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UNIVERSITE LYON 2 - Année universitaire : 2006-2007 Institut d’Etudes Politiques de Lyon LA QUESTION DE LA PAUVRETE EN MILIEU URBAIN :ETUDE SOCIO- ECONOMIQUE DU GRAND DAMAS Sofiane OUFFA 4 e année de Sciences Politiques, Section Internationale, Spécialisation Monde Arabe Sous la direction de Christian VELUD (Soutenance : 5 septembre 2007 Jury : Sylvia CHIFFOLEAU

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UNIVERSITE LYON 2 - Année universitaire : 2006-2007Institut d’Etudes Politiques de Lyon

LA QUESTION DE LA PAUVRETEEN MILIEU URBAIN :ETUDE SOCIO-ECONOMIQUE DU GRAND DAMAS

Sofiane OUFFA4e année de Sciences Politiques, Section Internationale, Spécialisation Monde Arabe

Sous la direction de Christian VELUD(Soutenance : 5 septembre 2007

Jury : Sylvia CHIFFOLEAU

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Table des matièresREMERCIEMENTS . . 4Introduction . . 5Première partie : Construction de la catégorie pauvreté. . . 13

CHAPITRE I : La difficile définition de la pauvreté . . 13A/ Le sens des mots, le poids des représentations . . 14B/ La classification des pauvres . . 17C/ La conception « monétaire » de la pauvreté . . 19

CHAPITRE II : Le « mythe » du seuil de pauvreté . . 22A/ Une conception technocratique . . 23B/ Une notion floue et abstraite . . 24C/ La pauvreté humaine ou la dimension « sociale » du phénomène . . 27

CHAPITRE III : Vers un discours sur l’exclusion . . 31A/ Pauvreté et réseaux primaires de solidarité . . 31B/ La place du travail . . 33C/ Exclusion et fragmentation sociopolitique . . 35

Deuxième partie : vécus et gestion de la pauvre. . . 37CHAPITRE IV : « L’auto-représentation » de la pauvreté . . 37

A/ Une perspective pluridimensionnelle sur la pauvreté . . 38B/ Représentation de soi et pauvreté . . 40C/ La perception du « riche » . . 42

Chapitre V : le « désaffilié », entre vulnérabilité sociale et régulation islamique . . 44A/ La représentation de la pauvreté en Islam . . 45B/ La charité institutionnelle islamique en action . . 47C/ La Mosquée : Solution à la pauvreté ou opposition déguisée ? . . 51

Chapitre VI : Précarité économique et pratiques sociales des agents de l’Etat . . 52A/ Entre baisse des revenus et pluriactivité . . 53B/ La « solution journalière » : entre instabilité de l’emploi et aggravation desdifférenciations . . 55C/ Pratiques sociales face à la précarité . . 57

Conclusion . . 60Bibliographie . . 63

A/ Ouvrages . . 63B/ Articles . . 64C/ Articles en ligne . . 65D/ Rapports . . 66E/ Travaux étudiants . . 67

Annexes . . 69ANNEXE 1 . . 69ANNEXE 2 . . 71ANNEXE 3 . . 72ANNEXES 5 . . 72

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4 OUFFA Sofiane_2007

REMERCIEMENTSJe tiens à remercier tout d’abord mes parents, Otmane et Jocelyne, ainsi que mon frère Mehdi etma sœur Siham, pour leur aide, leur soutien et leur affectation. Merci de m’avoir poussé jusque là.

Un grand Merci à mon directeur de mémoire, Monsieur Christian Velud, pour la réalisationdu partenariat avec la Syrie, ses conseils et sa disponibilité, ainsi qu’à madame Sylvia Chiffoleaupour sa participation en tant que membre du jury.

Par la même occasion, je tenais à saluer l’ensemble du corps enseignant et administratif del’IFPO Damas pour la qualité des cours dispensés et l’aide apportée à mon travail, notammentmonsieur Fabrice Balanche.

Enfin, un grand remerciement à mes amis « lyonnais », Syra, Marou, Skandy, Mino et Hafid,« parisiens », Anis, Wadya, Yas, Juju, Jaja, Karim, Belaid et Lounis, et « syriens », Rachid,Mokrane, Niz, Hani et Houss, restez toujours les mêmes…

…a nd also a special thanks to Miss Dikra…

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Introduction

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Introduction

Terrorisme, islamisation, région pétrolière, sont autant de stéréotypes largement répandusen ANMO1, mais également en République Arabe Syrienne2, avec les évènements auLiban3 ou l’alliance stratégique avec la République Islamique d’Iran, notamment autour duHezbollah libanais4. La persistance d’îlots de pauvreté ou l’aggravation de cette dernièreest certes évoquée, conjointement avec les espoirs frustrés de mobilité sociale ascendante,lorsqu’il s’agit de rendre compte du recrutement des « militants de base » et des cadres desmouvements islamistes agissant en dehors des frontières syriennes depuis les événementsde Hama en 19825, ou l’enrichissement parfois fulgurant d’une strate de la population,au mode de vie occidentale dans un contexte de corruption touchant de larges pans del’économie et des institutions politiques.

Plus que la pauvreté elle-même, c’est un sentiment d’injustice sociale qui parcourtl’ensemble de la société syrienne, notamment dus à l’échec des grands programmesétatiques, de l’étiolement de l’idéologie socialiste, de la centralisation autoritaire ou encorede l’absence de réel processus de démocratisation.

Selon Richards et Waterbury6, « au point de départ des Etats du Moyen-Orientétait l’arriération », caractérisée par l’existence de trois trappes, consistant en : (a) lalarge prédominance d’un secteur de production de biens agricoles de faible valeur ;(b) le très bas niveau de qualification d’une main d’œuvre largement analphabète, lesfilières d’instruction « moderne » n’ayant été suivies que par quelques privilégiés ; (c) uneintégration forcée des économies agraires moyen-orientales dans la division internationaledu travail. L’indépendance acquise en 1946 après le mandat français, l’effort nécessairepour sortir de ces trappes et construire « une citoyenneté prospère et éduquée, uneéconomie diversifiée et un pouvoir national »7 ne pouvait être fourni que par un Etatdéployant des stratégies de développement et mettant en place une planification, alors quele secteur privé ne pouvait faire preuve d’une réelle efficacité.

1 On emploiera l’acronyme d’ANMO (mis pour Afrique du Nord et Moyen-Orient) pour désigner un ensemble qui peut, selon les cas,englober ou non les pays non arabes du Moyen-Orient.2 Indépendante depuis 1946, la Syrie a connu de nombreuses révolutions de palais avant de voir accéder au pouvoir la « dynastie »Al Assad, de Hafez, le père (1970-2000) à Bachar, le fils cadet (2000- ).3 Depuis le vote de la motion 1559 au conseil de sécurité de l’ONU en 2004, obligeant les troupes syriennes à quitter la plaine dela Bekka, et les assassinats successifs de « personnalités » libanaises tels l’ancien premier ministre Rafic Hariri, le journaliste SamirKassir ou le rédacteur en chef du journal An Nahar Gébrane Tuéni, la Syrie est mise en cause implicitement par la communautéinternationale.4 Fondé en juin 1982, le « Parti de Dieu » est un mouvement politique chiite libanais.5 En 1982, l’armée syrienne réprime dans le sang la révolte des Frères Musulmans à Hama, faisant plus de 20.000 morts.

6 RICHARD, Alan, WATERBURY, John, A political economy of the Middle East. State, class and economic development,Londres: Westview Press, 1990. 495 p.

7 Idem

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Que ce soit sous les présidences de Amin al-Hafez, Salah Jdid ou Hafez al Assad,la concentration des pouvoirs économique, administratif et militaire ne se heurta à aucuneopposition tout comme l’importance du secteur public, imposant l’Etat syrien sur les relationsde propriété, donc de classes, et empêchant toute participation réelle du « peuple » àla définition des objectifs et des stratégies. La Syrie adopta certes, sous la houlette duparti Baath8, des idéaux d’équité afin de combattre les inégalités de patrimoine et lapauvreté hérités des systèmes coloniaux d’exploitation9, des mesures de redistributiondes richesses, des promotions des pauvres dans la bureaucratie d’Etat, des réformesdéveloppant l’éducation et les services de santé publics ou l’administration des prix et desservices courants, laissant ainsi dans la mémoire collective une cohésion sociale forte et unefierté nationale, mais au prix de gonflement démesuré de l’appareil d’Etat, de la formationd’une bourgeoisie d’Etat et d’un recul des libertés individuelles.

Durant la période des années 70, l’aide soviétique conjuguée au niveau élevé desprix du pétrole10 accrut considérablement les recettes publiques notamment grâce à laproduction pétrolière11, par les transferts privés venant des travailleurs émigrés du Golfeou publics avec les aides et les capitaux des pétromonarchies, permettant ainsi la miseen application du programme socialiste du « parti de la Renaissance ». Cependant, cettepériode d’apparente prospérité est loin d’avoir résorber les inégalités héritées des périodesprécédentes et les opportunités de mobilité et d’enrichissement alors offertes ne parvinrentpas à en altérer la reproduction structurelle. En effet, la pauvreté se concentrait alors dansles zones rurales, parmi les ménages ne comportant pas de membre émigré, provenant dela petite paysannerie, victime des bas prix d’achat des récoltes par l’Etat alors que démarraitl’inflation liée à l’afflux des rentes et autres revenus de transfert, ou à des catégories socialesau statut précaire, comme les paysans sans terres, voire marginale, notamment dans lazone nord-est du pays, entre les villes de Alep, Deir Zor, Hassakieh et Raqqa. Or, du fait dela pauvreté de ces populations, la Syrie connut un formidable exode rural en direction de lacapitale, Damas, et de sa périphérie urbaine12, accentué dans les années 80 par la baissedes revenus pétroliers et de ses dérivés, la crise de l’Etat- Providence et l’augmentationdes inégalités à la fois entre les zones rurales et urbaines, entre les générations et entreles sexes.

La création d’emplois redondante dans l’administration et les entreprises publiques, oùles choix d’investissements avaient favorisé l’intensité du facteur travail plutôt que le facteurcapital, le chômage déguisé, l’inflation ainsi que la baisse du pouvoir d’achat demeuraientun problème dans la société syrienne. De plus, la localisation centralisée des entreprises,notamment autour de Damas et dans une moindre mesure Alep, accroissait le flux de« déplacés économiques » et par la même occasion les problèmes de logement, avec

8 Fondé en 1947, « le parti de la Renaissance Arabe » arrive au pouvoir en Syrie en 1963 suite à un coup d’Etat.9 L’article 42 de la Charte du parti Baath stipule que « l’inégalité de classe est le résultat d’un état social corrompu. […] le parti

lutte dans les rangs des classes laborieuses opprimées de la société jusqu'à ce que cessent cette inégalité et cette discrimination,[…] et qu’il leur soit rendu possible de vivre dans un régime social équitable, sans privilège l’un sur l’autre. »

10 40% des exportations syriennes.11 La production pétrolière annuelle en millions de tonnes est estimée à 4,2 millions de barils en 1973, équivalent à Dubaï

(4,2) ou à la Tunisie (4,1).12 Nous employons aussi l’expression « Grand Damas » comprenant Damas et son agglomération.

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la formation de quartiers informels autour du périphérique13, les inégalités au sein dessystèmes de santé et d’éducation, et la déficience d’équité au sein de la patrie syrienne.De plus, à ces derniers s’ajoutèrent les déficits les gaspillages, la corruption, l’endettementendémique ainsi que la faible valorisation des investissements et les basses performancesdes exportations14.

Ainsi la crise économique qui survint en pleine période de croissance démographiqueet d’exode rural généra un appauvrissement de larges couches de population auxquellesl’Etat fut d’autant moins capable de fournir une assistance que sa restructuration annoncéelui imposait de sévères restrictions budgétaires. Crise de l’Etat redistributeur et crise globalede l’économie furent nettement productrices de pauvreté durant les années quatre-vingt15,années quatre-vingt marquées par les préceptes de l’ajustement structurel, sous la pressiondes organisations internationales comme le FMI ou la Banque Mondiale, concernantnotamment des dispositions législatives favorisant l’initiative économique, le fonctionnementdu marché et les investissements étrangers propices au développement, des dispositionsde gouvernance contre la corruption, la bureaucratie ou l’emprise de clans sur l’économieainsi que l’amélioration des infrastructures selon des modes évitant le clientélisme et limitantla constitution de monopoles16.

Malgré la présence de « programmes compensatoires »17, la Banque Mondiale setrouve en total désaccord avec l’idéologie du régime, censée annihiler les effets de lapauvreté par le système redistributif, en se basant exclusivement sur la distribution derevenus primaires18, alors que le pays est déjà en situation de crise économique ! La voie estainsi économiquement et politiquement étroite, et le « pauvre » peut apparaître comme une« résistance politique » selon l’expression de la Banque Mondiale19 et donc n’avoir aucunevoix au chapitre puisque l’unique force étatique auquel il a faire se trouve être une force derépression, notamment dans les grandes villes.

Avec un taux d’urbanisation estimée à 60% de la population et 4 millions d’habitants,Damas suit le même chemin que la capitale égyptienne Le Caire20 : macrocéphalie,extension des quartiers informels sur les zones agricoles mais aussi la création de villesnouvelles sur les terres non irriguées, clientélisme, absence d’unité administrative, autant

13 BALANCHE Fabrice, Damas la tentaculaire [en ligne]. Villes et territoires du Moyen-Orient : 2006 [page consultée le23 décembre 2006].

14 RICHARD, Alan, WATERBURY, John, A political economy of the Middle East. State, class and economic development,Londres: Westview Press, 1990. 495 p.

15 DESTREMEAU, Blandine, DEBOULET, Agnès, IRETON, François, Dynamiques de la pauvreté en Afrique du Nord et auMoyen Orient, Paris : Karthala, 2004. 517 p. collection Hommes et Sociétés.

16 FOND MONETAIRE INTERNATIONAL,Renforcement de l’architecture du système monétaire international, FMI :Washington, 1998. 20 p.

17 Le programme compensatoire est censé apporté un soutien en terme de santé, d’éducation, d’infrastructure ou de formationafin de mieux intégrer les pauvres dans la sphère productive et de diminuer leur vulnérabilité.

18 En économie, le revenu primaire est le revenu que les ménages tirent de leur contribution à l’activité économique, soitdirectement (revenu d’activité salariée ou non salariée), soit indirectement (revenus de placement mobilier ou immobilier).

19 BANQUE MONDIALE, La pauvreté, Rapport sur le développement dans le Monde, Washington : World Bank, 1990. 126 p.20 BALANCHE, Fabrice, Refondation urbaine : Damas dans le sillage du Caire [en ligne]. Observatoire Urbain du Proche

Orient : 2005 [page consultée le 13 mars 2007].

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de problèmes de gestion et de régulation par les pouvoirs publics et de création de foyersde pauvreté autour de la deuxième couronne urbaine.

Cette situation de la ville de Damas, comme les capitales des anciens modèlessocialistes arabes (Alger, Bagdad) doit faire face à un double paradoxe : Tout d’abord, sonessence productive21, puisque la Ville apparaît comme le lieu de création de prospérité etde richesses tout en devant faire face à un afflux de pauvres provenant pour une majorité

des zones arides de la Jezireh 22 , en quête d’un avenir meilleur et d’une ascension sociale

viable, ou d’une minorité de réfugiés (Palestiniens, Irakiens23) fuyant des zones de conflits.Le manque de coordination entre la sphère étatique centrale et locale, la concurrence

forte entre Damas et Alep ou encore la corruption sont autant de facteurs empêchantla croissance économique de donner lieu à des hausses significatives de revenus età une distribution plus équitable. Au lieu d’investir dans des secteurs fondamentauxqui entraîneront la productivité et l’innovation comme par exemple les transports, lesinfrastructures, l’éducation et la formation professionnelle, la recherche et la technologie, oude promouvoir des groupes d’industriels dynamiques qui accélèreront ce rythme, la prioritédu régime est de se maintenir coûte que coûte au pouvoir au prix d’un accroissementdes dépenses militaires24. Comme le disait Schumpeter25 : « Entreprendre consiste àchanger un ordre existant ». Or, le pouvoir allaouite26 ne semble pas en mesure de changerles choses, que ce soit au niveau de l’accroissement des liens entre la ville-centre etla périphérie (fluidité des déplacements), l’amélioration du centre ville et des quartiers(marketing urbain pour revitaliser le centre) ou l’articulation entre résidence et emploi(augmentation des services urbains).

Vis-à-vis de la pauvreté urbaine, le principal enjeu de la stratégie économiquemétropolitaine est donc de convertir l’économie informelle en véritables sources de revenus.

Second paradoxe, la Ville a pour caractéristique d’être inclusive27, notamment vis-à-vis des migrants des campagnes, par un meilleur débouché des productions agricoleset indirectement d’accumulation des revenus. Elle est par la même occasion le lieu derencontre des savoirs, de la recherche et de l’innovation.

Or, la ville de Damas au XXIe siècle exclut, car elle ne possède pas de mécanismesd’intégration à la hauteur des espérances qu’elle génère en matière d’emplois et delogements. Elle est soumise à la loi de l’économie-monde qui, privée de régulation étatique,érige en règle l’inégalité d’accès aux ressources et aux droits, laissant aux politiques« sociales » la charge d’en atténuer les effets les plus menaçants, en l’occurrence les« révoltes du pain».

Du fait de l’échec des modes étatiques de régulation de la pauvreté urbaine, notammentdus à l’essor de la monétarisation et de l’urbanisation ébranlant les bases des anciens

21 FORUM INTERNATIONAL SUR LA PAUVRETE URBAINE, Rapport de Marc Weiss, ONU : Marrakech, 2001. 59 p.22 Région du nord-est de la Syrie.23 En 2006, on dénombrait 400.000 Palestiniens et 1 millions d’Irakiens en Syrie.24 En 2001, le budget de la défense représentait 40% du budget total contre 3,1% pour l’éducation.25 SCHUMPETER, Joseph, Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris : Payot, 1990. 451 p.26 Branche du chiisme représentant 10% de la population syrienne, concentrée entre le nord de la Syrie et la région de Lattaquié.

La famille Al Assad fait partie de cette minorité.27 FORUM INTERNATIONAL SUR LA PAUVRETE URBAINE, Rapport de Sonia Fayman, ONU : Marrakech, 2001. 59 p.

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systèmes de liens sociaux pour des acteurs autonomes à la coordination différente, àl’impossibilité de tenir la promesse d’équité remettant en cause son action redistributriceet sa légitimité idéologique, à l’absence de réel processus de démocratisation permettantl’émancipation sociale et politique de la population, ou à la pression dogmatique desinstitutions internationales prônant la libéralisation du régime, la réduction des dépensesde l’Etat et le désubventionnement, le « pauvre » doit développer des stratégies de surviealimentaire, avec des « petits boulots » informels (vendeur ambulant, taxi), de logement(développement de quartiers informels sur les hauteurs du Mont Qassioun comme Berzé ouMassakine Berzé28) et d’assistance en se tournant vers de nouveaux acteurs caritatifs. Ensomme, le « pauvre » doit tisser des nouveaux réseaux de dépendances, l’Etat ne pouvantle catégoriser socialement, le définir économiquement et l’aider financièrement.

De ce fait, un certain nombre d’hypothèses de travail, de piste de réflexion et dequestions se sont offertes à nous pour comprendre, définir et détailler la réalité de lapauvreté à Damas.

Tout d’abord, les problèmes de mesure qui avaient été évacués dans un premiertemps, s’avèrent constituer des compléments utiles à l’approche qualitative, pour peu quela construction et l’instrumentalisation de cette mesure fassent préalablement l’objet d’unexamen critique. S’il faut bien constater le déficit de recherches qualitatives, un décodagedes approches monétaires de la pauvreté29 est nécessaire du fait des différences decatégorisation des « pauvres » dans la région ANMO selon les institutions et les recherchesmenées. Il semble que le travail d’investigation des catégories et des dynamiques de lapauvreté pourrait se focaliser davantage sur l’hétérogénéité du ou des groupes qualifiés de« pauvres ». On pense en particulier aux différences de genre et notamment à la positiondes femmes et des enfants sur le marché du travail30 ou dans les logiques de reproductionmatérielle et sociale, ainsi qu’à l’hétérogénéité de leurs rapports aux modalités d’allocationet de répartition des ressources.

La thématique de la diversité des liens entre pauvreté et dépendance, ainsi que celle del’exclusion ont été largement reprises dans cette étude, notamment la dernière à l’échelledes liens sociaux observés et analysés. Or, sans tomber dans la naturalisation dont certainsusages de ce terme semblent relever, il semble fondamental de réfléchir sur les processusd’exclusion à un niveau conceptuel plus large, partant des modes d’intégration dominant etenglobant à la fois une réflexion sur la nature des liens sociaux et sur les transformationsqu’ils subissent, sur les modes d’accès aux diverses ressources économiques, sociales,culturelles, symboliques et politiques ainsi que sur la perception des discours énoncés dansla région urbaine étudiée, ceci en mettant ces processus d’exclusion en relation avec lessystèmes de droit et de non droit.

Cette réflexion, à peine ébauchée dans ce qui suit et n’apparaissant qu’en filigrane,aurait pour cadre la nature et les contenus des formes de citoyenneté sur lesquellesreposent – du moins le soutient-on ici – la reproduction d’états de pauvreté et les voiesouvertes pour que cette dernière n’habite plus le futur des populations concernées.

28 Quartiers pauvres situés au Nord-Est de Damas.29 Comme le souligne le FMI : « Le FMI est une institution monétaire et non une agence pour le développement. Il n’en joue

pas moins un rôle important dans la lutte contre la pauvreté dans les pays membres. En effet, la croissance durable indispensablepour faire reculer la pauvreté suppose une politique macroéconomique saine ».

30 PROGRAMME DES NATIONS UNIS POUR LE DEVELOPPEMENT, Poverty in Syria: 1996-2004, diagnosis and pro-poorpolicy considerations, Damas: PNUD, 2005. 146 p.

