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  • 7/25/2019 La Question

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    Chapitre XIX

    LA QUESTION

    "Brusquement, je sentis comme la morsure sauvaged'une bte qui m'aurait arrach la chair par saccades.

    Toujours souriant au-dessus de moi, Ja.....m'avait

    branch la pince au sexe. Les secousses qui

    m'branlaient taient si fortes que les lanires qui me

    tenaient une cheville se dtachrent. On arrta pour les

    rattacher et on continua. Bientt le lieutenant prit le

    relais de Ja...... Il avait dgarni un fil de sa pince et le

    dplaait sur toute la largeur de ma poitrine. J'tais tout

    entier branl de secousses nerveuses de plus en plus

    violentes et la sance se prolongeait. On m'avait aspergd'eau pour renforcer encore l'intensit du courant et,

    entre deux gicles, je tremblais aussi de froid. Autour

    de moi, assis sur les paquetages, Cha et ses amis

    vidaient des bouteilles de bire".

    Henri ALLEG, "La question", 1958.

    La transition avec le chapitre prcdent est aise : le poujadisme a un pied en mtropolecontre les brigades de contrleurs du fisc et un autre en Algrie contre le F.L.N.. Et sesmilitants n'hsiteront pas faire le coup de poing et mme plus contre le fellagha. Maisl'extrme-droite, diverse et varie, n'est pas rductible au poujadisme. Les milieux intgristesd'extrme-droite trouvent une raison d'esprer avec la guerre en Algrie, terre d'une diximecroisade, et des officiers de l'arme franaise s'emparent des ides contre-rvolutionnaires quediffusent ces militants du Christ-Roi. Cela autorisera, dans un climat de Guerre froide etd'esprit de revanche aprs le dsastre de Dien-Bien-Phu, les pires exactions dont on le sait,hlas, l'usage de la torture.

    L'extrme-droite franaise nous ramne, alors, aux heures noires de l'Inquisition.Les forces que l'on retrouvera le 13 mai 1958 sont multiples et l'arme franaise en est

    comme imbibe. Comment en est-on arriv torturer et "justifier" la torture, voil la

    problmatique de ce chapitre.

    A. L'ALGERIE FRANAISE

    Et d'abord, les acteurs en place. Ceux qui, quoique ns en Algrie, se sentent "plusfranais qu'algrien". Il y a les poujadistes, surtout implants en milieu urbain, et les hommesde Robert Martel, les colons agriculteurs.

    Le poujadisme en Algrie

    Le poujadisme est intimement li aux vnements d'Algrie. Il est particulirement bienreprsent au sein des "petits blancs" ou plus exactement des "petits colons" et, l'autre bout

    de l'chelle sociale, il fournira des leaders historiques comme le gnral Faure et aura lesoutien financier de quelques gros colons.

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    Pierre Poujade organise, en novembre 1954 Alger, le premier congrs national del'UDCA, au moment prcis du dclenchement de la rbellion FLN. Pourquoi Alger ?s'interroge l'historien J.-P. Rioux. "A vrai dire, on ne le sait gure. Pressions d'Yvette (sonpouse, fille de pied-noir, rencontre en 1943)pour revoir les siens ? Accords antrieurs avecquelques amis de 1943 qui ont flair l'aubaine ? Un mouvement antifiscal en pleine vigueur

    mais qui dborde peine la Loire et le Rhne, une fivre des bourgs et des petites villes demtropole, un chef sans programme mais qui a su s'imposer fermement, reoivent ainsil'trange hommage ml des petits blancs de gauche et de quelques gros colons. Que cesderniers aient pris des gages, c'est possible. Un Algrois nanti, Paul Chevallet, prend ladirection de Fraternit franaise, nouveau journal du mouvement lanc pour la circonstance.Et l'UDCA, visiblement, n'aura plus de crise grave de trsorerie".

    Le mouvement Poujade est implant en Algrie.Il est vrai que le mouvement Poujade, au service des "petits" et des "sans grade", trouve

    un terreau d'excellence en Algrie. Le poujadisme y prend le relais du ptainisme. En 1948,lors des lections pour l'assemble algrienne, un candidat n'hsita pas libeller ses affiches

    de la manire suivante : "voter de Saivre, c'est voter Ptain"1En 1948 et ce candidatobtint 20% des voix dans le collge europen2. En Algrie, Poujade rencontre sa futurepouse et en 1954, il y organise le premier congrs de son organisation : l'U.D.C.A.. Il estdonc persona grata. D'autant plus mais cela va de soi- que son discours est rsolument"Algrie franaise". Ce discours populiste et colonialiste va au devant des attentes du petitpeuple des pieds-noirs3.

    En effet, lorsque, du fait de la victoire du Front Rpublicain en mtropole et l'arrive laprsidence du Conseil du socialiste Guy Mollet, on eut le sentiment que la dmarche versl'indpendance tait entreprise, la fracture s'opre entre colons richissimes et les autres. "Le

    petit peuple d'Alger eut alors pour la premire fois le sentiment que ses intrts diffraient deceux des magnats de l'agriculture et de la navigation" crivent M&S. Bromberger. "Sil'indpendance triomphait, ceux-ci (les "gros") ne perdraient pas tout. Les bateauxchangeraient de port d'attache. De grands colons avaient dj fait passer une partie de leursbiens l'tranger ou dans la mtropole. Mais les petits colons, () tout le petit monde colorde "la Famille Hernandez" qui parlent le pataoued, souvent d'origine espagnole ou decommunaut juive, enracins ds avant la colonisation, n'avaient ni parent en France, nicapitaux transporter. Ils ne pouvaient emporter l'Algrie la semelle de leurs souliers. Ilsavaient le dos la mer. Ils taient dcids tout sauf cder"4. Et comme souvent, c'est chezle petit peuple que l'on va trouver les positions les plus extrmistes, les grands bourgeoislibraux ayant toujours plusieurs cordes leur arc. Ainsi l'U.F.N.A. (Union franaise Nord-africaine), cre en 1955 par Robert Martel, dont l'influence s'tait largie de la campagne

    vers les villes, recrute-t-elle ses nombreux adhrents parmi "les petits et moyens colons, lesemploys de tramways et de chemin de fer, les ouvriers d'usine". Poujadistes et activistes sedisputent ce "march" de l'Algrie franaise. Les poujadistes ne restent pas inactifs.

    Aprs l'meute anti-rpublicaine du 6 fvrier 56, l'U.F.N.A. est dissoute. Face larpression du ministre-rsident Lacoste -un socialiste nomm par Guy Mollet- plusieurs

    1Marc FERRO, page 506.2 Il y avait deux collges lectorat : le collge des Europens (1 million d'habitants) et le collge indigne (8millions). Chacun avait le mme nombre de dputs Et les lections du collge indigne furent grossirementfalsifies !

    3On a vu que son journal tait financ par un gros colon. Contradiction qui n'est pas pour gner Poujade (cf. lescandidatures aux lections lgislatives en France, Lyon par exemple).4BROMBERGER, page 78.

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    groupes clandestins se sont forms et complotent. Les militants se divisent entre ceux quirejoignent l'O.R.A.F., poujadiste, et ceux qui crent le C.R.F. (Comit de la rsistancefranaise) infiltr par les catholiques intgristes royalistes et dirig par R. Martel.

    L'Organisation de Rsistance de l'Algrie franaise (O.R.A.F.) est rpute poujadisteparce qu'on y rencontre la plupart des militants connus de ce parti. Outre Ortiz, patron de

    bistrot, on y rencontre aussi Goutallier, restaurateur. Deux professions bien cibles parl'U.D.C.A.. L'O.R.A.F. revendiquera l'attentat d'avril 1956 contre l'immeuble de la rue deThbes, Alger, qui fera 28 morts musulmans. Viansson-Pont brosse ce portrait de JosephOrtiz, qui jouera un rle capital sur les barricades de 1960 : "Joseph Ortiz, le cafetier duForum, est responsable poujadiste dans les annes 50'. Il est l'un des organisateurs de lamanifestation du 6 fvrier 1956 contre Guy Mollet et se flatte d'avoir ce jour-l, avec millekilos de tomates, chang le cours de l'Histoire. Il a t de tous les complots, de tous les

    prparatifs ; il a fond le Front National Franais, le F.N.F., et s'efforce de prendre lecontrle de tous les "mouvements nationaux". Pour les uns, c'est un fasciste, un raciste, unvrai, born et violent ; pour les autres, il voque plutt l'anisette et la faconde du patron de

    bistrot mridional, un personnage de la famille Hernandez "5. On a bien l les ingrdientsdu militant poujadiste d'extrme-droite : populisme, apparente cordialit, simplicit maissentiments vulgaires et opinions politiques de rejet de l'autre, rejet de celui qui est diffrent.

    Le gnral FaureLe poujadisme recrute galement parmi l'lite. Ainsi le gnral Jacques Faure qui n'est

    rien moins que commandant de la division d'Alger et qui, ultrieurement participera au putschd'avril 1961. Aprs le 6 fvrier 1956, le gnral Faure entreprend de mobiliser ceux quiaspirent se venger des attentats du F.L.N.. Faure constitue les Units Territoriales 6 quiservent trois jours par mois, "fouillent les paquets dans les tramways, assurent des gardes,appuient parfois des oprations de bouclage dans la rgion d'Alger"7. Avec les volontairesles plus ardents, il forme l'U.T.B., l'Unit Territoriale Blinde qui, quipe de chars et de half-tracks, intervient comme force autonome dans la lutte contre les fellaghas.. L'U.T.B. servirad'arme lourde au sens propre- aux activistes du Comit de Salut Public du 13 mai 58. Faure"s'est particulirement attach au sous-lieutenant Le Pen (alors stagiaire l'cole de Saint-Maixent que Faure dirigeait, en 1954) qui le mettra en rapport avec Poujade et avec lecommissaire Dides"8. L'O.R.A.F. suit son gnral poujadiste avec enthousiasme. Faurepassera pour un ternel comploteur. De fait, il complotera en dcembre 1956, ce qui luivaudra un mois d'arrt de forteresse et une mutation en Allemagne9. En 1961, Faure taitcharg d'organiser le coup d'tat sur Paris, Salan et ses acolytes prenant le pouvoir Alger.

    Les "Chouans" de Robert Martel

    Robert Martel dont le "logo" est le cur plant d'une croix, le symbole des Chouans et de

    la contre-rvolution, quoique trs sectaire nous l'allons voir, accueille trs favorablement le

    5Pierre VIANSSON-PONTE, Vol. I, page 256.6Que sont les Units Territoriales ? Voici la rponse que donne un site internet (favorable l'Algrie franaise,http://nice.algerianiste.free.fr) : "Que sont ces U.T. () ? Ce ne sont pas des manifestants, ce sont des soldats.

    Les units territoriales sont suppltives des units rgulires de l'arme. Ceux de nos compatriotes d'Algrie quiont accompli leur service militaire consacrent chaque semaine un ou deux jours, une ou deux nuits assurer desservices de scurit en ville ou dans le bled. Ils partent mme parfois en oprations contre les fellaghas. Ilsdisposent d'une tenue kaki et d'un armement individuel fourni par l'arme. Ils portent leurs galons. Ce sont en unmot des mobiliss d'un jour. Il y a mme une Unit Territoriale blinde. Il y a 4.000 U.T. Alger".7BROMBERGER, page 93.

    8 Idem. Le Pen, dput, s'est engag dans l'arme. Dides est un commissaire de police qui enrgimentera lesagents de police de Paris pour les oprations prvues lors de l'opration "Rsurrection".9BROMBERGER, "Les 13 complots", pp. 87-93.

