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7/23/2019 La Victime Et Le Témoin Durant La Dictature Militaire Au Brésil _ Une Anthropologie de La Mémoire http://slidepdf.com/reader/full/la-victime-et-le-temoin-durant-la-dictature-militaire-au-bresil-une-anthropologie 1/21 1/4/2016 La victime et le témoin durant la dictature militaire au Brésil : une anthropologie de la mémoire http://bresils.revues.org/1662 Brésil(s) Sciences humaines et sociales 8 | 2015 : Classes sociales et rapports de classes Varia La victime et le témoin durant la dictature militaire au Brésil : une anthropologie de la mémoire  A vítima e a testemunha durante a ditadura militar no Brasil: uma antropologia da memória Victims and Witnesses during the Military Dictatorship in Brazil: an Anthropology of Memory C  YNTHIA  S  ARTI p. 167-189  Résumés Français Português English Ce texte vise à réfléchir sur la souffrance liée à la violence au travers de deux figures, le témoin et la victime, dans le contexte de la mémoire contemporaine de la dictature militaire  brésilienne (1964-1985). On analyse ici la façon dont ces figures se sont construites tout au long du processus par lequel la violence d’État a pu être nommée, en posant que l’indicible des expériences de violence tient moins à la difficulté ou à l’impossibilité subjective de les dire, de la part de ceux qui les ont vécues, qu’à l’absence d’un espace d’écoute et d’élaboration de ces expériences. Este texto visa a refletir sobre o sofrimento ligado à violência através de duas figuras, a testemunha e a vítima, no contexto da memória contemporânea da ditadura militar brasileira (1964-1985). Analizo o modo pelo qual estas figuras se construíram ao longo do processo pelo qual a violência de Estado pode ser nomeada, defendendo a idéia de que o indizível das experiências de violência deve-se menos à dificuldade ou à impossibilidade subjetiva de falar, daqueles que as viveram, do que à ausência de um espaço de escuta e de elaboração destas esperiências.

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Brésil(s)Sciences humaines et sociales

8 | 2015 :Classes sociales et rapports de classesVaria

La victime et le témoin durant ladictature militaire au Brésil : uneanthropologie de la mémoire

A vítima e a testemunha durante a ditadura militar no Brasil: u ma antropolo gia da memória

Victims and Witnesses during the Military Dictatorship in Brazil: an Anthropology of Memory

C YNTHIA

S ARTI

p. 167-189

Résumés

Français Português EnglishCe texte vise à réfléchir sur la souffrance liée à la violence au travers de deux figures, letémoin et la victime, dans le contexte de la mémoire contemporaine de la dictature militaire

brésilienne (1964-1985). On analyse ici la façon dont ces figures se sont construites tout aulong du processus par lequel la violence d’État a pu être nommée, en posant que l’indicibledes expériences de violence tient moins à la difficulté ou à l’impossibilité subjective de lesdire, de la part de ceux qui les ont vécues, qu’à l’absence d’un espace d’écoute et d’élaborationde ces expériences.

Este texto visa a refletir sobre o sofrimento ligado à violência através de duas figuras, atestemunha e a vítima, no contexto da memória contemporânea da ditadura militar brasileira(1964-1985). Analizo o modo pelo qual estas figuras se construíram ao longo do processo peloqual a violência de Estado pode ser nomeada, defendendo a idéia de que o indizível dasexperiências de violência deve-se menos à dificuldade ou à impossibilidade subjetiva de falar,daqueles que as viveram, do que à ausência de um espaço de escuta e de elaboração destasesperiências.

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sofrimento, violência, vítima, testemunha, memoria da ditatura militar, Brasil

This text aims to reflect on violence related suffering through the study of two types of figures: witnesses and victims, in the context of contemporary memories of the Brazilian military dictatorship (1964-1985). Here, we analyse the way in which these figures have beenconstructed throughout the process by which State violence has been designated, positing thatthe inexpressible nature of experiences of violence has less to do with the subjective difficulty or impossibility of talking about them on the part of those who lived through theseexperiences, than with the absence of a space in which they can be listened to and elaboratedupon.

Entrées d’index

Mots-clés : souffrance, violence, victime, témoin, mémoire de la dictature, BrésilKeywords : suffering, violence, victim, witness, memory of the dictatorship, Brazil

Notes de la rédaction

Article reçu pour publication en avril 2015 ; approuvé en juin 2015.

Texte intégral Je remercie Claudine Haroche pour sa lecture attentive et ses nombreusessuggestions et Julien Zeppetella pour la traduction de la première version de cetexte.

Deux figures de la violence, le témoin et la victime, sont au centre de cette enquête.Son contexte est celui de la construction mémorielle de la dictature militaire auBrésil (1964-1985). Comment l’une et l’autre de ces figures ont-elles été produitesdepuis le retour à la démocratie dans un processus mettant en jeu la mémoire decette violence et la réparation qui peut en être attendue1 ?

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Ma réflexion s’inscrit dans une recherche plus large, en cours, sur la souffrance etla violence2. Je cherche à y analyser les formes par lesquelles la société et lesindividus élaborent et expriment la souffrance liée à ces expériences et la façon dontils ont été marqués par celles-ci. Dans le cadre de cet article, je me référerai à latorture ainsi qu’à la mort ou à la disparition de proches pendant la dictaturemilitaire au Brésil en m’attachant au processus par lequel cette période a commencéà être traitée et discutée dans la société brésilienne comme une violence d’État. Ils’agit d’une recherche sur le travail de la mémoire, menée en analysant les parcoursd’individus dans leur quête de compréhension de la violence vécue et dans leurstentatives de réinscription de celle-ci dans leur existence et leur vie quotidienne.

2

Pour un (ou une) anthropologue, étudier le travail de la mémoire dans son propre

pays renvoie à la question fondatrice de l’anthropologie, celle du besoin permanentd’un double mouvement de rapprochement et, en même temps, de distanciation parrapport à nos interlocuteurs, la distance étant conçue non comme une garantied’objectivé mais comme un éloignement nécessaire à l’analyse, surtout en ce quiconcerne nos propres références (Lévi-Strauss 1983). Le sujet de cette recherche poseinévitablement une question : comment ne pas s’emporter lorsque l’on étudie lasouffrance liée à une violence vécue3 ? L’idée d’un interlocuteur – pas uninformateur – prend ici tout son sens : les données de la recherche ne sont pasrecueillies puisqu’elles ne sont pas là. Elles sont construites tout au long de l’enquêtedans la relation du chercheur à l’interlocuteur. C’est particulièrement le cas ici car letravail de mémoire de la dictature au Brésil n’est qu’en cours et que la recherche et

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Situer le problème

l’écriture du texte anthropologique en font partie.Les parcours de ces interlocuteurs sont observés de deux manières : d’une part,

grâce à une littérature du témoignage dont les textes ont été écrits par lesprotagonistes de la lutte contre la dictature emprisonnés et torturés ; de l’autre, pardes entretiens avec les auteurs de ces écrits et avec des parents de morts ou dedisparus.

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Le Brésil possède aujourd’hui une importante documentation sur la dictature de1964-1985 qui circule largement dans les médias et dont le rapport final de la

Commission nationale de la vérité (CNV) remis en décembre 2014 (Brasil 2014) estl’une des pièces maîtresses. Cette divulgation a été favorisée par la CNV elle-même.Ces données sont également prises en compte ici, dans la mesure où ellescontextualisent les discours des individus sur lesquels l’enquête a porté.

