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4 Décembre 2014
La rémunération du risque, enjeu clef de la régulation économique des concessions autoroutières en France
Par Jeanne Lubek et
Stéphane WakefordRésumé
Le projet de loi Macron prévoit une extension des pouvoirs de contrôle de l’ARAF aux
autoroutes. La nature du nouveau pouvoir conféré à cette autorité indépendante n’est
pas encore arrêtée, mais quel que soit l’arsenal juridique à disposition, qu’il s’agisse d’avis
motivés ou conformes, le défi sera de développer une doctrine s’accommodant de l’héritage
législatif et contractuel (décret de 1995 et contrats de concessions notamment) et articulant
une vision équilibrée de la régulation économique, qui protège les utilisateurs sans léser les
opérateurs, tout en maintenant les incitations à l’investissement.
Cela passera notamment par la formalisation de l’évaluation du coût d’opportunité
à prendre en compte pour la rémunération des investissements compensable, qui
est le principal levier tarifaire, à l’aune des risques spécifiques portés par les sociétés
concessionnaires d’autoroutes tout en tachant de réconcilier l’horizon temporel de la
période régulation avec celui du cycle de vie de l’investissement, toute divergence se
traduisant in fine par une perception d’un risque de régulation côté investisseur.
Or, la perception d’une insécurité quant au cadre de régulation élève le niveau de risque du
projet et se traduit par un coût du capital plus élevé, tant pour les sociétés concessionnaires
d’autoroutes, que pour d’autres actifs régulés français (aéroports, etc.). Le coût associé sera
porté alors par les utilisateurs à travers des péages / redevances plus élevés, mais également
par l’Etat, puisque ses actifs privatisables sont alors moins valorisés.
Une approche à la fois économique et financière de ces problématiques permettrait
d’assurer la prise en compte du caractère endogène de la régulation sur le profil de risque
des concessionnaires, accompagné d’un juste retour sur les capitaux engagés, déterminé
à la lumière de la théorie économique et du caractère finançable des investissements par
le marché.
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Contexte
La France dispose du deuxième réseau d’autoroutes d’Europe, avec plus de 9000km. Il a la
particularité d’avoir été financé via les péages payés par les utilisateurs. Ce financement par
les utilisateurs plutôt que par les contribuables résulte de la loi du 18 avril 1955 qui a
permis à l’État de créer des sociétés concessionnaires pour la construction et l’exploitation
d’infrastructures autoroutières.
Cinq sociétés publiques sont créées à partir de 1956, avec pour objectif d’étendre rapidement le
réseau autoroutier (qui était de moins de 80 km au milieu des années 1950 contre plus de 3000
km en Allemagne à la même époque). Deux autres Sociétés d’Economie Mixte (SEM) sont créées
par la suite pour la réalisation et l’exploitation des tunnels du Mont-Blanc et de Fréjus.
L’Etat a décidé, entre 1970 et 1973, d’attribuer des concessions à des sociétés à capitaux privés.
Ces dernières se retrouvent cependant rapidement incapables de faire face à leurs obligations
à la suite du premier choc pétrolier et sont rachetées par les SEMCA (Sociétés d’Economie
Mixte Concessionnaires d’Autoroutes), à l’exception de COFIROUTE, qui devient alors la seule
concession autoroutière privée de France.
Pour pallier les difficultés des SEM déficitaires, l’Etat crée en 1983 un mécanisme de péréquation
des ressources entre les sociétés d'économie mixte concessionnaires, assuré par un établissement
public appelé Autoroutes de France (ADF), qui n’est dissout qu’en 2009.
En 1994, afin d’accélérer la réalisation du schéma directeur autoroutier, l’Etat procède à
une profonde réorganisation du secteur (recapitalisation des SEMCA, création de trois pôles
régionaux équilibrés et filialisation) et instaure une contractualisation des relations entre les
SEMCA et l’Etat. Des contrats de plan, conclus pour une durée de cinq ans entre l'Etat et les
sociétés concessionnaires, formalisent les engagements de chacune des parties en matière
notamment d'investissements et de tarification.
