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Le monde sur un plateau ou « Les Petits Hollandais » dans le fast-food mondial Edition associative L’ART INTEMPOREL Paris 2009 Olessia Koudriavtseva-Velmans

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Le monde sur un plateauou « Les Petits Hollandais » dans le fast-food mondial

Edition associative L’ART INTEMPOREL

Paris2009

Olessia Koudriavtseva-Velmans

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A la suite de la révolution bourgeoise qui eut lieu aux Pays-Bas au début du XVIIe siècle, les sept provinces du Nord se libérèrent de la domination espagnole et rompirent avec le féodalisme. C’est alors qu’apparut sur la carte de L’Europe, La République des Provinces-Unies qu’on appelle aujourd’hui La Hollande. L’essor économique et culturel a contribué à l’épanouissement des arts et surtout de la peinture; dans ce petit pays où la population ne dépassait pas deux millions d’habitants. Des centaines de peintres y travaillaient et parmi eux certains devinrent des artistes renommés dans le monde. La Hollande est devenue la république protestante qui s’est libérée du dictat de la monarchie espagnole et de la puissante église catholique. Le monde artistique a alors perdu les commandes de l’aristocratie et de l’église, mais les artistes ont découvert un marché plus large en Europe. La peinture en Hollande du XVIIe siècle est destinée « à tout le monde », à la majorité de la population, aux classes moyennes des villes et des villages, aux militaires, aux commerçants et évidemment à la nouvelle classe de riches : la bourgeoisie. Ainsi la peinture est rentrée sur le marché comme une autre marchandise. Les artistes de tous les niveaux travaillaient pour des commandes ou proposaient des œuvres toutes prêtes. En général, ces œuvres étaient destinées à décorer les maisons des hollandais qui disposaient de petites pièces dont l'avantage était d'être confortable dans le climat froid et humide. Cela explique les petits formats des tableaux hollandais et c'est la raison pour laquelle les peintres de ces oeuvres portent le nom unique « des Petits Maîtres Hollandais ». Dans presque toutes les maisons hollandaises, il y avait des tableaux des « Petits Maîtres », leurs œuvres dépassaient les frontières de La Hollande et ont été appréciées à l’étranger. Ce marché de la peinture a créé une forte concurrence qui demandait aux artistes d’être spécialisés dans un genre de la peinture (il y avait des exceptions comme Franz Hals, Rembrandt et son école) : le portrait, le paysage, la scène de genre et la nature morte. Parmi ces genres, le portrait était considéré hiérarchiquement supérieur, puisqu’il était réservé aux « burgers », tandis que les autres genres destinés à décorer les habitations des citadins et des paysans étaient plus démocratiques. Se sont surtout la scène de genre et la nature morte qui représentent les différents aspects de la vie hollandaise : la vie quotidienne ou festive, les mœurs, les traditions, la religion, la philosophie. La peinture hollandaise du XVIIe siècle est fortement particulière, il est impossible de la confondre avec une autre école européenne de la même époque. Déjà les œuvres de La Renaissance du Nord montrent une autre conception et une autre philosophie que celle de La Renaissance italienne. Les théories sur la perspective, si développées en Italie ont été revues par les artistes néerlandais d’une façon particulière qui est très loin de celle de Léonard, Michel-Ange et Raphaël. L’Humanisme comme philosophie centrale de La Renaissance italienne a trouvé sa version aux Pays-Bas. Vu sa situation géographique, l’école des Pays-Bas accumule plusieurs traditions, d’ailleurs elle influe aussi sur les autres écoles nationales. On y trouve des réminiscences de l’art français présentées dans les œuvres d’artistes qui travaillaient pour le duc de Bourgogne, et de l’art italien avec son intérêt pour l’antiquité, mais avant tout, cette école s’inspire de ses propres traditions nationales liées au Moyen-Âge. La philosophie humaniste de l’homme créateur n’a pas été forte aux Pays-Bas. Souvent on ne trouve même pas les noms d’artistes sur les peintures. L’Homme ne domine pas dans ce monde d’objets différents qui remplissent des tableaux, l’homme n’est pas présenté comme une création centrale et monumentale, libre de tous les détails supplémentaires.

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Par contre, la peinture néerlandaise de la fin du XVe siècle et du début de XVIe siècle est déjà très loin du monde imaginaire du Moyen-Âge, même les personnages bibliques sont représentés dans les conditions du réalisme terrestre, de plus ils sont placés dans le réalisme du pays natal de l’artiste. De cette manière, les Saints se trouvent dans les intérieurs des maisons néerlandaises ou dans les villes, dans la nature des Pays-Bas. L’intérêt que La Renaissance montra pour le monde réel trouva dans l’art néerlandais une expression différente de celle que nous observons dans l’art italien. Les peintres des Pays-Bas ne réalisent pas une approche scientifique et ne s’appuient pas sur les principes d’une méthode théorique : ils suivent une voie empirique. Ainsi ils ignorent les lois de la perspective, par exemple, dans le second volet du diptyque de Robert Campin de l’Ermitage « La Vierge et l’enfant devant la cheminée » (1430), le sol est fortement incliné et les figures semblent glissées vers le bas ; le bassin, la cruche et la table sur laquelle ces objets sont posés, sont représentés comme s’ils étaient vus de différents points de vue. Par contre, La Vierge, l’enfant et les objets sont présentés avec la même précision qui est devenue possible grâce à la nouvelle technique de couleurs à l’huile appliquée par les néerlandais.

Les traditions nationales, le coloris du pays sont bien démontrés dans cette œuvre de Robert Campin : La Vierge est présentée comme une femme de type néerlandais, dans un intérieur typique de cette région, parmi les objets quotidiens. Ce n’est pas une présentation de la

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reine céleste mais celle d’une femme terrestre qui se trouve sur La Terre, dans une ville néerlandaise, parmi nous. Mais cette espace réellement quotidien avec des objets simples jouait un rôle important pour identifier cette dame comme La Vierge qui selon la tradition protestante est représentée sans auréole. Marie, de la main protège son enfant de la chaleur ardente du feu ; un symbole du feu infernal. Tous les détails sont reproduits avec un soin particulier. On peut même y voir les têtes des clous plantés dans les volets en bois, sont-elles ici par hasard ou peuvent-elles rappeler les souffrances du Christ ? Le bassin, la cruche et la serviette pendue au-dessus d’eux représentent les symboles de la pureté et de la chasteté de Marie. Ils sont présentés avec un tel réalisme que nous les considérons comme des objets familiers du quotidien. A travers la fenêtre, on peut voir un paysage urbain néerlandais. Même si la Vierge est présentée dans un palais céleste comme dans les tableaux de Rogier Van Der Weyden « St. Luc peignant le portrait de la Vierge » (XVe siècle, le Musée de l’Ermitage) ou « La Vierge de chancelier Rolin » de Jan Van Eyck (1435, le Musée du Louvre). La vie terrestre des Pays-Bas est toujours scrupuleusement démontrée. Tous les détails de l’entourage de Marie: les tissus, les meubles, l’architecture sont exécutés très précisément, même dans les parties les plus petites. L’Homme ou un personnage céleste et les objets sont composés sur l’espace du tableau dans un équilibre, avec une finesse et une exactitude d’exécution aussi juste pour une figure humaine que pour un objet. Pour l’artiste néerlandais, il n’y a pas de détails secondaires, tous les détails sont également importants, puisque, que se soit un personnage humain ou un objet, se sont des créations du Dieu Créateur.

