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l a p e t i t e

i n f a n t e

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r e n é g u i l l o t

l a petite

infante

Illustrations de Paul Durand

delagrave

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A AMÉLIE BRUNET

© Delagrave 1973

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S i l'on voulait présenter, d'un seul coup, tous les membres de la famille Caravan, et par rang de taille, ce serait vraiment très facile. Il suffirait de s'approcher du chambranle de la porte qui fait commu- niquer le petit salon avec la salle à manger.

Sur l'encadrement de bois de cette porte, papa Léonard a marqué, avec de fines entailles au canif, les marques qui changent chaque année. Sauf celles des grands, bien entendu...

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D'abord, très haut, bien au-dessus de la porte, on trouve la double marque. Elle est là pour servir de témoin et montrer qu'autrefois, les Caravan poussaient comme des peupliers.

La marque double est celle de Luc et de Gontran, les deux forbans, les deux premiers Caravan, gentilshommes de Fortune, qui ont couru, en leur temps, toutes les mers du monde. Ces deux-là ont illustré, les premiers, le nom de Caravan. Et dans la marine du grand roi Soleil.

Quand il parle de ces ancêtres fameux, papa Léonard dit — et toujours de ces corsaires — : « Nos messieurs de la Mer... »

Luc et Gontran Caravan avaient deux mètres de haut !

Juste au-dessous de la marque qui rappelle la taille immense des messieurs de la Mer, on trouve celle du maître de la maison, de papa Léonard qui, lui non plus, ne passe pas sous les portes, sans courber la tête. Avec ses grands cheveux ébouriffés, papa Léonard est presque aussi grand que Luc et Gontran. Mais en comptant les cheveux !

Papa Léonard est musicien. Il donne des leçons de piano aux enfants du quartier. Mais surtout, quand ses élèves lui laissent un peu de répit, il compose de bien jolies chansons.

L'an dernier encore, la marque de maman Maria était juste au-dessus de celle de Catherine. Catherine, c'est l'aînée des trois enfants. Elle a seize ans. Son frère Richard et Sophie la petiote l'appellent : la Grande. Mais en famille, souvent, pour employer le nom qui chante le mieux, celui que lui a donné papa Léonard, on dit : La Petite Infante... Parce que notre Catherine a des airs de petite reine.

Cette année, c'est Catherine qui est plus grande que maman. De chaque côté de la porte, au-dessous et au-dessus du loquet, on

trouve les marques de Richard : dix ans, et de Sophie : six ans. Richard a les cheveux des Caravan, frisés, épais, mangeant son front, montant droit sur sa tête. Une véritable toison qui flambe, couleur de cuivre roux. Il paraît que Luc, l'aîné de nos messieurs de la Mer, ne pouvait pas porter perruque, à cause de sa chevelure de flammes.

On ne peut peigner Sophie... qu'en tresses. Elle frise comme des baguettes de tambour. C'est Sophie qui a tracé sur le chambranle de

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la porte, les deux dernières marques. Pour les voir, il faut se baisser, presque jusqu'au plancher. Ce sont celles de ses deux amis : Picolino et Ramina.

Ramina tout le monde peut la voir... la caresser, lui parler. C'est la chatte de la maison Caravan.

Picolino, personne ne l'a jamais vu, sauf Sophie, quand elle rêve. Mais elle rêve toute la journée. Picolino est un personnage merveilleux que Sophie a inventé dans son imagination d'enfant. Picolino, c'est le lutin...

La maison Caravan se trouve tout au fond d'une cour donnant sur l'impasse du Pied-de-l 'Alouette : une ruelle étroite, serrée entre de hautes maisons. Tout au bout, c'est le quai d'Anjou. Et là, entre les toits gris de Paris, on voit, quand le temps est clair, couler un ruisseau de soleil et de ciel au-dessus du lit de la Seine.

Les fenêtres donnent sur cette cour. Quand on se penche au balcon, on a le vertige. Sur les pavés, le cheval du marchand de charbon, un grand cheval noir ne paraît pas plus haut que le caniche de la mercière. On voit ce chien de la mercière à peine plus gros qu'une souris. Et une souris, on ne la verrait pas.

C'est qu'on est perché au sixième étage! Tout le jour, dans la maison Caravan, on entend le ronron de la

machine à coudre de maman Maria. Elle coud, elle coud... Et encore très tard quand les enfants sont couchés. Elle travaille à la confection, pour les grands magasins.

Tout le jour, dans le petit salon de musique, où s'entassent autour du piano, les cahiers, les partitions et les pipes, papa Léonard apprend leurs premières notes à ses élèves : des petits garçons et des petites filles. Et avec quelle patience! Tout haut, il bat la mesure :

— Un... deux... ne pressons pas... ne pressons pas... Un... deux... là, comme ça... Oui... Comme si l'on se promenait dans un jardin... Un deux... un deux !

Le piano ne s'arrête jamais. La machine à coudre ne s'arrête jamais. Et entre deux leçons, papa Léonard travaille, cherche les airs de ses chansons.

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Catherine, la petite infante n'est presque jamais à la maison. Richard et Sophie l'attendent toujours à revenir de très loin, d'un voyage comme en faisaient avec leurs frégates, nos messieurs de la Mer, Luc et Gontran Caravan. En réalité, la petite infante qui n'est une petite princesse que dans le cœur de Richard et de Sophie, suit ses cours ou bien, elle promène dans Paris, ses petits Argentins. Et il sera souvent reparlé de ces enfants argentins !

