la nouvelle babylone

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La nouvelle Babylone révélée dans les cathédrales SCHOENEL 2012 LETTRE A L’EPOUSE l Etudes bibliques http://www.lettrealepouse.fr/ Psaumes 119 : 105 « Ta parole est une lampe à mes pieds, et une lumière sur mon sentier ».

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Page 1: La Nouvelle Babylone

La nouvelle Babylone

révélée dans les cathédrales

SCHOENEL 2012

LETTRE A L’EPOUSE l Etudes bibliques

http://www.lettrealepouse.fr/

Psaumes 119 : 105

« Ta parole est une lampe à mes

pieds, et une lumière sur mon

sentier ».

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Préambule :

Pourquoi ce livre ? La religion a considérablement évolué quand elle fut confrontée à des inventions majeures comme l’écriture ou plus tard l’imprimerie. La première nous a donné la Bible, l’ouvrage de référence quant à la Parole de Dieu dans le monde judéo-chrétien. La seconde a permis sa diffusion en masse dans un langage vernaculaire et a eu pour conséquence de nombreux mouvements de réformes ou d’éveils qui se sont progressivement réappropriés la Bible. Aujourd’hui nous vivons une troisième révolution majeure dans l’évolution de l’écriture, c’est l’entrée dans l’ère du numérique. Outre la dématérialisation du livre qui devient transférable sur de nombreux supports via internet, c’est un accès à l’ensemble des connaissances humaines qui devient possible grâce aux moteurs de recherches. Désormais, vous pouvez facilement lire un livre sur une tablette, vérifier un mot et lancer une recherche pour approfondir un sujet. De la tablette d’argile sumérienne à la tablette numérique moderne, le principe de lecture de base reste identique, mais la profondeur du contenu prend une dimension nouvelle. C’est afin de pouvoir exploiter au mieux cette nouvelle technologie que j’ai écrit ce livre numérique. Pour la nouvelle génération qui se lève, le livre numérique n’est pas seulement une innovation technologique, mais il ouvre les portes de l’universalité. Diffuser gratuitement et de manière ouverte sur la toile, c’est permettre une diffusion rapide et sans frein de la connaissance dans son sens large. C’est également passer les barrières culturelles et idéologiques qui peuvent agir comme des freins, afin de laisser le libre arbitre à tout à chacun pour se déterminer selon sa propre conscience. Cet ouvrage réactualise, à l’aune des connaissances actuelles, le principe biblique développé dans l’Apocalypse sous le nom de Babylone et de la grande prostituée. Alexander Hislop (né en 1807, mort en 1862), pasteur protestant anticatholique, avait réalisé un travail sur l'origine des mythologies. Son ouvrage le plus polémique, écrit en 1853 est Les deux Babylone. Il y traite notamment de l'origine du dogme de la Trinité, et de l'origine du culte de la Vierge. Dans le livre de Hislop l’Eglise catholique est dévoilée comme l’héritière des antiques cultes babyloniens, qui renvoient au culte de la mère et de l’enfant représenté par Nemrod et Sémiramis. Quand j’ai lu ce livre pour la première fois, internet n’existait pas et le développement historique de son travail paraissait tout à fait plausible et de fait, il fut repris et largement diffusé dans le monde protestant. Cependant, la connaissance a augmenté et la chronologie des évènements ramenant le culte babylonien de la mère et de l’enfant à Nemrod et Sémiramis ne tient plus aujourd’hui. Le principe d’une Reine du ciel attaché à un fils représenté par un roi terrestre ne s’est pas bâti sur une légende humaine tardive, comme la reine Sémiramis née d’un mythe assyrien. Il faut revenir beaucoup plus loin en arrière dans le temps, là où les cultes mésopotamiens se sont développés du temps de Sumer. Le culte de la mère et de l’enfant s’est développé sur une échelle de temps très longue et a traversé les civilisations bien avant que le mythe de Sémiramis ne se développa. On peut même dire qu’il n’a pratiquement rien à voir avec ce culte. Parti des Sumériens pour trouver sa maturité dans le royaume de Babylone, il en est devenu le principe biblique. C’est ce principe que l’on retrouve dans le livre de l’Apocalypse. Le culte de la Reine du Ciel introduit dans l’Eglise chrétienne ne pouvait que correspondre à l’image d’une Eglise corrompue qui s’est détachée de sa foi primordiale pour en embrasser une nouvelle, idolâtre dans sa nature. Cette Eglise ne peut être que la grande prostituée décrite dans l’Apocalypse.

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Effectivement, comme l’affirmait Alexander Hislop, l’Eglise catholique est la grande prostituée qui développe une nouvelle Babylone, mais une sérieuse réactualisation historique s’impose aujourd’hui, afin de remettre dans leur contexte, selon les connaissances actuelles, cette vérité biblique. C’est pour cela qu’il convient de confronter deux livres, celui en pierre écrit dans les murs des cathédrales, qui développe les dogmes catholiques et celui que j’écris aujourd’hui pour en traduire le sens. C’est une manière de reconnaître le présent en étudiant notre passé. Ce livre est la synthèse de ce que l’on trouve librement sur la toile et qui est éparpillé un peu partout comme un puzzle dispersé. Mon travail a été de reconstituer une image la plus claire possible de la Babylone de notre temps. Il appartient cependant à chacun d’en vérifier l’exactitude et d’en approfondir le contenu. Car bien qu’en résumant les choses au maximum, le contenu est devenu fort volumineux et cependant peut encore être largement développé. Je ne fais qu’apporter l’ébauche d’un ouvrage qui reste ouvert et que j’espère, d’autres sauront également compléter.

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Table des Matières

Introduction p. 7

I - Les fondements du catholicisme p. 10

A) Le rôle de l’évêque p. 10

B) Naissance des cathédrales p. 10

a) Siège, cathèdre et cathédrale p. 10

b) La mère de toutes les églises p. 11

c) Le pape : évêque de Rome p. 12

C) Rome p. 14

a) Le siège apostolique p. 14

b) Le sens biblique du mot « église » p. 14

D) La porte du dieu p. 15

II – La montée en puissance du catholicisme p. 17

A) L’expansion du pape p. 17

B) Opportunisme de l’épiscopat p. 17

C) Ascension du pouvoir, ascension de la violence p. 18

a) Persécutions juives p. 19

b) Croisades en terre sainte p. 20

c) Eradication des Cathares p. 20

d) L’inquisition p. 21

III – La paix de Dieu p. 23

A) Les désordres de l’an mil p. 23

B) L’apocalypse imminent p. 24

C) La “paix de Dieu” au service de l’Eglise p. 25

D) La “paix de Dieu” pour les autorités laïques p. 25

IV – La consolidation du royaume de paix p. 28

A) Coutumes antiques et cultes des morts p. 29

a) Le séjour des morts p. 28

b) Le culte des reliques p. 30

c) L’indulgence ou le purgatoire p. 31

B) Les étapes de la conquête du royaume p. 32

a) Des rois sous la tutelle de l’Eglise p. 32

b) Le Schisme p. 33

c) Institution du sacre p. 34

d) Le Saint-Empire Romain Germanique p. 34

V – La conquête des esprits p. 36

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A) Le contrôle de l’enseignement p. 36

a) Un enseignement pour qui ? p. 36

b) Quoi, comment p. 37

c) Thomas d’Aquin p. 38

d) De la théologie à l’astrologie p. 39

B) Le contrôle de l’art p. 40

a) L’art gothique p. 41

b) Marie dans l’art monumental p. 42

VI – Le catholicisme idolâtre p. 45

A) Vers d’autres dieux p. 45

B) La Vérité tronquée p. 48

VII - De l’idolâtrie à la mariolâtrie p. 50

A) L’arbre de Jessé p. 50

B) La généalogie de Marie p. 51

C) Elagage de la branche juive p. 53

D) Quand la vierge Marie épouse la forme d’Ecclesia p. 55

a) Le corps de l’Eglise p. 55

b) Ecclesia versus Synagoga p. 56

VIII – Poids des légendes au Moyen Âge p. 60

A) La légende de Saint Théophile p. 60

B) Des légendes gravées dans la pierre p. 61

IX – Les ordres mendiants p. 63

A) L’ordre des prêcheurs, les Dominicains p. 65

B) Sous la tutelle de Marie p. 67

a) La Légende Dorée p. 68

b) Le Lieber Marialis p. 69

c) Le rosaire p. 70

X – Notre Dame de Paris : la symbolique des Portails p. 75

A) Le Portail de la Vierge p. 75

a) Le Verbe divin p. 75

b) Les sibylles p. 78

c) La galerie des Rois p. 79

B) Le Portail du Jugement p. 79

C) Le Portail de Sainte-Anne p. 81

XI – Le Portail de la Vierge : les mystères dévoilés p. 83

A) De Babylone à la grande prostituée p. 84

a) Les origines de la dormition p. 84

b) Le principe babylonien de la déesse mère p. 86

c) L’éclosion de la civilisation p. 89

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B) Le trumeau central p. 92

a) le principe irénéen p. 92

b) La chute de l’Homme p. 94

C) Lilith p. 97

XII – Savoir déchiffrer le livre de pierres p. 100

A) La façade Est : la couverture p. 100

a) Le titre, l’auteur et la préface p. 101

b) La nouvelle incarnation du langage divin p. 103

c) La nouvelle porte des cieux p. 104

B) La porte d’entrée et se symboles zodiacaux p. 106

a) L’invention du zodiaque p. 107

b) Le signe du scorpion p. 111

c) le zodiaque : premier livre d’image p. 112

C) Une structure toute en image p. 115

a) Le véritable temple de Dieu p. 115

1) La fin du second temple p. 116

2) L’Empereur Constantin p. 118

3) Le syncrétisme des cultes sous Constantin p. 119

4) La réorganisation de l’Eglise dans le catholicisme p. 121

b) Le symbole dans l’orientation d’une église p. 124

1) D’où vient la basilique ? p. 124

2) La base architecturale d’une basilique p. 125

3) Du culte solaire au culte impérial p. 128

4) Confirmation du culte solaire par les papes p. 130

c) Le symbole dans la dimension spatiale p. 133

1) Un axe horizontal : l’église p. 134

2) Un axe vertical en 3 mondes p. 138

2.1) Les morts p. 138

2.2) Les vivants p. 141

2.3) Le ciel p. 143

3) Le vrai visage des 3 mondes p. 148

d) Le symbole dans la forme p. 149

1) La vraie nature de la croix p. 150

2) Construire l’âge des ténèbres p. 151

D) La lumière : manifestation de Dieu sur terre p. 153

a) Le vitrage, un luxe couteux et rare p. 153

b) Une réplique de la Jérusalem céleste p. 154

c) Le code des formes et des couleurs p. 155

E) La rosace, symbole de la perfection p. 158

a) Un message perceptible de loin p. 159

b) L’enseignement révélé par la lumière p. 160

c) Le zodiaque omniprésent p. 162

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La nouvelle Babylone révélée

dans les cathédrales

Introduction :

Ephésiens 4 : 11-13 « Et il a donné les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres

comme évangélistes, les autres comme pasteurs et docteurs, pour le perfectionnement des saints en vue de l'œuvre du ministère et de l'édification du corps de Christ, jusqu'à ce que nous soyons tous parvenus à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'homme fait, à la mesure de la stature parfaite de Christ,… ».

1 Corinthiens 12 : 28 « Et Dieu a établi dans l'Eglise premièrement des apôtres, secondement des

prophètes, troisièmement des docteurs ». Comme on peut le lire ici, à l’origine, les apôtres ont organisé l’Eglise du Christ de telle manière

que l’autorité fut attribuée à ceux qui avaient un ministère spirituel. A ceux-ci furent associés les diacres et évêques, dont la charge était exclusivement temporelle, afin de les décharger des tâches purement administratives de l’Eglise. Inverser la hiérarchie voulue par Dieu revient à donner aux administrateurs terrestres le rôle de conducteurs spirituels, alors que l’évangile ne le leur donne pas. Une assemblée organisée selon le modèle biblique est le réceptacle du Saint-Esprit et par sa nature, l’Epouse du Christ. Mais si les hiérarchies sont inversées sa nature change, de même que l’esprit qui anime la communauté.

Rapidement, dès les premiers siècles après Jésus-Christ, les chrétiens s’intégrèrent

progressivement au monde romain. L’un des signes de cette intégration fut que les chrétiens n’hésitèrent pas à recourir à l’empereur pour régler certains conflits doctrinaux internes. Ainsi vers 270, comme Paul de Samosate continuait à occuper l’église principale d’Antioche, le parti adverse fit appeler l’empereur Aurélien afin de l’en déloger (Eusèbe, HE VII, 30). De même, au début du règne de Constantin, les donatistes font appel à l’empereur contre l’évêque Cécilien de Carthage.

À partir de l'édit de Constantin Ier en 313, et plus particulièrement à partir du concile de

Nicomédie de 317, érigé en tribunal, destiné à imposer à Arius une première confession de foi sous peine d'excommunication, le dogme est défini comme norme de la « vraie foi » par réaction aux « déviances » des hérétiques. Plus tard, avec le Ier concile de Nicée (325), est désignée hérétique une doctrine divergente de l'enseignement officiel de l’Église et ses dogmes, tel que définie par son autorité (évêque, concile) sur la base de l'Écriture et de la Tradition. L'hérésie (quasi-synonyme d'hétérodoxie) est l'occasion de créer une nouvelle forme d'orthodoxie. Dans le contexte du développement des hétérodoxies des IIème et IIIème siècles, une hétérodoxie devient une hérésie à partir du moment où un concile la condamne, mais elle peut devenir l’orthodoxie d’une nouvelle église (églises d’orient : copte, orthodoxe byzantine, russe, etc.)

A cette même époque au IIème siècle ap. J-C, parallèlement au christianisme, le mithraïsme

s’implante solidement à Rome et en Italie, dans certains ports de la Méditerranée occidentale, mais surtout dans les colonies militaires, les villes de garnison, en Afrique, en Bretagne, en Gaule, sur les bords du Rhin et du Danube et à Doura-Europos. Un mithraeum fonctionnait à Memphis. À Rome, Mithra jouissait de l’appui officiel à partir de Commodes qui se faisaient initier pour complaire aux soldats, et les mithraïstes multipliaient les dédicaces « pour le salut » (pro salute) de l’empereur.

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Dans l’entourage des Sévères, Mithra eut ses fidèles toujours plus nombreux. Au IIIème siècle, il concurrence dans l’armée et l’administration un christianisme en plein essor. Il faillit devenir la religion officielle de l’Empire lorsque Aurélien voulut réunifier la conscience religieuse du monde romain autour d’un culte solaire, celui de Sol Invictus, puis quand les tétrarques Dioclétien, Galère et Licinius invoquèrent Mithra comme le Fautor (c’est-à-dire le garant) de leur pouvoir. D’où le mot de Renan : « Si le christianisme eût été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été mithriaste ».

Le culte de Mithra est un syncrétisme d’éléments iraniens, sémitiques et gréco-romains, que

principalement les soldats ramenèrent de leurs conquêtes moyen-orientales. Il célèbre le culte d’un dieu iranien, solaire et sauveur. Ses transplantations géographiques donnent lieu à des syncrétismes locaux : en Thrace, le culte du dieu cavalier fusionne avec celui de Mithra ; en Gaule et en Espagne, Mercure fait cause commune avec le dieu iranien. Le septième jour de la semaine - notre dimanche - était plus particulièrement sanctifié, tout comme le septième mois de l’année l’était déjà en Perse. On fêtait le 25 décembre comme l’anniversaire du Soleil et de Mithra. Comme les solstices, les équinoxes devaient être l’objet de célébrations solennelles. D’une façon générale en Occident, les mithraea furent orientés de sorte qu’à l’équinoxe de printemps, le soleil levant frappait directement l’image cultuelle de Mithra.

Le mithraïsme était une religion sans clergé et resta une religion de soldats assermentés.

L’initiation mithriaque était réservée aux hommes et offrait certains aspects typiques des sociétés secrètes à caractère militaire, par exemple le grade du soldat (miles) : d’où l’attirance que le mithraïsme exercait tant sur les légionnaires romains. Selon Saint Jérôme, il y avait sept degrés d’initiation correspondant chacun à un astre : le Corbeau (cryphius), protégé par Mercure ; l’Époux (nymphus), par Vénus ; le Soldat (miles), par Mars ; le Lion, par Jupiter ; le Perse, par la Lune ; le Courrier d’Hélios (heliodromus), par le Soleil ; le Père (pater sacrorum), par Saturne. Des masques et des insignes appropriés caractérisaient les dignitaires de ces fonctions. Les Corbeaux servaient à boire ; les Lions brûlaient l’encens et purifiaient les mystes par le feu. Les Soldats étaient consacrés par une sorte de baptême et sans doute marqués au fer rouge. Pour passer d’un degré au suivant, ils devaient se soumettre à certaines épreuves. Sur chaque communauté veillait un Père ; le Père des Pères avait le rang d’un évêque métropolitain ou d’un pape.

Au cours des 280 premières années de l’histoire chrétienne, le christianisme fut interdit par

l’Empire Romain, et les chrétiens furent terriblement persécutés. Cette situation changea suite à la « conversion » de l’Empereur romain Constantin. Celui-ci « légalisa » le christianisme par l’Edit de

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Milan en 313 de notre ère. Plus tard, en 325, Constantin convoqua le Concile de Nicée, dans une tentative d’unification du christianisme. Il percevait le christianisme comme une religion capable d’unir l’Empire Romain qui commençait, à cette période, à se fragmenter et à se diviser. Bien que cela eusse semblé être une situation favorable pour l’Eglise chrétienne, les résultats n’ont malheureusement pas été positifs. Tout comme Constantin refusa d’embrasser totalement la foi chrétienne, mais conserva plusieurs de ses croyances et pratiques païennes, de même l’Eglise qu’il promut fut un mélange de la vraie chrétienté et du paganisme romain.

La suprématie de l’évêque romain (la papauté) a été créée avec le soutien des empereurs

romains. La ville de Rome étant le centre du gouvernement de l’Empire Romain, et étant donné que les empereurs résidaient à Rome, cette ville s’est hissée au premier rang dans toutes les facettes de la vie. Constantin et ses successeurs soutenaient l’évêque de Rome en tant que dirigeant suprême de l’Eglise. Bien évidemment, il était plus approprié, pour l’unité de l’Empire Romain, que le gouvernement et la religion d’Etat soient basés dans le même endroit. Bien que la plupart des autres évêques aient résisté à l’idée de suprématie de l’évêque de Rome, celui-ci finît par atteindre la suprématie, grâce au pouvoir et à l’influence des empereurs romains. La suprématie papale fut d’autant plus facilitée, qu’outre l’intégration du mithraïsme dans la culture catholique, on y assortit également la hiérarchie avec le titre de père, pourtant formellement interdit par Jésus-Christ. Après la chute de l’Empire Romain, les papes se sont appropriés le titre qui appartenait auparavant aux empereurs romains – Pontificus Maximus.

L’Eglise Catholique Romaine tire donc son origine du compromis tragique entre le christianisme et les religions païennes qui l’entouraient, et de l’abolition de la hiérarchie apostolique d’origine, au profit des évêques qui cherchèrent l’autorité temporelle. Au lieu de proclamer l’Evangile et de convertir les païens, l’Eglise catholique choisît de « christianiser » les religions païennes et de « paganiser » le christianisme. En brouillant les différences et effaçant les distinctions, oui, l’Eglise catholique s’est rendue attirante pour le peuple de l’Empire Romain. L’un des résultats de cette situation est que l’Eglise catholique est devenue la religion suprême et universelle dans le « monde romain » pendant des siècles. Toutefois, un autre résultat fut qu’une forme d’apostasie grandissante se développa dans le christianisme vis-à-vis du vrai Evangile de Jésus-Christ et de la proclamation vraie de la Parole de Dieu. Bien sûr, l’Eglise catholique romaine nie l’origine païenne de ses croyances et pratiques. Elle déguise ses croyances païennes par des conceptions théologiques compliquées. Elle excuse et nie son origine païenne sous le masque de la « tradition de l’Eglise ». Reconnaissant que plusieurs de ses croyances et pratiques sont totalement étrangères aux Ecritures, elle est obligée de nier l’autorité et la suffisance des Ecritures.

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I LES FONDEMENTS DU CATHOLICISME :

A) Le rôle de l’évêque :

En mêlant paganisme et christianisme, le diable a réussi à bouleverser l’échelle des valeurs

bibliques, jusqu’à les inverser totalement. Ainsi l’évêque devint l’autorité suprême dans l’Eglise, alors que son rôle premier ne l’y destinait pas du tout. Le mot évêque est la transcription française du mot latin « episcopus », lui-même adapté du grec « Eπίσκοπος / episkopos » qui veut dire « surveillant », c'est-à-dire modérateur, tuteur, responsable d'une organisation. Avant l’arrivée du christianisme, le terme était utilisé pour désigner toutes sortes d'administrateurs (ce mot en étant la meilleure traduction) dans les domaines civil, financier, militaire ou judiciaire.

L'évêque est aujourd’hui considéré par l'Église catholique comme successeur des apôtres, et à ce

titre, est Docteur de la foi, chargé de l'enseigner et de la transmettre avec fidélité. L'Église catholique reconnaît en l'évêque le ministre de Dieu, vicaire de Jésus-Christ. Il exerce ses fonctions spirituelles au sein d'une circonscription appelée diocèse ; dans l'Église orientale on parle d'éparchie. Il réside normalement dans la ville où se trouve sa cathédrale ; cette ville et sa demeure épiscopale sont appelées évêché.

L'évêque est avant tout celui qui préside l'assemblée des fidèles et plus précisément l'eucharistie

(mais il peut déléguer à cet effet un prêtre). Dans son Église locale (ou patriarcale, ou même universelle) il est le principe de l'unité visible des fidèles catholiques. Il est chargé de veiller sur son Église locale, d'assurer la liturgie, l'enseignement de la foi catholique et le service aux plus démunis. Il peut convoquer un synode diocésain pour l'aider à discerner les orientations pastorales pour son diocèse. Il est assisté dans sa tâche par des diacres et des prêtres.

Certains évêques sont créés cardinaux de la Sainte Église Romaine, et deviennent alors électeurs

du pape dans le cas d'un conclave (s'ils ont moins de 80 ans). Les évêques portent le titre d'archevêque quand ils sont à la tête d'un archidiocèse ; ils arborent alors le pallium. Ils sont appelés archevêques métropolitains si le siège est le chef-lieu d'une province ecclésiastique. D'autres évêques sont patriarches : le pape, évêque de Rome, est patriarche d'Occident (en mars 2006, le pape Benoît XVI a décidé de ne plus faire usage de ce titre, mais en demeure titulaire). Certains évêques catholiques disposaient avant le XIXème siècle de pouvoirs temporels importants, tels les Princes-Évêques dans les pays germaniques, ou le pape dans les États pontificaux.

Cette hiérarchie ecclésiastique n’a plus rien de biblique et encore moins d’apostolique. Elle est le

fait d’une autorité spirituelle qui, de par sa nature, est totalement antéchrist. Se prévalant d’autorité divine grâce au titre de vicaire du Christ, titre totalement usurpé, les évêques de Rome cherchent à instaurer une gouvernance ecclésiastique dont la nature est surtout temporelle, comme le démontrent les églises qui leur sont rattachées.

B) Naissance des cathédrales ?

a) Siège, cathèdre et cathédrale :

Une cathédrale est, à l'origine, une église catholique où se trouve le siège de l'évêque (la

cathèdre), ayant en charge un diocèse. Le terme a pour origine le mot français cathèdre, qui vient lui-même du grec καθέδρα (kathédra), signifiant siège, d'où trône épiscopal. En ancien français, on retrouve le verbe « cathédrer » et le participe « cathédrant », qui signifient « siéger » et « siégeant » dans les écrits de Montaigne. Le mot « cathédrale » lui-même était d'abord un adjectif (on disait « église cathédrale ») avant de devenir un nom au XVIIème siècle. Historiquement, tout bâtiment muni

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d'une cathèdre est appelé cathédrale. La cathèdre étant le trône de l'évêque. Dans la liturgie catholique, la cathèdre est le symbole de l'autorité, de l'enseignement et de la juridiction épiscopale.

Le siège épiscopal était le signe et le symbole de la juridiction des évêques. La juridiction

épiscopale était donc le lien qui unissait la basilique antique, qui elle-même succéda à l'Eglise chrétienne d’origine qui se réunissait dans les synagogues, soit des assemblées. La cathédrale n'est pas seulement une église appropriée au service du culte, elle conserve, et possédait bien plus encore durant les premiers siècles du christianisme, le caractère d'un tribunal sacré. Les cathédrales sont longtemps restées (jusqu'au XIVème siècle) des édifices à la fois religieux et civils. On ne s'y réunissait pas seulement pour assister aux offices religieux, on y tenait aussi des assemblées de nature politique ; les considérations religieuses n'étaient cependant pas dépourvues d'influence sur ces réunions civiles ou militaires.

Les cathédrales sont donc aujourd’hui un des symboles d’inversion biblique le plus visible et

pourtant le plus ignoré. Car plus le mensonge est gros et plus il est accepté. Dans chaque diocèse, la cathédrale est le signe (on pourrait dire « le sacrement ») de l'unité

interne de l'Église locale, unité dont l'évêque est le garant et le gardien, en communion (en union « externe ») avec toutes les autres Églises. Elle est donc d’une certaine manière la porte qui ouvre la voie vers Dieu. Voilà pourquoi on célèbre chaque année, dans chaque diocèse, « la dédicace de l'église cathédrale ». Mais pourquoi l’Eglise catholique tient-elle tant à célébrer chaque 9 novembre la dédicace de la Basilique Saint Jean de Latran de Rome ?

b) La mère de toutes les églises :

Commémorer la dédicace, c'est proclamer l'unité et la communion de toutes les Églises locales,

dans la communion avec le pape, « pasteur de tous les fidèles », « qui préside, avec le collège épiscopal, au rassemblement universel de l'Église, et garantit les diversités légitimes », pour employer des expressions tirées des Actes du concile Vatican II.

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Saint Jean de Latran est le siège de l'évêché de Rome, siège du trône papal dont le titulaire n'est autre que le pape. C'est la première et la plus ancienne dans l'ordre protocolaire des basiliques papales, devant la Basilique Saint-Pierre du Vatican, la Basilique Saint-Paul-hors-les-murs et la Basilique Sainte-Marie-Majeure. Elle porte le titre, inscrit sur le fronton, de « omnium urbis et orbis ecclesiarum mater et caput », qui signifie « mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde ». Pendant 1000 ans, du IVème au XIVème siècle, elle fut la résidence des papes (qui résidaient dans un palais adjacent, le Patriarcho). Tous les papes y ont été intronisés jusqu'au XIXème siècle. Une unité spirituelle réunit donc la Mère des églises (et le pape) à ses filles dans le monde entier.

L’Archibasilique du Très Saint-Sauveur, plus connue sur le nom de Basilique de Saint-Jean de

Latran, est l’église la plus ancienne de la ville de Rome, construite avant même Saint Pierre de Rome. L’empereur Constantin Ier (306-337) l’a fit construire, selon la légende, après avoir guéri d’une maladie en 313. Elle sera consacrée en 324 par le pape Sylvestre Ier. Elle est utilisée par le pape lorsqu’il assume le rôle d’évêque de la Ville Eternelle. L’église fut bâtie sur les terrains d’une ancienne famille patricienne, les Laterani, qui donnèrent ainsi leur nom à l’édifice : Latran. Sainte Hélène, la mère de Constantin, chrétienne très fervente, avait fait cadeau des terrains au pape de l’époque, Melchiade.

c) Le Pape : évêque de Rome

Latran et le pape sont indissociables. Le mot « pape » signifie « père » et est apparenté à abba (« papa » en araméen et en hébreu) ainsi qu’à « abbé ». Quand nous parlons de « notre Saint-Père le Pape », nous pratiquons donc une redondance. Nom condamné de manière sévère par Jésus : « Ne donnez à personne ici-bas le nom de père, car vous n’avez qu’un seul père, celui qui est aux cieux. » (Matthieu 23 : 9). La qualification de pape, qui est devenue propre à l'évêque de Rome, à l'exclusion des autres évêques, a été portée jusqu'au VIème siècle par tous les évêques catholiques, dans le sens du mot père ; depuis cette époque, elle fut donnée plus particulièrement à ceux qui se prétendent successeurs de saint Pierre ; mais c'est seulement Grégoire VII qui, en 1081, dans son premier concile

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de Rome, se fit attribuer exclusivement le titre de pape, et cette appellation est devenue synonyme d'évêque universel. Le titre de « Vicaire de Jésus-Christ », qui fut donné à l’évêque de Rome par Jérôme, puis à des évêques et à des rois, ne fut appliqué exclusivement au pape que vers le XIIIème siècle.

Le pape, chef de l’Église catholique romaine se donne de nombreux autres titres. Les évêques de

Rome se sont attribués au début, le titre de « Vicaire du prince des Apôtres », autrement dit de « Vicaire de l'apôtre Pierre ». Vers le début du cinquième siècle, l'évêque Innocent Ier (401-417) posa le principe selon lequel le Christ aurait délégué le pouvoir suprême à Pierre et l'aurait établi évêque de Rome. Plus tard, il considéra qu'en tant que successeur de l'apôtre Pierre, l'évêque de Rome pouvait exercer les prérogatives et le pouvoir de Pierre. Boniface III, qui devint évêque de Rome en 607, s'établit de sa propre initiative en tant qu'Evêque Universel, soutenant qu'il était le remplaçant et le maître de tous les autres évêques. Mais c'est seulement au VIIIème siècle qu'on vit apparaître le titre de « Vicaire du Fils de Dieu », dans un document frauduleux intitulé « Donation de Constantin ». Le pape se nomme aussi le Souverain Pontife de l’Église Universelle, le Patriarche de l’Occident, le Primat d’Italie, l’archevêque et le métropolitain de la province romaine, le souverain de l’État du Vatican. Depuis Jean-Paul Ier est apparue officiellement l’appellation « Pasteur suprême », reprise par Jean-Paul II sous les formes de « Pasteur de l’Humanité Entière » et « Pasteur Universel de l’Eglise ».

Le terme « vicaire » vient du mot latin « vicarius », qui signifie « au lieu de ». Dans l'Eglise

catholique, le vicaire est le représentant d'un responsable de rang plus élevé, qui est donc revêtu de l'autorité et des pouvoirs de ce dernier. En appelant le pape « vicaire du Christ », cela implique qu'il possède le même pouvoir et la même autorité que ceux que Christ avait sur l'Eglise. Ce titre est dérivé du texte de Jean 21 : 16-17, où Jésus disait à Pierre, « Pais mes agneaux […] Pais mes brebis ». Selon le raisonnement catholique, cela définit Pierre comme le prince des apôtres, le premier pape et constitue un accomplissement des paroles de Jésus dans Matthieu 16 : 18-19 (Pierre est la pierre sur laquelle Jésus construira Son Eglise).

Cependant, la Bible dit de Jésus qu'il n'y a aucun autre nom par lequel les hommes puissent être

sauvés, Actes 4 : 12. « Il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes, et c'est Jésus-Christ », 1 Timothée 2 : 5. Nous comprenons maintenant qu'il n'y a aucune base biblique permettant à une personne de prétendre être représentant de Christ sur terre. Aucun homme ne peut faire ce que Christ a fait, ou ce qu'il fait encore présentement pour l'humanité.

Mais le titre de vicaire comporte également une autre implication : le vicaire possède le même

pouvoir juridictionnel que la personne qu'il représente. Dans Matthieu 16 : 18, Jésus-Christ affirme qu'il bâtira Son Eglise. Il n'a jamais délégué ce pouvoir. En revendiquant le titre de vicaire du Christ, le pape se substitue en fait au Christ en voulant accomplir ce que le Seigneur à Lui-même promis.

Jésus a effectivement prédit la venue d'un « vicaire », dans le sens d'un « remplaçant » de sa

présence physique sur terre. Cependant, ce « vicaire du Christ » n'est pas un prêtre, un souverain sacrificateur, un évêque, ou un pape. Le seul « envoyé du Christ » dont parle la Bible est le Saint-Esprit. Jean 14:26 déclare, « Mais le consolateur, l’Esprit-Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit ». Jean 14 : 16-18 proclame, « Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur, afin qu’il demeure éternellement avec vous, l’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point ; mais vous, vous le connaissez, car il demeure avec vous, et il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous ». L'Esprit Saint est le « remplaçant » de Christ sur la terre. Il est notre Conseiller, notre Enseignant (Jean 14:26) et notre guide dans toute la vérité (Jean 16:13).

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C) Rome :

a) Le siège apostolique : Les textes bibliques concernant Pierre ne fondent pas une succession institutionnelle : Pierre n’a

pas été « évêque de Rome ». La primauté de l’évêque de Rome n’est pas mentionnée dans les apologies de Justin martyr, de Minutius Félix, d’Irénée, de Clément d’Alexandrie, ouvrages où toutes les questions qui intéressent l’Eglise sont traitées avec une grande abondance de détails. Le mot « Eglise romaine » qui s’y rencontre quelquefois, n’y est jamais pris que dans l’acception de « diocèse de Rome ». Cyprien de Carthage (200-258) s’adressa à l’évêque de Rome, comme au chef « de l’Eglise principale, source de l’unité sacerdotale » mais en l’appelant cependant « collègue ». Etienne Ier (254-257) ayant voulu se prononcer en dernier ressort entre lui et son compétiteur au siège de Carthage, Cyprien se moqua amèrement des prétentions de l’évêque des évêques. « Je suis indigné, écrivit Firmilien à Cyprien, de la folle arrogance de l’évêque de Rome, qui prétend avoir hérité son évêché de l’apôtre Pierre ». Libère (352-366) fut le premier à désigner Rome comme le « siège apostolique », donc après 325, date à laquelle Constantin a convoqué le Concile de Nicée. Le principe de la papauté marque en fait un schisme par rapport à la foi apostolique et certainement pas une continuité hiérarchique historique.

Il y a un « mystère de Rome », une place particulière pour Rome dans le dessein de Dieu qui

apparait en Apocalypse 17 : 9 « C’est ici l’intelligence qui a de la sagesse. Les sept têtes sont sept montagnes, sur lesquelles la femme est assise ». Tout le monde sait que Rome s'est développée sur des collines. Elles sont au nombre de sept : Aventin, Palatin, Capitole, Quirinal, Viminal, Esquilin et Cœlius. Sur ces collines une Prostituée est assise, la mère des impudiques. Pourtant tout commence à Jérusalem. C’est là que Jésus a été annoncé par les prophètes, là qu’il a offert sa vie et qu’il est monté au ciel, là qu’est née l’Eglise de la première effusion de l’Esprit, là que le Parole de Dieu a retenti sur le monde. Pourtant, en l’espace d’une génération, le centre de gravité de la nouvelle Eglise va se déplacer de Jérusalem à Rome. Après avoir commencé dans le Cénacle de Jérusalem, le récit de Luc s’achève par l’installation de Paul à Rome et son annonce du Christ aux juifs et aux païens.

Ce déplacement est significatif, il marque que l’Eglise commence par un décentrement. Sans rien

perdre de son rattachement à Israël, elle s’ouvre au monde païen et va même se loger au cœur de cet Empire qui, par certains côtés, s’est élevé comme un rival de la Royauté de Dieu. Ce transfère coûte la vie des deux « Témoins », Pierre et Paul, qui y ont versé leur sang, si bien que « leurs corps resteront (exposés) sur la place de la grande cité » (Apocalypse 11,8). C’est ainsi que les catholiques présentent les choses, pour justifier leur enracinement dans la capitale de l’empire. Mais c’est un détournement des écritures, car les deux témoins de l’Apocalypse n’apparaissent qu’à la fin des temps. Ce prélude trompeur en prépare un bien plus grand dans ce livre, en donnant à la Vierge Marie la primauté dans le chapitre suivant, quand apparait l’Epouse.

b) Le sens biblique du mot « église » : En ce qui concerne l’église en tant que bâtisse, il faut être clair. L’Eglise biblique n’est pas un

édifice, elle est l’assemblée de croyants. Jésus a dit : « là ou deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18 : 20). Alfred Kuen dans son livre « Je bâtirai mon Eglise » dit : « fréquemment le mot église est associé à un terme géographique : l’église de Jérusalem, l’église d’Antioche…, les église de la Macédoine (2 Corinthiens 8 : 1), de l’Asie (1 Corinthiens 16 : 19), de Galatie (Galates 1 : 2)…ou tout simplement « l’église qui est dans leur maison » (1 Corinthiens 16 : 19 ; Philémon 2 ; Colossiens 4 : 15 ; Romains 16 : 5) ».

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Le mot église ne désigne jamais un édifice, les premiers chrétiens n’en possédaient pas. Nous ne trouvons jamais les expressions : les églises de Rome, de Jérusalem…ni l’église de Macédoine, de Judée, de Galatie…Nous ne trouvons pas d’église paulinienne, johannique ou pétrinienne (bien que Paul, Jean et Pierre aient fondé des églises) ni d’« église congrégationaliste » ou « presbytérienne », bien que ces formes d’église aient existé. Aucun nom, ni d’apôtre, ni de forme ou de symbole ecclésiastique n’est rattaché au mot église. Les seuls noms qui comptent sont d’une part, ceux de Dieu et de Jésus-Christ qui appellent, d’autre part ceux des appelés (anciens « païens », « élus de Dieu », nés de nouveau, déclarés « saints ») qui se réunissent dans des maisons à Jérusalem, à Corinthe, à Colosses, à Rome pour louer Dieu, s’édifier mutuellement et répandre la Parole de Dieu.

2 Cor 6:16 : « … Nous sommes le temple du Dieu vivant, comme Dieu l’a dit : J’habiterai et je marcherai au milieu d’eux ; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple ».

Concernant les temples comme siège d’autorité religieuse, Jésus fut très clair sur ce sujet. Les juifs

de Jérusalem haïssaient les juifs de Samarie (les samaritains) qui avaient construit à Sichem un temple rival à celui de Jérusalem. Hyrcan Ier, roi des juifs de Jérusalem (régna de -134 à -105) envoya ses deux fils, Aristobule et Antigone, mettre le siège à la ville de Samarie. Ce siège fut long et cruel, car les assiégés livrés à une épouvantable famine en vinrent à manger des cadavres et des aliments impures … Le temple de Sichem et la capitale Samarie furent rasés et reconstruits 80 ans plus tard par le roi Hérode le Grand (Histoire des juifs - Flavius Josèphe). Malgré cette vieille haine réciproque, Jésus s'est souvent rendu chez les samaritains pour les enseigner, puisqu'ils adoraient en fait le même Dieu, observaient les commandements de Moïse et acceptaient le Pentateuque (les 5 premiers livres de la Bible). C'est donc dans ce climat d'hostilité que Jésus, un jour d'été, s'arrêta à Sichem au bord du puits de Jacob et demanda à boire à une étrangère qui fut très choquée qu'un juif ose lui adresser la parole. Un formidable dialogue s'engagea entre ces deux personnages, avec cette incroyable révélation. Jean 4 : 21 « Femme, lui dit Jésus, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne (Sichem) ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. 22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. 23 Mais l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. 24 Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité ».

D) La porte du dieu :

Comme on le voit, l’Eglise catholique a totalement inversé le sens des écritures, en redonnant à

ses temples (cathédrales), un rôle qui annihile l’action du Saint-Esprit. Maintenant en associant les deux idées que forment la cathédrale et son évêque, puis en les superposant à Rome, une image unique apparait. La Basilique de Saint-Jean de Latran est présentée comme la Mère des églises et son évêque est le vicaire du Christ, ce qui en fait l’équivalent d’un dieu sur terre. La cathédrale représentant la porte vers le ciel, comme le pontife représente le pont qui relie l’homme au divin, l’association en fait « la porte du dieu » ou dit en babylonien « bab ilim », plus connue sous le nom de Babylone.

Mais c’est dans son symbolisme que l’évêque de Rome exprime le mieux sa nature de dieu de la

porte, Babylone, le passage obligé de la terre vers le ciel. La croix papale est le symbole officiel de la papauté. Elle ne peut être utilisée que par le Pape. Les trois barres de la croix représentent les trois royaumes de l'autorité du pape : l'Église, le monde, et le ciel. La même symbolique est reprise pour la tiare papale appelée aussi le trirègne et qui est la triple couronne des papes sur laquelle repose l’autorité des trois royaumes. Mais c’est par le blason du Vatican, représenté avec les clefs de saint Pierre (Matthieu 16 : 19) et la tiare, que le principe de la porte prend tout son sens.

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Apocalypse 17 : 4 « Cette femme était vêtue de pourpre et d’écarlate, et parée d’or, de pierres

précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d’or, remplie d’abominations et des impuretés de sa prostitution. 5 Sur son front était écrit un nom, un mystère : Babylone la grande, la mère des impudiques et des abominations de la terre. 6 Et je vis cette femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus. Et, en la voyant, je fus saisi d’un grand étonnement.

Tous ces thèmes seront repris et approfondis dans les chapitres suivants, afin que

progressivement vous compreniez en quoi la branche romaine de l’Eglise primitive s’est peu à peu détournée de la Parole, jusqu'à devenir l’adversaire des fils de Dieu.

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II LA MONTEE EN PUISSANCE DU CATHOLICISME :

A) L’expansion du Pape :

Le Moyen Âge est une période historique occidentale située entre l’Antiquité et la Renaissance, ou Temps Modernes. Elle s’étend sur une durée de près de mille ans et verra monter en puissance l’autorité de l’Eglise catholique, qui progressivement imposera le pouvoir du pape sur celui des rois. L'histoire de la papauté est inséparable de l'évolution doctrinale catholique et de l’affaiblissement des empereurs romains d'Orient. Le pape cherchera donc à affermir son pouvoir spirituel et temporel, pour passer du statut de simple évêque de Rome, à celui de souverain après la chute de l’empire.

Le christianisme est au cœur de l'histoire médiévale : il modèle la pensée de la période,

principalement en raison de son universalisme et à cause de la montée en puissance en Occident, de l'Église Catholique organisée autour de la papauté de Rome. Les frontières de l'Occident médiéval qui échappe à toute unité politique, se confondent aussi avec celles de l'Église Catholique. La dilatation de la chrétienté s'accompagne de la mise en place de la hiérarchie ecclésiastique (désignée par l'Église elle-même) et de la papauté se hissant à la tête de celle-ci. Elle devient un des principaux pouvoirs en Occident : l'évêque de Rome, dont l'autorité spirituelle s'appuie sur la primauté du siège de l'apôtre Pierre, devient le souverain pontife et la seule autorité qui dépasse la frontière des royaumes. Dans cet univers extrêmement morcelé, issu de l’effondrement de l’empire, le catholicisme sera le seul lien extraterritorial qui liera les parties européennes.

Le pape affirma son autorité sur l'Église universelle et sur les princes dans une lettre de mars 1075

conservée aux archives vaticanes. Intitulée Dictatus papae (décrets ou affirmations du pape), elle comprend 27 points. Dans ce document, le pape soutient que, dans la société chrétienne dont le ciment est la foi, le pouvoir appartient à l'ordre sacerdotal. L'ordre laïc doit exécuter les commandements de l'ordre sacerdotal. Grégoire VII affirme qu'il est, de par le Christ, le seul à avoir un pouvoir universel, supérieur à celui des souverains, qu'il peut déposer, et qu'il est le seul maître de l'Église. Il doit exécuter ses directives. Le pape s'estime l'héritier de l'Empire romain et par là même « l'empereur suprême ». Tous les détenteurs du pouvoir temporel lui doivent donc obéissance. L'empereur n'est donc plus le coopérateur du souverain pontife, mais son subordonné. C'est au pape de se prononcer sur l'aptitude des princes à exercer leur fonction. L'empereur n'est plus un personnage sacré, car il n'est qu'un laïc.

B) L’opportunisme de l’épiscopat :

Jusqu'à la fin du XIIème siècle, les cathédrales comme siège de l’évêque, n'avaient pas les

dimensions que nous leur connaissons aujourd'hui ; beaucoup d'églises abbatiales étaient beaucoup plus grandes, comme celle de Cluny. Jusqu'à cette époque, le morcellement féodal constituait un obstacle à la constitution civile des populations ; l'influence des évêques était limitée par ces grands établissements religieux du XIème siècle. Propriétaires puissants, jouissants de privilèges étendus, seigneurs féodaux tenant en main l'éducation de la jeunesse et participant à toutes les décisions politiques, les abbés attiraient tout à eux : richesse et pouvoir, intelligence et activité. Lorsque les populations urbaines, instruites et enrichies laissèrent paraître les premiers symptômes d'émancipation et s'érigèrent en communes, il y eut une réaction contre la féodalité monastique et séculière dont les évêques, appuyés par la monarchie, profitèrent avec autant de promptitude que d'intelligence. Ils comprirent que le moment était venu de reconquérir le pouvoir et l'influence que leur consentait l'Église, pouvoir jusqu’alors concentré dans les établissements religieux.

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Ce que les abbayes purent faire pendant le XIème siècle, les évêques n'en auraient pas eu le

pouvoir. Mais, dans la seconde moitié du XIIème et au XIIIème siècle, l'épiscopat, sur lequel s'appuient fortement Philippe-Auguste, Louis VIII et Saint Louis, entreprit de reconstruire ses cathédrales (l'essor des cathédrales est lié au renforcement du pouvoir des évêques et à la bonne santé de l'économie et des finances royales. Ce qui expliquera, pour l'essentiel, que les cathédrales ne seront construites que sur le domaine royal). L'épiscopat trouva dans les populations un concours si énergique qu'il put vérifier la justesse de ses prévisions, comprendre que son temps était venu, et que l'activité développée par les établissements religieux, dont il avait d'ailleurs profité, allait lui venir en aide. Il est difficile aujourd'hui de donner une idée de l'empressement avec lequel les populations urbaines se mirent à élever des cathédrales. La foi avait certes son importance, mais il s'y joignait un instinct très juste d'unité et de constitution civile.

Apocalypse 17 : 4 « Cette femme était vêtue de pourpre et d’écarlate, et parée d’or, de pierres

précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d’or, remplie d’abominations et des impuretés de sa prostitution. 5 Sur son front était écrit un nom, un mystère : Babylone la grande, la mère des impudiques et des abominations de la terre. 6 Et je vis cette femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus. Et, en la voyant, je fus saisi d’un grand étonnement ».

C) Ascension du pouvoir, ascension de la violence :

Aujourd’hui, dans la mouvance pentecôtiste, il ne fait plus aucun doute que la grande prostituée

décrite dans l’Apocalypse représente le catholicisme. Encore faut-il le démontrer et faire correspondre les faits historiques et les données factuelles avec les révélations bibliques. C’est précisément l’objet de cette étude sur les cathédrales qui va vous aider à y voir plus clair. Dans le passage de l’Apocalypse qui précède, la prostitution qui représente l’idolâtrie, est également conjuguée à l’ivresse du sang, des meurtres et de la guerre qui se développeront considérablement pour des raisons purement religieuses.

Avec l'essor des grandes cathédrales gothiques lié au renforcement du pouvoir des évêques,

commencera, sous l’impulsion des papes, une série de guerres et d’exactions de la pire espèce. Plus les cathédrales s’élèveront vers le ciel et plus le Moyen Âge s’enfoncera dans les ténèbres de l’obscurantisme papal. La vision traditionnelle identifie l'époque des croisades à la période 1095-

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1291, du concile de Clermont à la prise de Saint-Jean-D’acre, et se limite aux expéditions qui ont eu la Terre sainte pour objectif et l'Orient pour théâtre d'opérations. Mais dans la définition large, toutes les guerres contre les Infidèles et les hérétiques, sanctionnées par le pape qui y attache des récompenses spirituelles et des indulgences, sont des croisades. La Reconquista, croisade de la péninsule ibérique, en fait ainsi partie.

Au IVème siècle, l'Église exprima, par l'entremise de saint Augustin, une théorie de la juste guerre. Au IXème siècle, les papes s'efforcèrent de créer les « milices du Christ » pour protéger Rome, menacée par la seconde vague d'invasions. Le pape Jean VIII accordait même l'absolution à ceux qui étaient prêts à mourir pour la défense des chrétiens contre les Sarrasins en Italie. À partir de la fin du Xème siècle, l'Église s'efforça de christianiser les mœurs guerrières des chevaliers en leur proposant entre autres de combattre les Sarrasins aux frontières de la chrétienté, en Espagne. En 1063, dans une lettre envoyée à l'archevêque de Narbonne, le pape écrivit que ce n'était pas un péché de verser le sang des infidèles. Ce document innovait en affirmant que prendre part à une guerre utile à l'Église était une pénitence comme l'aumône ou un pèlerinage. Même si le succès n'était pas au rendez-vous, l'Église avait pris l'habitude d'encourager les guerres contre les musulmans, et d'attirer dans ces combats les chevaliers francs. Les royaumes frontières étaient devenus les vassaux du Saint-Siège, atout important dans la lutte des papes contre le Saint-Empire romain germanique.

a) Persécutions juives :

L’appel à la croisade d’Urbain II en 1095 déclencha d’abord de nouvelles persécutions envers les

communautés juives de France et d’Allemagne, les participants de la croisade populaire ne furent pas les seuls impliqués, des barons croisés y prirent également part. Dans certaines régions de France et d’Allemagne, les Juifs furent considérés comme des ennemis, à l’instar des musulmans : on les crut responsables de la crucifixion, et ils avaient l’avantage d’être plus visibles que les lointains musulmans. Les croisés qui persécutèrent les Juifs furent alors souvent animés d’intentions plus pécuniaires que religieuses. Les communautés juives en Rhénanie étaient relativement riches, en raison de leur isolement et aussi parce qu’elles n’étaient pas soumises aux interdictions religieuses en ce qui concernait le prêt d’argent. Nombre de chevaliers devaient emprunter pour financer leur voyage, et comme l’Église catholique interdisait l’usure, un certain nombre d’entre eux se

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retrouvèrent endettés auprès de Juifs usuriers. Les croisés se débarrassèrent ainsi commodément de leurs dettes sous couvert de mission religieuse. Des milliers de juifs furent massacrés, volés et brûlés dans les grandes villes comme Speyer, Cologne, Trèves et Worms. Pour les juifs, une nouvelle ère de persécution commenca et déjà dans les quartiers autour des synagogues naquirent « les premiers Ghettos-juifs d'Europe », où des dizaines de milliers de familles juives complètement ruinées furent emprisonnées.

b) Croisades en Terre Sainte :

L'initiative de la croisade revint le plus souvent au pape, plus rarement à un souverain. Mais en

1267, Louis IX se croisa de lui-même après en avoir informé le pape. Le pape prêchait lui-même la croisade ou en confiait la prédication à des clercs autorisés. Au XIIème siècle, il fallait souvent freiner l'ardeur des prédicateurs populaires à l'origine de nombreux excès. De la IIème à la IVème croisade, la prédication était confiée à l'ordre cistercien. Le pèlerin recevait des privilèges spirituels et matériels constituant le statut du croisé. Lors de la première croisade, Urbain II promit à celui qui décèderait en chemin ou au combat la rémission des péchés, et à ceux qui accomplissaient le vœu de croisade l'indulgence plénière. À partir d'Innocent III, les canonistes élaborèrent une doctrine cohérente de la croisade. Ils justifièrent ainsi la guerre sainte, pourtant contraire au message évangélique, en arguant que les infidèles occupaient la Terre consacrée par la mort du Christ et maltraitaient des chrétiens. Après les massacres commis chemin faisant pour Jérusalem, dont 30.000 Juifs en Rhénanie, les croisés tuèrent lors de la prise Jérusalem 70 000 Musulmans et Juifs (hommes, femmes, enfants, vieillards) pour ensuite les piller. Comme écrit le chroniqueur Franc de Gesta Francorum qui prit part à la curée, après ce massacre, les Croisés, tout dégoulinants de sang « allèrent, pleurant de joie, honorer le Tombeau du Seigneur ». Des milliers d’autres morts suivront au cours des autres croisades, au cri de ralliement de « Dieu le veut », lancé avant le combat contre les troupes musulmanes.

c) L’éradication des Cathares :

À l'époque des croisades, les papes s’attacheront également à éradiquer les hérésies dont ils sont

pourtant les responsables par de leur corruption et éloignement toujours plus évident de l’évangile. Originaires de l'Italie du nord, les «Cathares» recueillirent un succès croissant dans le Midi toulousain en raison de leur doctrine simple et exigeante, fondée sur le retour à l'Évangile. Ils considéraient que l'Église catholique avait trahi sa mission dès le pontificat de Sylvestre Ier, sous le règne de l'empereur Constantin le Grand, 900 ans plus tôt ! Ils ne reconnaissaient pas le dogme et les enseignements de l'Église, mais se revendiquaient eux-mêmes chrétiens et se désignaient sous cette appellation ou encore sous celle d'amis de Dieu. Leurs chefs étaient appelés avec respect Bonshommes et Bonnes Femmes. Les catholiques qui pourchassaient ces hérétiques préférèrent les qualifier de parfaits et parfaites, au sens de parfaitement hérétiques.

Les prédicateurs cathares du Midi étaient servis par l'image déplorable du clergé local. Prélats et

curés se vautraient volontiers dans la luxure, mais ne s'en montrent pas moins exigeants à l'égard de leurs ouailles en termes de morale. Au contraire, les parfaits affichaient une austérité irréprochable, empreinte de douceur et de sérénité, mais témoignaient d'une grande compréhension envers les écarts de conduite de leurs fidèles. Ils vivaient chastement et s'interdisaient toute nourriture carnée, prenant au pied de la lettre le commandement biblique : «Tu ne tueras point». Ils seront les témoins de Jésus de leur temps.

Cette situation fut préoccupante pour l'Église, car une véritable contre-église se développa en

terre chrétienne. Dès 1119, le pape Calixte II dénonça cette Église. Une armée de croisés sera chargée de l'éradiquer à la demande du pape Innocent III, qui s'emparait de Béziers. Sous la direction du légat du pape Arnaud Amaury (ou Arnaud Amalric) et du chef Simon de Monfort, la ville fut mise à

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sac et la population massacrée. Bien que majoritairement catholique, Béziers ne voulut pas livrer les cathares qu'elle protégeait. Avant de donner l'assaut, les croisés demandèrent au légat comment reconnaître les hérétiques des vrais chrétiens. Celui-ci leur aurait répondu : « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! ». Pendant vingt ans, les combats firent rage dans la région. Les albigeois, dans un premier temps dépassés, organisèrent une reconquête avant de se heurter à l’armée royale française. Bien que glorieuse pour les catholiques, la croisade des albigeois n’élimina pas complètement le catharisme. Ce fut l’une des raisons de la création de l’Inquisition quelques années plus tard.

d) L’inquisition :

Tandis que de farouches et avides guerriers attaquaient les places fortes, les châteaux et les

chaumières des sectaires albigeois, Foulques, évêque de Toulouse, et ses confrères du Languedoc, Dominique et ses disciples, intelligents et complaisants instruments de l'Antéchrist, faisaient épier par leurs émissaires, dénonçaient, interrogeaient et condamnaient des malheureux sans nombre qu'ils arrachaient à leurs familles. Des années d'expérience ayant démontré quels services une association de moines intrigants, accusateurs et persécuteurs pouvait rendre à la cause de l'oppression religieuse, Innocent III approuva en l'an 1215, lors du concile de Latran IV, l'intention que lui exprima Dominique de fonder un ordre de moines mendiants, de frères prêcheurs, pour la conversion et la répression des ennemis de l'Église. Et l'année suivante, Honorius III, successeur du sanguinaire pape Innocent III, confirma l'institution et constitua l'ordre. Ces frères prêcheurs furent appelés plus tard dominicains, du nom de leur fondateur, et reçurent des privilèges spéciaux pour l'extirpation des hérétiques.

Pour atteindre le but de l'institution de leur ordre, et pour se montrer dignes de la confiance qu'on leur témoignait, les dominicains, aussi haineux que fanatiques, parcoururent les villes et comtés du Languedoc, établissant en divers lieux des tribunaux provisoires d'inquisition. Ils eurent la barbarie de décider que les enfants hérétiques, âgés de plus de sept ans, seraient passibles de la peine du bûcher, comme parvenus déjà, à cette époque de leur vie, à l'âge de raison. Le cardinal Conrad, nouveau légat du pape en 1222, soutint avec véhémence ce tribunal sanguinaire. La fureur des inquisiteurs, accrue par son appui, exaspéra à un tel point les peuples du Languedoc, que l'on

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courut de toutes parts aux armes. Conrad, s'armant des foudres romaines, lança l'excommunication, appela ses fidèles sous les drapeaux, invoqua à son aide la guerre et la destruction, et prêcha une nouvelle croisade contre les Vaudois Albigeois.

Louis IX, que Rome a béatifié sous le nom de saint Louis, suivit les mêmes errements. Ayant

obtenu la soumission du comte de Toulouse et de ses principaux alliés, les anciens soutiens des Vaudois albigeois, il publia une ordonnance stable contre tous les hérétiques. Ceux-ci furent mis hors de la loi commune, privés de leurs droits civils et politiques et proscrits. Une forte somme fût promise à qui les dénoncerait et les arrêterait. Le concile de Toulouse de l'an 1229, prit des mesures analogues en ce qui concernait l'administration ecclésiastique et les droits de l'Église. On interdit spécialement aux laïques de conserver chez eux les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, à l'exception des psaumes. On défendit surtout de n’en traduire aucune partie en langue romane. En exterminant et en emprisonnant la généralité des chrétiens vaudois, là où ils avaient obtenu les plus beaux succès, en ne leur laissant aucun repos, on réussit à arrêter les progrès du réveil magnifique que le retour aux saintes Écritures, à la saine et ancienne doctrine évangélique avait opéré. On put sans doute alors se flatter de l'étouffer bientôt tout à fait. De tels résultats réjouirent la cour de Rome ; elle se hâta de poursuivre son œuvre infernale et d'employer les mêmes moyens dans tous les lieux où l'hérésie lui fut dénoncée, partout où le pouvoir séculier se soumit au rôle d'instrument de ses vengeances et d'exterminateur de ses propres sujets.

Le bilan de toutes ces atrocités perpétrées au temps des cathédrales fut de plusieurs dizaines de

milliers de morts, d’emprisonnés ou de bannis. Voilà bien assez de sang pour enivrer cette femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus. Mais parallèlement à son action guerrière contre toute opposition religieuse, le catholicisme œuvrera de manière habile à instaurer une paix à l’intérieur de sa sphère d’influence, afin de stabiliser et d’unifier à nouveau l’Occident.

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III LA PAIX DE DIEU : Jean 18 : 36 « Mon royaume n'est pas de ce monde, répondit Jésus. Si mon royaume était de ce

monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne fusse pas livré aux Juifs ; mais maintenant mon royaume n'est point d'ici-bas ».

A) Le désordre de l’an mil :

La dissolution de l'empire carolingien au IXème siècle, et la « mutation féodale » qui l'accompagne,

se caractérise par la croissance des exactions commises par les seigneurs. Ceux-ci tentent d'imposer à la paysannerie et au clergé leur protection en échange de revenus, ou bien se livrent à des guerres privées qui entraînent de nombreux « dégâts collatéraux ». Mais dans la seconde moitié du Xème

siècle, à l'approche de l'an mil, les religieux qui ont su se contenir dans le contexte de désordres, ont acquis une grande autorité spirituelle.

Cependant, c’est l’Eglise catholique elle-même qui est souvent responsable des désordres qu’elle

condamne. En effet, les nombreuses exactions dénoncées par les clercs, comme les brigandages, ne sont pas forcément des actes de violence directe : les châtelains essayent d'imposer des taxes aux habitants des terres d'église ce qui réduit les revenus de ces religieux. Ces « brigands » sont bien souvent des spoliateurs de l'Église, en ce sens qu'ils contestent ou rejettent les droits des églises sur les terres dont ils sont les héritiers. Les adversaires de l'Église sont des puissances laïques que l'autorité politique ne parvient pas seule à réprimer. Les couvents et les églises subissent souvent les pressions de descendants des donateurs qui cherchent à récupérer les biens patrimoniaux dont ils auraient dû hériter. L'Église prend donc sa propre défense, ce qui est révélateur du glissement de l'autorité dans sa direction et de l'affaiblissement de l'État. L'Église représente la seule force morale, le seul frein à la violence des seigneurs et des chevaliers.

A l'approche de l'an mil, l’Eglise catholique va utiliser l’ignorance du peuple dans les Ecritures,

pour entretenir les peurs et superstitions. L'époque est alors traversée par un regain de ferveur

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religieuse. Pèlerinages, cultes des reliques et des saints sont de plus en plus pratiqués. D'après Georges Duby, qui défend la thèse d'une mutation féodale rapide aux alentours de l'an mil, l'Apocalypse est le texte sacré qui retient l'attention la plus passionnée. On y lit que « Les mille ans écoulés, Satan, relâché de sa prison, s'en ira séduire les nations dans les 4 coins de la terre, Gog et Magog, et les rassembler pour la guerre, aussi nombreux que le sable de la mer ». Les exactions des guerriers semblent correspondre à ce texte sacré. Dès lors un soin particulier est mis à se laver de ses péchés. En particulier les monastères les moins corrompus reçoivent de nombreuses donations pour obtenir des prières d'absolution post mortem. Le choix des abbés s'oriente de plus en plus vers les hommes les plus influencés par le clergé et certains tels Guillaume d'Aquitaine vont jusqu'à donner l'autonomie et l'immunité à des monastères qui élisent leur abbé. Ce fut le cas de Gorze, Brogne ou Cluny. D'autres monastères utilisent des faux certificats d'immunité pour acquérir l'autonomie.

B) L’apocalypse imminent :

C’est dans le contexte apocalyptique de l’an mil, qu’un fort mouvement de restauration de

l'autorité religieuse est en cours. Les écrits de l'époque (chroniques, récits de miracles) décrivent des foules implorant le secours des saints à l'approche de l'an mil. Raoul Glaber met en avant la violence des seigneurs et les malheurs des temps (l'ergotisme ou mal des ardents qui frappe en Aquitaine en 994, est perçu comme un châtiment divin) qui entrainent de grands rassemblements autour de reliques de saints limousins. Les ecclésiastiques, réunis en concile pour répondre à ces rassemblements, vont exploiter ce mouvement pour imposer « la paix de Dieu ».

Si la Paix de Dieu se base sur un mouvement populaire dans sa première phase (989-1010), elle

bénéficie ensuite du soutien du roi Robert II le Pieux et de la haute noblesse qui y voit un moyen de structurer et de pacifier le royaume. La lutte de l'Église contre les violences seigneuriales assoit aussi par les décisions de ses conciles le nouvel ordre social organisant la société en trois ordres.

Géographiquement, le phénomène des assemblées de paix prend son essor dans la partie

méridionale du royaume de France, au sud de la Loire en Aquitaine. Il s'agit de territoires où l'autorité royale et même ducale peine à s'imposer et où la parcellisation du pouvoir entre les différents seigneurs est particulièrement importante. Ce sont donc des évêques de ces régions centrales du royaume qui assument la convocation des premières assemblées de paix, sous forme de plaids. Ils sont souvent liés à des milieux monastiques soucieux de réforme. L'Église a donc précocement et progressivement été amenée à relayer un pouvoir civil défaillant tout en s'inscrivant dans le prolongement d'une très vieille tradition canonique, selon laquelle se tenaient parfois dans les diocèses des assemblées de paix.

Une fois pris en main par Cluny (à partir de 1016), le mouvement touche d'autres régions : il

atteint la Bourgogne, puis le mouvement se propage vers le nord par la vallée du Rhône. La préoccupation première de la plupart des assemblées de Paix est la protection du patrimoine ecclésiastique. L'autorité politique (le roi, le comte) ne parvenant pas à réprimer les seigneurs, l'Église doit donc prendre sa propre défense face à ces laïcs.

Au synode de Laprade (975-980), l'évêque du Puy tente par tous les moyens (guerre, paix) de

préserver ou de récupérer les domaines ecclésiastiques spoliés par des seigneurs laïcs du voisinage. Au Puy (990-994), on décrète l'inviolabilité des églises et l'interdiction de saisir des animaux dans l'aître d'une église. Au concile d'Anse, près de Lyon, en 994, l'abbé de Cluny défend sa seigneurie ecclésiastique contre les empiètements des princes laïcs. Lors du concile de Charroux en 989, la protection des églises est une fois de plus au cœur des dispositions : « anathème à qui viole les églises : si quelqu'un viole une église sainte ou s'il veut en retirer quelque chose par la force, qu'il soit anathème ; à moins de faire réparation ».

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C) La « paix de Dieu » au service de l’Eglise :

« La paix de Dieu » n’est pas une paix universelle, vue anachronique, mais un mouvement visant à protéger les biens d'Église. Il n'est nullement question de réglementer le droit de guerre, ni d'interdire de manière générale le butin des guerres privées, ni de soustraire les paysans aux méfaits d'une présumée chevalerie formée de milites incontrôlés. Les décisions ne concernent que le seul droit de l'Église et il n'est pas question de l'ordre public. A Vienne, il ne s'agit pas d'interdire la guerre privée, mais d'en limiter les effets à ceux-là seuls qui y sont impliqués (donc les gens de guerre). En particulier la paix de Dieu ne vise pas à limiter la guerre entre princes et le serment de Verdun-sur-le-Doubs (vers 1020) évoque les châteaux illégaux qu'il faut assiéger avec le roi, le comte ou l'évêque, autorisant la levée de vilains pour ce type d'actions. Dès lors, l'autorité des grands sur leurs vassaux s'en trouve renforcée.

La paix de Dieu a donc participé à l'instauration de l'ordre féodal, mais peu à la paix médiévale. Le

mouvement rebondit en 1027, en Catalogne où Oliva de Besalù l'évêque de Vich très lié à Cluny lance la trêve de Dieu avec le Synode d'Elne (dit concile de Toulouges, 1027), puis en 1033 un synode à Vich, son propre diocèse. Il introduit une notion temporelle : les exactions et combats sont interdits le dimanche. A Vich, la trêve se définit comme protection des chrétiens pendant les périodes liturgiques, et relève du seul clergé contrairement à la paix qui relève du comte et de l'évêque.

Dans les années 1030-1040, le mouvement est relayé par les clunisiens : Odilon de Cluny met tout

le réseau de sa congrégation au service de l'œuvre de paix et des archevêques. Il s'agit maintenant de prescrire une suspension des hostilités entre « bellatores » (guerriers) durant certaines périodes de l'année, à l'instar des temps prohibés du calendrier catholique. En interdisant toute activité militaire pendant les périodes liturgiques, l'Église catholique souhaite rendre impossible toute grande entreprise militaire. La guerre n'est plus autorisée que 80 jours répartis tout le long de l'année (décision du concile de Narbonne en 1054). La trêve de Dieu introduit la réprobation de l'homicide entre chrétiens, qu’il faut comprendre dans le sens exclusif des catholiques : ce même concile promulguant que « Nul ‘chrétien’ ne tue un autre ‘chrétien’, car celui qui tue un ‘chrétien’ c'est le sang du Christ qu'il répand ; si cependant l'on tue injustement, ce que nous ne voulons pas, il faudra payer pour cela une amende selon la loi ». C'est ce mouvement, plus que la paix de Dieu qui dans les faits instaure la paix médiévale.

