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LA VIE DE LOUISE COLET Née Louise Révoil à Aix-en-Provence en 1810, Louise grandit dans la propriété des Servannes acquise au XVII e siècle par son aïeul maternel Joseph Leblanc de Luveaune, conseiller au Parle- ment de Provence C’était une propriété entourée de montagnes au milieu des oliviers. À 19 ans, influencée par le Romantisme alors en vogue en France, elle compose des vers avec le désir de venir à Paris. C’est vers cette époque [1828] qu’elle apprend l’arrestation et l’emprisonnement de Silvio Pellico, un auteur dramatique piémontais, partisan des Carbonari [nationalistes] contre les Autrichiens. Elle en tombe immédiatement amoureuse. En 1832, elle est invitée par Julie Candeille, une amie de la famille, dans son salon littéraire à Nimes. Louise était déjà connue comme « La perle des Bouches-du-Rhône » ou encore « La muse des Bouches-du-Rhône » À 23 ans, elle commençait à s’inquiéter de ne pas être mariée. En 1834, Julie Candeille meurt à Paris, où elle était allée se faire soigner d’une maladie grave. Quelques mois plus tard, c’est au tour de la mère de Louise de disparaître. Louise vit alors avec la famille de Servannes. Toujours désireuse de quitter Aix et de s’en aller à Paris, Louise décide d’y rejoindre Hippolyte Colet, musicien flûtiste qu’elle avait connu dans le salon de Julie Candeille et qui la courtisait depuis un certain nombre d’années, pour se marier. C’était la condition posée par Hippolyte Colet, son aîné de trois ans. 1 Éditions Myoho, 2011 - ISBN : 9782916671055

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Page 1: LA VIE DE LOUISE COLET - l'autre LIVREfréquentèrent le salon de Charles Nodier où la beauté de Louise impressionne son futur amant : Alfred de Musset. Pour des besoins pressants

LA VIE DE LOUISE COLET

Née Louise Révoil à Aix-en-Provence en 1810, Louise granditdans la propriété des Servannes acquise au XVIIe siècle par sonaïeul maternel Joseph Leblanc de Luveaune, conseiller au Parle-ment de Provence C’était une propriété entourée de montagnesau milieu des oliviers.

À 19 ans, influencée par le Romantisme alors en vogue enFrance, elle compose des vers avec le désir de venir à Paris.C’est vers cette époque [1828] qu’elle apprend l’arrestation etl’emprisonnement de Silvio Pellico, un auteur dramatiquepiémontais, partisan des Carbonari [nationalistes] contre lesAutrichiens. Elle en tombe immédiatement amoureuse.

En 1832, elle est invitée par Julie Candeille, une amie de lafamille, dans son salon littéraire à Nimes. Louise était déjàconnue comme « La perle des Bouches-du-Rhône » ou encore« La muse des Bouches-du-Rhône »

À 23 ans, elle commençait à s’inquiéter de ne pas êtremariée.

En 1834, Julie Candeille meurt à Paris, où elle était allée sefaire soigner d’une maladie grave. Quelques mois plus tard, c’estau tour de la mère de Louise de disparaître. Louise vit alors avecla famille de Servannes.

Toujours désireuse de quitter Aix et de s’en aller à Paris,Louise décide d’y rejoindre Hippolyte Colet, musicien flûtistequ’elle avait connu dans le salon de Julie Candeille et qui lacourtisait depuis un certain nombre d’années, pour se marier.C’était la condition posée par Hippolyte Colet, son aîné de troisans.

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Éditions Myoho, 2011 - ISBN : 9782916671055

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Hippolyte n’était pas vraiment à la hauteur, mais ils parta-geaient le même goût pour le Romantisme, la politique progres-siste, et avaient tous deux une insatiable ambition.

En 1833, Hippolyte s’était présenté au concours du Prix deRome pour la composition musicale. Il remporta le second prixet obtint un poste de professeur de musique à Paris.

Il fit alors sa demande de mariage qui fut repoussée par lafamille de Louise. Jean-Jérôme, le frère de Louise le provoquamême en duel. Louise s’y interposa en acceptant de renoncerau mariage.

