la problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

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La problématique des brevets et de l’accès aux médicaments dans les pays en développement par l’approche des biens publics mondiaux Thèse Philibert Baranyanka Doctorat en études internationales Philosophiæ Doctor (Ph.D.) Québec, Canada © Philibert Baranyanka, 2015

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Page 1: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

La problématique des brevets et de l’accès aux médicaments dans les pays en développement par l’approche des biens

publics mondiaux

Thèse

Philibert Baranyanka

Doctorat en études internationales

Philosophiæ Doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Philibert Baranyanka, 2015

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iii

Résumé

Le problème posé par les brevets dans le secteur de la santé, notamment dans l’accès aux

nouveaux médicaments par les populations à faibles revenus des pays en développement, s’est

posé après l’entrée en vigueur de l’Accord sur les ADPIC, dans la foulée de la création de l’OMC, en

janvier 1995. Bien que cette question soit connue et documentée, les solutions proposées n’ont pas

permis de la résoudre. Cette thèse soutient que l’approche adoptée jusqu’ici qui est essentiellement

fondée sur l’idée d’aide publique au développement ou sur des considérations éthiques n’est pas

appropriée pour y apporter une réponse adéquate et efficace. Elle propose donc de changer de

paradigme et d’analyser la question sous une autre approche, celle des biens publics mondiaux. En

partant de la définition et des caractéristiques de ce concept, elle montre que les données brevetées

rentrent dans cette catégorie de biens. À partir de cette conclusion, elle suggère que la résolution de

ce problème passe par le financement des brevets et de la recherche médicale par des fonds publics

internationaux. Ainsi, les brevets portant sur les inventions les plus innovants seraient rachetés par

un mécanisme international institué à cette fin et dont les ressources proviendraient de la

participation de tous, comme pour les biens publics nationaux. Cette proposition s’appuie sur des

précédents. En effet, bien qu’il soit encore à ses débuts, le financement international des biens

publics mondiaux est un mécanisme qui se met en place et semble convaincre les pays, notamment

dans le domaine de l’environnement, de la nécessité de gérer collectivement le problème du

réchauffement climatique. Avec l’internationalisation de plus en plus croissante des épidémies dans

le sillage de la circulation mondialisée des biens et des personnes, la lutte internationalisée contre

ces épidémies se présente aussi comme un impératif parce que la communauté de la menace est

évidente. Cependant, l’opérationnalisation de cette lutte est confrontée à certaines difficultés, étant

donné qu’il n’existe pas d’autorité supranationale pour assurer la participation de tous à cet effort.

Comme sur le plan interne, ce sont ces problèmes de gestion de l’action collective que l’humanité

doit contrôler dans le but de répondre efficacement aux défis auxquels elle doit faire face.

Mots clés : accès aux médicaments, brevets, biens publics mondiaux , Accord sur les ADPIC, fonds internationaux , licences obligatoires, pay s en dév eloppement.

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v

Abstract

The problem posed by patents in the healthcare sector, in particular in the access to new

medicine by the low-income populations of developing countries, has arose after the coming into

force of the TRIPS Agreement, following the creation of the WTO in january 1995. A lthough the

question is known and documented, the proposed solutions did not allow solving it. This thesis

supports that the approach adopted up to here which is essentially based on the idea of public aid in

the development or on the ethical considerations is not adequate. It thus suggests changing

paradigm and analyzing the question under another approach, that of the concept of the global public

goods. After analyzing the definition and the characteristics of this concept, the thesis concludes that

the patented data go into this category of the global public goods. From this conclusion, it suggests

that the resolution of this problem passes by the financing of these world public goods by

international public money. So, patents concerning the most innovative inventions would be acquired

by an international mechanism established to this end and the resources of which would come from

the participation of all, as for the national public goods. Although it is still in its early stages, the

international financing of the global public goods is a mechanism which is set up, in particular in the

field of the environment to manage collectively the problem of the global warming. With the more and

more increasing internationalization of the epidemics in the trail of the globalized flows of goods and

people, the common fight against these epidemics appears from now as an obvious fact. However,

the implementation of this fight is confronted with certain difficulties, given that there is no

supranational authority to assure the participation of all in this effort. As on the internal plan, it is

these problems of the collective action that the humanity has to control in order to manage effectively

the challenges which it has to face.

Key w ords: Access to medicine, patents, world public goods, TRIPS Agreement, international funds, the compulsory licenses, dev eloping countries.

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vii

Table des matières

Résumé ........................................................................................................................................................................i i i

Abstract .........................................................................................................................................................................v Table des matières .................................................................................................................................................... vii

Sigles et abréviations...............................................................................................................................................xii i

Dédicace .................................................................................................................................................................. xvii

Remerciements ......................................................................................................................................................... xix

Introduction .............................................................................................................................1

Chapitre I : Problématique, cadre opératoire et définition des principaux concepts .................7

I.1. Problématique, question, réponse provisoire et cadre opératoire ............................................ 9

I .1.1. Le problème posé par les brevets dans l’accès aux médicaments dans les pays en développement.... 9

I .1.2. Question de recherche .................................................................................................................................... 13 I .1.3. Réponse provisoire à la question de recherche........................................................................................... 13

I .1.4. Approches théorique et méthodologique...................................................................................................... 17 I .1.5. La complémentarité du droit et de la science politique dans la problématique des brevets et l’accès

aux médicaments ...................................................................................................................................................... 18

I.2. Définition des principaux concepts .................................................................................... 21

I .2.1. Les concepts relatifs aux brevets .................................................................................................................. 21 a. Définition du « brevet d’invention ».......................................................................................................... 21

b. Licence d’exploitation du brevet............................................................................................................... 22

c. Notion de « brevet pharmaceutique » ...................................................................................................... 23 I .2.2. Les concepts liés aux médicaments et aux brevets .................................................................................... 23

a. Produits pharmaceutiques ........................................................................................................................ 24

b. Médicaments originaux ou princeps ........................................................................................................ 24

c. Médicaments génériques........................................................................................................................... 25 d. Les médicaments essentiels ..................................................................................................................... 26

I .2.3. Les concepts usuels concernant les types de maladies............................................................................. 27

a. Les maladies négligées ou orphelines..................................................................................................... 27 b. Les maladies tropicales ou spécifiques aux pays du Sud..................................................................... 28

I .2.4. Les concepts relatifs au niveau économique des pays............................................................................... 30

a. Les pays développés.................................................................................................................................. 31

b. Les pays émergents ................................................................................................................................... 32 c. Les pays en développement et les pays les moins avancés................................................................. 33

Chapitre II : La nature du problème posé par les brevets dans l’accès aux médicaments dans

les pays en développement ....................................................................................................37

II.1. Analyse du système des brevets par rapport à la santé ....................................................... 41

II .1.1. Les fondements des brevets pharmaceutiques .......................................................................................... 41

a. Le caractère incitatif des brevets.............................................................................................................. 42

b. Les spéculations sur les brevets et leurs effets sur le bien-être .......................................................... 43

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viii

II .1.2. Les brevets et la promotion du bien-être social ..........................................................................................44 a. Le rôle des brevets dans la promotion du bien-être social....................................................................44

b. Une contribution au bien-être social qui est conditionnelle ..................................................................45

II.2. Les effets des brevets sur l’innovation et l’accès aux médicaments dans les pays en

développement ..................................................................................................................... 48

II .2.1. Les brevets et le déclin de la recherche dans le domaine médical ...........................................................48 II .2.2. Les brevets et le transfert des technologies ................................................................................................50

II .2.3. Les relations entre les brevets, les prix et l’accès aux médicaments .......................................................54

a. L’impact des brevets sur les prix des médicaments ..............................................................................54 b. Les brevets et l’accessibilité des nouveaux médicaments....................................................................56

c. L’autre effet pervers des brevets : la contrefaçon des médicaments ...................................................57

II.3. La nécessité de la protection des brevets .......................................................................... 59

II .3.1. Le système des brevets, un mal nécessaire ................................................................................................60 II .3.2. L’équilibre entre les brevets et la santé ........................................................................................................63

Chapitre III : Les flexibilités de l’Accord sur les ADPIC et leurs limites à résoudre le problème

de l’accès aux médicaments brevetés ................................................................................... 67

III.1. Les exceptions générales en faveur de la santé publique .................................................... 69

III .1.1. Les différentes exceptions générales opposables aux brevets................................................................70

a. Les dérogations permises aux pays en développement et aux PMA ...................................................70 b. L’article XX (d) du GATT 1994 : Exceptions générales pour les mesures nécessaires pour préserver

la santé publique...................................................................................................................................................72

c. Les exceptions de l’article 8 de l’Accord sur les ADPIC. ......................................................................74

III .1.2. Les exceptions spécifiques aux brevets de l’Accord sur les ADPIC .......................................................75 a. Exception pour la recherche ou utilisation expérimentale ....................................................................76

b. L’exception du brevet sur ordonnance ou pour usage individuel ........................................................78

c. Exception pour l’exploitation anticipée ou exception Bolar ..................................................................79 d. Les limites de ces exceptions spécifiques à la brevetabilité.................................................................81

III.2. Le recours aux importations parallèles ............................................................................. 83

III .2.1. Le principe de l’épuisement des droits du breveté ....................................................................................84 a. Le contenu de la notion d’épuisement des droits du breveté ...............................................................84

b. La licéité de l’épuisement international des droits du breveté..............................................................86

c. Les importations des médicaments ne sont pas toujours parallèles ...................................................88

III .2.2. Les limites des importations parallèles .......................................................................................................88 a. Le rôle des facteurs nationaux dans la fixation des prix des médicaments .................................90

b. Les prix des médicaments importés plus élevés dans les pays pauvres que dan s les pays riches 91

c. Les pressions des lobbies des firmes pharmaceutiques et des pays du Nord sur ceux du Sud .....92

III.3. L’octroi des licences obligatoires ..................................................................................... 93

III .3.1. Le mécanisme général des licences obligatoires.......................................................................................95

a. Le principe des licences obligatoires et leur procédure ....................................................................95

a. La pratique comparée des licences obligatoires ....................................................................................97 b. Les limites des licences obligatoires à permettre l’accès aux médicaments dans les pays du Sud99

III .3.2. La version révisée des licences obligatoires pour les médicaments ................................................... 101

a. La dérogation aux règles des licences obligatoires pour les médicaments..................................... 102

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ix

i. Le consensus politique de Doha de 2001 .............................................................................................102 ii. La décision du 30 août 2003 et l’amendement de l’article 31f de l’Accord sur les ADPIC de 2005 .....103

b. Les ratées de la nouvelle version des licences obligatoires en faveur des médicaments génériques

105 i. La non-entrée en vigueur de l’amendement de l’art icle 31bis de l’Accord sur les ADPIC ...................106

ii. La lourdeur de la nouvelle procédure des licences obligatoires ...........................................................107

iii. La faible implicat ion des pays riches .....................................................................................................109

Chapitre IV : Les solutions non juridiques proposées pour résoudre le problème d’accès aux

médicaments dans les pays du Sud .....................................................................................113

IV.1. Les solutions fondées sur la particularité des médicaments ............................................. 115

IV.1.1. L’exclusion de la brevetabilité des médicaments ....................................................................................116 a. Les fondements théoriques de la suppression des brevets ...............................................................116

b. Les critiques à la suppression des brevets pharmaceutiques............................................................118

IV.1.2. La régulation des prix des médicaments ..................................................................................................119 a. Notion de régulation internationale des prix. ........................................................................................120

b. Les difficultés de la régulation internationale des médicaments .......................................................120

IV.1.3. La transférabilité des droits d’exclusivité d’un brevet à un autre..........................................................121

a. Notion de transférabilité des droits d’exclusivité d’un brevet ............................................................122 b. La transférabilité des droits, une solution qui n’en est pas une.........................................................123

IV.1.4. Les prix différentiés ou multiniveaux ........................................................................................................124

a. En quoi consiste le système des prix multiniveaux ? ..........................................................................125 b. Les difficultés de mise en œuvre du système des prix différenciés ..................................................126

IV.2. Les solutions fondées sur les compensations financières aux brevets pharmaceutiques..... 128

IV.2.1. Les partenariats publics-privés pour la recherche médicale .................................................................129

a. Le rôle des PPP dans la recherche médicale ........................................................................................129 b. Les limites des PPP dans l’accès aux médicaments dans les pays du Sud .....................................130

IV.2.2. Les garanties d’achat ou de marché .........................................................................................................132

a. Définition des garanties de marché anticipées .....................................................................................132 b. Les inconvénients des AMC ....................................................................................................................134

IV.2.3. Le Fonds tenant compte de l’impact sur la santé ....................................................................................135

a. Principe et fonctionnement du HIF .........................................................................................................135

b. Appréciation critique des avantages du HIF .........................................................................................137 c. Critiques et obstacles à la mise en œuvre du HIF ................................................................................138

Chapitre V : Le concept de « biens publics mondiaux » et son application aux biens

pharmaceutiques brevetés ...................................................................................................145

V.1. Définition et caractéristiques des biens publics mondiaux ................................................ 148

V.1.1. Définition des biens publics mondiaux......................................................................................................149

V.1.2. Les caractéristiques des biens publics mondiaux et leur applicabilité aux données brevetées ........151

a. Les caractéristiques classiques ou générales des biens publics ......................................................151 i. Les biens publics sont non exclusifs .....................................................................................................151

ii. Les biens publics ne sont pas rivaux dans leur usage ..........................................................................154

iii. La non-imputabilité et l’indivisibilité des biens publics ..........................................................................156 b. Les caractéristiques spécifiques aux biens publics mondiaux ..........................................................157

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x

i. Le caractère universel ou extraterritoria l des biens publics mondiaux ................................................. 158 ii. Le caractère intemporel des biens publics mondiaux ........................................................................... 160

V.2. Typologie des biens publics mondiaux et la place des brevets........................................... 162

V.2.1. Les biens publics mondiaux naturels........................................................................................................ 164 V.2.2. Les biens publics mondiaux d’origine humaine....................................................................................... 165

V.2.3. Les biens publics mondiaux résultants des politiques des Nations ..................................................... 167

V.2.4. Le cas particulier du patrimoine commun de l’humanité ........................................................................ 170

V.3. La place des données pharmaceutiques brevetées dans la catégorie des biens publics

mondiaux ........................................................................................................................... 171

V.3.1. Les médicaments ne sont pas des biens publics mondiaux .................................................................. 172

V.3.2. Les données pharmaceutiques brevetées sont des biens publics mondiaux relatifs à la santé ....... 174

V.3.3. Les données pharmaceutiques brevetées sont des biens publics mondiaux relatifs à la science ... 176

Chapitre VI : La création d’un Fonds international pour la production des biens publics

mondiaux relatifs à la santé ................................................................................................. 181

VI.1. Les fondements ou arguments pour l’instauration du Fonds international pour la recherche

médicale ............................................................................................................................ 185

VI.1.1. Dissociation des coûts de la recherche de ceux de production et de distribution des médicaments

.................................................................................................................................................................................. 186 VI.1.2. L’internationalisation des risques et des menaces ................................................................................ 188

VI.1.3. Le caractère arbitraire de la durée optimale des brevets ....................................................................... 190

VI.2. Fonctionnement et faisabilité du Fonds mondial pour la recherche et les brevets

pharmaceutiques ................................................................................................................ 192

VI.2.1. Fonctionnement du FIRM ........................................................................................................................... 193 a. Les missions du Fonds international pour la recherche médicale .................................................... 193

b. Les mécanismes de détermination du coût de rachat du brevet ....................................................... 197

VI.2.2. Faisabilité du Fonds international pour la recherche médicale ............................................................ 201

a. Impact de la mise en place du FIRM sur le système des brevets....................................................... 202 b. La structure du FIRM et la transparence de sa gestion....................................................................... 203

c. Le FIRM permettrait-il l’accessibilité des nouveaux médicaments ?................................................. 204

VI.3. Les possibles sources de financements du Fonds international pour la recherche médicale 206

VI.3.1. Les contributions étatiques ....................................................................................................................... 208

VI.3.2. La taxation internationale de certains produits ou transactions........................................................... 210

a. Une taxe internationale sur les médicaments génériques .................................................................. 213 b. La contribution des potentiels futurs utilisateurs ou bénéficiaires ................................................... 214

c. Remarques et observations sur la mise en œuvre des taxes internationales .................................. 216

VI.3.3. Donations des entreprises, des Fondations et des particuliers ............................................................ 218

VI.4. Le FIRM face aux défis des biens publics ou de l’action collective ..................................... 220

VI.4.1. Le problème du passager clandestin ou free rider ................................................................................. 221

VI.4.2. Le paradoxe d’Olson................................................................................................................................... 224 VI.4.3. Gestion des problèmes de l’action collective dans le cadre du FIRM et de la production des biens

publics mondiaux ................................................................................................................................................... 227

VI.5. Les exemples de financement international des biens publics mondiaux ........................... 231

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xi

VI.5.1. Les fonds internationaux en faveur de l’environnement ........................................................................232 a. Le Fonds multilatéral pour la protection de la couche d’ozone..........................................................233

b. Le Fonds pour l’environnement mondial ...............................................................................................235

c. Le Fonds vert pour le climat....................................................................................................................236 VI.5.2. Les financements internationaux dans le domaine de la santé .............................................................239

a. La Facilité internationale d’achat des médicaments ............................................................................239

b. Le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme .......................................242

VI.5.3. Les éléments déterminant le succès d’un fonds international ..............................................................245 a. L’adhésion au fonds international d’au moins un pays développé ....................................................245

b. Le montant de lancement et la durée de mobilisation .........................................................................246

c. L’adhésion des autres acteurs concernés.............................................................................................247 d. La transparence dans la gouvernance du fonds en question .............................................................247

Conclusion ...........................................................................................................................249

Références bibliographiques................................................................................................257

I. Ouvrages et articles ..................................................................................................... 257

II. Instruments juridiques nationaux et internationaux ......................................................... 281

Annexe : ...............................................................................................................................283

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xiii

Sigles et abréviations

A.C.D.I.: Agence canadienne de développement international

A.D.P.I.C.: Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce

A.F.D.: Agence française de développement

A.F.P.: Agence France presse

A.F.R.I.: Annuaire français des relations internationales

A.I.D.S.: Acquired immune deficiency syndrome

A.J.I.L.: American journal of international law

A.M.M.: Autorisation de mise sur le marché

A.P.D.: aide publique au développement

A.R.V.: Antirétroviral

B.I.R.D.: Banque internationale pour la reconstruction et le développement

B.R.I.C.: Brazil, Russia, India, China

B.R.I.C.S.: Brazil, Russia, India, China and South Africa

B.Y.B.I.L.: British yearbook of international law

C.C.M.E: Conseil canadien des ministres de l’Environnement

C.C.N.U.C.C.: Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques

C.C.P.: Certificat complémentaire de protection

C.D.B.: Convention sur la diversité biologique

C.E.C.A.: Communauté économique du charbon et de l’acier

C.E.E.: Communauté économique européenne

C.E.J.: Cour européenne de justice

C.E.R.: Commission de l’économie et des redevances

C.E.T I.M.: Centre Europe - T iers Monde

CE.TRI.: Centre tricontinental

C.F.C.: Chlorofluorocarbures

C.F.S.: Conseil fédéral suisse

C.H.E.A.M.: Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie modernes

C.I.P.I.H.: Commission on intellectual property rights, innovation and public health

C.I.P.R.: Commission on intellectual property rights

C.I.T .E.S.: Convention on international trade in endangered species

C.J.C.E.: Cour de justice des Communautés européennes

C.R.I.P.S.: Centre régional d’information et de prévention du SIDA

Page 14: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

xiv

DDi: Didanosine

Dir: Sous la direction de…

D.N.D.I.: Drugs for neglected diseases initiative

D.U.D.H.: Déclaration universelle des droits de l’homme

F.E.M.: Fonds pour l’environnement mondial

F.I.A.M.: Facilité internationale d’achat des médicaments

F.I.I.M.: Fédération internationale de l’industrie du médicament

F.I.R.M.: Fonds international pour la recherche médicale

F.M.I.: Fonds monétaire international

F.V.C.: Fonds vert pour le climat

G.A.T .T .: General agreement on tariffs and trade

G.A.V.I.: Global alliance for vaccines and immunization

G.C.F.: Green climate fund

G.E.F.: Global environment facility

H.I.F.: Health Impact Fund

I.C.L.Q.: International and comparative law quarterly

I.D.A.: International development association

I.D.E.: Investissements directs étrangers

I.D.H.: Indice de développement humain

I.D.H.E.A.P.: Institut de hautes études en administration publique

I.D.P.F.: International drug purchasing facility

I.F.F.Im.: International finance facility for immunization

I.F.M.P.A.: International federation of pharmaceutical manufacturers and associations

I.N.P.I.: Institut national de la propriété intellectuelle

I.P.A.: Ingrédient pharmaceutique actif

I.P.I.: institut de la propriété intellectuelle

I.S.O.: International organization for standardization

L.G.D.J.: Librairie générale de droit et de jurisprudence

M.I.T .: Massachusetts institute of technology (press)

M.M.V.: Medicines for malaria venture

M.S.F.: Médecins sans frontières

N.C.E.: Nouvelle entité chimique

N.P.F.: Nation la plus favorisée (clause de la)

O.A.P.I: Organisation africaine de la propriété intellectuelle

O.C.D.E.: Organisation de coopération et de développement économiques

Page 15: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

xv

O.E.B.: Organisation européenne des brevets

O.E.C.D.: Organization for economic cooperation and development

O.I.H.P.: Office international d’hygiène publique

O.M.C.: Organisation mondiale du commerce

O.M.P.I.: Organisation mondiale de la propriété intellectuelle

O.M.S.: Organisation mondiale de la santé

O.N.G.: Organisation non gouvernementale

O.N.U.: Organisation des Nations unies

O.N.U.S.I.D.A.: Nations Unies sur le VIH/SIDA (programme commun des)

O.R.D.: Organe de règlement des différends

O.R.S.: Observatoire régional de la santé

P.: Page

P.C.T .: Patent cooperation treaty

P.E.D.: Pays en développement

P.E.P.F.A.R.: President's emergency plan for AIDS relief (the United States)

P.I.B.: Produit intérieur brut

P.M.A.: Pays les moins avancés

P.N.U.D.: Programme des Nations-Unies pour le développement

P.N.U.E.: Programme des Nations-Unies pour l’environnement

P.P.: De la page … à la page …

P.S.F.: Pharmaciens sans frontières

P.U.F.: Presse universitaire de France

P.U.R.H. : Publications des universités de Rouen et du Havre

P.V.D.: Pays en voie de développement

R.C.A.D.I.: Recueil de cours à l’Académie de droit international de La Haye

R.C.A.M.: Régime canadien d’accès aux médicaments

R.-D.: Recherche et développement

R.D.B.: Rétablissement de la durée du brevet

R.G.D.I.P.: Revue générale de droit international public

R.N.B.: Revenu national brut

S.I.D.A.: Syndrome d’immunodéficience acquise

S.R.A.S.: syndrome respiratoire aigu sévère

T .N.: T raitement national (clause du)

T .R.I.P.S.: T rade related aspects of intellectual property rights

T .T .F..: Taxe sur les transactions financières

Page 16: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

xvi

T .U.A.C.: T rade union advisory committee

U.E.: Union européenne

U.N.I.C.E.F.: United Nations international children’s emergency fund

U.R.S.S. : Union des républiques socialistes soviétiques

U.S.A.: United States of America

UNIT.AID: Unit for aid

V.I.H.: Virus de l’immunodéficience humaine

Vol.: Volume

W.H.O.: World health organization

Page 17: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

xvii

Dédicace

À mon épouse, qui m’a toujours encouragé malgré l’éloignement

À ma fille, à qui son papa a tellement manqué

À mes parents, à qui je dois beaucoup dans ce que je suis

À tantine Bernadette, sur qui j’ai toujours pu compter,

Cette thèse est aussi la vôtre !

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xix

Remerciements

Avant de présenter les résultats de nos recherches, il est important d’exprimer nos sincères

remerciements, notre gratitude et nos sentiments de reconnaissance à toutes les personnes qui ont

participé à la réalisation du présent travail. En effet, la soutenance d’une thèse n’est pas le

couronnement du seul doctorant. Ainsi, pendant tout le temps qu’ont duré nos recherches, l’aide, les

conseils et les encouragements dont nous avons bénéficié ont été tels qu’il nous est agréable de les

évoquer ici.

Notre gratitude et nos remerciements sont d’abord adressés à l’e ndroit des professeurs

Georges Azzaria de la faculté de droit et Érick Duchesne du département de science politique de

l’Université Laval pour leur dévouement dans la direction de cette thèse. Ils n’ont rien ménagé pour

nous guider sur la bonne voie et le présent travail est le fruit de la clarté de leurs explications, de la

netteté de leurs remarques, de la sûreté de leurs conclusions ; bref, il porte les empreintes de leurs

connaissances et de leur expérience. Nous n’oublierons jamais l’esprit de perspicacité et d’assiduité

qu’ils nous ont inculqué et par-dessus tout le souci permanent de chercher à produire un travail bien

fait.

Nos profonds remerciements vont également à madame Geneviève Parent et monsieur

Mathieu Ouimet, qui sont professeurs respectivement à la faculté de droit et au département de

science politique de l’Université Laval, qui ont participé dans ce travail de recherche en tant

qu’examinateurs internes de la thèse. Ils ont apporté des observations et des remarques qui nous ont

été d’une grande utilité dans la rédaction de ce travail final. Nous ne saurions donc ignorer leur

inestimable apport à la qualité de cette thèse. Nous remercions aussi madame Konstantia Koutouki,

professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal, d’avoir participé à l’évaluation de cette

thèse en tant qu’examinatrice externe. Étant encore à l’aube du métier de chercheur et d’enseignant,

nous tirerons sûrement profit de ses remarques, de ses critiques et de ses conseils.

À tous nos formateurs, depuis l’école primaire jusqu’aujourd'hui, nous rendons un vibrant

hommage. Le présent travail est aussi le couronnement de leur labeur. Chacun a contribué à sa

Page 20: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

xx

manière et à son niveau, mais il a apporté sa pierre à cet édifice et chacune de ces pierres est

tellement importante qu’elle ne saurait manquer sans en affecter la solidité.

À tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, nous ont soutenus, encouragés ou apporté

une quelconque aide à la réalisation de ce travail, nous vous en sommes énormément

reconnaissants et notre admiration à votre égard est sans limites.

Philibert Baranyanka

Page 21: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

1

Introduction

Le problème d’accès aux médicaments dans les pays en développement est l’une des

nombreuses conséquences de la mondialisation1, phénomène économique au départ, mais qui a eu

d’importants prolongements sur les plans politiques, sociaux, sécuritaires et autres. Dans de

nombreux domaines, les activités humaines et les phénomènes sociaux se développent désormais

dans un espace de plus en plus internationalisé, voire « déterritorialisé » (Maiani, 2009 : 6; Barraud,

2013 : 50), suite à la libéralisation accrue des échanges. Même si la mondialisation n’a pas entraîné

la « fin de l’État2 » (Siroën, 2006), elle a transformé les conditions dans lesquelles se définissent ou

se mettent en œuvre les politiques à l’échelle nationale ou internationale. En effet, l’ouverture des

marchés et la libéralisation des échanges ont engendré de nouveaux enjeux dans l’élaboration des

politiques économiques et sociales, de telle sorte que les décideurs politiques ne peuvent plus

ignorer la nature transnationale de certains problèmes qui présentent des implications régionales ou

planétaires, comme les problèmes causés par le réchauffement climatique, les épidémies, les crises

économiques ou financières, le terrorisme, etc.

Dans le domaine de la santé, la mondialisation a eu aussi un impact important dans la

mesure où l’augmentation du volume des échanges transfrontaliers, la rapidité des moyens de

transport et de communication ainsi que les flux des populations liés à la migration et au tourisme

favorisent la propagation internationale des maladies et des épidémies dans la foulée de la

circulation des marchandises et des personnes. Ainsi, outre l’interdépendance économique, la

mondialisation a créé une interdépendance sanitaire puisque l’état de santé qui prévaut dans un

1 La mondialisation est un processus d’intégration des marchés qui résulte de la libéralisation des échanges, de la libre circulation des capitaux, du recours à une main-d’œuvre étrangère moins chère de l’expansion et des retombées des technologies de communication à l’échelle planétaire (Rocher, 2001). Elle représente l’ouverture des frontières et l’avènement du commerce international et de la libre circulation des biens et des personnes. La mondialisation désigne donc le processus par lequel les relations entre les États sont devenues interdépendantes et revêt plusieurs aspects (économiques, politiques, culturels, sociaux, etc.). En effet, l’OCDE décrit la mondialisation comme étant un processus par lequel les habitants de la planète sont réunis au sein d’une société unique et fonctionnent ensemble. Ce processus est une combinaison de forces économiques, technologiques, socioculturelles et politiques (OCDE, 2011 : 22)

2 Pour Boyer (2000 : 16), la mondialisation consiste en l’émergence d’une économie globalisée dans laquelle les économies nationales seraient décomposées puis recomposées au sein d’un système de transactions et de processus opérant directement au niveau international. Siroën (2006) abonde dans le même sens en soulignant que sans cette économie mondialisée, les frontières étatiques ou nationales ne sont plus pertinentes puisque les firmes n’obéissent plus à la logique des relations économiques entre entités nationales indépendantes, mais à celle du marché et de la libre concurrence. Comme leur nom l’indique, les multinationales aspirent à se détacher de leur ancrage local. Les mouvements des capitaux échappent au contrôle des États et ces derniers perdent de plus en

plus la maîtrise de leur monnaie et de leur souveraineté (Siroën, 2006 : 14).

Page 22: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

2

pays est susceptible de modifier l’état de santé dans d’autres (Woodward, & al., 2001 : 2). Par

conséquent, cette mondialisation des maladies, des menaces et des risques d’interna lisation des

épidémies et des pandémies (comme le VIH/SIDA, la grippe H1N1, le virus hémorragique Ebola,

etc.) rend obsolète la conception traditionnelle de l’État, acteur égoïste défendant ses intérêts,

puisqu’elle a uni le monde pour en faire une communauté involontaire fondée sur les risques

encourus par tous (Habermas, 1996 : 87). Cette interdépendance sanitaire renvoie ainsi à la notion

de bien public mondial et offre une autre perspective que la vision marchande des biens et services

de santé, prônée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En effet, dans la plupart des

accords internationaux de commerce, les médicaments et les autres produits liés à la santé sont des

marchandises parmi tant d’autres, puisqu’il n’y a aucune exception spécifique en ce qui les concerne.

Cela implique que la santé est une marchandise à laquelle n’ont accès que seuls ceux qui ont le

pouvoir d’achat suffisant pour se la procurer (Verschave, 2004 : 296). Dans cette perspective, le

renforcement et l’harmonisation du système international des brevets dans le cadre de l’OMC, en vue

d’encourager la recherche et l’innovation, ont eu pour effet l’exclusion de fait d’une partie des

populations des pays du Sud à l’accès à ces produits de santé, principalement les nouveaux

médicaments.

Ainsi, le libre marché, dans le domaine de la santé, a abouti à une privatisation des

médicaments, créant ainsi « une discrimination par le prix à l’accès à la santé » (Verschave, 2004 :

11). Selon l’UNICEF (2012), au moins six millions d’enfants meurent chaque année des maladies qui

auraient pu être soignées puisqu’il existe des médicaments ou des vaccins efficaces contre elles.

Cette situation résulte du fait que « ces médicaments se trouvent au Nord alors que les malades sont

au Sud » (Douste-Blazy, 2007 : 15). En effet, la quasi-totalité des médicaments est produite et

consommée dans les pays riches alors que la majorité de malades, se trouvant dans les pays du

Sud3, n’a pas accès à ces médicaments, faute de moyens de pouvoir se les procurer étan t donné

que les prix de ces médicaments sont trop élevés, comparés aux revenus des habitants de ces pays.

La cause de cette hausse des prix des nouveaux médicaments est en grande partie attribuable au

monopole conféré par les brevets et à leur protection internationale instaurée par l’Accord sur les

aspects de droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (dénommé ci -après Accord

3 Selon de récentes études, trois quarts de la population mondiale v ivent dans des pays en voie de développement dans lesquels ne sont consommées que 8% des ventes mondiales des médicaments (Velasquez, 2011 : 283; Guesmi, 2011 : 87).

Page 23: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

3

sur les ADPIC). En outre, effectués par le secteur privé, la recherche et le développement de

nouveaux traitements dépendent du marché potentiel, et non des besoins de santé des populations.

La conséquence est que, au cours des vingt dernières années, il n’y a pas eu des recherches sur les

maladies « négligées ou orphelines », celles qui touchent spécifiquement les pay s du Sud et leurs

populations (Velasquez, 2004 : 289). Cette situation ne peut perdurer puisque la santé est « un

secteur particulier qui incorpore des contraintes importantes sur le plan humain et social » (Shiva,

2004 : 74) de telle sorte que les médicaments et la recherche portant sur ces derniers,

indispensables à la bonne santé, ne doivent pas être traités comme n’importe quel autre bien qui

s’échange librement, sous la seule régulation de la « main invisible » du marché.

Pour résoudre ce problème de « marchandisation » des médicaments et de la santé, certains

auteurs ont proposé que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « en tant qu’organisme

intergouvernemental mandaté pour veiller à la santé mondiale, travaille à l’élaboration d’un agenda

prioritaire de recherche et développement des médicaments » (Velasquez, 2004 : 299). Pour

d’autres, qu’il s’agisse de l’OMS ou d’un autre organisme, les priorités pour la recherche des

médicaments doivent être fixées en fonction des besoins de santé et non selo n les potentialités du

marché. En s’inscrivant dans cette logique, cette thèse, en s’appuyant sur la notion de « biens

publics mondiaux », propose l’idée d’une « publicisation internationale »4 des brevets portant sur les

médicaments, en créant un « Fonds international pour la recherche médicale (FIRM) » ayant pour

mission principale le rachat des brevets portant sur les produits pharmaceutiques innovants. Ce

mécanisme pourrait constituer une avenue qui apporterait une solution durable au problème d’accès

aux médicaments, si on tient comme postulat que ce problème est causé par le monopole conféré

par les brevets. Il faut en effet souligner que le problème d’accès aux soins dans les pays du Sud est

aussi le résultat de plusieurs autres facteurs internes qui varient selon les pays5. Toutefois, même

avec de bonnes politiques nationales de santé, aucun mécanisme ou solution durable au problème

4 Selon Pailliart (2005 : 18, 29, 24 et 25), le terme de « publicisation » signifie « la mise en public », c’est-à-dire « le fait d’amener dans le domaine du serv ice public les activ ités antérieurement effectuées par le secteur privé ». Pour rendre compte de ce phénomène au niveau mondial, nous avons ajouté l’adjectif « international » pour avoir ce nouveau concept qui renvoie à l’action de rendre public ou d’assurer la production les biens et serv ices nécessaires pour préserver les biens publics mondiaux. Ainsi, ce nouveau concept désigne la nouvelle technique de combler ou satisfaire un besoin d’intérêt général par l’usage des biens privés, en suivant une procédure qui ressemblerait à celle d’expropriation pour cause d’utilité publique couramment utilisée sur le plan interne.

5 Ils peuvent en effet dépendre aussi de l’efficience et de l’efficacité des systèmes nationaux de santé, par exemple les politiques qui déterminent les modalités de production, de distribution des médicaments, de formation du personnel de santé, etc.

Page 24: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

4

d’accès aux médicaments, à l’interne comme à l’international, ne peut se concevoir sans que soit

réglée la question du niveau des prix des nouveaux médicaments brevetés.

La présente thèse est subdivisée en six chapitres. Le premier chapitre dresse le tableau

général de la problématique des brevets dans l’accès aux médicaments dans les pays en

développement et est consacré à la méthodologie qui sera utilisée dans le traitement de cette

problématique (notamment la question et la réponse provisoire à la question de recherche). Le

deuxième chapitre passe en revue les effets des brevets sur la santé publique dans les pays en

développement. Il fait le tour de la littérature et des études de cas qui ont montré que l’entrée en

vigueur de l’Accord sur les ADPIC a eu pour effet l’augmentation des prix des médicaments, la

diminution des personnes qui bénéficiaient des traitements, notamment les antirétroviraux contre le

VIH/SIDA. On verra que certaines études arrivent même à démontrer que, loin de promouvoir la

recherche, le nombre des découvertes médicales innovantes est en déclin depuis l’entrée en vigueur

de l’Accord sur les ADPIC (Correa & Velasquez, 2010 : 13)6. Le troisième chapitre fait le tour des

différentes flexibilités contenues dans l’Accord sur les ADPIC que les pays en développement

peuvent utiliser pour résoudre les problèmes causés par les brevets dans le domaine de la santé

publique. Les mécanismes des importations parallèles, des licences obligatoires, de même que les

exceptions à la brevetabilité, seront analysés en mettant en exergue leurs limites à résoudre le

problème de l’accès aux médicaments posé par les brevets pharmaceutiques dans les pays du Sud.

En plus de ces solutions « juridiques », d’autres solutions ont été proposées comme la suppression

des brevets, la régulation des prix des médicaments, la transférabilité des droits d’exclusivité,

l’application des prix différenciés ou multiniveaux selon le développement économique des pays où

les médicaments brevetés sont vendus, les subventions ou les partenariats publics -privés (PPP) pour

financer la recherche médicale, les engagements d’achat anticipés (advanced market commitment

ou AMC), la création d’un Fonds tenant compte de l’impact sur la santé (Health impact fund ou HIF),

etc. Tous ces mécanismes seront analysés dans le quatrième chapitre qui leur est consacré ainsi

que leurs limites ou faiblesses dans la résolution de la problématique posée.

6 Cela s’explique par le développement d’une stratégie de la part des entreprises de vouloir tirer profit du brevet, bien au-delà de son rôle d’encouragement de l’innovation. « Le brevet est devenu une stratégie commerciale pour écarter les concurrents » (Correa & Velasquez, 2010 : 13).

Page 25: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

5

Les cinquième et sixième chapitres portent sur la solution que nous proposons, et qui

constitue réponse provisoire à la question, ainsi que les postulats qui la soutiennent, c’est-à-dire

l’objet des brevets pharmaceutiques considérés comme biens publics mondiaux de santé ainsi que le

Fonds international pour la recherche médicale (FIRM) chargé de financer leur production. Ainsi, le

cinquième chapitre analyse la notion de biens publics mondiaux en général (la définition, les

caractéristiques) et du postulat que les biens faisant l’objet des brevets, c’est-à-dire les données

brevetées qui rentrent dans la fabrication/production des médicaments, relèvent des biens publics

mondiaux de santé. Par conséquent, comme pour tous les biens publics sont produits par les

pouvoirs publics en utilisant les fonds publics, le sixième chapitre porte sur la proposition de la mise

en place d’une structure ou un mécanisme public international de financement de la recherche,

notamment la création de ce Fonds international pour la recherche médicale. Ce FIRM, qui serait

autonome ou intégré dans l’un des organismes internationaux existants qui œuvrent dans le domaine

de la santé au niveau mondial (notamment l’OMS), aurait pour mission de racheter les licences

portant sur les brevets pharmaceutiques les plus innovants en vue de les faire entrer dans le

domaine public sans attendre l’écoulement de la période légale de protection. Ces brevets publicisés,

puisqu’acquis à l’aide des fonds publics internationaux, seront donc à la disposition des pays ou des

entreprises qui voudraient produire les génériques de ces nouveaux médicaments. Dans ce dernier

chapitre, il s’agira également d’explorer les différentes sources de financement de ce Fonds, les

méthodes de calcul des montants nécessaires aux actions du FIRM et d’évaluer la viabilité, le

fonctionnement et la faisabilité de ce Fonds, à partir des renseignements tirés des Fonds similaires

qui ont déjà été mis en place, et de montrer les problèmes qu’il est susceptible de rencontrer et qui

entraveraient sa création ou son fonctionnement notamment les problèmes liés à l’action collective

(le problème du passager clandestin et du paradoxe d’Olson).

Si ces problèmes liés à la gestion de l’action collective peuvent être contrôlés, notamment

par le biais d’un traité international, les actions du FIRM sont théoriquement susceptibles de

permettre la production des médicaments accessibles et moins chers à l’échelle mondiale, en

éliminant les coûts de la recherche dans le prix de ces derniers. Ainsi, le rachat des brevets

permettrait la vente des médicaments aux environs du coût moyen de production, ce qui permettrait

un large accès aux médicaments. Le FIRM permettrait aussi une bonne allocation des dépenses de

recherche, notamment en finançant ou en encourageant les recherches sur les maladies négligées,

Page 26: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

6

tout en apportant des bénéfices aux firmes pharmaceutiques qui apportent des médicaments

innovants sur le marché. L’idée du FIRM, pour qu’elle se réalise et permette de résoudre le problème

de l’accessibilité des médicaments et de leur cherté, requiert l’adhésion d’un grand nombre de pays,

surtout les plus riches, et des firmes pharmaceutiques. En effet, on verra que la mobilisation des

pays du Nord a permis la mobilisation des sommes nécessaires pour financer les opérations du

Fonds multilatéral chargé de financer le remplacement des CFC, ces gaz destructeurs de la couche

d’ozone. Il en a été de même pour tous les autres Fonds institués pour assurer le financement de la

production ou de la gestion des autres biens publics mondiaux. Il faudra donc une volonté politique

sans ambigüité de la part des décideurs politiques et de l’adhésion de l’opinion publique en faveur de

cette proposition, ce qui n’est pas gagné d’avance vu la complexité de la problématique et des

intérêts en présence, comme le montre le chapitre qui suit.

Page 27: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

Chapitre I : Problématique, cadre opératoire et définition des

principaux concepts

Page 28: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments
Page 29: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

9

Dans ce chapitre introductif, il s’agira de présenter brièvement le problème causé par les

brevets dans les difficultés qu’éprouvent les pays en développement et leurs populations dans

l’accès aux médicaments. Il s’agira ensuite de circonscrire la problématique en posant une question

spécifique qui sera traitée ainsi que réponse provisoire à vérifier. En plus de préciser le sens dans

lequel certains concepts seront compris dans cette thèse, ce chapitre montre également comment

cette dernière s’inscrit dans le cadre l’interdisciplinarité exigée par le pro gramme de doctorat en

études internationales.

I.1. Problématique, question, réponse provisoire et cadre opératoire

Dans cette section, on va détailler le problème posé par les brevets dans l’accès aux

médicaments, poser la question qui servira de point de départ du présent travail et donner la réponse

provisoire qui servira de base pour les développements qui suivront ainsi que le cadre opératoire de

l’étude.

I.1.1. Le problème posé par les brevets dans l’accès aux médicaments dans les pays

en développement

Les brevets portant sur les médicaments et la problématique de l’accès aux médicaments

qu’ils suscitent dans les pays en développement ont fait l’objet de p lusieurs études disciplinaires7 et

ont conclu que la protection conférée par les brevets aux no uveaux médicaments a entraîné la

hausse des prix de ces derniers (Remiche & Kors, 2007 : 237-346). En effet, le niveau élevé des prix

des nouveaux médicaments n’est pas uniquement lié aux coûts de recherche et développement. Il

est aussi le résultat du monopole que les brevets créent au profit de leurs titulaires qui, évoluant dans

un contexte sans concurrence, fixent unilatéralement le prix qu’ils veulent pour leur produit. Ce prix

incorpore souvent des frais qui n’ont rien à voir avec l’invention, comme les frais de publicité ou ceux

dépensés pour des projets de recherche abandonnés ou qui ont échoué (Combe & Pfister, 2004 :

97). En conséquence, les prix fixés par les titulaires des brevets restent inaccessibles pour un grand

nombre de malades des pays du Sud, les privant ainsi des soins dont ils ont besoin. Le préjudice est

7 Les études disciplinaires sont celles qui traitent une question ou une problématique en se basant uniquement sur les aspects politiques, économiques, juridiques, sociaux ou de toute autre discipline.

Page 30: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

10

important, que ce soit pour les malades ou pour toute la société dans son ensemble, car, durant

toute la période de protection du brevet, les patients ne pouvant pas accéder aux médicaments

brevetés à cause de ces prix prohibitifs continuent à souffrir et à mourir (Sandler, 2004 : 118).

Le présent travail ne vise pas à poursuivre le débat sur la question de savoir si les brevets

réduisent l’accès aux médicaments dans les pays en développement. Plusieurs études ont répondu

par l’affirmative à cette question (Vershaves, 2004; Remiche & Kors, 2007; Correa 2009, Pogge,

2008; Boulard, 2000; Gabas & Hugon, 2001; Velarsquez, 2004, etc.). Un travail supplémentaire dans

ce sens, sans être de trop , n’apporterait rien à la science ou ne ferait pas avancer le débat sur la

question. La présente étude vise à amener la discussion à l’étape suivante, celle des solutions à ce

problème déjà identifié. Plusieurs propositions ont été émises pour résoudre ce problème, les unes

se référant à l’Accord sur les ADPIC, tandis que d’autres renvoient à des pistes qui sont en dehors

du système du droit international de la propriété intellectuelle. Cependant, malgré les différentes

flexibilités contenues dans l’Accord sur les ADPIC que les pays du Sud peuvent utiliser pour

résoudre leurs problèmes d’approvisionnement en médicaments brevetés, ces dispositifs ne sont pas

adaptés à la situation économique de ces pays ou sont simplement inapplicables, surtout dans les

pays les moins avancés (PMA). Ces différentes possibilités (importations parallèles, licences

obligatoires, exceptions à la brevetabilité), qui sont contenues dans l’Accord originel8 sur les ADPIC,

ont d’ailleurs été utilisées ou exploitées par certains pays9, mais ont montré leurs limites.

En effet, comme on le verra, les importations parallèles compliquent plus le problème

qu’elles ne le résolvent. Les termes « importations parallèles » désignent le commerce international

par lequel un importateur tire avantage de la différence de prix entre deux pays, en important un

produit acheté à l’étranger (pays d’exportation) pour le revendre sur le marché d’un autre pays

(d’importation), en marge des réseaux de distribution du producteur (IPI, 2010). Ainsi, l’importation

parallèle des médicaments consiste à les acheter dans un pays et à les revendre dans un autre, en

dehors du réseau de distribution mis en place par le fabricant, son représentant ou son distributeur

agréé. Si les importations parallèles peuvent résoudre la question de la disponibilité des 8 L’Accord sur les ADPIC a en effet été modifié par l’amendement de l’article 31f adopté lors de la Conférence de Hong-Kong le 6 décembre 2005 (OMC, 2005).

9 Le Brésil, la Thaïlande, l’Afrique du Sud ont utilisé ces flex ibilités avec des résultats mitigés. Par ailleurs, comme on le verra, ces pays ont fait l’objet des pressions de la part des États-Unis d’Amérique pour qu’ils abandonnent le recours à ces flex ibilités contenues dans différents accords de l’OMC.

Page 31: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

11

médicaments sur le marché des pays qui ne les produisent pas, elles laissent entier le problème de

l’accessibilité pour les populations qui ont peu de revenus, puisque ces médicaments deviennent

encore plus chers dans le pays d’importation que dans celui d’exportation. En effet, outre le prix

d’achat, l’importateur ajoute sa marge bénéficiaire, les frais de transport, d’importation et de

commercialisation (les droits de douane, les différentes taxes intérieures, etc.).

Quant aux « licences obligatoires » souvent associées aux médicaments alors qu’elles

concernent en fait tous les produits brevetés10, elles désignent « les autorisations qui sont délivrées

par une autorité publique à un tiers de produire des médicaments pré cis pour faire face à un

problème conjoncturel de santé, sans l’autorisation du titulaire du brevet », contrairement aux

licences contractuelles qui requièrent un tel consentement (Correa & Velasquez, 2009 : 48). Dans

l’Accord initial sur les ADPIC, le recours à ces licences obligatoires, fortement encadré, était destiné

à résoudre les problèmes internes des pays qui en délivrent. Ainsi, les licences obligatoires, tel

qu’elles étaient prévues au départ, ne pouvaient pas répondre aux soucis sanitaires des pays qui

n’ont pas les capacités techniques et financières pour produire localement les médicaments, alors

que c’est la situation dans la totalité des PMA et dans les pays en développement.

C’est pour cela que des mesures additionnelles ont été adoptées à l ’OMC en marge des

négociations du cycle de Doha pour corriger cette situation, en adoptant l’autorisation de l’exportation

des médicaments produits sous licences obligatoires. Ainsi, au départ destinés « principalement pour

le marché du membre qui a délivré ces licences obligatoires »11, les médicaments produits sous ces

dernières ont été admis à être exportés par la décision du 30 août 2003, pour répondre aux soucis

des pays qui « ne possèdent pas les capacités locales de produire eux -mêmes les médicaments

génériques dont ils ont besoin »12. Bien que cette extension ait été présentée comme une avancée

dans la résolution du problème posé par les brevets dans le domaine de la santé, elle n’a pas produit

les effets escomptés, et, en raison de leur inefficacité, ces licences obligatoires « étendues » aux

10 Les licences obligatoires, tel que prévu à l’article 31 de l’Accord sur les ADPIC, sont en effet applicables à tous les produits brevetés ou brevetables.

11 Article 31f de l’Accord sur les ADPIC.

12 Extrait de la déclaration du 30 août 2003 sur la mise en œuvre du paragraphe 6 de la déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique.

Page 32: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

12

exportations n’ont été utilisées qu’une seule fois13. Cet échec s’explique par le fait que leur usage

nécessite une procédure longue et lourde, car elle implique que les États, qu’ils soient importateurs

ou exportateurs, se portent tous garants des commandes effectuées auprès de l’entreprise

productrice, ce qui rend les pays exportateurs réticents à engager leur responsabilité. En outre, les

licences obligatoires, même étendues, emportent l’obligation du pays qui y fait recours à verser une «

rémunération adéquate »14 au détenteur du brevet. Ainsi, cette extension des licences obligatoires à

l’exportation ne règle pas le problème d’accessibilité des médicaments puisque les pays importateurs

sont toujours contraints de rémunérer le titulaire du brevet, alors que c’est précisément le problème

des prix des médicaments brevetés auquel ils sont confrontés.

La situation est donc restée la même que celle d’avant l’adoption de la décision du 30 août

2003 : une partie importante des populations des pays du Sud n’a toujours pas accès aux

médicaments brevetés, à cause des prix de ces derniers qui demeurent prohibitifs et hors de leur

portée. Malgré cela, il faut souligner l’apport majeur de la déclaration de Doha sur l’Accord sur les

ADPIC et la santé publique de 2001 et la décision du 30 août 2003. Elles ont eu le mérite de

souligner la nécessité de trouver un équilibre entre la protection des brevets et l’accès aux

médicaments pour tous. Ainsi, la mise en place d’un régime des b revets équilibré, assurant à tous

l’accès aux progrès de la médecine, tout en protégeant les chercheurs, porteurs de ces progrès, est

depuis considérée comme une nécessité. En effet, il est important, du point de vue social et pour la

santé publique, que de nouveaux médicaments soient créés afin de traiter ou prévenir les maladies,

cette création ne peut être encouragée efficacement que par les brevets. Or, c’est précisément en

raison de leur valeur pour la société que les médicaments ainsi créés doivent être rendus

accessibles pour tous le plus rapidement possible (OMS-OMC, 2002 : 44-45). S’il faut préserver la

recherche et le développement de nouveaux médicaments, il est tout aussi essentiel que ceux -ci

puissent sauver des vies dès le moment de leur découverte, et non pas vingt ans après, car entre-

temps des millions de personnes continuent à mourir alors que des médicaments pour les soigner

existent (Velasquez, 2003). Le présent travail s’inscrit donc dans la perspective de la déclaration de

Doha, celle de proposer un mécanisme susceptible d’instaurer un équilibre entre les intérêts

sanitaires des pays et des peuples ainsi que les intérêts commerciaux des titulaires des brevets, en 13 Jusqu’à ce jour, seuls le Rwanda (importateur) et le Canada (exportateur) ont pu utiliser les mécanismes des licences obligatoires, conformément à la décision du 30 août 2003 du Conseil général de l’OMC.

14 Article 31h de l’Accord sur les ADPIC.

Page 33: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

13

favorisant la promotion de la recherche par la protection des brevets tout e n assurant la disponibilité

et l’accessibilité desdits médicaments pour tous ceux qui en ont besoin.

I.1.2. Question de recherche

Comme expliqué précédemment, le problème causé par les brevets dans le domaine de la

santé est l’inaccessibilité de nouveaux médicaments pour les populations des pays du Sud, à cause

de leurs prix qui sont élevés, une situation imputable en partie au monopole instauré par les brevets.

Or, comme l’a suggéré en 2001 Mike Moore15, le meilleur système international des brevets est celui

qui concilierait les brevets et l’accès aux médicaments pour les pauvres16. C’est également cet

équilibre que visait la déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique de 2001, la

décision du 30 août 2003. Ainsi, la problématique des brevets dans le domaine de la santé est celle

de concilier la protection des brevets portant sur les nouveaux médicaments, tout en préservant la

disponibilité et l’accessibilité de ces médicaments brevetés pour tous ceux qui en ont besoin, y

compris ceux qui n’ont pas assez de revenus pour se les procurer aux prix fixés par les titulaires de

ces brevets. En d’autres termes, puisque les flexibilités contenues dans l’Accord sur les ADPIC ont

montré leurs limites, ce travail de recherche vise à répondre à la question de savoir quels sont les

mécanismes qui permettraient d’atteindre les objectifs de protection des brevets et de promotion de

la recherche dans le domaine pharmaceutique, tout en préservant la santé publique, à travers la

disponibilité et l’accessibilité aux populations à faibles revenus de ces nouveaux médicaments.

I.1.3. Réponse provisoire à la question de recherche

Outre les flexibilités contenues dans l’Accord sur les ADPIC évoquées comme possibles

réponses à la problématique des brevets et de l’accès aux médicaments dans les pays du Sud, mais

qui n’ont pas produit les effets escomptés, d’autres solutions ont été proposées, allant de la

suppression des brevets à la régulation des prix des médicaments en passant par l’exonération des

15 Mike Moore a été le Directeur général de l’OMC de 1999 à 2002 (voir le site internet de l’OMC).

16 En 2001, Moore Mike a prononcé la phrase suivante : « oui aux médicaments pour les pauvres et oui aussi aux brevets » (International Herald tribune, 22 février 2001), devenue depuis lors la référence pour montrer la nécessité de concilier la protection des brevets et l’accès aux médicaments.

Page 34: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

14

pays pauvres des obligations protectrices des brevets dans leurs relations commerciales

internationales, la transférabilité des droits d’exclusivité, l’application des prix différenciés ou multi -

niveaux selon les niveaux de développement des pays, l’augmentation des aides internationales

destinées à la santé publique, les subventions ou allègements fiscaux pour la recherche médicale, «

la propriété intellectuelle verte »17, les contrats ou accords d’achat anticipé (advanced market

commitments ou AMC), le Fonds tenant compte de l’impact sur la santé (Health impact fund ou HIF),

etc. Comme on va revenir sur la plupart de ces différentes solutions dans les développements

ultérieurs, mentionnons seulement que certaines de ces solutions vont dans le sens d’un meilleur

accès aux médicaments, mais qu’elles sont, elles aussi, inapplicables ou incomplètes.

Le but de ce travail de recherche n’est pas de remettre en cause le système des brevets,

mais de soutenir l’idée de la nécessité d’en faire un outil de développement par la p rise en compte de

l’intérêt général, sans ignorer les intérêts légitimes des chercheurs. Dans cette perspective, la

solution recherchée est celle qui propose des mécanismes ou des moyens de financer la recherche

de nouveaux médicaments autrement que par le système de « péage » qui, à travers les brevets,

consiste à faire payer les consommateurs des médicaments. Ainsi, en vue de résoudre le problème

posé par les brevets dans le domaine de la santé publique dans les pays en développement, nous

posons comme réponse que les formules et les procédés de fabrication des médicaments, qui sont

les biens protégés par les brevets pharmaceutiques, relèvent des biens publics mondiaux et que,

comme pour tout bien public, leur production nécessite un mécanisme international de financement

17 La proposition de la « propriété intellectuelle verte » a pour but de créer un fonds international pour financer le libre accès à des médicaments « indispensables » dans les pays en développement et pour encourager la recherche destinée à lutter contre les maladies dont souffrent les populations de ces pays (OMS, 2012 : 184). Selon ses promoteurs, ce Fonds serait financé par trois sources. La première serait « une prime d’assurance sur les brevets », c’est-à-dire un supplément de 100 dollars américains qui serait facturé aux déposants et aux titulaires de brevets dans les pays développés et dans les économies émergentes. La deuxième serait une allocation financée grâce aux recettes des offices des brevets : 10% du revenu que l’OMPI tire du Traité de coopération en matière de brevets pourraient être alloués au Fonds (OMS, 2012 : 185). Enfin, 10% des revenus réalisés à l’étranger par les titulaires de brevets seraient réservés au financement du Fonds. L’aspect « vert » du Fonds résulte du fait que les fonds générés par les prélèvements supplémentaires sur les titulaires de brevets seraient utilisés pour atténuer les effets négatifs du système de brevets sur l’accès aux médicaments ou pour stimuler des innovations intéressant les pays en développement lorsque le marché ne fournit pas des incitations suffisantes (OMS, 2012 : 185). Cette proposition est critiquable à plusieurs égards : il s’agit en fait d'une sorte d’amendes imposée aux brevetés. On peut en effet craindre qu’elle ne se répercute sur le prix final, puisque le breveté voudra garder sa marge bénéficiaire, ce qui ferait que le prix supporté par le consommateur serait encore plus élevé, écartant plus davantage de patients, du Sud comme du Nord. En outre, pourquoi prélever un impôt supplémentaire de 10% sur les ventes de médicaments effectuées à l’étranger ? Si on sait que les médicaments vendus à l’étranger prov iennent de quelques pays développés, cela signifie que ceux qui seront pénalisés par ce prélèvement seraient en grande partie les pays en développement, ces derniers étant ceux -là mêmes que le système était censé faciliter l’accès aux médicaments. Cette proposition de la « propriété intellectuelle verte » suggère que les ressources générées par la propriété intellectuelle doivent être frappées d’un impôt mondial qui serait par la suite reversé aux agences spécialisées des Nations-Unies et qui serv irait à augmenter les chances des pays en développement de tirer parti du bien commun mondial des connaissances, et leur permettant par là même d’y contribuer à leur tour (Quéau, 2013).

Page 35: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

15

public. Ainsi, la réponse proposée par cette thèse est que la mise en place d’un Fonds international

pour la recherche médicale (FIRM), ayant pour mission de racheter les brevets portant sur les

nouveaux médicaments, permet l’accessibilité de ces médicaments pour les populations des pays du

Sud tout en encourageant la recherche et en sauvegardant les intérêts des titulaires des brevets.

Ainsi, la réponse au problème d’accès aux nouveaux médicaments passe par des licences

publiques portant sur les brevets pharmaceutiques après que ces derniers eurent été «

internationalement publicisés » par une procédure de rachat rendue possible par l’instauration d’une

structure internationale, pouvant être intégrée dans une institution qui s’occupe de la santé ou des

brevets au niveau mondial ou dans une nouvelle institution créée à cette fin. La nouveauté de cette

solution est qu’elle permet d’anticiper l’échéance des 20 ans de protection et de lever ce « péage »

qui s’intercale, pendant cette longue période18, entre les médicaments et les patients qui en ont

besoin. En d’autres termes, ce mécanisme de rachat des brevets pharmaceutiques par un organisme

international public vise la transformation d’un bien privé en bien public mondial, en assurant la prise

en charge du coût social induit par la recherche sur les médicaments. Comme pour tout bien public,

ce coût doit être couvert, non pas par le consommateur uniquement, c’est-à-dire le patient à travers

le prix à payer qui est abordable pour lui en fonction de ses revenus, mais également par les

contribuables, ces derniers étant eux-mêmes des malades en puissance, et ce à travers les taxes et

divers prélèvements, subventions et autres transferts publics. Ainsi, c’est le citoyen en général qui, à

travers certains prélèvements, couvrirait tout ou partie de la charge financière nécessaire pour

encourager les recherches sur les nouveaux médicaments, assurer la protection des droits des

inventeurs par le rachat des droits portant sur les brevets pharmaceutiques en vue de les rendre

disponibles pour toute entreprise, publique ou privée, qui voudrait produire les génériques.

L’instauration de ce fonds destiné à financer le rachat des brevets portant sur les nouveaux

médicaments permettrait ainsi d’atteindre l’équilib re recherché par l’Accord sur les ADPIC et la

déclaration de Doha, c’est-à-dire l’équilibre entre l’accessibilité des médicaments pour tous ceux qui

en ont besoin et la sauvegarde des intérêts des titulaires de ces brevets. Par la mise en place de ce

mécanisme international de financement, le problème de la protection des brevets pharmaceutiques

18 En effet, pour une personne qui souffre et qui ne peut pas recevoir un médicament disponible, simplement parce qu’il n’a pas les moyens de l’acheter en raison du monopole conféré par le brevet, ce temps de 20 ans lui paraît comme une éternité.

Page 36: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

16

ainsi que celui de l’accès des médicaments pour les populations démunies seraient réglés. En effet,

en remboursant à l’inventeur ce qu’il a investi et en rémunérant ses efforts (éloignant ainsi pour lui le

risque des investissements à perte), le FIRM permettrait, et ceci en faveur des titulaires des brevets,

d’anticiper la fin théorique du délai de 20 ans prévu par l’Accord sur les ADPIC pour que les biens

couverts par les brevets tombent dans le domaine public. Un marché solvable serait donc garanti

pour les firmes innovantes, les médicaments génériques étant ensuite fabriqués et distribués à des

prix abordables, voire gratuitement aux populations les plus démunies. Par ailleurs, ce mécanisme

permettrait le financement des recherches sur des pathologies qui n’intéressent pas les investisseurs

privés (les maladies rares ou négligées), alors qu’elles constituent une menace pour la santé

publique mondiale. Ainsi, avec cette solution qui puise ses fondements dans la théorie des biens

publics mondiaux, tout le monde y trouve son compte : le malade pourra être soigné, quels que

soient ses revenus; l’inventeur recouvra rapidement ce qu’il a dépensé et pourra réutiliser cet argent

pour d’autres recherches ou d’autres investissements, la société en général bénéficiera d’une bonne

santé de sa population, tout en stimulant les recherches sur d’autres pathologies.

Cette solution propose une autre alternative que la politique « ass istancielle » axée sur l’aide

publique au développement ou à la solidarité internationale comme c’est le cas maintenant. La

démarche privilégiée ici consiste à changer de paradigme en adoptant l’approche des biens publics

mondiaux. Cette approche est novatrice dans la mesure où elle se réfère à « l’internationalisation de

la santé », en référence tout à la fois à sa nature de bien public mondial, aux mouvements

transnationaux des biens et des personnes, avec les menaces sanitaires qui vont avec, ainsi que

l’instauration des institutions et mécanismes internationaux pour sa mise en œuvre. Cette solution

s’inscrit dans le sens des recommandations de la Commission sur la propriété intellectuelle,

l’innovation et la santé publique (Commission on intellectual property rights, innovation and public

health, CIPIH), créée par l’OMS pour analyser les liens entre la propriété intellectuelle et l’accès aux

médicaments, qui invite cette organisation à « préparer un plan mondial pour assurer le financement

durable pour développer la recherche et permettre l’accès à des produits qui touchent de façon

disproportionnée les pays en développement » (CIPIH report, 2006 : 187; Correa, 2009 : 148).

Page 37: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

17

I.1.4. Approches théorique et méthodologique

L’approche théorique privilégiée dans ce travail procède par l’énoncée d’une proposition

théorique soutenue par un raisonnement scientifique logique et corroborée par des vérifications

empiriques observables à travers des cas. Il s ’agit donc d’apporter une réponse à une problématique

donnée et non de faire une recherche empirique de description des phénomènes ou de cause à effet.

Par ailleurs, l’approche empirique n’est pas adaptée à la réponse proposée, car son usage rendrait

difficile l’utilisation des concepts abstraits, voire totalement construits, comme celui des biens publics

mondiaux. Il serait en outre impossible de tester cette réponse « dans un bocal » par une

observation, car « nos sens ne suffisent pas pour comprendre les phénomènes internationaux,

d’autant plus que tout n’est pas observable » (Macleod et O’Meara, 2007 : 10). Ainsi, l’approche

privilégiée dans ce travail consiste à formuler un énoncé ou une proposition et d’en conclure par la

suite des conséquences observables permettant d’en déterminer la validité. Ainsi, nous partirons du

concept de « biens publics mondiaux » (sa définition et ses caractéristiques) et du postulat que les

biens brevetés pharmaceutiques entrant dans la fabrication des médicaments relèvent de cette

catégorie. En outre, étant donné que ces biens relèvent du domaine privé des laboratoires ou firmes

pharmaceutiques, une procédure visant à les intégrer dans le domaine public international est

indispensable afin de les rendre libres de droits et faciliter leur accessibilité, et celui des

médicaments. Par conséquent, comme pour les biens ou services publics au sein d’une collectivité

restreinte à dimension locale ou nationale, cette procédure de « publicisation internationale »19 des

biens brevetés passe par le rachat des licences portant sur ces brevets, à l ’aide des fonds publics

internationaux en vue de leur « collectivisation universelle ».

La démarche utilisée permet également la vérification de la faisabilité de cette réponse

provisoire par des cas de publicisation internationale des biens au départ privés. L’idée de

l’instauration du Fonds international pour la recherche médicale (FIRM), qui sert d e réponse

provisoire, va être soumise au test de validation par la comparaison aux structures similaires

instaurées dans d’autres domaines pour dégager les éléments qui expliquent leur réussite ou leur

échec dans la résolution du problème de fourniture des biens publics mondiaux. Pour cela, le Fonds

pour l’environnement mondial (FEM), l’UNITAID, le Fonds global, le Fonds vert pour le climat (FVC),

19 Voir la définition de ce concept à la note de bas de page n° 4.

Page 38: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

18

etc., serviront des cas d’études où des biens publics mondiaux sont produits avec des financements

publics internationaux. Ainsi, ces exemples de fonds internationaux qui ont été mis sur pieds pour

répondre à certains défis mondiaux seront analysés pour dégager leur fo nctionnement, évaluer leur

efficacité et en tirer les conclusions de faisabilité de la proposition du FIRM. Cette étude des cas

similaires permettra d’évaluer les probabilités de réussite ou d’échec du financement public

international dans la résorption d’un problème international. En effet, il faut prendre en compte

l’existence des problèmes qui entourent la production des biens publics mondiaux, problèmes qui

sont notamment liés au fait que la production de ces biens publics est confrontée aux défis de l’action

collective, notamment le problème du passager clandestin ainsi que le paradoxe d’Olson. Ces

problèmes, au regard des intérêts des uns et des autres, pourraient expliquer l’échec ou l’absence de

mise en place de ce mécanisme de production de ce bien public international de santé, comme c’est

aussi le cas pour d’autres biens publics mondiaux comme le climat, la sécurité, l’environnement, etc.

La menace de ces problèmes de l’action collective sera testée pour le cas du FIRM en vue d’en

déterminer les conditions dans lesquelles ils peuvent être résolus ou au moins mis sous contrôle20.

Enfin, l’approche interdisciplinaire utilisée permet de recourir aux concepts relevant de

plusieurs disciplines dans la résolution du problème étudié. La complémentarité dis ciplinaire est l’une

des exigences pour mener les recherches dans le cadre du programme de doctorat en études

internationales. Quelles sont les disciplines qui seront mises en contribution et dans quelle mesure ?

I.1.5. La complémentarité du droit et de la science politique dans la problématique des

brevets et l’accès aux médicaments

La problématique des brevets pharmaceutiques et de l’accès aux médicaments dans les

pays en développement renvoie à la question du lien entre le droit et les objectifs politi ques

recherchés lors de son adoption et illustre la complexité des rapports entre ces deux champs

(Guesmi, 2011 : 21). En effet, les instruments d’analyse qu’offre la technique juridique ne permettent

pas d’apporter une réponse satisfaisante au problème posé. En effet, si le problème s’est d’abord

manifesté en termes juridiques, le droit, à lui seul, ne peut expliquer l’entièreté de la problématique ni

20 En effet, selon Chalmers (1997 : 44), on ne peut jamais dire d’une réponse qu’elle est vraie, même si elle a surmonté v ictorieusement des tests rigoureux, mais on peut seulement dire qu’elle supérieure à celles qui l’ont précédée au cas où elle est capable de résister aux tests qui ont disqualifié ces dernières (Chalmers, 1997 : 44).

Page 39: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

19

apporter une réponse satisfaisante aux différentes implications sociales et économiques de la

question des brevets et de l’accès aux médicaments dans les pays en développement. Plusieurs

auteurs et chercheurs ont essayé d’analyser l’Accord sur les ADPIC et les autres traités connexes,

d’interpréter leurs règles et de décrire autant que possible le fonctionnement du système international

des brevets, mais sans arriver à proposer des solutions crédibles à cette problématique. Se

contenter de l’étude du droit dans cette problématique ne présente plus guère d’intérêt puisqu’elle est

complexe avec plusieurs éléments qui entrent dans son explication. Certains éléments du problème

relèvent des questions économiques, d’autres s’expliquent par une logique politique, sans oublier les

considérations d’ordre social, éthique, etc. L’interdisciplinarité constitue donc « un te rreau fertile » (Le

Prestre & al., 2009 : 6) pour son analyse puisque les « approches disciplinaires » ont montré leurs

limites sur certains enjeux qui entrent dans son explication. Ainsi, la démarche interdisciplinaire qui

est privilégiée dans ce travail va consister à ajouter à l’approche juridique une analyse politique de

l’action internationale en faisant une adaptation des concepts provenant du Droit à la science

politique et vice-versa. Ainsi, cette combinaison du droit et de la science politique permet d’analyser

les tensions entre l’énonciation des principes et les orientations souhaitables par la communauté

internationale et les difficultés de leur mise en œuvre (Roche, 2005 : 14). Au-delà de l’analyse

juridique formelle, c’est donc une analyse sur le fond que nous allons faire en prenant en compte les

dimensions politiques et socioéconomiques de la question et une analyse pluridisciplinaire permet de

mettre en exergue les enjeux sous-jacents en vue de résoudre ce problème face auquel on éprouve

un sentiment d’incomplétude des solutions proposées par l’approche juridique qui était privilégiée

jusqu’ici (Guesmi, 2011 : 54-60). Pour cela, le concept de biens publics mondiaux, tiré de la science

politique, est mis en contribution dans la compréhension et la résolution du problème posé par le

droit. Mais, la notion de « bien » qui est mal appréhendée en science politique est précisée par le

droit qui en apporte une définition précise. Ainsi, la complémentarité de ces deux disciplines dans ce

cas devient circulaire : la science politique complète le droit, qui la complète à son tour dans la

définition des concepts qui entrent en jeu dans la résolution du problème.

En outre, l’approche axée sur la science politique permet de s’interroger sur les limites du

système actuel des brevets qui privilégie une gestion internationale privée des médicaments en

laissant toute la liberté au marché et aux acteurs privés qui visent essentiellement la maximisation de

leurs profits (Hugon, 2004 : 270). Tout en admettant la pluralité des objectifs, cette approche pose

Page 40: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

20

comme principe la primauté de l’intérêt général, notamment lorsque l’intérêt collectif est menacé. En

posant ce postulat, l’approche politique implique une conception des biens publics mondiaux qui

pose les limites à l’autorégulation des décisions individuelles par la seule main invisible du marché

(Boidin, & al., 2008 : 7).

Enfin, la recherche d’une solution « politique » à la problématique des brevets a été

entreprise dans le cadre des négociations du cycle de Doha, les membres de l’OMC ayant constaté

les limites des solutions juridiques contenues dans l’Accord sur les ADPIC et les autres Accords

régissant le commerce international. En reconnaissant l’importance de la question de l’accès aux

médicaments et de l’urgence de trouver des solutions adaptées, la déclaration de Doha a été « le

coup d’envoi d’une action politique internationale en faveur de la santé mondiale » (Guesmi, 2011 :

306). Même si cette déclaration n’a pas été suivie des mesures à la hauteur des enjeux21, les

membres de l’OMC ont reconnu l’existence d’incidences des brevets sur l’accès aux médicaments.

Les négociations qui ont suivi cette déclaration ont abouti à la relecture de l’Accord sur les ADPIC,

traduite par l’adoption par le Conseil général de l’OMC de la décision du 30 août 2003 portant mise

en œuvre du paragraphe 6 de la déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique,

suivie en décembre 2005 par le seul amendement à ce jour d’un accord de l’OMC, rendant

permanente la dérogation de l’article 31f de l’Accord sur les ADPIC en faveur de la santé publique

des pays qui sont dépourvus d’infrastructures locales de production des médicaments (Guesmi, 2011

: 306), amendement qui n’est toujours pas officiellement entré en vigueur comme on le verra plus loin

dans les développements ultérieurs.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de préciser ce qu’on entend, dans

ce travail, par certains concepts clés, comme « brevets pharmaceutiques », « pays en

développement ou du Sud », « pays riches ou du Nord », « médicaments génériques », «

médicaments princeps, originaux ou spécialités », etc. Toutefois, cette section ne reprend pas les

concepts qui seront définis et développés en détail ultérieurement comme les importations parallèles,

les licences obligatoires, etc.

21 On verra plus tard que la décision d’aout 2003 et l’amendement de 2005 adoptés dans la suite de la déclaration de Doha n’ont pas produit les effets escomptés.

Page 41: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

21

I.2. Définition des principaux concepts

Cette section sera consacrée à la définition de certains concepts qui seront couramment utilisés dans

ce travail. Il ne s’agit pas de reprendre les définitions formelles et classiques de ces concepts. Cela

ne servirait à rien puisque ces définitions se trouvent déjà dans plusieurs ouvrages. Il s’agit de

préciser le sens dans lequel seront compris ces différents termes dans le cadre de la présente

recherche. En effet, le sens général de ces concepts n’est pas nécessairement cohérent avec celui

qui lui est attribué dans le présent travail : les termes trop généraux comme pays en développement,

maladies négligées, pour ne citer que ceux-là, seront circonscrits pour les ramener à la signification

qui sera comprise par le lecteur dans le cadre du présent travail.

Pour faciliter la lecture, ces concepts clés ont été groupés dans quatre catégories. La première porte

sur les concepts relatifs aux brevets et les vocables y re latifs, tandis que la deuxième porte sur les

différents types de médicaments, seulement quand on les évoque en ce qui concerne les brevets. La

troisième catégorie de concepts porte sur les appellations qui sont données aux types de maladies,

en fonction de la disponibilité ou non des traitements contre elles. Cette section relative aux concepts

se clôturera par les sens des termes utilisés pour distinguer les groupes de pays en fonction de leur

situation économique ou de leur niveau de développement.

I.2.1. Les concepts relatifs aux brevets

Cette thèse ayant comme thème central les brevets pharmaceutiques, il est indispensable de

donner le contenu de ce concept, ainsi que celui qui lui est souvent associé, celui de licence

d’exploitation. Que signifient donc les vocables « brevet », « brevet pharmaceutique » ou encore «

licence d’exploitation »?

a. Définition du « brevet d’invention »

Le brevet est un titre légal délivré par les pouvoirs publics qui confère à son titulaire, appelé

le breveté22, une exclusivité d’exploitation de son invention pour une durée déterminée, fixée à 20

ans au minimum par l’Accord sur les ADPIC (article 33). En contrepartie de cette exclusivité,

22 En matière de propriété intellectuelle, le terme « breveté » est en général synonyme de « titulaire, propriétaire ou détenteur du brevet » (Mousseron, 1961; Savignon, 1971; Burst, 1970).

Page 42: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

22

l’inventeur s’engage à divulguer son invention en la rendant publique. Selon l’Accord sur les ADPIC,

le brevet peut être obtenu pour toute invention, à condition qu’elle soit véritablement nouvelle, qu’elle

implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle (article 27, alinéa

1). Limité dans le temps, un brevet l’est aussi dans l’espace : il n’est valable que sur le territoire de

l’État qui l’a délivré puisqu’il a toujours le caractère national. Il est cependant possible de faire une

demande de brevet qui peut couvrir plusieurs pays dans le cadre des accords qu’ils ont signés entre

eux23, mais à la délivrance, il y aura toujours autant de brevets nationaux que de pays dans lesquels

la protection de l’invention a été demandée et obtenue.

Le vocable « brevet » sera ici entendu dans ce sens qui lui est générale ment reconnu dans

le cadre de l’OMC et d’autres institutions spécialistes de la propriété intellectuelle. Que ce soit un

brevet portant sur un médicament ou tout autre produit, le brevet ne confère pas à son détenteur un

droit de commercialisation, mais un droit d’interdiction de l’exploitation de son invention par un tiers

sans son autorisation. Le titulaire du brevet n’est pas obligé d’exploiter lui -même l’invention, il peut

décider de ne rien en faire ou de le céder à une tierce personne (art. 28). L’acte par lequel le breveté

opère cette cession s’appelle, en termes techniques, une « licence d’exploitation du brevet ».

b. Licence d’exploitation du brevet

La licence d’exploitation d’un brevet est un contrat par lequel le titulaire du brevet autorise un

tiers, le licencié, à exploiter son brevet en tout ou en partie, en contrepartie d’une rémunération

appelée « redevance » (Cohen, 2007 : 1). À défaut d’un tel contrat, toute fabrication, vente ou

importation d’un produit breveté, pendant la période de validité du brevet, constitue une violation de

ce dernier et des droits qui en découlent. Le contrat de cession de licence est en principe intuitu

personæ (Burst, 1970 : 151), c’est-à-dire qu’il est lié à la personne qui en est le bénéficiaire, ce qui

interdit la cession des sous licences, c’est-à-dire que le licencié ne peut pas céder à son tour ses

droits à un autre exploitant (Wittmer, 1962 : 89 ; Burst, 1970 : 152). Le lecteur des travaux portant sur

la problématique des brevets et de l’accès aux médicaments se rendra compte qu’il est souvent fait

23 Par exemple auprès de l’Organisation européenne des brevets (OEB) pour les pays européens auxquels il faut ajouter la Bosnie Herzégovine et le Monténégro dans lesquels les brevets européens peuvent produire leurs effets sur requête, auprès de l’OAPI pour 16 pays africains membres de cette organisation ou une demande de brevet international pour les 148 pays signataires du Traité de coopération en matière de brevet (pour plus de détails, voir les sites internet de l’OEB, OAPI et de l’OMPI).

Page 43: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

23

référence aux « brevets pharmaceutiques » ou aux licences obligatoires portant sur ces derniers.

Qu’est-ce qu’un brevet pharmaceutique ?

c. Notion de « brevet pharmaceutique »

Est appelé brevet pharmaceutique le brevet portant sur les médicaments ou tout autre

produit ou outil à usage médical et qui est délivré pour le produit lui-même ou le procédé utilisé pour

sa fabrication. Dans le langage spécialisé, le brevet pharmaceutique protège le principe actif, appelé

« nouvelle entité chimique » (NCE) ou « ingrédient pharmaceutique actif » (IPA), d’une substance

chimique ou biologique (Leman Consulting, 2012). Le brevet pharmaceutique est en principe délivré,

comme tous les autres brevets, pour une période minimale de 20 ans à compter de la date de dépôt

de la demande. Cependant, puisque les médicaments nécessitent une autorisation de mise sur le

marché (AMM) afin de pouvoir être commercialisés, cette dernière peut prendre plusieurs années

avant d’être accordée (INPI, 2013). Pour compenser cette période où le brevet ne peut pas être

exploité, le breveté peut obtenir un certificat complémentaire de protection (CCP) dans les pays de

l’Union européenne et un rétablissement de la durée du brevet (RDB) aux États -Unis et au Canada

(Kierans, & al., 2011 : 4). Ces documents prolongent la protection du brevet pharmaceutique pour

une période pouvant atteindre 5 ans, en supplément de la durée initiale de protection conférée par le

brevet initial. En outre, les brevets portant sur les médicaments pour les maladies orphelines peuvent

recevoir, selon les législations et les pratiques des pays, des délais supplémentaires d’exclusivité

pouvant aller jusqu’à 10 ans et même plus (Casalonga & associés, 2013). Que signifie une maladie

orpheline et quel est le sens des autres concepts relatifs aux différents types de maladies ? On y

reviendra dans le troisième paragraphe de cette section consacrée aux concepts, après avoir abordé

les différentes sortes d’appellations des médicaments par rapport aux brevets pharmaceutiques.

I.2.2. Les concepts liés aux médicaments et aux brevets

Un médicament est « toute substance ou composition possédant des propriétés curatives ou

préventives à l’égard des maladies humaines ou animales et pouvant leur être administrée, en vue

d’établir un diagnostic médical, restaurer ou corriger leurs fonctions physiologiques ou

immunologiques » (PSF, 2004). Dans ce travail, il sera beaucoup allusion aux médicaments, et plus

Page 44: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

24

globalement aux produits pharmaceutiques, qui sont légèrement différents des premiers. Dans la

littérature relative aux difficultés d’accès aux médicaments, il est souvent fait référence aux

médicaments brevetés, aux médicaments génériques et aux médicaments essentiels. Il est donc

important, pour la clarté dans la lecture, de préciser toutes ces notions.

a. Produits pharmaceutiques

Dans ce travail, le sens qui sera donné au concept « produit pharmaceutique » est celui qui

lui généralement reconnu dans le cadre des accords de l’OMC. Selon ces derniers, l ’expression «

produit pharmaceutique » s’entend de tout produit breveté ou fabriqué au moyen d’un procédé

breveté du secteur pharmaceutique. Il inclut les principes actifs nécessaires à la fabrication des

médicaments et les autres produits sanitaires ainsi que les kits de diagnostic nécessaires à leur

utilisation (OMC, 2003). Ainsi, outre les médicaments, les produits pharmaceutiques englobent aussi

tout ce qui est nécessaire à la prise en charge de personnes souffrant d’une pathologie en vue de les

soigner, y compris le matériel nécessaire pour le diagnostic, le traitement, l’hospitalisation, la

réadaptation, le suivi des malades convalescents, etc. Les termes « médicaments » et « produits

pharmaceutiques » seront donc utilisés invariablement étant donné qu ’ils sont tous d’usage médical.

