la naissance d'un monde (foucault)

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29/02/2016 Te x te n°68 « La nais sance d'u n m onde » Mi chel Fo ucault Di ts Ecrits To me I http://1libertaire.free.fr/MFoucault402.html 1/3 Accueil Actualités Liens Textes Guides Thèmes /auteures Infokiosk Contact Licence "GNU / FDL" attribution pas de modification pas d'usage commercial Copyleft 2001 /2014  Moteur de recherche interne avec Google Cherche "Nouveau millénaire, Défis libertaires" « La naissance d'un monde » Michel Foucault Dits Ecrits Tome I Texte n°68 «La naissance d'un monde» (entretien avec J.M. Palmier), Le Monde, supplément : Le Monde des livres, no 7558, 3 mai 1969, p. VIII. Dits Ecrits Tome I Texte n°68 Michel Foucault, vous êtes connu aujourd'hui comme l'un des grands théoriciens de cet immense champ d'investigations qu'est l'épistémologie, et surtout comme l'auteur de deux livres qui ont enthousiasmé un vaste public : Histoire de la folie à l'âge classique et Les Mots et les Choses. Vous venez de publier récemment L'Archéologie du savoir. J'aimerais, si vous le voulez bien, que vous tentiez de préciser ce qui les unit. Les trois livres que j'ai écrits, avant celuilà, l'Histoire de la folie, Les Mots et les Choses et la Naissance de la clinique, je les ai écrits dans une demiconscience heureuse, avec beaucoup de naïveté et un peu d'innocence. Au dernier moment, je me suis rendu compte, en rédigeant Les Mots et les Choses, que ces trois séries d'études n'étaient pas sans rapport et que, d'autre part, elles soulevaient une foule de problèmes et de difficultés, si bien qu'avant même d'avoir fini Les Mots et les Choses je me suis senti dans l'obligation d'écrire un autre livre qui éclairerait l'unité des précédents et qui essaierait de résoudre les problèmes soulevés. Quand j'en ai pris conscience, j'ai été très déçu. On rêve toujours en écrivant que c'est la dernière fois et, en fait, ce n'est pas vrai. Les questions posées, les objections faites m'ont contraint à me remettre au travail et passablement stimulé, soit sur le mode de l'amusement, soit sur celui de l'intérêt, et parfois celui de l'irritation. Ce livre, L'Archéologie du savoir, c'est à la fois une reprise de ce que j'avais déjà tenté, le désir de rectifier des inexactitudes, des imprudences contenues dans les livres précédents, et aussi l'essai de tracer à l'avance le chemin d'un travail ultérieur, que j'espère bien ne jamais écrire, par suite de circonstances imprévues ! Pourriezvous préciser ce concept essentiel à votre entreprise, celui d'archéologie. Archéologie je l'ai employé par jeu de mots pour désigner quelque chose qui serait la description de l'archive et non du tout la découverte d'un commenc ement ou la remise au j our des ossemen ts du passé. Par archive, j'entends d'abord la masse des choses dites dans une culture, conservées, valorisées, réutilisées, répétées et transformées. Bref, toute cette masse verbale qui a été fabriquée par les hommes, investie dans leurs techniques et leurs institutions, et qui est tissée avec leur existence et leur histoire. Cette masse de choses dites, je l'envisage non pas du côté de la langue, du système linguistique qu'elles mettent en oeuvre, mais du côté des opérations qui lui donnent naissance. Mon problème pourrait s'énoncer ainsi : comment se faitil qu'à une époque donnée on puisse dire ceci et que jamais cela n'ait été dit ? C'est, en un mot, si vous voulez, l'analyse des conditions historiques qui rendent compte de ce qu'on dit ou de ce qu'on rejette, ou de ce qu'on transforme dans la masse des choses dites. L' «archive» apparaît alors comme une sorte de grande pratique des discours, pratique qui a ses règles, ses conditions, son fonctionnement et ses effets.

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Les problèmes posés par l'analyse de cette pratique sont les suivants :

‐ quels sont les différents types particuliers de pratique discursive que l'onpeut trouver à une époque donnée ?

‐ quels sont les rapports qu'on peut établir entre ces différentes pratiques ?

‐ quels rapports ont‐elles avec les pratiques non discursives, par exemplepolitiques, sociales, économiques ?

‐ quelles sont les transformations dont ces pratiques sont susceptibles ?