Après une tentative de fuite, Louise accepta de ne recevoirque 24.500 francs de dot au lieu des 30.000 francs laissés enhéritage par sa mère. Bien que la cérémonie fût boycottée parsa famille, Louise se maria le 3 décembre 1834 dans l’église deSaint-Jacques de Mouriès. Trois jours plus tard, les jeunes mariésquittaient Aix et s’installaient au 6 bis rue des Petites-Écuries, àParis, non loin du Conservatoire implanté rue Bergère.

Grâce à des lettres de recommandation, les Colet eurentleurs entrées dans le monde littéraire parisien de l’époque. Ilsfréquentèrent le salon de Charles Nodier où la beauté deLouise impressionne son futur amant : Alfred de Musset.

Pour des besoins pressants d’argent, Louise édite ses poèmesFleurs du midi en 1835. Cherchant le soutien d’une figurelittéraire de choix parmi les grands du moment, Louiseapprocha Sainte-Beuve auprès duquel elle possédait une lettred’introduction. Mais ce dernier trouva ses vers trop prosaïqueset refusa. Il ne lui restait plus que Vigny, Hugo et Chateau-briand. Elle rendit visite à Chateaubriand dans son appartementde Montparnasse, mais celui-ci fut plus que réservé au sujet despoésies. Néanmoins, elle publia en introduction du livre une deses lettres à ce sujet1. Puis elle força Sainte-Beuve à lui ac-corder une critique dans la « Revue des Deux Mondes », cequ’il accepta avec réticence2. Le livre fut finalement publié.Elle reçu une avance de 200 francs.

2 Poésies choisies de Louise Colet

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Cependant son mariage allait de mal en pis. Hippolyte s’étaittransformé en un personnage jaloux et avare. Ils commençaientà voir les faiblesses de l’un et de l’autre. Il y eut de fréquentesscènes de ménage.

En 1839, François Mignot d’Aix propose à Louise de seprésenter à la compétition de poésie de l’Académie Française.Elle remporte le prix pour le poème « Le Musée de Versailles ».

En 1841, Louise ouvre, rue de Sèvres, un salon littéraire quisuccède à celui de Mme Récamier. Parmi ses premiers invitéselle compte Victor Cousin, Paul Lacroix, Abel François Ville-main. Début d’une longue liaison avec Victor Cousin. Elleécrira plus tard Penserosa en souvenir de ces jours-là. Tombéeenceinte, le doute s’installe sur la paternité de son enfant, ceque dénonça Alphonse Karr dans son journal satirique LesGuêpes. Louise essaya de l’assassiner, mais elle fut découverte.À la suite de cette tentative, Karr lui dédia une apologie admi-rative dans l’édition suivante des Guêpes.

Une fille naquit en 1840. Elle fut nommée Henriette, dunom de la mère de Louise.

En 1842, elle reçut d’un admirateur anonyme un coffret deses poèmes : La poésie de Mme Colet. C’est le début de lareconnaissance.

Elle commence à correspondre avec George Sand alors ausommet de sa gloire. Après La Jeunesse de Mirabeau quiconnaît un certain succès, Louise s’attaque à d’autres figures dela Révolution Française : Charlotte Corday et Mme Rolland.George Sand la rabroue après en avoir reçu les manuscrits. Larelation George Sand/Louise Colet était complexe. GeorgeSand était fascinée par le talent de Louise, mais préférait la tenirà l’écart et finalement refusa son amitié. Par contre, cette amitiéfut mieux reçue de Pierre-Jean de Béranger, le polémiste, dontelle devint la protégée.

En 1842, Louise est de nouveau enceinte. Elle écrit unrecueil de poésies : Les Cœurs Brisés, dédiés aux femmes dont

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elle raconte l’histoire tourmentée entre des amants débauchéset des maris sadiques. Elle reçoit le soutien de Juliette Réca-mier, l’amie de Chateaubriand, et de James Pradier, sculpteurfasciné par la mystique de la Femme et dont l’épouse,Ludovica, fut à l’origine de la rencontre de Louise et deFlaubert. Elle donne naissance à un fils qui mourra quelquesmois plus tard.

En 1843, elle brigue de nouveau le prix de l’AcadémieFrançaise. Elle remporte la compétition pour la seconde foispour « Le Monument de Molière », et empoche 2000 francs.

Louise se sépare de fait de son mari Hippolyte. Déjà en mai1838, ils avaient obtenu une séparation de biens. Cette sépara-tion allait accentuer la liberté d’action des deux époux quicommencèrent à vivre chacun de leur côté.

