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    Paul Reisinger

    La politique du montage de l'homme la camra DzigaVertov

    Un dialogue

    Seminar paper

    Document Nr. V89871

    http://www.grin.com/ISBN 978-3-638-04201-7

    9 783638 042017

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    Paul Reisinger

    La politique du montage de

    lhomme la camra

    Dziga Vertov

    Un dialogue

    Histoire de lart

    Cours de matrise

    Collage et montage au 20mesicle

    Semestres dhiver et t 2004/5

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    Remerciements Vanessa

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    Jtais chez Aumont et jai vu le cinmatographe

    Lumire, les photographies animes. Ce spectacle cre une

    impression si complexe que je doute de pouvoir en dcrire

    toutes les nuances. [] Je ne vois pas encore quelle est

    limportance scientifique de la dcouverte des frres Lumire,

    mais je sais que cette importance existe, quon pourra user du

    cinmatographe des fins qui sont celles de toutes sciences :

    lamlioration de la vie de lhomme et llargissement de son

    esprit.

    - Maxim Gorki en 18961

    Der Film ist der beste Lehrmeister, denn er lehrt nicht

    nur durch das Gehirn, sondern durch den ganzen Krper.

    - Vsevolod Pudovkin2

    1Extrait dun article paru dans le quotidienNijegorodskilistokle 4 juillet 1896, cit in : Cahiers du cinma, horssrie, novembre 2000, p. 28.2Cit par Amos Vogel in : Film als subversive Kunst, Kino wider die Tabus von Eisenstein bis Kubrick,Reinbeck bei Hamburg, Rowohlt, 2000 [1997], p. 5.

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    Apologie des Autors

    1. Dieses Buch ist so etwas wie ein Entwurf, kurz

    gesagt, ein Hinweis (fr die Kenner).

    2. Ein Standfoto ist kein Film. Ihm fehlen die

    Dimensionen von Zeit und Bewegung

    unentbehrliche Komponenten der Filmkunst und

    es stellt nur den Bruchteil einer Sekunde aus einem

    ganzen Film dar.

    3. Worte sind nicht die idealen Interpreten fr ein

    visuelles Medium.

    - Amos Vogel3

    Le texte suivant est une tude scientifique et un dialogue.

    Personnages : Le cinaste

    Lhistorien

    3Ibid, p. 9.

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    Plan :

    I) Introduction .............................................................................................................................. 6

    II) Refus de tradition cinmatographique et hypothse ............................................................... 7

    III) Vers une esthtique du kinoglaz .......................................................................................... 10

    IV) Montage comme forme critique........................................................................................... 13

    V) Propagande, ducation et automtarflexion .................................................................. 16

    VI) Lobjectivit du collaborateur.............................................................................................. 22

    VII) La cinphrase...................................................................................................................... 27

    VIII) Rveil et rvolution........................................................................................................... 30

    IX) Lhomme nouveau plus parfait quAdam et le spectateur................................................... 32

    X) Conclusion ............................................................................................................................ 36

    Annexe A Extraits du film ...................................................................................................... 38

    Annexe B Bibliographie.......................................................................................................... 49

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    I) Introduction

    Devant la cinmathque franaise. laffiche : Lhomme la camra (Chelovek s

    kinoapparatom, 1929) de Dziga Vertov. La sance est termine, les spectateurs sortent du

    cinma.

    Le cinaste :Dites-moi, que pensez-vous de ce film ?

    Lhistorien : Il sagit certainement dun chef duvre du cinma sovitique, unique

    dans sa conception.

    Le cinaste : Pourtant jai beaucoup de difficults le placer. Sagit-il dun

    documentaire, dun film de propagande ou dun film davant-garde ?

    Lhistorien :Le film comprend toutes ces caractristiques en soi. Il date de 1929. En

    ce temps, le cinma sovitique avait pass son apothose. Le dbut de lpoque stalinienne

    marque la fin de la nouvelle conomie politique qui anima la production

    cinmatographique entre 1921 et 19284. Lhomme la camra est une charnire

    chronologique entre lart rvolutionnaire des annes vingt et le ralisme sovitique, impose

    par Staline et le Parti Communiste en 1932. Lessence du film me semble nanmoins avoir de

    profondes racines dans lidologie lniniste et lesthtique rvolutionnaire issue du

    constructivisme et du futurisme. Le film comporte des caractristiques provenant de lavant-

    garde, mais il se prsente surtout sous forme documentaire. Vertov, le ralisateur, lui-mme

    en a parl de documentaire potique 5.

    Le cinaste :Le film est trs complexe. Non seulement il est mont partir de plus de

    1700 plans, ce qui correspond plus du double dun film amricain moyen de ce temps, 6mais

    leur signification dans le film est souvent difficile comprendre. Nanmoins, le film me

    rappelle Berlin : Die Sinfonie der Grostadt de Walter Ruttmann de 1927 ou autres

    symphonies urbaines filmiques des annes vingt7. Vertov utilise beaucoup de motifs

    ressemblant au film allemand. Par contre, limprcision de quelques scnes de Lhomme la

    4Pour des informations supplmentaires concernant la situation conomique et ses influences sur le cinmasovitique des annes vingt, consulter : Eric Schmulevitch, Une dcennie de cinma sovitique en textes (1919-1930), Paris, Montral, lHarmattan, 1997 ; et surtout : Bernhard Eisenschitz (direction), Gels et dgels : uneautre histoire du cinma sovitique : 1926-1968, Paris, Centre Georges Pompidou, 2002, pp. 30.5Dziga Vertov parle de ses films en utilisant ce terme in : Dziga Vertov,Aus den Tagebchern, Vienne,sterreichisches Filmmuseum, 1967. Lorthographie de cet ouvrage utilise pour le nom du cinaste lcrituresuivante : Dsiga Wertow . Pour faciliter la lecture, nous avons chang cette orthographie par la suite pourtoutes les rfrence cet uvre.6David Bordwell et Kristin Thompson, Film Art An Introduction, sixime dition, New York, McGraw HillHigher Education, 2001, p. 380.7Cette comparaison est galement faite par Bordwell et Thompson, op. cit., p. 378.

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    camrame frappe. Prenez comme exemple la scne du rveil dune femme.8Il sagit du rcit

    dun oprateur de camra, qui, en filmant un train approchant, prend trop de risques et se fait

    presque craser par la locomotive. Ce trouble provoque le rveil dune femme dormant mille

    lieues de lincident. Lexplication logique est celle dun cauchemar qui provoque le rveil.

    Ceci na pas beaucoup de sens, sauf si on suppose un lien (romantique ou autre) entre

    loprateur de camra et la femme, qui soit dramatis par montage parallle de consquences

    improbables. Dans cette scne, Vertov dcroche la faveur dun kitschromantique, scne qui

    me semble tre spar par un abus de la sobrit motionnelle du reste du film. La stratgie de

    montage de Vertov ne me semble point cohrente. Jose mme citer des contemporains de

    Vertov et ses collgues, critiquant : Quelle horreur ! Ce sont des cordonniers et non des

    cinastes. 9

    II) Refus de tradition cinmatographique et hypothse

    Lhistorien : Permettez-moi que je vous rendre raison. Laissez-moi dabord rpondre

    avec la rplique ironique faite par le constructiviste Alexei Gan ces critiques que vous

    citiez : Donnez-nous davantage de cordonniers de ce genre et tout ira bien. 10 Je vous

    assure que Vertov ntait point simple cordonnier , mais suivait une esthtique la fois

    prcise, propre lui-mme, mais propre aussi aux ides dveloppes pendant son temps en

    Russie sovitique rvolutionnaire. Cest une des raisons pour lesquelles il est considr

    comme un personnage unique de lhistoire du cinma. Ceci est galement la raison pour

    laquelle Lhomme la camra est difficilement comparable Berlin : Die Sinfonie der

    Grostadtor quelques motifs se retrouvent dans les deux films. Il est tout fait certain que le

    cinma europen et amricain inspirait fortement Vertov. Dans son journal intime, il fait

    rfrence Paris, qui dortde Ren Clair11et Charlie Chaplin12. Je considre la relation de

    Lhomme la camraaux symphonies urbaines phmre. Elle provient probablement de

    Mikhail Kaufman, camraman du film, qui ralisa en 1927, deux ans avant Lhomme la

    camra, le film Moskva, portrait dune journe de la mtropole. Tandis que Kaufman

    sinspirait certainement des films europens, ltude de la ressemblance de Lhomme la

    camra ses films ne me semble pas capable de nous lucider les scnes cls, comme celle du

    8Voir Appendice A, images 1 40.9Cit par Vertov lors dun dbat lassociation des Travailleurs du Cinma rvolutionnaire le 26 septembre1923, dont le stnogramme abrg t publi sous le titre Limportance du cinma non-jou , in : cahiers ducinma, n229, mai 1971, pp. 17-18.10Ibid, p. 18.11Le mme,Aus den Tagebchern, op. cit., p. 12.12Ibid, p. 21.

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    rveil de la femme et de nous donner davantages aperus dans la nature de ce film et le

    travail de son ralisateur.

    Llment cl de cette scne et dautres est moins dtermin par lemploi de certains

    motifs, que par la manire dont ces motifs sont monts. Plus prcisment encore, notre tche

    serait ltude de la combinaison du montage avec lemploi de plans ayant des caractristiques

    spcifiques (qui ne concernent pas forcment les objets reprsents, les motifs). la fin de

    cette recherche, nous pourrions peut-tre rinterprter le film dune nouvelle faon et vous

    serez peut-tre prt changer votre jugement.

    Permettez-moi de vous claircir mon raisonnement. La question laquelle nous

    devons rpondre est celle de la nature du montage du travail de Vertov en gnral et celle de

    ce film en particulier, puisque cest le montage qui en constitue la particularit. Une rponse

    ce problme nous fournira non seulement une comprhension approfondie du film, mais

    jettera peut-tre mme une lumire nouvelle sur le patrimoine direct de lesthtique

    vertovienne : lidologie communiste rvolutionnaire.