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Il aurait été intéressant de s’interroger également sur les évidences et les non-dits dela relation entre pauvreté et violence ou pauvreté et insécurité, sachant que si les formesde cette dernière sont essentiellement domestiques et politiques, elle constitue malgré toutl’opérateur principal des actions de prévention ou de répression censées, pour certaines,agir sur ou face à la pauvreté.

Par ailleurs, une composante essentielle de notre travail est à souligner, le rapportde la pauvreté à l’espace, constituant des supports de production et de reproduction, delocalisation, de désignation, d’expression du « pauvre ». Cette composante, en lien avec letournant « libéral » de l’économie syrienne ainsi que par l’évolution de l’action politique, estun thème sensible, notamment du point de vue de la visibilité de la pauvreté. Ce faisant, lesinstitutions politiques et économiques produisent des discours sur le « secteur informel », le« logement informel » qui légitiment, à leur façon, la pauvreté, ou la désignent de manièrerécurrente.

Enfin, la relation à l’Etat a été largement traitée dans cette modeste contribution. Eneffet, l’Etat doit jouer un triple rôle fondamental : D’abord, dans la formation d’un champdiscursif dominant, par l’ouverture d’un espace de débat public sur une question délicate,par le travail de définition normative de la pauvreté « dont on parle », par la circonscriptionofficielle de l’ampleur du problème qu’elle pose et par la détermination des relations quipeuvent être établies entre la pauvreté et les autres éléments de la réalité sociale31 ; ensuite,dans la mise en place et la régulation des systèmes de distribution et de redistribution et, plusspécifiquement, dans la mise en œuvre des réformes et des mesures qui, dans le champéconomique ou dans celui des services sociaux, déterminent des niveaux d’inégalités, encontribuant à les réduire ou à lutter contre elles ; enfin, dans les montages institutionnelsliés aux champs et systèmes cités précédemment, qu’il s’agisse des institutions légales etjudiciaires, économiques ou sociales, ou encore de police et de maintien de l’ordre.

En obtenant une autorisation de recherche de la part du Ministère de la Culture, nouspermettant ainsi d’accéder aux diverses données statistiques du Ministère de l’Economie,du Ministère des Affaires sociales ou du Ministère du Plan, en se faufilant dans les allées desquartiers informels de Berzé ou Massakine Berzé, en écoutant les prêches des mosquéesdu « Triangle Sunnite » Abu Nour - Cheikh Mohidine - Jamar Boutih32, en suivant les enfantsdes rue dans le dédale de la Vielle Ville ou sur la grande artère de l’avenue du 29 mai,en étant volontaire à la société civile St Vincent de Paul pour la soupe populaire dans laville de Jaramana33 ou tout simplement en interrogeant les plus démunis sur leur quotidien,une approche systémique s’est dégagée, articulant dimensions sociale, politique et spatialepermettant ainsi de réinscrire la pauvreté urbaine dans le contexte global des problèmesde la société syrienne.

Comme le souligne Elisabeth Longuenesse, « si l’approche longtemps dominante enterme de pauvreté monétaire à été enrichie par la prise en considération de dimensionssociales et humaines »34, notre étude estime néanmoins (peut-etre à juste titre) que touteconstruction d’indicateur purement macroéconomique réduit la pluridimensionnarité duphénomène. Nous proposons donc de reformuler la problématique, à notre échelle locale enl’occurrence Damas, en termes de droits sociaux et d’exclusion, seul moyen de prévenir les

31 On pense ici aux questions de distribution ou de fonds publics.32 Ce quartier, proche de Rukn Ed Dine au nord de la ville, est le bastion des frères musulmans.33 Banlieue Sud de Damas34 LONGUENESSE, Elisabeth, Compte rendu [en ligne]. Remmm : 2006 [page consultée le 7 mai 2007].

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dérives technocratique ou assistancielle. Il est vrai que dans les pays du Sud en général, enSyrie en particulier, la force du lien social est à l’origine d’une forme de « pauvreté intégrée »,où les solidarités locale, familiale, communautaire, offrent une protection aux plus pauvres.

L’exclusion se traduit donc autrement que dans les pays du Nord : la logiqued’assistance place en fait les catégories les plus fragiles dans une position de dépendancequi en fait des citoyens de second ordre et considérer, comme le fait la Banque Mondiale,que l’on peut trouver là une solution tenant compte de la réalité sociale contribue àfragmenter une société en quête d’intégration.

Or, dans une Cité comme Damas, totalement désarticulée, en pleine étalement urbain,sans véritable réseaux en raccord, avec un Etat absent et incapable de redistribueréquitablement et efficacement, un lien social affaibli , notamment dus à l’éclatementprogressif de la cellule familiale et des solidarités claniques, une segmentarisationreligieuse de la société accroissant la dépendance des plus démunis vis-à-vis des lieuxde culte, peut-on réellement parler d’une véritable intégration des pauvres dans la sphèreurbaine syrienne?

La pauvreté, se référant généralement à l’insuffisance des ressources matérielles etdes conditions de vie, ne doit pas être confondue avec l’exclusion, signifiant la relégationou la marginalisation sociale de personnes ne correspondant pas au modèle dominantd’une société, car certes les « pauvres » sont souvent exclus mais il existe d’autremotifs d’exclusion que la pauvreté matérielle. Or, la pauvreté et l’exclusion participent d’unprocessus sociétal imposant une stratégie urbaine productive, notamment par la créationd’emplois, et inclusive, en s’attaquant à un système inégalitaire et corrompu en place.

Face à cela, l’enjeu est-il l’éradication de la pauvreté urbaine ou, plusfondamentalement, la reconstruction de rapports sociaux et des possibilités d’accès duplus grand nombre aux droits et services ? Si tel est le cas, le projet politique de la villeproductive, en élargissant la sphère d’influence du secteur privé par rapport aux institutionset entreprises publiques, et inclusive, en remettant en cause les privilèges des plus richesau profit des « pauvres » et des exclus, participe-t-il d’une réelle volonté politique dechangement socio-économique de la société syrienne, et ainsi d’une meilleure intégrationdes plus démunis ?

Pour répondre à cette problématique, nous avons organisé notre réflexion autour dedeux parties, chacune centrée autour de plusieurs thèmes dominants :

La première, sous le titre « Construction de la catégorie pauvreté », pose laquestion de la définition de la pauvreté en milieu urbain, notamment grâce à l’approche« constructionniste » (Chapitre I), car donner un sens à ce mot « pauvreté », c’est d’abordparler de la manière dont elle est perçue, conceptualisée et explicitée.

Dans le même temps, refusant une définition monolithique du phénomène, notammentle seuil de pauvreté, notre travail tentera d’élaborer une nouvelle approche statistique etméthodologique afin de détailler les caractéristiques propres de la pauvreté syrienne enmilieu urbain (Chapitre II).

Enfin, il est nous est paru primordial de revenir sur le lien entre pauvreté et exclusion,mais cette fois ci sous l’œil du discours, afin de décloisonner les approches de la pauvretéet d’intégrer ses dimensions politiques dans les discours construits sur elle et autour d’elle(Chapitre III).

La deuxième partie, sous l’appellation « Vécus et gestion de la pauvreté », traitera desprocessus et dynamiques d’appauvrissement, des modes de régulation et des acteurs en

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réseaux, des moyens mis en œuvre pour lutter contre le phénomène, avec notamment laperception de la pauvreté quotidienne dans des quartiers informels de Damas, basée surune auto-représentation de la question (Chapitre IV).

Puis, en suivant notre logique de mieux comprendre les caractéristiques, lescomportements et les situations des « pauvres », il nous est paru primordial de se pencherà la fois sur une classe d’age, en l’occurrence les enfants des rues, afin d’analyser lesstratégies mobilisées et l’assistance reçue (Chapitre V), et une classe socioprofessionnelle,à travers une étude sur le comportement des agents de l’Etat, soumis à une vulnérabilitégrandissante avec libéralisation progressive de l’économie (Chapitre VI).

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Première partie : Construction de la catégorie pauvreté.

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Première partie : Construction de lacatégorie pauvreté.

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Sous couvert d’outils de mesure et de classification « incontestables » ainsi qued’analyses des causes et déterminants de l’appauvrissement, la Banque Mondiale se placecomme l’unique précurseur et pourvoyeur de solutions efficaces contre ce fléau, sans tenircompte nécessairement des spécificités politiques, sociales, économiques et culturelles despays concernés35.

Je m’essaierai donc, dans cette partie, de mettre en place les bases d’une analyse quime semble pourvoir mieux rendre compte de la pauvreté comme étant inscrite dans desreprésentations et dans des systèmes de relations multipolaires.

Cette partie sera à la charnière de trois objectifs primordiaux : Tout d’abord, lanécessaire définition de la pauvreté, cadrant avec le contexte syrien, basée sur des travauxsociologiques occidentaux, sur des thèmes variés, allant aussi bien de la question socialeà la notion de justice sociale, afin de catégoriser le « pauvre » et de connaître sescaractéristiques propres. (Chapitre I).

Puis, dans la lignée de la remise en cause de l’aspect monétaire et financier dela pauvreté, notamment à Damas, je tenterai de remettre en question l’idée de seuil depauvreté comme outil de mesure viable, préférant mettre en avant une nouvelle fonctionméthodologique : la ligne de pauvreté. Cette ligne, respectant la définition proposée auchapitre I, nous permettra de quantifier le phénomène et d’établir un profil type (Chapitre II).

Enfin, avec une définition qualitative de la pauvreté urbaine et des donnéesquantitatives viables sur la région de Damas, je m’efforcerai de réfléchir à la question del’exclusion afin de construire un réel discours sociologique sur le phénomène de la pauvretéen milieu urbain et d’en tirer l’ensemble des spécificités (Chapitre III).

CHAPITRE I : La difficile définition de la pauvretéLes études comparatives et historiques, ou simplement la mise en regard de différentsécrits font ressortir la relativité et la variabilité de ce qu’on nomme « la pauvreté », deceux qu’on désigne comme « les pauvres » et de la façon dont ce « problème » estressenti et abordé. De la pitié à la peur, du respect aux mépris, de la familiarité à ladistance hautaine, les attitudes trahissent la subjectivité du regard porté sur ce qui estconsidéré « pauvre », individuellement ou collectivement. En fait, la pauvreté serait unenotion faiblement conceptualisée, qui recouvrirait à la fois des réalités sociales vécues, pour

35 DESTREMEAU, Blandine, Pauvres et pauvreté en Afrique du Nord Moyen-Orient, Essai de balisage d’une problématiquede recherche en sciences sociale, Les cahiers d’URBAMA, 1997, numéro 13, p. 8-54.

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certaines seulement mesurables, un regard posé sur ces réalités et surtout une relationsociale et un positionnement relatif dans cette relation. Si le dénuement36 peut être vucomme un état en soi, fait de réalités concrètes et mesurables, la pauvreté, en terme d’étatsocial, n’existe que dans un rapport à l’autre et par le truchement de relations fondées surune vision hiérarchisée, classifiée des groupes sociaux, et sur des appréciations relativesde soi et de l’autre, de ce qu’il faut avoir et de ce qu’il fait défaut37.

Derrière l’objectivation, la désignation d’un ensemble d’individus ainsi définis comme« pauvres », avec leurs diverses sous catégories, du « pauvre » comme archétype et dela pauvreté comme état, représente donc une construction mentale politique, sociale etclassificatoire, imprégnée de subjectivité et de relativité, qui dépend de qui l’emploie et ducontexte dans lequel ces faits, ces représentations et ces appréciations prennent place38.

Ce chapitre tentera donc d’élucider trois grandes questions : Premièrement, sur quellesreprésentations et images définit-on là pauvreté et le pauvre39 ? Deuxièmement, commentclasser cette population et les enjeux du système classificatoire ? Troisièmement, peut-on réellement plaquer la définition de la pauvreté opérée par la Banque Mondiale sur lecontexte syrien et ainsi résumer le phénomène à une simple inégalité de revenus ?

A/ Le sens des mots, le poids des représentations

Fonction étymologique de la pauvretéLa définition donnée à la ou les catégories de pauvres porte en elle une vision subjectiveallant aussi bien de sa représentation à sa solution préconisée. Une étude du vocabulairepour décrire la pauvreté, de ce que ces mots désignent, des contextes de leurs usageset de leurs connotations, ouvre des perspectives qui permettent d’aborder ce champ dereprésentations de la pauvreté, révèle « les latitudes et les sentiments qu’elle suscite »40.

En outre, « les mots ne font pas que dévoiler une réalité, préexistant à toute constructionculturelle, qui attendrait seulement d’être nommée. Les mots agissent en retour sur la réalitéqu’ils transforment »41.

Mollat remarque à juste titre :« La fonction qualificative des mots a précédé leur emploi substantif. On estpauvre ; on devient « un pauvre ». La pauvreté désigne d’abord la qualité, puis lacondition d’une personne de n’importe quel état social, atteinte d’une carence,d’une infériorité par rapport à la condition normale de leur état. […] De plus,l’emploi au pluriel du mot « pauvres » traduit la perception quantitative des

36 On entend ici par dénuement l’état de celui qui « manque ».37 Idem

38 Id.39 DESTREMEAU, Blandine, SALAMA, Pierre, Mesures et démesure de la pauvreté, Paris : Presses Universitaires de France,

2002. 163 p.40 MOLLAT, Michel, Les pauvres au Moyen Age, Paris : Editions Complexes, 1980. 390 p.

41 FASSIN, Didier, Exclusion, underclass, marginalidad. Figures contemporaines de la pauvreté urbaine en France, aux Etats-Unis et en Amérique Latine, Revue Française de Sociologie, 1996, numéro XXXVII, p. 37-75.

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individus ainsi que l’éveil d’un sentiment de pitié suscité par les non pauvres.[…] Si l’évolution de l’emploi des mots pauvre et pauvreté correspond à deschangements profonds et lents des notions qu’ils expriment, leurs synonymes,leurs antonymes, leurs associations et oppositions verbales ne sont pas moinsdignes d’attention. Cette évolution permet de cerner avec plus de précisionla diversité des états de pauvreté et la complexité des attitudes d’esprit etdes comportements qu’ils suscitent. On remarquera que ces attitudes etcomportements sont généralement connus à partir d’un unique point de vue, leregard des autres hommes sur les pauvres »42.

La « pauvreté » et « le pauvre » n’existeraient donc que par une définition exogène.Toute définition ayant du sens, et prenant forme dans un contexte historique, politique etspatial afin d’appréhender la pauvreté comme fait social ne pourrait faire l’économie de seconfronter avec la pluralité des définitions existantes, de déterminer la nature des émetteurs(« pauvres » ou « non pauvres ») et de désigner des critères objectifs.

La pauvreté : un fait social à part entièreSans avoir la prétention de réaliser ce travail, soulignons seulement que la notion depauvreté est toujours associée à une carence (argent, éducation, alimentaire, intégration,sécurité, dignité) par rapport à une norme de référence. Elle repose en quelque sortesur la perception de « signes extérieurs de pauvreté », qui font écho aux représentationssociétales. Les « pauvres » sont donc issus d’un processus sociétal de distinction à la foissocial, spatial et culturel.

Pourtant, aussi « évidents » qu’ils puissent paraître, ni le choix (implicite ouexplicite) d’une définition unilatérale, la représentation des carences cruciales censées êtredéterminantes pour distinguer la pauvreté ne peut être utilisé comme définition viable dansnotre étude, notamment par l’excès de subjectivité, de relativité et de projection énoncés.

En effet, si l’on prend l’exemple des carences, elle sont présentées comme un étatde fait donc devraient préparer à catégoriser les « pauvres » de manière objective. Or,la majorité des études sur la question montrent au contraire la volatilité de ces diversescarences, les fluctuations des modes de vie des « pauvres », l’évolution historique des étatsde grande pauvreté et de richesse dans le temps et dans l’espace. Il nous faudra donc seplacer dans la droite ligne de nouveaux concepts, notamment ceux désignant la pauvretécomme un processus dynamique, comme un mode de reproduction sociale et économique,aux facettes multiples.

Ainsi perçue comme « fait social », la pauvreté est positionnée dans une vision de l’ordreinjuste. Le « fait » pauvreté, défini comme objet, est appréhendé comme « problème » depauvreté à des niveaux multiples : Au niveau idéologique, la pauvreté est perçue commecontradictoire avec, à priori, une dualité morale/éthique, et, à fortiori, quand il sert de baseaux discours légitimatoires de l’Etat ; au niveau des fonctionnements sociaux, économiqueset politiques, la pauvreté représente un coût social important pour appréhender les risquesmenaçant l’ordre social. La Syrie rentre parfaitement dans cette perception du « problèmepauvreté » : L’Etat ne fait aucun discours sur ce sujet mais s’en sert implicitement pouraffirmer son rôle dans la réduction des inégalités sociales, et, dans le même temps, organiseson action autour d’un principe de répression, afin d’éviter les prémisses d’une révolte

42 MOLLAT, Michel, Les pauvres au Moyen Age, Paris : Editions Complexes, 1980. 390 p.

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sociale, voire d’une révolution populaire pouvant remettre en cause sa pérennité, et nonde prévention.

Définir la pauvreté, lutter contre l’exclusion ou la représentation d’undualisme socialEn Europe, les modes de dire, les images employées dans les discours sur la pauvreté fontétat le plus souvent de la représentation d’un certain dualisme social, d’un schéma dualistesur lequel « la société est représentée de part et d’autre d’une « fracture sociale » séparantceux qui ont leur place et ceux que l’on doit y insérer ».43 Ce dualisme transparaît dans laproblématique de l’exclusion, « notion par laquelle sont nommées et pensées les questionsde la pauvreté, l’inégalité, de la citoyenneté ».44

Pierre Rosanvallon note également cette tendance pour la France, soulignant sonaspect réducteur :

« Depuis une dizaine d’années, l’exclusion a constitué le fait social majeur. La« question sociale » s’est du même coup déplacée : on est passé d’une analyseglobale du système à une approche focalisée sur le segment le plus vulnérablede la population. [Les organisations caritatives] ont puissamment contribué àremodeler l’imaginaire social collectif, théâtralisant une grande coupure entredeux mondes implicitement considérés comme homogènes. L’invitation à luttercontre l’exclusion à ainsi simplifier le social, certainement beaucoup trop. Ladynamique sociale ne saurait en effet être réduite à l’opposition entre ceux quisont « dedans » et ceux qui sont « dehors »45.

Dans un article paru en 1996, le sociologue Achille Weinberg parle d’une « visiondichotomique du social mettant en face deux mondes : D’un coté, les in-group, ceux qui sontparfaitement et totalement intégrés à la société et, de l’autre, le monde des exclus vivant enmarge et soumis à la précarité, la misère, la délinquance, la drogue »46.

Dans son analyse des « désignations métaphoriques » d’exclusion en milieu urbain47,Fassin met en relief les systèmes d’interprétations qui renvoient à des représentationsparticulières de l’espace social ainsi que les topologies symboliques de la pauvreté, fondéessur trois couples d’opposition spatiale – dedans/dehors, haut-bas/ centre-periphérie, en lienavec des bases objectives comme le travail ou la vie culturelle. Pour corroborer rapidementcette analyse, on retrouve cette typologie entre Damas Ville et Damas Campagne, lalocalisation des logements informels vers le haut du Qassioun à l’inverse du sud de la VieilleVille, et un dynamisme économique et commercial dans le centre asphyxiant la périphérieurbaine.

43 Idem44 Id.45 ROSANVALLON, Pierre, La nouvelle question sociale. Repenser l’Etat-Providence, Paris: Seuil, 1998. 222 p. collection

Points Essais.46 WEINBERG, Achille, Lien social : fracture ou fragmentation ?, Sciences Humaines, juin 1996, numéro 13, p. 5-11.

47 FASSIN, Didier, Exclusion, underclass, marginalidad. Figures contemporaines de la pauvreté urbaine en France, aux Etats-Unis et en Amérique Latine, Revue Française de Sociologie, 1996, numéro XXXVII, p. 37-75.

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Or, ce dualisme constant oblige la pauvreté à s’inscrire dans un ordre moral du faitqu’elle entre souvent en contradiction avec la conception de justice sociale48, et notammentavec l’ordre religieux, ordre moral dominant dans les pays arabo-musulmans. A ce titre, unparadoxe s’installe entre la pauvreté terrestre et le paradis promis pour ceux qui ont connula douleur et la souffrance quotidienne, et l’instauration de la zakat, sorte d’impôt purificateurpour les riches. Or, au cours du XXe siècle, le devoir de charité est transféré au profit d’uneassistance rationnelle dans les lieux de culte dans le but, non pas de subvenir aux plusdémunis, mais bel est bien de les cacher à la face de la bourgeoisie citadine.

Les représentations et désignations diverses, tout comme l’ordre moral, les exigencesde justice minimales partagées entre les membres d’une communauté/société au-delà deleur différence de conception, s’inscrivent aussi dans l’ordre politique, économique et social,et c’est à ce titre que j’y ferai à nouveau allusion plus tard. Une des médiations entre lesperceptions individuelles face à la pauvreté, et la vision de l’ordre social, dont elles procèdentet qu’elles contribuent à produire et à reproduire, sont réalisés par le biais d’une démarched’objectivation, la plus significative étant la classification.

B/ La classification des pauvresEn effet, de par les représentations dont ils ont fait l’objet et font l’objet, et de le nécessitéressentie d’avoir à leur égard une attitude particulière, sinon des gestes et des mesures,la catégorie des « pauvres » non seulement est le produit de visions hiérarchisées etclassifiées de l’ordre social, mais a été elle-même l’objet de classification depuis des siècles.

