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Université Paris 2 Panthéon-Assas DESS ASSURANCES 2002-2003 La sélection des risques en assurances de personnes Mémoire de fin d’année DESS ASSURANCES Frédéric THOMAS Directeur de Mémoire : Mme Françoise CHAPUISAT

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Université Paris 2 Panthéon-Assas DESS ASSURANCES 2002-2003

La sélection des risques en assurances de personnes

Mémoire de fin d’année DESS ASSURANCES

Frédéric THOMAS

Directeur de Mémoire : Mme Françoise CHAPUISAT

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SOMMAIRE Sommaire...............................................................................................................................3 Remerciements .....................................................................................................................6 Bibliographie.........................................................................................................................7 Introduction générale.................................................................................................... 13 Première partie : La faculté de sélection des risques pour l’assureur de personnes.. 20

Section 1 Les fondements de la sélection des risques par l’assureur de personnes ............................................................................................................... 21

§ 1 – Le fondement technique de la sélection des risques ........................ 22

A – Principe technique : l’équilibre de la mutualité....................... 22 B – Mise en œuvre technique : l’évaluation des risques................ 23 C – Aboutissement à une nécessité de sélection des risques ....... 25

§ 2 – Le fondement juridique de la sélection des risques pratiquée par l’assureur de personnes.................................................................................. 27

A – Théorie juridique ........................................................................ 27 B – Moyens juridiquement admis .................................................... 29

1 – Le questionnaire de risque............................................. 29 2 – Autres moyens d’appréciation du risque à évaluer ..... 34

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Section 2 La nécessité d’éviter la sélection adverse ................................................. 36

§ 1 – La sélection des risques de séropositivité .......................................... 40

A – Les prémices d’un droit bâti par la jurisprudence .................. 41

B – La convention d’assurabilité des personnes séropositives de 1991.............................................................................................................. 43

§ 2 – La sélection des risques aggravés........................................................ 46

Propos conclusifs ........................................................................................... 48 Seconde partie : Les limites à la sélection des risques pour l’assureur de personnes50

Section 1 Les limites à la sélection des risques en assurance « prévoyance »52

§ 1 – La sélection collective du risque ......................................................... 53 § 2 – La sélection individuelle du risque en assurance collective............. 54

A – L’ « institution » des contrats de prévoyance à adhésion obligatoire ........................................................................................... 54 B – Les effets attachés à cette institution ....................................... 56

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Section 2 Les limites à la sélection des risques en assurance de personnes en général : l’assurance soumise à l’éthique ................................................. 62

§ 1 – L’interdiction faite aux assureurs de tirer profit des données issues de la génétique individuelle..................................................................................... 64

A – La génétique, un moyen de sélection des risques inacceptable du point de vue éthique .......................................................................... 65 B – L’interdiction juridique de l’utilisation des tests génétiques en sélection des risques........................................................................... 70

1 – Au niveau international .................................................. 70 a – Au niveau du Conseil de l’Europe b – Au niveau des Nations Unies c – Au niveau du Parlement Européen d – Portée de ces contributions internationales

2 – En France, au niveau professionnel ............................. 73 3 – L’intervention du législateur français ........................... 74

§2 – Le secret médical, un droit absolu de l’assuré même lors de la sélection des risques ....................................................................................................... 76

A – Le secret médical lors de la phase de sélection des risques .. 79 B – L’incidence du secret médical sur la sélection des risques lors de la réalisation du sinistre ..................................................................... 80

Conclusion générale ...................................................................................................... 86 Annexes .............................................................................................................................. 90

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REMERCIEMENTS Je tiens à remercier tout particulièrement Monsieur le Professeur LEVENEUR ainsi

que Madame CHAPUISAT de m’avoir permis d’effectuer ce DESS Assurance.

Cette formation m’aura permis d’acquérir une technique juridique adaptée au monde de

l’assurance ainsi qu’une expérience particulièrement appréciable.

Je souhaite témoigner de ma reconnaissance à toute l’équipe d’ALBINGIA qui m’a

apporté son aide, sa motivation et sa bonne humeur.

Je tiens en particulier à remercier Madame Marie-France PEZENNEC d’ALBINGIA

ainsi que Monsieur Jérôme DULON d’AVENTIS qui m’ont aidé dans mes recherches.

Mes remerciements s’adressent également à ma famille ainsi qu’à mes amis du DESS

sans les qualités humaines desquels cette expérience ne se serait pas déroulée dans

d’aussi bonnes conditions.

Frédéric THOMAS

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BIBLIOGRAPHIE I. Généralités sur la sélection des risques Ministère des Affaires Sociales et de la Santé, séminaire « Prévention et Assurance ». LAMY Assurances 2003, Editions Lamy. Ch. GIGNOUX « Sélection des risques dans les assurances sur la vie », Paris, 1939. Aventis Pharma « Les répercussions de l’état de santé des patients sur leurs contrats d’assurances » by Sylvie SUET (online content). LAITIER Jean Daniel « Les clés de l’assurance vie – Produits et techniques » Editions SEFI. MOLARD Julien « Le langage des assurances » Editions Méthodes et Stratégies. Mémento « Assurances » Editions Francis Lefebvre. Dictionnaire Permanent « Assurances », v° « Assurance vie individuelle », Editions Législatives. Dictionnaire Permanent « Assurances », v° « Contrats emprunteurs », Editions Législatives. FFSA « Comprendre l’assurance vie » (internet content) FFSA « Recommandations de la FFSA sur les contrats d’assurance vie », 17 décembre 2001. DELPLANQUE « La sélection des risques – Les surprimes » CHABANNES Jean-Antoine « Le manuel de l’assurance-vie » Tome 1. MAYAUX Luc « Ethique et offre d’assurance » rapport au colloque de l’AIEFFA du 27-28 avril 2000, RGDA 2000 n°2 p.453 LAMBERT-FAIVRE Yvonne « Droit des assurances » 11e éd. Dalloz.

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FFSA « Assurance santé : quelle sélection des risques ? » Les entretiens de l’assurance 2001. « Ignorance et assurance » colloque de l’AIDA, Bull. Lamy n° 48, février 1999, p. 1. Cour de cassation « Arrêts de la Cour de cassation ». KULLMANN Jérôme « note sous arrêt Cass. Civ. 1e 8 juillet 1994 Calvez c/ AGF », RGAT 1994 n° 4, p. 1089. II. Anti-sélection, séropositivité, SIDA et risques aggravés Ministère de l’Emploi et de la Solidarité « Rôle de l’assurance privée dans la prise en charge de la dépendance ». Comité Consultatif National d’Ethique, « Avis sur les problèmes éthiques posés par la lutte contre la diffusion de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) », Rapport n° 14, 16 décembre 1988. Etienne DE DARDEL « Les risques aggravés en assurance sur la vie » Editions L’Argus 1952. « Assurabilité des risques aggravés », SCOR Regards n°1, janvier 2002. « VIH et couverture d’assurance », SCOR Newsletter Technique Vie n°1, janvier 2002. « Alcoolisme et assurance de personnes », SCOR Newsletter Technique Vie n°3, mars 2002. « Fumeurs / Non-fumeurs – Construction d’un tarif segmenté », SCOR Newsletter Technique Vie n°5, juin 2002. « Les incidences des attentats du 11 septembre 2001 sur les pratiques en assurances de personnes », SCOR Newsletter Technique Vie n°6, septembre 2002. « Sportifs professionnels – Evaluation et couverture du risque », SCOR Newsletter Technique Vie n°11, mars 2003. LACAN Arnaud « La mutualité d’assurances : une gestion sociale du risque », Deuxièmes rencontres inter-universitaires de l’Economie sociale et solidaire, février 2002. Conseil National du SIDA, Communiqué de presse sur l’avis « Assurance et VIH », 5 octobre 1999.

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DOS SANTOS PINTO SERRÃO Daniel, contribution aux Auditions de la Commission temporaire « Génétique humaine et autres nouvelles technologies de la médecine moderne », European Parliament, Audition du 26 mars 2001, Doc n° DV/435214FR et DV/435446FR. REUTER Lars, contribution aux Auditions de la Commission temporaire « Génétique humaine et autres nouvelles technologies de la médecine moderne », European Parliament, Audition du 15 mai 2001. MAURON Alexandre, contribution aux Auditions de la Commission temporaire « Génétique humaine et autres nouvelles technologies de la médecine moderne », European Parliament, Audition du 26 mars 2001, Doc n° DV/434777FR. V. Secret Médical FONLLADOSA Laetitia « La preuve d’une exclusion de garantie anéantie par le secret médical » note des arrêts Cass. Civ. 1e 6 janvier 1998 n° 95-19.902 et 96-16.721, Bull. Lamy n° 39 avril 1998 p. 1. Me DURRIEU-DIEBOLT « Les droits et obligations du médecin » Base de données Sos-net (internet content). Ordre National des Médecins « Commentaires du code de déontologie médicale » (internet content, ordmed.org). « Rapport de la Cour de cassation pour 1999 » v° « Fausse déclaration du risque et secret médical », Bull. Lamy n° 63, juin 2000. p.1. ESPER Claudine « Le secret médical : le principe » v° Textes. Publ. Université Paris 5 (internet content). HIPPOCRATE « Connaître, soigner, aimer – Le Serment et autres textes » Collection Points, Editions du Seuil. « Code de déontologie médicale » Publ. Journaux officiels, 2000.

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La sélection des risques

en assurances de personnes

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« Moi je ne comprends qu'une chose : plus faibles sont les risques, meilleure est l'entreprise ». Sophocle (Philoctète, in Théâtre complet, p.223, Éd. Garnier-Flammarion)

Le risque est inhérent à toute activité humaine. L’Homme n’est en effet jamais en

mesure de contrôler totalement les corps qui l’entourent. Cette affirmation s’illustre par

les nombreux développements qui ont pu être versés au débat entourant la théorie du

chaos : cet apparent désordre, cet apparent hasard, ne seraient-il pas en fait l’expression

des limites de la connaissance humaine sur la mécanique de son environnement ?

Force est de constater cependant que ces interrogations de l’Homme relatives à la

survenance des événements dans le milieu qui l’entoure ne se limitent pas à son seul

environnement : la première des incertitudes de l’Homme pèse sur sa propre existence.

Ainsi, l’Homme a toujours été conscient de l’aléa qui entourait les événements qui

l’affectent personnellement : sa vie, son décès, sa santé par exemple.

La tradition judéo-chrétienne, celle là que dénonce Nietzsche, attribuait la survenance

de ces événements à des manifestations divines. Dieu donnait la vie et la santé, mais il

pouvait les reprendre. De fait, la pensée ancienne s’inscrit dans une logique

d’acceptation et de résignation.

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Comment, dès lors, imaginer contrarier cette force surnaturelle en cherchant à s’assurer

contre le décès, l’invalidité, la maladie ? Comment pourrait-on imaginer « spéculer » sur

cette vie qui nous est offerte ?

Les mentalités ont évolué. L’assurance est apparue d’abord pour garantir des risques

matériels. Puis la notion d’assurance sur la vie est apparue. Hier contre nature, elle est

devenue aujourd’hui une véritable institution.

L’assurance sur la vie « historique », qu’il convient en fait de nommer assurance « en cas

de décès », est une catégorie d’assurance qui appartient à la branche des assurances de

personnes. Il n’existe pas de définition légale de ce type d’assurances. Le critère qui

permet de les caractériser est que le risque garanti est constitué par une atteinte à la

personne humaine.

Dans l’assurance liée à la durée de la vie humaine, ce sera la survenance du décès

(assurance en cas de décès), de la maladie (assurance maladie complémentaire, etc…),

de l’accident corporel (individuelle accident, garantie des accidents de la vie, etc…) qui

affecteront la personne de l’assuré dans sa chair. Une forme particulière d’assurance a

également émergé, qui relève de l’épargne et non de l’indemnisation, l’assurance « en cas

de vie ». Le risque de décès joue alors contre l’assuré. L’assurance peut également

combiner des garanties en cas de vie avec une garantie en cas de décès, il s’agira d’une

assurance mixte. Au surplus, le caractère indemnitaire ou forfaitaire est indifférent à la

qualification.

Ne saurait davantage priver de sa qualification d’assurance de personnes le fait qu’une

assurance semble avoir été contractée pour réparer les atteintes à un patrimoine tant

que l’élément incertain demeure corrélé à la vie au sens large de l’assuré. Relève donc

également des assurances de personnes l’assurance homme-clé ou l’assurance-

emprunteur.

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Nous venons à l’instant d’introduire l’élément fondateur de toute opération

d’assurance : l’existence d’un aléa . Sans aléa il ne peut y avoir d’assurance car

l’assurance a précisément pour objet de garantir des risques1.

Un des éléments de discussion que nous soulèverons dans nos développements sera de

déterminer quelles devront être les caractéristiques de cet aléa. Doit-il en effet

simplement affecter l’occurrence2 d’un événement ou peut-il simplement affecter la

date de cette occurrence, voire son intensité ?

Comme nous l’avons indiqué dans nos propos introductifs, la survenance de tels

événement liés à la vie humaine relevait à l’origine du sacré et était ainsi réputée ne

souffrir d’aucune logique. Les découvertes médicales (ainsi que leurs redécouvertes

ultérieures) ont amorcé la prise de conscience d’une certaine rationalité dans la

réalisation de ces risques. Le développement de thérapeutiques puis de mesures de

prévention a permis de mettre en avant l’emprise de l’homme sur ces risques.

Parallèlement, des études épidémiologiques, d’abord rudimentaires, puis de plus en plus

poussées, ont montré l’existence d’une certaine logique dans les risques et les facteurs

de risques. De fait, l’assurance de personnes n’est pas un outil sur lequel l’homme doit

renoncer à toute action.

Assureurs et assurés ont donc conscience que des événements, soit volontaires soit du

moins déterminables s’ils ne sont pas toujours explicables, ont ou peuvent avoir une

influence sur la réalisation du risque. Les individus ne sont donc pas égaux devant l’aléa

qui touche à leur personne.

Cette idée marque la nécessité pour les assureurs d’adapter leurs prestations à la

personne qu’ils garantissent. Si celle-ci représente en effet un supplément de risque ou

si au contraire sa vie semble soumise à un aléa de moindre intensité, convient-il de lui 1 « Danger, inconvénient plus ou moins probable auquel on est exposé » Petit Larousse. 2 Le terme d’occurrence devra dans nos développements s’entendre dans un sens statistique et désignant la

survenance unique ou répétée d’un événement.

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appliquer les mêmes conditions qu’aux autres assurés ? Dans le même ordre d’esprit,

doit-on accepter d’assurer une personne dont la vie ou l’intégrité physique sont

menacés à un tel point qu’il n’y a guère de doute dans la réalisation du risque ?

Pour répondre à cette question, il faut retourner à la définition même de l’assurance.

Une définition archaïque la décrirait comme un simple instrument de transfert à titre

onéreux d’un risque d’une personne sur une autre : « convention par laquelle, le prix

d’un risque ayant été convenu, l’un prend pour lui le risque de l’infortune de l’autre »3.

Le mécanisme connu aujourd’hui est cependant plus fin : il s’agit en effet de l’

« opération par laquelle une partie se fait promettre moyennant paiement, pour elle ou

pour un tiers, dans l’éventualité de la réalisation d’un événement aléatoire, une

prestation par une autre partie qui tend à effectuer, en utilisant des méthodes

statist iques , la compensation des effets de diverses éventualités analogues »4 . Cette

définition est fort riche et dense. Nous n’en développerons que les éléments utiles à

notre propos. Il transparaît que l’événement garanti doit être aléatoire, c’est à dire

comporter un degré d’incertitude, mais aussi une mutualisation de risques analogues.

Par analogue, nous pourrions simplement entendre des risques de même nature (décès,

incapacité, etc…). Il faut cependant observer que la technique de l’assurance impose de

répartir les assurés dans des groupes homogènes de risques. La compensation n’a de

sens en effet que s’il existe un certain équilibre entre les prestations des deux parties au

contrat, assureur et assuré. L’introduction d’un risque « hors normes » tend à rompre

cet équilibre.

Ce constat conduit à deux réflexions : L’assureur devra d’abord se prémunir contre une

répartition anarchique des risques qu’il a en portefeuille, ce qui implique qu’il ne doive

accepter que les risques pour lesquels il est à même d’opérer une mutualisation

suffisante ; i l devra donc procéder à une sé lec t ion des r isques qu’il accepte de garantir.

Ensuite, les personnes qui présenteront un risque supérieur à la normale, qualifié de

3 Définition de l’assurance de Pedro De Santarem, jurisconsulte portugais, 1552. 4 Définition de l’AFNOR (Agence Française de Normalisation).

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risque « aggravé », auront une nécessité plus grande encore de se voir garanties ; elles

auront donc une tendance naturelle à vouloir s’assurer, ce à quoi l’assureur devra être

attentif compte tenu des impératifs qui sont les siens et que nous venons de décrire.

La conclusion technique qui s’impose avec évidence est donc qu’i l incombe à

l ’assureur de procéder à une sé lect ion des risques qui lui sont soumis par les

souscripteurs.

Cette solution technique ne peut cependant totalement se déconnecter d’autres

considérations éthiques et sociales. Est-il en effet socialement juste d’exclure du

bénéfice d’une mutualisation ceux qui présentent les plus gros risques, c’est à dire, donc,

ceux qui en auraient le plus besoin ?

