la planète-laboratoire ou la phase terminale du nihilisme

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appareils d’enregistrement, ils ne peuvent nous apporter la moindre certitude. Les possibilités de « bidouillages », de transformations et déformations des images sont incroyablement puissantes et ne permettent pas de trouver des zones référentielles solides dans la marée des photographies, films et documentaires. On l’a vu tout particulièrement à propos de notre planète-satellite, la lune, dans le contexte des données audiovisuelles de la NASA concernant les expéditions lunaires. De nombreux films et documentaires ont soulevé des questions parfois embarrassantes sur le lot des quelques centaines de photos retenues par les services de communication de la NASA, qu’il s’agisse de traces de semelles sur la lune ou d’ombres incompréhensibles. Il n’est pas question de rentrer dans ce type de polémiques mais il faut cependant rappeler qu’au moment où se réactivaient des interrogations autour de la validité des voyages lunaires, une nouvelle est tombée sur les téléscripteurs des grands médias dont le titre était le suivant : « La NASA a égaré les bandes son et vidéo du premier pas de l’homme techniques concernant d’immenses panneaux publicitaires visibles par temps clair depuis la terre, de même qu’elle a déjà acheté des terrains sur la lune vendus aux enchères par une société immobilière américaine spécialisée dans ce genre d’idiotie. Le thème de la planète est trop chargé d’idéologie scientiste pour ne pas engendrer des doutes. Qu’en est-il de cette icône planétaire : l’avons-nous vraiment bien vue ? Avec quels yeux la regardons-nous ? Interprétons- nous correctement les images ? Il y a tant de regards différents sur le monde, les étoiles et la lune ; c’est en tout cas ce que manifeste l’histoire de la peinture occidentale qui est en même temps l’histoire des modifications et déconstructions des perceptions, des formes et des couleurs comme ce fut le cas dans l’apparition de l’impressionnisme et du cubisme. Faut-il rappeler que ces recherches picturales furent rejetées et assimilées à des symptômes de maladies mentales, jusqu’à ce qu’elles apparaissent comme des expressions a u t rement plus profondes du « réel ». Quant aux En arctique, le bunker à semences du Grand cataclysme ou pourquoi les géants des OGM savent quelque chose de plus que nous p.11 La planète-laboratoire ou la phase terminale du nihilisme L E VAU D O U P L A N É TA I R E … p.6 n°3, octobre 2008 - 63e année 16 pages - 2 ! Observateurs VIP éblouis par la lumière d’une explosion atomique, Opération Greenhouse, Enewetak Atoll, 1951. 1. Planète unique, planète obscène L a « planète Terre » re p roduite et diffusée ad nauseam (1) forme une sorte d’icône « nihiliste » (2) : elle impose à tous l’évidence d’une image- réalité dont la véracité engendre progressivement des doutes sans cesse plus corrosifs sur le « réel » auquel elle renvoie, c’est-à-dire, l’unification de tous les regards convergeant vers l’image d’une planète visible par tous les hommes, planète relativement sphérique et de couleur bleue. Cette image astronomique devenue icône fut diffusée par l’ensemble des chaînes télévisuelles travaillant en étroite collaboration avec les services de communication de la NASA dans le cadre des missions lunaires « Apollo ». Ainsi, chacun est-il convoqué à communier autour de cette image unifiée d’une planète, une, sur la surface de laquelle s’agitent tous les hommes, qu’ils le sachent ou non, icône en quelque sorte sacramentelle, à la manière du christ unificateur vers lequel chemine l’ensemble de l’humanité. Cette vision ne peut que contenter des tas de petits-penseurs alliant le scientisme le plus plat et un humanisme crypto-chrétien (3). Mais cette unification iconique du monde révèle quelque chose d’obscène car elle dévalue l’ensemble des représentations de la planète qui ne privilégient d’aucune manière, une couleur spécifique ni une sphéricité approximative. Que deviennent selon cette vision les regards jetés par les aborigènes australiens sur les cieux qu’ils rencontrent ? Faut-il jeter au rebut les parc o u r s existentiels et géocentriques de tous ceux qui arpentent à chaque instant de leur vie les étendues du « plat pays »? Qu’en est-il des ancêtres, des mythes et des poètes ? Il y a dans cette vision racoleuse trop de charges ethnocentriques qui vont régulièrement dans le sens des activités commerciales et technologiques des sociétés industrielles. De cette sphéricité de la terre sont nées de multiples objets techniques qui sont fondés sur elle, qu’il s’agisse des systèmes satellitaires permettant aussi bien les repérages GPS que les transmissions audiovisuelles, des cartographies de tous types, le transport de bombes thermo-nucléaires satellisées ou encore la préparation d’immenses signaux publicitaires tombant depuis les zones des banlieux stratosphériques de la terre. Faut-il rappeler que la société Google a déjà préparé les dossiers Géo-ingénierie : de la bombe atomique à la montée des eaux ou l’art de reconstruire le monde p.4 “On peut passer sa vie à mesurer les dimensions de sa prison“ (1) - L’Argumentum ad nauseam ou avoir raison par forfait est un sophisme basé sur la répétition d’une affirmation. C’est le mécanisme qui se cache derrière l’efficacité des rumeurs et à l’extrême, du lavage de cerveau via la propagande (ou publicité) répétitive. (2) - F. Nietzsche, (1844-1900), Le nihilisme européen, éditions Kimé, Paris, 1999. L’une des étapes du nihilisme est marquée par ce basculement entre des représentations, des concepts, des valeurs qui apparaissent comme intangibles, puis se lézardent et laissent la place à un doute de plus en plus radical, que ce soit dans le cadre de la morale, des concepts mais aussi des perceptions apparemment les plus évidentes. (3) - Cette convergence remarquable entre foi chrétienne et scientisme plat est incarnée par des personnages tels que Michel Serres par exemple, académicien, ami de Hergé et grand lecteur de Tintin. « On a marché sur la lune ». On ne saurait sous- estimer les albums Tintin qui furent pendant longtemps les r é s e rvoirs de sous-produits imaginaires pour les enfants occidentaux. (4) - « Espace : La NASA a égaré les bandes son et vidéo du premier pas de l’homme sur la Lune . Le rouge de la honte au front, les responsables du Goddard Space Flight Center de la NASA à Greenbelt (Maryland) ont confirmé, mardi 15 août, qu’ils avaient lancé une recherche pour tenter de retrouver les quelque 10 000 à 13 000 bandes contenant les données originales de la mission Apollo 11. Ces supports magnétiques ont en mémoire les images du premier débarquement d’un homme sur la Lune dans la mer de la Tranquillité. Ces données ont été recueillies depuis notre satellite et transmises ensuite aux stations au sol de l’agence spatiale américaine : Goldstone en Californie, Honeysuckle Creek et l’Observatoire Parkes en Australie. Puis, elles ont été envoyées au Goddard Space Flight Center qui les a transférées ensuite aux Archives nationales à la fin de 1969. Plus tard, le centre de la NASA a voulu les récupérer. Mais en vain. Le dommage est d’autant plus grand que la qualité vidéo, par exemple, de ces données est bien supérieure à celles qui, le 21 juillet 1969, ont fait rêver des centaines de millions de téléspectateurs, lorsque Neil Armstrong, commandant de la mission Apollo 11, a posé le premier pas sur le sol lunaire. L’astronaute américain, d’un ton faussement naturel, y est alors allé de son célèbre : « C’est un petit pas pour l’homme et un bond de géant pour l’humanité. » Outre ces vidéos manquent aussi à l’appel toutes les bandes sur lesquelles sont enregistrées les précieuses données techniques et médicales de la mission accomplie par Neil Armstrong, Edwin Aldrin et Michael Collins. En tout, quelque 2 000 boîtes pleines de bandes magnétiques dont on espère qu’elles sont simplement mal rangées et qu’elles n’ont pas été effacées par négligence ou économie pour être utilisées à d’autres fins. La NASA, qui a souffert ces dernières années de quelques ratés et des conséquences dramatiques de l’explosion de la navette Columbia, n’avait pas besoin d’une telle affaire à l’heure où elle tente de redorer un peu son blason » . Christiane Galus, Article paru dans l’édition du 18.08.06 p a r M i c h e l Ti b o n - C o r n i l l o t , é c r i v a i n

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Page 1: La planète-laboratoire ou la phase terminale du nihilisme

appareils d’enregistrement, ils ne peuvent nous apporter lamoindre certitude. Les possibilités de « bidouillages », det r a n s f o rmations et déformations des images sontincroyablement puissantes et ne permettent pas de trouverdes zones référentielles solides dans la marée desphotographies, films et documentaires. On l’a vu toutparticulièrement à propos de notre planète-satellite, lalune, dans le contexte des données audiovisuelles de laNASA concernant les expéditions lunaires.

De nombreux films et documentaires ont soulevédes questions parfois embarrassantes sur le lot des quelquescentaines de photos retenues par les services decommunication de la NASA, qu’il s’agisse de traces desemelles sur la lune ou d’ombres incompréhensibles. Il n’estpas question de rentrer dans ce type de polémiques mais ilfaut cependant rappeler qu’au moment où se réactivaientdes interrogations autour de la validité des voyageslunaires, une nouvelle est tombée sur les téléscripteurs desgrands médias dont le titre était le suivant : « La NASAa égaré les bandes son et vidéo du premier pas de l’homme

techniques concernant d’immenses panneauxpublicitaires visibles par temps clair depuis la terre, demême qu’elle a déjà acheté des terrains sur la lune vendusaux enchères par une société immobilière américainespécialisée dans ce genre d’idiotie. Le thème de la planète est trop chargé d’idéologiescientiste pour ne pas engendrer des doutes. Qu’en est-ilde cette icône planétaire : l’avons-nous vraiment bienvue ? Avec quels yeux la regardons-nous ? Interprétons-nous correctement les images ? Il y a tant de regardsdifférents sur le monde, les étoiles et la lune ; c’est entout cas ce que manifeste l’histoire de la peintureoccidentale qui est en même temps l’histoire desmodifications et déconstructions des perceptions, desf o rmes et des couleurs comme ce fut le cas dansl’apparition de l’impressionnisme et du cubisme. Faut-ilrappeler que ces recherches picturales furent rejetées etassimilées à des symptômes de maladies mentales, jusqu’àce qu’elles apparaissent comme des expre s s i o n sa u t rement plus profondes du « r é e l ». Quant aux

En arctique, le bunker à semences du Grandcataclysme ou pourquoi les géants des OGMsavent quelque chose de plus que nous p.11

La planète-laboratoireou la phase terminale du nihilisme

LE VAU D O U P L A N É TA I R E… p.6

n°3, octobre 2008 - 63e année 16 pages - 2 !

Observateurs VIP éblouis par la lumière d’une explosion atomique, Opération Greenhouse, Enewetak Atoll, 1951.

1. Planète unique, planète obscène

La « planète Te rre » re p roduite et diffusée a dnauseam (1) forme une sorte d’icône « nihiliste »(2) : elle impose à tous l’évidence d’une image-

réalité dont la véracité engendre progressivement desdoutes sans cesse plus corrosifs sur le « réel » auquel ellerenvoie, c’est-à-dire, l’unification de tous les regardsconvergeant vers l’image d’une planète visible par tousles hommes, planète relativement sphérique et de couleurbleue. Cette image astronomique devenue icône futd i ffusée par l’ensemble des chaînes télévisuellestravaillant en étroite collaboration avec les services decommunication de la NASA dans le cadre des missionslunaires « Apollo ».Ainsi, chacun est-il convoqué à communier autour decette image unifiée d’une planète, une, sur la surface delaquelle s’agitent tous les hommes, qu’ils le sachent ounon, icône en quelque sorte sacramentelle, à la manièredu christ unificateur vers lequel chemine l’ensemble del’humanité. Cette vision ne peut que contenter des tas depetits-penseurs alliant le scientisme le plus plat et unhumanisme crypto-chrétien (3). Mais cette unification iconique du monde révèle quelquechose d’obscène car elle dévalue l’ensemble desreprésentations de la planète qui ne privilégient d’aucunem a n i è re, une couleur spécifique ni une sphéricitéapproximative. Que deviennent selon cette vision lesregards jetés par les aborigènes australiens sur les cieuxqu’ils re n c o n t re n t ? Faut-il jeter au rebut les parc o u r sexistentiels et géocentriques de tous ceux qui arpentent àchaque instant de leur vie les étendues du « plat pays » ?Qu’en est-il des ancêtres, des mythes et des poètes ?Il y a dans cette vision racoleuse trop de charg e sethnocentriques qui vont régulièrement dans le sens desactivités commerciales et technologiques des sociétésindustrielles. De cette sphéricité de la terre sont nées demultiples objets techniques qui sont fondés sur elle, qu’ils’agisse des systèmes satellitaires permettant aussi bien lesrepérages GPS que les transmissions audiovisuelles, descartographies de tous types, le transport de bombesthermo-nucléaires satellisées ou encore la préparationd’immenses signaux publicitaires tombant depuis leszones des banlieux stratosphériques de la terre. Faut-ilrappeler que la société Google a déjà préparé les dossiers

Géo-ingénierie : de la bombe atomique à lamontée des eaux ou l’art de reconstruire le monde

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“On peut passer sa vie à mesurer les dimensions de sa prison“

(1) - L’Argumentum ad nauseam ou avoir raison par forfait est unsophisme basé sur la répétition d’une affirmation. C’est lemécanisme qui se cache derrière l’efficacité des rumeurs et àl’extrême, du lavage de cerveau via la propagande (ou publicité)répétitive.(2) - F. Nietzsche, (1844-1900), Le nihilisme européen, éditionsKimé, Paris, 1999. L’une des étapes du nihilisme est marquée parce basculement entre des représentations, des concepts, desvaleurs qui apparaissent comme intangibles, puis se lézardent etlaissent la place à un doute de plus en plus radical, que ce soitdans le cadre de la morale, des concepts mais aussi desperceptions apparemment les plus évidentes.(3) - Cette convergence remarquable entre foi chrétienne etscientisme plat est incarnée par des personnages tels que MichelSerres par exemple, académicien, ami de Hergé et grand lecteurde Tintin. « On a marché sur la lune ». On ne saurait sous-estimer les albums Tintin qui furent pendant longtemps les

r é s e rvoirs de sous-produits imaginaires pour les enfantsoccidentaux.(4) - « Espace : La NASA a égaré les bandes son et vidéo dupremier pas de l’homme sur la Lune . Le rouge de la honte au front,les responsables du Goddard Space Flight Center de la NASA àGreenbelt (Maryland) ont confirmé, mardi 15 août, qu’ils avaientlancé une recherche pour tenter de retrouver les quelque 10 000 à 13000 bandes contenant les données originales de la mission Apollo 11.Ces supports magnétiques ont en mémoire les images du premierdébarquement d’un homme sur la Lune dans la mer de la Tranquillité.Ces données ont été recueillies depuis notre satellite et transmisesensuite aux stations au sol de l’agence spatiale américaine : Goldstoneen Californie, Honeysuckle Creek et l’Observatoire Parkes enAustralie. Puis, elles ont été envoyées au Goddard Space FlightCenter qui les a transférées ensuite aux Archives nationales à la finde 1969. Plus tard, le centre de la NASA a voulu les récupérer. Maisen vain. Le dommage est d’autant plus grand que la qualité vidéo,

par exemple, de ces données est bien supérieure à celles qui, le 21 juillet1969, ont fait rêver des centaines de millions de téléspectateurs, lorsqueNeil Armstrong, commandant de la mission Apollo 11, a posé lepremier pas sur le sol lunaire. L’astronaute américain, d’un tonfaussement naturel, y est alors allé de son célèbre : « C’est un petit paspour l’homme et un bond de géant pour l’humanité. » Outre ces vidéos manquent aussi à l’appel toutes les bandes surlesquelles sont enregistrées les précieuses données techniques etmédicales de la mission accomplie par Neil Armstrong, Edwin Aldrinet Michael Collins. En tout, quelque 2 000 boîtes pleines de bandesmagnétiques dont on espère qu’elles sont simplement mal rangées etqu’elles n’ont pas été effacées par négligence ou économie pour êtreutilisées à d’autres fins. La NASA, qui a souffert ces dernières annéesde quelques ratés et des conséquences dramatiques de l’explosion de lanavette Columbia, n’avait pas besoin d’une telle affaire à l’heure oùelle tente de redorer un peu son blason » . Christiane Galus, Article paru dans l’édition du 18.08.06

par Michel Ti b o n - C o rn i l l o t ,é c r i v a i n

Page 2: La planète-laboratoire ou la phase terminale du nihilisme

sur la Lune » (Le Monde du 18.08.2006) (4). Autant lesdiscussions portant sur le caractère artificiel des photosdonnées par la NASA ne peuvent permettre de tranchersur la possible réalisation d’un immense bluff, autant ladestruction annoncée par la NASA de l’ensemble desarchives concernant les expéditions lunaires nous laisseentendre que la question est d’importance et que cettedisparition s’inscrit dans des projets assez obscurs.

2. La planète-laboratoire

L’unification et la diffusion de l’image de la planèteTerre dans le cadre héliocentrique copernicien furent

présentes dès l’origine des sciences mod e rnes etp roposent la vision « p r i n c e p s » dans laquelle vas’inscrire la mondialisation scientifique et technique.Cette vision n’est pas seulement l’incarnation de laraison spéculative moderne ; elle est aussi le plan del’atelier et du laboratoire planétaire qui s’ouvre devantles hommes des sociétés modernes. Dans le premier numéro de « la Planète laboratoire »,j’ai présenté un article intitulé « la re c o n s t ru c t i o ngénérale du monde » qui décrit les engagements les plusprofonds de Galilée. C’est encore à lui que je voudraism’adresser. Il fut en effet le fondateur des laboratoires,espaces chargés de construire puis d’introduire dans lemonde sensible, mondain, des experimenta, cesphénomènes rationalisés. C’est en effet dans l’espacer é s e rvé des laboratoires que l’on va constru i re lesexpériences, utiliser les instruments qui sont autant dethéories concrétisées, en un mot que l’on va substituerprogressivement au monde des expériences chatoyantes,confuses, insaisissables de la vie quotidienne, unensemble d’objets et d’événements reconstruits selon lesprincipes de l’intelligibilité mathématique.

L’image de la planète issue des spéculations del’astronomie copernicienne ouvre une nouvelle ère, celledes temps mod e rnes mais elle le fait de façonreprésentative et abstraite. Pourtant elle annonce déjà defaçon prémonitoire le rassemblement final de tous lesprojets, de toutes les pratiques rationnelles reconstruisantpas à pas le monde « réel », ce monde radieux verslequel tend le progrès des sciences et des techniques. Ici,l’unité lumineuse de l’icône Terre qui apparaît au débutannonce la terre transfigurée de la phase rationnellefinale du processus (6). C’est en ce sens que nousproposons de voir dans la vision de cette planète l’atelierdans lequel le gnome Alberich, le maître des mondessouterrains des Nibelungen, le frère des Titans de laGrèce, forge le nouveau monde.Une dernière question se pose alors à nous :– quels moments de cet immense projet mod e rn e ,sommes-nous en train de vivre ?– sommes-nous arrivés dans la phase terminale duprocessus, c’est-à-dire la vision quasi-mystique d’une terretransfigurée et radieuse? – comment interpréter cette phase terminale ? relève-t-elle d’une transfiguration ou bien plutôt d’unedestruction et d’un effondrement ?Ne serions-nous pas plutôt les victimes de notre crédulitélisant des signes avant-coureurs, là où se déroulent lesévénements les plus banals ?Encore faut-il que nous ayons quelques critères pour nouspositionner sur l’échelle temporelle des sociétésmodernes.

3. Le naufrage des temps modernes

Icône et marque de fabrique des temps modernes (7),l’image de la planète Terre rassemble et annonce en une

seule représentation le projet ultime, celui d’une planètereconstruite. Mais ce travail de remodelage qui ne faisaitque commencer, il y a cinq siècles, constitua et constitueencore le projet central des sociétés modernes et forme lecœur de leur histoire. Cette re m a rque encore trèsgénérale nous livre pourtant l’une des clés permettant desituer la période contemporaine dans le déroulement desperformances scientifiques, techniques, industrielles etfinancières des sociétés modernes. L’apparition de plus enplus fréquente de phénomènes à dimensions et vocationsplanétaires indique que la reconstruction de la planèteselon les stru c t u res imaginaires des occidentauxmodernes est en train de progresser et de s’incarner dansdes pans de « réalité » de plus en plus fidèles au projet. Il se trouve pourtant que des perf o rm a n c e stechnoscientifiques présentant une dimension planétaireclairement établie sont apparues dans les cinq dernièresdécennies, pendant puis après la deuxième guerremondiale. Ces perf o rmances à vocation planétaireexplicite sont essentiellement issues des sciences et destechniques et concernent des armements nucléaire s ,chimiques, biologiques dont la puissance doit être endroit illimitée. Mais on constate aussi que les interactionset les améliorations techniques et scientifiquesconnectées aux industries entraînent d’autre sconséquences au niveau planétaire, détériorations desmilieux végétaux et animaux, réchauffement climatique,etc. A ce niveau d’avancement du grand projet de

re c o n s t ruction générale du monde, nos générationsassistent aux pre m i è res apparitions de mod i f i c a t i o n splanétaires, laissant ainsi prévoir une forte maturation dutravail de remodelage.

