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La « Renaissance » de la Tragédie L’héritage classique dans les théories du théâtre européen du XVIe siècle
Séminaire d’Histoire Littéraire :
Renaissance et Baroque
Elena Maramotti
Université de Bologne
1
Introduction
Cette étude concerne l’analyse des théories poétiques classiques et de leur réappropriation
dans la tragédie européenne de la deuxième moitié du XVIe siècle à travers les textes
théâtrales de quatre auteurs : Orbecche de Giovan Battista Giraldi Cinzio (1541), Cléopâtre
Captive de Étienne Jodelle (1553), La Gran Semíramis de Cristóbal de Virués (1579) et The
Spanish Trâgedy de Thomas Kyd (1586).
La perspective critique adoptée pour cette étude concerne la réflexion sur la notion de genre
littéraire, son origine et son évolution, donnée par les œuvres de Tzvetan Todorov, Les genres
du discours1, Paolo Bagni, Genere2, et de R. Wellek, A. Warren, Théorie de la littérature3. En
ce qui concerne la méthodologie relative au comparatisme littéraire, les études auxquelles on
se réfère sont celles de Claudio Guillén, Entre lo uno y lo diverso4, et Franco Moretti, La
letteratura europea (La littérature européenne)5.
Si d’un côté la tragédie d’origine sénéquéenne a influencé et conditionné la réception du
théâtre classique par les dramaturges européens pendant la Renaissance, de l’autre l’imitation
des thèmes et des auteurs classiques a produit le long du XVIe siècle une rénovation de la
tragédie et le commencement d’une métamorphose des genres dramatiques.
La « Renaissance » de la tragédie a inauguré, en concomitance avec d’autres genres littéraires,
l’avènement de la littérature européenne, comme souligne Franco Moretti :
L’idée est que le XVI siècle agit de double ligne de partâge des eaux – vers passé, et vers
les autres continents – et que seulement après cette date la littérature européenne acquit
cette audace inventive que la rend unique6 .
1 Todorov, Tzvetan, trad. it., I generi del discorso, Firenze, La Nuova Italia, 1993. 2 Bagni, Paolo, Genere, Firenze, La Nuova Italia, 1997. 3 Wellek, René, Warren Austin, Teoria della letteratura, trad. it, Bologna, Il Mulino, 1969. 4 Guillén, Claudio, Entre lo uno y lo diverso. Introducción a la literatura comparada, Barcelona, Editorial Crítica, 1985, trad. it. di A. Gargano, L’uno e il molteplice. Introduzione alla letteratura comparata, Bologna, Il Mulino, 1992. 5 Moretti, Franco, “La letteratura europea”, in Storia d’Europa. L’Europa oggi, a cura di P. Anderson, M. Aymard, P. Bairoch, W. Barberis, C. Ginzburg, Torino, Einaudi, 1993, vol. I, pp. 834-866. 6 “L’idea è che il secolo XVI agisca da doppio spartiacque – verso il passato, e verso gli altri continenti – e che solo dopo questa data la letteratura europea acquisti quell’audacia inventiva che la rende unica”, dans, Moretti,
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On a choisi le titre « Renaissance de la tragédie » pour exprimer, grâce à l’amphibologie qui
caractérise ce mot en français, deux possibles significations de ce genre dramatique, qui
refleurit au XVIe siècle, en affirmant son lien à l’égard de l’héritage classique, mais qui
révèle, en même temps, des aspects propres de l’esprit créatif de la Renaissance. Il est ce
rapport complexe et ambivalente à l’égard du passé et de l’âge contemporain des auteurs
choisis qu’on a cherché tout à fait à délinéer.
L’histoire des genres littéraires pendant la Renaissance a été surtout l’histoire de la
redécouverte d’Aristote et de l’élection de la Poétique7 comme modèle indiscuté de
prescriptions et normes pour la composition dans les aspects qu’on été soulignés dans les
commentaires à la partie de l’œuvre aristotélicienne consacrée à la tragédie. Au côté des
différentes interprétations européennes autour de l’œuvre qu’on vient de mentionner, il faut
considérer à la fois la valeur des poètes classiques, comme Horace8, et des rhétoriciens
comme Quintilien et Cicéron, qui ont accompagné la réflexion sur le théâtre et ses
implications morales, surtout au cours du Moyen Âge .
En affirmant le rôle fondamental joué par la poétique aristotélicienne, comme elle a été lue et
commentée par les intellectuels du XVIe siècle, et en proposant un théâtre cependant lié à son
passé, les auteurs considérés ont apporté des changements formelles et thématiques qui ont
contribué aussi bien à la réflexion sur la tragédie qu’à la théorisation des possibilités créatives
des intellectuels au XVIe siècle.
L’hétérogénéité de ces pièces a souvent été considérée un obstacle pour la définition de sa
valeur artistique, surtout par rapport à la tragédie de la pleine Renaissance et du Baroque dont
l’on a vu le développement de la maturité formelle et thématique du genre dramatique, surtout
par rapport à la comédie et aux « genres mixtes », représentés par la tragicomédie et la
masque.