Cette donnée dépasse le cadre de la seule profession de l’assurance.

L’assurance, et celle de personnes en particulier, est devenue un produit de grande

consommation. En outre, elle est devenue un produit d’accès à d’autres formes de

consommation et est donc également un vecteur de socialisation. Quelle banque

accepterait en effet aujourd’hui de financer un prêt immobilier sans garantie ? L’accès à

la propriété est-il un droit ? Si oui, implique-t-il en corollaire un droit à l’assurance ?

En outre l’assurance de personnes étant intimement liée aux caractéristiques

physiologiques et pathologiques de la personne, il convient de déterminer dans quelle

mesure il peut être pris compte de ces données pour procéder à l’établissement – ou

non – d’une garantie d’assurance et selon quels termes.

Ces réponses ne peuvent appartenir aux seuls assureurs. Elles sont nécessairement le

résultat d’une contradiction des arguments en faveur de chacune des thèses. Or il

apparaît que l’excès de pouvoir dans l’un ou l’autre camp conduirait à la ruine de

l’équilibre subtil qui doit exister entre assureurs et assurés, faculté de sélection et droit à

l’adhésion.

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Aussi, la seule réponse à la recherche d’un équilibre réside dans la loi. Elle seule possède

en effet la légitimité et un pouvoir de contrainte suffisants pour faire en sorte que soit

institué un équilibre de risques entre les intérêts de chacun.

À chacun de nos propos il conviendra de confronter l’idée de bonne foi qui est une des

caractéristiques du contrat d’assurance. Cette condition fondamentale est présente dans

tous les contrats que connaît le droit privé (art. 1134 Code civil), mais elle se fait encore

plus nécessaire en matière d’assurance car l’assureur contracte en fonction des données

qui lui sont transmises par le souscripteur. Il est même fait référence à une notion

d’extrême bonne foi (uberrimae f idei)5. L’honnêteté de ce dernier garantit l’équilibre du

contrat tout comme celui de la mutualité. La loi, dont nous venons de dire qu’elle

cherche à ce que soit préservé un certain équilibre, devra donc aménager et moduler un

système de sanction apte à décourager les personnes animées de mauvaise foi et

pénaliser celles qui n’auront pas été découragées dans leur entreprise illicite.

De fait, la loi doit autoriser les assureurs à pratiquer une sélection des risques (première

part ie) afin de ménager un équilibre de risques (première sect ion), équilibre qui serait

particulièrement mis en péril par l’accès insoupçonné et incontrôlé de personnes

représentant des risques aggravés au sein de la mutualité (deuxième sect ion).

Pour autant, la loi ne doit pas laisser toute latitude aux assureurs de procéder à une

sélection des risques sans y poser des bornes (seconde part ie). Ce souci du législateur de

poser des limites strictes au pouvoir de sélection des assureurs se rencontrera

particulièrement dans une catégorie de contrats de prévoyance collectifs (première

sect ion), mais ne sera pas pour autant absente des contrats individuels ou même des

contrats d’assurance de personnes en général (deuxième sect ion) dans la mesure où le

législateur souhaite prévenir des dérives particulièrement graves et contraires aux

valeurs qui fondent notre société. Dans ces deux hypothèses, le législateur cherchera à

5 Picard et Besson, Traité général des assurances terrestres, Tome 1, LGDJ, n°110.

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répondre à des préoccupations sociales concernant la protection des salariés et leur

égalité de traitement, mais aussi la protection de la dignité des personnes malades6.

6 Alors que le droit à la dignité a été érigé par décision du 27 juillet 1994 du Conseil Constitutionnel en Principe à

Valeur Constitutionnelle.

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Première partie : La faculté de sélection des risques pour l’assureur de personnes

La sélection des risques constitue une étape fondamentale dans la création d’un

contrat d’assurance de personnes. Elle est intimement liée à l’étape qui la précède et

sans laquelle il n’y aurait pas de sélection possible : la déclaration du risque par l’assuré.

Ce binôme « déclaration – sélection » a pour finalité de permettre à l’assureur de

déterminer s’il accepte de garantir le risque qui lui est soumis. Dans l’affirmative, il

devra en déterminer les conditions en termes de tarif et d’exclusions supplémentaires

précisées aux conditions personnelles.

La loi permet en effet à l’assureur, compte tenu de la nature particulière des

engagements noués entre la compagnie d’assurance et les souscripteurs, de prendre des

mesures extraordinaires du Droit commun afin de garantir au mieux le risque proposé .

Nous nous proposons ainsi d’étudier les fondements de cette sélection dans une

première section de nos développements.

Pour autant, si dans la majorité des cas l’assureur se fie à la déclaration volontaire

de l’assuré quant à sa situation, il n’est pas limité à celle-ci et peut exiger des éléments

d’appréciation supplémentaires ou peut encore soumettre à l’assuré un questionnaire

complémentaire et plus ciblé.

Cette attitude de l’assureur se révèlera notamment soit lorsque celui-ci suspecte

une mauvaise foi de l’assuré, soit qu’il subodore un risque plus important que les

risques moyens qu’il garantit habituellement. Cela se révèlera particulièrement lorsque

l’assuré cherche à obtenir une garantie alors qu’il sait ou pense présenter un risque accru.

Cet aspect particulier de la sélection sera traité dans une seconde section.

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Section 1 Les fondements de la sélection des risques par l’assureur de personnes.

Les assurances de personnes qui sont soumises à sélection des risques sont celles qui

font supporter à l’assureur le risque de décès, invalidité, perte d’emploi, etc…À

l’opposé, dans les assurances en cas de vie, le risque de décès pèse sur l’assuré qui ne

percevra pas l’indemnité d’assurance s’il n’est plus en vie lors du dénouement du

contrat ; l’assureur n’a alors pas à opérer une sélection qui n’a aucun intérêt pour lui.

L’assureur qui s’engage à verser une indemnité – en dehors de l’assurance en cas de vie

– a donc tout intérêt à quantifier les engagements qu’il prend. Du sérieux avec lequel il

poursuivra cette détermination dépendront bien sûr ses propres résultats financiers,

mais aussi le montant de primes à collecter auprès de la mutualité de ses assurés (§1).

Cette impérieuse nécessité qui est aussi bien vitale que commerciale se conçoit avec

d’autant plus d’aisance que le secteur de l’Assurance est étroitement contrôlé en France

par les autorités de tutelle, la Commission de Contrôle des Assurances.

Aussi les pouvoirs publics ont-ils doté les assureurs de prérogatives étendues dans cette

étape de formation du contrat d’assurance de personnes afin de procéder à une

meilleure sélection des risques (§2).

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§1 – Le fondement technique de la sélection des risques

A. Principe technique : l’équilibre de la mutualité.

Le principe de base en matière d’assurances est que la totalité des primes prélevées sur

la collectivité doit permettre de financer les sinistres garantis qui en affectent les

membres.

Ce mécanisme de mutualisation des risques repose sur l’hypothèse que l’ensemble des

membres ne sera pas l’objet d’un sinistre. L’aléa demeure en effet l’élément

caractéristique de l’opération d’assurance, et un arrêt récent7 en matière d’assurance en

cas de vie a replacé cette question dans le débat juridique.

Cet élément permet d’atteindre le fondement technique de l’opération d’assurance, à

savoir l ’ équil ibre de la mutuali té des r isques .

Cet équilibre est absolument nécessaire compte tenu des sommes colossales qui sont

engagées dans les opérations d’assurance. L’assureur doit en effet être en mesure de

tenir ses engagements contractuels et donc d’honorer le paiement des indemnités qui

sont dues contractuellement. Pour ce faire, la Commission de Contrôle des Assurances

veille à la régularité de la gestion exercée par l’assureur, et il existe des procédures

spécifiques en cas de défaillance d’un assureur afin de ne pas léser ses assurés.

7 Cass. 18.07.2000. « Leroux ». Publ. Bull. Civ. I n° 213 p. 138

Responsabilité civile et assurances, décembre 2000, n° 12 p. 6, note G. COURTIEU. La Semaine juridique,

édition notariale et immobilière, 2000-11-24, n° 47 p. 1683, note F. SAUVAGE et D. FAUCHER. Répertoire du

notariat Defrénois, 2001-01-15, n° 1 p. 3, note M. GRIMALDI. Droit et patrimoine, janvier 2001, n° 89 p. 28,

note P. JULIEN SAINT-AMAND et J.M. COQUEMA. La Semaine juridique, édition notariale et immobilière,

2001-03-02, N° 9 p. 507, note P. BUFFETEAU.

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L’assureur ne traite jamais des risques isolés et recherche à constituer des ensembles

cohérents de risques au sein desquels pourra exister une péréquation. Cependant, à

l’échelle individuelle, un souscripteur n’a intérêt à participer à une telle opération que s’il

en estime les conditions raisonnables. Tel ne serait pas le cas d’ensembles hétérogènes

dans lesquels des risques importants seraient complètement financés par des risques

mineurs. Si pour le souscripteur lambda il est pratiquement impossible de se livrer à un

tel calcul – fort savant – il lui est néanmoins possible de se référer aux tarifs pratiqués

par la concurrence. Un niveau de primes trop élevé serait alors révélateur et

caractéristique d’une gestion anarchique des risques garantis.

B. Mise en oeuvre technique : l’évaluation des risques.

Ainsi, l’assureur doit être en mesure de répartir ses risques dans des catégories

homogènes qu’il aura définies. Plus la population de référence sera large, plus la

mutualisation sera efficiente ; par effet d’entraînement, l’assureur aura donc tout intérêt

à conserver une position favorable dans la concurrence.

L’assureur tend en effet à obtenir des échantillons d’assurés dont les caractéristiques se

rapprochent des modèles statistiques qui sont à sa disposition.

Au premier chef de ceux-ci figure la table de mortali té 8 générale de la population

française, établie d’après les données du recensement, qui sera appliquée (dans une

version adaptée par chaque compagnie) aux risques dits « normaux ». Nous observerons

qu’à cette probabilité de survenance de l’événement garanti doit être combinée la

probabilité de règlement, c’est à dire la probabilité qu’un bénéficiaire soit en vie et

8 La première table du genre fut publiée par John Graunt à Londres en 1662.

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remplisse les conditions9 pour recevoir l’indemnité d’assurance. Le produit de ces deux

probabilités permet de déterminer la probabilité de payer.

Les statistiques issues du recensement ne sont cependant pas nécessairement adaptées

car elles sont réalisées par échantillonnage sur une population qui est différente du pool

des assurés. Afin de pallier ces degrés de différence, les assureurs sélectionnent des

tables légèrement différentes, par exemple en appliquant les tables de mortalité

féminine (dont le taux de mortalité est plus faible) à l’ensemble de leurs assurés pour les

risques de vie.

Il ne faut pas pour autant conclure que l’assureur dispose d’une trop grande largesse

dans le choix de ses tables de mortalité.

L’art. A. 335-1 du Code des Assurances, modifié par un arrêté du 19 mars 1993, précise

que l’assureur doit utiliser soit les tables établies par l’INSEE et homologuées par arrêté

du Ministre de l’Economie et des Finances, soit des tables établies par la compagnie

d’assurance10, appelées « tables d’expérience » et certifiées par un actuaire indépendant

agréé à cet effet par l’une des associations d’actuaires reconnue par la Commission de

Contrôle des Assurances.

En ce qui concerne les tables INSEE, l’art. A. 335-1 précise il s’agit de la table « TD 88-

90 » pour les assurances en cas de décès et de la table « TV 88-90 » pour les assurances

en cas de vie.

9 Les contrats d’assurance-vie subordonnent en effet généralement le versement de l’indemnité à la production à

l’assureur, au moment du sinistre, de certaines pièces dont un exemplaire de la police, le bulletin de décès de

l’assuré, un extrait d’acte de naissance du bénéficiaire, etc… 10 La première table établie à l’aide des données sur les assurés sur la vie est celle de l’Amicable Society for a

perpetual assurance office en 1778 (au Royaume-Uni) d’après des expériences de 1706 à 1777. En 1746, Antoine

Deparcieux publia une table construite d’après les observations des membres de tontines.

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C. Aboutissement à une nécessité de sélection des risques.

Parallèlement à ces données statistiques que nous évoquons, il est désormais certain que

les probabilités de mortalité ou de morbidité, la prévalence de maladies, l’occurrence

d’accidents du travail, etc… sont liées ou du moins corrélées, à des degrés plus ou

moins forts, à des données qui sont personnelles à l’assuré. Ceci s’observe, à défaut de

se démontrer, par d’innombrables études épidémiologiques. Il s’agira évidemment de

l’âge, du sexe, de la profession (pénibilité, fréquence des accidents du travail, exposition

aux risques d’amiante,…), statut social, situation matrimoniale, hérédité, antécédents

médicaux, style de vie, dépendance aux drogues, à l’alcool, au tabac, région

géographique, etc…

Il s’agit d’autant de critères que l’assureur a intérêt à connaître afin de pouvoir

déterminer si le risque que présente un candidat à l’assurance est acceptable. Tel est

généralement le cas. Si l’assureur estime que le risque présenté par un candidat est

supérieur à sa zone de normalité, il accepte cependant généralement de l’assurer contre

paiement d’une prime majorée. La technique la plus simple consiste à exprimer en

équivalent d’années supplémentaires à ajouter à l’âge réel du candidat les facteurs de

risques présentés. L’assuré est ainsi fictivement vieilli. Cette technique présente deux

variantes : l’une où le vieillissement initialement estimé est maintenu constant pendant

toute la vie du contrat, l’autre où il est progressivement augmenté. L’âge ainsi obtenu

sera celui qui sera utilisé dans les tables de l’assureur qui établira un tarif.

En définitive et contrairement à une idée reçue, la sé lect ion des risques conduit

rarement un assureur de personnes à re fuser sa garantie à un candidat mais à lui

proposer un tarif et des conditions de garanties adaptées à sa situation.

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En effet, l’admission est « automatique » pour environ 65% des demandes en France11.

En Grande-Bretagne, seulement 10% des candidatures d’assurance dépendance sont

rejetées in f ine .

En outre, pour certaines assurances telles l’assurance dépendance ou l’assurance

maladie complémentaire, rien n’interdit à l’assureur d’accepter un risque plus important,

de lui appliquer une tarification majorée, et même de lui appliquer une franchise, un

délai de carence, ou de prévoir une clause de révisabilité.

Nous venons de présenter quels sont les fondements techniques qui exigent que

l’assureur procède à une sélection des risques qui lui sont soumis. À cette fin

correspond des moyens mis à la disposition de l’assureur par le législateur.

11 D’après les chiffres cités dans « Le rôle de l’assurance privée dans la prise en charge de la dépendance : une mise

en perspective internationale » by L. Assous and R. Mahieu, in Rapport pour le Ministère de l’Emploi et de la

Solidarité n° 21 (novembre 2001 – Série Etudes) de la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de

l’Evaluation et des Statistiques.

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§2 – Le fondement juridique de la sélection des risques pratiquée par

l’assureur de personnes.

Nous avons dressé ci-dessus une liste non exhaustive de critères qui ont une influence

sur le risque (facteur causal) ou sont révélateurs d’un risque (témoin). Force est de

constater que nombre d’entre eux présentent un caractère éminemment personnel,

relevant de la sphère privée.

Or il est profondément ancré dans la tradition législative française de protéger les droits

et libertés des individus. Aussi est-il permis de s’interroger sur les moyens juridiques

dont dispose l’assureur pour pratiquer sa sélection des risques.

A. Théorie juridique

Compte tenu de ces impératifs précédemment évoqués, la loi confère à l’assureur le

droit de se livrer à des discriminations sur l’état de santé de l’assuré.

Cette faculté exorbitante du droit commun est en effet expressément accordée par le

Nouveau Code Pénal en son article 225-3 :

« les disposit ions de l ’art ic le précédent [sanctionnant

pénalement les discr iminations ne sont pas applicables] aux

discr iminations fondées sur l ’é tat de santé, lorsqu’e l les

consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et

la couverture du risque décès , des r isques portant atte inte à

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l ’ intégri té physique de la personne ou des risques d’ incapacité

de travai l ou d’ invalidité ».

Si les atteintes à l’intimité de la vie privée étaient justifiées par l’intérêt de la mutualité,

elles s’en trouvent désormais légalement autorisées.

Dans le domaine particulier des « contrats-emprunteurs », c’est à dire des assurances qui

garantissent la défaillance d’un assuré en terme de remboursement des échéances d’un

emprunt suite à la survenance d’un événement garanti (décès, invalidité, voire perte

d’emploi), la sélection des risques est prévue à l’art. L. 311-16 et L. 312-9 du Code de la

Consommation. Ces articles évoquent « l’agrément » de la personne de l’emprunteur,

soit par le souscripteur dans un prêt à la consommation, soit par l’assureur lui-même

pour un prêt immobilier. Ces articles permettent ainsi de déroger à l’application de l’art.

L. 132-1 du Code de la Consommation qui définit des clauses abusives : telles sont en

principe les clauses « qui ont pour objet de créer , au détr iment du non-profess ionnel

ou du consommateur, un déséquil ibre s igni f i cat i f entre les droits et les obl igations

des parties au contrat ».