Mais cette planétarisation des pro j e t stechniques et scientifiques qui déploient en arrière-planune effervescence de type géo-ingénierie révèle aussi ladimension stupéfiante du « progrès » des sciences, destechniques, de l’industrie et des finances, c’est-à-dire lenihilisme de cette histoire occidentale moderne en sone n t i è reté scandé par les menaces grandissantes debouleversements planétaires liés à l’efficacité desperformances recherchées. Les changements d’échelledes applications de la techno-science, la reconnaissancede leurs impacts terrestres, peuvent être lus alors commeautant de traces d’un destin funeste. La reconstruction « réelle » du monde se confond peu à peu avec sadestruction et la planète radieuse s’effondre dans sesordures et son obscénité. Est-il temps de le dire : ce sontles temps modernes qui font naufrages et nous tous,sommes embarqués dans ce rafiot qui coule sous nospieds.Avant de me tourner vers la description de quelquessymptômes du nihilisme, il me faut amorcer des pistespour comprendre cet extraordinaire renversement quinous a fait passer si brutalement de notre confianceinébranlable dans le progrès des sciences, des techniqueset de l’industrie, à notre rejet de cette sotte croyance etsurtout, à notre peur d’ouvrir la dernière porte du châteaude Barbe-bleu (8), faisant ainsi sauter toute la baraque,en l’occurrence notre planète-poubelle.Il me faut avancer avec prudence car la transmutation estsi rapide et si brusque entre la confiance accordée auprogrès des technosciences et l’angoisse suscitée par leurs

performances actuelles, qu’il faut éviter de commettre desfaux-pas liés à la précipitation, d’autant que les tentativesde compréhension de ce renversement sont récentes. Jevoudrais cependant indiquer quelques orientationsphilosophiques qui permettent de prendre la mesure desévénements planétaires en train de se mettre en place ;mais je ne ferai que les évoquer dans ce texte car leurcomplexité est fort grande et demande qu’on séjourne unpeu dans les ouvrages qui en présentent les lignesdirectrices.

La suite dans le prochain numéro. On présentera lespoints suivants :- la sécularisation ou le versant fatal de l’histoire du

progrès ;- en deçà de la sécularisation, les origines cosmiques dunaufrage :Les temps modernes comme nouvelle gnoseLe naufrage des temps modernes et son analyseur « nihiliste »- retour vers quelques symptômes cliniques récents :

A propos du rapport de l’OTAN « Vers une grandestratégie pour un monde incertain – Renouveler lepartenariat transatlantique », 2007A propos du Large Hadron Colliser (LHC), cetaccélérateur du CERN et sa première entrée en serviceau mois de septembre 2008.A propos de l’article « Doomsday Seed Vault » enArctique, F. Engdahl paru le 4/12/2007

LA PLANÈTE LABORAT O I R E 2

Suite de l ’a rt ic le “La planète-laboratoire . . . ”

« Galilée introduit dans un monde chaotiqueune nouvelle lignée de phénomènes et d’être sintelligibles, présentant dans le monde sensible lespremières créations transparentes aux intelligibilitésmathématiques. Il inaugure une nouvelle histoire où seconstitue et se développe un nouveau mondereconstruit à partir des débris de l’ancien. II ouvre ainsil’immense chantier des hommes d’Occident qui, despetits laboratoires soigneusement clôturés, passeront àd ’ a u t res espaces rationnels, ceux des usines parexemple, là où, travail rationalisé et machinesmécaniques, réduiront et transform e ront à grandeéchelle les matériaux naturels et diffuseront à l’échelleplanétaire les objets techniques. Et cette circulation, enronds concentriques toujours plus larges et plus serrés,formera à son tour une nouvelle nature reconstruite,artificielle, toujours plus rationnelle. Cette premièreexpérience construite, fondant l’espace réservé deslaboratoires, met en branle un mouvement synergiquecomplexe où les réalisations scientifiques sortant deslaboratoires, se transfèrent à l’industrie. Celle-ci à sontour, en propage les retombées dans la vie sociale deshommes. De ce processus, surgira peu à peu et semettra en place un nouveau monde, le nôtre.

La formation de la raison scientifiquecomprend à la fois ce versant spéculatif déjà évoqué, lamise en place de nouvelles approches, l’importance

accordée aux quantifications, et un versant pratique,celui que révèle l’expérimentation et à propos duquel sedéveloppent régulièrement de nombreux contresens.L’expérimentation n’est pas d’abord vérification maisinstitution, construction d’une nouvelle réalité. Atravers la place éminente tenue par l’expérimentationet les laboratoires, d’expériences en expériences, delaboratoires en laboratoires, se manifeste l’existence decet autre versant de la raison moderne, son aspectmilitant et activiste. La raison militante est la faceactive de la raison, indissolublement liée à son versantspéculatif, créant pour elle un monde de moins enmoins opaque à son projet de transparence…

Dans ce contexte, la raison observ a n t emoderne peut participer à l’édification du chantierinterminable où se construit un autre monde plein desens, un monde incarnant peu à peu un ordre autonomeà travers l’expérimentation scientifique, à travers lesréseaux des laboratoires et des usines. Passons alors àla limite : ne s’agit-il pas de substituer au monde initialdonné un autre monde rendu perméable au travail de lamathématisation? La rationalité à l’œuvre dans lessciences modernes aurait donc deux versants, unversant spéculatif, théorique et un versant activiste,militant, ayant pour objectif de reconstruire la natureet l’homme afin qu’ils deviennent diaphanes,transparents à l’œil de la raison spéculative (5). »

(5) - Tibon-Cornillot, La reconstruction générale du monde,in La planète-laboratoire, n°1, page 4.(6) - Cette démarche se retrouve chez Hegel dans la préface dela phénoménologie de l’Esprit : « L’ébranlement de ce mondeest seulement indiqué par des symptômes sporadiques ;l’insouciance et l’ennui qui envahissent ce qui subsiste encore,le pressentiment vague d’un inconnu sont les signes précurseursde quelque chose d’autre qui se prépare. Cet émiettement quin’altérait pas la physionomie du tout, est interrompu par la levéedu soleil qui, en un éclair, esquisse en une fois l’édifice dunouveau monde. Mais ce nouveau monde a aussi peu une

effectivité accomplie que l’enfant qui vient de naître et il estessentiel de ne pas négliger ce point. Le premier surgissementn’est d’abord que son immédiateté ou son concept. Aussi peu unédifice est accompli quand on en a jeté les fondements, aussi peule concept du tout qui vient d’être atteint est-il le tout lui-même.», Hegel, préface de la phénoménologie de l’Esprit,Aubier, Paris, 1966, pp. 31-33.(7) - On entendra par « temps modernes », la modernitéoccidentale Scientifique, Technique, Industrielle, Financière(8) - G. Steiner, Dans le château de barbe-bleu, éditions duSeuil, Paris, 1977

Operation Cue - ligne de mannequins à 7,000 pieds de l’impact pour évaluer les radiations thermales aprèsl’explosion, 5 mai 1955.

Page 3: La planète-laboratoire ou la phase terminale du nihilisme

Recherches sur les forces formatrices d’anéantissement

par Bureau d ’étudesg roupe conceptuel indépendant

Les forces formatrices de l’anéantissement dont nousvoulons parler dans ce texte sont celles présidant àla mort de l’homme et de la nature. Nous ne

r é p é t e rons pas ici le constat aujourd’hui banal del’obsolescence et de la mort annoncée de l’humanité oude la nature voulant plutôt mettre à jour les forces enprésence qui travaillent à leur réalisation sur la planète.Pour cela, nous devrons d’abord faire une petite incursiondans l’organisation de la planète et dans la positionp a rt i c u l i è re attribuée au système nerv e u x dans cetteorganisation.

L’histoire de la Terre est un laboratoire, une situationd’expérimentation dans laquelle interagissent minéral,végétal, animal et humain. Dans ce grand laboratoire, ondésigne parfois sous le nom d’ère psychozoïque ce temps oùla conscience et la connaissance commencent à affecterla Terre (1). Par ce terme est suggérée une émergence,celle de l’activité psychique. Or, on pourrait considérerque le règne animal et l’homme sont déjà présents dansles règnes minéral et végétal, à la façon dont la graînecontient déjà les feuilles, les fleurs et les fruits. Ondistinguerait ici une force géologique, ni matérielle niénergétique par le nom de noosphère, qui dessinerait avecla géosphère et la biosphère une organisation tripartite denotre planète (2). L’émergence et le développement de la noosphère est liéeselon certains auteurs au développement cérébral, c’est-à-dire à une forme particulière de la biosphère (3). Onpourrait qualifiée de céphalocentrique, la pensée selonlaquelle le système nerveux central et la céphalisationseraient les lieux organiques de la conscience et de laconnaissance, c’est-à-dire de constitution de lanoosphère sur la Terre. Cette focalisation sur le système nerveux central peutêtre contestée, considérant par exemple que le systèmenerveux entérique avec le cerveau abdominal qui lui sertd ’ o rgane central est le centre des fonctions vitales(fonctions vasculaires et viscérales, nutrition, gestation,respiration, circulation) – fonctions qui sontindépendante du cerveau crânial au point qu’un enfantné sans système cérébrospinal peut continuer à vivre (4).Ces fonctions vitales bien que généralementinconscientes et ne passant pas par des représentations,entretiennent des relations avec le monde environnant.Nous considérerons cependant que l’activité pensante etla conscience de soi trouve son assise dans le systèmeneuro-sensoriel. Le système nerveux est un système fermé. “En tant quesystème fermé, le système nerveux n’est pas à même dedistinguer entre des transformations de l’activité neuronale quiviennent de l’extérieur et d’autres qui viendraient del’intérieur“ (5). Autrement dit, du point de vue dusystème nerveux, il n’y a pas de différence sujet/objet, pasde différence entre perception et hallucination, entrededans et dehors. Car il opère sans relation directe aumonde environnant et ne construit donc qu’avec deséléments qu’il constitue lui-même. Mais bien que clôt enlui-même, le système nerveux central n’est pas enposition d’extériorité au monde. Les particules quicomposent la matière perçue composent également celledont sont constitués l’œil, le cerveau, etc., bref, lesystème neuro-sensoriel lui-même. Ce cercle entre moi etnon-moi avait été déjà perçu par le philosophe allemandSchelling, pour qui la nature ne saurait être distinguée del’observateur, parce que l’observateur fait lui-même partiede la nature (6). Ce qui observe, c’est précisément cequi est observé. Parce qu’il y a une boucle entre observateur et observé, iln’y a pas de réel-en-soi, c’est-à-dire d’objet radicalementétranger au sujet observant. L’ o b s e rvateur ne peuts’écarter suffisamment du réel pour le transformer enobjet distant, toute propriété d’un réel observé étant, parconséquent, intimement liée à la pensée qui la met en

évidence. De plus, aucun observateur ne peut séparerdans le langage qu’il utilise une part qui décrit le monde,d’une autre qui décrit sa contribution conceptuelle.Enfin, l’essai de compréhension du réel-en-soi se heurte àl’excès de complexité de ce réel. L’essai de surmontercette complexité par une concentration sur les moyennesou sur des diagrammes de récurrence, n’équivaut pas àune saisie spéculaire du réel mais à une sélection desaspects les plus pertinents relativement à nos intérêtscognitifs. Contrairement à la croyance au réel-en-soi qui prétenddistinguer l’observateur de l’objet observé – enlevant, encela, toute valeur esthétique, éthique et téléologique àl’observation – la boucle raccordant l’observateur etl’objet observé active implicitement des valeursesthétique, éthique et téléologique. Ces valeurs dessinenten quelque sorte, les limites imaginaires de l’objeto b s e rvé. Il n’en va pas autrement d’une créationthéorique qui, quoiqu’elle fasse appel à des objets idéels,est, elle aussi, un certain genre d’observation.Il nous faut à présent nous déplacer vers la pensée d’unphilosophe du XIXe siècle dont les remarques tententd ’ é c l a i rer la dynamique et les fins de cette boucleraccordant l’un à l’autre, l’observateur et l’objet observé.Pour Hegel, “le savoir sait qu’en se rapportant à un objet, ilest seulement en dehors de soi, il s’extériorise ; que ce n’estque lui-même qui s’apparaît à soi comme objet, ou que ce quilui apparaît comme objet n’est que lui-même“ (7). Or, cetteobjectivité, la médiation de l’objet dans la connaissancede soi, est, pour Hegel, un rapport aliéné à soi, un rapportqui ne correspond pas à l’essence de l’homme. Car cetteessence se réalise en tant que savoir absolu. Le savoirabsolu, sans médiation, exige le surm o n t e m e n t ,l’annihilation de l’objet, le surmontement etl’annihilation de l’être (la Nature). Bien que l’objet soit d’abord nécessaire à la consciencepour se connaître soi, la suppression de l’objet est lacondition de la constitution d’une conscience qui nedépend que d’elle-même. La constitution d’uneconscience qui ne dépend que d’elle-même est ainsi

étroitement liée à la mise à mort de la Nature. La Nature“a seulement le sens d’une extériorité qu’il faut supprimer“(8). Le savoir absolu serait-il donc la racine des forcesformatrices de l’anéantissement ?

Cette extériorité de la Nature qui doit être supprimée chezHegel, s’évanouit de soi-même chez Schelling, endevenant obsolète. Car, l’histoire transcendantale du moiévolue selon une loi immanente “d’après laquelle le sujetd’un moment antérieur devient l’objet du moment ultérieur“(9). Ainsi, dit-il, la lumière, qui s’oppose à la matièrecomme le sujet à l’objet devient elle-même objet. Elledevient organisme (10). Ainsi l’organisme, lumièredevenue objet, lumière concrétisée devient à son toursujet.Puis l’organisme qui semblait exister pour soi, devient àson tour l’instrument d’un terme supérieur. “Une fois quele processus (organique) a atteint son but, ce [terme] jusqu’àprésent subjectif doit lui-même passer à l’objet ; son règne, sasouveraineté s’achèvent, il fait place, à son tour, à unepuissance supérieure. (…) [Quand l’organisme] devient àson tour objectif, donc se subordonne à un sujet encore plusélevé – ce moment correspond à la naissance de l’homme :avec lui la nature, comme telle, est accomplie et un nouveaumonde commence, une série tout à fait nouvelle dedéveloppements”(11). Autrement dit, la souveraineté del’être s’achève et laisse la place au pur savoir : “Ce quiapparaît, vis-à-vis de l’être dans sa totalité, comme un termesupérieur où celui-ci est compris, ne saurait être que savoir.Ainsi, nous aurions désormais mené le sujet jusqu’au point oùil est pur savoir : arrivé là, son être ne consiste plus qu’ensavoir et nous ne pouvons plus le retrouver sous forme de choseou de matière“. L’homme est ici, comme chez Hegel, entant que lieu du savoir absolu ou du savoir pur, la forceformatrice de l’anéantissement. Que l’être, la Nature soit obsolète (Schelling) ou qu’elledoive être supprimée (Hegel), que l’objectivité, la Naturesoit néant, aliénation, voilà une pensée que ne partageaitpas Goethe, ni a fortiori Marx, qui peut être vu en ce quic o n c e rne la théorie de la connaissance, comme un

LA PLANÈTE LABORAT O I R E3

Le modèle montre une croissance relative du rayon de la Terre au cours de sa longue histoire : au fur et à mesure de cette croissance,les continents s’éloignent progressivement les uns des autres tandis que se déploient les Océans (Geology after the CGMW andUNESCO bedrock geology map, 1990)

(1) - 1) Le géologue américain Joseph Le Conte (1823-1901)développa l'idée que la métière vivante évoluait vers unedirection définitive, qu'il appelait l'ère Psychozoique. JamesDwight Dana (1813-1895), un géologue, minéralogiste etbiologiste, développa une idée similaire, qu'il nommaitcéphalisation. Dana fit remarquer que dans le temps géologique,il y a deux milliards d'années ou probablement bien plus, ono b s e rve un processus irrégulier de croissance et deperfectionnement du système nerveux central, en commençantpar les crustacés (que Dana a étudié en premier), les mollusques( c é p h a l o p oda), et en finissant avec l'homme. C'est cephénomène qu'il nomma céphalisation. Dana participa à laWilkes Exploring Expedition (1838-1842) qui découvrit le PôleSud Magnétique et détermina que l'Antarctique était uncontinent.(2) – cf Vladimir I. Ve rn a d s k y, Some words about theNoosphere, American Scientist, Janvier 1945. Le concept de

"biosphere", c'est-à-dire le "domaine de la vie", fut introduit enbiologie par Lamarck (1744-1829) au début du XIXème siècle,et en géologie par Edward Suess (1831-1914) à la fin du siècle.(3) - Voir Teilhard de Chardin, Le phénomène humain, Seuil,1955(4) - Johannis Langley déclare "... le cerveau abdominal fait plusque simplement relayer de l'information du cerveau céphalique?Il était incapable de réconcilier conceptuellement la grandedisparité entre les 2 X 10 (8) neurones du cerveau abdominal etles quelques centaines de lobes du gros cerveau, autrement qu'ensuggérant que le système nerveux du cerveau abdominal étaitcapable de fonctions integrées indépendantes du systèmenerveux central"....(5) – Maturana, Erkennen. Die Organisation und Verkörperungvon Wirklichkeit. Ausgewählte Arbeiten zur biologischenEpistemologie. 2. Durchges. Auflage. Autorisierte Fassung vonW.K. Köck (‘Wissenschaftstheorie, Wissenschaft und

Philosophie’ 19), Braunschweig, Vieweg, 1985 (6) Friedrich Wilhelm Joseph Schelling, Einleitung zu seinemE n t w u rf eines Systems der Naturphilosophie [1799], Stuttgart ,Reclam, 1988, p. 19(7) – La lecture de Hegel provient ici de Marx, Manuscritséconomico-philosophiques de 1844 , Vrin, 2007, p.168(8) - Marx, op. cit., p.176(9) - Schelling, Contribution à l’histoire de la philosophiemoderne, PUF, 1983, p.126(10) – cf. W. Vernadsky, La biosphère, Félix Alcan, 1929, p. 12.Elle est le reflet de “la structure du cosmos, liée à la structure et àl’histoire des atomes, des éléments chimiques en général“. (11) - Schelling, Contribution à l’histoire de la philosophiemoderne, PUF, 1983, p.130

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Géo-ingénierie de la bombe atomique à la montée des eaux

Par Bureau d ’études

1. Des bombes atomiques “civiles”aux bombes atomiques “propres”

Un article du Bulletin of atomic scientists de juin1950 évoque les possibilités d’utilisation debombes atomiques pour creuser des canaux,

des mines ou encore pour briser des icebergs. Le signalde départ de la géoingenierie nucléaire date cependant dufameux discours intitulé “Atoms for Peace” prononcé parle Président Eisenhower le 8 décembre 1953. À la suitede ce discours, les Nations Unies financent en 1955 unec o n f é rence sur les usages “pacifiques“ des bombesatomiques. En France, enthousiasmé par l’idée de bombespacifiques, le scientifique Camille Rougeron écrit unemonographie décrivant la grande variété des applicationspossibles pour changer le cours des rivières, le climat,f a i re fondre les glaciers, constru i re des centralesénergétique souterraines et casser les montagnes pourexploiter les minerais avec le nucléaire .(1) En UnionSoviétique, l’ingénieur G.I. Pokrovskii évoque lui aussi lepossible usage des bombes atomiques pour creuser descanaux, considérant notamment que la “contaminationradioactive dans une explosion nucléaire ne devrait pas êtreconsidéré comme un obstacle insurmontable à l’usage de ceg e n re d’explosif pour l’exploitation minière ou laconstruction.“(2)

Les compagnies du complexe militaro - i n d u s t r i e laméricain ne tardent pas à mettre à profit ces visionsdémentes et sont les premières à mettre en œuvre desprogrammes secrets d’utilisation “civiles” des bombesatomiques (programme Plowshare). Il n’est pas encorequestion à l’époque, des projets nucléaires dits“propres”…En 1957, la pre m i è re explosion nucléaire civile esteffectuée sur le site militaire dans le désert du Nevada.C o n f i rmant les conjectures des ingénieurs, elle estbientôt suivie du projet Gnome en 1961 donnant lieu àla première explosion nucléaire souterraine.En 1956 Edward Te l l e r, créateur de la bombe àhydrogène, émet le projet dément de creuser un «secondcanal de Suez» à l’aide d’explosifs nucléaires. 300 bombes

n u c l é a i res enterrées traversant le sud du Panamasuffiraient à réaliser l’excavation du canal. Une autreoption envisage d’enterrer 764 bombes sur une lignetraversant la Colombie.En 1958 le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA)lui confie le Projet Chariot destiné à construire un portartificiel à Cap Thompson dans l’état de l’Alaska, enutilisant la bombe à hydrogène. Mais la sensitivité grandissante de l’opinion publique à lacontamination radioactive conduisit à une remise enquestion de ces projets, puis du programme Plowshare lui-même en 1977.

Dès les années 1950 les premières études paraissent,montrant les effets planétaires des essais nucléaires civilset militaires. Un rapport de l’ONU évoque que “l estrontium radioactif qui n’a jamais existé dans la nature setrouve présent de nos jours dans les os des enfants de l’èreatomique, vraisemblablement partout dans le monde. (…) Lesinvestigateurs de l’ONU ont découvert que la quantité destrontium radioactif [en provenance des explosions debombes H] absorbée par le système osseux des enfantsd’Orient est six fois plus forte que celle que l’on trouve chezceux d’Occident [les premiers consommant du riz,directement tiré du sol]”(3).

