la revue européenne des médias et du numérique - n°14-15

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printemps été IRebs Institut de Recherche de l’European Business School IREC UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS PARIS 2 n° 14-15 2010 Grande-Bretagne : le retour des débats télévisés Marques de média et médias de marque Cinéma et Internet : vers la fin de la chronologie des médias ? La musique cherche toujours les chemins de la croissance 3D relief : les médias prennent une dimension supplémentaire des médias LA REVUE EUROPÉENNE

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IRebsInstitut de Recherche de l’European Business School

IRECUNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS PARIS 2

14-1

52010

Grande-Bretagne : le retour des débatstélévisés

Marques de média et médias de marque

Cinéma et Internet : vers la fin de lachronologie des médias ?

La musique cherche toujours les cheminsde la croissance

3D relief : les médias prennent unedimension supplémentaire

des médiasLA REVUE EUROPÉENNE

Page 2: La revue européenne des médias et du numérique - n°14-15

FOCUSEn Europe p.3

� Droit

3 En lançant l’idée d’un paradis journalistique, l’Islandeentend lutter contre le tourisme de diffamation

5 La nouvelle réforme du cadre réglementaire descommunications électroniques : vers un renforcementde la concurrence et du marché unique

7 L’accord Yahoo!-Microsoft obtient l’aval des autoritésaméricaine et européenne de concurrence

8 L’ACTA : quand la propriété intellectuelle fait fi deslibertés publiques

10 France : lutte contre le téléchargement illégal etprotection des données personnelles

12 Italie : Google condamné pour violation de la vie privée

13 Vidéo sur Internet en Italie : l’autorité italienne descommunications délivrera des autorisations

Google face à la justice

� Techniques

16 La copie numérique a une espérance de vie limitée

17 VIP pour les VIP

� Economie

18 Le fonds Providence introduit en Bourse KabelDeutschland

sommai�

19 En perte en 2009, Bertelsmann résiste grâce à unepolitique de réduction des coûts

20 Afin de restructurer sa dette, Prisa cède la majorité deson capital à des fonds américains

21 La BBC veut réduire sa taille pour conserver saredevance

22 Le régulateur britannique freine les ambitions d’ITV etde BSkyB, relançant ainsi le débat européen sur l’accèsaux images des événements sportifs

24 Les chaînes de télévision s’imaginent en média globalgrâce aux téléviseurs connectés

� Usages

26 Le Baromètre de la Scam : les relations entre les auteurset les éditeurs se détériorent

27 AEF : RFI licencie, MCD investit

28 Les chaînes européennes d’information internationalecensurées en Iran

30 Internet : le piratage n’aurait pas que des mauvais côtés

Ailleurs p.3333 La durée d’écoute de la télévision progresse dans le

monde

34 La mondialisation confrontée à ses limites après leretrait de Google de Chine

Page 3: La revue européenne des médias et du numérique - n°14-15

47 Et aussi...

La presse : le dilemme gratuit-payant, Problèmeséconomiques, La documentation Française, n°2 990,mars 2010, 32 p.

Diffusion et utilisation des TIC en France et en Europeen 2009, Valérie Deroin, Culture Chiffres, DEPS,Ministère de la Culture, mars 2010, 12 p.,culture.gouv.fr

Conférence de Serge Soudoplatoff : Les vraies rupturesd'Internet, les-ernest.fr

Interviews ARCEP sur la neutralité des réseaux, arcep.fr

Exposition « Paris Journal, le quartier de la presse,XIXe-XXIe siècles », Paris, mairie du 9e arrondissement

ARTICLES& CHRONIQUES p.48

48 � Grande-Bretagne : le retour des débats télévisésFrancis Balle

50 � Marques de média et médias de marqueFrançoise Laugée

56 � Cinéma et Internet : vers la fin de la chronologie desmédias ?Sophie Boudet-Dalbin et Françoise Laugée

61 � La musique cherche toujours leschemins de la croissanceAlexandre Joux

65 � 3D relief : les médias prennent une dimensionsupplémentaireFrançoise Laugée

re

��Les acteurs globaux p.36

36 La publicité sur mobile, nouveau terrain d’affrontemententre Apple et Google

37 Livre numérique (1) : le lancement de l’iPad, unechance pour les éditeurs ?

38 Livre numérique (2) : malgré les procès, Googlecontinue de numériser et va lancer sa librairie en ligne

40 EMI menacée par sa dette

41 News Corp. entre au capital du saoudien Rotana ets’installe à Abou Dhabi

A retenir p.4242 Web OS (Web Operating System)

43 Hors film

Vient de paraître p.44

44 Les sociétés de journalistes dans la presse écrite,Les documents de travail du Sénat, série Législationcomparée, n°LC 205, février 2010, 65 p.

45 Comment informer à l’ère du numérique, étudeinternationale, AFP, janvier 2010, 47 p., afp.fr

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EnEurope�DroitEn lançant l’idée d’un paradisjournalistique, l’Islande entend luttercontre le tourisme de diffamation

Rassembler les textes législatifs les plus protecteursau monde afin de construire le cadre juridique deréférence de la liberté d’expression et d’informationpour les journalistes du monde entier : telle est l’idéedéfendue par des députés islandais afin de faire deleur pays un paradis journalistique comme d’autressont des paradis fiscaux.

Les journaux, les télévisions et les sites web dumonde entier pourraient délocaliser leur siège socialen Islande, non pas pour bénéficier d’une bienveil-lante opacité financière à l’instar des îles Caïmans,ni pour se voir offrir un taux de TVA réduit commecela se pratique au sein même de l’Europe, maispour produire et diffuser de l’information en touteliberté, selon un projet soutenu par des parlemen-taires islandais.

L’Islande était l’un des pays les plus riches dumonde, avant la faillite de son système bancaire en2008. Assurément traumatisé par les conséquencesdues au manque de régulation et de surveillancede son système bancaire, l’ayant conduit à unendettement égal à neuf fois son produit intérieurbrut, ce petit pays de 320 000 habitants se projetteaujourd’hui dans l’avenir avec l’idée d’offrir aumonde un cadre législatif pour le journalismed’investigation. Une manière de relancer l’économieexsangue du pays en attirant notamment lesgroupes de presse étrangers et autres organisationsde défense des droits de l’homme.

Le parlement islandais examine un projet de loiaussi original qu’ambitieux afin de défendre la

liberté d’expression continuellement fragilisée,comme le montrent les affaires toujours plusnombreuses d’atteinte à la protection des sourcesjournalistiques. L’Icelandic Modern Media Initiative(IMMI) ferait ainsi de l’Islande le refuge des éditeurs,des journalistes d’investigation, des médiasinternationaux en ligne et des blogueurs. L’idéepourrait également séduire les pure players du Net,les centres de base de données et les organisationsde défense des droits de l’homme. Les parlemen-taires islandais ont été encouragés dans leurdémarche par les dirigeants du site spécialisé dansla publication de scoops Wikileaks, disposant denombreux serveurs dans le monde afin d’avoir lapossibilité de diffuser ses informations exclusives làoù la législation l’y autorise. Attaqué en justice plusde cent fois en trois ans, le site a remporté tous sesprocès.

Le projet de loi proposé aux députés s’inspire de cequi se fait de mieux dans le monde en matière deliberté d’expression, de liberté d’information, deprotection des sources, de protection des fournis-seurs d’accès et des serveurs.Seront ainsi repris parmi d’autres textes : le premieramendement de la Constitution américaine interdi-sant au Congrès de voter une loi limitant la liberté dela presse ; la loi belge de 2005 sur la protection dessources ; la loi française de 1993 modifiant la loi de1881 sur la liberté de la presse en limitant à troismois à compter de la publication le délaipour intenter une action en justice contre un titre depresse ; le Press Freedom Act inclus dans laConstitution suédoise ; les lois sur la liberté del’information d’Estonie et d’Ecosse ou encore le LibelTerrorism Protection Act, signé par le gouverneur del’Etat de New-York en mai 2008, offrant une plusgrande protection contre les jugements en diffama-tion dans les pays dont les lois sont incompatiblesavec la liberté d'expression garantie par la Constitu-tion des États-Unis.A l’origine de cette loi, se trouve l’affaire de l’univer-sitaire new-yorkaise Rachel Ehrenfeld, poursuivie et

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condamnée à 10 000 livres d’amende pour diffa-mation, en 2005, pour avoir dénoncé un hommed’affaires saoudien, financier de groupes terroristes.Le procès s’est déroulé en Grande-Bretagne – paysoù les jugements en diffamation sont facilementgagnés – alors même que seulement vingt-troisexemplaires du livre, non édité par une maisond’édition britannique, avaient été vendus sur un siteweb anglais.En juillet 2009, l’Etat de Floride s’est également dotéd’une législation protectrice intitulée Act relating togrounds for nonrecognition of foreign defamationjudgments. La Californie a fait de même. Une loifédérale contre la Libel Law britannique est enpréparation, afin que ne soient plus rendus exécu-toires les jugements découlant de plaintes endiffamation issues de l’étranger. Fin 2009, lesquotidiens New York Times et Boston Globe ontmenacé de suspendre leurs livraisons en Grande-Bretagne et de bloquer l’accès à leur site web.

Le Parlement islandais affiche sa volonté de luttercontre ce qu’il est désormais convenu d’appeler letourisme de diffamation, pratique qui consiste àdélocaliser un procès en la matière dans le paysayant la législation la plus protectrice des libertés.Nombreuses sont désormais les accusations endiffamation portées en justice dans celui des paysoù les informations incriminées (livre, article,programme…) sont portées à la connaissance dupublic et non dans le pays de résidence de leursauteurs.La Grande-Bretagne est devenue la terre d’excellencedu tourisme de diffamation grâce à sa Libel Law, loiconsidérant d’emblée la diffamation avérée etrenvoyant la charge de la preuve à l’auteur réputécoupable. Quelques exemplaires vendus sur le solbritannique ou quelques connexions sur le siteanglais ayant publié l’information contestée suffisentpour intenter un procès. Cette législation, vieille deplus d’un siècle, a été vivement critiquée par lesNations unies qui y voient une menace potentiellepour la liberté d’opinion et la liberté de la presse enGrande-Bretagne et dans le monde. Des groupesinternationaux et des milliardaires viennent en effeten Grande-Bretagne régler avec succès les affairesliées à leur réputation. Des députés britanniques sesont récemment élevés contre les menaces de pour-suite judicaire adressées au quotidien The Guardianpar le cabinet d’avocat Carter-Ruck, représentantd’un groupe pétrolier, pour avoir projeté de publierun article sur les déchets toxiques, menaces

assorties de l’interdiction de couvrir les débatsparlementaires sur le sujet. Dans une précédenteaffaire, le même cabinet juridique, agissant cette foispour le compte du géant de la distribution Tesco,avait réclamé la somme de 5 millions de livres enréparation d’une erreur publiée dans les pages duGuardian pour laquelle ce dernier avait pourtantpublié deux correctifs. Un arrangement à l’amiableavait finalement été trouvé.

Comme le revendiquent les défenseurs du projetIMMI sur leur site web, « la demande est là ». Denombreux fournisseurs d’information et d’organisa-tions de défense des droits de l’homme ont déjàtrouvé refuge en Suède, afin de bénéficier de laprotection de la loi sur la liberté de la presse.De même, le portail d’information indépendant,Malaysia Today, s’est délocalisé aux Etats-Unis afind’échapper aux persécutions dont il faisait l’objetdans son pays. Fragilisés par la crise économique,les éditeurs de presse sont tentés d’abandonner letraitement de certains sujets sensibles, comme leterrorisme ou la corruption, de peur de ne pas avoirles moyens financiers de se défendre devant lajustice le cas échéant. Des arrangements àl’amiable doivent souvent être trouvés, ce qui necontribue pas à renforcer la crédibilité des médias.Selon les acteurs de l’IMM, « face à l’inflationincontrôlée des frais de justice, le monde est à larecherche d'un ensemble cohérent de règles quiimposent des limites claires sur les risquesencourus par les éditeurs ». D’où l’idée d’assurer unhavre de justice à tous les auteurs d’enquêtes surdes sujets sensibles.

Pour Andrew Scott, professeur de droit à la LondonSchool of Economics, ces mesures « transforme-raient l’humble [journaliste] islandais en unsurhomme juridique, qui ne pourrait plus être atteintpar les tribunaux en dehors de l’Islande pour lescommentaires faits dans son pays ». Ce à quoi lesinitiateurs du projet de loi répondent que « le but dela législation n’est pas de permettre la publicationsans restriction d’insultes ou de faire de l’Islande lepays des tabloïds, des pédophiles ou autresactivités du genre ».Le juriste David Ardia, du Berkman Center ofHarvard Law School, salue l’idée de créer unenvironnement favorable au « bon journalisme »,considérant que « les institutions au pouvoir ontmontré leur volonté d’empêcher les reportagesqui les dérangent ». Mais il est sceptique,

4En Europe

Droit

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malheureusement à juste titre, quant à « l’idéequ’une loi islandaise pourrait protéger le journalismetel qu'il a été pratiqué ailleurs, tout simplement parceque l'enregistrement légal ou les serveurs Internetsont localisés » et assure qu’ « évidemment l'Islandene peut pas adopter une loi qui pourrait affecter lalégislation interne d'un autre pays, qui modifierait laloi en Chine, au Pakistan ou en Turquie ».

A l’occasion de la Journée mondiale contre lacyber-censure, le 12 mars 2010, rappelant que plusde soixante pays violent la liberté d’expression surInternet (l’Arabie Saoudite, la Birmanie, la Chine, laCorée du Nord, Cuba, l’Egypte, l’Iran, l’Ouzbékistan,la Syrie, la Tunisie, le Turkménistan, le Vietnam…)et que près de cent vingt blogueurs, internautes etcyberdissidents sont emprisonnés, l’associationReporters sans frontières (RSF) a salué l’initiativeislandaise en déclarant que « l’Islande deviendraitun paradis cybernétique pour les blogueurs et lescitoyens journalistes ».

FL

Sources :- « Les journaux britanniques sous pression », Marco Evers et

Isabell Hülsen, Der Spiegel, presseurop.eu/fr, 4 janvier 2010.- « Icelandic Modern Media Initiative. Proposal for a parliamentary

resolution », immi.is.

- « L’Islande, nouveau paradis journalistique », Chloé Woitier,

lesinrocks.com, 16 février 2010.

- « Pour la liberté de la presse, cliquez sur Islande », Adevarul,

presseurop.eu/fr, 18 février 2010.

- « Proposed law seeks to make Iceland a refuge for free speech »,

Noam Cohen, International Herald Tribune, february 23, 2010.

La nouvelle réforme du cadre réglementairedes communications électroniques :vers un renforcement de la concurrenceet du marché unique

En novembre 2009, après plus de deux ans dedébats, le nouveau cadre réglementaire descommunications électroniques a été réformé pardeux directives (2009/140/CE et 2009/136/CE) etun nouveau règlement (n°1211/2009). Les Etatsmembres devront transposer ces textes en droitnational avant le 25 mai 2011.

La réforme marque un très net changement politique :la régulation auparavant concentrée sur la créationd’espaces économiques pour les nouveaux entrantsdans le secteur des communications électroniquesaffiche dorénavant un objectif affiché de protection et

de satisfaction du consommateur européen. NeelieKroes, vice-présidente de la Commissioneuropéenne chargée de l’agenda numérique,expliquait récemment : « Notre nouveau cadreprévoit des mesures pour assurer une transparenceforte afin que le consommateur comprenne etobtienne ce pour quoi il a payé. Je pense quebeaucoup trop de consommateurs se sententactuellement floués, par exemple quand ils obtien-nent des débits Internet nettement plus bas que ceque laissait entendre la publicité »*.Ce nouveau paquet télécom met en place unenouvelle phase de la régulation visant à finaliser unmarché unique des communications électroniquespar deux moyens : d’un côté, l’application cohérentedu nouveau cadre partout en Europe ; de l’autre,l’abandon progressif de la régulation par le renfor-cement du jeu concurrentiel et la protection desconsommateurs.

Une application cohérente du nouveau cadreréglementaire

La mise en œuvre d’un marché européendes communications électroniques reste une préoc-cupation majeure de la Commission européenne.Pour atteindre cet objectif, la réforme changel’architecture institutionnelle de la régulation.Premièrement, elle institutionnalise le GRE(Groupe des régulateurs européens) en créantl’Organe des régulateurs européens des communi-cations électroniques (ORECE) et l’Office, organismede la Communauté, offrant à l’ORECE un soutienadministratif et professionnel (Règlement CEn°1211/2009). Leur objectif, conforme au principede subsidiarité consacré par l’article 5 du Traité del’Union européenne, est de développer la coopéra-tion et la coordination des autorités de régulationnationales (ARN) avec la Commission afind’assurer une application cohérente du cadre régle-mentaire. L’ORECE devra notamment assurer ledéveloppement et la diffusion des meilleurespratiques de régulation entre les ARN. L’ORECEservira aussi d’instance de réflexion, d’expertise etd’avis pour le Parlement européen, le Conseil et laCommission européenne pour toutes les questionsrelatives aux communications électroniques.L’ensemble des tâches de l’ORECE sont décritesdans l’article 3 du Règlement. On remarqueranotamment que l’ORECE interviendra dans lanouvelle procédure (article 7) par laquelle les ARNsoumettent leurs décisions de régulation à

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l’approbation de la Commission européenne.L’ORECE sera plus particulièrement consulté sur lesmarchés pouvant être potentiellement soumis àrégulation, la désignation des opérateurs exerçantune influence significative sur ces marchés et lesremèdes proposés par les ARN.En second lieu, la réforme renforce l’indépendancedes régulateurs. Elle impose notamment queles ARN soient protégées contre les pressionspolitiques et qu’elles aient un budget suffisant pourexercer leurs fonctions et engager des personnelsqualifiés. La réforme entend ainsi permettre aux ARNd’être plus à l’écoute du marché et des consomma-teurs. L’indépendance est également un élémentindispensable à la mise en place d’une régulationéconomique efficace.

Un renforcement du jeu concurrentiel

La réforme croit à la concurrence et à la transpa-rence : « Un marché concurrentiel offre aux utilisa-teurs un large choix de contenus, d’applications etde services. Les autorités réglementaires nationalesdevraient promouvoir la capacité des utilisateurs àaccéder à l’information et à en diffuser ainsi qu’àutiliser des applications et des services (23). […].Il convient d’encourager en parallèle tant les inves-tissements efficaces que la concurrence, de manièreà accroître la croissance économique, l’innovation etle choix du consommateur (53) », considérants 23et 53 de la directive 2009/140/CE. La concurrenceva être renforcée, notamment par le principe deneutralité des réseaux, l’encouragement desinvestissements dans les réseaux de nouvelle géné-ration (réseaux mobiles de quatrième génération,réseaux fixes en fibre optique), par et la protectiondes consommateurs.

La réforme érige la neutralité des réseaux comme unprincipe de régulation. Ce principe repose sur laconvergence du secteur des télécoms et de celui desmédias (contenus). Cette convergence est d’ores etdéjà une réalité, mais elle s’est récemment accélé-rée dans le secteur de l’Internet sur réseaux fixes etsur réseaux mobiles. La convergence offrira auxconsommateurs européens de nouveaux servicesnomades et la liberté de choisir la technologiecorrespondant à leurs besoins. Elle permettra ledéveloppement de nouvelles opportunités d’affaireset ouvrira un espace économique particulièrementpropice à l’innovation dans le marché unique. Laconvergence couplée au principe de neutralité des

réseaux devrait renforcer la concurrence entredifférentes infrastructures d’accès (fixe, mobile,Wi-Fi, etc.).Pour renforcer ce type de concurrence, la réformepoursuit son action en assurant un juste retour surinvestissement à ceux qui engageront de l’argentdans la construction de réseaux de nouvellegénération. L’incitation à investir sera préservéemalgré la consolidation de la régulation de cesréseaux (notamment sur le partage d’infrastructuresde génie civil).Par ailleurs, la réforme envisage le problème de laconcurrence latérale. Cette forme concurrentielleémerge lorsque des firmes dominantes sur unmarché utilisent leur puissance économique pourattaquer un marché adjacent. Ce phénomène est aufondement de la dynamique de convergence mais ilpeut créer des distorsions concurrentielles graves surcertains marchés. La réforme donne aux ARN lepouvoir d’imposer des remèdes régulatoires préven-tifs dans ce genre de circonstances.

Le nouveau dispositif de régulation prend égalementun certain nombre de mesures visant à l’améliora-tion de la protection du consommateur. Certainesd’entre elles sont particulièrement importantes. Laréforme encourage ainsi la mise à disposition d’unaccès haut débit pour tous les consommateurseuropéens afin de diminuer la fracture numérique.Elle autorise les Etats membres à étendre lesobligations de service universel au-delà de l’accès àInternet bas débit. S’agissant de la transparence etde la diffusion de l’information, le considérant 47 dela directive 2009/136/CE énonce clairement laposition du nouveau cadre : « Pour tirer pleinementparti de l’environnement concurrentiel, lesconsommateurs devraient être à même de faire deschoix en connaissance de cause et de changer defournisseur lorsque cela est dans leur intérêt. Il estessentiel de garantir qu’ils puissent le faire sansrencontrer d’obstacles juridiques, techniques oupratiques, notamment sous la forme de conditions,de procédures, de redevances contractuelles, etc. ».La réforme prévoit également d’améliorer lesprocédures de changement d’opérateur, un délaiinitial d’engagement de 24 mois maximum, uneportabilité du numéro (fixe ou mobile) en un jourouvré, une meilleure information concernant lescontrats avec les opérateurs de réseaux et deservices, une meilleure diffusion de ces informationsafin de permettre au consommateur un choix éclairépar une comparaison exacte et précise des

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Droit

En Europe

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différentes offres. Enfin, le nouveau dispositif vise àaméliorer la protection des données privées duconsommateur et la lutte contre les communicationsnon sollicitées (e-mailing, phishing, etc.). Onrelèvera à titre d’exemples les deux mesuressuivantes : d’une part, l’utilisation de systèmesautomatisés d’appel et de communication sansintervention humaine (automates d’appel), detélécopieurs ou de courriers électroniques à des finsde prospection directe est soumise au consentementpréalable des consommateurs ou utilisateurs ;d’autre part, l’émission de messages électroniquesà des fins de prospection directe, en camouflant ouen dissimulant l’identité de l’émetteur au nomduquel la communication est faite, est interdite.

La réforme du cadre réglementaire des communica-tions électroniques recentre la régulation au niveaueuropéen et promeut un marché unique concurren-tiel fondé sur la protection du consommateur et laneutralité des réseaux. Elle entend égalementœuvrer pour la croissance économique en Europeen encourageant le déploiement de nouveauxréseaux et la création de nouveaux services plusinnovants. En cela, elle est une sorte de professionde foi. Le chemin à parcourir reste encore long.Comme le précisait Neelie Kroes récemment :« Notre marché unique nous a offert la plus longuepériode de prospérité dans toute l'histoire de laconstruction européenne. Nous devons maintenantconstruire un marché unique du numérique. Telle estnotre nouvelle voie. Il n'y a pas d’argent disponiblepour un deuxième round de plans de sauvetage. Etil n'y a pas de temps à perdre pendant que l'Asie etle Brésil font la course en tête. Les prochainesannées nécessiteront une vision à long terme, untravail acharné, et des objectifs clairs pour mettre enœuvre un futur numérique intelligent, durable etéquitable »*.

DL*traduit par l’auteur.

Sources :- Directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil du

25 novembre 2009 modifiant la directive 2002/22/CE concernant le

service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et

services de communications électroniques, la directive 2002/58/CE

concernant le traitement des données à caractère personnel et la

protection de la vie privée dans le secteur des communications électro-

niques et le règlement (CE) no 2006/2004 relatif à la coopération entre

les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législa-

tion en matière de protection des consommateurs.

- Directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil du

25 novembre 2009 modifiant les directives 2002/21/CE relative à un

cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de commu-

nications électroniques, 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux de

communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à

leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l’autorisation des réseaux

et services de communications électroniques.

- Règlement (CE) n°1211/2009 du Parlement européen et du Conseil

du 25 novembre 2009 instituant l’Organe des régulateurs européens

des communications électroniques (ORECE) ainsi que l’Office.

- « Net Neutrality in Europe », Neelie Kroes, Intervention lors de la

conférence de l’ARCEP, Speech/10/153, 13 avril 2010.

- « A Digital Agenda for Europe », Neelie Kroes European Business

Leaders Convention, Speech/10/203, may 4, 2010.

L’accord Yahoo!-Microsoft obtient l’avaldes autorités américaine et européennede concurrence

Le 18 février 2010, Microsoft a annoncé quel’alliance conclue avec Yahoo!, le 29 juillet 2009(voir le n°12 de La revue européenne des médias,automne 2009), avait été autorisée par les autoritésaméricaine et européenne de concurrence. Alors quele Département américain de la justice (DoJ) n’apas commenté sa décision, la Commissioneuropéenne s’est à l’inverse prononcée sansambigüité en faveur de cette alliance qui, plutôt quede nuire à la concurrence, devrait la renforcer, auprofit notamment des annonceurs. L’accord concluentre Microsoft et Yahoo! prévoit en effet queMicrosoft gère pour Yahoo! ses activités derecherche, en échange de quoi Yahoo! gère la ventedes liens sponsorisés des deux sociétés, ceuxaffichés sur Yahoo! Search et ceux affichés sur Bing,le nouveau moteur de recherche de Microsoft.Sur le plan technique, la qualité des réponses desmoteurs de recherche est liée au nombre de requêtestraitées (principe du Click through rate – CTR,statistiques sur le taux de clic en fonction dunombre de fois où un lien est affiché en rapport avecun mot clé) : l’alliance Microsoft–Yahoo! va doncpermettre à Microsoft d’affiner ses résultats enprenant en compte un nombre plus important derequêtes, donc de mieux concurrencer Google dansla pertinence des réponses apportées auxrecherches des internautes. Selon comScore, endécembre 2009, le moteur de recherche Google aainsi pris en charge 66,8 % des 131 milliards derecherches effectuées dans le monde, suivi endeuxième position de Yahoo! avec 7,2 % du marchémondial, du chinois Baidu (6,5 %) et de Microsoft(3,1 %). A l’exception des Etats-Unis, où l’alliance

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Microsoft–Yahoo! permettra à Bing de traiter près de30 % des requêtes des internautes (17 % pourYahoo! et 11,3 % pour Bing en janvier 2010), ladomination de Google sur les autres marchés, àl’exception du cas particulier de la Chine, resteécrasante : la part des recherches sur Google enEurope est supérieure à 90 %, alors que Bing etYahoo! ensemble peinent à atteindre les 5 % de partde marché. C’est ce qu’a confirmé la Commissioneuropéenne, prenant acte du fait que les différencesen termes d’audience se traduisent sur le marchédes liens sponsorisés : « Dans l’espace économiqueeuropéen, les activités de recherche en ligne et lesannonces liées à ces recherches sont très limitéespour Microsoft et Yahoo! et leurs parts de marchécumulées demeurent généralement inférieures à10 % ». Autant dire que cette alliance, plutôt que delimiter la concurrence, va la renforcer au profit desannonceurs qui pourront se tourner vers un interlo-cuteur plus important, même si Google reste à cejour incontournable. C’est ce qu’a encore confirmé laCommission européenne qui a précisé que « nonseulement les opérateurs n’attendent pas d’effetnégatif de cette opération, mais ils en espèrent aucontraire un renforcement de la concurrence ». A cetégard, Google a eu raison d’abandonner le projetd’accord qu’il avait initialement scellé avec Yahoo!en juin 2008, afin notamment de contrer latentative de rachat de Yahoo! par Microsoft, car cetaccord aurait été très certainement dénoncé par lesautorités de concurrence. Le partenariat entreMicrosoft–Yahoo! devrait être mis en place progres-sivement, d’abord aux Etats-Unis dès 2010, là oùles enjeux d’audience sont les plus importants, puisétendu progressivement au reste du monde pour yêtre effectif en 2012. En effet, cet accord supposeune harmonisation des plates-formes technolo-giques pour la recherche et la commercialisation desliens sponsorisés entre Microsoft et Yahoo!, suivied’un basculement des annonceurs des anciennesplates-formes vers les nouvelles.

AJ

Sources :- « Feux verts en poche, Microsoft et Yahoo ! lancent leur partenariat »,

AFP, 18 février 2010.

- « Feu vert à l’alliance Microsoft-Yahoo ! », Virginie Robert et Alexandre

Counis, Les Echos, 19 février 2010.

L’ACTA : quand la propriété intellectuellefait fi des libertés publiques

L’accord commercial anti-contrefaçon ACAC (enanglais ACTA pour Anti Counterfeiting Trade Agree-ment) est un accord multilatéral négocié en secretentre octobre 2007 et mars 2010 par les Etats-Unis,le Canada, la Commission européenne, la Suisse, leJapon, la Corée du Nord, Singapour, l’Australie, laNouvelle-Zélande, le Mexique, la Jordanie, le Marocet les Emirats Arabes Unis. Sous la pression de lasociété civile, d’associations de défense deslibertés publiques et du Parlement européen, et à lasuite de deux fuites de documents de travail publiéssur le site WikiLeaks en 2009 et La Quadrature duNet en 2010, la Commission européenne a finale-ment cédé le 21 avril dernier en rendant publiqueune version de l’ACTA. Selon ses promoteurs, cetaccord permettrait de « fournir un cadre internationalpour renforcer la mise en œuvre des droits depropriété intellectuelle au niveau mondial et pourcontribuer à protéger les consommateurs desrisques de santé et de sécurité liés à de nombreusescontrefaçons ».

Le document public de 39 pages, expurgé desdivergences entre chaque pays négociateur, anno-tées dans les documents fuités, a pour objet lerenforcement de l’application de règles mondialesconcernant les droits de propriété littéraire et artis-tique d’une part, et les droits de propriété industrielle,d’autre part. Le champ d’application de l’ACTA estlarge, puisqu’il concerne tout autant les accords dedouane internationaux, la contrefaçon des biensmatériels (produits de luxe, médicaments…), quele piratage de contenus numériques. A la questionde savoir pourquoi cet accord n’est pas passé parles instances officielles légitimes en la matière, lejournaliste Florent Latrive, répond que « plusieurstentatives pour durcir la propriété intellectuelle ayantéchoué à l’Organisation mondiale de la propriétéintellectuelle (OMPI), mais aussi à l’Organisationmondiale du commerce (OMC) […] toutes lesvoies étant fermées, il ne restait que celle du traitéad hoc ».

Le contenu

Le contenu de l’ACTA dévoilé à l'issue du 8e cyclede négociation qui a eu lieu en Nouvelle-Zélande enavril 2010 est loin d’être finalisé, et le 9e rounddevrait démarrer en juin de cette année à Genève.

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La section 2 du document traite des « mesuresfrontalières ». Alors que les négociateurs de laCommission européenne souhaitent englober tousles droits couverts par les « aspects des droits depropriété intellectuelle touchant au commerce »(ADPIC) sur des produits importés, exportés ou entransit, il semble que d’autres pays commeSingapour, le Canada et la Nouvelle-Zélandesouhaiteraient exclure les brevets de cette section.L’accord sur les ADPIC, accord multilatéral signé en1994 dans le cadre de l’OMC et entré en vigueur le1er janvier 1995, vise dans une acception large« tous » les droits de propriété intellectuelle, c'est-à-dire les droits d’auteur, droits des marques et droitsdes brevets. L’enjeu à inclure ou exclure les brevetsdu champ d’application des mesures frontalièresconcerne en particulier les médicaments génériques.En 2008, des navires en provenance d’Inde et àdestination des pays pauvres ont été bloqués endouane parce qu’ils transportaient des médicamentsgénériques, parfaitement légaux dans le paysd’origine et celui d’arrivée, mais non en Europe oùtransitaient les bateaux. Un cas similaire est survenuà propos de molécules anti-VIH génériques àdestination du Nigeria et financées par Unitaid,bloquées aux Pays-Bas. L’ACTA permettrait ainsi derenforcer les contrôles et de faciliter les blocages demédicaments suspectés d’enfreindre le droit desbrevets des pays signataires.

La section 4 du document concerne « les mesuresspéciales relatives à la protection technique de lapropriété intellectuelle dans l’environnement numé-rique ». Sont ici visés les fournisseurs d'accès àInternet (FAI), dont on souhaiterait augmenter laresponsabilité vis-à-vis des contenus circulant parleur intermédiaire, en leur faisant « adopter etraisonnablement mettre en œuvre une politiquedestinée à prendre en compte le stockage non auto-risé ou la transmission de documents protégés parle droit d'auteur ». Si le concept de riposte graduée« à la française » a été retiré de la version officielle,c’est pour laisser le choix à chaque pays signatairede mettre en œuvre des procédures globales defiltrage et de coupure de l’accès au réseau Internet.Or, si les technologies d’échange de fichiers depair-à-pair (peer-to-peer) semblent dans la ligne demire de l’ACTA, rappelons que cette technologie,générique, concerne également le partage dedonnées légales, comme la voix avec le logicielSkype par exemple, qui permet de téléphoner via leréseau Internet. Ces mesures mettraient également à

mal le partage des logiciels libres, au sujet desquelsla communauté informatique concernée s’estvivement mobilisée à cause du manque de trans-parence et des enjeux à filtrer ainsi le réseau. Deplus, les ayants droit pourront prétendre « à desdommages et intérêts proportionnels à l'impactfinancier de l'infraction » et également obtenir desfournisseurs d’accès à Internet (FAI) les donnéespersonnelles des abonnés coupables d'infraction.

L'ACTA prévoit également des sanctions pénales àl’encontre de ceux qui « incitent, aident ou encoura-gent » à la contrefaçon. Enfin, même si le gainfinancier n’est pas le but recherché, le fait de contre-faire ou de pirater un contenu relèvera du droit pénal,l’emprisonnement constituant un type de peine« proportionnée et dissuasive ».

L’ACTA est donc un accord multilatéral qui concernetout à la fois l’accès aux médicaments dans lespays en développement, l’accès au réseau Internetet sa neutralité, la liberté d’expression et le respectde la vie privée ainsi que la répression pénale descontrevenants. Or comme le rappelle Peter Hustinx,contrôleur européen de la protection des données(CEPD), « la propriété intellectuelle doit être protégéemais ne doit pas être placée au-dessus du droit desindividus, du respect de leur vie privée et de laprotection des données personnelles ».

Transparence et mécanismes d’adoption

On a pu entendre des promoteurs de l’ACTArappeler que la confidentialité des négociations étaitune caractéristique habituelle des traités internatio-naux. Mais cette procédure de contournement duprocessus démocratique n’a pas semblé convain-cre le Parlement européen qui, en mars 2010, peuavant la publication de l’ACTA par la Commissioneuropéenne, a adopté par 633 voix contre 13, unerésolution demandant la transparence de laCommission européenne sur le dossier : « S’il n’estpas informé immédiatement et intégralement à tousles stades des négociations, le Parlement se réservele droit de prendre les mesures appropriées, ycompris d’intenter une action auprès de la Cour dejustice afin de défendre ses prérogatives ».

Les pays signataires de l’ACTA et la Commissioneuropéenne s’engagent à transposer les dispositionsde l’accord commercial dans leur législation. AuxEtats-Unis, Barack Obama s’est même déclaré en

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faveur d’une adoption « sole executive agreement »,c’est-à-dire ne requérant pas l’aval du Congrèsaméricain, ce qui serait, dans le domaine ducommerce international et de la propriété intellec-tuelle, une première dans l’exercice du pouvoir parun président américain.

Depuis l’invention du concept de copyright, il y a300 ans, et de droit d’auteur il y a un peu plus de200 ans, une longue tradition de traités internatio-naux et législations nationales dans les paysdéveloppés tend à allonger la durée de leurs droitspatrimoniaux, passée de 14 ans renouvelable unefois au XVIIIe siècle, à 70 ans après la mort del’auteur aujourd’hui, que ce soit en France ou auxEtats-Unis. Cette extension progressive du monopoled’exploitation accordée aux œuvres de l’espritfragilise l’équilibre entre les droits des créateurs àbénéficier des fruits de leur travail et ceux de lasociété à exploiter des œuvres disponibles dans ledomaine public. Les enjeux de la diffusion dusavoir et de la connaissance entre les hommespeuvent être résumés par la célèbre formule deNewton : « If I have seen further [than certain othermen] it is by standing upon the shoulders ofgiants » (Si j'ai pu voir plus loin [que d'autreshommes], c'est en me tenant sur les épaules degéants). D’un autre côté, la plupart des paysindustrialisés sont convaincus que la propriétéintellectuelle est « le pétrole du XXIe siècle » pourreprendre une expression de Florent Latrive. Selonl'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle(OMPI), le nombre de demandes internationales debrevets émanant du Japon, de la République deCorée et de la Chine a augmenté respectivement de162 %, 200 % et 212 % en 2008, même si lesEtats-Unis restent leader en la matière. Toujoursselon l’OMPI, le nombre de demandes de brevets aaugmenté de 100 % entre 1985 et 2007, passantde 900 000 à 1,8 million.

Mais si les droits patrimoniaux définissent a contra-rio l’instauration d’un domaine public, le droit morals’est largement inspiré des théories générales de lapropriété des biens matériels. Or la numérisation desdonnées, induite par le développement de l’infor-matique à partir des années 1950 et la démocrati-sation d’un réseau décentralisé et universel dans lesannées 2000, permettant de les faire circulermondialement, remet profondément en causel’applicabilité et le respect de ces droits de propriétéintellectuelle lorsqu’ils visent les droits d’auteur en

particulier et les biens immatériels en général.L’approche juridique consistant à assimiler le régimede la propriété littéraire et artistique à celui de lapropriété industrielle en filtrant tous les flux circulantsur le réseau Internet, en transformant les presta-taires en douaniers du Net, semble être une réponseen décalage avec les enjeux actuels du libre accès,du partage et de la circulation de la connaissance etdes savoirs. Si la neutralité du Net ne peut pas êtrel'alibi de l'illégalité, sa mise à mal ne peut pas nonplus être celui d’un filtrage généralisé. Il s’agit detrouver un équilibre entre une logique de marché,attachée à la circulation de supports physiques etune logique de libre circulation des contenusdorénavant détachés de ces mêmes supports, sanspour autant faire passer la propriété intellectuelleau-dessus des libertés publiques. Alors qu’unnouvel accord secret concernant des négociationsbilatérales engagées par la Commission européenneavec l’Inde vient d’être divulgué en mai 2010,reprenant de nombreuses dispositions de l’ACTA etdes lois françaises HADOPI et DADVSI, il semble quecet équilibre soit encore loin d’être trouvé.

J-A FS

Sources :- « Anti-Counterfeiting Trade Agreement, Consolidated Text Prepared for

Public Release » , april 2010, http://bit.ly/daurvD.

- « Anti-Counterfeiting Trade Agreement, Consolidated text – reflects US-

Japan proposal and all comments/edits received » – Confidential-,

http://bit.ly/b0qK4c.

- « Des brevets aux droits d’auteur, traité secret sur l’immatériel »

Florent Latrive, Le Monde Diplomatique, 2 mars 2010.- « Anti-counterfeiting agreement raises constitutional concerns »,

Jack Goldsmith and Lawrence Lessig, The Washington Post, march 26,2010.

- « La Commission prépare un ACTA bilatéral entre l’Europe et l’Inde »,

Marc Rees, PC Impact, 19 mai 2010.