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Au Brésil, comme en Argentine (Crenzel 2010), nombre d’œuvres littéraires (maisaussi de films) ont témoigné des crimes de l’État – torture, meurtres, disparitions –pendant cette période d’exception. Cependant, leur répercussion n’est plus celle quiavait prévalu au moment de leur parution du fait des nouveaux espaces qui se sontouverts dans la société brésilienne actuelle pour parler de la dictature et desperspectives nouvelles créées par l’éloignement temporel4. Cette production estconsidérée ici comme la contrepartie du silence imposé sur la violence vécue. Pour

reprendre l’expression de Pollak (1993), elle en a été la « mémoire souterraine ».L’écriture a donc été une façon d’agir, dans une période où on était contraint de tairela violence vécue. Pour Ginzburg (2009, 566) qui analyse les textes littéraires sur lapériode de la dictature au Brésil, ceux-ci « indiquent un décalage entre lesconditions dont on disposait pour attribuer un sens à ce qui s’est passé et les besoinsde ceux qui ont été touchés5 ». Les témoins aussi bien que les victimes de cesexpériences se sont retrouvés dans un lieu indéfini, entre le vécu de l’expérience de la

violence et le manque d’espace social de prise de parole, vivant sans répit le besoinde construire des formes d’expression. La littérature apparaît dès lors comme unchamp privilégié pour l’analyse de ces figures.

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Le thème de la souffrance née de la violence renvoie à un mouvement permanententre la victime et la société dans laquelle s’inscrit son expérience. En se fondant surcette relation, on peut affirmer que la reconnaissance sociale de la nécessité d’unepolitique de mémoire et de réparation implique que les possibilités de prise encompte et d’élaboration de la souffrance sur le plan subjectif soient indissociables dela reconnaissance publique de la violence.

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Penser la question en ces termes renvoie à un auteur classique de l’anthropologie,Mauss (1969, 1968). C’est en effet lui qui a jeté les bases d’une analyse du caractèresocial des sentiments en les décrivant comme un langage opérant dans la relationentre moi et l’autre, comme des processus inconscients d’ordre culturel (Lévi-Strauss1968). Dans son célèbre essai « L’expression obligatoire des sentiments », Mauss(1969) affirme que la façon dont se manifestent les sentiments doit faire sens pourl’autre. Éprouvés et exprimés au travers de formes instituées dans la société, ilsdeviennent intelligibles parce qu’ils impliquent le rôle de l’autre. Ce que je veuxsouligner ici c’est que faire des sentiments un langage implique que l’on puissepenser le rôle de l’autre dans l’analyse des sentiments.

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Dans le cas des expériences de violence, à la souffrance de l’expérience vécue9

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Les politiques de réparation et lesilence

s’associe la souffrance de ne pas avoir de formes d’expression instituées pour lamanifester. Dans ce cas, le silence est imposé, tentative – toujours vaine – deproduire de l’oubli, de refuser l’écoute et, ainsi, de dénier la violence imposée àl’autre. C’est dans ce sens que l’idée de Pollak (1993) de la lutte souterraine commeforme de résistance permanente revêt une signification importante.

En conséquence, le problème que pose la violence est celui de l’absence d’un lieud’intelligibilité et d’écoute pour la souffrance, lieu qui requiert, comme conditionmême de sa possibilité, la reconnaissance sociale de la violence. Le rôle de l’autre est,

ainsi, impliqué nécessairement dans les possibilités d’élaborer la souffrance liée àdes expériences de violence.

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En ce sens, les politiques de réparation et de mémoire constituent une formeparticulière d’écoute. En instaurant des lieux d’écoute, en rendant possibles laparole et un discours reconnu, elles instituent les formes par lesquelles la violencedoit être dite et entendue. Ce script préalable est structuré par les formes juridiquesde notre société ou par un agenda politique spécifique, mais les « victimes » – quisont supposées parler – ne se reconnaissent pas nécessairement dans ce cadre quileur est proposé6.

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Il s’agit donc de savoir ce qui peut ou ne peut être dit, au-delà de ce qui doit êtredit, pour être entendu : le contexte social et politique de l’énonciation de la violence,

les acteurs qui entrent en jeu et la situation dans laquelle la violence est énoncée.

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Dans le cas du Brésil, on pourrait dire que les politiques de réparation ontcommencé avec la loi d’amnistie de 1979, promulguée durant le régime militaire etinstaurant le cheminement tortueux du travail de mémoire de la dictature

(Comparato 2011). Il ne s’agit pas ici d’analyser ce processus, mais d’en mentionnerles lignes générales pour mieux comprendre le contexte dans lequel les individusconcernés se sont tus et, dans un second temps, ce qu’a signifié pour eux lapossibilité de témoigner publiquement de ce qui leur est arrivé7.

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La loi d’amnistie a résulté d’une négociation reconnue par certains comme étant laseule possible à ce moment-là, une réconciliation supposée, inscrite dans l’esprit de« cordialité » qui serait caractéristique de l’identité brésilienne. Hollanda (1995) amontré ce qui se cache derrière cette image communément admise. Il en fait unmécanisme historique enraciné dans les relations de pouvoir, lié à l’ordre privé etaux liens affectifs, grâce auquel se dissimulent les formes insidieuses de ladomination. Or, c’est précisément cette dissimulation de l’inégalité des positions et

des relations de pouvoir qui était en jeu dans la négociation de la loi, comme laplupart des protagonistes de la lutte contre la dictature l’ont dénoncé. Selon eux, ils’agissait bien d’un « accord forcé » (Silva Filho 2015).

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Issue d’un mouvement social puissant, la loi de 1979 avait été conçue commel’instrument de la restauration des droits des Brésiliens considérés comme criminelspolitiques par les autorités militaires. Elle devait permettre le retour des exilés. En latransformant en une « amnistie réciproque8 », le pouvoir en place a interditl’élucidation des faits et des crimes commis, ainsi que l’identification des agents del’État responsables des emprisonnements, des tortures, des disparitions et desmeurtres des opposants au régime9.

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En 1995, avec la loi n° 9 140 connue sous le nom de Loi des disparus, legouvernement brésilien s’est engagé à indemniser les victimes, reconnaissant par-làl’implication de l’État et des agents de sécurité dans les décès et les disparitions,mais excluant toute sanction juridique.

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En 2002, la Loi de réparation (loi n° 10 559) a élargi cette perspective enréglementant les possibilités d’indemnisation de tous les Brésiliens persécutés par ladictature militaire. Une Commission d’amnistie (liée au ministère de la Justice) aparcouru tout le pays en tenant des sessions publiques (« caravanes de l’amnistie »)

afin d’évaluer les demandes de réparation faites par les victimes de la violence del’État. Au-delà de l’important travail administratif et juridique effectué, cesauditions ont eu des effets inattendus. Elles ont révélé une souffrance jamaisracontée auparavant et ont permis que naissent d’autres revendications deréparation (Rosito & Damo 2014).

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C’est en 2011 que la Commission nationale de la vérité (CNV) a été officiellementétablie par la loi n° 12 528. Sa mise en place a entrainé, d’une façon sinon inédite dumoins inhabituelle, la création de sous-commissions dans les États et dans lesmunicipalités de l’ensemble du pays, ainsi que dans plusieurs institutions civilestelles que les universités. Les résultats des travaux de la CNV ont été évalués parSilva Filho (2015), membre de la Commission d’amnistie10. À ses yeux, la CNV a

bien eu comme tâche initiale d’enquêter sur les crimes perpétrés sous la dictaturemais, plus que d’enquêter, elle a dû se contenter de réunir et systématiser lesinformations déjà existantes mais éparpillées sur la violence durant cette période et,ce qui est le plus important, a rendu ces données officielles et les a légitimées.

