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LA NÉGATION DE LA NATION L’identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien Eugénie Brouillet SEPTENTRION Cahiers des Amériques Extrait de la publication

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LA NÉGATION DE LA NATIONL’identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien

Eugénie Brouillet

S E P T E N T R I O NCahiers des Amériques

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collection science politiqueS o u s l a d i r e c t i o n d e C l a u d e C o r b o

Cahiers des Amériques 12

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Fondée par Robert Lahaise en 2003, la collection Cahiers des Amériques est, depuis septembre 2005,

sous la présidence de Raymonde Litalien et sous la direction de Gilles Herman et Denis Vaugeois, éditeurs à l’enseigne du Septentrion,

avec la précieuse collaboration des directrices et directeurs de collection Laurier Lacroix (Beaux-Arts), Michel Allard (Éducation),

Jean-Pierre Pichette (Ethnologie), Hugues Morrissette (Géographie), Lucia Ferretti (Histoire), André Gaulin (Littérature),

Marie-Thérèse Lefebvre (Musique), Claude Corbo (Science politique) et Jacques Beauchemin (Sociologie)

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Eugénie Brouillet

la négation de la nationL’identité culturelle québécoise

et le fédéralisme canadien

s e p t e n t r i o nCahiers des Amériques

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Photo de la couverture : Le premier ministre du Québec René Lévesque arrive pour discuter avec le premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau et les 9 autres premiers ministres provinciaux à Ottawa, le 9 juin 1980. Presse canadienne. Cpimages.ca/Fred Chartrand.

Chargée de projet : Sophie Imbeault

Révision : Solange Deschênes

Correction d’épreuves : Manon Perron

Mise en pages et maquette de la couverture : Folio infographie

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes ÉDITIONS DU SEPTENTRION

vous pouvez nous écrire au1300, av. Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3

ou par télécopieur (418) 527-4978ou consulter notre catalogue sur Internet :

www.septentrion.qc.ca

© Les éditions du Septentrion Diffusion au Canada : 1300, av. Maguire Diffusion DimediaSillery (Québec) 539, boul. LebeauG1T 1Z3 Saint-Laurent (Québec) H4N 1S2

Dépôt légal – 4e trimestre 2005 Ventes en Europe :Bibliothèque nationale du Québec Distribution du Nouveau MondeISBN 2-89448-442-9 30, rue Gay-Lussac 75005 Paris

Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de dévelop pement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres. Nous reconnaissons éga lement l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Pro gramme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération canadienne des sciences humaines, de concert avec le Programme d’aide à l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

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Remerciements

Je remercie monsieur Henri Brun, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval et directeur de la thèse de doctorat qui fut à l’origine

de la présente étude. Je désire lui témoigner toute ma reconnaissance, mon estime et ma profonde amitié. Ce fut un grand privilège de pouvoir tra-vailler sous sa direction.

Je tiens à adresser des remerciements particuliers à mes parents. Merci à mon père, Raymond, pour le grand intérêt qu’il a manifesté à l’égard de mes recherches depuis le tout début, de même que pour ses précieux con-seils. Nos conversations ont grandement nourri mes réflexions. Merci à ma mère, Ghislaine, dont l’aide inestimable m’a permis de porter à terme ce projet.

Je désire remercier, des éditions du Septentrion, monsieur Michel Lavoie qui a cru en ce livre et m’a accompagné au cours du processus menant à sa publication, ainsi que madame Sophie Imbeault, pour son aide bien appréciée au cours de la phase éditoriale.

Mes remerciements s’adressent aussi à la Fédération canadienne des sciences humaines qui, par le biais de son Programme d’aide à l’édition savante, a contribué financièrement à la publication de cet ouvrage.

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Aux amours de ma vie, Sébastien, Philippe, Mathieu

et Simone

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Préface

La parution de ce livre d’Eugénie Brouillet sur l’identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien aura l’effet d’une petite révolu-

tion sur le milieu universitaire et la vie intellectuelle au Québec. Sur le plan strictement technique, il s’agit d’un ouvrage d’herméneutique constitu-tionnelle, autrement dit un effort assez systématique d’interprétation du cadre légal et politique du fédéralisme canadien depuis sa genèse jusqu’à nos jours. La question de madame Brouillet est la suivante : d’hier a aujourd’hui, comment le fédéralisme canadien a-t-il envisagé la question de la préservation et de la promotion d’une identité culturelle et nationale distincte au Québec ?

