la véritable histoire de gai pied

04/03/2014 03:29France QRD: la vritable histoire de Gai Pied

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Documents / Mdias / magazinesOn a dit et crit beaucoup de choses sur "Gai Pied", tant ce mdia a t unique dansl'histoire du mouvement gay. Mais chacun a racont des choses partielles et pastoujours vraies, rglant ses comptes au passage.Le fondateur du journal, Jean le Bitoux, est venu aux UEEH qui ont fait le bilan de 20ans de militantisme, pour nous livrer enfin pour la premire fois l'histoire vraie de cemdia pas comme les autres.Un discours dont la vrit referme la parenthse des "annes Gai Pied", rend leurhonneur aux journalistes, et voque les origines des mdiocres pratiques que la pressegaie a cru devoir adopter depuis.Nous remercions Jean de nous l'avoir amicalement confi, et sommes fiers de vous lediffuser.

Le gupier des annes Gai Pied----------------------------------------------

Jean Le BitouxFondateur de Gai Pied en 1979 et

dmissionnaire en 1983

En avril 1979, lorsque sort dans 2000 kiosques de France le premier numro dumensuel Gai Pied, la situation politique est extrmement tendue. Un an plus tt, leslections lgislatives ont t perdues par la gauche, contrairement toutes les



prvisions. Giscard a refus sa grce au dernier condamn mort et les mouvementsd'extrme gauche sont aussi virulents que victimes de svres rpressions.GLB

Dans ce climat liberticide, de nombreux militants homosexuels dcidentpourtant de ne plus privilgier l'activisme militant et choisissent de s'investir dans lelancement d'un mdia de presse d'information, de liaison et de visibilithomosexuelles. Cette prsence en kiosque est en effet un dfi politique en soi, alorsque toute la presse homosexuelle a t interdite l'anne prcdente et que Librationou le Nouvel Observateur sont rgulirement trans devant les tribunaux pour oserpublier des petites annonces de rencontre. Ces militants qui vont devenir desjournalistes, appartiennent aux GLH, les Groupes de Libration Homosexuels, etprincipalement au GLH Politique et Quotidien de Paris. De nombreux responsablesdes GLH dans les rgions deviendront les correspondants de Gai Pied.GLB

Quelques mois plus tt, un camp d't avait runi les protagonistes de ce projet,au Maazel, en Provence. Nous avions annonc ce camp d't et de travail notammentpar une petite annonce dans Libration. La police s'en tait inquite, qui tait venuenous rendre visite dans ce manoir du XVIIe sicle moiti en ruines que sonpropritaire, un ami d'Avignon, nous avait laiss pour l't avant de le mettre envente, dfinitivement ha par tout le pays. Nous y vcmes une trentaine, avec unefte tous les soirs. Une nuit, tous les pneus de nos voitures furent lacrs. Sur la placedu village, un car de police nous observait ostensiblement l'heure du pastis. Maisnous avions l'habitude, et nos runions de travail, en journe, furent trs fructueuses.Nous n'avions pas lieu d'tre intimids par une certaine hostilit locale, car ce n'taitpas notre premier camp d't. J'avais dj chroniqu sur une page entire dansLibration celui de l'anne prcdente avec nos amis d'Amsterdam les Rooie Flikkers,un rassemblement qui avait galement suscit quelques secousses telluriques en pleinpays du Quercy.GLB

Pour ce projet de journal, nous disposions du soutien de nombreux intellectuels.Ils avaient t trs attentifs nos annes prcdentes d'agitation politique,notamment en janvier 1978 lors du festival de films de la Pagode, lorsque nous avonst la fois victimes d'une interdiction gouvernementale, de l'attaque d'un



commando d'extrme-droite et de deux manifestations de rue rprimes par la police,l'une aux Tuileries et l'autre en pleine nuit rue Sainte-Anne.GLB

Guy Hocquenghem et moi-mme tions alors candidats Paris et en campagnepour les lections lgislatives de mars 1978, avec galement Alain Secou et FranoisGraille. L'attaque du deuxime festival de films gais et lesbiens de Paris, aprs celuide Frdric Mitterrand dans le 14e arrondissement, n'tait pas anodine car elle nousvisait : aprs avoir frapp les spectateurs et emport la caisse, les nonazis nousavaient en effet physiquement menacs dans un communiqu de presse. Pendant lacampagne nous ne dormions plus chez nous.GLB

