anthropologie = idéologie

8/13/2019 Anthropologie = Idologie

1/11

Andr Gunder FrankEddy Trves

Anthropologie = Idologie ; Anthropologie applique = PolitiqueIn: L Homme et la socit, N. 31-32, 1974. Sociologie de la connaissance marxisme et anthropolgie. pp. 185-194.

Citer ce document / Cite this document :

Frank Andr Gunder, Trves Eddy. Anthropologie = Idologie ; Anthropologie applique = Politique. In: L Homme et la socit,

N. 31-32, 1974. Sociologie de la connaissance marxisme et anthropolgie. pp. 185-194.

doi : 10.3406/homso.1974.1864

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/homso_0018-4306_1974_num_31_1_1864
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_homso_166http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_homso_68http://dx.doi.org/10.3406/homso.1974.1864http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/homso_0018-4306_1974_num_31_1_1864http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/homso_0018-4306_1974_num_31_1_1864http://dx.doi.org/10.3406/homso.1974.1864http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_homso_68http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_homso_166


2/11

anthropologie idologie

anthropologie pplique = politique

ANDRE GUNDER FRANCK

Anthropologie; Plus a change, plus aeste pareil. (proverbe)Anthropologie applique : des changementsdoivent tre introduits pour que les chosesrestent ce qu elles sont.

(Le Lopard)Prsentant la communication de Maurice Freedman au IXme CongrsInternational des Sciences Anthropologiques et Ethnographiques qui s esttenu Chicago en septembre 1973, Sol Tax la qualifie de performanceremarquable qui mrite tout notre intrt par sa largeur de vues et par saqualit. Sa signification pour l anthropologie, ajoute-t-il, exige un dbatcritique . Oui et non, dirons-nous, avec des rserves. L'tude a de l ampleurmais elle est superficielle. Des inconsquences, des confusions, noient etinfirment des intuitions parfois intressantes. Les dveloppements se perdentdans des arguments fallacieux entachs de fausses distinctions et de faussesidentifications. Le vrai problme, celui de la fonction et de l avenir del anthropologie et de l idologie anthropologique, n est pas trait et semblemme avoir t vit avec soin. Il est en vrit extraordinaire que lacollaboration internationale dbouche parfois sur des rsultats aussi embarrass

ants.our cette raison, l tude de M. Freedman exige qu'on en dbatte.Les coordonnes et les attractions opposes dont U est questiondans les deux premiers chapitres, les plus importants (A et B), et quir-apparaissent dans les derniers chapitres galement, reposent, elles aussi,sur ou plus prcisment se perdent dans - une srie de fausses distinctionset de fausses identifications.


3/11

186 ANDRE GUNDER-FRANCKLes oppositions entre description et thorie, science et art, comparaisonet particularisme, structure et histoire, volutionnisme et fonctionnalisme,reposent en vrit sur une sophistique anti-scientifique qui masque mal sa totaleincomprhension et mystification de l volution et de l histoire. Nous sommesen droit de nous demander... si la catgorie de l histoire a sa place dans