En 2001, afin de se mettre en conformité avec l’avis du Conseil d’Etat1 et dans le but
de permettre une concurrence équitable et l’arrivée de nouveaux opérateurs, le système
d’adossement, qui consistait à financer pour partie de nouveaux tronçons d’autoroutes grâce
au péage perçu sur les sections en service d’un même concessionnaire auquel on accordait un
prolongement de contrat, est aboli.
Par ailleurs, les avantages accordés par l’Etat aux SEMCA ont également été supprimés2
(notamment la garantie de reprise du passif par l’Etat et les pratiques comptables spécifiques
en matière d’amortissement). En contrepartie, et pour assurer leur équilibre financier, l’Etat a
prolongé la durée des concessions, sans objection de la Commission Européenne3.
Entre 2001 et 2004, après avoir mis le régime juridique et financier des SEMCA en conformité
avec le droit commun, l’Etat procède à des cessions d’action et à l’ouverture du capital des
SEMCA. En 2006, l’Etat procède à la privatisation des SEMCA, pour un total de 14,8 milliards
d’Euros. Pour chacune des sociétés concessionnaires, en parallèle du cahier des charges de
concession, les contrats de plan fixent les investissements à réaliser, les objectifs de qualité de
service à atteindre et l’évolution des péages.
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Il convient par ailleurs de noter que, depuis 2005, l’Etat a concédé sept nouveaux tronçons, à
des SCA à capitaux entièrement privés dès l’origine. Ces contrats de concessions portent sur des
tronçons plus restreints et les problématiques afférentes à ces derniers sont différentes de celles
des concessions « historiques », en raison de clauses contractuelles différentes et car ces projets
sont à des phases différentes de leur cycle de vie.
Société Taille du
réseau en km
Contrat de
plan actuel
Début
concession
Échéance de
la concession
Chiffre d'affaires
2012 en m€
Groupe APRR
ADELAC 20 n.a. 2005 2060 41.5
AREA 413 2015-2018 1971 20322398.5
APRR 1821 2014-2018 1963 2068
Groupe Vinci
ARCOUR 101 n.a. 2005 2070 48
ASF 2715 2012-2016 1961 20333308
ESCOTA 459 2012-2016 1957 2027
COFIROUTE 1111 2010-2014 1970 2086 1241.4
Groupe SANEF
SAPN 1900 2010-2014 1963 2029 1617.7
Autres
ALBEA 18 n.a. 2011 2066 n.a.
ALICORNE 45 n.a. 2008 2063 12.4
A’LIENOR 150 n.a. 2006 2066 42.7
ALIS 125 n.a. 2005 2067 57.9
ATLANDES 105 n.a. 2011 2051 n.a.
Source : analyse NERA
La régulation économique des autoroutes françaises est fondée sur un mécanisme de « price-cap » atypique
Le décret de 19954 prévoit que « le cahier des charges de la société concessionnaire […]
définit les règles de fixation des tarifs de péages, notamment les modalités de calcul d'un tarif
kilométrique moyen servant de base aux tarifs de péages et qui tient compte de la structure
du réseau, des charges d'exploitation et des charges financières de la société, ainsi que les
possibilités de modulation de ce tarif kilométrique moyen. Le contrat de plan, conclu pour une
durée maximale de cinq années renouvelable entre l'Etat et la société concessionnaire, fixe les
modalités d'évolution des tarifs de péages pendant la période considérée. »
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En l’absence de contrat de plan, le décret prévoit que « les tarifs de péages sont fixés par
arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé de l'équipement, après
consultation de la société concessionnaire concernée. La majoration des tarifs de péages ainsi
fixés ne peut être inférieure à 70 p. 100 de l'évolution des prix à la consommation (hors tabac)
constatée depuis la fixation, l'année précédente, des tarifs applicables sur le réseau concédé à
la société. »
Ainsi, hors nouveaux investissements non couverts par le contrat de concession, l’évolution
minimale prévue des tarifs réels est négative et la régulation est assimilable à celle d’un
« price-cap » avec un facteur de productivité. Il convient toutefois de noter qu’il ne s’agit
pas d’une tarification « price-cap » classique, puisque le décret fixe non pas un plafond mais
un plancher à l’évolution des péages (dans les faits l’évolution retenue est généralement de
80%-85% de l’inflation). Par ailleurs, en cas de déflation les tarifs restent stables (l’hypothèse
d’une inflation négative n’ayant pas été envisagée dans le décret). Son originalité réside
également dans l’énoncé de l’effort de productivité, mesuré par proportion à l’inflation et
non en déduction à l’inflation (IPC*x% au lieu de IPC-x%). Cela signifie que moins l’inflation
est élevée, moins l’effort de productivité à réaliser est élevé et inversement.