Cependant, une différenciation devra être observée entre les termes utilisés pour désigner les

médicaments selon qu’ils sont brevetés ou non. On parlera alors de médicaments originaux ou de

médicaments génériques.

b. Médicaments originaux ou princeps

Appelé aussi spécialité, le médicament original ou princeps est celui reconnu comme étant

nouveau et innovant et pour lequel un brevet, toujours valide, a été délivré à son inventeur par les

autorités compétentes d’un pays et qui est fabriqué et commercialisé sous son nom de marque

exclusif qui lui est uniquement réservé par le brevet portant sur son invention (Elliot, & al. 2003 : 2) Si

un brevet n’a pas été demandé ou que la demande faite a été refusée ou encore que la durée

prescrite a expiré, d’autres personnes que l’inventeur peuvent, en toute légalité fabriquer, importer ou

vendre ce médicament sans demander l’autorisation de son inventeur. Ce produit fabriqué par les

autres que le breveté est appelé en termes techniques « un médicament générique ».

Page 45: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

25

c. Médicaments génériques

Un médicament générique est la copie d’un médicament original, fabriqué sous licence

(contractuelle ou obligatoire) ou après l’expiration du brevet qui le protégeait, c’est-à-dire après que

l’invention soit tombée dans le domaine public. En principe, le médicament générique est

commercialisé sous la dénomination scientifique officielle de son principe actif ou alors sous un

nouveau nom approuvé comme marque de la firme qui le fabrique 24. Ce nouveau nom doit être

différent au nom de marque que porte le médicament original. Le nom du médicament générique est

lui aussi protégé par les règles relatives à la protection des marques en faveur de la firme ou de la

personne qui a dénommé ainsi le médicament générique en question (PSF, 2009a).

En principe, un médicament générique est interchangeable avec son médicament original

dont il est la copie, étant donné que les deux médicaments doivent avoir le même principe actif, les

mêmes propriétés et qualités thérapeutiques (Espié, 2012 : 1). Les produits génériques doivent être

conformes aux normes de qualité et de sécurité applicables aux produits brevetés et doivent obtenir,

comme ces derniers, l’autorisation de mise en vente (Gervais, 2010 : 82). Il n’y a donc pas d e liens

entre la propriété intellectuelle et la qualité des médicaments (Guesmi, 2011 : 562-565), même si les

prix des médicaments génériques sont souvent inférieurs à ceux des médicaments princeps. Cet

écart de prix s’explique, non pas par la différence de qualité des médicaments, mais par le fait que le

fabricant des génériques vend ses produits au prix coûtant, incluant seulement les coûts de

production, de distribution et de commercialisation, sans y incorporer les dépenses relatives à la

recherche. Par exemple, les génériques des antirétroviraux des premières générations sont

actuellement vendus à des prix situés entre 80 et 95% moins chers par rapport aux nouveaux

produits brevetés (Vershave, 2004 : 229). Selon cet auteur, on trouve aujourd’hui des tri thérapies

génériques pour 140 dollars américains par an et par patient au lieu de plusieurs dizaines de milliers

de dollars pratiqués dans les pays riches pour les médicaments brevetés et pour les effets

thérapeutiques similaires (Vershave, 2004 : 230).

Il faut noter pour conclure ce point des médicaments génériques qu’il ne faut pas confondre

ces derniers avec les médicaments contrefaits. Les « marchandises contrefaites » sont celles qui

24 En effet, le nom du médicament reste protégé d’une manière illimitée par le droit des marques et ne peut jamais tomber dans le domaine public, à moins que le titulaire de la marque l’abandonne ou ne paie plus les frais relatifs à la protection de sa marque.

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26

sont constituées par des copies frauduleuses des produits d’origine (Fabre, 2009 : 17). Selon l’OMS,

« un médicament contrefait est un médicament qui est délibérément et frauduleusement muni d’une

étiquette n’indiquant pas son identité ou sa véritable source » (OMS, 1992 : 7). La contrefaçon peut

concerner un médicament original ou générique, et parmi les produits contrefaits, il en est qui

contiennent de bons ou de mauvais ingrédients. Il en est d’autres où le principe actif est en quantité

insuffisante, n’en contiennent pas du tout ou dont l’emballage a été falsifié (Elliot, & al. 2003 : 2).

Dans cette nomenclature des médicaments, un autre concept est souvent utilisé en ce qui

concerne les brevets : les médicaments essentiels. En effet, en lisant les certains écrits portant sur

les problèmes d’accès aux médicaments dans les pays en développement, on croirait que les

médicaments essentiels sont ceux dont les brevets sont tombés dans le domaine public, comme si

ce sont tous des génériques. En principe, la signification du concept « médicaments essentiels » n’a

rien à voir avec les brevets : il y a des nuances à faire quant à l’utilisation de ce vocable de

médicaments essentiels.

d. Les médicaments essentiels

Selon l’OMS, « les médicaments essentiels sont ceux qui satisfont les besoins de soins de

santé de la majorité de la population »25 (OMS, 1999). Le critère pour considérer un médicament

comme essentiel est donc l’échelle à laquelle le médicament est sollicité par les patients. La

conséquence de la reconnaissance d’un médicament comme essentiel est que ce dernier doit être

disponible en qualité et en quantité suffisante, ainsi qu’à un prix abordable pour les personnes qui en

ont besoin (Elliot, & al., 2003 : 5).

Pour les médicaments réputés comme essentiels, l’OMS a établi une liste de référence qui

est modulable ou adaptable selon les pays et leurs spécificités ou leurs situations locales (OMS,

2011). En effet, la décision de considérer un médicament comme essentiel demeure une

responsabilité nationale (OMS, 2013). La plupart des médicaments inclus dans beaucoup de listes

nationales sont souvent ceux tombés dans le domaine public. Les nouveaux médicaments brevetés,

donc dispendieux, ne figurent pas sur la plupart de ces listes, les autorités nationales ne disposant

25 Traduction à partir de l’anglais du rapport du Comité d’experts de l’OMS sur les médicaments essentiels, novembre 1999 (cité par Elliot, & al., 2003 : 5).

Page 47: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

27

pas toujours les budgets pour assumer un tel engagement dans le cas de ces médicaments

budgétivores. En effet, vu que la conséquence du classement d’un médicament comme essentiel est

qu’il doit être accessible pour tous, ce qui implique qu’il doit être fourni gratuitement ou remboursé

par la sécurité sociale, les autorités nationales sont réticentes à mettre sur cette liste la plupart des

médicaments brevetés. Ce ne sont donc pas les brevets qui déterminent le caractère essentiel ou

non d’un médicament, mais une décision politique, ce qui fait que dans les pays dé veloppés, il n’est

pas rare de trouver sur leur liste des médicaments encore sous brevets, même si leur nombre est là

aussi limité. Comme on le verra, tous les médicaments essentiels ne peuvent pas faire l’objet des

actions du FIRM, étant donné que la plupart de ces médicaments relèvent déjà du domaine public et

sont généralement bon marché. Cependant, comme l’OMS, le FIRM aura la latitude de déclarer un

médicament comme essentiel, au regard de son potentiel impact sur la santé mondiale et c’est cette

décision qui déclenche la procédure de rachat en vue de le rendre public et libre de droits. Si on peut

admettre qu’il peut y avoir une liste des médicaments essentiels, il ne devrait pas y avoir une autre

pour les maladies négligées. Qu’est-ce qu’une maladie négligée ou rare ?

I.2.3. Les concepts usuels concernant les types de maladies

Il existe une confusion quant aux termes « maladies négligées », « maladies tropicales » et «

maladies rares ». En effet, en effectuant une recherche sur les « maladies négligé es », le mot «

tropicales » s’intercale systématiquement entre ces deux mots, même dans les rapports et

publications de l’OMS (2011 : 1). Or, les maladies négligées ne se trouvent pas seulement sous les

tropiques; elles existent aussi dans les régions polaires. Lorsqu’il sera ultérieurement question des

termes de « maladies négligées ou orphelines », de « maladies tropicales » et de « maladies rares »,

ils devront être compris dans les sens suivants.

a. Les maladies négligées ou orphelines

Les maladies négligées sont celles pour lesquelles les traitements sont inexistants ou

inefficaces. Les termes « négligées » et « orphelines » sont souvent utilisés indifféremment pour

désigner ces maladies pour lesquelles il n’existe pas (ou très peu) des médicaments ou des

recherches pour leur traitement. Elles sont dites négligées parce qu’elles ne sont pas prioritaires pour

les chercheurs, car elles touchent principalement les personnes ou les zones qui sont sans intérêt

Page 48: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

28

économique pour les investisseurs qui ne les prennent pas en compte dans leurs décisions

d’investissement dans les projets de recherche (Jannin et al, 2003 : 220). En effet, ces maladies sont

« orphelines » de traitements, à cause du manque ou d’insuffisance de recherches sur elles, faute

des perspectives de rentabilité commerciale (Medical news, 2011). Selon Moon et consorts (2012 :

1), ce ne sont pas tant les maladies qui sont négligées, mais les populations pauvres des pays du

Sud, en raison de la faiblesse de leurs revenus ou pouvoirs d’achat. La liste des maladies négligées

est longue allant des maladies causées par les parasites comme les vers intestinaux aux infections

virales (comme Ebola, la fièvre jaune) en passant par les infections bactériennes dont la lèpre, le

choléra, etc. (Medical news, 2011).

Bien que certains incluent le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme dans cette catégorie,

ces trois fléaux ne sont pas des maladies négligées. En effet, même s’il n’y a pas encore de

médicaments efficaces contre ce virus, les traitements efficaces contre les deux autres existent et les

financements pour les recherches relatives à ces trois maladies sont disponibles que ce soit dans le

cadre des programmes de l’ONU (notamment dans le cadre de l’UNITAID ou de l’ONUSIDA), des

organisations internationales (Global fund, MSF, etc.) et du secteur privé (Fondation Bill Gates), etc.

En outre, les maladies négligées ne se localisent pas uniquement sous les tropiques ou au Sud et

c’est pour cela qu’il est erroné d’adjoindre l’adjectif « tropicales » quand il s’agit de désigner les

maladies négligées. Si elles sont nombreuses dans les pays du Sud, il existe aussi des maladies

orphelines dans les pays développés du Nord. On y reviendra quand on va évoquer les maladies

rares dans le paragraphe suivant, mais il est important d’apporter d’abord des précisions sur ces

maladies dites tropicales.

b. Les maladies tropicales ou spécifiques aux pays du Sud

Les maladies tropicales sont des infections qui sévissent dans les régions situées entre les

tropiques, c’est-à-dire en Afrique, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine, c’est-à-dire d’une

manière générale, les régions dans lesquelles habitent les populations à faible revenu. On les

appelle des maladies tropicales, puisqu’on les rencontre seulement ou principalement sous les

tropiques et qu’elles sévissent principalement dans les régions ayant des climats chauds et humides

(Altersanté, 2013). Pour les désigner, il est donc fait références à la notion de géographie leur

localisation dépendant du climat chaud puisque leurs agents pathogènes ne peuvent pas survivre

Page 49: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

29

dans les régions froides. Dans la plupart des cas, le risque de propagation au-delà des tropiques est

très faible, voire inexistant (OMS, 2011 : 18). On les assimile souvent aux maladies négligées, mais

comme on l’a expliqué plus haut, cela ne signifie pas que toutes les maladies spécifiques aux ré gions

tropicales sont négligées26. Il existe en effet dans les pays développés une multitude de maladies qui

sont également orphelines de médicaments en raison notamment du fait que les investisseurs n’y

voient pas des perspectives de profits à court ou moyen terme. Les chercheurs ne sont pas stimulés

à s’y intéresser, également pour des raisons de rentabilité, uniquement cette fois à cause de la

petitesse du marché, puisqu’on tient compte ici du petit effectif des patients. Ces maladies négligées

qui affectent un petit nombre de personnes sont appelées « maladies rares ».

c. Les maladies rares

Il n’existe pas actuellement de définition universelle de ce qu’est une maladie rare. On

s’appuie en général sur une faible prévalence pour assigner ou non à une pathologie le statut de

maladie rare. Les maladies rares sont donc celles qui touchent peu de personnes par rapport à la

population générale d’un pays donné (Blanchot, 2013). En effet, le caractère de rareté ou non d’une

maladie est relatif puisque les critères sont déterminés pays par pays, ce qui fait qu’une maladie rare

dans un pays ou dans une région peut être fréquente ailleurs. À titre illustratif, la lèpre est une

maladie rare en Occident, mais fréquente en Afrique.

Le petit nombre d’individus touchés expliquent en partie pourquoi ces maladies sont

délaissées ou ignorées par les laboratoires et les chercheurs. Il existe donc très peu de traitements

curatifs pour ces maladies, même ceux qui existent consistent seulement en des soins palliatifs pour

atténuer la douleur ou prolonger la durée de vie des patients. Néanmoins, si en général les maladies

rares sont aussi négligées, il convient de noter qu’elles ne le sont pas toutes. L’existence ou la

disponibilité des médicaments contre ces maladies dépend aussi de plusieurs autres facteurs,

notamment la facilité avec laquelle le traitement peut être mis au point rapidement ou à moindres

coûts. La liste des maladies considérées comme telles par l’OMS en fonction des critères définis par

26 En dressant la liste des maladies tropicales négligées, certains auteurs y incluent le VIH/SIDA (Delmont, J., Pichard, E., & al. (dir.), 2012 : 16, 19, 580). Cela dénote la confusion qui ex iste entre les maladies qui n’ont pas de médicaments et les maladies tropicales. Ainsi, à part que le SIDA n’est pas une maladie négligée, elle n’est pas non plus une maladie tropicale, car, à moins des preuves contraires, le VIH/SIDA ne prolifère pas selon le climat. Par contre, le paludisme est l’exemple type d’une maladie tropicale puisque son agent pathogène ne peut pas se développé en dehors des régions chaudes situées sous les tropiques.

Page 50: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

30

les pays est longue et il serait ardu de les reprendre toutes dans la présente thèse 27 . On les trouve

dans les pays développés comme ceux en développement, ceux du Nord, comme ceux du Sud, pays

riches, émergents et moins avancés, etc. À quoi fait référence toute cette terminologie au sujet de la

classification des pays ?

I.2.4. Les concepts relatifs au niveau économique des pays

Il est difficile de dégager des définitions simples et uniformes des concepts « pays

développés, pays en développement ou pays émergents ». Les différentes organisations

internationales qui emploient ces termes pour accorder à leurs membres des avantages différenciés

ne retiennent que des critères qui leur sont propres et le nombre des pays classés dans telle ou telle

autre catégorie varie d’une organisation à l’autre et diffère largement, leur nombre pouvant parfois

aller du simple au double, ce qui rend difficile la possibilité de dégager des critères de classificatio n.

Le PNUD considère qu’est développé un pays ayant l’indice de développement humain (IDH)

supérieur ou égal à 0,8; ce qui concerne environ une cinquantaine de pays (PNUD, 2013). À l’OMC,

il n’existe même pas de critères pour déterminer si un pays est « dé veloppé » ou « en

développement ». Ce sont les membres qui font l’« auto -sélection » (OMC, 2013), c’est-à-dire que

chaque pays informe lui-même aux autres qu’il se considère comme pays « développé » ou « en

développement »28. D’autres organismes comme le FMI, la Banque mondiale et l’ISO mettent dans le

même paquet le Brésil, le Cambodge, le Congo et le Burundi (Banque mondiale, 2012). Ainsi,

chaque institution ou organisme donne la définition qui l’arrange dans son champ de compétence.

Dans le cadre de la problématique de l’accès aux médicaments dans les pays en développement, il

est primordial de préciser ces pays qui sont plus concernés par la problématique que les autres. En

effet, pour faire face à ce problème, si le Brésil peut être mis dans le même groupe que l’Inde et la

Thaïlande, il n’éprouve pas les mêmes difficultés que le Niger, le Tchad, le Laos ou encore le Haïti.

27 Pour ceux que cela intéresse d’en savoir plus sur ces maladies rares, il est suggéré de consulter la liste des maladies rares sur le site internet de Health on the net Foundation (2013).

28 L’application volontaire du principe d’autosélection mène à des situations étranges où la Chine, deuxième puissance économique mondiale, se dit être un pays en développement alors que la Namibie, classée au 125ème rang mondial au niveau du PIB en 2012 (Banque mondiale, 2012), s’est « auto sélectionnée » comme étant un pays développé.

Page 51: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

31

a. Les pays développés

On trouve dans les différents manuels une définition assez vague du concept « pays

développés ». D’une manière générale, les pays développés sont ceux dont la majorité de la

population a accès à tous ses besoins vitaux ainsi qu’à un certain niveau de confort matériel. C’est

pour cela que la Banque mondiale classe les pays en fonction du revenu national brut (RNB) par

habitant29. Le PIB a été longtemps le critère de classification, mais ce dernier n’est plus pertinent

pour juger la richesse d’un pays depuis les travaux d’Amartya Sen30 sur le développement humain.

C’est pour cela que d’autres indices, dont l’indice de développement humain (IDH)31, sont aujourd’hui

pris en compte pour évaluer la situation économique d’un pays et le bien-être de ses populations.

Pour ce qui concerne l’objet de cette étude, le classement à base de l’IDH ne permet pas de

déterminer les pays qui sont considérés comme ayant des problèmes liés aux brevets dans la

résolution de leurs problèmes de santé publique. En effet, l’Inde qui a la réputation d’être la «

pharmacie du Sud » occupe la 136ème place dans le classement IDH de 2012, derrière les pays

comme la Guinée équatoriale, le Ghana, le Cap-Vert et beaucoup d’autres qui sont classés dans les

PMA (PNUD, 2013 : 155), qui ont de sérieux problèmes d’approvisionnement en médicaments

brevetés.

Pour distinguer les pays riches des pauvres, on parle souvent des « pays du Nord » pour

désigner les pays développés, par opposition aux « pays du Sud » qui sont considérés comme pays

en développement. Cette distinction géographique est arbitraire et ne renseigne rien sur la réalité de

la richesse économique de ces pays, étant donné que certains pays situés au « Nord »32 sont des

pays émergents ou en développement. Ainsi, définir les performances économiques des pays par un

« géographisme » (Cruse, 2011 : 15) ne permet pas de rendre compte de leur situation é conomique.

C’est en effet oublier que l’Australie et la Nouvelle -Zélande sont citées parmi les pays riches et qu’ils 29 Selon la Banque mondiale (2013), les pays sont classés comme suit : faible revenu : 1035 dollars américains et moins ; revenu moyen inférieur : de 1 036 à 4 085 dollars américains ; revenu moyen supérieur : de 4 086 à 12 615 dollars américains ; et revenu élevé: 12 616 dollars américains et plus (Banque mondiale : 2013).

30 Professeur à l’université de Harvard, cet économiste d’origine indienne a reçu le prix Nobel d’économie en 1998, pour ses travaux sur la théorie de l’économie du bien-être et du développement humain. Amartya Sen est en effet le concepteur de l’indice de développement humain (IDH) qui est un indice composite combinant trois indicateurs (le revenu national, l’espérance de v ie et le taux d’alphabétisation) qui est actuellement la référence dans l’appréciation du bien-être des populations des pays.

31 L’IDH est un indice composite regroupant trois autres indices : l’espérance de v ie, le niveau d’éducation et le niveau du rev enu par habitant en parité de pouvoir d’achat d’un pays (PNUD, 2012).

32 Au nord de quoi ? De l’équateur ? De quel tropique ou de quel parallèle ? On ne pourrait objectivement répondre à cette question, et j’estime que personne n’est capable de le faire.

Page 52: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

32

sont situés au pôle Sud de notre planète. C’est également suggérer que la latitude ou le climat sont

des éléments déterminants dans la situation de richesse ou de pauvreté des Nations, insinuant

presque que les pays situés sous les tropiques ne se développeront jamais. Qu’à cela ne tienne, ces

vocables (pays du Nord/Sud, riches/pauvres) seront parfois utilisés pour question de simplicité et

d’accommodement à l’opinion. Ces vocables sont en effet déjà encrés dans le langage collectif qu’il

est inutile de compliquer la compréhension du lecteur par un langage sophistiqué et pointilleux, qui

n’est pas important dans la compréhension de la problématique d’étude et des solutions proposées.

Dans ce travail, quand il fait mention de pays développés, il faudra entendre les pays qui

disposent des infrastructures industrielles performantes et qui peuvent compter sur leur savoir-faire

dans la production des biens dont leurs populations ont besoin. Pour cela, il faut premièrement

inclure, dans cette liste de pays développés, les pays membres de l’Union européenne. En effet,

l’adhésion à ce groupe exige certaines performances économiques qui les situent à un niveau de

développement comparable et assez élevé. Par ailleurs, la communauté économique que forment

ces pays favorise le libre-échange, ce qui fait que le problème d’accès à un médicament disponible

dans l’un des pays membres ne se pose pas pour les ressortissants d’autres pays, vu les facilités de

circulation des biens et des personnes dans l’espace Schengen, ainsi que les niveaux de revenus qui

sont assez proches au sein de l’Union européenne. Outre les 28 pays membres de l’UE (UE, 2013),

il faut compter aussi, parmi les pays développés, les 12 pays non européens membres de l’OCDE33.

Ils sont réputés avoir un secteur industriel très développé, à tel enseigne qu’ils pourraient se procurer

les médicaments dont ils ont besoin quand ils le veulent, étant donné que les accords de l’OMC les

permettent de le faire si certaines conditions sont remplies. À cette liste des pays identifiés comme

développés ou réputés comme tels dans le cadre de cette étude, il faut ajouter les pays émergents,

tels que définis dans le paragraphe suivant.

b. Les pays émergents

La définition de cette nouvelle catégorie de pays fait référence aux pays dont le PIB par

habitant est inférieur à celui des pays développés, mais qui connaissent une croissance économique

rapide, et dont le niveau de vie ainsi que les structures économiques convergent vers ceux des pays

33 Ces pays non européens membres de l’OCDE sont : Australie, Canada, Chili, Corée du Sud, États-Unis d’Amérique, Islande, Israël, Japon, Mexique, Nouvelle-Zélande, Suisse et Turquie (OCDE, 2013).

Page 53: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

33

développés (Lafargue, 2011 : 101). Parmi ces pays, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique

du Sud) viennent en premier lieu et cela est logique et compréhensible. En effet, outre l’Afrique du

Sud qui a été incluse dans ce club pour des raisons géostratégiques, les quatre autres pays de ce

groupe (BRIC) sont parmi les grandes puissances économiques en termes de PIB (Banque

mondiale, 2013). À ces BRICS s’ajoutent les pays pétroliers du golfe Persique et du Moyen-Orient,

comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït et les Émirats arabes unis, qui sont également

considérés comme les économies émergentes. On y ajoute aussi, suivant les situations, les «

Dragons »34 et les « Tigres »35 asiatiques qui ne sont pas encore membres de l’OCDE ainsi que

quelques pays industriellement avancés de l’Amérique latine (Argentine, Colombie, le Chili et

Venezuela). Ces derniers disposent des ressources suffisantes pour mettre en place ou mener à

bien leurs politiques de santé publique en faveur des personnes à faibles revenus, ce qui n’est pas le

cas pour les pays les moins avancés et la plupart des autres pays en développement.

c. Les pays en développement et les pays les moins avancés

Hormis les pays cités précédemment comme faisant partie du club des pays développés ou

émergents, à des degrés variables certes, le reste des pays sont considérés comme pays en

développement. Ils sont tous touchés d’une façon ou d’une autre par le problème d’accès aux

nouveaux médicaments causé par les brevets pharmaceutiques. Il s’agit en effet des pays dont le

tissu industriel est peu performant et qui ne peuvent donc pas de produire les médicaments

localement. Dans cette catégorie de pays, on y retrouve à la fois les pays les moins avancés et les

pays en voie de développement. Les termes pays en développement, pays en voie de

développement ou pays du Sud seront utilisés invariablement pour évoquer à la fois les PMA et les

autres pays ayant des revenus par habitant faibles ou moyens et qui ne sont donc pas bien classés

dans les rapports internationaux en ce qui concerne les performances économiques.

34 Le concept de « Dragons asiatiques » est le nom qui a été donné aux quatre pays de l’Asie de l’Est qui ont connu une impressionnante croissance économique dans les années 1970-1980. Ces pays sont la Corée du Sud, le Hong Kong, Singapour et Taïwan (Deverge, 1989). Ces pays ou entités sont aujourd’hui considérés des pays développés, bien qu’ils soient parfois classés parmi les pays émergents par certaines institutions.

35 Les « Tigres asiatiques », appelés aussi « nouveaux pays industrialisés », ils forment la deuxième génération de pays à forte croissance en Asie. Leur croissance, inégale certes, est essentiellement fondée sur des industries exportatrices employant une grande masse de main-d’œuvre peu qualifiée. Ces « Tigres asiatiques » sont la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines auxquelles s’ajoute parfois le Vietnam (Landry, 1988).

Page 54: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

34

Les PMA sont faciles à identifier puisqu’ils figurent sur une liste exhaustive instaurée en 1971

par l’ONU et qui regroupe les pays qui ont les indices de développement humain (IDH) les plus

faibles de la planète. Dans sa liste de 2003, le Conseil économique et social de l’ONU a retenu trois

critères pour déterminer la liste des PMA : un revenu par habitant inférieur à 995 dollars américains

sur base d’une estimation moyenne du PIB par habitant pendant trois ans, un indice de

développement humain inférieur à 0,4, vulnérabilité économique basée sur un indice composite

incluant des indicateurs sur l’instabilité, la production, les exportations agricoles et le manque de

diversification de la production (Lafargue, 2011 : 101 ; CNUCED, 2013 : 5). En application de ces

critères, le Rapport 2013 de la CNUCED, mentionne que les PMA totalisent de nos jours 49 pays36.

Outre les PMA37, la Banque mondiale considère comme pays en développement tous ceux qui ont

un revenu annuel par habitant se situant entre 1035 et 12 615 dollars américains 38 (Banque

mondiale, 2013). C’est donc ce dernier revenu qui sera un critère déterminant pour estime r qu’une

personne ayant un revenu inférieur à ce montant ne peut pas se payer les médicaments brevetés

dont il aurait besoin pour se faire soigner. Ainsi tous les pays ayant un revenu annuel par habitant

inférieur à 12 000 dollars américains seront considérés comme pays en développement qui a une

population qui, d’une manière globale, éprouve des difficultés dans l’accès aux médicaments

brevetés.

L’expression « Tiers-monde » a été aussi employée à une époque comme synonyme de

pays en développement, alors que son sens premier était différent39. Entré dans le vocabulaire

36 Ces pays sont Afghanistan, Angola, Bangladesh, Bénin, Bhoutan, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Comores, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Haïti, Îles Salomon, Kiribati, Lesotho, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Népal, Niger, Ouganda, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République démocratique populaire lao, République-Unie de Tanzanie, Rwanda, Samoa, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Tchad, Timor-Leste, Togo, Tuvalu, Vanuatu, Yémen et Zambie (CNUCED, 2013 : 5). Ils étaient 25 lors de l’instauration de la catégorie des PMA en 1971. Trois pays ont quitté le groupe des PMA à la suite de leur croissance économique remarquable. Il s’agit du Botswana en 1994, du Cap-Vert en 2007 et des Maldives en 2011. Le Samoa a aussi de grandes chances de quitter ce groupe dans un avenir très proche (Lafargue, 2011 : 101).

37 Sans pour autant fournir une liste précise des PMA, la Banque mondiale effectue son classement en utilisant le RNB annuel par habitant. Elle estime que les pays qui ont un revenu national brut inférieur à 1035 dollars américains sont des pays à faible revenu (Banque mondiale, 2013) qui sont en fait les PMA.

38 Cette tranche de revenu englobe les pays que la Banque mondiale qualifie de pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et ceux de la tranche supérieure (Banque mondiale 2013).

39 C’est en 1952 qu’Alfred Sauvy a employé pour la première fois cette expression, en référence au tiers état de la France de 1789, pour désigner un ensemble de pays qui, dans le contexte de la guerre froide, n’appartenaient ni au monde occidental développé (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest), ni au bloc communiste (l’ex -URSS et les pays de l’Europe de l’Est) (Bosschère, 1975 : 42). Généralement issue de la décolonisation, la majorité des pays du Tiers-monde est constituée par les pays africains, asiatiques et sud-américains.

Page 55: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

35

courant, le terme « Tiers-monde » s’est banalisé, mais est devenu de plus en plus obsolète et n’est

plus souvent utilisé, probablement à la suite du démantèlement du bloc communiste qui consti tuait le

deuxième monde après de l’Occident. Ainsi, ce concept ne sera pas utilisé dans ce travail pour

désigner ces pays. En conclusion, les critères retenus pour classer un pays dans la catégorie de

pays en développement sont les revenus annuels par habitant limités (en dessous de 12 000 dollars

américains) ainsi que l’existence d’une infrastructure industrielle et technologique qui permet aux

pays de produire localement les médicaments dont ils auraient besoin en cas d’urgence. Les PMA

sont d’office réputés ne pas en avoir et les pays développés et émergents en sont pourvus. Ces

derniers ont d’ailleurs annoncé à l’OMC qu’ils ne vont pas utiliser le mécanisme des licences

obligatoires adopté pour permettre aux membres de faire face à ce problème. Entre ces deux pôles

se trouvent tous ces pays qui, à des degrés divers, ont un niveau économique faible ou un tissu

industriel peu performant, et l’OMC demande à chacun de prouver l’insuffisance ou l’absence d’une

industrie pharmaceutique locale susceptible de lui permettre de faire face à la problématique des

brevets et de l’accès aux médicaments qui va être présentée dans le deuxième chapitre consacré à

la nature du problème posé par les brevets et aux effets de ces derniers sur les prix des

médicaments et sur l’accessibilité de ces derniers dans les pays en développement.

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Page 57: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

Chapitre II : La nature du problème posé par les brevets dans l’accès

aux médicaments dans les pays en développement

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Page 59: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

39

La problématique des brevets et l’accès aux méd icaments dans les pays en développement

s’inscrit dans celle, plus large, de l’accès aux soins et à la bonne santé. Elle est pour cela liée à

d’autres problèmes observés dans le domaine de la santé publique, comme celui de l’accès aux

structures sanitaires, celui de la formation du personnel soignant, celui des structures sociales de

prise en charge de dépenses liées à la santé (assurances maladies et couvertures médicales). Le

système de brevet n’est donc pas le seul obstacle à l’accès à la bonne santé dans les pays du Sud,

mais l’impact des brevets dans ce problème est important, voire déterminant. C’est en effet

l’impossibilité pour les pays dépourvus de capacités à utiliser les licences obligatoires dans leur lutte

contre le VIH/SIDA, qui a été à l’origine de la question du lien entre l’Accord sur les ADPIC et le

problème d’accès aux médicaments dans les pays en développement. L’événement qui a ouvert les

débats est le procès intenté contre l’État sud -africain par les firmes pharmaceutiques pour contester

le Medicines and related substances control amendment Act40 (Ituku, 2007, 385). Même si, à la suite

de la mobilisation internationale des associations et ONG œuvrant dans le domaine de la santé41, les

firmes pharmaceutiques ont fini par retirer leur plainte , ce procès a montré comment l’Accord sur les

ADPIC a modifié la situation qui prévalait avant son entrée en vigueur.

Le problème d’accès aux nouveaux médicaments dans les pays en développement se

manifeste d’abord par l’indisponibilité de ces produits. La recherche étant déterminée en fonction de

la solvabilité et de la rentabilité du marché, elle est par conséquent orientée vers les maladies qui

sont fréquentes dans les pays où il y a plus de revenus, c’est-à-dire là où les malades sont plus

solvables, laissant de côté les recherches sur les maladies qui prévalent dans les pays pauvres. La

recherche et développement de nouveaux médicaments, en grande partie entre les mains du secteur

privé, dépendent donc du marché potentiel du produit et non des besoins de santé des populations.

Au cours des vingt dernières années, pratiquement aucune étude n’a été entreprise pour les

médicaments contre des maladies qui touchent spécifiquement les pays en développement

(Verschave, 2004 : 289), d’où le nom de « maladies négligées ». La question de l’indisponibilité des

médicaments et de la recherche sur ces maladies négligées est très pertinente, mais elle ne sera pas

traitée directement dans le cadre de cette thèse. Cependant, la réponse qui est proposée, qui vise à

40 Le titre complet de cette loi sud-africaine est Medicines and Related Substances Control Act 101 of 1965 after amendment by the Medicines and Related Substances Control Amendment Act (Act 90 of 1997) (South Africa government, 1997).

41 En tête de ce mouvement se trouvaient les ONG comme Médecins sans frontière, Oxfam, ainsi que plusieurs associations des malades et des séropositifs du VIH/SIDA de divers pays du Sud, comme ceux du Nord.

Page 60: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

40

résoudre de façon durable le problème de l’accès des médicaments dans les pays en

développement, est aussi applicable au problème des maladies négligées et, par conséquent, de

l’indisponibilité de leurs médicaments dans ces pays.

La problématique des brevets dans le secteur de la santé, qui fait l’objet de la présente

recherche, se traduit par l’inaccessibilité des nouveaux médicaments, disponibles et accessibles

dans les pays riches, pour les populations des pays du Sud, le prix étant souvent hors de portée par

rapport aux revenus d’une partie importante des populations qui en ont besoin. On constate en effet

que l’écart en termes d’accès aux médicaments est grand entre les populations des pays du Nord et

ceux du Sud. Si les trois quarts de l’humanité vivent dans les pays en développement, ils n’achètent

néanmoins que 8% des produits pharmaceutiques vendus dans le monde (Verschave, 2004 : 226-

283). Comme mentionné précédemment, ce sont les antirétroviraux qui sont l’exemple type de ces

inégalités face à l’accès aux médicaments dans le monde. Près de dix ans après la mise sur le

marché des premiers antirétroviraux, moins de 1% des personnes qui en ont besoin dans les pays en

développement y ont accès, alors que la couverture est quasi totale dans la majorité des pays

développés (Verschave, 2004 : 284). À l’instar de ces antirétroviraux, de nombreux autres nouveaux

traitements essentiels sont aussi inaccessibles en raison de leur prix.

Dans ce chapitre consacré aux problèmes qu’a engendrés la mise en application de l’Accord

sur les ADPIC dans le domaine de la santé publique de certains membres de l’OMC, il est utile de

rappeler les fondements théoriques des brevets dans leur relation avec la santé publique, ceci dans

le but de tracer les limites dans lesquelles s’inscrivent les développements qui vont suivre au long de

ce travail. Par la suite, il s’agira de voir dans quelle mesure le système actuel des brevets a été

exploité par les firmes pharmaceutiques comme stratégie commerciale en vue de garder des parts

de marché et limiter la concurrence. Cela est évidemment loin des objectifs ou du fondement des

brevets, alors même que l’adoption de ces derniers a été faite sans grande conviction de la part des

négociateurs de l’Accord sur les ADPIC, comme le montre la façon d ont l’article 7 dédié aux objectifs

de l’Accord a été rédigé. On verra en effet qu’environ une vingtaine d’années après son entrée en

vigueur en 1995, dans la foulée de l’Accord de Marrakech instituant l’OMC, ces objectifs sont loin

d’être atteints, ni même en cours de réalisation, et que l’application partout et par tous les pays a

engendré des effets non désirés, mais pas vraiment inattendus, vu le scepticisme avec lequel les

Page 61: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

41

pays en développement l’ont approuvé. Pourtant, le brevet reste un outil utile q u’il ne faut pas rejeter,

mais qu’il faut accompagner le système des brevets par des mesures permettant d’atteindre

l’équilibre qui est le fondement de leur existence : encourager la recherche pour le progrès du bien -

être social.

II.1. Analyse du système des brevets par rapport à la santé

Que l’on se réfère à la théorie économique ou que l’on se tourne vers les considérations juridiques

ou politiques, la promotion du bien-être social est au centre des justifications de la mise en place de

la protection des droits de propriété intellectuelle en général et les brevets en particulier (OCDE,

2009 : 20; Verschave, 2004 : 231). En effet, si les brevets sont avant tout des outils ou instruments

juridiques, ils s’appuient sur des fondements socio -économiques et ont pour but ultime la promotion

du bien-être social de la collectivité qui les accorde et en assure la protection.

II.1.1. Les fondements des brevets pharmaceutiques

Le système des brevets se fonde sur l’idée d’un compromis entre l’incitation à l’innovation et sa

divulgation en vue de son utilisation pour l’intérêt public (Lévêques & Ménière, 2003 : 17).

L’instauration du système des brevets est la conséquence de l’une des caractéristiques de la

connaissance : la non-exclusivité. En effet, la connaissance est un bien non exclusif, c’est-à-dire qu’il

est impossible d’interdire quelqu’un de son usage même si celui-ci n’a pas contribué à sa production.

Ainsi, le problème que pose le savoir est celui du manque d’incitation pour les investisseurs privés à

le produire puisqu’il est difficile de faire payer son usage une fois qu’il a été produit (Lévêques &

Ménière, 2003 : 20). Dans son article traitant du bien-être social et l’allocation des ressources pour

l’invention, Arrow (1962 : 6-7) montre que la science est un bien dont la production, de par sa nature,

ne peut être prise en charge de façon optimale par le marché. Pour lui, les seuls mécanismes pour

inciter à la production de la connaissance et la science sont soit le bre vet, soit le financement

public42. Les brevets ont donc avant tout un but incitatif, mais les spéculations de leurs détenteurs les

ont poussés à les utiliser pour des visées pécuniaires.

42 L’approche actuellement priv ilégiée pour encourager la production de la connaissance est le recours au brevet. Mais, le recours au financement public, sous forme de subventions ou d’allègements fiscaux par exemple, est l’autre moyen de promouvoir la recherche.

Page 62: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

42

a. Le caractère incitatif des brevets

En accordant un monopole temporaire à l’inventeur, le brevet est un incitatif pour les

investisseurs privés dans la production de la connaissance et la science. Théoriquement, le brevet

préserve les intérêts de l’inventeur, qui reçoit l’assurance d’un retour sur son capital en lui permettant

de se faire rembourser ce qu’il a investi pour la recherche et en lui procurant une certaine

rémunération pour ses efforts. Ainsi, dans leur conception, les brevets constituent une incitation aux

personnes, morales et privées, à investir dans les activités de recherche; l’inventeur jouissant, grâce

au brevet, d’une exclusivité sur son invention pendant une durée déterminée.

En outre, le brevet, en facilitant la divulgation des inventions qui, sans eux, seraient restées

secrètes, permet à d’autres chercheurs de mettre au point de nouvelles inventions, permettant ainsi

d’éviter la duplication inutile des efforts de recherche en gaspillant le temps et l’énergie à « réinventer

la roue ». Cela permet d’épargner les ressources en permettant aux chercheurs de se concentrer sur

des recherches véritablement nouvelles (OCDE, 2009 : 107). De plus, les brevets, étant des titres,

peuvent faire l’objet de transactions. Ils facilitent ainsi le développement des marchés de

technologies, ce qui améliore l’allocation des ressources au sein de l’économie, e n permettant à

d’autres utilisateurs d’exploiter utilement ces inventions, même s’ils n’en sont pas les auteurs (OCDE,

2009 : 109).

Dans le domaine pharmaceutique, les brevets jouent un rôle important dans la mise au point

des nouveaux médicaments. En effet, deux éléments caractérisant la recherche sur les médicaments

donnent plus de poids aux fondements socio-économiques des brevets dans ce domaine. D’une part,

les coûts des recherches sur médicaments sont très élevés et souvent évalués à plusieurs centaines

millions de dollars américains par projet. Ils sont souvent irrécupérables à cause du taux élevé des

échecs puisque tous les projets de recherche n’aboutissent pas à des médicaments

commercialisables (Kettler & Collins, 2002 : 34). D’autre part, bien q ue le processus de recherche et

développement pour un produit soit long et risqué, dans la plupart des cas, le médicament, une fois

mis au point et commercialisé, est très facile à copier et cela coûte relativement peu cher par rapport

Nous verrons dans la deuxième partie que c’est de ce côté qu’il convient de chercher la solution durable au problème d’accès des médicaments dans les pays du Sud.

Page 63: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

43

au processus de recherche. C’est ce qui explique pourquoi les firmes de génériques mettent sur le

marché, très rapidement dès la fin de la validité des brevets, des médicaments génériques beaucoup

moins chers. Sans la protection offerte par le brevet, les génériques vendus au coût marginal

apparaîtraient sur le marché immédiatement après le lancement du nouveau produit et, dans la

mesure où leurs prix sont basés uniquement sur les coûts de fabrication, sans inclure les charges

liées à la recherche, cela nuirait aux intérêts légitimes de l’inventeur ou du chercheur.

b. Les spéculations sur les brevets et leurs effets sur le bien-être

Les conséquences de cette orientation économique du brevet ont été que les laboratoires

ont concentré leurs activités de recherche en fonction de la rentabilité des produits et des marchés

visés. Par conséquent, les recherches ont été orientées vers les maladies des pays développés. À

peine 1/10ème de la recherche est consacrée à 90% des problèmes de santé dans le monde et sur les

163 médicaments produits entre 1999 et 2004, seuls trois comptaient des molécules innovantes pour

les maladies tropicales (Vershave, 2004 : 229). Les laboratoires font des calculs économiques et

lorsqu’il s’agit de maladies rares ou négligées, les fonds consacrés à ces dernières sont insuffisants,

car, pour eux, les marchés sont étroits, petits ou encore insolvables (Guesmi, 2011 : 278).

Le modèle actuel des brevets est donc en crise, puisqu’il consiste à définir un marché et à

apporter des nouveautés à ce marché. Le cercle vertueux entre les brevets et le progrès social

devient vicieux, sans parler du « coût social » que cela suppose, à savoir de s’occuper, non pas les

maladies, mais des malades qui disposent des capacités financières suffisantes de payer les prix

élevés auxquels les firmes et les laboratoires pharmaceutiques commercialisent leurs nouveaux

médicaments brevetés (Guesmi, 2011 : 414-415). Au sein même des pays industrialisés, comme les

États-Unis, la recherche est orientée vers le marché solvable des malades riches ou assurés et les

individus à faibles revenus (puisqu’ils existent aussi dans ces pays) n’ont pas accès aux

médicaments et aux soins, en raison de revenus insuffisants qui ne leur permettent pas de se les

payer ou de souscrire à une assurance (Guesmi, 2011 : 423). Ainsi, le renforcement des règles de la

propriété intellectuelle par l’Accord sur les ADPIC a eu pour effet d’instaurer le monopole sur le

commerce des médicaments, causant l’augmentation de leurs prix, favorisant une discrimination des

marchés et conduisant à l’exclusion de l’accès aux médicaments pour les personnes à faibles

revenus (Correa, 2010 : 33).

Page 64: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

44

C’est pour cette raison que plusieurs auteurs estiment que la protection des brevets

pharmaceutiques ne contribue pas d’une manière effective au progrès du bien-être social de

l’humanité, mais seulement pour quelques privilégiés (Coriat & Orsi, 2003 : 9). En effet, on va voir,

dans le paragraphe suivant, que les apports des brevets dans le progrès social ne sont pas évidents,

l’Accord sur les ADPIC étant d’ailleurs moins affirmatif à ce sujet.

II.1.2. Les brevets et la promotion du bien-être social

La législation sur la propriété intellectuelle n’a pas uniquement pour but de promouvoir les

droits des titulaires des titres de propriété intel lectuelle. Elle tient aussi compte d’autres impératifs,

notamment le progrès et la promotion du bien-être social. L’article 7 de l’Accord sur les ADPIC fournit

un cadre dans lequel les pays sont susceptibles de se référer pour y arriver. En effet, le rôle des

droits de propriété intellectuelle dans la promotion du bien-être social, y compris la bonne santé

indispensable à l’épanouissement des populations, est stipulé à l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC,

même si l’usage du conditionnel dans ce type de traité n’est pas fréquent et nécessite quelques

observations.

a. Le rôle des brevets dans la promotion du bien-être social

La légitimité du système des brevets repose sur l’hypothèse d’un cercle vertueux entre le

respect des règles de protection de l’innovation, la diffusion des technologies et l’amélioration du

bien-être social de la société. L’article 7 de l’Accord sur les ADPIC détermine les objectifs en

stipulant que la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle « devraient contribuer à

la promotion de l’innovation, au transfert et à la diffusion des technologies, à l’avantage mutuel de

ceux qui les génèrent et de ceux qui utilisent les connaissances techniques ainsi créées d’une

manière propice au bien-être social et économique ». Ainsi, le renforcement de la protection des

droits de propriété intellectuelle est destiné, à travers l’innovation et le transfert de technologie, à

contribuer « au bien-être social et économique », le tout à l’avantage de ceux qui génèrent ces

innovations et ceux qui les utilisent.

Page 65: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

45

Rapportée au secteur pharmaceutique, et par conséquent à la santé, cette disposition vise à

sauvegarder les intérêts aussi bien des inventeurs que des utilisateurs des médicaments que sont

les patients pour qui les produits pharmaceutiques sont essentiels pour leur vie. En principe, les

droits des uns et des autres devraient être préservés si l’on s’en tient à l’énoncé de l’article 7 de

l’Accord sur les ADPIC. Bien protégés, les brevets pharmaceutiques devraient théoriquement

stimuler le progrès de la médecine en encourageant l’innovation, les firmes pharmaceutiques

profitant des retombées de leurs investissements en temps et en argent; les populations et la société

en général bénéficiant de la bonne santé apportée par ce progrès de la médecine. Ainsi, l’équilibre

entre les intérêts des titulaires des brevets pharmaceutiques, de ceux des patients et de ceux de la

société en général est théoriquement préservé. Toutefois, alors que les obligations et les mesures

d’application ont été adoptées et mises en œuvre, les progrès et le bien-être sociaux ne sont pas au

rendez-vous dans les pays en développement. D’ailleurs, les termes de l’Accord à ce sujet sont si

ambigus que l’on se demande si les signataires de ces derniers en étaient conv aincus. Non

seulement l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC promet une contribution, et même cette contribution

est conditionnelle.

b. Une contribution au bien-être social qui est conditionnelle

L’article 7 de l’Accord sur les ADPIC ne prévoit seulement qu’une contribution, ce qui laisse

penser ou supposer qu’il existe d’autres facteurs ou éléments qui doivent entrer en jeu pour atteindre

les objectifs assignés aux droits de propriété intellectuelle. Le problème est que ces autres facteurs

ne sont ni précisés, ni même définis à titre indicatif ou au moins dans leurs caractéristiques

générales, on ne connaît pas non plus dans quelle mesure et dans quelle proportion cette

contribution sera effectuée. Le fait que l’Accord sur les ADPIC ne promet qu’une simple contribution

implique que l’on ne peut pas le remettre en cause d’autant plus qu’il sera toujours possible

d’évoquer d’autres causes, qui sont en dehors de l’Accord lui-même et qui viendraient expliquer la

non-réalisation des objectifs qu’il avait pour but d’atteindre.

En outre, en plus de ne promettre qu’une contribution, celle -ci est incertaine. En effet, le

problème des dispositions contenues dans l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC est qu’il est rédigé au

conditionnel, ce qui limite considérablement l’appréciation de l’engagement des États, en enlevant

toute obligation, les dégageant de leur responsabilité et en rendant la portée juridique de cette

Page 66: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

46

disposition très minime. Il n’est pas fréquent de trouver des traités internationaux avec des

dispositions énoncées au conditionnel. En tout cas, cela ne doit pas se trouver dans un traité au sens

du droit international. En effet, l’usage du conditionnel réduit la possibilité de classer les

engagements pris par les membres de l’OMC dans les catégories class iques des obligations

(obligations de moyens, de résultat et de garantie)43.

La nature programmatrice de l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC indique que c’est une

simple recommandation en ce qui concerne le bien-être socio-économique et le transfert des

technologies. En effet, à bien l’analyser, on remarque que cette disposition ne donne que des

orientations générales et prospectives, énoncées sous forme de programme, exprimant un vœu

formulé à l’endroit des États. Même si cette disposition note la nécess ité pour les États de trouver un

équilibre entre les droits et les obligations qui découlent de l’Accord sur les ADPIC, elle ne donne

aucune indication sur la façon dont les États doivent procéder pour réaliser cet équilibre. Dans

l’ensemble, cette disposition ne contient que des principes généraux non susceptibles de déboucher

sur des obligations juridiques précises et déterminées. Les buts et les objectifs étant exprimés d’une

manière solennelle sous une forme générale, les obligations sont ainsi atténuée s par l’utilisation du

conditionnel qui les rend encore plus vagues. En cela, elles ne se différencient guère des

engagements non contraignants (Carreau, 2010 : 255).

En effet, avec l’usage du conditionnel, il ne s’agit même pas d’une « obligation de moyens »

par laquelle les pays seraient tenus d’agir avec diligence, ce qui est, en droit des contrats, le critère

minimal d’évaluation de l’exécution des obligations convenues44. En deçà de l’obligation de moyens

ou de diligence, on tombe dans le non juridique et cela est surprenant de trouver ce genre de

disposition dans un Accord qui instaure des obligations juridiquement contraignantes et susceptibles

43 En droit des obligations, on distingue entre les obligations « de s’efforcer de faire quelque chose » et les obligations « d’aboutir à quelque chose » (Combacau, 1991: 51). La première concerne les obligations de diligence mises en œuvre par l’État, celles que l’on est en droit de s’attendre de lui, c’est-à-dire le comportement dans l’ordre international d’« un État bien gouverné », équivalant dans l’ordre interne aux standards de comportement de diligence (Combacau, 1991: 53). L’obligation d’aboutir à quelque chose se situe à un niveau supérieur, équivalant à l’obligation de résultat en droit interne, ce qui signifie que les contractants s’engagent à « liv rer la marchandise », sauf s’ils prouvent l’ex istence d’un cas de force majeure. Les obligations internationales des États sont typiquement et essentiellement des obligations de comportement au sens d’obligation de s’efforcer. Plus que d’autres domaines du droit international général, le droit international à finalité économique est caractérisé par la volonté de ses promoteurs de donner à leurs engagements réciproques un caractère souple et évolutif. Plus sans doute que d’autres secteurs du droit international, le droit international économique paraît se situer dans une sorte de négociation permanente au sein de laquelle la fixation d’objectifs programmatoires joue souvent un rôle important.

44 Voir la note de bas de page précédent (n° 43).

Page 67: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

47

d’être sanctionnées dans le cadre du système de règlement des différends de l’OMC. Ce procédé,

approprié pour les déclarations de conférences diplomatiques, présente ce qui est souhaitable, et est

souvent utilisé dans le cadre des engagements de caractère volontaristes ou humanitaires, tels que

les engagements d’aide ou d’assistance aux pays sous-développés. Dans ces domaines, les règles

sont moins rigoureuses, plus malléables et souvent floues (Daillier, 2009 : 1168-1169). Les pays, qui

ne sont pas satisfaits par le fait que les objectifs attendus n’ont pas été atteints, se trouvent

dépourvus d’arguments, puisque le conditionnel exclut toute appréciation des manquements à

l’Accord sur les ADPIC ou du fautif45 (Daillier, 2009 : 1427). C’est ce qui se produit actuellement dans

le secteur de la santé publique où les pays du Sud disposent peu de manœuvres pour protége r la

santé de leurs populations depuis l’adoption de l’Accord sur les ADPIC.

De ce qui précède, il apparaît que, dans le cas des problèmes d’accès aux médicaments, on

ne peut pas invoquer l’article 7 pour remettre en cause le système actuel des brevets en alléguant

que les objectifs fixés n’ont pas été atteints. L’Accord sur les ADPIC ne promet rien, sauf une

contribution aléatoire ou conditionnelle46. Or, la protection des droits de propriété intellectuelle est

renforcée à travers les autres dispositions de l’Accord et sur ce point, celui-ci définit et précise, d’une

manière détaillée, le contenu des obligations contraignantes pour les États. On ne trouve nulle part

les mêmes précisions par rapport au bien-être socio-économique des États membres à travers les

différentes dispositions de l’Accord sur les ADPIC (Ituku, 2007 : 354). L’équilibre des dispositions est

donc rompu dès le départ au sein même de cet Accord. Mais, plus que cela, la vocation du brevet

était de permettre à la société de profiter de l’innovation dont la vocation du brevet est précisément

de la faire circuler. Mais comment la société peut-elle profiter des progrès de la médecine, alors que

le prix s’est rapidement dressé comme une barrière à la diffusion de cette innovation protégée, et

s’est posé comme l’entrave à l’accessibilité des médicaments (Guesmi, 2011 : 431), comme on va le

voir dans la section suivante ?

45 Il suffit de penser pour s’en convaincre de l’objectif fixé en 2000, à New York lors de la Conférence des Nations Unies sur les OMD, de consacrer au moins 0,7% du PIB des pays développés à l’aide au développement des pays du Sud. À ce jour, seuls quelques pays scandinaves (la Norvège, la Suède, le Danemark), les Pays-Bas et le Luxembourg respectent cet engagement (OCDE, 2012 : 204).

46 Certains suggèrent à juste titre que, dans le texte de l’Accord sur les ADPIC, le verbe « devoir » devrait être conjugué au présent plutôt qu’au conditionnel à l’article 7 et se substituer au verbe « pouvoir » au premier paragraphe de l’article 8 (Guesmi, 2011 : 505).

Page 68: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

48

II.2. Les effets des brevets sur l’innovation et l’accès aux médicaments dans les

pays en développement

Les arguments avancés par les pays développés pour justifier l’extension et le renforcement

de la protection des brevets comprenaient l’impact positif qu’ils auraient sur le rythme d’innovation,

ainsi que sur le transfert de technologies et le flux des investissements étrangers vers les pays en

développement. En effet, dans ses prévisions, l’Accord sur les ADPIC avait pour but, par

l’uniformisation universelle de la protection des droits de propriété intellectuelle, d’accroître la

recherche et l’innovation, le transfert des technologies et le bien-être en général. Les pessimistes

font un bilan négatif, montrant même, du moins dans le domaine pharmaceutique, que les

découvertes sont en décroissance depuis l’entrée en vigueur de cet Accord en 1995. En outre, la

protection des brevets était censée promouvoir le transfert des technologies des pays riches vers les

pays en développement. Pourtant, l’Accord porte en lui-même des dispositions qui ne sont pas de

nature à favoriser le flux des investissements du Nord vers le Sud. La seule co nséquence certaine

engendrée par les brevets est la hausse des prix des médicaments brevetés ainsi que l’exclusion de

l’accès de ces derniers aux populations à faible revenu. On va analyser les deux premiers effets

brièvement, avant de s’attarder un peu plus longuement sur les effets des brevets sur les prix des

médicaments.

II.2.1. Les brevets et le déclin de la recherche dans le domaine médical

Bien que le continent africain ne représente que 1,3% du commerce mondial des

médicaments et contribue peu aux bénéfices des compagnies pharmaceutiques, ces dernières

soutiennent que l’atteinte au système des brevets dans les pays africains aurait des conséquences

désastreuses pour la recherche sur les médicaments dans son ensemble (Verschave, 2004 : 234).

En effet, selon ces firmes, l’extension et le renforcement de la protection des brevets ont un impact

positif sur le rythme de la recherche et de l’innovation. Sans doute, la reconnaissance des brevets

pharmaceutiques a augmenté les revenus des entreprises titulaires des brevets en termes de

bénéfices et d’avantages, mais il est peu évident qu’un tel accroissement provienne de

l’augmentation de l’innovation pharmaceutique globale. De même, il serait hasardeux de soutenir que

l’introduction de brevets pharmaceutiques dans les pays en développement a été accompagnée par

l’augmentation de la recherche de la part de ces entreprises qui bénéficient pourtant d’importants flux

Page 69: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

49

de revenus et de profits engendrés par les brevets. D’après Correa, l’innovation dans le domaine

pharmaceutique est plutôt en déclin à la suite de la généralisation de l’utilisation des brevets

introduite par l’Accord sur les ADPIC (Correa, 2011 : 146).

En effet, une étude, réalisée dix ans après l’entrée en vigueur de l’Accord sur les ADPIC à

l’initiative de l’Union européenne, a fait apparaître deux phénomènes contradictoires au cours de la

période étudiée. D’une part, elle mentionne une diminution de l’innovation dans le domaine

pharmaceutique et d’autre part, une augmentation du nombre de demande s de brevet. Cette

contradiction s’explique par le fait que les firmes pharmaceutiques veulent le plus possible tirer profit

de la protection des brevets, ceux-ci étant de plus en plus utilisés dans le cadre d’une stratégie

commerciale pour bloquer les concurrents (Correa, 2011 : 13). Une autre étude de l’Institut national

de santé des États-Unis a montré que, au cours d’une période de 12 ans (1999-2010), seulement

15% des médicaments approuvés représentaient de véritables innovations (Correa, 2011 : 15). Cette

situation de déclin de la recherche sur les médicaments corrobore d’ailleurs les prédictions d’Arrow

(1962 : 14) qui avait conseillé dans les années 60 de ne pas généraliser le système des brevets à

tous les pays. Il est même arrivé à démontrer que le monopole accordé par les brevets nuit à

l’innovation plutôt que de l’encourager. Pour arriver à cette conclusion, il a effectué un classement

des stimulants nécessaires à l’invention en fonction des différents types de marchés, à savoir en

situation de concurrence parfaite ou de monopole. Il a remarqué que la concurrence stimulait

davantage l’invention que le monopole. Selon lui, à mesure que le nombre de concurrents sur un

marché augmente, l’effet stimulant pour réaliser plus de dépenses en recherche est accentué pour

s’adapter au marché et avoir une longueur d’avance sur les autres concurrents afin de garder sa

clientèle et capter de nouvelles parts de marché (Remiche & Cassiers, 2010 : 167). En revanche, si

la firme se trouve en position de monopole, il n’a aucun intérêt à investir dans la recherche pour

mettre à jour sa technologie, puisqu’elle sait d’avance qu’elle gardera ses parts de marché quoiqu’il

arrive. Ainsi, puisque les dépenses de l’entreprise destinées à la recherche sont faibles alors que le s

quasi-rentes attendues sont importantes, les investissements dans les recherches vont diminuer ou

s’interrompre en fonction de la durée du monopole (Scherer, 1972 : 424).

Pour le cas des médicaments, Chin et Grossman (1990 : 93) ont étudié l’état du bie n-être

relativement aux brevets dans le contexte du commerce des médicaments. En supposant qu’il existe

Page 70: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

50

deux entreprises concurrentes, l’une dans le Nord et l’autre dans le Sud, et en tenant compte du fait

que seule l’entreprise du Nord est capable d’allouer des ressources à des projets de R-D destinés à

mettre au point de nouveaux produits, ils ont conclu que l’octroi des brevets n’est viable que dans un

duopole asymétrique et que le Sud n’en tirera profit que s’il dispose d’une importante proportion de la

consommation mondiale (Remiche & Kors, 2007 : 170-171), ce qui n’est pas le cas avec le faible

pouvoir d’achat des pays du Sud. Dans la plupart des pays en développement du bas du classement,

l’accroissement des investissements locaux en R-D n’est pas envisageable dans un proche avenir,

du moment que l’on sait que le coût de recherches d’un seul nouveau médicament est d’environ un

milliard de dollars américains. À moins d’une mise en commun de moyens (on y reviendra) ou des

investissements étrangers en provenance des pays industrialisés, ce n’est pas dans un proche

avenir que les pays du Sud vont se doter d’une entreprise locale susceptible de mobiliser des fonds

nécessaires pour mener jusqu’au bout deux ou trois projets de recherches pharmaceutiques, étant

donné que les firmes du Nord ne sont plus obligées par l’Accord sur les ADPIC de s’implanter dans

les pays du Sud pour pouvoir y commercialiser leurs produits.

II.2.2. Les brevets et le transfert des technologies

Les effets positifs supposés de l’universalisation de la protection des brevets sur les flux des

investissements et le transfert de technologies du Nord au Sud sont également discutables. D’une

part, aucune étude n’est parvenue à établir qu’une protection plus large soit à l’origine de flux

d’investissements directs étrangers (IDE) plus élevés dans les pays du Sud. Dans le secteur

pharmaceutique, les cas du Brésil et de la Turquie montrent exactement le contraire. Dans ces pays,

plusieurs usines de médicaments génériques ont été fermées après l’introduction des brevets

pharmaceutiques (Guesmi, 2011 : 293). Il a d’ailleurs été montré que la production locale de

médicaments dans beaucoup de pays en développement ait été remplacée par l’importation des

produits finis, ce qui implique que, depuis l’introduction du système actuel des brevets, l’importation

des médicaments a remplacé le transfert de technologies et l’octroi de licences aux entreprises

locales de ces pays. Est-ce cela le transfert de technologie que l’Accord sur les ADPIC prévoyait, si

reste pour le domaine précis des médicaments ? L’article 27 de cet Accord établit en effet qu’« un

brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines

technologiques ». Il stipule en outre que « des brevets pourro nt être obtenus et il sera possible de

Page 71: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

51

jouir des droits de brevet sans discrimination quant au […] domaine technologique ». Cette

disposition a apporté deux nouveautés qui ont été déterminantes dans la problématique de l’accès

aux médicaments dans les pays en développement.

La première nouveauté est qu’elle exige d’étendre la protection des brevets à tous les

domaines de technologie y compris celles qui ne faisaient pas l’objet d’une telle protection avant

l’entrée en vigueur de l’Accord47. Ainsi, cette disposition assure la brevetabilité de tous les types

d’inventions, indépendamment du secteur industriel ou du domaine technologique auquel elles

appartiennent. Elle eut un impact direct sur les pays qui maintenaient la non-brevetabilité des

médicaments, mais elle empêcha également que les pays l’ayant adoptée fassent marche arrière en

excluant de la brevetabilité les produits à usage médical. En réalité, cette disposition visait les pays

émergents qui n’offraient pas de protection dans le domaine pharmaceutiq ue, comme l’Inde, le

Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, l’Égypte, etc. (Remiche & Kors, 2007 : 201). Cette nouvelle norme a eu

pour effet de rendre obligatoire la brevetabilité des innovations portant sur les médicaments alors que

ces pays n’y étaient pas tenus au regard des dispositions de la Convention de Paris de 1883.

La deuxième nouveauté de l’Accord sur les ADPIC par rapport aux conventions

préexistantes est l’obligation pour les membres d’accorder une protection par le brevet à la fois aux

produits, aux procédés ou aux méthodes de fabrication de ces derniers (Verschave, 2004 : 230).

Alors que les dispositions en vigueur jusque-là ne concernaient que la protection des procédés48,

l’exigence de la protection du produit lui-même a bouleversé la situation d’approvisionnement en

médicaments dans les pays en développement. Auparavant, la protection ne portait pas sur les

médicaments eux-mêmes en tant que tels, ce qui permettait aux industriels des pays du Sud de

développer leurs propres procédés de fabrication, en utilisant la pratique du « reverse engineering »

pour fabriquer des copies de ces médicaments (Verschave, 2004 : 231). En effet, dans la mesure où,

en matière de synthèse de principes actifs, il existe en général plusieurs voies pour parvenir à une

même molécule (ou à une molécule d’effet thérapeutique équivalent), l’existence des brevets sur les

procédés ne constituait pas d’obstacle et n’avait pas affecté la production des génériques portant sur 47 L’article 65.4 dispose que les pays en développement ont l’obligation d’étendre la protection par des brevets de produits à des domaines de la technologie qui ne pouvaient faire l’objet d’une telle protection sur son territoire à la date d’entrée en v igueur de l’Accord sur les ADPIC, sous réserve d’une dérogation temporaire de cinq ans.

48 Une méthode de production peut en effet être brevetée si elle constitue une voie originale et nouvelle que les voies ex istantes. Elle est peut-être intéressante si elle est par exemple moins coûteuse, plus courte ou moins polluante que celles qui l’ont précédée.

Page 72: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

52

les produits dont les procédés de fabrication étaient encore sous protection (Verschave, 2004 : 231).

Certains auteurs soutiennent même que cette situation d’absence de brevets sur les molécules fut

favorable au développement de l’industrie pharmaceutique dans les pays développés et même dans

les pays émergents qui en ont profité pour se doter des capacités qui leur permettent aujourd’hui de

faire face à leurs problèmes d’approvisionnement en médicaments. En effet, par cette pratique du «

reverse engineering » (Cassier & Corrêa, 2009 : 1), impliquant la recherche des moyens d’atteindre

un produit à partir de sa décomposition et son analyse, les firmes occidentales ont été en mesure

d’accumuler des capacités scientifiques et technologiques tout en alimentant le marché en

médicaments livrés à des coûts compatibles avec les niveaux de revenus des populations (Possas &

Larouzé, 2013 : 78-79). Pour ces auteurs, c’est pendant cette période, celle où les brevets sur les

molécules n’étaient pas autorisés, que l’industrie pharmaceutique a été la plus prospère. On va voir

dans les lignes qui suivent que les défenseurs des brevets réfutent cet argument, notamment ceux

qui soutiennent que la protection des brevets favorise le transfert des technologies.

Le même article 27 de l’Accord sur les ADPIC est ambigu dans ses dispositions contenues

dans son premier paragraphe. Certains ont interprété l’expression « exploité dans le pays » comme

n’impliquant pas « la fabrication dans le pays », mais signifiant la « mise à disposition dans le pays »,

y compris par l’importation (Correa, 2001 : 144). Le transfert de technologie dans le cadre du

commerce international peut en effet se comprendre à deux manières différentes. Une première

forme de transfert des technologies consiste à permettre au pays receveur de bénéficier des

avantages de la technologie (de nouveaux produits, des produits de meilleure qualité et de coût

moindre), sans pour autant acquérir la connaissance permettant de maîtriser et de répliquer cette

technologie. Le bénéfice est alors tangible à court terme, la valeur ajouté e créée par le transfert étant

partagée entre le propriétaire de la technologie et ses clients dans plusieurs pays par le biais des

exportations. La seconde forme de transfert de technologies se superpose à la première. Elle

concerne la connaissance permettant de maîtriser et de répliquer la technologie. Le bénéfice est

alors évalué à plus long terme : l’apprentissage de la technologie transférée renforce les capacités

d’innovation du pays receveur, et donc son potentiel de croissance à long terme, contribuant à rendre

les pays receveurs autonomes et ainsi de les sortir de la situation de dépendance économique

(Remiche & Cassiers, 2010 : 316). Les pays en développement, en adhérant à l’Accord sur les

ADPIC, pensaient que c’était cette dernière qui était visée par l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC.

Page 73: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

53

Or, l’article 28, en mettant fin à l’obligation d’exploiter industriellement l’invention brevetée

dans le pays qui a accordé le brevet, il donne au breveté le droit de se limiter seulement à y importer

et d’y commercialiser le produit breveté fabriqué ailleurs. Cette disposition déroge aux prescriptions

des autres Conventions de la propriété intellectuelle existantes, notamment la Convention de Paris

de 1883. Avec l’adoption de cette disposition, la contrepartie du brevet que pouvaient espérer les

pays du Sud qui est le transfert de technologie devenant donc compromise. L’obligation d’exploitation

industrielle s’est muée en une opportunité d’importation pour le détenteur du brevet, ce qui le

dispense de produire localement son invention. Dès lors que l’Accord sur les ADPIC ne les oblige

plus à exploiter localement leur brevet, les entreprises maintiennent leur production au Nord et se

contentent d’exporter des produits finis au Sud (Guesmi, 2011 : 249). Or, en s’abstenant de produire

localement, le breveté ne contribue plus à la mise en place d’une structure technologique nécessaire

au transfert durable du savoir-faire et des connaissances.

Un tel système n’est pas favorable à l’industrie générique locale, car il facilite le phénomène

de « patent troll » par lequel les industriels déposent des brevets dans l’unique but d’en interdire

l’exploitation sur le territoire ou alors de la monnayer par le biais de la vente des licences. Ceci

aboutit à la perversion du système des brevets qui « n’est plus utilisé pour protéger une exploitation,

mais pour la mise en place de péages » (Guesmi, 2011 : 551). Avec cette pratique, l’objectif

d’encouragement de l’innovation s’est mué en une logique de spéculation ou de stratégie

commerciale parmi tant d’autres. Les droits de propriété intellectuelle servent non pas à réserver le

marché d’une création de l’esprit, mais à occuper un marché (Guesmi, 2011 : 549). Ainsi, les pays en

développement se sont retrouvés privés de progrès techniques, la perversion du système des

brevets ayant fini par produire l’effet inverse de celui pour lequel il avait été initialement conçu

(Guesmi, 2011 : 553). Grosso modo, le seul effet incontestable qu’a eu l’introduction des brevets

pharmaceutiques à la suite des modifications des lois nationales des droits de propriété intellectuelle

dans les pays du Sud est l’augmentation des prix des médicaments (Remiche & Kors, 2007 : 209).

Page 74: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

54

II.2.3. Les relations entre les brevets, les prix et l’accès aux médicament s

Dans les pays en développement, un régime n’accordant pas (ou presque) de protection aux

brevets sur les médicaments était la règle jusqu’au milieu des années 1990. Cette situation était

soutenue par plusieurs études qui ont montré une corrélation entre le niveau de développement d’un

pays et l’étendue de la protection accordée aux brevets dans ce pays (Maskus 2000 : 156; CIPR,

2002 : 35). De même qu’il peut être de l’intérêt des pays les plus développés de doter leurs

entreprises de fortes protections sur les inventions, pour la plupart des pays en développement qui

sont dépourvus de capacité de concevoir de molécules nouvelles, l’intérêt était inverse. Avec la

généralisation de la protection des brevets dans tous les pays par l’Accord sur les ADPIC, ceux du

Sud ont été contraints de réviser leurs législations pour y intégrer les mesures assurant la protection

de toutes les inventions, y compris celles portant sur les médicaments. Désormais, ils n’ont plus le

droit de permettre l’imitation des médicaments brevetés. Les seules sources exclusives

d’approvisionnement en médicaments restent les firmes détentrices des brevets qui vendent leurs

produits au prix fort. Ceux qui n’ont pas les moyens de les payer n’ont plus accès aux traitements

dont ils ont besoin et les contrebandiers en ont profité pour s’adonner à la contrefaçon et au

commerce clandestin des produits pharmaceutiques dans les pays pauvres.

a. L’impact des brevets sur les prix des médicaments

Le système actuel des brevets est confronté à un dilemme. S’ils encouragent théoriquement

les inventions ex ante, ils ont un coût ex post. En donnant l’exclusivité d’exploitation à l’entreprise

innovante, un brevet limite la concurrence et fait monter les prix, au-delà du coût marginal (ou coût

de production). Les monopoles de brevets provoquent des distorsions économiques, de la même

manière que les tarifs douaniers ou quotas. Mais la taille des distorsions est beaucoup plus grande.

Alors que les barrières commerciales augmentent rarement les prix de plus de 10 à 20 pour cent, les

brevets de médicaments augmentent les prix en moyenne de 300 à 400 pour cent au-dessus du prix

du marché concurrentiel (Baker, 2004 : 2).

Certes, le coût de la recherche pharmaceutique est très élevé, mais il n’explique pas les prix

auxquels se vendent les médicaments. C’est plutôt le brevet qui, en offrant aux laboratoires un

monopole temporaire, leur permet de fixer de façon unilatérale les conditions de vente de leurs

Page 75: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

55

produits. Plusieurs auteurs ont repris les thèses de Veblen Thorstein dans son ouvrage « The theory

of the leisure class » (1899) pour expliquer comment les brevets, loin d’être le garant du bien-être

social, sont utilisés par les firmes détentrices comme moyen de limiter leurs concurrents et

d’engranger des profits usuraires (Nitzan, 1998 : 181, Hodgson, 2003 : 474; Macleod & O’Meara,

2007 : 336). Cette tactique se traduit notamment par le contrôle de l’offre du produit, ce qui leur

permet d’augmenter leurs prix.

En effet, lorsqu’ils sont en position de monopole, c’est-à-dire lorsqu’il n’existe aucune autre

alternative ou que les autres traitements sont peu efficaces, le breveté est en position d’exiger des

prix qu’il veut, sans que cela soit nécessairement lié au coût de recherche. Ainsi, le laboratoire

Abbott a exigé en 2003 une augmentation de 400% du prix du Norvir49 (Verschave, 2004 : 227). Le

prix est passé ainsi du jour au lendemain de 54 à 265 dollars américains par mois et par patient : une

augmentation justifiée, selon Abbott, par « la nécessité de refléter de façon plus marquée

l’importance du traitement et le coût des améliorations de sa formulation » (Verschave, 2004 : 227). Il

n’y avait pas en soi d’innovation puisque le médicament existait déjà. Le laboratoire a simplement

observé par hasard cette qualité inhibitrice du médicament plus tard. Cette inflation des prix de ce

médicament s’est retrouvée dans tous les pays, y compris ceux du Sud, perturbant le traitement des

patients ou excluant un grand nombre de ceux qui n’ont pas les capacités financières de faire face à

une telle hausse du prix du traitement.

En outre, les prix des médicaments sont établis, non pas à partir des coûts de recherche, de

développement et de fabrication, mais en fonction de la capacité de paiement du marché des États -

Unis, qui représente 42% du marché mondial des médicaments. Ces prix appliqués aux États -Unis

servent de base pour établir ceux qui sont applicables pour le reste du monde (Krikorian, 2004). Or,

dans les pays du Sud où le revenu par habitant est souvent minime, ce ne sont pas seulement les

individus, mais aussi l’État qui ne peut pas faire face aux dépenses dans le domaine de la santé

publique, par exemple dans le traitement ou la prévention des maladies épidémiques ou endémiques

(Correa, 2010 : 145). En analysant les effets des brevets sur les prix et les pertes des

consommateurs, Subramanian a trouvé que la perte des consommateurs varie entre 160 et 477

49 Le Norv ir est un inhibiteur utilisé en association avec les autres médicaments pour accroître leur efficacité contre le VIH/S IDA (Verschave, 2004 : 227).

Page 76: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

56

millions de dollars américains sur une période de cinq ans, et que la différence des prix pouvait

atteindre 67% en ce qui concerne les médicaments brevetés (Subramanian, 1995 : 261). La

consommation des médicaments a chuté de 12% dans les cinq premières années après l’entrée en

vigueur de l’Accord sur les ADPIC dans les pays du Sud et cette chute pourra même atteindre 41%

dans les années 2030. Par exemple, la mise en application de la protection sur la propriété

intellectuelle sur le médicament en Argentine a engendré une augmentation de 70% des prix et

parallèlement une réduction de 50% de l’accès sur les médicaments qui jusqu’à présent n’étaient pas

dans un système de monopole (Subramanian, 1995 : 264). Il en déduit que si les pays veulent le

même niveau de consommation, les dépenses en médicaments doivent s’accroître substantiellement

jusqu’à atteindre 1400 millions de dollars américains dans certains pays comme la Colombie à

l’horizon 2030 (Subramanian, 1995 : 264, Remiche & Cassiers, 2010 : 176).

En monopolisant l’offre, la propriété intellectuelle contribue à l’augmentation des prix et,

comme on va le voir dans le paragraphe qui suit, accroit l’exclusion des personnes qui n’ont pas les

capacités financières de se les payer dans la plupart des pays en développement, puisque, dans ces

pays, la charge financière des dépenses en médicaments revient aux individus et non aux structures

d’assurance-maladie, comme c’est le cas dans les pays développés.

b. Les brevets et l’accessibilité des nouveaux médicaments

La question de l’accès aux médicaments génériques s’est posée avec la fin de la période de

transition de cinq ans accordée aux pays en développement pour leur mise en conformité avec

l’Accord sur les ADPIC. À l’expiration de ce délai en janvier 2000, il est désormais illégal pour ces

pays de permettre la reproduction des nouveaux médicaments, rendant leur disponibilité sous forme

de génériques problématique. L’exemple des médicaments contre le VIH/SIDA est emblématique.

Alors que la majorité des personnes infectées par ce virus vit dans les pays du Sud,

l’étendue de la protection des brevets sur les antirétroviraux a re ndu impossible l’accès aux

antirétroviraux pour ces malades. Pourtant, avant l’entrée en vigueur de l’Accord sur les ADPIC pour

ces pays, on avait assisté à une forte baisse du prix des médicaments et, dans certains pays, à la

mise en place de programmes d ’accès aux soins à grande échelle; grâce aux médicaments

génériques moins chers. Ainsi en dépit de difficultés rencontrées, la lutte contre le SIDA, avant les

Page 77: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

57

années 2000, avait engrangé de véritables succès. L’année 2000, date limite accordée aux pays en

développement pour incorporer dans leurs législations nationales les dispositions contenues dans

l’Accord sur les ADPIC, marque un tournant, tous les pays étant obligés d’interdire la production des

génériques des médicaments brevetés. La Chine et l’Inde, qui étaient les principaux fournisseurs de

médicaments génériques et avaient contribué à rendre disponibles dans les pays du Sud ces

médicaments à des prix abaissés, ne pouvaient plus jouer le rôle de « pharmacies du Sud ». Ainsi, le

rôle des brevets dans l’échec du traitement et du contrôle du VIH/SIDA dans les pays africains est

non négligeable50. Ainsi, au moment où la demande de nouveaux médicaments s’accroît, le cadre

légal qui est entré en application après 2000 crée des barrières institutionnelles aux médicaments

génériques, alors même que les prix d’offre de ces médicaments par les firmes pharmaceutiques, qui

disposent désormais de monopoles, les vendent à des prix inaccessibles (Remiche & Kors, 2007 :

237-346). Cette situation a provoqué un autre effet inattendu et encore plus grave pour la santé des

populations des pays du Sud : la contrefaçon des médicaments et leur commercialisation en

contrebande.

c. L’autre effet pervers des brevets : la contrefaçon des médicaments

L’augmentation du flux des médicaments contrefaits dans le commerce international est

l’autre conséquence inattendue de la protection internationale des médicaments par les brevets. Elle

dérive également de la hausse des prix des médicaments brevetés et l’incapacité d’une partie de la

population des pays du Sud qui ne peuvent pas se les payer (Guesmi, 2011 : 195-196). Les

contrefacteurs profitent de cette situation pour s’engouffrer dans la brèche en vue de tirer profit

malhonnêtement de ce marché abandonné. Selon les statistiques de l ’OMS, au moins 3% des

médicaments vendus dans le monde seraient falsifiés, ce qui représente des montants énormes

(Cabut, 2011).

50 Le v irus responsable du SIDA évolue et mute fréquemment, ce qui oblige tout à la fois de traiter les patients de façon anticipée pour augmenter les effets positifs du traitement et à leur prescrire des antirétrov iraux de nouvelles générations, ceux qui sont plus récents et qui sont encore sous la protection des brevets (Guesmi, 2011 : 219). Les pays africains se retrouvent cantonnés aux anciennes générations d’ARV caduques, et exclus de traitements adaptés à la mutation du VIH/S IDA (Remiche & Kors, 2007 : 243). En effet, la mutation du v irus entraîne une résistance aux antirétrov iraux, qui est l’une des causes majeures de l’échec thérapeutique. Le passage des antirétrov iraux de première génération et qui étaient abordables (puisqu’ils étaient produits sous forme de génériques), aux médicaments brevetés de deuxième ou troisième génération, augmente considérablement le prix du traitement. Le coût a été multiplié par seize pour les pays pauvres et par quarante-huit pour les pays émergents, tels que le Brésil ou la Thaïlande (Guesmi, 2011 : 237).

Page 78: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

58

Comme ça a été mentionné dans le chapitre introductif sur les concepts, un médicament

contrefait est un médicament qui a été délibérément et frauduleusement étiqueté de façon erronée

quant à son identité ou sa source (OMS, 1992 : 7). Toute personne qui imite l’invention ou le procédé

de fabrication nouveau sans le consentement du titulaire du brevet effectue un acte de contrefaço n

(Corréa, 2009 : 41). Vus ainsi, les médicaments génériques reproduits à partir des médicaments

encore brevetés seraient tous des médicaments contrefaits. Il y a pourtant une différence entre la

contrefaçon de marque et la contrefaçon de brevet. Dans le p remier cas, le contrefacteur entretient la

confusion dans l’esprit du consommateur qui croit que le produit est fabriqué par le laboratoire dont le

nom apparaît sur l’emballage. Dans ce cas, il peut arriver que le médicament soit dépourvu de

principe actif ou qu’il contienne des composants toxiques. Les médicaments contrefaits sont des

produits dont les principes actifs sont authentiques ou non faux, qui ont été mis dans ces produits en

quantité suffisante ou non par rapport à l’original. En revanche, les cas de contrefaçon de brevet

soulèvent un problème qui relève exclusivement de la propriété intellectuelle. Le fabricant n’a pas

respecté les droits qu’un autre avait sur le médicament en l’imitant, mais le médicament générique

qu’il a produit en copiant le produit breveté a les mêmes qualités et les mêmes propriétés que le

produit d’origine. Dans ce cas de copie d’un médicament breveté, la contrefaçon constitue une

violation du brevet ou d’un autre droit de propriété intellectuelle.

Ainsi, ces deux types de reproduction sont bien distincts, même s’ils peuvent avoir certaines

similitudes. Alors que la contrefaçon est en principe et toujours illégale, la production des

médicaments génériques peut être licite du fait qu’elle a été effectuée avec l’accord des autorités

administratives. Par ailleurs, les produits génériques ne peuvent jamais être produits sous la marque

du produit d’origine. Par contre, la contrefaçon affecte indifféremment les produits génériques et les

spécialités, les médicaments fabriqués localement et ceux qui sont importés et, parmi les produits de

contrefaçon, il en est qui contiennent de bons ingrédients ou de mauvais ingrédients (Guesmi, 2011 :

198). Ils peuvent en outre comporter diverses impuretés dont certaines sont sans danger, mais

d’autres toxiques. Leur soustraction au contrôle de qualité les rend dangereux et leur consommation

peut avoir de très graves répercussions sur la santé (Guesmi, 2011 : 194-195). En effet, en raison du

caractère clandestin des médicaments de contrefaçon et, par conséquent, du manque de contrôle

des normes de fabrication, ces médicaments peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé

des consommateurs. En 2008 par exemple, une héparine frelatée fabriquée en Chine a causé au

Page 79: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

59

moins 80 décès aux États-Unis, et plusieurs autres centaines en Chine (Cabut, 2011). Il faut noter

cependant que tous les médicaments non conformes aux normes de qualité ne sont pas

nécessairement issus de la contrefaçon et qu’inversement des médicaments contrefaisants peuvent

s’avérer qualitativement irréprochables.

Après ce tableau un peu sombre sur le rôle et les effets des brevets sur la santé publique

des pays en développement, et même dans les pays développés, on peut se poser la question de

savoir si « le jeu [des brevets] en vaut vraiment la chandelle ».

II.3. La nécessité de la protection des brevets

Les brevets sont-ils importants pour la société ? La réponse à cette question est sans

ambiguïté que les brevets sont nécessaires pour protéger la créativité et les efforts des chercheurs.