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    poujadisme en Algrie. Le texte suivant montre bien cette connivence idologique. "(RobertMartel) revint Alger pour apprendre que Pierre Poujade allait tenir un grand congrs Paris. Le Mouvement Poujade intressait beaucoup Robert, mais il pensait que Poujade avaittort de jouer le jeu dmocratique et que, tt ou tard, ses parlementaires se pourriraient auPalais-Bourbon. Poujade, c'est encore la Rpublique !, songeait Robert. Mais il ne voulait

    pas attaquer le fondateur de l'U.D.C.A., d'autant plus que les Poujadistes avaient t lespremiers dfendre en France l'Algrie Franaise. "Et il est certain, poursuivait Robert dansson esprit, que la dfense du petit et moyen commerce, de la petite et moyenne agriculture, etla dfense de l'Algrie Franaise sont lies. Le mme complot qui veut nous faire perdrel'Algrie est en train de ruiner les forces vives de la France, au nom des fameux grandsensembles"10.

    Tout est dit ou presque mme si cela mrite quelques claircissements d'autant qu'on esten plein discours synarchique. Martel est un royaliste qui pense que Dieu, aprs Clovisbaptis par Rmy, aprs Charles VII couronn miraculeusement grce Jeanne d'Arc, queDieu enverra le successeur de Louis XVII sur le trne de France. Martel a fond l'UFNA qu'il

    veut rsolument contrervolutionnaire et il se mfiera toujours des autres, de tous les autresqui ne sont pas des partisans du successeur de Louis XVII11. Mme L'Action franaise netrouve pas grce ses yeux parce qu'elle accepte, sur le trne de France, la famille usurpatriceet rgicide des Orlans ! Mais le soutien va Poujade parce qu'il dfend la petite propritindpendante et l'Algrie franaise. Et l'intrt de ce texte est aussi de montrer que Martel etPoujade expriment un mouvement social rel. En effet, par la formule " les fameux grandsensembles", Martel dnonce tout uniment la mondialisation qui s'bauche (O.N.U., O.T.A.N.,confrence de Torquay pour le GATT) la construction de l'Europe en cours (C.E.C.A.,confrence de Messine), la concentration capitaliste qui menace les "petits". Il estincontestable que les classes moyennes traditionnelles sont en situation de malaise, de mal-tre dans les annes qui suivent le second conflit mondial. Mais est-ce le cas de R. Martel ? Ilexploite 300 hectares de vignes et vergers dans la plaine de la Mitidja. Il possde galementdes terres dfricher. Son exploitation est trs mcanise mais il emploie quand mmeplusieurs ouvriers agricoles arabes et il a un grant "europen" capable de tenir toutel'exploitation en son absence. Pendant la guerre, Martel sera absent des mois voire des annesde sa proprit. On peut donc le qualifier de propritaire non exploitant. La fortune de sonpre est telle qu'elle lui permet de financer en grande partie ses campagnes politiques avecl'aide d'un autre colon galement fort riche.

    Martel raconte son veil la conscience politique : on "lui expliqua en dtail les planssynarchiques et la faon dont on allait dtruire les Patries pour la construction de cinqgrands ensembles conomiques, dits Socits mineures, le tout couronn par un

    gouvernement mondial, dont la S.D.N. d'abord, l'O.N.U. ensuite n'taient que de plesbauches. (On) lui parla aussi trs longuement de l'influence considrable des trusts

    ptroliers dans le monde". L, Martel voit et dnonce le complot de la "synarchie". Poujadednonait galement les trusts apatrides. Comme nagure F. Coty dans ses dlires. La thsedu complot fait partie des fantasmes essentiels l'extrme-droite, je veux dire par l qu'il est

    10R. MARTEL, "la Contrervolution en Algrie", page 177. Le texte est la troisime personne parce qu'ils'agit de notes autobiographiques rdiges en prison par R. MARTEL et mises en forme par ses amis dontClaude MOUTON.

    11 Cela peut paratre puril et cocasse mais, nonobstant, R. MARTEL est un homme dangereux qui prendrad'assaut le palais du gouvernement gnral Alger, le 13 mai 1958, et qui, pour tous ses mfaits pendant laguerre d'Algrie, verra le procureur gnral rclamer la mort lors de son procs.

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    dans la nature mme de l'extrme-droite de voir des complots partout12. Car l'Ordre naturelvoulu par Dieu est simple et bon et le dsordre ne peut tre que l'uvre du Malin qui prendforme humaine pour ourdir des rvolutions contre les communauts naturelles.

    Voici un passage du livre de Robert Martel dans lesquels on peut lire son got pourdnicher l'action des forces occultes, pour dbusquer les complots. Voici qu'merge un

    mystrieux complot ptrolier : "-Voyez-vous, continua Reygasse13, cette rbellion musulmanea t organise de toutes pices par le Gouvernement franais, aid par certains groupes

    financiers trangers. Le ptrole est li cette histoire. Le grand malheur de l'Algrie a t ladcouverte du ptrole. Robert (Martel) et ses amis ouvrirent de grands yeux.

    Christin14se dlia la langue :-En effet, dit-il, il y a longtemps que les prospecteurs connaissaient l'existence du ptrole

    en Algrie. Comment se fait-il que ce soit seulement aujourd'hui, en pleine rbellion, qu'on endvoile la source de richesse ?

    -Oui, messieurs, reprit Reygasse. C'est pourquoi j'insiste sur ce sujet. En tantqu'administrateur, je savais que des prospections avaient lieu, mais on rebouchait les puits

    sur ordre du Gouvernement et c'tait le silence total. Il ne fallait pas faire concurrence auxmarchs trangers anglais et amricains, vous comprenez".Il y a l totale incohrence. Nous sommes dans les lucubrations synarcho-fantaisistes les

    plus acheves. Tout cela n'est pas srieux. Mais c'est dit par des gens capables d'ouvrir le feu.La dcouverte du ptrole est au contraire une des raisons du conflit algrien, et de sa dure,les ngociations d'Evian s'ternisant parce que le pouvoir gaulliste ne voulait pas abandonnerle ptrole saharien l'Algrie.

    R. Martel place toujours toute son action sous le signe du Sacr-cur. "Je suis plusFranais qu'Algrien. Notre combat est un tout, on ne sauvera pas l'Algrie si () on nerenverse (pas) la Rpublique, car c'est votre Rpublique qui nous a mis dans l'tat o noussommes. Cet tat d'esprit existe ici depuis 1830. N'oubliez pas que Charles X a t renvers cause de cela, parce qu'il voulait christianiser l'Algrie. (). Le Pre de Foucauld lui-mmel'a crit : "Si nous ne faisons pas des indignes de ce pays des chrtiens, la France en serachasse avant quarante ans". Voil pourquoi, () c'est une croisade que nous avonsentreprise et si je vous en veux c'est bien parce que vous voulez composer avec la Rvolution.On ne compose pas avec Satan, car alors c'est lui qui gagne". Outre un anticommunismehystrique, Martel est traumatis par la franc-maonnerie qui est absolument prsente partout,y compris selon lui- en la personne de J. Soustelle. J'ai not seize allusions un complotmaonnique en Algrie- dans son livre.

    Voil quelques aspects de la pense politique de la contrervolution. Sans trait d'union contrervolution. Selon Martel, cela a un sens. Il tente de nous l'expliquer : c'est "donc la

    "Contrervolution" et non pas la "Contre-Rvolution". Cette dernire n'tant qu'unervolution de droite oppose une rvolution de gauche. La Contrervolution, dans sonessence unitaire, c'est le contraire de la Rvolution" (p558). Il faut savoir que lescontrervolutionnaires utilisent peu l'intelligence et plus souvent l'irrationnel pour saisir lacomplexit de monde. Il est probable que cette complexit leur file entre les mains avec detels outils d'analyse. Quoiqu'il en soit, il faut s'habituer ce malstrom, ce flot tumultueuxd'ides confuses. Tous les Franais ne sont pas fils de Descartes.

    12 Le point de dpart de cette position historique est videmment la thse du complot maonnique ayantdclench la Rvolution de 1789. C'est d'autant plus amusant que l'extrme-droite est la premire adepte du

    secret avec ses pnitents, compagnie du Saint-Sacrement, chevaliers de la foi, Congrgation, etc.13Fondateur d'un journal activiste, "Prestige franais".14Ami de Martel, prsent comme ancien officier d'aviation, patron d'une socit immobilire, (page 90).

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    La Cagoule, le retour

    Elment extrmement intressant est la rsurrection de la Cagoule militaire dans lesannes cinquante. Un homme illustre dans ce milieu- fait le lien entre l'avant-guerre et laCagoule de Deloncle d'une part, et l'aprs-guerre et les vnements d'Algrie d'autre part. Ils'agit du Dr Flix Martin. Un seul homme, ce n'est pas assez pour parler de passage de relais.

    Mais les centaines d'officiers de trente/quarante ans en 1939, n'ont gure que 50/60 ans lors dudbut de la guerre d'Algrie. Avant la guerre, la Cagoules'tait infiltre partout dans les rangsde l'Arme, et comme la houle qui se propage avec des hauts et des bas, le "haut" de la fin desannes Trente refait surface aprs le "creux" de la Libration. Mais le Dr Martin est unpersonnage historique dont on a pu suivre la trace c'est pourquoi on en parle davantage15.

    Dans les annes 50', l'organisation clandestine resurgit sous le nom de "Grand O". Avecles mmes structures et les mmes mthodes de noyautage dans l'arme et dansl'administration, nous dit P. Bourdrel. Avec la mme clientle dans les organisation d'ancienscombattants (notamment, aprs 1954, chez les Anciens d'Indochine) ou dans les partis de ladroite classique. Avec le mme objectif de provoquer le dsordre politique, de dbusquer le

    parti communiste, et d'obliger l'arme intervenir pour rtablir l'ordre. Pour sa participationaux vnements d'Algrie, avant et aprs le 13 mai, Flix Martin sera inculp d'association demalfaiteurs, de complot contre la sret extrieure de l'Etat et contre la sret intrieure.

    Dans la Cagoule de la deuxime gnration, Martin a le nom de code de "grand V". Lesdirigeants sont de haute vole. Le Grand A de Grand O est le gnral Cherrire16 qui futcommandant en chef Alger, en 1955. C'tait la fonction militaire la plus leve en Algrie.Le Grand B est le gnral cinq toiles Chassin, l'homme de la "guerre psychologique" qui a luMao Tse Toung et est fascin par "l'arme rvolutionnaire au milieu du peuple comme le

    poisson dansl'eau". Chassin a des fonctions leves l'OTAN o il est coordinateur en chefdes forces ariennes du Centre-Europe Fontainebleau. Le "Petit a" de la nouvelle cagouleest le secrtaire gnral desAnciens d'Indochine(association dont le prsident n'est autre queChassin) capable d'organiser des manifestations imposantes dont celle, aprs Dien-Bien-Phu,o fut gifl un ancien Prsident du Conseil17.

    Grand O arrive en Algrie par l'intermdiaire d'un journaliste, Joly, cagoulard qui critun livre bien dnomm, Contre-Rvolution, o il explique que pour viter la Rvolution, ilfaut prendre les devants. Le 6 fvrier 1956, Alger, lors de la journe des "tomates" o leprsident du Conseil, Guy Mollet, est agress, Joly rencontre un des meutiers que nousconnaissons bien, Robert Martel, qui il prsente Grand O et qui il propose de rencontrerGrand V, alias Dr Martin. Et c'est ainsi que Martin transmettra Martel toutes lesinformations du rseau clandestin. Martel, crois illumin nous l'avons vu, est un leader et, ce titre, futur responsable de la prise du Gouvernement Gnral Alger, le 13 mai 1958.