Si ce livre risque de marquer une étape décisive dans l’évolution de nos lettres, c’est d’abord parce que, paradoxalement, nous avons peu étudié le fédéralisme depuis trente ans. La vie intellectuelle et universitaire au Québec avait d’autres intérêts : la souveraineté, le nationalisme, le fémi-nisme, la mondialisation. Outre quelques collectifs, les recueils de leurs propres travaux préparés par Léon Dion, Claude Ryan et Charles Taylor, et sans oublier les essais importants de Christian Dufour (Le défi québécois, 1989) et André Burelle (Le mal canadien, 1994), les ouvrages d’importance consacrés au fédéralisme canadien dans sa globalité l’ont été dans la pers-pective de l’enseignement du droit constitutionnel dans les universités francophones. Dans le domaine de la pensée politique et de l’histoire des idées, nous ne disposons toujours pas d’un ouvrage analysant de façon critique la genèse et l’évolution des différentes écoles du fédéralisme au Canada français et au Québec, depuis les débats sur la fondation jusqu’aux tentatives actuelles de renouvellement principalement pilotées par Benoît Pelletier au sein du gouvernement Charest. Très clairement, le livre d’Eugénie Brouillet donne un nouveau souffle aux études sur le fédéralisme dans notre sphère publique. Je vais maintenant expliquer pourquoi ce renouvellement me semble important et original.

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À une époque où règnent dans nos universités l’hyperspécialisation et le solipsisme disciplinaire, le livre de Madame Brouillet étonne par la polyvalence des approches et des démarches qu’elle mobilise. Certes, elle enseigne dans une Faculté de droit et sa première communauté savante est celle des constitutionnalistes. Les membres de la première famille intellectuelle de Madame Brouillet ne seront pas déçus ; ils se reconnaîtront dans son vocabulaire, dans le sérieux, la rigueur et la précision conceptuelle de sa démarche. Pourtant, ils pourraient aussi trouver dans son ouvrage une invitation à respirer de l’air frais, à élargir leurs horizons du côté de la philosophie, de l’histoire et de la science politique. Eugénie Brouillet renouvelle le droit constitutionnel en puisant généreusement du côté de la littérature des sciences sociales pour donner un ancrage conceptuel solide à sa démarche. Elle parvient ainsi à intégrer dans sa réflexion les résultats des meilleurs travaux contemporains sur l’identité, le nationa-lisme, le sens de la culture et le fédéralisme. Comme cela est en train d’arriver dans beaucoup de disciplines des humanistes et des sciences sociales dans notre cité savante, avec Martin Meunier et Jean-Philippe Warren en sociologie, Martin Pâquet et Magda Fahrni en histoire, Charles Blattberg et Jocelyn Maclure en pensée politique, Daniel Jacques et Daniel Tanguay en philosophie, sans oublier les approches pluridisciplinaires de Marc Chevrier et Stéphane Kelly sur les relations Canada-Québec, Eugénie Brouillet offre au droit constitutionnel un renouveau méthodologique et, aussi, un renouveau générationnel.

Méthodologiquement stimulante et originale, la démarche de Madame Brouillet est également dérangeante. Dans nos débats politiques, elle déplaira aussi bien aux souverainistes qu’aux fédéralistes. Les premiers seront surpris d’y trouver une interprétation qui voit dans le régime de 1867 une véritable fédération capable d’accommoder l’identité culturelle québécoise. En accord avec l’esprit général des essais de Burelle et Dufour mentionnés antérieurement, et en s’inspirant substantiellement du renou-veau historiographique qui est en train de se produire dans la sphère publique et la cité savante anglophones du Canada (les travaux des Christopher Moore, Samuel LaSelva, Will Kymlicka, Robert Vipond, Janet Ajzenstat, William Gairdner, Paul Romney et Ian Gentles), Eugénie Brouillet montre les faiblesses des lectures ultra-centralisatrices auxquelles les œuvres des historiens Arthur Lower et Donald Creighton nous avaient habitués. Paradoxalement, encore une fois, tout aussi bien dans le champ de l’histoire que dans celui du droit constitutionnel, les souverainistes québécois ont eu tendance à accepter la validité des thèses de leurs collègues anglophones

