la revue - l'afrique des idées

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La Revue DANS CETTE ÉDITION : C onnectivité physique et échanges commerciaux de la CEMAC Dr. Ludé DJAM’ANGAI Christian RIM Renforcement des capacités de collecte et de tri des déchets dans les villes africaines Faten LOUKI et Lamia ROUACHED Diasporas camerounaises et sénégalaises : quelles contributions au développement local ? de L’Afrique des Idées Septembre 2018 | N° 2-2018

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Page 1: La Revue - L'Afrique des Idées

La Revue

DANS CETTE ÉDITION :

Connectivité physique et échanges commerciaux de la CEMAC

Dr. Ludé DJAM’ANGAI

Christian RIM

Renforcement des capacités de collecte et de tri des déchets dans les villes africaines

Faten LOUKI et Lamia ROUACHED

Diasporas camerounaises et sénégalaises : quelles contributions au développement local ?

de L’Afrique des Idées

Septembre 2018 | N° 2-2018

Page 2: La Revue - L'Afrique des Idées

1SOMMAIRE

3

Renforcement des capacités de collecte et de tri des déchets dans les villes africaines.Faten Loukil, SEPAL, ISG, Université de Tunis et Lamia Raouched, LEGI, Ecole Polytechnique, Université de Tunis.

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Connectivité physique et échanges commerciaux de la CEMAC.Dr. Ludé DJAM’ANGAI , chercheur LAEREAG, Université de N’Djamena.

35

Diasporas camerounaises et sénégalaises : quelles contributions au développement local ?Christian RIM, juriste et spécialiste des questions migratoires.

p.

p.

p.

La Revuede L’Afrique des Idées

2p.

L’Édito

RENFORCEMENT DES CAPACITÉS DE LA COLLECTE DE

DÉCHETS ET DU TRI DES DÉCHETS DANS LES VILLES

AFRICAINES

Résumé

Les villes africaines sont aujourd’huiconfrontées à une situation urbaine critiquemarquée par une défaillance des structures degouvernance face à une production croissantedes déchets conjuguée à une forte croissancedémographique et à une prolifération desbidonvilles et de la pauvreté. Le renforcement descapacités de gestion des déchets apparait commeune priorité pour promouvoir le développementurbain durable et assurer la stabilité politique,économique et sociale des villes.En partant d’un diagnostic des modes deproduction, de collecte et de traitement desdéchets en Afrique, ce travail se penche surune analyse des expériences de partenariatpublic-privé menées dans cinq villes africaines :Lomé (Togo), Yaoundé (Cameroun), Accra(Ghana), Ouagadougou (Burkina Faso) et Dakar(Sénégal). Il montre que les résultats obtenusrestent au-dessous des objectifs escomptés. Letâtonnement des autorités dans le choix desmodes de partenariat appropriés, l’inefficacitédes mécanismes financiers de collecte et laprésence du secteur informel accentuent lesdysfonctionnements et le chevauchement desresponsabilités. Par ailleurs, les expériencesinnovantes de collecte des déchets en Afrique duSud ou en Tunisie révèlent la nécessité de revoirles mécanismes de financement et d’aller versune responsabilité partagée des acteurs.

Mots-clés : collecte des déchets, partena-riat public-privé, renforcement des capacités,villes africaines

Table des matières

1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

2 Un état des lieux de la gestion des déchets ménagersen Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

3 Les modalités de collecte des déchets en Afrique 10

4 Les bonnes pratiques de collecte et de traitement desdéchets en Afrique, vers une responsabilité partagéedes acteurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

5 Conclusion et recommandations . . . . . . . . . . . . . 18

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

3

CONNECTIVITÉ PHYSIQUE ET ÉCHANGES COMMERCIAUX DE

LA CEMAC

Dr. Ludé DJAM’ANGAI �

�LAEREAG, Université de N’Djamena

Résumé

L’objectif général de ce travail est dedéterminer les effets de la connectivité physiquesur les échanges commerciaux de la CEMAC.Spécifiquement, il s’agit d’une part, de démontrerles effets de la connectivité physique par lesinfrastructures de transport sur les échangescommerciaux et, d’autre part, de tester leseffets de la connectivité par les infrastructuresde télécommunications sur le commerce inter-national. Après estimation, les effets distinctsde la connectivité physique sur les échangescommerciaux de la CEMAC sont déterminés.

Mots-clés : connectivité physique,échanges commerciaux, modèle de gravitéaugmenté et CEMAC

Table des matières

1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

2 Revue de littérature : Place de la connectivité physiquedans les échanges commerciaux . . . . . . . . . . . . . 24

3 Evaluation empirique des effets de la connectivitéphysique sur les échanges commerciaux de la CEMAC27

4 Conclusion : implications de politique économique etrecommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3322

DIASPORAS CAMEROUNAISES ET SENEGALAISES :QUELLES CONTRIBUTIONS AU DEVELOPPEMENT

LOCAL ?

Christian RIM�

�Juriste et Spécialiste des questions migratoires

Résumé

Si les contributions des diasporas sénéga-laises et camerounaises sont significatives, leursimpacts à long terme apparaissent durablementinefficaces dans le développement. L’absencede politiques migratoires qui favoriseraient lamise en place de mécanismes stratégiques etstructurels apparaît comme un frein dans laperspective d’une véritable mobilisation. Cesconstats et les conditions qui en découlent,analysés dans cette étude, sont à notre sens,une solution ouvrant la perspective d’unemeilleure gouvernance du secteur migrationet développement, à l’échelle de ces espacesnationaux et au niveau sub étatique. Cetteétude se veut un plaidoyer adressé aux Etats,dans l’optique de la mise en place de politiquespubliques cohérentes, participatives et inclusives,en matière de migrations, seules capablesd’articuler de façon pérenne, le développementlocal au sein des contrées d’origine identifiées.

Mots-clés : diaspora, développement local,transferts, migration

Table des matières

1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

2 Etat des lieux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

3 Migrants et acteurs locaux quelles synergies pour maxi-miser l’apport au développement ? . . . . . . . . . . . 46

4 Conclusion et recommandations . . . . . . . . . . . . . 49

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

35

Page 3: La Revue - L'Afrique des Idées

2ÉDITO

L’ÉditoC’est un réel plaisir pour moi de vous faire tenir le tout premier numéro de la Revue de l’Afrique des Idées pour le compte de l’année 2018. Cela fait déjà un moment que cet exercice se perfectionne ici, et pour avoir tracé un troisième chemin qui décomplexifie la posture de l’Afrique et sa marche vers le progrès, nous avons choisi d’être ni pessimistes, ni optimistes mais plutôt responsables. Dans cette voie, la toute première évidence est de construire par idées, réflexions et actions, l’afro-responsabilité. De première main et de qualité éprouvée, nous vous livrons des réflexions très informées, diversifiées et particulièrement orientées vers des politiques publiques qui fonctionnent pour tous, leur performance et efficacité qui sont au nombre des plus grands défis de la nouvelle Afrique.

L’Afrique s’urbanise vite et l’impréparation des nouvelles villes accroît le déphasage entre les exigences des milieux de vie urbains et les solutions suboptimales que les politiques actuelles de gestion urbaine offrent. Dans une analyse comparée, le premier article de la revue examine la question de la gestion des déchets et note que bien que le partenariat public-privé ait pu être une alternative efficace, son déploiement et souvent la non-identification de partenaires performants, l’inefficacité des mécanismes financiers de collecte et l’engorgement du secteur par l’informel ne livrent que des résultats suboptimaux. Les ensembles économiques régionaux sont au cœur du débat de la performance économique et de l’intensification des échanges commerciaux intra-africains. La contribution du second article est d’examiner le cas de la CEMAC et de renseigner les effets de la connectivité physique [les infrastructures de transport & télécommunications] sur les échanges commerciaux. Enfin, en prenant comme exemples le Sénégal et le Cameroun, le dernier article de ce numéro vous livre une réflexion et un plaidoyer en faveur de politiques publiques articulées autour de la question de la diaspora africaine dans l’optique d’en faire une composante essentielle du développement de l’Afrique.

La Revue de l’Afrique des Idées a vocation à initier et alimenter le débat. Cette lecture à laquelle nous invitons est à faire sans aucune restriction du jugement critique. La qualité des contributions autant que les sujets qu’elles abordent, je le suspecte, vous en donne une occasion ultime. Faites l’exercice et, nous l’espérons, le progrès de l’Afrique à travers des politiques publiques performantes ne s’en portera que mieux.

Merci !

Boris Houenou, économisteDirecteur des publications de l’Afrique des Idées

Page 4: La Revue - L'Afrique des Idées

RENFORCEMENT DES CAPACITÉS DE COLLECTE ET DE TRI DES DÉCHETS DANS LES VILLES AFRICAINES

Faten LOUKIL* et Lamia ROUACHED**

*SEPAL, SIG, Université de Tunis**LEGI, Ecole polytechnique, SG, Université de Tunis

Résumé

Les villes africaines sont aujourd’huiconfrontées à une situation urbaine critiquemarquée par une défaillance des structures degouvernance face à une production croissantedes déchets conjuguée à une forte croissancedémographique et à une prolifération desbidonvilles et de la pauvreté. Le renforcement descapacités de gestion des déchets apparait commeune priorité pour promouvoir le développementurbain durable et assurer la stabilité politique,économique et sociale des villes.En partant d’un diagnostic des modes deproduction, de collecte et de traitement desdéchets en Afrique, ce travail se penche surune analyse des expériences de partenariatpublic-privé menées dans cinq villes africaines :Lomé (Togo), Yaoundé (Cameroun), Accra(Ghana), Ouagadougou (Burkina Faso) et Dakar(Sénégal). Il montre que les résultats obtenusrestent au-dessous des objectifs escomptés. Letâtonnement des autorités dans le choix desmodes de partenariat appropriés, l’inefficacitédes mécanismes financiers de collecte et laprésence du secteur informel accentuent lesdysfonctionnements et le chevauchement desresponsabilités. Par ailleurs, les expériencesinnovantes de collecte des déchets en Afrique duSud ou en Tunisie révèlent la nécessité de revoirles mécanismes de financement et d’aller versune responsabilité partagée des acteurs.

Mots-clés : collecte des déchets, partena-riat public-privé, renforcement des capacités,villes africaines

Table des matières

1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

2 Un état des lieux de la gestion des déchets ménagersen Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

3 Les modalités de collecte des déchets en Afrique 10

4 Les bonnes pratiques de collecte et de traitement desdéchets en Afrique, vers une responsabilité partagéedes acteurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

5 Conclusion et recommandations . . . . . . . . . . . . . 18

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

Page 5: La Revue - L'Afrique des Idées

1 IntroductionLe bilan environnemental dans les

pays africains révèle aujourd’hui, la fortedégradation de l’environnement, liée à unusage intensif de ressources naturelles et unaccroissement de la pollution (WWF-BAD,2012). L’empreinte écologique 1 dépasse deplus en plus la bio capacité des pays, undéficit écologique qui creuse encore leurvulnérabilité face à des modes d’exploitationnon appropriés et dévoile l’urgence demettre en place des stratégies durables. Leréchauffement climatique, la sécheresse etles inondations augmentent la proliférationdes maladies contagieuses et diminuent lesmoyens de subsistance, en particulier dansles zones urbaines très peuplées (UN-Habitat2014). La gestion des déchets pose unproblème majeur pour les pays africains,confrontés d’une part à une hausse desdéchets produits et d’autre part, à une inca-pacité institutionnelle et organisationnelle àcollecter et valoriser ces déchets. De façongénérale, les pays en développement ont uneproduction annuelle moyenne des déchetspar habitant qui varie de 180 à 240 kg, unequantité qui risque de doubler en raison del’industrialisation et l’évolution des modesde production et de consommation si lesmesures adéquates ne sont pas prises pourinfléchir cette progression.En matière de collecte des déchets, lesstratégies adoptées par les pays africainsrevêtent plusieurs formes de partenariatpublic-privé. En dépit de cette diversité, lesrésultats obtenus restent au-dessous desobjectifs escomptés. Ainsi, le taux de collectedemeure faible en Afrique et les modalitésde valorisation des déchets sont presqueinexistantes. Il en est de même pour le tauxd’abonnement des ménages au service depré-collecte ou encore la cotisation financièredes producteurs des déchets. Par ailleurs,l’inefficacité de mécanismes financiers pourla collecte des déchets est un obstacle majeur

1. La notion de déficit écologique est liée au conceptd’empreinte écologique. Lorsque l’utilisation des res-sources dépasse la capacité de régénérer les ressources(bio capacité), nous sommes dans une situation de défi-cit écologique.

privant les municipalités de ressources. Ceciempêche d’atteindre un niveau optimal decollecte des déchets qui garantit la rentabilitédes investissements. Les politiques environ-nementales doivent alors se focaliser sur lesincitations économiques qui développentl’activité de collecte, la valorisation et laréduction à la source des déchets.Ce travail se penche sur les politiquesnationales de gestion des déchets en Afrique.Il envisage de mettre en valeur les capacitésà renforcer dans les pays africains afin degarantir une amélioration de la collecte et dela valorisation des déchets. En partant d’uneanalyse des efforts établis dans plusieurspays, des modèles de collecte dans les paysdéveloppés et des expériences innovantesdans certains pays africains, nous montronsque le renforcement des capacités doit allerdans le sens d’une responsabilité partagéedes acteurs dans la collecte et la valorisationdes déchets. Il est clair que la réalisation d’untel objectif est tributaire des stratégies desproducteurs en amont, des consommateursen aval et des politiques et instrumentsdéfinis par les décideurs publics. Elle estégalement subordonnée à l’organisation et audéveloppement de structures de collecte per-mettant un tri, traitement, valorisation et/ ouélimination des déchets et ce, conformémentà la réglementation en vigueur.Le papier est ainsi structuré en trois sections.La première section apporte un diagnosticde la gestion des déchets en Afrique. Ellemontre l’évolution quantitative et qualitativede la production des déchets et révèle ladéfaillance des systèmes de collecte et detraitement des déchets dans la plupart despays africains. En se basant sur le conceptde hiérarchisation des modes de gestiondes déchets qui classe les choix des modesde traitement des déchets du meilleur(prévention) au plus mauvais (traitement etdécharge), nous montrons que la plupart despays africains sont très loin d’une gestiondurable des déchets. La deuxième partie sepenche plus précisément sur le problème decollecte et analyse les différentes expériencesmenées dans certaines villes africaines, àsavoir Lomé (Togo), Yaoundé (Cameroun),

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Page 6: La Revue - L'Afrique des Idées

GRAPHIQUE 1 – Les perspectives d’évolution des déchets dans le monde

Source : Banque mondiale 2012 a

a. L’estimation des quantités de déchets urbaines et totales est basée sur les informations les plus récentes collectéespar la Banque mondiale (2012) qui ne correspondent pas toujours à la même année. Les abréviations suivantes sontutilisées dans les graphiques. SAR : région Asie du Sud, OECD : Organisation de Coopération et de DéveloppementEconomiques, Mena : Moyen Orient et nord Afrique, LCR : Amérique Latine et Caraïbes, ECA : Europe et Asie Centrale,EAP : Asie de l’Est et Pacifique, Afrique : Afrique subsaharienne.

Accra (Ghana), Ouagadougou (Burkina Faso)et Dakar (Sénégal). Les dysfonctionnementsdes différents systèmes de collecte sont misen relief. La troisième partie revient surle concept de responsabilité partagée desacteurs et montre les expériences innovantesdans certains pays comme l’Afrique du Sudet la Tunisie. Ces expériences mettent envaleur la nécessité de renforcer les capacitésinstitutionnelles, humaines, de sensibilisationet de communication afin de créer unevéritable dynamique dans le secteur de lacollecte des déchets.

2 Un état des lieux de la ges-tion des déchets ménagersen Afrique

A première vue, nous pouvons constaterque les pays africains sont ceux qui produisent

le moins de déchets. En effet, la quantité pro-duite en Afrique subsaharienne représenteseulement 5% des déchets produits dans lemonde (Banque mondiale, 2012). Cependant,la croissance démographique en Afrique etle mouvement croissant d’urbanisation sontalarmants. En effet, si les statistiques de laBanque mondiale (2012) nous signalent unrisque de doublement de la quantité de dé-chets globale (passer de 1,3 milliard de tonnespar an en 2012 à 2,2 milliard de tonnes paran en 2025), nous remarquons que les prévi-sions d’accroissement sont plus inquiétantesen Afrique subsaharienne. Contrairement auxpays développés, comme ceux de l’OCDE, quiont réussi à infléchir cette tendance et à ré-duire le taux de production de déchets parhabitant, la tendance est à la hausse dans lespays africains.Dans la suite de cette partie, nous envisageonsde définir les facteurs qui peuvent accentuer

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Renforcement des capacités de collecte et tri des déchets dans les villes africaines

Page 7: La Revue - L'Afrique des Idées

GRAPHIQUE 2 – Evolution de la population urbaine dans le monde

Source : Banque mondiale 2012

la production des déchets en Afrique. Nousmontrons que les modes de valorisation desdéchets par le recyclage ou le compostagesont quasiment absents et que la grande par-tie des déchets produite se termine dans lesdécharges sauvages des pays africains.

2.1 Structure et caractéristiques desdéchets en Afrique

Plusieurs facteurs influencent la produc-tion des déchets dans les pays africains. De fa-çon générale, la production des déchets révèlenos habitudes de consommation et notre orga-nisation économique (Guerrero et al. 2012).Elle varie ainsi en fonction du climat, du tou-risme et de la démographie. La compositiond’une famille, son niveau d’éducation et sonrevenu mensuel ont aussi un impact sur lesdéchets produits (Sujauddin et al. 2008).Il y a par ailleurs une forte corrélation entrele niveau de revenu et la quantité produitede déchets comme le montre le Graphique 1.Ainsi, dans les pays à revenu élevé, la produc-tion des déchets par jour et par habitant estestimée en moyenne à 2,13 kg, en revanchedans les pays à revenu faible, la moyenne deproduction est de 0,6 kg.

D’un autre côté, l’Afrique est confrontée àune forte accélération du mouvement d’ur-banisation avec un taux de 3,5% par an. Or,les infrastructures de gestion de déchets nepermettent pas de faire face à ce rythme sou-tenu d’urbanisation. Ensuite, dans les zonesrurales, ces infrastructures sont inexistantesce qui accentue le mouvement d’exode ruralet renforce la pauvreté (Lall et al., 2017). L’ur-banisation, le changement des modes de vie etl’industrialisation devraient accentuer davan-tage la production des déchets et augmenterla complexité et la diversité des déchets enAfrique (Graphique 2).Par ailleurs, une caractéristique commune despays en développement est l’importance dela composante organique (Graphique 3) dedéchets dont le taux est aussi corrélé au ni-veau de revenu. Dans les pays à revenu faible,la proportion des déchets organiques est de64% en moyenne, pour les pays à revenu in-termédiaire faible, le taux baisse à 59%. Pourles pays à revenu intermédiaire mais élevé, letaux est de 54%. En revanche dans les paysdéveloppés, les déchets organiques sont esti-més à seulement 28% de la quantité globale

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Page 8: La Revue - L'Afrique des Idées

GRAPHIQUE 3 – Composition des déchets dans les pays africains

Source : Banque mondiale 2012 a

a. La composition des déchets est en pourcentage. La catégorie "autres" comporte les autres déchets (céramique,textile, cuir, caoutchouc, déchets volumineux, articles ménagers, etc).

des déchets (Banque mondiale 2012) 2.L’accroissement des revenus et l’améliorationdu niveau de vie s’associent aussi à un chan-gement qualitatif des déchets. Ainsi, quandle revenu d’un pays augmente, la proportionbiodégradable diminue alors que les déchetsen plastiques, en papier et autres matériauxsynthétiques augmentent (Banque mondiale2012). Les conséquences environnementalesd’une telle mutation qualitative sont néfastescar les déchets non biodégradables néces-sitent plus de temps pour se décomposer. EnAfrique, la part organique est la plus impor-tante, mais elle risque de baisser avec le mou-vement d’industrialisation des économies.

