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La référence sur les questions qui évoluent à l’intersection des champs de la spiritualité et de la santé Vol. 12 | n o 3 | 2019 | 8,75 $ Entretien avec André BEAUCHAMP Le voir, l'interroger, le prévenir Le SUICIDE

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La référence sur les questions qui évoluent à l’intersection des champs de la spiritualité et de la santé

Vol.

12 |

no 3

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9 | 8

,75

$

Entretien avec André BEAUCHAMP

Le voir, l'interroger, le prévenir

Le SUICIDE

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SPIRITUALITÉSANTÉ | VOL. 12 | No 3 | 2019 3

SOMMAIRESpiritualitésanté — Vol. 12 | no 3

Centre

de la Capitale-Nationale

La revue Spiritualitésanté propose un lieu de réflexion, d’analyse, d’information et d’échanges sur les questions qui évoluent à l’intersection des champs de la spiritualité et de la santé.

Direction, Marie-Chantal Couture

Coordination à l’édition, Bruno Bélanger

Comité de rédaction, Line Beauregard, Bruno Bélanger, Marie-Chantal Couture, Nicolas Vonarx

Design graphique, Pierre Lepage

Révision, Monique Savard

Photographies du comité de rédaction, Service de l’audiovisuel du CHU de Québec – Université Laval Abonnement www.cssante.ca sous Revue Spiritualitésanté Tél. : 418 682.7939 poste 4850

Tarifs22 $ (3 numéros – 1 an) taxes incluses 39 $ (6 numéros – 2 ans) taxes inclusesPoste-publication – enregistrement no 40015768

Publicité, Monique Savard [email protected] poste 4851

Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté) 2300-2400, avenue D’Estimauville Québec (Québec) G1E 7G9 tél. : 418 682.7939 télec. : 418 682.7943 [email protected]

Ce numéro est tiré à 2 500 exemplaires. Toute demande de reproduction doit être acheminée au CSsanté.

Dépôt légal Bibliothèque nationale du Québec 2019 Bibliothèque nationale du Canada 2019 ISSSN 1918-0055

© CSsanté

ÉDITORIAL

5 Souffranceetdésespoir Line Beauregard

6 NOUVELLES

CHRONIQUE DE L’INTERVENANT EN SOINS SPIRITUELS

9 Tuesenvie Mylène Brunet

DOSSIER

11 LE SUICIDE | LE VOIR, L'INTERROGER, LE PRÉVENIR

Le suicide fait partie des épreuves les plus complexes auxquelles l’humanité fait face; pourquoi un être humain décide-t-il de mettre fin à ses jours? Quelles sont nos responsabilités comme individus et comme société? Le dossier aborde ces questions, à la fois dans leurs dimensions sociales et personnelles.

12 Comprendrelesuicide etcomprendrelasouffrance

Cécile Bardon

16 Unestratégienationale enpréventiondusuicide

Lorraine Deschênes et Michael Sheehan

20 Lesuicidedesmédecins Marie-Ève Picard

23 Lesuicideassistécommeconvocationdelaspiritualité

Dominique Jacquemin

26 L’autochtoneinconnu Bernard Roy

30 Larésiliencedesendeuillésparsuicide|commentlesaccompagner

Christine Genest et Francine Gratton

36 Lesuicide|qu’enditlaBible? Jean-Jacques Lavoie

TITULAIRE D’UN PERMIS DU QUÉBEC

CONTACTEZ-NOUS POUR RECEVOIR NOTRE BROCHURE GRATUITESans frais : 1-844-301-7965 • [email protected] • www.spiritours.com

BALI « Retraite de méditation à la rencontre de la culture balinaise » | 17 au 29 mars 2020

COSTA RICA « Une semaine pour reprendre sa santé en main » | 29 mars au 5 avril 2020

PORTUGAL, ESPAGNE & LOURDES « Sur la route des grands sanctuaires » | 4 au 17 mai 2020

TUNISIE « Entre mer et désert : sérénité au cœur de l’être » | 13 au 23 mai 2020

ISRAËL & JORDANIE « Au pays de la Bible » | 13 au 25 mai 2020

COMPOSTELLE chemin côtier « Marcher avec son Dieu » | 5 au 24 juin 2020

Une partie des profits sont investis pour les plus démunis à travers

l’économie de communion.

BESOIN DE VOUS RESSOURCER ?

