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LA MORT DANS LES YEUX

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DU MÊME AUTEUR

De Lattre au Vietnam, La Table Ronde, 1965. Requiem pour l'Eglise de Chine, La Table Ronde, 1972. Armée d'Afrique (Prix Raymond-Poincaré), La Table Ronde,

1972. Vietnam, qu'as-tu fait de tes fils ? (Prix de l'Asie), Albatros,

1975. Bay Vien, le Maître de Cho lon, collection « Les Grands

Aventuriers », Hachette, 1977. Le Roi des bergers (roman), Plon, 1994.

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PIERRE DARCOURT

LA MORT DANS LES YEUX

PLON

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@ Plon, 1997. - ISBN"' 2-259-18690-4

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« Au milieu des armes, les lois sont silencieuses. »

CICÉRON.

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CALCUTTA : LE CONSUL ET LE PROFESSEUR

L'horloge de la tour de New Market marque dix heures. Une chaleur blanche et molle pèse sur Calcutta.

Dans Lindsay Street, un policier roux en kaki, baudrier astiqué à la terre de pipe, règle une circulation encombrée avec une étonnante autorité. Une Daimler bleue étincelle de tous ses chromes entre des taxis jaunes et un chariot tiré par deux bœufs bossus que pique un bouvier pressé d'échapper à un trolley. Sur les trottoirs, de jeunes hindoues drapées de saris éclatants, le front barré de perles d'or, des bracelets à leurs chevilles plus fines que leurs poignets avancent pieds nus. Doumè allonge le pas. A deux blocs de là, au 26 Shun- der Street, une plaque de cuivre marque l'entrée du consulat de France. Doumè s'y engouffre. Au fond d'un couloir, une lumière et un chauffeur en casquette se découvre, presque obséquieux. Le teint marron sous des cheveux collés à la gomina. Une moustache coupée à la Charlot sur des lèvres presque violettes et un sourire de rabatteur de bordel.

— Tu veux voir sahib Karam ? — Je veux parler à monsieur le consul, rectifie Doumè. Le chauffeur cogne à une porte vitrée, entre et la referme

derrière lui. Doumè inspecte la salle d'attente. Une table ronde, basse, des murs jaunâtres, des chaises métalliques à dossier droit. Le sol est recouvert d'un linoleum pisseux. Le chauffeur revient.

— Sahib Karam attendez toi. Vous me suit.

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Le bureau du consul n'est pas miteux. Deux fauteuils bridge en velours vert, une pendule dorée et une gravure hip- pique du derby d'Epsom. D'emblée, le consul ne plaît pas à Doumè. Grand, maigre, costume gris à larges rayures blanches, cravate noire à motifs argentés, il a une gueule de loukoum et l'élégance incongrue d'un barbeau de Port-Saïd. Calé derrière son bureau, massif, il fait signe à son visiteur de s'asseoir.

— Mon nom est Karam Gouzien. Le vôtre ? Doumè lui tend le titre d'identité et de séjour établi par le

consulat de Kumming et ajoute : — Tous les renseignements sont marqués là-dedans. Pendant que le consul parcourt le document, Doumè

détaille la pièce. Il aperçoit un sac de golf au garde-à-vous devant un coffre-fort et, accrochées au mur, côte à côte, deux grandes photos, l'une en couleur du maréchal Pétain, l'autre en noir et blanc du général de Gaulle. Il ne manque plus que le portrait du pape. Karam Gouzien relève ses yeux caves et demande d'une voix tâtonnante :

— Quand êtes-vous entré aux Indes ? — Ce matin à sept heures. C'est écrit au dos de la feuille. — Ah ! Vous êtes très jeune, à peine seize ans. — Seize ans et trois mois. — Quelqu'un peut répondre de vous à Calcutta ? — Personne. — Avez-vous fini vos études ? — J'ai passé mon premier bac en juin. — Dans ce cas, vous avez le choix entre Pondichéry ou

Alger. Je vous conseille Pondichéry où le lycée Dupleix est d'un excellent niveau.

Doumè se raidit. — Ecoutez, je n'ai pas franchi deux frontières et parcouru

cinq mille kilomètres pour caler mon borgne sur les bancs d'une école, même distinguée.

Le front du consul se plisse de lignes parallèles. — C'est quoi votre borgne ? — Mon derrière. Karam maîtrise un gloussement. Il rit comme un cul gercé,

en plus, sans desserrer les dents, marmonne Doumè.

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— Alors, vous êtes venu pour quoi ? — Pour m'engager et me battre contre les Japonais. — D'abord, vous n'avez pas l'âge et ensuite il n'y a

aucun bureau de recrutement français aux Indes, ni la moindre unité française.