Le système des brevets est donc un mal nécessaire. Il faut seulement mettre en place des

mécanismes d’accompagnement pour s’assurer que les brevets servent à poursuivre les objectifs

premiers : le progrès scientifique et la promotion du bien-être social. En effet, si le monopole instauré

par les brevets garantit aux laboratoires des revenus qui servent, au moins en théorie, à alimenter la

recherche, il empêche la majorité de ceux qui ont besoin de ces nouveaux médicaments de les avoir

et de profiter des progrès de la médecine. Ainsi, le principal dilemme est que s’il faut bien s’assurer

de l’amélioration de la recherche et le développement des nouveaux médicaments, il importe

également de s’assurer que les prix élevés qui résultent du monopole des brevets n’excluent pas une

partie des patients et que ces nouveaux médicaments commencent à sauver des vies dès leur

découverte ou leur mise au point. L’idée est de permettre, non pas uniquement la divulgation de

l’invention, mais également son accessibilité. Le droit du public d’avoir accès à l’innovation confère la

légitimité à l’existence du droit du monopole d’exploitation temporaire du breveté (Verschave, 2004 :

288). C’est l’articulation de ces deux droits, celui du propriétaire dans la protection e t celui du public

dans l’accès, qui doit produire l’équilibre de tout le système des brevets, étant donné que son but est

de préserver à la fois les intérêts privés du breveté et l’intérêt général.

Page 80: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

60

II.3.1. Le système des brevets, un mal nécessaire

Le bilan de ces vingt premières années du système généralisé des brevets révèle certaines

dérives qui relèvent davantage de la politique des brevets que du droit des brevets lui -même et qui

entravent l’accès des populations pauvres aux nouveaux médicaments. La double nature du

médicament, produit de santé et objet de brevet, rend complexes les mesures à mettre en place pour

assurer les droits des titulaires des brevets tout en assurant des investissements de nature à servir à

la fois l’intérêt général et les intérêts particuliers (Guesmi, 2011 : 554). La réflexion de Pogge et son

équipe suffit pour exprimer cette complexité des brevets. Pour eux, « although monopolies are much

criticised by economists as being inefficient and by ethicists as interference in the f reedom of people

to produce and exchange, patents are widely accepted as a necessary evil » (Banerjee & al. 2010 :

166).

Les économistes ont une explication plus convaincante pour donner les raisons pour

lesquelles les brevets sont nécessaires dans l’organisation sociale. En effet, North51 et son école des

droits de propriété considèrent que c’est le renforcement et la protection des droits de propriété

intellectuelle qui sont les facteurs principaux de la révolution industrielle. North soutient que «

economic growth is possible since intellectual property rights are well defined and protected » (North,

2007: 19). Pour lui, le processus d’innovation à grande échelle s’est amorcé dès lors que les

individus ont commencé à espérer que leurs découvertes soient financièrement récompensées par le

marché. Ainsi, l’accélération de l’innovation et de la productivité associée à la révolution industrielle

ont été impulsées par la protection des droits de propriétés intellectuelles, en permettant à l’inventeur

de tirer profit de ses efforts et de ses investissements. En effet, North (1981) estime la première

révolution industrielle n’est que la prolongation des modes anciens de la découverte et de production,

principalement dans le domaine de l’agriculture, et les innovations étaient l’œuvre « d’inventeur isolé

et génial, sans grande formation, qui découvre dans son coin un procédé utile » (North, 1981 : 41).

Par contre, la grande nouveauté de la période de la révolution industrielle (1890-1900) est

l’apparition des recherches scientifiques réalisées en équipes ou en laboratoires, au sein des

entreprises ou en liaison avec elles, c’est-à-dire une institutionnalisation de l’innovation. Il en déduit

que le développement industriel en Angleterre est clairement la conséquence d u système de brevets,

51 Douglass North a été colauréat (avec Robert Fogel) du prestigieux prix Nobel d’économie en 1993 pour ses travaux de l’analyse historique de l’économie et le rôle des institutions dans le décollage économique (Nobel prizes foundation, 2014).

Page 81: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

61

puisque c’est, d’après lui, l’introduction et le développement des droits de propriété intellectuelle, en

particulier les brevets, qui encouragent l’innovation à travers la récompense ou la rémunération qu’ils

permettent (Norh, 1981 : 67-69). D’une certaine façon, on peut y voir la confirmation des thèses des

institutionnalistes qui attribuent à la mise en place d’une législation sur les brevets un rôle

fondamental dans la création de conditions favorables à la révolution industrielle, tant en Angleterre

qu’aux États-Unis et dans l’Occident en général (North & Thomas, 1973).

Ainsi, pour cette école des droits de propriété menée par North, il n’existe pas de différence

entre la propriété physique et la propriété intellectuelle. S’il n’y avait pas le droit de propriété, un

agriculteur défricherait sa parcelle, la fertiliserait, sèmerait et quand la récolte est mûre, il assisterait

les autres s’emparer les fruits de ses efforts et, ne disposant ni de titre de propriété sur sa parcelle, ni

sur sa récolte, l’agriculteur n’aurait aucune voie de recours (Lévêques & Ménière, 2003 : 7-23). De la

même façon, le rôle de la propriété s’applique aussi aux créations de l’esprit qui sont des biens

immatériels. En effet, sont immatériels les biens issus de la connaissance : la science, l’information

et les droits intellectuels (Ambrosi, 2012), dont font partie les droits ou biens protégés par les brevets.

En investissant son temps et son argent à faire la recherche, il ne doit pas être dépouillé des frui ts de

ses efforts par d’autres qui n’ont rien entrepris. Vu le caractère spécial52 des innovations qui peuvent

être copiées sans que leurs titulaires en soient dépouillés, les règles traditionnelles du marché qui

régissent les échanges ne peuvent pas s’appliquer. Pour le cas des médicaments, le problème est

en effet de concilier les intérêts antagonistes en présence dans le fonctionnement du système des

brevets pharmaceutiques. A priori étrangère aux notions de commerce et d’échange, la santé s’est

retrouvée sur le marché par le biais des brevets, dont le fonctionnement semble réserver l’usage des

médicaments brevetés à ceux qui ont les moyens d’en payer le prix. Toute la particularité du sujet

52 En examinant les raisons pour lesquelles un système de concurrence parfaite n’atteint pas une allocation de ressource optimale, Arrow (1962) s’attarde sur la présence de l’indiv isibilité, l’impossibilité d’appropriation, et l’ex istence de l’incertitude. Il préconise que l’activ ité inventive possède ces trois éléments. Selon lui, l’ex istence d’incertitude influence de manière décisive l’allocation des ressources : l’information est un bien économique, dans la mesure où celui qui la détient peut obtenir d’importants bénéfices (Remiche & Kors, 2007 : 162). En outre, étant donné qu’une quantité donnée d’information est un bien public (la consommation d’un indiv idu n’empêche pas la consommation des autres indiv idus), les difficultés d’allocation se présentent dans le cas de l’indiv isibilité (Arrow, 1962). En même temps, si l’on tient compte que les coûts d’apprentissage et de transmission de l’information sont très faibles, une allocation optimale demanderait que, une fois produite, l’information soit distribuée de manière illimitée et gratuitement, comme n’importe quel bien libre (Arrow, 1962). Si les conditions susmentionnées sont remplies, un problème se posera en ce qui concerne le stimulant : le détenteur de l’information ne disposerait pas de stimulant pour la vendre (son prix serait nul), mais se trouverait en présence d’une allocation efficace des ressources. Par conséquent, la seule manière pour que l’information soit un bien appropriable et qu’elle soit diffusée dans la société est l’édiction de mesures légales, comme c’est le cas des brevets, qui permettent au détenteur de l’information d’avoir le monopole (Remiche & Kors, 2007 : 163).

Page 82: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

62

réside dans ces relations entre la santé et le marché et la nécessité de trouver l’équilibre entre les

avantages du brevet et les exigences de santé (Guesmi, 2011 : 23).

Par ailleurs, la nécessité de protéger les brevets s’inscrit dans la perspective du respect des

droits de la personne humaine. En effet, l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de

l’homme stipule dans son alinéa que « chacun a le droit à la protection des intérêts moraux et

matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur »

(DUDH, 1948). Ce droit est inaliénable, et ceci est aussi vrai pour les personnes agissant

individuellement ou ceux qui sont organisés en corporation pour unir les moyens dans le but de faire

des recherches. La nécessité d’instaurer les droits de propriété intellectuelle se trouve donc justifiée

par le devoir des pouvoirs publics de protéger la propriété privée.

En principe, les formules et procédés brevetés sont accessibles au public partout et pour

tous. Elles constituent une importante source d’information technologiq ue qui se trouve à la

disposition de tous. Ces informations peuvent en effet être utilisées à leur tour par d’autres pour faire

avancer la recherche. De leur côté, les inventeurs gagnent à utiliser le brevet plutôt que le secret

dans la mesure où il les protège également contre les innovations similaires réalisées

indépendamment (Le Buhan, 2011 : 6). Le brevet a donc pour but de garantir à l’inventeur qu’il ne

sera pas dépouillé de son savoir-faire par des concurrents, sans que ceux-ci aient participé à la mise

au point de ce nouveau produit. La protection réalise ainsi un compromis entre l’incitation à innover

d’une part et la diffusion des résultats obtenus d’autre part.

Les rédacteurs de l’Accord sur les ADPIC n’avaient pas besoin de chercher d’autres ob jectifs

pour convaincre de la nécessité des brevets ou d’autres droits, objectifs qui sont difficilement

réalisables. Le but de ce travail n’est pas de montrer que le modèle actuel des brevets est à

abandonner, mais qu’il est dans l’impasse et qu’il est et reste perfectible. Pour cela, et ceci dans la

suite d’autres auteurs (Verschave, 2004 : 273 ; Guesmi, 2011; Correa, 2011), on va s’attacher à

montrer dans la deuxième partie de cette thèse qu’une autre voie est possible et qu’elle serait non

seulement logique, mais plus efficace dans ses résultats que les autres propositions déjà faites

jusqu’à ce jour. Même pour le modèle actuel, les membres de l’OMC ont conscience qu’il faut

instaurer l’équilibre entre la protection des brevets et la promotion du progrès pour le bien-être social.

Page 83: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

63

II.3.2. L’équilibre entre les brevets et la santé

En général, le brevet est le fruit d’un « contrat social » passé entre la société et l’inventeur :

la société propose aux citoyens de faire des recherches, de mettre au point de nouveaux procédés

ou produits et de les divulguer et, en échange, l’inventeur obtient de la part de la société une

protection et un monopole d’exploitation pendant un temps déterminé. Ce titre qui lui attribue ce

monopole est fait pour l’inciter à partager sa découverte avec la société dans son ensemble et ainsi

faire avancer la science et la technologie au bénéfice de tous. Ainsi, si le brevet vise à protéger les

intérêts de son titulaire, l’intérêt général fait également partie intégrante du brevet (Corre a, 2009 :

10).

Pour cela, les brevets pharmaceutiques doivent être reconnus, mais doivent également être

aménagés pour préserver la vie et la santé des populations. Les titulaires de ces brevets doivent

avoir des droits sur les fruits de leurs efforts et investissements, mais ils doivent également tenir

compte de l’intérêt général dans leurs affaires, en ayant conscience de la particularité du domaine

concerné par leur brevet. En effet, leur monopole exclusif doit les obliger à faire affaire tout en

gardant à l’esprit qu’ils ne peuvent pas abuser de leur position de monopole, en profitant de la

détresse des personnes ayant besoin de leur création (les médicaments). Selon Correa (2009 : 35),

les titulaires des brevets pharmaceutiques sont comparables au capi taine d’un bateau de sauvetage

qui est appelé à venir en aide à une personne se trouvant sur un radeau échoué au milieu de

l’océan. S’il se met à réclamer une somme exorbitante pour son sauvetage, il s’agirait d’un abus pour

profiter de la situation de détresse de la victime. Il n’existe aucune justification d’exiger plus que le

prix décent pour ce service, ce prix dépendant de l’effort que le service a demandé (Correa, 2009 :

35). Les produits pharmaceutiques brevetés doivent être traités de la même manière.

Comment donc concilier la recherche et la santé en établissant l’équilibre entre la protection

des intérêts légitimes des titulaires des brevets pharmaceutiques et l’accès aux médicaments,

également légitime, pour les patients utilisateurs ? Certainement pas en considérant les besoins des

malades comme des exceptions, ou en interprétant les droits des brevetés de façon large et les

exceptions de manière étriquée. La jurisprudence canadienne a même élargi les droits des

utilisateurs des droits de propriété intellectuelle. Dans une décision rendue en 2004, au sujet des

droits d’auteur, la Cour suprême du Canada a refusé de considérer comme une exception le droit

Page 84: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

64

des utilisateurs de se servir des œuvres protégées par les droits d’auteur. Elle a jugé que le « droit

des utilisateurs fait partie intégrante de l’équilibre recherché par le système des droits d’auteur »

(Remiche & Cassiers, 2010 : 156). Les droits du titulaire et ceux de l’utilisateur doivent donc recevoir

l’interprétation juste, sans privilégier l’un au détriment de l’autre . Ainsi, lorsque le brevet porte sur un

médicament, il doit non seulement satisfaire aux exigences économiques, mais également intégrer

des impératifs de santé publique. Énoncés dans des termes généraux de disponibilité et

d’accessibilité, ces impératifs prennent un accent d’urgence lorsqu’il s’agit des médicaments

(Guesmi, 2011 : 22, Remiche & Cassiers, 2010 : 157).

Par ailleurs, contrairement à l’esprit véhiculé par l’Accord sur les ADPIC, Reichman et

Hasenzahl (2003 : 4) notent que « l’intérêt public, assurant un large accès aux inventions brevetées,

doit être considéré comme plus important que l’intérêt particulier des détenteurs de ces brevets ».

Pour eux, « ce n’est pas l’innovation en tant que telle qui participe à la réal isation de l’intérêt général,

mais sa diffusion et sa disponibilité pour le grand public » (Remiche & Kors, 2007 : 228-233). Dans le

domaine de la santé, plus que dans tout autre, le brevet doit viser l’intérêt général à travers la

diffusion et la disponib ilité des médicaments accessibles pour les utilisateurs, au lieu de servir d’arme

de stratégie économique des laboratoires. L’obligation de divulguer l’invention étant l’une des

composantes du régime des brevets, il doit être fait que soit mieux garanti l’accès à l’innovation

portée par le brevet. Il faut que cet accès soit véritablement la contrepartie du monopole

d’exploitation. Le brevet ne doit pas être un outil d’exclusion, mais plutôt un droit d’être rémunéré

pour l’accès qu’il aménage à l’invention e t aux produits issus de celle-ci. Conçu pour que l’innovation

procure un bénéfice collectif, le brevet ne doit assurer une rétribution au breveté que si les tiers y

accèdent véritablement (Guesmi, 2011 : 502). La protection et la diffusion, donc l’accès, c onstituent

les deux faces de la même médaille. L’Accord sur les ADPIC donne l’impression d’avoir pris

seulement en compte « une seule face » du brevet, en assurant une protection à l’inventeur, sans

toutefois tenir compte de l’autre « face », celle de l’intérêt général des pays membres et de leurs

populations, sans distinction de revenus ou de classes53.

53 En effet, le régime actuel des brevets instaure des classes sociales, celle qui est composée des personnes riches et qui ont les capacités de payer les médicaments dont ils ont besoin, quel que soit le prix fixé par les titulaires des brevets et la classe des pauvres qui sont exclus de fait de l’accès aux médicaments en raison de la faiblesse de leur pouvoir d’achat et de la déficience des systèmes sociaux de leur pays.

Page 85: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

65

En effet, les normes élaborées à l’OMC semblent privilégier plus la dimension « propriété

privée » du breveté que l’idée de bien commun ou de l’intérêt général. Ces deux dimensions du

brevet semblent avoir été dissociées et se sont perdues de vue au moment de la négociation de

l’Accord sur les ADPIC, seuls les droits du breveté ont été reconnus avec une portée effective,

laissant de côté les bénéfices pour la société. En effet, les aspects économiques profitables aux

entreprises ont été valorisés, tandis que les devoirs du titulaire de brevets à l’égard de la société se

sont estompés, créant un déséquilibre, au bout du compte, illégitime (Guesmi, 2011 : 285). En

traitant les médicaments comme de simples marchandises, le secteur de la santé comme un marché

et les patients comme de simples consommateurs, l’Accord sur les ADPIC subordonne l’intérêt

général aux intérêts privés, compromettant par ce fait le bien-fondé même du brevet (Guesmi, 2011 :

287-288).

Si le terme « intérêt général » est relativement défini et bien compris sur le plan national, il

n’est pas consacré au niveau mondial et les accords de l’OMC ne s’y réfèrent dans aucun de ses

textes d’une manière expresse54. On peut cependant l’appréhender comme le « bien-être collectif »,

dont on retrouve l’esprit dans les objectifs que les membres se sont fixés dans les différents accords,

à commercer par le préambule de l’Accord instituant l’OMC sur lequel sont fondées les actions de

l’organisation et ses membres. On verra dans la suite cette thèse que cet élément « intérêt général »,

sur le plan international, doit être pris en compte pour envisager une solution durable aux problèmes

posés par les brevets pharmaceutiques. Dans cette perspective, la présente recherche propose la

mise en place d’un fonds mondial pour assurer le bon fonctionnement du système des brevets pour

l’intérêt de tous.

54 L’intérêt général mondial est à définir, circonscrire en lui donnant un contenu. On peut l’appréhender comme étant l’intérêt commun aux Nations et aux peuples. Cette définition pose deux problèmes. Premièrement, il n’ex iste pas encore d’autorité supranationale pour s’occuper de cet intérêt planétaire. Or, l’intérêt général, à l’interne comme à l’international, n’est pas v iable sans la puissance publique pour défendre les biens publics affectés à cet intérêt commun. L’intérêt public mondial requiert donc un serv ice public mondial pour gérer, au profit de toute l’humanité, les biens qui sont affectés à sa réalisation. Il ex iste déjà « les fonctionnaires internationaux », ce qui implique que la fonction publique internationale n’est pas une fiction. Il reste seulement à définir leurs compétences et préciser et renforcer son mandat et son rôle, en y incluant, s’il le faut, ce qui fait défaut à ce jour pour le bien commun de tous. Deuxièmement, les intérêts entre les pays divergent. Que ce soit dans le domaine des brevets ou n’importe quel autre, les intérêts des pays du Nord ne sont pas forcément les mêmes que pour les pays en développement. Si pour les premiers leurs intérêts résident dans le renforcement des droits des brevets pour garder leurs parts de marché, les pays du Sud craignent que le renforcement du droit international de la propriété intellectuelle se fasse à leurs dépens, au moment où ils ont besoin d'accéder et utiliser les connaissances disponibles pour promouvoir leur économie et le bien-être de leurs populations.

Page 86: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

66

Mais avant d’arriver à cette proposition et en guise de conclusion de ce chapitre, l’histoire

des brevets indique qu’à leur origine se sont affrontées deux visions et justifications de leur

existence. La première vision, relevant du droit, défendait l’idée que l’invention est attachée à la

personne de l’inventeur qui, à ce titre, doit bénéficier d’un droit non amendable à bénéficier des fruits

de sa création. La deuxième vision, qualifiée d’utilitariste par certains, invoquait quant à elle les

considérations d’ordre économique. Selon elle, l’inventeur doit être récompensé et encouragé en

raison des contributions qu’il apporte à la société. L’Accord sur les ADPIC reprend cette idée

utilitariste des brevets. Il reconnaît au breveté un monopole d’importation et de commercialisation de

ses produits. Mais en consacrant l’équivalence entre l’exploitation industrielle et l’exploitation

commerciale du brevet, ce qui n’était pas le cas dans les conventions internationales existantes

avant l’entrée en vigueur des accords de l’OMC en 1995, l’Accord sur les ADPIC reconnaît au

breveté le droit exclusif d’exploitation en dehors de toute obligation de production dans le pays qui

délivre le brevet. Cette disposition a eu pour conséquence de priver aux pays en voie de

développement les moyens d’acquérir des savoirs relatifs à la nouvelle technologie brevetée

(Guesmi, 2011 : 286). Malgré leur adhésion à l’Accord sur les ADPIC, ces pays sont préoccupés par

les effets des brevets sur leur accès à la technologie de nature à entraver leur développement. Ainsi,

au lieu d’encourager les innovations et s timuler le transfert des technologies et des investissements,

le système des brevets de l’OMC n’a eu que pour effet d’engendrer l’augmentation des prix de

médicaments à la suite de l’interdiction de produire les génériques des médicaments brevetés,

privant ainsi des soins aux populations aux faibles revenus des pays en développement.

Les analyses précédentes montrent la fragilité de toute généralisation du système des

brevets dans les économies ayant des degrés de développement différents. Elles montrent q ue les

pays en développement n’ont pas bénéficié, en termes de bien-être, du système actuel des brevets,

en particulier dans le secteur de la santé (Remiche & Kors, 2007 : 178-179). Au contraire, les

difficultés de soigner leurs populations se sont posées d’une manière accrue, en grande partie à

cause de l’explosion des prix des médicaments brevetés et, par conséquent, des dépenses de santé.

Pour faire face à ces difficultés, certains ont proposé de recourir aux flexibilités contenues dans

l’Accord sur les ADPIC. On va voir dans le chapitre qui suit que ces flexibilités sont inefficaces ou

inapplicables dans la plupart des pays en développement, surtout dans les moins avancés d’entre

eux.

Page 87: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

Chapitre III : Les flexibilités de l’Accord sur les ADPIC et leurs limites

à résoudre le problème de l’accès aux médicaments brevetés

Page 88: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments
Page 89: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

69

A priori, il existe certains mécanismes contenus dans l’Accord sur les ADPIC qui sont

susceptibles d’aider les pays du Sud à résoudre leurs problèmes de santé publique, y compris celui

d’accès aux médicaments (Correa, 2009 : 28-29). C’est d’ailleurs ce que l’OMS recommande aux

pays en voie de développement, en les invitant à « profiter au maximum des flexibilités offertes par le

texte de l’Accord sur les ADPIC, pour minimiser ses conséquences sur leurs politiques de santé

publique et préserver leurs capacités de surmonter les situations sanitaires critiques » (Verschave,

2004 : 285). Ainsi, les pays, confrontés aux problèmes d’accès aux médicaments pour les

populations à bas revenus, peuvent exploiter les flexibilités contenues dans l’Accord sur les ADPIC.

Ils peuvent pour cela s’appuyer sur les différentes exceptions et les dérogations générales qui sont

applicables, non seulement aux brevets, mais également aux autres domaines régis par les règles de

l’OMC. Ils peuvent aussi utiliser les exceptions qui sont spécifiques aux brevets, qui leur permettent

de déroger à la protection des droits conférés par l’Accord sur les ADPIC aux titulaires des brevets.

Tirer profit des flexibilités de l’Accord implique aussi de ne pas se priver d’utiliser les mécanismes

contenus dans l’Accord, qui ont été prévus pour faire face aux éventuelles difficultés qui

surviendraient pendant l’application de l’Accord (Verschave, 2004 : 241). En effet, cet Accord prévoit

ces mécanismes de recours au cas où les membres seraient confrontés aux situations d’urgence. Il

s’agit des importations parallèles et des licences obligatoires. Cependant, nous verrons que le déficit

économique et technologique et les carences institutionnelles mettent la plupart des pays en

développement dans l’incapacité de tirer avantage de ces flexibilités.

III.1. Les exceptions générales en faveur de la santé publique

Dans cette section, on va passer d’abord en revue les différentes exceptions générales

exploitables et qui sont permises dans le cadre de plusieurs accords de l’OMC. Ce sont en général

des mesures de sauvegarde qui ont été aménagées pour permettre aux membres de faire face à

certaines situations d’urgence. Ensuite, on va aborder les exceptions applicables uniquement aux

brevets, exceptions qui ont été pour la plupart dégagées par la pratique et confirmées par la

jurisprudence en la matière. Ces exceptions sont maintenant reconnues comme étant compatibles

avec les dispositions de l’Accord sur les ADPIC et des principes généraux de l’OMC. Elles rentrent

dans la catégorie d’« exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet [...] compte tenu

des intérêts légitimes des tiers » (Correa, 2009 : 26). Ces exceptions sont celles qui sont liées à la

Page 90: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

70

recherche, les utilisations individuelles ou sur ordonnance ainsi que l’exception pour l’exploitation

anticipée. On terminera cette section par les remarques qui montrent les limites de ces exceptions à

résoudre le problème d’accès aux médicaments dans les pays en développement.

III.1.1. Les différentes exceptions générales opposables aux brevets

Les exceptions générales que les pays peuvent invoquer pour prendre des mesures

favorables à la santé de leurs populations sont de plusieurs ordres. Ils peuvent en premier lieu tirer

profit des délais accordés aux pays du Sud pour la mise en œuvre des obligations prévues par

l’Accord sur les ADPIC en ce qui les concerne. Pour les PMA, ils disposent des marges de

manœuvre assez étendues, mais on verra que cela n’implique pas grand -chose dans les faits.

Ensuite, des exceptions ont été expressément prévues en cas de problèmes de santé, que ce soit

dans le cadre de l’Accord sur le commerce des marchandises (article XX du GATT) ou de l’Accord

sur les ADPIC lui-même. En effet, l’article 8.2 de cet Accord autorise l’adoption de mesures

nécessaires pour protéger la santé publique et l’article XX (b) du GATT de 1994 autorise les parties

contractantes à appliquer des mesures nécessaires à la protection de la santé publique, même si

celles-ci vont à l’encontre de leurs obligations générales. Ces deux exceptions générales seront

traitées successivement dans les points suivants; et les difficultés qui rendent chacune de ces

exceptions inefficaces seront évoquées pour chacune d’elles.

a. Les dérogations permises aux pays en développement et aux PMA

Il s’agit de l’extension de l’une des exceptions aux principes généraux de l’OMC, le «

traitement spécial et différencié » en faveur des pays en développement et les pays les moins

avancés, pour ce qui concerne l’Accord sur les ADPIC. En principe, le régime de cet Accord s’impose

à tous les États membres de l’OMC. Toutefois, cet Accord prévoit différentes périodes de transition

pendant lesquelles les membres peuvent reporter l’application des dispositions de l’Accord, compte

tenu de leur niveau de développement économique. Les pays en développement avaient jusqu’en

2000 pour se conformer à l’Accord, soit une période de 5 ans à partir de l’entrée en vigueur de

l’Accord (article 65 de l’Accord sur les ADPIC). Les pays qui n’offraient pas la protection conférée par

les brevets de produit dans certains domaines de technologie, tels que l’Inde, l’Égypte et le Brésil,

disposaient de cinq ans supplémentaires pour appliquer l’Accord dans ces domaines (ONU, 2009 :

Page 91: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

71

12). Les PMA ont bénéficié d’un délai supplémentaire de dix ans pour sa mise en œuvre (article 66

de l’Accord sur les ADPIC). Cette période transitoire, qui a expiré en décembre 2005, s’est révélée

insuffisante pour s’adapter au nouveau régime prévu par cet Accord, surtout en ce qui concerne les

médicaments.

C’est pour cela que, lors de la Conférence de Doha de 2001, il a été convenu que les

membres les moins avancés ne seront pas obligés, en ce qui concerne les produits

pharmaceutiques, de mettre en œuvre ou d’appliquer la section 5 de la deuxième partie de l’Accord

sur les ADPIC qui porte sur les brevets, ni de faire respecter les droits que prévoit cette se ction,

jusqu’au 1er janvier 202155. Par ailleurs, les membres ont convenu que, même après cette date, et

sans préjudice d’extensions ultérieures envisageables, chaque PMA membre pourra demander à titre

individuel d’autres prorogations pour ce qui est des médicaments et cela d’une manière

indéterminée. Ces dérogations se traduisent dans les faits par une exemption d’accorder les brevets

ou leur protection en ce qui concerne les inventions portant sur les produits pharmaceutiques

(Carreau, 2010 : 358; Correa, 2009 : 82).

L’exemple de l’Inde montre que le fait d’exploiter pleinement les périodes de transition

permet d’élargir l’accès aux médicaments en favorisant le développement de l’industrie

pharmaceutique nationale spécialisée dans la fabrication de médicaments génériques. En effet,

l’Inde, alors qu’elle importait dans les années 70 la plupart de ses médicaments à des prix élevés, est

devenue le fournisseur de médicaments génériques à des prix abordables aux autres pays en

développement (ONU, 2009 : 13). Si des pays en développement, comme l’Inde, ont su se prévaloir

de la période de transition pour n’accorder la protection des brevets de produit qu’en 2005, à

l’expiration de la période de transition, d’autres ont adopté une protection des médicaments par les

brevets de produit avant le délai qui leur était imparti. Or, alors même qu’ils ne peuvent pas se

comparer à l’Inde, fût-elle des années 1970, plusieurs PMA se sont conformés à l’Accord sur les

ADPIC avant l’échéance de la période de transition. Ainsi, presque tous les pays africains membres

avaient déjà aligné leur législation sur les dispositions de l’Accord sur les ADPIC en 2002, alors qu’ils

55 La période de transition a été rallongée à plusieurs reprises, la dernière en date étant celle de juin 2013 qui repousse la protection des brevets pharmaceutiques en 2021, sans préjudice d’autres dérogations (OMC, 2013). Les pays les moins avancés membres pourront en effet demander d’autres prorogations des périodes de transition aussi longtemps que leur situation l’ex igera, comme cela est prévu à l’article 66 : 1 de l’Accord sur les ADPIC (Déclaration de Doha, §7).

Page 92: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

72

n’y sont pas tenus, au moins jusqu’en 2021 en ce qui concerne les médicaments et les produits

pharmaceutiques (OMC, 2013).

Il est vrai que, dans la plupart des PMA, les dispositions de l’Accord sur les ADPIC ne sont

pas encore entrées en vigueur en ce qui concerne les médicaments. Cette dérogation accordée aux

PMA n’est d’ailleurs pas remise en cause par les laboratoires pharmaceutiques, car ils ne craignent

pas de concurrence de leur part, dans la mesure où ils n’ont pas les moyens technologiques de

reproduire leurs médicaments. C’est pour cela que, dans ces pays, les problèmes d’accès aux

médicaments sont apparus et se sont amplifiés malgré l’existence de cette dérogation. Et pour

cause, les PMA, comme pour un grand nombre de pays en développement, n’ont pas les

infrastructures pour produire localement les médicaments dont ils ont besoin. Leur niveau

économique est d’ailleurs si faible que ni les malades, ni les gouvernements ne peuvent prendre en

charge le coût des médicaments, même génériques. Les pays émergents qui en étaient capables,

eux devaient assurer la protection des brevets et, en cas de nécessité, produire pour eux -mêmes,

comme on le verra dans la troisième section de ce chapitre. Les PMA pouvaient-ils faire recours à

l’article XX du GATT 1994 pour régler le problème d’accès aux médicaments ?

b. L’article XX (d) du GATT 1994 : Exceptions générales pour les mesures nécessaires pour prése rver la

santé publique.

L’article XX (d) du GATT 1994, figurant sous l’intitulé « exceptions générales », établit un

principe général d’exemption des obligations découlant des accords de l’OMC, en permettant aux

États membres d’établir des exceptions nécessaires pour assurer le respect des lois et règlements

qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions du GATT, par exemple les lois et règlements qui

ont trait à la protection des brevets, marques de fabrique et droits d’auteur (article XX d du GATT

1994). En effet, « sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit

un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent,

soit une restriction déguisée au commerce international, rien […] ne sera interprété comme

empêchant l’adoption ou l’application par toute partie contractante des mesures […] nécessaires à la

protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux »

(article XX b du GATT 1994).

Page 93: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

73

Cette disposition peut être interprétée comme permettant aux États une double façon d’agir :

elle peut servir de base légale pour refuser la brevetabilité ou de déroger aux obligations liées aux

brevets. Dans le premier cas, peut être exclue de la brevetabilité (c’est-à-dire qu’un enregistrement

pourra être refusé), une invention en lien avec l’ordre public entendu au sens large (la protection de

la santé et de la vie humaine y comprise). Les produits pharmaceutiques peuvent donc être exclus

de la brevetabilité, si le pays prouve que cela est susceptible d’engendrer des perturbations de

l’ordre public visé par l’article XX du GATT 1994 (Carreau, 2010 : 364). Sans pour autant être

dénoué de tout intérêt, le refus de breveter les inventions portant sur les médicaments ne règlerait

pas le problème de l’accès aux médicaments. Il serait également difficile de démontrer que l’octroi

d’un brevet sur les médicaments constitue une menace à l’ordre public, à moins que ledit

médicament contienne des substances nocives ou dangereuses pour la santé, ce qui n’est pas le

problème sous analyse dans le cadre de la présente étude.

Plus intéressante est l’autre interprétation de cet article XX du GATT 1994, car sa portée est

importante. Elle permet, vu son caractè re d’exception, aux membres d’équilibrer les droits et les

obligations des titulaires de droits de propriété intellectuelle. Ainsi, chaque membre peut se fonder

sur l’article XX (d) du GATT pour prévoir des limites et des exceptions aux droits des brevets

(Remiche & Kors & Cassiers, 2010 : 79-80). La régularité de cette « exception générale » aux

principes généraux de l’OMC en ce qui concerne les brevets a été invoquée dans deux litiges soumis

aux groupes spéciaux du GATT 1994 et la jurisprudence constante a confirmé que la protection des

brevets est aussi un domaine dans lequel les parties contractantes peuvent prendre des mesures

dérogatoires en vertu de l’article XX du GATT 1994, mesures qui, autrement, ne seraient pas

conformes à leurs obligations et engagements dans le cadre de l’OMC (Gervais, 2010 : 20-21).

Malgré la licéité de ces exceptions, de même que celles prévues par l’article 8 de l’Accord sur les

ADPIC, elles n’ont pas aidé les pays en développement dans la mise en place des dispositions

favorables à la santé publique ou ne les ont pas utilisés, en raison, comme on le verra plus loin, des

pressions économiques exercées par les pays industrialisés sur les pays qui avaient les capacités de

les exploiter.

Page 94: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

74

c. Les exceptions de l’article 8 de l’Accord sur les ADPIC.

L’Accord sur les ADPIC ne prévoit pas d’exceptions spécifiques en matière de protection de

la santé publique des États membres. Il n’évoque celle-ci que dans ses dispositions générales et de

façon indirecte. En effet, l’article 8 stipule que « les membres pourront, lorsqu’ils élaboreront ou

modifieront leurs lois et réglementations, adopter les mesures nécessaires pour protéger la santé

publique et […] pour promouvoir l’intérêt public dans des secteurs d’une importance vitale pour leur

développement socioéconomique et technologique, à condition que ces mesures soient compatibles

avec les dispositions de l’Accord sur les ADPIC ». Il reconnaît ainsi explicitement le droit des

membres d’adopter des mesures nécessaires pour protéger la santé des personnes et des animaux.

Cette disposition autorise en fait les mesures pour lutter contre une épidémie ou toute autre menace

sanitaire, pour autant que lesdites mesures soient réellement nécessaires et limitées à la lutte contre

cette épidémie (Correa, 2010 : 12). Parmi ces mesures susceptibles d’être prises en vertu de cette

disposition figure par exemple l’autorisation des importations parallèles ou l’octroi des licences

obligatoire notamment pour l’utilisation publique à des fins non commerciales (Remiche & Kors, 2007

: 188-191). On y reviendra ultérieurement.

Ces mesures que prévoit l’Accord sur les ADPIC pour aménager la protection de la santé se

sont avérées difficilement applicables et ont été par conséquent peu utilisées. En effet, ces mesures

ont été adoptées dans le cadre des négociations du cycle d’Uruguay et dans un contexte assez

particulier pour ce qui est de l’Accord sur les ADPIC. Dans la plupart des cas, les dispositions

relatives aux droits de propriété intellectuelle ont été adoptées dans le but de répondre plus aux

demandes des firmes pharmaceutiques, sans qu’on tienne compte des problèmes des pays en

développement. Les firmes pharmaceutiques ont joué un rôle prépondérant dans son élaboration et

ont exercé de fortes pressions sur leurs gouvernements pour qu’ils le fassent adopter au sein de

l’OMC qui dispose d’un mécanisme de contrainte, l’Organe de règlement des différends (ORD), qui

n’existe pas dans d’autres institutions ou conventions qui traitent des droits de propriété intelle ctuelle.

De même, nombreux pays en développement (le Brésil, l’Argentine, la Thaïlande, l’Indonésie, etc.)

furent l’objet de pressions ou de représailles commerciales de la part des pays du Nord, leurs

gouvernements subissant à leur tour les demandes pressantes des lobbies de médicaments

(Remiche & Cassiers, 2010 : 180).

Page 95: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

75

Cependant, les dispositions de l’Accord sur les ADPIC constituent la base sur laquelle des

compromis entre les éléments contradictoires au système des brevets sur les médicaments peuvent

être établis. En effet, si d’une part ses dispositions réaffirment le rôle des brevets comme incitatifs

pour la production de nouveaux médicaments, elles soutiennent qu’en aucun cas la protection des

brevets ne peut être invoquée pour bloquer ou limiter l’accès aux médicaments et aux soins

(Remiche & Cassiers, 2010 : 234). Quels sont les intérêts légitimes du titulaire du brevet qui

pourraient résister aux intérêts légitimes des populations quand ceux-ci sont menacés de mort par

une épidémie ou par une grave maladie ? D’ailleurs, l’Accord sur les ADPIC prévoit des exceptions

spécifiques pour permettre de aux pays de faire face aux difficultés découlant de la protection des

brevets dans sa mise en application.

III.1.2. Les exceptions spécifiques aux brevets de l’Accord sur les ADPIC

L’Accord sur les ADPIC prévoit des exceptions aux droits exclusifs conférés par les brevets,

exceptions dont le contenu et la portée sont très variables. Ces exceptions, si elles étaient

appliquées correctement, représenteraient un apport intéressant dans les résolutions des problèmes

rencontrés par les pays en développement dans le secteur de la santé. En effet, l’article 30 de

l’Accord sur les ADPIC renvoie, sans les énumérer, à ce genre d’exceptions aux droits conférés par

les brevets aux inventions, que certains auteurs présentent comme possibles solutions au problème

d’accès aux médicaments posé par les brevets dans les pays en développement. Ainsi, selon cette

disposition, « les membres pourront prévoir des exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par

un brevet, à condition que celles-ci ne portent pas atteinte de manière injustifiée à l’exploitation

normale du brevet, ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet,

compte tenu des intérêts légitimes des tiers » (article 30 de l’Accord sur les ADPIC).

Cette disposition traite la question des exceptions aux brevets en des termes généraux et

laisse aux membres la liberté de définir la nature et l’étendue de ces exceptions aux droits d es

titulaires des brevets. L’article 30 détermine seulement les conditions que ces exceptions doivent

remplir : elles doivent être limitées, ne pas porter atteinte de manière injustifiée à l’exploitation

normale du brevet et ne pas causer de préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet

et tenir compte des intérêts légitimes des tiers. Ainsi, les exceptions ou exclusions prévues à l’article

Page 96: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

76

30 de l’Accord sur les ADPIC sont des exceptions ou des exclusions du droit des brevets qui sont, en

vertu de la pratique internationale, acceptables et légales.

En outre, les dispositions de l’article 30 couvrent un vaste champ d’application et peuvent

s’appliquer à des situations contradictoires (ne pas porter atteinte ou causer des préjudices aux

intérêts légitimes du titulaire du brevet et tenir compte des intérêts légitimes des tiers). Devant la

généralité de cette disposition, c’est la pratique et la jurisprudence internationales qui ont recensé les

situations et les différents types d’exceptions qui peuvent être prévues dans le cadre de l’article 30.

Ces exceptions ont émergé d’une part des litiges dans le cadre des cas présentés devant les

instances de règlement des différends de l’OMC56 et, d’autre part, des décisions prises par les pays

et qui ont été approuvées par la communauté internationale comme étant légitimes et non contraires

aux normes internationales. C’est ainsi que certains pays se sont fondés sur les dispositions de

l’article 30 pour faire progresser la science et la technologie, en autorisant les chercheurs à se servir

des inventions brevetées. Par ailleurs, un médecin peut obtenir la fabrication d’un médicament sur

ordonnance pour l’utilisation individuelle de son patient. En outre, les exceptions visées par l’article

30 peuvent être le résultat de l’apparition d’une nouvelle pratique des États résultant de l’adoption

généralisée de certaines règles par un grand nombre de pays membres, y compris les pays en

développement. Une telle pratique a débuté aux États-Unis par l’exception qui, devenue « l’exception

Bolar », a été par la suite reconnue comme ne constituant pas une violation de l’Accord sur les

ADPIC. Toutes ces exceptions découlant de l’article 30 de l’Accord sur les ADPIC (exception pour la

recherche, exception sur ordonnance et exception Bolar) vont être analysées successivement dans

les paragraphes suivants.

a. Exception pour la recherche ou utilisation expérimentale

Un des objectifs fondamentaux de la législation en matière de brevets est de promouvoir la

connaissance scientifique et technologique. Or, les brevets interdisent en principe toute utilisation

des innovations brevetées sans l’autorisation du titulaire du brevet. L’objectif de promotion de la

science ne pourrait être atteint si les innovations ne sont pas utilisées par les chercheurs pour

comprendre les progrès qu’elles apportent, mais aussi pour servir de base ou de référence à de

56 Nous rev iendrons plus en bas sur l’affaire « Canada-Union européenne : brevets pour produits pharmaceutiques (WT/DS114) » dans le paragraphe concernant l’exception pour exploitation anticipée du brevet ou exception Bolar.

Page 97: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

77

nouvelles recherches. Pour certains, l’exception pour usage expérimental appartient à la catégorie

des exceptions autorisées au titre de l’article 30 de l’Accord sur les ADPIC. L’exception pour usage

expérimental permet ainsi le progrès technologique fondé sur l’invention protégée ou sur

l’amélioration de cette invention. Elle permet aussi de procéder à l’évaluation de l’invention ou p our

tout autre motif légitime, par exemple pour vérifier si le brevet est valide.

En vertu de cette exception, on peut donc utiliser l’invention pour progresser dans les

recherches en vue de l’améliorer ou chercher d’autres prolongements de l’invention. S i cette

exception pour expérimentation est appliquée de manière assez restreinte aux États -Unis, les autres

pays industrialisés (notamment européens) autorisent explicitement à expérimenter une invention à

des fins scientifiques sans l’autorisation du titulaire du brevet. Cela est légitime et licite, du moment

que cela ne porte pas préjudice aux droits du détenteur du brevet. Ce n’est en effet pas à des fins

commerciales que le brevet est utilisé dans ce cas précis. Dans tous les cas, le brevet ne peut pas

être invoqué pour empêcher l’utilisation de l’invention portant sur les médicaments « à des fins

d’expérimentation », c’est-à-dire par exemple par des centres de recherche universitaires, publics ou

privés, qu’il s’agisse de l’utilisation de l’invention pour la recherche ou pour l’enseignement; ni même

par d’autres laboratoires qui l’utilisent pour mener des expériences sur cette invention pour la tester

ou l’améliorer.

Il faut noter toutefois que si cette exception a des implications assez intéressantes e n

théorie, elle constitue en réalité une redondance en soi et n’a pas de portée juridique majeure. En

effet, le système des brevets a initialement pour but de divulguer l’invention pour permettre le progrès

de la science et de la recherche en contrepartie de la protection qu’il instaure. La communauté

scientifique, ayant un accès libre à l’invention, est par ce fait invitée à l’utiliser dans ses travaux pour

faire de nouvelles découvertes. Ce n’est donc pas une exception aux droits des brevets, cela fait

partie de la raison d’être même du brevet lui-même. Il n’était donc pas nécessaire d’établir en soi une

exception aux droits exclusifs conférés par le brevet aux fins de la recherche et de l’expérimentation

pour permettre ou légitimer l’utilisation de l’invention sans verser de compensation au titulaire du

brevet. Par ailleurs, l’usage du brevet, dans un but expérimental ou de recherche, n’est pas de nature

à résoudre le problème causé par les brevets dans l’accès aux médicaments dans les pays en

développement, puisque son but n’est pas de mettre sur le marché ou de distribuer les produits

Page 98: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

78

pharmaceutiques issus de ces expérimentations. Cette exception, si c’est réellement une exception,

ne constitue pas, en l’état, une solution pour permettre l’accessibilité d es médicaments dans les pays

ne disposant pas les moyens de les acquérir aux prix du marché des pays du Nord.

b. L’exception du brevet sur ordonnance ou pour usage individuel

La deuxième exception aux droits des brevets est l’utilisation de l’invention b revetée sur

ordonnance. La protection de la santé, considérée comme une exception aux droits conférés par le

brevet par l’article 8, relève directement de l’ordre public, lorsque la vie d’une personne est menacée.

La clause de l’exception sur ordonnance est entendue comme étant le prolongement de l’obligation

morale, et qui peut même être pénalement répréhensible, de porter assistance à des personnes en

danger. Ainsi, un médecin peut commander un médicament breveté pour soigner son patient, sans

que le titulaire du brevet accorde une autorisation spécifique ou exige une compensation financière

de la part du malade ou du médecin prescripteur. Cela est conforme aux dispositions de l’Accord, car

la préparation de médicaments sur prescriptions médicales individuelles rentre dans la catégorie des

actes privés et à l’échelle non commerciale ou à des fins non commerciales prévues à l’article 30 de

l’Accord sur les ADPIC.

En vertu de cette exception, les titulaires des brevets doivent renoncer à la revendication de

leurs droits et mettre à la disposition des soignants les innovations pharmaceutiques pour porter

assistance aux personnes en danger, s’ils sont dans l’incapacité de l’obtenir autrement. Cependant,

cela ne peut pas aider à soigner toutes les personnes qui ont besoin de ces médicaments dans les

pays en développement. L’exception de l’utilisation du brevet sur ordonnance est difficilement

utilisable à l’échelle des pays, car il n’est pas réaliste de demander à un laboratoire ou firme

pharmaceutique de monter une structure industrielle pour produire quelques doses et la mettre en

veilleuse par la suite, pour attendre d’autres hypothétiques ordonnances individuelles à venir. Par

ailleurs, si les commandes des ordonnances devenaient importantes, la production des médicaments

commandés deviendrait industrielle et dépasserait le cadre privé et strictement non commercial qui

est indispensable pour sa légalité et sa conformité aux dispositions générales de l’Accord sur les

ADPIC. Il ne reste, dans le cadre des exceptions susceptibles d’aider à la résolution du problème

d’accès aux médicaments, que l’exception dite « Bolar » qu’il faut analyser pour voir si elle peut aider

à résoudre le problème d’accès aux médicaments.

Page 99: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

79

c. Exception pour l’exploitation anticipée ou exception Bolar

La dernière exception spécifique aux brevets concerne l’utilisation d’une invention sans

l’autorisation du titulaire du brevet aux fins d’obtenir l’homologation d’un médicament générique avant

la date d’expiration du brevet protégeant le médicament original. Appelée aussi exception Bolar (ou

exception pour l’exploitation anticipée), elle permet aux fabricants de produits génériques d’utiliser

une invention encore sous brevet pour mettre au point des génériques qu’ils pourront commercialiser

dès l’expiration du brevet. Elle concerne l’utilisation d’une invention portant sur un médicament pour

effectuer les essais cliniques et obtenir l’autorisation des autorités sanitaires avant l’expiration du

brevet afin de pouvoir commercialiser le produit générique immédiatement après l’expiration du

brevet.

Plusieurs pays développés ont incorporé cette exception57 pour permettre que les essais

cliniques soient effectués avant l’expiration du brevet pour déterminer la bioéquivalence de ces

produits génériques et le médicament princeps. Le but de cette exception est de permettre aux

fabricants des médicaments d’introduire leurs produits sur le marché dès que le brevet expire et, par

conséquent, de permettre aux consommateurs d’obtenir des médicaments à des prix bon marché de

façon immédiate dès que le brevet expire (Correa, 2011 : 42-43). En fait, cette exception implique

qu’en attendant l’échéance du délai de 20 ans, on peut déjà utiliser l’invention pour mettre en place

des structures, infrastructures ou installations qui permettront de produire les génériques « dès le

lendemain de l’échéance des 20 ans ». Les industriels ne sont donc pas tenus de rester les bras

croisés pendant toute la période du brevet, ils peuvent déjà se préparer à entrer en compétition ave c

le breveté dès le lendemain de l’échéance de la période de protection couverte par le brevet.

Cette exception est issue de la disposition Bolar (ou Roche-Bolar pour certains auteurs, nom

provenant de la décision du tribunal américain dans l’affaire Roche Products c. Bolar

Pharmaceutical) et a été légalement introduite aux États-Unis en vertu de la Drug price competition

and patent term restoration Act58 (1984) et a ensuite été reprise dans plusieurs autres pays où, dans

57 Nous donnerions les exemples de l’Australie, le Canada, les États-Unis, Israël entre autres, mais la plupart des pays européens la désapprouvent.

58 Cette loi américaine de 1984 (public law 98-417), appellee aussi « Hatch-Waxman Amendments » qui amende la « Federal food, drug, and cosmetic Act » a pour objectif de rev iser « the procedures for new drug application » et d’autroiser « the extension of the patents for certain regulated products, and for other purposes » (Library of Congress, 1984). Elle porte sur la concurrence par les prix et le rétablissement de la durée des brevets pour les produits pharmaceutiques.

Page 100: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

80

certains d’entre eux, elle est considérée comme une variante de l’exception pour l’utilisation à des

fins expérimentales. L’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC a jugé ce genre de

dispositions comme étant conforme à l’Accord sur les ADPIC. En effet, dans l’affaire « Canada-Union

européenne, médicaments génériques du 7 avril 2000 »59, les communautés européennes ont

demandé la constitution d’un Groupe spécial en reprochant au Canada de ne pas protéger

adéquatement les inventions pharmaceutiques puisque sa loi permettait aux fabric ants nationaux de

médicaments génériques d’effectuer des tests et d’exécuter d’autres préparatifs en vue de produire

un médicament avant l’expiration du brevet correspondant, sans le consentement de son détenteur.

Cette loi canadienne permettait également de constituer des stocks de médicaments génériques au

cours des six mois qui précèdent l’expiration du brevet, ce qui, d’après les pays européens,

constituait des violations des articles 27, 28 et 33 de l’Accord sur les ADPIC. Le Canada a répondu

que cela rentrait dans le cadre des exceptions prévues à l’article 30. Le Groupe spécial a jugé que la

loi canadienne permettant aux fabricants de médicaments génériques de faire des essais sur des

médicaments brevetés ou d’entreprendre d’autres actions nécessaires pour pouvoir demander

l’autorisation de mise sur le marché de versions génériques avant l’expiration du brevet n’est pas

contraire à l’Accord sur les ADPIC60, étant donné que la commercialisation du médicament générique

mise au point en vertu de cette disposition n’intervient pas avant l’expiration du brevet correspondant.

L’exception pour l’exploitation anticipée est donc considérée comme pleinement compatible

avec l’article 30 de l’Accord sur les ADPIC. Prendre les mesures favorables à l’arrivée anticipé e des

médicaments génériques sur le marché est à la fois conforme à l’objectif général pour le pays de

mettre à disposition du patient les médicaments bon marché et à celui de contrôler des dépenses de

santé. Elle permet donc aux États de jongler entre la défense des intérêts des laboratoires qui

mettent les spécialités innovantes sur le marché, et la mise en place d’un contexte favorable au

développement des médicaments génériques, abordables pour les patients et sources d’importantes

économies publiques (Guesmi, 2011 : 117). Compte tenu de la nécessité de réaliser des essais

cliniques pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché d’un produit générique, la fabrication du 59 Pour plus de détails, voir l’affaire « Canada-UE, brevets pour produits pharmaceutiques (WT/DS114) » du 7 avril 2000 (OMC, 2000).

60 En revanche, le Groupe spécial a estimé que la constitution de stocks de produits génériques n’était pas autorisée par l’Accord sur les ADPIC, la question étant de savoir si la constitution de stocks sans restriction quant aux quantités pouvait constituer une exception « limitée » aux droits du détenteur du brevet. Or, étant donné que la loi canadienne autorise le stockage des médicaments génériques produits dans ce cadre « sans limitation du volume de production pendant les six derniers mois de la durée du brevet » le Groupe spécial a conclu à juste titre que le stockage annule entièrement les droits du breveté pendant la période où elle est en v igueur. De ce fait, les fabricants doivent attendre jusqu’à l’expiration du brevet avant de lancer la production industrielle (OMC-OMS, 2002 : 110).

Page 101: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

81

produit breveté à cette fin ne constitue pas une violation des droits de brevet, c ar, dans le cas

contraire, « les tiers ne seraient pas en mesure d’exploiter librement l’invention brevetée avant un

certain temps, une fois le brevet échu, ce qui irait à l’encontre des principes fondamentaux du

système des brevets qui est de permettre d’exploiter librement une nouvelle technologie après

l’expiration de la durée de protection conférée par le brevet, créant ainsi un bénéfice pour les patients

et la société d’une manière générale » (Correa, 2001 : 102).

Cette procédure, permettant de commercialiser la version générique rapidement après

l’expiration du brevet, fait que la concurrence de ces produits fait baisser les prix et permet de rendre

plus abordables les médicaments génériques des produits originaux tombés dans le domaine public.

Cependant, cette procédure ne résout pas à proprement parler le problème de cherté des

médicaments brevetés puisque, comme l’a rappelé le groupe Spécial dans l’affaire ci -haut citée, les

génériques issus de ce processus ne peuvent pas être mis sur le marché et à la disposition des

patients avant l’expiration de toute la durée du brevet qui, il faut le rappeler, est de vingt ans

minimum. En outre, cette possibilité nécessite beaucoup d’équipements logistiques (laboratoires pour

les tests, montages industriels pour la production, dépôts adéquats, etc.) que la plupart des pays en

développement, surtout les moins avancés d’entre eux, n’ont pas encore à leur disposition, ce qui

limite son application, tout comme les autres exceptions à la brevetabilité d’une manière gl obale.

d. Les limites de ces exceptions spécifiques à la brevetabilité

En guise de conclusion sur ces différentes exceptions détaillées précédemment, il est

important de mentionner que, hormis les difficultés qui ont été soulevées pour chacune des

exceptions et dérogations mentionnées dans les paragraphes précédents, ces différentes flexibilités

qui auraient pu aider dans la résolution du problème d’accessibilité des médicaments dans les pays

en développement se trouvent compromises par les pressions poli tiques et économiques auxquelles

font face les pays qui tentent de les mettre en œuvre. Cette situation est la conséquence des

divergences de vues et d’intérêts des États du Nord par rapport à ceux du Sud et des difficultés de

déterminer ce qui constitue une mesure « nécessaire » puisque ce mot ne porte pas de contenu

susceptible de faire l’unanimité pour toutes les parties concernées par la question (le pays du Sud

d’une part; les pays du Nord et les firmes pharmaceutiques d’autre part). Ce qui est jugé co mme

étant nécessaire pour les uns peut être superflu et absolument inapproprié ou exagéré pour l’autre,

Page 102: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

82

du moment que les membres se retrouvent, dans la plupart des cas, en présence d’intérêts

antagonistes : les pays en développement voulant avoir les médicaments à moindre coût, tandis que

les pays riches veulent la prospérité de leurs laboratoires ou firmes pharmaceutiques.

Cette divergence d’intérêts provoque d’ailleurs parfois des conflits et des actions de la part

des pays du Nord qui s’estiment lésés par les mesures ou les agissements adoptés par les pays du

Sud en vertu de ces exceptions. C’est pour cela que les États -Unis ont adopté, dans le cadre du

Trade Act de 1974, un ensemble de dispositions visant à faire respecter les droits de propriété

intellectuelle attribués aux firmes américaines par les instances nationales des pays en

développement. Ces dispositions sont regroupées dans une section particulière dite « Special 301

section » entièrement dédiée aux droits de propriété intellectuelle. En vertu de cette section intitulée

« Responses to certain trade practices of foreign governments »61, les États-Unis se sont accordés

unilatéralement, c’est-à-dire en dehors des procédures de règlement de d ifférends du GATT (et de

l’OMC)62, le droit d’engager des mesures de rétorsion contre les pays réputés contrevenir aux

dispositions protégeant les droits de propriété intellectuelle des firmes américaines. Les États -Unis

peuvent donc engager des actions unilatérales lorsque sont détectées des actio ns jugées « non

raisonnables »63 et que les autorités américaines considèrent que les droits de leurs firmes

nationales en la matière ne sont pas respectés. Malgré le caractère assez équivoque, vague et flou

de ces dispositions (« actions jugées non raisonnables » par exemple), les autorités américaines y

ont fait recours à plusieurs reprises contre les pays en développement ou émergents qui ont tenté

d’utiliser l’une ou l’autre flexibilité contenue dans les accords de l’OMC.

Par exemple, en raison de cette Special 301, les pays tels que le Brésil ou la Thaïlande et

les autres grands producteurs de génériques se sont retrouvés contraints d’adopter, dans leurs

législations, des dispositions qui sont encore plus restrictives que celles imposées par l’Accord sur

les ADPIC et les autres traités régissant ce domaine. Le Brésil fut contraint de modifier sa législation

nationale pour se conformer aux dispositions de l’Accord sur les ADPIC dès 1996 (alors que l’Accord

61 Voir Trade Act (93-618) dans les publications du Congrès américain (Library of Congress, 1984).

62 Étant donné que cette Trade Act de 1974 sont toujours en v igueurs, cette Special 301 Section continue à s’applique même sous l’OMC.

63 Les autorités américaines estiment qu’une pratique est « non raisonnable » lorsqu’elle est comme « inéquitable et injuste d’une manière ou d’une autre, même si elle ne v iole pas nécessairement les droits internationaux des États-Unis, ni n’est incompatible avec eux » (Section 301 du Trade act).

Page 103: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

83

lui permettait de ne le faire qu’à partir de 2000) et accepta d ’introduire dans sa législation le

mécanisme de protection « pipeline » autorisant le dépôt rétroactif des brevets (Bermudez & al.,

2000). Il en est de même pour la Thaïlande qui fut contrainte aussi à modifier substantiellement sa loi

sur les brevets dès 1994 (au lieu de 2000) (Guennif et Mfuka, 2003). Le refus de l’Inde et du Brésil

de céder à toutes les exigences américaines les a aussi fait figurer sur la fameuse « Special 301

report watch list »64, la liste noire américaine tant redoutée qui recense les pays adoptant des

pratiques contraires aux intérêts économiques américains et de leurs firmes (Guesmi, 2011 : 294).

Ces pressions ont fait que les exceptions et les flexibilités contenues dans les différents accords de

l’OMC, y compris l’Accord sur les ADPIC, n’ont pas joué leur rôle de soupapes de sécurité pour

résoudre les éventuels problèmes rencontrés lors de leur application, surtout dans les domaines

d’importance capitale comme celui de la santé. Cela vaut également pour les mécanismes comme le

système des « importations parallèles » ou des « licences obligatoires » qui peuvent être tirés de

l’interprétation de certaines dispositions de l’Accord sur les ADPIC en faveur de l’accès à la santé

pour les pays en développement.

III.2. Le recours aux importations parallèles

Selon l’OMS et les experts en santé publique, le système des importations parallèles est l’un

des mécanismes que les pays en développement peuvent adopter pour régler le problème d’accès

aux médicaments. Selon eux, « lorsque les prix des médicaments sont plus élevés dans les pays

pauvres que dans les pays riches, le recours aux importations parallèles dans les pays à faible

revenu, afin de faire baisser les prix, peut apporter une solution adéquate » (OMS, 1999 : 2). Pour

rappel, l’importation parallèle consiste en l’importation et la revente, sans l’autorisation du breveté,

d’un produit breveté qui a été mis sur le marché du pays exportateur par le breveté ou par le

concessionnaire qui en a obtenu les prérogatives de la part du breveté ou de toute autre manière

légitime. Ainsi, un médicament breveté au Canada peut y être acheté et importé et revendu aux

États-Unis, où le même brevet est en vigueur et où une production du même produit existe, sans

demander l’aval du breveté.

64 Cette liste, mise à jour annuellement est confectionnée en vertu de la Special 301 section du Trade Act de 1974 (voir supra)

Page 104: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

84

Le concept « importations parallèles » ne se trouve nulle part dans les dispositions de

l’Accord sur les ADPIC. Il découle de l’interprétation de son article 6 qui renvoie à la notion d’«

épuisement des droits » du breveté. Puisque les importations parallèles permettent à un pays

d’acheter un produit vendu moins cher ailleurs que chez lui, sans demander l’autorisation au

détenteur du brevet, certains auteurs estiment que c’est une option intéressante pour les pays en

développement d’autant plus que les prix sont parfois substantiellement différents d’un pays à l’autre

(Verschave, 2004 : 241). Cependant, si les importations parallèles peuvent permettre d’élargir l’offre

d’un produit et de modérer ses prix grâce à la concurrence, elle ne permet pas d’améliorer

l’accessibilité des médicaments pour les personnes à faibles revenus. On verra que la question des

prix reste non résolue alors que c’est elle qui constitue le nœud de la problématique d’accès aux

médicaments dans les pays du Sud.

III.2.1. Le principe de l’épuisement des droits du breveté

Comme il a été mentionné précédemment, la légalité des importations parallèles découle de

l’article 6 de l’Accord sur les ADPIC qui encadre l’épuisement des droits de propriété intellectuelle.

Dans la définition des importations parallèles, il est essentiel de comprendre la notion et le contenu

de l’épuisement des droits. L’article 6 de l’Accord laisse à chaque membre la liberté d’incorporer le

principe de l’épuisement international des droits, qui légitime les importations parallèles , dans sa

législation nationale. Il faut enfin noter que toutes les importations des médicaments brevetés ne sont

pas toujours parallèles.

a. Le contenu de la notion d’épuisement des droits du breveté

L’article 6 de l’Accord sur les ADPIC dispose qu’« aux fins du règlement des différends dans

le cadre de l’Accord, et sous réserve des d ispositions des articles 3 et 465, aucune disposition de

l’Accord ne sera utilisée pour traiter la question de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle

». L’énoncé de cette disposition stipule donc une exception à la recevabilité, ce qui implique que

l’ORD jugera irrecevable toute plainte qui lui sera soumise qui remet en cause le principe

d’épuisement des droits. Les droits exclusifs du titulaire du brevet ne peuve nt être revendiqués en

65 Ces dispositions concernent respectivement la clause du Traitement national (TN) et la clause de la Nation la plus favorisée (NPF).

Page 105: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

85

cas d’importation des produits commercialisés avec son consentement dans tout autre pays et, en

vertu de cette disposition, aucun État ne peut se plaindre d’une violation de l’Accord sur cette base.

Ainsi, un droit de propriété intellectuelle s’épuise dès le moment que le produit breveté est

commercialisé par le breveté. Celui-ci ne pourra alors plus intenter une action en vue de contrôler sa

circulation ultérieure. En effet, le brevet confère seulement un monopole sur l’invention (c’est-à-dire

sur le savoir-faire) et sur la première vente ou mise en circulation, et non sur la circulation elle -même,

y compris l’importation et la revente de ce produit sur d’autres marchés, et ce n’importe où sur la

planète. Le titulaire du brevet conserve le droit exclusif de fabriquer le produit breveté et de le mettre

sur le marché, mais à partir de ce moment, il n’a plus de droits sur le produit lui -même. Le détenteur

du brevet ne peut pas continuer à exercer un contrôle sur l’utilisation des biens qu’il a introduits sur

les marchés, ou dont il a autorisé la commercialisation par un preneur de licence.

En vertu de ce principe d’épuisement des droits, les droits qui découlent du brevet sur ce

produit sont consommés, donc « épuisés », dès que le détenteur du brevet commercialise ce produit

ou donne son accord à sa mise sur le marché (Correa & Velasquez, 2010 : 36-37). La théorie de

l’épuisement des droits est fondée sur l’existence d’une licence implicite selon laquelle l’acquéreur du

produit est libre de traiter le produit comme étant son propriétaire de plein droit. En effet, la vente

d’un produit autorise l’acquéreur à exercer tous les droits normaux d’un propriétaire étant donné que

l’acheteur, par l’acte d’achat, acquiert tous les droits portant sur ce produit puisqu’il lui appartient

désormais, y compris le droit de le revendre (l’abusus) (Correa, 2011 : 36-37). Ainsi, le principe de

l’épuisement des droits trace une frontière entre le monopole légal de l’inventeur et la liberté des

acquéreurs successifs du bien breveté vendu.

Par conséquent, la logique de l’article 6 de l’Accord sur les ADPIC est que, lorsqu’un produit

breveté a été vendu dans un pays66, il peut être revendu dans n’importe quel autre membre de

l’OMC, et cela ne porte pas atteinte aux droits du titulaire du brevet. En stipulant que tout objet mis

régulièrement67 dans le commerce échappe dès ce moment au droit exclusif du breveté et fait l’objet

du libre commerce, elle a pour objet d’empêcher que le breveté puisse prétendre contrôler tou t le

66 La Cour européenne de justice a accepté le principe des importations parallèles même dans les cas où le produit n’était pas protégé par un brevet dans le pays exportateur (Merck & Co. vs. Primecrown Ltd., décembre 1996).

67 Il est entendu que la mise dans le commerce d’un produit breveté est régulière ou licite lorsqu’elle est conforme à l’article 28 al.2 de l’Accord sur les ADPIC.

Page 106: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

86

processus de commercialisation des produits (Guesmi, 2011 : 264-265). L’épuisement des droits du

brevet n’est pas soumis à l’opinion ou au consentement du détenteur du brevet, l’épuisement des

droits est automatique, l’inventeur ayant été rémunéré par la première vente ou mise en circulation

du produit (Correa, 2011 : 38). En effet, il suffit de déterminer que le produit a été introduit sur le

marché de façon légale pour que le principe de l’épuisement des droits s’applique et sans

restrictions.

b. La licéité de l’épuisement international des droits du breveté

Bien que l’article 6 laisse aux membres une grande latitude pour définir leur politique à

l’égard d’importations parallèles, la doctrine de l’épuisement international des droits appliquée aux

brevets reste controversée tant sur le plan juridique que sur le plan économique. Certains auteurs

estiment que la théorie de l’épuisement des droits serait contraire au droit exclusif d’importation

conféré par l’article 28 de l’Accord sur les ADPIC. On a aussi fait valoir que la doctrine de

l’épuisement international des droits était contraire au principe de la portée territoriale et de

l’indépendance des droits de brevet établi par la Convention de Paris de 1883. Même si le caractère

illicite des importations parallèles peut être discuté et contesté, il faut reconnaître la pertinence de

leurs observations qui traduisent une fois de plus une incohérence de l’Accord sur les ADPIC. En

principe, l’importation d’un produit breveté par une autre personne que le bre veté, sans l’autorisation

de ce dernier, serait illicite puisque le monopole conféré par l’article 28 de l’Accord sur les ADPIC

comprend non seulement le droit exclusif de fabriquer et d’exploiter le produit breveté, mais aussi le

droit de l’importer si le titulaire le fabrique lui-même, ou a accordé une licence d ’exploitation de son

brevet, dans un autre pays.

La note de bas de page 6 à laquelle renvoie l’article 28.1 de l’Accord sur les ADPIC précise

que « ce droit [d’importation] comme tous les autres d roits conférés en vertu de l’Accord en ce qui

concerne l’utilisation, la vente, l’importation ou d’autres formes de distribution de marchandises, est

subordonné aux dispositions de l’article 6 ». La note de bas de page 13 correspondant à l’article 51

ajoute qu’« il est entendu qu’il ne sera pas obligatoire d’appliquer ces procédures 68 aux importations

de marchandises mises sur le marché d’un autre pays par le détenteur du droit ou avec son

consentement ». Ainsi, l’article 28 est subordonné à l’article 6 et ne peut faire l’objet de procédures

68 Les procédures que mentionne cette note renvoient aux mesures administratives que doivent prendre les autorités douanières, sur demande du breveté, en cas d’importations suspectes ou irrégulières.

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de règlement de différends au sein de l’OMC. Le dispositif de l’article 6 est donc une exception au

régime général des brevets consacré par l’article 28 de l’Accord sur les ADPIC, et c’est la théorie de

l’épuisement des droits qui est à la base de la licéité des importations parallèles. Cela permet de

conclure avec certitude que les importations parallèles sont juridiquement autorisées par l’Accord sur

les ADPIC ou du moins ne s’y oppose dans aucune de ses dispositions.

En outre, les principes généraux du GATT plaident également en faveur des importations

parallèles. En vertu de l’article III du GATT de 1947 (traitement national), les pays membres doivent

traiter les produits importés d’une manière qui ne soit pas moins favorable que les produits similaires

d’origine nationale (article III.4), et les membres ne peuvent pas appliquer à ces produits des

restrictions « autres que des droits de douane, taxes ou autres impositions » (article XI.1).

L’interprétation de ces dispos itions laisse déduire que non seulement les importations parallèles sont

légales, mais également que le GATT impose même aux membres de l’OMC de ne pas interdire ces

importations. Ainsi, la reconnaissance du principe de l’épuisement international dans l’Ac cord sur les

ADPIC peut être considérée comme un résultat logique du processus de mondialisation économique

entamé par la signature du GATT en 1947 (Correa, 2011 : 38). En effet, le commerce parallèle

s’inscrit dans la suite logique de la concurrence et la compétitivité et se nourrit de la différence des

prix d’un pays à l’autre en raison notamment des politiques de l’emploi et de protection sociale qui

sont souvent nationales69 (Weder & Barsuglia, 2006 : 33).

Enfin, la légalité des importations parallèles est aussi consacrée par la jurisprudence

internationale. Dans l’affaire Merck & Co inc. contre Stephar BV & Petrus Stephanus Exler du 14

juillet 198170, qui semble d’ailleurs avoir inspiré la rédaction de l’article 6 de l’Accord sur les ADPIC

(Ituku, 2007 : 366), la CJCE a jugé que

la fonction et la substance du droit des brevets résident dans l’octroi à l’inventeur d’un droit exclusif de première mise en circulation du produit. Ce droit de première mise en circulation, en lui réservant le monopole d’exploitation de son produit, permet à l’inventeur d’obtenir la

69 Même dans les grands ensembles qui sont suffisamment avancés sur le plan de l’intégration comme l’Union européenne, les politiques sur le plan de l’emploi et des normes sociales relèvent presque exclusivement des compétences des États membres.

70 Dans l’affaire opposant Merck & Co. Inc. et Stephar BV, Petrus Stephanus Exler relative à l’interprétation des règles du traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises en particulier de l’article 36, en rapport avec le droit de brevets, la Cour a jugé les dispositions de l’article 36 doivent être comprises qu’elles s’opposent à ce que le détenteur d’un brevet au titre d’un médicament qui vend ce médicament dans un premier État membre où la protection par brevet ex iste, puis le commercialise lui-même dans un autre État membre où cette protection n’ex iste pas, puisse faire usage du droit que lui confère la législation du premier État membre d’interdire la commercialisation dans cet État dudit produit importé de l’autre État membre (CEE, 1981 : 5).

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récompense de son effort créateur. […]. Dans ces conditions, permettre à l’inventeur ou à ses ayants droit de se prévaloir du brevet qu’ils détiennent pour s’opposer à l’importation du produit commercialisé librement par eux dans un autre membre entrainerait un

cloisonnement des marchés nationaux […]71.

De ce qui précède, il ressort que les importations parallèles des médicaments sont légales et

libres de restrictions, si on ne tient pas compte des autres règlementations spécifiques. En effet, les

importations parallèles des médicaments sont aussi soumises aux mêmes règles d’importation que

n’importe quelle autre marchandise importée (les procédures d’importation, les règles en matière de

droits de douane et autres taxes intérieures, etc.).

c. Les importations des médicaments ne sont pas toujours parallèles

Par définition, on parle d’importations parallèles des produits brevetés lorsque celles -ci se

font en marge d’une structure de production ou de distribution mise en place par le titulaire du brevet

ou son représentant. Lorsqu’une telle structure n’existe pas, il ne s’agit pas d’importations parallèles,

mais d’importations tout court. Si on peut parler d’importations parallèles dans les pays développ és

ou émergents qui disposent localement de capacités ou d’infrastructures de production de

médicaments, de telles structures existent rarement dans les pays en développement, encore moins

dans les pays les moins avancés (PMA). Il n’y a donc pas de production locale à laquelle les

importations viendraient se superposer. Par ailleurs, le brevet étant un titre national, c’est un abus de

langage de parler d’importations parallèles pour ces PMA, les inventeurs des nouveaux médicaments

n’y déposent pas de demande de brevet, étant donné qu’ils savent que ces PMA n’ont pas

l’obligation de leur accorder cette protection puisque l’Accord sur les ADPIC ne leur y contraint pas,

au moins jusqu’en 2021 pour l’ensemble de ces pays (OMC, 2013) et indéfiniment pour ceux qui

manifesteront cette intention individuellement auprès de l’OMC (article 66 de l’Accord sur les ADPIC).

III.2.2. Les limites des importations parallèles

En théorie, l’application du principe d’épuisement international des droits du breveté est

susceptible de résoudre le problème de la disponibilité des médicaments dans les pays du Sud.

71 Pour plus de détails, voir l’Arrêt de la CJCE du 14 juillet 1981 dans l’affaire Merck & C o Inc. contre Stephar BV & Petrus Stephanus Exler (UE, 1981).

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L’importation d’un médicament breveté en provenance d’un pays exportateur dans lequel son prix est

inférieur à celui du pays importateur peut permettre l’accès de ce produi t à un grand nombre de

patients, tout en assurant que le détenteur du brevet reçoive la rémunération correspondant à

l’invention brevetée dans le pays où le produit a été vendu pour la première fois. C’est ainsi que les

importations parallèles ont été souvent présentées comme pouvant être l’une des solutions

compatibles avec les dispositions de l’Accord sur les ADPIC que les pays membres peuvent exploiter

pour protéger la santé de leurs populations. La possibilité de recourir aux importations parallèles peut

en effet empêcher que les titulaires de brevets ne favorisent la segmentation des marchés et une

discrimination des pays et des patients par les prix. Les importations parallèles permettent aux

consommateurs de chercher le meilleur prix sur le marché mondial pour un médicament donné, car

l’industrie pharmaceutique module souvent les prix pratiqués selon les marchés. En outre, une étude

menée dans certains pays développés (Grande-Bretagne, Allemagne, Suède, Pays-Bas et

Danemark) a montré que les importations parallèles permettent de faire des économies; que ce soit

pour les systèmes sociaux des pays étudiés, les patients et les compagnies elles -mêmes. En effet,

sur 635 millions d’euros économisés, il a été établi que 421 millions concernaient au final le pa tient

lui-même. Ainsi, dans les pays développés, les consommateurs profitent des importations parallèles

(Manser, 2003 : 29).

Cela n’est cependant pas le cas en ce qui concerne les importations parallèles des

médicaments pour les pays en développement. En effet, étant donné que les prix des médicaments

sont généralement le résultat des négociations entre le pays de commercialisation et les firmes

pharmaceutiques, ces prix sont le reflet de la situation économique du pays producteur et ne peuvent

pas être transposés à aucun autre. En outre, la structure même du commerce international implique

des coûts liés à l’importation qui viennent s’ajouter au prix pratiqué dans le pays exportateur, faisant

le prix dans le pays d’importation encore plus élevé. Enfin, cette option est mal perçue par les pays

industrialisés, ceux-ci usant de leur pouvoir de dissuasion sur les pays du Sud pour que ceux -ci ne

les utilisent pas, malgré leur caractère licite et légitime.

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a. Le rôle des facteurs nationaux dans la fixation des prix des médicaments

Dans la plupart des pays, les prix des médicaments sont régulés par l’État (Trivigno, 2003 :

20). En effet, les différences de prix qui existent entre les différents pays72, n’ont généralement rien à

voir avec le coût de production ou les marges bénéficiaires du producteur, mais sont le fruit de

l’intervention de l’État en fonction des facteurs qui lui sont propres. Pour les médicaments, les prix

sont souvent le résultat de négociations entre les autorités nationales et les fabricants et sont le fruit

de plusieurs facteurs qui diffèrent largement selon les pays comme les normes nationales de santé,

règles sur les tests cliniques et d’admission du médicament, taux d’inflation, impôts, valeur des

devises, etc.) (Manser, 2003 : 29). Par conséquent, les importations parallèles mettent en

concurrence, non pas les prix du produit en soi, mais les règlements et les politiques nationales dans

plusieurs secteurs (emploi, sécurités sociales, normes environnementales, etc.) (Cueni, 2006 : 40;

Trivigno, 2003 : 20). Ainsi, les prix fixés dans les pays riches restent élevés, comparés à ceux qui

seraient pratiqués s’il y avait des structures de production locale dans les pays du Sud. Les

importations parallèles ne seraient rentables que si les différences de prix entre les pays du Nord

sont grandes, ou si les frais d’importation et de distribution sont très faibles (Trivigno, 2003 : 18). Or,

dans les pays du Sud, toutes les importations de médicaments proviennent des pays développés où

les prix sont sensiblement identiques et subissent les mêmes procédures d’importation et de

distribution (Mansen, 2003 : 29). Par conséquent, les importations parallèles ne permettent pas la

baisse des prix des médicaments et leur accessibilité pour ces populations à faib le revenu.

Les défenseurs des importations parallèles se fondent en général sur le simple modèle de

concurrence, selon lequel, globalement, l’arbitrage du prix par les importations parallèles renforce la

concurrence, mais ils ne tiennent pas compte des différences de pouvoir d’achat (Cueni, 2003 : 28).

L’idée que la concurrence par les prix pour les produits brevetés contribuerait à l’émergence d’un «

prix mondial » grâce aux importations parallèles qui favoriserait la concurrence entre les producteurs

et les importateurs relève plus du mythe que de la réalité. En dépit de ces importations, les prix

restent différents et il ne pourrait exister de « prix mondial ». On ne peut donc pas s’attendre à ce

que les importations parallèles des médicaments, en provenance des pays développés dans lesquels

les prix ont été négociés pour ce marché, puissent avoir des effets qui vont dans le sens

72 Il arrive même que le prix du même médicament soit plus élevé dans un pays en développement que dans un pays riche. Par exemple, un mois de cure au Prozac coûte 18,49€ en Italie et 40,48€ en S lovaquie (Remiche & Kors, 2007 : 134).

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d’accessibilité des médicaments dans les pays où les revenus sont faibles (Cueni, 2006 : 40). Bien

que les importations parallèles de médicaments brevetés puissent permettre la disponibilité de ces

derniers dans les pays pauvres, leurs prix ne seraient pas moins élevés, car ce sont les

intermédiaires et les commerçants, qui bénéficient de la différence des prix (Trivigno, 2003 : 20). Ce

qui fait que, dans la plupart des cas, les prix des médicaments importés dans le pays d’importation

du Sud soient supérieurs à ceux des pays du Nord, comme on va le voir dans le paragraphe qui suit.

b. Les prix des médicaments importés plus élevés dans les pays pauvres que dans les pays riches

Les défenseurs de l’épuisement international des droits des brevets font valoir que si les

importations parallèles étaient autorisées partout dans le monde, les firmes pharmaceutiques

auraient tendance à pratiquer le même prix dans le monde entier, ce qui entraînerait un nivellement

du prix par le bas et qui serait appliqué aussi dans les pays à faibles revenus (Guesmi, 2011 : 278).

Comme il a été mentionné plus haut, cet argument n’est pas réaliste pour deux raisons principales

qui ont déjà été évoquées. D’une part le niveau des prix, dans les différents pays, est généralement

fixé en fonction du pouvoir d’achat et d’autres facteurs qui y prévalent et non selon un hypothétique

prix mondial. L’application d’un prix unique à l’échelle mondiale favorable aux populations à faibles

revenus des pays en développement n’est donc ni envisageable, ni possible. D’autre part, les

importateurs ou les intermédiaires, dans leur quête aux profits, vont plutôt avoir tendance à pencher

vers le nivellement du prix le plus élevé, notamment quand l’offre des médicaments n’est pas

importante par rapport à la demande, ce qui est souvent le cas dans les pays pauvres.

En plus, les importations parallèles, bien qu’elles ne soient pas prévues officiellement dans

les législations nationales, sont pratiquées dans les faits dans beaucoup de pays, y compris dans les

pays en développement. On y retrouve en effet les médicaments originaux, mais cela n’implique pas

que tout le monde y a accès. En effet, ils sont trop chers pour les pauvres et les moins nantis et ne

sont accessibles que pour les plus riches de ces pays, car les importations parallèles des

médicaments n’entraînent pas la baisse des prix de ces derniers. C’est plutôt le contraire qu i se

produit, les prix dans le pays d’importation sont généralement supérieurs à ceux pratiqués dans le

pays d’exportation. Ceci s’explique par le fait que les importateurs (parallèles ou pas) veulent avant

tout profiter de la différence des prix pour maximiser leur profit. En outre, en plus du prix d’achat dans

le pays exportateur, ils y ajoutent les divers frais liés à l’importation (les frais de transport, les droits

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de douane et autres taxes intérieures, les frais d’étalage, d’entreposage et de distribu tion, les frais du

personnel, etc.). En fin de compte, en additionnant ces divers coûts, les prix des médicaments

brevetés importés reviennent plus chers dans les pays pauvres que dans les pays d’exportation, qui

sont généralement des pays riches.

Ainsi, si les importations de médicaments brevetés peuvent bien résoudre le problème de

disponibilité des médicaments dans les pays qui ne les produisent pas, elles sont loin de résoudre le

problème d’accessibilité de ces derniers puisque le problème des coûts re ste entier et devient même

plus accru avec les importations parallèles, sans que les bénéfices engendrés par ce mécanisme ne

contribuent pas au renforcement des laboratoires de recherche puisque les importations parallèles

effectuent en réalité un transfert des fonds de la recherche vers les intermédiaires sans que cela

bénéficie ni au consommateur, ni à la recherche, ni aux systèmes de couverture sociale des pays

riches (Weder & Barsglia, 2006 : 30). Si on ajoute que les pays développés ne sont pas favorab les

au principe d’épuisement international, les pertes deviennent alors importantes pour que les pays du

Sud n’encouragent pas le mécanisme des importations parallèles pour éviter les malentendus avec

les pays du Nord.

c. Les pressions des lobbies des firmes pharmaceutiques et des pays du Nord sur ceux du Sud

Tout comme les autres mesures nécessaires pour protéger la santé qui sont souvent

contestées par les grandes puissances, soucieuses d’abord de protéger leurs firmes

pharmaceutiques, les importations parallèles sont également remises en cause par les pays

industrialisés et les lobbies des médicaments. Malgré leur caractère légal au regard des instruments

internationaux en la matière, presque tous les pays n’ont pas pris des mesures et des

aménagements pour favoriser les importations parallèles. En effet, à l’exception de l’Argentine et de

Hong-Kong, tous les autres pays ne reconnaissent pas l’épuisement international des droits portant

sur les produits protégés par un brevet, y compris les pays les moins avancés, bien qu’ils ne

disposent pas de structure locale de production des médicaments. Ils ne se contentent que

d’appliquer le principe de l’épuisement national ou de demander au breveté de concéder, sous forme

de contrat, les droits d’importation et de revente du produit breveté (CFS : 2000 : 20).

