la pathologie humaine : planches 101-102

10
LA PATHOLOGIE HUMAINE Depuis 30 ans, la Polynésie française s'est ouverte sur le monde moderne et a subi de ce fait de très profonds changements socio-économiques liés à l'installation du Centre d'Expérimentations du Pacifique. Le contexte sanitaire du Territoire a été entièrement partie prenante de cette révolution sociale, et en quelques années s'est opérée une transition épidémiologique remarquable. Cette nouvelle donne socio- économique a influé directement sur le paysage sanitaire du Territoire. C'est de la fin des années 60 que date, en Polynésie française, la "tr-ansition épidémiologique", avec l'émergence d'une morbidité nouvelle liée aux pathologies de société et du viei 11 issement. En Polynésie, les sources d'information sanitaires sont fragmentaires, spécialisées ou de mise en place très récente. Néanmoins l'évolution de la morbidité globale peut être abordée en exploitant les Tableaux Nosologiques Annuels (recueil statistique des causes médicales d'hospitalisation d'une année) des hôpitaux publics et les registres des services spécialisés de lutte contre certains grands fléaux majeurs en Polynésie, comme la filariose de Bancroft, la tuberculose ou la lèpre. En matière d'étude de la mortalité, un recueil moderne des causes de décès n'est en place que depuis 1984 et, pour le passé, seules les données relatives à la période 1922-1931 sont fiables. On doit aux chercheurs de l'Institut Territorial de Recherches Médicales Louis Malardé (ITRMLM) d'avoir publié une somme considérable de travaux sur quelques grandes endémies infectieuses et parasitaires (filariose, tuberculose, dengue, lèpre, maladies sexuellement transmissibles), parmi lesquels figurent d'importantes synthèses. Exceptionnelles cependant, en raison de la dispersion des îles, sont celles qui couvrent l'ensemble du Territoire. Toutefois, en 40 ans d'existence et d'activités innombrables dans le domaine des grandes endémies infectieuses et parasitaires, l'Institut Malardé a rassemblé une masse considérable de données conservées dans ses archives sous les formes les plus diverses: comptes rendus d'enquêtes, résultats de laboratoire, dossiers médicaux, rapports annuels des services et, pour ce qui concerne la tuberculose et la lèpre, fichiers. En revanche, dans le domaine des maladies dégénératives cardiaques ou de surcharge, il n'existe encore que très peu de données disponibles: ainsi, alors même que l'excès pondéral est un réel problème en Polynésie française, ses aspects quantitatifs sont à peine mesurés. De même, il reste à inventer les sources permettant d'aborder les problèmes majeurs, dans le Territoire, de l'otite chronique, des handicapés physiques et moteurs, des pathologies sociales liées à l'alcoolisme, aux accidents de la route, aux troubles psychiatriques, pour ne citer que quelques exemples. Aussi faut-il regarder avec un intérêt particulier l'existence d'un registre du cancer ouvert en 1981, sous l'impulsion de la Commission du Pacifique Sud. En 1985, un décret territorial a fait des cancers une maladie à déclaration obligatoire. De même, et d'autant plus qu'il s'agit d'une maladie cardio-vasculaire d'origine infectieuse dont l'épidémiologie est très révélatrice du niveau de santé, il convient de souligner la création, en 1983, d'une section de Prophylaxie et d'Éradication du Rhumatisme Articulaire Aigu (RAA). La surveillance de cette endémie, décrétée "fléau majeur" dans le Territoire, est confiée, depuis la création de la section, au même médecin qui a rassemblé, fin 1988, plus de 2 300 dossiers médicaux de sujets atteints de RAA, avec ou sans localisation cardiaque. À ce jour, aucune synthèse n'avait été réalisée en Polynésie française à partir de ces recueils sanitaires. Nous avons donc décripté ces différentes statistiques sanitaires pour tenter d'élaborer une cartographie de la santé permetttant de caractériser la transition épidémiologique. J. ROUX et E. VIGNERON LES MUTATIONS DE LA MORBIDITÉ HOSPITALIÈRE Les sources potentielles de données sur la morbidité sont diverses. Outre les recueils des services spécialisés dans la lutte contre certaines grandes endémies, on peut disposer du Bulletin Mensuel d'incidence des maladies transmissibles déclarés à l'OMS et à la Commission du Pacifique Sud. Sa valeur est limitée par le faible nombre des maladies enregistrées et, pour la plupart, par leur caractère aujourd'hui exceptionnel, ainsi que par une sous-déclaration par les médecins libéraux et une qualité inégale du diagnostic, voire son absence dans les îles dépourvues de médecin. Il existe aussi un Fichier d'Enregistrement du Cancer qui, malgré son caractère très incomplet, constitue une source irremplaçable pour l'épidémiologie des pathologies cancéreuses. Aussi, en Polynésie française, seuls les Tableaux Nosologiques Annuels des sujets hospitalisés au Centre Hospitalier Territorial de Mamao et dans les autres formations sanitaires de la Santé Publique peuvent être utilisés pour une première approche globale de la morbidité. Les limites d'une telle analyse sont toutefois nombreuses et doivent être soulignées. Elles tiennent d'abord aux données elles- mêmes, à leurs conditions de recueil, d'enregistrement et de codification. À chaque stade, des risques d'erreur interviennent. Ainsi, un même cas peut être compté plusieurs fois, dans différents établissements, dans différents services ... Mais les limites les plus graves tiennent au fait qu'il s'agit des seules données de Santé Publique, à l'exclusion des données du secteur privé, et surtout au fait qu'il s'agit de morbidité hospitalière. La pathologie révélée est donc a priori bien particulière, et il faut naturellement s'attendre à en voir exclues toutes les maladies bénignes. Toutefois, l'intérêt de retracer sur le moyen terme l'évolution de la morbidité hospitalière nous a paru suffisant pour analyser ces listes nosologiques, cependant non sans quelques précautions (VIGNERON, BOUTIN et al. - 1988). L'étude a été limitée à la période 1968-1987. De 1969 à 1971, la liste spéciale pour la mise en tableau de la huitième révision de la Classification Internationale des Maladies (CIM 8) a été utilisée pour l'établissement des rapports de la Santé Publique. De 1972 à 1978, la morbidité hospitalière a été répertoriée sous les rubriques de la liste restreinte D de la CIM 8. Il lui a succédé, de 1979 à 1982, la liste spéciale de la CIM 9. Enfin, de 1984 à aujourd'hui, c'est la liste détaillée de la CIM 9 qui a été adoptée. Entre ces quatre listes les concordances permettent une étude diachronique. Il n'en va pas de même pour les listes de la CIM 7 utilisées avant 1968, difficiles à rendre concordantes avec les listes ultérieures. Pour des raisons de qualité ou d'évolution du diagnostic, de fréquence de la pathologie, et dans un but démonstratif, l'analyse de l'évolution de la morbidité hospitalière a aussi été limitée, à un nombre restreint de maladies et de groupes de maladies susceptibles de constituer de bons traceurs de la transition épidémiologique. L'étude repose finalement sur l'analyse de 255 809 hospitalisations, soit une moyenne annuelle de 13 464. Taux pour 1 000 hospitalisations 120 100 maladies infectueuses (CIM 001-139) 80 r = - 0,91, p < 0,001 60 40 traumas intra-crâniens r = + 0,66, p < 0,001 maladies CV de surcharge 20 ------- --------.,. r = + 0,75, p < 0,001 ______ ..- ____ _,,..----------------- ··:::=·-.:-""·=-===--=- ---- _ -- --:.. -- -- - - - - - - -- - -;;éoplasies r = +0,38, p < 0,01 1969 1975 1980 1985 Année Fig. 1: Évolution de la morbidité hospitalière en Polynésie française, de 1969 à 1987 LES MALADIES INFECTIEUSES Au cours de ces vingt dernières années, le taux d'incidence de la pathologie infectieuse et parasitaire, toutes causes confondues (CIM 001 à 139), dans les formations hospitalières publiques de Polynésie française a chuté de 100 à moins de 50 cas, pour 1 000 hospitalisations. Soit une régression dans le temps très significative (r = - 0,91, p < 0,001). Si l'on s'attarde sur quelques exemples particuliers, nous retrouvons cette régression pour l'ensemble des maladies diarrhéiques qui, de 28 hospitalisations pour 1 000 il y a 20 ans, n'en représentent plus que 5 aujourd'hui (r = - 0,52, p < 0,05), ce qui peut s'expliquer par une prise en charge plus précoce de ces maladies dans le cadre des structures de Protection Maternelle et Infantile (PMI) qui ont été particulièrement dynamisées. Les hospitalisations pour tuberculose ont régressé de 25 à 8 pour 1 000 (r = - 0,59, p < 0,01 ), ce qui correspond à la régression décrite pour l'ensemble des formes de la maladie. Au contraire la syphilis, déclarée essentiellement à partir de données sérologiques, n'a pas significativement évolué pendant la même période (r = - 0,31, p > 0, 1 ). Les infections pelviennes de la femme ont, quant à elles, légèrement augmenté sans atteindre le seuil de" significativité" (r = + 0,41, p < 0,05). Il n'a pas été possible d'étudier l'évolution des gonococcies, mais l'apparition du SIDA sur le Territoire et les données précédentes laissent à penser que la régression des pathologies infectieuses observée en 20 ans ne concerne pas les maladies sexuellement transmissibles (MST). LA PATHOLOGIE CANCÉREUSE La fréquence des pathologies malignes (CIM 140 à 208) a crû au cours de ces deux décennies, passant de 10 à 15 pour 1 000 sans pour autant que cette augmentation soit statistiquement significative (r = + 0,38, p > 0,05). Dans ce cadre, il est essentiel de remarquer que les cancers de la trachée, des bronches et du poumon, qui représentent la première cause de mortalité par cancer en Polynésie française, ont suivi une progression très significative (r = + 0,75, p < 0,001), tandis que le cancer du col utérin entamait une remarquable régression (r = - 0,64, p < 0,01). Ainsi, l'explosion de la consommation tabagique des années 60 (plus de 7 kg par an et par habitant de plus de 15 ans) se traduit, à 20 ans d'écart, par une flambée carcinologique classiquement décrite dans les pays développés, tandis qu'une néoplasie souvent liée au sous-développement ou à la précarité de l'hygiène, comme le cancer du col utérin, a régressé depuis le "boom" économique du Territoire. Les autres cancers gynécologiques (sein et corps utérin) n'ont que faiblement baissé pendant la période étudiée (respectivement, r = - 0, 19 et r = - 0,34, p > 0, 1 ). L'OBSTÉTRIQUE En données relatives, la part des accouchements dans l'hospitalisation publique n'a pas changé en 20 ans (r = + 0, 16), mais les complications du travail et de l'accouchement proprement dit ont sensiblement diminué (r = - 0,41, mais 0,05<p<0,1 ), signe d'une meilleure surveillance de la femme enceinte. Dans le même temps, il pourrait paraître surprenant de constater la significative régression des avortements (r = - 0,68, p < 0,01), si l'on ne prenait pas en compte le développement des structures de soins privées. L'interruption Volontaire de Grossesse (IVG) demeure, en effet, illégale dans le Territoire, la loi de 1976 n'y étant toujours pas applicable. En marge de l'obstétrique, il est à noter que la fréquence des anomalies congénitales dans les cas hospitalisés a légèrement progressé, avec en moyenne 7,5 hospitalisations pour 1 000 (r = + 0,41, 0,05 < p < 0,1), ceci durant la période où une meilleure prise en charge des grossesses, conjuguée à l'ouverture d'un service de néonatalogie, a pu augmenter les chances de survie périnatale. LES PATHOLOGIES CARDIO-VASCULAIRES DE SURCHARGE Les décès d'origine cardio-vasculaire, qui ne représentaient que 5,2 % des causes de mortalité avant guerre, sont devenus, avec 23,3 %, la première cause de mortalité en 1986. En terme de morbidité hospitalière, les ischémies, artérioscléroses, maladies hypertensives et pathologies cérébro-vasculaires sont passées de 14,2 à 29,5 pour 1 000 hospitalisés, soit un doublement très significatif en l'espace de 20 ans (r = + 0,75, p < 0,001) mais qui doit tenir compte de l'ouverture, au cours de la période étudiée, des services de cardiologie, de réanimation médicalisée et d'imagerie médicale. LES GOITRES Bien qu'il n'existe pas à proprement parler de goitre endémique en Polynésie française, les pathologies goitreuses sont fréquentes et, en 20 ans, leur part dans le recrutement hospitalier a crû significativement (r = + 0,73, p < 0,001 ). En fait, une étude plus minutieuse montre une brutale césure en 1976, date à laquelle le corps médical a pu disposer des dosages hormonaux spécifiques. Dans le cours des deux périodes ainsi délimitées il n'y a pas de changement significatif. LES NÉPHROPATHIES CHRONIQUES ET LES DIABÈTES Au cours de la période étudiée, les néphropathies chroniques ont significativement progressé à l'hôpital (r = + 0,52, p < 0,05) du fait, d'une part, de la prise en charge des malades souffrant d'une néphrite chronique héréditaire appelée maladie d'ALPORT qui touche tout particulièrement une petite île des Australes, et d'autre part, de la prise en charge des insuffisants rénaux diabétiques qui sont nombreux dans une population de plus en plus dramatiquement touchée par l'excès pondéral. Ces considérations ont abouti à la création d'un service d'hémodialyse en 1982. LES MALADIES PSYCHIATRIQUES ET LES SUICIDES Le premier service public de psychiatrie a été ouvert en 1973, date de recueil des premières informations. En 15 ans la part relative des maladies psychiatriques est restée stable, s'établissant en moyenne à 29,3 hospitalisations pour 1 000. Les maladies névrotiques représentent une cause de plus en plus importante d'hospitalisation sans toutefois atteindre le seuil de significativité (r = + 0,53, 0,05 < p < 0, 1 ). Sur 20 ans il en va de même des tentatives de suicide enregistrées au service des urgences (r = + 0,32, p > 0,05). LES TRAUMATISMES INTRA-CRÂNIENS ET LES ACCIDENTS En l'absence de données sanitaires relatives aux accidents de la voie publique (code E de la CIM non répertorié) et devant l'explosion du parc automobile sans amélioration concomitante du réseau routier, il nous a semblé possible d'utiliser l'évolution des traumatismes intra-crâniens comme indicateur de la morbidité accidentelle. De 1969 à 1987, la part de ces traumatismes dans les activités hospitalières a presque triplé, passant de 13,6 à 36,3 pour 1 000 (r = + 0,66, p < 0,01 ), ce qui caractérise la transformation des risques morbides auxquels sont soumis les Polynésiens vers une pathologie qui est de plus en plus du type" société développée". J.P. BOUTIN et E. VIGNERON L 1 ÉPIDÉMIOLOGIE DES MALADIES INFECTIEUSES ET PARASITAIRES LA FILARIOSE DE BANCROFT Avant l'arrivée des Européens, l'éléphantiasis était largement répandu en Polynésie. Parmi d'autres, Abel Tasman l'observa dans les îles Tonga (1643); les scientifiques qui accompagnaient Cook dans ses expéditions le décrivirent dans les îles, aussi bien occidentales qu'orientales (1773-1780); puis Wilson à Tahiti (1790) et Wilkes aux îles Tuamotu, Samoa, Kiribati, et aux îles Fidji (1840). La filariose de Bancroft semble ainsi très ancienne dans le Pacifique Sud, en particulier à Tahiti et dans de nombreuses îles du territoire. Pourtant, aux îles Gambier, dans certains atolls de l'archipel des Tuamotu et aux îles Marquises, l'introduction de la filariose semble ne pas remonter au-delà du milieu du XIX" siècle. Peut-être est-ce la conséquence de l'introduction ATLAS DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE- Planches 101-102

Upload: others

Post on 04-Apr-2022

7 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: La pathologie humaine : planches 101-102

LA PATHOLOGIE HUMAINE

Depuis 30 ans, la Polynésie française s'est ouverte sur le monde moderne et a subi de ce fait de très profonds changements socio-économiques liés à l'installation du Centre d'Expérimentations du Pacifique. Le contexte sanitaire du Territoire a été entièrement partie prenante de cette révolution sociale, et en quelques années s'est opérée une transition épidémiologique remarquable. Cette nouvelle donne socio­économique a influé directement sur le paysage sanitaire du Territoire. C'est de la fin des années 60 que date, en Polynésie française, la "tr-ansition épidémiologique", avec l'émergence d'une morbidité nouvelle liée aux pathologies de société et du viei 11 issement.