Nous demandions principalement l'abrogation de l'article 331 du marchalPtain. Notre but : que les mdias relaient notre revendication. De nombreux articlesde presse concernant nos candidatures nous sauvrent la mise tandis que nousn'esprions rien du rsultat des urnes, n'ayant mme pas de bulletins de vote. De sonct, le snateur Caillavet nous entendit le premier, qui dposa pendant cettecampagne lectorale une proposition d'abrogation de cette loi vichyste. Lesintellectuel/les nous avaient alors soutenu, telle cette ptition concernant noscandidatures homosexuelles, signe notamment par Xavire Gauthier, Arrabal, Jean-Louis Bory, Yves Navarre, Copi, Gilles et Fanny Deleuze, Flix Guattari, Ren Schrer,Maurice Nadeau, Madeleine Renaud, Christiane Rochefort, Simone de Beauvoir,Andr Glucksmann, Marcel Carn ou Marguerite Duras. Ils continurent donc noussoutenir. GLB

Au cours d'un de nos dners d'amiti, je parlai de ce projet de presse auphilosophe Michel Foucault. Je maintiens qu'il me proposa lui-mme le titre de GaiPied pour ce mensuel. Il crivit dans le premier numro un article sur leshomosexuels et le suicide. En outre, avant Gai Pied, pendant Gai Pied et aprs, ilrpondit toujours positivement toutes mes demandes d'entretien. Dans le numrodeux et le numro trois, un grand entretien avec Jean-Paul Aron interdira galement la censure de frapper. Puis Tony Duvert proposera des mots croiss et Yves Navarreune chronique culinaire. Pour fter dignement la premire anne de Gai Pied, Jean-Paul Sartre acceptera un long entretien qui permettra notre journal d'acqurir une



audience consquente de qualit et de rfrence au del de nos rseaux.GLB

Ce "paratonnerre" de soutien intellectuel et culturel de Gai Pied, ainsisolidement mis en place, permit pendant des annes, malgr des photos, des rcits,des petites annonces ou des opinions qui dcoiffaient, ce journal sulfureux auquels'identifiait toute une gnration, de ne pas tre inquit par la justice. J'ai souvenirqu'un jour, au hasard d'un entretien pour le Gai Pied, le ministre de l'Intrieur GastonDeferre nous avait fait gentiment savoir en off qu'il nous faudrait des fois relirecertaines petites annonces qui risquaient tomber sous le coup de la loi. Et quand,presque dix ans plus tard, un de ses successeurs l'Intrieur crut avoir enfin la peaude Gai Pied, Charles Pasqua fit une lourde erreur, le ministre de la culture de sonpropre gouvernement, Franois Lotard, se dsolidarisant de cette censure de pressemoraliste d'un autre ge. L'affaire fut enterre, au dpit de tous les homophobes de laclasse politique. GLB

L'quipe fondatrice de Gai Pied avait par ailleurs choisi de faire une coupureentre journalisme et militantisme. Cela ne fut pas toujours bien compris. J'avais pourma part, au sortir des prouvantes lections lgislatives de 1978, dmissionn du GLHet sign un tmoignage dans Libration au titre d'inspiration situationniste : "De lamisre relationnelle en milieu mili-tante". Une fois ce projet de presse ficel, noussommes alls dans l'automne 1978 le prsenter une runion nationale homosexuellenon loin de Lyon o se retrouvaient les GLH des rgions et les CHA, le ComitsHomosexuels d'Arrondissement de Paris, qui avaient succd au dernier GLH deParis, le GLH PQ. Nous avons dclar que, ce projet tant galement professionnel,nous souhaitions dgager du salariat pour consolider cette aventure. L'ide que notreengagement social ose s'appuyer sur du salariat offusqua de nombreux militantshomosexuels. La sortie des annes soixante-dix tait dcidment difficile. C'estpourquoi, dans l't 1979, tandis que la premire universit d't de Marseilles'ouvrait et que Gai Pied tait dj en kiosque, Jacky Fougeray, rdacteur en chef deGai Pied et moi-mme dcidmes de plutt nous rendre Francfort pour lerassemblement du mouvement homosexuel allemand, dans un campus universitaireavec Gay Pride dans la ville.GLB