Madame Lambert-Faivre précise 12 que ces sélections de risques par l’assureur sont

parfaitement conformes à la technique de l’assurance. L’assureur de personnes n’a en

effet pas vocation à jouer un rôle de service public ou de fonds de solidarité, à la

différence de la Sécurité Sociale, comme par exemple au travers de la Couverture

Maladie Universelle récemment mise en place 13 et destinée principalement à faire

bénéficier un maximum de personnes d’une assurance santé.

La sélection des risques trouve au contraire sa justification dans la « recherche

individuel le de sécurité ».

12 Droit des assurances Y. Lambert-Faivre, Dalloz 11e éd. 2001. 13 Loi n° 99-641 du 27.07.1999 « portant création d’une couverture maladie universelle » (mais traitant également

de protections maladie complémentaires)

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La sélection exercée par l’assureur est donc un mode de discrimination légalisé et qui

n’est admis que parce que les moyens mis en œuvre permettent dans une certaine

mesure un respect de la vie privée des assurés.

B. Moyens juridiquement admis.

Il faut cependant ne pas conclure trop rapidement à une trop grande marge de

manœuvre des assureurs. L’atteinte à cette intimité leur est permise, mais les conditions

sont tout de même encadrées.

Nous aborderons dans des développements ultérieurs des aménagements spécifiques

qui ont été apportés dans des hypothèses de séropositivité, de risques aggravés, ou

lorsque des données génétiques permettent de quantifier un risque.

Outre ces points qui obéissent à des régimes particuliers, les moyens utilisés par les

assureurs pour évaluer les risques sont de deux natures : l’assureur adresse en premier

lieu un quest ionnaire de déc laration de r isque au candidat à l’assurance. Si le

questionnaire laisse suspecter un risque important ou si le montant des garanties

demandées sort de l’ordinaire, l’assureur peut en second lieu exiger un examen médical .

1. Le questionnaire de risque.

L’assureur peut adresser au candidat un questionnaire. Il devra y répondre avec loyauté,

le contrat d’assurance étant par essence un contrat de bonne foi. Cela implique

également qu’il est tenu de répondre d’après ses connaissances de son propre état. Il ne

pourra ainsi lui être reproché de n’avoir pas déclaré une maladie dont il était atteint et

dont il ignorait qu’il en souffrait. Par contre, il doit déclarer les maladies antérieures ou

déclarées et dont il a connaissance, car l’assureur refusera d’en garantir les conséquences.

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La Cour de cassation a par ailleurs précisé qu’il ne peut être reproché au candidat

d’avoir mal répondu à des questions formulées en des termes trop généraux.

Antérieurement à la loi du 31.12.1989., le régime applicable à la déclaration était celui de

la déclaration spontanée. L’ancien article L. 113-2-2 C.Ass. disposait en effet que

« l ’assuré est obl igé de déclarer à l ’assureur, conformément à

l ’art . L. 113-4, les c irconstances connues de lui qui sont de

nature à faire appréc ier par l ’assureur les r isques qu’i l prend

à sa charge ».

L’assuré devait donc lui-même déterminer les caractères qu’il devait déclarer, ce qui était

un régime très sévère. La jurisprudence a atténué ce principe en estimant qu’il devait

déclarer les circonstances qu’il « ne pouvait manquer de savoir » avoir une influence

sur le choix de l’assureur14. La Commission des Clauses15 abusives a par ailleurs mis en

cause le principe de déclaration spontanée et également recommandé l’usage du

questionnaire.

La loi du 31.12.1989. modifia donc l’art. L. 113-2 dans une formule qu’on lui connaît :

« l ’assuré est obl igé de répondre exactement aux quest ions

posées par l ’assureur, notamment dans le formulaire de

déc laration du risque par lequel l ’assureur l ’ interroge lors de

la conclusion du contrat, sur les c irconstances qui sont de

nature à faire appréc ier par l ’assureur les r isques qu’i l prend

en charge ».

Le principe actuellement consacré est donc celui du questionnaire. Une jurisprudence

constante de la Cour de cassation pose que la sincérité et l’exactitude des déclarations

14 Cass. Civ. 1e 18.01.1989. RGAT 1989 p.404. 15 Recommandation n°85.04 du 20.09.1985., adoptée sur le rapport de Mademoiselle Geneviève VINEY.

Publication : BOCC 06.12.1985.

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de l’assuré doivent s’apprécier en fonction des questions posées16. L’assureur est en

effet le rédacteur du questionnaire ; il lui incombe de poser toutes les questions lui

permettant d’apprécier le risque, l’assuré n’ayant pas à préciser des éléments non

sollicités, et de les poser de manière assez précise. Par exemple, la Cour a estimé que

« la rédact ion du quest ionnaire qui l imitait la nature des antécédents et leur

survenance dans le temps faisait apparaître l ’ intention de l ’assureur de ne pas tenir

compte d’autres antécédents dans l ’appréc iat ion des r isques qu’i l prenait en

charge » 17 . Par contre, l’assuré qui prend l’initiative d’apporter une précision non

sollicitée par l’assureur et qui se révèle être inexacte pourrait se voir reprocher une

fausse déclaration.

Le mécanisme de déclaration du risque est en effet assorti d’une sanction, ce qui lui

confère toute son efficacité. Il s’agit des art. L. 113-8 et L. 113-9 qui répriment

respectivement les fausses déclarations intentionnelles et non-intentionnelles. Le

principe de non-asymétr ie de l’information est donc inscrit dans ces articles qui

sanctionnent toute non-révélation d’information de la part de l’assuré, qui est largement

assimilé à une fraude à l’assurance.

La charge de la preuve du caractère intentionnel incombe à l’assureur, et si sa demande

n’est pas accueillie, le juge n’aura pas à rechercher s’il existait une fausse déclaration

non-intentionnelle18.

� Lorsque l’irrégularité constatée a été commise de bonne foi, il convient de

distinguer selon que l’assureur en a eu connaissance avant ou après l’occurrence du

sinistre.

Dans le premier cas, l’art. L. 113-9 alinéa 2 offre à l’assureur le choix entre deux

options : soit maintenir le contrat d’assurance contre paiement par l’assuré d’une 16 Cass. Civ. 1e 17.03.1993. RGAT 1993 p. 547. 17 Cass. Civ. 1e 02.07.1985. RGAT 1985 p. 534 18 Cass. Civ. 1e 20.10.1993. RCA 1993 chron. n°6, RGAT 94 p. 111.

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majoration de prime correspondante – à condition encore que ce dernier l’accepte –

soit résilier le contrat, cette résiliation n’étant possible que 10 jours après la notification

de la décision à l’assuré par lettre recommandée avec restitution de la provision

mathématique et de la portion de prime au prorata temporis qui restait à couvrir avant

la prochaine échéance.

Dans l’hypothèse inverse où la fausse déclaration de risque commise de bonne foi n’est

constatée qu’après survenance du sinistre, l’art. L. 113-9 alinéa 3 donne la faculté à

l’assureur de réduire les prestations à fournir aux bénéficiaires à proportion de

l’insuffisance de primes. Cependant, la doctrine relève que la réduction proportionnelle

de prime est pratiquement inapplicable, la détermination ex post du tarif incontestable

qu’aurait payé l’assuré s’avérant impossible parfois dix ou quinze ans après la date de

souscription du contrat.

En jurisprudence, il est établi qu’un assuré peut commettre une erreur de bonne foi

lorsqu’il n’a pas conscience d’une circonstance relative au risque. Par exemple, un

dépressif qui n’a pas conscience de la gravité de son état19, le fait qu’un assuré considère

avoir une santé normale pour son âge même en présence d’une pathologie ancienne et

handicapante20. Dans cette même optique, la clarté du questionnaire peut être appréciée

par les juges du fond en fonction de l’intelligence limitée de l’assuré qui peut ne pas

comprendre la question21, pareillement dans l’hypothèse où l’assuré ne savait ni lire ni

écrire le Français22, avait une intelligence limitée et une personnalité frustre23, était un

profane au regard du Droit des assurances24, etc…

19 Cass. Civ. 1e 25.02.1996. RGAT 1986 p. 209. 20 Cass. Civ. 1e 05.07.1989. RGAT 1990 p. 575. 21 Cass. Crim. 09.12.1992. RGAT 1993 p. 282. 22 Cass. Civ. 1e 17.11.1987. RGAT 1988 p. 21. 23 Cass. Civ. 1e 20.10.1993. RGAT 1994 p. 111. 24 Cass. Crim. 18.07.1989. RGAT 1989 p. 794.

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� Lorsque l’assureur est en mesure de prouver que l’irrégularité dans la

déclaration a été commise de mauvaise foi, il peut appliquer une sanction

particulièrement redoutable : la nullité absolue du contrat.

En effet, l’art. L. 113-8 dispose :

« le contrat d’assurance est nul en cas de rét i cence ou de fausse

déc laration intentionnel le de la part de l ’assuré, quand cet te

rét icence ou fausse déc laration change l ’objet du risque ou en

diminue l ’opinion pour l ’assureur, alors même que le r isque

omis ou dénaturé a été sans inf luence sur le s inistre ».

Il conviendra cependant à l’assureur de prouver qu’il souffre d’un préjudice du fait de

cette fausse déclaration, ce qui sera aisé dans ces circonstances compte tenu des

sommes en jeu.

Nous nous devons de préciser que la nullité prononcée vaut erga omnes, bénéficiaires y

compris quand bien même la fausse déclaration émanerait d’un autre souscripteur.

Lorsque la nullité du contrat est prononcée, l’assureur a la faculté de conserver les

primes de risque encaissées à titre de dommages et intérêts, mais doit verser aux

bénéficiaires les provisions mathématiques afférentes au contrat.

Il convient de noter qu’en matière d’assurances de personnes, les aggravations de

risques n’ont pas à être déclarées à l’assureur (sauf si l’assuré souhaite étendre sa

garantie). L’appréciation du risque ne peut donc être réalisée avec certitude que lors de

la souscription. Ceci est justifié par le fait que le contrat d’assurance a précisément pour

objet de garantir contre les conséquences de maladies ou de la vieillesse.

Il existe un cas tout à fait particulier aux assurances de personnes qui est constitué par

l’erreur sur l ’âge de l ’assuré .

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Nous l’avons déjà mentionné, l’élément technique fondamental qui est utilisé afin

d’estimer et de tarifer un risque est une table de mortalité, qui fournit le nombre de

personnes vivantes à un âge donné sur 100 personnes nées vivantes initialement. Aussi

une erreur sur l’âge se révèle-t-elle particulièrement importante.

Cela justifie qu’un article particulier du Code des Assurances soit consacré à cette

question, l’art. L. 132-26, qui détermine un régime unique n’ayant pas égard à la bonne

ou mauvaise foi du déclarant. Les mécanismes des art. L. 113-8 et L. 113-9 sont donc

inapplicables et il convient d’appliquer L. 132-26 qui est un texte spécial.

Un mécanisme original mais rare se retrouve dans les clauses dites d’incontestabil i t é.

Par cette clause, l’assureur renonce à invoquer immédiatement ou après un certain délai

de vie du contrat les fausses déclarations qu’il pourrait constater.

Cette clause a cependant un effet limité compte tenu du caractère d’ordre public de

certaines dispositions. Elle ne peut en effet faire échec à l’application de L. 132-26

relatif à l’erreur sur l’âge de l’assuré ou à L. 113-8 qui traite de la fausse déclaration

intentionnelle. Le contraire aboutirait à légaliser le droit au mensonge, alors que

l’essence même du contrat d’assurance est d’être un contrat de bonne foi. Ainsi, cette

clause d’incontestabilité ne peut en réalité que permettre d’écarter l’art. L. 113-9 relatif à

la fausse déclaration non-intentionnelle, mais nous avons déjà précisé qu’il en était

rarement fait application.

2. Autres moyens d’appréciation du risque à sélectionner.

Ce sont ces éléments de déclaration du risque qui permettent la sélection des risques

par l’assureur, et la sanction de cette déclaration renforce la précision et la justesse des

opérations de sélection.

Il faut encore noter que la déclaration n’est pas l’unique moyen dont dispose l’assureur

pour procéder à la sélection. Il lui est en effet possible de recourir à des enquêtes

lorsqu’il suspecte une fausse déclaration (par exemple sur les caractéristiques de

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l’activité professionnelle exercée par l’assuré), mais il peut aussi et surtout demander à

celui-ci de se soumettre à un examen médical .

En fonction de l’âge de l’assuré, du capital souscrit, ou de certaines des réponses

apportées au questionnaire (maladie antérieure ou en cours de traitement, antécédents

familiaux, etc…) l’assureur peut demander des compléments d’information. Le candidat

devra alors subir un examen médical auprès d’un médecin de son choix ou après d’un

médecin-conseil de la compagnie. L’assureur (en pratique son médecin) peut tout à fait

demander des examens ou analyses complémentaires qui seront à sa charge, ce qui ne

l’incite à le faire que pour les contrats importants.

Tous ces renseignements restent confidentiels et sont transmis au médecin-conseil de la

compagnie qui donne un avis sur chacun des dossiers soumis et conserve les dossiers

médicaux afférents.

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Section 2 La nécessité d’éviter la sélection adverse.

Nous venons d’aborder les raisons pour lesquelles la sélection des risques par l’assureur

de personnes est légitime et légalisée.

Toute cette œuvre serait ruinée s’il n’était possible de juguler un phénomène dénommé

« antisé lect ion » , « autosé lec t ion » ou encore « sé lect ion adverse » .

Charles Gignoux25 décrit ce concept comme « le principe bien connu que l ’homme

cherche à t irer le plus grand prof i t des af faires qu’i l traite et que c ’est pour les plus

mauvais r isques qu’une assurance sera le plus volontiers sol l i c i tée » .

L’antisélection n’est en effet pas la résultante d’une prédisposition particulière, mais

caractérise la recherche d’adaptation – en sa faveur – d’un être humain aux événements

qui l’affectent.

Dans l’hypothèse d’une assurance en cas de décès, ce comportement ne peut être

qualifié d’égoïste dans la mesure où l’assuré ne sera pas le bénéficiaire de l’indemnité :

ce seront ses proches qui en bénéficieront. Pourtant, il convient de noter que cette

pratique se fait au détriment de la mutualité des autres assurés et de l’assureur.

Cette sélection adverse peut s’exprimer à tout niveau de la relation contractuelle en

assurances :

� À la souscription , comme nous nous attacherons à le développer ci-après.

S’agissant d’assurances de personnes, cela consiste pour un candidat à souscrire un

contrat alors qu’il a conscience ou au moins le sentiment que la garantie souscrite sera

25 « La sélection des risques dans les assurances sur la vie » Ch. Gignoux, 1939.

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mobilisée avec une plus grande probabilité, voire avec certitude (parce qu’il se sait

malade, invalide, etc…).

� Lors de la vie du contrat , ce sera souscrire des garanties complémentaires,

relever le plafond des garanties déjà souscrites, négocier un abandon de franchise, etc…

Il convient à cet égard de noter que si de nouvelles garanties sont souscrites, l’assureur

dispose de la faculté de procéder à une nouvelle sélection de risques pour ces garanties

nouvelles uniquement. Les questions qu’il avait posées antérieurement étaient en effet

nécessaires à l’appréciation des garanties initialement souscrites, mais pas

nécessairement adaptées à l’appréciation d’autres garanties, surtout dans un domaine où

la recherche et la créativité des assureurs – ainsi que le pointillisme de la jurisprudence

qu’il convient de respecter – sont grands, et de nouveaux produits apparaissent

régulièrement.

� Lors de la f in de vie du contrat , tout simplement en la provoquant, car on

estime ne plus être sujet à tel ou tel risque (maternité, garantie sports dangereux, etc…)

ou encore en décidant de résilier un contrat pour souscrire immédiatement un contrat à

de meilleures conditions auprès d’un assureur concurrent.

Le problème majeur posé par l’antisélection est en réalité constitué par la sélection

adverse à la souscript ion .

Il apparaît ainsi que le souscripteur retrouve une certaine marge de manœuvre par

rapport à l’assureur qui doit se contenter des instruments dont il dispose légalement

pour apprécier le risque.

Cet état de fait est rendu possible par le fait que l’assuré est mieux renseigné que

l’assureur sur son état de santé et sur toutes les caractéristiques de son « profil » qui sont

autant de motivations à souscrire un contrat d’assurance de personnes. Ce décalage

dans la connaissance de ces données est appelé « asymétrie d’ information » .

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En réalité, la protection contre les risques est marquée par une double asymétrie

d’informations, pénalisant tour à tour l’assureur et le souscripteur.

L’asymétrie qui s’exerce en faveur de l’assureur consiste en ce qu’il maîtrise les outils

statistiques et probabilistes nécessaires pour déterminer des catégories de risques

homogènes et si une personne y appartient d’après son profil, même si les données de

ce profil sont parcellaires. Il lui est en mesure d’évaluer le coût de revient de la

prestation d’assurance qu’il offre, coût qui sera corrigé de sa marge commerciale, des

taxes, mais qui plus globalement suivra également les tendances des marchés.

L’asymétrie peut tout autant pénaliser l’assureur – nous n’oserons dire favoriser le

souscripteur – et se dédouble en réalité en deux causes qui interagissent l’une sur

l’autre :

- « L’antisé lec t ion » 26, que nous avons déjà définie comme le fait que ce sont en

général ceux qui courent les plus gros risques qui sont les plus enclins à souscrire

une assurance, et une assurance la plus large et la plus importante possible ;

- « Le risque moral »27, que nous pourrions formaliser comme étant le changement

de comportement de l’assuré vis-à-vis du risque, une fois qu’il bénéficie de la

garantie d’assurance. Par exemple, en termes d’assurance santé, le risque moral ex

post est « la surconsommation de soins provenant de la diminution du prix des

soins inhérente à la couverture du risque maladie » 28 . En assurance en cas de

mort, ce phénomène a conduit à poser des exclusions légales relatives au suicide ou

à l’homicide de l’assuré par le bénéficiaire.

