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La représentation des peuples exotiques et des missions
dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
Cédric Choplin
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Cédric Choplin. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz(1865-1884). Sciences de l’Homme et Société. Université Rennes 2, 2009. Français.
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Submitted on 18 Sep 2009
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SOUS LE SCEAU DE L’UNIVERSITÉ EUROPEENNE DE BRETAGNE
UNIVERSITÉ RENNES 2 Ecole Doctorale Sciences Humaines et Sociales
Centre de Recherche Bretonne et Celtique (FRE 3055)
La représentation des peuples
exotiques et des missions dans
Feiz ha Breiz
(1865-1884)
Thèse de Doctorat
Discipline : Breton et celtique
Présentée par Cédric CHOPLIN
Directeur de thèse : Gwendal DENIS
Soutenue le 9 janvier 2009.
Jury : DENIS Gwendal, Professeur, Rennes 2, directeur LE BIHAN Hervé, Professeur, Rennes 2 MARTEL Philippe, CNRS, Montpellier, rapporteur VIDEGAIN Xarles, Professeur, Pau, rapporteur
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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Á ma femme et mes enfants qui m’ont soutenu tout au long de ce travail par leur amour et leur patience.
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier Gwendal Denis et les membres du jury qui m’ont fait
l’honneur d’y participer et ont pris tant de peine à lire mon travail. Je tiens ensuite à remercier
chaleureusement mes professeurs, amis, collègues du département de breton de Rennes 2 qui
m’ont tant appris et soutenu (Gwendal Denis, Herve Le Bihan, Lukian Kergoat, Francis
Favereau, Mark Kerrain, Alan Botrel, Yann-Ber Pirioù, Gilles Boucherit et Annie
Mordelet…). Á Ronan Le Coadic et au groupe Ermine, à Ronan Calvez, pour leurs conseils et
encouragements amicaux. Merci à Jean Pirotte et aux membres du CREDIC dont les travaux
et l’accueil chaleureux m’ont été précieux. J’adresse un remerciement tout particulier à mon
compère Olier Rolland dont la science et la bonne humeur ne m’ont jamais fait défaut. Á mes
collègues de la salle interdite du lycée Jean Macé de Rennes. Á Yann Celton, bibliothécaire
de l’évêché de Quinper et au personnel des différentes bibliothèques que je continue de hanter
(bibliothèque municipale de Rennes, bibliothèque diocésaine de Rennes, Bibliothèques de
Rennes 2, CRBC à Brest…) ainsi que de la maison des Missions Extérieures de Paris. Á mes
parents et à mes frères, à Sylvère et Boris Gobille, mes cousins et maîtres en cosmopolitisme.
Enfin, à toutes les personnes qui m’ont aidé, de quelque manière que ce soit, ne serait-ce que
par leur gentillesse, mais que je ne peux citer ici de peur d’en oublier une.
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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Sommaire
Sommaire ....................................................................................................................................3Introduction.................................................................................................................................41 Feiz ha Breiz : un outil de propagande dans un monde en mutation ................................19
1.1 Feiz ha Breiz et la presse catholique.........................................................................191.2 Sources des rédacteurs de Feiz ha Breiz ...................................................................57
2 L’appel du large ................................................................................................................872.1 Les pays de cocagne..................................................................................................882.2 L'ouverture du canal de Suez et le télégraphe...........................................................952.3 L’ouverture forcée des territoires............................................................................1022.4 Un changement d’échelle........................................................................................105
3 Représentation des peuples exotiques.............................................................................1193.1 Typologies relevées dans Feiz ha Breiz..................................................................1203.2 De l'origine des « races humaines »........................................................................1483.3 Le racialisme des descriptions ................................................................................1623.4 L’exotisme comme procédé littéraire .....................................................................1933.5 Des peuples sous le joug du diable .........................................................................2043.6 La barbarie en pratique. ..........................................................................................226
4 L'imaginaire missionnaire...............................................................................................2664.1 L’origine des missionnaires. ...................................................................................2664.2 Les nouveaux apôtres..............................................................................................2864.3 Un exemple de sainteté ...........................................................................................3104.4 Fonder des royaumes chrétiens...............................................................................3164.5 Le martyre du pasteur et de son troupeau ...............................................................342
5 Yann Vrezhoneger et l'effort missionnaire. ....................................................................3555.1 La puissance de la prière.........................................................................................3565.2 Breuriez ar Feiz.......................................................................................................3585.3 La naissance d’une sensibilité humanitaire.............................................................3695.4 Une façon de remercier Dieu ..................................................................................3785.5 Une « assurance Salut » ..........................................................................................3805.6 La concurrence protestante .....................................................................................383
6 L’alliance du sabre et du goupillon.................................................................................3896.1 Feiz ha Breiz et le colonialisme..............................................................................3896.2 Une armée et une marine chrétiennes .....................................................................3956.3 Soutien aux missionnaires.......................................................................................3996.4 Des relents de croisade : .........................................................................................4026.5 France catholique contre Angleterre protestante ....................................................4146.6 Lutte contre l’esclavage ..........................................................................................418
7 Le paradoxe du missionnaire ..........................................................................................4227.1 Les chrétiens indigènes : avant-garde de l'Europe..................................................4227.2 Dispenser une éducation européenne......................................................................4237.3 L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation. ?..........................................4277.4 L'ordre colonial comme ordre divin : une duperie..................................................4327.5 Indigènes et République..........................................................................................437
Conclusion ..............................................................................................................................452Bibliographie...........................................................................................................................467Table des matières...................................................................................................................479
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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Introduction
Quand Gauguin peignait une Bretagne riche en couleurs, il s'agissait là de la couleur
des costumes paysans et non de leur couleur de peau qui selon l’exposition au soleil durant les
travaux des champs pouvait peut-être varier un peu mais restait toujours proche du blanc. Cet
amoureux de Pont-Aven, du Pouldu et de la Cornouaille armoricaine rencontra certainement
très peu de personnes de couleur en Bretagne et il lui fallut aller à Tahiti pour trouver de
l’exotisme cutané. En effet, si la Bretagne avait participé très activement à la traite négrière, et
ceci même après son interdiction en 1817 pour certains ports comme Lorient, Saint-Malo et
surtout Nantes, la présence physique de Noirs n'y est attestée que de façon limitée. Ajoutons
aussi qu'il ne s'agissait pas de Noirs amenés directement d'Afrique mais de la domesticité de
certains armateurs et de certains planteurs séjournant en ville. À l'évidence, la population
rurale de basse Bretagne n'avait, au quotidien, aucun commerce avec des hommes venus de
pays lointains. Les marins et les soldats bretons pouvaient certes en rencontrer à l'instar de
Deguignet qui servit en Crimée, en Kabylie et au Mexique1 mais sabres, fusils et canons étant
des moyens de communication peu performants, ils ne permettent pas de bien connaître
l’autre. En revanche, la reprise de l'effort missionnaire français dans la seconde partie du XIXe
siècle offrit aux populations catholiques une somme d'informations très conséquente par
l'intermédiaire des Annales de la Propagation de la Foi (dès 1822) et de ses adaptations en
breton.
La circulation des informations sur les pays lointains s'améliora aussi très largement à
partir des années 1860 grâce à la plus grande liberté de la presse accordée par le régime de
Napoléon III en voie de libéralisation. Bien souvent, quand on parle de la liberté de la presse,
on pense aux titres parisiens et on oublie cette floraison de feuilles locales et de journaux
catholiques. Or, c'est dans ce contexte que naquit Feiz ha Breiz.2
Le travail que nous vous présentons aujourd'hui consiste en l'étude thématique et
critique d'un corpus original. Étude thématique puisque centrée sur un thème : la
représentation des peuples exotiques en contexte missionnaire et colonial ; étude critique
puisque nous confronterons ce corpus à d'autres corpus, études et analyses ; corpus original
1 ROUZ Bernez : DEGUIGNET Jean-Marie,. Mémoires d'un paysan Bas-Breton. An Here, Ar Releg-Kerhuon 2000. 462p 2 CARON François, La France des patriotes, Fayard, Paris, 1985. p 170s.
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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enfin car si le mouvement missionnaire, la politique papale en ce domaine et le colonialisme
ont déjà été étudiés par d'autres, il ne semble pas qu'un organe de presse populaire en langue
régionale ait été l'objet d'une telle étude.
Feiz ha Breiz eut une durée de vie exceptionnellement longue pour un journal
entièrement rédigé en breton : près de deux décennies (1865-1884). Toutes les semaines, les
abonnés trouvaient sous leurs yeux ce titre Feiz ha Breiz qui sonne comme un slogan (Foi et
Bretagne) et ce sous-titre qui, s'il varia un peu au fil du temps, garda le même esprit :
Kelou a bep Bro, ha kenteliou var bep tra, digasset bep sul da guement Christen zo e Kerne, e Leon hag e Treger (Nouvelles de tous les pays, leçons sur chaque chose, apportées chaque dimanche à tout
chrétien de Cornouaille, du Léon et du Trégor) du 4 février 1865 au 18 février 1865 puis
[...] digasset bep sul da guement Christen a goms ar brezounec (apportées chaque dimanche à tout
chrétien qui parle breton) du 25 février 1865 au 16 janvier 1869).
Le même sous-titre sera repris du 23 janvier 1869 aux 21 août 1875, c'est-à-dire jusqu'à la
démission de Goulven Morvan (voir infra), mais avec une légère modification
orthographique.