En Polynésie, les sources d'information sanitaires sont fragmentaires, spécialisées ou de mise en place très récente. Néanmoins l'évolution de la morbidité globale peut être abordée en exploitant les Tableaux Nosologiques Annuels (recueil statistique des causes médicales d'hospitalisation d'une année) des hôpitaux publics et les registres des services spécialisés de lutte contre certains grands fléaux majeurs en Polynésie, comme la filariose de Bancroft, la tuberculose ou la lèpre. En matière d'étude de la mortalité, un recueil moderne des causes de décès n'est en place que depuis 1984 et, pour le passé, seules les données relatives à la période 1922-1931 sont fiables.

On doit aux chercheurs de l'Institut Territorial de Recherches Médicales Louis Malardé (ITRMLM) d'avoir publié une somme considérable de travaux sur quelques grandes endémies infectieuses et parasitaires (filariose, tuberculose, dengue, lèpre, maladies sexuellement transmissibles), parmi lesquels figurent d'importantes synthèses. Exceptionnelles cependant, en raison de la dispersion des îles, sont celles qui couvrent l'ensemble du Territoire. Toutefois, en 40 ans d'existence et d'activités innombrables dans le domaine des grandes endémies infectieuses et parasitaires, l'Institut Malardé a rassemblé une masse considérable de données conservées dans ses archives sous les formes les plus diverses: comptes rendus d'enquêtes, résultats de laboratoire, dossiers médicaux, rapports annuels des services et, pour ce qui concerne la tuberculose et la lèpre, fichiers. En revanche, dans le domaine des maladies dégénératives cardiaques ou de surcharge, il n'existe encore que très peu de données disponibles: ainsi, alors même que l'excès pondéral est un réel problème en Polynésie française, ses aspects quantitatifs sont à peine mesurés. De même, il reste à inventer les sources permettant d'aborder les problèmes majeurs, dans le Territoire, de l'otite chronique, des handicapés physiques et moteurs, des pathologies sociales liées à l'alcoolisme, aux accidents de la route, aux troubles psychiatriques, pour ne citer que quelques exemples.

Aussi faut-il regarder avec un intérêt particulier l'existence d'un registre du cancer ouvert en 1981, sous l'impulsion de la Commission du Pacifique Sud. En 1985, un décret territorial a fait des cancers une maladie à déclaration obligatoire. De même, et d'autant plus qu'il s'agit là d'une maladie cardio-vasculaire d'origine infectieuse dont l'épidémiologie est très révélatrice du niveau de santé, il convient de souligner la création, en 1983, d'une section de Prophylaxie et d'Éradication du Rhumatisme Articulaire Aigu (RAA). La surveillance de cette endémie, décrétée "fléau majeur" dans le Territoire, est confiée, depuis la création de la section, au même médecin qui a rassemblé, fin 1988, plus de 2 300 dossiers médicaux de sujets atteints de RAA, avec ou sans localisation cardiaque.

À ce jour, aucune synthèse n'avait été réalisée en Polynésie française à partir de ces recueils sanitaires.

Nous avons donc décripté ces différentes statistiques sanitaires pour tenter d'élaborer une cartographie de la santé permetttant de caractériser la transition épidémiologique.

J. ROUX et E. VIGNERON

LES MUTATIONS DE LA MORBIDITÉ HOSPITALIÈRE

Les sources potentielles de données sur la morbidité sont diverses. Outre les recueils des services spécialisés dans la lutte contre certaines grandes endémies, on peut disposer du Bulletin Mensuel d'incidence des maladies transmissibles déclarés à l'OMS et à la Commission du Pacifique Sud. Sa valeur est limitée par le faible nombre des maladies enregistrées et, pour la plupart, par leur caractère aujourd'hui exceptionnel, ainsi que par une sous-déclaration par les médecins libéraux et une qualité inégale du diagnostic, voire son absence dans les îles dépourvues de médecin. Il existe aussi un Fichier d'Enregistrement du Cancer qui, malgré son caractère très incomplet, constitue une source irremplaçable pour l'épidémiologie des pathologies cancéreuses.

Aussi, en Polynésie française, seuls les Tableaux Nosologiques Annuels des sujets hospitalisés au Centre Hospitalier Territorial de Mamao et dans les autres formations sanitaires de la Santé Publique peuvent être utilisés pour une première approche globale de la morbidité. Les limites d'une telle analyse sont toutefois nombreuses et doivent être soulignées. Elles tiennent d'abord aux données elles­mêmes, à leurs conditions de recueil, d'enregistrement et de codification. À chaque stade, des risques d'erreur interviennent. Ainsi, un même cas peut être compté plusieurs fois, dans différents établissements, dans différents services ... Mais les limites les plus graves tiennent au fait qu'il s'agit là des seules données de Santé Publique, à l'exclusion des données du secteur privé, et surtout au fait qu'il s'agit de morbidité hospitalière. La pathologie révélée est donc a priori bien particulière, et il faut naturellement s'attendre à en voir exclues toutes les maladies bénignes.

Toutefois, l'intérêt de retracer sur le moyen terme l'évolution de la morbidité hospitalière nous a paru suffisant pour analyser ces listes nosologiques, cependant non sans quelques précautions (VIGNERON, BOUTIN et al. - 1988). L'étude a été limitée à la période 1968-1987. De 1969 à 1971, la liste spéciale pour la mise en tableau de la huitième révision de la Classification Internationale des Maladies (CIM 8) a été utilisée pour l'établissement des rapports de la Santé Publique. De 1972 à 1978, la morbidité hospitalière a été répertoriée sous les rubriques de la liste restreinte D de la CIM 8. Il lui a succédé, de 1979 à 1982, la liste spéciale de la CIM 9. Enfin, de 1984 à aujourd'hui, c'est la liste détaillée de la CIM 9 qui a été adoptée. Entre ces quatre listes les concordances permettent une étude diachronique. Il n'en va pas de même pour les listes de la CIM 7 utilisées avant 1968, difficiles à rendre concordantes avec les listes ultérieures.

Pour des raisons de qualité ou d'évolution du diagnostic, de fréquence de la pathologie, et dans un but démonstratif, l'analyse de l'évolution de la morbidité hospitalière a aussi été limitée, à un nombre restreint de maladies et de groupes de maladies susceptibles de constituer de bons traceurs de la transition épidémiologique. L'étude repose finalement sur l'analyse de 255 809 hospitalisations, soit une moyenne annuelle de 13 464.

Taux pour 1 000 hospitalisations

120

100

maladies infectueuses (CIM 001-139) 80

r = - 0,91, p < 0,001

60

40 traumas intra-crâniens r = + 0,66, p < 0,001

maladies CV de surcharge

20 ------- --------.,. r = + 0,75, p < 0,001 ______ ..-

____ _,,..----------------- ··:::=·-.:-""·=-===--=- - - - - ·v~v _ -- --:.. -- - -- - - - - - - - - -;;éoplasies r = +0,38, p < 0,01

1969 1975 1980 1985 Année

Fig. 1: Évolution de la morbidité hospitalière en Polynésie française, de 1969 à 1987

LES MALADIES INFECTIEUSES Au cours de ces vingt dernières années, le taux d'incidence de la pathologie infectieuse et parasitaire, toutes causes confondues (CIM 001 à 139), dans les formations hospitalières publiques de Polynésie française a chuté de 100 à moins de 50 cas, pour 1 000 hospitalisations. Soit une régression dans le temps très significative (r = - 0,91, p < 0,001). Si l'on s'attarde sur quelques exemples particuliers, nous retrouvons cette régression pour l'ensemble des maladies diarrhéiques qui, de 28 hospitalisations pour 1 000 il y a 20 ans, n'en représentent plus que 5 aujourd'hui (r = - 0,52, p < 0,05), ce qui peut s'expliquer par une prise en charge plus précoce de ces maladies dans le cadre des structures de Protection Maternelle et Infantile (PMI) qui ont été particulièrement dynamisées. Les hospitalisations pour tuberculose ont régressé de 25 à 8 pour 1 000 (r = - 0,59, p < 0,01 ), ce qui correspond à la régression décrite pour l'ensemble des formes de la maladie. Au contraire la syphilis, déclarée essentiellement à partir de données sérologiques, n'a pas significativement évolué pendant la même période (r = - 0,31, p > 0, 1 ). Les infections pelviennes de la femme ont, quant à elles, légèrement augmenté sans atteindre le seuil de" significativité" (r = + 0,41, p < 0,05). Il n'a pas été possible d'étudier l'évolution des gonococcies, mais l'apparition du SIDA sur le Territoire et les données précédentes laissent à penser que la régression des pathologies infectieuses observée en 20 ans ne concerne pas les maladies sexuellement transmissibles (MST).

LA PATHOLOGIE CANCÉREUSE La fréquence des pathologies malignes (CIM 140 à 208) a crû au cours de ces deux décennies, passant de 10 à 15 pour 1 000 sans pour autant que cette augmentation soit statistiquement significative (r = + 0,38, p > 0,05). Dans ce cadre, il est essentiel de remarquer que les cancers de la trachée, des bronches et du poumon, qui représentent la première cause de mortalité par cancer en Polynésie française, ont suivi une progression très significative (r = + 0,75, p < 0,001), tandis que le cancer du col utérin entamait une remarquable régression (r = - 0,64, p < 0,01). Ainsi, l'explosion de la consommation tabagique des années 60 (plus de 7 kg par an et par habitant de plus de 15 ans) se traduit, à 20 ans d'écart, par une flambée carcinologique classiquement décrite dans les pays développés, tandis qu'une néoplasie souvent liée au sous-développement ou à la précarité de l'hygiène, comme le cancer du col utérin, a régressé depuis le "boom" économique du Territoire. Les autres cancers gynécologiques (sein et corps utérin) n'ont que faiblement baissé pendant la période étudiée (respectivement, r = - 0, 19 et r = - 0,34, p > 0, 1 ).

L'OBSTÉTRIQUE En données relatives, la part des accouchements dans l'hospitalisation publique n'a pas changé en 20 ans (r = + 0, 16), mais les complications du travail et de l'accouchement proprement dit ont sensiblement diminué (r = - 0,41, mais 0,05<p<0,1 ), signe d'une meilleure surveillance de la femme enceinte. Dans le même temps, il pourrait paraître surprenant de constater la significative régression des avortements (r = - 0,68, p < 0,01), si l'on ne prenait pas en compte le développement des structures de soins privées. L'interruption Volontaire de Grossesse (IVG) demeure, en effet, illégale dans le Territoire, la loi de 1976 n'y étant toujours pas applicable.

En marge de l'obstétrique, il est à noter que la fréquence des anomalies congénitales dans les cas hospitalisés a légèrement progressé, avec en moyenne 7,5 hospitalisations pour 1 000 (r = + 0,41, 0,05 < p < 0,1), ceci durant la période où une meilleure prise en charge des grossesses, conjuguée à l'ouverture d'un service de néonatalogie, a pu augmenter les chances de survie périnatale.

LES PATHOLOGIES CARDIO-VASCULAIRES DE SURCHARGE Les décès d'origine cardio-vasculaire, qui ne représentaient que 5,2 % des causes de mortalité avant guerre, sont devenus, avec 23,3 %, la première cause de mortalité en 1986. En terme de morbidité hospitalière, les ischémies, artérioscléroses, maladies hypertensives et pathologies cérébro-vasculaires sont passées de 14,2 à 29,5 pour 1 000 hospitalisés, soit un doublement très significatif en l'espace de 20 ans (r = + 0,75, p < 0,001) mais qui doit tenir compte de l'ouverture, au cours de la période étudiée, des services de cardiologie, de réanimation médicalisée et d'imagerie médicale.

LES GOITRES Bien qu'il n'existe pas à proprement parler de goitre endémique en Polynésie française, les pathologies goitreuses sont fréquentes et, en 20 ans, leur part dans le recrutement hospitalier a crû significativement (r = + 0,73, p < 0,001 ). En fait, une étude plus minutieuse montre une brutale césure en 1976, date à laquelle le corps médical a pu disposer des dosages hormonaux spécifiques. Dans le cours des deux périodes ainsi délimitées il n'y a pas de changement significatif.

LES NÉPHROPATHIES CHRONIQUES ET LES DIABÈTES Au cours de la période étudiée, les néphropathies chroniques ont significativement progressé à l'hôpital (r = + 0,52, p < 0,05) du fait, d'une part, de la prise en charge des malades souffrant d'une néphrite chronique héréditaire appelée maladie d'ALPORT qui touche tout particulièrement une petite île des Australes, et d'autre part, de la prise en charge des insuffisants rénaux diabétiques qui sont nombreux dans une population de plus en plus dramatiquement touchée par l'excès pondéral. Ces considérations ont abouti à la création d'un service d'hémodialyse en 1982.

LES MALADIES PSYCHIATRIQUES ET LES SUICIDES Le premier service public de psychiatrie a été ouvert en 1973, date de recueil des premières informations. En 15 ans la part relative des maladies psychiatriques est restée stable, s'établissant en moyenne à 29,3 hospitalisations pour 1 000. Les maladies névrotiques représentent une cause de plus en plus importante d'hospitalisation sans toutefois atteindre le seuil de significativité (r = + 0,53, 0,05 < p < 0, 1 ). Sur 20 ans il en va de même des tentatives de suicide enregistrées au service des urgences (r = + 0,32, p > 0,05).

LES TRAUMATISMES INTRA-CRÂNIENS ET LES ACCIDENTS En l'absence de données sanitaires relatives aux accidents de la voie publique (code E de la CIM non répertorié) et devant l'explosion du parc automobile sans amélioration concomitante du réseau routier, il nous a semblé possible d'utiliser l'évolution des traumatismes intra-crâniens comme indicateur de la morbidité accidentelle. De 1969 à 1987, la part de ces traumatismes dans les activités hospitalières a presque triplé, passant de 13,6 à 36,3 pour 1 000 (r = + 0,66, p < 0,01 ), ce qui caractérise la transformation des risques morbides auxquels sont soumis les Polynésiens vers une pathologie qui est de plus en plus du type" société développée".

J.P. BOUTIN et E. VIGNERON

L1ÉPIDÉMIOLOGIE DES MALADIES INFECTIEUSES ET PARASITAIRES

LA FILARIOSE DE BANCROFT Avant l'arrivée des Européens, l'éléphantiasis était largement répandu en Polynésie. Parmi d'autres, Abel Tasman l'observa dans les îles Tonga (1643); les scientifiques qui accompagnaient Cook dans ses expéditions le décrivirent dans les îles, aussi bien occidentales qu'orientales (1773-1780); puis Wilson à Tahiti (1790) et Wilkes aux îles Tuamotu, Samoa, Kiribati, et aux îles Fidji (1840). La filariose de Bancroft semble ainsi très ancienne dans le Pacifique Sud, en particulier à Tahiti et dans de nombreuses îles du territoire. Pourtant, aux îles Gambier, dans certains atolls de l'archipel des Tuamotu et aux îles Marquises, l'introduction de la filariose semble ne pas remonter au-delà du milieu du XIX" siècle. Peut-être est-ce la conséquence de l'introduction

ATLAS DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE- Planches 101-102

Page 2: La pathologie humaine : planches 101-102

tardive du moustique vecteur, Aedes polynesiensis dans ces îles. Quoi qu'il en soit, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l'endémie était suffisamment préoccupante pour justifier la création, en 1949, de l'Institut de Recherches Médicales des Établissements Français d'Océanie, aujourd'hui Institut Territorial de Recherches Médicales Louis Ma lardé (ITRMLM), dont le rôle était d'établir une stratégie de contrôle de la filariose. L'Institut peut se prévaloir ainsi de 40 ans d'étude et de lutte structurée contre cette endémie, ce qui est un exemple peu courant d'action à long terme.