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L’institution de la loi d’amnistie a été vécue par la plupart des adversaires de ladictature comme l’imposition d’un silence sur la violence, en particulier pour lescrimes de torture et de disparition. Cardoso (2001, 147) parle de « l’interdiction dupassé » et de « l’imposition de l’oubli ». Pour elle, cette loi a empêché « l’inscriptionsymbolique de la torture politique dans la mémoire historique de la société »(Cardoso 2001, 195-196)11. Greco (2009) se réfère à une « stratégie de l’oubli »

comme production délibérée d’une politique d’effacement du passé de violence. PourGagnebin (2013, 152), la politique officielle d’amnistie au Brésil « constitue uneillustration éclatante » de la confusion dénoncée par Paul Ricœur entre amnistie etamnésie. Nous savons cependant depuis Freud que l’oubli ne signifie pasl’effacement du vécu, la non-mémoire12. Contrairement au silence, il ne peut êtreimposé. Comme le dit Gagnebin (2010, 183), « la mémoire effective ne se laisse pascontrôler, elle peut seulement être réduite au silence – ou parfois aussi manipulée –mais elle ressurgit ». Plutôt qu’un oubli, c’est un silence qui a été imposé par la façondont la loi d’amnistie a été accordée, en ouvrant le chemin à une lutte souterraine.En ce sens, c’est elle le point de départ du sujet que j’étudie.

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Selon le témoignage de deux anciens prisonniers politiques qui ont été torturés,

Alípio Freire et Rita Sipahi13, il y a eu une intériorisation de la « politique de l’oubli »et, par conséquent, une minimisation des marques de la torture « comme si celan’avait pas été un événement grave ». La catégorie d’ancien prisonnier politique – tout autant que celle de victime de la dictature militaire – s’est construite égalementdans ce processus, quand il a commencé à être possible de nommer le fait d’avoir ététorturé. Rita Sipahi précise : « Ce qui a été identifié, c’est que tout le monde s’est tupendant longtemps... s’est vraiment tu ! »

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Aydos et Figueiredo (2013) ont analysé la construction sociale de la figure de la« victime de la dictature militaire ». Ils expliquent que c’est à partir de la fin desannées 1990 qu’elle est devenue une catégorie politique et a changé de signification.

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Incertitudes de la réparation et travaildu temps

Lorsque sont institués les programmes de dédommagement, à partir de 2002, avecles « caravanes de l’amnistie » tout particulièrement, la revendication d’unélargissement ou d’un approfondissement des politiques de mémoire et deréparation s’intensifie. On veut y inclure l’identification officielle des victimes, ladésignation de l’emplacement des corps des personnes disparues, ainsi quel’identification des agents des crimes d’État dont la responsabilité judiciaire etpénale doit être affirmée.

Pour Rita Sipahi, les « caravanes » ont contribué à briser les résistances des

anciens militants eux-mêmes aux politiques de réparation : « Les gens commencentà percevoir ce que signifie... ce qu’a signifié ces temps-là pour eux. »

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Dans le cas du Brésil, la voie juridique et pénale menant au jugement et à lapunition des responsables des crimes d’emprisonnement, de disparition et detorture, n’a pu être utilisée ou considérée comme une priorité, étant donné les limitesimposées par la loi, ce qui n’a pas empêché les victimes de prendre l’initiative de lesremettre en cause et d’engager individuellement des procédures judiciaires (Teles2010). Ceux qui n’ont pas accepté la conciliation résultant de la loi ont ainsi agiplutôt en dehors du discours juridique et pénal. Toutefois, ils n’ont jamais cesséd’être les protagonistes d’un combat souterrain.

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En Argentine, le travail ethnographique réalisé par Catela (2001) a mis en lumière

le combat politique qui a abouti à l’inscription de la catégorie « disparus » dans lecode pénal. Selon la loi brésilienne, la disparition n’est même pas considérée commeun crime, du fait de l’absence de corps, donc de preuve. Les associations liées auxdroits de l’homme et les mouvements sociaux ont eu recours au droit internationalqui reconnaît « la disparition forcée » comme crime, pour faire face aux cas fréquentsde disparition résultant de violences policières au Brésil (Graça, 2014). Au sein de laCNV, les catégories de « décédés » et de « disparus » ont été également considéréesen relation avec la vision internationale des droits de l’homme (Brasil 2014, vol. 1,chapitre 7).

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Il n’est donc pas fortuit que l’une des frustrations nées du travail de la CNV – un

vrai problème encore dans le pays – tienne à l’absence de localisation des corps despersonnes disparues, tâche considérée pourtant comme l’une des priorités de lacommission14. Ainsi, l’une des recommandations du rapport final est-elle lapoursuite des travaux, de manière à ce que la CNV ne mette pas un point final à lapolitique de mémoire mais soit plutôt un nouveau départ pour celle-ci.

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La manière dont Canguilhem (1966) conçoit la maladie et son traitement par la biomédecine renvoie aux incertitudes et aux limites qui entourent la notion deréparation. À la différence de l’idée, plutôt biomédicale, d’une guérison quiannihilerait la maladie, le philosophe évoque cette dernière comme une expériencequi ne s’efface pas mais qui réorganise la « normativité biologique » sans retourpossible à un précédent état « d’innocence ». Canguilhem, qui était aussi médecin, aeu l’expérience clinique des grands blessés de guerre15. Pour lui, l’organisme, loin deconstituer une configuration statique, est un système vivant, en mouvement etrythmé par sa relation constante avec son milieu. Dès lors, « guérir c’est se donnerde nouvelles formes de vie, parfois supérieures aux anciennes. Il y a une

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irréversibilité de la normativité biologique » (Canguilhem 1966, 144). Même si lamaladie a une fin – rétablissement de l’équilibre dans l’organisme, disparition de ladouleur, etc. –, elle est incorporée, inscrite d’une manière ou d’une autre dans lecorps comme une expérience vécue impliquant un nouvel ordre biologique.

L’expérience de la violence et la demande de réparation peuvent être perçues de lamême manière. Le questionnement du chercheur se tourne alors vers la façon dontl’événement a été incorporé par le sujet, supposant qu’il ne s’efface jamais. D’où lefait de s’interroger sur ce qui peut être réparé, sur la manière de le faire et sur ce qui

reste irréparable. Rita Sipahi le déclare : « La douleur, la souffrance qui ont étécausées sont irréparables. La torture est irréparable, celle-ci ne peut être réparée, iln’y a pas de façon de la réparer. »

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Ainsi, la réparation est sur le plan subjectif un processus permanent aussiincomplet que nécessaire sans cesse travaillé par la temporalité, impliquant que lepassé soit toujours évoqué mais en des termes divers, au moyen de différents liens,selon les événements individuels et collectifs du présent (Alonso 2006). Das (1999)a réfléchi sur le rôle de la temporalité dans la mémoire de la violence. À ses yeux, letemps ne saurait se réduire à une représentation, mais constitue un agent quitravaille les relations, leur permettant d’être réinterprétées et modifiées dans laconfrontation des témoins et de leurs récits différents sur les faits qui ont eu lieu.