Kelou a bep bro, ha kenteliou var bep tra casset bep sul da guement Kristen a gomz brezounec (Nouvelles de
tous les pays et leçons sur tout envoyées chaque dimanche à tout chrétien qui parle breton)
Si par la suite la référence aux pays étrangers disparaît dans le sous-titre, ce n'est pas
en raison d'un désintérêt mais parce que le journal prend une coloration de plus en plus
politique comme le montrent les nouveaux sous-titres :
[...] pe gazetenn ar guir gristenien, ar guir vretouned (ou journal des vrais chrétiens, des vrais bretons)
du 2 juin 1877 au 26 avril 1884 avec un léger changement dans l’orthographe le 5 mai 1883 :
pe gazetenn ar gwir gristenien, ar gwir vretouned.3
L'objectif de la rédaction de Feiz ha Breiz semble donc bien être d'informer le lectorat
bretonnant et catholique des nouvelles du monde. Or le monde change dans cette seconde
partie du XIXe siècle : la carte de l'Europe se modifie en profondeur et celle du monde est
complètement bouleversée. D'immenses taches de couleur s'étalent sur le planisphère : les
fameuses taches roses représentant l’empire colonial français des atlas de nos grands-pères4
puisque c'est l'époque où la France se constitue un nouvel empire colonial. En effet, après les
guerres révolutionnaires et napoléoniennes, il ne restait plus que des confettis de l'empire
colonial d'ancien régime (quelques îles à sucre dans les Antilles, la Guyane, cinq comptoirs en 3 RAOUL Lucien, Un siècle de journalisme breton, le Signor, Le Guilvinec, 1981. p137s 4 Cf. FALLEX (Maurice), Nouvel atlas, Delagrave, 1929, 79p
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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Inde, les établissements du Sénégal et l'Île Bourbon baptisée aujourd’hui Ile de la Réunion). À
la toute fin du règne de Charles X, en 1830, la France prend pied en Algérie laissant aux
régimes suivants la charge de poursuivre cette difficile conquête. Si c'est sous le Second
Empire que s'amorce véritablement le mouvement d'expansion coloniale avec la conquête de
la Cochinchine, c'est la IIIe République qui porte l'empire colonial français à son apogée. La
publication de Feiz ha Breiz couvrant la fin du Second Empire et les débuts de la IIIe
République, son étude s'avère être un outil de choix pour connaître l'état d'esprit du clergé et
pour savoir comment étaient disposés les catholiques bas bretons à l'égard des peuples
exotiques, des missions et de l'œuvre coloniale de la France à ce moment charnière.
Le premier numéro de Feiz ha Breiz sortit le dimanche 4 février 1865. L'initiative de
ce journal revient à Léopold de Leseleuc, qui réussit à convaincre Mgr Sergent, évêque de
Quimper et de Léon, dont il était le vicaire, de la nécessité de proposer à ses diocésains un
journal dans leur langue.5
La rédaction fut confiée à Yves Goulven Morvan (1819-1891). Natif de la Forêt
Landerneau, il ne devint prêtre qu'à 32 ans en 1851. Yves Goulven Morvan assuma la
direction du journal pendant dix ans. Lors de son départ, en 1875, il fut remplacé par Gabriel
Morvan, qui avait été son condisciple au séminaire de Pont-Croix. Jean Le Dû et Yves Le
Berre, dans la présentation de leur recueil de textes choisis dans Feiz à Breiz,6 écrivent à
propos du journal et de son premier rédacteur :
La publication de ces quelques textes est une tentative de réhabilitation d'un homme qui donna
naissance à un courant littéraire original et durable. Ce courant s'établit dans les milieux du siècle
dernier7 sur les bases d'une idéologie conservatrice et d'une morale rigoureusement chrétienne, prit
pour outil la langue bretonne partiellement « normalisée » selon les principes définis une génération
plus tôt par le Gonidec, fut porté par un milieu social organisé autour de l'Église catholique, constituée
de prêtres des zones rurales, de petits bourgeois — presque tous formés dans les collèges religieux et
les séminaires —, de paysans aisés — principalement léonards —, enfin de quelques membres de la
noblesse basse bretonne attachés aux monarchies ou légitimistes.
Pour montrer combien on peut qualifier Feiz ha Breiz de journal légitimiste, c'est-à-
dire royaliste et catholique, « gwenn » comme on dit en breton, il n'est qu'à regarder les deux
seuls numéros du journal dont la première page est entourée d'un liseré noir. Le premier est
celui qui annonce la mort de Pie IX (1878) et le second celle du comte de Chambord (1883). 5 RAOUL Lucien, Un siècle de journalisme breton, le Signor, Le Guilvinec, 1981. p137s 6 LE DU Jean & LE BERRE Yves, Textes choisis dan Feiz ha Breiz, Studi n°11, CRBC et CRDP Rennes, Avril 1979. p5. 7 C’est à dire le XIXe siècle
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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Ainsi, Feiz ha Breiz n'a jamais été en symbiose avec le régime politique en place : le Second
Empire pour commencer, la IIIe République pour finir. Si l'opposition de Feiz ha Breiz au
gouvernement de Napoléon III n'a jamais été nette, tout du moins avant la défaite de Sedan
(1871), il n'en est pas allé de même à l'égard des républicains et des radicaux voués aux
gémonies à longueur de page. Pourtant, Yves Goulven Morvan écrivait dans le premier
numéro :
Na vezo morse hano ama ar pez a zell oc’h ar c’houarnamant [...] hag en defe an ear da vlam pe da
veuli ar re hor gouarn... (Nous ne traiterons jamais ici des affaires de l'État […] de façon à donner
l'impression de blâmer ou de louer ceux qui nous gouvernent.) 8
Cette prudence ne dura pas car comme le fait remarquer Lucien Raoul, ce détachement
affiché de la chose politique ne résista pas aux changements de régime :
Par contre, l’avènement du Gouvernement provisoire et la prise du pouvoir par les républicains,
sectaires et anticléricaux, sont loin de laisser indifférent l’abbé Morvan qui consacre dès lors la
majeure partie de ses éditoriaux à mettre en garde ses lecteurs contre les incroyants (« an dud
difeiz »), les révolutionnaires (« an dispac’herien ») et les francs-maçons (« ar franmasoned »): « N'on
eus tremenet meur a sizun ep lavaret eur ger bennag a enep an dud difeiz a glask lamet digantho ho
feiz hag ho relijion » (n° 366- 03/02/1872). Les écoles laïques, « graves menaces pour la religion »,
sont, elles aussi l'objet de ses attaques: « hag evelse, dre ho mistri ha dre vestrezed scol laïk ec'h
ententont tud dioc'h ho dorn, tud ep relijion eveldho, tud hag a scolio, a zavo ar vugale evel païaned pe
hugunoded. (et ainsi, avec leurs maîtres et leurs maîtresses d’école laïques qui sont des gens à leur
dévotion, des gens sans religion comme eux, des gens qui éduqueront, qui élèveront nos enfants
comme des païens ou des Huguenots) » 9
On voit bien que la référence aux païens et aux huguenots sert ici de repoussoir. Si on
peut trouver quelques huguenots en Bretagne, les païens y sont beaucoup plus rares. Les
païens, ne sont-ce ces peuples qui vivent à l'autre bout de la Terre, aux moeurs étranges et
parfois horribles, décrits par les voyageurs et les missionnaires que les chrétiens leur envoient
pour leur annoncer la Bonne Nouvelle et sauver leur âme ? La pénétration européenne dans
les Terrae Incognitae, l'élargissement des horizons à la fin du XIXe siècle touchent toutes les
strates de la société. Les gens sont curieux des choses nouvelles que les découvertes
scientifiques leur font entrapercevoir, avides d'en savoir plus sur les pays lointains et les
peuples exotiques qui les habitent. Rappelons que Feiz ha Breiz, pour répondre à l'attente de
son public, proposait dans son sous-titre de donner des nouvelles du monde entier et de
8 F&B n°1 04/02/1865, cité aussi par L. Raoul (1981) p140 9 Lucien RAOUL, Un siècle de journalisme breton, le Signor, Le Guilvinec, 1981. p. 143
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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l'instruire sur bien des choses. Notons cependant que si le nom «kentel» peut être traduit par
leçon ou enseignement, il peut aussi signifier édification ou morale au sens de celle que l'on
est invité à tirer après la lecture d'un chapitre de Buez ar Zent (La Vie des Saints) dont bien
des familles possédaient un exemplaire.10 Il s'agit donc certes d'instruire Yann Vrezhoneger11
mais aussi de le conforter dans sa foi en faisant appel non à des vies de saints maintes fois
lues et relues mais à des histoires se déroulant dans un décor exotique, parmi des gens aux
coutumes décidément bien étranges.
L'Église, après avoir passé un demi-siècle à reconstituer son clergé et à reprendre
l'ascendant sur ses ouailles après les troubles de la Révolution, peut dans ce dernier tiers du
XIXe siècle reporter une partie de ses moyens humains et financiers sur les missions
extérieures. Ce traumatisme de la Révolution a en outre développé chez les catholiques
français la conscience d’une responsabilité à l’échelle du monde en ce qui concerne le salut
des âmes. 12 Or cette action est ressentie comme vitale par l’Église car l’évolution des
mentalités et la perte progressive des États pontificaux font qu’elle se sent assiégée. Les
missions extérieures sont donc perçues comme le seul moyen d’enrayer ce déclin et leur
développement apparaît annonciateur de la victoire finale.13 La Bretagne, riche en vocations
sacerdotales, participe grandement à cet effort et les Bretons sont appelés, par leurs prières et
leurs dons, à le soutenir. Une véritable propagande en faveur des missions se développa et
Feiz ha Breiz en fut un des acteurs.
Nous arrivons là au cœur de notre sujet qui consiste en l’étude de la représentation que
donne Feiz ha Breiz, pendant les dix-neuf ans de son existence, des peuples exotiques et des
missions en contexte colonial.