L’instauration de différences

Pour le sociologue contemporain Christian Topalov49, la classification engendre certainesconstructions de représentations, s’inscrit dans les pratiques, contribue à mettre en formeles problèmes et élabore de nouvelles légitimations. Il ajoute de ce fait :

« La difficulté du travail classificatoire, en effet, tient au fait que les catégoriesséparées par l’analyse ne le sont pas dans la réalité sociale, se confondent à leur frangespar d’imperceptibles transitions, peuvent même en temps de crise basculer de l’une àl’autre en des glissements massifs. Il faut marquer des lignes de partage, empêcherles contaminations, organiser les relèvements. Il faut, si possible, que des dispositifsautomatiques inscrivent dans la réalité les différences postulées. […] Classer n’est doncpas seulement observer des différences, mais les instaurer. »

Il revient donc à dire que classer une population n’est pas une simple affaire destatistique, mais une opération stratégique et l’énoncé de « problèmes » et de « solutions »ne constitue pas le résultat de l’enquête, mais le principe d’une classification grâce à laquelleles données s’organisent et trouvent leur intelligibilité50.

Analyser la nomenclature et l’histoire des systèmes classificatoires, en l’occurrencede la pauvreté, relève d’une « généalogie des représentations »51, de l’histoire des

48 MARY, Douglas, Justice sociale et sentiment de justice, une anthropologie de l’inégalité, Pluralisme et Equité. La justicesociale dans les démocraties, AFFICHARD, Joëlle (dir.), Paris : Editions Esprit, 1995. 262 p.49 TOPALOV, Christian, Naissance du chômeur (1880-1990), Paris : Albin Michel, 1994. 626 p. collection l’Evolution de l’Humanité.

50 Idem51 Id.

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« compositions, décompositions et recompositions »52 des systèmes cognitifs qu’ilsconstituent.

Généalogie de la classification

Ainsi que Mollat le montre à partir du IVe siècle byzantin53, le soucis de catégoriser, trier,délimiter les pauvres se traduit par des discours en appelant à des critères moraux qui vontdéterminer et justifier certaines pratiques différenciées, qu’elles soient publiques ou privées,et s’inscrire dans les institutions. Ce soucis procède d’un soupçon récurrent, voire d’unecrainte, au sujet de la moralité du pauvre, de sa marginalité, de sa paresse, de sa capacitéà se révolter etc.

La classification des pauvres relève donc d’une préoccupation constante, celle derechercher une ligne de clivage entre les pauvres et les non pauvres au lieu d’une volontéaffirmée de les intégrer.

L’entreprise de classification implique donc l’édification de critères déterminant desclasses séparées par les seuils de divers ordres (économique, biologique, mais aussisociologique) ; puis l’assignation des individus et familles à ces classes au travers d’uneidentification de leurs besoins et de leurs caractéristiques. Au XIVe siècle, en Occident, despauvres méritants recevaient des occasions de réinsertions notamment par l’Eglise54, auXXe siècle, au Moyen-Orient, et en particulier en Syrie, l’armée et la bureaucratie assuraientce rôle.

Ces groupes réels doivent donc être « identifiables par l’observation » comme lesouligne Topalov55, notamment spatial, par les quartiers occupés en deuxième périphériede la ville pour citer le cas de Damas.

En effet, le XIXe siècle amène un changement profond dans la réalité de la pauvretéen Occident, qui sera renouvelé au XXe siècle au Moyen Orient après les mouvementsde décolonisation, avec le mouvement de migration, d’industrialisation et d’urbanisation, etdans la formation de bourgeoisie, d’Etat dans le cas syrien, ayant un pouvoir accru sur lasociété.

Charles Booth, sociologue anglais du XIXe siècle, élabore une nouvelle classificationrévolutionnaire en 1880 et qui perdura durant des années56 : Pour la première fois, uneclasse sociale devient une classe statistique et une hiérarchie est appliquée selon desprincipes empiriques, rompant totalement avec la logique de l’assistance publique et de laphilanthropie.

De plus, il établit des critères de revenus mais surtout de condition, élément moteurdans l’attribution de sa classe sociale.

52 Id.53 MOLLAT, Michel, Les pauvres au Moyen Age, Paris : Editions Complexes, 1980. 390 p.

54 Idem55 TOPALOV, Christian, Naissance du chômeur (1880-1990), Paris : Albin Michel, 1994. 626 p. collection l’Evolution de

l’Humanité.56 Booth élabore huit classes de pauvreté : les pauvres au niveau du seuil de pauvreté (C et D), les très pauvres (A et B),

les classes confortables (E et F) et aisés (G et H).

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Enfin, il est l’inventeur de la ligne de pauvreté, élément méthodologique que nous avonsretenu pour quantifier le phénomène en Syrie, avec la mise en valeur de l’irrégularité dutravail comme facteur clé de la pauvreté57.

La pauvreté : Objet d’action publique

Avec l’apparition du chômeur au début du XXe siècle, Topalov58 montre que ce dernierest considéré à la fois comme la figure du « pauvre » et de l’ouvrier, rompant avec lesthéories sur la pauvreté car elle n’induit en rien des traits moraux mais bel et bien une réalitésocioéconomique. Le chômage sera bien entendu traité par des systèmes assurantiels,notamment par l’Etat, mais la pauvreté en elle-même, sera soumis à une triple vision :« Moderniste technocratique » dans les sociétés d’Europe Occidentale, « d’assistancielle-repressive » dans les premières années du Baath et « caritative »59 avec une explosion desacteurs intermédiaires (ONG, lieux de culte, association).

Ainsi, par la constitution statistique, administrative et juridique de la population pauvre,la pauvreté devient un objet d’action publique comme le souligne Rosanvallon60.

Aujourd’hui encore, la classification des « pauvres » repose sur la prise en compted’une série de critères : Revenu, santé, éducation, composition de la famille, lieu et naturede l’habitat, permettant de créer une échelle allant de la précarité à la totale dépendance desaides sociales ou de solidarité. Il est vrai que, comme le souligne Paugam61 , le chômage estdevenu le problème central ou que la question du rapport entre travail, notamment informel,et pauvreté prend une place importante dans les réflexions sociales. Cependant, on ne peutse résigner à penser, juguler, classer, comprendre et lutter contre la pauvreté à partir dusimple revenu comme le proclame la Banque Mondiale, véritable « ogre capitaliste » en lamatière.

C/ La conception « monétaire » de la pauvretéEn utilisant un seuil international de pauvreté de un dollar par habitant et par jour, l’incidencede la pauvreté sur la région ANMO est estimée à 2,8% de la population62, ce qui en fait larégion mondiale la moins touchée par le phénomène. Or, si l’on compare l’Arabie Saouditeet la Syrie, on se rend compte que, malgré leurs 21 millions d’habitants respectifs, desgrosses divergences subsistent : Economie libérale pour l’un contre le socialisme affichéde l’autre, pays rentier face à un pays agricole, 7 millions d’immigrés contre 2 millions deréfugiés, monarchie islamique face à une république laïque etc. Ce chiffre de 2,8%, basésur des mesures purement macroéconomique, a-t-il réellement un sens pour comprendrela complexité du phénomène ?

57 Idem58 Id.59 LAUTIER, Bruno, Les malheureux sont les puissants de la Terre, Revue Tiers Monde , juin 1995, numéro 142, p. 787-802.

60 ROSANVALLON, Pierre, La nouvelle question sociale. Repenser l’Etat-Providence, Paris: Seuil, 1998. 222 p. collectionPoints Essais.

61 PAUGAM, Serge, L’état des savoirs, Paris : La Découverte, 1996. 583 p. collection « Textes à l’appui ».62 Note sur la pauvreté au Moyen Orient et en Afrique du Nord, www.banquemondiale.org .

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Etre pauvre, « c’est ne pas pouvoir atteindre un niveau de vie minimum » 63

L’institution de la Banque Mondiale a une mission claire : Quantifier la pauvreté pourmieux la solutionner, notamment au travers de questions comme « Que savons nous despauvres ? »64 ou « comment mesurer la pauvreté ? »65. La construction de la réponseest alors significative de la démarche et des implicites sous jacents : Trois exemples defamilles pauvres, dans trois pays différents, sont présentées comme cas « typiques » ou« exemplaires »66.

Puis, elle développe des mesures d’information autour du « pauvre » en s’interrogeantsur leurs nombres, leurs lieux d’habitations et surtout pourquoi sont-ils pauvres ?L’affirmation liminaire concernant la définition de la pauvreté est que « pauvreté n’est pasinégalité », la première se situant dans l’absolue et la seconde dans la relativité des niveauxde vie.

En somme, être pauvre revient alors à dire que l’on n’atteint pas un niveau de vieminimum, d’où la nécessité de mesurer le niveau de vie, de fixer le minimum vital de façonà pouvoir les identifier, puis d’exprimer un degré de pauvreté, indice unique en la matière.

La mesure du niveau de vie sera fondée sur un indicateur principal, la consommation,appréhendée par les revenus des ménages et les dépenses par personne, qui seracomplété par « d’autres éléments d’appréciation comme la nutrition, l’espérance de vie, lamortalité infantile des moins de cinq ans et les taux de scolarisation »67.

Pauvreté relative ou absolue ?La Banque Mondiale se défend de définir la pauvreté en relation avec les inégalités et adopteun seuil fixe, et donc absolu. Pour autant, elle précise dans son rapport sur la pauvreté que :

« La conception de la pauvreté a évolué dans le temps et varie énormémentd’une culture à l’autre. Les critères utilisés pour distinguer entre pauvres et nonpauvres sont généralement le reflet des priorités et des conceptions normativesdu bien-être social et du droit propres à chaque pays ».68

Le niveau minimum de consommation acceptable, ou seuil de pauvreté, évolue doncgénéralement dans le même sens que le niveau de vie de l’ensemble de la société, et estdifférent pour un pays riche que celui d’un pays pauvre. Or, c’est là la substance mêmede la notion de « pauvreté relative » (vivre en dessous d’un niveau relatif de ressources,qui s’élève à mesure que la richesse s’accroît dans un pays donné), opposée à celle de« pauvreté absolue » (vivre en dessous d’un seuil fixe de ressources). En fait, la BanqueMondiale puise aux définitions : La relativité s’applique dans l’espace puisque la ligne d’undollar ne vaut que pour les pays pauvres. Elle s’applique aussi dans le temps, pour les

63 BANQUE MONDIALE, La pauvreté, Rapport sur le développement dans le Monde, Washington : World Bank, 1990. 126

p.64 Idem65 Id.66 Il est à noter que le dernier programme de ce genre en Syrie date de 1995, nous pouvons donc douter de la pertinence des chiffresévoqués par la Banque Mondiale.

67 Id.68 Id.

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pays occidentaux développés, qui définissent le seuil de pauvreté comme équivalent à lamoitié du revenu moyen ou médian du pays69 ce qui le fait donc évoluer à proportion dece revenu. Mais elle ne s’applique pas de façon dynamique aux pays pauvres, puisque laréduction de la pauvreté signifie le passage mécanique de la ligne par les « pauvres », cetteligne demeurant fixe de facto, alors même que s’élève le niveau de richesses du pays parune croissance que des réformes doivent permettre aux pays concernés de recouvrer oud’accélérer.

Privilégier la pauvreté absolue sur la pauvreté relative conduit ainsi à renforcer la visionde la pauvreté comme état et non comme processus et, ce faisant, à écarter l’analyse d’uncertain nombre de facteurs dont ceux qui participent de la régulation sociale, de maintienou de marginalisation des « pauvres » dans le champ social.

Au-delà des contraintes matérielles (limitation des ressources disponibles) derrièrelesquelles s’abritent les approches libérales, on peut ainsi mieux cerner les contours de ladéfinition de la pauvreté par celles-ci : Du seuil référé à une norme (presque infra-sociale)établie pour les « pauvres », de la notion de besoins fondamentaux, du refus de mettre lesinégalités au centre du débat, de la fétichisation du « dollar par jour », on arrive finalementà une représentation de la pauvreté comme fondamentale, rattachée à l’idée de nature, àla substance même de l’humanité (des besoins de la personne) dans sa diversité et sesinégalités. Dans cette approche, la « pauvreté abjecte » (autre dénomination de l’extrêmepauvreté) est injuste et révoltante. En d’autres termes, la pauvreté, ainsi réduite à unevision quasi-naturaliste, détachée de son contexte social et politique, sera définie de façonuniverselle ce qui légitimerait le fait que les présupposés et techniques comptables desinstitutions internationales s’appliquent en tout lieux.

Une catégorie universelle ?La vision internationale, véhiculée par la Banque Mondiale, est structurée autour de modèlesforgés au cours de l’histoire européenne, et plus particulièrement par la tradition libéraleanglo saxonne ; elle impose ses catégories, ses indicateurs, ses interprétations du pourquoiet du comment du « pauvre ». Autrement dit, l’appareillage statistique de la Banque Mondialereflète une vision de la pauvreté occidentale c’est pourquoi un travail d’objectivation estnécessaire.

Avec des discours et des modèles analysant la pauvreté comme un « système derelations sociales »70 de résistance (des riches vis-à-vis des pauvres) ou d’une vision duhaut vers le bas, la Banque Mondiale tente de reconstruire les expériences occidentalesau Moyen-Orient, alors que la pauvreté est beaucoup plus « intégrée » comme le soulignePaugam:

« Les « pauvres » ne forment pas une underclass, au sens anglo-saxon, mais unecouche sociale étendue. Les « pauvres » ont un bas niveau de vie, mais restent pleinementinsérés aux réseaux sociaux et familiaux et de voisinage. Même touchés par le chômage,ils ne sont pas frappés d’indignité, ni stigmatisés. […] Il est possible de voir dans ce modèle

69 VALTRANI, Patrick, La notion de pauvreté : des frontières floues, Economie Appliquée, 1993, numéro de décembre 1993,p. 23-67.

70 LAUTIER, Bruno, Les malheureux sont les puissants de la Terre, Revue Tiers Monde , juin 1995, numéro 142, p. 787-802.

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de pauvreté les survivances d’une époque ancienne où la protection sociale était avant toutassurée par les proches, au sein d’une économie essentiellement paysanne».71

On se trouverait donc dans un rapport non pas binaire – les « pauvres » et les « nonpauvres » - mais emboîté, imbriqué. La notion de pauvreté, les groupes, phénomènes,caractéristiques qu’elle désigne procéderaient alors d’une histoire et de niveaux de visionsd’une part « internes » (la famille, la communauté, le groupe social d’appartenance), et,d’autre part, « externes » (donateurs, institutions internationales).

On pourrait ainsi appliquer à la République Arabe Syrienne la définition de la pauvretéde Peter Townsend qui souligne que :

« Les individus, familles ou groupes de la population peuvent être considéréscomme en état de pauvreté quand ils manquent des ressources nécessaires pourobtenir l’alimentation type, la participation aux activités et avoir les conditionsde vie et les commodités qui sont habituellement ou sont au moins largementencouragées ou approuvées dans les sociétés auxquelles ils appartiennent ».72

On retrouve donc le même système de relations sociales, non pas de résistance commel’expose la Banque Mondiale, mais de dépendance, notion large et englobant un champéconomique, social et spatial. La pauvreté dans le monde arabe, c’est la dépendance. Ilnous restera à la quantifier par des outils méthodologiques plus larges.

CHAPITRE II : Le « mythe » du seuil de pauvretéIl est reconnu aujourd’hui que la pauvreté est d’ordre économique, politique et social73.

Or, la Banque Mondiale se contente de mettre l’accent sur la dimension monétaire, encalculant généralement des seuils de pauvreté supérieure et inférieure, seuils qui, à nosyeux, semblent des indices biaisés, ne permettant pas de définir et quantifier concrètementla pauvreté ainsi que son incidence sur la société.

En effet, il convient de noter que, pour être pertinents, utiles aux analyses et à laformulation de projets et programmes de lutte contre la pauvreté, les seuils de pauvretédoivent être calculés au niveau national, et non pas par région comme nous l’avons vuprécédemment, en élargissant les critères d’étude.

L’utilisation de seuils de pauvreté, supérieur comme inférieur, uniques surestime lenombre de « pauvres » et masque les disparités du phénomène entre les différentesrégions, rendant très préjudiciable le ciblage des populations pauvres. A ce titre, ce chapitretentera à la fois de souligner les critères technocratiques de calcul du seuil de pauvreté,de relativiser son impact, notamment en remettant en cause l’idée d’indice universel, et de

71 PAUGAM, Serge, les formes contemporaines de la pauvreté et de l’exclusion. Le point de vue sociologique, Genèses,juin 1998, numéro 31, p. 160-182.72 TOWNSEND, Peter, Poverty in the United Kingdom- A survey of Household Resources and Standards of Living,

Londres: Penguin Books, 1979. 244 p.73 MBONG MBONG, Luc, l’impact de la pauvreté urbaine sur la dynamique des villes : enjeux pour les municipalités africaines etl’engagement des municipalités africaines dans l’élaboration de politiques, programme, projets visant la réduction de la pauvreté [enligne].Conférence sur la gestion urbaine et municipale en Afrique : 2001 [page consultée le 12 février 2007].

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promouvoir une méthodologie plus large, en l’occurrence la ligne de pauvreté en relationavec l’indicateur de pauvreté (IPH), prenant en comptes de multiples critères sociaux,quantifiant le phénomène en tenant compte des disparités entre le genre, la région et l’âgeet permettant ainsi de dresser un profil concret de la pauvreté syrienne.

A/ Une conception technocratique

Méthode de calculLe niveau de vie minium, ou seuil de pauvreté, est défini par rapport à une norme et forméde deux éléments : D’une part, ce qu’il faut dépenser pour se procurer un niveau minimumde nutrition et autres nécessités de la vie, et, d’autre part, ce qu’il faut dépenser, et dontle montant varie d’un pays à l’autre, pour pouvoir participer à la vie quotidienne de lasociété. En terme de calcul, selon la Banque Mondiale, le seuil de pauvreté est établi parle revenu indispensable pour l’acquisition de la ration alimentaire incompressible ainsi quepour l’obtention d’articles de première nécessité et d’autres biens dont la nature varie selonles pays74.

La partie la plus simple à caractérisée est celle de la consommation de biens, calculée« en considérant le prix des aliments dont se nourrissent les pauvres »75 alors quel’évaluation de ce qu’il « faut dépenser pour pouvoir participer à la vie quotidienne de lasociété relève beaucoup plus d’une appréciation subjective »76.

Le rapport se fonde sur un double seuil de pauvreté, dont l’écart englobe les seuilsévalués pour un « certain nombre de pays à revenu moyen faible »77, et dont le niveaumême en exclut l’utilisation pour des pays à revenu moyen supérieur.

Pour l’ensemble des pays pauvres, le seuil supérieur (dit de pauvreté) est fixé à1$ par jour et le seuil inférieur (dit d’indigence, ou d’extrême pauvreté) à 75 cents, soitrespectivement 370$ et 275$ par habitant et par an (prix constant 1985 en parité de pouvoird’achat).

La première compte 75% de biens alimentaires, et 25% d’autres biens et services,l’autre seulement l’alimentation : C’est la ligne de survie physique. Ces seuils sont exprimésen dollars constants de 1985, ajustés par un coefficient exprimant le rapport entre le niveaudes prix dans le pays concerné et celui aux Etats-Unis, de façon à rétablir une parité depouvoir d’achat (PPA). Autrement dit, le pouvoir d’achat d’un dollar PPA est le même dansl’ensemble des pays que celui d’un dollar aux Etats-Unis.

Partager pour mieux calculerLe seuil de pauvreté forme une partition dans la vision de la société ; ceux dont le niveau deconsommation est situé en dessous de ce seuil seront administrativement (et légalement)qualifiés de « pauvres ». Une fois qu’on a distingué les « pauvres » des « non pauvres »,

74 LINCK, Thierry, Les pauvretés à l’épreuve des concepts, l’ordinaire latino-américain, IPEALT, 1995, numéro 155, p. 81-85.75 BANQUE MONDIALE, La pauvreté, Rapport sur le développement dans le Monde, Washington : World Bank, 1990. 126 p.76 Idem77 Id.

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la façon la plus simple de mesurer la pauvreté est de rapporter le nombre de « pauvres » àl’ensemble de la population. C’est l’indice numérique de pauvreté (ou taux d’incidence).

Pour compléter cet indicateur par une estimation de l’écart sépare les « pauvres » duseuil de pauvreté, l’indice volumétrique ou brèche de pauvreté est utilisé, qui mesure le« transfert de ressources qu’il faudrait opérer pour porter le revenu de toute personne pauvreexactement au niveau du seuil de pauvreté, faisant par là-meme, disparaître la pauvreté »78.

Un troisième indicateur, dit de « sévérité de la pauvreté », donne une évaluation de larépartition des pauvres en dessous de la ligne.

Le seuil de pauvreté est donc la pierre angulaire de tout système de mesure et declassification établi par la Banque Mondiale, puisque les pauvres sont ceux dont le revenuse situe en dessous. Or, il pose un certain nombre de questions.

B/ Une notion floue et abstraite

Une logique contestableComme nous l’avons vu antérieurement, le seuil de pauvreté est calculé sur la base duniveau de vie des « pauvres », défini par rapport à l’état des « pauvres », la norme deconsommation empruntée étant spécifique au groupe qu’elle doit servir à définir, isoler. Or, lanotion même de « niveau de vie minimum » exclut la prise en compte des fonctions socialesde la dépense en tant que forme et vecteur de lien social. Dans sa définition, ce seuil exprimenon pas la norme globale d’une société mais la norme de la pauvreté elle-même, ce quin’empêche pas que les « pauvres » seront ceux dont le niveau de consommation se situeen dessous de ce seuil, des « sous pauvres » en quelque sorte. Le fait d’atteindre le niveaude seuil, qui dans les termes comptables de la Banque Mondiale les raye du registre des« pauvres », signifie donc en fait l’accession à la norme de pauvreté acceptable ou ordinaire.De même pour l’extrême pauvreté, elle exprimera l’accession à la capacité de survie. Cecirelativise la validité des seuils non seulement quant à leur valeur et à leur sens, mais aussidu fait qu’ils excluent manifestement l’existence de moyens de survie (aumône, solidaritésdiverses, échanges de services…) qui témoignent précisément de l’existence de la pauvretécomme rapport social, affectant et affecté par la situation matérielle.