- « Preliminary Consultation Draft on Intellectual Property Rights

Chapter of India-EU Broad-based Trade and Investment Agreement »,

http://bit.ly/d7vfpn.

France : lutte contre le téléchargementillégal et protection des donnéespersonnelles

Impliquant le relevé et l’exploitation d’informationsrelatives à l’activité des internautes fautifs ou seule-ment négligents, la lutte contre le téléchargementillégal doit cependant se faire dans le respect de leurvie privée et, notamment des dispositions relativesaux données à caractère personnel. La protectiondes droits des uns ne saurait justifier que desatteintes soient portées à ceux des autres.

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Droit

En Europe

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Le cadre général est fixé par la loi n° 78-17 du6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichierset aux libertés et par différents textes d’application,notamment le décret n° 2010-236 du 5 mars 2010relatif au traitement automatisé de données àcaractère personnel autorisé par l’article L. 331-29du code de la propriété intellectuelle, dénommé« Système de gestion des mesures pour la protectiondes oeuvres sur Internet », dont l’exploitation estconfiée à la Commission de protection des droits dela Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et laprotection des droits sur Internet (Hadopi).Le mécanisme de surveillance et de contrôle sefaisant, dans un système de « riposte graduée », enplusieurs étapes et sous la responsabilité dediverses institutions privées et publiques, il convientde considérer, tout d’abord, les droits et obligationsdes sociétés de gestion collective notamment, puisde la Commission de protection des droits, appeléeelle-même, en cas de nécessité, à saisir l’autoritéjudiciaire.

Sociétés de gestion collective

En matière de collecte et d’exploitation de donnéesà caractère personnel, les pouvoirs des sociétés degestion collective des droits d’auteur sont fixés parles textes législatifs, ayant donné lieu à une réserved’interprétation du Conseil constitutionnel, et exer-cés sous le contrôle de la Commission nationale del’informatique et des libertés (Cnil), dont lesdécisions sont elles-mêmes soumises au contrôledu juge administratif.

Modifié et complété par la loi du 6 août 2004,l’article 9 de la loi du 6 janvier 1978 accorde, parrenvoi au code de la propriété intellectuelle (CPI),notamment aux sociétés de gestion collective,dites également de perception et de répartition desdroits, et aux organismes de défense professionnelledes auteurs, la possibilité de mettre en œuvre des« traitements de données à caractère personnelrelatives aux infractions » de contrefaçon que consti-tue notamment le téléchargement illégal.Dans sa décision du 29 juillet 2004, préalable à lapromulgation de la loi modificatrice, le Conseilconstitutionnel a posé comme condition que « lesdonnées ainsi recueillies ne pourront […] acquérirun caractère nominatif que dans le cadre d’uneprocédure judiciaire ». Il ne précise pas si celle-cipeut être civile ou si elle doit être pénale.Dans une note explicative d’octobre 2004, la Cnil

précisait qu’est ainsi donnée aux organismes dedéfense des intérêts des auteurs, la possibilité derecourir à des « traitements ayant pour finalité laconstatation des infractions », visant « à recenserles actes de contrefaçon sur Internet et à engagerdes poursuites » et à « réunir les preuves néces-saires à l’engagement des poursuites pénales ouciviles ».En octobre 2005, la Cnil avait pourtant refusé auxsociétés d’auteurs la possibilité de « mettre en œuvredes dispositifs permettant la détection automatiséedes infractions au code de la propriété intellectuelleet l’envoi de messages de sensibilisation auxinternautes ». A la suite d’un arrêt du Conseil d’Etatdu 23 mai 2007, annulant ces décisions, elleleur accordait, en novembre de la même année,l’autorisation de « mettre en œuvre les traitementsayant pour objet la recherche d’infractions aux droitsd’auteur sur les réseaux peer to peer », mais nonl’envoi de messages pédagogiques.

Ayant eu à statuer sur ces questions à propos d’unesociété de gestion collective espagnole, la Cour dejustice des Communautés européennes (CJCE), sefondant sur une directive du 12 juillet 2002concernant le traitement des données à caractèrepersonnel et la protection de la vie privée, considèreque le texte autorise les autorités nationales àprendre des mesures d’exception à la confidentialitédes données personnelles, lorsque cela est« nécessaire notamment pour la protection desdroits et libertés d’autrui », catégorie à laquellepeuvent être rattachés les droits de propriétéintellectuelle, y compris « dans le cadre d’uneprocédure civile » (CJCE, 29 janvier 2008,Promusicae).

Les observations et relevés informatiques ainsieffectués par ces organismes servent, en applica-tion de l’article L. 331-24 CPI (introduit par la loi du12 juin 2009, dite Hadopi), à la saisine de laCommission de protection des droits de la Hadopidont les pouvoirs en la matière sont égalementencadrés.

Commission de protection des droits

La gestion, par la Commission de protection desdroits de la Hadopi, de ces données à caractèrepersonnel fait l’objet de dispositions législatives etréglementaires.Introduit par la loi du 28 octobre 2009 (dite

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Hadopi 2), l’article L. 331-29 CPI autorise « lacréation, par la Haute Autorité, d’un traitement auto-matisé de données à caractère personnel portant surles personnes faisant l’objet d’une procédure » dansle cadre de la lutte contre le téléchargement illégal.Il y est prévu qu’un décret, « pris après avis » de laCnil, en « fixe les modalités d’application » et qu’il« précise notamment : les catégories de donnéesenregistrées et leur durée de conservation ; lesdestinataires habilités à recevoir communication deces données, notamment les personnes dontl’activité est d’offrir un accès à des services decommunication au public en ligne ; les conditionsdans lesquelles les personnes intéressées peuventexercer, auprès de la Haute Autorité, leur droitd’accès aux données les concernant, conformémentà la loi » du 6 janvier 1978.

Le décret du 5 mars 2010 constitue le décretattendu. Il crée le traitement dénommé « Système degestion des mesures pour la protection des œuvressur Internet ». Il détermine « les données à caractèrepersonnel et informations enregistrées », dans ledittraitement, concernant les titulaires d’accès ayantservi à de telles pratiques de téléchargement illégal :« date et heure des faits ; adresse IP des abonnésconcernés ; protocole pair à pair utilisé ; pseudo-nyme utilisé par l’abonné ; informations relativesaux œuvres ou objets protégés concernés par lesfaits ; nom du fichier tel que présent dans le poste del’abonné (le cas échéant) ; fournisseur d’accès àInternet auprès duquel l’accès a été souscrit ».

Par l’article 3 du décret, il est posé que les donnéesà caractère personnel « sont effacées : deux moisaprès la date de réception par la Commission deprotection des droits », dans le cas où il n’estpas donné suite par l’envoi, à l’internaute, de lapremière « recommandation » prévue par l’articleL. 331-25 CPI ; « quatorze mois après l’envoi d’unerecommandation » si, dans ce délai, une nouvelle« recommandation » n’a pas été adressée àl’abonné ; « vingt mois après la date de présentationde la lettre », en cas de renouvellement des faitsdans un délai de six mois à compter de l’envoi dela première recommandation.Le même décret fixe enfin les conditions de consul-tation du traitement et des droits d’accès et derectification prévus par la loi du 6 janvier 1978, enfaveur des personnes concernées.

Ce décret a fait l’objet, le 7 mai 2010, d’un recours

de la part d’un fournisseur d’accès qui en contestaitla régularité parce que l’adoption du texte n’avait pasété précédée d’un avis de l’Autorité de régulation descommunications électroniques et des postes(Arcep). Cet avis n’est pourtant pas exigé parl’article L. 331-29 CPI, qui prévoit seulement celuide la Cnil. Le délai de recours étant de deux mois àcompter de la date de la publication du textecontesté, le recours a été déposé juste à temps,le décret ayant été publié au Journal officiel du7 mars 2010. Il est à noter qu’un tel recours n’a pasd’effet suspensif, ce qui ne retarde donc pas lavéritable entrée en fonction de la Hadopi et l’envoi,par celle-ci, des premières « recommandations »devant servir à la lutte contre le téléchargementillégal.

ED

Source :- Lutte contre le téléchargement illégal, Emmanuel Derieux, Agnès

Granchet, Lamy, 2010, 266 p.

Italie : Google condamné pour violationde la vie privée

Filmée en septembre 2006, une vidéo d’élèvesmaltraitant un de leurs camarades trisomique avaitété mise en ligne sur Google Video et s’était classéeparmi les plus populaires d’Italie. Après que lapolice l’eut signalé à Google, la vidéo a été retirée.L’association Vivi Down, représentant les famillesd’enfants trisomiques, avait alors porté plainte contreGoogle. Le tribunal de Milan s’est prononcé le4 février 2010 et, à la surprise générale, a reconnuGoogle coupable et condamna trois de ses diri-geants d’alors à six mois de prison avec sursis, dontDavid Drummond, actuel vice-président du groupe.Le tribunal a reconnu « la violation de vie privée »,arguant que la vidéo, parmi les plus populairespendant deux mois, devait être connue de Googlequi a revendiqué son statut d’hébergeur, statut qui nelui permet pas a priori de savoir ce que lesinternautes postent sur ses sites, mais qui l’oblige,en cas de signalement, à retirer promptement toutevidéo enfreignant la loi. Le tribunal de Milann’a donc pas totalement remis en question la juris-prudence européenne sur le statut d’hébergeur,considérant que la notoriété de la vidéo avait dû lafaire connaître aux responsables de Google. Resteque la décision est « stupéfiante » selon Google, et

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Droit

En Europe

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qu’elle renforce l’incertitude réglementaire sur lessites d’échange de vidéos en Italie, dont le décretdu 1er mars 2010 laisse à penser qu’ils devrontégalement se déclarer auprès de l’autorité italiennedes communications (voir infra).

AJ

Sources :- « L’Italie condamne trois dirigeants de Google », Benjamin Ferran,

Le Figaro, 24 février 2010.- « Google, roi du Web, fait l’objet d’une série d’attaques sur ses

pratiques concurrentielles », C.Du. et L.Gi, Le Monde, 26 février 2010.

Vidéo sur Internet en Italie : l’autoritéitalienne des communications délivrerades autorisations

Fortement critiqué par l’opposition, le projet dugouvernement italien d’aligner la réglementationrelative à la retransmission d’images sur Internet surcelle en vigueur pour la télévision (voir le n°13de La revue européenne des médias, hiver 2009-2010) a fait l’objet de corrections significatives. Le26 janvier 2010, l’autorité italienne des communi-cations, l’Agcom (Autorità per le Garanzie nelleComunicazioni), par la voix de son présidentCorrado Calabro, a critiqué le projet de décret,insistant sur le fait que certains aspects ne sont pascohérents avec la directive de 2007 (directive2007/65/CE du Parlement européen et du Conseildu 11 décembre 2007) sur les Services de médiasaudiovisuels à la demande (SMAD) qu’il transpose.

La directive SMAD détaille les autorisations et lesobligations relatives aux services non-linéaires,c’est-à-dire les services de vidéo à la demande surInternet, tout en excluant de ce dispositif les servicescommunautaires. Or le projet de décret Romani, dunom du ministre délégué aux communications,appliquait l’autorisation préalable à l’ensemble dessites proposant de la vidéo, et non aux seulsservices de vidéo à la demande, dès lors que cessites ont une vocation commerciale et qu’ils sontsusceptibles, par leur nature, de concurrencer latélévision. Faisant suite aux remarques de l’Agcom,la Chambre des députés a donc apporté des modi-fications au texte dans un premier temps validé encommission par le Sénat italien. Désormais, lesseuls sites concernés par l’autorisation préalableseront ceux proposant de la vidéo à la demande etles télévisions sur Internet, ce qui exclut du champde l’autorisation préalable les journaux en ligne

proposant de la vidéo, les moteurs de recherche etles blogs. En adoptant le 1er mars 2010 le nouveaudécret, le gouvernement italien a par ailleurs chargél’Agcom de délivrer les autorisations, une missionqui devait initialement relever d’une autorisationministérielle. Le processus a également été simplifié,une simple déclaration d’activité auprès de l’Agcom,sans évaluation préliminaire des contenus diffusés,devant automatiquement conduire à la délivrance del’autorisation. En revanche, la question reste desavoir si les sites d’échange de vidéos commeYouTube, qui revendiquent leur statut d’hébergeur,seront considérés in fine comme des sites de vidéoà la demande ou comme de simples prestataires deservices.Le décret du 1er mars 2010 entérine également lamodification des règles de publicité pour les chaînespayantes, pour lesquelles le plafond horaire depublicité autorisée passera de 16 % actuellement à12 % en 2012.

AJ

Sources :- Camera dei deputati, Décret n° 169, « Schema di decreto legislativo

recante attuazione della direttiva 2007/65/CE del Parlamento europeo

e del Consiglio, dell’11 dicembre 2007, che modifica la direttiva

89/552/CEE del Consiglio relativa al coordinamento di determinate

disposizioni legislative, regolamentari e amministrative degli Stati

membri concernenti l’esercizio delle attività televisive ».

- « L’Italie veut contrôler les vidéos du Net », Camille Guévaudan,

ecrans.fr, 19 janvier 2010.

- « Internet : la France plus risible que l’Italie (pour une fois) »,

Guisippe di Martino, slate.fr, 31 janvier 2010.

- « Vidéos sur Internet : le gouvernement Berlusconi recule », Guillaume

Delacroix, Les Echos, 8 février 2010.- « Italie : un décret réduit le volume de publicité autorisé sur les chaînes

payantes », La Correspondance de la Presse, 2 mars 2010.

Google face à la justice

Si Google fait l’objet de nombreuses plaintes de lapart de ses concurrents, il semble nécessaire dedistinguer celles qui relèvent du droit de la concur-rence et de l’importance prise par le moteur derecherche dans la publicité en ligne d’une part, etcelles qui sont liées à un besoin de réglementationsur des services nouveaux et innovants où Googlese positionne d’autre part.

Google, numéro un mondial de la recherche en ligneet premier acteur de la publicité sur Internet, suscitede plus en plus d’inquiétude chez ses concurrents,ses clients et les pouvoirs publics. Les procès se

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multiplient non seulement, parce que Google a sus’imposer comme un acteur incontournable surInternet, mais également parce que le groupe estparmi les plus innovants. En défrichant le Web, ilpropose des services et offre des possibilités que ledroit doit a posteriori venir encadrer. Aussi faut-ildistinguer entre deux sortes de procès dont Googlefait aujourd’hui l’objet.

Parmi les procès liés au développement denouveaux services que la justice veut encadrer, onpeut citer l’affaire italienne (voir supra) concernant laprotection de la vie privée sur les sites d’échangede vidéos, même si la jurisprudence en Europelaissait jusqu’ici penser que le problème était réglé,l’hébergeur de contenus n’étant pas responsable desactes des utilisateurs de son service. Dans le mêmeordre d’idée, le jugement rendu le 23 mars 2010par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)dans le conflit opposant Google à LVMH sur le droitdes marques constitue là encore une jurisprudencepour un problème nouveau né avec le développe-ment des liens sponsorisés. La plainte remonte à2003 : le succès de l’achat de mots clés sur Goo-gle, avec le système AdWords, a conduit certainsannonceurs à acheter comme mots clés des nomsde marque, dont celles de LVMH (Louis Vuitton), soitpour profiter de l’aura de la marque et attirer versleur site un plus grand nombre d’internautes, soitpour proposer des contrefaçons. L’arrêt de la CJUEdédouane Google de la responsabilité de lacommercialisation des mots clés pour les noms demarque, seuls les annonceurs étant responsableslors de l’achat en fonction de l’activité qu’ils propo-sent : acheter un mot clé d’une marque de voiturepour faire la promotion d’un magazine sur l’auto-mobile ne doit pas poser problème, acheter le motclé Louis Vuitton pour proposer des contrefaçons demarque est désormais condamnable, en plus de laseule contrefaçon. Les entreprises, dont les marquesseront détournées, devront passer par un simpleréféré pour faire condamner l’annonceur malveillant.Google ne pourra être condamné que s’il joue un« rôle actif » auprès des annonceurs ou ne retire pasles liens sponsorisés renvoyant vers des sites auxactivités illicites quand il en a connaissance. PourGoogle, ce jugement de la Cour européenne validela légalité d’AdWords, sa plate-forme de liens spon-sorisés qui compte à elle seule pour deux tiers deses revenus en 2009 (17,6 milliards de dollars dechiffre d’affaires sur un total de 23,6 milliards).Les menaces contre Google Street View en Suisse

ou en Allemagne relèvent elles aussi de l’opportu-nité d’une jurisprudence sur un nouveau service.Street View est un service de navigation en ligneà travers les rues des villes, réalisé à partir dephotographies des rues prises par des Google Cars.Afin de protéger la vie privée et le droit à l’image, levisage des personnes et les plaques d’immatricula-tion sont floutés, mais l’extérieur des habitations estvisible. Ce floutage est demandé systématiquementpar les organismes de protection de la vie privée lorsdu lancement dans un pays de Street View, commece fut le cas, à la demande de la Cnil pour lelancement du service en France, en 2008.Pourtant, les logiciels de reconnaissance desvisages et des plaques minéralogiques ont parfoisdes limites et certains visages apparaissent dansla rue, certaines personnes derrière leur fenêtre ;certaines maisons sont à ce point identifiables qu’ilest facile pour un cambrioleur d’en connaître toutesles issues et toutes les failles. En Suisse, ce sont lesfailles du logiciel de floutage qui ont été dénoncéeset, en août 2009, Hanspeter Thü, préposé fédéral àla protection des données personnelles, demandaità Google de stopper le développement de StreetView. En Allemagne, alors que Google s’apprête à ylancer Street View, les défenseurs de la vie privée ontobtenu de Google, le 23 février 2010, que toutepersonne désirant faire supprimer la photographiede sa maison puisse obtenir satisfaction.Enfin, le 11 février 2010, le Groupe article 29(G29), lequel fédère les instances nationales deprotection des données, à l’instar de la Cnil enFrance, a envoyé un courrier à Google concernantson service Street View pour lui demander desupprimer, après six mois de conservation, lesphotos prises par les Google Cars, photographiesque Google conserve un an pour corriger si besoindes erreurs de floutage. A cette demande concernantla durée de conservation des données personnelles,les visages des personnes étant reconnaissables surles photographies avant floutage, s’ajoute unedemande d’information préalable de la part deGoogle sur les zones qu’il compte photographier.Enfin, cette information préalable est complétée parla demande de répondre systématiquement auxinterrogations des personnes résidant dans deszones couvertes par Street View, avec la possibilité,pour celles-ci, d’exiger la suppression des photosoù elles apparaissent.

Hormis les nouveaux services que la réglementationviendra encadrer a posteriori, la position de Google

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Droit

En Europe

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dans la recherche en ligne et sur le marché publici-taire Internet soulève en même temps des questionsplus classiques de concurrence. Avec plus de 90 %des recherches effectuées sur Google en France, enAllemagne et en Italie, le moteur de recherchedomine en Europe et s’est imposé partout comme leleader du marché publicitaire sur Internet grâce auxliens sponsorisés qu’il commercialise. Autant direqu’une enquête sur les pratiques de référencementdu moteur de recherche et les conditions decommercialisation des liens sponsorisées menace-rait directement le cœur de l’activité de Google. C’estce qui pourrait advenir si la Commission européennedonnait suite aux trois plaintes reçues de Ciao, uncomparateur de prix racheté en 2008 par Microsoftqui lui reproche ses conditions contractuelles pour lapublicité en ligne, du moteur de recherche spécialiséejustice.fr, installé en France, et du comparateur deprix britannique Foundem, ces deux derniersplaignants dénonçant les conditions de référence-ment de leur site dans les résultats du moteur derecherche Google. A ce jour, la Commission euro-péenne a seulement transmis, le 24 février 2010,une demande d’explications à Google.

Sur le plan national en revanche, Google pourraitfaire face plus rapidement à la justice : le 18 février2010, Christine Lagarde, ministre français del’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, a saisil’Autorité de la concurrence pour « expertiser lefonctionnement de la concurrence dans le secteurde la publicité sur Internet ». Cette demanded’expertise concerne au premier chef Google,principal acteur français du marché des lienssponsorisés, le rapport Zelnik rendu le 6 janvier2010 considérant que « Google serait en mesure dese comporter de façon indépendante des autresacteurs », signe d’une éventuelle position dominantesur le marché. En Allemagne, Ciao, mais égalementl’éditeur de cartes en ligne Euro Cities, le BDZV et leVDZ, les deux instances représentant la pressequotidienne et la presse magazine, ont saisi l’auto-rité de concurrence, le Bundeskartellamt. Ciaoreproche à Google ses conditions contractuellesdans la publicité en ligne, la plainte allemande ayantprécédé la plainte européenne et ayant conduit àl’ouverture d’une enquête par le Bundeskartellamt.Euro Cities reproche à Google Maps, le service decartographie de Google, de détruire le marchépayant des cartes en ligne, Google Maps étantaccessible gratuitement. Quant aux éditeurs depresse allemands, ils reprochent à Google les

modalités de référencement des articles dansGoogle News, service déjà visé en Italie à la suited’une plainte de la Fédération italienne des éditeursde journaux (Fieg) (voir le n°12 de La revue euro-péenne des médias, automne 2009). Enfin, auxEtats-Unis, l’absence de verdict concernant l’accordentre les éditeurs et Google Books (voir infra)comme les demandes d’information concernant lerachat de la régie mobile AdMob par Google(voir infra) risquent là encore de conduire à desprocédures longues pour le géant américain del’Internet.

AJ

Sources :- Rapport « Création et Internet », remis le 6 janvier 2010 au ministre

de la Culture et de la communication, Mission confiée à MM. Patrick

Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti.

- « Les griefs contre Google », Jamal Henni, La Tribune, 14 janvier

2010.

- « Google Street View lancé prochainement en Allemagne avec des

garde-fous », AFP, 23 février 2010.

- « Les pratiques de Google dans le collimateur de Bruxelles », AFP,

24 février 2010.

- « La Commission européenne va devoir se pencher sur la position

dominante de Google », Anne Feitz et Nathalie Silbert, Les Echos,25 février 2010.

- « Google : des pays européens engagent aussi des poursuites »,

Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 25 février 2010.- « Nouvelles critiques en Europe contre le logiciel Street View de

Google », AFP, 26 février 2010.

- « Les Cnil européennes critiquent Google Street View », Arnaud

Devillard, 01net.com, 1er mars 2010.

- « LVMH contre Google : le droit des marques clarifié sur Internet »,

D. Ch. Et N. Ra., Les Echos, 24 mars 2010.- « Google épargné par la justice européenne sur le droit des

marques », Sandrine Cassini, La Tribune, 24 mars 2010.- « Contrefaçon sur Internet : la justice européenne tranche en faveur de

Google », Cécile Ducourtieux et Nicole Vulser, Le Monde,25 mars 2010.

15

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1980, mais il n’a jamais été automatisé et son prixde revient est élevé (100 euros l’unité). PourJean-Charles Hourcade, l’un des auteurs de l’étude,« il n’existe pas de modèle économique pour conce-voir des supports fiables », les consommateursn’ayant pas encore pris conscience de la gravitédu problème de la conservation des donnéesnumériques. En 2009, dix milliards de DONE, dontla gravure se dégrade inéluctablement, même s’ilsne sont pas lus, ont été vendus dans le monde.

A l’heure où nous numérisons tout ce qui peut l’être,les documents personnels comme les documentsprofessionnels, à l’heure où les grands acteurs duNet se posent en archivistes universels, garants dela conservation du patrimoine de l’humanité, ledanger est grand de voir tout disparaître. Fortheureusement, les grandes institutions, à l’instar dela Bibliothèque nationale de France (BnF), ontadopté des « stratégies actives » en la matière. Ainsiconfient-elles à des entreprises extérieures le soind’effectuer régulièrement une nouvelle copie desdonnées (process de copie) ou d’assurer leurtransfert sur un autre support (migration perpétuelle).D’autres préfèrent continuer à faire confiance à lacopie analogique dont elles maîtrisent mieux leprocédé sur la durée, comme c’est encore le casbien souvent pour les œuvres cinématographiques.

En revanche, le danger de disparition des donnéesnumériques stockées est bien réel pour nombred’entreprises et d’institutions collectrices d’informa-tions comptables, médicales, scientifiques,administratives, techniques… ainsi que pour legrand public non informé du risque.Un seul remède existe aujourd’hui : le suivi constantdes données avec leur migration perpétuelle sur denouveaux supports, mais dont l’inconvénient majeurest un coût d’organisation important. Selon lesauteurs de l’étude, il en coûterait entre 2 et20 milliards d’euros, soit 100 à 1 000 euros par anet par foyer, pour assurer la sauvegarde durant25 à 50 ans des archives personnelles des25 millions de foyers français, soit 100 gigaoctets à1 téraoctet chacun.

Le rapport conclut par quatre recommandations,afin de sauvegarder les données numérisées :

- « Débloquer les études sur le sujet. Engagerrapidement une étude réellement scientifique desphénomènes de vieillissement des supports,

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Techniq

ues

En Europe

�TechniquesLa copie numérique a une espérance devie limitée

Nos données numériques sont programmées pourdisparaître. Une étude publiée par l’Académie dessciences et l’Académie des technologies en mars2010 confirme ce que nous redoutons le plus :l’enregistrement de nos données, textes, photos,vidéos, est périssable.

Si la numérisation des contenus en facilite laproduction, la diffusion et le stockage, elle n’enassure pas pour autant la conservation. Le stockagenumérique nous fait chaque jour gagner du temps(et de la place), mais il risque de nous en faireperdre à l’avenir. Stockage n’est pas synonymed’archivage. L’espérance de vie des supportsnumériques est courte, de 5 à 10 ans. Pour preuve,les copies de CD enregistrées il y a seulementquelques années sont déjà devenues inaudiblesaujourd’hui. Disque dur, CD ou DVD : pas un seulsupport n’est plus fiable que l’autre et pire encore,deux produits identiques d’un même fabriquantn’offrent pas la même garantie de longévité : l’unconserve une mémoire intacte pendant dix ans alorsque l’autre est abîmé au bout d’une annéeseulement.

Intitulée « Longévité de l’information numérique. Lesdonnées que nous voulons garder vont-elless’effacer ? », une étude menée par un groupe detravail commun à l’Académie des sciences et àl’Académie des technologies nous alerte sur lapossibilité d’un disk crash à grande échelle et donnequelques pistes pour parer au plus pressé.Selon les auteurs, seul le prix du support peut fairela différence. Les matériels plus chers se révèlent engénéral de meilleure qualité. D’usage courant, lesdisques optiques numériques enregistrables, lesDONE, c’est-à-dire les CD-R (ou RW), les DVD-R(ou RW) et les Blu-ray (jugés encore moins perfor-mants que les formats antérieurs), pourraientapporter une solution grâce à l’emploi de nouveauxmatériaux, à l’instar du Century Disc, en verretrempé, utilisant le procédé de lithogravure. Ceprocédé a été inventé en France dans les années

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notamment des supports optiques, visant à dégagerdes recommandations fiables en matière destandardisation de formats de supports d’archivagelongue durée. […] Lancer rapidement un appel àprojets ambitieux visant à remplacer la technologied’enregistrement optique actuelle (CDR et DVDR),basée pour le moment sur des processus physico-chimiques complexes et mal contrôlés, par destechnologies plus robustes et prévisibles.

- Eviter la perte des compétences dans le privé etle public. […] Prendre les mesures urgentes néces-saires à la préservation des compétences clés, avantqu’elles n’aient complètement disparu de l’Europe.Des actions conservatoires seront certainementnécessaires avant la fin de l’année 2010, comptetenu des menaces pesant sur les dernières équipesde R&D industrielle qui sont compétentes dans ledomaine.

- Favoriser l’innovation et l’apparition d’une offreindustrielle de qualité. […] Soutenir vigoureuse-ment les quelques entreprises qui ont déjà effectuédes avancées vers la réalisation de disques optiquesnumériques enregistrables de très bonne longévité.

- Elaborer une véritable politique d’archivagenumérique. S’assurer au sein de chaque ministèreque les données numériques importantes […] sontbien l’objet du suivi indispensable à leur survie. Eva-luer l’intérêt d’une mutualisation des moyens, dansla perspective d’une stratégie active à l’échelonnational, ou de la création d’un centre de conserva-tion des données numériques à long terme équipéde robots permettant le suivi nécessaire à grandeéchelle…».

Les auteurs en appellent aux financements publics,notamment de la France, de l’Allemagne et desPays-Bas en tant que principaux pays concernés parla localisation de compétences clés, ainsi que del’Union européenne.

En attendant que la technique ne triomphe d’elle-même, les auteurs de l’étude conseillent demultiplier les sauvegardes grâce, au moins, à deuxdisques optiques et un disque dur magnétique, sansoublier de recommencer la procédure tous lesquatre ans sur un support neuf. Pour ceux quis’inquiètent de la non-existence d’un droit à l’oublisur Internet, il semble que cela puisse finalement sefaire à très court terme. L’éternité, dans le monde

numérique, n’existe pas : en l’occurrence, elle estun mythe.

FL

Sources :- « Longévité de l'information numérique - Les données que nous

voulons garder vont-elles s'effacer ? », rapport d'un groupe de travail

commun Académie des sciences et Académies des technologies,

Jean-Charles Hourcade, Franck Laloë, Erich Spitz, Editions EDP

Sciences, mars 2010, academie-sciences.fr.

- « Les données numériques à l’épreuve du temps », Laurent Checola,

lemonde.fr, 30 mars 2010.

- « Vous pouvez perdre vos données stockées sur disque dur et DVD »,

lexpress.fr, 30 mars 2010.

VIP pour les VIP

Le Video in Print pour Very Important Person : finmars 2010, l’hebdomadaire italien Panorama éditépar le groupe Mondadori et, début avril 2010, lemensuel français Enjeux-Les Echos, du groupe LesEchos, ont offert à leurs lecteurs la primeur d’unenouvelle forme de publicité, inédite en Europe,alliant vidéo et presse papier, baptisée Video in Print.Seuls 10 000 exemplaires étaient concernés pourchacun des deux magazines, le groupe Les Echosen ayant réservé l’exclusivité à 8 300 abonnéschoisis, plus 1 000 exemplaires seulementdistribués en kiosque.

Un petit écran à cristaux liquides (LCD) de2,4 pouces (une diagonale de 6 cm) et épais de3 millimètres, encarté dans un livret, a été insérédans ces magazines afin de permettre la diffusionde spots TV et autres films publicitaires. Doté d’unemémoire de 512 Mo, le mini-écran permet destocker 45 minutes de vidéo. Avec près de deuxheures d’autonomie au maximum, il peut êtrerechargé grâce à un câble USB, pouvant égalementservir à télécharger de nouveaux contenus.Le constructeur automobile Citroën est le premierannonceur à avoir expérimenté ce nouveau support.En France, l’opération a été menée par la régiepublicitaire Les Echos Media, pour la campagnepublicitaire de la DS3, réalisée par l’agence H, filialedu groupe Havas.

La technique de Video in Print a été inventée par unestart-up californienne, Americhip. Elle a été lancéepour la première fois au monde en septembre 2009dans l’hebdomadaire américain EntertainmentWeekly et offrait quarante minutes de bandes-

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annonces pour les séries télévisées de la chaîneaméricaine CBS associée à la marque Pepsi.

Comme une carte musicale, le visionnage de lavidéo se déclenche à l’ouverture du livret. Sur le petitécran couleur, identique à celui d’un appareil photonumérique, défile en l’occurence l’une des cinqvidéos Citroën proposées, celles-ci pouvant êtresélectionnées grâce aux touches placées sousl’écran. Les encarts vidéo comme les livrets ont étéfabriqués par Americhip en Chine et ils furent livréspar avion.Avec une distribution confidentielle - seulement10 % de la diffusion du mensuel Enjeux-Les Echos- il s’agissait de toucher les leaders d’opinion.« Cette opération s’inscrit dans notre stratégie géné-rale d’innovation, y compris publicitaire, et corres-pond parfaitement au positionnement "antirétro " denotre campagne pour la DS3 », explique PhilippeBoutron, responsable médias France de Citroën,dont le nouveau slogan est « Créative Technologie »et qui ajoute : « Mais nous ne l’aurions pas fait sinous n’avions pas été les premiers ».

Les nouvelles technologies sont-elles l’avenirpublicitaire de la presse imprimée ? Pour fêter son50e anniversaire, l’hebdomadaire Télé 7 Jours aoffert à ses lecteurs une couverture en réalitéaugmentée (voir le n°10-11 de La revue européennedes médias, printemps-été 2009).

FL

Sources :- « "Video In Print" s’étrenne en Italie avant de débarquer en France »,

David Medioni, cbnews.fr, 26 mars 2010.

- « Panorama/Italie », La Correspondance de la Presse, 26 mars 2010.- « Les spots de pub vidéo s’invitent dans les magazines », Benoît

Georges et Véronique Richebois, Les Echos, 1er avril 2010.

�EconomieLe fonds Providence introduit en BourseKabel Deutschland

En choisissant d’introduire en Bourse KabelDeutschland, le n°1 allemand du câble, le fondsProvidence a été à l’origine de la premièreintroduction boursière en Allemagne depuis ledéclenchement de la crise économique fin 2008.

Après la reprise d’Unity Media par Liberty Media(voir le n°13 de La revue européenne des médias,hiver 2009-2010), Kabel Deutschland, le numéro 1allemand du câble, aurait pu changer de main si lefonds Providence Equity Partners, qui détient88 % de son capital, avait accepté de revendre saparticipation à d’autres fonds pour une opérationen LBO (Leverage Buy Out). Malgré les offresintéressantes de rachat, jusqu’à 5,5 milliardsd’euros selon la presse, les différentes offres desfonds d’investissements BC Partners et CVC CapitalPartners, mais également Carlyle Group, Advent In-ternational ou Bain Capital n’auront pas été suffi-santes, comparées aux perspectives offertes par uneintroduction en Bourse de Kabel Deutschland. Finfévrier 2010, Providence annonçait ainsi opter pourl’introduction en Bourse d’une partie de sa partici-pation, soit 45 millions d’actions, c’est-à-dire 50 %du capital de l’entreprise.

Kabel Deutschland a été introduit en Bourse le19 mars 2010, avec la possibilité d’échanger lesactions dès le 22 mars. Le premier jour, l’actionKabel Deutschland s’est échangée à 22,5 euros enouverture de séance pour finir à 22,29 euros en finde journée, dans le bas d’une fourchette estiméeentre 21,50 et 25,50 euros lors de l’introduction.Ce prix valorise Kabel Deutschland à 2 milliardsd’euros, somme à laquelle s’ajoutent 3,1 milliardsd’euros de dettes, soit une valeur globale del’entreprise de 5,1 milliards d’euros. La valeur deKabel Deutschland s’est donc envolée depuis 2003,date à laquelle l’entreprise avait été rachetée àDeutsche Telekom pour 1,7 milliard d’euros par lesfonds Apax, Goldman Sachs et Providence, avantque Providence ne rachète leurs parts aux deuxautres fonds en 2006 pour 3,2 milliards d’euros.Avec cette opération, Providence a levé 760 millions

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Econom

ie

En Europe

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de ses résultats le 23 mars 2010, d’une perte de142 millions d’euros pour l’année 2009 contre unbénéfice de 82 millions d’euros net en 2008. Cettecontre-performance, attendue en 2009 du faitde l’effondrement du marché publicitaire sur les troispremiers trimestres, est toutefois à relativiser, legroupe ayant procédé à des dépréciations d’actifspour plus de 500 millions d’euros. Le chiffred’affaires du groupe s’élève en 2009 à15,36 milliards d’euros (-5,4 %) et son bénéficed’exploitation à 1,42 milliard d’euros (-9,6 %). Ceschiffres masquent des performances inégales selonles différentes activités du groupe. Ainsi, les dépré-ciations concernent les secteurs les plus en difficulté :Prinovis, la filiale imprimerie d’Arvato, ainsi queles activités audiovisuelles de RTL Group auRoyaume-Uni, et certaines activités de Gruner + Jahren Europe du Sud où le marché publicitaire a étéparticulièrement touché.

Source : Bertelsmann.

Alors que l’éditeur Random House a maintenu sonchiffre d’affaires, à 1,7 milliard d’euros, les autressecteurs s’inscrivent en repli. Arvato, la filiale deservices aux médias, est pénalisée par ses activitésd’imprimerie, mais réalise encore 4,8 milliardsd’euros de chiffre d’affaires (-3,3 %). Direct Group,la division club de livres, qui possède notammentFrance Loisirs dans l’Hexagone, affiche un chiffred’affaires en repli de 10,7 %, à 1,2 milliard d’euros,malgré des réductions d’effectifs qui n’ont pu

(in € millions)

RTL Group

Random House

Gruner + Jahr

Arvato

Direct Group

Total divisions

Corporate/consolidation

Total Group

2009 20082009 2008

5,41

1,723

2,508

4,826

1,246

15,713

-349

15,364

5,774

1,721

2,769

4,993

1,396

16,653

-404

16,249

793

137

203

345

28

1,506

-82

1,424

927

137

225

369

29

1,687

-112

1,575

d’euros en vendant 34,5 millions d’actionsKabel Deutschland, contre 45 millions d’actionsinitialement prévues. Providence reste le principalactionnaire de Kabel Deutschland avec près de50 % des parts, à côté de la direction (4 %) et d’unfonds de pension des enseignants d’Ontario (8 %).Kabel Deutschland compte à ce jour 8,9 millionsd’abonnés en Allemagne, répartis sur 13 Länder,pour un chiffre d’affaires de 1,11 milliard d’eurossur les neuf premiers mois de son exercice fiscal(avril–décembre 2009) et un bénéfice net de23 millions d’euros. Kabel Deutschland, comme lesautres câblo-opérateurs allemands, bénéficie dudéveloppement des offres triple play combinantaccès à Internet, téléphone et télévision enAllemagne, pays où les câblo-opérateurs sont trèscompétitifs par rapport à l’opérateur historique detélécommunications Deutsche Telekom. Par ailleurs,les réseaux des grands câblo-opérateurs allemandssont complémentaires sur le plan géographique etne se concurrencent pas directement. Enfin, à côtéde Kabel Deutschland, Unity Media (Hesse,Rhénanie du Nord), le numéro 2 du secteur, etKabel BW (Bade-Wurtemberg), le numéro 3,pourraient fusionner. John Malone, le nouveaupatron d’Unity Media, s’est en effet déclaré intéressépar le rachat de Kabel BW, actuellement détenu parle fonds suédois EQT.

AJ

Sources :- « Les enchères montent sur Kabel Deutschland », Jean-Philippe

Lacour, Les Echos, 11 février 2010.- « Kabel Deutschland, le numéro un du câble allemand, entre en

Bourse », La Correspondance de la Presse, 24 février 2010.- « Kabel Deutschland souhaite lever 700 millions d’euros grâce

à son introduction en bourse », La Correspondance de la Presse,9 mars 2010.

- « Le premier câblo-opérateur allemand entre en Bourse », Jamal

Henni, La Tribune, 23 mars 2010.

En perte en 2009, Bertelsmann résistegrâce à une politique de réduction descoûts

Le groupe allemand Bertelsmann affiche une perteen 2009 après plusieurs décennies de bénéfices,signe, malgré une politique active de réduction descoûts, de l’importance de la crise qui a frappé en2009 tous les secteurs des médias.

Bertelsmann, le géant allemand des médias et de lacommunication, a fait état, lors de la présentation

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Revenues Operating Ebit

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combler le manque à gagner dû au recul desabonnements.