Franco, “La letteratura europea”, in Storia d’Europa. L’Europa oggi, a cura di P. Anderson, M. Aymard, P. Bairoch, W. Barberis, C. Ginzburg, Torino, Einaudi, 1993, vol. I, p. 837. 7 Aristote, Poétique, trad. it., Milano, Rizzoli, 1997. 8“La teoria dei generi letterari è un principio d’ordine: classifica la letteratura e la storia letteraria non già secondo il tempo e il luogo, secondo l’età o la lingua nazionale, ma secondo certi tipi di organizzazione e struttura specificamente letterari. I nostri testi classici per la teoria del genere sono Aristotele e Orazio; con loro incominciamo a pensare la tragedia e l’epica come generi caratteristici e come i due generi maggiori”, in R. Wellek, A. Warren, Teoria della letteratura, Bologna, Il Mulino, 1995, p. 307.
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La prédilection pour les scènes sanglantes, les longs monologues et le goût, plus ou moins
accentué, pour le sensationnalisme au-dedans de la représentation ont jeté une ombre sur ces
textes qui méritent, au contraire, un regard particulier.
Grâce aux études séminales sur l’origine des genres que l’on peut considérer, selon le propos
de cette étude, la réappropriation de la tragédie au XVIe siècle comme une structure complexe
au cœur de laquelle les dramaturges de la Renaissance européenne ont pu expérimenter leur
différentes poétiques et, en même temps, rétablir un dialogue avec la culture classique.
La réflexion sur les théories classiques concernant le genre dramatique et leur réélaboration le
long du XVIe siècle occupe la première partie de cette étude. La deuxième partie est consacrée
à l’analyse des œuvres considérées avec un regard particulier aux aspects formels qui
soulignent les innovations stylistiques et thématiques apportées par les auteurs. Les prologues,
en effet, nous aident entendre la particulière idée poétique des dramaturges puisqu’il devient,
en même temps, une partie indépendante de la tragédie. On peut affirmer, qu’ils constituent
un espace détaché et individuel où l’auteur montre à son publique aussi bien le buts morales
de son œuvre que sa personnelle contribution à la mise en scène de la Modernité. On conclut
avec quelques considérations sur les contributions de ce qu’on vient de nommer la
« Renaissance » de la tragédie européenne aux développements du genre dramatique dans le
siècle suivant, avec un regard particulier à la tragicomédie.
1. La poétique classique et les poétiques européennes du XVIe siècle
La tragédie est, selon la définition donnée par Aristote :
l'imitation d'une action grave et complète, ayant une certaine étendue, présentée dans un
langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste
séparément, se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d'une
narration, et opérant par la pitié et la terreur la purgation des passions de la même nature9.
9 Aristote, Poétique, Milano, Rizzoli, 1997, (VI. 24-28), p. 135.
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Le concept qui permettait d’établir une justice poétique et morale au-dedans de la tragédie
dans le tentative de conjuguer la tradition aristotélicienne à la réflexion médiévale était le
concept d’erreur (hamartìa), ou tache tragique, discuté par Aristote. Le caractère qui agissait,
selon l’auteur grec, ne se distinguait ni pour sa vertu ou pour sa justice, ni pour son vice ou sa
méchanceté, mais pour une erreur dont il ignorait tant l’origine que l’existence. La
connaissance de l’entité de cette erreur par le spectateur inaugurait le processus cathartique
qui représentait le but de la tragédie. Aristote, en effet, se préoccupe de souligner que
l’argument de la tragédie doit être connu par le publique. La connaissance de l’argument du
drame représente un élément constitutif de la pensée aristotélicienne, parce qu’elle amène le
réveil des passions et établie, en même temps, un rapport entre l’unité d’action et de lieu. La
libération émotive induite par la tragédie, selon Aristote, justifiait le recours à la
représentation d’événements terribles et sanglantes qui se produisaient à théâtre.
On doit souligner l’importance du signifié du processus cathartique afin de comprendre, avant
d’analyser les textes, les différentes interprétations poétiques des auteurs qu’on va considérer,
puisque ça devient l’un des sujets fondamentaux autour duquel s’est développé le débat sur le
but de la tragédie et sa justification tant éthique qu’esthétique. Grâce à la valeur morale
attribuée à la représentation que chaque auteur a mis en lumière dans son œuvre, la tragédie a
gagné une attention particulière dans les théories poétiques de la Renaissance. Pour cette
raison, on peut comprendre comme la compénétration entre la poétique aristotélicienne et
celle horatienne ait poussé les théoriciens européens du XVIe siècle à étudier les formes et les
règles de l’imitation des antiques10.