D’après l’Autorité de la concurrence, un « price cap », « détermine ex ante un plafond de prix
(ou de recettes) fixé sur la base des coûts anticipés. Les variations de coût – à la hausse ou à
la baisse – ne conduisent donc pas à une modification de plafond, ce qui incite davantage le
gestionnaire à la minimisation des coûts, dont il conservera l’entier bénéfice, et à des choix
d’investissements rationnels. Aussi ce deuxième mode de tarification est-il préféré par l’Autorité
de la concurrence qui y voit, de manière générale, un moyen d’introduire une « contrainte
externe d’efficacité » dans une situation de monopole ».
Les contrats de plans permettent de compenser les investissements hors du champ de contrats de concession
Si les contrats de plans ne sont pas une obligation légale, ils ont néanmoins été
systématiquement adoptés et sont utilisés par la direction générale des infrastructures, des
transports et de la mer (DGTIM) comme outil de régulation économique.
Source: analyse NERA
Péage
année nNouveau
plafond
85% de l’IPC
Compensation
investissement
(ICAS & IEAS)
Pénalité qualité
de service
Mécanisme
d’ajustement à
l’investissement
Compensation
hausses taxes
Détermination du plafond tarifaire dans le cadre d’un contrat de plan
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Les contrats de plans définissent un plafond tarifaire d’une durée de 5 ans, ce dernier étant
fonction de l’inflation, des investissements compensables, d’éventuelles compensations pour
augmentation de la taxe d’aménagement du territoire mais aussi des pénalités éventuelles pour
non-respect des objectifs de qualité de service (plafonnées à entre 0,2% et 0,8% du chiffre
d’affaires annuel de la concession) et d’un ajustement éventuel en fonction de l’investissement
effectivement réalisé.
Le principal intérêt des contrats de plan est, pour l’Etat, de permettre de financer des
investissements nouveaux non couverts par les contrats de concession existants sans ponction
budgétaire. Ainsi, les contrats de plans arrêtent une liste d’investissements « compensables » et la
hausse des péages associée afin de compenser la SCA signataire pour leur réalisation.
Deux types d’investissements sont couverts :
• Les ICAS (investissements complémentaires sur autoroutes en service), qui sont des opérations
de construction et de conservation du patrimoine (nouvelles sections, élargissements…)
• Les IEAS (d’investissements d’exploitation sur autoroutes en service), qui sont des opérations
d’amélioration du réseau touchant à la sécurité et à la qualité du service rendu aux usagers
Ces investissements répondent généralement soit à une volonté d’aménagement du territoire
de la part des pouvoirs publics, soit à la volonté de renforcer la qualité du réseau, que ce soit à
l’initiative de l’Etat ou des SCA.
Un cadre de régulation contesté qui est amené à évoluer
La Cour des Comptes a pointé en 20135 des défauts dans la relation concédant-concessionnaire,
mettant notamment en exergue un contrôle insuffisant de l’Etat vis-à-vis des SCA (Sociétés
Concessionnaires d’Autoroutes), particulièrement dans le cadre des négociations des contrats
de plans.