RTL Group, premier groupe audiovisuel en Europe,a réussi en revanche à limiter à 6,3 % la chute deson chiffre d’affaires en 2009, à 5,4 milliardsd’euros, grâce à sa politique de réduction des coûts.Le résultat d’exploitation est en recul de 14,5 %(793 millions d’euros) mais, lié à des réductionsde coûts de 371 millions d’euros, il permettoutefois à RTL Group d’afficher un résultat net enprogression de 5,7 % à 205 millions d’euros. Enfin,selon les pays, les performances des filiales de RTLGroup sont contrastées. Au Royaume-Uni, la chaîneFive affiche un chiffre d’affaires en repli de 30 % liéà la chute du marché publicitaire, et un résultatd’exploitation négatif de 10 millions d’euros. EnFrance, M6 est parvenu, grâce à sa politique dediversification dans le e-commerce et au succès deW9, sa chaîne TNT, à faire progresser son chiffred’affaires de 1,7 % et à limiter à 2 % le recul de sonrésultat d’exploitation. Comme pour les autres filialesde RTL Group, cette performance a été obtenuenotamment par une réduction de 12,5 % du coûtde la grille des programmes de la chaîne M6. Enfin,les activités radio de RTL Group en France (RTL,RTL2 et Fun Radio) affichent un chiffre d’affaires enrepli de 7,9 % à 174 millions d’euros, performancesolide par rapport au marché de la radio en baissede 8,7 % en 2009. En Allemagne, les chaînes deRTL Group, qui comptent à elles seules pour 32 %du chiffre d’affaires de RTL Group, sont parvenues àgagner 1,5 point de part d’audience, tout en rédui-sant de 14 % le coût de leur grille, mais leur chiffred’affaires recule de 14 %. Quant à Freemantle, lafiliale de production de RTL Group, elle a résisté avecun chiffre d’affaires stable à 1,2 milliard d’euros pourun résultat d’exploitation de 155 millions d’euros.Enfin, la division presse de Bertelsmann, Gruner +Jahr, qui possède Prisma Presse en France, aréalisé un chiffre d’affaires en recul de 9,4 % à2,5 milliards d’euros, pour un résultat d’exploitationde 203 millions d’euros, en repli de 9,8 %. La chutedu marché publicitaire explique en grande partie cerecul des performances, sur un secteur de la pressestructurellement difficile.

AJ

Sources :- « RTL Group a limité les dégâts », G.P., Les Echos, 12 mars 2010.- « RTL Group sauvé par la réduction des coûts », Marie-Catherine

Beuth, Le Figaro, 12 mars 2010.

- « Bertelsmann second-half turnaround yields FY’09 profit »,

Communiqué de presse Bertelsmann, Berlin, 23 mars 2010.

- « Bertelsmann affiche les premières pertes de son histoire », G.P.,

Les Echos, 24 mars 2010.- « Bertelsmann affiche une perte nette part du groupe de 82 millions

d’euros pour 2009 », La Correspondance de la Presse, 24 mars 2010.

Afin de restructurer sa dette, Prisa cèdela majorité de son capital à des fondsaméricains

Le groupe de médias espagnol, fragilisé par unedette trop importante, se reconfigure au détrimentde la famille fondatrice qui cède une grande partiede son capital. Prisa, qui sera détenu à termemajoritairement par des capitaux américains, gagneen échange la possibilité de se concentrer denouveau sur sa stratégie de développement plutôtque sur les échéances de sa dette.

Confronté à une dette record de près de 5 milliardsd’euros depuis son OPA au prix fort sur sa filialeSogecable en 2008, et après avoir joué la cartedes cessions d’actifs (voir le n°13 de La revueeuropéenne des médias, hiver 2009-2010), Prisas’est résolu à accepter l’arrivée de fonds américainsà son capital. En effet, les ventes d’actifs n’ont passuffi à faire face aux échéances de remboursementdes banques, malgré les concessions faites parPrisa qui a réduit de manière significative sonpérimètre en 2009 : vente de 25 % de sa maisond’édition Santillana au fonds américain DLJ SouthAmerican Partners pour 250 millions d’euros, de29,6 % de Media Capital, son pôle audiovisuel auPortugal, pour 150 millions d’euros, vente de sachaîne en clair La Cuatro ainsi que de 22 % deDigital+ au groupe Mediaset, enfin vente de 21 %de Digital+ à Telefonica pour 470 millions d’euros,dont seulement 240 millions en numéraire. Cesventes d’actifs auront rapporté au total 1,3 milliardd’euros à Prisa, une somme insuffisante pourhonorer le remboursement d’un prêt relais de1,9 milliard d’euros à fin mars 2010.

Le 5 mars 2010, Prisa annonçait alors l’arrivéedans son capital d’investisseurs internationaux parl’intermédiaire du fonds américain Liberty Acquisi-tions Holdings Corporation, pour un montant de660 millions d’euros. Le total des sommes ainsirécupérées, 1,96 milliard d’euros en tout, permettraau groupe d’honorer sa dette, un nouveau délaiayant été obtenu auprès des banques jusqu’au

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Econom

ie

En Europe

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19 mai 2013. Bénéficiant d’une situation financièreassainie et d’une dette réduite à 3,3 milliardsd’euros, Prisa pourra même investir pour sondéveloppement.

L’accord avec Liberty Acquisitions Holdings Corpo-ration a pour premier objectif de restructurer la dettedu groupe Prisa afin de remettre celui-ci en ordre debataille. Il se traduit toutefois par un changementcomplet du profil de l’entreprise qui voit la famillefondatrice Polanco perdre sa majorité au capital dePrisa, l’opération abaissant sa participation aucapital de 70 % à 30 %, en même temps que lesinvestisseurs américains prendront à terme lecontrôle de plus de 50 % du capital du groupe.L’opération est complexe : Liberty AcquisitionsHoldings Corporation, fondée en 2007 par le finan-cier Nicolas Berggruen, est une special purposeacquisition company (SPAC), c’est-à-dire unesociété sans activité fédérant les fonds d’investis-seurs en vue de l’acquisition d’une entreprise.Par conséquent, la montée au capital de Prisas’opère sous forme d’une offre publique d’échange(OPE) de Prisa sur Liberty pour 660 millions d’euros,à laquelle Prisa ajoutera une augmentation decapital de 150 millions d’euros auprès de sesactionnaires minoritaires, ce qui diluera la partici-pation de la famille Polanco pour l’abaisser jusqu’à30 % du capital. Prisa passera ainsi d’« unecompagnie familiale à une multinationale cotée enBourse des deux côtés de l’Atlantique », comme lereconnaît Ignacio Polanco, le président de Prisa.

En revanche, la famille Polanco ne perd pas lecontrôle de l’entreprise dans l’opération, grâce à unemodification des statuts du groupe, qui limiteront lesdroits de vote à 30 % pour tous les actionnaires.Par l’intermédiaire de sa holding Rucandio, lafamille Polanco restera donc l’actionnaire deréférence du groupe avec 30 % du capital, quandles investisseurs réunis dans Liberty AcquisitionsHoldings Corporation détiendront leurs actions à titreindividuel. Fort de cette nouvelle organisation quePrisa, qui contrôle en Espagne le quotidien El País,la première radio du pays Cadena Ser, le bouquetde télévision payante Sogecable, ainsi que desactivités dans la presse, l’édition et l’audiovisuel enEurope et en Amérique latine, a présenté sesperspectives de développement le 9 mars 2010.Après une année 2009 difficile, où le résultat netdu groupe s’est affiché en repli de 39,2 % à50,5 millions d’euros, du fait notamment des

conditions très difficiles sur le marché publicitaireespagnol, le groupe espère un résultat net comprisentre 152 et 190 millions d’euros dès 2010, et entre188 et 259 millions d’euros en 2011. Pour yparvenir, Prisa compte poursuivre sa stratégie dedéveloppement dans les pays d’Amérique latine, quibénéficient d’une croissance forte, ainsi qu’auxEtats-Unis dans les médias hispanophones, enmême temps que le groupe développera sesactivités dans le numérique.

AJ

Sources :- « Prisa seals $900m Liberty deal », Mark Mulligan & Andrew

Edgecliffe-Johnson, Financial Times, march 5, 2010.- « L’espagnol Prisa cède la majorité de son capital à des

Américains », Gilles Sengès, Les Echos, 8 mars 2010.- « Prisa : l’actionnaire historique cède la majorité à des investisseurs

américains », Mathieu de Taillac, Le Figaro, 8 mars 2010.- « La famille Polanco cède sa majorité dans le capital de Prisa »,

Jean-Jacques Bozonnet, Le Monde, 9 mars 2010.- « Espagne : Prisa espère tripler son bénéfice net après sa

restructuration », AFP, 9 mars 2010.

La BBC veut réduire sa taille pourconserver sa redevance

Dans un contexte politique particulier où l’impor-tance prise par la BBC sur le marché des médiasbritanniques est dénoncée, le groupe audiovisuelpublic a présenté un plan qui, pour la première fois,prévoit la suppression de certaines activités.

Alors que le monopole de la BBC sur la redevanceaudiovisuelle est remis en question (voir le n°12 deLa revue européenne des médias, automne 2009),Mark Thomson, le directeur général de la BBC,a présenté le 2 mars 2010 un rapport baptisé« Donner la priorité à la qualité » qui, pour lapremière fois de l’histoire de la BBC, propose desupprimer certains de ses services et derecentrer l’activité du groupe sur ses missionsessentielles de production de programmes natio-naux innovants. Si ce rapport peut constituer uneréponse à l’arrivée possible des conservateurs aupouvoir, critiques envers la BBC, il témoigne néan-moins de l’ampleur du débat national sur lesmissions et le rôle de la BBC dans le paysagemédiatique britannique. En effet, outre les contin-gences politiques, la BBC est de plus en pluscritiquée par les médias privés britanniques qui luireprochent une concurrence déloyale grâce à lamanne de la redevance, 3,7 milliards de livres en

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2009 (4,23 milliards d’euros).Menés par James Murdoch, qui dirige les activitéseuropéennes de News Corp., les éditeurs de pressereprochent notamment à la BBC de venir les concur-rencer sur leur propre terrain, en ayant par exempleracheté 75 % des guides Lonely Planet en 2009 eten éditant des magazines. Ils reprochent surtout à laBBC de favoriser le « tout gratuit » avec son siteparmi les plus fréquentés au Royaume-Uni, etd’entraver ainsi les stratégies de retour au payantpour la presse en ligne, défendues par les journauxde News Corp. (The Times notamment). La frondegagne désormais la Newspaper PublishersAssociation (NPA), l’association britannique desjournaux, qui a dénoncé le projet de la BBC,annoncé le 17 février 2010, de lancer deuxapplications gratuites pour téléphone mobile dansle courant de l’année, l’une en avril 2010, baptiséeBBC News, qui permettra d’accéder à toute l’infor-mation produite par le groupe, et l’autre auprintemps, BBC Sport, disponible pour la Coupe dumonde de football et qui offrira les matchs endirect. De leur côté, les chaînes privées reprochent àla BBC une concurrence sur le marché des droitssportifs et des séries américaines, concurrence quitire vers le haut les coûts d’acquisition, alors mêmeque ces programmes sont ceux qui, pour leschaînes privées, fédèrent l’audience et attirent lesrecettes publicitaires, tout en n’étant pas essentielsà la mission d’intérêt général de la BBC.

La pression exercée sur la BBC aura donc produitdes effets, même si le plan présenté le 2 mars 2010peut également s’apparenter à une réduction decoûts dont la BBC est coutumière, l’objectif étantd’économiser 150 millions de livres par an. Le planprévoit ainsi la fermeture à fin 2011 de deux radiosnumériques sur les neuf que compte le groupe, BB6Music et Asian Network, la première étant chère(9 millions de livres par an pour 600 000 auditeurshebdomadaires) quand la seconde est peu écoutée(360 000 auditeurs hebdomadaires en 2009).Mais la mesure symbolique du plan concerned’abord la division Internet de la BBC, BBC Online,dont le budget va être amputé de 25 %, ce quidevrait, à terme, conduire à une réduction de moitiédu nombre de pages sur le site de la BBC àl’horizon 2013. L’ampleur de la réduction esttoutefois à nuancer dans la mesure où le budgetpour les contenus Internet de la BBC ne pèse que5 % de celui dévolu à la télévision. En matière depresse, les magazines du pôle commercial BBC

Worldwide pourraient être cédés. Enfin, pour lesactivités de télévision, certaines émissions pouradolescents devraient être supprimées au profit deChannel Four qui pourra les diffuser, en mêmetemps qu’est prévue une diminution des budgetsconsacrés à l’achat de droits sportifs et deprogrammes à l’étranger, dont les séries améri-caines. Au total, ces différentes mesures doiventpermettre de réallouer 600 millions de livres desactivités concurrentielles vers la production denouveaux programmes. Enfin, cette révision dupérimètre et des objectifs de la BBC pourrait sesolder par la suppression de 600 postes supplé-mentaires après les 8000 postes déjà supprimésdepuis 2005 sur un total de 26 000 employés(voir le n°5 de La revue européenne des médias,hiver 2007-2008).

AJ

Sources :- « La BBC se lance à l’assaut de l’info sur mobiles, au grand dam des

journaux », AFP, 18 février 2010.

- « "Tantine", un tantinet tentaculaire », Frédérique Andréani, Libération,22 février 2010.

- « BBC, dégraissage à tous les étages », Sonia Delesalle-Stolper,

Libération, 8 mars 2010.- « La BBC se prépare à une réduction drastique de ses dépenses, selon

The Times », La Correspondance de la Presse, 1er mars 2010.- « La BBC annonce une cure d’austérité sans précédent », AFP,

2 mars 2010.

- « A la veille des élections britanniques, la BBC poussée à réduire la

voilure sur Internet », N.S., Les Echos, 3 mars 2010.

Le régulateur britannique freine lesambitions d’ITV et de BSkyB, relançantainsi le débat européen sur l’accès auximages des événements sportifs

Le régulateur britannique a décidé de ne pasmodifier les contraintes pesant sur ITV pour lacommercialisation des spots publicitaires. Il aégalement obligé BSkyB à diminuer sa participationdans ITV et à vendre à ses concurrents à des prixattrayants l’accès à ses chaînes sportives payantes.Si elles favorisent la concurrence entre les chaînesprivées, ces mesures pourraient cependantentraîner une désaffection pour les droits sportifs etconduire la Premier League britannique à lancer sapropre chaîne de télévision, une solution envisagéedans plusieurs pays européens par les fédérationsde football.

Alors qu’ITV, la première chaîne privée en clair duRoyaume–Uni, militait pour une remise à plat du

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En Europe

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système de Contract rights renewal (CRR) quipermet aux annonceurs d’exiger des remisesautomatiques dès que l’audience de la chaînebaisse, la Competition Commission britannique aécarté le 12 mai 2010 toute modification du dispo-sitif mis en place à la suite de la fusion de Carltonet Granada en 2003 pour donner naissance à ITV(voir le n°2-3 de La revue européenne des médias,printemps-été 2007). Selon Diana Guy, présidentedu CRR Review Group, ITV1 reste un passage obligépour les annonceurs malgré la montée en puissancedes chaînes numériques. De ce point de vue, lesraisons qui avaient poussé à la mise en place duCCR restent inchangées, à savoir la protection desannonceurs et des autres acteurs privés de la télévi-sion face à la première chaîne britannique. Cettedécision n’arrange pas ITV, qui sort d’une année2008 difficile et qui a dû mettre en place un plansévère de réduction des coûts pour renouer avec lesbénéfices en 2009 (91 millions de livres de béné-fice net en 2009 contre une perte de 2,56 milliardsde livres en 2008, perte liée à des dépréciationsd’actifs).Cette décision pénalise également BSkyB qui, aprèsêtre entrée dans le capital d’ITV à hauteur de 17,9 %en novembre 2006, vient d’épuiser tous les recourspossibles contre la décision rendue publique enjanvier 2008 par le ministre de l’Industrie JohnHuton, décision qui oblige BSkyB à ramener saparticipation dans ITV à 7,5 %, sans droit departicipation au conseil d’administration (voir len°6-7 de La revue européenne des médias,printemps-été 2008). Le 21 janvier 2010, BSkyB aen effet perdu son dernier recours en appel et se voitcontraint de céder ses parts dans ITV au plusmauvais moment, la valorisation en Bourse de lasociété par rapport à 2006 ayant été divisée parplus de deux. Les 17,9 % de BSkyB dans ITV, payés940 millions de livres en 2006, sont désormaisestimés aux alentours de 404 millions de livres.L’action ITV remonte toutefois, le nouveau gouver-nement conservateur devant lui être plus favorable etle groupe ayant obtenu l’autorisation de lancer nonseulement des chaînes en HD mais égalementITV1+1, qui propose les programmes d’ITV1 avecune heure de décalage et fait office de télévisionde rattrapage.

BSkyB est en outre menacé dans ses activités detélévision payante. Le 31 mars 2010, l’Ofcom,l’autorité britannique de régulation des communica-tions, a rendu une décision dans laquelle il

considère que la position dominante de BSkyB dansla diffusion de films et d’événements sportifs nuit àla concurrence, décision qui a conduit l’Ofcom àobliger BSkyB à baisser le prix de revente de seschaînes sportives Sky Sports 1 et Sky Sports 2 auxautres distributeurs, notamment ses deux principauxconcurrents dans la télévision payante, Virgin TV surle câble et BT Vision sur Internet. L’Ofcom ademandé une baisse de 10 à 20 % sur le prix devente en gros de ses chaînes pour ramener le prixd’une chaîne à 10,63 livres par mois et par abonnéet à 17,14 livres pour les deux chaînes. Bien qu’elleait fait appel de la décision, BSkyB s’accordait avecl’Ofcom, fin avril 2010, pour proposer à ses concur-rents ses deux chaînes sportives. Les chaînes sontproposées à prix réduit aux concurrents de BSkyBdès le 14 mai 2010, ce qui permettra à BT, Top UpTV et Virgin, d’offrir à un moindre coût à leurs clientsles images de la nouvelle saison de la PremierLeague britannique, dont le championnat débuteen août 2010.

Pour BskyB, la décision de l’Ofcom atténue l’intérêtstratégique des droits du football pour sa chaîneSky Sports 1, qui pourra désormais se retrouver àdes prix compétitifs dans les bouquets de chaînesde ses concurrents. Alors que BSkyB avait dépensé1,9 milliard d’euros pour les droits du footballbritannique lors des enchères en 2006 pour lessaisons 2007–2010, la Premier League s’inquiètede voir ses revenus baisser lors de la prochainevente de ses droits. En effet, en 2006, la concur-rence avec Setanta, devenue depuis ESPN, quis’était emparée pour 600 millions d’euros des droitsdes matchs les moins prestigieux, avait fait monterles enchères (voir le n°4 de La revue européennedes médias, automne 2007). En étant disponiblespartout, les images de la Premier League voient leurattrait diminuer pour BSkyB et ses 9,5 millionsd’abonnés, à tel point que Richard Scudamore, ledirecteur général de la Premier League, a critiqué ladécision de l’Ofcom qui va « immensément réduirel’incitation des diffuseurs à investir dans les droitssportifs ». La Premier League envisage désormaisde lancer sa propre chaîne sportive pour se prémunircontre une baisse des droits lors des prochainesenchères.

En Europe, la décision de l’Ofcom pourrait annoncerune profonde réorganisation du marché des droitssportifs. En France, où l’arrivée d’Orange sur lemarché des droits sportifs a permis à la ligue de

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football professionnel (LFP) de stabiliser le prix desdroits de la Ligue 1, malgré les dépenses moinsimportantes de Canal+, le gouvernement a préféré,le 3 février 2010, ne pas légiférer sur les exclusivi-tés de transport pour les chaînes sportives d’Orange.Il souhaite ainsi ménager le marché des droitssportifs, Orange menaçant tout simplement de seretirer s’il est obligé de mettre sa chaîne OrangeSport à la disposition de ses concurrents (voir len°12 de La revue européenne des médias, automne2009). Reste que les sommes importantes payéespar les chaînes pour s’emparer des droits du footballsemblent de plus en plus menacées et obligent lesfédérations à changer de stratégie. A l’instar de laPremier League britannique, la LFP, qui produitdésormais les images des matchs de Ligue 1 et deLigue 2, et envisage de créer sa propre chaîne pourla Ligue 2, si toutefois elle ne parvenait pas à envendre les droits à un prix suffisant, aucune despropositions reçues concernant l’appel d’offres encours n’ayant atteint le prix de réserve fixé par la LFP.Aux Pays-Bas, la Ligue de football professionnela lancé sa propre chaîne Eredivisie Live avecEndemol, en 2009, et compte déjà 500 000 abonnésqui accèdent ainsi aux images de la ligue 1.En Allemagne, la Bundesliga envisage également lelancement de sa propre chaîne de football.

AJ

Sources :- « Le bouquet satellitaire BSkyB doit réduire sensiblement sa part dans

ITV », La Correspondance de la Presse, 22 janvier 2010.- « Le gouvernement n’envisage pas de légiférer sur les exclusivités

dans la télévision payante », Nathalie Silbert, Les Echos, 3 février 2010.- « ITV a renoué avec les bénéfices en 2009 », Les Echos, 4 mars 2010.- « La Ligue de football réfléchit au lancement de sa propre chaîne »,

Philippe Bertrand, Les Echos, 29 mars 2010.- « BSkyB devra partager ses chaînes foot », C.V. et E.R., Le Figaro,1er avril 2010.

- « Le Canal+ britannique contraint de partager ses matchs de foot »,

Nicolas Madelaine, Les Echos, 1er avril 2010.- « La Ligue de football explore de nouvelles voies pour diffuser les

matchs », Guy Dutheil, Le Monde, 8 avril 2010.- « BSkyB reaches pact with Ofcom on football for rival broadcasters »,

Alexei Mostrous, Rebecca O’Connor, Times Online, 30 avril 2010.- « CC publishes final decision on CRR », Competition Commission,

press release, may 12, 2010.

Les chaînes de télévision s’imaginent enmédia global grâce aux téléviseursconnectés

Au beau milieu du salon, le poste de télévision estle premier support pour le nombre de contacts

médias par jour. En se connectant à Internet, ilaffranchit les chaînes du PC et des fournisseursd’accès à Internet. Reste aux chaînes à trouver labonne offre face aux concurrences nouvelles qui nemanqueront pas d’apparaître sur le poste de télévi-sion connecté, qu’il s’agisse des offres de servicedes constructeurs, des réseaux sociaux, des WebTV et des sites de vidéo comme Hulu ou YouTube.

En décembre 2009, le Consumer Electronic Show(CES) de Las Vegas, grand-messe annuelle del’électronique grand public, a mis au centre desdébats les développements futurs de la télévisionconnectée (voir le n°8 de La revue européenne desmédias, automne 2008). Avec 2 millions d’unitésvendues rien qu’en France, dès 2010, selon lesestimations du cabinet NPA Conseil, c’est une èrenouvelle de la télévision qui s’ouvre. Au-delà desinnovations techniques, la télévision connectéeconstitue un enjeu stratégique majeur pour lesacteurs d’Internet, les fournisseurs d’accès àInternet, les constructeurs électroniques et leséditeurs de chaînes.

En effet, en connectant le téléviseur directement àInternet, les constructeurs privent les fournisseursd’accès de leur rôle d’intermédiaire dans l’achemi-nement des programmes numériques par ADSL.Aujourd’hui, pour être diffusé sur la télévision parADSL, une chaîne ou un service de VOD doit avoirconclu un accord de transport avec un fournisseurd’accès, qui peut lui imposer également unediffusion en exclusivité, ce qui limite d’autantl’audience potentielle du service. En se connectantdirectement aux boxes des fournisseurs d’accès, letéléviseur connecté affranchit les chaînes et permeten outre de faire migrer vers l’écran de télévision lesservices jusqu’ici directement accessibles depuis leseul écran d’ordinateur. La bataille se joue doncessentiellement entre les constructeurs, les chaîneset les éditeurs de services. Selon les pays, le marchéde la télévision connectée prend toutefois desvisages différents.

Au Japon, les constructeurs s’imposent face auxchaînes et aux éditeurs de services sur Internet.Matsushita (Panasonic), Sony, Toshiba, Sharp etHitachi ont constitué une société commune, AcTVila,qui a lancé, en février 2007, un portail unique dédiéaux téléviseurs connectés et accessible depuis lespostes de tous les constructeurs. On y trouve desinformations, des contenus vidéo, des services

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En Europe

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disponibles gratuitement ou moyennant paiement.

A l’inverse, aux Etats-Unis, les éditeurs de servicescherchent à prendre de l’avance face aux construc-teurs et aux chaînes. Yahoo! a signé des accordsavec Samsung, Sony et LG pour proposer sonportail directement sur les téléviseurs. Le portailrevendique une implantation de son serviceConnected TV sur 3 millions de téléviseurs. YouTubedevient également un moyen parmi d’autres deregarder la télévision. Ainsi, depuis janvier 2009, lesite d’échange de vidéos est disponible dans saversion YouTubeXL, au format 16/9e adapté àl’écran de télévision. Conçu initialement pour levisionnage sur un poste de télévision depuis lesconsoles de jeu, YouTubeXL est accessible depuisjuin 2009 sur n’importe quel téléviseur connecté. Etcomme YouTube compte, parmi ses partenaires, denombreuses chaînes de télévision qui ont joué sur lesite d’échange la carte de la déclinaison en ligne deleur offre, il n’est pas du tout exclu que YouTubes’impose à l’avenir comme le nouveau guideinteractif de programmes sur les téléviseursconnectés. Fin avril 2010, des services de VODpayante sur YouTube ont également été testés auxEtats-Unis.

En Europe, ce sont les chaînes qui cherchentà contrôler le développement de la télévisionconnectée afin d’en être les principaux acteurs (voirle n°13 de La revue européenne des médias, hiver2009-2010). En décembre 2009, TF1 et Samsungont ainsi annoncé le premier accord mondial entreune chaîne et un constructeur pour une télévisioninteractive. Depuis, Sony et M6 ont signé le mêmetype d’accord afin de rendre accessible sur lesnouveaux téléviseurs Bravia le service M6 Replayqui, avec 600 000 connexions par jour fin 2009,connaît déjà un véritable succès sur Internet, etpourrait se banaliser avec la qualité de visionnageproposée par un récepteur de télévision. LG s’estassocié à Orange pour proposer 7 à 15 chaînesOrange. De son côté, Philips s’est allié à Arte pourproposer des services interactifs. L’enjeu est décisifalors que les recettes publicitaires baissent sur lesupport traditionnel de diffusion (- 9 % en 2009dans le monde selon l’IDATE, pour des revenus de122 milliards d’euros) : en effet, à l’inverse des sitesInternet où la publicité est bon marché, la publicitésur les téléviseurs connectés devrait suivre latendance repérée pour la catch-up TV (télévision derattrapage), avec des tarifs pour le coût au mille

15 à 20 fois plus élevés que sur Internet. Enfin, lestéléviseurs connectés devraient permettre de mieuxvaloriser la VOD et d’augmenter la part des revenusliés au paiement par rapport à ceux issus de lapublicité : alors que le marché de la VOD aprogressé de 50 % en 2009 à 82 millions d’eurosen France, son passage facilité sur le téléviseur sansdépendre du référencement dans l’offre d’un FAIpourrait séduire de nouveaux utilisateurs.

Afin de conserver le contrôle de l’offre sur lestéléviseurs connectés, les chaînes françaisessouhaitent imposer des obligations spécifiques auxconstructeurs, notamment le fait de laisser auxchaînes la maîtrise du flux interactif tout à la foisdes contenus et des services qui s’affichent ensurimpression autour de leurs programmes. En effet,en conservant le contrôle du flux, les chaînes pour-ront enrichir leurs programmes de services qu’elleschoisiront elles-mêmes et proposer un prolongementde leur expérience aux téléspectateurs, alors mêmeque les téléviseurs connectés, en permettantd’afficher des services Internet en plein écran, vontintroduire une concurrence nouvelle pour les chaînessur le récepteur de télévision. C’est déjà le cas parexemple avec le service Applicast de Sony, accessi-ble depuis les téléviseurs Bravia connectés, quipropose des widgets permettant d’accéder à desflux d’information ou des fonds d’écran.

Pour les chaînes, l’enjeu de la maîtrise du fluxinteractif est de renforcer l’attrait de leurs émissionsen les complétant de services, mais toujours enrestant dans l’univers de la chaîne ou duprogramme. Le téléspectateur pourra ainsi partageren direct ses impressions sur les réseaux sociauxou les sites communautaires pendant une émission,voter en ligne directement depuis son téléviseur ou,bien au contraire, rester dans l’univers d’uneémission après sa diffusion. Cette stratégie incite leschaînes soit à passer des accords avec les réseauxsociaux pour développer les échanges communau-taires autour de leurs programmes, comme TF1 quia passé un accord avec Facebook, soit à développerdes sites compagnons pour leurs programmesphares, sur lesquels on viendra naviguer depuis sonrécepteur de télévision. Le programme devient alorsune marque (voir infra) que l’on décline en ligneautour de différents produits et services en plus duseul marché de la télévision de rattrapage et de laVOD, déjà développé sur Internet. A titre d’exemple,la fiction française Clem’, diffusée par TF1, a réuni

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9,5 millions de téléspectateurs, grâce notamment àses relais sur Internet, un blog et des complémentsvidéo tournés spécifiquement pour Internet. Et lesspots sur MyTF1 (service de catch-up TV quipropose également les coulisses des émissions, desjeux, des bandes-annonces et de la VOD) se sontvendus à des coûts au mille proches de ceux de latélévision selon Régis Havanas, président de TF1Entreprise invité du Buzz Média Orange-Le Figaro le20 avril 2010. Au Royaume-Uni, la BBC, de soncôté, a introduit des éléments de téléréalité dans laversion en ligne de la série Eastenders 25, où lesinternautes deviennent acteurs de l’histoire.

La télévision de demain ressemblera-t-elle alorsgrandement à l’Internet d’aujourd’hui, où la vidéo etles communautés constituent les applications lesplus plébiscitées ? A tout le moins, les éditeurs dechaînes et les producteurs ont une carte à jouer, carle Web surfe sur le succès des images animées : àl’horizon 2013, le groupe Cisco estime ainsi que lavidéo représentera, à elle seule, 91 % du trafic surInternet. Restera aux chaînes à se mettre d’accordavec le plus grand nombre de constructeurs ou àimposer des obligations de must carry pour leursservices interactifs. En effet, les accords entre leschaînes et les constructeurs sont pour l’instant entrain de morceler l’offre, à l’opposé de ce qui a faitle succès d’Internet comme « support tous médias »universel. Même en étant présentes sur tous lestéléviseurs, les chaînes devront également répondreau besoin des téléspectateurs internautes d’uneporte d’entrée unique dans l’univers desprogrammes en ligne, comme cela a été le cas pourla musique où les majors délèguent à des servicesuniversels la commercialisation de leur catalogue,pour les achats par titre ou par streaming. Sauf, bienentendu, à laisser les services intégrés de vidéocomme YouTube ou Hulu proposer seuls une offreglobale de programmes sur les téléviseursconnectés.

AJ

Sources :- « Les nouveaux téléviseurs s’ouvrent à Internet », Marc Cherki,

Le Figaro, 22 avril 2009.- « Le téléviseur, une nouvelle fenêtre sur l’Internet », Philippe Richard,

Les Echos, 5 mai 2009.- « Qui contrôlera la télévision connectée à Internet ? », Jamal Henni,

La Tribune, 23 septembre 2009.- « Les chaînes préparent la télévision du futur », Marie-Catherine Beuth,

Le Figaro, 14 décembre 2009.

- « L’écran de télévision dans tous ses états au salon de Hanovre »,

I.R., La Tribune, 5 mars 2010.- « 3D et Internet : la bataille de la télé du futur », Marc Cherki,

Le Figaro, 9 mars 2010.- « Les programmes TV doivent devenir des marques », interview de

Pascal Josèphe, président d’IMCA, par Jean-Christophe Féraud et

Nathalie Silbert, Les Echos, 10 mars 2010.- « Les programmes télé à l’ère communautaire », Paule Gonzalès,

Le Figaro, 9 avril 2010.- « Le marché de la télévision contraint d’innover », M.-C. B. et P.G.,

Le Figaro, 12 avril 2010.- « Bras de fer entre les acteurs de la télévision connectée à Internet »,

Isabelle Repiton, La Tribune, 15 avril 2010.- « YouTube pourrait lancer son service de VoD », Les Echos,27 avril 2010.

�UsagesLe Baromètre de la Scam : les relationsentre les auteurs et les éditeurs sedétériorent

Intitulée « Les bons comptes feraient les bons amis »,une étude de la Société civile des auteurs multimé-dia (Scam) dresse un état des lieux inquiétantconcernant la rémunération des auteurs, lespratiques de reddition des comptes et l’évaluationdu travail des éditeurs.

Alors que se tenait à Paris, en mars 2010, le Salondu livre, la Scam (Société civile des auteursmultimédia), qui compte quelque 6 000 écrivainsfrançais parmi ses 28 000 membres (réalisateurs,auteurs, traducteurs, journalistes, vidéastes, photo-graphes et dessinateurs), présentait les résultats deson enquête menée pour la deuxième année consé-cutive sur les relations entre les écrivains et leurséditeurs. L’étude s’appuie sur un questionnaireenvoyé par la Scam, auquel ont répondu plus de500 auteurs, entre le 1er décembre 2009 et le31 janvier 2010.

La rémunération des auteurs

L’étude révèle que la quasi-totalité des auteurs(96 %) ne fait pas appel à un agent littéraire etqu’un sur trois seulement considère qu’un intermé-diaire pourrait les aider à mieux négocier leur contrat

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Usages

En Europe

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d’édition. Un auteur sur deux ne négocie pas le tauxproposé par l’éditeur.Conformément au code de la propriété intellectuelle(CPI, art. L 131-4), les droits d’auteur sont calculéssur le prix de vente HT au public, soit 80 % des cas.Seuls 13 % des auteurs sont rémunérés au forfait,et 4 % touchent des droits calculés sur le prix degros, ce qui constitue une infraction au CPI.La grande majorité des auteurs perçoit entre 5 % et12 % du prix de vente. Ils étaient 75 % en 2010,contre 70 % en 2009. Mais la proportion desauteurs touchant plus de 12 % du prix de vente esten baisse, 7 % en 2010 contre 10 % en 2009. Lenombre de ceux qui reçoivent moins de 5 % estainsi passé de 20 % en 2009 à 18 % en 2010.Plus des deux tiers (68 %) des contrats comportentun à-valoir. Si la proportion d’à-valoir supérieurs àun montant de 3 000 euros augmente en 2010,avec 37 % des cas contre 32 % en 2009, l’écartentre les montants s’accentue. Les à-valoir comprisentre 1 500 et 3 000 euros constituent 33 % descas en 2010 contre 43 % en 2009 et ceux dont lemontant est inférieur à 1 500 euros représentent30 % des cas contre 25 % en 2009.

Les pratiques des éditeurs

Moins de la moitié (46 %) des éditeurs respectel’obligation légale de la reddition des comptes(art. L132-13 du CPI) et 18 % ne s’y prêtentjamais. Lorsque celle-ci est effectuée, elle s’accom-pagne d’un règlement des droits dans 47 % des casseulement. En outre, la moitié des auteurs déclaredevoir réclamer les comptes, que la loi imposepourtant à l’éditeur de fournir chaque année, etestime que les relevés de comptes transmis ne sontni clairs, ni complets.Plus grave, l’enquête de la Scam révèle despratiques que l’on pourrait qualifier d’inacceptables.Un quart des auteurs a découvert que leur livre avaitété édité à l’étranger sans en avoir été informé parl’éditeur. Près d’un tiers des auteurs (30 %) n’a pasreçu de droits à la suite d’une adaptation audiovi-suelle de leur ouvrage ou d’une exploitation àl’étranger. De même, 28 % des auteurs n’ont pasété informés de la mise au pilon de leur livre.

Ce que les auteurs pensent de leurs éditeurs

Malgré tous ces manquements, il peut semblerparadoxal de constater que 69 % des auteurs sedéclarent satisfaits des relations avec leurs éditeurs

en 2010, contre 60 % en 2009. Néanmoins, cejugement est à nuancer : ainsi, à propos descontrats proposés ou encore de la collaboration surle travail de création, plus de la moitié des auteursattribue à leur éditeur une note supérieure ou égaleà 6 sur 10 ; en revanche, lorsqu’il s’agit de noterl’exploitation commerciale ou la communication etla promotion des livres, les deux tiers des auteursdonnent une note inférieure ou égale à 5 sur 10.Le Baromètre 2010 de la Scam conclut avec cetappel : l’heure du livre numérique, un tel constatrend urgente une évolution vers plus de transparenceet donc plus de confiance dans les relations quenouent les éditeurs avec leurs auteurs.

FL

Source :- « Le Baromètre 2010 des relations Auteurs/Editeurs. Les bons comptes

feraient les bons amis », dossier de presse, Scam, scam.fr,

18 mars 2010.

AEF : RFI licencie, MCD investit

Dans le cadre de la nouvelle politique audiovisuelleextérieure de la France, Radio France internationale(RFI) est contrainte d’abandonner des antennes etdes programmes en langues étrangères tandis quesa filiale Monte Carlo Doualiya (MCD) est appelée àse développer.

Le plan de modernisation élaboré par la direction deRadio France internationale, désormais sous latutelle de la holding publique AEF (Audiovisuelextérieur de la France), avec pour objectif d’assurerune meilleure coordination avec les antennesfrançaises tournées vers l’étranger, parvenant ainsià faire des économies, est en cours de réalisation(voir le n°9 de La revue européenne des médias,hiver 2008-2009). Le plan social prévoit prèsde 200 suppressions d’emplois sur un effectif totald’un millier, avec pour première conséquence ledéclenchement d’une grève de mai à octobre 2009,la plus longue qu’ait connue l’audiovisuel publicdepuis 1968. Résultat, il y a finalement270 candidats au départ et la direction attend le feuvert de l’Etat pour financer 69 suppressions depostes supplémentaires.

Sur le plan des programmes, la modernisationpasse par la fermeture de six rédactions en languesétrangères. Sur les dix-neuf langues pratiquées par

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la radio internationale sont supprimés l’allemand,l’albanais, le polonais, le serbo-croate, le turc et lelaotien. Ainsi, depuis le 19 décembre 2009, ladiffusion hertzienne de programmes en allemand,polonais et laotien a été arrêtée mais ces dernierspeuvent encore être écoutés pour un temps sur lesite Internet de RFI, avant leur disparition définitiveimminente mais pas encore datée. L’albanais, quantà lui, n’est plus parlé par les journalistes de RFI, nisur les ondes, ni sur le Web, comme le turc, quidepuis deux ans bénéficiait uniquement deprogrammes en ligne et qui a disparu en décembre2009.Les programmes diffusés dans ces six languesréalisaient des résultats en termes d’audience jugés« catastrophiques » par la direction qui expliquaitpar exemple que l’audience du service en allemandn’avait pas pu être mesurée faute d’être mesurable,selon les instituts de sondage allemands. Les relaisFM de Berlin (Allemagne), Vientiane (Laos), Tiranaet Korca (Albanie) seront toutefois maintenus etdiffuseront désormais les programmes de RFI enfrançais.

Entraînant la suppression d’une quarantaine depostes, essentiellement de journalistes, cette mesurea été chiffrée, par la direction, à 3 millions d’eurosd’économie, soit un montant équivalant aux pertesenregistrées par RFI pour l’année 2009. L’équilibrefinancier devrait être ainsi rétabli fin 2010.