Quant à l’antiquité classique, la tradition médiévale était liée à là spécificité du but moral de
la représentation et reconnaissait son modèle dans l’Ars Poetica (19 a. C.) d’Horace :
Aut prodesse volunt aut delectare poetae/ aut simul et iucunda et idonea dicere vitae. […]
10 « Aristotélisme signifie en général le primauté de l’imitation sur l’invention, le respect des règles d’ordre, de proportion, de vraisemblance, qui l’on retrouve dans les chefs d’œuvre de la littérature grecque et, successivement, dans l’éloquence et dans la poésie latine, assignation de l’art, au de là de sa fonction mimétique, d’une finalité morale, qui justifie et gouverne, en même temps, ses procédés », dans, Paul Renucci, “Il Cinquecento: il secolo dei precettori”, in AA. VV., Storia d’Italia, Dalla Caduta dell’Impero Romano al secolo XVIII, Torino, Einaudi, 1974, tomo II, p. 1331.
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Omne tulit qui punctum qui miscuit utile dulci/ lectore delectando pariterque monendo 11
Selon la pensée horatienne, le poète devait donc instruire le lecteur en lui délectant. Le but du
delectare était étroitement lié, dans sa réélaboration médiévale, à la rhétorique classique,
selon la tripartition des ses moments constitutifs : movēre, docēre, delectare. La tragédie
devait donc mener le spectateur à la purification des passions que s’agitaient dedans lui.
Dans l’Ars Poetica, on trouve surtout une prédilection pour le respect du decorum, la mesure
dans la composition des distinctes parties qui caractérisaient la tragédie : la caractérisation des
personnages et la composition du récit. Dans Horace, le concepts aristotéliciens de
vraisemblance et nécessité devenaient presque synonymes de decorum. Cette attention au
respect de la mesure soit d’un point de vue stylistique soit d’un point de vue thématique
montre, selon les buts de ce travail, une première différence par rapport a la pensée d’Aristote.
Là où Aristote affirmait qu’un caractère invraisemblable mais possible était plus croyable
qu’un caractère vraisemblable, mais impossible, Horace semble affirmer la nécessité de la
concomitance de vraisemblance et possibilité en dédiant au poète une liste complète de
exempla autour de la composition des caractères qui occupe la deuxième partie de son traité
sur l’art poétique.
Quant à la durée, Horace soulignait que la tragédie devait être composée par cinq actes12 et
devait respecter la durée propre à sa représentation13. La catégorie de la durée, aussi bien pour
Aristote que pour Horace était très importante afin de harmoniser la répartition du récit et
devenait ainsi une partie constitutive pour l’économie visuelle de la tragédie.
L’accent posé sur le but morale de la représentation a donné la possibilité au dramaturges de
la Renaissance d’établir un dialogue avec la tradition médiévale par rapport aux théoriciens
classiques. Dans la mise en scène des changements ouvrés par la Fortune à travers le récit de
11 « La poésie veut instruire ou plaire; parfois son objet est de plaire et d'instruire en même temps […]. Il obtient tous les suffrages celui qui unit l'utile à l'agréable, et plaît et instruit en même temps », dans, Horace, Ars poetica, Roma, Salerno Editore, 1993, (vv. 335-336, 343-344). 12 “Neve minor neu sit quinto productior actu/ fabula, quae posci volt et spectanda reponi”, in Horace, op. cit, (vv.) 13 “Puis par l’étendue, car la tragédie s’applique, autant que possible, à rester dans une seule révolution solaire, ou à ne la dépasser que de peu de chose (…)”, in Aristote, Poétique, oeuvre citée, (5, 49b, vv. 13-15), p. 133.
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la chute d’un personnage noble, on pouvait montrer les bouleversements provoqués par les
vices humaines en illuminant, en même temps, la valeur salvatrice de la vertu.
Les considérations morales concernant le théâtre permettaient d’établir un dialogue entre la
tradition classique, grâce à la conciliation des pensées d’Aristote et d’Horace, et la
réappropriation du genre dramatique à la Renaissance. Dans ce domaine commune qui
séparait et rejoignait la culture grecque et celle romaine, la pensée chrétienne a pu s’insinuer,
et dans ce lieu indéfini elle a établi ses institutions littéraires, c'est-à-dire ses définitions des
genres dramatiques. En ce qui concerne l’héritage médiéval, la prédilection pour l’allégorie et
pour la théâtralisation de la vie de l’homme chrétien était adressée au control du regard
populaire et de la définition de ses limites visuelles. L’allégorie qui a scandé le temps et les
événements de la vie publique des hommes le long du Moyen Âge a donné une forme
humaine aux vices et aux vertus et a substitué les rituels de l’antiquité avec la théâtralisation
des cérémonies religieuses.
Un exemple de la dette à l’égard de l’allégorisme médiévale qui persiste dans le théâtre de la
Renaissance est donné par Doctor Faustus, tragédie inachevée écrite par Christopher
Marlowe et représentée à la court de Elizabeth I, en 1592. Dans le passage choisi, Faustus se
trouve immergé dans son étude, il va évoquer Méphistophélès peu après ; il tiens son livre de
magie noire dans ses mains, quand l’ange du bien et l’ange du mal appairent :
Good Angel : O Faustus, lay that damnèd book aside
And gaze not on it, lest it tempt thy soul
And heap God’s heavy wrath upon thy head!
Read the Scriptures. That is blasphemy.
Evil Angel: Go forward, Faustus, in that famous art
Wherein all nature’s treasury is contained.