Selon les experts internationaux, accéder à un revenu supérieur au seuil de pauvretésignifie donc ne plus être pauvre. Or, il est rarement souligné qu’il ne puisse s’agir qued’un transfert ponctuel, dont les deux principales vertus sont alors de donner bonneconscience à celui qui les effectue et de diminuer mécaniquement et numériquement lenombre des « pauvres », mais fréquemment pas de générer une nouvelle situation stableet reproductible.

De fait, comme tous les indicateurs, ceux construits pour apprécier la pauvreté sontréducteurs, dans le sens où ils définissent implicitement la notion de pauvreté par cellede carence, de brèche à combler ou de « déficit de consommation essentielles »79.D’autres organisations internationales, et en particulier le PNUD avec l’Indicateur deDéveloppement Humain, ont tenté de développer des indicateurs plus complexes etreprésentatifs, englobant certains aspects sociaux que la Banque Mondiale ne prend pas

78 Id.79 LINCK, Thierry, Les pauvretés à l’épreuve des concepts, l’ordinaire latino-américain, IPEALT, 1995, numéro 155, p. 81-85.

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en compte comme le malaise des pauvres, leur dénuement, la faiblesse, l’insécurité,l’humiliation etc.

Quel que soit le niveau du seuil qui le désigne comme tel, le « pauvre », dans sesdimensions humaines, la complexité et le caractère unique de la situation, est réduit à laconvergence d’indicateurs ; sa pauvreté est objectivée en une série de marquage.

Un débat arbitrairePour Linck, le débat sur la pauvreté « se restreint très vite à une discussion d’expertsautour de catégories analytiques concurrentes, avec ses arrières pensées idéologiques etpolitiques, ses rigidités inséparables de l’utilisation de seuils, son ésotérisme statistique ».80

Ce débat est ainsi ciblé sur la question : « Quel est l’indicateur qui nous permettra deconnaître le nombre de pauvres ? » et est ainsi expurgé, car la notion même de pauvreténe résumera qu’a une étude comparative et quantifiée du phénomène. Or, paradoxalement,la légitimité de ce débat est fort peu contestable dans la mesure où la recherche decritères permettant de reconnaître opportunément les populations-cibles et la constructiond’indicateurs capables de rendre compte de façon pragmatique des différents visages de lapauvreté sont nécessaires à la construction de politiques sociales dignes de ce nom81.

Ce débat, certes primordial dans l’établissement d’un seuil de pauvreté viable, estnéanmoins arbitraire. Comme tentent de le montrer les pages qui précèdent, sous desaspects de rigueur et d’objectivité qui le fait ressembler à un « processus simple reposantsur des méthodes statistiques scientifiques »82, ce mode de calcul est construit sur ungrand nombre d’appréciations subjectives et relatives. Or, aucune de ces appréciationsn’est neutre, lorsqu’on sait que chaque variation minime des valeurs fait augmenter oudiminuer de plusieurs milliers le nombre des pauvres « légaux », reconnus. Valtrani83 remeten cause le calcul des indicateurs à divers égards, du fait que leur élaboration est jalonnéede choix à faire, dont tous vont peser sur le résultat final : Choix du panier de biens deréférence, établissement d’un prix puis d’un facteur de conversion en parité de pouvoird’achat, évaluation de la consommation non monétarisée…

Dans l’application même de ce seuil de dénombrement des pauvres, le choix de sefonder sur les individus ou la famille, d’appliquer tel ou tel coefficient d’équivalence à sesdivers membres, influe sur le résultat.

Kossaifi ajoute que le choix de la méthode de calcul, les estimations desconsommations caloriques et les procédés employés par différents chercheurs vontconsidérablement varier les valeurs obtenues. Salama et Valier84, quant à eux reprochentaux indicateurs de pauvreté, dans leur construction, de ne prendre en considération que lesrevenus monétaires, et donc de surestimer la pauvreté dans les pays où les revenus nonmonétaires sont particulièrement importants ; de ne pas tenir compte de la solidarité, ni des

80 Idem81 Id.

82 KOSSAIFI, Georg, Poverty in Western Asia: a socio political approach, ONU, 1996, papier non publié, 23 p.83 VALTRANI, Patrick, La notion de pauvreté : des frontières floues, Economie Appliquée, 1993, numéro de décembre

1993, p. 23-67.84 SALAMA, Pierre, VALIER, Jacques, Mesures des pauvretés et de l’appauvrissement, Revue Tiers Monde, 1995, numéro

142, p. 257-278.

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différences entre les milieux urbain et rural de façon suffisamment précise et exhaustive85.De surcroît, dans sa signification, l’indicateur de pauvreté ne reflète pas les évolutions de larépartition des « pauvres » en dessous du seuil ni la part des nécessités de bases satisfaitespar l’Etat.

La fétichisation du seuil de pauvretéMalgré leur caractère réducteur, arbitraire et relatif, le seuil de pauvreté et ses indicateursfont l’objet d’une sorte de fétichisation, dans le sens où leur limite inhérente, leur normativitéintrinsèque sont commodément laissées de coté, dans un mouvement de souscriptionimplicite à la fiction qu’ils représentent.

L’arrière plan de cette construction est vraisemblablement très prosaïque, bien qu’ilne soit neutre ni en termes de représentations des « pauvres » des pays pauvres, ni entermes, plus politiques de l’évaluation du sacrifice consenti par une collectivité pour éliminerla pauvreté.

Valtrani86 souligne en effet que le seuil de pauvreté est déterminé pour être compatibleavec les possibilités fiscales du pays concerné. Autrement dit, elle est déterminée de façonà ce que le nombre de « pauvres » légaux ainsi définis, et donc destinataires potentielsdes dispositifs sociaux, tout comme la brèche de pauvreté qui lui est attachée, soientsupportables pour les finances publiques et en accord avec l’image de cohésion socialeque le pays veut préserver.

L’objectivation des indicateurs se prête donc à camoufler une dimension politiquegénéralement éludée, masquée ou travestie dans la plupart des écrits émanant de laBanque Mondiale. La « fiction construite » du seuil de pauvreté produit donc ses propresreprésentations réductrices, ainsi que le précise Kossaifi : « La question de la pauvreté estdevenue une question « d’individus pauvres » qui doivent recevoir de l’aide pour traverserla ligne de pauvreté, pas une question de pays pauvres où la pauvreté est le résultat demodes de production, de consommation et de distribution spécifiques. »87

Autre question, au seuil de pauvreté calculé en monnaie locale, sur la base d’enquêtesde consommation, est appliqué un coefficient de conversion en parité de pouvoir d’achat(PPA) qui permet de l’exprimer en « dollars internationaux ». Un dollar PPA permettrait ainsid’obtenir la même quantité de biens et de services en Syrie qu’un dollar US aux Etats-Unis. Or le produit du cœfficient de conversion multiplié par le seuil de pauvreté expriméen monnaie locale est égal, après arrondissement, à un dollar PPA pour l’ensemble despays concernés. Cette valeur ronde d’un dollar prend ainsi l’aspect d’une posologie dontl’observation rigoureuse guérira de la « maladie pauvreté ».

En se penchant sur les coefficients de conversion, on remarque en outre que ceuxutilisés d’un document de la Banque Mondiale à l’autre varient, ce qui incite à émettrecertaines interrogations sur leur mode de calcul. Sur la région ANMO, dans un backgroundpaper préparé pour être inclus dans le rapport de 1995 sur la région88, le ratio dollar

85 Notre étude se place dans cette optique.86 VALTRANI, Patrick, La notion de pauvreté : des frontières floues, Economie Appliquée, 1993, numéro de décembre

1993, p. 23-67.87 KOSSAIFI, Georg, Poverty in Western Asia: a socio political approach, ONU, 1996, papier non publié, 23 p.88 VAN EEGHEN, Willem, Poverty in the Middle East and North Africa, first draft of a background paper preparer as part of

the 1995 World Bank study on MENA region, World Bank, 1995, 46 p.

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US constant de 1985/ dollar US constant de 1985 en PPA, c’es à dire le coefficient deconversion, est de 0, 386 pour l’Egypte, de 0, 691 pour la Jordanie, de 0,290 pour la Syrieet de 0,367 pour la Tunisie.

Or, dans un autre rapport de la même année, celui sur le Développement dans leMonde, les coefficients de conversion entre le PNB par tête en dollars de 1993 et celuiexprime en dollars « internationaux » sont de 0,175 pour l’Egypte, de 0, 290 pour la Jordanie,de 0,336 pour la Syrie et de 0, 360 pour la Tunisie. Rapprochons en un tableau les deuxséries de chiffres, calculées par le bureau « Evaluation de la pauvreté » de la Banque :

COEFFICIENTS DE CONVERSION Van Eeghen 1995et Rapport BanqueMondiale région ANMO

Rapport BanqueMondiale sur leDéveloppement dans lemonde

Egypte 0,386 0,175Jordanie 0,691 0,290Syrie 0,290 0,336Tunisie 0,367 0,367

Ces écarts importants peuvent provenir essentiellement de deux causes : D’une part,de l’évolution du rapport des prix entre les Etats-Unis et les pays concernés, même si celareste très faible pour la Syrie ; d’autre part, de l’écart entre les rapports de prix utilisés pourcalculer le PNB global d’un pays et de ceux utilisés pour calculer la valeur du panier debiens propres aux « pauvres », ce qui signifierait de fait l’établissement dune « norme deconsommation » différentes pour les « pauvres ».

Bien qu’imprécis, incomplet dans ses critères de définition arbitraire dans le choix desindicateurs, le seuil de pauvreté apparaît pour les institutions financières internationales etdans l’imaginaire des individus comme la véritable mesure fiable de la pauvreté.

Toujours dans la logique d’élargir la définition de la pauvreté, de quantifier lephénomène sur des critères sociaux inexploités, nous nous placerons dans la postureméthodologique du Programme des Nations Unis pour le Développement (PNUD) enétablissant une « ligne de pauvreté », caractérisant ainsi le phénomène multidimensionnelet son impact sur la société syrienne.

C/ La pauvreté humaine ou la dimension « sociale » du phénomèneComme nous l’avons souligné précédemment, tout le monde s’accorde aujourd’hui surle fait que la pauvreté est un phénomène complexe, pluridimensionnel, ne pouvant êtreréduit à sa simple expression monétaire. Le PNUD déclare ainsi que « la pauvreté n’estpas un phénomène unidimensionnel – un manque de revenus pouvant être résolu defaçon sectorielle. Il s’agit d’un problème multidimensionnel qui nécessite des solutionsmultisectorielles intégrées »89.

Eléments de définition

89 PROGRAMME DES NATIONS UNIS POUR LE DEVELOPPEMENT, Vaincre la pauvreté humaine, New York : PNUD, 2000. 129 p.

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Dans son rapport90, le PNUD définit spécifiquement l’extrême pauvreté », la « pauvretégénérale » et « la pauvreté humaine ». Ainsi,

« Une personne vit dans la pauvreté extrême si elle ne dispose pas des revenusnécessaires pour satisfaire ses besoins alimentaires essentiels- habituellement définis surla base de besoins caloriques minimaux […]. Une personne vit dans la pauvreté généralesi elle ne dispose pas des revenus suffisants pour satisfaire ses besoins essentiels nonalimentaires – tels l’habillement, l’énergie et le logement – et alimentaires. »

La « pauvreté humaine », quant à elle, est présentée comme l’ « absence descapacités humaines de base : analphabétisme, malnutrition, longévité réduite, mauvaisesanté maternelle, maladie pouvant être évitée »91.

Le PNUD évoque également dans ce rapport la pauvreté monétaire, sans toutefois endonner une définition précise. Un examen rapide des définitions données ci-dessus permetcependant d’affirmer que la pauvreté monétaire englobe la pauvreté extrême (ou absolue)et la pauvreté générale (ou relative), les nuances entre ces deux types de pauvreté ayantété étudiés plus haut.

La pauvreté humaine est intrinsèquement liée à la notion de développement humain quile voit le jour au début des années quatre-vingt-dix, à la suite des travaux d’Amartya Sen92.

Le développement humain représente, selon les termes du PNUD, l’élargissement despossibilités et des choix offerts aux individus, en l’occurrence celles de vivre longtempset en bonne santé, d’acquérir des connaissances et un savoir, et de pouvoir accéder auxressources nécessaires pour vivre dans des conditions décentes.

Pour nous faire une idée plus précise sur la manière dont le PNUD appréhende lapauvreté, présentons l’indicateur qu’il emploie pour la mesurer : l’indicateur de pauvretéhumaine ou IPH.

Calcul de l’IPHComme l’explique le PNUD, dans les notes techniques du Rapport mondial sur ledéveloppement humain consacré à la pauvreté (1997), cet indicateur se concentre surtrois aspects essentiels de la vie humaine déjà envisagé dans le cadre de l’IDH (indicateurde développement humain) – longévité, instruction et conditions de vie décentes – maisenvisage ces aspects sous l’angle des manques dans le calcul de l’IPH, les insuffisancesen termes de longévité sont représentées par le pourcentage de personnes risquant dedécéder avant l’âge de 40 ans et le manque d’instruction est traduit par le pourcentaged’adultes analphabètes. Quant au manque de conditions de vie décentes au niveauéconomique en général, il est représenté par un sous indicateur comprenant l’accès à l’eaupotable, aux services de santé, et le problème de la malnutrition des enfants de moins de5 ans.

90 Idem91 Id.92 SEN, Amartya, L’économie est une science morale, Paris : La Découverte, 2003.125 p.

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En 2002, la Syrie faisait figure de bon élève dans le monde arabe en étant au rang 34e

dans le classement des pays en développement93, faisant mieux que l’Algérie (39e), l’Egypte

(48e) ou le Maroc (59e), mais moins bien que la Libye (27e) ou l’Arabie Saoudite (29e).Cependant, afin que notre étude soit complète dans la quantification du phénomène en

Syrie, nous avons décidé de compléter cette base méthodologique, en construisant diverses« lignes de pauvreté », afin d’analyser les disparités entre les régions, les sexes et l’age.

Nous nous permettons donc de résumer notre propos autour de quatre grands axes94 :La ligne de pauvreté « souple » : calcul des besoins essentiels en nourriture et besoins

élémentaires.La ligne de pauvreté « stricte » : coût moyen par mois en livres syriennes du minimum

vital.La ligne de pauvreté « supérieure » : dépenses réelles de consommation, prenant en

compte tous les besoins, rendant ainsi un niveau raisonnable de consommation.La ligne de pauvreté « inférieure » : classification des besoins, permettant d’analyser

la satisfaction de la consommation essentielle des ménages.Enfin, avec plus de 2000 études de cas entreprises par le PNUD et le Ministère des

Affaires sociales syrien95, et une cinquantaine de notre part, nous pouvons dès à présentfaire une carte de la pauvreté syrienne mais également analyser son impact sur Damas.

Profil de la pauvreté urbaine syrienneGrâce à notre base méthodologique, nous pouvons établir un premier chiffre de la pauvretéen Syrie, estimé à 11,4% de la population, loin des 30,12% pris en compte par la BanqueMondiale et son indice international de seuil de pauvreté. Un chiffre, certes intéressant pournous donner une idée globale sur le phénomène, mais pas assez précis pour notre étudeportant exclusivement sur la ville de Damas.

En effet, il ne rend pas du tout compte des disparités entre les zones urbaines et leszones rurales, et entre les différentes villes de Syrie. Avec une centralisation politique forte etun puissant pôle de développement économique, Damas est moins touchée par la pauvreté,avec une incidence chiffrée à 4,74% en 200496, que les autres villes du pays, même si elledoit faire face à une dissolution progressive des solidarités sociales, une inflation continuelledes prix, due à l’arrivée massive d’Irakiens et à un étalement urbain incontrôlable, sourcesde tensions sociales et de mécontentement grandissant.

93 Voir ce site internet pour plus de détails : www.populationdata.net .94 PROGRAMME DES NATIONS UNIS POUR LE DEVELOPPEMENT, Poverty in Syria: 1996-2004, diagnosis and pro-poor

policy considerations, Damas: PNUD, 2005. 146 p.95 Idem96 Id.

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Taux d’incidence de la pauvreté par gouvernorat en 2004 (%) 97

De plus, avec une inflation des prix de l’immobilier et une cherté de la vie constante,on se rend compte qu’il est plus difficile pour un ménage pauvre de survivre à Damasqu’Alep. En effet, si l’on compare le revenu minimum de survie des ménages entre la capitaleet Alep, il apparaît, pour un ménage moyen de deux adultes et deux enfants, un écartd’environ 700 livres syriennes98. Sachant que le revenu moyen syrien est de 10.000 livres,cela représente une perte moyenne du pouvoir d’achat de 7%, pourcentage non négligeabledans un ménage pauvre.

Damas Homs Alep Lattaquié 1 personne âgée 1483 1302 1433 1352 2 adultes 3813 3392 3471 3566 2 adultes, 2 enf. 5913 5254 5265 5621 2 adultes, 5 enf. 10023 8872 8718 9346

Minimum vital par mois (en livres syriennes)Or, avec une faiblesse de l’incidence de la pauvreté mais des conditions de survie plus

difficile, une nouvelle problématique s’organise autour de la ville de Damas, celle autourdu thème de l’exclusion sociale. Cette question soulève plusieurs enjeux primordiaux : Lahiérarchisation des besoins des « pauvres », avec en premier lieu la question alimentaire,celle des besoins sociaux ensuite et enfin celle des droits humains, les inégalités de lerépartition et de l’accès aux ressources ou encore celui de la place du Droit et des droits.

97 Id.98 1 euro = 72 livres syriennes.

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Avec une définition pluridimensionnelle de la pauvreté, des indicateurs plus larges enterme de quantification, notre étude se proposera d’aborder ce thème dans un troisièmechapitre.

CHAPITRE III : Vers un discours sur l’exclusionLa dynamique d’exclusion constatée dans les démocraties européennes continentales(chômage – pauvreté matérielle – marginalisation sociale – relâchement des liens familiauxet des liens sociaux en général – disqualification sociale – intériorisation d’images négativesde soi…) ne constitue pas un schéma opératoire en tant que tel en Syrie. Il est nécessairede réfléchir sur la façon dont l’approche en terme d’exclusion, mais sans être détachée ducontexte de sa genèse et de sa spécificité, mais sans non plus s’y laisser piéger, pourraitêtre pertinente pour la construction d’un discours sur la pauvreté approprié à ce pays.

Trois perspectives fortement liées entre elles me semblent indissociables de toutetentative de construction d’une relation entre dimensions économiques et sociales dela pauvreté, d’une part, et ses dimensions politiques et culturelles, de l’autre. Il sembleimportant, ainsi qu’on l’a souligné plus haut, que cette construction tienne compte de lasimultanéité des besoins humains, de la place centrale des inégalités au regard de ladéprivation, et de la dimension du Droit et des droits. Ces trois dimensions, dont je vais ci-dessous ébaucher l’analyse des enjeux et de la problématique sont : Le statut des « réseauxprimaires de solidarité » au regard de la pauvreté et de l’exclusion ; la place du travail à cetégard ; et la fragmentation sociopolitique, matrice d’exclusion/intégration à la nation.

A/ Pauvreté et réseaux primaires de solidarité

La familleDans le pays, la famille est le premier vecteur de lien social et le premier cercle de solidarité,vérifiant vraisemblablement le postulat selon lequel « l’intégration sociale semble fondéeprincipalement sur l’appartenance au réseau familial ».99Moins attaquée dans le mondearabe qu’en Occident dans son rôle de « filet de sécurité » matériel, social et psychologique,la famille est considérablement sollicitée en période de crise comme « système d’assurancesociale ». C’est sur la base de ce schéma que la famille est proposée par le PNUD commepremier cercle de solidarité, appelé à réduire la pauvreté matérielle et à renforcer le liensocial.

Or il faut prendre en compte que ce que l’on considère comme le système familiale, sesressources et ses logiques de fonctionnement, ont changé depuis quelques années, sousl’effet conjugué de l’essor du salariat et des migrations, de l’urbanisation, de la circulationd’images et de valeurs nouvelles, de formes de mobilités socio-économiques et de lacapacité accrue, à divers niveaux, d’autonomisation de l’individu par rapport à la cellulefamiliale.

99 PAUGAM, Serge, les formes contemporaines de la pauvreté et de l’exclusion. Le point de vue sociologique, Genèses, juin1998, numéro 31, p. 160-182.

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La « famille traditionnelle arabe », idéalisée et présentée par les institutionsinternationales comme un recours « allant de soi » pour les pauvres, ne serait-elle pas unesorte de « boite noire » de la solidarité ?

De fait, dans les familles pauvres, la faible valeur des ressources redistribuables par lasolidarité ou investissables au bénéfice de la collectivité familiale (ressources matérielles,sociales et culturelles) ne permet que rarement une élévation significative du niveau devie de l’ensemble de la famille et ne permet certainement pas de réduire l’écart entre lesfamilles.

Au contraire, les dynamiques de production et de reproduction des inégalités entrefamilles se consolideraient ainsi.

Il faut donc non pas considérer la famille comme un système de partage et demise en commun fondé sur l’équité et l’intérêt de tous, mais plutôt comme un systèmed’échanges, de circulation de différents types de capitaux, un système d’avances entreindividus de statuts différents, perdurant sur plusieurs générations, empreint de pesanteurset reproduisant, tout en les régulant, des inégalités entre les membres concernés.

Le clientélismeLe clientélisme – et son miroir le patronage – pourrait être considéré comme une formeétendue de ce système d’échanges et de circulation familial, comme une forme de rapportsocial mettant en relation des individus se situant à des niveaux hiérarchiques – sociaux,économiques, de pouvoir, de statut… - différents, liés par des relations d’interdépendance,dont la réciprocité, induite par l’échange, s’alimente de l’inégalité entre les deux partenaires.