l anthropologie... crit M. Freedman (p. 27). Si l histoire est ce que M. Freedman rtend, U n y aurait pas, en effet, lieu de se le demander. Librons-ledonc de ses doutes en disant qu'elle ne s y appUquerait en aucune sorte ... sil histoire tait ce qui est propre au particulier, au descriptif, l lment humainet quand son oppos est la structure... (pp. 27-28), si on admet avec l auteur ... que le rcit historique, l exception des travaux de quelques thoriciens,n est pas diachronique et ne concerne pas le changement... et n est dans samajeure partie qu'une diachronie rtrojecte dans le temps (p. 97). Il seraitdifhcUe de concevoir un ensemble de termes plus faussement utiliss vis--vis del histoire concrte et des vritables crits historiques dont l essence fondamentale est prcisment l interaction diachronique entre la structure duchangement et le changement de la structure qui dtermine le cas particulieranalys et qui se produit dans le temps - pass, prsent ou futur selon undveloppement combin et ingal.La totale occultation de l approche thorique et la ngation idologiquede l histoire et de l volution auxquelles procde M. Freedman, lui permettentseules d'opposer histoire et structure et, cette dernire, l volution (nisme)et la fonction (au fonctionnalisme), pp. 27-31, et d crire : ... dans unelongue perspective de la vision volutionniste, U existe un ordre merveUleux ;dans une perspective plus courte, une diversit rcalcitrante ... (p. 88),distinction absurde, notre avis. Freedman identifie d autre part volutionnismet fonctionnalisme et tente ainsi de lier, par des rfrences leurhritage commun, certains des prestiges mrits de l volutionnisme audiscrdit croissant tout aussi mrit du fonctionnalisme (p. 30). Comme sides origines communes ne pouvaient pas dboucher sur des ouverturesdiffrentes, voire mme opposes, comme cela a t le cas en ce qui concernel volution de la nature et l histoire sociale. Freedman tombe ainsi dans lepige de l idologie anti-scientifique d un Radcliffe-Brown, archi-prtre del anthropologie structuralo-fonctionnaliste , (p. 30) qui a fait croire desgnrations entires que l histoire n entrait pas dans les cadres des pseudostructures et des pseudo-fonctions de sa vision ractionnaire. Pas plus quedans la structure du structuralisme, doctrine (sic) qui, poussant ses ramifications dans le royaume de la connaissance possde une branche dansl anthropologie laquelle le nom de Lvi-Strauss est associ (p. 28) de tellemanire que le temps ne s y applique pas, car il est neutre (p. 30). En fait,comme le souligne Lvi-Strauss lui-mme (ce que Freedman et d autres aveclui sont enclins oublier), le structuralisme ne traite que de la structure desmodles et jamais du concret, c est--dire de la ralit historique. Ne noustonnons donc pas que le temps n y trouve pas sa place et que Freedman sedemande si l histoire est compatible avec le structuralisme quand, en vertu


4/11

ANTHROPOLOGIE ^IDEOLOGIE 1 87d une dfinition idologique, l histoire, vide de tout contenu concret et detoute ralit, est laisse hors du champ de la rflexion.Freedman ne craint pas de prciser encore son propos et nous met ainsien garde : ... et surtout, U existe un danger dans ces schmas de rechercherduits et appauvris qui, par exemple, oprent l'aide des notions lmentaires e classe sociale et d exploitation de classe, ou comme c est le cas danscertaines formes du no-marxisme, avec les concepts tout aussi rudimentairesde pouvoir et de domination .En vrit, nous devons de la reconnaissance M. Freedman et sescollgues pour cet avertissement et pour leurs schmas appauvris, comme parexemple, les coordonnes d attractions opposes, les concepts rudimentaires,notamment celui d histoire auxquels Us ont recours pour tayer leur mise engarde.