Le consul se dirige vers le coffre à deux clés, l'ouvre et revient s'asseoir devant son bureau, une enveloppe kraft dans les mains. Il en tire une liasse de billets épinglés, un carnet à souche et un carton bleu. D'un coup sec, il tamponne le titre de voyage, le date et le signe. Puis il fixe Doumè de ses yeux obscurs et luisants dont la cornée semble avoir la jaunisse :

— Votre permis de séjour est valable trois semaines. Voici un billet de chemin de fer Calcutta-Bombay valable vingt jours. Et un titre de transport pour l'Algérie en troisième classe. Ce coupon de prise en charge donne droit à une chambre et deux repas par jour. Enfin, voilà deux cents rou- pies pour vos frais.

Sans hésiter, Doumè ramasse l'enveloppe et le billet. Au moment où il se lève pour prendre congé, la porte du bureau cède sous une poussée éléphantesque. Un colosse en cos- tume de toile claire de bonne coupe, un panama à la main, fait irruption dans la pièce.

— Alors, consul honoraire, comme à votre habitude vous mettez nos jeunes patriotes au train ?

Le consul se plie en deux devant le nouveau venu. — J'applique les instructions, Excellence. — De qui les tenez-vous, mon cher Karam ? De Vichy, de

Londres ou d'Alger ? Et vous, jeune homme, êtes-vous giraudiste ou gaulliste ?

— Je suis français. — Bonne réponse. Je suppose que vous vouliez vous

engager ? Vous n'avez pas choisi le bon bureau. Notre consul honoraire ne voit et ne sent que sous son nez.

La mine longue, le consul se tourne vers Doumè en bre- douillant :

— Je vous présente M. Chenard, agrégé de lettres et d'histoire, doyen de la faculté de Delhi, conseiller du maha- radjah de Kapurtala et ami personnel du vice-roi des Indes.

Le nouveau venu, même avec ses trois mentons, a le

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masque énergique, rehaussé par une coiffure en brosse dont les poils gris, courts et drus ressemblent à des soies de san- glier.

— Bien, mon jeune ami, dit M. Chenard, je crois qu'il vaut mieux aller faire un tour. Ce bureau a un arrière-goût de résignation appliquée.

Doumè incline la tête devant le consul figé. M. Chenard coiffe son panama.

— Impressionnant, n'est-ce pas ? Nous sommes sur Chowringhee, la plus grande avenue de Calcutta. Ouvrez vos yeux d'un bout à l'autre, jeune homme.

Doumè se tait et observe. Un soleil violent chauffe le bitume. A l'ombre des arcades, il voit passer des dizaines de bus rouges, couverts de réclames, et des tramways qui tan- guent sous le poids des grappes humaines, des calèches à quatre roues ornées de lampions de cuivre. Et des files de rickshaws, petites corbeilles laquées traînées par des cou- reurs noirs aux pieds nerveux, où des Anglaises roses et blondes ont l'air de poupées de porcelaine. Les chevaux por- tent des chapeaux en toile de lin, en forme de cloche ou pointus et en paille, à large bord qui protège le front et le haut de l'encolure.

— Il y a longtemps que vous êtes à Calcutta ? demande Doumè.

— Vingt ans. Quand je suis arrivé ici en 1923, la ville comptait à peine 600 000 habitants dont à peu près 20 000 Européens, surtout Anglais et Portugais. A cette époque, vers Fort William, s'étendaient une foule de somptueuses habita- tions ornées de colonnades, palais de style gréco-romain entourés de jardins. Ces merveilles n'étaient que des briques revêtues de stuc dont il fallait chaque année, après la saison des pluies, renouveler la peinture. C'est là que vivaient les plus riches Européens. Aujourd'hui, la ville est une fourmi- lière de plus de deux millions de Bengalis.

— Où se trouve la gare centrale, monsieur Chenard ? — A vingt minutes de marche. Prenons d'abord Old

Court puis House Street. La lumière aveugle Doumè qui met sa main en visière.

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— Tenez, voilà Howrah, la gare que vous cherchez. N'essayez pas de comprendre pourquoi les Britanniques édi- fient leurs gares comme des opéras, dit avec une moue le professeur.

La gare, avec sa rotonde ornée de girandoles, ses colonnes néo-grecques en pierre marbrée, ressemble en effet davan- tage à un théâtre lyrique qu'à une station de chemin de fer. Doumè contemple le spectacle. Un pont gigantesque embou- teillé de camions militaires kaki, d'automobiles et de char- rettes, domine l'emmêlement des grues, des longues files de cargos, les appels des remorqueurs, les paquebots peints en gris sur lesquels flottent des pavillons de cinquante, peut-être cent nations. Des odeurs de détritus, de goudron, de poix navale, mêlées à des relents de vase et de saumure, prennent à la gorge.