Certes, l’investissement dans des relations de clientélisme/patronage constituerait pourle « pauvre » une sorte de stratégie de survie et de sécurité, en l’absence de systèmesimpersonnels et institutionnalisés de protection sociale et d’allocation de ressources.Toutefois, de façon concomitante, il contribue à saper les chances d’établissement delogiques institutionnelles, assurancielles ou de solidarités, anonymes ou dépersonnaliséeset fondées sur le droit, à fortiori s’il s’avère être le mécanisme principal de mise en œuvredes politiques contre la pauvreté. S’il est vrai qu’il représente une forme d’intégration du« pauvre », par le biais de sa propre dépendance et de l’assistance que cette relation luiapporte, le clientélisme contribuerait constamment à reproduire la pauvreté et les inégalitésdont il s’alimente.

Une cohésion sociale fondée sur la dépendanceLa cohésion sociale que procurent ces réseaux primaires de solidarité a donc fréquemmentpour corollaire le fait que le « pauvre » à Damas, et en Syrie en général, est avant tout unindividu dépendant. Cette dépendance prend la forme de relations sociales plus ou moinsstables ou instables, qui la masquent en partie : solidarité privées, « services » rendus,mariage, adoption, accueil de parents pauvres…

L’appauvrissement se traduirait alors par une densification de la dépendance et sonextension à divers domaines de la vie du « pauvre », pouvant impliquer une importanteperte de liberté personnelle. Le maintien de la dépendance personnelle constituerait ainsien quelque sorte l’obstacle à ce que la pauvreté ne se transforme en exclusion, et peut êtremême un filtre à travers lequel la pauvreté n’est pas perçue comme telle, mais précisémenten termes de dépendance.

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Mais ce lien social de solidarité et de dépendance ne joue pas le rôle de vecteurd’égalisation des chances : Dans la sphère familiale en particulier, il entretient, justifieet reproduit des formes flagrantes d’inégalités et de pauvreté sociale/humaine, enversles femmes et les filles100, fréquemment discriminées parmi les membres de la familledans l’accès à l’alimentation, aux soins, à l’éducation, en termes d’estime de soi, dereconnaissance et de respect, mais surtout en terme d’émancipation par le marché dutravail.

B/ La place du travail

L’échec de la conception libéraleLes discours néo-libéraux proposent l’intégration par le travail comme solution à la pauvretématérielle, la mise en place de mesures ciblées d’amélioration du capital humain, en guisede lutte contre la pauvreté sociale et humaine, et la dynamisation de la « participation »à la société civile, accompagnée de réformes mettant en place une démocratie formelle,pour renforcer le tissu social et lutter contre la fragmentation sociale et l’exclusion. Dansun contexte de libéralisation économique progressive et de développement du secteurprivé101 comme c’est le cas en Syrie actuellement (privatisation des banques, assurances,télécoms), les libéraux ont une foi démesurée dans les lois du marché, permettant derésorber la pauvreté structurelle à l’intégration par le travail. Si l’on reprend les troisparadigmes de Silver102, on pourrait dire qu’en Syrie, cette voie propose de plaquer uneintégration de « spécialisation » au niveau social et économique, sur un mode monopolisted’intégration politique, autrement dit l’égalité formelle des marchés sur l’inégalité essentielledes statuts et des droits.

Or, il apparaît que si le libéralisme économique se greffe sur une configurationfragmentaire monopoliste d’intégration, pauvre en droits de surcroît, à l’instar de la situationsyrienne, l’exclusion des droits tend à se traduire – de façon presque proportionnelle –par une marginalisation économique. Autrement dit, dès lors qu’on observe une séparationassez marquée de la sphère socio-économique et de la sphère politique, et qu’il existe unetendance à l’hégémonie de la sphère de distribution des biens marchands, alors le systèmeest porteur d’inégalités importantes.

En Syrie, l’activité laborieuse n’est garante que d’une faible panoplie de droits, souventréservés aux employés de la fonction publique ou des entreprises publiques ou de grandetaille103. Autour de ce noyau restreint, plusieurs cercles se succèdent dans une combinatoireprogressive de faiblesse des droits, de faiblesse des rémunérations ou de pénibilité desconditions de travail. Dans ce contexte, l’intégration économique, donc par le marché, nepeut suffire à soulager ni la pauvreté matérielle, ni la pauvreté sociale, ni le dualisme

100 Certaines études sur le monde arabe concernant les entreprises familiales semblent montrer que les aînés sontgénéralement favorisés au détriment des cadets, mais le rôle du sang dans la fratrie au regard de la distribution d’avantages et depouvoir reste une piste à creuser.101 Voir à ce propos les fiches de synthèse de la Mission Economique de France en Syrie.102 SILVER, Hilary , Reconceptualizing social disadvantage: Three paradigms on social exclusion, International Institute of LabourStudies, 1995, p. 57-80.

103 SAID, Mona , Public sector employment and labor markets in Arab Countries: Recent development and policy implications,Economic Research Forum, 1996, working paper WP 9630, 56 p.

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marginalisation/exclusion, si elle ne garantit pas l’obtention d’une rémunération suffisantepour assurer un niveau de vie matériel « convenable », l’accès à des services publics, unminimum de droits sociaux, mais aussi l’accès à la dignité humaine.

Le cas des « working poor »Avec une dictature constante de la sphère politique, symbolisée par l’élection présidentiellede 2007104, un refus du pluralisme et par voie de conséquence une mauvaise gouvernancepolitique, la voie économique ne peut promouvoir une forme d’intégration viable. Entémoigne simplement le cas des « working poor », quoique moins dramatique en Syrie quedans les autres pays arabes : La plupart des « pauvres » ne sont pas des chômeurs et laplupart des chômeurs ne sont pas parmi les plus pauvres. Si l’on reprend notre ménage typedu chapitre II sur l’incidence de la pauvreté à Damas, on se rend compte que les différentsmembres de la famille ont une vie professionnelle très instable et irrégulière (par exemple,ménage pour les femmes, ventes ambulantes pour les enfants) et un des membres occupeun emploi public subalterne mal rémunéré. En Syrie, le secteur public concentre 30% del’emploi et le taux d’incidence de la pauvreté n’est que de 6,4%, contrairement au secteurinformel privé comptant 15, 7% de pauvres en 2004105.

Si l’on élargit l’analyse à la région, on se rend compte que 30% des travailleurs informelssont considérés comme pauvres en Egypte106 et 58% en Jordanie107.

Ainsi, autre boite noire magnifiée comme manifestation de solidarité, mode d’intégrationsociale et moyen d’obtention de ressources complémentaires, le secteur informel privédésigne pour beaucoup des formes d’activités qui reproduisent l’état de pauvreté destravailleurs pauvres, s’épuisant à ces travaux dont la faible productivité seule ne semblepouvoir justifier le bas niveau de rémunération, dans des relations de soumission et souventd’exploitation, qui contribuent à maintenir le niveau de vie des couches aisées. La place dumarché du travail est alors sujette à questions.

Le rôle du marché du travailLes années récentes ont montré que l’Etat syrien, loin de se retirer ou de se fondre, joue unrôle renforcé de maintien de l’ordre et de contention des tensions sociales, attisés par desinégalités croissantes et une tendance marquée à l’appauvrissement de certaines couchessociales.

Le problème réside vraisemblablement plus dans la polarisation sociale etl’appauvrissement que dans l’importance de la pauvreté dite « absolue »108. Il s’agit deconflit redistributif109, qui avaient été résolus ou apaisés pendant la période des années

104 Bachar Al Assad obtient un deuxième mandat avec plus de 97% des voix.105 PROGRAMME DES NATIONS UNIS POUR LE DEVELOPPEMENT, Poverty in Syria: 1996-2004, diagnosis and pro-poor policyconsiderations, Damas: PNUD, 2005. 146 p.

106 VAN EEGHEN, Willem, Poverty in the Middle East and North Africa, first draft of a background paper preparer as part ofthe 1995 World Bank study on MENA region, World Bank, 1995, 46 p.

107 Idem108 DESTREMEAU, Blandine, SIGNOLES, Pierre, Le difficile ajustement d’économies différenciées en rapide mutation,

Maghreb/Moyen-Orient/Mutations, Dossiers et Images Economiques du Monde, CEDES, 1995, p. 5-84.109 Idem

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70 et de large subventionnement de l’économie mais qui resurgissent en période devaches maigres. Or, il semble difficile d’imaginer que le débridage du rôle du marché, entemps de resserrement budgétaire, et suite après vingt cinq ans de subventionnementet de nombreuses guerres et conflits, puisse préparer des jours meilleurs aux conflitsredistributifs. Ceux-ci débordent sur le politique, et rendent difficile la redistribution dupouvoir, malgré l’entrée en crise des modes de légitimation du politique hérités desdécennies précédentes.

Dans un environnement d’industrialisation restreinte et de faiblesse du salariatconstituée et stable, l’intégration/exclusion du marché du travail n’apparaît que commeun élément secondaire de la lutte contre la pauvreté, et l’exclusion des droits pourraitavoir préséance sur celle du marché du travail dans la production et la reproduction de lapauvreté.

Sous le pudique vocable de « pauvreté structurelle » distinguant, en Syrie comme auMoyen Orient, les « pauvres » installés dans leur pauvreté des « nouveaux pauvres » ouappauvris, se dissimulent souvent des formes d’exclusion correspondant à un dénuementdes droits. La « pauvreté structurelle », à l’instar de l’exclusion, se référerait à unprocessus cumulatif articulant les diverses dimensions et relations entre pauvreté matérielle,déprivation sociale, position faible et dominée sur le marché du travail, pauvreté de droitset marginalisation socioéconomique, pauvreté subjective et objective, en un cercle vicieuxà forte inertie.

C/ Exclusion et fragmentation sociopolitique

La dérive du solidarismeL’existence dans cette région de multiples communautés et groupes peut être ramenée àl’histoire de l’Empire ottoman et de la période coloniale, et au mode de domination indirectqui y a prévalu. Pour reprendre le schéma analytique proposé par Jacques Couland110,les régimes de types tributaires qui s’y sont maintenus ont favorisé le renforcement et lapersistance de formes d’identification et de solidarité de type familial ou communautaire.Légitimée par une « rhétorique du solidarisme » selon l’expression de Richards etWaterbury111, l’érection d’Etats-Nations centralisés et redistributeurs a généralisé certainsprogrès en termes de bien être social et économique, qui ont contribué à renforcer cesnations autour de leur Etat ; mais elle n’est pas parvenue à abolir la fragmentationcommunautaire ni les inégalités entre elles. Au contraire, en consacrant la suprématie des« minorités » ou groupes fragmentaires sur les autres, les Etats ont entériné ce moded’organisation sociale : Ce schéma n’est nul part aussi formalisé qu’au Liban, mais il prévautégalement en Syrie, avec les allaouites, et en Irak, avec les sunnites sous Saddam Hussein.De surcroît, en affirmant la domination d’un « centre » politique, social, topologique… fort,ils ont accusé l’existence de « marges », fondant notamment l’engagement de groupesminoritaires dans des luttes pour la reconnaissance de droits égaux et/ou spécifiques etidentitaires (langue avec les kurdes, religieux avec les Frères Musulmans sunnites).

110 COULAND, Jacques, Etat et conflits sociaux dans les sociétés à solidarités plurielles: le cas du Liban. Les apports du philosopheMahdî `Amil (1936-1987) [en ligne]. GREMAMO : 1989 [page consultée le 7 avril 2007].111 RICHARD, Alan, WATERBURY, John, A political economy of the Middle East. State, class and economic development, Londres:Westview Press, 1990. 495 p.

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Le jeu politique et social s’organiserait autour de petits groupes d’alliance, de cohésionet de durée d’existence variables, dont les membres partagent un statut similaire, qu’ils’agisse de personnes membres d’un même village ou d’une même région, de la mêmepromotion universitaire ou militaire, ou, plus souvent encore, de la même famille. Au niveaudes élites, ces groupes contribuent simultanément à promouvoir la « carrière » de leursmembres, à organiser les relations entre ces derniers et les « autres » sous forme d’alliancesou de rapports de clientèle, et à contrôler et restreindre l’accès des non membres auxressources possédées et convoitées. Pour Richards et Waterbury112,

« La rhétorique du solidarisme prévaut encore, mais la pratique politique a dérivé defaçon marquée des anciens objectifs. Certains des obstacles à la nouvelle société ontreposé dans les anciennes formes d’assurance sociale et politique : les clans, les groupesethniques, les tribus et les sectes religieuses ; des unités qui, entre autres, protègent leurmembres contre les errances d’Etats et de marchés puissants ».

Une classe moyenne facteur de cohésion socialeToutefois, l’Etat syrien a également crée des classes moyennes qui constituent un groupeintermédiaire entre groupes dominants et groupes dominés, entre riches et pauvres, etcoupent à travers les groupes fragmentaires. Ces classes moyennes, clientes de l’Etat, sesont révélées de puissants instruments de cohésion sociale et nationale, quoi que à desdegrés divers. La crise économique et les politiques d’ajustement structurel ont pour effetd’affaiblir la loyauté de ces classes, et ainsi fragiliser les bases de cette cohésion. Avec leretour d’un accroissement de la polarisation – ou des inégalités – économiques, il apparaîtque les forces fragmentaires se consolident et que s’exacerbent les tensions internes. Cettetendance est renforcée par la baisse des moyens disponibles pour mettre en pratique lediscours de solidarisme et, concrètement, pour maintenir la capacité de « mise à niveau »des services publics.

Penser la pauvreté comme un fait social, définir une conception plus sociale et humainede la pauvreté, prenant en compte des critères sociaux et psychologiques viables, quantifierun phénomène selon les spécificités de la société syrienne, établir une classification grâceà des indicateurs sociaux plus larges, mettre en relation le niveau de fragmentation enSyrie, le niveau effectif du solidarisme en tant que discours et que pratique, le degré demonopolisation des ressources – économiques, sociales, juridiques, politiques, culturelles- , les formes, cibles et discours de discrimination, les modes de répartition des droitset d’accès ) ceux-ci, avec la configuration des groupes constitutifs de la nation syriennedevrait permettre de comprendre en quoi les diverses appartenances sociales et identitairesgénèrent de la pauvreté (et de l’exclusion), la reproduisent et se reproduisent par elle.

Le fondement d’une telle analyse ne peut être qu’empirique, obtenue par observation,objet de notre seconde partie.

112 Idem

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Deuxième partie : vécus et gestion de la pauvre.

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Deuxième partie : vécus et gestion de lapauvre.

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Devant le refus constant de se soumettre à une conception unilatérale de la pauvreté,dans le soucis d’observer un phénomène au sein d’un environnement spatial donné, enl’occurrence Damas, et d’en tirer une vision compréhensive des expériences et dynamiquesde l’appauvrissement, des façons de « faire avec » et des manières de la dépasser, notreétude se base sur une démarche anthropologique, dont la seule vocation est de répondreà une question, certes pouvant apparaître basique mais essentielle, : comment vivent les« pauvres » à Damas ?

A celle-ci s’ajoutent des interrogations partielles : Quel est leur quotidien ? Quelles sontles stratégies développées pour surmonter cet état social ? Constate-t-on l’existence desolidarités entre les membres d’une famille, d’un clan, d’une communauté religieuse ?

De ce fait, je tenterai, dans un premier chapitre, d’étudier le quotidien des pauvres àDamas, plus précisément dans le quartier de Berzé, situé au nord-est de la ville. Commentles individus décrivent-ils, comprennent-ils et vivent-ils la pauvreté ? Quelles sont lesprincipales caractéristiques de ces représentations ? En quoi ces discours convergent-ils oudivergent-ils par rapport à d’autres types de représentations de la pauvreté (Chapitre IV) ?

Enfin, dans le second chapitre de cette partie, je me focaliserai sur une classe d’agesensible, en l’occurrence les enfants des rues, dans les quartiers sunnites de Rukn ed Dineet du Midan pour mettre en évidence les acteurs de la lutte contre la pauvreté. Qui sont-ils ?Quels sont les moyens mis en œuvre ? Quelle est leur influence sur les individus concernés(Chapitre V) ?

Enfin, dans la continuité de notre définition pluridimensionnelle de la pauvreté, jem’efforcerai d’observer dans un dernier chapitre le quotidien des individus « pauvres » dela fonction publique, autrefois fleuron de l’idéologie baathiste, en analysant les diversessolidarités entre les groupes et les stratégies développées sur le marché du travail commemoyen de lutter contre la pauvreté (Chapitre VI).

CHAPITRE IV : « L’auto-représentation » de lapauvreté

En 1908, le sociologue Georg Simmel113 écrit que le « pauvre » en tant que catégoriesociologique ne renvoie pas à un quelconque manque de ressources mais plutôt au faitqu’il est ou qu’il devrait aidé par la société. La pauvreté en soi et pour soi ne doit pas être

113 SIMMEL, Georg, Les pauvres, Paris : Presses Universitaires de France, 1998. 112 p.

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déterminée comme étant un état objectif appréhendable en termes quantitatifs, mais doitplutôt s’analyser à partir des réactions sociales que déclenche un état déterminé. SelonSimmel, des catégories telles que la « pauvreté » sont en elles mêmes des phénomènessociaux puisque leurs définitions sont étroitement liées à des ensembles de représentationspolitiques et sociales.

La société produit différents discours sur la pauvreté, construisant symboliquement unecatégorie renvoyant à cette dernière qu’ils définissent et contribuant ainsi à la constructionde la réalité sociale à laquelle réfère cette catégorie114. Les représentations qu’une sociétéa de la « pauvreté » ne se réduisent donc pas un effet symbolique de la réalité matérielle quiexisterait indépendamment des catégories que la société, la science ou que les décideurspolitiques lui appliquent. De par la performativité sociale du langage, ces discours, à la fois,décrivent et produisent la « pauvreté » et les pauvres ».

Les processus discursifs de construction de la réalité sont façonnés par une multituded’acteurs. Par exemple, Ireton115 distingue trois types de discours sur la pauvreté : lesdiscours « populaires » ou « spontanés », les représentations « savantes » (religieuxnotamment) et « normatifs », visant à combattre la pauvreté. Notre recherche se concentrerasur le premier type évoqué, en l’occurrence la spontanéité du discours, afin d’en tirer troisthèmes de réflexion : Tout d’abord, la pluridimensionnalité de la pauvreté, puis, dans unsecond temps, la représentation du « pauvre » par le « pauvre » et enfin, le rapport avecles populations riches.

A/ Une perspective pluridimensionnelle sur la pauvreté

La recherche de la survie matérielle

Abu Najib116, 47 ans, de confession allaouite, vit au sein d’une petite communautéde militaires dans le quartier informel117 de Berzé. Son logement consiste en un petitappartement de briques de 35 mètres carrés (voir photo ci-contre), construit dans lesannées 70 pour loger les militaires, la plupart venant du centre du pays, notamment dugouvernorat de Homs. Il vit avec sa femme, ses quatre enfants, dont un est marié. Il travaille« officiellement » comme fonctionnaire, mais vit de « petits boulots », en l’occurrence lavente de jouets dans le souk Hamadieh au centre de la vieille ville. Sa femme est une femmede ménage occasionnelle, elle s’occupe de ses deux derniers enfants en bas age, âgéstout deux de 7 et 5 ans.

« Grâce à Dieu, nous avons assez pour manger et donner une éducation à nos enfants.Avant, je travaillais comme agriculteur saisonnier, je vivais au gré des récoltes, mais celane suffisait pas à rendre ma situation meilleure. J’ai donc décidé de quitter ma ville prèsde Homs et je me suis installé à Damas en 1995 grâce à mon oncle qui est militaire. Mafemme travaille comme femme de ménage et grâce à Dieu, cela permet d’améliorer les finsde mois. Mais vous voyez, je ne peux pas dire que je suis pauvre, j’ai une télé, j’ai l’eau et

114 DESTREMEAU, Blandine, DEBOULET, Agnès, IRETON, François, Dynamiques de la pauvreté en Afrique du Nord et auMoyen Orient, Paris : Karthala, 2004. 517 p. collection Hommes et Sociétés.

115 Idem116 Tous les noms utilisés ici sont des pseudonymes. Toutes les données proviennent d’études de terrains effectués dans la périphériede Damas durant le mois de janvier 2007. Les interviews sont menées en arabe et ensuite traduits en français.117 Selon une enquête sur www.champress.com , 30% des damascènes vivent dans des quartiers informels.

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l’électricité, mes enfants vont à l’école, je mange à ma fin tous les soirs, il me reste mêmeun peu d’argent pour fumer un narguilé avec mes amis».118

Le récit d’Abu Najib renvoie aux multiples dimensions de la pauvreté ; le fait de vivre« au dessous du seuil de pauvreté » peut vouloir dire différentes choses. Comme l’ontindiqué tous mes interviewés, la qualité de vie matérielle représente la plus évidente, laplus pressante et la plus conventionnelle des dimensions de la pauvreté aux yeux despauvres et des non pauvres. Abu Najib décrit son itinéraire de vie en des termes matériels :l’exode rural lui a permit d’améliorer son quotidien, l’aide de son oncle d’assurer un toit à safamille et l’éducation de ses enfants apparaît comme une fierté et une volonté d’ascensionsociale. C’est ici que les représentations du vécu quotidien croisent celles issues de lascience : L’argent, c’est important, et nombre d’individus perçoivent leur situation en termede manque.

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Quartier de Berzé

Entre difficultés quotidiennes et bien-être émotionnelCependant, la dimension matérielle de la pauvreté est aussi étroitement liée à desressources non matérielles et à des capacités qui permettent aux individus de faire faceà la pauvreté de manière fort variée. Un mariage heureux, une famille et des réseaux devoisinage sur lesquels on peut compter, ainsi que des espérances individuelles concernantl’avenir influencent grandement les économies de survie. Le récit de Abu Najib illustre bienle fait que la pauvreté ne se réduit pas à vivre dans une masure, être sans le sou et incapablede se nourrir adéquatement. La pauvreté est ancrée dans des processus sociaux, politiques,économiques et spatiaux et dans des rapports qui déterminent l’accès des individus aucapital social, symbolique culturel et matériel119. Elle ne se réduit donc pas une questionde seuils, comme les concepts propres aux statistiques peuvent le laisser supposer. Lapauvreté renvoie aussi à l’incapacité de payer des livres à sens enfants par exemple.