    Je suppose que le montage de Vertov est dtermin par une certaine weltanschauung,

    par une certaine politique. Pour lucider cette hypothse, pour laffirmer ou la rfuter, nous

    avons besoin dignorer nos connaissances quotidiennes dun montage cinmatographique

    structurant lespace et le temps selon des traditions rglementes, paradigmatiques du cinma

    hollywoodien qui tait en ses principes dj tablit lpoque deLhomme la camra :

    [Il sagit de] constater que, venant aprs la premire

    grande rvolution du cinma, celle de son institutionnalisation

    en tant que spectacle, Vertov en refuse certaines consquences,

    et prne une cinmatographie sans scnographie ni mise en

    scne, et dailleurs sans narrativit ni scnicit, autant que faire

    se peut. 13

    Le cinaste : Je vous suivrai volontiers dans ce discours, mais je me permets de

    demander de quel montage nous parlons. Sagit-il dun montage de diffrents plans, dimages

    ou galement du montage entre musique, son et image ?

    Lhistorien : Le montage entre image et son ou le montage sonore proprement dit

    formant la voie sonore du film, peut tre nglig. Il a une grande importance gnrale, Vertov

    13Jacques Aumont, Le film comme site thorique Lhomme la camrade Dziga Vertov (1929) in :Jacques Aumont,A quoi pensent les films, Paris, Sguier, 1996, p. 50.

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    lui mme en a consacr beaucoup dnergie et de temps, pourtantLhomme la camraest

    un film muet, ltude du son semble avoir une importance rduite.

    Il est vrai que lartiste a transmis des indications trs prcises concernant la musique

    jouer en accompagnant le film mais lide que jai lintention de dvelopper est une ide issue

    de lapolitique des auteurs14, cest--dire une ide qui dpend de choix conscients de lartiste

    Dziga Vertov. Le montage sonore du film ne succombe pas ce principe, puisquil nest pas

    effectu par Vertov ou ses collgues du Conseil des Trois 15. Dautre part, le montage

    sonore devient rellement important que dans les films sonores suivants Lhomme la

    camra, comme par exempleEnthousiasme(1931) ou Trois chants pour Lnine (1934). Pour

    nous simplifier notre travail, je propose de rduire ltude au montage des plans visuels du

    film.

    Pour poursuivre Vertov dans son raisonnement, nous devions dabord lui suivre aux

    origines de la figure du montage. Rappelons-nous que le montage, forme artistique, littraire

    et dialectique, nexiste pas seulement dans le cinma. Georges Sadoul indique le rle gnral

    du montage de la faon suivante :

    Crer de lart par le montage, lassemblage, ou le

    collage dlments enregistrs ou prexistants dans lesquels

    lartiste ntait pas personnellement intervenu, cette ide tait

    dans lair depuis le dbut du XXesicle, dans tous les milieux

    davant-garde europens. Ainsi en tmoignrent durant les

    annes 1910-1920 les papiers colls de Picasso et Braque,

    les pomes conversations (montage de phrases entendus) de

    Guillaume Apollinaire (qui et voulu pouvoir employer le

    phonographe comme un moyen dexpression), les sculptures

    assemblant des objet manufacturs (ou autres) de Duchamp,

    Max Ernst, etc., les pomes dadastes puis surralistes,

    composs des titres dcoups dans les journaux, ou des

    phrases, ou des dpches, ou des stnogrammes, etc. 16

    14Voir, par exemple, Andr Bazin, De la politique des auteurs in : cahiers du cinma, n70, avril 1957, pp. 2-11.15Le groupe est fond en 1922 par Vertov (Dziga Vertov tant un pseudonyme remplaant son vrai nom, DenisAbramovich Arkadivitch Kaufman), son pouse Elisabeth Svilova, montrice, et son frre Mikhail Kaufman,camraman. Nanmoins les trois travaillrent dj ensemble en 1919 au plus tard et Vertov achvera la majoritde ses films, dontLhomme la camra, avec le soutient de ses deux collaborateurs. Vertov peut tre considrchef artistique et thorique du Conseil des Trois .16Georges Sadoul, Actualit de Dziga Vertov in :cahiers du cinma, n144, juin 1963, pp. 24-25.

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    Cest la rfrence des lments enregistrs dans lequel lartiste ntait pas

    personnellement intervenu qui nous indique la direction vers une solution de notre

    problme.

    III) Vers une esthtique dukinoglaz

    Puisque vous proposiez une analyse de la squence du rveil dune femme et vous

    parliez dun rcit incomprhensible ou peu convaincant, permettez moi de citer Vertov qui ne

    sexprime pas uniquement contre toute forme de rcit, mais contre tout ce qui pouvait

    ressembler un art cinmatographique fraternisant avec littrature ou thtre, forme de

    cinma quil appelle le cin-drame et qui, pour lui, est en ligne avec la religion, ennemi de

    tout communiste sovitique :

    Le cin-drame et la religion sont des armes mortelles

    entre les mains des capitalistes. Par la dmonstration de notre

    quotidien rvolutionnaire, nous arracherons ses armes des

    mains de lennemi. 17

    Vertov, ds le dbut de son travail une esthtique de cinma, affirme que lavenir de

    lart cinmatographique devait tre la ngation de son prsent18. Il baptise cet avenir kinoglas,

    cin-il . Linitiateur du kinoglas, le Conseil des Trois et, plus gnralement, toute

    personne adoptant sa thorie, esthtique et technique, se considre kinok. Comment diffrent

    les rsultats de la recherche du kinoglazdune esthtique tablie employant un rcit plus ou

    moins narratif ?

    17Dziga Vertov, Instructions provisoires aux cercles Cin-oeil [initialement publi en 1926] in : cahiers ducinma, n229, mai 1971, p. 14. Beaucoup de manifestes thoriques de Vertov, entre autres ceux cit dans cetravail, sont galement publis in : Dsiga Vertov,Aus den Tagebchern, op. cit.,et Franz-Josef Albersmeier(d.), Texte zur Theorie des Films, Stuttgart, Reclam, 2001 [1998]. A cause de la traduction parfois nigmatiquede certaines expressions de Vertov, ltude des diffrentes traductions peut jeter de la nouvelle lumire sur sesintentions.18Le mme, Nous [initialement publi en 1919] in :cahiers du cinma, n spcial 220/221, mai/juin 1970, p.7.

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    Le cinaste : Vous dites que le kinoglaz reposait essentiellement sur une thorie

    spcifique du montage ?

    LHistorien :Exactement. Vertov distingue deux types de montages :

    Die eine Aufgabe ist es, das Publikum mit den

    Filmdokumenten bekannt zu machen, sie in einer bekannten

    Ordnung (meist chronologisch) vorzufhren und mit einem

    Begleittext zu versehen.

    Eine ganz andere Aufgabe steht vor Ihnen, wenn das

    Thema kompliziert ist und Sie fr seine Gliederung nur

    vereinzelte Kader gebrauchen knnen, die,

    nebeneinandergereiht, nicht mehr sind, als Buchstaben des

    Alphabets. Sie mssen aus den Buchstaben Worte bilden, aus

    den Worten Phrasen, aus den Phrasen Artikel, Abrisse,

    Gedichte und so weiter. Das ist nicht mehr Montage, sondern

    Filmschrift. 19

    La premire forme de montage structure les images du film pour la plus part

    chronologiquement. Ceci correspond un montage traditionnel. La deuxime forme,

    montage dans le temps et dans lespace 20 emploie une dfinition plus vaste. Vertov

    explique ce concept en supposant une squence dimages :

    [On] descend dans la tombe les cercueils des hros du

    peuple (vue prise Astrakan en 1918). On comble une fosse

    (Cronstadt 1921), les salves des canons (Ptrograd 1920), on

    rend hommage leur mmoire, on enlve les chapeaux

    (Moscou 1922). De telles choses se combinent lune avec

    lautre, mme si lon utilise un matriel mdiocre, et qui na pas

    t tourn spcialement (voir Kino-Pravda n13). On peut citer

    de mme le montage des foules et des voitures acclamant

    Lnine (Kino-Pravda n14), vues prises dans des endroits

    diffrents, des poques diffrentes. 21

    19Le mme,Aus den Tagebchern, op. cit., pp. 149-150.20Le mme, Kinok-Rvolution [initialement publi en 1923] in : cahiers du cinma, n144, juin 1963, p. 33.21Ibid, pp. 33-34.

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    Le cinaste : Je comprends. Cest ainsi que sexplique la squence du film que je

    nommerai carrefours de la vie . On voit des carrefours frquent, tout est anim. Entre ces

    plans interviennent quelques autres dcrivant mariage, divorce, naissance et mort.22Les plans

    proviennent de diffrents temps et espaces. Ils ne sont pas forcment films dans la mme

    ville ou pendant une mme anne.

    Lhistorien : Oui. Le point important est que Vertov nessaye jamais de masquer ce

    fait comme lest fait dans un film narratif qui simule un voisinage entre une chambre filme

    dans un studio et un extrieur enregistr mille lieux de ce studio. Les htrognits de lieu

    et temps sont au contraire des lments cruciaux de lesthtique de Vertov. Ils ne sont pas

    toujours peru comme tel, mais ils sont toujours prsents.

    Libr du cadre temporel et spatial, je juxtapose nimporte quel point de lunivers,

    fix par moi nimporte o. 23Cette esthtique correspond un principe spcifique issu de la

    formation de Vertov, qui a commenc sa carrire cinmatographique en remontant des

    actualits et des films provenant de louest. Il sagissait dabord dune censure de scnes ou

    plans considrs dtre porteurs de propagande bourgeoise, mais Vertov exprimente bientt

    avec des plans issus de diffrents films et actualits pour les combiner et pour en tudier les

    effets.

    Le cinaste :Cette technique semble tre un anctre dufound footage, souvent utilis

    au cinma de lavant-garde.

    Lhistorien : Oui, pourtant il existe quelques diffrences : au contraire du found

    footage, qui accentue plus lhtrognit de diffrents supports de films et lhtrognit de

    la source du matriau, la mthode de Vertov met plus en valeur la temporalit et spatialit

    diffrente des plans au moment de leur enregistrement. Dans le cas de Lhomme la camra

    il ne sagit dailleurs presque jamais de plansfound, mais de plan shot (par Kaufman). Ainsi

    lutilisation du terme found footage me semble problmatique. Vertov lui-mme propose un

    terme : lintervalle . Georges Sadoul essaye dlucider sa signification :

    Quel est pour Vertov le sens du mot intervalle, pass

    du franais dans la langue russe avec le mme triple sens :

    1 distance dun lieu un autre (Littr) ;

    2 distance dun temps un autre (Littr) ;

    22Voir Appendice A, images 41 64.23Dziga Vertov, Kinok-Rvolution II [initialement publi en 1923] in : cahiers du cinma, n146, aot 1963,p. 18.