C’est le début de sa liaison avec Flaubert et d’un longéchange de lettres, révélant le caractère des deux amants. Dèsla deuxième lettre, on sent déjà les désaccords entre eux : d’uncôté, la passion dévorante de Louise et de l’autre, la froideurréticente de Flaubert.

Louise apparaît alors comme La pionnière féministe ; la pre-mière au XIXe siècle à avoir dénoncé le rôle soumis de la fem-me, endurant les offenses misogynes de son amant. C’est une« nouvelle femme » qui proclame son appétit pour la vie etpour l’art.

L’été 1847, Louise est de nouveau enceinte. Elle accoucherad’un fils, Marcel, en 1848 qui mourra lui aussi peu après.

L’année 1848 fut également marquée par le coup d’État deLouis Napoléon Bonaparte auquel ont assisté Victor Hugo etLouise Colet qui fut blessée sur les barricades.

Début des lettres de Victor Hugo et de Louise Colet.Colet et Flaubert se séparent au début de 1847. De 1849 à

1851, Flaubert et Maxime Du Camp voyageront de l’Égypte et àJérusalem en passant par Damas, puis en Grèce et en Italie.

À plusieurs reprises, Louise essayera de reprendre leurliaison, mais Flaubert résiste.

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Hippolyte Colet meurt en avril 1851 dans les bras de safemme.

Retrouvailles de Louise et de Flaubert en septembre 1851après une première lettre en juillet. Début de leur collaborationsur la rédaction de Madame Bovary.

En 1852, Louise gagne un nouveau prix de l’Académiepour « La Colonie de Mettray » qu’avait corrigé Flaubert.

Louise publie Le Poème de la femme décrivant la conditionsociale de ses contemporaines. Enfances célèbres, destiné auxenfants raconte la vie de douze génies dont Mozart, et Ce Quiest dans le cœur des femmes. Ce recueil de poèmes a étécorrigé par Flaubert qui ne le trouvait pas très bon.

En juillet, première rencontre avec Alfred de Musset qui luifait une déclaration d’amour. Flaubert prête à Louise 500 francs.

En 1854, parution de Ce Qu’on rêve en aimant.Début d’une longue amitié avec les Hugo et nombreux

séjours à Guernesey.Octobre 1854, rupture définitive de Louise et de Flaubert,

causée par l’ami de ce dernier : Louis Bouilhet.Nouvelle liaison de Louise, cette fois avec Alfred de Vigny.De novembre à décembre 1859, Louise qui soutient la révo-

lution italienne visite ce pays. Elle séjourne à Milan en février1860, à Turin d’avril à août, puis Venise et Gênes en septembre.

Le 27 octobre, Victor Emmanuel met fin à Naples à l’avan-cée garibaldienne. Louise s’y rend de décembre 1860 à janvier1861 puis à Rome en février.

Après quelques années passées dans un couvent en Norman-die, Henriette, la fille de Louise, se marie, à 23 ans, avec ledocteur Émile Bissieu.

En 1863, Louise termine son troisième volume sur l’Italie.En 1864, paraît le quatrième volume : L’Italie des Italiens.

En 1865, Louise écrit Les Derniers abbés où elle dénonceles mœurs sexuelles du clergé italien. La même année uneépidémie de choléra sévit dans le sud de l’Europe (Italie,France).

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En 1868, Louise est de retour à Venise (été et automne), puisà Rome où elle rencontre Franz Liszt qui a rejoint l’ordre fran-ciscain et est devenu prêtre en 1865.

En 1869, elle est à Ischia, une île italienne située au nord dugolfe de Naples, où elle fait face à l’hostilité des habitants.Louise retourne à Paris et s’installe rue Vavin dans le 6ème

arrondissement. Sa fille Henriette habite à deux pas de là. Elleest maintenant grand-mère, et devenue la voisine de Sainte-Beuve. Presque tous ses amis et soutiens sont morts.

En octobre 1869, elle s’embarque sur un navire à destina-tion de l’Égypte pour l’ouverture du canal de Suez. À bord, ellerencontre la délégation française.