— Ça pue. Mais c'est impressionnant ! s'exclame M. Chenard.

Le professeur marque un temps puis demande : — Vous vouliez voir la gare, pour quelle raison ? — Le consul de France m'a donné un billet pour le train

de Bombay parce que j'ai refusé d'aller à Pondichéry. — Et là, enchaîne le Pr Chenard, il faudra trouver un

bateau pour Alger. Deux mois de mer et une année de lycée. D'habitude, il propose comme alternative Pondichéry, le phare des cinq comptoirs. C'est une ville française assoupie au bord de l'océan Indien avec une belle statue de Jeanne d'Arc et des rues encombrées de vélos. Si vous voulez y aller, vous pourrez y somnoler jusqu'à la mort de Hirohito.

Le professeur ôte son panama pour s'éventer le visage. — Vous avez un contact chez les Anglais ? — Aucun. — Vous avez besoin d'aide ? — J'ai besoin d'un appui pour entrer dans une unité de

combat. Le colosse pose sa large main sur l'épaule de Doumè. — Je vais vous donner ce contact. La suite dépendra de

vous. Je passerai demain à huit heures vous prendre à votre hôtel. Où logez-vous ?

— Au Malabar, monsieur.

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Il est près de midi. Le long du fleuve foudroyé de soleil, Doumè avance dans un bain de vapeur. En contrebas du pont d'Howrah, les masseurs et les barbiers ont installé sur les deux rives leur quartier général. Des crânes sombres empa- nachés de savon sont raclés au couteau à barbe, des mains expertes pétrissent des corps huileux. Doumè hèle un rick- shaw et s'assied sur les coussins de velours prune.

— Hôtel Malabar ! Entre les brancards, un hindou, les cheveux relevés en chi-

gnon par un peigne fourchu, nu sous un pagne, le dos ruisse- lant de sueur, trotte comme un cheval. Sur sa droite, Doumè voit défiler Maidan et ses terrains de polo, de cricket et de tennis... vides. En saison sèche, les joueurs et les cavaliers ne sortent qu'entre six heures et neuf heures du matin, ou alors après dix-huit heures.

Le coureur contourne la mosquée monumentale de Nakhoda. Des dômes bulbeux poudrés d'or, des minarets droits comme des lances, des rues où s'entassent des musul- mans. Une rue sans soleil, sale. Au bout de ce long couloir oppressant, un bâtiment de quatre étages vert amande, le Malabar Hotel.

Assis derrière un comptoir de bois, le réceptionniste ven- tru tire un mouchoir de coton gris et s'éponge. Doumè lui tend son carnet de coupons d'hébergement. L'homme replie son mouchoir. C'est un hindou avec un nez autoritaire coiffé de lunettes d'écaillé, et un sourire à pourboire.

— French ? — Oui. L'homme décroche la clé d'un casier et la tend, puis fourre

le carnet de coupons dans son tiroir. Sur le porte-clés en cuivre, le numéro de la chambre : 319. L'ascenseur grince et monte par à-coups. La chambre n'est pas vaste et sent le cré- syl. La moustiquaire est d'un blanc douteux, le lit étroit, mais les draps propres et repassés de frais. Au plafond le ventilateur tourne. La salle d'eau comporte une glace, un lavabo et un tub de zinc équipé d'un tuyau de caoutchouc raccordé à un gros robinet nickelé. Au pied du lit, un timbre

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de cuivre. Doumè actionne le marteau pour l'essayer. Surprise ! Deux notes hautes, aigrelettes, résonnent jusqu'au couloir. Moins de cinq secondes après, on cogne à la porte. Un boy bronzé, de longues boucles noires sous un turban blanc, s'incline et demande :

— May I help you, sahib ? Doumè se souvient qu'il devra mettre une chemise et un

pantalon propres demain matin. Il vide son sac et tend son linge sale et froissé au serviteur qui se redresse.

— C'est tout ? — Oui. Pouvez-vous me rapporter le linge à six heures

demain ? — Tout sera prêt ce soir, à six heures. Ici le soleil peut

sécher une chemise ou un short en deux heures, sahib. L'homme au turban porte la main à son front et s'éloigne

sans bruit. Doumè se laisse tomber sur le lit. Depuis son départ de

Kunming, la veille à huit heures du soir, il n'a pas fermé l'œil. Dix heures de vol à bord d'un Dakota, au-dessus des collines, des jungles de Birmanie et des contreforts de l'Himalaya, des secousses et des plongées terribles dans la vallée de l'Assam, unique brèche ouverte aux vents dans l'énorme barrière de roche et de glace des montagnes tibé- taines. Doumè tire le drap sur sa poitrine et s'endort.