C'est aussi durant cette période que le mouvement (de Paix-Trêve) s'institutionnalise, pris en

main exclusivement par les clercs, évêques et moines réformateurs. Lors des conciles de la seconde moitié du XIème siècle, sont promulguées à la fois des dispositions de paix et de trêve, les deux institutions étant désormais liées. La Trêve de Dieu n'est pas le seul moyen non violent utilisé par l'Église : elle parvient par exemple à ajouter des serments religieux dans les serments de vassalité, ajoutant un surplus d'autorité qui permet de canaliser les violences. On peut voir en ceci la combinaison concertée des autorités spirituelles (potestas) et séculières (auctoritas) qui bâtissent le gouvernement catholique depuis le Vème siècle.

Par la Paix de Dieu, l'Église ne cherche pas à interdire la guerre et à promouvoir la paix : elle

moralise la paix et la guerre en fonction de ses objectifs et de ses intérêts. C'est en cela que la Paix de Dieu constitue une étape préparatoire importante de la formation de l'idée de croisade.

D) La « paix de Dieu » pour les autorités laïques :

Les ducs et comtes retrouvent assez de pouvoir pour reprendre en main le mouvement de paix :

en 1047, en Normandie, la Paix de Dieu devient la paix du duc (concile de Caen) ; en 1064 en Catalogne, elle devient la paix du comte. Dans le même temps la paix s'internationalise, s'étendant aux pays voisins de la France : Catalogne, Angleterre, pays germaniques. La papauté conforte enfin le

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mouvement : Urbain II, ancien moine clunisien, reprend lors du concile de Clermont (1095) les dispositions promulguées aux conciles de paix. Il y invite tous les catholiques à observer entre eux une paix perpétuelle et à aller combattre l'hérétique.

La bénédiction des armes des combattants, les mouvements de la paix et de la trêve de Dieu, les

pèlerinages, les croisades et la création d'ordres militaires « catholicisent » la conduite de la noblesse qui c’est totalement détournée des fondements de l’évangile. Ce mouvement général contribue à la centralisation du pouvoir et un redémarrage économique. Cet essor économique bénéficiera au développement des villes, du commerce et de l'artisanat, grâce à un pouvoir central garantissant la sécurité des axes de communication et des marchés qui devient de plus en plus nécessaire. Les autorités royales, impériales, ducales sous l’autorité pontificale sont renforcées grâce à l'autorité religieuse, plus que la puissance militaire qui est désormais sous le « contrôle » de la paix de Dieu.

Apocalypse 17 : 3 « Il me transporta en esprit dans un désert. Et je vis une femme assise sur une

bête écarlate,… 2 C’est avec elle que les rois de la terre se sont livrés à l’impudicité, et c’est du vin de son impudicité que les habitants de la terre se sont enivrés… 18 Et la femme que tu as vue, c’est la grande ville qui a la royauté sur les rois de la terre ».

Luc 4 : 1 « Jésus, rempli du Saint-Esprit, revint du Jourdain, et il fut conduit par l’Esprit dans le

désert […] 5 Le diable, l’ayant élevé, lui montra en un instant tous les royaumes de la terre, 6 et lui dit : Je te donnerai toute cette puissance, et la gloire de ces royaumes ; car elle m’a été donnée, et je la donne à qui je veux. 7 Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi. 8 Jésus lui répondit : Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul ».

Si je mets en perspective les textes de Luc et de l’Apocalypse, c’est pour démontrer que ce qui fut

refusé par Jésus-Christ, fut accepté par la grande prostituée. En effet, le clergé catholique voit son autorité grandir au cours du Moyen Âge, pour atteindre son apogée au XIème siècle. Il va progressivement s’éloigner de l’Evangile, pour finalement lui tourner totalement le dos et blasphémer contre le Saint-Esprit, en déclarant saint ce que l’Esprit condamne. Des jours ou des mois (comme Noël et le mois de mai associé à la Vierge), des reliques et des hommes, le pape et son clergé, tous seront déclarés saints. Même la guerre deviendra sainte grâce aux croisades, tout comme l’inquisition et son Saint-Office (d’où sortira le pape actuel, Benoît XIII).

C’est en France, « Fille ainée de l’Eglise », que l’influence des papes sera la plus importante. On

peut en mesurer l’étendue à la taille de ses églises, d’abord romanes puis gothiques. L'abbaye de Cluny est fondée en 910 par Guillaume d'Aquitaine. Sa construction est achevée au milieu du XIIème siècle, au moment de son apogée. Pendant cinq siècles, jusqu'à la construction de Saint-Pierre de Rome, l'abbatiale de Cluny est le plus grand édifice religieux d'Europe (177 m de long). Plusieurs papes en sont issus. Mais après la longueur, suivra la hauteur des cathédrales gothiques qui s’installeront au centre des villes et donc de la gouvernance.

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Ces monuments gigantesques et magnifiques manifestent la puissance de l’évêque de Rome. En effet, malheur au roi ou à l’empereur qui défie la puissance du pape en ce temps-là. Le 24 janvier 1076, le pape Grégoire VII ayant refusé que les évêques soient nommés par des laïcs, le roi Henri IV, futur empereur germanique, fait prononcer la déposition du souverain pontife par le concile de Worms. Dès le mois de février, le pape réplique en excommuniant le souverain germanique et en déliant ses vassaux de leur serment de fidélité. Les princes du royaume se révoltent et en octobre 1076, à Trebur, menacent de déposer Henri IV si l’excommunication n'est pas levée avant le 2 février 1077. Henri IV n’a pas d’autre choix que de se soumettre. Avec sa femme et ses enfants en chemise de bure, il doit attendre à Canossa, les pieds dans la neige, que le pape change d'avis, ce qu'il fit le 28 janvier. Le recevant, le pape ne put faire moins que de lever l'excommunication de l'empereur.

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IV LA CONSOLIDATION DU ROYAUME DE PAIX : Romains 6 : 23 « Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie

éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur ». Emile Zola : « La Terre : D’abord, il était question des Gaulois libres, réduits en esclavage par les

Romains, puis conquis par les Francs, qui, des esclaves, firent des serfs, en établissant la féodalité. Et le long martyr commençait, le martyr de Jacques Bonhomme, de l’ouvrier de la terre, exploité, exterminé, à travers les siècles…. Alors, un affreux dénombrement commençait, celui des droits qui frappaient le misérable. Personne n’en pouvait dresser la liste exacte et complète, ils pullulaient, ils soufflaient à la fois du roi, de l’évêque et du seigneur. Trois carnassiers dévorants sur le même corps : le roi avait le cens et la taille, l’évêque avait la dîme, le seigneur imposait tout, battait monnaie avec tout. Plus rien n’appartenait au paysan, ni la terre, ni l’eau, ni le feu, ni même l’air qu’il respirait. Il lui fallait payer, payer toujours, pour sa vie, pour sa mort, pour ses contrats, ses troupeaux,… ».

Le milieu du Moyen Age, aussi appelé à juste titre « l’âge des ténèbres », voit donc s’établir la paix

de Dieu et surtout l’autorité du pape sur l’Occident chrétien. Ayant déclaré saint tout ce que l’Evangile condamne, le « trône » papal le devient donc également avec l’établissement d’un Saint-Siège. Le Saint-Siège est l’incarnation du pouvoir spirituel de l'Église catholique, c'est-à-dire du pape, et de son administration, la Curie romaine. Le pouvoir temporel et territorial du pape est une mystification remontant à la donation faite par l'empereur Constantin du palais de Latran. Mais c'est Pépin le Bref qui va donner corps à la mystification, en battant les Lombards en 754-756. Il conquiert pour le pape Étienne II le Patrimoine de Saint Pierre, ancêtre des États pontificaux (donation de Pépin). En faisant cela, il donne au pape un royaume qui lui est propre, pour dominer tous les autres royaumes. C'est au cours de cet épisode que la France fait remonter son titre, jamais défini, de « fille aînée de l'Église ».

D’où vient l’appellation « Siège Apostolique » ou « Saint-Siège » ?

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A) Coutumes antiques et culte des morts :

a) Le séjour des morts :

Le 22 février, l’Eglise catholique commémore au cours des offices, la fête «Cathedra Petri». Le

professeur Adoîf Adam, théologien catholique, écrit : « Il en ressort que cette commémoration romaine, qui est attestée dès le milieu du IVème siècle (Déposition Mariyrium), remonte à une coutume antique (datant d’avant l’ère chrétienne). Dans la Rome ancienne (païenne) démarre, du 13 au 22 février (c’est-à-dire à la fin de l’année, qui débutait à l’origine le 1er mars) une commémoration des morts, en l’honneur des parents et des connaissances (= parentalia). A cette occasion, on laissait un siège (= cathedra) libre pour certains défunts. Comme l’Eglise romaine ne connaissait pas avec exactitude le jour de la mort de Pierre, elle décida d’évoquer sa mémoire le 22 février. C’est seulement plus tard que l’on donna à cathedra le sens de chaire épiscopale et qu’on vit dans cette commémoration le souvenir du jour où Pierre prit en charge l’Eglise romaine ».

Comme tant d’autres coutumes païennes, cette pratique occulte, issue du culte des morts de

l’antiquité païenne, a fait elle aussi son entrée dans l’Eglise de Rome au moment, où au IVème siècle, une grande partie des communautés chrétiennes se sont mêlées au monde et aux cultes païens. Cela a créé la nouvelle religion : le catholicisme romain. Ceci prend un relief encore plus particulier quand on le met en perspective avec le texte de Matthieu 16 : 18 « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle ». Ayant inventé le mythe de Pierre comme premier pape, et ainsi justifié une continuité apostolique s’appuyant sur ce texte comme fondateur de l’Eglise catholique, les ecclésiastiques en ont perverti le sens, jusqu’à en faire prévaloir le séjour des morts dans leurs pratiques religieuses. Le trône papal, la cathèdre, tire son nom d’une fête païenne, la fête «Cathedra Petri», lié au séjour des morts.

Mais l’Eglise catholique ne s’arrêtera pas en si bon chemin sur la voie qui mène au séjour des

morts. Elle va en ouvrir les portes en grand, pour en faire un formidable commerce qui assurera son immense richesse. La descente vers le séjour des morts ne sera pas brutale, mais se fera par étape au cours des siècles. Cela commence très tôt, vers le IIIème siècle, par la prière pour les morts, puis par la vénération des saints, des icônes et par la Reine du Ciel, la Vierge Marie, au Concile d'Éphèse (431).

Il s’en suivra : - la doctrine du purgatoire, établie par Grégoire I

(593). - Les prières adressées à Marie, aux saints décédés

et aux anges (vers l'an 600). - La transformation du Panthéon de Rome en

sanctuaire catholique. Le pape Boniface IV le consacra le 13 mai 610, sous le nom de l'église Sainte-Marie-et-des-martyrs. Boniface IV voulait ainsi faire mémoire de tous les martyrs chrétiens dont les corps étaient honorés dans ce sanctuaire.

- La fête de la Toussaint fut alors fêtée le 13 mai, date anniversaire de la dédicace de cette église consacrée aux martyrs.

- L'adoration de la croix, des images et des reliques (autorisée en l'an 786). - La canonisation des saints décédés, initié par le Pape Jean XV (995). - En 998, Odilon de Cluny institue une journée consacrée à la commémoration de tous les fidèles

trépassés et la fixe le 2 Novembre.

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b) Le culte des reliques :

Dans la liturgie catholique pour les morts, il faut différentier ceux pour qui on prie afin de les

sortir du purgatoire et les saints, comme la Vierge, que l’on prie afin qu’ils intercèdent en notre faveur. Dans un cas, comme dans l’autre, cette pratique annihile l’œuvre de Jésus-Christ et vide la substance même de l’Evangile, qui proclame que seule la foi justifie le pécheur. Mais non content d’avoir détourné la foi du plus grand nombre de la vérité des évangiles, l’Eglise catholique va en faire un commerce. La pratique de la simonie (l’achat et la vente de biens spirituels), le culte des saints et de leurs reliques, les prières pour les morts, associé à la vente d’indulgences va prendre une dimension aussi considérable que la taille des cathédrales gothiques.

L’essor des abbayes, puis des cathédrales dépendra beaucoup du nombre et de la qualité de ses

reliques. Le culte des reliques va entrainer l’essor des pèlerinages. Il existera trois grands centres de pèlerinage catholique au Moyen Âge : Jérusalem où se trouve le tombeau du Christ, Rome la ville du pape et Saint-Jacques de Compostelle en Espagne. Une fois arrivée à destination (le voyage durait plusieurs mois), les pèlerins vénéraient les reliques par des prières ou des offrandes. Ils espéraient des miracles du saint et des guérisons des maladies. Mais c’était aussi souvent la fin d’une pénitence.

Le culte des saints l'emportera sur toutes les autres formes de piété, car il est associé à celui du

culte des reliques, et parce que l'accès au trésor de l'Écriture demeure fermé pour des laïcs illettrés. Les richesses de la liturgie sont culturellement peu accessibles. L’ascétisme monastique demeure un idéal difficile à atteindre et la portée et le sens de la messe sont mal compris. Les saints offrent des modèles proches, un secours immédiat contre le Mal et une intercession puissante pour le salut de l'âme du pauvre pécheur. Tout pèlerinage était donc inséparable du culte des reliques. Dans ces conditions, plus les reliquaires étaient nombreux dans une abbaye ou une église, plus les chrétiens affluaient, plus les aumônes tombaient en un commerce prospère du luminaire.

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Tout ceci va provoquer la course aux reliques. Ces dernières, si nombreuses fussent-elles, ne pouvaient satisfaire tous les demandeurs, clercs ou particuliers. Souvent les religieux en offraient pour payer leurs déplacements. Il fallait donc les multiplier. Pour ce faire, les moines n’hésitèrent pas à fractionner les squelettes, malgré l’interdiction formelle qui en avait été faite au IVème siècle par l’empereur Théodose. Un peu plus tard, les pères de l’Église affirmèrent pourtant que « si divisé et dispersé que soit le corps des martyrs, la grâce est toute entière attachée au moindre fragment ». On vendra même des flacons d’huile ayant coulé sur des reliques. On mettait l’ossement dans une auge remplie d’huile et une clé permettait d’en céder aux pèlerins. Cela durait indéfiniment, il suffisait de rajouter de l’huile. C’est surtout au moment des croisades que les reliques furent les plus nombreuses. Les chevaliers francs avaient été stupéfaits par les richesses des églises orientales que l’impératrice Hélène avait comblées de reliques. Par exemple, à Sainte Sophie de Byzance, on trouvait les trompettes de Jéricho, les langes du Christ, les douze corbeilles de la multiplication des pains et surtout la tête de saint Jean Baptiste.

c) Le purgatoire ou l’indulgence :

Cette course effrénée au culte des saints et des reliques, gonfla incroyablement le trésor des

abbayes, qui finirent par dédier les lieux de culte, non plus au Seigneur, mais aux saints associés aux reliques. Le rôle du Christ comme sauveur fut encore amoindri par la peur entretenue de fautes jamais vraiment pardonnées et donc d’un salut incomplet. L’Eglise menaçait les pécheurs impénitents des peines éternelles (enfer) et les moins fautifs d’un séjour plus ou moins long au purgatoire après leur mort, sorte d’antichambre du paradis. Pendant leur vie, les gens pratiquaient donc toutes sortes de pénitences pour s’acquitter de leurs fautes (pèlerinages, croisades, flagellations, jeûnes, etc.) et diminuer de la sorte leur séjour au purgatoire.

L’Eglise prétendait pouvoir influencer les châtiments divins. Car à cause de sa multitude de saints,

elle prétendait avoir à sa disposition un superflu de bonnes œuvres, qu’elle pouvait administrer à son gré. l’Eglise enseigna donc le salut par les œuvres et ceux qui n’en avaient pas comptabilisé assez, avaient la possibilité d’en acheter à ceux qui en avaient accumulé en suffisance (les saints). Elle proposait alors des alternatives, comme l’achat d’indulgences qui avaient soi-disant le pouvoir de libérer ou de diminuer le temps à passer au purgatoire pour la punition des péchés. Ainsi l’Eglise, en vendant des indulgences, satisfaisait le désir de salut du peuple en même temps que ses besoins financiers.

L'indulgence devient à cette période une arme pontificale. L’indulgence plénière apparaît au

milieu du XIème siècle ; elle est alors employée pour encourager la croisade en Espagne, c'est-à-dire la Reconquista. Au cours du Moyen Âge, le « cours » de l'indulgence ne cesse de baisser tant on les multiplie : il faut de moins en moins d'efforts pour obtenir une indulgence de plus en plus large. Ainsi, on en vient à accorder une indulgence plénière pour l'observation d'une paix jurée, ce qui revient à récompenser l'absence de péché. On monnaie également des dispenses à diverses obligations, les sommes ainsi récoltées finançant des édifices religieux ou permettant à certains prélats de mener grand train. La plus célèbre des indulgences est celle accordée à quiconque aidera à la construction de la nouvelle basilique Saint-Pierre de Rome, le plus grand édifice religieux du monde.

Par son désir de puissance, d’autorité et de richesses, le clergé catholique c’est totalement

détourné du message des évangiles et donc du christianisme. Les papes doivent donc redéfinir la notion de christianisme dans un monde occidental qui se « catholicise ». La théologie du Moyen Âge a évolué petit à petit pour s’uniformiser, se préciser tout en s’institutionnalisant et en s’éloignant progressivement de la foi des premiers chrétiens, jusqu’à la quitter. Différents Conciles (rassemblement des responsables de l’Église pour débattre des doctrines et ériger des dogmes) se sont organisés pour dénoncer les hérésies et établir la doctrine dite catholique, c’est-à-dire

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universelle. Tout ce qui s’opposera au catholicisme sera sévèrement combattu et justifiera les guerres de religion qui iront en s’amplifiant au fil du temps. Les premiers visés furent les vrais chrétiens eux-mêmes.

B) Les étapes de la conquête du royaume de paix :

a) Les rois sous la tutelle de l’Eglise :

Au temps des cathédrales gothiques, les papes seront à l’apogée de leur puissance temporelle.

Innocent III soutient l'idée que le pape détient seul l'entière souveraineté (l'auctoritas des Romains). Les princes possèdent la potestas, c'est-à-dire la puissance politique qui leur est donnée directement par Dieu. Ils accomplissent comme ils l'entendent leur office dans leur domaine. Il en découle que les souverains ne peuvent se soustraire à l'autorité pontificale, pas plus que les Églises nationales. « Nous avons été institués prince sur la Terre (…) avec le pouvoir de renverser, de détruire, de dissiper, d'édifier et de planter ». Il déclare au patriarche de Constantinople que l'univers entier a été confié à saint Pierre et à ses successeurs.

Dans sa lettre Etsi non displiceat de 1205, Innocent III condamne quelques activités des juifs et

exhorte Philippe II Auguste à mettre fin à ces abus dans son domaine (en latin : abusiones huiusmodi de regno Francorum studeas abolire), ainsi qu’à persécuter les loups qui ont adopté l'air de brebis. Ceci dans le but de démontrer la ferveur, avec laquelle Sa Majesté (regia celsitudo) professe la foi chrétienne. Auparavant, il n'a pas hésité à jeter l'interdit sur le royaume de France lorsque Philippe II Auguste fait illégalement annuler son mariage avec Ingeburge de Danemark pour épouser Agnès de Méran, le 1er juin 1196. Il frappe aussi l'Angleterre d'interdit et dépose même Jean sans Terre quand celui-ci refuse l'accession d'Étienne Langton au siège de Cantorbéry en 1208. Il excommunie le roi d'Angleterre l'année suivante et le menace de déposition. Lorsque Jean se plie à la volonté papale et demande son pardon en 1213, le pape exige une soumission complète. Le roi doit réparer les dégâts causés dans les églises pendant le conflit et se reconnaître vassal du Saint-Siège. Il prend deux ans plus tard la défense du souverain contre les barons révoltés, qui, à ses yeux, menacent la paix de la chrétienté. À l'image de l'Angleterre, les rois d'Aragon, de Bulgarie et du Portugal se reconnaissent vassal du pape. Dans l’empire germanique, Innocent III excommunie Otton IV en 1210 et favorise la marche au pouvoir de Frédéric II, son pupille. Celui-ci est couronné roi à Aix-la Chapelle en 1215 après avoir donné au pape toutes les garanties sur le maintien des droits de l'Église et sur la séparation des royaumes germaniques et de Sicile.

Innocent III est à l'origine du détournement de l'idée de croisades. Il forge l'idée de « croisades

politiques » qui sera reprise par ses successeurs. Il est le premier à lever des taxes pour financer les croisades, et aussi à exprimer le droit à « l'exposition en proie », c'est-à-dire le droit pour le pape d'autoriser les catholiques à s'emparer des terres de ceux qui ne réprimeraient pas l'hérésie. À partir de 1207-1208, Innocent III fait prêcher la croisade contre les Albigeois. Dans une lettre aux évêques du Midi, il expose pour la première fois les principes justifiant l'extension de la croisade en pays chrétien : l'Église n'est pas obligée de recourir au bras séculier pour exterminer l'hérésie dans une région ; à défaut du suzerain, elle a le droit de prendre elle-même l'initiative de convoquer tous les chrétiens, et même de disposer des territoires des hérétiques en les offrant, par-dessus le suzerain, comme butin aux conquérants. Il offre à tous ceux qui participeraient à la réduction de l'hérésie les mêmes indulgences que pour les croisés de Terre sainte, mais en plus, ils leur donnent les terres conquises lors de la croisade. C’est ainsi que « la fille ainée de l’Eglise », le royaume de France, s’agrandira considérablement.

La croisade des Albigeois (1208-1249) est une croisade proclamée par l'Église catholique contre

l'hérésie, principalement le catharisme et dans une faible mesure contre le valdéisme. Finalement, les vicomtés de Carcassonne, d'Albi et de Béziers sont annexées au domaine royal en 1226 ; le comté

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de Toulouse passe à Alphonse de Poitiers, un frère de saint Louis, en 1249 et est annexé en 1271. Le Languedoc, qui se trouvait au début du XIIIème siècle dans la sphère d'influence du Royaume d'Aragon, est entièrement passé à la fin de ce siècle sous celle du roi de France. À cette époque, le catharisme est éradiqué en Languedoc, et seuls quelques cathares ont pu se réfugier en Lombardie.

C’est là une manière d’ouvrir le séjour des morts, afin d’y faire entrer les vrais chrétiens en les tuant, pour mieux voler leurs biens.

Apocalypse 17 : 3 « Il me transporta en esprit dans un désert. Et je vis une femme assise sur une

bête écarlate, pleine de noms de blasphème, ayant sept têtes et dix cornes. 4 Cette femme était vêtue de pourpre et d’écarlate, et parée d’or, de pierres précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d’or, remplie d’abominations et des impuretés de sa prostitution ».

Lorsque l’on sait tout ce qu’a accompli le clergé catholique au Moyen Âge, en ouvrant les portes du séjour des morts, on comprend beaucoup mieux comment le pourpre des évêques et l’écarlate des cardinaux se sont couverts d’or, de pierres précieuses et de perles.

b) Le schisme :

Pour survivre à la décomposition puis à l’effondrement de l’Empire romain, l’Eglise naissante

catholique doit trouver un soutien et un protectorat qui l’accompagne dans sa quête de l’établissement d’une théocratie papale. La dilatation du catholicisme au début du Moyen Âge s'accompagne de la mise en place d’une nouvelle hiérarchie ecclésiastique avec la papauté, qui se hisse à la tête de celle-ci, pour devenir grâce aux Carolingiens, un des principaux pouvoirs en Occident : l'évêque de Rome, dont l'autorité spirituelle prétend s'appuyer sur la primauté du siège de l'apôtre Pierre, devient le souverain pontife. Mais l'Église romaine doit d’abord s'imposer face à Byzance, qui a encore l’autorité sur Rome.

En 730, l’empereur byzantin Léon III l’Isaurien (empereur de 717 à 741) interdit l’usage d’icônes

du Christ, de la Vierge Marie et des saints, et ordonne leur destruction. Constantin V (718-775), va même mener une véritable guerre contre les iconodoules ou partisans des icônes. Ses attaques contre les moines se transformèrent en attaques contre l'institution monastique elle-même. Il rejeta non seulement les icônes, mais aussi le culte des saints et la vénération des reliques. Mais entièrement préoccupé par ses guerres contre les Arabes et les Bulgares, Constantin ne porta aucune attention à l'Italie. Or, le pape, dont le fonds de commerce est directement lié à ces pratiques antéchrists, va chercher un autre allié contre les Lombards. En janvier 754, le pape Étienne II franchit les Alpes pour rencontrer le roi des Francs, Pépin le Bref, à Ponthion, dans le but de préparer la fondation d'un État ecclésiastique romain.

Le court règne de Léon IV, fils de Constantin

V, marque la transition entre la haine virulente pour les icônes et l'attachement manifesté par son épouse, Irène, qui en rétablit le culte. Sa mort prématurée porta sur le trône son fils alors âgé de dix ans, Constantin VI. Sa mère, Irène, se hâta de saisir le pouvoir à la faveur d'un coup d'État manqué, et de nommer des évêques iconodoules. Ainsi, le patriarche Tarasios présida le deuxième concile de Nicée, qui condamna l'iconoclasme comme une hérésie et rétablit la vénération des images. Afin de bien démontrer qu'elle était le seul maître de l'empire, Irène

porta pendant cette période le titre de basileus. Cependant, le pape couronna Charlemagne comme empereur en 800, alléguant qu'une femme ne pouvait remplir cette fonction. La scission entre

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l’empire d’orient et d’occident fut définitivement consommée. Le pape serait le chef spirituel en Occident.

c) Institution du sacre :

Dans leur insatiable soif de pouvoir, les papes allaient instaurer une pratique nouvelle chez les

francs, qui à terme deviendrait l’instrument même de leur autorité suprême. Les rois mérovingiens (Vème au VIIIème siècle) n'accédaient pas au pouvoir par un sacre ; ils étaient choisis (élus) par les aristocrates au sein de la famille mérovingienne. Leur pouvoir provenait de leur charisme et de leurs victoires militaires. Le baptême du premier roi mérovingien, Clovis, vers 496-499, n'a jamais été un sacre.

Au milieu du VIIIème siècle, le maire du palais, Pépin le Bref, fils de Charles Martel, inaugura la

pratique du sacre religieux pour les rois de France ; au préalable, il voulut s'assurer du soutien de la plus haute autorité spirituelle de l'Occident : le pape. Il envoya d'abord Burchard, évêque de Wurzbourg, et Fulrad, l'abbé de Saint-Denis, en ambassade auprès du pape Zacharie. Celui-ci répondit que l'ordre divin était troublé, car le maire du palais disposait de la réalité du pouvoir, alors qu'il n'en avait pas la légitimité. Les derniers rois mérovingiens n'exerçaient en effet, plus aucune autorité effective (image d'Epinal des rois fainéants). L'Église affirma alors qu'elle devait donner la légitimité du pouvoir par le rituel du sacre. Le modèle fut l'onction que reçut le roi David par Samuel dans l'Ancien Testament. Le sacre de Pépin le Bref eut lieu en mars 752 à Soissons, où « les évêques présents l’oignirent du saint chrême » en plusieurs endroits du corps. L'élection par le peuple et les grands (aristocrates) du royaume demeura, mais avec les successeurs carolingiens, elle perdit de son importance.

En échange de son accord de principe, le pape avait espéré l'appui armé du carolingien face aux

menaces lombardes. En 753, le pape Étienne II fut contraint de se réfugier en Gaule, où il demanda l'intervention de Pépin le Bref. Ce dernier lui donna alors la promesse d'une intervention armée contre les Lombards. En échange, le pape lui confèra le titre de « patrice des Romains » (c'est-à-dire protecteur de Rome) et le sacra une seconde fois à Saint-Denis, le 28 juillet 754. Cette fois-ci, les deux fils de Pépin, dont le futur Charlemagne, furent sacrés des mains mêmes du pontife qui bénit aussi Berthe, la mère de Pépin. Par la suite, Pépin Le Bref tint sa promesse et engagea plusieurs expéditions en Italie. Les territoires abandonnés par les Lombards formèrent la donation de Pépin, qui constitua l'embryon des états pontificaux, le temporal de Saint-Pierre.

d) Le Saint-Empire Romain Germanique :

Mais après Charlemagne, l’empire carolingien se divisa. Sa partie germanique resta l’autorité la

plus représentative, sous l’appellation de Saint-Empire Romain Germanique, qui débuta le 2 février 962, par le couronnement d'Otton Ier à Rome (par le pape Jean XII). Il se voulait l'héritier de l'Empire d'Occident des Carolingiens qui avait disparu au Xème siècle, mais également du prestige de l'Empire romain avant lui. L’Empire germanique va exercer un contrôle total sur l'élection des papes et sur la nomination des évêques. Pour asseoir leur autorité, les souverains germaniques avait dévolu des pouvoirs régaliens aux prélats. Les évêques présentaient l'avantage de ne pas avoir d'héritier. Ne concéder les charges qu'à titre viager permettait de récupérer les terres à la mort du vassal et évitait donc la perte progressive des possessions. Cela permettait aussi de conserver un moyen de pression sur ses vassaux, dont la jouissance des terres accordées en précaire pouvait être retirée.

Les empereurs Ottoniens germaniques donnaient les investitures temporelles et spirituelles à des

hommes de leur choix, souvent issus de la chapelle royale, où ils avaient pu être jaugés et estimés fidèles à leur personne et à leur pouvoir. Ainsi, les évêques de la Reichskirche formaient l'ossature de l'administration impériale. Cette investiture était symbolisée par la remise de l'anneau et de la crosse

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par l'empereur à l'évêque qui entrait en charge. Les empiètements du pouvoir temporel n’étaient pas le seul fait de l'empereur. D'une façon plus générale, les grands laïcs avaient mis la main sur l'Église. La conséquence en fut la généralisation du trafic des charges ecclésiastiques. Les prêtres vendaient les sacrements, s'adonnaient au trafic des reliques et en tiraient de substantiels revenus. C'est ce qu'on appelle la simonie.

Si les empereurs du Saint-Empire s’étaient accaparé le droit d'investiture du pape, les rois capétiens vendaient des évêchés et, après la conquête de l'Angleterre, les rois normands distribuaient à leurs fidèles les sièges épiscopaux anglais. En outre, le mariage des prêtres se généralisait en France, en Allemagne et en Italie.

Alors que la réforme monastique a été le meilleur soutien de l'Empire, les choses évoluèrent sous

Henri III. À partir de Léon IX, les souverains pontifes, inspirés par Hidebrant (l’éminence grise et le futur Grégoire VII), vont faire de la lutte contre la simonie un de leur principal cheval de bataille. Profitant de la régence d'Agnès de Poitou, ils parvinrent à ce que le pape soit élu par le collège des cardinaux et ne soit plus désigné par l'empereur. Une fois cela acquis, ils comptèrent lutter contre l'investiture des évêques germaniques par l'empereur. Or on l'a vu, les évêques étaient la clef de voûte du pouvoir impérial. L'enjeu était clair, l'Occident devait devenir une théocratie papale.

Commence alors au milieu du XIème siècle la réforme grégorienne. En 1059, le pape Nicolas II

réserve l’élection du pape au collège des cardinaux. Puis, en 1075, Grégoire VII affirme dans les dictatus papae qu’il est le seul à posséder un pouvoir universel, supérieur à celui des souverains. Il leur retire la nomination des évêques. Commence alors une lutte féroce entre la papauté et l’empereur, que les historiens ont appelé la « querelle des investitures ». L’épisode le plus fameux en est l’excommunication d’Henri IV et de sa pénitence à Canossa pour obtenir le pardon pontifical. À l’issue de ce conflit, le pape parvient à se soustraire à la tutelle impériale. En 1122, par le Concordat de Worms, l’empereur accepte la libre élection des évêques, se réservant le droit de donner aux prélats l’investiture temporelle. Ce compromis marque la défaite de l’Empire.

Mais les empereurs germaniques vont essayer de reprendre le pouvoir sur le pape. Une véritable

guerre d’investiture fit rage entre Frédéric II et le pape Grégoire IX (1227-1241), décidé à soumettre les Hohenstaufen à l’autorité pontificale. Le pape mena une véritable croisade. Il offrit aux soldats qui combattaient pour lui les mêmes privilèges qu'à ceux qui combattaient en terre sainte. Les Hongrois, qui avaient fait le vœu de croisade, furent même invités à participer à la guerre contre Frédéric II. Celui-ci était dénoncé comme l’Antéchrist par les papes. Il occupait les États de l’Église après la mort de Grégoire IX.

Le nouveau pape Innocent IV reprit la lutte. Il appella les Allemands et les Italiens à la croisade contre l'empereur, mais il fut forcé de se réfugier à Lyon, où il réunit un concile en 1245. Il y déposa son adversaire et délia ses sujets de leur serment de fidélité. Le pape montra ainsi qu’il était le maître des pouvoirs temporel et spirituel, pouvant priver un souverain de son pouvoir politique. Le concile de Lyon fut le point culminant de la théocratie pontificale. La mort de Frédéric II consacra la victoire de la papauté. Innocent IV, désireux d’en finir avec les Hohenstaufen, excommunia le fils de Frédéric II, Conrad IV, et prêcha la croisade contre lui. Les deux hommes moururent en 1254.

Grâce au pouvoir du sacre et de l’excommunication, les papes purent régner en maître au temps

des cathédrales gothiques. Elles deviendront un siège de pouvoir autant spirituel que temporel, celui de l’évêque. Le clergé catholique façonna littéralement le monde occidental de cette époque. Il l’extirpa des voies de l’Evangile pour y imposer un ordre nouveau dit « chrétien », mais qui dans les faits était totalement antéchrist.

Par le biais des évêques (en commençant par celui de Rome), on peut donc affirmer que l’Eglise romaine est assise et « trône » au sein des cathédrales. Ce qui correspond parfaitement à Apocalypse 17:1 « Viens, je te montrerai le jugement de la grande prostituée qui est assise sur les grandes eaux ».

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V LA CONQUETE DES ESPRITS : Romains 10 : 17 « Ainsi la foi est de ce qu'on entend, et ce qu'on entend par la parole de Dieu ».

A) Le contrôle de l’enseignement : Le Moyen Âge a été, du point de vue religieux, une période de grande ignorance biblique. La Bible

n'existait que sous forme de manuscrits écrits en latin, coûteux et rares, et la population dans sa grande majorité était illettrée.

Durant cette période la Bible était enchaînée, au même titre que la pensée humaine. Elle était retenue captive premièrement par l'ignorance du peuple, que ses prêtres, pour le mieux dominer, se gardaient bien d'instruire. Deuxièmement, c'est la lenteur et la cherté des moyens de reproduction des livres saints, dont un exemplaire se vendait jusqu'à 3 000 francs de notre monnaie, qui rendait sa vulgarisation impossible. Enfin, l'homme d'église nourrissait une secrète hostilité à l’égard de ce livre, qu’il pressentait comme une puissance d'émancipation à redouter.

a) Un enseignement pour qui ?

Au Moyen Âge, on ne se souciait pas de créer des écoles pour les serfs ou les paysans, pas plus

qu'on n'en organisait dans l'antiquité pour les esclaves. Cependant, la nécessité pour l'Eglise de recruter des clercs capables de prêcher la religion et d'administrer les affaires religieuses, poussa les ecclésiastiques à étendre le bénéfice de la culture autour des évêchés et des cloîtres. Tous les enfants, pauvres ou riches, ayant des capacités pouvaient prétendre à l’enseignement religieux. On assista alors à l'extension des écoles monastiques, puis à celle des écoles épiscopales. Les premières pouvaient donner gratuitement l'instruction, les secondes faisaient payer les riches et entretenaient gratuitement les enfants du peuple ; des bourses ou des dons subvenant aux besoins des plus pauvres. Les conciles ne cessaient de recommander cette œuvre d'éducation, que l'Eglise était seule à assurer.

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Toute église cathédrale, toute grande abbaye avait son école où l'on élevait les jeunes gens destinés à entrer dans les ordres. On leur apprenait ce qui était nécessaire à un clerc, à lire, à écrire le latin, à chanter, à dire les offices. La discipline était rude, chaque année les écoliers allaient en grande cérémonie couper les verges qui devaient servir à les frapper. On trouve, dans Guibert de Nogent, ce récit : « Ma mère ayant vu mes bras tout noirs et la peau de mes épaules gonflée par les coups de verges, s'écria : - Je ne veux plus que tu deviennes clerc, ni que, pour apprendre les lettres, tu supportes ce traitement. A ces mots, la regardant avec colère : - Quand je devrais mourir, je ne cesserai pas d'apprendre les lettres ».

Au temps de la renaissance carolingienne et jusqu'au XIème siècle, les meilleures écoles étaient

situées dans les monastères. Les abbayes conservaient et transmettaient le savoir, grâce à l'enseignement, mais aussi grâce à leur scriptorium et à leur bibliothèque. Les abbayes étant souvent établies à la campagne, l'enseignement qui y était dispensé pouvait apparaître comme lointain et isolé. Au XIIème siècle, les écoles épiscopales, situées en ville près de la cathédrale, connurent un succès et un rayonnement qui éclipsèrent la renommée des écoles monastiques. Les écoles épiscopales étaient à la charge des chanoines de la cathédrale. Elles étaient dirigées par un écolâtre. L'enseignement était assuré par des maîtres (magister en latin), c'est-à-dire les professeurs de l'époque. Ces maîtres étaient des clercs ayant terminé leurs études et ayant obtenu la « licence d'enseigner » (licencia docendi). À la fin du XIIème siècle, cette autorisation était attribuée par le chancelier de la cathédrale, ce qui en faisait également une école.

b) Quoi, comment :

Les écoles cathédrales durent leur nom à leurs liens avec l'Église, leur vocation étant à l'origine de

former le clergé. Elles ont peu à peu accepté des étudiants laïques. Ces écoles ont été à la base de la renaissance culturelle et philosophique du XIIème siècle et ont précédé la fondation des universités au XIIIème siècle. L’on vit ainsi, parallèlement à la création de nouveaux monastères et d’ordres religieux et à la renaissance des villes, du commerce et de la propagation du style international français, dit plus tard gothique (opus francigenum) en architecture, une efflorescence à travers l’Europe, de ces Universitates studiorum qui s’installèrent dans les villes ouvertes au renouveau et aux avantages économiques, que la présence d’ « escholiers » ne pouvait manquer de leur apporter. Au Moyen Âge, seuls les religieux avaient la « scholê », c'est-à-dire le loisir d’étudier, laissant aux autres (le clergé séculier, les frères convers, les laïcs…) le soin dévalorisé de s’occuper des affaires matérielles. Maintenir la population dans l’ignorance des Ecritures était le seul moyen pour l’Eglise catholique de maintenir sa prééminence en Europe. Entretenir le latin comme langue de culture commune à travers l’Europe avait l’immense avantage de n’être comprise que par le clergé catholique.

Une des bases de la scolastique est l'étude de la Bible. La Vulgate devient le texte de référence

absolu pour les penseurs latins de l’époque. Uniquement accessible aux lettrés, elle est le fondement incontesté des études. Sont aussi soumis à l'étude scolastique l'enseignement officiel de l'Église, notamment les décisions des conciles ; les écrits des saints, tels Saint Augustin, Saint Hilaire, Grégoire le Grand, les traités attribués à Denys l'Aréopagite, et surtout les quatre Livres des sentences, où Pierre Lombard avait rangé, vers 1150, l'ensemble des données et des problèmes de la foi chrétienne tels qu'ils avaient été déterminés, discutés, compris, par les principaux penseurs de l'Église.

La réconciliation entre Aristote, « le divin docteur » et la foi chrétienne passe en particulier par la

tentative de résoudre les tensions entre philosophie première (selon Aristote) et théologie, autrement dit entre une métaphysique générale (philosophie première appelée plus tard ontologie, ou ontosophie) et une science de l'être par excellence (plus tard, metaphysica specialis, la théologie). Cette réconciliation avec la philosophie première est présentée dans la Somme théologique de Thomas d'Aquin. Au centre de cet ouvrage, on trouve une théologie de la Création (prima pars : Dieu, la création). La réconciliation est soumise à la hiérarchie augustinienne : « Si vous ne croyez pas, vous

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ne comprendrez pas ». Il s'agit avant tout de mieux comprendre la foi chrétienne à la lumière de la philosophie antique.

Lors de la Réforme protestante au XVIème siècle, la scolastique sera accusée d'avoir ruiné la

doctrine chrétienne en établissant la prépondérance de la philosophie antique. Le débat se résume en ces termes : les réformateurs, notamment Martin Luther, accuseront les scolastiques d'avoir hellénisé la religion chrétienne. Les tenants de la tradition catholique romaine considèrent que les scolastiques ont plutôt christianisé la civilisation hellénistique, ouvrant la foi aux catégories de la pensée antique. On peut se faire une idée des ravages de la scolastique médiévale en étudiant l’œuvre de Thomas d’Aquin.

c) Thomas d’Aquin : Thomas d’Aquin est un religieux de l'ordre dominicain et est

considéré comme le fondateur de la théologie (en tant que science théorique). Il est un des premiers, sinon le premier, à distinguer une théologie naturelle (theologia naturalis) et une théologie révélée (sacra doctrina), parti en quête d'une intelligence de la foi, par la raison naturelle, en s'appuyant notamment sur la philosophie d'Aristote. Thomas établit que l'homme peut acquérir la connaissance de l'existence de Dieu à partir du monde et non à partir de la déduction de principes logiques ou abstraits que l’on extrairait exclusivement de la Bible. Selon lui, il est tout à fait possible d'accéder à une certaine connaissance de Dieu - principalement son existence, son statut de cause première - sans Révélation, en observant le monde, par une connaissance indirecte et a posteriori. C'est le sens des voies dites cosmologiques qui conduisent à la connaissance de l'existence de Dieu à partir de l'observation de l'univers.

Thomas d'Aquin n'avait aucunement pour but de prouver

l'existence de Dieu ; il s'adressait en effet à des étudiants en théologie (c'est-à-dire des frères prêcheurs, des prêtres, etc.), pour lesquels cette existence était considérée comme acquise. L'intention de Thomas d'Aquin était plutôt de montrer que l'on pouvait accéder à Dieu au moyen de la raison naturelle, en partant de ce que l'on constate du monde. C'est pourquoi il ne propose pas de « preuves », mais des « voies ». C’est intellectualiser le principe suivant : puisqu’il y a un pape et une Eglise catholique qui domine le monde chrétien au Moyen Âge, c’est que Dieu l’a voulu. Le « catholicisme » est la voie, ou la porte, qui mène vers Dieu. « …c'est toujours l'Église qu'il faut suivre en toutes choses. Car l'enseignement même des docteurs catholiques tient son autorité de l'Église. Il faut donc s'en tenir plus à l'autorité de l'Église qu'à celle d'un Augustin ou d'un Jérôme ou de quelque docteur que ce soit. »

Thomas d'Aquin rendra célèbre l'adage selon lequel « la philosophie est la servante de la

théologie ». Il est considéré comme un philosophe réaliste. Il retient d'Aristote le fait que toute connaissance est d'abord sensible avant d'être dans l'intelligence. En suivant l'Ethique à Nicomaque d'Aristote, il développe une morale finaliste, c'est-à-dire que tous les actes humains sont effectués en vue d'une fin, et toutes les fins en vue d'une fin suprême. C’est théoriser le principe selon lequel la fin justifie les moyens (par exemple, l’acquisition d’une technique afin de s’en servir à des fins utiles, comme le soldat apprend le maniement de l’épée afin de pouvoir tuer son ennemi), donc relative les uns aux autres, et cela parce qu'il y a une fin suprême qui lui est voulu d'une manière absolue, qui est en quelque sorte le sommet de l'analogie : le soldat a tué son ennemi afin de gagner la bataille, victoire qui permettra de vivre en paix, ce qui permettra aux citoyens de s’épanouir, etc. cela jusqu’à

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une fin suprême qui sera voulue pour elle-même, et non en vue d’autre chose. Sans elle, rien ne serait subordonné et tous les biens se vaudraient. Toutes les autres choses ne sont recherchées qu'en vue de cette fin : « Tout ce que l'homme veut ou désire, il est nécessaire que ce soit pour sa fin ultime. » Ainsi tous les crimes commis par les dominicains contre les « hérétiques » sont justifiés, ainsi que les croisades ou la persécution des juifs. « En ce qui concerne les hérétiques, il y a deux choses à considérer, une de leur côté, une autre du côté de l’Église. De leur côté il y a péché. Celui par lequel ils ont mérité non seulement d’être séparés de l’Église par l’excommunication, mais aussi d’être retranchés du monde par la mort. En effet, il est beaucoup plus grave de corrompre la foi qui assure la vie de l’âme que de falsifier la monnaie qui sert à la vie temporelle. Par conséquent, si les faux monnayeurs ou autres malfaiteurs sont immédiatement mis à mort en bonne justice par les princes séculiers, bien davantage les hérétiques, aussitôt qu’ils sont convaincus d’hérésie, peuvent-ils être non seulement excommuniés, mais très justement mis à mort. »

d) De la théologie à l’astrologie :

La théologie conceptualise le caractère profondément antéchrist du catholicisme en lui donnant

un verni de christianisme. La manière dont le catholicisme, et notamment son maître théologien Thomas d’Aquin, traite le sujet de l’astrologie, dont toute la Bible condamne la pratique, est édifiante. Si le contact avec les musulmans n’a donc pas fait connaître l’astrologie au Moyen Âge latin, elle lui a cependant apporté des écrits astrologiques forts demandés en raison des observations d’ordre physiologique et médicinal qui s’y trouvaient. Aussi Gerbert d’Aurillac, né en 930 et mort en 1003 comme pape Silvestre II, en demandait-il une traduction latine à Lupicinatus, son correspondant à Barcelone. Plus tard, d’autres lui emboîteront le pas, tel Thierry de Chartres (1148) et Pierre le Vénérable (1156), abbé de Cluny. Il y aura même des tentatives d’intégration de diverses théories astrologiques à la doctrine de l’Église. L’abbesse Hildegarde de Bingen (1179), qui sera une sainte canonisée, Daniel de Morley (1190) et Alain de Lille (1202) en sont des exemples. D’autres auteurs, par contre, illustreront plus volontiers l’aspect de rejet de l’astrologie à cause du fatalisme de son interprétation divinatoire,tel Pierre Abélard (1142) et Jean de Salisbury (1180). Albert le Grand (1280) préparera en quelque sorte le terrain de la synthèse magistrale de son disciple Thomas d’Aquin (1274), qui sera plus tard un saint canonisé comme lui.

Il en résulte qu’aux yeux de l’Église, rien ne s’oppose doctrinalement à une astrologie non

divinatoire, approche scientifique s’attachant à montrer les influences astrales sur le comportement humain comme sur les phénomènes affectant la terre et les mers. Retenons, parmi les explications de Thomas d’Aquin, cette réflexion judicieuse concernant leur impact sur l’être humain (Summa theologica, IIa IIae, Quaest.95, art.5, ad secundum) : « La plupart des hommes sont à la remorque de leurs impressions corporelles. Leurs actes n’ont donc couramment d’autre règle que le penchant que leur impriment les corps célestes. Un tout petit nombre, les sages, gouvernent ces penchants par la raison. Aussi, dans bien des cas, les prédictions des astrologues se vérifient ». Il est à remarquer que par cette précision évoquant l’interprétation divinatoire des horoscopes, l’auteur se réfère implicitement à une pratique déjà largement connue de son temps et largement utilisée dans toutes les cours d’Europe.

L’Église a seulement condamné l’astrologie divinatoire. Tant en Occident qu’en Orient, la

conception d’une astrologie « scientifique » a été entretenue. Les écrits de l’Antiquité étaient transmis par les moines copistes et se trouvaient dans les bibliothèques à la Cour des princes. En outre, ce n’est pas tout d’abord et sans plus en opposition au Paganisme que l’anathème a été fulminé contre l’astrologie, mais en application des textes sacrés tenus pour normatifs de la vie chrétienne. Les auctoritates ne réprouvant pas, mais admettant explicitement une astrologie non divinatoire, et ce dès l’Antiquité finissante, il y a eu réception et transmission de cette interprétation. Le contact avec les musulmans n’a donc pas fait connaître l’astrologie au Moyen Âge latin, pas plus qu’à Byzance d’ailleurs, puisque c’est notamment au sein de l’ancien Empire de Justinien que les

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musulmans découvriront nombre d’écrits astrologiques, déjà connus comme faisant partie de l’héritage de l’Antiquité. Le contact avec l’Islam a simplement accéléré un processus d’intégration idéologique qui avait commencé depuis longtemps, mais sans compromissions : tout en rejetant l’interprétation divinatoire, on retenait de l’astrologie les éléments compatibles avec les enseignements du catholicisme. En fait, il y avait un écart plus ou moins grand entre les normes et la pratique, c’est là un phénomène qui n’est pas propre au seul Moyen Âge et qu’il faut donc se garder d’attribuer à un revirement de l’attitude officielle de l’Église au début du second millénaire. La synthèse doctrinale de Thomas d’Aquin, reprise par le pape Sixte V (1585), le démontre amplement.

En 1879, le pape Léon XIII, dans son l'encyclique Æterni Patris, a déclaré que les écrits de Thomas

d'Aquin exprimaient adéquatement la doctrine de l'Église. Le concile Vatican II (décret Optatam Totius sur la formation des prêtres, no 16) propose l'interprétation authentique de l'enseignement des papes sur le thomisme en demandant que la formation théologique des prêtres se fasse « avec Thomas d'Aquin pour maître ».

La Réforme protestante, sous la plume de Martin Luther et Jean Calvin, appelle à relire les textes

religieux littéralement, par-delà les interprétations canoniques et théologiques de l'Église catholique romaine. Il s'agit de détruire les couches sédimentées de conciles et de doctrines (la tradition) surajoutées aux textes, pour retrouver le texte biblique en sa pureté. Auparavant, la majorité du peuple n'avait pas accès au texte biblique, mais seulement aux interprétations qu'en donnaient les autorités religieuses. Avec les mouvements intellectuels de la Réforme et de l'Humanisme, conjoints à l'invention de l'imprimerie et au développement de l'éducation (qui fera reculer l'illettrisme), le texte biblique deviendra de plus en plus accessible, et l'autorité religieuse de plus en plus remise en cause quant à la lecture des textes sacrés.

B) Le contrôle de l’Art :

Le Moyen Âge a conçu l'art comme un enseignement. Il eut la passion de l'ordre et organisa l'art

comme il avait organisé le dogme, le savoir humain et la société. La représentation du sacré devient une science qui trouva son point culminant dans les cathédrales gothiques du XIIIème siècle. Les vitraux des églises et les façades sculptées étaient considérés comme étant « la Bible des pauvres ». Les gens simples apprenaient par leurs yeux tout ce qu'ils devaient savoir de leur foi. Grâce aux innombrables statues disposées dans un ordre savant, les plus hautes conceptions de la théologie catholique atteignaient les consciences, savamment entretenues dans l’ignorance. Toutefois, quiconque arrive sans préparation devant la façade d’une cathédrale, ne saurait entrer dans ce monde fermé. Il faut un guide.

Tout d’abord, la sculpture est une écriture sacrée dont l'artiste donne les éléments hautement

codifiés. En second lieu, l'iconographie doit obéir aux règles d'une mathématique sacrée : la place, l'ordonnance, le nombre, la symétrie y ont une importance extraordinaire. Un troisième caractère procède d'un usage symbolique. Dès le XIIème siècle, les moines de Cluny jugèrent sage de prévenir l'hérésie naissante qui préconisait au retour d’une lecture simple et directe de la Bible. Dans l'œuvre de leurs sculpteurs, ils imposèrent l'enseignement des deux principaux sacrements de l'Église : Pénitence et Eucharistie. C'est donc l'esprit clunisien qui explique le portail de Longpont selon la formule « Visibus humanis monstratur mistica clavis » (l'œil de l'homme peut contempler ici la clef mystique).

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Au XIIème siècle, l’Eglise catholique avait pris un pouvoir religieux total. Associant les écoles aux

édifices religieux, elle contrôlait donc la connaissance et la culture par ses clercs. Les laïcs n’accédaient au domaine religieux que par la médiation des clercs. Bientôt elle y associa les arts nouveaux. Vers 1130, à Sens, à l'occasion de la construction de la cathédrale Saint-Étienne, un nouveau style architectural apparaît subrepticement, plus léger, plus élancé, plus lumineux. L'abbé Suger est séduit par ce nouveau style et décide de s'en inspirer pour l'achèvement de sa basilique. Avec la consécration du chœur de la basilique, les contemporains ont conscience d'assister à la naissance d'un nouveau style architectural, proprement révolutionnaire par sa hardiesse et son caractère résolument novateur. Pour Suger, la richesse du décor contribue à élever l'âme vers les choses divines. D'abord baptisé « ogival », par référence à l'ogive ou à l'arc brisé, ou encore « art français » car il est né au XIIème siècle dans le Bassin parisien, à Sens, Saint-Denis, Laon, Noyon, Paris. Il sera sous la Renaissance baptisé par dérision « art gothique » (c'est-à-dire « à peine digne des Goths »).

a) L’art gothique :

L'architecture gothique a eu un but : faire entrer le plus de lumière possible dans les cathédrales.

Mais les innovations techniques avaient pour origine un changement de spiritualité. Précisons d’abord que c’est l’esthétique qui précéda la technique. Un changement de spiritualité engendra une nouvelle manière de construire les édifices.

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Au XIIème siècle, il se produit une renaissance intellectuelle marquée par un regain d’intérêt pour l’Antiquité et pour les auteurs anciens comme Aristote. Les contemporains commencent à s’intéresser à la nature et ont une admiration pour le Créateur qui a su élaborer un univers aussi rationnel. Dieu est intelligent dans la mesure où il a créé une réalité rationnelle. Nous sommes dans le cœur théologique de Thomas d’Aquin. Dieu est donc une lumière intellectuelle. Et Dieu a aussi créé la lumière physique et la raison humaine. Cette réflexion autour de l’idée de la lumière va être transposée dans l’art. Les gens du XIIème siècle veulent de la lumière car ils trouvent que les églises sont trop sombres. Ils vont donc se donner les moyens de l’obtenir.

Le premier âge gothique (vers 1140 - 1190) est une époque d’expérimentation au cours de

laquelle se met en place le vocabulaire architectural gothique. L’art gothique s’est d’abord développé dans les villes, qui concentraient l’essentiel des richesses, et donc dans les églises cathédrales. Une cathédrale est avant tout un siège (cathèdre) du pouvoir papal, la représentation physique de l’autorité de l’Eglise catholique. Elle est aussi utilisée pour entretenir sa dogmatique trompeuse dans les écoles associées aux édifices. Mais elle fera bien mieux encore, quand les cathédrales les plus grandes et les plus belles sortiront de terre. Elles serviront de livre, de bible de pierre et de verre, qui réécriront le cheminement de la foi pour accéder au salut.

Dans un monde où la science était cantonnée aux écoles des abbayes et cathédrales, le peuple

illettré et ignorant, entretenu dans la crainte et les superstitions, était amené dans ces magnifiques édifices, œuvre de sa dévotion et de son sacrifice, pour trouver le salut. À partir du XIIème siècle le culte des reliques et des saints va atteindre un apogée avec le culte marial. La Vierge Marie sort de la lumière de l'Évangile par l'Annonciation et la Visitation. La légende réapparaît aux derniers moments de la Vierge : l'histoire de sa mort, de son ascension (Assomption) et de son Couronnement est tout entier apocryphe. Les églises qui sont consacrées à la Vierge montrent presque toujours son Couronnement dans un tympan, dans un pignon ou dans un gâble de la façade. C'est le thème central des tympans du portail de nombreuses cathédrales. Aucun sujet ne fut donc plus populaire. Aussi l'Église ne voulut-elle pas enlever aux fidèles la joie de croire au merveilleux récit de la Mort et de l'Assomption de Marie. C'est Grégoire de Tours qui fit connaître la légende dans son « De Gloria martyrum ».

b) Marie dans l’art monumental :

La Mort de la Vierge n'apparaît pas dans l'art monumental avant la fin du XIIème siècle. On la voit

pour la première fois vers 1185, au linteau du portail de Senlis. Au portail de Chartres, qui date des premières années du XIIIème siècle, la scène est mieux conservée. C'est alors que commencent les funérailles de la Vierge. À Longpont, les deux scènes du linteau représentent la Dormition de la Vierge : la Mise au Tombeau, son ensevelissement par les apôtres dans la moitié nord ; la Résurrection, la scène du réveil, dans la partie sud. Ici, les crucifères représentent la divinité. Les apôtres mettent eux-mêmes le corps de la Vierge au tombeau. C'est une scène qui est souvent confondue avec la Mort de la Vierge. On peut remarquer que la Vierge n'est pas étendue sur un lit, mais suspendue au-dessus du tombeau où elle va disparaître, pendant que les apôtres, soutenant le linceul, contemplent encore un instant la mère du Seigneur. Dans la scène de la Résurrection, deux anges tremblants de respect, enlèvent la Vierge du Tombeau. Ils la portent doucement sur un long voile, car ils n'osent toucher son corps sacré. Des apôtres pensifs méditent sur ce mystère. Après la résurrection a lieu l'Assomption.

Le couronnement de la Vierge est intimement lié à son Assomption. Emile Mâle écrit : « Le miracle

pour célébrer la Vierge au XIIème siècle fut celui de Théophile. Mais un miracle pour honorer la Vierge, ce n'était pas assez. Dans la deuxième moitié du XIIème, c'est la mort, la résurrection et l'assomption de la Vierge qui vont commencer à emplir les portails ». Il semblerait que Suger soit à l'origine du développement iconographique du couronnement de la Vierge. Puis, le thème fut repris par l'abbaye

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de Cluny et par son abbé Pierre le Vénérable pour combattre l'hérésie. « Ad mensam Domini peccator quando propinquat expedit ut fraudes ex toto corde relinquat », quand le pêcheur s'approche de la table du Seigneur, il faut qu'il demande de tout son cœur le pardon de ses fautes.

Quand Marie est arrivée au ciel, portée par les anges, Jésus la fait asseoir à sa droite sur son trône

en un vêtement d'or « Astitit regina adextris ejus, in vestitu deaurato ». Un ange sorti du ciel place une couronne sur son front. C'est le Couronnement de la Vierge, comme celui du tympan de Notre-Dame de Paris qui a été mis en place vers 1220. La formule nouvelle du Couronnement de la Vierge qu'il inaugurait, a régné pendant plus d'un quart de siècle. Marie couronnée est bénie par le Christ et « les chœurs des Bienheureux, remplis de joie, l'accompagnèrent dans le Ciel, où elle s'assit sur le trône de la Gloire, à la droite de son Fils ». Le Couronnement vient donc d'avoir lieu, et la Vierge a pris possession du trône pour l'éternité.

L'iconographie médiévale nous montre donc que, dans la religion catholique, la Vierge est

quasiment indissociable du Christ, et même plus, qu’elle va tout faire pour s’y substituer : chaque église possède ou possédait sa statue de la Vierge à l'Enfant. Les autres thèmes les plus fréquemment développés sont ceux de la Nativité et de la Fuite en Égypte. Mais en même temps, la Vierge acquiert un statut de reine, développé dans de nombreux écrits. Saint Bernard transforme en litanies de la Vierge les versets érotiques du Cantique des Cantiques, appliquant à Marie toutes les métaphores contenues dans le texte biblique. De très nombreuses églises et cathédrales lui sont consacrées, sous le vocable de Notre-Dame. La Cathédrale Notre-Dame du Puy-en-Velay, sanctuaire marial, fut l'un des lieux de pèlerinage les plus importants du Moyen Âge et de la Renaissance. De plus, les Cisterciens développent la dévotion du Rosaire, reprise ensuite par les Dominicains, transformée en fête religieuse au XVIème siècle, après la victoire de Lépante (1571). Car la Vierge est maintenant associée aux combats que le catholicisme doit mener contre les hérétiques.

Jean 14:6 « Jésus lui dit : Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi ».

Bien que Jésus-Christ ait clairement définit son rôle dans le salut pour les hommes, les catholiques ont façonné un chemin parallèle à l’évangile, qui nie dans le fond et la forme les fondements de la foi chrétienne. Par le pape, des doctrines mensongères se développent, comme l’existence d’un

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purgatoire, du rachat des âmes par des indulgences et l’intercession des saints, c’est un nouveau chemin, dans le mensonge, qui mène à la mort. On ne glorifie plus le Père céleste, mais la mère de Dieu, la Reine du Ciel.

Les bibles de pierre que sont les cathédrales, scelleront pour les siècles à venir ses nouveaux

dogmes religieux dans les sculptures de leurs murs ou les dessins de leurs vitraux. Leurs cloches marqueront des temps nouveaux, célébrant chaque jour un autre saint, chaque mois de nouvelles fêtes, comme Noël ou l’Assomption, et même les heures du jour avec l’angélus. Le pape avait ordonné aux croisés, pendant la première croisade, de prier la Vierge à midi. Puis le roi Louis XI de France ordonna de faire sonner l'angélus le matin, à midi et le soir. Le légendaire marial et les récits de Miracula, qui connurent une si grande vogue aux XIIème et XIIIème siècles, prouvent combien était répandue chez les fidèles la récitation angélique. On dit que les dévots de la Vierge accompagnaient même chaque Ave d'une génuflexion, ce qui pourrait fort bien être en rapport avec l'évolution iconographique de l'Annonciation. A l'époque romane, l'ange et Marie sont debout l'un devant l'autre. Au XIIIème siècle, l'ange s'agenouille devant elle.

La suite de cette étude vous fera progressivement découvrir le chemin qui mena Marie, une

simple femme, vers sa déification en Sainte Vierge et Reine du Ciel.

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VI LE CATHOLICISME IDOLÂTRE :

A) Vers d’autres dieux :

Deutéronome 16 : 21-22 et 17 : 2-5 « Tu ne fixeras aucune idole de bois à côté de l’autel que tu

élèveras à l’Eternel, ton Dieu. 22 Tu ne dresseras point des statues, qui sont en aversion à l’Eternel, ton Dieu […] 2 Il se trouvera peut-être au milieu de toi dans l’une des villes que l’Eternel, ton Dieu, te donne, un homme ou une femme faisant ce qui est mal aux yeux de l’Eternel, ton Dieu, et transgressant son alliance ; 3 allant après d’autres dieux pour les servir et se prosterner devant eux, après le soleil, la lune, ou toute l’armée des cieux. Ce n’est point là ce que j’ai commandé. 4 Dès que tu en auras connaissance, dès que tu l’auras appris, tu feras avec soin des recherches. La chose est-elle vraie, le fait est-il établi, cette abomination a-t-elle été commise en Israël, 5 alors tu feras venir à tes portes l’homme ou la femme qui sera coupable de cette mauvaise action, et tu lapideras ou puniras de mort cet homme ou cette femme ».

Bien que l’Eglise catholique se défende de donner un culte aux saints, les faits plaident

évidemment contre elle. Et la logique divine dans ce cas est très claire, s’adonner à l’idolâtrie mène à la mort. Au fur et à mesure que la culture intellectuelle moyenâgeuse se développe, l’idolâtrie, loin de perdre du terrain, se développe elle aussi parallèlement. Cependant elle prend des formes plus artistiques, sous des couverts ayant l’apparence de chrétienté. La sculpture, la peinture, l’architecture, la littérature et la poésie voient leurs meilleures manifestations se déployer en faveur de l’idolâtrie, mêlant sans détour les dieux antiques et les saints nouveaux, promulgués par les papes. Exode 20 : 3 « Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face. 4 Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. 5 Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point ; car moi, l’Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punit l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent, 6 et qui fais miséricorde jusqu’en mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements. 7 Tu ne prendras point le nom de l’Eternel, ton Dieu, en vain ; car l’Eternel ne laissera point impuni celui qui prendra son nom en vain ».

Ce qu’il y a de particulier dans l’édification d’une cathédrale, c’est que les images taillées ne

représentent pas uniquement le saint auquel l’édifice est dédié. Non, elles font également l’apologie de l’idolâtrie en évoquant les images des dieux antiques depuis le jardin d’Eden jusqu’à nos jours, en opérant un syncrétisme particulier sur la Reine du Ciel, la Vierge Mère, dont près d’un tiers des cathédrales portent le nom de Notre-Dame. Ces édifices qui se présentent comme la Porte (qui mène à) Dieu - Babylone - représentent en fait le puits qui mène à l’abime. La structure même du bâtiment, édifié le plus souvent en forme de croix, témoigne contre lui. En effet, la croix est l’expression même de la mort et de la malédiction, le seul lieu sur terre d’où Dieu se soit retiré. Jésus sur la croix a lancé ce cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». A ce moment précis, sur la croix, Il fut fait parfaitement péché en prenant le péché du monde, afin que ceux qui croient en Lui ait la vie éternelle.

Romains 6 : 3 « Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort

que nous avons été baptisés ? 4 Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions en nouveauté de vie. 5 En effet, si nous sommes devenus une même plante avec lui par la conformité à sa mort, nous le serons aussi par la conformité à sa résurrection, 6 sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché fût détruit, pour que nous ne soyons plus esclaves du péché ; 7 car celui qui est mort est libre du péché. 8 Or, si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui, 9 sachant que Christ ressuscité des morts ne

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meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui. 10 Car il est mort, et c’est pour le péché qu’il est mort une fois pour toutes ; il est revenu à la vie, et c’est pour Dieu qu’il vit. 11 Ainsi vous-mêmes, regardez-vous comme morts au péché, et comme vivants pour Dieu en Jésus-Christ ».

Ce passage de Paul est un des fondements de l’Evangile. Il n’est pas difficile de comprendre à sa

lecture pourquoi les messes étaient dites en latin et l’accès à la Bible réservé au clergé. Car tout ce que représente une cathédrale y est étranger. Dans le catholicisme, le baptême est vidé de sa substance, car en baptisant des bébés ont en fait des catholiques et pas des chrétiens. Maintenu dans l’ignorance de la justification par la foi, les âmes courent après un hypothétique salut gagné par les œuvres. Par des pèlerinages, des cultes aux reliques et aux images, l’achat d’indulgence et des prières aux morts, l’œuvre de rédemption du Christ est anéantie, au profit des œuvres du culte qui s’enrichissent de la plus honteuse des manières. Ils entretiennent par-là, l’œuvre de mort qu’ils prétendent combattre, elle-même s’élevant telle une stèle gravée dans la pierre des cathédrales, vers un Ciel qui lui est étranger.