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La revue Spiritualitésanté propose un lieu de réflexion, d’analyse, d’information et d’échanges sur les questions qui évoluent à l’intersection des champs de la spiritualité et de la santé.

Direction, Marie-Chantal Couture

Coordination à l’édition, Bruno Bélanger

Comité de rédaction, Bruno Bélanger, Marie-Chantal Couture, Nicolas Vonarx

Design graphique, Pierre Lepage

Révision, Monique Savard

Photographies du comité de rédaction, Service de l’audiovisuel du CHU de Québec – Université Laval Abonnement www.cssante.ca sous Publications Tél. : 418 682.7939 poste 4850

Tarifs22 $ (3 numéros – 1 an) taxes incluses 39 $ (6 numéros – 2 ans) taxes inclusesPoste-publication – enregistrement no 40015768

Publicité, Monique Savard [email protected] poste 4851

Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté) 2300-2400, avenue D’Estimauville, Québec (Québec) G1E 7G9 tél. : 418 682.7939 télec. : 418 682.7943 [email protected]

Ce numéro est tiré à 2 500 exemplaires. Toutes demandes de reproduction doivent être acheminées au CSsanté.

Dépôt légal Bibliothèque nationale du Québec 2016 Bibliothèque nationale du Canada 2016 ISSSN 1918-0055

© CSsanté

Centre

de la Capitale-Nationale

SPIRITUALITÉSANTÉ | VOL. 12 | No 3 | 20194

SommaireSpiritualitésanté — Vol. 12 | no 3

MichelPronovost, sans titre, non datéTechnique mixte sur carton25,5 x 21 cmCollection Les Impatients

Louis ValentineLES IMPATIENTS Fondés en 1992, Les Impatients ont pour mission de venir en aide aux personnes ayant des problèmes de santé mentale par le biais de l’ex-pression artistique. Ils offrent des ateliers de création et favorisent les échanges avec la communauté par la diffusion des réalisations de leurs participants.

Uneinitiativeunique L’organisme a su développer une formule unique d’ateliers où le seul prérequis pour le participant est un intérêt à s’exprimer par l’art. Il est accompagné d’un art-thérapeute ou d’un artiste professionnel dans des ateliers où il est libre et sans contraintes. Plusieurs types d’ateliers sont offerts. Le travail des participants est mis en valeur par le biais d’activités de diffusion : expositions, concerts, lectures, publications.

UneréférencepourlemilieudelasantéEn 2014, une recherche menée sous la direction de la Dre Catherine Briand de l’Université de Montréal démontre que 87 % de la clientèle des Impatients a constaté une amélioration de sa santé. De plus, une diminution de 66 % du nombre d’hospitalisations de la clientèle a été constatée.

Lesateliersdes Impatients, c’est : 15 lieux d’ateliers au Québec • 650 participants par semaine • 10 hôpitaux associés • 4 galeries asso-ciées • 2 musées associés

L’artImpatients,uneréférenceL’évolution de l’organisme s’est faite en partenariat avec le milieu des arts. Au fil des ans, les artistes se sont impliqués en participant à divers projets faits à l’initiative de l’organisme, en proposant eux-mêmes des projets aux participants et en acceptant de se faire les porte-parole de la cause des Impatients.

Impliqués au sein de l’organisme en tant qu’animateurs, les artistes s’engagent également ponctuellement dans des projets artistiques avec les participants. Que ce soit dans des lectures, des concerts, des expositions communes, les Impatients et les artistes juxtaposent et entremêlent leurs œuvres.

www.impatients.ca

EN COUVERTURE

100, rue Sherbrooke Est, bureau 4000Montréal (Québec) H2X 1C3

T 514 842-1043C [email protected]

www.impatients.ca

RÉFLEXION

40 Nourrirl’esprit Maude Viens, Gina Bravo et Jean-François Therrien

46 UnRéseaufrancophoneSanté,soinsetspiritualités– RESSPIR

ENTREVUE

50 Laspiritualitédel’environnement|uneréponseà lacriseécologique

Entretien avec André Beauchamp Propos recueillis par Claudette Lambert

56 LECTURES

ProchainnumérodeSpiritualitésanté L’OBÉSITÉL’obésité est un sujet dont on parle abondamment! On l’évoque surtout en lien avec ses inquiétantes répercussions sur la santé. Mais cette réalité est traversée aussi par de nombreuses autres questions généralement moins abordées dans les médias  : ses liens avec la spiritualité, la culture, l’environnement, l’histoire, etc. Le prochain dossier abordera cette réalité complexe, notamment en relation avec le sens.