Le CUARH fut fond cette premire UEH de Marseille. Entre les anciensmilitants de Gai Pied et ceux du CUARH s'exprimera souvent un rapport aigre-douxavec de nombreux droits de rponse. Le CUARH, hormis faire abroger l'article 331, cequ'il russit par des manifestations incessantes, dcidera de lancer son propremensuel, Homophonies, sans doute insatisfait de la place que lui laissait le Gai Pieddans ses colonnes. Refusant longtemps de publier des annonces de rencontre ou desnus masculins qui agressaient les lesbiennes du journal du CUARH, Homophonies,alors qu'il abordait vaillamment comme nous la dlicate question de la pdophilie,critiquera galement l'insuffisante mixit de Gai Pied, ses photos qui exhibaient dessexes masculins et ses petites annonces par trop sexistes, sans vouloir comprendre ledfi ainsi port face la censure.GLB

Toutefois, tout le temps o je dirigeai Gai Pied Hebdo, une chronique lesbiennefut rgulirement publie, libre d'expression, et mme si nous savions que laproportion de lesbiennes qui lisait notre hebdomadaire tait extrmementminoritaire, de l'ordre de 1 2%. Plus largement, j'ajouterai qu'en quatre ans dedirection de Gai Pied, je ne subis jamais un procs pour falsification de propos oupour obstruction la libert d'expression. Je m'en honore alors que plusieurscentaines de personnes, connus ou inconnus, publirent leurs crits dans Gai Piedentre 1979 et 1983.GLB

Le contenu de Gai Pied se partageait entre l'information internationale,politique et des rgions, la critique culturelle, le soutien de nombreux artistes, lespetites annonces et le courrier des lecteurs que je suivis personnellement quatre ansdurant, changeant notamment avec le malaise grave de certains d'entre eux. Carpour moi, Gai Pied tait d'abord le journal de ses lecteurs. Tous les ans, desrencontres avaient lieu dans les principales villes de France, et je sautais souvent dansdes trains pour rencontrer ceux qui ne vivaient pas les facilits de la vie parisienne,pour entendre aussi les critiques de lecteurs qui le trouvaient trop ou pas assezmilitant.GLB

Question finances, le dmarrage de Gai Pied avait bnfici pour son lancement



de traites solidaires concernant l'imprimerie de la Ligue CommunisteRvolutionnaire. Il avait galement bnfici de plus d'un an d'hbergement dansmon appartement du 188 Boulevard Voltaire, temps au bout duquel nous pmeslouer une minuscule boutique au 64 de la rue de la Folie Mricourt avant d'investir,dans les annes Mitterrand, le local plus confortable du 45 de la rue Sedaine, toujoursdans le onzime arrondissement de Paris. Quant au premier salari, ce fut lestandardiste qui cumulait galement les fonctions d'accueil, d'information etd'orientation. Le succs sera au rendez-vous, rvlant galement des vocations,confirmant des intelligences et des carrires journalistiques. Les ventes mensuelless'levrent plus de 30.000 exemplaires au printemps 1982.GLB

Un insidieux dbat, celui de l'argent, fera basculer l'histoire de ce journal.D'abord trs rticent, je finis par admettre qu'un passage l'hebdo de ce mensuel nepouvait qu'accrotre sa force d'impact au niveau politique et mdiatique. Mais lerythme publicitaire s'emballa. On me signala amicalement qu'une publicit valait desmilliers de lecteurs potentiels. Il fallait choisir entre un lectorat dsormais captif maispas exponentiel et les ressources faramineuses d'un champ publicitaire qui s'ouvrait.Pourtant, et malgr mes efforts notamment auprs des diteurs, cette utopie marquarapidement le pas. La manne publicitaire se limita donc suivre l'expansionconomique du milieu gay dont nous avions ouvert et soutenu bon nombre denouveaux espaces de libert en tant que militants, quelques annes auparavant. A ladirection, m'inquitant d'une mdiocrit qui nous menaait, un responsable dujournal me rpliqua : "Aprs tout, les homosexuels n'ont que la presse qu'ilsmritent!". Les lecteurs taient injuris, les journalistes taient humilis.GLB