D'autre part, les coordonnes d tude dans le temps et dans l'espace de M. Freedman, ne tiennent aucun compte de l histoire et par consquent ladnaturent dans un autre de ses aspects importants. Mettant en question etniant le rle du temps, M. Freedman nglige le rapport troit entre l histoiredu monde et l histoire de l anthropologie elle-mme. Il omet le fait qu'une grande partie de la sociologie classique est sortie du contexte d'un dbatqui commence avec la pense du XVIIIme sicle, est repris par les lumires etensuite par leur vritable hritier au XIXme sicle, Karl Marx . (IrvingM. Zeitlin, Ideology and the Development of Social Theory, Prface, p. vii).Et qu U a t dit que l anthropologie s est dveloppe de manire entirementindpendante du marxisme. Mieux encore, l anthropologie s est dveloppeau XXme sicle entirement par raction au marxisme . (Marvin Harris, TheRise of Anthropological Theory in Current Anthropology : Vol. 9, N. 3,dcembre 1968, p. 520). M. Freedman et ses coUgues, et l anthropologiedont Us traitent, mettent sous le boisseau c est--dire considrent commenon-pertinents non seulement l histoire mais encore le matrialisme. Ilsconsidrent qu'il n est pas vrai que la sociologie et l anthropologie ontcommenc en tant que rponse idologique au matrialisme historique etqu'elles poursuivent dans cette mme voie.Il nous parat par consquent indiqu de r-examiner cette fonctionidologique de l anthropologie. Freedman nous donne lui-mme quelques clset aperus pour une telle reconsidration que sa propre position idologique(et ses limites) l'empchent apparemment de pousser trs avant : Toutethorie anthropologique change selon le milieu auquel elle s'applique ; lechangement est davantage encore perceptible pour l anthropologie applique... Il existe un point sur lequel les anthropologues s accordent tous :l anthropologie applique est plus proche du politique que du technique(engineering). Elle ne repose pas sur une thorie sre et prcise... (p. 111).D'accord. Mais la nature politique de l anthropologie applique n est pas tantfonction de l imprcision ou de la faiblesse de ses fondements ; elle estfonction de l'application qui est faite de l anthropologie, elle-mme unefonction. Et la thorie anthropologique sur laquelle elle repose est davantageidologie que science d au ta. >t plus (mais non exclusivement) que ses fonde-


5/11

188 ANDRE GUNDER-FRANKments sont mal tays et qu'elle manque de prcision. Cette dimension de sathse, Freedman ne la traite pas. Il ne s attache pas non plus dterminer(bien qu U consacre une partie de son texte l anthropologie applique) l usage de quelle poUtique cette anthropologie est utilise et quels sont lesresponsables de cette politique. De plus, les coordonnes de l'espace et dutemps adoptes par M. Freedman, n indiquent pas comment ni pourquoil anthropologie change ou demeure inchange selon le mUieu concern. On dit souvent et avec quelque raison que le travaU des anthropologuesdans les socits coloniales ignorait totalement l environnement politique etsocial au sein duquel ils pratiquaient leurs tudes sur les petites communautsou les tribus. Dans les Etats indpendants, Us ne risquent pas de faire lemme genre d erreurs ... que dans la situation post-coloniale. L'ancienneoptique ... commence tre rectifie ... (p. 119). Des circonstancespolitiques nouvelles ont rduit l intrt port par les Japonais la Core, laMandchourie, la Mongolie, la Chine (y compris le Taiwan et la Micronsie)qui avaient fait l objet d importantes tudes ethnographiques. Depuis laDeuxime Guerre Mondiale, des gnrations nouvelles commencent s'intresser d autres territoires : Asie du Sud-Est, Inde, Afrique, Amrique Latine,rgion Arctique. Le nombre de ces tudes reste encore faible et les plusimportantes que nous ayons portent sur le Japon lui-mme. On a ici unexemple du blocage d une anthropologie nationale, par manque d intrt cequi est exotique, dans l accompUssement de son rle dans la recherchemondiale ... L volution de la situation en Chine laisse l avenir de sonanthropologie incertain ... (pp. 148-150). Certes, des intrts exotiquesentrent en jeu dans le rle de l anthropologie. Nous avons ici un exempleexotique d'une idologie anthropologique qui fausse la perception et l analysede l'idologie de l anthropologie et de ses dterminants et fonctions politiquesdans l accomplissement de son rle absolument non-exotique dans la rechercheondiale.