Une manière d’illustrer mon propos est de faire une simple lecture des choses, comme le firent au

Moyen Âge les fidèles des cathédrales, en déchiffrant les images sacrées gravées dans la pierre. L’image du Dieu sauveur en Jésus-Christ est souvent substituée à celle du Dieu vengeur du Jugement dernier. La représentation du Jugement dernier est des plus fréquentes dans l'iconographie catholique, surtout à l'époque du Moyen Âge. Des sculptures sur pierre et sur bois, des peintures murales, des vitraux et des miniatures reproduisirent à l'envi cette scène finale, assignée par ses croyances religieuses au rôle de l'humanité. Mais si le Jugement dernier tint tout d'abord une place importante sur les portails des églises abbatiales, c'est sur la porte des cathédrales que l'on en peut voir un exemple des plus complets, comme sur le tympan de la porte centrale de Notre-Dame de Paris, tympan sculpté de 1210 à 1245. Et pourtant le Seigneur est bien loin dans l’Esprit de ces allégories. Jean 12:47 « Si quelqu’un entend mes paroles et ne les garde point, ce n’est pas moi qui le juge ; car je suis venu non pour juger le monde, mais pour sauver le monde ».

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Au-dessus du linteau de cette porte centrale dite Porte du Jugement, le tympan se divise en trois zones : - celle inférieure consacrée à la résurrection des morts, que l'on voit sortir de leurs sépulcres entrouverts ; - celle médiane dans laquelle l'archange saint Michel pèse les mérites des âmes qui se répartissent en deux groupes, les élus à droite et les réprouvés à gauche ; - et enfin la zone supérieure, qui occupe la partie aiguë de l'ogive et dans laquelle le Christ est représenté assis avec, à droite et à gauche, des anges debout tenant les instruments de la Passion. Un peu en arrière, nous trouvons à sa droite la Vierge, et à sa gauche saint Jean l'Evangéliste, ces deux derniers personnages agenouillés et intercédant pour les humains. Les proportions différentes des figures, la sobriété de leur agencement et l'observation des règles du symbolisme font de cette scène, qui était autrefois peinte et dorée, un modèle d'iconographie catholique en même temps que de l'art sculptural au Moyen Âge. Le personnage le plus grand est le Christ, dont la position des mains est sans équivoque : « voyez ce que vous m’avez fait, et maintenant voilà ce que moi je vais vous faire ! ». Avec la Vierge et les saints qui implorent le pardon, il est évident qu’à la lecture d’un tel tableau, on préfère s’adresser aux saints, plutôt qu’à Dieu.

Si l’on ne peut se fier au Fils de Dieu pour son salut, alors levons les yeux plus haut vers le ciel,

vers cette rose qui surplombe la Porte du jugement de Notre Dame, pour implorer la clémence de la Reine du Ciel, qui elle, saura nous entendre. Rosa mystica ou rose mystique (du grec μυστός « mystos », mystère), est le nom symbolique de Marie dans l'Église catholique, employé dans les Litanies de Lorette. Avec le temps, ce nom va se développer et deviendra : - La rose blanche, rose ou rouge, qui par sa couleur symbolisera le Mystère de l'Incarnation ; - Rosa sine spina (rose sans épines), expression employée par saint Bernard puis par des poètes et des musiciens, comme Flos florum, fleur entre les fleurs, fleur dont l'odeur agréable ressuscite les morts. Tout ceci avait un sens théologique précis, lequelle après des siècles devint le dogme catholique de l'Immaculée conception. - Flores Florum : selon le dogme de l'Assomption, seule Marie est au Ciel avec son Corps mystique ou glorieux, Fleur mystique parmi les fleurs du Paradis ; - Flos Carmeli (Fleur du Carmel) évoque les liens de la Vierge Marie avec la Mystique : Rose de Saron, rose du Carmel, les fiançailles, les Noces de Dieu avec l'Eglise et la Vierge Marie. Apocalypse 17 : 5 « Sur son front était écrit un nom, un mystère : Babylone la grande, la mère des impudiques et des abominations de la terre ».

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Le fronton des cathédrales nous en apprend donc plus sur le mystère de la grande prostituée que toutes les théories fumeuses que l’on peut lire sur ce sujet. En effet, dans l’iconographie médiévale, tout le monde savait que la terre était représentée par un carré et le ciel par un cercle. Le noyau de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle est octogonal, mariant les deux symboles, la terre et le ciel. Plus traditionnellement, les tours carrés des cathédrales enchâsseront le cercle de la grande rose centrale de la façade. Le cheminement mystique qui mène de la terre vers le ciel ne se fera pas par la porte centrale du Jugement vers la Rose, mais bien depuis les portes latérales dédiées à la Vierge et ses parents, situées dans la base des tours carrées qui s’élèvent vers le ciel. Le chemin du salut est donc tracé par la voie de la cathédrale qui mène à la Reine, qui trône au milieu du ciel.

B) La Vérité tronquée :

L’image du Christ ne s’inscrit pas dans une logique verticale qui monte au ciel. Elle suit le

prolongement de la nef jusqu’à l’autel, où grâce au dogme inventé par Thomas d’Aquin, le pain et le vin, par transsubstantiation1, deviendrons le corps et le sang du Christ. Selon la doctrine de cette Église, le Corps du Christ, réellement présent dans l'hostie consacrée, est exposé et adoré par les fidèles. L'hostie consacrée, en devenant le corps du Christ, cesse d'être un morceau de pain. Elle n'est plus un morceau de pain, même si elle en a l'apparence. Ainsi transformée en corps du Christ, elle peut alors être mise dans un ostensoir2, pour être utilisée à l'intérieur de l’église dans l'adoration du Saint-Sacrement, ou lors de processions telles la Fête-Dieu, soixante jours après Pâques. L'ostensoir figure très souvent la forme d'un soleil, dans lequel un espace circulaire (la lunule) est aménagé au centre afin de recevoir l'hostie consacrée. La tradition veut que lorsque le Saint-Sacrement soit exposé, les croyants s'agenouillent, en marque de respect devant celui qu'ils considèrent comme étant Dieu.

Observez la parfaite inversion des valeurs bibliques. Le « corps du Christ » finit dans le symbole solaire de l’ostensoir, alors que la Vierge Marie élevée en gloire, représente, par la rose de Saron, l’Epouse mystique. C’est ainsi qu’elle est représentée à la rue du Bac à Paris, comme image d’Apocalypse 12, où apparaît en fait la véritable Epouse du Christ. C’est de cette image blasphématoire que sera tirée la couronne qui aujourd’hui symbolise l’Europe. La Vierge couronnée comme Reine du Ciel, représente donc symboliquement l’Eglise catholique comme corps constitué de la « sainte » Mère l’Eglise.

Après avoir matérialisé Dieu dans une hostie, il

paraitrait logique de faire de même avec le Saint-Esprit. L'eau baptismale est donc consacrée à cet effet par une prière d'épiclèse3, pour que la puissance du Saint-Esprit y descende, afin que ceux qui y soient baptisés « naissent de l'eau et de l'esprit ». Ainsi, ce qui à

l’origine est accompli par Dieu lui-même, directement dans le cœur d'une personne qui croit à l'Évangile, est remplacé par l'opération magique d'un pontife (le prêtre). Cette opération permettrait,

1 Dans l'Eucharistie, changement total de la substance du pain et du vin en la substance du corps et du sang du Christ au moment de la

Consécration, alors que ces espèces restent les mêmes. 2 Pièce d'orfèvrerie souvent en forme de soleil, reposant sur un pied, destinée à recevoir dans sa lunule une hostie consacrée qui est

ainsi exposée à l'adoration des fidèles. 3

Partie de la prière eucharistique où l'on invoque l'Esprit-Saint pour qu'il sanctifie les offrandes afin qu'elles deviennent le Corps et le

Sang du Christ.

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par l'Esprit de Dieu d'abord transféré dans l'eau, de le transférer ensuite dans le bébé. Un tel processus est absolument étranger (et contraire) à la vérité de l'évangile. Comme la religion de la Rome païenne elle-même, ce processus est inspiré des religions à mystères qu'officiaient les « mages » de l'ancienne Babylone. Le baptême chrétien, qui s'adressait strictement à des nouveaux convertis, et donc à des personnes en âge de comprendre et d'adhérer volontairement au christianisme, fut remplacé par une adaptation de la cérémonie païenne du « jour lustral » (dies lustricus). Les bébés romains étaient purifiés avec l'eau lustrale (de l'eau bénie par le « pontife »), recevaient leur nom et devenaient officiellement citoyens romains. Le « rite » créé par cette union n'est rien d'autre qu'une caricature monstrueuse et blasphématoire du baptême chrétien ; une procédure politico-religieuse, par laquelle le bébé ou l'individu devient à la fois membre de la société civile et « adepte » de la religion d'État. Le baptême devient ainsi, en réalité, un rite de mort spirituelle, destiné à introniser les membres d'un empire de conquêtes matérielles : l'Empire romain et son prolongement, l'empire catholique romain. Tout ceci est caché sous un déguisement d'Esprit et de Vie, et sous le nom de Jésus-Christ.

Dans la tradition catholique, il existe trois types d’eau bénite. Elles diffèrent entre elles par leur

usage, par la nature des éléments qui la composent et par la bénédiction spéciale donnée à chacune d'elles : l'eau bénite, l'eau baptismale et l'eau grégorienne qui est uniquement destinée aux Églises et aux Autels. L’appellation d'eau grégorienne, il faut le souligner, n'est pas primitive. C'est le nom chrétien de l'eau lustrale des païens, qui tiraient du foyer des dieux un tison ardent et l'éteignaient en le plongeant dans l'eau. Par analogie, ce terme d'eau lustrale fut employé jusqu'à la prescription donnée par le Pape Saint Grégoire (590-604). Le 18 juillet 601, il écrivit à Saint Mellitus, l'un des missionnaires d'Angleterre : « Pour consacrer au culte les Temples païens convertis en églises, il faut les asperger d'eau lustrale, y ériger un Autel et y déposer des Reliques ». Par tous ces artifices, le divin est matérialisé et devient terrestre, alors que la créature terrestre est divinisée sous la forme d’une vierge couronnée.

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VII DE L’IDOLATRIE A LA MARIOLATRIE :

A) L’arbre de Jessé :

2 Timothée 3:16 : « Car toute l’Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser et apprendre à mener une vie conforme à la volonté de Dieu ».

Comme on l’a vu, l’enseignement et l’accès aux Ecritures étaient au Moyen Âge complètement

verrouillés et réservés au clergé. L’Ancien et le Nouveau Testament étaient donc uniquement accessibles par le profane, via les livres de pierres de la cathédrale qui délivraient le message tel que le dogme catholique l’autorisait. Le recours à la Vierge ayant supplanté celui du Christ comme intermédiaire entre Dieu et les hommes, on allait puiser dans les textes ou les légendes, des histoires n’ayant pour seul but l’affirmation de la primauté de Reine du Ciel sur toutes choses. L’interprétation que les catholiques des âges enténébrés du Moyen Âge ont fait de l’Arbre de Jessé, nous éclaire beaucoup sur le cheminement de pensé totalement antéchrist de la grande prostituée.

Les premiers croyants juifs ne souhaitaient pas s’appeler « chrétiens », terme grec qui signifie

« messianiques », ils préféraient « nazaréens » ou « rejetons ». Cette appellation provient des prophéties bibliques qui parlent d’un « rejeton de la souche de Jessé » (ou David) : Esaïe 11:1, Jérémie 33:15, Zacharie 6:12. Selon l’interprétation des Nazaréens, les prophètes avaient écrit qu’à la venue de l’âge édénique de la justice, quand le lion et l’agneau paîtraient ensemble, que la douleur et le mal cesseraient, et que le reste reviendrait au Pays d’où ils avaient été dispersés de toutes les nations, alors la Maison de David reprendrait racine : « Un rejeton sortira de la souche de Jessé, et un surgeon (netzer) poussera de ses racines… Ce jour-là, la racine de Jessé, qui se dresse comme un

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signal pour les peuples, sera recherchée par les nations, et sa demeure sera glorieuse. Pousse des cris de joie, des clameurs, habitante de Sion, car il est grand, au milieu de toi, le Saint d’Israël » (Esaïe 11:1,10 ; 12:6).

L’allégorie biblique de la souche de Jessé est l’olivier. Très répandu en Israël, c’est un arbre qui

peut être rasé, que le feu peut ravager, que la vieillesse peut creuser ou pourrir, mais dès qu’il flaire l’eau, la souche pousse à nouveau vers le ciel des rejetons (netzer) pleins de vigueur.

Les Nazaréens voyaient en leur Messie le premier et le parfait rejeton de l’antique souche de Jessé que l’on estimait morte depuis longtemps. De cette souche, eux-mêmes et beaucoup d’autres rejetons allaient désormais sortir. Romains 11:16 « Or, si les prémices sont saintes, la masse l’est aussi ; et si la racine est sainte, les branches le sont aussi. 17 Mais si quelques-unes des branches ont été retranchées, et si toi, qui étais un olivier sauvage, tu as été enté à leur place, et rendu participant de la racine et de la graisse de l’olivier, 18 ne te glorifie pas aux dépens de ces branches. Si tu te glorifies, sache que ce n’est pas toi qui portes la racine, mais que c’est la racine qui te porte ».

Il y a un lien évident entre les juifs et la Parole de Dieu, c’est ce lien qui donne tout son sens à la

vie et la mort de Jésus-Christ. Casser le lien avec les juifs, revient à casser le lien avec la compréhension des écritures. Le rapport du judaïsme au christianisme n’est pas celui de la fusée porteuse à son satellite, une fois que le satellite est mis sur orbite, la fusée n’a plus de raison d’être et vient se désintégrer dans l’atmosphère. Il y a un lien existentiel entre le Judaïsme et le mouvement des disciples de Jésus, et c’est précisément au moment où a commencé de se perdre la conscience de ce lien existentiel, parce qu’on ne le connaissait plus, qu’on n’avait plus ce lien vital qu’un Juif a à la Torah, à l’écriture, à ce que les chrétiens appellent l’Ancien Testament, parce que ce lien s’est perdu, parce que les interprétations se sont multipliées, ont divergé, qu’à ce moment-là quelque chose de nouveau est apparût … Si on brise le lien qui nous unit dans la foi aux premiers Nazaréens, c’est la branche même qui nous unit à l’olivier franc qui est brisée. La voie est alors ouverte aux pires interprétations et exactions.

B) La généalogie de Marie :

Si les papes ont su s’affranchir de l’autorité temporelle au temps des cathédrales, ils sauront aussi

s’affranchir de la tutelle des Ecritures. Tout comme ils sont arrivés à faire croire que la rose de Saron est la vierge Marie, qui représente le corps mystique de l’Eglise du Christ, ils récidiveront avec sa généalogie. Dans la religion catholique, l'Arbre de Jessé est une représentation de la généalogie de Jésus, descendant de la Vierge Marie. Ce symbole religieux va devenir une histoire compliquée où sont intervenues les plus hautes autorités de l'Église. En effet, la généalogie de Jessé à Marie est en contradiction avec l'Évangéliste Matthieu pour qui c'est Joseph qui descend de Jessé. Les auteurs des Ecrits apocryphes vont donc leur permettre d’étayer une thèse parallèle à celle de Matthieu, afin d’imposer la généalogie de Marie sur celle de Joseph.

Résumons afin d’aboutir à une version compatible aux nombreux Arbres de Jessé que l'on peut

trouver : David a eu deux fils ; le premier, Salomon, est l'ascendant de Joseph ; le second, Nathan, est l'ancêtre de Joachim, père de Marie. Ainsi Joseph et Marie sont cousins très éloignés… Ces ascendances ont bien sûr leur part importante de légendes et de dogmes. Les Évangiles en donnent deux versions qui ne concordent pas. Mais, pour les prosélytes, peu importe la vérité historique, seule compte la vérité théologique catholique. Cette vérité a pour but de démontrer qui est Jésus : elle le fait descendre du roi David (et de son père Jessé) et affirme ainsi qu'il est le Messie attendu. Il s'ensuit logiquement l'introduction de tous les rois qui ont succédé à David : Salomon et les rois de Juda. C'est ce que fait l'Évangile de Matthieu (qui, rappelons-le, aboutit à Joseph). D'ailleurs chez Matthieu, comme chez Luc, on retrouve un indice supplémentaire de la messianité : Jésus naît à Bethléem, « la ville de David ».

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La vérité théologique catholique, construit alors un dernier argument pour aboutir à Marie : un oracle du prophète Isaïe savamment interprété. A propos de Jessé, Isaïe proclame : « un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines… ». Que signifie cet oracle? L'auteur chrétien Tertullien (IIème siècle) en avait déjà donné le sens : « la branche qui sort de la racine, c'est Marie qui descend de David. La fleur qui naît de la tige, c'est le fils de Marie ». La vérité théologique boucle la boucle et Marie, comme Reine du Ciel, supplante le Messie. Saint Jérôme, dont l'Eglise catholique emprunte aujourd'hui les paroles dans les Leçons du second Nocturne, dit « que cette Branche sans aucun nœud qui sort de la tige de Jessé, est la Vierge Marie, et que la Fleur est le Sauveur a lui-même, qui a dit dans le Cantique : Je suis la fleur des champs et le lis des vallons ». Il faut croire que cette version a satisfait tout le monde au Moyen Âge : les maîtres-verriers qui créaient, les confréries ou particuliers qui finançaient et les évêques qui donnaient leur accord. De la sorte, la chaîne artistique (ô combien visible!) s'est imposée : « Jessé-David-Salomon-Roboam (1er roi de Juda)-Abia-Asa-Josaphat… et finalement la Vierge » … Tout ceci malgré l'opposition à Matthieu.

Historiquement, c'est l'abbé Suger, que

j’appellerais le père de l’art gothique, l'un des grands instigateurs de la basilique de Saint-Denis, qui a donné la formulation définitive de l'Arbre : un Jessé couché duquel sort un arbre dont les branches grimpantes portent les prophètes (en qualité d'ancêtres spirituels) et les rois (en qualité d'ancêtres charnels) de Jésus. C'est pourquoi l'Arbre de Jessé de la basilique Saint-Denis revêt une importance capitale dans l'histoire du vitrail. Cette formulation servira de modèle en France et en Angleterre pendant tout le Moyen Âge. L’iconographie ayant valeur de dogme durant cette période, les conséquences seront terribles pour le peuple juif.

C) Elagage de la branche juive :

Le catholicisme s’étant coupé de l’olivier

franc et par voie de conséquence des Ecritures, va pouvoir désormais s’attaquer en toute impunité à sa racine. De l’an 300 à 600 un nouveau schéma de discrimination institutionnalisée vis-à-vis des Juifs verra progressivement le jour. On va successivement interdire les mariages mixtes entre Juifs et

chrétiens (399), écarter les Juifs des hautes sphères gouvernementales (439), et exclure leurs témoignages à charge contre des chrétiens devant les tribunaux (53 1). Parallèlement à la mise officielle des Juifs au ban de la société, il se développe à leur sujet, en Europe du Nord, certaines idées bizarres qui présagent l'antisémitisme du XXème siècle. Le bruit court que les Juifs ont une queue et des cornes et se livrent au meurtre rituel de chrétiens. Cette dernière assertion, désignée sous le terme de « libelle du sang », germe en 1150 dans l'imagination de Thomas de Monmouth pour expliquer la mort mystérieuse d'un petit Chrétien. On la retrouve régulièrement dans les mythes anglais et allemand. Au sein de diverses communautés, les Juifs se sont subitement vu accuser d'avoir empoisonné des puits.

Puisque l'origine du christianisme remonte aux communautés juives du Moyen-Orient, l'attitude

de l'Église catholique envers ces derniers reste tout d’abord indécise : faut-il obliger ou inciter tous

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les juifs à se convertir au christianisme, ou faut-il leur permettre de continuer de pratiquer leur religion, avec de nombreuses restrictions, en les maintenant en marge de la société et en leur rappelant constamment la supériorité du christianisme sur le judaïsme ? Dans beaucoup d'églises apparaissent alors des images symbolisant la « Victoire du christianisme (Ecclesia) sur le judaïsme (Synagoga) ». Les juifs sont dépeints comme des traîtres et des déicides.

Souvent ils sont représentés avec un porc (image particulièrement insultante puisque la religion

juive considère les porcs comme impurs). Puisque le christianisme est devenu la religion officielle de l'Empire romain, de nombreuses illustrations bibliques du Moyen Âge minimisent le rôle des Romains dans le procès et la crucifixion du Christ. Ce sont plutôt des juifs vêtus de costumes moyenâgeux qui sont représentés comme les principaux coupables. À une époque où la grande majorité de la population est illettrée, cette iconographie d'église joue un rôle essentiel dans la propagation d'une image négative des juifs et du judaïsme.

Pendant les 700 premières années du christianisme, les communautés juives d'Europe sont

rarement menacées directement. La situation change lorsque le pape Urbain exhorte les fidèles en 1095 à partir en croisade pour libérer Jérusalem des infidèles. En chemin pour Jérusalem, les croisés déciment les communautés juives le long du Rhin et du Danube. « Comment, s'exclament-ils, devrions-nous attaquer les infidèles en Terre Sainte, et laisser en repos les infidèles en notre sein ? ». Le 25 mai 1096, environ 800 juifs sont assassinés à Worms (Allemagne), et beaucoup d'autres choisissent le suicide. À Regensburg, les juifs sont jetés dans le Danube, pour y être « baptisés ». À Mayence, Cologne, Prague et dans beaucoup d'autres villes, des milliers de juifs sont tués, leurs biens pillés. Les croisades confirment, dans les dogmes de l'Église et les lois des États de toute l'Europe

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chrétienne, le statut des juifs comme citoyens de second ordre. Elles inaugurent une période d'oppression et d'insécurité qui ne prendra fin qu'au XVIIIème siècle.

Au Moyen Âge, la croyance aux miracles et aux légendes est courante. Deux mythes à caractère

antijuif font leur apparition en Europe : profanation de l'hostie et meurtre rituel. Ces deux mythes survivront jusqu'au XXème siècle. En 1215, l'Église proclame que la chair et le sang de Jésus-Christ sont contenus dans l'hostie et le vin consacrés. À partir de cette date, des rumeurs commencent à circuler selon lesquelles les juifs volent, mutilent ou brûlent l'hostie afin de tuer Jésus une fois de plus. Les miracles font partie intégrante de ces mythes : l'hostie mutilée saigne, prouvant le bien-fondé de la doctrine et la vérité de la foi chrétienne. Selon l'accusation de meurtre rituel, les juifs tuent des enfants chrétiens afin de satisfaire leur prétendu besoin de « sang chrétien » pour la confection du pain de la Pâque ou pour d'autres rites religieux. Même si le haut clergé et l'État s'opposent officiellement dans bien des cas à la propagation de ces rumeurs, celles-ci se perpétuent dans les croyances populaires, soutenues et encouragées par le clergé local, qui transforme les lieux des prétendus meurtres en lieux de pèlerinage.

L'accusation de meurtre rituel sert de leitmotiv aux légendes les plus néfastes et les plus cruelles,

faisant partie de l'arsenal des croyances antijuives, perpétuant le mythe de la nature mauvaise et inhumaine des juifs et incitant les populations chrétiennes à une vengeance sanglante. En 1215, le quatrième concile œcuménique de Latran (Latran IV), traduit une nette inflexion : il est désormais interdit aux chrétiens et aux juifs d'habiter sous le même toit ou de se marier, et même de partager un repas : les juifs ne peuvent employer de serviteurs chrétiens. Plus grave encore, le concile leur impose de porter un signe distinctif pour être reconnus dans la rue. L'idée de cette marque de distinction est de limiter au maximum tout contact entre les adeptes des deux religions, de peur que les juifs ne cherchent à convertir les chrétiens à leur religion. Cette crainte d'un prosélytisme juif explique l'accumulation des mesures humiliantes : ils ne sont pas autorisés à sortir pendant la semaine sainte qui commémore la Passion du Christ, à construire de nouvelles synagogues ni à réparer les anciennes. Toutes ces vexations illustrent concrètement la difficulté d'être juif en Occident au XIIème siècle.

C'est dans ce contexte qu'il faut replacer la politique de Saint-Louis. « Il avait en abomination les

juifs, odieux aux hommes comme à Dieu » selon Guillaume de Chartres et Joinville. Il est clair que le roi se montre particulièrement zélé dans l'application des mesures anti-juives décidées par le IVème concile de Latran. Ainsi, à la toute fin de son règne en 1269, l'obligation est-elle rappelée aux juifs de porter sur leur vêtement une pièce de tissu, qui a la forme d'une petite roue (la rouelle). Il n'y a pas de petit profit : ils doivent l'acheter aux agents du roi. La piété du roi était insensible à la tolérance, notion d'ailleurs inconnue à cette époque. Saint Louis protégea les chasseurs de sorcières, l’inquisition s'instaura en 1233 et La citadelle de Montségur, dernier refuge des cathares, fut prise par l'armée royale en 1244 : 200 albigeois refusant d'abjurer feront brûlés. Louis IX sera vénéré comme un saint. Le pape Boniface VIII le canonisera le 11 août 1297, à l'issue d'une longue enquête et d’un procès de canonisation.

Les années passant, les juifs sont obligés de vivre dans des ghettos entourés de murs. Cependant ils sont frappés de l'interdiction

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d’accroissement et deviennent de plus en plus surpeuplés. La discrimination va encore plus loin, jusqu'à la négation d’un droit encore plus fondamental : la non autorisation de résidence permanente dans les villes et les villages. De plus en plus, les juifs doivent s'adonner au commerce, au colportage et au prêt sur intérêt. Ils sont seulement admis dans les villes pendant une période limitée, lorsque le développement économique exige l'expansion des échanges commerciaux et du crédit. Ils sont frappés d'impôts supplémentaires. Lorsque la situation économique change ou que les marchands locaux sont trop endettés envers eux, leurs permis ne sont pas reconduits. Souvent, les juifs sont purement et simplement expulsés. De nombreuses communautés doivent verser des impôts au roi ou au prince en retour de sa « protection ». Dans les États allemands, les juifs sont considérés comme la propriété de l'Empereur, qui vend aux princes et évêques locaux le droit de les taxer. Souvent, les communautés juives sont tiraillées entre les intérêts économiques rivaux des citadins et des princes locaux « propriétaires » des juifs.

Pendant la seconde moitié du Moyen Âge, les villes se développent et le commerce connaît une

grande expansion. De nombreuses fonctions économiques antérieurement dévolues aux juifs sont prises en charge par d'autres groupes. Un nombre croissant de professions et de métiers s'organisent en guildes. Puisque seuls les membres des guildes sont admis à pratiquer ces professions, et que les nouveaux membres doivent prêter serment sur le Nouveau Testament, les juifs en sont en pratique exclus. En Europe occidentale et centrale, les juifs doivent au fur et à mesure renoncer à toutes les professions. En définitive, il ne leur reste que le commerce ou le prêt sur intérêt. De nombreuses communautés juives sombrent dans la pauvreté, et quelques-unes seulement continuent de prospérer. L'Église interdit aux chrétiens de prêter sur intérêt, mais le besoin de crédit augmente dans une économie en expansion. Les juifs sont souvent les seuls prêteurs. Les taux d'intérêts sont élevés en raison des risques et de la pénurie de capitaux. Les juifs sont alors identifiés à l'usure, c'est-à-dire au prêt d'argent à des intérêts exorbitants. Un autre stéréotype du « juif » apparaît : le pauvre colporteur d'articles d'occasion. Ces deux images contradictoires des juifs, l'usurier dur et injuste et le colporteur pauvre et rusé, survivront jusqu'au XXème siècle.

D) Quand la Vierge Marie épouse la forme d’Ecclesia :

a) Le corps de l’Eglise :

L’Eglise catholique, fondée et organisée sur le mythe

de la succession de saint Pierre et sur les Evêques en communion avec saint Pierre, prétend se confondre avec le Corps mystique du Christ. Elle serait son Corps mystique. Le Pape Pie XII a exprimé ce dogme de foi dès les premiers mots d’une encyclique sur le sujet : « Mystici Corporis Christi quod est Ecclesia (le Corps mystique du Christ, qui est l’Eglise) » (cf. Mystici Corporis Christi. Encyclique du Pape Pie XII, 29 juin 1943). Les deux expressions « Corps mystique du Christ » et « Eglise » sont équivalentes ; elles ont la même extension. Appartenir à l’une, c’est appartenir à l’autre. Etre hors de l’Eglise, c’est être hors du Corps mystique. Ce principe se matérialise dans l’eucharistie par les symboles de l’hostie et du calice. « L 'Église vit de l'Eucharistie (Ecclesia de Eucharistia vivit). Cette vérité n'exprime pas seulement une expérience quotidienne de foi, mais elle comporte en synthèse le cœur du mystère de l'Église », Encyclique Jean-Paul II.

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Par le jeu de la transsubstantiation, l’hostie devient réellement le corps du christ et le vin son sang. Le vin représente le Christ qui apaise la colère de Dieu en devenant lui-même à la fois le Roi des Nations et la grappe de raisin foulée dans le pressoir par les vendangeurs. Il est le cep de vigne et le fruit de la vigne à la fois ; celui qui soumet ses ennemis, mais aussi celui qui fait naître l'Eglise s'étendant comme une vigne, les sacrements (baptême, eucharistie) et sauve l'humanité. Les premiers catholiques représentaient couramment des grappes de raisin sur les mosaïques (baptistères ou pavements) ou les calices. C'était un symbole chrétien primitif répandu. Les poètes latins et les Pères de l'Eglise ont expliqué la métaphore. Il se répandit ensuite dans toute l'Europe, dans l'art pictural, associé au thème du Bain Mystique, dans le sang du Christ (Epitaphe de Brème, Bain Mystique de Bellegambes) : aspersion du Sang du Christ, Fontaine des vertus, Fontaine de grâce, Fontaine de vie.

Le pressoir mystique (en latin torculus Christi) est un thème iconographique catholique (allégorie),

une image de l'Église où le Christ est assimilé à une grappe de raisin écrasée sous le pressoir durant sa Passion. Son sang est le jus de la grappe, devenant la source de tous les sacrements de l'Église et de la Rédemption. Il y est représenté agenouillé entre les vis du pressoir, ou foulant du raisin et portant la Croix, ou encore couché sous la vis du pressoir : « le Christ foule aux pieds du raisin, et des blessures que son corps a subies, lors de la Passion, coule son sang qui se mêle au vin jaillissant des grappes »… Au Moyen Âge, il vient compléter l'image de la vigne présente en iconographie paléo-chrétienne. Ainsi, le sang recueillit dans la coupe, fait du calice le symbole du corps de l’Eglise, qui est le cœur du mystère de l’Eglise catholique, Ecclesia de Eucharistia vivit. Le corps de l’Eglise étant aussi représenté par la vierge Marie couronnée, les deux symboles peuvent donc être confondus en un seul. Cela fait de la Vierge un objet de salut et de rassemblement autour du culte à sa personne. A ce stade, nous ne sommes plus dans le christianisme, mais le catholicisme babylonien ouvre la porte vers un dieu nouveau, accessible par la mystique des symboles, voués à un culte des mystères.

b) Ecclesia versus Synagoga :

L’ensemble des croyants forme une société, sans distinction de race, de culture ou de langue,

mais un peuple spirituel lié par une foi commune en Jésus-Christ, le Fils de Dieu. Cette société nouvelle n’ayant aucun homme pour chef, ni aucune loi humaine, se nomme l’Église, du Grec Ecclesia, qui veut dire assemblée. Un autre terme grec est celui de Synagoga, qui désigne ceux qui marchent ensemble. On aurait donc pu appeler l’Église, la Synagogue du Dieu vivant. Toutefois, pour se démarquer du Judaïsme qui ne reconnaissait pas en Jésus le Messie, on a préféré parler d’Ecclesia. La synagogue en tant qu'institution caractéristique du judaïsme naquit avec l'œuvre d'Ezra. Elle y a depuis pris une telle importance que « la Synagogue » en vient à désigner figurativement le système du judaïsme, par opposition à « l'Église ».

Du début à la fin du Moyen Âge et avec la montée en puissance du catholicisme, on assiste à une

dégradation progressive de l'image de la Synagogue. Les premières représentations de l'Église et de la Synagogue, sous la forme de deux personnages féminins allégoriques, figurent sur des crucifixions taillées dans des plaques d'ivoire à Metz, durant l'époque carolingienne. Sur ces ivoires, la Synagogue, vêtue comme l'Église et sans aucun signe d'infériorité, s'éloigne du Christ avec dignité, tenant droit son drapeau et relevant la tête. On ne décèle aucune marque d'hostilité. La signification est claire : le Christ est victorieux ; la mission de la Synagogue s'achève ; elle doit céder sa place à l'Église.

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Aux XIIème et XIIIème siècles, siècles des croisades, la prédication exalte les sentiments religieux. Elle

met l'accent sur la Passion du Christ, dont la responsabilité est imputée aux Juifs. Ils subissent alors persécutions et massacres. Dans les œuvres d'art, la défaite de la Synagogue devient un thème récurrent. Sur une miniature de l'Hortus deliciarum, ouvrage composé à la fin du XIIème siècle par Herrade de Landsberg, l'Église couronnée, regardant le Christ, serrant d'une main le calice et de l'autre la hampe crucifère de son étendard, est montée sur un animal fabuleux, le tétramorphe, synthèse des quatre êtres évangéliques. En face d'elle, la Synagogue, assise sur un âne rétif, incline sa tête et la détourne ; elle est aveuglée par sa coiffe abaissée, elle tient dans ses mains un bouquetin et un couteau, son drapeau traîne à terre.

La Synagogue et l'Église sont représentées sur le double portail sud de la cathédrale de Strasbourg

(1225-1235). La Synagogue aux yeux bandés est vaincue. Elle est découronnée ; sa lance porte-drapeau est plusieurs fois brisée ; les tables de la loi échappent de ses doigts ; comme la Synagogue de l'Hortus, elle baisse la tête et la détourne de l'Église victorieuse dressée en face d'elle, tenant le calice et la hampe crucifère de son étendard. Entre les deux portails se trouve une statue du roi Salomon. Le Pilier du Jugement dernier, dit Pilier des Anges, situé à l'intérieur du transept sud complète cet ensemble de sculptures dominé par l'idée de jugement. On insiste souvent sur la beauté de la Synagogue, remarquable aussi pour d'autres œuvres de la même époque. Il s'agit, sans doute, d'une allusion au destin de la Synagogue nullement condamnée à jamais, mais élue de la fin des temps quand elle rejoindra le Christ.

1285 : La Synagogue au serpent. Cinquante ans après les ouvrages du portail sud, d'autres statues de l'Église et de la Synagogue sont sculptées à la cathédrale de Strasbourg, cette fois au tympan du portail central de la façade occidentale. Ces figures, marquées par leurs illustres modèles du croisillon méridional, comportent toutefois une différence notable : le bandeau est remplacé par un serpent enroulé autour de la tête de la Synagogue, afin de suggérer une origine diabolique à son aveuglement.

XIVème et XVème siècles : Les bibles historiées.

La diabolisation de la Synagogue ira en s'accentuant aux XIVème et XVème siècles. Sur une miniature d'une Bible historiée du XVème siècle provenant de Haguenau, la Synagogue porte sur ses épaules un diable noir, velu, cornu et griffu, qui l'aveugle de ses mains. Ainsi perché, il peut aussi lui commander beaucoup de mauvaises actions. La Synagogue est devenue un agent de Satan…

La représentation du Juif et du Judaïsme dans l’art chrétien subit des modifications au fur et à

mesure que l’Eglise assoit son pouvoir et étend son influence aux souverains européens. Les artistes du Moyen Âge épousent le mode de pensée religieux inspiré par les clercs, et reflètent dans leur art une expressivité et un symbolisme propres à éduquer les esprits dans une vision christique des écritures. Il en est de même de la vision christique du Judaïsme et des Juifs ; les représentations narratives utiliseront des thèmes majeurs selon le message et la pensée que l’Eglise veut insuffler à

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toute la chrétienté. Elle intègre en son début la judéité des Pères de l’Eglise et la royauté de la Synagogue, elle exprime que les Juifs sont dans l’erreur et l’aveuglement et qu’ils sont lents à le reconnaître. Elle placera les Juifs toujours en Enfer et les assimilera au démon et par voie de conséquence, à tous les vices de la société, puis exprimera sa répulsion... L’art médiéval portera le message anti judaïque de l’Eglise, et portera aussi sa part de responsabilité dans l’éducation des consciences occidentales, avec toutes ses conséquences funestes à l’égard des Juifs d’Europe.

L’art chrétien utilisera pour cela le symbolisme et l’allégorie, aujourd’hui difficile à reconnaître pour un visiteur non initié. Ils sont parfois méconnus des guides eux-mêmes, formés à des commentaires trop lénifiants et consensuels, souvent ignorants de la réalité juive présente dans ces lieux.

L’étendard tenu par la Synagogue figure la royauté d’Israël et de Juda. C’est seulement au XIIIème siècle qu’il sera remplacé par une lance, souvent brisée, marquant la perte de la royauté. Le bandeau sur les yeux du personnage féminin, d’apparence royale et qui figure la Synagogue, évoquerait selon Jean-François Faü : « le passage des évangiles où Saint Paul parle du voile de Moïse, en l’interprétant comme une incapacité d’Israël à comprendre le message de ses propres écritures en référence au mystère du Christ : « Leur entendement s’est obscurci. Jusqu’à ce jour en effet, lorsqu’ils lisent l’Ancien Testament, ce même voile demeure. Il n’est point retiré, car c’est le Christ qui le fait disparaître. Oui jusqu’à ce jour, toutes les fois qu’on lit Moïse, un voile s’est posé sur leur cœur. C’est quand on se convertit au Seigneur que le voile est enlevé », (2 Co 3: 14-16) […] ».

Ainsi, la Synagogue aura les yeux bandés, un étendard brisé, une posture qui tourne le dos ou

détourne son regard de celui de l’Eglise, et parfois tiendra le porte-éponge, substituée à Stéfaton. Le plus fréquemment, là où figure une Synagogue déchue et chassée par le Christ, on retrouve

également l’Ecclesia victorieuse. L’Ecclesia, dans son symbole, représente le catholicisme couronnant la Reine du Ciel, cherchant à

éliminer physiquement en les tuant, les saints représentés par Synagoga. C’est le principe du culte des mystères qui s’oppose à celui des paroles de l’évangile. C’est un principe de substitution qui s’oppose au fait que « Le salut vient des juifs ». Cette parole capitale de l'Évangile est destinée à toute l'humanité et est rappelée par Paul en Eph 2 : 13-15 : « Mais maintenant, en Jésus-Christ, vous

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qui étiez jadis éloignés, vous avez été rapprochés par le sang de Christ. 14 Car il est notre paix, lui qui des deux (les juifs et le monde) n’en a fait qu’un, et qui a renversé le mur de séparation, 15 l’inimitié, ayant anéanti par sa chair la loi des ordonnances dans ses prescriptions, afin de créer en lui-même avec les deux un seul homme nouveau, en établissant la paix ». L’Eglise catholique du temps où elle était toute puissante au Moyen Âge, fera exactement l’inverse de la volonté divine, ce qui dévoile parfaitement l’esprit qui l’anime.

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VIII LE POIDS DES LEGENDES AU MOYEN ÂGE :

A) La légende de Saint Théophile : Dans la quête médiévale pour suppléer la Vierge au Christ, la légende de saint Théophile jouera

un rôle extrêmement important dans l'intercession de Marie. Une base historique s’y ajoutera plus tard pour les contes, impliquant la conjuration des démons.

La Vierge Marie a considérablement renforcé son importance théologique à travers le XIème siècle.

L'histoire a été utilisée pour illustrer la puissance et la nécessité de son intercession par Pierre Damien, Bernard de Clairvaux, Antoine de Padoue, Bonaventure et beaucoup plus tard par Alphonse de Liguori. L'histoire de Théophile a inspiré au XIIIème siècle une pièce jouée par le trouvère (ou troubadour) Rutebeuf : Le Miracle de Théophile, l'un des premiers morceaux de théâtre français existants.

L'histoire de saint Théophile est aussi un exemple important dans le développement de la

théologie de la sorcellerie. Comme on le voit dans le conte, la convocation des démons n'a pas été initialement considérée comme un péché accablant. Les troubles de Théophile viennent du fait qu'il ait vendu son âme, non pas qu'il ait traité avec le diable. Cette situation a changé pendant la fin du XIIIème siècle et dans le XIVème siècle, avec des inquisiteurs comme Bernard Gui et Nicolau Aymerich, qui cherchaient à étendre la puissance de l'Inquisition. Leur mandat fut la répression de l'hérésie. En définissant la sorcellerie comme une forme d'hérésie, ils faisaient ainsi des hérétiques, des suppôts de Satan. Au début du XVème siècle, apparut la croyance en l'existence d'une véritable secte de sorciers, mais surtout de sorcières, ayant conclu un pacte avec le diable et participant à un complot contre la chrétienté. A partir de 1435-1440, le nombre des procès se multiplie et la « sorcellerie populaire » passe au premier plan. C'est alors que se fixe l'image stéréotypée de la sorcière de l'époque moderne, qui superpose à la tradition des sortilèges, les empoisonnements et incantations, le pacte explicite avec le Diable, le voyage nocturne au sabbat et l'hommage rendu au Diable durant cette cérémonie. Les personnes accusées d'un tel pacte sont alors brulées vives En conséquence, Théophile aurait été accusé d'être un hérétique pour son association avec le diable, mais grâce à la Vierge il devint un saint, un grand miracle de l’Eglise catholique. Dans ce contexte, certaines variations de l’histoire incluent un magicien juif qui opère comme intermédiaire entre Théophile et le diable. Ce rôle d’intermédiation est à mettre en opposition avec celui de la Vierge Marie, qui lui est salvateur. Ainsi le juif est accusé de sorcellerie et joue le rôle du corrupteur de la foi, ce qui contribue à diaboliser les juifs se trouvant au milieu du peuple.

L'histoire se passe au VIème siècle. Théophile est le vidame, c'est-à-dire l'intendant de l'évêque

d'Adana, en Cilicie (Asie Mineure). Clerc vertueux et juste, il refuse par modestie, à la mort de son évêque, de devenir, malgré les vœux des fidèles, le pasteur de son diocèse et se contente de son poste d'économe. Mais le nouveau prélat le destitue injustement de sa charge. Révolté et ruiné, Théophile s'en va alors trouver un magicien, Salatin, en vue de recouvrir sa fortune et ses fonctions. Salatin, qui « parlait au diable quand il voulait », dit Rutebeuf, accepte de l'aider. Théophile, en échange, signe de son sang un pacte par lequel il vend son âme à Satan. Dès ce moment, tout réussit à Théophile, qui récupère sa charge et reçoit, à nouveau, présents et honneurs.

Cependant, les remords viennent bientôt l'assaillir. Théophile, repentant, prie la Vierge pour son

pardon. Après quarante jours de jeûne, la Vierge lui apparait et le réprimande verbalement. Théophile demande pardon et la Vierge Marie lui promet d'intercéder auprès de Dieu. Il jeûne ensuite une trentaine de jours supplémentaires, puis Marie lui apparait encore, et lui accorde enfin l'absolution. Cependant, Satan ne veut pas abandonner son emprise sur Théophile. Mais après trois jours, Théophile se réveille et trouve l’accablant contrat sur sa poitrine. Il court alors se jeter aux pieds de son évêque, lui confesse son crime, et lui remet le pacte. Le prélat convoque aussitôt le

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peuple et raconte aux fidèles émerveillés, l'histoire de la faute et du pardon. Peu de temps après, Théophile meurt saintement, après avoir fait pénitence.

La légende de Théophile est très représentée dans l’art sacré au Moyen Âge. On la retrouve souvent dans les édifices religieux, dépeinte dans les vitraux ou sculptée dans les murs. Les chanoines de Notre-Dame de Paris firent décorer le portail nord, donnant sur leur cloître, par cette même légende. Outre le portail nord du Cloître, à gauche de la porte rouge, on retrouve cette représentation au niveau du mur extérieur des chapelles latérales du chœur, où se trouvent sept bas-reliefs du XIVème siècle, dont cinq se rapportent à la Vierge (sa Mort, son Ensevelissement, sa Résurrection, son Assomption et son Couronnement). Les deux derniers sont les représentations du Jugement Dernier (avec Marie intercédant auprès du Christ), et du miracle de Théophile. Ces sept représentations, inscrites dans sa bible de pierre, résument bien la position de l’Eglise catholique. La Vierge Marie ressuscitée est le sauveur du monde, face à Jésus, qui renvoyé à l’image du jugement dernier, juge le monde. C’est une totale inversion des valeurs bibliques. Jean 12:47 « Si quelqu’un entend mes paroles et ne les garde point, ce n’est pas moi qui le juge ; car je suis venu non pour juger le monde, mais pour sauver le monde ».

B) Des légendes gravées dans la pierre :

La manière totalement antéchrist de présenter le rôle salvateur de Marie prend toute sa mesure,

quand on l’intègre dans l’édifice entier d’une cathédrale. De la base carrée de la tour (qui représente la terre), on s’élance vers le ciel. Elle est divisée en trois étages, en léger retrait les uns par rapport aux autres. Le niveau inférieur est celui du portail. Le niveau moyen est constitué d’une gigantesque verrière, comprenant l’impressionnante rosace. Enfin, l’étage supérieur est celui du pignon triangulaire, qui s’élance vers le ciel. C’est la porte qui mène au dieu de Rome et qui en fait la Babylone contemporaine. C’est un cheminement initiatique et un mystère lorsqu’on ne sait pas interpréter sa lecture architecturale.

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Moins grandiose que la façade ouest de la cathédrale Notre Dame, la tour nord reprend cependant le principe théologique catholique. A sa base, le trumeau1 du portail représente une statue de la Vierge. Elle repose, ou domine un dragon, selon l’interprétation que l’on choisit d’en avoir. Si elle repose, elle en est l’incarnation ; si elle le domine, elle joue le rôle de celui qui a vaincu Satan, soit Jésus-Christ ; ce qui est antéchrist dans le principe et renvoie à la première interprétation symbolique, la Vierge repose, car elle est l’image projetée de la valeur surmontée.

La partie inférieure du tympan, le linteau, représente des scènes de l’enfance du Christ. Ces sculptures sont parmi les plus belles œuvres sculptées sur ce thème. Elles montrent le rôle de Marie dès l’enfance de Jésus. Les quatre scènes représentées sont la naissance de Jésus dans une humble crèche, l’offrande au temple de Jérusalem après la naissance de Jésus, la persécution des enfants par le roi Hérode et la fuite en Égypte de Joseph et Marie pour protéger l’Enfant.

La partie supérieure du tympan présente le très populaire Miracle de Théophile, qui est un des

« Miracles de la Vierge » dont le Moyen Âge tardif était friand. Les artistes qui l'ont taillée dans la pierre, ont choisi de présenter les événements essentiels de la légende les uns à côté des autres. Ainsi, nous voyons à gauche Théophile à genoux devant le diable, en mettant ses mains jointes entre celles du démon. Théophile prête serment au diable par un geste bien connu du système féodal de l'époque : le prêtre atteste sa fidélité en mettant ses mains entre celles du diable. Derrière Théophile se dresse le magicien juif ayant servi d'intermédiaire entre le diable et le prêtre. Le juif pose une main sur l'épaule du prêtre et tient dans l'autre le pacte scellé. Dans la deuxième scène, Théophile devenu riche, distribue l'argent reçu du diable, qui est placé derrière lui. Dans la troisième scène, Théophile repenti est agenouillé devant l'autel de la Vierge. Marie sauve le prêtre dans la quatrième scène, en terrassant le démon avec une épée ressemblant à une croix. Tout en haut l'évêque d'Adana montre à ses disciples le pacte qu'il tient entre ses mains et qui porte l'inscription carta Theophili (la charte de Théophile). Le spectateur observe les cinq étapes du récit comme des unités d'illustration chronologiquement bien distinctes, arrangées à la façon de nos bandes dessinées modernes. En d'autres termes, la narration est claire du premier coup d'œil, à condition de connaitre la légende.

1 Pilier, souvent sculpté ou masqué par une statue, qui soulage en son milieu le linteau d'un portail.

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Voyons enfin la rosace, dont nous avons déjà dépeint la symbolique.

La rose ne « parle » que si l’on

pénètre par la porte qui mène au dieu. Une fois à l’intérieur, la magie opère. La lumière, en passant par les vitraux, révèle l’histoire de la gloire qui trône en son centre. Presque intacte, la rose nord a conservé pratiquement tous ses vitraux du XVIIIème siècle. Elle est consacrée à l’Ancien Testament. Le violet est sa couleur dominante. Elle doit rappeler la longue nuit d’Israël en attente du Messie. Le médaillon central représente la Vierge portant son enfant et il est entouré de 80 médaillons disposés en 3 cercles :

- 1er cercle : il est consacré aux 16 prophètes (mais Elie, qui n’a pas laissé d’écrits, est représenté deux fois et l’un des médaillons a été remplacé par un songe du Pharaon. Abdias, Aggée et Joël n’y figurent donc pas).

- 2ème cercle : on y distingue Moïse, la prophétesse Déborah et 12 juges, les premiers rois d’Israël, Saül, David, et Salomon avec 15 de leurs successeurs.

- 3ème cercle : on peut y voir 6 rois représentés avec la couronne et la main de justice des rois de France, les prophètes tiennent un rouleau de leurs écrits, les grands-prêtres sont coiffés d’un bonnet pointu et portent souvent un bâton comme Moïse.

Nous avons là une représentation de l’autorité temporelle soumise à la Loi et aux prophètes.

Jésus-Christ étant le Verbe fait chair, cette représentation de Marie efface le sens de l’Ancien Testament au profit de la nouvelle théologie mariale, qui place la Vierge au-dessus de tout, même dans le Verbe.

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IX LES ORDRES MENDIANTS : 2 Timothée 2:3 « Que personne ne vous séduise d’aucune manière ; car il faut que l’apostasie soit

arrivée auparavant, et qu’on ait vu paraître l’homme du péché, le fils de la perdition, 4 l’adversaire qui s’élève au-dessus de tout ce qu’on appelle Dieu ou de ce qu’on adore, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, se proclamant lui-même Dieu. 5 Ne vous souvenez-vous pas que je vous disais ces choses, lorsque j’étais encore chez vous ? 6 Et maintenant vous savez ce qui le retient, afin qu’il ne paraisse qu’en son temps. 7 Car le mystère de l’iniquité agit déjà ; il faut seulement que celui qui le retient encore ait disparu. 8 Et alors paraîtra l’impie, que le Seigneur Jésus détruira par le souffle de sa bouche, et qu’il anéantira par l’éclat de son avènement. 9 L’apparition de cet impie se fera, par la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers, 10 et avec toutes les séductions de l’iniquité pour ceux qui périssent parce qu’ils n’ont pas reçu l’amour de la vérité pour être sauvés. 11 Aussi Dieu leur envoie une puissance d’égarement, pour qu’ils croient au mensonge, 12 afin que tous ceux qui n’ont pas cru à la vérité, mais qui ont pris plaisir à l’injustice, soient condamnés ».

Selon ce texte de Paul, l’apostasie se construit progressivement jusqu’à aboutir au couronnement

de l’antéchrist. A mesure que l’on progresse dans le temps, deux logiques religieuses vont donc progressivement s’affronter : - La logique catholique par le culte des morts (saints), associé aux miracles et signes qui leur sont attribués, et le couronnement de la Reine du Ciel (vierge Marie), qui mènera le monde médiéval au cœur de l’âge des ténèbres ; - Puis parallèlement, en résistance aux forces du mal, naîtrons les premières formes de retour à la Parole de Dieu, notamment dans le sud de la France avec les Albigeois. L’adversaire s’adapte alors pour combattre efficacement le renouveau spirituel en cours. Le clergé et ses mœurs corrompues étant la cause première d’une

désaffection du catholicisme par le peuple, naissent au XIIIème siècle des ordres religieux d’un genre nouveau : les ordres mendiants. Désireux de « suivre nus le Christ nu » et soucieux de répandre « la parole de Dieu », ils refusent toute propriété et de fait, doivent mendier chaque jour leur pain. Les Mendiants ne sont pas des moines, mais des frères qui vivent dans des couvents ouverts sur le monde et non dans la solitude d’un monastère. Ils adaptent leur prédication aux attentes d’une population urbaine. Les deux principaux ordres mendiants sont : les Dominicains (ou frères prêcheurs), et les Franciscains (ou frères mineurs). S’ils défendent en grande partie les mêmes idéaux, les premiers, Franciscains, ouvrent largement leur fraternité aux laïcs, alors que les Dominicains étaient avant tout des clercs. Rivaux et partenaires, ces deux ordres ont joué un rôle important dans la pastorale médiévale.

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A) L’ordre des Prêcheurs, les Dominicains :

En 1203, Dominique de Guzman fut choisi par son évêque, Diego de Acevedo, pour

l’accompagner dans une mission diplomatique au Danemark. Au cours de ce voyage, les deux hommes passèrent par le Languedoc et furent confrontés pour la première fois à l’hérésie cathare. Ils y rencontrèrent les légats pontificaux profondément découragés car, malgré leurs efforts, la situation évoluait mal pour eux et l’hérésie grandissait. Pour Diego et Dominique, il fallait combattre l’hérésie cathare en adoptant les mêmes méthodes que les hérétiques : une vie austère fondée sur une pauvreté sans faille, de longs jeûnes, et surtout, une grande simplicité dans la prédication. Pendant des mois, ils parcoururent les campagnes, prêchant l’Évangile et luttant contre les cathares : Dominique et Diego parvinrent à convertir quelques femmes cathares, pour lesquelles ils fondèrent un monastère à Prouille, près de Fanjeaux où eux-mêmes résidaient. C’est la première maison de moniales dominicaines. Dominique devint leur guide spirituel comme le lui avait demandé Diego, qui repartit dans son diocèse en 1207. Dominique réalisa que seul un ordre religieux pourrait donner à l’Église les prédicateurs bien formés dont elle avait instamment besoin. En effet, jusque-là, les prédicateurs qui se présentaient n’étaient souvent pas assez formés ou tenaces et ils ne remplissaient pas toujours leur mission. Il prit également le parti de combattre les cathares avec leurs propres méthodes : puisque les chefs cathares étaient à la fois des hommes à la vie simple voire austère, ainsi que des prédicateurs convaincants car bien formés dans les Écritures, il fallait fonder un ordre qui répondît aux mêmes critères. Ses membres, s’ils restaient des religieux à part entière, pourraient néanmoins se consacrer à l’étude de l’Écriture pour pouvoir prêcher efficacement.

Que des hommes se mettent en tête de prêcher, il n’y avait là rien de nouveau : avant les

Dominicains, des groupes, comme les Umiliati en Lombardie, avaient déjà fait de la prédication (ou du moins de l’exhortation) une de leurs prérogatives. Mais souvent ces groupes ne s’alignaient pas tout à fait sur l’orthodoxie religieuse et faisaient l’objet d’une certaine méfiance de la part de l’Église. Avec les Dominicains, l’Église catholique put se doter d’hommes bien formés, capables de prêcher la vérité de la foi catholique avec crédibilité, et en même temps soumis à son autorité, puisqu’ils appartiendraient à un ordre religieux. En février 1217 la bulle « Justis petentium » autorisa les Dominicains, alors confinés au diocèse de Toulouse, à prêcher dans le monde entier. Cette mesure permit le déploiement de l’ordre. Ainsi, pour la première fois, un ordre mêlait vie religieuse et ministère de la parole (ministère qui était jusque-là l’apanage des évêques), et ce avec le soutien affirmé de la papauté, comme le montrèrent les bulles successives. Les Dominicains bénéficièrent du soutien constant du pape ; ils devinrent le fer de lance de la papauté dans la lutte contre l’hérésie cathare et la mise en place de l’Inquisition entre 1231 et 1233.

L’ordre rayonnait, mais il n’avait pas encore de règles précises : pour les établir, il dut se réunir en

chapitre. Le premier chapitre général fut réuni en 1220 au couvent San Niccolo de Bologne : il donna naissance à la Constitution dominicaine. Dans le prologue, ils définirent leurs objectifs principaux : « il est reconnu qu’il a été spécialement constitué depuis le début pour la prédication et le salut des âmes, et que notre étude doit être principalement et ardemment dirigée vers ce but avec le plus grand zèle, de telle sorte que nous puissions être utiles aux âmes de nos prochains ». Comme le royaume de Dieu est celui de la conscience, il faut donc convaincre les esprits en pénétrant les cœurs. Si la prédication cathare est inspirée, celle des dominicains, ne puisant pas à la même source, devra se structurer pour modeler les pensées. Les dominicains vont d’abord se structurer en interne, afin d’être plus efficace dans le monde exterieur. Le chapitre de 1220 établit l’organisation interne de l’ordre : il y a un maître général (Dominique jusqu'à sa mort), mais il n’est en fait que le premier parmi des égaux, puisque chaque dominicain a le droit de voter. On organise aussi l’élection d’un comité de diffinitores. Le maître général et les diffinitores, au nombre de quatre, constituent une sorte de pouvoir exécutif. Le chapitre, qui se tient une fois par an, est l’autorité suprême dans l’ordre

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: autorité exécutive, législative et judiciaire. Il contrôle tous les aspects de la vie dominicaine et autorise toute nouvelle fondation.

Pour vérifier que ces règles soient appliquées partout, le chapitre dispose de visitatores, chargés

d’aller voir sur place l’organisation de chaque couvent. Bien qu’associé à une province, chaque couvent avait une direction autonome et un certain nombre de droits. Il était gouverné par un prieur, élu par la communauté. Le couvent était le point de rattachement des frères, qui parcouraient les alentours pour prêcher. Lorsque mourut Dominique le 6 août 1221, l’ordre tint bon : Dominique l’avait doté d’une telle armature législative que, malgré la disparition de son fondateur, l’ordre se perpétua.

L’exemption de la juridiction épiscopale dont jouissaient les frères, développa contre eux

l’hostilité du clergé séculier. Mais, la véritable crise eut lieu au sein de l’université. En effet, si les Dominicains avaient été plutôt bien acceptés par les universités, ils n’en avaient cependant jamais fait réellement partie : dépendant strictement de leur ordre, ils ne participaient pas aux grèves des universitaires et ne demandaient pas d’honoraires pour les cours qu’ils dispensaient. Les Dominicains comprirent rapidement qu’ils devaient créer leurs propres structures pour pouvoir prêcher dans les villes. En effet, dans les années 1240, les Mendiants réalisèrent que les prêtres séculiers ne voulaient pas les laisser prêcher dans leur église ; ils se mirent donc à construire leurs propres églises conventuelles, sobres avec des nefs uniques et spacieuses, capables de contenir beaucoup d’auditeurs. La popularité des Prêcheurs s’accrût lorsqu’ils obtinrent le droit d’accorder des indulgences, de célébrer pendant les interdits et d’enterrer les fidèles dans leurs églises. D’habitude, les frères prêchaient dans leurs propres églises ou dans les églises paroissiales lorsqu’on le leur permettait. Peu à peu, la prédication s’organisa : à chaque couvent correspondait un territoire défini (une diète) dans lequel les frères du couvent prêchaient régulièrement, spécialement pendant l’Avent et le Carême. On constate que cet ordre, né du besoin urgent de prédicateurs qualifiés et respectueux de l’orthodoxie, a su se développer et avoir une influence importante au XIIIème siècle. Si l’ordre a eu un tel succès dans son ministère pastoral, c’est justement parce qu’il a très tôt mis l’accent sur une excellente formation de ses frères. C’est ce qui en fit sa particularité.

Au XIIIème siècle, les Dominicains et les Franciscains vont dominer l’histoire de la prédication et

composeront de nombreuses collections de sermons-modèles, comme l’a bien montré David D’Avray dans The Preaching of the Friars : Sermons diffused from Paris before 1300. Ils diffuseront par la même occasion la technique du sermo modernus, qui, comme son nom l’indique, est un sermon d’un nouveau genre, par opposition à l’homélie. Jusqu’aux XIIème - XIIIème siècles, l’homélie est la forme classique du sermon ; elle consiste en l’explication progressive d’un passage scripturaire. Au XIIIème

siècle, l’homélie est supplantée par le sermo modernus (notamment en Italie), reconnaissable à sa structure : le sermon a pour base un court extrait emprunté à la Bible ou à la liturgie (le thema). Le développement s’exécute ensuite en divisant le thème (divisio) en « distinctions » et « sous-distinctions », qui expliquent le sens caché des mots. Pour bien la comprendre, cette structure du XIIIème siècle doit être rattachée au contexte intellectuel dans lequel de tels sermons ont été composés. Les recherches d’Erwin Panofsky ont montré qu’il y avait des correspondances formelles entre les cathédrales gothiques et les sommes théologiques. La cathédrale gothique est divisée en parties. Elle manifeste un souci de symétrie et de parallélisme, une recherche de clarté que recherchent aussi les maîtres de la scolastique. Ce type de structure relèverait d’une « habitude mentale » propre au XIIIème siècle. Les esprits modelés par l’enseignement catholique, se retrouvent donc comme projetés dans les bibles de pierre de leurs édifices religieux.

Puisque que la mission première des Dominicains fut la prédication, les ouvrages ou outils

pastoraux furent d’une grande importance au sein des leurs établissements. Les Mendiants, et en particulier les Dominicains, furent à l’origine de nombreux ouvrages y aidant. On pourrait se poser la question d’un tel engouement pour la rédaction de matériaux de prédicateurs. C’était tout

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simplement le cas, parce que chaque couvent se devait de posséder une vaste collection de ces outils : sermonnaires, concordances bibliques, distinctions, recueils d’exempla1. L’écriture de ce type d’ouvrage n’était en quelque sorte, que le prolongement logique d’une vocation pastorale. Les frères de l’ordre dominicain, ordre du savoir par excellence, écrivirent beaucoup, et ils ne se limitèrent pas à ces outils pour prédicateurs. Ils écrivirent évidemment des ouvrages de théologie, comme la très célèbre Somme théologique (vers 1270), dans laquelle Thomas d’Aquin opère une synthèse entre la foi et la raison. Mais, sensibles à la vision augustinienne, selon laquelle l’univers pourrait révéler la Sacra Pagina, ils rédigèrent aussi de nombreux ouvrages scientifiques. Très tôt, les Dominicains écrivirent des compendia de sciences naturelles, d’abord par intérêt personnel, puis parce que ces compendia pouvaient servir de source d’inspiration pour les prédicateurs, qui aimaient développer dans leurs sermons des métaphores à partir des éléments de la nature. Ainsi, Albert le Grand, outre ses œuvres théologiques, écrivit-il sur les animaux, les végétaux, les minéraux… Par tous ces ouvrages, il s’élabora peu à peu un corpus textuel dominicain, parfaitement servi par un réseau efficace de bibliothèques, bien dotées et facilement accessibles.

B) Sous la tutelle de Marie :

La tradition dominicaine attribue à Dominique la dévotion particulière que l’ordre vouait à la

Vierge : dans sa Legenda (1246-1248), Constantin d’Orvieto affirme que Dominique avait confié l’ordre au patronage spécial de Marie. Dès le début donc, les Dominicains eurent la conviction d’avoir un lien particulier avec la Vierge, ce qui semble normal lorsque l’on sait qui se cache derrière cette image de pureté. Très tôt, certains d’entre eux attribuèrent même la création de l’ordre à l’intercession de Marie. En effet, plusieurs récits relatent des visions dans lesquelles la Vierge plaide en faveur des hommes, face à un Christ en colère. Finalement, Marie obtient gain de cause en promettant que les frères Prêcheurs régénèreront sur le monde. Parmi ces auteurs, on compte Jean de Mailly et son Abrégé des Gestes et miracles des saints (vers 1240), Thomas de Cantimpré et son Bonum Universale de Apibus (1256-1263), Gérard de Frachet et ses Vitae Fratrum (vers 1260), mais surtout Jacques de Voragine dans la Légende dorée (vers 1263-1267). Par conséquent, entrer dans l’Ordre des Prêcheurs, c’était en quelque sorte se « mettre au service de Marie, en même temps qu’au service du Christ ». Ainsi dans la formule de profession des Dominicains (établie en 1220), inspirée des formules canoniales des Prémontrés, le frère promet une obéissance illimitée à Dieu et à la Vierge : « Moi, [nom], fait profession et promet obéissance à Dieu et à la sainte Vierge Marie et à toi, [nom], maître de l’ordre des Prêcheurs, et à tes successeurs, en accord avec la règle de saint Augustin et des Institutions des frères de l’ordre des Prêcheurs, que je serai obéissant envers toi et tes successeurs jusqu’à la mort ».

Créé pour lutter contre l’hérésie attachée à l’évangile, l’ordre dominicain trouvera en Marie une

alliée de choix pour promouvoir l’orthodoxie catholique. En effet, elle fut largement utilisée au Moyen Âge comme figure de lutte contre les hérétiques, et tout spécialement contre les juifs. Ainsi, on trouve au XIIIème siècle, de très nombreux exemples qui mettent en scène Marie intervenant contre les juifs, considérés à cette époque comme ses ennemis, car c’est par leur faute que la Vierge souffrit. Dans ces exemples, Marie apparaît beaucoup plus active qu’auparavant : elle lutte contre le mal et expose sa souveraineté. L’image d’une Marie plus vindicative se retrouve d’ailleurs dans le Liber marialis de Jacques de Voragine. Par ailleurs, si Marie est une figure si importante pour lutter contre les hérésies, c’est parce que justement les dogmes la concernant étaient ceux que les hérétiques remettaient le plus souvent en cause. Ainsi, prêcher la Vierge et promouvoir son culte, c’était lutter en quelque sorte contre les hérétiques.

Les Mendiants ont contribué à développer le culte marial auprès des laïcs. Par leurs sermons,

souvent prêchés en langue vernaculaire, ils ont rendu familière son image aux laïcs. Par leurs recueils

1 Brefs récits, historiques ou anecdotiques, propres à édifier l’auditeur tout en retenant son attention.

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de sermons, écrits généralement en latin, ils ont été des sujets de lecture ou de méditation pour leurs lecteurs, ce que Michel Zink a appelé la « prédication dans un fauteuil ». Un ouvrage comme La Légende dorée, a pu contribuer au développement de ce culte, puisqu’il raconte, en plus de l’histoire des saints, la vie de Marie, de sa naissance à sa mort « inhabituelle ».