2. Ces chiffres se basent sur une collecte d’informa-tion faite par la Banque mondiale et puisée dans lesdocuments officiels, les rapports des organismes inter-nationaux et les informations tirées d’articles publiésdans des revues impactées. La Banque mondiale uti-lise d’autres indicateurs pour déterminer l’informationquand elle n’est pas disponible. Ainsi, lorsque l’indica-teur disponible est par exemple, la quantité globale desdéchets et qu’elle souhaite déterminer la quantité parhabitant, elle utilise l’indicateur de la population totaleurbaine.

2.2 Collecte et traitement des dé-chets en Afrique

Une analyse plus approfondie de la quan-tité de déchets produite dans les villes afri-caines montre une forte disparité entre desvilles liée à une inégalité des revenus et aurythme de développement. Ainsi, la quantitéproduite est inférieure à 0,4 Kg/j/hab dansdes villes comme Accra, Conakry, Madagascaralors que dans d’autres villes comme Abid-jan ou Zinder, le taux est aux alentours de1kg/j/hab.

D’après le Graphique 5, nous pouvons re-marquer que le taux de collecte de déchets esttrès faible, il ne dépasse pas les 50% dans laplupart des villes 3. Ainsi, même si le volume

3. L’analyse comparative chiffrée est à prendre avecprécaution. Bien que les données appartiennent à lamême source publiée en 2012, elles concernent desannées différentes. Par exemple, pour Ouagadougou, lepourcentage est relevé en 1995 alors que celui de Loméest relatif à 2002. A ce problème d’hétérogénéité desannées s’ajoute une certaine divergence entre certainesstatistiques publiées par les différentes sources et ce,

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Renforcement des capacités de collecte et tri des déchets dans les villes africaines

Page 9: La Revue - L'Afrique des Idées

GRAPHIQUE 4 – La production des déchets dans les villes africaines

Source : Banque mondiale 2012

GRAPHIQUE 5 – La collecte des déchets dans les villes africaines

Source :Banque mondiale 2012

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Page 10: La Revue - L'Afrique des Idées

TABLEAU 1 – Compraison des modes de traitement des déchets dans les pays de l’Afrique et ceuxde l’OCDE

Pays de l’Afrique subsaharienne Pays de l’OCDE

(en million de tonnes) (en pourcentage) (en million de tonnes) (en pourcentage)

Décharges non contrôlées 2,30 43,80 - -

Décharges contrôlées 2,60 49,52 242 42,23

Compostage 0,05 0,95 66 11,51

Recyclage 0,14 2,66 125 21,81

Incinération 0,05 0,95 120 20,94

Autres 0,11 2,09 20 3,49

Total 5,25 100,00 573 100,00

Source : Banque mondiale 2012

de déchets est moins important en Afriquecomparé aux pays développés, la quantité noncollectée demeure très élevée. Les impactsenvironnementaux et sociaux d’une telle si-tuation sont croissants quantitativement etqualitativement. En effet, les déchets noncollectés aggravent à court et à long termela pollution des sols, des ressources halieu-tiques et les risques sanitaires. D’un autre côté,il est intéressant de constater que certainesvilles ont réussi à avoir des taux de collecteplus élevés et supérieurs à 70%. Certains tra-vaux ont souligné une amélioration du tauxde collecte dans les zones gérées par le sec-teur privé (Okot okumou et Neynje 2011, Ki-rama et Mayo 2016). Concernant le choixd’un mode de traitement, plusieurs facteurséconomiques, sociaux et environnementauxinterviennent dans le choix d’un mode de trai-tement tels que la composition des déchets,la densité de population et l’emplacementdes centres de transfert des déchets (Huh-tala 1997, Dalemo et al. 1998, Jenkins et al.2000, Palmer et al. 1997, Hong 1999). Dansles pays africains, les décharges non contrô-lées et le recyclage par le secteur informelreprésentent le mode d’élimination dominantdes déchets (Tabarly et Maccagalia, 2008). En

pour la même période et la même ville. Ainsi, pour lapériode 2000-2003, à Lomé, le taux de collecte publiépar Folléa et al. (2001) est de 30% alors que celui publiépar la Banque mondiale (2012) est de 42%. De mêmepour Dakar, le taux de collecte est 77% pour la premièresource, en revanche, il ne dépasse pas les 40% pour laseconde.

effet, la quasi-totalité des déchets des villesAfricaines est jetée dans des décharges sansaménagement préalable permettant de pré-server la santé des riverains (Tableau 1). Cesorientations amènent à réfléchir sur les modesde traitement les plus adaptés en Afrique. Defaçon générale, le concept de hiérarchisationdes déchets permet de classer les différentsmodes de traitement du « meilleur au pire »en allant de la prévention et la valorisation àl’élimination des déchets avec réduction desimpacts sur l’environnement.

- En premier lieu, la prévention des dé-chets consiste à réfléchir à un modede production et de consommation quiréduit à l’origine la quantité des dé-chets. Les méthodes d’éco-conceptionou d’analyse de cycle de vie ont commeobjectif d’intégrer le problème de la ges-tion des produits dès la phase de pro-duction.

- En deuxième lieu, il faut promouvoirla valorisation en considérant le déchetcomme un nouveau bien économiquequi peut apporter une valeur ajoutée. Lerecyclage est alors le mode de valorisa-tion des déchets, qui par l’intermédiaired’une transformation, réinsère le pro-duit utilisé dans le circuit économique(De Beir et al., 2007).

- En troisième lieu, l’enfouissement desdéchets ou la mise en décharge appa-raît sur le plan environnemental commela solution la moins recommandée. Un9

Renforcement des capacités de collecte et tri des déchets dans les villes africaines

Page 11: La Revue - L'Afrique des Idées

GRAPHIQUE 6 – Modalités de gestion des déchets

Source : Adapté de Tremblay (2010)

tel choix génère un gaspillage des res-sources et engage une responsabilitéenvironnementale future. Les déchetsdéposés dans les décharges en Afriquesont en effet responsables de 8,8% desémissions de gaz à effet de serre, notam-ment le méthane connu pour sa fortenocivité (Couth et Trois 2012). La miseen décharge contribue aussi à pollutionde la nappe phréatique par le lixiviataccentuant ainsi le stress hydrique.

D’après ce concept de hiérarchisation, on re-marque que les pays africains se situent au basde l’échelle car les modes de traitement lesplus fréquents sont les décharges sauvages età un niveau moins élevé, les décharges contrô-lées. Le recyclage et le compostage sont lesmodes de traitement qui ont le moins d’im-pact sur l’environnement mais ce sont lesmodes les moins utilisés dans les pays afri-cains.

La collecte des déchets apparait alorscomme l’un des maillons faibles dans lachaine de gestion intégrée des déchets enAfrique. Pourtant, la littérature économiquepropose une multitude d’instruments écono-miques (Walls 2006, Palmer et Walls 1999)pour l’améliorer.

3 Les modalités de collecte desdéchets en Afrique

La prolifération des quantités de déchetsgénérés dans de nombreux pays africains asuscité les inquiétudes de la majorité des par-ties prenantes. La diversité des systèmes exis-tants traduit des modes d’organisation qui

différent à la fois au niveau des acteurs et in-tervenants impliqués, et plus en amont du pro-cessus de gestion, au niveau des structures decollecte des déchets. Dans cette perspective,la présente section propose un aperçu desmodalités de collecte des déchets en Afrique.Nous concentrons l’analyse sur les déchets desproduits de consommation courante en don-nant des repères chiffrés révélant la situationde plusieurs villes africaines.

3.1 Les modalités du partenariatpublic-privé (PPP)

Dans la plupart des pays en développe-ment, la gestion des déchets est au centre despréoccupations des gouvernements. En effet,il est généralement admis que ce processus estdu ressort des autorités locales. Le développe-ment rapide des volumes de déchets générésa remis en question la capacité des municipa-lités à résoudre seules le problème en raisonsurtout des facteurs financiers. En effet, faceaux dépenses importantes nécessaires pourréaliser les services appropriés de gestion desdéchets, les ressources limitées des autori-tés locales et la réticence des utilisateurs àpayer pour le service de prélèvement sontparmi les facteurs qui entravent l’efficacitédu système (Guerrero et al., 2012). A Lomépar exemple, le mouvement de l’urbanisationet le changement du mode de vie se sont ac-compagnés d’une prolifération de déchets. Laquantité produite est alors estimée à environ800 tonnes chaque jour, sur la base d’une pro-duction journalière de 0,91 kg/hab (Koledzi,2011). Désormais, la pré-collecte des déchetsn’est plus un service public gratuit rendu aux

10

Page 12: La Revue - L'Afrique des Idées

ménages sans paiement de redevance. C’estaussi le cas de nombreux pays africains mêmes’il existe de fortes disparités au sein du conti-nent.

Ainsi, en Afrique, les années 1970marquent l’initiation du secteur privé dansla gestion des déchets solides. Les modalitésd’organisation du PPP varient dans l’espaceet dans le temps. Les choix dépendent despays. A noter qu’un même pays peut expé-rimenter successivement plusieurs schémasà la recherche d’une modalité optimale derépartition des missions entre ces deux pôles.

Les gouvernements semblent hésiter entreles modes de coopération que peuvent revê-tir les formes de PPP. La délégation peut êtretotale ou partielle, partagée avec les autori-tés publiques. Il est clair que les décisionsstratégiques restent du ressort des autoritéspubliques (Etat ou dans une perspective dé-centralisée, la commune ou la municipalité),en revanche les décisions opérationnelles, seprêtent mieux aux différentes formes de PPP.Quelle que soit la stratégie choisie, la questionqui se pose est celle du financement du serviceprivé. Au Burkina Faso, par exemple, ce sontles ménages qui payent des cotisations direc-tement aux entreprises privées alors qu’au Sé-négal, ces dernières sont liées par des contratspassés avec les pouvoirs publics.

La gestion des déchets implique l’inter-vention d’un grand nombre d’acteurs. Trèsschématiquement, deux types d’intervenantspeuvent être distingués : ceux qui s’occupentdu fonctionnement opérationnel des activi-tés de la gestion des déchets, ceux qui cha-peautent ces activités et qui s’intéressent plu-tôt à l’organisation globale. Les liens entre cesdeux formes d’action sont régis par l’existenceà la fois d’enjeux économiques et d’enjeuxpolitiques.

3.1.1 La ville de Lomé

Jusqu’au milieu des années 90, la gestiondes déchets à Lomé (Togo) était confiée à uneseule entreprise privée (SOTOMEA), dont lesactivités étaient financées entièrement par lebudget de la commune avec une subventionde l’Etat togolais, sans aucune contribution

des ménages. L’incapacité financière du sec-teur public à continuer à supporter les chargesde la gestion des déchets a conduit à la rési-liation de son contrat avec la société privée.Ainsi, après diverses tentatives d’organisationde la chaîne de collecte de déchets, la struc-ture actuelle de gestion des déchets reposesur la participation de divers acteurs : la Di-rection des Services Techniques (DST) de lamairie, des Directions techniques des minis-tères, des entreprises privées, des associationset ONG de pré-collecte et des Comités de Dé-veloppement de Quartier. Le socle organisa-tionnel régissant leurs activités bénéficie desretombées positives de la coopération entrela municipalité et des partenaires en déve-loppement tels que la Banque mondiale, laCoopération française et l’Agence Françaisede Développement (AFD). D’ailleurs, le projetPEUL 4, conclu entre la DST et l’AFD vise àla réorganisation de la filière pré-collecte etcollecte et prévoit notamment la constructiond’espaces contrôlés pour le regroupement desdéchets. Ces coopérations décentralisées four-nissent à la commune de Lomé une assistancehumaine, financière et technique. Sur le planopérationnel, les activités de pré-collecte sontsous-traitées et le plus souvent, assurées parles associations et ONG et l’acheminementvers la décharge finale est réalisé par les en-treprises privées. Si les premières opérationss’effectuent contre des redevances payées parles ménages bénéficiaires du service, les en-treprises privées sont liées à la municipalitépar des contrats. La municipalité a mis enplace le système de pesage afin de lier la ré-munération au poids de déchets effectivementtransporté à la décharge à la place du nombrede voyages effectués.

En dépit de cette prise de conscience géné-rale de l’importance du processus de collecte(et pré-collecte), les résultats en termes detaux de collecte restent encore insuffisants.Considéré comme le maillon le moins per-formant de la chaîne de gestion des déchets,ce processus est toutefois capable de déclen-cher des stratégies ambitieuses au niveau des

4. Le Projet Environnement Urbain de Lomé PEUL,phase I, est estimé à 8 millions d’euros pour une périodede cinq ans entre 2007 et 2012 (AFD, 2012)

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autres processus tels que le traitement, la va-lorisation énergétique des déchets et le recy-clage.

3.1.2 La ville de Yaoundé

La ville de Yaoundé (Cameroun) a opté en1968 pour une délégation totale du systèmede collecte des déchets pour le compte d’uneseule société privée HYSACAM (Hygiène etSalubrité du Cameroun, ancienne filiale de laLyonnaise des Eaux - France). La crise éco-nomique de 1987 au Cameroun a contribuénotamment à la rupture des activités de lasociété HYSACAM en 1991. Face à cette situa-tion, et à l’instar de la ville de Lomé, des co-opérations entre l’Etat et d’autres partenairestels que la Coopération Française et la Banquemondiale ont été mises en place en vue desoutenir financièrement l’implication des as-sociations, des ONG et des groupes organisés.Mais, ces différentes tentatives ont échouéau profit de la reprise, en 1998, des activi-tés de HYSACAM. C’est ainsi qu’un contratliant cette dernière à l’Etat a été signé stipu-lant en outre que les attributions de maîtrised’ouvrage sont confiées à la Communauté Ur-baine de Yaoundé (CUY). Le processus de ges-tion des déchets se schématise encore unefois en trois étapes uniquement : la collecte,le transport et le traitement. Cette dernièrese limitant à la mise en décharge contrôléedes déchets ménagers collectés (Sotamenou,2005). La délégation totale de la gestion dedéchet à une seule entreprise privée permetcertes de réduire les interlocuteurs avec l’Etatmais comporte des inconvénients liés à la po-sition de monopole. L’absence de concurrenceau niveau opérationnel réduit la position del’Etat dans ses négociations avec son parte-naire (prix, quantité, fréquences, logistique etmoyens mobilisés...).

3.1.3 La ville d’Accra

L’intervention du privé dans la gestion desdéchets à Accra s’est justifiée par l’incapacitédu secteur public à gérer seul le processusde gestion de déchets. En effet, dès 1985, etsuite aux volumes importants de déchets noncollectés sur le territoire de Accra Metropoli-tan Assembly (AMA), la charge a été d’abord

confiée à Waste Management Departement(WMD). Dans un contexte de renforcementde la politique de décentralisation, AMA déci-dait du budget, des dépenses, des politiqueset des priorités et WMD prenait en chargeexclusivement la collecte, le transport et letraitement des déchets solides du territoire.Ce partage n’a pas donné les résultats escomp-tés à cause des problèmes de financement etde la dépendance financière de WMD vis-à-visde AMA et de l’échec de la tentative de miseen place du système de paiement « Pay AsYou Dump » auprès des ménages (Benrabia,2003).

Les projets pilotes de privatisation de lacollecte des déchets se sont consolidés au mi-lieu des années 90 confirmant la nécessité del’implication du secteur privé dans le proces-sus de gestion des déchets. En 1999, une inter-vention gouvernementale a entraîné un rema-niement dans la structure de privatisation àAccra. Désormais, AMA avait un interlocuteurunique en position de monopole avec qui ellea signé un contrat pour une délégation de lacollecte des déchets : City Country Waste Ltd -CCWL (consortium d’entreprises canadienneset ghanéennes). S’il est vrai qu’en huit mois,le volume collecté a doublé, les charges fac-turées à AMA se sont multipliées par 20 com-paré à celles payées aux PME privées (Quénot,2010). Le contrat a donc finalement été arrêtéen 2000 et a donné lieu à la reprise de la col-laboration avec les opérateurs privés locaux.La ville est divisée en zones de ramassage,chacune est attribuée à une entreprise privéesous contrat avec AMA.

La structure de collecte des déchets à Ac-cra n’est pas encore stabilisée, la recherched’une meilleure modalité de privatisation estau cœur des investigations. L’effort des pou-voirs publics doit s’orienter davantage, d’unepart, vers l’implication des ménages dans leprocessus de collecte pour éviter les dépôtssauvages et d’autre part, vers l’optimisationdes coûts de la collecte, en particulier, dansles zones les plus denses.

3.1.4 La ville d’Ouagadougou

Dans la perspective de privatisation du sec-teur gestion des déchets, les expériences de

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la ville d’Accra (Ghana) présentent de fortessimilitudes avec celles menées par la ville deOuagadougou (Burkina Faso). L’étude menéedans le cadre de l’AFD (Folléa et al., 2001) arévélé les défaillances du système de collecteà Ouagadougou. Depuis, la gestion des dé-chets solides a été réorganisée par le schémadirecteur de gestion des déchets (SDGD), misen place en 2005. La municipalité de Oua-gadougou a initié un projet de privatisationdans le domaine de gestion des déchets. Ellesouhaite désormais uniformiser les modes degestion des déchets (Meunier-Nikiema, 2007).La pré-collecte est organisée en subdivisantle territoire en 12 zones exclusives compor-tant des centres de collecte construits par lamunicipalité. Elle est assurée par des opéra-teurs privés et accompagnée par une dizained’ONG. Le traitement commence à la récep-tion des déchets au Centre de Traitement etde Valorisation des Déchets 5. Ils sont ensuitepesés et répartis selon leur nature (déchetsménagers, industriels et spéciaux, biomédi-caux) vers les cellules d’orientation. Ainsi, lesdéchets organiques ou fermentescibles sontacheminés jusqu’à la zone de compostage etles autres sont enfouis.

Ouagadougou cherche à exploiter l’oppor-tunité de mise en œuvre des politiques inter-nationales de coopération en mettant surtoutl’accent sur l’organisation de l’amont de la fi-lière déchets et en accompagnant le processusjusqu’à l’étape de traitement.