Dans ce contexte, nous proposerons une rcapitulation rapide des sujetsd tude de l anthropologie, de l anthropologie comme objet d'tude et del'essai de M. Freedman en tant qu'tude de l anthropologie. Nous souligneronsle contenu idologique, le but et la fonction de l anthropologie, thorique etapplique, classique et actuelle.Freedman numre lui-mme et analyse les sujets classiques d un sicled'tudes anthropologiques. 1) Parent et mariage; 2) Politique et gouvernement ; 3) La loi dans le contexte du contrle social ; 4) Economie ;5) Religion et rituels ; 6) Art visuel ; 7) Musique ; 8) Littrature ; 9) Technologie. n reconnatra facilement que les points 5) 8) ressortent substantiellementl'idologie ou servent de vhicules l expression de l idologie, sousd autres appellations. Les points l) 3) concernent bien, par contre, desinstitutions, des rgles et des normes de ce que Freedman n aime pas dsignerdu terme pouvoir et domination qui ont l'appui massif de idologie etlui servent d expression. Pour M. Freedman cependant, ce concept lmentaire


6/11

ANTHROPOLOGIE= IDEOLOGIE 189d'idologie semble tre au moins rudimentaire , Le mot n est employ par luiqu'une seule fois, dans les 163 pages de son texte (p. 113). On accordera M. Freedman que son analyse est juste en ce qui concerne une grande partiede la profession anthropologique elle-mme ( laquelle est destin l essentielde son texte), mise part, l anthropologie elle-mme, car l idologie est l'undes plus grands tabous de cette disciphne (par exemple, dans l'Indexcumulatif des Volumes 1 10 de Current Anthropology, le mot idologie n apparat que quatre fois le mme chiffre que celui des groupes sanguins et l analyse de Marcus Goldstein sur la recherche anthropologique(Action and Education in Modem Nations : with special reference to theUnited States, Vol. 9, N. 4, Current Anthropology ) n y fait pas rfrence.Mme dans un ouvrage aussi critique l gard de l anthropologie que TheDialectics of Social Life, de Robert Murphy, le mot d idologie n'apparat pasune seule fois dans l'Index trs dtaUl qui y figure. Cependant, la plupartdes anthropologues cits ont crit des textes idologiques (certains, sansmme le savoir, d autres le sachant plus ou moins) et doublement tels : Us ontcrit sur l anthropologie dans la mesure o Us ont spar les domaines traitsde leur contexte historique et conomique jug non pertinent ; et Us ont critde l'idologie dans la mesure o Us adoptaient cette dmarche. M. Freedmanreste fidle dans ses crits cette tradition idologique.

Le penchant traditionnel de l anthropologie pour l ancien et pourl exotisme des jours passs a t l objet d analyses rcentes et nombreuses(Gough, Harris, Hymes, etc.) et M. Freedman observe lui-mme que cepenchant a laiss des connotations souvent malheureuses (p. 151) enAfrique. Mais appeler cela une erreur est inexact ; et dire des anthropologuesainsi orients qu'ils sont aveugles, c est une exagration. L'auteur de A BlackByzantium, S. F. Nadel a, quant lui, une vue assez claire du problme, pourparler de l'application de l anthropologie la politique coloniale : ... alorsque certains anthropologues prfrent se tenu* l cart de ces questionsd ordre pratique, d autres considrent que c est leur droit et leur devoird'appliquer l anthropologie dans la pratique. Je me range parmi ces derniers... On a dit de l anthropologie moderne qu'elle est destine aider considrablement les gouvernements coloniaux en leur fournissant la connaissance dela structure sociale des groupes indignes sur la base de laquelle uneadministration indigne saine et harmonieuse, telle que prconise dans laformule de l' Indirect Rule (administration indirecte) devrait tre tablie.Laissez-moi dire que pour ma part je crois fermement en la possibUit d'unecollaboration entre anthropologues et admnistrateurs ... A la fin de mondiscours, quelques tudiants africains (West African) prsents dans le publics levrent violemment contre moi-mme, mes collgues et en vrit l ensemblee l anthropologie ... Ils m ont accus de faire le jeu des administrateursractionnaires et de donner la caution de la science une politique visant maintenu* les Africains sous notre tutelle ... Une anthropologie pure, sanscontenu valorisant, est une Ulusion (cit et analys par Farie, 1972). Ceci,