La filariose de Bancroft, une des filarioses lymphatiques avec les brugioses, est due à un ver: Wuchereria bancrofti. Il s'agit dans le Pacifique Sud de la variété pacifica de ce parasite. Les vers adultes ou macrofilaires, mâles et femelles, vivent dans les vaisseaux et ganglions lymphatiques. Les femelles émettent des embryons ou microfilaires qui se trouvent dans la circulation sanguine. Cette parasitose est transmise par un moustique, très largement répandu sur l'ensemble du Territoire: Aedes polynesiensis qui, en Polynésie française, est le seul vecteur connu. Il faut généralement une longue exposition aux piqûres de nombreux moustiques infectés pour maintenir l'infection dans la population humaine. Pendant de nombreuses années, cette infection ne se traduit chez certains sujets parasités que par des crises transitoires de lymphangite aigüe et ce n'est que chez certains de ces individus que la maladie aboutit au stade de l'éléphantiasis qui déforme les membres ou les parties génitales.

En 1950, selon certaines enquêtes, environ 32 % des Tahitiens étaient porteurs de microfilaires, et ce taux était encore plus élevé dans certaines vallées ou dans d'autres îles, où il pouvait atteindre 80 % de la population. Parmi ces porteurs, nombreux étaient ceux atteints par les manifestations invalidantes de la filariose. À titre d'exemple, à cette époque, à partir de 40 à 45 ans, un habitant de l'île de Moorea sur 4 présentait un éléphantiasis.

Dès sa création, l'Institut de Recherches Médicales entreprit de nombreuses recherches cliniques, épidémiologiques et entomologiques. Très vite, il apparut que la lutte entomologique contre le vecteur était utopique et illusoire. C'est pourquoi l'essentiel des efforts fut consacré à de nombreuses études thérapeutiques sur l'utilisation de la diéthylcarbamazine (DEC)(Notézine ®), médicament microfilaricide apparu à la fin des années 40. Il s'agissait d'en déterminer la posologie, mais aussi de préciser la durée, la périodicité et les modalités du traitement. De nombreux protocoles furent appliqués, la posologie de 6 mg de DEC par kilo de poids du malade et par an fut le plus souvent utilisée. La nécessité du traitement de masse indiscriminé, étendu à toute la population, apparut rapidement, ce qui était une conception très moderne pour l'époque. C'est ainsi que, grâce à des efforts extraordinaires et dans une ambiance d'enthousiasme général, des résultats remarquables furent obtenus: en 1955, le taux de prévalence parasitologique à Tahiti était tombé de 32 à 7 %.

Au vu de ces bons résultats, et parce que l'on ne pouvait continuer la lutte sur le même rythme, la période 1955-1967 vit l'abandon du traitement de masse et le recours au traitement sélectif des seuls porteurs de microfilaires. Cette stratégie se montra inefficace, et en 1968, le taux de prévalence était encore de 4,9 % à Tahiti. Le retour progressif au traitement de masse indiscriminé de toute la population fut encouragé par une expérience pilote menée à Moorea de 1968 à 1973 qui en redémontra l'efficacité. De 1974 à 1984, une stratégie de traitement de masse indiscriminé, par prise unique et annuelle de 6 mg de DEC par kilo fut à nouveau décidée. De 4,9 % en 1968, le taux de prévalence à Tahiti passa à 1,5 % en 1985. Cette stratégie de lutte contre la filariose lymphatique en Polynésie française était une référence pour les autres pays de ta région du Pacifique Sud. Cependant, parce que le risque filarien s'éloignait, la population se montra de moins en moins disposée à accepter une chimioprophylaxie contraignante dont elle ne comprenait plus la nécessité. Aussi, depuis 1983, s'est-on orienté vers une nouvelle stratégie utilisant une posologie allégée de la DEC: le traitement de masse par doses uniques, semestrielles de 3 mg DEC par kg. Cette stratégie est actuellement mise en œuvre par les structures fixes de la Direction de la Santé Publique. Les résultats sont excellents là où la stratégie est correctement appliquée mais décevants ailleurs.

La situation actuelle de l'endémie est ainsi variable selon les archipels et les îles:

À Tahiti, on observe une quasi-disparition de la transmission de la filariose en zone urbaine, là où Aedes polynesiensis a été évincé par Aedes aegypti, le vecteur de la dengue. En revanche, les communes rurales présentent encore une prévalence variant de 0,3 à 3,5 % avec une relative concentration au sud-est de l'île.

- Dans l'île de Moorea, la prévalence était devenue si faible, avec 0,4 % en 1982, qu'il a été décidé d'y interrompre toute chimioprophylaxie pour se borner au traitement des quelques porteurs dépistés. Mais des enquêtes récentes montrent une certaine reprise de l'endémie.

Taux de microfîlarémie 351 pour 100 habitants

30 ~

25

20

15

TAHITI

5

oj_,_~-~~~~~~~__;_~~~~;;:;i.::::~ 1948 1955 1965 1975 1985

----1955 -------1968 -----------

de masse des porteurs de masse (protocoles divers)

Fig. 2: Évolution de la prévalence de la filariose de Bancroft à Tahiti et Moorea, en fonction du mode de distribution de la DEC

- Aux îles Sous-le-Vent, en revanche, ta situation a évolué partout de façon péjorative au cours des dernières années. Seule la petite île de Maupiti fait exception, parce que la prise de Notézine y est assurée régulièrement, ce qui démontre qu'une chimioprophylaxie correctement appliquée peut aboutir à un arrêt total de la transmission.

- La bonne acceptation de la chimioprophylaxie et un milieu écologique peu favorable à Aedes polynesiensis font des îles Australes un archipel peu touché par l'endémie.

- Aux Tuamotu-Gambier, selon les atolls, la prévalence de l'endémie varie de 0 à 12 %.

Enfin, l'archipel des Marquises reste très touché et la situation de l'endémie y évolue de façon inquiétante depuis 10 ans, car la chimioprophylaxie régulière reste difficile à appliquer dans les vallées isolées, alors que le vecteur y pullule.

En conclusion, la filariose lymphatique reste toujours une endémie présente, voire préoccupante, en Polynésie française. L'expérience des années passées indique que la stratégie de lutte préconisée est efficace en elle-même, mais qu'elle demande beaucoup de persévérance et de volonté pour être appliquée correctement. Au moindre relâchement des efforts, la situation se détériore, car le réservoir de parasites (les sujets parasités) persiste et le vecteur reste partout présent. A contrario, les succès remarquables enregistrés lorsque cette lutte est bien conduite sont autant d'encouragements à la poursuite du traitement de masse, amélioré sans doute par une meilleure participation des populations. Apparaît là le rôle essentiel et nécessaire de l'information sanitaire pour motiver ces populations.

De nouvelles études thérapeutiques sont actuellement en cours pour évaluer l'effet d'un nouveau médicament microfilaricide, l'ivermectine ou Mectizan ®, qui pourrait être plus facile d'emploi et plus efficace que la DEC. Les résultats sont encourageants. Mais la stratégie restera basée sur le traitement de masse en prise unique, probablement annuelle, ce qui imposera toujours des efforts logistiques importants et la participation des populations. La maîtrise de l'endémie filarienne en Polynésie française est possible, mais il faut la vouloir et y consacrer les moyens nécessaires.

J.Roux

LA TUBERCULOSE Le bacille tuberculeux a probablement débarqué sur le sol polynésien avec les équipages européens au XVIII" siècle. Dans ces îles du Pacifique sévissaient des affections pulmonaires provoquant toux, fièvre, gêne respiratoire. En tahitien, le mot tutoo signifiait "asthme ou toux persistante". Sans doute ce vocable englobait-il un certain nombre d'allergies respiratoires fréquentes en Polynésie ... En revanche, il semble que la tuberculose n'était pas connue avant l'arrivée des Européens, alors que les XVIIIe et XIXe siècles virent l'acmé de l'endémie en Grande-Bretagne, puis en France. Les Polynésiens furent surpris par cette maladie qui "emportait" un à un tous les membres d'une famille et laissait bien souvent la maison déserte. Pour désigner cette affection, ils utilisèrent le mot tutoo, qui lui sera dès lors réservé, et l'asthme fut appelée aho pau.

L'arrivée des Européens à la fin du XVlll 0 siècle fut suivie d'une flambée d'épidémies diverses: dysenteries meurtrières, maladies vénériennes, atteintes pulmonaires de type phtisique. En 1885, le roi Pomare Il recevant des visiteurs anglais déclarait: "vous êtes venus tout juste pour voir les survivants d'un peuple". L'importante dépopulation s'étendit à toutes les îles de la Polynésie. Apparaissent alors dans les écrits les premières descriptions d'affections dont la nature tuberculeuse ne fait pas de doute. Des bossus sont fréquemment rencontrés, victimes d'une maladie particulière survenant chez l'adolescent ou l'adulte jeune, et entraînant une déformation permanente de la colonne vertébrale associée à un amaigrissement considérable. On en constate souvent plusieurs cas au sein d'une même famille. Cela évoque, bien sûr, le mal de Pott. Ce mal fréquent frappait plus volontiers les adultes, et ses formes cliniques étaient assez variées, tuberculose pulmonaire surtout, mais également, atteintes glanglionnaires et ostéo-articulaires. Les autres atteintes, viscérales et séreuses, étaient vraisemblablement méconnues au XIXe siècle.

À la suite de l'instauration du Protectorat Français sur les îles polynésiennes, de nombreux médecins se succédèrent dans les possessions françaises du Pacifique Sud. La phtisie pulmonaire leur apparut redoutable par sa très grande fréquence, sa survenue chez des adultes jeunes et son évolution effroyable, souvent mortelle en quelques mois. Les premières statistiques de l'hôpital de Papeete font état de 4 %, en moyenne, de tuberculose ou bronchite chronique parmi les entrées. Ce taux est voisin de celui enregistré en 1973 où, pour 7 500 hospitalisations, il y eut 221 entrants (3 %) pour tuberculose de l'adulte. À la fin du premier conflit mondial, l'utilisation de streptomycine et de para-amino-salicylate de sodium (PAS) succède aux médecines traditionnelles. Encouragée par les premiers résultats, et avant même l'apparition de !'isoniazide ou Rimifon ®, l'autorité sanitaire envisage les conditions générales d'implantation et de fonctionnement d'un sanatorium qui, en définitive, ne sera pas construit. Néanmoins, à cette époque, la tuberculose constitue la cause principale de morbidité et de mortalité. Son importance, loin de décroître comme dans la majeure partie des pays d'Europe, semble augmenter d'année en année.

En 1960, les moyens conjugués du Service de Santé, du Service d'Affaires Sociales et de l'Institut de Recherches Médicales des Établissements Français d'Océanie (devenu depuis l'ITRMLM) permettent la création d'un Centre de Lutte Contre la Tuberculose. Le CLCT est investi d'une autorité territoriale qui permet la mise en route d'un programme de lutte cohérent. Il agit en tant que structure spécialisée et en tant que direction centralisée, concentrant ainsi les moyens et le personnel. Son action est amplifiée par les structures de soins du Service de Santé aux niveaux central (hôpitaux, Centre Médico-Scolaire) et périphérique (dispensaires, infirmeries).

Les données épidémiologiques sont réunies dans un fichier central, déjà créé depuis 1959. Le taux de déclaration est alors de 5,86 pour 1 000 habitants en 1959. Il s'agit d'un taux important, situant l'endémie à un niveau réellement préoccupant. En quelques années, il va baisser, et ce, jusqu'en 1978, année pendant laquelle on déclarera 78 nouveaux malades, soit 0,55 pour 1 000 habitants. Depuis 1978, le

Taux d'incidence OMS pour 1 000 habitants

::J

estimations 4 c

3

1

2 --;

0 1 1955

1

1960 1965 1

1970 1

1975 ' 1 ' 1980

1

1985 1 Année

1990

Fig. 3: Évolution de l'incidence annuelle de la tuberculose en Polynésie française

nombre annuel de nouveaux malades n'évolue pas de façon significative, mais du fait de l'accroissement de la population, le taux de déclaration continue de baisser, cependant de manière très discrète. En 1987, le taux de déclaration est de 0,45 %0, inférieur à celui de la Nouvelle-Calédonie, mais franchement supérieur à celui des îles Fidji.

Les taux de déclaration varient peu sensiblement suivant les archipels, ainsi que l'on peut le constater sur la Planche 101, et les mêmes tendances évolutives se retrouvent. Les Gambier font néanmoins figure d'exception dans cette description. Les taux de déclaration y sont toujours très élevés, et très variables suivant les années. Ils ne sont sûrement qu'un pâle reflet de la situation phtisiologique réelle. En effet, il suffit qu'une mission sanitaire se rende dans cet archipel en 1972 pour découvrir 10 nouveaux cas, soit 2 % environ de la population. Ceci permet de mieux cerner les erreurs commises en comparant les taux de déclaration entre différentes régions. Il est évident que l'on se rapproche d'autant plus de la réalité que la couverture sanitaire est plus dense et plus efficace.

La détection de nouveaux malades se fait de deux manières: l'une passive, lorsque le malade vient consulter, et l'autre active, quand une certaine partie de la population est passée au crible de la radiographie systématique annuelle. Le dépistage actif est à l'origine de 30 % en moyenne du nombre de nouveaux cas. Mais ces 30 % sont représentés essentiellement par le résultat du contrôle systématique des proches de chaque nouveau malade détecté, et le dépistage radiophotographique est, pour le reste de la population, très peu rentable et devra probablement être bientôt abandonné.

Les deux piliers de la lutte anti-tuberculeuse sont la détection suivie de la mise en traitement des nouveaux cas, et la prévention par le vaccin BCG. Ce vaccin est administré de façon systématique à la naissance, et de nouveau au cours de la scolarité. La couverture vaccinale à la naissance est proche de 100 %. Cette vaccination a été rendue légalement obligatoire en 1968. Il est très difficile d'évaluer l'efficacité du BCG à l'échelle de la population, mais on peut noter que la régression du taux de déclaration des jeunes malades est très nettement supérieure à la régression des taux tous âges confondus, c'est-à-dire que l'entrée dans la maladie se fait à un âge de plus en plus tardif.

L'endémie tuberculeuse a fortement régressé en Polynésie française au cours des 30 dernières années et, depuis 1978, son niveau semble stabilisé avec une discrète tendance à la régression. L'objectif des décennies à venir est de poursuivre la lutte entreprise en vue de l'éradication de la maladie. Les difficultés ne manqueront pas de survenir dès lors que la maladie se fera oublier dans les esprits, et une grande rigueur sera certainement plus nécessaire encore que par le passé.

P. GLAZIOU

LA LÈPRE

La lèpre existe probablement depuis des temps très reculés en Polynésie, les récits de certains navigateurs du XVIW siècle font état d'une maladie (appelée oovi à Tahiti et koovi aux îles Marquises) dont la description rappelle tout à fait le tableau clinique de ta lèpre tuberculoïde, non contagieuse. En 1898, un missionnaire chrétien, le père Chaulet, souligne que, pour les Marquisiens, la lèpre est une maladie connue depuis des temps immémoriaux: "la tradition canaque dit que la lèpre a toujours existé chez eux, i te tai i Hawaiki ... aussi ancienne que Hawaiki, notre patrie primitive". Il existe d'ailleurs aux Marquises une déesse de la lèpre, Teohotekua, qui serait née à Fatu Hiva, l'île la plus au sud de l'archipel. On peut donc penser, bien que l'on ne dispose pas de preuves irréfutables, que la lèpre a été importée d'Inde et d'Indonésie, lors du peuplement des îles du Pacifique. Enfin il est possible que de nouveaux apports, en particulier de lèpre lépromateuse contagieuse, soient dus à l'arrivée à Tahiti, au XIXe siècle, de Chinois atteints de lèpre. Cette introduction de nouveaux cas a pu être à l'origine d'une nouvelle dissémination de la lèpre dans les îles, principalement à Tahiti et aux Marquises, ce qui a fait accuser, à tort, les Chinois d'avoir introduit à Tahiti la lèpre, qui prit même parfois le nom de mai no te tinito ou mal chinois.