Au Moyen Âge, les dominicains ne se contentèrent pas de juger, condamner et massacrer tout ce

qui s’oppose au catholicisme; ils donnèrent la base littéraire et scolastique qui fonda sa doctrine. Un savant comme Thomas d’Aquin apporta la base théologique et Jacques de Voragine (1228 - 1298) apporta «La légende dorée» des saints catholiques. L'auteur de la Légende Dorée était un des hommes les plus savants de son temps. Né en 1228, il avait seize ans, lorsqu’ en 1244, il entra dans l'ordre des Frères Prêcheurs, la même année que Thomas d'Aquin.

a) La Légende dorée :

La Légende dorée (Legenda aurea), ouvrage rédigé en latin afin de permettre sa diffusion dans

toute l’Europe pour pallier à l’obstacle des langues, entre 1261 et 1266 par l’archevêque de Gênes, raconte la vie d'environ 150 saints ou groupes de saints, saintes et martyrs chrétiens, et certains épisodes de l'année liturgique, commémorant notamment la vie du Christ et de la Vierge. La Légende Dorée est essentiellement une tentative de vulgarisation, de «laïcisation», de la science religieuse qui cherche à justifier le culte des saints et des reliques. Bien d'autres théologiens, avant Jacques de Voragine, avaient écrit sur la vie de saints, mais aussi sur toutes les fêtes de l'année. Dès le XIème

siècle par exemple, le Bréviaire avait été compilé, à peu près sous sa forme actuelle, avec des leçons équivalant aux chapitres de la Légende Dorée. Jacques de Voragine puisa dans tous les textes classiques de la littérature religieuse du Moyen Âge, notamment les livres apocryphes. Initialement intitulée Legenda sanctorum alias Lombardica hystoria (« ce qui doit être lu des saints ou histoire de la Lombardie »), cette œuvre est rapidement appelée Legenda aurea car son contenu, d'une grande valeur pour les croyances catholiques basées sur des mythes et légendes, est dit aussi précieux que l'or. Outre les vies des saints, environ 40% de la Légende Dorée est consacrée aux explications des principales fêtes religieuses catholiques.

Il n'y a peut-être pas de livre qui ait été plus souvent copié et traduit au Moyen Âge. Toutes les

bibliothèques du monde en possèdent des manuscrits, dont quelques-uns comptent parmi les chefs-d'œuvre des deux arts de la calligraphie et de l'enluminure. Et lorsque, deux cents ans après, l'imprimerie vient se substituer à ces deux arts pour les anéantir, c'est encore la Légende Dorée qu'on imprimera le plus. Les catalogues mentionnent près de cent éditions latines différentes, publiées entre les années 1470 et 1500, auxquelles il faut ajouter d'innombrables traductions françaises, anglaises, hollandaises, polonaises, allemandes, espagnoles, tchèques, etc. Du XIIIème au XVIème siècle, la Légende Dorée restera, par excellence, le livre écrit pour le peuple. Il n'y a peut-être pas de livre qui ait exercé sur le peuple une action plus profonde. Car le « petit » livre de Voragine, une épithète que tous les auteurs anciens s'accordent à lui attribuer, a été, pendant ces trois siècles, une source inépuisable d'idéal pour le catholicisme. En rendant la religion plus ingénue, plus populaire et plus pittoresque, il l'a presque revêtue d'un pouvoir nouveau. Il a du moins permis aux âmes d'y prendre un nouvel intérêt, et pour ainsi dire, de s'y inspirer plus profondément. Dès lors, les nefs des églises se sont peuplées d'autels en l'honneur des saints et des saintes du calendrier. Les tailleurs de pierres se sont mis à sculpter, aux porches des cathédrales, les récits de la Légende Dorée. Les peintres et les verriers l’ont représenté sur les murs et les fenêtres. Entrez dans une vieille église de Bruges, de Cologne, de Tours ou de Sienne. Toutes les œuvres d'art qui vous y accueilleront ne sont que des illustrations immédiates et littérales de la Légende Dorée. Elle a fait des églises catholiques, une bible de pierre pour les laïcs.

Au XIIIème siècle, le culte marial pris une telle importance, que naquît un genre spécifique consacré

à la Vierge. Il regroupa sous le nom de Mariale, des écrits très divers tels que des miracles de la

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Vierge, des sermons, etc. Les prédicateurs se mirent à composer des recueils de sermons sur elle ; le premier Mariale a été composé par Bartholomée de Brégance et comptait 127 sermons consacrés aux quatre fêtes de la Vierge. Bartholomée l’écrivit pour « communiquer son expérience et accumuler un matériel à proposer aux autres ». Le Liber marialis est une des œuvres les moins connues de Jacques de Voragine, mais complète logiquement la Légende Dorée, en portant Marie au pinacle. Il eut plusieurs titres au cours du Moyen Âge : Sermones aurei de Maria Virgine Dei matre, Liber marialis, Mariale, …

b) Le Lierber Marialis :

Le Liber marialis est un recueil de 160 chapitres ayant une structure qui ressemble fortement à

celle du sermo modernus. Chaque chapitre a pour point de départ une image ou une fonction à laquelle peut être comparée la Vierge. La plus grande partie des chapitres est consacrée à ses qualités (comme sa beauté, son humilité, sa bonne odeur, son courage…) et fonctions (avocate, médiatrice du genre humain, mère du Christ…). On trouve aussi des chapitres consacrés aux fêtes de la Vierge (Annonciation, Assomption, Nativité et Purification) et notamment à la salutation angélique. Les autres textes ont tous pour point de départ une comparaison de la Vierge avec un élément réel : la terre et l’eau (la mer, la fontaine…), les réceptacles en tout genre qui représentent bien l’idée de la Vierge comme ventre de Dieu (le vase, le temple, le cratère…), des éléments corporels (le cou, la main, le sein), des éléments célestes (l’étoile, la lune, le nuage…), le jour et la lumière, des animaux (l’éléphant, l’abeille, la poule…), des objets ou constructions issus de l’artisanat (le miroir, l’aqueduc…), des végétaux très divers (palmier, cannelle, rose…), etc… Jacques de Voragine a sans doute écrit son Liber marialis afin qu’il soit diffusé au plus de monde possible. En effet, dans son prologue, il parle de « quilibet », c’est-à-dire de « n’importe qui » : on ne peut trouver plus

vague… Pour atteindre un tel dessein, la simplicité du discours est nécessaire. Le Liber marialis utilise donc des schémas simples et souvent répétitifs, à la portée de tous. Il semble bien qu’au XIIIème siècle, la comparaison entre la Vierge et des végétaux comme point de départ d’un sermon ou d’un texte de méditation, soit devenue banale, vulgarisé par des ouvrages comme les Postilles d’Hugues de Saint-Cher, qui diffusent cette manière de penser et de rédiger. On annonce que la Vierge est comparable à tel végétal. Il s’ensuit alors une énumération logique et précise des raisons de cette analogie, parsemée de citations bibliques.

Faire de la nature le point de départ d’une

comparaison avec la Vierge n’a rien d’étonnant à cette période. En effet, le langage métaphorique, pratiqué dès l’Antiquité, y connaît son plus grand

développement. L’usage de métaphores dans la littérature médiévale est très fréquent et correspond à un mode de pensée propre au Moyen Âge, auquel nous sommes quelque peu étrangers aujourd’hui. On considérait en effet, que tout ce qui avait été créé par Dieu « renvoyait au créateur, conservant le reflet de sa perfection ». La contemplation du monde, création divine, pouvait donc mener à la connaissance des vérités spirituelles et pour Augustin, à la réalité sensible du signe (« une chose qui en plus de l’impression qu’elle produit par les sens, fait venir une autre idée à l’esprit ».). Par conséquent, on peut dire que le Moyen Âge perçut une double révélation divine, à la fois dans la création visible (le liber naturae) et à travers l’Écriture (le Livre par excellence). Cette idée du livre de la nature eu un grand succès : de nombreux écrits patristiques et médiévaux traitaient de la nature sous un angle religieux. Par conséquent, l’intervention fréquente de la nature dans un discours

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religieux maintenait le public chrétien dans une certaine familiarité avec l’idée d’une nature mise au service de la connaissance du message divin.

Les images et les similitudes jouent donc un grand rôle dans la prédication, surtout à partir du

XIIème siècle. La nature s’impose peu à peu dans l’iconographie. Au XIVème siècle, elle prend une place importante dans l’iconographie occidentale. La métaphore du jardin clos (« hortus conclusus »), désignant la virginité de Marie, est généralisée. Il apparait alors de nombreuses images montrant la Vierge au milieu d’un jardin. Les métaphores végétales à propos de la Vierge se retrouvent souvent dans des commentaires du Cantique des Cantiques, texte biblique souvent associé à Marie à partir du XIIème siècle. Cependant, la métaphore la plus connue et la plus répandue, est sans nulle doute celle de l’étoile de mer (stella maris), mise en forme par saint Bernard de Clairvaux au XIIème siècle, qui n’a cessé d’être reprise, entre autres par Voragine. Jacques de Voragine compare la Vierge à l’arbre céleste et au jardin des délices, deux éléments qui n’ont d’existence que dans l’univers mental des hommes du Moyen Âge. La comparaison change alors quelque peu de niveau, puisqu’elle ne cherche véritablement plus à toucher au sensible. Dans ces deux cas, il s’agit de comparer la Vierge à des éléments qui sont le fruit d’une culture et d’une éducation exclusivement religieuse.

Pourquoi de telles comparaisons entre la Vierge et des végétaux ? Quels sont les principaux liens

que Jacques de Voragine établit entre ces deux entités ? Le premier rapport qui vient immédiatement en tête, c’est la fécondité. Marie, considérée avant tout comme « mère de Dieu » (« Theotokos ») depuis le concile d’Ephèse (431), est perçue en partie à travers son fils. Le monde végétal appartient à l’imaginaire de la fécondité ; le fruit de l’arbre est le fils de la Vierge. Cette analogie est évidente et utilisée, on l’a vu, chez Voragine. Ainsi, les chapitres sur les végétaux consacrent presque tous une partie au « fruit » de la Vierge. Un autre aspect important du culte marial au XIIIème siècle, est le rôle de protectrice que tient la Vierge. Marie est la médiatrice par excellence, elle apporte une protection spirituelle à quiconque veut se recommander à elle. La Vierge du Liber marialis l’est avant tout : elle soigne les péchés et lutte contre les démons. L’imagerie végétale permet aussi de montrer la Vierge sous ses deux aspects : mère du Christ et Vierge de douleur. Le Liber marialis est donc un bon exemple de la littérature mariale du XIIIème siècle ; il montre combien les frères mendiants étaient soucieux de la diffusion du message doctrinal, tout en se mettant à la portée des laïcs.

Il est fondamental de comprendre ces notions médiévales, pour vous permettre de mieux

appréhender les motifs gravés dans les livres de pierre des édifices religieux catholiques. Ils n’ont pas pour but d’enjoliver les murs par de jolis motifs. Ils renvoient systématiquement et métaphoriquement, à une base doctrinale enseignée dans la prédication des offices. C’est parce que tout cela a été oublié, qu’aucune étude sur les cathédrales n’est pertinente, si ces rappels préalable ne sont pas précisés.

c) Le Rosaire :

Alors que l'hérésie albigeoise répandait l'impiété dans la province de Toulouse et s'y enracinait

chaque jour plus profondément, saint Dominique, qui venait de fonder l'Ordre des Frères Prêcheurs, s'appliquait tout entier à la faire disparaître. Afin d’y arriver plus sûrement, il implora par des prières assidues le secours de la bienheureuse Vierge, dont les hérétiques attaquaient la dignité avec une souveraine impudence.

D'après la tradition, Marie lui recommanda de prêcher le Rosaire au peuple, lui faisant entendre que cette prière serait un secours exceptionnellement efficace contre les hérésies et les vices. Aussi est-il prodigieux de voir avec quelle ferveur d'âme et avec quel succès il s'acquitta de la tâche imposée. Cependant, la bulle Consueverunt romani Pontifices (1569) du pape Saint Pie V, y écrit très clairement que Dominique a « inventé et propagé ensuite dans toute la sainte Église romaine un mode de prière, appelé Rosaire ou psautier de la bienheureuse Vierge Marie, qui consiste à honorer la

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bienheureuse Vierge par la récitation de cent cinquante Ave Maria, conformément au nombre des psaumes de David, en ajoutant à chaque dizaine d’Ave, l’Oraison dominicale et la méditation des mystères de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ ».

Le rosaire est donc une arme spirituelle, inventé par Dominique pour combattre l’hérésie par la voie des mystères, plutôt que par les Ecritures évangéliques.

Le Rosaire est une méthode déterminée de prière, dans laquelle on distingue quinze dizaines de

salutations angéliques. Elles sont séparées par l'Oraison dominicale. A chacune d'elles on se rappelle, dans une pieuse méditation, les mystères de la Rédemption. C'est donc à partir de ce moment que, grâce à Dominique, cette manière de prier commence à se faire connaître et à se répandre. Les papes ont plusieurs fois affirmé, dans leurs lettres apostoliques, que saint Dominique est l'auteur et l'instituteur de cette forme de prière : « Aux Albigeois qui enseignaient que le corps matériel était une réalité mauvaise, que le Fils de Dieu n'avait pu prendre qu'une apparence de corps et non pas un corps réel, et qui déniaient à la Sainte Vierge la gloire d'une vraie maternité, on ne pouvait opposer prédication et dévotion mieux adaptées que la dévotion à la Vierge mère et à l'humanité du Verbe fait chair, et la prédication des mystères du Rosaire rappelant au peuple chrétien les grands épisodes de la vie de Jésus et de sa mère ».

Si les croyances cathares n’étaient pas exemptent de tout reproche, les combattre par le fer

plutôt que par le verbe fut une grossière erreur. Il eut été plus logique d’affirmer qu’en l’absence de corps, il n’y ait pas eu souffrance, ni de mort, notamment celle de la croix. Cette absence de sacrifice qui couvre le péché une fois pour toutes, rend vain le message de l’évangile et le salut de l’humanité. « C’est pourquoi Christ, entrant dans le monde, dit : tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps ; tu n’as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour le péché. Alors j’ai dit : voici, je viens. Dans le rouleau du livre il est question de moi pour faire, ô Dieu, ta volonté. Après avoir dit d’abord : tu n’as voulu et tu n’as agréé ni sacrifices ni offrandes, ni holocaustes ni sacrifices pour le péché ce qu’on offre selon la loi, il dit ensuite : voici, je viens pour faire ta volonté. Il abolit ainsi la première chose pour établir la seconde. C’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés, par

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l’offrande du corps de Jésus-Christ, une fois pour toutes. Et tandis que tout sacrificateur fait chaque jour le service et offre souvent les mêmes sacrifices, qui ne peuvent jamais ôter les péchés, lui, après avoir offert un seul sacrifice pour les péchés, s’est assis pour toujours à la droite de Dieu, attendant désormais que ses ennemis soient devenus son marchepied. Car, par une seule offrande, il a amené à la perfection pour toujours ceux qui sont sanctifiés », (Hébreux 10: 5-14).

Mais comme le fait remarquer Dominique de Guzman, qui révèle par-là la vraie nature de l’esprit

qui l’anime, ce qui l’irrite : c’est le déni à la Sainte Vierge, de la gloire d'une vraie maternité, qui lui enlève de facto toute dévotion. A ses yeux idolâtres, il y a là blasphème et matière à combattre, d’abord par la prière, puis par le fer. Selon la légende, c'est Dominique de Guzman qui aurait reçu le Rosaire des mains de la Vierge Marie elle-même. Consacré à Marie, mère de Jésus de Nazareth, il tire son nom du latin ecclésiastique rosarium qui désigne la guirlande de roses dont les représentations de la Vierge sont couronnées. Saluer Marie 50 fois, c'était lui offrir une couronne de fleurs, c'est-à-dire à l'époque un « petit chapeau », un « chapelet », qui vient de l’usage au Moyen Âge de couronner de roses les statues de la Vierge. Chaque rose représentait un Ave Maria. Le mot « rosaire » quant à lui, désignait au Moyen Âge une collection de textes sacrés.

Dans les monastères, les religieux qui ne comprenaient pas le latin récitaient le rosaire, soit 150

« Ave Maria », à la place des 150 psaumes de l'office liturgique. Comme le dit saint Bernard : « Il n'est pas de doute que toutes les louanges que nous adressons à la Mère de Dieu ne s'appliquent aussi bien à son Fils ; et réciproquement, lorsque nous rendons hommage au Fils, nous ne perdons pas de vue la gloire de la Mère. Si d'après Salomon : « un fils sage est la gloire de son père » (Pr. 10:1), il est plus glorieux encore d'être la mère de la Sagesse ». Néanmoins, saint Dominique ne fut pas le seul à être inspiré dans ses prières à la Vierge. Saint Bonaventure écrivit les Louanges de la Vierge et un Psautier, c'est-à-dire un Livre des Heures qui était également un recueil de louanges adressées à Marie. Ce n'était cependant pas encore le rosaire (destiné à remplacer la lecture du psautier de 150 Psaumes, ou des cent-cinquante Pater Noster, par 150 Ave Maria). Saint Bernard écrivit également des sermons sur les Mystères, qui pouvaient être à l'origine de la méditation des Mystères du Rosaire. Nous retrouvons aussi Les Louanges de la Vierge dans les Litanies de Lorette. Celle de la Rose Mystique, Rosa Mystica, est très connue. Le mot Rosarium (Champ de roses) était utilisé dès XVème siècle. Toujours est-il qu'entre les fleurs, c'est la rose vermeille, Reine des Fleurs qui a donné son nom au Rosaire.

Le rosaire est diffusé et popularisé en Europe après les premières croisades, dès le XIIème siècle,

par saint Dominique. L'hagiographie1 traditionnelle lui attribue son invention. Ainsi l'ordre des Prêcheurs (ou dominicains) répandit-il son usage qui consiste en un exercice de méditation simple, sur les épisodes importants de la vie de Jésus-Christ, au travers du regard marial. Un document historique montre Dominique employant victorieusement cette prière dans une célèbre bataille contre les hérétiques. Il s’agit de la première victoire du Rosaire remportée à Muret, près de Toulouse, le 12 septembre 1213. 800 chevaliers catholiques, appelés par le pape Innocent III, firent face à environ 34 000 ennemis (des cathares renforcés par des troupes venues d’Espagne, avec le roi Pierre II d’Aragon). Dominique monta alors dans l’église de Muret, accompagné du clergé et du peuple. Il leur fit prier le Rosaire. Cinq mois après l’évènement, un notaire languedocien écrivit : « Dominicus rosas afferre. Dum incipit tam humilis. Dominicus coronas conferre. Statim apparet agilis ». Le notaire note l’humilité de Dominique qui n’hésite pas à prendre la prière du Rosaire (prière très humble et du peuple) ; Il y note également son agilité à achever les couronnes, c’est-à-dire à faire se succéder les chapelets les uns aux autres. La victoire des chevaliers catholiques (menés par Simon de Montfort) est fulgurante et miraculeuse. Les chroniques relatent que les ennemis de la religion tombaient les uns sur les autres ainsi que les arbres de la forêt sous la cognée d’une armée

1 Branche de l'histoire religieuse qui étudie la vie et les actions des saints.

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de bûcherons. Tout comme l’épée qui sort de la bouche du Christ, Ap 1:16 « de sa bouche sortait une épée aiguë, à deux tranchants ». Dominique fit du rosaire l’arme dominicaine qui inspira les croisés à combattre les hérétiques.

La pratique se poursuivit dans le temps, au point qu'une fête Notre-Dame du Rosaire fut instaurée

le 7 octobre dans le calendrier liturgique catholique, à l'initiative du pape dominicain Pie V en 1571, au lendemain de la bataille de Lépante. On cite la victoire que le pontife Pie V et les princes chrétiens enflammés par ses paroles remportèrent, près des îles Échinades, sur le puissant sultan des Turcs. En effet, au jour même où fut remportée cette victoire, les confréries du très saint Rosaire adressaient à Marie, dans tout l'univers, les supplications accoutumées et les prières prescrites selon l'usage. Aussi ce succès fut-il attribué, non sans raison, à ces prières. Grégoire XIII en rendit lui-même témoignage. Et pour qu'en souvenir d'un bienfait si extraordinaire, d'éternelles actions de grâces fussent rendues à la bienheureuse Vierge, invoquée sous l'appellation de Notre-Dame du Rosaire, il concéda un Office en rite double majeur1, à célébrer à perpétuité dans toutes les églises où il y aurait un autel du Rosaire. D'autres Papes accordèrent des indulgences presque innombrables à ceux qui récitaient le Rosaire et aux confréries du Rosaire.

Le rosaire ne se limite pas à la récitation des prières qui le composent. En récitant chaque dizaine

du rosaire, il convient de méditer sur un mystère (soit de la vie de Jésus, soit de celle de Marie). Comme l'a souligné le pape Jean-Paul II, l'objectif du rosaire est avant tout de « contempler avec Marie le visage du Christ ». Cette contemplation fait appel à l'imagination, ce qu'Ignace de Loyola appelle une « composition de lieu » : il s'agit de reconstituer dans son imagination et de voir en esprit tel ou tel évènement de la vie de Jésus de Nazareth. Chaque dizaine est l'occasion de méditer un mystère particulier, pour prier d'en obtenir le fruit spirituel. On reconnait traditionnellement quinze mystères divisés en trois catégories : les mystères joyeux (annonciation, visitation, nativité, présentation au temple, vie cachée à Nazareth), les mystères douloureux (l'agonie de Jésus à Gethsémani, la flagellation, le couronnement d'épine, le portement de croix, la crucifixion), et les mystères glorieux (résurrection, ascension, pentecôte, assomption de Marie, couronnement de Marie au ciel). Chaque catégorie comprend cinq mystères, correspondant aux cinq dizaines du chapelet. Ceci permet de réciter une fois en entier le chapelet pour chaque catégorie de mystère, et trois fois le chapelet pour faire tous les mystères - soit un rosaire entier, composé de 15 dizaines, ou 150 prières (150 étant le nombre des psaumes).

De Babylone à Rome, en passant par les cultes égyptiens et grecs, de nombreux cultes

comportaient des initiations aux mystères que seul un clergé de prêtres initiateurs avait le pouvoir de révéler aux prosélytes. L’Eglise catholique de Rome ne déroge pas à la règle et les mystères du rosaire n’en sont que la démonstration. Les cultes à mystères babyloniens étaient contrôlés par un clergé puissant. Les prêtres parvenaient à exercer une domination sans partage sur les gens du peuple, en leur faisant croire qu'ils étaient les seuls à détenir les clés pour entrer en relation avec les dieux. Avant toute initiation, les prêtres confessaient les participants pour les absoudre et les purifier. Les cultes à mystères se sont répandus dans tout l'Orient : culte d'Isis et Osiris en Egypte, Cybéle et Attis en Phrygie, Adonis en Phénicie, Mithra en Iran. On a retrouvé la trace de ce même cérémonial dans le culte grec d'Apollon à Delphes, connu sous le nom de « Mystères d'Eleusis ».

Voici un texte de Théon de Smyrne, écrit au IIème siècle, qui explique le principe des religions à mystères : « Il y a 5 parties dans l'initiation, la première est la purification préalable, car ne doivent pas participer aux mystères indistinctement tous ceux qui le désirent, mais il y a des aspirants que la voix du héraut écarte, tels ceux qui ont les mains impures, ou dont la parole a manqué de prudence. Ceux-là mêmes qui ne sont pas repoussés doivent être soumis à certaines purifications. Après cette purification vient la tradition des choses sacrées qui est proprement l'initiation. En troisième, vient la

1 On appelle Fêtes doubles majeurs, Certaines Fêtes dont l'Office est plus solennel que dans les autres. Et on les appelle Doubles

majeurs, pour les distinguer des simples, des semi-doubles, des doubles et des Doubles mineur.

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cérémonie de la « pleine vision » (degré supérieur de l'initiation). La quatrième, fin et but de la pleine vision, est la ligature de la tête et l'imposition des couronnes, afin que celui qui a reçu les choses sacrées devienne capable d'en transmettre à son tour la tradition à d'autres, soit par la dadouchie (port des flambeaux), soit par l'hiérophanie (interprétation des mystères), soit par un autre sacerdoce. Enfin la cinquième partie est le couronnement de toutes les autres, c'est d'être ami de Dieu et de jouir de la félicité qui consiste à vivre dans un commerce familier avec lui ».

Dominique de Guzman n’a en fait rien inventé. Son action fut la réactualisation une pratique

satanique ancestrale, celle de la pratique des mystères religieux. Il a redonné un sens nouveau à ces pratiques païennes et idolâtres, en leur apportant un fond chrétien. Il contribua par cela, à donner son nom à la Mère des impudiques. Apo 17:4 « Cette femme était vêtue de pourpre et d'écarlate, et parée d'or, de pierres précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d'or, remplie d'abominations et des impuretés de sa prostitution. 5 Sur son front était écrit un nom, un mystère : Babylone la grande, la mère des impudiques et des abominations de la terre ». Ce n’est donc pas aujourd’hui, mais du temps des cathédrales, que l’Eglise catholique s’est forgée sa réputation de grande prostituée. Avoir conservé inscrit toutes ces pratiques dans leurs livres de pierre, sans les dénoncer, les rend encore plus coupable, surtout après des siècles de guerres de religions et d’oppositions systématiques à toute remise en cause de ses pratiques antéchrists.

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X NOTRE DAME DE PARIS : LA SYMBOLIQUE DES PORTAILS Une cathédrale est plus qu’un simple édifice religieux classique, c’est un principe civilisateur. Selon le principe mère-fille, la cathédrale se rattache à Rome, trône au cœur des cités et contribue à développer ces dernières au cours du Moyen Âge. Comme un livre, l’architecture particulière de l’édifice se lit de multiples façons : - Dans le sens solaire, qui est celui de la lumière (d’est en ouest), c’est le Nouveau Testament

qui est représenté. - Le nord et le sud représentent l’Ancien Testament. - L’axe vertical révèle le principe de divinité. Partant de la base carrée des tours, l’édifice

s’élance vers le ciel, siège de la divinité. La lecture du livre de pierre commence donc par l’extérieur carré des tours (le terrestre), pour finir à l’intérieur, sur les vitraux, dont la rosace en est le centre de lecture. La forme ronde symbolise le ciel. La cathédrale est donc le passage qui permet de relier la terre au ciel. Le fait même qu’une cathédrale soit dédiée à « NOTRE DAME », consacre de facto l’édifice à la

Vierge et non à son fils, qu’elle minore. A Paris, la chose est encore accentuée par le choix d’avoir encadré le portail du Jugement par ceux des Mères, Anne et Marie. Marie est considérée comme la « salvatrice », qui reprend pour elle les attributs de la divinité d’un Christ. Lui, est présenté comme juge et non comme sauveur. Elle, en la ressuscitant (dormition) et en l’élevant (assomption), finit par être couronnée par Jésus Lui-même. L’Eglise catholique a donc fabriqué un mythe antéchrist, fait de légendes souvent dorées et de traditions païennes, pour glorifier la Reine du Ciel. Avec elle, l’Eglise, qui n’est après tout rien d’autre que le corps de l’Epouse divine, est représentée par la Vierge et le pape, qui remplace son fils sur terre.

A ce stade, nous sortons totalement du contexte biblique originel et entrons dans le mensonge et les ténèbres. Il est logique alors que l’on appelle le Moyen Âge, l’âge des ténèbres. Nous sommes ici dans une structure mystique qui n’a de chrétienne que le nom. Cependant elle existait déjà depuis longtemps, sous différentes formes, en différents lieux et en d’autres temps. J’y reviendrai.

A) Le portail de la Vierge :

Puisque nous sommes totalement dans le mensonge, en toute logique le diable, père du

mensonge, peut se révéler sans artifice et sous sa forme primale, Lilith. Il représente le socle, la base sur laquelle se construit tout l’édifice. L’Arbre de vie devient alors l’Arbre de la connaissance. Dans son principe, il représente la semence (ou génération) qui pousse depuis la terre vers le ciel et la lumière. Les générations, qui forment les peuples, vont suivre chacune leur maître. Les unes iront par la voie de Caïn, et construiront la civilisation babylonienne. Les autres suivront la voie de Seth et donneront le peuple juif, ainsi que ceux qui se grefferont sur l’olivier franc par le Christ, pour former le corps de l’Epouse. Les élus de Dieu resteront toujours attachés à la Parole originelle, alors que les autres serviront des idoles et alimenteront des mythes et des légendes, inspirés par le Diable et son clergé. Ces choses seront expliquées plus loin.

Suivons la logique satanique induite dans l’Arbre de la connaissance, en partant de ses racines

jusqu’à sa cime. Nous parcourrons l’ensemble du verbe diabolique. Comme le diable imite en tout point ce que fait l’Eternel, nous retrouvons logiquement les mêmes éléments que dans l’arbre de vie. Cette fois-ci cependant, la gloire revient à la Reine du Ciel, bien évidemment.

a) Le Verbe divin :

L’apôtre Jean, dans l’introduction de son évangile, nous apprend que le Verbe a été fait chair en la

personne de Jésus. Le Verbe divin, c’est la Bible dans son ensemble, de la Genèse à l’Apocalypse. Nous retrouvons ce principe dans le message délivré dans le trumeau central du Portail de la Vierge,

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de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Il part de la nouvelle Eve du jardin d’Eden, passe par le corps de la Dame du lieu, et finit par Apocalypse 11:19 « Et le temple de Dieu dans le ciel s’ouvrit, et l’arche de l’alliance apparut dans son temple. Alors il y eut des éclairs, des voix, des tonnerres, un tremblement de terre et une forte grêle. 1 Un grand signe apparut dans le ciel : une femme, vêtue du soleil, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles ».

L’apostasie catholique enseigne que Jean voulut nous dévoiler que, dès l’origine, Marie fut présentée comme l’arche de la nouvelle alliance. Selon cette pensée, l’apocalypse prétend « révéler » ce principe : la nouvelle arche n’est autre que la mère du Christ. C’est donc toute l’étendue du Verbe divin qui est utilisée pour glorifier la Marie, qui devient ainsi la Parole révélée dans le Verbe, une variante mariale de la Parole faite chair. La Vierge remplace Jésus dans la mystique du Verbe révélé.

La chose est encore plus manifeste lorsque nous élargissons notre champ de vision à l’ensemble de la façade ouest. Les trois portails et la rosace sont alors révélés.

Outre le tabernacle, la Loi et les prophètes annoncent le Messie à venir. Pour que cela soit également vrai pour Marie, il était nécessaire au Menteur de lui fabriquer des prophéties sur mesure, annonçant sa venue. Dans le Portail de Sainte-Anne, les huit grandes statues des piédroits représentent de gauche à droite et successivement : Élie, la veuve de Sarepta, Salomon et saint Pierre ; Ensuite saint Paul, David, la sibylle et Isaïe. Une association subtile est faite entre les prophètes et les femmes, tout comme entre les rois et les évangélistes, c’est évident.

Elie est associé à la femme de Sarepta, la ville étant associée au culte d’Astarté. Elie, comme archétype du prophète, est associé subjectivement à la ville d’Astarté, dans laquelle il se réfugia.

Esaïe est le premier des grands prophètes, dont les prophéties sont restées écrites dans la Bible. Non sans raison, il est associé ici à une Sibylle. Dans la mythologie grecque, la sibylle était une

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prêtresse d’Apollon, qui personnalisait la divination et prophétisait. Elle le faisait dans un langage énigmatique permettant de nombreuses interprétations, ce qui les mettait à l’abri de toute contestation ultérieure.

Cette pratique, ainsi que l’ambiguïté de leur apparence, a donné le qualificatif de «sibyllin», qu’on attribue à des écrits ou des paroles obscures, énigmatiques, mystérieuses ou à double sens. La sibylle figure l’être humain élevé à une dimension surnaturelle, lui permettant de communiquer avec le divin et d’en livrer les messages, tels le possédé, le prophète, l’écho des oracles, l’instrument de la révélation. Les sibylles furent considérées comme des émanations de la sagesse divine, aussi vieilles que le monde, et dépositaires de la révélation primitive : elles seraient à ce titre le symbole même de la révélation.

Aussi n’a-t-on pas manqué de rapprocher le nombre des douze sibylles de celui des prophètes bibliques et de peindre ou de sculpter leurs effigies dans des églises soi-disant « chrétiennes ». Sur la fresque de la Chapelle Sixtine au Vatican, des doubleaux se prolongent en trônes

qu’occupent douze Voyants, 5 sibylles païennes et 7 prophètes juifs. Si les prophètes et les sibylles sont surdimensionnés par rapport aux autres personnages, c’est pour alourdir la retombée des arcs autant que pour introduire un ordre dans la lecture des fresques.

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b) Les Sibylles : Dès le IIIème siècle av. J-C., une série de livres sont écrits, connus sous le nom d’Oracles Sibyllins,

dont certains sont parvenus jusqu’à nous via des copies datant des XIVème et XVIème siècles. Ces livres, au nombre de douze, comprennent des oracles antiques, des oracles juifs et des écrits chrétiens. Les Pères de l’Église catholique n’ignoreront pas ces textes obscurs. À leur suite et pendant longtemps, les auteurs catholiques chercheront, avec plus ou moins de bonheur, à voir dans les vaticinations des Sibylles des marques sans équivoque de l’attente du Messie Sauveur par le monde païen. Ainsi c’est dans le 8ème livre des Oracles Sibyllins que l’on trouve des vers, attribués à la Sibylle d’Érythrée, annonçant le second avènement du Christ, le jour du Jugement Dernier. Cependant, Virgile, qui vécut au Ier siècle av. J-C. se fit aussi l’écho de cette prophétie dans ces vers célèbres de ses « Bucoliques » : «Voici venir les derniers temps prédits par la sibylle de Cumes, et de nouveau l’ordre qui fut au commencement des siècles. Voici revenir la Vierge et voici l’âge d’or. Voici que va descendre du haut des cieux une race nouvelle. Diane pure et lumineuse, protège cet enfant qui va naître et fermant l’âge de fer ressuscitera sur toute la terre la génération du siècle d’or.». Les premiers catholiques vont peu à peu s’emparer de la sibylle et intégrer cette prophétie dans leur littérature et iconographie religieuse. Ainsi seront invoqués au Moyen Âge, tour à tour des personnages de l’Ancien et du Nouveau Testament, puis des figures païennes comme les Sibylles, pour préparer le nouveau culte de la Reine du Ciel, dédié à la Vierge à l’enfant, mère de Dieu.

Les sibylles apparaissent dans l’art de l’Occident catholique vers le XIIème siècle, pour fleurir à

partir du XVème siècle, lorsque l’on redécouvre l’Antiquité. Dans un ouvrage attribué à Jean de Paris, qui fut copié entre 1474 et 1477, intitulé La Foi catholique prouvée par l’autorité des païens, il est dit : « des vierges pleines de l’esprit de Dieu, qu’on appelait Sibylles, ont annoncé le Sauveur à la Grèce, à l’Italie, à l’Asie Mineure : Virgile, instruit par leurs livres, a chanté l’enfant mystérieux qui allait changer la face du monde ». L’iconographie proposera en face des douze prophètes, les douze Sibylles, y associant parfois les douze apôtres, dans un souci d’harmonie où le visuel vient relayer le sens d’une symbolique religieuse profonde.

Nous conclurons en reprenant les lignes d'Emile Mâle. Les douze Sibylles formant un cercle autour

du berceau du Christ « annoncent un Dieu inconnu. L'Erythrée, la Sibylle d'Ionie qui parla aux Atrides,

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proclame qu'une vierge doit enfanter. La Sibylle de Cumes, gardienne du rameau magique et de la porte des morts, écrit sur des feuilles que le vent emporte, qu'un enfant descendra du ciel. La belle prêtresse d'Apollon, celle qui s'assied sur le trépied sacré, la Sibylle de Delphes, porte à la main une couronne d'épines. Poésie merveilleuse ! (...).Un Dieu viendra pour mourir et il sera plus grand que les immortels (...). Il semble que toute la poésie du monde antique nous souffle au visage » (Mâle, p. 278). Ainsi grâce aux Sibylles, le catholicisme parvient à faire la jonction avec le paganisme antique dans les prophéties. La suite naturelle est évidemment l’astrologie zodiacale, qui nous mène jusqu’à Babylone. J’y reviendrai cependant plus loin et plus longuement.

c) La galerie des Rois :

On peut poursuivre l’appropriation du Verbe en levant les yeux plus haut. Sous la balustrade de la

rosace, s’étend la large bande horizontale de la galerie des Rois. Elle aligne vingt-huit statues représentant vingt-huit générations de Rois de Juda, descendants de Jessé et ancêtres humains de Marie et de Jésus. Cet ensemble souligne que Marie, vraie femme, née de la race humaine, engendre Jésus, vrai homme et vrai Dieu. Mais comme nous l’avons déjà vu au chapitre VII, le catholicisme vise à donner à Marie la primauté royale par l’Arbre de Jessé, comme l’affirme Tertullien (IIème siècle) : « la branche qui sort de la racine, c’est Marie qui descend de David. La fleur qui naît de la tige, c’est le fils de Marie ».

Toute la façade de la bible de pierre catholique, révèle donc le contenu du message marial.

Encore faut-il se donner la peine de le lire dans son contexte, celui du Moyen Âge et de ses croyances. L’accaparation du Verbe divin, de la royauté, puis du rôle salvateur de la Reine du Ciel, nous donne une idée de la dérive antéchrist qui mène à la divination de la Vierge et de son infaillible vicaire, le pape. La voie mariale, tracée pour conduire l’humanité vers le royaume de la Vierge, est subtilement suggérée par les moyens utilisés pour entrer dans une cathédrale : ses portails, qui sont en eux-mêmes un code de lecture.

B) Le portail du jugement :

Jn 12:47 « Si quelqu’un

entend mes paroles et ne les garde point, ce n’est pas moi qui le juge ; car je suis venu non pour juger le monde, mais pour sauver le monde ». Mt 9:13 « Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs ».

Pourtant, lorsque l’on regarde la porte principale de la façade occidentale de la cathédrale Notre Dame de Paris, c’est l’image gravée d’un Jésus justicier qui est représenté. Ses mains percées sont positionnées

face au monde, comme un reproche. Il juge impitoyablement l’humanité. Les uns sont condamnés à l’enfer. Les autres, qui sont représentés au ciel, nous inciteraient à penser qu’il faut être sauvé du Sauveur, plutôt que de trouver son salut en Lui.

Le Portail du Jugement incite à tout, mais certainement pas à l’amour envers le Christ, parce qu’on craint son jugement. Pour savoir comment être épargné au jugement dernier, il faut suivre le cheminement des images gravées sur le tympan de la porte centrale.

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Au linteau inférieur, les morts ressuscitent et sortent de leur tombe. Juste au-dessus, au linteau supérieur, l’archange Michel pèse leur âme et, suivant la vie qu’ils ont menée sur la terre, les élus sont conduits à gauche vers le Paradis (à la droite du Christ), tandis que les damnés sont menés par un diable vers l’enfer à droite. Au-dessus, comme dans les autres portails, les voussures sont occupées par la cour céleste (anges, patriarches, prophètes, docteurs de l’Eglise, martyrs et vierges). Nous pouvons remarquer la place très réduite de l’enfer tout à fait à droite. Il ne fait donc pas désespérer, mais garder sa lampe allumée comme celle des vierges sages, figurant au piédroit gauche (du côté du Paradis), alors qu’au piédroit opposé, les vierges folles n’ont plus d’huile dans leur lampe à l’arrivée de l’Epoux.

Ce Portail a subi deux modifications importantes au XVIIIème siècle. Tout d’abord en 1771,

l’architecte Germain Soufflot supprima le trumeau et la partie centrale des deux linteaux, à la demande de l’Archevêque et du Chapitre. Il fallait en effet, faciliter le passage du dais sous lequel était présenté le Saint Sacrement lors des processions. Le vide réalisé fut remplacé par une arcade en bois ornée du chiffre de Marie, et rehaussé d’une couronne portée par deux anges. Les lourds vantaux de XIIIème siècle furent remplacés par deux portes où furent sculptées, sur l’une le Christ portant sa croix et sur l’autre, une Vierge douloureuse. Réservées alors aux grandes occasions, les portes centrales sont désormais fermées et seules les portes latérales permettent d’entrer dans la cathédrale, offrant au passage, la perspective du vrai salut selon le catholicisme.

Pour comprendre cela, il faut sortir du cadre du Portail du jugement et se mettre en perspective

avec la première statue qui résume toute la situation. Ecclesia, l’allégorie de l’Eglise, à la droite du Christ, représente le peuple sauvé. Synagoga, à sa gauche, représente la destination finale de l’enfer pour les pécheurs.

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La Vierge identifiée à l’Église, on l’a déjà vu, donne naissance aux allégories d’Ecclesia. L’allégorie d’Ecclesia (Église), tenant d’une main l’étendard de la foi, de l’autre parfois la sphère céleste qui contient le monde, est symboliquement identifiée aux épousailles mystiques de Dieu et de sa communauté des fidèles. Ce n’est pas un hasard si, parallèlement au développement de ce thème iconographique, l’exégèse biblique du XIIème siècle accorde la première place au Cantique des Cantiques. Ainsi, l’amour, dans son principe mystique, se retrouve gravé dans l’Epouse divine, représentée par Ecclesia et non par le Fils de Dieu. L’amour est dans l’Eglise, l’amour est dans la Vierge Eglise, l’amour est dans la mère de Dieu, tabernacle vivant ayant porté le Christ en son sein. Le message délivré ainsi a donc parfaitement inversé les rôles bibliques. Il donne à la Vierge toutes les caractéristiques dépeintes en Ap 21:3 « Et j’entendis du trône une forte voix qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes ! Il habitera avec eux, et ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux. 4 Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu ».

C) Le portail Sainte-Anne :

Le portail Sainte-Anne de la cathédrale Notre-Dame de Paris est dédié à la vie de Sainte-Anne, la

mère de la Vierge. Il est en fait récupéré de l’église antérieure à la cathédrale actuelle. Il est constitué en grande partie de pièces sculptées vers 1140-1150 pour un portail plus petit. On peut donc distinguer dans l’ornementation du portail Sainte-Anne des pièces du XIIème siècle (le tympan et la partie supérieure du linteau, deux tiers des sculptures des voussures de l’archivolte, les 8 grandes statues des piédroits, le trumeau), et d’autres du XIIIème siècle (partie inférieure du linteau et les autres statues des voussures de l’archivolte). Ce portail est donc parfaitement représentatif de l’esprit qui régnait pendant cette période médiévale.

Le premier linteau de la porte Sainte-Anne est l’illustration de Jacques de Voragine et sa

« Légende dorée ». La mère de Marie qui n’apparait nulle part dans la Bible, est une histoire inventée de toutes pièces à partir de livres apocryphes, tirés des protévangiles1 de Jacques. La Légende dorée relate précisément la postérité de Sainte-Anne d'avec son second époux, Cléophas, frère de Joachim

1 Évangile apocryphe de saint Jacques, où il est parlé de la naissance de la Vierge et de Jésus-Christ.

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(leur fille, Marie Jacobé, épousa Alphée et ils eurent comme fils : Jacques le Mineur, Joseph le juste, Simon le Zélote et Jude), et celle d'avec son troisième époux Salomé (leur fille, Marie Salomé, épousa Zébédée et ils eurent comme fils : Jacques le majeur et saint Jean l'évangéliste).

Sainte-Anne est la sainte patronne des menuisiers et ébénistes du fait de cette position dans la

généalogie du Christ. Il faut savoir que dans les églises, le tabernacle (ouvrage de menuiserie traditionnellement) abrite les hosties consacrées (symbole du corps du Christ). Le corps de la Vierge Marie étant considéré comme le premier tabernacle (ayant abrité le premier corps du Christ), et Sainte-Anne étant la mère de la Vierge, elle est donc, par association d’idée, la sainte représentante de ce corps de métier. Elle apparaît souvent dans les représentations de la Sainte Famille et prend aussi le nom de Sainte-Anne trinitaire (Anne, Marie et Jésus, comme dans La Vierge, l'Enfant Jésus et Sainte-Anne de Masaccio). La fin du Moyen Âge vit l'apogée de son culte, que l’on constate par la multitude des statues montrant Anne, Marie et l'enfant Jésus. Ils sont appelées « trinités mariales », en parallèle à la Sainte Trinité.

Le second linteau du portail Sainte-Anne illustre les mystères du rosaire de Dominique. Il

représente les scènes de la venue de Christ sur terre, de l’Annonciation jusqu’à l’Epiphanie. Au-dessus, le tympan présente une Vierge en majesté. Autour du groupe constitué de la Vierge majestueuse, de Jésus-Christ enfant et de deux anges, se trouvent deux personnages : un évêque et un roi. Ils symbolisent l’adoration des ordres religieux et séculiers.

Les mystères du rosaire, représentés dans les sculptures de la base carrée de la tour, rappellent

au monde terrestre (symbole carré) que la voie qui mène au ciel (symbole du cercle), est révélée dans la rosace majestueuse, qui surmonte les trois portes de la trinité mariale de la cathédrale. Ainsi, le rosarium (qui désigne la guirlande de roses, dont les représentations de la Vierge sont couronnées) représente le rosaire dominicain, mais renvoie également à la rosace, qui place, dans la cathédrale Notre Dame de Paris, la mère des églises de France, la mère de Dieu au centre de tout.

Mais le passage le plus important, et symboliquement le plus représentatif de la foi catholique, se

retrouve évidemment dans le Portail de la Vierge. C’est là, et là seulement, que nous entrons réellement dans le mystère de l’Eglise catholique et dans ses profondeurs les plus occultes.

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XI LE PORTAIL DE LA VIERGE : LES MYSTERES DEVOILES Apocalypse 17:5 « Sur son front était écrit un nom, un mystère : Babylone la grande, la mère des

impudiques et des abominations de la terre ». S’il y a vraiment un endroit sur terre où ce verset prend une dimension spirituelle très

particulière, c’est bien sur les portes des cathédrales, où le message gravé dans la pierre, révèle aux initiés les mystères de la grande prostituée. Et si parmi ces nombreuses portes, beaucoup illustrent ces mystères, la porte de la Vierge de la cathédrale Notre Dame de Paris est particulièrement remarquable en ce sens. Car inscrire sur le front, revient bibliquement à s’inscrire dans la conscience des fidèles, dans leur mémoire, afin de gagner leurs cœurs et leur foi. Le fronton des cathédrales devient alors, symboliquement, le front de l’Eglise dans sa globalité.

Le Portail de la Vierge, largement restauré au XIXème siècle, est le portail situé à gauche de la

façade occidentale. Il a été installé dans les années 1210-1220, après le portail Sainte-Anne. Il retrace, selon la tradition de l’Eglise catholique, la mort de Marie, sa montée au Paradis et son couronnement en tant que Reine du Ciel. Juste au-dessus des deux portes, sur le linteau inférieur, trois prophètes à gauche et trois rois de l’Ancien Testament à droite, tiennent des phylactères indiquant que la promesse de Dieu a été accomplie : Jésus est venu sauver l’humanité. Juste au-dessus, sur le linteau supérieur, Marie repose sur son lit de mort, entourée par Jésus et par les douze Apôtres. Deux anges placés à la tête et aux pieds de Marie soulèvent son linceul et l’emportent au Paradis. Au centre du tympan, nous retrouvons Marie, au Paradis, assise sur le même trône que Jésus. Elle est alors couronnée par un ange tandis que Jésus la bénit et lui donne le sceptre. Elle est ainsi devenue Reine du Ciel, Regina Cæli, devant toute la Cour céleste composée d’anges, de patriarches, de rois et de prophètes installés dans les quatre voussures successives. Il convient maintenant de comprendre comment la Vierge a réussi à s’assoir sur un trône dans le ciel.

Un long développement va être nécessaire pour pénétrer ce mystère. Car il va falloir remonter à

sa source, pour progressivement revenir par étapes successives au mystère dont on parle dans l’Apocalypse.

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A) De Babylone à la grande prostituée : Dans un premier temps, il convient de comprendre pourquoi le nom de Babylone est associé au

mystère du nom de la grande prostituée. Le nom de Babylone vient du pré-sumérien Babulu, que les Akkadiens décomposent en bab-ilim, la Porte du dieu, devenu bab-ilani, la Porte des dieux. Les Grecs ont traduit ce nom en Babulon, qui a été repris ensuite par les Européens. Babylone porte ce nom parce qu’elle était le centre spirituel du pays, la ville où les temples principaux étaient construits. La ville entière était le passage qui permettait l’accès aux dieux.

Pendant les fêtes religieuses on y entrait par la porte cérémonielle d’Ishtar, qui était le

syncrétisme de toutes les croyances babyloniennes. Cette porte bleue, était l'entrée principale de Babylone et symbolisait le ciel où vivent les dieux. En suivant la voie royale en procession, le peuple babylonien « montait » donc vers ses dieux, en passant symboliquement par des portes célestes, la ville elle-même étant l’ultime porte. La déesse y était représentée par un lion et Marduk, le dieu tutélaire de la ville, par un taureau qui tue le dragon Tiamat pour en façonner le ciel et la terre. Sur la voute céleste, Marduk suscita pour les dieux des astres à leurs images. Cette division donnera le zodiaque. Ainsi le temps était marqué par les dieux. Les saisons, elles, étaient marquées par la vie, la mort et la résurrection de la déesse Ishtar, la Reine du Ciel.

Les adorateurs d’Ishtar l’appelaient « la Sainte Vierge ». Ils la priaient d’intercéder auprès des

dieux irrités. Dans les religions de Babylonie et d’Assyrie, Edouard Dhorme, orientaliste français, déclare à propos d’Ishtar : « Elle est la déesse, la dame, la mère miséricordieuse, celle qui écoute la prière, celle qui intercède auprès des dieux irrités. […] Elle devient la déesse des déesses, la reine de tous les dieux ». Cet ancien professeur d’Histoire des Religions à l’Université de Londres, étudie le développement de ce concept de divinité, à partir de ses origines jusqu’à sa transformation chez les catholiques en Mater Ecclesia, principe vivant de l’Eglise, qu’on associa plus tard aux images de la Madone. De Babylone, le culte de la Mère et de l’enfant se répandit jusqu’au bout du monde. Ce prototype babylonien est la source du culte ultérieur des déesses-mères. Tous ces symboles vont maintenant retrouver une nouvelle place dans l’histoire au travers des cathédrales.

a) Les origines de la dormition :

A la naissance du christianisme, il n'est guère question de la Vierge Marie. Dans le Nouveau

Testament, son rôle est très secondaire : elle n'est que la mère biologique de Jésus. Paul, quant à lui, ne fait aucune allusion à elle, ni à Marie-Madeleine, d'ailleurs. Pour Paul, en effet, la nouvelle Eve c'est l'Eglise, l’Epouse du Nouvel Adam (le Christ). Personne ne sait donc rien de la mort de Myriam (hébreu de Marie) de Nazareth, ni dans ses circonstances, ni dans son lieu, ni dans son moment.

Un texte apocryphe intitulé Dormition de Marie, dont l'auteur est inconnu, mais que la tradition a attribué à un Pseudo-Jean, a été écrit, probablement en grec à l'origine, entre le Vème et la fin du VIème

siècle. Ce texte a eu de nombreuses versions, et a largement diffusé le récit de la mort de Marie, sa dormition, dont l'empereur Maurice, au VIème siècle, a fixé la fête au 15 août. En Occident, Grégoire de Tours est le premier à en faire mention à la fin du VIème siècle. Il s'appuie apparemment sur un corpus de textes apocryphes, appelés collectivement le Transitus Mariæ, généralement rattaché au Vesiècle. Cet ensemble de textes est explicitement désigné par Gélase Ier en 495-496, comme étant « à ne pas retenir », car apocryphe. Il porte cependant ce jugement sur cette compilation et non sur la croyance en elle-même.

Selon cette tradition, Marie rencontre sur le mont des Oliviers un ange qui lui remet une palme de l'arbre de vie et lui annonce sa mort prochaine. Marie rentre chez elle et fait part de la nouvelle à son entourage. Miraculeusement, les apôtres reviennent des différents endroits où ils sont partis

1 Pour un examen objectif des faits, voir l’étude très complète de E.O. James, Le culte de la déesse-mère dans l’histoire des religions,

Editions Le Mail, 1989.

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prêcher, afin de l'entourer. Jésus apparaît entouré d'anges pour recevoir l'âme de sa mère, qu'il confie à l'archange Michel. Les apôtres enterrent le corps au pied du mont des Oliviers. Quelques jours plus tard, Jésus apparaît de nouveau et emporte le corps au Paradis, où l'âme et le corps de Marie sont réunis.

C’est en Syrie, terre de la Déesse-Mère, que naît la source lyrique du culte de Marie. La maternité

de Marie y apparaît comme la correspondance à la paternité du Père. Le premier chantre de Marie sera saint Éphrem (en l’an 373), moine originaire de Mésopotamie devenu ermite. Il s’adresse à Marie en soulignant la pureté de son âme comme celle de son corps, ce qui lui permet d’être la demeure de la grâce et de l’Esprit-Saint. Les Pères de l’Église ont insisté sur la chasteté de Marie, condition essentielle au rachat de l’humanité, déchue depuis la souillure primordiale. C’est par Marie que les chrétiens pourront rejoindre son Fils et obtenir leur salut. À la même période, dans l’Église latine, saint Ambroise a pour louer Marie des accents mystiques peu habituels chez les Occidentaux. Il donne la Vierge en exemple en tant que modèle de la virginité. À ses yeux, elle possède toutes les vertus féminines, soit la pureté, l’humilité, l’obéissance, la prudence, la compassion et le courage. Les cinq traités qu’Ambroise consacre à la virginité, font de lui le fondateur de la littérature mariale. Dès ce moment, le culte de Marie mère de Dieu se répand dans l’Église, et d’autant plus aisément que les écrits de l’évêque de Milan sont empreints d’une tendre piété.

Cette période de l’histoire de l’Église est marquée par l’affirmation des dogmes. Il devint donc

nécessaire de proclamer la maternité divine comme tel. Il eut lieu à la suite de deux conciles. Le premier se tint en 431 à Éphèse, patrie d’Artémis. C’est curieusement sur les ruines de son temple qu’a été construite une église dédiée à Marie. Là, justement, dans la ville si fameuse pour la dévotion qu’elle vouait à Artémis (Diane pour les Romains). En effet, c’est à cet endroit que l’image de la déesse serait tombée du ciel, dans les murs du grand temple, dédié depuis 330 avant notre ère à la Magna Mater. Selon la tradition, il contenait une résidence temporaire pour Marie. Dans ce cas, le titre de « mère de Dieu » pouvait difficilement manquer de lui être attribué. Ephèse fut le creuset où le culte païen de la déesse-mère fut christianisé et transformé en dévotion fervente en l’honneur de Marie, faite « Mère de Dieu ». C’est aux chrétiens d’Ephèse que l’apôtre Paul avait annoncé une telle dérive (Actes 20:17-30, 2 Thessaloniciens 2:3).

En 451, le concile de Chalcédoine proclama Marie Théotokos, c’est-à-dire Mère de Dieu. Ce

terme, d’origine populaire, permettait à la sensibilité des chrétiens de s’exprimer dans leur foi. Au IVème siècle, chez les Pères de l’Église grecque, Grégoire de Nysse loue la fécondité spirituelle de la virginité. Marie a enfanté Jésus sans perdre cette qualité. Elle a donc rendu possible le salut de l’humanité. Sa pureté est également une victoire sur la mort. Toujours selon lui, elle est montée au ciel comme son Fils. Cette assomption lui semblait naturelle du fait que la Vierge n’avait pas connu la corruption de la faute d’Ève et ne devait donc pas connaître celle du tombeau. Marie participait ainsi à la résurrection de son Fils. Quant à l’ouvrage de Jean Chrysostome sur la virginité, il est lié au grand mouvement monachiste du IVème siècle. La virginité apparaît dans son œuvre comme le signe même de la nouvelle alliance. Avant la venue du Christ, vivre selon la loi était irréprochable, mais désormais les catholiques sont appelés à vivre selon l’Esprit, à l’exemple de Marie. Le mois de mai, dédié à la déesse Artémis, deviendra le mois de Marie. Au XIIème siècle, Bernard de Clairvaux donne au culte marial une dimension jamais atteinte. La Vierge, qu'il nomme Notre Dame, devient la figure de proue de la chrétienté franque. Pour lui, le terme « Notre-Dame » désigne bien plus que la mère du Christ : elle est l'épouse du Verbe.

Nous voyons que par touches successives, Myriam simple servante de Dieu, devient « sainte

Vierge » et mère de Dieu, enlevée dans le ciel pour y être couronnée « Reine du Ciel ». Fidèle à ses habitudes, l’Eglise catholique trouve toujours plus simple d’absorber le paganisme en le «christianisant» de manière trompeuse. Ainsi, elle intègre, par syncrétisme, le paganisme antique, qui avec le temps se pérennise. On peut désormais établir un rapport étroit avec « la grande Artémis

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des Ephésiens » (Actes 19:28), les grandes déesses d’autres peuples et la Vierge Marie. Elle présente d’étroites analogies avec Cybèle la déesse phrygienne et d’autres représentations féminines de la puissance divine dans les pays d’Asie (Ma de Cappadoce, Astarté de Phénicie, Atargatis et Myletta de Syrie). On peut constater que toutes ces divinités ne sont que des variantes d’un seul et même concept religieux, qui renvoie à Babylone et sa déesse, Ishtar.

b) Le principe babylonien de la déesse mère :

Pour un fidèle catholique, entrer dans une cathédrale « Notre-Dame » afin d’y communier, c’est

figurativement, pénétrer la Vierge, comme une sainte semence. Il reçoit la vie par l’exercice du sacrement de la communion, l’hostie. Le sacrifice est présenté par les prêtres du temple, les abbés et le pape, qui jouent ainsi le rôle masculin, dans le jeu des épousailles divines. Le catholicisme réussit ainsi à reconstituer sur terre, le mariage céleste du Christ et de son Epouse, en donnant au monde une Mère de Dieu et un père remplaçant du fils de Dieu. C’est ce que l’on appelait du temps de Babylone, une hiérogamie. La hiérogamie est un terme grec qui signifie « mariage sacré ». Il s'agit de l'union sexuelle entre deux divinités. Lors des cérémonies de la fête du Nouvel An, le roi s'unissait avec une prêtresse qui figurait une déesse. Cet acte symbolisait la création et avait pour but d'apporter la prospérité au pays. Mais c’est aussi ce qui vaudra au catholicisme le titre de grande prostituée dans l’Apocalypse.

Le concept de Reine du Ciel n’a pas été inventé par le catholicisme. Il existait à l’origine en

Mésopotamie depuis des milliers d’années. Le catholicisme ne l’a que réactualisé. Par la porte des murs externes des temples d’Inanna/Ishtar, on entrait déjà dans l’intérieur « utérin » du Divin. Le temple intérieur était une réplique du sanctuaire original, une simple hutte de roseau, bien que plus tard il fut construit avec des matériaux plus solides. Il était bâti sur une plateforme élevée qui, avec le temps, devint la ziggourat pyramidale, symbolisant les degrés menant vers le ciel. La ziggourat était le point central, où les pouvoirs de la terre et des cieux convergeaient. C'était une tour pyramidale de plusieurs plateformes, dont les coins étaient orientés vers les quatre points cardinaux. Au sommet de ce temple intérieur sacré avait lieu le hieros gamos, la plus importante des cérémonies religieuses de l'année.

Les anciens textes sumériens décrivent plusieurs divinités masculines et féminines. Cependant,

pendant des milliers d'années, une déesse était vénérée plus que toutes les autres. Il s’agissait déjà d’Inanna, la Grande Déesse glorifiée depuis le début de la culture sumérienne. Elle s'est transformée en Ishtar plus tardivement en Mésopotamie, en Anat et Atargatis en ancienne Syrie, en Ashtoreth et Astarté à Canaan et Israël, en Aphrodite à Chypre et en Athéna et Aphrodite en Grèce. En Mésopotamie, elle se divisa en plusieurs déesses, mais ses qualités et attributs restèrent toujours identiques, nous laissant ainsi comprendre qu'il s'agissait d'une seule et même divinité, celle aux multiples noms. Nammu était la Déesse Mère qui donna naissance au ciel et à la terre, la grande ancêtre qui engendra les dieux en son utérus. Le pictogramme représentant son nom signifie « mer primordiale ».

Dans son rôle de déesse de l'accouchement, la déesse était parfois appelée Nintur, un nom qui est

parfois traduit comme « Dame de la Hutte de Naissance ». Ce nom inclut un signe qui semble être le dessin d'une hutte de naissance, dans un enclos de bétails. Ninhursaga était la Terre Mère, nommée la Mère de Tous les Enfants, celle qui crée et donne la vie. L'entrée de la bergerie d'Inanna représentait l'entrée de son utérus, duquel toutes les choses vivantes émanaient. Elle était marquée par une porte spéciale, une vulve symbolique qui était représentée par deux paquets de roseaux aux extrémités incurvées. Ce symbole a souvent été retrouvé dans des temples. Il représenta aussi symboliquement la porte d’Ishtar. Ainsi, la porte, vulve d’Ishtar, représentait le passage vers la vie divine.

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Dans les anciens textes, on l'appelle aussi mère des dieux, qui rappelle les fonctions de Nammu. Sous la

forme d'une déesse-vache dans les tous premiers temples, Ninhursaga nourrissait les rois sumériens de son lait divin, probablement produit par les vaches sacrées du temple, qui étaient sa manifestation. Son temple se nommait Kesh. Il signifiait à la fois « protection » et « sanctuaire ». Son parèdre, le dieu taureau (Marduk, Baal, etc.) figurait le chef du troupeau céleste, dont le roi était le représentant sur terre. Il portait à ce titre la tiare, ou bonnet à corne, comme pontife.

Elle était aussi parfois nommée « Première Fille de la Lune ». Elle portait alors la couronne de

cornes lunaires, souvent formée par sept paires de cornes superposées. Ces cornes l'identifiaient à l'ancienne déesse-vache. Elle était souvent représentée avec le pied sur son lion ou en le chevauchant, tous deux gardiens des portes de la conscience. Elle fut également identifiée à Vénus, l'étoile du matin et du soir. Inanna était également connue comme la déesse du palmier dattier. Il y avait toujours un arbre vivant qui grandissait à l'intérieur de son temple. On s'en occupait en tant que représentation de l'Arbre de Vie. Cette représentation était très rependue sous la forme stylisée du poteau sacré, ou poteau d’Ashéra, tant décrié par les prophètes bibliques.

La rosette, l'un des plus anciens symboles associés à Inanna, apparaît à Uruk 3 000 ans avant

notre ère. Plusieurs rosettes ont été trouvées dans son temple, dans la cité d'Ashur, durant la période assyrienne moyenne (1350 - 1000 avant l'ère chrétienne). Cette rosette représente la forme de l'étoile Vénus, qui est le symbole céleste de la déesse. Toujours symboliquement, Les scorpions représentent l’acte sexuel.

L’image de la Reine du Ciel ne s’est pas construite rapidement. Il lui fallut plusieurs millénaires.

Ses noms et attributs se sont multipliés au fil du temps. De l’Inanna sumérienne à l’Ishtar babylonienne, les choses ont considérablement évolué. Au départ, Inanna remplaça progressivement les antiques représentations des déesses de la fertilité, qui existaient depuis le paléolithique. Devenu déesse des naissances et de la vie en générale, on la maria à Dumuzi, le Sumérien, puis Tammuz le Babylonien. Il est le dieu-pasteur et dieu de la fertilité dans la religion babylonienne. C'est un berger-roi uni à Ishtar dans un très ancien rite de mariage sacré. Dumuzi le pasteur, représentait le roi sur terre et Ishtar la déesse, le ciel. En les unissant, la terre et le ciel étaient unis et vivaient au rythme de

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leur union. C’est ainsi que les hommes s’expliquèrent les différentes saisons. L’histoire s’étoffera avec le mythe de la Descente d'Inanna aux Enfers. Elle choisît Dumuzi pour l’y remplacer. Il meurt donc, et dès lors est considéré comme une divinité infernale. Il se fait cependant remplacer une moitié de l'année par sa sœur Geshtinanna. Le thème de la mort de Dumuzi a donné naissance à des textes de lamentation. Le retour de Dumuzi sur terre est vu comme le début du renouveau de la nature. On le retrouve dans les rituels mésopotamiens du Mariage Sacré (Hiérogamie), précédemment cité. Les rois sumériens interprétant Dumuzi, s'unissaient rituellement à la déesse Inanna, pour marquer le retour du printemps. 2000 ans plus tard cette liturgie existera toujours. Néanmoins, Inanna sera remplacée par Ishtar et Dumuzi par Tammuz. Le calendrier liturgique de Babylone se complètera au fil du temps. Il sera émaillé de fêtes religieuses plus ou moins régulières, certaines revenant mensuellement, d'autres annuellement (voire de façon encore plus exceptionnelle). La fête religieuse principale de Babylone était l'Akitu. Elle avait lieu au Nouvel An, c’est-à-dire à l'équinoxe de printemps, le 21 mars. Elle durait douze jours et nécessitait la participation du roi en personne. Pendant cette fête la hiérogamie persista, mais pour grandir l’image du roi, tous les autres dieux y étaient associés, surtout ceux des provinces annexées, dont les dieux avaient été battus, et donc soumis. Ils démontraient ainsi leur fidélité.

Des tablettes ont été retrouvées décrivant une journée de l’Akitu. Elles sont très intéressantes :

« Le printemps est dans l’air ! Les fleurs et les lapins décorent la maison. Papa aide les enfants à peindre de beaux dessins sur des œufs teints de couleurs différentes. Ces œufs qui, plus tard, seront cachés et que les enfants essaieront de retrouver, sont mis dans de beaux petits paniers. Le délicieux arôme des brioches que maman fait cuire remplit la maison. Les quarante jours de privation de certains mets se terminent demain. Toute la famille met ses vêtements du dimanche en vue du service religieux qui se tiendra au lever du soleil pour célébrer la résurrection du Sauveur et le renouveau de la vie. Tous ont hâte de manger le jambon et toutes les garnitures qui accompagnent les mets. Ce sera une journée joyeuse. Après tout, c’est une des fêtes religieuses les plus importantes de l’année ». Vous venez de lire une description d’une ancienne famille babylonienne, honorant la résurrection de leur dieu Tammuz, qui a été ramené des enfers par son épouse/mère, Ishtar (du nom de laquelle la fête a été nommée, Easter, Pâques en anglais). Les Pâque(s) catholiques contemporaines ne sont donc rien d’autres qu’une reprise de l’antique Atiku. Comme quoi, Satan ne laisse rien au hasard.

Le développement ci-dessus démontre que depuis 6000 ans, une unité de pensée a traversé les

civilisations pour parvenir jusqu’à nous. Dans l’Apocalypse, le principe est développé ainsi : Ap 17:3 « Et je vis une femme assise sur une bête écarlate, pleine de noms de blasphème, ayant sept têtes et dix cornes… 9 C’est ici l’intelligence qui a de la sagesse. Les sept têtes sont sept montagnes, sur lesquelles la femme est assise. 10 Ce sont aussi sept rois : cinq sont tombés, un existe, l’autre n’est pas encore venu, et quand il sera venu, il doit rester peu de temps ». Selon ce qui est écrit précédemment, seule la femme, toujours constante, reste assise sur les royaumes. Elle est la véritable reine qui gouverne tous ces royaumes. Ainsi, si vous savez reconnaitre la femme, vous saurez reconnaitre les royaumes, car l’un ne va pas sans l’autre. La Reine du Ciel associée à un pontife sera la constante civilisatrice immuable qui façonnera la Bête sur 6000 ans d’Histoire.