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Donc un objet dans la peinture néerlandaise depuis le XVe siècle est un personnage qui est capable de s’exprimer avec la langue des symboles. La révolution bourgeoise a amené beaucoup de changements dans la mentalité, dans la culture et dans l’art des anciens Pays-Bas, mais elle ne pouvait pas changer des traditions dans les présentations de l’homme et de l’objet. Dans La Hollande du XVIIe siècle qui hérite des traditions de la peinture des Pays-Bas, la nature morte bénéficia d’une large diffusion. Les hollandais préféraient appeler ce genre « still leven » qu’on peut traduire comme « la vie tranquille ». Ce concept renonce à l’absence de vie dans les objets. Les objets sont considérés comme des êtres animés qui présentent tous les aspects de la vie en Hollande. La nature morte et la scène de genre sont un espace d’action, puisque la nature morte hollandaise n’est pas un genre sans sujet. La nature morte peut apporter une action, raconter une histoire dans une scène de genre et également dans les natures mortes et on sent la présence d’un personnage humain, on voit le sens narratif de ces œuvres. Dans chaque centre de la vie artistique hollandaise il y avait des spécialités, chaque artiste était spécialisé non seulement dans un genre, mais aussi dans certains sujets. On peut dire que les peintres hollandais comme les artistes orientaux avaient leur propre système de genres qui était différent du système classique. Il y avait des spécialistes des scènes de concerts, des scènes galantes, de la vie des paysans, des fêtes, de la vie quotidienne, des petits-déjeuners, de différents types de nourriture, des fruits, des fleurs, des objets, des gibiers, des poissons. Est-ce que ces œuvres où des objets tellement quotidiens jouent des rôles importants ont juste servi pour décorer des maisons hollandaises ? Est-ce que les hollandais voyaient une scène narrative, descriptive, évidente et simple? Est-ce qu’ils voyaient les mêmes choses que nous voyons aujourd’hui dans ces tableaux et quel rôle en réalité jouent tous ces objets tellement nombreux ? Quel héritage les maîtres hollandais ont laissé pour les générations des futurs artistes ? Les changements sociaux n’ont pas modifié la mentalité protestante dont le didactisme restait fort au XVIIe siècle. D’un côté, la peinture hollandaise montre toutes ces nouveautés de la

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vie après la révolution; les sujets civils dominent sur les sujets religieux, mais souvent les deux se rencontrent dans un tableau. Certains sujets du folklore national apparaissent dans les tableaux de la vie contemporaine du XVIIe siècle. Pour les hollandais, il existait deux ou plusieurs sujets qu’on découvre dans leurs oeuvres. Pour dévoiler ce sens narratif, les peintres hollandais s’adressaient aux objets-symboles, tout en gardant les traditions venant de la peinture des Pays-Bas des XV-XVI e siècles. En fait, les objets qui « parlent » plus que les personnages humains se trouvent dans les scènes de genre ainsi que dans les natures mortes et dans ces deux cas, l’exactitude de l’exécution des objets est très forte. Dans les scènes de genre, les objets racontent deux histoires : une évidente et une histoire cachée. Les aspects de la vie sont bien montrés dans les tableaux. Mais pour découvrir les caractères des personnages, le début et la suite de ces histoires, il faut se plonger dans la symbolique des objets. Les objets dans « Le concert » de Dirk Hals (1623, Le Musée de l’Ermitage) montrent les plaisirs de la vie, la fortune des nouveaux riches : la vaisselle en or, la fumée des herbes parfumées d’outre-mer et la carte géographique parlent d’activités commerciales. Par contre le plaisir de la musique, la jeunesse et la beauté de la chanteuse, les regards entreprenants des hommes musiciens sont temporaires comme les pétales de roses dispersées par terre. La joie, le plaisir de la vie sont fréquents dans la peinture hollandaise, les militaires n’ont jamais été présentés pendant les heures de leur service dur, ils sont toujours montrés en train de jouer aux cartes, de se reposer, de boire dans une auberge. Les cartes dispersées chaotiquement, les pipes et les verres cassés nous avertissent du danger de la vie trop festive.

Parmi les scènes du quotidien hollandais, on trouve souvent le sujet très narratif comme « Le contrat de mariage » (Jan Steen, 1668, le Musée de l’Ermitage). Au premier regard tout est clair, tout est évident : les personnages assez comiques d’une famille de paysans ou de la « classe moyenne ». Tous les âges y sont représentés, chacun participe dans ce spectacle familial : les

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fiancés sont gênés, les parents semblent très occupés par la procédure, les proches sont considérés comme des spectateurs curieux. On y trouve toutes les expressions : les visages sérieux, étonnés, moqueurs, tristes. Mais se sont les objets qui nous racontent beaucoup plus de cet événement. On voit bien que les fiancés deviendront bientôt « les prisonniers » de l’alliance familiale comme les oiseaux dans la cage montrés dans ces tableaux. On voit non seulement leur avenir mais aussi leur passé, le prétexte de ce mariage est clair : les œufs cassés est un symbole de l’innocence perdue de la fiancée, une palanche à coté du fiancé explique « la pénibilité » de son devoir et l’absence de sa propre volonté d’être marié.

Souvent ces scènes de la vie quotidienne sont des sujets issus du folklore populaire de ce pays, ils viennent d’anecdotes, de proverbes, de contes et de pièces jouées dans les théâtres d’amateurs.

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Le grand maître de ces scènes est Jan Steen. Sur le tableau de la collection de l’Ermitage il se déguise avec sa femme Margriet en deux ivrognes (Les ivrognes, 1660, le Musée de l’Ermitage). Les décorations de cette pièce montrent l’ambiance où ce couple trouve son bonheur. Tout comme ses propriétaires, les objets semblent saoulés, il n’y a pas d’ordre dans la vie de ce couple gai comme il n’y a pas d’ordre dans le placement des objets. On y trouve des aspects comiques comme, par exemple, une chaussure parmi la vaisselle, la dame qui a perdu un de ses souliers. Mais également, on voit aussi comment l’artiste prévient le spectateur de la vie gaspillée : la nappe est déchirée, le couteau risque de tombé, les pipes au sol sont cassées comme la vie de ses personnages contents de boire de la bière. Jan Steen a tenu une auberge et il était le propriétaire d’une brasserie, ainsi il connaissait la vie et les attitudes de ses clients.

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Un sujet qui faisait rire le spectateur et qui en même temps était didactique pour instaurer des critères de moral est « La malade et le médecin ». Jan Steen a réalisé ce sujet plusieurs fois étant inspiré par un proverbe qu’il a noté au dos de ses tableaux : « Aucun médicament n’aidera jamais dans la question de l’amour ». Donc ce sujet est clair, et se sont des objets qui doivent remplacer le texte placé derrière. Les objets gardent deux concepts : visuel ou évident et celui caché ou associatif. D’un côté, on voit des objets qui correspondent au sujet et de l’autre côté se sont des symboles : deux livres cachés avec un tissu signalent des relations secrètes, l’assiette et les tasses rondes symbolisent des signes féminins, tandis que la chandelle et la cuillère sont les symboles masculins dans le tableau de l’Ermitage. Une lettre d’amour tenue dans la main de la jeune femme du tableau de l’Ancienne Pinacothèque de Munich, ou la lettre tombée par terre au pieds de « la malade » du Musée de Beaux Arts de Philadelphie sont des détails également très évoquant.

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Quelle est la cause de cette maladie ? Est-ce déjà une maladie ? Personne n’est triste ici.