Jelin (2002 et 2003) examine la relation des politiques de mémoire au temps. Ellesn’impliquent pas, à proprement parler, une confrontation entre la mémoire etl’oubli, mais plutôt avec différents acteurs aux interprétations variées tant sur lesfaits que sur leur signification. On se trouve ainsi face à la mise en contactéminemment politique de mémoires différentes16. Cette vision décrit bien le momentactuel au Brésil : plusieurs versions du passé s’opposent en d’intenses conflits pouraccéder au statut de voix autorisées.

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Ces divers éclairages permettent de penser les différences entre le moment actuelau Brésil et celui où l’on parlait de l’imposition de l’oubli. Comme le dit l’un desinterlocuteurs rencontrés au cours de cette recherche, Alípio Freire, la possibilité de

parler de la torture est une éventualité à laquelle il s’est toujours préparé. Elle n’estdonc pas cathartique. Il s’agit plutôt d’un des aspects d’un processus construit parl’action répétée des militants contre la dictature.

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Cette perspective nous permet de penser la longue période de temps écoulé entrece que l’on considère comme la fin de la dictature civile-militaire – 1985 – et lacréation de la CNV, quasiment trente ans plus tard. Pour ceux qui ont vécul’expérience de violence, il ne s’agit rien moins que de comprendre ce qu’a été letravail du temps, comment ce « travail délicat d’autocréation », selon l’expressionaigüe de Das (2011, 39) est possible17. Face aux années qui ont passé, il s’agit desaisir comment peut être vécu ce moment qui est un temps autre, celui d’une re-signification. Le temps devient un agent de ce processus (Das 1999).

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Halbwachs (1997), en analysant, tout comme Mauss, la mémoire comme unphénomène collectif – et pas seulement individuel – renvoie lui aussi au rôlefondamental de l’autre. Il suggère non seulement la sélectivité de toute mémoiremais aussi l’existence d’échanges entre la mémoire individuelle et la mémoirecollective. En effet, pour que le discours sur la violence devienne intelligible, letémoignage n’est pas suffisant. Un fondement commun est nécessaire pour qu’il y ait assez de points de contact entre notre mémoire et celle des autres.

31

Das (1999) fait encore une distinction importante dans ses formulations sur letemps et la violence. Elle distingue les expériences de violence où le temps peuttravailler dans le sens d’une restructuration de la vie quotidienne parce qu’elles

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Le témoin

Le témoin ne serait pas seulement celui qui a vu de ses propres yeux, [...] le

témoin direct. Le témoin serait celui qui ne part pas, qui parvient à écouterl’insupportable récit de l’autre et qui accepte que ses mots fassent avancer, telun passage de relais, l’histoire de l’autre : non par culpabilité ou parcompassion, mais parce que seulement la transmission symbolique, en dépitet en raison de la souffrance indicible, seulement cette reprise réflexive dupassé peut nous aider à ne pas le répéter indéfiniment, mais à oser esquisserune autre histoire, à inventer le présent.

peuvent être inscrites, d’une certaine façon, dans le vécu au jour le jour du sujet etdonc réécrites, révisées dans les mémoires. Elle les oppose à celles où cetteinscription n’est pas possible parce que la violence dépasse les limites de ce qui estconsidéré comme la vie, autrement dit, de ce qui est tolérable. Cette secondecatégorie se rapproche de l’idée de trauma telle qu’elle a été utilisée notamment parla psychanalyse qui l’identifie à un excès, à quelque chose qui va au-delà dusupportable, qui n’est pas accessible au langage et n’est donc pas symbolisable.

Une recherche anthropologique sur la violence s’intéresse précisément à ces

frontières entre le tolérable et l’intolérable au long desquelles le sujet se meut, auxéchanges accordés entre l’individu et la société où il s’inscrit, au temps qui travaille,à la vie qui se réorganise et à l’expérience vécue qui reconstruit ses significations. Sile temps est figé, il empêche ou, du moins, entrave l’élaboration d’une expérience quioutrepasse les frontières de l’intelligible et du tolérable.

33

La figure du témoin coïncide souvent avec celle de la victime qui a vécu

l’expérience de violence. Même si celle-ci est supposée témoigner de ce qui s’estpassé, l’une et l’autre ne se confondent pas et n’ont pas une signification unique.Elles peuvent occuper des lieux différents par rapport aux discours sur la violence

vécue18. On peut préciser cette distinction en se référant à la manière dont Gagnebin(2006) évoque la figure du témoin à partir du récit d’un rêve de Primo Levi.

34

L’auteur de Si c’est un homme relate un rêve récurrent qui l’a torturé lorsqu’il étaitdans les camps et précise qu’il n’était pas seulement le sien mais celui de beaucoupd’autres déportés : de retour dans le confort de sa maison après les camps, il raconteles horreurs qu’il a vécues mais son auditoire ne l’écoute pas et s’en va, indifférent àson récit. Il se demande : « Pourquoi la douleur de chaque jour se traduit-elle dansnos rêves de manière aussi constante par la scène toujours répétée du récit fait et

jamais écouté ? » (Levi 1987, 65) Gagnebin analyse les figures de la narration quis’expriment dans le rêve de Primo Lévi en prêtant plus particulièrement attention aupersonnage de l’auditeur qui n’entend pas et « part, dans l’indifférence » (Gagnebin2006, 55). Selon elle, s’il pouvait entendre, il aurait pour fonction le rétablissementde l’espace symbolique du tiers. Cet autre lieu est seul à même de permettre quel’histoire de l’horreur soit reprise et transmise en des mots différents. En effet, celuiqui entend peut rompre la dyade du tortionnaire et du torturé, leur « cercleinfernal ». Gagnebin (2006, 57) examine alors la possibilité d’étendre le concept detémoin :

35

Cet auditeur, par le fait de se constituer en un lieu autre – un ailleurs – en dehorsde la dyade bourreau/victime –, rend possible la réinscription symbolique de lasouffrance dans une histoire qui transcende l’individu violenté. Que la mémoire de la

violence ne soit pas un sujet pour ceux qui ont été atteints directement par la prison

36

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On le raconte avec fierté à nos enfants... J’en suis extrêmement fier... Aucune vanité, mais une fi erté d’avoir fait ce que j’ai fait.Et eux [les tortionnaires], ils fuient, ils partent en courant... partent en courant,en courant ! [...] C’est une terreur pour eux. [...] ils fuient... Ils fuient commedes rats... Comme des cafards.

« – Sais-tu pourquoi je suis ici ? »

ou par la mort ou la disparition de proches, mais une cause sociale qui implique lasociété brésilienne dans son ensemble semble bien être le sens de la demande des« victimes de la dictature ».

Il s’agit de la dimension politique du travail de mémoire évoquée dans ses textespar Janaína Teles. Fille de militants torturés, elle affirme que ce processus est« impossible à réaliser dans l’intimité de la vie privée » et « demande le témoignaged’un tiers, adressé à l’écoute de quelqu’un du “dehors” » (Teles 2009, 159). Pour lesproches des morts et disparus, l’oubli blesse comme une deuxième violence et le

deuil restera inachevé au Brésil tant qu’il ne sera pas envisagé en tant queconstruction collective (Teles 2009, 160).