LA PLANÈTE LABORAT O I R E 4

successeur du premier. L’un comme l’autre (aussi opposéssoient-ils sur un plan social et politique) partagent unecompréhension intensive de la connaissance qui ne peutretourner d’une faculté isolée mais qui doit être uneexpérience vécue par le sujet entier ; même refus dum o rcellement de la nature en objets arr a c h é sa rtificiellement à leur enviro n n e m e n t : mêmeacceptation des organes des sens et de la parole humainecomme moyens valables et fiables de la connaissance. Chez Marx, le vrai savoir c’est le savoir extériorisé, c’estl’objectivité. L’objectivation n’est pas réification. Laproduction de l’objet n’est pas négation mais position desoi quand le sujet est activité libre et portant en elle-même sa propre fin. Est aliéné au contraire l’être nonobjectif, celui qui travaille pour un autre ou de façon nonlibre, car il n’est pas maître de sa propre activation. Letravail humain quand il est aliéné se re t o u rne enpuissance négatrice, en force formatrice del’anéantissement. Il aboutit à ce que l’homme soit sansobjet, perde l’objet dans lequel il exprime son être. Or, enperdant l’objet, le travailleur est privé de l’objectivité deson être, autrement dit, il n’est que subjectif : il est clossur soi, sans rapport sensible au monde et donc sansmonde. Et son absence de monde se conjugue à sonauto-anéantissement et à l’anéantissement de laNature. Il est “sans-être”, il n’est pas (12). Car l’être non-objectif “est un être non-réel, non sensible, un être seulementpensé, c’est-à-dire un être seulement imaginé, un être del’abstraction“. En étant déréalisé par l’argent ou par letravail abstrait (le travail machinisé), en se soumettant àun certain genre d’êtres non-réels, un certain genred’êtres de l’abstraction l’homme aliéné non seulementperd sa nature en tant qu’être historique mais il devient“c o n t re - n a t u re“ (13). Il perd sa faculté d’auto-engendrement naturel et historique. Il ne se reproduitplus sans l’aide de machines ou par pro c r é a t i o na rtificielle. Il ne se connaît plus lui-même sans lamédiation d’êtres abstraits. Cette contre-nature, ni naturelle ni spirituelle est uneréalité d’un troisième genre, la réalité des êtres automatiques,dotées d’une “vie“ mouvante en soi-même de ce qui estmort (14). La faculté d’auto-engendrement de ces êtresest constituée par ces forces formatrices del’anéantissement qui, comme le capital monétaire etmachinique (travail mort), viennent en remplacement

de la nature et de l’esprit. À la tripartition de la terre – géosphère, biosphère,noosphère – s’ajoute désormais une nouvelle sphère quiles nient, une technosphère, issues des forces formatricesde l’anéantissement. En se soumettant au pouvoir de cesforces de mort, de ces forces génératrices d’êtres non-réels, non sensibles, en s’en remettant au pouvoir de ceque Marx appelle “l’empire des êtres étrangers” (15), en sesoumettant aux objets qui, devenus sujets sont désormaisdotés d’un mouvement, d’une capacité d’auto-e n g e n d rement et d’une réflexivité pro p re, l’hommes’auto-avilie, s’auto-anénantit. Or, “les auto-aliénations nesont pas des fantasmagories idéales : on ne peut abolir ladépossession matérielle par une action purement intérieure denature spiritualiste” (16). Mais l’action matérielle suffit-elle à abolir ces êtres del’abstraction ? Et d’abord, pourquoi faudrait-il soignerl’homme, la Nature, lutter contre leur déchéance ? Nedoivent-ils donc pas mourir, devenir l’objet d’un termesupérieur ? La Terre ne doit-elle pas être désert etl’homme laisser place au Successeur ? Ne devrait-on pasreconnaître dans le suicide de l’humanité technologique,l’ultime sacrement qu’elle est capable de s’auto-administrer ?D’ore et déjà, un siècle après Marx, l’homme et la Terresont plongés dans l’abstraction des machines au pointque, comme le reconnaît justement Donna Haraway,l’homme est aujourd’hui cyborg (17). Aller contre ce quifait notre présent, soigner l’homme et la nature, retarderla minéralisation et l’abstraction, lutter contre les forcesd’aliénations, permet sans doute de gagner du temps deretenir la fin sans fin, l’accélération que nous évoquionsdans le numéro précédent de la planète-laboratoire. Carcette fin sans fin prétend se projeter aussi loin quel’oekoumène humain, toujours plus loin, plus profond,dans les confins de l’univers (18). Mais s’agit-il seulementde gagner du temps ? Ne s’agit-il pas au contraire depoursuivre un autre devenir dont nous ne connaissons pasencore la forme ?Le mode d’action possible contre les forc e sd’anéantissement des êtres de l’abstraction demeureencore mal connu. Avant toute action, il nous faut aupréalable reconnaître dans les êtres abstraits, des êtres quiagissent sur l’histoire et la nature, qui suscitent unp rocessus de régression org a n i q u e, d’auto-abaissement,

d’auto-avilissement de l’homme, c’est-à-dire de l’histoireet de la Nature. Et parce qu’ils nous abaissent et poussentà notre anéantissement, nous ne pouvons seulement lesvoir comme des nuisances mais bien comme des forcesadverses qui - quel que soit leur ontologie, êtres fictifs oucontre-entéléchies - ne répondent pas aux mêmes finsque celles de l’homme réel (19). Mais il n’appartient pasau présent texte d’identifier ces êtres abstraits, de lesqualifier ni de préciser les relations possibles que nouspouvons entretenir avec eux.

(12) - “un être non-objectif est un non-être” (Marx, Manuscritséconomico-philosophiques de 1844 , Vrin, 2007, p.167)(13) - Marx, Manuscrits économico-philosophiques de 1844 ,Vrin, 2007, p.179(14) – Hegel cité dans Michel Tibon-Cornillot, Les corpstransfigurés, Mécanisation du vivant et imaginaire de labiologie, Seuil, 1992, p.267(15) - Marx, Manuscrits économico-philosophiques de 1844,Vrin, 2007, p.177(16) - Marx, La Sainte famille, p.104(17) – Donna Haraway, Le manifeste cyborg ,http://multitudes.samizdat.net/spip.php?article800(18) – Cette poussée vers les confins est clairement expriméepar l’astronome russe Nikolaï Kardashev, qui définit en 1964une échelle de classement des civilisations en fonction de leurniveau technologique, c’est-à-dire aussi de leur puissanced’anéantissement. Une civilisation de Type I est capabled’exploiter, pour ou contre soi, toute l’énergie disponible sur saplanète d’origine. Une civilisation de Type II collecte toutel’énergie du Soleil. Une civilisation de Type III, l’énergie de sagalaxie. Une civilisation de Type IV, l’énergie d’un superamasgalactique et une civilisation de Type V toute l’énergie del’Univers visible.(19) - Par “êtres fictifs“ nous ne voulons pas entendre cesfictions bien fondées qualifiant les infinitésimaux chez Leibniz.Par contre-entéléchies nous ne voulons pas entendre desconcrétions de noumènes, de choses-en-soi (comme l’énonceFriedrich Dessauer) mais davantage – pour reprendre un termeque les Romains appliquaient à l’esprit malfaisants de leursmorts venant les hanter – des larves ou des lémures. Une larveest une concrétion de travail mort – capital monétaire oumachinique - continuant d’une mort vivante se mouvant enelle-même.

Localisation des expérimentations d'épandages dans les nuages en Australie. E, (Emerald Experiment), NE, (NewEngland Experiment), W, Waraggamba Dam Experiment, SM, (Snowy Mountains Experiment) MW, (MelbourneWater Experiment), WV (Western Victorian Cloud Seeding Experiment), SA, South Australian Experiment, WA(Western Australian Northern Wheatbelt Cloud Study) and Tasmania (T).

Page 5: La planète-laboratoire ou la phase terminale du nihilisme

Dans les années 70, le reflux des mouvementsr é v o l u t i o n n a i res rejoint la montée en puissance desmouvements écologiques. L’Internationale des irradiésremplace l’Internationale révolutionnaire, l’irradiation seprésentant désormais comme plus petit commundénominateur que les gouvernés ont en partage. En supprimant définitivement l’idée de nature non-anthropique sur Terre, en suscitant la prise de consciencedes effets systémiques de l’activité humaine, lesexpériences nucléaires à grande échelle ont inauguré unnouvel âge de l’ingénierie modifiant les systèmese n v i ronnementaux, climatique, océanique,atmosphérique, qu’elles auront d’abord détruits par leurgénie industriel et militaire. Certains chercheurstrès actifs dans le développement de l’ingénierieatomique se re t ro u v e ront d’ailleurs aux avant-postes de l’ingénierie climatique.

2. Des bombes atomiques à la géoingénierie

La modification locale du climat estexpérimentée et mise en œuvre militairement

et commercialement depuis quelques décennies. Latechnique de l’ensemencement des nuages(Cloudbusting) pour provoquer des pluies, estdécouverte à la fin des années 40 et expérimentéeau cours des années 40-50.(4) En 1953 un comitéconsultatif du Président sur le contrôle climatiqueest établi pour poursuivre ces idées et en 1958, leCongrès des Etats-Unis augmente le budget derecherche dans la modification du climat.L’expérimentation à grande échelle est égalementen cours en Union Soviétique même si lesrecherches sont plus secrètes. Autour de 1956, lesingénieurs soviétiques spéculent un barrage sur ledétroit de Bering qui permettrait de pomper l’eaude l’Océan Arctique dans le Pacifique. L’ e a uchaude drainée vers le haut de l’Océan Atlantiqueéliminerait la banquise arctique, rendant l’océannavigable et réchauffant ainsi la Sibérie.En 1955 John Von Neumann, mathématicien,physicien, et père de la cybernétique, confie aumagazine Fortune, que “des couches microscopiquesde matière colorée épandues sur une surface de glace oudans son atmosphère, pourraient empêcher le procédéde réflexion-rayonnement, et faire fondre la glace,changeant ainsi le climat”. En 1961 le climatologiste russe Budyko spécule surla possibilité de modifier le climat par desépandages aériens de poussière de suie sur la neigeet les glaces arctiques. La suie abaisserait l’albédo(taux de réflexion du soleil) et ainsi l’airaugmenterait en chaleur (5). Pour parer au scandale provoqué par ces actions“ c o n t re - n a t u re”, dès 1965, le gouvern e m e n taméricain dans une notification s’autorise àp re n d re des mesures compensatoires si leréchauffement climatique dû à l’augmentation desgaz à effets de serre comme le dioxyde de carbonedevenait crucial. Ces mesures compensatoire sévoquées ne concernent pas la limitation del’utilisation des combustibles fossiles mais bien dessolutions relevant de la géoengenierie tell’épandage aérien de particules sur l’océan ou àtravers l’atmosphère créant ces “miroirs” artificielschargés de réfléchir davantage la lumière solaire.Le coût de ces projets a été estimé à $500 millionspar an, et prétend être moins coûteux que tous lesa u t res programmes de lutte du gouvern e m e n tcontre le réchauffement climatique (6).

Les scénarios proposés pour prévenir des changementsclimatiques ne peuvent tous être évoqués ici. Une étudeaméricaine en recense les plus exotiques (7). Il est sûr quecertains d’entre eux ont dépassé la phase expérimentale(épandage de micro- et de nanoparticules de fer dans lesocéans) et que d’autres semblent être réalisés à l’échelleplanétaire depuis plusieurs années (utilisation des avionscivils pour renvoyer une partie du rayonnement solairedans l’espace par l’utilisation de particules d’aluminiumréflectrices)(8). Ces manœuvres sont couplées àd ’ é n o rmes projets de modélisation informatique dessystèmes climatiques planétaires, modélisations dontJohn von Neumann en 1945 disait qu’elles devraient êtrepréalables à toute ingénierie du climat. Dans les années 1970 sous le nom de code “Nile Blue“,l’ARPA (Advanced Research Projects Agency) lance unp rojet secret de plusieurs millions de dollars pourdévelopper ces modélisations. Dès les années 1920, L. F.Richardson imagine un théâtre informatique de 64 000ordinateurs (le Computing theater) destinés à modéliser età prédire le climat planétaire (9). Cette imagination estréalisée par des chercheurs du Los Alamos National Labsqui simulent une sphère planétaire divisée en 500 000tétraèdres de 20 miles de côté, pour modéliser le climatde la Terre. Les catastrophes contribuent au développement dessystèmes de contrôle planétaires prétendant lesmaîtriser.Elles contribuent à la mise en œuvre des pensées les plusfolles. De vieilles idées retrouvent un second soufflecomme ce grand projet de l’ingénieur allemand HermanSorgel qui projeta de clôturer la mer Méditerranée par ungrand barrage au Détroit de Gibraltar (10). LesHollandais possèdent déjà une infrastructure de $2.5trillions (équivalant au montant des échangescommerciaux entre l’Union européenne et les Etats-U n i s ) pour protéger la population hollandaise desincursions des eaux. Une montée des eaux de 2 mètres surtoute la planète pourrait bien provoquer des actionstitanesques pour protéger les aires habitées.

Si l’économie de guerre a souvent permis de relancer lesmachines économiques essoufflées tout en augmentant lac o e rcition sociale, l’économie de catastro p h eenvironnementale pourrait bien lui ressembler commeune sœur : elle offre du travail et des opportunités

nouvelles pour le redéploiement industriel. Une telleéconomie s’appuie sur une fonctionnalisation radicale dela planète. Car une catastrophe, en dehors des avantagesstratégiques qu’elle peut occasionner - est d’abord unmanque à gagner. Or rien n’empêche – comme le suggèreun article de la revue Nature (11) – de considérer la Terrecomme un vaste tableau input-output d’échangesenvironnementaux, un système économique produisant desbiens et des services dans ce qui pourrait s’appeler uncapitalisme à développement durable. L’écologie dessineici le nouveau programme d’une ingénierie systémique oùla planète se distingue de l’usine non par la taille et lacomplexité des facteurs mis en jeu mais plus par lesfinalités.

(1) – Camille Rougeron, Les applications de l’explosionthermonucléaire, Berger-Levrault, 1956. (2) – G.I. Pokrovskii, Sur les usages industriels des bombesnucléaires, Gornyi Zhurnal, Vol. I, pp. 29-32. (3) – Cf. Calder, Ritchie (1963), L’homme et ses techniques,Payot, p.236(4) –Aujourd’hui, aux Etats-Unis, vingt-neuf États ont autorisédes programmes de modification climatique. La dissipation desnuages à basse température par l’ensemencement de nitrogèneliquide ou d’air compressé est devenu une routine sur certainsaéroports. De l’Israël à la Russie, de l’Australie aux Philippines,l’ensemencement des nuages est utilisé régulièrement poura c c ro î t re les chutes de pluie. Le plus grand systèmed’ensemencement de nuages au monde est celui de la Chinepopulaire. (5) - Budyko, Mikhail I. (1962). Some Ways of Influencing theClimate. Meteorologiia I Gidrologiia 2: 3-8. (6) - cf. Pre s i d e n t ’s Science Advisory Committee (1965).Restoring the Quality of Our Environment. Report of theEnvironmental Pollution Panel. Washington, DC: The WhiteHouse, p. 127. (7) – par exemple : 24000 personnes employées à manœuvrer350 canons installés en mer, chaque canon tirant 120 obus de860 kilos contenant de la poussière d’uranium, 250 jours par an(coût : 100 milliards de dollars) (p.818, National Academy ofSciences, National Academy of Engineering, Institute ofMedecine (SEM). Plicy Implication of Greenhouse Warming :Mitigation, adaptation and the science base (1992).www.nap.edu/books/0309043867/

html/index.html etwww.nap.edu/books/0309043867/html/index.html. Voir aussi Active ClimateStabilization : Practical Physics-Based Approaches toP revention of Climate Change in AcadémieNationale d’Ingénierie, Washington DC, 23-24avril 2002,www. l l n l . g o v / g l o b a l w a rm / 1 4 8 0 1 2 . p d f ,www.llnl.gov/globalwarm/148012.pdf(8) – Le danger d’une altération des systèmes duclimat planétaire – alors même qu’une petiteexpérience comme Biosphere II n’a pas étémaintenue avec succès - a cependant bien étéexprimé par la National Academy of Sciences auxE t a t s - U n i s : "Les diff é rentes options de géo-ingénierie ont le potentiel d'affecter l'effet deserre et le réchauffement à un niveau substantiel.Cependant, précisément parce que cela pourraitse passer, et parce que le système climatique et sachimie sont peu compris, ces options doivent êtreconsidérées avec précaution... Certaines de cesoptions sont relativement peu couteuses à mettreen place, mais toutes laissent planer des doutesquant à leurs effets collatéraux surl'environnement."(9) – cf le livre "Weather Prediction by NumericalProcess" de Richardson publié en 1922. Dans"The Mathematics of Chaos", Ian Stewartcompare la prédiction numérique du temps à unjeu d'échec en trois dimensions. Les grillestétraèdriques forment le plateau de jeu, les valeursnumériques assignées aucx variables météo sontles pièces, et le temps de demain correspond à uneétape du jeu. Les règles du jeu sont les équationsde mouvement dans l'atmosphère.(10) - Prévoyant une construction s'étalant de1929 et 1953, l'architecte allemand Herm a nSorgel (1885-1952) envisageait la constructiondu plus grand barrage du monde qu'il estimaitpouvoir prod u i re 50000 Mwe au Détroit deGibraltar en réduisant l'entrée de la Méditerranéeà 200m. "L'Atlantropa" de Sorgel est conçucomme un macro p rojet d'exploiation del'hydroélectricité du nord de l'Océan Atlantique.(11) - “Si l’on payait réellement les serv i c e sd’écosystème au niveau de la valeur de leurcontribution à l’économie mondiale, le système deprix mondial serait très différent de ce qu’il estaujourd’hui. Le prix des biens et des services utilisantd i rectement ou indirectement des serv i c e sd’écosystème serait beaucoup plus grand (…). Nousestimons dans cette étude que la valeur annuelle deces services est de 16 à 54 billions de US$, avec unemoyenne estimée de 33 billions de US$ [soit 1.8 foisle PNB mondial actuel]. “ (Robert Costanza,Ralph d’Arge, Rudolf de Groot, Stephane Farber,Monica Grasso, Bruce Hannon, Karin Limburg,Shahid Naeem, Robert V. O’Neill, Jose Paruelo,Robert G. Raskin, Paul Sutton et Marjan van denBelt, La valeur des services de l’écosystèmemondial et du capital naturel, Nature, Vol.387, 15mai 1997)

LA PLANÈTE LABORAT O I R E5

Le projet d'irrigation du Sahara en créant un "Deuxième Nil"pour alimenter le lac Tchad fait partie du folklore de la géo-ingénierie (cf.Earth systems engineering and management byStephen H. Schneider, Nature 409, 417-421 (18 janvier2001).

Drainage de la Mer du Nord pour agrandir l'Europe - il y a 10000 ans leniveau de l'eau était plus bas de 120 mètres. La Mer du Nord n'était doncpas une mer, mais un pont de terre qui joignait l'Angleterre à l'Europe.Les géologues appellent cela le Doggerland, d'après la Dogger Bank, laplus large bande de sable de la Mer du Nord aujourd'hui. Dans les années30, un plan fut imaginé pour récupérer ces terres enfouies. "Si les plansde drainages extensifs de la Mer du Nord sont conduits selon le schémaillustré ci-dessus, qui a été conçu par d'éminents scientifiq u e sbritanniques, 100000 miles carrés de terre seront ajoutés au continenteuropéen surpeuplé. La terre récupérée serait contenu derrière des digues,similaires aux digues hollandaises, pour la protéger de la mer, et lesrivières variées tombant dans la Mer du Nord seraient déviées par descanaux." (Septembre 1930).

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Le vaudou planétairePar Ewen Chard ro n n e t

Sea-based X-Band radar mobile (SB-XBR-1). Port d’attache : île Adak dans le détroit de Bering

Le 13 décembre 2001, nouvelle donne post - 11 sep-tembre oblige, les Etats-Unis notifient leur sortiedu traité ABM (Anti-Ballistic Missile) de 1972. Le

traité avait été signé à l’époque pour limiter la course auxmissiles nucléaires intercontinentaux et avait perm i sd’ouvrir une période que l’on qualifia de « détente » entreles deux blocs de la Guerre Froide. Se retirant du traité,les USA mettaient ainsi fin à trente années d’équilibredans la dissuasion nucléaire au nom de la « Guerre contrela Terreur ». Ils prenaient également acte de la recompo-sition de la région Eurasiatique mais surtout s’autorisaientau redéploiement de leurs forces nucléaires et de leurs sys-tèmes de détection.Un an plus tard, le 16 décembre 2002, George W. Bushsigna le plan pour de nouveaux systèmes opérationnels dedéfense NMD (National Missile Defense) à l’horizon 2004,et évoquait déjà l’intérêt porté sur leurs territoires, auprèsdes délégations polonaise, tchèque et hongroise lors dusommet de l’OTAN de 2002. La surprise n’était donc pastout à fait totale pour les experts en dissuasion nucléairelorsqu’en janvier 2007 les Etats-Unis transmirent lademande officielle d’installation de sites. Malgré les pro-testations russes « d’alimenter la course à l’armement »,le 28 mars 2007, la République tchèque donnait son feuvert à l’ouverture de négociations avec les Etats-Unis surl’installation d’un radar près de Prague. Le bouclier anti-missile que les Etats-Unis veulent installer en Europecentrale à l’horizon 2012 comprend dix missiles intercep-teurs déployés en Pologne et un radar ultra-perfectionnéen République Tchèque.Revenons un peu sur l’histoire de cette technologie et desimplantations successives de ces monuments de l’èrenucléaire.