Les premiers recensements de lépreux en Océanie Française ont eu lieu en 1890 et la lutte contre la lèpre a débuté, en 1914, par la séquestration des malades avec la création d'une léproserie située à Orofara, à quelques kilomètres de Papeete (SASPORTAS - 1924). À cette époque, 163 malades étaient recensés, 92 non contagieux et soumis à l'isolement à leur domicile (pour toutes les îles de l'Océanie) et 71 contagieux isolés à la léproserie d'Orofara. En 1950, l'Institut Malardé fut créé à Papeete et chargé, entre autres actions, de la lutte contre la lèpre. Les dossiers des malades furent transférés d'Orofara dans cet Institut, et le fichier central y fut créé.

Planches 101-102

Page 3: La pathologie humaine : planches 101-102

Taux annuel pour 100 000 habitants

40

35

30

25

20

15

10

1946 1956 1966 1976

Forme

multibacillaire 1 paucibacillaire D

1986

Fig. 4: Évolution du dépistage de la lèpre en Polynésie française

L'évaluation de l'importance d'une maladie dans une population se fait habituellement à partir de deux indicateurs principaux: le taux de mortalité et le taux de morbidité. Il est exceptionnel, surtout à notre époque, qu'un lépreux meure directement des conséquences de sa maladie et, en matière de lèpre, le taux de morbidité est seul étudié. Son importance est essentiellement évaluée par le taux de prévalence et le taux annuel de détection. En décembre 1987, 291 malades lépreux figuraient "en file active" au fichier central, dont 109 en traitement et 182 sous surveillance après traitement. Ce chiffre, rapporté à la population de 1987 (188 000 habitants), donne un taux de prévalence de 1,5 %0, très voisin de celui de la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, le taux de prévalence ne constitue pas un indicateur épidémiologique très représentatif de l'importance de l'endémie car, pour le calculer, on tient compte du nombre de malades connus et enregistrés au fichier central. Or, certains malades, dépistés et soignés depuis plusieurs décennies, peuvent être toujours inscrits au fichier central. En matière de lèpre, le taux de prévalence est plus un reflet du passé qu'un indicateur de tendance. Il est plus intéressant d'étudier le taux de détection annuel: avec 19 cas dépistés, ce taux était en 1987 de 10 pour 100 000, comparable à celui de la Nouvelle-Calédonie mais supérieur à celui de certaines îles du Pacifique, en particulier des îles Fidji. L'étude du taux de détection, de ses variations éventuelles selon les zones géographiques et de son évolution au fil des ans permet d'apprécier l'importance de la maladie dans le temps et dans l'espace. Comme on peut le constater sur les cartes, le taux de détection de la lèpre en Polynésie française varie beaucoup selon les archipels. Les taux les plus élevés sont observés dans les archipels éloignés, en particulier l'archipel des Gambier et celui des Marquises, et ce au cours des deux périodes considérées 1946-1966 et 1967-1987. Il est intéressant de noter la diminution du taux de détection entre ces deux périodes, diminution sensible surtout dans les archipels éloignés, sauf aux Marquises Sud. Si l'on considère l'ensemble de la Polynésie, des études récentes (CARTEL et al. -1988) ont montré que le taux de détection est passé, toutes formes de lèpre confondues, de 24,7 pour 100 000 durant la période 1946-1948 à 8,1 pour 100 000 durant la période 1985-1987. Cette évolution se retrouve également si l'on étudie les taux de détection en fonction de l'âge des sujets (moins et plus de 15 ans) ou en fonction de la forme de lèpre (multibacillaire ou paucibacillaire). D'autre part, la proportion des malades lépromateux contagieux (multibacillaires) parmi l'ensemble des malades détectés est passée de 60 % pour la période 1946-1948 à 25 % pour la période 1985-1987. Quand un service de lutte contre la lèpre existe dans un pays, le taux des nouveaux malades multibacillaires est considéré comme un indicateur d'activité du service, et sa diminution, comme un indicateur d'amélioration du taux de l'endémie. D'autres indicateurs épidémiologiques confirment cette tendance. Ainsi, l'âge moyen des malades lors de leur dépistage tend à augmenter (autre signe d'amélioration de l'endémie), mais surtout, la proportion de nouveaux malades porteurs d'infirmités de grade> 2, selon la classification de l'OMS, tend à diminuer. Cette proportion est passée de 52 % pour la période 1946-1948 à 7 % pour la période 1985-1987. Il faut signaler cependant que cette évolution n'a pas été constante tout au long de la période 1946-1987, et qu'elle a été nette surtout entre 1950 et 1965. L'amélioration de la situation était probablement due à l'apparition en Polynésie, en 1950, du premier médicament actif sur le bacille lépreux: la dapsone. Il faut savoir en effet que le contrôle de la lèpre est basé essentiellement sur la mise en traitement des malades dépistés le plus précocement possible. L'apparition de la dapsone dans les années 50 a représenté, en Polynésie française comme dans tous les pays du monde, une amélioration considérable pour le traitement des malades et une motivation des personnels de santé chargés de la lutte contre la maladie. En revanche les taux de détection sont, en gros, restés assez stables entre 1970 et 1987. On peut espérer qu'une nouvelle diminution de l'endémie sera constatée au cours de cette décennie. En effet l'introduction, depuis 1980, d'une association d'antibiotiques comportant la Rafapicine ® (seul médicament actuellement capable de détruire le bacille lépreux) constitue un nouveau et important changement dans le contrôle de la maladie, puisque l'on peut parler maintenant de guérison définitive. Enfin il faut noter que, dans le cadre de la lutte contre la tuberculose (maladie due à un bacille très voisin du bacille lépreux), la vaccination systématique des nouveau-nés par le BCG a été mise en place en Polynésie dans les années 60. Cette vaccination a, selon des études menées en différents endroits du monde, une certaine influence sur l'endémie lépreuse. En apparence, elle n'en a eu aucune en Polynésie française, puisque la période 1967-1987 semble plutôt caractérisée par une stabilité de cette endémie. En réalité, l'étude des taux de détection spécifiques par groupe d'âge a montré que, au cours de la période 1967-1987, les nouveaux malades détectés étaient nettement plus âgés que ceux détectés au cours de la période 1946-1966. Ceci suggère que, depuis 1946, la majorité des malades détectés appartient à la même cohorte. La diminution du nombre de malades dépistés dans les cohortes nées depuis 1960 (et donc vaccinés par le BCG) fait que l'on ne peut éliminer l'hypothèse d'une influence de la vaccination systématique antituberculeuse sur l'évolution de l'endémie lépreuse. Au total, on peut dire que celle-ci a régressé en Polynésie française au cours des quarante­deux dernières années et qu'elle a atteint depuis les années 70 un taux de détection minime, de 8 pour 100 000 en moyenne. L'objectif des années 80 est d'obtenir une nouvelle diminution de ce taux et d'arriver au contrôle total.

J.L. CARTEL

L'ÉPIDÉMIE DE "DENGUE 1" DE 1988-1989

La dengue 1 a sévi en 1944 dans le Pacifique Sud sous forme d'une pandémie. À partir de 1964, avec le développement des transports aériens et l'urbanisation accélérée, la Polynésie française a subi plusieurs épidémies successives de dengue dues à des sérotypes différents (dengue 3 en 1964 et 1969, dengue 2 en 1971, dengue 1 en 1975-1976 et dengue 4 en 1979). Après l'épidémie de 1975, la dengue 1 se maintint sur le territoire jusqu'à la survenue de la dengue 4 en 1979, puis elle réapparut à Tahiti, fin 1988, sur un fond d'hypo-endémicité à dengue 4. La dengue 1 était jusqu'alors isolée de façon permanente en Asie du Sud-Est et en Amérique latine et de façon sporadique en Nouvelle­Calédonie en juillet-août 1988. Une enquête intrafamiliale autour du cas index confirma la circulation de la dengue 1 dans deux zones résidentielles situées de part et d'autre de Papeete (Faaa et Pirae). Les autorités sanitaires furent informées du risque épidémique. Créé lors des précédentes épidémies, le comité de coordination et de lutte contre le dengue fut réactivé et les moyens de lutte, mis en œuvre fin décembre. L'estimation de l'incidence hebdomadaire à partir d'un réseau de médecins sentinelles a permis de suivre l'évolution de l'épidémie. Un ensemble de données cliniques et épidémiologiques a pu être recueilli à partir de formulaires de déclaration individuelle des cas cliniques pour lesquels une demande de confirmation de diagnostic spécifique était formulée. La surveillance virologique et sérologique a été assurée à partir de tous les prélèvements sanguins reçus pour confirmation diagnostique. Elle a permis de suivre l'évolution des sérotypes viraux en cause et le taux de confirmation. Enfin, 5 zones témoins réparties dans la zone urbaine de Papeete ont été définies pour le recueil des données entomologiques.

Le système de surveillance mis en place a permis de suivre l'épidémie semaine après semaine. L'acmé épidémique a été atteinte en février dans les îles du Vent. Un décalage de deux semaines à deux mois a été observé pour les îles plus éloignées. On peut estimer à plus de 25 000 le nombre de cas cliniques suspects dans les îles du Vent. Concernant la répartition des cas déclarés en fonction de l'âge, la proportion des sujets de 0 à 10 ans, de 11 à 20 ans et de plus de 20 ans était respectivement de 27,3 %, 35,6 % et 37, 1 %. Cette répartition était en accord avec les données épidémiologiques montrant que ce sont les adultes qui, dans l'ensemble, ont été les moins touchés. Le taux global de confirmation de diagnostic obervé au laboratoire était de 41 %.

Le taux d'attaque sérologique a été estimé, au déclin de l'épidémie à la fin avril 1989, d'une part, en suivant une cohorte d'adultes réceptifs, et d'autre part, en comparant un échantillon aléatoire d'enfants réceptifs âgés de 0 à 9 ans à un échantillon similaire réalisé en juin 1987 en dehors de toute épidémie. Ce taux fut respectivement de 44 % et 43,8 % au 4ème mois. Parmi les adultes chez lesquels on a mis en évidence une séroconversion, 70 % ont présenté une symptomatologie. Du point de vue clinique, seule la dengue classique a été notifiée. Les manifestations cliniques rapportées comportaient la triade fièvre-céphalées-myalgies (98 %), un rash maculaire/papuleux (25,6 %), un prurit/paresthésie (9,9 %), des signes digestifs: vomissements/nausées/diarrhées (19,2 %), et des signes hémorragiques sans gravité: epistaxis/pétéchies/purpura (5,1 %).

Aucun cas de dengue hémorragique, avec ou sans choc, obéissant aux critères de l'Organisation Mondiale de la Santé n'a été observé.

Au point de vue entomologique, la densité de vecteurs est restée élevée, bien qu'une nette diminution des indices d'agressivité vectorielle fut observée jusqu'à deux semaines après chacune des pulvérisations de malathion. Les isolements viraux à partir de moustiques collectés dans les zones pilotes ont montré que la transmission était strictement liée à Aedes aegypti.

Malgré la bénignité manifeste de cette épidémie, le coût socio-économique ne doit pas être négligé. La perte en nombre de journées de travail a été estimée à 14 500. L'épidémie de dengue 1 a pris fin en juin, cependant que les premières souches de dengue 3 étaient détectées. À l'heure où nous rapportons ces observations sur l'épidémie de dengue 1, la Polynésie déclare une épidémie de dengue 3 comportant plusieurs cas mortels de forme hémorragique.

LA DENGUE La dengue est une maladie infectieuse aigüe provoquée par quatre types d'un virus liés antigéniquement et dits: dengue 1, dengue 2, dengue 3 et dengue 4. Ces virus appartiennent au genre Flavivirus de la famille des Flavivirides. Ce sont des virus de 35 à 50 nm de diamètre, enveloppés et à génome constitué d'un acide ribonucléique monocatenaire infectieux. Les techniques d'étude de I' ARN et des protéines ont montré des variations génétiques d'un sérotype (typage par réaction sérologique) à l'autre, et à l'intérieur de chaque sérotype. Ainsi, quinze variants géographiques ou topotypes sont connus pour la dengue 2, sept pour la dengue 1, cinq pour la dengue 3. Plus récemment, un variant du virus de la dengue 4 vient d'être décrit.

Les virus de la dengue sont des arbovirus (contraction de "arthropod borne viruses "). En Polynésie française, seule existe la transmission horizontale active de l'homme à l'homme par l'intermédiaire de moustiques Aedes chez lesquels les virus se multiplient. En l'état actuel des connaissances, la maintenance des virus dans la nature par transmission verticale chez le moustique vecteur n'y a pas été démontrée.

Largement répandue dans l'ensemble des zones tropicales et subtropicales du monde entier, la dengue a fait son apparition en Polynésie française dès la seconde moitié du XIX" siècle: épidémies de 1852, 1870 et 1902. C'est durant la pandémie de 1944-1947 qui toucha la presque totalité des îles du Pacifique, que la Polynésie connut sa première grande épidémie de dengue. Plus récemment, les 4 sérotypes du virus se sont succédés, sous formes d'épidémies extensives, à un rythme de plus en plus accéléré: 1964 (dengue 3), 1969 (dengue 3), 1971 (dengue 2), 1975 (dengue 1) et 1979 (dengue 4).

La transmission de la dengue 4, seule arbovirose active jusqu'à ce jour en Polynésie, a pris un caractère endémique depuis 1980. Alors que seules les îles de Tahiti et de Makatea, où Aedes aegypti pullulait, ont été touchées lors de l'épidémie explosive de 1964, les épidémies suivantes ont atteint progressivement presque toutes les îles de la Polynésie, à la faveur d'une urbanisation accélérée et du développement des liaisons interinsulaires aériennes ou maritimes: les îles Sous-le-Vent (1971-1972), tous les archipels sauf Australes et Marquises (1975-1976), puis toute la Polynésie française (1979). Ces faits ont coïncidé avec l'introduction d'Aedes aegypti dans ces îles, venant s'ajouter à A. polynesiensis, vecteur autochtone présent partout en Polynésie et responsable des épidémies anciennes. Toutes ces épidémies étaient des épidémies de dengue classique, sans gravité mais explosives, touchant plus de la moitié de la population en l'espace de quelques mois.

Du point de vue clinique, hormis les formes frustres purement fébriles et les formes inapparentes, les virus de la dengue peuvent être responsables de dengue classique: syndrome algo-éruptif bénin, et de dengue hémorragique: syndrome aigu fébrile caractérisé par des phénomènes hémorragiques plus ou moins importants, avec, dans les formes graves, état de choc surtout chez l'enfant de moins de 15 ans. En Polynésie française, la succession des épidémies à intervalles rapprochés n'a pas entraîné d'épidémies de dengue hémorragique comme ce fut le cas dans les pays d'Asie dès 1953. Cependant, 33 syndromes hémorragiques chez des sujets développant une infection secondaire due au virus de la dengue 2 ont été observés pendant l'épidémie de 1971: il s'agissait de 31 adultes et de 2 enfants. Trois décès, dont celui d'un enfant, ont été attribués à la dengue hémorragique cette année-là.

Du point de vue de la pathogenèse des formes graves de la dengue, il est clair actuellement que l'apparition des formes hémorragiques n'est pas obligatoirement liée à la sensibilisation par une dengue antérieure mais peut aussi être rattachée à une transmission par un vecteur inhabituel, à l'existence de variants très virulents,

ou encore à la sensibilité génétique de l'hôte. Et comme dans toutes les zones réceptives, où le vecteur persiste toute l'année, la Polynésie vit sous la menace permanente de nouvelles épidémies avec manifestations classiques ou graves.