La malade est tantôt mélancolique (Saint-Pétersbourg et Munich), tantôt étonnée (Philadelphie), ses proches sont curieux et souriants et le médecin a l’air d’être content de la légèreté de son cas. Il y a un objet qui est présenté dans le premier plan et qui est sans doute très informatif. C’est un pot en terre cuite avec du charbon à l’intérieur, cet objet se trouve souvent dans les natures mortes, il a servi pour faire chauffer, pour allumer des bougies ou pour allumer une pipe. Mais dans ce cas là on voit bien un fil qui sort de ce pot, c’était peut être un moyen (oublié aujourd’hui) pour diagnostiquer la grossesse ou une méthode gynécologique pour la thérapie de l’utérus ?1

1 Lubsen-Brandsma M.A., Jan Steen’s fire pot ; pregnancy test or gynecological terapeutic method in the 17th century ?, Ned Tijdschr Geneeskd 1997 dec. 20 ; 141 (51) :2513-7.

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Les sujets délicats sont nombreux dans le folklore hollandais, ils attirent l’attention d’artistes qui les présentent dans les scènes dont nous avons perdu l’origine du sens. On voit toujours la partie visuelle où on repère un personnage principal et on voit que dans la peinture de genre ce personnage peut être un objet. Par exemple, « Le verre de limonade » de Gérard Terborch (les années 1660, le Musée de l’Ermitage), où un objet réunit trois participants autour de lui : un jeune homme qui propose de la limonade à une jeune fille qui hésite à la prendre et une vielle dame qui encourage la fille d’accepter cette boisson. Ce verre avec son contenu agréable et frais est un plaisir destiné à la jeune fille, ce verre l’intrigue, l’attire et fait peur en même temps, mais pourquoi ? Qui sont cet homme et cette vielle femme ? Parmi plusieurs anecdotes hollandaises on trouve la scène « Chez l’entremetteuse », où la vieille présente une jeune fille à un chevalier.

L’artiste parle ici en langue symbolique d’objets « féminins et masculins » : la longue cuillère que l’homme a mit dans le verre pour presser et mélanger le jus de citron et le verre arrondi et transparent que tient la jeune fille. Cette langue « secrète » nous fait découvrir le sujet réel de ce tableau.

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Dans le genre de la nature morte, ce concept d’objets - personnages est encore plus fort, ce n’est pas la présentation des objets pour montrer des objets. Mais s’ils vivent dans le monde humain comme dans la peinture de genre, de cette manière l’homme vit aussi dans le monde des « still leven ». On sent toujours la présence d’homme dans les natures mortes hollandaises. Le sujet des natures mortes de petit-déjeuner se passe toujours dans une maison dont les fenêtres sont reflétées dans les carafes, dans les bocaux et dans les verres. La nourriture est toujours déjà touchée, l’ordre des choses est bouleversé, ce n’est pas le début du repas et ce n’est pas la fin, se sont les objets dans leur « activité », dans l’état de leur utilisation, leur consommation. De quoi parlent ces choses, ces délices ? Quels objets trouve-t-on sur la table hollandaise du XVIIe siècle ? Dans les tableaux de Willem Claesz Heda ou de Pieter Claesz on trouve une richesse de vaisselles brillantes, des verres remplis de vin et le raisin à côté nous amènent à l’époque des premiers chrétiens qui pour cacher leur religion s’exprimaient dans la langue des symboles : le vin et le raisin (parfois chez des hollandais le raisin est remplacé par des cerises et renvoie à La Passion de Jésus-Christ) sont des symboles du sang du Christ et le symbole de l’Eucharistie (cf. St Jean 15,1). Dans les mêmes tableaux, on trouve aussi le pain blanc, le symbole du corps du Christ. Touts les fruits frais nous amènent au Paradis, mais tous les fruits avec des défauts, avec des insectes comme des mouches ou des vers nous représentent l’Enfer. De l’autre côté, la comparaison des fruits frais et des fruits pourris est un symbole de la vanité, de la beauté, et de la jeunesse qui sont temporaires.

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Parfois des artistes nous rappellent sur le fruit du péché qui est montré comme le fruit déjà consommé ou coupé. Les couteaux sont les symboles du mal (évocation de la lance dont Longin perça le flanc de Jésus Christ en croix) presque toujours voisins des symboles de la vanité et de « la chair faible » (cf. St. Matthieu 16,41), comme le jambon déjà coupé et mangé et les gibiers morts. Par contre les crabes, les homards qui ont la propriété de changer de carapace font référence à la résurrection du Christ ; le poisson est aussi un symbole christologique, présenté souvent sur les objets du culte des premiers chrétiens, puisque son nom grec- ikhthus est un acronyme des mots Iésus Khristos Théos Huios Sotèr, c’est ce que veut dire : Jésus- Christ, Fils de Dieu, Sauveur. Donc dans la peinture hollandaise les symboles religieux sont exposés à côté des symboles du plaisir de la vie qui sont temporaires pour la raison didactique.

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Le plaisir de la vie, la vitalité sont des sujets fréquents surtout dans les scènes de genre. Dans la nature morte la symbolique d’objets est la même. Le concept de la fécondité composé avec des symboles féminins et masculins sont développés dans les formes géométriques comme les assiettes rondes, les calices et les verres allongés, ainsi que dans les présentations de produits aphrodisiaques comme des huîtres ouvertes et consommées.

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La structure du monde entier est placée par les peintres hollandais sur la table : les quatre éléments sont montrés dans des compositions différentes. Un verre de bière mousseuse évoque la mer, le charbon flamboyant dans un pot en terre cuite est une unité du feu et de la terre, les pipes sont liées à l’air. Dans la nature morte de Pieter Claesz (1636, le Musée de l’Ermitage) ces objets simples sont unis dans une atmosphère « monochrome » qui souligne encore plus leur simplicité d’ascète qui devient une valeur importante pour la religion protestante.

Dans plusieurs « Natures mortes avec des fruits » de Balthasar Van Der Ast (Musée de

l’Ermitage, Musée des Beaux Arts de La Caroline du Nord, Musée Norton Simon, Rijkmuseum, Currier Museum, Musée des Beaux Arts de Belgique, Musée Thyssen-Bornenisza) la même structure mondiale est donnée autrement : les fruits sont le don de la terre, les coquillages sont les fruits de la mer, les fleurs, notamment les tulipes suivent toujours la lumière et la chaleur du feu du soleil, les oiseaux, les papillons et les libellules s’envolent dans l’air.

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Cette nature morte est un véritable tableau du monde où les fruits purs et intacts sont mélangés avec des fruits consommés par les insectes. Les fleurs toutes fraîches se trouvent à coté de fleurs fanées qui nous font penser que la vie terrestre n’est que temporaire. Cette conception naturelle du monde qui semble rester actuelle pour tous les temps et pour toutes les religions cache un autre sens, ici chaque objet-symbole propose une double lecture liée à la religion chrétienne.

A partir de seconde moitié du XVIIe siècle les objets présentés dans les peintures restent les mêmes, mais la lecture symbolique se complique et souvent d’autre messages sont passés en plus de postulats religieux, ainsi dans les œuvres de Kalf, de Helst, de Terborch le luxe, la brillance d’une nouvelle classe de riches arrivent au premier plan.