Alerte Précoce

La Seconde Guerre Mondiale a permis un développe-ment rapide de la technologie radar (1), dans les airs

ou sur les mers. En 1945, avec la preuve par les faits dupouvoir de destruction de la bombe A se pose la questionde la détection des missiles longue distance. Le conceptde bouclier anti-missile balistique va ainsi prendre forme: radars de détection précoce et missiles anti-missiles dedestruction en vol des têtes nucléaires ennemies.Dans les années cinquante, deux objectifs primordiauxvont définir la pre m i è re génération d’arm u res anti-nucléaire : la construction d’une barrière de détectionprécoce des missiles balistiques trans-polaires et la syn-chronisation informatique centralisée des dispositifs dedétection radar. En effet, les missiles nucléaires longueportée, s’ils ne peuvent pas réellement franchir l’Atlan-tique, peuvent tout de même atteindre leurs cibles enpassant au dessus du Pôle Nord. Cette menace est prisetrès au sérieux par les Américains et les Soviétiques et lacourse à l’armement anti-missile est lancée entre les deuxblocs.Les USA enregistrent un premier succès de synchronisa-tion informatique avec le système SAGE (Semi-Automa -tic Ground Environment) qui est mis en service à partir de1951. La machine reliée à 50 écrans communiquait avecune centaine de radars sur la Pinetree Line Canadienne etpouvait suivre 400 avions.La portée des systèmes de détection radar va s’accroîtred’année en année et à la fin des années cinquante le sys-tème BMEWS (Balistic Missile Early Warning System) de

détection précoce de missiles balistiques dès leur sortie del’espace aérien soviétique est opérationnel. Le BMEWSest le déploiement de trois bases géantes de détectionradar longue portée (environ 4500 km) : FylingdalesMoore en Angleterre ; Thule au Groenland ; Clear enAlaska. Ces bases vont enserrer le pôle Nord pour sur-veiller la menace balistique trans-polaire soviétique. Ellessont toujours aujourd’hui un élément clé du dispositifaméricain.

De leur côté, les soviétiques déploient et testent à partirde 1959 différents systèmes de radars de détection satelli-te et de radars longue portée : Dunai-2 au Kazakhstan(ouest du Lac Balkhash) et Dnestr en Sibérie (Angarsk)et au Kazakhstan. Tous les radars ABM soviétiques porte-ront le nom de fleuves de l’Union. Testé avec succès lesystème ouvre la construction à partir de 1962 d’une basepour protéger Moscou sous le nom de A-35 ou « DogHouse » (la niche, selon la dénomination imaginative del’OTAN). De 1963 à 1969, deux radars Dnestr-M dedétection Anti-Missile Balistique (ABM-1) sont installéssur le front trans-polaire Nord-Atlantique à Olenegorsk(près de Mourmansk) et Skrunda (Lettonie). En 1969 leprojet EKVATOR va synchroniser le système ABM-1soviétique. L’OTAN définira cette armure naissante dunom de « Hen House » (le poulailler).

Traité de non-prolifération et protec-tion complète du territoire

Ala fin des années soixante, les deux réseaux synchro-nisés de détection précoce des missiles au dessus de

la zone polaire nord sont opérationnels. Mais la crise desmissiles à Cuba et l’augmentation de la portée et de lavitesse des missiles confirme la fragilité de la protection

territoriale aux frontières directes et de la détection trans-p o l a i re. Le délai de préavis d’attaque est passé de 15minutes à 2 minutes en dix ans. Cette situation va entraî-ner la prolifération des missiles anti-missiles à la fin desannées soixante et conduira l’URSS et les USA à signerle traité ABM (Anti-Balistic Missiles) en 1972, ouvrantune période de « détente ». Le traité limite le nombre demissiles anti-missiles. Il autorise la construction de l’ar-mure radar mais limite son développement aux capitaleset aux frontières.Derrière ce traité, la période de « détente » va doncconstituer le temps nécessaire pour la construction d’unedeuxième génération de systèmes d’armures (ABM-2).

Seconde Guerre Froide

Le 23 mars 1983, Ronald Reagan et les néo-conserva-teurs lancent la Strategic Defense Initiative (SDI) de

bouclier spatial connue aussi sous le nom de « S t a rWars ». Dans les couloirs du Pentagone on parle alors dela doctrine MAD (Destruction Mutuelle Assurée), c’est lafin de la « détente », l’Iran et le Nicaragua ont connu leurrévolution, Thatcher et Reagan ont été élus, l’URSS aenvahi l’Afghanistan. La SDI a notamment pour objectifde dynamiser l’économie « vaudou » américaine et d’as-phyxier l’investissement militaire soviétique dans ce quel’on appelle la « Seconde Guerre Froide ».En 1984, les systèmes radars émetteurs/récepteurs sovié-tiques de type Daryal, nouvelle génération rivalisant avecles radars Pave Paws américains, sont opérationnels àPechora (Sibérie) et Gabala (Azerbaïdjan). Ils vont com-pléter le Hen House (2). Une version spécifique, le radarVolga, commencera à être construit à Baranovichi en Bié-lorussie, en réponse au déploiement des missiles Pershingen Allemagne de l’Ouest. En contraste avec les Dnepr quiavaient une précision du mètre, les Daryal et Volga vont

LA PLANÈTE LABORAT O I R E 6

(1) - Le radar est un système qui utilise les ondes radio pourdétecter et déterminer la distance et/ou la vitesse d’objets éloi-gnés. Un émetteur envoie des ondes radio, qui sont réfléchiespar la cible et détectées par un récepteur, souvent situé au mêmeendroit que l’émetteur. La position est estimée grâce au tempsde retour du signal et la vitesse est mesurée à partir du change-ment de fréquence du signal par effet Doppler. Le radar est uti-lisé dans de nombreux contextes : en météorologie, pour lecontrôle du trafic aérien, pour la surveillance du trafic routier,par les militaires, en astronautique, etc. Le mot lui-même est unnéologisme provenant de l’acronyme anglais : RAdio DetectionAnd Ranging, que l’on peut traduire par « détection et estima-tion de la distance par ondes radio » ou plus simplement « radio-repérage ». Découverte en 1900 et définie théoriquement en1917 par Nikola Tesla, la technologie radar sera déposée en1935 par Robert Wa t s o n - Watt, brevet qui le fit considére rcomme l’inventeur « officiel » du radar. La Défense Britanniquefera alors la première commande de la construction, tout aulong de leur côte est, d’un réseau de radars qui portera le nom decode « Chain home » et qui sera déterminant au moment de labataille d’Angleterre en 1940. L’Allemagne nazie développera àpartir de 1937 le radar « Freya », plus performant que le systèmeChain Home, mais aussi plus coûteux, ce qui empêchera undéploiement efficace avant le début de la guerre. Malgré les opé-rations menées de mai à août 1939, le ballon dirigeable alle-mand Zeppelin LZ130 ne parviendra pas à prouver que les toursde 100 mètres de haut édifiées par les Britanniques de Ports-mouth à Scapa Flow étaient liées à des opérations radar et enconclura qu’elles formaient plutôt un réseau de radiocommuni-cations et sauvetage navals. Les Britanniques restèrent silen-

cieux au passage du Zeppelin... Il est dit que ce supposé avanta-ge technologique que croyaient avoir les Allemands les confir-ma dans l’invasion de la Pologne le 1er septembre 1939...

(2) - À partir de 1975, les USA construisent le système PAVEPAWS (Phased Array Warning System) de seconde alerte territo-riale. Au système BMEWS d’interception des missiles trans-p o l a i res, s’ajoutent les bases de Cape Cod (Massachusetts),Robins (Géorgie), Eldorado (Texas) et Beale (Californie), pourl’interception des missiles trans-océaniques. Les deux systèmessont centralisés à la base de Cheyenne Mountain (Colorado).Du côté soviétique, deux radars Dnestr deviennent opération-nels à partir de 1973 à Mishelevka (Irkutsk) et Lac Balkhash(Kazakhstan), mais l’année voit surtout le test du premier radarde type Dnepr qui va s’installer également dans la région du LacBalkhash. Il inaugure avec succès une nouvelle génération deradars. Des travaux de construction de radars Dnepr sont égale-ment confirmés à Skrunda (Lettonie), Mukachevo (Ukraine),Sevastopol (Ukraine) et Mishelevka. A partir de 1978 les radarsde Sevastopol et Mukachevo sont opérationnels. L’armure deprotection ABM-2 « Hen House » est alors complète. Reste lapartie Est du continent (est du fleuve Lena). Mais cette régiondésertique est alors trop lointaine pour la menace balistiqueaméricaine. Mais, en 1977, les USA ouvrent le radar CobraDane, localisé sur la base Eareckson de l’Ile de Shemya dans laMer de Bering. Cobra Dane sera conçu comme un radar d’es-pionnage avancé du bouclier, capable de collecter des donnéessur les lancements-tests de missiles soviétiques dans le Kam-chatka et l’Océan Pacifique.(3) - D’autres constructions de Daryal seront entamées, mais

bon nombre n’entreront jamais en activité (comme à Skrundaen Lettonie). En 1989, les soviétiques reconnaîtront l’existencedu radar Daryal de Krasnoyarsk qui enfreignait le traité ABM de1972. Le traité stipulait qu’aucun radar ABM ne devait êtreconstruit à plus de 150 kilomètres des frontières du pays et qu’ilsdevaient être dirigé vers l’extérieur. Or Krasnoyarsk se situe enSibérie centrale à plus de 800 km de toute frontière. Le radarsera démantelé progressivement de 1989 à 1991. Malgré cettedéconvenue et avant la chute du régime, l’URSS achèvera laforteresse ABM-3 de défense de Moscou, comprenant notam-ment un radar de type Don, une pyramide tronquée de 100 m debase et 45 m de hauteur.(4) - Généralement, les ondes radio ont tendance à voyager enligne droite. Ce qui limite la portée de détection des systèmesradars à des objets dans leur horizon visuel à cause de la roton-dité de la Terre. Les radars OTH utilisent la réflexion sur laionosphère des ondes courtes (HF), seule partie du spectre élec-tromagnétique présentant ces caractéristiques, entre 3 et 30MHz. Cette technique leur permet d’atteindre des distancesbien plus grandes, pour les détections d’avions ou missiles.Comme le sol et la mer vont également refléter ces signaux, onutilise généralement l’effet Doppler pour distinguer les « cibles »du bruit de fond. L’effet Doppler est le décalage entre la fré-quence de l’onde émise et de l’onde reçue lorsque l’émetteur etle récepteur sont en mouvement l’un par rapport à l’autre ; ilapparaît aussi lorsque l’onde se réfléchit sur un objet en mouve-ment par rapport à l’émetteur ou au récepteur. L’effet est ainsiutilisé pour calculer la vitesse de déplacement des objets.

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affiner au décimètre près (3).

Le signal « Woodpecker »

Apartir du début des années 70 les USA entamèrentle développement d’un système de radars OTH-B,

Over-the-Horizon Backscatter, et qui est aujourd’hui consi-déré comme le système radar le plus grand au monde (4).L’URSS mit également en place un système de radarstranshorizons à partir de 1976. Mais ceux-ci restèrentlongtemps secrets. Mais un signal HF claquant et répéti-tif fut largement identifié par les radioamateurs dès ledébut des activités OTH soviétiques. On lui attribua pourcette raison le nom de signal « Woodpecker » pour sasimilarité avec le claquement de l’oiseau. L’OTAN étaitl a rgement consciente que ce signal pouvait venir deradars OTH non-officiels du réseau ABM soviétique et lenomma quant à elle « Steel Yard ». Une triangulationpermit de le situer en Ukraine, quoique des erreurs demesures entraînèrent différentes interprétations quant àson origine. Pendant de nombreuses années, les incerti-tudes resteront fortes dans le civil quant à l’origine de cesignal ce qui encouragea les radioamateurs à émettre desexplications spéculatives de systèmes pour le contrôle cli-matique, d’armes à ondes scalaires ou encore de tenta-tives de contrôle à distance des esprits (mind control). Saquasi-disparition à partir de 1986 laissa également planerles doutes pour de nombreuses années encore.A u j o u rd’hui il est largement démontré que les radarsOTH soviétiques était situés à Komsomolsk-Sur-Amouren Sibérie extrême-orientale et surtout à Chern o b y l(émetteur) et près de Gomel (récepteur), tous les deuxdans la zone de contamination de la catastrophe nucléai-re. La situation de l’immense émetteur (plus de 200mètres de long pour 100 mètres de haut) à quelques kilo-mètres de la centrale expliquent peut-être pourquoi lesrusses et ukrainiens restèrent on ne peut plus discrets surl’origine du signal « Woodpecker »... Le radar OTH deChernobyl cessa en effet ses activités lors de la catas-t rophe nucléaire. De nouvelles théories spéculativesposent aujourd’hui la question de savoir si c’est la centra-le nucléaire qui provoqua l’arrêt du radar OTH ou bienl’inverse.

Nouvel Ordre

Après le démantèlement de l’URSS, le gouvernementletton imposera dans les années 90 un arrêt des acti-

vités à Skrunda, pour raison stratégique (rapprochementde l’OTAN) et par obligation de prendre en compte lesrumeurs et études inquiétantes d’irradiation des popula-tions vivant à proximité (5). Les attributions du radar deSkrunda seront reprises en partie à la fin des années 90par le radar Volga de Baranovichi, Minsk ayant demeilleures relations avec Moscou. Celui-ci avait mis plusde quinze avant de devenir véritablement opérationnel et

stratégiquement au niveau. Il a été depuis progressive-ment mis à jour.Enfin, le prototype de nouveau radar stratégique typeVoronezh, installé depuis 2006 près de Lejtusi, près deSaint-Petersbourg, va permettre de complètement fermerla cavité qu’avait laissé la démolition du radar de Skun-dra. Un autre Vononezh est actuellement en projet àArmavir dans le sud de la Russie, pour prévenir les incer-titudes liées à ses partenaires Ukrainien et Azerbaïdja-nais.Aux USA, la « Star Wars » sera un temps mise de côté.Malgré l’ambiguité des enquêtes sur les dangers desrayonnements non-ionisants et les taux de cancer pro-portionnellement plus élevés près du site de Cape Codnotamment,(6) les installations BMEWS et Pave Pawssubiront dans les années 90 des mises à jour successivespour en faire le système de détection considéré comme leplus infranchissable aujourd’hui.

A partir de 1995, les USA vont développé un radar denouvelle génération opérant dans la bande X (X-BandRadar, XBR) capable de détecter des débris de moins de10 cms. Le premier prototype portant le nom de HaveStare sera testé sur la base de l’Air Force de Vandenbergen Californie, puis déplacé sur le site de Vardo dans lenord de la Norvège en 1998 (nommé aujourd’hui Glo-bus). Le radar a pour fonction de surveiller les débris orbi-taux mais également les essais de missiles russes dans lazone polaire Nord-Atlantique.En 2006, le premier radar Sea-based XBR sort des chan-tiers navaux texans. Il s’agit d’un XBR positionné sur unesorte de plateforme pétrolière mobile et pouvant se dépla-cer dans des zones stratégiques. Ainsi le XBR mobile a étéenvoyé sur la base de Misawa au Japon pour dissuader etcontrôler l’espace aérien de la Corée du Nord, où encoredans la mer de Bering pour surveiller les tests de missilesrusses.Le radar qu’envisagent les américains en RépubliqueTchèque serait celui de l’atoll Kwajalein (Îles Marshall),un modèle XBR très perfectionné capable également deguider les missiles intercepteurs qui seraient installés enPologne.

Bouclier Commun ?

Lors du G8 de 2007, Vladimir Poutine a fait la propo-sition de faire bouclier commun face au Moyen-

Orient et l’Iran en utilisant leurs installations de Gabalaen Azerbaïdjan, mais cela semble relever de manoeuvresdilatoires. Le radar Daryal de Gabala est selon Moscou undes plus perfectionné du système russe, construit à partirde 1985 et avec une portée de 8000 kilomètres. Cepen-dant à Bakou, on murmure de plus en plus fort qu’à par-tir de 2012 l’Azerbaïdjan renoncerait à louer à la Russieson radar. Celui-ci fait l’objet d’enquête pour irradiationdes environs depuis 2005 (comme en Lettonie). Le radar

de Gabala est incompa-tible avec les systèmesde gestion anti-missileaméricains, et les Etats-Unis ne vont pas lere c o n s t ru i re pourl’adapter à leurs inté-rêts. Le radar de Gabala,comme celui prévu àA rm a v i r, ne pourro n tpas assurer le guidagedes missiles polonais etils ont le fâcheux incon-vénient de pouvoir toutobserver, sauf la Russie.Vladimir Poutine étaitdonc dans une situationdélicate et en a pris acteen avril 2007 en annon-çant un moratoire surl’application du Tr a i t éFCE (traité sur lesF o rces Convention-nelles en Europe) quiavait été signé à Paris le19 novembre 1990,e n t re 22 re p r é s e n t a n t s

LA PLANÈTE LABORAT O I R E7

des Etats de l’OTAN et du Pacte de Varsovie, puis par lesanciens états de l’ex-URSS. La situation est en effet cri-tique pour la Russie, bon nombre de ses radars se trouventà l’extérieur de son territoire (Biélorussie, Azerbaïdjan,Ukraine) et Moscou ne se sent pas à l’abri de révolutionsoranges chez ses partenaires où elle aurait donc beaucoupà perdre au niveau géostratégique, et en premier lieu en cequi concerne son système ABM. La Géorgie, entre Russieet Azerbaïdjan, paye le prix du nouveau Grand Jeu. Autrefacteur en période de crise financière, les moratoires per-mettent aux deux puissances de relancer l’industrie de l’ar-mement.

Les Américains et les Russes rejouent donc pour lemoment le vieux schéma de Guerre Froide, ce qui enterme de guerre économique a l’avantage de ne pas facili-ter la relance de l’Union Européenne (7) et de servir leursintérêts métastratégiques communs. Reste que les USAforcent la discussion sur la protection ABM contre unemenace nucléaire moyen-orientale à l’horizon 2020 ce quia conduit Mahmoud Ahmadinejad à qualifier le projet debouclier de « menace pour tout le continent eurasien etles pays membres de L’Organisation de Coopération deShanghai (OCS) » (Russie, Chine, Kazakhstan, Tadjikis-tan, Ouzbékistan et Inde, Pakistan, Iran et Mongoliecomme observateurs). La Russie ne se sent pas directe-ment menacée par l’Iran mais elle joue derrière Poutine ledouble-jeu Atlantiste-Continentaliste guidées par sespropres intérêts : désamorcer les révolutions oranges etconserver leur grille de défense ABM, mais également lut-ter contre l’islamisme dans le sud de la fédération. Elle sepositionne donc du côté des américains lorsque nécessaireet du côté iranien lorsque la politique américaine d’endi-guement se fait trop présente. Quoi qu’il en soit, un systè-me américain installé au coeur de l’Europe positionneraitde facto l’Europe comme territoire sous protection desUSA, comme un renforcement d’une position en Azer-baïdjan à la fro n t i è re iranienne risquerait d’embraserencore un peu plus la région caucasienne déjà instable quiva de la Tchétchénie au Kurdistan Irakien.

(5) - International Conference on the Effect of Radio FrequencyElectromagnetic Radiation on Organisms, Skrunda, LETTONIE(17/06/1994) et Motor and psychological functions of school chil -dren living in the area of the Skrunda Radio Location Station in Lat -via ; A. A. Kolodynski and V. V. Kolodynska ; Institute of Bio-logy, Latvian Academy of Sciences (1996). Cette étude a portésur 966 élèves, dont 224 vivaient dans des quartiers de Skrundasitués en face d’une station de radiolocalisation militaire de pré-alerte; cette installation émettait des fréquences comprises entre154 et 162 MHz, modulées par impulsions à 24,4 Hz. Trois centquatre-vingt-cinq enfants vivaient dans des secteurs de Skrundanon directement exposés à la station (enfants “ non exposés “).Un groupe témoin formé de 2 357 sujets provenant de la régionde Preili a aussi été examiné, cette région étant similaire à cellede Skrunda. Divers tests visant à évaluer la fonction motrice,l’attention et la mémoire ont été réalisés. Le groupe exposé deSkrunda a obtenu de moins bons résultats que le groupe nonexposé ; ces différences ont par ailleurs été plus marquées chezles filles.(6) - Assessment of Public Health Concerns Associated with PavePaws Radar Installations, Report Prepared for The MassachusettsDepartment of Public Health ; 1999 ; By Linda S. Erdreich, Om

P. Gandhi, Henry Lai, Marvin C. Ziskin. Et An Assessment ofPotential Health Effects from Exposure to Pave Paws low-level pha -s e d - a rray radiofrequency energ y ; 2005 ; Board on RadiationEffects Research, Division on Earth and Life Studies, NationalResearch Council, National Academies Press. L’analyse menée àCap Cod par le comité du NRC, sur la base de données de 2000,et en utilisant les informations disponibles sur la densité depopulation, la topographie, et la direction du faisceau radar PavePaws, a estimé que la proportion de la population du Nord CapeCod (résidence principale) soumis à une exposition directe auradar Pave Paws était de 11,8% en 1990 et 12,4% en 2000.L’analyse menée par le NRC concernant certains cancers,notamment colorectal, du sein (femmes), de la prostate et dupoumon, n’a pas mis en évidence une relation direct entre lenombre élevé de cancers dans le secteur géographique et l’expo-sition au faisceau Pave Paws.(7) - L’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy en France coinci-de avec le début des opérations d’un système radar de pointe desurveillance de l’espace orbital, le GRAVES (« Grand RéseauAdapté à la VEille Spatiale »), installé sur deux points du terri-toire : le système d’émission à Broye-les-Pesmes en Bourgogne etle système de réception sur l’ancien site des silos nucléaires du

Plateau d’Albion dans les Alpes-de-Haute-Provence. La Francedisposait déjà depuis 2005 du radar transhorizon révolutionnaireNostradamus (situé près de Dreux) qui permet de détecter desobjets jusqu’à 2000 kilomètres sur un rayon de 360 degrés et quiconstitue donc un bouclier d’alerte secondaire efficace pourl’Ouest Européen. Mais le lancement officiel du radar GRAVESau dernier salon du Bourget vient positionner la France commeinterlocuteur essentiel de la « Domination Totale du Spectre »,car jusque là seuls la Russie et les Etats-Unis disposaient de sys-tèmes de ce type, tel le AN/FPS-85 Electronically Steered ArrayRadar (ESAR) près de Freeport en Floride. Qui plus est, lors deson lancement, le jeu d’échec du renseignement spatial a pris unetoute autre tournure avec l’annonce de la détection d’une tren-taine de satellites de l’armée américaine gravitant sur orbite dite« basse » autour de la Terre et ne figurant pas dans le catalogueofficiel du Pentagone. Autrement dit, des satellites espions. An’en pas douter, la technologie développé par les ingénieurs del’Office national d’études et recherches aérospatiales (Onera)devrait permettre à l’atlantiste Nicolas Sarkozy de peser dans lesplans américains d’extension du bouclier stratégique.