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ultra-centralisateurs. On le sait, une telle vision a trouvé son apothéose sous la plume élégante et brillante de Fernand Dumont dans l’un de ses livres les plus célèbres, Genèse de la société québécoise. Selon le modèle de Dumont, le régime fédéral de 1867 est à replacer dans la deuxième stratégie adoptée par le Conquérant britannique dans la vallée du Saint-Laurent au xixe siècle, celle de la réserve française, dotée d’une autonomie partielle, laquelle finira inévitablement par s’effriter. La première stratégie, celle de l’assimilation, avait été mise de l’avant par notre premier cadre constitu-tionnel sous le Régime britannique, celui de la Proclamation royale de 1763. Cette stratégie avait dû être abandonnée au temps de l’Acte de Québec en 1774, sous la menace des rébellions américaines. Lord Durham, investi de la responsabilité de comprendre le sens des rébellions de 1837-1838 et de faire des recommandations aux autorités impériales, aurait reconnu selon Dumont l’erreur commise en 1774. Au fond, dans la pensée de Dumont, l’Autre, l’Anglais, le Britannique, ne peut que vouloir l’assimilation du peuple de langue française. Quand les événements ou les circonstances le forcent à se satisfaire du modèle de la réserve, il ne peut que le faire de mauvaise volonté et en espérant mieux. En reconsidérant les débats qui ont mené à la création d’un Dominion fédéral en 1867, et en particulier le rôle de Cartier, en procédant à une analyse fine et intelligente du texte constitutionnel et de son interprétation jurisprudentielle jusqu’en 1950, Eugénie Brouillet critique fortement le paradigme déterministe de Dumont, hérité de l’École de Montréal et, selon moi, toujours hégémonique dans nos manuels d’histoire et de droit constitutionnel.

De ses origines en 1867 jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le fédéralisme canadien a fait somme toute une place relativement géné-reuse à l’identité culturelle et nationale québécoise dans ses catégories ; telle est la thèse qu’Eugénie Brouillet défend dans la première moitié de son ouvrage. Toutefois, également selon elle, les choses se sont clairement gâtées dans la deuxième moitié du xxe siècle. Sans changer de ton, appuyée sur la même infrastructure conceptuelle et méthodologique, Madame Brouillet analyse dans la seconde partie du livre l’effacement graduel d’un fédéralisme de générosité envers le Québec et son remplacement, en deux étapes distinctes, par un grand projet de construction de la nation cana-dienne. La première étape, qui s’amorce à la fin des années 1940, est carac-térisée par l’adoption d’une politique de citoyenneté, par la mise en place puis le renforcement de l’État-providence canadien grâce aux ressources du pouvoir fédéral de dépenser, puis finalement par l’abolition en 1949 de la procédure d’appel au Comite judiciaire du Conseil privé à Londres. Dès

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cette époque, selon Madame Brouillet, la jurisprudence de la Cour suprême glissa, lentement mais sûrement, vers un affaiblissement du dispositif constitutionnel de protection de la différence culturelle québécoise. La deuxième étape – tout à fait décisive – s’amorce bien sûr avec le rapatrie-ment de la constitution en 1982 et l’enchâssement qui en découle de la Charte canadienne des droits et libertés. Pierre-Elliott Trudeau – je l’ai écrit en d’autres circonstances – ne fut rien de moins que le Lincoln du Canada moderne, le véritable refondateur de l’ordre constitutionnel. Dans sa lutte contre les nationalistes et les souverainistes du Québec, il contribua fortement à l’entrée en vigueur d’une réforme qui met en péril, selon Eugénie Brouillet, l’héritage du xixe siècle sur le plan de la protection de l’identité culturelle et nationale du Québec. Il est intéressant de noter que le politologue John McGarry, de l’Université Queen’s, a corroboré la thèse de Madame Brouillet dans une étude présentée à la troisième Conférence internationale du Forum des Fédérations, tenue en mars 2005 à Bruxelles.