7/11

190 ANDRE GUNDER-FRANCKpour ce qui concerne l aveuglement dont sont entachs les systmes africainsde la parent et du mariage et les systmes poUtiques africains. C'est ainsi queles intrts exotiques (aujourd'hui disparus) et les travaux anthropologiquesdes Japonais dans les colonies japonaises avant la Seconde Guerre Mondiale,ont priv les Japonais la fois de leurs colonies et de leurs intrts exotiques.Oh, ces malheureuses connotations

D'autre part encore, l erreur consistant croire qu U existe des illusionssans contenu valorisant a eu diverses connotations que MM. Freedman et Co.considrent peut-tre comme moins malheureuses. Au-del de l'applicationdirecte de la thorie anthropologique l administration indirecte des indignes exotiques, on a vu son application directe par les imprialistes aux finsde leur suprmatie directe. C est une mme anthropologie qui fait appel lasanction scientifique pour le renforcement et la propagation de l'idologie del imprialisme et pour en justifier la suprmatie auprs des dominants et desdomins ainsi que des tierces parties. L intrt de l anthropologie l garddes indignes exotiques prte une sanction scientifique la doctrine littrairede Kipling dictant que l'Est est l'Est et VOuest est l'Ouest, les deux nepouvant jamais se rejoindre sinon sous l gide de l'homme blanc (le fardeaude l'homme blanc). Et les archi-prtres de l anthropologie britannique qui ontsi gnreusement contribu assumer ce fardeau par leur rle dans larecherche mondiale, appartenaient dans leur grande majorit, aux Dominionsbritanniques.Devant la mise en question croissante du fonctionnalisme et la rapparitionigoureuse du marxisme, en particulier en France, M. Freedman pousseun cri d alarme. Le nom de Lvi-Strauss associ l anthropologie structuraleen France est repris et clam tous vents. Sa fonction idologique ?Freedman la suggre implicitement : faire du temps, de l histoire, du matrialisme, n vrit de toute ralit concrte, des termes vides de signification.Aux Etats-Unis qui n avaient pour colonies que les Etats qui les composent,la politique imprialiste se taxait de politique de porte ouverte . Lescatgories taxonomiques de Boaz, les modles culturels de Ruth Benedict(ceux-l mmes qui ont t appliqus aux Japonais si typiquement exotiquesdes Chrysanthmes et du Sabre) et les modles la vogue croissante deMargaret Mead (Oh, ces Samoens et le bond qui les a mens d'un trait del'Age de Pierre l Age Nuclaire, presque sans effort ) ont t adopts toutautant par les ractionnaires La tentative de Margaret Mead de faire admettreson relativisme positiviste culturel par l'Association Amricaine d'Anthropologie fin de justifier la formule : une anthropologie vs. dix guerrillasdans l'exotique Indochine s est rvle totalement inefficace lors du scandale thalandais (Wolf et Jorgensen), mais la fonction des modles del'idologie culturelle de Margaret Mead, de ses matres et de ses tudiants,s est affirme beaucoup plus solide culturellement pour les professionnels del anthropologie que pour l opinion publique en gnral.Arrtons-nous l. De peur que, comme on l'a fait pour Marvin Harris(Current Anthropology, vol.9, N. 5, dcembre 1968) on ne nous accuse de