Evolution des péages et de l'inflation
IPC hors tabac (octobre n-2 à ocotbobre n-1)
Source: Autorité de la Concurrence
Moyenne des hausses annuelles des péages pour l'ensemble des SCA (classe 1)
-1,0%
0,0%
1,0%
2,0%
3,0%
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
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Dans son avis du 17 septembre 20146, l’Autorité de la Concurrence considère « qu’au-delà des
seuls contrats de plans, c’’est l’ensemble de la régulation du secteur qui pourrait être améliorée
dans un sens favorable au concédant et aux consommateurs, et, en particulier, les modalités
de fixation des tarifs ». L’autorité fonde son constat notamment sur l’augmentation du niveau
des péages à un rythme supérieur à celui de l’inflation ainsi que sur la rentabilité élevée des SCA.
Sur la base de ces rapports, le gouvernement a décidé de faire évoluer le cadre de régulation
des autoroutes.
Les défis du futur régulateur
Le projet de loi Macron prévoit une extension des pouvoirs de contrôle de l’ARAF aux
autoroutes, qui étaient jusqu’à présent du seul ressort de la direction générale des
infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) du ministère du développement durable.
La nature du nouveau pouvoir conféré à cette autorité indépendante n’est pas encore arrêtée,
mais quel que soit l’arsenal juridique à disposition, qu’il s’agisse d’avis motivés (c’est-à-dire
consultatifs) ou d’avis conformes, le défi sera de développer une doctrine s’accommodant de
l’héritage législatif et contractuel (décret de 1995 et contrats de concessions notamment) et
articulant une vision équilibrée de la régulation économique, qui protège les utilisateurs sans
léser les opérateurs, tout en maintenant les incitations à l’investissement.
La formalisation de l’évaluation du coût d’opportunité de l’investisseur sur la base de critères
transparents afin de définir la juste rémunération à obtenir sur les investissements compensables
apparait comme l’un des premiers chantiers à mener, et implique une analyse détaillée du risque
porté par les SCA. En effet, en l’absence d’un échantillon large de comparables pertinents, le
régulateur pourrait envisager d’avoir recours à un Beta normatif pour la détermination du CMPC
(le β mesure la volatilité des actifs par rapport au marché, le β multiplié par la prime de risque
du marché correspond au risque de l’actif considéré).
Une autre difficulté est de parvenir à réconcilier l’horizon temporel de la période régulation avec
celui du cycle de vie de l’investissement (qui diffère par ailleurs très largement entre concessions,
certaines arrivant à échéance dès 2029 quand d’autres ne prennent fin qu’en 2068), toute
divergence se traduisant in fine par une perception d’un risque de régulation côté investisseur.
On touche là à un sujet délicat, puisque le signal envoyé aux investisseurs, s’il est source
d’incertitudes quant au cadre de régulation, se traduit par un coût du capital plus élevé, tant
pour les sociétés concessionnaires d’autoroutes, que pour d’autres actifs régulés français
(aéroports, etc.). Le coût associé sera porté alors par les utilisateurs à travers des péages /
redevances plus élevés, mais également par l’Etat, puisque ses actifs privatisables sont alors
moins valorisés.
Seule, une approche à la fois économique et financière de ces problématiques permettrait
d’assurer la prise en compte du caractère endogène de la régulation sur le profil de risque des
concessionnaires, ainsi qu’un juste retour sur les capitaux engagés, déterminé à la lumière de
la théorie économique et du caractère finançable des investissements par le marché, tout en
portant le contrôle sur des périodes ne dépassant pas cinq ans.
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La rémunération adéquate d’investissements de long terme, au cœur du débat sur la tarification
Outre les difficultés pointées par la Cour des Comptes quant à la détermination par la DGTIM
du périmètre des investissements compensables, la principale difficulté pour le régulateur est de
déterminer la juste rémunération des investissements en fonction des risques portés par les SCA.