Travaillant sur les représentations, nous nous trouverons parfois bien éloignés des
réalités anthropologiques et historiques aujourd'hui connues. Il conviendra dès lors d'étudier
l'ampleur de ces distorsions et de voir dans quelle mesure elles sont volontaires ou non. Ceci
nous amènera à nous poser la question des intentions et des sources d'information
qu'utilisaient les rédacteurs de Feiz ha Breiz.
10 Plusieurs versions souvent rééditées circulaient alors : — Buez ar Sænt, evit gloar Doue, evit enor ar Sænt, evit sanctification an Eneou, Glaoda Marigo, Kemper, 1752. — Buhez ar Zœnt lakeat e brezounec Leon gant an aotrou Perrot, person a Blougonvelen, Brest, 1846. — Buez ar Zent, skrivet a nevez e brezounek gant ann aotrou Morvan, chaloni euz a iliz kathedral Kemper, Teurgn (Tours), 1884. 11 Yann le bretonnant, John Doe, le citoyen Lambda… 12 Claude Prudhomme, Missions chrétiennes et colonisation, p. 68. 13 Jean Pirotte, La mobilisation missionnaire, prototype des propagandes modernes (XIXe-XXe siècles), in La mission en texte et en image, Karthala, Paris, 2004, pp. 211-232.
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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Le terme exotique n'est certes pas un terme scientifique mais la définition que nous en
donnerons sera celle du Trésor de la Langue Française14 :
Qui est relatif, qui appartient à un pays étranger, généralement lointain ou peu connu; qui a un
caractère naturellement original dû à sa provenance.
Il va de soi que, dans cette thèse, nous n’emploierons jamais le mot « éxotique »,
même dépourvu de guillemets, comme un concept ou une notion mais toujours comme une
catégorie de perception, celle que l’on retrouve dans les colonnes de Feiz ha Breiz.
Nous ne nous intéresserons donc qu’aux peuples qui présentent une forte altérité par
rapport à l'Europe occidentale de tradition chrétienne, rurale mais en voie d'industrialisation et
conquérante. En fait, nous traiterons des peuples en contact avec les missions et les
missionnaires. Les missions en question sont bien évidemment les missions que l'on a
coutume d'appeler extérieures et non les missions intérieures même si quelques
rapprochements devront être faits. C’est dans cette partie que nous étudierons le regard que
porte Feiz ha Breiz sur les civilisations des peuples exotiques, pour peu qu'il leur en soit prêté
une, et la genèse des stéréotypes raciaux et culturels dont beaucoup ont encore bien des
difficultés à se départir.
Avant toute chose, il conviendra de faire connaissance avec les équipes de rédaction
de Feiz ha Breiz afin de savoir si ce journal exprime des points de vue très divergents ou s'il a
une ligne éditoriale stable sur la période (1865-1884).
Ceci fait, nous situerons Feiz ha Breiz dans son contexte politique et culturel en
développant plus particulièrement trois axes d'étude. Tout d'abord, nous montrerons que Feiz
ha Breiz est un journal résolument légitimiste défendant, avec la dernière énergie, les droits
d'Henri V au trône de France pour enfin déterminer la vision que Feiz ha Breiz a du monde.
Nous verrons aussi comment, par un effet de miroir, la description des « peuples exotiques »
permet de définir une certaine identité bretonne que Ronan Calvez a appelée « un paysanisme
breton. »15
Le positionnement légitimiste va amener le journal à s'opposer continuellement au
régime en place. Une opposition modérée à l'Empire pour commencer, une attitude attentiste
sous le gouvernement provisoire de Mac-Mahon ensuite, et pour finir une attitude résolument
hostile voire hargneuse lorsque la IIIe République s'installe. Pour les rédacteurs de Feiz ha
14 http://atilf.atilf.fr/tlf.htm consulté le 07/08/2008 15 CALVEZ Ronan, Un paysanisme breton, Feiz ha Breiz, (1865-1884) et la société bretonne, Mémoire de maîtrise, Brest , 1993,
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
http://atilf.atilf.fr/tlf.htm
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Breiz l'éventualité de l'installation d'une république ne peut qu'annoncer le retour des troubles
révolutionnaires dont le souvenir hante les catholiques bretons. Rappelons pour mémoire
qu'en 1865, l'Église se remettait à peine du choc de la Révolution française et de l'Empire qui
avait complètement miné ses bases (clergé décimé et divisé, biens dispersés, population
déchristianisée...). Depuis 1815, la Bretagne avait certes été reconquise, les élites
conservatrices avaient repris leur place d'honneur dans les Églises, le clergé s'était reconstitué
et un quasi-monopole institué sur l'éducation. Cependant, des nuages lourds de menaces
s'annonçaient.
Si le pouvoir spirituel du pape ne pouvait plus souffrir la moindre contradiction depuis
l'affirmation de l'infaillibilité pontificale, son pouvoir temporel était remis en question par
l'unification de l'Italie au profit du royaume de Piémont. La gestion de la question italienne
par Napoléon III, qui avait pourtant tant choyé l'épiscopat et dont le fils avait pour parrain le
pape lui-même, lui aliéna définitivement le soutien des catholiques bretons (et autres). Feiz ha
Breiz se trouve complètement en accord avec le syllabus de Pie IX et lui sert bien souvent
d’illustration.
Devant la montée des menaces, le clergé breton favorisa l'émergence d'une nouvelle
conscience bretonne. Celle-ci faisait rimer paysan, catholique et breton. Il n'est qu'à
rechercher les adjectifs opposés à ce triptyque pour identifier à coup sûr les adversaires, les
ennemis des prêtres de l'évêché de Quimper et Léon même s'il n'est jamais question de
séparatisme. Pèlerinages, culte marial et des saints, le tout enrobé d'une sensibilité romantique
exprimée dans « la vieille langue de nos pères » parée de toutes les vertus prophylactiques.
Or, décrire des horizons, des mœurs, des objets exotiques fait sortir le breton de son cadre
habituel et il est fort intéressant d’étudier comment les rédacteurs de Feiz ha Breiz ont
appréhendé et géré ces situations inédites.
Comme nous venons de le voir, Feiz ha Breiz joue à l'envi des opposés et des
contraires, il en va de même pour sa conception du monde. Les Bretons doivent choisir le
camp de Dieu ou celui de Satan. Évidemment, Feiz ha Breiz est là pour les y aider. La chose
ne devrait pas être trop ardue, puisque la Révélation et les dogmes de l'Église sont présentés
comme de pures évidences. La preuve en est que les hommes les plus brillants, de quelque
pays ou religion qu'ils soient, se convertissent sans réserve au catholicisme romain. De l'autre
côté se trouvent le diable et ses valets. Le père du mensonge, le singe de Dieu sait très bien
choyer ceux qui le serviront. Ses valets se trouvent parmi les hérétiques, les schismatiques, les
infidèles évidemment mais aussi parmi les apôtres des idées nouvelles qui détournent les
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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fidèles des commandements de la Sainte Église Catholique Apostolique et Romaine et veulent
éduquer les enfants dans des écoles sans crucifix.
Si les défis sont immenses dans la vieille Europe chrétienne, les catholiques bretons
sont conscients que le monde a changé d'échelle. L'expansion européenne outre-mer appelle
de nouveaux défis. De nouvelles voies se sont ouvertes vers des pays jusqu’alors inaccessibles
or l'Église est, par nature, apostolique et se doit donc de porter la Bonne Nouvelle partout où
cela est possible. La reprise des missions coïncide donc d'une certaine manière avec la reprise
de l'expansion coloniale européenne. C'est ainsi que se développe dans Feiz ha Breiz l'idée
selon laquelle le déclin de l'Église en Europe peut être compensé par son développement
outre-mer. C'est dans ce contexte que les Bretons prennent conscience de la dimension
internationale de leur foi pour reprendre le titre d'un colloque dont les actes ont grandement
influencé notre recherche.16
Avant d'aller plus loin, il conviendra de s'interroger sur les sources de Feiz ha Breiz.
Ce journal, ne disposant pas d'envoyés spéciaux sur place, utilisa comme matériaux des écrits
divers et variés pour ses articles, ce qui ne manque pas de soulever différentes questions.
Premièrement, les sources sont-elles toujours citées? Deuxièmement, à quelles tendances
appartiennent les sources citées ? Troisièmement, comment ces sources sont-elles adaptées
aux besoins de la ligne éditoriale de Feiz ha Breiz et traduites en breton ?
L'expansion européenne outre-mer provoqua la rencontre d'autres hommes, d'autres
cultures, d'autres religions. L'acte premier de la connaissance étant de nommer l'inconnu, nous
étudierons dans le détail la façon dont les peuples exotiques sont nommés dans Feiz ha Breiz.
Certains peuples, les plus proches ou anciennement connus, auront droit à un nom propre et
d'autres seront affublés de noms génériques comme « sauvages », « infidèles », et d’autres
plus péjoratifs encore. Nous verrons aussi comment les dénominations ne sont pas figées et
évoluent au gré des circonstances. Nous irons même plus loin : la rencontre avec l'Autre se
situant dans un contexte colonial supposant la supériorité du sujet sur l'objet, la relation ne
peut être qu'inégalitaire. La genèse du racisme moderne semble trouver là l'un de ses
fondements. Nous verrons et étudierons comment les rédacteurs de Feiz ha Breiz sont tiraillés
entre leur conception unitaire et chrétienne du genre humain d’un côté et de l’autre, la mise en
place d'un racialisme prétendument scientifique et les ressorts du racisme ordinaire. Il faudra
16 CHOLVY (Gérard) Actes réunis par, L’éveil des catholiques français à la dimension internationale de leur foi. XIXe et XXe siècles, Centre régional d’histoire des mentalités, Université Paul Valéry Montpellier III, 1996, 184 p.