Simulation du réflecteur laser Boeing embarqué surStratellite (High Altitude Airship)

Radar OTH, DUGA-3, Chernobyl

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Radar Voronezh, Lekhtusi, Russia

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Genèse d’une géo-industrieles icebergs

Par Ewen Chard ro n n e t

Comment alimenter les déserts en eau ? Enrécupérant les icebergs qui fondent vers le cerclep o l a i re... L’un des premiers à planifier

sérieusement le transport d’icebergs de l’Antarctique,dans les années 1950, est John Issacs, un océanographe dela Scripps Institution of Oceanography à La Jola enCalifornie. Il proposait alors que trois remorqueurs tirentun iceberg de 15km de long sur 1,5 km de large vers LosAngeles. Mais l’enthousiasme envers l’idée du transportd’iceberg s’est surtout manifesté durant les années 1970.En 1972, la National Science Foundation étasuniennefinance John Hult et Neill Ostrander du très militairethink-tank Rand Corporation pour l’étude A n t a rc t i cIcebergs as a Global Fresh Water ressource (1), les icebergsde l’Antarctique comme ressource globale d’eau douce.Ils défendent l’idée que cinq à six remorqueurs avec uneforce de traction de 125 tonnes chacun pourrait enprincipe tracter un iceberg de 100 millions de tonnes. Ilsproposent de tailler les icebergs en forme de proue debateau (2) pour les tirer tel un « train d’icebergs » d’un1,2 km de long à l’aide de remorqueurs avec une centralenucléaire en queue pour leur permettre de fonctionner àl’énergie nucléaire. La glace fondue serait ensuite pompéede la côte par pipeline et les icebergs en cours detraitement serviraient de réservoir et l’on y aménageraitdes équipements récréatifs pour les californ i e n s .P rolongeant la discussion, les Américains Weeks etCampbell publient en 1973 un article dans le Journal ofGlaciology, débattant de l’intérêt à exploiter les icebergst a b u l a i res de l’Antarctique pour leur eau. Quelquesannées après, en 1977, la First International Conferenceand Workshops on iceberg utilization for fresh waterproduction, weather modification and other applications –utilisation des icebergs pour la production d’eau douce,pour la modification du climat, et autres applications - sedéroule à l’Université d’Etat de l’Iowa. L’Egyptien AbdoHusseiny y enseigne la physique nucléaire et rêve dedéplacer des icebergs vers la Mer Rouge. Une grande partde la motivation et du financement de la conférencevient de l’Arabie Saoudite, et plus particulièrement del’Iceberg Transport International Ltd., dont le fondateur etprésident est le prince Mohammed Al-Faisal, alors neveudu Roi Khalid et riche industriel du pétrole. Cetteentreprise, créée en 1977, avait pour mandat d’étudier lafaisabilité du transport de 100 millions de tonnes d’eaud’iceberg de l’Antarctique jusqu’au port de Jeddah, surune distance de 14 000 kilomètres. Les pays ayant le pluscontribué au contenu de cette conférence sont la France,le Canada, l’Arabie Saoudite, l’Australie, l’Angleterre,l’Égypte et la Lybie. Plusieurs scénarios sont proposés : leprofesseur Sharkail Ismail, conseiller technique du princeMohammed Al-Faisal, propose des icebergs autopropulsésmécaniquement grâce à un type de rames alimentées parl’énergie obtenue sur la différence de température ; le Dr.Job, de l’Université d’Adélaïde, suggère d’identifier lesicebergs ayant déjà parcouru naturellement une partie dela distance, et de les enlacer à l’aide d’un câble pour lest i re r. En matière de modification climatique, sontévoquées les conséquences potentielles du passaged’icebergs dans les régions tropicales, le problème pour lafaune et la flore de conserver stagnant un iceberg pourl’exploitation par pipeline en Californie ou en Arabie,comme de mettre des icebergs sur le chemin des ouraganspour refroidir l’air.Il est avancé que 1200 km3 d’icebergs sont en effet vêléschaque année, dont 800 km3 pourraient être récoltés dem a n i è re soutenable. Pour une consommation d’eauglobale de 3100 km3, cela constituerait uneaugmentation de 25 % de l’offre globale en eau. Lors dela cérémonie de clôture, on va même jusqu’à comparercette conférence avec la Conférence Internationale duCanal de Panama de 1879. Mais aucun consensus sur lataille « optimale » d’un iceberg qui serait remorqué nesera trouvé, le flou juridique sur la propriété des icebergsse heurte malgré tout au Traité de l’Antarctique, et lacrise du pétrole fait monter les prix de tels projets et rendhasardeuses les collaborations des occidentaux et dessaoudiens. Ces derniers choisiront notamment de seconcentrer sur leur industrie de désalinisation de l’eau demer (3).

On souligna cependant lors de la conférence que desingénieurs de la Memorial University of Newfoundlandavaient déjà expérimenté certaines techniques deremorquage d’icebergs, dans un souci de protection desplates-formes pétrolières au large des côtes. En effet, lesi c e b e rgs provenant de la côte ouest du Gro e n l a n dmigrent vers Terre Neuve chaque année entre avril et

juillet… c’est la « saison de la chasse ». Newfoundland,une île bien située sur le chemin des icebergs en adéveloppé une industrie touristique, l’Iceberg watch. En1990, Gary Pollack, un homme d’affaires de la région, vaproposer de mettre en bouteille l’eau d’un iceberg pourfournir de l’eau en abondance aux soldats de la coalitionsitués en Arabie Saoudite durant l’opération “Tempêtedu désert”. Peu pris au sérieux dans ses recherches definancements, il étudie, travaille et met au pointcependant, une méthodesûre pour recueillir l’eaud’icebergs sans risquer lebasculement dangere u xde ces gros glaçons encours d’exploitation.L’idée d’exploiter l’eaud’icebergs pour en faire dela bière, de la vodka et del’eau embouteillée prendalors forme à Terre-Neuveau début des années 1990.Dès lors, deuxcompagnies, la CanadianIceberg Vodka Corporationfondée par Garry Pollacket Iceberg Industries Corp.,vont développer destechniques de récolte deglace et tenter d’obtenirles autorisationssanitaires.Canadian Iceberg d é b u t eses activités en 1995. Lesicebergs n’étant alors pasreconnus comme unes o u rce d’eau par lesgouvernements américainet canadien, la société décide d’embouteiller de la vodka,la Iceberg Vodka, en partenariat avec la NewfoundlandLiquor Corporation pour l’embouteillage.Fondée par un ancien directeur de Canadian Iceberg en1996, Iceberg Industries Corp. est une filiale de la IcebergCorp. of America, du Nevada. En 2000, la Food and DrugA d m i n i s t r a t i o n (FDA) américaine délivre à I c e b e rgIndustries Corp. un permis temporaire d’embouteillaged’eau d’iceberg sous le nom B o realis Iceberg Wa t e r.L’ e n t reprise lance la production dans son usine deTrepassey à Terre-Neuve et, en plus de sa marque BorealisIceberg Water, elle fait produire dans l’Ontario la BorealisIceberg Vodka et la Borealis Iceberg Beer avec son eau, etsigne un contrat important avec Loblaw Cos. Ltd., quicommercialise de l’eau d’iceberg sous sa marque maisonPresident’s Choice. (4) En 2002, Iceberg Industries Corp.fait part de son intention d’exploiter une usined’embouteillage flottante. Un excavateur de 22 mètresréaliserait le travail d’excavation comme si c’étaitl’exploitation d’une mine de charbon. La glace seraitensuite aspirée par un pneumatique jusqu’au bateau-usine. Mais en 2004 la compagnie est aux abonnésabsents et en mai 2005, la FDA révoque le permistemporaire obtenu par Iceberg Industries Corp.. En juillet2005, l’autre marque, la Canada’s Original Iceberg Waterproduite par Canadian Iceberg, se retrouve sur les rayonsdes épiceries haut de gamme de New York et du NewJersey, en bouteilles stylisées de 0,3, 0,5 et 1 litre. M.David Hood, vice-président de Iceberg Water commente :“il en a coûté à l’entreprise plus de 150 000 $ en fraisjuridiques et en frais de la FDA pour le droit d’appeler soneau en bouteille de l’eau d’iceberg.” (5) La sociétéexpédie des navires dans l’Atlantique à la recherche defragments, blocs de glace d’une à trois tonnes qui sedétachent des icebergs, eux-mêmes séparés de la calotteglaciaire et pouvant mesurer de 250 à 300 mètres de long.Une fois ramenés à la distillerie, les morceaux de glacesont soumis à un processus de fonte contrôlée. Ainsi, laglace n’est jamais exposée à l’environnement et sa puretéest protégée, « comme à l’époque où cette neige esttombée sur le pôle Nord, il y a des centaines de milliersd’années », ajoute David Hood (6). La Iceberg Vodka estdisponible dans 13 États américains, le plus importantmarché étant la Floride (entre 60 000 et 70 000 caisses en2005) et l’entreprise s’est lancée dans le Iceberg Gin en2007. En 2008, Canadian Iceberg s’est engagée à convertirune ancienne usine de poisson de Port Union pour enfaire une usine d’embouteillage d’eau d’iceberg de niveaumondial (7).

Plusieurs compagnies exploitent l’eau et la glace duGroenland sur le site même, dont la Greenland Ice CapProductions qui produit à Narsaq de la bière depuis 2006en récupérant des morceaux de glacier, déjà surnommée« la bière du réchauffement global ». Greenland Ice CapP ro d u c t i o n s vient d’ailleurs de signer un contrat decollaboration avec Premium Glacier Inc., une compagniecanadienne qui fait fabriquer la Siku Glacier Ice Vodka auPays-Bas, la Siku Ice Beer en Allemagne ainsi que la SikuIce Water. Dans l’exposition d’architecture de 2004 TooP e rfect: Seven New Denmarks – trop parfait, septnouveaux Danemark – le commissaire Bruce Maudéveloppe une vision du rôle à jouer par le Danemarkdans le marché de l’eau douce : au lieu de laisser d’autrestirer profit de leur ressource naturelle, au lieu de laisser

s’inonder Manhattan et le Bangladesh, avant que destonnes d’eau douce ne perturbent de manièrecatastrophique la circulation des océans et avec le climatmondial, le Groenland a la possibilité de mettre enbouteille des milliards de litres d’eau flottant dans la meret de prendre une part avantageuse dans le marché del’eau en bouteille. Bruce Mau écrit : « utiliser l’océan pourtransporter de la glace fondue est une industrie au stade de

l’enfance, mais les exemples et technologies sontnombreuses ». Par exemple de citer le Medusa Bag, « unsac géant conçu en 1988 par James Cran de Calgary enAlberta qui tentait de répondre aux besoins massifsd’importation d’eau en Californie, Israël, Jordanie etPalestine. Il peut porter 1000000 m3 de glace fondue ».(8) La licence du Medusa Bag appartient aujourd’hui à lacompagnie australienne MH Waters et les plus longspeuvent mesurer jusqu’à 670 mètres par 160 mètres.

Le discours général sur le réchauffement climatique a sesdétracteurs, mais ceux-ci pèsent peu face aux industrielsqui veulent ouvrir de nouveaux marchés... commel’exploitation de nouvelles re s s o u rces jusqu’alorsépargnées par les industries : les icebergs. Quand vousretirez les glaçons de votre verre, est-ce que votre gin-tonic reste frais longtemps ?

(1) - « Antarctic Icebergs as a Global Fresh Water Resource »,par John L. Hult, Neill C. Ostrander, Rand Corporation, 1973.Récupéré de (2) - Ce n’est pas sans rappeler le projet « Habakkuk »d’aéroport-iceberg pensé par les Britanniques en 1942 alors quela bataille de l’Atlantique fait rage. Ils imaginaient alors qu’unbateau-iceberg, long d’un kilomètre pour 200 mètres de large et40 mètres de hauteur, pourrait résister aux torpilles des u-boatallemands et opérer comme terminal d’avions au coeur del’océan, ce qui encouragea Winston Churchill et LordMountbatten à soutenir l’étude de la technique au Canada. Lapaternité du projet venait de Geoffrey Pike, l’inventeur militaireet conseiller scientifique de Lord Mountbatten, autour de l’idéed’utiliser comme matériau un peu de sciure de bois dans de l’eauavant de la geler, une mixture qu’il nomma la pykrete. Des essaisfurent menés au Canada, mais le débarquement en Normandiemit fin à un projet titanesque, qui plus est grand consommateurde bois.(3) - Le Prince Mohammed al-Faisal concentrera ensuite sesactivités à Genève dans la finance islamique avec son trust Dar al-Maal al-Islami qu’il a fondé en 1981 après l’échec du projet Iceberg .Le trust a des connections avec la famille Ben Laden et parmi lesdouze membres du conseil d’administration se trouve HaydarMohamed Ben Laden, le demi-frère d’Osama Ben Laden et KhalidBen Mahfouz qui fut aussi impliqué dans le fameux scandale de laBank of Credit and Commerce International, une banque enre g i s t r é eau Luxembourg, mais de financement des Emirats Arabes Unis,qui est le carrefour à l’époque des intérêts des familles Bush et BenLaden. Mahfouz en détenait 20% des parts à la fin des années 90et contribuait au financement des activités d’Ousama Ben ladenen Afghanistan à la fin des années 80..(4) - «L’exploitation des icebergs pour l’eau potable…Dure m o rquage à l’embouteillage», Marianne Audette-Chapdelaine, juin 2007. Récupéré dehttp://www.agissonsensemble.org/spip.php?article27(5) - « Canadian Iceberg Vodka, un concurrent qui l’a pas froidaux yeux », Ministère des Affaires Etrangères et Internationales,Canada, 2006. (6) - « Un p’tit coup d’iceberg ? », Commission candienne dutourisme, centre des médias, 14 mars 2008. (7) - « Le gouvernement du Canada appuie le tourisme et ledéveloppement des entreprises à Port Union », Agence depromotion économique du Canada Atlantique, 31 mai 2008. (8) - « Too perfect : seven new Denmarks », 29 septembre – 21n o v e m b re 2004, commissariat Bruce Mau Design, Centred’Architecture Danois, Copenhague, et Biennale d’Architecturede Venise.

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Publicité pour l’Iceberg Vodka

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F. Wil l iam Engdahl , Cherc h e u rAs soc i é , C e n t re f o r Globa lR e s e a rc h , Canada*

La paresse est une chose dont ne peut être accusé lefondateur de Microsoft, Bill Gates. Il programmaitdéjà à 14 ans et fondait Microsoft à 20 ans alors

qu’il étudiait encore à Harv a rd. En 1995, Forbesl’enregistrait comme l’homme le plus riche du monde, leplus gros actionnaire de Microsoft, sa société qui avaitfini avec acharnement par établir un monopole de fait surles systèmes logiciels pour ordinateurs personnels.En 2006, alors que la plupart des gens en pareillesituation penseraient se retirer sur une île tranquille duPacifique, Bill Gates décidait de consacrer son énergie àla Fondation Bill & Melinda Gates, décrite comme lafondation privée « transparente » la plus grande dumonde, avec une dotation gigantesque de 34,6 milliardsde dollars et l’obligation légale de dépenser 1,5 milliardsde dollars par an pour des projets humanitaires dans lemonde afin de maintenir son statut d’org a n i s a t i o ncaritative exemptée d’impôt. En 2006, le cadeau de sonami et associé en affaires, le méga-investisseur WarrenBuffett, d’environ 30 milliards de dollars en actions de sacompagnie Berkshire Hathaway, plaçait la fondationGates dans une catégorie de dépense budgétaire quiatteint pratiquement la somme totale du budget annuelde l’Organisation Mondiale de la Santé des NationsUnies (OMS).Donc lorsque Bill Gates décide par l’intermédiaire de laFondation Gates d’investir quelques 30 millions dedollars de son argent durement gagné dans un projet, celamérite d’y regarder de plus près.Ce projet parmi les plus curieux existants a pour cadrel’un des lieux les plus reculés du monde, l’archipel duSvalbard. Bill Gates y investit des millions dans unechambre forte pour semences, sur la Mer de Barents, prèsde l’Océan Arctique, à quelque 1100 kilomètres du PôleNord. L’archipel du Svalbard est un bout de roche stérilequi fut revendiqué par la Norvège et cédé en 1925 selonun traité international.Sur cette île oubliée de Dieu, Bill Gates investit desdizaines de ses millions en association avec, parm id ’ a u t res, la Fondation Rockefeller, la MonsantoCorporation, la Fondation Syngenta et le gouvernementde la Norvège, dans ce qui est surnommé le doomsday seedvault, la chambre forte à semences en perspective dugrand cataclysme. Officiellement, le projet est appeléS v a l b a rd Global Seed Va u l t, sur l’île norvégienne deSpitsberg, dans l’archipel du Svalbard.La chambre forte pour semences est construite àl’intérieur d’une montagne sur l’île de Spitsberg, près dupetit village de Longyearbyen. La chambre forte a desp o rtes doubles à l’épreuve des explosifs, avec desdétecteurs de mouvement, deux sas, et des murs d’unmètre d’épaisseur en béton armé renforcé de métal. Ellecontiendra jusqu’à trois millions de variétés différentesde semences du monde entier, « de sorte que la diversitévégétale puisse être préservée pour l’avenir, » selon leg o u v e rnement Norvégien. Les semences sero n tspécialement enveloppées pour empêcher lepourrissement. Il n’y aura pas de personnel à temps plein,mais l’inaccessibilité relative de la chambre fort efacilitera la surveillance de toute activité humaineéventuelle.Avons-nous raté quelque chose ? Leur communiqué depresse déclarait, « de sorte que la diversité des plantespuisse être préservée pour l’avenir. » Quel est l’avenir queprévoient les sponsors de la chambre forte à semences quipourrait menacer la disponibilité globale des semencesactuelles, alors même que la plupart sont déjà bienprotégées dans des chambres fortes autour du monde ?Quand Bill Gates, la Fondation Rockefeller, Monsanto etSyngenta se rassemblent sur un projet commun, cela vautla peine de creuser un peu plus profondément les rochesde Spitsberg. En le faisant nous pouvons certainement enressortir des choses fascinantes.Le premier point re m a rquable est qui sponsorise ledoomsday seed vault. Ceux qui rejoignent les Norvégiensdans ce projet sont, comme notés précédemment, laFondation Bill & Melinda Gates ; le géant étasunien del’agro-alimentaire DuPont/Pioneer Hi-Bred, l’un des plusgrands propriétaires de brevets de semences de plantesgénétiquement modifiés (OGM) et de prod u i t s

recherche par la Fondation Rockefeller pour envisager ledéveloppement quelques années plus tard de l’ingénieriegénétique des plantes et des animaux.John H. Davis fut Adjoint du Secrétaire à l’Agriculturesous la présidence de Dwight Eisenhower au début desannées 1950. Il quitta Washington en 1955 et rejoignit laHarvard Graduate School of Business, un lieu inhabituel àcette époque pour un expert en agriculture. Il avait unestratégie claire. En 1956, Davis écrivit un article dans laHarvard Business Review, où il déclarait que « la seule façonde résoudre une fois pour toutes le fameux problème agricole enévitant la lourdeur des programmes gouvernementaux, est depasser de l’agriculture à l’agro-business. » Il savaitprécisément ce qu’il avait en tête, même si peu de gens n’ycomprenait quoi que ce soit à l’époque : une révolutiondans la production agricole qui concentrerait le contrôlede la chaîne alimentaire entre les mains desmultinationales, loin de la traditionnelle agriculturefamiliale. (3)Un aspect crucial guidant les intérêts de la FondationRockefeller et des sociétés agro - a l i m e n t a i re sétasuniennes, était le fait que la Révolution Verte sebasait sur la prolifération de nouvelles semences hybridessur les marchés en développement. L’aspect essentiel dessemences hybrides est leur manque d’aptitude

En Arctique, le bunker à semences du Grand Cataclysmeou pourquoi Bill Gates, Rockefeller et les géants des OGM savent quelque chose de plus que nous

La “Révolution Verte”La Fondation Rockefeller a créé la fameuse « RévolutionVerte » en 1946 suite à un voyage au Mexique de NelsonRockefeller et de l’ancien Secrétaire à l’Agriculture duNew Deal et fondateur de la compagnie Pioneer Hi-BredSeed, Henry Wallace.La Révolution Verte visait à résoudre à grande échelle leproblème de la faim dans le monde, au Mexique, en Indeet dans d’autres pays choisis où travaillait Rockefeller.N o rman Borlaug, l’agronome de la FondationRockefeller, reçu alors le Prix Nobel de la Paix pour sontravail, quelque chose dont on ne doit pas réellement sevanter, particulièrement lorsqu’on sait que des personnescomme Henry Kissinger l’ont également reçu.En réalité, comme il est apparu des années plus tard, laRévolution Verte était une brillante manigance de lafamille Rockefeller pour développer un agro-alimentairemondialisé qu’elle pourrait ensuite monopoliser, toutcomme elle l’avait déjà fait un demi-siècle plus tôt dansle monde de l’industrie pétro l i è re mondial. CommeHenry Kissinger l’avait déclaré dans les années 70 : « Sivous contrôlez le pétrole vous contrôlez le pays ; si vouscontrôlez l’alimentation, vous contrôlez la population. »L’agro-alimentaire et la Révolution Verte de Rockefellerfonctionnaient donc main dans la main, comme élémentd’une grande stratégie qui incluait le financement de la

agrochimiques associés ; Syngenta, la compagnie suissequi figure parmi les leaders en semences OGM et produitsagrochimiques, par le biais de sa fondation ; la FondationRockefeller, le groupe privé qui a créé la « révolutiongénétique » avec ses bénéfices sur les semences dépassantles 100 millions de dollars depuis les années 70 ; leCGIAR, le réseau mondial créé par le FondationRockefeller pour promouvoir son idéal de pure t égénétique par le changement dans l’agriculture.