    B. L'ESPRIT DE CROISADE

    Avec la guerre d'Algrie, une fois encore, le phnix de l'extrme-droite catholique renatde ses cendres. En fait, depuis 1940 et la rvolution nationale de Ptain, le brasier ne fut

    jamais rellement teint. On peut se demander ce que le catholicisme vient faire dans ceconflit colonial. Dans un pays musulman de surcrot. La rponse est assez simple. Ainsi lit-on

    15BROMBERGER, page 80 et suivantes, BOURDREL, page 335 et suivantes.16 "Incarnation de l'extrme-droite ractionnaire, anti-parlementaire, favorable un Etat autoritaire

    l'conomie corporatiste".DE LA GORCE, page 603.17 Voie de fait qui rappelle la gifle flanque A. Briand, par un militant d'Action franaise, en 1910. MaisBriand tait ministre en exercice. Ces agressions physiques sont aussi des agressions contre la Rpublique.

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    dans la Pense catholique du deuxime trimestre 1958: "Le combat de ce jour est le combatde la Croix contre le Croissant, jet sur la ligne de feu par le matre de l'toile rouge, de la

    faucille et du marteau", on largit simplement le cercle des ennemis.C'est l le point de vue d'une minorit substantielle. Les catholiques sont vivement

    interrogs par la guerre d'Algrie. Mgr Duval, archevque d'Alger, donne le la. Il condamne

    l'utilisation de la torture. Et fort heureusement, il ne sera pas le seul membre de l'Eglise lefaire. Mais, l'extrme-droite, il en va autrement. Certains, y compris ceux qui se disentcatholiques, pensent qu'il faut garder l'Algrie la France par tous les moyens.

    Les intgristes

    Dans un article de la revue Esprit, paru en novembre 1959, Madeleine Garrigou-Lagrange dresse la liste des groupes intgristes qui laboreront une doctrine de guerre, decroisade, auxquels on appliquera l'appellation de national-catholiques. Pour la dfinition del'intgrisme, il y a des dbats d'experts qui dissuadent le nophyte en thologie. J'en ai trouvune qui a l'immense mrite de la simplicit et de la clart18. "Pour rsister et vaincre leserreurs ou les hrsies quelles qu'elles soient, il n'y a qu'un moyen pour le chrtien : il faut

    qu'il reste lui-mme, c'est--dire intgralement catholique. Ds qu'il accepte la moindremodification la religion que Notre Seigneur est venu apporter lui-mme et qu'il a confie l'Eglise dont il est le fondateur, le catholique est perdu". Ainsi s'exprime Pierre Lemaire quiest, nous dit M. Garrigou-Lagrange, l'un des rares catholiques d'extrme-droite revendiquerla qualit de "catholique intgral". C'est dans le n1 de la revue Dfense du Foyerqui parat,au mois de mars 1958, qu'il fait profession de cette rigueur qui est ses yeux synonyme de

    fidlit. Cet intgrisme conduit des prises de positions politiques dont seuls ces gens-l ontle secret de l'explication. Ces radicaux de l'intgrisme vont jusqu' appeler voter "non" aurfrendum de septembre 1958 sur la constitution de la V rpublique. Il y est crit, en effet,que la France est une rpublique laque. Il y a l, un outrage au Seigneur, un reniementblasphmatoire, car c'est Satan qui rgne lorsque le Christ nergne pas, bref, l'adoption de lanouvelle constitution laque () entranerait cette fois, nous n'en pouvons douter, LA MORT

    DE LA FRANCE"19.Voil qui donne une petite ide des gens auxquels on a faire.M. Garrigou-Lagrange numre ainsi successivement les hommes de la revueDfense du

    foyer, ceux de la revue Pense catholique, trs proches des adhrents de la Cit catholiquequiont une revue-sur Verbe,elle nous prsente le Centre d'tudes suprieures de psychologiesociale(CESPS) anim par Georges Sauge, les Amis de Jeanne d'Arc prsids par le gnralWeygand, aussi Jean Madiran fondateur de la revue Itinraires ou encore les dirigeants del'homme nouveau. M. Garrigou-Lagrange oublie semble-t-il le rle de l'abb Georges deNantes et sa revue Ordre franais, ainsi que "le petit bulletin pamphltaire Ractions

    spcialis dans l'agression contre Tmoignage chrtien, La Croix, La Vie catholique et lesInformations catholiques internationales"20. Elle oublie galement le mouvementContrervolutionau sein duquel s'illustre Robert Martel un des assaillants victorieux du palaisdu gouvernement gnral (GG) le 13 mai 1958.

    A tous ces mouvements souvent groupusculaires, on peut appliquer la dfinition de laCit catholique qui conoit sa stratgie comme celle d'un mouvement "spcialis dans le

    formation d'une lite pour la contre-rvolution par le rayonnement capillaire de la doctrine",capillarit qui est synonyme d'infiltration, particulirement dans les rangs de l'arme et plus

    18On se souvient aussi du chapitre "Vive la tombe !".19M. GARRIGOU-LAGRANGE, pages 516 et 534.

    20J. MAILLARD DE LA MORANDAIS, "L'honneur est sauf", page 355.

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    encore au sein des bureaux d'Action psychologique de cette dernire.Le point commun : l'ordre naturel

    Ces diffrentes obdiences ne sont pas d'accord sur tout. On devine que l'on a l la basede l'opposition au concile Vatican II, mais n'anticipons pas. Il est possible de dire que leurtronc commun est la doctrine de l'Ordre naturel, du Bien commun, menac par des forces

    diaboliques. L'Ordre naturel est celui du Bien commun de la communaut universelle, c'est--dire Dieu qui est le bien universel transcendant et la Cration qui est le bien universelimmanent. Le dsordre est venu avec la Rvolution de 1789 dont tous pensent avec Joseph deMaistre qu'elle est "la pureimpuret" parce qu'elle fut comme l'a dit un autre de leurs matres penser, Albert de Mun, "une rvolte contre Dieu". La rvolution de 1917 n'est qu'uneconsquence -aussi dtestable cela va sans dire- de 1789.

    La revue Verbeorgane de la Cit catholique, se prsente clairement comme l'"organe deformation civique pour la contre-rvolution". Et chaque numro parat avec ces formulesemblmatiques empruntes au comte Albert de Mun21 : "la Rvolution est une doctrine qui

    prtend fonder la socit sur la volont de l'homme, au lieu de la fonder sur la volont de

    Dieu. (). Le reste n'est rien, ou plutt tout dcoule de l, de cette rvolte orgueilleuse, d'oest sorti l'Etat moderne, l'Etat qui a pris la place de tout, qui est devenu dieu et que nousrefusons a adorer. (). La contre-Rvolution, c'est le principe contraire, c'est la doctrine qui

    fait reposer la socit sur la loi chrtienne".Les ennemis du nouveau crois sont ds lors tout trouvs : "si l'on peut parler d'actes qui

    sont toujours mauvais, intrinsquement pervers, c'est que l'on a en vue les actes quis'opposent directement au Souverain Bien lequel ne peut tre sacrifi aucun autre. Dans cesens, il y a un seul acte intrinsquement pervers, sous un double aspect : en ce qu'il s'opposeau Souverain Bien transcendant, il s'appelle l'athisme ou haine de Dieu ; en ce qu'il s'opposeau Souverain Bien immanent, il s'appelle la Rvolution ou subversion de l'ordre naturel"22.

    Tout cela semble nous loigner de la guerre d'Algrie. Il n'en est rien. L'ennemi fellaghan'est qu'un des multiples avatars du communisme rvolutionnaire et athe. L'islamo-marxisme(sic) comme dira Bastien-Thiry lors de son procs, nie Dieu, il veut renverser l'Ordre naturel.Il est subversif. Il est le Mal, le diable. "Non la Rvolution ! Non la guerre subversive ! La

    Rvolution, qu'elle ait le visage des dmocraties occidentales ou des dmocraties populaires,du libralisme ou du socialisme, est un tat de rvolte lucifrienne contre le Crateur poursatisfaire l'orgueil humain.C'est une rbellion rige en principe et en droit sous une formede subversion permanente. Ceci pos, la guerre subversive, dont on parle tant, n'est que larsultante de cette rvolte de l'homme, mais une rsultante codifie dans un but prcis : servirle monde matrialiste et, par l, le messianisme. La guerre subversive n'est qu'une mthodemise au point pour dtruire l'homme-crature de Dieu au profit de l'Homme-crature de

    l'homme. Pour ce faire,elle tend briser la socit divine en la personne de l'Eglise et lasocit civile en ses cadres naturels" crivent R. Martel et ses amis23. Filiation manifeste.

    Tout cela repose sur le postulat que le F.L.N. algrien est un parti "marxiste". Mais pournos intgristes, ce n'est pas un postulat, c'est une affirmation. Non prouve, mais peu importe.Comme disait Barrs, "je n'en sais rien, mais j'en suis sr !". Madeleine Garrigou-Lagrangeraconte une conversation : "Comment ! N'avez-vous pas compris, me disait rcemment unAmi de Jeanne d'Arc, que si les communistes ont choisi l'Algrie comme champ de bataille,c'est dans l'intention d'encercler Rome! Si le Vatican se trouvait New-York, la guerre serait

    21Discours la Chambre des Dputs Novembre 1878 et discours la 3 Assemble Gnrale des membres du

    Cercle Catholique, 22 mai 1875. voir "Sauver Rome et la France"22CORNELIUS, Verbe, n91, page 63.23R. MARTEL, page 629.

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    la Martinique ! Et l'Indochine ? ai-je demand, toujours naveNe savez-vous donc pasqu'il s'agissait de dtruire les jeunes chrtients ?"24. Autre exemple : Marcel Lefebvre,archevque, futur schismatique, dclare lors d'une confrence (1957) laquelle participe le

    jeune sminariste Maillard de la Morandais "que l'Islam n'tait pas un rempart contre lecommunisme mais qu'il en tait plutt le canal". Et pourquoi cette bizarrerie ? L'intgriste

    Lefebvre le sait mieux que quiconque et dit n'importe quoi : "nous assistons en ce moment une drligiosit de l'Islam (sic) au profit de sa politisation () les vieilles religions meurent,viendra un temps o seuls s'affronteront le marxisme et le christianisme"25. Quelle lucidit !

    Georges Sauge

    Sauge se prsente comme "LE" spcialiste du communisme au prtexte qu'il auraitadhr au PCF quelque temps. Puis, une soi-disant conversion l'a guid vers la mission decroisade contre la guerre rvolutionnaire. Son moyen d'action principal est la confrence.

    Son livre "Echec au communisme" est bourr d'imprcisions et d'erreurs. Dans unparagraphe consacr Marx (pp.26-27), Sauge crit : "Marx nous explique que le faitreligieux est la racine de tous les maux de l'humanit et de l'exploitation de l'homme par

    l'homme". C'est faux. Marx pourrait la limite soutenir que "l'exploitation de l'homme parl'homme est la racine de tous les maux de l'humanit" mais ce n'est aucunement le faitreligieux qui est la cause de cette exploitation, il en serait plutt la consquence. Ce qui estradicalement diffrent. Sauge prte Marx une dmarche anti-marxiste. Ce serait une ide, uncorpus d'ides (le fait religieux) qui aurait cr un fait matriel : les modes de productionconomiques fonds sur l'exploitation. L'ide crant la matire ! Alors que l'ABC dumatrialisme historique est que l'ide nat de la matire. Sauge est un escroc. Hlas ! Il fait untabac chez les officiers.