Be thou on earth as Jove is in the sky,
Lord and commander of these elements14
14 Marlowe, Christopher, Doctor Faustus, in The Complete Plays, London, Penguin, 2003, (I, i, 72-79).
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On peut reconnaître dans la présence des anges du bien et du mal, la typique caractérisation
allégorique de la vertu salvatrice et du mal qui veut gagner les âmes mortelles. Peu après
Méphistophélès montre à Faustus, pour son divertissement, le défilé des sept péchés capitaux,
personnages allégoriques dans la scène élisabéthaine : Pride, Covetousness, Wrath, Envy,
Gluttony, Sloth et Lechery et ils parlent au malheureux Faustus. Le personnage de Faustus
représente à la fois une allégorie complexe, du moment qu’il s’agit d’une allégorie au visâge
humaine de la médiévale allégorie de l’humanité, Everyman. Il faut donc reconnaître que,
même si le dramaturge anglais proposait de nouveau des thèmes et des catégories médiévales,
il avait toutefois une conscience différente de son œuvre. Ce qu’il proposait, en effet, n’était
seulement la tragédie de l’humanité tachée par le péché, mais la conduite immorale d’un
homme en particulier, c'est-à-dire de l’homme de la Renaissance. Etant un homme15, Faustus
devient personnage. Si d’un côté Marlowe propose la parabole existentielle d’un homme
fasciné par le péché et la magie noire et le condamne à la damnation éternelle, de l’autre il
montre le comportement blâmable d’un homme qui doute de soi même et du phénologie du
réel. Le personnage de Faustus nous montre un homme désireux de gouverner le réel à travers
le recours à la magie et à la gloire à travers la connaissance des personnalités célèbres qui
gouvernaient son univers psychique : les antiques. Toutefois, ce qu’il pouvait connaître des
ces personnages n’était que leur esprit, ou mieux, leur phantasme, leur ombre16. Comme le
protagoniste du texte de Marlowe, le dialogue que les auteurs du XVIe siècle établissent avec
les antiques met en scène la figure d’une absence, une ombre, l’ombre qui parfois ouvre la
représentation.
15 FAUSTUS What art thou, Faustus, but a man condemned to die?, in C. Marlowe, oeuvre citée, (I, ii, 29). 16 “Coscienza dunque di un’auto-illusione estrema che si chiude, per la definitiva dannazione di Faust, con l’evocazione della bellezza stessa, Elena di Troia, che Faust abbraccia, dovendo sapere che si tratta di un’ombra”, dans, Domenichelli, Mario, Il limite dell’ombra, Milano, Franco Angeli, 1994, p. 113.
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2. Les prologues : déclarations poétiques à la Renaissance
L’histoire des réflexions poétiques du XVIe siècle est tout d’abord l’historie des
interprétations de la poétique classique qui ont caractérisé la détermination des théoriciens à
récréer un ordre dans de la pensée aristotélicienne concernant la Poétique. Comme souligne
Paolo Bagni dans son œuvre sur les genres littéraires :
La culture au XVIe siècle est caractérisée par un ordre de la poétique, à travers infinies
variations et polémiques : la « grande multiplicité de solutions, souvent accompagnées
par le conflit et le dissentiment », que la théorie littéraire offre le long du siècle, tourne
autour aucuns grandes problèmes, sur lesquels aussi bien les opinions que le doctrines
changent sensiblement, toutefois « les thèmes furent constants et ne manquèrent jamais
d’attirer l’attention sérieuse des critiques au cours des siècles17.
Les thèmes constants auxquels l’auteur se réfère sont ceux qui concernent les fonctions de la
tragédie, ses éléments quantitatifs (la division en actes, la durée, le style, le mètre, le ton du
discours) et ses parties constitutives (le prologue, le rôle du chœur, les épisodes), mais ils
comprennent en même temps les dissertations relatives aux différentes parties dans la
composition d’une tragédie qu’on considérait accomplie, c’est-à-dire le récit, les caractères, le
langage, la pensée, la vue et la musique. Pendant la Renaissance, chaque aspect constitutif de
la tragédie a été profondément analysé et interprété selon le goût et le rapport très particulier
que l’Italie, l’Espagne, la France et l’Angleterre entretiennent avec l’antiquité classique et le
redécouvert théâtre attique et romaine. Toutefois, pour analyser les différents poétiques
énoncées dans les œuvres qu’on va considérer, il faut surtout mentionner les aspects plus
obscures de l’œuvre d’Aristote en ce qui concerne les catégories herméneutiques des
théoriciens de la Renaissance et qui faisaient, au contraire, entièrement partie de la pensée au
XVIe siècle sur le théâtre : le rôle du publique, l’importance d’écrire dans la langue nationale, 17 “Un ordine della poetica caratterizza la cultura del Cinquecento, attraverso infinite variazioni e polemiche : la “grande molteplicità di soluzioni, spesso accompagnate da conflitto e dissenso”, che la teoria letteraria offre lungo il secolo, ruota attorno ad alcuni grandi problemi, sui quali variano sensibilmente opinioni e dottrine, ma “i temi in se stessi furono costanti e non mancarono mai di attirare la seria attenzione dei critici attraverso il corso dei secoli”, dans, Bagni, Paolo, Genere, Firenze, La Nuova Italia, 1997, p. 10.