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    3 subjectivement, diffrence de hauteur entre deux

    sons . Physiquement, leur rapport de frquence. []

    Au mot intervalle, Vertov donnait dabord son sens

    musical, tel quil lui avait t enseign au Conservatoire. Cette

    troisime dfinition lavait conduit une quatrime, purement

    cinmatographique : Collure, raccord, entre deux bouts de film,

    donc passage de plan (dun lment filmique) un autre. Ce qui

    supposait presque toujours un changement de lieu et un

    changement de temps. 24

    Tandis que le terme intervalle dsigne ici plutt lespace entre deux plans monts

    que les caractristiques (temporalit et spatialit spcifique) des plans mmes, lutilisation du

    terme me semble justifie en parlant de la nature des plans employs par Vertov. Il sagit

    exactement du phnomne duquel nous parlions. Lhomme la camra est donc mont

    partir dintervalles et non pas de found footage. Lemploi dintervalles runissant des

    morceaux de pellicules provenant de diffrentes parties du monde se rapporte la structure de

    la pense dialectique (confrontation dlments loigns ou opposs), mais pourrait tre aussi

    interprt comme un vu dunification du monde proltarien. Isole, cette proposition me

    parat encore peu convaincante, mais je vais llaborer par la suite et rajouter des exemples

    celui de lintervalle. Retenons pour linstant simplement que ce concept dintervalle peut tre

    compris comme un premier symptme cintique dun programme politique.

    IV) Montage comme forme critique

    Linspiration principale conduisant llaboration de lintervalle est sans doute le

    futurisme, dont Vertov tait adepte. F.T. Marinetti, futuriste de premier ordre, dveloppe la

    thorie dun discours mtaphorique reposant sur le montage dentits arraches de leur

    contexte (entits linfinitif ) conduisant des analogies entre ces entits. Ce nouveau

    discours visait la destruction de toute syntaxe traditionnelle :

    24Georges Sadoul, Dziga Vertov par Georges Sadoul in : cahiers du cinma, n spcial 220/221, mai/juin1970, p. 23.

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    Dtruire la syntaxe. Employer le verbe linfini, abolir

    dadjectif et ladverbe, donner chaque substantif son double

    (exemples : homme-torpille, femme-rade, place-entonnoir,

    etc.), former des filets dimages et danalogies, instaurer le

    maximum de dsordre et dtruire le Je dans la littrature. 25

    Transmis dans le domaine du cinma, ceci amne un raisonnement autant envers le

    refus du cinma traditionnel que vers une esthtique de plans arrachs de leurs continuits

    temporelles et spatiales monts en intervalles. Il est possible de retrouver ici des

    ressemblances avec la dfinition du montage dialectique de Vincent Amiel :

    Juxtaposant deux ralits a priori sans commune

    mesure, ce montage qui devient discours , et que lon

    pourrait donc appeler plus largement montage discursif ,

    oblige chacune de ces ralits prendre un sens nouveau, tre

    regarder autrement, enter dans la logique dune signification

    diffrente. 26

    Le cinaste : Ce sens nouveau des images est utilis dans le film pour comparer le

    bar au club proltarien, labus de lalcool au jeu dchec, pour dnoncer les premiers et

    favoriser les seconds.27Le montage discursif est une sublime mthode de critique.

    Lhistorien : Nombreux auteurs emploient, sous-entendu ou non, le concept du

    montage discursif pour interprter celui de Lhomme la camra comme un montage

    organis au moins partiellement par la volont de critique sociale.28Ce montage serait utilis

    pour critiquer la nouvelle conomie politique, la NEP, qui autorisait une rmergence de

    petits et moyens bourgeois gagnant leur pain par une reprivatisation de certaines entreprises et

    secteurs, et labus rpandu de lalcool.

    25F.T. Marinetti, extrait dun tract publi par la Direction du Mouvement futuriste, cit par Georges Sadoul dans Dziga Vertov par Georges Sadoul , op. cit., p. 19.26Vincent Amiel,Esthtique du montage, Paris, Nathan, 2002, p. 43.27Voir Appendice A, images 56 80.28Lire par exemple : Vincent Amiel, op. cit., p. 47 ; Bordwell et Thompson, op. cit., p. 379 ; ou encore : VladaPetric, Constructivism in Film : The man with the movie camera : a cinematic analysis, Cambridge, NewYork, Melbourne, Cambridge University Press, 1987; ce dernier ouvrage comporte lanalyse la plus dtaille surce niveau mthodologique.

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    Walter Benjamin remarque a propos de la censure sovitique :

    Die grte Zensurfreiheit geniet in Ruland die

    Literatur. Weit genauer beaufsichtigt man das Theater un dam

    schrfsten den Film. Diese Skala ist proportional der gre der

    jeweiligen Zuschauermasse. 29

    Vertov produisait-il de lart subversif au programme de ltat? Essayait-il de masquer

    sa critique par un montage discursif pour passer la censure? Cela me semble peu probable.

    Vertov intgre certainement de la critique dans ses films, mais toujours dans une mesure qui

    ne provoque pas le rgime et, plutt au contraire, en jouant sur le rle positif du rgime et son

    pouvoir rsoudre tous les problmes ; les causes des problmes provenant selon Vertov de

    circonstances non favorables et desprit bourgeois. Vertov est un artiste profondment

    proltarien, adepte indubitable du lninisme. Il est ainsi en accord avec Anatoli

    Lounatcharski30, Commissaire du Peuple lInstruction Publique, responsable de la censure

    et du cinma sovitique des annes 1920, qui reprsente le pouvoir sovitique auprs des

    artistes et des intellectuels, avec pour objectif essentiel de les persuader de collaborer avec le

    nouveau rgime 31. Lounatcharski affirme : Qui est contre la bourgeoisie est avec nous 32.

    Le cinaste :Cest alors dans cette mesure que le montage de Lhomme la camra

    peut tre considr comme politique ? Sagit-il dun moyen, travers un montage discursif,

    de critique rvolutionnaire?

    Lhistorien :Ceci ne couvre quune partie de notre problme. Son noyau reste intact.

    En considrant le montage dialectique comme tant le principal systme de montage de

    Lhomme la camra, nous affirmons que ce montage est soumis une politique.

    Nanmoins, ce montage ne serait pas lie une politique spcifique puisquil serait capable

    de toute sorte de critique dans toute sorte darrire-plan, or jai mentionn dans mon

    hypothse une politique de montage spcifiquement lie la politique sovitique. Pour

    distinguer les deux formes de montages, jappellerai la premire, non spcifique une

    politique sovitique, employant ventuellement une figure dialectique montage soumis

    une politique propre au montage , et la deuxime, dans sa structure et son fonctionnement

    29Walter Benjamin, Zur Lage der russischen Filmkunst [initialement publi en 1927], in :MediensthetischeSchriften, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2002, p. 343.30Pourtant Lounatcharski sest oppos (au moins partiellement) certains aspects de la politique culturelle deLnine.31Eric Schmulevitch,op. cit., p. 8.32Anatoli Lounatcharski, cit in : ibid.

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    profondment lie une politique communiste rvolutionnaire de lunion sovitique des

    annes 1920, montage politique sovitique . Ayant atteint ce point de distinction, il nous

    reste lucider la deuxime forme, majeure dans le cas de Dziga Vertov. Il nous faut

    quexaminer sa thorie et pratique sous la perspective de la doctrine politique russe.

    V) Propagande, ducation et automtarflexion

    Lnine, dans un entretient avec Lounatcharski rappelle celui-ci limportance du rle

    que joue le cinma dans un monde communiste : Vous qui passez chez nous pour le

    protecteur des arts, vous devez absolument vous souvenir que de tous les arts, le plus

    important pour nous, cest le cinma. 33Dautre part, il reconnat le potentiel propagandiste

    et ducatif de ce nouvel art :

    Tant quil tait entre les mains de vulgaires mercantis,

    [le cinma] apportait plus de mal que de bien, en corrompant

    frquemment les masses par le contenu ignoble de ses uvres.

    Mais naturellement, quand les masses semparaient du cinma

    et quand il serait aux mains de vritables militants de la culture

    socialiste, il apparat comme lun des plus puissants moyens

    dinstruction des masses. 34

    Lounatcharski institutionnalise au fur et mesure ses tendances de refus du cinma

    bourgeois, dinstruction et de propagande. Il distingue fortement les caractristiques du

    cinma bourgeois et celles du cinma sovitique :

    Il va de soi que la cinmatographie sovitique ne peut

    tolrer dans ses films : ni les tendances politiques social-

    bourgeoises, ni la glorification des vertus bourgeoises, ni les

    lments corrupteurs et criminels prsents sous une forme

    attrayante. Rien de cela na sa place dans le cinma

    sovitique. 35

    33Lnine, cit par Anatoli Lounatcharski en 1925, Entretien avec Lnine sur le cinma , in : EricSchmulevitch, op. cit., p. 134.34Le mme, cit par Eric Schmulevitch, op. cit., pp. 15-16.35Anatoli Lounatcharski en 1924, Idologie rvolutionnaire et cinma. Thses. , in : Eric Schmulevitch, op.cit., p. 104.

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    Il ne sagit pourtant pas de refuser toute propagande tendancieuse du cinma. Il ne

    sagit jamais de crer un cinma objectif , mais de sapproprier des techniques

    tendancieuses du cinma bourgeois pour les utiliser selon ses propres fins :

    Nous devons nanmoins imiter la bourgeoisie en ceci

    que nous devons, autant que possible, raliser des films

    tendancieux, cest--dire des grands films que traverse, cousue

    de fil blanc une certaine pense instructive. [ Tous] les sujets

    sont possibles, ralistes, romantiques et mme franchement

    fantastiques, ds lors quils assurent la promotion de hros

    rvolutionnaires qui inspirent la sympathie et la fiert en faveur

    des classes rvolutionnaires. 36

    Ainsi, le contenu nouveau, communiste, [du cinma sovitique] apportera peut-tre

    avec lui des formes nouvelles, non moins populaires, non moins captivantes. 37

    Lounatcharski affirme que lart cinmatographique [est] un instrument de premire

    importance, peut-tre mme ingalable, pour diffuser des ides de toute nature 38 et que

    linstruction, au sens large de ce terme, consiste diffuser des ides parmi des intelligences

    trangres ces ides. Le cinmatographe peut faire tout cela, et bien plus encore, avec une

    force considrable. 39

    Il sagit, au bout du compte, de faire des bolcheviks avec des images 40. Cette

    formule exprime peut-tre mieux le but ultime du cinma selon Lounatcharski, Lnine et le

    rgime sovitique.