La plupart des filiales de RFI ont été cédées au coursde l’année 2009, notamment RFI Deutschland, lasociété franco-marocaine de radiodiffusion, la filialehongroise Aeriel codirigée par la BBC, RFI Bulgarieet Beta-RFI en Serbie. Certains repreneurs ontcependant lié des partenariats afin de continuer àdiffuser certains programmes de RFI. Il reste actuel-lement RFI Romania, Radio Europa Lisboa etMonte-Carlo Doualiya (MCD).

La langue arabe a été définie comme prioritaire,après le français. Ainsi, sur la chaîne d’informationFrance 24, les programmes en arabe passeront de10 à 24 heures quotidiennes à l’automne 2010.Le budget de la filiale arabophone de RFI, Monte-Carlo Doualiya (MCD), a été accru de 20 %, soit14,4 millions d’euros pour l’année 2010. MCDréalise ses meilleures audiences en Syrie, au Libanet en Arabie Saoudite, soit une part de marché entre3 % et 6 %, contre 1 % dans les autres pays duProche et du Moyen-Orient. Le nombre de

fréquences FM de MCD devrait passer de 14 à 20à la fin 2010, permettant notamment la couverturedes territoires palestiniens à Naplouse et à Hébron.

En outre, un accord passé avec l’opérateur detélécommunications égyptien Orascom va permet-tre la création d’un système audiotel en Egypte, auMaroc et en Tunisie. Depuis janvier 2010, unenouvelle grille de programmes, élaborée notammentgrâce à des productions de France 24, doit permettred’augmenter de 25 % le nombre d’auditeurs d’icià la fin de l’année (5 millions en 2008), selon lesobjectifs de la direction de l’AEF. En 2010, RFIajoutera le swahili à la liste des langues qu’ellepratique encore. La radio internationale a obtenuen début d’année deux nouvelles fréquences auSénégal.

FL

Sources :- « Radio France internationale vend sa filiale bulgare », La Correspon-dance de la Presse, 4 décembre 2009.- « Radio France internationale précise les dates d’arrêt de ses

programmes en allemand, albanais, polonais, laotien et turc »,

La Correspondance de la Presse, 11 décembre 2009.- « L’Audiovisuel extérieur de la France va bientôt signer son

contrat d’objectifs et de moyens », La Correspondance de la Presse,20 janvier 2009.

- « Audiovisuel extérieur : Pouzilhac défend son bilan », Jamal Henni,

La Tribune, 11 février 2010.- « Les patrons de l'Audiovisuel extérieur de la France malmenés par les

députés », Patrick Roger, Le Monde, 12 février 2010.

Les chaînes européennes d’informationinternationale censurées en Iran

Si les Etats membres de l’Union européenne ontadopté en mars 2010, à l’initiative de la France, unedéclaration commune condamnant le brouillage parl’Iran de la réception des télévisions et radiosinternationales, aucune mesure concrète dereprésailles n’a été décidée.

La réception de BBC et Deutch Welle, chaînes detélévision à destination de l’étranger est brouillée enIran depuis le mois de décembre 2009 (voir le n°13de La revue européenne des médias, hiver 2009-2010). Le 11 février 2010, jour anniversaire de laRévolution islamique, la retransmission, par lesatellite Hotbird (Eutelsat) de près de 70 services deradio et de télévision étrangers, a été perturbée. Achaque manifestation de l’opposition, sont visés parla censure les programmes émis en persan de la

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Usages

En Europe

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Deutsche Welle et de BBC Persian TV, lancée enjanvier 2009 (voir le n° 9 de La revue européennedes médias, hiver 2008-2009), ce qui n’empêchepas leur audience de croître depuis les émeutespostélectorales de juin 2009. Le signal de la radiointernationale américaine Voice of America estégalement victime d’interférences. L’Union interna-tionale des télécommunications (UIT) a été saisiede l’affaire, à l’initiative d’Eutelsat, mais cetteorganisation internationale n’a aucun pouvoir desanction.Selon un politologue iranien, ce sont surtout lesémissions radio de la BBC en persan, dont lesinformations peuvent être reçues sur un téléphoneportable, qui « donnent le la ». Pour contourner lacensure, les télévisions et les radios internationalesont dupliqué leur diffusion grâce à deux émetteurs,obligeant ainsi les Iraniens à prendre le risquede déplacer leurs antennes satellitaires. SelonReporters sans frontières, l’Iran serait devenu l’undes pays les plus répressifs au monde, après laChine et le Vietnam.

A la mi-mars 2010, l’Allemagne, la France et laGrande-Bretagne, par l’intermédiaire de leursministres des Affaires étrangères respectifs, ontdemandé aux membres de l’Union européenne deprendre des mesures de sanction envers l’Iran afinque cesse le brouillage des chaînes d’informationinternationales. Les trois pays européens souhaitentégalement que soit interdite la commercialisationvers l’Iran des outils permettant de censurer ladiffusion de messages sur Internet et sur lestéléphones portables.

La filiale commune au finlandais Nokia et àl’allemand Siemens, Nokia Siemens Networks(NSN) est soupçonnée, notamment par le prix Nobelde la paix, l’avocate iranienne Shirin Ebadi, d’avoircommercialisé des logiciels de filtrage des conver-sations et des SMS sur téléphone portable, unmoyen de communication très utilisé par lesopposants au pouvoir en place (voir le n°12 deLa revue européenne des médias, automne 2009).De même, le magazine finlandais Voima a dénoncéla vente à l’Iran de la technologie Nokia LawfulInterception Gateway (LIG), outil de surveillance dutrafic Internet sur les téléphones portables. Ce à quoiNSN a répondu que le système effectivement venduà l’Iran en 2008 ne pouvait pas servir à la censure,ni sur Internet, ni sur le réseau mobile GSM.Toutefois, l’équipementier de télécommunications a

reconnu que LIG permet aux autorités de surveillerles communications, comme sur tous les réseauxdu monde, afin de lutter contre la criminalité, maisil s’est défendu d’avoir fourni cette technologie-làà l’Iran. En juin 2009, NSN avait dû admettre quele système vendu à Téhéran permettait d’écouterles conversations téléphoniques mais non, enrevanche, de surveiller les flux sur Internet.

Shirin Ebadi dénonce également la politique menéepar les pays européens vis-à-vis de l’Iran, quiconsiste, selon elle, à se préoccuper exclusivementdu nucléaire au détriment de mesures de soutien àl’opposition. Elle a également accusé la sociétéeuropéenne de satellite Eutelsat de répondre favora-blement aux demandes du régime iraniend’interrompre la diffusion de la BBC et de Voice ofAmerica.

Ainsi, les Etats membres de l’Union européenne ontdéclaré vouloir mettre fin aux atteintes à la libertéd’expression par le brouillage des programmesétrangers reçus en Iran. Dans une déclarationcommune en date du 22 mars 2010, les ministreseuropéens des Affaires étrangères ont déclaré que« l’Union européenne appelle les autorités iraniennesà arrêter de brouiller la diffusion satellitaire et decensurer Internet, et à mettre un terme immédiate-ment à cette interférence électronique ». Maisaucune mesure précise n’a été énoncée sur la façond’interdire l’exportation de technologies permettantle contrôle des moyens de communication en Iran.Aux Etats-Unis, le président Barack Obama, s’expri-mant à l’occasion du nouvel an iranien (Norouz),le 20 mars 2010, a affirmé la volonté de son paysd’œuvrer « à garantir que les Iraniens puissent avoiraccès à l’informatique et à la technologie Internet,ce qui les rendra à même de communiquer entre euxet avec le monde, sans peur de la censure ». Enmars 2010, le quotidien New York Times annonçaitque le gouvernement américain allait délivrer auxentreprises de technologies Internet des autorisationsd’exporter leurs services gratuits et leurs logicielsgrand public vers l’Iran, Cuba et le Soudan. Selonun haut responsable gouvernemental, « plus lesgens ont accès à un éventail de services et detechnologies en ligne, plus dur cela devient pour legouvernement iranien de réprimer leur parole et laliberté d’expression ». Facebook et Twitter en ontadministré la preuve tout au long des manifestationscontre les résultats des élections présidentielles enIran.

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30En Europe

Réunis pour étudier la plainte déposée par Eutelsatfin mars 2010, les douze experts du comité durèglement « ont appelé l’administration iranienne àpoursuivre ses efforts pour localiser la source dubrouillage et pour l’éliminer en donnant à cettequestion la priorité la plus haute ». Mais le porte-parole de l’agence spécialisée de l’ONU pour lestélécommunications, Sanjay Acharya, a égalementindiqué que l’UIT ne pourrait pas faire de recom-mandations à l’égard de l’Iran avant janvier-février2012, date de sa prochaine conférence mondiale.

Alors que la chaîne France 24 couvre les événe-ments liés au mouvement d’opposition, déclenchésdepuis juin 2009, en relayant notamment desimages d’amateurs et des informations en prove-nance des réseaux sociaux par l’intermédiaire deson site Internet, qui compte entre 20 000 et30 000 connexions par mois, celui-ci n’est plusaccessible pour les Iraniens depuis début avril2010.Il convient aussi de noter qu’en février 2010, lachaîne française a envoyé l’un de ses représentantsen Côte d’Ivoire afin de faire amende honorableauprès du Conseil national de la communicationaudiovisuelle (CNCA), s’engageant « à prendre desdispositions pour un traitement plus professionnelde l’information sur la Côte d’Ivoire », engagementconfirmé par courrier par la direction générale de lachaîne. La diffusion de France 24 avait été suspen-due durant dix jours par le CNCA pour avoir« procédé à un traitement déséquilibré et nonprofessionnel de l’information » au sujet de ladissolution de la Commission électorale indépen-dante (CEI) et du gouvernement par le présidentLaurent Gbagbo.

FL

Sources :- « France 24/diffusion », La Correspondance de la Presse,4 mars 2010.

- « Nokia Siemens assure que son système vendu à l’Iran ne peut pas

surveiller Internet sur les mobiles », AFP, tv5.org, 5 mars 2010.

- « Les Etats-Unis vont autoriser l’export de services Internet vers l’Iran,

Cuba et le Soudan », AFP, tv5.org, 8 mars 2010.

- « L’Europe menace de sanctionner l’Iran pour le brouillage des chaînes

étrangères », Delphine Minoui, Le Figaro, 17 mars 2010.- « Censure de l’opposition en Iran : les Européens préparent une

riposte », AFP, tv5.org, 17 mars 2010.

- « Iran : Obama s’engage à œuvrer pour un Internet libre de

censure », AFP, tv5.org, 20 mars 2010.

- « L’Iran brouille l’écoute des médias européens », Jean-Pierre Perrin,

Libération, 23 mars 2010.- « Les Européens veulent limiter les moyens de censure du régime

iranien », Jean-Pierre Stroobants, Le Monde, 24 mars 2010.

- « Iran/Union internationale des télécommunications (UIT) »,

La Correspondance de la Presse, 29 mars 2010.- « Le site Internet de France 24 inaccessible depuis le territoire

iranien », AFP, tv5.org, 2 avril 2010.

Internet : le piratage n’aurait pas que desmauvais côtés

Pas encore effective et déjà suspectée d’inefficacité,la loi pour lutter contre le téléchargement illégal, diteloi Hadopi, serait contreproductive. Son applicationinduirait des effets négatifs pour les industries decontenus qu’elle est censée protéger. Les piratessont aussi des acheteurs…

Votée en septembre 2009 par l’Assembléenationale, la loi Hadopi a été promulguée enoctobre de la même année. Quelques mois plus tardseulement, des chercheurs de l’université deRennes 1 ont mené une première évaluation de seseffets sur les pratiques des internautes, avant la miseen œuvre effective du volet répressif, dit de la« riposte graduée » (voir le n°13 de La revueeuropéenne des médias, hiver 2009-2010),opérationnel peut-être à l’automne 2010.

Sur les 2 000 individus interrogés par téléphone,représentatifs de la population de la région Bretagne,les internautes, personnes déclarant avoir utiliséInternet dans les trois derniers mois, représentent67 % de l’échantillon, soit 1 340 personnes. Parmiles internautes interrogés, 56 % déclarent écouterde la musique ou regarder des vidéos sur Internet :39 % au moins une fois par semaine et 17 %moins d’une fois par semaine.Les chercheurs ont établi une typologie desconsommateurs de vidéos et de musique surInternet, permettant de distinguer ceux dont lespratiques tombent sous le coup de la loi Hadopi deceux qui y échappent. Cette analyse tendrait àmontrer que la loi Hadopi serait déjà dépassée,avant même d’avoir été appliquée.

Premier constat : la grande majorité des internautes(70 %) écoutent de la musique ou regardent desvidéos de façon légale. Les pirates constituent30 % de la population interrogée.Parmi eux, 14 % déclarent échanger des fichiersvidéo/audio par l’intermédiaire des réseaux peer-to-peer. Baptisés « pirates Hadopi » par les auteurs del’étude, ils sont directement visés par la loi (bien que40 % d’entre eux utilisent aussi le streaming illégal

Usages

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et/ou le téléchargement sur des sites d’héberge-ment). Tandis que 16 % sont des « pirates nonHadopi », ayant recours à des sites de streaming(sans téléchargement) ou à des sites d’hébergement(direct download) illégaux, lesquels échappent à laloi Hadopi. Celle-ci concerne en effet uniquement leséchanges de fichiers peer-to-peer, sachant qu’il estimpossible de savoir « qui télécharge quoi » sur lesserveurs permettant le téléchargement direct.

Le piratage est plutôt le fait d’internautes trèsjeunes : les 15-25 ans représentent 45 % des« pirates Hadopi », 51 % des « pirates non Hadopi »et seulement 20 % des non-pirates. Quant auxcontenus, l’étude démontre que si la consommationde musique en ligne concerne autant les pirates queles non-pirates, la consommation de films ou deséries TV est beaucoup plus importante chez lespirates, notamment parmi les « non Hadopi », quechez les non-pirates (films : 58 % contre 13 % ;série TV : 48 % contre 9 %). Selon les auteurs del’étude, cette tendance s’expliquerait par le succèsrelativement faible des plates-formes de vidéo à lademande (VOD), dû notamment à des offrescommerciales aux contenus et aux tarifs insuffi-samment attrayants.

Deuxième constat : la moitié des acheteurs devidéos ou de musique (50 %) sont également despirates. L’application de la loi Hadopi priverait ainsiun tiers des internautes pirates (27 %) de la possi-bilité d’acheter en ligne. Les chercheurs de l’univer-sité de Rennes poussent donc le raisonnement plusavant : généraliser l’interdiction à toutes les formesde piratage numérique exclurait la moitié desacheteurs potentiels du marché.Seuls 17 % des internautes non-pirates sont desacheteurs numériques, tandis qu’ils sont 47 %parmi les « pirates Hadopi » et 36 % parmi les« pirates non Hadopi ». Ces résultats accréditentl’idée que le peer-to-peer et le streaming gratuit sontaussi des outils de promotion des œuvres. Denombreuses études réalisées avant la promulgationde la loi Hadopi avaient déjà démontré cet effetnégatif.

Troisième constat : après le vote de la loi Hadopi, lespratiques de téléchargement illégales n’ont pas di-minué et elles ont pris des formes alternatives. Seu-lement 15 % des pirates adeptes des réseauxpeer-to-peer déclarent avoir cessé de téléchargerdepuis le vote de la loi et un tiers d’entre eux a

renoncé au piratage. Les deux tiers restants se sontconvertis aux autres méthodes de piratage échap-pant à la loi. Ainsi, l’abandon du peer-to-peer parcertains a contribué à augmenter de 27 % desautres formes illégales de visionnage ou detéléchargement « non Hadopi ». La réduction dunombre de « pirates Hadopi » se trouve donccompensée par une augmentation du nombre de« pirates non Hadopi » (+ 3 %).Pire encore, l’étude indique que 13 % des « piratesHadopi » ne l’étaient pas avant l’adoption de la loi,laissant croire à une certaine « contagion » despratiques illicites. Pour ses auteurs, le constat finalest sans appel : « La loi Hadopi n’a eu aucun effetou un effet inverse à celui attendu sur 77 % despirates actuellement déclarés (aucun changementde comportements ou conversion au peer-to-peeraprès la loi) ».

Le piratage semble donc être un « mode de consom-mation » inhérent aux nouveaux usages numé-riques. Reste à savoir quelle sera la proportiond’internautes qui y renonceront après réception despremiers messages d’avertissement. En Suède, laloi IPRED entrée en vigueur depuis un an (voir len°10-11 et le n°12 de La revue européenne desmédias, printemps-été et automne 2009) n’a pasmodifié la proportion de consommateurs decontenus illégaux, soit 40 % des 15-74 ans et60 % des 15-24 ans, selon une étude de l’institutMédiavision qui indique également qu’environ10 % des 15-25 ans ont déjà trouvé les moyens decontourner la loi.

Alors que le nombre vertigineux de 400 000 à500 000 films seraient piratés chaque jour enFrance, 76 % des pirates déclarent aller autant aucinéma qu’avant, 17 % plus souvent et seulement7 % moins souvent, selon une étude réalisée parMédiamétrie pour le compte du site Internet Allociné.Mais un pirate seulement sur cinq privilégierait lasortie en salle. Sur les 2 399 personnes interrogéesâgées de 15 ans et plus, 58 % avouent avoir déjàvisionné illégalement un film ou une série TV et ellessont plus de 84 % chez les jeunes de 15 à 24 ans.Les films américains à gros budget sont les œuvresprivilégiées des trois quarts des pirates, ainsi queles grosses productions françaises pour 41 % d’en-tre eux. Près de la moitié des personnes interrogéesont eu connaissance de la loi Hadopi, mais 78 %d’entre elles la jugent inefficace. Le cinéma restel’activité culturelle offrant le meilleur rapport qualité-

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32En Europe

prix pour les deux tiers des interviewés, commel’illustre du reste la bonne performance de lafréquentation en salle pour l’année 2009, avecquelque 200 millions d’entrées.Aux Etats-Unis, la Cour des comptes américaine, leGovernment Accountability Office (GAO), a critiquéla fiabilité des études chiffrant le téléchargementillégal, fournies par les industries du divertissementet du logiciel (Motion Picture Association ofAmerica, Recording Industry Association of America,Business Software Alliance…). Dans un rapport surla contrefaçon aux Etats-Unis publié en avril 2010,si le GAO juge qu’une mesure précise des pertes esteffectivement impossible à établir, il considère, enrevanche, qu’il serait pertinent d’étudier de façonsérieuse les effets positifs possibles du télécharge-ment illégal.

FL

Sources :- La Cour des comptes américaine met en cause les chiffres du

téléchargement illégal », lemonde.fr, 19 avril 2010.

- « La loi Hadopi sans effet pour l’instant sur le téléchargement illégal,

selon une étude », Nicolas Rauline, Les Echos, 9 mars 2010.- « Une première évaluation des effets de la loi Hadopi sur les pratiques

des internautes français », étude réalisée par Sylvain Dejean, Thierry

Pénard et Raphaël Suire, M@rsouin, CREM et université de Rennes 1,

marsouin.org, mars 2010, 14 p.

- « Téléchargement illégal : la loi Hadopi aurait un effet négatif sur

le marché légal, selon une étude de l’université de Rennes 1 », LaCorrespondance de la Presse, 10 mars 2010.- « Les pirates de films vont quand même au cinéma », N.S., Les Echos,7-8 mai 2010.

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La durée d’écoute de la télévisionprogresse dans le monde

On regarde de plus en plus la télévision, 3 h 12 en2009 contre 3 h 03 en 2004, soit 9 minutes deplus. L’année 2009 bat ainsi un record jamaisatteint.

Selon l’enquête annuelle « One Television Year in theWorld », la première place du classement mondial2009 concernant la durée d’écoute de la télévisionrevient toujours aux Etats-Unis, plus gros paysconsommateur de télévision dans le monde,avec 4 h 40 d’écoute moyenne quotidienne, soit+ 3 minutes en 2009 par rapport à 2008.L’Amérique du Nord, où les téléspectateurs passent4 h 35 en moyenne par jour devant le petit écran,devance de peu le Moyen-Orient, également grosconsommateur de programmes TV avec 4 h 34,suivi de l’Europe avec 3 h 42, de l’Amérique latine(3 h 30), et de la région Asie-Pacifique (2 h 41). EnChine, la durée d’écoute a progressé de 5 minutesen 2009 à 2 h 38, ce qui est probablement uneconséquence des Jeux olympiques de 2008.L’étude menée par Eurodata TV, le départementinternational de l’institut Médiamétrie, dans 89 pays,soit 3 milliards de téléspectateurs potentiels et2 000 chaînes de télévision, dresse pour l’année2009 un constat important et inattendu à l’heure dela prédominance déclarée d’Internet : nulle part dansle monde la durée d’écoute ne fléchit. L’Afrique est leseul continent où elle n’a pas évolué, à 3 h 52,cependant deux pays seulement ont été étudiés,l’Afrique du Sud et le Maroc.

Selon Médiamétrie, ce succès infaillible de la télévi-sion s’explique par l’apport des nouvelles technologiesnumériques dont la haute définition, ainsi que parle contenu des programmes. Si les programmess’internationalisent toujours davantage, les produc-tions nationales remportent encore de grands

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succès d’audience.Aux Etats-Unis, le championnat Super Bowl a battule record d’audience en rassemblant devant le petitécran près de 99 millions de téléspectateurs. Dansle palmarès américain des meilleures audiences, setrouvent la Cérémonie des Oscars : l’équivalent duprogramme français Nouvelle Star, American Idol, ;ainsi que les séries Experts et The Office. L’année TV2009 a également été marquée aux Etats-Unis parla cérémonie d’investiture du président Obama,suivie par 38 millions de téléspectateurs, toutefoismoins que celle du président Reagan en 1981 avec42 millions.

Les programmes plébiscités montrent une grandestabilité du goût des consommateurs accordanttoujours une forte audience à la finale de l’Eurovi-sion, classée parmi les dix meilleurs scores dans14 pays. La fiction reste, quant à elle, de tous lesprogrammes, celui qui est le plus regardé.

Mesurant désormais l’écoute de programmes endifféré dans huit pays, l’étude Eurodata TV montreque l’équipement croissant en décodeurs enregis-treurs et disques durs numériques entraîne unehausse significative de la consommationtélévisuelle. En Europe, la durée d’écoute moyennequotidienne des pays du Nord se rapproche ainsi decelle des pays du Sud, toujours plus téléphages,grâce au développement de l’usage de cesnouveaux matériels. En outre, la mesure de l’écouteen différé montre que les deux tiers des programmesainsi enregistrés sont généralement visionnés lelendemain et le surlendemain.

Premier marché européen, avec une offre télévisuellecomposée de plus de 30 chaînes gratuites,l’Allemagne est le pays d’Europe le plus grosconsommateur de télévision avec 3 h 32 en 2009,soit 5 minutes de plus qu’en 2008. A titre decomparaison, la durée d’écoute en France s’élève à

Ailleurs��

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34Ailleurs

3 h 25 pour la même année. Les données collec-tées depuis 2007 dans les pays d’Europe du Nordattestent que la durée d’écoute a bondi auDanemark, passant de 2 h 28 en 2007 à 3 h 09 en2009, en Norvège de plus de 19 minutes entre2007 et 2009 à 2 h 54, et de plus de 10 minutesen Finlande à 2 h 50 en 2009.

Par ailleurs, l’effritement de l’audience des chaîneshistoriques se poursuit avec la multiplication deschaînes thématiques dans tous les pays du mondeoù l’offre télévisuelle a ainsi été considérablementbouleversée. Aux Etats-Unis, ces chaînes concur-rentes directes des quatre grands diffuseurs hertziensCBS, ABC, NBC et Fox, bénéficient désormaisd’une part de marché d’audience de 75 %, contreseulement 54 % en 2000.

La consommation de télévision n’est pas appelée àfaiblir en 2010, année de la Coupe du monde defootball. Internet n’est pas encore parvenu àentamer l’hégémonie de la télévision.

FL

Sources :- « La consommation de télé ne cesse d’augmenter dans le monde »,

AFP, tv5.org, 18 mars 2010.

- « La télévision toujours plus consommée dans le monde, selon une

étude Eurodata TV Worldwide », La Correspondance de la Presse,19 mars 2010.

- « Les téléspectateurs mondiaux ne décrochent pas », A.F., Les Echos,19-20 mars 2010.

La mondialisation confrontée à ses limitesaprès le retrait de Google de Chine

En refusant la censure chinoise sur son moteur derecherche et en décidant de se replier à Hong-Kong,Google a relancé le débat sur les libertés en Chine.Si la censure éloigne la Chine de la démocratieen matière de liberté d’expression, elle menaceégalement les entreprises étrangères qui, sur le solde la troisième économie mondiale, ne peuvent pascompter sur une concurrence libre et transparente.

Annoncée le 12 janvier 2010, la décision de Googlede ne plus censurer les résultats de son moteur derecherche chinois Google.cn, lancé en 2006, a misen lumière les relations conflictuelles entre lesacteurs économiques globaux issus des paysdéveloppés et démocratiques et la Chine, troisièmeéconomie mondiale dont les pratiques restentopaques, tant sur le plan commercial qu’en matière

de liberté d’expression. Après avoir identifié mi-décembre 2009 des attaques chinoises sur sonsystème central afin d’accéder à des comptes Gmailde défenseurs des droits de l’homme, Google a doncpris la décision de jouer la carte de l’affrontementface à Pékin et a lié ces attaques, qu’il n’a pasattribuées directement au gouvernement chinois, auxdifficultés pour le moteur de recherche de sedévelopper dans un pays où la censure lui estimposée. David Drummond, chef du départementjuridique de Google précisait ainsi dans le blog del’entreprise, le jour de l’annonce de la fin de lacensure, que « ces attaques et la surveillancequ’elles ont révélée, combinées aux tentativesde restreindre la liberté d’expression sur le Net, nousont conduits à la conclusion que nous devionsréexaminer la possibilité de nos activitéscommerciales en Chine ». L’enjeu, démocratique, estégalement commercial.Sur le plan démocratique, l’argument modernisateurutilisé par les entreprises occidentales acceptant lacensure pour pouvoir travailler en Chine a étédénoncé par Google, qui profite des effets de sacommunication sur une pratique qu’il a pourtantcautionnée : « Nous pensions que les bénéfices d’unaccès accru à l’information pour les gens en Chineet un Internet plus ouvert compenserait la gênesuscitée par le fait d’accepter de censurer certainsrésultats ». Le symbole est fort : les Chinois ont étéau courant de l’annonce de Google, une des starsmondiales du Web dénonçant la censure dans leurpays, et les images de Tian An Men, interdites enChine, étaient accessibles dès le 14 janvier sur lesite chinois de Google.Sur le plan commercial, la décision de Googletémoigne en revanche de l’incapacité des entreprisesoccidentales à s’imposer sur un marché où lesacteurs nationaux sont soutenus et favorisés par legouvernement. Ainsi, le moteur de rechercheGoogle.cn plafonne à 30 % de part de marché enChine, contre 60 % pour son concurrent chinoisBaidu qui n’est pas menacé par l’efficacité desalgorithmes de Google bridés par la censure. Enrevanche, Baidu, dont les dirigeants s’appuientcertes sur une bonne connaissance de la culturechinoise, a forgé son succès par la mise à disposi-tion de liens pour le téléchargement illégal de fichiersmusicaux, sans que jamais le gouvernementchinois n’ait lancé d’offensive sérieuse contre cettepratique (voir le n°8 de La revue européenne desmédias, printemps-été 2008). Et Google ne peut pasjouer en Chine, comme il le fait ailleurs dans le

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monde, la carte de son écosystème de services,puisque les échanges de vidéos sur YouTube sontbloqués depuis les émeutes de juillet 2009 au Tibet,ce qui profite aux sites chinois d’échange de vidéosYouku.com et Tudou.com. Autant dire que les consé-quences d’un retrait de Google du marché chinoissont moins importantes qu’il n’y paraît : Googleréalise entre 220 et 600 millions de dollars chaqueannée en Chine pour un chiffre d’affaires mondial deprès de 23,6 milliards de dollars en 2009, et la partde chiffre d’affaires réalisée en Chine dépendrait,selon le New York Times, principalement du moteurde recherche anglais et non de google.cn. Enperdant les ressources du moteur de recherchechinois, Google redore en outre son blason partoutailleurs dans le monde, même s’il prend le risque dene pas être présent demain en Chine, ou alorsautrement. Car finalement, c’est bien là tout l’enjeudu bras de fer entre Google et Pékin pour trouver lesvoies d’une concurrence saine et loyale.

En prenant parti pour Google le 21 janvier 2010, lasecrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a formuléen des termes similaires les enjeux du retrait deGoogle : « La capacité d’opérer en toute confiancedans le cyberespace est capitale pour les sociétés etles économies modernes », et cette confiance estcelle qui consiste à avoir l’assurance de ne pas fairel’objet d’attaques informatiques, d’espionnagecommercial, de censure ou de pratiques déloyales.Cette critique de l’opacité chinoise montre les limitesde la mondialisation, parce qu’elle concerne latroisième économie du monde, laquelle compte parailleurs la première population d’internautes, avec384 millions de Chinois connectés fin 2009. Justeconcurrence et libre circulation de l’informationseraient à ce point imbriquées que Google ademandé au Sénat américain, lors d’une auditiondébut mars 2010, de porter devant l’Organisationmondiale du commerce (OMC) son différend avecPékin. Un jugement de l’Organisation pourrait ainsiapporter la reconnaissance sur le plan internationalde l’entrave à la concurrence occasionnée par lacensure locale, qui profite pleinement aux entrepriseschinoises alignées sur les desiderata du Parti.

Si les autorités chinoises n’ont pas pris le risque defermer Google.cn, elles n’ont pas cédé pour autant àla pression du moteur de recherche américain qui, le22 mars 2010, a annoncé rediriger vers son sitehongkongais tous les utilisateurs de Google.cn,mettant ainsi fin à la censure imposée par les lois

chinoises. Le retrait de Google de Chine faitdisparaître du sol chinois le dernier grand acteuraméricain de l’Internet face aux concurrentsnationaux, Yahoo!, Amazon ou Microsoft n’étantjamais parvenus à atteindre une taille significative,quand Twitter et Facebook sont tous simplementbloqués. En même temps, Google ne quitte pasdéfinitivement la Chine et profitera du statut particu-lier de l’ancienne colonie britannique où la censurene s’applique pas directement aux acteurs d’Internet.Pour les internautes chinois en revanche, le pouvoirchinois continuera de bloquer certaines pages Webde Google appelées depuis les sites basés à Hong-Kong, la Chine ayant mis en place une « GrandeMuraille » sur son Internet, transformé de fait enIntranet national. En se repliant sur Hong-Kong,Google reporte ainsi sur les autorités chinoises laresponsabilité de la censure. Et la Chine ne devraitpas interdire totalement l’accès à Google.com.hk,car s’opposer trop frontalement à la firme califor-nienne lui ferait courir le risque de voir Googlequitter définitivement le territoire, où l’entreprisecompte 700 personnes, dont des centres de R&D etdes activités commerciales pour ses services« autorisés », comme le développement de l’OS(Operating System - système d’exploitation)mobileAndroid qu’utilise notamment le chinois Lenovo.Depuis le repli de Google à Hong-Kong, ses parte-naires chinois ont toutefois tendance à préférer lasoumission au parti et aux lois du pays plutôt que lerisque d’une alliance avec le groupe américain :Tianya et Tom Online, parmi d’autres acteurs chinoisd’Internet, ont mis fin à leur collaboration avecGoogle qui leur fournissait les résultats de sonmoteur de recherche.

AJ

Sources :- « Google défie Pékin sur la censure », Olivier Hengsgen, La Tribune,14 janvier 2010

- « Google s’estime victime d’une attaque ciblée et menace de quitter la

Chine », L. Gi., Le Monde, 14 janvier 2010.- « Messieurs les censeurs chinois, bonsoir », Philippe Grangereau,

Libération, 14 janvier 2010.- « Internet : Pékin tente d’étouffer le débat sur la censure », Y.R.,

Les Echos, 15 janvier 2010.- « Google veut porter la censure du Web chinois devant l’OMC »,

journaldunet.com, 4 mars 2010.- « Le bras de fer entre Google et Pékin continue », Yan Rousseau,

Les Echos, 17 mars 2010.- « Google ne veut plus s’autocensurer en Chine », Isabelle Roughol,

Le Figaro, 23 mars 2010.- « Pour contourner la censure chinoise, Google se replie vers

Hong-Kong », Brice Pedroletti, Le Monde, 24 mars 2010.- « Sina revoit sa collaboration avec Google », Les Echos, 2 avril 2010.

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36Les acteurs globaux

La publicité sur mobile, nouveau terraind’affrontement entre Apple et Google

Le rachat d’AdMob par Google pour 750 millions dedollars en novembre 2009 et de Quatro Wirelessspar Apple pour 275 millions de dollars en janvier2010, deux régies spécialisées dans la publicité surmobile (voir le n°13 de La revue européenne desmédias, hiver 2009-2010) a ouvert un nouveaufront entre les deux géants.

Après le contrôle des systèmes d’exploitationmobiles (OS), l’Android de Google s’opposant à l’OSd’Apple pour iPhone, c’est désormais par régiemobile interposée que vont s’affronter les deuxgroupes, Apple venant ainsi marcher sur le terrainde prédilection de Google, la publicité en ligne.Fort de ses 85 millions d’iPhone et d’iPod Touchécoulés depuis la mi-2007, Apple a en effetannoncé, le 8 avril 2010, le lancement de sapropre régie publicitaire mobile, baptisée iAd. AveciAd, les publicités seront intégrées dans les applica-tions et il ne sera plus nécessaire de les quitter pouraller sur Internet afin d’accéder au site promotion-nel. En contrepartie, les développeurs d’applicationsreverseront 40 % de leurs recettes publicitaires àApple. Pour Apple, iAd doit d’abord rendre attractifle développement d’applications en permettant demieux rémunérer leurs auteurs, les publicitésembarquées étant plus performantes et Appleconnaissant très bien tous ses clients, qui passentsystématiquement par iTunes pour télécharger une

application, acheter de la musique ou des films.A cette connaissance précise du client s’ajoute lapossibilité de géolocalisation : autant d’argumentsqui devraient attirer les annonceurs, à tel point quele lancement d’iAd est présenté par certainsanalystes comme l’élément qui va faire décollervraiment le marché de la publicité sur mobile. En2009, celui-ci pesait 23 millions d’euros en Franceet 416 millions de dollars aux Etats-Unis.

Google est lui aussi convaincu que l’avenir de lapublicité en ligne est sur le mobile et c’est la raisonpour laquelle il essaie d’imposer Android face àl’iPhone. Mi-avril 2010, la plate-forme Androidrevendiquait 50 000 applications, contre 180 000applications pour Apple. Google rattrape donc Appleà vive allure, puisqu’Android ne comptait que20 000 applications fin 2009. Si la publicité doitmigrer dans les applications, Google sera incontes-tablement en mesure d’attirer une partie des flux,pour ne pas en laisser le monopole à Apple. Resteque Google est pour l’instant sur la défensive, faceà Apple, mais également parce que le rachatd’AdMob fait l’objet d’une enquête de la FederalTrade Commission (FTC), l’autorité antitrust améri-caine, qui pourrait bloquer l’opération et contraindreGoogle à développer en interne sa régie publicitairemobile. AdMod est en effet la première régie publici-taire mobile, très bien positionnée sur les iPhone oùelle va devoir désormais affronter iAd. Or Google do-mine déjà le marché de la publicité sur l’Internet fixe,grâce aux liens sponsorisés sur son moteur de

Lesacteursglobaux��

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recherche et au contrôle de la régie DoubleClick,spécialisée dans les bannières et rachetée en 2007.

AJ

Sources :- « La commission fédérale du commerce américain (FTC) pousse son

enquête sur Google et AdMob », La Correspondance de la Presse,15 mars 2010.

- « En créant sa propre régie, Apple veut doper la publicité sur les télé-

phones mobiles », Cécile Ducourtieux et Laurence Girard, Le Monde,10 avril 2010.

- « Apple passe à l’offensive dans la publicité sur mobile », Michel

Ktitareff, Les Echos, 15 avril 2010.- « Près de 50 000 applications déjà disponibles sur Android »,

G. de C., Les Echos, 27 avril 2010.- « Avec l’iAd, Apple boucle le marché des applications mobiles »,

Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 10 mai 2010.

Livre numérique (1) : le lancement del’iPad, une chance pour les éditeurs ?

Le succès de l’iPad dans sa version Wi-Fi concernepour l’instant principalement les éditeurs qui sont entrain de mettre en place un écosystème rémunérateuravec les fabricants de lecteurs, tout en modifiant lerapport de force qu’avait instauré Amazon avec sonKindle.

Dévoilé à San Francisco le 27 janvier 2010, l’iPad,la tablette numérique d’Apple, sorte de terminalmultimédia tout en un, adapté au traitementbureautique, à la lecture des journaux et des livresnumériques, au visionnage de vidéos et aux jeux,est présenté comme une chance pour les éditeurs.L’iPad leur donne en effet l’occasion de toucher unpublic nouveau et technophile : commercialisédepuis le 3 avril 2010 aux Etats-Unis en versionWi-Fi, puis en version 3G depuis le 30 avril, l’iPads’est écoulé en un mois à 1 million d’exemplaires,des ventes deux fois plus importantes que celles del’iPhone à son lancement. Le succès est telqu’Apple a dû reporter à fin mai le lancementmondial de l’iPad, les fabricants ne pouvant suivrele rythme imposé par la demande.

Outre l’engouement pour la marque Apple, lesuccès de l’iPad s’explique également par lesapplications proposées avec la tablette, quireprend celles présentes sur l’iPhone et qui offrait enplus un millier d’applications dédiées à l’iPad le jourde son lancement. Parmi celles-ci, l’applicationiBook Store est celle qui doit permettre aux éditeursde développer le marché du livre numérique sur

l’iPad. Après un mois de commercialisation del’iPad, le succès de l’iBook Store semble seconfirmer avec 1,5 million d’e-books vendus parApple.

Bien qu’étant présenté comme une tablette à toutfaire, l’iPad, pour l’instant, ne se distingue del’iPhone en matière d’applications que par sonservice de téléchargement de livres numériques. Lesoffres vidéo sont encore quasiment inexistantes, lesconnexions Wi-Fi étant insuffisantes pour supporterdes flux importants, et ne se développeront qu’avecles iPad 3G commercialisés avec un abonnementchez un opérateur, AT&T ayant l’exclusivité auxEtats-Unis. De la même manière, les applicationsdes journaux pour iPad reprennent souvent leformat de l’application iPhone et les éditeurs depresse quotidienne semblent ne pas en attendrebeaucoup : avec son format A4, l’iPad n’est pas unterminal de poche, ce que visent d’abord les quoti-diens en ligne qui veulent apporter de manièreréactive et en mobilité des informations à leurslecteurs. De ce point de vue, pour la presse quoti-dienne, l’iPhone est la priorité. Pour la pressemagazine, que l’on feuillette et reprend en main,avec des imagesnombreuses, l’iPad semble aucontraire mieux adapté, grâce à son grand écran.Sans surprise, le groupe Condé Nast, premier éditeurde presse magazine aux Etats-Unis, a été le premierà lancer des applications iPad pour ses magazines(GQ, Vanity Fair, The New Yorker). Enfin, la faiblemobilisation des éditeurs de presse s’expliqueégalement par le fait que l’iPad ne supporte pas latechnologie Flash d’Adobe, utilisée dans la versionnumérique de nombreuses offres de presse. Pourl’édition au contraire, la question des formats ne sepose pas et le marché numérique américain s’estdéjà structuré autour de l’offre d’Amazon avec sonKindle, qui compte pour 60 % des 3 millionsd’e-books vendus aux Etats-Unis en 2009. Et c’estd’ailleurs parce qu’Amazon était, jusqu’à l’arrivée del’iPad, le seul à disposer d’une liseuse rencontrantles faveurs du public, que les éditeurs se sontaccordés avec Apple pour proposer une offrealternative et faire jouer la concurrence entre leursdistributeurs pour le livre numérique.