Au Caire, elle envoie deux articles à la revue « Le Siècle ».Elle marchait sur les traces du fantôme de Flaubert, mais n’ytrouvera aucune trace. De l’Égypte, elle passe en Grèce et enTurquie. C’est de là qu’elle apprendra la proclamation de la IIIe

République. Elle se rend ensuite à Vienne en naviguant sur leDanube, puis à Genève.

Elle regagne Marseille où elle rencontre l’écrivain, journa-liste et homme politique Alphonse Esquiros, chargé parGambetta de la gestion des Bouches-du-Rhône. Esquiros luipropose de faire une conférence à la Faculté des Sciences deMarseille. Son discours provoque l’enthousiasme de dizainesde femmes. Par contre, son second discours suscita un tollé, etelle fut accusée de fomenter une révolte. Elle tombe malade etrentre à Paris en mars 1871 au moment de la Commune. Louisecomprit immédiatement que les Versaillais allaient entrer dansParis et que tout se terminerait dans un bain de sang.

Elle écrit La Vérité sur l’anarchie.En janvier 1872, Louise subit une opération chirurgicale

pour l’ablation d’un abcès à la tête.Départ vers le sud de la France, puis l’Italie. Elle envoie La

Vérité à Edgar Quinet depuis San Remo. Rentrée à Paris, elle meurt le 8 mars 1876, rue des Écoles,

chez sa fille. Elle est enterrée à Verneuil en Normandie.

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Bibliographie :Rage and Fire, Francine du Plessis Gray, Simon & Shuster, 1994 L’indomptable Louise Colet, Serge Grand, P. Horay, 1986Louise Colet, Eugène de Mirecourt, Gustave Havard, éditeur, 1857

Dans son ouvrage : Louise Colet, Eugène de Mirecourt la décritcomme une « Nature éminemment active s’occupant des soins duménage et du travail de l’aiguille au milieu de ses travaux poé-tiques les plus sérieux ». Plus loin, il ajoute : « Madame Colet acette faculté singulière de pouvoir travailler, tout en causant dechoses absolument en dehors du sujet qu’elle traite. […] Elle jointà l’ordre et à l’économie, vertus bien rares chez une muse, undésintéressement sans bornes, une générosité parfaite et beaucoupde grandeur d’âme. »

Notes :

1 Voici ce qui figurait en préface à l’ouvrage de Louise Colet,Fleurs du Midi :

Ces chants ont été composés dans le désert de la Provence, tristeen hiver comme une steppe de la Pologne, et dévoré en été par unsoleil d’Afrique et par le mistral, assez semblable au Simoun. Là,l’imagination ne pouvant se répandre au dehors pour admirer, estcondamné à chercher un aliment dans les émotions de l’âme, dansla pensée.

Peut-être ces vers auraient-ils dû mourir où ils étaient nés, danscette solitude où je n’étais entendue ni comprise; mais quelquespoètes les ont écoutés, quelques amis les ont applaudis, et je leslivre au public, sans espérer qu’il les lise.

J’aurais voulu qu’un nom illustre et protecteur consentît às’unir au mien sur le frontispice de ce volume : si je n’ai pu obtenircette faveur, il doit m’être permis au moins de m’enorgueillir d’unsuffrage tel que celui de notre plus grand écrivain.

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J’avais adressé à M. de Chateaubriand le fragment de monpoème qui porte son nom, et les stances sur les tourments dupoète ; je reçus de lui la réponse suivante.

Paris, 7 octobre 1835.

J’ai été, Madame, sensiblement touché de la lettre que vousm’avez fait l’honneur de m’écrire. Si j’étais cet astre que vousannoncez dans une si belle poésie, je craindrais de tomber du cielpar orgueil, comme on raconte que cela est arrivé jadis à l’étoileporte-lumière. Mais, Madame, je ne dois prendre vos éloges quepour le songe brillant d’une femme jeune… belle et poète.

Permettez-moi, toutefois de vous dire, avec ma vieille expéri-ence, que vous louez beaucoup trop le malheur ; la peine ignoréevous a dicté des stances pleines de charmes et de mélancolie ; ladouleur n’inspire pas si bien. Ne dites plus :Laissez les jours de joie à des mortels obscurs*.

Il faut maintenant prier pour vous-même, Madame ; quant àmoi, je demande au ciel qu’il ne sépare jamais pour vous lebonheur de la gloire.