    Le cinaste : Le symbole emblmatique de cette mission dans le film est le

    navire Lnine qui semble amener la foule travers une mer mouvement vers un futur

    promettant.

    36Le mme, Idologie rvolutionnaire et cinma. Thses. , in : Eric Schmulevitch, op. cit., p. 104.37Le mme en 1925, Du cinma , in : Schmulevitch, op. cit., p. 152.38Le mme, Idologie rvolutionnaire et cinma. Thses. , in : Eric Schmulevitch, op. cit., p. 103.39Le mme en 1919, Les objectifs de lactivit cinmatographique dEtat en RSFSR , in : Eric Schmulevitch,op. cit., p. 23.40Eric Schmulevitch, op. cit., p. 16.

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    Lhistorien : Un problme majeur de la population russe tait lducation. Eric

    Schmulevitch accentue limportance du rle que joue Lounatcharski dans ce domaine :

    [Anatoli Lounatcharski, nouveau Commissaire du

    Peuple lInstruction Publique] est charg de mettre en place et

    dorganiser un systme ducatif nouveau, dinspiration

    socialiste, dans un pays aux trois-quarts illettr : ducation

    gratuite et obligatoire dans un rseau dcoles tendu

    lensemble du pays : Qui est analphabte apprend, qui est

    alphabtis apprend aux autres .41

    Lenjeu pour le cinma sovitique ntait donc pas seulement de faire des bolcheviks

    avec des images , mais dabord faire comprendre aux futurs bolcheviks la lecture. Plus

    spcifiquement, je parle de deux formes de lecture diffrentes. Premirement, il sagit de faire

    apprendre aux illettrs lcriture.

    En ce qui concerne le cinma, lillettrisme a une influence considrable sur la

    comprhension dun film, puisque nous nous trouvons lpoque du muet, ce qui signifie

    quune grande partie des informations transmis aux spectateurs pendant une sance de cinma

    se prsente sous forme dintertitres correspondant par exemple aux dialogues des

    protagonistes. Une solution intressante t trouv ce problme :

    Pendant le cours du film, il convient dexpliquer

    laction, le contenu du film. Lun des camarades lit les sous-

    titres haute et intelligible voix. Il est parfois prfrable den

    traduire le sens avec dautres mots, plus comprhensibles et

    plus intressants. [] Il arrive quune explication du contenu

    agace les spectateurs, empche lauditoire de vivre laction qui

    se droule sur lcran. Inutile dexpliquer ce qui est vident,

    cela va de soi. 42

    Le cinaste :PourtantLhomme la camrane comporte aucun intertitre

    41Ibid,p. 8.42Edition de la Section dEducation Populaire de Rybinsk, Comment organiser un travail dducation politique partir dune sance de cinma , in : Schmulevitch, op. cit., p. 254.

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    Lhistorien : Exactement. Ce fait peut tre compris comme rponse au problme

    expos auparavant. Vertov transmet le problme de lillettrisme au langage

    cinmatographique. Il omet toute forme dintertitre pour dvelopper un nouveau langage,

    indpendant de lettres et de mots, un langage purement cinmatographique, ce qui rpond

    une deuxime forme dillettrisme corrle la premire : la lecture cinmatographique, qui

    conduit la comprhension dun montage dimage et de sons et repose sur une sorte de

    grammaire cinmatographique. Christian Metz dveloppa sa thorie smiologique du

    cinma sur ce raisonnement.

    La ncessit de lapprentissage dune grammaire cinmatographique ne nous semble

    pas probable, pourtant Walter Benjamin constate quil existe vritablement non seulement un

    illettrisme proprement dit, mais galement un illettrisme cinmatographique dans la

    population paysanne russe :

    Es hat sich beispielsweise gezeigt, da lndliches

    Publikum nicht imstande ist, zwei simultane Handlungsreihen

    aufzufassen, wie jeder Film sie hundertfach enthlt. 43

    Les spectateurs paysans ne seraient pas capables de comprendre la signification dun

    simple montage parallle. Vincent Amiel affirme que toute forme de montage, toute figure

    structurelle dimages porteuse de signification, est jamais naturellement compris, mais fruit

    dune acquisition culturelle longue et complexe :

    Plus quil ny parat au premier abord, le montage a d

    simposer peu peu, forcer nos habitudes de spectateurs, jouer

    de conventions toujours plus labors. Il nest que de constater

    la facilit avec laquelle les tlspectateurs acceptent aujourdhui

    une folle succession dimages, des superpositions et un rythme

    denchanements que lon naurait pas imagins il y a encore

    trente ans, il nest que de voir lvolution de nos regards vis--

    vis de ces formes de montage pour raliser quel point ses

    formes et ses techniques sont lies un contexte culturel, des

    supports particuliers, des volonts de reprsentations du

    43Walter Benjamin, op. cit., p. 345.

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    monde dont la diversit et lefficacit dpassent largement notre

    conscience. 44

    En 1920, le paysan russe se trouve au tout dbut de cet apprentissage, et Vertov en

    profite pour repenser le langage du cinma du dbut et crer une esthtique propre au cinma

    rvolutionnaire sovitique.Lhomme la camraest suppos fonctionner selon cette nouvelle

    grammaire dvelopp pendant des annes au montage de la kino-pravda, bande dactualits

    sovitiques et dautre projets du kinoglasdu Conseil des Trois . De cette manire, Vertov

    enlve son film toute spcificit linguistique pour crer une cinmatographie proltarienne

    mondiale, indpendante de langues rgionales.

    Lors dune question rtrospective sur le rle du film et les impratifs politiques poss

    la cinmatographie rvolutionnaire, Vertov tmoigne de ce procs interminable qua t la

    recherche dune nouvelle grammaire du cinma :

    Aucun film documentaire ou jou na encore

    entirement rpondu ces impratifs politiques.LHomme la

    camra, sorti en priode de crise du cinma (crise non pas

    thmatique, car il y avait des sujet revendre, mais plutt crise

    des moyens dexpressions), sorti en qualit de film ayant une

    destination spciale, visant colmater une brche dans le

    secteur du cin-langage, propager dans le pays la

    cinmatographie, ne prtend pas remplacer ou clipser nos

    autres ralisations. 45

    La relativisation apparente de cette citation de 1930 est certainement une concession

    une politique artistique sapprochant plus de la propagation dun art rvolutionnaire quedu

    ralisme sovitique. Le ton des premiers manifestes du Conseil des Trois vers 1920 est

    beaucoup plus radical, dogmatique et rvolutionnaire.

    Le cinaste : Votre dernire citation me donne occasion douvrir un autre champ

    thmatique lie au montage deLhomme la camra : celui de lautomtarflexion46. Le titre

    44Vincent Amiel, op. cit., p. 1.45Dziga Vertov, Rponses des questions [initialement publi en 1930] in :cahiers du cinma, n spcial220/221, mai/juin 1970, p. 16.46Pour lhistoire de lautomtarflexion du cinma et du montage avantLhomme la camra, voir BernardEisenschitz, op. cit.,p. 30.

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    du film en est tmoin, mais surtout la scne de montage47me vient en tte. Vertov parle de la

    propagation dun nouveau cin-langage . Quest-ce que ceci implique propos de la

    production cinmatographique reprsente dans le film ?

    Lhistorien : Le film emploie en gros deux formes dautorflexion : Vertov montre

    aux spectateurs le fil de production. Il montre lhomme la camra, Mikhail Kaufman,

    tournant, il montre Elisabeth Svilova la table de montage, il prsente mme un miroir aux

    spectateurs et montre la salle de projection48. Le dveloppement du cin-langage peut tre

    observ tout au long du film. La pellicule expose par loprateur est prsent comme fil tiss

    par la monteuse49.

    Lautre forme dautorflexion est celle de lexposition de la nature filmique de

    Lhomme la camra travers son montage qui refuse toute tradition narrative et devient

    donc irritant pour le spectateur. Nombre dexemples se trouvent dans le film qui, dans cette

    mesure, fait tout fait partie dune avant-garde cinmatographique. Tous les effets spciaux

    de montage, comme leffet de stop-motiono un objet inanim sanime par montage50, font

    partie de cette catgorie.

    Le cinaste : Quelle est limportance de cette mise en valeur du moyen au lieu du but,

    le rle de lautorflexion dans le film ?

    Lhistorien : Vertov lui-mme en donne la rponse :

    Si, dansLhomme la camra, ce nest pas le but qui

    est mis en relief, mais le moyen, cest de toute vidence parce

    que le film avait, entre autres, la tche de prsenter ses moyens

    au lieu de les dissimuler comme il tait usage dans les autres

    films. Puisque lun des buts du film tait de faire connatre la

    grammaire des moyens cinmatographiques, il aurait t

    trange de dissimuler cette grammaire. 51

    Le cinaste : Lautorflexion sert provoquer une rflexion du spectateur sur le

    mdium. Elle est de cette manire la figure principale dducation.

    47Pour la scne de montage confre lAppendice A, images 81 96.48Voir Appendice A, images 97 - 104.49Voir Appendice A, images 105 - 120.50Voir Appendice A, images 121 - 136.51Dziga Vertov, Lamour pour lhomme vivant [initialement publi posthume en 1958] in : cahiers ducinma, n238/239, mai/juin 1972, p. 62.

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    VI) Lobjectivit du collaborateur

    Lhistorien : Vertov distingue deux lments fondateur de son esthtique : Nous

    dfinissons luvre cinmatographique en deux mots : Le montage du Je vois . 52Cette

    formule indique limportance quivalente du montage et du Je vois .

    Le cinaste : Que signifie cette expression nigmatique le Je vois ?