En effet, l’analyse de la rentabilité d’une concession à un moment T n’est pas nécessairement
pertinente, puisque c’est le taux de rentabilité interne de l’investissement (TRI), qui est pertinent
pour évaluer la justesse du retour sur investissement, en prenant en compte l’ensemble du cycle
de vie du projet et son profil de risque.
Le coût moyen pondéré du capital (CMPC) est utilisé par le ministère comme taux
d’actualisation afin de déterminer l’augmentation des péages telle que la valeur actuelle nette de
l’investissement soit nulle. Or, comme le souligne la Cour des Comptes, il s’agit d’un élément clef
de la détermination des augmentations tarifaires souhaitables, qui fait l’objet d’une appréciation
divergente entre les SCA et le concédant.
Tri calculés lors de la négociation sur les investissements du « paquet vert » tels que VAN=0
5,0%
5,5%
6,0%
6,5%
7,0%
7,5%
8,0%
8,5%
9,0%
COFIROUTE
ESCOTA ASF
SANEF
SAPN
AREA
APRR
TRI calculé au moment du round 1
Source: Cour des Comptes
TRI calculé au moment du round 2
TRI calculé à l’issue des négociations contrat de plan
La négociation des TRI pour les investissements du paquet vert témoigne de ces divergences
(puisque le TRI est telle que VAN=0, soit TRI=CMPC). Or, la régulation reste muette sur la
méthodologie adaptée et les paramètres à prendre en compte dans la détermination du coût
du capital des SCA7, alors même que cet élément est l’une des clefs de voute de la régulation
tarifaire des autoroutes.
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Le flou du cadre de régulation actuel sur la méthode d’appréciation de la juste rémunération
du capital est illustrée par l’approche adoptée par l’Autorité de la Concurrence pour fonder
son constat que la rentabilité des SCA historiques est « exceptionnelle » et son assimilation de
cette rentabilité à une rente. En effet, l’Autorité n’aborde que de manière limitée la question
du coût du capital et la sensibilité de la Valeur Actuelle Nette à ce paramètre mais se réfère de
manière prépondérante à l’analyse des ratios de rentabilité historique (EBE, résultat net, ratio
d’endettement des SCA, etc.).
C’est d’autant plus surprenant que l’Autorité souligne elle-même que le cycle de vie de projets
d’infrastructures sur un horizon temporel très long se traduit nécessairement par des bénéfices
importants sur la deuxième moitié de concession (cf. graphique ci-dessous).
Résultat
Durée de vie de la concession
1 an
25 ans / 30 ans 50 ans / 60 ans
Bénéfices
Pertes
Source: Autorité de la Concurrence
Or, une simple analyse de la rentabilité ne prend pas en compte la valeur temps de l’argent,
qui intègre son coût d’opportunité. Ainsi, des bénéfices importants en deuxième partie de
concession ne traduisent pas nécessairement une rentabilité exceptionnelle, voire la simple
couverture des coûts de l’investissement.
L’opportunité et l’appréciation du risque des nouveaux investissements, seul levier disponible sur l’évolution de la tarification
Comme le soulignent la Cour des Comptes et l’Autorité de la Concurrence, les tarifs des péages,
hors compensation de nouveaux investissements et taxes, sont fixés au minimum à IPC*0,7.
A moins d’une renégociation des contrats de concessions, ils sont donc amenés à évoluer au
minimum à ce rythme jusqu’à l’échéance, ce qui correspond néanmoins à une évolution négative
en termes réels du niveau des péages.
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Le principal levier sur l’évolution des tarifs est donc celui de la compensation des investissements
non prévus dans le contrat de concession et qui sont déterminés de concert par l’Etat et les SCA
au moment de la négociation des contrats de plan (cf. graphique ci-dessous). C’est en effet la
compensation de ces investissements qui explique l’augmentation des tarifs des péages à un
rythme plus élevé que l’inflation au cours des dernières années.