Avec le passage l'hebdo, l'automne 1982, la publicit gay avait tout envahi : lacouverture, des publi-reportages qui copiaient notre maquette, les pages deconsommation qui renvoyaient la publicit, des fausses petites annonces, etc. DavidGirard y faisait paratre prix d'or ou par complicit des encarts ("David, 20 ans,masseur") qui ressemblaient fort de la prostitution. Nous n'avons jamais retrouvson diplme de kinsithrapeute au tribunal de commerce. Du coup, de nombreuxprostitus demandaient leur tour tre publis. En tant que grant et directeur de la



publication, je risquais des peines de prison ferme pour proxntisme. Je demandaisdonc la dmission du responsable de la publicit, que j'obtins. Mais je n'eus jamaisaccs aux stratgies des ngociations publicitaires. C'est alors que je me posai laquestion de continuer tre responsable d'un bateau ivre.GLB

L'on indiqua galement l'quipe journalistique qu'il fallait cesser de critiquerdes tablissements qui annonaient dans le journal. Certains saunas et certainesboites de nuit, qui annonaient grassement dans notre hebdomadaire, pratiquaientpourtant le racisme ou la discrimination de l'ge. Politiquement au sens large, cen'tait pas plus simple. La clbre couverture de Mitterrand avec sa dclaration etl'interrogation sur sept ans de bonheur fut chrement acquise en direction. Plus tard,lors des massacres de Sabra et Chatila, aprs une pique protestation, on nous permitde publier in extremis un article qui tait rest longtemps bloqu la direction alorsque Le Monde publiait en une un clbre reportage de Jean Genet sur cette tuerie etprsent parmi ces cadavres.GLB

Nous devions cesser d'tre politiques. Notre pass militant n'tait plus voqu,mme entre nous. Comme un pass honteux, alors que la modernit nous appelait. Deplus le rythme hebdomadaire obligeait l'quipe journalistique crire pour quatre oucinq numros l'avance. L'actualit n'avait plus de hirarchie, de sens, de relief alorsque le militantisme tait en crise et que le sida n'allait pas tarder faire sesravages.GLB

En juillet 1983, nous fmes une trentaine dmissionner de Gai Pied et noussommes venus nous en expliquer ici, devant l'universit de Marseille. Nous avionsimprim en 24 heures un petit journal d'explication intitul "Gai Pied au cul". Unvote en Assemble Gnrale nous avait mis en minorit au terme de bataillesfrontales d'une rare violence psychique et verbale, assorties de menaces sociales. L'AGavait dsavou la majorit des journalistes. Je fus le seul la direction soutenir leurprotestation et le seul salari dmissionner avec eux. Les autres votrent,notamment les administratifs et les investisseurs, arguant de la fragilit financire dujournal contre notre projet de restaurer une thique journalistique en pril dans cette



historique aventure. Mais il tait trop tard : Foucault, Fernandez, Aron ou Duvertavaient dj cess de collaborer.GLB

Nous dmissionnons aussi car nous pensons que nos lecteurs sont abusschaque semaine. Parmi ceux et celles qui dcident de quitter ce journal, il y aFranoise d'Eaubonne, Yves Navarre, Olivier Drouault, Dominique Robert, Yves Edel,Jean Georges, Antoine Perruchot, Anglique Kouroulis, Daniel Gurin. Il y agalement la totalit des correspondants rgionaux dont Yves Chatelier, GeorgesAndrieux, Pierre de Sgovia, ou internationaux comme Jordi Petit Barcelone,Dennis Altmann Sydney, Philippe Adam Berlin ou Alain-Emmanuel Dreuilhe New-York. L'affaire fit grand bruit : dans la presse franaise, on n'avait jamais vu unetelle quipe, soit plus de trente personnes, claquer ainsi la porte, et un fondateurdmissionner de son propre journal. Contrairement au procs contre Hersant quivenait d'avoir lieu concernant Le Figaro, notre quipe journalistique ne put fairevaloir la clause de conscience. Le tribunal estima sans doute qu'il s'agissait l d'unequerelle interne.GLB