Au début du xxe siècle, le grand sociologue allemand Max Weber rappela le caractère ouvert, fondamentalement indéterminé, de toutes les formes d’évolution historique. Il pensait que l’Histoire restait toujours à faire, par des femmes et des hommes en chair et en os. J’écris cette préface au printemps 2005, en plein scandale des commandites et au beau milieu des audiences de la Commission Gomery. Vingt-cinq ans après le réfé-rendum de 1980 et dix ans après celui de 1995, l’histoire des Québécoises et des Québécois demeure ouverte, à faire par chacune et chacun d’entre nous. Grâce au travail exemplaire d’Eugénie Brouillet, notre sphère publique vient de s’enrichir d’un beau livre, lequel sera d’une grande utilité pour les chapitres de notre histoire qui s’annoncent. Les souverai-nistes y perdront quelques certitudes en ce qui a trait aux fondements de leur philosophie de l’histoire téléologique, négative et déterministe. Les fédéralistes y perdront aussi un certain optimisme naïf, un certain aveu-glement borné qui a caractérisé nombre de leurs discours durant l’ère Chrétien. Il faut savoir gré à Eugénie Brouillet de nous offrir ce livre qui va procurer de nouveaux outils de lucidité et de vigilance à nos débats publics, tout en renouvelant la méthodologie du droit constitutionnel et en nourrissant le dialogue entre cette discipline et les sciences sociales.

Guy LaforestProfesseur titulaire

Département de science politiqueUniversité Laval

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Introduction

Àl’ère de la mondialisation de l’économie et des marchés, la ques-tion de la protection des identités culturelles nationales se pose avec

une acuité particulière. Le monde contemporain subit de profondes muta-tions depuis quelques décennies. L’abolition des obstacles de la distance et du temps dans la circulation des idées, de l’argent, des postes de travail, des informations, des biens et services entraîne des malaises d’identité en ce qu’elle a pour effet de décloisonner les sociétés humaines. Le phénomène de la mondialisation provoque la chute des anciennes barrières étatiques protectrices des identités culturelles nationales : « En perdant les limites territoriales nettes que les États avaient imposées de toute leur puissance, [les nations] perdent aussi une partie de leur identité et de leur unité qui tenait à leur isolement dans ces limites1. » Le rôle des États dans le maintien et l’épanouissement de ces identités doit donc être repensé.

Nous assistons depuis quelques décennies à la construction progressive d’une société civile internationale, dont l’achèvement ultime serait l’avè-nement d’un État mondial. Pour certains, l’esprit d’égalité, caractère commun de la modernité, devrait mener à la disparition des particula-rismes, lesquels empêcheraient la réalisation d’une véritable fraternité universelle. Les questions qui se posent sont les suivantes : doit-on laisser pleinement jouer les forces qui tendent à l’homogénéisation des cultures nationales ou vaut-il plutôt la peine de protéger la diversité culturelle en raison de la richesse qu’elle représente pour l’humanité ? La diversité cul-turelle possède-t-elle une valeur intrinsèque ou doit-on accepter par conviction, dépit ou résignation une uniformisation des cultures nationales au profit d’une culture mondiale construite au gré du libre marché ? La diversité culturelle ne fait-elle pas partie de ce qui est propre à l’espèce humaine, de ce qui en constitue à la fois la richesse et la complexité ?

Diverses réactions sont possibles eu égard au phénomène d’uniformi-sation des cultures. On peut décider d’abandonner la diversité culturelle en laissant les forces du marché jouer comme bon leur semble. La culture

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qui émergera de ce « laisser-faire » sera celle du plus fort, c’est-à-dire celle de celui qui possédera les plus grands moyens financiers. À l’inverse, on peut songer, afin de protéger cette diversité, à pratiquer la politique du repli sur soi, à rebâtir des barrières entre les sociétés. Même si cette dernière réaction était considérée comme positive, ce dont on peut douter, ce serait, dans le contexte actuel, peine perdue. Présentement, l’État n’a plus les moyens de contrôler pleinement les véhicules ou les réseaux qui produisent et transmettent la culture. De plus, la mondialisation ne peut en elle-même être jugée négative. Elle participe plutôt au développement d’une nouvelle solidarité humaine mondiale et représente, à ce titre, un progrès pour l’humanité.