Richard va en classe. Si c'est mercredi, ou dimanche, il est là. Mais installé à sa table, il fait ses devoirs.

— Huit fois neuf... soixante-douze. Je pose deux et je retiens sept... « La machine à coudre... le piano... huit fois neuf... neuf fois huit... Et la Grande, la petite infante qui n'est jamais là. Alors, Sophie est toute seule. Toujours toute seule. Et dans le grand salon Sophie rêve. Par la fenêtre, le vent agite

une longue branche de jasmin que les voisins font pousser dans un pot, sur leur fenêtre.

Si Picolino aperçoit cette branchette, qui se balance, il va sortir de son coin, sauter sur le bras du vieux fauteuil. La soie bleue est toute effrangée, mais les ressorts sont encore très élastiques et bien capables de faire rebondir Picolino. Vous allez voir qu'il va sauter le beau lutin, pour attraper cette branche de jasmin. Et si la branche casse!... Elle est très fragile cette branchette!

Sophie aurait bien envie de fermer la fenêtre. Elle est toute seule, Sophie, avec ses jolis rêves. Picolino, ce petit lutin qui n'existe pas, c'est son confident. Il est

beaucoup plus mystérieux que le chat. Il est toujours là. Sophie le voit, mais en fermant les yeux. Il vient de montrer sa tête frisée, avec sa huppe de cheveux blonds, son nez retroussé, son rire malin, dans ses yeux couleur de faïence. Un rire de lutin!... Un de ses sourcils est un tout petit peu plus grand que l'autre. Ce qui fait que, Picolino, quand il rit, a toujours l'air de faire la grimace, comme un clown.

Il apparaît. Il fait un signe à Sophie. Et Frrrrt!... il disparaît aussitôt derrière un meuble.

— Six et quatre dix... je pose zéro et je retiens un...

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Voilà encore Richard qui compte entre ses dents. La machine à coudre qui avait commencé à bourdonner, comme

une grosse abeille, s'arrête à nouveau, assez longtemps cette fois. — Chut!.., dit la voix de maman Maria. Pas de bruit, surtout!... A côté, dans le petit salon de musique, le vieux piano fatigué

répète un tout nouveau refrain : la dernière chanson que papa Léonard vient de composer.

Richard suce son porte-plume et s'arrête de compter. — Chut... écoute, Picolino. Écoute!... murmure tout bas Sophie à

son lutin. Le piano fait entendre un grand murmure comme celui de la mer

toute verte. La mer des vagues qui écument, qui montent, qui des- cendent, et se balancent. Et puis aussi, le frisson des palmiers, le vent qui joue avec les oiseaux, avec les feuillages. Cette dernière chanson de papa Léonard vous emporte loin, très loin.

— Écoute, Picolino... Papa Léonard retient sa grosse voix. Il chante :

Une petite île Qui voguait sur les flots bleus

Partit en voyage Toute seule sous les cieux...

La belle frégate du roi Qui passait à portée de voix...

— Écoute Picolino... toute la maison écoute. Dans la cour, il y a deux chanteurs de rue. Un vieux, une vieille,

avec leur chien frisé qui tient dans la gueule une assiette où on jette des sous. Ce matin, ils ne chanteront pas en regardant les fenêtres. Ils écoutent aussi... Et la grosse voix de papa Léonard, leur a crié, d'en haut :

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— La maison n'est pas riche, mes braves... La maison Caravan donne ce qu'elle a. Et c'est de bon cœur! Attrapez!... Je vais vous jeter une chanson : une chanson qui fera le tour de Paris !

Puis il s'est mis au piano, et à pleine voix, il a chanté :

— Tu écoutes, Picolino?... Qu'elle est belle la chanson de papa Léonard. Elle parle de l'île,

l'île des Caravan ! Parce que, si on n'est pas riche, on possède tout de même une

chose que les autres n'ont pas. Cette chose, c'est une île... une vraie île ! Picolino ne sait peut-être même pas où on l'a enfermée, notre île,

l'île des Caravan... Le plus beau trésor du monde... la fortune de la famille qui possède cette île depuis plus de trois cents ans...

L'île!... Elle est enfermée dans un coffret de bois rouge, à grosse fermeture d'argent ciselé. Un vieux coffret qui est à la place d'hon- neur, sur l'étagère du secrétaire.

Personne n'a le droit de toucher à ce coffret... Personne. C'est là qu'est enfermée la merveilleuse île des Caravan, avec ses palmiers, ses montagnes, ses bêtes sauvages et ses indiens.

A côté, la belle voix grave de papa Léonard continue sa chanson. Elle vous berce comme une barque sur l'eau.

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Le beau gentilhomme du roi vient d'attacher l'île derrière sa frégate, il l'emmène à la remorque, cette petite île rencontrée sur la mer. Et le vent les pousse.

Une petite île Voguait sur les océans

Suivant le sillage Du grand vaisseau des forbans.

Les étoiles d'or clignotaient Un soir que les marins chantaient

Vive le roi !

Beau marin du roi, s'il vous plaît Je voudrais ici m'arrêter

Détachez-moi...

Du haut du navire Le grand câble fut tranché...

Et la petite île Sur la mer s'est reposée...

Adieu beau navire, Moi je t'attendrai ici,

Et vire que vire Je prierai pour toi... Merci.

Une petite île Très loin là-bas, sous les cieux,

Prie pour les navires Qui voguent sur les flots bleus.

— Merci, m'sieu Caravan... On vous la chantera, vot' chanson... vot' chanson des îles. Et elle ira loin, m'sieu Caravan, c'est sûr...