Youssef, 26 ans, de confession sunnite, qui habite près de Messakine Berzé, au Sudde Damas, met l’accent sur le bien-être affectif comme étant un facteur important de sa vie :

« Voila trois ans de cela, ma situation était pire. Je sortais de mes études, jen’avais pas un sou en poche, pas de travail et pas d’espoir. Alors bien sur,aujourd’hui le coût de la vie est beaucoup plus élevé et ça aussi c’est difficile.Mais, grâce à Dieu, je suis marié, je travaille dans une petite épicerie (voir photoci-dessous) et je suis beaucoup mieux qu’il y a trois ans ».120

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Epicerie de quartierLes récits de ceux deux hommes indiquent que le bien être émotionnel et la sécurité

matérielle sont étroitement liés. Les seuils de pauvreté ne peuvent rendre compte desrelations entre ces différentes dimensions. L’un est motivé par la réussite sociale de ces

118 Entretien réalisé le 11 janvier 2007 à Berzé.119 BOURDIEU, Pierre, Capital économique, capital culturel, capital social, Monde Sociale, 1983, p. 183-198.120 Entretien réalisé le 17 janvier 2007 à Messakine Berzé.

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enfants, alors que le second met en avant ses liens avec sa femme comme source debonheur quotidien.

L’âge, facteur d’exclusionEnfin, dans certaines descriptions, beaucoup de gens ont évoqué une dimension temporelleou liée au cycle de vie. L’exemple d’Abu Najib illustre le fait que l’âge avancé, lesconséquences physiques d’un double emploi, réduisent davantage l’accès au capitalmatériel. Pour sa part, Youssef insiste sur les conséquences de l’insécurité et d’unedépendance totale sur un marché du travail qui se contracte constamment :

« Mon père est aujourd’hui âgé de 57 ans, il est travailleur journalier et se sentvieillir. Il ne gagne presque rien et la vie est dure. J’essaie de l’aider, mais avecma nouvelle famille, j’en suis incapable. Nous n’avons tout simplement pas assezd’argent, mais, grâce à Dieu, la santé est là. »121

L’incapacité physique de son père à valoriser davantage sa force de travail constitue unproblème face à l’obligation sociale et familiale concomitante de subvenir aux frais de safamille. La capacité à soutenir financièrement et affectivement- car l’aide matérielle constitueun témoignage d’affection- son père influence l’avenir matériel de celui-ci car une aiderégulière obligerait à mobiliser de nouvelles stratégies financières. Les réseaux familiaux etde voisinage nécessitent des apports sociaux et matériels constants. Afin de se mainteniret de se développer. La pauvreté, qui empêche souvent hommes et femmes de contribueraux ressources matérielles et non matérielles, est un facteur d’exclusion de ces réseaux.

B/ Représentation de soi et pauvreté

Vivre selon ses moyensA partir de nos entretiens, nous distinguons trois types d’autoreprésentations : Vivre selonses moyens, vivre comme les autres, et enfin les « miséreux ». Chaque expression porteen soi des présupposés implicites sur la « normalité » et la pauvreté telles qu’elles sontconçues par les individus. Pour ceux-ci, être « «pauvre » n’est pas catastrophique : Ontravaille, mange, dort, rit pleure comme tout le monde. C’est pourquoi la majorité des gensne parlent pas autant de « stratégies de survie » que ce n’est le cas dans la littératuresur l’anthropologie et le développement. Ils vont plutôt faire référence à des stratégies devie et décrire différentes manières d’y arriver dans des conditions matérielles éprouvantes.Comme l’affirme Abu Kamal122, qui habite dans un quartier populaire au nord de Damas :

« Nous essayons de joindre les deux bouts. Si nous n’avons que peu d’argent,nous le dépensons dans la nourriture. Et si nous en avons un peu plus, nousessayons d’acheter des vêtements pour nos enfants, selon nos moyens ».

Le fait de vivre ainsi indique un manque de ressources, mais sans pour autant révélerdirectement ce manque. Le « nombre », c'est-à-dire les besoins, varient d’un individu ou d’ungroupe à l’autre. Ils diffèrent selon le genre, le cycle de vie, la communauté, la personnalité.Dans ce type d’autoreprésentation, la pauvreté n’est pas conçue comme une conditiond’existence mais bien comme une manière de mener sa vie. Le concept ou l’expression

121 Entretien réalisé le 19 janvier 2007 à Messakine Berzé.122 Entretien réalisé le 9 janvier 2007 à Kafr Sussé.

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« selon ses moyens » est très englobant car il couvre toutes les dimensions de la vie.De plus, il permet à notre interlocuteur de préserver sa dignité puisque la frontière entre« pauvres » et « non pauvres » est poreuse et opaque. L’expression ne comporte aucunecomparaison directe avec le niveau de vie des autres individus ; elle repose plutôt sur unedéfinition individuelle des besoins et aspirations. Elle fait entrer en jeu la rationalité et lescapacités de gestion puisque l’interviewé montre qu’il est à même de gérer méticuleusementses ressources rares.

Vivre comme les autresDans la deuxième autoreprésentation, on retrouve l’expression « vivre comme les autres »,dont le sens s’écarte considérablement par rapport au premier. Par le biais de cetteexpression, les individus tracent une ligne de démarcation entre eux et les autres, c'est-à-dire ceux qui sont sensiblement plus à l’aise financièrement, vivant dans de beauxappartements, ont un emploi stable, des enfants éduqués. Le fait d’être comme les autressignifie être normal à tout point de vue. En espérant être comme les autres, les gens pauvresmarquent une différence entre leur vie et celle des autres, sorte de distance sociale et visiond’un avenir meilleur, qui suppose par exemple la construction d’une pièce supplémentaire,l’accès à l’eau potable 24 heures sur 24, le succès scolaire des enfants, des mariagesheureux etc.

Comme le dit Abu Ahmad123 :« Nous remercions Dieu pour ses bienfaits et prions pour avoir sa bénédiction.Nous espérons que nos enfants seront heureux et qu’ils réussiront mieux quenous. Nos aspirations sont modestes, à la mesure de nos besoins. Nous voulonstout simplement vivre en paix comme tout le monde et, si Dieu le veut, il nousdonnera des petits enfants heureux ».

Le propos d’Abu Ahmad se rapproche de la vision du « bon pauvre », celui qui accepteson destin sans perturber l’ordre établi, méritant ainsi aide et soutien. Nombre d’individusse décrivent implicitement comme étant de « bons pauvres » car cette représentation dela pauvreté porte en soi une forte légitimité sociale et religieuse pour les « pauvres » etpour les « non pauvres ». Et le désir de faire le pèlerinage et d’avoir des enfants heureuxen mariage est particulièrement valorisé en tant que signe de religiosité et de respect desnormes et valeurs de la société syrienne dans son ensemble. En outre, Abu Ahmad évoquela justice sociale en revendiquant sont droit de vivre comme les autres, établissant ainsi enquelque sorte un niveau de vie minimal qui, dans une société juste, ne devrait être refusé àpersonne. On peut voir ici une revendication pour des droits humains sur le plan social, cequi, d’une certaine manière, appelle une redistribution des revenus, bien qu’en général lesgens ne l’évoquent pas explicitement lorsqu’ils font part de leurs aspirations.

Vivre pauvrementEn troisième lieu, nous retrouvons une expression qui offre une image de soi positive enredéfinissant le manque de façon différente. Mohamed124 nous confie :

« Nous sommes pauvres. Que pouvons nous faire ? D’autres sont aisés, maisnous, nous ne le sommes pas ».

123 Entretien réalisé le 23 janvier 2007 à Berzé.124 Entretien réalisé le 17 janvier 2007 à Berzé.

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La ligne de démarcation est donc entre aisés et pauvres, donc la conception du bonheurpasse par une réussite financière.

Mohamed précise :« Qu’être pauvre renvoie au fait d’être pauvre et religieusement dévoué et bénipar Dieu dans des circonstances éprouvantes ». 125

Les pauvres sont supposés être des gens bien sur les plans moraux et personnels, desindividus qui aident les autres. Ce sont des gens pauvres qui essaient de préserver leursstandards moraux et religieux malgré la corruption des croyances et des valeurs qui peutdécouler de l’état de pauvreté. Ahmad, jeune homme de vingt ans, souligne :

« Que peut on faire ? Nous avons toujours été pauvres et c’est pourquoi nousfaisons face à notre destin avec dignité. Nous acceptons la façon dont Dieuveut que soit notre vie et nous acceptons les choses telles qu’elles sont. Toutappartient à Dieu et la vie est inscrite dans le destin. Si Dieu veut nous venir enaide, nous y arriverons. Dieu nous aidera. Il nous enverra de l’aide. »126

La pauvreté s’inscrit dans un cadre religieux et moral. Bien que l’on soit démuni en termesde ressources matérielles, le fait d’être « pauvre » ne prive personne de la grâce et dusoutien de Dieu. Nos interviewés ont décrit leur vie comme une lutte contre des conditionsinhumaines et insoutenables, au cours de laquelle ils ne négligent pas pour autant leurdevoir religieux et sociaux. Leur souci eu égard à l’éducation de leur enfant, leur désirde faire le pèlerinage, la fierté des femmes d’être des vraies ménagères : Voila quelquesnormes largement partagées par la société syrienne.

Notre réticence face à cette générosité suscitait toujours la réponse suivante :« Nous ne sommes peut être pas riches, mais nous sommes syriens et noussavons accueillir ».127

L’adhésion à des formes d’hospitalité qui, financièrement, sont coûteuses permet à cescatégories défavorisées de se sentir membres à part entière d’une nation malgré leursconditions de vie marginale. C’est une façon d’être « normal » dans une société qui n’offrepas à tous les moyens matériels de l’être.

C/ La perception du « riche »

Le rapport à la moralité

Comme le souligne Ireton128, les auto-représentations de la pauvreté sont souvent sous-tendues par des dichotomies : Il y a « eux » (les riches) et « nous » les pauvres. L’expression« vivre comme les autres » illustre bien ce genre de construction dichotomique. Très souventchez les groupes défavorisés, le manque de ressources matérielles est compensé par le

125 Idem126 Entretien réalisé le 18 janvier à Messakine Berzé.127 Généralement, les entretiens commençaient dans la rue, puis s’organisaient spontanément au sein des domiciles des

interviewés.128 DESTREMEAU, Blandine, DEBOULET, Agnès, IRETON, François, Dynamiques de la pauvreté en Afrique du Nord et au MoyenOrient, Paris : Karthala, 2004. 517 p. collection Hommes et Sociétés.

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sentiment de supériorité morale. Un de ces groupes que nous désignons comme « vivantpauvrement », déplore vivement l’absence d’aide venant des riches et la faiblesse moralede ces derniers riches :

« Les gens riches sont radins et flambeurs. Ils ne pensent à rien d’autre qu’àl’argent. Ils laissent tout leur argent ici sur Terre et devant Dieu cela ne vautabsolument rien. […] Devant Dieu, l’argent ne compte pas. Ce qui compte c’est situ as mené une bonne vie, si tu as aidé les gens ».129

Abu Ahmad souligne ici l’importance du choix individuel :« Tu peux être une bonne ou une mauvaise personne, tu peux aider les pauvresou ne pas t’en occuper, tu peux vivre dans la pauvreté de façon digne ou non ».130

Il fait ainsi référence aux difficultés matérielles mais laisse une place aux stratégiesindividuelles et à l’aide de Dieu ou d’autres. Il sous tend aussi une représentation de lajustice puisque les gens riches sont dépourvus de la grâce divine lorsqu’ils manquent àleurs obligations vis-à-vis des pauvres. Abu Khaled131 par exemple vent des légumes surune aire de stationnement dont le propriétaire est un homme financièrement à l’aise. Bienque cet espace de stationnement offert gratuitement ne puisse le protéger contre les raflespolicières, il représente un élément essentiel de sa survie quotidienne. Sans endroit oùs’installer, il est encore plus vulnérable.

Dans son discours, il décrit un processus apparemment mutuel de dons et contre donsdans un cadre religieux large. Mais puisqu’il n’a aucun droit, il est en fait complètementdépendant de cet homme riche et de l’idée qu’il se fait de l’état de besoin dans lequel setrouve Abu Khaled132. Le propriétaire domine donc la situation, mais l’accepte car il s’agità ses yeux d’une « bonne pauvreté ».

Le « bon pauvre du mauvais pauvre »

Hagg Nasir133 souligne que la dignité s’acquiert par un comportement respectable quiconsidère le pauvre comme un être humain, et non comme un simple client, voleurou quémandeur. Cette attitude contraste fortement avec celle d’un certain nombre detravailleurs sociaux et de praticiens du développement que nous avons rencontrés134. Ceux-ci se sentent souvent trompés par une « clientèle » pauvre ce qui renforce l’image d’un« pauvre » peu méritant et déviant. Ces représentations de gens oeuvrant dans le secteur dudéveloppement sont partagées par les classes moyennes dont les membres conseillent auxétrangers de ne pas donner d’argent, notamment aux enfants, parce ce que « leurs parentssont assis sur un tas d’or »135. C’est le stéréotype représentant l’indigent qui demande lacharité en ville et habite dans un bel appartement, qui constitue la ligne de démarcation du« bon » et du « mauvais » pauvre.

129 Observation durant la semaine du 8 au 14 janvier 2007 à Berzé.130 Entretien réalisé le 23 janvier à Berzé.131 Observation réalisée le 26 janvier 2007 à Kafr Sussé.

132 Bonner montre que les interprétations radicales des premiers discours islamiques sur la pauvreté et la richesse insistentsur le droit des pauvres à la zakat.133 Entretien réalisé le 20 janvier 2007 à Messakine Berzé.134 Rencontre avec Pierre Jaillet, responsable du FMI en Syrie, le 14 mars 2007 et le 2 avril 2007.135 Expression largement reprise dans les quartiers de Malki, Sharlan ou Hafeef.

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Ce stéréotype établit une distance sociale et morale entre pauvres et une déviance chezcertains d’entre eux. Karim136, habitant d’un quartier informel pauvre, critique sévèrementcette vision :

« Les gens riches ne connaissent rien au sujet de notre vécu quotidien. Qu’ilsviennent voir les gens se débrouiller et ils comprendront. Pour eux, noussommes presque des animaux ».

La distance sociale se traduit souvent par des stéréotypes et des comportementsd’exclusion. Le pauvre devient « l’Autre » tant craint par une société divisée. Enconséquence, le combat contre la pauvreté devient vite un combat contre les pauvres.

Karim et nombre d’autres gens pauvres se sentent stigmatisés et font beaucoupd’efforts pour construire une image de soi positive. Derrière ces visions d’un avenir meilleurse profile l’importance attachée à la normalité, au fait d’être « normal ».

Mais ces visions alternatives sont marginalisées par les déséquilibres du pouvoirpolitique et social, et les discours gouvernementaux, scientifiques et médiatiques sont ceuxqui dominent les débats publics. Au final, les expressions et représentations des pauvressont presque totalement absentes des espaces publics et médiatiques, notamment cellessur les classes sensibles comme les enfants des rues.

Centre villeCes photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation

Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Messakine Berzé 137

Chapitre V : le « désaffilié », entre vulnérabilité socialeet régulation islamique

Comme nous avons tenté de le montrer précédemment dans la première partie, lapauvreté est vécue de manière différente en Occident moderne et dans les pays en voiede développement. A la gestion étatique, institutionnelle et anonyme de la pauvreté enOccident s’opposerait la gestion personnalisée de la pauvreté dans les pays arabes, baséesur des rapports clientélistes de dépendance entre les « pauvres » et les « riches ».138 Dansce dernier schéma, la pauvreté serait moins synonyme de perte de travail que de perte desréseaux sociaux, familiaux ou communautaires. Pour ces pays, dont la Syrie, la famille seraitle premier vecteur du lien social et les réseaux d’échanges familiaux et communautaires,bien qu’empreints d’inégalité, d’exploitation voire même de servage, constitueraient dessoupapes de sécurité permettant d’éviter la marginalisation et l’exclusion complète del’individu139.

136 Entretien réalisé le 5 janvier 2007. Rencontré près de Berzé, l’interviewé a refusé de nous préciser le nom de sa localité.137 Photos réalisées le même jour, en l’occurrence le 19 mars 2007.

138 DESTREMEAU, Blandine, DEBOULET, Agnès, IRETON, François, Dynamiques de la pauvreté en Afrique du Nord et au MoyenOrient, Paris : Karthala, 2004. 517 p. collection Hommes et Sociétés.139 Idem

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Dans ce schéma, le « pauvre des pauvres » est en fait celui qui ne dispose pas dereprésentation et de réseau, notamment du premier réseau de solidarité à partir duquel seconstruisent les autres réseaux, à savoir le réseau familial. C’est ce que Castel dénommele « désaffilié »140.

Comme dans toutes les sociétés du monde, les « désaffiliés » existent bien dans lessociétés où l’islam est la religion majoritaire141. La société syrienne ne fait pas exception àla règle. Généralement, leur désaffiliation est due à une perte de liens familiaux résultantde circonstances exceptionnelles, comme les migrations rurales des kurdes ou l’extrêmepauvreté urbaine provoquant l’éclatement du lien familial. Concentrée sur le quartier deRukn Ed Dine, situé au nord-est de la capitale syrienne, et du Midan, dans le sud de laville, notre étude tentera de rendre compte, à travers de multiples enquêtes de terrain sur lequotidien des enfants de la rue142, le poids grandissant de l’Islam comme principal régulateurdu phénomène face à l’absence de l’Etat Baathiste et les contradictions du champ associatif.

A/ La représentation de la pauvreté en Islam

La pauvreté ou « la sémantique de l’aumône »La racine faqara est généralement employée pour désigner la pauvreté, alors que sonemploi est très restreint dans le Coran (une fois)143 et sa catégorisation partagée entre lenécessiteux (al-‘â’îl), le mendiant (al- sâ’îl), le pauvre très humble (al-miskîn), et le déshérité

ou désaffilié (al-mahrûm) 144 , sans pour autant définir la figure du pauvre. En effet, c’est

à l’intérieur de l’espace communautaire qu’il nous faut l’envisager, à travers un ensemblede valeurs qui fondent la norme idéale par l’application de règles morales objectivées en« codes rituels ». En cela, le rite de l’aumône dans l’accomplissement du geste établitun rapport intersubjectif qui se manifeste selon un mode organique et non pas seulementnormatif.

C’est à travers le champ de l’aumône, que l’on pourrait désigner comme un« phénomène social total », que se déploie la figure du désaffilié, en l’occurrenceici les enfants des rues, entendu comme l’un des principaux ressorts de la solidaritécommunautaire et auquel tout croyant peut s’identifier conformément à l’adressedivine : « Humains, vous les indigents à l’égard de Dieu, alors qu’il se suffit Lui, lelouangé 145». C’est à Dieu seul qu’appartient de donner le viatique (al-rizq).

L’idée d’aumône comprise dans le cadre d’une morale sociale se déclinetraditionnellement selon deux modalités que sont al-zakât, l’aumône purificatrice/obligatoireet al-nafaqa ou al-infâq, la dépense.

140 CASTEL, Robert, Les métamorphoses de la question sociale, Paris : Fayard, 1995. 770 p.141 On dénombre près de 80% de musulmans en Syrie, dont une large majorité de sunnites.142 Nous avons travaillé sur le cas d’une trentaine d’enfants entre les mois de février et de mars 2007.

143 Sourate II, La Vache, 268.144 DESTREMEAU, Blandine, DEBOULET, Agnès, IRETON, François, Dynamiques de la pauvreté en Afrique du Nord et au MoyenOrient, Paris : Karthala, 2004. 517 p. collection Hommes et Sociétés.

145 Sourate 35, Le créateur intégral, verset 60.

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Considérons à présent leur étymologie. Dans la première modalité, la racine zakâest apparentée à celle de purifier tahâra, comme le confirment de nombreux versetscoraniques146 mais également dans le domaine de l’obligatoire (al-wâjib) car comme leprécise l’Imam Al Ghazali147, c’est un fard kifâya, un devoir communautaire.

Al-infâq, pour sa part, traduit l’idée de faire dépense pour ses propres besoins oul’entretien d’un tiers –subsistance-logement-vetement- et tout ce qui se rattache auxexigences de l’existence.

La troisième modalité, al-sadaqa, se voit substituer dans une approche sociale à lazakât pour nommer la bienfaisance c'est-à-dire un « acte collectif, sinon contraignant, dumoins engagé dans un ensemble préétabli d’interactions »148. Par don, on doit entendresadaqa al-taflawwu’ ou don volontaire, envisagé comme un acte individuel spontanéconduisant à l’émergence d’un ordre qui requiert l’engagement du « riche » comme celui du« pauvre », dans un lien contractuel mais dont la fin vise un ordre communautaire subsumé.

L’aumône, entre pilier de l’Islam et règle de vie du musulmanL’importance de la zakât, qui, en théorie, s’élève à un quarantième des avoirs d’un individupar année, exception faite de son lieu de résidence et de ses biens indispensables à la viequotidienne, et de la sadaqa constitue un aspect de l’enseignement islamique sur lequelpresque toutes les écoles sunnites s’accordent et les musulmans adhèrent.

En effet, la zakât fut prescrite afin de soulager les « pauvres », les libérant du coup dela haine, de l’isolement, du désespoir et de l’envie. De plus, la générosité mène au respectdes droits.

Dès le XIe siècle avec l’érudit Al Mâwardi149, la question de la place du citoyen selonson statut socio-économique est posée, sans pour autant vouloir déterminer un niveau derichesses suffisant ou modifier les structures en place. Que l’on soit pauvre, moyennementaisé ou aisé, quelle est notre place dans la société ?