    Voici un extrait du livre que Sauge utilisera systmatiquement dans ses confrences :"Dans les coles du Parti, il existe gauche et droite de l'amphithtre deux grands

    panneaux muraux qui illustrent et rsument excellemment la doctrine fondamentale descommunistes du monde entier. (). Le tableau de gauche reprsente la silhouette d'un hommed'un poids moyen de 80 Kg dcompose en un certain nombre d'lments qui constituent lecorps humain (759 si mes souvenirs sont exacts) : eau, fer, phosphore, carbone, etc. Letout reprsente un total de 80 Kg. (). En dehors de ces 80 Kg, matire pensante comprise, iln'existe rien, absolument rien (). Et le tableau de droite tire la consquence implacable,rigoureuse et monstrueusement logique de la doctrine esquisse sur le tableau de gauche. Cesont des phrases galement lapidaires : la conscience et la morale, combien a pse ? Lasouffrance et le remords, combien a pse ? Le mensonge et la vrit, combien a pse ? Ledroit et l'honneur, combien a pse ? Et Dieu, combien a pse ? Le Tout = zro gramme"26.Madeleine Garrigou-Lagrange qui a assist l'une de ces confrences nous fait part de la

    raction du public avec un clin d'il : "murmure d'horreur travers l'auditoire ptrifi"27.Et Sauge qui prend dlibrment ses interlocuteurs ou lecteurs pour des imbciles

    conclut : "pour les communistes, les hommes ne sont que des agrgats de quatre-vingt kilos.Ils ne peuvent parler de fraternit, (encore une sottise qui montre qu'il n'a jamais adhr auparti communiste) car pour tre frres il faut avoir un mme pre : Dieu. C'est l un hiatusinfranchissable entre la conception de l'homme communiste fond sur la matire et del'homme chrtien fond sur Dieu" (p.42).

    24M. GARRIGOU-LAGRANGE, page 537.25

    MAILLARD DE LA MORANDAIS, page 81.26G. SAUGE, pp. 21-22.27Page 542.

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    Ne pas croire qu'il s'adresse uniquement des dbiles ou des "paras" de Massu. MM.Fauvet et Planchais, dont l'information est le mtier, nous affirment : "M. Georges Sauge,directeur du Centre d'tudes suprieures de psychologie sociale, a pu faire des confrencesdans toutes les grandes coles militaires, de Polytechnique Cotquidan, sans contrepartie nicontradiction. Il a pu discourir loisir sur l'Arme face la guerre psychologique devant

    le gnral Jouhaud et sa confrence a t reproduite par La Saint-cyrienne et le bulletinRhin-Danube"28. Sauge parle l'Ecole de guerre et Saumur. Il fait des tournes en Algrie.Son discours "descend" jusqu'au niveau des units combattantes du bled29.

    Parmi toutes ces officines intgristes, il en est une qui semble avoir jou un rle plusgrand que les autres.

    La Cit catholique

    C'est la "Cit catholique", que les adeptes d'aujourd'hui prsentent ainsi : uvre fondeaprs la seconde guerre mondiale par Jean Ousset dont le but tait de susciter une lited'hommes vous la restauration d'une France chrtienne30. Elite, restauration, Francechrtienne : pas de doute, ce sont eux. Pour avoir une ide de l'impact de la Cit sur les cadres

    de l'arme franaise, on peut dire que, son congrs de 1959, on pouvait rencontrer lemarchal Juin, les gnraux Weygand, Chassin, Touzet du Vigier, Frmiot, les amirauxAuphan et de Penfentenyo31.

    Rapide historique. Le Sminaire pontifical franais de Rome fut dirig de 1904 1927par le R.P. Henri Le Floch32qui en fit une ppinire d'intgristes maurrassiens au point qu'ilfut limog en 1927, lors de la rupture entre l'Action franaise et le Vatican. Les ouailles de LeFloch constiturent l'armature de la revue La Pense catholiquedont Verbe dit qu'il faut "lalire et la faire lire". Maurras fut donc un matre penser : " Ce sont moins les erreurs ou lesinsuffisances de Charles Maurras qui ont le don d'exasprer que ce pour quoi il mrite

    prcisment d'tre lou : son inlassable combat contre les poisons les plus pernicieux del'esprit rvolutionnaire et cette partie de son uvre qui concide en tout point avec le plus purenseignement de l'Eglise" peut-on lire dans Verbe, n47bis.

    Il y eut ensuite le dramatique pisode de Vichy. Les membres de la Cit on l'auradevin- taient d'ardents ptainistes. Le fondateur, Jean Ousset, publia deux ouvrages en 1943et 1944, avant de fonder sa revue Verbe, en 1946, ainsi que le "Centre d'tudes critiques et desynthse" qui prendra l'appellation de Cit catholique en 1949. Michel Creuzet, un desdirigeants de la Cit dclara, le 10 septembre 1949, au cours d'une runion : "Depuis cinq ansnous souffrons. Depuis cinq ans nous gmissons sous la tyrannie la plus odieuse qui soit ;celle du nombre, celle de l'anonymat, du papier administratif et de l'esprit libral, dans cequ'il prsente de plus curant. Depuis cinq ans, nous souffrons dans la chair de nos frres

    parce que des jeunes gens de notre ge expient le crime d'avoir servi la France avec un

    dsintressement qui n'est plus la mode".33Rfrences intressantes : le rejet du "papieradministratif", c'est l'anarchisme bonaldien ; le "nombre, l'anonymat", c'est l'litisme deMaurras et de l'Action franaise ddaigneuse du suffrage universel. la mort de Ptain, en1950, la Cit catholiquedclare: "l'uvre (du marchal), en dpit des secousses effroyablesque lui ont fait subir les circonstances impossibles o il a t contraint de l'entreprendre, ne

    28"La fronde des gnraux", page 66.29Ugo IANNUCCI, journal de guerre, page 36.30Site internet de Civitas pour une Cit catholique.31 En 2004, le Front national prsentait une dame De Penfentenyo, aux lgislatives, dans le Rhne et un de

    Penfentenyo tait responsable ditorial de la revue Civitas pour une Cit catholique.32Ami du sinistre cardinal Benigni, de la sodalit Pie V. Voir " Vive la tombe".33Revue Verbe, n 26-27-28. Cit par J. MAITRE, p.115 n. Ide reprise par Bastien-Thiry lors de son procs.

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    prira pas. Elle nous apparat comme un signe d'encouragement et d'irrsistible esprance".Mais le ptainisme tait une poque bnie pour ces agits. Marius Leblond n'crit-il pas dansun livre tout ce qu'il y a d'officiel, en 1941, "l'univers risquerait de courir une pouvantable

    faillite s'il ne comprenait pas la ncessit d'une Paix totalitairement chrtienne ()". On abien lu : "totalitairement chrtienne"34. La leon a t retenue.

    La Cit catholiqueest une organisation qui n'a rien envier ses devancires. Je veuxdire les Chevaliers de la foiou la Cagoule et les autres. Surtout au plan organisationnel. On yretrouve "la mme proccupation du secret, vritable leitmotivdes consignes publies"35parles dirigeants. On y retrouve la mme fascination pour l'organisation ennemie incarnation duMal. On se souvient que les Chevaliers et la Cagoule ont dlibrment imit la Franc-maonnerie, la Cit catholique, elle, imite le Parti communiste. "L'lment de base del'organisation est la cellule". Les cellules sont regroupes gographiquement. Tout esthirarchis. Un militant de la Cit, le capitaine de Cathelineau, explique quel doit tre le rled'un "animateur en unit oprationnelle"36. Les rglements militaires interdisant lesassociations secrtes au sein de l'arme, l'officier qui y organise une cellule ne doit agir que

    par personne interpose. La Compagnie du Saint-Sacrement oprait, on s'en souvient, de lamme faon. Jacques Matre crit : "la Cit catholique s'inspire des structures que revt unparti communiste clandestin"37. Enfin, mme volont d'adopter ce que l'on croit tre lesmthodes et les vises de l'ennemi, volont visible chez une organisation voisine de la Cit, leCentre d'tudes de Sauge : "pour rpondre l'agressivit matrialiste, qui ruine et sapeimplacablement tout ce qui est d'origine divine, il faut () un systme ayant, sur le plan du

    Bien, les mmes exigences et la mme technique que la dialectique du Mal" crivent ces bonsaptres. Le fondateur de la Congrgation de Lyon, autre intgriste, disait dj mais c'taitcent cinquante ans auparavant- qu'il fallait former une "sainte-liguepour le Bien, comme lesmchants avaient formune ligue infernale pour le Mal"38.

    La Citva donc "travailler" l'institution militaire et le "thtre", c'est--dire l on l'on sebat. Car, n'en doutons pas, le pays, la France est en croisade. Contre qui ? A la fois, contrel'islam et le communisme. Les activistes n'hsiteront pas parler des "marxistes du F.L.N.",syncrtisme qui rassemble tout et d'une stupidit leve.

    Quant aux fins dernires poursuivies par la Citet autres catholiques d'extrme-droite, cette poque, J. Matre note que l'idal social "valorise la proprit foncire et l'artisanat"39et que sont anathmiss ceux qui vivent de transactions financires. Autrement dit, c'est bienla nostalgie d'une France du pass. Agricole et terrienne, artisanale, anti-capitaliste et anti-librale. Rien de bien nouveau. Mais cette nostalgie ractionnaire se heurte frontalement augaullisme qui met en uvre une politique de modernisation des structures, tout faitfavorable aux grandes entreprises, surtout au moment de l'entre dans la concurrence du

    March commun. Ce qui amne J. Matre parler "(du) trait le plus fondamental ducatholicisme d'extrme-droite (qui) est le dcalage qui fait de ce courant un lment dphas

    par rapport l'intgration bourgeoise de la socit franaise". Et, pour conclure, voquant lasociologie de l'intgrisme : "qu'il s'agisse de situations locales avec un arrire-fond historique(chouannerie), de genres de vie (certains monastres), de formes d'organisation et d'action

    34France 1941, "la rvolution nationale constructive, un bilan et un programme", page 162.35J. MAITRE, "Le catholicisme d'extrme-droite et la croisade anti-subversive", 1961, page 112. Les lignes quisuivent doivent beaucoup cet article.36Capitaine de Cathelineau, "Le rle d'un animateur en unit oprationnelle", Verbe, aot-septembre 1957.37

    J. MAITRE, page 112.38Chapitre "Les Chevaliers de la Foi". La ligue infernale, c'est la Franc-maonnerie.39J. MAITRE, article cit, page 117.

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    (associations pieuses de type traditionnel), de groupes souds par des drames collectifs("Action franaise", fidles de Vichy, officiers "activistes"), nous avons la base sociale d'unestratgie et d'une sub-culture d'opposition". Et cela au moment o De Gaulle "lche"l'Algrie. Double opposition qui conduira certains jusqu'aux attentats terroristes contre le chefde l'Etat. Nous retrouverons tout cela dans le chapitre suivant.