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le dialogue entre l’héritage classique et l’esthétique courtoise qui demandait solutions
stylistiques et thématiques complexes18. La conviction profonde de la nécessite de
comprendre la poétique classique en écrivant des commentaires et des traités sur le théâtre
confirme que le même rapport avec les dynamiques mimétiques était en train d’être rediscuté.
Dans un siècle qui révèle dans la guerre son décor violent et sanglant, l’Italie, théâtre des
désirs de conquête françaises et espagnoles inaugure le processus de « Renaissance » de la
tragédie.
Le premier texte qu’on va analyser est donc celui de Giovan Battista Giraldi Cinzio,
Orbecche, pièce composée et représentée pour la première fois en 1541, mais publiée en
1543. La pièce est divisée en cinq actes et écrite en hendécasyllabes libres. La dette à l’égard
de la tragédie sénéquéenne est confirmée par le choix concernant l’action représentée et par le
recours au sensationnalisme scénique.
Orbecche raconte l’histoire de la fille du roi de Perse, Sulmone. La jeune fille, coupable
d’avoir confié à son père la relation incestueuse qu’il y avait entre sa mère, Selina, et son
frère, devient la victime prédestinée de la vengeance maternelle. Orbecche a marié en secret
un homme appartenant à un niveau social inférieur au sien. Lorsque son père décide qu’elle
doit marier l’un des ses ennemis politiques pour unir les deux royaumes, Oronte, époux de
Orbecche, lui avoue leur relation. Sulmone devient presque fou et toue Oronte et ses enfants
et, avec une cruauté inouïe, il mande à sa fille leur corps comme cadeau. Après de les voir,
Orbecche tue son père et enfin elle se suicide. La vengeance est accomplie. Voilà qu’on peut
comprendre les éléments du récit qui viennent de la tragédie sénéquéenne et que Giraldi
Cinzio propose de nouveau à la cour d’Hercule II, duc de Ferrara. Les tragédies de Sénèque,
traduites par Ludovico Dolce (1508-68) dans la première moitié du XVIe siècle tendent à se
substituer comme modèle à celles des auteurs tragiques grecs, au moment que les thèmes
romaines, avec leur charge d’éloquence rhétorique, s’affrontent avec les obscures
machinations du destin, peut-être pour emphatiser la catharsis aristotélicienne, la purgation
des passions à travers le même spectacle des passions. 18 « Donc, si une forme a besoin de temps pour se reproduire, pour naître elle a surtout besoin d’espace, de cultures nationales voisines, mais différentes, et, peut-être, ennemies : où l’on puisse, et même, où l’on doive, explorer le domaine du possible dans toutes ses variantes. De nouveau, l’espace d’une Europe divisée », dans, F. Moretti, œuvre citée, p. 845.
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Néanmoins, Giraldi Cinzio a été aussi théoricien du théâtre, il a donné son personnelle
contribution aux réflexions poétiques italiennes dans le Discorso intorno al comporre delle
commedie e delle tragadie (1554), le premier traité sur l’art dramatique de la Renaissance.
En Italie, la découverte de la Poétique aristotélicienne a été inaugurée par la publication de la
traduction latine du texte d’Aristote par Lorenzo Valla en 1498 et par la traduction latine
éditée par Pazi en 1536. Le texte aristotélicien posait diverses problèmes d’ordre
herméneutique, il était considéré obscure et dogmatique, soit à cause des difficultés apportées
par la compréhension de la langue grecque, soit à cause des concepts complexes qu’il
analysait, comme ceux de mimesis et de vraisemblance.
La traduction de Pazi et l’édition aldine en grec de la Poétique (publiée en 1508) représentent
les sources sur lesquelles Robortello a porté sa traduction et son commentaire (1548). Dans le
commentaire de Robortello, on aperçoit l’attention particulière attribuée par l’auteur au
langage poétique comme moyen à travers lequel s’accomplissait le processus mimétique en
dépit de l’importance de l’action. Robortello, en outre, soulignait l’existence d’une capacité
perceptive propre du spectateur à l’égard de la représentation dramatique. Cet aspect lié à
l’herméneutique du traité d’esthétique aristotélicien posait donc la question concernant la
réception de la représentation de la part du public en constituant un thème qui apparaisse aussi
dans les commentaires de Castelvetro du 1571, La Poetica d’Aristotele volgarizzata e sposta,
qui est le premier écrit en vulgaire, et aussi de celui de Piccolomini (1572).
Le commentaire composé par Giraldi Cinzio apparaît ainsi plus que dix ans après la
publication de Orbecche , ça représente un aspect très important du point de l’histoire des
théories du théâtre, parce que l’auteur écrit son commentaire après avoir comparé son œuvre à
la réception du public. En effet, le dramaturge affirme qu’Aristote est souvent obscure dans
ses prescriptions et que le théâtre au XVIe siècle devait considérer le goût du public, puisque
au public est adressé l’enseignement moral qui légitime la tragédie. Là où Aristote affirme :
Pour ce qui est d'examiner si la tragédie est, ou non, dès maintenant, en pleine possession de ses
formes, à la juger en elle-même ou par rapport à la scène, c'est une question traitée ailleurs 19.