Il est intéressant de noter que les sociétés commerciales d’assurance et les sociétés

mutuelles ne sont pas soumises à ces deux paramètres dans les mêmes conditions.

26 Théorie formalisée par Aakerlof, en 1970, prix Nobel d’économie 2001. 27 Théorie d’Arrow, 1963. 28 « Le risque moral ex post en santé est-il néfaste ? » by D. Bardey, A. Couffinhal et M. Grignon, in Document de

travail CREDES, Février 2002.

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La mutuelle a en effet procédé à une sélection de ses adhérents en dehors de toute

souscription de contrat, et ceux-ci doivent se retrouver dans les valeurs morales et

éthiques qui sont celles que promeut la mutuelle. Il s’agit d’une « idéologie de

rattachement » . Par contre, elle se refuse à exercer des sélections de risques poussées

sur les caractéristiques personnelles de la personne. La présélection des assurés,

combinée avec un sentiment d’absence d’enrichissement de l’assureur et de son

actionnaire, conduit les assurés à adopter une démarche beaucoup moins sensible à

l’aléa moral. À l’opposé, l’assuré d’une société commerciale cherche à rentabiliser sa

prime qu’il considère comme un investissement et cherchera à obtenir un retour sur

investissement. De ce fait, la compagnie sera amenée à faire montre de plus de

précision dans la rédaction de ses contrats afin d’éviter les dérives comportementalistes.

En sens inverse, la Mutuelle proposera des contrats les plus clairs et simples possibles

afin de renforcer le sentiment de proximité avec ses sociétaires.

Paradoxalement, en ce qui concerne l’antisélection, la Mutuelle sera plus concernée que

la Compagnie commerciale. La compagnie sera en effet plus portée à se livrer à une

sélection des risques scrupuleuse avec des candidats à l’assurance que la Mutuelle à

l’égard de ses sociétaires. Le candidat présentant un sur-risque aura donc une tendance

naturelle à chercher à intégrer une mutuelle, qui au demeurant incarne des valeurs

humanistes qui le réconfortent dans l’épreuve qu’il traverse (maladie, risques de

mortalité ou de morbidité importants, etc…).

Mutuelle et compagnie ne sont donc pas confrontées aux problématiques de sélectivité

des risques face à la sélection adverse dans des termes similaires.

Pourtant, la sélection adverse s’est révélée être une crainte majeure des assureurs de

personnes à la fin du XXème siècle. Cette crainte s’est stigmatisée autour d’un risque très

particulier que représentaient les personnes contaminées par le virus VIH ou

présentant un cas de SIDA (§1) et qui a permis de mettre en lumière puis de résoudre

les problèmes de sélection et d’assurabilité des risques de santé aggravés en général (§2).

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§1 – La sélection des risques de séropositivité.

La séropositivité est une donnée éminemment importante pour l’assureur de

personnes : d’abord parce que 570.000 personnes29 en Europe de l’ouest et 1,2 millions

en Europe de l’est sont aujourd’hui porteuses du virus HIV, ce qui représente une

pandémie de toute première importance à l’échelle planétaire. Ensuite, parce que le

pronostic d’évolution du syndrome est létal pour la quasi totalité des personnes qui en

sont le vecteur.

En outre, le SIDA a pour effet d’affaiblir les défenses immunitaires, ce qui a pour

conséquence de favoriser le développement de maladies secondaires graves dont la

prévalence constatée augmente de manière significative. Ce sont ces dernières qui

souvent conduisent au décès du sujet et lui imposent une fin de vie avec des sujétions

inhérentes à un état de morbidité importante.

Aussi, pour l’assureur, garantir une personne contaminée par ce virus l’amènerait à

mettre en œuvre sa garantie beaucoup plus fréquemment. La probabilité d’occurrence

du décès avant la fin de la période de garantie (cessant de plein droit un âge fixé par le

contrat, souvent entre 60 et 80 ans) tend vers 1 (30). Pour l’assureur santé ou incapacité-

invalidité, la garantie sera également plus sollicitée puisque les personnes touchées sont

des personnes jeunes et donc actives qui devront cesser de travailler lorsque le SIDA se

déclarera ou à cause des effets secondaires de leurs traitements chimiothérapiques.

En outre, les statistiques de l’assureur sont complètement perturbées, puisque la

population jeune constituait une niche saine et à faible risque, alors qu’il apparaît

désormais qu’elle est celle qui est la plus touchée par les contaminations au VIH. 29 Source : “AIDS Epidemic Update” by UNAIDS, World Health Organization (OMS), Dec. 2002. 30 C’est à dire 100%.

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Les assureurs ont ainsi souhaité mettre en place des questionnaires de déclaration de

risques interrogeant le candidat à l’assurance sur son état sérologique ou encore

réclamer la soumission à un examen de dépistage.

Il faut admettre aujourd’hui que cette faculté existe effectivement pour l’assureur. Les

développements qui vont suivre et qui concernent l’encadrement de cette faculté ne

doivent pas faire oublier que l’assureur dispose de moyens de sélection face au risque

VIH, même s’il n’en fait que rarement usage.

A. Les prémices d’un droit initié par la jurisprudence.

Il convient tout d’abord de préciser que la jurisprudence a toujours maintenu le

principe de déclaration de bonne foi du risque au profit de l’assureur. En effet,

nonobstant le climat ambiant qui était à la discrétion la plus grande et au respect de

l’anonymat des sujets porteurs, la Cour de cassation a toujours maintenu que le

candidat à l’assurance ne pouvait pas déclaré être en bonne santé s ’ i l se savait

contaminé par le VIH.

Pour en arriver à cette affirmation, la Cour a dû trancher la question de savoir si seul le

SIDA constituait une maladie ou si la simple contamination par le VIH constituait

également une maladie qu’il fallait porter à la connaissance de l’assureur lors de la

souscription. La Cour a fait l’économie d’une réponse à cette question mais pose en

substance que la contamination constituait un facteur de risque aggravant qui devait

être signalé à l’assureur qui s’enquiert de l’état de santé : « en répondant par la

négative à l ’ensemble des quest ions posées et en répondant à l ’assureur qu’i l était

en bonne santé , X avait , par rét i cence ou fausse déc laration intentionnel le , modif ié

l ’opinion pour l ’assureur, du risque qu’i l avait à garantir » 31 . La sanction est

31 Cass. Civ. 1e 07.10.1998 n° 96-17.315, « L. c/ Generali France » Bull. Lamy n°45 nov. 98 p. 1

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particulièrement lourde, sachant que la formulation des question était : « êtes -vous

atte int d’une maladie ? » , « avez-vous suivi ou devez-vous suivre un traitement

régulier quel qu’i l soit ? » et « avez-vous autre chose à ajouter concernant votre état

de santé actuel ou antérieur ? » .

L’épouse de l’assuré faisait valoir que l’assureur posait une question relative à une

maladie, alors que la séropositivité n’est pas une maladie. Or l’art. L. 113-2 du Code des

Assurances impose à l’assuré de répondre exactement aux questions de l’assureur,

donnant a contrario un caractère limitatif au questionnaire. On aperçoit donc bien

dans cette espèce la nuance apportée à la jurisprudence passée32 et à l’art. L. 112-3 aux

termes duquel

« l ’assureur […] ne peut se prévaloir du fait qu’une quest ion

exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une réponse

imprécise ».

La Cour ne répond donc pas formellement à la question de savoir si la contamination

par le VIH est une maladie et se borne à indiquer que « la séroposit ivi té est une

af fect ion de nature à entraîner, pour ce lui qui en est atte int , des conséquences

graves pour sa santé, voire morte l les » .

La Cour se positionne donc sur une notion plus subjective qu’objective de la maladie.

Ceci est conforme à l’esprit du droit positif que nous avons évoqué précédemment

selon lequel le souscripteur doit déclarer les éléments de risque dont il a connaissance

et dont il a conscience ; dans notre espèce, le souscripteur pouvait penser qu’il ne

s’agissait pas d’une maladie str ic to sensu , mais il avait avec certitude à l’esprit les

conséquences probables de sa contamination par le VIH.

32 Cass. Civ. 1e 17.03.1993. RGAT 1993 p. 547.

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Pourtant, la Cour avait par le passé admis que le développement de la maladie du

SIDA n’était pas certain pour une personne hémophile contaminée par le VIH 33.

Il faut certainement attribuer le sens de la décision rapportée à une interprétation

globale des questions qui ont été posées au souscripteur, et notamment en ce qui

concerne la question sur les remarques à ajouter. Il a déjà été admis que cette question

seule était trop vague34, mais combinée aux autres questions qui la précédaient, il était

logique de la considérer comme valable.

Ensuite, il était aisé pour l’assureur de démontrer que l’inexactitude de la réponse à ces

questions avait modifié l’opinion qu’il se faisait du risque, et le retentissement qui existe

autour du SIDA laissait à penser que la non-déclaration de séropositivité connue était

intentionnelle.

Par contre, il est bien évident que la décision aurait été plus expéditive si nous avions

été dans une hypothèse de non-déclaration de SIDA. Tout assureur exclut en effet

dans ses contrats les conséquences d’une maladie antérieurement constituée (sous la

réserve importante de certains contrats de prévoyance à adhésion obligatoire qui seront

abordés infra).

B. La convention d’assurabilité des personnes séropositives de 1991.

Les pouvoirs publics ne sont cependant pas restés inactifs dans ce dossier de la

sélection des risques lié au VIH. Une convention entre les représentants des

institutions d’assurances et le Ministre de la santé a été signée le 3 septembre 1991.

33 Cass. Civ. 2e 20.07.1993. Bull. Civ. II 273 et 274, JCP. G. 1993 IV 2.420. 34 Cass. Civ. 1e 18.01.1989. RGAT 1989 p. 394.

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L’objet de cette convention est double : permettre l’accès à l’assurance des personnes

séropositives (mais sans SIDA déclaré) et améliorer la confidentialité du traitement des

informations médicales par les assurances.

Pour ce faire, elle met en place un code de bonne conduite dans la collecte et

l’utilisation de données relatives à l’état de santé en vue de la souscription ou de

l’exécution d’un contrat d’assurance.

Elle prohibe ainsi toute référence au caractère intime de la vie privée, notamment en ce

qui concerne la sexualité, dans les questionnaires de santé. Sont en effet seulement

autorisées les questions relatives à la réalisation ou non de tests de dépistages de la

séropositivité et, le cas échéant, à son résultat et aux atteintes éventuelles par une

infection conséquence d’une immunodéficience acquise.

« Avez-vous ou non subi un test de dépistage de la

séroposit ivi té ? Si oui , indiquez le résultat du test et sa date » .

« Avez-vous eu une infect ion conséquence d’une

immunodéf ic ience acquise ? »

En outre, le recours à des tests de dépistage, au moment de la souscription, est limité à

des hypothèses où « l ’ importance des capitaux souscri ts ou les informations

recuei l l ies à l ’occasion du quest ionnaire de risques, le just i f ient » . La SCOR 35

remarque qu’un consensus s’établit pour demander un sérodiagnostic au-delà d’un

million de Francs36 de capitaux à couvrir. Force est de constater que cette clause est

imprécise et ne protège l’assuré que modestement. Une procédure spécifique entoure

cependant la demande et la réalisation de ce test.

35 Newsletter technique SCOR vie n° 1 « VIH et couverture d’assurance », janv. 2002. 36 Soit environ 152.500 Euros.

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Ensuite, la convention prévoit que « dès lors qu’une entreprise d’assurance a

demandé un test de dépistage de la séroposit ivi té et accepté l e proposant, e l le

s ’ interdit lors du paiement de la prestation toute contestation fondée sur le fait que

le décès est directement l ié à une immunodéf ic ience acquise , sauf en cas de fraude

manifeste » . Ce point est important, car la compagnie s’interdira donc d’évoquer le

défaut d’aléa, l’ensemble de ses efforts devant être déployés sur la sélection du risque in

l imine et non dans la contestation de la garantie lors de sa réalisation in f ine .

Les développements que nous venons de présenter concernent l’hypothèse dans

laquelle l’assureur s’interroge sur la possible séropositivité du candidat à l’assurance. La

convention aménage en outre un régime d’assurance pour les personnes qui ont

déclaré à l’assureur qu’elles étaient séropositives ou pour celles à qui le test réclamé par

l’assureur l’a révélé.

Ce dispositif se limite aux assurances en cas de décès couvrant le remboursement d’un

emprunt (ou « contrats emprunteurs ») destiné à financer l’acquisition d’un immeuble à

usage d’habitation. Il a ensuite été étendu aux emprunts relatifs à l’acquisition de locaux

et de matériels professionnels.

Le montant de cette garantie est limité à 1 million de Francs pour une durée comprise

entre 5 et 10 ans. Le dispositif est conçu pour qu’aucun bénéfice ne soit dégagé par la

profession de l’assurance. Ainsi, le surcoût engendré par la tarification du sur-risque est

limité et correspond réellement au supplément de risque dont est dépendant l’assureur.

Ce système remet quelque peu en question l’affirmation primaire de nos propos selon

laquelle l’assureur n’a pas de vocation particulière à la solidarité. Cette démarche par

laquelle il s’engage à accepter les risques de VIH et sans réaliser de profit constitue en

effet une première innovante.

Il faut cependant remarquer que cette innovation ne porte que sur un nombre restreint

de contrats, puisqu’il existe une restriction quant à l’objet. Le bilan de cette convention

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est somme toute assez décevant, puisque très peu de contrats de ce type ont été

souscrits. Il faut remarquer que cette convention ne couvre pas les prêts à la

consommation qui sont plus nombreux et que ce dispositif est relativement mal connu.

En outre, les données de la science ne permettaient pas de prévoir une espérance de

vie conséquente de sorte que les personnes contaminées auraient plutôt tendance à ne

pas souscrire des emprunts immobiliers qui relèvent du long terme.

Il faut noter qu’il ne s’agit que d’une convention et non d’un texte impératif, ce qui est

regrettable.

Le dispositif se trouvait donc de fait relativement inadapté, même s’il marquait un

virage symbolique dans l’approche de la sélection des risques. Aussi les pouvoirs

publics ont-ils cherché à l’améliorer et à l’étendre.

§2. La sélection des risques aggravés.

Le Ministre de l’Economie, le Ministre de l’Emploi, le Secrétaire d’Etat au budget et le

Secrétaire d’Etat à la Santé ont ainsi souhaité qu’une réflexion soit menée sur la

convention de 1991 et en ont confié la tâche à Monsieur BELORGEY, Conseiller

d’Etat.

Le 1er juin 1999 a ainsi été constitué le Comité de suivi de la convention de 1991 sous

la présidence de Monsieur BELORGEY. Ce comité a rapidement élargi sa réflexion à

l’assurabilité des risques aggravés en général, dépassant le cadre du risque de

séropositivité.

Le comité constate en premier lieu les progrès spectaculaires de la Médecine qui ont

permis l’allongement considérable de l’espérance de vie des personnes malades du

SIDA, grâce notamment à la mise en place de traitements de chimiothérapies

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combinées appelés trithérapies. De fait, les tarifs du contrat-type de la convention de

1991 (fixés en 1993 à 2,4 – 2,8 %) ne se justifient plus.

En outre, cet allongement de l’espérance de vie des personnes contaminées ou malades

les rapproche de la situation de personnes souffrant de maladies chroniques graves.

C’est ainsi que se justifie un élargissement du champ de la future convention.

Pour le surplus, cette chronicisation de cet état pathologique laisse apparaître de

nouveaux besoins, notamment en matière de prêts à la consommation qui se trouvaient

exclus du champ de la convention de 1991. L’accès à ces prêts était donc de facto

impossible pour ces personnes. Il en est de même pour les garanties d’incapacité de

travail ou d’invalidité, qui ne sont pas liées à un emprunt.

C’est ainsi que dans un communiqué de presse du 5 octobre 1999, le « Comité

BELORGEY » prône, à la stupéfaction des observateurs non avertis l’annulation de

la convention de 1991 qui était initialement présentée comme une avancée notable.

Le 19 septembre 2001 est signée une convention entre l’Etat, les représentants des

compagnies d’assurances, des banques et de nombreuses associations « visant à

améliorer l ’accès à l ’emprunt et à l ’assurance des personnes présentant un risque de

santé aggravé » .

Elle étend ainsi son champ d’application aux risques de santé aggravés « du fait d’une

maladie ou d’un handicap » . La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades consacre

le dispositif conventionnel ainsi que le comité de suivi qui sera mis en place. Ce point

de la consécration légale est important car il ajoute une force supplémentaire à ce texte,

ce dont pouvait manquer la convention du 3 septembre 1991, bien qu’il ne soit pas

spécialement rapporté qu’on l’ait enfreinte.

Cette nouvelle convention apporte des avancées sensibles pour les personnes

présentant des risques de santé aggravés dans le domaine de l’assurance emprunteurs.