8/11

ANTHROPOLOGIE = IDEOLOGIE 1 9 1nous acharner sur un cheval mort, car les anthropologues ne risquent plusaujourd'hui de renouveler les erreurs des jours anciens. Tournons-nous doncvers ce qui se passe maintenant, sur l actualit immdiate de la thorie del acculturation en train de se moderniser et de se propager. Pour M. Freedman, les intrts exotiques des Japonais, sans doute eux-mmes exotiquesportent maintenant sur leurs problmes intrieurs et quelle concidence - de plus en plus vers les secteurs exotiques du monde dont Us doiventrecevoir leurs matires premires et dans lesquels Us s efforcent d'accrotreleurs investissements et leurs ventes. (L Institute of Developing Economies deTokyo, subventionn par le Gouvernement, est un bon exemple des secteursde spcialisation dont parle Freedman). Et chez les Chinois, encore plusexotiques, Freedman voit l anthropo logie conditionne par la situation poUtique. Ainsi, dans ces pays exotiques d Extrme-Orient, l anthropologiechange avec les changements de la situation (en termes on ne peut plusconcrets) ; on pourrait dire en accord avec les lois du matrialisme historique.Mais si toute anthropologie change selon le mUieu o eUe se pratique ,qu est-ce qui conditionne son changement dans les pays impriahstes non-exotiques de l'Occident ? Cela, M. Freedman ne le dit pas. Mais certainsautres le font. L'anthropologue Charles Wagley, par exemple, crit sous lesauspices du Social Science Research Council amricain : l'Amrique Latine at, elle aussi, nglige par nos savants qui en dernire analyse fournissent lesdonnes de base la consommation acadmique et pubUque. Tout autant quel Afrique, l'Amrique Latine est reste plusieurs gards, un continentobscur (dark Continent). La situation volue maintenant. Il existe unintrt nouveau de l'opinion publique pour l Amrique Latine (l Afrique etl'Asie galement), stimul par la prise de conscience de leur importance pournos intrts nationaux. Le National Defence Education Act apporte sonsoutien ces tudes ... Des fondations prives ont subventionn desrecherches ... (Wagley, 1964 : 3). L intrt port par les sciences sociales etpar l anthropologie dans l accomplissement de leur rle dans la rechercheinternationale est singulirement exotique Dans la situation politique duno-colonialisme distinct du colonialisme du pass le pouvoir est exercde plus en plus par les bourgeoisies nationales montantes des nouveaux pays.Ne nous tonnons pas que Freedman note et applaudisse le fait que l ancienne orientation en anthropologie qui se tournait vers l'tude despaysans et des domins soit aujourd hui rectifie ; des travaux sont en coursqui portent sur les lites, les hommes au pouvoir et sur leurs administrs. Leleadership et le pouvoir dans le Tiers-Monde sont exercs par des groupessociaux dont les intrts, dans un certain nombre de cas, sont diffrents desgroupes au sort duquel Us prsident. Les modles de dveloppement conomique sont parfois emprunts tels quels des pays aux systmes sociauxdiffrents ... (p. 113). Dieu prserve que nous oprions l'aide dessimples notions de classe sociale et d exploitation de classe . Ces indignesauparavant exotiques, ou du moins les lites et les poUticiens qui prsident leur sort, adoptent des modles bourgeois de moderni-


9/11

192 ANDRE GUNDER-FRANKsation , y compris sans doute les schmas appauvris proposs par Freedmanet Co. Et les anthropologues se htent d tudier les processus de diffusion,d acculturation et de modernisation tant qu'ils n ont pas encore disparu.Qu est-ce qui fait croire M. Freedman que l anthropologie no-coloniale nerisque pas de renouveler les erreurs de l anthropologie coloniale ? Commepreuve qu'elle continue le faire, se rfrer, par exemple Magubane (1969,1971) et Frank (1967, 1969).Dans quelle mesure les anthropologues du Tiers-Monde no-colonial sesont-Us librs et ont-ils libr l anthropologie, de cet hritage ? L'auto-satisfactione Warman et d autres et le programme du symposium de Barbados,dont Freedman fait mention, (p. 155) font penser, avec d autres preuves l'appui recueUlies sur le terrain, que les programmes adopts sont loin d trebons et que dans les pays nouveaux c est--dire, no-coloniaux l'anthropologie et les anthropologues ne sont pas tous aussi innocents que Freedmanles voit. Celui qui paye les musiciens donne le ton. L anthropologie nocoloniale doit encore tre dcolonise (Stavenhagen). L anthropologie applique demeure dans ces pays l instrument de la politique du dveloppementcommunautaire visant l intgration intensive des dernires tribus restantesdans la politique d exploitation de classe, notion contre laquelle M. Freedmanveut nous prvenir. Ici galement, l anthropologie applique est certainementpolitique, mais non cause de l affaiblissement de sa base thorique (voirStavenhagen dans : Dcoloniser l anthropologie appUque ). Ainsi, la distinction que fait M. Freedman entre l anthropologie classique des anciensjours et l'actuelle (Chap. 1 et suiv.) est tout aussi fausse que ses distinctionsthoriques.