3.1.5 La ville de Dakar

A Dakar (Sénégal), la gestion des déchetssolides s’est caractérisée par une forteinstabilité institutionnelle qui s’est davantageaccentuée durant la dernière décennie.Bien que le financement soit entièrementpublic, l’organisation reposait sur un recoursau secteur privé. La privatisation de lagestion des déchets n’est pas un phénomènerécent à Dakar, le recours à une entrepriseprivée remonte aux années 1970. Ainsi sesuccèdent : la SOADIP (SOciété Africainede DIffusion et de Promotion), remplacée,en 1985, par la SIAS (Société Industrielle

5. Synthèse à partir de deux sources : Cisse (2011)et Toguyeni (2006)

d’Aménagement urbain du Sénégal) et fina-lement, en 2003, AMA-Sénégal (une filialede la multinationale italienne AMA 6 - Rome)est retenue suite à un appel d’offres lancé surle marché international sur contrats passésentre l’autorité publique et un monopole. Leschéma de gestion de déchets avec la sociétéAMA-Sénégal fonctionnait par un recours àdes sous-traitants privés assurant la collecte,le transport des déchets et l’acheminementvers la décharge. L’année 2005 était marquéepar la résiliation du contrat qui liait leMinistère des collectivités locales et de ladécentralisation à AMA-Sénégal. La collectedes déchets dans la région de Dakar est unefois encore du ressort de l’Etat. Depuis, lamaîtrise d’ouvrage de la gestion est assuréepar l’Agence pour la Propreté de Dakar(APRODAK) devenue ensuite Agence pourla Propreté du Sénégal (APROSEN). Pourune phase transitoire, le gouvernement duSénégal a transféré le programme de gestiondes déchets solides de la région de Dakarà une nouvelle structure inter municipaleregroupant l’ensemble de la région Dakar :l’Entente CADAK/CAR (Communauté d’Ag-glomération de Dakar/Communauté desAgglomérations de Rufisque). Par conséquent,si l’on se concentre sur la période postérieureà 2001, il apparaît que la maîtrise d’ouvragede la gestion des déchets oscille entre lesministères publics centraux et la structuremunicipale locale à l’image de l’instabilité dela tutelle institutionnelle de l’APROSEN quia relevé des ministères chargés de l’environ-nement, du cadre de vie, de l’hygiène ou descollectivités locales. Notons enfin qu’en 2012,on assiste à une reprise de la compétence dela gestion des déchets à la mairie de Dakar 7.

En l’absence d’un cadre institutionnelstable et favorable aux investissements privés,le PPP n’a pas permis d’atteindre les objectifssouhaités dans la ville de Dakar. En outre, leschangements successifs des modes d’organisa-tion et des organismes de tutelles ne s’accom-

6. Azienda Municipale Ambiente7. L’aperçu chronologique s’appuie sur les réfé-

rences de Folléa et al. (2001), de Diouf et Fredericks(2013) et de Diop (2013).

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pagnent généralement pas par des processusd’évaluation des expériences précédentes ca-pables de suggérer des pistes d’amélioration.

3.2 Les capacités à renforcer : les en-jeux liés à la présence de la struc-ture informelle

Nous l’avons vu, au fil du temps, les choixstratégiques sont marqués par une sorte detâtonnement d’autant plus que la frontièreentre les modes de PPP n’est pas toujoursclaire. Une réflexion doit alors être menéepour redresser l’assise officielle (les pouvoirspublics- centraux et locaux, les associations,les opérateurs impliqués dans les phases depré-collecte, de collecte, de transport, de trai-tement et d’élimination. . . ) et introduire denouveaux acteurs.

3.2.1 Renforcer l’assise officielle actuelle

Le renforcement de l’assise officielle peutporter sur les volets suivants :

Structure institutionnelle et encadre-ment réglementaire : Au Cameroun, lesactivités de contrôle sont soumises à quatreministères. La répartition des missions n’étantpas clairement définie, cela crée des situa-tions d’ambiguïté et un chevauchement desresponsabilités. Dans la même perspective,une coordination optimale des actions departenariat avec les institutions nationales,les ONG et les partenaires internationauxs’impose. Par ailleurs, le niveau de restrictionimposé par les lois varie selon les pays maisun point commun les caractérise : une insuffi-sance quant au respect de la réglementationen vigueur. Les causes d’un décalage peuventêtre liées à des difficultés à respecter laréglementation, à l’ignorance de l’existenced’une exigence, à l’incompréhension ducontenu de l’exigence ou encore à l’insuffi-sance des actions de sensibilisation. . . desreprésailles pouvant être des réponses à descomportements d’insouciance.

Planification, mise à disposition desressources financières et contrôle : Laplanification doit permettre d’établir unestratégie transparente et accessible à tous les

intervenants. Elle doit veiller à une meilleurecoordination entre les agents opérationnelsen évitant les relations conflictuelles entreles opérateurs telles celles relevées à Accrapar exemple. Les opérateurs se livraient àune concurrence acharnée en se disputant lesquartiers à fort revenu creusant la différencia-tion des services entre les quartiers. La miseà disposition doit prévoir des équipementsadaptés à l’infrastructure de la ville et inclureles critères de disponibilité des pièces derechange, de la main d’œuvre qualifiéeet les coûts de réparation lors du choixdes opérateurs privés. Une évaluation desrésultats des systèmes de collecte antérieursest nécessaire dans une perspective d’amélio-ration des dispositifs actuels. L’introductiondes indicateurs de performance permet nonseulement une évaluation objective desrésultats obtenus mais contribue aussi àprévoir des actions correctives et préventivesadaptées.

Organisation et contrôle des activitéssous-traitées : Les opérateurs privés sonttenus de respecter les cahiers des chargesconclus avec la Direction. Une sensibilisationet une formation de leur personnel contri-buent à accroître le taux de collecte et à mieuxcibler le type de déchets collectés dans uneperspective de recyclage et de revalorisation.L’amélioration des résultats est également tri-butaire des pratiques de collecte mises enavant. Le cas échéant, subordonner la primeet la cotisation aux volumes et aux types dedéchet collecté.

3.2.2 Introduire des nouveaux acteurs

La capacité à intégrer le secteur in-formel : La structure informelle est activetout au long de la filière de la collecte etgestion des déchets. Comme l’a soulignéOguntoyinbo (2012), l’intégration de cettestructure ne pourra être que bénéfiquepermettant d’optimiser la collecte dans lesquartiers les plus défavorisés et d’améliorerles résultats du recyclage. Actuellement, lerecyclage informel passe par un tri manueldes déchets mélangé à la recherche desmatières valorisées par les acheteurs. Ce

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faisant, la forte composante organique n’estpas collectée. Des actions d’améliorationdoivent permettre l’insertion des travailleursinformels en leur octroyant les moyensd’améliorer leurs conditions de travail et deréduire le risque pour leur santé.

La capacité à intégrer les générateursde déchets : Partant du constat que lescomportements nocifs sont souvent dus àl’ignorance de leur impact négatif et de l’exis-tence des meilleures pratiques, la vocationd’une éducation populaire est principalementinformative et sensibilisatrice. Aussi, desdémarches ambitieuses orientent l’intérêt del’axe « éducation à l’environnement ». Denombreux pays misent particulièrement sur lagénération future et visent le milieu scolairepour renforcer l’apprentissage de comporte-ments en phase avec l’environnement. C’estle cas par exemple du Projet d’Éducation pourla Promotion des Pratiques Ecoresponsablesdans la Gestion des Déchets soutenu parle Ministère de la Gouvernance locale, duDéveloppement et de l’Aménagement duTerritoire sénégalais et mis en place en2015. Le projet est destiné à l’ensemble duterritoire du Sénégal 8. Il en est de mêmepour le Burkina Faso qui a associé l’éducationenvironnementale à son système scolaire enl’imbriquant aux programmes pédagogiquesexistants 9. Parallèlement, les ONG aspirent àjouer un rôle complémentaire à l’éducationinstitutionnelle. Par exemple, le centre inter-national de la promotion de la récupérationau Cameroun allie l’approche populaire àl’approche scolaire 10. Si ces expériencesconstituent aujourd’hui des exemples à suivre,les efforts sont à consolider et à généraliserdans toutes les villes africaines pour qu’ellesne restent pas exceptionnelles et qu’elles vé-hiculent des pratiques courantes et familières.

8. http://www.dakaractu.com9. Introduction de l’éducation au développement

durable dans les circuits ou dans le système scolaire auBurkina Faso ; Atelier de concertation des groupes detravail thématiques transversaux (2014)

10. http://base.afrique-gouvernance.net/en/corpus_dph/fiche-dph-281.html

Dans une perspective d’insertion desconsommateurs, Owusu et al. (2013) sug-gèrent de rémunérer les ménages pour leurcontribution à la gestion améliorée des dé-chets. En effet, la séparation à la source né-cessite un effort supplémentaire de la partdes ménages qui peut être stimulé en leur ac-cordant des avantages financiers tels que desfrais de recouvrement réduits ou des compen-sations monétaires directes.

4 Les bonnes pratiques de col-lecte et de traitement des dé-chets en Afrique, vers uneresponsabilité partagée desacteurs

L’objet de cette section est de présenter lesexpériences innovantes et réussies de collectedes déchets en Afrique. Ces expériences onten commun la mise en place du principe dela responsabilité élargie du producteur (REP)à travers un cadre réglementaire qui étendla responsabilité des producteurs à la phasede collecte et de traitement de leurs déchetsd’emballage. Ce cadre aboutit non seulementà accroitre la collecte des déchets mais aussià inciter le producteur à réduire la quantitéd’emballage utilisée dans le processus deproduction.

Nous avons choisi de mettre en exergueles expériences de l’Afrique du Sud et de laTunisie dans la gestion des déchets d’embal-lage 11. Ces deux exemples ont l’avantage demontrer les relations étroites entre les instru-ments économiques, réglementaires et infor-

11. En Afrique, les exemples de mise en place deprogramme REP demeurent rares, bien qu’il existe desinitiatives pour promouvoir le recyclage et la valorisa-tion des déchets. Ainsi, la société Proplast située à Thièset à Dakar (Sénégal), est spécialisée dans la régénéra-tion du plastique facilitant ainsi sa réutilisation dansla fabrication de nouveaux produits. C’est le cas aussidu centre de valorisation des déchets Madacompost deMahajanga (Madagascar), qui transforme le plastiqueen Briques et pavés (Bruneau, 2015). Des initiativessimilaires sont aujourd’hui lancées dans d’autres paysafricains comme l’Algérie à travers le programme Eco-Jem qui vise la gestion de la collecte et la valorisationdes déchets d’emballage (Sweepnet, 2014).

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mationnels et d’expliquer comment mettre enplace une dynamique de collecte et de recy-clage des déchets.

4.1 L’expérience innovante de la ges-tion des déchets d’emballage enAfrique du Sud

L’Afrique du Sud est un pays qui a long-temps souffert des problèmes de coordinationet de manque de financement de son systèmede gestion des déchets. Pour faire face à cettesituation, la loi nationale sur la gestion de l’en-vironnement, promulguée en 1999 ainsi quela stratégie nationale de gestion de déchets(département des affaires environnementaleset du tourisme) recommandent une approchede management intégré qui favorise la valori-sation des déchets et les politiques de réduc-tion à la source. Le programme national meten avant la REP comme une priorité dans lastratégie nationale et étend la responsabilitédu fabricant à la phase d’après consommationet de gestion des déchets.

En Afrique du Sud, les déchets d’embal-lage ont été retenus comme une priorité pourla mise en œuvre de la REP. L’application dece principe a pris plusieurs formes dans plu-sieurs industries. Nous mettons en relief lacollecte et le recyclage des sacs plastiques,des canettes et du verre.

4.1.1 Le cas des sacs plastiques

Avant 1990, les sachets plastiques très ré-pandus étaient distribués gratuitement dansles magasins. Ceci a longtemps encouragé lasurconsommation et découragé toute initia-tive de réutilisation ou de recyclage. Les sa-chets sont légers et fortement contaminés cequi augmente le coût de la collecte. Ainsi, lerecyclage des sachets plastiques ne dépassaitpas le seuil de 1% (Fridge 2001). Conscient dece problème, le gouvernement a imposé unenouvelle législation qui définit des normestechniques relatives à l’épaisseur du plastique,pour les producteurs et importateurs des sacsplastiques. Ces mesures ont augmenté le coûtde production et d’importation qui a été trans-féré au consommateur sous forme de taxe afinde réduire l’usage du plastique et d’encou-rager la réutilisation des sacs. Un troisième

point était le développement d’une organi-sation collective à but non lucratif, Buyisa-e-bag, chargée de gérer la collecte et la valo-risation des sacs plastiques. Cependant, l’im-pact de cette nouvelle législation était surtoutune baisse de l’utilisation des sacs plastiquessans pour autant permettre le développementde l’activité de valorisation. Les modalités detransfert des fonds n’ont pas pu permettre àl’organisation collective d’assurer pleinementson rôle. Par ailleurs, la baisse de la produc-tion a réduit le nombre de sacs en plastiquesen circulation, ce qui ne permet pas le déve-loppement véritable de l’activité du recyclage.

4.1.2 Les initiatives volontaires dans l’in-dustrie des cannettes et du verre

Si les résultats de l’application du principede REP à travers une règlementation strictesont mitigés dans le cas des sacs en plastiques,les expériences des cannettes de boisson etdu verre sont un grand succès en Afrique duSud.

Une organisation collective, « Collect-a-can », chargée de la collecte et de la valorisa-tion des cannettes a été créée en 1993, fruitd’un partenariat entre les deux grands pro-ducteurs de cannettes en Afrique du Sud. Aubout de 15 ans d’activité, le taux de collecteest passé de 18% à 67,5% (Nahman, 2010).L’Afrique du Sud est ainsi placée parmi lessix premiers pays dans le monde dans la col-lecte des cannettes (Cordoba, 2008). L’orga-nisation collective, chapeaute non seulementles opérations de collecte mais elle est aussiétroitement impliquée dans les activités derecyclage (Brink, 2007). Par ailleurs, elle amis en place un système de rémunération descollecteurs au prix du marché et a maîtriséses coûts en encourageant la récupération àla source. Ceci a contribué à la création desemplois et à la génération des revenus.

La législation mise en place dans la filièredes sacs plastiques a encouragé d’autressecteurs à se réorganiser notamment dansl’industrie du verre (avant 2006, le taux decollecte ne dépassait pas 20%). Une nouvelleorganisation à but non lucratif a été créée, la« Glass recycling company » (GRC), résultat

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d’une coopération entre le gouvernement,l’industrie du verre et les entreprises utili-satrices du verre dans l’emballage de leursproduits. Le financement des activités de laGRC est basé sur une taxe unitaire payéepar les entreprises utilisatrices du verre. LaGRC utilise ces ressources pour multiplierles points de collecte et pour encourager desentrepreneurs à créer des projets de collectedes déchets en verre avec la garantie d’unprix de récupération équivalent à celui duverre non recyclé.

Ces expériences menées en Afrique duSud reflètent des formes différentes de miseen place de la REP. Ainsi, si dans le secteurdes sacs en plastique, l’aspect réglementaireest prédominant, l’industrie des cannettes estl’exemple d’une véritable initiative privée. Enrevanche, dans l’industrie du verre, on estface à une véritable coopération entre l’Etatet l’industrie. Notons que même si la régle-mentation n’a pas permis d’atteindre les résul-tats souhaités pour le recyclage des sacs enplastiques, elle a créé un véritable effet d’en-trainement et une dynamique dans d’autresindustries qui ont compris l’urgence de gérerleurs déchets et d’éviter des pénalités futures.

4.2 Analyse de la politique environ-nementale de collecte des dé-chets d’emballage en Tunisie àtravers le dispositif ECO-LEF

En Tunisie, l’implantation depuis 1997 dusystème national de reprise et de valorisationdes emballages utilisés, Eco-lef, destiné àgérer la collecte et la valorisation des déchetsd’emballage, constitue une expérience inno-vante pour faire face à la quantité importantedes déchets d’emballages, environ 200 000tonnes.

Le système Eco-lef a succédé à un systèmede collecte sélective de porte à porte, instauréen 1994. L’opération du tri sélectif des dé-chets auprès des ménages a été initiée dansun quartier pilote. Cette première expériencen’a pas connu un grand succès, son échec s’ex-plique par un manque de sensibilisation desménages qui faute d’incitations suffisantes, ne

sont pas motivés à accomplir l’effort supplé-mentaire du tri.

Le démarrage du système Eco-lef s’est faitensuite par l’Agence nationale de protectionde l’environnement (ANPE) et a connu deuxvariantes : la collecte par apport volontaire etcelle par apport rémunéré. Dans le système dereprise des déchets d’emballages par apportvolontaire, deux entreprises privées ont étéengagées et ont installé 470 conteneursdans les grandes villes. Le taux de gisementmobilisé, estimé à 300 tonnes par an estfaible et a ainsi entrainé des coûts très élevéspour l’ANPE de l’ordre 676 euros par tonne.Pour améliorer ces résultats, l’ANPE a misen place un nouveau système de collectebasé sur l’apport rémunéré. Il s’agit de créerdes points de collecte des déchets et derémunérer les collecteurs aux poids de lacollecte.

L’évaluation de l’expérience du dispositifEco-lef révèle les axes d’amélioration sui-vants :La responsabilité des producteurs dans lacollecte des déchets : La contribution payéeà Eco-lef s’assimile à une taxe en amontimposée sur les produits. Cependant, le tauxde contribution des producteurs adhérentsdemeure très faible par rapport à une taxeoptimale et ne couvre même pas le coût de larémunération des collecteurs. Le producteurpaye 0,068 euro/kg pour l’utilisation duplastique alors que la rémunération descollecteurs s’élève à 0,1 euro/kg (Banquemondiale-metap, 2004). En effet, la contribu-tion des adhérents est déterminée en fonctiondu surcoût engendré par la collecte sélectivecomparée à la collecte indifférenciée et viseà financer le développement de l’activité derecyclage (Loukil et Rouached, 2012). Cemode de taxation attribue au contribuablele financement d’une partie importante ducoût de la gestion des déchets d’emballages.De plus, il ne prend pas en considération lesdommages environnementaux causés par lesdéchets d’emballages.Décollage de la collecte sélective : Malgrél’insuffisance des instruments utilisés pourassurer une incitation optimale et internaliser

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GRAPHIQUE 7 – Evolution de la quantité d’emballages collectée en Tunisie

Source : Sweepnet 2014

les différents coûts liés à la gestion desdéchets d’emballages, le dispositif Eco-lef apermis un décollage de la collecte sélectivequi se manifeste à travers un accroissementannuel de la quantité d’emballage collectée(Graphique 7). Par ailleurs, ce type dedispositif contribue à la sensibilisation desménages au problème de la gestion desdéchets d’emballages. L’apposition d’unlogo d’adhésion peut accélérer la prise deconscience des consommateurs de l’intérêt durecyclage..

Participation du secteur privé et géné-ration des revenus : Cette dynamique initiéedepuis une quinzaine d’années a aujourd’huiabouti à une véritable chaîne de valorisationdes déchets plastiques et un vrai marché durecyclage. Ainsi, pour les matières plastiques,le déchet se vend à 170 euros/tonne au centreEco-lef et à 237/tonne pour les recycleurs pri-vés (Sweepnet 2014). Aujourd’hui, 350 entre-prises exercent dans les activités de collecte,de transport et de recyclage des plastiques etgénèrent 18 000 emplois.

5 Conclusion et recommanda-tions

Ce travail de recherche apporte uneanalyse des difficultés rencontrées par lespays africains dans la gestion de leurs déchets.Il souligne le risque d’une aggravation desproblèmes avec le mouvement d’urbanisationet d’industrialisation si des mesures adé-quates ne sont pas prises pour renforcer etrestructurer les systèmes de collecte et de

traitement des déchets existants défaillants.

Une étude des expériences de collectedans des villes africaines comme Lomé(Togo), Yaoundé (Cameroun), Accra (Ghana),Ouagadougou (Burkina Faso) et Dakar (Séné-gal) montrent un véritable tâtonnement desautorités dans les décisions prises relativesaux systèmes de collecte et l’absence d’unestratégie globale et durable de gestion desdéchets.