Au-delà du nécessaire contrôle de l’opportunité de ces investissements et de leur caractère
raisonnable par les autorités compétentes, c’est bien la détermination de la rémunération
adéquate de ces derniers qui fait débat et soulève donc la question de leur profil de risque.
-0,5%
0,0%
0,5%
1,0%
1,5%
2,0%
2,5%
3,0%
2010 2011 2012 2013
Evolution des tarifs APRR (classe 1)
Inflation
Compensation investissements
Compensation taxe d'aménagement du territoire
IPC*85%
Source: Analyse NERA
Or, comme évoqué plus haut, le régulateur n’a pas encore fixé des règles claires permettant
d’évaluer le risque porté par les investisseurs autoroutiers alors même que c’est à l’aune de ce
dernier que doit s’apprécier la rémunération. Un calcul de CMPC, qui est la quantification du
risque porté, est sensible tant à l’approche méthodologique (utilisation du MEDAF, du DGM
ou d’autres modèles) qu’au choix des paramètres individuels (horizon temporel, sélection des
comparables, structure financière cible, etc.) et à la prise en compte ou non de l’effet endogène
de la régulation.
Les autoroutes, des actifs à faible risque?
En l’absence de cadre de régulation définissant la manière d’évaluer le risque des concessions
autoroutières, l’Autorité de la Concurrence a cherché à mettre en regard le niveau de rentabilité
des SCA et les risques pesant sur leur activité. Elle identifie trois risques principaux auxquels sont
soumises les SCA : le risque trafic, le risque coûts et le risque lié à la dette (qui ne peut être
compris que comme le niveau de levier).
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Concernant le risque trafic, l’Autorité estime que « le trafic, globalement, a toujours progressé
depuis des décennies, même si c’est plus faiblement aujourd’hui que par le passé. De plus,
compte tenu des modalités de tarification, même lorsque le trafic baisse, le chiffre d’affaires
des SCA continue de progresser, même au plus fort de la crise financière des années 2008-
2009. Enfin, la concession autoroutière est un monopole, protégé par l’État autant que par la
substituabilité très partielle avec les autres modes de transports et une faible élasticité prix de
la demande. Le risque de l’activité apparaît donc très limité. »
Pourtant, la question du « peak travel »8 commence à se poser dans les économies, développées,
particulièrement pour le transport automobile. En effet, la croissance de ce dernier était portée
principalement par la conjonction de trois phénomènes :
• Un effet réseau : l’ouverture de nouveaux tronçons de routes et d’autoroutes avait un effet
de création de flux (facilité et sécurité accrue du transport, réduction du temps de parcours et
de la congestion, etc.)
• Un effet richesse : la mobilité est corrélée à la progression du PIB car l’augmentation du
pouvoir d’achat favorise la motorisation des ménages et le revenu disponible pour les trajets
personnels et professionnels
• Un effet démographique : l’augmentation de la population se traduit mécaniquement par
une augmentation du trafic automobile
Or, ces trois facteurs de croissance du trafic routier ont tendance à s’atténuer :
l’infrastructure du réseau routier et autoroutier national arrive à maturité, la croissance
démographique marque le pas et la croissance économique est bien plus faible qu’elle ne
l’était au cours des 30 dernières années.
Transport intérieur en voitures particulières en France, évolution en milliards de voyageurs-kilomètres
0
100
200
300
400
500
600
700
800
900
1996
1997
1998
1999
1992
1993
1994
1990
1991
1995
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Source: INSEE, Eurostat, analyse NERA
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Variation annuelle en % des voyageurs-kilomètres en voiture particulière en France
-2%
-1%
0%
1%
2%
3%
4%
5%
1996
1997
1998
1999
1992
1993
1994
1990
1991
1995
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Source: INSEE, Eurostat, analyse NERA
Evolution du réseau autoroutier national en km
0
2 000
4 000
6 000
8 000
10 000
12 000
14 000
1996
1998
1992
1994
1990
2000
2002
2004
2006
2008
2010
2012
1972
1974
1970
1976
1978
1980
1982
1984
1986
1988
Source: INSEE, Eurostat, analyse NERA
Dans ce contexte, et sur des horizons longs, le risque trafic n’est donc pas nécessairement
négligeable, ainsi que le laisse entendre le rapport de l’Autorité de la Concurrence. D’autant
que l’évolution des modes de consommation (covoiturage, urbanisation, télétravail, etc.), certes
difficile à quantifier, pourrait se traduire par un moindre usage des véhicules personnels à
l’avenir, accompagnant la volonté des pouvoirs publics de limiter les émissions de CO2 afin de
lutter contre le réchauffement climatique.