Par définition, les pauvres ne peuvent pratiquer la générosité, encore moins les enfants,interdit de travailler, et sont donc obligés de dépendre directement de la bienfaisance desriches, ou indirectement, de la mosquée150. Pour ces enfants, censés être scolarisés, lavertu consiste à ne pas se placer en situation humiliante, comme par exemple se voir refuserune aide par un avare. Ils sont dans l’obligation morale de solliciter une aide que quandcelle-ci est vraiment nécessaire et seulement auprès de gens connus pour leur richesse,leur libéralité et pour leur discrétion lorsqu’ils dispensent l’aumône.

Karim151, 10 ans, vivant depuis deux ans dans le quartier de Rukn Ed Dine, le précise :

146 Versets 9 de la sourate le Soleil, Versets 14 de la sourate le Très Haut.147 L’Imam Abu Hamid al Ghazali [en ligne]. Ressources islamiques en langue francaise : 2000 [page consultée le 23 mars

2007].148 BUKHARI, Al Jaami’a as Saheeh [en ligne]. Fatwas : 2007 [page consultée le 1er juin 2007].149 DESTREMEAU, Blandine, DEBOULET, Agnès, IRETON, François, Dynamiques de la pauvreté en Afrique du Nord et au

Moyen Orient, Paris : Karthala, 2004. 517 p. collection Hommes et Sociétés.150 Nous entendons ici pour les enfants musulmans, il y va de même avec les enfants chrétiens vis-à-vis des églises.151 Entretiens réalisés les 7, 8 et 9 mars 2007 à Rukn Ed Dine.

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« J’ai honte de mendier, de rester dans la rue à guetter la moindre livre, alors jepréfère aller à la mosquée. Là bas, au moins, on ne me juge pas ».

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Enfant mendiant dans le quartier de Seydna ZinebA l’inverse, les « riches » doivent donner pour être purifiés des biens qu’ils possèdent et

qui autrement les asserviraient, en sachant quand, combien et à qui donner. Généralement,la mosquée sert d’intermédiaire car elle permet au donneur de combler son effort degénérosité sans attendre de bénéfice en retour, autre que divin, tout en évitant de se vanter,du fait de l’obligation divine et du péché qu’il susciterait.

Abu Mourad, 67 ans, propriétaire de trois minibus et retraité, nous le confirme152:« Je suis un bon musulman, je prie cinq fois par jour, et grâce à Dieu, j’ai lesmoyens de bien vivre. Donner l’aumône est une obligation formulée par le Divin,je me dois de la respecter. Que Dieu me donne encore longtemps la force de luirendre grâce ».

Moins stigmatisé qu’en Occident, l’aumône et la bienfaisance qui en découle procède de laniyyah ou l’intention : On ne donne pas en théorie pour bien se faire voir, on a l’intention dedonner pour aider son prochain selon le principe divin de charité.

B/ La charité institutionnelle islamique en action

Des associations d’intérêt publicLes associations musulmanes de bienfaisance, ou jam’iyyât kharriya, sont au nombre de240 en Syrie, dont une centaine sur le Grand Damas153, gérant entre 400 et 700 casd’enfants des rues154. Elles se présentent comme « associations islamiques » et sont engénéral attachés à des mosquées comme c’est le cas dans le Midan :

« La mosquée permet au croyant de se retrouver avec Dieu, l’association de luirendre grâce en respectant la zakât »

Nous explique un membre de l’association, Khaled155.Ce type d’association, basée sur les ressources de la zakât et de la sadaqa sont

d’intérêt public, comme l’association muwwassat al-islâmiyya et l’association al-jam’iyya

al- khayriyya al-islâmiyya 156 , car elles mettent à disposition des enfants des structures

sociales et sanitaires nécessaires dans la lutte contre la pauvreté.Ronak, 13 ans, venant du Kurdistan syrien, passe treize heures par jour sur le pont Jisr

Rais avec son pèse-personne :152 Entretien réalisé le 19 février 2007 dans le Midan.

153 BOUKHAIMA, Soukaina, Le mouvement associatif en Syrie, Pouvoirs et associations dans le monde arabe, BEN NAFISSA,Sarah (dir.), Paris : CNRS Editions, 2002. 184 p. collection Etudes de l’annuaire de l’Afrique du Nord.154 Chiffres obtenus à partir de nos enquêtes de terrain et du travail des associations dans les quartiers défavorisés.155 Entretien réalisé le 2 mars 2007 dans le Midan.

156 Idem

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« Mes parents n’ont pas beaucoup d’argent, et avec ma sœur, nous nousrelayons pour gagner un peu d’argent. Dans une journée, je peux gagner jusqu'à

60 livres157, et ainsi manger des fouls 158 et donner le reste à ma mère ».159

Lui demandant si ces 60 livres quotidiennes lui permettent de survivre, il me réponddirectement :

« De temps en temps, je vais à la Mosquée. Là bas, on nous donne à manger etdes vêtements neufs. Je ne vais pas demander à mon voisin un bout de pain (ilrigole) ».160

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Enfant avec pèse-personne sur le pont Jisr RaisGrâce à ces témoignages alarmants de Ronak et de Karim, on se rend compte, par

le vocable utilisé, de trois caractéristiques fortes : Tout d’abord, une gène, voire une hontecomme le précise Karim, à être pauvre et à devoir être dépendant d’un tiers. La mosquéeapparaît comme l’unique endroit où une forme d’égalité sociale va émerger et où chaqueindividu, dans un tissu urbain désarticulé et une montée de l’individualisme croissante, vaprendre soin de son prochain.

Puis, on s’aperçoit, surtout dans la seconde interview, que la rupture des liens desolidarité, familiaux ou de voisinage, est en marche, notamment sous le poids de la chertéde la vie, de l’inflation des prix et de la stagnation du pouvoir d’achat depuis une dizained’années.

Enfin, il apparaît évident que la Mosquée, par l’intermédiaire des associations debienfaisance, devient l’unique pourvoyeur de services sociaux de proximité. On ne se tourneplus vers la famille, le voisinage ou l’Etat, mais vers le centre religieux.

Les activités sociales des mosquées : l’exemple de l’éducationL’Imam de la mosquée Boutih à Rukn Ed Dine nous présente les activités sociales de soncentre religieux :

« Grâce à l’argent de nos frères, nous pouvons offrir des vêtements et de lanourriture aux plus démunis. Cependant, notre action ne doit pas se réduire àcourt terme mais s’inscrire dans un réel processus de développement, c’estpourquoi nous donnons des cours de langue arabe et de religion aux enfantsdéshérités par exemple. Cela leur permet d’être au contact du savoir et de quitterle monde de la rue, source de déséquilibres et de violences ».161

Apprentissage du Coran à Abu NurIl est vrai que le moyen de lutter durablement contre la pauvreté passe par le

développement de l’éducation, car si l’on analyse de façon globale le phénomène de la157 Chaque individu paie 5 livres pour se peser.158 Fèves à raison de 10 livres le bol. Plat traditionnel du « pauvre » en Syrie.159 Entretiens réalisés le 4 mars, le 6 mars et le 11 mars 2007.160 Idem161 Rendez-vous pris le 4 mars 2007 mais l’entretien n’a été réalisé que le 10 mars 2007 à Rukn Ed Dine.

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pauvreté en milieu urbain, on se rend compte, par l’intermédiaire de l’action étatique maisaussi islamique, que la diffusion de l’éducation réduit l’incidence de la pauvreté, notammentdes populations sensibles puisque l’illettrisme des enfants a baissé de 36% depuis 1997en zone urbaine162.

Rafik, 15 ans, vivant dans le quartier de Cheikh Mohidine en est un parfait exemple :« Je suis arrivé de Hassakieh à l’age de huit ans avec mon père et mes deuxfrères. […] Je ne savais pas lire et écrire, mon père nous demandait de l’aider auchamp donc je n’ai pas pu aller à l’école très souvent. On s’est installé chez mononcle près de la mosquée (Cheikh Mohidine), et là bas, j’ai appris à lire et écrirele Coran. Avec l’aide de la mosquée, je vais bientôt rentrer au lycée, si Dieu leveut. »163

162 PROGRAMME DES NATIONS UNIS POUR LE DEVELOPPEMENT, Poverty in Syria: 1996-2004, diagnosis and pro-poor policy considerations, Damas: PNUD, 2005. 146 p.163 Entretien réalisé le 3 février 2007.

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164

Niveau d’éducation des pauvres selon l’origine spatialeDe plus, comme précisé sous le tableau ci-dessus, on remarque une nette différence

sur le pourcentage d’illettré pauvres en Syrie : 17% se concentrant dans les zones rurales,notamment dans le Kurdistan et la bande nord-est entre Alep et Deir ez Zor, contre« seulement » 11% dans les zones urbaines. Cette différence de six points peut d’ailleurss’expliquer par le nombre beaucoup plus important d’écoles et de lieux cultes dans lesvilles comme Damas que dans les campagnes, différence se retrouvant dans les écarts de« pauvres » entre les villes : 95.000 « pauvres » à Damas en 2004 contre 113.000 à Raqqasur la même année 165(Cf. Première partie).

Mais cette politique sociale et éducative de la part de la Mosquée est sujette àcontroverse : Peut-on parler d’un financement strictement basé sur la générosité des fidèles

164 Idem165 Id.

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ou doit-on voir une main étrangère, notamment saoudienne ? Quels sont les buts réels decette mainmise sur un quartier et sur une population vulnérable ? Le courant wahabite est-il présent en Syrie, et à Damas en particulier ?

C/ La Mosquée : Solution à la pauvreté ou opposition déguisée ?

Une action sous contrôle administratif

La constitution syrienne dans son article 39 reconnaît le droit d’association166 tout enappliquant un contrôle administratif strict.

En effet, le décret d’application de la loi n° 93 de 1958167 prévoit une enquête préalablesur les fondateurs de l’association par les services de la Sûreté Générale, le droit deregard sur les objectifs, la correspondance des programmes avec ceux du Ministère etc. Ensomme, très peu d’associations sont créées.

De même, le fonctionnement interne des associations est étroitement contrôle parle ministère des Affaires sociales et du Travail. Les associations doivent non seulementlui communiquer des rapports d’activité mais ses fonctionnaires peuvent assister à leursréunions. La loi prévoit également le contrôle des moyens de financement des associationsen vérifiant la liste des donateurs afin d’éviter la mainmise d’une puissance étrangère, icil’Arabie Saoudite, sur un centre religieux et le développement d’un fanatisme contestataire.

Une volonté politique de statu quoL’action des associations musulmanes, dans la formation de jeunes imams ou dethéologiens, dans la diffusion et l’explication de textes religieux, comme c’est le cas à lamosquée Abu Nur à Rukn Ed Dine dirigé par le mufti Ahmad Kiftarû ou la prise en charge dumatériel éducatif (cahier, trousse, ardoise etc) tend à s’accroître, soutenu en cela par desriches donateurs privés, permettant de donner une réelle chance à ces populations de s’ensortir tout en étant une réelle force d’opposition. On peut évoquer le cas ici des associationsal-Tamaddun al-Islami et Shâban Mohamed, source de révoltes sociale et populaire dansles années 70 mais mise à mal par la surveillance politique et la répression militaire168.

Or, l’Etat syrien, à travers la législation contraignante, a pour but de décourager lacréation d’associations nouvelles tout en renforçant une surveillance étroite des anciennesafin d’éviter toute forme de contestation civile et par la même assurer la stabilité du régime.Si les cadres associatifs ont certainement appris à composer avec le pouvoir et à éviter lesinconvénients du contrôle bureaucratique, il n’empêche que la lourdeur et la longueur desprocédures à suivre découragent l’émergence de nouvelles associations de bienfaisance.

Les associations d’aide sociale représentent 60% des associations syriennes et cetteproportion est quasiment constante depuis quarante ans. La solidarité communautairen’explique pas à elle seule cette permanence mais la volonté politique de contenir lemécontentement social en jouant un savant mélange de préservation du lien social grâce

166 « Les citoyens ont le droit de se réunir et de manifester paisiblement en conformité avec les principes de la Constitution ».167 Arrêté n°1330 de 1958 publié au Journal Officiel du 23 octobre 1958.

168 Il est intéressant de noter qu’en mars 2006, le ministère des Waqf a tenté d’interdire l’enseignement religieux dans les mosquéesde Damas. Sous la pression des chefs religieux, la loi a été annulée. Surveillance étatique certes, mais contre-pouvoir islamiquepersistant.

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au rôle des mosquées, déliquescence des services sociaux et répression de l’oppositionislamique169.

Or, ce mélange peut s’avérer dangereux car les enfants des rues, marqués par lavulnérabilité, l’amadouement dans le cercle religieux ou l’impact des médias avec lesimages fortes de Palestine et d’Irak, peuvent s’avérer être les futurs contestataires dedemain170.

A travers cet exemple des enfants de la rue, privés de solidarités communautaires oufamiliales mais retrouvant dans la religion, en l’occurrence ici l’Islam, un moyen à la fois desubvenir à leurs besoins matériels et moraux, l’Etat syrien est en total échec en terme depolitiques sociales. En orientant son budget sur la défense et la sécurité intérieure, et entransférant, volontairement ou non, ses prérogatives de lutte contre la pauvreté au profit dela sphère religieuse, le pouvoir syrien n’est plus l’acteur moteur de la réduction des inégalitéssociales. Attiré par l’ouverture économique et la libéralisation de l’économie, sans pourautant assurer des contreparties sociales suffisantes, le régime de Bachar Al Assad ouvreles portes à une précarité sociale, avec l’apparition d’enfants des rues, et économique, avecune instabilité de l’emploi des agents de l’Etat, autrefois fleuron du parti de « la RenaissanceArabe » en matière de réduction de la pauvreté.

Chapitre VI : Précarité économique et pratiquessociales des agents de l’Etat

La notion de précarité est une notion apparue dans les années 80 dans les paysOccidentaux, marquée par une montée du chômage de masse, et l’effritement de la sociétésalariale171. Une série de transformations a en effet affecté dès cette époque les fondementsde l’Etat social, malmenant les dispositifs protecteurs et fragilisant les relations de travaildans une société « d’individus qui ne trouvent, ni en eux-mêmes ni dans l’entourageimmédiat, la capacité d’assurer la protection »172. Dans ce difficile contexte économique etsocial, la précarité a d’abord «désigné « un ensemble hétérogène de situations instablesgénératrices de difficultés nouvelles pour des franges de la population jusque-là à l’abri dela pauvreté »173. Puis, cette notion va évoluer pour aboutir à « une analyse des processuspouvant conduire de la précarité à l’exclusion au sens des cumul des handicaps et d’unerupture progressive des liens sociaux »174, conduisant à une désaffiliation des personnesles plus vulnérables, les enfants en terme de classe d’age, les fonctionnaires, en terme declasse socioprofessionnelle.

169 LE SAUX, Mathieu, Les dynamiques contradictoires du champ associatif syrien, Revue des mondes musulmans et de laMéditerranée, avril 2006, numéro 115-116, p. 193-209.

170 Nous n’avons pu recueillir de témoignage sur ce sujet, la politique et la religion étant encore des sujets tabous en Syrie.171 BOISSIERE, Thierry, Précarité économique, instabilité de l’emploi et pratiques sociales en Syrie, Revue des mondes musulmanset de la Méditerranée, janvier 2005, numéro 105-106, p. 135-151.172 CASTEL, Robert, Les métamorphoses de la question sociale, Paris : Fayard, 1995. 770 p.173 Idem174 PAUGAM, Serge, L’état des savoirs, Paris : La Découverte, 1996. 583 p. collection « Textes à l’appui ».

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En Syrie, comme dans les autres pays arabes, nous l’avons vu, l’individu n’estjamais totalement isolé car il participe à des relations d’échange, d’entraide et d’obligationdans le cadre du lignage, du clan, d’un groupe professionnel ou d’un quartier. Or, avecle développement de l’urbanisation et du salariat, la généralisation de l’instruction oul’industrialisation, la Syrie, Damas en premier lieu, présente un éclatement des territoires,une rupture des relations sociales et solidaires, et une cristallisation des inégalitéss’inscrivant davantage dans la répartition des espaces urbains. De plus, avec la crise dumodèle centralisateur de l’Etat, de l’économie planifiée et du secteur public à partir desannées 80, une libéralisation progressive s’est engagée dans certains secteurs nationalisés,marquant ainsi le déclin des monopoles d’Etat et menaçant l’emploi des salariés de cesmêmes secteurs175.

On peut se demander dès lors jusqu’à quel point ces mutations et cette tentativede libéralisation économique, en renforçant les situations de précarité ou en créant desnouvelles, ont affecté les formes anciennes d’entraide, de coopération et de protection desfonctionnaires d’Etat. Comment ces gens réagissent-ils à l’inflation des prix ? Commentpallient-ils les carences du système public de protection sociale176 ? Assiste-t-on, avecla libéralisation économique, à l’avancée de valeurs plus individualistes au détriment desappartenances communautaires ? Peut-on parler de désaffiliation dans le cadre de cetteclasse socioprofessionnelle ?

A/ Entre baisse des revenus et pluriactivité

De l’Etat-Providence à l’Etat en crise

Les salariés de l’Etat représentaient environ 900.000 personnes en 2002177, soit 17%de la population active syrienne. C’est dans les années 60 que fut mis en place cetimportant secteur étatisé avec la nationalisation des banques et des principales industriesen 1965178reléguant le secteur privé aux petits établissements commerciaux et artisanaux.Cette même année a été imposé le monopole de l’Etat sur l’exploitation des richesses dusous-sol, du coton, du ciment, du sucre, du tabac ainsi que sur la production électriquetout en mettant en place un système de protection sociale sectorisé, notamment basé surdes caisses mutuelles dépendant des syndicats et des unions professionnelles. Avec le« Mouvement de rectification » initié par Hafez Al Assad dans les années 70, marqué par desgrands projets industriels dans de nombreux secteurs (textile, métallurgie, agro-alimentaire,chimie) et d’importants aménagements (irrigation, barrages, transport), le secteur publicconnaissait une croissance sans précédent, assurant pour de nombreux syriens un revenumensuel et des conditions de vie décente.

Or, avec la crise économique de la fin des années 70, symbolisée par la baisse de laproduction industrielle, les sureffectifs, les difficultés d’importation mais également la baissede l’aide des pétromonarchies, c’est tout un système qui est à revoir. Le secteur privé,

175 BOISSIERE, Thierry, Précarité économique, instabilité de l’emploi et pratiques sociales en Syrie, Revue des mondesmusulmans et de la Méditerranée, janvier 2005, numéro 105-106, p. 135-151.

176 Caractérisé notamment par l’absence d’un système de santé unifié, par l’éclatement des systèmes de couverture socialeet par le nombre croissant de travailleurs non déclarés, sans statut et ne bénéficiant donc d’aucune couverture sociale.177 Idem178 Secteurs privatisés à partir de 2005.

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encore limité à des entreprises de petite taille, bridé par un système étatisé et bureaucratisé,n’a pas pu alors jouer un rôle moteur dans la relance économique. Conséquence directe dela mauvaise gestion du secteur public, une importante crise des changes éclate au milieudes années 80 entraînant une forte inflation, la dévaluation de la livre syrienne179 et le geldes salaires du secteur étatique.

La recherche du complémentLes salariés de ce secteur ont alors connu une forte baisse de leur niveau de vie, le revenude la grande majorité d’entre eux ne suffisant désormais plus pour assurer leur surviequotidienne et cela en dépit d’augmentations fréquentes des salaires. A l’heure actuelle, lesalaire moyen est de 8000 livres180 ce qui ne permet pas, si l’on se réfère au chapitre III denotre étude, à un ménage urbain damascène de survivre. Pour ces agents, il est devenuvital de trouver un complément au salaire régulier.

Les agents de l’Etat forment une catégorie de salarié en réalité peu homogène, certainsd’entre eux occupant des positions stratégiques par rapport à certaines ressources qui leurpermettent d’échapper, grâce aux pratiques de corruption, à la paupérisation qui frappeune majorité de leurs collègues. Des pans entiers du secteur public sont ainsi concernés :policiers, douaniers, services municipaux, enseignants d’université, fonctionnaires de laJustice… La corruption renforce les rapports de subordination tout en révélant aussi unehiérarchie informelle liée à des positionnements stratégiques qui ne sont parfois guère enrapport avec la représentation officielle et commune de la fonction.

Perçue comme illégitime lorsqu’elle bénéficie aux fonctionnaires les mieux placés, lacorruption est en revanche considérée comme participant pour les fonctionnaires les plus

modestes, d’une forme d’aumône légale : le bakchich devient alors zakât 181 .

Mahmoud182, 42 ans, fonctionnaire au service d’immigration de Baramké, le confirmeen souriant :

« Je touche 8400 livres par mois, cela ne me suffit pas à moi, ma femme et mestrois enfants. On essaie toujours de s’arranger si tu vois ce que je veux dire »183.

Comme le précise Jocelyne Cornand184 :« L’augmentation rapide du coût de la vie enregistrée depuis le milieu des annéesquatre-vingt a largement favorisé l’extension de la pluriactivité. Désormais, iln’est plus rare qu’une personne exerce deux, voire trois métiers, en particulier sielle travaille dans le secteur public ».

179 La valeur a été divisée par trois par rapport au dollar.180 Chiffre obtenu à partir de nos enquêtes de terrain entre avril et mai 2007.

181 BOISSIERE, Thierry, Précarité économique, instabilité de l’emploi et pratiques sociales en Syrie, Revue des mondesmusulmans et de la Méditerranée, janvier 2005, numéro 105-106, p. 135-151.