Le jour de la présentation de l’iPad, le terminal a puainsi passer pour une nouvelle liseuse, concurrentedu Kindle, puisque la principale annonce en matièrede contenus concernait l’accord passé avec cinq dessix plus grands éditeurs américains : Penguin

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38Les acteurs globaux

(Pearson), Simon & Schuster (CBS), Harper-Collins(NewsCorp.), MacMillan (Holtzbrinck) et HachetteBook Group (Lagardère), alors que Random House(Bertelsmann) travaille pour l’instant de manièreexclusive avec Amazon. L’accord entre les éditeurset Apple se présente pour les éditeurs comme unealternative aux conditions imposées par Amazonpour accéder au Kindle. En effet, avec Apple, leséditeurs conservent la propriété de leurs fichiersnumériques, Apple n’en étant que le distributeur parl’intermédiaire de son application iBook Store. Appleprélève 30 % sur chaque vente et propose auxéditeurs de choisir eux-mêmes le prix de vente deleurs livres. Reste toutefois qu’Apple est en traind’imposer un prix unique du livre puisque le choixdes éditeurs se limite à trois options : 9,99 dollarspour les livres de poche, 12,99 dollars ou14,99 dollars pour les autres livres. Ce choix limitéconvient cependant aux éditeurs américainspuisqu’il baisse de 25 % à 30 % le prix du livrenumérique par rapport à sa version papier, unebaisse justifiée par les économies de fabrication etde distribution, tout en permettant de distinguer parle prix les best-sellers des autres livres du catalogue.

A l’inverse, les contrats signés entre Amazon et leséditeurs sont beaucoup plus contraignants pour leséditeurs, qui perdent une grande partie de leurcontrôle sur le marché du livre numérique. Amazonachète en gros les fichiers numériques des livresqu’il vend ensuite à un prix unique de 9,99 dollars,transformant le livre numérique en produit d’appelpour son Kindle. C’est ce que lui reprochent leséditeurs qui ont profité de la sortie de l’iPad pourreprendre la main sur le marché du livre numérique :le 28 mars 2010, Amazon annonçait sur son siteavoir dû céder à l’éditeur MacMillan sur le prix devente des livres et commercialiser désormaiscertains de ses ouvrages à 12,99 et 14,99 dollars.Cette « victoire » de MacMillan ne saurait toutefoismasquer le fait qu’Amazon et Apple contrôlent avecleurs lecteurs numériques l’accès aux clients, à telpoint que le plus grand risque, pour les éditeurs,serait de voir ces nouveaux intermédiaires signerdirectement avec des auteurs à succès pour lacommercialisation de leurs livres numériques. Cetteéventualité aurait pour conséquence de remettretotalement en question le modèle économique del’édition, les best-sellers finançant une productionpléthorique. Car c’est finalement là que réside l’undes principaux enjeux du livre numérique, commece fut le cas pour la musique, pour les séries et les

films sur Internet : va-t-on vers un écosystème oùéditeurs et intermédiaires techniques contrôlent lemarché et proposent une offre payante, avec unmodèle qui s’apparente à l’univers physique,comme c’est le cas aujourd’hui, ou Internet va-t-iltotalement rebattre les cartes et faire émerger unenouvelle manière d’accéder au livre, avec un équili-bre économique à réinventer de fond en comble ?C’est peut-être ce qui s’annonce avec le projet debibliothèque numérique universelle de Google et lelancement de son service d’achat de livres (voirinfra).

AJ

Sources :- « L’iPad ou la nouvelle révolution d’Apple », Solveig Godeluck et

Jean-Christophe Féraud, Les Echos, 28 janvier 2010.- « L’iPad, une nouvelle chance pour les acteurs du livre ? »,

Alain Beuve-Méry et Cécile Ducourtieux, Le Monde, 14 février 2010.- « Les éditeurs français prêts à négocier avec Appel », Enguérand

Renault, Le Figaro, 15 février 2010.- « La presse américaine se prépare activement à l’arrivée de l’iPad »,

Pierre de Gasquet, Les Echos, 15 mars 2010.- « USA : Apple rencontre des difficultés pour convaincre les télévisions

et les journaux à être sur son iPad », La Correspondance de la Presse,22 mars 2010.

- « L’e-book va prendre des parts de marché au livre de poche »,

interview de John Makinson, PDG de Penguin Books, par Nicolas

Madelaine, Les Echos, 26 mars 2010.- « Amazon adapte sa stratégie sur le livre numérique à l’arrivée de

l’iPad », Sandrine Bajos, La Tribune, 29 mars 2010.- « L’arrivée de l’iPad met les éditeurs en alerte », Alain Beuve-Méry,

Le Monde, 16 avril 2010.- « Plus de 1 million d’iPad ont été vendus », Solveig Godeluck,

Les Echos, 4 mai 2010.

Livre numérique (2) : malgré les procès,Google continue de numériser et va lancersa librairie en ligne

Après sa condamnation en France par le tribunal degrande instance de Paris, le 18 décembre 2009(voir le n°13 de La revue européenne des médias,hiver 2009-2010), le projet Google Books affrontedésormais les tribunaux américains. En effet,l’accord revu le 9 novembre 2009 entre Google etl’Association des éditeurs américains (AAP), quiprévoyait notamment de limiter aux paysanglo-saxons les conditions de numérisation et demise à disposition des livres numériques parGoogle et précisait les modalités de rémunérationdes ayants droit, n’a pas été approuvé, le 18 février2010 par le juge new-yorkais. Celui-ci a repoussésa décision, estimant que les positions de Google

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comme celle des plaignants, Amazon, Microsoft etYahoo! notamment, n’étaient pas suffisammentprécises. Cette décision fait suite à l’avis rendu le4 février 2010 par le ministère américain de laJustice qui considère que le projet d’accord « confèretoujours à Google des avantages significatifs etpotentiellement anticoncurrentiels ».

Plutôt que de créer « une grande bibliothèquenumérique », Google est soupçonné par lesplaignants de vouloir ouvrir « un grand magasin »,motif jamais avancé dans la plainte initiale et quirelève du procès d’intention sur les agissements àvenir de Google. En même temps, l’accord permet àGoogle de mettre à disposition les ouvragesorphelins, puisque seuls les auteurs faisant jouer laclause d’opt-out sont retirés de Google Books, ceque le juge considère comme suspect. Autant direque le statu quo entre Google et les éditeurs prévautsur les conditions de numérisation aux Etats-Unis,en attendant une décision de la justice. Ces incerti-tudes n’empêchent pas Google de poursuivre sonambitieux programme de numérisation des livrespuisque le groupe a déclaré à la justice avoirnumérisé 12 millions d’ouvrages le 11 février 2010,deux millions de plus qu’en septembre 2009. EtGoogle se concentre sur les pays anglo-saxons,pour qui l’accord a été élaboré : sur ces 12 millionsd’ouvrages, 10 millions seraient concernés parl’accord. Enfin, près de 7 000 auteurs ont fait jouerla clause d’opt-out le 28 janvier 2010, date prévuepar l’accord avec l’APP, au-delà de laquelle Googlepeut compter sur un accord tacite des autresauteurs. Finalement, au regard du nombre de livresnumérisés, la clause d’opt-out ne modifiera pas enprofondeur l’offre de Google Books.

A l’incertitude juridique américaine s’ajoutent denouveaux procès. Après la condamnation française,les éditions Gallimard et Albin Michel se sontdéclarées prêtes, le 29 mars 2010, à attaquer à leurtour Google Books en justice faute d’être parvenuesà un accord avec Google sur les conditions de miseà disposition des livres numérisés. Le 5 avril 2010,l’American Society of Media Photographers aindiqué à son tour qu’elle comptait porter plaintecontre Google Books, les livres numérisés incluantdes images protégées. Pour régler ces conflits,Google devra trouver avec les éditeurs un modusvivendi qui permette notamment de garantir lerespect des droits d’auteur et la juste rémunérationdes éditeurs et des auteurs. Si la question est loin

d’être réglée pour les œuvres orphelines, dont lefonds de 125 millions de dollars proposé parGoogle ne satisfait pas la justice américaine, uncompromis profitable aux éditeurs et à Google paraîtprobable dans le droit fil de l’accord signé avecl’AAP.En effet, Google a annoncé, le 4 mai 2010, qu’ilallait lancer aux Etats-Unis, avant la fin juillet, sonservice Google Editions. Comme l’iBook Stored’Apple, Google Editions prévoit un partage desrevenus avec les éditeurs (63 % du prix de ventepour les éditeurs et les auteurs selon l’accord denovembre 2009, contre 70 % sur l’iBook Store). Dece point de vue, Google Books pourrait devenir unpuissant outil de marketing qui, en proposant desextraits des livres, rabattrait les clients vers GoogleEditions au plus grand bénéfice des éditeurs. Cetteincursion de Google dans le domaine du payant,alors que ses ressources dépendent pour l’instantessentiellement de la publicité, est peut-être la condi-tion d’un accord avec les éditeurs. Google Editionsprésente en effet l’avantage, par rapport aux offresd’Apple et d’Amazon, d’être une offre universelle,accessible en ligne sans dépendre d’une applica-tion ou d’un terminal en particulier. Reste à Googleà convaincre les éditeurs de le suivre dans ceprojet.En ce qui concerne le développement de GoogleBooks, Google a également signé un premier grandaccord en Europe qui pourrait ouvrir la voie d’unpartenariat public-privé avec les différentes biblio-thèques nationales du continent. Le 10 mars 2010,Google a signé un accord avec le ministère italien dela Culture par lequel il s’engage à numériser età mettre en ligne un million d’ouvrages desbibliothèques de Rome et Florence, publiés avant1860, c’est-à-dire tombés dans le domaine public.Pour ce premier accord avec un Etat, Google s’estpar ailleurs engagé à remettre un exemplaire desfichiers numérisés aux bibliothèques, qui pourrontle proposer à d’autres plates-formes, y compris labibliothèque européenne Europeana (voir le n°9 deLa revue européenne des médias, hiver 2008-2009et le n°13, hiver 2009-2010).

AJ

Sources :- « Edition : Washington inflige un nouveau revers à Google »,

Nathalie Silbert, Les Echos, 8 février 2010.- « Et pendant ce temps … Google numérise des livres », Jean-Baptiste

Jacquin, La Tribune, 18 février 2010.- « Google – éditeurs, un accord en suspens », Frédérique Roussel,

Libération, 19 février 2010.

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40Les acteurs globaux

- « Numérisation des livres : report de la décision de justice dans

l’affaire Google », S.C., Le Monde, 20 février 2010.-« Thousands of authors reject Google service », Richard Waters,

Financial Times, 24 février 2010.- « Google signe un accord avec l’Italie pour numériser un million

d’ouvrages », Philippe Ridet, Le Monde, 12 mars 2010.- « Gallimard et Albin Michel prêts à attaquer Google », Nathalie Silbert,

Les Echos, 31 mars 2010.- « Photographers to launch case against Google », Maija Palmer,

Financial Times, 6 avril 2010.- « Google va se lancer dans la vente de livres en ligne d’ici à la fin de

juillet », N.S., Les Echos, 6 mai 2010.

EMI menacée par sa dette

Derrière Universal Music Group et Sony MusicEntertainment en termes de part de marché dans lemonde, mais devant Warner Music Group, la majorbritannique EMI pourrait changer de mains et passersous le contrôle de ses créanciers si elle ne parvientpas à faire face aux échéances de sa dette.

Rachetée en LBO (Leverage buy out) pour 3,2 mil-liards de livres, dette incluse, par le fonds Terra Firm,en mai 2007 (voir le n°4 de La revue européennedes médias, automne 2007), juste avant la crisefinancière, EMI ploie désormais sous le coût de sadette. Avec un passif de 2,6 milliards de livres àl’égard de Citigroup, EMI doit trouver au moins120 millions de livres avant le 14 juin 2010 afin defaire face au coût de l’assurance de sa dette, fautede quoi Citigroup pourrait en prendre le contrôle pourla revendre ensuite.

Face à cette éventualité, Guy Hands, le patron deTerra Firma, s’est engagé à sauver EMI. Après avoiréchoué à céder pour cinq ans ses droits de distri-bution aux Etats-Unis, une opération à 200 millionsde livres, Guy Hands cherche à lever à nouveau desfonds pour relancer la major. Mais l’entreprise estpérilleuse : alors que la valeur d’EMI a déjà étédépréciée de 90 % dans les comptes de Terra Firma,Guy Hands espère pouvoir convaincre les action-naires de Terra Firma d’injecter de nouveau360 millions de livres dans EMI, qui devra faire faceà un nouveau plan de restructuration. EMI sort eneffet d’un plan drastique d’économies, qui a conduità une réduction de 20 % de ses effectifs et lui apermis de réaliser un bénéfice opérationnel en2009. Confrontée à la chute du marché du disque(voir infra), la major a toutefois affiché une perte de1,5 milliard de livres en 2009, perte liée essen-tiellement à ses échéances de crédit et à des

dépréciations d’actifs, notamment la dévaluation deson catalogue.

Les relations entre Citigroup et Terra Firma nelaissent pas espérer de délais supplémentaires enfaveur d’EMI. Terra Firma a intenté une action enjustice contre Citigroup à qui il reproche de lui avoirmenti, lors des enchères, sur l’existence d’unconcurrent, afin de l’inciter à renchérir. Citigroup, deson côté, a menacé d’opposer son veto quand GuyHands a envisagé de céder pour cinq ans ses droitsde distribution aux Etats-Unis. Car l’enjeu pourCitigroup est de prendre le contrôle d’EMI pour larevendre, en bloc ou en dépeçant la major, leFinancial Times estimant par exemple que les seulsactifs américains d’EMI suffisent à garantir sonpassif. Et les repreneurs potentiels sont déjà connus :Warner Music serait intéressée après avoir échoué àfusionner avec EMI en 2000, l’opération ayant étébloquée par les autorités de concurrence. Le groupeBertelsmann, qui s’est retiré de la musique enregis-trée en 2006, serait par ailleurs prêt à racheter ladivision édition d’EMI avec son allié le fonds KKR, lagestion des droits étant le seul secteur très rentableactuellement dans l’industrie musicale.

Enfin, aux déboires financiers d’EMI s’ajoutent desdifficultés récurrentes avec les artistes et le mana-gement. En effet, depuis sa reprise par Terra Firmaet la politique de réduction des coûts mise en place,certains artistes phares du catalogue ont quittéla major, comme Radiohead et les Rolling Stones.D’autres menacent de le faire : le groupe Pink Floyd,dont le contrat avec EMI remonte à 1967, a ainsigagné un procès contre la major, le 11 mars 2010,concernant l’exploitation en ligne de ses titres.Pink Floyd reprochait à EMI de commercialiser sestitres à l’unité sur Internet, alors que son contrat sti-pule que seuls des albums peuvent être vendus afinde préserver leur « intégrité artistique », clause qui aentraîné une opposition sur les modalités de calculdes droits d’auteur payés pour les ventes en ligne.En avril 2010, Paul McCartney, l’ancien Beatles,quittait à son tour EMI, suivi début mai par le groupeQueen. Enfin, après à peine dix-huit mois passés àla tête d’EMI Music, la division de musique enregis-trée de la major, Elio Leoni-Sceti a dû quitter sonposte en mars 2010 et a été remplacé par CharlesAllen, l’homme qui a orchestré la fusion de Granadaet de Carlton au Royaume-Uni pour donner nais-sance à ITV.

AJ

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Sources :- « Le grand label musical EMI serait proche de tomber sous la coupe

de Citigroup », Nicolas Madelaine, Les Echos, 8 février 2010.- « Un patron de la dernière chance aux commandes d’EMI », Grégoire

Poussielgue, Les Echos, 11 mars 2010.- « Musique en ligne : le groupe Pink Floyd obtient gain de cause contre

EMI », Les Echos, 12 mars 2010.- « EMI est au bord du gouffre »Eric Albert, La Tribune, 16 mars 2010.- « EMI prêt à louer son catalogue pour échapper à Citigroup », N.M.,

Les Echos, 23 mars 2010.- « Hands raises EMI stakes by playing for time », Andrew Edgecliffe-

Johnson, Financial Times, april 20, 2010.- « Après 40 ans de collaboration, Paul McCartney quitte la major

EMI » Le Monde, 29 avril 2010.- « Hands close to EMI injection », Martin Arnold, Esther Bintliff,

Financial Times, may 12, 2010.

News Corp. entre au capital du saoudienRotana et s’installe à Abou Dhabi

Annoncée le 23 février 2010, l’entrée du groupeNews Corp. au capital du saoudien Rotana, àhauteur de 9,1 %, pour 70 millions de dollars, amarqué le début d’un mouvement stratégique qui vaconduire News Corp. à développer ses activités dansle monde arabe. Pour Rupert Murdoch, il s’agit deconquérir un marché de 335 millions de personnesqui échappait encore au géant mondial des médias,présent en Amérique, en Europe et en Asie. Enmontant au capital de Rotana, News Corp. renforceen même temps ses liens avec le prince Al-WalidBen Talal, qui possède, en plus du contrôle deRotana, 7 % du capital de News Corp.

Le jeu sera toutefois difficile pour News Corp. quiarrive sur un marché où les grandes famillescherchent à contrôler la production d’information etd’images. Le saoudien Rotana fait ainsi face augroupe Abou Dhabi Media Company, piloté par lesEmirats arabes unis, mais également à la chaîneal Jezira, installée à Doha (Qatar). Prenant encompte ces intérêts familiaux et nationaux parfoisincompatibles, Rupert Murdoch a annoncé, lorsd’une conférence sur les médias au Moyen-Orient,qu’il installerait à Abou Dhabi sa base pour leMoyen-Orient, une manière de ne pas lier les desti-nées de son groupe dans le monde arabe à la seuleArabie saoudite.

AJ

Sources :- « Citizen Murdoch étend son empire au Proche-Orient », Marc Roche,

Le Monde, 26 février 2010.- « Abou Dhabi, future base de News Corporation au Moyen-Orient »,

AFP, 9 mars 2010.

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Web OS (Web Operating System)

Système d'exploitation sur le Web.Contrairement aux systèmes d’exploitation installéssur les ordinateurs, comme Windows de Microsoft etMac OS d’Apple,ou sur les téléphones portablescomme Android de Google, le Web OS est utilisédirectement depuis un navigateur et donne ainsiaccès à des applications en ligne (messagerie,traitement de texte, agenda...). Le Web OS nefonctionne qu’en se connectant à Internet.

Le développement des applications en ligne, dites àla demande, ou « logiciels en tant que service »(SaaS pour Software as a service), s’appuie notam-ment sur cette nouvelle génération de systèmesd’exploitation 100 % connectés, le systèmed’exploitation traditionnel implanté dans un ordina-teur ne servant plus alors qu’à la simple tâche d’exé-cution du navigateur Internet.Le Web OS permet ainsi aux utilisateurs d’ordina-teurs portables, à la capacité de mémoire limitée,de recourir à des applications hébergées, accédantà leurs données stockées sur un serveur distant. LesWeb OS vont entraîner la généralisation de l’usagedes bureaux virtuels ou bureaux web personnalisésaffichant des icônes, des barres de tâches et desfenêtres, comme un ordinateur classique, ainsi quela multiplication des centres de données au cœurmême des nouvelles infrastructures informatiquesdématérialisées et externalisées baptisées cloudcomputing, littéralement informatique en nuages(voir le n°9 de La revue européenne des médias,hiver 2008-2009).

De nombreux éditeurs informatiques proposent dessystèmes d’exploitation virtuels, parmi lesquelsfigurent exeOS, Moblin, Ulteo ou Jolicloud. Le dernieren date, baptisé Chrome OS, sera lancé par Googleà la fin de l’année 2010. Basé sur son logiciel denavigation Chrome, lancé en septembre 2008 et

devenu dix-huit mois plus tard le troisième naviga-teur le plus utilisé avec 6 % de part de marché,Chrome OS est destiné à une nouvelle génération denetbooks. A l’exception de quelques fonctions, cesmini-ordinateurs portables, équipés de ce systèmed’exploitation 100 % Web, seront en fait desterminaux Internet : sans disque dur et démunisd’applications autres que le Web OS. Ils ne serontutilisables que connectés, l’essentiel de ce systèmed’exploitation Web et l’ensemble des données del’utilisateur étant justement supportés par desserveurs distants. Ces netbooks disposeront justed’une mémoire flash.Le code source de Chrome OS ayant été ouvert auxdéveloppeurs, les fabricants de netbooks quienvisageraient de s’affranchir de Windows ont ainsiaccès gratuitement au logiciel.Partant de l’idée que le navigateur est le programmele plus important pour les utilisateurs, en tout cas lepremier ouvert, mais que le temps de mise en routeest trop long sur la plupart des machines, lesingénieurs de Google souhaitent répondre, avecChrome OS, aux attentes des internautes désireuxd’accéder à leurs données avec rapidité, simplicitéet de n’importe où, sans avoir en outre à se soucierdes mises à jour de sécurité.

Si les Web OS contribuent, par leur fonctionnement,à limiter le piratage des logiciels propriétaires, ilsrendent également inutile l’emploi d’ordinateurspourvus d’une grande capacité de mémoire. Cepen-dant, leur usage reste entièrement tributaire d’unefacilité d’accès à Internet, ce qui peut constituer unfrein à leur développement. En outre, l’internautepeut s’inquiéter de voir l’ensemble de ses donnéespersonnelles stockées sur les serveurs de l’éditeur.Avec Chrome OS, Google poursuit son offensive àl’encontre de Microsoft, dont le système d’exploita-tion Windows équipe toujours neuf PC sur dix dansle monde.

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A retenir

A retenir��

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Hors film

L’expression désigne les manifestations culturellesou sportives faisant l’objet d’une projection publiquesur grand écran dans les salles de cinéma.Exceptionnelle il y a encore quelques années, cettepratique se répand. Face à la baisse des recettesdue à une fréquentation insuffisante, des exploitantstoujours plus nombreux organisent la projection deconcerts, matchs de football ou de rugby sur grandécran dans près de 300 salles simultanément.Quelques exemples : en avril 2008, deux représen-tations en direct du Metropolitan Opera de New York,La Bohème de Giacomo Puccini et La Fille du régi-ment de Gaetano Donizetti, ont été proposées auxamateurs d’opéra dans une salle de cinéma, àParis, et dans 16 autres salles en province, pouvantaccueillir chacune entre 300 et 700 personnes, auprix de 18 euros la place.Menée pour la saison 2007-2008, l’opération« Metropolitan Opera : Live in HD » a concerné huitreprésentations, dans environ 600 salles de cinémaen Amérique du Nord, en Europe, au Japon et enAustralie, pour une audience potentielle d’un millionde spectateurs. En France, la société CielEcran s’estspécialisée dans l’organisation de ce type demanifestation grâce à la mise en œuvre d’unsystème de vidéotransmission par satellite en hautedéfinition, procédé qu’elle avait expérimentéauparavant pour la retransmission de matchs defootball au cinéma.En décembre 2008, le concert d’Elton John auPalais omnisports de Paris-Bercy a été retransmisen direct dans 36 salles de cinéma en France, et72 salles en Europe (Suisse, Belgique, Espagne,Pays-Bas, Italie). Le prix des places était d’environ17 euros, contre 9 euros habituellement pour unfilm, mais entre 73 euros et 194 euros à Bercy.Plus récemment, les finales du Tournoi des sixnations, en mars 2010, et de la Coupe d'Europe derugby en mai 2010 ont été diffusées en 3D relief,en partenariat avec la société CielEcran, dans unetrentaine de salles de cinéma de grandes villes enFrance (voir infra).L’avènement du numérique a évidemment contribuéà accélérer cette évolution. Soucieux d’amortir lesfrais d’équipement numérique estimés à 100 000euros par salle, les propriétaires de salles sonttentés de diversifier ainsi leur programmation,d’autant que le prix du billet de ces séancesspéciales est doublé, pour atteindre environ20 euros la séance. Le premier effet négatif du hors

film est de chasser les films des écrans, et plusparticulièrement les films d’auteur. Le grand nombrede sorties hebdomadaires, doublé de laprogrammation des grosses productions dans prèsde 800 salles, provoque déjà des embouteillageschaque mercredi, laissant peu de place aux « petitsfilms », distribués avec moins de 120 copieschacun, dont la durée de vie en salle se trouve parconséquent extrêmement réduite.Le second effet négatif de cette nouvelle program-mation dite hors film est lié au mécanisme d’aidedont bénéficient également les exploitants. La taxespéciale additionnelle (TSA), qui correspond à10,72 % du prix du billet, alimente le compte desoutien à l’industrie cinématographique géré par leCentre national du cinéma et de l’image animée(CNC). Une partie de cette taxe est reversée aux5 500 salles que compte le parc cinématographiquefrançais. Le développement du hors film détourneainsi du cinéma une partie de cette subventioncalculée sur le prix du billet, par ailleurs vendu beau-coup plus cher.

A la veille de la Coupe du monde de football,accompagnée de l’avènement de la 3D relief (voirinfra), le CNC souhaite encadrer la pratique du horsfilm afin de limiter les effets négatifs subis parl’exploitation de films dus à la concurrence de cesprogrammes autres que des œuvres cinématogra-phiques. Un projet de décret est à l’étude pourréserver le versement de l’aide exclusivement à laprojection de films, privant ainsi les salles d’unsoutien financier calculé sur les billets d’entrée duhors film. En revanche, la projection de programmesautres que des films resterait assujettie à la taxe surles billets qui alimente le compte de soutien du CNC.

Arguant du fait que le passage au numérique devraits’accompagner de sources de revenus supplémen-taires pour les exploitants, la Fédération internatio-nale de football (Fifa) envisage de lancer un appeld’offres pour la retransmission de certains matchsdans les salles de cinéma. En outre, près d’un quartdes Français seraient intéressés par ces retransmis-sions en 3D relief, selon une enquête de Médiamétrie.Même si cette activité reste marginale, redonnera-t-elle pour autant le goût aux amateurs de rugby oud’opéra de voir des films sur les grands écrans dessalles obscures ?

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Les sociétés de journalistes dans la presseécrite, Les documents de travail du Sénat,série Législation comparée, n°LC 205,février 2010, 65 p.

En se limitant au secteur de la presse écrite, l’étudepropose une synthèse comparant les législationsrelatives aux sociétés de journalistes en Europeainsi que des monographies par pays (Allemagne,Angleterre, Autriche, Belgique, Espagne, Italie,Pays-Bas, Portugal, Suède et Suisse).

En France, les sociétés de journalistes (SDJ) sontapparues après la fin de la Seconde Guerremondiale. Créées à la Libération, dans un journalaprès l’autre, elles se sont multipliées dans lesannées 1950 et 1960 afin de résoudre les conflitspotentiels ou réels entre la rédaction d’un journal etson éditeur ou son propriétaire. Constituées au caspar cas pour défendre l’indépendance desrédactions, les SDJ ne bénéficient toujours pas d’unrégime général qui leur soit applicable. De même,aucune disposition ne prévoit leur création obliga-toire au sein des entreprises de presse, toutes caté-gories confondues. En conséquence, l’appellation« société de journalistes » ou encore « société derédacteurs » renvoie à des entités juridiques aussidiverses telles que des sociétés civiles à capitalvariable, des sociétés en nom collectif ou encoredes associations selon la loi de 1901. Faute d’unrecensement officiel, il est difficile d’évaluer le

nombre des structures existantes en France, leForum français des sociétés de journalistes enregroupant, pour sa part, de façon non exhaustive,25 dans le secteur de la presse écrite. Si chaqueSDJ a des compétences spécifiques, inscrites dansson statut ou relevant d’un accord avec l’éditeur, saraison d’exister se résume le plus souvent à lapréservation de l’indépendance éditoriale du journalauquel elle appartient. Parmi ses prérogatives, existeun droit de regard sur la nomination du rédacteur enchef ou du directeur de la rédaction. Plus rares sontles SDJ qui détiennent une partie du capital del’entreprise de presse. Les SDJ élaborent égalementdes chartes déontologiques qui définissent lesvaleurs et les principes de l’entreprise dans l’exer-cice de la profession de journaliste. Il est à noter queles journalistes, élus par leurs confrères pour lesreprésenter au sein d’une SDJ, sont bénévoles. Ilsne disposent d’aucun moyen particulier pour exercerleur fonction de représentant, contrairement auxdélégués du personnel ; ils ne bénéficient pas nonplus d’un régime de protection particulier applica-ble, en cas de sanction ou de licenciement.

En Europe, la liberté ou l’obligation de création d’uneSDJ résulte d’une grande diversité de situationsselon les pays. En Angleterre, en Suède et en Suisse,les SDJ n’existent pas, alors qu’elles relèvent d’uneobligation légale au Portugal, d’une conventioncollective nationale en Italie et aux Pays-Bas, d’unedécision unilatérale des journalistes en Belgique

Vient deparaître��

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francophone (condition préalable à l’obtention del’aide publique à la presse) ou de statuts de larédaction établis par convention entre les journa-listes et l’éditeur en Allemagne et en Autriche.L’Italie constitue une exception européenne en lamatière en vertu de l’obligation faite à tous lesquotidiens nationaux ayant un effectif journalistiquesupérieur ou égal à 10 d’être dotés d’un comité derédaction, équivalent local d’une SDJ. Toutes lesautres entreprises de presse ont au moins unreprésentant. Ainsi, le nombre total de comités derédaction en Italie s’élèverait à 400, tous médiasconfondus. Il en existe une soixantaine auxPays-Bas, et plus d’une dizaine au Portugal.La forme juridique adoptée par une SDJ varie enfonction du degré de liberté (ou d’obligation)applicable à sa création. Ainsi, dans les Etats oùcette obligation n’existe pas, les SDJ revêtentsouvent la forme d’associations à but non lucratif.Contrairement à la France et à la Belgique, plusieurspays accordent un régime de protection particulieraux journalistes élus d’une SDJ. Tout licenciementlié à leur activité à ce titre est interdit au Portugal.En Italie, les mutations et les licenciements concer-nant les membres élus d’une SDJ doiventêtre validés par une organisation professionnellede journalistes ou, à défaut, par une commissionparitaire, comme aux Pays-Bas.Œuvrant pour le respect de la liberté de la presse,les SDJ tendent à préserver l’indépendance de larédaction et à assurer la protection des journalistes.En Italie, il est prévu que la SDJ soit informée àl’avance (au moins 24 heures) de la nomination dudirecteur du titre. Aux Pays-Bas, à l’instar duquotidien De Telegraaf, la SDJ peut émettre un avispréalable et confidentiel en rédigeant une ficheconcernant un recrutement au poste de direction. Unvote de la SDJ est requis sur ce point au sein dujournal belge De Morgen et un vote de la rédactionelle-même sur la personne pressentie au sein deDie Presse en Autriche. A contrario, en Espagne, laSDJ peut émettre un avis défavorable motivé auchoix du rédacteur en chef proposé par la directionde quotidien El País. La SDJ du quotidien belgeLe Soir peut proposer son propre candidat en cas devacance du poste de rédacteur en chef, alors quecelle du quotidien néerlandais De Telegraaf peutprésenter un autre candidat face à celui de ladirection.Certaines SDJ sont informées de tout changementde ligne éditoriale comme c’est le cas au sein duquotidien belge Le Soir, ou de l’état de la situation

financière comme cela se fait en Italie ou en Autrichepour le quotidien Die Presse.La société des journalistes exerce également sescompétences en matière d’embauche, de carrière etde conditions de travail. Ainsi, la SDJ du quotidienbelge Le Soir détermine une procédure pour lerecrutement des journalistes, de même qu’elle setrouve informée a priori d’une décision de licencie-ment. Au Portugal, les SDJ peuvent donner leur avisavant l’embauche d’un journaliste et en cas desanctions disciplinaires. Concernant l’usage de laclause de conscience, les SDJ ont la possibilité des’exprimer au Portugal, en Espagne et en Belgique.Enfin, un rôle de médiation entre la rédactionet les dirigeants est reconnu aux SDJ dans lesstatuts de certaines entreprises de presse, notam-ment dans ceux du quotidien espagnol El Paíset de la Süddeutsche Zeitung en Allemagne.Mais, comme le précisent les auteurs de l’étude, ilexiste parfois une marge entre les textes et leurapplication.

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Comment informer à l’ère du numérique,étude internationale, AFP, janvier 2010,47 p., afp.fr

« Révolution éditoriale », « innovation », « flexibilité »,« offre multimédia », des expressions qui résumentles résultats d’une étude menée par l’AFP, pour lapremière fois de son histoire, auprès de ses clientspartout dans le monde. Plus de 200 professionnelsdes médias ont été interrogés sur une période dequatre mois, entre mai et octobre 2009.Engagée dans un vaste chantier baptisé AgenceMultimédia, l’AFP, une des trois plus grandesagences mondiales, a pour ambition de répondreau mieux aux attentes de ses clients. La doyennedes agences de presse, fondée en 1835 parCharles-Louis Havas, emploie 2 900 collaborateursrépartis dans 165 pays et diffuse les nouvelles dumonde en six langues. Le traditionnel fil AFP, lesdépêches en simple texte, s’est enrichi au cours dutemps d’autres services, comme ceux del’infographie, des photos, du multimédia, desvidéos, délivrés aux quotidiens et magazines, auxradios et chaînes de télévision, aux sites web etportails, aux opérateurs mobiles ainsi qu’aux entre-prises et administrations diverses.L’adaptation du métier de grossiste en information àl’ère du numérique a entraîné de profonds

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bouleversements, tant dans les modes de fabricationde l’information que dans les produits proposés.Une « révolution éditoriale » est en marche, pourreprendre l’expression employée dans ce rapport quien dresse les contours.Les résultats de l’enquête que l’AFP a conduiteauprès de ces clients sont riches d’enseignementssur les transformations à venir du « marché del’information ». Les choix stratégiques faits par cetteagence mondiale, comme par les autres agencesdans le monde, vont façonner les conditions d’accèsà l’information et la manière dont les citoyens de laplanète seront désormais informés.Avec l’avènement d’Internet, des technologiesmobiles et des réseaux sociaux, la demanded’information a considérablement évolué. Plusd’images, plus de produits multimédias, plusd’interactivité sont quelques-uns des traits majeursque devront revêtir les flux d’information dans lemonde pour correspondre aux attentes des médiasclients de l’agence, eux-mêmes désireux derencontrer leur nouveau public.La notion de temps réel en matière d’information,désormais exigée du grand public, est devenueun critère absolu pour les groupes de médias.Parallèlement, il existe également une demanded’information plus complète et plus analytique.Si le texte reste un élément clé dans la fournitured’information, les produits visuels (vidéos etphotos) sont de plus en plus demandés, enparticulier par les nouveaux médias nés sur le Webet sur la téléphonie mobile. Pour 86 % des médiaset agences interrogés, la vidéo haute définition (HD)est considérée comme « prioritaire » ou « intéres-sante » dans un proche avenir.Les médias ont choisi d’opter pour la « complé-mentarité éditoriale » comme axe de développementmajeur, ils ne se contentent plus de répliquer lemême contenu sur les différents supports qu’ilsutilisent : le fil multimédia et le reportage en directsont respectivement plébiscités par 60 % et 57 %des clients de l’AFP. Tous les médias ont démultipliéleur offre sur des supports complémentaires à leurmétier d’origine : la presse écrite s’est installée surle Web, les acteurs du Web sont accessibles sur lemobile et les chaînes de télévision se connectent àInternet. En outre, 71 % des médias interrogésjugent que les UGC (User Generated Contents -contenus générés par les utilisateurs) et les réseauxsociaux constituent de sérieuses opportunités pourla production et la diffusion de l’information, néces-sitant toutefois la mise en œuvre d’outils de

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régulation adaptés pour sécuriser leur exploitation.S’agissant des investissements à venir dans lestechnologies, 34 % des médias ayant répondu àl’enquête indiquent les orienter principalement versla modernisation des systèmes de gestion decontenus et 31 % vers des projets d’adaptation auxsupports connectés Web et mobile. En outre, lesatellite sera progressivement abandonné en tantque mode de livraison de l’information au profit deplates-formes de téléchargement sur le Web, 64 %des clients se déclarent favorables à l’usage d’uneplate-forme unique pour tous les types de contenus(texte, photo, vidéo, infographie, multimédia). Cetteplate-forme devra répondre à quatre critères essen-tiels : ergonomie intelligente, recherche sémantique,classement thématique et accès aux archives.En ce qui concerne le modèle économique, 45 %des entreprises interrogées ont misé sur des straté-gies commerciales mixtes, offrant à la fois descontenus payants et gratuits financés par lapublicité. Seules 25 % d’entre elles proposent descontenus exclusivement payants et 31 % exclusi-vement gratuits. Elles attendent la même chose deleur grossiste en information. Les clients de l’AFPsouhaitent pouvoir bénéficier de formules flexibles,prenant en compte les spécificités propres à chacundes supports sur lesquels ils déploient leurs offres,par exemple, un abonnement illimité pour le texte etla photo mais un paiement à l’acte pour la vidéo etl’infographie, ainsi que le partage des revenus surles produits mobiles. Les clients de l’AFP sontdemandeurs d’une offre de services spécifiques, lescinq services les plus demandés étant l’accès auxarchives, service classé très nettement en tête ; lapersonnalisation des contenus ; la réalisation etgestion de bases de données ; la sous-traitance(outsourcing) journalistique pour des commandesspéciales ou une assistance sur des événementsparticuliers et enfin, la formation journalistique.Face à une situation économique difficile, lesmédias souhaitent également mettre en œuvre dessynergies et des partenariats, en matière detechnologies (47 %), de contenus (54 %) et dediffusion (55%).Pour 88 % des entreprises clientes de l’AFP, lesagences restent des acteurs indispensables au seindu futur marché de l’information, à conditionnéanmoins que celles-ci réalisent les adaptationsnécessaires telles que la différenciation, l’innovationet la garantie de simplicité pour l’accès auxcontenus.

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La presse : le dilemme gratuit-payant,Problèmes économiques, La documenta-tion Française, n°2 990, mars 2010, 32 p.

Un dossier spécial composé des articles suivants :« Chronique d’une automutilation », Kurt W.Zimmermann ; « La presse écrite à l’épreuve del’Internet », Antoine de Tarlé ; « Presse française :réveiller la belle endormie », Bernard Pecquerie ;« Contenus éditoriaux sur Internet : bientôt la fin dela gratuité ? », Ralf Dewenter ; « L’industrie de lapresse n’en est pas à son premier bouleversement »,The Economist ; « Microsoft plus “gentil” queGoogle avec la presse », Jean-Christophe Féraud.