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Grande innovation, il ne sera plus nécessaire de remplir de questionnaire médical pour

l’assurance des prêts à la consommation affectés avec un maximum de 10.000 Euros,

souscrits à 45 ans maximum et pour une durée de remboursement de 4 ans au plus.

Les assureurs renoncent ainsi dans ce domaine à exercer de sélection des risques

fondée sur des questions médicales.

En ce qui concerne le crédit immobilier et professionnel, les conditions sont adaptées

et il est mis en place des contrats de second niveau permettant un réexamen de toute

demande ayant fait l’objet d’un premier refus dans le cadre des contrats d’assurance de

groupe existants (souscrits par les banques au profit de leurs emprunteurs). Ce second

niveau est constitué par des contrats d’assurance emprunteurs de type « groupe

ouvert » qui doivent être mis en place par tous les établissements de crédit. Il est

également mis en place un troisième niveau constitué par un pool des risques « très

aggravés » qui est une convention de coréassurance administrée par le Bureau

Commun des Assurances Collectives (BCAC).

Les établissements de crédit s’engagent en outre à accepter les demandes de garanties

alternatives à l’assurance, notamment lorsque la candidature de l’emprunteur a été

refusée, chose à laquelle la majorité des banques étaient hostiles. La condition est

l’équivalence de sécurité entre ces deux options pour la banque.

Un code de bonne conduite précis et une commission de suivi de l’ensemble de ces

nouvelles dispositions sont enfin mis en place.

Propos conclusi fs

S’il existe des mesures spectaculaires tendant à limiter la sélection des grands risques

aggravés, il n’en demeure pas moins que les petites aggravations de risque souffrent

toujours d’une sélection.

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C’est ainsi que sont apparus des tarifs « segmentés » entre les populations de fumeurs

et de non-fumeurs. Il est en effet avéré que le tabagisme représente un risque de

surmortalité important, même si les compagnies reconnaissent que son impact est

difficile à isoler des autres facteurs de sélection37.

Dans ce même ordre d’idées, la SCOR préconise que soit portée une attention

particulière au facteur alcoolique. Les ravages de l’alcool se mesurent tant au niveau

accidentel (suite à un état d’ivresse ou d’ébriété) que médical (hépatites alcooliques,

diverses maladies du foie,…). Une investigation est préconisée pour les très gros

contrats ou lorsque des données recueillies sont contradictoires.

À travers ces deux dernières hypothèses, nous pouvons remarquer que la sélection

glisse progressivement de données médicales pures vers une étude comportementale

ayant des répercussions sur la santé. Alcool et tabagisme constituent en effet des

conduites addictives ayant des conséquences lourdes en terme de santé, mais ne

constituent pas juridiquement à notre connaissance des maladies.

37 Neswletter Technique SCOR vie n° 5, juin 2002.

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Seconde partie : Les limites à la sélection des risques pour l’assureur de personnes

La sélection des risques est par conséquent une pratique techniquement nécessaire à

l’assurance et qui a été admise par les pouvoirs publics.

La profession de l’assurance, consciente des difficultés posées par ce système, a donc

également aménagé un régime adapté aux risques aggravés afin de ne pas marginaliser

une population qui du fait de son état de santé se trouve déjà dans une situation plus

précaire.

Pour autant, le législateur n’est pas toujours resté attentiste laissant les acteurs

(assureurs, associations de malades ou de consommateurs, etc…) prendre les initiatives.

Le législateur a en effet pris parti, dans certains domaines, de restreindre la liberté des

assureurs quant à la sélection des risques qu’ils pouvaient ou non pratiquer. Cela est

particulièrement net en ce qui concerne les assurances de prévoyance à adhésion

obligatoire instaurées dans le cadre de l’entreprise (première sect ion). Il s’agit de la loi

Evin du 31 décembre 1989. Dans ce cadre, la sélection des risques ne peut s’opérer que

de manière très réduite et particulière.

Ensuite, il conviendra de relever que les assureurs se retrouvent face à un important

problème lorsqu’il s’agit d’opérer une sélection, dans tous types d’assurances de

personnes, lorsque sont en jeu et pourraient être malmenées des valeurs éthiques

(deuxième sect ion).

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Cela concerne en premier lieu l’usage de données qui pourraient être tirées de la

génétique. Sur cette science reposent les plus grands espoirs, mais aussi les plus grandes

craintes : un coin du voile qui recouvre le « futur médical » du souscripteur pourrait en

effet être levé, et tout un débat sur l’opportunité, la fiabilité et les incidences éthiques

du recours à une telle pratique s’est engagé. Les assureurs se son d’abord auto-censurés

au travers d’un moratoire avant que le législateur ne prenne position.

En second lieu, cela sera le cas du secret médical, principe fondateur de la médecine et

de l’exercice de son art. Les médecins, les patients et le législateur lui accordent une

importance capitale. Nul estime que ce principe puisse être remis en cause ; pourtant,

l’assureur pourrait rencontrer la nécessité d’avoir accès à ces données afin de s’assurer

que le principe d’extrême bonne foi a été respecté lors de la souscription du risque sur

laquelle s’est fondée la sélection de l’assureur.

Nous nous proposons ainsi d’étudier les limites précises et fortes qui ont été posées au

principe de sélection des risques en assurances de personnes.

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Section 1 Les limites à la sélection en assurance « prévoyance »

Nous avons précédemment exposé les fondements et les moyens de la sélection des

risques qui pouvait être opérée par l’assureur pour les assurances de personnes en

général. Il convient cependant de noter qu’à ce régime général se superpose un régime

particulier propre aux assurances de prévoyance.

Il s’agit en effet du domaine de la loi n° 89-1009 dite « loi Evin »38 et laconiquement

nommée relative « aux personnes assurées contre certains risques ». Son article 1er en

définit plus précisément le domaine : elle s’applique aux opérations ayant pour objet la

prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l’intégrité

physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d’incapacité de travail ou

d’invalidité et du risque de chômage.

Cette loi institue des dispositions tout à fait dérogatoires par rapport au droit

commun : pour certains contrats dits « à adhésion obligatoire », l’assureur ne peut plus

exercer de sélection individuelle des risques, tant en ce qui concerne la sélection

médicale que la définition des exclusions de risques. En outre, l’assureur sera contraint

dans ces contrats de garantir les conséquences des états pathologiques antérieurement

constitués.

Nous pouvons ainsi dire que la déclaration du risque demeure une exigence parce

qu’elle permet une sélection des risques au niveau collectif (§1) mais ne permet pas à

l’assureur de se livrer à une quelconque sélection individuelle des risques (§2).

38 Publ. JO 30 janvier 1990.

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§1. La sélection collective du risque.

Lorsqu’il adhère à une assurance de groupe, l’assuré renseigne à l’attention de l’assureur

une déclaration de risque relative à son état de santé ainsi que sa situation

professionnelle. S’agissant d’une assurance comportant un nombre important de

souscripteurs concomitants, l’assureur ne peut matériellement dépouiller des

questionnaires comportant de trop nombreuses questions ou des questions ouvertes. Il

se contente en effet de faire remplir une « déclaration » de risque prenant souvent la

forme de questionnaire à choix multiple avec un nombre restreint de questions.

En ce qui concerne l’état de santé, il est souvent simplement demandé à l’assuré s’il est

« en bonne santé » sans autre question précise (à condition toutefois que la réponse à

cette première question soit affirmative). En pratique, cette déclaration prend même

assez fréquemment la forme d’un texte pré-rédigé par l’assureur ou le rédacteur

d’assurance au bas duquel l’adhérent appose simplement sa signature. Par ce texte, le

candidat déclare par exemple ne pas se trouver en arrêt de travail pour raison de santé,

ne pas être atteint d’une infirmité, ne pas être atteint d’une maladie chronique, ne pas

avoir été en arrêt de travail plus d’une certaine durée, etc…

Le choix pour l’assureur de recourir à une simple déclaration de risque ou à un

véritable questionnaire médical lui appartient, celui-ci devant arbitrer entre avoir une

meilleure connaissance du risque qu’il prend en charge et une économie de sélection.

L’assureur peut en effet se permettre de procéder à une sélection moins rigoureuse des

risques car il prendra en charge un groupe entier comportant de bons risques comme

de mauvais risques. Ainsi, il existe d’ores et déjà une compensation des risques au sein

même de la population d’assurés qu’il prend en charge.

Cependant, afin de ne pas rompre l’équilibre du contrat, l’assureur ne doit pas, en

principe, accepter des individus présentant des risques anormalement supérieurs à la

moyenne du groupe. Cette sélection est possible à l’échelle individuelle dans certains

contrats collectifs à adhésion, mais est impossible dans les contrats collectifs à

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adhésion obligatoire relevant de la loi Evin, comme nous le décrirons. En ce qui

concerne l’évaluation collective, l’assureur détermine donc si le groupe qui lui est

soumis représente un risque suffisamment homogène avec peu de valeurs extrêmes. Il

a ainsi la faculté d’accepter ou de refuser le groupe dans son ensemble. L’assureur n’est

pas en effet tenu d’accepter la candidature d’un groupe, quand bien même ce serait au

titre d’une garantie à adhésion obligatoire : l’obligation en question est une obligation

d’adhérer mise à la charge des membres du groupe et non pas une obligation pour

l’assureur d’accepter toute candidature.

§2. La sélection individuelle du risque en assurance collective.

Une fois la décision prise par l’assureur d’assurer un groupe de risques qui lui est

soumis, il doit encore décider s’il assure l’ensemble des membres de ce groupe ou s’il

sélectionne certains risques. Cette faculté pour l’assureur dépend du cadre contractuel

dont est l’objet le contrat d’assurance : s’il ne s’agit pas d’un contrat de prévoyance dit à

adhésion obligatoire, il conserve toute latitude pour refuser de garantir ou garantir à

des conditions particulières (de tarif, de franchise, d’exclusion,…) tel ou tel membre du

groupe. En revanche, dans les contrats de prévoyance à adhésion obligatoires, il ne

pourra se livrer à une sélection individuelle.

A. L’ « institution » du contrat de prévoyance à adhésion obligatoire.

L’obligation d’accepter l’ensemble des adhérents (ou aucun) se rencontre dans les

assurances de groupe à adhésion obligatoire souscrites dans un cadre professionnel.

Cette restriction intéresse les contrats conclus au profit des salariés d’une entreprise à la

suite d’un accord collectif, d’un référendum ou d’une décision unilatérale de

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l’employeur afin de garantir des risques liés à l’intégrité physique de la personne ou à la

maternité, les risques d’incapacité de travail, d’invalidité ou de décès.

Lorsque le contrat de prévoyance est mis en place par une convention ou un accord

collectif de travail, les dispositions s’imposent aux salariés quel que soit le niveau

auquel ils ont été négociés (accord interprofessionnel, de branche, d’entreprise, etc…).

À l’échelon de l’entreprise, l’accord est nécessairement conclu entre l’employeur et les

syndicats représentatifs de l’entreprise. Ainsi, les conventions conclues entre

l’employeur et le Comité d’Entreprise ne remplissent pas cette condition et sont donc

assimilables à des décisions unilatérales.

Le caractère obligatoire du contrat collectif peut également résulter de ce qu’il a été mis

en place par référendum. Il est alors nécessaire d’obtenir l’accord de la majorité des

salariés quant au projet d’accord proposé par le chef d’entreprise.

Enfin, la troisième voie de mise en place est incarnée par la décision unilatérale de

l’employeur. Cependant, ce mécanisme s’assimilant à une modification de chacun des

contrats de travail des salariés de l’entreprise ou de la catégorie de salariés concernée, le

droit social s’applique et il conviendra donc de recueillir l’agrément de chaque salarié

pour savoir s’il accepte individuellement de se soumettre à ce régime de prévoyance.

Enfin, il nous faut noter que pour que le contrat soit qualifié d’assurance à adhésion

obligatoire, l’art. R. 140-2 du Code des assurances imposait la réunion cumulative de

cinq critères sommairement résumés :

- souscription du contrat par un ou plusieurs établissements dont l’objet n’est pas la

souscription d’un tel contrat ;

- souscription d’au moins 75% des effectifs assurables ;

- le capital assuré devait être calculé d’après un critère objectif qui est le même pour

tous ;

- souscription d’au moins 25 assurés :

- condition suspensive de mise en vigueur et de renouvellement à la réalisation des

conditions énumérées ci-dessus.

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Si une des conditions au moins n’était pas remplie, le contrat de prévoyance était

valable mais était réputé être à adhésion facultative, puisque l’art. R. 140-3 en donnait

une définition négative.

Ces dispositions des art. R. 140-2 et R. 140-3 du Code des assurances a été abrogé par

la loi dite Bérégovoy39 du 31 décembre 1989. De fait, la distinction entre contrats à

adhésion obligatoire et contrats à adhésion facultative n’est plus du domaine légal. Elle

se trouve cependant profondément ancrée dans les pratiques d’assurance, si bien que

tous les contrats existants ou souscrits à l’heure actuelle sont toujours répartis en

catégories de contrats à adhésion facultative ou obligatoire40.

B. Les effets attachés à cette « institution ».

Cette persistance de la typologie est très largement favorable aux assurés dans le sens

où cela permet de faire bénéficier les assurés à titre obligatoire des dispositions très

favorables du régime qui y est attaché (outre les dispositions fiscales avantageuses).

En effet, la loi Evin, qui n’explicite pas la notion d’assurance de groupe à adhésion

obligatoire, attache des conséquences importantes à l’obligation faite aux salariés

d’adhérer à une convention d’assurance dans le cadre de leur contrat de travail.

Le texte central de ce dispositif est l’article 2 alinéa 1er de cette loi :

« […] l ’organisme qui dél ivre sa garantie prend en charge les

suites des états pathologiques survenus antérieurement à la

souscription du contrat ou de la convention ou à l ’adhésion à

39 Loi n° 89-1014 « portant adaptation du Code des assurances à l’ouverture du marché européen ». 40 Par exemple, dans une espèce analysée infra (Cass. Civ. 1e 13 février 2001 « La Mondiale c/ Association

Lyonnaise de Prévoyance et autres »), le nombre de personnes concernées par la mesure de prévoyance à adhésion

obligatoire (applicables aux cadres uniquement) était de trois seulement, avec une personne (illégalement) exclue

de la garantie.

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ceux-ci , sous réserve des sanct ions prévues en cas de fausse

déc laration ».

Il résulte donc de ce texte que l’assureur ne peut refuser la souscription d’une personne

qui présente un « état pathologique ». La notion d’état pathologique n’est cependant

pas, chose regrettable, définie par ce texte.

Si on se réfère aux données de la science médicale, un état pathologique est « la phase

initiale d’une maladie […] qui se caractérise par une stabilisation relative des

symptômes »41 alors que la maladie en elle-même est « l’altération de l’état de santé se

manifestant par des symptômes et des signes »42.

Cette subtile classification est en fait la réponse du législateur à la pandémie du SIDA.

En effet, il y a tout lieu de considérer que la séropositivité est un état pathologique

alors que le SIDA déclaré est une maladie, de même que la contamination par le

VHC43 est un état pathologique qui pourra annoncer le développement d’une cirrhose

ou d’un cancer du foie qui sont des maladies.

Est ainsi mise en lumière la question de l’aléa : dans la mesure où une personne connaît

dès la souscription du contrat un état pathologique, la survenance de la maladie qui

amènera l’assureur à mettre en œuvre sa garantie peut-elle être qualifiée d’aléa ?

Une réponse péremptoire consisterait à se borner de constater que telle fut la volonté

du législateur. Mais il convient de se pencher plus avant sur la question et notamment

d’étudier la mise en œuvre de ce principe par la jurisprudence.

Dans un arrêt du 8 juillet 1994, la Cour de cassation44 casse un arrêt d’appel qui

considérait « qu’i l est inconcevable de se garantir des conséquences d’un événement

41 Définition extraite du Nouveau LAROUSSE Médical. 42 Définition extraite du dictionnaire de référence en matière médicale, le GARNIER-DELAMARE aux éditions

MALOINE. 43 Virus de l’Hépatite C 44 Cass. Civ. 1e, 8 juillet 1994, n° 92-15.551, RGAT 1994 p. 1089.

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passé qui ferait disparaître la notion du risque » . À l’opposé, la Cour de cassation

estime « qu’aucune c lause contraire n’ interdisait d’étendre le bénéf ice des

st ipulations contractuel les à un accident antérieur, dès lors qu’au moment de la

signature du contrat, le r isque en découlant n’était ni certain dans sa réal isation,

ni déterminable dans son étendue » . La Cour se fonde donc sur la notion d’aléa. Elle

juge en somme que bien que présentant un état pathologique, on ne peut prédire avec

certitude qu’une personne développera une maladie (ni même parfois quelle maladie) et

quelle sera l’étendue de ce risque et donc l’étendue de la prestation de l’assureur. Il

s’agit donc d’une notion étendue de risque qui ne se limite pas à la notion d’occurrence.

Cette position et ce fondement de la Cour de cassation ont par ailleurs été confirmés

par un arrêt45 du 30 janvier 1996. En corollaire à ces deux décisions, il faut donc

également conclure que l’assureur n’a pas à garantir les « maladies » antérieures à

l’adhésion à la convention.