Par ailleurs, la coexistence de deuxstructures parallèles de collecte, la structureformelle représentée par les municipalités encoopération avec le secteur privé d’une partet le secteur informel d’autre part ne peutqu’accentuer les dysfonctionnements du sys-tème et le chevauchement des responsabilités.La formalisation du secteur informel et sonintégration dans les activités de collecte nepeut que renforcer le potentiel de recyclagedans les pays africains.

L’implication des producteurs et desménages dans le financement de la collecteet dans l’organisation physique des activitésde tri est un facteur de progrès pour les paysafricains. Il est vrai que les réticences à laparticipation à la collecte sont élevées, mais lerecours aux instruments réglementaires et àdes incitations économiques adéquates, peutaccroitre la sensibilité des consommateurs etdes producteurs à la collecte. L’éducation audéveloppement durable est un axe à renforceren Afrique pour atteindre les objectifs dedéveloppement durable. La sensibilisation

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permet de changer les comportements desménages, notamment par le tri des déchets,mais accroit aussi l’engagement des citoyenset la pression qu’ils peuvent exercer à proposdes questions environnementales (UNESCO,2017).

Les expériences innovantes en Afrique duSud ou en Tunisie révèlent une dynamique decollecte de déchets aboutissant au développe-ment d’un véritable secteur du recyclage, viaune forte implication des producteurs dans lacollecte et le recyclage des déchets. Les struc-tures collectives de gestion et de valorisationdes déchets sont un axe à développer dansles pays africains pour augmenter la sensibi-lisation aux questions environnementales etréduire les coûts de la collecte et de la valori-sation des déchets. Il est donc important quele renforcement des capacités en Afrique ailledans le sens d’une mobilisation des instru-ments réglementaires, économiques et infor-mationnels afin d’instaurer un nouveau par-tage de la responsabilité de la gestion desdéchets avec les producteurs et les consom-mateurs.

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Renforcement des capacités de collecte et tri des déchets dans les villes africaines

Page 23: La Revue - L'Afrique des Idées

CONNECTIVITÉ PHYSIQUE ET ÉCHANGES COMMERCIAUX DE LA CEMAC

Dr. Ludé DJAM’ANGAI ?

?LAEREAG, Université de N’Djamena

Résumé

L’objectif général de ce travail est dedéterminer les effets de la connectivité physiquesur les échanges commerciaux de la CEMAC.Spécifiquement, il s’agit d’une part, de démontrerles effets de la connectivité physique par lesinfrastructures de transport sur les échangescommerciaux et, d’autre part, de tester leseffets de la connectivité par les infrastructuresde télécommunications sur le commerce inter-national. Après estimation, les effets distinctsde la connectivité physique sur les échangescommerciaux de la CEMAC sont déterminés.

Mots-clés : connectivité physique,échanges commerciaux, modèle de gravitéaugmenté et CEMAC

Table des matières

1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

2 Revue de littérature : Place de la connectivité physiquedans les échanges commerciaux . . . . . . . . . . . . . 24

3 Evaluation empirique des effets de la connectivitéphysique sur les échanges commerciaux de la CEMAC27

4 Conclusion : implications de politique économique etrecommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3322

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1 IntroductionLa Communauté Économique et Moné-

taire de l’Afrique Centrale (CEMAC) est uneinstitution d’intégration économique et mo-nétaire représentée par un marché de 42.4millions 1 d’habitants répartis sur un espacede plus de 3 millions de kilomètres carrés.En effet, cet espace est constitué d’une part,des pays enclavés (Centrafrique et Tchad)et, d’autre part, des pays non enclavés (Ca-meroun, Congo, Gabon et Guinée Équato-riale). Une telle caractérisation soulève le dé-bat sur la connectivité et le développementdes échanges commerciaux.

La connectivité se définit comme l’en-semble des moyens permettant et facilitantles flux economiques et humains entre pays(Banomyong, 2012). De façon générale, il y aconnectivité physique lorsqu’un pays accède àun autre à travers les infrastructures de trans-port (routes, les ponts, les aéroports, les che-mins de fer) et des télécommunications (In-ternet, téléphone mobile ou fixe).

Les infrastructures de transport per-mettent de faciliter les échanges de marchan-dises et de services et leur développementest indispensable pour une croissance écono-mique (Estache, 2010 ; Combes et al., 2008).Elles sont donc indispensables au fonction-nement des marchés. Bien que leur impactsoit différent, les infrastructures de transportne fonctionnent pas de façon isolée mais enréseau. Par exemple, si d’une part, les infra-structures aériennes et maritimes jouent plusun rôle important dans le commerce interna-tional, les infrastructures terrestres facilitentplus les échanges sous régionaux (Shepherdet Wilson, 2006).

Lorsqu’un pays ne dispose pas d’infra-structures suffisantes, la faible connectivitéqui en résulte agit négativement sur l’éco-nomie. Les transactions et les rapports es-sentiels sont retardés ou perturbés, les coûtsde transport augmentent, les exportateursperdent du temps pour échanger et ceux-ci affectent la compétitivité du pays (Hilde-gunn, 2006). Dans la théorie économique,cette analyse repose sur la théorie dite des

1. OMC (2013)

coûts de transaction. Selon Krugman (1991),les infrastructures de transport en tant quefacteurs de croissance économique, inter-viennent de façon significative dans l’expli-cation des forces centripètes (effets d’agglo-mération) et centrifuges (effets de dispersion)qui définissent l’organisation économique desterritoires. Dans la réalité, cette analyse ac-corde une attention particulière à l’impact dela distance dans les échanges internationauxétant donné qu’elle constitue un obstacle.

À ce propos, avec le développement destélécommunications (téléphone mobile, In-ternet, téléphone fixe) ces dernières années,Cairncoss (2001) a évoqué « la mort de la dis-tance » pour parler de la réduction des coûtsde transaction en général. En effet, les tech-nologies de l’information et de la communi-cation (TIC) occupent alors une place impor-tante dans les échanges internationaux carelles facilitent les transactions numériques,achat et vente à distance. Elles permettentune meilleure communication entre les expor-tateurs et les importateurs, ainsi que l’amé-lioration de l’accès aux informations sur lemarché (ITC, 2015).

Dans la littérature économique, plusieurstravaux empiriques (Limao et Venables, 2001 ;Portugal-Perez et Wilson, 2012 ; Ramli et Is-mael, 2014) ont montré les effets positifsdes infrastructures physiques sur les échangescommerciaux à l’aide du modèle de gravitéd’Anderson et Van Wincoop (2003). Mais ànotre connaissance, la littérature sur le com-merce international présente des insuffisancessur les travaux visant à estimer les effets desinfrastructures physiques (infrastructures detransport et de télécommunications) sur leséchanges commerciaux de la CEMAC. Parconséquent, ce papier vise donc à comblercette lacune en contribuant à l’élargissementde notre connaissance sur la question deconnectivité et échanges commerciaux.

En plus des raisons évoquées précédem-ment, le choix de la CEMAC comme champd’investigation peut se justifier égalementpour au moins trois (3) raisons.

Tout d’abord, la CEMAC est une unionmonétaire caractérisée par une hétérogénéitéstructurelle vu sa position géographique et

23

Connectivité physique et échanges commerciaux de la CEMAC

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son niveau d’infrastructures. Globalement,la distribution des infrastructures physiquesdans la région est inégale. Le transport rou-tier représente 90 % du transport interurbainmais les liaisons physiques et les services pro-posés sont insuffisants. Les coûts de transportdemeurent élevés, beaucoup plus que dansd’autres régions en développement. Ils repré-sentent en moyenne 14 % de la valeur totaledes exportations par rapport à 8.6 % pour l’en-semble des pays en développement et ils sontencore plus élevés pour de nombreux pays en-clavés tels que le Tchad (56 %) 2. Les quatrecinquièmes du trafic de transit du Tchad et dela Centrafrique sont acheminés par deux cou-loirs routiers qui traversent le Cameroun. Ils’agit du couloir Douala-Bangui (1500 km) etle couloir Douala-N’Djamena (2100 km) 3. Lesinfrastructures aéroportuaires sont au nombrede dix dans la sous-région 4 et en moyenne,le kilomètre des voies ferroviaires représente860.75km 5 au Cameroun, Congo et Gabon.

Ensuite, la structure économique de cespays est caractérisée par une spécialisationdans la production et l’exportation des ma-tières premières. La grande majorité de leursexportations est orientée hors de l’Afrique,dont près des 3/4 vers l’UE, les États-Unis etla Chine. La part de l’Afrique dans ses expor-tations totales a diminué depuis 1990, pas-sant de près de 7% à un peu moins de 2%en 2008 (soit en moyenne 1,2 % de son PIBdepuis 1990) 6 . Le commerce intra zone se si-tue à peine à 2% 7. En 2010 par exemple, leséchanges intra-communautaires ont contri-bué pour 2.1% des exportations totales (ycompris intra-communautaires) des pays et3.9 % des importations. Ces niveaux sontfaibles comparés aux groupements régionauxsimilaires comme l’UEMOA où les échanges

2. CEEAC (2007)3. Études sur les Opportunités Commerciales en

Afrique Centrale, 20084. 3 au Cameroun, 2 au Congo et au Gabon, 1 en

République Centrafricaine, au Tchad, en Guinée Équa-toriale. Source : Opportunités Commerciales en AfriqueCentrale (2008)

5. Calcul de l’auteur à partir des données de laBanque Mondiale (2015)

6. AFD (2010)7. CNUCED (2011)

communautaires ont représenté 11.5 % desimportations et 15 % des exportations en2010 8. Cet état des lieux peut traduire unefaible intégration commerciale de ces pays.

Enfin, en matière d’infrastructures de com-munication, la moyenne des personnes utili-sant le téléphone mobile (pour une popula-tion de 100 habitants) se situe à 53.15% pourl’ensemble des pays de la CEMAC. Par contre,la proportion moyenne des individus qui ontaccès à l’Internet (pour une population de 100habitants) est de 4.32 % 9.

Eu égard à tout ce qui précède, l’objec-tif de ce papier est de déterminer les effetsde la connectivité physique sur les échangescommerciaux de la CEMAC. Spécifiquement,il s’agit d’une part, de démontrer les effetsde la connectivité physique de transport surles échanges commerciaux et, d’autre part,de tester les effets de la connectivité par lestélécommunications sur le commerce interna-tional.

La suite de ce travail s’organise en trois(3) sections. La section 2 présente la revuede littérature, la section 3 évalue les effetsde la connectivité physique sur les échangescommerciaux de la CEMAC et la quatrièmesection présente la conclusion incluant nosrecommandations et les implications en poli-tique économique.

2 Revue de littérature : Placede la connectivité physiquedans les échanges commer-ciaux

Cette partie présente les débats théoriqueet empirique sur les effets de la connecti-vité physique sur les échanges commerciaux.Après avoir passé en revue les effets de laconnectivité physique de transport sur leséchanges dans une première partie, nous ana-lysons les effets de la connectivité par les télé-communications sur le commerce internatio-nal dans une deuxième partie.

8. OMC (2013)9. Calcul de l’auteur à partir des données de l’UIT

24

Page 26: La Revue - L'Afrique des Idées

2.1 Effets de la connectivité par lesinfrastructures de transport surles échanges commerciaux : ré-duction des coûts de transactionset expansion du commerce exté-rieur

Les infrastructures de transport sont aucœur des choix de localisation des activitéséconomiques et expliquent en grande par-tie les disparités économiques entre les ré-gions. Matérialisées par les ports, les aéro-ports, les routes et les voies ferrées, celles-cifonctionnent en réseau souvent assimilable àun support technique d’intermédiation écono-mique. À cet effet, ces infrastructures revêtentune importance cruciale pour le commerce enfacilitant la mobilité des personnes, des mar-chandises et le développement des échanges.

Les infrastructures de transport répondentà un besoin direct des populations. Mais ellesont également une fonction économique ma-jeure qui consiste à réduire les coûts de pro-duction et de distribution des biens. En ré-duisant le coût des échanges et de déplace-ment, le développement des infrastructuresde transport a pour conséquence l’accroisse-ment du volume des échanges. Dès lors, lecoût du temps nécessaire pour transporterles biens devient également une composanteessentielle dans les échanges (Hummels etGeorge, 2013).

S’appuyant sur l’économie géographique,Krugman (1991 ; 1994) s’interroge sur le rôledes infrastructures de transport dans la forma-tion des agglomérations et de grands centresde concentration. L’économie géographiquerenvoie à l’organisation spatiale puisque lesactivités économiques ne sont pas toutes lo-calisées au même endroit. De ce fait, la réa-lisation d’interactions économiques supposedes déplacements d’individus, d’inputs ou demarchandises (Prager et Thisse, 2009).

De façon générale, deux (2) lois caracté-risent l’économie géographique. La premièreloi stipule que "toutes les activités ne peuventêtre présentes partout". Sur cette base, laconnexion d’un pays à un marché extérieur àtravers les infrastructures maritimes et aéro-portuaires demeure importante. Par contre, la

seconde loi (Tobler, 1979) énonce que "ce quise passe près de nous est souvent plus impor-tant que ce qui se passe loin de nous". Cetteloi met en exergue l’importance primale de laproximité géographique dans la définition desinterrelations dans l’espace. Elle peut doncmontrer l’apport d’intégration entre les paysproches d’une union.

Selon Hoffmann (2012), l’accès aux ré-seaux internationaux de transport maritimerégulier est un déterminant capital de la com-pétitivité commerciale d’un pays car il per-met le transport des conteneurs qui sont im-portants pour le commerce de marchandises(Bernhofen et al., 2013). L’offre de services detransport maritime est dans une large mesuredéterminée par les caractéristiques portuaires.De nos jours, la description de la connecti-vité maritime passe par l’analyse de l’indicede connectivité des transports maritimes ré-guliers (lsci) étant donné qu’il permet de voirl’économie d’échelle dans les ports.

Limao et Venables (2000) démontrentque de mauvaises infrastructures routièrescomptent pour 40 % des coûts de transportdans le cas des pays côtiers et pour 60 %dans le cas des pays enclavés. Ces résultatspeuvent traduire le coût de connectivité ex-pliqué par la qualité de l’infrastructure pourles pays côtiers et les pays non côtiers. Ceconstat est particulièrement pertinent dansle cas des pays africains où, à distance égale,les coûts de transport apparaissent particuliè-rement élevés du fait de la géographie et demauvaises infrastructures.

Selon une étude de la Banque Mondiale(2008), le fait d’être enclavé rallonge la dis-tribution terrestre de quatre jours pour lesexportations et de neuf jours pour les impor-tations, par rapport à une distance égale par-courue dans un pays disposant d’ouverturemaritime. Ce résultat corrobore l’analyse pré-cédente qui montre que l’enclavement consti-tue un obstacle à l’approvisionnement. Cepen-dant, étant donné que les infrastructures sontà l’origine d’externalités spatiales, les pays en-clavés peuvent bénéficier des infrastructuresde leurs voisins pour se connecter au marchéinternational.

Les effets de la connectivité physique ont

25

Connectivité physique et échanges commerciaux de la CEMAC

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également fait l’objet d’étude par Ramli et Is-mail (2014) dans l’ASEAN-5 (Indonésie, Ma-laisie, Thaïlande, Philippines et Singapour)sur la période de 1989-2009. Ils s’appuientsur le modèle de gravité augmenté avec uneapproche en panel et obtiennent les résultatsselon lesquels, les infrastructures de transport(routes, rails, mer et aéroport) assurent unemeilleure connectivité entre ces pays et ontdes effets significatifs et positifs sur leurs ex-portations. Un tel résultat a été égalementobtenu par Ahmad et al. (2015) pour la Ma-laisie sur la période de 1980 à 2013.

Portugal-Perez et Wilson (2012) étudientles effets des infrastructures physiques (hardinfrastructures) et des infrastructures insti-tutionnelles (soft infrastructure) sur la per-formance des exportations de 101 pays surla période de 2004 à 2007. Ces auteurs ontutilisé différentes approches d’estimation, no-tamment Heckman en deux étapes et PPML.D’après leurs résultats, les infrastructures phy-siques ont des effets positifs sur la perfor-mance des exportations. Par exemple, 1 %d’augmentation du niveau des infrastructuresde transport en Algérie entraîne une crois-sance des exportations de 18.8%.

De Oliveira et Peridy (2015) évaluent l’im-pact des coûts à l’échange, en particulier descoûts du transport maritime, dans les pays mé-diterranéens sur la période de 2000 à 2009.En utilisant le modèle de gravité, l’estimationest réalisée avec les estimateurs Hausman etTaylor ainsi que GMM. Les principaux résul-tats montrent que ces pays présentent géné-ralement des coûts à l’échange plus élevés, cequi pénalise leur compétitivité.

L’analyse précédente a montré l’impor-tance de la connectivité physique de transportdans les échanges commerciaux. Nous allonsmaintenant voir, dans la section suivante, lerôle occupé par les télécommunications dansles échanges internationaux.

2.2 Effets des télécommunicationssur le commerce

Les télécommunications occupent un rôletrès important dans les activités économiqueset sociales car elles redéfinissent les notionsd’espace, les manières de produire, d’échan-

ger, de communiquer et d’apprendre (Dah-mani, 2005). En cela, les TIC sont à l’ori-gine d’une "révolution économique" qu’Artus(2001) définit comme un ensemble de boule-versements, de mutations et de mécanismesnouveaux régissant l’activité économique deces vingt dernières années.

Le développement des TIC a donc permisde favoriser le commerce électronique appelée-commerce 10. L’e-commerce a permis à cer-taines entreprises, spécifiquement aux entre-prises de service, de réduire les coûts à traversla vente en direct, de mieux cibler les clientspotentiels, de proposer des services personna-lisés (Bakos et al., 2005).

Kepler et Manchin (2007) font une étudesur un groupe de pays sur la période de 1988à 2002 pour analyser les effets de la qua-lité des institutions et des infrastructures phy-siques sur les flux commerciaux. Ils calculentun indice composite des télécommunicationsprenant en compte l’Internet, téléphone mo-bile et téléphone fixe pour évaluer les effetsdu commerce électronique. En utilisant unmodèle de gravité avec une approche utilisantle modèle de sélection de Heckman (1979)en deux étapes, les résultats de ces auteursont montré des effets positifs des télécom-munications sur les échanges pour la périodeconsidérée.

Ces mêmes résultats se sont confirmés parles travaux de Ramli et Ismail (2014) qui ontanalysé l’importance des infrastructures phy-siques de l’ASEAN-5 sous toutes ses formessur la période de 1989-2009 à l’aide d’un mo-dèle de gravité augmenté. Ils ont considéré defaçon isolée les télécommunications (Internet,téléphone fixe et téléphone mobile) dans leurmodèle.

De façon globale, la téléphonie mobile,la téléphonie fixe et l’Internet réduisent lescontraintes d’espace et de temps, et per-

10. Le commerce électronique est défini comme lavente de biens et de services à travers l’Internet à desti-nation du grand public. Habituellement, il existe troisformes d’e-commerce : le commerce B2C (business toconsumer), le commerce B2B (business to business),qui concerne les transactions commerciales entre en-treprises et qui comprend donc ce qu’on appelle tradi-tionnellement le commerce de gros et le commerce C2C(consumer to consumer).

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Page 28: La Revue - L'Afrique des Idées

mettent la mise en relation des économies,des sociétés et des individus. Dans la pratiqueque ce soit la téléphonie mobile ou la télépho-nie fixe, leur rôle (communication) reste lemême dans les échanges. Donc il n’est pas ju-dicieux de les considérer tous dans le modèleempirique tel que Ramli et Ismail (2014) l’ontfait. Ainsi, nous retenons la téléphonie mobileet l’Internet pour capter les télécommunica-tions.