37

La Commission d’amnistie, dans le cadre de la politique de mémoire, a créé des« cliniques du témoignage ». Ce sont des centres d’assistance psychologique pourceux qui ont été affectés par la violence d’État. Selon les psychanalystes qui y travaillent, la réparation qui intervient dans le travail clinique passe par la rupturedu silence devant un témoin, un tiers. C’est cette rupture qui est, en soi,réparatrice19.

38

De cette façon, dans le cadre de la politique de mémoire, l’indicible des expériencesde violence tient moins à la difficulté ou à l’impossibilité subjective de dire qu’àl’absence d’un espace d’écoute et d’élaboration de ces expériences, en fait à l’absence

du témoin dans le sens évoqué ci-dessus. Cela a été aussi observé par Tello (2012)dans sa recherche sur les victimes de la dictature argentine détenues dans descamps.

39

Pour Teles (2009, 160) cette recherche de « rupture avec l’indifférence » intervientaussi « pour que l’on ne considère pas cette expérience comme quelque chose sanssignification, comme si cela avait été “en vain” ». La tentative d’affirmer à l’égard desoi-même et de l’autre que le combat n’a pas été « en vain » repose sur l’idée que lesadversaires de la dictature, en tant que résistants, avaient un projet politique pour lasociété brésilienne au nom duquel ils se sont battus, dont ils étaient fiers et auquelils continuent à se référer avec orgueil. Cela apparaît surtout dans le discours des

enfants de morts et de disparus ou de torturés et peut être interprété comme unefaçon à leur portée de faire face à la souffrance éprouvée de la perte20.

40

Dans leur travail sur l’organisation des familles des « détenus disparus » au Chili,Díaz et Gutiérrez Ruiz (2009, 139) ont observé, dans le même sens, que « lamobilisation de l’identité militante des parents disparus peut en effet être vuecomme un mode de promotion de leurs idéaux politiques. Le détenu disparu seraitcelui qui n’a pas trahi, celui qui était capable de mourir pour ses idées. » Dans ceregistre d’un discours de résistance, l’un des anciens prisonniers se réfère à cetteépoque de la manière suivante :

41

Il y a dans le discours de ceux qui ont résisté à la torture l’expression de cettefierté : ils étaient des résistants. Un des militants, qui n’a pas été « brisé », raconte ceque son père lui a dit quand il est allé le voir à la prison, quand il est officiellement« réapparu pour la famille », après la période d’enlèvement durant laquelle leprisonnier était « disparu » :

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Je réponds : « – Bien sûr que je le sais, je suis ton fils... et je suis incarcéré.Comme tu es mon père, tu es venu pour me rendre visite. »« – Non, c’est parce que je me suis informé auprès de tous les policiers etauprès de tes amis qui ont déjà été libérés... Tu es un dur, tu sais que je suisen désaccord avec tout ce que tu as fait, mais si tu avais trahi tes amis, si tun’avais pas tenu ton engagement... je ne serais pas venu. »

C’est en particulier parmi les hommes qu’il y avait une difficulté à accepter lafuite d’informations, vue comme une faiblesse. Les hommes avaient tendanceà assumer la faiblesse d’avoir parlé, sans tenir compte de la situation detorture et exemptaient ainsi le tortionnaire de toute responsabilité.22

Il y a quelque chose qui se rompt, on ne passe pas impunément parl’expérience de la prison, tout autant que l’on ne passe pas impunément parl’expérience d’emprisonner et de torturer. Contamination réciproque. Perte de« l’innocence » de l’un et de l’autre côté, et profonde crise idéologique pour lesdeux, dont les répercussions persistent jusqu’à aujourd’hui. (Salinas Fortes2012, 41)

Comment arrêter de me remettre totalement en question, là, face à undénouement aussi vil ? Comment ne pas se demander le sens de tout ce passé

bouleversant, me restreignant exclusivement à la froide description desévénements ? Comment ne pas manifester l’étonnement devant autant designifiants plein de conséquences tellement dévastatrices ? ( Id., 49-50)

De nombreux aspects de ce récit méritent d’être analysés. Je retiendrai iciseulement la valeur morale qui transcende la question des « mesures de sécurité »

visant à la préservation de l’organisation politique et des collectifs auxquels on estlié. Cette valeur morale se traduit, parmi les anciens prisonniers, par un engagementenvers les « camarades » qui empêche – ou qui empêcherait – de parler, même sousla torture. Cependant, face à l’inégalité absolue des forces et à l’intensité de ladouleur imposée à l’autre, la possibilité de ne pas résister reste ouverte, comme l’asignalé Alipio Freire21 : « Face à un militant qui a été forcé de céder, nous sommesplus qu’en face d’une victoire de l’ennemi. Nous sommes toujours face à une grandetragédie. »

43

Contrepartie de la valeur positive attribuée à la résistance à la torture, le fait de nepas avoir résisté est vu comme une « trahison ». Dans la mémoire des dictatures en

Amérique latine, celle-ci est souvent perçue parmi les anciens militants comme un

problème difficile qui comporte des obscurités, notamment chez les hommes. Dansma propre recherche, une ancienne prisonnière politique précise :

44

Dans un autre registre, non comme discours de résistance, mais comme discoursde l’étonnement, on observe dans le livre de Salinas Fortes (2012), Retrato calado[Portrait tu], l’effort pour comprendre et pour inscrire dans son existencel’expérience de la violence vécue. Brisé, dans ce cas, pour avoir dénoncé son amie

sous la torture, Salinas Fortes fait face à l’inévitable solitude à l’œuvre dans lemouvement intérieur de l’examen de soi. Pour lui, on ne sort pas indemne de cetteexpérience :

45

Et, plus loin :46

Il ajoute encore : « Aujourd’hui, le paysage est autre, mais les barreauxm’accompagnent toujours, dressés de façon implacable dans la mémoire. » ( Ibid.,115)

47

Dans ce processus de construction impliquant une concurrence des mémoires,certains de ceux qui ont lutté contre la dictature affirment que, si la loi d’amnistie a

48

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été injuste, elle a finalement été « sage » (Sirkis 2008, 18), ouvrant la voie à une« réciprocité » : les deux parties se sont en effet soumises à un « auto-examen ». Il y a là la présupposition d’une équivalence qui n’est pas acceptée dans les autresperspectives examinées dans ce texte.

Ainsi, comme l’ont déjà souligné les critiques littéraires (Motta 2004), letémoignage n’implique pas la similitude avec la réalité. Et ceci, non pas parce qu’il y aurait une irreprésentabilité de la violence et de la douleur, mais parce que lareprésentation de la réalité, de n’importe quelle réalité, y compris dans le

témoignage, n’implique pas cette similitude. En effet, elle se constitue commeélaboration du vécu, produite en relation avec l’autre, par la médiation descirconstances politiques et sociales. Pour le dire autrement, tout ce qui est dit, écritou caché a un sens, ce qui nous conduit enfin à penser « l’impensable ».

49

Dans le discours sur la violence dite extrême du XXe siècle, on trouve une référenceconstante à une expérience « indicible » ou « impensable ». Ces traumas, dontl’holocauste perpétré par les Nazis est emblématique, sont au cœur des débats surl’inscription du passé dans le présent.