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Il n’est pas exclu de penser que les pays du Sud ne prévoient pas des mesures allant dans

le sens des importations parallèles pour ne pas subir des mesures de rétorsion économiques de la

part des pays industrialisés. En effet, les États-Unis n’ont pas hésité à recourir aux mesures de

rétorsion prévues par la « Special 301 » en vue de pousser l’Afrique du Sud à revoir la section 15C73

de son Medicines and related substances control amendment Act74 de 1997 qui permettait au

ministre de « définir les conditions selon lesquelles […] tout médicament qui a été mis sur le marché

par le détenteur du brevet, ou avec son consentement, pouvait être importé en Afrique du Sud par un

tiers » (Ituku, 2007 : 389). Malgré la légalité des dispositions de cette loi sud-africaine par rapport à

l’Accord sur les ADPIC, les États-Unis ont exercé des pressions sur le gouvernement sud -africain

pour qu’il supprime ces mesures, en le mettant sur « la liste des pays à surveiller »75 jusqu’à son

retrait en décembre 1999 (Trivigno, 2003 : 19; Correa & Velasquez, 2010 : 39-40). Plus que cette

section relative aux importations parallèles, c’étaient deux autres sections contenues dans cette loi

sud-africaine, et qui prévoyait un autre mécanisme plus intéressant, qui avait suscité le courroux de

l’administration américaine et des lobbies des firmes pharmaceutiques. Ces sections, 22C et 22F76,

envisageaient le recours aux licences obligatoires pour permettre la production locale, par les

entreprises sud-africaines, des médicaments génériques des antirétroviraux que le pays avait tant

besoin pour ses citoyens séropositifs (Ituku, 2007 : 384). En quoi consiste le mécanisme des licences

obligatoires ?

III.3. L’octroi des licences obligatoires

Appelée aussi licence non volontaire, la licence obligatoire est une autorisation accordée

d’office par les pouvoirs publics à une tierce personne lui permettant d’utiliser ou d’exploiter une

invention, sans le consentement du titulaire du brevet. On parle de licence obligatoire, car elle est

délivrée d’office par une autorité publique lorsque certaines conditions le justifient, par opposition à

une licence volontaire consentie par le breveté, par exemple à l’issue d’une cession contractuelle des

73 Cette section de la loi sud-africaine de 1997 (Act 90) porte en effet sur les « measures to ensure supply of more affordable medicines ».

74 Voir South Africa medecines Act (1997)

75 La fameuse liste noire américaine (Special 301 report watch list) mentionnée précédemment (voir supra, note de bas de page 63.

76 Ces dispositions comportent respectivement les dispositions sur les « licensing » et les « generic substitution » (voir South Africa medecines Act 90 of 199)

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droits à une tierce personne. L’octroi d’une licence obligatoire pour exploiter une invention sans

l’autorisation du breveté peut être utilisé dans tous les domaines, y compris celui de la santé

(Verschave, 2004 : 236) et peut concerner une personne physique ou morale (par ex emple une

entreprise publique ou privée). Tout comme les mots d’« importations parallèles », le vocable «

licences obligatoires » n’est pas repris expressément dans l’Accord sur les ADPIC, il est tiré par la

doctrine de son article 31 qui encadre le recours aux « autres utilisations sans autorisation du

détenteur du droit ».

Dans sa version originelle, c’est-à-dire avant sa modification intervenue dans le cadre des

négociations du cycle de Doha, l’Accord sur les ADPIC interdisait la possibilité d’exporter ou

d’importer les produits fabriqués sous licences obligatoires. En effet, en vertu de son article 31f, les

licences obligatoires sont délivrées « principalement pour l’approvisionnement du marché du membre

qui les a accordées ». Elles étaient donc destinées à résoudre uniquement les problèmes internes du

pays qui les a délivrées. Par conséquent, les licences obligatoires prévues au départ dans l’Accord

sur les ADPIC ne pouvaient pas répondre aux soucis sanitaires des pays qui n’ont pas les capacités

ou les infrastructures de produire localement les médicaments, ce qui est le cas pour les PMA et un

grand nombre des pays en développement. Cela réduit de manière significative la portée et

l’efficacité des licences obligatoires comme instrument permettant de ré soudre le problème d’accès

aux médicaments lorsque le pays n’est pas à mesure d’assurer leur production sur place ou lorsqu’il

faut faire face rapidement à une situation d’urgence. C’est pour cela que des mesures additionnelles

ont été adoptées à l’OMC depuis 2001, en marge des négociations du cycle de Doha, pour corriger

cette situation, en adoptant l’autorisation de l’exportation et de l’importation des médicaments

produits sous licences obligatoires, mais suivant une procédure et des conditions très stri ctes,

comme on le verra dans le paragraphe consacré à cette nouvelle version de licences obligatoires.

Mais avant d’arriver là, il faut commencer par comprendre le mécanisme de la version générale des

licences obligatoires, la nouvelle étant une exception en faveur des médicaments uniquement.

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95

III.3.1. Le mécanisme général des licences obligatoires

Les dispositions de l’article 31 (autres utilisations sans autorisation du détenteur du droit)77

prévoient que le membre peut autoriser l’utilisation de l’ob jet breveté sans l’autorisation du détenteur

du droit, notamment en cas d’urgence nationale. Ainsi libellées, les licences obligatoires peuvent être

perçues comme réponse à la question des brevets et au problème d’accès aux médicaments qu’ils

posent dans les pays du Sud. En théorie, le recours aux licences obligatoires serait susceptible de

rendre les médicaments abordables, tout en assurant que le titulaire du brevet reçoive une

rémunération pour l’exploitation de son invention. Dans la plupart des pays développés, les licences

obligatoires sont en effet l’un des mécanismes auxquels les États recourent pour promouvoir la

concurrence et l’accès aux médicaments. Toutefois, l’industrie pharmaceutique est généralement

opposée à l’octroi de ce type de licences, car, soutient-elle, elles découragent l’investissement et la

recherche. En outre, le fait que les produits fabriqués sous licences obligatoires ne puissent pas être

exportés prive ces dernières de leur utilité en tant qu’instrument de promotion de l’accès aux

médicaments.

a. Le principe des licences obligatoires et leur procédure

En principe, les licences obligatoires sont octroyées en cas d’urgence nationale pour

permettre l’exploitation locale d’une innovation brevetée en vue de résoudre un problème

conjoncturel auquel un pays fait face. L’Accord sur les ADPIC autorise expressément les membres à

accorder les licences obligatoires sur la base des circonstances qui leur sont propres. En effet, c’est

le membre lui-même qui détermine les circonstances qui justifient l’octroi de ces licences

obligatoires, mais son utilisation doit cesser lorsque les circonstances qui les justifient n’existent plus

(article 31g). En outre, les licences non volontaires ne peuvent être établies en fonction d’un domaine

technologique spécifique dans son ensemble (cela serait contraire aux dispositions de l’article 65

alinéa 4 de l’Accord sur les ADPIC), mais par rapport à un produit ou à un procédé déterminé. Ainsi,

peuvent être inclus, dans un régime de licences obligatoires, un médicament ou un autre produit dont

l’usage a trait à la santé (par exemple les équipements et matériels hospitaliers, le matériels de

diagnostic, etc.) ou les procédés de leur fabrication (Remiche & Kors, 2007 : 188-191).

77 Selon la note de bas de page 7 de l’Accord sur les ADPIC, on entend par « autres utilisations » les utilisations autres que celles qui sont autorisées en vertu de l’article 30 de cet Accord, à savoir les exceptions aux droits du titulaire du brevet mentionné à la première section de ce chapitre.

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L’article 31 de l’Accord sur les ADPIC, qui autorise la concession des licences obligatoires,

ne spécifie pas les motifs pour lesquels ces licences peuvent être accordées. Il énumère seulement,

à titre indicatif, quelques situations justifiant leur octroi. Il y est fait référence, de faço n exemplative,

qu’un membre pourra déroger aux règles normales de protection des brevets dans des situations

d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence ou en cas d’utilisation publique à

des fins non commerciales. Ces situations peuvent comprendre les raisons de santé publique (par

exemple à la suite d’une catastrophe naturelle, d’une guerre ou d’une épidémie) ou les raisons

d’intérêt public en général (Correa, 2009 : 44-45). L’Accord prévoit même un cas particulier de

licence obligatoire utilisée par les pouvoirs publics à des fins non commerciales : le gouvernement

peut utiliser lui-même ou autoriser un tiers à utiliser une invention brevetée à des fins qui lui sont

propres, sans l’autorisation du titulaire du brevet (Correa, 2009 : 73).

Ainsi, la protection de l’intérêt public, comme celle de la santé publique, suffit à justifier

l’octroi de licences obligatoires. L’apparition des maladies infectieuses ou épidémiques peut être

considérée comme une urgence nationale de nature à justifier l’octroi de telles licences, et ainsi

répondre aux besoins des pays en développement en ce qui concerne l’accès aux médicaments 78

(Guesmi, 2011 : 269). Il est donc admis que l’État puisse exploiter une invention brevetée pour des

raisons de santé publique et utiliser ce genre de mécanismes pour produire des médicaments et les

fournir aux coûts de production, et même gratuitement, aux patients les plus pauvres qui en ont

besoin de façon urgente (Guesmi, 2011 : 267-268).

Si l’article 31 de l’Accord sur les ADPIC laisse la liberté aux membres de déterminer les

motifs d’octroi des licences obligatoires, il est par contre très explicite en ce qui concerne les

conditions qui doivent être remplies pour qu’une licence obligatoire soit accordée. Outre l’obligation

de demander l’octroi volontaire d’une licence avant qu’elle ne puisse être accordée d’office par les

pouvoirs publics, le titulaire du brevet doit, en cas d’utilisation contraignante de son invention,

recevoir une « rémunération adéquate », compte tenu de la valeur économique de l’autorisation

(article 31h) et cette condition s’applique à tout type de licences obligatoires. Il existe des marges de

78 Cela a permis par exemple le Zimbabwe de déclarer en mai 2002 une « urgence d’une période de six mois », permettant la fabrication et l’importation de médicaments génériques utilisés dans le traitement du VIH/SIDA ou de ses maladies opportunistes (Guesmi, 2011 : 268-269).

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manœuvre à l’autorité nationale pour l’interprétation des critères à déterminer quand une

rémunération doit être considérée comme adéquate. La disposition établit deux éléments pour cette

interprétation : d’une part, il faut estimer son adéquation en fonction des circonstances que présente

chaque cas et, d’autre part, considérer la valeur économique de l’autorisation.

Par conséquent, les circonstances relatives au pays ainsi que l’objectif de la licence doivent

être pris en compte pour établir cette rémunération. Une licence octroyée pour satisfaire les besoins

de santé publique d’un PMA est sujette à des paramètres différents de ceux applicables lorsqu’il

s’agit d’un pays en développement du haut de la liste. La valeur économique varie en effet selon la

taille et la solvabilité du marché qui doit être approvisionné, l’âge de la technologie, le taux

d’obsolescence du secteur, le degré de concurrence des produits substitutifs et de la couverture du

brevet (Remiche & Kors, 2007 : 188-191). Le budget d’amortissement des coûts investis en

recherche et développement au moment d’octroyer une licence obligatoire peut égale ment être pris

en compte (Remiche & Kors, 2007 : 192-195). Elle peut aussi tenir compte de la part représentée par

le marché intérieur dans le marché mondial total du produit sous licence, afin de déterminer quelle

est la fraction des frais de recherche et développement que le pays doit légitimement supporter.

Dans le domaine pharmaceutique, la pratique générale en vigueur est de verser des redevances de

4% du prix de vente des médicaments produits sous licence obligatoire (Remiche & Kors, 2007 :

188-191).

a. La pratique comparée des licences obligatoires

La plupart des pays développés prévoient l’octroi de licences obligatoires en cas d’urgence

et de nombreux pays en développement ont révisé leur législation en matière de brevets pour y

inclure les motifs pouvant justifier l’octroi de telles licences. Ces dispositions concernant les licences

obligatoires sont rédigées le plus souvent en des termes généraux, afin de permettre une certaine

flexibilité dans leur interprétation et application. Parmi les pays d éveloppés, les États-Unis sont le

pays dans lequel on recense le plus grand nombre de licences obligatoires octroyées pour

contrecarrer les pratiques anticoncurrentielles ou pour les besoins de santé et de sécurité publiques,

malgré que la législation des États-Unis en matière de brevets ne prévoie pas de système de

licences obligatoires (Scherer, 1998). Il est généralement demandé aux preneurs de licences de

verser au titulaire du brevet une redevance d’un montant « raisonnable » qui est calculé sur la bas e

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98

de la formule « acheteur consentant, vendeur consentant », mais qui ne peut pas être supérieur à

3% du prix de vente net des produits génériques (Finnegan, 1977 : 140). Le recours aux licences

obligatoires concernant spécifiquement les médicaments est aussi prévu dans les législations de

plusieurs autres pays développés et est fréquemment utilisé. Par exemple, la loi française autorise

l’octroi de telles licences lorsque les médicaments « ne sont mis à la disposition du public qu’en

quantité ou qualité insuffisantes79 ou à des prix anormalement élevés » (Correa, 2001 : 115).

En revanche, bien qu’un système de licences obligatoires soit prévu dans de nombreuses

législations nationales, le nombre de licences de ce type octroyées dans la pratique reste

relativement faible dans les pays en développement. Si le nombre de licences obligatoires octroyées

par les pays en développement est relativement limité, c’est un mécanisme efficace pour stimuler la

concurrence et une arme crédible qui peut amener le titulaire d’un brevet à accorder des réductions

de prix (Correa, 2011 : 86). Selon Ladas (1975 : 427), « l’intérêt de l’existence de dispositions

concernant l’octroi de licences obligatoires dans les législations nationales est que la menace

constituée par ces dispositions incite les titulaires des brevets à accorder des licences contractuelles

à des conditions raisonnables ». Beier (1999 : 260) a développé un raisonnement semblable en

notant que « les licences obligatoires, de par la crainte qu’elles suscitent de vo ir engager des

procédures d’octroi forcé, rendent les titulaires de brevets plus enclins à accorder des licences

volontaires ». Au Brésil par exemple, le décret n° 3201/99 prévoit qu’en cas d’urgence nationale ou

pour des considérations d’intérêt public reconnues par les autorités, une licence obligatoire peut être

accordée d’office à titre temporaire si cela est nécessaire (Correa, 2009 : 77). L’intérêt public est

défini comme comprenant la protection de la santé publique et d’autres domaines d’importance

fondamentale pour le développement socioéconomique du pays. C’est en s’appuyant sur ce décret

de 1999 que le Brésil a fait valoir qu’il est capable de produire les versions génériques des

médicaments contre le VIH/SIDA et qu’il était disposé, le cas échéant, à octroyer une licence

obligatoire, afin d’obtenir de la part des firmes pharmaceutiques des rabais sur des produits brevetés.

Pendant plusieurs années, cette stratégie a porté ses fruits et le Brésil n’a pas eu à accorder souvent

des licences obligatoires (Correa, 2009 : 77). Cependant, une licence a été octroyée en 2007 pour

79 Le brevet n’emporte pas en effet l’obligation de l’exploiter ou de le commercialiser. Le titulaire d’un brevet est libre d’ex ploiter lui-même l’invention brevetée, de céder l’utilisation ou l’ex ploitation à une autre personne ou alors de ne rien faire du tout de son invention. Lorsque des raisons d’intérêt général le justifient, les autorités publiques peuvent autoriser l’exploitation du brevet par une personne tierce sans le consentement du titulaire.

Page 119: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

99

une utilisation publique à des fins non commerciales de l’éfavirenz, pour une durée de cinq ans et un

taux de rémunération du breveté de 1,5%. Alors que le titulaire du brevet prop osait un rabais sur ses

prix de 30%, le premier lot d’éfavirenz générique importé à partir de juillet 2007 avait un rabais de 65

à 70% (Correa, 2009 : 78). Cet exemple a souvent été présenté comme une preuve d’efficacité des

licences obligatoires dans la résolution du problème d’accès aux médicaments dans les pays

pauvres. Mais si cela a été possible au Brésil, cela ne peut pas être valable dans la plupart des pays

pauvres, dans la mesure où, outre que ces pays n’ont pas les mêmes capacités industrielles que le

Brésil, ces médicaments produits au Brésil ou les autres pays émergents ne peuvent pas être

exportés dans les autres pays du Sud.

b. Les limites des licences obligatoires à permettre l’accès aux médicaments dans les pays du Sud

L’alinéa f de l’article 31 de l’Accord sur les ADPIC comporte une disposition importante en ce

qui concerne la portée de l’utilisation des licences obligatoires dans la résolution du problème

d’accessibilité des médicaments brevetés par les populations des pays du Sud. En effe t, toute

utilisation de licence obligatoire doit être autorisée « principalement pour l’approvisionnement du

marché intérieur du membre qui a autorisé cette utilisation » (article 31, f). Ainsi, l’Accord sur les

ADPIC interdit l’utilisation des licences ob ligatoires qui ne soit pas destinée en premier lieu à «

l’approvisionnement du marché intérieur du membre qui a autorisé cette utilisation ». Or, l’importation

est la seule option que peuvent utiliser les pays pauvres pour s’approvisionner en médicaments,

puisqu’ils ne disposent pas de capacités de les produire eux -mêmes localement. Cela réduit de

manière significative l’efficacité des licences obligatoires en tant qu’instrument permettant de faciliter

l’accès aux médicaments du moment que leur production locale peut ne pas être réalisable dans

plusieurs pays en développement du bas de la liste, étant donné que la taille de leurs marchés

locaux ne justifie pas une telle production sur place (Remiche & Kors, 2007 : 188-191).

En effet, le problème pour beaucoup de pays du Sud est le manque de moyens pour

fabriquer leurs propres médicaments, surtout en cas d’urgence. Ils doivent dès lors se reporter sur

les importations. Or, un membre développé ne pouvait, en vertu de l’article 31 de l’Accord sur les

ADPIC, autoriser l’utilisation d’un brevet dans le but d’exporter un médicament breveté qui serait

nécessaire pour un autre pays que lui, même en cas d’urgence. Ce dernier, riche ou pauvre, ne

pourrait quant à lui autoriser l’importation de médicaments fabriqués sous licence obligatoire dans un

Page 120: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

100

autre pays qui a autorisé leur production (Remiche & Cassiers, 2010 : 143). En conséquence, les

pays qui ne possèdent pas les infrastructures et les capacités techniques et financières suffisantes

dans le secteur pharmaceutique pour produire localement les médicaments dont ils auraient besoin

ne sont pas en mesure de profiter du dispositif des licences obligatoires. Ils peuvent néanmoins

permettre l’importation des médicaments en provenance des pays où ils ne sont pas brevetés, ce qui

est aléatoire dans le cas des médicaments plus intéressants, les inventeurs s’empressant d’aller les

faire breveter partout où ils seraient susceptibles d’être facilement reproduits (Correa, 2011 : 28).

Pour cela, vu sous cet aspect, l’Accord sur les ADPIC s’oppose aux licences obligatoires

pour satisfaire les marchés internationaux par le biais de l’exportation et de l’importation. Cependant,

notons que, même si l’ORD n’a jamais été saisi pour l’interprétation de l’article 31 de l’Accord, la

présence du mot « principalement » implique, d’après nous, que l’exportation des produits fabriqués

sous licences obligatoires reste envisageable. À notre avis en effet, le sens donné habituellement à

cette disposition est erroné, car son interprétation laisse comprendre que les exportations sont

possibles, même si elles ne doivent pas en principe constituer la principale activité du titulaire de la

licence portant sur le produit breveté. Cette disposition signifie simplement que l’utilisation d’une

licence obligatoire pour l’exportation peut être une exception80, la règle étant l’usage interne. Or, ce

qui est exception n’est pas illégal, il est seulement circonscrit ou soumis à des conditions. Le

bénéficiaire de la licence obligatoire peut exporter ses produits, mais uniquement à titre subsidiaire.

Le seul problème est que l’Accord sur les ADPIC n’a pas prévu les conditions d’application de cette

éventualité. En outre, il est difficile de déterminer les critères qui permettraient de juger le caractère «

principal » ou « subsidiaire » de ces exportations (notamment en ce qui concerne les montants,

volumes, fréquences, destinations, etc.). La conséquence de cette situation confuse est que ce sont

les pays sans capacités technologiques qui se trouvent en difficulté et qui sont les plus fortement

touchés par le problème d’accès aux médicaments (Remiche & Kors, 2007 : 188-191). Cela a

poussé les pays en développement, à commencer par les pays africains, à exiger et obtenir la

révision de ce mécanisme en vue de permettre l’exportation et l’importation des médicaments

produits sous licences obligatoires et une nouvelle version des licences obligatoires a été adoptée en

80 Il s’agit d’une exception à l’usage des licences obligatoires, mécanisme qui est lui-même une exception au système normal des brevets.

Page 121: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

101

réponse aux soucis des pays qui « ne possèdent pas les capacités locales de produire eux -mêmes

les médicaments génériques dont ils ont besoin »81.

III.3.2. La version révisée des licences obligatoires pour les médicaments

En 2001, au cours de la 4ème Conférence ministérielle de l’OMC de Doha, fut adoptée une

déclaration qui concerne les liens entre l’Accord sur les ADPIC et la santé publique. Si certains

accordent à cette déclaration une certaine importance, c’est que tout en réitérant l’idée que la

protection de la propriété intellectuelle demeure une mesure incitative pour le développement de

nouveaux médicaments, elle mentionne explicitement, d’une manière nette, l’atteinte à la santé

publique que constituent les brevets, compte tenu de leurs impacts sur les prix des médicaments 82

(Remiche & Kors, 2007 : 233-236). À la suite de ce signal plus politique que juridique83 , la mesure la

plus importante prise dans le cadre de l’OMC pour résoudre les problèmes posés par les brevets

dans le domaine de la santé publique a été la décision du Conseil général de l’OMC du 30 août 2003

qui autorise l’exportation ou l’importation des médicaments produits sous licences obligatoires, en

faveur des pays qui ne disposent pas des infrastructures ou des capacités de les produire

localement. Ainsi, cette décision autorise l’exportation des médicaments génériques fabriqués sous

licences obligatoires, avant l’expiration du brevet. La décision de 2003 devra être rendue permanente

par la ratification du protocole portant amendement de l’Accord sur les ADPIC, ouvert aux signatures

des membres de l’OMC depuis le 6 décembre 2005, conforméme nt aux prescrits de l’Accord de

Marrakech instituant l’OMC (article X). Bien que toutes ces mesures aient été présentées comme

une avancée dans la résolution du problème d’accès aux médicaments pour les populations du Sud,

elles n’ont pas produit les effets escomptés en raison de plusieurs ratées qui handicapent leur

effectivité. En effet, la nouvelle procédure d’exportation des médicaments produits sous licences

obligatoires est longue, lourde et contraignante; ce qui fait que les États, qui ne sont pas di rectement

concernés, ne sont pas prêts à s’engager dans ces nouvelles licences obligatoires.

81 Extrait de la décision du 30 août 2003 sur la mise en œuvre du paragraphe 6 de la déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique.

82 Article 3 de la déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique.

83 Il ne s’agit en effet que d’une déclaration et non d’un accord au sens du droit international et ne traduit pas, en tant que tel, d’engagements des membres.

Page 122: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

102

a. La dérogation aux règles des licences obligatoires pour les médicaments

La déclaration de Doha constitue un compromis qui résulte des négociations entre les

membres de l’OMC et qui visait à rassurer l’opinion publique internationale et de manifester la

volonté des membres de régler la question de l’accès aux médicaments après la polémique qu’avait

suscitée le procès de Pretoria84 (Ituku, 2007 : 387). Cette volonté politique de régler la problématique

causée par les brevets dans l’accès aux médicaments s’est concrétisée par l’adoption de la décision

de 2003 devenue exécutoire depuis lors, en attendant la ratification et l’entrée en vigueur du

protocole portant l’amendement de l’article 31 de l’Accord sur les ADPIC.

i. Le consensus politique de Doha de 2001

La déclaration de Doha indique, en son paragraphe 6, que « les membres ayant des

capacités de fabrication insuffisantes ou disposant de faibles capacités technologiques dans le

secteur pharmaceutique éprouvent des difficultés à recourir de manière effective aux licences

obligatoires dans le cadre de l’Accord sur les ADPIC ». Elle enjoint au Conseil des ADPIC de trouver

une solution rapide à ce problème. Cette déclaration constitue donc le premier relâchement des

contraintes pesant sur les pays les moins développés sur la question de l’accès aux médicaments

(Remiche & Kors, 2007 : 233-236). Même si une déclaration ne constitue pas un instrument juridique

contraignant en droit international, la déclaration de Doha est considérée comme un cadre

interprétatif de l’Accord sur les ADPIC, celui-ci devant être interprété à la lumière de cette

déclaration, ce qui « permet de rendre des décisions plus justes à l’égard des intérêts antagonistes

en vertu de l’Accord sur les ADPIC » (Gervais, 2010 : 77-78).

En reconnaissant l’importance du problème de l’accès aux médicaments dans les pays du

Sud et de l’urgence de lui trouver rapidement des solutions, la déclaration de Doha a donc marqué le

coup d’envoi de l’action politique en faveur de la santé (Guesmi, 2011 : 306). Elle reconnaît

également qu’il existe un problème concernant le recours aux licences obligatoires dans les pays qui

n’ont pas de capacités de fabrication locales des médicaments. La déclaration de Doha a donc eu

des implications politiques et juridiques importantes. Même si elle est dépourvue de caractère

84 Les difficultés pour obtenir des médicaments brevetés à prix abordables produits sous licences obligatoires ont été mises à jour en 2001 lorsque les dispositions relatives à l’octroi des licences en Afrique du Sud ont été attaquées en justice par une coalition de plusieurs multinationales pharmaceutiques.

Page 123: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

103

obligatoire, elle a une valeur certaine en ce sens que même si les États ne peuvent pas exiger

l’application des dispositions qu’elle contient, ils doivent au moins observer ce qui a été convenu et

leurs partenaires ne peuvent le leur reprocher, même si ce comportement était contraire aux règles

préexistantes (Daillier, 2009 : 430). Avec l’adoption de cette déclaration, le consensus sur la question

des brevets et la santé publique s’est formé et sert de preuve de l’existence de l’opinio juris85 qui

s’est formée autour de cette question (Kiss, 2010 : 69).

Par ailleurs, la déclaration de Doha a consacré la nécessité de combler la lacune constatée

et intervenue après l’entrée en vigueur de l’Accord sur les ADPIC. Elle fixe les lignes directrices que

doivent suivre les membres. En effet, l’article 4 de la déclaration précise que « l’Accord sur les

ADPIC n’empêche pas les membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique. En

conséquence, ledit Accord doit être interprété et mis en œuvre d’une manière qui appuie le droit des

membres à protéger la santé de leurs populations et, en particulier, de l’accès de tous aux

médicaments » (Remiche & Kors, 2007 : 233-236). Elle constitue donc l’énoncé d’un programme

politique fondé sur de nouvelles dispositions auxquelles les membres ne peuvent plus s’opposer

valablement et affirme le droit des États à interpréter et à app liquer l’Accord de manière à protéger la

santé. Par la suite, l’influence de la déclaration sur la formation de la décision du 30 août 2003 et de

l’amendement de 2005 a été déterminante.

ii. La décision du 30 août 2003 et l’amendement de l’article 31f de l’Accord sur les ADPIC de 2005

La déclaration de 2001 a été précisée et rendue exécutoire par la décision du Conseil

général du 30 août 2003 ayant la portée d’une dérogation provisoire de l’article 31f de l’Accord sur

les ADPIC, dans l’attente de sa révis ion en bonne et due forme. Par cette décision, le Conseil

général de l’OMC entendait prescrire l’abandon de la disposition de l’Accord qui limitait l’importation

ou l’exportation des médicaments génériques produits sous licences obligatoires. Par la décision du

30 août 2003, les membres sont désormais autorisés à déroger, sous certaines conditions86, aux

85 Pour la plupart des organisations internationales, le principal moyen d’exprimer leur volonté est la recommandation adressée aux États membres. On peut estimer qu’il s’agit d’une nouvelle source du droit international, non prévu par l’article 38 du statut de la CIJ ou du moins, d’une nouvelle technique de création de règles juridiques internationales, d’autant plus qu’un organe international est lié par les résolutions qu’il adopte, même si celles-ci ne revêtent pas de caractère obligatoire pour les États membres. Cette manière de développer le droit international est particulièrement efficace dans les nouveaux domaines : droit économique, droit de l’env ironnement, etc. (Kiss, 2010 : 73).

86 On y rev iendra dans les détails plus tard.

Page 124: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

104

obligations établies par l’article 31f de l’Accord sur les ADPIC et à procéder à l’exportation des

médicaments génériques fabriqués sous licences obligatoires au profit de « membres importateurs

admissibles »87, c’est-à-dire les membres ayant notifié au Conseil général de l’OMC leur intention d’y

procéder. En précisant le contenu et les conditions de mise en œuvre du paragraphe 6 de la

déclaration de Doha dans le but de favoriser l’importation et l’exportation des médicaments

génériques (Remiche & Kors, 2007 : 237-246), elle consacre la légalité de l’importation des

génériques des médicaments à partir des pays dans lesquels ils sont aussi brevetés, mais qui ne

sont pas en mesure de les produire eux-mêmes, soit que les capacités techniques leur manquent,

soit que la production locale serait très complexe ou coûteuse à mettre en place (Correa, 2011 : 90).

La décision de 2003 viendra à expiration à la date à laque lle un amendement de l’Accord sur

les ADPIC remplaçant ses dispositions prendra effet. Lors de la conférence ministérielle de l’OMC à

Hong Kong, les membres ont en effet approuvé les changements qui transformaient cet abandon

temporaire de l’article 31f, en ce qui concerne les médicaments, en un amendement définitif de

l’Accord sur les ADPIC. Le 6 décembre 2005, le Conseil général sur les ADPIC a adopté, et soumis

aux membres pour acceptation, le protocole portant amendement de l’article 31 de l’Accord sur les

ADPIC, en remplacement de la décision de 2003 (Remiche & Kors, 2007 : 144-145). Un article 31bis

intègre les dispositions de la décision du 30 août 2003, la rendant ainsi définitive, stipule que « les

obligations d’un membre exportateur au titre de l’article 31f ne s’appliquent pas en ce qui concerne

l’octroi par ce membre d’une licence obligatoire dans la mesure nécessaire aux fins de la production

d’un produit pharmaceutique et de son exportation vers un membre importateur admissible »88. Il

s’agit du premier amendement à un Accord de l’OMC, mais il n’est pas encore entré en vigueur, faute

du nombre suffisant de ratifications. Il entrera en vigueur après son acceptation par deux tiers des

membres, comme cela est prévu par l’article X de l’Accord de Marrakech instituant l’OMC, et

remplacera, à partir de ce moment, la décision d’août 2003 qui reste d’application jusqu’à ce jour

(Gervais, 2010 : 85-87).

87 Aux fins de la décision, l’expression « un membre importateur admissible » s’entend de tout pays moins avancé membre et de tout autre membre qui a notifié au Conseil des ADPIC son intention d’utiliser le système en tant qu’importateur, étant entendu qu’un membre pourra notifier à tout moment qu’il utilisera le système en totalité ou d’une manière limitée, par exemple uniquement dans des situations d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence ou en cas d’utilisation publique à des fins non commerciales (OMC, 2003).

88 Voir la définition indiquée à la note de bas de page précédente.

Page 125: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

105

Malgré cela, l’importation et l’exportation des médicaments produits sous licences

obligatoires sont subordonnées à la modification préalable des lois nationales par rapport à l’article

31f de l’Accord sur les ADPIC. Or, si la procédure de modification n’est pas toujours une entreprise

facile que ce soit dans les pays importateurs ou exportateurs, compte tenu des enjeux qui

caractérisent le domaine pharmaceutique. En effet, depuis le 30 août 2003, seulement trois pays

exportateurs ont modifié leurs lois pour les adapter à l’article 31f, à savoir le Canada, la Norvège 89 et

l’Inde (Bouissou, 2013). Quant aux pays importateurs, aucun membre n’a encore modifié sa loi

nationale pour se conformer à la décision de 2003 et au protocole de 2005 (OMC, 2013b). De ce qui

précède, on ne se tromperait pas si on affirmait que la décision du 30 août a raté ses objectifs.

b. Les ratées de la nouvelle version des licences obligatoires en faveur des médicaments génériques

La nouvelle procédure des licences obligatoires pour les médicaments comporte de

nombreuses entraves qui handicapent son effectivité dans la résolution du prob lème posé par les

brevets dans le domaine de la santé. Outre que le protocole qui consacre l’amendement n’a pas

encore reçu les ratifications nécessaires pour son entrée en vigueur, elle prévoit une procédure

lourde qui impose de nombreuses contraintes. En plus, les pays producteurs des médicaments

continuent à user de leur influence politique et économique pour obtenir des pays du Sud l’abandon

de faire usage de ces nouvelles licences obligatoires, notamment en souscrivant des accords

bilatéraux ou régionaux en matière de propriété intellectuelle, les ADPIC plus. Le résultat est

qu’environ une dizaine d’années après son adoption, la nouvelle procédure des licences obligatoires

n’a été utilisée qu’une seule fois, et là aussi avec moins d’efficacité, puisque les médicaments

demandés par le Rwanda, avec l’aide de l’ONG Médecins sans frontières (Esmail & Elliott, 2007 :

35), n’ont été produits et livrés que quatre ans après le déclenchement de la procédure90. Ce seul

exemple à ce jour de l’exportation des médicaments génériques du Canada vers le Rwanda fournit 89 Voir pour plus de détails la déclaration de la Norvège sur la mise en œuvre de la déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique (IP/C/W/407) (OMC, 2004).

90 C’est l’ONG MSF qui a commencé à tester l’applicabilité du RCAM pour approv isionner plusieurs pays en antirétrov iraux à dose unique. La demande a débuté en août 2004, mais s’est retrouvée bloquée par le fait que MSF devrait transiter par ses entrepôts en France, alors que cette dernière n’est pas un « importateur admissible » (Esmail & Elliott, 2007 : 35-36). En plus, les pays destinataires n’étaient pas bien précisés, ce qui est normal pour une ONG qui œuvre dans plusieurs pays. Après plusieurs négociations, le Rwanda, avec l’appui de MSF, a notifié à l’OMC la délivrance d’une licence obligatoire et son intention d’importer une trithérapie (zidov idune/lamivudine/nevirapine) depuis le Canada selon le RCAM et la décision du 30 août 2003). Le 19 septembre 2007, le Canada a octroyé une licence obligatoire à une firme canadienne, Apotex, enfin de produire 260 000 comprimés d’Apo-Triav ir au prix coûtant et de les acheminer au Rwanda. Ce qui devrait permettre de traiter 21000 patients. Le 23 septembre 2008, Apotex annonçait qu’il était prêt à liv rer le produit au Rwanda. En tout 15,6 millions de comprimés d’Apo-Triav ir ont été exportés au Rwanda, au prix de 0,195 dollar canadien le comprimé (Correa, 2011 : 95-96).

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106

une preuve de l’inefficacité et de la non-opérationnalité de cette nouvelle solution contenue dans

l’amendement de l’article 31f de l’Accord sur les ADPIC.

i. La non-entrée en vigueur de l’amendement de l’article 31bis de l’Accord sur les ADPIC

L’Accord de Marrakech instituant l’OMC conditionne la modification ou la précision des

accords de l’OMC à une décision de la Conférence ministérielle ratifiée par la majorité des deux tiers

des membres. L’article X de l’Accord instituant l’OMC stipule en son troisième paragraphe que les

amendements aux dispositions des accords commerciaux multilatéraux prennent effet à l’égard de

ceux qui les ont acceptés une fois qu’ils ont été ratifiés par les deux tiers des membres ,

conformément aux procédures internes de chaque membre. Au 31 décembre 2014, on comptait 160

membres91, ce qui signifie qu’au moins 107 membres doivent ratifier le protocole de 2005 portant sur

l’amendement de l’Accord sur les ADPIC pour que ce dernier entre en vigueur. La réunion de ces

107 ratifications s’est avérée très difficile. En effet, la conférence ministérielle de Hong Kong de

décembre 2005 donnait aux membres jusqu’au 1er décembre 2007 pour « accepter »92 ce protocole.

Cette date limite a été reportée à plusieurs reprises et le nombre requis de signataires n’ayant pas

été atteint à la fin de l’année 2011, le Conseil général de l’OMC a décidé de reporter sine die l’entrée

en vigueur du protocole de 2005, jusqu’à ce que les signatures requises soient atteintes.

Au mois de décembre 2014, seuls 54 membres l’avaient déjà accepté93, dont seulement dix

pays africains94, alors que les PMA sont les plus concernés par le problème d’accès aux

médicaments, ce qui signifie que ce sont eux qui devraient profiter le plus de l’amendement. La

raison de ce désintérêt des pays du Sud pour cet amendement se trouve dans le fait qu’ils ont

conscience que les dispositions contenues dans ce protocole ne les permettront pas de résoudre le

problème d’accès aux médicaments, étant donné la lourdeur du mécanisme qu’il prévoit. Par ailleurs,

si l’amendement devait améliorer la situation, on aurait déjà remarqué le changement puisque,

91 Voir la liste des membres et observateurs de l’OMC (OMC, 2014).

92 Dans le sens du droit international, ce mot « accepter » signifie en fait « ratifier ».

93 Voir la liste des pays ayant ratifié le protocole de l’amendement de l’Accord sur les ADPIC sur le site internet de l’OMC (OMC, 2014b).

94 Ces pays sont, dans l’ordre de ratification, Maurice, Égypte, Maroc, Zambie, Ouganda, Sénégal, Rwanda, Togo, République centrafricaine et le Botswana (OMC, 2014b). Alors que l’on s’attendait à ce que les pays africains ratifient rapidement ce protocole, on verra dans le dernier paragraphe de cette section pourquoi les pays africains ne sont pas très pressés à ratifier cet amendement.

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107

malgré que le protocole ne soit pas encore entré en vigueur, la décision du 30 août 2003, qui prévo it

le même dispositif, est provisoirement en vigueur et reste d’ailleurs applicable jusqu’à l’entrée en

vigueur de l’amendement95 (Guesmi, 2011 : 457). Néanmoins, le problème de l’accès aux

médicaments est resté intact, malgré les 10 ans qui viennent de s’é couler depuis son adoption.

Finalement, les obstacles liés à la ratification de l’amendement ne sont pas pertinents et sont

aléatoires, du moment que le dispositif reste applicable. Les difficultés sont à chercher ailleurs,

notamment dans la lourdeur de ce dispositif.

ii. La lourdeur de la nouvelle procédure des licences obligatoires

La complexité du nouveau mécanisme des licences obligatoires a suscité un certain

scepticisme chez certains quant à son opérationnalité. Alors que la déclaration de Doha appe lait à la

mise en place d’une solution rapide et aisée à mettre en œuvre, c’est un lourd, long et coûteux

mécanisme que prévoit la décision du 30 août 2003. Avant de procéder à l’importation des

médicaments produits sous licences obligatoires, le pays qui souhaite émettre la licence obligatoire

doit démontrer l’échec de sa tentative de négociation préalable avec le détenteur de brevet. Cela

n’était pas exigé dans le régime général des flexibilités prévues dans l’Accord sur les ADPIC si la

licence est délivrée en cas d’urgence nationale. Ces négociations préalables font perdre inutilement

le temps et les coûts de transaction sont au final élevés (Remiche & Kors, 2007 : 237-246). Ainsi, ce

nouveau mécanisme complexifie la procédure « normale ou générale »96 des licences obligatoires,

dispositif qui était particulièrement difficile à mettre en œuvre.

En outre, le processus d’utilisation de ces nouvelles licences obligatoires est extrêmement

laborieux. Pour procéder à l’exportation des médicaments produits sous l icences obligatoires, le

membre ayant besoin de ces médicaments fait la demande auprès d’un autre membre qui dispose

des capacités de les produire, ce dernier effectue la commande et se porte garant auprès de la firme

qui accepte de les produire. L’obligation d’émettre les licences obligatoires simultanément dans le

95 Il faut en effet noter que la non-ratification du protocole de 2005, qui rendrait permanente la décision d’août 2003, n’empêche pas celle-ci de s’appliquer conformément aux dispositions de l’Accord instituant l’OMC (article 10 de la décision de 2003 et l’article XXIII du GATT de 1994 alinéas 1 b) et 1 c).

96 Il faut noter que le système des licences obligatoires prévu par la décision de 2003 et l’amendement de 2005 s’applique uniquement aux médicaments. Les autres produits restant sous le régime général des licences obligatoires tel que prévu par l’article 31 de l’Accord sur les ADPIC.

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108

pays producteur et le pays importateur (donc une double licence), la multitude de notifications et

d’informations à transmettre à l’OMC, l’exigence de prouver la réalité des besoins pour le pays

importateur et de justifier son incapacité à produire localement97, sont des éléments de nature à

alourdir et ralentir la procédure. Ces démarches administratives compliquent le mécanisme au point

de rendre la décision du 30 août 2003 inopérante. Ainsi, les pays importateurs, qui jusque-là

n’avaient qu’à déclarer une licence obligatoire pour pouvoir s’approvisionner en génériques d’un

médicament breveté, sont, par ce dispositif, tenus de procéder à des procédures de notification et

d’information de leurs démarches (Correa, 2011 : 90-91).

Par ailleurs, le membre exportateur98 doit fabriquer uniquement le produit en quantité qu’il a

notifié à l’OMC. En effet, la licence obligatoire doit préciser le nom et la quantité des produits que le

pays veut exporter dans ce cadre. Tous les médicaments produits dans le cadre des licences

obligatoires doivent être identifiés au moyen d’un étiquetage ou d’un marquage spécifique (couleur,

forme, empaquetage ou emballage) permettant de les identifier et de les distinguer des p roduits

brevetés dont ils sont équivalents (Gervais, 2010 : 74-77). Ceci implique que si une entreprise veut

produire pour plusieurs pays distincts, elle doit procéder à un marquage différent pour chaque pays

de destination (Remiche & Kors, 2007 : 237-246). Elle doit exporter la totalité des produits fabriqués

dans chaque membre importateur admissible99, qui doit en retour prendre des « mesures

raisonnables » visant à s’assurer que l’exemption ne conduise pas à un détournement des produits

pharmaceutiques exportés et pour empêcher leur réexportation ou leur utilisation par des membres

non admissibles100 (Gervais, 2010 : 74-77). Cela est de nature à décourager les firmes des pays

développés à s’engager dans la procédure d’exportation des médicaments produits sous licences

97 Le pays qui veut utiliser le mécanisme doit établir qu’il ne dispose pas de capacités de fabrication dans le secteur pharmaceutique ou que celles-ci sont insuffisantes et qu’il n’est pas en mesure de se doter de telles capacités à court terme, sauf s’il est un PMA auquel cas cette ex igence ne s’applique pas, car les PMA sont présumés d’office ne pas en disposer.

98 Aux fins de la décision de 2003, l’expression « membre exportateur » s’entend d’un membre utilisant le système décrit dans ladite décision pour produire des produits pharmaceutiques à l’intention d’un membre importateur admissible et les exporter vers ce membre.

99 Voir la définition de « membre importateur admissible » à la note de bas de page 86.

100 La réexportation n’est pas même permise aux membres en développement ou moins avancés qui présentent des problèmes de santé semblables et qui ont signé un accord commercial régional au sens de l’article XXIV du GATT de 1994. Le détournement (l’exportation vers un pays tiers au lieu du pays pour lequel le produit a été fabriqué constitue la principale préoccupation des pays riches. Les circonstances qui justifient la fabrication d’un médicament en vertu d’une licence obligatoire en vue de son exportation vers un pays A et les notifications requises ne s’appliquent pas à un pays B, et ce dernier doit effectuer les commandes et les notifications prévues s’il veut également bénéficier du système (Gervais, 2010 : 384-394).

Page 129: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

109

obligatoires dans la mesure où cette exigence de marquage multiple constitue une contrainte ou une

charge supplémentaire, en argent et en temps.

En outre, le pays exportateur doit enfin se porter garant de la rémunération et la payer au

détenteur du brevet, au cas où le pays importateur n’honorerait pas ses engagements (Correa, 2009

: 92). C’est le pays exportateur qui doit couvrir cette rémunération; et les conditions dans lesquelles

le montant de ces rémunérations est déterminé restent imprécises, voire floues, comme on l’a

mentionné plus haut. En effet, dans les cas où une licence obligatoire est accordée par un membre

exportateur dans le cadre du système décrit dans l’amendement, une « rémunération adéquate », en

conformité avec l’article 31h de l’Accord sur les ADPIC, doit être versée au titulaire du brevet pour

l’utilisation de son invention, compte tenu de la valeur économique que représente pour le membre

importateur l’utilisation de ce produit (Gervais, 2010 : 384-394; Remiche & Kors, 2007 : 237-246). Le

pays importateur est dégagé de toute responsabilité à cet égard à l’égard du breveté, il peut saisir

directement le pays exportateur. Ainsi, au lieu d’encourager les exportations des médicaments

produits sous licences obligatoires, le dispositif prévoit plutôt une sorte de sanction aux entreprises et

aux pays développés qui s’engageraient dans la procédure.

Le plus préoccupant tient au fait que les fabricants de génériques n’étant autorisées à

produire qu’au coup par coup et dans des quantités préalablement précisées, on imagine mal

comment ils pourraient se lancer dans les investissements en faisant des installations de production

spécifiques requises, sans avoir la garantie d’un marché durable ou d’un volume suffisant pour

amortir leurs coûts. Cette disposition, à elle seule, constitue un découragement majeur. Sauf

circonstances exceptionnelles (beaucoup de commandes, procédé de production facile à copier,

etc.), on voit mal comment le mécanisme motiverait les firmes à s’impliquer dans un pareil processus

(Remiche & Kors, 2007 : 237-246), sans oublier, comme on l’a vu, les pressions que ces firmes et

leur pays exercent sur les pays qui manifestent l’intention d’en faire usage.

iii. La faible implication des pays riches

Les lois adoptées par les pays développés pour mettre en application les dispositions de la

décision de 2003 contiennent des dispositions qui rendent impossible la réalisation du but recherché.

Page 130: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

110

À l’image de la loi canadienne101 qui instaure le RCAM (Régime canadien d’accès aux

médicaments), elles sont jonchées de restrictions et d’exigences réglementaires qui vont au-delà de

ce qui est requis dans la décision du 30 août 2003 de l’OMC, ce qui fait que les pays en

développement ne font pas usage des mécanismes prévus par le RCAM ou aux lois adoptées par

d’autres pays, lois qui sont toutes essentiellement identiques au RCAM (2012 : 4). En effet, dans la

plupart les pays s’approvisionnent en médicaments en faisant des appels d’offres ou des

propositions d’approvisionnement à l’intention de l’industrie. Comme l’explique Abbott (2009 : 3), ces

appels d’offres ne sont pas toujours concurrentiels; notamment lorsque le médicament est encore

sous brevet, ce qui implique que le titulaire de ce brevet est le seul fabricant à l’échelle mondia le. Il

s’avère dès lors difficile pour un fabricant de répondre aux appels d’offres de fourniture de générique

par une soumission conditionnelle, en indiquant que son offre est faite sous réserve de l’obtention

d’une licence obligatoire qui est incertaine ou qui peut prendre un certain temps à obtenir (Abbott,

2009 : 3). En outre, exiger d’un fabricant qu’il obtienne une licence obligatoire à l’exportation pour

chaque offre, et pour chaque pays destinataire est obstacle de taille pour le nouveau système. Le

RCAM suppose qu’un fabricant de produits pharmaceutiques puisse établir une chaîne de production

pour exécuter une commande et démanteler le tout pour construire ou réaménager ses

infrastructures pour une autre. C’est tout simplement surréaliste, du moment que les besoins des

pays sont souvent identiques et souvent concomitants, notamment en cas d’épidémies ou de

catastrophes (Abbott, 2009 : 3-4). Il s’avère donc une volonté manifeste des pays développés de

mettre en échec les mécanismes prévus par la décision de 2003, et même le projet de loi (C-398) qui

était censé apporter des modifications très concrètes au RCAM pour l’améliorer et le rendre efficace

(Abbott, 2009) a été ultimement rejeté par la Chambre des Communes en novembre 2012 (Malo,

2012).

Pire encore, malgré le caractère licite des licences obligatoires, leur usage demeure résiduel

en raison aussi des pressions exercées sur les gouvernements des pays du Sud qui envisagent d’y

recourir par les pays riches et leurs firmes. Déjà, plusieurs pays développés (comme l’Australie, le

Canada, les États-Unis, le Japon et l’Union européenne) ont fait savoir qu’ils n’utiliseraient pas le

nouveau système des licences obligatoires en tant qu’importateurs. Ce qui est logique puisqu’ils

101 Il s’agit de la loi (C -9) portant modification de la loi sur les brevets et la loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique) (Parlement du Canada, 2004).

Page 131: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

111

disposent des capacités suffisantes pour produire localement les médicaments dont ils auraient

besoin. D’autres (comme la Chine, la Corée du Sud, le Mexique et la Turquie) ont déclaré qu’ils n’y

recourraient qu’en cas de situations d’urgence. Certains pays qui ont manifesté l’intention d’y recourir

ont été menacés par certains pays développés de représailles commerciales. Ces menaces sont

suffisamment dissuasives pour que ces pays du Sud renoncent à l’usage des licences obligatoires 102

(Correa, 2011 : 47).

En effet, les États-Unis ont introduit une plainte devant l’OMC pour contester le fait qu’il était

possible d’acquérir au Brésil une licence obligatoire même si le brevet n’était pas d’origine

brésilienne (Remiche & Cassiers, 2010 : 144). En Thaïlande, la demande de licence introduite pour

produire la Didanosine, un antirétroviral connu aussi sous l’acronyme de DDi, présentée sous forme

de poudre (et non sous forme de comprimés, cette présentation n’ayant pas été protégée en

Thaïlande), n’a pas abouti (Guesmi, 2011 : 295). Le Gouvernement thaïlandais a été menacé de

représailles commerciales de la part des États-Unis sur les bijoux, le bois et les microprocesseurs.

En outre, la Thaïlande a également octroyé en 2006 une licence obligatoire pour l’éfavirenz pour

l’importer de l’Inde à un prix correspondant à la moitié de son prix de commercialisation en

Thaïlande. En représailles, l’une des firmes pharmaceutiques a retiré les demandes pendantes

d’homologation de nouveaux médicaments en Thaïlande. Pendant ce temps, les États -Unis ont

inscrit la Thaïlande sur la liste de « surveillance prioritaire », celle des pays dont la protection de la

propriété intellectuelle est jugée inadéquate (Correa, 2009 : 77).

Ainsi, les pressions politiques et économiques restent un problème récurrent même dans le

cas de la nouvelle procédure des licences obligatoires malgré que ces pressions aient formellement

été dénoncées dans la déclaration de Doha. Dans son paragraphe 4, celle -ci affirme en effet que les

pressions exercées pour entraver l’utilisation des flexibilités disponibles dans l’Accord sur les ADPIC

vont à l’encontre de l’esprit et de l’objectif de l’Accord. La réponse à la problématique des brevets et

de l’accès aux médicaments dans les pays du Sud ne se trouve ni dans les flexibilités contenues

dans l’Accord sur les ADPIC, ni dans les autres exceptions prévues par les autres accords de l’OMC.

Convaincu de la complexité de la problématique, il faut peut-être chercher à savoir s’il existe d’autres

102 Voir la note de presse du représentant commercial des États-Unis du 30 avril 1999 qui énumère les pays susceptibles de faire l’objet de sanctions économiques commerciales en vertu de la section spéciale 301 de la loi commerciale des États-Unis (Correa, 2009 : 47).

Page 132: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

112

solutions à cette question préconisées par les spécialistes des autres domaines (économiques,

politiques, etc.). Le chapitre IV qui suit va faire le tour des autres propositions, non juridiques, qui ont

été proposées pour résoudre cette problématique des brevets et de l’accès aux médicaments dans

les pays en développement. Si certaines de ces propositions de solutions vont dans le bon sens, les

autres sont pour l’essentiel contraires à l’esprit du libre marché et sont par conséquent rétrogrades

par rapport au contexte actuel du commerce international et ne sont donc pas appropriées pour

résoudre ce problème dans le respect de l’esprit et de la logique des accords de l’OMC.

Page 133: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

Chapitre IV : Les solutions non juridiques proposées pour résoudre le

problème d’accès aux médicaments dans les pays du Sud

Page 134: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments
Page 135: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

115

Un problème sans solution est un problème mal posé (Einstein).

Le problème posé par les brevets pharmaceutiques dans l’accès aux médicaments pour les

populations des pays du Sud semble difficile à résoudre, les enjeux en présence sont telleme nt

contradictoires que leur conciliation se révèle délicate, en tout cas dans le système juridique en

vigueur. Plusieurs auteurs et experts ont essayé de proposer d’autres solutions tous azimuts et, ces

dernières n’ayant pas de points communs, il est difficile de déterminer des critères susceptibles de

permettre leur classification. Le présent chapitre va passer en revue quelques -unes de ces solutions

qui sont plus pertinentes. La première catégorie de solutions insiste sur une gestion particulière des

brevets en ce qui concerne les médicaments. Ces solutions vont faire l’objet de la première section. Il

existe d’autres propositions, plus intéressantes et qui s’inscrivent dans la même perspective que l a

réponse privilégiée dans cette thèse. Ces propositions se fondent sur l’idée de dissocier les

dépenses de recherche et celles de production des médicaments et proposent de financer la

recherche autrement que par faire payer les patients. Ces solutions, qui seront traitées dans la

deuxième section de ce chapitre, proposent des récompenses diverses issues des financements

publics, comme les subventions ou allègements fiscaux pour la recherche médicale. On peut aussi

recourir aux recherches effectuées en partenariats publics-privés (PPP), aux contrats ou accords

d’achat anticipé (advance market commitment ou AMC) ou instituer un Fonds tenant compte de

l’impact sur la santé (Health impact fund ou HIF). Pour toutes ces solutions suggérées, il sera

question dans les paragraphes suivants d’exposer brièvement leur conte nu et montrer en quoi elles

ne parviennent pas à résoudre le problème posé par les brevets dans l’accès aux médicaments dans

les pays du Sud.

IV.1. Les solutions fondées sur la particularité des médicaments

Parmi ces solutions, il y en a qui sont radicales, comme la suppression pure et simple des

brevets, et d’autres qui prônent d’effectuer un contrôle des prix des médicaments. Ces solutions

modérées envisagent de mettre en place un système de la transférabilité des droits d’exclusivité

conférés par les brevets ou celui des prix différenciés selon le niveau de développement économique

des pays.

Page 136: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

116

IV.1.1. L’exclusion de la brevetabilité des médicaments

Sur le marché des médicaments dans les pays du Sud, la majorité des malades ne sont pas

disposés à payer leurs soins médicaux, compte tenu du faible niveau de leurs revenus et de

l’absence de prise en charge publique des dépenses de santé. Le coût social du brevet est donc trop

élevé et on peut légitimement se demander l’opportunité de protéger l’innovation dans ces pays si,

réservées aux plus riches, ces inventions ne profitent pas à tous ou à la société en général. Cette

section ne va pas revenir sur les considérations éthiques ou morales du droit des malades à avoir

accès aux médicaments, mais va insister sur les arguments des détracteurs du système des brevets

qui s’attaquent aux fondements mêmes de leur protection dans certains cas. Selon Scherer et

consorts (2002), lorsqu’il existe des obstacles (financiers, techniques ou autres) à l’imitation de

l’invention (ce qui est le cas pour les pays les moins avancés et beaucoup d’autres pays en

développement), il est inutile d’y appliquer la protection des brevets, même pour une courte période.

Ainsi, pour lui, un système international uniforme des brevets qui prévoit des délais longs, outre de

conférer une rétribution démesurée et souvent injustifiée à l’inventeur, n’instaure réellement aucune

protection dans au moins la moitié des pays de la planète, d’où la proposition de Scherer de

supprimer purement et simplement les brevets dans ces pays (Remiche & Kors, 2007 : 164-165). Il

s’agit d’une solution extrême et qui pourrait paraître farfelue à premier abord. Mais, même si elle est

critiquable à plusieurs égards puisqu’elle est en contradiction avec les buts et les o bjectifs des

accords de l’OMC et du système des brevets, les défenseurs de cette solution radicale se fondent

sur un argumentaire très solide et étrangement logique.

a. Les fondements théoriques de la suppression des brevets

Certaines études, notamment celles d’économistes103, montrent que la propriété intellectuelle

est défavorable au développement économique d’une part et qu’un fort système de protection de la

propriété intellectuelle n’est pas nécessairement le meilleur moyen de favoriser l’innovation d’ autre

part (Arrow, 1962 ; Chin, & Grossman, 1990). Premièrement, les droits exclusifs conférés par les

brevets sont contraires à la libre concurrence et à l’économie de marché fondée sur le libre -échange

103 Il convient de noter que la plupart des économistes montrent que les droits de propriété en général, y compris l’ensemble des droits de propriété intellectuelle et les brevets en particulier, jouent un rôle important dans le processus de développement économique et du progrès social. Pour une littérature sur le rôle et la place des brevets dans la croissance économique et la création des richesses, les travaux de North et son école des droits de propriété sont la référence (voir supra aux pages 91 et 92). Ce sont d’ailleurs ces bienfaits qui motivent et justifient l’institution du régime des brevets.

Page 137: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

117

et la liberté d’entreprendre. Adam Smith et Ricardo, qui sont les chantres du libre marché et du

libéralisme économique, dénoncent toute forme de protectionnisme ou de monopole. Pour eux, le

monopole conféré par les brevets est une exception à la libre circulation des biens et à la libre

entreprise. S’il devenait la règle, il entraverait le fonctionnement normal du marché et fausserait la

concurrence qui est le moteur de l’économie marchande telle que la pensée libérale l’organise

(Guesmi, 2011 : 419). Ainsi, les pères du capitalisme s’opposent aux brevets q u’ils assimilent à une

protection tarifaire et qu’ils considèrent comme les vestiges d’anciens privilèges accordés par le

Prince (Guesmi, 2011 : 69).

Deuxièmement, les brevets constituent plus un outil d’assurance des parts de marché et de

garantie de la rentabilité des investissements qu’un instrument au service de l’innovation (Guesmi,

2011 : 11). Pour certains, l’impact des brevets n’agit que sur le stock de médicaments existant sur le

marché au moment de la reconnaissance de la protection du brevet, ma is n’a aucun effet dynamique

sur le développement des nouveaux médicaments. Nogués (1993) a analysé les bénéfices

engendrés par les brevets dans les pays en développement, tels que leur influence sur le transfert de

technologies et l’investissement direct étranger, leur impact sur la recherche et l’innovation dans les

pays du Sud, etc. En aucun cas, il n’a rencontré l’évidence empirique soutenant l’existence des

progrès ou des changements bénéfiques remarquables dans ces domaines qui peuvent être

attribuables aux brevets (Remiche & Kors, 2007 : 172-173).

D’autres auteurs ont élaboré le cadre théorique qui examine les effets que produit sur le

bien-être l’extension de la protection des brevets à tous les pays, y compris dans les moins avancés.

En utilisant le modèle de l’offre et de la demande, Deardorff (1992) part de l’hypothèse que les

inventions sont réalisées dans un pays et que ces technologies, une fois inventées, sont librement

disponibles. Ensuite, il a calculé le surplus du consommateur et le bénéfice du monopole résultant de

deux situations : « protection restreinte », c’est-à-dire une protection dans un seul pays; et «

protection étendue », c’est-à-dire une protection dans plusieurs pays. En comparant les deux

situations, il constate que, lorsqu’une proportion élevée de la production et de la demande se

concentre dans le pays inventeur, et que la protection est étendue à d’autres pays, le stimulant

nécessaire à l’activité inventive est faible par rapport à l’importance de la distorsion monopolistique

engendrée. Deardorff (1992) a estimé les pertes de surplus du consommateur que la reconnaissance

Page 138: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

118

des brevets pharmaceutiques avait provoquées en Argentine. Pour ce pays, les pertes variaient entre

278 et 925 millions de dollars américains par an dans les années 1990. En se basant sur ces

observations, Deardorff (1992) recommandait déjà à cette époque de ne pas inclure les pays

pauvres dans un accord qui envisagerait d’intégrer la protection des brevets au GATT, devenu plus

tard l’OMC (Remiche & Kors, 2007 : 1968-199).

Deardorff (1992) poursuit son analyse avec les fondements philosophiques et politiques du

système international des brevets. Il s’interroge sur les arguments relatifs aux brevets en

mentionnant la contradiction entre les objectifs du GATT, donc de l’OMC, consistant à ouvrir les

marchés et promouvoir la libre circulation des biens et des services, d’une part, et celui de consacrer

le monopole des nouvelles technologies au bénéfice de quelques -uns, d’autre part. Il conclut qu’à

moins que la technologie ne soit transmissible, il n’y a pas de raisons d’étendre géographiquement la

couverture des brevets, jusqu’à y inclure les pays qui n’ont pas les possibilités de copier ces

nouvelles technologies (Remiche & Kors, 2007 : 169-170). Malgré ces arguments assez soutenus et

convaincants, ils ne sont pas assez forts pour justifier la remise en cause de la protection des

brevets, même dans les domaines médical et pharmaceutique.

b. Les critiques à la suppression des brevets pharmaceutiques

Il y aurait, selon les détracteurs des brevets, plusieurs façons de procéder pour supprimer les

brevets ou atteindre les effets équivalents. La suppression peut être directe, par l’édiction des

mesures qui stipulent expressément que les brevets ne seront plus accordés, soit temporairement ou

d’une façon permanente dans un pays donné. Si une telle mesure concernait tous les brevets, elle

serait contraire aux accords de l’OMC auxquels plusieurs pays ont adhéré. Outre que les avantages

des brevets sont nombreux (North, 1981), il est aussi difficile d’imaginer que la suppression soit

universelle, puisque les pays développés ont intérêt à garder une protection accrue des inventions. Il

faut cependant noter qu’une telle mesure serait licite dans le cas des PMA au moins jusqu’en 2021,

pour ce qui est des produits pharmaceutiques, voire aussi longtemps qu’ils le demanderont

individuellement après cette date (OMC, 2013). Mais, comme on l’a mentionné dans le deuxième

chapitre, la suppression et la non-reconnaissance des brevets portant sur les médicaments dans ces

pays ne changeraient rien, puisque les brevets pharmaceutiques ne sont de toute façon pas délivrés

dans ces pays actuellement. Pourtant l’accès aux médicaments dans ces pays reste problématique

Page 139: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

119

puisqu’ils n’ont pas, comme indiqué auparavant, les moyens de reproduire ces médicaments sans

l’assistance technique et financière des pays riches, ce qu’ils ne feront certainement pas si les pays

du Sud suppriment la reconnaissance des brevets, au regard de leurs intérêts et de ceux de leurs

firmes.

Pour les pays en développement qui ont ce genre de capacité, le choix de se retirer de

l’Accord sur les ADPIC ou de supprimer la protection des brevets dans leurs législations n’est plus

possible en raison du principe de l’engagement unique104, sauf à se retirer totalement de l’OMC et se

mettre au ban de la communauté internationale en s’excluant des échanges commerciaux

multilatéraux. Il est difficile d’envisager un tel scénario pour un pays déjà membre de l’OMC. En

outre, permettre aux pays en développement de déroger à la règle de protection des brevets, en

copiant allègrement les produits pharmaceutiques, serait mettre en œuvre un système parallèle de

production et de distribution des médicaments, comme c’était le cas avant l’entrée en vigueur de

l’Accord sur les ADPIC pour ces pays (Guesmi, 2011 : 255). Par ailleurs, pourquoi se retirer du

système des brevets alors qu’il n’existe pas de conflit entre les brevets et la santé qui justifierait la

remise en cause de la brevetabilité des médicaments ? Il faut plutôt chercher des solutions pour le

cas précis de l’accès aux médicaments dans les pays défavorisés et non pas remettre en cause tout

le système. Dans cette perspective, d’autres ont proposé d’exercer un contrôle sur les prix des

médicaments.

IV.1.2. La régulation des prix des médicaments

Dans le but de sauvegarder l’intérêt collectif, l’État peut décider de réguler les prix de

certains produits vitaux. La régulation des prix a pour but de corriger le coût marginal pour minimiser

la perte de bien-être des consommateurs qui ne peuvent pas faire face à la tarification normale

dépassant leur pouvoir d’achat. Pour contrer les effets des brevets, il y a des auteurs qui ont émis la

proposition de réguler les prix des médicaments.

104 Le principe d’engagement unique interdit aux membres d’émettre des réserves sur certaines dispositions ou de dénoncer certains accords qui n’emportent pas pleinement leur conviction.

Page 140: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

120

a. Notion de régulation internationale des prix.

Dans le commerce des biens et des services, il existe des marchés « libres » et les marchés

réglementés par l’État. Entre ces deux types de marchés, les conditions de commercialisation des

produits divergent et présentent des distorsions importantes. Sur les marchés libres, les prix des

produits se forment essentiellement par le jeu de l’offre et de la demande. L’État n’influe ni ne joue de

rôle majeur dans les transactions commerciales entre particuliers. Sur les marchés réglementés en

revanche, c’est l’État ou ses organes qui, dans le but de préserver ou de garantir l’intérêt général,

fixent les prix des différents biens et services qu’il estime essentiels. Les réglementations étatiques

ont des origines diverses ainsi que des formes variées. L’État pourra par exemple exercer une

influence sur les prix des produits, soit en édictant avec précision un prix X ou Y pour tel ou tel

produit, soit en fixant une fourchette dans laquelle le prix devra varier ou alors en indiq uant

simplement un plafond (ou un plancher) à ne pas dépasser. Il pourra aussi faciliter la circulation des

biens stratégiques en réduisant les formalités administratives de contrôle ou en les exonérant

totalement ou partiellement de certains impôts et taxes.

Selon les défenseurs de cette solution, l’intervention de l’État pour réguler les prix permettrait

de rendre les médicaments accessibles aux patients ayant des revenus modestes. L’action de l’État

serait de fixer un prix maximum pour éviter les abus qu’engendre le monopole conféré par les

brevets à leurs titulaires. Le contrôle des prix aurait pour effet de donner la possibilité aux pays

pauvres, souhaitant élargir l’accès de leurs populations aux médicaments, de réduire les prix des

médicaments, en les fixant au strict minimum, équivalant par exemple au coût de production, mais

qui ne pénalise pas, ou très légèrement, les détenteurs de brevets (Scherer & Watal, 2001).

b. Les difficultés de la régulation internationale des médicaments

Les opposants à cette solution avancent que le contrôle des prix va à l’encontre des

principes du libre marché et de la concurrence et qu’il risque de nuire à la recherche de nouveaux

produits en réduisant les perspectives de profits pour les investisseurs (Aron, 1962 : 15). La

régulation des prix des marchandises remettrait en cause les avancées déjà enregistrées en matière

de libéralisation du commerce dans le cadre du GATT et de l’OMC. Tous les efforts consentis depuis

Page 141: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

121

plus d’un demi-siècle tomberaient ainsi à l’eau. En outre, s’il est déjà difficile de déterminer les

critères de ce prix maximum au niveau national, il serait plus problématique de fixer un tel prix au

niveau mondial. Il n’existe pas de régulateur mondial, et, même s’il existait, il serait difficile pour l ui

d’estimer la demande mondiale et les coûts de production nationaux pour mettre en œuvre une

réglementation des prix des médicaments applicables partout. Il ne suffit pas de connaître la quantité

de médicaments fabriqués et le coût total pour savoir le p rix d’équilibre qui satisferait l’offre et la

demande mondiales, d’autant plus que la demande de médicaments est diversement inélastique 105

selon les pays.

Enfin, le fait qu’il existe des différences de prix selon les pays ne dépend pas des brevets.

Outre les facteurs de production qui diffèrent comme on l’a déjà mentionné, les réglementations

nationales en matière de santé constituent un facteur déterminant dans la production et la

commercialisation des médicaments. Les fabricants tiennent compte de plusieurs facteurs dans la

fixation du prix des médicaments d’autant plus que la plupart des règlements concernent aussi bien

les importations des médicaments fabriqués à l’étranger que ceux produits localement. Il faut

toutefois mentionner que, dans les pays regroupés au sein des grands ensembles économiques, ces

règlements sont souvent uniformisés dans des accords spécifiques ou sont au moins semblables, ce

qui contribue à la convergence des prix, malgré le facteur travail qui continue à différer selon les pays

(Weder & Barsuglia : 2006 : 33). D’ailleurs, dans la plupart des pays, y compris les pays riches, les

médicaments représentent un exemple type de biens dont les prix sont généralement fixés par l’État

(CFS, 2000 : 2-3) et cela ne semble pas avoir joué un rôle majeur dans la réduction des prix des

médicaments pour permettre au grand nombre de patients d’avoir accès à ces derniers.

IV.1.3. La transférabilité des droits d’exclusivité d’un brevet à un autre

L’autre solution plus ou moins importante parmi la multitude d’autres proposée est la

transférabilité des droits d’exclusivité conférés par les brevets sur un médicament essentiel à un

autre choisi par le titulaire de ces brevets. Elle est intéressante puisqu’elle traduit l’esprit prolifique

105 La demande pour un bien est dite élastique si la quantité demandée par le consommateur v arie substantiellement lorsque les prix varient. Elle est dite inélastique si au contraire la quantité demandée par le consommateur varie peu lorsque les prix varient (Chassagnon, 2013). La demande pour les biens de première nécessité est inélastique, ce qui est cas pour les médicaments. Un patient ne va pas diminuer sa dose quotidienne ou différer la prise de ces médicaments au motif que les prix de ces derniers ont augmenté (Chassagnon, 2013).

Page 142: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

122

des auteurs qui se sont intéressés à la question des brevets face à l’accès aux médicaments. Après

avoir expliqué brièvement en quoi consiste la transférabilité des droits d’exclusivité des brevets, nous

allons voir que cette solution est loin de satisfaire les intérêts des chercheurs et des entreprises.

a. Notion de transférabilité des droits d’exclusivité d’un brevet

Comme mentionné précédemment, la transférabilité des droits d’exclusivité d’un brevet à un

autre est une opération qui consiste, pour le détenteur, d’abandonner ses droits sur un brevet et les

transférer sur un autre de son choix, en prolongeant la durée de validité de ce dernier ou en le

réactivant s’il avait déjà atteint sa date d’échéance. Pour des défenseurs de cette solution, celle -ci

consisterait à utiliser les médicaments à succès dans les pays développés pour favoriser l’accès aux

thérapies pour les maladies infectieuses dans les pays en développement (Guesmi, 2011 : 425).

Pour les maladies négligées, la proposition viserait à faire bénéficier aux firmes développant des

produits destinés au traitement d’une des pathologies prévalant dans les pays du Sud, d’un système

de « transférabilité du droit d’exclusivité du brevet » grâce auquel elles pourraient jouir d’un

allongement de brevet sur un autre produit ou d’un « droit à un traitement prioritaire » de leur

demande de mise sur le marché sur un autre médicament de leur choix qui est très utilisé dans les

pays du Nord.

En d’autres mots, il s’agit d’accorder des avantages aux firmes pharmaceutiques qui

investissent dans les recherches sur les maladies négligées ou tropicales, en leur accordant un

allongement ou un délai supplémentaire pour un des brevets qu’elles choisissent elles -mêmes parmi

ceux qui couvrent un médicament très vendu ou recherché dans les pays du Nord, en échange de

quoi elles abandonnent leurs droits sur un médicament contre une maladie négligée ou un autre

médicament recherché ou essentiel pour les pays du Sud. L’autre avantage qui peut être accordé

aux firmes s’intéressant aux maladies négligées consisterait, selon ces auteurs, à leur accorder « un

droit de traitement prioritaire » quand elles introduisent une demande d’autorisation de mise sur le

marché de leurs nouveaux médicaments. Cependant, au regard de son fonctionnement et de se s

fondements, il est permis de douter de l’efficacité de cette proposition à résoudre le problème de

l’inaccessibilité des médicaments brevetés dans les pays du Sud.

Page 143: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

123

b. La transférabilité des droits, une solution qui n’en est pas une

La transférabilité des droits constitue un mécanisme très compliqué à mettre en œuvre étant

donné que les médicaments ne s’équivalent pas. Il serait en effet difficile de déterminer comment et

dans quelles proportions un médicament est interchangeable avec un autre. En outre , la contrepartie

qui consiste à accorder un droit prioritaire d’étude de leur dossier de demande de l’autorisation de

mise sur le marché (AMM) n’est pas à proprement parler un argument à faire valoir devant la

complexité de la question des brevets dans le secteur de la santé. En effet, cet avantage

administratif n’en est pas un, puisqu’il est du devoir des autorités chargées des dossiers de faire

diligence et de donner suite dans les meilleurs délais aux demandes de toute entreprise qui dépose

un dossier pour analyse. En effet, l’AMM est une décision administrative motivée par la satisfaction

des exigences techniques de la demande et non d’un quelconque arrangement politique ou à

l’amiable entre une firme pharmaceutique qui fait la demande pour son nouveau médicament et

l’administration chargée d’examiner la demande et traiter le dossier d’une manière professionnelle et

adéquate, le tout dans des délais raisonnables.

D’un autre côté, l’offre de prolonger la durée du brevet pour un médicament contre un autre

est peu convaincante pour les firmes pharmaceutiques. Il serait en effet improbable ou surprenant

que ces dernières investissent d’énormes ressources dans la recherche sur une maladie négligée

dans l’unique but de pouvoir demander par la suite la prolongation du brevet sur un de leurs

médicaments existants, même si ce dernier était le plus vendu dans les pays développés. En effet, le

fabricant fait d’abord une évaluation du potentiel et des perspectives des profits qu’il va réaliser avant

d’effectuer son investissement, surtout quand il s’agit de la recherche et développement portant sur

les médicaments qui exigent d’importantes dépenses. Le fabricant investit en pensant à un marché

donné, et il serait contre-productif de lui demander de se détourner de ce marché pour s’intéresser à

un autre qui n’a rien à voir avec ses plans d’investissement. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le

brevet est avant tout un titre national, sa prolongation dans un pays ne signifie pas qu’il le sera dans

d’autres. Il y en a, parmi ces derniers, qui attendent impatiemment la fin de la durée du brevet pour

pouvoir produire et commercialiser les génériques de ce médicament couramment utilisé ou

recherché par leurs patients. Entreprendre des négociations pour arriver à des comp romis allant

dans le sens de cette solution serait donc difficile, étant donné la divergence d’intérêt entre pays,

dont les populations aimeraient profiter des médicaments moins chers, après l’expiration attendue de

Page 144: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

124

leurs brevets, sans oublier les dépenses publiques de santé qui seraient allégées. On voit donc que,

face à la problématique des brevets et l’accès aux médicaments, les marges de manœuvre sont

limitées. Qu’en est-il de l’adoption des prix différenciés ou multiniveaux dans la résolution du

problème ?

IV.1.4. Les prix différentiés ou multiniveaux

Traiter de manière égale les situations qui ne le sont pas ne peut que conduire à renforcer les inégalités et les injustices

(Guesmi, 2011 : 253).

Malgré la diversité des situations des membres de l’OMC liée aux écarts de développement,

l’Accord sur les ADPIC consacre un régime juridique homogène et uniforme pour tous les pays

(Guesmi, 2011 : 91). Les pays du Sud ont été convaincus par les pays du Nord qu’une protection

accrue des droits de propriété intellectuelle attirerait les investissements étrangers et permettrait le

développement de leurs industries nationales. Ils avaient l’espoir qu’en garantissant au breveté que

sa technologie ne sera pas utilisée sans son autorisation, cela l’incitera à transfé rer sa technologie là

où elle fait défaut (Guesmi, 2011 : 82). Mais, outre que cela ne semble pas avoir été le cas, d’autres

effets inattendus se sont manifestés, dont l’exclusion des populations pauvres aux médicaments

brevetés.

Pour corriger ces effets négatifs provoqués par les brevets sur la santé publique dans les

pays du Sud, c’est-à-dire l’augmentation des prix des médicaments, certains auteurs ont suggéré

que des règles différentielles relatives aux prix soient appliquées aux médicaments essentiels , pour

permettre aux pays économiquement moins nantis se les procurer à des prix bas, en ne payant

seulement que le prix coûtant pour la production dudit médicament. Ils proposent de mettre en place

un système des prix différenciés en tarifant les médicaments en fonction des revenus et le pouvoir

d’achat des différents marchés (Vujisic, 2007 : 5). Ainsi, cette tarification différenciée ou ce système

des prix multiples consisterait à adapter les prix au pouvoir d’achat des consommateurs. Ce système

devrait permettre de diminuer notablement, en faveur des pays du Sud, le prix des médicaments

essentiels encore sous brevet et, par conséquent, d’élargir leur accessibilité, sans remettre en cause

Page 145: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

125

le système des brevets. Mais, cette solution, fondée essentiellement sur des considérations éthiques

ou morales, ne pourrait pas changer notablement la situation des patients dans les pays du Sud.

a. En quoi consiste le système des prix multiniveaux ?

Par différenciation des prix, on entend la vente de biens identiques à des prix différents selon

les endroits dans lesquels la vente se fait. Cette différenciation des prix crée un système des prix

multiniveaux. Elle a des effets stimulants puisqu’elle permet de maintenir une offre, alors que

normalement le prix unitaire trop élevé, en raison d’une demande trop faible, ne le permettrait pas.

Si, par exemple, un fabricant est en mesure d’appliquer un prix élevé pour son produit dans un

marché A, et peut simultanément isoler ce marché d’un autre marché B, il pourra, sous certaines

conditions, approvisionner également ce marché B, en dépit du fait que les niveaux des prix ou du

pouvoir d’achat y sont plus bas. Dans cette situation, le premier bloc de clients paie un prix

relativement élevé, tandis que le second bloc s’acquitte d’un prix optimal équivalant au coût de

production. Sur ce dernier bloc, le producteur connaît une perte d’exploitation, mais il est largement

compensé par les gains qu’il réalise sur le premier marché (Vujisic, 2007 : 6). Cette situation a

souvent lieu quand le fabricant se voit obligé, sous la pression de la collectivité ou de l’État,

d’approvisionner des marchés au faible pouvoir d’achat dans certaines régions, en y appliquant des

prix adaptés à ces régions, en échange de quelques autres avantages, par exe mple les allégements

fiscaux, l’octroi des terrains pour installer les unités de production à des prix avantageux ou d’autres

facilités administratives. Pour pouvoir bénéficier de ces avantages, les entreprises doivent accepter

en contrepartie d’opérer la différenciation des prix de leurs produits, soit dans le temps (en instaurant

une sorte de gèle des prix pendant un temps limité par exemple pendant la durée d’une épidémie ou

d’une catastrophe naturelle qui s’est abattue sur une région donnée), ou dans l’espace (en

appliquant des prix différents dans les différentes zones de distribution) (Scherer & Watal, 2002 :

918). Elles peuvent encore modifier les écarts des prix, en les augmentant ou en les diminuant selon

les facteurs locaux de chaque marché, notamment en les conformant à la fluctuation saisonnière du

pouvoir d’achat des consommateurs (période de récolte, de disette, de sécheresse, etc.). Les

producteurs peuvent également se charger eux-mêmes de la distribution, en éliminant les

intermédiaires, ce qui a pour finalité de maintenir ou de créer des différences de prix entre les

régions approvisionnées ou non approvisionnées directement par l’entreprise productrice (CFS, 2000

: 15).

Page 146: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

126

Pour les auteurs qui s’appuient sur cette théorie pour proposer une répo nse au problème

d’accès aux médicaments, le système des prix multiniveaux serait approprié pour résoudre ce

problème (Scherer & Watal, 2002 : 919). Il s’agirait en fait du pendant international de la version

interne de la discrimination par le prix. La différenciation des prix permettrait de segmenter les

marchés et de pratiquer des prix différenciés en les adaptant au pouvoir d’achat des populations et

selon le niveau de développement économique des pays. Dans un tel système, les consommateurs

des pays développés contribueraient à amortir les coûts fixes de recherche et développement, tandis

que ceux des pays en développement ne paieraient que les coûts de production (Scherer & Watal,

2002 : 919).

Scherer et Watal (2002) sont les grands défenseurs de cette solution. En se fondant sur un

modèle algébrique mettant en comparaison deux systèmes de propriété intellectuelle, un avec les

brevets pharmaceutiques dans les pays pauvres et un autre sans la protection des brevets dans ces

pays, ils ont conclu que le bien-être global est supérieur dans un système qui permet aux pays

pauvres d’user gratuitement de la recherche qui, de toute façon, est en grande partie supportée par

les consommateurs des pays riches. Ils constatent en effet que les consommateurs des pays

pauvres contribuent à une petite fraction aux bénéfices des entreprises pharmaceutiques, de sorte

que l’élimination de cette contribution n’influence que très peu la recherche dans sa globalité

(Remiche & Cassiers, 2010 : 175).

b. Les difficultés de mise en œuvre du système des prix différenciés

L’instauration d’un système d’offre de médicaments à prix cassés (puisqu’il s’agit bien de

cela) uniquement dans les pays du Sud paraît bien faible et peu convaincante pour résoudre la

problématique des brevets pharmaceutiques. L’instauration d’un tel système de double marché

(produits brevetés dans les pays capables de fournir les médicaments à leurs populations, et les

médicaments à bas prix dans les pays à faibles revenus) ne va pas nécessairement améliorer l’accès

aux soins dans les pays du Sud. En effet, dans la mesure où la recherche des grandes firmes

pharmaceutiques est orientée vers la seule demande solvable, et donc vers les affections qui

touchent principalement les populations des pays du Nord, il y a de sérieuses raisons de penser que

le peu de fonds affectés à la santé dans les pays du Sud pour acheter le peu de médicaments qu’ils

Page 147: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

127

sont capables de s’offrir ne profite qu’aux seules recherches portant sur les maladies qui se trouvent,

encore une fois, dans les pays solvables du Nord (Remiche & Kors, 2007 : 233-236). En effet, cette

solution de « brevet à géométrie variable », qui n’est digne d’intérêt que lorsqu’entrent en jeu des

considérations éthiques, ne peut fonctionner que pour les maladies pour lesquelles il existe une

demande dans les pays développés. Ce qui n’est pas le cas pour les maladies négligées, les

maladies tropicales spécifiques aux pays du Sud ou pour les maladies rares.