La revue de littérature empirique précé-dente montre qu’il manque des résultats surles effets de la connectivité par les infra-structures de transport et des télécommuni-cations pour une sous-région faiblement inté-grée comme la CEMAC. D’où l’intérêt de cetravail.

3 Evaluation empirique des ef-fets de la connectivité phy-sique sur les échanges com-merciaux de la CEMAC

Cette partie évalue empiriquement leseffets de la connectivité physique sur leséchanges commerciaux dans la CEMAC.

3.1 Faits stylisés sur les échangescommerciaux

La participation des pays de la CEMACdans le commerce international dépend deleur spécialisation orientée dans la productiondes matières premières (produits agricoles etminiers). Les échanges de ces produits sontsoumis à la persistance de contraintes struc-turelles internes, ainsi qu’à des fluctuationsimportantes qui sont liees a la conjonctureinternationale.

Le tableau 1 ci-dessous présente des in-formations sur les exportations de différentesmatières premières de la CEMAC sur la pé-riode de 2011 à 2013. Le tableau 1 montreeffectivement que les exportations des paysde la CEMAC sont dominées par les produitsminiers qui sont constitués en grande par-tie du pétrole. La production pétrolière pourtous les pays de la zone est estimée à 48.9millions de tonnes soit 12 % de la produc-tion africaine. L’essentiel de cette productionest réalisé par le Congo (30.5 %), la Guinée

équatoriale (28.4 %) et le Gabon (25 %). Lepétrole représente 43.9 % du PIB de la Com-munauté, 85.7 % de ses exportations totaleset 67.1 % des recettes budgétaires 11. Ces éco-nomies sont très dépendantes du secteur pé-trolier car le pétrole constitue l’essentiel desexportations, à l’exception de la Républiquecentrafricaine. Globalement, les exportationsde la CEMAC sont estimées à 54.6 % du PIBet les importations 43.1 % en pourcentage duPIB 12.

TABLEAU 1 – Structuration des exportationsdes pays de la CEMAC (part dans lesexportations totales en pourcentage)

Produits 2011 2012 2013

Pétrole brut et raffiné 72.8 72.1 72.5

Méthanol et autres Gaz 12.9 13.4 13.7

Produits forestiers 3.4 2.9 3.2

Coton 0.6 0.4 0.4

Cacao 1 0,7 0.8

Café 0.3 0.2 0.2

Aluminium 0.4 0.4 0.4

Bétail 1 0,5 0,9

Manganèse 1.9 4.1 1.8

Diamants 0.1 0.1 0.2

Autres exportations 5.7 5.3 5.8

Source : Tableau de bord de BEAC, 2013

3.2 Mise en évidence des effets dela connectivité physique sur leséchanges

Les infrastructures de transport et les ré-seaux des télécommunications sont des va-riables utilisées pour expliquer la connectivitéphysique. Ainsi, il est question de décrire leurévolution et d’analyser la corrélation entre cesvariables.

La façade maritime joue un rôle importantdans l’intégration au commerce internationalet facilite la croissance et le développement

11. Les informations chiffrées dans ce paragraphe ontété extraites du tableau de bord de la BEAC (2013)

12. BEAC (2013)

27

Connectivité physique et échanges commerciaux de la CEMAC

Page 29: La Revue - L'Afrique des Idées

GRAPHIQUE 1 – Évolution de l’indice de connectivité maritime des pays de la CEMAC

Source : Construction de l’auteur à partir des données de CNUCED (2014)

GRAPHIQUE 2 – Répartition moyenne des voies ferroviaires en zone CEMAC

Source : Construction de l’auteur à partir des données de la Banque Mondiale (2014)

des pays concernés. Cependant, les transportsmaritimes ont considérablement évolué dansle monde au cours des dix dernières annéescar 80 % des échanges passent par la voiemaritime (CNUCED, 2014).

De nos jours, la description de la connec-tivité maritime passe par l’analyse de l’indicede connectivité des transports maritimes ré-guliers (lsci) de CNUCED étant donné qu’ilpermet de voir l’économie d’échelle dans lesports. Ainsi, le graphique 1 ci-dessous montreque le Cameroun et le Congo sont les paysles plus connectés dans l’union. Toutefois, enmoyenne, le Cameroun peut se classer en pre-mière position avec une légère différence sur

le Congo.Dans la zone CEMAC, les voies ferrées ne

sont pas interconnectées et elles répondentà des objectifs purement nationaux. Le gra-phique 2 ci-après représente la proportionmoyenne des voies ferroviaires au Cameroun,au Gabon et au Congo.

Le chemin de fer concerne présentementtrois pays de la sous-région : le Cameroun, leCongo et le Gabon. Sur la période de 2004à 2013, le Cameroun réalise une moyennede la voie ferroviaire de 980.8 km; le Gabon802.1 km et le Congo 795 km. Ces chiffresdémontrent bien que les pays de la CEMACne sont pas interconnectés entre eux par la

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Page 30: La Revue - L'Afrique des Idées

GRAPHIQUE 3 – Proportion moyenne des personnes qui ont accès aux télécommunications enzone CEMAC

Source : Construction de l’auteur à partir des données de l’UIT

voie ferroviaire, et celles existantes sont engénérale un héritage de l’époque coloniale.

En moyenne, le graphique 3 montre queles personnes qui ont accès à l’Internet (pour100 habitants) représentent une faible propor-tion dans les différents pays de la CEMAC. Iln’y a que le Gabon et la Guinée Équatorialequi occupent la meilleure place. Par contre,le développement de la téléphonie fixe a étéconsidérablement freiné par l’expansion dela téléphonie mobile. Ainsi, la proportion despersonnes qui ont accès à la téléphonie mobile(pour 100 habitants) est plus élevé que celuide la téléphonie fixe (100 habitants) pourtous les différents pays de la zone (Graphique3). Au regard de cette analyse, l’Internet etla téléphonie mobile vont être les variablesà utiliser pour capter les télécommunicationsdans la CEMAC.

Certes, les pays de la CEMAC accusent glo-balement un retard dans le développementdes TIC mais les déficiences en matière d’infra-structures électriques restent également unegrande préoccupation. La faiblesse d’énergieempêche le développement de ces pays et laréduction de la fracture numérique entre cespays et le reste du monde. Une telle situa-tion ne peut qu’affecter la compétitivité deces pays.

En cherchant à établir une corrélationentre les variables 13 : exportations bilatérales

13. Les données sur les flux commerciaux de chaquepays de la CEMAC vers son partenaire proviennent dela base de COMTRADE (WITS). Les données sur lesinfrastructures de transport sont fournies par la Banque

(Xij), les pays de la CEMAC (i=1 à 6) et jles principaux partenaires 14, le kilomètre deroute bitumée (roadi), le kilomètre des voiesferrées (railsi), le fret aérien (freighti), l’in-dice de connectivité maritime (lsci_i), le télé-phone mobile pour 100 habitants (mobilei) etle taux des personnes ayant accès à l’Internet(interneti) on dégage la matrice de corrélationsuivante. La corrélation entre ces différentesvariables d’intérêt est établie pour la périoded’étude de 2006 à 2013.

La connectivité maritime a une corréla-tion positive et significative avec les exporta-tions. En effet, le transport maritime est unmode de transport qui permet le transport desmarchandises à un tonnage élevé, c’est ce quiexplique les économies d’échelle dans le trans-port maritime. Dans la CEMAC, la présencede port Douala joue un rôle crucial dans lafacilitation de manutention de fret maritimedes pays enclavés.

En considérant par exemple les tops 16africains 15 selon la capacité des ports à assu-

Mondiale et celles concernant les télécommunicationsdécoulent du site de l’Union Internationale des Télé-communications (UIT).

14. Angola, Burundi, Belgique, Benin, Burkina Faso,Bulgarie, Côte d’Ivoire, République Démocratique duCongo, Chine, Allemagne, France, Grande Bretagne,Espagne, Guinée Conakry, Niger, Nigéria, Sénégal, PaysBas, Corée du Sud, Singapour, Mali, Indonésie, Usa,Portugal, Pologne, Togo, Malaisie, Danemark, Ghana,Suède, Roumanie, Italie, Sao Tomé et Principe, Malteet Luxembourg.

15. Égypte, Afrique du Sud, Kenya, Ghana, Angola,Sénégal, Soudan, Tunisie, Tanzanie, Djibouti, Nigéria,Cameroun, Algérie, Namibie, Mozambique et Lybie.29

Connectivité physique et échanges commerciaux de la CEMAC

Page 31: La Revue - L'Afrique des Idées

TABLEAU 2 – Matrice de corrélation

Xij Roadi freighti lsci_i railsi interneti mobilei

Xij 1

Roadi 0.0056 1

(0.0868)

Freighti -0.1314 -0.1135 1

(0.0007) (0.0000)

lsci_i 0.3594 -0.0014 0.0201 1

(0.0000) (0.9439) (0.4555)

Railsi -0.1003 -0.5177 -0.233 -0.0091 1

(0.0052) (0.0000) (0.0000) (0.7526)

interneti 0.1071 0.7395 -0.2588 0.0423 -0.3531 1

(0.9010) (0.0000) (0.0000) (0.0386) (0.0000)

Mobilei 0.1384 0.703 0.1169 0.0463 -0.5018 0.7947 1

(0.7436) (0.0000) (0.0000) (0.0237) (0.0000) (0.0000)

Source : Construction de l’auteur

rer la conteneurisation, le Cameroun se posi-tionne en 12ème place. Certes, parmi tous cespays africains, le Cameroun occupe un classe-ment qui n’est pas meilleur, mais il est tout demême le seul à occuper cette position si onconsidère tous les pays côtiers de la CEMAC.Ayant un poids de conteneurisation du portqui s’élève à 200254 EVP, les échanges qui endécoulent (importation + exportation) sontévalués à 6727 millions US 16. Le résultat ob-tenu par la CNUCED (2014) selon lequel, 80% des échanges commerciaux passent par lavoie maritime est alors conforté. La voie ma-ritime est essentielle à l’accès au marché in-ternational car elle permet les échanges com-merciaux à travers le transport de conteneurs.

Le fret aérien a une corrélation négativeet significative avec les exportations. La faibleproportion de la connectivité aérienne despays de la CEMAC dans le trafic s’expliquedans une large mesure par l’état de ses infra-structures qui s’avèrent obsolètes ou insuffi-santes. De plus, étant donné qu’il y a insuffi-sance des compagnies domestiques, l’éloigne-ment par rapport au marché d’approvision-nement international et la rareté des lignesoblige les compagnies à faire de nombreuxdétours, ce qui peut avoir pour conséquence

16. Rapport sur le Développement Africain (2010)

le renchérissement des prix.Les voies ferrées ont également une cor-

rélation négative et significative avec les ex-portations des pays de la CEMAC. Un tel ré-sultat peut démontrer que ces pays ne sontpas interconnectés entre eux par la voie fer-roviaire, et que celles qui existent sont engénéral, un héritage colonial. Les quelqueslignes ferroviaires sont à l’intérieur de cer-tains pays (Congo, Gabon et Cameroun) etsur des kilomètres très faibles. La mauvaisequalité des infrastructures ferroviaires affectele commerce en accroissant les coûts de trans-port et les délais de livraison. Par exemple,sur le corridor Douala-N’Djamena pour unedistance de 1830Km, il faut 12-15 jours pourarriver à la destination (Tervaninthorn et Ra-balland, 2009).

Le réseau routier a une corrélation po-sitive et significative avec les exportations.L’analyse de Shepherd et Wilson (2006) quimontre que l’infrastructure routière est d’uneimportance cruciale pour le commerce intrarégional semble être vérifiée. Le fret routierreste le mode de transport dominant dans lescouloirs commerciaux surtout pour les paysenclavés de cette sous-région.

Les variables d’infrastructures de télécom-munication considérée dans notre modèle em-pirique ont des effets positifs et non significa-

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Page 32: La Revue - L'Afrique des Idées

TABLEAU 3 – Résultats des estimationséconométriques

VARIABLES PPML

ldistwcesij -0.902***

(0.197)

lpibj 0.448*

(3.875)

lpibi 0.546***

(0.0671)

lpopi 0.498***

(0.0973)

lpopj 4.816

(3.644)

lfreighti -1.586*

(2.018)

lrailsi -51.91*

(37.37)

lroadi 1.573*

(2.159)

llsci_i 0.393**

(1.702)

lmobilei 0.632

(1.844)

linterneti 2.589

(3.393)

ccolij 0.101

(0.335)

langij 0.317*

(0.183)

Constant 275.5

(208.2)

Effet année Oui

Effet pair Oui

Observations 534

R-squared 0.63Écarts types entre parenthèses

*** p < 0.01, ** p < 0.05, * p < 0.1Source : Estimation de l’auteur

tifs sur le commerc de la CEMAC. Ainsi, ellesne constituent pas un déterminant de leurséchanges.

Théoriquement, les forces d’attraction etde répulsion dans les échanges internationauxsont formalisées à l’aide du modèle de gra-vité. Inspiré de la loi de Newton, son utilisa-tion pour décrire les échanges internationauxentre pays ou régions remonte aux travauxpionniers de Tinbergen (1962) 17 ; Pöyhönen(1963) ; Linnemann (1966) et Aitken (1973).L’application du modèle de gravité dans ledomaine du commerce a fait l’objet de nom-breuses critiques à cause du manque de sesfondements théoriques. Ainsi, avec les der-niers développements du modèle d’Andersonet Wincoop (2003) le modèle trouve ses fon-dements théoriques et on parle du modèle degravité augmenté. Dans la pratique, ce mo-dèle présente un grand avantage car il estrelativement flexible et permet l’introductionde nombreuses variables (écart des structuresde spécialisation, écart des niveaux de déve-loppement, etc.).

En essayant de confronter les analysesstatistiques précédentes au résultat d’estima-tion du modèle de gravité avec l’approche dePseudo Maximum de Vraisemblance de la Loide Poisson (PPML), on obtient les résultatssuivants.

À part, les variables d’intérêt, les autresvariables ajoutées dans ce tableau sont desvariables de contrôle. Il s’agit de : logarithmede la distance relative entre le pays i et le paysj (ln distwcesij) ; logarithme du produit inté-rieur brut du pays i à la période t (ln pibit) ;logarithme du produit intérieur brut du paysj à la période t (ln pibjt) ; logarithme de lapopulation du pays i à la période t (ln popit)et logarithme de la population du pays j à lapériode t (ln popjt).

Les données bilatérales géographiqueset culturelles sont fournies par le Centred’Études Prospectives et d’Informations In-ternationales (CEPII). Il s’agit de : distance(distwcesij), partage de langue commune (lan-gij) et colonisateur commun (ccolij). Il im-

17. Jan Tinbergen dans Shaping the World Economy(1962)

31

Connectivité physique et échanges commerciaux de la CEMAC

Page 33: La Revue - L'Afrique des Idées

porte de rappeler que la distance 18 constitueun coût important aux échanges car elle ap-paraît comme une barrière. Les informationssur la population (pop) et le pib sont extraitesde la base de la Conférence des Nations Uniessur le Commerce et le Développement (CNU-CED). Nous verrons concrètement l’implica-tion de ces différents variables dans la sectionsuivante.

4 Conclusion : implications depolitique économique et re-commandations

L’article proposé a permis de déterminerles effets de la connectivité physique sur leséchanges commerciaux des pays de la CEMAC.D’une part, nous avons démontré les effets dela connectivité par les infrastructures de trans-port sur les échanges commerciaux et, d’autrepart, nous avons mis en évidence les effetsde la connectivité par les télécommunicationssur le commerce international.

Les résultats issus de l’analyse empiriquemontrent deux effets distincts de la connecti-vité physique sur les échanges commerciauxdes pays de la CEMAC. D’une part, la connec-tivité par les infrastructures de transport aun effet positif et négatif sur les échangespar contre, la connectivité par les télécom-munications n’influence pas les échanges dela CEMAC. En effet, les infrastructures ma-ritimes et routières ont des effets positifs etsignificatifs sur les exportations et les infra-structures aériennes et ferroviaires ont deseffets négatifs.

Eu égard à tous ces résultats, les pays de laCEMAC doivent rechercher à renforcer davan-tage leur connectivité maritime étant donnéque la littoralisation est un baromètre ducommerce international. De plus, ils doiventmettre l’accent sur l’expansion de leurs in-frastructures aéroportuaires pour une effica-cité de la connectivité aérienne. Les aéroportsconstituent un élément clé de la chaîne de

18. Généralement, il existe trois (3) sortes de dis-tance : la distance à vol d’oiseau, la distance réelle etla distance réelle ajustée. La distance à vol d’oiseauprend en compte la distance d’arc entre les deux capi-tales des pays considérés pour approximer la distancequi sépare les partenaires commerciaux. La distanceréelle par contre, concerne la voie réelle utilisée pourtransporter les marchandises (terrestre et maritime). Ladistance réelle ajustée prend en compte d’autres fac-teurs telles que la qualité des infrastructures ou le coutde transport.

valeur. À cet effet, il est alors important dese doter d’aéroports équipés et avec des capa-cités d’accueil très importantes à l’image desaéroports de dernière génération construitsà Dubaï et de façon générale dans les paysémergents. De plus, il est nécessaire de faireen sorte que les transports aériens internatio-naux soient sûrs, réguliers, efficaces et écono-miques.

Certes, ces infrastructures jouent un grandrôle dans les échanges internationaux mais ledéveloppement des infrastructures terrestres(rails et routes) est crucial pour désenclaverles pays de la sous-région et contribuer ainsià renforcer l’intégration physique. Le déve-loppement des infrastructures contribue parailleurs au renforcement et à l’approfondis-sement de l’intégration régionale. C’est dansun tel contexte que l’UA-NEPAD a conçu leProgramme de Développement des Infrastruc-tures en Afrique (PIDA) et le projet « Connec-ter l’Afrique ». Une meilleure infrastructure,facilite en effet, la connexion entre les pays.Elle stimule l’intégration des secteurs pro-ductifs car elle rapproche des espaces éco-nomiques et réduit les coûts de transport.L’insuffisance des infrastructures physiquesaggrave les contraintes de l’intégration de lasous-région CEMAC en isolant les économiesles unes des autres. Pour cela, les pays dela CEMAC doivent encourager également lepartenariat public-privé (PPP) car il consti-tue un mode de financement intéressant pourrelever le défi des infrastructures en Afrique.Ils doivent suivre l’exemple des pays tels quel’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire et le Sé-négal. La réussite de cette politique ne peutpasser que par la coordination des actionsafin de mettre en œuvre les projets d’infra-structures susceptibles d’être financés sous cemode. Cette coordination des actions n’estpossible que par la mise en place des institu-tions capables de privilégier les intérêts com-munautaires.

Au terme de cette analyse, il en ressortqu’une grande connectivité physique entreles pays de la CEMAC serait bénéfique carelle leur permet d’intégrer facilement le com-merce international. Mais il faut souligner queles difficultés liées aux données statistiquesn’ont pas permis de faire une analyse pluspoussée de la connectivité aérienne, ce quifait que des études futures peuvent encore s’yintéresser.

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Page 34: La Revue - L'Afrique des Idées

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Connectivité physique et échanges commerciaux de la CEMAC

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Page 36: La Revue - L'Afrique des Idées

DIASPORAS CAMEROUNAISES ET SENEGALAISES :QUELLES CONTRIBUTIONS AU DEVELOPPEMENT

LOCAL ?

Christian RIM?