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L’âge d’or de la peinture hollandaise nous montre que parmi les nombreux artistes

peintres comme Hals, Rembrandt, Vermeer, Van Ostade, Van Ruisdael, Claesz, Claesz Heda, Steen, De Hooch, Terborch, Potter font leurs découvertes uniques dans le sujet, dans la composition, dans la technique, dans la lumière ou dans la couleur. Leurs trouvailles dans les moyens d’expression de la peinture fascinent toujours, ils influent sur les peintres européens de la même époque et ils avertissent les recherches des artistes à venir. Le marché de la peinture hollandaise était très productif et en même temps démocratique, faisait que leurs tableaux étaient appréciés pour leurs qualités et leur prix abordable c’est pourquoi ils ont été vendus partout en Europe, par exemple, dans les foires de peinture, comme celle à Paris dans le quartier de Saint Germain. Les natures mortes et surtout la peinture de genre, ou les objets qui étaient chargés de transmettre plusieurs informations jouent un rôle aussi important que les personnages, les tableaux de « Petits Hollandais », souvent porteurs de valeurs religieuses et d'exemples de vertu, inspirent les peintres aussi bien en Italie qu'en France.

Durant le second quart du XVIIe siècle, les plus beaux représentants du genre en France

sont les frères Le Nain et plus précisément Antoine et Louis, dont il est encore difficile de différencier les oeuvres. Comme leurs congénères hollandais Adrien Van Ostade, « maître de la vie de paysans » ou le flamand Adrien Brouwer travaillant au début du siècle en Hollande les Le Nain suivent le principe d’un coloris « monochrome» accentuant la pauvreté de la vie des paysans, qui se réunissent autour d’un repas acétique composé de pain et de vin évoquant ainsi les symboles eucharistiques qu’ils partagent entre trois générations d’une même famille (« Famille de paysans dans un intérieur » ; « Famille heureuse ou le Retour du baptême » ; « Repas de paysans », 1642, le Musée du Louvre ; « Intérieur français », 1645, National Gallery of Art,Washington ou « Paysans dans un intérieur », 1642, Kimpbell Art Museum, Fort Worth).

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Ces personnages souvent comparés avec les personnages bibliques, sont eux-mêmes des

symboles des cinq sens humains et des trois âges- sujets tellement aimés par les hollandais. Le sud des Pays-Bas restait dans la dépendance de l’Empire des Habsbourg espagnols,

tandis que l’influence artistique se fît sentir chez les peintres espagnols. Le genre de « bodegones » dont Vélasquez a été le grand maître nous renvoie aux scènes de la cuisine des néerlandais du début du XVIIe siècle, telles que les œuvres de Pieter Cornrlisz van Ryck (Scène de cuisine, 1604, Herzog Anton Ulrich Museum, Braunschweig) ou celles d’Adriaen van Nieulandt (Scène de cuisine, 1616, Herzog Anton Ulrich Museum) qui placent une scène biblique en arrière plan et une simple cuisinière au premier plan.

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Fortement influencé par Caravage les « macho » et « mâchas » de Vélasquez vivent dans

une atmosphère qui est plutôt proche des espaces «monochrome» des peintres de Haarlem; les objets qui constituent les natures mortes ascétiques, ainsi que les personnages humains sont des porteurs d’une forte symbolique didactique religieuse, comme la vieille dame qui avec un geste préventif d’avertissement s’adresse à la jeune fille préparant un repas simple avec quatre poissons, des gousses d’ail et deux œufs dans le tableau de Vélasquez « Le Christ dans la maison de Marthe et Marie » (1618, National Gallery, Londres).

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Ce motif des âges est exposé dans les natures mortes hollandaises, par exemple, chez

Floris van Dijck (Natures mortes avec les fromages du 1613, Musée Frans Hals à Haarlem et celle du 1615-1620 de Rijksmuseum à Amsterdam) qui peint deux ou trois fromages d’âges différents: jeune, mûr et vieux ; chez Vélasquez se sont les personnages de deux (Vieille Femme faisant cuire des œufs, 1618, National Gallery of Scotland, Edimbourg), ou trois générations (Déjeuner, 1617, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg) qui se réunissent autour d’une table.

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Curieusement, mais après le déclin du siècle d’or de la peinture hollandaise, certains

peintres européens du XVIIIe siècle reviennent vers l’héritage des hollandais. La vie quotidienne, réelle ou imaginaire, réunie sous ce thème unificateur des artistes aussi divers que Watteau, Chardin, Boucher, Greuze, Fragonard, Hogarth. Les objets qui font partie de cette vie jouent toujours un rôle très important, ils sont toujours vus aussi vivants et parfois plus actifs que les personnages animés, tels que les ustensiles ou la raie de Chardin. Le regard empirique a laissé la place à un regard admiratif de la nature et il montre la vie telle qu’elle est avec une légère envie de l’imaginer parfaite comme dans « Les fêtes galantes » de Watteau ou dans son dernier chef d’œuvre « l’Enseigne de Gersaint » (1820, Château de Charlottenburg, Berlin).

Même si la double lecture symbolique n’intéresse plus, l’humour didactique si fréquent

au XVIIe siècle chez Brouwer et Steen dans la peinture de genre et chez Potter dans le genre animalier, trouve son prolongement dans la satire moraliste de XVIIIe siècle. Par exemple, chez Hogarth dans les séries « Mariage à la mode » (autour de 1843, National Gallery, Londres),

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ou « Aux élections » (1854-1855, Sir John Soane’s Museum, Londres),

ou chez Chardin « Singe antiquaire » (1826, Musée du Louvre) et « Singe peintre » (1835, Musée du Louvre)

Dans les œuvres de Chardin, il y a quelque chose de plus qu’une simple ressemblance plastique avec les hollandais, Elie Faure exprime très juste ce sentiment, en disant que « toute la splendeur est dans la volupté exclusive de peindre que jamais, Vermeer de Delft à part, sans doute, nul ne posséda à ce degré. C'est avec la même attention qu'il (Chardin, O. K-V.) a peint la

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petite fille appliquée à bien dire le Bénédicité pour avoir plus vite sa soupe, la maman qui va la servir et s'amuse à la regarder, et les harmonies bourgeoises qui les entourent l'une et l'autre, les tabliers, les robes de laine, la raie bleue courant sur la nappe, la soupière, les meubles de chêne verni, l'ombre rôdante et caressante. Il sait que tout cela s'accorde, que la vie des objets dépend de la vie morale des êtres, que la vie morale des êtres reçoit le reflet des objets. Tout ce qui est a droit à son tendre respect. Il est avec Watteau, en France, le seul peintre religieux de ce siècle sans religion.»1 Watteau et Chardin sont « les peintres religieux » du même degré que van der Ast, Gillis, van Dijck, Claesz, Claesz Heda qui « cachent » dans leurs objets les messages religieux.

Le XIXe siècle est une époque marquée par la redécouverte et la réappréciation des

« Petits Hollandais ». La nouvelle culture bourgeoise cultiva les valeurs didactiques de la vie privée et familiale, les marques extérieures de prospérité passaient au second plan, derrière le bonheur domestique entre quatre murs, dans ce qui devenait un lieu de retraite. Des idées bourgeoises comme le zèle, la probité, le sens du devoir, la fidélité, la modestie, furent élevés au rang de principes universels. Cette culture apparut pendant la première moitié du XIXe siècle porte le nom de Biedermeier en Allemagne et en Autriche, où elle touche tous les arts et elle va se propager partout en Europe, cette culture restera fortement présente dans la peinture russe jusqu’aux années 1870.

1 Elie Faure, Histoire de l’art, Art Moderne, IV, vol. 2, Paris, Gallimard, 1988, p.226-227.

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En Allemagne et en Autriche la peinture de genre trouve de nombreuses interprétations :

documentaliste chez Menzel, ou romantique chez Waldmüller, mais souvent on y trouve des citations des thèmes traitées chez les « Petits Hollandais », comme les jeunes femmes à la toilette entourées des objets typiques descriptifs : chez Mayer von Bremen dans « La jeune femme mettant les boucles d’oreilles » et « Dans le boudoir » (1870, collection privée) ou « La jeune nounou » devant le berceau (1854, Nationalgalerie, Berlin).