En outre, les firmes pharmaceutiques ne sont pas enthousiastes à l’idée de mettre en place

un système des prix différenciés systématiques sur les médicaments essentiels, puisque c’est de

ceux-là que proviennent leurs profits. Elles préfèrent participer à certains programmes de dons qui,

outre qu’ils ont l’inconvénient de manquer de prévisibilité et de durabilité, ont en fait pour objectif de

mener la concurrence des génériques de leurs produits provenant d’autres pays du Sud. Entre un

produit d’origine vendu à un prix du générique ou donné gratuitement et son générique, le choix est

vite fait pour les pays et les populations qui bénéficient de ces programmes. En effet, quelques

laboratoires proposent des prix différenciés ou même des dons de médicaments pour aider les PMA

ou d’autres pays du Sud à faire face à certaines épidémies comme le VIH/SIDA, la tuberculose ou

encore le paludisme. On peut citer en exemple le cas du laboratoire Gilead qui propose son

traitement antisidéen Viread à environ 17 dollars américains dans certains pays du Sud, alors qu’il

coûte plus de 600 dollars américains en Amérique du Nord et en Europe (Lévine, 2005). C’est

également dans cette logique que des « prix aménagés » sont pratiqués pour les antibiotiques et des

traitements contre le diabète par GlaxoSmithKline et pour les antiépileptiques par Sanofi-Aventis.

Merck envisage de faire autant pour son vaccin contre le cancer du col de l’utérus (Guesmi, 2011 :

433-434). Les dons et les réductions consenties restent cependant dérisoires ou insuffisants pour

que cela puisse apporter des changements notab les dans les pays qui bénéficient de ces

programmes. En effet, même si les firmes acceptaient de baisser leurs prix, ils resteraient souvent

supérieurs au coût moyen des dépenses de santé qui pèsent sur les ménages ou sur les budgets

publics des pays en développement (Guesmi, 2011 : 289). Il faut rappeler que les pays en

développement n’occupent que 10% du marché mondial des médicaments, alors que 90% de la

population mondiale y vit (Vershave, 2004 : 229). Pour couvrir leurs besoins en médicaments, il

nécessiterait des budgets de santé dix fois supérieurs aux budgets de santé des pays développés

pour avoir le même niveau de couverture médicale. En effets, les dépenses de santé, mesurées en

Page 148: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

128

termes de parité des pouvoirs d’achat, s’élèveraient seulement à 78 d ollars américains par habitant

dans les pays à bas revenus, où les risques sont les plus élevés, contre plus de 3000 dollars

américains dans les pays de l’OCDE à haut revenu (Correa & Velasquez : 121).

Enfin, un système des prix différenciés serait diffic ile à gérer au niveau international. En effet,

si on se souvient de l’existence de la règle de l’épuisement international, les pays ayant des prix

élevés seraient tentés d’effectuer des importations parallèles en provenance des pays qui bénéficient

des bas prix. Comme pour le cas des licences obligatoires, un contrôle pour interdire ces

importations serait coûteux à mettre en œuvre et son efficacité reste à démontrer. Par conséquent,

les pays bénéficiant des prix bas ne seraient alors probablement plus approvisionnés puisque cela

nuerait aux firmes qui les fournissent et elles n’auraient donc plus d’intérêt à jouer ce jeu. Même si

c’est la pratique qu’ont adoptée certaines firmes pharmaceutiques, la baisse volontaire des prix et

des dons de médicaments ne sont donc pas une solution durable pour résoudre la question de

l’accès aux médicaments, tout comme l’accroissement de l’aide au développement dédiée à la santé

publique des pays du Sud (Elliot & al., 2003 : 1).

IV.2. Les solutions fondées sur les compensations financières aux brevets

pharmaceutiques

Ces solutions sont plus crédibles et certaines ont été mises en œuvre puisqu’elles trouvent

l’adhésion des firmes pharmaceutiques. En effet, le point commun de ces solutions et qui les rend

intéressantes pour l’étude de la problématique des brevets dans l’accès aux médicaments est

qu’elles reposent sur l’idée de dissocier les dépenses de recherche et ceux de production des

médicaments, et prévoient l’utilisation des récompenses monétaires pour inciter à la créat ion de

médicaments. En échange de l’acceptation de ces récompenses, les inventeurs de médicaments

brevetés renoncent à leurs droits de propriété intellectuelle. Cela permet la fabrication de

médicaments génériques, ce qui devrait alors réduire les prix. En rompant le lien entre le coût de

production du médicament des dépenses consacrées aux recherches qui ont permis sa mise au

point, on trouve le prix marginal de production qui deviendrait le prix d’achat payé par le patient

(Hoffman, 2012 : 50-55).

Page 149: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

129

C’est dans cette perspective de promouvoir la mise au point des médicaments libres de

droits des brevets que des financements publics internationaux pour la recherche pharmaceutique

ont été réalisés, essentiellement par des programmes de recherches menées conjointement par les

acteurs publics et privés (PPP) mettant en synergie les moyens provenant des gouvernements,

organismes de la société civile, les entreprises, les fondations à but caritatives et philanthropiques,

etc. Dans le même ordre d’idée, des mécanismes de garantie de marché se traduisant par

l’engagement d’achat anticipé (avanced market commitment ou AMC) des vaccins ou des

médicaments issus des projets de recherche ont été effectués et ont abouti à la recherche et à la

mise au point de certains médicaments qui ont été très bénéfiques pour les pays en développement.

Un autre mécanisme a été proposé par une équipe pilotée par Thomas Pogge et vise aussi à rompre

le lien entre les coûts consentis pour la recherche et développement et les prix de productio n des

médicaments, propose de séparer le marché de l’innovation de celui du médicament (Timmermann &

Van den Belt, 2013 : 65) en instituant un Fonds tenant compte de l’impact sur la santé (Health impact

fund ou HIF), qui est un fonds chargé de récompenser les chercheurs ayant mis au point des

médicaments qui sont utilisés par un grand nombre de personnes à travers le monde. Les

paragraphes suivants vont procéder à l’analyse de ces mécanismes et pour évaluer leur capacité à

traiter la question de l’accès aux médicaments en utilisant les trois critères établis par Hoffman (2012

: 56) qui sont la capacité de la proposition à promouvoir la recherche et développement, y compris

sur les maladies négligées; la faisabilité de la proposition, et le potentiel de la proposition visant à

améliorer la santé dans les pays à faibles revenus.

IV.2.1. Les partenariats publics-privés pour la recherche médicale

On parle de partenariats publics-privés (PPP) puisque les principaux pourvoyeurs de fonds

pour de telles initiatives viennent du secteur public et du privé comme les gouvernements, les

centres de recherche ou d’enseignement public comme les universités, des organisations

internationales, des entreprises, les fondations caritatives, les associations de la société civile, etc.

a. Le rôle des PPP dans la recherche médicale

L’implication du secteur public a en effet été toujours déterminante dans la recherche

fondamentale. La majeure partie de la recherche fondamentale a été effectuée à l’extérieur du

Page 150: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

130

système industriel, dans les universités ou les centres de recherche publics soutenus par les

gouvernements. Même si la complémentarité entre l’enseignement et la commercialisation n’est pas

évidente, la recherche appliquée dans les domaines tels que l’agriculture, la médecine et

l’aéronautique, a toujours été un sujet approprié pour la participation du public pour combler le vide

laissé par les particuliers ou les soutenir dans leurs projets de recherche (Arrow, 1962 : 623).

Au niveau international, il existe déjà un certain nombre de programmes ou d’initiatives qui

mettent à contribution le secteur public et privé dans le domaine de la recherche médicale, comme la

Global alliance for vaccines and immunisation (GAVI) appuyé par les contributions des donateurs et

les fonds issus de l’International finance facility for immunisation (IFFIm); les Medicines for malaria

venture (MMV); la Global alliance for tuberculosis drug development, la Drugs for neglected diseases

initiative (DNDI), etc. Il existe une multitude! L’International federation of pharmaceutical

manufacturers and associations (IFMPA), qui est un partenaire privé important dans ce domaine,

estime à plus de soixante le nombre de PPP, bien que beaucoup se concentrent sur la fourniture aux

pauvres en produits pharmaceutiques déjà existants plutôt que sur des besoins de recherche et

développement (Esmail & Elliott, 2007 : 25). Il ne sera pas question de détailler ici pour chacun de

ces programmes les objectifs, les sources de financement et leurs réalisations. Cela exigerait un

autre travail de recherche106. Il faut noter seulement que ces programmes rencontrent les faveurs

des firmes pharmaceutiques puisqu’ils leur permettent de mener des projets risqués ou ambitieux

sans avoir la crainte de supporter seules la totalité des coûts en cas d’échec. L’autre remarque est

que les montants alloués à ces initiatives, tout comme leurs structures, varient selon les projets qu’ils

suscitent l’adhésion ou non des principaux bailleurs.

b. Les limites des PPP dans l’accès aux médicaments dans les pays du Sud

Même si ces programmes financés à l’aide des PPP peuvent être complémentaires au

système actuel de la recherche en privilégiant notamment les maladies négligées, les inventions

découlant de ces programmes de PPP sont le plus souvent céd ées sous licence à des fabricants

privés de produits pharmaceutiques pour qu’ils entreprennent le développement et la

106 Pour les lecteur intéressés, il est conseiller de se référer aux sites internet officiels de ces programmes pour plus de détails : GAVI : http://www.gavialliance.org/fr/ ; IFFIm : http://www.iffim.org/ ; MMV : www.mmv.org/ ; Global alliance for TB drug development : http://www.tballiance.org/ ; IFMPA : http://www.ifpma.org/ , DNDI : www.dndi.org/ .

Page 151: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

131

commercialisation (Esmail & Elliott, 2007 : 25). Étant généralement des associations sans but lucratif,

les PPP ne disposent en effet pas de structures industrielles et commerciales pour assurer la

production et la distribution de ces médicaments. Ainsi, le modèle de PPP compte toujours sur

l’industrie pharmaceutique privée. Même si c’est le secteur public qui finance généralement la

recherche, les États exercent plus de contrôle dans la fixation des prix et, en tout cas, aucune

influence pour en garantir l’accès.

Le fait de vendre l’invention aux producteurs de médicaments a pour effet de rétablir le lien

entre la recherche et la commercialisation qui n’existait pas au départ parce qu’il avait été rompu par

le financement du PPP. Par cette revente, on retombe dans les rouages du système traditionnel des

brevets pharmaceutiques. Il aurait été peut-être plus cohérent avec l’idée de départ de rendre

publiques les inventions issues de ces programmes de recherche et ainsi permettre qu’il y ait

plusieurs points de développement et de production concurrentiels chargés de la commercialisation,

ou négocier seulement la sous-traitance avec les industriels uniquement pour la production et la

commercialisation. Une telle approche aurait probablement pu produire une plus grande

transparence et un meilleur partage du processus de la recherche. Les médicaments ainsi

développés dans le cadre de ce système pourraient alors être immédiatement disponibles sous

forme de génériques et ainsi permettre l’accessibilité des médicaments issus de ces recherches

financées par les PPP. Mais cela n’est pas le cas. Cependant, les PPP contribuent dans d’autres

mécanismes qui ont fait leurs preuves, notamment dans les programmes qui visent à encourager la

recherche par le biais des promesses d’achat massif des médicaments ou vaccins issus des projets

de recherche en cours.

Page 152: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

132

IV.2.2. Les garanties d’achat ou de marché

Que signifient les garanties anticipées d’achat et comment fonctionnent-elles ? Que peuvent

être leurs avantages ou leurs inconvénients ?

a. Définition des garanties de marché anticipées

Les garanties d’achat à l’avance, encore appelées « engagements anticipés d’achat »

(advanced market commitment ou AMC), sont des contrats juridiquement contraignants107 entre les

chercheurs ou laboratoires pharmaceutiques et les bailleurs de fonds, composés essentiellement par

des donateurs (les pays, les organisations internationales, les ONG, les Fondations, etc.). Ces

derniers garantissent l’achat futur de médicaments qui sont dans leur phase de développement. En

échange, les chercheurs s’engagent à fournir une certaine quantité de leurs produits à un prix fixe

négocié préalablement (Hoffman, 2012 : 55-56). Les AMC sont une sorte de prix à l’innovation qui

garantissent un marché aux laboratoires de recherche en promettant un marché et une récompense

à l’innovateur qui sera le premier à mettre au point et à produire un méd icament qui répond à

certaines spécifications. Ainsi, les AMC visent à créer un marché pour les médicaments en mettant

en place des contrats entre les chercheurs et les éventuels acheteurs. En général, les AMC

récompensent les premiers lots de médicaments ou de vaccins livrés dans le cadre de ces

engagements de produire et de fournir ces médicaments au faible coût dans les pays du Sud

pendant une période déterminée pendant laquelle ils ne pourront pas faire valoir leurs droits de

propriété intellectuelle sur leurs inventions. Les AMC permettent aux entreprises de continuer à faire

des profits sur ces médicaments dans les marchés riches, en continuant d’exploiter le régime actuel

de la propriété intellectuelle (Zealand, 2012 : 6-8). Si ce mécanisme était mis en place à une plus

grande échelle et devenait fonctionnel, il pourrait être un incitatif pour les recherches sur les maladies

négligées, étant donné qu’il garantit l’achat de ces médicaments une fois mis au point. En effet,

pouvant être considérés comme des compléments au système actuel des brevets, ces contrats

présenteraient l’avantage de réduire les risques associés à un manque de marché, en créant des

marchés qui sont assez fiables pour stimuler l’investissement privé dans la recherche sur les

107 En effet, pour que ces programmes soient efficaces, il faut que les chercheurs potentiels soient convaincus que les parrains du programme ne rev iendront pas sur leur engagement d’achat. En fait, les tribunaux ont jugé que des engagements publics analogues portant sur l’achat de biens précis constituent des contrats juridiquement contraignants et que les décisions de lancer de tels programmes par des parties indépendantes engagent leurs auteurs.

Page 153: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

133

médicaments portant sur les maladies négligées, encourageant les firmes et les laboratoires à

investir dans la Recherche et le développement de médicaments sur ces pathologies (Hoffman, 2012

: 57).

En outre, malgré le fait qu’il n’ait été utilisé que d’une façon limitée et marginale, le

mécanisme des AMC a déjà montré ses preuves dans le cadre des médicaments antipaludéens à

des prix abordables, programme pilote géré par le Fonds mondial, les bas prix négociés avec les

producteurs de médicaments, en échange d’un marché assuré et d’une subvention temporaire (ONU,

2012 : 19). Les AMC ont également été particulièrement intéressants dans le cas des projets de

recherche sur les vaccins. En effet, les vaccins offrent le meilleur espoir d’une solution durable à long

terme au problème des maladies infectieuses. Ils sont plus faciles à livrer que les médicaments et

n’ont pas à être administrés par des médecins. Or, parce que les sociétés pharmaceutiques estiment

avoir peu de chances de récupérer leurs frais de recherche-développement sur les vaccins, peu de

recherche privée est consacrée aux vaccins contre plusieurs pandémies mondiales comme la

tuberculose, les maladies virales, etc. Un moyen pour les organisations internationales, les pays ou

les fondations de stimuler la recherche sur ces vaccins consiste à s’engager à acheter ces vaccins

lorsqu’ils auront été mis au point. Un tel engagement d’achat constitue non seulement une incitation

à mettre au point ces vaccins, mais également une garantie que le prix ne fera pas obstacle à

l’utilisation de ces vaccins par les populations (Kaul, & al., 2002 b : 70-72). C’est d’ailleurs dans le

secteur des recherches de vaccins qu’on trouve les exemples d’AMC qui ont bien fonctionné. Après

avoir été mis en œuvre en 2009 pour la recherche d’un vaccin contre les pneumocoques, les AMC se

sont révélés comme pouvant constituer une méthode susceptible de rendre les médicaments

accessibles pour les populations des pays du Sud. Établi entre Pfizer, GlaxoSmithKline et un

consortium de gouvernements (Canada, Italie, Norvège, Russie et Royaume-Uni) et de la Fondation

Gates, cet AMC a donné lieu à un vaccin qui a depuis été distribué à moindre coût dans de

nombreux pays en développement (Hoffman, 2012 : 57). Ce programme pilote de mécanisme de

garantie de marché pour les vaccins contre le pneumocoque avait mobilisé 1,5 milliard de dollars

américains de financement auprès de sources bilatérales et philanthropiques (ONU, 2012 : 19).

Page 154: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

134

b. Les inconvénients des AMC

Les AMC présentent néanmoins quelques inconvénients majeurs. Tout d’abord, les

politiques et les lobbies jouent certainement un rôle dans la détermination des projets de recherche à

financer. On comprend ici que l’objectivité dans la détermination des projets à accorder les garanties

d’achat peut être compromise. Ensuite, chaque récompense doit définir des objectifs bien précis,

spécifiant clairement la maladie que le médicament doit attaquer. En effet, un AMC est spécifique à

une seule maladie et est financé en fonction de la volonté des donate urs, la représentation

disproportionnée du VIH/SIDA dans les AMC suggère la difficulté de la sélection d’une maladie parmi

la multitude de celles négligées (Zealand, 2012 : 7). Cette spécificité est problématique, car elle

suppose des connaissances avancées sur la maladie ou le médicament à produire alors que c’est

précisément l’acquisition de ce genre de connaissances qui doit encore être encouragée. Par

conséquent, le cahier des charges de l’AMC peut être trop exigeant, avec le résultat que les

innovateurs donnent des efforts inutiles même s’ils avaient déjà une solution recherchée d’une

manière générale. Il peut aussi être insuffisamment exigeant, avec le résultat que les innovateurs,

pour économiser temps et argent, fournissent des produits qui sont à pe ine assez bons pour gagner

le prix ou la récompense, même quand ils auraient pu faire mieux à peu de frais.

En outre, la forme que doit prendre la récompense doit être déterminée à l’avance. Or, rien

ne permet au décideur public de déterminer un montant avant que la recherche ne commence. Il y a

lieu donc de craindre que les potentiels bailleurs de fonds des AMC soient submergés par des

demandes de récompense pour d’hypothétiques ou improbables inventions. Enfin, les AMC sont

certes intéressants pour stimuler la recherche sur les maladies négligées, mais ils ne concernent pas

les médicaments qui sont déjà sur le marché que les populations des pays du Sud n’ont pas accès

alors qu’ils en ont besoin maintenant. La solution recherchée dans la présente étude est de

permettre l’accès à ces médicaments existants et non d’attendre d’hypothétiques découvertes qui

viendront plus tard ou même pas. C’est certainement cela qui a incité Pogge et son équipe de monter

un autre mécanisme, qui reste encore au stade de proposition, mais qui est intéressant à analyser

étant donné qu’il a beaucoup d’éléments de ressemblance avec la solution envisagée par cette thèse

dans le but d’apporter une réponse satisfaisante à la question de l’accès aux nouveaux médicaments

brevetés dans les pays en développement. Le mécanisme proposé par Pogge et son équipe porte le

Page 155: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

135

nom de « Fonds tenant compte de l’impact sur la santé »108, mais il est préférable de garder son

appellation anglaise de « Health impact fund » que les initiateurs du projet lui ont donnée.

IV.2.3. Le Fonds tenant compte de l’impact sur la santé

Le Fonds tenant compte de l’impact sur la santé (Health impact fund, ci-après dénommé HIF)

que Pogge et son équipe proposent de créer est aussi une structure chargée de récompenser les

innovations pharmaceutiques en fonction de leur impact sur la santé dans le monde. Pogge fait valoir

que cette structure a été conçue pour combler le fossé engendré par le système actuel de la

recherche médicale en matière d’accès aux médicaments entre les p ays du Nord et ceux du Sud.

Pour que les médicaments soient accessibles au plus grand nombre, il faut que leurs prix soient bas,

mais des prix faibles n’encouragent pas l’innovation. Or, les firmes pharmaceutiques récupèrent

traditionnellement leurs investissements en recherche et développement en faisant payer les

malades, souvent à des prix élevés en raison du monopole que leur confèrent les brevets. De ce fait,

les firmes sont incitées à privilégier les médicaments qui se vendent bien, plutôt que de mettre plus

d’efforts de recherche sur ceux qui ont plus d’impact sur la santé. Le HIF est alors censé fournir des

incitations stables sur le long terme en ce qui concerne la mise au point de médicaments dont les

perspectives de rentabilité sont faibles ou incertaines (OMS, 2012 : 187). Après avoir analysé le

principe et le fonctionnement du HIF, il sera ensuite question, dans la présente section, d’analyser

successivement ses avantages et les obstacles de sa mise en œuvre.

a. Principe et fonctionnement du HIF

L’idée principale du HIF est que le propriétaire d’un nouveau médicament breveté, qui a

obtenu l’autorisation de marché dans au moins un pays, peut choisir de rejoindre le HIF pour une

période maximale de dix ans, à condition qu’il s’engage à vendre son produit à un prix spécifié par le

HIF. En contrepartie de bénéfices perdus ou espérés, il recevrait une quote -part de la somme

annuelle fixe prévue à cette fin, quote-part déterminée par les bénéfices cliniques obtenus par le

médicament par rapport aux avantages obtenus par d’autres médicaments enregistrés dans le

système du HIF. Dans le système du HIF, le titulaire du brevet conserverait tous les autres droits y

108 Il s’agit d’une traduction libre de l’appellation originale qui est « Health impact fund ».

Page 156: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

136

afférant, mais il perdrait la liberté de facturer son médicament au prix de monopole. C'est le HIF qui

fixerait le prix qui serait à peu près équivalant au coût de fabrication et de distribution, de sorte que le

titulaire du brevet ferait des profits, non pas sur des prix élevés facturés aux patients, mais

principalement sur les versements obtenus auprès du HIF pendant cette période de dix ans (Hollis &

Aidan 2008 : 127). À la fin de cette période couverte par les paiements ou récompenses du HIF, le

titulaire du brevet garde ses droits sur le brevet pour le reste de la période de brevet, mais il a

l’obligation de délivrer une licence libre de droits, ce qui signifie que tout le monde pourra désormais

utiliser l’invention gratuitement, ce qui permettrait aux autres firmes de fabriquer les génériques dudit

médicament (Liddell, 2010 : 168).

L’essence de la proposition est d’offrir à l’inventeur une quote -part d’une somme annuelle

fixe, en proportion de la part de l’impact sur la santé engendré par son produit, par rapport à l’état

antérieur à la distribution de ce dernier et par rapport à tous les autres produits enregistrés, pendant

une période de 10 ans. Au cours de cette période, le HIF effectuera la collecte et l’évaluation des

données en vue de déterminer l’impact sur la santé globale du produit, cet impact étant estimé en «

qualité-années de vie ajustée » (quality-adjusted life years ou QALY). Les QALY, c’est-à-dire le

nombre d’années de vie ajustées sur la qualité de vie, sont des mesures normalisées et qui sont

habituellement utilisées dans plusieurs pays pour évaluer les effets bénéfiques des technologies

médicales sur la santé globale (Hollis & Aidan, 2008 : 127). Dans le système du HIF, les firmes qui

enregistreraient leurs produits auprès du Fonds seraient rémunérées au prorata de l’amélioration que

leur produit apporte à la santé mondiale. Le HIF leur verserait chaque année, pendant les 10 ans,

une quote-part d’une somme fixe en guise de récompense, la quote -part étant calculée

proportionnellement en fonction de l’impact du médicament sur la santé dans le monde sur cette

même période et par rapport à l’ensemble des autres médicaments enregistrés auprès du HIF

(Hoffman, 2012 : 57). Cela signifie que le paiement que chaque inventeur reçoit dépend non

seulement de la performance de son propre produit, mais aussi de la performance de tous les autres

médicaments enregistrés dans le régime du HIF (Hollis, 2008 : 127). En effet, pour déterminer

l’impact ou les QALY d’un nouveau médicament, le HIF ne prendrait en compte que l’avantage net

du nouveau médicament, et de le comparer au bénéfice net des autres thérapies préexistantes plus

efficaces, et d’attribuer des points en fonction de l’amélioration apportée, en excluant les autres

Page 157: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

137

médicaments brevetés enregistrés par la même entreprise et ceux s’appuyant sur les mêmes

innovations que le médicament sous analyse (Hollis, 2004 : 9).

Par exemple, si tous les produits enregistrés ont été estimés avoir sauvé vingt millions de

QALY, un produit qui a permis de guérir deux millions de ces QALY recevrait deux sur vingt, soit un

dixième (ou dix pour cent) du montant total prévu annuellement par le HIF pour la rémunérer les

innovations pharmaceutiques. Ce calcul serait effectué chaque année, et chaque produit inscrit

recevrait un paiement basé sur ces calculs pendant dix ans après son approbation auprès du HIF. La

proposition du HIF présente certains avantages qui font qu’elle soit fascinante (Liddell, 2010 : 157).

Mais elle est complexe et extrêmement difficile à mettre en œuvre, comme on le verra dans le

dernier paragraphe, mais on commence par analyser ses atouts.

b. Appréciation critique des avantages du HIF

Le principal avantage du HIF, qui est aussi son but finalement, serait évidemment de

ramener les besoins médicaux non satisfaits des pays du Sud dans le système de la recherche, en y

consacrant des fonds, afin qu’eux aussi aient un certain attrait sur le marché de l’innovation

pharmaceutique (Timmermann & Van den Belt, 2013 : 66). L’intérêt du HIF réside ainsi dans sa

capacité à offrir des revenus et des gains pour les médicaments qui seraient autrement non rentables

dans le cadre du système actuel des brevets. Ainsi, sans remettre en cause le droit de brevet, le HIF

permettrait un accès à ces produits pharmaceutiques dans les pays en développement et

engendrerait des économies substantielles pour les organismes de sécurité sociale dans les pays

développés (Hollis & Pogge, 2010 : 13). Le Fonds serait intéressant pour des produits ayant un

potentiel thérapeutique élevé, mais ayant une valeur commerciale faible, comme les médicaments

pour les maladies négligées (OMS, 2012 : 187-191). En offrant aux entreprises innovantes le

paiement fondé sur l’impact sur la santé de leurs innovations, peu importe où l’impact de la santé se

produit, le HIF éliminerait le problème de manque d’incitations pour les maladies négligées (Pogge,

2013). Par contre, puisque le HIF ferait des paiements en fonction de l’impact estimé sur la santé

globale, les incitations seraient faibles pour les médicaments pour les maladies rares (Hollis & Aidan

2008 : 130). Il serait de même pour les maladies chroniques comme les maladies cardiaques, le

diabète et le cancer qui resteraient rentables dans le système des brevets (Zealand, 2012 : 8).

Page 158: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

138

Ensuite, plutôt que de remplacer le système actuel des brevets ou d’introduire un nouveau

droit de la propriété intellectuelle, le HIF serait un système facultatif qui aurait pour deuxième

avantage de cohabiter avec le système classique des brevets (Liddell, 2010 : 158). Pogge & Hollis

(2008) estiment ainsi qu’en opérant en parallèle avec le système actuel des breve ts plutôt que de

chercher à le remplacer, le HIF se donne de meilleures chances d’être accepté par les différents

acteurs concernés et d’être mis en œuvre que les plus controversés des idées de réforme de la

propriété intellectuelle (Zealand, 2012 : 12). L’enregistrement au HIF est en effet une option offerte

aux brevetés et non une obligation. Une fois qu’ils ont obtenu le brevet pour un nouveau

médicament, ils peuvent essayer de tirer profit de leur invention de la manière habituelle en

exploitant le monopole et la fixation des prix que les marchés leur procurent, ou choisir l’option

d’enregistrement au HIF et de recevoir une récompense selon la formule axée sur l’impact sanitaire

de leurs nouveaux médicaments (Timmermann & Van den Belt, 2013 : 64). Ainsi, au lieu de courir le

risque de percevoir des paiements des patients pendant les vingt ans, période pendant laquelle ils

peuvent pratiquer des prix de monopole (façon classique d’exploiter un brevet), les inventeurs qui se

joignent au HIF recevraient des paiements pour une période de dix ans au cours de laquelle ils ne

peuvent charger pas plus que l’équivalant du coût de production (Hoffman, 2012 : 57).

Enfin, le HIF encouragerait les firmes à s’investir dans la distribution de leurs médicaments

pour atteindre le plus de personnes (en vue d’augmenter leur impact par le nombre d’utilisateurs) et

participer dans la vérification de leur impact sur la santé (Hoffman, 2012 : 50-51). Par ailleurs,

contrairement aux PPP ou AMC qui s’engagent ex ante, le HIF n’interviendrait qu’ex post : il ne ferait

que récompenser les produits développés et mis en circulation avec succès, en fonction de leur

impact sur la santé qui est évalué après que le médicament ait été utilisé (HIF, 2013). Cependant,

malgré ces avantages assez remarquables et qui vont dans le sens de la solution souhaitée pour la

problématique des brevets et de l’accès aux médicaments dans les pays en développement, la

proposition du HIF est difficile à mettre en œuvre pour des raisons qui suivent.

c. Critiques et obstacles à la mise en œuvre du HIF

Le premier obstacle est qu’il serait compliqué de pouvoir effectuer des évaluations crédibles

d’une photographie complète de la charge mondiale d’une maladie et d’évaluer les QALY apportés

par la contribution d’un médicament particulier à sa réduction (Liddell, 2010 : 170). Pogge et consorts

Page 159: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

139

reconnaissent eux-mêmes qu’il n’existe pas d’outil parfait pour mesurer la maladie ni pour évaluer

l’impact d’un médicament sur la santé et qu’une telle évaluation se fonde né cessairement sur des

données imparfaites (OMS, 2012 : 187-191). Pogge (2011a) admet qu’en général les estimations

seraient imparfaites, mais, selon lui, elles permettraient d’atteindre une meilleure corrélation entre les

bénéfices et les effets réels sur la santé que le système actuel (Zealand, 2012 : 17-18). Par ailleurs,

même en supposant qu’il soit possible de mesurer les QALY qui sont capables de déterminer

l’amélioration de la santé à l’échelle mondiale, le HIF serait confronté au défi d’évaluer les liens de

causalités entre l’amélioration des QALY et l’utilisation d’un produit pharmaceutique en particulier

(Hoffman, 2012 : 59). En effet, cet impact, au lieu d’être l’effet du médicament lui -même, pourrait

découler entre autres d’un profil thérapeutique amélioré, d’un accroissement de l’usage dû à la

baisse de prix, ou d’une utilisation plus efficace due à une meilleure prescription ou à un meilleur

respect des instructions par le patient (OMS, 2012 : 187-191). Par exemple, dans les pays tropicaux,

il est fréquent d’utiliser simultanément des moustiquaires et d’autres types de traitements contre le

paludisme. La question qui se pose est alors de savoir quelle est la part de l’amélioration de l’état de

santé qui peut être attribuée à un nouveau médicament antipaludéen et la part des moustiquaires

imprégnés (OMS, 2012 : 187-191). Autre exemple, l’efficacité des antirétroviraux dépend de

l’association de plusieurs médicaments : dans ce cas, comment peut-on déterminer la contribution

isolée de chaque médicament, quand on sait que leur séparation n’a plus d’efficacité (Hollis & Aidan

2008 : 128)? Plus difficiles encore, les QALY ne sauraient déterminer efficacement l’impact que les

vaccins produisent sur la santé. Un vaccin administré à une personne est efficace pour toute sa vie

et celui donné aux personnes de toute une région, veille à ce que cette région soit préservée de cette

maladie pour toujours. Comment est-ce qu’on pourrait évaluer cet impact éternel (Barooah, 2010)?

En outre, vu que le mécanisme du HIF diviserait une enveloppe fixe parmi tous les produits

enregistrés proportionnelle à la performance de chaque produit, le deuxième problème avec le HIF

est que les paiements pour un médicament dépendraient des effets thérapeutiques d’autres

médicaments, puisqu’ils seraient tous, quelle que soit la maladie qu’ils traitent, en concurrence pour

la somme disponible annuellement et qui reste fixe, quel que soit le nombre de médicaments

enregistrés. Plus le nombre de médicaments enregistrés au HIF augmente ou si un nouveau

médicament a d’impact important sur la santé, plus est volatile la quote -part distribuée à chaque

participant au HIF. Ainsi, les médicaments essentiels, comme les vaccins ou celui qui traiterait le

Page 160: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

140

SIDA, auraient un impact très élevé sur la santé et accapareraient la grande partie de la récompense

du HIF en laissant peu d’argent pour les autres (Hoffman, 2012 : 57). Pogge reconnaît aussi que le

HIF s’autorégulerait lui-même du fait que les récompenses seraient plus élevées si le nombre de

médicaments inscrits est faible, mais que cela aurait à son tour pour effet d’attirer d’autres firmes et

de faire baisser par contrecoup les montants des récompenses (OMS, 2012 : 187-191). Cela aurait

pour effet de remettre en cause la prévisibilité des rémunérations qu’auraient les firmes. La

conséquence est que si les paiements du HIF tombent trop bas, le mécanisme ne pourra pas attirer

d’autres médicaments plus intéressants pour la santé publique, qui seraient alors vendus à des prix

de monopole (Hollis & Aidan 2008 : 128). En effet, sans savoir ce que seront les impacts des autres

médicaments qui sont en développement, il serait difficile pour une firme d’estimer le paiement

probable qu’elle recevrait au HIF pour son nouveau médicament sur les dix ans à venir (Zealand,

2012 : 15).

La troisième critique est que les partisans de ce système estiment qu’en investissant

beaucoup plus dans la collecte et l’analyse des données que les systèmes nationaux de santé ne le

font actuellement, le Fonds serait en mesure d’effectuer des évaluations suffisamment cohérentes et

fiables pour assurer que les versements soient répartis équitablement entre les candidats sur la base

de l’impact sur la santé, ce qui fournirait de réelles incitations aux innovateurs pour mettre au point

des produits ayant un fort impact sur la santé (OMS, 2012 : 187-191). Mais cette collecte se révèle

être un travail colossal. En effet, cela suppose de recueillir des informations non seulement sur les

ventes, mais aussi sur l’administration et l’utilisation des médicaments en compétition, et cela dans

tous les pays. Le HIF devrait donc être doté d’une fonction de vérification et d’audit pour s’assurer

que les produits soient distribués et utilisés d’une manière correspondante aux résultats des études

d’observation, ce qui impliquerait des systèmes pour surveiller les ventes et s’assurer que les chiffres

fournis par les firmes ne soient pas artificiellement grossis par des tactiques de marketing visant à

majorer les chiffres de vente et ainsi exagérer l’impac t sur la santé apparente (Liddell, 2010 : 171).

Pour accomplir ce travail, le HIF nécessiterait une grande structure administrative pour effectuer ces

analyses comparatives d’efficacité thérapeutique des médicaments à travers le monde. Ce serait

coûteux, lourd et les risques d’inefficacité et de collusion sont réels109.

109 Mettre un grand système de récompense dans les mains d’une bureaucratie est lourde de risques. L’expérience avec les industries réglementées montre que les bureaucraties sont susceptibles d’agir de concert avec les entreprises réglementées; ingérence politique qui conduit à la prise de décision discutable, et les organismes gouvernementaux peuvent manquer d’objectiv ité (Hollis, 2004 : 12-18).

Page 161: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

141

Le quatrième défi pour le HIF serait de savoir comment estimer le prix de commercialisation

qui serait appliqué sur les médicaments enregistrés, du moment que les coûts de production varient

d’un pays à l’autre (Hollis, 2009). Les coûts de production (main d’œuvre, matières premières,

équipement, normes sociales et environnementales, etc.) ne sont pas homogènes dans tous les

pays. Par exemple, le coût de production d’un médicament en Suisse, o ù le salaire minimum

avoisine mensuellement les 4000 dollars américains, n’est pas comparable au coût de production

dans la totalité des pays en développement, ni même dans la plupart des pays développés. Sur quel

pays le HIF devrait-il donc déterminer le coût de production qui servirait de référence pour le prix de

commercialisation, à travers le monde, des médicaments participant au mécanisme du HIF ?

Cinquièmement, Pogge fonde sa proposition sur des considérations d’ordre éthique ou

moral110, en insistant sur le fait que l’accès aux médicaments est un droit humain qui doit être garanti

par un système international juste (Timmermann & Van den Belt, 2013 : 63). Selon lui, les citoyens

des pays riches sont indirectement responsables de l’ordre mondial que leurs gouvernements ont

imposé au monde entier et il y a donc une « obligation morale » pour les gouvernements et les

citoyens de ces pays à soutenir le HI. À ses yeux, le statu quo de l’Accord sur les ADPIC, qui « prive

aux êtres humains l’accès à l’objet fondamental pour leur existence en tant qu’être humain est tout

simplement injuste » (Timmermann & Van den Belt, 2013 : 64). À notre avis, cet argument paraît

assez faible pour convaincre les gouvernements que c’est important de participer au projet, puisque

le HIF, dans sa conception, serait principalement financé par les gouvernements sur base des

contributions obligatoires des pays, ainsi que d’autres donateurs. Dans sa conception, les États

membres devraient prendre l’engagement de garantir le financement d’au moins une dizaine, voire

une quinzaine d’années, pour rassurer les innovateurs pharmaceutiques qui, s’ils investissent dans

des essais cliniques coûteux maintenant, peuvent demander pendant dix ans de percevoir la

récompense qui équivaut à l’impact sur la santé de leurs médicaments (Pogge, 2010a : 150).

Constatant que cela risque de ne pas fonctionner, Pogge et son équipe se sont rétractés en

suggérant que les HIF nationaux seraient finalement préférés au HIF unique mondial qui semble peu

attrayant pour de nombreux pays riches. Ils recommandent ainsi à chaque pays d’accepter de

110 Pogge est avant tout un philosophe de formation et de carrière en tant que professeur de philosophie à l’Université Yale. Il n’est donc pas surprenant que sa proposition se fonde sur des considérations éthiques ou morales.

Page 162: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

142

consacrer une proportion de leur PIB à un Fonds national de récompense pharmaceutique. Le

mécanisme est évidemment au-delà des capacités de nombreux PMA et ils proposent de crée r un

HIF spécial administré à l’échelle internationale uniquement pour ces pays, qui donneraient des

récompenses en leur nom (Hollis, 2004 : 22-23). En fait, du moment qu’ils fondent leur raisonnement

sur des considérations éthiques, les arguments sont moins convaincants et ils ne pouvaient

qu’arriver à cette situation d’impasse qui prévaut actuellement où la question de l’accès aux

médicaments dans les pays en développement est traitée comme une question humanitaire ou

d’aide publique au développement en faveur des pays du Sud et de leurs populations pauvres. Bref,

le HIF, tel qu’il a été conçu par Pogge et consorts, outre qu’il ne s’appuie pas sur un fondement

théorique fiable ou convaincant, n’est pas de nature à pousser les firmes pharmaceutiques à le

considérer comme crédible, prévisible ou attrayant pour qu’elles se décident à utiliser cette sorte de

loterie, puisque c’est de cela qu’il s’agit, le participant espérant qu’il n’y aura pas d’autres

médicaments enregistrés durant les dix ans qui atteignent des impacts cliniques plus élevés que le

sien (Liddell, 2010 : 169).

De ce qui précède, on constate que d’une manière plus générale, les réponses qui ont été

proposées ou mises en œuvre dans le but de favoriser un accès universel aux médicaments

essentiels, pour intéressantes qu’elles soient, présentent l’inconvénient de placer la santé dans le

cadre du marché et, par conséquent, n’offrent que des solutions qui ne traitent la question d’accès

aux médicaments d’une manière aléatoire et imparfaite (Guesmi, 2011 : 481). Les firmes

pharmaceutiques, à travers ce genre d’interventions ponctuelles notamment dans le cadre des PPP

ou de fournitures gratuites ou à prix cassés à certaines catégories de patients plus vulnérables,

essaient de montrer leur bonne volonté dans la résolution du problème d’accès aux médicaments.

Cependant, elles trouvent leur compte dans le maintien du système actuel des brevets, plus

rémunérateur et juridiquement bien ancré. En percevant actuellement des rentes excessives, elles

n’ont pas d’intérêt au changement du système actuel des brevets. En outre, les différents

mécanismes existants de fourniture des médicaments au niveau international sont pour la plupart

encrés dans une démarche éthique, ce qui a pour effet d’occulter la réalité 111, sous couvert de bonne

111 En effet, le recours aux aides au développement ne sert qu’à masquer la réalité des problèmes mondiaux beaucoup plus graves, mais que les décideurs, pour des intérêts égocentriques ou des peurs politiques, ne veulent pas affronter, comme l’illustre l’échec de la Conférence de Copenhague sur les changements climatiques et les émissions des CO2 dans les prolongements du protocole de Tokyo.

Page 163: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

143

conscience (Constantin, 2002 : 31), envoyant des signaux trompeurs aux décideurs et créant la

confusion dans les décisions d’investissement112 (Kaul, & al., 2002a : 7). La confusion entre l’aide au

développement et le financement des biens publics mondiaux engendre des conséquences néfastes

pour les pays en développement comme pour les pays industrialisés. En effet, les ressources

consacrées aux besoins locaux des pays en développement par l’aide au développement sont

souvent réorientées pour financer les biens publics mondiaux, donc pour les besoins internationaux,

alors que cette aide n’était même pas suffisante pour combler les besoins des seuls pays du Sud

(Kaul, & al., 2002b : 64). Ensuite, la fourniture des médicaments aux pays du Sud s ous forme d’aide

publique, outre qu’elle est inefficace, n’est pas une réponse viable à long terme, car elle relève de la

charité. Quand on est en face d’un problème structurel, il faut le résoudre de façon structurelle. Plutôt

que de dépenser plusieurs milliards de dollars américains pendant des décennies pour payer cher

les médicaments brevetés, il serait intéressant de mobiliser cet argent vers la recherche publique des

médicaments qui pourraient être immédiatement mis sur le marché sans brevet, répondant ainsi

durablement au problème d’inaccessibilité des médicaments brevetés à cause des prix trop élevés

mondiale (Verschave, 2004, 326). Ainsi, le recours au concept de biens publics mondiaux, en ce qui

concerne la recherche médicale, ouvrirait la possibil ité d’un accès universel aux médicaments

puisque ce concept de bien public mondial présente l’intérêt de mettre en valeur la dimension sociale

et d’intérêt public du médicament (Guesmi, 2011 : 489) et implique qu’un financement public

international y doit lui être consacré.

Ainsi, les chapitres qui suivent suggèrent le financement de la recherche médicale en

adoptant l’approche des biens publics mondiaux. Pour cela, le chapitre V étudie ce concept de biens

publics mondiaux, leurs caractéristiques et les fondements justifiant leur applicabilité aux biens

pharmaceutiques brevetés : « l’élément informationnel » contenu dans le brevet portant sur les

médicaments, c’est-à-dire les formules ou les procédés de leur fabrication. Ces critères et

112 Pourquoi est-ce que l’aide publique au développement ne devrait pas serv ir à financer les biens publics mondiaux ? La réponse à cette question est donnée par la théorie des finances publiques. Cette théorie établit une distinction entre la branche « allocation » et la branche « répartition » des finances publiques. La branche « allocation » a pour rôle de favoriser un financement de la production des biens publics, tandis que celui de la branche « répartition » est d’aider la société à atteindre ses objectifs en matière d’équité, par le biais de divers programmes de transfert (Kaul, & al., 2002b : 63). L’aide publique au développement constitue l’élément international de la branche répartition des finances publiques. Elle a pour objectif d’aider les pays en développement parce qu’ils sont pauvres. Par analogie, le financement de la coopération internationale concernant les biens publics mondiaux constitue l’élément international de la branche allocation des finances publiques. La tâche de cette branche allocation internationale, lorsqu’elle s’accompagne de mesures appropriées est d’accroître la production de biens publics mondiaux et de les mettre à la disposition de tous les pays et non d’aider ou porter assistance aux pauvres (Kaul, & al., 2002b : 64-65).

Page 164: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

144

fondements permettent de hiérarchiser les biens publics mondiaux (Quenault, 2013 : 19), pour

ensuite suggérer de faire des choix politiques qui s’imposent au niveau mondial pour leur fourniture,

production ou gestion. On verra dans le dernier chapitre que certains mécanismes ont été instaurés

pour assurer la protection d’un certain nombre de biens publics mondiaux, notamment dans le

domaine pionnier de l’environnement et celui de la santé justement. Ce sont ces mécanismes

internationaux qui servent de modèles pour l’argument du financement international de la recherche

médicale qui est développée dans cette thèse. En effet, ce chapitre VI présente les fondements, la

structure et le fonctionnement d’un Fonds international pour la recherche médicale (FIRM ci -après

dénommé) qui serait chargé d’assurer le financement de la production et de la fourniture de ce bien

public mondial en particulier : la science médicale. Après avoir posé les fondements théoriques qui

plaisent en sa faveur, il sera ensuite question d’analyser les conditio ns de sa mise en place, les

différentes sources possibles pour assurer son financement ainsi que les difficultés ou les obstacles

de sa mise en œuvre, notamment en s’inspirant des problèmes de l’action collective (le problème de

passager clandestin et le paradoxe d’Olson).

Page 165: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

Chapitre V : Le concept de « biens publics mondiaux » et son

application aux biens pharmaceutiques brevetés

Page 166: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments
Page 167: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

147

Vivant à la fois dans l’ordre social au sein des États et dans l’état de nature au sein du système international, nous sommes assujettis aux inconvénients de l’un et de l’autre, sans trouver de

sûreté dans aucun des deux (Rousseau, cité par Senarclens & Ariffin, 2006 : 141).

L’Accord sur les ADPIC assimile les médicaments et les autres biens à usage médical aux

marchandises ordinaires. Or, le médicament est un produit dont on a besoin que quand on a des

problèmes de santé. Pour cela, le médicament a un aspect humain important qui n’est pas

suffisamment mis en valeur par son statut juridique actuel (Guesmi, 2011 : 481). La consommation

des médicaments n’est pas simplement une réponse à un besoin comme n’importe quel autre, mais

un acte de survie qui est essentiel et que l’on ne peut se passer. C’est ainsi que lors de la

Conférence ministérielle de Doha, les membres de l’OMC ont pris la mesure d’aménager une

certaine « exception sanitaire » dans le commerce en ce qui concerne l’application de l’Accord sur

les ADPIC aux médicaments. Cela a été le premier acte de la prise de conscience de l’existence

d’une particularité en ce qui concerne le commerce des produits pharmaceutiques qui sont

incontournables dans la sauvegarde de la santé.

L’approche adoptée dans la présente thèse, dans la recherche d’une réponse à la

problématique de l’accès aux médicaments dans les pays du Sud, se situe dans la logique de

l’internationalisation des questions traditionnellement internes qui traduisent une certaine incapacité

du marché et des États à régler certains problèmes globaux, étant donné qu’avec la mondialisation, «

les États sont devenus trop petits pour les grands problèmes et trop grands pour les petits problèmes

» (Hasbi, 2004 : 309). Or, Martin et consorts (2001 : 305) indiquent qu’« au sens étroit, le bien public

mondial est celui pour lequel le marché est défaillant dans sa production ». Cette incapacité du

marché et des États (market and states failures)113 (Hugon, 2004 : 284) se manifeste également

dans la production des médicaments accessibles et abordables pour tous ceux qui en ont besoin.

Cela implique l’idée de pénurie, c’est-à-dire in fine qu’un certain danger pèse sur l’humanité. Il doit

donc y avoir d’autres structures pour pallier ces insuffisances du marché et des États agissant en

solo dans la poursuite de leurs intérêts égoïstes (Moine -Dupuis, 2010 : 6).

113 La poursuite des intérêts privés des particuliers ne peut les porter à ériger ou à entretenir les biens publics parce que le profit n’en rembourserait pas la dépense (Hugon, 2004 : 284).

Page 168: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

148

Ainsi, la réponse de la mise en place d’un Fonds international pour la recherche médicale

(FIRM) a pour but de parer à cette incapacité des États à gérer individuellement la problématique de

la santé, car « objectivement, la population mondiale forme de plus e n plus une communauté

involontaire de risques » (Habermas 2000 : 38). En effet, la montée des interdépendances rend

nécessaires les actions collectives transnationales, puisque ni les forces du marché, ni celles des

États-nations isolés, ni les stratégies de rentabilité des firmes privées ne peuvent répondre aux défis

de globalisation des problèmes de santé (Hugon, 2003 : 65). C’est ce constat qui a motivé le choix

de l’approche des biens publics mondiaux pour apporter une réponse à ces défis. Contrairement à la

notion de patrimoine commun de l’humanité, le concept de bien public mondial n’a pas encore été

consacré en droit international, mais devient peu à peu un instrument de politique internationale, et

contribue à donner un fondement théorique aux politiques et à certaines interventions des

organisations internationales. En outre, si ce concept de biens publics mondiaux est beaucoup plus

usuel en Science politique, il existe une certaine confusion, surtout dans la détermination de son

contenu. Le recours à la définition juridique du terme « bien »114 permet de voir un peu plus clair et

de lever des équivoques sur certains éléments qui sont souvent considérés comme des biens publics

mondiaux, sans véritablement l’être. Après avoir défini ce concept de « biens publics mondiaux » et

déterminé ses caractéristiques, ce chapitre reviendra sur la classification des biens qui rentrent dans

cette catégorie et de tester si les données couvertes par les brevets pharmaceutiques peuvent être

qualifiées de biens publics mondiaux.

V.1. Définition et caractéristiques des biens publics mondiaux

Présentés d’une manière générale, les biens publics mondiaux sont toutes ces choses,

matérielles ou immatérielles, utilisables ou ayant une valeur d’usage. Ils peuvent avoir plusieurs

dimensions, allant du planétaire au local, en passant par le régional et le national115 (Grunberg &

Kaul, 2002 : 35). Il y a lieu de distinguer ces biens de ces autres dimensions essentielles y relatives,

tels que les droits permettant l’accès à ces biens, les institutions qui les prennent en charge, les

114 Comme on le verra, la santé, la sécurité et la paix ne sont pas des biens publics au sens juridique du terme. Ce sont des « Biens » au sens moral du terme, dont l’objectif poursuiv i est d’atteindre de bien-être des indiv idus (Ballet, 2008 : 14).

115 Les biens publics mondiaux ne sont pas des substituts à des biens publics locaux, mais interv iennent en complément ou en appui de ceux-ci. Par ailleurs, selon Kaul et consorts (2002), les biens publics mondiaux incluent souvent les biens publics qui s’étendent à toute la planète ou à une partie de celle-ci. On parle dans ce dernier cas de « biens publics régionaux ».

Page 169: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

149

services privés ou publics qui les produisent, les distribuent ou les protègent (Grunberg & Kaul, 2002

: 35). Dans le cadre de ce travail, même si ces derniers éléments (droits de la personne, institutions

ou services) ont un rôle important ou soulèvent des enjeux cruciaux dans la problématique étudiée,

ce ne sont pas des biens publics mondiaux et n’entrent donc pas dans la présente approche. Après

avoir présenté une définition technique des biens publics mondiaux, une attention particulière sera

réservée aux caractéristiques de ces biens, ces dernières permettant d’établir un lien entre ce

concept et les biens protégés par les brevets pharmaceutiques.

V.1.1. Définition des biens publics mondiaux

Pour comprendre le concept de bien public mondial, il faut d’abord savoir ce que représente

le bien public tout court. Kaul et consorts (2003) définissent le bien public comme celui qui est

librement accessible à tous et qui ne peut être réservé à une personne quelco nque, contrairement

aux biens privés qui supposent la possibilité d’appropriation exclusive. Au sens strict, un bien public

est un bien fourni par la puissance publique, c’est-à-dire un bien que cette dernière considère qu’il

doit être financé de façon obligatoire et qu’il doit être accessible à tous, sans qu’intervienne une

quelconque exclusion ou discrimination. Leur caractère public peut donc résulter de leur nature

intrinsèque ou être le résultat d’un choix politique qui est toujours susceptible d’évoluer ou de

changer (Beitone, 2014).

Il existe une différence entre les biens publics et les biens collectifs ou communs. Tous les

biens collectifs ne sont pas nécessairement des biens publics : un immeuble géré par une fondation

privée est un immeuble collectif appartenant aux seuls membres de la fondation. De même, les

espaces communs d’une résidence pour personnes âgées constituent des biens communs, mais

uniquement pour les personnes hébergées à cette résidence. Les personnes extérieures ne peuvent

revendiquer l’accès ou l’usage de ces lieux. Confondre les biens publics et les biens collectifs revient

donc à ignorer ou méconnaître les raisons politiques qui poussent la puissance publique à les

produire ou à les financer. Alors que la production des biens collectifs peut être analysée dans le

cadre d’une approche individualiste, la production des biens publics relève d’un choix politique et

d’une approche organisationnelle de l’État ou de la collectivité (Beitone, 2014). Ainsi, la différence

entre les biens publics et biens collectifs se traduit par leur mode de production, de financement ou

Page 170: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

150

de gestion : les biens publics sont l’apanage de l’institution publique, alors que les biens collectifs

peuvent être le résultat des initiatives individuelles ou associatives et peuvent être communautaires,

communs ou même privés dans certaines circonstances (Godard, 2004 : 8).

Ainsi, le bien public est en principe relatif à une personne morale de droit public (comme

l’État, une collectivité ou toute autre entité publique ) qui en assure le financement et la production,

par elle-même ou par les opérateurs privés qu’elle a délégués. Cette entité publique est libre de

définir ce qui représente pour lui l’intérêt général, quitte à justifier des financements publics, en

dérogation aux principes de concurrence (Hugon, 2004 : 268). Cependant, les biens sont publics,

non pas parce qu’ils sont produits par une entité publique, mais du fait de leurs externalités positives

(effets bénéfiques) sur l’ensemble de la société et ceci à court, moyen et long terme, c’est-à-dire au

bénéfice des générations présentes et futures (Quenault, 2013 : 15). Un bien public est donc celui

qui, placé ou situé dans le domaine public, se trouve à la disposition de tous et auquel l’accessibilité

est possible pour le plus grand nombre, sinon pour tous.

Le domaine public demeure aujourd’hui borné ou limité à l’intérieur des frontières nationales

malgré les interdépendances transnationales (Hugon, 2004 : 268). Or, pour certains d’entre eux, les

bénéfices y afférents, de même que les méfaits de leur manque, insuffisance ou mauvaise gestion,

débordent les frontières des États-nations. En plus, les bénéficiaires de ces biens publics ne

correspondent pas toujours aux circonscriptions nationales. Ainsi, on constate un décalage entre le

caractère ouvert et universel de certains biens publics et le caractère fermé et cloisonné du mode

d’élaboration des politiques publiques en vue de leur production ou gestion (Hugon, 2004 : 272).

C’est ainsi que le concept de « bien public mondial » est mobilisé pour transposer au plan

international le concept de bien public (national ou interne), élaboré et formalisé par Samuelson

(1954 : 387-389).

En effet, pour Badie et Smouts (1999 : 206), les biens publics mondiaux « appartiennent à

l’ensemble de l’humanité et doivent être considérés comme étant des éléments dont chacun est

responsable, pour la survie de tous ». La Banque mondiale a quant à elle adopté une définition

politique et mobilisatrice, en définissant les biens publics mond iaux comme étant « des biens ou

ressources […], produisant des conséquences positives transcendant les frontières des pays, ayant

Page 171: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

151

un intérêt pour le développement et la réduction de la pauvreté, et ne pouvant être mis en œuvre

sans une action concertée de la communauté internationale » (Gabas & Hugon, 2001 : 25). De ces

définitions, qui sont toutes pertinentes même si elles ont des finalités différentes, découlent certaines

caractéristiques que doit revêtir un bien public pour être qualifié de mondial.

V.1.2. Les caractéristiques des biens publics mondiaux et leur applicabilité aux

données brevetées

Pour être qualifié de public à l’échelle internationale, un bien doit satisfaire, non seulement

aux caractéristiques classiques ou générales des biens publics, mais également à des

caractéristiques particulières qui sont spécifiques aux biens publics mondiaux. Il doit en effet

bénéficier à tous les pays et à tous les groupes sociaux à l’intérieur comme à l’extérieur de ces pays,

autant aux générations présentes que futures (Compagnon, 2012 : 5).

a. Les caractéristiques classiques ou générales des biens publics

Un bien public doit être non exclusif et non rival dans son utilisation ou consommation. Ces

deux propriétés font du bien public un bien spécifique qui nécessite une gestion particulière. En effet,

la non-rivalité et la non-exclusion ne permettent pas aux producteurs privés de réaliser des profits sur

ces biens, et c’est la raison pour laquelle ils ne peuvent pas être fournis d’une manière satisfaisante

par le marché. En plus de la non-rivalité et de la non-exclusion, un bien public se caractérise aussi

par sa non-imputabilité ou son indivisibilité selon certains auteurs (Sandler, 2004; Cohn, 2012). Il

convient dès lors de préciser le contenu de ces trois caractéristiques des biens publics, à savoir la

non-exclusivité, la non-rivalité et la non-imputabilité.

i. Les biens publics sont non exclusifs

Cette première caractéristique d’un bien public, qui est la non-exclusivité, implique le fait qu’il

est impossible ou techniquement coûteux d’interdire l’accès ou l'usage de ce bien à ceux qui

souhaiteraient l’utiliser. Une fois produit, ce bien est à la disposition de tous et il est difficile

d’empêcher quiconque de jouir de ce bien sans en payer le prix (Jarret & Mahieu, 1998 : 31) et il ne

peut être réservé à certains utilisateurs, même ceux qui seraient disposés à payer le prix exigé pour

y accéder. La « fable du phare » décrit d’une manière claire la non-exclusion d’un bien public. S’il est

Page 172: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

152

nécessaire de construire un phare sur les voies de navigation communes pour les pays riverains afin

d’éviter les accidents en mer, il est impossible d’empêcher la jouissance du phare aux bateaux

battant pavillon des pays qui n’ont pas participé à sa construction, car tous le s bateaux en mer le

voient à l’horizon (Tremblay, 2010).

L’impossibilité de jouir de ces biens d’une manière exclusive au détriment des autres peut

être garantie par la nature du bien lui-même ou par un ensemble des techniques ou des règles. Dans

ces derniers cas, la propriété d’exclusion ou de non-exclusion d’un bien peut évoluer avec le progrès

technique (Thoyer, 2002 : 4). En effet, à la suite des mécanismes permettant l’instauration d’un

contrôle d’accès par le biais d’un tarif ou d’un péage, il peut ê tre possible, bien que ça soit souvent

couteux, d’exclure certaines personnes de l’accès à un bien qui était censé être non exclusif. Les

exemples de biens réputés publics, mais qui font l’objet d’exclusion par le péage sont nombreux :

l’autoroute à péage, l’information par la télévision cryptée116, l’eau en réseaux de distribution, l’air

conditionné, etc. Ceux qui ne peuvent pas payer le prix exigé pour l’usage de ces biens en sont de

fait exclus, ce qui est la même chose pour le cas des biens protégés par les brevets portant sur les

médicaments.

En effet, au niveau interne, la justification du monopole et l’exclusivité conférée par les

brevets aux inventeurs reposent sur les caractéristiques particulières de ces biens relevant de la

propriété intellectuelle , notamment le fait qu’il n’est pas possible d’interdire à des tiers de les utiliser

ou d’y avoir accès une fois divulgués. Sans les brevets et les autres titres de propriété intellectuelle, il

ne serait pas possible d’empêcher quelqu’un de tirer des avantages en jouissant déloyalement des

produits créés par d’autres, sans avoir participé aux coûts de leur mise au point (CFS, 2000 : 13).

Avant leur protection par le brevet, les formules des principes actifs et les procédés de production

des médicaments sont la propriété de l’inventeur qui les garde à sa discrétion. En attribuant un

brevet, la société attend en échange de la part de l’inventeur qu’il rende publics, « d’une manière

claire et complète », les résultats de ces recherches afin que « toute personne du métier puisse

l’exécuter »117. Le brevet a donc pour but d’éviter que les innovateurs ne soient victimes de la

116 Il est devenu possible de coder les ondes hertziennes pour pouvoir réserver les informations de certaines chaînes de télév ision aux abonnés (Thoyer, 2002 : 4).

117 Voir l’article 29 al.1 de l’Accord sur les ADPIC.

Page 173: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

153

concurrence déloyale de la part de ceux qui n’ont rien investi dans le long processus qui a abouti à la

mise au point de ces biens immatériels118.

Cette « publicisation »119 des inventions brevetées a un coût et, dans le système actuel, ce

coût est supporté par les utilisateurs de ces innovations. Mais, comme pour d’autres biens publics, il

pourrait aussi être pris en charge par la collectivité et c ’est cette perspective qui est privilégiée dans

le cadre de cette thèse. En effet, il existe au moins deux possibilités de financement des biens

publics : la société peut décider de construire par exemple une route et de la financer par les

usagers, en instaurant un système de péage; ou alors, solliciter le concours de tout le monde,

usagers ou non, à travers les impôts et taxes, étant donné que tout le monde en profite en fin de

compte. La différence entre les deux voies de financement est que l’autoroute à péage devient

exclusive, et donc « moins publique », surtout quand le prix du péage est prohibitif ou au-dessus des

capacités financières d’une partie des usagers. Il en est de même pour les brevets. En effet, le brevet

agit comme un péage: il régule ou limite l’accès à l’invention à toute personne qui n’est pas capable

de payer les « royautés »120, qui sont en réalité les « droits d’entrée ou de passage » exigés par le

titulaire du brevet. La conséquence est que les biens brevetés (les formules et procédés ) qui

devraient être accessibles pour tous, car étant non exclusives, se retrouvent réservés à quelques -

uns. Le système actuel des brevets instaure donc une exclusion ou une discrimination par le prix et

transforme un bien qui, du fait de ses caractéristiques normales, était public, en un bien réservé ou

de « club »121 (Brauer & Roux, 2003 : 744). Ainsi, le droit d’exclusivité conféré par le brevet ne fait

que redonner à l’innovation le caractère de bien de club, un bien privé en quelque sorte, ce qui

revient en fait au point de départ. La proposition de la mise en place d’un mécanisme international de

financement public de la recherche pharmaceutique s’inscrit dans la logique de maintenir cet aspect

public des données protégées par les brevets. Ces données do ivent rester accessibles et à la

118 Il faut rappeler que rentrent dans la catégorie des biens immatériels les biens issus de la connaissance qui sont la science, l’information et les droits intellectuels (Ambrosi, 2012).

119 Ici, le concept « publicisation » est entendu dans le sens de « vulgarisation », ce qui est synonyme, comme indiqué à

la note de bas de page n°4, de « la mise en public » (Paillart, 2005 : 18).

120 En français du Québec, le mot « royautés » est l’équivalent de « royalties » en anglais et signifie en droit des brevets la somme que l’utilisateur d’un élément couvert par un brevet doit verser à l’inventeur et qui est proportionnelle au nombre d’objets fabriqués.

121 Les biens de club sont des biens qui sont non rivaux, mais exclusifs par les prix . Un premier exemple v ient à l’esprit, celui d’une séance de cinéma. Dans la limite de la taille de la salle, c’est un bien non rival (indiv isibilité d’usage) et l’entrée d’un nouveau spectateur dans une salle en partie v ide où la projection doit avoir lieu à un coût marginal nul (ou négligeable). Cependant, les normes sociales admises ainsi que les possibilités techniques (contrôle de l’entrée) conduisent à la mise en place d’une exclusion par les prix (Beitone, 2014).

Page 174: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

154

disposition de tous, sous la garantie de la puissance publique, elle -même constituée des forces

cumulées de membres de la communauté internationale (Brauer & Roux, 2003 : 744). Mais, plus que

la non-exclusion qui peut être contournée, c’est la non-rivalité qui est déterminante dans la pureté122

du bien public. Il est en effet devenu rare de trouver un bien pour lequel il n’y a pas de possibilités

d’en exclure certains bénéficiaires afin de les contraindre à un paiement individ ualisé (Ballet, 2008 :

10). La non-rivalité des biens publics est donc leur caractéristique déterminante.

ii. Les biens publics ne sont pas rivaux dans leur usage

En plus d’être non exclusif dans son usage, un bien public doit avoir aussi la caractéristique

de non-rivalité dans sa consommation. Cette caractéristique implique que la consommation dudit

bien par une personne n’empêche pas celle de ce même bien par d’autres. Autrement dit, son

utilisation par une personne, même répétée, n’entame pas la substance, la qualité ou l’utilité du bien

en question (Novier, 1996 : 21). Ainsi, l’usage d’un bien public par quelqu’un n’a aucune incidence

sur la possibilité d’utilisation par d’autres, n’altère pas la qualité du bien et ne diminue pas la quantité

disponible pour d’autres. La non-rivalité d’un bien public implique donc que chacun peut en jouir en

même temps que les autres alors qu’un bien rival, donc privé, s’épuise au premier usage ou

appartient à son premier utilisateur.

La non-rivalité est la caractéristique déterminante d’un bien public en raison du fait qu’on ne

peut pas y déroger. Il est en effet quasi impossible de transformer un bien public en bien rival, c’est-

à-dire que ce bien va s’épuiser ou être détruit au premier usage alors qu’il ne l’était pas avant. Dans

certains cas, la jouissance de leur utilisation peut seulement être incommodée par les phénomènes

d’encombrement ou de congestion (Jarret & Mahieu, 1998 : 57). C’est le cas les embouteillages sur

les routes, les plages bondées, l’orbite géostationnaire saturée, etc. (Thoyer, 2002 : 4). Cela n’altère

pas la qualité ou la quantité du bien public en question. Il suffit que les usagers se relaient pour que

tout le monde trouve satisfaction du bien dans sa totalité. Un automobiliste qui arrive après le

passage des autres, trouve la route intacte et va la laisser dans le même état pour les autres après

122 Dans les faits, ces deux caractéristiques des biens publics (non-rivalité et non-exclusiv ité) sont, rarement réunies pour parler de biens publics purs. On parle de biens publics impurs pour désigner des biens dont l’une des deux caractéristiques de bien public n’est pas complètement vérifiée (Boidin et al, 2008 : 2). Ainsi, il y a une sorte de continuum dans les biens publics en fonction du degré de rivalité et du degré d’exclusiv ité du bien. On appelle bien public pur un bien fortement non rival et fortement non exclusif. On appelle bien privé pur un bien rival (c’est-à-dire qu’une unité consommée réduit d’autant la quantité de bien disponible pour les autres consommateurs) et exclusif (dont il est facile d’exclure les consommateurs non-payeurs).

Page 175: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

155

son passage. Il en est de même pour les plages publiques. Qu’en est-il des biens protégés par les

brevets ?

Un médicament existe indépendamment de sa marque ou du brevet qui le protège. Il est

identifiable par son principe actif (sa formule ou sa recette) ou les procédés de sa fabrication. Ces

données protégées par les brevets pharmaceutiques rentrent, au regard du critère de non-rivalité,

dans la catégorie de biens publics. En effet, il ne s’agit pas d’une ressource, susceptible de

disparition, mais d’un bien utilisable concomitamment et indéfiniment par un nombre illimité d’usagers

(Moine-Dupuis, 2010 : 6-8). L’utilisation d’une formule d’un médicament par une entreprise n’entame

pas la possibilité de son utilisation ultérieure par d’autres pour la production du même médicament.

La formule utilisée pour la production de la première unité ou dose possède cette faculté d’être

réutilisable indéfiniment pour produire une quantité illimitée de ce même médicament. Elle peut donc

être utilisée par plusieurs entreprises, simultanément ou successivement, le tout sans encombrement

ou congestion.

La non-rivalité des biens protégés par les brevets, pharmaceutiques ou non, est donc un fait,

que ce soit au niveau national ou international. Une fois que la formule d’une molécule a été mise au

point, la possibilité de son usage pour produire une dose pour soigner un patient ne détériore pas la

capacité des autres à en profiter ou en faire usage. Il en est de même pour toutes les découvertes

scientifiques, qui peuvent être utilisées par une personne, sans diluer les bénéfices potentiels que les

autres usagers pourront en tirer. Il faut rappeler cependant que, sans pour autant être non rivales, les

découvertes scientifiques peuvent être exclusives (Sandler, 1992 : 6). Comme déjà indiqué, ce sont

les brevets qui rendent l’invention exclusive, car il faut l’autorisation de l’inventeur pour pouvoir

l’utiliser, moyennant paiement d’une redevance, tout en conservant sa caractéristique de non-rivalité,

de sorte que plusieurs entités peuvent l’exploiter simultanément.

La non-exclusion et la non-rivalité dans la consommation d’un bien public ont pour

conséquence qu’on ne peut pas individualiser la part du bien qui est consommé par chaque usager

et ainsi en tarifer l’usage, ce qui constitue la troisième caractéristique des biens publics : la non -

imputabilité.

Page 176: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

156

iii. La non-imputabilité et l’indivisibilité des biens publics

La non-imputabilité est la conséquence de l’indivisibilité du bien public, qui ne se prête pas

au morcellement ou au fractionnement (Balme, 1990 : 267), puisque cela lui enlèverait toute son

utilité ou une partie de celle-ci. Une route morcelée ne servirait plus à grand-chose, de même qu’une

fraction d’une formule d’un principe actif d’un médicament ne pourra pas servir à produire le

médicament en question. Le principe d’indivisibilité garantit donc que le bien public soit accessible,

de manière égale et dans son entièreté, à tous les utilisateurs. La conséquence à ce principe est que

le bien public devient en toute logique non imputable, puisqu’il est difficile, voire impossible, de fixer

son prix unitaire étant donné qu’on ne peut pas le subdiviser en parts personna lisables, sans en

altérer l’utilité ou la qualité (Grunberg & Kaul, 2002 : 33).

À partir de cette caractéristique d’indivisibilité, Constantin (2002 : 41) décrit les biens publics

comme étant ceux dont les coûts sont externalisables et dont la production unitaire est peu coûteuse.

En d’autres termes, le coût total du bien est grand, mais le coût pour servir un seul consommateur

est par contre minime, puisque cela n’engendre pas de coûts additionnels. Une fois les premières

unités produites, le coût marginal des unités suivantes est donc très réduit, comparé au coût consenti

pour produire la première unité, c’est-à-dire le coût du bien public lui-même dans sa totalité. Son coût

total ne peut pas être supporté par une seule personne, si on le compare à la jouissance ou de

l’utilité qu’il va en tirer par son usage. Par contre, étant donné que le bien public est non rival, le

rationnement de la consommation ou de l’usage d’un tel bien est inutile (Lévêques & Ménière, 2003 :

21). En outre, les consommateurs dont les capacités de paiements sont inférieures au prix équivalent

au coût de production initial sont exclus sans fondement, en termes économiques, de l’usage du bien

alors qu’ils pourraient en bénéficier, à moindres frais, voire gratuitement (Lévêques & Ménière, 2003 :

21). Par exemple, un spectateur additionnel à un feu d’artifice organisé lors d’une fête nationale

n’implique pas un coût supplémentaire par sa présence. Empêcher une personne d’y assister est

injustifié puisque cela ne permet pas de prolonger la durée du feu ou d’accroître la jouissance de

ceux qui y assistent.

Suivant ce critère de non-imputabilité, on sait que les recherches portant sur les

médicaments nécessitent beaucoup d’investissements en termes financiers, humains et en temps.

Outre qu’il n’est pas possible de déterminer le coût d’une partie de la formule de fabrication d’un

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157

médicament, tout comme l’usage d’une partie de celui-ci ne permet pas d’aboutir au médicament en

question, il est également irrationnel d’imputer les coûts engendrés par sa mise au point à une

personne ou groupes de personnes en particulier. Faire payer le coût de la recherche médicale aux

malades, comme c’est le cas actuellement, aboutit aux résultats et aux situations qu’on connaît

aujourd’hui caractérisés par les recherches sélectives, spéculatives ou discriminatoires, l’absence de

transfert de technologies, etc. Bref, tout le contraire des buts officiels recherchés par l’Accord sur les

ADPIC.

Si on admet que les biens brevetés possèdent les caractéristiques attrib uées aux biens

publics, le sont-ils aussi à l’échelle mondiale ? Les paragraphes suivants évoquent les

caractéristiques attribuables aux biens publics mondiaux et leur applicabilité aux biens protégés par

les brevets pharmaceutiques.

b. Les caractéristiques spécifiques aux biens publics mondiaux

Les bases théoriques des biens publics mondiaux ont été posées progressivement par

l’extension des caractéristiques classiques des biens publics (non-rivalité, non-exclusion et non-

imputabilité) aux biens ayant une dimension mondiale ou internationale (Boidin et al, 2008 : 5).

Kindleberger, l’inventeur de ce concept, part de ces caractéristiques, en les étendant aux Relations

internationales, pour définir les biens publics mondiaux comme étant « l’ensemble des biens

accessibles à tous les États, mais qui n’ont pas forcément un intérêt individuel à les produire »

(Jacquet & Ray, 2008 : 46). Outre que ces biens publics n’ont pas d’exclusion aux frontières ni de

rivalité dans l’utilisation entre les pays, leurs effets atteignent plusieurs pays et une grande partie de

la population mondiale. Ils sont bénéfiques à la fois pour les générations présentes et celles à venir

(Kaul & al., 2002 : 74). Ainsi, la notion de bien public mondial, tout en conservant les caractéristiques

usuelles qui déterminent un bien public national ou interne, procède d’un double dépassement de

son champ d’analyse; par leur dimension universelle et intemporelle (Ballet, 2008 : 2). Sur le plan

juridique, Smouts (2005 : 66) estime que ces caractéristiques d’universalité et d’intemporalité tirent

leur source à l’article 4 du Traité sur la Lune de 1979 qui stipule que « l’exploration et l’utilisation de

la Lune sont l’apanage de l’humanité tout entière et se font pour le bien et dans l’intérêt de tous le s

pays, quel que soit leur degré de développement économique ou scientifique. Il est dûment tenu

compte des intérêts de la génération actuelle et des générations futures ainsi que de la nécessité de

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158

favoriser le relèvement des niveaux de vie et des conditions de progrès et de développement

économique et social, conformément à la Charte des Nations unies ». Ce sont donc ces deux

caractéristiques (universelle et intemporelle) qui distinguent les biens publics mondiaux des biens

publics nationaux.

i. Le caractère universel ou extraterritorial des biens publics mondiaux

Comme pour un bien public interne, un bien public mondial est non rival, non exclusif, non

imputable et qui revêt en plus un caractère mondial, c’est-à-dire que ses externalités touchent tous

les pays ou plusieurs d’entre eux. Selon Kindleberger (1986), ce qui distingue les biens publics

mondiaux des biens publics nationaux est l’étendue de leur champ de validité : ce sont des biens

publics envisagés à l’échelle mondiale, ceux « qui se jouent des espaces nationaux et des frontières

» (Dalode, 2006). Petrella (1996) les considère comme étant « des biens qui doivent être considérés

comme essentiels à la sécurité du vivre ensemble au niveau mondial. Ils sont destinés à la

réalisation du bien-être et des buts communs de l’humanité » (Dalode, 2006). L’eau, la forêt, la haute

mer, l’orbite géostationnaire, le patrimoine commun de l’humanité, l’information et, pour ce qui nous

concernent, les découvertes scientifiques ou les connaissances en général, sont les principaux biens

publics mondiaux. Pour tous ces biens, leurs coûts de production, gestion ou conservation ne

peuvent pas être supportés par un seul État. Ainsi, les biens publics mondiaux sont ceux qui

impliquent tous les pays ou dont les effets dépassent les frontières et dont les avantages atteignent

une grande partie de la planète ou de la population mondiale (Grunberg & Kaul, 2002 : 35) ou « un

large spectre de pays » (Boidin et al, 2008 : 1). En effet, n’ayant pas d’exclusion aux frontières ni d e

rivalité de consommation entre pays, ils présentent des externalités transfrontières susceptibles de

bénéficier à d’autres et des coûts individuels élevés avec des rendements incertains, ce qui n’incite

pas les États, individuellement, à les produire (Quenault, 2013 : 16). Étant donné que ces avantages

ne s’arrêtent pas aux frontières des États et profitent à tous, le caractère d’universalité des biens

publics mondiaux souligne le problème de leur production qui nécessite une certaine coordination

entre les États, les coûts de leur production devant être à la charge de tous (Kaul & al., 2002a : 2).

Les biens publics mondiaux s’analysent donc dans l’espace, du fait que plusieurs pays en bénéficient

ou souffrent de leur manque ou insuffisance.

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159

De ce fait, les biens publics mondiaux sont publics à deux égards : par opposition au bien

privé au niveau des individus et au bien public national au niveau des États (Kaul, & al., 2002a : 14).

Ce ne sont pas de substituts aux biens menacés localement, mais ce type de biens répond aux

besoins nouveaux, nés de l’interaction croissante 123 des sociétés au niveau planétaire (Dalode,

2006). Mais, vus sous un certain angle, certains biens publics mondiaux apparaissent comme des

biens publics nationaux mondialisés. Parmi eux, certains sont « additifs » (Hugon, 2003), puisqu’ils

résultent de la somme des efforts de tous les pays dans leur production, chacun sur son territoire

selon ses capacités et ses compétences. Ainsi, la production de connaissances, par exemple la mise

au point de vaccins contre les maladies, fait partie de cette catégorie. En effet, les recherches sur

l’éradication d’une épidémie menées par un État sont profitables aux autres qui doivent aussi en

bénéficier pour qu’ils ne constituent pas de foyers où les maladies peuvent subsister et menacer les

autres pays (Hugon, 2003 : 58).

Ainsi, rapporté aux biens couverts par les brevets pharmaceutiques, le caractère universel ou

extraterritorial des biens publics mondiaux se manifeste sous deux aspects. D’une part, les formules

ou les procédés de fabrication, une fois mis au point dans un pays, ne sont pas opérationnels

uniquement dans les limites territoriales de ce dernier. Ils le sont ou peuvent l’être également dans

tous les autres. S’il peut y avoir des principes actifs recherchés pour les maladies spécifiques à

certaines régions, cela n’empêche pas que ces mêmes résultats puissent être appliqués aux

éventuelles pathologies similaires ou apparentées qui sévissent ou pourraient sévir dans d’autres.

D’autre part et dans le même ordre d’idée, les médicaments qu’ils permettent de produire sont

destinés à lutter contre les pathologies ou épidémies qui ne se fient pas, d’une manière générale,

aux frontières étatiques. En effet, avec un monde qui se réduit de plus en plus à un « village

planétaire », les maladies circulent aussi vite que les personnes et les marchandises.

En effet, dans le contexte actuel caractérisé par une mobilité croissante et des flux croisés

des biens et des personnes qui les accompagnent ainsi que l’ interdépendance économique, sociale

123 La circulation croissante des biens et des personnes crée en effet de nouveaux défis, de nouveaux besoins, des risques et des menaces qui s’affranchissent allégrement des frontières nationales (Guesmi, 2011 : 536). La maladie ou les agents pathogènes ne connaissant pas de frontières, la persistance d’une souche dangereuse dans une partie du monde constitue une menace pour toute la planète. Ils se propagent d’autant plus rapidement que la mondialisation favorise la circulation des biens et des personnes et que les moyens de déplacement se multiplient, ce qui compromet toute tentative de cantonner les épidémies dans une région ou pays (Guesmi, 2011 : 231).

Page 180: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

160

et politique qui en découle, les menaces liées aux maladies et épidémies qui prévalent dans un pays

affectent tous les autres ou presque. De nos jours, la dimension locale ou nationale se réduit de plus

en plus, y compris en matière de santé. La pandémie du VIH/SIDA124, le SRAS, la grippe H1N1125 et

plus récemment le virus hémorragique Ebola, sont autant d’exemples qui démontrent que «

beaucoup de problèmes locaux de santé peuvent rapidement avoir un retentissement à dimensio n

internationale et un écho planétaire » (ORS, 2011 : 2). En effet, la mondialisation des échanges

commerciaux (alimentaires, végétaux et animaux) ainsi que les mouvements migratoires et

touristiques ont accéléré, d’une manière « dramatique », l’unificatio n microbienne et virale de la

planète (Severino & Charnoz, 2008 : 30).

Les biens publics mondiaux partagent la caractéristique essentielle d’être générateurs

d’externalités au-delà des frontières nationales et des groupes sociaux (Jacquet & Ray, 2008 : 47).

Ils présentent cette dimension non seulement en raison de leur universalité, mais également de par

le caractère d’intemporalité qu’ils recouvrent (Ballet, 2008 : 10).

ii. Le caractère intemporel des biens publics mondiaux

Pour Verschave (2004 : 336), les biens publics mondiaux sont des choses auxquelles les

gens et les peuples ont droit, qui doivent être produits, préservés, répartis et utilisés dans les

conditions d’équité et de liberté qui sont la définition et la mission même du service public, quel s que

soient les statuts des entreprises ou des organismes qui assurent cette mission. Ils trouvent leur

source dans une sorte de dénominateur commun des droits dont aucun humain ne devrait être privé.

Les générations futures ont autant de droits sur ces b iens que les générations présentes, ce qui rend

difficile l’équilibre entre les besoins de ces deux catégories de générations. En effet, l’utilisation des

biens publics mondiaux doit répondre aux besoins des générations présentes sans entraver ou

entamer ceux des prochaines générations (Grunberg & Kaul, 2002 : 35). En effet, l’absence et le

manque de production, de conservation ou de gestion des biens publics mondiaux ont des

124 Le VIH/SIDA progresse toujours, et sa propagation s’accroit dans plusieurs régions développées, comme le souligne l’apparition au cœur de l’Europe de versions du VIH/SIDA plus résistantes aux antirétrov iraux (Severino & Charnoz, 2008 : 30).

125 La grippe H1N1, apparue en avril 2009 au Mexique, est propagée comme une trainée de poudre à travers le Monde, principalement les pays développés. Pour une fois, l’Afrique, qui est marginalisée par le système commercial international actuel et le flux de personnes y relatif, a été épargnée par la pandémie, au grand soulagement des pays qui n’ont pas les moyens d’y faire face en un temps record comme ce fut le cas pour l’Occident, parfois avec une surestimation des risques (ORS, 2011 : 2).

Page 181: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

161

répercussions en matière de développement humain, maintenant et pour nos descendants (Kaul &

al., 2003 : 48).