‐ On vous a reproché ‐ je pense à Sartre, en particulier ‐de vouloir substituerl'archéologie à l'histoire, de remplacer «le cinéma par la lanterne magique»(Sartre). Votre vision est‐elle si opposée à une pensée historique etdialectique comme celle de Sartre ? En quoi la contredit‐elle ?

‐ Je suis entièrement opposé à une certaine conception de l'histoire qui prendpour modèle une sorte de grande évolution continue et homogène, une sortede grande vie mythique.

Les historiens savent bien maintenant que la masse des documents historiquespeuvent être combinés selon des séries différentes qui n'ont ni les mêmesrepères ni le même type d'évolution. L'histoire de la civilisation matérielle(techniques agricoles, habitat, instruments domestiques, moyens detransport) ne se déroule pas de la même façon que l'histoire des institutionspolitiques ou que l'histoire des flux monétaires. Ce que Marc Bloch, Febvre etBraudel ont montré pour l'histoire tout court, on peut le montrer, je crois,pour l'histoire des idées, de la connaissance, de la pensée en général. Ainsi, ilest possible de faire l'histoire de la paralysie générale, l'histoire de la penséede Pasteur, mais on peut aussi, à un niveau qui a été assez négligé jusqu'àprésent, entreprendre l'analyse historique du discours médical au XIXe siècle

ou à l'époque moderne. Cette histoire ne sera pas celle des découvertes et deserreurs, ce ne sera pas celle des influences et des originalités, mais l'histoiredes conditions qui ont rendu possibles l'apparition, le fonctionnement et latransformation du discours médical.

Je suis aussi opposé à une forme d'histoire qui pose le changement commedonné et qui se propose comme tâche d'en découvrir.

la cause. Je crois qu'il y a pour l'historien une tâche préliminaire, plusmodeste, si vous voulez, ou plus radicale, qui consiste à poser la question : enquoi précisément a consisté le changement ? Ceci veut dire : n'y a‐t‐il pas

entre plusieurs niveaux de changements certaines modificationsimmédiatement visibles, sautant aux yeux comme des événements bienindividualisés, et certains autres, pourtant très précis, se trouvant enfouis àdes niveaux où ils apparaissent beaucoup moins ? Autrement dit, la premièretâche, c'est de distinguer des types différents d'événements. La secondetâche, c'est de définir les transformations qui se sont effectivementproduites, le système selon lequel certaines variables sont restées constantes,tandis que d'autres ont été modifiées. À la grande mythologie duchangement, de l'évolution, du perpetuum mobile, il faut substituer ladescription sérieuse des types d'événements et des systèmes detransformations, établir des séries et des séries de séries. Or qu'est‐ce qu'un

tableau, sinon une série de séries ? Évidemment, ce n'est pas du cinéma.

‐ On a souvent rapproché vos travaux des recherches de Claude Lévi‐Strausset de Jacques Lacan, amalgamées sous l'étiquette de «structuralisme», Dansquelle mesure acceptez‐vous ce rapprochement ? Y a‐t‐il une réelle

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convergence dans vos recherches ?

‐ C'est à ceux qui utilisent, pour désigner des travaux divers, cette mêmeétiquette de «structuralistes» de dire en quoi nous le sommes. Vousconnaissez la devinette : quelle différence y a‐t‐il entre Bernard Shaw etCharlie Chaplin ? Il n'y en a pas, car ils ont tous les deux une barbe, àl'exception de Chaplin, bien entendu !

‐ Dans Les Mots et les Choses, vous parlez d'une «mort de l'homme». Cela a

suscité une vive émotion et d'innombrables controverses parmi nos bonshumanistes. Qu'en pensez‐vous ?

‐ Il n'y a pas à s'émouvoir particulièrement de la fin de l'homme : elle n'estque le cas particulier, ou si vous voulez une des formes visibles d'un décèsbeaucoup plus général. Je n'entends pas par cela la mort de Dieu, mais celledu sujet, du Sujet majuscule, du sujet comme origine et fondement duSavoir, de la Liberté, du Langage et de l'Histoire.

On peut dire que toute la civilisation occidentale a été assujettie, et lesphilosophes n'ont fait qu'en établir le constat, en référant toute pensée et

toute vérité à la conscience, au Moi, au Sujet. Dans le grondement qui nousébranle aujourd'hui, il faut peut‐être reconnaître la naissance d'un monde oùl'on saura que le sujet n'est pas un, mais scindé, non pas souverain, maisdépendant, non pas origine absolue, mais fonction sans cesse modifiable.