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Ici les objets donnent un aspect de la description presque romanesque, ils sont utilisés

comme les détails littéraires pour « les comédies peintes » par Danhauser (« Der reiche Prasser », 1836, Österreichische Galerie, Vienne), ou chez Spitzweg dans ses « courtes histoires » comiques sur les personnages stéréotypés de l’époque, tels que « le Rat du livre », « le Portraitiste », « le Naturaliste » ou « le Pauvre poète ».

Parfois Spitzweg désigne un personnage fortement romantique avec les détails qui ne sont pas nombreux, mais aussi précis que chez les hollandais, tel est le jeune prêtre reconnaissable à son couvre-chef et à son costume noir d'un séminariste ou d'un élève d'un collège jésuite de La Bavière qui est le bastion du catholicisme allemand, dans « la Lecture de bréviaire. Le soir. » (1845, Musée du Louvre).

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Le personnage humain dans la peinture de genre de l’époque Biedermeier est proche de la

vision des peintres hollandais, car ce n’est pas un homme concret, il est présenté en tant qu’un détail parmi les autres, les objets et la nature restent aussi importants que lui. Cela se confirme dans les paysages romantiques de l’époque Biedermeier de Richter ou de Friedrich, où l’homme n’est qu’une petite graine de sable dans la nature toute puissante, cette vision était déjà centrale dans l’œuvre de Jacob van Ruisdael au XVIIe siècle.

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La vie des paysans pour la première fois dans l’histoire de l’art a pris une telle

importance dans les tableaux de la seconde moitié du XVIe siècle chez les néerlandais Pieter Aertsen et Joachim Beuckelaer qui placent les scènes bibliques en arrière plan dans les marchés et dans les villages néerlandais. Ensuite au XVIIe, ce principe a été repris par Adrian van Ostade qui arrive à remplacer les divinités antiques par les simples paysans hollandais pour créer ses allégories des cinq sens ou des quatre temps. Au XIXe siècle Jean-François Millet en France et Alexey Venetsianov en Russie reviennent à ce sujet en présentant les paysans de façon poétique et idéaliste.

Comme les peintres de Biedermeier certains peintres russes du XIXe siècle ont peut compté parmi les héritiers des « petits hollandais », qui emmènent leur touche nationale contemporaine. Chez Pavel Fedotov l’humour et la tragédie se côtoient dans les histoires qui nous racontent les personnages stéréotypés et les objets, qui se présentent de façon plus symbolique que dans les tableaux des artistes de Biedermeier. Grâce à ces objets on découvre l’histoire d’une jeune veuve croyante et fidèle qui a perdu son époux, officier de l’armée impériale russe (Jeune veuve, 1851, Galerie de Tretiakov, Moscou).

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L’état de désordre, les bouteilles de vin vides, les restes de nourriture, la guitare avec les

cordes déchirées, les objets cassés par terre et un copain ivre dormant sous une table : bienvenu chez un petit fonctionnaire récemment décoré et monté en grade, qui commence sa matinée après une fête bien arrosée, par se refaire une beauté avec l’aide de sa servante (Le frais chevalier ou le matin d’un fonctionnaire décoré par sa première croix, 1846, Galerie de Tretiakov).

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Dans les années 60 et 70 l’artiste Vassili Perov se moque de l’hypocrisie de la société de

son époque en montrant un « Repas monastique » (1865-76, Musée Russe, Saint-Pétersbourg) loin d’être ascétique, ou « La procession de Pâques » (1861, Galerie de Tretiakov) dans un village russe dont les habitants ont déjà trop fêtés ce Saint événement.

Le congénère de Perov Leonid Solomatkine, l’artiste des pauvres, des paysans, des

ivrognes, des petits gens de la rue qui faisait partie de ses personnages en menant une vie de désoeuvré comme son prédécesseur Adrien Brouwer. L’absence de règles académiques dans l’anatomie et dans la composition font que les scènes de Salomatkine sont pleines d’un humour qui n’est pas méchant, mais qui est plutôt touchant par le sentiment de désespoir de ses pauvres héros, dont les bonheurs sont simples, tels sont les paysans de « La procession de Pâques » (1882, Musée National des Beaux Art de Biélorussie, Minsk) et « Les policiers -glorificateurs » (1872, Musée des Beaux Arts d’Oulianovsk, Russie) qui viennent à l’occasion de la fête dans la maison d’un négociant aisé pour chanter la Gloire au Seigneur et pour obtenir ensuite une rémunération.

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Son style proche à Brouwer et Ostade où les détails son minimes, mais très parlant ne

trouvera pas un équivalent parmi les peintres du quotidien russe du XIXe siècle, qui vont pourtant continuer de décrire les histoires très chargées avec les personnages et les objets stéréotypés, parmi eux : Vassili Poukirev, Fedor Jouravlev, Constantin Savitsky.

L’intérêt pour la vie de tous les jours, dont les objets font partie de façon importante,

développe la nature morte qui d’un second genre devient un terrain fertile pour les découvertes majeures dans l’art de la fin du XIXe –début du XXe siècles. Paul Cézanne réinvente la nature morte pour créer les représentations d’objets dans l’espace. Dans ses œuvres nous retrouvons les doubles et les triples perspectives, les objets présentés dans les dimensions imposées par la composition, car dans ses natures mortes il renonce à la perspective linéaire. Ces expériences ont été déjà prévenues par les natures mortes hollandaises.

Dans la nature morte « Cerises et pêches » (1883-1887, County Museum of Art, Los

Angeles) le plat de cerises est très incliné vers l’avant, on le regarde d’en haut, ainsi que la partie arrière de la table. L’assiette de pêches et le pichet sont plus légèrement inclinés, mais pas de la même façon que le plat avec les cerises. La partie avant est présentée comme si elle se trouvait au même niveau que le spectateur. Les objets sont en train de glisser de la table qui elle-même semble être inclinée, ce motif venant du Moyen Age est encore fréquent dans les natures mortes néerlandaises du début du XVIIe siècle. Osias Beert dans la Nature morte avec cerises et fraises dans des coupes de porcelaine (1608, Staatliche Museen, Berlin) crée une composition « inclinée » pour pouvoir donner une vision non faussée sur ces objets reproduits de manière très précise, pour pouvoir les observer entièrement avec la précision empirique encore liée à l’esthétique du Moyen Age. Cette œuvre est traditionnellement chargée de symboles, rattachée au principe de « disguised symbolism » qui approfondit en pensées la vision empirique.1

1 Erwin Panofsky. Early Netherlandish Painting. Its Origins and Character. Cambridge/Mass., 1953, vol. 1, p.131.

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Ce principe du « symbolisme caché » a été reprit par Cézanne sous la forme d’association entre les objets : il place une simple serviette blanche dans le centre au fond de la table, pliée d’une façon particulière pour témoigner encore une fois son admiration pour la montagne Sainte-Victoire avec sa tête blanche et avec les carrières de Bibémus arrondis, de couleur orangée (La Montagne Saint-Victoire, vue de Bibémus, 1898-1900, Baltimore Museum of Art) comme les fruits dans la nature morte du 1879 du Musée de l’Ermitage.