Cré

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ERRATUMDans le précédent numéro de Spiritualitésanté (vol. 12 no 2, août 2019) nous avons publié un article de madame Marie-Blanche Rémillard intitulé « Est-ce que tu crois en quelque chose? » Nous avons omis de préciser que cet article de Mme Rémillard avait déjà été publié dans un numéro antérieur du magazine Paraquad. Nos excuses à l’auteure et aux artisans de cette publication.

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SOUFFRANCE ET DÉSESPOIR

C’ est une évidence de dire que la souffrance n’épargne personne. Que l’on soit riche ou pauvre, en santé ou malade, beau ou laid, entouré ou isolé, il est presque

impossible de passer sa vie sans aucun moment de souffrance. Certaines personnes, soit par le soutien qu’elle reçoive ou par leur résilience, se sortent plus facilement de ces moments d’adversité. Pour d’autres, c’est tout autrement et lorsque la souffrance perdure ou se répète continuellement, qu’il n’y a aucune porte de sortie, aucun espoir que des jours meilleurs soient possibles, l’idée de s’enlever la vie peut germer en soi. Dans plusieurs cas, on en restera au stade d’un concept et il n’y aura pas de passage à l’acte. Mais pour certaines personnes, en finir avec la vie devient la seule solution pour stopper ce mal-être de vivre; elles poseront alors des gestes en ce sens, gestes qui malheureusement fonc-tionnent parfois. Au Québec, on compte chaque jour trois décès par suicide et 80 tentatives de mettre fin à ses jours. C’est énorme. Et si l’on compte toutes les personnes de l’entourage affectées par le suicide ou les tentatives de suicide, c’est beaucoup de familles et de communautés qui sont ébranlées.

Heureusement, la prévention a porté ses fruits si l’on en croit les taux de suicide qui ont baissé au cours des dernières années dans la foulée de la mise en applica-tion de la stratégie québécoise d’action face au suicide S’entraider pour la vie (1998). Mais les taux stagnent de-puis les dernières années et de nouveaux phénomènes semblent émerger comme celui de l’augmentation de l’anxiété chez les jeunes ou la présence croissante des réseaux sociaux. La société a changé et les stratégies de prévention doivent être revisitées. Récemment, le gou-vernement a annoncé la mise en place d’une nouvelle politique pour la prévention du suicide, répondant ainsi à la recommandation du Collectif pour une stra-tégie nationale en prévention du suicide. C’est une très bonne nouvelle puisque le suicide est un phénomène complexe dont les solutions passent par une stratégie

nationale où toutes les instances concernées collabo-reront pour mettre en place des pratiques encore plus efficaces. Comme vous le lirez dans les articles de ce nu-méro, les mesures de prévention appellent notamment la nécessité d’intervenir au plan individuel en visant le traitement des troubles de santé mentale. Mais il est tout aussi primordial de travailler sur les facteurs sociaux en mettant en place des mesures ciblées pour les groupes affichant des taux de suicide plus élevés, comme dans certaines communautés autochtones. Pour elles, comme pour d’autres groupes, la reconnais-sance de leur place dans la société et de leur identité propre est une mesure primordiale ayant le potentiel d’améliorer grandement leur autonomie et leur qualité de vie. En somme une société plus juste, plus équitable permettant d’améliorer les conditions de vie de chacun est essentielle. Cela n’empêchera pas de vivre des mo-ments inévitables de souffrance, mais permettrait de garder le nécessaire espoir à la vie. <

ÉDITORIAL

LineBeauregard, membre du comité de rédaction

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Comment vous abonner à la revue Spiritualitésanté?

PAR LA POSTEEnvoyez votre formulaire d'abonnement dûment rempli à CSsanté 2300-2400, ave D’EstimauvilleQuébec (Québec) G1E 7G9

PAR INTERNETRendez-vous sur notre site Internet : cssante.ca rubrique Revue Spiritualitésanté

La revue qui crée un espace de réfl exion, d’analyse, de dialogue et d’information

Vol

. 6 |

no 1

| 20

13 |

8,50

$

SANTÉ MENTALE

ET SPIRITUALITÉ

Dossier

Portrait Un regard différent sur l’art,

la thérapie et le rétablissement

Entretien avecGilles Archambault

Renseignements : [email protected] / 418 682-7939 poste 4850

Trois numéros par an

Facturer à

Établissement/organisme Nom/prénom

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Tél. bureau Tél. maison

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3 NUMÉROS (1 an) 22 $ (taxes incluses) 6 NUMÉROS (2 ans) 39 $ (taxes incluses)

VOUS TROUVEREZ CI-JOINT MON CHÈQUE (payable à l’ordre du CHU de Québec – Université Laval) FACTUREZ-MOI

Prévoir 4 à 6 semaines pour la livraison du premier numéro.