Le caractère intemporel des biens publics mondiaux pose donc la question d ’équité

intergénérationnelle, de gestion des héritages et de prise en compte des préférences de tous, aussi

bien pour ceux qui les utilisent ou les consomment maintenant que ceux qui en auront besoin dans

un futur proche ou lointain. La gestion de ces biens doit être équitable, la génération d’aujourd’hui

devant utiliser ces biens tout en les préservant pour celles à venir, en se gardant de ne pas «

sacrifier le futur pour alimenter le présent » (Smouts, 2005 : 69). De même « l’on ne préservera pas

le futur en sacrifiant le présent », sauf les sacrifices nécessaires librement consentis et équitablement

répartis (Dalode, 2006). Ainsi, la gestion intergénérationnelle des biens publics mondiaux ne peut se

faire en fonction du calcul économique, étant donné que celle-ci s’opère dans un univers incertain et

pose la question de la représentativité. Qui a les compétences pour parler ou prendre des décisions

au nom des générations futures (Hugon, 2004 : 279) ? Par ailleurs, le temps d’adaptation ou de

reconstitution de la plupart de ces biens publics mondiaux, par exemple la biosphère, la couche

d’ozone, l’environnement mondial, etc., est incommensurable avec le temp s de succession des

générations ou avec celui des cycles économiques. Or ce sont ces cycles courts qui généralement

décident des critères de gestion ou l’utilisation (pour ne pas dire le gaspillage, le pillage ou le

saccage) de ces biens (Hugon, 2004 : 279). L’incertitude sur le futur et les questions d’irréversibilité

(réduction ou perte de certains éléments de ce patrimoine mondial) conduisent à prendre des

précautions et éviter de recourir au calcul économique qui a déjà montré ses limites.

La question qu’il faut à présent aborder est de savoir si les biens brevetés, issus de la

recherche médicale, présentent cet aspect intergénérationnel. Pour les vaccins, les effets bénéfiques

s’étendent bien au-delà de la génération présente, étant donné qu’avec la vaccination, la maladie est

éradiquée pour de bon et que les potentielles futures victimes sont protégées pour toujours (Sandler,

2004 : 120). En outre, la formule d’un médicament mise au point aujourd’hui servira dans la

fabrication des médicaments en vue de traiter les générations futures, étant donné que cette formule

est inépuisable et indéfiniment utilisable. En conséquence, les investissements consentis maintenant

pour la recherche ne peuvent pas être supportés seulement par la génération présente ou en

l’espace de vingt ans, la durée de protection des brevets. Pour la question d’équité générationnelle,

Page 182: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

162

les charges liées aux recherches des médicaments devraient être partagées entre les différentes

générations qui bénéficient toutes de ces avancées médicales. Ces coûts ne devraient pas être

supportés par les patients d’une seule la génération, celle de l’époque de l’invention, mais devrait

être partagés dans le temps et impliquer toutes les générations. Le cas de l’éradication de la

poliomyélite est un exemple illustratif. La génération qui en a le plus profité n’est pas tellement celle

qui a souffert de cette maladie, celle qui l’a combattue et vaincue, mais bien celle qui ne l’a pas

connue. On sait que les recherches médicales coûtent cher et, en raison d u principe de non-

imputabilité, le fardeau de la recherche devrait être partagé, non seulement dans l’espace, comme

déjà indiqué dans le paragraphe précédent, mais également dans le temps. Ainsi, s’il fallait faire

payer le coût de la mise au point du vaccin contre la poliomyélite, la génération à venir aurait dû ou

devrait contribuer a posteriori.

Les biens protégés par les brevets pharmaceutiques (formules et procédés de fabrication

des médicaments) remplissent donc toutes les caractéristiques des biens publics mondiaux, il reste à

savoir dans quelle catégorie, parmi celles qui sont identifiées comme celles des biens publics

mondiaux, il convient de les classifier.

V.2. Typologie des biens publics mondiaux et la place des brevets

Comment se structure cet ensemble de biens publics mondiaux qui devient de plus en plus

complexe avec la progression des domaines concernés par le phénomène de mondialisation ? Son

champ d’application théorique n’a en effet cessé de s’étendre au risque d’en embrouiller la

perception. Dans la littérature concernant les biens publics mondiaux : on y retrouve pêle -mêle des

composantes physiques (comme l’eau, l’air, la couche d’ozone, etc.) et des composantes

immatérielles (la paix, la démocratie, la bonne gouvernance). Ainsi, de prime abord, les biens publics

mondiaux englobent un grand spectre des activités humaines (Quenault, 2013 : 15). On peut se

demander si tous ces éléments qui sont énoncés comme biens publics mondiaux le sont réellement

et quelle est la place des données couvertes par les brevets en général et les brevets

pharmaceutiques en particulier.

Page 183: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

163

Le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) regroupe les biens publics

mondiaux en trois catégories : les biens publics mondiaux naturels, ceux d’origine humaine et ceux

résultant des politiques des Nations (Kaul & al., 2003 : 453)126. D’autres auteurs établissent une

distinction entre ce qu’ils appellent les biens publics mondiaux intermédiaires des biens publics

mondiaux finaux (Hugon, 2003 : 57)127. On verra dans cette section que ces différentes

classifications, que ce soit celle du PNUD et Kaul (notamment en ce qui concerne la catégorie des «

biens résultant des politiques des Nations ») ou celle des biens intermédiaires et finaux,

entretiennent une certaine confusion sur le sens du terme « bien » entre le sens juridique ou matériel

du terme et son acception au sens moral ou éthique. Cela étant, on va s’appuyer sur cette

classification du PNUD et Kaul128 (2003) pour dégager ce qui constitue les biens publics mondiaux.

Ainsi, rentrent dans cette catégorie les biens naturels, ceux issus de l’activité humaine 129 et ceux

résultant des politiques des Nations (Dagoma & Fort, 2014 : 94). On verra que la troisième catégorie

des biens publics mondiaux, ceux qui résultent des po litiques des Nations, ne constitue pas

juridiquement des biens, avant d’aborder la situation du patrimoine commun de l’humanité par

rapport à ce concept de biens publics mondiaux.

126 Il faut noter que le premier ouvrage sur le sujet fut publié en 1999 par le PNUD à l’issu d’une étude menée sous la direction de Inge Kaul, Isabelle Grunberg et Marc A. Stern. Cette étude est devenue par après la référence dans le domaine des biens publics mondiaux. L’étude a par la suite été publiée en 2003 dans un ouvrage par les mêmes auteurs et sous le même intitulé que l’étude originale, « les biens publics mondiaux : coopération internationale pour le 21ème siècle ». Il est donc difficile de dissocier les positions du PNUD de celles de Kaul et consorts. En effet, Kaul a travaillé pour le PNUD de 1981 à 2005 et a, à un moment, coordonné les études et les rapports sur le développement humain au sein de cette institution. Le rapport sur le développement humain de 1999 sur les biens publics mondiaux a été rédigé sous sa direction et il n’est pas surprenant de constater que les points de vue du PN UD sont celles de Kaul et ses collègues.

127 Certains auteurs distinguent les biens communs des biens publics. Pour eux, les biens communs sont l’affirmation de la propriété d’une collectiv ité déterminée, à l’égard de ses membres et v is-à-v is de l’extérieur. Les biens publics traduisent l’affirmation complémentaire du droit d’usage de ces biens par les membres de la collectiv ité. Le bien commun, c’est ce qui appartient à tout le monde ou est déclaré non appropriable par personne, au présent et au futur. Le bien public, c’est ce à quoi tout le monde doit avoir accès, ici et maintenant. On peut décliner ceci à toutes les échelles, du v illage à la planète (Constantin, 2002 : 75-76).

128 Voir note de bas de page 125.

129 La distinction retenue ici reste celle qui ex iste entre les biens publics qui n’ont pas besoin d’être produits, donc qui sont naturels, mais qui peuvent faire l’objet d’une dégradation ou d’épuisement, et les biens publics qui nécessitent d’être produits. Les biens publics mondiaux fabriqués par l’action humaine sont donc des biens dont la production est indépendante ou séparable de la consommation (Ballet, 2008 : 10).

Page 184: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

164

V.2.1. Les biens publics mondiaux naturels

Les biens publics mondiaux naturels sont constitués par l’ensemble des ressources

disponibles dans la nature sans que les humains aient eu une action quelconque à mener, c’est-à-

dire les biens qui existent indépendamment de toute activité humaine (Kaul, & al., 2002a : 9-10).

Cette catégorie regroupe les choses présentes dans la nature et qui présentent des enjeux à

l’échelle de la planète (Dalode, 2006), tels que la couche d’ozone, la biodiversité, l’air atmosphérique,

l’eau des fleuves, des mers et des océans, les écosystèmes marins ; bref d’une manière générique «

les biens de l’environnement »130. Les biens publics mondiaux naturels sont souvent caractérisés par

la non-exclusion, mais une certaine rivalité peut être observée. Les eaux d’un fleuve transfrontalier

utilisées pour l’irrigation dans un pays situé en amont ne seront plus disponibles pour celui qui est

situé en aval.

Pour ces biens publics mondiaux naturels, le problème auquel est confrontée la communauté

internationale n’est pas celui de leur fourniture ou de leur productio n, puisqu’ils préexistent déjà à

l’action humaine, mais celui de leur conservation ou de leur dégradation : ils sont menacés par la

surutilisation ou l’épuisement (Quenault, 2013 : 15, Dagoma & Fort, 2014 : 94). En effet, l’utilisation

de ces biens publics mondiaux naturels en accès libre provoque la dégradation de la ressource ou sa

pollution. C’est le cas de la surexploitation des ressources halieutiques dans les eaux internationales

ou de la destruction des forêts tropicales régulatrices du climat de la planète131. Les problèmes liés à

leur gestion ou à leur conservation sont liés à cet état de fait. Ces cas typiques de la tragédie des

communaux (Hardin, 1968) qui caractérisent les biens publics naturels ne concernent pas les biens

publics mondiaux qui sont d’origine humaine, comme les connaissances scientifiques, parmi

lesquelles rentrent les données pharmaceutiques brevetées qui font l’objet de la présente étude. Ces

biens sont dans la plupart des cas inépuisables et ne souffrent d’aucune rivalité. Ils son t par contre

confrontés aux problèmes liés à leur production (le problème de passager clandestin ou du paradoxe

d’Olson), comme on le verra dans le dernier chapitre.

130 Notons que la lutte contre le réchauffement climatique ou la pollution des mers, des océans et de l’air, en elle-même, n’est pas un bien public mondial naturel. Si on reconnaît que la pollution et ses conséquences ne se limitent pas aux frontières nationales et que les problèmes liés au réchauffement climatique présentent le caractère universel (Smouts, 2005 : 65), cela ne fait pas de la lutte contre ces fléaux un bien public mondial au sens matériel du terme. On y rev iendra en détail dans le paragraphe concernant les biens publics résultant des politiques des nations selon la classification du PNUD et des auteurs classiques en la matière.

131 Il s’agit ici d’un cas différent de l’air. L’air se dégrade non pas en raison d’un comportement de passager clandestin, mais en raison d’une externalité, c’est-à-dire la pollution, donc d’une activ ité autre que le fait de respirer (Ballet, 2008 : 6).

Page 185: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

165

V.2.2. Les biens publics mondiaux d’origine humaine

La catégorie des biens publics mondiaux d’origine humaine comprend les biens issus « du

travail fécond et inventif de l’humanité » (Quenault, 2013 : 15), tels que les connaissances, le savoir

et la science au sens général, c’est-à-dire les normes, les principes, les pratiques, les technologies,

ainsi que les œuvres internationales réalisées par l’humanité au cours de son évolution, notamment

les institutions internationales, les infrastructures interétatiques comme les chemins de fer, les

canaux de navigations, etc. Pour ces biens, le principal problème est généralement celui du

financement de leur production, notamment le partage des coûts de leur fourniture ou de leur

entretien, ou leur utilisation inégalitaire (Dagoma & Fort, 2014 : 94). En raison des risques de

comportement de passager clandestin, la production de ce type de biens suppose que l’on ait

recours à un financement public pour assurer leur production d’une manière pérenne,

indépendamment de leur utilisation (Ballet, 2008 : 5-6). Leur production nécessite alors la mise en

œuvre des actions publiques dans un cadre transnational pour répondre à la demande de ces biens

qui sont généralement insuffisants (Hugon, 2004 : 277).

Souvent, le caractère public de ces biens d’origine humaine n’est pas inné. Comme dans

l’ordre interne, il s’agit d’un construit social. En effet, le caractère public ou privé de certains biens

dépend des normes sociales variables et malléables suivant « l’oscillation entre laissez -faire et

intervention publique » selon Polanyi ou de « mouvements de balancier entre intérêt privé et action

publique » de Hirschman (Kaul, & al., 2002a : 9-10). Un bien peut donc être transféré d’un bout à

l’autre du continuum public-privé (Kaul, 2002 : 8). Il en est de même pour les biens publics mondiaux

qui sont des biens que les États ont décidé de produire en commun ou mettre en commun, puisque

leurs caractéristiques en font des biens publics, mais dont la production ne se fait pas

nécessairement en commun (Ballet, 2008 : 11). Ainsi, le caractère public de ces biens d’origine

humaine dépend d’une décision politique prise dans un contexte particulier en fonction de ce qui est

perçu comme relevant du domaine public (Ballet, 2008 : 10). Plutôt qu’une qualité qui leur est

inhérente, ces biens publics mondiaux d’origine humaine peuvent donc être analysés comme étant

des construits politiques qui varient selon les époques et les sociétés. Ils relèvent d’un choix

découlant des circonstances et de la volonté des États de satisfaire les besoins qu’ils ressentent à ce

moment. Pour chacun de ces biens, les États édictent les conditions de production, de protection et

d’utilisation équitable. Ceci implique que leur identification peut varier d’une part au gré des

Page 186: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

166

circonstances ou des conditions historiques et, d’autre part, en fonction de l’idée que les États se font

des menaces pesant sur l’humanité et les moyens techniquement appropriés et socialement

acceptables pour assurer leur production, leur diffusion ou leur conservation (Constantin, 2002 : 33).

Ainsi, il ne s’agit pas seulement de pallier la défaillance du marché ou des États, mais de

créer les conditions de non-exclusion et de non-rivalité, non seulement entre les pays, mais aussi

entre les populations de ces derniers. Pour rendre compte de ce processus de publicisation

internationale des biens, le PNUD a développé le concept de « triangle of publicness » : public dans

la consommation (tous doivent y avoir accès); public dans la participation au processus qui a mené à

les identifier (tous participent au débat de prise de décision politique); public dans la distribution des

bénéfices (tous doivent pouvoir en bénéficier). Cela change les termes du débat de la coopération

internationale : il ne s’agit plus de résoudre le problème de non-exclusion ou de non-rivalité par

exemple en instituant des droits d’utilisation, mais de rendre inclusif un bien qui ne l’était pas

forcément, au nom de l’« intérêt général mondial » (Thoyer, 2002 : 2). C’est donc une conception

politique de biens publics mondiaux qui sont aperçus comme des construits à la suite d’une décision

collective de la part des acteurs internationaux : États, organisations internationales, ONG et

associations internationales (Hugon, 2003 : 62). Il s’agit alors de mettre en œuvre des actions

publiques et prendre des mesures pour leur production dans un cadre transnational (Hugon, 2003 :

62). On verra que les biens couverts par les brevets rentrent dans cette catégorie de biens publics

mondiaux d’origine humaine, en raison du choix politique qui a été pris de les rendre publics par le

système des brevets, sans lequel ces biens seraient restés secrets. Cette décision ou ce choix social

ou politique dans la détermination du caractère public du bien renvoie à la troisième catégorie des

biens publics mondiaux selon le PNUD et Kaul (2003)132, même si cet attribut de « bien » peut leur

être contesté.

132 Voir note de bas de page 125.

Page 187: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

167

V.2.3. Les biens publics mondiaux résultants des politiques des Nations

Pour le PNUD, Kaul et consorts (2003), la troisième catégorie, qu’il dénomme « résultats des

politiques globales des Nations », inclut la paix et la sécurité, la santé et la stabilité du système

international. L’une des raisons d’être des institutions du système des Nations -Unies fut précisément

la nécessité de pouvoir disposer d’un moyen, à l’échelle mondiale, de promouvoir et s auvegarder la

paix et la sécurité internationales (Dagoma & Fort, 2014 : 94). On peut aussi y inclure la stabilité

climatique qui semble aussi résulter des politiques des Nations dans le contrôle et la régulation des

émissions des gaz à effet de serre qui perturbent le climat de la planète. Avec cette catégorie, le

champ des biens publics mondiaux s’est élargi et incorpore désormais, outre celles déjà évoquées,

un vaste spectre d’éléments, dont l’éducation, la justice et même les droits de la personne humai ne

(Dalode, 2006).

Le père du concept des biens publics mondiaux, Kindleberger (1986), considérait les

standards de mesure, les définitions des droits de propriété, la fixité des taux de change et le libre -

échange comme des biens publics mondiaux. La stab ilité économique mondiale présente en effet

des externalités internationales : un ralentissement économique dans un pays a des effets sur

l’économie des pays voisins, voire lointains. À l’inverse, tous les pays profitent d’une économie

mondiale dynamique. Les institutions économiques créées dans l’après-Seconde Guerre mondiale

(FMI, Banque Mondiale, OMC/GATT) visaient justement à accroître la stabilité de l’économie

mondiale, considérée comme un bien public mondial (Stiglitz, 2012). Dans cette catégorie, d’autres

auteurs vont encore plus loin, en faisant la distinction entre les biens publics mondiaux finaux et les

biens publics mondiaux intermédiaires. Par exemple, la santé est considérée comme un « bien public

mondial final » tandis que les connaissances scientifiques qui s’y rapportent sont considérées

comme des biens publics mondiaux intermédiaires. D’autres considèrent au contraire la science et

les connaissances comme des biens publics mondiaux « premiers », comparés à ceux dont ils

rendent la disponibilité ou l’usage possible, les biens publics « seconds », comme la protection de

l’environnement ou la couche d’ozone (Constantin, 2002 : 124).

Il est donc devenu difficile de se retrouver dans ce spectre de biens ou d'éléments. En fait, il

s’agit pour ces auteurs de trouver un arrangement théorique qui leur permet d’adapter leur

conception du bien public mondial aux différents éléments qu’ils incluent dans leur classification. En

Page 188: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

168

effet, pour Kaul et consorts (2002b), la distinction entre biens publics finaux et biens publics

intermédiaires permet d’identifier la santé comme « objectif final à atteindre ». Ainsi, pour eux, si la

santé en tant que résultat constitue un « bien » en soi, en revanche chacun des biens qui concourent

à sa réalisation (connaissances médicales, inventions thérapeutiques) possède également les

caractéristiques des biens publics mondiaux, mais à un niveau inférieur selon eux, ce qui fait qu’ils

les considèrent comme des biens publics mondiaux intermédiaires ou seconds. Au lieu de dégag er

des critères clairs et applicables à ces types de biens, ils se limitent donc à une appréciation

subjective au cas par cas, ce qui a permis l’inclusion de n’importe quoi dans la catégorie des biens

publics mondiaux.

En réalité, l’ajout de certains éléments dans la catégorie de biens publics mondiaux est

erroné puisqu’il relève d’une confusion. En effet, le terme « bien », dans l’expression « biens publics

mondiaux », n’est pas correctement défini ou appréhendé par la plupart d’internationalistes et du

PNUD133. Cette confusion résulte du fait que ces auteurs partent d’une corrélation assez simple,

sinon simpliste. Pour eux, tout ce qui déborde les frontières est un « bien public mondial » (santé,

sécurité, stabilisation financière ou climatique), tout ce qui lui est contraire est un « mal public

mondial » (tels que les épidémies, les crises financières ou la pollution atmosphérique) (Kaul, & al.,

2002a : 9-10). Ces éléments considérés comme « biens » par beaucoup, sont non seulement d’une

réalité complexe, mais sont également difficiles à cerner, car ils ne relèvent pas du registre des

éléments matériels ou perceptibles comme le sont l’eau et l’air. D’où la tentation de les appréhender

par leurs opposés, qui sont mieux identifiables (les guerres, l’insécurité, les maladies134, le

réchauffement climatique) qui sont à leur tour qualifiés de maux publics mondiaux opposés aux biens

publics correspondants135 (Constantin, 2002 : 248).

133 Voir note de bas de page 125.

134 Il faut considérer la maladie, non seulement dans ses dimensions singulières (l’expérience unique d’un indiv idu confronté à la souffrance), mais dans ses dimensions collectives, notamment lorsque surv ient une épidémie ? La v ie d’un indiv idu et sa situation sanitaire santé est intimement liée à une harmonie avec le monde social. La maladie est perçue comme une rupture dans cette harmonie et à ce titre relève d’un ensemble plus vaste qui comprend non seulement les pathologies, mais également toutes les infortunes susceptibles de se produire (décès, perte de revenus pour la famille, survenance des situations de pauvreté, etc.) (Constantin, 2002 : 247).

135 Cette classification opère en effet une distinction dichotomique entre biens et maux publics mondiaux, les premiers étant générateurs d’externalités positives et les seconds d’externalités négatives. Le réchauffement climatique est un « mal public mondial » correspondant au BPM, la régulation climatique, et la santé internationale est le BPM correspondant au « mal public mondial » qui sont les épidémies, pandémies et les épizooties (Jacquet & Ray, 2008 : 47).

Page 189: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

169

Dans le raisonnement de ces auteurs, il existe une corrélation entre les « maux publi cs

mondiaux » et l’insuffisance de la production de « biens publics mondiaux » (Constantin, 2002 : 372).

Ainsi, le « bien » est donc opposé au « mal », ce qui indique que le bien, dont ils font référence,

relève clairement de la morale ou de l’éthique. Il y a donc une confusion entre le bien moral et le bien

matériel. Or le bien dont il est question, quand on parle de biens publics mondiaux, est une chose

matérielle ou immatérielle, susceptible d’appropriation, de production ou de destruction. Ce bien, au

sens juridique du terme, relève de la conception matérialiste du bien, ayant une valeur marchande et

susceptible d’être dans le commerce. En effet, au sens juridique, le terme bien recouvre « toute

chose dont l’utilité justifie l’appropriation (qu’elle soit corporelle ou incorporelle), d’une part, ou tout

droit subjectif (réel ou personnel), d’autre part » (Guinchard, 2014 : 115). Ainsi, un bien est d’abord

pour le juriste une chose, identifiable dans sa matérialité ou dans l’ensemble des prérogatives qui

peuvent s’exprimer sur la « scène juridique », et dont on peut transmettre ou céder (Moine -Dupuis,

2010 : 7). Par conséquent, la santé, la paix, la sécurité, l’éducation, la stabilité climatique ou

financière, etc., ne sont pas des biens au sens juridique du terme, puisqu’ils ne se prêtent pas aux

techniques juridiques de l’appropriation. Ils ne relèvent ni de la sphère de l’avoir, ni de l’échange. Ce

sont des politiques ou des objectifs à atteindre. Cela a certes un coût, souvent élevé d’ailleurs, mais

les politiques ou objectifs, fussent-ils globaux, ne peuvent être pris pour des biens au sens juridique

du terme. Le terme « bien public mondial » au sens juridique concerne donc les éléments ou choses

qui remplissent avant tout les caractéristiques générales des biens (Guesmi, 2011 : 501). Il est

important de rappeler que le concept de biens publics mondiaux insiste sur le fait que, outre qu’ils

doivent avoir les caractéristiques classiques des biens publics (non-exclusivité, non-rivalité et non-

imputabilité), les avantages ou bénéfices issus de leur usage ou exploitation ne doivent pas limités à

un seul pays, à une seule génération ou à un seul groupe de populations (Dulbecco & Laporte, 2005

: 431).

Considérant que ce sont les acteurs qui déterminent l’intérêt général (Golub & Maréchal,

2004), l’approche des biens publics mondiaux n’exclut pas que ces derniers soient des construits

dont la dimension politique implique qu’ils ne sauraient être définis en se référant uniquement aux

seuls critères économiques (Quenault, 2013 : 18). En effet, si certains biens sont mondiaux par

nature, comme la couche d’ozone, d’autres sont mondialisés ou peuvent être mondialisés de

Page 190: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

170

manière intentionnelle, comme l’orbite géostationnaire ou certains éléments du patrimoine commun

de l’humanité (Ballet, 2008 : 8).

V.2.4. Le cas particulier du patrimoine commun de l’humanité

C’est la déclaration sur les principes régissant le fond des mers et des océans, adoptée le 17

décembre 1970, qui a consacré le concept de « patrimoine commun de l ’humanité », en stipulant que

« le fond des mers et des océans, ainsi que leur sous-sol, au-delà des limites de la juridiction

nationale, font partie du patrimoine commun de l’humanité » (Roche, 2005 : 246-247). Ce principe fut

par la suite consacré en droit international par la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer

conclu à Montego Bay le 10 décembre 1982, qui dispose que « les activités d’exploitation du fond

des mers en dehors des limites de la juridiction nationale sont menées dans l’intérêt de l’humanité

tout entière, indépendamment de la situation géographique des États, qu’il s’agisse d’États côtiers ou

sans littoral […] » (article 140). Ainsi, le droit international reconnaît que l’humanité est dépositaire

d’un patrimoine commun qui incarne les valeurs et les aspirations communes du genre humain.

Même si ce concept de patrimoine commun de l’humanité n’a pas révolutionné la coopération

internationale en ce qui concerne ces biens, il a fixé une nouvelle orientation au développement des

normes juridiques organisant la gestion internationale de certains espaces ou biens (Roche, 2005 :

248). En outre, bien qu’il ne soumette les États capables d’exploiter ce patrimoine qu’à des

obligations théoriques de partage des bénéfices tirés de son exploi tation avec ceux qui ne le peuvent

pas136, ce concept a permis de tester les procédures de consultation pour ce qui concerne l’utilisation

ou l’exploitation de certains biens publics mondiaux (Roche, 2005 : 248).

Les biens qui font partie du patrimoine commun de l’humanité sont des choses naturelles ou

d’origine humaine, dont la construction ou la conservation ont une valeur qui doit profiter à

l’ensemble l’humanité. La notion de patrimoine commun de l’humanité présente un intérêt, dans la

mesure où elle évoque une appartenance de certains biens à l’humanité, indiquant ainsi à la

136 Par exemple, en vue d’assurer l’exploitation des fonds marins (ou Zone) au bénéfice de tous, un système très complexe a été mis au point avec une Autorité internationale des fonds marins chargée d’attribuer des concessions à des sociétés nationales et une entreprise internationale placée sous sa responsabilité qui devrait mener les activ ités dans la Zone, répartir les avantages financiers et autres avantages économiques. Lorsqu’une concession est attribuée à une entreprise nationale, une surface équivalente doit être exploitée au profit des pays en développement. Ce système parallèle permettrait ainsi de ménager les intérêts des grands États, qui ont besoin des métaux rares et précieux contenus dans les fonds marins, pour l’industrie aéronautique et spatiale et ceux des pays en développement, incapables d’exploiter de telles richesses (Smouts, 2005 : 62).

Page 191: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

171

nécessité de leur conservation ou préservation. Il exprime aussi l’idée d’une communauté

internationale organisée autour du principe de solidarité. Il y a en effet l’unanimité pour c onsidérer

que personne ne peut disposer à son gré des biens faisant partie du patrimoine commun de

l’humanité, mais que tous les acteurs ont le devoir de les sauvegarder et de les transmettre aux

générations suivantes (Smouts, 2005 : 65). Sans être exhaustif, les biens qui font partie du

patrimoine commun de l’humanité sont les corps célestes, les fonds marins, les espaces

extraatmosphériques, l’orbite géostationnaire, les monuments, certains sites historiques et l’héritage

culturel réputé comme unique et essentiel pour sa sauvegarde pour l’intérêt de l’humanité. On peut y

ajouter toutes les inventions qui sont déjà tombées dans le domaine public, c’est-à-dire dont les

brevets qui les couvraient ne sont plus valides ou dont les auteurs ont décidé de les rend re libres de

droits immédiatement après leur découverte. Le patrimoine commun n’est donc pas quelque chose

de figé, il s’adapte ou s’agrandit au fil du temps (Smouts, 2005 : 64).

La définition et la classification des biens publics mondiaux étant terminée s, la présente

thèse vise en premier à démontrer que les données pharmaceutiques brevetées sont des biens

publics mondiaux, comme on va l’expliquer dans la section suivante . C’est cette démonstration qui va

servir de fondement à la solution proposant la création d’un Fonds international pour la recherche

médicale, doté des sources de financement autonomes, pérennes et stables, qui a pour mission de

racheter les brevets portant sur les médicaments innovants et de financer les projets de recherche

sur les maladies négligées. Les données pharmaceutiques brevetées sont-elles donc des biens

publics mondiaux et, si oui, quelle est leur place?

V.3. La place des données pharmaceutiques brevetées dans la catégorie des

biens publics mondiaux

Dans son article traitant du bien-être social et l’allocation des ressources pour l’invention,

Arrow (1962) estime que la connaissance, constitutive de toute activité inventive, est un bien dont la

production, de par sa nature même, ne peut être prise en charge de façon optimale par le marché.

En effet, le fait que ce genre de biens ne soit pas complètement appropriable se traduit par un écart

entre son coût de production qui est souvent très élevé et son coût de reproduction qui est minime ou

proche de zéro (Lévêque & Ménière, 2003 : 27). Les découvertes, médicales ou autres, sont des

Page 192: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

172

biens qui, une fois produits dans un ou plusieurs pays par des personnes physiques ou morales,

deviennent aussitôt à la portée de tous et doivent bénéficier à l’ensemble de la communauté. Ainsi,

toutes les innovations, quel que soit le domaine, sont des biens publics mondiaux si on se réfère aux

caractéristiques énoncées précédemment. Mais cela ne signifie pas que toutes les recherches

doivent être prises en charge par une structure publique ou financées par elle. Il y a en effet des

biens publics que la collectivité peut considérer qu’ils ne sont pas indispensables à sa population et

confier leur gestion ou production à des agents privés. Tel est le cas d’une partie des plages

concédées à des hôteliers ou des autoroutes gérées par des compagnies privées.

Pour ce qui est des innovations pharmaceutiques, elles contribuent dans la poursuite des

deux objectifs globaux de l’humanité, ce que le PNUD qualifie malencontreusement137 de « biens

publics mondiaux résultants des politiques des Nations » : le progrès de la science ainsi que celui de

la bonne santé des personnes, par le biais des médicaments que ces découvertes permettent de

produire. Ces innovations sont pour cela d’une importance capitale pour l’humanité et leur gestion ou

leur production ne peut pas dépendre du bon vouloir des investisseurs privés. Avant de montrer

comment ces découvertes participent dans ces deux politiques générales des Nations, il est

important de préciser la situation des médicaments en tant que tels par rapport aux biens publics

mondiaux.

V.3.1. Les médicaments ne sont pas des biens publics mondiaux

Les médicaments issus des inventions pharmaceutiques sont comme les unités provenant

d’une ressource. Ces unités sont rivales puisqu’elles ne peuvent pas être sujettes à une utilisation

concomitante ou à une appropriation conjointe. En effet, le médicament consommé par un patient est

assimilable à un « poisson pêché qui ne sera plus là pour le suivant ou l’eau utilisée pour l’irriga tion

d’un champ d’un agriculteur qui ne peut plus l’être sur celui d’un autre » (Ostrom, 1990 : 46). Ainsi,

les médicaments sont des biens privés, de par leur nature, puisqu’il existe, dans les faits, une rivalité

d’utilisation entre les patients. En effet, leur consommation par les uns diminue leur utilité pour les

autres. Une cure de comprimés, consommée par un malade pour se soigner de son infection, ne

peut plus être utilisée par un autre patient (Boidin, 2005 : 34). Tout comme le poisson pêché ou l’eau

137 Voir supra (au point V.2.3).

Page 193: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

173

puisée dans un lac, les médicaments, issus de la « ressource », ne peuvent pas être utilisés

conjointement, mais seule la ressource elle-même dispose de cette qualité. Si pour le poisson la

ressource est le lac, pour le médicament, la ressource se trouve être la formule de son principe actif.

C’est en effet dans cette ressource (formule ou procédé de fabrication) que l’on puise les

médicaments.

En plus d’être rivaux, les médicaments sont aussi des biens exclusifs. Leur consommation

étant prioritairement réservée à ceux qui ont les moyens d’en payer le prix. Ceux qui n’ont pas les

capacités financières de payer le prix au moins équivalant au coût de production de la dose qu’il

désire, même dans le cas des médicaments non brevetés ou génériques, se trouvent exclus ou

discriminés par le prix dans la consommation ou l’usage de ces médicaments. En outre, il est

possible de les intégrer dans le patrimoine d’une personne, physique ou morale. Le patient qui paie

le prix s’en approprie définitivement et les stocks de médicaments font partie du patrimoine du

laboratoire qui les a fabriqués ou du pharmacien qui les a en fonds de commerce (Cornu, 2000 : 538;

Moine-Dupuis, 2010 : 4-5). Rivaux et exclusifs, ils sont aussi imputables ou divisibles en cures et ne

peuvent donc pas être des biens publics mondiaux. On peut en effet fixer que telle personne, en

raison de ses caractéristiques physiques liées à son poids ou son âge, ne pourra prendre que telle

quantité, tandis qu’une autre personne prendra telle autre. Ceci indique qu’au moins d’une manière

théorique, on est en mesure d’identifier la quantité et le coût d’une dose qui est nécessaire pour

soigner quelqu’un et cette portion garde la même efficacité thérapeutique que la dose qui a été

utilisée par un autre, ce qui est contraire au caractère d’indivisibilité du bien public. Par conséquent,

les médicaments sont des biens strictement privés et ne peuvent pas avoir le statut de biens publics

mondiaux.

Si les médicaments ne sont pas des biens publics, il s’agit certainement des « biens

essentiels » qui nécessitent un traitement particulier et leur commerce ne doit pas être assimilé au

commerce des marchandises ordinaires (Correa, 2010 : 13). Le médicament, qui fait l’objet d’une

appropriation privée pouvant difficilement être remis en cause (Correa, 2010 : 13), touche néanmoins

à l’élément essentiel pour l’humanité : la vie et la survie de l’être humain (Correa, 2010 : 13). Bien

que cette spécificité du médicament ne soit pas contestée, elle n’est pas reconnue expressément e n

droit international. L’Accord sur les ADPIC ne mentionne les produits pharmaceutiques qu’une seule

Page 194: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

174

fois à l’article 39, et là aussi en ce qui concerne la protection des renseignements non divulgués. Si

les médicaments devaient continuer à être traités comme de simples biens ordinaires, cela

équivaudrait à accepter l’idée que la santé est « une marchandise »138 à laquelle seuls ont accès

ceux qui ont un pouvoir d’achat suffisant, ce qui est évidemment inacceptable (Verschave, 2004 :

296).

L’idée qui se trouve derrière les développements précédents n’est pas de sortir le

médicament du marché, faute de quoi les incitations à la recherche pharmaceutique disparaîtraient.

Toutefois, il est indéniable que la qualité de « bien d’humanité » du médicament doit prendre

l’ascendant sur sa qualité de marchandise. Une fois reconnue l’utilité du médicament pour

l’humanité, elle servirait de fondement à une politique d’accès universel à ces biens essentiels et à

trouver une solution qui remédie aux méfaits actuels du brevet dans le domaine de la santé. Ceci

devrait permettre aux inventions médicales brevetées de retrouver leur caractère de biens publics

mondiaux dans le but d’atteindre les objectifs doublement importants pour l’humanité : la bonne

santé et le progrès scientifique.

V.3.2. Les données pharmaceutiques brevetées sont des biens publics mondiaux

relatifs à la santé

La santé est citée par le PNUD comme l’un des plus évidents des biens publics mondiaux, à

côté du savoir et de l’éducation. Le désir d’une bonne santé semble revêtir les caractères de non-

rivalité (la bonne santé d’une personne ne prive pas les autres d’en jouir), d’imputabilité (elle n’a pas

de prix), d’universalité (elle ne se limite pas aux frontières des pays et l’état de santé des uns joue

positivement ou négativement sur celui des autres), d’intemporalité (toutes les générations y

aspirent) (Constantin, 2002 : 246). L’utilisation croissante du terme de bien public dans le domaine

de la santé a poussé à considérer celle-ci comme étant elle-même un bien public mondial (Boidin,

2005 : 30). Cependant, on ne le dira jamais assez, un désir, soit-il celui de bonne santé, ne devient

138 Comme l’écrit Azam (2004), « la santé débarrassée de toute dimension politique peut devenir une marchandise comme les autres, dont la valeur est donnée par le principe d’utilité économique tel que défini par Walras » (Azam, 2004 : 2). Pour Comeliau, « le marché constitue le lieu de rencontre entre la demande solvable, qui exprime et légitime les besoins, et l’offre en quête de maximisation du profit » (Comeliau, 2001, 116). Si la santé se marchandise, une telle perception ne peut tenir compte de la demande non solvable (CETRI, 2004). Ainsi, « le médicament considéré comme un produit commercial comme les autres se retrouve soumis aux lois de l’offre et de la demande. Dans ces conditions, le marché pharmaceutique est guidé par les intérêts financiers et non pas ceux des malades » (Médecins du Monde, 2003 : 6).

Page 195: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

175

pas un bien pour autant : il n’est pas susceptible d’être l’objet d’opérations juridiques inhérentes aux

biens : cession, appropriation, etc. Ainsi, ni le désir à la bonne santé, ni la santé elle -même, ni la

politique globale de préserver ou d’améliorer la santé publique, nationale ou mondiale, ne sont pas

des biens au sens matériel ou juridique du terme. Ce sont de bonnes politiques ou des désirs

louables certes, et leur défaut constitue un mal à combattre, mais ce bien moral ne transforme pas la

santé en un bien matériel.

Par contre, les biens couverts par les brevets pharmaceutiques, qui permettent la réalisation

de cette politique, sont des biens publics mondiaux, qu’on peut estimer qu’ils sont liés à la santé.

Outre qu’ils remplissent toutes les caractéristiques des biens publics mondiaux comme on l’a montré

dans la première section de ce chapitre, les biens protégés par les brevets, c’est-à-dire les principes

actifs médicamenteux, leurs formules ou procédés de leur fabrication, sont des biens publics

mondiaux, dans le sens où tout individu a théoriquement un droit à leur libre utilisation139, rendue

possible par la divulgation initiée par le brevet (Moine-Dupuis, 2010 : 10). Le brevet est en effet une

protection offerte à l’inventeur contre la concurrence déloyale en contrepartie de la divulgation de son

invention en la rendant publique. Par conséquent, toute invention divulguée doit être accessible à

tous, comme le préconise d’ailleurs le préambule des statuts de l’OMS qui stipulent que « l’admission

de tous les peuples au bénéfice des connaissances acquises par les sciences médicales […] est

essentielle pour atteindre le plus haut degré de la santé ». L’éradication de la variole grâce à une

campagne de vaccination mondiale en est un bon exemple (Poulain, 2002 : 8).

Les biens couverts par les brevets sont ainsi rendus publics par cette protection dont le but

est de les divulguer auprès des chercheurs pour qu’ils s’en servent pour mettre au point de nouvelles

molécules. Ainsi, ces biens font partie d’une base de données globale des connaissances qui servent

à faire progresser la science.

139 Il convient de rappeler que le brevet n’interdit pas l’usage privé ou indiv iduel des objets brevetés, mais l’utilisation à des fins commerciales.

Page 196: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

176

V.3.3. Les données pharmaceutiques brevetées sont des biens publics mondiaux

relatifs à la science

Pasteur disait que « la science est un patrimoine de l’humanité » (Hugon, 2004 : 266).

Mouhoud (2010 : 31) définit la science ou la connaissance comme étant

le fruit d’un travail théorique ou pratique visant à améliorer la compréhension des faits naturels ou sociaux. Elle est une capacité cognitive constituée par un stock résultant de l’accumulation de savoirs. Fruit de processus intellectuels de compréhension et d’apprentissage, elle est incorporée dans les individus ou dans la mémoire commune et

forme un stock de capital productif immatériel (Mouhoud, 2010 : 31).

La connaissance ou la science possède en général les trois qualités ou attributs des biens

publics (Arrow, 1962) : non-rivalité, non-exclusivité et indivisibilité ou imputabilité. D’abord, la

connaissance est un bien non-rival puisque son utilisation ou acquisition par un individu ne diminue

pas la quantité de connaissances qui reste disponible pour les autres. L’utilisation d’un savoir par

quelqu’un n’empêche pas l’usage du même savoir par un autre, et il peut être réutilisé par plusieurs

simultanément ou successivement, d’une manière infinie et sans coût additionnel, puisque son coût

marginal de reproduction pratiquement nul. L’ancien Président des États-Unis, Thomas Jefferson140,

a expliqué la non-rivalité de la connaissance, sous forme de parabole, en disant que

l’action du pouvoir de la pensée que l’on appelle une idée, au moment où elle est divulguée, devient la possession de tous, et celui qui la reçoit ne peut pas en être dépossédé. Sa propriété particulière est aussi que personne ne la possède moins parce que tout le monde la possède. Celui qui reçoit une idée de moi reçoit un savoir sans diminuer le mien; tout comme celui qui allume sa bougie à la mienne reçoit la lumière sans me plonger dans la pénombre (Blondeau & Allard, 2007 : 183).

Ensuite, la connaissance est également non exclusive, ce qui implique que chacun peut faire

usage librement d’un savoir relevant du domaine public. Tout le monde a théoriquement accès au

savoir et à la science, bien que cela nécessite des infrastructures qui ne sont pas nécessairement

toujours à la portée de tous. Cicéron affirmait déjà que « la connaissance est un bien commun que

nul ne peut revendiquer pour soi, mais que chacun se doit de communiquer aux autres » (Cicéron,

cité par Quéau, 2010 : 3). Enfin, la non-imputabilité de la connaissance indique que, outre qu’aucune

personne, ni aucun État ne peuvent revendiquer le monopole ou l’exclusivité d e création du savoir et

de la science, il est également difficile de les diviser en petits morceaux pour en déterminer le coût

marginal. Or, selon la théorie traditionnelle, le bien-être de la société est maximisé lorsque les

140 Thomas Jefferson a été le président des États-Unis d’Amérique de 1801 à 1809 (Blondeau & Allard, 2007 : 183).

Page 197: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

177

usagers ont la possibilité de payer les biens et les services à leur coût marginal. Les biens

informationnels, dont le coût marginal de reproduction est pratiquement nul, devraient donc être

cédés quasi gratuitement (Mouhoud, 2010 : 32).

Outre ses propriétés de non-exclusivité et de non-rivalité d’indivisibilité, les caractères

d’universalité et d’intemporalité de la connaissance doivent être pris en compte. D’une part, la

connaissance scientifique est un savoir universel même si elle renvoie à des codes linguistiques

spécifiques. Ainsi, plusieurs pays bénéficient des avantages économiques découlant des inventions :

le pays où l’invention a été réalisée, celui où elle est détenue, mais aussi en partie d’autres pays,

puisque les entreprises multinationales peuvent déployer leur technolog ie à l’échelle mondiale,

notamment à travers la commercialisation (OCDE, 2009 : 141-145). D’autre part, la science est

porteuse d’externalités positives pour les générations présentes et futures. Le savoir dont on dispose

aujourd’hui, et qui conduit au progrès social, est le résultat d’une accumulation des connaissances

acquises par l’humanité depuis des millénaires (Mouhoud, 2010 : 37). Dans tous les domaines, y

compris dans celui de la santé, une importante partie des connaissances relève des apports publ ics

gratuits de l’éducation et des acquis résultant de la recherche fondamentale (Verschave, 2004 : 327).

Elle constitue un cumul des avancées progressives de la recherche. Ce caractère cumulatif de la

connaissance est lié au fait que la production de savo irs nouveaux repose en grande partie sur les

savoirs existants (Mouhoud, 2010 : 32), les inventeurs d’aujourd’hui s’appuyant sur le savoir, les

traditions et la richesse inventive amassée par la collectivité humaine dans son ensemble et au fil du

temps141, pour aller encore plus loin. Elle est donc intemporelle et intergénérationnelle.

Ainsi, enjeu du développement et facteur de la compétition entre les firmes et les pays, la

science ou connaissance présente toutes les caractéristiques des biens publics mond iaux. Bien que

les théories économiques traditionnelles en supposent le libre accès au niveau mondial, des

stratégies ont été mises en œuvre pour en restreindre la circulation, notamment avec l’entrée en

vigueur de l’Accord sur les ADPIC, instaurant ainsi une sorte de « marchandisation de la

connaissance » (Mouhoud, 2010 : 31). Le système actuel des brevets constitue un moyen de

141 En effet, les œuvres intellectuelles forment un espace composé d’éléments groupés dans deux catégories. La première comprend les créations tombées dans le domaine public. Les éléments de cette zone se prêtent à un usage collectif et gratuit. En schématisant un peu, c’est l’équivalent des terrains communaux ouverts à tous les troupeaux du v illage. La seconde catégorie correspond aux inventions et créations qui sont encore protégées. Elle est morcelée en plusieurs parcelles à l’image des terres arables clôturées. Chaque parcelle peut être louée, vendue ou ouverte au passage en contrepartie d’un péage (Lévêques & Ménière, 2003 : 14).

Page 198: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

178

reprivatisation de la science, bien qui est intrinsèquement public à l’échelle mondiale. Puisque les

connaissances antérieures appartenant au domaine public constituent la base de production des

nouvelles connaissances, comment rétribuer l’apport des nouveaux inventeurs tout en tenant en

considération la part et l’intérêt de la collectivité, héritière du savoir qui a servi de base dans leurs

recherches (Mouhoud, 2010 : 32) ? Comment éviter le « hold -up » (Verschave, 2004) des nouveaux

arrivants sur le bien commun qui existait déjà et qui était ouvert à tous142 ?

Dans le domaine de la santé plus qu’ailleurs, il est important d’opérer la distinction entre les

connaissances, qui sont des biens publics nationaux et mondiaux et les produits qui en découlent,

qui sont des biens privés. Le brevet couvre le « bien informationnel » qui fait partie de la

connaissance, bien public mondial, contrairement au médicament, support matériel de cette

connaissance, qui est un bien privé. Placé en amont dans l’élaboration du produit, le brevet réduit

l’accès de ce bien public appartenant à tous, consacrant ainsi son accaparement par certains et son

exclusion pour d’autres (Poulin, 2002 : 10). Les connaissances médicales, y compris les formules et

les procédés de fabrication des médicaments, doivent garder, comme toutes les autres

connaissances, leur caractère de biens publics mondiaux, afin que toute personne qui en a besoin

puisse en revendiquer le bénéfice. Dans cette logique, les recherches dans ce domaine doivent être

financées par les fonds publics internationaux, en raison de leurs caractéristiques et de leur

importance dans la société et dans le progrès de l’humanité. Cette idée induit une responsabilité

collective internationale quant à la création et la diffusion de ces biens. Ainsi, il est nécessaire

d’assurer l’accès au stock de connaissances, organiser leur diffusion par le biais d’un système public

d’information et permettre l’exploitation efficiente des technologies au profit de tous (Remiche & Kors,

2007 : 177-178). Comme dans la problématique des brevets et de l’accès aux médicaments, la

difficulté réside dans l’équilibre à trouver entre la promotion d’une large utilisation de la connaissance

et la création d’incitations à produire ces connaissances (Kaul, & al., 2002 b : 76). Il est donc

nécessaire, pour l’intérêt général de tous les pays, de trouver un autre moyen de financer cette

142 La pratique actuelle ne reconnaît aucun apport antérieur. Comme l’écrit ironiquement Quéau (2013), « l’inventeur est l’homme prov identiel, le génie solitaire, qui incarne à lui seul l’étincelle créatrice, l’intuition salvatrice, arrachant héroïquement l’humanité de l’ignorance. À lui les brevets, le monopole sur l’idée et les revenus, ignorant les innombrables apports consentis par la collectiv ité pour former le savant, et surtout l’immense domaine public, dans lequel tout le monde prélève ». C’est pour rétablir les droits de la société sur ce domaine public de la connaissance que certains ont proposé l’idée d’une « propriété intellectuelle verte » (OMS, 2012 : 184) consistant à réclamer au déposant de brevets un paiement proportionnel aux recettes effectives gagnées, pour dédommager la collectiv ité mondiale de l’usage ainsi fait du bien commun et de la protection juridique socialement reconnue, mais surtout pour permettre à cette même collectiv ité de préparer l’avenir, de renforcer par ce retour financier supplémentaire et à l’échelle mondiale les écoles et les universités, les bibliothèques et les laboratoires dont les nouvelles générations d’inventeurs auront besoin (Quéau, 2013).

Page 199: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

179

recherche médicale autrement que par la hausse du prix des médicaments, la seule possibilité

préconisée par la politique actuelle de brevet (Guesmi, 2011 : 425). C’est dans cette perspective et

celle d’une solution rationaliste que s’inscrit la proposition de financer la recherche sur les

médicaments par des fonds publics mondiaux en raison de leur place primordiale dans la

préservation de la santé humaine, en tenant compte de l’intérêt général de l’humanité et dans le

respect des intérêts des principaux acteurs concernés par cette problématique qui sont les États, les

firmes pharmaceutiques et les patients.

Page 200: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments
Page 201: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

Chapitre VI : La création d’un Fonds international pour la production

des biens publics mondiaux relatifs à la santé

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Page 203: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

183

À chacun selon ses moyens pour l’effort et à chacun selon ses besoins sur le produit (Frère

Manirakiza).

Le concept de biens publics mondiaux transpose143 au niveau international la nation de biens

publics nationaux et renvoie à l’idée de défaillance des marchés et des États à les produire (Gabas &

Hugon, 2001 : 22). L’approche des biens publics mondiaux présente l’avantage de donner un

fondement théorique et rationnel à l’intervention publique sur le marché, sans remettre en cause la

concurrence, la libéralisation économique ou les droits de propriété (Quenault, 2013 : 21). Elle

souligne également les limites du système international actuel à fournir ces biens et le décalage

entre la mondialisation des défis de l’humanité et le caractère « décalé » des réponses apportées par

des décisions prises généralement dans le cadre étatique (Hugon, 2003 : 67). Or, si la production

d’un bien public national ne peut pas être assurée par le marché; a fortiori, un bien public mondial ne

peut non plus être le résultat de la seule « main invis ible » du marché. En outre, suivant les règles du

marché, seules les personnes ayant les moyens de payer le prix peuvent accéder à un bien donné.

Le marché est donc exclusif alors que, s’agissant d’un bien public, la règle est de ne pas le priver à

un demandeur quelconque en raison de son insolvabilité (Guesmi, 2011 : 490-497).

La principale conclusion du précédent chapitre est que les biens pharmaceutiques brevetés

issus de la recherche médicale, plus que d’autres144, relèvent des biens publics mondiaux. Dans ce

chapitre, on va voir que la question de l’accès aux nouveaux médicaments brevetés dans les pays du

Sud renvoie donc au concept de biens publics mondiaux et aux politiques qui s’imposent au niveau

mondial de résoudre collectivement ces problèmes mondiaux de santé, dans le but de faire face aux

défis auxquels est confrontée l’humanité (Hugon, 2003 : 68). Ainsi, en vue de tenter d’apporter une

réponse à cette question, la démarche suivie dans cette thèse consiste à opérer la dissociation entre

les coûts de la recherche de ceux de la production du médicament pour ensuite proposer la mise en

place d’un Fonds international qui devrait prendre en charge les dépenses liées à la recherche des

médicaments grâce à un financement public international. Ainsi, le principal fondement de cette

143 En effet, si la société nationale est composée de personnes physiques qui n’ont pas intérêt à produire les biens publics, il est de même dans la société internationale, composée par les États en premier lieu. Ces derniers n’ont, eux non plus, aucun intérêt à supporter en solo les coûts de la production des biens publics mondiaux.

144 Étant donné qu’ils concourent à la réalisation de deux objectifs principaux de l’humanité : la préservation de la santé publique et le progrès scientifique.

Page 204: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

184

solution repose sur l’idée de la séparation des activités de la recherche de celles de la production

des médicaments. L’instauration de ce mécanisme international de financement de la recherche

médicale devrait permettre aux firmes pharmaceutiques de vendre les médicaments partout dans le

monde seulement aux coûts marginaux de production. Ainsi, pour les personnes n’ayant pas les

capacités de se fournir en médicaments brevetés dont ils ont besoin, leur demande serait rendue

solvable par des fonds publics par la procédure de rachat des brevets qui portent sur ces

médicaments. Par conséquent, l’accès aux médicaments brevetés, notamment pour les classes

pauvres, serait ainsi assuré puisque ces derniers seraient disponibles à des prix abaissés, proches

des coûts de production, n’incluant pas les rentes ajoutées pour rémunérer les brevets et la

recherche médicale.

Ensuite, après avoir fait l’exposé du fonctionnement de ce mécanisme, notamment ses

missions ainsi que sa faisabilité, on verra que la mise en place de ce Fonds pose un certain nombre

de problèmes qu’il faudra résoudre, notamment la question de ses sources de financement et celle

de l’adhésion au projet des pays riches, détenteurs des capitaux, et des firmes pharmaceutiques,

détentrices des brevets. En outre, comme pour toute production ou fourniture de n’importe quel bien

public, il est important de s’assurer de la participation de tous en faisant supporter les coûts et les

charges à tout le monde (pas nécessairement dans les mêmes conditions) et s’assurer qu’il n’y ait

pas ceux qui profitent du bien public mondial en question sans contribuer aux coûts de production.

En d’autres mots, il faut s’assurer de régler les problèmes classiques de l’action collective,

notamment celui du « passager clandestin » dans la constitution de ce mécanisme de financement

des innovations médicales qui sont, comme on l’a vu, des biens publics mondiaux. La présente thèse

préconise ce financement par des fonds publics internationaux gérés par une structure internationale

instituée à cette fin. L’idée de financement des biens publics mondiaux par des fonds internationaux

se concrétise de plus en plus de nos jours, comme on va le mentionner dans la dernière section de

ce chapitre. Mais d’abord, quels sont les arguments, théoriques ou pratiques, qui plaident en faveur

d’une telle proposition ?

Page 205: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

185

VI.1. Les fondements ou arguments pour l’instauration du Fonds international

pour la recherche médicale

Le principal fondement est que les découvertes issues de la recherche médicale et qui sont

couvertes par les brevets relèvent de la catégorie des biens publics mondiaux. Ce postulat a fait

l’objet de la précédente section. Il faut seulement la compléter en soulignant que l’approche des

biens publics mondiaux s’inscrit dans la logique néoréaliste dans le sens que la production de ces

biens peut être le résultat de choix égoïstes et utilitaristes parfaitement rationnels (Smouts, 2005 :

67). Ainsi, la question des brevets pharmaceutiques et de l’accès aux médicaments, vue sous l’angle

des biens publics mondiaux, est analysée en termes d’intérêts, de coûts, de récompense ou de

dédommagement des différents acteurs qui interviennent dans la production de ces inventions. En

reconsidérant les biens pharmaceutiques brevetés comme des biens publics mondiaux et en

rachetant les licences qui portent sur eux par des fonds publics à travers un Fonds mondial institué à

cette fin, cela permet de passer de la rationalité individuelle (poursuite des profits pour les

entreprises pharmaceutiques) à la rationalité générale de la société, c’est-à-dire la réalisation des

objectifs globaux, tout en sauvegardant les intérêts des uns et des autres (Lévêque & Ménière, 2003

: 81). L’on reste donc dans le monde de calcul, du mesurable, de la rationalité en compensant les «

market and states failures » par les financements publics mondiaux (Hugon, 2004 : 284).

En outre, la théorie des biens publics mondiaux ne vise pas à remettre en question

l’architecture actuelle de la coopération ou les institutions internationales existantes145. Il ne s’agit

pas en effet de rejeter le système des brevets, mais de repenser l’équilibre entre les intérêts en

présence, en remettant le brevet au service du bien-être et du progrès de l’humanité. La protection

des brevets ne doit pas en effet se faire au détriment des personnes, bénéficiaires et destinataires

145 Certains auteurs suggèrent en effet le réaménagement du système international dans son ensemble. Ainsi, Scelle (cité par (Daillier & al., 2009 : 91) rejette la notion de souveraineté et veut étendre la conception solidariste dans la société nationale à la société internationale et observe que la solidarité sociale y est le fait d’indiv idus comme dans la société interne. Il n’ex iste, selon lui, aucune différence de nature entre l’une et l’autre (société nationale et société internationale) puisqu’elles sont toutes les deux des sociétés d’indiv idus (Daillier & al., 2009 : 91). Dès lors, la seule société internationale universelle détient la souveraineté et l’inex istence présente d’organes internationaux supérieurs aux États relève d’une « carence institutionnelle » à laquelle il est possible et nécessaire de remédier (Daillier & al., 2009 : 91). Le système d’États-nations ne peut faire face aux problèmes socio-économiques fondamentaux. Il suggère que les institutions reposant sur la fonction, et non sur le territoire, sont celles qui conviendraient pour résoudre les problèmes socio-économiques fondamentaux. Pour lui, la priorité réside dans l’identification des problèmes communs aux États et dans la mise en place des structures spécialisées de coopération (Hasbi, 2004 : 158). Il constate en effet que les États sont confrontés à des tâches techniques qu’ils ne peuvent pas réaliser tous seuls. C’est la coopération technique qui peut assurer ce genre de fonctions d’intérêt commun indispensables aux États et aux peuples, et qui est assurée par des organisations techniques internationales. Cette coopération est articulée sur des fonctions techniques et sectorielles, choisies et organisées de manière séparée et progressivement regroupées sous forme de faisceaux de fonctions (Hasbi, 2004 : 159).

Page 206: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

186

des progrès engendrés par toute innovation, a fortiori celle qui les touche directement dans leur

existence même. Il doit donc y avoir une voie mitoyenne entre la protection et l’incitation au progrès

scientifique et la nécessité d’assurer que cela permet de répondre aux demandes et aux besoins de

tous sans exclusion. Pour cela, la mise en place d’une structure publique et internationale pour le

financement de la production des connaissances dans le domaine médical s’impose comme

réponse. Elle se fonde sur plusieurs arguments dont les principaux sont, outre la dissociation entre

les coûts de la recherche de ceux de la production des médicaments, l’internationalisat ion des

risques et des menaces sanitaires et le caractère arbitraire de la durée de validité du brevet.

VI.1.1. Dissociation des coûts de la recherche de ceux de production et de distribution

des médicaments

La théorie économique prescrit de recourir au financement public pour la production ou la

gestion d’un bien public (un bien à la fois non exclusif et non rival). Pour les biens brevetés que l'on

considère comme des biens publics, le mécanisme proposé consiste à rembourser l’entreprise pour

ses dépenses de recherche, ce qui élimine le problème de manque d’incitations à produire le bien

public en question et à assurer l’accès au bien. Cette solution qui finance la production par les

contribuables, et non par les utilisateurs ou consommateurs du bien, est employée dans d’autres

domaines, par exemple dans le cas de l’éclairage urbain. Elle doit aussi être utilisée dans le domaine

de la science et de la recherche pharmaceutique en faisant d’elle une recherche publique Lévêque &

Ménière, 2003 : 49). Pour cela, il faut opérer une séparation entre la recherche médicale et la

production des médicaments. Ainsi, en ce qui concerne les médicaments, l’industrie pharmaceutique

serait rétribuée en fonction de ses services et de sa contribution dans leur production et l eur

commercialisation, plutôt que dans la création de nouvelles connaissances qui sont des biens publics

mondiaux qui doivent être pris en charge par la collectivité dans son ensemble (CETRI, 2004). La

dissociation des dépenses consacrées dans la recherche pharmaceutique du prix de production du

médicament lui-même est déterminante dans la justification de l’intérêt de l’instauration du Fonds

mondial pour la recherche médicale. La dissociation permet de séparer le financement de la R-D de

la fixation des prix des produits et cette opération peut intervenir de deux manières : en amont de la

recherche en subventionnant le projet de recherche ou en aval en récompensant l’invention déjà

mise au point. L’approche privilégiée dans le cadre de cette thèse intervient en aval, comme le brevet

d’ailleurs, en s’inspirant des modèles d’innovation ouverte dans lesquels les coûts de la recherche

Page 207: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

187

sont couverts ou remboursés par des ressources publiques et les résultats rendus disponibles

immédiatement dans le domaine public (OMS, 2012 : 43). Ce serait une façon d’anticiper la fin de la

protection du brevet, en désintéressant le titulaire dès le départ, sans que la société ait à attendre la

période de protection du brevet de 20 ans. En effet, à l’expiration du brevet, la diss ociation s’opère

naturellement parce que le monopole de commercialisation conféré par le brevet n’existe plus et la

concurrence entre les produits génériques ramène les prix à des niveaux fixés par le marché et les

coûts de production (OMS, 2012 : 42).

La finalité de cette opération de dissociation consisterait en un remboursement intégral des

frais engendrés par la recherche du médicament, permettant ainsi à ceux qui ont effectué des

recherches innovantes des médicaments de récupérer les frais dépensés et de réaliser des

bénéfices, non pas en faisant payer le patient sur la base de l’exclusivité conférée par le brevet, mais

en commercialisant le médicament au prix coûtant, auquel il peut ajouter une petite marge

bénéficiaire, en concurrence avec les autres producteurs qui auraient la possibilité de produire le

même produit, sans devoir payer les redevances qui seraient déjà supportées par la structure

publique qui aurait racheté le brevet ou une licence publique portant sur ce dernier. Cela permettrait

aux médicaments de passer directement de l’invention au domaine public sans passer par la case

protection par le brevet (Lévêque & Ménière, 2003 : 89). En effet, la conséquence de ce

remboursement consécutif à l’opération de dissociation est qu’en échange de cette récompense pour

son brevet, l’inventeur rend libre de droits la formule du médicament, le procédé de sa fabrication ou

tout autre élément utile de son invention. Puisque la différence entre le système actuel et le système

de la récompense anticipée est que dans le premier cas les médicaments sont produits dans un

monopole et que dans l’autre, il serait produit de manière concurrentielle, les prix seraient égaux au

coût marginal de production, ce qui implique la possibilité d’un accès quasi universel aux

médicaments. Cela permettrait la production sans restriction de médicaments génériques et

l’établissement de prix différents selon les situations locales des pays producteurs (CETRI, 2004).

Le problème que pose ce principe de dissociation est que le système actuel des brevets

permet aux entreprises pharmaceutiques d’intégrer les frais engagés pour les recherches

infructueuses dans leurs prix de vente des nouveaux médicaments. C’est d’ailleurs l’une des raisons

qui expliquent les coûts élevés des médicaments brevetés. Or, avec ce principe de dissociation des

Page 208: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

188

dépenses de recherche de celles de commercialisation, les coûts engendrés par les recherches

infructueuses ne seraient pas recouvrés. Cela aurait pour effet de rendre la solution proposée moins

attrayante pour les firmes pharmaceutiques. Cependant, on ne peut pas non plus admettre que ces

dernières se lancent dans des recherches périlleuses ou fantaisistes et espérer continuer à faire

payer leurs échecs ou leur manque de jugement à la société et aux malades. En outre, le montant

déboursé par le FIRM pour le rachat du brevet serait le résultat d’une négociation dans laquelle les

intervenants prendraient en compte tous les enjeux en présence pour s’entendre sur la valeur réelle

de l’invention, en tentant de trouver l’équilibre entre les intérêts de la firme innovatrice et la société en

général. Par ailleurs, le FIRM pourrait participer lui aussi au financement de certaines recherches,

notamment celles portant sur les maladies rares ou négligées, ce qui fai t qu’il supporterait une partie

des frais engagés pour les potentielles recherches infructueuses.

Dans tous les cas, le financement de la recherche médicale par les usagers, c’est-à-dire les

malades, est contre-productif et a montré ses limites en ce qui concerne l’accès universel aux

médicaments et aux soins. Faute de pouvoir récupérer les frais de la recherche sur les

consommateurs, il faut trouver un moyen de financer le coût de la recherche autrement que par le

marché, en le remplaçant par un financement public (Constantin, 2002 : 72). Ce dernier doit

intervenir au niveau international en raison de l’interdépendance sanitaire résultant de la

mondialisation et de l’internationalisation des risques et des menaces sanitaires.

VI.1.2. L’internationalisation des risques et des menaces

C’est le deuxième argument qui fonde l’internationalisation et la publicisation de la recherche

médicale. En effet, selon Habermas (2001 : 74), la mondialisation des risques et de menaces rend

caduque la conception traditionne lle de l’État, acteur égoïste défendant ses intérêts, puisqu’elle a

objectivement uni le monde pour en faire une communauté involontaire fondée sur le risque encouru

par tous. Il est donc difficile de faire face à des menaces communes si chaque État s’en t ient à la

défense de ses intérêts égoïstes qui sont nécessairement contradictoires avec les intérêts des autres

États (Linklater, 1990 : 108). La mondialisation a engendré des problèmes nouveaux pour les États,

problèmes qui sont dus à la situation de la société internationale faite des souverainetés juxtaposées

et dans laquelle chaque État est libre de poursuivre ses propres intérêts, sans égard pour ceux des

Page 209: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

189

autres ou de la communauté internationale inexistante ou embryonnaire dans le meilleur des cas

(Daillier, & al., 2009 : 879). Cette situation n’est plus adaptée à la situation actuelle dominée par

l’interaction des États et des divers acteurs. En effet, les frontières nationales sont devenues

problématiques comme indicateurs de l’organisation étatique moderne (Battistella, 2009 : 630).

En effet, la mondialisation a favorisé la constitution des réseaux transfrontaliers dans un vide

politique, ce qui fait que la combinaison de cette interdépendance et d’un système international sans

direction centrale aboutit à une tension nouvelle entre la nécessité de trouver des solutions

planétaires à des problèmes qui menacent l’humanité et la persistance des souverainetés nationales

(Hasbi, 2004 : 85). En reconnaissant la dimension internationale à certains problème s et à la

nécessité de trouver les moyens de les résoudre à travers un multilatéralisme qui demeure

interétatique, l’approche des biens publics mondiaux prône l’universalisme dans l’allocation des

ressources ou dans la gestion de ces problèmes d’envergure mondiale (Hugon, 2004 : 284). En effet,

l’approche des biens publics mondiaux repose sur l’idée de cette interdépendance

multidimensionnelle146 qui lie l’humanité, ce qui milite pour des solutions consistant à surmonter la

décentralisation fondée sur les États souverains et à créer des centres alternatifs d’une plus grande

densité de liens qui traversent les frontières étatiques (Hasbi, 2004 : 200).

Ainsi, par l’approche des biens publics étendus au niveau international, les valeurs attachées

au concept gardent toute leur importance en ces temps où la montée des risques globaux renforce la

perception d’un destin commun et d’un devoir collectif de les résoudre. Cette approche est renforcée

par la prise de conscience de la fragilité de ce destin commun suscitée par la menace qu’occasionne

le raccourcissement de l’espace consécutif aux progrès des techniques de communication et de

transport (Daillier, & al., 2009 : 81). Les pays n’existent plus isolément ou indépendamment des uns

et des autres : ils sont interconnectés, affectés par les défis à dimension planétaire, qu’il s’agisse de

problèmes environnementaux, des épidémies, du terrorisme, etc. (Severino & Charnoz, 2008 : 7). La

montée et l’expansion des menaces et risques sanitaires ne cessent de s’intensifier à travers le

monde, étant donné qu’il est devenu quasiment impossible de contrôler la circulation des maladies,

146 L’interdépendance issue de la mondialisation n’est plus uniquement économique. Elle est devenue aussi politique, sociale, culturelle, etc. Elle concerne donc presque tous les domaines et toutes les dimensions de la v ie humaine.

Page 210: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

190

dans ce contexte où les biens et les personnes sont très mobiles à des flux sans précédent

(Constantin, 2002 : 252).

En outre, s’il est certain que les pays en développement souffrent des effets néfastes des

brevets, il est aussi probable que ce sera le cas à l’avenir pour les pays industrialisés où les

populations, habituées à avoir un accès aux médicaments, risquent de se retrouver avec des

problèmes sanitaires difficiles à gérer (Verschave, 2004 : 310). Dans un monde où les frontières sont

ouvertes et l’activité transfrontière abondante, l’absence des politiques sanitaires adéquates ou

l’insuffisance des soins dans les pays du Sud entrainent la persistance des maladies, leurs

résistances aux médicaments existants ou leur mutation, ce qui les expose aussi aux populations

des pays du Nord. En effet, le désordre sanitaire qui se trouve en un endroit de la planète peut se

répercuter d’une manière dramatique partout ailleurs. La fulgurante propagation de la grippe H1N1 et

du virus Ebola, pour ne citer que les plus récents, sont là pour le démontrer. C’est ce qu’indique le

préambule de l’acte constitutif de l’OMS quand il rappelle que « les résultats atteints par chaque État

dans l’amélioration et la protection de la santé sont précieux pour tous. L’inégalité des pays en ce qui

concerne l’amélioration de la santé et la lutte contre la maladie, en particulier les maladies

transmissibles, est donc un péril pour tous » (Poulain, 2002 : 11). De ce fait, la communauté

internationale ne peut plus se contenter d’exprimer des préoccupations communes et de se fier à un

suivi décentralisé assuré par les États, dont la plupart se trouvent dans l’incapacité d’assumer leurs

responsabilités dans ce domaine (Kaul, & al., 2002a : 19). Il faut donc combattre ou réduire le mal à

la source, c’est-à-dire au sein même des pays du Sud qui sont les plus touchés par les maladies

(Constantin, 2002 : 254). Cela doit se faire sans remettre en cause le système des brevets, malgré le

caractère arbitraire et inutilement long de la durée de protection de ces derniers.

VI.1.3. Le caractère arbitraire de la durée optimale des brevets

L’Accord sur les ADPIC a procédé au nivellement de la durée de protection des brevets, en

imposant à tous les membres une durée minimale de protection de 20 ans, à compter de la date du

dépôt de la demande du brevet. Avant ce nivellement international, la durée de protection des

brevets pouvait varier sensiblement d’un pays à l’autre. Il en était de même de la date à laquelle ce

délai commençait à courir. Alors que les brevets américains jouissaient d’une protection de 17 ans à

Page 211: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

191

compter de leur délivrance, d’autres pays prévoyaient une protection de 20 ans (la plupart des pays

européens, le Japon, l’Afrique du Sud, l’Australie, etc.), 15 ans en Argentine à compter de la

délivrance du brevet, 16 ans en Nouvelle-Zélande à compter du dépôt de la demande, et 16 ans

également au Pakistan, mais à compter de la délivrance du brevet (Kolker, 2000 : 17). Pas plus que

pour ce désordre dans les délais de protection qui régnait avant l’avènement de l’Accord sur les

ADPIC, l’imposition de la durée de 20 ans ne se fonde sur aucune base, ni scientifique, ni même

factuelle.

En effet, Nordhaus (1969) a essayé de déterminer la durée optimale des brevets en partant

de l’hypothèse que la détermination de cette durée est fonction des coûts engendrés par les

dépenses en R-D par rapport aux gains effectués pendant la durée du monopole. Selon ses

constatations, la durée de vie optimale du brevet est curieusement une fonction inverse à l’élasticité

de la demande. Pour des inventions qui induisent de faibles coûts de recherche, l’augmentation de la

demande accroît le bien-être, et le coût social associé à la faible demande (dû à la durée de

protection du brevet) augmente également (Scherer, 1972). Il en conclut qu’une durée identique pour

tous les brevets et pour tous les pays est en fin de compte sous-optimale, arbitraire et irrationnelle,

étant donné que différentes industries, différentes technologies et différents marchés requièrent des

durées différentes pour recouvrer les frais investis, en fonction de la taille de ces coûts et de

l’importance sociale de l’innovation, c’est-à-dire en fonction de l’utilisation ou de la demande qu’elle

génère. Ainsi, les frais engagés pour une innovation qui n’a pas un grand impact social ne seront

probablement pas remboursés, malgré les délais de protection plus longs. Par contre, une invention

salvatrice pour un grand nombre n’aura pas besoin de ces délais pour permettre à l’inventeur de

recouvrer rapidement les frais qu’il a engagés.

L’écart entre le rendement social et privé de l’innovation est extrêmement grand pour les

produits pharmaceutiques, ce qui rend l’intervention publique singulièrement nécessaire. Il n’y a pas

de doute que sans cette intervention, le niveau de l’innovation pharmaceutique reste insuffisant d’un

point de vue social. Nordhaus (1969), en examinant l’efficience relative du système des brevets en

faveur du progrès technologique par rapport à celle offerte par un système de subsides ou

financements publics, est arrivé à la conclusion qu’un système des brevets implique des coûts en

matière de bien-être social alors que, dans l’ensemble, il n’offre pas plus d’avantages que le système

Page 212: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

192

de recherche qui serait financé par des fonds publics (Remiche & Cassiers, 2010 : 164). L’industrie

pharmaceutique est donc un bon candidat pour l’usage des subventions ou d’autres récompenses à

l’innovation (Belleflamme & Van Ypersele, 2006 : 28). Il ne reste qu’à voir comment opérerait cette

intervention publique internationale ainsi que les conditions nécessaires pour sa faisabilité ou son

opérationnalité.

VI.2. Fonctionnement et faisabilité du Fonds mondial pour la recherche et les

brevets pharmaceutiques

La prise de conscience que la maladie constitue un problème mondial n’est pas une

nouveauté des temps modernes. Elle progresse néanmoins très rapidement de nos jours avec la

montée des risques et des menaces sanitaires partagés, de même que la nécessité de combattre

collectivement ces fléaux qui se jouent des frontières en les franchissant allègrement (Verschave,

2004 : 48). Il existe bien une pratique internationale en matière de santé publique. En effet, les

épidémies, qui ne connaissent pas de frontières, ont été à l’origine de la mise en place en 1907 de

l’Office international d’hygiène publique (OIHP), qui est devenu à partir de 1946 l’OMS (Constantin,

2002 : 250-251). Cependant, cette dernière organisation, utilisant une approche technique et

dominée par des technocrates, n’a pas été à mesure d’apporter une réponse appropriée au problème

causé par les brevets dans l’accès aux médicaments pour les populations à faibles revenus. C’est en

effet une question complexe qui nécessite des décisions d’ordre politique et pas seulement d’ordre

médical.

Le Fonds international pour la recherche médicale (FIRM) que cette thèse propose

d’instaurer pour résoudre ce problème des brevets dans l’accès aux médicaments aurait la mission

de racheter les brevets portant sur les médicaments essentiels, lesquels brevets deviendraient

publics et immédiatement publics et disponibles pour tous les pays. Tout comme pour le HIF, le

FIRM proposerait aux inventeurs de renoncer aux bénéfices classiques accordés par le monopole

des brevets et de recevoir un paiement qui rémunère leur travail et qui les rembourse les frais

engagés. Mais la comparaison avec le HIF s’arrête là en ce qui concerne le fonctionnement, la

faisabilité et les sources de financement.

Page 213: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

193

VI.2.1. Fonctionnement du FIRM

Dans ces paragraphes portant sur le fonctionnement du FIRM seront traitées

successivement les missions qui incomberaient au FIRM ainsi que l’analyse de la faisabilité

technique dans sa mise en œuvre .

a. Les missions du Fonds international pour la recherche médicale

Dans son Traité théorique et pratique des brevets d’invention (1872), Pouillet se prononçait

pour l’intégration des médicaments dans le système des brevets, avec toutefois une clause

d’expropriation publique qui permettrait de sauvegarder l’intérêt de la santé publique. Il estimait

qu’afin d’éviter « qu’un inventeur ne puisse accaparer un remède nécessaire à la santé publique et

spéculer sur cette nécessité même […], l’État pouvait appliquer le cas échéant le principe de

l’expropriation publique » (Cassier, 2004 : 37). Bien qu’on peut comprendre l’idée qui sous -tend la

réflexion de Pouillet, on ne peut pas envisager la procédure d’expropriation des biens issus de la

créativité humaine, même pour cause d’utilité publique, sans donner une compensation équivalente à

l’effort fourni et aux dépenses investies pour la mise au point du bien en question. C’est pour cela

qu’il serait plutôt approprié de parler de « rachat du brevet pour cause d’util ité publique ». Le rachat

des titres des droits de propriété intellectuelle se fait généralement de deux manières. Le titulaire du

droit peut céder purement et simplement son brevet ou concéder des licences d’exploitation. Dans

les faits, la vente pure et simple des brevets ne représente que 20% de l’ensemble des transactions,

les concessions de licences représentant les 80% restants (Lévêque & Ménière, 2003 : 47). La

différence entre les deux cas est que dans le cas du rachat pur et simple, le titulaire initial cède tous

ses droits sur le brevet au nouvel acquéreur qui en devient le véritable titulaire. Ce dernier peut le

céder à son tour, même gratuitement, ou délivrer des licences d’exploitation, tout en restant titulaire

de son brevet qui lui appartient entièrement depuis qu’il l’a racheté au titulaire initial. Par contre, le

licencié peut seulement utiliser l’invention brevetée pour produire les biens brevetés sans pour autant

avoir le droit de rétrocéder des « licences sur sa licence ». Dans le cas du F IRM, l’opération

appropriée est le rachat du brevet. Étant entendu que le Fonds n’a pas vocation à produire les

médicaments, l’acquisition d’une licence ne servirait pas à rendre le brevet public et disponible à

l’égard de tous. Ainsi, contrairement au mécanisme du HIF qui permet aux inventeurs de conserver

d’importants droits sur leurs brevets, le Fonds proposé ici ferait de l’invention brevetée sa propriété et

Page 214: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

194

rendrait par la suite disponibles des licences ouvertes pour que les producteurs de génériques

puissent les exploiter librement147. Ainsi, la principale mission du FIRM serait d’acquérir les brevets

qui portent sur les médicaments les plus innovants148. Les brevets ainsi rachetés seraient mis à la

disposition des États et des entreprises, publiques ou privées, pour la production des médicaments

génériques vendus au coût de production uniquement.

Dans cette opération de rachat, le FIRM appliquerait le système de « buy-out » qui consiste

à rembourser à la firme titulaire du brevet un montant d’argent correspondant aux investissements en

recherche et développement et au profit qu’elle obtiendrait si elle pratiquait un prix de monopole.

Comme on l’a déjà indiqué, cette opération de rachat permettrait de réaliser la séparation des

dépenses liées à la recherche qui relève de la sphère publique et les coûts liés la production des

médicaments qui peuvent être supportés par les patients utilisateurs des médicaments fabriqués.

Ainsi, le FIRM se chargerait uniquement de la partie recherche dans ses actions, tandis q ue le

consommateur supporterait le coût de revient ou de production du médicament qu’il consomme pour

se soigner. Dans la plupart des cas, ce coût est minime et, même pour les personnes les plus

pauvres, les budgets de santé des gouvernements ou des autres organismes d’aides qui les

prennent en charge se trouveraient allégés. Ces derniers auraient les capacités d’acheter les

produits pharmaceutiques au coût marginal à la firme brevetée 149 ou à d’autres firmes qui auront

utilisé l’innovation devenue publique e t libre de droits pour produire ces génériques. Les pays

pourraient aussi les faire produire par des entreprises publiques existantes ou créées à cette fin

(Belleflamme & Van Ypersele, 2006 : 33).

147 Pogge est plutôt critique de cette option et souligne que « les licences obligatoires affaiblissent les incitations à l’innov ation qui devaient résulter de l’extension de forts droits de propriété intellectuelle dans les pays les moins avancés » (Timmermann & Van den Belt, 2013: 66 ).

148 Dans les conditions d’obtention du brevet, l’inventeur est tenu de montrer que son invention est nouvelle. Ainsi, même les innovations mineures à un médicament ex istant, comme l’élimination d’un effet secondaire, peuvent justifier l’obtention d’un brevet. Le FIRM devrait récompenser uniquement les médicaments qui traitent une maladie qui n’en avait pas jusque-là ou qui apporte une amélioration substantielle aux médicaments ex istants, mais qui sont inefficaces ou difficiles à administrer. Par exemple, un médicament sera considéré comme innovant s’il apporte un traitement curatif contre le VIH/SIDA (ceux qui ex istent ne font qu’inhiber le v irus qui reste v ivant dans l’organisme). Il serait de même pour un médicament qui traiterait ou apporterait un vaccin contre le v irus hémorragique Ébola.

149 En effet, la firme ayant cédé ses droits contre compensation peut participer à la production de ce médicament, uniquement sous forme de générique et au coût de production. Disposant déjà d’une avance par rapport aux autres producteurs, cette firme devrait être la première à rendre le médicament disponible sur le marché au profit de ceux qui en ont besoin.

Page 215: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

195

La deuxième mission du FIRM serait d’apporter des incitations aux investissements en ce qui

concerne les recherches sur les maladies négligées. Ces maladies, généralement localisées dans

les pays du Sud, ne se propagent pas facilement et ne représentent donc ni un marché lucratif, ni

une menace immédiate pour les pays développés, ce qui explique le peu d’intérêt pour les

chercheurs et les investisseurs des pays du Nord (Guesmi, 2011 : 422). On parle au sujet de

l’investissement dans la recherche sur les maladies négligées d’un rapport 10/90 : seulement 10%

des budgets mondiaux de la recherche sont consacrés aux pathologies qui touchent 90% de la

population (Guesmi, 2011 : 421). La conséquence est qu’entre 1999 et 2004 sur les 163

médicaments mis au point, seuls trois comportaient des molécules ciblant ces maladies (Guesmi,

2011 : 420). Ainsi, le FIRM constituerait un mécanisme de garantie pour les recherches portant sur

les maladies négligées. Par mécanismes de garantie, on entend l’ensemble des moyens qui

transfèrent de l’investisseur à un organisme spécialisé les conséquences financières qui résultent de

la prise de certains risques (Carreau & Julliard, 2007 : 459). En principe, les mécanismes de

garantie, qu’ils soient nationaux ou internationaux, n’ont pas pour objet de couvrir l’ensemble des

risques économiques que court l’investisseur. Dans le cas présent, il s’agit des risques d’insolvabilité

de la demande en ce qui concerne les maladies qui frappent les populations des pays du Sud, dont

le pouvoir d’achat est en deçà des attentes des firmes pharmaceutiques et des investisseurs des

pays développés. La garantie qu’apporte le FIRM serait d’encourager les chercheurs à aller sur le

terrain des maladies négligées, étant donné que pour des raisons purement économiques, ils ne

pourraient s’y aventurer dans les conditions normales du marché. Ce risque purement économique

serait de ce fait transformé en risque politique par une mesure d’intérêt public, celui de promouvoir la

recherche dans les domaines qui autrement n’intéresseraient pas particulièrement les investisseurs

privés. Or, les risques politiques sont en général assumés par les États (Carreau & Julliard, 2007 :

513). Dans cette perspective, le FIRM financerait ou commanditerait lui -même ou en partenariat

d’autres organismes, des recherches sur ces maladies négligées, après avoir analysé et apprécié le

projet de recherche qui lui est soumis, en évaluant ses chances d’aboutissement à des médicaments

ou techniques médicales bénéfiques pour la communauté.