50

Crenzel (2010) rappelle que, par ses dimensions et ses caractéristiques, le génocidedans le monde occidental a révélé l’insuffisance de nos catégories politiques et

juridiques, a défié les bornes de l’éthique et a mis en suspens nos moyens de

représentation. La possibilité même de comprendre et de représenter la violenceextrême au sein de l’espèce humaine a été niée et cette négation s’est, selon lui,accentuée durant les années 1980, dans le contexte du scepticisme « postmoderne »avec la crise des représentations et des grands récits qui l’accompagne. Néanmoins,poursuit l’auteur, les propositions concernant l’impossibilité de penser, de dire et dereprésenter le génocide ont été fortement contestées. Agamben (2008, 34-35) pose laquestion : « Pourquoi indicible ? Pourquoi conférer à l’extermination le prestige de lamystique ? » Et il ajoute : « Dire qu’Auschwitz est “indicible” ou “incompréhensible”,cela revient à euphèmein, à l’adorer en silence comme on fait d’un dieu ; cela signifiedonc, malgré les bonnes intentions, contribuer à sa gloire. » Primo Levi commence

son livre Les Naufragés et les rescapés (1989, 11) avec le discours d’un officier naziqui avoue être conscient que ses actes constituent un défi aux ressourcessymboliques, à la capacité même de la société occidentale de les interpréter : « Dequelque façon que cette guerre finisse, nous l’avons déjà gagnée. Aucun d’entre vousne restera pour porter témoignage. Mais même si quelques-uns en réchappaient, lemonde ne les croirait pas. » Pour Didi-Huberman (2003), le déni de la possibilité dereprésentation de la violence rend absolus autant la notion d’irreprésentabilité, quele voile sur l’horreur, ou mieux encore, l’horreur elle-même. De la sorte, on resteprisonnier du génocide, comme le voulait l’officier nazi mentionné par Primo Levi.

51

L’idée de la violence « extrême » est, en soi, difficile à soutenir. Elle suppose unelimite à partir de laquelle elle devient extrême, en postulant une différence de degré.

La difficulté de délimitation de cette frontière est rendue évidente face auxdifférentes représentations de ce qu’est la violence, phénomène qui se définit par soninscription au sein d’un système symbolique. De cette manière, on peutproblématiser l’effet de distanciation que l’idée d’une violence extrême produit,comme si nous étions moralement délivrés de la responsabilité d’actes considéréscomme inhumains, attribués à un autre inaccessible. La frontière entre violence et

violence extrême, formulée à partir de l’incommunicabilité de cette expérience, n’adès lors plus de sens, si ce n’est comme représentation du phénomène, commeconstruction sociale, donc relative. De là, la pertinence d’une approche critique del’idée d’incommunicabilité absolue de l’expérience de la violence.

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La frontière entre dicible et indicible, avouable et inavouable, sépare […] unemémoire collective souterraine de la société civile dominée ou de groupesspécifiques, d’une mémoire collective organisée qui résume l’image qu’unesociété majoritaire ou bien l’État veut donner et imposer.

Entre celui qui est disposé à reconstruire son expérience biographique et ceuxqui le sollicitent de le faire ou sont disposés à s’intéresser à son histoire,s’établit une relation sociale qui définit les limites de ce qui est effectivementdicible.

La victime

Dans la perspective de qui a vécu et subi cette situation, la possibilité de rompre lesilence reste ouverte. C’est justement ce qui est en jeu dans la notion de « mémoiresouterraine » que Pollak (1993, 28) avance en l’associant à celle de domination :

53

Dans leur texte sur le témoignage de rescapées du camp d’Auschwitz-Birkenau,Pollak et Heinich (1986, 4) soulignent que le survivant n’est disposé à parler que s’ilsuppose que son témoignage rencontre la possibilité d’être écouté :

54

Plusieurs auteurs qui étudient la violence indiquent l’accroissement de l’espacesocial occupé par la victime dans le monde contemporain. Du moins en ce quiconcerne le monde occidental moderne, l’identification de la victime fait partie de laconsolidation des droits civils, sociaux et politiques de la citoyenneté. Elle renvoie àla responsabilisation sociale de la souffrance face à des catastrophes de divers ordres– des guerres et conflits sociaux aux catastrophes naturelles – et à la question de sareconnaissance comme exigence de base de l’être au monde. Je pense ici auxformulations de Honneth (2003) sur la lutte pour la reconnaissance, qui suppose lerapport indissoluble entre l’intégrité des êtres humains et l’assentiment de la part del’autre.

55

Wieviorka (2005) parle de l’émergence de la victime comme la preuve d’uneinflexion dans le discours sur la violence au XXe siècle, à partir de l’après-guerre, quis’est tourné vers le sujet qui l’a subie, dès lors considéré comme un sujet de droits.Fassin (2004) analyse la victime en tant qu’une nouvelle catégorie politique.Héritière de l’idéal humanitaire, elle est devenue un acteur politique central, commele montre une abondante littérature critique contemporaine en sciences sociales.Dodier et Barbot (2009) opposent ainsi des discours « anti-victimisation » auxdiscours « pro-victimes ». Dans le premier cas, on parle, en particulier chez lespsychanalystes, de la victime comme une forme de subjectivité, « métaphore de lacondition moderne », ne distinguant plus les fatalités modifiables de celles qui sontinexorables (Koltai 2002). C’est le lieu absolu où la victime se transforme en « héros

contemporain » (Eliacheff & Larivière 2007). Truchon (2007) parle de« marchandeurs de mémoire » pour qualifier le changement de statut de la victimepassant de la honte qui pesait sur elle à sa reconnaissance récente au travers de lanotion de « traumatisme ». Cela souligne la convergence entre les spécialistes de lapsychologie et de la psychiatrie, ainsi que des mouvements sociaux identitaires,dans le processus de construction de la figure de la victime, mais aussi lestransformations sociales par lesquelles les catégories psychiatriques se constituenten catégories morales, imposant un modèle médical sur les formes de souffranceliées à l’expérience de la violence (Eliacheff & Larivière 2007 ; Fassin & Rechtman2007).

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Tous ceux qui se sont battus avaient des projets pour la société brésilienne.Ceux qui se sont battus savaient pourquoi ils luttaient et sont partis à la guerrepour leurs idéaux. Ici, il n’y a pas de victimes, dans le sens miséricordieux duterme. […] Personne n’est victime en adhérant à une cause de manière libre etspontanée, même en considérant la possibilité d’une faille dans le recrutementd’un militant. D’ailleurs, il est curieux de remarquer que de tous les textes quenous avons reçus, il n’y en a aucun dans lequel l’auteur fait une quelconqueallusion à une éventuelle condition de victime de ce processus de luttepolitique. (Freire, Almada & Ponce 1997, 36-37)

Ce que cette littérature critique révèle – et qui nous intéresse ici –, c’est que, si la violence produit indiscutablement des victimes et que celles-ci ont un droit légitimeà la réparation, la question qui reste posée est celle de la localisation de la figure de la

victime dans la logique sociale qui l’engendre : les agents impliqués et la logique desconflits sur lesquels se fonde sa construction. De cette façon, on problématise lesutilisations que la notion de victime permet comme forme de légitimation morale dedemandes sociales et politiques (Sarti 2009 et 2011).

57

Ainsi, la construction de la figure de la victime est-elle pensée, dans cette

recherche, comme une façon de conférer une reconnaissance sociale à la souffranceliée à l’expérience de la violence, reconnaissance envisagée en deux sens : pourdonner une intelligibilité sociale à la souffrance et pour légitimer les demandes deréparation au niveau social et politique.