?Juriste et Spécialiste des questions migratoires

Résumé

Si les contributions des diasporas sénéga-laises et camerounaises sont significatives, leursimpacts à long terme apparaissent durablementinefficaces dans le développement. L’absencede politiques migratoires qui favoriseraient lamise en place de mécanismes stratégiques etstructurels apparaît comme un frein dans laperspective d’une véritable mobilisation. Cesconstats et les conditions qui en découlent,analysés dans cette étude, sont à notre sens,une solution ouvrant la perspective d’unemeilleure gouvernance du secteur migrationet développement, à l’échelle de ces espacesnationaux et au niveau sub étatique. Cetteétude se veut un plaidoyer adressé aux Etats,dans l’optique de la mise en place de politiquespubliques cohérentes, participatives et inclusives,en matière de migrations, seules capablesd’articuler de façon pérenne, le développementlocal au sein des contrées d’origine identifiées.

Mots-clés : diaspora, développement local,transferts, migration

Table des matières

1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

2 Etat des lieux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

3 Migrants et acteurs locaux quelles synergies pour maxi-miser l’apport au développement ? . . . . . . . . . . . 46

4 Conclusion et recommandations . . . . . . . . . . . . . 49

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

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Page 37: La Revue - L'Afrique des Idées

1 IntroductionUne migration humaine est un déplace-

ment du lieu de vie d’individus. Ce phéno-mène est alors probablement aussi ancienque l’humanité. Le migrant 1 occupe donc uneplace angulaire et stratégique au centre d’en-jeux multiformes. Dans un contexte de mon-dialisation croissante, les migrants sont deve-nus des acteurs majeurs du développement deleurs contrées d’origine. Leur présence dansdifférentes sphères mondiales de l’économieet du pouvoir, leur permet de bénéficier d’uneposition éminemment unique. Les statistiquesmontrent que les très grandes vagues migra-toires ont récemment diminué, au profit d’unetendance à l’immigration choisie. Celle-ci estfavorable à l’exode des cerveaux et compé-tences des pays pauvres, au détriment de cesderniers. Les caractéristiques du phénomènemigratoire actuel sont liées à la diversifica-tion des pays de provenance et de destinationdes migrants, ainsi qu’aux formes prises parla migration (Catherine Wihtol de Wenden,2009). L’argent injecté dans les pays d’ori-gine en provenance des pays d’accueil seraitau moins égal, si ce n’est très supérieur à laquantité d’aides financières apportée par lespays dits « riches » aux pays plus pauvres. Lesdémographes considèrent que les migrationsseront une variable d’ajustement importanted’ici 2050. Cette échéance correspond à la pé-riode à laquelle 2 ou 3 milliards d’individussupplémentaires sont attendus sur la planète,alors que les effets des modifications clima-tiques se feront probablement déjà sentir etque certaines zones ne pourront plus nourrirune population supplémentaire 2.

L’accroissement des migrations a été par-ticulièrement important au début du 21ème.

1. Un migrant est une personne qui se déplaceentre son pays et des pays étrangers, ou qui rentre dansson pays depuis l’étranger. Les raisons de la migrationpeuvent être diverses. Selon l’Organisation internatio-nale pour les migrations (OIM), les migrations ont tou-jours existé dans l’histoire humaine.

2. Les facteurs démographiques, climatiques ouautres vont irrémédiablement favoriser de vastes mou-vements migratoires de personnes à la recherche dezones plus propices, créant de nombreux déséquilibresou réajustements entre régions de départs et d’installa-tions.

Cette situation suscite la survenue de nom-breux défis de gouvernance à différents ni-veaux, au sein des pays de départ, de transitet de destination finale. La diaspora africainecontemporaine actuellement établie dans lespays de l’Union Européenne représente unepopulation d’environ 3,3 millions d’individus(Rapport PNUD, 2008). Un million d’entreeux sont originaires d’Afrique au Sud du Sa-hara, à laquelle appartient le Sénégal et leCameroun, que nous avons identifiés commeréférences dans le cadre de la présente étude.

Au vu du potentiel considérable en res-sources humaines et financières qu’elle repré-sente, la diaspora apparaît comme le plusgrand atout à l’extérieur du continent. Ilconviendrait donc de structurer les initiativesmultiformes des migrants, en vue d’assurerune meilleure capitalisation et un réel impactsur le développement des pays d’origine. Cetaccompagnement devant se traduire par lamise en place de meilleurs cadres stratégiqueset structurels, de façon à tirer le meilleur partide ces liens. Ceux-ci prennent la forme d’obli-gations, d’engagements, d’activités et d’ac-tions diverses. En pratique, ils se manifestentpar les transferts d’argent, d’idées, d’informa-tions, de connaissances, de compétences etde savoir-faire, au bénéfice des pays d’origine.Ces liens se traduisent également, par la pro-motion des dialogues de paix, le soutien deprocessus de reconstruction postérieurs auxconflits et l’aide à l’implantation d’entrepriseslocales ou encore de projets de développe-ment bénévoles. Didier DROGBA en est uneparfaite illustration en Côte d’Ivoire 3, notam-ment à travers son rôle de médiateur dans leconflit qui a secoué ce pays.

La promotion de projets privés de microdéveloppement ; tels la construction d’hôpi-taux et d’écoles ou les dons d’argent, maté-riaux et équipement, sont des actions visiblesde leurs initiatives. Les activités de la diaspora

3. Le footballeur Didier DROGBA en tant quemembre de la diaspora a affiché sa détermination «à apporter » sa pierre au processus de paix en Côted’Ivoire ; Didier DROGBA s’est exprimé devant la pressele 20 Septembre 2011 à Londres aux côtés de CharlesKONAN BANNY, le patron de la Commission, Dialogue,Vérité et Réconciliation (CDVR)

36

Page 38: La Revue - L'Afrique des Idées

africaine promeuvent des liens forts sur leplan du commerce et des entreprises, et ce,dans les divers secteurs sociaux et politiques,entre pays d’adoption et pays d’origine. A telpoint que, se référant aux projets initiés par ladiaspora, les organisations internationales, lesgouvernements et les principaux organismeschargés du développement, utilisent le termede « quatrième axe stratégique d’aide au déve-loppement » (Rapport PNUD, 2008). Cela estjustifié par l’apport des migrants à la questionessentielle du développement au sein des paysde départ. A titre d’exemple, au Mali, commeau Maroc, les interventions des migrants re-présentent trois (3) fois l’aide publique audéveloppement. Pour le cas précis du Mali, en2003, la totalité des transferts de fonds versce pays était estimé à 120 milliards de FCFA,soit environ 183 millions d’euros. En 2007,selon une étude de la Banque Africaine deDéveloppement, les envois formels s’élevaientà près de 300 milliards de FCFA, soit environ456 millions d’euros, soit 11% du PIB et 79%de l’aide au développement (BAD, 2007).

Ces données nous permettent de mieuxappréhender la volonté croissante des gou-vernements africains, qui reconnaissent l’im-portance du rôle de leurs citoyens résidant àl’étranger. Ces gouvernements tendent à in-tégrer les initiatives de leurs diasporas dansles perspectives de développement durableà l’échelle nationale et locale. Toutefois, sila compréhension croissante et les bénéficesdes initiatives de la diaspora sont reconnus,l’un des plus grands défis consiste à intégrerla question migratoire dans les systèmes degouvernance, à travers la planification et lespolitiques de développement des pays afri-cains.

En considérant que l’investissement pro-ductif est un facteur de croissance et de déve-loppement et que le niveau de mobilisationde la diaspora est en deçà des attentes, lesquestions qui se posent sont les suivantes :

— Quelles sont les contraintes à l’entre-prenariat des migrants camerounais etsénégalais ?

— Comment maximiser la part de l’inves-tissement productif dans l’utilisation

des fonds transférés ?

— Quelles sont les stratégies pour le faire ?

Nous allons tour à tour dresser un état deslieux au cours duquel nous identifierons lesdiasporas observées. Nous pourrons dès lorsanalyser la nature de leurs contributions, afind’interroger ensuite les divers mécanismesd’interactions entre migrants et acteurs lo-caux, en faveur du développement de leurscontrées d’origine. Enfin à la suite de l’identi-fication des goulots d’étranglement, nous pro-poserons des recommandations aux diversesparties prenantes.

2 Etat des lieux2.1 Diaspora : approche notionnelle

La notion de diaspora nécessite dans unpremier temps de cerner les rationalités liéesà son usage croissant dans le champ dessciences sociales, d’autant que ce concept pos-sède une histoire complexe. La plupart desauteurs rappellent l’origine grecque du termeet son emploi séculaire associé à l’histoirejuive. En effet, le concept de diaspora, à vo-cation désormais « universalisante » (Médam,1993), réfère à un modèle : celui de la dia-spora juive, véritable paradigme « constitué »en raison du critère de l’ancienneté. L’ancrageau monde juif sur le plan sémantique doit-ilnous induire à tenir compte de cette originelexicale pour comprendre les logiques diaspo-riques des groupes non-juifs ? Est-il pertinentd’évoquer un modèle archétypal à partir du-quel seront développés des critères constitu-tifs du fait diasporique ? Ainsi, A. Médam pré-cise que si ce concept ne réfère plus à un casde figure unique, il y a dans la judaïcité enexil quelque noyau de sens qu’il conviendraitde saisir avant de retourner à la variabilitédes « dispersions dans le monde ». Bien qu’ila été longtemps réservé aux Juifs pour dési-gner leur dispersion après la destruction duTemple, Y. Lacoste (1989) précise qu’il n’y apas de raison logique ou étymologique pourque ce mot soit absolument réservé à l’his-toire des Juifs et qu’il peut s’employer pourdésigner les situations d’autres peuples quiont essaimé dans un espace multinational, etdont les départs sont souvent associés à des

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Diasporas camérounaises et sénégalaises: Quelles contributions au développement local?

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désastres (guerres, génocides, persécutions).Enfin, beaucoup constatent l’emploi souventabusif ou diffus du terme, pour nommer «avec effet de style » tout phénomène migra-toire. De même, comme le précisait W. Sa-fran (1988), les « communautés diasporiques» sont de plus en plus utilisées comme méta-phores pour désigner pêle-mêle les catégoriesd’expatriés, d’exilés, de réfugiés, d’étrangers,d’immigrés et même de groupes ethno-raciauxminoritaires. Beaucoup enfin s’accordent pourreconnaître la difficulté d’une définition « quiréussisse à tracer une ligne nette entre migra-tion et diaspora, entre minorité et diaspora »(Chaliand & Rageau, 1991). Mais comme lementionnait R. Fossaert (1989), les diasporasn’ont pas de formule éternelle et leur méritethéorique réside dans leur plasticité ne favori-sant pas « l’invention d’une histoire univoque». Récemment, dans un texte intitulé « l’art devivre en diaspora », le même auteur précisaitque le principal générateur des diasporas nou-velles n’est pas l’exubérance démographiquemais bien la mondialisation « du droit despeuples à disposer d’eux-mêmes », droit nonréduit au « bâti d’un État-nation exclusiviste».

Toutes ces questions suscitent actuelle-ment un âpre débat à travers la pluralité desconfigurations que ce concept recouvre. L’onévoque même l’existence de diasporas scien-tifiques à travers une migration singulière :« la fuite des cerveaux », et qui donne lieu àdes réflexions sur la pertinence de la notion,à des tentatives de dresser des typologies. Ils’agit alors de repérer les critères de distinc-tion entre les « vraies diasporas » et les autres.

La définition du concept de diaspora tellequ’elle ressort du glossaire de l’OIM, sembleplus adaptée aux questionnements liés à notresujet, et sera celle retenue dans le cadrede cette étude. Dans ce sens, elle se définitcomme : « un état de dispersion d’un peupleou d’un groupe ethnique à travers le monde.La notion de diaspora est fréquemment utili-sée dans le but de revendiquer une identitécommune malgré la dispersion du groupe »(OIM N0 9, 2007). Dans sa stratégie de mo-bilisation de la diaspora, le Conseil exécutifde l’Union Africaine considère que la diaspora

africaine est constituée par « les personnesd’origine africaine, vivant hors du continentafricain, qui sont désireuses de contribuer àson développement, et à la construction del’Union africaine, quelles que soient leur ci-toyenneté et leur nationalité 4». Dans le mêmeordre d’idée, « une population d’expatriés de-vient une « diaspora », lorsqu’elle devientune communauté dont les membres commu-niquent les uns avec les autres, ont construitet institutionnalisé une autonomie collective,et partagent des objectifs et des activités don-nées » (BAD, 2007).

2.2 Diasporas camerounaises et séné-galaises en nature et en chiffres

2.2.1 Des chiffres peu représentatifs

Le manque de données suffisantes et ac-tualisées ne permet de déterminer ni leurnombre exact, ni leur structure par catégo-ries professionnelles.

Un recensement exhaustif et une analysedémographique des migrants africains vivanthors de leurs frontières, semblent difficile-ment envisageables ; l’une des raisons, et pasdes moindres reposant sur la situation d’ir-régulier, à laquelle nombre de migrants sontassujettis, bien qu’entre 1990 et 2000, la po-pulation diasporique issue d’Afrique ait étédûment recensée (Rapport BAD). Il ressortde ce rapport que près de 13% des africainssubsahariens qui ont émigré vers les pays del’Organisation de Coopération et de Dévelop-pement Economique (OCDE) étaient qualifiés.Ces migrants venant d’Afrique sont des pro-fessionnels hautement qualifiés, qui ont purenforcer leur expertise en poursuivant desétudes supérieures.

En 2008, le Sénégal dispose d’une po-pulation d’émigrés 5 extrêmement impor-tante ; évaluée entre 2,5 et 3 millionsd’habitants. (Interviews de l’Association Co-

4. CONSEIL EXECUTIF Vingtième session ordinaire23 –27 janvier 2012 Addis-Abeba (Ethiopie)

5. L’émigré est celui qui a quitté l’endroit où il setrouvait pour un autre endroit, un autre État, afin de s’yinstaller durablement. Le substantif « émigrant » a unsens légèrement différent ; l’émigrant en effet est celuiqui quitte l’endroit où il se trouve au moment où il lefait.

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Développement.org au Ministère des Séné-galais de l’extérieur et du tourisme, 2008).Aucune des statistiques disponibles ne fait ré-férence aux migrants en situation irrégulière,d’origine Sénégalaise et Camerounaise, vivantdans les pays de l’OCDE. En outre ces statis-tiques n’incorporent pas, les ressortissants deces pays qui ont pris la nationalité du pays quiles accueille. Ces différents manques ont pourrépercussion les difficultés que l’on rencontreà établir avec précision le nombre réel de mi-grants, ainsi qu’à organiser une mobilisationefficiente de leurs ressources, en faveur despays d’origine.

Dans le cas des camerounais vivants enAllemagne, aux 14414 citoyens camerounaisofficiellement enregistrés en 2005 viennents’ajouter 1601 personnes qui ont acquis la na-tionalité allemande entre 1980 et 2005 (GTZ,2007). Si l’on part d’un nombre de natura-lisations constant par rapport à 2005 (354),il y a lieu de supposer que 700 camerounaisde plus ont acquis la nationalité allemandeau cours des années 2006 – 2007(Rapportd’étude, GTZ, 2007).A travers ces chiffres, l’on peut aisément sefaire une idée du nombre de ressortissantsafricains. Ceux-là même qui, parce qu’ils ontacquis une nationalité étrangère, se trouventexclus de leur nationalité d’origine. La ques-tion du refus d’adopter et d’appliquer ladouble nationalité par nombre de pays émet-teurs, au rang desquels figurent le Camerounet le Sénégal, peut trouver là tout son senset sa pertinence. En tout état de cause, en laréfutant, ces pays rejettent par un tel choix,nombre de ressources potentiellement utileset capitalisables dans l’optique du dévelop-pement local. Le lien de nationalité permetd’entretenir la flamme de la motivation par unattachement identitaire ou par un devoir deloyauté, comme le précisent certains d’entreeux. D’autre part, l’auto-organisation de cer-tains migrants qualifiés en associations ras-semble des ressortissants installés dans diffé-rents pays et permet des transferts de leurscompétences acquises au cours de leurs tra-jectoires migratoires, vers les pays d’origines.Cela crée ainsi de façon collective, des liensde divers types avec le « référent-origine »,

selon l’expression de Dufoix (2003).

2.2.2 Une diaspora d’élite

La structure de la migration sénégalaise, àl’instar de celle du Cameroun, se distingue parson caractère élitiste. Parmi les émigrants sé-négalais, 24.1% était titulaire d’un diplôme del’enseignement supérieur en 2000 (Ministèredes Sénégalais de l’extérieur et du tourisme,2008). Entre 1997 et 2001, les émigrants sé-négalais étaient 45,9% à être actifs avant leurdépart et 29% étaient à la recherche d’un em-ploi (ANSD, 2004). A priori, ils étaient près de67,9% à migrer à la recherche d’un meilleurou d’un nouvel emploi. Cette forme de migra-tion a également touché les travailleurs quali-fiés qui sont estimés à 24,1 % du stock d’émi-grés en 2000 (Dia, 2006). En 2000, 17,7%de la population ayant un diplôme de l’en-seignement supérieur a émigré (Docquier etMarfouk, 2005). 51% des médecins sénéga-lais et 27% des infirmières ont émigré sur lapériode 1995-2005, principalement en France(Clemens et Pettersson, 2007).

Les références sus évoquées remettenten cause toute velléité de réduire l’imagedu migrant africain, sénégalais en particu-lier, à celle d’un jeune chômeur rural à larecherche d’un eldorado. Sous ces formes nou-velles, l’émigration sénégalaise concerne enplus du migrant ordinaire, les individus dis-posant d’un haut niveau d’étude, d’une ex-périence professionnelle et venant des mi-lieux urbains (Dakar, Thiès, Saint-Louis etc.).Cette observation est davantage renforcéedans le cas du Cameroun, où le nombre d’ex-patriés camerounais travaillant dans les Paysde l’OCDE était estimé en 2005 à 57600 ; surce total 42% étaient hautement qualifiés (DU-MONT/Lemaître 2005). La nature de l’émi-gration de travailleurs qualifiés camerounaiset sénégalais, pose la question de la «fuite descerveaux » 6 . Plus encore, elle questionne lescompétences des pays sus visés, quant à leurcapacité à pouvoir valoriser et retenir durable-

6. La fuite des cerveaux (terminologie en socio-logie), exode des cerveaux (Québec) ou fuite du ca-pital humain (terminologie en économie), désigne defaçon populaire les flux migratoires de scientifiques, dechercheurs ou plus généralement de personnes à hautniveau de qualification qui s’installent à l’étranger.

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Diasporas camérounaises et sénégalaises: Quelles contributions au développement local?

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TABLEAU 1 – Etudiants camerounais dans l’enseignement supérieur à l’étranger

Pays 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

France 3279 3315 3563 4612 4963 5043 5387

Allemagne 3628 4141 4464 4896 5332 5393 -

Italie 665 745 679 897 1041 1364 1405

Etats-Unis 834 754 967 1171 1216 1425 168

Autres Pays 1224 1302 1640 1787 1153 1870 1540

Source : UNECSCO, 2008

ment sur place leurs ressources multiformes.L’amorce d’une telle solution et l’explicationd’un tel phénomène doivent être appréhen-dées en établissant une relation de causalitéentre la précarité économique, la crise du sys-tème universitaire, la dégradation des condi-tions socio-économiques de travail, les grèvesrépétées et le nombre croissant de départs desscientifiques (Dia, 2005). Il s’agit d’interrogerles décideurs politiques et tous les acteurs so-ciaux sur les mécanismes à mettre en œuvre,pour maximiser les profits sur ces importantesressources, à défaut de pouvoir les retenir surplace dans les pays concernés.