182 Entretien réalisé le 8 avril 2007.183 Lors de nos entretiens, le sujet de la corruption a été tabou. Pour comprendre son attitude, je suis resté une semaine

en avril 2007 à observer ces fonctionnaires et je me suis rendu compte que les feuilles de visa étaient vendues non pas 25

livres comme le veut la loi mais 30 livres, la marge de 5 livres revenant toujours au fonctionnaire. Avec plus d’une centaine

de demande par jour et le roulement des postes, le fonctionnaire peut gagner jusqu’à 200 livres par jour.184 CORNAND, Jocelyne, L’entrepreneur et l’Etat en Syrie, le secteur privé du textile à Alep, Lyon : l’Harmattan, 1994. 265 p.

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Or, la pluriactivité fut longtemps interdite dans la fonction publique mais devant sagénéralisation, une loi a officialisé cette pratique185. Ainsi, alors que la pluriactivité neconcernait dans les années 70 qu’une minorité des salariés du public, c’est désormais unemajorité d’entre eux qui organise ses journées entre son travail pour l’Etat et plusieursactivités complémentaires.

Mohamed186, 34 ans, nous éclaire sur le propos :« La journée, je suis policier. Je travaille à l’ambassade d’Irak comme gardeposté. L’après-midi venu, je suis vendeur de savon dans le souk (Hamidieh) etchaque vendredi, je remplace mon beau-frère comme chauffeur de taxi entreDamas et Amman. C’est fatiguant mais il faut bien vivre alors tant que j’ai la force,cela ne me gène pas »187.

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Taxi assurant la liaison Damas-AmmanPar le biais de la pluriactivité, un nombre croissant d’agents de l’Etat participe ainsi à

temps partiel au secteur privé en trouvant à s’employer dans certains secteurs d’activitéscomme l’artisanat ou le commerce, les plus pauvres se situant dans l’emploi journalier.

B/ La « solution journalière » : entre instabilité de l’emploi etaggravation des différenciations

Survivre à tout prix

Avec la montée du chômage188 et du sous emploi189 mais également la stagnation du pouvoird’achat, le nombre d’agents de l’Etat travaillant comme journaliers a explosé190, ayant pourbut premier une survie quotidienne épuisante, alternant période d’activité et d’inactivité.

L’application, à la demande du FMI et de la Banque Mondiale, d’une politiqued’ajustement structurel au milieu des années 90 visant à diminuer les subventions publiquessur certains produits et services (Augmentation du prix de l’électricité de 400% entre1995 et 2003) a renforcé les difficultés de vie des plus précaires, notamment les petitsfonctionnaires.

185 Article 65 de la « loi fondamentale du travail unifié » de janvier 1985.186 Entretien réalisé le 7 mai 2007.

187 Nous avons établi la somme de ses revenus : Compter 8000 livres par mois pour le salaire de policier, 2000 livres pour

les savons, à raison de 100 livres le paquet de quatre, et 5000 livres pour le taxi, à raison de 500 livres par personne et

pour un aller, soit un total de 15000 livres par mois.188 On estime le taux de chômage à 20% de la population active en 2005.189 Plus de 70% des jeunes de 15 à 24 ans seraient au chômage.190 Aucune statistique sur la question.

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Yasir191, 25 ans, a officiellement un poste dans l’administration de la municipalité deDamas. Il pointe chaque matin puis se rend dans le quartier de Afeef en quête d’un emploijournalier dans le bâtiment. Cela lui permet de gagner 200 livres la journée.

Ainsi, un nombre croissant de fonctionnaires enchaînent des petits boulots de vendeurde rue, manutentionnaire, de personnel de service ou de manœuvre pour le compte depetits entrepreneurs et de particuliers, petits boulots qui ne leur permettent que d’acheterau jour le jour les aliments nécessaires à leurs repas, essentiellement du pain, des oliveset du fromage.

Obsédés par leur survie quotidienne, à la merci du moindre problème de santé, cesjournaliers construisent leur rapport au travail sur des objectifs à très court terme, vivantainsi dans une incertitude permanente.

Les solidarités de proximité (famille, quartier, lieux de culte) constituent alors lesprincipaux réseaux de pourvoyeurs d’emplois et les derniers garde-fous contre la grandepauvreté192.

Tolérées par les autorités, ces pratiques marchandes ont l’avantage de pouvoir sepratiquer en dehors des « heures de bureau », de ne nécessiter qu’un faible investissementet de pouvoir être aussi facilement mises en place que rapidement abandonnées : Ventedans la rue (bi-l-nasîf), à même le sol ou dans de petits véhicules tractés, d’objets aussidivers que des CD audio, des DVD, des lunettes de soleil, des billets de loterie etc.

Ces activités, pratiquées seulement par les hommes, en partie alimentées par lecommerce de contrebande, peuvent rapporter jusqu’à 6000 livres par mois193.

Souk Hamidiyeh : lieu de prédilection des petits vendeurs

Un statut précaire dans l’espace urbainFace à cette réalité socio-économique, il apparaît que les quartiers périphériques de Damasconstituent un réceptacle assez logique de ces populations. Il est important de noter queleurs logements sont généralement des logements fournis par l’Etat dans les années 70,certes insalubres, mais ne remettant pas en cause leur accès à un toit.

Or, dans ces quartiers en voie d’illégalité par l’extension urbaine autour de la deuxièmepériphérie urbaine de Damas, situé à 20 km du périphérique, les habitants se disentabandonnés par l’Etat et un sentiment d’exclusion se développe. Les carences, voirel’absence d’équipements et d’infrastructures sanitaires et sociales en sont les principauxindicateurs.

Sur ces deux photos ci-contre de quartiers informels situés sur les hauteurs duMont Qassioun, on remarque que le traitement des eaux usées n’est pas assuré et leraccordement au service électrique s’organise de manière sauvage.

Egout à l’air libreRaccordements sauvages

191 Observation entre les 13 et 20 avril 2007 à Afeef.192 VOLKER, Perthes, The Political Economy of Syria Under Asad, New York: I.B Tauris, 1995. 272 p.193 BOISSIERE, Thierry, Précarité économique, instabilité de l’emploi et pratiques sociales en Syrie, Revue des mondes

musulmans et de la Méditerranée, janvier 2005, numéro 105-106, p. 135-151.

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La reproduction de la pauvreté réside donc bien dans cette double assignation, socialeet spatiale, conduisant à une pauvreté « stigmatisante ».

Elle repose enfin sur une segmentation du marché du travail qui, par le biais de la soustraitance, permet aux entreprises de fonctionner avec peu de salariés permanents et unesurabondance de main d’œuvre journalière, peu qualifiée et peu coûteuse.

Fayad, 32 ans, nous résume son quotidien :« Avec les avantages de la fonction publique, comme un salaire fixe ou lasécurité sociale, et les petits boulots dans le bâtiment, j’arrive à m’en sortir. Mesdépenses se limitent au transport, à la nourriture et à de rares occasions à dessorties. Je « pointe » au ministère des Affaires sociales et je travaille près de10h par jour sur les chantiers avec mon oncle. Je ne m’accorde que le vendredicomme repos ».194

C/ Pratiques sociales face à la précarité

Le rôle fédérateur de la familleMême si les regroupements patrilignages se sont fragilisés et étiolés du fait notamment del’urbanisation, la famille reste la principale pourvoyeuse d’emplois et de capitaux ainsi quele premier cercle de solidarité.

C’est grâce à la famille que les individus les plus précarisés économiquement tiennentmalgré tout debout avec notamment une mise en commun des ressources ou un accèsfamilial à une mutuelle de santé assurée dans le secteur public.

De plus, l’existence d’une petite entreprise familiale (épicerie, atelier artisanal) peutainsi offrir, grâce aux activités relativement stables qu’elles permettent, une sorte de filetsocial de sécurité rendant viable l’alternance de périodes d’activités et d’inactivités dansles seconds métiers, notamment le bâtiment, le transport ou la manutention. Le cas de cetagriculteur de la Ghouta est de ce point de vue significatif 195: Rafiq est un fonctionnaire de30 ans. Il est le frère cadet d’un agriculteur (34 ans) qui travaille avec son père (75 ans) surune exploitation agricole de 5 hectares. Rafiq a quitté cette exploitation à 16 ans. Profitantde son statut de fonctionnaire, il a apprit le métier de macon. Après des années de travail auLiban, il passe maintenant d’un chantier à l’autre, sans trop savoir de quoi sera fait demainet sans être sur de pouvoir toujours joindre les deux bouts. Mais cela ne l’inquiètes pas :le salaire de fonctionnaire, le travail avec son frère sur la parcelle agricole et les revenusconjoncturels du bâtiment lui assurent des revenus corrects.196

L’exploitation agricole fournit ici une activité secondaire stable entre des périodes detravail irrégulière et également une marge de manœuvre suffisante pour que l’instabilitéou la mobilité de certains métiers ne constituent pas un drame social. Le père ou le frèreassure la permanence pour d’autres membres qui vont et viennent mais qui peuvent un jour(re)devenir des agriculteurs à temps plein. L’exploitation apparaît donc comme un élément

194 Entretien réalisé le 5 mai 2007 à Afeef.195 Idem196 Observation réalisée le 8 mai 2007 dans la Ghouta de Damas.

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stable dans l’économie familiale rendant possible par ailleurs une certaine instabilité del’emploi.

La place grandissante de la FemmeMais désormais, face à la baisse des revenus des ménages, aux difficultés de trouver unsecond travail et à la stagnation du pouvoir d’achat des agents de l’Etat, de nombreusesfemmes travaillent aussi chez elles à façon, effectuant des petits travaux de couture, detricot, de la dentelle, des travaux de finition, afin de répondre à des commandes de voisins oumême de commerçants. L’argent gagné grâce à ce travail, qui n’est d’ailleurs pas reconnucomme tel par les hommes, sert essentiellement à entretenir les enfants.

Beaucoup de femmes des milieux populaires travaillent également hors de chez elles(ménages, industries manufacturières) et rapportent de l’argent dans un foyer ou l’hommeest régulièrement contraint à la suractivité. Comme le souligne Youssef Courbage197, dansles années 60-70 les ménages syriens pouvaient se contenter d’une seul salaire ou d’unrevenu unique et les femmes étaient à peine visibles dans la sphère productive. Avec larécession économique des années 80, elles ont été de plus en plus nombreuses à offrir leurforce de travail à l’extérieur du domicile familial.

On assiste enfin depuis quelques années à la collectivisation de certaines dépensesau niveau de la famille élargie avec le système des caisses familiales (jam’iyât ahliyeh).

Chez les femmes, des associations d’épargnes se forment, notamment à Damas198

avec l’organisation de réceptions (Istiqbâl) où chaque membre féminine se voit dansl’obligation de verser mensuellement 200 livres syriennes199. A coté des dépensesexceptionnelles suscitées par un pèlerinage à la Mecque ou une opération chirurgicale, lasomme épargnée peut servir à l’achat de produits électroménagers ou de cadeaux.

Cette épargne peut donc être un complément de revenu intéressant au salaire de lafonction publique et des travaux secondaires du chef de foyer.

En Syrie, et à Damas plus précisément, les risques d’une désaffiliation sociale massiveque pourrait provoquer une dégradation de l’emploi et des conditions de travail semblentpour l’heure être limités par l’activité des réseaux de la protection rapprochée et le maintiende formes communautaires d’entraide et de coopération. Il convient en effet de faire ladistinction entre une précarisation économique bien réelle, touchant un nombre croissantde Damascènes, et une précarité sociale qui semble être encore contenue. La précariténe renverrait pas systématiquement dans cette ville à une situation de grande pauvreté,d’exclusion, de marginalisation et d’absence de ressources, comme ce peut être les casdans les capitales européennes, mais plutôt a un état d’insécurité économique que viennentcompenser des pratiques sociales de protection et de sauvegarde.

En effet, si le capital économique fait souvent défaut, le capital social et relationnelpermet encore de mobiliser, dans les milieux touchés par la précarité, les ressources quirendent possible la survie quotidienne. Ce qui importe, c’est bien cette capacité à mobiliser,de façon individuelle ou collective, les ressources là où elles se trouvent : pluriactivité,

197 COURBAGE, Youssef, Passé, présent et futur de la population syrienne, Cahiers de l’Orient, Numéro spécial sur la Syrie,automne 2001, 19 p.

198 STOLLEIS, Friederike, L’emprunt au féminin : réseaux de femmes et associations d’épargne à Damas, Revue desmondes musulmans et de la Méditerranée, avril 2006, numéro 115-116, p. 59-75.

199 Idem

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caisse d’épargne etc ; formes parfois très anciennes de mobilisation, mais qui sont alorsrenouvelées et adaptées aux nouvelles conditions socioéconomiques.

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Conclusion

La pauvreté reste mesurée selon une définition qui garde, malgré les ouvertures, uneessence économique et éminemment occidentale. L’idée des institutions internationalespour éradiquer la pauvreté est de faire passer les pauvres de l’autre coté de la ligne departage de la planète que constitue un revenu supérieur à un ou deux dollars jour.

La nouveauté dans le traitement de ce phénomène est de l’éliminer en permettant auxpauvres de devenir moins pauvres, et, ce en faisant « mieux fonctionner le marché aubénéfices des pauvres », expression qui revient souvent comme solution à la pauvreté.

Aujourd’hui, pour faire diminuer la pauvreté et contrebalancer la croissance desinégalités, la solution proposée est de redoubler l’intensité de la croissance économique.

En 2005, le rapport sur le développement humain 200 souligne l’aspect positif au niveau

international du modèle économique libéral : « Plus que l’aide au développement, leséchanges commerciaux ont le potentiel d’augmenter la part occupée par les pays les pluspauvres dans la prospérité mondiale ». Pourtant Stiglitz, dans sa contribution au rapport2003 du PNUD, affirme :

« Ni la théorie, ni l’expérience ne viennent confirmer que l’ouverture des marchésaux flux de capitaux spéculatifs à court terme soit bénéfique à la croissanceéconomique. En revanche, la réflexion aussi bien que l’observation montrentamplement que cette ouverture accroît l’instabilité économique et que cettedernière contribue à l’insécurité et à la pauvreté».

Le consensus sur « la lutte contre la pauvreté » tend ainsi à découper la planète socialeentre les « pauvres » et les autres, contribuant à une réification de la pauvreté, qui se donneà lire comme une simple description de la réalité sociale.

De fait, cette façon de poser le « problème » nie les relations dialectiques et lesconditions économiques et sociales de production de cette catégorie de la pensée uniqueque constituent « les pauvres », cela en opposition avec la pauvreté comme constructionsociale tel que le pose Rist : « La pauvreté se construit dans un rapport social qui tout à lafois unit et sépare les riches et les pauvres ».201

Pourtant la réalité d’une insertion de fait des plus pauvres dans le systèmesocioéconomique local issue de la dynamique de libéralisation progressive de l’économie,ne permet pas de traiter sectoriellement de la pauvreté. Par contre, elle incite à concevoirune autre approche basée sur la réduction des vulnérabilités environnementales et socialesqui concernent l’ensemble de la société au niveau local, régional et national, même si cesont bien les plus dépourvus qui en pâtissent en premier lieu. Cette approche permet deles sortir de la catégorie de victimes et de les considérer comme des acteurs à part entièredu développement.

Les avantages d’une approche par la notion de vulnérabilités, notamment sous lescontours d’une classe d’âge sensible avec les enfants des rues, tiennent dans son ancrage

200 Pour plus d’informations, consulter le site internet : www.undp.org .201 Idem

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Conclusion

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territorial, prenant en compte le rapport entre un ensemble spatial et l’ensemble despopulations locales, reliant ainsi les différents groupes sociaux, riches et pauvres, dans laréalité effective de leur environnement de vie commun. Cet intermédiaire peut passer parle rôle de la Mosquée comme nous l’avons évoqué dans notre étude.

Il est vrai que ce concept de vulnérabilité reste encore largement à définir et à préciser,mais dans le contexte damascène, on se rend rapidement compte qu’une conceptionunilatérale du phénomène de la pauvreté, notamment autour des inégalités de revenus,ne retranscrit pas son ancrage dans la société urbaine. Etre vulnérable ne signifie pas,comme on peut le penser, être exclu. Au contraire, la société urbaine syrienne, par desmécanismes de solidarités entre les familles, les clans, les communautés ou les quartiers,ou par les stratégies développés par les « pauvres », notamment la pluriactivité, contient leprocessus de marginalisation et d’exclusion, processus largement présent dans les sociétéseuropéennes.

Certes, avec l’urbanisation sauvage dans la deuxième périphérie de Damas, l’arrivéemassive de réfugiés irakiens depuis 2003 et la libéralisation de l’économie, accroissant lesinégalités sociales, le lien social entre les individus semble distendu. L’Etat syrien, qui s’étaitfixé comme objectif de lutter contre la pauvreté, devient un acteur mineur dans la régulationdu phénomène. Il est vrai que des classes, comme les fonctionnaires d’Etat bénéficientencore des avantages de l’Etat providence comme la sécurité sociale ou des mutuelles,mais cela ne sont qu’une minorité et en voie de paupérisation.

Les institutions internationales, comme la Banque Mondiale ou le FMI, estiment quela lutte contre la pauvreté passe par une action étatique, notamment dans le domaineéconomique puisque la croissance apparaît comme le seul outil capable de réduire le fléau.Or, ces institutions, collant une définition néo-libérale à une société largement centraliséeet étatisée, ne prennent pas en compte l’absence du « soi disant » acteur primordial et lamultiplication des acteurs intermédiaires agissant dans le sens de la régulation. Nous avonscité la Mosquée (ou l’Eglise pour la communauté chrétienne), nous pouvons égalementévoquer les associations, les ONG ou les regroupements de familles. Ces actions au niveaulocal permettent aux individus, marqués par la pauvreté, de ne pas être exclu.

En France, par le principe de solidarité, financé généralement par les différents impôts,l’Etat met en place des programmes dans le domaine social (CMU) et économique (RMI)dans le but d’intégrer ces populations et d’en faire de réels agents du développement. EnSyrie, l’Etat baathiste devant assurer sa légitimité par sa politique extérieure, marquée parun budget de la défense colossale, et son assise intérieure, par un contrôle stricte de lasociété, notamment par les différents services de renseignements et de sécurité, aucunprogramme social n’est mis en place et la tactique de la « débrouille » ou « du jour le jour »est alors de mise pour les démunis. Nous l’avons dit, Damas, par ses différents réseaux desolidarités, est une des capitales du monde arabe les moins touchés par le phénomène dela pauvreté (moins de 100.000 cas en 2004) comparées au Caire ou à Amman.

Or, même si ces réseaux sont actifs, ils permettent certes d’éviter la marginalisation oul’exclusion sociale mais on ne peut dire qu’ils intègrent réellement. La Mosquée assure lasurvie quotidienne par des dons, l’association de quartier, par le système de tontine, offreune forte somme d’argent selon un événement conjoncturel (décès, mariage), la familles’organise pour survivre et non pour développer un mécanisme d’ascension sociale. C’estbien là le drame. En Syrie, et à Damas en particulier, lorsque l’on naît pauvre, on restepauvre.

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Dans son discours d’investiture du deuxième mandat, le 18 juillet 2007, Bachar AlAssad promet que l’Etat Syrien sera « le garant des droits des souches populaires, garantde la justice social, luttant contre la pauvreté et le chômage, et fortifiant les réseaux desécurité sociale ». Simple discours de façade. L’Etat est le symbole de l’immobilisme quia gagné la Syrie depuis près de quarante ans. Son refus de se réformer en profondeur,passant par l’acceptation du pluralisme politique, les partenariats avec les acteurs locauxet internationaux et/ou la démocratisation des institutions, pourrait le conduire, à moyenterme, à une déstabilisation sans précédent. A l’instar du Maroc, qui connaît une oppositionactive, mêlée de pauvreté et d’intégrisme religieux, une vague de terrorisme et une remiseen cause de l’exécutif, la Syrie doit dès maintenant s’atteler à la tâche, aussi âpre soit-elle,de redonner l’espoir à une partie de la population touchée directement par le fléau.

Certes, le phénomène de la pauvreté reste encore embryonnaire, puisque l’ondénombre moins de 1,5 millions de « pauvres », soit l’un des pays les moins « pauvres »du Monde Arabe, mais avec un chômage galopant, estimé à 20% de la population active,300.000 nouveaux actifs sur le marché du travail chaque année et un secteur publictotalement délabré, la lutte contre la pauvreté et le développement économique doivent(re)devenir les défis majeurs de l’Etat.

« Entreprendre consiste à changer un ordre existant », douce chimère en Syrie…

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Annexes

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Annexes

ANNEXE 1CARTE DE LA SYRIE

(Source :Google earth)DAMAS VUE DU CIEL

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(Source : Google Earth)

CARTE DE DAMAS

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Annexes

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(Source : www.populationdata.net )

ANNEXE 2Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

(Source : PROGRAMME DES NATIONS UNIS POUR LE DEVELOPPEMENT,Poverty in Syria: 1996-2004, diagnosis and pro-poor policy considerations, Damas: PNUD,2005. 146 p.)

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ANNEXE 3Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

(Source : PROGRAMME DES NATIONS UNIS POUR LE DEVELOPPEMENT,Poverty in Syria: 1996-2004, diagnosis and pro-poor policy considerations, Damas: PNUD,2005. 146 p.)

ANNEXES 4Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation

Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon(Source : PROGRAMME DES NATIONS UNIS POUR LE DEVELOPPEMENT,

Poverty in Syria: 1996-2004, diagnosis and pro-poor policy considerations, Damas: PNUD,2005. 146 p.)

ANNEXES 5Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

VUE PANORAMIQUECOMMERCES AMBULANTSENFANTS RENTRANT DE L’ECOLEREPARATION DE COMPTEUR ELECTRIQUE SAUVAGEENFANT CHASSANT UN RAT DANS LA RUEL’ETALEMENT URBAINRESEAU ELECTRIQUEMINIBUS ASSURANT LE TRANSPORT COLLECTIFRESERVOIR D’EAU POUR FAIRE FACE AUX COUPURESENFANT JOUANT DANS UNE DECHARGE A L’AIR LIBRE