Nous retrouvons cette composition pyramidale dans Les Joueurs aux cartes (1890-1892,

The Metropolitan Museum of Art) avec le blanc gris dans le centre comme la montagne préférée de Cézanne. Il reprend ce sujet en comprimant la représentation pour aboutir à une composition à deux personnages dont le caractère évoque une nature morte (Les Joueurs aux cartes, 1890-1892,

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Le Musée d’Orsay), cet effet a été auparavant proposé par Van Gogh dans Les Mangeurs de pommes de terre (1885, Musée Van Gogh, Amsterdam).

Dans cette idée, de composer les natures mortes comme des paysages et voir les scènes

de genre comme des natures mortes, est la découverte de la matérialité ou de la vision du monde « à la nature morte » que Cézanne a établi dans la peinture du XX e siècle et qui a été revue ensuite par Matisse et Picasso.

Pendant tout leur parcours artistique, les deux maîtres s’intéressent au genre de la nature morte, ils voient les objets en tant que source d’inspiration pour tous les autres genres. Le principe de présenter « le monde sur une table » se retrouve chez les deux artistes. Dans les années 1900, Picasso crée une série de personnages comme l’Amatrice d’absinthe (1901, le Musée de l’Ermitage), l’Arlequin et sa copine (1901, le Musée Pouchkine, Moscou) qui partagent une table avec les verres et les bouteilles, comme s’ils étaient les créations du même univers.

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Cela amène Picasso à présenter la femme comme si elle avait la même structure qu’un

objet, telles sont : la Fermière (1908) et la Dame à la mandoline (1909) du Musée de l’Ermitage ou la Reine Isabeau (1908) et la Dame à l’éventail (1909) du Musée Pouchkine. Picasso voit l’homme composé des mêmes atomes qu’un objet dans les Portraits de Kahnweiler (1910, the Art Institut of Chicago) et de Vollard (1910, le Musée Pouchkine) ou dans l’Homme à la clarinette (1911, Museo Thyssen-Bornemisza).

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L’imitation d’objet dans la représentation humaine produit ce phénomène symbolique basé sur le principe d’association qui peut agir dans le sens inverse et présenter l’objet qui évoque un personnage humain. Cela notamment se réalise dans une nature morte « dédicace» de Picasso, lié probablement à une personnalité proche de l’artiste et aux évènements qu’ils étaient en train vivre. Il s’agit de la Nature morte avec le cran (Musée de l’Ermitage) peinte en automne du 1907, dans la période où l’écrivain Alfred Jarry meure à l’âge de trente quatre ans.

L’association de ce tableau « requiem » qui par son sujet symbolique de la vanité évoque

la vie et la mort du jeune écrivain est d’autant plus forte dans le choix d’objets présentés dans le tableau et les jeux de mots qui correspondent à ces objets : une jarre peinte à côté du cran, symbole de la mort qui renvoie au nom de Jarry décédé. L’idée d’attribuer à un objet la même puissance informative qu’à un mot, va conduire Picasso plus tard à réaliser ces compositions associatives mélangeant la nature morte matérialisée avec les textures réelles et le mot (la Nature morte à la chaise cannée, printemps 1912, Musée Picasso, Paris ; la Bouteille de Pernod, 1912, le Musée de l’Ermitage).

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La pratique d’associer une tête de mort en tant que symbole de la « mors absconditus »,

de la putrescibilité, nous la retrouvons dans le portrait de Jean Carondelet, doyen de l'Église de Besançon et Conseiller de Charles V exécuté par Jan Gossaert en 1517 ( Diptyque de Carondelet, le Musée du Louvre) qui réalise sur la face arrière du volet un cran, dont la mâchoire inférieure déboîtée a été poussée de côté en signe de décomposition de la personne, au-dessus on voit une citation de Saint Jérôme : « Facile contemnit omnia qui se semper cogitat moriturum » (Celui qui considère toujours la proximité de la mort méprise facilement tout »).

Dans la nature morte avec le cran de Picasso qui se présente probablement en tant que portrait commémoratif de Jarry, nous trouvons les mêmes symboles traditionnels de la vanité que la pipe posée sur un livre comme dans l’Autoportrait avec symboles de vanité de David Bailly (1651, Stedelijk Museum De Lakenhal, Leiden) et une œuvre d’art à côté d’une palette avec les pinceaux comme dans la Grande Nature morte de vanité de Pieter Boel (1663, Musée des Beaux Arts, Lille).

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La relation de Matisse avec des objets est très associative, lui-même compare son art avec « un bon fauteuil qui… délasse… de fatigues physiques »1, pour Apollinaire c’est « une belle orange »2. Matisse se voit comme un maître en scène qui crée des spectacles avec les modèles parmi lesquelles il y a ses objets préférés qui apparaissent dans ses tableaux différents. Pour Matisse la nature morte est un héros équivalent à la nature vivante, car la force décorative d’un vase de porcelaine est aussi puissante que les formes et la texture du corps féminin. Nous avons aperçu que les hollandais ont déjà remarqué que les formes des objets nourrissent l’imagination symbolique, par exemple, dans la scène galante fortement symbolique de Gabriel Metsu (Musicienne, après 1660, Staatliche Museen, Kassel), l’homme avec un verre à la main s’appuie sur le dos du fauteuil de la jeune dame et il admire la belle qui règle une citerne avec un regard plein de désir. Juste à côté, sur une table semi couverte avec un tapis oriental comme sur un lit se repose un violon rappelant les courbes d’une femme couchée près de son amant dessiné sous la forme d’une coupe en corne qui par sa forme renvoie au sexe masculin en érection.

1 Henri Matisse. Ecrits et propos sur l’art, Collection savoir : sur l’art, Hermann, Paris, 2004. 2 Guillaume Appollinaire. Préface du catalogue Mattisse-Picasso, Galerie P.Guillaume, Paris, 1918.

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C’est de la même façon que Metsu crée deux scènes narratives : une avec les personnages

humains et l’autre avec la nature morte. Matisse compose les scènes de genre avec les objets du quotidien. Une statuette rose est une coquette qui se repose dans son luxueux boudoir rouge, couchée sur un tapis dans une ambiance chique et un peu désordonnée (la Statuette rose sur la commode rouge, 1911, le Musée de l’Ermitage). C’est là, dans cet intérieur de la maison de Matisse, sur une commode rouge et baroque que l’artiste présente sa formule composée avec les associations entre les objets, c’est la formule d’un art évoquant un « bon fauteuil » confortable.

L’idée de rendre la vie confortable qui s’associe avec le fait de posséder des objets devient

l’idée centrale de l’époque du progrès industriel. La perception d’objet en tant que symbole qui évoque des concepts religieux, poétiques ou naturels cède la place à l’objet fétiche mondial, tel que le produit industriel destiné à envahir le marché du globe. La publicité agissant comme l’incitateur à la possession de la marchandise influe sur l’art et finit par obtenir le statut d’œuvre d’art. La nature morte dans son aspect quotidien en tant qu’objet industriel fait en série devient non seulement l’œuvre d’art, mais l’objet culte autour lequel s’organise « la nouvelle religion » avec un nouveau système de valeurs.

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Ce qui, avant, était caché sous les « enveloppes » des apparences destinées aux fidèles,

s’ouvre dans l’œuvre qui donne le nom au mouvement de Pop Art, I was a rich man’s plaything (1947, Tate Gallery, Londres) d’Eduardo Paolozzi.