Alors que les sérotypes en cause dans les épidémies antérieures à 1969 n'ont pu être identifiés que rétrospectivement sur des arguments séro-épidémiologiques, l'étude des épidémies suivantes a bénéficié des grands progrès réalisés dans le domaine de l'isolement et de l'identification des virus. L'inoculation intracérébrale du sérum suspect au souriceau nouveau-né, technique peu sensible et longue à mettre en œuvre, a été vite délaissée au profit de l'inoculation intrathoracique au moustique d'élevage Aedes aegypti, puis Toxorhynchites, qui marqua une étape décisive pour l'étude de la dengue. Cette méthode très sensible présente toutefois un inconvénient de taille: celui du délai entre la réception du prélèvement et la réponse du laboratoire. En effet, comme pour le diagnostic sérologique basé sur une augmentation des anticorps titrés sur une paire de sérums (aigu et tardif), le délai est de 10 à 15 jours au moins.

L'inoculation directe aux cellules de lignée continue de moustiques (C6/36 d'Aedes albopictus, Mos 61 d'A. pseudocutellaris) et l'utilisation d'anticorps monoclonaux spécifiques d'espèce permettent maintenant un diagnostic en 5 à 10 jours. Par ailleurs, la détection d'immunoglobulines M par technique d'immunocapture permet un diagnostic de présomption. Ce sont ces dernières méthodes qui sont utilisées actuellement en Polynésie dans l'étude des modalités épidémiologiques de transmission et de maintien de ces virus.

En attendant la mise au point d'un vaccin efficace contre tous les types de virus de la dengue, la surveillance épidémiologique constitue l'unique stratégie de lutte. Or, malgré une surveillance active, les épidémies sont difficiles à contrôler, de par leur rapidité d'extension et leur taux d'attaque élevé face à une population dépourvue de toute immunité. Les épidémies de 1975 et de 1979 avaient bénéficié de moyens de lutte équivalents sans que la progression de l'épidémie ait pu être empêchée. Cependant, il a été possible d'étaler l'épidémie de dengue 1 sur un peu plus d'une année, par l'action conjointe de la surveillance des cas suspects et de la lutte anti-vectorielle adulticide et anti-larvaire. Une paralysie complète des activités économiques de l'île a pu être ainsi évitée.

La surveillance épidémiologique exercée en période inter-épidémique comprend la surveillance des cas suspects et leur diagnostic virologique, une surveillance sérologique de cohortes de sujets réceptifs, l'évaluation de la population non immune, et enfin, un contrôle entomologique et virologique des moustiques vecteurs collectés dans des stations pilotes.

Pendant les périodes inter-épidémiques, la transmission de la dengue est maintenue par l'apport constant de sujets réceptifs (enfants et nouveaux arrivants). La transmission est alors endémo-sporadique avec des périodes de silence presque total. Ces intervalles sont délicats et peuvent constituer des périodes favorables à l'introduction d'un nouveau virus. Or, face à l'hétérogénéité de la couverture immunologique de la population vis-à-vis de chaque sérotype du virus de la dengue, on peut se demander si l'éviction, jusqu'ici observée, du virus endémique par le virus "entrant" sera toujours de règle. Un nouveau schéma épidémiologique à deux virus, ou plus, pourrait alors survenir, comme c'est le cas maintenant dans les Caraïbes, et nous conduire vers des conditions favorables à l'apparition de formes hémorragiques graves. Face à cette menace permanente et en l'absence de vaccin, la lutte contre les vecteurs constitue la meilleure prophylaxie.

E.CHUNGHE

Planches 101-102

Page 4: La pathologie humaine : planches 101-102

Atlas de la Polynésie française

150' 140'0 LA LÈPRE

ÎLES MARQUISES

10'

_ _ JrQPigye_slu_Ca2ri<;grQ!J __ _

1946-1966 0 300km

Source :Cent e de Lutte Anti-Hansénien, ITRMLM

- 120 100 Nombre de cas d épistés Type

au cours de la p ériode pauci - multi-bacillaire bacillaire

Taux de détection moyen annuel parmi les natifs (pour 1 OO 000 habitants)

- 30 100% im 0

80 ~ 20 10 - 10

60

~ 40

~ 5

40

~ 60

n 2 20 80

0 rr ~ 0 0 100%

Li ...... 30 40 et plus 0 10 20

ÎLES MARQUISES

10'

ÎLES TUAMOTU-GAMBIER

20'

ÎLES AUSTRALES

1967-1987 0 300km

LA FILARIOSE DE BANCROFT

,PU

Estimations de la population communale d'après les recensements effectués au

cours de la période 1946-1 983

25000

20000

12000

Tahiti 1949

LA PATHOLOGIE INFECTIEUSE ET PARASITAIRE

MAHINA

M oorea 1956

6000 2000

100

r------i chiffres L_J non disponibles

2!5 .. 40 .. f------i chiffres L_J non disponibles

1960

Taux de couverture des prélèvements effectués

Marquises Nord

ILES MARQUISES

ILES TUAMOTU

LA TUBERCULOSE

Marquises Sud

ILES GAMBIER

1 ncidence annuelle ( nb de cas déclarés, rechutes exclues)

Source : Centre de Lutte Contre la Tuberculose, ITRMLM

190i] 75 50 30 20 10

2

1975

~ ·

·- ·~ 1&---1 P. . Marquises Sud

ILES MARQUISES

ILES TUAMOTU . .

ILES GAMBIER

1965

1985

Taux de prévalence (pour 1 000 habitants) _______________________ s_o_u_rce : Unité de Lutte An - filarienna, ITRMLM

Marquises Nord

.__ ____ llf.arquises Sud ILES MARQUISES

ILES TUAMOTU

\ gJttao

'

ILES GAMBIER

Proportion de jeunes âgés de moins de 15 ans (pour 1 OO cas dêclarés)

OL.=J 5 ~10L.J25C=:J 50c.J100

Marquises Nord .5aNuku Hiva

Î!.' Hivl Oa

'---------' Marquises Sud

ILES MARQUISES

ÎLES TUAMOTU

ILES DU VENT

ILES GAMBIER

1970 Marquises Nord ·i!Jltuku Hiva

i!J Hiva O•

~--~Marquises Sud ILES MARQUISES

ILES TUAMOTU

\

ILES GAMBIER

Taux d' incidence déclarée annuelle (pour 1 000 habitants)

1989

~ ·

Marquises Nord F . LJMarqu1ses Sud

ILES MARQUISES

ILES TUAMOTU

ILES GAMBIER

L'===============150':1:==========================140'=0=================::'J L~==================================:.__-==================================----.C:::==================================1 01 UNITË DE CARTOGRAPHIE DE L'ORSTOM © ORSTOM 1993 Planche établie par E. VIGNERON - ORSTOM d'après les données communiquées par J .P. BOUTIN, J.L. CARTEL, P. GLAZIOU et J . Roux (ITRMLM)

Page 5: La pathologie humaine : planches 101-102

L'HÉPATITE VIRALE B

L'hépatite virale B est très vraisemblablement responsable de la fréquence relativement élevée des hépatocarcinomes en Polynésie française comme ailleurs dans la région Pacifique et sous les Tropiques en général. Depuis une décennie, il existe un vaccin efficace contre ce fléau. La gravité du problème coexistant avec la possibilité d'une prévention fait aujourd'hui de l'hépatite virale B une priorité sanitaire en Polynésie française.

L'agent de l'hépatite est un virus à ADN chef de file des "Hepa DNA virus" chez lequel on reconnaît trois antigènes dont l'antigène de surface HBs. Le virus est présent dans les cellules du foie où il se multiplie, mais aussi dans les leucocytes du sang, de la salive, de la sueur, du sperme et des sécrétions vaginales des malades et des porteurs sains. La transmission est donc essentiellement le fait d'échanges de sang même minimes (utilisations d'instruments souillés pour les injections, tatouages, circoncisions ... ), de contacts sexuels, ou encore d'une contamination mère-enfant lors de l'accouchement. Ce dernier mode de transmission, dit vertical, expliquerait en partie l'incidence élevée constatée chez les petits enfants dans les îles de forte endémicité. La gravité de la maladie est due au risque de passage à la chronicité favorisé par la précocité de la contamination chez l'enfant. On assiste alors à une lente dégradation du foie, dont l'issue peut être la cancérisation. Les nouveau-nés constituent donc une population à très haut risque dans les pays de forte endémicité, définie selon l'OMS par un portage sérique supérieur ou égal à 8 % de la population.

Des études datant de 1977 à 1980 ont montré que, sur 9 îles étudiées dans les cinq archipels de la Polynésie française, les taux de prévalence de l'antigène HBs sont supérieurs à 8 % dans 5 cas (Ahe, Atuona, Maiao, Rapa, Rimatara). Cependant à Tahiti, où réside plus de 70 % de la population du Territoire, le problème n'atteint pas la même ampleur; en effet, les taux de dépistage rapportés par le Centre de Transfusion Sanguine restent très stables durant une décennie, autour de 2 %, et n'atteignent que 1,4 % pour les habitants natifs de l'île.

D'autre part, le cancer primitif du foie est la seconde cause de tumeurs malignes en Polynésie française, et son âge d'apparition y est particulièrement précoce puisque l'âge moyen des sujets atteints de cancer du foie au moment du dépistage est de 33 ans en 1986.

Une enquête récente (Institut Louis Malardé - 1988) montre avec précision que, dans l'archipel des Australes, trois des cinq îles dépassent largement le seuil de forte endémicité, pouvant atteindre un taux de prévalence de l'antigène HBs culminant à 27 % à Rapa, à l'extrême sud du Territoire. Parallèlement au fort portage de l'antigène, on a pu établir que, dans cet archipel, 2 à 3 personnes sur 4, selon l'île, ont été, ou sont, contaminées par le virus de l'hépatite B. D'autre part, il a été démontré que cette contamination survient le plus souvent dans les premières années de la vie, et que la transmission directe verticale de la mère à l'enfant y est relativement peu importante. Les données les plus récentes concernant les îles Marquises mettent en évidence chez les mères un taux moyen de prévalence de l'antigène HBs de l'ordre de 22 %, pouvant atteindre 54 % dans les districts ruraux de l'île de Nuku Hiva. Aux Tuamotu, un échantillon de 100 mères a permis d'évaluer le taux de prévalence de l'antigène HBs à 1 %. Enfin, aux îles Sous-le-Vent, le taux de prévalence des porteurs de l'antigène HBs chez les mères a été estimé à 1,81 % à Raiatea et 3,14 % à Tahaa.

Il existe donc une très grande hétérogénéité des situations. Il semble bien que les notions d'habitat dense et d'hygiène collective précaire ne suffisent pas à expliquer la diversité de ces observations. Dans ce contexte, la mise en place actuelle d'une politique de prévention répond aux recommandations de l'OMS et de la Commission du Pacifique Sud, concernant l'aspect prioritaire de la lutte contre l'hépatite B dans la politique sanitaire du Territoire.

J.P. BOUTIN et A. SPIEGEL

AUTRES MALADIES INFECTIEUSES ET PARASITAIRES

Un certain nombre de pathologies, pourtant endémiques à un niveau préoccupant, ont fait il y a trop longtemps l'objet d'études détaillées. Il en va ainsi, particulièrement, de l'amibiase viscérale aux Tuamotu, de la méningite à éosinophiles et de la leptospirose; cette dernière, en progression, devenant d'ailleurs un problème de Santé Publique important. Le développement des recherches sur ces trois endémies se justifie donc pleinement à court terme. Quelques travaux universitaires constituent toutefois des premiers jalons dans la connaissance de ces pathologies: thèses de J-P Théron (Toulouse, 1985) et de 1. Herber (Paris V, 1989) sur l'amibiase, de G. Papouin (Angers, 1973) et de B. Robert (Bordeaux, 1973) sur la méningite à éosinophiles, de C. Tumahaï (Toulouse, 1984) sur les leptospiroses.

L'AMIBIASE

L'amibiase, l'une des parasitoses les plus répandues au monde, est largement présente en Polynésie française où son incidence n'a toutefois pas encore été formellement mesurée. Diverses enquêtes ponctuelles suggèrent que le taux d'infestation de la population par Entamoeba histolytica serait de ± 10 %, et sans doute beaucoup plus aux Tuamotu. Il est en effet patent depuis longtemps, pour les cliniciens, qu'il existe dans cet archipel des foyers d'amibiase viscérale.

Dans l'archipel des Tuamotu, le taux d'incidence moyen annuel de l'amibiase hépatique a été estimé à 1 pour 1 000 contre 1 pour 50 000 dans le reste du Territoire. Le taux d'infestation a été mesuré en 1988 sur la totalité de la population des trois atolls de Mataiva, Arutua et Napuka. La technique de sérodépistage HAI a révélé des taux de prévalence, significativement différents entre eux, de 6,5 % à Mataiva, 27,8 % à Arutua et 74,6 % à Napuka. Ces taux peuvent être reliés à l'importante contamination fécale des réserves d'eau potable constatée à Arutua (30 % des points d'eau sont contaminés) et à Napuka (90 %).

Le caractère endémique de l'amibiase aux Tuamotu, son coût élevé de prise en charge thérapeutique allié à sa possible extension, dont témoigne l'augmentation du nombre de cas déclarés, imposent le suivi épidémiologique de la maladie et, surtout, le développement d'une prophylaxie efficace par une gestion repensée de l'utilisation de l'eau de pluie et de la nappe d'eau saumâtre.

LA MÉNINGITE À ÉOSINOPHILES à Angiostrongylus cantonensis

La méningite à éosinophiles est une maladie parasitaire due à un nématode parasite du rat, Angiostrongylus cantonensis, appartenant à la famille des Angiostrongylidés. L'invasion de ce parasite, dont le cycle n'a été découvert qu'en 1961, est récente dans le Pacifique. À la fin des années 50, des larves infectantes de A. cantonensis furent observées à Tahiti dans les crevettes d'eau douce consommées crues par les Polynésiens et, de même, des parasites adultes furent retrouvés dans de nombreux rats.

Le rat est l'hôte définitif des vers adultes mâles et femelles et expulse dans ses fèces des larves de stade 1, pouvant survivre plusieurs semaines en eau stagnante. Elles peuvent alors se développer dans de nombreux hôtes intermédiaires: mollusques terrestres, limaces, mollusques d'eau douce. Au terme d'une quinzaine de jours, la larve, alors au stade 3, est infestante pour les mammifères et différents hôtes paraténiques ("hôtes de transit" chez lesquels la larve garde toute sa virulence mais n'évolue pas): crabes, crevettes, planaires ...

Parmi les hôtes intermédiaires, il faut citer l'escargotAchatinafulica, introduit en 1968 à Tahiti où il s'est très bien adapté. Présent dans tous les jardins, il est un facteur extrêmement important de dissémination de la maladie. Parmi les hôtes paraténiques, la crevette d'eau douce Macrobrachium far., localement appelée chevrette, et le planaire Geoplanaria septemlineata, vivant sur la salade et divers légumes, sont, en Polynésie française, les agents majeurs d'infestation, celle-ci s'opérant par voie digestive. Le taux d'infestation des "chevrettes" par les larves d'A. cantonensis est estimé à 3 % environ, mais il semble que les larves diffusent largement, à partir d'une pièce contaminée dans les préparations culinaires. Pour leur part, les planaires sont probablement infestés à 100 %. Achatina.fulica et le crabe des cocotiers, Cardisoma camifex, dont le nom vernaculaire est tupa, abritent généralement un grand nombre de larves et sont responsables ailleurs de cas mortels de la maladie, mais ils ne sont fort heureusement pas consommés en Polynésie française où ils abondent.