    Lhistorien : Vertov suit pendant le tournage des rgles aussi strictes quau montage.

    Ces rgles sont formules dans ses manuscrits, manifestes et entretiens. Lintrt se trouve

    dans les caractristiques spcifiques des plans, dans le Je vois du kinok. Suite ce terme,

    Vertov dclare :

    Le champ visuel, cest la vie ;

    Le matriau de construction pour le montage, cest la

    vie ;

    Les dcors cest la vie ;

    Les artistes, cest la vie. 53

    Le cinaste : La vie correspondrait-elle une forme dauthenticit ? Pourriez-vous

    expliquez cette mtonymie en dtail ?

    Lhistorien :Selon Vertov, le plan filmique ( limage ) correspond une vrit, une

    ralit, et jamais une mise en scne considre hypocrite :

    Le Cin-il sous-entendait tous les procds du

    cinma, tous ses moyens de reprsentation, tout ce qui peut

    servir dcouvrir et servir la Vrit.

    Par le Cin-il, pour le Cin-il, mais avec la vrit

    des moyens et des possibilits, cest--dire le Cinma-Vrit.

    Pour la prise de vue limproviste, par la prise de vue

    limproviste, mais pour montrer, grce elle, les gens sans

    maquillage, pour les saisir avec lil de la camra, au moment

    o ils ne jouent pas, pour mettre nu leurs penses grce la

    camra. Le cinma comme possibilit de rendre visible

    linvisible, dclairer lobscurit, de mettre jour ce qui est52Le mme, Limportance du cinma non-jou , op. cit., p. 18.53Ibid.

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    cach, de mettre nu ce qui est masqu, le jeu sans le jeu, le

    mensonge vrit, cest cela le Cinma-Vrit. 54

    Le cinaste : Vertov est en ce point un vritable documentariste, pourtant cette

    authenticit des plans nest pas valable pour lensemble de son uvre, ni pourLhomme la

    camra. Pensez au plan du pied de loprateur de camra attach aux rails pendant la

    squence du rveil dune femme 55. Je ne peux pas imaginer que ce plan soit authentique

    dans le sens o il nest pas mis en scne. Dautre part, Kaufman film pourrait tre considr

    comme mis en scne.

    Lhistorien : Le cinaste emploie certaines stratgies pour atteindre une authenticit.

    Vous avez raison que quelques plans du film ne sont pas documentaires dans la mesure o le

    sujet film tait conscient de la camra et ragit selon la volont du cinaste, pourtant ces

    plans sont plutt rares.

    Lauthenticit des plans est encore plus diffracte par certains concepts de Vertov qui

    mritent une tude. Pour commencer, il faut sinterroger sur la nature du Cin-il , du

    kinoglaz.

    Le Cin-il, alliance de la science et des actualits

    cinmatographiques, dans le but de nous battre pour le

    dchiffrement communiste du monde ; tentative faite pour

    montrer la vrit lcran par le Cin-Vrit. 56

    La camra est un outil de dchiffrement du monde, un dchiffrement originalement

    accompli par lil humain, dont on devrait, selon Vertov, se mfier :

    Des sicles de domination de la bourgeoisie ont

    pervertie lessence de la vue, mais la vue reste le moyen

    fondamental dapprhension et de connaissance du monde. La

    tche du cinma est donc de voir mieux que les yeux. 57

    54le mme en 1940, cit par Georges Sadoul dans Actualit de Dziga Vertov , op. cit., p. 30.55Voir Appendice A, image 18.56Dziga Vertov, Naissance du Cin-il [initialement publi en 1919] in :cahiers du cinma, n spcial220/221, mai/juin 1970, p. 8.57Jacques Aumont, op. cit., p. 47.

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    laide de la camra, Vertov peroit et enregistre une nouvelle ralit : Ma voie

    vers la cration : une vision nouvelle du monde. Voil que je dchiffre dune manire

    nouvelle le monde qui vous est inconnu. 58

    Le cinaste : Quelques scnes du film semblent tres emblmatiques de cette

    amlioration de lil humain, cette correction par la technologie. Pensez la scne des

    jalousies persiennes59, mais galement du plan final, du kinoglaz qui intensifie (lentille) et

    protge (diaphragme) lil humain60.

    Lhistorien : Votre mention du double rle du kinoglaz la fois intensificatrice et

    protectrice de lil humain - et par consquence de la pense humaine - est trs valable.

    Effectivement, Vertov dit du rle protecteur de son cinma : Le domaine du cin-il est un

    domaine neuf, et il faut largir avec prudence la portion offerte au spectateur pour ne pas le

    fatiguer et ne pas le pousser dans les bras du drame artistique. 61

    La camra joue un multiple rle chez Vertov. Elle sert la fois enregistrer la ralit

    et modifier, adapter et amliorer lil humain embourb par une pense bourgeoise. Elle

    reprsente de cette faon une base objective, incorruptible, de la perception du monde.

    La camra est une machine instinctive et intgre, donc loutil lgitime dune

    rvolution socialiste se donnant raison. Selon Vertov, limage quenregistre la camra est une

    essence dsindividualis de la ralit, base de construction dune pense socialiste, lettre

    fondatrice dune nouvelle grammaire, dun cin-langage .

    Le cinaste : Le concept du kinoglazest-il matrialiste ?

    Lhistorien : Pour Vertov, technologie, industrie et machines sont des vritables

    ftiches :

    Ich frchte mich, meine Einstellungen zu diesem

    Werk mit dem Wort verliebt zu bezeichnen. Aber ich mchte

    wirklich diese gigantischen Schornsteine und schwarzen

    Gasspeicher an mich drcken und streicheln 62

    Luvre de Vertov est issu dune tradition matrialiste, futuriste et constructiviste.

    Matrialiste puisque lartiste engendre une foi inpuisable en un monde objectif visualis

    travers une technologie considre objective, futuriste cause de sa croyance en une

    58Dziga Vertov, Kinok-Rvolution II , op. cit., p. 18.59Voir Appendice A, images 137 152.60Voir Appendice A, images 153 156.61Dziga Vertov, Instructions provisoires aux cercles Cin-oeil , op. cit., p. 16.62Le mme,Aus den Tagebchern, op. cit., p. 18.

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    apothose industrielle prochaine librant le proltariat dont le rle sera dlaborer la sensation

    et le ratiohumain, constructiviste dans la mesure o il affirme leffacement des frontires

    entre art et vie pour changer la vie travers lart (le cinma).

    Le cinaste : Je retiens que la camra nest point quoutil denregistrement dimages,

    mais plutt tmoin ultime de la ralit objective, partir de laquelle il serait possible de

    dtruire une Weltanschauungbourgeoise pour la remplacer avec une autre, suppose raliste,

    socialiste.

    Lhistorien : ct de cet aspect existent dautres caractristiques du plan filmique

    vertovien. Vertov et Kaufman font par exemple toujours attention la distance de la camra

    lobjet film. Jacques Aumont en formule la consquence :

    [La] distance ni trop grande ni trop faible qui permet

    dassurer, et de traduire limage, la co-participation du

    travailleur et du kinok, cet autre travailleur, la mme cause

    socialiste. Rgle si gnrale que sa rciproque est le plus

    souvent vraie : ceux qui sont montrs en plan rapproch ne

    peuvent tre que des membres authentiques du corps

    sovitiques [] Le filmage des bourgeois en voiture, avec la

    radicale sparation entre loprateur et les sujets films,

    lostentatoire mise en scne du tournage comme capture,

    confirme la rgle a contrario. 63

    Le filmage des bourgeois en voiture64indique galement un autre principe de Vertov :

    Aus dem Reglement der Kinoki - Allgemeine Hinweise fr alle Aufnahmen: Die Kamera ist

    unsichtbar. 65 La camra est invisible66. Personne ne doit regarder dans la camra, or les

    bourgeois le font. Benjamin explique la pratique du principe de la camra invisible lors du

    tournage du filmLa sixime partie du monde(1926) :

    Whrend vor einer Attrappe die Primitiven

    irgendwelche Posen annehmen, werden sie kurze Zeit nachher,

    wenn sie alles beendet glauben, wirklich gefilmt. Die gute neue

    63Jacques Aumont, op. cit., p. 55.64Voir Appendice A, images 157 - 168.65Dziga Vertov, Kinoglaz , in : Texte zur Theorie des Films, Stuttgart, Reclam, 2001 [1998], p. 53.66Emergence dune contradiction possible : linvisibilit de la camra et le refus de dissimuler les moyens (cf. p.17)

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    Parole Los von der Maske! hat nirgends mehr Bedeutung als

    im russischen Film. 67

    Seuls les primitifs et les bourgeois se montrent donc irrits et irritants en regardant

    la camra pendant quon les filme.68 Les vrais proltariens sont pour Vertov lexception

    rjouie.

    Dans la vie, chacun de nous vaque ses affaires sans empcher les autres de

    travailler. Laffaire des kinoks, cest de nous filmer sans nous empcher de travailler. 69

    Selon Vertov, le cinaste fait partie du collectif, ne gne pas le travail des autres et fait son

    travail lui en parallle (montrer celui des autres travers le cinma).

    La vise de lHomme la camra, sa vise explicite et

    avoue, est double : cest un film de militant et de croyant, qui

    veut constituer avec vigueur une imagerie, ou mieux une

    iconographie, du communisme [] ; et pour cela, cest une

    rflexion sur le pouvoir des images, celle du cinmatographe

    avant tout, de montrer la ralit efficacement, cest--dire en

    dlivrant son sens vridique. 70

    Militant dans son rle de propagandiste, croyant dans son rle intgr dans un

    collectif, le pouvoir des images seffectue travers un dnudement des bourgeois et

    primitifs par leur propre regard et le cinaste, qui enregistre ce regard. Tandis que les

    proltariens sont les allis du cinaste et travaillent ses cts pour atteindre les mmes buts.

    Sils sont au mme front que le cinaste, ils ne sont donc littralement pas capables de

    regarder la camra, puisque ce regard serait preuve dune opposition (littrale, topographique

    et morale) au camraman les filmant. Ce nest certainement pas un hasard que ce soient les

    primitifs (ce terme pjoratif de Benjamin pourrait correspondre aux SDF dansLhomme

    la camra) et les bourgeois qui soient les seuls dont Vertov a choisi dutiliser des plans o la

    personne filme regarde directement dans la camra.