Gai Pied va selon moi devenir alors mdiocrement parisien, tout juste bon faire rver la province comme ceux qui n'osent pas ou ne peuvent pas avoir cette viede rve gay, visibles le jour et branchs la nuit. L'ennui s'installe. Les pages de modesuccdent aux confidences rotiques. Des reportages colonialistes nous parlent degarons pas chers sous le soleil. Un quatre pages photo orne dsormais les pagescentrales. Des gays panouis et si possible clbres se font photographier dans leursintrieurs parisiens. L'crivain Jack Thieuloy nous explique que si on drague unmexicain, mieux vaut planquer son porte-feuille. Le suivisme politique fait le reste.Dsormais, des milliers de lecteurs n'achtent plus Gai Pied que le rythmehebdomadaire a de plus drout. Car il n'y avait pas, loin s'en faut, d'informationhebdomadaire de l'homosexualit. A moins que cette dcision soit celle de fairecracher quatre fois par mois les annonceurs comme les lecteurs. Un rythmeinsoutenable. Finalement, on n'achte Gai Pied que de temps en temps, environ unesemaine sur trois. Cela dpend aussi de la couverture, et si elle n'est pas sexy ou titresur le sida, les vente chutent. Gai Pied est dans le pige qu'il s'est construit. Le



gupier que j'avais invent avec Michel Foucault se refermait sur lui-mme.GLB

De son ct, l'quipe sortante tentera de lancer en 1984, ds l'anne suivante, unmensuel sur l'identit masculine dans l'axe des rflexions d'Elisabeth Badinter quicrira un ouvrage fondamental quelques annes plus tard intitul "XY". Avec monami Pierre de Sgovia, j'avais par ailleurs suivi aux Hautes Etudes des rflexions surce sujet et crit un essai que nous avions soumis Michel Foucault pour une prface,mais c'tait quelques mois avant sa disparition. Il s'agissait pour nous, comme pour laphrase qui servait d'exergue Gai Pied, d"chapper au gupier des ghettos".Travailler par exemple, et non plus seulement au sein d'un mdia gay, la question denotre genre davantage qu' celle de notre spcificit rotique. Malgr ses apparences,ce projet tait profondment fministe. Le titre de ce mensuel en kiosque s'intitulaitProfils. Il parut avec des articles de Jean Baudrillard, Nicolas Brhal, DominiqueFernandez, Yves Navarre, Juan Pineiro ou Claude Olievenstein. On y retrouvegalement les premires contributions de jeunes journalistes comme Christine Bravoou Christophe Martet. Philippe Brooks avait de son ct retrouv le dernier interviewde Roland Barthes, que nous avons publi.GLB

L'chec de Profils fut patent, qui ne tnt que deux numros et qui me convoquadevant les tribunaux avec 100.000 euros de dettes potentiellement imputables surmes biens personnels. En fait, il n'y avait pas de lectorat : les gais s'attachaient de plusen plus leur frache libert identitaire, et les htrosexuels n'avaient toujours pasdigr les irruptions sociales du fminisme et de l'homosexualit masculine.GLB

En outre, aucun soutien mdiatique ne parla de cette tentative de presse. Lesjournaux gays ne dirent pas un mot au sujet de cette aventure de presse, saufvidemment quand le titre fut dcd, pour trangement regretter qu'une parole ainsidisparaisse. J'avais pour ma part annonc en 1982 le lancement de Samoura dansGai Pied malgr de virulentes rticences de l'quipe de direction : un simple respectd'information, quand bien mme cela ferait de la publicit pour un concurrent. Lapresse homosexuelle utilisa le mme procd d'touffement quand je lanai ensuiteMec Magazine en 1988 ou la revue culturelle h en 1996, un trimestriel qui existera



deux ans et qui est davantage cit dans les ouvrages de rflexion aujourd'hui qu'hierdans les magazines gais d'alors. Aujourd'hui la presse masculine en kiosque, enregard de Profils il y a presque vingt ans, se porte bien. Nous avions eu raison troptt, et cela se paye toujours trs cher.GLB