Si l’on rejette l’abandon de la diversité culturelle aux forces du marché et la politique du repli sur soi, comment doit-on alors penser les rapports entre les États et les forces transnationales de même que les instances supranationales et internationales ? Comment maintenir une ouverture aux échanges culturels, tout en assurant la survie et l’épanouissement de chacune des cultures ? L’équilibre entre l’acceptation de la mondialisation et la recherche légitime d’identité est un des plus grands défis culturels de notre époque. Comme le souligne le Plan d’action adopté par la Conférence de Stockholm sur les politiques culturelles pour le développement, confé-rence organisée en avril 1998 par l’UNESCO, « les tendances nouvelles, et en particulier la mondialisation, peuvent avoir pour effet d’établir des liens plus étroits que jamais et d’enrichir les interactions entre les cultures, mais elles peuvent aussi être nuisibles pour notre diversité créatrice et pour le pluralisme des cultures. Elles rendent le respect mutuel d’autant plus impératif2 ».

Au cours de l’histoire, divers aménagements politiques et juridiques ont été imaginés afin de créer un cadre propice à l’expression de la diver-sité culturelle de l’humanité et de répondre au besoin d’enracinement de l’être humain, condition d’une plus grande solidarité entre les individus et d’une meilleure participation corrélative au processus de décision démocratique. L’État a longtemps constitué un haut lieu d’identification des collectivités humaines, un lieu d’expression d’une volonté d’universa-lité dans lequel une partie significative de l’identité de chaque citoyen était investie. Les inquiétudes qui mettent en rapport le processus d’intégration économique à l’échelle de la planète, d’une part, et l’évolution des diverses cultures à travers le monde, d’autre part, tiennent à ce rôle médian que joue l’État dans ce rapport. Comme le soulignent le professeur Ivan Bernier et Dave Atkinson, les nations voient en l’État un enjeu, « celui-ci possédant

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la capacité de les faire reconnaître, de leur accorder des droits, de favoriser leur maintien et leur développement3 ».

Or aujourd’hui, cette institution est aux prises avec deux tendances qui peuvent sembler, à première vue, contradictoires. D’un côté, elle fait face à une certaine dissolution de ses pouvoirs au profit d’instances supra-nationales et internationales. L’ouverture de leurs frontières force les États à redéfinir leur rôle : ceux-ci doivent maintenant composer avec des acteurs qui jouent sur une scène mondiale et qui échappent, par conséquent, à leur sujétion4. Afin de mieux affronter la concurrence internationale ou en amortir les effets, certains États s’associent pour former des blocs éco-nomiques régionaux, blocs qui varient par leur taille et par leur niveau d’intégration économique et politique : on peut penser notamment à l’Union européenne (UE), à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui deviendra possiblement la Zone de libre-échange des Amé-riques (ZLEA), et au Marché commun du Sud (MERCOSUR). Ce faisant, les États bénéficient d’un meilleur rapport de force à l’échelle mondiale et élèvent ainsi quelques remparts autour de leurs souverainetés respectives. Par ailleurs, tout en tentant de se soustraire à une libéralisation des échanges sur le plan mondial ou, du moins, de la définir selon leurs termes, les blocs économiques régionaux y participent aussi activement : « Un accord créant une zone économique régionale prépare les pays participants à affronter des marchés plus larges et une compétition plus vive : en libé-ralisant le commerce à l’intérieur de la zone, il constitue une étape impor-tante vers une libéralisation et une concurrence planétaires5. » Ces deux aspects de la libéralisation constituent deux faces d’une même médaille. Comme l’écrit le professeur Joseph Pestieau, ces blocs donnent aux pays participants accès

[…] à un vaste marché où la concurrence demeure supportable, parce qu’elle est limitée par des mesures transitoires ou que les économies associées ont atteint à peu près le même seuil de développement, mais un tel marché demeure une niche relativement protégée au sein de laquelle les industries peuvent se préparer progressivement à devenir plus compétitives6.

Ce phénomène d’intégration au niveau international est accompagné en revanche d’une renaissance ou d’un renforcement d’un désir de décen-tralisation du pouvoir au sein des États. Ces deux mouvements ne sont pas contradictoires : ils sont plutôt tous les deux liés à une transformation de la souveraineté étatique dans le contexte de la mondialisation. Tous les États connaissent aujourd’hui une certaine forme de décentralisation du pouvoir, décentralisation pouvant répondre à divers besoins allant de la

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simple efficacité administrative dans les États-nations, c’est-à-dire ceux qui sont caractérisés par un certain degré d’homogénéité culturelle de la population, à la reconnaissance des nations vivant au sein d’un même État. La nation apparaît en effet aujourd’hui comme l’unité première à laquelle s’identifient les collectivités humaines, le lieu par excellence de l’expression et de l’épanouissement de l’identité culturelle des peuples.

