TOUT L’IMMOBILIER • NO 623 • 5 MARS 2012

– Change d’air! avait dit Cathy, la secrétaire, à qui Jean avait con� é le gênant incident du trai-teur italien.

– Vous descendez dans le sud, Degraal? avait demandé Gran-di, à la séance du mardi matin. Pro� tez de faire une petite ana-lyse du marché immobilier, mon vieux! Vous serez super!

Jean avait soupiré. Il avait loupé une occasion de se taire.

En attendant, je dois faire mon sac et c’est bien ma veine d’aller jusqu’à Carouge pour faire mon linge, songe-t-il, en sortant du tram.

Hier soir encore, Arlette Vison, la concierge de son immeuble, frappait à sa porte, porteuse d’une grande nouvelle. Une fraction de seconde, Jean s’était dit que l’immeuble avait été vendu, ou mieux, que la régie avait décidé de changer de concierge.

Hélas! Arlette et lui n’avaient pas les mêmes notions de «grande nou-velle». La machine à laver le linge avait simplement rendu l’âme.

– En attendant, il faudra aller au salon-lavoir de Carouge, avait dit Arlette.

– La nouvelle machine n’est pas livrée? avait demandé Jean.

– Ah ça, mon pauvre, une si belle machine! Pensez donc! Il a fallu la commander. Et puis, il est très bien ce salon, vous verrez. La régie vous rembourse toutes vos machines, même les grosses. C’est ouvert 7 jours sur 7, avec un snack-bar. J’y étais, hier, avec une copine …

– Merci pour ces précisions, Mme Vison, avait interrompu Jean, pres-sé d’en � nir.

C’est samedi, le début de soirée, la bise noire s’engou� re dans la rue Ancienne, picotant son visage. Un sac plastique gon� é sous le bras, il s’engou� re dans le salon-lavoir. La porte vitrée se referme derrière lui, faisant gémir le vent pris dans les gonds. Une odeur de lessive circule dans la pièce vide. Toutes les machines sont éteintes. Une seule ron-ronne comme un vieux matou.

Il fourre son linge dans un tambour, claque la porte. La machine en-gloutit la monnaie dans un tintement.

– Zut, j’ai oublié le produit, songe-t-il. Les magasins vont fermer. Plus le temps.

A côté, il y a un carton rempli de poudre et un panier à linge.

– Allez, s’encourage-t-il, une bonne louchée dedans et je suis sauvé.

Tandis qu’il tente l’opération, ses yeux s’arrêtent dans le panier. Son sou� e se raccourcit. Là, tout près de lui, au fond, un dessous de femme, une guêpière, le regarde. Il jette un regard fébrile dans la pièce. Il n’y a personne. Il se baisse, la ramasse, la porte à ses lèvres, la reni� e. Ses mains tremblent.

– La guêpière, celle que Jeanne portait pour le dernier réveillon, la même, murmure-t-il.

Soudain la bise rugit, pénétrant dans le lavoir comme une lionne fon-drait sur sa proie. La porte vient de s’ouvrir. Degraal se retourne anéan-tit, la guêpière pressée contre sa poitrine.

– Je peux vous aider, demande une voix claire ?

– Euh… euh … oui… en� n, non… je regardais la dentelle, le travail … le travail de la dentelle …

Une jeune femme aux longs cheveux noirs et aux yeux rieurs s’avance. Elle récupère son dessous et lui jette un sourire badin, de ceux qui pro-voquent des naufrages en eau douce. ■

Laura Maxwell

La quête Degraal

Episode 14: La guêpière mystérieuseA un rythme mensuel, Tout l’Immobilier vous propose une rubrique qui évoque les aventures de personnages tellement imaginaires qu’ils en paraissent parfois réels. Nous suivons ainsi les pérégrinations de Jean Degraal, héros ordinaire de cette saga due à Laura Maxwell.

De l’amour et de l’immoJeanne Guenièvre est partie un matin. Elle a quitté Jean Degraal, son compagnon. Elle n’a pas dit où elle allait.Il paraîtrait qu’elle est partie avec un jeune étalon; c’est la voisine du haut qui l’a dit, tandis que celle du bas était plutôt d’avis qu’il s’agissait d’un hongre. Jean Degraal pense que Jeanne est partie à cause du studio qu’elle trouvait trop petit. Depuis lors, Jean Degraal cherche sans relâche, sauf à l’heure du déjeuner, l’appartement parfait, celui qui fera revenir Jeanne. Y parviendra-t-il seulement?

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