Cependant, dans un arrêt46 du 7 juillet 1998, la Cour de cassation change le fondement

de sa motivation : celle-ci ne se fonde plus sur la notion d’aléa mais sur l’absence de

droit de l’assureur à pratiquer une sélection des risques sur des données médicales. La

Cour d’appel a donc, selon la Cour de cassation « exactement déduit que les

disposit ions de [ l ’art . 2 de la loi Evin] d’ordre public 47 interdisaient à l ’assureur

d’opérer une sé lect ion médicale en re fusant d’assurer une personne du groupe ou de

prendre en charge les r isques dont la réal isat ion trouvait son orig ine dans l ’é tat de

santé antérieur de l ’assuré ; […] el le a, par une appréciation souveraine, retenu

que lors de la souscript ion du contrat , le r isque de décès de Monsieur Benaïm était

encore aléatoire » . Le fait que Monsieur Benaïm ait été en arrêt de travail pour longue

maladie lors de son adhésion n’enlève donc pas au contrat son caractère aléatoire.

Notre opinion qu’en effet le fait d’être en arrêt de travail pour longue maladie n’induit

pas de relation de cause à effet quant à la survenance nécessaire du décès lors de la

45 Cass. Civ. 1e, 30 janvier 1996, n° 93-15.168, RGDA 1996 p. 399. 46 Cass. Civ. 1e, 7 juillet 1998, n° 96-13.848, « Euralliance c/ Benaïm et autres ». Publ. « Les dossiers de la

protection sociale », site internet http://planeteb.efrance-pro.com v° Prévoyance 1998. et Publ. Lamyline. 47 Le caractère d’ordre public de l’art. 2 (notamment) de la loi Evin résulte de son art. 10.

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période de garantie, cependant il est incontestable que la Cour porte une appréciation à

la place de l’assureur et ce, rétroactivement.

En outre et surtout, force est de constater qu’il y a abandon total de la distinction qui

était faite entre état pathologique et maladie, puisque dans cet arrêt la maladie était

avérée.

Ce raisonnement a été réitéré par la Cour le 13 février 2001 dans un arrêt48 également

relatif à une longue maladie au moment de l’adhésion. La Cour estime en effet que la

loi « prohibait l ’exclusion qui a été faite dès lors que ce l le- c i ne concernait pas la

total i té du groupe des salariés » . Selon Madame Fonlladosa qui se fonde sur des

travaux préparatoires49, si l’arrêt rapporté va au-delà de la lettre de la loi, il a pour

intérêt d’en respecter parfaitement l’esprit.

L’assureur devrait donc procéder à une sélection rigoureuse du groupe de risque dont il

assure la prévoyance obligatoire. Encore faudrait-il que les adhérents lui aient

correctement déclaré le risque. À défaut, il devrait pourvoir engager les procédures de

sanction des art. L. 113-8 et L. 113-9 du Code des Assurances ; l’art. 2 al. 1er in fine de

la loi Evin50 prévoit en effet le recours à ce mécanisme. Cette possibilité a cependant

été écartée dans l’arrêt de cassation du 7 juillet 1998 précité pour les raisons que l’on

sait. L’assureur se trouve donc en posture très délicate et est invité à prendre toutes les

diligences et précautions nécessaires dans la réalisation d’une sélection correcte du

groupe. L’eldorado du groupe qui auto-compense ses risques n’est donc plus, et ce,

d’autant que comme nous l’avons dit, la mort des exigences légales de qualification en

prévoyance « obligatoire » conduisent à faire bénéficier de son régime protecteur des

populations pour lesquelles il ne semble pas justifié.

En outre, l’évolution jurisprudentielle que nous avons dépeinte et qui montre

l’importance d’effectuer une sélection des risques aussi précise que possible du groupe en

se renseignant (ou parfois devrait-on dire en ne renonçant pas à se renseigner) sur ses 48 Cass. Civ. 1e , 13 février 2001, n° 98-12.478, RGDA 2001 p. 373., Droit Ouvrier août 2001 p. 360. 49 Rapport Huriet, Doc. Sénat 1989 n°34 ; rapport Le Guen, Doc. A.N. 1989 n° 1057. 50 « sous réserve des sanctions prévues en cas de fausse déclaration ».

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membres, prouve combien l’assureur est soumis à l’aléa jurisprudentiel, véritable risque

de développement du droit positif. La prévisibilité de la règle (à défaut de pouvoir

parler de norme) juridique applicable confine et invite l’assureur à plus de rigueur dans

la sélection a priori des risques qu’il garantit, celui-ci ne devant plus tirer argument de

l’existence d’une sanction a posteriori pour réguler le mécanisme. Cette absence de fait

de sanction pose également l’inquiétante interrogation de la possibilité que nombre de

candidats malveillants s’engouffrent dans cette brèche.

Cette étude de la sélection des risques en assurance de prévoyance à adhésion

obligatoire ne serait pas complète si nous manquions de préciser que l’assureur est

invité en la matière à opérer une sélection plus radicale et ce, pour deux raisons :

En premier lieu, l’assureur, s’il a l’interdiction de refuser l’adhésion d’une personne

individuellement s’il accepte le groupe, n’a pas davantage le droit de majorer la prime

de cette personne par rapport aux autres personnes du groupe quand bien même elle

présenterait un risque accru.

En second lieu, l’assureur n’a pas non plus la faculté de formuler des exclusions de

garantie qui ne seraient pas applicables à l’ensemble des salariés. En outre, il lui est

formellement interdit de dénier sa garantie pour une « pathologie ou affection qui

ouvre droit au service des prestations en nature de l’assurance maladie du régime

général de sécurité sociale » pour le remboursement ou l’indemnisation « des frais

occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident »51.

Pour conclure cette étude relative à l’assurance « prévoyance » à adhésion obligatoire,

nous pouvons nous interroger sur les moyens de sélection des risques qui sont

réellement à la disposition de l’assureur en la matière. Il lui est interdit de procéder à

une sélection individuelle des adhérents en terme d’acceptation de garantie, de

modulation de tarif ou de champ de garantie et d’exclusions. Il ne lui reste ainsi que la

possibilité de sélectionner un groupe ; la sélection est cependant malaisée pour les

51 Art. 2 alinéa 2 de la loi Evin du 31 décembre 1989.

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groupes numériquement importants qui sont les seuls qui demeurent à priori équilibrés

(et rentables). Nous estimons que le maintien de la qualification de « contrat à adhésion

obligatoire » pour des conventions qui ne remplissent pas les conditions techniques qui

existaient auparavant risque de nuire à ce marché.

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Section 2 Les limites à la sélection en assurances de personnes en général : l’assurance soumise à l’éthique.

Les développements qui vont suivre ont pour but de mettre en lumière les limites qui

ont été apportées à la faculté pour l’assureur de sélectionner les risques présentés par

les candidats à l’assurance.

Les fondements de cette logique sont doubles : l’assurance est en premier lieu une

activité extrêmement réglementée parce qu’elle brasse des capitaux financiers colossaux,

parce qu’elle repose sur l’idée de risque tout en recherchant à éviter la spéculation,

etc… L’assurance est également en second lieu une opération commerciale (assurance

santé obligatoire mise à part) ; elle obéit ainsi à des impératifs en terme de

commercialisation et de marketing notamment qui imposent à l’assureur de faire cas

des réactions du public auquel il s’adresse.

Il apparaît que le sujet de la science médicale, intimement et irrémédiablement lié à la

pratique – nous n’oserons dire à la science, l’actuariat n’étant in f ine qu’une

théorisation de la gestion de l’incertain et est donc par là même elle aussi sujet à une

certaine marge d’erreur – de la sélection des risques. Or nul n’a besoin de préciser que

les pouvoirs publics, au moins autant que l’opinion publique, se sont emparés des

questions d’éthique biomédicale qui se sont transformées en véritables débats de

société.

Ces débats que l’on retrouve présents dans la doctrine médicale aussi bien que dans la

doctrine juridique se cristallisent autour de deux grands thèmes que nous nous

proposons de développer. En premier lieu, il convient de faire état du formidable

développement et des perspectives entrouvertes par l’arrivée à une certaine maturité de

la génét ique ; les assureurs ont depuis longtemps compris que cette science pourrait

leur apporter des réponses à des questions capitales sur les sujets qu’ils assurent (§1).

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En second lieu, l’assureur, nous l’avons vu, peut solliciter certaines informations à

caractère médical et donc très personnel. Il est cependant contraint par des mesures

destinées à faire respecter le secret médical à ne pouvoir opérer une sélection aussi

libre qu’il l’aurait souhaité (§2).

L’Etat avait donc un impérieux devoir de contrôle qui est renforcé par la tradition

avant-gardiste sur la question des Droits de l’Homme que la France incarne. Les

compagnies d’assurance n’ont pas pour autant cherché à tirer le maximum d’avantages

et se sont, dans ces deux domaines des informations génétiques et des informations

relevant du secret médical, auto-limitées par la fixation de moratoires ou codes de

bonne conduite.

Nous devons pour le surplus indiquer que ces développements ne concernent pas

uniquement les assurances de personnes individuelles mais sont également sous-

jascents à la sélection des risques collectifs.

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§1 – L’interdiction faite aux assureurs de tirer profit des données

issues de la génétique individuelle.

La génétique est la science de la transmission des caractères héréditaires créée par

Gregor Mendel en 1865. Elle repose sur l’analyse des chromosomes et des gènes qui

sont les supports de cette information génétique inscrite dans le noyau de nos cellules.

Le Comité Consultatif National d’Ethique52 (CCNE) évoque l’histoire tumultueuse de

cette science qui a servi dans la première moitié du XXème siècle de caution scientifique

au courant eugéniste très puissant dans différents pays. De fait, il existe une méfiance

latente dans l’utilisation de ce support qui pourrait porter atteinte aux valeurs éthiques

que véhicule et qu’incarne notre société. Le souci de contrôler ce que les assureurs

peuvent tirer de ces informations est donc majeur.

Cette attention particulière qui est portée au gène est amplifiée par le mythe américain

du gène conduisant au postulat que le génome serait le « livre de la vie » d’un individu.

Le CCNE indique à cet égard qu’une telle conception est « scientifiquement

inacceptable et éthiquement dangereuse ».

La raison pour laquelle l’assureur de personne cherche naturellement à faire usage de

telles informations est qu’elles sont liées à la possible survenance future de maladies. La

génétique a donc été dépeinte comme un outil de prédiction de l’évolution de la vie des

individus (vie saine, survenance de maladie, décès prématuré, etc…). La médecine

prédictive incarne focalise donc une « tension entre équité actuarielle et justice

sociale »53.

52 Rapport n° 46 du 30 octobre 1995 du CCNE « Génétique et Médecine : de la prédiction à la prévention ». 53 Alex Mauron « Médecine prédictive et destinées individuelles : la tension entre équité actuarielle et justice

sociale », Journal International de Bioéthique vol. 7 n°4 p. 304.

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L’assureur, nous l’avons déjà exprimé, cherche à se faire une idée la plus précise et la

plus fidèle possible à la réalité des risques que représentent l’adhésion d’une personne à

la mutualité des assurés puisque l’assurance est une gestion des risques incertains.

Pour autant, l’assureur est-il en droit d’effectuer des discriminations d’ordre génétique

entre les candidats à l’assurance ? Nous avons déjà rapporté le fait que la loi pénale

déroge au principe de non-discrimination fondée sur l’état de santé lorsqu’il s’agit

d’assurance de personnes. Cette dérogation vaut-elle également pour les données tirées

de la génétique ? (B). Nous nous interrogerons auparavant sur les raisons théoriques,

idéologiques et éthiques du refus des test génétiques comme outils de sélection des

risques (A).

A. La génétique, un moyen de sélection des risques inacceptable du

point de vue éthique.

La question centrale repose donc sur la discrimination qui peut ou non être exercée.

D’un point de vue purement éthique, il ne pourrait être envisagé de justifier une

discrimination que pour autant qu’elle remplisse certains critères :

- reposer sur des critères objectifs ;

- reposer sur des critères pertinents ;

- être exercée dans un intérêt supérieur.

En ce qui concerne le premier critère, il ne pourrait être contesté que les données

acquises de la science en matière de génétique sont aujourd’hui assises sur des

expériences solides et validées par des experts autorisés dont les compétences ne

peuvent être remises en cause. Il convient cependant de mettre en avant le caractère

émergent de cette science, si bien que la vision que nous pouvons avoir à l’heure

actuelle de la génétique est très parcellaire et nous sommes encore dans l’ignorance des

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La sélection des risques en assurances de personnes

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plus grandes découvertes. L’état de connaissances à un temps donné est donc toujours

relatif et la jeunesse de cette science ne permet pas encore de l’appréhender de manière

suffisamment globale pour lui conférer des conclusions suffisamment représentatives

des caractéristiques d’un individu. Il est par exemple notoire que les travaux de

recherche en la matière portent essentiellement sur les facteurs pathogènes et non au

contraire sur les facteurs de bonne santé ; dès lors, celui qui ne s’attacherait qu’à la

présence de marqueurs génétiques pathologiques se prive de partie de l’appréciation de

la santé d’un individu qui a un champ beaucoup plus large.

En second lieu, les critères de discrimination doivent être pertinents. Le choix de la

recherche de la simple présence de marqueurs n’est pas suffisant. Il existe en effet

différents types de maladies ayant une relation avec les données génétiques d’un

individu : les maladies monogéniques relèvent de la modification d’un seul gène

(maladie de Huntington, myopathie de Duchenne, myopathie de Steinert,

mucoviscidose, etc…) ou les maladies chromosomiques qui relèvent de l’altération non

plus d’un gène mais d’un chromosome ou d’une portion de chromosome (trisomie,

etc…) sont relativement faciles à identifier. Par contre, il existe de très nombreuses

maladies dites « multifactorielles ». Ces affections ne sont pas déterminées par la simple

mutation mais résultent de la combinaison défavorable d’un ensemble de facteurs et

notamment les facteurs environnementaux. Le Professeur Axel Kahn relève54 que « ces

dernières [maladies multifactorielles] représentent en fait la majorité des maladies dont

on meurt : la susceptibilité aux maladies infectieuses, la démence d’Alzheimer, les

maladies neuro-dégénératives, l’hypertension artérielle, l’obésité, les cancers, etc… ».

Pour la majorité des maladies, il n’est ainsi pas possible de se fonder sur les simples

données génétiques qui ne représentent pas des données représentatives et donc

pertinentes.

54 Professeur Axel Kahn « Génétique et médecine de prévision : connaissance, destinée et liberté » in Espace

éthique La lettre n° 13-14 été-automne 2000, p. 79-81.

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Enfin, il convient de s’interroger sur le caractère utile d’une telle recherche, du profit

qui pourrait en être tiré par les parties ou qui devrait même relever d’un intérêt

supérieur.

Or à ce niveau, les bas blesse. Les assureurs sont-ils en mesure de justifier que la

configuration actuelle est nettement moins favorable à la société que celle dans laquelle

ils pourraient tirer avantage des données issues de la génétique ? Rien n’est moins sûr.

Il convient en effet de s’interroger à un double niveau.

D’abord, quelle est la valeur que l’assureur peut accorder à ce type de données ?

Dans des hypothèses limitées, ce type de test a une valeur pré-symptômatique, c’est à

dire qu’on peut estimer qu’à coup sûr le sujet qui est sain à l’heure actuelle va

développer une maladie, la seule incertitude relevant de la date de survenance de cette

maladie. (Exemple : pour les sujets porteurs de mutations sur les quatre gènes de

l’HNPCC55, le risque de développer un cancer colorectal est de pratiquement 100%

avant 50 ans).

Dans la majorité des hypothèses, il s’agira non pas d’un diagnostic pré-symptômatique

mais d’un diagnostic « de susceptibilité ». Il n’est en effet pas possible de déterminer

avec certitude qu’un individu développera une maladie, mais cette probabilité est plus

élevée que dans la population moyenne ; un contexte environnemental défavorable

notamment pourrait conduire à une prévalence plus forte de la maladie (ex : facteur

tabagique dans les maladies coronariennes survenant suite à une hypercholestérolémie

familiale). Aussi la prise en compte de critères purement génétiques n’est pas

concevable.

Ensuite, les assureurs ne peuvent justifier que le développement de telles

pratiques conduirait à apporter un avantage au consommateur d’assurance ou à la

société en général. Au contraire, il serait permis de penser que compte tenu de

l’équilibre satisfaisant qui existe actuellement, il serait pour le moins inopportun de

modifier cet équilibre en excluant du bénéfice de l’assurance certaines personnes

pouvant présenter un risque hypothétique accru alors que certains types d’assurance

55 Cancer colorectal héréditaire sans polypose.

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revêtent un caractère d’intégration sociale (comme nous l’avons développé pour l’accès

à l’assurance des risques de santé aggravés).

Aussi selon nous, l’utilisation des tests génétiques à l’heure actuelle ne remplit pas les

conditions indispensables à la reconnaissance d’un droit à la discrimination d’un tel

degré.

Nous relevons à cet égard une opposition idéologique entre l’assureur et les pouvoirs

publics. La logique de l’assurance privée est en effet, relève Axel Kahn56, « de proposer

un contrat non pas égal i taire mais équitable aux assurés , et le contrat équitable est

ce lui qui est proport ionné au risque » .

Du point de vue actuariel, il n’existe pas de discrimination injuste en elle-même ; la

discrimination n’est injuste que si elle est injustifiée. Or l’équité actuarielle est

totalement compatible avec les pratiques d’exclusion sur base génétique pour autant

que les critères n’en soient pas arbitraires. La surprime sera en effet le reflet exact du

surplus de risque engendré.