Finalement, M. Freedman tente de prophtiser l avenir de l'anthropologie et U prcise : prophtiser, c est en quelque sorte dicter. Peut-tre.Mais sur quelle base prophtise-t-il, dans quel but dicte-t-il ? Dans un petit nombre d annes, l anthropologie aura peut-tre besoin d laborerdes projets encore plus importants afin de porter remde aux maux dont souffre lemonde et d internationaliser les peuples ... C est--dire, on commence peine percevoir le dbut d une tendance se servir de l anthropologie comme d un remdeaux maux trs rpandus qui menacent en particulier la sensibilit des jeunes : laguerre, le racisme, la poUution de l environnement, la misre, les ingaUts sexuelles(pp. 117-110).Conformment l idologie professe par MM. Freedman et Co. lesnotions simples de classe et d exploitation de classe comme c est le cas danscertaines formes du no-marxisme celles tout aussi rudimentaires de pouvoiret de domination sans faire mention de l imprialisme et du no-colonialismeontre lesquels M. Freedman nous prvient en page 115, brillent parleur absence dans la liste qu'il fait des maux trs rpandus dont souffrel humanit. Que veut donc dicter M. Freedman par sa conduite ? Rponse :Faire assumer l anthropologie une partie de la tche idologique consistant

engourdir la sensibUit des jeunes, et si elle ne peut pas en faire autant,dtourner au moins idologiquement leur sensibUit des dangereux con-


10/11

ANTHROPOLOGIE ^IDEOLOGIE 193cepts marxistes et de leur contenu pour la rorienter vers ceux qu U propose ;des programmes grandioses visant l internationalisation des peuplesBonne chanceMais si toute anthropologie change selon le mUieu auquel eUe s'appliqueet si ... l volution politique ... de la situation laisse l avenir de l'anthropologie incertain , non seulement en Chine mais, pour parler scientifiquementt non idologiquement, dans l ensemble du monde, U faudra pourprophtiser l avenir et dicter ses contenus, prvoir des programmes moinssommaires et utiliser des notions moms rudimentaires que ceux dicts par laboule de cristal dont se sert M. Freedman. Il faudra rechercher et dfinir lessignifications du processus historique sinon celui de l'volution et ce qu'Urserve au monde et ses divers secteurs. Le concept rudimentaire del Histoire dont se contente M. Freedman est nettement insuffisant pour unetelle tche. Il nous faudra tudier le processus historique de l'accumulationdu capital dans l ensemble du monde, et dans ses secteurs exotiques etnon-exotiques, que le dveloppement capitaUste a incorpors ce processus.Nous trouverons peut-tre alors que depuis les dernires annes de la dcennie1960, le monde est pris dans les affres d une crise d'accumulation analogue celle des annes 1873-1895 qui avait dbouch sur l re du no-imprialismeet du no-capitalisme, ce que les anthropologues ont tellement tent dmasquer ; et que, probablement, nous assisterons des changements structurels profonds au seuU de cette nouvelle crise du capitalisme. Cette criseprovoquera sans doute une dpression conomique dans le monde capitaliste,assortie d une crise politique dont la crise du dollar et la crise financireactuelle sont les premires manifestations. Les entretiens de Nixon avecBrejnev et Mao, sont l amorce d un renforcement de la poUtique des blocsconomiques polarits diffrentes, comme cela a t le cas lors desprcdentes dpressions.Nous dcouvrirons peut-tre qu'en consquence de cette crise, les paysimprialistes sont destins passer par des phases successives au coursdesquelles on tentera d augmenter nouveau les taux de profit et desinvestissements tombs depuis 1 966 ; d affaiblir le pouvoir des syndicats etdu syndicalisme en augmentant le chmage et en abaissant les salaires,d abord, par des pseudo-ouvertures gauche (grce aux socio-dmocrates),ensuite, quand ces dernires auront chou, on aura recours des remdesno-fascistes voquant ceux des annes 1930. On encouragera d autre part lesrgimes militaristes, la politique no-fasciste des blocs conomiques et lesguerres du type Honduras-Salvador, Inde-Pakistan, dans le monde nocolonial dont la sur-exploitation est galement destine amUorer les tauxdcroissants de profit dans le monde imprialiste.