Le projet CGIAR

Comme je l’ai détaillé dans le livre Seeds of Destruction,la Fondation Rockefeller, le Conseil sur le

Développement de l’Agriculture de John D. RockefellerIII et la Fondation Ford, ont uni leurs forces en 1960 pourcréer l’Institut International de Recherche sur le Riz(IRRI) à Los Baños, aux Philippines. En 1971, le CentreInternational d’Amélioration du Maïs et du Blé de laFondation Rockefeller, basé au Mexique, et deux autresc e n t res internationaux de re c h e rche créés par lesfondations Rockefeller et Ford, l’IITA pour l’agriculturetropicale, au Nigeria, et l’IRRI Philippines pour le riz, sesont rassemblés pour former le Groupe Consultatif pourla Recherche Agricole Internationale (CGIAR).Le CGIAR a été formé lors d’une série de conférencesprivées organisées au centre de congrès de la FondationR o c k e f e l l e r, à Bellagio en Italie. Les principaux

participants des discussions de Bellagio étaient GeorgeHarrar de la Fondation Rockefeller, Forrest Hill de laFondation Ford, Robert McNamara de la BanqueMondiale, et Maurice Strong, l’org a n i s a t e u renvironnemental international de la famille Rockefeller,qui, en tant que Mandataire de la Fondation Rockefeller,fut également la personne en charge d’organiser leSommet de la Terre de l’ONU de 1972 à Stockholm.Pour garantir un impact maximum, le CGIAR convia àp a rticiper l’Organisation pour l’Alimentation etl ’ A g r i c u l t u re des Nations Unies (FAO), le Pro g r a m m edes Nations Unies pour le Développement et la BanqueMondiale. Ainsi, à travers l’influence soigneusementp l a n i fiée de ses re s s o u rces initiales, au début des années70 la Fondation Rockefeller était à même de façonner lapolitique agricole mondiale. Et elle ne s’en est pas privée.

Le CGIAR veilla à ce que les principaux scientifiques del ’ a g r i c u l t u re et les agronomes du Tiers Monde, fin a n c é spar de généreuses bourses d’étude des fondations Ford etR o c k e f e l l e r, soient amenés aux USA pour « maîtriser »les concepts de production de l’agro - a l i m e n t a i rem od e rne, dans l’idée qu’ils les ramènent dans leur patrie.Le processus leur permit de créer un réseau d’influ e n c einestimable pour la promotion de l’agro - a l i m e n t a i reétasunien dans ces pays, et plus part i c u l i è rement pour lap romotion de la « Révolution Génétique » des OGMdans les pays en développement, tout cela au nom de lascience et d’une agriculture de marché eff i c a c e .

F. William Engdahl est auteur de Seeds of Destruction, theHidden Agenda of Genetic Manipulation (graines dedestruction, les projets secrets du génie génétique) qui vientd’être publié par Global Research. Il est également auteur dePétrole, une guerre d’un siècle : L’ordre mondial anglo-américain (en français). Pour le contacter par courrierélectronique : [email protected]

(1) F. William Engdahl, Seeds of Destruction, Montreal, (GlobalResearch, 2007).(2) Ibid, pp.72-90.

(3) John H. Davis, Harvard Business Review, 1956, cité parG e o ff rey Lawrence dans Agribusiness, Capitalism and theCountryside, Pluto Press, Sydney, 1987. Voir aussi HarvardBusiness School, The Evolution of an Industry and a Seminar:Agribusiness Seminar,www.exed.hbs.edu/programs/agb/seminar.html

À l’intérieur de la Banque de semences de Svalbard

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Suite de l ’a rt ic le “Le bunker à semences…”

négociants et perdirent souvent leurs terres. Même avecdes prêts à taux préférentiels auprès d’agencesgouvernementales, de plus en plus de cultures vivrièresont cédé la place à la production de cultures rentablesimmédiatement (5).Depuis des décennies les mêmes intérêts, notammentceux de la Fondation Rockefeller responsable de laRévolution Verte initiale, ont travaillé à promouvoir uneseconde « Révolution Génétique », comme GordonConway, le président de la Fondation Rockefeller, l’anommée il y a plusieurs années, c’est-à-dire l’expansionde l’agriculture industrielle et de ses prod u i t scommerciaux, notamment les semences OGM brevetées.

Gates, Rockefeller et la Révolution Verte en Afrique

En gardant à l’esprit ce contexte claire de laRévolution Ve rte promu par la Fondation

Rockefeller dans les années 50, il devientp a rt i c u l i è rement curieux que cette même FondationRockefeller associée à la Fondation Gates dansl’investissement actuel de millions de dollars pour lapréservation de toute semence dans l’éventualité d’unscénario de « grand cataclysme », investissent aussi desmillions dans un projet nommé Alliance pour uneRévolution Verte en Afrique (AGRA).L’AGRA, comme elle se nomme elle-même, est unealliance qui implique la même Fondation Rockefeller dela “Révolution Génétique”. Un regard sur le Conseild’Administration de l’AGRA le confirme._Son président n’est ni plus ni moins que Kofi Annan,l’ancien Secrétaire Général des Nations Unies. Dans sondiscours d’intronisation lors d’un événement du ForumÉconomique Mondial à Cape Town en Afrique du Sud enjuin 2007, Kofi Annan a déclaré : « J’accepte cechallenge avec gratitude pour la Fondation Rockefeller,pour la Fondation Bill & Melinda Gates, et pour tousceux qui soutiennent notre campagne Africaine. »Le conseil de l’AGRA comporte par ailleurs un Sud-Africain, Strive Masiyiwa, qui est mandataire de laFondation Rockefeller ; Sylvia M. Mathews de laFondation Bill & Melinda Gates ; Mamphela Ramphele,ancien directeur général de la Banque Mondiale (2000-2006) ; Rajiv J. Shah de la Fondation Gates ; Nadya K.Shmavonian de la Fondation Rockefeller ; Roy Steinerde la Fondation Gates. Qui plus est, une Alliance pourl’AGRA inclut Gary Toenniessen, directeur exécutif à laFondation Rockefeller, et Akinwumi Adesina, directeurassocié à la Fondation Rockefeller.Pour compléter la liste, les Programmes pour l’AGRAincluent Peter Matlon, directeur exécutif à la FondationRockefeller ; Joseph De Vries, directeur du Programmepour les Systèmes Semenciers de l’Afrique et directeurassocié à la Fondation Rockefeller ; Akinwumi Adesina,directeur associé à la Fondation Rockefeller. De la mêmemanière que l’ancienne et illusoire Révolution Verte enInde et au Mexique, la nouvelle Révolution Verte enAfrique est manifestement une priorité de la FondationRockefeller.Bien qu’à ce jour ils se font discrets, Monsanto et lesprincipaux géants de l’agro - a l i m e n t a i re OGM sontsoupçonnés d’instrumentaliser l’AGRA de Kofi Annanpour diffuser leurs semences OGM brevetées en Afriquesous l’étiquette trompeuse de « bio-technologie » le

reproductrice. Les hybrides incorporaient une protectioncontre la multiplication. Contrairement à la pollinisationo u v e rte des espèces dont la semence donne unrendement semblable à celui de ses parents, le rendementde la semence née de plantes hybrides estsignificativement inférieur à celui de la pre m i è regénération.Cette baisse de rendement propre aux hybrides signifiaitque les agriculteurs devaient normalement acheter dessemences chaque année pour obtenir des rendementsélevés. Qui plus est, le rendement plus bas de la deuxièmegénération éliminait le commerce de semences pratiquésouvent par les producteurs sans l’autorisation dusemencier. Cela empêchait la redistribution de semencesde cultures commerciales par des intermédiaires. Si lesgrands semenciers multinationaux étaient capables decontrôler à la source la semence des lignées parentales,aucun concurrent ou agriculteur ne serait en mesure dep rod u i re d’hybride. La concentration mondiale desbrevets de semences hybrides dans une poignée de géantssemenciers, avec en tête Pioneer Hi-Bred de DuPont etDekalb de Monsanto, préparait ainsi le terrain à larévolution ultérieure des semences OGM (4).Le résultat direct de l’introduction des techniquesagricoles modernes étasuniennes, des engrais chimiqueset des semences hybrides commerciales, sera de rendredépendants de l’étranger les agriculteurs locaux des paysen développement, en particulier les plus grands et lesplus établis, et particulièrement des produits de l’agro-alimentaire et de la pétrochimie étasuniens. C’était lap re m i è re étape de ce qui devait être un pro c e s s u ssoigneusement planifié sur plusieurs décennies.Sous la Révolution Ve rte, l’agro - a l i m e n t a i re fera degrandes percées dans des marchés dont l’accès étaientauparavant limité aux exportateurs étasuniens. Latendance a par la suite été baptisée « agriculture orientéevers le marché. » C’était en réalité le contrôle del’agriculture par l’agro-alimentaire.À travers la Révolution Verte, la Fondation Rockefelleret plus tard la Fondation Ford ont travaillé main dans lamain, façonnant et soutenant les objectifs de la politiqueé t r a n g è re de l’Agence des États-Unis pour leDéveloppement International (USAID) et de la CIA.L’un des principaux effets de la Révolution Verte fut dedépeupler les campagnes, de forcer les paysans à fuir versles bidonvilles des bas quartiers autour des villes, enrecherche désespérée d’un travail. Ce n’était pas unaccident ; cela faisait partie du plan visant à créer desbassins de main-d’œuvre bon marché pour les prochainesusines des multinationales étasuniennes, la «mondialisation » de ces dernières années.Quand l’auto-promotion autour de la Révolution Vertes’arrêta, les résultats étaient assez différents de ce quiavait été promis. Des problèmes surgirent de l’usage sansdiscernement des nouveaux pesticides chimiques, avecsouvent de graves conséquences pour la santé. Avec letemps, la monoculture de nouvelles variétés de semenceshybrides réduisit la fertilité du sol et le rendement. Lespremiers résultats étaient impressionnants : rendementdoublé, voire triplé, de certaines cultures comme le blé etplus tard le maïs au Mexique. Des rendements quidiminuèrent rapidement.La Révolution Verte était généralement accompagnée degrands projets d’irrigation, avec souvent des prêts de laBanque Mondiale pour la construction de nouveauxénormes barrages et, dans le processus, l’inondation derégions auparavant habitées et fertiles. Qui plus est, lerendement plus grand du super-blé était produit ensaturant le sol avec d’énormes quantités d’engrais, fait denitrates et de produits pétroliers, des matières premièresque contrôlaient les sept grandes compagnies pétrolièresdominées par les intérêts Rockefeller.D’énormes quantités d’herbicides et de pesticides furentégalement utilisées, créant de nouveaux marchés pour lesgéants de l’industrie pétrolière et chimique. Comme l’apointé un analyste, la Révolution Ve rte ne futessentiellement qu’une révolution chimique. À aucunmoment les nations en développement n’auraient pupayer pour les énormes quantités d’engrais et depesticides chimiques requises. Cela n’était possiblequ’avec l’aide de crédits gracieux de la Banque Mondialeet de prêts spéciaux de la Chase Bank et d’autres grandesbanques de New York, épaulés par des garanties dugouvernement étasunien.Mis en application dans un grand nombre de pays endéveloppement, ces prêts étaient essentiellementaccordés aux grands propriétaires terriens. Pour les petitspaysans la situation était différente. Les petites fermespaysannes ne pouvaient pas payer les produits chimiqueset les autres besoins modernes et devaient emprunter del’argent.Initialement divers programmes gouvernementaux onttenté de fournir des prêts aux agriculteurs afin qu’ilspuissent acheter des semences et des engrais. Lesagriculteurs n’ayant pu participer à ce genre deprogrammes ont dû emprunter dans le secteur privé. Àcause des taux d’intérêts exorbitants des prêts informels,de nombreux petits paysans n’ont même pas tiré bénéficedes premiers rendements plus élevés. Après la récolte, ilsdevaient vendre la majorité sinon la totalité de leurproduction pour rembourser les prêts et les intérêts. Ilsd e v i n rent dépendants des prêteurs à gages et des

Rudolf Schlichter, Pouvoir aveugle (1937), BerlinischeGalerie – Landesmuseum Für Moderne Kunst

nouvel euphémisme pour semences génétiquementmodifiées brevetées. À ce jour, l’Afrique du Sud est le seulpays africain qui autorise légalement la plantation decultures OGM. En 2003 le Burkina Faso a autorisé lesessais d’OGM. En 2005, le Ghana de Kofi Annan a rédigédes lois sur la sécurité biologique et des responsables clésont exprimé leur intention de poursuivre la recherche surles cultures OGM.L’Afrique est la prochaine cible dans la campagne dug o u v e rnement étasunien de diffusion mondiale desOGM. Ses sols riches en font un candidat idéal.Évidemment de nombreux gouvernements africainssoupçonnent le pire de la part des sponsors des OGM, carune multitude de projets d’ingénierie génétique et de bio-sécurité ont été initiés en Afrique, dans le but d’introduiredes OGM dans ses systèmes agricoles. Il s’agit notammentde parrainages offerts par le gouvernement étasunien pourf o rmer aux États-Unis les scientifiques Africains àl’ingénierie génétique, de projets de bio-sécurité financéspar l’Agence Etasunienne pour le DéveloppementInternational (USAID) et par la Banque Mondiale ; larecherche sur les OGM impliquant les cultures vivrièresindigènes africaines.La Fondation Rockefeller a travaillé depuis des années, engrande partie sans succès, à promouvoir des projets pourintroduire des OGM dans les champs d’Afrique. Elle aépaulé la recherche qui soutient l’applicabilité du cotonOGM dans le Makhathini Flats, en Afrique du Sud.Monsanto, qui a une solide tête de pont dans l’industriedes semences OGM et hybrides en Afrique du Sud, aconçu un ingénieux programme pour petits exploitants,connu sous le nom de Campagne « Seeds of Hope »,« Semences de l’Espoir », qui introduit un package derévolution verte chez les agriculteurs pauvres à petitesexploitations, suivi, bien entendu, par les semences OGMbrevetées de Monsanto. (6)La compagnie Syngenta AG de Suisse, l’un des « QuatreCavaliers de l’Apocalypse OGM », verse quant à elle desmillions de dollars dans un nouvel aménagement de serresà Nairobi, pour développer du maïs OGM résistant auxinsectes. Syngenta fait également partie de CGIAR. (7)

Vers Svalbard

Alors, est-ce tout simplement du sentimentalismephilosophique ? Qu’est-ce qui motivent les

fondations Gates et Rockefeller alors qu’ils financent enparallèle la prolifération de semences brevetées, en passede devenir des semences Terminator, à travers toutel’Afrique, un processus qui, un peu partout sur Terredétruit la diversité des semences végétales dès que l’agro-alimentaire de monoculture industrialisée est introduit ?Quelles sont leurs motivations pour investir des dizainesde millions de dollars afin de préserver toutes les variétésde semences connues dans un bunker de l’apocalypse àl’épreuve des bombes à proximité du lointain CercleArctique, « pour que la diversité végétale puisse être préservéepour l’avenir » pour reprendre leur communiqué de presseofficiel ?Il n’est pas fortuit que les fondations Rockefeller et Gatess’associent pour préconiser une Révolution OGM de styleRévolution Ve rte en Afrique, tout en finançantdiscrètement le doomsday seed vault dans l’archipel duSvalbard. Les géants de l’agro-alimentaire OGM sontimpliqués jusqu’au cou dans le projet du Svalbard.L’ e n t reprise entière du Svalbard et les personnesimpliquées font appel à des images de catastrophe piresque celles du best-seller de Michael Crichton, « La variétéAndromède », un thriller de science-fiction dans lequelune maladie mortelle d’origine extraterrestre provoque lacoagulation rapide et fatale du sang, menaçant l’espècehumaine toute entière. À Svalbard, le futur entrepôt àsemences le plus sûr du monde sera gardé par les policiersde la Révolution Ve rte OGM, par les fondationsRockefeller et Gates, Syngenta, DuPont et CGIAR.Le projet du Svalbard sera géré par un organisme appeléTrust Mondial pour la Diversité Végétale (Global CropDiversity Trust, GCDT). Qui sont-ils pour détenir uneresponsabilité aussi considérable sur la diversité dessemences de la planète ? Le GCDT a été fondé par laFAO et par Bioversity Intern a t i o n a l ( a n c i e n n e m e n tI n t e rnational Plant Genetic Research Institute), uneramification du CGIAR.Le GCDT est basé à Rome. Son Conseil est présidé parM a rg a ret Catley-Carlson, une canadienne qui estégalement au comité consultatif du Groupe SuezLyonnaise des Eaux, l’une des plus grandes sociétés privéesde l’eau. Catley-Carlson a aussi été présidente jusqu’en1998 du Comité sur la Population établi à New York,l’organisation de réduction des populations de John D.Rockefeller, créée en 1952 pour accélérer le programmed’eugénisme de la famille Rockefeller sous couvert dep romouvoir le « planning familial », le système decontrôle des naissances, la stérilisation et le « contrôle dela population » des pays en développement.Les autres membres du conseil de GCDT comptent LewisColeman, l’ancien cadre de la Bank of America,actuellement chef de D re a m Works Animation àHollywood. Coleman est aussi administrateur de NorthrupGrumman Corporation, l’un des plus grands groupes del’industrie militaire fournissant le Pentagone.Jorio Dauster (du Brésil) est aussi président du conseild’administration de Brasil Ecodiesel. C’est un ancienambassadeur du Brésil auprès de l’Union Européenne, etle négociateur en chef de la dette extérieure du Brésil pour

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LA PLANÈTE LABORAT O I R E13le Ministère des Finances. Dauster a aussi rempli lesfonctions de président de l’Institut du Café Brésilien et decoordonnateur du Projet de Modernisation du Systèmedes Brevets du Brésil, qui implique notamment lalégalisation des brevets sur les semences génétiquementmodifiées, une chose jusque-là interdite par les lois duBrésil.Cary Fowler est directeur exécutif de GCDT. Il a étéprofesseur et directeur de recherche au Département pourl’Environnement International et pour les Études deDéveloppement de l’Université des Sciences de la Vie deN o rvège. Fowler a aussi été principal conseiller dud i recteur général de Bioversity Intern a t i o n a l. Il yreprésentait les Centres des Moissons du Futur duCGIAR, dans les négociations pour le Tr a i t éInternational sur les Ressources Phytogénétiques. Dansles années 90, il dirigeait le Programme International surles Ressources Phytogénétiques de la FAO. Il a ébauchéet supervisé les négociations du Plan d’Action Mondialpour les Ressources Phytogénétiques de la FAO adoptépar 150 pays en 1996. Il est ancien membre du ComitéNational sur les Ressources Génétiques des Plantes desÉtats-Unis et du conseil d’administration du CentreI n t e rnational d’Amélioration du Maïs et du Blé(CIMMYT) du Mexique, un autre projet de la FondationRockefeller et du CGIAR.Le Dr Mangala Rai (Inde), membre du conseild’administration du GCDT, est Secrétaire duDépartement de la Recherche Agricole et de l’Éducation(DARE) de l’Inde, et directeur général du Conseil Indienpour la Recherche Agricole (ICAR). Il est aussi membredu conseil d’administration de l’IRRI de la FondationR o c k e f e l l e r, qui a favorisé la pre m i è re expériencemondiale significative sur les OGM, le fameux « GoldenRice » qui s’avéra être un fiasco. Rai a siégé commemembre du conseil d’administration du CIMMYT, etcomme membre du conseil exécutif du CGIAR.Le Trust des Donateurs pour la Diversité des SemencesMondiales ou autres « anges de la finance » comportentaussi « tous les suspects habituels, » comme le ditHumphrey Bogart dans le classique Casablanca. En plusdes fondations Rockefeller et Gates, les donateurscomptent les géants des OGM, DuPont-Pioneer Hi-Bred,Syngenta de Bâle en Suisse, le CGIAR et l’énergiquepromotrice des OGM, l’USAID du Département d’Etatétasunien. Il semble effectivement que nous ayons lesrenards des OGM et de la réduction des populations quigardent le poulailler de l’humanité, le magasin de ladiversité des semences mondiales du Svalbard. (8)

Pourquoi Svalbard maintenant ?