Enfin, les chocs pétroliers des années 1970 ont démontré la sensibilité des sociétés
concessionnaires à des chocs exogènes, puisqu’à l’époque 3 des 4 concessionnaires
autoroutiers à capitaux privés ont dû être nationalisés afin d’éviter leur faillite.
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Jeanne Lubek
Directrice Associée
Directrice Associée au sein de la practice Environnement, Energie & Industries de Réseaux.
Elle a plus de 15 ans d’expérience dans le conseil économique et stratégique dans le secteur
de l’énergie et des infrastructures. Jeanne est diplômée de l’ENSAE, de l’EHESS et de
l’Université Paris 1.
Stéphane Wakeford
Analyste
Analyste au sein de la practice Environnement, Energie & Industries de Réseaux. Il a accompagné
de nombreux opérateurs ou utilisateurs d’infrastructures sur des sujets d’économie de la
régulation et de stratégie. Ancien élève de l’Université Ludwig-Maximilian de Munich, Stéphane
est également diplômé de Sciences Po Paris et HEC.
Notes
1 Avis du Conseil d’Etat du 16 septembre 1999
2 Loi n° 2000-1 du 3 janvier 2001 et ordonnance n° 2000-273 du 28 mars 2001
3 Avis de la Commission Européenne du 24 octobre 2000
4 Décret n°95-81 du 24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers
5 Les relations entre l’Etat et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, Cour des Comptes, Juillet 2013, Communication à la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale
6 Avis n°14-A-13 du 17 septembre 2014 sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires, Autorité de la Concurrence
7 « L’absence d’encadrement réglementaire et contractuel des contrats de plan, conjugué à l’absence d’un mandat de négociation donné à l’administration, conduit à ce que tout puisse être négocié, non seulement les opérations d’investissements faisant l’objet d’une compensation tarifaire, mais aussi les hypothèses macroéconomiques et les taux d’actualisation (coût moyen pondéré du capital - CMPC ), dans des conditions qui ne sont connues qu’à la DGITM ». Les relations entre l’Etat et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, Cour des Comptes, Juillet 2013, Communication à la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale
8 Are we reaching peak travel? Trends in passenger transport in eight industrialized countries, Adam Millard-Ball and Lee Schipper, Stanford University, 2010
A propos de NERA Economic Consulting
NERA Economic Consulting (www.nera.com) est un cabinet de conseil international
spécialisé dans les problématiques de régulation et de concurrence, de politiques publiques
et de stratégie. Nos missions incluent des travaux sur les privatisations, la régulation
économique, la politique de la concurrence, la stratégie d’entreprise, la prévision de la
demande, l’optimisation tarifaire et l’analyse des investissements.
Notre réseau international de 500 économistes répartis dans 25 bureaux à travers le monde
nous permet de nous appuyer sur un vivier de compétences économiques sans équivalent
sur le marché.
Contact Pour plus d’informations ou questions , adressez-vous aux auteurs:
Jeanne Lubek
Directrice Associée
+33 1 70 75 01 82
Stéphane Wakeford
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Les opinions exprimées dans cet article ne représentent pas nécessairement le point de vue de NERA Economic
Consulting ou d’autres consultants de NERA. Merci de ne pas citer cet article sans permission explicite des auteurs.