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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par ailleurs étudier les moyens qu'utilisait Feiz ha Breiz pour lutter contre le darwinisme dans
la mesure où il remet en cause le premier article du Credo et le récit de la Genèse.
C'est ainsi que nous verrons comment se combinent l'universalisme chrétien et
l'européocentrisme par le moyen de concepts linguistiques et ethnologiques périmés mais
d'une efficacité redoutable. L'utilisation de l'exotisme comme procédé littéraire s'intègre à la
conception du monde binaire de Feiz ha Breiz car il lui permet d'atteindre son objectif
éditorial : instruire les Bas Bretons tout en les distrayant. Ainsi on verra fleurir dans Feiz ha
Breiz des contes, des fables, des histoires drôles bien connus en Bretagne mais que l'on
recycle en les parant d'habits exotiques. Par ce biais, Feiz ha Breiz, sans en avoir l'air, offre à
ses lecteurs des leçons de morale voire même de catéchisme.
Le monde de Feiz ha Breiz est manichéen, les peuples non chrétiens y sont représentés
comme vivant sous le joug du diable. Si ces êtres humains ne sont pas mauvais par nature, ils
le sont par l'éducation, puisqu’ils ne connaissent pas la vraie foi. C'est la raison pour laquelle
ils peuvent et doivent être convertis. Le fait qu'ils aient une religion, aussi mauvaise soit-elle
montre à l'évidence qu'une fois éclairés ils pourront bien servir le vrai Dieu au lieu de perdre
leur temps et leur énergie dans de vaines dévotions. À bien y réfléchir une mauvaise religion
vaut mieux que l'athéisme professé par certains Européens qui, eux, auront bien du mal à
retourner vers Dieu.
L'expansion européenne remit en contact la Chrétienté avec l'Islam. Rappelons que la
confrontation de ces deux grandes religions monothéistes avait permis à chacune d'elles de
constituer son identité propre par un jeu étrange d'emprunts et de rejets proche de la
fascination. En cette fin de XIXe siècle, les armées turques ne menaçaient plus les portes de
Vienne mais les puissances européennes s'en prenaient, à leur tour, aux terres d'islam.
L'Algérie, même si la pacification était loin d'être achevée, était devenue française depuis
1830, l'empire ottoman vacillait sous les coups de boutoir de l'empire russe et certaines de ses
dépendances aiguisaient l'appétit des puissances occidentales. Cependant, l'islam continuait à
progresser, ceci contre toute attente, malgré les efforts des missionnaires chrétiens et sous le
regard des administrations coloniales, notamment en Afrique subsaharienne. Bien souvent,
l'Islam est ressenti comme l'Europe chrétienne en négatif. Il est donc chargé de tous les vices
et il ne sera pas rare de trouver des relents de croisade dans Feiz ha Breiz.
Afin de légitimer l'action des missions catholiques, Feiz ha Breiz se complaît à décrire
la barbarie des peuples non chrétiens. Ceci lui permet, par un simple effet de renversement, de
mettre en évidence les vertus du catholicisme romain : fainéantise et impudeur, absence de
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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charité, mauvais traitements infligés aux femmes et désordres dans la famille, guerres cruelles
et endémiques, esclavage et négation de la dignité humaine, persécution des missionnaires et
des chrétiens. Nous verrons que les rédacteurs de Feiz ha Breiz ne cherchent aucunement à
faire accroire à leurs lecteurs que cette barbarie est inhérente à la nature même de ces hommes
même si leur couleur de peau diffère de la leur mais qu'elle prouve que seule la foi chrétienne
permet à un homme d’être vraiment Homme. La preuve en est que Dieu lui-même leur inflige
des châtiments terribles afin de leur montrer la voie vers le Salut. De même, les descriptions
de la déchéance des peuples autrefois chrétiens permettent de montrer par l'exemple ce qui
attend les Européens si ceux-ci reniaient leur foi.
Missions et missionnaires sont les instruments de l'Église pour gagner et sauver les
peuples lointains. Par leur vertu et leur courage, ils sont les seuls capables de transformer les
loups en agneaux, les sauvages et les cruels infidèles en hommes bons et vertueux. Dans un
premier temps, nous chercherons à savoir ce que nous dit Feiz ha Breiz de l'origine de ces
missionnaires : de quelles familles ils sont issus, quel a été l'élément déclencheur de leur
vocation, si cette vocation a été encouragée ou bien provisoirement contrariée. Les
descriptions de missionnaires abondent en Feiz ha Breiz, ils sont décrits comme les nouveaux
apôtres devant tout quitter pour vivre dans la misère, endurant le climat, les maladies et la
mort avec une abnégation totale. Feiz ha Breiz les montre au milieu de populations inconnues,
apprenant leur langue, leurs coutumes, partageant leurs joies et leurs peines. Feiz ha Breiz les
dépeint comme des hommes aux capacités intellectuelles supérieures, véritables linguistes et
anthropologues avant l'heure, affrontant l'hostilité des indigènes, luttant sans relâche contre le
diable et ses cornes, déjouant les pièges de ses valets que sont les prêtres des faux dieux et des
idoles, les protestants cupides et fourbes. Seule la foi de ces exemples de sainteté aimant plus
leur prochain qu'eux-mêmes, les miracles qu'ils produisent montrent aux populations
prisonnières des ténèbres où est le vrai Dieu et qui sont ses véritables serviteurs. Devant tant
de courage et d'abnégation, les descriptions d'indigènes reconnaissants ne manquent pas et
même les protestants s'émerveillent des qualités humaines de leurs concurrents. L'objectif de
l'Église est de fonder outre-mer des royaumes chrétiens. Il ne s'agit donc pas officiellement de
les soumettre à l'Europe mais de transformer leurs structures politiques et culturelles pour les
rendre conformes au message évangélique. Cet aspect, bien trop souvent négligé en raison de
l'image d'Épinal montrant « l'alliance du sabre et du goupillon », reste fort présent dans Feiz à
Breiz, Rome se montrant plus que réservée quant à la capacité des États européens à
christianiser les populations exotiques depuis l'échec flagrant du patronato espagnol et du
patroado portugais qui sous prétexte d'évangéliser les populations du Nouveau Monde les
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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avaient décimées. 17 Même si cette volonté de Rome de ne plus dépendre des pouvoirs
politiques pour assurer sa mission apostolique était forte, les opportunités offertes par
l'expansion européenne en cette fin de XIXe siècle étaient trop belles pour ne pas être saisies.
C'est ainsi que naquit une certaine collusion entre les régimes coloniaux et les missions dont
l'Église eut bien de la peine à se départir lors des décolonisations. Quoi qu'il en soit Feiz ha
Breiz se plaît à montrer des communautés indigènes chrétiennes qui sous la houlette des
missionnaires font preuve d'une dévotion qui devrait faire pâlir d'envie les pays de vieille
chrétienté. Feiz ha Breiz, toujours dans cette optique, marque un point d'honneur à montrer la
pérennité de ces communautés grâce à l'émergence d'un clergé indigène.
Cependant, tout ne se passe pas toujours au mieux et les missionnaires savent qu'ils
doivent se préparer à l'éventualité du martyre. Nous verrons que cette éventualité était bien
loin d'être envisagée avec effroi : elle était même recherchée par certains puisqu'elle
constituait un véritable viatique pour le paradis. Par ailleurs, Feiz ha Breiz cherche à montrer
au moyen de mille exemples que seul le catholicisme peut donner à ses fidèles la force
nécessaire pour affronter le martyre, ce qui constitue une démonstration, aux yeux de ses
journalistes, de sa vérité. Feiz ha Breiz semble aussi partager l'idée que le sang des martyrs est
la semence des nouvelles communautés chrétiennes s'appuyant en cela sur l'exemple des
premiers chrétiens. Nous verrons combien les rédacteurs de Feiz ha Breiz se complaisent à
offrir des descriptions d'un réalisme souvent insoutenable car l'objectif n'est évidemment pas
seulement informatif, il est aussi de faire participer les catholiques de l'évêché à l'effort
missionnaire. À cet égard, Feiz ha Breiz participe entièrement à la mise en place d'une
véritable propagande, au sens moderne du terme, pour reprendre l'analyse de Jean Pirotte.18
Feiz ha Breiz publie nombre de lettres de missionnaires qui appellent les chrétiens de la vieille
Europe à les soutenir tant par leurs prières que par leurs dons financiers. Ces lettres de
missionnaires sont soit des traductions des Annales de la Propagation de la Foi, soit des
reprises de Liziri Breuriez ar Feiz,19 soit des lettres directement envoyées au journal par des
missionnaires ou par certains de leurs proches. Si ces lettres donnent nombre d'informations
sur les peuples rencontrés par les missionnaires, elles se veulent aussi édifiantes, c'est-à-dire
propres à renforcer la foi. Nous étudierons les thématiques que l'on trouve dans ces lettres afin
17 PRUDHOMME Claude, Missions chrétiennes et colonisation, Cerf, Paris, 2004, 172p. 18 PIROTTE Jean, Aux sources des propagandes modernes. L’appel à la mission in ROUTHIER Gilles LAUGRAND Frédéric, L'espace missionnaire: lieu d'innovations et de rencontres interculturelles, Karthala Editions, Paris, 2002, 437p. & PAISANT Chantal, La mission en textes et images, Karthala Editions, Paris, 2004, 516p. 19 Version bretonne des Annales de la Propagations de la Foi
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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de déterminer quelles cordes sensibles les rédacteurs de Feiz ha Breiz veulent faire vibrer
chez leurs lecteurs.