    Lauthenticit des images, exprime par une distance significative entre objet film et

    camra et une frontalit commune des collaborateurs communistes nest donc pas forcment

    67Walter Benjamin, op. cit., pp. 344-345.68Appendice A, images 169 - 176.69Dziga Vertov, Instructions provisoires aux cercles Cin-oeil , op. cit., p. 14.70Jacques Aumont, op. cit., p. 67.

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    signe dune objectivit vritable, mais, seconde vue, lexpression patriotique dune alliance

    entre proltariat et cinma contre la bourgeoise primitive.

    Je qualifierai les plans deLhomme la camra la fois matrialistes et collaboratifs.

    Les plans ne sont pas simplement objectifs, neutre, mais porteurs de signification plus

    importante que lobjet film. Cette signification est exprime par le montage. Il sagit de

    plans servants dlments primaires dune destruction marxiste de la pense bourgeoise

    (montage traditionnel linaire) et la construction dune autre, socialiste.

    VII) La cinphrase

    Malgr lutilisation par Vertov de ces plans non jous, documentaristes, ces derniers

    sont monts dune manire non documentaire. Le documentaire au cinma emploie

    quotidiennement des principes de cohrences temporelle et spatiale. Ceci, comme nous

    lavons dj pu observer, nest pas le cas chez Vertov.

    Ce ne seront pas les actualits Path ou

    Gaumont (journaux dactualits), ni mme la Kino-

    Pravda (actualits politiques), mais ce seront de vraies

    actualits de Kinoks, c'est--dire un aperu se dployant avec

    une rapidit vertigineuse des vnements visuelsDECHIFFRES

    par la camra, ce seront les morceaux duneAUTHENTIQUE

    nergie (qui se distingue de celle du thtre), runis dans ses

    intervalles dans un tout daccumulateur par le grand art du

    montage.[]

    La souplesse extraordinaire de la construction du montage

    permet dintroduire dans une cin-tude nimporte quel motif

    politique, conomique ou autre. 71

    Ici se rejoignent le refus de toute tradition dramaturgique littrale et thtrale au

    moment du montage et le refus du non vritable au moment du tournage. La volont

    dauthenticit est apparente tous les niveaux de la production artistique, pourtant Vertov

    affirme la nature ambivalente du montage quil soumet au kinok-monteur.

    71Dziga Vertov, Kinok-Rvolution II , op. cit., p. 20.

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    Le cinaste : De quelle faon le kinok-monteur rassemble-t-il les plans ? Quels

    principes suit-il part lemploi de lintervalle et du montage dialectique ?

    Lhistorien : Vertov emploie comme lment expressif structurant ses films la

    cinphrase :

    Jimpose au spectateur de voir de telle faon,

    daccepter, de la faon que je trouve la plus avantageuse, tel ou

    tel phnomne visuel. Loeil se soumet la volont de la

    camra, il est dirig par elle sur les moments conscutifs de

    laction qui, par la voie la plus courte et la plus vidente,

    conduisent la cinphrase vers le sommet ou vers le fond de la

    solution. 72

    Que dfinit cette cinphrase ?

    Lorganisation du mouvement, cest lorganisation des

    lments, cest--dire des intervalles , dans la phrase. On

    distingue dans chaque phrase lessor, lobtention et la chute du

    mouvement (qui se manifestent tel ou tel degr). Une uvre

    est faite de phrases de mme quune phrase lest dintervalles

    du mouvement. 73

    Trois lments constitutifs du montage vertovien sont donc idiosyncrasiques de la

    cinphrase. Dune part, les plans monts en une cinphrase sont caractriss par une

    authenticit spcifique que nous avons auparavant discute. Dautre part, ces plans sont

    significatifs travers les intervalles qui les sparent et qui sorganisent gnralement en essor,

    obtention et chute. Finalement, la cinphrase organise la faon , selon laquelle les

    spectateurs voient un phnomne visuel et un objet qui leur est prsent. Il sagit de la

    grammaire du film.

    72Le mme, Kinok-Rvolution , op. cit., p. 33.73Le mme, Nous , op. cit., pp. 8.

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    En ce qui concerne la grammaire , Vertov explique :

    Si on photographie sur un film tout ce que lhomme a

    vu, on obtiendra naturellement un tohu-bohu. Si lon monte

    avec science, ces choses photographies deviennent plus

    claires. Si on jette le ballast qui nous gne, cela sera mieux

    encore. Nous obtiendrons ainsi un mmoire organis des

    impressions dun il ordinaire. 74

    Ce triage dinformations, cette organisation et structuration de la vue de lil du

    spectateur correspond exactement au programme politique de Lounatcharski :

    Sil est un lieu o la peur stupide de ce qui a un

    caractre tendancieux est absurde, cest bien dans le domaine

    de la cinmatographie. En rgle gnrale, une tendance nest

    nocive que si elle est petite-bourgeoise ; une tendance forte

    refltant une certaine ide religieuse ou une grande ide

    socialiste qui sen rapprocherait, est susceptible, et

    exclusivement, dlever les uvres dart. 75

    Une volont spcifiquement politique et rvolutionnaire est donc prsente dans tous

    les principes esthtiques de Vertov. Il dtermine son cinma par un refus significatif dune

    tradition cinmatographique. Plus spcifiquement, lintervalle fait signe dun appel runion,

    la manire de filmer les plans pourrait tre qualifie collaborative au proltariat et oppose

    la bourgeoisie, la cinphrase rpond la volont de crer un nouveau langage international

    qui est enseign par le film lui-mme en employant la figure de lautomtarflexion. Tous les

    principes esthtiques de Vertov peuvent ainsi tres dduits dun programme politique

    sovitique officiel.

    74Le mme, Kinok-Rvolution II , op. cit., p. 19.75Anatoli Lounatcharski en 1919, Les objectifs de lactivit cinmatographique dEtat en RSFSR in : EricSchmulevitch, op. cit., p. 24.

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    VIII) Rveil et rvolution

    Le cinaste : Il me semble que nous avons atteint un point au niveau duquel une

    nouvelle analyse de la scne dont nous avons initialement parl semble raisonnable et fertile.

    Le rveil dune femme76est un parfait exemple de cinphrase.

    Jai auparavant suppos que la scne se construit autour de lide dun montage

    parallle : Dun ct, nous avons loprateur de camra, Mikhail Kaufman, galement le

    vritable oprateur du film, se levant tt pendant un temps o seuls les pigeons sont actifs, se

    mettant en route pour filmer lapproche dun train, puis filmant le train, prenant des risques.

    De lautre ct, la femme bourgeoise endormie se rveille. Le montage suggre une causalit

    entre le danger subit par loprateur et le rveil de la femme. Cette interprtation nest que

    partiellement correcte. Mon erreur tait de sous-entendre un rcit. Le rcit de loprateur, le

    rcit de la femme, le rcit dune liaison nigmatique entre les deux.

    Lhistorien : Jacques Aumont propose le mme constat et suppose que cette scne se

    veut parodie dune scne narrative traditionnelle.77

    Le cinaste :Je ne suis pas sr sil sagisse dune parodie, partiellement peut-tre. La

    scne ne veut pas tre pense partir dun concept du rcit ou du conte. Je pense que, aprs

    toute notre discussion, la scne est comprendre allgoriquement. Permettez-moi de

    mexpliquer. Lide cl de mon raisonnement est le train comme mtaphore de la rvolution.

    Lhistorien : Vertov fait la comparaison suivante : Le Cin-il est n pour la vie de

    la Rvolution dOctobre. Les rails du Cin-il, ce sont les rails du Cin-Octobre. 78

    Le cinaste : Selon mon interprtation, la scne dcrit le rle du cinaste dans une

    socit socialiste rvolutionnaire en voie vers le communisme. Le cinaste, incarn par

    Kaufman, se rapproche littralement de la rvolution, pour enflammer le spectateur de des

    causes rvolutionnaires. Ici se trouve galement le premier type dautomtarflexion,

    loprateur qui apparat dans son propre film. Le spectateur non rvolutionnaire est secou de

    son sommeil par sa proximit virtuelle la rvolution quil vit sur lcran. Nous retrouvons la

    mme tche que celle dEisenstein propos du Cuirass Potemkine (1925). Les solutions sont

    diffrentes. Tandis quEisenstein enthousiasme les spectateurs en les laissant participer un

    rcit, Vertov travaille mtaphoriquement, rationnellement : La rvolution se dirige vers le

    futur, sur les rails du socialisme.

    76Voir Appendice A, images 1 40.77Jacques Aumont, op. cit., p. 50.78Dziga Vertov, Manuscrit sans titre de 1928 in :cahiers du cinma, n spcial 220/221, mai/juin 1970, p.12.

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    Lquivalence ultime des rails avec le film comme matriau, tous deux voies de la

    rvolution, est construite encore par montage. Le mouvement des rails est mont entre des

    sries de plans noirs79. Un effet stroboscopique seffectue ce qui accentue la fois leffet

    dintermittence du film et le mouvement des traverses des rails dans limage. Lintermittence

    correspond la visibilit du mouvement de la pellicule sur lcran possible cause de

    lexistence de linterimage entre deux images sur la pellicule. Cest elle que lon doit leffet

    de mouvement au cinma. Elle est toujours prsente pendant une prsentation

    cinmatographique, alors quelle est la plupart du temps ignore par le spectateur et le

    cinaste. Seule lavant-garde cinmatographique se prte quelquefois ltude des proprits

    de cet effet. Lutilisation de lintermittence dansLhomme la camra correspond au second

    type dautomtarflexion. Le mouvement des traverses et leffet dintermittence sintensifient

    rciproquement, leur mouvement commun les unifie, rails et film, visuellement et par

    consquence conceptuellement. Les intermittences des rails deviennent les traverses du film.

    Le film lui-mme devient les rails sur lesquelles avance la rvolution.

    Le plan du pied de loprateur sur les rails, dont jai dout de lauthenticit dans la

    mesure o il est mis en scne, est ncessaire pour intgrer dans la squence le risque et le

    pril, la proximit du cinaste qui veut tout prix rveiller le monde rvant de la

    fantasmagorie bourgeoise. Les plans pseudo documentaires jouent donc un rle catalyseur du

    sens de la cinphrase exprim par le montage. Mais nous avons dj vu que lauthenticit des

    plans dit documentaire de Vertov est contestables selon de nombreux points.