Dans l'ditorial de Gai pied au cul, ce journal pirate rdig par lesdmissionnaires de Gai Pied et notamment diffus au sein de l'UEH de 1983, j'avaispronostiqu que le Gai Pied avait dsormais son sida. Il survivra toutefois durantpresque dix ans, mais sous perfusion financire du minitel, principalement le 3615GPH, un rendez-vous lucratif complt par Gai Pied voyages, par Gai Pied boutique,ou par des ventes d'albums photographiques l'chelle europenne. Gai Pied n'taitplus qu'une grande surface de consommation, aux rayons fournis, aux antipodes destextes fondateurs du mouvement homosexuel. Pour autant, la concurrence tait l,qui menaait. L'alli d'hier, David Girard, s'tait son tour lanc dans la pressehomosexuelle gratuite puis en kiosque, avec pas moins d'une demie douzaine detitres. La direction de Gai Pied se lana alors dans la diffusion dans tous les lieux gaisd'un gratuit, Paris Capitale. Ce sera un gouffre financier, comme pour de nombreusesautres aventures de la SARL ditrice de Gai Pied, les Editions du Triangle Rose. Sonlectorat, pour un titre toujours leader sur le march entre 1985 et 1990, se feracontradictoirement de plus en plus restreint. Il est vrai qu'issus d'une premirescission de Gai Pied en 1981, Jacky Fougeray, Ren de Ceccaty, Gilles Barbedette etleur quipe, en lanant Samoura puis Illico, avaient dj corn le monopole de GaiPied en kiosque.GLB

A partir de 1984, l'quipe restante de Gai Pied rappelle volontiers dans sescolonnes son glorieux pass, mais la censure s'tait installe. On vite de citer le nomde quelques fondateurs ou dmissionnaires. Pour les dix ans de Gai Pied parat en1989 un numro spcial qui voque sur des dizaines de pages l'histoire incroyable dece journal. Le lisant, je ralisai que j'avais disparu, que je n'avais jamais exist. Uneprotestation de Daniel Defert, parue quelques numros plus tard, s'tonnera dans lecourrier des lecteurs que la direction de Gai Pied ose gommer ceux qui ne leur



plaisent pas ou plus en pratiquant le gommage de l'histoire comme les staliniensretouchaient leur photos pour faire disparatre les opposants victimes de leurspurges.GLB

Mais le pire n'tait pas encore arriv. Ma disparition de la mmoirejournalistique avait amplifi la rumeur de mon dcs par le sida dont certains mesavaient atteint. Ruin et isol, je ne frquentais alors plus les lieux gais o seconstruisent les rumeurs, o se font et se dfont les rputations et les jugements l'emporte pice. Poussant parfois la porte d'un bar, j'apprenais que l'on tait biencontent de me voir, m'ayant cru emport depuis longtemps par l'pidmie. On n'avaitpas attendu que je sois mort pour m'enterrer. Parfois, quand d'autres se prsentaient l'entre de Gai Pied rue Sedaine, des tudiants, des journalistes ou certainschercheurs trangers qui souhaitaient me rencontrer apprenaient galement que jen'tais plus de ce monde.GLB

La protestation de Daniel Defert, fondateur de l'association Aides, ne changearien cette dtestable attitude, aux antipodes de tout respect des tres et de l'histoire.Trois ans plus tard, un best off des plus importants articles de Gai Pied fut dit. Simes entretiens avec Jean-Paul Sartre ou Michel Foucault figuraient en bonne place, ilavait t dcid que je ne devais pas tre au courant de cette parution. J'ai souvenird'avoir perturb le cocktail de lancement de cet ouvrage au Cirque d'hiver. On finitpar m'offrir deux numros du best Gai Pied avant que je ne sois expuls par le serviced'ordre, mon ami Emeric tentant de s'interposer toute brutalitsupplmentaire.GLB