Nous nous attarderons quelque temps sur ce que nous appellerons la naissance d’une
sensibilité humanitaire. Les missionnaires, se trouvant bien souvent au milieu de catastrophes
humanitaires dues à la famine, à la guerre, aux persécutions, à l'esclavage et plus
particulièrement celui des enfants, ne manquent jamais d'en appeler à la générosité des
Bretons. Participer à l'effort missionnaire est pour les catholiques bretons une manière de
remercier le bon Dieu d'être nés chrétiens, dans une Europe que l'Église a fait sortir de la
barbarie et de se préserver de sa juste colère qui ne manquera pas de s'abattre s’ils persistent à
écouter ceux qui les détournent de lui. Qui plus est, donner à l'Œuvre de la Propagation de la
Foi ou à l'Œuvre de la Sainte Enfance, c'est acheter des indulgences, des rentes au paradis. On
ne pourra manquer de faire un rapprochement entre le vocabulaire de cette propagande
missionnaire et celui de l'économie en général et de l'économie coloniale en particulier.
La troisième partie de notre travail consistera à étudier dans le détail la manière dont
Feiz ha Breiz informe sur l'expansion coloniale française et nous verrons que celle-ci a été
fort diverse et a varié suivant le régime en place.
Dans la première période qui couvre la fin du Second Empire et le début de la IIIe
République, l'alliance entre le sabre et le goupillon ressemble presque à une lune de miel,
Napoléon III voulait en effet présenter la France comme la protectrice des missions et de
l'Église catholique et il est vrai que la marine et l'armée sont de précieux soutiens des
missionnaires. La marine surtout joue un peu le rôle de la cavalerie dans les westerns c'est-à-
dire qu'elle arrive (presque) toujours à temps, qu'elle rétablit le bon ordre et lutte contre
l'esclavage. Nous verrons dans cette même partie comment les rédacteurs de Feiz ha Breiz,
dans le cadre des missions toujours, opposent France catholique et Angleterre protestante.
Nous étudierons ensuite la façon dont les missionnaires s'avèrent être de précieux auxiliaires
pour l'État. Coloniaux et missionnaires partagent en effet la même culture et l'immense
majorité d'entre eux est convaincue de la supériorité de cette culture sur les cultures indigènes.
Pour eux, civiliser et européaniser vont de paire. Autre avantage pour l'État, les missionnaires,
si efficaces, ne lui coûtent presque rien. En outre, les chrétiens indigènes constituent pour lui
une véritable avant-garde et servent bien souvent de relais à l'autorité coloniale. Nous
n'oublierons pas cependant de traiter des frictions et désaccords qui survinrent entre les
missionnaires et l'ordre colonial.
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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La seconde période sera celle que l'on appelle communément « la politique de
recueillement national » à la suite de la traumatisante défaite de Sedan (1870). C'est une
grande période d’entre deux et d'incertitude pour la France et pour les catholiques bretons qui
pensent que cette première a été vaincue à cause de ses péchés. Ils attendent un rétablissement
de la monarchie qui tarde en raison de la désunion des royalistes et qui, finalement, ne se fera
pas. Cependant, durant cette période, les dons à l'Œuvre de la Propagation de la Foi ne
diminuent pas, ce qui montre à l'évidence que le soutien aux missionnaires est profondément
ancré dans les mentalités, qu’il n'est pas un phénomène de mode.
La troisième période commence avec l'installation définitive de la IIIe République.
Certains républicains (ils sont loin d'être tous unanimes) veulent rompre avec le recueillement
national et laver l'humiliation (indemnités de guerre et perte de l'Alsace-Lorraine) par une
politique extérieure active. Or, ne pouvant gagner de gloire en Europe, il fallait trouver des
victoires militaires outre-mer. L'attitude des légitimistes forcenés de Feiz ha Breiz à l'égard de
la politique coloniale de la IIIe République est pour le moins confuse. En fait, il faut faire feu
de tout bois pour décrédibiliser République et républicains. La crainte que la République ne
perde l'héritage colonial des rois par son incurie et ses lois de laïcisation que les indigènes,
notamment en Algérie, n'accepteront jamais, s’accompagne d’une opposition résolue à toute
aventure coloniale. Feiz ha Breiz voit derrière les républicains la main de Bismarck qui
cherche à empêcher le retour de la monarchie c'est-à-dire le relèvement national et à détourner
les Français de la ligne bleue des Vosges. Ainsi il pourra à nouveau écraser la France sous sa
botte dès que l'envie lui en prendra. C'est aussi dans cette partie que nous traiterons de ce qu'il
est convenu d'appeler le paradoxe du missionnaire. Si, en France, le conflit entre républicains
et catholiques est frontal, outre-mer, la situation est tout autre. Missionnaires et administration
coloniale sont contraints à l'entente. Le missionnaire travaille donc dans les pays lointains
pour la France, sa civilisation et sa langue alors qu'il en est chassé. C'est ce qui fera dire à
Gambetta que « l'anticléricalisme n'est pas un produit d'exportation »20.
À vrai dire, la politique coloniale est aux yeux de Feiz ha Breiz révélatrice de
l'escroquerie démocratique. Alors que la République est censée être le gouvernement du
peuple par le peuple et pour le peuple, celle-ci le spolie et le trompe : elle fait la guerre sans la
déclarer, envoie de bons soldats chrétiens se faire tuer dans les pays lointains pour le seul
bénéfice de quelques capitalistes et leur refuse même un prêtre pour les accompagner à leur
20 Déclaration du « vieux républicain » à Mgr Lavigerie, évêque d’Alger en 1878. La formule a été si souvent reprise qu’elle est aussi attribuée à bien d’autres républicains anticléricaux comme Paul Bert.
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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heure dernière, dépense des millions sans compter alors qu'il y aurait tant à faire dans le pays,
elle asservit des peuples qui ne lui ont rien fait.
Feiz ha Breiz insiste de surcroît sur la dangerosité de la politique coloniale : si on sait
quand débute une guerre, il est beaucoup plus difficile de savoir quand elle se terminera et
combien elle coûtera. Les risques géopolitiques paraissent toujours énormes à nos rédacteurs :
la Turquie est toujours susceptible de se réveiller si on touche à ses dépendances comme la
Tunisie et l'Égypte et le Sultan pourrait appeler tous les musulmans à la guerre sainte contre
les Français qui risqueraient dès lors de perdre l'Algérie. De même, la guerre au Tonkin
pourrait ouvrir sur un conflit avec la Chine. Pire encore, les rivalités coloniales sont
susceptibles de déboucher sur une guerre en Europe et la Prusse pourrait à nouveau envahir la
France et il ne faudrait pas compter sur la « perfide Albion » pour venir à la rescousse.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, il convient de donner quelques indications quant à
la conception de cette thèse : comment a été élaboré le corpus de référence, comment en a été
bâti le plan, et comment elle a été structurée.
Le corpus de référence a été extrait de la collection complète de Feiz ha Breiz qui se
trouve à la bibliothèque municipale de Rennes. Celle-ci a été reliée année par année et est
encore dans un assez bon état de conservation. Pour commencer, il a fallu lire tous les
numéros de Feiz ha Breiz afin d'y repérer les articles traitant des peuples exotiques et de la
colonisation. Une fois recopiés et dactylographiés, un corpus d'environ 665 pages a été
obtenu. Après relecture de ce corpus, il a fallu en extraire les thématiques ainsi que leurs
articulations. L'abondante bibliographie sur l'histoire du XIXe siècle en Europe, l'histoire
coloniale, le colonialisme, les nombreux travaux universitaires sur la religion et les cultures en
Bretagne, l'ethnographie et l'histoire missionnaire etc. nous ont fait découvrir des
problématiques que nous ne soupçonnions même pas au départ. Cependant il fallait veiller à
ne pas se lancer dans une nouvelle synthèse sur l'histoire des missions et du colonialisme mais
bien centrer notre propos sur Feiz ha Breiz. Ainsi, si certaines problématiques que les
recherches récentes ont soulevées ne sont pas évoquées ou développées, c'est qu'elles sont
absentes de Feiz ha Breiz ou que nous ne les y avons pas trouvées.
En ce qui concerne la présentation de cette thèse, nous avons utilisé les normes
universitaires de rédaction en vigueur à l’université de Rennes 2. La bibliographie respecte
tant que faire ce peut la norme AFNOR Z 44-005 ; n'y ont été portés que les ouvrages et autre
sources que nous avons lus ou consultés.
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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Les citations tirées de Feiz ha Breiz sont évidemment très nombreuses dans cette étude
et la question de la place à accorder aux traductions se pose. Le texte en breton est
évidemment la source de référence et sa traduction n'est qu’une aide à la lecture. Il a donc été
décidé que les traductions de mots, d'expressions et de phrases courtes seraient intégrées au
corps de texte alors que les traductions d'extraits longs seront placées sur une colonne en vis-
à-vis du texte breton afin de faciliter la lecture. Les citations longues ont été privilégiées afin
que le lecteur puisse goûter la langue et le style des rédacteurs de Feiz ha Breiz.
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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1 Feiz ha Breiz : un outil de
propagande dans un monde
en mutation
Avant d'étudier la représentation des peuples exotiques et de l'expansion coloniale
dans Feiz ha Breiz, il est nécessaire de se pencher sur la façon dont le journal décrit sa propre
civilisation. Pour ce faire il convient de s'interroger sur sa naissance et le contexte socio-
historique de celle-ci.