Le premier cas de méningite à éosinophiles à Angiostrongylus cantonensis a été observé à Tahiti en 1957, et depuis lors, quelques dizaines de cas par an sont déclarés. Des îles du Vent, la maladie semble avoir gagné toutes les autres îles de la Société, en l'absence de contrôles phytosanitaires sur les transports intérieurs qui ont assuré la diffusion des "hôtes d'attente" mentionnés ci-dessus. Le tableau clinique de la maladie est celui d'un syndrome méningé fruste, associant de fortes céphalées et une photophobie à d'autres symptômes moins constants. La maladie dure habituellement de 20 à 30 jours et guérit spontanément. Sa mortalité est nulle en Polynésie française et sa prophylaxie, simple à mettre en œuvre par une préparation adéquate des aliments, doit être l'affaire de tous.

LES LEPTOSPIROSES

Les leptospiroses sont des anthropozoonoses de répartition mondiale dues à un spirochète, Leptospira interrogans, dont le complexe pathogène, interrogans, regroupe plus de 150 sérotypes. Cette diversité concourt au polymorphisme des tableaux cliniques. Mais il a également été montré qu'un même sérotype peut causer divers tableaux cliniques dans la gravité desquelles l'âge du malade intervient notablement. La forme classique de la maladie est l'ictère infectieux hyperalgique à recrudescence fébrile.

Cette zoonose trouve en Polynésie française des conditions de survie, et même d'extension, très favorables. Les hôtes réservoirs y sont nombreux et particulièrement les différentes espèces de rats. On estime que 50 % des rats sont porteurs sains de L. interrogans. De très nombreux autres animaux peuvent être contaminés: oiseaux, reptiles, batraciens, mammifères. Ce sont particulièrement les animaux domestiques et d'élevage qui sont infestés: chiens, cochons, bovins. La transmission à l'homme peut être directe (morsures, manipulations, souillures) ou, beaucoup plus fréquemment, indirecte par contamination de l'eau ou du sol par les excrétats des animaux infectés. Les très nombreuses rivières de Tahiti qui constituent des lieux de baignade et de pêche appréciés sont ainsi des lieux de prédilection de transmission de la maladie. La pénétration des germes à travers la peau s'opère dans l'eau, soit après effraction, soit après une macération de quelques heures d'une peau saine, soit encore par les muqueuses.

Les modes épidémiques découlent des modes de contamination et sont constitués pour l'essentiel de cas sporadiques, allant de l'employé d'une porcherie ou de l'agriculteur travaillant pieds et mains nus dans une tarodière aux enfants se baignant à l'aval d'une porcherie.

Le profil statistique des 52 cas analysés par Tumahaï en 1983 est en accord avec ce qui précède: on note une prédominance, parmi les malades, de sujets masculins (63 %), polynésiens ou "demis" (respectivement 85 % et 11 %), d'âge scolaire ou en activité et résidant à Tahiti. Il faut y voir l'indice de modes de vie particulièrement exposés au risque d'infection: marche pieds nus, baignades fréquentes en rivière ou pêche, vie agricole ou rurale.

La situation épidémiologique de la leptospirose en Polynésie française est difficile à préciser. Avant 1983, le nombre annuel de cas hospitalisés dans les formations de Santé Publique est constamment inférieur à une trentaine. La mise en place d'un test sérologique permettant l'établissement d'un diagnostic de certitude date de 1983. Associé à une sensibilisation accrue des praticiens hospitaliers, il contribue peut-être à expliquer l'augmentation significative du nombre de cas déclarés, dépassant la centaine par an. Cette augmentation est certainement aussi le reflet d'une aggravation de la situation de l'endémie. On peut suggérer sa possible relation avec la dégradation de la qualité des eaux de baignade, la multiplication des décharges et des élevages porçins, eux-mêmes déterminés par la croissance démographique préoccupante de la population à Tahiti.

Le taux d'incidence de la maladie en Polynésie française peut être estimé à 100 pour 100 000 habitants tandis que celui enregistré en France métropolitaine n'est que de 0,4 pour 100 000 habitants. Maladie infectieuse, la leptospirose est aussi une maladie de société, témoin d'un développement incontrôlé, peu soucieux de la qualité de l'environnement et d'une éducation efficace des populations. Pourtant le coût de la prise en charge des malades est élevé et la mortalité due à la maladie, parfaitement évitable.

E. VIGNERON

LA CIGUATERA (ICHTVOSARCOTOXISME)

Ce terme, d'origine cubaine, s'applique à une intoxication alimentaire consécutive à la consommation de poissons frais, associés aux récifs coralliens et appartenant à des espèces habituellement comestibles. Ses conséquences socio-économiques sont sérieuses dans les îles volcaniques ou les atolls exposés au risque. On estime que chaque année, en Polynésie française, quelque 10 000 journées de travail sont perdues et que quelque 3 000 tonnes de poissons échappent à la commercialisation à cause de la ciguatera, soit à peu près autant que la production commercialisée.

La toxicité variable des poissons est connue en Polynésie sans doute depuis la colonisation maohi. Les premières références historiques aux poissons ciguatérigènes sont dues à des Européens: Morrison pour les îles de la Société en 1792, Moerenhout pour les Tuamotu en 1829, des missionnaires pour les Gambier en 1834 et les Marquises en 1848 et, de façon plus précise, Seurat pour les îles Tuamotu en 1906. En dépit de ces observations, l'affection est restée, pendant des décennies, à la fois une curiosité et une énigme que les équipages des navires abordant les îles polynésiennes mentionnaient sur leurs livres de bord. Les médecins itinérants ou en poste dans les diverses îles se sont familiarisés avec le traitement d'une maladie au tableau clinique polymorphe et spectaculaire. L'un des éléments les plus typiques et les plus constants de cette maladie est, en effet, l'existence de démangeaisons avec lésions de grattage associées qui justifient l'appellation de "gratte" souvent donnée à cette maladie.

Le tableau clinique de la ciguatera doit son polymorphisme à l'action, isolée ou conjuguée, de toxines thermostables, aux structures chimiques et aux propriétés physiologiques encore incomplètement élucidées. L'étude de ces toxines est rendue difficile par le fait que leur concentration dans les poissons vénéneux est généralement très faible, n'excédant pas quelques ppm (parts par milliard).

En Polynésie française, au cours des trente dernières années, une centaine d'espèces de tous niveaux trophiques, appartenant à plus de 30 familles ichtyologiques, ont été responsables d'empoisonnement ciguatériques. Les familles de poissons les plus fréquemment mises en cause sont les Séranidés (loches et mérous): environ 17 % des cas; les Scaridés (perroquets) et Acanthuridés (chirurgiens et nasons): 16 %; les Lutjanidés (lutjans et perches de mer) et Lethrinidés (becs de cane): 12,5 %; les Carangidés (carangues): 7,5 %; les Mugilidés (mulets): 3 %; les Balistidés (balistes) et Labridés (napoléons): 2 %; les Siganidés (picots), Murénidés (murènes), Sparidés (dorades), Etelidés (vivaneaux), Mullidés (barbillons), Belonidés (aiguillettes), Kyphosidés (saupes), Holocentridés (rougets, lanternes), Sphyraenidés (barracudas), Chaetodontidés (papillons), Pomacentridés (demoiselles) et Scombridés (thons, tazards): 0,5 à 1 %. Quelques autres familles de poissons et des invertébrés (mollusques du genre Turbo notamment) peuvent aussi, mais exceptionnellement (< 0,5 % des cas), être responsables d'empoisonnements ciguatériques. Dans chaque famille, les diverses espèces n'exposent pas les consommateurs au risque avec la même fréquence. Pour une espèce donnée, tous les individus ne sont pas également toxiques, la toxicité étant souvent proportionnelle à la taille. Dans un poisson, le foie, la tête et les viscères sont plus nocifs que les muscles. Le mode de préparation culinaire et de cuisson ne modifient pas la toxicité.

La ciguatera sévit aussi bien dans les parages des îles hautes volcaniques que des îles basses coralliennes. Aucun archipel polynésien n'est épargné de façon absolue. Les zones où l'on peut trouver des espèces toxiques sont nombreuses et très diversifiées (bancs coralliens océaniques, récifs-barrière ou récifs frangeants, lagons). Elles sont souvent limitées à une passe ou à une portion de récif ou de lagon pour les poissons sédentaires. Dans les autres secteurs de l'île, la plupart de ces poissons sont comestibles. Une zone indemne de poissons toxiques peut se mettre à en produire. Inversement, une espèce réputée vénéneuse pendant plusieurs années dans un secteur donné peut redevenir comestible dans le dit secteur. La source principale de la ciguatoxicité des poissons en Polynésie française est le dinoflagellé benthique Gambierdiscus toxicus (Adachi et Fukuyo) de la famille des Heteraulacacées que Bagnis a découvert aux îles Gambier en 1977. Cette micro-algue unicellulaire benthique existe à l'état endémique dans l'ensemble des complexes récifaux du territoire, mais en quantité réduite. Elle peut croître massivement de façon épisodique au sein des gazons de macro-algues filamenteuses et calcaires colonisant les coraux morts. Toute perturbation écologique susceptible d'entraîner une dégradation du milieu récifal, avec multiplication des substrats offerts à une colonisation algale, peut donc favoriser l'accroissement de ces peuplements et la recrudescence du nombre de cas de ciguatera.

Les flambées de ciguatera peuvent être consécutives à des activités humaines (travaux sous-marins en tous genres, immersion de matériaux divers, aménagement du littoral, activités traditionnelles comme autrefois la plonge à la nacre), aussi bien qu'à des cataclysmes naturels (cyclones, tsunamis, tempêtes, séismes, forte dessalure saisonnière prolongée), exerçant leurs nuisances en ambiance récifo-lagonaire à forte couverture corallienne vivante initiale. Les agressions humaines de toutes natures sur les édifices coralliens se sont multipliées depuis près de 30 ans, avec l'extraordinaire essor économique qu'a connu la Polynésie française, générant plusieurs flambées, d'intensité variable suivant l'importance des dégradations, dans diverses îles de la Société, des Tuamotu et des Gambier notamment. Les agressions en cause, en

Planches 101-102

Page 6: La pathologie humaine : planches 101-102

général localisées, entraînent des flambées se caractérisant par une très forte production toxinique de base, qui se répercute sur l'ensemble de la chaîne alimentaire du complexe récifal perturbé: les poissons herbivores sont touchés d'abord, puis les poissons carnivores et omnivores. Les agressions naturelles engendrent des perturbations écologiques diffuses et passagères. Elles semblent responsables de flambées d'empoisonnement épisodiques dans des îles épargnées par l'intervention humaine massive (Marquises et certaines des îles Tuamotu). Elles assurent la pérennité de la ciguatera. En dehors des flambées, seules quelques espèces de poissons carnassiers de grande taille ont accumulé assez de toxines dans leurs tissus pour incommoder les consommateurs. Aux îles Gambier, la conjoncture d'agressions humaines (en rapport notamment avec l'aménagement de la zone portuaire, aérienne et maritime, de Totegegie) et d'agressions naturelles (en rapport notamment avec un important phénomène d'eaux colorées, ou puareva, en 1970-1971) a entraîné une mortification massive des coraux lagonaires de l'archipel qui a préparé le terrain à une flambée de ciguatera très sévère. Il est clair qu'en matière de ciguatera, il n'y a pas contamination de proche en proche, d'une île à l'autre. La raison d'une flambée dans une île est toujours à rechercher dans une dégradation de l'écosystème récifal de l'île elle-même, qui crée les conditions propices au développement optimal des dinoflagellés ciguatérigènes. Une flambée sévère peut durer entre 10 et 20 ans.

Dans la plupart des régions tropicales, il est difficile d'évaluer l'importance réelle du phénomène à travers les rapports officiels. Selon le Service d'information sanitaire et épidémiologique de la Commission du Pacifique Sud (CPS), il a été estimé que, dans le Pacifique, seulement 10 à 20 % des cas étaient déclarés officiellement, bien que l'ichtyosarcotoxisme fasse partie des maladies à déclaration obligatoire définie par la CPS. C'est pourquoi la comparaison des taux d'incidence entre États de la région n'a pas beaucoup de sens: certains d'entre eux ne déclarant aucun cas, alors que la cîguatera y est endémique de façon notoire, tandis que d'autres ne déclarent que les cas graves, et que d'autres encore rangent les cas de ciguatera parmi les intoxications alimentaires banales. Il n'existe aucun test biochimique permettant d'affirmer une intoxication ciguatérique. Le diagnostic s'établît uniquement sur des symptômes"cliniques consécutifs à la consommation de poissons réputés toxiques en puissance. Il faut donc un personnel médical et paramédical averti.

En Polynésie française, le recensement systématique des cas d'intoxication par poissons en général, et en particulier ceux à ranger dans la rubrique ciguatera (de loin les plus nombreux), n'a vraiment débuté qu'en 1967, au moment de la création de l'Unité d'Océanographie Médicale à l'Institut Malardé. Cependant, nous disposons de données de l'anamnèse pour la période 1960-1966, mais fragmentaires et péchant sans doute par défaut. Grâce au système de surveillance par fiches normalisées mis progressivement en place à partir de 1967, en collaboration avec l'ensemble des formations sanitaires et postes de secours du Service de Santé Publique, la déclaration des intoxications par le poisson, avec mention du nom du poisson toxique et de son lieu de capture, est effective. La plupart des cas, même les plus bénins, y compris ceux survenant dans des îles éloignées, sont recensés depuis plus de 20 ans. En effet, divers sondages ont montré que le nombre de malades échappant à l'enregistrement n'excédait pas 10 % des cas. La prise en compte des cas officiellement connus permet de suivre à peu près l'évolution du phénomène dans le temps, selon les archipels.

Au cours des 30 dernières années, le taux d'incidence officiel pour 1 000 habitants (TIO) global a énormément varié. De 1960 (point de départ de notre étude) à 1972-1973 (période de morbidité maximale), il a décuplé, passant de 1,2 à 12. Il a chuté de moitié dans les 10 années suivantes pour descendre aux environs de 6 en 1982, niveau auquel il se maintient depuis. Une telle incidence représente environ 1 000 cas par an. Mais la morbidité est très inégalement distribuée selon les îles. Ainsi, dans les îles de la Société, la morbidité a été relativement stable depuis 1964 (TIO oscillant entre 5 et 7) sans fluctuation significative. Seule l'île de Bora Bora a été soumise à une flambée de 1964 à 1970. À Tahiti, où le TIO moyen a été d'environ 4 à 5, des pics à 8-10 sont survenus en 1966, 1972, 1973 et 1981. Mais il faut savoir que, pour cette île, la plus peuplée de Polynésie française, bon nombre de poissons consommés proviennent d'autres îles, notamment des Tuamotu.

Dans les îles Tuamotu-Gambier, qui font partie de la même circonscription médicale et qui ont été particulièrement affectées de 1968 à 1976, le TIO a été 10 fois supérieur à celui de l'archipel de la Société. Il a oscillé entre 40 et 60 sans que ces valeurs traduisent bien la situation régionale d'ensemble. En effet, durant une dizaine d'années, l'incidence globale a été influencée par deux flambées sévères concernant uniquement les îles de Hao et de Mangareva. Dans cette dernière île, la seule peuplée de l'archipel des Gambier, de 1971 à 1980, le TIO n'est jamais descendu au­dessous de 300, après avoir même atteint une valeur record de 560 en 1975, ce qui représente, et de loin, la plus forte incidence jamais relevée au monde. Dans les Tuamotu, les atolls de Hikueru, Takaroa, Moruroa, Manihi, Reao, Mataiva, Fakarava, Anaa et Makemo, furent aussi le siège de flambées du phénomène. Un déclin d'ensemble s'est manifesté à partir de 1975 jusqu'en 1982-1983. Depuis 1986, le TIO se maintient entre 65 et 85 aux Gambier, il est stable, aux environs de 15, aux Tuamotu. Les îles Marquises représentent la subdivision administrative la plus touchée depuis 1963. Le TIO s'est maintenu de façon permanente au-dessus de 20, avec un pic supérieur à 80 en 1971. Comme pour les Tuamotu, le déclin amorcé en 1976 a marqué un arrêt en 1982-1983. L'archipel des Australes est le moins affecté, avec un TIO moyen inférieur à 3. Pendant sept années non consécutives, aucun cas ne fut rapporté. En 1984 cependant, pour la première fois depuis 1960, le TIO a atteint 3-4. Seule, de mémoire d'homme, l'île de Rapa paraît totalement indemne.

