUET, Gérard DU-MOUTIER, Lucienne GALERNE, Marc GAUTHIER, Jeanne GUÉRIN, Gilbert HUBERT, Georgette LE BOULCH, Pierre et Claudine LOISEAU, Marie-Thérèse LOUTREL, Jeanne LE ROUX, Yvette MADELON, Colette MOUSSE, Gilbert PÉCOT, Raymond PLAINE, Lucien, Henriette et Colette TOQUARD et Gaston TRÉHARD

Sources et documents

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Table des matièresPréface 5Avant-propos 7La Vieille-Lyre et la Neuve-Lyre étaient-elles unies autrefois ? 9À la quête des origines 10

La Vieille-Lyre est-elle si vieille et La Neuve-Lyre plus neuve ? 10Des hommes préhistoriques aux Romains 12La fondation de l’abbaye 13

L’abbaye Notre-Dame de Lyre 15Visite des lieux 15Mener une vie de moine 15Histoires et légendes 18

Itinéraire à travers la Vieille-Lyre au temps des moines 21Dans le bourg 21De la Croix de Pierre au Mesnil, par le plateau 23En suivant la Risle, du Rouge-Moulin à Trisay 25

La Révolution française 27L’agonie de l’abbaye 27Une révolution tranquille ? 29Des Lyrois sans prêtre et sans église 30

La vie avant-guerre à la Vieille-Lyre 31Les commerçants 31L’agriculture d’autrefois 33Quelques scènes désuètes de la vie quotidienne 36Le temps des portes-plumes 38Le pèlerinage à Notre Dame de Lyre 40

La Neuve-Lyre dans les années 1930 41Les Lyrois en société 41De nombreux commerçants et artisans 43La tactique du gendarme 45

Lyre dans la guerre (1940-1944) 47L’arrivée des Allemands 47L’occupation allemande 47L’été 1944 49

Divertissements autour de 1950 50Fêtes d’après-guerre 57Les débuts délicats de l’Union Sportive Lyroise 58

Histoire de quelques entreprises lyroises 61L’entreprise Le Boulch : de la charronnerie à l’industrie 61La forge de Trisay 63La grande usine oubliée de la Neuve-Lyre 65

Les noms de rue de la Neuve-Lyre 69Des rues « historiques » 69Des noms en l’honneur de personnalités lyroises 72Des rues méconnues 77Les noms de rue liés à la Seconde Guerre Mondiale 79

Hameaux et lieux-dits de la Neuve-Lyre 82Le Chêtre 82Chagny 83Le Village Normand 83La Chapelle 84

Le Trou Normand : le film 85Début de carrière pour Bourvil et Brigitte Bardot 85Les Deux-Lyre comme décor du film 87

Les maires de la Vieille-Lyre 89Les maires de la Neuve-Lyre 90Conclusion 91Sources et documents 93

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Laurent

● La Vieille-Lyre, la Neuve-Lyre, deux villages voisins du Pays d’Ouche, deux communes soeurs unies par la Risle mais dont le destin fut opposé.

● Écrit dans un style clair et concis, ce livre est d’abord une boîte à souvenirs. Souvenirs de ces dizaines de Ly-rois ou d’anciens Lyrois que l’auteur a interrogé pour reconstituer la vie de nos grands-parents. Du travail aux champs aux fêtes villageoises, en passant par la dernière guerre, c’est une partie de la mémoire des deux villages qui est conservée à l’intérieur de ce livre.

● Au terme d’une importante recherche en archive, l’auteur révèle aussi plusieurs faits oubliés de l’his-toire des Deux-Lyre ou corrige quelques idées faus-ses. Qui sait l’emplacement du vieux château de la Neuve-Lyre ? Quelle grande usine implantée à Cha-gny faisait vivre les Lyrois il y a moins de cent ans ? Qui sont ces hommes honorés sur les plaques de rues : Émile Bourgeois, Loiziel ou Pierre Le Boulch ?

● Cette histoire explore aussi des sentiers plus mystérieux. Au Moyen Âge, la Vieille-Lyre ac-cueillait une puissante abbaye. Les moines nous ont laissés quelques ruines, des souter-rains et peut-être une Vierge cachée en or...

L’auteur, Laurent Ridel a vécu toute sa jeunes-se à la Vieille-Lyre. Né en 1979, il est historien de formation, diplômé de l’université de Rouen. Adresse de courriel : [email protected]

Vous pouvez prolonger la lecture sur son site web L’histoire de la Vieille-Lyre et de la Neuve-Lyre où vous trouverez des photos, des compléments d’informations et des thèmes supplémentaires. http://vieille-lyre-neuve-lyre.over-blog.com

ISBN en cours