Ronan Calvez, dans son mémoire de maîtrise intitulé Un paysanisme breton, Feiz ha
Breiz et la société bretonne (1865-1875) a parfaitement décrit la naissance, l'organisation, les
objectifs, les moyens humains et financiers de Feiz ha Breiz. Même s'il ne s'est intéressé
qu'aux dix premières années du journal, alors que la présente étude porte sur ses dix-neuf
années d'existence, son objectif paraît complémentaire au nôtre (il a étudié la manière dont
Feiz ha Breiz a décrit la société bretonne alors que nous étudions la manière dont Feiz ha
Breiz décrit les peuples exotiques). Son analyse s'intègre parfaitement à la nôtre puisque l’un
de nos axes de recherche est de savoir comment, par un jeu de miroir, ces descriptions de
peuples exotiques servent à définir une certaine identité bretonne. C'est la raison pour laquelle
nous prendrons à notre compte bon nombre de ses observations et conclusions dans la mesure
où nous utilisons pour moitié le même corpus et une documentation proche.
1.1 Feiz ha Breiz et la presse
catholique
1.1.1 Un contexte favorable
Malgré ses tendances autoritaires et, dans une certaine mesure, à cause d'elles, le
Second Empire est un gouvernement d'opinion. C'est pourquoi il doit rester en contact avec
cette opinion. Informer l'Empereur est certes l'une des fonctions principales des préfets mais
l'administration n'a pas les moyens de connaître et de maîtriser l'ensemble des courants qui
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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traversent l'opinion. C'est la raison pour laquelle le système impérial combine de manière
subtile et cohérente une série de stratégies de pouvoir apparemment contradictoires : il associe
la base démocratique aux méthodes autoritaires, l'incitation au changement technique à la
volonté de renforcer les hiérarchies sociales, le cléricalisme de style ultramontain à une
aspiration gallicane, la recherche de gloire nationale à la volonté de ne pas troubler l'ordre
européen.21 Si le consensus autour du régime est presque général dans les années 1850, cela
devient moins évident dans les années 1860 même s'il faut se garder de la légende noire qui
veut que le Second Empire fût le pire régime que connut la France. Cette légende, servie
magistralement par des plumes de renom telles que celle de Victor Hugo et d'autres moins
brillantes mais tout aussi efficaces, s'est mise en place dès les débuts de la IIIe République et
veut faire accroire que ce régime était odieusement répressif et haï de tous. Cependant, il
semble bien aujourd'hui qu'il était largement accepté voire même soutenu par la population et
ce ne fut que la traumatisante défaite de Sedan qui le décrédibilisa complètement. Il faut dire
qu'après cette défaite, presque toutes les tendances politiques avaient intérêt à dire pis que
pendre du mort. D'un côté, les catholiques ne lui pardonnaient pas sa gestion de la question
italienne et romaine et voulaient voir dans sa chute un juste châtiment divin. D’un autre côté,
les républicains lui reprochaient d'avoir assassiné la Seconde République, son césarisme et
son cléricalisme. Pierre Milza, dans un ouvrage récent,22 tente de faire la part des choses : au
lieu de voir dans le Second Empire une odieuse parenthèse entre deux républiques il voit une
« étape » dans la démocratisation de la France et notamment une période qui « a familiarisé
les Français avec le vote » (p. 646). Pierre Milza souligne également que le Second Empire
« appartient à la galaxie démocratique » (p. 630) et que « rares sont les dictatures européennes
dont l’évolution s’est opérée comme celle-ci dans le sens de la libéralisation » (p. 645).
L’auteur expose par ailleurs avec finesse que « la dénonciation du césarisme, réel ou supposé,
appartient à la culture de la République parlementaire » (p. 620).
Le régime, qui voulait s'appuyer sur le peuple tout entier en ayant rétabli le suffrage
universel, fut amené, afin de ne pas perdre le contact avec lui, à rendre aux modes
traditionnels d'expression de l'opinion publique leur place dans le fonctionnement des
institutions : la presse et le parlementarisme retrouvèrent progressivement droit de cité et
finirent par occuper le devant de la scène. Encore une fois le bonapartisme apparaît comme un
21 CARON F. La France des patriotes, p 165. 22 Pierre MILZA, Napoléon III, Perrin, Paris, 2004, Les numéros de page indiqués dans ce paragraphe s’y réfèrent.
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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processus d'apprentissage et d'adaptation progressive du suffrage universel aux réalités du
parlementarisme.23
La législation sur la presse du Second Empire est stricte : deux décrets importants sont
publiés peu avant le rétablissement de l'Empire. Le décret du 31 décembre 1851 défère aux
tribunaux de police correctionnels tous les délits de presse. Celui du 17 février 1852 organise
l'exercice de la presse : obligation d’une autorisation du gouvernement pour la création ou
pour un changement de direction, instauration d’un impôt timbre, interdiction est faite aux
journaux non politiques de publier des articles politiques, sociaux ou économiques. De plus,
interdiction est faite de rendre compte des séances des deux assemblées sauf si c'est le compte
rendu des secrétaires des assemblées, interdiction de donner un compte rendu sur les affaires
civiles, criminelles ou correctionnelles ; les journaux doivent en ourtre publier gratuitement
tous les communiqués qui proviennent de l'État, le gouvernement peut donner des
avertissements aux journaux qui seront suspendus ou supprimés au bout de deux infractions.
Voilà qui explique les précautions prises par Goulven Morvan dans le premier numéro du
journal :
Na vezo morse hano ama ar pez a zell oc’h ar
c’houarnamant [...] hag en defe an ear da vlam pe
da veuli ar re hor gouarn
Nous ne traiterons jamais ici des affaires de l'État
[…] de façon à donner l'impression de blâmer ou
de louer ceux qui nous gouvernent. 24
Si ces dispositions ne perdurèrent que jusqu’à la loi du 9 mars 1868 pour l’autorisation
préalable et les avertissements, il fallut attendre celle du 29 juillet 188125pour pouvoir parler
vraiment de liberté de la presse. En 1878, Feiz ha Breiz était encore surveillé de près par la
préfecture comme le montrent des documents que Pierre-Yves Lambert26 a eu l’amabilité de
nous prêter. Ceux-ci viendraient de la préfecture de Quimper et ressemblent fort à des
rapports de surveillance des publications. Ces rapports sont de simples feuilles volantes
insérées dans le numéro de Feiz ha Breiz scruté. Chaque article est résumé et ceux à caractère
politique sont traduits in extenso. Sachant que Feiz ha Breiz devenait de plus en plus politique
à cette époque, l’employé chargé de cette besogne devait être bien occupé…
Si la presse d'opinion a réussi à survivre sous l'Empire autoritaire, c'est parce qu'elle a
su manifester son opposition de façon détournée. Devoir ruser ainsi poussa les journalistes à
une inventivité et à une créativité qui firent beaucoup dans le développement ultérieur de la 23 CARON F. La France des patriotes, p 166 24 F&B n°1 04/02/1865, cité aussi par L. Raoul (1981) p140 25 JO 30-07-1881 p. 4201-4205 26 Directeur d'Etudes à l'EPHE, Linguiste spécialisé dans l'histoire et l'étymologie des langues celtiques.
21
Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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presse. Les allusions historiques, notamment à l'empire romain, étaient une mine inépuisable
de coups de griffe au Régime et Feiz ha Breiz ne se montre pas en reste à cet égard. En 1865,
afin de contrer les velléités27 de certains (nous ne sommes pas encore sous la Troisième
République) de laïciser l’enseignement, la vie de Saint Mathurin à Rome montre qu’il est
capital de confier les enfants à des écoles chrétiennes.
Mez penoz eo deuet Mathurin da veza eur zant hag
eur zant braz ? Dre ar skol hag eur skol vad. Euruz
eo bet da gaout eur skol vad en e vugaleach; da
anaout eno Doue hag e relijion zantel, rag anez
petra a vije bet nemet eur paian, eur pec’her, eun
den daonet.
Mais comment Mathurin est-il devenu un saint et un
grand saint ? Par l’école et une bonne école. Il a été
heureux d’avoir une bonne école dans son enfance ;
pour y connaître Dieu et sa sainte religion, car sinon
il ne serait devenu qu’un païen, un pécheur ; une
âme damnée. 28
Sans vouloir trop tôt déflorer le sujet, il apparaît déjà que Feiz ha Breiz utilise aussi les
descriptions de peuples et de pays exotiques comme des arguments pro domo.
D’aucuns, comme Prévost-Paradol pouvaient même écrire : « Vive l’oppression pour
donner toutes ses ressources et tout son prix à la pensée. […] Les braillards se taisent. […]
Plus de chanteurs de rue, place aux artistes. » 29 Effectivement, ne pouvant critiquer
directement la famille Bonaparte, Goulven Morvan doit ruser :
An dud difeiz ha dizoue o deus bet ive eur mestr a
behini e c'heuillont ar c'hentelliou ; eur mestr hag en
deus desket dezho cassat kement so mad, kement
so guir, cassat Doue, cassat ar guir relijion, cassat
al lezen gristen hag ar re he heuil, cassat ar virionez
e kement leac'h ma he c'haver. An den-ze n'hen
hanvin ket ama; ne allan ket plega va biziet da scrifa
he hano. An den-ze, eme eur scrifagner, so he
boltred e meur a leac'h, ha ne deus nemet sellet
outhan evit guelet eo merket doun ar seis pec’het
marvel e kement rid a so var he dal ha var he zrem
oll. E pep corn e lenner ar gassoni. Ar gassoni a deu
er meas dre gorniou he c'hinou : ar gassoni so
scrifet var he vuzellou tano, hag he zent discrognet
Les gens sans foi et athées ont aussi eu leur maître
dont ils suivent les leçons ; un maître qui leur a
appris à haïr tout ce qui est bon, tout ce qui est vrai,
haïr Dieu, haïr la vraie religion, aimer la loi
chrétienne et ceux qui la suivent, haïr la vérité
n’importe où elle se trouve. Cet homme, je ne le
nommerai pas ici, je ne peux plier mes doigts pour
écrire son nom. Cet homme, dit un journaliste, a son
portrait dans plusieurs endroits et il n’y a qu’à le
regarder pour voir que les sept péchés capitaux sont
profondément marqués dans chaque ride de son
front et de son visage. Partout on lit la haine. La
haine sort des commissures de ses lèvres : la haine
est inscrite sur ses lèvres minces et ses dents
27 au sens de volonté faible et sans effet. 28 F&B n° 42 (18/11/1865) 29 CARON F. La France des patriotes, p 167
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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a zigas da zonch eus a scrign dent ar re zaonet en
ifern. Ha setu aze mestr an dud difeiz a so hirio.