La troisième fonction du FIRM serait d’assurer la coordination et de déterminer les priorités

de la recherche médicale mondiale. En effet, il n’existe pas de coordination de la recherche

pharmaceutique, tant la concertation paraît faible entre les acteurs. Les coûts d’inefficacité de cette

Page 216: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

196

incohérence sont élevés, à cause de la duplication des ressources et des moyens (Severino &

Charnoz, 2008 : 33). Depuis de nombreuses années, des appels ont été lancés pour mieux

coordonner ces différents efforts, un problème déjà évoqué par la Commission de l’OMS sur la

recherche en santé pour le développement en 1990. Cette dernière avait même recommandé à cette

époque la création d’un mécanisme international de facilitation de la recherche en santé, comparable

au Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (OMS, 2012 : 47-49). Mais jusqu’à

présent, il n’existe aucun système qui permet aux firmes et laboratoires de savoir quels sont les

projets de recherche des autres firmes ou laboratoires ou de définir les investissements qui devraient

avoir des impacts bénéfiques pour la santé. En effet, le domaine est si fragmenté et les intérêts des

bailleurs de fonds et des chercheurs si différents que le financement de la R-D n’est pas en

corrélation avec les besoins sanitaires et les possibilités scientifiques et techniques. Pour rentabiliser

au mieux les investissements en matière de santé, le FIRM disposerait d’outils qui aideraient les

chercheurs à mieux évaluer l’état des connaissances et les lacunes en matière de savoirs et des

produits, pour décider sur quelles maladies et quels produits il faut porter plus d’efforts

d’investissement en priorité. Dans le cas de certaines maladies, cela signifierait peut-être qu’il faut

mettre davantage l’accent sur les recherches fondamentales que sur la mise au point de produits.

Dans d’autres cas, les connaissances fondamentales sont arrivées au stade voulu pour qu’on

recherche des technologies de santé qui peuvent être utilisées et les financements devraient aller de

préférence vers la mise au point de produits (OMS, 2012 : 47-49).

Le Fonds serait donc un organe central qui vise à obtenir une vision plus consensuelle des

priorités sanitaires globales. Cela permettrait aussi de trouver un lieu institutionnel pour en débattre

entre divers acteurs pour tenter de mettre en commun les savoirs et de faire avancer rapidement la

recherche sur certaines pathologies dont la communauté scientifique éprouve des difficultés à

trouver des remèdes (Severino & Charnoz, 2008 : 32; Moon et al, 2012 : 3). Il faut noter que le FIRM

ne serait pas un organisme centralisé pour diriger les activités de recherche : il établirait simplement

des règles qui favorisent la créativité et le partage des connaissances. La mission de recherche reste

dévolue aux firmes et aux centres de recherche, le FIRM ne servirait que d’appui ou de soutien

financier en cas de recherche sur les maladies qui rentrent dans ses priorités.

Page 217: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

197

Les principales missions du Fonds étant établies, la question du rachat des brevets implique

la détermination du coût et de la valeur d’un brevet. C’est en effet cette valeur qui indique le montant

que le FIRM devra débourser pour s’approprier un brevet qu’il juge essentiel de rendre public ou

disponible dans l’intérêt de la santé publique mondiale.

b. Les mécanismes de détermination du coût de rachat du brevet

En matière de recherche et de développement, les estimations fournies par l’industrie

pharmaceutique n’inspirent pas confiance puisqu’elles sont en général opérées en toute opacité

(Guesmi, 2011 : 436). Le FIRM ne pourrait donc pas se satisfaire des estimations présentées par le

titulaire du brevet. Il doit avoir en main quelques moyens pour vérifier le bien-fondé des réclamations

du breveté. La bonne méthode de détermination du coût de rachat des brevets constitue aussi l’un

des principaux éléments qui contribueraient dans la crédibilité du Fonds, non seulement aux yeux

des firmes, mais également à l’égard des États qui sont les principaux bailleurs du Fonds. Dans les

lignes qui suivent, il est question de présenter quelques méthodes qui sont couramment utilisées

pour déterminer les bases de négociation pour la cession des droits de propriété intellectuelle. Ces

méthodes sont la méthode de Kremer, la méthode du DALY (disability -adjusted life years ou année

de vie ajustée sur l’incapacité), ainsi que le logiciel « propivalo ».

Premièrement, le FIRM pourrait recourir à la méthode proposée par Kremer pour se donner

une idée de ce que vaut une invention dont il voudrait acquérir le brevet. Kremer a développé cette

proposition dans le cadre du rachat de licences publiques. Selon Kremer, pour savoir le coût de

rachat d’un titre de propriété intellectuelle, il suffit d’organiser tout simplement des ventes publiques

aux enchères (Baker, 2004 : 22). Pour cela, les entreprises inscriraient leurs brevets de médicaments

d’une manière similaire au système du HIF. Le but de ces ventes aux enchères est de veiller à ce

que les détenteurs de brevets soient correctement indemnisés et que le FIRM paie la juste valeur de

l’invention, valeur ainsi déterminée par le marché. Au départ, le Fonds agirait comme un observateur

passif de ces ventes aux enchères publiques, mais la plupart des brevets seraient achetés par le

FIRM pour les placer ensuite dans le domaine public. Cependant, dans certains cas, il laisserait le

meilleur offrant acheter effectivement le brevet (Baker, 2004 : 16). En effet, si les soumissionnaires

savent qu’il y a une forte probabilité qu’ils finissent par acheter le brevet, ils auraient intérêt à bien

évaluer les brevets et estimer leur juste prix. En principe, cela devrait faire en sorte que les prix

Page 218: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

198

payés par le Fonds représentent la vraie valeur marchande des brevets, même si certains

médicaments font toujours l’objet de monopoles150 (Baker, 2004 : 16). Le système de vente aux

enchères de Kremer mènerait probablement à une réduction du coût de rachat des brevets puisque

la valeur que les soumissionnaires placent sur un nouveau brevet sera parfois réduite (Baker, 2004 :

22), si par exemple ils savent qu’il existe d’autres médicaments concurrents qui sont en

développement et qui seront prochainement sur le marché et qui sont susceptibles d’être rachetés.

Le seul bémol à la méthode de Kremer est que s’il peut fonctionner parfaitement pour les innovations

portant sur les maladies ayant déjà des traitements efficaces, il serait difficilement applicable aux

médicaments sans concurrents. Les inventeurs seraient moins intéressés à faire enregistrer leurs

inventions auprès du Fonds pour participer aux enchères publiques, préférant garder leurs brevets,

plus rémunérateurs dans le cadre d’un monopole exercé pendant plus d’une vingtaine d’années.

En deuxième lieu, le FIRM pourrait aussi recourir, dans le processus de détermination de la

valeur des inventions brevetées, à la méthode du DALY151 (disability-adjusted life years ou années

de vie ajustées sur l’incapacité). La méthode de DALY a été inventée pour mesurer ou quantifier

l’impact, le poids ou le coût d’une maladie sur la collectivité et de faire une comparaison de ces «

pertes sèches » pour différentes maladies (Hollis, 2004 : 13). Cette méthode permet en effet de

mesurer la charge globale d’une maladie en « années de vie ajustées sur l’incapacité » (ou disability

adjusted life years). Élaborée conjointement par l’OMS, la Banque mondiale et l’Université de

Harvard, elle mesure la charge globale d’une maladie en rapprochant, d’une part, les années de vie

potentielle perdues à la suite d’un décès prématuré dû à la maladie et, d’autre part, les années de vie

productive perdues du fait de l’incapacité résultant de la malad ie (Belleflamme & Van Ypersele, 2006

: 27). Le nombre de DALY attribué à une maladie à un moment donné permet d’estimer la somme

des années potentielles de vie perdues en raison d’un décès prématuré et les années de vie

productive perdues (OMS, 2011 : 15-16). En utilisant cette mesure pour comparer le poids des

maladies, on constate que la malaria impose une charge plus lourde que la tuberculose à la société,

150 En effet, dans ce système de vente aux enchères de Kremer, un certain pourcentage de brevets continuerait d’être détenue par des sociétés privées, qui profiteraient de leur monopole de brevet de pratiquer des prix supérieurs au coût marginal de production (Baker, 2004 : 22). Cependant, cela affecte un petit nombre des brevets, puisque la plupart de brevets seront rachetés et rendus dans le domaine public (Baker, 2004 : 22).

151 Le DALY (disability -adjusted life years) est différent du QALY (quality -adjusted life years). Alors que les QALY, c’est-à-dire les « qualités années de v ie ajustées », mesurent les gains en termes de v ies sauvées en raison d’un médicament ou une technique médicale, les DALY (années de v ie ajustées sur l’incapacité) dressent un panorama des pertes sèches que subit la société du fait d’une maladie.

Page 219: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

199

alors qu’elle tue moins de gens (Belleflamme & Van Ypersele, 2006 : 28). Ainsi, par l’utilisation d es

DALY, la récompense devrait être égale au gain social espéré ou récupéré. Il pourrait cependant y

avoir surévaluation ou sous-évaluation suivant que le gain en termes de gain social effectivement

réalisé est plus ou moins grand que celui espéré ou estimé.

Il existe une très grande expérience dans l’évaluation des traitements par les DALY. Les

assureurs et les organismes sociaux des pays riches utilisent une telle approche pour déterminer

l’impact de l’inclusion des nouveaux médicaments sur les listes de remboursement des

médicaments. Les compagnies pharmaceutiques utilisent également une analyse de type DALY

dans le but de démontrer l’efficacité économique de leurs traitements (Hollis, 2004 : 13). Dickson,

Hurst et Jacobzone (2003) estiment qu’il s’agit d’un « outil utile de prise de décision », mais qu’il

existe des difficultés liées à la qualité des évaluations et des données parfois biaisées (Hollis, 2004 :

14). En effet, les procédures utilisées pour établir les estimations et le nombre de DALY sont

critiquables : la qualité et la fiabilité des données à partir desquelles les estimations sont établies

posent problème, étant donné que, quelle que soit la maladie, on dispose souvent de peu

d’informations sur le nombre de cas et de décès en raison de l’ab sence des systèmes de

surveillance épidémiologique dans la plupart des pays, notamment ceux du Sud (OMS, 2011 : 14).

Dans tous les cas, les difficultés rencontrées dans l’évaluation du coût de rachat des brevets ne

seraient pas pires que ceux rencontrés dans la détermination de la tarification optimale de

l’investissement en R-D pour les médicaments (Belleflamme & Van Ypersele, 2006 : 26). En effet, les

incertitudes sont presque identiques à celles rencontrées par les assurances qui sont, elles aussi,

confrontées à ce genre de questions pour déterminer les médicaments à couvrir (Hollis, 2004 : 12-

18). Le recours à la méthode des DALY présente par contre un avantage indéniable dans le cadre du

fonctionnement du FIRM : il permettrait d’exclure du rachat des « médicaments de confort »152 ou

d’autres médicaments qui ne sont pas essentiels pour la sauvegarde de la santé publique ou qui

n’apportent aucune avancée en termes d’amélioration globale de la santé. Les entreprises qui

cherchent à développer des médicaments pour des conditions telles que la perte de cheveux, les

performances physiques ou tout ce qui concerne l’aspect esthétique des personnes, ne peuvent pas

152 Les médicaments de confort sont des médicaments qui ne v isent pas à guérir ou prévenir une pathologie susceptible de menacer la v ie ou l’intégrité d’une personne. On peut citer à titre d’exemple les hypnotiques, les médicaments contre la fatigue, les produits pour mieux digérer, les produits pour améliorer les performances physiques, etc. (Vandamme, & al., 2010 : 5). Il peut aussi s’agir des médicaments non essentiels ou dont il ex iste des génériques ayant le même effet sur la santé qu’un médicament breveté qui est vendu à des prix élevés. Les soins de confort sont liés à la beauté, par exemple les opérations plastiques.

Page 220: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

200

faire l’objet de rachat, puisque leurs évaluations en termes de DALY seraient faibles (Hollis, 2004 :

12-18).

Troisièmement et d’une manière plus technique et quasi mathématique, le FIRM pourrait

utiliser un logiciel d’évaluation du montant des revenus susceptibles d’être perçus en contrepartie de

l’exploitation d’un brevet, d’une marque ou de tout autre titre de propriété intellectuelle : le logiciel

Propivalo153 . Couramment utilisé dans les négociations de la valeur des licences entre les

entreprises, ce logiciel d’estimation des redevances effectue un travail d’anticipation et de projection

sur l’avenir, tout en incitant à l’innovation et aux progrès techniques en fournissant une valeur

prospective et la probabilité de succès ou d’échec d’une invention brevetée (Cohen, 2013 : 3). Pour

cela, le logiciel Propivalo évalue la performance d’un brevet à travers un coefficient de performance

qui met en rapport la valeur commerciale et la valeur prospective d’un brevet, valeurs elles -mêmes

calculées en fonction de la combinaison de plusieurs critères spécifiques (Cohen, 2013 : 3),

notamment la taille et la croissance du marché, les prix et les volumes des ventes prévisionnelles par

zone géographique, le taux des redevances, les éventuels encaissements et décaissements

additionnels, le taux d’actualisation et le nombre d’années prises en compte 154. Ces valeurs, bien

qu’elles soient précises, restent des estimations, mais elles ne sont cependant pas dépourvues

d’intérêt, car leur prise en compte permet aux entreprises de définir leurs politiques commerciales ou

leurs stratégies économiques (Cohen, 2013 : 3).

Quelle que soit la méthode utilisée pour la détermination de la valeur du brevet, elle ne sert

que de point de référence en vue de la négociation du prix réel. Le coût final qui serait déboursé par

le FIRM dépendrait donc de plusieurs éléments qui seraient difficilement évaluables, puisqu’ils sont

non objectifs, à commencer par la spéculation des entreprises qui voudront tirer plus d’une invention

remarquable que le FIRM voudrait rendre publique rapidement. Dans tous les cas, la valeur finale

serait le résultat de négociations entre le breveté et le FIRM, en fonction des critères et des

stratégies qu’ils adopteraient en fonction de la conjoncture du moment. C’est comme cela que ça

fonctionne dans toutes les transactions de grande importance, que ce soit dans le domaine sportif,

commercial, financier et autres. 153 Une capture d’écran qui montre un aperçu de ce logiciel, sous forme de fichier PDF, se trouve à l’annexe 1 de cette thèse.

154 Il faut noter en effet que la licence rachetée ne porterait que sur la période de validité du brevet qui reste à courir avant que l’invention ne tombe automatiquement et sans frais dans le domaine public à l’issu de la couverture légale.

Page 221: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

201

Une fois convenu sur la valeur de l’invention d’un médicament, le titulaire du brevet devrait

céder tous les droits sur son invention au FIRM qui mettra ensuite les données de production de ce

médicament à la disposition des États membres, c’est-à-dire à ceux qui ont adhéré et qui contribuent

à son financement, selon les conditions déterminées dans l’acte de ratification ou d’adhésion. Ainsi,

les entreprises de ces pays pourraient produire les génériques dérivés d e l’invention et ceux qui ne

disposent pas de structures locales de production pourraient les importer à partir du pays qui leur

propose les prix les moins chers, tant que ces pays ne forment pas un cartel. En outre, on pourrait

aussi imaginer qu’une firme multinationale ouvre des filiales pour produire dans plusieurs pays, en

profitant notamment des différences au niveau du coût de la main-d’œuvre. Le problème de

l’oligopole ne serait peut-être pas résolu, mais cela devrait en principe permettre de produire des

médicaments moins chers et accessibles pour un grand nombre de patients dans ces pays.

VI.2.2. Faisabilité du Fonds international pour la recherche médicale

Dans le précédent chapitre, on a passé en revue quelques conditions qui doivent être

réunies pour qu'un fonds international puisse mis en place et puisse fonctionner. Ainsi, la faisabilité

opérationnelle du FIRM est déterminée par la facilité avec laquelle il peut être mis en œuvre et la

complexité des structures de gouvernance dont il a besoin (Hoffman, 2012 : 58). Ainsi, la proposition

d’instaurer le FIRM, pour gagner l’adhésion des États et des firmes, ne doit pas avoir des effets

négatifs sur la gestion du système actuel de la propriété intellectuelle. Ensuite, outre qu’elle doit

opérer la dissociation des coûts liés à la recherche-développement de ceux du prix de production du

médicament qui sera exigé au patient, elle doit également s’assurer que la proposition soit

susceptible de permettre, au moins théoriquement, la disponibilité et l’acce ssibilité des produits sur

les marchés des pays du Sud en question, de même que la simplicité de sa structure et la

transparence de sa gestion, notamment dans la détermination du coût de rachat des brevets portant

sur ce médicament. On doit enfin analyser la question de la faisabilité financière (évaluation des

coûts directs et indirects du système, ainsi que celle des sources de financement et de leur pérennité

(OMS, 2012 : 55). Étant donné que la question des sources de financement fera l’objet du point V I.3.,

les paragraphes qui suivent sont consacrés aux éléments concernant l’impact de la mise en place du

FIRM sur le système actuel des brevets, la simplicité de sa structure, la transparence dans sa

Page 222: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

202

gestion ainsi que le fait que la proposition permettrait d’assurer la disponibilité et l’accessibilité des

médicaments dans les pays en développement.

a. Impact de la mise en place du FIRM sur le système des brevets.

Pour que le mécanisme du Fonds de rachat des brevets puisse fonctionner, il a besoin de

l’adhésion et de l’implication des pays riches. Or, ces derniers ne seraient pas disposés à soutenir un

mécanisme qui remet en cause le système actuel de la propriété intellectuelle. C’est pour cela que le

mécanisme et le fonctionnement du FIRM devraient être m is en œuvre sans pour autant violer ou

remettre en cause l’Accord sur les ADPIC, ainsi que l’ensemble des instruments juridiques

internationaux existants. En outre, pour être faisable, la proposition doit être acceptable pour les

principaux intéressés notamment les firmes pharmaceutiques, les laboratoires et les investisseurs.

Ainsi, la faisabilité du FIRM repose sur l’acceptabilité des inventeurs, qui trouvent qu’ils pourraient

tirer profit du système et du mécanisme. En prévoyant de rémunérer leur invention à sa juste valeur

et de leur permettre de faire des profits, le FIRM augmenterait la probabilité de participation et la

collaboration des firmes et des laboratoires pharmaceutiques à ce mécanisme (Hoffman, 2012 : 59).

La satisfaction des lobbies et de l’opinion publique dans les pays riches en faveur ou à l’encontre du

FIRM est donc déterminante. On se rappelle que c’est en partie l’implication des pays du Nord et

l’adhésion des entreprises utilisatrices des CFC qui ont permis la réussite du Fonds multilatéral dont

le but était d’arrêter la destruction de la couche d’ozone.

Pour les firmes pharmaceutiques, les incitations à innover sont renforcées dans la mesure où

le rachat leur permet de recouvrer l’ensemble des frais engagés ainsi que les bénéfices lé gitimes et

espérés, d’une manière anticipée, tandis que, même si on supposait que le système actuel des

brevets arrive au même résultat (ce qui reste à prouver), cela implique des structures de

commercialisation et d’administration, et surtout des délais d ’attente qui peuvent aller jusqu’à 20 ans,

avec l’incertitude sur le volume des ventes du produit. En effet, Remiche & Kors (2007), en

s’interrogeant sur le moment où les dépenses en recherche et développement commencent à

produire des profits, a conclu que d’un point de vue économique, les bénéfices découlant d’une

invention augmentent dans le temps, c’est-à-dire qu’elle est souvent non rentable au départ et qu’elle

peut même devenir rentable plus tard, voire après la période de validité du brevet de vingt ans

(Remiche & Cassiers, 2010 : 166). Ainsi, les rémunérations anticipées du FIRM constitueraient une

Page 223: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

203

aubaine pour les brevetés qui pourraient réinvestir l’argent reçu dans les nouvelles recherches ou de

le faire fructifier dans d’autres secteurs économiques, sans attendre la période des vingt ans. Ainsi,

outre que ce mécanisme ne remet pas en cause le système des brevets, il n’y a pas non plus de

crainte que la mise en œuvre de la proposition affecte négativement les incitations à l’innovation

(Hollis, 2004 : 13). Qu’en serait-il de la structure du FIRM et de la transparence dans sa gestion ?

b. La structure du FIRM et la transparence de sa gestion

La structure de gestion et d’administration du FIRM doit être simple et moins budgétivore. En

effet, le principal reproche au HIF est qu’il demande une organisation complexe et des missions

d’évaluation et de vérification de données qui sont difficiles à mettre en œuvre. Pour ce qui concerne

le FIRM, les missions qui lui seraient dévolues ne demanderaient pas d e grandes équipes de gestion

ni d’importantes ressources humaines. En effet, l’autre raison qui explique le succès du Fonds

multilatéral institué dans le cadre du protocole de Montréal et de la Convention de Vienne est

effectivement qu’il ne demandait qu’une équipe restreinte d’administrateurs chargés d’analyser les

dossiers de demande de financement et de déterminer les montants à y consacrer. Une fois ces

décisions prises, le reste des opérations était géré par la Banque mondiale qui assure la gestion

comptable du Fonds.

Il serait de même pour le FIRM : une équipe d’administrateurs du Fonds pour analyser la

pertinence et le caractère essentiel d’un nouveau médicament et de négocier avec le breveté le coût

de rachat de son invention. Comme on le verra, le FIRM n’aurait pas besoin d’une grande équipe de

collecte des financements destinés au Fonds. Cela relèverait de la compétence des structures

internes des États qui adhèrent au projet, comme c’est le cas dans le cadre de l’UNITAID. En effet,

une fois les sources de financement déterminées, une petite équipe chargée de suivre

l’acheminement des recettes collectées par les différents pays membres du FIRM suffirait pour tenir

les livres à jour et faire le suivi des versements et des contributions. Des sanctions , pouvant aller

jusqu’à l’exclusion du Fonds, seraient susceptibles d’être administrées aux pays resquilleurs en cas

de besoin. On y reviendra dans la dernière section de ce chapitre. Mais avant cela, il est important de

vérifier que la proposition de création du FIRM va permettre de résoudre la question posée par cette

thèse, celle de permettre la disponibilité et l’accessibilité des médicaments dans les pays en

développement et partout ailleurs.

Page 224: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

204

c. Le FIRM permettrait-il l’accessibilité des nouveaux médicaments ?

Comme dans le cas de la proposition du HIF, le rachat des brevets par le FIRM aurait pour

effet de faire tomber les prix des médicaments brevetés aux coûts de production155. Basés sur

l’expérience des médicaments dont la durée de monopole arrive à l’échéance avec pour

conséquence l’arrivée sur le marché des génériques, les prix des médicaments dont les droits

auraient été rachetés par le Fonds diminueraient en moyenne de 65 à 70% (Correa, 2009 : 78).

Ainsi, le mécanisme proposé devrait effectivement permettre de réduire les prix des médicaments et

de réaliser des économies substantielles pour les consommateurs et les systèmes sociaux des pays

ou leurs programmes de santé publique (Hollis, 2004 : 11-12). Dans les pays où les dépenses de

santé sont assumées par les organismes d’assurance maladie, ces derniers réaliseraient en effet des

économies, tout en fournissant une grande variété de médicaments et en maintenant les mêmes

encouragements à l’innovation que le régime actuel des brevets en ce qui conce rne la R-D dans le

domaine des médicaments (Hollis, 2004 : 12-18). Mise à part la réduction de la dépense totale pour

les consommateurs et les systèmes sociaux, les charges publiques de santé baisseraient également.

Par exemple, les dépenses américaines sur les produits pharmaceutiques sont d’environ 80 milliards

de dollars américains, dont environ 10 milliards seulement sont consacrés aux médicaments

génériques disponibles, ce qui implique que le gros du budget va dans la rémunération des brevets

(Hollis, 2004 : 14). En supposant que seul un petit nombre de brevets soit racheté, et seulement une

diminution de 65% du prix moyen des médicaments originaux, les dépenses publiques en produits

pharmaceutiques tomberaient à environ 35 milliards de dollars américains par an, soit une économie

de 45 milliards de dollars (Hollis, 2004 : 17).

Par conséquent, le FIRM permettrait, d’une part, de sauvegarder les intérêts sanitaires des

pays du Sud qui y gagneraient en bien-être social et en allègement des budgets publics de santé, 155 Déjà au 19ème siècle, l’accessibilité des produits de santé pour les malades et la politique de santé publique de l’État ont motivé la mise en place de systèmes d’appropriation des inventions pharmaceutiques, comme le dispositif de rachat des inventions de médicaments par l’État français entre 1810 et 1850, fonctionnant parallèlement au système des brevets (Cassier, 2004 : 1). Dans un Décret du 18 août 1810 en France, le législateur a décidé de « désintéresser l’inventeur en lui rachetant son invention ». Grâce à ce dispositif, les formules des médicaments, déjà mis sur le marché ou dont l’autorisation de vente était en cours d’examen, étaient rachetées par l’État et placées dans le domaine public. Ce système faisait basculer le statut des inventions exploitées de manière privative par leurs propriétaires à un régime de bien public, les brevets rachetés par l’État étaient mis à la disposition des pharmaciens qui pourraient reproduire librement ces médicaments. Outre la lutte contre le régime du secret et la libre utilisation des inventions, ce système offrait une solution alternative au système du brevet : le prix de rachat de l’invention était censé inciter les inventeurs de médicaments à les divulguer et à les remettre à l’État, au lieu de demander un droit exclusif pour leur exploitation (Cassier, 2004 : 32-33). Ce système de rachat forfaitaire a très peu fonctionné, principalement en raison de deux difficultés : celle de l’évaluation du prix de l’invention et celle de la disponibilité des fonds publics (Cassier, 2004 : 32). Mais les époques ont changé et le financement des biens publics n’est plus inusité comme au début du 19ème siècle.

Page 225: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

205

étant entendu que si ces pays mettaient en place des structures locales de production des

génériques, les prix des médicaments baisseraient encore plus. Ils pourraient alors réorienter ces

économies réalisées dans d’autres secteurs ou services sociaux qui sont aussi en souffrance comme

l’éducation, l’agriculture, les infrastructures, etc. (Verschave, 2004 : 88; Guesmi, 2011 : 445). D’autre

part, le financement public de la recherche médicale préserverait les intérêts des chercheurs et

industriels des pays du Nord qui rentreraient immédiatement dans leurs frais investis dans la

recherche et qui pourraient produire, eux aussi, les médicaments génériques à moindre coût dans

des unités de production déjà installées et fonctionnelles, profitant de leur longueur d’avance sur

leurs potentiels concurrents des pays du Sud pour occuper déjà le marché des génériques, bien

avant que les autres puissent mettre au point leurs versions génériques de ce nouveau médicament

racheté par le FIRM (Guesmi, 2011 : 445). En outre, la problématique de l’accès aux médicaments

pour les populations à faibles revenus n’est pas uniquement pour les seuls pays en développement

puisque, dans les pays du Nord, il y a aussi des populations pauvres, et leurs besoins sanitaires ne

sont pas toujours pris en charge, ou ne le sont que partiellement, par des systèmes de protection

sociale, eux-mêmes souvent déficitaires (Guesmi, 2011 : 435). Par exemple, plusieurs millions

d’Américains n’ont pas de couverture médicale156 et doivent payer de leurs poches des médicaments

dont le coût ne cesse d’augmenter. Malgré que certains bénéficient des programmes sociaux

d’assurance publique157, ces derniers excluent généralement les médicaments plus chers, qui sont

souvent protégés par les brevets (Verschave, 2004 : 86). Par ailleurs, même dans les pays où les

systèmes sociaux sont plus généreux dans la couverture des dépenses médicales de leurs

populations comme le Canada, la France ou les pays scandinaves, les systèmes de santé de ces

pays éprouvent de plus en plus des difficultés financières, en partie à cause de l’explosion des coûts

des médicaments brevetés. Les systèmes de santé de la plupart de ces pays ne sont plus viables à

long terme (Verschave, 2004 : 185) et il faut trouver les moyens de réduire leurs dépenses de santé.

Ainsi, en permettant la production rapide et la circulation des médicaments génériques, le FIRM

156 Avant la mise en place du programme d’assurance obligatoire par l’administration Obama (réforme connue sou le nom d’« Obamacare »), on estimait en 2010 à plus de 59 millions le nombre d’Américains qui ne bénéficiaient d’aucune assurance médicale aux États-Unis (Perrin, 2010).

157 Les programmes sociaux américains en matière de santé, « Medicare » (pour les plus de 65 ans) et « Medicaid » (pour les plus pauvres), ont connu un doublement des dépenses nationales de santé entre 2001 et 2011 (de 1400 à 2800 milliards de dollars américains) (Guesmi, 2011 : 436). La récente réforme d’assurance obligatoire (Obamacare) pour les personnes qui ne sont ni pauvres ni v ielles, mais que le système d’assurance privée ne voulait pas prendre en charge (en raison du niveau de revenu ou de la précarité de leurs emplois) va nécessairement faire exploser encore plus les dépenses du budget de santé.

Page 226: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

206

permettait également l’accès aux médicaments dont ont besoin ces populations pauvres des pays

riches.

Les avantages, les missions et la faisabilité du FIRM étant exposés, deux autres difficultés

majeures doivent être résolues : celle de faire supporter les charges du financement des opérations

du FIRM à tout le monde et celle des pays qui chercheraient à profiter des innovations devenues

publiques sans contribuer aux coûts de rachat. La question du financement du FIRM nécessite en

effet une grande mobilisation de la part des pays, chacun contribuant selon ses capacités, pour bâtir

une solidarité internationale entre tous et envers tous (Batistella, 2007 : 113). Dans les sections

suivantes, il sera question d’explorer d’abord les différentes sources de financement du Fonds et

ensuite d’analyser comment s’assurer que tous les pays devraient participer ou faire participer leurs

populations à l’effort de financement du budget du FIRM.

VI.3. Les possibles sources de financements du Fonds international pour la

recherche médicale

Les sommes qui seraient nécessaires au financement du FIRM peuvent sembler dirimantes

si on se fie aux montants. Il s’agirait effectivement de sommes très importantes, mais elles ne

dépasseraient pas en tout cas les coûts que la collectivité et les patients supportent pour financer le

système actuel des brevets. En effet, d’après les calculs, le barème actuel des dépenses de

recherche du secteur pharmaceutique privé est globalement de l’ordre de 50 milliards de dollars

américains par an (Hollis, 2004 : 14). En outre, les bénéfices annuels mondiaux pour les innovateurs

sont de l’ordre du même montant (Hoffman, 2012 : 50). Ainsi, la collectivité et les patients supportent

environ 100 milliards de dollars américains pour financer le système actuel des brevets (Hollis, 2004 :

11). Ainsi, si on se fie à ces estimations, cela impliquerait que le FIRM aurait besoin de cette dernière

somme pour commencer, afin de maintenir le niveau actuel de la R-D ainsi que de permettre un

retour sur les investissements pour l’industrie.

Si on peut admettre que pour rendre le système du FIRM crédible, il est nécessaire que les

incitations soient assez grandes pour stimuler au moins autant la recherche que maintenant, les

estimations précédentes sont néanmoins trompeuses. Le FIRM n’aurait pas besoin de tels montants

Page 227: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

207

pour démarrer. En effet, les données disponibles fournies par les lobbies pharmaceutiques eux-

mêmes indiquent qu’il faut environ entre 800 millions et 1 milliard de dollars américains pour mettre

au point une nouvelle molécule (Guesmi, 2011 : 424). Si on se fie à ces données, il faut donc au

moins autant pour racheter un brevet, en ajoutant un certain montant en guise de bénéfice. Or, si on

considère que les innovations révolutionnaires ou les médicaments essentiels ne sont pas mis au

point toutes les années, on peut faire une estimation approximative des sommes dont le FIRM aurait

besoin pour démarrer ses activités. Ainsi, en supposant que le rachat de chaque brevet coûterait

environ deux milliards de dollars américains (coûts de la recherche et une grande marge

bénéficiaire), et que pendant une période cinq ans, il y a au maximum trois ou quatre nouvelles

molécules réellement innovantes ou révolutionnaires, on estimerait que le FIRM aurait besoin

d’environs huit à dix milliards pour ces cinq premières années, soit une moyenne d’environ 1,5 à 2

milliards de dollars américains par an. Cette somme est largement à la portée de la communauté

internationale, s’il y a un engagement politique consensuel en faveur de la recherche publique

internationale en matière de santé. Seulement, il faut veiller à une répartition équitable des charges

et des coûts entre les pays en s’assurant que chacun contribue selon ses capacités contributives et

non en fonction de ses besoins en médicaments.

La présente section essaie d’inventorier les éventuelles sources de financement du FIRM,

sans pour autant être exhaustive. Ces sources peuvent être cumulatives étant donné que les besoins

de financement sont énormes et, vu les multiples facettes des besoins, il serait irréaliste de penser

qu’une seule source puisse générer des sommes nécessaires pour la R-D dans le domaine de la

santé à l’échelle mondiale. La combinaison de plusieurs sources est donc nécessaire en vue de

doter au FIRM des financements suffisants et prévisibles pour assurer son autonomie et son

fonctionnement normal. Dans la pratique, les organisations internationales utilisent des méthodes

variées pour assurer le financement de leurs activités (Guesmi, 2011 : 426-427). Pour que le FIRM

soit fonctionnel, ces sources de financement devraient satisfaire un double objectif d’efficacité et de

durabilité, ce qui implique des modalités de recouvrement qui se basent sur la stabilité et la pérennité

de la source de financement, en fonction du niveau souhaité de la production de la recherche

médicale (Dulbecco & Laporte, 2005 : 433). Les financements du FIRM peuvent donc provenir entre

autres d’une taxation internationale, des contributions volontaires des États et des dons effectués par

les entreprises, les fondations ou les particuliers.

Page 228: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

208

VI.3.1. Les contributions étatiques

Dans le système international actuel, les contributions des États sont les principales sources

de financement des organisations internationales auxquelles ils sont membres. Ainsi, la recherche

médicale peut être soutenue par un mécanisme de financement alimenté par les contributions des

États qui auraient adhéré au FIRM. En effet, alors que les bénéfices liés aux innovations médicales

sont largement transfrontières, leurs coûts de fourniture doivent être partagés entre les pays. Pour

que cette source de financement soit durable, l’idée fondamentale est que le coût de la recherche

devrait être partagé, ce qui signifie que les innovations médicales rachetées deviennent librement

accessibles à tous ceux qui ont contribué au Fonds. La contribution partagée au financement est

donc un élément fondamental pour la réussite du FIRM puisque cela refléterait cette idée que la

recherche médicale est un bien public mondial et qu’aucun pays ne peut en revendiquer le

monopole. Les pays en développement devraient prendre le devant dans la mobilisation des

ressources pour le financement de la recherche médicale et des biens publics mondiaux en général.

Ce sont eux qui seraient les principaux bénéficiaires alors qu’ils sont dans l’incapacité, à titre

individuel, de produire ce genre de biens dont ils ont tellement besoin. Bien que la formule exacte

pour le partage du coût de la recherche puisse être débattue, il est généralement admis que, pour

des considérations de justice et d’efficacité, les pays à niveau de développement comparable doivent

supporter une charge à peu près égale (Baker, 2004 : 15). En effet, le principe d’équité dans les

contributions requiert de tenir compte de la capacité contributive des pays selon leur niveau de

développement (Dulbecco & Laporte, 2005 : 433), ce qui implique que les pays riches, ayant la plus

forte capacité contributive, devraient apporter une part importante des fonds nécessaires au

financement du FIRM. Par ailleurs, toujours en raison du principe d’équité, les contributions étatiques

pourraient par la suite être ajustées selon les profits engrangés par les firmes de chaque pays

bénéficiaire de ces rachats.

Outre le principe d’équité, les contributions étatiques au FIRM devraient respecter également

le principe d’additionnalité (AFD, 2005 : 12). En effet, ces contributions ne devraient pas se faire au

détriment d’autres contributions que les pays effectuaient avant, que ce soit dans le domaine de la

santé ou dans d’autres domaines. Par exemple, les Pays -Bas ont apporté une contribution au Fonds

Page 229: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

209

mondial pour la lutte contre le SIDA, la malaria et la tuberculose, mais ont réduit leur contribution à

l’OMS (AFD, 2005 : 12). C’est le genre de cas de non-additionnalité que les pays ne devraient pas

adopter ou avancer comme une justification de se soustraire à leurs engagements internationaux

qu’ils avaient avant leur contribution au FIRM. De même, les contributions faites dans le cadre du

FIRM ne devraient pas se faire au détriment des programmes d’aide publique au développement

destinés aux pays pauvres. Il faut en effet une distinction entre le financement de la production des

biens publics mondiaux et l’assistance accordée aux pays pauvres. Cette séparation de l’aide

publique au développement (APD) du financement des biens publics mondiaux permettrait de

collecter davantage de ressources au niveau international en faveur du bien-être et du

développement de tous (AFD, 2005 : 12).

La participation de beaucoup de pays au financement de la production des biens publics

mondiaux, y compris les pays les moins avancés, est souhaitable (mais elle n’est pas une condition

sine qua non) même si, comme on le verra ultérieurement, la tentation de se comporter en passager

clandestin est fréquente dans la gestion des biens publics et on devrait s’attendre à ce que certains

pays cherchent à minimiser leur contribution individuelle, en termes monétaires ou politiques, pour

augmenter leurs bénéfices nets. Pour résoudre ce problème, certains auteurs estiment que, sans la

force d’un traité, les pays ne seront pas incités à participer au financement d’un bien c ollectif

(Quenault, 2013 : 25). Une convention internationale, négociée sous les auspices de l’ONU, ou en

toute instance internationale, devrait comprendre les modalités de contribution des pays avec des

critères bien déterminés. L’un des moyens de déterminer la contribution de chaque pays serait de

fixer un certain pourcentage du PIB ou du budget de la santé que chaque membre devrait allouer au

FIRM, comme c’est le cas pour les contributions à l’OMC qui sont déterminées en fonction de la part

des membres dans le commerce international. Selon Verschave (2004 : 276), la part de la richesse

consacrée aux dépenses en médicaments est, de façon relativement uniforme pour tous les pays, de

l’ordre de 1% du PIB, dont un dixième est affecté, d’une manière ou d’une autre, à la rémunération

des brevets ou des licences y relatives, c’est-à-dire in fine à la recherche. Par conséquent, l’accord

de création stipulerait par exemple que chaque pays devrait affecter au moins 0,1% de son PIB au

FIRM. Cette convention déterminerait les mécanismes de perception de cette contribution ainsi que

les mesures qui s’appliqueraient aux pays resquilleurs ou qui ne feraient pas partie du Fonds. On

obtiendrait un niveau d’investissement dans la recherche équivalant aux dépenses actuelles, voire

Page 230: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

210

supérieures (Verschave, 2004 : 276), tout en ayant des résultats qui seraient immédiatement au

service de la santé de tous et une meilleure coordination dans la détermination des priorités de la

recherche. Les pays auraient le choix de déterminer la provenance de cette participation, soit en

prévoyant une ligne dans leurs budgets de dépenses, soit en créant des mesures nouvelles

permettant de dégager des recettes destinées à cette fin.

L’inconvénient de cette source de financement est qu’elle est imp révisible et instable. En

effet, les contributions étatiques sont tributaires des aléas conjoncturels de nature économique ou

politique. Si on se fit seulement à cette seule source, le FIRM risquerait d’avoir les mêmes problèmes

que ceux rencontrés dans le cadre des autres forums internationaux dans lesquels divers buts et

cibles ont été proposés sans être respectés158. C’est pour cela qu’il serait préférable que l’accord de

création puisse prévoir d’autres sources supplémentaires de financement comme la taxa tion

internationale de certains biens et services.

VI.3.2. La taxation internationale de certains produits ou transactions

L’instauration d’une taxe internationale n’est ni nouvelle ni irréalisable. Depuis la proposition

de James Tobin159, l’idée d’une taxe internationale sur les transactions financières (TTF) a été

développée, le plus souvent avec l’objectif de financer le développement international. La TTF est

revenue à l’ordre du jour avec la crise économique mondiale de 2008, comme instrument de

stabilisation et régulation financière160 (TUAC, 2010 : 2). À l’origine proposée pour porter sur les

158 Il faudrait néanmoins une grande mobilisation pour ne pas avoir les mêmes résultats que ceux obtenus dans le cadre des autres forums internationaux dans lesquels divers buts et cibles qui ont été proposés sans être respectés. On se rappelle de l’objectif, pour les pays riches, de consacrer 0,7% du PIB à l’aide publique au développement n’a pas été respecté, encore moins de la cible d’Abuja v isant à allouer 2% du budget national à la recherche médicale qui a été un fiasco, étant donné que, même dans les pays développés, très peu eux consacrent plus de 0,15% du PIB à la recherche en santé (OMS, 2012 : 12-13).

159 Économiste et lauréat du prix Nobel d’économie en 1981, James Tobin a été le concepteur de la TTF. Certains appellent parfois cette taxe la « taxe Tobin ».

160 L’analyse montre qu’une TTF pourrait être conçue avec des taux différents selon la nature de la contrepartie (groupes bancaires, autres établissements financiers, sociétés non financières) et selon le type de transactions (transactions au comptant sur dev ises, produits dérivés négociés sur marché organisé, produits dérivés négociés de gré à gré), en supposant que certaines catégories de contrepartie (par exemple les hedge funds) ou de transaction (par exemple certains produits dérivés) sont plus enclines à la spéculation que d’autres (TUAC, 2010 : 2). Un tel régime d’imposition à plusieurs étages faciliterait la fixation du niveau souhaitable de réduction des volumes de transactions qui serait suffisant à l’élimination de la spéculation à court terme sans toutefois entraver le bon fonctionnement des marchés (TUAC, 2010 : 2). Compte tenu du changement d’échelle dans le financement des biens publics mondiaux résultant des déficits budgétaires des pays de l’OCDE, et des menaces à la stabilité financière que porte la « finance de l’ombre », toute TTF devrait couvrir les marchés organisés et ceux de gré à gré où se concentre l’essentiel des transactions (TUAC, 2010 : 2).

Page 231: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

211

transactions sur les devises afin d’atténuer le problème de volatilité des taux de change, la

proposition d’une taxe sur les transactions financières a fait son chemin. Ses partisans considèrent

qu’elle constitue un moyen de répondre à des problèmes techniques concernant le fonctionnement

des marchés financiers que la crise financière a mis en évidence en amenant le secteur financier à

supporter les coûts de ses agissements161, évitant ainsi de recourir aux aides versées ou garanties

par les États. Cette idée a été appuyée par des économistes et des responsables politiques 162 (OMS,

2012 : 44-46). C’est lors de la Conférence internationale sur le financement du développement de

2002 à Monterrey que l’ancien président français Jacques Chirac a proposé de mener

une réflexion pour explorer de façon opérationnelle l’idée d’une taxation internationale pour financer les biens publics mondiaux et pour défendre l’intérêt général universel. La stabilité financière, la qualité de l’environnement, le combat contre les grandes pandémies, la sécurité quotidienne ou la lutte contre la drogue ne sont plus seulement des objectifs nationaux ou régionaux. Ce sont aussi des biens publics mond iaux qu’il convient de gérer collectivement, avec des moyens partagés (Dalode, 2006).

C’est dans le prolongement de cette déclaration que la France a instauré en 2006 une « taxe

de solidarité internationale sur les billets d’avion », initiative soutenue p ar plusieurs autres pays et

dont les recettes sont destinées à financer la lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme

dans le cadre de l’UNITAID (Dalode, 2006). C’est la seule taxe, qualifiée d’internationale même si

elle ne l’est pas en réalité, déjà créée qui reste en vigueur et que les pays et les voyageurs semblent

bien s’en accommoder (Gérardin & Poirot, 2011 : 87).

Une action mondiale durable dans le domaine de la R-D des médicaments ou, d’une manière

générale, en matière de santé ne peut pas s’appuyer uniquement sur des contributions volontaires

des États ou des investisseurs privés. L’instauration de certaines taxes internationale est peut-être la

meilleure voie pour avoir un financement stable et pérenne et qui est susceptible de faire participer

161 Il faut noter que la capacité à dégager de nouvelles sources de revenus publics n’était pas l’objectif principal pour James Tobin. « Plus la taxe parv ient à atteindre les objectifs économiques qui m’intéressent », disait-il, « moins elle ne générera de recettes dans le monde pour le financement de biens publics » (TUAC, 1995). Les propositions v isaient un taux d’imposition minimaliste de 0,005% ce afin « d’év iter de produire des distorsions sur les marchés » et de s’assurer que l’impact sur les institutions financières serait très dilué. Le financement des OMD était devenu l’objectif unique et la TTF générait des revenus de l’ordre de 20 à 30 milliards américains par an (TUAC, 2010 : 7-8).

162 On peut citer par exemple la Chancelière allemande Angela Merkel et l’ancien président français Nicolas Sarkozy, ainsi que d’autres dirigeants des pays de l’Union européenne. Le projet d’introduire une taxe sur les transactions financières dans l’U nion européenne est d’ailleurs à l’ordre du jour. Sous sa forme actuelle, la proposition consiste à contribuer au financement du budget de l’Union, mais elle pourrait avoir pour effet de libérer des ressources fiscales nationales dans les États membres de l’Union susceptibles d’être affectées à des fins de développement. Elle est actuellement combattue par certains pays de l’Union européenne et par plusieurs autres pays membres de l’OCDE. S’il est largement reconnu qu’une approche mondiale de l’application d’une telle tax e est préférable (pour év iter les distorsions et l’évasion fiscale), la Commission européenne estime qu’une taxe appliquée dans la seule Union européenne serait réalisable.

Page 232: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

212

l’ensemble de la collectivité au financement de la recherche médicale. Deux systèmes de

prélèvements d’une taxe internationale sont possibles : le prélèvement direct par une organisation

internationale, créée à cet effet, ou le recouvrement de la taxe par les autorités nationales des pays

qui adhèrent au projet du FIRM. Le prélèvement direct par une organisation internationale

présenterait l’avantage de faciliter le contrôle et le suivi du produit de la taxe. Le système d’une taxe

internationale directe a été adopté en 1952 en Europe par la Communauté économique du charbon

et de l’acier (CECA) qui effectuait directement des prélèvements auprès des entreprises

sidérurgiques des six États membres. Dans le second cas, le produit de la taxe, recouvré par les

autorités nationales et reversé à une organisation internationale, a l’avantage de la réduction des

coûts de la collecte des fonds. Avec cette imposition nationale affectée, il faut un lien juridique qui

met en relation la recette fiscale prélevée au niveau national et le versement à l’organisation

internationale destinataire (Gérardin & Poirot, 2011 : 89). Ce lien devrait être matérialisé dans

l’instrument juridique qui traduit la ratification ou l’adhésion. C’est ce mécanisme qui est utilisé dans

le cadre de la taxe internationale sur les billets d’avion qui est perçue par les services fiscaux des

pays participants et dont le produit est ensuite reversé à l’UNITAID (Dulbecco & Laporte, 2005 : 445).

Vu sa simplicité, c’est cette dernière option que privilégierait le FIRM dans la collecte des taxes qui

lui seraient destinées. Ainsi, les revenus de la taxe internationale devraient être perçus par les

autorités publiques de chaque pays et faire l’objet d’un reversement au FIRM.

Les taxes internationales instaurées en faveur du FIRM devraient avoir les caractéristiques

d’un mécanisme idéal de financement d’un bien public (Sagasti, Bezanson, 2001), à savoir la collecte

de fonds suffisants, la pérennité du financement, l’équité fondée sur les capacités contr ibutives

différenciées des pays, la flexibilité et la capacité d’adaptation des modes de prélèvement ainsi que

la simplicité administrative de sa collecte (Dulbecco & Laporte, 2005 : 446). Bien évidemment, la

mise en œuvre du projet du FIRM repose, plus que tout autre, sur le soutien politique clair des pays

développés et émergents. Avec ce soutien, le FIRM pourrait ainsi bénéficier des prélèvements

effectués sur les ventes des biens dont il finance la production, c’est-à-dire les médicaments

génériques, ou les prélèvements effectués sur des biens consommés par les futurs probables

bénéficiaires de ce mécanisme, du fait qu’ils utilisent des biens qui sont potentiellement dangereux

du point de vue sanitaire pour eux ou pour les autres.

Page 233: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

213

a. Une taxe internationale sur les médicaments génériques

James Orbinsky avait déjà proposé l’idée de créer un impôt sur les ventes mondiales de

l’industrie pharmaceutique pour financer une institution publique internationale chargée de la

recherche (Verschave, 2004 : 299). Parce que les patients bénéficient directement des médicaments

mis au point grâce à la recherche médicale, les coûts de la recherche peuvent être partiellement «

internalisés », c’est-à-dire qu’une partie des coûts de la recherche peut continuer à être suppo rtée

par les usagers bénéficiaires, c’est d’ailleurs cette idée qui sous -tend le système actuel des brevets

(Belleflamme & Van Ypersele, 2006, 26-27). Néanmoins, les brevets ne constituent pas une taxe

puisque les « recettes » qu’ils engendrent ne sont pas dirigées vers le financement de la production

du bien public en question, mais rentrent dans le patrimoine privé des firmes pharmaceutiques.

Dans la présente proposition, la taxe serait appliquée sur les médicaments génériques pour

financer la recherche en vue de mettre au point d’autres médicaments génériques. La base de cette

taxation serait calculée sur le coût de production des médicaments et ceci sur tous les médicaments

génériques vendus, qu’ils soient anciens ou récents. Ainsi, les médicaments suje ts à cette taxe

seraient ceux qui sont en circulation à bas prix du fait que les brevets qui les couvraient ont fait l’objet

de rachat dans le cadre du FIRM ou parce qu’ils ont expiré, c’est-à-dire qu’ils sont tombés dans le

domaine public à la fin de la période légale de protection. Pour cela, les médicaments sous brevets,

c’est-à-dire que le FIRM a jugé bon de ne pas acquérir les brevets ne seraient pas concernés par

cette taxe, c’est une question de logique et de bon sens. Le but du FIRM n’est pas en effet

d’augmenter encore plus les prix des médicaments qui étaient déjà trop chers, mais de les rendre

plus abordables au plus grand nombre. En outre, le but de la taxe sur les produits génériques ne

serait pas en effet d’amasser d’importantes sommes d’argent, mais de l’accumuler au fur et à

mesure, en vue de constituer un capital permanent pour la recherche qui devrait se construire sur

plusieurs années.

Si, sur le plan théorique et scientifique, l’intérêt pour une telle taxe demeure important, les

obstacles techniques, et surtout politiques, liés à sa mise en œuvre, bien qu’il soit possible de les

relativiser, nuisent à la mise en place d’une taxation internationale sur les médicaments génériques

(Damette, 2007 : 120). D’une part, les médicaments bénéficient en général d’une exemption fiscale

dans la plupart de pays. Il est peu probable et politiquement risqué que les gouvernements

Page 234: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

214

réinstaurent des taxes sur les produits vitaux comme les médicaments ou sacrifient leurs sources de

revenus ainsi qu’une part de leur souveraineté fiscale, pour favoriser la constitution d’un fonds dont

ils n’auraient ni le contrôle ni la gestion. Finalement, qu’il s’agisse de la mise en place du FIRM lui -

même ou de ses mécanismes de son financement, le débat sur tous ces éléments s e résume à une

question de volonté politique. Cependant, il existe un précédent quand cette volonté politique se

manifeste. L’adoption de la taxe sur les billets d’avion, qui finance la lutte contre les maladies

infectieuses et qui bénéficie du soutien de plusieurs pays (France, Brésil, Chili, Espagne, etc.) a

montré que l’instauration d’une taxe internationale était politiquement et techniquement faisable

(Damette, 2007 : 123). Une fois le consensus politique trouvé et sanctionné par un traité international

contraignant, la taxe internationale constitue une source de financement pérenne, stable et prévisible

puisqu’elle devient par la suite une source indépendante des États, car elle ne serait plus sujette à

leur approbation (Gérardin & Poirot, 2011 : 95). Une fois mise en place, la collecte de la taxe

internationale devient « dépolitisée » (ONU, 2012 : 28).

S’il est normal de faire financer la recherche sur les médicaments par les usagers de ces

derniers, il est aussi envisageable de faire contribuer ceux qui en auront besoin à l’avenir, en raison

des produits qu’ils consomment aujourd’hui et qui les prédisposent aux risques d’avoir besoin de ces

médicaments dans les mois ou les années à venir.

b. La contribution des potentiels futurs utilisateurs ou bénéf iciaires

La contribution au financement du FIRM pourrait aussi porter sur le commerce international

des produits ou les activités qui nuisent à la santé humaine. Ces produits qui sont susceptibles d’être

assujettis à une taxation internationale en vue de dégager des recettes destinées à alimenter le

FIRM seraient déterminés selon les modalités prévues dans l’accord de création du Fonds. Cet

accord devrait aussi procédures à suivre en vue de l’harmonisation de l’assiette imposable afin de

prévenir la contrebande ou les distorsions au commerce qui pourraient résulter de cette taxe (OMS,

2012 : 124).

Outre les recettes générées par ce genre de taxes, celles-ci auraient également le mérite de

générer les avantages pour la santé. On estime en effet que plus on taxe des biens nocifs, moins ils

sont consommés et moins ils ont d’impacts négatifs sur la santé. Ainsi, cette taxe internationale

Page 235: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

215

exercerait potentiellement une influence positive sur la santé en réduisant la consommation de

produits qui nuisent à la santé. Les taxes les plus anciennes et les plus courantes portent sur le

tabac, l’alcool, les sucreries et les boissons sucrées163, ainsi que les aliments riches en matières

grasses saturées. La stratégie mondiale de l’OMS pour la bonne santé mondiale recommande

d’ailleurs de recourir à des politiques fiscales qui influent sur les schémas de consommation de ce

genre de biens, qui sans être dangereux dans l’immédiat, ne sont pas moins nocifs pour la santé

(OMS, 2012 : 80-81). Il s’agit des denrées non indispensables, mais consommées par un grand

nombre de personnes et réputées comme pouvant provoquer des conséquences néfastes à long

terme comme le développement des cancers causés par le tabagisme, les troubles cardiovasculaires

liés à l’obésité, de même que les diverses pathologies causées par l’alcoolisme, etc. En tant que

mesures de santé publique, ces taxes indirectes auraient pour objectif d’influer positivement sur la

santé, tout en contribuant au financement des recherches sur les pathologies potentiellement

causées par leur consommation. Il a par exemple démontré que la hausse des taxes sur le tabac est

l’un des moyens les plus efficaces de réduire le tabagisme, et que la réduction du tabagisme a un

effet favorable sur la santé publique. Administrativement, l’application de ce genre de taxe est assez

simple à opérer, y compris dans les pays en développement, les produits concernés étant aisément

identifiables (OMS, 2012 : 80-81). Ces taxes seraient collectées par les instances fiscales nationales

et redirigées vers le FIRM.

La Convention-cadre pour la lutte contre le tabagisme, ouverte à la signature le 16 juin 2003

à Genève, entrée en vigueur le 27 février 2005, et qui compte actuellement plus de 170 signataires

(OMS, 2014), servirait de modèle et de fondement d’une taxe internationale destinée à lutter contre

le tabagisme et à financer les recherches sur les maladies qu’il cause164. Cette Convention antitabac,

négociée sous les auspices de l’OMS, affirme l’importance des stratégies de réduction de la

demande au même titre que de réduction de l’offre du tabac au niveau international (OMS, 2012 :

80). La propagation du tabagisme est facilitée par un ensemble de facteurs ayant des effets

transfrontaliers, notamment la libéralisation des échanges commerciaux facilitant le commerce 163 Ces produits (comme les sodas, les bonbons, et d’autres sucreries produits gras) sont à l’origine du surpoids et de l’obésité et causent plusieurs maladies et les recherches sur ces dernières sont encore nécessaires puisque la plupart n’ont pas de médicaments efficaces de nos jours.

164 Il ex iste un précédent dans le chef de la Convention sur le contrôle du tabac, de mai 2003, et approuvée avant même la fin de cette même année par 192 pays (Brundtland, 2003 : 421). La lutte contre le tabagisme a été reconnue comme un devoir moral de l’humanité et peut donc partie de l’action commune dans la prévention des conséquences liées au tabac en instaurant un impôt dans le but de se prémunir contre les nombreux effets négatifs certains et incontrôlés du tabac (Brundtland, 2003 : 421).

Page 236: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

216

international du tabac et le mouvement international des cigarettes de contrebande. Une taxe sur le

commerce international du tabac aurait donc un double effet bénéfique pour la santé publique :

réduire le tabagisme et financer les recherches sur ses remèdes.

De telles taxes portant sur le commerce international des produits malsains devraient

également compenser les éventuelles distorsions liées à la répartition des revenus, en particulier

pour les populations défavorisées. En effet, pour ce qui est du tabac et de l’alcool, les données

disponibles indiquent que les personnes moins favorisées sont plus sensibles à une hausse de prix

que les mieux nantis. Si l’effet sur les disparités en matière de revenu peut être négatif pour les

personnes qui fument, cette taxe aurait un effet positif sur le plan de leur santé, car les fumeurs plus

démunis réduiraient leur consommation de tabac comparativement aux plus riches (OMS, 2012 : 80-

81) qui, par conséquent, contribueraient plus au FIRM que les pauvres, ces derniers devenant en

retour moins exposés aux dépenses en médicaments pour se faire soigner des conséquences du

tabagisme puisqu’ils auraient réduit leur consommation.

Pour toutes ces taxes, il s’agirait pour les pays participants d’ajouter un petit prélèvement

aux taxes nationales existantes sur ces produits, lesquels prélèvements seraient ensuite reversés au

FIRM. À eux seuls, les montants que généreraient ces taxations permettraient, à moyen terme, de

financer d’une manière suffisante, les diverses activités et missions du FIRM. À titre d’exemple,

l’OMS estime que si l’ensemble des pays ajoutait un modeste montant supplémentaire par paquet de

cigarettes vendu aux taxes actuelles sur le tabac (0,05 dollar américain dans les pays à revenu

élevé, 0,03 dollar dans les pays à revenu moyen supérieur et 0,01 dollar dans les pays à revenu

moyen inférieur), on dégagerait un montant annuel de 16 milliards de dollars américains (OMS, 2012

: 85). Si on ajoute les recettes que générerait l’imposition des autre s produits identifiés comme

potentiellement dangereux et pouvant être assujetti à un prélèvement fiscal en faveur du Fonds, on

arriverait à des sommes largement suffisantes pour rendre un grand nombre de médicaments

brevetés libres de droits dans des délais assez courts.

c. Remarques et observations sur la mise en œuvre des taxes internationales

Les taxes constituent la première source de financement des biens publics. Ce n’est pas un

hasard si les systèmes nationaux ont traditionnellement recours à cet instrument pour financer la

Page 237: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

217

production de ces biens. Comme l’indique Samuelson (1954 : 388), l’usage des taxes permet de

résoudre le problème du passager clandestin. L’outil fiscal peut aussi répondre à la contrainte de

prévisibilité et de régularité du financement d’une politique publique de long terme. La fiscalité,

qu’elle soit nationale ou internationale, peut également comporter une vertu organisatrice par rapport

à d’autres modes de financements, puisqu’elle requiert une certaine organisation et coordination

(Jacquet & Ray, 2008 : 43). La taxe sur les billets d’avion, au-delà du simple outil de financement,

incite les États participants à travailler ensemble, au sein de l’UNITAID, dans la lutte contre les trois

épidémies (VIH/SIDA, le paludisme et la tuberculose). La taxation internationale pourrait, dans ce

cadre, constituer un élément précieux de structuration de l’action collective mondiale, essentielle à la

production des biens publics mondiaux. L’adhésion à ce genre de taxation favorise la coopération, et

contribue à la formation d’un sentiment de solidarité collective dans la mesure où le compromis

politique initial permettant de mobiliser ces ressources est reconduit de façon tacite dans la durée

(Jacquet & Ray, 2008 : 43).

Pourtant, la taxation internationale soulève d’importantes difficultés dans sa mise en œuvre.

En effet, le pouvoir d’imposition fiscale est le symbole par excellence de la souveraineté nationale.

En l’absence d’un gouvernement mondial, toute imposition globale passe par l’accord des États sur

le bien-fondé d’une telle taxe, les modalités de sa collecte et de son affectation. Si, comme c’est

fréquent, tous les États ne parviennent pas à s’entendre sur un mécanisme d’imposition commun et

uniforme, la question du financement du FIRM deviendrait problématique puisque l’instauration du

FIRM n’est pas seulement une question de collecte des fonds, c’est aussi une question politique sur

l’opportunité ou la nécessité de participation à la production des biens publics mondiaux (Dulbecco &

Laporte, 2005 : 432). Face à ces difficultés que pourrait poser la fiscalité internationale, faut-il lors

abandonner l’idée d’une contribution de la taxation internationale pour financer la production des

biens publics mondiaux, pour privilégier d’autres mécanismes de coordination et de financement ?

L’ampleur et la diversité des besoins militent contre une solution unique. Il existe toutefois des

raisons d’être optimiste ! Comme le soulignent Jacques et Ray (2008 : 45), on n’est qu’au début de la

mise en place de mécanismes fiscaux ou quasi fiscaux à l’échelle internationale. Ainsi, en l’absence

d’autorité supranationale légitime (Kindleberger, 1988), la taxation internationale doit, au moins dans

un premier temps, être envisagée comme la coordination d’initiatives fiscales nationales, à l’image de

la récente taxe sur les billets d’avion (Jacquet & Ray, 2008 : 45). Ces initiatives devront coexister

Page 238: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

218

avec d’autres types de financement, des subventions aux dons issus des œuvres de philanthropie et

de mécénat de divers acteurs.

VI.3.3. Donations des entreprises, des Fondations et des particuliers

Le FIRM pourrait également recevoir, à titre complémentaire et absolument subsidiaire, les

contributions versées volontairement par divers acteurs des secteurs publics, privés et caritatifs. En

effet, même s’il y avait suffisamment des financements issus des taxes internationales, source

privilégiée, cette dernière pourrait contribuer à attirer les donateurs publics et privés qui seraient

aussi les bienvenus, grâce à la lisibilité et la transparence du système de collecte et d’emploi des

recettes de la taxe. Parmi les potentiels donateurs privés, les entreprises privées constituent une

source de financement que les États peuvent encourager en vue d’obtenir plus de finance ments. Or,

le système des dons n’est aucunement incitatif pour les entreprises dans la plupart des pays du Sud,

comme ceux du Nord. Pour les y encourager, il serait nécessaire de créer des conditions plus

propices à la participation du secteur privé. La facilitation et les incitations fiscales représentent

certaines de ces conditions. En effet, ces entreprises peuvent être portées à faire plus de donations

au FIRM en contrepartie d’avantages fiscaux inscrits dans la législation fiscale de chaque État

participant (Dulbecco & Laporte, 2005 : 436).

Les dons sont une source de financement qui présente l’avantage de contribuer à l’objectif

de solidarité et d’engagement de plusieurs acteurs à la cause de production des biens publics

mondiaux (Dulbecco & Laporte, 2005 : 436-438). La Facilité internationale d’achats de médicaments

(UNITAID) fournit un bel exemple, unique à ce jour, d’une association de ces deux sources de

financement, taxation internationale et dons, dans la mise en œuvre des projets d’envergure

internationale comme la lutte contre les trois maladies endémiques dans les pays en développement

(Gérardin & Poirot, 2011 : 91-92). Les donateurs publics ou privés et les organisations à but non

lucratif, comme la Fondation Gates, ont considérablement investi dans la R-D des médicaments sur

les maladies négligées, avec un apport total mondial estimé à 3 milliards de dollars américains en

2010. Ces dons ont eu pour résultat qu’environ 140 produits portant sur ces maladies sont en études

ou en vue d’être mis en circulation (Moon et al, 2012 : 3). C’est un apport important et louable du

Page 239: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

219

moment que l’on sait que les maladies négligées sont les parents pauvres de la recherche médicale

financée par les entreprises et investisseurs privés.

Cependant, les dons présentent l’inconvénient de ne pas garantir la pérennité des

financements. Même l’État ne peut pas survivre grâce aux dons ou des subsides apportés par les

privés, car ils offrent un niveau de financement insuffisant, en raison du caractère volontaire et donc

nécessairement ponctuel et fluctuant des donations. En effet, en se basant sur les seules estimations

fiables disponibles, celles des dons effectués aux États-Unis, on constate que les dons privés ont

sensiblement diminué : de 2,3 milliards de dollars américains environ en 2007 ils sont passés à

seulement 1,4 milliard de dollars en 2013 (Moon et al, 2012 : 4), probablement à cause de la crise

financière internationale de 2008 et du ralentissement de l’économie mondiale.

Ainsi, il ne serait pas réaliste de penser que les contributions volontaires pourraient dégager

d’importantes sommes en faveur des activités de recherche en santé. On ne peut donc pas compter

sur les dons et envisager de financer durablement la recherche médicale grâce uniquement aux

contributions volontaires privées. Beaucoup d’autres sources de financement ont été proposées, les

unes différentes aux autres, notamment la vente aux enchères des quotas d’émission des gaz à effet

de serre, la taxe sur le carbone, la taxe sur les transactions financières (Severino & Charnoz, 2008 :

21), et même la mise en place d’une loterie mondiale, dont une partie serait utilisée pour financer des

actions en faveur du développement international (Gérardin & Poirot, 2011 : 90). Toutes ces

stratégies restent sur la table et parfaitement faisables en vue de compléter les sources

traditionnelles de financement des actions internationales. La réflexion sur les sources de

financements reste ouverte. L’imagination humaine pour trouver des moyens de financement des

biens publics mondiaux, comme celui de la recherche médicale, est donc sans limites ! Seulement,

l’usage de l’emprunt public pour financer les dépenses du FIRM ne devrait pas être envisagé pour le

moment. En effet, malgré qu’il se justifie par le fait que les contribuables des générations futures sur

lesquels pèsera le poids des emprunts courants bénéficieraient des recherches qu’elles

permettraient de financer aujourd’hui (AFD, 2005 : 11) et qu’il permette d’assurer la pérennité du

financement grâce à la disponibilité des fonds des organismes préteurs, sa faisabilité technique reste

problématique du fait de l’absence d’une structure publique supranationale susceptible d’endosser la

responsabilité de contracter cet emprunt et d’en assurer le remboursement.

Page 240: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

220

Après examen de ces différentes sources de financement et compte tenu des données

disponibles, il semble qu’une certaine forme de taxation internationale se révèle être la voie la plus

fructueuse à explorer dans la quête de sources de financement efficaces et pérennes. L’une des

objections à la taxation internationale est la crainte de voir les pays ayant plus de capacités

financières se dérober à cette contribution pour privilégier leurs problèmes nationaux. Le véritable

problème serait en effet la difficulté d’obtenir un appui politique suffisant pour réserver certaines

recettes à la coopération internationale pour le financement du FIRM. Les difficultés qu’engendre la

participation de tous les membres d’un groupe dans la production des biens publics sont connues et,

pour que le mécanisme du FIRM puisse fonctionner, le contrôle de certains comportements qui vont

à l’encontre de l’action collective, le phénomène du passager clandestin et du paradoxe d’Olson, est

indispensable.

VI.4. Le FIRM face aux défis des biens publics ou de l’action collective

Selon la définition classique de Samuelson (1954 : 387), les biens publics sont des biens

dont il est impossible d’exclure un utilisateur et dont l’utilisation n’est pas rivale. Dans « The tragedy

of the commons » (1968), Hardin transpose le concept de b ien public à l’échelle mondiale165, en

montrant que les problèmes de l’action collective ne sont pas seulement l’apanage des individus. Ils

sont également monnaie courante en ce qui concerne les relations interétatiques. Il illustre sa thèse

par les difficultés de la communauté internationale à gérer les ressources naturelles : les stocks de

poissons en haute mer, le climat, les cours d’eau adjacents, etc. Hardin montre que, comme les

bergers de ces villages anglais dotés de pâturages collectifs, chaque État a intérêt à surutiliser ou

165 Les biens communs à l’échelle mondiale sont des ressources ou des espaces qui ne tombent pas sous la souveraineté d’un seul État ou groupe d’État, soit parce qu’une appropriation juridique est exclue du fait de leur nature (les espaces extraatmosphériques, la Zone ou fonds marins, les océans au-delà des 200 milles marins et leurs ressources halieutiques), soit du fait d’un accord international (Antarctique depuis 1959) (Compagnon, 2008 : 4). Très peu de communaux globaux sont réellement en accès libre : c’est le cas en droit international de la haute mer, des poissons et mammifères qu’elle contient, qui sont réputés n’appartenir à personne (res nullius). Tous les États et indiv idus peuvent participer à leur exploitation. Dès lors que les biens communs s’épuisent du fait de leur surexploitation, la rivalité dans l’usage implique une régulation de l’accès (cas des stocks de poissons marins) (Le Prestre, 2005 : 47). De même que la gestion des ressources en propriété commune à l’échelon national est une question d’institutions étatiques, la gestion des communaux globaux est l’affaire d’institutions internationales de coopération établies par des Conventions (Le Prestre, 2005 : 51). Ces institutions sont, pour la plupart, impuissantes à imposer une régulation efficace (faute de sanctions coercitives). Aucune des conventions internationales touchant à la biodiversité naturelle, directement (CDB par exemple), ou indirectement (CITES, en ce qui concerne le commerce des espèces menacées, ou Convention de Ramsar, en rapport avec les zones humides), n’est parvenue à ce jour à freiner le ry thme de l’extinction des espèces sauvages (Compagnon, 2008 : 4).

Page 241: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

221

surexploiter les biens communs, même si l’agrégation de ces comportements égoïstes aboutit in fine

à la perte d’utilité pour l’ensemble de la communauté.

Comme on l’a vu, l’instauration du FIRM nécessite la mobilisation d’un certain nombre de

pays contributeurs, capables d’instaurer des mécanismes de financement efficaces et d’en assurer la

pérennité. Ainsi, la question du financement de ce Fonds nécessite une grande mobilisation de

plusieurs pays, chacun selon ses capacités, pour bâtir une solidarité internationale. Comme on le

verra dans le dernier point de cette section, il faut des incitatifs sélectifs pour encourager ceux qui

participent et sanctionner ceux qui ne s’engagent pas dans le financement du FIRM. En effet, à l’issu

du rachat de chaque brevet portant sur un médicament, l’invention deviendrait publique et chacun

pourrait l’utiliser à sa guise en vue d’en tirer les avantages que peut procurer son usage. Or, si

chacun sait qu’il ne sera pas exclu, il n’a pas de raisons de payer pour l’acquisition de ces biens

brevetés. Il a plutôt intérêt à ne pas participer dans leur production en se comportant en « passager

clandestin » ou free rider (Ballet, 2008 : 5). En outre, ce n’est pas que tous les concernés, pays ou

individus, ont conscience du péril commun encouru, qu’ils vont s’impliquer dans la résolution de ce

problème. Ce paradoxe, théorisé par Olson, est dû au fait que, face à un problème donné, aucun

acteur ne souhaite prendre l’initiative ou prendre la responsabilité de le résoudre, chacun se

contentant de contourner les difficultés, en attendant que les autres fassent le nécessaire à sa place

(Quenault, 2013 : 24). Les paragraphes qui suivent sont consacrés à ces deux problèmes de l’action

collective, le comportement de passager clandestin et le paradoxe d’Olson.

VI.4.1. Le problème du passager clandestin ou free rider

Emprunté de l’économie, le terme passager clandestin ou free rider désigne une personne

qui utilise, consomme ou profite d’un bien ou un service ou d’un avantage (tel qu’une situation

favorable) obtenu ou créé par d’autres personnes ou par la collectivité, sans y avoir investi autant

d’efforts (argent ou temps) que les membres de ce groupe ou sans acquitter sa quote -part ou payer

le prix prévu pour avoir le droit d’usage ou de jouissance de ce bien ou service (CCME, 2007 : 4 ;

Batina, 2005 : 14-15). Ainsi, défini d’une manière simple, le free rider est celui qui consomme ou

utilise un bien ou un service sans payer les frais afférents à la production ou à la fourniture de ce

bien ou service. Le caractère public d’un bien incite en effet les individus à avoir un comportement de

Page 242: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

222

free rider, dès lors qu’ils peuvent profiter d’un bien ou d’un service sans s’acquitter du prix de son

utilisation. Avec cette possibilité d’en profiter gratuitement, en laissant aux autres individus le soin de

le produire et de le financer, ils ne sont pas incités à participer au financement ou à la production des

biens publics. En effet, aucun acteur privé n’a intérêt à investir dans ce type de biens, car, face à un

coût trop important ou confronté à la difficulté, voire l’impossibilité, d’en réglementer l’accès et d’en

tarifer l’usage pour chaque individu, leur production ne serait pas rentable. De la même manière, il

s’observe une sous-production des biens publics mondiaux du fait que, comme pour le cas des

individus face aux biens publics dans les systèmes nationaux, les États ont tendance à jouer les free

riders, tout en feignant de participer aux accords ou institutions qui sont en charge de les produire

(Constantin, 2002 : 76). L’exemple récent le plus illustratif est l’échec des négociations pour la mise

en place du Fonds vert pour le climat. Les négociations s’enlisent et n’aboutissent pas à c ause des

intérêts différents ou divergents des acteurs concernés par la question (États et acteurs non

étatiques).

La production des biens publics mondiaux, comme tout autre bien public, suppose que soit

respectée la règle que chacun contribue à la produc tion dudit bien jusqu’au point où le coût marginal

qu’il supporte égalise le bénéfice marginal social qu’il en tire (Quenault, 2013 : 24). Du fait de ces

caractéristiques, le calcul économique sur les biens publics favorise les stratégies ou les

comportements égoïstes. Pionnier dans la formalisation des problèmes de l’action collective dans

son ouvrage « The logic of collective action » (1965), Olson part du principe de non-exclusivité des

biens publics selon lequel tout bien qui est consommé ou utilisé par certains membres d’un groupe

ne peut pas être refusé aux autres membres du groupe et conclut que ceux qui ne contribuent pas au

bien public ne peuvent être exclus des bénéfices de ce bien, quand bien même ils n’auraient pas

participé à l’effort collectif de sa production. Ainsi, pour un individu, comme pour un État dans le cas

des biens publics mondiaux, il n’est ni rationnel, ni profitable de contribuer aux coûts destinés à la

production du bien public, puisqu’il profitera toujours de toute amélioration apportée par les autres,

qu’il ait participé ou non dans sa production (Jarret & Mahieu, 1998 : 31).

Dans l’hypothèse de la recherche médicale financée par les États, le risque qu’apparaissent

les comportements opportunistes de la part des États est aussi grand. Ces derniers pourraient en

effet être tentés de ne pas participer au financement du FIRM, en espérant que les autres le fassent

Page 243: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

223

à sa place, puisqu’ils savent que, de toute façon, ils en profiteraient une fois les brevets rachetés. En

outre, en l’absence d’une autorité transnationale pour les contraindre à contribuer au FIRM, ni à

aucun fonds international d’ailleurs, le financement de la production des biens publics mondiaux pose

la question de la faible incitation des États, à titre individuel, à participer dans leur production (Hugon,

2004 : 274). Pourquoi en effet faire des efforts pour financer la production d’une chose publique, s’il

n’y a pas de sanctions ou de contraintes en cas de défaut de participation (Gabas & Hugon, 2001 :

30) ? Dans ces conditions, l’activité de recherche ne peut que susciter des comportements de

passager clandestin de la part des États appelés à la financer. Afin de profiter au maximum des

recherches effectuées dans la production des connaissances, l’intérêt de chaque pay s, pris

isolément, est de ne pas s’engager en premier dans leur financement. La conséquence est que

l’humanité dans son ensemble se retrouve en régime permanent de sous -investissement dans les

activités de production de connaissances en général et dans le domaine médical en particulier

(Lévêque & Ménière, 2003 : 33).

Le problème de passager clandestin a trouvé sa solution dans l’ordre interne avec le

système de taxation obligatoire qui vise autant qu’à financer la production ou la maintenance des

biens publics qu’à dissuader les resquilleurs (Constantin, 2002 : 27). En effet, puisque ces biens ne

peuvent pas être pris en charge efficacement par le marché, l’État doit intervenir, soit pour en

produire lui-même, soit pour apporter un incitatif aux entreprises privées à les prendre en charge

(Gérardin & Poirot, 2011 : 95). Dans l’ordre international, la solution pourrait aussi être, comme on l’a

vu dans la mise en place d’une taxation internationale, la solution pour réduire les tentations de

resquiller de la part des États. Mais l’incertitude est grande quant à la pérennité des ressources, les

gouvernements estimant plus important de s’occuper de leurs problèmes plus urgents et les

concernant directement que de financer les récompenses des firmes pharmaceutique s déjà plus

riches que certains pays en développement. Cette question de l’action collective est aggravée par le

fossé entre les externalités dont la portée devient de plus en plus internationale, et le fait que les

principaux preneurs de décision restent les États ou de petits groupes d’acteurs (Dulbecco &

Laporte, 2005 : 431). Un cas extrême serait celui dans lequel aucun pays n’accepterait de contribuer

à la production de la recherche médicale, alors que ce bien public mondial est pourtant souhaité par

tous. Ce paradoxe a été observé et théorisé par Olson.

Page 244: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

224

VI.4.2. Le paradoxe d’Olson

Les Nations et les peuples sont si intimement liés les uns aux autres, une partie du monde est à tel point dépendante de toutes les autres parties que la perte subie par une Nation est presque toujours une perte pour toutes les autres Nations, et que le gain pour une Nation est un gain pour toutes les autres. Et pourtant le monde continue d’être organisé par un système politique digne de l’époque des tribus pastorales ou des villes fortifiées (Battistella, 2009 :

185).

Cette citation de Battistella résume bien le paradoxe d’Olson rapporté à l’échelle

internationale. Dans son acception originelle, le paradoxe d’Olson repose sur le principe qu’un

individu qui ne peut être exclu de la jouissance ou des bénéfices d’un bien collectif, une fois que ce

dernier est produit, n’est guère incité à prendre l’initiative pour financer la fourniture ou la production

de ce bien. La démonstration d’Olson permet d’expliquer les situations où la rationalité individuelle

conduit au comportement qui empêche la production des biens collectifs (Balme, 1990 : 263). En

effet, même s’ils savent qu’ils vont bénéficier de l’action collective, rien ne les motive à participer, car

si cette action fournit un bien qui bénéficie à tous une fois qu’il est produit, personne n’a intérêt à

payer en premier le prix correspondant à l’acquisition de ce bien. Il en déduit que d’une manière

générale, les personnes, ayant conscience d’un intérêt commun et disposant les moyens de le

réaliser, ne feront rien pour le promouvoir dans la généralité des cas. Ainsi, même s ’il a été critiqué

par certains166, le paradoxe d’Olson constitue l’autre problème de l’action collective. En effet, le sens

commun conduirait à conclure que dès qu’un groupe a conscience qu’il a avantage à mobiliser ses

membres pour résoudre un problème, la mobilisation pour cette fin irait de soi. Mais Olson a décelé

un effet pervers dans le comportement des individus face à un problème collectif et démontre que la

communauté d’intérêts, même lorsqu’elle est une évidence pour tous les membres du groupe, ne

suffit pas à susciter l’action collective permettant de promouvoir le bien commun et l’intérêt de tous.

Si un groupe partage un intérêt à la production d’un b ien collectif, Olson (1965) démontre que

lorsque le groupe est suffisamment grand, le bien collectif ne sera pas nécessairement produit en

l’absence d’incitations sélectives. On verra dans le point suivant que ces incitations sélectives

peuvent contribuer à gérer les cas des pays qui ne veulent pas contribuer au FIRM, notamment ceux

166 En effet, le principal intérêt du paradoxe d’Olson est de montrer qu’il n’ex iste pas de lien entre l’ex istence d’intérêts communs à un groupe et sa mobilisation. Cependant, si cette théorie permet de rendre compte des mobilisations fondées sur des intérêts économiques ou matériels, elle est en revanche fragile lorsque les normes et les valeurs prennent une part essentielle de la mobilisation. Fondé sur le calcul économique, le paradoxe d’Olson fait l’impasse sur les sentiments de solidarité ou de sociabilité qui constituent des ferments tout aussi puissants de l’action collective que l’intérêt.

Page 245: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

225

qui n’auront pas adhéré au Fonds. Olson a décelé cet effet pervers dans le comportement des

individus face à un problème collectif.

Dans les faits, le paradoxe d’Olson est la résultante extrême du comportement de passager

clandestin où tous les membres resquillent en même temps à la production du bien en question et

qu’aucun ne prenne l’initiative. En outre, le paradoxe d’Olson peut être assimilé à la tragédie des

biens communs de Hardin. « The tragedy of the commons » (Hardin, 1968) constitue un cas

particulier d’application des théories de l’action collective, elles -mêmes fondées sur la théorie des

jeux (Olson, 1965) : la raison utilitariste de l’acteur individuel le pousse à p rivilégier ses intérêts à

court terme, bien que cette attitude soit, à moyen ou long terme, suicidaire pour tous. En dépit de

l’évidente nécessité d’une coopération entre les acteurs pour assurer l’utilisation durable d’un bien

commun et un partage équitab le de l’accès à la ressource, la non-coopération l’emporte, selon

Hardin, même lorsque les intéressés sont informés des conséquences désastreuses et irréversibles

de leur comportement (Compagnon, 2008 : 3). Il faut cependant noter que le problème de la tragédie

des communaux qui caractérise les biens publics naturels ne concerne pas les biens publics

mondiaux liés à la recherche et à la science, parmi lesquels rentrent les biens pharmaceutiques

brevetés. Ces biens sont pour la plupart inépuisables, ne souffrent d’aucune rivalité puisque leur

utilisation est simultanée et illimitée. C’est plutôt en ce qui concerne leur production que la

démonstration de Hardin peut aider à expliquer l’inaction des États à financer leur production, la

tragédie résidant dans le fait qu’aucun État ne va prendre l’initiative de payer en premier le prix

correspondant à l’acquisition de ces biens, chacun se contentant de contourner l’effort collectif et à

mener une politique individualiste, alors qu’ils auraient tous un intérêt à me ttre en commun leurs

efforts (Olson, 1965 : 15). Le résultat de ce comportement irrationnel pourrait être que le bien ne soit

pas produit du tout, du fait même qu’il n’est pas rationnel pour chacun de commencer à contribuer

(Brauer &Roux, 2003 : 745).