19 « Indagare se la tragedia in rapporto ai suoi elementi sia già compiuta o no, e giudicare questo sia in sé sia in rapporto alla al pubblico, è un altro discorso », dans, Aristote, oeuvre citée, (49a, 7-10), p. 128.
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Giraldi Cinzio, au contraire, déclare q’il a écrit ses œuvres pour servir les spectateurs:
[…] afin que les tragédies devenaient plus agréables, j’ai voulu me conformer avec les
moeurs des nos temps. Même si Aristote dit que ça signifie servir l’ignorance des
spectateurs et ayant de l’autre côté ses défenseurs, j’ai préféré satisfaire ceux qui
écoutent20.
À ce point de vue l’on peut comprendre la prédilection pour les scènes sanglantes et le choix
des arguments, à la fois, inquiétants comme les crimes familiers, les méchancetés, l’inceste.
Le prologue devient un espace méta-théâtral où l’auteur explique au public les buts de son
œuvre et raconte les événements principaux de la tragédie. Le prologue, enfin, conduit
l’imagination des spectateurs vers les lieux exotiques où l’action s’agit, la Perse, dans le cas
de Orbecche, mais il sert aussi pour flatter le public21, parce qu’il sache que tout changement
a été crée pour son plaisir et sa pitié :
Essere non vi dee di meraviglia, spettatori, che qui venut’i’ sia
prima d’ognun, col prologo diviso da le parti, che son ne la tragedia,
a ragionar con voi, fuor del costume de le tragedie e de’ poeti antichi; perché non altro che pietà di voi
mi ha fatto, fuor del consueto stile, qui comparir22[…].
On retrouve le recours à la captatio benevolentiae dans l’œuvre dramatique de Cristóbal de
Virués et notamment grâce à la directe influence aussi bien de la poétique que du théâtre de
20 “e farle riuscire più grate in scena e conformarmi più con l’uso dei nostri tempi. Che ancora Aristotele dica che ciò è servire alla ignoranza degli spettatori, avendo però d’altra parte i difensori suoi, ho tenuto meglio soddisfare chi ha da ascoltare”, dans, G. B. Girali Cinzio, Scritti critici, Milano, Marzorati, 1973, p. 184. 21 On peut retrouver dans les prologues une des premières manifestations de l’aspect, disons, « commercial » de la culture courtoise dont les auteurs du XVIe siècle devaient avoir conscience. 22 Girali Cinzio, Giovan Battista, Orbecche [1543], in Il teatro italiano, II. La tragedia del Cinquecento, a cura di M. Ariani, Torino, Einaudi, 1977, tome I, p. 85.
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Giraldi Cinzio en ce qui concerne la réflexion espagnole sur le théâtre au XVIe siècle. La
Gran Semíramis, tragédie écrite en 1579, raconte l’histoire de la vengeance perpétrée par la
fameuse reine Assyrienne contre le roi, Nino, qui avait conduit au suicide son aimé époux,
Menón. Virués recueille l’héritage italien, comme l’on aperçoit par le prologue23:
[…] y todo para ejemplo con que el alma se despierte el sueño torpe y vano
en que la tienen los sentidos flacos, y mire y siga la vertud divina:
con este fin, con este justo intento hoy en su traje trágico se ofrece
la vida y muerte de la gran Semíramis [...] y solamente, porque importa, advierto
que esta trâgedia, con estilo nuevo que ella introduce, viene en tres jornadas que suceden en tiempos diferentes [...]24
Comme le souligne Teresa Ferrer Valls dans son introduction aux oeuvres de Virués: “De
hecho el ‘Prólogo’ ha de entenderse como una especie de guía de lectura de las obras de
Virués, en la que el autor nos da las claves fundamentales de su planteamientos dramáticos,
que se fundan en la búsqueda consciente de simbiosis entre arte antiguo y usos modernos, y la
conceptión del teatro como instrumento de perfección ética, que explica su inspiración
senequista, y la mueve sobre las tablas de personajes monstruosos, predominantemente
femeninos, con la finalidad de provocar en el público un rechazo del mal y de la perversión,
Ce passage rend manifeste la dette de l’auteur espagnol à l’égard des innovations italiennes
relatives à la théorie du théâtre. Virués connaissait, en effet, le traité composé par Giraldi
Cinzio, comme soulignent les aspects communs aux deux prologues : la recherche d’une
nouvelle forme de tragédie, ouverte à un public plus vaste, qui demandait un différent pacte
poétique entre le sujet du drame et le goût des spectateur. La volonté de rendre la tragédie
« populaire », dans un certain sens, poussait l’auteur vers nouvelles expérimentations et
23 T. Ferrer Valls, “Introducción” à La gran Semíramis, in Teatro clásico en Valencia, I. Andrés Rey de Artieda, Cristóbal de Virués, Ricardo de Turia, Madrid, Biblioteca Castro, 1997. 24 Cristóbal de Virués, La gran Semíramis, oeuvre citéé, p. 73.