    Le tmoignage d'Alain Maillard de la Morandais illustre cette allure passiste de la Citcatholique. "A Nantes, je dcouvre au dtour d'une conversation avec ma mre que celle-ci a

    fait partie pendant l'anne d'un groupe d'tudes de la Cit catholique (il s'agitvraisemblablement d'une "cellule", JPR) : il en ressort que ses membres sont issus du"meilleur monde" de l'aristocratie locale, complte par quelques officiers de marine et leurspouses et que son travail, qui se veut d'un certain niveau intellectuel, ne sort gure desrfrences pontificales interprtes de la manire la plus stricte. La revue nationale s'appelleVerbe... Tout cela m'a paru born ! fut sa seule conclusion, si bien que je n'attache pasd'importance cet pisode"40.Pourtant, les chiffres officiels donns par la Citelle-mmeamnent nuancer cette affirmation. En 1957-1958, les cellules de la Cit taient cres

    raison de 17,5% parmi les cadres de l'industrie et du commerce, (c'est le pourcentage le pluslev, et de loin), 6% chez les professions librales (notaires, architectes, avocats), 4% chezles mdecins et 7,5% chez les artisans et commerants. Les autres catgories ne sont passociologiquement connotes comme les "jeunes" (14%) ou les "ruraux" (9,5%). La Citcredes cellules parmi les "Dames" (sic) -10%- une poque o le parti communiste organisaitlui, les "femmes" franaises (U.F.F.). Est-ce que cette dnomination veut signifier des femmesde la bonne bourgeoisie ou de l'aristocratie, comme la mre de Maillard de la Morandais ?C'est probable. Une chose est sre : les cellules ouvrires de la Citne reprsentent que 3% dunombre total. Si l'on ajoute les 3,5% de cellules militaires chez les officiers "cible"privilgie de ces aptres du Christ-Roi- on peut dire que les classes dirigeantes, les milieuxsociaux d'o provient l'lectorat du parti d'Antoine Pinay, les Indpendants et Paysans, sontsurreprsents41. Ce parti des I&P. incarne bien, la faon de J. Bardoux nagure, unetendance franaise la fois ruraliste et passiste et aussi tourne vers les affaires. La scissionde 1962, o V. Giscard d'Estaing choisira l'avenir avec les Rpublicains indpendants- alorsque le vieille maison C.N.I.P. priclitera dans une attitude conservatrice et mmeractionnaire, prparant le terrain au Front National, cette scission donc est illustrative.

    Je suis pass insensiblement de la Cit au parti des I&P. mais on a vu que des figuresminentes de ce parti en taient membres, il y a une incontestable porosit rciproque.

    Les militants de la Citn'hsitent pas aller au bout de leur dmarche, trs maurassienneen ce sens, celle du nationalisme intgral, dont la ncessit intrieure conduit au ROI. Ainsi lancessit du rtablissement de la monarchie, n'est pas selon les boutefeux de la Cit, une

    vrit d'ordre ecclsiastiquemais une vrit "d'ordre naturel". Que la monarchie, considreen elle-mme et dans ses caractres essentiels, soit le meilleur de tous les gouvernements,ainsi que n'ont pas hsit le proclamer, avec tant d'autres, Saint Thomas et Pie V, cela onn'est pas libre de le contester. La Cit catholique retrouve les accents de Veuillot et deMaurras pour lesquels, on s'en souvient, la "libre pense" n'tait que foutaise. Seule est libre lapense de Dieu dans la conscience du croyant. Le rejet de la Rpublique est induit dans cettencessit de la Monarchie. "La rpublique est le rgne de l'tranger, du mtque". C'est duMaurras mot mot. Pour ces catholiques aussi, on voit que Dieu est amour

    Le thme de la croisade

    40MAILLARD DE LA MORANDAIS, page 63, anne 1956.41Verbe, numro 92, anne 1958, page 93.

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    Avec la Guerre froide et la lutte des peuples coloniss, arrive ce qui est l'vidence pourles adhrents de la Cit : la subversion de l'Ordre naturel, le dmon se prsentant sous laforme du militant communiste ou du fellaga algrien. La grandeur de la France dans le passtait due l'ordre social chrtien tout autant qu'au culte de la Patrie, il faut donc mener unenouvelle croisade pour refouler la subversion qui veut dtruire ces ralits, expressions de

    l'Ordre naturel.Croisade ! On a vu, nagure, avant 1914, des chrtiens trs (trop) l'aise dans l'idologie

    la plus belliqueuse. Un Psichari dclarer sa maman "je pars cette guerre comme lacroisade". On a vu cette tradition entretenue par des Mayol de Lup, vicomte et prtre, qui apris got la guerre, qui rempile dans la "coloniale" et rejoint, ds 1919, l'arme d'Orient pourterminer comme aumnier de la Lgion des Volontaires Franais contre le Bolchevisme, en1941, puis avec l'uniforme allemand. En avril 1957, en pleine guerre d'Algrie donc, les

    Nouvelles de chrtient crivent : "le dernier Roi Trs Chrtien a t renvers par laRvolution au lendemain mme d'une vritable croisade". Allusion la conqute de l'Algrieen 1830. Le numro 86 de Verbe, publi en 1957, comporte un article de Mgr Bressolles

    exaltant "l'actualit de l'esprit de croisade". L'illustre Sauge, quant lui, fait appel l'arme :"quels furent" confie-t-il M. Garrigou-Lagrange, "quels furent le rle et la mission del'arme au cours de l'histoire ? () je ne m'attache qu' l'arme relevant d'un pays dechrtient. Or le rle de cette institution fut toujours de prserver par les armes autrementdit par la force le patrimoine commun dans ses structures temporelles et dans son difice spirituel, de prserver, par consquent, ce qui est la raison de vivre des citoyens. Ces valeursessentielles qui lui sont confies, valeurs suprieures parfois l'intrt des individus, l'armedoit tout faire pour les protger"42.

    Robert Martel et la Contrervolution qui ddient leur livre au plus illustre des croiss Saint Louis- nous disent ce qu'est l'esprit de croisade : "Qu'est-ce que l'Esprit de Croisade,sinon l'Amour de Dieu pour le bien de l'Humanit ? Il s'agit () d'un Amour viril ncessitantdes sacrifices. Le Cur de l'Amour et la Croix du Sacrifice43 : voil l'ESPRIT DECROISADE. (). Dans ces conditions, seule la Contrervolution apporte la solution nosmalheurs. Parce qu'elle a dfini son combat, parce que sa doctrine lui permet de dceler tousles piges, parce qu'elle a le courage de les dnoncer, parce qu'elle plie les genoux devant

    Dieu, elle a le droit et le devoir d'en appeler l'Arme afin de la soustraire la confusiondont elle est la victime, de lui montrer la route et de tirer les armes avec elle contre lesadversaires du Crateur, ngateurs de l'Ordre naturel et semeurs de guerre civile.() Qu'unchef naturel, anim par l'esprit de croisade, brandissant le glaive et le Verbe de Dieu, appuy

    par une unit militaire, parte d'un point prcis pour reconqurir le territoire mtre parmtre44et reconvertir les valeurs me par me, il verra le monde formidable des curs et

    des dsesprs briser ses chanes et monter vers lui. C'est toi, Arme Franaise, de susciterce chef, de faire clore l'lan qui rtablira l'Ordre naturel de Dieu. Que tu le veuilles ou non,c'est la mission d'honneur qui t'incombe aujourd'hui. Tu ne peux plus baisser les yeux dehonte, tu n'as plus le droit d'avoir mauvaise conscience, tu ne peux plus faillir. Le MONDEENTIER t'attend"45. En 1959, on verra cet activiste du 13 mai 1958, R. Martel, dnoncer lapolitique algrienne de De Gaulle et dclarer : "si nous devons attendre un miracle, c'est de

    Dieu seul qu'il peut venir, et c'est sous le signe de la foi, que moi, Martel, chef d'une nouvelle

    42Article cit, page 527.43

    On aura reconnu le signe de ralliement des Cordiculteurs, le signe des Chouans de Vende44"Comme a fait Franco en partant des colonies espagnoles" (sic) crit Mouton pour Martel, page 171.45R. MARTEL, "l'esprit de Croisade", page 630-631. C'est lui qui souligne.

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    croisade, je me place". Fanatisme meurtrier.Emprunts Maurras donc mais avec une nuance. Maurras, c'tait politique d'abord !

    Autrement dit, la religion et l'Eglise au service de la monarchie et de l'ordre socialcorporatiste. Avec la Citc'est l'inverse. C'est religion d'abord ! La guerre anti-subversive quiest mener contre les communistes et les musulmans doit devenir le bras arm de Dieu, l'outil

    des vrais chrtiens d'Occident, de la cit catholique. Ce sont les papes qui imposrent lacroisade aux rois et empereurs. C'est le pape (1243-1254) Innocent IV qui dcidal'instauration de la torture dans l'Inquisition46avec la bulle Ad extirpenda. Le "catholicismeintgral" veut, par sa nature mme, tendre le pouvoir ecclsiastique tous les domaines de lavie collective et individuelle, pour que la contrainte inconditionnelle tatique devienne le brassculier de l'Eglise. (). Les principes poss drivent de la notion "d'ordre naturel" : "la plushaute vertu dans l'ordre naturel est celle qui tend maintenir ou restaurer cet ordre dans lessocits humaines (...)". En corrlat, "le crime le plus grave dans le domaine des chosesnaturelles est celui qui tend l'anantissement, au renversement complet, la subversion decet ordre. Ce crime s'est lui-mme donn un nom, celui de Rvolution"47. Cela s'applique

    absolument la guerre d'Algrie, avec une consquence essentielle : refuser de dnoncer lesagents de la subversion est une faute si grande qu'il est normal de rprimer celle-ci eninfligeant au coupable des souffrances physiques et .morales. C'est ce que certains appellerontla "torture pnale". On va y venir.

    En cas de conflit entre l'Etat et l'Arme propos de l'action contre-rvolutionnaire, "leconflit doit tre tranch en faveur des forces de l'ordre", qui promeuvent "le bien commununiversel, plus lev et plus tendu" que le bien dfendu par l'Etat.

    C. L'ESPRIT DE TORTURE

    Dans sa masse, l'arme franaise48est toute prte recevoir ce message sur la dfense dela civilisation chrtienne occidentale. En pleine Guerre froide, beaucoup de ses chefstransforment le moindre conflit colonial en conflit Ouest-Est. Et elle veut russir en Algrie cequ'elle a chou en Indochine : la guerre psychologique. Cette fusion intellectuelle entreintgristes et activistes de l'arme s'effectue sur quelles bases ?

    La Cit catholiqueet de faon gnrale la tendance politique qu'elle reprsente- est ned'une rencontre. Une rencontre entre deux ncessits. Celle des intgristes et celle desmilitaires activistes. D'un ct, les intgristes ont besoin d'un point d'appui. Dans les annes1950 en effet, l'Eglise de Rome n'est plus tout fait l'outil qu'ils peuvent utiliser. Outre lacondamnation de l'Action franaise, la papaut joue, par exemple, la carte de l'unioneuropenne. Le nationalisme intgral n'est plus l'ordre du jour. "Les orientations centristes

    (on pense au M.R.P., JPR) deviennent dominantes dans la presse et les organisationscatholiques franaises" (J. Matre). Bref, on volue, on le saura par la suite, vers le concileVatican II. Evolution que condamnent les intgristes. Quel peut tre, alors, le bras sculier dela seule vraie religion ?

    D'un autre ct, les militaires, en Algrie, ont besoin de justifier leur guerre. Face auxguerres de libration nationale des peuples coloniss, face aux guerres rvolutionnaires descommunistes, il faut une justification idologique la bataille d'Alger, par exemple. Au nom

    46J. LE GOFF, L'Histoire, numro 289, juillet-aot 2004, page 11.47Verbe, n90, 91 et 92, repris dans Contacts, priodique de la X rgion militaire (Alger). J. MAITRE, (p109).

    48 Je n'ignore pas les dangers d'une telle gnralisation. Des militaires ont sauv l'honneur du drapeau (LaBollardire, Billotte) ou encore le lieutenant Maillard de la Morandais dont je vais utiliser le tmoignage"L'honneur est sauf".