L’émergence d’une économie du savoir,contribue à la grande mobilité des personneshautement qualifiées ; il nous apparaît évidentque la configuration du monde contempo-rain qui se caractérise par une nouvelle divi-sion internationale du travail ne peut qu’êtrefavorable aux échanges mondiaux (Frindlay,1996) et (Salt ,1992).

En 2000, 17,2% de la population camerou-naise ayant un niveau d’enseignement supé-rieur a émigré. Ces personnes représentaient49,5% des émigrants camerounais (Docquieret Marfouk, 2005). D’après les statistiques del’Organisation de coopération et de dévelop-pement économiques (OCDE), en 2005, ondénombre 57 050 migrants internationaux ca-merounais dans les pays occidentaux, dont42,3% s’avèrent hautement qualifiés. Ce phé-nomène touche particulièrement les médecinset les universitaires. Entre 1995 et 2005, 46%des médecins et 19% des infirmiers camerou-nais ont émigré dans 9 pays développés (Cle-mens et Pettersson, 2007). D’après l’ordre desmédecins, 4 200 médecins camerounais, enmajorité des spécialistes, exercent à l’étranger.Sur place, il en reste seulement 800, soit 1médecin pour 10 000 à 20 000 habitants dansles villes, et 1 pour 40 000 à 50 000 dans les

zones rurales (Pigeaud, 2007).Les données de l’OCDE de 2005, montrent

que le nombre total de travailleurs migrantsde nationalité camerounaise dans les pays del’OCDE s’élève à 14 511 personnes, dont 6219 femmes. Les principaux secteurs d’activi-tés de ces migrants sont la santé, les affaires,la distribution, l’industrie, l’éducation et l’hô-tellerie.

2.3 L’apport des diasporas camerou-naise et sénégalaise au dévelop-pement

A travers leurs tendances, les données sta-tistiques relevées attestent au moins d’unechose : les diasporas camerounaise et séné-galaise sont constituées de groupes de per-sonnes dont le cursus académique a été sanc-tionné par un diplôme de l’enseignement su-périeur. Les données issues de l’enquête surles transferts de fonds des migrants au Sé-négal (2012) nous indique que 79% des mi-grants sénégalais ont au plus le niveau secon-daire et 15 % un niveau supérieur ; la problé-matique qui en découle reste la même. Elle sepose en termes de mise en place de stratégiespour mobiliser les importantes ressources desdiasporas toutes catégories confondues, enfaveur des territoires dont elles sont issues.Les communautés diasporiques camerou-naises, mues par un profond attachement àleurs terroirs, continuent à participer à la viede leurs communautés d’origine, ce de di-verses manières.

2.3.1 A Travers les Transferts de fonds

Les transferts de fonds des migrants sontgénéralement définis comme des transfertspersonnels, sans contrepartie, non marchands(Chami et al. 2008). Selon De Bruyn et Wets(2006), les envois de fonds sont devenus ladeuxième source de financement externe pour

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les pays en développement après les inves-tissements directs étrangers et avant l’aidepublique au développement.

La migration et les transferts de fonds quilui sont associés, sont des phénomènes an-ciens. Ils ont connu un regain d’intérêt cesdernières années, non seulement à cause del’importance des sommes en jeu, mais aussi àcause de leur impact éventuel sur les commu-nautés d’origine des migrants. Les transfertsde fonds constitueraient le principal canal parlequel la migration impacte le développementde ces communautés (Gubert, 2005 ; Adams,2011). Ces transferts représentent l’un desliens les plus tangibles entre les migrations etle développement. Ils constituent une sourceimportante de financement dans de nombreuxpays africains. Ils atteignent près de 30% duPIB au Lesotho et plus de 10% au Cap-Vert, auSénégal et au Togo et dépassant les recettestouristiques au Maroc et celles tirées du Ca-nal de Suez en Égypte (Dilip Ratha, 2007).Les envois de fonds sont caractérisés par unerelative stabilité et peuvent être anticycliques,car les parents et les amis envoient souventdavantage en cas de crise ou de catastrophe(Mohapatra, Joseph et Ratha, 2009). A titred’exemple, le rôle des transferts de fonds faceaux chocs adverses a été encore plus mani-feste en 2012, au Mali, année où les inves-tissements directs étrangers ont reculé parsuite des troubles politiques. Ces transfertsde fonds se sont accrus, en toute probabi-lité sous l’effet de l’accroissement des effortsdéployés par les migrants maliens, pour ve-nir en aide à leur famille durant la crise. LesMaliens de l’extérieur ont transféré plus de800 millions de francs CFA (1 300 000 eurosenviron) pour soutenir l’effort de guerre etles compatriotes déplacés 7. Si l’évolution dumontant des transferts reste notable, les ques-tions suivantes restent posées : comment cesfonds sont-ils dépensés ou utilisés par les dif-férents récipiendaires ? Sont-ils orientés versla consommation ou encore utilisés pour fi-

7. REUNION THEMATIQUE Genève, 11 septembre2013 Migration du travail et diasporas par SeydouKEITA Conseiller Technique Ministère des Maliens del’Extérieur et de l’Intégration Africaine Tél : +223 7638 92 55 [email protected]

nancer les investissements en capital physiqueet/ou en capital humain dans les régions d’ori-gine des migrants ?

Les envois de fonds jouent un rôle impor-tant pour réduire l’ampleur de la pauvreté.Ces ressources permettent aux ménages dediversifier leurs sources de revenus, tout enleur fournissant l’épargne et le capital dont ilsont cruellement besoin pour investir. Les ré-percussions sont également visibles à traversl’augmentation de l’investissement que les mé-nages consacrent à l’éducation ; mais aussiaux entreprises et à la santé, secteurs qui onttous un rendement social élevé. « La mannefinancière envoyée par les Maliens de la dia-spora est à 80% utilisée pour les budgets desfamilles (nourriture, santé, éducation, habitatfamilial, aides pour les évènements sociaux).

- 15% sont investis dans les projets dedéveloppement communautaire (écoles,centres de santé, hydraulique villa-geoise et semi urbaine, pistes rurales,coopératives d’approvisionnement, etc.)

- 5% sont réservés à l’investissement pro-ductif » (Seydou KEITA, 2013).

Depuis 2001, les transferts de fonds des ca-merounais vers leur pays d’origine ont consi-dérablement augmenté. La multiplication descompagnies financières spécialisées dans lestransferts de fonds au Cameroun est un indica-teur certain. Si la multitude des canaux rendimpossible l’évaluation du montant réel deces transferts. Pour la période 2000-2008, onremarque une augmentation du montant ap-proximatif des transferts effectués de l’étran-ger chaque année par les Camerounais. Lemontant estimé à 11 millions de dollars USen 2000, à 103 millions en 2004 et 167 mil-lions en 2008, représente 0,8% du PIB en2008 (Banque mondiale, 2009) cf Graphique1.

Contrairement au Mali, où les fonds demigrants sont investis pour la réalisation deprojets d’ordre social ou communautaire 8

8. L’organisation de la diaspora malienne et les di-vers liens qu’elle entretient avec les collectivités terri-toriales décentralisées (CTD) et les organisations com-munautaires de base (OCB) lui permet de contribuerau développement local, en collaboration avec les ditesstructures de façon inclusive et pérenne.

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Diasporas camérounaises et sénégalaises : Quelles contributions au développement local ?

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GRAPHIQUE 1 – Transferts de fonds des émigrants de nationalité camérounaise, 2000-2008 (en millions de dollars US)

Source : Banque Mondiale (2008)

(exemple de la ville de Kayes) ; les fonds trans-férés par les migrants camerounais à leur fa-mille servent généralement aux besoins deconsommation (soins médicaux, éducation,nutrition). Une infime partie de ces fonds estinvestie dans des projets individuels.

De la même manière l’argent envoyé parles émigrés sénégalais est, au fil des années,une manne financière importante. Selon lesdonnées locales, les transferts rapides formelsse sont élevés à près de 544 milliards deFCFA (soit 832 millions d’euros) pour l’année2007 (BCEAO, 2008), et ceci sans compter lesmouvements financiers informels qui seraientidentiques voire plus importants que les trans-ferts officiels.En 2005, les transferts de fonds représen-taient 9,1% du PIB ; 10,3% en 2006 et 12,7%en 2007, mais cet argent est en général des-tiné à la consommation des ménages et à l’im-mobilier. Le montant réel des transferts defonds, s’avère toujours difficile à évaluer, lesréseaux informels étant tout aussi utilisés queceux dits formels.

La vraie question réside dans l’estimationdes transferts de fonds informels qui nesont en rien traçables. Ainsi, des différencespeuvent apparaître entre les données localeset internationales quant à l’évaluationdes transferts pris de façon globale. Les

transferts de fonds des émigrants sénégalaisen direction du Sénégal s’élevaient à 233millions de dollars US en 2000 et 1 192millions de dollars US en 2007, soit 10,7%du PIB (Banque mondiale, 2008). On estimequ’en 2002 les montants des transferts defonds représentent une fois et demie l’aideau développement. En effet, alors que l’AidePublique au Développement (APD) diminuaitentre 1997 et 2002 de 240 à 208 milliardsFCFA, le volume des transferts de fondsaugmentait de 16 milliards à 169 milliardsau cours de la même période. Le volume deces transferts était passé de 6,6 % à 81,3 %par rapport à l’APD (MSE, 2006).Mais les résultats de l’enquête sur lestransferts de fonds des émigrés sénégalaisréalisée en 2012 montrent que le montantdes transferts s’établit à environ 936 milliardsde FCFA, ce qui est supérieur respectivementà quatre fois le montant des InvestissementsDirects Etrangers (IDE) et près de deuxfois le montant de l’APD. Des entretiensont été réalisés par le Bureau de l’OIM àDakar auprès de personnes ressources decertaines banques et structures financièresdans la région de Dakar. De ceux-ci, il ressortque près de 50% des envois finiraient dansla consommation courante, contre 25%pour l’épargne de précaution, 20% pour

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GRAPHIQUE 2 – Part des transferts selon l’utilisation faite

Source : Enquête sur les transferts des migrants au Sénégal 2012

GRAPHIQUE 3 – Les canaux et moyens de transferts d’argent des migrants

Source : Enquête sur les transferts des migrants au Sénégal 2012

l’investissement immobilier et seulementmoins de 5% pour l’investissement productif(OIM, 2007).

En 2007, selon une étude de la BanqueAfricaine de Développement, les envois for-mels s’élevaient à près de 300 milliards deFCFA, soit environ 456 millions d’euros pourle Sénégal. Selon les données issues de l’en-quête sur les transferts des migrants sénéga-lais en 2013, il ressort que 94% de ces trans-ferts empruntent les voies formelles et 6% lesvoies informelles (voir Graphique 3).Selon la Banque Centrale des États del’Afrique de l’Ouest (2013), les envois de

fonds formels sont estimés à 77 % destransferts passant par les banques et lessociétés de Transfert de fonds. Les envoisde fonds informels d’après la nouvelle mé-thodologie de calcul, sont estimés à 41 %des envois de fonds formels.

Les transferts d’argent financent donc prio-ritairement les besoins sociaux ponctuels desfamilles récipiendaires et le taux affecté auxinvestissements reste résiduel (Chami et al,2008). Du fait de l’affectation qui en estfaite, de nombreux auteurs ont une visionpessimiste de l’utilisation des transferts defonds par les ménages récipiendaires et parconséquent de son impact sur le développe-

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Diasporas camérounaises et sénégalaises: Quelles contributions au développement local?

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ment (De Haas, 2007). Selon De Haas, lescepticisme exprimé sur la question viendraitde l’idée selon laquelle ces fonds sont rare-ment investis dans les entreprises productives,comme c’est le cas du Sénégal et du Came-roun. Ceux-ci étant au contraire orientés soitvers la consommation, soit vers les investisse-ments non productifs.

Une étude a conclu que les revenus destransferts demeurent largement utilisés dansles dépenses quotidiennes des ménages et parconséquent n’ont aucun impact significatifsur le développement (Banque Européenned’Investissement, 2006). Cette orientation destransferts, pose donc l’équation de leur effica-cité à court, moyen et long terme, c’est-à-direde leur impact durable sur l’amélioration desconditions de vie des principaux bénéficiaires.Dès lors, s’ils ne peuvent être productifs, com-ment les destinataires peuvent-ils s’émanciperde la dépendance à ces transferts ? Commentmaximiser la part de l’investissement produc-tif dans l’utilisation des fonds transférés ?En attendant de résoudre cette question defond, examinons les autres formes d’interven-tion de la diaspora.

2.3.2 Les transferts de technologies et decompétence

Les actions et activités ciblant directementou indirectement le Sénégal peuvent être si-tuées dans trois grands secteurs identifiés parAssogba (2002). Il s’agit du secteur du dé-veloppement local, des affaires et celui dessciences et de la technologie (S&T).

Plus spécifiquement, les migrants séné-galais qualifiés mènent des actions socioé-conomiques, scientifiques dans des secteurscomme la formation professionnelle, les pu-blications, la diversification des filières de for-mation etc. De fait, pour certains migrants sé-négalais hautement qualifiés, les programmestels que le TOKTEN 9 et PAIDS 10 ont concouruà la création d’un cadre d’interrelations pro-

9. Transfer Of Knowledge Through Expatriate Na-tionals (Transfert des Connaissances à travers les Na-tionaux Expatriés) dont le but est de faire bénéficierles pays en voie de développement des compétences deleurs cadres installés à l’étranger.

10. Programme d’Appui aux Initiatives de Solidaritépour le Développement.

pice à l’intervention aux dynamiques de déve-loppement scientifique et socio-économiquedu Sénégal. En effet, dans un espace géo-graphique mondialisé et maillé en réseaux,les ressources humaines en sciences sont re-connues comme essentiellement libres et flot-tantes à travers le monde. L’on admet doncqu’il faut consacrer des efforts afin de lescapter et de territorialiser leurs effets béné-fiques (politiques de coopération, attractiond’étrangers, collaboration avec la diaspora. . . )(Waast, 2003 : 4). Les migrants hautementqualifiés sont donc des viviers potentiels, pourleurs pays d’origine, qui pourraient à traversleur mobilisation, constituer une masse cri-tique d’experts et de scientifiques au profitdes dits pays. Le Sénégal bénéficie du pro-gramme TOKTEN du PNUD depuis 2001 quipermet d’appuyer des universités, des entre-prises, des ONG en mobilisant des sénégalaishautement qualifiés vivant à l’étranger.

Les migrants camerounais s’engagent enfaveur de leur pays d’origine tant à titre indi-viduel que collectif et fournissent des contri-butions de transferts pour soutenir les infra-structures sociales. Cela est notable, dans lesdomaines de l’éducation, de la formation, dela santé et des sciences. Leurs engagementsau Cameroun, s’illustrent à travers des actionsdans des associations, mais aussi de façon in-formelle par l’intermédiaire d’individus ou depetits groupes. Souvent, les activités soute-nues se concentrent sur l’ancien cadre de vielaissé par le migrant au Cameroun. Elle peutêtre initiée en faveur de l’école qu’il a fré-quentée, de sa communauté villageoise, oude sa région d’origine. Bien qu’il s’agisse sou-vent d’initiatives individuelles, se limitant auniveau de l’organisation communautaire debase ; ces activités, considérées dans leur en-semble, sont autant d’actions qui favorisentune meilleure éducation et le développementdes capacités des enfants et des jeunes, en par-ticulier dans les zones rurales (GTZ, 2007).

Un ingénieur en électricité d’origine ca-merounaise basé à Karlsruhe (RFA), a parexemple encouragé la formation de clubs tech-nologiques avec différentes orientations pra-tiques dans une école de Bafoussam au Came-roun. En option chimie, les élèves apprennent

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à fabriquer du savon ; en option physique,ils construisent des radios à transistors. L’ini-tiateur du projet prend en charge les coûtsdu matériel et forme les enseignants. L’ob-jectif est d’encourager, à l’aide de ce modèle,l’orientation pratique de l’enseignement sco-laire et la préparation des élèves à une acti-vité professionnelle (GTZ, 2007), (Stark, O.et J. E. Taylor, 2007). L’initiative la plus ré-cente du gouvernement camerounais concer-nant la diaspora baptisée FODIAS (Forum dela Diaspora) tenu en 2017, vise à mobiliserles ressources de la diaspora dans le cadre dudéveloppement local. De même, une initiativedu ministère du Commerce a rassemblé en2010 à Yaoundé, les membres de la diasporasous le label forum économique de la dia-spora, pour débattre sur les possibilités et lesopportunités d’investissement au Cameroun.Le Ministère de la Recherche Scientifique etde l’Innovation, est quant à lui initiateur etpromoteur des Journées d’Excellence de laRecherche Scientifique et de l’Innovation duCameroun (JERSIC). Les JERSIC organiséestous les deux ans, sont des manifestations quipermettent de faciliter l’épanouissement dela synergie entre les scientifiques de la dia-spora avec leurs confrères restés au pays. Al’occasion de ces journées, les chercheurs etscientifiques exposent les résultats de leursrecherches et participent aux conférences etdébats. La dernière édition des JERSIC s’esttenue en 2011. Cette initiative tend égale-ment à mobiliser la participation des came-rounais vivants à l’étranger, pour la moderni-sation du secteur de l’enseignement supérieur.Il s’agit d’utiliser pour cela, l’énorme potentieloffert par plus d’une centaine d’enseignantsuniversitaires camerounais travaillant en Alle-magne ainsi que par de nombreux titulairesde doctorat et de professionnels hautementqualifiés originaires du Cameroun, car il fautle repréciser, la diaspora camerounaise brillepar sa riche diversité et son caractère élitiste(confère Tableau 2).La présence de la diaspora africaine dans lesmégapoles politiquement hyper puissantes,telles que Londres, Paris, Berlin, New York etWashington, décisives en termes de choix po-litiques mondiaux, est stratégiquement très

significative (Rapport PNUD, 2008). Pourtantcomparée à l’Asie, l’Afrique, du fait des ca-rences institutionnelles qui plombent les stra-tégies de mobilisation mises en place jusque-là, est loin d’avoir pleinement exploité ou en-couragé les vastes potentialités de sa diasporaà l’étranger.

TABLEAU 2 – Principaux domaines d’étudesdes universitaires camerounais à l’étranger

en 2008

Domaines d’études Effectif

Art 289

Santé 229

Ingénierie 210

Education 119

Services 53

Inconnu 41

Agriculture 39

Total 2157

Source : OCDE 2008

A titre comparatif, les familles de la dia-spora chinoise représentent 75% des investis-sements étrangers en Chine, souligne Emma-nuel Ma Mung, responsable du laboratoire Mi-grinter du CNRS et de l’université de Poitiers,auteur de La Diaspora chinoise, géographied’une migration (Editions Ophrys).