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surtout vers la création d’un rapport différent avec la tragédie antique25. On trouve, enfin,
dans ce passage la déclaration des buts qui la tragédie se propose : que le public observe et
suive la vertu divine. La légitimation du sujet est donnée par la morale horatienne (el justo
intento) à travers laquelle Virués explique les raisons du choix de l’argument et de son
‘vêtement’ tragique, c’est-à-dire de la manière dans laquelle l’imitation s’accomplie.
L’attention au public justifie la recherche d’une formule attractive qui apparaît pour la
première fois sur le plateau espagnol. Du point de vue formel, la tripartition des actes montre
l’intention à établir une économie temporelle de la représentation, ayant le but de rendre plus
dynamique le récit. Parmi les aspects expérimentales de la tragédie sénéquéenne espagnole, le
choix le plus innovateur est constitué par la révision des unités aristotéliciennes ouvrée par le
dramaturge valencien, comme Lope de Vega soutiendra dans son traité poétique El arte nuevo
de hacer comedias en este tiempo26 (1609) :
“El Capitán Virués, insigne ingenio, puso en tres actos la Comedia, que antes
andava en quatro, como pies de niño, que eran entonces niñas las comedias27”
La référence lopesque à une ‘enfance de la comédie’ (comedias niñas) éclaire la perspective
des auteurs du XVIe siècle en ce qui concerne le rapport avec l’héritage classique : il fallait
reconnaître les changements qu’il y avait eu par rapport à l’antiquité classique, la nécessité
d’apporter des solutions différentes dans la représentation afin que le théâtre renaisse de son
passé autant que l’homme au XVIe siècle. Giraldi Cinzio et Virués entrevoyaient la possibilité
d’amener la redéfinition des théories poétiques classiques jusqu’au point de la discussion des
genres théâtrales, une discussion qui commença avec la séparation entre comédie et tragédie,
mais qui contribuerait, le long du siècle, à la conception et à la naissance d’un genre mixte : la
25 “No otra había sido la propuesta de Giraldi Cinthio, autor en el que Virués pudo inspirarse y con el que, a pesar de las diferencias formales, comparte planteamientos de fondo: la finalidad moral y el gusto por el enredo o la utilización de argumentos fingidos en el marco de la búsqueda de una fórmula atractiva para un público amplio”, dans, Ferrer Valls, Teresa, “Introducción”, in Teatro clásico en Valencia. Andrés Rey Artieda, Cristóbal de Virués, Ricardo de Turia, Madrid, Biblioteca Castro, 1997, vol. I, p. XXV. 26 Lope de Vega, Arte nuevo de hacer comedias en este tiempo [1609], in Socrate M., Profeti M. G., Samonà C. (a cura di), Teatro del “Siglo de oro”, Milano, Garzanti, 1989. 27 Lope de Vega, oeuvre citée, (vv. 215-218), p. 968.
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tragicomédie. Notamment, selon Teresa Ferrer Valls, « En uno y otro caso, y a pesar de las
diferentes evoluciones del teatro español y del italiano, sus propuestas abrían el camino hacia
la mezcla de géneros, hacia la tragicomedia”28.
Dans le prologue de Cléopâtre Captive, tragédie écrite par Étienne Jodelle en 1553 l’auteur
montre des intentions différentes par rapport aux théories théâtrales italiennes et espagnoles.
Cléopâtre Captive représente la première tragédie d’imitation des auteurs classique écrite en
langue française29. Une des caractéristiques de la réflexion française autour des thèmes
apportés par la redécouverte de la culture classique, concernait, parmi les autres, la volonté
d’élever la valeur littéraire et poétique du théâtre français à travers l’imitation des auteurs
classiques. La redéfinition de la théorie poétique en France commence autour de la quarte
décade du XVIe siècle, lorsqu’on publie les commentaires écrits par Jacques Peletier, L’art
poétique d’Horace (1545) et par Thomas Sébillet, L’art poétique (1548). Comme l’on déduit
par les titres, l’influence de la pensée horatienne en France a été fondamentale et, peut-être,
plus incisive de celle aristotélicienne surtout par rapport à la réflexion sur les buts de la
représentation. Une année d’après la publication de l’œuvre de Sébillet, Joachim Du Bellay,
poète et intellectuel de la Pléiade, publica La deffence et illustration de la langue françoise
(1549), où il remarquait l’importance d’écrire œuvres littéraires en français afin d’affirmer la
dignité littéraire de la langue nationale. Les œuvres de l’antiquité classique constituaient,
selon la pensés de Du Bellay, un modèle auquel les auteurs modernes pouvaient puiser pour
leur compositions.