Agréez, Madame, je vous prie, l’hommage empressé de mareconnaissance et de mon respect.

Chateaubriand

* « Tourments du Poète ».

Ces paroles me remplirent de joie. Dans un post-scriptum de cettelettre, M. de Chateaubriand daignait m’accorder une entrevue.

Je ne saurais peindre le sentiment que j’éprouvais en approchantde cette demeure calme et isolée, d’où le génie domine de toutesa grandeur et de toute son unité les mille talents confondus qui seheurtent dans la grande ville. M. de Chateaubriand est pour moil’homme du siècle ; j’étais émue en face de cette majesté du génie.Il me reçut avec une aimable bonté, et me promit d’encouragermes débuts littéraires.

Peu de jours après, j’envoyai encore à M. de Chateaubriand

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des fragments manuscrits de mes poésies, et j’osai lui demanderd’inscrire quelques lignes en tête de mon Recueil : ma prière nefut pas accueillie ; mais son refus était exprimé avec tant de bien-veillance, que je ne crains pas de la faire connaître.

Paris, 23 novembre 1835.

Je serais heureux, Madame, de pouvoir faire ce que vous désirez ;malheureusement, je suis loin d’avoir l’autorité que votre politesseme veut bien accorder, et je n’ai pas la présomption de me croireun juge dont le public adopte les arrêts : s’il ne s’agit que de monopinion particulière, je pense qu’une femme qui a écrit laConsolation à un poète américain, l’Élégie sur un vieux pèremourant, a droit à tous les suffrages. Mais, Madame, ce sont despoètes qui doivent annoncer un poète ; choisissez parmi ceux quiont la gloire ; ils tiendront à honneur de prédire la vôtre.

Agréez, Madame, je vous prie, mes remerciements les plussincères et mes respectueux hommages.

Chateaubriand

Ces lettres seront ma protection auprès du public ; pouvais-je enchercher une autre ?

Mais dois-je croire à ces bienveillantes paroles, ou ne sont-elles que l’expression de ce généreux intérêt que la force accordeà la faiblesse, la gloire à l’obscurité ? Je le crains. Cependant queM. de Chateaubriand me pardonne de publier ici des témoignagessi flatteurs de son approbation : ils sont ma seule espérance desuccès ; si cette espérance était déçue, ils seraient encore maconsolation.

Paris janvier 1836

2 Lettres de Sainte-Beuve

(4 juin 1853)Madame,

Je ne m’explique pas bien la lettre que vous me faites l’honneur

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de m’écrire. Il me semble, en vérité, que j’ai quelque tort enversvous et envers votre talent. Je ne crois pas qu’il y ait eu quelquedécret qui m’oblige à parler au public de vos poèmes : et j’ai droitde trouver votre exigence, madame (sic), des plus étranges. Quoi !il faut que sous peine de paraître vous manquer, j’explique aupublic en quoi je vous admire et en quoi je cesse de vous admirer,là où je trouve de la force et de la puissance, là où je souffre de nepas rencontrer la délicatesse ou la pudeur qui sied dans l’expres-sion des sentiments !

J’ai reçu, en effet, une brochure intitulée Le Poème de laFemme ; j’y ai lu une épigraphe de Goethe, où il est dit : Voushommes, avec votre force et vos désirs, vous secouez l’amourmême dans vos embrassements ! J’ignore ce que pensent les amiset les juges sévères du poème : mais je sais ce que je pense decette affiche du poème. Si, comme femme du monde et de lasociété, vous me demandez des compliments et des louanges, jesuis tout prêt à vous en donner, certain d’ailleurs que votre talenten mérite toujours en quelques parties ; si comme femme delettres, vous me mettez, comme cette fois, le couteau sous lagorge, pour me forcer à dire tout haut ce que je pense, je merévolte, – ou plutôt je demande grâce et je vous supplie, madame(sic), de me permettre de rester poli, respectueux et plein d’hom-mages pour le talent et pour la personne en général, sans que j’aieà entrer dans les explications du critique.

(7 juin 1853)Madame,

Vous penserez de moi tout ce qu’il vous plaira de penser, et, quiplus est, vous direz et imprimerez tout ce que vous jugerez bon dedire et d’imprimer. Je n’ai qu’une remarque à vous soumettre.