Cette diaspora a en tout cas, toujours se-lon cet auteur, acquis un poids économiquesans précédent. Grâce à la puissance de ses ac-tifs, elle contrôle 60 à 70% des PIB indonésien,thaïlandais et malaisien, 68% du chiffre d’af-faires des 250 plus grandes sociétés des Phi-lippines, et dégage des richesses supérieuresde 15% à celles produites en Chine même.Cette diaspora constitue un atout considé-rable dans la mondialisation : des millionsde Chinois de l’extérieur investissent de façonproductive dans leur pays d’origine. Pour re-venir à la situation qui prévaut dans les paysde notre étude, des initiatives isolées et secto-rielles venant des pouvoirs publics, attestentde l’intérêt croissant qu’ils cultivent pour leursdiasporas. Néanmoins, la formulation de po-

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litiques migratoires nationales prévues dansce contexte pour une meilleure gestion desdéfis et enjeux de la migration, n’a pas encorebeaucoup avancé.Le diagnostic institutionnel établi fait état denombreux déficits :

- - Absence d’un document de politiquenationale intégrée en matière de migra-tion permettant de prendre en charge,de manière cohérente, inclusive et du-rable, l’ensemble des questions et pro-blèmes de migration.

- Faible collaboration entre les institu-tions intervenant dans le domaine desmigrations.

- - Absence de coordination efficace entreles services ayant des missions complé-mentaires ; les acteurs institutionnels,PRC, Ministère des relations extérieures,Ministère de l’Administration Territo-riale et de la Décentralisation, DGSN,Ministère de l’Economie et de la Plani-fication, pour ce qui est du Cameroun,n’opèrent guère de façon structurée, etcohérente.

- Faibles ressources matérielles et finan-cières des institutions chargées des ques-tions de migration/développement.

- Insuffisance de personnel qualifié, dansles questions migratoires.

- Caractère parfois lacunaire des textesjuridiques en matière de migration auSénégal comme au Cameroun.

- - Déficit/insuffisance des statistiques mi-gratoires fiables et à jour, qui reste unfait notable dans les deux pays, mêmesi dans le cas du Cameroun le fait estplus avéré.

De la même façon, les entités à l’échelle descommunes (Conseils municipaux, adminis-trations, services déconcentrés), détiennentdes connaissances insuffisantes sur les dyna-miques migratoires. Il n’existe ni données nianalyses différenciées sur le sujet. Les muni-cipalités à quelques exceptions près, ne dis-posent donc d’aucune base fiable pour prio-riser et ajuster leurs besoins de développe-ment locaux, sur la base de plans de dévelop-

pement communaux intégrant les questionsmigratoires. Ces constats vont générer uneinterrogation qui se situe à deux niveaux.

Elle porte sur les capacités réelles des ins-titutions nationales et locales de ces deuxpays, en matière de maximisation des gainsde natures diverses apportés par les diaspo-ras. Elle concerne également l’optimisationde leurs usages pour la construction des terri-toires concernés, ou encore la prise en chargeefficace et durable des diverses dynamiqueset contraintes liées à la gouvernance migra-toire. Autrement dit, les carences structu-relles actuelles ne permettent pas d’exploi-ter de façon efficiente les opportunités liéesaux migrations. Elles affectent également unemeilleure appréhension des enjeux et défisliés à cette question, et donc, la possibilitéde répondre aux contraintes associées à lagestion des effets des migrations internatio-nales, aux doubles échelles nationales et sub-étatiques.

L’argumentation est en fait de l’ordre duplaidoyer. Il s’agit de convaincre les Etats etles institutions internationales des atouts déci-sifs que possèdent les gouvernements locaux,comme « niveau de pouvoir le plus proche descitoyens ; dans ce sens, ils restent les seuls,les mieux à même de connaître leurs besoins» (ICMD, 2011), et d’y répondre favorable-ment à court terme, en les associant aux di-vers processus décisionnels. Les exemples decommunes identifiables dans les deux terri-toires n’étant pas légions, nous allons tout demême pointer et analyser le type de relationvertueuse que pourrait entretenir migrants etacteurs locaux dans la perspective du déve-loppement local.

3 Migrants et acteurs locauxquelles synergies pour maxi-miser l’apport au développe-ment ?

Il est habituel de se référer au dévelop-pement local, comme étant un processus dediversification et d’enrichissement des activi-tés socio-économiques, à l’échelle d’un terri-toire sous-national. Avec la mobilisation desacteurs et des réseaux, y compris ceux de la

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diaspora, à travers la coordination des res-sources matérielles et immatérielles, le déve-loppement local peut être un processus d’in-novation. Il peut également se comprendrecomme un processus de transgression, en-trepris par différents acteurs et parties pre-nantes.

Il conviendra, dans un premier temps, decerner les contours de cette notion. Ensuited’en mesurer la portée, sous le prisme des in-teractions avec les migrations, et leurs effets.Cela, va se faire, en explorant les forces etlimites actuelles, observées dans le cadre desapports des communautés diasporiques came-rounaises et sénégalaises au développementde leurs contrées d’origine.

3.1 Approche notionnelle : Qu’est-ceque le développement local ?

« Le développement local est une dé-marche globale de mise en mouvement eten synergie, des acteurs locaux, pour la miseen valeur des ressources humaines et maté-rielles d’un territoire donné, en relation né-gociée avec les centres de décisions des en-sembles économiques, sociaux et politiquesdans lesquels ils s’intègrent. » (P. Houée, 1996,p.213).Il peut également s’entendre sous l’angle deméthodes et procédés, ou en termes de straté-gies de diversification et d’enrichissement desactivités sur un territoire donné, à partir dela mobilisation de ses ressources (naturelles,humaines et économiques) et de ses énergies,s’opposant aux stratégies centralisées d’amé-nagement du territoire (G. Benko, 2001).Le développement local est une action et lerésultat de cette action. Le développement lo-cal se réfère à des notions d’intégration etde participation de manière à encourager laconstitution de réseaux par une conceptionintégrée et globale. La stratégie consiste àadopter une vision cohérente et partagée, quipermette d’organiser des choix et de sensibili-ser les populations visées.Le développement local devrait ainsi être en-tendu comme un processus en mesure de sti-muler, construire et renforcer les dynamiqueslocales, en permettant une amélioration sub-stantielle du niveau de vie. Ainsi, le déve-

loppement local va au-delà de l’idée de lacroissance économique. Afin d’adopter uneapproche du développement durable en as-sociant des dimensions économiques, socio-culturelles, et environnementales, qui sontessentielles au niveau de l’efficacité et de ladurée du développement. Ce phénomène im-plique une coordination entre les politiqueslocales, nationales et internationales, ens’appuyant sur les capacités d’une grande di-versité d’acteurs et en recherchant des solida-rités et des implications au niveau local. Le dé-veloppement local apporte une réponse aussibien à la mondialisation croissante, qu’au dé-veloppement des territoires centralisés ; c’estdire si la décentralisation est une chance, etune opportunité non seulement dans le cadredu développement local, mais aussi de la dé-mocratie participative.

3.2 Place et rôle des migrants dans ledéveloppement local

Les migrants peuvent jouer un rôle signi-ficatif dans le processus du développement lo-cal par le biais de leur mobilisation dans desprojets locaux ou par l’affirmation de leursidentités qui s’articulent avec les politiques dedéveloppement local.Ils ont la capacité de tenir un rôle de « pas-serelles humaines entre leurs territoires deprovenance et leurs territoires de destination» (ICMD, août 2011).Dans le cas du Sénégal, on note plus d’unecentaine de partenariats avec les collectivi-tés locales françaises. Cela illustre bien l’im-portance que revêt cette forme de relation,entre les pays d’origine des migrants et lespays d’installation. En effet, la coopérationdécentralisée signe une forme nouvelle demise en relation entre les peuples et s’inscritdans le processus d’appui aux initiatives dedéveloppement local de la société civile. Cesdernières sont encouragées par les grands or-ganismes de développement comme le Pro-gramme des Nations unies pour le Développe-ment (PNUD).Cependant, les enjeux liés à la coopérationsont multiples : quels types de projets à réa-liser et avec quels outils méthodologiques ef-ficaces? Comment créer des espaces de ren-

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contres pour identifier et mobiliser les acteursaptes à concevoir, à réaliser et à pérenniser lesprojets de développement ? Comment réussirune bonne collaboration entre les différentsacteurs à différentes échelles géographiques ?Les études sur l’immigration des ressortis-sants du bassin du fleuve Sénégal ont mon-tré que les premiers immigrés sénégalais arri-vés en France dès le début des années 1960,s’étaient entendus pour réaliser des projets.Dans le même temps, on observe une évo-lution des formes de regroupement des mi-grants. D’ailleurs, ces regroupements ont ac-cru les impacts des actions des migrants (Ab-doul Hameth, 2007). En effet, à partir de1981, une modification de la loi portant créa-tion des associations permet aux étrangersrésidant en France de fonder leurs propresassociations. Ce nouveau statut des associa-tions rend possible une collaboration formelleentre les migrants et des structures d’anima-tion, de formation et de développement dansles pays d’accueil.De nouveaux segments de société civile spé-cifique, constitués par les migrants, vont voirle jour. Dès lors, à travers un type de gou-vernance basée sur la participation, ils vontinfluencer positivement les projets collectifslocaux des collectivités territoriales décentra-lisées (CTD) de leurs pays d’origine, à traversleurs réseaux internationaux ainsi constitués.L’on va donc enregistrer quelques percées ti-mides, du point de vue d’actions conjointes,entre communes du Nord et du Sud, avec à labase les bonnes disponibilités et la participa-tion active des migrants.Parmi les coopérations décentralisées les plusdynamiques en France, on peut citer cellesentre la région Nord-Pas-de-Calais et les ré-gions de Saint-Louis du Sénégal et de Kayesau Mali, entre la ville de Lille et la communede Saint-Louis (Sénégal). L’on peut égalementévoquer celle, plus récente, entre les villes deBangangté au Cameroun, de Saint-Etienne etde Touchay en France, qui instaure un parte-nariat durable pour la Mairie de Bangangté etl’Université des Montagnes (UDM) prévoyantune coopération universitaire avec les uni-versité de St-Etienne en France ; cet accordreste à ce jour un point d’action de développe-

ment concret de la diaspora camerounaise deFrance. A noter que d’autres accords toujourssous l’initiative de la diaspora ont été établisdans la filière biomédicale en faveur d’étu-diants camerounais en année de diplomationd’ingénieur (source : mairie de Bangangté).La coopération décentralisée n’est pas l’apa-nage des grosses collectivités, dotées d’un ser-vice de relations internationales comme larégion Nord-Pas-De-Calais. Des communes detaille moyenne comme Hérouville-Saint- Clair(Calvados) avec moins de 40 000 habitantscoopèrent depuis 1985 avec la communautérurale d’Agnam (Sénégal) dont la populationne dépasse guère 35 000 habitants. Les mi-grants à travers la coopération décentraliséeaident les élus des collectivités territorialesau Nord et au Sud à développer des échangesde proximité pour faire face à des problèmesde santé, d’éducation des enfants, de gestionurbaine, d’assainissement, de démocratie etde développement local, de préservation desressources naturelles etc... Il convient de re-lever que si ces exemples sont indicateurs del’importance du rôle que peuvent jouer lesmigrants dans le cadre de la coopération dé-centralisée, ils ne sont néanmoins pas légionset restent marginaux. Fait notable, les facteursliés à une telle rareté tiennent surtout du po-litique et d’une culture du développement vusous le prisme des migrations vertueuses àparfaire.Pourtant dans un tel contexte, caractérisé parune mondialisation croissante, les autoritéslocales à la faveur des mécanismes que leuroffre la décentralisation, et n’ayant pas lesmoyens pour conduire les politiques à ellesseules, gagneraient à associer les migrants. Aceux-ci devraient se joindre les autres acteursde la société civile 11, qui leur apporteraienten échange leur forme d’expertise, leurs res-sources, leur légitimité, et leurs valeurs. Toute-fois l’absence criarde de cadres stratégiques etstructurels dédiés aux questions migratoiresà l’échelle des pays comme le Cameroun et leSénégal, et au niveau de leurs gouvernements

11. Le développement local associe donc bien au-delàdes membres de la diaspora, d’autres parties prenantes(Associations, ONG, ENE) qui chacune en ce qui laconcerne, doit enrichir cette dynamique interactive.

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non centraux est à décrier. L’absence d’espacede rencontres entre les migrants et nombred’acteurs locaux, au rang desquels figurent lesautorités locales de ces pays, montre du peud’intérêt ou de l’ignorance de l’atout maîtrequ’est le migrant en matière de coopérationdécentralisée et de développement local toutcourt.

Pourtant, cela a été souligné plus haut, lesmigrants restent des acteurs et des médiateursde politiques coopératives du développementlocal. Ils sont d’excellents communicateurs enmesure de dialoguer avec les autorités, dansles territoires d’origines et de destinations.Ils peuvent ouvrir ainsi la voie à la coopéra-tion décentralisée, pour apporter des idéeset des réseaux, et pour entreprendre des ini-tiatives de développement. Ils peuvent égale-ment contribuer à la croissance économique,à la solidarité sociale et au renforcement dumulticulturalisme en tant que dépositaire desvaleurs d’ici, et de là-bas. A travers les mi-grants, les collectivités territoriales, ou gou-vernements non centraux, peuvent saisir denombreuses occasions et opportunités leurpermettant d’assurer un meilleur développe-ment de leurs espaces territoriaux. Cela pour-rait même participer à imposer leur présencesur la scène internationale.

4 Conclusion et recommanda-tions

L’avènement des formes nouvelles de soli-darité, comme la coopération décentraliséepermet d’agir localement au plus près despopulations, d’encourager la participationde tous les acteurs, de sensibiliser à ladiversité culturelle et de tendre vers deséchanges réciproquement avantageux entreles nations. Dans ce cadre, à l’avant-gardede la mondialisation, parachutés aux pre-mières lignes de l’effervescence des grandscentres mondiaux de décision politique etéconomique, particulièrement ouverts à l’in-novation et à la solidarité internationale, lesmigrants constituent, en fait, les intervenantsstratégiquement les plus importants dans lesdomaines de l’émigration et du développe-ment. Leur implication dans les discussions

politiques est donc essentielle. La diaspora nedoit pas être considérée seulement commeune source de financement, mais comme unpartenaire au développement. Elle constitueaujourd’hui à travers la planète, un faisceaude forces capable d’influencer les orientationset les tendances de ce XXIème siècle auniveau mondial (rapport PNUD 2008).

Les initiatives prises par les gouverne-ments du Cameroun et du Sénégal, attestentd’une volonté politique accrue en vue de mo-biliser la diaspora. Cependant, nous pensonsque la maximisation des profits à tirer de cettefrange importante de la population, passe parun certain nombre de préalables :

- La mise en place effective de politiquesmigratoires inclusives cohérentes et pé-rennes.

- Le renforcement des capacités des auto-rités locales 12, et de leurs partenaireslocaux sur la gestion des questions mi-gratoires et de ses effets.

- La reconnaissance de la double nationa-lité peut resserrer les relations entre lesdiasporas et leur pays d’origine.

- Les migrants et leurs associations com-mencent à faire entendre leur voix dansle cadre de la coopération décentrali-sée mais ils restent encore très margi-nalisés. Ils ont donc besoin d’être re-connus et inclus aux diverses initiativesprises dans le cadre du développementde leurs contrées d’origine.

- Les espaces de rencontres entre mi-grants et conseillers régionaux et muni-cipaux doivent être initiés et multipliés.Il s’agit en même temps de promouvoirla coopération parmi les communautésmigrantes et les gouvernements locauxpour le développement local.

- Les compétences des migrants dans ledomaine de la conception et du finan-

12. Voir projet intégral sur la mobilisation descollectivités territoriales décentralisées pour rele-ver les défis migratoires au Cameroun, projet ini-tié par le Réseau International sur les Migra-tions https ://www.facebook.com/R%C3%A9seau-International-sur-les-Migrations-444735575555678/

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cement des projets de développementlocal doivent être reconnues.

- Les migrants pratiquent une double ap-partenance territoriale entre pays d’ori-gine et pays d’accueil, ils jouissent d’unelongue expérience de mise en relationet ont une connaissance réelle des ter-ritoires et des besoins locaux des popu-lations du Sud. En considérant les asso-ciations de migrants comme des acteursà part entière de la coopération, les res-ponsables des collectivités territorialesdu Nord et du Sud feraient évoluer lesoutils méthodologiques de la coopéra-tion au développement.

- L’encouragement des transferts defonds par des canaux officiels, notam-ment bancaires, afin de développer lesecteur financier et de transformer cesressources en crédits pour des projetsd’investissements. Cela permettra unaccès aux financements internationauxavec des coûts relativement bas. Ainsique l’établissement d’un climat favo-rable pour accueillir les investissementsdes migrants en proposant des poli-tiques fiscales incitatives et attractives.

- Compte tenu du nombre croissant deprofessionnels camerounais et sénéga-lais hautement qualifiés travaillant ac-tuellement dans des universités, des en-treprises, des institutions publiques etdes organisations de la société civileau sein des pays de l’OCDE, un impor-tant potentiel de coopération existe auniveau de l’enseignement et de la for-mation, ainsi que des échanges scienti-fiques dans le domaine des sciences etde l’enseignement supérieur.

- Il importe de mettre en place des straté-gies, permettant d’orienter les transfertsde fonds des migrants vers des investis-sements productifs, dans la mesure où95% des fonds transférés sont consacrésaux dépenses courantes (alimentation,santé et éducation) ; ceci serait une so-lution dans le cadre de la lutte contrel’émigration clandestine.

- Améliorer les conditions d’investisse-

ment dans les régions à travers l’accélé-ration du processus de décentralisation,afin de permettre aux émigrés d’investirdans ces zones.

- Sensibilisation du parlement à la contri-bution la création de richesse des mi-grants, à travers les bureaux écono-miques des ambassades.

Appliquées avec diligence, ces mesurespeuvent être un parfait modèle de promotiondu développement local et par la même occa-sion, de lutte contre l’émigration clandestine,fléau qui touche des dizaines de milliers d’afri-cains.Il est essentiel de garder à l’esprit que les mi-grations restent le plus grand défi du 21èmesiècle.

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L’équipe d’édition :

Josue AWONON Assistant à la publication

L’Afrique des Idées est un think-tank indépendant. Sa vocation est de mener des analyses et d’élaborer des propositions novatrices sur des sujets économiques, politiques et culturels liés à l’Afrique. Fondée en 2011 sur une approche basée sur l’afro-responsabilité, L’Afrique des Idées a pour ambition de s’imposer parmi les cercles de réflexion leaders en Afrique et en particulier dans l’espace francophone.

Un concept moteur : l’afro-responsabilité

Afin de favoriser une meilleure compréhension des problématiques africaines, une réappropriation par les jeunes africains du discours sur l’Afrique et un engagement socio-économique porteur de croissance inclusive et durable, L’Afrique des Idées promeut le concept fort et innovant d’afro-Responsabilité. Ni «afro-optimisme», ni «afro-pes-simisme», l’«afro-responsabilité» répond à une logique différente: mieux comprendre les défis auxquels fait face le continent africain afin d’œuvrer à ce qu’il puisse les relever.

L’afro-responsabilité est sous-tendue par une conviction forte : dans un environnement complexe et en pleine mutation, le continent africain a besoin d’espaces d’échanges d’idées avec des jeunes de divers horizons, capables d’exprimer des avis équilibrés et des recommandations concrètes, puis de les partager avec le plus grand nombre.

Retrouvez l’ensemble de nos publications à l’adresse : www.lafriquedesidees.org© L’Afrique des Idées, tous droits réservés Design : Marine Durand et Thiaba Diagne

L’Afrique des Idées

Ramiarison Hery MAHOLISOA Éditeur en [email protected]

Aurore BONARDINÉditrice

Jean-Jacques ABEEditeur

Touglo Kodjo Eric TCHAWALASSOUReviewer principal

Pacha NZANZAÉditrice

Remerciements à Olivia GANDZION et Kenneth HOUNGBEDJI.