Diffusion et utilisation des TIC en France eten Europe en 2009, Valérie Deroin, CultureChiffres, DEPS, Ministère de la Culture,mars 2010, 12 p., culture.gouv.fr

Données chiffrées et analyse comparée de l’accèsaux équipements numériques des ménageseuropéens ainsi que de l’usage qu’ils en font.

Conférence de Serge Soudoplatoff :Les vraies ruptures d'Internet, les-ernest.fr

L'histoire de la révolution Internet et la société que cenouvel outil peut contribuer à créer. ConférencesErNeSt de l’Ecole normale supérieure, février 2010(durée : 15 minutes).

Interviews ARCEP sur la neutralité desréseaux, arcep.fr

En complément du colloque organisé par l’ARCEP,en avril 2010, sur ce thème, une série d’interviewsdisponibles en vidéo apporte une diversité de pointsde vue :ARCEP : Jean-Ludovic Silicani, Alcatel-Lucent :Gabrielle Gauthey, ANRT : Azdine El MountassirBillah, ASIC : Giuseppe de Martino, CMT : MarcelCoderch, Cogent : Vincent Teissier, FranceTélécom : Stéphane Richard, French DataNetwork : Benjamin Bayart, Google : Olivier Esper,

Hogan et Hartson : Winston Maxwell, Iliad-Free :Maxime Lombardini, KizzTV et ZDNet : Pierre Col,Qualcomm : Wassim Chourbaji, RTL : Charles-Emmanuel Bon, SACD : Pascal Rogard, SACEM :Bernard Miyet, Sénat : Bruno Retailleau,Telecom Paris Tech : Michel Riguidel, TF1 : GillesMaugars, UFC-Que-Choisir : Alain Bazot, Vivendi :Jean-Bernard Lévy.

Exposition « Paris Journal, le quartier de lapresse, XIXe-XXIe siècles », Paris, mairie du9e arrondissement

1830-1980 : époque où les Grands Boulevardshébergeaient les principaux journaux (rédactions,imprimeries, distribution…). Cette exposition orga-nisée par le Comité d’Histoire de la ville de Pariset conçue par Patrick Eveno, professeur d’histoirecontemporaine à l’université Paris 1, est à voir du25 mai au 21 août 2010.

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Et aussi...

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Grande-Bretagne :le retour des débatstélévisésNick Clegg, version britannique de Barack Obamma ?A la veille des élections du 6 mai 2010, l’éditoria-liste du Guardian s’était hasardé à comparer le chefdes libéraux démocrates britanniques, devenu« incontournable », avec l’hôte de la MaisonBlanche.Il y a au moins ceci qui les rapproche : la télévision,au premier regard, a fait leur fortune, elle a assuréleur victoire, à un moment décisif de leur carrière.Après une prestation télévisée « réussie », BarackObama obtenait un triomphe inattendu, en janvier2008, à l’issue des primaires de l’Iowa, ce quiouvrait à ce sénateur inexpérimenté la voie d’unevictoire assurément historique. Nick Clegg doitpareillement au petit écran l’amorce de son ascen-sion : le 15 avril 2010, il sort largement vainqueurdans un débat télévisé, en direct, où les trois princi-paux partis s’affrontaient pour la première fois. Achaque élection depuis celle de 1964 en Grande-Bretagne, la question de l'opportunité d'organiserpareils débats s'est posée, entraînant chaque fois lerefus de l'un au moins des candidats concernés.

Aussitôt qualifiée d’excellente par les commentateursde la presse imprimée et télévisée, sa prestation surITV fait décoller dans les sondages le leader deslibéraux démocrates, bousculant profondément la

donne des législatives, annonçant du même coupune reconfiguration du paysage politiquebritannique. En une seule fois, il gagne 12, voire13 points, dans les sondages. Avec 29 % d’inten-tions de vote pour les législatives du 6 mai, il prendla deuxième place, après le leader conservateur,David Cameron, qui totalise 31 %, et surtout devantles 27 % du Premier ministre sortant, GordonBrown. En le créditant de 32 % d’intentions de vote,un sondage pour The Independant on Sunday placele chef des libéraux démocrates en tête du trio. Le6 mai, le vote « utile » l’a emporté sur le choixdémocratique des électeurs, selon la logique duscrutin majoritaire à un tour : Nick Clegg se retrouveavec 23 % des suffrages exprimés, mais il faitpasser son parti du statut de faire-valoir ou de forced’appoint à celui de « faiseur de loi ».

L’irruption spectaculaire du troisième hommeimpose ce constat, dont les militants ou lescommentateurs, nombreux, se lamentent : la télévi-sion n’a pas abandonné la partie ; elle continuemême, sinon à « faire » les élections, du moins àen influencer grandement le cours, et même lesrésultats. Au lendemain du troisième débat entre lesleaders des trois partis, le sérieux Times pouvaittitrer, la veille du scrutin : « Le destin politique desleaders des partis – et l’avenir du pays – ontété profondément influencés par ces débats ».Huit millions de Britanniques ont regardé le dernierdébat sur la BBC, une semaine tout juste avant lejour J, soit beaucoup plus que les 6,7 millionsrecueillis par le feuilleton très populaire diffusé par lachaîne concurrente, loin devant les 3,4 millions qui

48Articles & chroniques

Articles&chroniques��

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ont préféré la demi-finale de football entre Liverpoolet Madrid.Depuis les années 1980, on croyait que latélévision était comme « rentrée dans le rang »,banalisée par l’usage et par l’usure. Les face-à-faceentre Chirac et Mitterrand, en 1988, entre Chirac etJospin, en 1995, n’avaient entraîné aucuneinflexion dans la courbe des intentions de vote. Ellesemblait donc bien révolue cette époque compriseentre 1960 et 1980-1981, depuis l’élection deKennedy jusqu’à celle de François Mitterrand, où lesthèmes marquants de la campagne électoralesurgissaient à l’occasion du face-à-face télévisé, enrésonance avec le climat d’opinion prévalant chezles indécis. Celle également des « petites phrases »,qui marquaient de leur empreinte le ton et jusqu’aufond des discours gagnants : le célèbre « Vousn’avez pas le monopole du cœur », lancé àl’adresse de son adversaire par Valéry Giscardd’Estaing en 1974, que l’on rapproche volontiers de« la force tranquille » que François Mitterrand voulaitincarner sur les écrans de 1981.Sans nul doute, le souvenir du triomphe d’Obama,en novembre 2008, planera encore longtemps surles élections dans le monde démocratique. Aprèsl’entrée de la Toile dans la présidentielle américainequi opposa John Kerry à George W Bush, en 2004,on a vu dans l’élection d’Obama le triomphed’Internet, comme Franklin Roosevelt avait assuréen son temps celui de la radio, et Kennedy, en1960, celui de la télévision. En 2000 déjà, lorsqueBush s’opposait à Al Gore, les « passionnés de poli-tique » avaient fréquenté les sites de la Toile ouregardé les chaînes thématiques : la télévisiongénéraliste ne représentait déjà plus ce qu’elle avaitété en 1960, lorsque Kennedy, grâce à elle,devança Nixon, son adversaire. En 2004, pour lapremière fois, on attribue à Internet un rôle certaindans la présidentielle américaine : d’abord avec sesquelque 200 sites d’information, prolongés chacund’un forum de discussion ; ensuite, avec les deuxmillions de blogs, dont quelques dizaines seulementavaient acquis, par leurs éditoriaux, une véritableinfluence. En France, Internet joua un rôle beaucoupplus important en 2007 qu’en 2002, avec ses sites,ses vidéos pirates, mais il ne s’est pas substituépour autant aux autres médias d’information : parmiles internautes interrogés, la Toile arrivait en 5e

position parmi les médias utilisés pour s’informer(citée par 48 %), très loin derrière la télévision(82 %), la radio (63 %), la presse écrite (61 %)et l’entourage (55 %).

En 2008, on estimait volontiers que la Toile avaitcontribué à l’élection d’Obama comme la télévisionavait permis, en 1960, la victoire de Kennedy surNixon. Jamais, il est vrai, un candidat n’avait puconstituer, grâce à la Toile, un pareil réseau dedonateurs, de bénévoles, de militants et de sympa-thisants : ce qui permit au candidat démocrate derécolter 600 millions de dollars, trois fois plus queson adversaire. Et un tiers des Américains déclarè-rent avoir regardé les vidéos démocrates sur Internet,trois fois plus qu’en 2004.Ce que l’irruption spectaculaire de Clegg dans lepaysage politique britannique, le 15 avril dernier,vient très opportunément nous rappeler, ce n’est pasle retour annoncé et la victoire redoutée du face-à-face télévisé en politique, mais bien plutôt unpartage plus ou moins heureux des tâches entre lesdifférents médias d’information en compétitionpour retenir l’attention des citoyens-électeurs. EnGrande-Bretagne en 2010, comme en France en2007, lorsque Nicolas Sarkozy remporta 53,3 %des suffrages exprimés face à Ségolène Royal, etcomme aux Etats-Unis en 2008, aucun média, àl’évidence, ne manqua à l’appel. La campagneprésidentielle française de 2007 fut marquée parune mobilisation sans précédent des médias, quelsqu’ils soient, ce qui reflétait en même temps qu’ellerenforçait la motivation des électeurs eux-mêmes.Le recours savamment orchestré d’Internet auxEtats-Unis, qui continue de fasciner les Britanniqueset les Français, n’a guère permis à Obama denégliger la télévision, où une publicité politique de30 minutes a été diffusée à sa gloire six joursseulement avant le scrutin sur les sept plus grandeschaînes de télévision.Face à l’overdose médiatique, chacun retrouve sesdroits : la télévision, dont on avait un peu viteannoncé la fin ; la presse imprimée, qui excelletoujours dans l’analyse et le commentaire ; la radio,qui joue sur la spontanéité et l’ubiquité ; la Toile,enfin, dont les capacités à mobiliser les militants etles sympathisants sont avérées. Et chaque médiadécouvre qu’il ne peut exceller sur tous les terrains :une chose est de révéler, de sensibiliser ; une autreest d’informer à proprement parler, en analysant, eninterprétant ; une autre enfin consiste à convaincredu bien-fondé d’un parti pris, à coups de commen-taires plus ou moins argumentés. Là réside, sansnul doute, l’enseignement des législatives britan-niques de mai 2010.

Francis Balle

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Marques de média etmédias de marqueHier encore, la marque désignait un produit indus-triel de luxe ou de grande consommation : nouschoisissions alors nos marques de pâtes ou delessive, de voiture ou de parfum. Aujourd’hui, afinde se repérer dans la multitude des offres d’infor-mation, de divertissement et de culture, nousaurions prétendument plus que jamais besoin dereconnaissance, d’identification à un groupe, à uneidée, voire à un concept. Le groupe Apple est passédepuis longtemps maître en la matière, en créantdes produits innovants et savamment mis sur lemarché en jouant sur le désir et l’impressiond’exception émanant de sa marque. Depuis plusd’un quart de siècle, nous opposons toujours leterme « PC » au nom « Mac ». De même que leFrigidaire a définitivement remplacé le réfrigérateur etle Kleenex, le mouchoir en papier, ou plus récem-ment le Post-it, le pense-bête, nous ne disons pasbaladeur mais iPod, téléphone multimédia maisiPhone, tablette numérique mais iPad. Comme lerésume parfaitement d’une formule NorbertReithofer, PDG de BMW, « le monde entier a retenuson souffle avant la présentation de l'iPad. Il s'agitlà d'une gestion de marque à son summum ».Selon l’enquête établie annuellement auprès de16 000 dirigeants des plus grandes entreprisesinternationales par le magazine américain Fortune,la société Apple, dont le dirigeant Steve Jobs arécemment été consacré « patron de la décennie »,a été élue « l’entreprise la plus admirée au monde »pour la troisième année consécutive : « C’estl’entreprise qui a changé la façon dont nous faisonstout, de l’achat de musique au design de sesproduits » selon Christopher Tkaczyk, rédacteur àFortune.

La communication de marque s’étend ausecteur des médias

Près de trente ans ont passé depuis les premièresétudes marketing vouées au lancement de maga-zines féminins en France, à l’initiative du groupePrisma Presse, filiale de l’allemand Bertelsmann,qui ont incontestablement assuré le succès deformules comme Femme Actuelle, frôlant le milliond’exemplaires diffusés. De même qu’iTunes, lelogiciel d’Apple, est synonyme de musique, n’en

déplaise aux mélomanes dont le format audionu-mérique MP3 brûle les oreilles, faut-il se demanderaujourd’hui quelle sera la marque qui donnerademain son nom aux programmes de télévision etde radio, ou encore à l’information ? iPad ?

Si le mot appartenait jusqu’ici au langage desspécialistes du marketing et à leurs étudesd’audience, chemin numérique faisant, la marquefait aujourd’hui partie intégrante du discours deshommes de presse. Une petite révolution culturelleau sein de ces entreprises pas comme les autres quis’apparentent néanmoins de plus en plus auxautres, au rythme des grands bouleversementsnumériques. L’enjeu est de taille pour toutes lesentreprises de médias qui vont devoir rendre acces-sible l’ensemble de leurs productions sur tous lesterminaux existants, qu’ils soient fixes ou mobiles.A l’avenir, les contenus seront multimédias et multi-supports ou ne seront pas. Les éditeurs de contenusd’information et de divertissement cherchent àvaloriser leur savoir-faire, tant auprès des annon-ceurs que des consommateurs, devenus desinternautes lecteurs-auditeurs-spectateurs. Face àune offre média pléthorique résultant d’une concur-rence accrue entre les différents acteurs, médiastraditionnels et pure players, l’enjeu économiqueréside dans la captation de l’attention des consom-mateurs et dans leur fidélisation. Pour les entreprisesde médias, il s’agit dorénavant de tisser un lienquasi affectif avec leur public pour rester l’élu de leurchoix. Cette nécessité de reconnaissance et d’adhé-sion du public passe par l’édification d’une politiquede marque.Comme les grands groupes de l’agroalimentaire oude l’automobile, les entreprises de médias comptentsur les techniques marketing à l’ère du numériquepour conquérir et surtout retenir leurs publics de plusen plus tentés par l’infidélité face à la diversitétoujours croissante des offres de contenus. Pouraugmenter l’audience des supports médiatiques, ilsemble que la recette soit identique à celle qui estutilisée pour vendre des produits industriels :proposer plus qu’un bien, accompagner celui-cid’un service en facilitant la vie quotidienne duconsommateur, grâce notamment à l’établissementd’une relation directe. Pour instaurer cetterelation particulière, les entreprises de médiasmisent sur le développement des réseaux sociauxet plus particulièrement sur leur capacité à créer descommunautés d’intérêt offrant une mise en relationdirecte des individus et des contenus. Tous les

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éditeurs de contenus médias cherchent à inventer denouvelles expériences multimédias pour leur public,des bonus qui viennent compléter leur offretraditionnelle d’information ou de programmes parde nouvelles applications, au développementdesquelles travaillent les ingénieurs et les techni-ciens de leur division numérique, dont les effectifsgrossissent au sein des entreprises de pressecomme de télévision.Selon le baromètre UDA/OpinionWay, plus de lamoitié des annonceurs sont présents sur les réseauxsociaux, avec pour objectif de mieux appréhenderles modes de consommation, en instaurant notam-ment avec les internautes une relation de complicité.Les marques se construisent désormais avec lesmédias sociaux. La page Facebook de Coca-Colacompte 5 millions d’adeptes. Les industriels ontadopté l’esprit Web 2.0 pour mieux capter celui desconsommateurs. Services personnalisés de beautéou de diététique, services gratuits à domicile, orga-nisation de manifestations sportives ou de concerts :les grandes marques de l’agroalimentaire ou del’automobile jouent la proximité et la complicité pourmieux emporter l’adhésion de leurs consommateurs.Depuis longtemps, les industriels savent séduirepour vendre : la valorisation de la marque faitvendre leurs produits.

Les marques de média

Le groupe Lagardère vient d’inventer une nouvellemarque à partir d’une… autre marque. Sa filiale, legroupe de presse Elle, a annoncé en mars 2010 lacréation de Elle en Scène, une nouvelle marqueconsacrée à l’organisation et à la production deconcerts en s’appuyant sur un « dispositif cross-média », ce qui signifie en langage marketing valo-riser l’opération grâce aux supports presse, Internet,hors-média et mobile de la marque Elle.Le processus est encore plus sophistiqué pour lelancement de « Be ». Face à ses concurrents Monda-dori et Marie Claire, qui ont respectivement lancé leshebdomadaires Grazia et Envy sur le déjà trèsencombré marché de la presse féminine (fort d’unequarantaine de titres), Didier Quillot, président dudirectoire de Lagardère Active, dont le dernierlancement en France remonte à 2003 avec lemagazine people Public, définit la gestion demarque comme axe stratégique de son groupe :« Nous ne lançons pas un magazine mais unemarque média globale ». « Global », « 360 degrés »ou « communautaire » sont les argumentaires de

lancement d’un « produit » d’un genre nouveauinventé par le numéro un de la presse magazine enFrance, pour définir sa nouvelle offre multimédiabaptisée Be. Un concept qui se décline à la fois sursupport papier, sur le Web, sur l’iPhone, en télévi-sion et en radio, ainsi qu’avec une boutique enligne.Selon Didier Quillot, il s’agit d’une première mon-diale en matière de gestion de marque (brandmanagement ), « un aboutissement marketing » :la création de la marque Be, fédératrice d’une com-munauté de jeunes femmes âgées de 20 à 35 ans,les « Bees », censées se connecter en permanenceafin de partager les mêmes centres d’intérêt ainsique leur-garde robe, mais aussi faire des achats,s’offrir une expertise beauté ou un tirage de cartesdivinatoire. Le magazine Be, les programmes Be, laweb radio Be On Air et la Be boutique assurent laprésence plurimédia de la marque ayant pourslogan « For the Now Generation », cette générationde jeunes filles d’aujourd’hui « qui veulent du luxe,du jetable et tout, tout de suite », selon la brandmanager du groupe. Pour la première fois, tous lesmédias du groupe Lagardère participent à l’éclosiond’une marque et de sa communauté de trentenaires,à la fois lectrices, téléspectatrices, auditrices, inter-nautes et consommatrices de la marque. Pour lelancement de cette « marque média globale », legroupe Lagardère Active a investi 20 millions d’eurosen études, conception, publicité et promotion.Premier support en date de la marque, le sitecommunautaire Be.com est accessible depuis le4 janvier 2010. Consacré essentiellement à lamode, Be.com enregistrait 400 000 visiteursuniques fin février 2010 et plus de 440 000 fin mars(3 millions de pages vues), avec un objectif d’unmillion dans un an. Ensuite, une application Be aété lancée sur l’iPhone le 5 février 2010, avecnotamment une offre premium. Environ 20 % desinternautes inscrites au site se connectent depuisleur iPhone, l’application devrait compter 300 000téléchargements à la fin de la première année.Néanmoins, la principale source de revenus de la« marque média globale » devrait être le supportpapier. Lancé le 19 mars 2010 au prix d’1 euro,puis 1,50 euro un mois plus tard, l’hebdomadaireféminin Be a réalisé dès les premiers numéros debons résultats en termes de vente et de publicité.Avec une mise en place de 520 000 exemplaires, ladiffusion moyenne est de 220 350 exemplaires pourles deux premiers numéros, avec une paginationpublicitaire moyenne de 36 pages, pour un objectif

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de départ de 160 000 exemplaires diffusés enmoyenne annuelle et environ 20 pages de publicitépar numéro, selon l’éditeur qui prévoit un équilibrefinancier dans trois ans et un retour sur investisse-ment dans cinq ans. La marque Be est égalementpromue par des programmes de télévision et desvidéos produits par Lagardère Entertainment etdiffusés sur les chaînes du groupe, June et Virgin17. De même, une play-list Be est programmée surVirgin Radio. Enfin une boutique en ligne complètecet arsenal médiatique. Avec ses « communautésde shoppeuses », Be.com est « un peu le Facebookde la mode » selon la formule de Didier Quillot.

Au même moment, en mars 2010, Eric Fottorino,président du directoire du groupe Le Monde, éditeurdu quotidien du même nom, annonce à son tourque « pour la première fois de son histoire,Le Monde se présente comme une marque depresse globale, capable d’offrir à son public descontenus cohérents et complémentaires » à chaquemoment de la journée et où qu’il se trouve. A lafaveur d’un changement de maquette offrant unenouvelle Une et des rubriques inédites (24 heuresdans le monde, Contre-enquête, Analyse), un« nouveau modèle multimédia » voit le jour, s’ap-puyant tout à la fois sur le papier, le Web, l’iPhoneet l’iPad. Un newsdesk, composé de huit journa-listes, est chargé de mettre en œuvre les synergiesentre le papier et le site web auquel les journalistesde l’édition imprimée devront dorénavant apporterdavantage de contributions. Imitant la formule àsuccès des opérateurs télécoms, le groupe LeMonde lance son quadruple play à 29,90 euros parmois. Cette offre éditoriale dite globale donne accèsau quotidien et à ses suppléments, ainsi qu’àl’ensemble de ses déclinaisons numériques,Internet, téléphone multimédia, tablette numérique.Comptant 1,4 million de téléchargements de sonapplication gratuite pour l’iPhone fin mars 2010(soit près de la moitié des iPhone en France),Le Monde propose également une version payantede l’édition papier accessible sur le téléphoneportable d’Apple. Ainsi, dans les colonnes dujournal qu’il dirige, Eric Fottorino explique que « lejournal de référence doit devenir une marque deréférence et, de préférence, qui suscite l’attractivité.Les différents supports, papier et numérique, ne sontpas concurrents mais complémentaires : au papier,l’investigation de longue haleine et le décryptage ;au Web, le flux et le débat interactif ; à l’iPhone etautres smartphones, l’alerte et l’information rapide ».

Le Monde a adopté la même stratégie vis-à-vis deses annonceurs en leur proposant, depuis avril2010, une nouvelle offre commerciale multisupportbaptisée 4play. Un événement certes anecdotique,mais symptomatique : à partir de juin 2010, l’offrede fin de semaine du quotidien Le Monde est enri-chie d’un nouveau produit hors presse, un exem-plaire d’une collection de vingt ouvrages baptiséeLes Grands Classiques de la littérature libertine, dontla direction artistique a été confiée à Nathalie Rykiel,présidente d’une célèbre… marque de mode.

Même stratégie imminente du côté de la télévision,illustrée par une rhétorique identique de content 360ou de cross-media content, telle que les profession-nels de la télévision l’envisagent dans les travées duMarché international des programmes de télévision(Mip TV) qui s’est tenu à Cannes en avril 2010. Al’instar des autres médias, la télévision est appeléeà se fondre dans le réseau des réseaux pourcontinuer d’exister. Pour Pascal Josèphe, anciendirecteur général adjoint de l’antenne de France 2 etFrance 3, consultant médias et président de l’Imca(International Media Consultants Associés), « lesprogrammes TV doivent devenir des marques ». Leschaînes historiques ont cédé le terrain du numériqueaux pure players. Face à la multiplication deschaînes gratuites ainsi qu’au succès du Web 2.0 etdes réseaux sociaux, elles doivent relever le défi encréant une politique de marques pour leursprogrammes : « A tout instant, l’offre de l’antennetraditionnelle devrait renvoyer vers un prolongementnumérique tel que chaque émission vive 24 heuressur 24 sur le Web, entretenant en permanence sarelation propre avec la communauté des téléspecta-teurs concernés » fait remarquer Pascal Josèphe. Achaque programme devrait donc correspondre ununivers.Les téléspectateurs internautes peuvent désormaisinteragir à leur guise durant la diffusion desprogrammes en postant des commentaires, créantainsi de nouvelles communautés d’audience autourde leurs émissions préférées. Selon Xavier Spender,président de l’Association des chaînes convention-nées éditrices de services (Acces), la fusion del’ordinateur et du téléviseur (voir supra) « vapermettre aux chaînes thématiques de construire desmarques pour diffuser des contenus sur tous les ter-minaux fixes et mobiles, sur Internet ou broadcast ».Egalement directeur de L’Equipe TV et de lequipe.fr,Xavier Spender annonce qu’à l’occasion de la Coupedu monde de football, toutes les rédactions, papier,

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Web et télévision, vont pour la première fois travaillerensemble : « Nous allons scénariser l’événement ».

En se voulant omniprésentes, les marques indus-trielles et de services continuent de faire parler d’ellesaussi sur les médias hors ligne que sont encoremajoritairement les livres, en adoptant des angleséditoriaux de plus en plus pointus. A côté destraditionnelles éditions anniversaires retraçantl’histoire de la marque ou de l’un de ses produits,comme Billy le Kit paru chez Albin Michel pour lestrente ans de l’étagère Ikea, sont édités des ouvragesaux thématiques très actuelles. Bouygues BâtimentInternational a ainsi lancé une collection autour del’esprit des lieux, quand le spécialiste des servicesénergétiques Dalkia publie des anthologies littéraireset artistiques sur le thème des éléments, ouvragesqui sont tous publiés aux éditions Textuel, pionnièresdu genre et dont les livres d’entreprise représententun tiers du chiffre d’affaires avec 10 à 15 titres paran. Nombreux sont les secteurs d’activité concer-nés, la prépondérance revenant à l’agroalimentaire,avec les marques Tipiak (Les céréales. Prenez-ende la graine aux éditions First) ou Nestlé Dessert(C’est fort en chocolat chez Marabout).

Les médias de marque

Les pratiques du Web 2.0 se généralisent bienau-delà du seul périmètre des réseaux sociaux. Lesmédias traditionnels eux-mêmes sont tentés deprendre en compte ces nouveaux usages afin deséduire les consommateurs internautes. Le télévi-seur s’ajoutant aujourd’hui à la liste des terminauxconnectés à Internet, cette révolution technologiquepour le petit écran va entraîner les grandes chaînesgénéralistes, ainsi que la multitude de chaînesthématiques (au nombre de 184 aujourd’hui), dansune nouvelle concurrence face aux pure players duWeb (voir supra).

Les téléspectateurs auraient, nous dit-on, pris deshabitudes inédites : comme leur ordinateur, ilsseraient devenus multitâches et regarderaientdésormais la télévision tout en surfant sur le Net.Aux Etats-Unis, où 60 % des téléspectateurs ontadopté ce comportement, le premier réseau socialde télévision Starling permet de se faire des amis,fans des mêmes programmes, en partageant aveceux ses impressions durant la diffusion. Le site demicroblogging Twitter contribue également à cettenouvelle forme d’interactivité télévisuelle grâce à la

diffusion de tweets (messages) en direct sur lachaîne Current TV, ou encore la réalisation desondages auprès des utilisateurs de Twitter sur CNN.L’esprit du Web 2.0 renouvellerait ainsi notre façonde regarder la télévision. Ce qui fait dire à KevinSlavin, créateur de Starling : « Ce ne sont plus dixmillions de personnes qui regardent seules le mêmeprogramme mais dix millions de personnes qui leregardent ensemble ».

Les professionnels de la communication ont déjàadopté les outils du Web participatif ; les profes-sionnels de l’information sont en passe de selaisser séduire. Les amis et les proches étantles meilleurs prescripteurs d’achats, le succèsplanétaire d’un réseau social comme Facebook,avec ses 400 millions de membres (autant qued’internautes en Chine), en fait un tremplin uniquepour les marques, dont certaines comptabilisentdéjà un important groupe de fans. En outre, en mai2010, les pages de Facebook comptaient pour lapremière fois plus d’encarts publicitaires que tousles autres sites américains, y compris Yahoo!, le sitede socialisation détenant 16,2 % de part demarché aux Etats-Unis au premier trimestre 2010contre 7,5 % un an auparavant. Mais les tarifs desbannières sur Facebook restent dix fois inférieurs àceux proposés par Yahoo!. En France aussi,Facebook serait le premier support publicitaireInternet depuis février 2010.Avec le lancement d’Open Graph, en avril 2010,Facebook encourage encore davantage lesinternautes à exprimer leurs préférences. Ce nouveloutil, proposé à des sites extérieurs au réseausocial, permet à un Facebooker de se déclarer fand’une page web en cliquant sur « j’aime » et de voirautomatiquement celle-ci publiée sur sa pageFacebook. En surfant sur les sites de leurs marquesfavorites, les membres du réseau social découvrentdésormais si leurs amis sont aussi fans des mêmesproduits. Certains médias américains ont déjàmontré leur intérêt pour ce nouvel instrument publi-citaire, telles les chaînes CNN et ESPN.Loin derrière les moteurs de recherche, au premierrang desquels se trouve bien entendu Google, leréseau social Facebook est déjà un générateur detrafic pour les autres sites. Une étude menée en mars2010 par la société de mesure d’audience ATInternet démontre l’impact du réseau Facebook enFrance, son quatrième marché, après les Etats-Unis,le Royaume-Uni et la Turquie, avec plus de15 millions de membres. Pour les douze sites de

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médias français étudiés, Facebook générerait prèsde 1 % du trafic (contre plus de 40 % pour Google)et plus de 8 % du trafic des sites affluents, c’est-à-dire ceux qui renvoient vers les sites d’information.

En mai 2010, YouTube fête son cinquième anniver-saire en annonçant avoir franchi le seuil de deuxmilliards de vidéos visionnées par jour, soit près dudouble de l’audience prime time des trois premièreschaînes de télévision américaines. Le site Internet departage de vidéos, acquis par Google en 2006, meten ligne une moyenne de 24 heures de vidéoschaque minute, ce qui équivaut à 150 000 longsmétrages par semaine. Le site n’est plus seulementle lieu d’échange des créations vidéo d’amateurs, ilsert désormais à la communication de tous,particuliers, hommes politiques, entreprises et biensûr publicitaires. « YouTube est devenu l’endroit oùvous faire connaître », annonce le site. Les profes-sionnels de la publicité l’ont bien compris, quiconseillent à leurs clients annonceurs de ne plusmiser uniquement sur la publicité classique.

Les années 1990 ont vu prospérer les consumermagazines, à l’instar des inflights, magazines debord distribués par les compagnies aériennes.Relevant de la communication dite hors-médias, cespublications luxueuses, à la périodicité plus oumoins régulière et proposées gratuitement, assurentla promotion de produits pour plusieurs annonceursgrâce à des articles proches dans leur conceptionde ceux de la presse écrite. Les années 2010connaîtront-elles les consumer programmes pour latélévision ou pour le Web ?Tous les grands groupes de publicité, OmnicomMedia Group, Publicis, Havas, Aegis Media, ont misen place depuis le début de l’année 2010 denouvelles structures de production de brand content,c’est-à-dire des contenus spécialement créés pourles marques. Ainsi, Havas Productions a réalisé undocumentaire de 52 minutes sur les coulisses de laréalisation (making off) du spot Roller Babies de lamarque Evian. Coproduit par la RTBF, la télévisionpublique belge, et BETC Euro RSCG, filiale de Havas,ce programme a été financé à hauteur de 60 % à70 % par Evian. Diffusé par de nombreuses chaînesde télévision dans une quinzaine de pays (Belgique,Suède, Danemark, Suisse, Australie, Israël,Canada…), ce documentaire n’a pas trouvé preneuren France où les chaînes ont craint de se fairecondamner pour publicité déguisée. En 2009, unautre documentaire, sur les 24 heures du Mans, a

déjà été produit par Havas Productions avecl’annonceur Peugeot. Diffusé en France par la chaîneInfosport, ce programme a été vendu dans quarantepays.La création de contenus de marque compte aussisur le Web, et plus particulièrement sur les réseauxsociaux, pour diffuser son message. Ainsi, lanouvelle filiale de Publicis, Newcast, a lancé unesérie web baptisée U Dance by Always, marque dugroupe Procter & Gamble, composée de34 épisodes de quatre minutes et racontant lesaventures de sept jeunes filles participant à unconcours de danse. Diffusée sur Dailymotion etMSN, ce brand content a enregistré deux millions devidéos vues. Les marques adaptent ainsi leur poli-tique de communication aux nouveaux usages nu-mériques afin de toucher la cible des jeunesconsommateurs, plus internautes que téléspecta-teurs.

« C’est l’aboutissement du mariage entre le mondedes marques et celui de la production télévisée »,selon Antoine Robin, directeur général d’HavasProductions. Le documentaire Evian a été le 15e

programme le plus visionné parmi plus de 1 300documentaires présentés au Marché internationaldes programmes documentaires (MIP Doc) en avril2010. De grands annonceurs ont également choisice nouveau mode de communication, à l’instar deDior avec la réalisation de courts métrages par desréalisateurs de cinéma, ou du constructeur automo-bile Renault, qui a lancé la chaîne Renault TV surSky et CanalSat en janvier 2010. Avec sa sociétéBlue AM, créée en partenariat avec l’agence Blue deChristophe Lambert et Luc Besson, le groupe AegisMedia France a annoncé un projet de long métrageet une émission de télévision, prévus pour la fin del’année 2010.Le placement de produit à la télévision, dans lesprogrammes de fiction, les clips musicaux et lesœuvres cinématographiques, autorisé à la suite dela délibération du Conseil supérieur de l’audiovisueldu 6 mars 2010 en application de la loi du5 mars 2009, risque d’accentuer la confusion desgenres entre fictions de marque et œuvres audiovi-suelles. Néanmoins, l’apport pécuniaire des annon-ceurs pourrait tenter les producteurs en mal definancement. Havas Production et la chaîne musi-cale, Virgin 17, projettent de s’associer dans laproduction de clips incluant le placement de produit.A noter que Virgin 17 attend l’aval du CSA pourrejoindre le groupe Bolloré, premier actionnaire du

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groupe Havas.

Le succès d’audience des sites du Web 2.0 commeYouTube ou Dailymotion a entraîné une forte crois-sance de la consommation de vidéos sur Internet.En France, celle-ci a augmenté de 140 % entre2008 et 2009 pour atteindre 5,4 milliards de vidéosvues par mois, selon comScore. L’essor desconnexions mobiles avec les smartphones et lestablettes numériques ne peut qu’accélérer cettetendance. Les entreprises souhaitent pareillementtirer les bénéfices de ces nouvelles pratiques. Denombreuses sociétés comme Kewego, Brainsonicou Tivipro en France, se sont spécialisées sur lemarché de la vidéo en ligne pour les entreprises.Elles leur proposent des outils pour éditer et diffuserleurs vidéos (publicité, reportage, démonstration,conférence…) sur Internet. L’entreprise américaineBrightcove, leader sur ce marché aux Etats-Unis,compte 1 500 clients repartis dans 45 pays (AOL,New York Times, General Electric…) et a ouvert unefiliale en France en mai 2010. Ayant débuté princi-palement avec les médias (presse, télévision,cinéma et musique), Brightcove attire de plus enplus d’entreprises d’autres secteurs d’activité enquête de reconnaissance sur le Net, et compte déjàparmi ses clients français les groupes Sociétégénérale, Audi France et Roche.

La marque comme caution ?

Face à une concurrence toujours plus rude, due àla multiplication des sources de programmes etd’informations sur Internet, les médias traditionnelscherchent à développer une politique de marque afinde faire émerger autour de leurs productions ununivers communautaire qui leur soit propre, favori-sant ainsi l’adhésion des téléspectateurs ou deslecteurs, l’esprit d’appartenance à une communautédevant permettre de les fidéliser.

Les bouleversements technologiques sont autant dechangements radicaux imposés aux entreprises demédias dont le modèle économique se trouve ainsiremis en cause, chacune tentant d’élaborer sapropre recette, notamment entre ce qui doit êtrelaissé en accès payant ou en accès gratuit. L’adap-tation de leur production à une multitude denouveaux supports pour la rendre accessible aupublic à tout moment et partout est un enjeu detaille. Selon Renée Plato, vice-présidente de ladistribution de vidéo numérique du groupe Disney :

« La marque va devoir transcender tous lessupports ». Apposer sa marque partout. Avoir unevisibilité sur tous les supports possibles en restantidentifiable comme une même entité d’un support àl’autre : il ne s’agit plus seulement de vendre desproduits dérivés numériques mais bien de créer denouveaux modes de production destinés à tous lesterminaux.

Le modèle économique correspondant au « ce queje veux, quand je veux, où je veux » du client inter-naute n’est pas encore trouvé. La réponse à cesattentes inédites de consommation entraîne lesentreprises de médias dans une fuite en avantd’élaboration de nouveaux produits transformablesen de nouveaux usages. Instaurer un lien perma-nent avec sa communauté de téléspectateurs,d’auditeurs, de lecteurs ou d’internautes, grâce àune accessibilité des contenus sur des supports deplus en plus variés, signifiera forcément que lanature même des contenus évoluera pour permettrece type d’exploitation. On l’a vu, lors de l’avènementdu DVD, le film ne se suffit plus à lui-même,l’absence de bonus le reléguant d’office dans lesproduits bradés à bas prix. Jusqu’où ira-t-on dansl’usage du marketing au service de l’offre média ?Alors que les relations entre la presse et la publicitéont progressivement donné lieu à l’élaboration d’uneréglementation et d’une déontologie, veillant àdistinguer, autant que faire se peut, l’information dela communication pour éviter les dangers dus aumélange des genres, les techniques marketing sontde plus en plus présentes au sein des médiastraditionnels, sans que l’on puisse encore enmesurer l’impact sur la nature des contenus.

Le sérieux de l’information n’est pas un concept demarque, pas plus que la qualité des programmesde radio ou de télévision. Quelle sera la marque quifera la différence ? Par quels moyens ? En mai2010, le président américain Barack Obama faisaitpart de son scepticisme aux étudiants de l’univer-sité de Hampton (Virginie) : « Avec les iPod, lesiPad, les Xbox et PlayStation, […] l’informationdevient une distraction, une diversion, une formed’amusement plutôt qu’un outil d’épanouissementou un moyen d’émancipation ».

Françoise Laugée

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Sources :- «Remettre à plat le modèle des chaînes thématiques », E.R., Le FigaroEconomie, Le Figaro, 5 mars 2010.- « Apple, entreprise la plus "admirée" en 2010 », Julien Pompey,

Les Echos, 5 mars 2010.- « Les programmes TV doivent devenir des marques », interview de

Pascal Josèphe, propos recueillis par Jean-Christophe Féraud et

Nathalie Silbert, Les Echos, 10 mars 2010.- « Les médias traditionnels vont devoir se multiplier pour survivre »,

AFP, tv5.org, 11 mars 2010.

- « Lagardère lance Be, nouvel hebdomadaire féminin d’une "marque

globale"», AFP, tv5.org, 17 mars 2010.

- « Le groupe Lagardère lance "Be", sa "marque média globale" à

destination des jeunes femmes trentenaires », La Correspondance de laPresse, 18 mars 2010.- « Le marketing plus que jamais aux commandes des magazines

féminins », AFP, tv5.org, 18 mars 2010.

- « Les "vieux médias" se remettent sur le métier », Claude Baudry,

L’Humanité, 18 mars 2010.- « Didier Quillot : " Be est une marque média globale" », Buzz Médias

Orange-Le Figaro, Le Figaro, 18 mars 2010.- « Le groupe Elle (Lagardère) crée une nouvelle marque : Elle en

Scène », La Correspondance de la Presse, 22 mars 2010.- « "Le Monde" peaufine son offre éditoriale et commerciale en

préparant sa recapitalisation », Anne Feitz, Les Echos, 23 mars 2010.- « "Le Monde" devient "une marque globale" sur le papier et le

numérique », Le Monde, 24 mars 2010.- « Be se réjouit de ses premiers résultats », tarifmedia.com,

9 avril 2010.