Cependant, la femme, représentée par la grande prostituée ivre du sang des saints, peut

facilement être identifiée à l’Eglise de Rome. En revanche, les royaumes, représentés par les sept têtes, sont plus complexe à déterminer. Cela nécessite certaines connaissances de l’histoire antique. La Bible s’inscrit dans une continuité de pensée liée par l’Esprit de Dieu, qui inspira ceux qui composèrent les livres qu’elle contient. Il faut donc partir de la famille divine pour reconstituer les évènements selon la pensée divine. Comme les principes de royauté ou de cité, donc de royaume, débute bibliquement avec Caïn, c’est à partir de là qu’il faut débuter toute la chronologie divine. C’est ce que je vais développer ci-après.

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c) L’éclosion de la civilisation : Pour en trouver l’origine, il faut revenir au jardin d’Eden, vers le produit de la déviance que le

serpent a voulu, Caïn. Caïn, comme semence du serpent, produira la racine de l’Arbre de la Connaissance. L’hébreu joue souvent avec le double sens des mots. Ainsi, « semence » signifie également « génération » et « connaissance », « l’union » comme celle de deux êtres. L’Arbre de la Connaissance peut donc figurativement être assimilé à un arbre généalogique, dont les premiers éléments seront associés à Caïn. Genèse 4:17 « Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc. 18 Hénoc engendra Irad, Irad engendra Mehujaël, Mehujaël engendra Metuschaël, et Metuschaël engendra Lémec ».

En français, Caïn se prononce phonétiquement et sans voyelle, KYN ou KY'N. La Bible est un livre

de révélations. Elle n’est pas le fruit d’un développement de pensées humaines, mais est bien le fruit de la pensée de Dieu. Or, Dieu développe sa pensée hors du temps et de l'espace, ce qui Lui permet de jouer avec de nombreux sens et allusions cachés. Caïn débuta son histoire en basse Mésopotamie il y a 6000 ans à la période d'Obeïd1. Curieusement apparaît à la même période et au même endroit chez les Sumériens, le seigneur EN, de la terre KI, ENKI! Un créateur de civilisation.

Caïn est travailleur de la terre, nous dit la Bible. Le dieu Enki dont les poèmes sumériens chantent les vertus disent de lui ceci : « Il dirige la charrue et le joug, le grand prince Enki, il creuse les sillons sacrés, il fait poussé le grain dans le champ éternel… ». ENKI enseigna aux hommes comment fertiliser la terre, comment confectionner des pioches et des houes, comment édifier de grandes digues d'irrigation afin qu'ils puissent se nourrir et donc croitre et se multiplier. Alors si KaY'N (Caïn) et EN’Ki portent les mêmes noms et font les mêmes choses, soit créer une civilisation nouvelle, alors pourquoi ne seraient-ils pas les mêmes ?

« Henoc est constructeur de ville ». Pour comprendre toute la portée révolutionnaire de ces

quelques mots, il est nécessaire de se replonger dans le contexte historique qui couvre cette période, l’Obeïd (IVème millénaire avant notre ère). Pendant cette période protohistorique, la civilisation urbaine n’existait pas. Seules quelques communautés rurales éparses, d’à peine quelques dizaines, voire quelques centaines d’âmes au maximum, subsistaient avec peine dans la basse Mésopotamie. Bâtir une ville à cette époque supposait une véritable révolution sociale et technique. Elle n’a pu être initiée que par des individus d’exception. La religion, on le sait, peut être un bon moteur fédérateur

1 La période d'Obeïd est une étape protohistorique du développement de la Mésopotamie qui s’étend d'environ 6500 à 3750 av. J.-C.

La culture d'Obeïd (ville du sud) s'étend sur toute la Mésopotamie. Eridu en est le site le plus important (19 niveaux d'occupation) ; les

Sumériens en faisaient la résidence terrestre d'Enki.

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de projets et de volontés, comme l’atteste les pyramides d’Egypte par exemple. Alors, si de surcroît vous ajoutez à cette religion, un dieu qui vit physiquement, sous l’apparence d’un homme, au milieu de son peuple, un homme comme Caïn, celui-ci va alors invariablement attirer vers lui toute la

population environnante. Il est évidemment difficile de contrôler à distance des petits groupes. Afin de remédier à cette problématique, il faut inévitablement les réunir au même endroit. Qu’à cela ne tienne, bâtissons-leur une ville et gouvernons sur eux ! Voilà brièvement comment Hanok devint constructeur de ville et souverain. La manière dont le Seigneur construit le verset 17 (Gn 4:17), en le terminant par le nom d’Henoc, fait croire à beaucoup qu’il s’agit du nom de la ville. Cependant, dans le verset qui suit (Gn 4:18), nous verrons que c’est inexact. Le nom de la ville est bien Irad. Le nom Irad signifiant ville en hébreu.

Mais revenons à ce nom Irad. Il apparaît

évident que si des résonances phonétiques du texte biblique se retrouvent dans celle de la langue sumérienne, alors le nom de la ville doit immanquablement se retrouver dans les textes

sumériens. La ville serait donc nommée par « le fils » de Caïn, Henoc et pas par son petit-fils Irad. Il y a donc un problème qu’il va falloir résoudre, pourquoi la première ville ne porte-elle pas le nom d’Henoc ? Cette non-conformité peut être résolue. Le suffixe pronominal sur le nom « le fils » est la lettre hébraïque waw, utilisée ici comme une voyelle. L’explication possible est que la voyelle était un complément simple, pour l’auteur du texte biblique, indiquant que la ville a été nommée après le fils d'Henoc, Irad. Il devrait être rappelé que le mot hébreu pour « le fils » se réfère à n'importe quel descendant, de même que le mot « le père » se réfère à un ancêtre. On pourrait donc, se référer à Irad comme à un fils de Caïn, parce qu'il n'y avait simplement aucun mot technique pour désigner le « petit-fils ». Le nom de la première ville pourrait donc être Irad en hébreu, ou Eridu en sumérien. Les deux noms peuvent être pris comme des équivalents phonétiques directs et les deux sources (biblique et sumérienne) donnent le même nom à la première ville.

Les fouilles archéologiques ont révélé 19 niveaux d'occupation, indiquant qu’Eridu est l'une des

plus anciennes villes de Sumer. Selon les sources sumériennes, c’est dans cette ville que la royauté aurait été exercée pour la toute première fois. Elle a été construite sur un ensemble de sept collines.

Il est intéressant de traduire le nom de la ville d’Eridu : E-RI-DU. En sumérien E = la maison, le temple ; RI = la ville : DU = ériger, construire ; soit la « ville où est érigé le temple ». La semence du serpent vient de poser les fondations de la première civilisation humaine dont nous allons hériter toutes les caractéristiques.

Enki avait son temple, nommé É-Abzu, à Eridu. KaY’N-Enki comme dieu tutélaire de la ville d'Eridu,

établira à partir de cette ville les principes mêmes du fondement de la civilisation. Il établira ses règles comme des règlements divins, les « ME1 », afin de présider au devenir de l'homme et de sa civilisation. Caïn établi donc une liste de ME dont les plus importants sont : la Souveraineté, la Divinité, la Prêtrise, la Prostitution, la Loi, le Pouvoir, l'Art, les Métiers, la Musique, la Science, la Médecine, etc. Ainsi, une fois que les hommes se sont multipliés, en les regroupant sous une autorité unique, les premiers principes de civilisation vont pouvoir se développer.

1 Pour expliquer la marche de l’univers, les Sumériens avaient recours à des forces impersonnelles, à des lois et règlements divins,

désignés par le mot ME.

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Nous avons désormais, un dieu (Caïn-Enki), un prince (Hanok-Ensik) et une ville (Irad-Eridu). La semence du serpent va désormais pouvoir développer son influence sur le monde, jusqu'à le dominer totalement au terme des jours. La descendance de Caïn édifia un véritable empire avec toutes ses règles de civilisation, religieuses, politiques et économiques, qui donneront la première « tête » à la bête, Sumer. Le dragon (Satan) allait pouvoir donner à ses rois pontifes le pouvoir de régner sur le monde.

1500 ans plus tard, ce fut le royaume d’Akkad qui absorba les restes de Sumer, affaiblis par le

déluge. Mais surtout Akkad absorba sa culture et forma la seconde tête. Le royaume de Babylone, après l’Empire Assyrien sera la troisième tête. C’est également la tête d’or de la statue de Daniel. C’est cette tête qui conduira dans une même direction l’ensemble du corps de la bête à travers les siècles, Ishtar devenant la Reine du Ciel en ces temps-là. Les Mèdes et les Perses donneront la quatrième tête, avec leurs rois symbolisés par des taureaux à tête humaine portant la tiare à cornes. Puis vinrent les Grecs et une autre tête et pour la sixième vint les Romains, où le cycle de développement s’acheva dans la cité aux 7 collines, Rome.

Après la chute de l’Empire romain, une nouvelle forme spirituelle d’autorité romaine émergea de

son effondrement. Nous assistons à la montée en puissance de l’Eglise catholique et de son pontife, le pape, qui usurpa l’autorité des empereurs pour la donner à l’évêque de Rome, au travers de la fausse donation de Constantin. L’Empire va alors prendre une nouvelle forme, où le pape va progressivement prendre toute l’autorité par le biais du sacre. L'Église affirme alors qu'elle doit donner la légitimité du pouvoir par le rituel du sacre. Le modèle en est l'onction que reçut le roi David, par Samuel, dans l'Ancien Testament. Le sacre de Pépin le Bref eut lieu en mars 752 à Soissons, où « les évêques présents l’oignirent du saint chrême » en plusieurs endroits du corps. Les Carolingiens donnèrent ainsi une occasion unique aux papes de se hisser sur les plus hautes marches du pouvoir, qu’ils ne quitteront plus pendant tout le Moyen Âge. Surtout avec le sacre de Charlemagne, couronné empereur à Rome par le pape Léon III, à Noël en l'an 800, relevant ainsi une dignité disparue depuis l'an 476 en Occident, avec la chute de l'Empire romain. Il y a donc une continuité, spirituellement parlant, entre l’Empire romain et l’Eglise catholique qui forme un tout dans la 6ème tête de la bête. On comprend pourquoi la prostituée est assise sur la bête, car le pape a assis son autorité sur le monde chrétien.

Tout ce qui concerne l’histoire de Marie dans le catholicisme est donc faux. Aucune base biblique

n’étaye les dogmes mariaux qui élèvent Myriam au rang d’une déesse à laquelle un culte est dévoué. Tout est inventé de toutes pièces, à partir de mythes et légendes qui ne sont que de pures fictions, visant à rétablir l’adversaire, le diable, comme véritable dieu dans ce monde. Au travers de la Vierge, ce sont tous les attributs du Christ qui sont progressivement transférés à la mère. Ainsi le principe de divinité passe de l’un à l’autre. Différents autres éléments de la porte de la Vierge, de la cathédrale Notre Dame de Paris, nous le confirment.

Les cathédrales sont devenues l’expression physique de ce qu’annonça Paul en Thessaloniciens

2:3 « Que personne ne vous séduise d’aucune manière ; car il faut que l’apostasie soit arrivée auparavant, et qu’on ait vu paraître l’homme du péché, le fils de la perdition, 4 l’adversaire qui s’élève au-dessus de tout ce qu’on appelle Dieu ou de ce qu’on adore, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, se proclamant lui-même Dieu ». D’abord viendra l’apostasie, soit l’abandon des vérités de l’évangile, au profit de nouvelles doctrines mensongères, comme le culte marial. Il s’en suivra la montée en puissance de l’évêque de Rome, que l’on nomme pape, alors même que le Christ interdit à quiconque cette appellation : « N’appelez personne votre « père » sur la terre : car vous n’en avez qu’un, le Père Céleste » (Matthieu 23:9). Il s’élèvera en gloire et en puissance pour s’assoir sur son trône dans la cathédrale, siège de son autorité. Il se révèlera comme pontife suprême, avec pour titre officiel “vicarius filii dei” (vicaire du fils de Dieu), ou remplaçant du fils de Dieu. Ainsi d’interdit en

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interdit, une nouvelle religion appelée catholicisme verra le jour. Elle dépouillera le Christ de sa gloire et sa divinité, au profit d’une Reine du Ciel et de son vicaire sur terre.

B) Le trumeau central :

a) Le principe irénéen : L’un des éléments les plus chargés de symboles à la cathédrale Notre Dame de Paris, est

certainement le trumeau central du portail de la Vierge. Dans la partie supérieure, au-dessus du trumeau, nous distinguons un dais1 représentant la Jérusalem Céleste, sous lequel se trouve un grand coffre : il s’agit de l’Arche d’Alliance. Marie est considérée maintenant comme la nouvelle Arche d’Alliance. A l’origine, l’Arche d’Alliance contenait les tables de la loi, la manne et le bâton de Moïse. Affirmer par ces symboles que Marie, soutenant l’enfant Jésus (ou enceinte), est la nouvelle arche d’alliance, signifie dans le catholicisme, qu’elle porte celui qui est la nouvelle Torah (alliance) et la nouvelle manne, ce pain descendu du ciel…

Parmi les nombreux glissements théologiques catholiques qui visent à parfaire l’image de Myriam,

pour en faire une nouvelle arche d'alliance, celui de la visitation est très largement commenté depuis les origines du culte marial. Cependant, le concept théologique qui souligne le plus la liaison Arche/Vierge est dans l’Apocalypse 11: 19 « Et le temple de Dieu dans le ciel s’ouvrit, et l’arche de l’alliance apparut dans son temple. Alors il y eut des éclairs, des voix, des tonnerres, un tremblement de terre et une forte grêle. 1 Un grand signe apparut dans le ciel : une femme, vêtue du soleil, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. 2 Elle était enceinte et criait dans le travail et les douleurs de l’enfantement. 5 Elle mit au monde un fils, un enfant mâle ; c’est lui qui doit mener paître toutes les nations avec une verge de fer. Et son enfant fut enlevé auprès de Dieu et de son trône ».

1 Ouvrage de pierre ou de bois en forme de petite voûte, décoré d'arcades et de pinacles, formant saillie au-dessus d'une statue, soit à

l'extérieur, soit à l'intérieur d'un édifice religieux ou civil.

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L’apostasie catholique enseigne d’après Jean, que dès l'origine Marie serait désignée comme l'arche de la nouvelle alliance. Selon leur pensée, l'Apocalypse prétendrait « révéler » la nouvelle arche en Marie. Il n'est pas question ici du temple de Dieu sur terre, comme nous le montre le verset 11:19, « Mais de celui qui est dans le ciel ! ». Elle apparait ici dans le Saint des Saints du Sanctuaire céleste, accompagnée des manifestations de Dieu concernant les temps de la fin : des éclairs, des secousses et une forte grêle. Nous aurions affaire ici à une révélation, un dévoilement, et comme disait l'apôtre Paul : « Oui, jusqu’à ce jour, chaque fois qu’ils lisent Moïse, un voile est sur leur cœur » (2 Corinthiens 3, 15). Ce dévoilement nous révèle cette femme qui est la Mère du Fils du Très Haut. Certains disent qu'il s'agirait d'Israël, cette interprétation n'est pas entièrement fausse, mais l'application à Marie, la vierge, semble plus appropriée au vu des nombreuses prostitutions d'Israël. Or, Jésus est né d'une vierge ! D'autres pensent qu'il s'agit de l'Église, mais l'Eglise ne met pas le Christ au monde ! Il semble que la chose soit claire dans l'esprit de Jean, car Jean dépeint ici la Mère de Jésus, Roi des rois, Seigneur des seigneurs. Les douleurs de l’enfantement de l’Apocalypse n'ont donc vraisemblablement pas de rapport avec un accouchement physique. Elles se rapprochent de celles de Paul, où il parlait des douleurs de l'enfantement qu'il éprouvait en Galates 4:19. Marie est donc représentée comme le corps de l’Epouse mystique du Christ, la Mère des croyants et l'Eve nouvelle. C’est de cette apostasie qu’est reprise l’image de la couronne mariale, qui est représentée par les 12 étoiles sur le drapeau européen moderne.

A l’Epouse mystique mariale sera ajoutée

l’image d’une parèdre, associée au nouvel Adam. Cette association d’idée est parfaitement représentée sur le trumeau de la Vierge. Sous ses pieds, une représentation de la tentation dans le jardin d’Eden, où apparait Eve, la raison du péché dans le monde, fait le parallèle avec la Vierge Marie présentée comme une nouvelle Eve. Cette idée est reprise de la doctrine sur l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge, apparut à la fin du XIème siècle à Lyon, désormais préservée intacte de toute tâche du péché originel.

Ce concept nouveau est un point essentiel de l’apostasie catholique, développé dans la vaste

synthèse de l’Evêque Irénée de Lyon, qui voit en elle une nouvelle Eve. En lisant ces textes, on découvre qu’Eve, la vierge, en désobéissant, devint cause de mort pour elle-même et pour le genre humain. Un nœud de péché et de mort est constitué, qui liera toute l’humanité. Mais le nouvel Adam, par son obéissance, a produit des fruits de vie chez les hommes qui avaient été enfermés dans la mort par la désobéissance d’Adam. Le Christ rachète donc Adam. Parallèlement (« consequenter »), Marie, la vierge, par son obéissance, opère un retournement dans la situation engendrée par Eve, et défait le nœud que l’humanité héritait de son ancêtre : Marie devient cause de salut pour elle-même et pour tout le genre humain.

Comme Eve a collaboré avec Satan en provoquant la chute de l’humanité en trompant Adam,

Marie, la nouvelle Eve, est celle qui collabore à la divine miséricorde de Dieu. Marie est en union avec la volonté du Père. Cette collaboration est trinitaire. Marie est donc le contraire d’Eve déchue, elle est la restauration de la féminité idéale. Elle est la femme restaurée et rachetée, avant même que son Fils divin ait versé son Sang purifiant. Selon Irénée nous retenons qu’un homme et une femme furent au principe de l’humanité : Adam et Eve. Lorsque les temps sont accomplis, ils sont récapitulés par un Homme et une Femme, le Christ et la Vierge qui, non seulement les sauvent de la mort, mais deviennent respectivement Principe et Mère de la Vie pour tout le genre humain. Nous sommes ici, dans ces concepts apostats qui déifient la Vierge, en l’associant à l’arche d’alliance, ou à la nouvelle Eve, pure et sans tache. C’est la quintessence du tout, si on l’associe au commencement de l’histoire

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biblique, là où tout débute et se dévoile dans toute sa nudité originelle. Mais il faut pénétrer l’essence même du Verbe divin, pour comprendre le cheminement de la logique satanique, qui 5000 ans plus tard permettra de construire des bibles antéchrists, les cathédrales.

b) La chute de l’Homme :

Dans le jardin d’Eden, la Bible présente les choses sans voile. Si on sait le lire spirituellement, tout

y est mis à nu et exposé clairement. Adam et Eve, l’image terrestre de Dieu (puisqu’Adam fut fait à l’image de Dieu), sont nus, tout comme le serpent qui est rusé. Le mot employé par la Bible pour désigner le serpent rusé-intelligent (« eirom ») est très proche du mot nu (« aroum ערום »), qui est employé en Genèse 2:25. Une idée forte se dégage dans le chapitre 2 de la création de l’épouse. C’est l’association d’idée entre bâtir le féminin d’Adam et construire parallèlement dans le ciel l’Epouse, la Jérusalem céleste.

Entrons dans le détail : en général, nous lisons dans nos bibles, quelles qu’elles soient : « Dieu prit

l’une de ses côtes,… ». Il est clair, il est évident même, que le mot hébreu que l’on traduit par « côte » (« tséla » du verbe « tsala », « pencher d’un côté » ou « boiter ») n’a jamais, au grand jamais, voulu dire « côte », mais « côté ». Car le mot tséla, «côté», désigne presque toujours, de manière abstraite, ce qui est « à côté », ou encore les annexes latérales, distinctes du corps principal ; ce n’est jamais une côte. Toutes les fois dans la Bible, où l’on rencontre ce mot, il est systématiquement traduit par « côté ». De plus, les prochaines occurrences qui suivent la création de la femme, renvoient aux différents éléments du tabernacle et leurs « côtés ». Il n’a été qu’une seule fois traduit par « côte »… et c’est dans ce texte ! Il n’y a cependant aucune raison, pour que ce qui soit « côté » ailleurs soit «côte» ici ! Soyons clairs : le Seigneur Dieu prit un des côtés de l’Adam, soit sa moitié, et referma la chair à sa place. Le texte ne dit pas que Dieu, de la « côte » qu’il avait retirée de l’homme, façonna une femme, mais qu’il façonna le « côté » qu’il avait pris de l’Adam en une femme, nuance.

Poussons plus loin notre analyse, toujours d’un point de vue hébraïque. L’homme au

commencement fut fait à l’image de Dieu et rayonnait de la lumière divine. La peau fut venue couvrir la lumière. Or, en hébreu, le mot « peau » est obtenu en remplaçant dans le mot « lumière » la première lettre aleph (gutturale silencieuse) par la lettre ’ayn (gutturale sonore). La même transformation littérale fait passer du verbe hébreux « or », racine du mot « lumière » (briller, illuminer), au verbe « ’or », racine du mot « peau », dont le sens est « dénuder, être mis à nu ». Comme un tabernacle de peau, l’homme contient le divin. Dieu le partagea en deux parties distinctes, comme celui donné en modèle à Moïse, entre le lieu Saint et le lieu Très-Saint, et dont la nudité de la chair cache la lumière de Dieu.

De l’Adam dont la chair cache la lumière, Dieu façonna le côté qu’Il prit de l’Adam, pour former

une femme. Façonna est un mot beaucoup trop faible ! Le verbe « banah » utilisé ici signifie « bâtir », « construire » (en Genèse pratiquement toutes les occurrences de ce verbe concernent la construction d’une ville, tour ou autel). On pourrait dire : « Le Seigneur construisit le côté qu’il avait pris à l’Adam pour en faire une femme ». Le verbe « banah » est également utilisé quand une femme veut se «bâtir» une postérité au travers d’une autre femme, comme les matriarches avec leurs servantes et concubines. En voyant ce que Dieu faisait en créant Eve, Satan comprit alors que c’est l’Epouse même de Dieu qu’Il venait de créer, au travers de sa semence (ou génération) à venir. Et c’est à ce moment-là qu’il se dit en son cœur: « Je monterai au ciel, J'élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu ; Je m'assiérai sur la montagne de l'assemblée, A l'extrémité du septentrion ; Je monterai sur le sommet des nues, Je serai semblable au Très-Haut », Esaïe 14. Pour Satan donc, dominer Eve et la posséder spirituellement, équivalait à se saisir de la divinité et du trône de Dieu. C’est ce qu’il essaya de faire. Au centre du jardin il y a deux arbres, qui sont également deux associations. L’Arbre de vie représente l’association de Dieu et des hommes. L’arbre de la connaissance joue avec le terme hébreu « connaissance » qui signifie également « unir dans la

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chair ». L’idée de base est celle-ci : « si vous restez unis à Moi, vous restez dans la lumière et vous vivrez, mais si vous unissez vous corps dans un esprit impur, vous mourrez ».

Par le doute et le mensonge, le serpent va corrompre Eve en prenant l’ascendant spirituel sur elle.

Il va « bâtir » ainsi une nouvelle femme à son image. « Vous ne mourrez pas, mais serez comme Elohim ». Kelohim en hébreu, valeur numérique 666, est symboliquement représenté par l’arbre de la connaissance ou de l’union charnelle. La sexualité peut être considérée comme l’antithèse de la spiritualité, car rien n’est plus charnel que le sexe. Dieu on le sait, cherche avant toute chose à élever spirituellement l’âme de l’homme, afin que dans l’Esprit Saint, l’homme et Dieu se connaissent et ainsi, ne forment plus qu’un. Puis, quand l’homme ou la femme a atteint sa pleine maturité spirituelle, alors Dieu conduit lui-même la femme vers l’homme afin qu’ils se connaissent et ne forment plus qu’un. Ainsi dans l’Esprit, une nouvelle unité se construit, bénit par le Père et qui va elle aussi devenir une source de vie, un arbre de vie.

Bénit de Dieu, la sexualité n’est pas un interdit ou une honte, bien au contraire, c’est même un

aboutissement dans sa volonté, une bénédiction qui élève encore plus l’âme de l’homme, car l’amour et l’union dans l’amour sont la clé des relations entre le créateur et sa création. Aujourd’hui, l’univers et l’homme existent grâce à l’amour. Mais le diable ne l’entend pas ainsi. Il sait qu’il peut corrompre les fils de Dieu par la chair. Désormais le diable tient sa victoire. Il domine la situation, il couvre par le péché la femme, son esprit pénètre en elle et la possède. Le diable veut désormais que le couple divin se connaisse et ne forment qu’un dans son esprit, celui de la luxure, la lubricité, la honte de la perversion et du vice charnel. C’est dans cet état de perversion qu’ils pensent être comme Elohim, qu’Eve pense posséder les secrets de la vie et faire un homme, le posséder pour elle seule comme un dieu. Mais Eve a été trompée, ce n’est pas elle qui est devenue un dieu, c’est le diable qui l’a séduite par ses charmes et enchantements, pour la corrompre et voler sa couronne en pénétrant en elle. A ce moment, Eve a prêté son corps au diable. Ils se connaissent pour former l’arbre du bien et du mal.

Comme le diable s’est emparé du côté (tséla) d’Adam en possédant la femme, il va également

vouloir la bâtir (banah) comme une épouse alternative, une concubine qui par sa postérité représentera la divinité recherchée par Satan. Mais Dieu intervient : Gen 3:14 « L’Eternel Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. 15 Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta semence et sa semence : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon ». Maintenant deux voies alternatives sont ouvertes par deux postérités qui se feront la guerre, jusqu’à ce que l’une l’emporte sur l’autre.

Désormais le féminin divin va devoir se reconstruire (banah), non plus par Eve, mais par sa

semence en Jésus Christ, sa postérité. C’est dans cet esprit que se développe Matthieu 16:13 « Jésus, étant arrivé dans le territoire de Césarée de Philippe, demanda à ses disciples : Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l’homme ? 14 Ils répondirent : Les uns disent que tu es Jean-Baptiste ; les autres, Elie ; les autres, Jérémie, ou l’un des prophètes. 15 Et vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis ? 16 Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. 17 Jésus, reprenant la parole, lui dit : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux. 18 Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. 19 Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. 20 Alors il recommanda aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ ». Après tout ce que vous venez de lire, reprenez le texte, mais en hébreu : « Tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ».

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« Bâtir » se dit « banah » en hébreu, d’où l’on tire « eben », « la pierre » et « ben », « le fils », puisque « banah » est également utilisé quand une femme veut se «bâtir» une postérité au travers d’une autre femme. Par Jésus, la semence divine, le fils (ben), qui écrase la tête du serpent, le Verbe divin révèle comment Dieu restitue l’Epouse à son Fils le nouvel Adam. « Car tu es Pierre (eben) et sur cette pierre (eben) je bâtirai (banah) mon Église (Epouse) ». Quand l’Esprit Saint pénètre l’Epouse et lui révèle qui est le fils (ben) et Epoux, alors sur cette pierre (eben), la révélation par le Saint Esprit, l’Epoux bâtira (banah) son Eglise et Epouse. L’Eternel a donc donné à son Fils une Epouse spirituelle qu’Il a bâti (banah) par génération successive comme ses enfants (ben) qui sont autant de pierres (eben), assemblant l’édifice (banah) qui est le temple du Dieu vivant. C’est pour cela qu’il est écrit de l’assemblée des fils de Dieu, Ap 21:2 « Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, préparée comme une épouse qui s’est parée pour son époux. 3 Et j’entendis du trône une forte voix qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes ! Il habitera avec eux, et ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux ».

Mais ce que veut construire le Seigneur avec son Epouse, Satan, dans un esprit diamétralement

opposé, cherche à le reproduire par sa semence. Très vite, l’esprit qui anime Caïn va se révéler par le meurtre de son frère Abel (le souffle, l’esprit) et par la malédiction qui dès lors le frappera. Puis « Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit (Banah) ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc ». Au travers de sa semence maudite, Satan va se bâtir toute une civilisation dont la ville sera le centre. Le monde et les villes deviendront les centres de développement de la semence du serpent, l’anti-Epouse divine, en quelque sorte. En Gen 11:1 « Ils dirent encore : Allons ! Bâtissons-nous (Banah) une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre ». Avec la tour de Babel, le premier défi religieux est lancé contre Dieu Lui-même. Désormais les ziggourats mésopotamiennes croîtront en majesté, jusqu’à devenir une ville temple, Babylone, ou « la porte du dieu » de ce monde, Satan. Une fois ce principe établi, il se poursuivra d’âge en âge. Il s’agit de l’image de la statue de Daniel.

Au terme des jours. Une fois le corps comme édifice constitué, le fils (ben) comme pierre (eben)

d’angle principale brisera et écrasera l’épouse bâtit (banah) illégitimement par l’adversaire. C’est ainsi que Daniel révèle la chute de Babylone et des royaumes qui lui succèderont. Daniel 2 « Au temps de ces rois, le Dieu du Ciel dressera un royaume qui jamais ne sera détruit, et ce royaume ne passera pas à un autre peuple. Il écrasera et anéantira tous ces royaumes, et lui-même subsistera à jamais : de même, tu as vu une pierre se détacher de la montagne, sans que main l'eût touchée, et réduire en poussière fer, bronze, terre cuite, argent et or. Le Grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit arriver. Tel est véritablement le songe, et sûre en est l'interprétation ».

Les nuances sémantiques du Verbe divin échappent au plus grand nombre, parce qu’elles sont

abstraites et sont difficiles à saisir. C’est pourquoi Paul dit en Eph 5:32 « Ce mystère est grand ; je dis cela par rapport à Christ et à l’Eglise ». Mais l’Esprit Saint rétablit toujours toutes choses. Si j’ai développé les choses ainsi, c’est pour faire le parallèle entre l’apostasie mariale qui se présente comme alternative à l’Epouse véritable. Dans le catholicisme, les valeurs bibliques sont systématiquement inversées, tout en s’en accaparant la forme. Grâce à ce principe d’inversion, la Vierge Marie devient la nouvelle Eve et le Pape, le successeur de l’apôtre Pierre, ceci en se référant à Matthieu 16 qui parle de tout autre chose que de papauté.

Associé Myriam, une humble servante, à la Reine du Ciel, présentée comme la nouvelle Eve, ou

comme l’Arche d’Alliance qui parait dans l’Apocalypse, revient à projeter l’ombre mariale sur l’ensemble de la Bible. Ce n’est plus Jésus qui est la Parole faite chair, Jean 1:14 « Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père », mais c’est la Vierge qui se révèle dans le Verbe. La mariolâtrie est devenue au Moyen Âge, l’expression d’une foi nouvelle ayant

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absorbé le principe messianique à son profit, par une doctrine plaçant Marie de Nazareth comme l'égale de Dieu. Ce principe se développa au cœur des villes médiévales qui reprirent leur essor. Durant le haut Moyen Âge, le réseau des cités hérité de l’Empire romain s’est maintenu tout en changeant radicalement de fonction. La cité devient la résidence de l’évêque (appelé le defensor civitatis), chef-lieu de diocèse et centre de pouvoir du comte. Puis, les villes, « assoupies » durant le haut Moyen Âge, se réveillent à partir du XIème siècle. Par l’édification de monuments religieux toujours plus grandioses, l’Eglise, en absorbant toutes les richesses avoisinantes, va contribuer à l’essor des cités. La semence du serpent, par Caïn, revient alors à sa vraie nature : bâtir des villes, élever des tours et massacrer les fils de Dieu, jugés comme des hérétiques.

C) Lilith :

Poursuivons l’exploration symbolique de la «Dame du lieu», qui trône au centre du portail de la

Vierge, dans la cathédrale Notre Dame de Paris. Certains personnages et éléments y apparaissent, alors qu’ils sont sévèrement condamnés dans la Bible. Ainsi Lilith, les sibylles ou encore le zodiaque sont représentés comme des éléments confortant le rôle de la Vierge.

Commençons par Lilith

représentée dans l’Arbre de vie. Normalement, Lilith qui n’apparait qu’une seule fois dans la Bible dans le livre d’Esaïe, ne devrait pas se trouver dans cet arbre. Lilith a été assimilée, par le judéo-christianisme, à un démon et à une incarnation du péché. Lilith apparaît, à l’origine, dans le monde mésopotamien, comme un aspect de la Grande Déesse. Son nom doit vraisemblablement être rapproché de celui de la déesse suméro-akkadienne Lilitû, également connue sous le nom

d’Ardat Lili, qui signifie « servante de Lilû ». Ce dernier, dont le nom semble signifier «libertinage», est un démon mâle, héritier du Lil (= vent) sumérien, esprit licencieux et lascif qui abuse des femmes durant leur sommeil, à l’instar des démons incubes. Ardat Lili, quant à elle, apparaît comme un démon féminin excitant la volupté. Décrite comme une démone lascive, comme la servante d’un démon mâle - Lilû, tout à la fois « vierge stérile », nocturne et luxurieuse, elle est aussi parfois perçue comme un des aspects négatifs de la Grande Déesse, la Déesse-Mère.

Lilith était déjà connue de la mythologie babylonienne, de même que dans certaines légendes

assyriennes, qui la décrivirent comme hantant les lieux et les déserts maudits. La Bible reprendra cette image. On distingue, en général, deux aspects fondamentaux de la Grande Déesse. L’un est celui de la Déesse-Mère, nourricière, féconde, maternelle, l’autre est celui de la Grande Déesse guerrière, vierge ou au contraire, patronnant la prostitution sacrée, mais toujours combattante et généralement sanglante. Ses noms sont innombrables : l’Hindoue Kâlî, tueuse de démons, issue du front de Durgâ, la « déesse aux fauves » ; Cybèle parfois considérée par le christianisme comme la grand-mère de Satan et dont les prêtres s’arrachaient les parties génitales pour ressembler à l’infortuné Attis ; l’« Oeil de Rê », terme qui désigne les déesses lionnes de la tradition égyptienne

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(Sekhmet, Pakhet) dont la fureur meurtrière s’abattait sur l’humanité pour la punir de son impiété et de ses péchés ; Hécate et ses chiens aux yeux de braise.

De source sémitique, le nom de Lilith serait à rapprocher du terme hébreu « laïl » qui signifie

« nuit ». De fait, Lilith est intimement liée à Leïla ou Laylah qui est la « Nuit » ou « l’Esprit de la Nuit ». Elle est aussi la « Lune noire », celle-ci occupant une place importante dans les rituels magiques et religieux de la Mésopotamie et du monde hébraïque. Lilith est donc naturellement présentée, comme nous l’avons déjà dit, comme un être nocturne auquel la tradition biblique a d’ailleurs donné le nom de « Spectre des Nuits », Esaïe 34:14 « Les animaux du désert y rencontreront les chiens sauvages, Et les boucs s’y appelleront les uns les autres ; Là le spectre de la nuit (Lilith) aura sa demeure, Et trouvera son lieu de repos ».

Mais le raccourcit classique qui identifie Lilith à un esprit succube, que présente la tradition juive

ou chrétienne, est trop rapide à mon sens. Car si effectivement Esaïe fut fortement influencé par les croyances de son époque, l’Esprit Saint qui lui a inspiré le texte ne l’était en aucune manière. Pour comprendre à qui on a affaire, il convient de replacer Lilith dans son environnement biblique originel. Lilith est placé dans un environnement très particulier, le désert d’Edom (rouge). Esaïe 34:9 « Les torrents d’Edom seront changés en poix, Et sa poussière en soufre ; Et sa terre sera comme de la poix qui brûle. 10 Elle ne s’éteindra ni jour ni nuit, La fumée s’en élèvera éternellement ; D’âge en âge elle sera désolée, A tout jamais personne n’y passera ». Il s’agit là de l’enfer, destination des démons et de Satan, leur chef, à leur tête. On le comprend mieux encore, quand on met le désert d’Edom en parallèle avec le désert qui suit au chapitre suivant. Esaïe 35:1 « Le désert et le pays aride se réjouiront ; La solitude s’égaiera, et fleurira comme un narcisse ; […] 7 Le mirage se changera en étang Et la terre desséchée en sources d’eaux ; Dans le repaire qui servait de gîte aux chacals, croîtront des roseaux et des joncs. 8 Il y aura là un chemin frayé, une route, Qu’on appellera la voie sainte ; […] 9 Sur cette route, point de lion ; Nulle bête féroce ne la prendra, Nulle ne s’y rencontrera ; Les délivrés y marcheront. 10 Les rachetés de l’Eternel retourneront, ils iront à Sion avec chants de triomphe ». Le chapitre 35 annonce le Messie et le millenium. Les chapitres 34 et 35 sont indissociables, ils sont comme des miroirs se renvoyant les mêmes images, mais inversées. Si donc le chapitre 35 renvoie au Messie, Dieu fait homme et lumière du monde, logiquement son image inverse représente la femme faite déesse des ténèbres. Et c’est bien ce que le nom Lilith signifie pour moi, si on le décompose : « Lilith » en hébreu « לילית », du mot « layili », les « nuits, לילי » et «fille» en hébreu « ילדת », soit la fille des nuits (ténèbres). Dans le chapitre 34 d’Esaïe, non seulement le nom du diable est révélé, mais aussi le lieu où il finira, l’enfer. Apocalypse 20:10 « Et le diable, qui les séduisait, fut jeté dans l’étang de feu et de soufre, où sont la bête et le faux prophète. Et ils seront tourmentés jour et nuit, aux siècles des siècles ».

S’il y a bien un texte dans la Bible qui terrifie le diable, c’est bien Esaïe 34. Non seulement son

nom véritable y est dévoilé, mais en plus il y est révélé sa destination finale, à lui, ainsi qu’à tous ceux qui le suivent. Alors comme un exorcisme, l’adversaire, le serpent ancien, le diable, Lilith, va agir au travers des siècles et des civilisations qui se succèdent, pour inverser le cours des choses et des temps. Il va pervertir l’âme des femmes afin qu’elles corrompent les hommes, par leurs charmes et leurs prostitutions. Ge 6:2 « les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils choisirent. […] 5 L’Eternel vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur cœur se portaient chaque jour uniquement vers le mal. 6 L’Eternel se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre, et il fut affligé en son cœur. 7 Et l’Eternel dit : J’exterminerai de la face de la terre l’homme que j’ai créé ». Ainsi, corrompre l’homme permet de changer les plans de Dieu, jusqu’à les mener à l’anéantissement complet, comme au Déluge.

Voilà pourquoi brusquement, en plein Moyen Âge, une image de Lilith réapparait alors qu’elle n’a

aucunement sa place dans le jardin d’Eden. Sauf si bien sûr, une lecture inspirée révèle la nature du

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péché d’Eve, la luxure. Sur les cathédrales, le diable prend donc le risque de se dévoiler sous son identité véritable, en absorbant les principes de la divinité au travers de l’image de la Vierge Marie, Reine du Ciel, qui repose sur son fondement véritable, Lilith. Il présente simultanément les deux visages de la déesse mère, la Vierge corruptrice et la Vierge mère. N’oublions pas qu’en ce temps-là, le catholicisme est triomphant. Le pape règne temporellement et l’Eglise est en guerre ouverte contre les juifs et les hérétiques, les fils de Dieu. Le diable cherche à les éradiquer ou mieux encore, à les convertir à sa cause, par la force si nécessaire. La victoire est donc envisageable et le cours de l’histoire peut être modifié, car le monde se soumet progressivement à l’Eglise universelle dans son principe corrupteur. Elle est nommée grande prostituée à cause de l’Esprit qui l’anime, celui de Lilith.

L’image de la Vierge, comme corps de l’Eglise associé au fils qu’elle tient dans ses bras, renvoie à

la Mère de l’Eglise, ayant à sa tête le vicarius fili dei, le remplaçant du fils de Dieu, le pape. Cet ensemble forme le corps mystique de l’Eglise de Lilith, représenté dans le chapitre 34 d’Esaïe. En symétrie, nous retrouvons le chapitre 35 : l’Epouse véritable, dont Jésus Christ est la tête. Au travers de la femme, se retrouvent deux semences entre lesquelles l’Eternel a mis une inimitié. Elles s’affronteront jusqu’au terme des jours.

Le cœur de la femme est donc au centre du combat spirituel que mène le diable. Quand il y

pénètre, il est certain de sa victoire, car même le grand roi Salomon succomba à leurs charmes, malgré son immense sagesse. Mais à contrario, remarquez comment le livre des proverbes s’achève. Proverbes 31:28 « Ses fils se lèvent, et la disent heureuse ; Son mari se lève, et lui donne des louanges : 29 Plusieurs filles ont une conduite vertueuse ; Mais toi, tu les surpasses toutes. 30 La grâce est trompeuse, et la beauté est vaine ; La femme qui craint l’Eternel est celle qui sera louée. 31 Récompensez-la du fruit de son travail, Et qu’aux portes ses œuvres la louent ». Ses œuvres la louent, elle, ALLELUHA. Dans la Bible la louange ne va que vers l’Eternel, ALLELUIA (loué soit le Seigneur), sauf au terme du livre de la sagesse, dans les proverbes, où la femme vertueuse est louée au travers de la Bible par Dieu Lui-même. Jamais un homme, si ce n’est le Messie, n’aura cet honneur. Heureux sont les hommes qui ont pour épouse ces femmes sur lesquelles repose l’Esprit Saint. Elles sont l’espoir de l’Eglise du Christ.

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XII SAVOIR DECHIFFRER LE LIVRE DE PIERRE :

A) La façade Est : la couverture L’accès aux livres saints étant interdit aux profanes, qui de surcroit ne savaient pas lire pour la très

grande majorité, l’Eglise trouva une solution pour transmettre son message, en utilisant les murs des églises comme support d’écriture. Au travers des sculptures et des peintures, le peuple pouvait donc être instruit des choses religieuses. Il faut donc considérer une cathédrale comme étant un livre de pierre. La façade Est, où se trouvent les portes, pourrait être considérée en quelque sorte, comme la couverture de ce livre. Or, la couverture annonce par son titre quelle en est sa nature. La Sainte Bible annonce par exemple, que le livre est à considérer comme une compilation d’ouvrages, inspirés par différents hommes, s’exprimant au nom du Seigneur. La comparaison n’est pas anecdotique, car au Moyen Âge les livres étaient de véritables chefs-d'œuvre enrichis de nombreuses enluminures. Il va de soi que plus le livre était en(luminé), c’est-à-dire mis en lumière par des images très travaillées et de riches colorations, plus il avait de valeur aux yeux d’une population qui n’avait pas accès à l’instruction. L’image était donc essentielle. Elle exprimait le sens du verbe caché.

Durant cette période, le décor

sculpté des églises et certains éléments d’architecture étaient peints de couleurs éclatantes. Les polychromies, retrouvées sur les portails de la cathédrale Notre Dame d’Amiens, par exemple, révèlent l’utilisation, dès le XIIIème siècle, de couleurs vives sur l’ensemble des sculptures. Le portail de la Vierge était tout particulièrement mis en valeur par les couleurs des sculptures, vives et éclatantes dans la journée. Il est intéressant de noter qu’en plus de cette « mise en scène », les pierres des voûtes tendues au-dessus du porche portent encore la marque des lampes que l’on faisait brûler la nuit, pour permettre de soutenir, par le « spectacle de la lumière colorée », la dévotion des fidèles. Le but évident recherché par ces effets, était de faire « parler les pierres », afin qu’elles soient l’expression du Verbe, car sur une église qu’il ne pouvait bien entendu s’agir d’autre chose.

Aujourd’hui, grâce au technique

modernes, des spectacles « son et lumière » remettent en valeur la façade des cathédrales, et permettent de les admirer telles qu’elles étaient au Moyen Âge. À la tombée de la nuit, ces spectacles grandioses, déjà admirés par des millions de visiteurs, redonnent vie aux anges, saints, apôtres et évêques qui peuplent ces édifices, grâce à une mise en couleurs par projections d’images numériques de haute définition. Par la magie de la lumière, la cathédrale en couleurs est

une invitation à remonter le temps, à se plonger dans un univers si proche de celui des fidèles de

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l’époque. Si le spectacle impressionne aujourd’hui, a fortiori l’était-il par le passé, où la population vivait dans une crainte et une superstition entretenues par l’Eglise catholique. Imaginez-vous comme un fidèle, vous avançant la nuit de Noël vers la cathédrale. Que voyait-vous ? Dans un premier temps, de loin, vous apercevez la grande rosace centrale. Elle est illuminée de l’intérieur. Puis votre regard se pose sur les trois portes polychromes, illuminées comme autant d’invitations à entrer, à pousser la porte, à tourner la couverture du livre…

a) Le titre, l’auteur et la préface :

Chaque livre porte son titre en grosses lettres sur la première de couverture. Etudions ensemble

les « grosses lettres » de la façade de Notre Dame de Paris. La Rosace, avec la Vierge en son centre, dédie l’édifice à la Reine du Ciel. Son tire pourrait donc être : « LIVRE DE LA VIERGE MARIE » ou « BIBLE MARIALE ». Lisons ensuite la préface. Elle résume en quelques courts mots le contenu du livre. Finissons enfin par le nom de l’auteur qui se situe généralement au bas de la couverture. Dans la photo ci-dessous, je relie la préface par des pentagones et le nom de l’auteur par des cercles.

La préface se retrouve inscrite sur les trois portes, et résument le principe trinitaire du dogme

catholique. Nous trouvons donc à droite, le Père en évêque, au centre le Fils, et enfin à gauche, le Saint-Esprit sous la forme de la Vierge. Partager ainsi l’unité divine et Lui donner des rôles permet de rehausser ou d’abaisser chaque entité à volonté.

La porte centrale n’étant ouverte que pour les grandes occasions, c’est par les portes latérales

qu’il faut rechercher le sens de lecture. En partant du Christ central par la gauche, sens qui désigne la perdition et l’enfer, on passe par Synagoga qui représente par les juifs, l’Eglise qui s’est perdue et détournée de Dieu. On finit par la porte qui présente l’évêque terrassant le dragon. Ainsi, celui qui trône sur sa cathèdre dans l’église possède toute l’autorité religieuse sur la terre. En partant maintenant du Christ par la droite, qui désigne les élus et le paradis, on passe par Ecclesia, qui représente l’Eglise des saints qui marchent avec Dieu. On finit ici par la porte qui présente la Vierge comme principe de l’Arbre de Vie qu’elle surmonte. Le trône sur lequel elle est représentée, la désigne donc comme Reine dans le ciel. La Vierge Marie est donc l’autorité que l’Eglise catholique s’est choisie dans le ciel. En un rapide coup d’œil, vous pouvez donc embrasser la théologie catholique résumée sous le titre du livre.

Reste à trouver le nom de l’auteur, en général présenté en petite lettre au bas de la couverture.

L’auteur est l’inspirateur du livre, il est à la base du document et tout l’édifice scriptural repose sur ses valeurs. Le premier élément se trouve en médaillon sous les pieds du Christ du trumeau central de la Porte du jugement. Avant de poursuivre, je tiens à rappeler l’importance attribuée à la symbolique par le clergé, par les moines, par les imagiers et par le peuple même au XIIIème siècle. Il

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faut tenir compte du fait que la symbolique provient de source divine, qu’elle est la langue parlée par Dieu Lui-même. Elle a, en effet, jailli comme un arbre touffu du sol même de la Bible. Le tronc est la Symbolique des Écritures, les branches sont les allégories de l’architecture. Alors que représente allégoriquement ce Christ au milieu de la porte du jugement ?

La figure centrale de Jésus au milieu de la porte renvoie directement à ce texte de Jean 10:7

« Jésus leur dit encore : En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. [...] 9 Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages ». On complétera avec cet autre passage des écritures en Matthieu 7:13 « Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. 14 Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent ». Ce message asséné par Jésus dans la Porte du Jugement a de quoi en décourager plus d’un, mais heureusement l’Eglise catholique vous facilite la tâche. Car rassurez-vous, ô vous qui aimez Marie. Vous surtout, qui récitez le Saint Rosaire avec dévotion et fidélité en achetant vos indulgences. Jésus-Christ est la porte du Ciel, mais auprès de Jésus, vous pourrez voir Marie. Près de la porte, il y a la portière, Notre-Dame du très Saint Rosaire. Elle est toute prête à vous ouvrir sa porte et à vous faciliter l’entrée. Elle a entre les mains le Rosaire ; c’est la clef précieuse qui ouvre les portes les mieux fermées. Mais laissons l’Eglise catholique elle-même exalter les vertus de la Vierge :

« Que le chemin qui conduit au Ciel soit difficile ; que la porte par laquelle on entre dans la vie soit

étroite ; que ceux qui la trouvent soient peu nombreux, ne laissez pas cependant d’avoir confiance, ô vous qui aimez Marie, ô vous qui récitez fidèlement le Saint Rosaire. Je vois Notre-Dame du très saint Rosaire la portière du Ciel, toute prête à vous en procurer l’entrée. Plus la porte était sévèrement gardée autrefois par le chérubin armé d’un glaive flamboyant, plus il est aisé de le franchir aujourd’hui. Dieu n’avait pas confié à un Séraphin la garde du Paradis terrestre parce que les séraphins, selon la signification de leur nom, sont un incendie d’amour, et que l’on en confie pas à l’amour les mesures de rigueur inflexibles. Aujourd’hui ce n’est pas même à un Séraphin, c’est à la Bienheureuse Vierge Marie auprès de laquelle les séraphins eux-mêmes paraîtraient tout de glace (comme le disait Saint Ildephonse, dans un sermon sur l’Assomption), que Dieu confie la porte du Ciel. Le temps de la rigueur inflexible est donc passé ».

« Mais si le Fils de Dieu a les clefs de la mort et de l’enfer, qui donc tient entre ses mains celles de

la vie éternelle et du royaume des cieux ? Si le pouvoir de fermer les portes de la mort et de l’enfer appartient au Dieu incarné, à qui donc la mission a-t-elle été confiée d’ouvrir celles de l’éternelle béatitude ? Si le Seigneur des seigneurs s’est réservé les clefs de la mort et de l’enfer, à qui a-t-il remis celles de la béatitude suprême et des joies célestes ? A qui ? Sinon à Marie, sa Mère bien-aimée ? Marie a été instituée l’avocate des vivants et des morts ; Marie a été élue reine des anges et portière du ciel ; à Marie la puissance a été donnée d’ouvrir les portes de la vie, à qui elle veut, quand elle veut et comme elle veut. « Entre vos mains, ô Vierge, sont le salut et la vie, la joie perpétuelle et l’éternité glorieuse », s’écrie Saint Bonaventure. Marie possède la clef du Ciel et du véritable bonheur ; mais quelle est cette clef ?

Selon Saint Augustin, on peut donner le nom de clef du ciel à toutes les prières et à toutes les

bonnes œuvres, parce que c’est par elles que nous montons au ciel, que nous ouvrons les portes du ciel, et que nous approchons du trône de Dieu. « La prière du juste, voilà, dit-il, la clef du ciel. La supplication monte et la miséricorde de Dieu descend. Bien que la terre soit basse et les cieux élevés, Dieu entend cependant la voix de l’homme dont la conscience est pure ». Et il ajoute : « Nous pouvons nous ouvrir la porte du royaume des cieux avec les clefs des bonnes œuvres de toute sorte ». Le saint Docteur prouve ce qu’il avance par l’exemple du prophète Élie qui, au temps du roi Achab, ferma le ciel et l’ouvrit par ses prières.

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Ce que Saint Augustin attribue à la prière en général, Saint Éphrem en fait l’application particulière au très doux nom de Marie. « Le nom de Marie a la puissance d’ouvrir la porte du Ciel », dit-il. Avant la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ, personne ne put entrer au ciel, ni Abraham, ni Isaac, ni Jacob, ni les prophètes, ni les autres justes ; il leur fallait descendre tous dans les limbes, mais lorsque le nom de Marie eut retenti dans le monde, au jour de sa Nativité, lorsque surtout, il eut été connu et glorifié dans l’univers entier avec celui de son divin Fils, les portes furent ouvertes ; les malheureux enfants d’Ève purent revenir dans la patrie céleste. Aussi la Bienheureuse Vierge Marie a-t-elle daigné dire elle-même à sainte Brigitte : « Ceux qui sont dans le Purgatoire, se réjouissent lorsqu’ils entendent mon nom, comme le malade gisant sur son lit de douleur, lorsqu’il entend quelque parole de consolation. Les bons anges, en entendant ce nom s’approchent davantage des justes, et sont heureux des progrès de ceux dont la garde leur est confiée ».

Ce tissu d’inepties blasphématrices et totalement antéchrist, a donné à la Reine du Ciel les clés du

Paradis, alors qu’au Fils de Dieu seraient confiées les clés de la porte de l’enfer. La Vierge Marie est devenue une voie alternative qui mène vers le ciel, un autre chemin que celui du Christ qui est le chemin, la vérité et la vie. Le dogme marial a transformé la Vierge en porte nouvelle qui s’ouvre sur le chemin du salut. C’est à cause de cela que cette Eglise est appelée Babylone, car il n’y a pas d'autre religion qui permette à une vierge de régner dans le ciel comme ce fut le cas en Mésopotamie. Sauf qu’aujourd’hui ce n’est plus une ville qui permet le passage vers les dieux, mais un dogme qui nous renvoie aux tous premiers temps du catholicisme.

b) La nouvelle incarnation du langage divin :

L’une des représentations les plus anciennes de la

Vierge et de l’Enfant est la Vierge en majesté, la Kyriotissa des icônes byzantines. On la trouve déjà sur une icône du Mont Sinaï qui remonte au VIème siècle. Marie est assise sur un trône et nous présente de face l’Enfant assis sur elle, tenant un rouleau dans sa main. Plus tard ce sera un livre, la Bible. Deux saints (Georges et Théodore) et deux anges l’accompagnent. Un ivoire du VIème siècle reprend pour l’essentiel la même iconographie. Ce thème aura beaucoup de succès au Moyen Âge roman, tout particulièrement avec les Vierges assises d’Auvergne, de Bourgogne, du Lyonnais… Marie, glorifiée comme une reine, y est vue comme le trône de la Sagesse, portant sur ses genoux le Logos, la Parole de Dieu faite homme. Le tympan droit du portail royal de Chartres fait même graviter autour de la Mère et de son Fils toute la sagesse, toute la culture humaine symbolisée par Aristote, Pythagore, les arts libéraux…

Thomas d’Aquin rendra célèbre l’adage selon lequel « la philosophie est la servante de la

théologie ». Il avait établi que l’homme pouvait acquérir la connaissance de l’existence de Dieu à partir du monde et non à partir de la déduction de principes logiques ou abstraits que l’on extrairait exclusivement de la Bible. Ainsi, grâce à la science de la pensée humaine, l’homme peut conceptualiser le divin afin de l’enseigner dans l’art théologique. Nous avions également vu que les cathédrales étaient également devenues des écoles, dont la vocation était à l’origine de former le clergé. Elles ont, peu à peu, accepté des étudiants laïques. Ces écoles ont été à la base de la renaissance culturelle et philosophique du XIIème siècle et ont précédé la fondation des universités au XIIIème siècle. Ainsi l’Eglise, comme corps de la Vierge Marie, devient également le vecteur d’un développement culturel.

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Dans la cathédrale de Laon, la rose du bras nord du transept est consacrée aux arts libéraux, composés du trivium et du quadrivium, base de toute l’organisation universitaire médiévale. Cette rose est probablement un hommage envers l’université de Laon, centre de pensée très important au Moyen Âge, dont la renommée s’est répandue dans tout l’Occident. Elle est composée d’un oculus central, entouré de huit oculi plus petits. Le centre de la rose est occupé par la philosophie, qu’on peut appeler aussi sagesse ou connaissance, qui est, en quelque sorte, la « mère » des arts libéraux, car elle s’élève au-dessus d’eux. Les arts du trivium sont au nombre de trois et sont composés de la rhétorique, la grammaire, et la dialectique. Ils préparent les étudiants à affronter le quadrivium, qui comprend quatre arts supplémentaires : l’astronomie, l’arithmétique, la géométrie, et la musique. Dans cette rose, il y en a même cinq, avec la médecine, qui était également enseignée à Laon.

Bâtir l’arbre de la connaissance à partir d’une semence « sainte » issue de la Vierge, est l’axe

principal de la théologie catholique, qui vise à transmettre la royauté du Christ à la Vierge Marie. C’est bien le message que fait passer l’Eglise catholique en présentant Marie comme la nouvelle Eve, et en l’opposant à Jésus, le nouvel Adam. Conquérir les pensées afin de gagner les cœurs, devient alors l’instrument principal de l’adversaire. Comme le Christ est l’expression du Verbe fait chair, ainsi Marie devient Reine grâce à la connaissance des sciences théologiques enseignées dans les cathédrales. La Reine du Ciel peut donc aisément incarner la science du verbe en tenant le livre dans une main et la royauté qu’elle en tire, en tenant un sceptre dans l’autre main. Le fils, comme logos, a disparu pour laisser la place au seul verbe marial.

Les arts libéraux secondaires, représentés par l’échelle, n’étaient nécessaire qu’à dresser le

temple vers le ciel, dédié à son nom. Tout cela se trouve en médaillon sous les pieds du Christ du trumeau central de la Porte du jugement, qui s’inspire de la rose de la cathédrale de Laon. Cette allégorie féminine de la connaissance, encadrée par Synagoga et Ecclesia, pourrait aisément s’appeler « Dogmatica ». Le Verbe n’est plus d’inspiration divine. C’est l’adversaire lui-même qui s’exprime, en mêlant philosophie et religion, le bien et le mal. Il construit ainsi le dogme catholique.

c) La nouvelle porte des cieux :

Bâtir son Eglise comme on bâtit une échelle

des connaissances, revient à faire croître l’Arbre de la connaissance, axe vertical désignant la croissance de la semence du serpent dans la Bible. L’image de l’échelle renvoie également à l’échelle de Jacob en Genèse 28:11 « Il arriva dans un lieu où il passa la nuit ; car le soleil était couché. Il y prit une pierre, dont il fit son chevet, et il se coucha dans ce lieu-là. 12 Il eut un songe. Et voici, une échelle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel. Et voici, les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle. 13 Et voici, l’Eternel se tenait au-dessus d’elle ; et il dit : Je suis l’Eternel, le Dieu d’Abraham, ton père, et le Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à toi et à ta postérité. 14 Ta postérité sera comme la poussière de la terre ; tu t’étendras à l’occident et à l’orient, au septentrion et au midi ; et toutes les familles de la terre seront bénies en toi et en ta postérité. 15 Voici, je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai dans ce pays ; car je ne t’abandonnerai point, que je n’aie exécuté ce que je te dis. 16 Jacob s’éveilla de son sommeil et il dit : Certainement, l’Eternel est en ce lieu, et moi, je ne le savais pas ! 17 Il eut peur, et dit : Que ce lieu est redoutable ! C’est ici la maison de Dieu (Beth-El), c’est ici la porte des cieux! ».

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L’analogie avec l’échelle de Jacob n’est pas anodine, puisqu’elle renvoie dans une certaine mesure à la prière d’Elisabeth lorsqu’elle voit Marie pour la première fois, Luc 1:45 « Marie tu es bénie entre les femmes, et le fruit de ton sein est béni ». Implicitement on pourrait comprendre que la bénédiction de Jacob repose désormais sur Marie comme représentante de la nouvelle alliance. Ainsi la Vierge Marie devenue tabernacle vivant et représentation vivante du corps de l’Eglise, est par la même occasion forcément la maison de Dieu (Beth-El) et par voie de conséquence la nouvelle porte des cieux. Dans l’Apocalypse, ce concept apparait sous cette forme : « Babylone (la porte du dieu) la grande, la mère des impudiques et des abominations de la terre ».

Reste à comprendre pourquoi le Seigneur le perçoit comme une abomination. Il existe de très

nombreuses religions dans ce monde, mais une seule est considérée comme la pire des horreurs et des blasphèmes. Au terme des jours, les hommes qui représenteront ces valeurs totalement antéchrists, seront jetés sans jugement en enfer, Ap 19:20 « Et la bête fut prise, et avec elle le faux prophète, qui avait fait devant elle les prodiges par lesquels il avait séduit ceux qui avaient pris la marque de la bête et adoré son image. Ils furent tous les deux jetés vivants dans l’étang ardent de feu et de soufre ». La bête et le faux prophète sont les fruits de l’Arbre de la connaissance, le résultat final de ce que Satan fait patiemment pousser, sous la forme d’une civilisation technologique et religieuse, depuis le royaume de Sumer en Mésopotamie. Ces deux malédictions humaines sont les pendants maléfiques qui s’opposent aux fruits de l’Arbre de Vie, représentés par les deux témoins d’Apocalypse 11, qui sont la véritable semence divine. Entre les deux parties une guerre totale est déclarée, comme le prédit Genèse 3:14 « L’Eternel Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. 15 Je mettrai inimitié entre toi (le serpent) et la femme (l’Epouse), entre ta semence (postérité) et sa semence (postérité) : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon ». La finalité de cette prédiction réside dans le pouvoir de la semence de la Femme (l’Epouse de Christ) d’écraser la tête du serpent. La métaphore qui consiste à écraser la tête du serpent doit être comprise comme le pouvoir d’anéantir par le Verbe le raisonnement subtil et trompeur de Satan, afin de revenir dans la pureté originelle de la Parole divine. La nouvelle Eve des temps de la fin dira au serpent : « OUI, Dieu a dit : Vous n’en mangerez point de l’Arbre de la Connaissance et vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez ».

Pour briser le dogme satanique et parvenir jusqu’à la tête du serpent, il faut revenir à la source du

mal, soit le jardin d’Eden. Il faut ensuite aller à sa rencontre et lui écraser la tête. Cela vous parait impossible, mais rien n’est impossible à Dieu. Il suffit de croire et de laisser faire la puissance de Son Verbe. Réunissez les trois images sur lesquels repose la dogmatique catholique de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Vous parvenez aux origines du mal.

Au centre, vous pouvez apercevoir le dogme. A droite, sous le trumeau de la Vierge, se trouve

Lilith et l’Arbre de la connaissance. A gauche, sous le trumeau de l’évêque, se trouve le dragon, soit le serpent ancien. Vous vous trouvez désormais personnellement et directement face à face avec l’adversaire et à ce qu’il a bâti grâce à sa semence. Allez-vous entrer dans son raisonnement, dans

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son verbe mensonger en poussant la porte de la cathédrale, sachant que l’édifice n’est qu’un livre de pierre exprimant la gloire de la Reine du Ciel ? Allez-vous pousser cette porte comme on tourne la page d’un livre, dont le titre est «LIVRE DE LA VIERGE MARIE» et dont le nom de l’auteur est inscrit dans les images qui supportent l’édifice, «Lilith, le serpent ancien»? Comprenez-vous pourquoi ceci est considéré comme une abomination ?

B) La porte d’entrée et ses symboles zodiacaux : Apocalypse 17:7 « Je te dirai le mystère de la femme et de la bête qui la porte, qui a les sept têtes

et les dix cornes ». Apocalypse signifie Révélation. Cette désignation prend ici tout son sens, puisque ce verset

entend révéler un grand mystère, alors même qu’il est écrit dans un livre énigmatique. Il s’agirait dans ce cas du mystère des mystères, dont nous allons maintenant aborder le fond :

« La femme » symbolise le principe religieux, qui permet à une déesse de trôner dans le ciel afin d’être une Reine du Ciel. La logique est simple à comprendre, c’est la parfaite opposition au principe de la primauté de Dieu créateur de toute chose et à Lui seul. Nous sommes dans l’absolue inversion des valeurs religieuses voulues par l’Eternel. Ceci, depuis qu’Il créa l’homme à Son image et qu’Il imposa cette loi de base à ceux qui le servent, Exode 20:2 « Je suis l'Éternel, ton Dieu (YHWH Elohim), qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude. 3 Tu n'auras pas d'autres dieux (elohim) devant ma face. 4 Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. 5 Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point… ».

« La Bête » symbolise le principe civilisateur, qui unit au travers des siècles toutes les nations sur lesquelles la « femme » est assise, ou dit différemment, trône. La réunion des deux principes, religieux et civilisateur, porte le nom de Babylone. Nous allons maintenant entrer dans le résonnement subtil du serpent, le Diable, Satan, qui s’est mué en Reine du Ciel pour prendre la place du Seigneur.

Nous avons vu au cours de cette étude sur les cathédrales, comment le dogme catholique a doucement, mais fermement, tordu le sens des évangiles, pour donner la primauté à la Vierge Marie. Devenue reine, il fallait encore que l’Eglise achève la liaison avec les anciennes civilisations païennes, pour qu’une unité de pensée se fasse jour et révèle la véritable nature de la « Femme ». Ce lien, nous

allons le trouver tout autour de la Reine du Ciel, dans les symboles les plus parlants, la porte d’entrée de la cathédrale et la rosace principale consacrée à la Reine du Ciel, entourée des signes du zodiaque.

Nous savons désormais qu’une construction

logique, dogmatique et théologique, conduit les fidèles catholiques invariablement vers la Vierge et le secours qu’ils attendent d’elle. Le Portail de la Vierge de Notre Dame de Paris, qui représente le salut par rapport à celui de Jugement, date des années 1210. Gravement endommagé en 1793 (les 9 grandes statues avaient été détruites), il a fait l’objet d’une restauration au XIXème siècle, grâce à une abondante documentation qui servit de base à la restitution des statues. Mais la restauration n’a pas entièrement respecté l’ordre des signes du zodiaque originel du portail. Il faut revenir aux gravures d’époques, pour se représenter les choses telles

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qu’elles étaient sculptées à l’origine. On croyait alors à l'existence des Sibylles, et à la vérité de leurs prédictions. Une des plus

remarquables était l'apparition de la Vierge et de l'Enfant Jésus, que la Sibylle de Tibur fit voir à Auguste, en lui apprenant que cette Vierge était celle de la constellation, appelée l'Epi. Cette tradition fut fixée sur la Porte latérale gauche du portail de Notre Dame. Onze signes du zodiaque y étaient gravés à côté des travaux champêtres de chaque saison. La Vierge seule a été déplacée : elle occupait le centre de la porte, en sa qualité de « Dame du lieu ». Le Sculpteur s'était alors représenté lui-même entre le Cancer et la Balance. Ici, la Vierge représentait l'année, comme Isis en était le symbole chez les Egyptiens. Aujourd’hui le signe de la Vierge est réapparu après sa restauration, ce qui cache la symbolique première, désirée à sa création.