Je me suis depuis beaucoup interrog sur la haine, la ngation de l'autre et lempris de l'histoire. Cela a sans doute enrichi mes critures, dans ces annes-l, sur laquestion de la dportation. Des annes plus tard, au dbut des annes 90, quand jerejoignis nouveau le mouvement homosexuel pour la Gay Pride ou pour lelancement du Centre Gay et Lesbien de Paris, Gai Pied Hebdo tait toujours enkiosque, qui ironisa cruellement chaque semaine sur ces ralisations associatives etcollectives, attisant les rivalits entre les associations. Parfois le journaliste de GaiPied restait la porte de nos discussions tant nous savions le sort rserv nos



initiatives de la part d'un journal qui tait pourtant directement issu de la dynamiquedu mouvement homosexuel.GLB

L'avant dernier numro de Gai Pied se vendit moins bien que le premiernumro, treize ans plus tt. Il tait temps de fermer boutique, ce qui fut fait enoctobre 1992, au 541me numro. La pompe financire du minitel n'avait pas cessd'ponger les dettes et n'en pouvait plus. Ce n'tait plus un journal, c'tait un mdiaassist par des ressources indirectes. Le rapport au lecteur tait falsifi d'autant. Unedernire formule avait bien t lance, Eric Lamien ayant eu mandat d'inventer unnouvel axe journalistique, beaucoup plus militant, avec un pliage qui rappelait lespremiers numros. Il s'y puisa car les militants ne revinrent pas et les dernierslecteurs n'y comprirent plus rien. L'quipe se laissa licencier en obtenant de prendrela parole dans les derniers numros, chacun racontant son histoire avec Gai Pied. Ceton motionnel empcha sans doute une occupation des locaux ou des procssanglants comme lors de notre scission. Aprs quelques dernires tentatives de pressehasardeuses comme Projet X ou Caf et aprs la vente de son rseau minitel, l'empireGai Pied finit par tre liquid. Reste le dbat sur les archives de ce journal,historiquement prcieuses mme si elles ne fonctionnent plus depuis dix ans. Ellessont actuellement en ngociation pour le projet du CADHP, le Centre d'Archives et deDocumentation Homosexuelles de Paris, qui devrait ouvrir d'ici deux ans dans notrecapitale.GLB

De plus, quittant en 1983 la dynamique politique et associative pour une stricteexploitation du crneau gay, Gai Pied ne sut pas trs bien quoi faire de sa gestionindirecte de certains rendez-vous de cette gnration et la drive depuis la fin duCUARH. Un temps, Gai Pied les assuma, ce qui le relia absurdement son histoireancienne le bal du 14 juillet sur les quais de la Seine, le guide Gai Pied, le service GaiPied emploi, le salon des associations gaies et lesbiennes ou un soutien logistiqueannuel l'laboration de la marche homosexuelle.GLB

Plusieurs questions perdurent concernant les "Annes Gai Pied" comme on ditparfois. La premire d'entre elles concerne le sida. Aurions-nous dmissionn si nous



avions ralis l'ampleur de cette pidmie? En 1983, le virus venait tout juste d'treidentifi par l'quipe du professeur Montagni et les voies de la contaminationvenaient peine d'tre dfinies, et le test n'existait pas. L'AZT puis les trithrapiestaient encore trs loin. Nos amis n'taient pas encore dcds de faon violente etrapide comme ce sera le cas jusqu' la fin des annes 80. De plus, le dbat qui nousavait oppos tait un dbat politique.GLB

Ce n'tait pas un dbat de sant publique ou communautaire, comme on a pu lelire par erreur. Nous avions publi ds les premiers numros de Gai Pied denombreux dossiers mdicaux, mais ils taient plutt prophylactiques, autour desMST. D'autres articles taient axs sur l'histoire de la rpression mdicale ou sur lecoup de main habituel que les mdecins et les sexologues fournissaient depuis desdcennies aux familles et l'ordre moral. Concernant ces annes, on voque souventles critures hasardeuses du prsident de l'AMG, l'Association des Mdecins Gais,dans Gai Pied. On parle moins de l'interview que j'avais alors ralis, celui d'unmalade du sida, le premier dans la presse franaise, ds juillet 1982. Les mdecins quicrivaient dans le journal avaient tent de me persuader de ne pas faire cetterencontre, qui eut lieu chez lui, rue de Clignancourt. Il dcdera rapidement. Bienplus tard, aprs quelques propos irresponsables de Guy Hocquenghem dans Gai Pied,une chronique du quotidien du sida, anime par Franck Arnal et Pierre Kneip sera unvritable soutien pour les personnes atteintes. Nous, quipe sortante, n'avons mesurque plus tard l'ampleur de la catastrophe. Mais nous n'tions plus Gai Pied. Et nousavons unanimement regrett que ce journal emblmatique de par son lien atypiqueavec ses lecteurs ne choisisse pas d'tre un vecteur convainquant pour tre au centred'une vigoureuse incitation la prvention contre le sida.GLB