À l’opposé, la justice sociale repose sur la notion d’égalité des personnes qui est une

égalité de droits et non une égalité empiriquement détectable. L’égalité relève d’une

revendication éthique et non d’un constat factuel, et Alex Mauron de formuler ce

concept que « l’égalité se dit à l’impératif et non à l’indicatif »57. Ce concept d’égalité

sociale n’a pas pour idéologie de nier les différences de situations qui existent, mais il

adopte une logique inverse à l’assurance en ce qu’il aboutit à la conclusion que les

inégalités doivent au contraire être compensées. Le philosophe Kitcher exprime ce

point de vue au sujet de l’assurance maladie : « si l’égalisation des chances nous importe

vraiment, nous devrions offrir à ceux qui sont pauvres et génétiquement malchanceux

une couverture maladie à un prix inférieur à celui appliqué aux autres personnes »58. 56 Article précité. 57 Article précité, page 307. 58 P. Kitcher « The lives to come : The Genetic revolution and Human Possibilities », 1996.

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À notre sens, il n’existe à l’heure actuelle pas de justification qui impose ou justifie le

recours à la génétique davantage que par le passé. En effet, la seule justification qui à

nos yeux puisse justifier la communication de données génétiques à l’assureur serait le

développement dans les faits d’une situation d’asymétrie d’information conduisant à

une antisélection des assurés.

Il serait logique de débattre de la question de transmettre les résultats génétiques à

l’assureur si l’assuré les connaissait et adoptait un comportement antisélectif. Or

aujourd’hui, la proportion de personnes qui réalise des tests de dépistage par analyse

génétique est très restreinte. La quasi-totalité de la population ignore en effet ses

prédispositions génétiques aux maladies, alors il serait tout à fait anormal de la

contraindre à réaliser de tels tests. Les auteurs développent en effet des théories du

« droit à l’ignorance »59.

Enfin, il convient de faire remarquer les conséquences qu’aurait l’admission de tels

tests. Au premier chef, cela conduirait à marginaliser une partie de la population qui ne

pourrait avoir accès aux assurances que le Professeur Mauron situe dans une « zone

grise », c’est à dire située à la croisée des chemins entre protection privée et protection

du service publics. Dans une seconde perspective, cela reviendrait à devoir admettre

une autre forme d’antisélection que nous avons décrite dans notre précédente partie, à

savoir que les sujets qui se sauront exempts de ces « vices génétiques » intrinsèques à

leur personne chercheront au mieux à négocier leurs tarifs à la baisse, et à l’extrême

résilieront leurs contrats, jugeant que le risque qu’ils ne représentent pas un risque

suffisamment prononcé pour devoir s’assurer. L’économiste Nickerson décrit en

l’occurrence que les véritables bénéficiaires d’une telle pratique ne seront pas les

compagnies d’assurance mais les clients pouvant prouver qu’ils représentent un risque

génétique faible car « en dernière analyse, les compagnies d’assurance ne seront ni en

meilleure ni en plus mauvaise posture qu’à présent ; la seule différence est qu’elles 59 Professeur Annick DORSNER-DOLIVET « La divulgation des résultats des tests génétiques », intervention à

la journée régionale d’éthique de Lille du 19 avril 2002 sous l’égide du C.C.N.E., in Revue générale de Droit

Médical 2002 n°8 p. 47.

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encaisseront un revenu plus faible d’un groupe, plus élevé d’un autre ; leurs profits

devraient rester à peu près ce qu’ils sont maintenant »60. Nous nous interrogeons alors

sur l’opportunité d’introduire plus de frustration sociale alors qu’il n’existe pas de

demande de la part des consommateurs d’assurance ni d’espoir de profit

supplémentaire pour les assureurs.

Nous venons de décrire les fondements théoriques qui justifient le refus actuel

d’autoriser les assureurs à utiliser les résultats issus de dépistages génétiques.

Examinons à présent l’expression juridique de ce choix de société.

B. L’interdiction juridique de l’utilisation des tests génétiques en

sélection des risques.

L’interdiction juridique pour les assureurs qui leur est faite de faire usage des tests de

dépistage génétiques intervient à trois niveaux en des termes plus ou moins

contraignants.

1. Au niveau international.

a. Au niveau du Conseil de l’Europe.

Le Comité directeur de bioéthique du Conseil de l’Europe a créé un instrument

juridique ouvert à la signature des états membres le 4 avril 1997 intitulé « Convention

pour la protection des droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des

applications de la biologie et de la médecine, Convention sur les droits de l’Homme et

de la biomédecine ».

60 P. H. Nickerson « Genetic testing and insurance » in Nature 1996 p. 380-386.

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En son article 11, ce texte dispose :

« Toute forme de discr imination à l ’encontre d’une personne en

raison de son patrimoine génét ique est interdite ».

Et l’article 12 d’ajouter :

« Il ne pourra être procédé à des tests prédict i fs de maladies

génét iques ou permettant soit d’ identi f ier le sujet comme

porteur d’un gène responsable d’une maladie , soi t de détecter

une prédisposit ion ou une susceptibi l i té génét ique à une

maladie , qu’à des f ins médicales ou de recherche médicale , e t

sous réserve d’un consei l génét ique approprié » .

La rédaction de ces articles est suffisamment claire et explicite pour interdire tout

recours par l’assureur à la technique de la génétique.

b. Au niveau des Nations Unies

La Conférence générale de l’UNESCO a adopté en 1997 la Déclaration Universelle sur

le génome humain et les droits de l’Homme, préparée par le Comité International de

Bioéthique. Son article 4 dispose :

« En son état naturel , i l [ le génome humain] ne peut donner

l ieu à des gains pécuniaires » .

c. Au niveau du Parlement Européen

La Parlement Européen a mis en place une commission temporaire « génétique

humaine et autres nouvelles technologies de la médecine moderne ». Cette commission

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a notamment auditionné61 le 26 mars 2001 le Professeur Alexandre Mauron, dont nous

avons déjà fait état des travaux. Cette intervention s’est axée autour de la sélection des

risques en assurance vie.

d. Portée de ces contributions internationales

Ces contributions internationales ont une portée très limitée. Elles ne prennent la forme

que de conventions signées par les états. De fait, elles ne lient que ces derniers qui ont

pour charge de transposer dans leur législation ou faire respecter dans leur droit positif

les principes arrêtés. Cette protection est faible et illusoire, car non contraignante pour

les personnes de droit privé ressortissantes de ces états.

En France, le 30 mars 1998, le Ministre de l’Economie et des Finances répond à

l’Assemblée Nationale à une question62 du député Mamère qui l’interrogeait à ce sujet :

« concernant la médecine prédictive et l’utilisation des tests génétiques comme

révélateurs de maladies futures ou de risques de maladie future, de récents instruments

juridiques internationaux impliquent désormais d’interdire et de sanctionner toute

discrimination à l’encontre d’une personne à raison de son patrimoine génétique. Il

s’agit de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur le génome humain et de la

Convention européenne sur les droits de l’Homme et de la biomédecine, textes que la

France a signés et que, pour la seconde, elle devrait bientôt ratifier. En application de ce

principe de non-discrimination, il apparaît difficile que notre dispositif juridique

autorise à l’avenir l’utilisation de tests génétiques prédictifs en dehors du domaine de la

santé ou de la recherche, toute utilisation dans le cadre de l’assurance ou de l’emploi,

par exemple, étant susceptible d’être sanctionnée comme discriminatoire ».

61 Doc. Parlement Européen n° DV/434777FR « Tests génétiques post-natals : leurs implications bioéthiques

pour les individus et la société ». 62 Rép. Min. à la question de M. le Député Mamère QE n° 12508 du 30 mars 1998 (Publ. P. 1728), Rép. Publ.

JOANQ 25 janvier 1999, p. 448

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2. En France au niveau professionnel.

Sensible à la question et aux inquiétudes qui peuvent poindre parmi les assurés (ou

plutôt ceux qui voudraient pouvoir s’assurer à l’avenir), les société d’assurances membre

de la FFSA ont adopté dès 1994 un accord pour une durée de cinq ans par lequel elles

s’engagent à ne pas tenir compte du résultat des études génétiques des caractéristiques

des souscripteurs d’une police d’assurance, quand bien même ceux-ci apporteraient la

preuve de l’absence de risque qu’ils représentent, pratique qui est à craindre, comme

nous l’avons mentionné dans nos développements précédents.

Cet engagement a été reconduit le 23 mars 1999 pour une nouvelle période de cinq ans

au cours de laquelle nous nous situons actuellement.

L’engagement ne se fonde cependant pas (officiellement) sur des considérations

éthiques : il indique en effet que les assureurs considèrent que « le caractère encore

expérimental de cet te information [génét ique] interdit , en l ’é tat actuel des

connaissances , de déc ider de la conduite à tenir » .

En d’autres termes, les assureurs de la FFSA ne portent pas de jugement de valeur

négatif de la pratique et se ménagent ainsi une porte ouverte à un recours ultérieur à

cette technique de sélection des risques. Le motif invoqué est la non fiabilité même si le

texte conclut que « cet te att i tude re joint le souci des parlementaires et des

sc ienti f iques d’adopter, vis à vis des conséquences éthiques, morales et soc iales de

cet te révolution sc ienti f ique, une att i tude pragmatique » . Cette justification apparente

est cependant en contradiction avec les données acquises de la science. Le dépistage de

la maladie de Huntington (dont les sujets révélés positifs seront nécessairement atteints)

est par exemple fiable à 100%. La voie du recours éventuel ultérieur à ces tests était

même clairement envisagée puisque ce délai de cinq ans (reconduit) avait pour finalité

d’instaurer une réflexion « sur les règles d’une déontologie susceptible de régir une

éventuel le uti l isation des résultats de ces tests par l ’assurance » .

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En pratique, le texte pose des engagements précis : cela signifie que les assureurs,

pendant cette période :

« ne poseront pas de quest ions re lat ives aux tests génét iques et

à leurs résultats dans les quest ionnaires de r isques » ;

« ne demanderont pas aux candidats à l ’assurance de se

soumettre à des tests génét iques, ni de fournir les résultats de

tests préexistants ».

Le système adopté est donc plus protecteur qu’en matière de diagnostic de

séropositivité pour laquelle le candidat est tenu de la déclarer s’il a pratiqué un test dont

il connaît le résultat.

3. L’intervention du législateur français.

En l’absence de tout texte contraignant à proprement parler pour les assureurs et

compte tenu des engagements internationaux qui avaient été souscrits par la France, le

législateur a introduit dans le droit positif français un texte qui prohibe le recours aux

dépistages génétiques aux fins de sélection des risques en assurance. La loi63 du 4 mars

2002 introduit un article L. 1141-1 au Code de Santé Publique (recodifié L. 1151-1),

également reproduit dans le Code des assurances (art. L. 133-1), au Code de la Sécurité

Sociale (art. L. 932-29) et au Code de la Mutualité (art. L. 112-4), fait révélateur de

l’importance qui est donnée à cette disposition historique :

Les entreprises et organismes qui proposent une garantie des

risques d' invalidité ou de décès ne doivent pas tenir compte des

résultats de l 'examen des caractérist iques génét iques d'une

personne demandant à bénéf i cier de cet te garantie , même si

ceux-ci leur sont transmis par la personne concernée ou avec

63 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, art. 97 et 98, JORF 5 mars 2002.

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son accord. En outre, i ls ne peuvent poser aucune quest ion

re lat ive aux tests génét iques et à leurs résultats , ni demander à

une personne de se soumettre à des test s génét iques avant que

ne soit conclu le contrat et pendant toute la durée de ce lui -ci ».

Le texte reprend ainsi les engagements de la convention de la FFSA, en ne faisant

cependant plus référence aux questionnaires de risques. L’interdiction vaut donc aussi

bien lors de la phase de souscription du contrat que lors de la vie du contrat.

L’intérêt de ce texte est également d’édicter une sanction, qui plus est de nature pénale,

afin d’en garantir le respect : la peine est de un an d’emprisonnement et de 20.000

Euros d’amende. Ces dispositions s’appliquent, en vertu de l’art. 101 de la loi précitée,

aux contrats en cours.

Propos conclusi fs :

Nous souhaitons conclure cette étude en relativisant la contrainte qui est ainsi créée à la

charge des compagnies d’assurance.

Au terme de ces développements, il apparaît en effet que le recours aux dépistages

génétiques est totalement prohibé à des fins de sélection des risques, et même plus

largement à des fins autres que médicales ou de recherche médicale.

La législation française adopte ainsi une position tout à fait claire, mais contradictoire à

celle qui peut exister dans certains autres pays, tel le Royaume-Uni. Les assureurs

britanniques ont en effet obtenu de pouvoir pratiquer des dépistages génétiques dans

une pratique « contrôlée », sans que cette utilisation soit libre, grâce à des mécanismes

originaux repris dans un code de bonne conduite (par exemple en limitant les tests

pouvant être réalisés, en pratique les maladies monogénétiques dont nous avons parlé ;

en créant l’institution du « Genetics advisor » ; etc…), code qui a reçu la caution du

gouvernement.

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Il serait pourtant erroné d’avancer l’argument qu’en adoptant une telle législation la

France se place en recul par rapport à d’autres pays dont les compagnies d’assurance se

trouveraient favorisées. En effet, la législation communautaire applicable à la libre

prestation de service (LPS) prévoit que la loi applicable au contrat d’assurance est la loi

de l’assuré. En définitive, l’assuré français sera traité avec les mêmes égards qu’il fasse

appel à un assureur hexagonal, britannique ou autre, aussi bien en ce qui concerne les

discriminations négatives que les discriminations positives pour ceux qui voudraient se

prévaloir de leur état « génétiquement sain ».

§2 – Le secret médical, un droit absolu de l’assuré même lors de la

sélection des risques.

Le secret médical est une obligation fort ancienne qui s’applique aux médecins. Le

serment d’Hippocrate, dans son quatrième paragraphe in fine dispose :

« Tout ce que je verrai ou entendrai autour de moi, dans

l 'exerc ice de mon art ou hors de mon ministère , e t qui ne devra

pas être divulgué, je le tairai et le considérerai comme un

secret »64.

Le secret qui y est décrit entoure et protège plus l’environnement du malade qu’il ne

concerne la divulgation du mal dont il est atteint. Mais il est un consensus autour du

respect de la plus grande discrétion autour des circonstances qui font qu’un patient

vienne consulter son médecin. Cette obligation est en outre posée par le Code de

64 Serment d’Hippocrate, traduction de Littré.

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déontologie médicale65 que les médecins sont astreints de respecter, sous peine de

sanctions, cette profession étant fortement réglementée :

« Le secret professionnel, institué dans l ' intérêt des

patients, s ' impose à tout médecin dans les conditions

établies par la loi.

Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance

du médecin dans l 'exercice de sa profession, c'est-à-dire

non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il

a vu, entendu ou compris »66.

« Le médecin doit protéger contre toute indiscrétion les

documents médicaux concernant les personnes qu’il a

soignées ou examinées, quels que soient le contenu et le

support de ces documents.

Il en va de même des informations médicales dont il peut

être détenteur […]»67.

Or la loi, comme y fait référence l’alinéa 1er ci-dessus, prévoit expressément l’existence

d’un secret médical sanctionné par l’art. 226-13 du nouveau Code Pénal de un an

d’emprisonnement et 15.000 Euros d’amende. Outre la sanction pénale, le médecin qui

manquerait à son obligation contractuelle s’expose à des sanctions civiles, puisque

l’obligation de secret est une obligation de résultat.

La loi s’inspire du principe général édicté par l’art. 9 alinéa 1er du Code civil suivant

lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée » . Le texte qui en définit les

modalités a précisément été modifiée il y a peu par la loi du 4 mars 2002 :

65 Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995. 66 Code de déontologie médicale, art. 4. 67 Code de déontologie médicale, art. 73.

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« Toute personne prise en charge par un profess ionnel , un

établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme

partic ipant à la prévention et aux soins a droit au respect de

sa vie privée et du secret des informations la concernant » .

La loi du 4 mars 2002 indique ensuite quel est le contenu de ce secret

médical :

« Ce secret couvre l 'ensemble des informations concernant

la personne venues à la connaissance du professionnel de santé,

de tout membre du personnel de ces établissements ou

organismes et de toute autre personne en re lat ion, de par ses

act ivi tés , avec ces établissements ou organismes ».

Il convient de prendre note dès à présent que ces obligations sont celles de tout

médecin, qu’il soit le praticien choisi par son patient ou qu’il soit le médecin-conseil de

la compagnie d’assurance.

Ces principes impliquent ainsi que le médecin traitant ne peut communiquer au

médecin-conseil de l’assureur d’information ou de document que s’il est saisi d’une telle

demande par son patient.

Nous allons nous attacher à montrer que ce secret médical porte atteinte à la faculté de

l’assureur de procéder à une sélection correcte des risques qu’il assure, et ce, à deux

niveaux : d’abord lors de la phase de sélection proprement dite, ensuite lors du

règlement du sinistre.

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A. Le secret médical lors de la phase de sélection des risques.

Lors de la sélection du risque qui lui est soumis, l’assureur a besoin de connaître

certains éléments ayant trait à la santé du candidat afin de lui proposer ou non une

garantie, et en des termes adaptés à sa situation.