- « L’avenir des marques se construit sur la mobilité », TRDS,

La Tribune, 12 avril 2010.- « Quand les industriels vendent plus que leurs produits », Clotilde

Briard, Les Echos, 13 avril 2010.- « Les annonceurs vont surfer sur l’offre "4play" et l’adapter à leurs

besoins », interview de Régine Tournier, propos recueillis par David

Medioni, tarifmedia.com, 14 avril 2010.

- « La télé s’arrime au Net », Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts,

Libération, 15 avril 2010.- « Havas Productions, une stratégie qui passe par le "branded

content" », S.B., Ecran total, n°800, 21-27 avril 2010.

- « Facebook, nouvel allié des sites d’information », Nicolas Rauline,

lesechos.fr, 22 avril 2010.

- « Facebook veut convertir son audience en profits », Laurence Girard,

Le Monde, 24 avril 2010.- « Les marques au plus près des jeunes consommateurs », Laurence

Girard, Le Monde, 27 avril 2010.- « Quand les marques communiquent par le livre », Clotilde Briard,

Les Echos, 30 avril 2010.- « Pour Obama, les médias son devenus une "diversion" à la démo-

cratie », AFP, tv5.org, 9 mai 2010.

- « Facebook, un nouveau poids lourd de la publicité en ligne »,

Nicolas Rauline, Les Echos, 14-15 mai 2010.- « YouTube fête ses 5 ans en passant le seuil de 2 milliards de

vidéos/jour », AFP, tv5.org, 17 mai 2010.

- « Les chefs-d’œuvre de la littérature libertine chaque jeudi avec

Le Monde », AFP, tv5.org, 19 mai 2010.- « Les publicitaires parient sur la création de contenus », Anne Feitz,

Les Echos, 19 mai 2010.- « Le spécialiste américain de la vidéo en ligne Brightcove débarque en

France », Maxime Amiot, Les Echos, 19 mai 2010.

Cinéma et Internet :vers la fin de lachronologie desmédias ?

L’exploitation cinématographique repose sur unedouble logique de segmentation chronologique etterritoriale. C'est avec la télévision que l'idée d'unechronologie des médias émerge. Dans les annéessoixante, la fréquentation des salles de cinémaenregistre une baisse constante. Les ménagess'équipent de postes récepteurs et la télévisiondevient une menace sérieuse pour les salles. Lachronologie des médias vient alors définir l'ordre depassage et les délais selon lesquels les diversmodes d’exploitation d'une œuvre cinématogra-phique peuvent intervenir, à compter de la date desortie en salle. Ce n'est en effet qu'après une duréedéterminée que les autres formes d'exploitation sontautorisées.

Harold Vogel spécialiste américain des médias,observe que « le séquencement est toujours unedécision marketing afin de maximiser les revenus »sur les différents supports (salle, télévision, DVD,vidéo à la demande). L’aménagement des diffé-rentes « fenêtres » de diffusion d’une œuvrecinématographique établit en effet des délais entreles différents modes de diffusion d’un film afind’obtenir une exploitation optimale recueillantl’audience la plus étendue possible sur chacun desmédias.

Généralisation de l’approche contractuelleplutôt que réglementaire

Aux Etats-Unis, la chronologie des médias résulted’accords contractuels entre les producteurs et lesdistributeurs, comportant chacun des objectifscommerciaux. Le cadre européen s’est, de son côté,détourné d’une approche strictement réglementaire,afin de favoriser pareillement des solutions contrac-tuelles. Ainsi la directive européenne « Télévisionsans frontières » (TSF) de 1989 prévoyait, dans sapremière version (article 7), un délai de 2 ans entrela sortie d’un film en salle et sa diffusion à la télévi-sion, à compter du premier jour d’exploitation del’œuvre dans l’un des pays européens de l’Union.

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La réglementation française, quant à elle, instauraitun délai de 3 ans à partir de la date de délivrancedu visa d’exploitation du film en France. Apparuesau début des années 1980, les chaînes payantesont bénéficié, d’emblée d’un régime dérogatoireinstauré par décret, - délai d’1 an après la sortie ensalle pour Canal+ et inférieur à 36 mois pour leschaînes cinéma du câble et du satellite -, en contre-partie de leur contribution financière indispensable àla production cinématographique.

La compatibilité des législations européenne etfrançaise date de la modification de la directive TSFde 1997, disposant que les Etats membres doiventveiller au respect d’une chronologie entre la sortied’une œuvre cinématographique en salle et sapremière diffusion télévisuelle : « Les Etats membresveillent à ce que les radiodiffuseurs qui relèvent deleur compétence ne diffusent pas d’œuvres cinéma-tographiques en dehors des délais convenus par lesayants droit ». Il est ainsi établi que le radiodiffuseurdésireux de diffuser un film passe un contrat avecles ayants droit. L’exception devient alors la règle.En modifiant la loi sur la communication audiovi-suelle de 1986, la loi du 1er août 2000 permet uneharmonisation du droit français avec le droiteuropéen, abrogeant les dispositions juridiquesantérieures prévoyant des délais de diffusion. Cesderniers émanent, depuis cette date, d’accordspassés entre les professionnels. La chronologie desmédias est donc désormais sujette à la négociationavec les ayants droit.

Dans ce domaine, la majorité des États membres arenoncé à légiférer, laissant aux partiesprenantes la liberté d’appliquer des règles plusstrictes et plus détaillées que celles prévues dans lestextes. La France, l’Allemagne, l’Autriche, le Portugalet la Grèce ont adopté des dispositions législatives.A l’inverse, le Royaume-Uni, l’Espagne et leDanemark n’ont jamais fait ce choix. L’Italie, poursa part, a annulé sa réglementation sur la chrono-logie des médias en 2005.

La vidéo à la demande, une source derevenus prometteuse grâce à Internet

En 2007, le nouveau texte européen, rebaptisédirective « Services de médias audiovisuels » (diteSMA), s’adapte aux innovations technologiques età l’avènement notamment des services de vidéo à lademande (VOD) sur Internet, mais sans disposition

particulière concernant le principe d’une chronolo-gie des médias. La Commission européennefavorise ainsi une approche souple de l’utilisationdes droits pour les différentes « fenêtres » demédias, avec une fixation des délais d’exploitationpar le biais de dispositions contractuelles entre lesparties concernées.

Alors que la mise en ligne de contenus devient deplus en plus prometteuse pour les titulaires de droits,la Charte européenne du cinéma en ligne adoptéeen mai 2006 et la Communication sur les contenuscréatifs en ligne de janvier 2008 tentent de repenserle droit d’auteur. La Charte, lancée par la Commis-sion européenne lors d’une réunion organisée avecles représentants du cinéma à l’occasion du59e Festival de Cannes, indique que la diffusion ducinéma en ligne exige de la part de tous les titulairesde droits (réalisateurs, acteurs, producteurs) l’octroide licences. Par ailleurs, le texte incite les produc-teurs, ayants droit et fournisseurs de services enligne, à conclure des accords sur les plages de miseà disposition. La Communication de 2008 entend,pour sa part, inciter la mise en place de régimes delicence innovants dans le domaine des œuvresaudiovisuelles, arguant du fait que les avancéestechnologiques permettent aux consommateursd’accéder toujours plus aisément aux films et auxprogrammes de télévision par l’intermédiaire desréseaux.

Les titulaires de droits ont toujours intérêt à tirer lemeilleur parti possible de l’exploitation de leursœuvres, mais les mesures légales protégeant leursintérêts se raréfient au profit d’accords interprofes-sionnels. Ainsi, le principe de la chronologie desmédias a été maintes fois battu en brèche. Des filmsà succès sortis en salle en 2008, comme Disco deFabien Onteniente et Bienvenue chez les Ch’tis deDany Boon, ont été proposés ensuite à la vente,simultanément en DVD et en VOD (sur certainesplates-formes exclusivement), une pratique améri-caine qui se développe avec trois fois plus delancements synchrones DVD/VOD aux Etats-Unis en2008 par rapport à 2007, soit 30 contre 10.En 2008, la Motion Picture Association of America(MPAA), regroupant les principaux studiosd’Hollywood, a demandé à l’autorité de régulation,la Federal Communication Commission (FCC), delever l’interdiction faite aux éditeurs de plates-formesde VOD, (les MPVD ou multi-channel video pro-gramming distributors) quant à l’utilisation de la

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technique baptisée SOC (selectable output control)qui permet de réserver l’accès à leurs contenus,avant la sortie en DVD, aux seuls détenteurs d’unéquipement déterminé, comme un téléviseur HDdernier modèle par exemple. La Directors Guild ofAmerica (DGA), avec ses 14 000 adhérentsprofessionnels de la télévision et du cinéma s’estdéclarée favorable à cette demande, tandis que laNational Association of Theater Owners (NATO), quireprésente plus de 29 000 écrans aux Etats-Unis,et The Independent Film & Television Alliance (IFTA)s’y sont opposées, craignant des conséquencesnéfastes à la fréquentation des salles, notammentpour les films indépendants.Le nouveau mode de diffusion que représenteInternet est venu bouleverser la logique de segmen-tation territoriale et chronologique alors qu’elledemeure pour l’industrie du cinéma une sourcepotentielle de financement supplémentaire. Unenouvelle fenêtre dans l’agencement de la chronolo-gie des médias a dû être trouvée pour la VOD,marché qui s’est développé en France après 2005avec le succès des offres ADSL. Parallèlement, lacirculation via Internet de copies de films illégalesdès leur sortie en salle oblige à repenser le principemême de la chronologie des médias et à envisagerun raccourcissement des délais de l’exploitationtraditionnelle.

En France, l’exploitation sur support vidéo, régle-mentée par un décret de 1983 modifié en 2000,prévoyait un délai d’un an entre la sortie en salle etla commercialisation du film en cassette et DVD,avec la possibilité de raccourcir ce délai à 6 moisminimum à la demande des détenteurs des droitsvidéo et après accord de l’entreprise de distributionen salle, avec l’aval du ministre de la Culture. Lesservices de paiement à la séance proposés parcertaines chaînes de télévision, encore peudéveloppés à l’époque, bénéficiaient quant à eux,avec l’accord des professionnels, d’un délai de9 mois, qui se situait après la sortie vidéo et avantla diffusion sur les chaînes payantes dont le délaiimposé était à l’époque d’1 an, contre 2 ans pour leschaînes gratuites coproductrices et 3 ans pour lesautres. La VOD fut proposée initialement 6 moisaprès la date de sortie en salle, en même temps quele support vidéo. Face à la multiplication desservices commerciaux de VOD, les professionnelsdu cinéma se sont accordés sur la nécessitéd’ouvrir une nouvelle fenêtre de diffusion pour cenouveau mode d’exploitation en ligne. En 2005, un

accord d’une durée de validité d’un an prévoyait undélai de 36 semaines, soit 7 mois et demi, après lasortie en salle sur le marché français.

C’est à la suite d’une longue période de négocia-tions et à la faveur de la promulgation de la loi pourlutter contre le téléchargement illégal dite « Créationet Internet » du 12 juin 2009, qu’un accord plusdurable entre les différents professionnels ducinéma, de l’audiovisuel et des télécoms a ététrouvé, le 6 juillet 2009, pour une période de deuxans, puis tacitement renouvelable tous les ans. Lesfilms sortiront désormais en DVD et en VOD payanteà l’acte (vente ou location) 4 mois au moins aprèsleur première diffusion en salle, avec possibilité deréduire ce délai à 3 mois dans le cas où les œuvresne réaliseraient pas plus de 200 entrées au coursde leur quatrième semaine d’exploitation en salle.Le délai réservé à la télévision payante se trouveégalement réduit à 10 mois, contre 12 auparavant.Enfin, la télévision gratuite peut diffuser les filmsqu'elle a coproduits 22 mois après leur sortie ensalle, contre 24 précédemment. Pour les autresfilms, le délai passe à 30 mois au lieu de 36 mois,délai désormais uniquement imposé pour la VODpar abonnement, et 48 mois pour la VOD gratuite.Les chaînes du câble voient leur délai de diffusionpasser de 24 à 22 semaines. Rendu obligatoire àl’ensemble de la profession par un arrêté du9 juillet 2009, cet accord a minima complète levolet répressif anti-piratage de la loi « Création etInternet », laquelle avait déjà permis l’inscriptiondans le code de l’industrie cinématographique(rebaptisé code du cinéma et de l’image animée enjuillet 2009) du délai d’exploitation de 4 mois pourles supports vidéo et la VOD, applicable fauted’accord professionnel. Non signataire, la Sociétécivile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP)juge l’accord « trop timoré sur le futur ». Les éditeursvidéo, les représentants des auteurs (SACD) et lesfournisseurs d’accès qui considèrent ce texte« sans ambitions » et que « rien n’est fait pourassurer le développement des offres légales »,souhaitent l’engagement de nouvelles discussionsportant sur « une économie de la culture à l’èrenumérique ».

Remis au ministre de la Culture en janvier 2010, lerapport « Création et Internet » de la mission pilotéepar Patrick Zelnik, présente une série de mesurespour lutter contre le piratage et propose de raccour-cir le délai entre la sortie en salle et la VOD par

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abonnement de 36 à 22 mois, voire 10 mois, pourles œuvres ne bénéficiant pas d’un contratd’exclusivité avec une chaîne, à condition que cesservices soient soumis à des obligations de finan-cement et de diversité de la production cinémato-graphique équivalentes aux chaînes en clair ou auxchaînes à péage. De même, selon les auteurs durapport, les films n’ayant pas bénéficié d’unfinancement par une chaîne de télévision pourraientêtre diffusés en VOD gratuite sans attendre le délaifixé de quatre ans.Les négociations sont en cours.

Pourquoi pas un lancement simultané surtous les supports ?

Comme le remarque Jean-Yves Mirski, déléguégénéral du Syndicat de l’édition vidéo numérique(SEVN), « un constat s’impose : tout s’accélère. Ladurée de vie des DVD se raccourcit, tout commecelle des films en salle ». La tendance est auraccourcissement des délais entre la premièreexploitation en salle et la diffusion sur les autresmédias. Les temps d’exploitation successifs sont deplus en plus courts. « Ce qui était autrefois une chro-nologie stricte, avec des préférences clairementénoncées en faveur d’un mode d’exploitation oud’un autre, est en train de devenir flou. »

La sortie dite universelle (day-and-date release), àsavoir le lancement simultané, à quelques joursprès, d’un film sur tous les supports, est de plus enplus envisagée. Alors que le public utilise toujoursdavantage Internet pour regarder des films, certainsprofessionnels de l’industrie cinématographiqueconsidèrent qu’à l’avenir, tous les films devrontbénéficier d’une sortie simultanée sur Internet, enDVD et en salle. Désormais, le fait d’envisager unesortie synchrone sur tous les modes de diffusionn’est plus un tabou, à l’instar du lancement du filmà petit budget de Steven Soderbergh, Bubble, sortien même temps au cinéma et sur la chaîne câbléecoproductrice HDNET, puis en DVD quatre joursaprès aux États-Unis, en 2006.

Dorénavant, des stratégies similaires se multiplient.Toujours en 2006, le film Ten Items or Less de BradSilberling, est proposé en VOD deux semaines aprèssa sortie en salle. En 2009, Home, le film de YannArthus-Bertrand, proposé gratuitement sur YouTubedix jours avant sa diffusion simultanée au cinéma,à la télévision et en DVD, a rencontré un réel succès

auprès du public. Ce film documentaire, montagede clichés photographiques commentés par unevoix off, a cependant la particularité d’avoir étéfinancé pour l’essentiel par plusieurs mécénatsd’entreprises et annonceurs. Par ailleurs, loin del’esthétique traditionnelle des films de long métrageprojetés en salle, Home était par nature un filmmilitant destiné à être vu par l’audience la plusétendue possible. Comme d’autres longs métragescofinancés par la chaîne culturelle franco-allemande, le film de Jean-Paul Lilienfeld, L’Annéede la jupe, avec Isabelle Adjani, a été diffusé en2009 sur Arte, juste avant sa sortie en salle,remportant un succès d’audience avec 9,6 % depart de marché, soit plus de deux millions de télé-spectateurs. Cependant, en accord avec les produc-teurs et les exploitants de salles, la chaîne a décidéd’annuler les rediffusions prévues, ainsi que lapossibilité de visionner le film en catch-up TV(télévision de rattrapage) sur Arte+7, face auxdifficultés annoncées par le distributeur Rezo Filmsde trouver des exploitants désireux de programmerle film dans leurs salles de cinéma. La diffusionanticipée sur le petit écran a servi d’avant-premièrepromotionnelle au film. Mais les exploitantscraignaient que la programmation de sa multidiffu-sion télévisuelle ne l’empêche définitivement derencontrer un large public en salle. La mêmestratégie marketing a été décidée pour le dernier filmréalisé par Jean-Luc Godard, Film Socialisme,proposé en VOD payante sur Internet simultanémentà sa projection au Festival de Cannes de mai 2010et cela jusqu’à sa sortie en salle prévue deux joursplus tard.

Il apparaît alors que si certaines expériences dediffusion simultanée multisupport rencontrent un réelsuccès, elles demeurent néanmoins exceptionnelles,car résultant soit d’un mode de financementparticulier, soit d’une stratégie publicitaire spécifique.Elles ne justifient pas à elles seules l’abolition de lachronologie des médias. Par ailleurs, la sortiecinéma se révèle « plus que jamais, déterminante »,comme le souligne John Landau, le producteur dufilm Avatar. Ainsi, « aucun distributeur ne prendra lerisque d’endommager la sortie en salle qui reste laseule jauge de la vie d’un film », déclare Jean-YvesMirski, rappelant qu’« il n’existe aucun exemplede DVD dont le succès aurait rattrapé l’échec d’unfilm ».

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Comment concilier, à l’ère du numérique,les intérêts économiques et lesdésirs du public ?

Engagées dans un processus coûteux de sorties defilms en 3D, les majors font pression pour réduireles délais entre l’exploitation en salle et la sortieDVD, afin de rentabiliser des coûts de promotiondevenus faramineux. Ainsi en témoigne le bras defer qui a opposé, fin février 2010, le groupe Disneyà certains des plus importants exploitants de salles,dont le géant des multiplexes américains AMC,deuxième exploitant du pays avec 4 500 écrans etles cinémas britanniques Odéon, lors de la sortie enDVD et VOD du film en 3D de Tim Burton, Alice aupays des merveilles, 5 semaines avant le délaihabituel de 17 semaines. Après avoir menacé deboycotter le film dans leur circuit de salles, lesexploitants ont obtenu de Disney de « mettre la mainau portefeuille pour compenser le manque à gagner ».Le groupe a notamment accordé une baisse du tauxde location des copies. Les exploitants « qui inves-tissent massivement pour s’équiper en numérique[…] comptent bien engranger les bénéfices de leursefforts » et critiquent « une politique des distributeursqui consiste à faire de l’argent le plus vite possibleen cumulant les sorties des films 3D et DVD ». Cetépisode préfigure ainsi « la demande de flexibilitéformulée par les grands studios qui cherchent denouveaux modèles économiques au coup par coup,presque film par film ».

Les offres de téléchargement légal de films surInternet, encouragées afin de lutter contre le piratage,souffrent d’un manque d’harmonisation des législa-tions et des accords au sein de l’Union européenne.Sur ce point, l’exemple d’Apple est riche en ensei-gnements. En 2007, la firme a annoncé vouloirproposer des longs métrages à la location et à lavente sur sa plate-forme iTunes pour le territoireeuropéen, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis.Etant donné que les délais pour la sortie VODvarient d’un pays membre à l’autre, Apple proposaitde se caler sur le délai commun au plus grandnombre des pays européens, soit 3 mois (alors quele délai était de 6 mois en France à l’époque). Lesfilms auraient été proposés sur iTunes dans lafoulée de leur sortie en Angleterre, alors que leschaînes françaises, italiennes ou espagnoles, ne lesauraient pas même diffusés sur leur propre territoire.Selon Steve Jobs, il paraissait donc « essentiel"d’écraser" les fenêtres de diffusion actuelles si l’on

veut bien combattre le piratage ». La tendance auraccourcissement des délais, notamment en France,à la suite de l’accord de juillet 2009, constitue doncun pas dans cette direction.

Il n’en demeure pas moins que les consommateurseuropéens aujourd’hui ne peuvent généralement pasaccéder aux œuvres hébergées sur les plates-formesd’autres Etats membres. L’harmonisation du cadrelégislatif devrait permettre la mise en place desolutions plus attrayantes pour un public qui, avecla généralisation des échanges peer-to-peer, a prisl’habitude d’avoir tout sans attendre. En outre, si lemode d’exploitation en salle détient toujours un rôledéterminant dans le succès d’un film, son tempsd’exposition dans les salles de cinéma, régulière-ment inférieur à 4 semaines, est devenu trop court.La quantité croissante de copies distribuées et lenombre de nouveautés chaque semaine écourtentde plus en plus la durée de vie des films en salle,d’autant que les blockbusters américains laissentpeu de place à la diversité. Internet apparaît alorscomme un formidable outil de promotion et dedistribution des films. Mais le développement del’offre numérique se heurte, moins aux ajustementsde la chronologie des médias, qu’aux nouveauxmodèles économiques qu’il reste à trouver.

Sophie Boudet-Dalbin et Françoise Laugée

Sources :- « Entertainment Industry Economics », Harold Vogel, Cambridge

University Press, 2004.

- « La vidéo subit l’avance rapide du marché », Bruno Icher, Ecrans.fr,

26 octobre 2007.

- Directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 modifiée par la directive

2007/65/CE du 11 décembre 2007.

- « La chronologie des médias en pleine évolution – Enjeux et défis »,

Martin Kuhr, IRIS plus, Observatoire européen de l’audiovisuel,

avril 2008.

- « Les films de Warner en VOD en même temps que sur DVD », Arnaud

Devillard, 01net.com, 10 février 2009.

- « Les films exploités plus vite sur tous les supports », Nathaniel

Herzberg, Le Monde, 8 juillet 2009.- « The upside of a DVD and VOD day-and-date release », Diane

Garrett, Variety, october 17, 2009.

- « Retour sur la chronologie des médias aux Etats-Unis », Géraldine

Durand, medi(A)mérica, Ambassade de France aux Etats-Unis, media-

merica.org, 10 décembre 2009.

- « La chronologie des médias bientôt assouplie ? », R.J., Ecran total,

n°786, 13-19 janvier 2010.

- « De la salle au DVD, le raccourci d’"Alice" », Bruno Icher, Ecrans.fr,

4 mars 2010

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61

- « Lutte contre le téléchargement illégal. Lois DADVSI et HADOPI »,

Emmanuel Derieux, Agnès Granchet, collection Axe Droit, Ed. Lamy,

mars 2010.

- « Jean-Luc Godard joue le virtuel avant le réel », Isabelle Regnier,

Le Monde, 6 mai 2010.

La musique cherchetoujours les cheminsde la croissanceA l’occasion du MIDEM à Cannes, en janvier 2010,la Fédération internationale de l’industrie phonogra-phique (IFPI) et le Syndicat national de l’éditionphonographique (SNEP) ont respectivement dévoiléles chiffres du marché mondial et ceux du marchéfrançais de la musique en 2009, de nouveau enrecul. Des signaux positifs apparaissent toutefois surle marché numérique où les offres innovantesdoivent encore faire la preuve de leur rentabilité.Entre-temps, les jeunes artistes sont de moins enmoins nombreux à être produits.

En 2009, selon l’IFPI, le marché mondial de lamusique a encore chuté de 10 % pour un chiffred’affaires de 15,8 milliards de dollars. Cela fait doncdix années consécutives que le marché mondial dela musique s’inscrit en repli. Et cette tendancedevrait se poursuivre selon John Kennedy, présidentde l’IFPI, pour qui il faudra attendre 2012–2013avant que les recettes de la musique numérique necompensent la chute des ventes de disques. Aumoins note-t-on un message optimiste avec desperspectives favorables pour la musique numérique,tant en termes de chiffre d’affaires que de structurede marché.

Le marché de la musique numérique sestructure autour de tendances plus favora-bles

En croissance de 12 % en 2009 pour un chiffred’affaires mondial de 4,2 milliards de dollars, lemarché de la musique numérique est actuellementen train de se structurer autour des ventes de titreset d’albums, du streaming financé par la publicité,des offres d’écoute illimitée par abonnement et desforfaits pour le téléchargement. Ces tendances sont

favorables parce qu’elles sont tournées vers lesartistes et qu’elles reproduisent en ligne les pratiquesanciennes de consommation de la musique dansl’univers analogique, comme l’achat de CD etl’écoute des radios musicales. Elles permettent auxproducteurs comme aux artistes de ne pluscompter sur leurs seules activités de diversificationpour compenser la perte de chiffre d’affairesprovenant des ventes traditionnelles. Cette tendancedu marché numérique de la musique s’illustreparticulièrement en France où, selon les chiffresdonnés par le SNEP, le marché des sonneries et dutéléchargement sur mobile est en recul de 41 %,quand celui des téléchargements sur Internet est enhausse de 56 % en 2009. Alors que le marché dessonneries pour mobile a d’abord tiré le marché de lamusique numérique, il chute désormais pour êtreremplacé par l’écoute des titres et albums dans leurintégralité. Au premier trimestre 2010, les chiffrescommuniqués par le SNEP confirment cettetendance : le téléchargement sur Internet a augmentéde 50 % quand celui des sonneries pour téléphonesmobiles a reculé de 21,8 %. Si le marché dessonneries mobiles est en forte baisse, la chute dumarché mobile dans son ensemble est trèscertainement de moindre ampleur, dans la mesureoù les téléchargements de titres depuis les iPhonesont comptabilisés comme des téléchargements surInternet via le site iTunes.

A lui seul, le site iTunes symbolise désormaisl’entrée dans l’ère de la maturité du téléchargementpayant des titres à l’unité : le 24 février 2010, labarre des 10 milliards de titres vendus sur iTunes aété franchie, confirmant la position d’Apple commepremier vendeur de musique numérique au monde,et premier acteur du marché de la musique auxEtats-Unis où la part des revenus numériquescompte déjà pour 40 % du marché dans sonensemble, contre 27 % en moyenne dans lemonde. En comparaison, l’Europe est en retard,avec une part des revenus numériques dans lemarché global de l’industrie musicale aux alentoursde 15 %. La France se singularise car elle faitpartie des pays, avec l’Espagne et le Brésil, où lepiratage est le plus répandu. Sans surprise, lesrevenus numériques y sont parmi les moins élevéset pèsent seulement 12,9 % du marché total. EnFrance, le développement du téléchargement surInternet ne suffit pas à compenser le recul dumarché de la musique sur mobile, à tel point que lechiffre d’affaires de la musique numérique s’inscrit

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en repli de 1,9 % en 2009 selon le SNEP, à75,8 millions d’euros. Au premier trimestre 2010,la tendance est plus favorable par rapport aupremier trimestre 2009, puisque le SNEP annonceune croissance du marché numérique de 27,8 %.Plus qu’ailleurs, on note dans ce pays le plébiscitede la gratuité pour la musique : la part du streaming,où l’abonnement est encore peu développé et lesrecettes publicitaires très largement majoritaires,représente déjà 11,6 % des revenus de la musiquenumérique, soit 8,8 millions d’euros en 2009,contre 5 % en moyenne dans le monde.

Source : Bilan économique 2009, SNEP, présentation au Midem 2010.

Avec un recul du marché de la musique de 3,2 %dans son ensemble, la France, en revanche, résistemieux que le marché mondial en repli de 10 % en2009. Cette performance, liée à la bonne tenue desventes de CD (recul de 4,1 % seulement) et desventes de DVD vidéo (en hausse de 15,9 %), nesaurait masquer le retard de la France sur le marchénumérique, décisif pour l’avenir de l’industriemusicale. La France fait figure d’exception, lemarché de la musique n’étant orienté à la baisseque depuis 2003, quand la chute du marchémondial est constatée depuis l’an 2000. Faut-il voirdans cette situation particulière un décalage quiexplique également le moindre développement desactivités numériques en France ? Rien n’est moinssûr, dans la mesure où les débats sur la loi Hadopiont, dans ce pays plus qu’ailleurs, fortement contri-bué à la prise de conscience, chez les internautes,des dangers auxquels le piratage expose l’industriemusicale ainsi que de l’intérêt des offres attractiveset légales de musique sur Internet. Loin d’être enretard sur leurs homologues européens, les Français

comptent ainsi parmi les plus gros auditeurs deswebradios et autres sites d’écoute illimitée. Lesuccès d’audience de Deezer en témoigne : leaderen France pour l’écoute illimitée de musique enstreaming, Deezer revendiquait 7 millions devisiteurs uniques en décembre 2009. Deezer, il estvrai, ne parvient pas à transformer son succèsd’audience en succès commercial et doit fairerégulièrement appel à des investisseurs pour finan-cer son service.

L’enjeu des sites d’écoute illimitée de lamusique

Pour l’industrie musicale, la pérennité des sitesd’écoute illimitée comme Deezer est décisive. Eneffet, avec la fin annoncée du CD malgré un sursautdes ventes au premier trimestre 2010 (+ 4,3 %selon le SNEP, une tendance pour la première foispositive depuis 2005), c’est un modèle ancien quidisparaît, celui de l’industrie du disque, le « disque »n’étant plus qu’une source de revenus parmid’autres. A côté des ventes de titres et d’albums surInternet, les recettes publicitaires et les abonnementsà des sites d’écoute illimitée sont donc considéréscomme un moyen de réduire en partie, sinon decompenser, la perte de chiffre d’affaires liéeau passage du CD à la vente de musique dématé-rialisée.Pour s’assurer de revenus décents sur cesnouveaux services, les majors exigent des sites destreaming des avances importantes pour l’accès àleur catalogue, obligeant ces derniers à trouver lechemin de la rentabilité et à sortir de la phased’expérimentation. Selon Marie-Catherine Beuth,journaliste au Figaro, les majors exigeraient près de250 000 euros pour l’accès à leur catalogue sur leterritoire français, entre 400 000 et 600 000 eurospour exploiter le service à l’échelle européenne. Avecquatre grandes majors dans le monde et des labelsindépendants, le coût d’accès pour un site de strea-ming disposant d’un catalogue universel revientdonc à plus de 2,5 millions d’euros pour uneexploitation européenne. S’ajoutent à ce ticketd’entrée les sommes reversées chaque fois qu’untitre est écouté sur les sites de streaming, entre 1 et1,5 centime d’euros le titre.Cette politique tarifaire des majors, qui refusent debrader l’accès à leur catalogue tout en favorisant ledéveloppement du streaming comme alternative aupiratage, oblige les sites d’écoute illimitée demusique à trouver les moyens d’un financement

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mieux assuré. La publicité a ainsi évolué,notamment pour ses formats : à la seule bannièreinitialement présente sur Deezer s’ajoutent désor-mais des publicités audio que l’on peut éviter àcondition de souscrire un abonnement au site, à9,99 euros par mois. L’accès à Deezer sur mobileest également payant, l’application DeezerPremium+ étant commercialisée depuis le5 novembre 2009 : pour un abonnement de9,99 euros par mois, elle permet de télécharger surson mobile des titres et albums issus d’un cataloguede 6,5 millions de titres, ce qui évite d’être connectéen permanence pour écouter ses titres préférés. Finmars 2010, Deezer revendiquait près de 20 000abonnés à ses offres payantes. Le concurrent euro-péen de Deezer, le suédois Spotify, qui revendiquelui aussi 7 millions d’utilisateurs, a développédepuis plus longtemps une politique d’abonnementet comptait fin 2009 près de 260 000 inscrits. Lapart des utilisateurs qui acceptent de payer pouraccéder à une offre de musique premium et sanspublicité reste donc passablement limitée.

Des offres nouvelles et légales en lignepour organiser l’abandon du piratage ?

Les chiffres communiqués par Deezer et Spotifymontrent que l’Europe est en retard sur les Etats-Unisquant à l’acceptation par les internautes dupaiement en ligne. Selon l’IFPI, 20 % desAméricains achètent régulièrement de la musique enligne, contre seulement 8 % des Européens. Cesderniers sont en revanche 21 % à partager illégale-ment des fichiers musicaux sur les sites de peer topeer. Ainsi, en plus du développement de l’abonne-ment pour l’écoute illimitée de musique, c’est lepaiement sur Internet qui doit encore se banaliserpour faire des services comme iTunes, qui compte àlui seul pour un quart du marché total de la musiqueaux Etats-Unis, le principal moyen de faire reculer lepiratage, lequel concerne encore aujourd’hui, selonl’IFPI, 90 % des titres téléchargés dans le monde.La vraie question est donc de savoir si le piratage vafinir par reculer, seule condition pour rendreattrayantes les offres légales payantes en ligne. Eneffet, l’offre légale existe et elle est innovante : auxdifférents sites de téléchargement, au premier rangdesquels iTunes, s’ajoutent les sites de streaming,les sites dédiés au mobile et de nouveaux servicesproposés par les plus grand acteurs de l’Internet.Google a ainsi présenté, le 28 octobre 2009, unnouveau service baptisé Google Music Search qui

permet de trouver sur Internet un morceau demusique en tapant soit le nom du chanteur ou dugroupe, soit le titre du morceau ou les paroles de lachanson. Google Music Search présente ensuite uneliste de liens permettant d’écouter la chanson et dela télécharger auprès de sites légaux commeLala.com, Rhapsody, Pandora ou encore iLike.Racheté par MySpace le 19 août 2009, ce dernierservice propose une application permettantd’intégrer dans son réseau social et dans Facebookl’écoute en streaming des catalogues d’EMI Music,de Sony BMG Music Entertainment, d’UniversalMusic Group, de Warner Music Group et de SonyATV. Le site Lala.com, racheté par Apple endécembre 2009, propose lui aussi un catalogue enstreaming et la vente de morceaux à l’unité, pour0,89 dollar en téléchargement et 0,10 dollar lemorceau, si celui-ci est stocké en ligne pour êtreaccessible à tout moment en streaming et nontéléchargé de manière définitive. Il revendique100 000 clients dont les plus importants dépensentjusqu’à 67 dollars par an. Entre la puissance dumoteur de recherche de Google et le succès deservices comme iLike ou Lala.com, c’est donc unnouveau marché légal de la musique qui s’ouvre enplus d’iTunes, dont l’utilisation reste réservée auxseuls internautes possédant un équipement Apple.Partout, les opérateurs de télécommunications et lesconstructeurs informatiques lancent également leursservices de musique en ligne. HP propose depuisjanvier 2010 sur certains de ses PC commerciali-sés en Europe le service MusicStation qui permet,pour 9,99 euros par mois, de télécharger demanière illimitée plus de 6,6 millions de titres, cestitres étant perdus en cas de rupture de l’abonne-ment, sauf 10 titres par mois, que l’on peutconserver définitivement. En France, Orange a lancéen septembre 2009 son service WorMee, quipropose du streaming gratuit sur Internet et desabonnements compris entre 6 et 12 euros par moispour télécharger sur son mobile ou son PC entre 10et 25 titres. Fin 2009, 200 000 abonnés avaientdéjà souscrit à cette offre.Fort de la profusion des services d’écoute et detéléchargement de musique en ligne, l’IFPI rappelleque l’offre existe et qu’il y a pour les internautes desalternatives légales au piratage, ce qui n’était guèrele cas quand Napster fut lancé en 1999. Ainsi, selonl’IFPI, il y a dans le monde plus de 400 serviceslégaux de musique qui proposent 11 millions detitres, accessibles en téléchargement ou enstreaming, en accès gratuit avec financement

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publicitaire ou en accès payant, sur l’Internet fixe oule mobile, embarqués pour certains directementdans les terminaux, qu’il s’agisse de PC ou detéléphones mobiles. L’industrie musicale compte parconséquent sur les effets des différentes lois votéesdans le monde, à l’instar de la loi Hadopi en France,pour que l’internaute, demain, donne la priorité àces services. L’IFPI a déjà constaté les effets positifssur les ventes de CD des lois anti-piratage adoptéesen Corée du Sud, à Taiwan et en Suède, chacunereposant sur le principe de la réponse graduée.Plutôt que des procès en série, c’est bien l’effetdissuasif des lois qui a joué, avec avertissementpréalable avant amende ou coupure d’accès. Ainsi,en Suède, la loi anti-piratage, entrée en vigueur le1er avril 2009 (voir le n°10-11 de La revue euro-péenne des médias, printemps-été 2009), a incon-testablement contribué à la hausse de 30 % desventes de CD pendant les six premiers mois del’année, comparés à 2008. En France, les premiersavertissements seront envoyés aux internautes finjuin 2010, suivis d’une lettre recommandée et de lacoupure d’accès à Internet en cas de récidive. EnEspagne, la loi anti-piratage a été approuvée par legouvernement le 8 janvier 2010. Elle introduit unedisposition permettant de bloquer les sites web detéléchargement illégal de musique, la Commissionde la propriété intellectuelle étant constituée afin derecevoir les plaintes et de les examiner avant dedécider ou non de les transmettre à un juge.

La création musicale nationale menacéepar le piratage, le rôle des majors et leslimites des stratégies dites 360°

Parce que le débat sur le piratage gagne progressi-vement tous les pays industrialisés, l’industriemusicale cherche également, au-delà de la logiquedes sanctions, à faire comprendre aux internautescombien leur comportement est décisif pour l’avenirde la création. Cette approche pédagogique, qui viseà « ringardiser » le piratage, repose sur le constatd’un rétrécissement de l’offre musicale lié auxdifficultés des maisons de disques. Ainsi, en France,où la production nationale a toujours été dévelop-pée et constitue une alternative aux variétés interna-tionales anglo-saxonnes, il y a depuis 2008 plusd’artistes qui perdent leur producteur que denouveaux artistes signés, les maisons de disquesne pouvant plus maintenir leur niveau d’investisse-ment dans la production. En 2009, elles n’ont pasrenouvelé 88 contrats d’artistes francophones et

elles ont lancé 70 nouveaux artistes : ce sont donc18 artistes qui se retrouvent sans maison dedisques, contre 15 en 2008. Les premiers touchéspar le recul du marché étant les petits producteurs,les labels indépendants et les artistes qu’ils produi-sent sont les plus menacés. Et les quelques artistesqui parviennent seuls à se lancer sur les réseauxsociaux n’inverseront pas la tendance. C’est ce querappelle l’IFPI dans un rapport en forme de mani-feste dévoilé le 9 mars 2010 et intitulé Investing inMusic : how music companies discover, developand promote talent. On y apprend que l’industriemusicale dépense chaque année 5 milliards dedollars, soit près de 30 % de son chiffre d’affaires,pour développer la carrière des artistes. Lancer unartiste aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni coûte unmillion de dollars et sur les 10 000 artistes améri-cains réalisant plus de 10 000 ventes par an, seuls14 n’ont pas de maison de disques. Sans uneindustrie musicale forte, la diversité de la créationest en péril. C’est ce qui pourrait se passer enFrance, constate l’IFPI, où la part des revenus desproducteurs consacrée à la recherche et audéveloppement des artistes a baissé de 15 % à12 % entre 2002 et 2009.