Dans le prologue de Cléopâtre Captive, Jodelle souligne son attention à l’égard de la langue
française, grâce à laquelle il redéfinit l’entité du rapport qui lie sa structure à l’imitation des
poètes de l’antiquité classique :
Nous t’apportons (ô bien petit hommage) Ce bien peu d’œuvre ouvré de ton langage,
Mais tel pourtant que ce langage tien N’avoit jamais dérobbé ce grand bien Des auteurs vieux : C’est une Tragédie
28 T. Ferrer Valls, oeuvre citée, p. XXV. 29 Comme le souligne R. Campagnoli dans son essai sur la pièce de Jodelle, « Descrizione della Cléopâtre Captive di Jodelle », in Studi di letteratura francese, Firenze, Olschki, 1970.
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Qui d’une voix & plaintive & hardie Te représente un romain Marc Antoine, Et Cléopâtre Egyptienne Roine […] 30
« Le prologue, qui est presque consacré à l’exaltation d’Henry II, souligne l’attention
‘courtisane’ qui a présidé à la rédaction de la pièce31 », toutefois, la tragédie « un petit
hommage » offert au roi, puisqu’elle est présentée dans la même langue que celle du roi. La
langue française, dans la captatio benevolentiae proposée par l’auteur, acquière une haute
valeur littéraire parce qu’elle est la langue de la cour, et tout d’abord, la langue d’Henry II,
« ce langage tien ». A ce point de vue, le rapport avec les auteurs classiques concerne la
célébration du lien historique et littéraire qui rejoignait la grandeur des œuvres classiques à la
grandeur de la monarchie française. Il s’agit d’une tragédie à la manière des auteurs
classiques, mais pas d’une simple imitation32 des modèles du passé, elle cherche à se définir
au moyen des nouveautés aussi bien linguistiques que thématiques le long du développement
de la pensée critique concernant la composition poétique.
En ce qui concerne la réélaboration anglaise de la tragédie sénéquéenne, on a choisi l’œuvre
de Thomas Kyd, The Spanish Trâgedy, tragédie de vengeance représentée à la cour de
Elizabeth I en 1586. Le choix de ce texte, où il n’y a pas un prologue, a été effectué à cause de
son caractère paradigmatique en ce qui concerne l’évolution du genre. En effet, le discours au
moyen duquel on voulait terminer cette analyse regarde la conscience de la possibilité de
l’application des thèmes modernes à la structure de la tragédie classique. L’innovation
apportée par le dramaturge élisabéthain consiste, en effet, dans la particularité du thème, dans
le choix de représenter à la manière des anciennes un sujet moderne, c’est-à-dire la cour
espagnole et portugaise. Le décor où l’action se déroule n’est pas, dans ce cas, une cour
antique et distante, aussi bien dans le temps que dans l’espace, mais une nation européenne,
30 Jodelle, Étienne, Œuvres Complètes, II. Paris, Gallimard, 1968, p. 94. 31 Ibidem, note 93, p. 446. 32 « Le classique ‘français’ n’est pas une imitation artificieuse des modèles antiques (auxquels elle se rend seulement pour en avoir la confirmation de sa propre valeur) : il exprime, au contraire, son contenu national où la rationalité de l’esprit français est manifeste. Si la France, à cette période, tendait à imposer sa forma mentis comme universellement valide, il est conforme à une caractéristique qu’on retrouve dans toute l’histoire française », dans E. R. Curtius, Littérature européenne et Moyen Age latin, trad. it Letteratura europea e Medioevo latino, Bari, Laterza, 1978, p. 272.
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depuis longtemps ennemie de l’Angleterre et en lutte avec lui33. Le processus cathartique
acquière dans l’œuvre de Kyd des significations politiques explicites liées au présent. Au
moyen de la mise an scène de la tragédie, l’auteur identifiait la méchanceté de la cour et des
hommes qui en faisaient partie avec des connotations nationales précises. La cour espagnole
devenait dans The Spanish Tragedy le lieu où se consumait la vengeance : là où la tragédie
sénéquéenne demandait une référence spatio-temporelle indéfinie, Kyd, au contraire, indiquait
le lieu de toute corruption juste au début de la pièce :
When this eternal substance of my soul Did live imprison’d in my wanton flesh, Each in their function serving other’s need, I was a courtier in the Spanish court34
L’histoire de la « Renaissance » de la tragédie dans le théâtre européen du XVIe siècle est
donc l’histoire des différentes interprétations de la poétique classique et de la découverte de la
valeur de l’imitation des modèles antiques. Cependant, les réflexions d’ordre esthétique,
herméneutique et idéologiques qui caractérisent les différentes positions critiques des auteurs
considérés, en ce qui concerne l’expérience italienne, espagnole, française et anglaise,
donnent le portait d’un théâtre in fieri, qui est en train de se définir dans le polyédrique
panorama du XVIe siècle. Au moyen de l’analyse menée, enfin, on découvre les premiers
traits d’un théâtre qui acquerrait sa maturité artistique le long du XVIIe siècle, mais qui
montre juste à partir de sa « Renaissance » les caractéristiques d’une expérience européenne .
33 La défaite de la Invencible Armada espagnole par l’armée navale anglaise arriverait deux années d’après, en 1588. 34 Kyd, Thomas, The Spanish Tragedy, dans The Chief Elizabethans Dramatists, London, Cassel and Company,1911, (I, i, 1-4).
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