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    de quoi fait-on cela ? Le capitaine de Cathelineau, membre de la Cit, rpond : "L'Actionpsychologique dans l'arme est l'ordre du jour. Son but essentiel est d'opposer la foimarxiste une foi nationale. Or, il est devenu vident qu'il n'y a de fondement srieux cette

    foi nationale que dans un patriotisme authentique, prenant racine la lumire des doctrinesde l'Eglise. La Cit catholique n'a pas d'autre but que de rayonner cette lumire. Elle est,

    pour les cadres de notre Arme et de notre Jeunesse, l'instrument providentiel qui ouvre notre volont toutes les esprances..."49Ajoutons cela que les militaires techniciens de la"guerrepsychologique" seront une des cibles privilgies des militants de la Cit.

    Les services de l'Action psychologique de l'Arme franaise en Algrie serontl'expression concrte, matrielle de l'esprit militant de la Cit catholique. L'pe du Crois.

    La guerre psychologique

    "Les cours par correspondance des Officiers de Rserve tant presque exclusivementconsacrs en 1957 l'tude de la guerre subversive, il a t dcid de diffuser, chaqueofficier de rserve inscrit aux cours par correspondance, une notice succincte sur la Dfense

    Intrieure du Territoire et la guerre Psychologique". C'est ce document que j'ai sous les yeux.

    Franois Gr, spcialiste d'analyse stratgique, prsente ainsi la guerre psychologique :"la contrainte sur le psychisme dautrui est au cur de lacte de guerre. La violence armesexerce pour faire plier la volont de rsistance adverse. Ne serait-il donc pas prfrabledobtenir ce rsultat par la manipulation des esprits : sduction, propagande, intimidation,chantage, tromperie, tratrise, terrorisme ? En fonction des effets produits et des moyensutiliss, ces formes sont classables en catgories fondatrices dune gnalogie de lamanuvre de guerre psychologique : Ulysse (la ruse) et Tamerlan (la terreur). En France,cette tradition stratgique est aujourdhui mconnue. Pourtant il existe une riche exprience.On lira, pour la premire fois, lexpos systmatique de ce que furent, partir de 1947, laconception et la pratique de la guerre psychologique, troitement lies la guerrervolutionnaire en Indochine et en Algrie. La crativit oprationnelle saccompagna deconfusions organisationnelles et doutrances idologiques qui conduisirent ds 1960 ladissolution des 5e Bureaux"50. F. Gr fait ici allusion la dissolution des 5 bureaux par lapouvoir gaulliste aprs la "semaine des barricades" de janvier. Ces administrations taient lerepaire des factieux. De fait, les artisans/partisans de la guerre psychologiquevoulaient toutprix laver l'affront de la dfaite en Indochine. Nous y reviendrons.

    L'cole Lacheroy

    La mise en place des services de "guerre psychologique" dans l'arme trouve ses originesdans un article publi par le gnral Chassin dans la Revue Militaire d'Information en Octobre1954. Pour Chassin, l'arme a dsormais une fonction idologique. Ses ides sont reprises parle gnral Ely qui "partage (sa) conviction que l'arme est la gardienne des valeurs et qu'elle

    doit remplir la fonction de redressement moral de la nation"51. Le 4 octobre 1955 est la datede la cration du CIGP (centre d'instruction de guerre psychologique) et en janvier 1956, lecolonel Charles Lacheroy est nomm au SIAP (service d'information et d'actionpsychologique) et le 23 janvier 56, il est plac la tte du Comit d'action psychologique quivient d'tre cr. L'apport thorique de Lacheroy est "que la guerre d'Algrie s'inscrit dans laguerre froide et (qu') en consquence les nationalistes algriens doivent tre considrs avant

    49Capitaine de Cathelineau, "Le rle d'un animateur en unit oprationnelle", Verbe, aot-septembre 1957, p.122. Cit par J. MAITRE, page 115.50 Prsentation de Franois Gr, La guerre psychologique, coll. Bibliothque stratgique, 1997

    http://www.stratisc.org/pub/pub_francois_gere.htm.51 A.-P. COMOR, "la guerre d'Algrie et la haut commandement jusqu'au 13 mai 1958", Historiens &Gographes, n 388, page 279, col. B.

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    tout comme des agent du communisme international"52. Cette ide reprise la quasiunanimit aura des consquences incommensurables.

    Notons que nous avons l deux activistes de poids. Chassin est membre de la Cagouleressuscite, futur fondateur du MP13, (mouvement populaire du 13 mai 1958, avec R.Martel). Lacheroy sera porte-parole du premier Comit de salut public, nomm par Salan,

    puis comploteur du coup d'Etat d'avril 1961. Le colonel Antoine Argoud, un des chefs del'OAS, organisation terroriste, lui rend hommage dans son livre pro domo "La dcadence,l'imposture, et la tragdie".

    En 1957, le gnral Ely, chef d'tat-major, attirera l'attention de son ministre "sur lamenace de "subversion" pour avancer l'ide qu' "en premire urgence (il convient) derenoncer de manire dfinitive l'ide que l'on peut encore marquer une limite entre lepolitique et le militaire""53.

    En fait, la Guerre psychologique est un aspect de la ligne de conduite qu'adoptent lesmilitaires qui pensent que la politique doit tre soumise l'Etat-major, tout le moins quel'arme puisse agir comme elle le dsire. L'arme ne doit pas tre le bras sculier de la

    politique, elle doit tre aussi la tte pensante. Si l'on dfinit le militarisme comme unepolitique sous influence de l'institution militaire, il y a bien l, militarisme. C'est le sort de laFrance jusqu' la dfaite des militaires au dbut des annes 60'.

    Militarisme de ce ct, clricalisme de l'autre, le tout ralisant une unit organique ausein des cellules de la Cit catholique : la menace d'un rgime autoritaro-clrical, pourreprendre l'expression de Paxton, planait sur la France durant la guerre d'Algrie.

    Enlever l'eau au poisson

    Dans le document officiel que j'ai dj voqu il mane du 3 bureau de l'tat-major del'Arme- on peut lire les analyses suivantes.

    La Guerre psychologique n'est qu'une partie de la guerre totale qu'il faut livrer l'ennemipublic n1 : le communisme, l'U.R.S.S.. La rbellion algrienne n'est qu'un avatar de cetennemi (p34). La Guerre psychologique traduit l'acceptation du manichisme amricainconcernant l'analyse de la guerre froide. D'ailleurs, le confrencier adopte une dfinitionamricaine (p33). Influence Lacheroy manifeste.

    Ensuite, les officiers chargs de la Guerre psychologique ont deux cibles : la troupe et lapopulation dont le contrle est l'enjeu militaire avec la gurilla. D'abord la troupe : "L'arme,dit-on quelquefois, n'a pas besoin de savoir ni pourquoi, ni comment, elle n'a qu' excuter.En supposant que ceci ait t un jour vrai, ce dont je doute, ce n'est certainement pas vraimaintenant ; pour tre en mesure d'excuter, une arme a besoin de savoir, de comprendre etd'avoir foi" (36). Il y a l une donne fondamentale qui se traduit en quelques mots : in fine,l'arme en Algrie doit partager les objectifs de la Guerre froide telle qu'elle est conue en

    Occident. Le militaire est un militant. Puis les populations : "Le second aspect de la missiondes organismes psychologiques est l'action sur les adversaires immdiats de cette arme, ceuxqui s'opposent elle les armes la main ou mme ceux qui sont susceptibles de s'opposer elle, en leur montrant que leur cause est injuste et qu'elle est voue au dsastre. La tche estbien plus difficile. Dmontrer aux Algriens que leur lutte pour l'indpendance est "injuste"va demander beaucoup de savoir-faire ! Surtout aprs la confrence de Bandung (1955) etl'indpendance du Maroc et de la Tunisie. Mais cette confrence n'est-elle pas qu'un reflet dela propre guerre psychologiquemene par l'ennemi ?

    Dans le mme manuel distribu aux officiers de rserve en formation, on peut lire,

    52Idem, page 278.53A.-P. COMOR, article cit, page 279.

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    concernant la D.I.T., dfense intrieure du territoire (l'Algrie fait partie de ce territoire en1956) : "les chefs d'unit doivent toujours avoir l'esprit les principes gnraux suivants : 1)toute gurilla prive du soutien actif des habitants s'effondre. Toute lutte anti-gurilla doit

    par consquent avoir pour objectif non seulement de supprimer ce soutien partout o il existe,mais encore d'obtenir la collaboration troite entre la population et les forces de la D.I.T.

    ()". Il y a certainement l, la plume du gnral Chassin, biographe de Mao-ts-toung, qui sepropose d'imiter son ennemi mais au nom des valeurs de l'Occident, lequel Mao dont onconnat l'aphorisme clbre : "le rvolutionnaire doit tre dans la population comme le

    poisson dans l'eau"- Mao donc disait : "le peuple est l'eau et la gurilla le poisson. Commentle poisson ne survivrait-il pas dans l'eau ? Mais si on l'enlve l'eau ou si la scheresse vient,alors le poisson meurt ou disparat". L'arme d'Algrie doit donc enlever l'eau au poisson.C'est clair comme de l'eau de roche. Si la population arabe coopre avec l'arme coloniale,c'en est fini du F.L.N. algrien. Et les instructions sont donnes pour qu'il en soit ainsi. Et defait, il y aura rassemblement forc de la population civile algrienne dans des camps, isole detout contact avec les fellaghas. Le colonel Trinquier en a fait la thorie : "un primtre

    tanche et infranchissable sera cr, crit-il en parlant des villages contrler, protg parquelques blockhaus arms d'armes automatiques et capables de flanquer la totalit duprimtre. Les habitants des villages les plus proches, ou les isols, seront progressivementramens l'intrieur du primtre de scurit. (). Les habitants ne pourront quitter levillage que par des portes o toutes les sorties seront contrles. ()"54.

    Ainsi, crit P.-M. De La Gorce, "depuis le dbut de la guerre d'Algrie jusqu'en 1959,environ deux millions de Musulmans durent quitter leurs villages et gagner des centres deregroupement o l'autorit militaire esprait les contrler troitement et les priver de toutcontact avec l'adversaire. Cet extraordinaire dplacement de population, qui concerna prsd'un Musulman sur cinq, fut men en vertu des impratifs de scurit ()".

    Une arme de militants

    La brochure donne en consquence des thmes de propagande dvelopper devant lespopulations. Ainsi ce 5 thme intitul "Politique constructive et gnreuse de la France" :

    "Puisque l'Algrie et la France sont aussi troitement solidaires, l'Algrie ne peutmanquer de profiter de tous les progrs raliss en France. D'autre part, la France de 1789et 1848, la France des Droits de l'Homme et de la Libert des Peuples, ne peut faillir sanoble mission universellement reconnue55. Il convient d'exploiter au maximum le prestigequ'a le Peuple de France auprs de la masse algrienne et miser rsolument sur l'espranced'un monde meilleur et la certitude qu'une re nouvelle va s'ouvrir pour l'Algrie.

    a) dans le domaine conomique : Bienfaits dj apports par la France. La Rformeagraire va entrer dans les faits. Programme d'industrialisation de l'Algrie et du Sahara.

    b) dans le domaine social et intellectuel : Amlioration du niveau de vie (augmentationdes salaires agricoles, rforme du Khamessat56). Effort de scolarisation, formation d'une liteintellectuelle. Ascension sociale. L'administration de plus en plus ouverte aux Franais

    Musulmans (Cf. Dcret sur l'accession des Musulmans la Fonction Publique). Crationrcente de Centres Sociaux dans les campagnes. Promotion de la langue arabe. L'arabe vadevenir obligatoire dans les co1es.

    c) domaine politique : L'avenir n'est pas encore nettement trac. Ce qui est certain, c'est

    54Trinquier, "la guerre moderne", cit par DE LA GORCE, page 547.

    55Les rdacteurs de la brochure semblent ignorer que le droit des peuples disposer d'eux-mmes figure aussidans le patrimoine rpublicain.56Forme de contrat de mtayage qui rservait une part lonine au propritaire, de l'ordre de 80% souvent.