L’intime confession d’une starlette hollywoodienne définit en tant qu’objet de

consommation est expliquée par le texte et par le langage associatif des objets- fétiches de cette « église », dont la « trinité » : le plaisir, la force de la technologie et la marque sont représentés dans les trois registres du collage. Pourtant cette « découverte » médiatique des symboles compréhensibles à tous n’est pas une invention des artistes de « la nouvelle époque », elle a été faite entre XVIe et XVIIe siècles quand l’érudition humaniste mit au point les emblèmes représentant des contenus spirituels énigmatiques, pour la plupart, sur la nature morale1. En règle générale, les emblèmes étaient composés pratiquement comme le collage de Paolozzi, de trois parties : une courte devise, une image (pictura) et un texte en vers expliquant l’image

1 Albrecht Scöne. Emblemata. Versuch einer Einführung, dans : Deutsche Vierteljahresschrift für Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte 37, 1963, p.197-231.

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(subscripto). Les natures mortes et les tableaux de genre dont les natures mortes sont souvent issues en tant que partie, ont puisé dans ces emblèmes leur symbolique cachée. Cette structure double correspondait au principe horatien des fonctions de plaisir et d’utilité qu’une œuvre artistique était censée remplir.1 Les constructions symboliques emblématiques ont souvent été influencées par des évènements concrets de la vie de la société. L’emblème de Roemer Visscher (gravure dans Sinne-Poppen, Amsterdam, 1614) avec le texte : « Een dwaes en zijn gelt/zijn haest gheschejden », c’est-à-dire: « Un niais et son argent se retrouvent rapidement séparés l’un de l’autre » faisait une allusion à la mode pour les tulipes qui faisait rage en Hollande, rappelant les spéculations en bourse menées par les négociants hollandais avec ces fleurs.

1 Horaz. Art poetica, v.33 et suivants.

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C’est de la même façon que les codes de la société de consommation paraissent dans le

tableau Just what is it that makes today’s homes so different, so appealing (1956, Kunsthalle Museum,Tubingen) d’un autre père du Pop Art, Richard Hamilton qui y utilise l’image et le texte. Ce collage est conçu comme un tableau de genre, où une scène de la vie quotidienne présente en parallèle tout le concept philosophique de la culture des masses, définit par Hamilton comme « populaire, éphémère, jetable, bon marché, produit en masse, spirituel, sexy, plein d’astuces, fascinant et qui rapporte gros.» Dans son approche qui porte finalement un aspect didactique d’un « bon » mode de vie, comment il faut et comment il ne faut pas vivre, Hamilton est comparable avec les « Petits Hollandais » qui montrent un certain modèle de la vie « bien rangée », avec les objets qui deviennent les symboles clés de cette vie, mais qui de l’autre côté donnent à ces symboles un second sens en ironisant sur les personnages typiques de la société.

L’art issu de la culture de consommation immortalisé par les œuvres des « classiques »

comme Johns, Lichtenstein, Oldenburg, Warhol et par celles des créateurs contemporains qu’on peut appeler des enfants de la mondialisation d’art, continue sa marche triomphale en Occident, en passant par La Russie et par La Chine. Cet art continue à confier à l’objet le rôle de porteur des messages économiques, politiques et sociaux, et présenter la chose en tant qu’icône et de voir

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un personnage humain plutôt comme un objet type ou un objet série fabriqué par une usine médiatique. Mais finalement quand on parle de tous ces produits « sacralisés » par la culture de consommation : la bouteille de Coca Cola, la boite de conserve, le Roto Broil, les voitures ou une pop star, tous ces « réussites » du progrès présentées en tant que les héros des œuvres d’art, remplaçant des valeurs spirituelles, sont-ce des phénomènes totalement nouveaux ou bien y a-t-il eu déjà des précédents ?

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Dans les tableaux des peintres néerlandais de la seconde moitié du XVIe siècle, tels que ceux cités auparavant, Pieter Aersen et Joachim Beuckelaer et chez les hollandais du XVIIe siècle Pieter Cornrlisz van Ryck et Adriaen van Nieulandt la domination de l’objet trivial sur les motifs élevés ne peut être comprise qu’en référence aux bouleversements sociaux et économiques en route. Dans la mesure où on avait observé dans la société occidentale un « désenchantement »1 tendanciel de la religion, les marchandises gagnèrent un certain rayonnement, se transformèrent en fétiches que l’on possédait de manière presque libidineuse dont semblait se dégager un effet magique.

1 Max Weber. Soziologie. Universalgeschichtliche Analisen. Politik, Winkelmann, Stuttgart, 1973, p.483.

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Voila pourquoi, chez Aertsen, après de nombreuses compositions bibliques « cachées »

derrière les scènes des marchés, apparaît la peinture qui présente une offre de marchandises rendues plus performantes et diversifiées grâce à des méthodes de production améliorées. La paysanne qui vend toutes sortes de légumes et de fruits se transforme pratiquement en appendice de ces produits (Vendeuse de marché, 1567, Staatliche Museen, Berlin).

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L’image du monde que ces peintres anciens présentent à travers les natures mortes ou à travers les objets qui font partie de scènes quotidiennes dans les tableaux de genre ne cesse d’être actuelle, car on y reconnaît toujours les mêmes problématiques intemporelles de la vie de la société, et ce n’est que la face visible de leur art et c’est sans doute par « la clarté » de ce qu’on voit que leurs oeuvres attirent. Mais comme nous avons pu constater, il y a toujours quelque chose de plus, et ce n’est pas les symboles, mais les moyens d’expression que ces artistes utilisent, leur capacité d’observation et de concentration de l’information sur une petite toile faite des « Petits Hollandais » des Grands Maîtres.

Le résultat de mon admiration pour ces maîtres est devenu un jour une œuvre vidéo,

intitulée « Le Monde sur un plateau » que j’ai réalisé en 2005. J’ai cherché des moyens d’expression contemporains et forts pour m’approcher de leur langage symbolique, pour montrer comment par une image on peut présenter un concept du monde, comment des problématiques destinées aux théoriciens et aux historiens d’art peuvent être révélées aux spectateurs par un autre moyen que l’écriture, c'est-à-dire par un moyen plus accessible qu’un livre d’art qui est destiné soit aux amateurs, soit aux spécialistes. Je me suis fixée le but très ambitieux, d’une création accessible, pour chaque personne qui se croît initiée ou non initiée à l’art. Pour que chacun puisse percevoir ses propres associations en regardant cette vidéo qui retrace les intemporels moyens d’expression des peintres hollandais du XVIIe siècle. Ce film est un diptyque constitué avec deux volets–écrins qui évoque le format traditionnel dans l’art religieux des Pays-Bas, ainsi que les doubles œuvres composées de deux pendants et les séries fréquentes en Hollande au XVIIe siècle. De l’autre côté, cette double vision s’appuie sur le principe de la double lecture de la peinture hollandaise : la nature morte qui s’associe avec les phénomènes naturels, religieux, sociaux, politiques etc., et les scènes de genre qui cachent derrière un épisode quotidien, une longue histoire didactique, « écrite » dans le but de sensibiliser le spectateur.

D’une part, il y a la nature morte dont le langage est associatif et donc ce volet reste silencieux et invite à la contemplation ; et d’autre part, la scène de genre qui est narrative, parfois répétitive et ennuyeuse comme la vie du personnage qui la vie tranquillement, en faisant un travail physique, manuel et bien fait, mais qui cache toujours quelque chose. Le choix de ce personnage est venu naturellement dans la période, où je gagnais ma vie en travaillant dans un fast food parisien, j’y préparais des pains, des sandwiches et des pâtisseries que je vendais en même temps, ensuite je me suis occupée de la fermeture du snack, c'est-à-dire du ménage et de la caisse. Bref, un travail sans trop de réflexions, et c’est ce qui m’a toujours été difficile d’accepter dans ce genre activité.