Abonnement hors CanadaLes résidents des pays étrangers peuvent s’abonner en payant par mandat postal de leur pays, fait en dollars canadiens (CAD). Ajoutez 55 $ CAD par série de 3 numéros (1 an) pour couvrir les frais additionnels d’envoi par la poste internationale.

TPS : 141078212 • TVQ : 1018568043TQ0003

NUMÉROS PRÉCÉDENTS

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SPIRITUALITÉSANTÉ | VOL. 12 | No 3 | 201910 SPIRITUALITÉSANTÉ | VOL. 12 | No 2 | 201910

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DOSSIER

Le suicide fait partie des épreuves les plus complexes auxquelles l’humanité fait face; il pose d’emblée des questions profondes touchant le sens de la vie et de la souffrance.

• Pourquoi un être humain décide-t-il de mettre fin à ses jours? • Qu’est-ce qui provoque une telle décision chez lui? • Quelles sont nos responsabilités, comme individus et comme société,

devant cette réalité?

Le présent numéro porte sur ces incontournables questions traitées à la fois dans leurs dimensions sociales et personnelles.

Le voir, l'interroger, le prévenirLe SUICIDE

12 Comprendrelesuicideetcomprendrelasouffrance

16 Unestratégienationaleenpréventiondusuicide

20 Lesuicidedesmédecins

23 Lesuicideassistécommeconvocationde laspiritualité

26 L’autochtoneinconnu

30 Larésiliencedesendeuillésparsuicide|comment lesaccompagner

36 Lesuicide|qu’enditlaBible?

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L’autochtoneinconnu

par BernardRoy

LesuicidechezlesPremièresNationsestuneréalitécomplexequinepeutêtreréduiteàdesstatistiquesamalgaméesdestauxdesuicidedediversescommunautésautochtones.L’auteurremetenquestionleparadigmebiomédicalquitendàréduirelesuicideàdestroublesdesantémentaleetàlaconsommationexcessivededroguesoud’alcool.Enseconcentranttropsurdesdéterminantsindividuels,onoublielesfacteurshistoriquesetinterculturelspropresauxPremièresNationsetl’importancedefavoriseruneplusgrandeautonomieetautodéterminationcommemoyendeprévenirlesuicide.

M ontréal, 20 septembre 2019, 16 heures, coin Saint-Denis et boulevard Maisonneuve. Il fait chaud comme au mois de juillet, mais il est beaucoup trop

tôt pour invoquer l’été indien… Assis à la terrasse du Second  Cup, je sirote un allongé avant de re-prendre la route vers Québec après un court, mais bien occupé séjour. La veille, je participais à une recherche-action avec des femmes d’une Première Nation luttant, au sein de leur communauté, contre

les violences sexuelles. Et, en ce vendredi, sur l’heure du midi, je donnais une conférence portant sur mes inconforts de chercheur universitaire en autochtonie.

Une ambulance, suivie de deux voitures de police, gyrophares allumés, sirènes hurlantes, s’immobilise au coin de la rue. Rien d’inhabituel au cœur de la métropole. Il y a un tribut à payer pour vivre la trépidante urbanité. Pressé par le désir de ne pas ar-river trop tard à Québec, je quitte la terrasse pour rejoindre ma voiture. Quelques pas allongés sur le

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boulevard Maisonneuve, voilà que j’aperçois, entra-vant le trottoir, ambulanciers et policiers s’affairant auprès d’un homme inconscient. Happé par la scène, mon regard badaud reconnaît sur le visage de cet homme, les traits de l’autochtone. Probablement en errance, sous l’effet de quelques substances toxiques pour trouver du sens dans la forêt de béton. Les Autochtones constituent moins de 1 % de la popula-tion montréalaise, mais comptent pour près de 10 % de la population itinérante qui arpente le macadam de la métropole.