Cette baisse des investissements dans la produc-tion, qui pénalise d’abord les nouveaux artistes, nepourra pas être compensée par une hausse desrecettes des concerts ou des produits dérivés, unestratégie parfois présentée comme le nouveleldorado face à la chute des ventes de disques. Eneffet, les stratégies dites 360° où la carrière d’unartiste est prise en charge de manière globale pourmultiplier les sources de revenus, notamment grâceaux concerts, ne sont financièrement rentables quepour les artistes bénéficiant déjà d’une fortenotoriété. Ces stratégies donnent par ailleurs unpoids nouveau aux tourneurs qui pénalisent les ma-jors du disque en les privant de certains artistes.Ainsi, Live Nation, le plus grand tourneur au monde,gère les carrières d’artistes comme Madonna, U2,Dépêche Mode ou Coldplay, autant d’artistes ou degroupes qui remplissent sans difficulté les salles deconcerts et qui vendent de toute façon suffisammentde disques pour que la question du renouvellementde leur contrat ne soit jamais posée. En revanche, lesuccès des grandes tournées et l’appétit du publicpour les concerts a conduit à une inflation du prixdes billets qui remet désormais en question lerecours au spectacle vivant comme moyen decompenser la baisse des recettes issues des ventes

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de disques. C’est ce que constate en France BernardMiyet, président de la Sacem, qui rappelle que « lesbons chiffres masquent une très forte concentration »où 20 tournées en 2009 ont engendré 62 % desdroits perçus au titre du spectacle vivant. Les grandssuccès sont, en l’occurrence, Johnny Halliday,Mylène Farmer, le spectacle musical Cléopâtre et latournée du groupe U2, mais ils n’entraînent pasdans leur sillage les jeunes artistes. Selon le Centrenational de la chanson, des variétés et du jazz(CNV), les annulations et les reports de concerts sesont multipliés en 2009, la fréquentation des petiteset moyennes salles a fléchi, alors même que les prixdes places de concert pour les jeunes artistes étaiten baisse de 20%. Le public du spectacle vivant estdonc prêt à payer très cher une place pour le concertd’une star nationale ou internationale, dans unzénith ou un stade, mais il délaisse les salles plusconfidentielles où se produisent les jeunes artistes.En limitant leurs dépenses de concerts sur des« valeurs sûres », et parce que leur budget n’est pasillimité, les spectateurs favorisent ainsi, comme surle marché du disque, les « gros » face aux « petits »,ces derniers ayant de plus en plus de mal àtrouver un producteur pour leurs disques et pourleurs tournées. L’accent porté sur les menaces quipèsent sur la création artistique touchera assurémentles amoureux de la musique et conduira, peut-être,à une meilleure appréhension des conséquencesréelles du piratage.

Alexandre Joux

Sources :- « Ipred à confusion », Anne-Françoise Hivert, Libération,24 septembre 2009.

- « Avec Discover Music, Google met la musique à portée de clic »,

Virginie Robert, Les Echos, 30 octobre 2009.- « Madrid s’attaque au téléchargement illégal », Thierry Maliniak,

La Tribune, 5 décembre 2009.- « Apple se renforce dans la technologie de streaming en rachetant le

service de musique en ligne Lala », Laetitia Mailhes, Les Echos,7 décembre 2009.

- « Bilan économique 2009 », SNEP, janvier 2010.

- « Hadopi est en place, "la riposte graduée" prend son temps », A.F.,

Les Echos, 11 janvier 2010.- « L’Espagne préfère combattre le piratage à la source », G.S.,

Les Echos, 11 janvier 2010.- « La musique numérique sauvera la filière… un jour », Isabelle

Repiton, La Tribune, 22 janvier 2010.- « Musique : l’offre numérique se structure », Marie-Catherine Beuth,

Le Figaro, 22 janvier 2010.- « Midem : fréquentation en baisse mais optimisme en hausse »,

Grégoire Poussielgue, Les Echos, 26 janvier 2010.

- « Nouvelle baisse pour les ventes de musique », Véronique Mortaigne

et Sylvain Siclier, Le Monde, 26 janvier 2010.- « Les services payants d’écoute de musique font des émules »,

Isabelle Repiton, La Tribune, 28 janvier 2010.- «Investing in Music: how music companies discover, develop and

promote talent», IFPI, mars 2010.

- « Musique : les sites de streaming menacés », Marie-Catherine Beuth,Le Figaro, 4 mars 2010.- « Concerts : les gros profitent, les petits trinquent », Adrien Gaboulaud

et Véronique Mortaigne, Le Monde, 6 mars 2010.- « Les maisons de disques chiffrent leur rôle économique », I.R.,

La Tribune, 10 mars 2010.- « La musique investit 5 milliards dans la création », Marie-Catherine

Beuth, Le Figaro, 10 mars 2010.- « Deezer participe au nouvel écosystème de la musique », interview

d’Axel Dauchez, directeur général de Deezer, par Isabelle Repiton,

La Tribune, 31 mars 2010.- « Le marché du disque repart à la hausse pour la première fois depuis

cinq ans », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 5 mai 2010.

3D relief :les médias prennentune dimensionsupplémentaireCélébrée par les studios d’Hollywood comme unnouveau vecteur de croissance du cinéma, la 3D enrelief a largement bénéficié des retombées média-tiques inhérentes au succès du film américainAvatar du réalisateur James Cameron. Désormais, lerelief s’apprête à envahir tous les secteurs de lacommunication. Comme la couleur a définitivementchassé le noir et blanc, la 3D en relief va-t-elles’imposer à nous au quotidien ?

Tout a commencé au cinéma…

En 2010, la 3D en relief offre aux spectateurs dugrand écran une impression inédite : la sensationd’être au cœur de l’action, une immersion totaledans l’image, qualifiée à l’unanimité de « bluffante »,incomparable « intimidation » que ne procurait pasjusqu’ici l’emploi du relief au cinéma, dontl’origine remonte aux années 1950.La technique consiste à diffuser deux films en mêmetemps, un pour chaque œil. Deux objectifs sontnécessaires pour les réaliser en parallèle, soit avecdeux caméras, soit avec une seule caméra compo-sée de deux capteurs. Pour le spectateur, l’emploi

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de lunettes appropriées est requis afin d’assemblerles deux images.L’année 2009 a été marquée par le succès de troisfilms d’animation en 3D relief, Monstres contreAliens ; Volt, star malgré lui et L’âge de glace 3 (voirle n°10-11 de La revue européenne des médias,printemps-été 2009). Mais l’événement qui déclen-cha l’engouement de la 3D en relief est sansconteste, Avatar, le film directement tourné en reliefpar James Cameron, sorti en France en décembre2009. L’histoire des Na’vis a rassemblé 15 millionsde spectateurs en France et a totalisé plus de2,5 milliards de dollars de recettes dans le monde.« L’effet Avatar » ne se résume d’ailleurs pas aurelief, mais il provient peut-être également dutournage en performance capture, technique selonlaquelle les comédiens jouent sans costumes, nidécors, avec des capteurs sur le corps et le visagepermettant à des caméras numériques pilotées parordinateur d’enregistrer les mouvements et lesexpressions de leur jeu. Les personnages sontensuite recréés sur ordinateur. Ce type de tournagepour un film d’animation a été utilisé, pour lapremière fois en 2004, par Robert Zemeckis dansson film Pôle Express.

Au printemps 2010, trois autres productions améri-caines en relief sont sorties en salle en France, Aliceau pays des merveilles de Tim Burton, produit parDisney; Dragons de Chris Sanders et Dean Deblois,film d’animation du studio DreamWorks et Le Chocdes Titans, film d’action de Louis Leterrier.La concurrence est vive et donne lieu à d’âpresnégociations entre distributeurs de films et exploi-tants de salles pour la programmation de ces filmssur le marché français. Avec un taux d’équipementnumérique parmi les meilleurs d’Europe, la Francecompte un millier de salles équipées, sur un total de5 500, dont la moitié pour des projections en relief.Programmés généralement dans 600 à 700 sallesà leur sortie, les films 3D ne peuvent être projetésen relief que sur moins de la moitié des écransprévus dans la plupart des circuits, UGC,EuroPalace, MK2 et même CGR, pourtant le premierà avoir converti l’ensemble de ses 400 salles aunumérique.

Initialement conçu pour le relief et réalisé pourl’essentiel en animation, Alice aux pays desmerveilles n’a pas été tourné directement dans ceformat, l’effet ayant été réalisé en postproduction. Demême, la production du film Le Choc des Titans a

pris une autre dimension à la suite du succèsd’Avatar. Le film a été tourné en 35 mm, en Ciné-maScope, en décors naturels et en décors réels, àgrands frais de reconstitution de la ville d’Argosnotamment, un hommage voulu par le réalisateur àla première version du film produit en 1981 par RayHarryhaussen. Afin d’engranger des recettessupplémentaires, grâce au prix des places élevé età la location de lunettes, la Warner sortira finalementle film en relief, grâce à une conversion post-tournage. En Californie et au Sri Lanka, 2 000personnes ont travaillé afin de retraiter en numériqueles 1 435 plans du film. Belle illustration de« l’effetAvatar », ce nouveau filon pour doper les revenusdu cinéma.

Si plus d’une douzaine de longs métrages en reliefsont sortis en 2009, le chiffre aura doublé à la fin del’année 2010, avec notamment Toy Story 3, Piranha3D, Sexy Dance 3 ainsi que Jackass 3. Le studioDreamWorks Animation a choisi de produire exclu-sivement des films en relief d’ici à 2011 : Dragons,Schrek 4, Il était une fin, Kung Fu Panda et Mada-gascar 3. L’offre cinématographique en relief ne vacesser de s’enrichir : Popeye et les Schtroumpfsrajeuniront grâce au relief.

La 3D relief a fait naître un nouveau métier sur lesplateaux de tournage, le « stéréographiste », assis-tant du réalisateur qui contrôle le respect de cenouvel impératif technique. Le réalisateur doit, quantà lui, apprendre à travailler autrement, accorder uneattention particulière à la profondeur de la scène, àla coupe d’un plan à l’autre qui doit être plus lente.

Depuis la fin de l’année 2008, le nombre de salleséquipées pour la projection numérique a augmentéde 86 % dans le monde, avec plus de 6 000 écranssupplémentaires pour la technologie 3D relief.Seulement 6 % des salles dans le monde sontadaptées à la diffusion des films en relief.En 2009, si le relief a fortement contribué àaugmenter le chiffre d’affaires du secteur, ce fut audétriment du nombre total de films réalisés. Lesréalisateurs et les producteurs se poseront-ilsdorénavant systématiquement la même questionavant de se lancer dans un projet cinématogra-phique : 2D ou 3D ?

Selon Jérôme Seydoux, président du groupe Pathé,« […] La 3D ne sera pas un feu de paille. Elle estlà pour rester. Mais cette technologie n’est pas

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adaptée à tous les films. C’est parfait pour les des-sins animés, les grandes productions. Pas forcé-ment pour les comédies […].Bienvenue chez lesCh’tis en 3D ne ferait pas plus d’entrées qu’en 2D ».

…et pas uniquement avec des films

En mars 2010, lors du Tournoi des six nations,France Télévisions a permis aux amateurs de rugbyde suivre la finale France-Angleterre diffusée en 3Drelief dans une trentaine de salles de cinéma degrandes villes, Toulouse, Marseille, Bordeaux, Lyonet Paris, une première en France. L’événement a étéorganisé par la société CielEcran, en partenariatavec l’opérateur satellitaire Eutelsat.Peut-être plus impressionnant encore que d’êtredans un stade : les spectateurs amateurs de rugbyont eu la sensation, grâce aux caméras installéesau bord du terrain, que le ballon ovale arrivait droitsur eux, comme en témoignent ceux qui ont acceptéde dépenser 19 euros pour l’événement. « On estmoins à fond dans le match, on n’est pas autantconcentré sur l’aspect sportif, parce qu’il y a l’effettechnologique », tempère cet amateur de rugby à lafin de la séance de cinéma. Fort de leur succès,France Télévisions, CielEcran et Eutelsat ont renou-velé l’opération à l’occasion de la finale de la Couped'Europe de rugby en mai 2010.

En juin 2010, le géant de l’électronique grand publicjaponais Sony assurera la captation en 3D relief de25 matchs de la Coupe du monde de football enAfrique du Sud. En France, TF1 les retransmettradans des salles de cinéma. Ces rencontres serontégalement diffusées sur des écrans géants dans septvilles du monde : Paris, Berlin, Londres, Rome,Mexico, Rio de Janeiro et Sydney.

Alors, les fabricants ont équipé les salons

Après l’écran plat et la HD (haute définition), lerelief arrive à domicile. Condamnés à innover pourenrayer la chute des prix de vente des téléviseursconstatée depuis 2007, les fabricants ont en effetpâti d’une forte concurrence : une vingtaine demarques coexistaient, il y a dix ans, contre unedemi-douzaine aujourd’hui. Profitant de l’événementtélévisuel majeur qu’est la Coupe du monde defootball en juin 2010, tous les grands industriels(Sony, Panasonic, Toshiba, LG, Samsung, Phillips,Sharp…) ont voulu tirer profit de ce nouvel engoue-ment dès le printemps 2010.

La technologie LED, moins consommatrice d’énergieet plus lumineuse, est préférée au LCD et au plasmapar de nombreux constructeurs, mais les fabricantssud-coréens ont choisi de les développer simulta-nément. Si Samsung, le premier à s’être lancé débutavril 2010, est le seul à proposer les trois typesd’écrans, LG commercialisera des récepteurs LCD etplasma. Le japonais Panasonic a misé exclusive-ment sur la technologie plasma, reconnue pour untaux de rafraîchissement de l’image plus élevé(vitesse à laquelle les pixels changent de couleur).Le fabricant Sony, pour sa part, a lancé une gammede téléviseurs LCD en juin 2010 et entend proposerà la fois des équipements et des contenus.

Le pionnier de la technologie LCD, le japonaisSharp, a présenté au Japon, en mai 2010, sanouvelle gamme de téléviseurs aux performancesinédites, notamment pour les couleurs avec l’ajoutdu jaune aux trois couleurs de base traditionnelles(rouge, vert, bleu) et pour la luminosité, avec unrendu en 3D équivalant à celui des images en 2D.Un nouveau système de rétroéclairage permetnotamment d’éviter les artefacts fréquents sur lesécrans 3D. Les téléviseurs Sharp seront commer-cialisés en France à la rentrée 2010.

Les téléviseurs 3D, également HD, seront commer-cialisés en priorité avec des écrans de grande taille(> à 101 cm de diagonale), à un prix de baseavoisinant les 2 000 euros, soit une majoration duprix de 15 % par rapport à un téléviseur traditionnelde même taille.L’emploi de lunettes spéciales est nécessaire pourvoir les images en relief. La plupart des fabricants detéléviseur 3D ont opté pour le système de lunettesactives, assurant l’alternance d’une image sur deuxpour chaque œil et nécessitant une alimentation afind’être synchrones avec l’affichage télévisuel de120 images par seconde (60 pour chaque œil avecun écran 120Hz). Vendues avec le récepteur ou àpart, les lunettes et l’écran doivent de toute façonêtre de la même marque pour pouvoir fonctionner.Le prix d’une paire de lunettes est compris entre 100et 300 euros. Assurant un meilleur « rendu » descouleurs, mais en revanche une définition moinsbonne de l’image que les lunettes actives, deslunettes passives sont également commercialisées,avec des verres polarisés qui permettent de voir lesdeux images respectives au même instant, pourseulement 3 euros.Fin avril 2010, Toshiba Mobile Display, filiale du

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groupe industriel japonais Toshiba, a annoncé avoirmis au point un écran de taille moyenne (21 poucessoit 53,3 cm) permettant de voir les images enrelief à l’œil nu grâce une technologie baptiséeintegral imaging, dont le constructeur affirme qu’ellene fatigue pas les yeux.

La commercialisation des téléviseurs s’accompagnedu lancement de nouveaux matériels afin que la viedu film en relief puisse se poursuivre en vidéo.Réunis fin 2009 au sein de la Blu-ray Disc Asso-ciation, les industriels de l’électronique et les studiosde cinéma ont adopté une norme pour les lecteursvidéo Blu-ray en relief. Les premiers lecteurs 3D ontété lancés au printemps 2010 par Samsung, et lesautres marques seront commercialisées pendantl’été. Ainsi, le succès 3D mondial, Avatar, sorti enavril 2010 en DVD version 2D, sera disponible enBlu-ray 3D pour Noël.Selon certains spécialistes, les écrans 3D représen-teraient entre 10 % et 20 % des téléviseurs vendusen France en 2010 ; tandis que d’autres annoncent80 millions de téléviseurs 3D vendus en 2015, soitun marché mondial d’un montant de 60 milliardsde dollars. Le constructeur électronique Samsung etl’opérateur satellite SES Astra ont conclu un accordafin de promouvoir la 3D en lançant une chaîne gra-tuite de démonstration destinée aux points de vente.

Les constructeurs ont pris de l’avance afin de créerle marché, avant même que les programmes en 3Dn’existent vraiment. Les lecteurs 3D sont prêts, maisune vingtaine de films seulement seront disponiblesd’ici à la fin de l’année 2010. En attendant une offreplus riche de contenus 3D, certains fabricants,notamment Sony et Samsung, ont inclus dans leurstéléviseurs une fonction permettant de donner durelief aux images initialement produites en 2D, avecune qualité de restitution jugée très variable.

Les diffuseurs s’y sont préparés

Au dernier salon de la National Association of Broad-casters (NAB), qui s’est tenu en avril 2010 àLas Vegas, avec plus de 88 000 participantsprofessionnels de la vidéo, de l’audio et du film enprovenance de 157 pays, la 3D était, avec la diffu-sion sur récepteur mobile, le grand thème de lamanifestation. Le nombre d’exposants 3D a triplépar rapport à l’année passée. Tous les grandsconstructeurs, à l’instar de Sony et Panasonic, ontprésenté leurs matériels couvrant l’intégralité de la

chaîne de l’image, de la caméra au récepteur, ducaméscope au projecteur numérique.Chairman et CEO de Panasonic Corp, Joe Taylor aannoncé un partenariat avec un think tank améri-cain, Entertainment Technology Center, afin deréaliser un guide sur la manière de filmer et depostproduire en 3D pour éviter les maux de tête auxspectateurs. Les professionnels vont devoir utiliserde nouveaux matériels et apprendre à filmerdifféremment, l’effet relief s’obtenant grâce à un plusgrand nombre de caméras. Le 3D TechnologyCenter de Sony, installé à Cluver City, dans labanlieue de Los Angeles, les invite d’ores et déjà àvenir se former à la 3D. « Faire de la 3D, c’est facile.Réaliser de la très bonne 3D, c’est beaucoup plusdifficile. Trop de gens font cela de façon irresponsa-ble. Si on produit de mauvais films, personne n’irales voir », avertit son directeur, Buzz Hays.Afin de prévenir des effets indésirables induits par levisionnage du relief créé artificiellement, un cahierde recommandations a été établi par un consortiumjaponais d’industriels et autres organisations,à l’usage des professionnels comme destéléspectateurs : « Veiller à respecter la distancerecommandée. En cas de perte de sensation derelief, cesser de fixer l’écran durant un moment. Nepas se forcer à fixer l’écran en cas d’apparition d’unesensation de malaise ou de fatigue ».

Le 3 avril 2010, le bouquet satellitaire britanniqueBSkyB a lancé la première chaîne de télévision 3Den Europe, à l’occasion d’un événement sportifmajeur, le match Manchester United-Chelsea.L’événement a été retransmis dans un millier depubs en Angleterre et en Irlande. Les particuliersdevront patienter jusqu’à l’automne pour pouvoirrecevoir Sky 3D chez eux. Cette nouvelle chaînesera exclusivement accessible aux abonnés à l’offreHD du bouquet Sky World, à condition qu’ils soientéquipés du boîtier Sky+HD, d’un récepteur detélévision HD compatible 3D et de lunettesadéquates. Dans un premier temps, la programma-tion 3D sera limitée aux matchs de football et àquelques programmes. A terme, seront diffusés desfilms, des documentaires et des émissionsculturelles en 3D. Le bouquet BSkyB est une filialedu groupe News Corp de Rupert Murdoch, égale-ment propriétaire de la 20th Century Fox, majorproductrice d’Avatar.

En France, en mai 2010, le fournisseur d’accès àInternet Orange a réalisé une démonstration de

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diffusion en 3D et en direct, en partenariat avec lefabricant japonais Panasonic. Une chaîne de télévi-sion, spécialement créée pour l’événement, apermis aux abonnés ADSL et fibre optique de suivreles matchs du court central des Internationaux detennis de Roland-Garros, à condition toutefois d’êtreéquipés d’un téléviseur compatible Panasonicdernier modèle. L’année précédente, Orange avaitdéjà assuré la captation d’images en relief pour cetournoi, mais avec une diffusion limitée à quelqueslieux publics. A l’avenir, la nouvelle chaîne assurerala diffusion en 3D d’autres manifestations sportives,ainsi que de spectacles vivants. La chaîne Eurosporta, quant à elle, utilisé le signal 3D live d’Orangepour diffuser le tournoi de tennis par satellite dansplus de 3 000 points de vente à travers l’Europe.Parmi les diffuseurs nationaux, le groupe Canal+ estle premier à lancer une chaîne en 3D, en juin 2010,à l’occasion de la Coupe du monde de football.Canal+ 3D diffusera neuf matchs en direct. Laprogrammation de cette nouvelle chaîne évolueraensuite conformément à celle qui a assuré lesuccès de Canal+ : sport en direct, cinéma produiten 3D et animation en relief. La chaîne mise sur la3D comme un programme premium. Elle offriramême à ses abonnés la possibilité de transformerdes images 2D en 3D, afin de créer une impressionde relief. Prévu pour août 2010, Les aventures deSamy sera le premier film d’animation 3D en reliefcoproduit par StudioCanal.

Gédéon, l’une des principales sociétés de produc-tion de documentaires, a créé une filiale consacréeà la 3D, G3D. « Dans un an, la télé 3D sera là et çava exploser », estime son PDG, Stéphane Millière,dont la société coproduira, avec Canal+, undocumentaire de 90 minutes, Les Aventuriers dumonde perdu, consacré à une expédition scientifiquedans le Makay, massif montagneux inexploré deMadagascar. Le tournage se déroulera au cours del’hiver 2010, la réalisation étant confiée à PierreStine, avec un budget de 1,2 million d’euros, et ladiffusion prévue à la rentrée 2011.

Selon les responsables de Canal+, l’infrastructureest prête, via les réseaux câble et satellite plus àmême de supporter un double débit que la TNT oul’ADSL. La diffusion de la 3D sur la TNT ne serapossible qu’avec l’arrêt définitif de la diffusionanalogique en 2011. Le réseau ADSL est encoreinsuffisant pour transporter les deux signaux néces-saires à la 3D. Seule la fibre optique le permet.

L’unique câblo-opérateur français, Numericable,entend bien tirer parti de cet avantage. A la faveurd’un partenariat avec Panasonic, Cisco, Nagravisionet Sagemcom, baptisé 3D-HD Alliance, il offrira unservice de vidéo à la demande (VOD) en 3D avantla fin de l’année 2010, proposant des films, desdocumentaires et du sport. Les modems pourrontêtre mis à jour à distance, mais le câblo-opérateurdoit compter sur le renouvellement de l’équipementen téléviseur 3D de ses 3,5 millions d’abonnés.Sans oublier que l’offre de contenus est encore unpeu limitée pour constituer un catalogue deprogrammes.Ce sont les opérateurs de satellites, à l’instard’Astra et Eutelsat, leaders en Europe, qui devraientprofiter de l’avènement des chaînes 3D relief pouraccroître leurs revenus, cette technologie requérantune capacité de transmission plus puissante que ladiffusion de chaînes en 2D.Après quelques tests, jugés positifs, de l’effet reliefsur les émissions phares de la chaîne, dont lejournal télévisé, TF1 ne devrait pourtant pas selancer dans l’aventure en trois dimensions avant2011. Fin mai 2010, TF1 a néanmoins annoncéqu’elle diffusera en 3D relief à la télévision grâce àla fibre optique, le satellite et l’ADSL, cinq matchs dela Coupe du monde de football, dont la finale.Du côté de France Télévisions, des productions sonten cours, telle une coproduction Method Animationet Storyboard Animation, avec une société indienneDQ Entertainment travaillant au développementd’une série en 3D autour du personnage de PeterPan. Le budget est d’environ 9 millions d’euros pourcette adaptation, Les Nouvelles Aventures de PeterPan, en 26 épisodes de 22 minutes.

Déjà premier produit d’appel pour le Minitel, latélévision payante et la vidéo, les films X s’annon-cent comme un créneau porteur. Pour le producteurMarc Dorsel, numéro deux du secteur, « la 3Dpermet d’aller très loin dans l’interactivité ». Sasociété proposera d’ici à l’été 2010 le premierprogramme d’Europe de 90 minutes entièrement en3D, et une centaine de programmes en relief serontbientôt disponibles.Aux Etats-Unis, la première retransmission en 3Dd’une chaîne de télévision a été réalisée, en mars2010, par la chaîne du Madison Square Garden, àl’occasion du match de hockey opposant deuxéquipes new-yorkaises, les Rangers et les Islanders.La chaîne satellitaire DirecTV s’est lancée dans la3D en juin 2010, en partenariat avec Panasonic. La

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même année, Sony s’associait à la chaîne sportiveESPN pour diffuser en relief des matchs du cham-pionnat universitaire de football américain et àDiscovery & IMAX pour développer une chaîneentièrement diffusée en 3D.L’industrie des programmes en 3D est encorebalbutiante. Néanmoins, tous les professionnels lesavent : les programmes en relief entraînent un coûtsupplémentaire de 30 % à 50 % et imposent unenouvelle façon de filmer. Selon Ghislaine Le RhunGautier, responsable du développement de la 3Dchez Orange, « le marché prendra encore deux outrois ans pour être mature sur tous les plans :équipements, production, distribution ».

Les jeux vidéo se sont adaptés

Les créateurs de jeux vidéo développent desapplications en utilisant la 3D depuis longtemps,mais l’affichage était toujours en 2D. Après avoirproposé une simple mise à jour du système de laPlayStation 3 (PS3) en avril 2010, Sony se lanceradans la commercialisation de jeux en réelles troisdimensions à l’été 2010.La concurrence s’accentue sur le fructueux marchédes jeux vidéo. En attendant les nouvellesmachines, les consoles de jeu actuelles, notammentla PS3 de Sony et la Xbox 360 de Microsoft dont lescartes graphiques ne sont pas adaptées, nepermettent pas d’afficher de la 3D sans dégrader laqualité graphique. Des mises à jour permettront dejouer à des jeux en relief à condition de relier laconsole à un écran 3D.

Face aux nouveaux matériels concurrents iPhone etiPad, le géant japonais du jeu vidéo, Nintendo,prépare une nouvelle révolution pour la fin de l’an-née 2010 : la 3DS, console portable avec un écran3D qui ne nécessite pas de lunettes, un procédéconnu baptisé auto-stéréoscopie (voir infra).Les grands éditeurs de jeux vidéo, comme Electro-nic Arts et Ubisoft, se préparent à sortir de nouveauxcontenus mais aussi à rééditer leurs ancienssuccès en version relief.

La publicité en a profité

Le succès du film publicitaire Haribo, pionnier de lapublicité en 3D relief, montrant des bonbons jaillis-sant de l’écran, qui accompagna la sortie du filmL’Age de glace 3 au cours de l’été 2009, n’a passeulement marqué les spectateurs, mais aussi

l’esprit des publicitaires et de leurs clients annon-ceurs. Ainsi, des marques comme Free, Citroën,GMF, Azzaro, Justin Bridou, ont souhaité vivrel’expérience de la 3D sur grand écran,en profitant de la projection en relief de la victoire del’équipe de France de rugby, dans unetrentaine de cinéma en mars 2010, opérationmenée par la régie de France Télévisions. La marqueLego se calera sur la sortie des films Toy Story 3et Shrek 4, durant l’été 2010, pour diffuser deuxspots 3D en relief qui transporteront les spectateursdans un univers de jeu nommé Atlantis, conçu parla société danoise. Avec un coût supérieur de 30 %,la publicité 3D joue sur l’exception comme l’expliqueEric Jourdan de la régie publicitaire Médiavision :« Elle bénéficie d’un environnement unique, diffuséeseule, en fin de bande et dans le noir ».

Autre exemple : la marque La Vache qui rit (groupeBel), très populaire mais vieillissante, s’est offert uncoup de jeune avec la diffusion d’un spot 3Dinspiré des personnages de longs métragesd’animation, signé Young & Rubicam, en avril 2010et qui sera repris tout au long de l’été suivant.Donner du relief à des publicités existantes, c’est ceque propose, parmi d’autres, la société 3D Lized,qui a converti au relief des spots publicitairesdiffusés par France Télévisions Publicité.

« Ce qui fait le succès d’un média, c’est son attrac-tivité, sa capacité à faire la loi. Après avoirlongtemps dominé, la télévision a été détrônée parInternet, considéré comme plus sexy. Quand on voitle succès d’Avatar, on se dit que la 3D pourrait biencréer la surprise et ringardiser Internet… », affirmeMarie-Laure Sauty de Chalon, présidente d’AegisEurope du Sud.La 3D devrait également représenter un marchéimportant pour les films d’entreprise car « rien demieux pour séduire les actionnaires qu’une carte devisite en relief », selon Gédéon.

Alors pourquoi pas la presse écrite ?

Une première en Europe pour la presse écrite : le9 mars 2010, le quotidien belge La Dernière Heurea été publié en 3D : les photos, les publicités appa-raissent en relief aux lecteurs grâce aux lunettesstéréoscopiques fournies avec le journal, dont letirage a été augmenté de 85 000 à 115 000exemplaires pour l’occasion. « Le but du jeu étaitque tout le journal soit 3D », a expliqué le rédacteur

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en chef, Hubert Leclercq. Et d’ajouter : « A forced’entendre parler de la 3D au cinéma, à la télévisionet dans les jeux vidéo, on s’est lancé un défi ».Deux mois de préparation ont été nécessaires. Cetteopération a représenté un surcoût, dû notamment àl’utilisation d’un papier de meilleure qualité, plusblanc. Mais c’est surtout le temps de traitement desphotos (20 minutes au lieu d’une seule habituelle-ment) qui requiert une tout autre organisation,impossible à maintenir sur le long terme pour unquotidien.

Du côté des lecteurs, il semble difficile d’imposer leport systématique de lunettes. Du côté des annon-ceurs, en revanche, l’expérience a permis d’attirerde nouvelles marques qui n’investissent pas habi-tuellement dans la presse écrite.Des contraintes de coûts et de délais, incompatiblesavec les impératifs de fabrication d’un quotidien,laisseront donc ce « coup de pub » très probable-ment sans suite. Des projets sont cependant endéveloppement dans la presse magazine.

Et bien sûr…, le téléphone portable

Numéro un des téléphones portables au Japon, lefabricant d’électronique japonais Sharp lance unécran tactile à cristaux liquides LCD, qui permet devoir sans lunettes spéciales des images en 3D,conçu pour les téléphones, les consoles de jeu etd’autres appareils portables. Nintendo devrait enéquiper sa prochaine console de poche 3DS. Cetécran de 12,7 centimètres de diagonale réagit autoucher et permet de voir des images en relief sanslunettes, en se plaçant en face à une distance de30 centimètres environ. Sharp avait déjà produit cetype d’écran au début des années 2000 mais ce futun échec, l’image n’étant pas de bonne qualité. Enoutre, à cette époque, il manquait de contenusadaptés.

Les écrans auto-stéréoscopiques, c’est-à-dire capa-bles d’afficher en relief sans lunettes, sont recouvertsd’un réseau lenticulaire qui permet à chaque œil devoir une image différente. Afin d’offrir des points devue diversifiés, ce réseau de lentilles affiche autantde couples d’images que d’angles de visionsdifférents. D’un surcoût élevé de production, la 3Dsans lunettes pourrait devenir un marché de masseavec le développement d’applications aussi biengrand public que professionnelles comme la CAOmécanique, l’architecture, la médecine ou la

chirurgie.

La production en série devrait démarrer enseptembre 2010. Le constructeur, leader sur lemarché japonais des téléphones portables, parie surle fait que tous ceux-ci auront des écrans 3D car lefait de ne pas avoir à porter de lunettes est essentiel.Sharp envisage aussi de proposer des PC et autreséquipements de maison équipés de ses écrans tac-tiles 3D.

En 2010-2011, entre 10 % et 20 % des appareilsportables seraient compatibles 3D et 50 % en2011-2012. Le nombre de smartphones venduséquipés d’écran 3D atteindrait 78 millions d’ici2018, selon DisplaySearch.

Et les PC ?

Pour l’heure, dans le domaine du jeu, seul le PCprofite de l’effet 3D, en attendant la vente desprochaines consoles adaptées. La société améri-caine Nvidia, qui fabrique des cartes graphiques, adéjà vendu plus de 10 000 exemplaires en France(100 000 dans le monde) de son pack 3D Vision,offrant cette possibilité sur des ordinateurs équipésd’un écran 120 Mhz et dotés d’une carte graphiquespécifique. Cependant le PC pouvant aussi êtrebranché sur une télévision compatible 3D, le déve-loppement des jeux vidéo en 3D relief motiveraitalors l’achat de téléviseurs de dernière génération.

Et la 3D fut de meilleure qualité…

Après quelques années d’expérimentation, la 3Drelief ne fait plus mal à la tête et ne donne plus denausées à nos cerveaux non programmés pourregarder en stéréoscopie. Extraordinaire outil decréation, la 3D relief n’est plus considérée commeun projet en soi. Elle n’a pas transformé les mauvaisfilms, les mauvais programmes, les mauvais spec-tacles, les mauvais jeux, les mauvaises compéti-tions, en chefs-d’œuvre. Basculer les productions2D en 3D ne les a pas rendues meilleures. La 3Dest-elle un gadget ? Non, mais tout ne s’y prête sansdoute pas.

Françoise Laugée

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Sources :- «-Canal+…de relief ! », Philippe Latil, Ecran total, n°791,

17 février 2010.

- « Edition intégrale en 3D du quotidien belge La Dernière Heure », AFP,tv5.org, 9 mars 2010.

- « Sony lance cet été une dizaine de TV en 3D au Japon », AFP, tv5.org,

9 mars 2010.

- « Rugby : les "Bleus" gagnent aussi en 3D, sans liesse du Stade de

France », AFP, tv5.org, 21 mars 2010.

- « Alice, Dragons, Titans : embouteillage dans les sorties de films en

3D », AFP, tv5.org, 22 mars 2010.

- « "Avatar " accélère l’arrivée de la 3D dans les foyers », Paule

Gonzales et Marc Cherki, Le Figaro, 22 mars 2010.- « Tim Burton : " Nous ne faisions pas Avatar ! " », interview de

Tim Burton, propos recueillis par Isabelle Regnier, Le Monde, 24 mars

2010.

- « Jeux vidéo : Nintendo et Sony à l’assaut de la 3D », Marie-Cathe-

rine Beuth et Marc Cherki, Le Figaro, 25 mars 2010.- « Bonbons volants, Lego en relief : la 3D, nouveau terrain de création

pour la publicité », Laurence Girard, Le Monde, 25 mars 2010.- « Sharp présente un écran tactile en 3D sans lunettes pour consoles

et mobiles », AFP, tv5.org, 2 avril 2010.

- « Sky lance la première chaîne de télévision 3D en Europe »,

Guillaume Deleurence, 01net.com, 2 avril 2010.

- « Un péplum à l’ancienne 3Déifié », Thomas Sotinel, Le Monde,7 avril 2010.

- « Quand Hollywood se convertit à la 3D », Joël Morio, Le MondeTélévisions, 11-12 avril 2010.- « Sharp est prêt à produire en masse des TV LCD à technologies 3D

exclusives », AFP, tv5.org, 12 avril 2010.

- « Sport, films X, documentaires : les premiers programmes 3D se

préparent », AFP, tv5.org, 15 avril 2010.

- « L’appel de la 3D », Joël Morio, Le Monde Magazine, 17 avril 2010.- « La télévision en relief passe en direct à Roland-Garros », L.P.,

La Tribune, 20 avril 2010.- « Tous les regards se tournent vers la 3D », Salma Belabes,

Ecran total, n° 800, 21 avril 2010.- « La 3D vedette du NAB 2010 », Philippe Loranchet, Ecran total,

n° 800, 21 avril 2010.

- « Télévision en 3D : les Japonais se disent attirés, si les contenus

croissent et les prix baissent », La Correspondance de la Presse,28 avril 2010.

- « La 3D entre au salon », Claude Soula, Le Nouvel Observateur,

29 avril 2010.

- « Numericable mise sur les services de télévision à valeur ajoutée »,

Solveig Godeluck, Les Echos, 6 mai 2010.- « Le jeu prend un peu de relief », Guillaume Fraissard, Le MondeTélévisions, 9-10 mai 2010- « La France ne doit pas rater le train de la 3D », interview de Jérôme

Seydoux, propos recueillis par Nathalie Silbert et Davis Barroux,

Les Echos, 10 mai 2010.- « Mondial : TF1 diffusera 5 matchs en 3D, dont la finale », AFP,

tv5.org, 31 mai 2010.

- « Canal+ lance sa chaîne 3D à l’occasion du Mondial-2010 », AFP,

tv5.org, 1er juin 2010.

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Ont participé à ce numéro

Francis Balle, professeur à l’Université Paris 2 et directeur de l’IREC (Institut de recherche et d’études sur la commu-nication)Sophie Boudet-Dalbin, doctorante en sciences de l’information et de la communicationEmmanuel Derieux, professeur à l’Université Paris 2Jacques-André Fines Schlumberger, doctorant en sciences de l’information et de la communicationAlexandre Joux, docteur en sciences de l’information et de la communicationFrançoise Laugée, ingénieur d’études à l’Université Paris 2 (IREC)Denis Lescop, directeur du Centre de recherche de TELECOM Ecole de Management.

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Centre de Recherche de l’EBS37, 39 bd Murat 75016 Paris Tél : 01 40 71 37 37 www.ebs-paris.com [email protected]

� FOCUS

En EuropeLes événements les plus marquants ou les plussignificatifs advenus au cours du trimestre écoulédans l’un ou l’autre des pays membres de l’Unioneuropéenne ou du Conseil de l’Europe. Ces événe-ments décrits et analysés sont classés en fonctionde leur domaine d’élection : le droit, les techniques,l’économie ou les usages.

AilleursLes techniques, les tendances ou les nouveauxusages ayant marqué l’actualité récente, ailleurs,au-delà des frontières de l’Europe, dès lors qu’ilsprésentent un intérêt probable pour les acteurs oules observateurs des médias européens.

Les acteurs globauxLa vie des groupes plurimédias, leur organisation,

leur fonctionnement, leur activité, quel que soit leurmétier d’origine, dès lors que leur champ d’actionconcerne plusieurs médias et plusieurs pays, enEurope ou ailleurs.

A retenirLes mots nouveaux ou les expressions nouvellesque l’usage est en passe d’imposer, au-delà duseul vocabulaire technique.

Vient de paraîtreDes résumés et des analyses critiques succincts detravaux publiés récemment en Europe : ouvragesde référence, études, recherches ou rapports, quelsque soient leurs commanditaires.

� ARTICLES & CHRONIQUES

Afin d’approfondir la réflexion sur un sujet del’actualité récente.

Paraissant chaque trimestre, La revue européenne des médias est conçue et réalisée par l’Institut derecherche et d’études sur la communication (IREC), dirigé par Francis Balle, professeur à l’Université Paris 2,(IREC - http://irec.u-paris2.fr)

Rédactrice en chef : Françoise Laugée

Comité de rédaction : Francis Balle, Alexandre Joux, Françoise Laugée

Correctrice : Nicole Gendry

Responsable de la publication : Bruno Neil, directeur de l’EBS Paris

ISSN 1967-2756

n14°des médias

LA REVUE EUROPÉENNE

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