On peut légitimement se demander pourquoi BillGates, la Fondation Rockefeller les principaux

géants du génie génétique agro - a l i m e n t a i re commeDuPont et Syngenta avec le CGIAR, construisent ledoomsday seed vault en Arctique.Qui en premier lieu utilise ce genre de chambre forte àsemences ? Les sélectionneurs et les chercheurs sont lesprincipaux utilisateurs des banques de gènes.A u j o u rd’hui, les plus importants sélectionneurs deplantes sont Monsanto, DuPont, Syngenta et DowChemical, les géants mondiaux des plantes OGMbrevetées. Depuis début 2007, Monsanto détient avec legouvernement des États-Unis les droits mondiaux desb revets pour les plantes dites « Te rminator » ouTechnologie de Restriction d’Usage Génétique (GeneticUse Restriction Te c h n o l o g y, GURT). L’ a p p e l l a t i o nTerminator s’applique à une technologie de mauvaiseaugure, qui veut qu’une semence commerciale brevetéese « suicide » après récolte. Le contrôle par les semenciersprivés est total. Une mainmise et un contrôle tel sur lachaîne alimentaire n’ont jamais existé auparavant dansl’histoire de l’humanité.Cette ingénieuse caractéristique terminator du géniegénétique force les agriculteurs à retourner chaque annéechez Monsanto ou d’autres semenciers OGM pourobtenir de nouvelles semences de riz, de soja, de maïs, deblé, ou de n’importe quelle culture essentielle dont ils ontbesoin pour nourrir la population. Si cette méthode étaitlargement adopté dans le monde, on pourrait sans douteen une dizaine d’années faire de la majorité desproducteurs de nourriture du monde de nouveaux serfsféodaux, asservis à trois ou quatre géants semencierscomme Monsanto, DuPont ou Dow Chemical.Bien entendu, cela pourrait également permettre à ceuxqui possèdent ces sociétés privées, suivant peut-être lesordres de leur gouvernement, de refuser les semences àl’un ou l’autre des pays en développement dont lapolitique irai à l’encontre des intérêts de Washington.Ceux qui disent « cela ne peut pas se passer comme cela »devraient s’intéresser de plus près aux événementsmondiaux actuels. La simple existence de cetteconcentration de pouvoir chez trois ou quatre géantsprivés de l’agro-alimentaire étasunien est une raisonsuffisante pour interdire toute culture OGM, même si lesgains de récolte s’avéraient réels, ce qui n’estmanifestement pas le cas.Ces compagnies privées, Monsanto, DuPont, DowChemical, sont loin d’avoir un passé sans taches ent e rmes de protection de la vie humaine. Elles ontdéveloppé et disséminé des innovations comme ladioxine, les PCB, l’Agent Orange. Elles s’évertuent àdissimuler depuis des décennies les preuves manifestes desdangers cancérogènes et des autres conséquences graves

pour la santé humaine de l’usage des produitschimiques toxiques. Elles ont enterré des rapportsscientifiques sérieux sur le plus répandu desherbicides dans le monde, le glyphosate,l’ingrédient de base de l’herbicide Roundup deMonsanto, attaché à la plupart des semencesgénétiquement modifiées vendues par Monsanto,et de surcroît toxique quand il s’infiltre dans l’eaupotable. (9) Le Danemark a interdit le glyphosateen 2003, quand il fut confirmé qu’il contaminaitles nappes phréatiques du pays. (10)La diversité stockée dans les banques de semencesest la matière première pour la reproduction desplantes et pour de nombreuses re c h e rc h e sbiologiques fondamentales. Plusieurs centaines demilliers d’échantillons sont distribués chaqueannée à de telles fins. La FAO des Nations Uniesrépertorie quelques 1400 banques de semencesdans le monde, les plus importantes étant tenuespar le gouvernement des États-Unis. D’autresgrandes banques sont détenues par la Chine, laRussie, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud,l’Allemagne et le Canada, par ordre de tailledécroissante. Par ailleurs, le CGIAR exploite unechaîne de banques de semences dans des centreschoisis autour du monde.Le CGIAR, créé en 1972 par les fondationsRockefeller et Ford pour propager leur modèle deRévolution Verte agro-alimentaire, contrôle laplupart des banques de semences privées, desPhilippines à la Syrie en passant par le Kenya.Toutes ces banques de semences actuellescontiennent plus de six millions et demi devariétés de semences et près de deux millionsd’entre elles sont « distinctes. » Le bunker enprévision du grand cataclysme du Svalbard aura lacapacité d’abriter quatre millions et demi degraines différentes.

Les OGM comme arme de guerre biologique ?

Maintenant, nous arrivons au cœur de la dangerositéet du potentiel d’usage abusif inhérents au projet de

Bill Gates et de la Fondation Rockefeller au Svalbard. Ledéveloppement de semences brevetées, pour la plupartdes grandes cultures vivrières, comme le riz, le maïs, leblé, et pour les céréales fourragères comme le soja, peut-ilen fin de compte être utilisé dans une horrible forme deguerre biologique ?Le but explicite du lobby des eugénistes, financé depuisles années 20 par de riches familles élitistes, commeRockefeller, Carnegie, Harriman et autres, incorporait cequ’ils appelaient l’« eugénisme négatif », l’exterminationsystématique des lignées indésirables. Margaret Sanger,une eugéniste alerte, fondatrice de Planned ParenthoodI n t e rn a t i o n a l ( i n t e rnationale du planning familial) etintime de la famille Rockefeller, a créé à Harlem en 1939une entité appelée The Negro Project, qui, comme elle leconfiait dans une lettre adressée à un ami, concernait lefait que, selon son expression, « nous voulons exterminer lespopulations noires » (11).En 2001, Epicyte, une petite entreprise de biotechnologiede Californie, a annoncé la mise au point de maïsgénétiquement modifiés contenant un sperm i c i d erendant stériles les hommes qui le mangeaient. Epicyteavait à cette époque un accord de coopération pourdiffuser sa technologie avec DuPont et Syngenta, deuxdes sponsors du doomsday seed vault du Svalbard. Epicytea depuis été achetée par une société de biotechnologie deC a roline du Nord. Il était étonnant d’appre n d requ’Epicyte avait développé son maïs OGM spermicideavec des fonds de re c h e rche du Département del’Agriculture étasunien (USDA), ce même ministère qui,en dépit de l’opposition du monde entier, a continué àfinancer le développement de la technologie Terminator,actuellement détenue par Monsanto.Dans les années 90, l’OMS a lancé pour des millions defemmes entre 15 et 45 ans du Nicaragua, du Mexique etdes Philippines, une campagne de vaccination soi-disantcontre le tétanos, une maladie qui peut par exemplesurvenir lorsque l’on marche sur un clou rouillé. Leshommes et les garçons n’étaient pas vaccinés, en dépit dufait qu’ils sont vraisemblablement tout aussi susceptiblesque les femmes de marcher sur des clous rouillés.À cause de cette curieuse anomalie, le Comité Pro Vidade Mexico, une organisation laïque catholique romaine,est devenu méfiante et a fait tester des échantillons duvaccin. Les tests ont révélé que le vaccin antitétanique entrain d’être colporté par l’OMS uniquement pour lesfemmes en âge de porter des enfants, contenait de laGonadotrophine Chorionique ou hCG, une hormonen a t u relle qui, combinée à une anatoxine tétanique,activait des anticorps rendant la femme incapable de

maintenir sa grossesse. Aucune des femmes vaccinées n’enavait été prévenue.Il est apparu plus tard que la Fondation Rockefeller avecle Comité sur la Population de Rockefeller, la BanqueMondiale (qui abrite le CGIAR), et l’Institut National dela Santé des États-Unis, ont été impliqués dans un projetlong de 20 ans, commencé en 1972, afin de mettre aupoint pour l’OMS un agent abortif dissimulé dans unvaccin contre le tétanos. Par ailleurs, le gouvernement deNorvège, l’hôte du doomsday seed vault du Svalbard, a faitun don de 41 millions de dollars pour développer unvaccin antitétanique spécial, ayant la capacité deprovoquer l’avortement. (12)Est-ce une coïncidence que ces mêmes organisations,depuis la Norvège jusqu’à la Fondation Rockefeller, enpassant par la Banque Mondiale, soient égalementengagées dans le projet de chambre forte pour semencesdans l’archipel du Svalbard ? Selon le professeur FrancisBoyle, qui a rédigé le Biological Weapons Anti-Terrorism Actp romulguée par le Congrès étasunien en 1989, lePentagone est « désormais préparé à disputer et à gagnerla guerre biologique » dans le cadre de deux directives destratégie nationale de Bush, adoptées, remarque-t-il, «sans être portées à la connaissance et au droit de regard dupublic » en 2002. Boyle ajoute que, de 2001 à 2004, leGouvernement Fédéral étasunien a dépensé 14,5 milliardsde dollars pour uniquement des travaux liés au bio-terrorisme civil, une somme faramineuse.R i c h a rd Ebright, biologiste à l’Université Rutgers, estimeque plus de 300 institutions scientifiques et quelques 12000personnes aux États-Unis ont aujourd’hui accès à des agentspathogènes convenant à la guerre biologique. L’ I n s t i t u tNational de la Santé du gouvernement étasunien distribue497 bourses uniquement pour la re c h e rche sur les maladiesinfectieuses à potentiel de guerre biologique. Bien entendu,cela est justifié dans la rubrique de la défense contred’éventuelles attaques terroristes, comme tant de chose lesont aujourd ’ h u i .Beaucoup de dollars du gouvernement étasunien sontdépensés dans la re c h e rche de guerre biologique impliquantle génie génétique. Jonathan King, professeur en biologie auM I T, dit que « l’expansion des programmes sur le bio-t e rrorisme constituent un danger significatif émergent pourn o t re pro p re population. » King ajoute, « bien que ce genrede programmes soit toujours appelé défensif, avec les arm e sbiologiques les programmes défensifs et offensifs serecoupent presque complètement. » (13).

L’avenir nous dira si le doomsday seed vault du Svalbard deBill Gates et de la Fondation Rockefeller fait partie d’uneautre Solution Finale, celle impliquant l’extinction de laVieille et Glorieuse Planète Terre.

(4) Engdahl, op cit., p. 130.(5) Ibid. P. 123-30.(6) Myriam Mayet, The New Green Revolution in Africa:Trojan Horse for GMOs ?, mai 2007, African Centre forBiosafety, www.biosafetyafrica.net.(7) ETC Group, Green Revolution 2.0 for Africa?,Communique Issue #94, mars/avril 2007.(8) Site Internet Global Crop Diversity Trust :www.croptrust.org/main/donors.php.(9) Engdahl, op. cit., pp.227-236.(10) Anders Legarth Smith, Denmark Bans Glyphosates, the

Active Ingredient in Roundup, Politiken, 15 septembre 2003 :www.organic.com.au/news/2003.09.15(11) Tanya L. Green, The Negro Project: Margaret Sanger’sGenocide Project for Black American’s :www.blackgenocide.org/negro.html.(12) Engdahl, op. cit., pp. 273-275; J.A. Miller, Are NewVaccines Laced With Birt h - C o n t rol Drugs ? HLI Report s ,Human Life International, Gaithersburg, Maryland; juin/juillet1995, Volume 13, Number 8.(13) Sherwood Ross, Bush Developing Illegal Bioterror Weaponsfor Offensive Use, 20 décembre 2006, www.truthout.org.

Campagne d’affichage de l’Unitarian Service Committee duCanada

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Le célèbre film Soleil Vert (1973) fait partie de cesn o m b reuses productions culturelles après lep remier choc pétro l i e r, où les auteurs

hollywoodiens imaginent un effondrement écologique del’humanité, sans toutefois pouvoir envisager la fin dusystème économique actuel qui en est la cause. Soleil Vert nous montre en 2020 une Terre surpeuplée,extrêmement polluée et surchauffée. La nourriture y estrare et chère, complètement synthétique, produite dansdes fermes protégées. Une minorité de privilégiésbénéficie d’un cadre préservé d’une populationgrouillante et miséreuse. Dans ce contexte, le Soleil Vert, nouvel aliment miracle,est censé offrir une solution à la faim qui pose desproblèmes jusqu’au cœur de New-York, où se déroulel’histoire. Produit par la multinationale Soylent, il estcensé être à base du plancton des océans.Le récit tourne autour d’une enquête menée par uninspecteur, héros du film, sur le meurtre d’un dirigeant deSoylent. L’enquête révèle au final que le soleil vert estproduit avec la chaire humaine des new-yorkais.

Cette histoire peut paraître irréaliste à bien des égards :1) Comment se fait-il qu’on puisse nourrir les humainsavec eux-mêmes ? Ceux-ci, en effet ne représentent pasune biomasse suffisante. 2) Comment la populationaméricaine, qui a bénéficié de l’abondance, pourrait-ellesupporter une telle contraction de son niveau de vie ? 3)D’où proviennent les ressources énergétiques utilisées ?

Un peu de réflexion, aidées des dernières actualités surl’évolution de notre monde, laisse entrevoir la faisabilitéde la réalisation de ce scénario.1) Un calcul aisé montre que « l’autoconsommation del’humanité » conduit à une division par deux de lapopulation tous les deux mois, ce qui serait un rythmequelque peu excessif. Mais considérant qu’il reste encored’autres productions alimentaires, et que le Soleil Vertn’est qu’un aliment parmi d’autres (certes en partcroissante) la diminution exponentielle de la populationhumaine, ne serait pas aussi abrupte. Cetted i m i n u t i o n e x e rcerait cependant une rétro - a c t i o nnégative sur elle-même : en cas de manque de nourrituresur les marchés, des émeutes de la faim sont matées pardes camions « dégageuses » qui vont alimenter les usinesde Soleil Vert, offrant plus de nourriture aux survivants…qui n’ont d’autre choix que d’accepter ce produit sans seposer de question. D’autre part, certains spectateurs ont remarqué qu’entrele début et la fin du film, le nombre de figurants va end é c roissant. Cela peut être interprété comme unevolonté du scénariste d’indiquer une diminution visible etrapide de la démographie au cours du film, qui ameneraità une extinction.

2) Cette fiction peut être vu comme un stade extrême dufonctionnement de notre monde : pollution, inégalitéssociales, consommation totales des re s s o u rces (ycomprises humaines au sens propre) par l’économie, maisaussi artificialisation croissante de la nourr i t u re ,contrôlée par des multinationales, gestion de plus en plus« bétaillère » des humains… Une paupérisation lente,une coercition croissante des individus, une informationmédiatique faisant accepter tout cela, l’absence d’autrechoix dans le cadre de la pensée dominante, conduirait àune réalité proche de cette fiction. Ne perçoit-on pasa u j o u rd’hui les prémisses de ce monde, avecl’augmentation des sans domiciles dans nos villes et desagents de sécurité, une nourr i t u re de plus en plussynthétique, etc. ?Un glissement progressif (une ou deux décennies), versce genre de situation la rendrait possible voire acceptablepar la population. Les humains se sont montrés capablesde pire, au cours du XXème et avant. Ce cheminementvers le monde de Soleil Ve rt peut se faire sanscatastrophe, sans discontinuité. [1]. Car « s’il est bienentendu que l’on peut déduire toutes sortes de catastrophespossibles du déferlement technique ininterrompu depuis deuxsiècles, le pire sera sans doute qu’il ne se passe rien à l’avenir,rien d’autre qu’une lente et interminable agonie de ce qui rested’humain encore logé au cœur de la mégamachine

économique. Rien, pas même une catastrophe. » [2]. 3) On étend ici les questions abordées par ce film auxproblématiques climatiques et énergétiques, considérantqu’il s’est produit avant le début du récit un pic pétrolier[3] et un déclin énergétique.Le peu d’énergie fossile qui est utilisée dans le monde deSoleil Vert sert principalement à offrir le confort auxriches, et à la survie/coercition de pauvres (un peud’électricité, production et transport de nourr i t u re ,fonctionnement des dégageuses…), pour maintenir uncorps social cohérent quoique très inégalitaire.

Il y a relativement peu d’engins motorisés dans le film,mais malgré cela une forte pollution obscurcissant laplanète. Les acteurs transpirent en permanence car il s’est produitun réchauffement climatique malgré le bro u i l l a rdobscurcissant la planète (ce type de pollution locale avaitpourtant refroidit la planète dans les années 50-60 selonles climatologues) : c’est qu’il y a eu dégagement massif deCO2 dans l’atmosphère générant un effet de serre quicompense largement cet obscurcissement. Cettepollution à double effet, obscurcissante et réchauffante,pourrait être générée au XXIème siècle par un usagemassif de ressources sales (schiste bitumineux, charbonliquéfié), succédant aux énergies fossiles faciles à extraireque nous épuisons aujourd’hui (pétrole léger, gaznaturel). Sur notre planète, ces dernières années, parpeur de manque d’hydrocarbure et avec la hausse du prixdu pétrole, des mégaprojets de liquéfaction du charbon(c’est-à-dire faire des hydrocarbures à partir de charbon,moyennant un rendement énergétique très médiocre etune forte pollution), d’extraction de schistes au Canada,ont réellement été imaginés.Avec cela, certains climatologues nous évoquent lapossibilité de « rétro-actions positives violentes », telleque la fonte du permafrost, la libération de CO2 par lamort des forêts et le réchauffement des sols agricoles enclimat tempérés, la hausse de l’albédo dû à la fonte desglaces. De tels évènements, qui impliquent des hausses detempérature encore plus inquiétantes que les scénarios duGIEC, complèteraient le tableau.

On peut donner alors un caractère pro p h é t i q u einattendue à la dernière phrase du héros: “ L’océanagonise, le plancton n’existe plus. Le Soleil Vert, c’estde la chair humaine ! “. Si l’économie mondiales’acharne à consommer toutes les ressources énergétiques,y compris en extrayant toute forme de pétroles lourds et

Une géoengénierie totale : Soleil Vertpar Jean-François Tabardin

énergéticien

Cannibalisme dans le Grand Duché de Moscou et en Lituanie, 1571.

en liquéfiant le charbon, suivant d’autres exemples dupassé, trop nombreux, de folies destru c t r i c e s ,obsessionnelles, organisées à l’échelon d’une nation etrenforcée avec le temps, la composition de l’atmosphèreet des océans sera modifiée radicalement. J e a n - M a rc Jancovici, ingénieur-conseil ene n v i ronnement, posait la question : « A l l o n s - n o u stransformer les océans en lac acide ? », [4], et ne conclutpas que ce soit impossible, en conséquence d’une tropgrande quantité de CO2 dans l’atmosphère et dansl’océan. Dans ce cas, le plancton n’existera effectivementplus, terres et océans deviendront presque invivables. Etla consommation de toutes les re s s o u rces terre s t re sminérales, végétales, animales, se term i n e r aeffectivement par l’autoconsommation humaine, dansune spirale de croissance infernale se refermant sur elle-même. Autrement dit : l’être humain faisant partie de lat e rre, la géophagie économique se terminerait parl’anthropophagie.

[1] Ce « glissement non-catastrophique » peut être imaginé àpartir de précédents qui se sont produits dans des sociétés dites“ m od e rnes”. Lors du siège de Leningrad, hiver 1941-42,officiellement des « cas isolés » d’anthropophagie ont étérelevés. Dans le cas de Léningrad comme de Soleil Vert, les« cannibales » préfèraient ne pas savoir ce qu’ils mangeaient :cela était possible grâce à l’argent et à la médiation dufournisseur de viande. Les fournisseurs disaient aux acheteursque c’était de la viande de cheval et les mangeurs considéraientça comme vrai. On peut rapporter cette situation aux faits dedélégation tels que Bourdieu les décrits: « dans la mesure où,dans la plupart des faits de délégation, les mandants font unchèque en blanc à leur mandataire, ne serait ce que parce qu’ilsignorent souvent les questions auxquelles le mandataire aura àrépondre, ils s’en remettent ».L’Etat totalitaire en URSS avait par ailleurs donné quelquesannées auparavant un exemple d’une autre form e« d’autophagie sociale », alors le parti communiste « dévorait sespropres enfants » lors de purges qui eurent pour prétexte et pointde départ l’assassinat de Kirov en 1934, à Leningrad justement.Les membres du PCUS, par centaines de milliers, étaient arrêtéset fusillés ou déportés, puis les policiers et dénonciateurs quiparticipèrent à cette besogne subirent ensuite le même sort,dans une spirale infernale à laquelle peu ont échappé.[2] http://decroissanceacolombes.zeblog.com/302138-colombes-ville-rouage/[3] Cf les nombreux travaux de l’ASPO, Association for Studyof Peak Oil, indiquant l’avènement entre 2005 et 2020 de ce picpétrolier.[4] http://www.manicore.com/documentation/serre/acide.html

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LA PLANÈTE LABORAT O I R E15

Changer le monde, transformer la viePar Jean Segont I

Pâle ouvrier qu’esquinte la machineVerlaine

Publié en 1870 par Edward Bulwer-Lytton,(1) LaRace à Venir, « The Coming Race », est aujourd’huiconsidéré comme un des textes fondateurs du

roman d’anticipation. Dans la grande tradition du récitutopique (2) qui lui permet l’élaboration d’une critiquede la société de son temps, Lord Lytton s’emploie à décri-re le voyage d’un ingénieur descendant dans un mondesouterrain (3) et sa rencontre avec la société des Vril-Ya,descendants des Atlantes qui se sont réfugiés sous la terreà la suite du déluge. Ces êtres supérieurs de l’Infra-Mondeont atteint un haut niveau de développement et consti-tuent une nouvelle race qui, grâce à la puissance du Vril- source d’énergie inépuisable (4) - développent unniveau de technicité en avance de plusieurs millénaires surle nôtre :« Il convient de rajouter, en outre, que ce peuple à inventerun système de conduits par lesquelles le fluide du vril peut êtredirigé vers l’objet qu’il est censé détruire, à travers une dis -tance presque illimitée ; je ne risque pas d’exagérer si je parlede 500 à 600 miles. Et leur science mathématique en lamatière est si exacte, que d’après le compte-rendu d’un obser -vateur en bateau aérien, tout membre des services du vril esten mesure d’estimer sans coup férir, la nature des obstaclessitués sur la trajectoire, la hauteur à laquelle l’instrument àprojectiles doit être réglé, et la quantité à charger, afin deréduire en cendres en moins de temps qu’il ne faut pour le direune capitale deux fois plus grande que Londres. » (5)

Le roman de Lytton reflète par ailleurs les préoccupations

de ses contemporains quant à l’hégémonie grandissante,dans le domaine de la connaissance, des scientifiques del’époque victorienne (Darwin, Maxwell, la Royal Society,etc.). Cela étant admis, il n’est pas fantaisiste d’affirmerpar exemple que la notion de vril opère à la manièred’une référence explicite à l’électro-magnétisme :« Les philosophes souterrains affirment que par l’effet du vril,que Faraday appellerait peut-être le magnétisme atmosphé -rique, ils ont une influence sur les variations de la températu -re, ou, en langage vulgaire, sur le temps ; que par d’autreseffets, voisins de ceux qu’on attribue au mesmérisme, à l’élec -trobiologie, à la force odique, etc., mais appliqués scientifi -quement par des conducteurs de vril, ils peuvent exercer surles esprits et les corps animaux ou végétaux, un pouvoir quidépasse tous les contes fantastiques de nos rêveurs. » (6).