Alors, ce personnage mène une « vie tranquille », dont les occupations sont proches de

celles des héros des tableaux d’Adriaen van Ostade, de Pieter de Hooch, ou de Jan Steen, tels que des servantes, des cuisinières, des boulangers, des brasseurs ; mais le personnage du « Monde sur un plateau » vit aussi une autre vie : il parle de l’art, il fait des réflexions qui n’ont rien à voir avec le travail qu’il fait. Dans cette double vie, il ne faut pas chercher une allusion sur l’injustice sociale et encore moins une équivoque politique, ce n’est que mon autoportrait, où je me déguise et où je joue un rôle.

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Ici, je rends mon hommage à Rembrandt et à Steen qui se représentaient souvent en « se

déguisant », mais c’est surtout à Jan Steen que je dédicace mon personnage. Ce brasseur, aubergiste et peintre rentre dans ses tableaux pour y vivre avec ses personnages, on le voit tantôt

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en train de servir une tarte de myrtilles aux bourgeois dans « La fête d’été » (les années 1670, le Musée de l’Ermitage), tantôt préparer un hareng en se moquant du cas de la jeune fille tombée enceinte dans « La visite du médecin » (1663-1665, Philadelphia Museum of Art), tantôt jouer avec sa femme le rôle de deux désœuvrés dans « Les ivrognes » ( les années 1660, le Musée de l’Ermitage), tantôt se présenter en luthiste ( Autoportrait, 1652-1665, le Musée Thyssen-Bornenisza). Jan Steen est un artiste dont la double vie pose toujours la question de qui il était : un fêtard débauché ou un excellent psychologue qui observait la vie et qui nous donne ses conclusions pointues pleines d’humour et de justesse?

Le choix de la technique audio visuelle me semblait parfaite pour m’approcher de la scène de genre qui est très narrative. D’une certaine façon, elle permet d’écouter le monologue du personnage, d’entendre les bruits de son environnement, ce qui est très important dans la peinture hollandaise, qui ne se limite pas aux moyens visuels, plastiques mais qui est capable de représenter le son, par exemple, dans les nombreux «Concerts » ou dans les compositions exposant L’Ouïe faisant partie des séries des Cinq Sens.

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Je pensais aussi aux tableaux de Pieter de Hooch ou de Pieter Jansens Elinga dont les

personnages s’arrêtent dans leurs mouvements et dans leurs actions, comme si on faisait la capture d’une scène de film pour montrer le personnage dans le moment, quand il ne pose pas, mais quand il est dans l’action.

D’après les « Petits Hollandais », mon observation de la vie et du monde se passe non seulement par la description, mais aussi par le langage associatif des symboles. Dans le second volet, où je présente le genre de la nature morte, se matérialise le slogan de la chaîne où j’ai travaillé et qui a donné le titre à ma vidéo « Le Monde sur un plateau ». Cette phrase exprime le concept des artistes du XVIIe siècle qui placent leurs visions du monde avec leurs valeurs à travers des objets sur une table et le concept mondialiste du fast food, mais aussi de la consommation, du rattachement à une marque comme à un repère spirituel du bien et du mal qui enchaîne le monde entier.

Dans mon travail, je préférais garder les mêmes lectures symboliques que chez les artistes hollandais, car ils restent intemporels, ils parlent de la religion chrétienne, de la nature, des sens humains, de la vie et de la mort. Dans mes natures mortes, je voulais apporter un peu de l’humour qu’on trouve souvent dans la peinture hollandaise de genre, j’y présente avec une ironie notre culture contemporaine de consommation. La présentation audio visuelle passe en alternance d’une nature morte contemporaine à une nature morte hollandaise ancienne, et dans ce principe des parallèles nous constatons à quel point la nature morte d’aujourd’hui est morte, c'est-à-dire que l’objet n’est pas naturel, il n’est pas fait avec les mains non plus, mais il est artificiel, fait par un robot. Les éléments traditionnels symboliques comme les fruits, les poissons, les gibiers sont remplacés par les produits de substitution « 100% naturels » comme les volailles en barquettes, en boite, emballées dans le plastique, des poissons modifiés en surimi, des bonbons « 100% » fruits etc.

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Certaines natures mortes contemporaines sont faites comme des reconstitutions des natures mortes anciennes, et on imagine comment les peintres hollandais du XVIIe siècle pourraient représenter leurs symboles avec les objets d’aujourd’hui. Parfois les objets symboliques restent les mêmes, mais ils évoluent et changent leur forme, la comparaison est faite entre les symboles des trois âges, tels que les trois fromages (Floris van Dijk, la Nature morte aux fromages, 1615-1620, Rijksmuseum, Amsterdam) qui deviennent avec les siècles des paninis aux trois fromages; les symboles de la vanité, les livres et les instruments de musique se voient comme les feuilles publicitaires jetables et comme la musique artificialisée dans un baladeur.

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Dans mes natures mortes qui sont des « reconstitutions » des tableaux anciens interprétés avec les objets contemporains qui peuvent avoir soit la même signification symbolique, soit la même fonction d’usage, mais ces objets ont beaucoup changés avec le temps. Ainsi la Nature morte avec les pipes de Pieter Claesz (1636, Le Musée de l’Ermitage) où les symboles centraux sont les éléments naturels : l’air, le feu, la terre et l’eau se réinterprètent par les objets contemporains comme : les pailles en plastique et les cigarettes, les allumettes et la bouilloire électrique, le café en poudre et le café dans un verre en plastique.

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Le jeu des symboles continu dans les natures mortes où la lecture symbolique reste

pareille que dans les œuvres anciennes, mais se sont les nouveaux objets issus des technologies modernes, les nouveaux produits industriels qui remplacent les traditionnels « héros » des still leven hollandais. Tellement aimées par les « Petits Hollandais », les huîtres aux vertus aphrodisiaques faisant allusion aux plaisirs charnels se transforment aujourd’hui dans les divers produits excitants et tonifiants comme la pilule de Viagra, le verre de Coca Cola, une cigarette et un préservatif réunis sur une table.

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Dans la tradition ancienne le pain et le vin sont les éternels symboles eucharistiques, les

carottes ou les radis, par leur forme évoquent les clous, les noix renvoient à la croix du Christ. Dans la version avec les objets contemporains le pain est déjà pré coupé, la soupe est en boite « 100% carotte » et la boisson « sacrée » est la Coca.

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Les symboles du Mal tels que les insectes et les animaux « nocifs », mais également les

papillons, les oiseaux, les créatures symbolisants l’âme humaine coexistant autours des fruits dans les tableaux de van der Ast, comme une fatalité ou comme une évidence de la conception du monde. Dans une des compositions issues du « Monde sur un plateau » leur destin est prescrit, car les industriels trouvent une « solution » pour rendre le monde « meilleur », ces pauvres créatures « du « Bien et du Mal » seront de toute façon éliminées « grâce » aux insecticides placés dans cette « reconstitution » sous toutes leurs formes actuelles : aérosol, poudre, pastille etc.

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Les anciens maîtres ont compris que les objets symboles peuvent attribuer un sens

particulier aux compositions représentant la nature morte ou vivante, le portrait ou les scènes de genre, à tel point qu’un still leven va devenir un tableau religieux, une image du monde, dont le concept est décrit avec les objets. Avec mon petit projet vidéo inspiré par le passé et par le présent, nous apercevons comment les objets en tant que produits de la civilisation humaine prennent de plus en plus d’importance dans notre existence physique et spirituelle, et qu’ils deviennent nos nouvelles « icônes », qu’ils créent les nouvelles allégories, qu’ils envahissent le monde qui se voit tel un tableau rempli d’objets, où il n’y a plus de place pour la nature vivante.