Habituellement appliqué aux groupes sociaux, le paradoxe d’Olson peut également être

pertinent pour expliquer l’inaction de la communauté internationale en ce qui concerne le

financement de la production des biens publics mondiaux. On constate que sur bien de s sujets

d’intérêt mondial, tous les pays, des plus développés aux moins avancés, ont conscience que la

coopération est nécessaire pour relever certains défis mondiaux. Même si l’importance de ces

Page 246: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

226

questions est de plus en plus internationalement reconnue, la reconnaissance de la prééminence

d’une stratégie internationale de leur production pose problème (Quenault, 2013 : 15). Ils savent en

effet que leurs destins sont de plus en plus liés ou interdépendants, que les questions qui se posent

aux décideurs dans le cadre national deviennent rapidement des enjeux régionaux et que les enjeux

régionaux se révèlent être des problèmes mondiaux. Ainsi, si les problèmes tels que le SIDA, la

stabilité financière, la paix et la sécurité amènent les pays à partager un sort commun, ils devraient

aussi inciter les États à s’associer en vue de la formulation ou de l’élaboration des réponses à ces

problèmes (Kaul, & al., 2002 : 7). Cependant, cette coopération peine à émerger. En effet, les États

restent dans la plupart des cas inorganisés et ne veulent pas passer à l’action même s’il y a un

consensus sur les objectifs à atteindre et les moyens à y consacrer. Ce dysfonctionnement

s’explique par la tentation du gain immédiat qui compromet la vision à long terme que pourrait

rapporter la production du bien commun. Suivant la logique réaliste qui régit les actions sur la scène

internationale actuellement, un État « rationnel » s’abstiendra de participer à l’action collective,

sachant qu’il bénéficiera de toute façon des avantages obtenus, alors que sa participation aurait pour

lui un coût, en ressources et en argent. Si tous les États font le même « calcul rationnel », aucune

action ne sera menée, et les objectifs collectifs globaux n’auront aucune chance d’être réalisés. Si

chacun parie que les efforts pour produire le bien doivent être supportés par les autres, ce bien ne

sera pas produit, car aucun n’a un intérêt à agir seul ou en premier, alors que tous y ont intérêt

collectivement. Ainsi, étant donné qu’il est moins coûteux d’attendre que les autres fassent les

investissements nécessaires à la recherche et au développement des nouveaux médicaments,

aucun État, dans la « logique olsonienne », n’est incité à apporter les fonds nécessaires au

financement du FIRM qui, il faut le reconnaître, exige d’importantes sommes d’argent et une certaine

organisation ou coordination.

Si la démonstration d’Olson est pertinente dans la mise en évidence de la contradiction entre

rationalité individuelle et rationalité collective, elle est en revanche moins convaincante pour rendre

compte de l’émergence des comportements coopératifs. En effet, l’action collective demeure

probablement sous-optimale dans la réalisation des intérêts communs, mais elle est aussi

relativement fréquente, sans nécessairement être imposée par une structure super étatique, ce qui

implique que le problème de passager clandestin et le paradoxe ne sont pas insurmontables (Balme,

1990 : 263).

Page 247: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

227

VI.4.3. Gestion des problèmes de l’action collective dans le cadre du FIRM et de la

production des biens publics mondiaux

A priori, le comportement de passager clandestin et le paradoxe d’Olson seraient difficiles à

surmonter au niveau international, caractérisé par sa structure anarchique et par son incapacité à

mobiliser ou à obliger ses membres à l’effort collectif. En effet, la meilleure façon de faire participer

les membres d’un groupe à la production d’un bien public est de les y contraindre. Au niveau

national, l’État possède « le monopole de la violence légitime », cette force de coercition qui oblige

ses citoyens à participer à l’œuvre commune. Il peut donc facilement instituer un impôt qui est

obligatoire pour tous, étant entendu qu’aucun État ne peut survivre grâce aux contributions

volontaires de ses sujets. Or, sur la scène internationale, aucune autorité ou institution n’est investie

de ces prérogatives régaliennes ou de violence légitime.

Malgré cette situation, il faut bien admettre qu’aucune action internationale ne pourrait être

produite si les États sont laissés libres de choisir entre coopérer ou faire défection. Selon la théorie

de la stabilité hégémonique, l’intérêt général international tient à « un hégémon »167 ayant le pouvoir

d’imposer un système de règles et de veiller à son respect. On rejoint ici la solution envisagée par

Olson (1971), Ostrom (1990) et Kaul et consorts (2002), à savoir l’instauration des récompenses,

positives (incitations) ou négatives (sanctions), respectivement pour ceux qui contribuent ou se

dévouent à la production des biens publics mondiaux et pour ceux qui se dérobent à l’effort collectif.

Le problème de passager clandestin peut donc être considérablement atténué par l’instauration d’un

mécanisme de sanctions ou d’exclusion des pays qui ne participent pas au financement de la

recherche médicale. En effet, le rôle de sanction peut être déterminant et explique par ailleurs

davantage la permanence que l’origine de l’action collective. Ainsi conçues, ces incitations sélectives

constitueraient des outils de contrôle des stratégies de free rider, étant donné qu’elles sont

postérieures à l’existence des biens publics produits dans le cadre de la coopération internationale

(Balme, 1990 : 279), ces biens publics étant, dans le cadre du FIRM, les biens brevetés issus de la

recherche médicale.

167 Voir note de bas de page 136qui donne une description de la théorie de la stabilité hégémonique, un hégémon ou un État hégémonique.

Page 248: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

228

Bien que le système de brevets mondialisé soit reconnu comme étant efficace dans le

traitement du problème du passager clandestin (un brevet permet à une entreprise de vendre un

médicament pour un prix situé presque au même niveau partout, dans les pays riches comme dans

les pays pauvres), il ne fait pas supporter équitablement à tous les pays les coûts de recherche et

bloque l’accès aux progrès de la médecine à une grande portion de la population mondiale (Moon et

al, 2012 : 2). L’instauration du FIRM, outre l’accès universel aux médicaments qu’elle permettrait,

présenterait aussi l’avantage de contourner le problème du passager clandestin, le Fonds étant

essentiellement alimenté par les taxes internationales, même si d’autres ressources, comme les

contributions étatiques et les dons volontaires sont à encourager. En effet, le FIRM, qui aurait

effectué les opérations de rachat des brevets ou de financement de recherches sur les maladies

négligées, deviendrait le propriétaire de ces inventions. Un système d’abonnement reno uvelable au

FIRM serait envisagé, pour contraindre les pays à participer. Les pays qui n’auraient pas participé au

financement du FIRM ou qui seraient irréguliers dans leur contribution se verraient donc refuser le

droit d’accéder à ces inventions qui seraient accessibles uniquement pour ceux qui ont participé au

financement de ce Fonds. Cette mesure d’exclusion n’est efficace que si le bien public en question

présente une possibilité technique d’interdire la consommation pour ceux qui ne participent pas à leur

financement (Balme, 1990 : 282), ce qui est le cas pour les biens brevetés. En effet, l’introduction par

exemple d’un code d’accès aux données pourrait représenter une incitation à la participation, car les

pays non membres ou qui n’auraient pas contribué ne pourraient pas accéder aux bases de données

du FIRM. En plus, les pays non membres qui chercheraient à tricher pour accéder à ces données

illégalement pourraient être sanctionnés dans un cadre plus général au sein de l’organisation de

grande ampleur sous laquelle le FIRM a été institué. L’accord de création du FIRM devrait en effet,

pour son efficacité, être institué dans le cadre de l’ONU ou dans le cadre de l’une de ses institutions

spécialisées, par exemple celle qui s’occupe du domaine de la santé, l’OMS, ou celle chargée des

questions relatives aux droits de propriété intellectuelle, l’OMPI. Il peut aussi être créé dans un cadre

plus coopératif incluant les organisations internationales concernées par la question des brevets et

de l’accès aux médicaments qui sont l’OMC, l’OMS et l’OMPI. Dans tous les cas, les membres de

l’une ou de l’autre de ces organisations seraient obligés de respecter, d’une façon ou d’une autre, les

clauses de l’accord portant création du FIRM, sous peine de se subir les sanctions internationales ou

de se mettre au ban de la communauté internationale.

Page 249: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

229

Il est aussi possible, à l’instar des organisations qui n’ont pas les moyens étatiques de

coercition (les partis politiques, les syndicats, etc.), d’envisager d’autres mesures « incitatives

sélectives » pour favoriser la participation à la mise en place du FIRM et ainsi contrôler les

comportements de passagers clandestins. Ces incitations sont dites « sélectives » parce qu’elles

différencient les individus qui contribuent à la production du bien collectif de ceux qui préfèrent

s’abstenir. Il est possible d’utiliser les « incitations positives » en octroyant certains avantages ciblés

pour les pays participants sous forme de récompenses ou de prestations matérielles, par exemple

les rabais des cotisations pour les membres assidus, les primes pour les recherches et les

découvertes faites au niveau national ; ou de recourir aux « incitations négatives » sous forme de

pénalités à ceux qui refusent de participer, comme les amendes en cas d’utilisation frauduleuse,

l’exclusion aux licences, etc. (Moon et al, 2012 : 3). Ces incitations peuvent aussi être symboliques

notamment en octroyant les postes dans la gestion du Fonds en priorité aux ressortissants des pays

réguliers ou en accordant la priorité des recherches sur les pathologies des régions des pays qui

contribuent le plus au FIRM.

Pour ce qui est du paradoxe d’Olson, le raisonnement de ce dernier conduit à la présomption

selon laquelle les grands groupes tendent à demeurer à l’état latent, c’est-à-dire qu’ils restent

incapables de réaliser les ouvrages communs. La démonstration d’Olson (1965) repose sur un

postulat qui indique que plus le groupe est grand, plus les coûts d’organisation et de coopération sont

élevés, c’est-à-dire que les coûts de production d’un bien collectif augmentent avec la dimension du

groupe (Balme, 1990 : 266). Cela n’implique cependant pas que la coopération internationale

impliquant un certain nombre de pays, notamment parmi les plus riches, dans la mise en place du

FIRM est en péril. Bien au contraire! L’analyse d’Olson fait en effet abstraction des économies

d’échelle, qui font que les coûts individuels marginaux décroissent au fur et à mesure que le groupe

s’agrandit, pouvant donc constituer une incitation à la coopération lorsque le groupe s’élargit. On

peut même en déduire que la coopération est plus probable dans les grands groupes, précisément

parce que le partage des coûts entre plusieurs est davantage nécessaire à la réalisation des

ouvrages plus grands (Balme, 1990 : 271-272). Balme (1990 : 266) donne l’exemple d’une

association dont l’activité nécessite un local de travail. Elle doit élargir le nombre de ses adhérents

afin que leurs cotisations ou leurs contributions en permettent l’acquisition. Il e n déduit que la

Page 250: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

230

production initiale d’un bien collectif exige une certaine masse critique de participants pour que la

valeur moyenne des contributions soit individuellement acceptable. L’augmentation du nombre de

participants entraîne en effet la diminution de la contribution de chaque membre et, par conséquent,

l’action collective est plus probable quand le groupe est plus grand. Ainsi, lorsque les économies

d’échelle sont plus sensibles que l’augmentation des coûts d’organisation, alors l’action collectiv e est

plus plausible quand le groupe est plus grand 168 (Balme, 1990 : 266). L’implication d’un grand

nombre de pays au projet du FIRM est donc nécessaire pour que les frais de participation de chacun

soient supportables et incitatifs.

Dans la configuration qui vient d’être décrite dans ce chapitre, la mise en place du FIRM

répond à la problématique de l’accès aux médicaments si on la considère sous l’angle des brevets.

Mais, comme pour les autres fonds destinés à mettre en œuvre les politiques internationale s ou à

produire les biens publics mondiaux, ses chances de réussite dépendent de l’implication d’un certain

nombre de pays qui ont les capacités contributives pouvant conduire au lancement de ses activités,

en dépit des réticences ou des tergiversations des uns et des autres. Malgré le petit nombre de pays

engagés, l’UNITAID a pu démarrer ses activités et il semble gagner d’ampleur et de crédibilité et il ne

serait pas étonnant que les adhésions et les contributions s’accroissent dans les années à venir.

Dans le même ordre d’idée, il est important que les grands pays ne s’opposent pas au projet du

FIRM devant l’ORD de l’OMC pour contester sa conformité avec les accords de cette organisation

chargée de la régulation du commerce international. On y reviendra d ans les questions que soulève

cette thèse, mais qui n’ont pas été abordées dans le cadre de ce travail. En outre, la réussite de sa

mission implique l’adhésion au projet du FIRM par les firmes pharmaceutiques qui sont les

principales intéressées et incontournables acteurs dans sa réussite. Cela nécessite que la structure

et la gestion des moyens alloués au Fonds inspirent confiance par sa transparence et la clarté des

critères dans la prise de décision de rachat de l’un ou l’autre médicament. Il s’agit donc d’une

question à la fois politique et juridique qui nécessite plus d’explications, de patience et de

persévérance pour peaufiner le projet. Sur ce dernier point, le travail du professeur Pogge et de son

168 Ce raisonnement est corroboré par l’exemple d’un v illage isolé qui s’organise pour créer un serv ice de transport en commun vers la v ille voisine (Suy, 2009 : 46). Si les participants au projet sont peu nombreux, le coût indiv iduel de l’achat du véhicule commun est supérieur à celui du transport indiv iduel (Suy, 2009 : 47). Les v illageois n’auront donc aucun intérêt à participer au projet. Mais l’accroissement du nombre d’intéressés impose un véhicule plus grand et donc encore plus coûteux, mais au-delà d’un certain seuil, cet accroissement du nombre diminue la participation indiv iduelle aux frais d’achat du véhicule en raison de de la diminution du coût moyen. Le projet se réalisera quand le coût indiv iduel de participation à l’achat du véhicule commun deviendra inférieur à celui qu’il affecte à son transport indiv iduel (Suy, 2009 : 48).

Page 251: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

231

équipe sur leur projet du HIF est pionnier, même s’i l est à améliorer ou compléter comme cela a été

expliqué dans le chapitre qui précède.

Avant de clore ce travail, il convient de constater que déjà certains biens publics mondiaux

ont commencé à être produits, gérés ou leurs coûts partagés par l’ensemble de la collectivité

humaine, dépositaire et destinataire de ces biens. Certains de ces biens peuvent être situés sur le

territoire d’un pays, mais gérés pour l’intérêt de tous. Il en est ainsi pour certaines forêts primaires.

D’autres n’ont pas de délimitation connue, comme la couche d’ozone. D’autres enfin doivent être

produits et gérés, notamment les infrastructures pour le transport international. La production de

certains de ces biens publics mondiaux par les financements internationaux, si elle est réce nte, n’est

pas inusitée dans la pratique internationale comme le montrent les développements suivants.

VI.5. Les exemples de financement international des biens publics mondiaux

La reconnaissance d’un bien public implique, en plus des mécanismes de régulation et de

contrôle, des fonds publics qui permettent de les produire ou de les préserver (Hugon, 2004 : 287).

En principe, tout bien public nécessite d’être produit avec des fonds publics et, pour sa viabilité, il doit

relever de la propriété commune de la collectivité qui en assure cette production à travers des

structures mises en place à cet effet (Ballet, 2008 : 6). Kindleberger (1986) s’interroge sur la question

de la fourniture de biens publics internationaux en l’absence de gouvernement international pour en

assurer le financement et la gestion. Pour lui, les biens publics mondiaux ne peuvent être fournis que

si une puissance, un État hégémonique, favorise cette fourniture, que ce soit par pur intérêt ou en

raison du consensus sur un problème international spécifique à régler (Ballet, 2008 : 8). Mais, cette

vision issue de la théorie de « la stabilité hégémonique » a montré ses limites dans la fourniture de

certains biens publics mondiaux, notamment ceux qui ne concernent pas ou n’intéressen t pas

directement « l’hégémon »169. Même si on n’est pas dans la même configuration, c’est comme si la

169 La théorie de la stabilité hégémonique postule que pour que l’économie mondiale soit stable, il est nécessaire qu’il s’y trouve un stabilisateur, un seul stabilisateur qui permet de maintenir un ordre mondial (Macleod, & al., 2004 : 174; Kindleberger, 1973 : 305). Ainsi, on parle en relations internationales d’un « hégémon » si un État (ou un groupe d’États) possède la capacité de conduire le système international dans la direction qu’il choisit et si, ce faisant, il est perçu comme étant le défenseur de l’intérêt universel (Macleod, & al., 2004 : 70). L’hégémonie ne se définit pas seulement par les capacités matérielles, économiques, financières ou militaires d’un État, elle se caractérise aussi par les valeurs et les formes de relations et de pouvoir que cet État inspire ou intègre dans les structures du système international (Macleod, & al., 2004 : 71). La stabilité du système international repose sur le leadership positif d’un État qui établit des normes et des règles et en superv ise l’application par les autres États, notamment dans le domaine des

Page 252: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

232

fourniture des biens publics nationaux devrait être assurée par les puissants et les riches. Seuls les

biens qui les intéressent seraient financés et produits, au détriment de ceux qui intéressent les moins

riches, qui sont généralement plus nombreux que les riches. Ce serait une aberration. Ainsi, comme

sur le plan interne, les biens publics mondiaux doivent être produits, gérés ou conservés sur des

fonds publics également mondiaux. C’est ainsi qu’un certain nombre de mécanismes de financement

des biens publics mondiaux ont été instaurés, le plus souvent en faveur de l’environnement pour

financer les mesures d’atténuation des conséquences du changement climatique et d’autres pour la

mise en œuvre des programmes mondiaux en matière de santé.

VI.5.1. Les fonds internationaux en faveur de l’environnement

Les financements concernant les changements climatiques ne sont qu’à leur début, mais ils

pourraient augmenter dans les années à venir et ainsi permettre la réalisation des engagements pris

dans le cadre de l’Accord de Copenhague de 2009 sur le climat. La première manifestation de la

production des biens publics mondiaux dans le domaine de l’environnement remonte à la Convention

de Vienne pour la protection de la couche d’ozone adoptée le 12 mars 1985. Même si elle ne

comportait que des obligations générales concernant les politiques nationales de contrôle des

émanations toxiques ou dangereuses pour la couche d’ozone, ce tte Convention a été un acte

politique et juridique marquant la prise de conscience de la nécessité d’une action internationale en

vue de la protection des biens publics mondiaux (Dupuy, 2007 : 799). Outre ces mesures de

protection de la couche d’ozone, d’autres dispositions financières pour la sauvegarde de

l’environnement mondial sont en voie d’adoption ou de mise en place. Dans cette section, il s’agira

d’analyser ces mécanismes, notamment ceux associés aux conventions et protocoles liés à

l’environnement170 qui sont le Fonds multilatéral pour la protection de la couche d’ozone, le Fonds

relations économiques internationales (Krasner, 1983 : 2). En effet, un État hégémon ou hégémonique évoluant dans un système anarchique exerce son influence et impose sa force principalement par ses capacités matérielles et par sa prépondérance en termes de ressources militaires et économiques (Keohane, 1984 : 32), reconnaissent également que les aspects idéologiques et normatifs des formes de pouvoir permettent aux États dominants de rendre leur autorité moralement acceptable, donc plus facile à exercer (Morgenthau, 1967 : 87-88). Il faut noter l’ex istence d’une différence entre hégémonie et impérialisme : « contrairement à une puissance impérialiste, un hégémon ne peut créer et imposer des règles sans un certain degré de consentement de la part des autres États souverains » (Keohane, 1984 : 46).

170 Les conventions environnementales qui mobilisent le plus la communauté internationale sont celles qui sont issues du Sommet de Rio (ou Sommet de la Terre). Il s’agit de la convention sur les changements climatiques et de la convention sur la diversité biologique. À ces deux conventions est généralement associée la convention sur la lutte contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse. Élaborée en 1994 à Paris, elle s’inscrit dans le cadre des actions adoptées lors de la Conférence de Rio, en l’occurrence l’Action 21 (Damaze, 2009).

Page 253: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

233

pour l’environnement mondial (FEM) et le Fonds vert pour le climat dont la création a été approuvée

en 2009 à Copenhague, même s’il n’est pas encore complètement fonctionne l.

a. Le Fonds multilatéral pour la protection de la couche d’ozone

Le protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone est un

protocole à la Convention de Vienne de 1985 pour la protection de la couche d’ozone et est le

premier accord international doté d’un mécanisme de financement et de prise en charge des

problèmes environnementaux au niveau mondial. Ouvert à signature le 16 septembre 1987 à

Montréal (Canada), ce protocole est entré en vigueur le 1er janvier 1989 après que 48ème pays y ait

apposé sa signature (PNUE, 2014a). Au 30 septembre 2014, 197 pays l’avaient déjà ratifié (PNUE,

2014b), devenant ainsi le premier protocole en matière d’environnement à atteindre la ratification

quasi universelle. Ce protocole prévoyait la création d’un Fonds multilatéral destiné à compenser les

coûts découlant de l’application des mesures de réglementation prévues par la Convention de

Vienne par les pays en développement, notamment l’obligation des entreprises de changer les

produits chimiques utilisés dans les moteurs des réfrigérateurs et des aérosols, l’abandon de la

production et de l’utilisation des chlorofluorocarbures171 (CFC) ou des autres gaz qui appauvrissent la

couche d’ozone, l’adoption de techniques et des substances de remplacement, le recyclage de ces

CFC, le paiement de redevances pour l’utilisation de nouvelles substances brevetées, etc.

(Senarclens & Ariffin, 2006 : 237-238).

171 Les chlorofluorocarbures (CFC), le tétrachlorure de carbone et le méthy le chloroforme sont des gaz anthropiques (d’origine humaine) destructeurs de l’ozone utilisés notamment dans la réfrigération, la climatisation, le gonflement des mousses, le nettoyage des composants électroniques et comme solvants. Un autre groupe est constitué des halons, qui contiennent du carbone, du brome, du fluor et, dans certains cas, du chlore; sont principalement utilisés dans les extincteurs d’incendie (Environnement Canada, 2013). Ces substances sont destructrices de l’ozone pour deux raisons. Premièrement, elles ne se décomposent pas dans la basse atmosphère. Elles peuvent ainsi rester dans l’atmosphère entre 20 et 120 ans, voire plus longtemps (Environnement Canada, 2013). Contrairement à la plupart des autres produits chimiques émis dans l’atmosphère à la surface de la Terre, ces substances appauvrissant la couche d’ozone ne sont pas détruites par d’autres substances présentes dans l’atmosphère. Elles peuvent donc poursuivre leur ascension jusqu’à la stratosphère. Deuxièmement, elles contiennent des molécules de chlore ou de brome qui contribuent aux réactions naturelles qui détruisent l’ozone. Une fois dans la stratosphère, ces molécules sont dissociées par le rayonnement ultrav iolet qui libère le chlore (à partir des CFC, du méthy le chloroforme ou du tétrachlorure de carbone) ou le brome (à partir des halons ou du bromure de méthy le). Ces deux éléments, le chlore et le brome sont capables de dissocier l’ozone (O3) (Environnement Canada, 2013). Leur inertie a pour résultat que sitôt libérées dans l’atmosphère, aucune réaction chimique ne les réduit, si bien qu’elles peuvent atteindre la stratosphère où leur photodissociation provoque des mécanismes chimiques complexes qui conduisent à une destruction cataly tique de l’ozone (O3). Or la mince couche d’ozone concentrée dans la haute atmosphère absorbe jusqu’à 99% du rayonnement ultrav iolet solaire (Environnement Canada, 2013). Aussi son appauvrissement se traduit-il par une intensification des rayons ultra-v iolets atteignant la surface terrestre, ce qui accroît le risque de lésions cancéreuses chez l’homme et les animaux, et ralentit la croissance, la photosynthèse, la teneur en protéines ainsi que la reproduction du phytoplancton, modifiant ainsi les cycles biochimiques des écosystèmes marins (Senarclens & Ariffin, 2006 : 237).

Page 254: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

234

Le Fonds multilatéral lié au protocole de Montréal fonctionne sur les financements des pays

industrialisés, suivant un cycle de reconstitution des contributions de trois ans. La part de chaque

contributeur est déterminée par la même formule que celle qui s’applique aux contributions à l’ONU

et dans ses institutions spécialisées (Senarclens & Ariffin, 2006 : 237). Les contributions des pays

industrialisés au Fonds multilatéral sont calculées en proportion du revenu national brut (RNB). Le

taux peut varier selon la décision de reconstitution172 et depuis sa création jusqu’à la fin de 2011, les

contributions totales versées au Fonds multilatéral par les 45 principaux contributeurs s’élevaient au

total à plus de 2,89 milliards de dollars américains (Senarclens & Ariffin, 2006 : 238). Pour ce qui

concerne ses interventions, le Fonds multilatéral a approuvé et financé plusieurs activités, comme la

conversion industrielle, l’assistance technique, etc., pour à peu près le montant de plus de 2,8

milliards de dollars américains (PNUE, 2014a), c’est-à-dire que la quasi-totalité des contributions a

été utilisée au financement des projets, la structure du Fonds multilatéral exigeant peu de moyens

d’administration et de gestion.

En effet, ce Fonds, placé sous le contrôle d’un comité de 15 membres choisis parmi les pays

développés et en développement, a connu un grand succès et a presque atteint les objectifs qui lui

étaient assignés (Dupuy, 2007 : 799). Ouvert aux signatures à Montréal en 1987, le protocole de

Montréal prévoyait la réduction de la production et la consommation des cinq principaux CFC d’au

moins 50% en 1999 au plus tard par rapport aux quantités de 1986. À cette date, l’usage des CFC

avait été réduit de 95% dans les pays industrialisés et de près de 88% dans le monde (Dupuy, 2007 :

780), alors même que l’article 5 du protocole de Montréal disposait que le s pays en développement

pouvaient surseoir leurs obligations de réduction pour une période de dix ans. Un véritable succès de

la coopération internationale, rendu possible par le fait que les pays industrialisés ont largement

adhéré et respecté le principe de partage différencié des responsabilités et des coûts dans les efforts

de maintien d’un environnement international sain (Senarclens& Ariffin, 2006 : 238).

Malheureusement, l’instauration du Fonds pour l’environnement mondial n’a pas connu le même

succès que le Fonds multilatéral.

172 Le Fonds multilatéral a été reconstitué à huit reprises : 240 millions (1991-1993), 455 millions (1994-1996), 466 millions (1997-1999), 440 millions (2000-2002), 474 millions (2003-2005), 400,4 millions (2006-2008), 400 millions (2009-2011) et 400 millions (2012-2014). Tous ces montants sont exprimés en dollars américains (Fonds multilatéral, 2014).

Page 255: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

235

b. Le Fonds pour l’environnement mondial

Créé en 1991, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) sert de mécanisme de

financement de la CCNUCC, de la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants

et de la Convention des Nations-Unies sur la lutte contre la désertification. Il représente aujourd’hui la

principale source de financement des projets d’amélioration de l’état environnemental du globe. Le

FEM a pour mission de faire respecter les politiques environnementales prises au niveau

international, en subventionnant les coûts associés au respect des obligations des pays,

principalement les pays en développement, en matière de l’environnement et de lutte contre les

changements climatiques. Appelé aussi « Fonds d’adaptation », il a été créé pour financer les projets

d’adaptation au protocole de Tokyo dans les pays du Sud. Ainsi, le FEM constitue un mécanisme

permettant de subventionner des technologies propres, ou des services et conseils en matière de

conservation de l’environnement en vertu de la Convention-cadre des Nations-Unies sur les

changements climatiques (CCNUCC) à laquelle est venu s’ajouter le protocole de Tokyo (Senarclens

& Ariffin, 2006 : 242). Organisme financier indépendant, le FEM accorde en effet des financements

aux pays en développement pour des projets concernant la biodiversité, le changement climatique,

les eaux internationales, la dégradation des sols, la lutte contre la désertification et les polluants

organiques persistants (GEF, 2014). Ces projets profitent à l’environnement à l’échelle de la planète.

Ils sont le trait d’union des enjeux écologiques à l’échelle locale, nationale et mondiale, et favorisent

l’adoption de moyens d’existence viables pour les populations (GEF, 2014). Ayant pour mission de

servir de mécanisme de financement provisoire pour la lutte contre les changements climatiques et la

diversité biologique, les ressources du FEM, dont la Banque Mondiale a la responsabilité

fiduciaire173, servent à couvrir la différence entre le coût d’un projet visant des objectifs

environnementaux mondiaux et le coût de ce même projet si le pays n’avait pas pris en compte les

objectifs et les buts du protocole de Tokyo. Autrement dit, les financements concessionnels fournis

par le FEM portent uniquement sur les surcoûts (incremental cost) du projet, le reste demeurant à la

charge du pays bénéficiaire. La Banque mondiale reconnaît que l’essentiel des coûts occasionnés

173 A l’origine, le FEM avait trois partenaires qui administraient ses projets : le Programme des Nations Unies pour le développement, le Programme des Nations Unies pour l’env ironnement et la Banque mondiale. Suite au Sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio, le FEM a été restructuré et détaché du système de la Banque mondiale en 1994, devenant ainsi une entité distincte et permanente. Réunissant 182 pays, la décision de faire du FEM une institution indépendante a permis d’accroître la participation des pays en développement à la prise des décisions et à l’exécution des projets. Toutefois, depuis 1994, la Banque mondiale fait office de Caisse du FEM auquel elle fournit des serv ices administratifs (GEF, 2014).

Page 256: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

236

par ces projets est en général assumé par les pays du Sud, même s’ils peuve nt éventuellement

solliciter des prêts auprès de l’IDA, de la BIRD ou des banques privés.

Doté à l’origine de 3 milliards de dollars américains, il est principalement financé par 2% du

produit des ventes sur « les unités de réduction certifiée des émissio ns » délivrées en vertu du

mécanisme pour un développement propre au titre du protocole de Tokyo pour atteindre les cibles

liées à la réduction des émissions des gaz à effet de serre (GEF, 2014). Si cette source de revenus

est certaine, durable et automatique, elle est cependant instable, car le prix de ces unités varie

souvent puisqu’il est sujet aux aléas du marché et aux fluctuations des places boursières où sont

vendues ces unités d’émissions (OMS, 2012 : 133). Le Fonds peut également accepter d’autres

sources de financement, par exemple les dons. Les possibles donateurs susceptibles de financer ce

Fonds d’adaptation sont notamment les pays, les fondations, les ONG, les sociétés privées et même

les particuliers (OMS, 2012 : 133). Depuis le début de ses opérations, le FEM a accordé des aides à

hauteur de 8,6 milliards de dollars américains et a mobilisé plus de 36,1 milliards de dollars de

cofinancement à l’appui de plus de deux mille projets dans plus d’une centaine de pays en

développement (GEF, 2014). Malgré ces résultats du FEM, les besoins dans le domaine climatique

restent insuffisamment pris en charge, raison pour laquelle, lors de la Conférence de l’ONU sur le

climat à Cancún en 2010, l’Assemblée générale des Nations -Unies sur la CCNUCC a adopté la mise

sur pied d’un Fonds vert pour le climat (FVC) ou Green climate fund, un nouveau fonds des Nations-

Unies qui a pour but d’aider les pays en développement à lutter contre le changement climatique.

Était-il nécessaire de créer un autre fonds alors même que les pays éprouvent des difficultés à

honorer leurs engagements dans le cadre du FEM ?

c. Le Fonds vert pour le climat

Institué à la suite des conférences de Copenhague de 2009 et de Cancún de 2010, le

principe du Fonds vert pour le climat, lié lui aussi à la CCNUCC, a été approuvé depuis 2009 et sa

mise en place est en cours. En effet, c’est à Copenhague, lors de la Conférence des Parties à la

CCNUCC, qu’il a été décidé de fournir un financement accru, nouveau, additionnel, prévisible et

adéquat, de donner aux pays en développement un meilleur accès à ce financement pour leur

permettre de mener des actions concernant à la fois l’atténuation, l’adaptation, la mise au point et le

transfert de technologies en vue d’une application renforcée de la CCNUCC (ONU, 2012 : 13). C’est

Page 257: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

237

dans cette optique qu’après une année, en 2010, la Conférence de Cancún a décidé de créer le FVC

en tant qu’entité opérationnelle du mécanisme financier de la CCNUCC en vertu de son article 11.

Les pays développés se sont engagés, dans l’optique de mesures concrètes à l’appui des

programmes d’atténuation des effets des changements climatiques et d’adaptation à ces effets dans

les pays en développement, à mobiliser environ 100 milliards de dollars américains par an, jusqu’en

2020, pour répondre aux difficultés financières que rencontrent les pays en développement dans la

mise en œuvre de la CCNUCC (ONU, 2012 : 14-16).

Alors que le FEM finance en principe les projets de tous les pays et reçoit les contributions

de tous les pays, le FVC concentre ses financements aux projets d’adaptation et de réduction des

émissions dans les pays en développement et ne soutient que les politiques climatiques de ces pays

en utilisant les financements octroyés généralement par les pays développés, en applic ation du «

principe de la responsabilité historique et différenciée » dans les causes des changements

climatiques. En effet, même si les pays émergents polluent actuellement autant, sinon plus, que les

pays riches, ces derniers sont considérés comme ayant une grande responsabilité dans l’émission

des gaz à effets de serre qui causent le réchauffement du climat de notre planète. Selon ce principe

de responsabilité différenciée, ces pays riches doivent pour cela aider les pays du Sud à adopter des

politiques de développement différentes de celles empruntées par eux pour ne pas provoquer les

conséquences irréversibles sur le climat global.

Contrairement au FEM qui n’a pas de siège et dont la BIRD assure les fonctions de caissier

et de trésorier, le siège du FVC, inauguré le 4 décembre 2013, est basé en Corée du Sud (Xinhua,

2013). Il est doté d’un organe de direction174 et la gestion du FVC prévoit des dispositifs rationnels

assortis d’une structure de gouvernance pilotée par un Conseil de 24 membres, avec une

représentation à égalité des pays développés et des pays en développement qui sont signataires de

la CCCNUCC (AFP, 2013). Il reste cependant beaucoup de questions à résoudre, notamment

comment le FVC fonctionnera et, en particulier, comment et auprès de quel les entités il mobilisera

des ressources pour parvenir à ses objectifs (OMS, 2012 : 133). Certains suggèrent de créer une

taxe internationale sur le marché du carbone, créé suite à la signature en 1997 du protocole de

Tokyo et dont les échanges ont dépassé la valeur de 64 milliards en 2007. Composé de deux types

174 Le premier directeur du FVC est Madame Hela Cheikhrouhou de nationalité tunisienne (AFP, 2013).

Page 258: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

238

de ressources (des permis d’émission que les acteurs économiques s’échangent après avoir reçu

une allocation initiale et les crédits d’émissions adossés à des projets de réductions d’émission de

gaz à effet de serre dans les pays en développement), ce Fonds devrait mobiliser des ressources

considérables pour les programmes liés aux changements climatiques 175 (Severino & Charnoz, 2008

: 22). Il faut néanmoins rappeler qu’une redevance de 2% s’applique d éjà à ces transactions pour

financer les actions du FEM. Il s’agirait en fin de compte d’un double prélèvement pour financer la

poursuite d’un même objectif. Ce « harcèlement fiscal » finirait par décourager certains et produire

l’effet contraire à celui recherché.

Les financements du FVC pourraient plutôt provenir de diverses autres sources, publiques et

privées, bilatérales et multilatérales. Parmi les donateurs attendus figurent la France, les États -Unis,

le Canada, le Japon et certains pays du Sud, tels que le Mexique, l’Afrique du Sud ou la Corée du

Sud qui ont déjà annoncé leur intention d’y contribuer. Cependant, à l’heure actuelle, tout cela reste

au stade des promesses. La participation des pays émergents comme la Chine ou l’Inde reste en

suspens, sur fond de désaccord entre les pays du Nord et du Sud qui se partagent pourtant la

gouvernance du Fonds (Ndong, 2014). Ainsi, le financement du FVC reste problématique, ce qui fait

que le Fonds n’a toujours pas effectué le moindre investissement. En conclusion, vu l’architecture

des mécanismes d’intervention pour stabiliser le climat et l’environnement mondial sain, l’opportunité

de cette nouvelle structure se pose ainsi que son apport dans la mobilisation des ressources

supplémentaires nécessaires. Il s’agit d’un tâtonnement diplomatique devant l’ampleur des défis à

juguler contrastés par l’inertie de la communauté internationale dans la gestion des catastrophes

climatiques annoncées. Ce tâtonnement et cette duplication de ressources et de moyens sont

également observés en ce qui concerne les actions menées en matière de santé publique,

notamment dans la problématique de l’accès aux médicaments par les pauvres et malgré l’existence

des mécanismes internationaux mis en place pour financer la fourniture des médicaments dans les

pays en développement.

175 Par exemple, depuis 2013, l’Union européenne vend aux enchères des permis d’émission de carbone, qui généreront entre 20 et 35 milliards de dollars américains en recettes annuelles; certains pays ont fait part de leur intention d’affecter la moitié de ces recettes aux programmes liées aux changements climatiques. De même, depuis 2013, l’Allemagne consacre 15% de ses recettes de vente des quotas d’émission (soit env iron 500 millions de dollars américains par an) à des programmes internationaux liés aux changements climatiques. Si tous les membres de l’Union européenne faisaient la même chose, plus de 5 milliards de dollars américains par an résultant de la mise aux enchères des permis d’émission européens seraient disponibles pour le financement international consacré au climat (ONU, 2012 : 26-27). On serait encore loin des 100 milliards de dollars américains annoncés avec pompes en 2010, mais ça serait déjà un grand pas dans la bonne direction.

Page 259: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

239

VI.5.2. Les financements internationaux dans le domaine de la santé

Plus de 100 organisations sont actuellement actives dans le domaine de la santé et la

plupart travaille soit dans le cadre d’approches thématiques (urgence, vaccination, sensibilisation,

fourniture de médicaments, etc.), soit dans le cadre d’approche pays ou régionale (Severino &

Charnoz, 2008 : 31). Ces organisations sont en général des fondations ou des ONG. Il y a eu

cependant l’instauration de quelques fonds spéciaux pour lutter contre certaines pandémies

d’envergure mondiale telle que le SIDA, la tuberculose et le paludisme (Dalode, 2006). Pour le

moment, ces Fonds internationaux à caractère public sont seulement au nombre de deux : la Facili té

internationale d’achats des médicaments et le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose

et le paludisme.

a. La Facilité internationale d’achat des médicaments

La Facilité internationale d’achat des médicaments (FIAM), International drug purchasing

facility (IDPF) ou encore Unit for aid (UNITAID, ci-après) est un organisme international créé en 2006

afin d’accroître l’accès aux médicaments pour le traitement de trois maladies (le VIH/SIDA, le

paludisme et la tuberculose) et de réduire leur p rix dans les pays en développement. Hébergé et

administré par l’Organisation mondiale de la santé, l’UNITAID fonctionne comme une centrale

d’achat et négocie avec les firmes pharmaceutiques des prix réduits en leur garantissant des plans

de production pluriannuels (Guesmi, 2011 : 540). Cet organisme international centre son activité sur

les médicaments dont la demande, située généralement dans les pays du Sud, n’est pas solvable à

cause de leurs prix élevés. Le champ d’intervention de l’UNITAID ne se limite pas seulement aux

médicaments : il concerne également les kits de diagnostics, les outils de base et les produits de

prévention. En outre, créé à l’origine pour les médicaments de lutte contre les trois pandémies ci -

haut citées, ce programme a été étendu aux produits utilisés dans le domaine de la santé

reproductive, comme ceux utilisés dans la contraception (Guesmi, 2011 : 541). Les besoins sont

identifiés par les partenaires de l’UNITAID qui, en liaison avec les systèmes nationaux d’achat et de

distribution des médicaments, sont également chargés de mettre en œuvre les programmes qu’il

finance.

Page 260: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

240

Approvisionné par une taxe internationale sur les billets d’avion, l’UNITAID a l’avantage

d’être un mécanisme dont la grande partie de ses ressources provient d’une source pérenne et

durable. La création de cette taxe a été suggérée en 2004 par les présidents français et brésilien de

l’époque176 et l’idée de consacrer les revenus qui en découleraient à l’UNITAID a fait l’objet d’un

consensus en 2006 entre quelques pays qui ont convenu que le billet d’avion de chaque passager

décollant d’un aéroport situé sur le territoire de l’un des États participants, y compris sur les vols

intérieurs, doit être assujetti à une petite contribution destinée à l’UNITAID (UNITAID, 2014). Le

montant de cette taxe sur les billets d’avion varie selon les pays qui fixent librement son taux et

déterminent à quelle classe elle s’applique177. Elle s’ajoute aux taxes d’aéroport perçues sur tous les

départs de son territoire et la totalité ou une partie des recettes est reversée à l’UNITAID. Les

modalités de perception respectent la souveraineté fiscale des pays et aucune réglementation

internationale ne s’oppose à sa mise en place. Appelée aussi « taxe de solidarité », la taxe sur les

billets d’avion représente 70% de la base financière de l’UNITAID (UNITAID, 2014). En septembre

2012, neuf178 des 28 pays membres179 de l’UNITAID appliquaient cette taxe, tandis que les autres

ont décidé de le soutenir financièrement grâce à d’autres sources déterminées l ibrement180 (Guesmi,

2011 : 437). Cette taxe sur les billets d’avion contribue à promouvoir la coopération internationale

dans la résolution des problèmes d’envergure planétaire puisqu’elle offre même la possibilité aux

pays du Sud de contribuer181 au financement du développement international (UNITAID, 2014). En

effet, l’aspect particulier qui différencie l’UNITAID des autres mécanismes internationaux de

financement a été l’implication et l’inclusion des pays en développement et même les PMA, comme

les pays africains, au titre des donateurs. Cela peut s’expliquer en partie par le fait que la taxe sur les

billets d’avion ne touche généralement que les individus qui ont des moyens suffisants. Cela étant, la

176 Il s’agit des anciens présidents de la France, Jacques Chirac, et du Brésil, Inacio Lula.

177 Par exemple, depuis que la France a instauré la taxe sur les billets d’av ion en 2006, les recettes annuelles de cette taxe sont d’env iron 160 millions d’euros en moyenne et sont restées stables, ce qui implique qu’elle n’a pas affecté le trafic aérien en partance de la France. Sur la période allant de 2011 à 2013, la France s’est engagée à reverser à UNITAID un montant annuel de 110 millions d’euros prélevé sur les recettes de la taxe.

178 Les pays qui appliquent la taxe sur les billets d’av ion variant entre 1 et 2 dollars américains par billet sont : Brésil, Cameroun, Madagascar, Maurice, Chili, Corée du Sud, Chypre, France, Royaume-Uni (UNITAID, 2012 : 33).

179 Ces pays sont : Afrique du Sud, Bénin, Brésil, Burkina Faso, Cameroun, Chili, Chypre, Congo, Côte d’Ivoire, Espagne, France, Gabon, Guinée, Liberia, Luxembourg, Madagascar, Mali, Maroc, Maurice, Namibie, Niger, Norvège, République centrafricaine, Corée du Sud, Royaume-Uni, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Togo (UNITAID, 2012 : 24).

180 Par exemple, la Norvège verse à l’UNITAID une partie de sa taxe sur les émissions de dioxyde de carbone (CO2) émis par le carburant utilisé dans le transport aérien (OMS, 2012 : 82).

181 Même certains pays africains ont décidé, en mettant en œuvre la taxe sur les billets d’av ion, de contribuer aux actions internationales v isant à remédier aux problèmes sanitaires mondiaux.

Page 261: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

241

taxe sur les billets d’avion n’est pas à proprement parler une taxe mondiale, définie comme une taxe

unique adoptée par tous les États, avec une autorité mondiale habilitée à la prélever et à administrer

son produit. Il s’agit en réalité d’une taxe nationale dont les pays participants se sont convenus

d’assurer la coordination et l’allocation en appui aux actions d’un organisme qui s’occupe des enjeux

internationaux, en l’occurrence l’UNITAID.

D’autres partenaires peuvent verser leurs contributions à l’UNITAID sous forme de dons,

comme le fait régulièrement la Fondation Bill & Melinda Gates ou encore la Fondation du Millénaire

(UNITAID; 2012 : 33). Pendant l’année de son lancement en 2007, l’UNITAID a réuni 315 millions de

dollars américains et recueille depuis en moyenne 350 millions de dollars par an (Guesmi, 2011 :

440). Le bilan qui peut être établi à ce jour des actions de l’UNITAID est encourageant. Les

ressources de cette centrale d’achat, cumulées depuis sa création, s’élevaient en 2010 à 1,5 milliard

de dollars américains et plus de 80% de ces apports ont été dirigés vers des pays à faible revenu

(Guesmi, 2011 : 440). Quelques années après son lancement, l’UNITAID a permis de rendre

disponibles plusieurs antirétroviraux et d’obtenir une baisse de prix cumulée de 60% en moyenne

pour les antirétroviraux de deuxième génération182 dans les pays à faibles revenus (Guesmi, 2011 :

440). En 2009, 16 projets bénéficiant à 94 pays ont reçu le soutien d’UNITAID (Gérardin & Poirot,

2011 : 92). Il est intéressant de noter que l’UNITAID intervient même dans les pays qui ne sont pas

membres. Cette situation inhabituelle dans les institutions internationales peut s’expliquer par le fait

que l’UNITAID est hébergé au sein d’une organisation internationale planétaire (l’OMS en

l’occurrence) et que ses initiateurs ambitionnaient de l’inscrire dans la dynamique du système des

Nations-Unies. Cependant, la mise à la disposition de produits finis ne constitue pas une réponse au

problème d’accès, car elle n’intègre pas suffisamment les besoins énormes des pays à revenus

faibles en ce qui concerne les médicaments. Elle n’est qu’une solution transitoire et largement

aléatoire, en attendant que ces pays se dotent d’une industrie pharmaceutique capable de satisfaire

leurs besoins sanitaires (Guesmi, 2011 : 431).

La mise en place de ce mécanisme démontre qu’une taxe élaborée de façon conjointe au

niveau international n’est pas impossible. Durable et sûre, la taxe sur les billets d’avion représente le

182 La particularité du VIH/SIDA est sa capacité à muter et à résister aux traitements qui ex istent. La recherche doit donc s’adapter en apportant des remèdes à ses nouvelles souches. Depuis qu’on a commencé à le traiter, on est déjà à la troisième génération d’antirétrov iraux, les premières et les deuxièmes ne pouvant plus fonctionner sur certains patients.

Page 262: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

242

prototype connu à ce jour d’une « taxe internationale » et constitue donc le prélude à des ressources

pour générer des financements de la production des biens publics mondiaux. Elle s’est avérée être

une source relativement stable et prévisible, car le trafic des voyageurs ne paraît pas avoir été

affecté par l’instauration de cette taxe (UNITAID; 2012 : 33). Si elle représente le projet de fiscalité

internationale le plus abouti à ce stade, cette initiative est cependant loin de constituer le modèle de

fiscalité universelle que certains avaient espéré voir émerger (Jacquet & Ray, 2008 : 44). En o utre, la

lutte contre les trois épidémies (VIH/SIDA, paludisme et tuberculose) au niveau mondial ne doit pas

être réservée aux actions de la seule UNITAID. Vu l’ampleur de ces fléaux, la communauté

internationale a décidé de mettre en place une structure p lus grande et globale : le Fonds Mondial.

b. Le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme

C’est lors de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations -Unies sur le

VIH/SIDA de juin 2001 qu’a été approuvée la création d’un Fonds mondial contre le SIDA, la

tuberculose et le paludisme. Ayant vu le jour en 2002, il a pour objectif la lutte contre ces fléaux,

notamment par le biais de l’achat de médicaments en faveur des populations pauvres. Les membres

de l’ONU se sont engagés à atteindre, par étapes successives, à un montant annuel de dépenses

globales de 7 à 10 milliards de dollars américains pour la lutte contre ces épidémies (Act up, 2002).

Cet organisme est rapidement devenu un élément essentiel dans la riposte mondiale contre le

VIH/SIDA, en finançant des programmes dont la direction est confiée aux pays bénéficiaires, grâce à

un système novateur octroyant des financements sur la base des performances obtenues (CRIPS,

2012 : 12). En 2009, les investissements du Fonds mondial ont représenté 21% du financement

public international de la lutte contre le VIH/SIDA dans les pays en développement et lors de la

troisième conférence de reconstitution volontaire des ressources du Fonds mondial, qui s’est tenue

en 2010, les donateurs se sont engagés à contribuer au Fonds à hauteur de 11,7 milliards de dollars

américains pour la période allant de 2011 à 2013 (CRIPS, 2012 : 12). Les premiers résultats du

Fonds pour des médicaments à des prix abordables sont globalement satisfaisants. Le Fonds

mondial a permis la distribution des traitements contre ces trois maladies et sauvé des vies de

plusieurs millions de personnes dans le monde en développement (ONU, 2012 : 3). Plus de 1,8

million de personnes ont été soignées pendant les cinq premières années de sa création, grâce aux

efforts menés dans les 136 pays du Sud soutenus par le Fonds mondial. Entre 2002 et 2010, le

Fonds mondial a approuvé des financements à hauteur de 21,7 milliards de dollars américains pour

Page 263: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

243

les programmes de lutte contre le VIH/SIDA dans 146 pays, dont 56% concernaient la région de

l’Afrique subsaharienne (Reuters, 2007).

Cependant, les difficultés actuelles de ce Global fund sont révélatrices des tiraillements et

des réticences des pays riches à pourvoir à son financement. En effet, le total des versements

effectifs depuis 2001 a été toujours en deçà des ressources annoncées et nécessaires pour mener

une véritable action d’envergure mondiale dans la lutte de ces trois fléaux. D’emblée, pour la période

initiale allant de 2001 à 2004, le montant total des versements effectués a atteint à peine 3 milliards

(pour la période de 2001-2004), alors que les experts avaient tablé sur un montant d’environ 15

milliards de dollars américains par an pour pouvoir réellement prévenir et traiter le VIH/SIDA, la

tuberculose et le paludisme à l’échelle mondiale (Fonds Mondial, 2013). Ensuite, dans le contexte

financier international actuel peu favorable et marqué par la crise économique dans les pays

développés, le Fonds mondial peine à reconstituer les fonds nécessaires pour honorer ses

engagements ou accomplir ses missions. Il a même été contraint, en raison de financements

inférieurs aux engagements pris par les donateurs, d’annuler une partie des subventions prévues

(CRIPS, 2012 : 12). Par ailleurs, ce Fonds est aléatoire et est resté provisoire dans sa conception,

servant seulement à réaliser des objectifs d’urgence à court terme, en attendant la mise en place de

systèmes nationaux de santé qui sont efficaces et durables.

En outre, le cloisonnement des programmes de santé s’étant généralisé, les tensions entre

les programmes du Fonds mondial et les autres programmes internationaux perdurent en parallèle

avec les systèmes de santé nationaux, avec moins de résultats, malgré la dup lication des moyens

(ONU, 2012 : 30). La mise en commun des moyens et des ressources est souhaitable pour améliorer

la coordination et pour promouvoir les objectifs poursuivis par les différents mécanismes. Les

financements recueillis en matière de santé devraient être utilisés au sein d’un mécanisme commun

qui jouerait également un rôle de coordination. Ce mécanisme devrait, par exemple, s’appuyer sur

les institutions internationales existantes œuvrant dans le domaine de la santé (OMS, 2012 : 128).

Cette coordination ne devrait pas concerner seulement les donateurs publics, elle devrait aussi viser

les actions des ONG et les acteurs privés, dont les firmes pharmaceutiques, notamment dans la prise

en compte différentiée du niveau économique des pays dans la tarification des médicaments et des

opérations de dons (Severino & Charnoz, 2008 : 31).

Page 264: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

244

Enfin, l’idée d’une fiscalité internationale proposée pour procurer une source pérenne à ce

Fonds a rencontré une vive opposition de la part de certains pays riches, d e telle sorte que la mise

en commun des ressources consacrées à la lutte coordonnée contre ces fléaux semble dériver vers

des stratégies individualistes ou bilatérales. Par exemple, les États -Unis, principaux pourvoyeurs de

financement du Fonds, ont lancé en 2003 leur propre plan de lutte contre ces maladies : le

PEPFAR183 (CRIPS, 2012 : 12). Cette approche bilatérale de l’aide pour la santé va à l’encontre de la

conception initiale du Fonds mondial qui était d’agir collectivement (Boidin, 2005 : 41-42). En effet, le

caractère individualiste de ce mode de financement pose la question d’aide liée, dans laquelle les

considérations d’ordre économique, commercial, stratégique et politique occupent une place

importante dans le choix ou la détermination des pays bénéficiaires. Ainsi, contrairement au mode de

financement instauré par le Fonds mondial, une aide avec le PEPFAR peut être conditionnée,

souvent de façon asymétrique, au respect des accords économiques bilatéraux, excluant de cette

aide toutes les populations des autres pays qui ne sont pas choisis pour signer ces accords

bilatéraux (CRIPS, 2012 : 12). En procédant par la sélection des pays récipiendaires selon ses

critères propres, cette aide met en avant les intérêts économiques, géopolitiques ou stratégiques des

États-Unis, au détriment des considérations de la santé publique mondiale.

En guise de conclusion sur ces mécanismes de financement des biens publics mondiaux, on

constate que des efforts politiques ont été réalisés en matière de santé publique universelle, comme

en ce qui concerne l’environnement mondial, mais les résultats restent encore très limités et

provisoires. La plupart de ces fonds ont été alignés et axés sur les résultats tout en restant soucieux

d’assurer le contrôle par les pays. La viabilité de ces fonds reste cependant incertaine. Comme dans

le cas des fonds mondiaux pour la santé, la multiplication des mécanismes internationaux de

financement pour le climat a contribué au morcellement ou à la duplication des moyens destinés à sa

préservation (ONU, 2012 : 27). Les mécanismes existants, qui maintiennent un lien étroit entre la

collecte et l’utilisation des fonds, risquent d’aggraver la prolifération des modes de financement,

comme le montre le cas du financement pour le climat et la santé. On peut atténuer ce problème en

regroupant les mécanismes de décaissement des financements dans des institutions moins

183 Ce programme, créé en 2003 et doté de 15 milliards sur la période 2003-2008, puis de 48 milliards pour la période 2009-2013, constitue la principale ressource financière des actions menées par les États-Unis en matière de SIDA dans les PED (CRIPS, 2012 : 12).

Page 265: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

245

nombreuses aux mandats élargis, mais clairement définis, coordonnées entre elles et mettant en

commun les ressources d’origines diverses qu’elles reçoivent (ONU, 2012 : 28). À partir de ces

exemples de fonds internationaux institués dans le but de protéger ou fournir les biens publics

mondiaux, la section qui suit met en exergue les éléments qui permettent de conclure qu’un fonds

international instauré dans l’application d’une politique publique internationale a été un succès ou un

échec.

VI.5.3. Les éléments déterminant le succès d’un fonds international

Quelques éléments permettent d’esquisser une grille analytique permettant de déterminer le

succès ou l’échec des fonds internationaux. En effet, outre l’élément basique en relations

internationales de la nécessité de négocier et conclure un traité de création de ce fonds, la

précédente étude des fonds instaurés ou qui sont en cours de création permet de donner un aperçu

sur les critères qui doivent être réunis pour qu’un fonds soit mis en place et puisse poursuivre et

accomplir ses missions. Sans être exhaustifs, ces éléments sont l’adhésion à la cause d’un certain

nombre de pays développés, le montant et la durée de mobilisation des fonds nécessaires au

lancement du fonds, l’adhésion au projet des autres acteurs concernés ainsi que la transparence

dans la gouvernance de ce fonds.

a. L’adhésion au fonds international d’au moins un pays développé

Pour aboutir, le projet d’instauration d’un fonds international doit être soutenu par au moins

un des pays riches et qui sont dotés des capacités de fournir à ce fonds les moyens financiers dont il

a besoin en frais de fonctionnement et d'accomplissement des missions qui lui sont assignées. Ce

sont en général ces mêmes pays qui sont les principaux pourvoyeurs de fonds dans toutes les

organisations internationales existantes. Selon les objectifs, les buts et la taille du fonds à mettre en

place, il n’est pas nécessaire que tous les pays développés y adhèrent, mais juste certains d’entre

eux pourvu qu’ils soient suffisamment motivés à soutenir le projet. L’exemple de l’UNITAID montre

que quelques pays du Nord (France, Norvège, Luxembourg et le Royaume-Uni), suivis par un certain

nombre de pays émergents comme le Brésil et le Chili, ont été suffisants pour mobiliser les fonds

nécessaires à son lancement. Même si l’UNITAID n’a pas encore pris une grande taille à la hauteur

de ses ambitions, le train est en marche et les autres pays, du Nord comme du Sud, le rejoignent

Page 266: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

246

petit à petit. Mais, comme on va le voir dans le paragraphe suivant, le lancement des activités de

l’UNITAID n’a été possible que parce que le montant nécessaire pour commencer n’était pas très

élevé, comme c’est le cas pour certains autres fonds internationaux envisagés.

b. Le montant de lancement et la durée de mobilisation

Le montant nécessaire pour le lancement des activités du fonds joue également un rôle

important dans la mobilisation des pays contributeurs. Si le montant est très élevé, ces derniers sont

réservés dans la prise de décision concernant leurs engagements dans la participation au fonds. En

outre, ils sont plus enclins à attendre que les autres s’engagent d’abord, avec le risque qu’aucun ne

s’engage au final. C’est le paradoxe d’Olson qu’on va développer dans le dernier chapitre. En

revanche, si le démarrage des opérations du fonds exige des montants moins importants, les pays

vont s’engager plus facilement, estimant que leur contribution, même minime, contribuera à atteindre

l’objectif commun fixé. Même les pays à faible capacité financière sont motivés à participer à l'effort

commun et ainsi se donner la conviction qu’ils jouent un rôle sur la scène internationale, si on s e

réfère à la « théorie de la réputation »184 développée par Guzman (2008).

En outre, la durée impartie aux États pour la mobilisation des contributions destinées au

fonds peut aussi être déterminante, surtout quand les délais courts sont combinés aux gros montants

à mobiliser. Ce sont ces deux facteurs, le montant des fonds requis et le délai de leur mobilisation,

qui semblent jouer en défaveur du lancement des opérations du Fonds vert pour le climat (FVC). En

effet, il a été prévu qu’au moins 100 milliards de dollars américains devraient être mobilisés par an,

jusqu’en 2020, pour financer les opérations de réduction ou compenser les activités qui déversent

dans l’atmosphère des gaz à effet de serre dans les pays en développement. Puisque la création du

FVC a été approuvée en 2009, les sommes à mobiliser devraient atteindre 1000 milliards de dollars

américains à la fin de 2020. L’énormité de ces montants doit avoir joué un rôle dans l’échec de la

mobilisation et du lancement des opérations du FVC.

184 Selon cette « théorie de la réputation » (Guzman, 2008), la v iolation du droit international génère une perte coûteuse en termes de réputation et la menace de cette perte fournit une incitation à respecter les engagements pris par les pays. Cette théorie suggère que le droit international se révèle efficace et a les capacités nécessaires à lui tout seul pour faire progresser la coopération internationale. En effet, pour Guzman (2008), les États se conforment au droit international par le fait que le défaut de respecter ses obligations juridiques d’aujourd’hui aura une incidence sur la capacité du pays d’obtenir des concessions sur des questions juridiques à l’avenir.

Page 267: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

247

Cela étant dit, même si les pays riches peuvent adhérer massivement au projet et que le

montant et la durée de mobilisation des fonds sont raisonnables, le projet aura des difficultés à

démarrer si les autres acteurs concernés ne s’approprient, d’une manière ou d’une autre, le projet de

création du fonds en question.

c. L’adhésion des autres acteurs concernés

L’autre élément déterminant est l’implication dans le projet de certains acteurs directement

concernés par le projet. Ces acteurs, qui ont un intérêt quelconque dans les opérations du fonds,

peuvent être publics ou privés et leur degré d’appropriation du projet est proportionnel à la réussite

ou à l’échec des objectifs poursuivis par ce fonds. Ces acteurs doivent trouver la satisfaction de leurs

intérêts, si du moins il s’agit des entreprises à vocation commerciale, ce qui est le cas pour les firmes

pharmaceutiques comme on le verra plus loin. Les analystes estiment que le Fonds multilatéral

instauré par le protocole de Montréal a pu atteindre ses objectifs de réduction de l’utilisation des CFC

parce que les entreprises utilisatrices de ces gaz ont compris qu'elles allaient profiter de cette

opération. En effet, les entreprises qui acceptaient d’abandonner l’utilisation de ces CFC devaient

recevoir en contrepartie une compensation financière couvrant les coûts engendrés par les

opérations de changement ou d’adaptation de technologies qu’exigeait l’abandon de l’usage de ces

gaz destructeurs de la couche d’ozone. En plus de cette compensation financière, les entrepr ises

participantes ont acquis les nouvelles technologies à moindre coût, voire gratuitement ou presque,

ce qui les a motivés et encouragés à adhérer aux objectifs du Fonds multilatéral et a permis ce

dernier d’atteindre ses objectifs au-delà des prévisions initiales comme cela a été indiqué

précédemment. Mais cette adhésion des entreprises concernées, de même que celle des États

contributeurs, n’aurait pas été possible si la gestion du fonds multilatéral n’avait pas été transparente.

d. La transparence dans la gouvernance du fonds en question

Puisqu’il s’agit d’importantes sommes d’argent, il est primordial que la structure de gestion du

fonds soit de nature à inspirer la confiance de tous les acteurs, les États ainsi que les autres acteurs

concernés ou intéressés. Pour cela, la gestion des fonds doit être assurée d’une manière

transparente, suivant des critères objectifs, précis et prédéterminés. En outre, l’équipe de gestion du

fonds doit être constituée d’une manière représentative. Pour cela, le Fonds multilatéral est aussi un

Page 268: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

248

exemple de transparence et de bonne gestion. En effet, le conseil d’administration, composé de

seulement 15 membres choisis parmi les pays développés et les pays en développement, ne se

réunit que quand une demande d’intervention a été déposée, ce qui fait que les frais de gestion sont

minimes. Toutes les contributions, dont la Banque mondiale assure les fonctions de caissier et de

trésorier, sont majoritairement dépensées pour les interventions du Fonds, ce qui explique en partie

pourquoi les États riches l’ont massivement soutenu financièrement, puisqu’ils estimaient que leurs

contributions n’allaient pas être dépensées pour payer les salaires des fonctionnaires ou les autres

frais de fonctionnement budgétivores et difficilement vérifiables.

En guise de conclusion sur ces éléments qui concourent au succès ou à l’échec des fonds

internationaux, il est important de noter qu’il s’agit d’une question de mobilisation ou d’incitations, ce

qui est essentiellement politique. Par conséquent, la résolution de la problématique de l’accès aux

médicaments pour tous ceux qui en ont besoin nécessite un engagement politique à l’échelle

internationale qui s’inscrit dans la durée (Guesmi, 2011 : 54-60).

Page 269: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

249

Conclusion

Il y a quelques années, quand on demandait l’accès aux antirétroviraux dans les pays du

Sud, y compris dans les plus pauvres, les acteurs publics internationaux répondaient que cela n’était

pas possible, que le prix était ce qu’il était, mais que ces médicaments coûtaient très cher à

rechercher, à développer et à produire. On pouvait seulement essayer de négocier avec les

laboratoires pharmaceutiques pour voir s’elles peuvent baisser les prix, mais dans des proportions

très limitées (Verschave & Krikorian, 2003 : 4). Néanmoins, les prix élevés des médicaments ne sont

pas une fatalité (Elliot, & al. 2003 : 7). Il est pourtant possible pour l’humanité de procurer à tous ses

membres les médicaments dont ils ont besoin.

Cette thèse, après avoir essayé de circonscrire le problème que pose le système actuel des

brevets et de montrer ses conséquences sur la santé, notamment en ce qui concerne l’accès aux

médicaments, tente d’apporter une réponse à cette problématique. Théoriquement, le brevet a pour

but de promouvoir la recherche et le progrès du bien-être social. C’est ce que reprend l’article 7 de

l’Accord sur les ADPIC dédié à ses objectifs. Mais dans les faits, ces bienfaits attendus ne se sont

pas réalisés depuis l’entrée en vigueur de l’Accord sur les ADPIC, notamment dans le domaine de la

santé. En effet, depuis le 1er janvier 2000185, les pays en développement, n’ayant plus le droit de

copier les médicaments brevetés, n’avaient plus que le choix entre la production locale sous licence,

moyennant le paiement de redevances au breveté, ou l’importation de produits brevetés vendus dans

d’autres pays par le breveté ou son concessionnaire. Le résultat a été qu’une grande partie des

populations des pays du Sud n’a plus accès aux médicaments brevetés devenus inabordables pour

leurs revenus (Guesmi, 2011 : 294). La question des brevets dans le domaine de la santé, qui est en

fait celle des prix élevés des médicaments brevetés à cause du monopole institué en faveur des

titulaires des brevets, est depuis lors un problème difficile à résoudre pour les dé cideurs politiques,

les organisations internationales concernées186 et les chercheurs.

185 C’est la date d’échéance de la période transitoire accordée par l’Accord sur les ADPIC aux pays en développement.

186 On pense principalement à l’OMS qui a en charge de la santé humaine mondiale, l’OMC qui administre l’Accord sur les ADPIC, l’OMPI qui s’occupe de la propriété intellectuelle au niveau mondial, l’ONU ainsi que plusieurs autres organisations régionales qui gèrent les questions de la santé ou de la propriété intellectuelle.

Page 270: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

250

En effet, quand ce problème de l’inaccessibilité aux médicaments dans les pays du Sud s’est

manifesté, l’OMC et l’OMS ont recommandé aux pays qui éprouvent des difficulté s sanitaires de faire

recours aux flexibilités contenues dans les divers accords de l’OMC et adopter une sorte «

d’exception sanitaire » dans l’application de l’Accord sur les ADPIC. Ainsi, outre les exceptions

générales prévues à l’article XX du GATT 1994, les PMA disposent également des délais assez

longs pendant lesquels ils ne sont pas tenus d’assurer la protection des brevets pharmaceutiques.

Les pays du Sud peuvent aussi s’appuyer sur l’article 8 de l’Accord sur les ADPIC pour prendre des

« mesures nécessaires à la protection de la santé publique de leurs populations ». L’article 30 de ce

même Accord prévoit aussi d’autres exceptions qui peuvent être sollicitées (exception Bolar,

exceptions expérimentales, exceptions pour utilisation individuelle ou sur ordonnance), mais dont la

portée à résoudre le problème d’accès aux médicaments dans les pays du Sud est faible. Par ailleurs

et toujours dans le cadre de cet Accord, ces pays peuvent exploiter les mécanismes tirés des articles

6 (importations parallèles) et 31 (licences obligatoires) pour répondre aux besoins en médicaments

de leurs populations. Cette dernière, qui est la plus intéressante de ces flexibilités et qui pouvait

permettre aux pays du Sud de se procurer les médicaments génériques, s’est révélé e inopérante

dans la plupart de ces pays. Le problème de ces licences obligatoires est qu’elles ne pouvaient être

accordées que pour l’approvisionnement du marché intérieur du membre qui les a autorisées (article

31f). Ainsi, cette disposition étant interp rétée comme une interdiction formelle d’exporter les

médicaments produits sous licences obligatoires, la conséquence a été que, pour les pays

dépourvus de capacités de production, la délivrance d’une licence obligatoire pour approvisionner

leur marché intérieur n’est pas une solution, étant donné qu’ils ne peuvent l’exploiter. Pour un bon

nombre de pays du Sud, la production locale n’est pas une solution : leurs industries ne sont pas en

mesure de répondre aux besoins puisque cela suppose d’importantes capacités techniques et des

compétences en ressources humaines en matière de production et d’innovation qu’ils n’ont pas

encore. La mise en œuvre d’une production locale n’est donc viable ni techniquement ni

économiquement dans ces pays (Verschave, 2004 : 238).

Ainsi, malgré les dispositions de l’Accord sur les ADPIC et les autres Accords de l’OMC qui

sont favorables aux pays en développement et qui comportent des flexibilités susceptibles d’être

exploitées pour prendre des mesures favorables à l’accès aux médicaments pour leurs populations,

la réalité est que ces pays se trouvent toujours en situation d’indisponibilité des médicaments

Page 271: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

251

abordables pour leurs populations (Guesmi, 2011 : 299). En effet, outre que ces flexibilités sont

inopérantes à cause de l’incapacité technique, les pressions politiques et économiques de la part des

pays riches ou la crainte de représailles commerciales empêche les pays du Sud de recourir aux

importations parallèles, aux licences obligatoires ou aux autres possibilités contenues dans les

accords de l’OMC. Ainsi, la problématique des brevets et de l’accès aux médicaments ne peut être

résolue par le simple jeu des flexibilités légales, dont la mise en œuvre est compliquée (Guesmi,

2011 : 500).

C’est dans cette perspective que la Conférence de Doha de 2001 a adopté

l’assouplissement des règles des licences obligatoires pour les pays du Sud (Constantin, 2002 :

265). La déclaration de Doha, sortie à l’issue de la Conférence, invite les membres à prendre des

mesures qui vont dans le sens de faciliter la résolution de cette problématique. En 2003, le Conseil

des ADPIC a pris à cet effet une décision qui modifie l’article 31f et la rend exécutoire jusqu’à l’entrée

en vigueur de l’amendement qui viendra rendre permanente cette dérogation d e l’article 31f. La

nouveauté apportée par cette décision de 2003 est que pour les pays dépourvus de capacités

technologiques, l’importation de génériques devenait légalement possible, abrogeant ainsi la

disposition qui empêchait l’exportation des médicaments génériques produits ailleurs sous licences

obligatoires. Désormais, il est théoriquement possible de produire les médicaments sous licences

obligatoires pour l’exportation, sous réserve de prendre des dispositions nécessaires pour éviter la

réexportation ou le détournement de ces médicaments. Mais les conditions à remplir ainsi que les

formalités à faire sont autant de contraintes et des limites à l’utilisation de ce nouveau système des

licences obligatoires (Remiche & Kors, 2007 : 237-246).

En effet, présenté comme une avancée, le nouveau système des licences obligatoires pour

les médicaments impose de nombreux obstacles administratifs, légaux et politiques à l’exportation

des génériques et comporte une série d’entraves nouvelles à la circulation des médicaments. Avec

ces nouvelles licences obligatoires, ce ne sont plus les prix qui sont les entraves à l’accès aux

médicaments dans les pays pauvres, mais les procédures administratives. Ce cadre exceptionnel

mis en place pour les médicaments est plus contraignant que les règles générales de l’Accord sur

ADPIC et il est devenu plus compliqué et complexe d’importer ou d’exporter les médicaments que

n’importe quel autre bien produit sous licences obligatoires (Verschave, 2004 : 236). Outre que

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252

l’amendement de l’article 31f de l’Accord sur les ADPIC n’a toujours pas été ratifié par les trois quarts

des membres de l’OMC exigés, le problème majeur de cet amendement est la complexité de sa

procédure qui le rend peu viable et utile (Correa, 2009 : 147). Parce qu’il comporte des exigences et

des notifications multiples, et parce qu’il est basé sur une action pays par pays, médicament par

médicament, il crée des complications administratives et des étirements des délais et ne tient pas

compte de l’urgence des besoins d’approvisionnement et de distribution du médicament (Correa,

2009 : 92).

Dans l’entre-temps, d’autres solutions non juridiques ont été proposées pour résoudre le

problème de l’inaccessibilité des médicaments brevetés dans les pays du Sud. Parmi des solut ions,

on trouve l’exclusion des brevets sur les produits pharmaceutiques, le contrôle ou la régulation des

prix, l’application des prix différenciés, la transférabilité des droits exclusifs d’un brevet sur un autre,

les subventions ou la constitution des partenariats publics et privés pour la recherche et le

développement des médicaments, les garantis anticipées de marchés ou promesses d’achat, les

récompenses des médicaments ayant plus d’impacts sur la santé par un Fonds institué pour cette fin,

etc. Cependant, ces solutions sont aussi critiquables les unes que les autres et se sont révélées

inefficaces ou insuffisantes pour résoudre durablement le problème posé par les brevets dans l’accès

aux médicaments. Certaines ne proposent que de mesures palliatives aux problèmes d’accès aux

médicaments qui ne peuvent suffire à garantir un accès universel aux médicaments.

Après avoir défini et analysé le concept de biens publics mondiaux sous tous ses aspects,

cette thèse montre que la science en général et les connaissances médicales en particulier sont des

biens publics mondiaux. En effet, expurgées du secret par le brevet, elles deviennent accessibles

pour toute personne « du métier » et sont non exclusives. En outre, l’utilisation de ces découvertes

pour produire les biens ou produits pharmaceutiques ne réduit pas la quantité de connaissances

laissées pour les autres pour en profiter. Elles sont donc non rivales. Elles sont aussi universelles

puisqu’elles transcendent les frontières nationales et peuvent s’applique r partout et de la même

manière. Elles ne sauraient enfin être imputables, ni à une personne en particulier, ni à aucune

génération passée, présente ou future. Faire payer les coûts de la recherche aux malades des

générations présentes comme le fait le système actuel des brevets est inefficace puisque cela ne

repose sur aucune base justificative. En conséquence, comme pour tout bien public, le coût de

Page 273: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

253

production des biens brevetés relevant de la recherche, qui sont des biens publics mondiaux, doit

être partagé par l’ensemble de la communauté. Ainsi, le concept de biens publics mondiaux permet

donc, dans le contexte du libre marché, d’introduire un rôle légitimateur de l’action publique au

niveau international. Puisque le marché, laissé à lui-même, a tendance à fournir ces biens publics en

quantité insuffisante, par manque d’incitation des acteurs économiques, il en résulte que la

production de tels biens doit être prise en charge par l’ensemble de l’humanité. C’est pour cela que la

mise en place d’un Fonds international pour la recherche médicale (FIRM) est proposée, avec pour

missions de racheter les brevets portant sur les médicaments les plus innovants et de financer les

recherches sur les maladies négligées. Les actions du FIRM sont théoriquement susceptib les de

permettre la production des médicaments accessibles, puisqu’elles éliminent les coûts de la

recherche dans le prix de ces derniers, l’inventeur étant intégralement remboursé de la totalité des

frais qu’il a engagés dans la recherche. Ainsi, les inte rventions du FIRM permettraient la vente des

médicaments brevetés aux environs du coût de leurs génériques, ce qui permettrait aux populations

des pays du Sud d'avoir accès aux nouveaux médicaments brevetés malgré la faiblesse de leurs

revenus. Le FIRM permettrait aussi une bonne allocation des dépenses de recherche tout en

apportant des bénéfices aux firmes pharmaceutiques qui apportent des médic aments innovants sur

le marché187 (Hollis, 2004 : 15).

L’approche des biens publics mondiaux présente l’avantage que ce concept repose sur une

théorie cohérente qui explique le besoin d’intervention publique et qui est susceptible de convaincre

les politiques à accepter l’extension du domaine public à l’échelle internationale (Constantin, 2002 :

96). En effet, l’humanité ne devrait pas compter uniquement sur les ressources ou entreprises

privées pour mettre au point les médicaments dont elle a besoin maintenant ou aura besoin dans le

futur. « Ce serait un pari risqué, au moment où les frais de recherche augmentent de plus en plus,

alors qu’on constate une baisse du nombre de nouveaux médicaments innovants » (Verschave, 2004

: 182).

187 Il faut rappeler que le FIRM ne garantirait pas la mise en place des structures de recherche et de production des médicaments dans les pays en développement, ce qui signifie que les pays riches continueraient de concentrer la grande majorité des laboratoires de recherche et à ce titre percevraient la plus grande partie des sommes dépensées par le FIRM dans l’acquisition des brevets publics sur les inventions pharmaceutiques. Ainsi, la majorité des ressources continuerait de converger vers les pays riches qui ont déjà un niveau de recherche élevé (Dulbecco & Laporte, 2005 : 435), alors que les pays du Sud avaient besoin d’utiliser les versements du FIRM pour financer les recherches sur les pathologies locales, même si ces pays sont confrontés à l’inex istence ou insuffisance d’infrastructures adéquates ou du personnel de recherche qualifié. Mais cela soulève d’autres questions qui sont certes en rapport avec la problématique de la santé publique dans les pays en développement, mais vont au-delà de la question de l’accès aux médicaments brevetés qui est sous analyse.

Page 274: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

254

Cependant, l’approche des biens publics mondiaux pose le problème des moyens efficaces

pour collecter les ressources nécessaires au financement de leur production ou fourniture (Stiglitz,

2012). En effet, bien qu’il existe potentiellement des avantages à tirer des biens publics mondiaux, ils

soulèvent la question de savoir comment le fardeau de leur production doit être distribué à l’échelle

mondiale, dans un système sans autorité supranationale (Kindleberger, 1988). Cette situation ne

favorise pas l’émergence des enceintes internationales de régulation, de gestion ou de contrôle, ce

qui empêche de produire et financer ces biens mondiaux (Gab as & Hugon, 2001 : 28-29).

L’existence d’avantages communs dans la production de ces biens n’implique pas nécessairement la

collaboration de tous les États dans leur production. Ce sont les problèmes classiques de l’action

collective (problème de passager clandestin et du paradoxe d’Olson) en ce qui concerne la gestion

des biens publics. Ces problèmes constituent les défis majeurs à relever pour que le FIRM soit mis

en place et doté de moyens suffisants pour pouvoir fonctionner. La conclusion d’un traité

international constitue la voie appropriée pour contrôler ces problèmes de l’action collective. Hubbard

et Love (2004 : 1) avaient déjà suggéré l’idée d’un traité international dont l’objectif serait de mettre

en place des mécanismes internationaux de financement de l’innovation pharmaceutique. Ces

auteurs partaient de l’idée sous-jacente aux accords commerciaux comme ceux de l’OMC qui veut

que, sans la force d’un traité international, les pays ne soient pas incités à participer à l’effort

commun, étant donné qu’il est moins coûteux d’attendre que les autres pays aient fait ces

investissements. Ainsi, ce traité inclurait les obligations contraignantes pour les pays de contribuer à

la recherche médicale, tout en établissant des règles de partage équitable du co ût en tenant compte

de la capacité de chaque pays à payer, réglant ainsi le problème de passager clandestin (Moon et al,

2012 : 3). Ce traité devrait porter des précisions sur les principes fondamentaux qui devraient guider

les actions du FIRM, à savoir des dispositions équitables pour le partage équitable des coûts de la

recherche des médicaments188, le libre accès aux produits et aux résultats qui sont dérivés de ces

activités de recherche et l’association de tous les gouvernements à la fixation des priorités et à la

coordination de la R-D, notamment en ce qui concerne les maladies négligées ou rares (OMS, 2012 :

61).

188 Dans cette perspective, un groupe de scientifiques, de politiques et des représentants d’ONG ont élaboré et proposé à l’OMS en 2005 un projet de traité international relatif à la R-D dans le domaine médical, en vue d’établir un cadre cohérent couvrant tant le financement et la disponibilité des résultats que la définition des objectifs de recherche en accordant une priorité à la santé publique (Guesmi, 2011 : 426-427). La proposition n’a pas été suiv ie d’effets, probablement que le cadre n’était pas adéquat ou que les motivations étaient moins convaincantes.

Page 275: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

255

Ainsi, le FIRM doit être conçu de manière à ce qu’une action collective cohérente puisse

émerger malgré la divergence de conception de l’ordre international basé sur un chaos d’objectifs,

d’intérêt et d’une « sédimentation de motivations dissemblables » (Severino & Charnoz, 2008 : 6). On

a conscience des divergences d’intérêts qui caractérisent la communauté internationale

d’aujourd’hui, mais l’idée du FIRM est réalisable189, comme celle du HIF d’ailleurs, notamment par la

mise des taxes sur les flux mondiaux de certains produits dangereux, nocifs ou prédisposant à des

risques de maladies comme les boissons alcoolisées, les aliments sucrés ou gras , le tabac, certains

médicaments génériques, etc. Comme sur le plan interne, la fiscalité internationale est possible et

finira par s’imposer, car on sait que l’État, au sein duquel les taxes sont acceptées, est le fruit d’une

longue évolution à travers l’Histoire. Ce ne sont donc que des ébauches d’une fiscalité mondiale qui

serait susceptible de financer la production des biens publics mondiaux en général (Hugon, 2004 :

286). En effet, la nécessité de ce type de biens n’est plus à démontrer et l’inaction coûte cher : même

pour un nombre limité de biens publics mondiaux, les coûts d’une offre insuffisante se comptent en

milliards de dollars américains par an (Kaul, & al., 2002a : 5). La production ou la gestion des biens

publics mondiaux est devenu un défi auquel il n’est guère possible d’échapper. La seule question qui

vaut la peine d’être posée est celle de savoir comment organiser et gérer la fourniture de biens

publics mondiaux qui se sont imposés comme incontournables pour une vie harmonieuse sur

l’ensemble de la planète devenue une « maison commune » (Kaul, & al., 2002a : 27). Comme pour

les individus de l’état de nature lockien, l’intérêt commun était la prise de conscience de la précarité

de l’état de nature qui ne permettait plus l’épanouissement de tout un chacun, les États doivent

constater que leur intérêt commun est la prise de conscience des désavantages du chaos « de l’état

de nature » de la société internationale actuelle (Battistella, 2007 : 193). L’état actuel de la

coopération internationale va sans doute continuer à évoluer pour aboutir à un autre stade de

solidarité, car, selon Hasbi (2004 : 197), rien ne permet d’affirmer que les États sont les seules

institutions réellement appropriées pour notre société ou même que la manière dont ces États sont

aujourd’hui organisés est la meilleure et la dernière.

189 Mais « les bonnes idées ne réussissent à être implantées que lorsqu’elles attirent l’attention de personnes influentes. N’importe quelle bonne idée a besoin du bon soutien pour avoir du succès ». Bloomberg (2014).

Page 276: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

256

Il est important de souligner à toutes fins utiles qu’il serait prétentieux d’affirmer que la mise

sur pied du FIRM résoudrait tous les problèmes liés à la santé des populations des pays en

développement. C’est en effet un problème complexe dans lequel entrent en jeu plusieurs facteurs,

notamment le problème des structures et des systèmes nationaux de santé, le problème du manque

du personnel qualifié, etc. Ce sont des questions transversales qui n’ont pas été abordées dans cette

recherche et qui peuvent être étudiées dans le cadre d’autres travaux. En outre, la présente thèse

n’a pas abordé les questions liées à la conformité du FIRM aux accords de l’OMC et aux autres

conventions pertinentes en la matière, la question de l’organisation internationale qui l’hébergerait,

étant donné que plusieurs peuvent revendiquer sa paternité en raison de leurs compétences ou

missions (l’OMS, de l’OMC, de l’OMPI, UNESCO, ONU, etc.). Pour cette question, comme pour

d’autres qui n’ont pas été traitées ou même identifiées, d’autres recherches sont nécessaires et sont

vivement souhaitées. De même, le présent travail est critiquable étant donné qu’il n’est pas parfait et

ne prétend pas l’être. Les critiques émanant de la part d’autres chercheurs intéressés par la

problématique étudiée sont les bienvenues en vue de son amélioration.

Page 277: La problématique des brevets et de l'accès aux médicaments

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Annexe :

Capture d’écran du logiciel Propivalo utilisé dans le calcul des redevances des licences190.

190 Source : www.netpme.fr, consulté le 17 janv ier 2014.

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