Dans une telle situation de dpression, l acclration de la transformatone la division du travaU aux niveaux national et international et la luttepolitique concomittante entre no-fascisme et corporatisme, quel sera le rledes idologies assignes l anthropologie y en aura-t-il ? par les classesdominantes et quelles directives politiques seront donnes l anthropologieapplique ? Tout le problme est l.

l homme et la socit n. 31/32-13


11/11

194 ANDRE GUNDER-FRANCKBien sr, les forces no-fascistes et les forces no-dmocratiques auxniveaux national et international, tenteront d assigner l anthropologie et auxanthropologues ainsi qu' d autres les tches de mystification idologiquedes jeunes (et d eux-mmes), tout comme cela s est dj produit. A cette fin,MM. Freedman et Co. dans une remarquable performance de coopration

internationale ont donn une premire Ulustration des produits proposer.Mais de nouvelles fonctions idologiques spcifiques seront-elles assignes l anthropologie et les anthropologues les assumeront-eUes, dans les paysimprialistes et no-coloniaux ? Quels concepts analogues celui du fardeaude l homme blanc des jours anciens nous rserve encore le relativisme cultureldes annes plus rcentes ? Quelle sacralisation scientifique et quelle justification idologique du corporatisme socio-dmocrate et no-fasciste, les paysno-coloniaux et imprialistes nous proposeront-ils ? QueUes applications del anthropologie seront-elles proposes en politique intrieure pour remplacerles anciennes politiques de revenus et les diminutions des prestations sociales,par de nouvelles versions de camps CCC, Eintopfgerichte, de Kraft durchFreude et autres programmes pour les jeunes, les migrants ethniques, raciaux,trangers ou autochtones, les chmeurs, les occupants des ghettos, et lesentraner dans une nouvelle guerre sainte contre la misre dans les payscapitalistes industrialiss ? Quelle sacralisation scientifique sera-t-elle proposepour la croissance zro ainsi dclenche en vue d abaisser les salaires dans lespays industrialiss et de contrler l industrialisation dans les pays sous-dve-lopps ? Quels nouveaux slogans cocardiers seront-Us invoqus pour masquerles nouveaux blocs conomiques mtemationaux et justifier les guerres ? Aquelle sanction scientifique et queUe justification idologique sera-t-U faitappel pour augmenter le dveloppement capitaUste par le progrs de larvolution verte se substituant la rvolution rouge ? Quelle idologieanthropologique et quelle application politique de l anthropologie les forcesrvolutionnaires proposeront-elles alors ? Une telle crise politique mondialefera-t-elle de l anthropologie et des anthropologues non pas un luxe non-fonctionnel mais une sorte d instrument fonctionnel utUe prserver ?Traduit de l anglais par Eddy Trves

anthropologie = idéologie

Documents