58

Dans la littérature de témoignage sur la dictature au Brésil, la figure de la victimepossède des contours imprécis. Du point de vue des protagonistes de la lutte qui ontsouffert de la prison et de la torture ou de la disparition de leurs proches, la figure dela victime oscille entre l’affirmation de soi face au droit à la vérité, à la réparation etau jugement des responsables – la figure juridique – et le refus d’être victime, par laconnotation négative associée à cette figure, qui exempte le sujet de responsabilité.

59

Cette perspective apparaît explicitement, dès l’introduction, dans le livre de

mémoires Tiradentes, une prison de la dictature :

60

Ce qui se détache, dans la perspective de ce discours, c’est la manière dontl’entreprise politique est caractérisée comme processus de résistance contre un ordreautoritaire, le « terrorisme d’État ». Un des organisateurs de ce livre, Alípio Freire,réaffirme, dans l’entretien qu’il m’a accordé, le refus de se voir comme « victime, quinous retire la condition de sujet et d’agent politique et nous transforme en pauvresmalheureux ». Il se définit comme « cible de la violence ». Les demandes deréparation sont donc formulées depuis la position de protagonistes d’une lutte, maisd’une lutte inégale. C’est cette inégalité qui légitime la catégorie de victime – « victime du terrorisme d’État » – lorsqu’elle est revendiquée sur les plans politiqueet juridique, inégalité avérée de façon extrême dans la situation de torture comme entémoignent les récits qui rapportent cette expérience durant la dictature militaire. La

figure du résistant s’oppose dans ce cas à celle de la victime qui neutralise lecaractère politique du combat en jeu (Díaz & Gutiérrez Ruiz 2009).

61

La dimension de genre n’est pas absente de ces représentations. Comme lementionne une ancienne prisonnière politique, Rita Sipahi : « Les hommesn’admettent à aucun moment être des victimes. […] C’est comme si être victime étaitune trahison de leurs idéaux. » En somme, l’idée d’être victime ne serait pascompatible avec l’image de soi du point de vue du masculin23.

62

De son côté, Rita Sipahi dit qu’elle se reconnaît aujourd’hui comme victime, maisaprès un « travail d’élaboration » de ce qui a été vécu. Elle dit avoir assumé cettecondition face à la torture subie parce qu’il s’agissait d’une « action de destruction »

63

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C’est autre chose de se sentir victimisé toute sa vie par cela. […] Ce quim’affranchit d’être victime, je crois, c’est l’action politique. […] L’actionpolitique n’était pas nécessairement action partisane, au contraire. C’était uneaction de dénonciation, une action qui faisait que tu assumes, dans la société,une position par rapport à ce qui t’était arrivé.

Je pense que... J’en arrive à penser... Je ne suis plus tellement sûre de cela... Jepense que l’identification et la reconnaissance sont déjà une punition. […] Unegrande partie des personnes qui ont été emprisonnées veulent qu’un procès

devant laquelle elle était impuissante. À cause de l’inégalité de conditions, « latorture fait la victime ; […] en toute et n’importe quelle circonstance », en particulierparce que la pratique de la torture a été planifiée et réalisée en tant que politiqued’État, point récurrent dans le discours des anciens prisonniers, comme on l’a vuplus haut. En effet, les séances de torture n’étaient pas perpétrées dans des lieuxclandestins (qui ont par ailleurs existé) mais, comme ceux qui y ont été soumis l’ontsouvent confirmé, dans des bâtiments dépendant officiellement de l’armée

brésilienne24.

Ainsi, la catégorie de « victime de la dictature militaire » (Aydos & Figueiredo2013) a-t-elle bien été construite comme catégorie politique, dans un processusreconnu par les victimes comme travail d’élaboration du vécu. Cette reconnaissancediffère clairement de la « victimisation ». Comme Rita Sipahi le dit :

64

Ce qui est en jeu ici c’est, sans nul doute, l’influence du discours international des

droits de l’homme ayant rendu possible la criminalisation de la torture et desmeurtres ainsi que des disparitions dans le régime militaire au Brésil. Il faut y ajouter également une prise de position politique. Ainsi, dans une perspectivecontraire à celle des mouvements identitaires (Sarti 2009 et 2011), la situation de

victime est disjointe de la condition de victime ou de l’idée de la victime commemarque d’identité.

65

Effacer qu’ils ont été victimes en tant que résistants à un ordre autoritaire et violent, c’est « faire disparaître » – on retrouve là le geste des tortionnaires qui« faisaient disparaître » les personnes – la raison pour laquelle ils ont pu supporterla douleur de la torture et la souffrance de la violence vécue. En ce sens, la figure dela victime est re-signifiée car, pour ces anciens prisonniers, elle ne peut être disjointede celle du résistant, et cette expérience de violence se trouve ainsi réinscrite dansleur existence.

66

La façon dont la figure de la victime est définie et les implications de cettedéfinition renvoient à des positions différentes sur le jugement et la punition desresponsables des crimes, constituant actuellement l’un des thèmes les pluscontroversés au Brésil, à propos des politiques de réparation.

67

D’un côté, on soutient que l’accomplissement du processus démocratique dans lespays qui sont passés par des dictatures exige le jugement des responsables descrimes, répondant aux normes internationales des droits de l’homme. En ce sens, lerapport final de la CNV recommande de reconnaître la responsabilité juridique –

criminelle, civile et administrative – des agents publics responsables de « graves violations des droits de l’homme » survenues durant la période examinée (Brasil2014, vol. I, tome II, 373).

68

D’un autre côté, on exige, non pas la punition, mais la reconnaissance publiquepar les forces armées des crimes commis. Cela correspond à la premièrerecommandation du rapport final de la CNV (Brasil 2014, vol I, tome II, 372).Comme l’a déclaré une des anciennes prisonnières, avocate, en questionnant lesfondements de la punition dans les codes pénaux :

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soit fait, mais certains des procès qui sont actuellement en cours sont dereconnaissance, et non de punition.

Considérations finales

Bibliographie

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La polémique autour du jugement pénal des responsables renvoie à la questionsoulevée par Ricœur (1995) sur le rapport entre justice et vengeance. La médiationd’un tiers, par le biais de la justice en tant qu’institution, est ce qui différencie la

justice de la vengeance. Bien que la logique binaire de la vengeance se brise avecl’institution de la justice – la résolution des conflits étant transférée dans le cadre del’ordre public – la punition conserve quelque chose de l’esprit de vengeance que la

justice comme institution cherche précisément à surmonter.

70

Je voudrais revenir à l’importance du travail de la mémoire pour que la souffranceliée à des expériences de violence ait une possibilité de réinscrire le sens du vécu dansle cours de l’existence et de la vie quotidienne.

71

L’expérience de la violence, dans son caractère profondément dévastateur, est unchemin sans retour – une « perte de l’innocence » comme le dit Salinas Fortes

(2012) –, qui fait de la réparation une réalité aussi nécessaire et fondamentale quelimitée. C’est en cela que se souvenir collectivement est vital et constitue l’uniquegarantie d’avoir un lieu – celui de la mémoire – pour inscrire dans la vie l’expérience

vécue et reconnue par l’autre.

72

Il faut souligner que ce processus se constitue comme le lieu d’un tiers, impliquantla société dans son ensemble. C’est seulement dans ces conditions qu’il devientpossible de parvenir à la réinscription symbolique de la souffrance dans une histoiretranscendant l’individu violenté. C’est en ce sens aussi que l’enquêteanthropologique peut constituer cette place de l’autre dans la mesure où, au cours dela recherche, on écoute les récits et les témoignages retrouvés. De cette manière, lechercheur apparaît comme un témoin, celui qui entend, le tiers qu’on a évoqué.