    La scne du rveil de la femme est aussi surprenante que la belle squence du montage

    dans laquelle Svilova anime le monde et lui donne vie80, mais beaucoup plus subtile. Tous les

    ingrdients cinmatiques que Vertov dveloppe pendant sa carrire sy retrouvent. Cest le

    rveil dune femme , qui pour moi, rassemble les diffrentes ides du film et les intentions

    de Vertov pour les exprimer en une seule scne sublime. Cette scne est emblmatique de la

    totalit deLhomme la camra.

    La dernire partie de la scne, celle des traverses, est dailleurs un excellent exemple

    sur la dualit plan-montage chez Vertov. Les rails sont des plans documentaires vritables,

    non manipuls, simples. Le montage des bouts de film non exposes entre les plans des rails

    transforme non seulement la signification des plans et des bouts noirs, mais aussi celle de

    toute la scne.

    Lhistorien : Je suis absolument daccord avec vous. Dans une formule trs

    emblmatique, Vertov oppose lauthenticit des plans un montage tendancieux donnant79Voir Appendice A, images 31 40.80Voir Appendice A, images 81 96.

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    un nouveau sens ces plans. Les deux aspects dun film ne sont pour Vertov pas paradoxes,

    mais plutt symbiose ncessaire pour le cinma sovitique. Ici se retrouve la formule

    fondamentale de tout montage, tel quil a t dcrit par Georges Sadoul :

    Dans lembrouillement de la vie entre dune faon dcisive :

    1) Le Cin-il, qui dispense lil humain limage du

    monde et qui propose son je vois !

    2) Le Kinok-Monteurqui, pour la premire fois, organise

    les minutes de la vie structure, vue de cette faon-

    l. 81

    Le cinaste : Vue de cette faon l ? Jai limpression que le kinoglaz se donne

    pour but de remplacer la fois la vision et la pense du spectateur. Son succs me parait peu

    probable.

    IX) Lhomme nouveau plus parfait quAdam et le spectateur

    Lhistorien : Vertov est un cinaste subversif. Il fait partie dune gnration

    rvolutionnaire. Il se considre aussi rvolutionnaire que Lnine et son but est de crer une

    nouvelle socit travers le cinma : le communisme.

    Le cinaste : Pensez la scne vers la fin deLhomme la camrao le camraman

    fusille mtaphoriquement les bourgeoises en les surexposant de plus en plus !82

    L'historien : Il sagit de nouveau dune scne qui fonctionne uniquement travers le

    montage. Pour Vertov, le mal du capitalisme et de la bourgeoisie se manifeste dans le mode

    de pense, inconscient, de lhomme. Ce mode de pense domine la faon dont il peroit le

    monde. Il faut dabord changer la vision, travers laquelle il est possible datteindre la pense

    et de la transformer galement. Le but de cet exercice est de crer un homme nouveau

    dabord au cinma, puis en ralit :

    81Dziga Vertov, Kinok-Rvolution II , op. cit., p. 20.82Voir Appendice A, images 177 196.

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    Je suis le cin-il, je cre lhomme plus parfait

    quAdam, je cre des milliers de gens diffrents daprs des

    croquis et des schmas prparatoires. Je suis le cin-il. lun

    je prends les bras les plus forts et les plus habiles ; lautre, je

    prends les jambes les plus sveltes et les plus rapides ; au

    troisime, je prends la tte la plus belle et la plus expressive.

    Avec le montage, je cre un nouvel homme, un homme

    parfait 83

    LAdam de Vertov est le nouvel Stakhanov beau, vif, effectif, intelligent, mais il

    nest pas seulement bon communiste, il devient machine :

    Le psychologique empche lhomme dtre aussi

    prcis quun chronomtre, entrave son aspiration sapparenter

    la machine. []

    NOUS ne voulons plus temporairement filmer lhomme,

    parce quil ne sait pas diriger ses mouvements.

    Nous allons, par la posie de la machine, du citoyen

    tranard lhomme lectrique parfait.

    En mettant jour lme de la machine, en rendant

    louvrier amoureux de son tabli, la paysanne, de son tracteur,

    le machiniste de sa locomotive,

    nous introduisons la joie cratrice dans chaque travail

    mcanique,

    nous apparentons les hommes aux machines,

    nous duquons les hommes nouveaux.

    Lhomme nouveau, affranchi de la gaucherie et de la

    maladresse, qui aura les mouvements prcis et lgers de la

    machine, sera le noble sujet des films. 84

    Ainsi lhomme nouveau est cr. Le refus strict de tout concept psychologique de

    lhomme se prsente comme contrepoids un matrialisme extrme dans lesthtique de

    Vertov. Le matrialisme est la consquence logique du refus de la Psychologie. La83Dziga Vertov, Kinok-Rvolution , op. cit., p. 34.84Le mme, Nous , op. cit., p. 7.

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    psychologie est considr par Vertov comme une invention bourgeoise, une lgitimation de

    toute sorte dinfirmit. Ici se trouve llment le plus audacieux dans luvre de Vertov, et en

    mme temps celui le plus dangereux.

    Le problme est immanent : Le refus total, lignorance de tout existence de

    psychologie tous les nivaux entrane deux consquences. Premirement lincomprhension

    du spectateur, dont Vertov tait conscient :

    Une des principales accusations quon nous porte est

    de ntre pas accessible aux masses.

    En admettant mme que certains de nos travaux soient

    difficiles comprendre, faut-il en dduire que nous ne devons

    plus faire le moindre travail srieux, la moindre recherche ?

    Sil faut aux masses de faciles brochures dagitation,

    faut-il en dduire quelles nont que faire des articles srieux

    dEngels et de Lnine ? Vous avez peut-tre aujourdhui chez

    vous un Lnine du cinmatographe russe et vous ne le laissez

    pas travailler sous prtexte que les produits de son activit sont

    neuf et incomprhensibles 85

    Vertov se compare Lnine, se nomme Lnine du cinma. Il est rvolutionnaire et

    reste rvolutionnaire selon sa mthode et son esthtique, pendant une grande partie de sa

    carrire. Il emploie des mthodes rvolutionnaires, subversives, sans compromis. Ce nest pas

    un procs psychologique qui a la tche de crer un Adam communiste, ce nest pas une

    mthode intuitive denseignement qui amne le monde vers un nouvel ge. Vertov remplace

    la psychologie tous les niveaux par le montage, figure principale du 20mesicle, symptme

    dun nouvel art, dune nouvelle politique, dun nouvel monde, allie du communisme. Le

    montage est ininterrompu, depuis la premire observation jusquau film dfinitif 86, et pour

    longtemps aprs. Vertov remplace la psychologie par le montage comme Lnine a tent de

    remplacer la bourgeoisie par le communisme. Le montage devient pour lui la psychologie du

    communisme.

    85Le mme, Limportance du cinma non-jou , op. cit., p. 18.86Le mme, Instructions provisoires aux cercles Cin-oeil , op. cit., p. 14.

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    Le cinaste :Vertov confond lart avec la vie avec la politique ! Il fait la mme erreur

    que le spectateur de Goethe dans son dialogue87. Une certaine mthode subversive, comme

    lesthtique du montage de Vertov, est peut-tre capable dintroduire des nouvelles ides

    politiques un public duqu, mais elle nest certainement pas capable dducation, de

    transformer le mode de vie humain, la psychologie de lhomme et sa pense. Le spectateur

    nest toutefois pas un chien pavlovien !

    Lhistorien : Lintrt de Goethe tait oppos celui de Vertov. Goethe avait essay

    de dlimiter lart de la vie, tandis que Vertov essayait dunifier lart et la vie. Vertov vivait

    dans un temps dexpriences politiques, artistiques et sociales. Lessai de lunification de lart

    avec la vie est une des caractristiques principales du constructivisme russe, mouvement

    rvolutionnaire des annes vingt. Aprs tout que nous avons labor, Vertov est dans cette

    mesure un cinaste constructiviste.

    La deuxime consquence de lignorance de toute psychologie qui conduit Vertov

    cette philosophie mcaniste de lhomme pourrait tre, paradoxalement, un fascisme

    esthtique, puisque Vertov proclame un nouvel, meilleur homme dans son art quand il

    prtend en mme temps lunion de lart et de la vie. Ce raisonnement dcouvre sa volont de

    crer un nouvel homme travers lart, non pas par ducation ou rflexion, mais par

    dpsychologisation . Les moyens du cinaste sont impropres ses fins, puisque Vertov ne

    se rend pas compte de la vritable existence psychologique de lhomme dont il serait

    ncessaire de sapproprier pour une propagande effective. Ceci est un chemin qui sera suivit

    par toute la future propagande filmique, surtout pendant la seconde guerre mondiale, du

    cinma duNationalsozialisme la propagande de guerre de Disney.

    Or, si Vertov affirma une ralit et un fonctionnement psychologique de lhomme, ses

    fondements esthtiques scroulrent. Ceci constitue le paradoxe fondamental de lesthtique

    vertovienne et dsamorce, dailleurs, le reproche du fascisme. Ce paradoxe dchire lunion

    constructiviste de lart et de la vie aspire dans le cas du cinma de Vertov, puisquil replie

    lart sur lui-mme, nachve pas la raction voulue dans la vie.

    De notre point de vue rtrospectif, lchec du constructivisme qui abouti dans le

    ralisme sovitique correspond celui du lninisme, qui abouti dans la NEP avant dtre

    remplac par un stalinisme autocratique. La volont communiste choue sous le poids dune

    pauvret croissante, dune conomie trbuchante et dun dictateur autocratique. Lchec du

    socialisme sovitique est partiellement d au refus de psychologie, pas forcment toujours

    87Le cinaste parle probablement du texte de Johann Wolfgang Goethe, ber Wahrheit undWahrscheinlichkeit der Kunstwerke. Ein Gesprch. , in : Texte zur Theorie des Theaters, Stuttgart, Reclam,2000.

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    volontaire, comme chez Vertov. Puisque la psychologie ntait lpoque quen cours de

    formation, inexacte et redoute, elle nest pas reprsente dans lart sovitique, pas prsente

    dans la politique communiste et devient pourtant un attribut dominant de cette poque.