Aujourd’hui encore, la position centrale occupée par leroman de Lord Lytton dans la mythologie nazie (7) paraîtocculter quelque peu le grand intérêt que présente cerécit en tant que dystopie technoscientifique liée au para-digme de la mutation, ainsi que le rappelle RaymondTrousson :« À la perfection asphyxiante de ce monde, Bulwer-Lyttonpréfère encore l’état actuel des choses. Mettant en questionune civilisation édifiée sur le progrès scientifique et l’emploiétendu des machines qui prétend transformer les hommes endemi-dieux, il vise bien, à travers le Koom-Posh, une Amé -

rique démocratique, utilitaire et mécanisée, mais son proposest plus large et plus ambitieux. Son utopie suppose une muta -tion de la nature humaine, une déshumanisation, et elle estpar là une mise en garde d’un ton nouveau : de sociologique,l’utopie est en passe de devenir eschatologique. » (8)Citons ici cet extrait pour le moins significatif :« Ainsi, pour notre race, bien avant, la découverte du vril,seules les organisations les plus puissantes avaient survécu ; etnos livres anciens relatent une légende jadis largement répan -due, selon laquelle nous sommes venus d’une région quisemble appartenir au monde dont tu es originaire, de manièreà parfaire notre condition et parvenir à une purification den o t re espèce, suite aux terribles luttes que menèrent nosa n c ê t res ; et lorsque notre éducation sera achevée, noussommes destinés à retourner à la surface de la terre pour yrégner sur toutes les races inférieures qui s’y trouvent. » (9)

Publié anonymement deux années après, Erewhon, deSamuel Butler, fut d’abord attribué par le public britan-nique à l’auteur de “La Race à venir”. La stru c t u red’Erewhon, anagramme de Nowhere, nulle-part, reprendcelle utilisée traditionnellement par les romanciers del’utopie ; Erewhon rassemble en effet plusieurs essaisconsacré à la description faite par un voyageur égaré d’unmonde révolutionné cinq cents ans après la victoire des «Antimachinistes » sur les « Machinistes » :« Les deux partis s’appelaient les Machinistes et les Antima -chinistes, et à la fin, comme je l’ai dit, les Antimachinisteseurent le dessus, et traitèrent leurs adversaires avec une dure -

té tellement inouïe que toute trace d’opposition fut anéantie.Ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’ils tolérèrent que certainsinstruments mécaniques demeurassent en usage dans le pays.Mais je ne crois pas qu’ils l’eussent toléré si les Professeursd’Inconséquence et de Subterfuge ne s’étaient pas levés enmasse pour empêcher qu’on poussa les nouveaux principes àleurs conclusions légitimes. De plus les Professeurs exigèrentque, pendant la guerre, les Antimachinistes se servissent detous les perfectionnements connus dans l’art de la guerre et,au cours des hostilités, plusieurs armes offensives et défensivesfurent inventées. Je fus surpris de voir qu’il subsistait autantd’échantillons de machines qu’on en voit dans leurs musées, etje m’étonnais que des savants aient pu reconstituer leurs dif -férents usages avec tant d’exactitude. Car au moment de larévolution les vainqueurs avaient détruit toutes les machinesles plus compliquées et brûlé tous les traités de mécanique ettoutes les usines des ingénieurs, ayant ainsi sapé le mal jusquedans ses fondements -, tout cela au prix d’un gaspillage incal -culable de richesses et de sang. » (10).Samuel Butler présente, à la suite du chapitre d’où cetexte est extrait, Le Livre des Machines, un essai quiconcentre les visions et théories des Antimachinistes,lesquelles inspirèrent cette révolution anti-technique ; lecaractère remarquablement contemporain de celles-ci nepeut qu’être noté , et ce jusque dans le questionnementprésenté ici par l’auteur quant au devenir d’un monde deplus en plus dépendant des machines :

« Le fait que les machines ne possèdent actuellement que fortpeu de conscience ne nous autorise nullement à croire que laconscience mécanique n’atteindra pas à la longue un dévelop -pement dangereux pour notre espèce. (...)Mais qui peut affirmer que la machine à vapeur n’ a pas uneespèce de conscience ? Où la conscience commence-t-elle ? Oufinit-elle ? Qui peut fixer la limite ? Qui peut fixer une seulelimite ? Est-ce que les machines ne rattachent pas de millemanières à la vie animale ? (...)Jusqu´à présent les machines reçoivent leur impressions à tra -vers, par l’intermédiaire, des sens de l’homme. Une locomoti -ve en marche lance un cri d’alarme aigu à une autre locomo -tive, et celle-ci lui fait placeimmédiatement, mais c’est àtravers l’oreille du mécanicien que l’une fait appelle à l’autreet a fait de l’impression à l’autre. Sans le mécanicien, l’appeléaurait été sourd au cri de l’appelante. Il fut un temps où ilaurait semblé bien improbable que les machines puissentapprendre a faire connaître leur besoins par des sons, mêmepar l’intermédiaire des oreilles de l’homme. Ne pouvons-nouspas imaginer, d’après cela, qu’un jour viendra où elles n’au -ront plus besoin de cette oreille, et où elles entendront grâce àla délicatesse de leur propre organisation ? et où leur moyend’expression se seront élevé, depuis le cri de l’animal, jusqu’àun langage compliqué comme celui de l’homme ? (...)Nous ne pouvons pas compter sur un progrès, dans la puis -sance physique ou intellectuelle de l’homme, qui corresponde,et qui puisse s’opposer, au bien plus grand développementauquel semblent destinées les machines. Certains diront quel’homme pourra les dominer par sa seule influence morale ;mais je ne pense pas qu’il soit bien prudent de compter sur lesens moral des machines.Et mêmes les machines ne pourront-elles pas mettre leur gloi -re á se passer de ce fabuleux don de la parole ? « le silence, adit quelqu’un, est une vertu qui nous rend agréables à nossemblables » (...)Je ne crains aucune des machines actuelles. Ce qui me faitpeur, c’est la rapidité avec laquelle elles sont en train de deve -nir quelque chose de différent de ce qu’elles sont à présent.Aucune classe d’animaux ou de végétaux n’a fait, à aucunepériode du passé, des progrès aussi rapides. Est-ce que ce pro -grès ne devrait pas être jalousement surveillé, et arrêté pendantque nous pouvons encore l’arrêter ? Et pour cela n’est-il pasurgent de détruire les plus avancées des machines en usageaujourd’hui, bien que nous admettions qu’elles soient, parelles-mêmes, innocentes ? » (11).

Les interrogations angoissantes soulevées par Bulwer-Lyt-ton et Butler dans ces deux récits sont éminemment liéesà la razzia épistémique opérée par le matérialisme tech-noscientifique, celui-ci apparaissant alors comme l’idéolo-gie en gestation de la domination d’une époque qui estencore la nôtre. Cette idéologie se cristallise autour de lanotion de Progrès ; l’évolutionnisme et le darwinisme enfurent les émanations directes ; son dernier avatar, letranshumanisme - « l’humanité devait donner naissance àune nouvelle espèce, asexuée et immortelle, ayant dépassé l’in -dividualité, la séparation et le devenir » (12) - a tombé lemasque : assurément, c’est toujours d’une position divineque le langage de la domination nous somme encore detransformer le monde (13).

(1) - Edward Bulwer- Lytton, homme politique et écrivainanglais, qui siégea à la Chambre des Communes puis à laChambre Haute en tant que lord, auteur entre autres récits deZanoni, Le Maître Rose-Croix et du roman Les Derniers Jours dePompéi.(2) - Comme L’Utopie de Thomas More ou Les Voyages de Gulli -ver de Jonathan Swift...(3) - Lytton s’inspire ici des théories de la terre creuse très envogue dans les romans du dix-neuvième siècle, notamment chezEdgar Alan Poe (Les Aventures d‘Arthur Gordon Pym) et JulesVerne (Voyage au Centre de la Terre)(4) - Ainsi s’explique l’affection particulière qu’entretiennent lesamateurs de l’énergie libre envers ce roman.(5) - E. Bulwer Lytton, La Race à venir, Camion Noir, 2007.(6) - E. Bulwer Lytton, La Race à venir, Camion Noir, 2007.(7) - On consultera à ce sujet l’ouvrage de Nicholas Goodrick-Clarke, « Soleil Noir », dont la traduction française est disponibleaux éditions du Camion Noir.(8) - Raymond Trousson, Sciences, techniques et utopies, du para -dis à l’enfer, L’Harmattan, 2003.(9) - Raymond Trousson, op. cit.(10) - Samuel Butler, Les Collèges de Déraison, Erewhon, L’Imagi-naire Gallimard.(11) - Samuel Butler, Le Livre des Machines, Erewhon, L’Imagi-naire Gallimard.(12) - Michel Houellebecq, La Possibilité d’une île, Fayard, 2005.(13) - « Les philosophes n’ont jusqu’ici qu’interprété le monde, ils’agit maintenant de le transformer », Karl Marx dans les Thèses surFeuerbach.

Le National Ignition Facility (NIF) est une unité de confinement inertiel par laser (pour amorcer une réactionde fusion nucléaire) en construction au Laboratoire National Lawrence Livermore, à Livermore, Californie.Le NIF est le plus grand laser à confinement inertiel jamais construit. Ici, la chambre d'interaction de 10mètres de diamètre, percée d'un ensemble d'ouvertures par où pénètreront les 192 faisceaux et où serontimplantés des diagnostics de contrôle et d'observation. Le résultat espéré est "l'ignition", la réalisation deréactions de fusion nucléaire auto-entretenues.

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rialisme et le colonialisme (2) et qui mènera plus tard à lanotion « d’espace vital ».Pour le britannique Sir Halford J. Mackinder, (3) l’his-toire du monde a été essentiellement l’histoire d’une lutteéternelle entre les « marins » et les « terriens », entre les« t h a l a s s o c r a t i e s » et les « t e l l u ro c r a t i e s », entre laconquête du monde par les mers et la conquête du mondepar les terres. Il estime que la région Caucasienne et Eur-asienne est le « pivot géographique de l’histoire ». Mac-kinder présente dans une conférence en janvier 1904cette théorie de la « Terre du Milieu », alors qu’il estdirecteur de la London School of Economics et au momentoù la Russie est sur le point d’achever la ligne de train dutrans-sibérien. Il constate que l’émergence de chemins defer à la fin du XIXe siècle a donné aux terriens les possi-bilités d’être aussi mobiles que les puissances navales. Enutilisant « les lignes intérieures » il devient possible d’oc-cuper le « Centre » du grand continent plus rapidementque ne le pouvaient les puissances navales, comme la

Grande-Bretagne. Fervent partisan dusystème impérial britannique, Mackin-der soutient la notion de « Terre duMilieu » pour aider Londres à défendreses intérêts contre l’expansionnismeRusse, car il considère que la « balan-ce des forces » commençait à pencheren 1904 dans les mains de l’Etat-pivot,la Russie. Mackinder déclare alors quela tâche stratégique de la Grande-Bre-tagne au XXe siècle est d’empêcher laRussie d’atteindre l’Océan Indien.Plus tard, à la suite de l’effondrementde la Russie Tsariste, Mackinder insis-tera pour que Londres mette en oeuvredes politiques de nature à empêcher lesautorités bolcheviks de consolider leuremprise sur les parties extérieures deleur Empire. En conséquence, Mackin-der voulait que l’Ouest soutienne l’in-dépendance de pays comme l’Ukraine,l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géor-gie. À l’époque, le gouvernement bri-tannique et ses alliés ne suivirent pasles conseils de Mackinder, et les bol-cheviks finirent par conserver la plusgrande partie des terres contrôlées parleurs prédécesseurs Romanov.

Dans une tournure quelque peu paradoxale, la géopoli-tique Mackinder semble aussi avoir laissé une profondeempreinte sur ses adversaires idéologiques d’alors. Une« Ecole Eurasienne » Russe qui exhorte à l’union Eur-asienne sous l’autorité Russe va voir le jour dans lesmilieux exilés nationalistes des années 1920 (derrière lePrince Nikolaï Trubetskoy notamment) en empruntantlargement aux idées de Mackinder (ainsi qu’à celles de la« Révolution Conservatrice » Allemande).Au cours des décennies les défis stratégiques vont évolueret la modernisation technologique va modifier radicale-ment la façon dont un pays peut projeter sa puissance.Pourtant, les théories de Mackinder sur le cœur Eurasienvont rester opératives. La thèse de la « Terre du Milieu »va continuer de fournir les bases intellectuelles de la poli-tique occidentale à l’égard de l’expansionnisme sovié-tique, en particulier dans la formulation des États-Unis,durant la Guerre Froide, de la stratégie politique « d’en-diguement ».

LA PLANÈTE LABORAT O I R E16

Qui tient l’Europe Orientale tient la Terre du Milieu, quitient la Terre du Milieu domine l’île mondiale, qui domine

l’île mondiale domine le monde.Sir Halford J. Mackinder

L’expression « Grand Jeu » a été utilisée pour décrire leconflit russo-britannique dans la région caucasienne aulong du XIXème siècle et s’est imposée comme unconcept clé de l’invention de la « géopolitique » moder-ne. Depuis la chute du mur de Berlin on parle d’un« Nouveau Grand Jeu » pour indiquer la lutte d’influen-ce contemporaine entre les États-Unis et la Russie dansla région qui va de la Turquie au Tibet. En réalité, cettelecture n’a jamais cessé d’être opérative tout au long duXXe siècle, depuis l’échec des anglo-saxons à anticiper laconstitution de l’Empire Bolchevik.

Les deux principaux fondateurs à la fin du XIXème sièclede la « géopolitique » moderne sont Friedrich Ratzel etSir Halford J. Mackinder, deux zoologistes darwinistesdevenus géographes et historiens du développementhumain, et qui feront la promotion des politiques impé-riales en se basant sur la sécularisation de la « géographiesacrée » et l’idéologie évolutionniste.Contemporain de Darwin, l’allemand Friedrich Ratzeradapte les concepts d’évolution à une échelle plus géné-rale, celle des Etats, en les comparant à des organismesbiologiques qui connaissent croissance ou déclin sur uneéchelle temporelle. Selon cet « anthropogéographe », telqu’il se définit lui-même, « L’État subit les mêmesinfluences que toute vie. Les bases de l’extension des hommessur la terre déterminent l’extension de leurs Etats. (...) Lesfrontières ne sont pas à concevoir autrement que comme l’ex -pression d’un mouvement organique et inorganique. » (1)L’expansion des peuples les autorise donc à récupérer lesespaces de voisins « moins vigoureux », une lecture baséede fait sur une « inégalité des races » qui légitime l’impé-

Avec ce journal nous voulonscontribuer à sortir les critiques destechnosciences de leur confidentialité.Nous avons choisi le support journalpour diffuser de la façon la plus largepossible, sans recourir néanmoins auxréseaux classiques de diffusion. Nousen sommes au numéro 3. Nous croyonsque la seule voie actuelle qui permetteune diffusion non institutionnelle etnon commerciale est de constituer unarchipel de lecteurs-diffuseurs.Pour 20 euros, vous re c e v rez 30e x e m p l a i res, frais d’envois noncompris), à diffuser librement.Vous vous abonnez et vous abonnezun(e) ami(e) : 15 euros (2 exemplairesx 3 numéros, frais d’envois compris). Iln’y a pas d’abonnement unique.

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(marquer le nombre d’exemplaires)n°1 (pourquoi travaillons-nous à notre obsolescence ?)(mai 2007)n°2 (lucidité et cognition) (juillet 2008)n°3 (ingenierie de la planète) (sept. 2008)

Adressez vos chèques à “Planète-laboratoire“.L’intégralité de notre publication est diffusée par des per-sonnes-relais qui souhaitent soutenir le journal critiquede “la Planète laboratoire“.

Adresse de contact : La planète laboratoire9 rue de la révolution93 100 MontreuilLe journal existe en version française et anglaise. Un pdfde chaque version peut être téléchargé sur le site :www.laboratoryplanet.org

Contactez-nous par e-mail : Ewen Chardronnet : Bureau d’études :[email protected] [email protected]

p. 1 & 2 - La planète laboratoire par Michel Tibon-Cornillotp. 3 - Forces formatrices d’anéantissement parBureau d’étudesp. 4 et 5 - Géoengenierie par Bureau d’étudesp. 6 et 7 - Le vaudou planétaire par EwenChardronnetp. 8 et 9 - Radars en Arctiquep. 10 - Genèse d’une géoindustrie : les iceberg s parEwen ChardronnetPage 11 à 13 - Le bunker à semences par WilliamEngdhalp. 14 - Une géoengénierie totale : Soleil vert par Jean-François Tabardinp. 15 - Transformer le monde, changer la vie par Jeansegont Ip. 16 - La Terre du Milieu par Ewen Chardronnet

Sommaire

D i rection de publication : L é o n o re Bonaccini, EwenC h a rd ronnet, Xavier FourtSecrétariat de rédaction : B u reau d’étudesTraduction : Malcolm Eden

Des anciens militaires et leaders politiques participent à une répétition decrise énergétique globale au Ritz-Carlton de Washington D.C. le 1ernovembre 2007. Le groupe Securing America’s Future Energy propose le“wargame” “Oil ShockWave” où les participants se réunissent dans laréplique d’un quartier général d’alerte (“war room”) et répondent à une crisede l’approvisionnement en pétrole.

La Terre du Milieuentre Atlantisme et Continentalisme

Par Ewen Chard ro n n e tAprès l’effondrement soviétique de 1991, les conceptsoccidentaux de Mackinder influencent les efforts visant àpromouvoir « le pluralisme géopolitique » dans la Com-munauté des États Indépendants. Ce concept va servir depierre angulaire à la fois des gouvernements Clinton etBush à l’égard des nouveaux États indépendants de l’Eur-asie centrale. En 1997, Zbigniew Brzezinski, ancienconseiller du président des États-Unis Jimmy Cart e r,publie The Grand Chessboard: American Primacy and ItsGeostrategic Imperatives (Le Grand Échiquier), qui prôneune version du Grand Jeu adaptée au XXIe siècle. (4)Pendant que Brzezinski développe ses thèses, en Russie,un fort courant néo-eurasiste de restauration nationalep rend forme derr i è re le géopoliticien ort h od o x eAlexandre Douguine. En s’appuyant d’abord sur le mou-vement national-bolchevik de Edouard Limonov, puis surla pensée classique Eurasiste et sur les théories de la guer-re Atlantiste-Continentaliste, (5) Douguine va exercerune forte influence pour que la Russie développe une stra-tégie Eurasienne. Ce à quoi Vladimir Poutine va s’em-ployer en partie car l’évolution économique et politiqueau cours de la dernière décennie, tout comme le 11 Sep-tembre, vont conduire de façon spectaculaire à une foca-lisation sur la région Eurasienne. Le radicalisme islamique, en tirant parti de la stagnationdes conditions économiques, va établir sa présence dans larégion, qui est désormais considéré par la Russie et l’Occi-dent comme le pivot de la lutte contre le terrorisme mon-dial. Dans le même temps, la sécurité régionale est deve-nue de plus en plus complexe, avec le Pakistan enpossession d’armes nucléaires, et l’Iran qui s’emploie àdévelopper ses capacités nucléaires. Le cœur Eurasiendevient également le théâtre d’une intensification de lalutte économique, alimentée en grande partie par un désirde contrôler les réserves énergétiques abondantes de larégion. Les États-Unis, la Russie et la Chine ont tousd’importants intérêts dans la région. Et la Russie tient àpréserver son influence de Bakou au Lac Balkhash, pour lepétrole, mais également pour sa stratégie spatiale et anti-nucléaire. Et si la Russie perd le Caucase, elle risque dedevoir céder la Sibérie Orientale à l’Empire Han...

« Si la Russie veut préserver le pétrole de Bakou (s’il elle est enétait privée la Russie pourrait difficilement conserver sous soncontrôle non seulement le Transcaucase, mais aussi le NordCaucase), elle doit empêcher l’indépendance de la Géorgie. »(6).

(1) - Politische Geographie, Géographie Politique, 1897.(2) - Dans sa théorie, les peuples primitifs (N a t u rv ö l k e r) del’Afrique, Océanie etc. s’opposent par leurs traits aux peuplesévolués (Kulturvölker) de l’Ancien et Nouveau Monde, lesquelsont tout naturellement, à ce titre, le droit d’occuper les territoiresdes premiers.(3) - D’abord étudiant en zoologie, mais qui finit par choisir lagéographie et l’histoire moderne avec l’idée de « voir comment lathéorie de l’évolution apparaîtrait dans le développement humain ».(4) - “The Grand Chessboard - American Primacy And It’s Geos -trategic Imperatives,” Zbigniew Brzezinski, Basic Books, 1997.(5) - La civilisation thalassocratique, anglo-saxonne, pro t e s t a n t e ,d’esprit capitaliste, serait irréductiblement opposée à la civilisationcontinentale, russe-eurasienne, orthodoxe et musulmane, d’espritsocialiste. Alexandre Douguine, La Grande guerre des continents,Avatar, 2006 ; et La Révolution conservatrice russe, Revue Eurasian° 2, 2006 ; (6) - Nikolaï S. Trubetskoy, “O narodakh Kavkaza,” in: NasledieChingizkhana, Agraf Publishers, Moscow, 2000, p. 472-473.