Présenter la Vierge comme un signe du zodiaque à part entière est une abomination. Mais qui est

capable de le reconnaitre comme tel ? Instantanément cependant, nous basculons dans un autre temps, celui des Babyloniens et de leurs cultes idolâtres. Car les signes du zodiaque, sont une autre forme de littérature liturgique sémiologique, dont la lecture se fait dans le ciel à partir de constellations. Pour permettre au lecteur de saisir la profondeur de ces symboles, je vais traiter le sujet en deux temps, car nous allons retrouver les signes du zodiaque dans la grande rosace de la façade Est, où j’approfondirais le sujet. Tout d'abord, étudions les bases historiques de ce que représente le zodiaque.

a) L’invention du zodiaque :

L’étymologie grecque résume l'astrologie à un discours (logos) sur les astres (astron). Etudiée

depuis des millénaires, il est difficile de dater exactement la naissance de l'astrologie, mais on peut

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aisément imaginer que la première forme de proto-écriture fut faite de dessins et de signes représentant des mots ou des noms. Il semble donc logique que les noms des dieux anciens s’inscrivent dans le ciel et racontent leur histoire aux hommes. Comme les dieux avaient le destin des hommes entre leurs mains, c’est eux qui définissaient le rythme de leurs vies et des saisons. La nature qui revit au printemps annonce par exemple la résurrection d’un dieu et l’hiver sa mort. Les temps sont liés aux dieux et les hommes vivent donc dans les temps définis par ceux-ci. Les dieux solaire et lunaire sont entre autres choses des marqueurs de temps, qui s’inscrivent dans une échelle plus large du ciel tout entier et des étoiles qui le composent. La course du soleil dans le ciel va au cours de l’année balayer une zone du ciel, qui va former une bande stellaire, où sera regroupée un certain nombre de constellations apparentées à d’antiques dieux. C’est ce que l’on a nommé le zodiaque. Le mot « zodiaque » vient du mot grec « zodiakos [kyklos] », «cercle de petits animaux», de « zodiaion », diminutif de « zoon », « animal ». Il tire son nom du fait que toutes les constellations du zodiaque figurent des créatures vivantes qui sont des représentations divines païennes.

L'observation des étoiles et leur regroupement en constellations est attestée dès 2400 av JC, à

Ebla (dans l'actuelle Syrie) : le lever de la constellation des Pléiades (taureau), coïncidait avec l'équinoxe de printemps. Vers 2000 av JC, plus à l'est, à Mari, le lever d'Arcturus marquait le début des moissons. Il existait une astronomie savante dès le début du premier empire akkadien, fondé par Sharrum-kîn (2334 - 2279 av JC), connu sous le nom de Sargon, et dont son petit-fils Narâm-Sîn, « l'Aimé de Sîn » (2254 – 2218 av JC), c'est-à-dire du dieu Lune, serait l'héritier inspiré. Les Akkadiens n’étaient que les héritiers culturels des Sumériens, dont ils reprirent tout l’enseignement. Déjà à l’époque, les rois étaient des pontifes, considérés comme les fils des dieux qu’ils représentaient sur terre. La structure de leurs noms généralement attachés à un dieu l’atteste : frère ou fils de telle ou telle divinité. Ils étaient les évêques d’aujourd’hui, portant la tiare, ou bonnet à cornes, représentant les cornes de leurs dieux. Ces pontifes utilisaient alors l’astrologie et le zodiaque comme instrument calendaire, pour rythmer les fêtes tout le long de l’année. Ces fêtes ont connu de nombreuses transformations, au fil des progrès de l'observation, et aussi des rivalités entre écoles concurrentes. Une liste de constellations datant d'environ 1300 av JC, provenant de la cité hittite de Boghaz-Köi (dans l'actuelle Turquie), contient déjà presque toutes les constellations qui deviendront « zodiacales », à l'exception du Lion et de la Balance.

D’anciennes tablettes d’argiles mésopotamiennes nous renseignent sur la signification

sémiologique des constellations, qui mèneront au zodiaque. La sixième section de la première tablette de la série MUL APIN (le fameux traité babylonien d'uranographie et aussi le premier catalogue d'étoiles connu), dont le principal exemplaire, le BM 86378 (British Museum), daté de 687 av JC, est une copie d'une compilation antérieure de quelques décades, et donne la liste de 16 ou 17 constellations parcourues par la Lune, et aussi par le Soleil et les autres planètes :

- MUL.MUL (les « étoiles-étoiles » en sumérien, ou les Pléiades, équivalentes à une partie de la constellation du Taureau),

- GUD.AN.NA (le Taureau céleste, équivalent à une partie plus méridionale de la constellation du Taureau),

- SIBA.ZI.AN.NA (le fidèle pasteur céleste, ou Orion), - SHU.GI (le vieillard, équivalent à la constellation Perseus), - GAM (le bâton brisé, ou Auriga), - MASH.TAB.BA.GAL.GAL (les grands jumeaux, équivalents à la constellation des Gémeaux), - AL.LUL (le crabe, ou le Cancer), - UR.GU.LA (le chien géant, équivalent à la constellation du Lion), - AB.SIN (l'épi d'orge, ou Spica, équivalent à la constellation de la Vierge), - zi-ba-ni-tum (dont on remarque le nom akkadien et non plus sumérien, équivalent à la

constellation de la Balance), - GIR.TAB (le Scorpion), - PA.BIL.SAG (équivalent à la constellation du Sagittaire),

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- SHUHUR.MASH (le poisson-chèvre, équivalent à la constellation du Capricorne), - GU.LA (le très grand ou le géant, équivalent à la constellation du Verseau), - zibbâti SIM.MAH [et] A-nu-ni-tum (les queues de la grande hirondelle et du poisson,

recouvrant la constellation des Poissons), - LU.HUN.GA (le travailleur en louage ou le journalier, équivalent à la constellation du Bélier).

À ce stade pré-zodiacal, on retrouvait déjà les 12 signes-constellations du futur zodiaque, avec en

plus les constellations des Pléiades (comprises dans le Taureau moderne) d'Orion, de Perseus, d'Auriga, et de "l'Hirondelle" (comprise dans les Poissons modernes). Les images et noms babyloniens des constellations zodiacales, à la seule exception du Bélier, seront repris par les astronomes grecs. Sans être exhaustives, ces quelques explications sont nécessaires pour permettre aux lecteurs de comprendre comment fonctionne et résonne Satan, à travers le temps et les diverses civilisations qu’il influence.

Une des formes les plus abouties dans sa symbolique et qui résume à elle seule, ce que

représente le zodiaque et les dieux, se retrouve dans la porte principale de la ville de Babylone, au temps de sa splendeur. La porte d'Ishtar est une des huit portes de la cité intérieure de Babylone. Elle fut construite au nord de la cité, en 580 av JC (empire néo babylonien), et sur ordre du roi Nabuchodonosor II. Cette porte est dédiée à la déesse éponyme Ishtar. Elle est l’aboutissement de la voie processionnelle au nord de Babylone et est le symbole même de la ville. Son nom cultuel est « Ishtar Sakipat Tebisha », ou « Ishtar est victorieuse de ses ennemis », car Ishtar est reconnue comme la déesse de la guerre. Ishtar est la porte de la ville qui est elle-même « Bab-ilim », la porte ou le passage vers les dieux. La déesse, dont le nom signifie « la brillante » (il faut comprendre « l’astre brillant » qui représente la planète Vénus), est l’étoile du soir ou du matin selon les saisons. Son symbole sur la porte est le lion. Il représente la royauté. La couleur bleue de la porte représente le ciel, ce qui fait d’elle la Reine du Ciel.

Sur la structure d’autres représentations animalières sont visibles. Le roi sur terre est représenté

par le taureau Marduk, le chef du troupeau et roi de rois. Marduk s’imposa comme dieu tutélaire de

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la ville, lorsqu’au cours du IIème millénaire avant JC., il devint le chef du panthéon babylonien, après avoir vaincu les forces du chaos. Nabû, son fils, fut alors désigné pour consigner par écrit les sorts fixés par Marduk dans la chapelle des destins. Il est le « seigneur du calame », le dieu des scribes. Les savants, qui tenaient une place primordiale dans le clergé de Babylonie et d'Assyrie, le firent prévaloir à la fin dans la hiérarchie divine. Nabû, est symbolisé par le calame du scribe, posé parfois sur une tablette d’argile, placée sur le dos d’un serpent-dragon, son animal attribut. C’est la troisième représentation animalière de la porte d’Ishtar. Nous avons donc le dieu du destin Nabû, associé au taureau Marduk, dieu tutélaire de Babylone, et à la Reine du Ciel, Ishtar.

Marduk et Ishtar fixent les temps et le destin des hommes à Nabû, qui les consigne. Ils sont dans

les équinoxes et solstices du zodiaque, les temps les plus importants du calendrier liturgique babylonien. Toutes les fêtes religieuses et processionnelles passaient obligatoirement par cette porte. Cette porte est le passage obligé qui mène à tous les autres dieux et temples. Ishtar est donc le chemin des dieux.

Pour comprendre ce que représente Ishtar dans la Bible, il faut se référer à Esaïe 14:12 « Te voilà

tombé du ciel, Astre brillant, fils de l'aube ! Tu es abattu à terre, Toi, le vainqueur des nations ! ». Dans l’élégie sur le roi de Babylone, nous comprenons que ce n’est pas du roi dont il est fait mention, mais de Satan lui-même, dont le nom est révélé sous la forme de la planète Vénus, qui représente Ishtar. Concernant ce nom, « fils de l’aube », il convient de démonter une incroyable supercherie initiée à l’origine par l’église catholique romaine, qui tient absolument à en faire un porteur de lumière. Les catholiques ont traduit directement de l’hébreu au latin « ben shakhar » en « fils de l’aurore » et par analogie en « étoile du matin », puis par contraction en Lucifer. L’étymologie de Lucifer en latin est « lux » (lumière) dont le génitif « lucis » est accolé à « ferre » (« porter » en latin), soit luciferre qui donne ce nouvel éponyme. La traduction française est « portant lumière », ou « porteur de lumière », mot d’origine du septante1, en grec « phosphoros ». Satan par ce subterfuge devient un porteur de lumière, ce qu’il faut comprendre comme étant « celui qui apporte la connaissance aux hommes ».

Mais quelle lumière Satan cherche-t-il à faire faire briller en se plaçant ainsi, comme signe

zodiacal, au milieu du portail de la Vierge ? La Vierge est l’une des constellations les plus anciennes. Elle tire probablement son origine du fait

que le soleil se trouvait jadis dans la Vierge lors de l’équinoxe d’automne. Le lever héliaque2 de Spica (l’épi) correspondait à peu près à la période des moissons et celui de Vindemiatrix, à celui des vendanges. En revanche, le personnage que représente originellement la constellation n’est pas connu et quasiment toutes les grandes déesses de l’Antiquité y furent liées, telles Aset (Isis), Déméter, Perséphone, Cybèle, Artémis, Athéna, etc.

Cependant le signe apparait dans la mythologie romaine avec Cérès, qui est la déesse de

l'agriculture, des moissons et de la fécondité. La constellation de la Vierge portait alors le nom de cette déesse. Une étoile de cette constellation porte d’ailleurs le nom « d’Epi de la Vierge », soit Spica. Le nom de Cérès est à mettre en rapport avec le verbe latin « crescere » (= naître, pousser, croître). De fait, Cérès représente la sève sortie de la terre qui s’élève et gonfle les jeunes pousses. Elle fait mûrir les blés et jaunir les moissons. Elle est associée à la déesse grecque Déméter. Cérès, fille de Saturne et de Rhéa, apprit aux hommes l'art de cultiver la terre, de semer, de récolter le blé, et d'en faire du pain. Tout ceci la désigne comme la déesse de l'agriculture. Elle est représentée avec une couronne d'épis de blé et porte un diadème très élevé. Parfois elle est couronnée d'une guirlande d'épis ou de pavots, symbole de la fécondité. Elle tient de la main droite un faisceau d'épis et, de la gauche, une torche ardente. Sa robe tombe jusque sur les pieds et, souvent, elle porte un

1 Les soixante-dix (ou soixante-douze) auteurs de la traduction de la Bible hébraïque en grec.

2 En parlant du lever ou du coucher d'un astre : qui a lieu d'une manière visible peu avant le lever ou peu après le coucher du soleil.

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voile rejeté en arrière. Son char est attelé de lions ou de serpents. Le signe de la Vierge est donc à associer à l’équinoxe d’automne et aux déesses grecque et

romaine de l’agriculture. Mais comme ces déesses occidentales sont les héritières des Ishtar et Astarté moyen-orientales, il convient de les replacer dans leur contexte temporel. Hipparque de Nicée (env. 190 - 125 av. J-C) est lié à la découverte de la précession des équinoxes. La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l'axe de rotation de la Terre. L'axe de la Terre décrit la surface d'un cône ou « entonnoir » à la manière d'une toupie. Ce mouvement aboutit à déplacer l'orientation du pôle Nord parmi les étoiles, en sorte que, au fil des siècles, nous changeons d'étoile polaire. En raison de ce phénomène, les signes du zodiaque se décalent à raison d'un degré tous les 72 ans. Le zodiaque a ainsi reculé de la constellation du Taureau (il y a environ 6000 ans) à celle du Bélier (il y a environ 4 000 ans), et de la constellation du Bélier à celle des Poissons (il y a environ 2 000 ans). Le signe du Taureau représentait donc à l’origine l’équinoxe du printemps et le signe qui lui fait face, le scorpion, celui de l’équinoxe d’automne. Le scorpion est donc le pendant chaldéen du signe de la Vierge du temps des Romains.

b) Le signe du scorpion :

Si l’on suit les signes du zodiaque au fil des millénaires, on retrouve invariablement une Reine du

Ciel, sous une forme ou une autre, à toutes les époques et civilisations. Si l’on remonte le temps, nous partons aujourd’hui de la Vierge Marie contemporaine, passons par Cérès ou Déméter et finissons par aboutir au signe du scorpion du temps babyloniens, ou plus précisément, du temps des Sumériens, qui inventèrent le culte de la Reine du Ciel. Nous sommes en ce temps-là à l’aube de la civilisation, plus de mille ans avant le déluge. Au moment où la lignée de Caïn bâtissait les premières villes, en y plaçant ses rois et en y établissant les premiers cultes. C’est l’ère du scorpion et du taureau zodiacal.

Pour bien comprendre d’où provient le signe zodiacal du scorpion, je vais approfondir quelques

éléments du chapitre IX. Ishtar (Inanna, « la Dame du Ciel » en sumérien) devint la déesse la plus vénérée des Mésopotamiens. Chaque grande ville lui dédiait un ou plusieurs temples, tous très visités. Le syncrétisme lui a donné plusieurs attributs. Elle a, au cours de l'histoire religieuse mésopotamienne, absorbé peu à peu toutes les autres divinités féminines. Elle finit subséquemment, par représenter le féminin divin. Son symbole, la rosette, l'un des plus anciens symboles associés à Inanna, apparaît à Uruk 3 000 ans avant notre ère. Plusieurs d’entre elles ont été trouvées dans son temple, dans la cité d'Ashur, pendant la période assyrienne moyenne. Outre qu’elle représentait l’étoile Vénus, elle fut aussi associée, par ses huit branches, au symbole du scorpion et de ses huit pattes. Car Inanna n’est pas seulement Reine du Ciel, mais elle est aussi le symbole de l’amour physique. Très souvent représentée nue, elle appelait les hommes à l’amour.

Son temple à Babylone s'appelait

l'Etourkalama, la « maison qui est la bergerie du pays ». Les cérémonies qui s'y déroulaient avaient une forte connotation érotique et sexuelle. Comme déjà mentionné, l'entrée de la bergerie d'Inanna représentait l'entrée dans son utérus duquel

toutes les choses vivantes commencent. Elle était marquée par une porte spéciale, une vulve symbolique qui était représentée par deux paquets de roseaux aux extrémités incurvées. Ce symbole a été souvent trouvé dans des temples, il représentait donc symboliquement la porte d’Ishtar. La porte, vulve d’Ishtar, représentait le passage vers la vie divine. Les hommes qui y pénétraient symbolisaient la semence humaine venant fertiliser la déesse, figurée par le taureau chef du

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troupeau. C’est dans ce but, que dans le temple était pratiqué un mariage sacré, la hiérogamie. Lors des cérémonies de la fête du Nouvel an, le roi s'unissait avec une prêtresse qui figurait une déesse. Tout cela était symboliquement représenté, sous l’image d’un scorpion.

Le scorpion stylisait le

rapport sexuel, comme le montre certaines tablettes sumériennes qui représentent un couple enlacé. La queue du scorpion représentait le sexe mâle et les pattes, les bras et les jambes du couple faisant l’amour. Ainsi, au travers du symbole du scorpion, on représentait le pouvoir de la déesse de l’amour physique. Ces symboles ont aussi été retrouvés sur des stèles comme le kudurru du roi babylonien Marduk-Nadin-Akke (1100 - 1082 av. JC) par exemple, ou sur celui du roi cassite Mellishipak II (Mellishikhu) 1188 - 1174 av. JC.

Le mariage sacré avec une prostituée sacrée, débutait l’année avec l’équinoxe du printemps et annonçait les bonnes récoltes. Elles étaient alors fêtées à l’équinoxe d’automne grâce à la bienveillance de la déesse. Ces bonnes récoltes allaient permettre aux hommes de se multiplier et de prospérer, en priant la Reine du Ciel de bénir les femmes en leur donnant des enfants. Ainsi un jeu sémantique se faisait jour, révélant la relation entre la semence terrestre et divine, le fils et le germe, la vie et la mort, mêlant récoltes et multiplication du genre humain. La Reine du Ciel devient donc également la mère divine qui donne la vie. En pénétrant la déesse, en passant par sa porte, les hommes empruntent le chemin des dieux qui permet la vie. Ainsi se forme ce qui est appelé dans la Genèse la semence du serpent, soit une génération d’hommes qui bâtissent une civilisation grâce à la bénédiction de la Reine du Ciel.

c) Le zodiaque : premier livre d’images

En associant le taureau et le scorpion, la hiérogamie est ainsi représentée dans le zodiaque. Mais

on peut poursuivre le résonnement avec les solstices d’hiver et d’été, car là aussi les associations sont possibles. Le lion représente le solstice d’hiver et symbolise la royauté. On le retrouve sur la porte d’Ishtar dont il est le symbole de la déesse. Sa correspondance zodiacale est le verseau, ou en ce temps-là MUL-GU-LA, le Géant, qui se lit en akkadien «kakkabu rabbû» et qui signifiait alors « la constellation du Géant », ou encore « la constellation de la Grande Figure ». Il apparaîtrait également sur un sceau-cylindre du XVIIIème siècle av. JC, comme un homme nu, deux étoiles autour de la tête, et des flots jaillissant au-dessus de ses épaules. Cette représentation est celle de l’antique dieu Enki et donnera plus tard le signe de l’homme versant les eaux, soit le signe du verseau.

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Le dieu appelé Enki en sumérien et Ea en akkadien, est la divinité sumérienne de l’abîme, de la sagesse, de la magie et des incantations, dieu des eaux douces ou selon le mot sumérien de l’Abzu. C’est lui qui s’occupait des activités de la terre en accord avec Enlil. Enki, hardi et sage est le créateur des phénomènes naturels et culturels essentiels à la civilisation : il remplit les rivières de poisson, règle les mouvements de la mer, appelle les vents, crée la charrue, le joug, les champs, la pioche et le moule à briques, remplit la plaine de vie animale et végétale, bâtit les étables. Enki, qui a son temple à Eridu (un peu au sud d’Ur), est avant tout le dieu bon. Roi de la sagesse et de l’intelligence, il communique aux hommes l’art et la technique, il donne l’intelligence aux rois et il se révèle compatissant au moment du déluge pour sauver Uta-napishti, le Noé babylonien. Son animal attribut est le poisson-chèvre, qui est représenté par le Sagittaire dans le zodiaque.

Nous avons vu dans un chapitre précédant, qu’Enki pouvait être

assimilé à Caïn, le bâtisseur de civilisation. Il est aussi l’acquisition de Satan, comme un fruit de l’Arbre de la connaissance. Abel (le souffle)

peut être considéré comme le fils de Dieu et Caïn (l’acquisition) comme le fils spirituel de Satan, que le serpent a acquis en séduisant Eve. La relation qui lie les deux parties est donc générationnelle, père et fils, ou selon le terme biblique, semence. Mais comme le Diable a inversé les valeurs bibliques pour s’en accaparer les vertus, c’est sous la forme d’une mère divine, en opposition au Père, qu’il va s’imposer dans le culte mésopotamien. Inanna/Ishtar va donc progressivement s’imposer dans le panthéon mésopotamien, comme le principe féminin de la divinité, mais en entrainant son «fils», son acquisition (Caïn/Enki), dans son sillage. Elle l’établira d’abord roi de son vivant, puis l’élèvera au rang de dieu après sa mort. Il est c’est homme qui est devenu grand parmi les siens (GU-LA), jusqu’à devenir le plus grand, un géant et un dieu.

La relation qui unit les solstices zodiacaux des signes du lion et du verseau (GU-LA), est donc celle

d’une mère à son fils. Ishtar a acquis une semence divine, comme le signe de la vierge sera associé plus tard à celui de l’épi (spica), la semence de la femme. Ainsi, lorsque l’on reprend les équinoxes et solstices du zodiaque à leurs origines sumériennes, vous pouvez faire cette lecture liturgique mésopotamienne. « Moi Ishtar (lion) je vous ai donné un fils (GU-LA/verseau), qui deviendra votre roi (taureau) qui ensemencera (scorpion) la terre de sa génération, afin de la remplir et régner sur elle ». Le zodiaque est donc le premier livre (bible) religieux, qui explique par des signes que l’on doit interpréter et comprendre dans les étoiles, comment les dieux, à l’origine, ont formé l’humanité. C’est le pendant satanique de Genèse 1:27 « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. 28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre ».

Le zodiaque, comme la Genèse, donne une lecture imagée et spirituelle de l’origine de l’homme,

comme semence divine. Cachés dans la métaphore et les symboles, les textes doivent être interprétés. Par exemple, Genèse 3:14 « L’Eternel Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. 15 Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité (semence) et sa postérité (semence) : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon ». En lisant ceci, on comprend pourquoi le serpent veut reprendre la primauté sur tous les animaux en prenant la place du lion, le roi des animaux, dans la bible zodiacale. Car le serpent (animal des champs) représente l’image de la déchéance et de l’abaissement dans la poussière, tandis que le lion représente celui du relèvement et du rétablissement. Il place aussi parmi le bétail (les serviteurs, les hommes) un chef et un roi : un taureau, qui représente le plus fort et reproductif des animaux

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domestiques. Une inimitié perpétuelle s’établira alors entre les fils de Dieu et ceux du serpent. On notera que la semence de la femme sera représentée par le signe de la vierge et de l’épi, qui reprend à son compte l’expression biblique d’origine. Satan a donc écrit une bible avec sa propre genèse, sous une forme de proto écriture sémiologique dans les étoiles, qui donnera le zodiaque, et qui doit être considéré comme une anti Bible satanique.

Intégrer cette forme d’écriture satanique dans un édifice religieux, lui donne d’une manière

évidente un caractère diabolique, surtout lorsque les religieux qui bâtissaient ces monuments à la gloire de Marie, étaient en guerre ouverte contre la semence de la femme. Ainsi, quand vous entrez par le Portail de la Vierge de la cathédrale Notre Dame de Paris, vous pénétrez le verbe satanique par son expression zodiacale, comme on pénètre dans un livre qui annonce que cette maison est celle de l’antique Ishtar, le serpent redressé, mué en Reine du Ciel.

Si l’on revient maintenant aux colonnes latérales du Portail de la Vierge et à la disposition des

signes qui les recouvrent, il paraît intéressant de constater que seuls les quatre premiers signes de chaque branche y prennent place. Les signes situés en partie basse de l'organisation intérieure du zodiaque (Poissons et Verseau, d'une part, Sagittaire et Capricorne de l'autre) sont disposés sur le socle desdites colonnes. La composition architecturale de cette partie du portail se compose d’un axe vertical de quatre signes de chaque côté et de deux signes à la base, qui forment un axe horizontal, partant à droite et à gauche, comme les racines d’un tronc qui s’élèverait vers le ciel.

Corrélativement au Zodiaque, l'axe central est ici simplement suggéré, invisible, concevable

seulement à partir des deux colonnes. Nous retrouvons dans cette disposition « l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Cet arbre se situe au centre du Jardin d'Eden, représenté plus bas, au même emplacement que « l’Arbre de vie ». L’image de l’arbre suggère à l’homme, tiré de la poussière du sol, de s’élever vers la lumière en s’unissant à Dieu. Mais l’homme doit faire un choix, soit il s’unit au serpent et produit l’arbre de la connaissance, soit il s’unit à Dieu et produit l’arbre de la vie. La nature de l’arbre, suggéré dans le Portail de la Vierge, peut être identifiée en regardant le support du tronc, formé par le corps du trumeau central. La présence de Lilith dans l’arbre à la base de la statue, révèle le « caractère » spirituel de l’arbre. C’est celui de la connaissance, dont le terme peut se comprendre comme l’union avec le serpent, ou comme l’intégration de sa « sagesse ». Tout le portail est donc une projection stylisée du principe défini dans sa base, qui pousserait comme un arbre se développant dans l’ensemble architectural de la porte. La racine est Lilith, la sève, les fidèles qui s’écoulent à travers la porte, l’écorce, le zodiaque et les branches forment le tympan qui magnifie la Reine du Ciel. Ceci résume tout le raisonnement du serpent et « le mystère de la femme ».

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C) Une structure tout en image : Entrer dans une cathédrale, à fortiori par le Portail de la Vierge de Notre Dame de Paris, c’est

entrer dans le symbole. Ces symboles peuvent être visibles quand ils sont taillés dans la pierre, mais ils peuvent être très subjectifs quand ils sont liés à l’orientation ou à la structure même du bâtiment. Dans le champ subjectif, une des questions fondamentales qu’il faudrait se poser, c’est pourquoi des édifices de pierre existent encore, alors que clairement le Nouveau Testament en souligne désormais l’inutilité. Le Temple de Jérusalem a disparu, car Jésus-Christ l’a remplacé comme expression vivante de la Loi. Alors pourquoi les papes ont-ils voulu des temples toujours plus grands et toujours plus beaux ?

a) Le véritable temple de Dieu :

Jean 4:21 « Femme, lui dit Jésus, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à

Jérusalem que vous adorerez le Père. 22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. 23 Mais l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. 24 Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité ».

Ephésien 2:19 « Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers, ni des gens du dehors ; mais vous êtes

concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu. 20 Vous avez été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire. 21 En lui tout l’édifice, bien coordonné, s’élève pour être un temple saint dans le Seigneur. 22 En lui vous êtes aussi édifiés pour être une habitation de Dieu en Esprit ».

En lisant ces deux paragraphes, il apparait immédiatement que la notion de Temple, comme lieu

de cristallisation de la foi et d’habitation du Dieu vivant juif, a radicalement changé dans la nouvelle alliance. En effet, à cause de la destruction du premier Temple et de la déportation à Babylone, les relations entre le peuple juif et l’Eternel leur Dieu ont évolué. N’ayant plus accès au Temple, la foi hébraïque s’est vue dans l’obligation de se reporter sur les écritures et la prière commune, en se rassemblant dans des assemblées. La synagogue (Beit Knesset), «maison de l'assemblée», est alors née. Dans la diaspora issue de la dispersion, la synagogue remplacera alors le Temple de Jérusalem. Les bases du nouveau Temple divin sont désormais posées. La reconstruction d’un second Temple ne changera rien à cet état de fait. Il ne servira qu’à amplifier et souligner les erreurs qui amenèrent la destruction du premier Temple. Le véritable renouveau spirituel s’effectuera alors dans la synagogue.

Mais la synagogue n’est pas encore été sanctifiée pour permettre à l’Esprit Saint d’y résider. Le

Mashiah doit encore venir comme victime expiatoire et donner sa vie pour la sanctification du peuple. Après ce sacrifice, l’Esprit de Dieu put descendre dans sa maison. Elle n’était plus de pierre, mais de chair. Ainsi, tous ceux qui reçurent Jésus-Christ dans leur cœur, reçurent également le Saint Esprit. Cette vérité était vraie pour le juif, aussi bien que pour le grec, soit le monde entier. L’assemblée formant le nouveau Temple de Dieu évoluera alors vers l’Ecclesia (Grec ancien : ἐκκλησία, l'assemblée). Le mot donnera en français Église (assemblée des fidèles), ou ecclésiastique.

Cette notion de corps mystique du Christ, comme nouveau Temple de Dieu, pose alors un

immense problème à l’adversaire. Avec la construction du second temple à Jérusalem, il lui fut facile de corrompre le clergé par l’argent et le pouvoir, les deux s’étant confondus sous les dynasties Hasmonéennes. En profitant de la rivalité entre deux rois séleucides, les Hasmonéens avait bâti, à partir de 152 av. JC, un véritable État. C’est ainsi que Jonathan se fit accorder, non seulement des titres à la cour séleucide, mais aussi les fonctions de Grand-Prêtre (à laquelle il n'avait aucun droit) et d'ethnarque des Juifs (c'est-à-dire chef du peuple). Il se fit ainsi l'unique interlocuteur du pouvoir

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royal. L'Etat hasmonéen devint un royaume lorsqu'Aristobule Ier se proclama basileus en 104-103 av. JC. Il prit l'allure d'un royaume hellénistique, avec une armée largement constituée de mercenaires, un monnayage imité des Grecs à partir de 128 av. JC, une cour et des palais. Cela choqua profondément les Juifs pieux qui soutinrent les Maccabées dans leur révolte contre les Hellénistes et les Séleucides, au point que l'on assista le plus souvent à une rupture de fait entre ceux que l'on nommait désormais les pharisiens et les Hasmonéens.

1) La fin du second Temple :

Dans le vaste territoire contrôlé par les Hasmonéens, ayant su profiter de la faiblesse des

Séleucides, la religion juive était loin d'être la religion majoritaire. Si bien, que le pays gouverné par Jean Hyrcan avait bien plus les caractéristiques d'un royaume grec que celles d'un état juif. On peut constater l’étendue de l’influence grecque notamment par les noms et titres des dirigeants de l’époque : le titre de basileus prit par Aristobule Ier dit le Phihellène, et les noms grecs, que les deux frères, Aristobule et Alexandre accolèrent à leurs noms juifs. Malgré la présence du Temple qui reste écrasante, toute l'organisation du pouvoir civil et militaire s’inscrivait sur le modèle grec. Pour autant, les conflits apparurent lors de la Révolte des Maccabées, entre les juifs hellénisants et les tenants d'un judaïsme englobant tous les aspects de la vie. Pendant les règnes de Jean Hyrcan et de son fils Alexandre Jannée, on vit se cristalliser une opposition entre les Peroushim, littéralement, les « séparés », qui furent connus sous le nom de pharisiens, et le pouvoir monarchique. Jean Hyrcan aurait abrogé les pratiques religieuses imposées au peuple et puni ceux qui les observaient. Alexandre Jannée qui fit crucifier par centaines des rebelles juifs, utilisait des soldats grecs pour combattre les Pharisiens. Sa veuve, Salomé Alexandra, s'appuya cependant davantage sur les rabbins pharisiens. Les membres du parti pharisien ne contestèrent pas l'autorité politique d’Hyrcan, mais lui demandèrent de renoncer à la charge de Grand-Prêtre. Hyrcan rompit alors avec les pharisiens et se tourna vers le parti adverse, celui des Sadducéens plus aristocratiques, à qui il réserva le Conseil du Sanhédrin. Derrière tous ces conflits, se cachait également l’accès au trésor du Temple.

C'est sur ce fond de querelle dynastique qu'intervint Pompée, général romain, qui s'empara de

Jérusalem en 63 av. JC. À compter de cette date, la Judée devint un protectorat romain. Ils donnèrent à Hyrcan II le titre « d’ethnarque » et de « grand prêtre », en ayant soin de le doubler par un conseiller, Antipater, un Iduméen converti au Judaïsme. Le fils de celui-ci, Hérode, se fit reconnaître « roi des Juifs » par le Sénat romain en - 40. Il reconquit le pays avec l’aide des Romains jusqu'en -37. En effet, en - 40, les Parthes avaient envahi la Syrie-Palestine et soutenu Antigone II Mattathiah, un fils d'Aristobule, comme prétendant au trône de Judée au détriment d’Hyrcan II, qu'ils avaient emmené en captivité. Hérode régna sur la Judée en - 37, après l'exécution d'Antigone II, dernier Hasmonéen. Il mourut en - 4, après avoir agrandi le temple de Jérusalem. L'actuel Mur des Lamentations en est le dernier vestige. Ce fils de converti iduméen fut le dernier roi d'Israël. Compte tenu de ses origines, il n'était pas hasmonéen, même s'il était leur héritier direct. Ses descendants ne régnèrent que sur des parties du royaume, n'ayant plus que le rang de tétrarques.

C’est dans cet environnement totalement dégradé dans la foi et les pratiques juives, que Jésus est

venu rétablir le royaume de Dieu. Le clergé n’avait plus aucune légitimité. Le Grand Prêtre était désigné par des politiciens, soutenus par les sadducéens et les interprètes de la Loi. Les pharisiens, quant à eux, s’appuyant sur la science humaine, firent évoluer le dogme juif en donnant un rôle prépondérant à la Loi orale. Ils iront en effet bien au-delà du texte écrit ; et au nom de la tradition orale, révélée à Moïse en même temps que la Loi écrite, selon eux, ils le précisèrent et l’enrichirent de pensées purement terrestres. Leur soumission à la Loi orale les opposèrent alors aux sadducéens, qui avaient leur propre exégèse orale, et qui ne reconnaissent pas l’autorité à cette loi. Elle impliquera le développement de la synagogue comme lieu d’interprétation de la loi. Le pharisaïsme sera ainsi à l'origine du rabbinisme et de la mise par écrit de la Loi orale dans le Talmud.

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Satan a toujours assez facilement réussi à corrompre le clergé, le service du Temple, voire le Temple lui-même, en y introduisant des idoles étrangères. Les livres des prophètes sont assez clairs sur tout cela. Avec la diaspora et l’assemblée synagogale, un nouveau défi s’offrait à lui : corrompre l’assemblée. La voie choisie fut celle de l’enseignement par la Mishna. L’Esprit Saint n’ayant pas encore été donné, la science humaine remplaça la révélation du Verbe divin. Une compilation de toute cette science humaine noya alors la culture juive sous les flots d’un enseignement totalement faux. Il ne faut pas s’étonner alors, des paroles de Jésus à l’endroit des pharisiens, Jean 8 : « 43 Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ? Parce que vous ne pouvez écouter ma parole. 44 Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Lorsqu’il profère le mensonge, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge. 45 Et moi, parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas ».

L’attitude du peuple et de ses conducteurs religieux contre leur Mashiah, les éloignèrent toujours

d’avantage du Dieu d’Israël. En 66, la génération qui rejeta son Mashiah, se rebella aussi contre l'Empire romain et signa ainsi sa perte. Quatre ans plus tard, en 70, les légions romaines, menées par Titus, reconquirent et détruisirent Jérusalem et le Second Temple. Les Sadducéens, en partie massacrés, perdirent toute influence. Avec la victoire romaine, de nombreux juifs furent faits prisonniers et réduits en esclavage. Les liens entre le Dieu d’Israël et le Temple furent alors définitivement brisés, seul un temple spirituel pouvait désormais subsister.

Le judaïsme avait perdu son centre. Beaucoup de ses lois perdirent donc de leur sens avec la

chute du Temple. C'est à cette époque que certains traits du judaïsme se fixèrent définitivement : les disciples de Yohanan ben Zakkaï qui enseignaient, étaient appelés רבי (rabbi - mon maître). Même si son rôle se substituait quelque peu à celui des prêtres du Temple, le rabbin n'était pas un prêtre, mais seulement le plus sage de la communauté, celui qui pouvait enseigner. Les synagogues transformèrent leur rôle et passèrent de lieux de réunions à lieux de prières, la prière remplaçant le sacrifice au Temple et perpétuant la tradition. Mais l’avertissement de destruction du Temple ne suffît pas. Le judaïsme, dont le dogme empêchait la pénétration de l’Esprit Saint, puisqu’il ne reconnaissait pas Jésus comme son Mashiah, conduisit le reste des juifs de Judée à leur fin dans le pays.

L’empereur Hadrien fonda une nouvelle ville païenne Ælia Capitolina sur les ruines de Jérusalem.

Elle s'ajouta à l'interdiction de la circoncision promulguée de quelques années auparavant. La révolte éclata en 132. Son chef était Bar-Kokhba, «fils de l'étoile», ainsi surnommé par Rabbi Akiba. Il était considéré comme le Messie. Ce fut un désastre pour les Juifs de Judée. Selon Dion Cassius, si la guerre fut dure pour les Romains, ce fut bien pire pour les Juifs : « Cinquante de leurs places les plus importantes, neuf cent cinquante-cinq de leurs bourgs les plus renommés furent ruinés ; cent quatre-vingt mille hommes furent tués dans les incursions et dans les batailles (on ne saurait calculer le nombre de ceux qui périrent par la faim et par le feu, en sorte que la Judée presque entière ne fut plus qu'un désert) ». Pour les Juifs de la terre d'Israël, la défaite de Bar Kokhba fut un désastre, non seulement militaire et politique, mais aussi démographique et spirituel. La Judée était ravagée par les combats, Hadrien fit interdire la nouvelle ville d'Ælia Capitolina aux Juifs et éleva une statue de Jupiter sur les ruines du Temple. Il interdit l'enseignement de la Torah. Les rabbins furent persécutés et Rabbi Akiba fut supplicié. La province de Judée est désormais appelée Syrie-Palestine.

La disparition du Temple, de Jérusalem, puis de la Judée comme province, verra aussi disparaitre

la notion de synagogue dans le nouveau Temple que Dieu s’est désormais donné au travers des disciples de Jésus-Christ. Car les rabbins s’obstinent et définissent alors des pratiques pour que le judaïsme survive en dépit de la destruction du Temple de Jérusalem ; en particulier les 613 commandements, destinés à « inscrire le Temple au cœur de l'homme ». Cette position perpétue le souvenir de l’ancien Temple et provoque la scission avec l’Ecclésia qui prend le relai en se diffusant

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dans l’Empire romain. L’Eglise, comme nouveau Temple, verra de moins en moins de juifs se convertir, alors même que de plus en plus de grecs y adhèreront (le monde). L’assemblée sans bâtiment fixe devient alors la maison du Dieu vivant, le Temple de chair. Christ comme expression vivante de la Loi, trouve une Epouse qui vit uniquement par la foi.

Si ce n’était par pure grâce, afin de préserver un reste chez les juifs à ce moment de l’Histoire,

l’assemblée, basée sur la Mishna comme interprétation de la Loi, aurait également disparu. Mais Satan, qui a presque réussi à détruire le peuple juif en le liguant contre son Dieu, fut désormais confronté à un nouveau problème de taille. L’Eglise, malgré une persécution féroce, grandit et se diffusa rapidement dans l’Empire romain. Ne pouvant investir le royaume de Dieu, qui par nature est spirituel, il décida d’agir comme avec le peuple juif, en lui donnant une dimension terrestre qu’il pourra ainsi corrompre et contrôler. Le diable dut absolument imposer un roi, un clergé et un temple terrestre pouvant contenir l’Ecclésia, dans le but de reproduire le même schéma qu’en Israël. Et pour obtenir cette dimension, un homme va alors jouer un rôle clé dans l’histoire de la chrétienté : l’empereur Constantin.

2) L’empereur Constantin :

À l’époque de la naissance de Constantin, sans doute en 272 ou 273, le christianisme romain était

déjà en passe de s’imposer dans l’empire. En 260, l’empereur Gallien avait aboli les persécutions décidées par son père, Valérien, et avait déclaré le christianisme « religion de plein droit » (religio licita). En quarante ans, des chrétiens romains accédèrent au palais, à l’armée, ainsi qu’à l’administration provinciale et impériale. Pourtant, en 303, l’empereur Dioclétien ordonna la reprise des persécutions. Constance Chlore, le père de Constantin lui-même, était alors coempereur en Occident. Bien que n’étant pas chrétien, il était cependant bien disposé à l’égard du monothéisme, c’est-à-dire à l’idée qu’un seul dieu suprême domine tous les cultes religieux. Compte tenu de tout ceci, on comprend aisément les raisons qui poussèrent Constantin à devenir le défenseur d’une religion de plus en plus commune au sein de l’Empire.

Après le règne de Dioclétien, Constantin réalisa, en fin politicien qu’il était, l’avantage qu’il

pouvait tirer de l’unification de l’Empire, alors divisé. La forme de christianisme qui l’intéressait de plus en plus, lui offrait la possibilité de la favoriser. En effet, les religions païennes traditionnelles étaient faites de croyances diverses et, quoique toujours tolérées, elles ne pouvaient apporter l’unité que générait le christianisme. Même si sur ce point Constantin sera mis à l’épreuve, puisque la nouvelle religion sera elle-même déchirée par des divisions doctrinales. En conséquence, l’homme dont la monnaie était frappée de rector totius orbis (souverain du monde entier) établit des limites à sa tolérance : dans son désir d’unité religieuse, il s’opposa à toute version du christianisme qui ne respectait pas l’orthodoxie des canons catholiques romains.

Les chrétiens ne constituaient alors qu'une faible minorité des sujets de Constantin, répartis très

inégalement à travers l'Empire, essentiellement en Orient et en Afrique du Nord. Constantin était un empereur païen, un monothéiste honorant Sol Invictus, mais qui s'intéressa cependant depuis longtemps à la nouvelle religion, puisqu'il finit par l’adopter comme religion personnelle en 312. Sa progressive conversion s'accompagna d'une politique impériale favorable aux chrétiens. Mais le paganisme ne fut jamais persécuté. Plusieurs indices témoignent de cette évolution : il abandonna progressivement le monnayage au type de Soleil et fit fréquemment représenter sur ses monnaies des symboles chrétiens. Il reconnut les tribunaux épiscopaux et en 321, fit du dimanche un jour férié obligatoire, à l'exception des travaux des champs. L'Empereur accorda également des dons en argent et en terrains à l'Église, soutenant la construction de grandes basiliques. Constantin montra son désir d'assurer à tout prix, par la conciliation ou la condamnation, l'unité de l'Église qu'il considérait dès ce moment, comme un rouage de l'État et l'un des principaux soutiens du pouvoir. Il devint ce faisant, le véritable « président de l'Église ».

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Peu après sa conquête de Rome, « l’empereur chrétien » approuva un nouvel ordre religieux en Égypte, consacré à la vénération de sa famille impériale, les Flaviens. Cette démarche n’était pas surprenante, le culte impérial restant à la mode. Et en l’absence de motif impérieux, pourquoi changer une coutume populaire qui l’élevait dans l’estime du peuple ? Ce qu’a réussi Constantin, c’est l’adaptation des traditions existantes à de nouvelles finalités. D’après l’historien britannique A.H.M. Jones, « les institutions consacrées au culte impérial furent sécularisées sans difficulté et continuèrent à s’épanouir sous l’Empire chrétien ». À cet égard, pendant toute sa vie, l’empereur gardera le titre religieux païen de Pontifex Maximus (souverain pontife, littéralement « grand bâtisseur de pont » entre les dieux et les hommes). Sur le plan pratique, il conserva ainsi une autorité suprême sur toutes les religions y compris, bien sûr, sa version préférée du christianisme.

Il ne s’agit pas de dire qu’il ne s’écarta jamais de la pratique païenne. Par exemple, en 315, lors de

la célébration de son dixième anniversaire en tant qu’Auguste, il refusa d’autoriser des sacrifices aux dieux romains traditionnels. En revanche, le soleil procura à l’empereur, à l’instar de tant d’autres avant lui, le symbole d’une puissance porteuse de vie, d’une force et d’une lumière céleste, symbole qu’il put manipuler à son profit. En 274, l’empereur Aurélien déclara Sol Invictus (le soleil invaincu) le seul dieu suprême. On ne peut s’étonner que, peu après avoir pris la succession en 306, Constantin, empreint d’une ambition démesurée, ait fait frapper sur des monnaies la devise « Au Dieu invaincu, mon compagnon », une pratique qu’il poursuivit jusque dans les années 320. Dans le même temps, en Orient, il transforma l’antique cité grecque de Byzance à Constantinople, « la ville de Constantin », sa nouvelle capitale. La cité, revitalisée et redessinée dans le style romain, fut achevée en 330.

3) Le syncrétisme des cultes sous Constantin :

La fusion de composantes païennes et chrétiennes reste la marque de la démarche impériale à

l’égard de la religion. Le syncrétisme apparaît dans nombre des actes de Constantin, de l’architecture aux pratiques « chrétiennes ». Par exemple, au sein du nouvel hippodrome de Constantinople, il installa une colonne serpentine venue de Delphes, le cœur du culte grec, où elle se dressait dans le temple d’Apollon depuis 479 av. JC. Non loin de là, on trouvait la première borne à partir de laquelle toutes les distances furent calculées, faisant de la cité le nouveau centre du monde. Or, au-dessus de cette borne était placée une relique « découverte » en Terre Sainte par Hélène, la mère de Constantin, durant un pèlerinage. On pensait alors que ce n’était rien de moins que la «Vraie Croix» de la crucifixion de Jésus.

L’empereur ériga une autre structure, dont les vestiges sont encore visibles à Istanbul (nom

moderne de Constantinople) sous l’appellation de Colonne brûlée ou Colonne de Constantin. Haute d’une trentaine de mètres, faite de porphyre, elle se dressait sur un socle de six mètres renfermant le Palladium (trophée païen), ainsi que des reliques supposées d’origine biblique dont la cognée de Noé, le pot à onguent de Marie-Madeleine, ainsi que les restes des paniers et du pain utilisés par Christ pour nourrir miraculeusement la foule. On rapporte que toutes ces reliques étaient conservées sous une statue de la déesse Athéna ramenée de Troie par Énée, le héros grec. La colonne elle-même provenait du sanctuaire du culte solaire de l’Égypte antique, Héliopolis (la ville du soleil). Au sommet de la colonne, se tenait une statue dont le corps avait appartenu à une sculpture d’Hélios (le jeune dieu grec du soleil) réalisée par Phidias. La tête était couronnée d’un diadème radié caractéristique et ses traits ressemblaient à ceux de Constantin. L’historien britannique John Julius Norwich écrit que, dans la Colonne de Constantin, « Apollon, Sol Invictus et Jésus-Christ paraissent tous subordonnés à un nouvel être suprême : l’empereur Constantin ».

Lorsqu’en 321, Constantin instaura un jour de repos systématique dans tout l’empire, il fut sans

aucun doute enchanté d’en choisir un qui cumulait une signification pour le christianisme romain, tout en coïncidant avec sa dévotion pour Apollon. Aussi écrit-il : « Tous les magistrats, les habitants des villes et les artisans doivent se reposer le jour vénérable du Soleil ». Nulle part, il ne mentionna

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Christ ou le « jour du Seigneur » ; il ne parla que de la vénération du soleil. Jones remarque que l’empereur semblait avoir supposé que l’observance chrétienne du premier jour était un hommage au soleil invaincu.

Dans une même idée, Constantin formalisa la date de la célébration de Pâques, méthode encore

utilisée aujourd’hui : le dimanche de Pâques est le premier dimanche après la première pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps, donc lorsque la position du soleil marque le début du printemps. Cette pratique fut dès lors suivie par les Églises à Alexandrie, en Égypte, et en Occident. En revanche, les Églises d’Orient établirent la date en fonction de la Pâque juive. Même si la position du soleil entra dans le nouveau calcul, c’est probablement la haine de Constantin à l’encontre des Juifs, davantage que son adoration d’Apollon, qui l’incita au changement. Comme il l’écrivit dans un courrier récapitulatif, « Faisons en sorte de n’avoir rien en commun avec ces juifs pitoyables, assassins et parricides de notre Seigneur ». En ce qui concerne l’autre grande célébration propre au christianisme (la fête de la naissance de Christ), que l’on a déjà fait coïncider avec l’observance païenne du solstice d’hiver et avec la naissance du dieu solaire fin décembre, il ne fait aucun doute que Constantin n’en fut on ne peut plus ravi.

La « conversion » de Constantin n’intervint pas avant son lit de mort, car ce n’est que là qu’il

reçut le rite du baptême. Quoique l’on affirme souvent, les gens à l’époque avaient tendance à repousser cet engagement vers la fin de leur existence. Le mode de vie au quotidien de Constantin ne correspondit jamais à celui de Paul et des premiers apôtres à qui il prétendait se conformer. Son implication dans les exécutions de son épouse Fausta, de son fils Crispus et du beau-fils de sa sœur Lucinianus, un an après la conférence ecclésiastique de Nicée, laisse peu d’incertitude quant au fait que son système de valeurs n’avait rien à voir avec celui d’un véritable chrétien. Bien sûr, certains aspects de la croyance chrétienne influencèrent son règne, mais sa carrière prouve davantage la continuité de son adhésion païenne qu’un engagement chrétien personnel.

Norwich note qu’au terme de sa vie, l’empereur succomba sans doute à une mégalomanie

religieuse : « Instrument choisi par Dieu, il était sur le point de devenir Dieu lui-même, ce summus deus qui englobait tous les autres dieux et toutes les autres religions ». C’est peut-être pourquoi l’oscillation continue de Constantin, entre paganisme et christianisme romain, a perduré après sa mort par la reconnaissance d’autrui. Ainsi, le Sénat le déifiera, l’appelant divus comme tant d’empereurs avant lui et gravant sur des monnaies son image déifiée. Selon l’historien britannique Michael Grant, c’était là « une curieuse indication que son adoption de la foi chrétienne n’empêchait pas de conserver cette coutume païenne ». Toutefois, son office auprès de sa version préférée du christianisme fera de lui un Saint pour l’Église orthodoxe.

Constantin lui-même s’était assuré, très particulièrement, de ne pas être oublié. Il choisit,

pendant plusieurs années, de se faire appeler « Isapostolos » (égal aux apôtres). Il prévit donc d’être enseveli dans une église bâtie à Constantinople pendant son règne : l’église des Saints-Apôtres. Là, à sa mort survenue au cours de l’été 337, l’empereur fut placé dans un sarcophage entouré de chaque côté par six sarcophages dressés, supposés contenir des reliques des douze apôtres. Il est le treizième, ou mieux encore, joue le rôle de Christ lui-même au centre de ses premiers disciples. Il est Constantin le Grand, un empereur dont les prétentions à la divinité ont éclipsé l’humilité commandée par son Maître, et ce, même dans la mort. On peut également comprendre que le principe de la papauté sera révélé dans sa personne et qu’il fut l’homme qui aura ramené le christianisme sur terre.

Le symbole fut élaboré, dans un premier temps, au cours du premier concile de Nicée en 325,

réuni sous son impulsion. Il avait alors réunifié l'Empire romain après avoir vaincu Licinius à Adrianopole, en septembre 324. Se rendant en Orient, il constata aussitôt le très grand nombre des dissensions au sein du christianisme. Afin de rétablir la paix religieuse et de construire l'unité de l'Église, il décida de convoquer tous les évêques pour décider d'une loi (du grec doxa, c'est-à-dire un

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dogme) commune aux chrétiens. Ce concile, qui réunit des représentants de presque toutes les tendances du christianisme, réussit à mettre en place, de façon quasi-unanime, un socle commun de croyances, sur lesquelles le pontifex maximus aurait toute autorité. L’Eglise universelle était en train de naître sous la forme du catholicisme. Le temps l’établira dans l’Histoire.

4) La réorganisation de l’Eglise dans le catholicisme :

Il est maintenant intéressant de suivre l’adversaire dans son cheminement, alors qu’il souhaite

« construire » sur terre ce que le Seigneur appelle le royaume de Dieu. Constantin avait légalisé la chrétienté et l’avait organisé selon sa propre vision du monde. Les évêques comprirent rapidement tout l’avantage de s’appuyer sur les autorités terrestres. Ils s’organisèrent donc en conséquence.

Selon l’administration civile, l’Empire romain était divisé en provinces, chacune étant dirigée à

partir de sa métropole (littéralement « ville-mère », en grec). Selon l'administration ecclésiastique, cette désignation ne s'appliquait qu'à Rome, Antioche, Alexandrie, Nicomédie puis Constantinople (qui la remplace). À la fin du IIIème ou au tout début du IVème siècle, l’évêque de chaque métropole (ou métropolite) a pris de l’ascendant sur les autres évêques de province. Le simple fait que les évêques aient pu prendre de l’ascendant dans l’Eglise, démontre bien la dégénérescence précoce d’une partie de la chrétienté. Avant le christianisme, le terme « évêque » était utilisé pour désigner toutes sortes d'administrateurs (ce mot est la meilleure traduction) dans les domaines civil, financier, militaire et judiciaire. Les premières communautés chrétiennes étaient édifiées selon le modèle défini par les apôtres ; Ephésiens 4:11 « Et il a donné les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes, les autres comme pasteurs et docteurs, 12 pour le perfectionnement des saints en vue de l’œuvre du ministère et de l’édification du corps de Christ ». Les diacres et les évêques n’étaient désignés que pour l’administration des biens terrestres. Le simple fait que les évêques soient devenus des conducteurs spirituels, témoigne en soi que l’Esprit Saint avait déjà quitté une partie de l’Eglise, dès le IIIème siècle. Il est alors évident que c’est sur cette partie de l’Eglise que Satan va porter toute son action.

En 325, le Concile de Nicée entérinait cet état de fait : nul évêque ne pouvait ordonner un prêtre

ou un autre évêque sans l’accord de son métropolite. Le même concile affirmait aussi, pour trancher le conflit mélitien et en se référant, disait-il, à un usage déjà constitué, que trois métropolites avaient des compétences qui dépassaient le cadre de leur province : ceux d’Alexandrie, de Rome et d’Antioche. Les conciles de Constantinople (381) et de Chalcédoine (451) accordèrent le même statut de « super métropolite » (ce qui devait devenir la dignité de patriarche) aux sièges de Jérusalem et de Constantinople. Le premier échappa au pouvoir d’Antioche, qui était arien, et devint autonome. Le second obtint un rang égal à celui de Rome, qui ne gardait qu’une « primauté d’honneur ». Cette organisation se calquait sur l’administration civile : Constantinople était la capitale de l'empire d'Orient, Rome se voulait son égale en Occident (insistant spécifiquement sur une première place symbolique), Alexandrie demeurait, elle, une capitale économique incontournable.

L’organisation de l’Eglise catholique se précisa donc au fil des siècles, tout comme l’esprit

antéchrist qui l’animait. Car après avoir imposé l’évêque comme chef spirituel dans la communauté chrétienne, ils imposèrent un chef des évêques, nommé « père ». Je rappelle encore une fois l’interdiction de Jésus : Mat 23:9 « Et n’appelez personne sur la terre votre père ; car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux ». Cependant, nous retrouvons les premières traces de ce titre au début du IVème siècle, sur le cubiculum (chambre funéraire) d'un diacre nommé Severus, où on trouve l'inscription « jussu pp [papae] sui Marcellini ». Le premier évêque de Rome auquel fut attribué le titre de « pape » (ou pp, papae), est Marcellin (296-304) ; Néanmoins, le titre sera encore utilisé pour de nombreux évêques, comme le montre la désignation « Papa urbis Romae (aeternae) » (Le pape de la ville (éternelle) de Rome). Ce n'est qu'à partir du VIème siècle qu'il désigna plus spécifiquement l'évêque de Rome, comme en atteste la chancellerie de Constantinople. Elle utilisait ce titre pour les

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évêques romains. Eux-mêmes l’adoptèrent à partir de la fin du VIIIème siècle. A la fin du Xème siècle, au cours d'un concile qui se tint à Pavie en 998, Grégoire V demanda à l'archevêque Arnolfe II de Milan de ne plus utiliser ce titre. C'est Grégoire VII (1073-1085) qui édicta un Dictatus papae réservant l'usage du terme à l'évêque romain.

L’esprit antéchrist avait inversé les rôles dans la direction de l’Eglise, en donnant la primauté à

l’évêque, puis à un pape. Il lui fallait maintenant verrouiller cette nouvelle administration, en lui donnant un semblant de coloration biblique. Le prestige éminent de l'évêque de Rome dans la chrétienté, depuis l'antiquité paléochrétienne, réside avant tout en la présence supposée des tombeaux de Pierre et Paul de Tarse dans cette ville. L'un se trouverait au Vatican, près de l'ancien cirque de Néron, et l'autre sur la via Ostiense, aux portes de Rome. Dans les premiers siècles de notre ère, Rome devint ainsi ville de pèlerinages « ad limina apostolorum ». L'Église romaine a toujours revendiqué une fondation apostolique qui sera utilisée pour revendiquer l'autorité magistérielle dont elle se prévaut. Le premier à utiliser cette expression de « Siège apostolique » (Sedes apostolica) est l'évêque Libère (352-366).

Partant du Siège apostolique, la théologie catholique fait remonter la lignée des papes à l'apôtre

Pierre. Elle affirme que le rôle de l'apôtre, de présider à l'unité de l'Église, a été énoncé par le Christ dans Matthieu 16:18-19 : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église [...] je te donnerai les clefs du Royaume des cieux » ; et dans l'évangile de Jean, par les paroles suivantes : « Simon [Pierre], [...] Pais mes agneaux, [...] Pais mes brebis ». Mais ni Jésus, ni l’apôtre Pierre lui-même, n’ont jamais affirmé que Pierre fût le chef désigné de l’Eglise, bien au contraire. Il s’agit là d’une des pires perversions de l’esprit antéchrist qui anime le catholicisme. Il faut revenir à la source du texte pour comprendre que c’est exactement du contraire dont il s’agit.

Afin de comprendre le sens du propos de Jésus, il est indispensable de revenir au jeu de mots

utilisé en hébreu, par allitérations : Les paroles « Heureux es-tu, Simon fils de Jonas […]. Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise », se disent en hébreu : « ashreikha shim’on benyona […] atah eben veal eben zo ebneh benyoni ». Le mot « pierre » possède une forte symbolique de transmission de la Tradition de « père en fils ». Le simple mot Eben ( ) porte en lui cette notion : (AB) c'est le Père, (BN) c'est le Fils ; d'où l'idée du lien indestructible entre un père et son enfant. Cette notion essentielle nous renvoie donc directement au verset précédent, Matthieu 16:16 « Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Jésus commente donc la réponse de Pierre et en aucun cas ne l’investit comme chef de l’Eglise. Au contraire, Jésus explique à Pierre que l’Esprit Saint lui a révélé qui Il était réellement et que c’est sur cet Esprit, cette révélation, que l’Eglise doit se bâtir. Cela se traduit en filigrane dans le reste du texte en hébreu.

La métaphore assimilant la conception d’un enfant à celle d’une maison, d’un bâtiment ou d’une

idée, est consubstantielle à l’hébreu biblique. En hébreu BN, ou ben, c’est « fils » ; BNH, ou boneh, c’est « construire » ; BYNH, ou bynah, c’est « l’intelligence ». BT, ou bat, signifie « fille », qui est proche de BYT, ou bayt, la « maison » (et de « bâtir » en français). Il y a dans la Bible hébraïque d’innombrables assonances et allitérations qui jouent sur ces proximités et disparaissent à la traduction. D’ailleurs comment l’apôtre interprète-t-il lui-même toutes ces choses : 1 Pierre 2:4 « approchez-vous de lui (Jésus), pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu (nous voyons ici que Jésus est identifié à une pierre vivante. Il est le Rocher. Observez maintenant le v. 5) ; 5 et vous-mêmes (vous, chrétiens), comme des pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce, afin d’offrir des victimes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ ».

Par le catholicisme, sa ville tutélaire Rome et son pape, Satan a reconstitué sur terre l’ancien

modèle religieux corruptible, qui prévalait en Judée du temps de Jésus. Cette gouvernance terrestre s’accentuera toujours plus au fil du temps et cherchera à donner au pape de Rome la gouvernance

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totale, sur toute la chrétienté. À la fin du Vème siècle, Gélase Ier envoya à l'empereur Anastase une lettre dans laquelle il réaffirmait la prévalence du pouvoir épiscopale sur le pouvoir royale, les deux étant encore dissociés. Après sa victoire religieuse, Satan va désormais s’acharner à obtenir la victoire politique un investissant le pouvoir séculier. La chute de l’Empire romain va lui donner l’occasion de s’exprimer dans un nouveau registre, celui du monde chrétien.

Clovis régna de 481 à 511. C'est le plus célèbre des Rois mérovingiens. Grâce à lui, la France se

convertit au Christianisme. En 496, l'Église catholique se trouvait dans une situation précaire, son existence était fragile et elle n'avait que peu de pouvoirs. Elle avait un besoin impérieux d'un soutien puissant. La soudaine conversion de Clovis fut l'œuvre de sa femme Clotilde, fervente catholique et de son confesseur St-Remy, qui servit d'intermédiaire entre Rome et le roi. L'accord qui eut lieu en 496 fut pour Rome une victoire politique qui assura la survivance de son église dans tout l'Occident. En échange, Clovis obtint l'autorisation de régner sur un « Saint-Empire romain ». Il fut baptisé par Saint-Remy en 496 à Reims, et prononça : « Mitis depone colla, Sicamber, adora quod incendisti, incendi quod adorasti » (Dépose tes colliers, Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré).

La dynastie mérovingienne se maintint sur le trône par des rois « fainéants », trop jeunes pour

posséder une quelconque autorité. Le pouvoir était alors détenu par les différents Maires du Palais. Pépin le Bref déposa Childéric III en 751 avec le soutien de l'église, trahissant ainsi le Pacte scellé avec Clovis en 496. Pour l'humilier, on lui coupa jusqu'à la racine sa chevelure sacrée. Pépin pouvait régner en paix sur le royaume. Un an auparavant, était parue la « Donation de Constantin ». Si l'on sait aujourd'hui qu'il s'agissait d'un faux, maladroitement fabriqué par la chancellerie du pape, il eut à l'époque une influence considérable. Par cette donation, datée de la conversion au christianisme, en 312 de Constantin, l'empereur faisait don à l'église de la totalité de ses droits et de ses biens. En conséquence, l'évêque de Rome devint pape et empereur à la fois, disposant à son gré de la couronne impériale et déléguant ses pouvoirs à qui bon lui semblait. L'église s'empressa alors de confirmer sa position, ainsi que celle de Pépin le Bref, en instituant une cérémonie destinée à consacrer un nouveau roi. Le pape devint le médiateur suprême entre Dieu et les rois. Couronné à Ponthion en 754, Pépin le Bref inaugura la dynastie carolingienne, dont Charlemagne est proclamé Saint-Empereur en l’an 800.

Au IXème siècle, pour étayer la nouvelle ecclésiologie d’un évêque de Rome supérieur à tout

l’épiscopat, les promoteurs du centralisme romain recoururent à nouveau à l’usage de faux : les Fausses Décrétales (ou décrétales isidoriennes, du nom de leur auteur, Isidorus Mercator), forgées de toutes pièces afin de soumettre les évêques au pouvoir de Rome, affirment mensongèrement que le pontife latin a, depuis le début du christianisme, une primauté de juridiction sur l’Eglise tout entière. Les canonistes romains s’en servirent ensuite pour justifier la doctrine de la primauté de droit divin du pape et de l’infaillibilité de son magistère. Cette doctrine sera érigée en dogme lors du concile Vatican 1, en 1870.

Les fausses décrétales représentent un ensemble de textes qui contiennent ce qu’aucun évêque

de Rome n’avait osé écrire jusque-là, à savoir que depuis toujours l’évêque romain se tenait pour l’évêque des évêques et le chef de toute l’Eglise. Avant le VIIIème siècle, il existait des décrétales signées de la main des évêques de Rome. Celles-ci ne traduisaient rien d’autre que ce que l’Eglise indivise avait toujours proclamé par la voix des conciles œcuméniques (seule autorité légitime reconnue par tous). Puis des clercs inventèrent des textes qu’ils datèrent frauduleusement des temps anciens et apportèrent ainsi la « preuve » de l’autorité exceptionnelle d’un évêque de Rome supérieur à tout l’épiscopat.

Par le mensonge, la manipulation, la séduction ou la corruption, le catholicisme s’est imposé

comme autorité religieuse. L’Epouse du Christ a désormais une rivale assise sur les sept collines de

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Rome. Elle est le pendant terrestre de ce Dieu bâtit dans le ciel. Le pape de Rome est désormais roi. Mais il lui faut un trône où exercer son autorité. Il l’obtiendra au travers de la cathèdre de la basilique Saint-Jean-de-Latran. Avec l’évêque renaît le temple de pierre, cette fois sous la forme de basilique. La trace de l’Ecclésia primitive s’estompe donc progressivement au profit d’une l’église de pierre, qui deviendra un jour cathédrale, le siège de l’autorité épiscopale.

b) Le symbole de l’orientation des églises :

Nous savons maintenant comment l’adversaire réorganisa l’Ecclésia (corps mystique du Christ) en

églises administrées par des évêques et en bâtiments à usage cultuel, toujours plus grands et plus beaux. Ce qui à l’origine était constitué de pierres vivantes, devint un édifice de pierres mortes. L’empereur Constantin fut l’un des principaux architectes utilisés par satan. Il posa les fondations de la future Eglise Universelle de Rome. Dès la paix de Constantin établie, les maisons chrétiennes où l’on célébrait la messe furent transformées en églises. Elles empruntèrent alors l’architecture des basiliques profanes, parce qu’elles aussi étaient destinées à recevoir le peuple.

1) D’où vient la basilique ?

Le nom « basilique » vient du latin « basilica » qui prend lui-même son origine dans deux mots

grecs désignant la maison du roi, ou plus spécialement, la partie de cette maison où se tenaient les assemblées publiques et où se rendait la justice. Le portique grec était à l'origine l'édifice attenant à l'agora d'Athènes sous lequel l'archonte-roi rendait la justice. On l'appelait portique du roi. Mais la basilique, elle, sera essentiellement romaine, l'édifice étant plus ancien que le mot. Sa forme primitive fut, dans les premiers temps de Rome, celle du lieu couvert où le Sénat se réunissait. Il y avait au fond une estrade sur laquelle, assis dans leurs chaises curules, les consuls rendaient la justice. Cette construction, qui était dans le voisinage du forum, en devint peu à peu le complément ; les gens d'affaires ou les promeneurs y trouvaient contre le mauvais temps un abri couvert, mais ouvert et sans murs, comme le portique grec. Les basiliques devinrent des édifices de plus en plus somptueux par la beauté de leur architecture, leurs dimensions et leur richesse. Elles furent décorées de statues, de trophées, d'œuvres d'art diverses en bronze et en matières précieuses.

Quand le Christianisme sortit des catacombes et que Constantin en fit la religion officielle de

l'Empire romain, il concéda aux évêques plusieurs basiliques, entre autres celle que le sénateur Lateranus avait fait construire au temps de Néron. Transformée en église, elle devint la première basilique de Saint Jean-de-Latran. C'est à partir de cette époque que le nom de basilique fut donné à certaines églises, anciennes basiliques romaines transformées, ou constructions nouvelles établies sur le modèle romain. Dans la basilique chrétienne la forme antique demeura, mais l'église proprement dite fut fermée par des murs. Les galeries latérales furent arrêtées avant la nef et séparées d'elle par une ouverture transversale formant avec cette nef une croix ; une arcade en voûte placée sur des colonnes fut substituée à l'architrave. Cette substitution n'avait pas eu d'exemple dans l'antiquité et servit de type aux architectures qui suivirent : byzantine, romane, gothique. Les bases architecturales menant aux futures cathédrales étaient jetées.