Je passe mon chemin comme le flot de pié-tons indifférents. Ma mémoire, elle, me fait faux bond. Elle me transporte au cœur de la nordicité, à Matimekush, à l’automne 1991.

Un temps de ma vie où je travaillais comme infir-mier pour les services de santé innus. Tous les jours, aux abords de l’Hôtel Royal, le seul hôtel de la muni-cipalité de Schefferville, j’aperçois des hommes innus. Ils y flânent tout le long des jours. Ils s’enivrent, du matin jusqu’à la nuit, avec du mauvais alcool acheté au profitable dépanneur de la ville. L’alcool coule à flots dans leurs veines et l’argent coule à torrents dans les coffres du richissime commerçant. Un jour, mar-chant sur le chemin longeant le Pearce Lake, je croise l’un d’eux. Je salue l’homme dans la jeune trentaine, mais qui en paraît déjà plus de cinquante. Je le re-connais. Il se nomme Édouard. Mon œil de clinicien ne peut s’empêcher d’observer le blanc de ses deux grands yeux dangereusement ictériques. Je l’inter-pelle : « Édouard… Comment ça va? Tu as les yeux très jaunes. Tu devrais venir nous voir au dispensaire. Peut-être es-tu malade? »

Et lui, de me répondre sans la moindre hésitation en rivant son regard au creux de mes yeux : « As-tu peur de mourir? Moi… non!  » Un rictus sur ses lèvres, il tourne les talons et se remet à marcher d’un pas titubant vers le bout de son chemin. Quelques semaines plus tard, il rendait l’âme, seul, dans un hô-pital de Québec. Jamais je n’ai oublié son visage, son regard, ses mots…

Voilà que mes pensées traversent la forêt boréale du nord au sud-ouest. Elles me transportent au nord du réservoir Gouin, en 1995, à Opitciwan. Cette fois, dans cette communauté atikamekw, je réalise une recherche participative sur la thématique de la santé et des savoirs populaires. Je connais le directeur des services de santé de cette réserve de plus ou moins 2 000 âmes, un Innu engagé depuis des décennies dans des dossiers visant l’autonomie des Premières Nations et l’amélioration de leur santé. Nous nous connaissons depuis quelques lunes. À Matimekush, en 1991, je travaillais sous sa direction. Il a accepté que je réalise, à Opitciwan, ma recherche de maîtrise en recherche sociale appliquée. Toutefois, il m’im-pose une restriction : « À l’exception de ton mémoire, tu ne publieras pas les résultats. Par contre, tu vas

communiquer tes trouvailles à la communauté. » Les raisons qu’il invoque me convainquent. J’accepte.

En parcourant les dossiers médicaux des femmes et des hommes décédés au cours des cinq années pré-cédentes (1989-1994) je réalise un troublant constat. Au cours de cette période, les hommes de cette communauté sont morts, en moyenne, à l`âge de 36,8 ans. Les femmes, elles, à 59,5 ans. Au tout début du XXe siècle, l’espérance de vie d’un Québécois était de 47,65 ans1! Je déteste réduire des vies humaines à de simples statistiques. « L’âge moyen de mortalité ». Un concept tellement froid. Pourtant, chacune des histoires de ces hommes décédés à la fleur d’un âge à peine éclos donne froid dans le dos. De grandes ivresses, des intoxications, des gestes violents, des accidents insensés les ont tués… pour ne pas dire, assassinés. Des secrets bien enfouis au fin fond de la forêt boréale.

De retour dans l’« ici et maintenant », en pleine conscience, à Montréal, j’arrive au stationnement où, au matin, je garais ma voiture. Derrière moi, à l’ombre des immeubles, l’ambulance se fraye un chemin pour transporter l’autochtone inconnu à l’urgence du CHUM. Un fait divers qu’aucun jour-nal ne rapportera. Même pas la revue l’Itinéraire. Les experts associeraient peut-être ce fait tout comme ceux ravivés à ma mémoire, à des parasuicides2. Je dois me concentrer, mettre de côté les turbulences et futilités de la vie. L’échéance approche. Sur le chemin du retour, il me faut réfléchir à l’angle que j’adop-terai pour rédiger l’article que je me suis engagé à produire autour de la thématique du suicide chez les Autochtones. Le défi est grand. Je ne suis pas un ex-pert de la question!