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    qu'il apportera une galit complte de race, de religion, de droits civils et politiques 57".Voil dans quelle bataille politique vont s'engager les militaires. Beaucoup vont s'y

    investir moralement et psychologiquement, passant comme un contrat d'honneur avec lespopulations indignes et, en consquence, ne pourront jamais accepter ce qu'ils appellerontune politique "d'abandon". Cet investissement pouss jusqu'au bout de sa logique en amnera

    plusieurs s'engager dans l'O.A.S..Dans la brochure, on parle de la "recherche du renseignement" mais cela reste formul

    d'une manire trs neutre. Aucune allusion ce qui pourrait voquer, de prs ou de loin, latorture ne s'y trouve. Aucune trace crite ne doit figurer nulle part. Mais on a destmoignages.

    La guerre du renseignement

    En aot 1963, au procs du lieutenant Godot, le capitaine Estoup fit la dposition qui vasuivre. Godot avait t saint-cyrien et avait appartenu au 1er rgiment tranger deparachutistes l'tat-major de Massu. Il a dgnr en terroriste de l'O.A.S. et s'tait renducoupable d'une tentative d'assassinat l'hpital du Val-de-Grce contre une personnalit du

    rgime gaulliste et de la mort d'un gendarme. Il fut condamn vingt ans de rclusioncriminelle. Estoup tait lui-mme ancien officier du 1er R.E.P. et avait comparu pour saparticipation au putsch d'avril 1961 devant le tribunal militaire. En 1963, au procs Godot, ilreparaissait en tmoin. "Il ne venait certes pas pour le plaisir de dire que l'arme avaittortur, en Algrie. Son propos tait plus profond. Il s'agissait de montrer les consquencesmorales que ces ordres de torturer les captifs avaient eu sur les officiers saint-cyriens quieurent les appliquer, au non du principe que la fin justifie les moyens" crit Tholleyre58.

    Voici la dclaration. "Je dclare sous la foi du serment que Godot, comme une centained'autres officiers, a reu l'ordre de torturer pour recueillir des renseignements. Je ne sais pasquelle est l'autorit la plus haute qui a donn l'ordre. On n'en trouvera jamais une tracecrite. Je sais seulement que, pour la 10 division de parachutistes c'est le gnral Massu quil'a rpercut. Sans lui, on ne comprendrait pas pourquoi, ce matin de janvier 1957, quatrergiments de cette division se seraient mis spontanment recueillir des renseignements.

    L'opration a port un nom : c'tait l'opration Champagne . Ne me demandez pas lesdtails. Je ne connais pas les tourments de celui qui a donn cet ordre. Mais je sais le viol deconscience qu'a subi l'excutant. Pour un jeune saint-cyrien, tous les mythes et toutes lesillusions s'croulaient ds ce moment. C'est un peu comme si on demandait un prtre devioler une paroissienne parce que sa foi est chancelante. Pourquoi n'auraient-ils pas excutl'ordre puisqu'on leur donnait un but, qu'il avait une finalit transcendante et qu'on leur

    prsentait cela comme une Croisade. On leur disait que la fin justifie les moyens et que lavictoire de la France en dpendait. Mais cette justification s'croule lorsque la fin n'est pas

    atteinte. On a le sentiment d'une souillure passe, et cette souillure remonte. C'est le drame,et plus encore, lorsque dlibrment, cette fin n'est plus recherche"59.

    Ces troubles de conscience, certains idologues vont s'efforcer de les rduire enlaborant une thorie de "la peine visant obtenir un renseignement".

    Verbe haut

    La revue Verbeva s'illustrer par la publication de trois articles intituls "morale, droit etguerre rvolutionnaire" dans le courant de l'anne 1958. Ces articles suscitent la polmique

    57C'est la fameuse "intgration", chre Jacques Soustelle et tous les partisans de l'Algrie franaise. "Noticed'information sur la D.I.T. et la guerre psychologique", secrtariat d'Etat aux forces armes "terre", 1956, p53.

    58J.-M. THEOLLEYRE, chroniquer judicaire auMonde, "Ces procs qui branlrent la France", page 338.59Cit par J.-M. THEOLLEYRE, "Ces procs qui branlrent la France", page 338. Le passage soulign l'estpar l'auteur.

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    avec les pres Jsuites de la revue Espritqui y voient "un raisonnement effroyable" et fonts'interroger le jeune sminariste Alain Maillard de la Morandais. Je vais utiliser ces troissources (Verbe, Espritet le livre-tmoignage du jeune prtre) pour montrer comment on en estarriv justifier la torture en Algrie. Les trois articles de Verbe sont signs de "Cornlius",pour dire qu'il s'agit d'une uvre collective qui engage l'ensemble de la rdaction de la revue.

    Jean Ousset, le fondateur, en est un des principaux rdacteurs, c'est lui qui demandera un droitde rponse au directeur de la revue Esprit.

    L'ide des articles est venue aux hommes de la Cit catholiqueparce que les officierstaient dsempars face cette "guerre de peuple" o l'ennemi est souvent invisible,insaisissable, o la "matire premire" de l'action est le renseignement, l'aveu, qui permettrad'arrter de prvenir le prochain attentat, etc. "En l'absence de lgislation approprie, lechef responsable est parfois oblig, en conscience, de prendre des dcisions nergiques etexpditives (que doit faire l'officier qui tient, en son pouvoir, un dangereux "cadre" terroriste,livr par les habitants, et qui sait que s'il le livre la justice rgulire, il sera relch faute de

    preuves formelles et reviendra se venger (). Il reste qu'on ne peut indfiniment faire appel

    au bon sens, au jugement sr, la fermet, au sens des responsabilits de nos chefs et enmme temps les paralyser par une LEGISLATION ANACHRONIQUE. Il faut absolument quel'analyse objective, et l'exprience (qui est malheureusement dj longue) soient traduitesrapidement par un code spcial de justice adapt la guerre rvolutionnaire" (90/88)60.Cette ide de "code spcial" est diabolique, on verra pourquoi.

    Pour amener progressivement le lecteur la conclusion recherche, il faut dramatiser lasituation et dblayer le terrain idologique.

    D'abord il faut dire qu'on est en face du Mal absolu. Nous sommes en pleine Guerrefroide, l'ennemi est clairement dsign : le communisme mondial qui "s'attaque l'ordrenaturel, fondement de la morale, notre conscience, notre foi bien entendu (avec la

    promesse de bannir Dieu lui-mme de la socit" (90/78) et "trop de Franais necomprennent pas encore que la guerre d'Algrie est un cas de guerre rvolutionnaire chaude"(90/79, soulign par les auteurs). Il n'y a pas de distinguo faire entre guerre coloniale ousubversion communiste car "l'organisation politico-militaire du F.L.N. et le vocabulaire qu'ilemploie sont dj marxistes" (90/79). "Il est essentiel que les combattants franais en Algriesachent que la guerre qu'ils livrent actuellement est une guerre juste" (90/80), une guerre

    justeau sens thologique, et on fait appel aux pres de l'Eglise : Augustin, Thomas d'AquinLa guerre rvolutionnaire (celle du Viet-minh hier, celle du F.L.N. aujourd'hui) est

    foncirement immorale dans son but mais aussi dans ses mthodes et dans ses procds(90/81). Cela amne les auteurs prciser la nature nouvelle par rapport aux guerresprcdentes- que prend le prisonnier qu'on a entre les mains, et l'importance cruciale de la

    "bataille du renseignement". "L'ennemi vrai n'est pas le combattant en uniforme, ni mme le"partisan", l'agent de renseignement ou le ravitailleur, complices souvent involontaires(moralement et physiquement)", le vrai ennemi c'est "le "cadre" rvolutionnaire conscient(). Celui-ci ne peut tre considr que comme un malfaiteur, mais un malfaiteur de la pireespce, un perturbateur de l'ordre national et international. Quant aux autres, ils restentcomplices de la rbellion, tant qu'ils n'ont pas abjur leurs ides rvolutionnaires et fourni

    tous les renseignements(c'est moi qui souligne, JPR) et toute l'aide qu'ils sont en mesure dedonner pour neutraliser le mouvement de subversion. Cela montre bien toute la diffrencequ'il y a entre le prisonnier, dans la guerre classique, qui faisait son devoir en se battant pour

    60 Verbe, n90, page 88. Les trois articles ont t publis dans les n 90, 91 et 92. Les citations qui suiventseront mentionnes de cette faon : 90/88 signifie "citation extraite de la page 88 du n90 de Verbe". Soulignpar les auteurs.

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    son pays, dont on n'avait rien exiger aprs l'avoir dsarm, et le rebelle captur, qui restecomplice d'une organisation de hors-la-loi (90/83). Et aussi : "dans la guerre subversive, lecoupable arrt n'est pas un homme isol. Il fait partie d'un appareil extrmement dangereuxet tout retard dans le jugement aggrave le danger pour l'ensemble de la socit" (90/86).

    Le dblayage idologique consiste mettre de ct des ides "humanistes" qui

    empcheraient les officiers de faire leur travail. Les auteurs ont eu connaissance (ils le citentpour le critiquer) d'un texte crit par un autre catholique, Vialatoux, philosophe personnaliste,intitul "la rpression de la torture". Vialatoux est un empcheur de torturer en rond. Il al'oreille du jeune sminariste A. Maillard de La Morandais qui cite : "Une personne humaine

    peut se rendre moralement plus ou moins digne ou indigne de sa dignit mtaphysique depersonne. Mais les dficiences morales d'une personne humaine n'enlvent rien au titreessentiel de personne et la dignit mtaphysique qui s'y attache essentiellement. (...)

    L'homme pcheur reste une personne humaine. On doit comprendre par l combien seraitridicule la prtention de justifier l'action consistant traiter un homme comme un pur moyen,en donnant comme prtexte que cet homme a perdu par sa conduite son titre de personne, et

    donc la dignit et le droit au respect d ce titre, qu'il n'est plus qu'une chose ou une bte ! Ace compte, lequel de ces accusateurs aurait encore droit au titre de personne ?"61. Cespropos soulvent l'ire de Cornlius : "car, enfin, pourquoi reconnatre la personne humainecette dignit ? Pourquoi ces droits ? Pourquoi ces liberts ? Pourquoi la politique ? Pourquoimme la morale ?... s'il n'est personne pour rpondre c'est que la Rvolution a gagn saguerre (sic)" (91/57). Et oui, la contre-rvolution, elle, met en avant les vraies valeurs et,videmment, le Bien Commun : "eh bien non ! Le droit n'est pas au-dessus de la morale : iln'en est qu'une partie. II lui appartient comme la partie au tout. Ce n'est pas la dignit de la

    personne qui fonde, en dernire analyse, la valeur morale des actes. L'homme ne trouve sadignit que dans sa soumission l'ordre moral. Cet ordre tant la rfrence dernire de lamorale. (). Car c'est bien de l'Ordre qu'il s'agit. La morale n'a pas d'autre rfrence. Mais

    pas n'importe quel Ordre: l'Ordre universel, l'ordre transcendant, l'Ordre qui a Dieu pourauteur et pour fin. C'est la conformit de nos actes l'ordre du monde, l'ordre de laCration, l'ordre naturel, qui les qualifie moralement" (91/57). Au demeurant, "les mursqui rpugnentaux peines corporelles qui sont et restent lgitimes- ne sont peut tre nes qued'un sentimentalisme fort diffrent du sens moral" (92/65).