Mais Constantin bâtit d’autres basiliques à fort contenu symbolique, comme celle de Saint-Pierre

entre 326 et 333. Elle nécessita la démolition du Circus Vaticanus ou cirque de Caligula qui s'étendait sur la partie sud du chantier. Constantin décida de raser les sépultures de la nécropole alignées le long d'un sentier, car la tradition y fixait la tombe de saint Pierre. L'empereur pensait ainsi construire l'autel de sa basilique au-dessus de cette tombe. Alors que rien ne prouve que l’apôtre y repose vraiment, le futur culte des saints y trouvera cependant son premier fondement. Mais Constantin ne s’arrêta pas en si bon chemin, aimant lier le paganisme au christianisme, il construisit dans sa nouvelle Rome, une basilique à l’image de sa foi.

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En 324, Il décida que Byzance était parfaite pour y installer la nouvelle capitale de l’Empire. Elle fut surnommée la «Nouvelle Rome» et rebaptisée Constantinople en son hommage. C'est en l'année 325, la vingtième de son règne, qu’il fit élever la première basilique, consacrée non pas comme on le croit parfois à une sainte du nom de Sophie, mais à la Sagesse Divine (en grec : Haghia Sophia), sur un emplacement où, du temps où la ville grecque s'appelait encore Byzance, s'élevaient des temples païens.

Ainsi les premières basiliques de Constantin cimentèrent-elles, pour les siècles à venir, les

croyances apostates du catholicisme : l’idolâtrie, le culte des saints et des reliques, la prééminence de l’évêque et la fixation de l’église dans la pierre. Le royaume de Dieu, dont Jésus disait qu’il n’était pas de ce monde, fut ramené sur terre par satan. Ces basiliques, qui mêlent paganisme et christianisme et qui étymologiquement sont la « maison du roi », deviendront fort logiquement les édifices du trône de l’évêque, sa cathèdre (dont la racine du mot donnera celui du mot « cathédrale »). La basilique remplace donc l’Ecclésia originelle. En ramenant l’Eglise sur terre, le clergé catholique y a inversé la hiérarchie en nommant à sa tête un évêque. Le paganisme romain s’y entremêla dans un semblant de christianisme. Mais comme si tout cela ne suffisait pas, la structure même des bâtiments s’harmonisa à l’esprit antéchrist qui les modèle.

2) La base architecturale d’une basilique :

Constantin fut donc à l’origine des premières basiliques, dont la première de toutes, Saint-Jean-

de-Latran. Aujourd’hui, cathédrale et siège de l'évêché de Rome, dont le titulaire n'est autre que le pape lui-même, c'est la plus ancienne et la première dans l'ordre protocolaire des basiliques papales. Elle se situe hiérarchiquement devant la Basilique Saint-Pierre du Vatican, la Basilique Saint-Paul-hors-les-murs et la Basilique Sainte-Marie-Majeure. Elle porte le titre, inscrit sur le fronton, de « omnium urbis et orbis ecclesiarum mater et caput », qui signifie « mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde ». Elle est l’église mère et modèle sur lequel toutes les églises catholiques du monde seront construites.

Le nom de Saint-Jean n'est qu'un nom d'usage emprunté à la dédicace du baptistère de l'église

(qui est consacrée sous le double vocable de saints Jean Baptiste et Jean l'Évangéliste). La véritable dédicace de la cathédrale de Rome est Saint-Sauveur. Le nom tomba en désuétude au cours de l'histoire, ce qui est somme toute logique. Les premières basiliques chrétiennes datent du IVème siècle

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et leur structure s'inspirèrent du modèle civil de la vaste basilique romaine : à la fois tribunal et centre d'affaires. Son plan rectangulaire était semblable à celui du temple. Il est possible de se faire une idée de la plus ancienne église chrétienne de Rome, la basilique de Latran, grâce à une fresque antérieure à son remaniement au XVIIème siècle. La reconstitution du plan de l'ancienne basilique est présentée ci-dessous :

1 : Nef 2 : Bas-côtés 3 : Transept 4 : Abside

Les dimensions du rectangle constitué de la nef et des bas-côtés sont dans un rapport

approximatif de 1 à 4. Prolongé jusqu'aux limites de l'abside, le rectangle reproduit exactement le rectangle solsticial. L'édification des basiliques romaines et romanes a donc dû s'appuyer sur le dessin d'un rectangle en rapport avec les levers et les couchers du soleil, à six mois d'intervalle. La date choisie pour le relevé du lever et coucher de soleil (dédicace) ne nous est pas connue pour les premières basiliques, mais son nom même en est une bonne indication. Que la basilique soit dédiée aux deux Saint-Jean est parfaitement significatif : Jean le Baptiste est fêté le 24 juin et Jean l'Évangéliste est fêté le 27 décembre. Ce n'est par hasard que la première basilique chrétienne en appelle à deux saints célébrés aux solstices, car son axe central est-ouest suit le cheminement du soleil.

La construction des premiers édifices sacrés se faisait selon des principes d'orientation rigoureux

dont les dieux, ou leurs Maîtres d'œuvre sur terre, étaient les gardiens. La basilique « mère » de Saint-Jean-de-Latran reprit l’ancien système de construction païen à son compte et servit de modèle aux futures églises catholiques.

Ainsi, lorsque le site était choisi, le Maître d'œuvre plantait

un mât dans le sol qui symbolisait l'axe vertical du lieu. À partir du pied de ce mât, il traçait alors un cercle figurant l'horizon. Au lever et au coucher du soleil, le mât projetait deux ombres sur le sol qui coupaient le cercle en deux points. Ces points déterminaient un axe orienté est-ouest, appelé « decumanus ». Le tracé de cet axe dépendait évidemment de la date du relevé

du lever et du coucher du soleil, qui signait la dédicace de l'édifice. Lorsque le soleil était à son zénith, l'ombre du mât dessinait

un deuxième axe sur le sol. Orienté sud-nord, il était perpendiculaire au premier et dénommé « cardo ». La dernière opération consistait théoriquement à relever un deuxième « decumanus » correspondant aux lever et coucher du soleil six mois plus tard. Pratiquement, il suffisait de tracer les symétriques des extrémités du premier « decumanus », par rapport au centre du cercle. Ces deux « decumanus » constituaient deux des côtés parallèles d'un rectangle inscrit dans le cercle, ses sommets devant servir de repères pour la construction de l'édifice.

A partir de là, traditionnellement, lorsqu'on décidait de construire une église, on choisissait un

saint protecteur de cet édifice (le saint patron) :

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- ce choix était souvent le fait du patron temporel de l'église, sur le domaine duquel l'église allait être construite (l'évêque, un propriétaire) ;

- pour les églises plus grandes, à partir du milieu du Moyen Âge, on plantait le grand mât à la croisée des transepts : au lever du soleil, le jour de la fête du saint patron (si cette fête se célébrait avant le solstice d'été), sinon, au coucher du soleil, le jour de cette même fête (si cette fête se célébrait après le solstice d'été). On notait alors l'ombre portée par le mât.

D'autres opérations allaient suivre : tracé du cercle dans lequel s'inscriraient les quatre piliers du

transept, tracé du cercle définissant le sanctuaire, définition de la nef.

La croisée du transept formait donc la base solaire sur laquelle le plan de l’église allait se bâtir. Si

l’on combine maintenant la base carrée des solstices avec celle des équinoxes, nous obtenons un octogone qui représente symboliquement la liaison entre le carré de terre et le cercle du ciel. Idéalement, il faudrait donc retrouver ces symboles dans l’édifice, pourquoi pas par les quatre piliers du transept solaire d’origine, surmonté d’une coupole. Ce modèle parfait se retrouve à la basilique Saint-Pierre de Rome au Vatican, où la coupole de Saint-Pierre reproduit celle du Panthéon romain, reposant sur les quatre piliers massifs du transept. L’architecture du bâtiment est donc conçue pour donner l’image du lieu où la terre rejoint le ciel, le passage obligé vers Dieu.

On peut légitimement de se demander pourquoi le clergé catholique tenait tant à donner une

base solaire à ses édifices religieux. En fait, le culte solaire est intimement lié à la raison d’être même du bâtiment, dont Constantin fut l’initiateur. Car la fusion des composantes païennes et chrétiennes reste la marque de la démarche impériale à l’égard de la religion. Le syncrétisme des actes de Constantin lia l’architecture païenne à la pratique « chrétienne ». J’en parlais précédemment dans le chapitre : Le syncrétisme des cultes sous Constantin.

Il y a donc une relation directe entre le culte solaire, le roi et l’édification des premières

basiliques. Quand Constantin ordonna la construction des premières basiliques, il commanda un modèle assurant au pontife de Rome la prérogative sur les cultes (même chrétien). Car le maître de l’empire entendait rester le chef religieux, politique et militaire. Rappelons qu’il se considérait lui-même pour un dieu. Ainsi la base solaire qui détermina le plan de l’édifice, agit comme une dédicace à l’empereur (représentant de Sol Invictus), afin de pérenniser sa fonction religieuse. Pour saisir cette notion il faut étudier l’évolution du culte de l’empereur dans son empire.

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3) Du culte solaire au culte impérial : Le culte impérial a hérité certains de ses concepts de l’Orient antique, où les rois étaient

considérés comme des fils de dieux. Le célèbre Code de justice du roi Hammurabi (vers 1792 - 1750 av. JC), de la première dynastie babylonienne, précisait comment le dieu, le roi et le peuple étaient liés : Lorsque le roi montait sur le trône, il recevait son autorité souveraine en tenant les mains de la statue du dieu Marduk. Ce dernier se dévoilait ainsi à la population à travers le roi, lequel devenaient un fils du dieu. Dès lors, son régime ne pouvait plus être remis en cause.

L’association du souverain et du soleil vint d’Égypte. Pendant l’antiquité, les Égyptiens vénéraient

Rê, le dieu soleil. Pharaon était considéré comme son fils. Il était l’intermédiaire intouchable entre le peuple et leur dieu. Les Grecs, quant à eux, n’avaient pas la même vision : leurs dieux étaient beaucoup plus humains, ils pouvaient se rendre sur terre et le régime de leurs rois n’était pas absolu. Toutefois, quand Alexandre le Grand visita l’Égypte, il fut accueilli comme le fils d’Amon-Rê, le dieu principal du pays. Il admit par la suite être le fils de Zeus, le dieu suprême et fut enseveli à Alexandrie où on l’adora comme le fils d’Amon. A mesure que son culte se répandit, des temples furent érigés en son honneur dans toute l’Asie Mineure. Ses successeurs, les Ptolémées et les Séleucides, finirent par être convaincus, eux aussi, de la légitimité de la vénération dont ils faisaient l’objet.

Il n’en fallut guère plus pour que s’instaure la vénération des conquérants romains, lorsqu’ils

succédèrent aux Grecs, dans la domination de l’Orient. Temples et statues s’élevèrent alors pour honorer Dea Roma (la déesse Rome). La graine fut ainsi plantée, et on assista à l’épanouissement du culte d’adoration d’une longue lignée d’empereurs romains. Le culte impérial fut une manière d'accoutumer les habitants de l'Empire, si dissemblables par la culture et les croyances, à respecter le pouvoir de Rome, à travers un empereur divinisé. Des cérémonies furent organisées en son honneur. C'était l'occasion, pour la communauté, de se retrouver lors des processions devant des sacrifices, des banquets et toutes sortes de spectacles.

La fonction de grand pontife procura aux empereurs un caractère sacré. Scipion l'Africain, Marius

et Sylla avaient un caractère divin dans les croyances populaires. César développa autour de lui une légende de divinité prétendant descendre de Vénus et d'Énée. Dès le début de l'Empire, Auguste (-27 à +14) mit en place le culte impérial. Il fit diviniser César et, en tant qu’héritier, il s'éleva ainsi au-dessus de l'humanité et se nomma fils d'Apollon. Il utilisa l'iconographie et les écrivains de son temps, Virgile et Horace, à des fins idéologiques. Les lettres et les arts furent ainsi mis au service de la propagande augustéenne. Il associa aussi toute la communauté au culte de ses ancêtres, devenant ainsi le père de tous, d'où son titre de « père de la patrie », une forme impériale du futur pape catholique. Auguste refusa d'être divinisé de son vivant. Mais il laissa cependant se construire des autels et des temples qui lui furent consacrés, surtout en Orient, où l’on était déjà habitué à considérer les souverains comme des dieux vivants (à condition que leurs noms soient associés à celui de Rome divinisée). À Rome, en Italie et dans les camps militaires, on rendait hommage à son Genius (génie) et à son Numen (nom). Le culte impérial se pratiqua alors ici dans des formes proprement romaines. Le mouvement se poursuivit après sa mort. Tibère (14 - 37), son successeur, développa le culte d'Auguste qui fut divinisé officiellement en recevant l'apothéose. Il créa une nouvelle classe de prêtres, les sodales augustales, pour rendre les honneurs divins à Auguste et à la famille des Jules.

A leur tour, les Antonins firent progresser la religion impériale, pour des raisons essentiellement

politiques. Pline souligna que comme Jupiter, l'empereur Trajan (98 - 117) portait les noms d'optimus et maximus. Dion de Pruse, un célèbre orateur, développa l'idée que Zeus ne s'occupait que du ciel et qu’il déléguait son pouvoir sur la terre à l'empereur. Hadrien (117 - 138) fut assimilé, en pays grec, à Zeus Olympios. La tendance à la divinisation des empereurs de leur vivant s'affirma donc de plus en plus. Leur caractère extraordinaire sera accentué par l'habitude des Antonins de diviniser les

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membres de leur famille, après leur mort : Trajan, fils adoptif de Nerva (96 - 98) fit diviniser son père naturel après sa mort ; Hadrien et Antonin (138 - 161) firent de même après la mort de leurs épouses, Sabine et Faustine 5. Le culte officiel s'organisait.

Au IIIème siècle, l'idéologie impériale évolua. Pour les habitants de l'Empire, l’empereur jouait le

rôle d’intermédiaire entre les hommes et les dieux. Dans l'idéologie officielle, il était le seul à pouvoir assurer la prospérité et la tranquillité de l’empire. Les marques de dévotion des sujets étaient très fortes : dédicaces épigraphiques et monumentales, prosternation devant sa personne ou sa statue, jeux périodiques en son honneur... En Afrique proconsulaire, la dynastie des Sévères, originaire de cette province, était particulièrement adorée. Cependant, vers le milieu du IIIème siècle, les marques de dévotion vis-à-vis de la religion impériale semblent baisser. L'empire était dans une période de guerres atroces et de récession économique. Plus inquiets de leurs situations et n’ayant plus confiance dans la divinité impériale, les Africains se mirent à pratiquer ouvertement d'autres religions, tel le Christianisme. Or, les vrais chrétiens, et les juifs par exemple, furent réfractaires aux cérémonies officielles en l'honneur de Rome ou du Genius de l'Empereur, qui exigeaient de sacrifier. Le pouvoir y vit une marque de rébellion et désigna pour traître tous ceux qui refusaient d'y participer.

Dans le troisième quart du IIIème siècle, Aurélien (270 - 275) fut l'artisan d'une réforme religieuse

qui développa la place de Sol (soleil en latin) dans le culte officiel romain et organisa à Rome le culte de Sol Invictus. La théologie solaire présentait une divinité unifiante qui ne s'opposait pas aux cultes traditionnels. L'empereur put alors « apparaître comme le représentant de cette monarchie céleste sur terre ». Il attribua son pouvoir à la volonté de la divinité : sur les monnaies d'Aurélien, on retrouve l'inscription « deus et dominus natus » (dieu, le seigneur est né). À sa suite, à partir de 287, Dioclétien et son associé Maximien, se positionnèrent comme descendants des dieux, sous les surnoms de Jovius et Herculius. Ces titres divins n'en firent toutefois pas des dieux, car Dioclétien cessa d'être Jovius après son abdication. Ces titres avaient pour but de donner une légitimité supplémentaire à l'empereur, en plus de celle des victoires militaires. Nous l’avons vu, Constantin se présenta comme chrétien après 324. Mais il resta grand pontife et continua à favoriser le culte impérial, tout en soutenant la religion chrétienne. Le cérémonial romain du IVème siècle continua à exiger de s’agenouiller aux pieds de son souverain, selon le rite de l'adoration ou proskynèse mis en place sous Dioclétien.

Si l’on quitte l’époque romaine pour demander aujourd’hui à un responsable du culte catholique,

pourquoi leurs édifices religieux sont orientés vers le soleil, la réponse donnée s’éloigner totalement de la réalité historique : « Les chrétiens ne prient pas en direction du Temple, mais en direction de l'Est : le soleil levant, qui triomphe de la nuit, symbolise le Christ ressuscité et les chrétiens y voient en même temps le signe de son retour. Dans son attitude de prière, le chrétien exprime son orientation vers le ressuscité, qui est le véritable point de référence de sa vie avec Dieu. C'est pourquoi l'orientation vers l'Est est devenue, à travers les siècles, la loi fondamentale de la construction de l'église chrétienne. Elle est l'expression de l'omniprésence de la force rassemblante du Seigneur, dont le royaume, comme celui du soleil levant, s'étend sur le monde entier… ».

« L'idée qui veut que le prêtre et le peuple doivent se regarder dans la prière n'est apparue que dans la chrétienté moderne et se trouve complètement étrangère à l'Antiquité. Le prêtre et le peuple ne prient pas l'un vers l'autre, mais vers l'unique Seigneur. Ils sont donc orientés, dans la prière, dans la même direction, vers l'Orient, un Orient entendu comme symbole cosmique du Seigneur qui vient, et, là où cela n'est pas possible, vers une image du Christ placé dans l'abside, vers une croix ou vers le ciel comme le Seigneur lui-même a fait dans la prière sacerdotale, le soir qui a précédé sa Passion (Jn 17:1)… », Joseph Ratzinger.

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A priori toute relation avec un antique culte solaire aurait disparu, au profit du seul symbole renvoyant au Christ. Cependant rien n’est plus faux, comme le prouve l’attachement des futurs papes, bien après Constantin, à pérenniser le culte solaire.

4) Confirmation du culte solaire par les papes :

Après la conquête romaine de l'Égypte, plusieurs obélisques furent transportés à Rome en guise

de trophées. Ils furent dressés devant des temples, des mausolées, ou dans des cirques pour en orner la spina. Certains furent enlevés à des temples égyptiens, comme celui de Saint-Jean de Latran qui provient du temple de Karnak ; d'autres ont été fabriqués à l'époque romaine, tel l'obélisque de la Trinité des Monts. Délaissés au Moyen Âge, les obélisques s'écroulèrent. Les papes de la Renaissance restaurèrent ces imposants monolithes, afin de les dresser devant les principaux édifices religieux de la Ville éternelle, où on peut encore les admirer aujourd'hui.

L’obélisque n’est qu’un symbole païen égyptien. Cependant, il est l’origine de tout le culte des

pharaons. Atoum-Rê se serait manifesté sous cette forme pour la première fois et l'obélisque serait un rayon de soleil figé. Dans le mythe de la création du monde en Égypte antique, en particulier dans la très ancienne cosmogonie héliopolitainne, Atoum occupait la place du démiurge1 : il ne créa pas le monde ex nihilo, mais façonna les êtres à partir de la matière préexistante et les sépara. C'est lui qui de sa semence engendra le premier couple divin, Shou et Tefnout, d'où descendirent les principaux dieux de l'Égypte antique. Atoum n'ayant aucun partenaire pour procréer, se masturba et c'est de son sperme que naquirent le dieu masculin Shou et sa sœur jumelle, la déesse Tefnout. Ainsi les dieux et les habitants de l’Egypte sont la semence solaire d’Atoum. Car à l'origine, Atoum fut le dieu soleil, mais il sera rapidement assimilé à Rê, qui finit par le remplacer dans le panthéon égyptien. La mythologie évolua avec Rê, qui vint au monde sous la forme d'un œuf. Rê sortit de l'œuf et fut aveuglé par la lumière. Cette lumière fit couler des larmes de ses yeux, d'où naquirent les premiers hommes…

L'obélisque du Vatican est un obélisque transporté à Rome par Caligula, pour orner la spina de

son nouveau cirque du Vatican. C'est le pape Sixte Quint qui décida de transporter et de restaurer ces symboles égyptiens, afin de les mettre en évidence devant les principaux édifices religieux romains. Il fit déplacer l’obélisque en 1586 jusqu’au centre de la place Saint-Pierre. Il est le seul, dans la ville romaine, à n’être jamais tombé. Il resta ainsi fièrement dressé à sa place d’origine, qui selon

1 Divinité qui donne forme à l'univers.

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une tradition immémoriale, marquait le lieu approximatif du martyre de l'apôtre Pierre. Il viendrait d’Héliopolis (la ville du Soleil), ville solaire où on adorait des divinités liées au Soleil sous la forme d'une triade : - le dieu Khépri, représentant le Soleil renaissant ;

- le dieu Rê, le Soleil à son zénith ; - le dieu Atoum, le Soleil couchant.

Ces trois divinités finirent par se confondre en une seule représentée par l'astre solaire, dont les

trois états principaux, l'aube, le zénith et le crépuscule étaient symbolisés par ces trois dieux. Le dieu, en constante transformation, fut à l'origine de la création du monde. Il renaquit chaque jour pour disparaître chaque soir et continua ainsi son cycle éternel. Il fut dans son principe, le symbole de la résurrection. La forme solaire de la place, ses rayons et son orientation ne laisse aucun doute sur les intentions des papes de Rome : utiliser l’image du Christ pour restaurer celle des divinités païennes, notamment le symbole du fils solaire.

Avec un luxe de détails inouïs, les papes de Rome ont reproduit sur la place vaticane ce que

l’Eternel s’est justement promis de détruire. Exode 12:12 « Cette nuit-là, je passerai dans le pays d’Egypte, et je frapperai tous les premiers-nés du pays d’Egypte, depuis les hommes jusqu’aux animaux, et j’exercerai des jugements contre tous les dieux de l’Egypte. Je suis l’Eternel. 13 Le sang vous servira de signe sur les maisons où vous serez ; je verrai le sang, et je passerai par-dessus vous, et il n’y aura point de plaie qui vous détruise, quand je frapperai le pays d’Egypte ». La Pâque juive est l’expression d’une délivrance, mais également la victoire de l’Eternel sur tous les dieux égyptiens, en partant du dieu Nil, jusqu’à Ramsès qui signifiait « fils de Rê ». Relever ces symboles égyptiens revient donc à défier Dieu lui-même.

Il est intéressant de suivre l’évolution du culte solaire de la basilique « mère » Saint-Jean-de-

Latran. C'est le très « chrétien » Constantin (272-337) qui, en 337 (l’année de sa mort), fit transporter l’obélisque de Thèbes jusqu’à Alexandrie, afin de l'ériger à Constantinople. Mais il n'eut pas le temps de mener à bien son projet. Son fils Constance II (337-361), son successeur, préféra l'acheminer vers Rome en 357, le destinant à la spina du Circus Maximus : le géant vint donc prendre place au côté de l'obélisque d'Auguste, actuellement obélisque de la piazza del Popolo. Il fut retrouvé en 1587, à une

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profondeur de 7 m, brisé en trois morceaux, lors de fouilles menées au Grand Cirque par le pape Sixte Quint, qui le fit restaurer et enfin ériger sur la place Saint-Jean-de-Latran l'année suivante, le 3 août 1588, par l'ingénieur Domenico Fontana. Ainsi le symbole de l’Egypte antique s’associa à la basilique pour reformer un nouveau couple solaire.

Si l’on considère que l’orientation de la basilique de Latran, construite sous Constantin, serait une

forme de dédicace à Sol Invictus et que l’érection d’un obélisque, face à l’édifice, renverrait au fils solaire, alors l’union de ces deux symboles transmettrait l’idée que celui qui trône dans la basilique serait leur personnification humaine. Ainsi, cette pensée ferait du pape un dieu vivant sur terre. Il serait le remplaçant du soleil de justice biblique, Jésus. Le fait que les papes aient produit des faux documents, comme la « Donation de Constantin » et les « Fausses Décrétales », dans le but de récupérer le titre de « pontifex maximus », confirme les pensées blasphématoires de ces religieux. Il y a donc clairement une volonté affichée d’effacer le souvenir de l’Ecclésia, comme corps mystique, au profit de l’église en pierre, et celui du Christ au profit d’un pape.

La basilique de Latran, en tant que « maison du roi », peut donc laisser porter la couronne au

vicaire (remplaçant) du Christ. Christ doit être ici pris au sens strict du terme, c’est-à-dire comme l’oint de Dieu. Cette onction divine se retrouve symboliquement dans la tiare papale. La tiare papale, appelée aussi le trirègne (en latin tiara ou triregnum), est la triple couronne des papes. La triple couronne exprime et symbolise le triple pouvoir du pape :

- le pouvoir d'Ordre sacré (en tant que Vicaire du Christ et successeur de Pierre, il nomme les évêques et est par excellence le « grand prêtre » ici-bas),

- le pouvoir de Juridiction (en vertu du pouvoir des clefs, celui de lier et délier sur la terre et au ciel),

- le pouvoir de Magistère (en vertu de l'infaillibilité pontificale). Ainsi le catholicisme ne construit pas l’Eglise du Christ sur terre, mais pérennise celui du souverain

de Rome. Comme le soleil se lève de l’est pour aller vers l’ouest, l’influence de l’évêque de Rome rayonne à travers les cathédrales du monde entier, ou selon le principe de l’allégeance mère/fille des trônes dans les églises, l’autorité du souverain pontife s’étend sur le monde en partant du cœur des villes. On comprend alors mieux pourquoi la grande prostituée est assise sur les sept collines de Rome. Car elle est le siège du trône papal. Apocalypse 17:9 « C’est ici l’intelligence qui a de la sagesse. Les sept têtes sont sept montagnes, sur lesquelles la femme est assise ». Mais qui est complété par une autorité qui se diffuse sur le monde entier. Apocalypse 17:15 « Et il me dit : Les eaux que tu as vues, sur lesquelles la prostituée est assise, ce sont des peuples, des foules, des nations, et des langues ».

Expliquons également la curieuse coutume de la bénédiction urbi

et orbi, formule latine qui signifie « à la ville et au monde » de cette autorité qui se veut universelle : elle s'applique aux actes du pape qui sont destinés à tout l'univers chrétien, mais se dit aussi de la bénédiction qu’il donne du haut du balcon de la basilique Saint-Pierre, pour signifier les deux dimensions de sa démarche en tant qu'évêque de Rome et Pasteur Universel. C’est une bénédiction solennelle qui est prononcée les jours de Pâques, de Noël et à de rares autres occasions exceptionnelles. Que le « Sol Invictus » papal reprenne les fêtes solaires babyloniennes et romaines pour ses bénédictions, donne toute sa mesure au geste du souverain pontife. Le choix du lieu est lui aussi emblématique, car la bénédiction n’est pas prononcée

dans une église, mais face à l’obélisque égyptien d’Héliopolis, qui rayonne sur la place circulaire de Saint-Pierre, comme le pape sur le monde.

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La bénédiction urbi et orbi, renvoie également à l’inscription du fronton de la basilique Saint-Jean de Latran, « omnium urbis et orbis ecclesiarum mater et caput », qui signifie « mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde ». Elle est l’église mère et modèle sur lequel toutes les églises catholiques du monde seront construites et rappelle au monde que partout où un évêque a posé son trône, l’autorité du pape s’exerce. Le monde et les villes sont donc le nouveau royaume terrestre du souverain pontife de Rome.

c) Le symbole dans la dimension spatiale :

Nous avons vu dans les paragraphes précédents, comment l’adversaire matérialise dans une

structure terrestre, ce que Dieu a dématérialisé dans un corps mystique. La volonté divine a clairement été affichée lorsque le temple fut remplacé par la synagogue, puis

lorsqu’elle poursuivit son cheminement avec le christianisme, dans la nouvelle alliance en Jésus-Christ. Former un corps mystique permet à l’Esprit-Saint de pleinement s’exprimer, car Dieu est Esprit et le cœur des hommes est Son royaume. Or, ce royaume n’est pas de ce monde. Il trouvera sa finalité quand la Jérusalem céleste descendra du ciel et révèlera à l’univers l’Epouse de Christ. Selon ce principe, l’Eglise est donc uniquement spirituelle. Seuls les dons de l’Esprit et les ministères définis dans la Bible doivent en assurer la cohésion.

Par opposition, l’adversaire s’est donc choisi une structure bien terrestre, qu’une fois établie il

peut orienter (dans le sens étymologique du terme) selon sa volonté, à savoir vers l’Orient. Car ces édifices naissent et vivent au rythme des cycles solaires, afin de rappeler que l’antique « Sol Invictus » est désormais l’autorité qui gouverne dans l’église. L’empereur romain cède sa place au souverain pontife, le trône du pape remplace l’antique pontifex maximus et la cathédrale devient le siège de l’autorité de Rome.

Puisque satan a ramené sur terre ce que Dieu a choisi de construire au ciel, il est également dans

l’obligation de liés ces édifices aux cieux, afin de leurs donner l’illusion d’une dimension spirituelle. Partant donc d’une structure horizontale sur terre, il ajoute à ses temples de pierre une dimension tripartite verticale, symbolisant l’union de 3 mondes : les morts, les hommes et le ciel. Ces 2 dimensions sont symbolisées par 2 axes, l’un horizontal et l’autre vertical, que l’on retrouve dans les cathédrales.

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1) Un axe horizontal : l’église Une cathédrale est le seul édifice qui soit né par et pour la lumière, car au Moyen Âge on était

persuadé qu’elle menait vers Dieu, la lumière du monde. Le premier cheminement vers la lumière est donc purement subjectif, car il suit celui du soleil. Nous avons déjà vu que le fidèle est invité à entrer dans une cathédrale par l’ouest, où les images du jugement dernier sont gravées sur les frontons, rappelant que le Christ jugera les hommes aux derniers jours. C’est la première image que l’on voit en arrivant devant l’édifice. Le fidèle vient donc de la nuit du couchant, qui représente le monde extérieur, la première composante tripartite du plan horizontal, pour aller vers le levant, l’est, qui représente le soleil levant du Christ ressuscité.

Les formes orthogonales qui forment la base de l’édifice, symbolisent le monde terrestre et

humain, alors que les formes circulaires ou sphériques des sommets (coupoles, dômes…) symbolisent le monde céleste et divin. La nef rectangulaire forme la seconde composante tripartite. Elle symbolise l’Ecclésia, dans laquelle est confinée la communauté des croyants. La dernière et troisième partie est l’abside, du latin « absis » (voûte, arcade). Elle termine le chœur d'une église en hémicycle orientée vers l'est, qui représente le ciel. Elle figure la direction où l’on veut se rendre, celle vers laquelle les regards sont tournés et le lieu où Dieu réside.

La cathédrale, comme antimonde céleste voulu par l’adversaire, cherche donc à reproduire dans

son architecture ce que Dieu bâtit dans le ciel. Le gothique s'illustre dans des lieux publics et assume également une fonction de représentation. La cathédrale gothique, construction la plus emblématique du style, est une image de la Jérusalem céleste. Manifestation de la puissance et de la grandeur de Dieu, elle est une invitation à l'élévation spirituelle. Ce type architecturale est l'incarnation de la théologie de la lumière, élaborée par les pères de l'Église catholique (en particulier saint Augustin) et « remise » au goût du jour par un François d’Assise, qui voyait dans la nature la glorification de Dieu, et dans la lumière l'expression du divin. La cathédrale est donc avant tout un édifice de lumière et c’est de cette recherche, qui exige la légèreté des structures, qu’est né le style gothique. Il ne s’agit en aucun cas d’un accident découlant de l'évolution des techniques.

La cathédrale comme élément central de la ville, est également une représentation de la cité de

Dieu, domaine sacré, accueillant la communauté des croyants. Image du royaume de Dieu dans sa symbolique, elle l’est aussi dans sa construction même, qui met en œuvre une géométrie complexe, idéale et divine. Le plan gothique répond aux règles de la scolastique. L'édifice se divise en sections et subdivisions uniformes qui doivent renvoyer à l’image de la Jérusalem céleste. Ap 21:10 « Et il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne. Et il me montra la ville sainte, Jérusalem, qui

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descendait du ciel d’auprès de Dieu, 11 ayant la gloire de Dieu. Son éclat était semblable à celui d’une pierre très précieuse, d’une pierre de jaspe transparente comme du cristal. 12 Elle avait une grande et haute muraille. Elle avait douze portes, et sur les portes douze anges, et des noms écrits, ceux des douze tribus des fils d’Israël : 13 à l’orient trois portes, au nord trois portes, au midi trois portes, et à l’occident trois portes. 14 La muraille de la ville avait douze fondements, et sur eux les douze noms des douze apôtres de l’agneau […]. 18 La muraille était construite en jaspe, et la ville était d’or pur, semblable à du verre pur. 19 Les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce… ».

« Le mur de la Cité repose sur douze fondations, et chacune porte le nom d'un des douze Apôtres

de l'Agneau ». A partir du XIIIème siècle, il n'était pas rare de placer des statues des apôtres contre les colonnes, pour rappeler ce passage de l'Apocalypse et celui de l’apôtre Paul. « La muraille est en jaspe, et la Cité est d'or pur, aussi claire que le verre. La muraille est ornée de toutes sortes de pierres précieuses ». Les immenses verrières des églises gothiques figuraient ces pierres précieuses. Pour bien s’en rendre compte, il faut se souvenir que le verre était un matériau de très grand luxe avant le XVIème siècle. A cette époque, seuls les plus riches pouvaient se permettre des vitrages à leurs fenêtres. Par conséquent, les verrières des églises étaient des objets luxueux pratiquement aussi coûteux que des pierres précieuses, tout comme l’étaient les statues recouvertes d’or, les croix et autres objets d’or massif répandus autour du maître autel. Le chœur, quant à lui, figura Ap. 14:2-3 : « La voix que j'entendis était semblable à celle de joueurs de harpe. Et ils chantent un chant nouveau devant le Trône ».

La base de la ville est carrée et s’élève telle une pyramide vers le sommet d’où le Seigneur illumine

toute la ville. Ap 21:22 « Je ne vis point de temple dans la ville ; car le Seigneur Dieu tout-puissant est

son temple, ainsi que l’agneau. 23 La ville n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer ; car la

gloire de Dieu l’éclaire, et l’agneau est son flambeau. 24 Les nations marcheront à sa lumière, et les

rois de la terre y apporteront leur gloire. 25 Ses portes ne se fermeront point le jour, car là il n’y aura

point de nuit. 26 On y apportera la gloire et l’honneur des nations […]. 22:3 Le trône de Dieu et de

l’agneau sera dans la ville ; ses serviteurs le serviront… ». Le trône de l'évêque (la cathèdre, d’où le

bâtiment tire son nom) est placé au fond de l'abside, dans l'axe, tout comme le siège du juge de la

basilique antique. L'autel quant à lui, s'élève devant la tribune, ordinairement sur le tombeau d'un

martyr. L'évêque, entouré de son clergé, se trouve ainsi placé derrière l'autel, isolé et dépourvu de

retable et voit donc l'officiant en face. Cette disposition, où l'officiant fait face à l'Assemblée des

fidèles, explique pourquoi jusque vers le milieu du dernier siècle du Moyen Âge, dans certaines

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cathédrales, le maître-autel n'est qu'une simple table sans gradins, sans tabernacles et sans retables.

La cathédrale étant une reproduction terrestre de la Jérusalem céleste où trône Dieu, celui qui trône

dans la cathédrale (reproduction de ce qui est dans le ciel), trône également métaphoriquement sur

terre, tel Dieu dans le ciel. L’évêque est donc une reproduction de Dieu sur terre.

La dimension horizontale de la cathédrale est donc la reproduction terrestre de la voie qui mène le chrétien à Dieu.

Le livre de pierre révèle ainsi les pages les plus glorieuses de l’Apocalypse, où apparait la

Jérusalem céleste. La cathédrale devient la porte qui mène vers Dieu et le dieu de cette porte n’est autre que l’évêque qui y trône. Lorsque l’on sait que le nom de « Babylone » signifie le « dieu de la porte », les versets de l’Apocalypse prennent alors tout leur sens : Ap 17:3 « Il me transporta en esprit dans un désert. Et je vis une femme assise sur une bête écarlate, pleine de noms de blasphème, ayant sept têtes et dix cornes. 4 Cette femme était vêtue de pourpre et d’écarlate, et parée d’or, de pierres précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d’or, remplie d’abominations et des impuretés de sa prostitution. 5 Sur son front était écrit un nom, un mystère : Babylone la grande, la mère des impudiques et des abominations de la terre. 6 Et je vis cette femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus. Et, en la voyant, je fus saisi d’un grand étonnement ».

Il est vrai que l’on peut être dans l’étonnement lorsque l’on considère que la description de la

Prostituée de l’Apocalypse se rapporte à une Eglise dite chrétienne. Mais comme le catholicisme est une forme d’inversion des valeurs chrétiennes par son idolâtrie, son goût du luxe et ses meurtres de masse qui s’opérèrent au temps des cathédrales, le passage résume finalement bien les choses.

« La mère des impudiques et des abominations de la terre » renvoie directement au fronton de

Latran, qui je vous le rappelle est : « mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde ». Elle est l’église mère et modèle sur laquelle toutes les églises catholiques du monde sont construites. Elle est aussi le siège épiscopal du pape. Sur ce trône, le pape porte la tiare papale, appelée aussi le trirègne, qui est la triple couronne des papes. Elle symbolise l’autorité sur les trois mondes que confirme la structure de la cathédrale. Ce triple pouvoir s’exprime par ces trois titres, qui avaient à l'origine un accent très « temporel » ou « politique » : Père des rois, qui symbolise le monde extérieur de l’Eglise ; Régent du monde, qui est l’Eglise et Vicaire du Christ. La cathèdre et la tiare papale « couvre » l’autorité sur ces trois mondes.

L’étrange ambition de prétendre au titre de vicaire du Christ est apparue assez tardivement dans

l'histoire de la papauté. Au départ, l'évêque de Rome a déclaré être le vicaire de César, proclamant que ses successeurs seraient les héritiers légitimes des empereurs romains. La ville de Rome, siège du pouvoir impérial romain, est devenue le siège de l'autorité de l'évêque de Rome. Peu à peu, les autres évêques et les chefs des nations ont accepté de voir dans l'évêque de Rome le vicaire et le successeur de César, et de lui attribuer, tout comme à César, le titre de « Pontifex Maximus ». Par la suite, les évêques de Rome se sont attribué le titre de « Vicaire du prince des Apôtres », autrement dit « Vicaire de Pierre ». Vers le début du Vème siècle, l'évêque Innocent Ier (401 - 417) posa le principe selon lequel le Christ aurait délégué le pouvoir suprême à Pierre et l'aurait établi évêque de Rome. Plus tard, il considéra qu'en tant que successeur de Pierre, l'évêque de Rome pouvait exercer les prérogatives et le pouvoir de Pierre. Boniface III, qui devint évêque de Rome en 607, s'établit de sa propre initiative en tant qu'Evêque Universel, soutenant qu'il était le vicaire et le maître de tous les autres évêques. Mais c'est seulement au VIIIème siècle qu'on vit apparaître le titre de « Vicaire du Fils de Dieu », dans le document frauduleux (déjà mentionné) intitulé « Donation de Constantin ». Au début du XVIème siècle, la preuve fut établie que ce document était un faux. Le pape s'appropria ainsi une suprématie spirituelle et temporelle. Les porteurs d'un tel titre prirent goût aux pouvoirs divins qu'il conférait, au point de ne plus pouvoir y renoncer.

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Le « Vicaire de Christ » ne reconnaît d'autre autorité que la sienne, et se considère comme le Maître de tout. Il a l'audace de proclamer que « le Premier Siège n'est jugé par personne ».

Selon la doctrine romaine, le rôle du « Vicaire (remplaçant) de Christ » sur la terre est si vaste et si

complexe qu'il est impossible à un seul homme d'exercer un pouvoir « suprême, plénier, immédiat et universel ». Aussi la personne qui prétend être investie de ce rôle doit-elle avoir sous ses ordres une vaste hiérarchie. La pyramide hiérarchique lui étant soumise est composée de cardinaux, de patriarches, d'archevêques, de métropolitains, de coadjuteurs des archevêques, d'évêques diocésains, de vicaires épiscopaux, d'éparques, de vicaires apostoliques, de préfets apostoliques, d'administrateurs et de vicaires généraux. Quand la tête de cette structure hiérarchique vient à décéder, toutes ces fonctions continuent, sous un autre régime. La loi actuelle du Vatican stipule qu'à la mort d'un Pape, le gouvernement est confié au Camerlingue (Chamberlain), c'est-à-dire à un cardinal nommé par le Pape du vivant de ce dernier, pour assurer la fonction d'administrateur après la mort du Pontife. Le droit canonique interdit explicitement au Camerlingue d'introduire une innovation quelle qu'elle soit tant que le siège papal est vacant (Canon 335).

C’est cette hiérarchie très spéciale que

résume le passage : « la femme est assise sur une bête écarlate, pleine de noms de blasphème ». Les évêques sont vêtus en pourpre violet et les cardinaux en pourpre écarlate. Il porte la mitre, ou bonnet à corne, qui symbolisait dans l’antiquité babylonienne la divinité. A Babylone, on identifiait un dieu par le symbole des cornes, la déesse Ishtar par exemple portait quatre paires de cornes, ce qui signifiait que ce nombre élevé de cornes la plaçait toute en haut du panthéon babylonien. L’évêque, en portant la mitre, représente le vicaire de Rome, qui lui-même représente le Fils de Dieu. C’est une véritable folie blasphématrice du catholicisme. Le mensonge originel de Satan, « vous serez comme des dieux » (Genèse 3:5) atteint son comble dans cette prétention à être le « Vicaire de Christ ». Ainsi s'accomplissent à la lettre les paroles de l'Apôtre Paul sur celui « qui s'élève au-dessus de tout ce qu'on appelle Dieu... et qui va jusqu'à... se faire passer lui-même pour Dieu », (2 Thessaloniciens 2:4).

La cathédrale comme représentation de la Jérusalem céleste, et son évêque comme celui de

Christ, renvoie également à la ville éternelle, Rome, l’antique ville aux sept collines : « Les sept têtes sont sept montagnes, sur lesquelles la femme est assise », Ap 7:9. Ces sept têtes de la bête écarlate sont exaltées dans le « Tour des sept églises », qui est une expression traditionnelle et officielle d’un pèlerinage de Rome, instituée par Saint Philippe Néri le 25 février 1552. Ce tour inclut les quatre basiliques majeures de Rome ainsi que trois importantes basiliques mineures. Le nombre 7 a évidemment une valeur symbolique : il évoque le nombre des collines de Rome. En procession ou individuellement, nombre de catholiques suivront le chemin tracé par Saint Philippe Néri. En 1575, le pèlerinage aux sept églises deviendra la norme pour obtenir l’indulgence plénière du jubilé.

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En replaçant les choses à leur endroit, il apparait que le plan horizontal de la cathédrale, loin de représenter symboliquement le chapitre 21 de l’Apocalypse où apparait la Jérusalem céleste, épouse parfaitement la forme du chapitre 17 où est révélée la femme assise sur la bête écarlate.

2) Un axe vertical en 3 mondes :

2.1) Les morts :

En occident, l’art du Moyen Âge ne peut être compris sans son rapport à la géographie sacrée, à

l’histoire chrétienne dans le monde et à la place de l’homme. Tout alors est mis en œuvre pour élever sa spiritualité. Les rituels religieux rythment la vie de chacun et chaque œuvre est à comprendre dans un ensemble duquel l’homme reste humble et prêt à s’élever vers le divin (volonté théocentrique). Cette vision théologique de l’être dans l’univers cohabite avec des représentations plus scientifiques du cosmos.

La fonction de ces représentations est à l’époque essentielle. On peut citer la lettre de Grégoire le

Grand, datant de la fin du VIème siècle : « autre chose est d’adorer une peinture et autre chose d’apprendre par une scène représentée en peinture ce qu’il faut adorer. Car ce que l’écrit procure aux gens qui lisent, la peinture le fournit aux analphabètes qui la regardent, puisque ces ignorants y voient ce qu’ils doivent imiter : les peintures sont la lecture de ceux qui ne savent pas leurs lettres ». La volonté d’enseigner et de transmettre une vision chrétienne du monde conditionne les représentations religieuses.

Dès l’an mil, les petites églises rurales, les grandes églises, les basiliques, les abbayes et les

cathédrales se multiplient en occident. Ces édifices sont de style « roman » avec des voûtes en berceau et des murs épais renforcés de contreforts. Au XIIème siècle, les constructions s’élèvent et s’ouvrent à la lumière. Le gigantisme architectural devient possible grâce à l’invention de l’arc brisé (qui libère le mur de sa fonction porteuse) et donne naissance au style « gothique ». Les bâtiments s’élancent vers le ciel, dévoilant une image de l’univers au travers des niveaux qui les composent.

Nous avons vu que les cathédrales suivaient l’axe solaire, conduisant les hommes dans un axe

horizontal Est-Ouest, des ténèbres de la nuit vers la lumière du jour. Les formes orthogonales formant la base de l’édifice symbolisent le monde terrestre et humain, alors que les formes circulaires ou sphériques (coupoles, dômes…) symbolisent le monde céleste et divin. Ainsi les éléments tripartites de la cathédrale, l’extérieur, la nef rectangulaire et le chœur arrondi, symbolisent le cheminement spirituel du catholicisme médiéval.

Le même principe est repris dans l’axe vertical où les éléments tripartites de la cathédrale sont

repris au travers de la crypte (qui représente le monde des morts), de l’assemblée dans la nef et du clergé dans le chœur (qui représentent les vivants), et des vitraux et de la voute (qui représentent le ciel et les saints). La conception architecturale en une structure tripartite horizontale et verticale, complète l’enseignement par les lettres et les représentations artistiques de la compréhension de l’univers que doit s’en faire l’homme au Moyen Âge. Tout est conçu pour donner la primauté religieuse à l’Eglise catholique de Rome.

Véritables montagnes sacrées au cœur des cités médiévales, les cathédrales sont devenues une

image réduite de la création, où l’on retrouve les trois plans de l’univers. Le premier plan se développe à partir de la crypte et son reliquaire. Souvent construites sous le

chœur, elles sont le fondement de l’église à partir duquel l’édifice entier s’élance vers le ciel. Dans l’abbaye de Fleury par exemple, au cœur de l'édifice se situe la crypte et dans un pilier creux est déposée la châsse contenant les reliques du patron du lieu, saint Benoît, sans qui rien n'existerait à

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cet endroit. De ce pilier central sort la double voûte du double déambulatoire, portant le sanctuaire supérieur. Toute l'église se développe à partir de cette crypte obscure. Les reliques y furent déposées en 1108, lors de la consécration de l'autel majeur. L’église est une sorte de projection du saint qui y repose.

Le culte des saints et des reliques a

l’immense avantage de drainer vers les lieux de cultes catholiques, les pèlerins et leur argent. Du XIème au XVème siècles, les pèlerinages furent l'une des formes les plus fréquentes et intenses de la piété catholique ; ils touchèrent des milliers, des millions peut-être de chrétiens pendant plusieurs siècles, qui se mirent en route, mue par une forte et impérieuse inspiration religieuse, entretenue par la superstition et le mensonge.

Les pèlerins de Saint-Jacques, les croisés et plus encore les Battutis italiens du XIIIème siècle ou les

Flagellants1 du XIVème siècle, qui se déplaçaient de ville en ville selon des circuits sans but ultime, étaient d'abord des pénitents. Ils offraient l'image de l’ascèse répétée par des longues journées de marche comme un acte de purification, à la fois pour expier leurs propres fautes et (surtout dans le cas des Flagellants de 1348) pour entraîner les autres croyants à la conversion. Lorsque, en 1399, le riche marchand Marco Datini de Prato participe avec d'autres citoyens florentins à une procession de huit jours tout autour de la cité, c'est l'aspiration purificatrice qui l'anime et s'exprime dans les stations en différentes églises du parcours et dans le port d'une tunique de lin blanc, même si une file de mules les suit en portant les victuailles et si les pèlerins rentrent chez eux chaque soir...

Les pratiques religieuses de la pénitence ou l’achat d’indulgence sont en contradiction directe

avec le principe évangélique de la justification par la foi et non par les œuvres. Cette dérive majeure conduira directement au protestantisme, et marque d’une manière profonde l’esprit antéchrist qui anime le clergé catholique. L’Eglise catholique cherche par tous les moyens à recréer sur terre le royaume des cieux, pour s’affranchir totalement de la tutelle divine. Le culte des saints et des reliques joue alors pleinement son rôle pour ancrer la foi des fidèles sur terre, qui bâtissent des édifices toujours plus grands et nombreux. Les pèlerinages pénitentiels ont été dépassés, par l'importance de leur fréquentation et par la multiplication des lieux de destination, par les pèlerinages ad sanctos (aux saints), dont le but précis était d'atteindre un sanctuaire de dévotion. Ils sont devenus la forme dominante d'une dévotion qui s'appuya sur la perception visuelle et matérielle d'une relique ou d'un objet de culte. Le royaume des cieux se constitua désormais sur terre.

Le sanctuaire type du haut Moyen Âge, qui devient aux XI-XIIème siècles le centre d'un courant de

pèlerinage « international », est donc un lieu de culte autour du tombeau d'un saint. On va donc inventer de plus en plus de saints prestigieux, comme les apôtres, pour créer des courants de fidèles qui traversent tout le continent. En Occident, la dévotion se porte alors sur Saint-Jacques-de-Compostelle, qui devint un sanctuaire de grande réputation hors de la Galice, après qu'il fut détruit par les musulmans en 997, puis reconstruit. Le tombeau des apôtres Pierre et Paul n'attira les pèlerins d'outre-Alpes qu'à partir du IXème siècle, lorsque la papauté commença d'organiser son pouvoir temporel, et que Rome fut moins constamment menacée par les armes en Italie.

1 Les Flagellants étaient les membres d'un mouvement chrétien qui atteignit son apogée durant le XIIIe siècle et le XIVe siècle en

Europe occidentale. Ceux qui y prenaient part pensaient que la pratique de la flagellation leur permettrait d'expier leurs péchés,

atteignant ainsi la perfection, de manière à être acceptés au royaume des cieux.

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C’est au Moyen Âge que les sanctuaires de pèlerinage mariaux vont également devenir très importants. Ils sont la suite logique du culte des saints. La grande période des dédicaces mariales pour les cathédrales se situe aux VIII-IXème siècles. C'est à partir du XIème siècle que plusieurs d'entre elles devinrent des lieux de vénération renommés. Ainsi, la première cathédrale de Chartres s'édifia au-dessus d'une grotte, lieu de culte préchrétien, et d'un puits dont l'eau avait une réputation curative. Les miracles s'y multiplièrent et furent recueillis dans un manuscrit en 1194. Au Puy, la vénération et la réputation miraculeuse s'attachaient à une statue de bois, la fameuse « Vierge Noire ». La fréquentation du pèlerinage, liée à celui de Compostelle, s'accrut jusqu'à la fin du Moyen Age. 200 000 pèlerins auraient été présents, selon les chroniqueurs, lors du pèlerinage de l'Annonciation en 1407. Le culte et les pèlerinages à la Vierge permettront le financement et l’édification de nombreuses cathédrales. Jamais le titre d’âge des ténèbres n’aura alors mieux porté son nom.

Au cours du temps, les églises furent souvent transformées, voire reconstruites par le clergé

desservant, afin de s'adapter au nouveau rôle de sanctuaire de pèlerinage. Ainsi s'expliquent les singularités architecturales des cathédrales du Puy et de Chartres. Les trésors de reliques étaient souvent offerts à la contemplation des pèlerins dans la pénombre recueillie des cryptes. Au Puy, la topographie ne permettait pas de creuser une crypte sous le chœur ; les maîtres d'œuvre du XIème

siècle établirent donc un cheminement souterrain qui permit aux pèlerins, après avoir gravi le grand escalier sous le porche, de surgir dans la nef, face à la statue vénérée du maître-autel. A Chartres, l'adaptation de la cathédrale gothique s'observe par l'extension exceptionnelle de la crypte romane. Elle est constituée de deux longues galeries qui s'étendent sous l'ensemble de l'édifice et se rejoignent au-dessous du déambulatoire, et du développement très important de la partie orientale, avec double déambulatoire desservant une couronne de chapelles rayonnantes.

Le rayonnement de ces sanctuaires était exceptionnel. Ils constituaient des foyers de pèlerinage

constants. Leur notoriété s'est d'ailleurs maintenue jusqu'à nos jours. Cependant, leur existence fut loin d'épuiser l'aspiration des pèlerins. Du XIème au XVème siècle, des sanctuaires plus modestes, d'attraction régionale ou locale, se sont en effet multipliés sur tout le continent. Ils furent capables d'attirer à longueur d'année des chrétiens, qui n'hésitaient pas à parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour y parvenir. Pour les uns, qui s'en expliquent ouvertement au clergé du sanctuaire qui les interroge, ces pèlerinages représentaient une « compensation » aux « grands pèlerinages » de Terre Sainte, de Rome ou de Compostelle, que leur faiblesse physique ou financière ne leur permettait pas d'accomplir. Pour d'autres, plus nombreux encore, l'expression d'une piété vive s'accompagnait d'une croyance au miracle, obtenu grâce au pouvoir thaumaturgique des reliques conservées. Sur les principales étapes des pèlerinages de Saint-Jacques se dressait souvent une basilique funéraire qui abritait les restes d'un saint très ancien. Il suffit de penser à Saint-Sernin de Toulouse ou à Saint-Seurin de Bordeaux. A partir du XIIème siècle, l'attraction du sanctuaire fut souvent liée à la réputation de bonté et de piété d'un homme d'église, que les chrétiens tenaient pour saint dès le jour de sa mort, et que l'Eglise reconnaissait ensuite pour tel, quelquefois très rapidement.

Le culte aux morts, rebaptisé « saints » par le clergé catholique, conduisit les fidèles à édifier leurs

églises sur divers cimetières d’ossements, enfouis dans des cryptes. Ces cryptes matérialisent le premier élément tripartite de l’axe vertical des cathédrales. Elles représentent les ténèbres et la mort. Tout cela est à mettre en relation avec le chapitre IV de cette étude. Je vous rappelle qu’ayant inventé le mythe de Pierre comme premier pape, et ainsi justifié une continuité apostolique s’appuyant sur Matthieu 16:18 comme fondateur de l’Eglise catholique, (« Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle »), les religieux ont perverti le sens de ce texte, jusqu’à en faire prévaloir le séjour des morts dans leurs pratiques religieuses. Il faut bien comprendre que les doctrines, tout comme les édifices religieux catholiques, ont pour fondement la mort.

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Il est maintenant intéressant de mettre en perspective les pratiques des prêtres catholiques avec

celles des prêtres juifs, au temps où le temple de Jérusalem existait encore. Puisque les premiers ambitionnaient de supplanter les seconds. Les cohanim (prêtres juifs) formaient un groupe saint, dont le rôle était d'appliquer les rites cultuels et sacrificiels énoncés dans la Torah. Afin de les protéger contre l'impureté rituelle (qui ne se confond pas avec l'hygiène corporelle), la Torah leur a imposé des règles de pureté rituelle stricte. Ainsi, un cohen (prêtre) n'a pas le droit de toucher de cadavres. Il doit néanmoins se rendre impur pour ses 7 parents proches : père, mère, frère, sœur (uniquement si célibataire), fils, fille, conjoint. Il est interdit à un cohen de pénétrer dans un lieu ou un périmètre dans lequel pourrait se trouver un cadavre ou une partie de cadavre (Lev. 10:6, Lev. 21:1–5; Ezek. 44:20-25). Cela lui interdit l'accès à un cimetière, la participation à un enterrement, de se trouver sous le même toit qu'un cadavre (dans une maison, un hôpital, voire un home ou une maison de deuil d'une personne ne faisant pas partie de ses sept proches, tant que le cadavre se trouve sous le même toit), sauf lors d'une veillée funèbre de l'un de ses sept proches, auquel cas il ne porte pas attention à la présence d'autres cadavres. Il est interdit à un cohen de toucher quiconque ou quoi que ce soit ayant été rendu impur par contact avec un mort.

La pratique catholique du culte des morts est donc diamétralement opposée à ce qui se pratiquait

au temps du temple de Jérusalem. Le corps mystique de l’Eglise catholique, comme nouveau Temple, se bâtit donc physiquement sur un cimetière, au contact des morts, auxquels il voue un culte effréné. Je ferais remarquer au lecteur, que le seul mort auquel un chrétien devrait se référer est Jésus-Christ. Mais voilà, il n’est plus mort ! Il est ressuscité et son tombeau fut retrouvé vide. Car la mort fut justement vaincue. Nous sommes donc dans un jeu spirituel qui vise totalement à inverser les valeurs bibliques. L’adversaire impose ses règles afin d’entrainer un maximum de personnes vers la mort.

2.2) Les vivants :

Puisque nous avons posé le socle, nous pouvons désormais évoluer vers le second élément de

l’édifice tripartite de la cathédrale : les vivants. Toujours dans l’intention d’imiter sur terre ce que Dieu bâtit dans le ciel, mais toujours en inversant les valeurs bibliques, pour rester dans l’esprit antéchrist qui l’anime, l’Eglise catholique va organiser ses lieux de cultes comme une image du temple de Jérusalem, qu’elle ambitionne de remplacer. Son culte, et particulièrement son sanctuaire, va évoluer en permanence afin de se rapprocher toujours plus du culte du temple de l’ancien testament. Les premiers chrétiens ne se considéraient pas comme les instigateurs d’une nouvelle religion. Ils étaient plutôt les héritiers, les continuant de d'alliance établie par Dieu dans l'Ancien Testament. L'Épître aux Hébreux met l'accent sur la Grande Prêtrise du Christ, remplaçant de la grande prêtrise du temple. Organisés en églises de maison, ils avaient pour seul chef Christ. Le corps de l’Eglise figurait quant à lui le Temple. Le culte de l'Église catholique va bouleverser ce principe en réintroduisant le prêtre, imitant le culte de l'ancien Israël. Ils le présentèrent comme un progrès naturel. La nef de l'église chrétienne remplace alors la cour des prêtres de l'ancien temple, et le chœur remplace le Saint des Saints. On retrouve la projection d'un lieu saint spécial, mis à part du monde matériel, où Dieu et l'humanité se rejoigne dans un contact des plus intimes.

L’assemblée fut structurée selon un modèle qui n’existe plus aujourd’hui. Durant la liturgie

cultuelle des premiers catholiques, la zone entourant la table de l'autel, considérée comme lieu sacré, était séparée du restant de l'espace par divers moyens, en général un petit écran ou une cloison. Finalement, cette cloison devint plus substantielle, et en Orient, elle devint l'iconostase ou cloison d'Icônes. Dans l'Église d'Occident, le Sanctuaire était séparé de la nef par ce qui s'appellera par la suite le jubé, en anglais « rood screen ». Le mot « rood » vient du vieux mot Saxon qui signifie « croix ». Il était traditionnel dans l'Église antique, tant en Orient qu'en Occident, d'avoir une croix au-dessus de la cloison entre la nef et le chœur, placée au centre.

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Les premiers lieux de culte d’importances furent des basiliques aux murs ouverts selon le modèle romain d’alors, où une grande croix pouvait être érigée, et où les gens pouvaient se rassembler pour écouter la prédication, être baptisés et recevoir la communion. Lorsque les communautés ont grandi en taille, les basiliques ouvertes ont été remplacées par des constructions fermées. Les intérieurs de ces bâtiments étaient sculptés et peints

(comme l'étaient les croix en pierre qui les ont précédés) avec des images des Écritures et des vies de saints. La clôture du chœur a toujours servi de point central pour le regard, et dès lors, c'était habituellement la zone avec l'iconographie la plus importante. Plus la communauté était riche, meilleure était la qualité des peintures et de la statuaire. Dans les premières églises, la séparation entre la nef et le chœur était impressionnante, souvent constituée d'un mur plein avec une ouverture relativement petite menant au chœur. Normalement, ce mur était richement décoré de peintures. Avec le temps, l'ouverture arquée fut agrandie, et s'offrit une vision plus complète du sanctuaire.

Afin de continuer à maintenir la distinction entre la nef et le chœur, le jubé est devenu un

élément de premier plan. Dans les petits bâtiments où l'ouverture vers le chœur était très petite, une croix fut attachée sur le mur au-dessus de l'ouverture, mais dans les ouvertures sur le chœur de taille plus importante, une poutre était utilisée pour porter une croix au-dessus du centre de l'ouverture. Pour finir, il devint habituel d'avoir une statuaire au sommet de la poutre : un crucifix avec les personnages de Marie et de Jean de part et d'autre. La poutre au crucifix servait de partie supérieure dans ce développement du jubé. Avec le temps, les jubés sont devenus plus complexes. D'une unique et étroite paroi, ils se sont parfois développés pour devenir des plates-formes pouvant tenir le crucifix au-dessus du chœur, et où des cierges spéciaux, des statues, etc, pouvaient être exposés, et même de petits chœurs pouvaient aller pour y chanter. La partie supérieure de la paroi (grosso modo à partir d'un mètre 20 de haut) était normalement fait d'étroits piliers sculptés en bois avec une partie d'ouverture substantielle permettant de voir les actions du prêtre pendant la célébration de la messe. Durant le Grand Carême, un drap était accroché sur le jubé. Il n'était relevé que durant la célébration de la messe. Le bas du jubé était habituellement composé de panneaux fermés sur lesquels on trouvait des images diverses de saints. Les cathédrales et grandes abbayes ont développé des jubés forts élaborés, en pierre taillée, et quelques paroisses rurales avaient aussi des jubés en pierre. Cependant, le jubé en bois restait la norme des petites églises paroissiales.

La séparation de la nef d’avec le chœur avait clairement pour but d’établir un lieu saint et un lieu

très saint, afin de sacraliser au mieux l’autel dans ces nouveaux temples. Tous ces éléments confirment la volonté du clergé du Moyen Âge de reconstituer des répliques catholiques du temple de Jérusalem. C’est une régression majeure quant à l’enseignement des évangiles, Jésus Christ étant devenu la représentation de la Loi, la Parole faite chair. Une Eglise structurée de cette manière n’a donc plus rien à voir avec le christianisme originel, car il est une réminiscence de ce que Dieu a justement effacé au sein de son peuple, au profit de la nouvelle alliance. La dématérialisation du temple, au profit d’un corps de fidèles habité par le Saint Esprit, et ayant Jésus Christ comme seul Grand Prêtre, qui a offert sa propre vie comme sacrifice expiatoire, est le seul modèle chrétien enseigné dans les Ecritures.

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2.3) Le Ciel : Après le socle basé sur la mort et l’église singeant le temps de Jérusalem, il nous reste à étudier le

dernier élément tripartite : le ciel. La voute et les vitraux, éléments à la fois structurels et artistiques, vont jouer un rôle essentiel dans l’imaginaire spirituel du Moyen Âge. L'avènement du Gothique tient essentiellement à l'évolution de cette vision. Contrairement aux idées reçues, les techniques utilisées existaient déjà au temps des bâtisseurs de cathédrales. Elles ne servirent qu'à concrétiser cette nouvelle conception spirituelle. Elle modifia de fond en comble la perception du Ciel, de la Terre et du rôle de l'homme.

L'architecture romane, statique et s'appuyant principalement sur les pesées, fit place à

l'architecture gothique, dynamique et établie sur le jeu des pesées et poussées latérales. L'arc brisé permit d’alléger la construction de la voûte et par conséquent de réduire les pesées sur les piliers. L’arc-boutant permis de canaliser les poussées latérales vers les contreforts extérieurs. Lorsque l'abbé Suger (1081-1151) fut élu à la tête de l'abbaye de Saint-Denis, il entreprit de reconstruire l'église endommagée selon son idéal théologique : « Dieu est lumière et c'est dans Sa lumière que l'homme trouve la vérité ». Il fallait que la clarté du jour, image de la clarté divine, inonde l'intérieur de l'édifice. À cette fin, l'art gothique s'efforça de réduire la surface murale et de multiplier les ouvertures destinées à recevoir les verrières. Le vitrail fut alors appelé à jouer un rôle prééminent, car la lumière non seulement illumina, mais traversa tout l’édifice, pour faire corps avec la coloration. Ainsi, la clarté paisible de la cathédrale gothique dut tout aux couleurs nuancées de ses vitraux. Vitrail et style gothique sont à vrai dire presque synonymes.

L’abbaye de Saint-Denis :

L'abbaye de Saint-Denis

était la gardienne des reliques du saint et martyr Denys, qui selon la légende, convertit la Gaule au christianisme au IIIème siècle. Le saint fut vénéré comme le patron de la maison royale et son église devînt alors la nécropole des rois de France. Elle illustre parfaitement la naissance du mouvement architectural. La croisée d'ogives, l'élévation sur trois niveaux et les contrebutements, au moyen d'arcs-boutants, furent pratiqués pour la première

fois à grande échelle. Avec ses grandes arcades, son triforium ajouré et ses hautes fenêtres, cette cathédrale de lumière ne pouvait que refléter le monde d'en haut. Les gisants des rois de France font écho au monde horizontal terrestre. Ils contrastent avec le vitrail vertical s'élevant vers les hauteurs célestes. Les vitraux étaient destinés à éclairer les fidèles, à leur transmettre la lumière et à élever leur âme jusqu'aux cieux.

Au Moyen Âge, une matière, un nombre, une couleur, un geste, une personne, un animal ou un

végétal était souvent revêtu d'une signification symbolique au-delà de l'apparence. La nature divine se reflétait dans la nature et la nature humaine. Tout au long de la période médiévale et plus particulièrement gothique, les représentations figurant sur les vitraux s'appuyaient sur une

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correspondance entre l’apparent et le caché, entre le visible et l'invisible. Dès le XIIème siècle, fait rarissime, un maître verrier fut attaché à l'entretien des vitraux qui auraient coûté plus cher que la construction en pierre de l'édifice. C'est dire toute l'importance que Suger attacha à la lumière. Les sujets traités sont riches, complexes, essentiellement destinés aux moines érudits. Les grands thèmes de la façade occidentale du XIIème siècle, qui commente l'Ancien Testament comme préfiguration du Nouveau Testament, trouvent leurs aboutissements dans la verrière retraçant la vie de Moïse et dans celle que Suger nomma verrière anagogique, c'est-à-dire « qui conduit vers le haut ».

La chapelle axiale abrite le thème de

l'arbre de Jessé (cf. chap. VII), célèbre tout au long du Moyen Âge. Cette généalogie simplifiée de Jésus représente celle qui ouvre l'évangile de saint Mathieu. Mais pour Suger, c'est aussi une image idéale de la royauté. Présenté par Richelieu comme le premier grand serviteur de la monarchie, l'abbé Suger contribue à enraciner l'idée que le roi capétien est une nouvelle image du Christ sur terre. Il convient ici de développer le pouvoir extraordinaire qu’engendre le vitrail, comme outil pédagogique dans l’art sacré.