Quelques mois aprs cette dmission collective, les contacts entre ceux quirestaient Gai Pied et l'association Aides, qui venait de se fonder en 1984, serontcatastrophiques. Pour ma part, je m'tais investi comme volontaire Aides ds 1985,charg avec Frdric Edelmann et Jean-Florian Mettetal de l'information dans lesbars gays du Marais. En 1985 galement, deux ans aprs notre dmission de Gai Pied,nous vnmes l'Universit d't de Marseille, avec Daniel Defert, o Gai Pied tait



absent, expliquer ce que nous commencions savoir et comprendre du sida, nonsans rencontrer de vritables rsistances auprs de certains militants.GLB

Plus tard, avec les associations gaies et lesbiennes de Paris, nous pmesreprendre pied dans une Gay Pride dvoye par d'uniques slogans publicitaires. GaiPied n'appelait mme plus participer la marche. Je fus lu dmocratiquement en1988, avec Catherine Marjollet et Dominique Touillet, au bureau d'une Gay Prideparisienne qui deviendra ensuite nationale et rgionale, et qui connait aujourd'hui lesuccs que l'on sait. L'anne suivante, en 1989, pour la premire fois, Aides dfileradans la marche ainsi qu'Act-Up, qui venait de se fonder. Le dialogue entre lemouvement homosexuel et celui de lutte contre le sida put ainsi reprendre. Il durerasept ans, avant de se briser nouveau sur l'opration coup de boule d'Act Up Paris ausidaction de 1996, qui ruina pour longtemps les associations de lutte contre lesida.GLB

Que conclure aprs ce bref expos sur l'histoire de Gai Pied, le premier que jefais ainsi devant vous, dix ans aprs sa disparition et presque vingt aprs madmission? Dire qu'il est toujours difficile d'en parler. Peut-tre aussi parce que GaiPied est devenu un mythe. Parce que son lecteur a eu un rapport motionnel, souventidentitaire avec ce journal. Pour moi, l'aventure de Gai Pied, en tout cas celle que j'aivcu, entre 1979 et 1983 est une des fierts de ma vie, dans le sens o ce journal agalement donn du courage, des rfrences historiques et culturelles ainsi que lesmoyens de se rencontrer ses lecteurs, c'est--dire toute une gnration qui osademander Gai Pied un jour un kiosquier. Cette aventure tait collective et faited'indniable courage, d'un ct comme de l'autre.GLB

La scission de 1983 me marque toujours pour ses doses de trahison, de volontd'oubli, de rejet et d'irrespect fondamental. Le Gai Pied tomba dans le gupier duconsumrisme, de la dsinformation et du parisiannisme. L'unique hebdomadairehomosexuel au monde des annes 80 et 90, est donc mort pour avoir abandonn sonprojet social.GLB



Gai Pied appartient l'histoire d'une gnration. Depuis, elle a sans doute vieilli.Mais je prfre me souvenir de cette gnration de militants, d'tudiants ou de jeunesenseignants qui se sont investis dans Gai Pied. Car ce journal a de plus t dans lemme temps une formidable cole de journalisme. Ces journalistes, qui sont restssolidaires, sont aujourd'hui dans tous les mdias radio, presse ou tlvisionimportants de ce pays. Mais mon motion est toujours l car autant les premiresannes de Gai Pied ont combl toute une gnration avec ce courage de se lancer dansl'criture et d'autres d'oser l'acheter en kiosque, autant nous restons tristes de cettefin de Gai Pied.GLB

Ce journal ne mritait pas cette fin. J'ai aim vous le dire.

Merci.

Jean Le Bitoux Fondateur de Gai Pied