    Et il faut bien voir que le communisme est le crime le plus grave. Car il nie la fois, lebien commun transcendant Dieu- par son athisme, et le bien commun immanent -l'ordre dela Cration- par ses mthodes et sa finalit rvolutionnaires. "L'acte libre qui ne respecte pasl'Ordre naturel est mauvais, et sa gravit est, pour une grande part, proportionne l'importance du trouble dont il affecte l'Ordre. D'o il suit que le crime le plus grave dans le

    domaine des choses naturelles est celui qui tend l'anantissement, au renversement complet, la subversion de cet ordre. Ce crime s'est lui-mme donn un nom, celui de "Rvolution". Ils'est donn une thorie : le marxisme-lninisme qui a mrit, pour cela, la qualificationd'intrinsquement perverse" (91/58).

    A grands renforts de citations de la somme thologiquede Thomas d'Aquin, nos auteursavalisent, avec dlectation, la lgitimit de la peine de mort.

    a) La peine de mort est possible pour une raison simple : le pcheur qui commet un crimeen luttant contre l'ordre naturel perd sa dignit d'homme et se rabaisse au rend de l'animal,animal qu'il est permis de tuer. D'abord une prcision : "Nous avons tabli, dit St Thomasd'Aquin, qu'il est permis de tuer les animaux parce qu'ils sont, ordonns par la nature

    61Cit par Maillard de la Morandais, page 140.

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    l'usage de l'homme, comme ce qui est moins parfait, est ordonn au plus parfait"62. L'hommeest suprieur l'animal, Cornlius assne : "la raison, voil bien ce qui est le propre del'homme, (Cornlius ignore le rire)ce qui le distingue des animaux, ce qui le fait justementdfinir comme "animal raisonnable". (Mais) l'homme mprise les conseils de la droite raisonet se dtourne de l'ordre naturel s'il fait le mal, (et) il perd alors ce qui le distingue des

    animaux, ce qui fait qu'il est homme."Par le pch", crit saint Thomas d'Aquin,"l'hommes'carte de l'ordre prescrit par la raison ; par l mme, il dchoit de la dignit humaine... il enarrive ainsi, d'une certaine manire, l'asservissement des animaux privs de raison, de tellesorte qu'on peut disposer de lui selon qu'il est utile aux autres... Voil pourquoi, si c'est unechose en soi mauvaise que de tuer un homme fidle aux exigences de sa dignit, ce peut treun bien que de mettre mort un pcheur, absolument comme on abat une bte. On peut mmedire, avec Aristote qu'un homme mauvais est pire qu'une bte froce : il est plusmalfaisant"63. Cornlius est sans faiblesse : "le criminel parce qu'il s'est dtourn de l'ordrenaturel qui le protgeait en le distinguant des animaux (est pass) du rang de craturesuprieure qu'il tait, au rang des(cratures) infrieures, soumises l'homme : c'est pourquoi

    on pourra le juger sa malfaisance". (92/60). Autrement dit le tuer."Ainsi la peine de mort, loin de contredire le cinquime article du Dcalogue, en drivedirectement et ne lui fait pas exception : l'une et l'autre loi procdent de la mme raison d'trequi est la nature mme de l'homme, animal raisonnable (). Citons ici le Catchisme

    Romain, dit "du Concile de Trente", () publi sur l'ordre de Saint Pie V () : dans la partiedu prcepte qui dfend le meurtre, il faut d'abord faire remarquer aux fidles qu'il y a desmeurtres qui ne sont point compris dans cette dfense. Ainsi il n'est pas dfendu de tuer lesbtes ... Il est une autre espce de meurtre qui est galement permise, ce sont les homicidesordonns par les magistrats qui ont droit de vie et de mort pour svir contre les criminels queles tribunaux condamnent et pour protger les innocents. Quand donc ils remplissent leurs

    fonctions avec quit, non seulement ils ne sont point coupables de meurtre mais au contraireils observent trs fidlement la loi de Dieu qui le dfend. Le but de cette loi est, en effet, deveiller la conservation de la vie des hommes, et par consquent, les chtiments infligs parles magistrats, qui sont les vengeurs lgitimes du crime, ne tendent qu' mettre notre vie ensret, en rprimant l'audace etl'injustice par les supplices...(c'est moi qui souligne, JPR).Par la mme raison, ceux qui, dans une juste guerre, tent la vie leurs ennemis, ne sont

    point coupables d'homicide, pourvu qu'ils n'obissent point la cupidit et la cruaut maisqu'ils ne cherchent que le bien public" (92/60).

    b) Mais, seuls sont qui en ont la lgitimit peuvent dcider des peines :"Est-ce dire que tout homme, quel qu'il soit, pourrait attenter la vie de celui qui s'est

    ainsi signal par le dsordre de ses actes. Evidemment non, et l'on aura dj compris, par le

    mot de peine que nous avons employ, que la condamnation mort -comme toute autre peine-ne peut tre prononce que par ceux qui sont chargs de venger la justice viole auprjudice du bien commun64, et cela pour deux raisons. La premire65 est que l'hommeappartient la socit dont il est membre. La socit a donc, aprs Dieu, un certain droit sur

    62Somme Thologique, IIa. IIae. Qu. 64, a. 2, conclusion.63Somme Thologique, IIa. IIae. Qu. 64, art. 2, ad. 3.64Je souligne parce que les auteurs amnent peu peu, par cette prcision, l'argument que la peine "qui peut

    pousser un coupable dire ce qu'il sait" (sic) se distingue radicalement de la "torture" du fait qu'elle a uneorigine juridique.

    65Comme dit le pre jsuite Jean-Marie Le Blond dans sa polmique avec Ousset ("pour et contre Cornlius",page 245), "il faut couter ces raisons, au moins la premire, car nous l'avouons, nous ne sommes pas parvenus dcouvrir la seconde". Moi, galement.

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    sa vie () mais non l'homme priv. Voici comment Saint Thomas rsume cette doctrine :"Or,(cette subordination de l'animal l'homme, du moins parfait au parfait), existe entre la partieet le tout, et donc toute partie, de par sa nature, est ordonne au bien du tout. Voil pourquoi,s'il se rvle ncessaire la sant du corps humain de couper un membre, parce qu'il estinfect et corromprait les autres, une telle amputation serait indiscutablement lgitime et

    opportune. Or, toute personne individuelle, vis--vis de la socit dont elle est membre, estdans le mme rapport qu'une partie avec le tout. Si donc un HOMME devient un pril pour lasocit, et que son pch soit SOURCE DE CORRUPTION, il est louable et salutaire de lemettre mort pour conserver le bien commun"66. (92/61)Ailleurs, le Docteur Anglique67ditencore: "le bien commun l'emporte sur le bien particulier ; aussi convient-il de sacrifier celui-l celui-ci. Puisque la paix entre les hommes est compromise par quelques hommesdangereux, il faut les retirer de la socit des hommes"68. Puis, donc (sic) que c'est dansl'intrt du bien commun que peuvent tre prononces des peines, et en particulier la peine demort, il est clair que seuls ceux qui sont chargs de dfendre ce bien commun peuvent rendredes sentences capitales et en ordonner l'excution" (92/61).

    Parmi ceux qui sont chargs de venger la justice, viole au prjudice du bien commun,Cornlius place l'Arme, qui il faut donner des pouvoirs de police et mme des pouvoirs depolice judiciaire (90/84)69. On sait que le vote des pouvoirs spciaux (mars 1956) ouvrit lavoie cette extension des pouvoirs de l'arme. "Les pouvoirs spciaux accords augouvernement, confis au ministre de l'Algrie, transmis par celui-ci l'autorit militaire,assur(rent) les premires interventions de l'arme dans la vie politique"70. Quelques tempsplus tard, durant "l'hiver 1956-1957, (quand) il apparut que la police ordinaire ne pourraitvenir bout des rseaux F. L. N. d'Alger () ses pouvoirs furent transmis l'arme et la 10edivision parachutiste, sous le commandement du gnral Massu, les prit son compte. Labataille d'Alger commenait. Elle devait comporter le contrle systmatique et permanent dela population musulmane, l'instauration d'un rgime de scurit exceptionnellementrigoureux, et l'interrogatoire de tous les suspects capables de donner le plus petitrenseignement sur l'identit et l'activit des terroristes"71.

    c) Et la "torture" ?Aprs ce que j'ai appel ce "dblayage idologique" visant liminer d'ventuels

    arguments contre la torture, Cornlius aborde le vif du sujet. Evidemment, on va d'abord jurerses grands dieux que la torture est condamnable. "Pas plus qu'on ne peut s'emparer de la vied'un homme, on ne peut s'emparer de sa raison () ou de sa libert morale, par des torturesde quelque nature qu'elles soient" (92/57). Soit. On va donc dire que "la licit de la peine demort ("dmontre" dans les pages prcdentes, JPR) s'applique, plus forte raison, touteautre peine corporelle qui est ncessairement moins "attentatoire" la vie que la peine de

    mort. Certes, ces peines ne sont plus gure en vigueur aujourd'hui, () elles demeurentlgitimes" (92/64-65). Dans quels buts infliger de telles peines ? "Il faut que le bien communen exige l'application, soit pour venger la violation du droit lui-mme, () soit pour protgerla paix publique en inspirant la crainte des sanctions ou en dmasquant d'autres projets

    66Somme Thologique, IIa. IIae. Qu. 64, a. 2, conclusion.67Un des surnoms de Thomas d'Aquin.68Contra Gentiles, L. III. Ch. 146.69Article 14 du code de procdure pnale : la police judiciaire " est charge, suivant les distinctions tablies au

    prsent titre, de constater les infractions la loi pnale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les

    auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte ".70P.-M. DE LA GORCE, page 540.71P.-M. DE LA GORCE, page 552.

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    criminels ()" (92/66). Autrement dit, pour obtenir des renseignements, comme on disait,alors, en Algrie. "On peut - et l'on doit souvent- utiliser la peine qu'a mrite un coupableavr (qui a jug ? JPR)pour prvenir la perptration de nouveaux crimes, non seulement engnral et longue chance en montrant tous que celui qui offense le droit "s'expose deschtiments et les subit en effet", mais encore d'une manire prcise et immdiate pour obtenir

    du condamn (condamn par quelle instance ? JPR) des renseignements sur les projets etcomplots criminels auxquels il aurait t ml, sur les associations de malfaiteurs auxquellesil aurait appartenu. Imposer au coupable "la souffrance" par laquelle "la peine remplit sonoffice", en se proposant de "repousser tout ce qui peut nuire au prochain", n'est-ce pas, selonle mot de saint Thomas, le fait de "la vritable charit" qui prfre viter le mal plutt qued'avoir le punir, diminuant ainsi le nombre des criminels condamner comme celui desvictimes dplorer ?" (92/68).

    "Un coupable peut tre condamn une peine, c'est--dire une souffrance et cela, nonseulement titre de juste chtiment -peine vindicative- mais encore pour l'utilit commune etimmdiate -peine mdicinale- qui est de procurer des renseignements indispensables la

    protection du bien commun, lorsqu'il n'est pratiquement pas possible de djouer autrement lesprojets qui menacent ce bien commun : cas trs frquent en priode de guerrervolutionnaire". Quel emploi de la "mdecine" Soigner un criminel en faute par lasouffrance et pour se procurer des renseignements indispensables !

    chaque fois, les auteurs crivent "coupable" et "peine". Mais comme disent les juristes"nulla paena sine lege" : il n'est de peine sans loi, la peine est une sanction lgale. Mais qui -sur le terrain de combat- applique la loi, qui juge, qui peut dire le droit ? L'officier adhrent dela Cit catholiqueest-il habilit dire le droit devant le fellagha ? Qui dfinit le " coupable" ?On ne peut appliquer le droit de la guerre, puisque les "vnements" d'Algrie ne sont pas uneguerre internationale selon les gouvernants. C'est une guerre civile,