Historiquement, c'est l'abbé Suger qui

donna la formulation définitive de l'Arbre de Jessé : « un Jessé couché duquel sort un arbre, dont les branches grimpantes portent les prophètes (en qualité d'ancêtres spirituels) et les rois (en qualité d'ancêtres charnels) de Jésus ». C'est pourquoi l'Arbre de Jessé de la basilique Saint-Denis revêt une importance capitale dans l'histoire du vitrail. Cette formulation servira de modèle en France et en Angleterre durant tout l’âge des ténèbres. Rappelons que la racine de cet arbre est Jessé, la fleur est la Vierge Marie et le fruit Jésus, Messie, fils de David.

La symbolique du vitrail : Les rois (ancêtres charnels du Christ) sont inscrits dans des

carrés. Dans la symbolique, le carré représente le monde créé, donc la terre. Il est la figure du monde sensible. Son chiffre symbolique est le quatre. Le cercle, qui n’a ni commencement ni fin, est le symbole de Dieu et de l’Esprit. Dans notre vitrail, les prophètes sont inscrits dans des demi-cercles, ce sont les ancêtres spirituels du Christ. Le chiffre quatre représente la terre dans sa totalité. Dans ce vitrail, quatre rois seulement sont figurés. Ils symbolisent la totalité des rois de Juda qui ne peuvent être tous représentés ici. Le chiffre sept est le nombre parfait, signe de plénitude. Il est très présent dans ce vitrail composé de sept registres ; sept colombes entourent la tête du Christ, représentant les sept dons de l’Esprit. Ainsi on affirme autour de Jésus la perfection de l’alliance entre son humanité et sa divinité. Le nombre quatorze (2 x 7) symbolise la perfection du créé. La généalogie proposée au début de l’évangile de Matthieu est classée en trois groupes de quatorze générations. Le chiffre quatorze est le symbole de la royauté, symbolisée par David, qui en hébreu s’écrit « DVD ». Chaque lettre étant dotée d’un chiffre, on obtient alors pour DVD : 4 + 6 + 4 = 14. Quatorze prophètes sont représentés dans ce vitrail.

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La mesure politique du vitrail : Depuis Hugues Capet, les rois capétiens, dans le besoin d’assurer leur succession, prirent l’habitude de faire sacrer leur fils de leur vivant. Au XIIème siècle, Louis VI et Louis VII s’attachèrent à renforcer l’autorité de la monarchie, aidés en cela par leur premier ministre Suger, abbé de Saint-Denis, pour qui les rois de France étaient sacrés comme les rois de Juda, se transmettant le pouvoir de façon héréditaire. Par leur onction, lors de la cérémonie du sacre, ils tenaient leur pouvoir de Dieu, via le ministère de l’Eglise. Ainsi, dès Philippe Auguste, fils de Louis VII, la royauté devint héréditaire. La couleur bleue dominante du vitrail est justement la couleur qui s’affirma comme couleur royale dès ce siècle. Le bleu, couleur du ciel, associé à l’onction royale, produisit ainsi un messie, selon l’étymologie de ce terme en hébreu (un oint de Dieu). Dans le vitrail, chaque roi est encadré par deux prophètes. Les prophètes sont les conseillers des rois. Ils leur rappellent les limites morales à ne pas dépasser… Suger n’était-il pas celui qui rappelait les rois de France à leurs devoirs, jouant un peu le rôle du « prophète » ?

Tout ceci s’inscrit dans une logique plus vaste, où le pape se place au-dessus de tout et de tous,

notamment sous les pontificats de Léon IX et de Grégoire VII (1073-1085). Ce dernier en particulier, développa la doctrine de la théocratie pontificale qui portait directement atteinte à l'étendue du pouvoir royal. Trouvant en France un relais politique puissant, la papauté jugea propice d’élever en dignité les rois de France, pour peu qu’ils restent soumis au pape, allant jusqu’à sacraliser la fonction monarchique. Ces quelques lignes écrites par le Pape Grégoire IX à Saint-Louis sont révélatrices : « Ainsi Dieu choisit la France à toutes les autres nations de la terre pour la protection de la Foi catholique et pour la défense de la liberté religieuse. Pour ce motif, le Royaume de France est le Royaume de Dieu ; les ennemis de la France sont les ennemis du Christ ».

C’est en France, en raison du baptême de Clovis Ier, que le roi est considéré comme le premier

souverain de la chrétienté. Au Moyen Âge, et jusqu'au XVIIIème siècle, on le considéra comme souverain de droit divin (« par la grâce de Dieu »). On lui prêta même des pouvoirs thaumaturgiques, comme celui, par exemple, de guérir des écrouelles. C’est dès la deuxième moitié du VIIIème siècle que le sacre conféra au roi de France un caractère sacré, à l'instar des rois wisigoths ou du royaume d'Aragon. Ils sont donc devenus, grâce aux artifices mensongers catholiques, la succession logique des rois d’Israël, toutefois au sein du nouveau peuple de Dieu, représenté par le monde catholique. Le caractère messianique de Jésus fut ainsi dépossédé de ses vertus de prêtrise et de royauté, qui furent reprises par les rois de France et le pape de Rome, qui devinrent les vicaires du Fils de Dieu sur terre (les remplaçants). Jésus ne fut dès lors que le fruit de la Vierge Marie, le petit enfant qu’elle porte sur ses genoux.

La Sainte-Chapelle :

Avec Louis IX, qui fut canonisé, et la construction de la Sainte Chapelle, le mythe d’une nouvelle

Jérusalem, accompagnée d’une sainte royauté établie par l’Eglise, va atteindre son paroxysme. La Sainte-Chapelle fut édifiée sur l’île de la Cité à Paris, à la demande de Saint Louis, afin d’abriter la Sainte Couronne, un morceau de la Sainte Croix, ainsi que diverses autres reliques de la Passion, qu’il avait acquises à partir de 1239. Ce bâtiment est considéré comme un chef-d’œuvre de l’art gothique, certains auteurs estimant même qu’il marque l’apogée de cet art.

En 1239, pour le très pieux Louis IX, modèle de tous les rois chrétiens, l’achat et le dépôt en son

palais des reliques de la Passion, prestigieuses entre toutes, est un acte à la fois politique et religieux. L’acquisition de la Sainte Couronne d’épines permit au pape lui-même de dire que le Christ avait couronné Saint Louis. Le fragment acquis de la Vraie Croix, sur laquelle était mort le Christ, fut celui-là même sur lequel les empereurs de Constantinople prêtèrent serment.

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Outre ces deux insignes reliques, la collection de Saint Louis comprenait 19 autres reliques majeures liées à la Passion du Christ, faisant d’elle l’une des plus fabuleuses du monde chrétien, avec celle du Saint-Sépulcre de Jérusalem et celle de Saint-Pierre de Rome. Ce fut pour Saint Louis l’occasion de confirmer la puissance de son royaume (la France était alors l’entité la plus puissante du monde chrétien occidental, seul royaume doté d’une capitale de 200 000 habitants, ville la plus peuplée d’Europe) en légitimant sa filiation de droit divin.

Afin d’associe de manière emblématique sa foi

catholique et sa mission royale sur terre, Louis IX choisit donc d’édifier une nouvelle chapelle. Mais elle devait être un reliquaire exceptionnel, un lieu qui exprime parfaitement l’élévation de l’âme et de l’esprit de l’homme par le sacré. Le 24 mai 1244, Le pape Innocent IV lui écrivit : « Tu as entrepris de construire sur tes fonds personnels une œuvre dépassant la matière ».

Conçue comme une châsse précieuse mettant en

valeur les reliques conservées, la Sainte-Chapelle, édifiée dans le palais royal, devait également servir de chapelle royale. Elle superpose deux chapelles : l’inférieure pour les gens du commun, la supérieure pour l’entourage du roi, selon un usage courant dans la

construction des palais royaux du Moyen Âge. Dans les premiers temps, la chapelle haute n’était d’ailleurs accessible que par les galeries supérieures du palais, Saint Louis n’ayant pas fait construire d’escalier public.

La chapelle basse, dédiée à la Vierge, était accessible aux gens de service et sert de socle à la

chapelle haute. Basse de plafond, bordée de piliers massifs supportant tout le poids de l'édifice, elle n’existe que pour son utilité fonctionnelle et architecturale : permettre d’alléger au maximum la construction en supportant tout le poids de la chapelle haute. Symboliquement toutefois, tout l’édifice repose sur les fondements de la Vierge.

D'une élévation bien plus importante que la chapelle basse, la chapelle haute semble être dotée

de murs de verre. Ses murs sont totalement supprimés et remplacés par de larges baies laissant passer la lumière, seulement séparées par de minces faisceaux de piliers. Les vitraux représentent des scènes religieuses ; celles-ci ont été choisies en fonction de la place occupée par les personnages royaux au cours des offices, les vitraux évoquant le roi David ou le roi Salomon étant placés près du roi. Ils constituent un ensemble homogène, dont les dominantes rouge et bleue donnent à cette chapelle tout son éclat.

Proche des bibles vernaculaires, ce répertoire biblique et prophétique ne connaît aucun

équivalent sur verre. D’une grande subtilité théologique, il ne s’arrête pas à l’interprétation littérale des Ecritures, insiste sur les figures couronnées, les justes, les tyrans, les scènes de rituel sacré. Il a été conçu par un esprit formé à la dialectique scolastique, probablement un prédicateur de l’entourage royal. Une telle richesse iconographique rapproche ce chantier si particulier des Bibles moralisées enluminées des années 1220-1230, ces volumes illustrés de l’histoire biblique destinés à

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l’usage des rois et des reines. La Sainte Chapelle est une Bible de verre, un modèle et la quintessence de tout l’art gothique sacré.

Les scènes des vitraux représentent :

A : histoire des saintes reliques B : livre des rois C : Esther D : Judith et Job E : Jérémie et Tobie F : les visions d'Ezéchiel G : Saint Jean-Baptiste & livre de Daniel H : la Passion I : Saint Jean l'Evangéliste & l'enfance du Christ J : l'arbre de Jessé et Isaïe K : livre des Juges L : Deutéronome & Josué M : livre des nombres N : l'exode O : la Genèse

La rose (côté Ouest), de 9mètres de diamètre, représente l’Apocalypse. Au-delà du message religieux, certaines baies vitrées ont une dimension politique. C'est le cas des

baies A, B et C. La baie A présente l'histoire des saintes reliques, de la découverte de la vraie croix par Sainte Hélène, à leur arrivée en France grâce à Louis IX. Le roi de France lui-même s’intégrera dans un des vitraux, démontrant par là le caractère sacré et le rôle religieux du monarque. Le roi se positionne ainsi en propriétaire des reliques et donc en digne successeur des rois d'Israël. Ce rapprochement est encore souligné par la juxtaposition de cette image, à celle des vitraux illustrant le livre des rois (de Saül à Salomon, baie B). Dans la verrière consacrée à Judith, les inscriptions sont en français et non en latin. On peut y comprendre une volonté de s'affirmer face au pouvoir de l'Eglise. Enfin, la baie C, située au-dessus de la niche, dans laquelle Blanche de Castille prenait place pour assister aux offices, rapporte l'histoire d'Esther. Un parallèle est ainsi établi entre Blanche, qui sauva le royaume de France pendant la minorité de son fils et qui s'apprêta même à en prendre la direction durant la septième croisade, et Esther, qui sauva son peuple d'un massacre par son intercession auprès du roi perse Assuréus.

On trouve aussi dans la chapelle haute un ensemble sculpté figurant les douze apôtres. En

l'absence de place dans les ébrasements du portail, ceux-ci ont été exceptionnellement placés dans l'église. Les statues sont fixées aux piles qui supportent la voûte. La signification symbolique de cet emplacement n'est pas négligeable. Les apôtres apparaissent ici comme les colonnes de l'Eglise, métaphore utilisée par Saint Paul (Galates 2:9), ou encore comme les douze assises de la Jérusalem céleste, en référence à l'Apocalypse.

D’une dimension inégalée, les quinze baies de la chapelle haute sont une représentation

magnifique de la Bible, projetée dans le verre. Lorsque la lumière du jour les traverse, elle projette sur le dallage blanc toutes les couleurs de la Jérusalem céleste, nimbant tous ceux qui s’y trouvent. Le roi et sa mère sont comme des saints intégrés dans l’image de cette nouvelle Jérusalem, bâtie ici sur terre, comme projection de ce que Dieu bâtira dans le ciel.

Mais la chapelle ayant été élevée en gloire par le roi et l’Eglise, il fallait maintenant sceller, pour la

postérité, le mythe de cette nouvelle ville sainte et de son roi, le nouveau messie.

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Considéré comme un saint de son vivant, Louis IX fit l'objet d'une vénération dès sa mort. Des miracles furent réputés avoir lieu sur le passage de sa dépouille et un service d'ordre dut être mis en place, près de son tombeau, afin de canaliser la foule venant implorer son intercession. En 1275, à la demande de plusieurs prélats français, Grégoire X ouvre une enquête officieuse sur le défunt roi. Une autre enquête publique est ouverte par Nicolas III en 1278, puis une autre encore par Martin IV en 1281. Malgré les suppliques régulières des prélats et des souverains français, les papes tenaient à mener un procès de canonisation dans les formes. La procédure fut également ralentie par la brièveté des pontificats successifs.

Enfin, après vingt-sept années d'enquêtes et dans l'espoir d'amadouer le roi de France Philippe IV

le Bel, petit-fils de Louis IX, le pape Boniface VIII annonce la canonisation de Louis IX, sous le nom de Saint Louis de France, par deux homélies prononcées à Orvieto les 4 et 11 août 1297. Elle est officialisée le 11 août par la bulle Gloria laus. Louis IX reste plus connu sous le nom de Saint Louis. C'est le premier roi de France à avoir été canonisé.

Les ossements du roi désormais présentés comme des reliques, furent dispersées dans tout le

royaume, puis dans tout le monde chrétien. Les reliques de Saint-Louis disparurent pendant les guerres de religion : seul un doigt fut sauvé et conservé à Saint-Denis. Lors de la consécration de la cathédrale Saint-Louis de Carthage, en 1890, les reliques conservées en Sicile sont apportées en Tunisie puis, lors de l'indépendance de la Tunisie, rapportées en France et finalement déposées à la Sainte-Chapelle. Le crâne du saint roi y resta cependant dans un somptueux reliquaire, conservé dans le trésor jusqu’à la Révolution (1793). La royauté de France a donc été définitivement intégrée dans les principes bibliques, qui sont révélés dans la Sainte Chapelle, le reliquaire et les vitraux.

3) Le vrai visage des trois mondes :

Par l’architecture gothique, qui permit aux vitraux de prendre une dimension inégalée jusque-là,

l’image de verre va compléter et transcender la pierre des édifices religieux. Ces vitraux vont figurer le ciel au travers de l’expression biblique qu’ils représentent. Nous avons donc bien compris maintenant que les cathédrales ont pour ambition de représenter l’œuvre de Dieu au ciel, de répliquer la Jérusalem céleste sur terre. Elles consacrent l’autorité des papes sur l’Eglise, faisant de ces derniers les remplaçants (vicaire) du fils de Dieu, alors que l'abbaye de Saint-Denis et la Sainte Chapelle consacrent les rois de France comme successeurs des rois d’Israël et gardiens du temple. En France, le Moyen Âge permis une représentation quasi parfaite de l’antéchrist et du faux prophète décrits dans l’Apocalypse.

Il suffit de mesurer l’action de (Saint) Louis et de l’Eglise catholique de ce temps-là, pour

reconnaitre aisément l’esprit qui les animait alors. En mars 1240, à la demande du pape Grégoire IX, Louis IX organisa le « procès du Talmud », afin de statuer sur l'accusation de juifs convertis au christianisme, pour qui le Talmud contenait un certains nombres d'invectives contre Jésus-Christ et la Sainte Vierge. En 1254, il bannit de France les juifs qui refusèrent de se convertir au catholicisme. Ce décret fut annulé quelques années plus tard, en échange d'un versement d'argent au trésor royal. En 1269, il imposa aux juifs de porter des signes vestimentaires distinctifs. Pour les hommes, un rond d'étoffe jaune sur la poitrine, la rouelle, et un bonnet spécial pour les femmes. La couleur jaune était le symbole de la couleur de l'or, représentant le péché d'avarice. En mettant en garde la population, ces signes permirent de les différencier et d'empêcher ainsi les mariages mixtes.

En 1233, constatant l’inefficacité de la lutte contre les cathares, le pape comprit que les évêques

ne pouvaient en même temps lutter contre l’hérésie, exercer leur ministère et gérer leur diocèse. Le 20 avril 1233, il institua l’Inquisition, déchargeant ainsi de cette charge le clergé séculier. Il confia cette institution aux Dominicains, qui firent bientôt régner la terreur parmi les diocèses méridionaux, n’hésitant pas à brûler les cathares, favorisant les dénonciations, allant même jusqu’à déterrer les

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morts soupçonnés d’hérésie, pour mettre leur cadavre au bûcher. Au cours de l'été 1240, les Languedociens poussés à bout se révoltèrent. Le 21 juillet 1242, Louis IX décida d’intervenir, écrasant au passage la noblesse poitevine et le roi Henri III d'Angleterre à Taillebourg. Il marcha ensuite en direction du Languedoc, à la tête d'une armée et écrasa la résistance cathare. Sur le plan religieux, les conséquences directes furent l'élimination du catharisme en Languedoc, la création de l'Ordre des Prêcheurs (les dominicains) et de l'Inquisition médiévale. Sur le plan politique, le Languedoc, qui jusque-là était encore sous l'influence de la Catalogne et des Aragonais, rentra définitivement dans la sphère d'influence française. La croisade contre les albigeois eu comme ultime conséquence d'élargir le domaine personnel des rois de France, jusqu'à la Méditerranée et aux Pyrénées.

En 1244, Louis IX tomba gravement malade de la dysenterie. Il fit le vœu de partir en croisade en

cas de guérison. Rétabli, il prépara donc son départ vers les royaumes chrétiens d'Orient alors en difficulté. Il y effectuera 3 croisades. Au cours de la dernière, les croisés s'emparèrent de Carthage. Cependant, l'armée fut victime d'une épidémie dite de peste (en réalité de dysenterie). Louis IX en mourut le 25 août 1270 sous les remparts de Tunis. Son corps fut étendu sur un lit de cendres en signe d'humilité et les bras en croix, à l'image du Christ.

Guerres, meurtres, lutte contre les saints, institution de l’inquisition, culte des reliques, etc. Saint

Louis et les papes auront grandement contribué à l’édification d’une royauté antéchrist sur terre. Ils ont été la parfaite représentation inversée de la Jérusalem céleste, dont la fonction première est d’instaurer une ère de paix. Les trois mondes sur lesquels se bâtirent les édifices religieux du Moyen Âge (la mort, les vivants et le ciel) ne seront en fait que l’expression de leurs contraires. En voulant représenter le cheminement du croyant vers la lumière, ils le menèrent vers les ténèbres. En entretenant l’illusion d’une élévation vers le ciel, c’est vers la mort que tout le catholicisme fut entraîné. Les papes et principalement les rois de France, qui favorisèrent l’édification des premières cathédrales, eurent l’objectif de rematérialiser le temple et les fonctions messianiques de Jésus. Leur but : effacer l’image de l’Epouse mystique du Christ, corps et Temple de l’Epoux divin, ainsi que celle du Christ, seule tête de l’Eglise.

d) Le symbole dans la forme :

Nous avons vu que la construction d’un édifice religieux catholique s’effectue selon un code très

précis et très symbolique. Il est, à de rares exceptions près, toujours le même. L’église est positionnée dans un champ spatial, selon un ordre prédéfini, qui lui donne une orientation et une direction distinctes. Son architecture s’inscrit ainsi dans une symbolique mystique. Ce même principe va également prévaloir pour sa forme, généralement une croix.

Vue du ciel, l'église révèle donc sa forme de croix. Les catholiques précisent cependant qu’ils

n’exaltent pas n’importe quelle croix, mais la Croix que Jésus a sanctifiée par son sacrifice, fruit et témoignage d’un amour immense. Le Christ sur la Croix, a versé tout son sang pour délivrer

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l’humanité de l’esclavage du péché et de la mort. Signe de malédiction, la Croix a par conséquent été transformée en signe de bénédiction. Symbole de mort, elle a été transformée en celui de l’Amour par excellence, qui vainc la haine et la violence et engendre la vie immortelle. « O Crux, ave spes unica ! » (O Croix, unique espérance !) ; voici ce que chante la liturgie.

1) La vraie nature de la croix :

La vision que donne le catholicisme de la croix est cependant l’exact contraire de celle qu’en

donnent les Ecritures. Jésus n’a aucunement sanctifié la croix par son sacrifice et ne l’a encore moins transformé en signe de bénédiction. Elle reste dans son symbole celui de la malédiction et de la mort. Elle est la rétribution que mérite celui qui vit dans le péché et se détourne de Dieu. Ro 6:23 « Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur ». Encore une fois, le catholicisme se développe dans le principe de l’inversion des valeurs bibliques. Dans cette logique antéchrist, la croix, symbole de malédiction, devient bénédiction bien qu’il n’en soit rien. Ga 3:13 « Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, étant devenu malédiction pour nous, car il est écrit : Maudit est quiconque est pendu au bois ».

La croix est un châtiment, pas une récompense. Elle est la rétribution de tous les péchés et de

toutes les iniquités que l’homme commet dans sa vie. Dans son symbole, elle rappelle pourquoi le Christ a dû mourir. Esaïe 53:1-5 « Cependant, ce sont nos souffrances qu’il a portées, C’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ; Et nous l’avons considéré comme puni, Frappé de Dieu, et humilié. Mais il était blessé pour nos péchés, Brisé pour nos iniquités ; Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, Et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris ». La croix est également le symbole de la séparation que confère le péché d’avec Dieu. Jésus en prenant nos fautes sur lui, s’est volontairement coupé de la présence de l’Eternel, en devenant parfaitement péché à notre place. Matthieu 27:46 « Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria d’une voix forte : Eli, Eli, lama sabachthani ? c’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Le mystère de la croix prend ici toute sa dimension, l’Esprit Saint s’est retiré du Christ sur la croix, car il est parfaitement dans le rôle du pêcheur qui doit mourir pour ses fautes.

La croix n’est donc pas un aboutissement, un but à atteindre pour le chrétien, il est un passage

obligé, symbolisé par les eaux du baptême. Mais la signification du baptême ne s’arrête pas à la croix, car cette union s’applique aussi à la résurrection. En Colossiens 2:12, on peut lire cette phrase : « Ensevelis avec lui par le baptême, vous êtes aussi ressuscités en lui et avec lui, par la foi en la puissance de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. Par le baptême, vous avez été ensevelis avec Jésus. Mais vous êtes aussi ressuscités avec lui dans une vie nouvelle ». La croix est un souvenir effacé de la mémoire divine, qui permet au chrétien d’être introduit dans une vie nouvelle, empreint d’un esprit nouveau. S’arrêter à la croix et s’y maintenir, c’est rester symboliquement attaché à la mort et à la malédiction ; C’est se couper de la présence de Dieu, car n’oublions pas que les ténèbres ont accompagné l’agonie de Jésus. Mr 15:33 « La sixième heure étant venue, il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure ». Ces ténèbres représentent la nuit dans laquelle le monde est précipité, quand Dieu se détourne de lui. Bibliquement la croix représente les ténèbres, la malédiction et la mort. Je le répète encore, modeler une architecture religieuse en forme de croix, en dit long sur l’esprit qui anime le clergé qui bâtit de tels édifices.

L’Eglise comme corps du Christ, comme son Epouse véritable, est elle aussi révélée par l’esprit qui

l’anime, qui est un esprit de résurrection et de vie. L’image de la Pâque est celle de la délivrance du péché, comme celui des juifs qui sont délivrés de l’esclavage de pharaon en quittant l’Egypte. C’est le symbole d’un peuple qui sort d’un monde pour aller en conquérir un autre, attaché à une promesse divine. Mais c’est par la Pentecôte que l’Eglise entre vraiment dans le royaume de Dieu et que son corps mystique commence à s’édifier, grâce au Saint Esprit qui descend du ciel et investit ceux qui ont cru en Jésus. La Pâque symbolise donc une fin, celle de l’esclavage. C’est pour cela que Jésus est

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mort ce jour et que la croix y est à jamais associée. Ainsi, rester attaché au symbolisme de la croix, revient à perpétuer l’image de l’esclavage, l’esclavage au péché ; C’est aussi bloquer le chemin qui mène à la Pentecôte et donc à l’édification d’une Eglise bâtit non par de la pierre, mais par les âmes de ceux qui vivent par l’Esprit Saint.

2) Construire l’âge des ténèbres :

A la sortie de l’Antiquité, une nouvelle ère chrétienne va se développer. Selon des principes

diamétralement opposés, deux Eglises vont s’affronter, l’une en édifiant l’Eglise mystique du Christ, l’autre en bâtissant des édifices catholiques de pierre. Elles sont issues de deux semences et animées de deux esprits radicalement différents. Pendant 1000 ans, ces deux forces spirituelles vont s’opposer. Le catholicisme tentera d’annihiler la puissance de l’Esprit Saint en imposant par le dogme, puis par la violence, les principes qui l’animent. Sous forme de calvaires ou masqué dans la forme des églises, symbole d’un catholicisme triomphant, les croix vont fleurir dans tout l’Occident et le précipiter dans un véritable âge de ténèbres.

Pour les humanistes, le Moyen Âge est un âge de barbarie, de léthargie et de décadence. L'Église y

a exercé une autorité excessive qui a entraîné la dégénérescence de tous les arts et de toutes les cultures. Il n'y a donc rien de surprenant à ce qu’ils aient créé l'expression « âge des ténèbres » pour désigner cette période. Le XIVème siècle, dernier siècle du Moyen Âge, incarna particulièrement ce qualificatif. Apparaissant pour la première fois depuis le VIème siècle, la peste (la mort noire) qui débuta en 1347, fit mourir en 3 ans entre le quart et le tiers de la population européenne. Les crises économiques, les famines, les émeutes, les jacqueries, les guerres se succédèrent durant toute sa durée. C’est également lui qui annonça la fin de l’autorité absolue de la papauté de Rome.

Le christianisme est au cœur de l'histoire médiévale. Il modèle la pensée de cette époque,

principalement en raison de son universalisme et à cause de la montée en puissance, en Occident, de l'Église catholique, organisée autour de la papauté de Rome. Les frontières de l'Occident médiéval, qui échappent à toute unité politique, se confondent aussi avec celles de l'Église catholique. La dilatation de la chrétienté s'accompagne de la mise en place de la hiérarchie ecclésiastique (l'Église en venant à désigner cette dernière) et nous le savons, sa tête, la papauté, devient un des principaux pouvoirs en Occident.

Durant le haut Moyen Âge, les missions chrétiennes de prédicateurs isolés, appuyés par Rome

lorsqu'elle le peut, repoussent avec succès les limites politiques de la chrétienté, en amenant à la conversion des rois barbares et en s'appuyant sur l'influence des rois chrétiens (comme les rois francs, dont l'adhésion au christianisme remonte à Clovis, cf. chap. IV). Mais leur dernière préoccupation, qui est de faire entendre le message du Christ aux peuples, demeure un objectif des plus difficiles à quantifier. Elle est le plus souvent l'œuvre de simples moines, comme Colomban en Gaule, Augustin de Canterbury dans le Kent ou Boniface en Frise. Après l’œuvre d’évangélisation de base, les premières églises se bâtirent, grandirent et un clergé s’y développa. Lorsque les cathédrales commencèrent à s’implanter au cœur des villes, l’influence de Rome et du pape pu alors s’imposer. La taille des édifices fut en relation directe avec l’autorité grandissante de l’Eglise de Rome, qui instaura une véritable théocratie en Occident.

Le symbole de la croix s’est désormais imposé partout en Occident, telle une victoire du

catholicisme sur toutes les autres formes de christianisme. Etant bien enracinée au cœur du Moyen Âge, la croix, dans son expression la plus cruelle et la plus meurtrière, va alors donner sa pleine mesure à l’esprit qui l’anime, au travers des croisades. Car défendre le Christ au travers du symbole de la mort ne peut mener qu’à la mort. Les croisades du Moyen Âge ne seront rien d’autre que des pèlerinages armés, prêchés par le pape. La vision traditionnelle identifie l'époque des croisades à la période 1095-1291, du concile de Clermont, à la prise de Saint-Jean-d'Acre, et se limite aux

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expéditions dont l’objectif fut la Terre sainte et l'Orient pour théâtre d'opérations. Il est cependant nécessaire de lui attribuer une définition bien plus large : toutes les guerres contre les Infidèles et les hérétiques, sanctionnées par le pape qui y attache des récompenses spirituelles et des indulgences, sont des croisades.

Les croisades ne se dirigèrent pas uniquement contre des ennemis extérieurs, comme les

musulmans, mais également contre les ennemis intérieurs que furent les juifs et tous ceux qui contestent l’autorité de Rome. On les nomma hérétiques. Dès l'origine de la croisade, l'expédition fut une entreprise féodale réservée à la chevalerie. L'accomplissement du vœu de croix devint une étape indispensable à la formation du parfait chevalier. Dans l'imaginaire chevaleresque, le Christ devint le parfait Seigneur pour lequel on pouvait se sacrifier. Le chevalier croisé est donc un miles christi, « un chevalier du Christ ». Les chroniqueurs comparèrent les croisés au peuple élu qui écrivait une nouvelle histoire sainte et cherchait à établir un royaume de Dieu sur terre.

Le pèlerin reçut des privilèges spirituels et matériels constituant le statut du croisé. Lors de la

première croisade, Urbain II promit à celui qui mourrait en chemin ou au combat, la rémission des péchés, et à ceux qui accomplirent le vœu de croisade l'indulgence plénière. À partir d'Innocent III, les canonistes élaborèrent une doctrine cohérente de la croisade. Ils justifièrent ainsi la guerre sainte, pourtant contraire au message évangélique, en arguant que les infidèles avaient occupé la Terre consacrée par la mort du Christ et maltraité des chrétiens. La guerre de conquête et les conversions forcées furent justifiées par l'impossibilité des missionnaires chrétiens de propager la parole de Dieu en terre musulmane. Il fallait donc la conquérir pour pouvoir annoncer l'Évangile. Les canonistes fixèrent aussi une hiérarchie des indulgences suivant le temps passé en Terre sainte : deux ans pour une indulgence plénière. Avec le quatrième concile du Latran, l'indulgence plénière fut étendue à ceux qui contribuèrent à la construction de bateaux pour la croisade, alors que jusque-là, seuls les combattants en bénéficiaient. C'était un appel direct aux armateurs de villes italiennes. Les décisions avaient pour but d'associer toute la chrétienté à l'idéal des croisades et pas uniquement les combattants. Il suffit pour cela d'aider financièrement à l'organisation de la cinquième croisade. En proposant à tous les fidèles de participer à la croisade par la prière, le don ou le combat, le pape inaugura la spiritualisation de la croisade. La bulle quantum praedecessores stipula que le croisé, sa famille et ses biens étaient placés sous la protection de l'Église.

Le fait que des milliers d'hommes et de femmes se mirent en mouvement et aient accepté de

braver le danger et la souffrance pour l'amour de Dieu, est la preuve que les masses humaines de la fin du XIème siècle étaient très réceptives à la promesse de l'indulgence plénière. Elles avaient encore plus l'espoir que la récupération du Saint-Sépulcre serait le début d'une ère nouvelle dans l'histoire de l'Église et du monde. L'attente eschatologique et millénariste était très forte dans le peuple. Empêcher la venue de l'Antéchrist et hâter la parousie faisaient partie de ses préoccupations. Ceux qui répondirent à l'appel de la croisade, étaient aussi convaincus que Dieu leur avait assigné une tâche : libérer les lieux saints et purifier le monde du mal, afin de préparer Son retour. Les armes de la victoire étaient pour ces masses la pénitence, symbolisée par la croix cousue sur le vêtement, les jeûnes, les prières et les processions, d'où les nombreuses mortifications que s'infligèrent les pèlerins. Les croisades révélèrent pour la première fois en Occident l'existence d'une spiritualité populaire tournée vers l'action, moyen de gagner le salut. Le catholicisme réussit ainsi à imposer l’idée que le salut se gagnait par les œuvres et non par la foi seule en Jésus Christ. L’idéal même que les croisés défendaient est celui-là même qu’ils pensaient combattre. Encore une fois, le sens des valeurs bibliques fut totalement inversé.

On en viendra à un point tel, qu’au nom de la croix et du pape, de véritables croisades seront

organisées pour détruire ceux qui cherchent à bâtir l’Eglise avec le seul concours du Saint Esprit. Le pape ordonnera de combattre l’hérésie dans le sud de la France en partant en croisade contre les

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albigeois, les vaudois, les hussites en Bohème, héritier de John Wyclif, le grand précurseur de la Réforme, qui sonnera le glas du catholicisme triomphant du Moyen Âge.

Entrainé par une théologie trompeuse et un clergé apostat, le fidèle catholique est donc toujours

mené sous une forme ou une autre vers la croix. Quand il entre dans une église catholique, il fait même partie intégrante de cette croix, car l’édifice entier prend sa forme. Implanté au cœur des cités, c’est toute la communauté qui vit à son ombre. La malédiction et la mort qui la représente se répandent alors dans toute la société, ce qui explique les malheurs sans fin qui ont accompagné tout le Moyen Âge, jusqu’à la réforme protestante.

D) La Lumière, manifestation de Dieu sur terre : « Dieu est lumière et l’intérieur de son église préfigure la Jérusalem céleste dont les murs, selon le

texte de l’Apocalypse, sont construits de pierres précieuses. Le vitrail établit l’espace entier dans le scintillement de l’orfèvrerie liturgique. Il en fait l’écrin d’une gloire annonciatrice des splendeurs surnaturelles, il transporte l’âme dans l’émerveillement ». Voilà ce qu’écrivit Georges Duby dans l’Europe des cathédrales.

Nous avons vu dans le chapitre précédent, à travers l’abbaye de Saint-Denis et la Sainte Chapelle,

qu’au-delà du désir d’éclairer l’intérieur des églises, les vitraux répondent avant tout à une logique symbolique. Il convient d’élever un peu plus notre point de vue, et d’étudier plus en profondeur ces vitraux, qui poussent un peu plus les regards vers le ciel, suivant ainsi la direction de notre axe vertical.

a) Le vitrage, un luxe coûteux et rare :

Dès l’Antiquité, la lumière est associée au divin (Égypte et Grèce antique). Les réflexions de Platon

sur ce sujet sont reprises notamment par Saint Augustin, qui adapte au christianisme ces pensées païennes. Dans un même esprit, l’abbé Suger insiste sur le rôle des vitres colorées. Pour tous ces théologiens, la lumière est une manifestation physique de Dieu sur terre, et les couleurs renforcent son caractère sacré. De plus, lorsque le fidèle entre dans l’église, il a l’impression de se trouver dans la Jérusalem céleste, que la Bible dit bâtie avec des pierres précieuses, lesquelles sont imitées par le

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verre coloré. Les vitraux contribuent ainsi à rappeler au fidèle la présence de Dieu dans l’église et à élever son âme vers le monde céleste et spirituel.

Il convient de ne pas regarder le vitrail avec un œil contemporain, mais bien avec celui de

l’homme du Moyen Âge, qui comme nous l’avons déjà mentionné, voyait dans le vitrage un produit de luxe, réservé aux rois ou aux nobles richissimes. Quel type d’ouverture caractérisait donc les édifices civils avant la construction des cathédrales gothiques ?

Avant cette période, pour le château qui privilégie exclusivement sa fonction défensive, l’éclairage des pièces à vivre constitue un réel danger. Abritée derrière les remparts de la ville, la maison patricienne ne connaît pas le même dilemme, et les percements y sont plus généreux et plus intéressants. Étant donné que dans la maison simple du type « masure », il n’existe que de sommaires ouvertures, totalement privées de vitrage, il n’était même pas envisageable d’installer des vitres, tant le coût en était prohibitif. Durant les temps d’hiver, les fenêtres des demeures reçoivent donc, en protection relativement translucide, des écrans opaques qui occupent soit leur partie inférieure, soit la totalité de l’ouverture. Les livres des comptes des frères Bonis, marchands de la ville de Montauban, nous confirment qu’au XIVème siècle les « étamines » restent le moyen le moins onéreux et le plus répandu de se protéger du froid. Étamines ou toiles cirées pour fenêtres sont vendues par les merciers.

La conquête des verrières se résume quasi exclusivement au contexte religieux. Il faut se garder

de considérer qu’à partir de l’époque carolingienne, période présumée de la création des premiers vitraux, les églises se dotent uniformément et entièrement de parois vitrées. Avant le milieu du XIIème siècle, dans le nord comme dans le sud du royaume, les vitraux religieux s’avèrent extrêmement rares et n’ont dû représenter que quelques exemples d’exception. Vers 1140, le chantier de Saint-Denis, aux portes de Paris, consacre leur usage dans les édifices de culte. Si de rares verrières ont existé dans des abbayes ou des cathédrales romanes septentrionales, et parfois méridionales, c’est le passage à l’architecture gothique qui les impose dans les sanctuaires.

b) Une réplique de la Jérusalem céleste :

Le vitrail d’une cathédrale s’assimilait plus à un joyau de verre qu’à un simple vitrage, tant son

coût était exorbitant et sa fabrication longue et complexe. Ce que le simple fidèle voyait en entrant dans une cathédrale, c’était le scintillement multicolore des joyaux exposés dans les fenêtres, qui se reflétait dans tout l’édifice religieux. Le but recherché était naturellement de renvoyer l’image d’Apocalypse 21:10 « Et il me montra la ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel d’auprès de Dieu, 11 ayant la gloire de Dieu. Son éclat était semblable à celui d’une pierre très précieuse, d’une pierre de jaspe transparente comme du cristal. 12 Elle avait une grande et haute muraille. Elle avait douze portes, et sur les portes douze anges, et des noms écrits, ceux des douze tribus des fils d’Israël : 13 à l’orient trois portes, au nord trois portes, au midi trois portes, et à l’occident trois portes […]. 18 La muraille était construite en jaspe, et la ville était d’or pur, semblable à du verre pur. 19 Les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce : le premier fondement était de jaspe, le second de saphir, le troisième de calcédoine, le quatrième d’émeraude, 20 le cinquième de sardonyx, le sixième de sardoine, le septième de chrysolithe, le huitième de béryl, le neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, le onzième d’hyacinthe, le douzième d’améthyste. 21 Les douze portes étaient douze perles ; chaque porte était d’une seule perle. La place de la ville était d’or pur, comme du verre transparent. 22 Je ne vis point de temple dans la ville ; car le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple, ainsi que l’agneau. 23 La ville n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer ; car la gloire de Dieu l’éclaire, et l’agneau est son flambeau. 24 Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire ».

Les vitraux se font donc l’écho direct de la Parole scripturale. Ils sont l’image des mots, comme la

sculpture l’est de la pierre. Ainsi se révèle la véritable nature et la raison de la dimension gigantesque

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des cathédrales gothiques : rendre au travers des claires-voies l’invisible visible ; transformer l’intérieur de l’édifice en livre de verre, comme les sculptures transforment l’extérieur en livre de pierre. Les vitraux permettent aux fidèles de « lire » la Parole de Dieu. Ils permettent l’accès de ce qui est normalement réservé aux instruits, notamment le clergé, qui en profite évidemment pour illustrer son catéchèse. Au IVème siècle, le pape Grégoire le Grand écrivait : « L'art de la peinture est utilisé dans les églises pour que ceux qui ne savent pas lire apprennent sur les murs ce qu'ils ne peuvent apprendre dans les livres » (Reg. IX, 208). De même, Saint Bernard lui-même admet que « l'art est un aliment pour la piété du pauvre peuple » (Apologia CXII).

Il ne faut pas oublier, que la pratique liturgique de ce temps, implique des lectures quotidiennes

de sermons et de commentaires aux offices. En bref, il s’agit d’un véritable « bain » intellectuel, dans lequel chaque jour les homélies reprennent les exégèses, les complètent et les méditent. Nous sommes loin de pouvoir imaginer une telle fermentation. Quelles en était leurs teneurs quotidiennes ?

Selon une tradition exégétique immuable, on discernait partout des allusions symboliques, on expliquait l'Evangile par l'Ancien Testament et l’on rapprochait la vie des saints à celle de Jésus Christ. On cherchait inlassablement à tisser des liens entre les personnages bibliques et les héros des légendes hagiographiques, à trouver des correspondances entre les événements du passé et ceux du présent, à déchiffrer les clefs de l'harmonie du programme divin en imaginant partout des effets d'écho et de miroir. Par ce procédé, il devint aisé de confondre la cathédrale avec la Jérusalem céleste.

Les chanoines voulurent donc écrire, par les vitraux, un grand livre de théologie, catholique, il va

de soi. Mais avec quoi et comment l'ont-ils écrit ? D’une part, ils bénéficièrent de l'héritage d'une très longue tradition de l'ornementation des

églises. D’autre part, ils purent profiter de ce nouveau support, qu’est ce gigantesque déploiement d’images, pour en faire un soutien à leurs liturgies quotidiennes. Ils l’utilisèrent donc en un vaste « Livre d’Heures ». Le Livre d'Heures est le livre de prières, qui permettait aux laïcs de rythmer leur vie avec des lectures quotidiennes, éclairées par la vie du saint dont on fête l'anniversaire. Il leur fallut donc sélectionner ces saints. Généralement le choix était très pragmatique. Afin de rehausser leur culte, les chanoines se portèrent de préférence vers ceux dont ils gardaient les reliques, de manière à transformer leurs murs en joyaux et de faire de cet immense reliquaire, un opulent écrin. Cependant, ce lien aux reliques n'était pas systématique. Il n'était qu'une des possibilités qui s’offraient aux choix possibles. Les chanoines eurent également le désir de s'adresser, par leurs patronages, aux chevaliers comme aux rois, aux pèlerins comme aux bourgeois, d’intégrer les saints des origines comme les saints contemporains, afin de dessiner le tableau complet de l'histoire du salut. Mais il était avant tout nécessaire de les disposer de telle sorte, qu'ensemble ces vitraux construisaient un discours intelligible, avec des réseaux de significations semblables à ceux que ces chanoines tissaient, lorsqu'ils écrivaient leurs homélies.

La cathédrale tenta donc de réunir le passé scriptural, inscrit dans ses murs, avec le présent,

représenté par la communauté des croyants rassemblée en son sein. L’Eglise catholique a donc astucieusement réussi à éloigner physiquement et intellectuellement le monde chrétien de la Bible. Elle la remplaça par un ersatz, empreint de culture et de théologie catholique, où le dogme et la tradition remplacèrent avantageusement la connaissance directe de la Parole de Dieu.

c) Le code des formes et des couleurs :

Ne sachant pas lire, les fidèles, à l’intérieur des églises, durent cependant apprendre le langage

des signes, sa sémiologie complexe et varié, intégrant un code de couleurs et de formes. Le premier de ces codes utilisés, et le plus simple à identifier, est la couleur. L'art médiéval dans son ensemble

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est régi par un code des couleurs essentiellement religieux. Louis Grodecki dira même que : « Le vitrail peut être considéré comme un art de la couleur pure ».

Le violet par exemple sera utilisé pour le deuil, car il illustre la Passion du Christ. Cette couleur est

donc réservée à sa robe. Le vert, couleur de la couronne de Jésus, mais aussi de sa croix, évoque l'humilité. Ce n'est qu'au XVIème siècle, avec le style Renaissance et la recherche de l'hyperréalité, que cette couleur retrouvera sa signification la plus évocatrice : celle de la nature. Le rouge est amour et charité. C'est le sang du sacrifice de Jésus. Il appelle au divin par la souffrance et le martyr. Dans l'iconographie du vitrail, on le trouve donc sur la robe de Saint Jean.

Le bleu, pour la chasteté et l'innocence, est la couleur de la robe de la Vierge Marie. De même,

plantant un décor plein de candeur, on remarque que beaucoup de scènes bibliques peintes sur verre, aux XIIème et XIIIème siècles, furent dessinées sur un fond bleu. Au Moyen Âge cette couleur prendra rapidement une importance capitale, car la société commencera à se diversifier, entrainant un besoin de classification et de rangement (c'est la naissance des armoiries, des noms de famille...).

Or, les 3 couleurs de base jusque-là établies (noire, blanc et rouge) ne suffisent plus à donner un

ordre aux choses et un rang aux personnes. On en ajoutera donc 3 autres, dont le bleu. Le bleu gagne alors du terrain dans la course à la classification des couleurs. Et cela se fait de façon très simple : puisque la Vierge s'habille en bleu, les rois le font aussi ! D'abord Philippe Auguste, puis Saint Louis. Et en trois générations, le bleu déteint aussi sur l'aristocratie par imitation (ou par mode, pour parler en langage moderne). Du coup, les tableaux, les vitraux et les enluminures se teintent de bleu et la couleur se répand dans toutes les couches de la société. Le bleu d’une certaine manière suit l’ascension de la Vierge dans le panthéon catholique. Plus elle s’élève en gloire, plus la couleur est magnifié. Le bleu deviendra la couleur préférée des Français, puis des Européens, qui aujourd’hui l’on adopté comme couleur du drapeau de l’Union Européenne, et ne l’oublions pas, représente la couleur de la Vierge et les douze étoiles de sa couronne.

Outre les couleurs, tout élément ou tout objet peut avoir un sens. Les attributs génériques

désignent une catégorie de personnes, par exemple l'auréole désigne le saint, la palme désigne le martyre etc. Ils indiquent aussi la fonction du personnage dans le monde ou dans l'Église : au roi la couronne et à l'évêque la mitre et/ou la crosse (qui désigne aussi l'abbé). D'autres attributs font

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allusion à l'histoire personnelle d'un saint (dans la clé de saint Pierre figure l'institution de l'Église par le Christ ; Madeleine tient le flacon de parfum qu'elle a répandu sur les pieds du Christ), ou à ses miracles. Mais les saints s'identifient la plupart du temps par l'instrument (ou le résultat) de leur martyre : Saint Denis (comme bien d'autres décapités) porte sa tête sous le bras, Catherine tient une roue et Paul, une épée. Les attributs sont aussi des objets, vêtements, symboles ou animaux qui permettent d’identifier les personnages (St Jean : l’aigle, St Luc : le Taureau, St Marc : le Lion …).

Si des attributs individuels n’appartiennent qu’à un seul personnage, comme les clés de St Pierre

ou l’épée de la Justice, d’autres sont des attributs collectifs qui désignent tous les individus appartenant à une même catégorie. Le nimbe (ou auréole) est par exemple l’attribut collectif des personnages divins, des saints et parfois des vertus personnifiées. Il arrive que les artistes remplacent le nimbe par une couronne. Certains objets sont chargés d’une fonction symbolique, comme la banderole de parchemin, appelée phylactère et qui est un véritable « objet parlant ». Il symbolise la sagesse ou le savoir de celui qui le détient. Pour cette raison, donner un phylactère signifie transmettre son enseignement.

Une image est composée d’éléments (personnages, objets, animaux) un peu comme une phrase

est constituée de mots. Dans la pensée moyenâgeuse, l’homme étant le centre de la création divine, la figure humaine tient donc à cette époque le premier rôle du dessin. Les individus représentés sont tirés de l’histoire ou de l’environnement quotidien. Certains sont imaginaires, mais leurs costumes sont médiévaux, sauf pour les personnages de la Bible, qui eux sont drapés « à l’antique ». Des allégories, souvent féminines, personnifient les notions abstraites, comme la Sagesse ou la Justice.

L'important dans les rapports entre les personnages n'est pas la réalité des corps, mais celle de

l'esprit et de la foi. Il ne faut pas chercher le réalisme ou la perspective, mais le sens au-delà du récit illustré. Les personnages historiques et allégoriques se côtoient. Peu à peu, du XIIIème au XVème siècle, on passa du symbolisme au réalisme ; toutefois avant les recherches de perspective du XVème siècle, la taille des personnages n'indique pas une vraisemblance physique, mais un rapport hiérarchique social ou spirituel. Il en est de même de la position sur l'image : tout en haut se tient Dieu, le saint, l'empereur ou le personnage à honorer, tout en bas apparait le plus humble ; au premier plan, le plus important et à l’arrière, le plus insignifiant.

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Le positionnement par rapport au centre de l'image, ou au personnage principal, a aussi son importance : la place valorisante est à droite ; la gauche (« sinistra » en latin) a souvent une consonance négative. Cependant, dans les scènes narratives, la situation peut traduire tout simplement la succession des épisodes (généralement de gauche à droite, du point de vue de l'observateur). La position de face est très valorisante (Dieu, un roi, un juge), celle de trois-quarts est parfaitement neutre. Mais un personnage de profil a toutes les chances d'être un méchant, surtout s'il ouvre la bouche et qu'il est laid ou grimaçant. D'ailleurs la laideur physique est souvent le signe d'une laideur morale.

Il existe évidemment dans les gestes bien des significations pour exprimer des sentiments. Il y a

des gestes pour communiquer et des gestes pour agir ; il y a aussi des gestes pour exprimer des notions, des émotions ou des sentiments. Le degré le plus élémentaire de la communication consiste à montrer quelque chose ou quelqu’un. On montre du doigt ou de la main. Montrer est également la façon la plus simple d’enseigner. C’est pourquoi pointer le doigt signifie aussi affirmer ou donner un enseignement.

Pour qu'une symbolique de l'image soit lisible et compréhensible, il faut que les codes soient

simples et que chacun d’entre eux s'applique, sans confusion possible, à une action, un sentiment, un genre ou un personnage particulier. La part laissée à l'improvisation de l'artiste est minime, car seul le poids des traditions iconographiques, inlassablement répétées, arrive à créer un usage collectif. Cependant, si les codes ne changent guère, il y existe néanmoins une évolution entre l'âge roman et l'âge gothique. Le premier semble s'attacher davantage à l'expression des dogmes fondamentaux et des valeurs morales, tandis que le second donne plus d'importance à la connaissance du monde et au rayonnement des hommes.

Si aujourd’hui souvent, les images et sculptures médiévales, conservées dans les églises ou les

musées, restent vides de sens pour le visiteur, il n’en était rien pour l’ensemble de l’Europe médiévale. Chacun comprenait la signification de ces images, souvent religieuses, grâce aux codes de gestes et de symboles qu’utilisaient les artistes de l’époque. Ces codes, employés du Xème au XVème siècle, sont tombés en désuétude dès le début du XVIème siècle, avec l’apparition de la Renaissance en Europe. Leur apogée se situe aux XIIème et XIIIème siècles, quand les cathédrales prennent leur essor et que les vitraux deviennent des toiles de verre. La surface d’expression religieuse devenant gigantesque, il va de soi que le langage et les symboles y étant associés s’y développe de la même manière.

E) La rosace comme symbole de perfection :

J’achèverais mon travail d’étude sur les

cathédrales par la rosace, le symbole par excellence et par quintessence du tout catholique. La rose, comme symbole de la Vierge, placée dans un cercle, lui-même symbole du ciel, située dans la partie vitrée la plus haute de la nef et des transepts, renvoie évidemment à l’idée originelle d’une Vierge Marie trônant au milieu du ciel, surtout lorsqu’on la représente avec l’enfant Jésus entre ses bras. La rosace, comme œuvre architecturale magistrale, n’est autre que la représentation de la Vierge Marie trônant dans le ciel.

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a) Un message perceptible de loin : Cette allégorie architecturale se perçoit

déjà de loin, dès l’extérieur. Elle est d’une taille gigantesque et mesure plus de 13 mètres. On la reconnaît aisément et elle s’interprète facilement. Si nous revenons à la lecture de la couverture de notre livre de pierre (de la façade ouest de la cathédrale Notre Dame de Paris), son interprétation vous est désormais facile, grâce aux chapitres précédents.

Afin d’unir la terre au ciel, suivez la voie

marial. Les portes mariales latérales, toujours ouvertes, sont les portes qui mènent au divin. Elles sont placées dans les tours carrées qui s’élancent vers le ciel. Je vous rappelle que dans sa symbolique, le carré représente la terre. Elles sont donc le point de départ terrestre.

Les 28 rois représentés en façade sont les rois d’Israël. Ils représentent l’arbre de Jessé qui porte la fleur mariale.

Puis, grâce à un bon angle de vision, apparait la Reine du Ciel, couronnée de ses 12 étoiles, qui semblent rayonner dans toute la rosace. Elle est encadrée de deux chérubins,

qui renvoient à l’image du kapporet (le couvercle se situant sur l'Arche de l'Alliance et représentant le trône de Dieu).

Rien qu’à partir de l’extérieur, l’intégralité du message est exprimé. C’est pourtant de l’intérieur que l’on entre dans la vraie dimension mariale de la rosace.

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b) L’enseignement révélé par la lumière : De l’intérieur, la rosace ouest développe vingt-quatre rayons sur trois cercles concentriques. Au

centre, la Vierge Marie, couronnée comme une reine, tient son enfant Jésus assis sur son bras gauche. L'attitude est typiquement gothique. A l'époque romane, la Vierge tient l'enfant face au spectateur, s'effaçant derrière lui, au double sens physique et théologique. Mais la théologie catholique réussit à le supplanter, pour donner à la Vierge la place d’honneur. Puisque nous savons que dans les codes du Moyen Âge, la taille est un indicateur de domination, je vous le demande, qui domine qui ? Le message est très clair.

De sa main droite, Marie brandit un sceptre à trois feuilles. Il s’agit de fleurs de lys. Notre-Dame,

est symbolisée par trois motifs bien spécifiques : le lys, la rose et l’étoile, empruntés le plus souvent au monde païen, puis à la poésie médiévale. « Les miracles de Notre-Dame » la décrivent en ces termes : « Elle est la fleur, elle est la rose en qui habite, en qui repose, et jour et nuit le Saint-Esprit..., embaumée rose, fraîche épanouie... ». Toutes les formes artistiques se réfèrent à ces textes. Que ce soit la statuaire, la sculpture ou le vitrail, rien ne s’en écarte ou n’y reste indifférent. Une Vierge avec un rosier à ses pieds est auréolée de lys ; si elle est représentée en Reine du Ciel, elle est couronnée et porte le sceptre fleurdelysé.

Motif païen à l’origine, le lys a été récupéré des arts antiques dans l’Occident grec et latin, pour

devenir l’emblème du pouvoir. Une miniature grecque du Xème siècle attribue cet emblème, porté par le roi David de la Maison de Juda, à la Vierge Marie qui en est issue, selon leur arbre de Jessé : « O quam glorifica luce coruscas » (« Postérité royale de la souche davidique »). Dès l’an mil, il sera donc promu en France « symbole marial » et à ce titre deviendra l’emblème héraldique (du blason) des rois de France et de la souveraineté d’Etat.

Les rois arborèrent le sceptre fleurdelysé dès Louis VII, tandis que les nobles dames se parèrent

du fleuron (ou fleur sur tige). A partir de Saint Louis, qui sous l’influence clunisienne et cistercienne lia la France à la royauté de Notre-Dame en 1137, il se développa une théologie mariale et un culte

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1 Répétition régulière sur plusieurs lignes, d'un motif, selon divers agencements. Il faut donc comprendre dans ce contexte :

« la répétition de la fleur de lys d’or sur fond bleu du blason royal … ».

filial. Vers 1220, le semis héraldique1 de lys d’or sur champ d’azur, fut réduit à trois fleurs de lys disposées en « deux et une », c’est-à-dire en triangle renversé, pointe en bas. Ce blason royal, en écu, fut adopté définitivement par Charles V en 1380. Ainsi positionner au centre d’une rosace, la Vierge règne dans le ciel comme sur terre, au travers du roi. L’Eglise vise ainsi, à la fois le pouvoir temporel et spirituel.

Lorsque l’on s’éloigne du centre, le

premier cercle de la rosace figure douze personnages. Ils n'ont pas d'auréole et ne portent pas les attributs des apôtres. Ils représentent certainement les douze tribus d'Israël. Une de leurs mains tient un phylactère sans inscription, l'autre montre du doigt le centre de la rosace. D’une certaine manière, ils indiquent que les écritures pointent vers la Vierge. Le nombre 12 renvoie également directement à l’Apocalypse et à la représentation du trône dans le ciel, entouré des 24 anciens, représentation symbolique de l’union des croyants à travers les âges. C’est à la fois les juifs et les chrétiens unis dans un même corps et une même foi. Plus loin dans le livre, nous retrouvons la même symbolique dans les fondations et les portes de la Jérusalem céleste. Représenter ainsi la Vierge, revient donc encore une fois à lui faire usurper le trône de Dieu dans le ciel. J’y reviendrai ultérieurement.

Le deuxième et le troisième cercle concentrent tout l'intérêt de cette rosace.

La moitié supérieure de la rosace décrit les vices et les vertus, mis par paires sur les demi-cercles médians et extérieurs. Les douze signes du zodiaque, associés par paires aux travaux saisonniers correspondants, recouvrent la moitié inférieure de la rosace. Ces représentations sont des classiques du Moyen Âge. Le portail central de la façade ouest montre lui aussi les vices et les vertus sculptées dans la pierre, tandis que le portail de gauche, celui de la Vierge, contient les signes du zodiaque et les travaux des champs, sculptés le long des montants de la porte. La rosace est donc une réplique colorée des bas-reliefs de sa façade. Toutefois si aujourd'hui ils sont en calcaire nu, ils étaient autrefois colorés. Dans l’esprit, je dirais que le terrestre est la projection du céleste.

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c) Le zodiaque à travers les âges : Il convient de poursuivre maintenant l’étude du zodiaque commencée dans le portail de la Vierge.

Car comprendre le zodiaque, c’est comprendre le raisonnement du diable. Mais tout d’abord il faut sortir de l’idée contemporaine que l’on s’en fait. Aujourd’hui, une armée de charlatans reprend ces signes pour en faire de la divinisation de magazine, qui n’a cependant rien à voir avec les pratiques mésopotamiennes datant de 1000 ans avant Jésus-Christ. Dans les royaumes successifs mésopotamiens, de Sumer jusqu’à Babylone, les dieux étaient omniprésents. Ils régissaient toute la vie des hommes. C’est pourquoi aujourd’hui encore, dans la rosace mariale, les signes du zodiaque sont associés aux travaux saisonniers. Par exemple, le printemps débutait avec une grande fête dédiée au dieu de cette saison : à l’origine ce fut le taureau, symbole d’Enlil, le dieu de l’air, le vent du printemps qui réchauffe l’atmosphère et régénère la nature. Puis à cause de la précession des équinoxes, les signes se sont décalés vers les poissons.

Dès les premières civilisations, l’homme étudia le ciel, que ce soit pour en tirer des présages, les

phénomènes célestes étant la manifestation de la volonté des dieux ; ou pour mesurer le temps, le cycle du soleil et de la lune étant à la base des premiers calendriers. Nous avons déjà vu que l’année débutait avec le printemps et la grande fête de l’Akitu, hiérogamie qui associait les dieux aux hommes dans une parfaite unité. Les équinoxes et les solstices étaient les fêtes les plus importantes et renvoyaient donc également aux dieux les plus importants. A Babylone, ce fut Marduk et Ishtar, eux-mêmes associés par hiérogamie aux hommes, représentés par le roi ou les prostituées sacrées. On les mariait symboliquement à ces grandes fêtes, les deux plus importantes étant l’équinoxe de printemps et le solstice d’hiver. Les neuf mois d’intervalle symbolisait la gestation nécessaire à la renaissance du soleil.

Dans l’antiquité, chez les Hittites et plus tard chez les Assyriens, on désignait le roi en le nommant

« Mon Soleil » (UTU-ŠI). Les sceaux royaux et les bas-reliefs comportaient souvent le symbole du disque solaire ailé, accompagnant le nom du souverain et sa titulature en hiéroglyphes. Les représentations figurées du roi, qui apparurent tardivement, insistaient sur cet aspect. Plusieurs le figuraient avec le même costume cérémoniel que le Dieu-Soleil (longue robe, bonnet rond). Cet habit pouvait aussi parfois être interprété comme symbolisant sa fonction de grand-prêtre du royaume. Il portait alors une sorte de bâton au bout recourbé (similaire au lituus des devins romains) : une canne de berger symbolisant son rôle de pasteur de ses sujets, ou bien un symbole de son rôle de roi-juge (le Dieu-Soleil étant par ailleurs le dieu de la Justice). Un second type de représentation royale montrait le monarque avec l'habit et les attributs des dieux guerriers : pagne, bonnet conique, arc et lance. Tout cela illustrait les fonctions majeures du souverain : chef de guerre, intermédiaire

privilégié entre les hommes et les dieux, et autorité judiciaire suprême. C’est le principe du pontife, que reprendra le pape de Rome. Rien n’est nouveau sous le soleil.

Le zodiaque réunit donc tout : les dieux, les hommes (par le

clergé, le roi et le peuple) et les temps (par des fêtes). Les représentations androcéphales, ou des têtes humaines étaient posées sur corps d’animaux, n’avaient pour autre signification que cela. Dans une seule image, en Assyrie par exemple, le taureau ailé à tête humaine cornue, renvoyait aux quatre signes principaux : le taureau, l’aigle (dans le zodiaque primordial, c'est l'aigle qui occupait la place attribuée aujourd'hui au scorpion), le verseau (l’homme) et le lion (représenté par la couronne). Tout le pouvoir et l’autorité des dieux étaient contenus dans cette symbolique. Les dieux contrôlaient les temps et les hommes.

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Lorsqu’on a compris le principe de la symbolique zodiacale, c'est-à-dire la relation homme/dieu, il devient plus aisé d’en interpréter le sens caché. Tout comme aujourd’hui la Bible explique la relation entre Dieu et les hommes, de même une explication écrite existait dans l’antiquité, représentée sur des tablettes d’argile ou gravée sur des pierres, dans les temples. Mais avant toute forme d’écriture, on s'exprimait par une proto-écriture faite d'idéogrammes. Un animal ou une chose était associé à une idée. L’idée fut ensuite associée aux dieux. Le ciel apparut alors comme la toile de fond idéal pour y inscrire leur histoire, sous la forme d’idéogrammes. Quand en Mésopotamie, l’histoire des hommes commença à s’écrire et qu’elle se mélangea avec celle des fils de Dieu, on voulut conserver ces souvenirs anciens de façon indélébile. Les étoiles joueront ce rôle, particulièrement dans une bande étroite, qui deviendra au fil du temps le zodiaque.

Si nous lisons le zodiaque à la manière des idéogrammes, voilà ce que nous devons comprendre :

le lion (roi) et la vierge (la femme), marchèrent de travers (crabe) et furent jugé coupable (balance). Le fruit de leur faute apparut neuf mois plus tard, sous la forme de jumeaux (gémeaux), qui donnèrent les deux semences qui se feront face (s’affronteront). L’une s’élèvera (l’aigle), gagnera en puissance et partira en vainqueur pour faire la guerre (sagittaire, l’archer), son nom Enki (capricorne, forme sumérienne inversée de Kaïn). Face à lui, les fils de Dieu (taureau), se multiplieront (bélier) et rempliront toute la terre (poisson). Au terme des jours ils s’affronteront pour renverser la royauté (Verseau).

Le zodiaque est une proto-bible, qui raconte l’histoire de la Genèse biblique jusqu’à l’Apocalypse,

de manière simple et imagée. Il est donc normal que cette forme d’écriture se prolonge au fil du temps et des civilisations, car elle ne varie pas. Et elle ne le fera pas jusqu’au renversement du roi et l’établissement d’un nouveau royaume. On notera que les idéogrammes originaux fixent également des périodes de temps, qui défilent avec la précession des équinoxes. La méthodologie est absolument fantastique, car elle couvre, par tranche approximative de 2000 ans, les grandes ères bibliques : celle des patriarches d’Adam à Abraham (taureau), puis l’histoire d’Israël (bélier) jusqu’à Jésus, puis le temps de la chrétienté (poisson). A la base, ce sont les fils de Dieu eux-mêmes qui ont dû élaborer le principe, que les civilisations successives ont ensuite reprises et perverties.

Lorsque l’on a compris tout cela, on comprend également pourquoi ces images apparaissent en

Ezéchiel et dans Apocalypse 4:1 « Après cela, je regardai, et voici, une porte était ouverte dans le ciel. La première voix que j’avais entendue, comme le son d’une trompette, et qui me parlait, dit : Monte ici, et je te ferai voir ce qui doit arriver dans la suite. 2 Aussitôt je fus ravi en esprit. Et voici, il y avait un trône dans le ciel, et sur ce trône quelqu’un était assis… 4 Autour du trône je vis vingt-quatre trônes, et sur ces trônes vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs, et sur leurs têtes des couronnes d’or…. 6 Il y a encore devant le trône comme une mer de verre, semblable à du cristal. Au milieu du trône et autour du trône, il y a quatre êtres vivants remplis d’yeux devant et derrière. 7 Le premier être vivant est semblable à un lion, le second être vivant est semblable à un veau, le troisième être vivant a la face d’un homme, et le quatrième être vivant est semblable à un aigle qui vole. 8 Les quatre êtres vivants ont chacun six ailes, et ils sont remplis d’yeux tout autour et au dedans. Ils ne cessent de dire jour et nuit : Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, qui était, qui est, et qui vient!

Les quatre êtres vivants décrits dans la Bible, et qui se superposent parfaitement aux symboles

mésopotamiens du zodiaque, se comprennent dès lors aisément lorsqu’on les replace dans leur contexte biblique originel. Ils fixent des temps et rappellent aux hommes que c’est Dieu seul qui est maître des temps et des hommes. C’est Dieu seul qui fixe leur destin, qui élève ou abaisse les royaumes. On comprend alors volontiers pourquoi le diable cherche à s’approprier ces symboles en en pervertissant le principe.

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Voilà pourquoi l’on retrouve dans la grande rosace, les mêmes éléments que ceux décrits dans l’Apocalypse : le trône, les anciens et les temps représentés par le zodiaque. Mais le catholicisme, en perpétuant la pensée trompeuse de l’adversaire, a perverti le sens du message et l’inversa au profit de la Reine du Ciel, la Vierge Marie. Désormais c’est elle qui trône dans le ciel. Et c’est elle qui est entourée des anciens, représentants du peuple de Dieu, et qui cherche à fixer les temps, selon le principe babylonien des deux grandes fêtes de Noël et des Pâques (et non Pâque). Tout est dirigé par un pontife qui règne à Rome et qui étend son influence et sa souveraineté au travers des cathédrales, représentantes de son autorité.

Les cathédrales sont l’expression antéchrist de l’Eglise, la synagogue de Satan. Elles sont le

prolongement architectural des pieds de la Statue de Daniel ou de la bête de l’Apocalypse, sur laquelle la grande prostituée est assise. Elles sont l’expression inversée de l’image du tabernacle de Dieu dans le désert, et de tout ce qu’il représente. C’est le lieu par lequel le diable établit son royaume et celui par où la malédiction se répand.