Il y a donc des États-nations, c’est-à-dire des États où il y a cette coïn-cidence entre la collectivité étatique et la collectivité partageant une même culture, la nation. Mais il n’en est pas toujours ainsi. Il y a aussi des États plurinationaux : des États souverains qui comprennent plusieurs nations en leur sein. Il peut s’agir, dans ce dernier cas, de pays qui ont choisi un régime fédératif. Le fédéralisme, comme principe d’organisation étatique, constitue une des réponses possibles à la question de la décentralisation du pouvoir, au besoin d’enracinement de l’être humain. En partageant la souveraineté étatique, le pouvoir législatif, entre un niveau fédéral et un niveau fédéré, il engendre la création d’une structure politique et juridique qui peut non simplement accommoder les différences culturelles, mais procurer les instruments politiques et juridiques nécessaires à l’expression des identités culturelles profondes, des identités culturelles nationales enracinées au sein d’une même collectivité étatique. En ce sens, on peut prétendre que le fédéralisme devrait être en mesure de valoriser, au lieu de simplement tolérer, la diversité culturelle profonde : il peut procurer à la nation, unité sociopolitique propice à l’expression de l’identité culturelle d’un peuple, les instruments lui permettant de traduire sur les plans poli-tique et juridique son aspiration culturelle collective.

Le problème de la protection de l’identité culturelle nationale est commun à tous les États modernes. Dans les pays régis par un système politique unitaire, la question qui se pose a trait à la définition adéquate de la culture et à l’identification des moyens propres à en assurer la survie et l’épanouissement au sein de l’ordre économique mondial. Dans les États fédératifs, se pose déjà, en plus de ces considérations, la question de l’amé-nagement des compétences législatives entre le Parlement central et les Parlements fédérés en fonction de cette sauvegarde culturelle. Les réponses à cette question varieront selon le caractère uninational ou plurinational de la fédération en cause. Dans ce dernier cas, le choix d’un régime fédératif pourra avoir pour objectif de réconcilier le besoin d’unité et la nécessité de respecter des particularismes culturels nationaux incompatibles avec la formation d’un État unitaire. La fédération canadienne est de la deuxième espèce à cet égard : la présence au Canada de peuples d’origines

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et de cultures différentes ajoute à la problématique identitaire internatio-nale une dimension juridictionnelle interne sur laquelle il est tout aussi important de se pencher.

Il existe présentement à travers le monde un regain d’intérêt pour le fédéralisme comme principe d’organisation étatique : il engendre la créa-tion d’un régime politique et juridique permettant d’accommoder l’ex-pression des identités culturelles intra-étatiques qui renaissent ou s’inten-sifient en partie en réponse au phénomène d’intégration internationale. Le fédéralisme est un principe souple qui permet de façonner, au-delà de certains postulats juridiques essentiels, un régime politique et juridique qui puisse correspondre à la réalité sociale et culturelle particulière d’une collectivité étatique donnée. Cela pourra se traduire dans la nature plus ou moins centralisée ou décentralisée du régime fédératif.

Cet ouvrage met en relief le lien qui existe entre le principe fédératif, c’est-à-dire le fédéralisme en tant que principe normatif d’organisation étatique, et la protection des identités nationales intra-étatiques. Bien que tous les États modernes comprennent une certaine forme de décentrali-sation du pouvoir au profit d’entités dites, par exemple, régionales ou municipales, il existe toujours des caractéristiques juridiques essentielles qui distinguent fondamentalement ces États décentralisés des États fédé-ratifs : le principe fédératif est porteur de normativité. Au-delà de ces caractéristiques juridiques fondamentales, il existe cependant une panoplie de régimes fédératifs : chaque fédération constitue en effet une façon sin-gulière d’organiser le pouvoir étatique de manière à rendre compte des particularités culturelles, économiques, politiques, sociales et historiques des collectivités en présence. Il n’existe donc pas pour ainsi dire de fédé-rations jumelles. Parmi les nombreux facteurs de différenciation entre les fédérations, leur nature plus ou moins centralisée ou décentralisée est celui qui nous intéresse étant donné le lien intrinsèque qui l’unit à l’enjeu de la protection des identités nationales qui se trouvent au sein de l’État fédé-ratif. Plus un régime fédératif est décentralisé, en d’autres termes, plus il est organisé de façon à pourvoir les entités fédérées d’importantes sphères d’autonomie, plus il sera susceptible de favoriser la survie et l’épanouisse-ment des identités culturelles nationales qui fleurissent sur le territoire étatique.