Le suicide chez les Autochtones préoccupe… du moins, à l’occasion. Particulièrement lorsque les mé-dias informent la population de l’avènement d’une vague de suicides, comme celle survenue en no-vembre 2015, dans la petite communauté innue de Uashat mak Mani-Utenam, où quatre femmes âgées de 19 à 46 ans et un homme de 24 ans s’étaient, en quelque temps, enlevé la vie; comme en oc-tobre 2016, lorsque la Première Nation Attawapiskat située en bordure de la baie James, en Ontario, lan-çait un appel à l’aide à la suite de 86 tentatives de suicide; comme à l’automne 2018, lorsque 10 rési-dents de la communauté inuite de Puvirnituq, en quelques semaines, s’étaient enlevé la vie. Où lorsque, récemment, Statistique Canada rendait publiques d’alarmantes données. De 2011 à 2016, les taux de suicide chez les Premières Nations, les Métis et les

LesAutochtonesconstituentmoinsde1%delapopulationmontréalaise,maiscomptentpourprèsde10%delapopulationitinérantequiarpentelemacadamdelamétropole.

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Dossier | Le suicide | le voir, l'interroger, le prévenir

Inuits du Canada, malgré les programmes de pré-vention et autres initiatives, demeuraient nettement supérieurs à ceux observés, au cours de la même pé-riode, au sein de la population canadienne. En fait, la recherche montre que depuis trente ans, la situation n’a pas du tout changé (Mihychuk, 2017).

En ces occasions, les politiciens, enfin quelques-uns, se font aller les babines tremblotantes d’émotion, pour dénoncer ces troublantes situations. L’État dé-bloque des fonds d’urgence qui, surtout, serviront à payer les honoraires de professionnels et experts ap-pelés en renfort. Une fois les projecteurs éteints, les bottines ne suivent plus, mais, dans les communautés ébranlées, les vies écorchées se poursuivent sous le parapluie de l’indifférence.

Depuis plusieurs décennies, des chercheurs de di-verses disciplines s’intéressent à cette déconcertante réalité qui bouleverse l’autochtonie d’est en ouest et du nord au sud. À lui seul, le mot clef « suicide » inscrit dans le moteur de recherche Autochtonia du Réseau Dialog génère 78 titres publiés entre 1960 et 2018. Un très grand nombre de ces publications traitent la question du suicide en amalgamant dans la catégorie «  les Autochtones » la complexe et di-versifiée réalité des Premières Nations. Il faut savoir que les taux de suicide varient énormément entre les communautés et d’une région géographique à l’autre. Si certaines communautés sont durement concernées par cette problématique, d’autres ne le sont pas du tout. Tousignant, Laliberté, Bibeau, et Noël (2008) citant les travaux de nombreux chercheurs, rapportent qu’en Colombie-Britannique, 8 des 29 communau-tés affichaient des taux de suicide nuls ou minimes, tandis que dix autres affichaient des taux supérieurs à 100/100 000, soit environ sept fois le taux de la population canadienne. De telles variations seraient également observables dans les communautés des Premières Nations du Québec. De ce fait, la mise en garde de Chandler et Lalonde (2008) à l’effet qu’on ne peut prétendre à une compréhension de cette triste réalité en réduisant le monde autochtone à une arithmétique totalisante prend tout son sens. Il est très facile d’additionner tous les décès par suicide, de diviser la somme par le nombre des autochtones et d’en arriver à un chiffre indiquant que le taux de suicide chez les Premières Nations est de 3 à 7 fois

supérieur à celui documenté pour l’ensemble de la population canadienne. Une procédure réductrice qui nous entraîne dans la «  racialisation  » d’une réalité complexe qui, elle, relève davantage de la place qu’occupent les Premières Nations dans le monde plutôt qu’à leur physiologie et à leur génétique.

Faut-il s’étonner, par ailleurs, du fait que la ma-jorité des recherches et publications concernant le suicide chez les Premières Nations émanent d’univers scientifiques gravitant autour du paradigme biomé-dical? Une littérature scientifique qui, entre autres, estime que le suicide en milieu autochtone est for-tement corrélé à des maladies mentales, comme la dépression majeure, les troubles affectifs, bipolaires ou schizophréniques ainsi qu’à la consommation ex-cessive de drogues ou d’alcool. Et, le corollaire de la maladie mentale, depuis la lorgnette de la médecine psychiatrique, consiste à prescrire des antidépres-seurs, des neuroleptiques, anxiolytiques et autres molécules visant à agir sur les substances neuronales et rétablir leur fonctionnement à l’intérieur des li-mites d’une normalité biochimique. Et puisque le suicide est, en apparence, un acte privé et que les dis-ciplines de la psychiatrie et de la psychologie dirigent principalement leur attention sur le fonctionnement des individus, rien d’étonnant au fait que la majorité des recherches sur le suicide se concentrent sur les dé-terminants individuels (Kirmayer et al. 2007). Comme le soulignent Tousignant et ses collaborateurs (2008 : 115) «  l’un des problèmes des études empiriques de cas individuels est qu’elles ne peuvent prendre en consi-dération les facteurs historiques et interculturels qui ont conduit aux drames sociaux vécus par les Premières Nations dans le passé et durant la période contemporaine ».