Depuis le premier jour, il y a déjà bien longtemps, où j’ai eul’honneur de vous rencontrer chez le docteur Alibert, et où vousm’avez demandé une Préface, jusqu’à la dernière fois que j’ai eul’honneur de vous rencontrer, où vous m’avez demandé un article,ces questions d’article et de critique littéraire ont toujours été les

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premières entre nous. Je ne vous demande qu’une seule chose, devous admirer en silence, sans être obligé d’expliquer au public lepoint juste où je cesse de vous admirer. Cette demande estmodeste, madame (sic), et je ne puis croire que vous insistiez pourm’en faire départir. Ce serait d’ailleurs inutilement, car je suis sansloisir, et déterminé à choisir de moi-même mes sujets d’étude.

Quant à mon ami Lacroix*, si vous persistiez à le mêler plusqu’il ne convient dans une affaire où il n’est intervenu qu’avec boncœur et comme ami de tous deux, je serais obligé de l’avouer entout ; mais je vous supplie encore une fois, madame (sic), de m’ac-corder la paix que je n’ai jamais violée à votre égard et de mepermettre d’être un critique silencieux et un admirateur de sociétépour vos œuvres.

*Secrétaire de Sainte-Beuve

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12 Poésies choisies de Louise Colet

TABLE DES MATIÈRES

La vie de Louise Colet 5

Ce qui est dans le cœur des femmes :(Extraits)

Le Rayon intérieur, 1852 18L’Art et l’amour, 1846 20L’Ouvrière, 1850 22Les Résidences royales, juin 1852 26Soir d’été, 1852 29Deuil, mai 1851 30La Place Royale, 1852 32Envoi, 1852 34Le Printemps, 1852 35Stances, 1849 36Le Lion captif, 1852 37Rimembranza, 1852 38À ma fille, 1852 41À Madame Roger-Valazé, 1852 42Sonnet, 1852 44Stances, 1851 45Retour, 1846 46La Femme, 1851 47Les Anglaises, 1851 51

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13Table des matières

Le Baiser du poète, août 1846 53Orgueil, 1847 54Sonnet, 1847 56Gaieté, 1849 57Sonnet, 1850 58On ne voit pas les cœurs, 1850 59Veillée, 1852 60

Ce qu’on rêve en aimant, 1854(Extraits)

Apaisement 62La Bouquetière de Marseille 64Un beau soir et un beau jour 69Sat Morituro 70À Monsieur Préault 73Lied 74Médaillons 77La dernière fibre 78Départ 80Ma Fille 82

À Monsieur Leconte de Lisle 85Adoration 86Paysage et amour, juin 1853 88Décembre 90Les fantômes 92À ma fille 95À une cantatrice italienne 96Visite à un absent 97Aux femmes 98Retour 99La Gloire 100

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LE RAYON INTÉRIEUR

Si mes larmes tarissent vite,Si je souris quand j’ai pleuré,Que le monde accoure ou m’évite,Si mon cœur n’est jamais navré,

Si je suis sereine à l’offenseComme indifférente à l’encens,Si j’affronte avec innocenceCe qui jadis troublait mes sens,

Conjurant les jours de misère,Si la nuit, seule, en travaillant,Je porte ma douleur légèreComme un enfant imprévoyant,

Si contre ceux qui, dans la vie,Me blessèrent d’un trait cruel,Mon inimitié fut suivieDe la paix que l’on sent au ciel,

Si le vertige des richessesMonte vers moi sans m’éblouir,Me souvenant d’autres ivressesDont aucun or ne fait jouir,

Si chaque grandeur du génie,Si chaque émotion de l’art,Si chaque touchante harmonieVient mouiller de pleurs mon regard,

14 Ce qui est dans le cœur des femmes

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Si les voix de l’intelligence,Si la nature et la beauté,Comblent de leur magnificenceMon opulente pauvreté,

Si l’heure qui succède à l’heure,Sur mon horizon toujours pur,Me trouve plus tendre et meilleure,L’esprit planant d’un vol plus sûr,

C’est que je porte dans mon âmeUn rayon que rien ne pâlit ;De sa lumière et de sa flammeTout s’éclaire et tout s’embellit,

Lampe immortelle qui me veille,Clarté qui renaît chaque jourPlus pénétrante que la veille,Ce rayon, c’est toi, mon amour !

1852

15Le rayon intérieur

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