découvertes rappellent le crissement des dents des
damnés de l’enfer. Voici le maître des impies
d’aujourd’hui. 30
Bien évidemment, près d’un siècle et demi plus tard, il est difficile d’être
complètement certain de l’identité de cet homme mais à cette époque, les portraits sur les
murs étaient rares…
Dès 1861, et ce d'après un relevé de l'administration, il s'avère que les journaux
bonapartistes ne sont pas les plus lus et qu'au sein de ces mêmes journaux les nuances sont
infinies. Si la presse légitimiste proprement dite éprouve quelque difficulté à adapter son ton à
l'esprit du temps et à échapper aux lamentations sur les malheurs qui la caractérisent, la presse
catholique, elle, fleurit. 31 Henri Sempéré, dans sa thèse sur la Semaine Religieuse de
Toulouse, note que « l'Église de France a pris conscience, dans la première moitié du XIXe
siècle, de la nécessité de se mobiliser et de mobiliser les catholiques pour réagir contre
certaines tendances hostiles qui s'affirment avec force, et pour amplifier le mouvement de
restauration religieuse amorcée avec le concordat. Il lui apparaît à l'évidence qu'elle doit
mettre à son service et retourner contre ses adversaires les deux instruments de leurs progrès :
le livre et le journal. »32
Cette volonté de Feiz ha Breiz de faire pièce aux mauvais livres et journaux est
motivée par le risque que courent les âmes à leur lecture :
Ar c'hontam a laz an eneou. — Eur gazeten euz a
Haïti a gomz evelen : Peleac'h ema ar re o deuz eur
goustians kizidig avoalc'h evit miret out-ho da lenn
kement scrit a goez etre ho daouarn, a belec'h
bennag e teufent ? Pephini a lavar : « ar scrit-ze, me
voar vad, zo a enep ar relijion ; hogen evidonme
n'eus ket a zanjer;» ha var an digarez-ze en em
daoler en dour contamet euz ar goasa fals
credennou. Destum a rer, e gouelet he ene, eur
guiscad sonjou leun a errol, a c'heier, a zigareziou
fall hag a gresk eno dre m'emaint a unan gant goal
ïoulou ar galon.
Le poison qui tue les âmes. — Un journal d'Haïti
parle ainsi : où sont ceux qui ont la conscience
assez sensible pour se garder de lire tous les écrits
qui tombent entre leurs mains, d'où qu'ils viennent ?
Chacun dit : « cet écrit, je sais bien, est contre la
religion ; or en ce qui me concerne il n'y a pas de
danger » et sous ce prétexte on se jette dans l'eau
empoisonnée des pires croyances. On amasse, au
fond de son âme, une couche de pensées pleines
d'erreur, de mensonges, de mauvais prétextes qui
grossit car elle est à l'unisson des vices du cœur.
J'ai connu un jeune homme qui s'était mis à lire les
30 F&B n° 95 (24/11/1866) 31 CARON F. La France des patriotes, p 169 32 SEMPERE H, La Semaine Religieuse de Toulouse (1861-1908), p 8
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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Anavezet em euz eun den iaouang a ioa en em
lakeat da lenn scridou Rousseau. O lenn ar fals
guirionezou euz ar scrifagner-ze diskiant ha cals re
vruded, he feiz a ieas ken tano, ma sonje dezhan
n'en devoa mui creden ebet. Eun denvalijen deo a
goezas var he speret, hag a dachadou e veze en
dizesper. Gouela a rea, ha gouela puil, hag aliez.
« Collet oun, emezhan, ha coll ep mar ; scrijuz eo ;
n'eus den ker reuzeudig ha me.
Chom a reaz er stad-ze tost da dri bloas, hag epad
an amzer-ze e sonjas meur a vech en em zistruja.
« Ne c'hellan mui beva evelse, emezhan, ep creden
ep relijion, ep Doue, ep netra. Va zud oll a zo
christenien, n'eus nemedon-me hag a ve difeiz.
Eun dervez gouscoude e teuas ar sclerijen dezhan,
hag an den kez a doue, eun tamik divezad, ne vije
paket mui.
Anavezet em euz ive eun itron iaouang, eur vaouez
a zoare hag a spered, hag a voue touellet gant eun
den dizoue da lenn unan bennag euz a scridou hon
doctored difeiz a hirio, evit guelet petra e voant. Ar
vaouez kez a voue paket ; hirio c'hoaz ema o stourm
oc'h n'ous pegement a fals credennou, diot oll cals
pe nebeut.
Hogen pegement a gerent zo hag a les en ardanez
ho bugale levriou fall, ha pere ne lesent ket etre ho
daouarn na coutam nag armou ! Pe gen aliez al
levriou a lezer en eun ti en ardanez an oll a zo eur
c'houtam a ro ar maro d'an ene ! Eur guir gristen ne
dlefe gouzanv en he di na levr na cazeten hag a ve
goest da vouga ar feiz pe da zougen d'an droug ar
re ho lenn. Hogen eur c'hontam hag a lonker
bemdez, a nebeudou, penaus ne deufe-hen ket da
drei speret eun den, da deleur tenvalijen ennan, ha
écrits de Rousseau. Lisant les fausses vérités de cet
écrivain fou et beaucoup trop célèbre, sa foi diminua
tellement qu'il lui semblait qu'il n'avait plus aucune
croyance. Une épaisse obscurité tomba sur son
esprit et il sombrait parfois dans le désespoir. Il
pleurait, il pleurait à chaudes larmes, et souvent. «
Je suis désorienté, disait-il, et sans doute perdu.
C'est effroyable, il n'y a pas d'homme plus misérable
que moi. »
Il resta dans cet état pendant près de trois ans, et
pendant ce temps il pensa bien des fois à se
suicider.
« Je ne puis vivre plus longtemps ainsi, dit-il, sans
croyance ni religion, sans Dieu, sans rien. Tous mes
parents sont chrétiens, il n'y a que moi d’athée. »
Un jour, pourtant, la lumière lui vint, et le pauvre
homme promit, un peu tard, que l'on ne l'y
reprendrait plus.
J'ai aussi connu une jeune dame, une femme très
bien et intelligente, qui fut trompée par un incroyant
qui lui fit lire quelques-uns des passages de nos
docteurs athées d'aujourd'hui, pour voir ce qu'ils
étaient. La pauvre femme fut bien attrapée ;
aujourd'hui encore elle lutte contre je ne sais
combien de mauvaises croyances, toutes plus ou
moins idiotes.
Or combien y a-t-il de parents qui laissent de
mauvais livres à la portée de leurs enfants alors
qu'ils ne laisseraient ni arme ni poison entre leurs
mains ! Les livres qu'on laisse dans une maison à la
disposition des enfants sont si souvent un poison
qui provoque la mort de l'âme ! Un vrai chrétien ne
devrait souffrir dans sa maison aucun livre ni aucun
journal qui pourrait étouffer la foi ou porter ceux qui
33 F&B n° 392 03/08/1872
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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da lacat neuze ennan kemesk etre ar mad hag an
droug, etre ar gaou hag ar guir? GM.
les lisent au mal. Or ce poison que l'on ingère tous
les jours, à petites doses ; comment ne parviendrait-
il pas à retourner l'esprit d'un homme, à le remplir de
ténèbres, et à y introduire ainsi la confusion entre le
bien et le mal, entre le faux et le vrai ? GM 33
Les descriptions de jeunes hommes issus de familles chrétiennes que de mauvaises
lectures et fréquentations ont détournés de la religion et, partant, du droit chemin vers le Salut
abondent dans Feiz ha Breiz. Ainsi l’histoire de ce jeune homme de bonne famille partant
pour la Nouvelle Calédonie dont l’état déplorable inquiète un autre voyageur :
Asa, a lavaren ouzin va unan, perag an den-ma,
seven evel ma zeo, ez eo-hen ker reuzeudik ? Ep
dale e c'houezis perak. An den-ze en doa speret ;
he gerent o doa laket rei descadurez dezhan. Cridi a
rea beza goest a bep tra, ha n'en doa gallet dont a
benn a netra. He gerent o velet ne deue netra
ganthan da vad, hen tamalle. Neuze ho c'huiteaz, en
em lakeas da glask he blijadur, hag e tistrujaz he
iec'hed.
Eh bien, me dis-je, comment se fait-il que cet
homme, poli comme il est, soit aussi misérable ? Je
sus bientôt pourquoi. Cet homme était intelligent ;
ses parents lui avaient offert une bonne instruction.
Il pensait être capable de tout, il n'était parvenu à
rien. Ses parents, voyant qu'il ne réussissait rien, le
lui reprochaient. Alors il les quitta, se mit à
rechercher les plaisirs et ruina sa santé. 34
La suite de l’article montre par l’exemple comment un jeune homme avec de bonnes
dispositions mais que l’instruction, les mauvaises lectures, la fréquentation d’incroyants ont
détourné de l’Église ruine non seulement ses chances d’accéder au paradis mais aussi sa santé
physique et mentale en raison de la débauche et de l’absence de consolation qu’apporte la foi
dans les moments difficiles.