73

La difficulté, en ce qui concerne la mémoire, tient au fait que le passé n’est pasconservé selon une unique version et que l’élaboration de la souffrance est unprocessus qui implique des rapports de force politiques. Comme on l’a vu, desacteurs différents confrontent leurs interprétations dans un scénario de luttes pourélucider ce qui s’est passé et attribuer au passé des significations différentes. Lamémoire renvoie à la temporalité des phénomènes de la société, parce qu’elle sesitue, comme nous le rappelle Koselleck (2006), entre le passé, le présent et le futur,au point où les expériences passées s’entrecroisent avec l’horizon des attentesfutures.

74

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Notes

1 La dictature militaire au Brésil a duré 21 ans, de 1964 à 1985. Elle a commencé par un coupd’État militaire contre le gouvernement élu de João Goulart, elle a imposé un ordreautoritaire et s’est achevée avec le retour à un gouvernement civil. Un certain nombre detravaux donnent des références sur les caractéristiques de la dictature militaire au Brésil. Onpeut citer, entre autres, les œuvres collectives dirigées par Aarão Reis Filho, Ridenti & Motta(2004), Teles & Safatle (2010), Santos, Teles & Teles (2009) et Green (2014).

2 Recherche en cours dans le cadre de mes activités comme professeur à l’Unifesp etchercheur au Conseil national de développement scientifique et technologique brésilien(CNPq).

3 Le problème de la place du chercheur face à de tels objets d’études n’est que mentionné ici,ne pouvant pas être convenablement développé dans les limites de cet article, en dépit de sapertinence pour une anthropologie de la mémoire.

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4 Martins Filho (2002) analyse la répercussion des livres qui ont dénoncé la torture durant ladictature au moment où ils ont été publiés, en les situant dans l’action politique d’une guerreentre « militaires et militants » autour des versions sur les évènements et la défense de leurspoints de vue. Comme nous rappelle Jelin (2002, 44), « les controverses sur le sens du passécommencent avec l’évènement conflictuel lui-même ».

5 Les textes cités dans la bibliographie en portugais ou espagnol ont été traduits par l’auteuret par Julien Zeppetella.

6 À ce propos, voir Ross (2010) et Pollak & Heinich (1986).

7 Sur ce processus, voir le document élaboré par le Secrétariat spécial aux droits de l’homme

(Brasil, 2007).8 Comme l’explique Gagnebin (2013, 151), cette loi « inclut, donc amnistie, les militaires oupoliciers qui torturent, tuent et font disparaitre les prisonniers durant le régime militaire,parce que ces exécutions sont classées comme crimes “connexes” ( crimes conexos) à descrimes politiques ».

9 Piovesan (2010), situant la loi d’amnistie dans le cadre du droit international, en montre lesincohérences par rapport aux engagements internationaux du gouvernement brésilien sur lesdroits de l’homme.

10 Je remercie Rita Sipahi, elle aussi membre de la Commission d’amnistie, pour cetteréférence.

11 Cette inscription symbolique n’est, à ses yeux, pas possible tant que les forces armées nereconnaîtront pas leur rôle dans la politique de l’État sous la dictature au Brésil. Cela continue

à être le cas aujourd’hui, malgré le travail de constatation des faits mené par la CNV.12  Selon Alonso (2006), Freud inaugure une théorie de la mémoire, en disant que le matérielmnésique se réorganise de temps en temps, formant alors des nouveaux liens ; les tempspassé, présent et futur se confondent, sans ordre chronologique.

13 Entretiens faits par l’auteur avec Alípio Freire le 22 et le 30 janvier 2015 et avec RitaSipahi le 27 janvier 2015 dans leur appartement à São Paulo. Ils ont accepté l’un et l’autre detémoigner sous leur véritable identité.

14 Présentation de Pedro Dallari et Maria Rita Kehl, membres de la CNV, lors de l’émissiontélévisée Café Filosófico du 7 novembre 2014 sur le thème « A Comissão Nacional da

Verdade » [La Commi ssion nationale de la vérité] , peu avant la publication du rapport finaldes travaux de la CNV. Voir https:// www.youtube.com/watch?v=7zVrS5q7wXY#t=53(consulté le 8 novembre 2014).

15 Ce que souligne en particulier Roudinesco (2005).

16 Pollak (1993), dans le même sens, parle d’une concurrence entre visions différentes dumonde et du passé.

17 Das (1999) se réfère au nécessaire processus d’échanges entre l’individu et les possibilitésdu monde social à l’œuvre dans la reconstruction de la vie après des expériencesprofondément déstabilisatrices de violence.

18 Wieviorka (1998) montre les variations dans le statut du témoignage et dans le rôle dutémoin après la Seconde Guerre mondiale. Voir également Pollak & Heinich (1986).

19 Entretien réalisé par l’auteur et par Natália Alves Barbieri avec les membres d’une descliniques du témoignage (Clínica do Testemunho Instituto Sedes Sapientiae), à São Paulo, endécembre 2014, dans l’institution où la clinique était installée.

20 Cela peut être observé dans deux documentaires : « 15 filhos » [15 enfants], réalisé auBrésil en 1996 par Maria Oliveira et Marta Nehring qui ont été elles-mêmes des enfants des

victimes des crimes d’Étát et « Repare bem » ( titre français : « Les yeux de Bacuri »), dirigéen 2012 par Maria de Medeiros et produit par la France, l’Italie et le Brésil.

21 « Anotações sobre uma tragédia » [Notes à propos d’une tragédie], récit de Alipio Freire,Campinas, janvier 2005 (manuscrit). Ce texte m’a été donné personnellement par l’auteur.

22 Rita Sipahi, dans l’entretien mentionné plus haut.

23 Je renvoie ici à la réflexion de Haroche (2011) sur la notion de virilité dans son rapportavec la peur de l’impuissance. La difficulté de l’analyse de genre dans les récits des torturésest liée à la situation d’humiliation extrême (Haroche 2008) en jeu dans la situation detorture. La valeur positive attribuée à « être dur » et résister à la torture est perçue, face àl’impuissance, comme la résistance d’un homme humilié.

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24 Selon les témoignages de Dulce Pandolfi(http://racismoambiental.net.br/2013/05/integra-do-depoimento-da-historiadora-dulce-pandolfi-a-comissao-estadual-da-verdade-do-rio-de-janeiro) et de Lucia Murat(http://atarde.uol.com.br/politica/materias/1506981-depoimento-de-lucia-murat-a-comissao-da-verdade-do-rio) consultés le 20 juin 2014 auprès de la Commission de la véritéde l’État de Rio de Janeiro.

Pour citer cet article

Référence papierCynthia Sarti, « La victime et le témoin durant la dictature militaire au Brésil : uneanthropologie de la mémoire », Brésil(s), 8 | 2015, 167-189.

Référence électroniqueCynthia Sarti, « La victime et le témoin durant la dictature militaire au Brésil : uneanthropologie de la mémoire », Brésil(s) [En ligne], 8 | 2015, mis en ligne le 01 décembre2015, consulté le 04 janvier 2016. URL : http://bresils.revues.org/1662 ; DOI :10.4000/bresils.1662

Auteur

Cynthia SartiCynthia Sarti, professeur à l’Université fédérale de São Paulo (Unifesp)

Droits d’auteur

© Éditions de la maison des sciences de l’homme