Nous avons déjà abordé les modalités de cette sélection médicale : elle peut être

pratiquée par voie de questionnaire médical adressé directement au candidat. Dans ce

cas, c’est ce dernier qui prend la décision de dévoiler certains aspects de son dossier

médical. Une décision récente 68 reconnaît que l’intéressé peut renoncer au secret

professionnel à l’égard d’une compagnie d’assurance : « L'acceptation par l'assuré de la

divulgation de certains éléments le concernant constitue une renonciation anticipée de

sa part et par suite de ses ayants droit au bénéfice du secret médical »69.

Le médecin-conseil peut aussi convoquer le candidat à un examen médical complet

avec éventuellement analyses de sang, radiographies, électrocardiogrammes, etc… Mais

dans cette hypothèse, le médecin est contraint de respecter le Code de déontologie

médicale :

« Le médecin expert doit , avant d'entreprendre toute opération

d'expert ise , informer la personne qu'i l doit examiner de sa

mission et du cadre juridique dans lequel son avis est

demandé »70.

« Dans la rédact ion de son rapport , le médecin expert ne doit

révé ler que les é léments de nature à apporter la réponse aux

quest ions posées . Hors de ces l imites , i l doit taire tout ce qu'i l

a pu connaître à l 'occasion de cet te expert ise »71.

68Cass. Civ. 1e, 29 octobre 2002, nº 517 FS-P, nº B99-17.187 69 Dictionnaire Permanent bioéthique, fascicule de mise à jour du 22 novembre 2002. 70 Code de déontologie médicale, art. 107. 71 Code de déontologie médicale, art. 108.

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Ainsi, selon une décision de la section disciplinaire du Conseil de l’ordre des médecins72,

le médecin « peut communiquer directement aux services administrati fs de l ’assureur

des informations que lui a fournies la vic t ime sur les atte intes dont e l le souf fre ainsi

que les conclusions administratives qu’i l t ire de l ’examen cl inique qu’i l a e f fec tué et

du diagnostic qu’i l en porte » . Cette position n’engage cependant que le Conseil de

l’Ordre et ne peut être érigé comme principe hors de ce contexte de police de la

profession.

Il ressort donc de ces développements que l’assureur reste tributaire du bon vouloir du

candidat quant à la masse d’informations qu’il peut collecter à son sujet. La seule

possibilité pour l’assureur – et qui demeure la plus sage – reste de refuser le risque

lorsque l’assuré ne communique pas toutes les informations sollicitées. Cette prudence

est à observer avec d’autant plus de raison qu’il est permis, en une telle hypothèse, de

suspecter une réticence du candidat à l’assurance. Cette réticence peut précisément

révéler une démarche d’anti-sélection.

L’assureur est donc tributaire des informations communiquées par son assuré à cause

de l’institution du secret médical, ce qui a des répercussions importantes sur la sélection

des risques à une autre étape : lors du paiement de la garantie.

B. L’incidence du secret médical sur la sélection des risques lors de la

réalisation du sinistre.

Nous avons précédemment décrit les mécanismes des art. L. 113-8 et L. 113-9 du Code

des assurances qui sanctionnent les fausses déclarations intentionnelles et non-

intentionnelles.

72 Section disciplinaire du Conseil de l’Ordre des médecins, 19 octobre 1994, Publ. Assurance Française n° 715,

novembre 1995, p. 18

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Ce mécanisme de sanction constitue un moyen de protection pour l’assureur. En effet,

sans sanction, une règle a peu de valeur car elle a peu de chances d’être respectée.

Cette crainte est d’autant plus justifiée dans une matière où l’antisélection est une

préoccupation majeure.

Ainsi, si le secret médical conduisait pour l’assureur à ne pas pouvoir appliquer la

sanction des art. L. 113-8 et L. 113-9, en ne pouvant contrôler la sincérité des

déclarations de risques faites ab init io , l’institution de la sélection des risques s’en

trouverait fortement ébranlée. Qu’en est-il dans les faits ?

Nous l’avons déjà dit, le praticien habituel ne pourra communiquer des informations

sans le consentement de son patient. Par contre, on peut s’interroger sur le maintien de

ce secret lorsqu’une demande en justice est introduite. Le régime du secret médical pour

les experts est en effet différent.

La jurisprudence 73 a reconnu le droit pour l’assureur de demander une expertise

destinée à éclairer l’exactitude de la déclaration du risque :

« Sauf à priver l ’art . L. 113-8 du Code des assurances de

tout e f fe t , l ’assureur, qui réunit les indices d’une éventuel le

rét i cence ou fausse déc laration intentionnel le de l ’assuré, est en

droit de sol l i c i ter une expert ise médicale af in d’administrer la

preuve de cet te rét i cence ou fausse déc laration intentionnel le , le

secret médical ne pouvant s ’opposer à ce que le médecin

traitant communique à l ’expert judic iaire des é léments

permettant d’établir s i l ’ intéressé a répondu sincèrement aux

quest ionnaires soumis, dès lors que le médecin traitant ne

donne aucune indication sur le genre ou les causes de la

73 TGI Paris 18 décembre 1989, RGAT 1999, p. 140.

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maladie dont le souscripteur pouvait être atte int en dépit de ses

déc larations contraires ».

La jurisprudence que connaîtra la Cour de cassation sera cependant beaucoup moins

favorable aux assureurs.

La cour s’attachait d’abord à faire en sorte que l’obligation de bonne foi qui entourait la

phase de souscription et de sélection soit maintenue. Le souscripteur devait en effet

renseigner l’assureur de manière complète et loyale. Dans ces conditions, l’assureur doit

pouvoir contrôler a posteriori ce qui lui a été déclaré ; cela implique que si l’assuré avait

volontairement remis des documents médicaux au médecin-conseil de l’assureur, ce

dernier est en droit de les transmettre à l’expert judiciaire nommé. L’opposition de

l’assuré à ce que soit levée cette partie du secret médical doit être rejetée dans la mesure

où elle tend « non pas à faire respecter un intérêt moral légi t ime, mais à faire

écarter un élément de preuve contraire à ses prétentions » . Il ne peut donc ainsi

« faire échec à l ’exécution de bonne foi du contrat auquel i l é tait partie , en mettant

l ’assureur dans l ’ impossibi l i té de prouver les rét i cences ou omissions volontaires

qu’i l lui imputait »74.

En outre, la violation éventuelle du secret médical n’emportait pas à elle seule la

neutralisation du problème de la fausse déclaration dont la preuve peut être rapportée

par d’autres moyens que les documents transmis irrégulièrement à l’expert judiciaire ou

au juge, notamment par aveu de l’assuré. Ce dernier ne peut dès lors faire grief au juge

d’avoir tenu compte d’une preuve obtenue par un procédé illicite et pénalement

répréhensible75.

La Cour de cassation a donc logiquement admis 76 la production de documents

médicaux en justice, à la demande de l’assureur, même lorsque cela conduit à démontrer 74 Cass. Civ. 1e 3 janvier 1991, n° 89-13.808. 75 Cass. Civ. 1e 10 décembre 1996, n° 94-17.317, RGDA 1997, p. 126. 76 Cass. Civ. 1e 9 juin 1993, n° 91.16.067, RCA 1993 comm. 348. et RCA 1993 chron. 34.

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la mauvaise foi de l’assuré. Le rapport 1993 de la Cour de cassation77 explicite bien ce

développement jurisprudentiel : « si la jurisprudence a apporté récemment quelques

tempéraments » à la règle selon laquelle le droit au secret « est en principe absolu »,

« l’idée est que le respect du secret est destiné à protéger des intérêts légitimes (le droit

de s’opposer à la divulgation de l’état de santé, le droit au respect de la vie privée) et

c’est le détourner de sa finalité que de l’utiliser dans un but illégitime », en particulier

lorsqu’il s’agit de faire obstacle à l’obligation de bonne foi qui prévaut dans les contrats

d’assurance. Ce rapport précise les conditions du rejet du secret médical : le document

se borne à des constatations banales telles que le traitement suivi, la nature de la maladie

ne devant pas y être mentionnée, et le refus de communiquer ce document conduirait à

éliminer un élément de preuve contraire à la prétention de l’assuré ou de ses ayants

droit.

La Cour de cassation semblait ainsi avoir trouvé un juste milieu conciliant les intérêts

des deux parties et ne portant pas d’atteinte trop grave aux droits de chacune d’entre

elles. Mais elle est revenue à plus d’orthodoxie sur le sujet du secret médical,

abandonnant par là même les préoccupations fondées sur le respect de la bonne foi.

Depuis deux arrêts du 6 janvier 199878 et du 12 janvier 199979, la Cour de cassation

affirme désormais que le secret médical est absolu et que le médecin-conseil ne peut

révéler à l’assureur des données obtenues auprès d’un de ses confrères.

Dans ces deux espèces le médecin-conseil avait obtenu des information auprès du

médecin traitant de l’assuré. Dans la seconde espèce, la lettre du médecin traitant avait

même été transmise à la justice bien que spécifiée « confidentiel ».

77 Rapp. Cour cass. Pour 1993, p. 330. 78 Cass. Civ. 1e 6 janvier 1998 n° 95-19.902 et n°96-16.721, « Crédit social des fonctionnaires c/ Benchimol et

Mutuelle Générale de l’Education Nationale », JCP G 1998 IV.1367, Bull. Lamy G n° 39 avril 1998 p. 1. 79 Cass. Civ. 1e 12 janvier 1999 n° 96-20.580, JCP G 1999 II10025, RCA 1999 chron. 13, Bull. Lamy I n°63 juin

2000 p. 1.

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Ce revirement de jurisprudence est assez sévèrement critiqué par les assureurs. Ces

derniers s’interrogent en effet sur les moyens dont ils disposeront encore afin de

s’assurer de la sincérité des déclarations qui leur ont été faites et sur lesquelles ils ont

fondé leur sélection des risques.

Une voie est cependant toujours ménagée : il s’agit de l’expertise judiciaire pure. En

effet, « en cas de difficulté il appartiendra au juge d’ordonner une expertise qui sera

réalisée dans le respect du principe du contradictoire »80.

Cette solution, il faut le noter, est cependant assez handicapante pour l’assureur. Il faut

en effet d’abord que soit acceptée par le juge sa demande de nomination d’un expert

judiciaire, ce qui signifie qu’il doit déjà être fait état d’éléments laissant présumer une

possible déclaration de mauvaise foi. Ensuite, l’expert judiciaire devra déterminer si au

moment de la souscription l’assuré était déjà atteint du mal qui a causé la garantie de

l’assureur (ce qui n’est déjà pas particulièrement aisé dans ces contrats à exécution

longue), mais encore se prononcer sur la connaissance ou non par le souscripteur de

cette maladie, puisque son ignorance de bonne foi n’aurait, elle, aucune incidence.

Notons que ceci a conduit certains assureur qui auraient des doutes sur la sincérité

d’une déclaration de risque à ne pas régler les prestations et à attendre d’être assigné,

seul moyen pour eux d’obtenir des informations médicales. Une telle pratique qui se

généraliserait serait à l’évidence un effet pervers et indésirable de la solution retenue.

Pour conclure cette étude relative à la contrainte apportée par le secret médical à

l’assureur qui souhaite sélectionner ses risques, nous devons signaler ce qui pourrait

s’apparenter à un récent virage important dans ce domaine.

La loi du 4 mars 2002 a proclamé le secret médical comme un droit « subjectif », un

droit attaché à la personne, ce qui induit de nouvelles conséquences juridiques. La Cour

de cassation dispose en effet désormais d’un pouvoir d’appréciation sur l’invocation du

80 Rapport Cour de cassation pour 1999, La Documentation Française 2000, p. 404.

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secret médical et elle peut retenir un abus de droit et autoriser la communication

d’informations médicales. Elle a déjà fait usage de cette nouvelle prérogative dans une

espèce ayant trait aux successions81 ; le fera-t-elle en matière d’assurance ?

81 Cass. Civ. 1e 22 mai 2002 n° 00-16.305 Bull. Civ. I 707 FS-P+B (Les ayants droit souhaitaient que soit fait la

lumière sur une éventuelle insanité d’esprit du de cujus. Rejet du pourvoi exercé contre la décision d’appel qui nie

au médecin la faculté de ne pas transmettre le dossier médical à l’expert judiciaire).

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Conclusion

L’étude que nous venons de mener traite de nombreux sujets se rapportant à la

médecine et à l’éthique notamment. C’est ainsi qu’interfèrent dans les mécanismes

précis et rigoureux de l’assurance des données qui ne relèvent pas uniquement de sa

technique propre.

Faut-il s’en émouvoir ? Nous ne le pensons pas, dans la mesure où l’assurance de

personne est un outil apporté aux personnes précisément afin de satisfaire à leurs

aspirations sociales de protection (d’eux-mêmes ou de leurs proches).

On peut cependant s’émouvoir lorsque les règles inspirées par un excès d’humanisme

conduisent à empêcher l’assureur d’exercer correctement son métier.

La sélection des risques est une pratique qui est au cœur du métier d’assureur et c’est la

raison pour laquelle il convient de porter une particulière attention à ce que l’équilibre

de la sélection ne soit pas altéré.

Seule une sélection juste et raisonnée permet de garantir avec efficience des prestations

aux assurés. Aussi, la justice pour l’assuré ou son bénéficiaire n’est pas nécessairement

antinomique à la raison qui prévaut en matière de sélection des risques. À l’échelle

macroscopique du moins.

Nous avons vu que le législateur est intervenu pour poser un cadre légal de sélection et

que dans certains cas il est même intervenu de manière autoritaire afin d’imposer une

certaine « justice » au niveau microscopique, afin de protéger les assurés

individuellement dans leurs droits les plus personnels.

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Le législateur n’est cependant pas le seul acteur dans ce domaine. Il existe en effet un

pouvoir de proposition et de concertation important des acteurs sociaux (associations

de malade, d’usagers, de consommateurs, partenaires professionnels, compagnies

d’assurance, etc…). Ces derniers sont même souvent à l’initiative des grands principes

en matière de sélection des risques qui ont été mis en place récemment.

Cela exprime à notre sens le profond intérêt de la société pour le mécanisme de

l’assurance ainsi que la grande réactivité avec laquelle les professionnels de l’assurance

sont soucieux de proposer des garanties adaptées aux situations nouvelles et émergentes

(augmentation des risques aggravés induisant de nouvelles « garanties de garantie »,

chronicisation des maladies évolutives qui ne sont plus nécessairement exclues, prise en

charge d’événements nouveaux affectant l’existence grâce à des garanties accidents de la

vie (GAV), etc…).

Le risque – qui est peut être déjà réalisé – est que l’inconscient collectif projette l’accès à

ces types d’assurance en droit à l’assurance. Il convient en effet de rappeler que

l’assurance privée n’a pas la même vocation qu’un service public. Il existe par exemple

une différence considérable entre l’assurance santé régie par le régime général de la

Sécurité Sociale, qui a vocation à assurer la santé du plus grand nombre, comme en

témoigne l’esprit de la loi sur la Couverture Maladie Universelle, et l’assurance santé

complémentaire individuelle dont l’accès est soumis à une sélection. L’assurance privée

ne peut, en l’état actuel, assumer des fonctions de service public.

On peut ainsi s’interroger sur les formes futures du développement de l’assurance de

personnes compte tenu du fait qu’elle tend à jouer malgré elle un rôle de socialisation

important. Verra-t-on apparaître un bureau de tarification des risques aggravés avec

obligation pour l’assureur d’accepter le souscripteur à un certain tarif ? Cette hypothèse

extrême est peu vraisemblable, et ce d’autant plus que la tendance actuelle est à la

souplesse par le truchement de négociations qui permettent de mettre en place des

conventions et codes de bonne conduite. Il faut à cet égard remarquer qu’il n’est pas

rapporté que les partenaires à ces conventions aient failli à leurs engagements.

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Il nous semble que la pratique de la sélection, telle qu’elle est mise en œuvre aujourd’hui,

est parvenue à une certaine maturité et un certain équilibre. Il conviendra de prendre

garde à ce que ceci ne soit pas compromis par des bouleversements brutaux résultant

par exemple d’une future utilisation possible des données génétiques individuelles si la

législation l’autorisait.

Aussi pensons-nous aujourd’hui pouvoir faire mentir Alain qui écrivait :

« La loterie plaît , parce qu'e l le t ire l ' inégal i té de l 'égal i té ;

l 'assurance déplait parce qu'e l le fai t justement le contraire » .

Emile-Auguste Chartier, dit Alain.

Propos I, 16 juillet 1912

Aujourd’hui l’assurance de personnes plaît parce qu’elle atténue les inégalités qui sont

induites par les aléas de l’existence dans ce monde profondément inégalitaire dans

lequel nous évoluons.

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ANNEXES

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LISTE DES ANNEXES

ANTISELECTION, SIDA, RISQUES AGGRAVES

- Cass Civ. 1e 7 octobre 1998

- Convention Belorgey du 19 septembre 2001

- « VIH et couverture d’assurance » SCOR

- « Assurabilité des risques aggravés » SCOR

ASSURANCE PREVOYANCE

- Cass Civ. 1e 7 juillet 1998

- Cass Civ. 1e 13 février 2001

GENETIQUE

- Engagement des assureurs de la FFSA (31 mars 1994)

SECRET MEDICAL

- Cass Civ. 1e 6 janvier 1998

- Cass Civ. 1e 12 janvier 1999

- Cass Civ. 1e 22 mai 2002.