Les travaux de Chandler (M.  J.  Chandler,  1994) et Chandler et Lalonde  (1998) (M.  J.  Chandler, Lalonde, Sokol, et Hallett, 2010) ont largement contribué à l’établis-sement de liens ténus entre les parcours individuels et collectifs dans la compréhension du suicide. Pour la période s’échelonnant de 1987 à 1992, ces cher-cheurs, en analysant les données sur les décès par suicide dans 196 collectivités des Premières Nations de la Colombie-Britannique, ont constaté que 90 % des suicides avaient eu lieu dans seulement 10 % des communautés. Un constat qui ébranlait les amal-games statistiques suggérant que l’appartenance à une autochtonie uniforme a mari usque ad mar constituait, à lui seul, un facteur suicidogène. Ces chercheurs ont mis en évidence que le mieux-être de la communauté et l’identité collective constituaient des facteurs de protection contre le suicide chez les jeunes. Leurs travaux ont établi de solides cor-rélations entre le suicide de membres des Premières Nations et le développement identitaire, ce dernier résultant de processus à la fois personnels, sociaux et culturels. Le suicide, ainsi appréhendé, ne relève plus

De2011à2016,lestauxdesuicidechezlesPremièresNations,lesMétisetlesInuitsduCanada,malgrélesprogrammesdepréventionetautresinitiatives,demeuraientnettementsupérieursàceuxobservés,aucoursdelamêmepériode,auseindelapopulationcanadienne.

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SPIRITUALITÉSANTÉ | VOL. 12 | No 3 | 2019 29

de l’acte insensé d’un individu. Mais il implique plu-tôt la mort « d’une identité et l’image d’une relation manquée, ou encore ratée entre l’individu et la so-ciété » (Malhame, 2007:184). Ce qui apparaît encore plus intéressant est que ces chercheurs ont démontré que plus une communauté disposait d’une forme d’au-tonomie politique, plus les taux de suicide étaient bas. À propos des travaux de Chandler et Lalonde, le sociologue et anthropologue, Daniel Dagenais écrit que ces chercheurs font la démonstration que dans les communautés autochtones, le suicide est une affaire d’identité qui « révèle la nécessité anthropo-logique de la continuité à soi-même et la difficulté d’y parvenir lorsque la société propre fait défaut à elle-même » (Dagenais, 2010:8).

Au cours des dernières années, de nombreux rapports d’enquête, de coroners et de commissions ont formulé des recommandations pour prévenir les suicides et tenter d’en dégager les causes profondes. Qu’il s’agisse du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), de l’Enquête du coroner sur les suicides au Nunavut (2015), du Rapport d’exa-men des décès par suicide chez les jeunes de la Première Nation de Pikangikum  (2011) ou du Rapport d’en-quête du Bureau du coroner suite au suicide de cinq Innus de Uashat Mak Mani-Utenam  (2016) tous ces documents estiment, à l’instar des travaux de Chandler et Lalonde, que la lutte contre le suicide dans les communautés des Premières Nations passe par une plus grande autonomie pour ne pas dire par l’exercice de l’autodétermination.

Faut-il s’étonner que la toute première recom-mandation inscrite dans le rapport du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord in-titulé Point de rupture  : la crise de suicides dans les communautés autochtones se lise ainsi : « Que le gou-vernement du Canada travaille en partenariat avec les collectivités autochtones pour les aider à atteindre l’objectif d’autodétermination et veille à ce qu’elles aient les ressources nécessaires pour exercer leur droit » (Mihychuk, 2017:62).