Les données les plus récentes, relatives à l'année 1988, montrent un TIO de 5,8 pour l'ensemble de la Polynésie française. La valeur par archipel est de 4,4 pour les îles de la Société (dont 4,8 pour les îles du Vent et 2,2 pour les îles Sous-le-Vent), 19,8 pour les Marquises, 15 pour les Tuamotu, 67,8 pour les Gambier et 1,5 pour les Australes. Ces diverses valeurs confirment la stabilité d'ensemble du phénomène au cours des sept dernières années, et témoignent, malgré leur incomplétude, de l'importance de l'affection en Santé Publique.

R. BAGNIS

ÉPIDÉMIOLOGIE DE QUELQUES MALADIES CHRONIQUES

LE RAA ET SES COMPLICATIONS CARDIAQUES Le Rhumatisme Articulaire Aigu, ou RAA, est une affection dont la physiopathologie reste incomplètement connue, et ceci malgré une morbidité mondiale très importante (plus de 20 millions de nouveaux cas chaque année), une mortalité majeure liée aux séquelles cardiaques et un coût élevé. Le diagnostic médical de cette maladie est d'autant plus délicat qu'à ce jour aucun signe n'est pathognomonique. Nous disposons cependant, en 1988, de l'accumulation des observations, des démonstrations, et des conclusions des illustres médecins qui ont permis de passer de la notion de "rhumatisme" (proposée par Guillaume de Baillou en 1642), à l'établissement d'une association de critères de diagnostic par Jones en 1944, et à la chirurgie cardiaque depuis plus de 35 années maintenant. Par ailleurs, c'est à Collis en Angleterre et à Coburn aux États-Unis, en 1931, que l'on doit l'établissement du rôle causal du streptocoque Béta hémolytique du groupe A dans le développement de la maladie. Enfin, les études épidémiologiques (RAMMECKAMPF - 1944), l'utilisation de pénicilline à effet prolongé dans la prévention secondaire (STOLLERMAN 1952) et la promotion de la prévention primaire par Markowitz et Mozziconacci ont permis de faire la preuve de leur efficacité. La diffusion des protocoles de prévention au sein des pays en développement ne parvient toutefois que difficilement à modifier l'incidence du RAA tant que les structures de soins de base ne sont pas également nombreuses et suffisamment réparties. Ainsi l'Inde, et à un moindre degré les pays du Maghreb, ne parviennent pas à réduire la morbidité de cette affection. Pour leur part, les pays occidentaux ont vu l'amélioration des conditions de vie quotidienne de leurs habitants précéder la régression du RAA, régression accentuée de façon spectaculaire depuis l'utilisation des antibiotiques, à partir de la seconde guerre mondiale. Cette évolution fut particulièrement bien montrée par une étude menée au Danemark en 1962. Actuellement, quelques rares cas apparaissent en France. Ils concernent des populations dites "défavorisées". La réapparition, au cours des années 1985-1986, de quelques cas aux États-Unis dans des milieux "non défavorisés" a remis à jour l'imprécision de ces termes, et a relancé par là-même, les recherches sur la physiopathologie.

En Polynésie française, le RAA et ses séquelles cardiaques sont des affections depuis longtemps reconnues. La longue carence médicale et la lenteur de la mise en place d'un système efficace de soins et de santé n'a pas permis leur prise en charge réelle avant le début des années 80. À compter de 1981, la création de structures centralisées (service de cardiologie) a permis de mettre en évidence des problèmes majeurs de santé publique et de révéler le nombre sans cesse croissant des patients devant subir une réparation chirurgicale de séquelles cardiaques du RAA. De 1983 date la création d'un centre du RAA à la Direction de la Santé publique. Ce centre est chargé de coordonner toutes les actions visant à établir le profil épidémiologique du RAA en Polynésie française et à diminuer la morbidité et la mortalité qui lui sont attachées.

En 1985, un premier bilan fut dressé qui laissait apparaître une incidence annuelle de 0,7 %0 et une prévalence des cardiopathies rhumatismales de 7 %0 (au 1er octobre 1985). Le nombre total de patients vivants ayant présenté un RAA, avec ou sans atteinte cardiaque, représentait alors 1 % de la population générale. La répartition géographique de ces sujets ne montra que de faibles variations d'un archipel à l'autre par rapport à la répartition de la population générale; ces variations apparentes furent expliquées par celles des structures et du personnel de soins et orientèrent l'action sanitaire. Une campagne d'information générale, une large diffusion auprès des soignants, de protocoles de diagnostic et de soins, ainsi que de prévention primaire, secondaire et Tertiaire, et enfin, un fichier central alimenté par l'ensemble des structures sanitaires du Territoire furent mis en place en 1985.

Une réévaluation de l'endémie fut effectuée en 1988 par Roullet et Vigneron en vue de la préparation de cet atlas. Elle a porté sur l'évolution de l'incidence annuelle, l'évolution des cardiopathies séquellaires en nombre et en qualité, l'évolution des évacuations sanitaires hors du Territoire, la qualité de la prévention secondaire suivant les protocoles proposés. Enfin une étude de la répartition géographique des patients a été conduite (cf. Planche 102) et a révélé plusieurs faits marquants:

- l'incidence annuelle a connu une augmentation importante au cours de l'année 1986, liée à une surestimation par un excès de diagnostics et à la concentration des patients en un même lieu géographique de diagnostic, conséquence normale des actions sanitaires entreprises. En 1987 et 1988, malgré un renforcement de la campagne d'information et de sensibilisation, l'incidence annuelle a chuté de 50 % par an.

- en 1986, 132 nouveaux patients porteurs d'une valvulopathie séquellaire non connue auparavant ont été enregistrés, 140 en 1987, et 89 au cours des 9 premiers mois de 1988. La prévalence de cardiopathie séquellaire du RAA est actuellement de 1 273 malades. Sauf pour 52 d'entre eux, seulement signalés dans le fichier central, le type de valvulopathie est connu.

Avec 866 patients, soit 71 % de l'ensemble, les atteintes de la valve mitrale dominent largement. Parmi ces patients, 549 présentent une insuffisance mitrale peu évoluée, sans retentissement sur leur vie quotidienne. Pour leur part, les atteintes de la valve aortique isolée représentent 16 % et les atteintes bi ou tri­valvulaires, 13 %. Il convient de noter que le rétrécissement mitral pur ou associé aux autres atteintes valvulaires est présent chez 266 patients, soit 13,5 % des cas. Ces résultats sont en accord avec ceux d'une étude multicentrique organisée par !'OMS, en 1976, d'où il ressortait que la valve mitrale est de loin la plus touchée par le processus rhumatismal et que le diagnostic d'insuffisance mitrale semble surestimé.

Globalement, l'évolution du nombre de valvulopathies post-RAA nouvellement découvertes chaque année laisse apparaître une diminution progressive et une

réduction notable de la gravité de ces atteintes cardiaques. Par ailleurs, l'évolution du nombre d'évacuations sanitaires hors du Territoire, et notamment de celles qui ont pour objet le diagnostic ou le traitement des maladies cardiaques, est un bon reflet de la situation sanitaire. Elle se caractérise par une réduction importante du nombre de patients devant subir une première intervention de chirurgie cardiaque pour valvulopathie post-RAA, mais aussi, par une augmentation importante du nombre de patients ayant à subir une réintervention après cure chirurgicale d'une valvulopathie post-RAA. Enfin et surtout, les évacuations sanitaires témoignent d'une augmentation rapide et significative d'un autre type de pathologie cardiaque: les coronaropathies (leur proportion par rapport à l'ensemble de la pathologie cardiaque passant de 5 à 25 % en cinq années). Ce passage d'une pathologie cardiaque d'origine infectieuse à une pathologie liée au vieillissement est incontestablement un signe supplémentaire de la transition épidémiologique évoquée plus haut.

Dans le domaine de l'action sanitaire, une étude réalisée en 1987 concernant la qualité de la prévention secondaire du RAA a montré qu'en Polynésie française elle ne variait pas de façon significative suivant que les injections de pénicilline retard sont effectuées tous les mois ou toutes les trois semaines. D'autre part, la même étude a clairement souligné que l'évolution du taux de rechute dépendait essentiellement de la qualité de la surveillance et du suivi systématique des patients. Ceci confirme la nécessité d'une structure de coordination, établie par l'OMS depuis plusieurs années.

La cartographie de la prévalence des valvulopathies post-RAA montre une concentration particulière des patients dans la partie orientale de l'île, la plus arrosée. La répartition des patients ayant présenté un RAA, avec ou sans atteinte cardiaque, se fait d'une façon comparable. C'est une piste nouvelle et la recherche d'une virulence accentuée des germes présents sur cette partie de l'île, ou d'un sérotype particulier, permettra peut-être d'optimiser les méthodes de prévention.

J.C. ROULLET

LES CANCERS Les données disponibles sur l'épidémiologie des cancers en Polynésie française sont limitées. En 1981, a été établi, sous l'impulsion de la CPS, un registre des cancers destiné à enregistrer tous les nouveaux cas de cancer survenant sur le Territoire. La collecte des données est essentiellement basée sur la déclaration par les médecins praticiens des cas dont ils ont la charge. En 1988, une mission d'évaluation du registre, menée sous l'égide de la CPS, a montré que le taux de déclaration ne s'était pratiquement pas amélioré depuis 1985 où il avait été estimé à 50 %. Il est donc possible et souhaitable que la Polynésie française dispose de meilleures statistiques sur le cancer dans un avenir proche.

La cartographie des pathologies cancéreuses présentée ici résulte d'un premier dépouillement du registre pour la période 1983-1987. Ces données doivent être considérées comme préliminaires, puisqu'elles sont, comme on l'a vu, très incomplètes. Les conclusions qui peuvent en être tirées sont donc limitées et sujettes aux réserves de rigueur. À cause de la sous-déclaration importante des cas, il n'a pas été possible, jusqu'à présent, de calculer des taux d'incidence standardisés pour la Polynésie française. N'ont pu être effectués ici que des comparaisons de proportions, ainsi que des rapports d'incidence brute pour les communes de Tahiti et les archipels périphériques. Ces derniers reflètent probablement plus l'efficacité de la couverture médicale que des différences réelles. Comme il n'a pas été possible d'étudier les différentes ethnies séparément, les commentaires ci-dessous se rapportent principalement aux Polynésiens, puisqu'ils représentent plus des deux tiers de la population de la Polynésie française.

La classification des cancers par leur fréquence relative révèle la place très importante tenue en Polynésie française par le cancer broncho-pulmonaire chez l'homme, mais aussi chez la femme, ainsi que par les tumeurs du col utérin et du sein chez la femme. Henderson et ses collaborateurs ont déjà montré, en utilisant les données recueillies par le registre jusqu'en 1983, que ces cancers y étaient proportionnellement plus fréquents que dans une population occidentale type (blancs de Los Angeles). D'après les données présentées ici, ceci est vrai aussi, probablement, des tumeurs du tube digestif supérieur, du foie, de la prostate, et de la thyroïde. Des observations similaires ont été faites chez les Polynésiens d'Hawaï et de Nouvelle-Zélande, aux îles Cook, aux Samoa américaines et occidentales, et aux îles Tonga. En ce qui concerne le cancer, il semble donc exister un profil de risque particulier qui serait commun à toutes les populations polynésiennes.

Certaines explications ont été avancées pour ces risques élevés. La fréquence des cancers broncho-pulmonaires chez les Polynésiens reflète directement leurs habitudes tabagiques. Ceci est particulièrement vrai en Polynésie française où la consommation de tabac par personne de plus de 15 ans (estimée à partir des importations de tabac) a été une des plus élevée du monde. Bien qu'une baisse de la consommation de tabac ait eu lieu depuis la fin des années 70, résultant des campagnes antitabac, ces efforts doivent être poursuivis puisque, comme en France, la consommation reste très élevée et puisque les Polynésiens semblent être particulièrement sensibles à l'effet carcinogène du tabac. Faute de données géographiques sur cette consommation, la répartition géographique des cancers respiratoires suggère que ces campagnes devraient être intensifiées dans les archipels périphériques (en particulier aux îles Tuamotu, Gambier et Sous-le-Vent), ainsi que dans les communes rurales de Tahiti.

La fréquence élevée du cancer de l'estomac chez les Polynésiens a été attribuée à leur goût immodéré pour le sel et les aliments riches en nitrates. Celles des tumeurs de l'œsophage, de la cavité buccale et du pharynx reflètent principalement une consommation élevée d'alcool. Pour ces cancers, le risque semble être particulièrement élevé en Polynésie française où, comme en Nouvelle-Calédonie, l'influence française se traduit par une consommation alcoolique encore plus importante que dans le reste du Pacifique. Le risque élevé de cancer du sein pour les Polynésiennes est probablement dû à leur propension à l'obésité et à leur consommation élevée en matières grasses et en calories.

Planches 101-102

Page 7: La pathologie humaine : planches 101-102

Atlas de la Polynésie française

1965-1 969

LA CIGUATERA

1970-1974

Taux de déclaration moyen annuel par période quinquennale (pour 1 000 hab.)

Aa-Anaa

o :.25

. 25

50

. 100

.. 500

Ft-Fangataufa Ap-Apataki Ha-Hao Ar-Arutua Hh-Huahine At-Aratika Hi-Hikueru Fg-Fangatau HO-HivaOa Fk-Fakarava Kk-Kaukura

Nombre de cas déclarés

- 237

-120

Aménagements

~U NH 1975-1979 ~

[];i]Ru Tb!""!2:]

DEl

Mg-Mangareva Mu-Moruroa Mh-Manihi Mv-Mataiva Mk-Makemo Na-Napuka Mo-Moorea NH-Nuku Hiva Mp-Maupiti Nk-Nukutavake MS-Marutea Sud Pk-Pukarua

PP-Puka Puka Tb-Tubuai Re-Reao Ti-Tikehau Rg-Rangiroa Tk-Takume

Tp-Takapoto Rt-Raiatea Tt-Tatakoto Ru-Rurutu UH-Ua Huka Ta-Tahaa UP-Ua Pou

perturbateurs du milieu 1(1<>

corallien au cours de la période

Source : Section de Lutte Anti-Ciguatérique, Institut Malardé, Papeete

LE RHU MATISM E ARTICULAIRE AIGU (RAA)

à Aérodrome

,. Installation portuaire • Ferme nacrière

et/ou perlière

Cl Station de collectage des nacres

15()>0

PRËVALENCE DU RAA SANS CARDIOPATHIES ASSOCIÉES

Taux de prévalence observée en 1 988 (pour 1 000 hab.)