La fédération canadienne comporte en son sein plusieurs nations distinctes : mentionnons les nations autochtones, la nation acadienne et la nation québécoise. Seule cette dernière, du moins dans l’état actuel du droit constitutionnel canadien, est constituée d’un peuple concentré sur

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une portion du territoire étatique formant une entité fédérée, une province. L’analyse critique historique de la protection constitutionnelle qu’offre le régime fédératif canadien à l’une de ses entités fédérées, le Québec, par conséquent, à l’une de ses nations, la nation québécoise, est l’objet du présent livre.

Cet ouvrage est constitué de deux parties. La première se veut préli-minaire car elle servira à définir, donc à mieux saisir, aux fins d’une analyse constitutionnelle, le sens des concepts qui en constituent le cœur, le con-cept de nation auquel sont rattachés ceux de culture et de fédéralisme. Quant aux deux premiers concepts, il s’agit, à l’aide d’écrits de différents auteurs de sciences sociales sur la nation, la culture et les défis que la modernité pose à la survie des particularismes culturels, de tracer les contours de ce qu’est une nation dans le monde contemporain et, plus particulièrement, de cerner la réalité de la nation québécoise. Quant au concept de fédéralisme, il est d’abord défini dans son essence, dans ce qui fait qu’il existe comme principe normatif de droit constitutionnel. Divers paramètres institutionnels sont ensuite définis afin de permettre de situer les régimes fédératifs sur une échelle de la plus ou moins grande centrali-sation ou décentralisation des pouvoirs, donc de pouvoir conclure sur le potentiel d’adaptation d’une fédération à sa réalité plurinationale.

La deuxième partie constitue le cœur du présent livre. Elle répond à la question qui a motivé notre ouvrage : la fédération canadienne, telle qu’elle a été conçue à ses origines et telle qu’elle a évolué, permet-elle la survie et l’épanouissement de l’identité culturelle québécoise ? En d’autres termes, le régime constitutionnel canadien offrait-il en 1867 et offre-t-il aujourd’hui à la nation québécoise les outils juridictionnels nécessaires à la survie et au développement de son identité culturelle particulière ? Bref, la souplesse qu’offre le fédéralisme en tant que principe d’organisation étatique a-t-elle été exploitée à bon escient au Canada ? Un retour à l’époque de la naissance de la fédération canadienne est très instructif des motivations qui ont poussé les quatre colonies britanniques d’Amérique du Nord à s’unir en une fédération et de la place qu’occupait le Québec dans l’arrangement constitutionnel originaire. Cette constitution originelle, qui de façon presque unanime chez les commentateurs est perçue comme mettant en place un régime fédératif hautement centralisé, constituait tout de même pour l’essentiel une réponse adéquate aux désirs nationaux de la nation bas-canadienne de l’époque. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Ce livre porte pour l’essentiel sur l’analyse du droit constitutionnel positif canadien, c’est-à-dire du texte de la constitution elle-même et de

Page 21: LA NÉGATION DE LA NATION… · la philosophie, de l’histoire et de la science politique. Eugénie Brouillet renouvelle le droit constitutionnel en puisant généreusement du côté
Page 22: LA NÉGATION DE LA NATION… · la philosophie, de l’histoire et de la science politique. Eugénie Brouillet renouvelle le droit constitutionnel en puisant généreusement du côté

composé en minion corps 10,8selon une maquette réalisée par josée lalancette

ce second tirage est achevé d’imprimer en février 2006sur les presses de transcontinental métrolitho

à sherbrookepour le compte de denis vaugeois

éditeur à l’enseigne du septentrion

Extrait de la publication