Un peu moins de deux heures de route plus tard, je suis de retour chez moi, à Québec, dans le confort et la quiétude de ma résidence. Il est tard, je ne tarde-rai pas à me laisser tomber entre les bras de Morphée. Demain, je m’attellerai à la rédaction de mon ar-ticle… Demain, sûrement, un autre autochtone inconnu tombera sous le poids de l’indifférence! <

Notes1 Bourbeau,  Robert (2006). Évolution de l’espérance

de vie au Québec  : tendances récentes et perspectives. Département de démographie, Université de Montréal http://www.osfi-bsif.gc.ca/Fra/Docs/2006_09_22_bourbeau.pdf

2 En  1986, l’OMS proposait cette définition du parasuicide  : «  poser un acte n’ayant pas d’issue fatale, selon lequel une personne adopte délibérément un comportement inhabituel qui, sans l’intervention d’autres, entraînera des blessures volontaires, ou l’amènera à absorber une quantité excessive d’une substance prescrite ou généralement admise comme posologie thérapeutique, dans le but de réaliser des changements recherchés au moyen d’effets physiques réels ou prévus  » (traduction proposée par Kirmayer et col, 2007 :4).

RéférencesCanada. Commission royale sur les peuples autochtones. (1996). Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Ottawa.

Chandler, M.J. (1994). Self-continuity in suicidal and nonsuicidal adolescents. In G. Noam & S. Borst (Eds.), Children, youth and suicide: Developmental perspectives (pp. 55–70). San Francisco : Jossey-Bass.

Chandler, M.J., et Lalonde, C. E. (1998). “Cultural continuity as a hedge against suicide in Canada’s first nations”. Transcultural Psychiatry, 35(2), 191 - 219.

Chandler, M.J., & Lalonde, C. E. (2008). Cultural continuity as a moderator of suicide risk among Canada’s First Nations. In J. L. Kirmayer & G. Valaskakis (Eds.), Healing Traditions  : The mental health of Aboriginal peoples in Canada (pp. 221–248). Vancouver  : University of British Columbia Press. Retrieved from https://web.uvic.ca/psyc/lalonde/manuscripts/2008HealingTraditions.pdf

Chandler,  M.J., Lalonde,  C., Sokol,  B.  W., & Hallett,  D. (2010). Le suicide chez les jeunes Autochtones et l’effondrement de la continuité personnelle et culturelle (Les Presses) Québec.

Dagenais, D. (2010). Préface à l’édition française. In Michael J Chandler, C. E. Lalonde, B. W. Sokol, & D. Hallett (Eds.), Le suicide chez les jeunes Autochtones et l’effondrement de la continuité personnelle et culturelle. Québec: Les Presses de l’Université Laval.

Kirmayer, J. L., Brass, G. M., Holton, T., Paul, K., Simpson, C., & Tait,  C.  (2007). Suicide chez les Autochtones au Canada. Ottawa: Fondation autochtone de guérison.

Malhame, C. (2007). Compte rendu de [Michael J. Chandler, Christopher E. Lalonde, Bryan W. Sokol et Darcy Hallett, «Personal Persistence, Identity Development, and Suicide  : A Study of Native and Non-Native North American Adolescents», Boston et Oxford, Blackwell Publishing, M. Recherches sociographiques, 48(3), 181–184.

Mihychuk, M. (2017). Point de rupture: la crise de suicide dans les communautés autochtones. Rapport du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord. Ottawa : Comité permanent des affaires autochtones et du Nord.

Tousignant, M., Laliberté, A., Bibeau, G., et Noël, D. (2008). « Comprendre et agir sur le suicide chez les Premières Nations : quelques lunes après l’initiation ». Frontières, 21(1), 113–119.

Bernard Roy s’inscrit, à 20 ans, dans un parcours d’auteur-compositeur. Craignant que la fourmi lui dise: « Vous chantiez? J’en suis fort aise. Eh bien, dansez maintenant! » il finalise, en 1986, un DEC en soins infirmiers. Il se consacre, dès lors, aux soins infirmiers en région éloignée auprès des Premières Nations et de populations nord-côtières. En 1996, il fonde une firme de consultants qui s’investit auprès de com-munautés autochtones puis, en 2002, il finalise un doctorat en anthropologie de la santé. En 2004, il obtient un poste de professeur à la Faculté des sciences infirmières de l’Uni-versité Laval. Depuis, il se consacre à l’enseignement de la santé communautaire, à la santé des Premières Nations et à celle des hommes. En 2012, pour son plaisir et pour sa santé, il revient à son ancien amour, la chanson, pour ne pas perdre la... plume.