D o 2

1

_J

Source : Section de Prophylaxie et d"Éradication du RAA, Direction de la Santé Publique, Papeete

UNITË DE CARTOGRAPHIE DE L'ORSTOM ® ORSTOM 1993

140'

côte « sous le vent »

Taux de prévalence observée en 1 988 (pour 1 000 hab.)

o : 8

. 12

. 16

20 Nombre de cas vivants enregistrés à la section de prophylaxie en 1988

LA PATHOLOGIE CHRONIQUE ET DÉGÉNÉRATIVE

CANCERS ET FACTEURS DE RISQUE

HOMMES FEMMES

poumons Col utérin

Sein Peau (tous types)

Système hématopoïétique Lèvres, cavité buccale, pharynx

Foie Ovaires

Prostate Larynx

Estomac Œsophage

Corps utérin Colon, rectum

Vessie Ganglions lymphatiques

Rein Pancréas Thyroïde

Testicules

25 20 15 10 5 0 5 10 15 20 % dutotaldes cancers/sexe

Nouveaux cas de cancers déclarés au Registre du Cancer de Polynésie française par sexe. de 1983 à 1987 (en proportion et incidence, données non révisées)

Évolution de la consommation d'alcool et de tabac

ALCOOL 10 en litre d" alcool pur

par an et par hab. > 15 ans

5

TABAC en kg par an et

2 par hab. > 15 ans

1960 1970 1980 1986

Source : Service des Douanes de Polynésie française

PRËVALENCE DU RAA AVEC VALVULOPATHIES ASSOCIËES

côte« au vent»

1 '

1

'

- _J

0

QD

LA MORBIDITÉ PAR CANCERS

RËPARTITION DES CANCERS (CIM 9: 140-199)

Nombre de nouveaux cas déclarés au cours de la période 1983-1987 selon le domicile du sujet

203~ 50

20 10

Ratio d'incidence Brut (Crude Incidence Ratio - CIR)

0 %

75

125 et+

1

'

- _J

Le CIR mesure l'importance de la pathologie cancéreuse d'une unité géographique par rapport à sa fréquence dans une population de référence qui est ici celle du Territoire. Pour chaque unité géographique il est égal à :

Taux d'incidence cancéreuse dans la pop. de l'unité géographique x 100 Taux d'incidence cancéreuse dans la pop. de référence

8

El 0

RÉPARTITION DES CANCERS DE LA TRACHËE,DES BRONCHES ET DU POUMON (CIM 9 : 162)

FAAA

0 10km

Nombre de nouveaux cas déclarés au cours de la période 1 983-1987 selon le domicile du sujet

=:: -5

-1

lies du Vent

ILES AUSTRALES

CIM Classification Internationale des Maladies

Ratio Brut d'incidence Proportionnelle (Crude Proportional Incidence Ratio - CPI R)

0 0% 50

75

125

..

175 et+

1 Tautirq

Le CPIR mesure l'importance d'un type de cancer par rapport à la totalité des cancers dans une population de référence qui est ici celle du Territoire. Pour chaque unité géographique il est égal à :

% de cancers du site considéré dans la pop. de-l'unité géographique x

100 % de cancers du même site dans la pop. de référence

ILES MARQUISES

E.J . .

0 300km

c___S_o_u_rc_e_:_R_:_eg,,_i::..:str::..:e::..:d::..:u::...C.:.:a::.nc:.::e::.:r_:d:.::e_:_P..:o:.!.ly.:.:n.:.:és::.ie::...fra=n"-ça::.:ise::.:::...("'pé-'-r-'iode::..:_:__1_:_9_:_83:....::cà_:_1.::_98:.c7c:.•_:_do::..:n.c.n_:_ées::..:::...n_o::...n_rév.c._isées--'-'-"-)'-, D_irect_io_n_de-"'la_:S:_:_a_nt_:_é_P_:.u_b_liq.:_u_e::...' P_a_,_peet _ _ e __ , 02 Planche établie par E. VIGNERON - ORSTOM d'après les données communiquées par R. BAGNIS (ITRMLM), R. GARDINES, F. LAUDON et J.C. ROULLET (Dir. de la Santé Publique)

Page 8: La pathologie humaine : planches 101-102

Des études en Afrique et en Asie ont clairement montré que le virus de l'hépatite B est la cause principale de l'hépatome malin. Des études sérologiques ont confirmé la correspondance des répartitions géographiques de l'hépatome malin et de l'hépatite B dans le Pacifique, y compris en Polynésie française (cf. ci-dessus). Les campagnes de vaccination contre l'hépatite 8 envisagées par le Territoire devront donc permettre de contrôler ce cancer. La fréquence élevée du cancer thyroïdien observée dans la plupart des populations insulaires du Pacifique (les exceptions étant les populations de la Papouasie Nouvelle-Guinée, des Fidji, et les Chamorros de l'île de Guam) semble en rapport avec des facteurs liés au mode de vie. Pour compléter ce profil de morbidité, il est à noter que le cancer du colon est rare chez les Polynésiens. En Polynésie française, ceci pourrait être lié à une consommation élevée de taros, ignames et patates douces qui exerceraient une action protectrice par leur contenu élevé en fibres et en amidon résistant. Enfin, il faut souligner que les cancers de la peau sont fréquents en Polynésie française. Ces tumeurs, selon les données du registre, sont presque intégralement limitées à la population européenne avec une forte concentration dans les communes urbaines de Tahiti, où les Européens sont nombreux.

En conclusion, bien que les données disponibles ne permettent pas encore de dresser un bilan valable de la morbidité par cancers en Polynésie française, il est déjà évident que celle-ci est importante et qu'elle ressemble à celle observée dans d'autres populations polynésiennes, où l'on observe à la fois le profil de morbidité des pays développés (incidence élevée pour les cancers respiratoires et mammaires) et celui des pays en voie de développement (incidence élevée pour les cancers du col utérin et du foie). Toutefois, cette morbidité est contrôlable par modification du mode de vie (tabac, alcool et nutrition), par la vaccination (hépatome malin), ou par le dépistage (cancer du col utérin). Enfin, on doit aussi relever qu'il est difficile d'évaluer le rôle des facteurs professionnels ou d'environnement à partir d'un registre du cancer, même de haute qualité, car ces cancers sont le plus souvent caractérisés par des risques généralement bas, ou par des risques élevés limités à de petites populations.

l. LEMARCHAND

LES MALADIES MÉTABOLIQUES Peu d'études ont été consacrées aux maladies métaboliques en Polynésie française, en dépit de leur importance et de leur grande fréquence. Cependant, nous ferons référence aux travaux de Delebecque et à une étude réalisée en Centre Hospitalier Territorial en 1985, portant sur 50 patients obèses. Si ces études sont ponctuelles et ne peuvent être extrapolées au Territoire tout entier, elles n'en constituent pas moins un premier jalon, le seul pour l'instant, dans la connaissance de ces pathologies majeures en Polynésie française. Delebecque a étudié le comportement alimentaire des habitants du Territoire, et a constaté que la population disposait d'une ration énergétique dépassant de plus de 66 % la ration théorique: en moyenne 3 747 calories absorbées, alors qu'il serait souhaitable de ne pas dépasser 2 250 calories.

La part des protéines animales est deux fois plus importante qu'elle le devrait. Cet excès est aussi constaté pour les graisses animales, les acides gras saturés et le cholestérol. L'apport des glucides dépasse également nettement les besoins, en particulier pour les sucres à absorption rapide (boissons sucrées, et surtout, glaces). Le sel est consommé en trop grande quantité aussi. Quant aux boissons alcoolisées (et en particulier la bière), elles représentent plus de 9 % de l'apport énergétique, ce qui est évidemment trop, d'où:

a. Surcharge pondérale et obésité Pour évaluer la surcharge pondérale et l'obésité, il existe plusieurs méthodes dont la formule de LORENTZ (P T 100 ((T - 150)/a); a= 4 chez l'homme et 2,5 chez la femme) ou l'indice de QUETELET (Body Mass Index: BMl) BMI = P/T2 (poids en kilogrammes rapporté à la taille exprimée en mètre et portée au carré). Cet indice, normalement égal à 23 chez l'homme et 21 chez la femme, est habituellement un critère retenu de l'obésité lorsqu'il est supérieur à 27 chez l'homme et à 25 chez la femme. Dans l'étude réalisée chez les salariés de Tahiti, Delebecque note que, chez les hommes, l'excès pondéral avant 30 ans concerne déjà plus de 52 % des individus. Il va en augmentant avec l'âge, puisque, après 40 ans, 70 % des salariés ont un poids supérieur à la normale. Un adulte masculin sur trois est obèse dans toutes les tranches d'âge étudiées. Dans une moindre mesure, ces constatations sont notées chez les femmes salariées puisque, entre 40 et 60 ans, une femme sur quatre peut être considérée comme obèse.

Dans l'étude réalisée au Centre Hospitalier Territorial en 1985, 15 des 25 hommes en surcharge pondérale hospitalisés ont un poids supérieur à 50 % du poids théorique idéal, et 6 des 24 femmes ont également un excès pondéral de plus de 50 %. Cette obésité est la conséquence d'une polyphagie, qui est une tradition locale, et d'une mauvaise répartition de la ration calorique.

Les chiffres rapportés dans ces deux enquêtes ne doivent cependant pas être extrapolés à la population dans son ensemble, mais il faut constater que l'excès pondéral est assez souvent rencontré, même admis dans les mœurs et dans la société, et qu'il faudra de nombreuses années d'éducation sanitaire avant d'inverser le courant.

b. Diabète sucré Le diabète sucré est bien plus fréquent chez l'obèse et d'autant plus que celui­ci présentera une obésité de type androïde, aura des antécédents familiaux diabétique et sera à l'âge adulte. Il s'agit, le plus souvent, d'un diabète gras, non insulino-dépendant, de type Il. Chez les salariés masculins étudiés par Delebecque, 1,8 % sont diabétiques et près de 90 % d'entre eux sont en surcharge pondérale. Chez les femmes, 1 % sont diabétiques et près de 70 % d'entre elles présentent un surpoids. Tous âges et sexes confondus, il existe globalement une progression significative du diabète avec l'âge : le diabète concerne environ 5 % des salariés (hommes et femmes) de plus de 40 ans. Dans l'étude citée, parmi les 50 patients hospitalisés pour surcharge pondérale, 13 présentent un diabète.

Les complications dégénératives du diabète sont très couramment rencontrées, en particulier les artériopathies oblitérantes des membres inférieurs qui se terminent malheureusement le plus souvent par l'amputation, en raison du retard pris au diagnostic. Les coronaropathies ischémiques sont également de plus en plus fréquemment notées, ainsi que les complications de la rétinopathie diabétique. Les infections chez les diabétiques, compte tenu du climat chaud et humide, sont redoutables (infections cutanées telles que cellulites et fasciites nécrosantes, et infections viscérales, pulmonaires en particulier). Elles sont, elles aussi, vues à un stade tardif et, malgré une antibiothérapie adaptée, mettent parfois longtemps à guérir.

c. Goutte La goutte, très anciennement connue en Polynésie française, est fréquente et de pratique médicale quotidienne. Classiquement, elle ne se manifeste que chez l'homme et très rarement chez la femme, essentiellement après la ménopause. Chez les salariés de Tahiti, la goutte est de plus en plus fréquente avec l'âge, aussi bien chez les individus en excès pondéral que chez les autres. La prévalence passe de 0,8 % chez les plus jeunes à 13,6 % après 50 ans. La goutte augmente également en fonction de l'excès pondéral puisque, après 50 ans, 20,3 % des obèses sont goutteux. Chez les obèses hospitalisés, 50 % des patients tous sexes confondus présentent une hyperuricémie supérieure à 70 mg/litre, et la moitié d'entre eux ont des manifestations goutteuses.

d. Dyslipidémies Les dyslipidémies ("cholestérol" et hypertriglycéridémie) ont été jusqu'à présent très peu étudiées en Polynésie française. Les 50 patients hospitalisés étudiés, porteurs d'une surcharge pondérale, ne présentent des perturbations des triglycérides que dans 13 cas. À l'inverse de la goutte, chez l'homme, il est constaté des chiffres bas pour le cholestérol total. Ce faible taux de cholestérol sanguin observé chez les obèses de sexe masculin est surprenant, mais a déjà été rencontré ailleurs (population non obèse d'Afrique Noire ou Esquimaux, par exemple).

La constatation, chez les obèses, avec une particulière fréquence, de l'association diabète gras, hypertriglycéridémie endogène, et hyperuricémie a conduit au concept de trisyndrome métabolique. À l'origine de ce syndrome, on trouve la consommation excessive d'alcool très largement répandue en Polynésie française, essentiellement sous forme de bière.

La surcharge pondérale, structurellement enracinée dans la mentalité polynésienne, est entretenue et aggravée par le changement du comportement alimentaire de la majorité des Polynésiens. L'obésité au même titre que le diabète, l'hypertension artérielle et l'hypercholestérolémie sont des facteurs de risque cardio-vasculaire. Ainsi, la pathologie ischémique coronarienne est en pleine augmentation et demeure la complication habituelle des maladies métaboliques.

V. GENDRON et J.A. BRONSTEIN

CONCLUSION En 1990, la Polynésie française présente donc une situation sanitaire de plus en plus comparable à celle des pays industrialisés et unique dans le Pacifique Sud. Elle se caractérise par un haut niveau de soins et une transition épidémiologique très rapide et récente qui, en vingt ans, a fait passer le Territoire d'un profil sanitaire de pays en voie de développement à un profil sanitaire de plus en plus de type "pays riche". Cependant, la situation démographique, caractérisée par une population jeune au fort taux d'accroissement naturel, et l'évolution incertaine d'une économie soutenue par la métropole peuvent, à terme, rendre hypothétique la réalisation complète de cette transition épidémiologique et créer les conditions d'une remise en cause du système de soins.

Orientation bibliographique

La bibliographie médicale est très abondante. Au cours des vingt dernières années, on compte près d'une cinquantaine de thèses de médecine sur des sujets "locaux" et plusieurs centaines d'articles. Les quelques titres qui suivent ont été sélectionnés pour l'importance de la bibliographie qu'ils contiennent et leur caractère de synthèse.

BAGNIS (R.) et al. -1985- Epidemiology of ciguatera in French Polynesia from 1960 to 1984. 5th lntern. Coral Reef Congress, Tahiti, 4: 475-482.

CARTEL (J.L.), BOUTIN (J.P.), PLICHART (R.), Roux (J.) et GROSSET (J.H.) -1988- La lèpre dans les archipels de Polynésie Française de 1967 à 1987. Bull. Soc. Pathologie Exotique, 81.

DELEBECQUE (K.H.) et (P.) -1987- L'excès pondéral chez les salariés à Tahiti. Papeete, Rapport n° 375 du Service d'Hygiène, 54 p. multigr.

HANDERSON (B.), KOLONEL (l.), DWORSKY (R.), DERFORD (0.), MORIE SINGHK et THEVENOT (H.) -1986- Cancer Incidence in the islands of the Pacifie. National Cancer lnstitute Monographies, 69: 73-81.

LEPROUX (Ph.) et CHANSIN (R.) -1988- Données épidémiologiques 1987 concernant la tuberculose en Polynésie Française. Papeete, Rapport Institut Malardé, 28 p.

PEROLAT (P.), GUIDI (C.), RIVIÈRE (F.) et ROUX (J.) -1985- La filariose de Bancroft en Polynésie Française. Situation épidémiologique après 35 ans de lutte. Papeete, Rapport Institut Malardé, 15 p.

ROULLET (J.-C.) -1986- Statégie de lutte contre le RAA en Polynésie Française XVe congrés de l'Institut Pasteur d'Outre Mer et Instituts Associés. Paris, 17 p. multigr.

VIGNERON (E.), BOUTIN (J.P.), CARTEL (J.L.), et al. -1989- Aspects de la santé en Polynésie française: essai d'approche chrono-spatiale. in: actes du Congrès "Géographie et socio-économie de la santé", CREDES-UGI, Il, Paris: 1989, 71-80.

VIGNERON (E.) -1989- Examples of diseases mapping illustrative of epidemiological transition in French Polynesia. Social Sciences and Medicine, 29, (8): 913-922.

Planches 101-102

Page 9: La pathologie humaine : planches 101-102

D DELA

#

POLYNESIE FRANÇAISE

ÉDITIONS DE L'ORSTOM Institut français de recherche scientifique pour le développement en coopération

Cet ouvrage a bénéficié du soutien du ministère des Départements et Territoires d'Outre-Mer et du Gouvernement de la Polynésie française

Paris 1993

~ Éditions

Page 10: La pathologie humaine : planches 101-102

ORSTOM 1993 ISBN 2-7099-1147-7

Editions de l'ORSTOM 213 rue La Fayette

75480 Paris cedex 10

Nous adressons nos remerciements à l'Institut Géographique National et au Service Hydrographique et Océanographique de la Marine pour leur collaboration et leur aide précieuses.