    X) Conclusion

    Nous avons tudi en dtail lesthtique deLhomme la camra. Nous avons fait un

    discours sur tout les lments du montage de Vertov, commenc par lintervalle, travers le

    caractre ambivalent des images dites documentaires jusqu la cinphrase . Nous

    avons galement essay dlucider les diffrentes formes dautorflexions, que nous prsente

    le film, et ses consquences.

    Le cinaste :Nous avons fait tout cela sous la perspective de la politique. Nous avons

    pu analyser une scne emblmatique du film. Cette analyse tait linitiation des avatars

    nouveaux et intressants de lducation et de la propagande.

    Lhistorien : En surface, la politique exprime par le montage de Lhomme la

    camra peut tre considre comme critique, nous lavons vu propos du montage discursif,

    tandis quelle est en ralit constitutive. Il sagit dune politique subversive envers une

    doctrine bourgeoise et affirmative dun programme socialiste communiste. Cest la politique

    qui dtermine fortement la mthode.

    Ltude du montage de Lhomme la camrane nous a pas seulement amen une

    rinterprtation artistique du communisme, mais elle nous a aussi fourni une opportunit

    dexaminer cette politique en dtails. Nous avons mme propos une explication lchec du

    socialisme selon Vertov : lchec de son esthtique envers un grand public est symptomatique

    de lchec global dune politique relle. Les deux se confondent. Une raison ultime de ces

    checs est une ngligence, un refus total, des mcanismes de la psychologie humaine.

    Pourtant Vertov trouve un moyen dexprimer une volont de destruction dun vieux

    mode de pense et de recrer le monde. partir des fragments de base produits par la camra,

    dont lauthenticit et lobjectivit sont mcaniquement certifi, il organise, en les montants,

    une vision du monde nouvelle, socialiste, dont lintrt est de transformer la vision des

    spectateurs pour transformer leurs penses. Vertov saperoit quil sagit de la cervelle

    bourgeoise quil faut transformer en cervelle sovitique. Il assume le fait que la psychologie

    ne soit pas ltude dun assortiment de mcanismes naturels ncessitant le mode de pense

    humain, mais quelle est seulement un mode de pense humaine invente par la bourgeoise.Vertov, par consquent cre sa propre psychologie, fonde sur le montage.

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    Le cinaste : Aprs tout, je me sens oblig de retirer ma proposition de dpart. Vertov

    est en aucun moment cordonnier dimages. Il est un est un des cinastes les plus innovants

    que je connaisse !

    En fait, ce que Vertov fait dans ses films, nest en aucun point diffrent ce que vous

    avez fait jusqu prsent. Vertov rassemble des morceaux du monde considr comme rels et

    les monte de faon leur donner un sens nouveau pour aboutir de nouvelles conclusions.

    Vertov conclue dans son film que lexistence communiste serait possible et favoriser par

    rapport lexistence bourgeoise capitaliste, et que le rle du cinaste (comme celui de tout

    autre rvolutionnaire) est de conduire le monde de la deuxime vers la premire. Pour son

    raisonnement filmique, Vertov omet ncessairement dautres images, morceaux de ralit, qui

    ne servent pas ses fins

    Vous, dans votre discours, venez galement de monter diffrents morceaux de

    ralit, dans notre cas il sagit de citations. Vous choisissiez probablement uniquement les

    citations qui vous semblaient utiles pour votre thse, en omettant dautres, ou vous prsentiez

    ces autres pour ensuite les battre en brche dune manire consquente.

    Lhistorien : Il y a quand mme une diffrence ! Mes arguments, soutenus par des

    citations respectives sont contrlables travers ces citations, qui peuvent tres rattaches

    leurs origines. Les plans authentiques de Vertov ne constituent dune part pas un

    argument rationnel, mais une image, et ne sont dautre part que dans une certaine mesure

    vrifiables. De plus, son montage ne correspond pas un raisonnement rigoureux, mais

    celui dun artiste. la diffrence de Vertov je me considre comme un homme scientifique.

    La science et lhistoire sont les seuls moyens pour pouvoir duquer le monde ! Votre analogie

    ne tient pas : Vertov nous parle travers le temps laide dune uvre artistique, il est image

    historique, tandis que nous crions aujourdhui un discours scientifique.

    Le cinaste : Luvre dart nest donc pas comparable un discours scientifique

    puisque Vertov est image historique, tandis que nous sommes vivant aujourdhui, ici, devant

    la cinmathque franaise ?

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    Annexe A Extraits du film

    Images 1 - 40 : squence du rveil dune femme deLhomme la camra, 937 1051.

    1 2 3 4

    5 6 7 8

    9 10 11 12

    13 14 15 16

    17 18 19 20

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    Images 41 - 64 : squence du carrefour de la vie deLhomme la camra, 2639 3000.

    41 42 43 44

    45 46 47 48

    49 50 51 52

    53 54 55 56

    57 58 59 60

    61 62 63 64

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    Images 65 - 80 : squence du club proltarien vs. Le bar deLhomme la camra, 5624

    5839.

    65 66 67 68

    69 70 71 72

    73 74 75 76

    77 78 79 80

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    Images 81 - 96 : squence de montage deLhomme la camra, 2407 2500.

    81 82 83 84

    05 86 87 88

    89 90 91 92

    93 94 95 96

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    Images 97 - 104 : les spectateurs dans la salle de projection, 1h0049 1h0408.

    97 98 99 100

    101 102 103 104

    Images 105 - 120 : la mtaphore du fil tissu pour la pellicule, 4239 4310.

    105 106 107 108

    109 110 111 112

    113 114 115 116

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    117 118 119 120

    Images 121 - 136 : objets anims par effets spciaux de montage, 4615 4650 et 1h0050

    1h0115.

    121 122 123 124

    125 126 127 128

    129 130 131 132

    133 134 135 136

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    Images 137 - 152 : la jalousie persienne, 1258 1329.

    137 138 139 140

    141 142 143 144

    145 146 147 148

    149 150 151 152

    Images 153 - 156 : le kinoglaz, 1h0757 1h0708.

    153 154 155 156

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    Images 157 - 168 : les bourgeois en voiture regardants dans la camra, 2201 2316.

    157 158 159 160

    161 162 163 164

    165 166 167 168

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    Images 169 - 176 : Les S.D.F. regardant dans la camra, 1148 1201.

    169 170 171 172

    173 174 175 176

    Images 177 - 196 : Le camraman tire mtaphoriquement sur les bourgeois, 1h0240

    1h0620.

    177 178 179 180

    181 182 183 184

    185 186 187 188

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    Annexe B Bibliographie

    Franz-Josef Albersmeier (d.)

    - Texte zur Theorie des Films, Stuttgart, Reclam, 2001 [1998].

    Vincent Amiel

    - Esthtique du montage, Paris, Nathan, 2002.

    Jacques Aumont

    - Le film comme site thorique Lhomme la camrade Dziga Vertov (1929) ,

    in : Jacques Aumont,A quoi pensent les films, Paris, Sguier, 1996.

    Andr Bazin

    - De la politique des auteurs in : cahiers du cinma, n70, avril 1957.

    Walter Benjamin

    - Zur Lage der russischen Filmkunst [initialement publi en 1927],

    in :Mediensthetische Schriften, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2002.

    David Bordwell et Kristin Thompson

    - Film Art An Introduction, sixime dition, New York,

    McGraw Hill Higher Education, 2001.

    Bernhard Eisenschitz (d.)

    - Gels et dgels : une autre histoire du cinma sovitique : 1926-1968,

    Paris, Centre Georges Pompidou, 2002.

    Johann Wolfgang Goethe

    - ber Wahrheit und Wahrscheinlichkeit der Kunstwerke. Ein Gesprch. ,

    in : Klaus Lazarowicz et Christopher Balme (d.),

    Texte zur Theorie des Theaters, Stuttgart, Reclam, 2000.

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    Maxim Gorki

    - article paru dans le quotidienNijegorodskilistokle 4 juillet 1896,

    cit in : Cahiers du cinma, hors srie, novembre 2000.

    Vlada Petric

    - Constructivism in Film : The man with the movie camera : a cinematic analysis,

    Cambridge, New York, Melbourne, Cambridge University Press, 1987.

    Georges Sadoul

    - Actualit de Dziga Vertov , in :cahiers du cinma, n144, juin 1963.

    - Dziga Vertov par Georges Sadoul ,

    in : cahiers du cinma, n spcial 220/221, mai/juin 1970.

    Eric Schmulevitch

    - Une dcennie de cinma sovitique en textes (1919-1930),

    Paris, Montral, lHarmattan, 1997.

    Dziga Vertov

    - Lamour pour lhomme vivant [initialement publi posthume en 1958],

    in : cahiers du cinma, n238/239, mai/juin 1972.

    -Aus den Tagebchern(sous le nom de Dsiga Wertow),

    Vienne, sterreichisches Filmmuseum, 1967.

    - Limportance du cinma non-jou , in : cahiers du cinma, n229, mai 1971.

    - Instructions provisoires aux cercles Cin-oeil [initialement publi en 1926],

    in : cahiers du cinma, n229, mai 1971.

    - Kinoglaz , in : Franz-Josef Albersmeier (d.), Texte zur Theorie des Films,

    Stuttgart, Reclam, 2001 [1998].

    - Kinok-Rvolution [initialement publi en 1923],

    in : cahiers du cinma, n144, juin 1963.

    - Kinok-Rvolution II [initialement publi en 1923],

    in : cahiers du cinma, n146, aot 1963.

    - Manuscrit sans titre de 1928 ,

    in :cahiers du cinma, n spcial 220/221, mai/juin 1970.- Naissance du Cin-il [initialement publi en 1919],

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    in :cahiers du cinma, n spcial 220/221, mai/juin 1970.

    - Nous [initialement publi en 1919],

    in :cahiers du cinma, n spcial 220/221, mai/juin 1970.

    - Rponses des questions [initialement publi en 1930],

    in :cahiers du cinma, n spcial 220/221, mai/juin 1970.

    Amos Vogel

    - Film als subversive Kunst, Kino wider die Tabus von Eisenstein bis Kubrick,

    Reinbeck bei Hamburg, Rowohlt, 2000 [1997].