Passant du particulier au général, les journaux catholiques ont pour objectif la défense
et l’illustration du Syllabus de Pie IX qui accompagne l’encyclique Quanta Cura du 8
décembre 1864.35
Le titre français du Syllabus éclaire à merveille sur son contenu:
Recueil (ou résumé) renfermant les principales erreurs de notre temps qui sont notées dans les
allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques de Notre Très Saint-Père le pape
Pie IX (Syllabus complectens præciuos nostræ ætatis errores...).36
34 F&B n° 411 14/12/1973 35 PIE IX. Quanta cura, et ; Syllabus. J.J. Pauvert, 1967. 169p 36 http://fr.wikipedia.org/wiki/Syllabus Consulté le 07/08/2008
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Syllabus
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La dernière formule condamnée par le Syllabus, et qui peut en résumer bien d’autres
est éloquente de l’état d’esprit général du texte :
« Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la
civilisation moderne. »
La chronique « Ar fals doctored hag ho lavariou, kelennadurez d’an dud diwar ar
meaz » (Les faux savants et leurs dires, instruction pour les gens de la campagne) mène
parfaitement cette mission à bien. La démarche est simple et clairement exposée dans le
premier article de cette longue série rédigée d’abord par Gabriel Morvan 37 puis Yves
Pouliquen38 à partir du numéro 8 du journal :
Eur fals Doctor a zo eun den hag a ro d'ar re all eur
guelennadurz [sic] countrol d'ar virionez, eur
guelennadur[e]z countrol d'ar pez a zo bet discleriet
gant an Autrou Doue he unan. Ar c'henta hag ar
penn eus an oll fals doctoret eo an diaoul, an diaoul
hanvet er Scritur Sacr tad ar gaou, an diaoul pehini
a roas gueich all he unan he guentelliou Taos d'hon
tad ha d'hor mam guenta er Baradoz terrestr : an oll
a oar petra a c'hounezas Adam hag Eva oc'h he
zelaou.
Abaoue, ar gaou en d'eus bet ato he brezeguerien,
hag an diaoul en d'eus bet ato he vistri-scol var an
douar. […]
Hoguen, biscoas marteze ar fals doctoret ne d'int
bet ker stank , da viana en hon touez-nhi [sic],
Bretounet, ha ma z'int en amzer vremâ. Biscoas
marteze prezeguerien ar gaou, mistri scol an diaoul,
n'ho d'eus bet eun doare hag eur vouez ken touellus
da viana en hor bro-nhi, ha m'ho d'eus en amzer
vrema. Biscoas en eur guer, c'hui, tud divar ar
meaz , c'hui , labourien douar , ha micherourien hag
Un faux savant est un homme qui donne aux autres
une instruction contraire à la vérité, une instruction
contraire à ce qui a été déclaré par Dieu lui-même.
Le premier et le chef de tous les faux savants est le
diable, le diable appelé dans les Saintes Ecritures
père du mensonge, le diable qui donna autrefois lui-
même ses fausses leçons à notre père et à notre
mère originels au paradis terrestre : chacun sait ce
que gagnèrent Adam et Ève en l'écoutant.
Depuis, le mensonge a toujours trouvé ses
prêcheurs, et le diable a toujours eu des maîtres
d'école sur la terre. [...]
Or, les faux savants n'ont probablement jamais été
aussi nombreux, du moins parmi nous, Bretons,
qu’ils ne le sont aujourd'hui. Les prêcheurs du
mensonge, les instituteurs du diable, n'ont peut-être
jamais eu une apparence et une voix aussi
trompeuses que celles qu'ils ont aujourd'hui dans
notre pays. En un mot jamais, vous, gens de la
campagne, agriculteurs, et vous, ouvriers qui tenez
ferme à votre foi et à votre langue, n'avez peut-être
Pour le texte du Syllabus : http://www.salve-regina.com/Magistere/PIE_IX_syllabus.htm Consulté le 07/08/2008 37 Lukian RAOUL, Geriadur ar skrivagnerien ha yezhourien, p. 317 38 Lukian RAOUL, Geriadur ar skrivagnerien ha yezhourien, p.349
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
http://www.salve-regina.com/Magistere/PIE_IX_syllabus.htm
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a zalc'h mad d'ho feis ha d'ho langach , biscoas
marteze n'oc'h en em gavet da glevet kement a
c'hlabouserez a enep ar Religion hag a enep an Ilis,
evel ma c'hen em gavit da glevet en amzer vrema.
Setu perac e m'eus sonjet rei d'ehoc'h ama eur
guentel bennac evit ho sicour da zerra ho guinou
d'ar re a deuffe d'ho trabassat pe da glask caos
ouzoc'h e kenver ar poent-se. Netra æssoc'h
d'ehoc'h, mar kirit, eguet stanka ho guinou d'ar seurt
tud-se ; hag an dra-se a hellit da ober e diou
fesoun : da guenta, dre ur guer pe zaou ebken, eb
teuler evez ous ho lavariou ; ha d'an eil, o tispenn ho
lavariou unan a unan, hag oc'h ho c'hass oll da
netra an eil goude eguile. Var an diou fesoun-se da
respount d'ar fals doctoret eo e m'euz c’hoant da rei
d'ehoc'h brema eun ali bennac. […]
jamais entendu autant de médisances contre la
Religion et contre l'Église que vous pouvez en
entendre aujourd'hui. Voilà pourquoi j'ai décidé de
vous donner ici quelques leçons pour vous aider à
clouer le bec à ceux qui chercheraient à vous
tracasser ou vous chicaner à ce sujet. Si vous le
voulez, il n'y a rien de plus facile que de faire taire
ce genre de personne ; vous pouvez le faire de deux
façons : premièrement, au moyen d'un ou deux mots
seulement, sans prêter attention à leurs dires ;
deuxièmement, en déconstruisant leurs propos un à
un et en les anéantissant l'un après l'autre. C'est sur
ces deux manières de répondre aux faux savants
que je veux maintenant vous donner quelques
conseils. [...]39
Feiz ha Breiz est donc bien conçu comme une arme de guerre contre toutes les
nouvelles hérésies qui se développent dans la société européenne et bretonne en cette fin du
XIXe siècle. Feiz ha Breiz, loin d’être isolé, s’inscrit dans le mouvement de fond des
Semaines Religieuses.
1.1.2 Une Semaine Religieuse ?
Henri Sempéré distingue « six phases principales dans le développement de ce
phénomène particulier de l'histoire de la presse :
1850-1856 : tâtonnements et expérimentations
1857-1862 : démarrage du phénomène
1863-1868 : développement très important
1869-1871 : tassement et crise
1872-1883 : reprise du mouvement à un rythme modéré
1884-1914 : phénomène à bout de souffle. »40
39 F&B n°1 (04/02/1865) 40 Henri SEMPÉRÉ, op.cit., p. 245 s.
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Choplin, Cédric. La représentation des peuples exotiques et des missions dans Feiz ha Breiz (1865-1884)
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Feiz ha Breiz, fondé en 1865, apparaît donc dans la phase qualifiée de développement
très important des Semaines Religieuses. Henri Sempéré recense sur la période considérée la
création de 54 hebdomadaires diocésains soit en moyenne neuf par an. François Caron, qui ne
cite pas ses sources, mais reprend à l'évidence ceux de Sempéré, déclare qu'« en 1862 un
diocèse sur cinq en possédaient une [Semaine Religieuse], en 1876 trois sur quatre. »41
En 1870, sous le titre « Kazetennou bihan an eskoptiou » (petits journaux des
évêchés), An Ermit (Jean-Charles Kersalé) rédigea deux articles42 au sujet des Semaines
Religieuses qui mettent en évidence cette nouvelle disposition de l'Église catholique à l'égard
de la presse écrite :
Kalz a gazetennou a skrifer hag a gas brema dre ar
bed ar sklerijen pe an devalijenn, ar wiryonez pe ar
gaou, ar c'helaouyou mad, mes muioc'h c’hoaz ar re
fall. Pariz he-unan a voull hag a gas bemdez pe beb
sizhuu dre ar Frans war-dro 700 kazetenn. Ar
c'hæryou marc'had euz an departamanchou ho
deuz ivez ho c'hazetennou. An niver euz ar re-ma a
zav, en heur a vrema, en tu-all da 1200. N'ez euz
eviziken e Frans kærig varc'had ebed ha n'he deuz
he c'hazetennig. Ar c hæryou eun tam braz ho deuz
diou, teir. Ar re vraz vraz a gont anezho a zegou. E
Moutroulez e vouller diou gazetenn ; e Brest, me
gav d'in, teir pe bedir. Kastellin, mar plij, he deuz he
hini.
Hoghen, ar pez a zo glac'haruz da lavaret ! war an
niver spontuz-se a gazetennou n'ez euz nemeur hag
a zo mad ; n'ez euz ket 200 anezho hag a respetaffe
avoalc'h an AOTROU DOUE, ar relijion zantel roet
d'eom gant-ha, an Iliz binnighet fontet gan or
ZALVER JEZUZ KRIST war an douar. War ar 700
kazeten a vouller e Pariz hag a strever, a skigner
bemdez pe beb zizhun dre ar Frans, n'ez euz ket 50,
pas zoken martreze 20 hag a vez divlam avoalc'h e
kenver ar Feiz. Ar re-all oll a stourm out-hi, a ra
Le grand nombre des journaux que l’on écrit
aujourd'hui répand à travers le monde la lumière ou
l'obscurité, la vérité ou le mensonge, les bonnes
informations, mais plus souvent encore les
mauvaises. Paris, à lui, seul imprime et envoie
chaque jour ou chaque semaine à travers toute la
France environ 700 journaux. Les villes de marché
des départements ont elles aussi leurs journaux.
Le