Des coups brefs mais répétés frappés à la porte l'arrachent à la torpeur d'un sommeil profond.

— Your laundry, sahib. Six o 'clock! Le blanchisseur, vêtu d'une courte veste blanche et d'un

jupon blanc, rapporte le linge frais plié sur un plateau, salue et s'efface comme s'il regrettait d'avoir trop parlé.

Doumè relève son poignet gauche et réalise qu'il n'a plus de montre depuis Kunming où il l'a vendue pour payer trois jours de pension à l'hôtel du Commerce. Une Movado boîtier-or cédée à un changeur chinois plus avide qu'un rat de benne à ordures.

Doumè s'ébroue. Il fait lourd et le sommeil amollit. Plus tard, immergé dans le tub, les bras en croix, il se sent

l'âme emplie d'espérance. L'eau est tiède et terreuse. Une

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énorme araignée velue pend du plafond comme une ampoule noire.

En regagnant sa chambre, sec et bien frotté, il enfile ses vêtements. Il n'a rien mangé depuis la veille.

Le bois des longs corridors craque sous les pas. Une indé- finissable odeur anglaise — lampes à esprit-de-vin, crème pour chaussures jaunes, tabac de Virginie — imprègne l'hô- tel. Au première étage, le salon de lecture aux cretonnes rouges fanées n'a qu'un occupant. Un visage ridé sous des cheveux gris, costume de tussor et cravate noire, le nez bus- qué chevauché d'un lorgnon, l'homme calé dans un fauteuil de jonc feuillette sur la table basse un exemplaire de l' Illustrated London News, qui date de plusieurs mois.

L'homme au lorgnon interpelle Doumè d'une voix haut perchée :

— Bonsoir, jeune homme. Pour dîner, il est un peu tôt. Le service commence à sept heures. Et je crains que votre tenue ne soit pas...

Doumè se plante devant lui. — Vous êtes français, n'est-ce pas ? C'est pourquoi j'ai

tenu à vous renseigner et vous mettre en garde. Et lissez vos plumes de jeune coq au lieu de les ébouriffer !

Doumè desserre ses poings prêts à cogner. L'homme a escamoté son lorgnon et son regard brun pétille de malice. Il se lève et tend la main.

— Je m'appelle Jean Brunet. Cinquante-quatre ans, veuf et père d'un fils pilote dans la RAF. Je suis un Français de Shanghai où j'étais chancelier et officier du chiffre à notre ambassade. Vous êtes corse, je crois ?

— Français, réplique Doumè. Jean Brunet éclate d'un bon rire : — Excusez-moi. Je suis dans cet hôtel depuis deux ans. A

part un couple français d'une gentillesse désarmante, je n'ai vu aucun compatriote. Et le réceptionniste qui a enregistré votre arrivée, m'a dit : « Il y a un " froggie " à l'hôtel, telle- ment jeune qu'il n'a même pas besoin de se raser ! »

Doumè sourit. Reste le problème du dîner :

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— Pourquoi m'avez-vous dit que ma tenue n'était pas convenable, monsieur Brunet ?

Le Shanghaien répond : — Jeune homme, dans les lieux publics qu'ils fréquentent

en Asie, sur les paquebots ou à terre dans les colonies, les Blancs dînent en pantalon et cravate. A plus forte raison aux Indes où les Anglais sont stricts sur le maintien. Un gentle- man doit tenir son rang, surtout quand il n'en a pas.

Brunet cueille son chapeau, un bolivar taupé, le coiffe et ajoute :

— Bon, je ne vais pas vous acheter un pantalon ce soir. En revanche, je peux vous inviter à dîner au Temple Bar. Ça me coûtera moins cher. Et nous prendrons le temps de bavarder.

Dehors, la nuit chaude les oppresse. La porte principale de l'hôtel franchie, ils sont assaillis par les marchands de fleurs, les bras chargés de guirlandes de jasmin et de tubéreuses qui distillent un parfum pénétrant. Les rues sont une succession de bazars qui racolent sous la lumière éblouissante des lampes électriques en jouant de leurs étalages comme de mille prunelles.

— Il n'y a pas de black-out ? — Plus depuis un an. Trois escadres de chasseurs cou-

vrent la ville, des Spitfire et surtout des P.47 Thunderbolt américains flambant neufs. Les avions japs ont les pattes trop courtes pour venir jusqu'ici. Bon, nous sommes à dix minutes à peine de Park Street où se trouve le Temple Bar.

Un immeuble laisse échapper des flots de musique tzi- gane.

— C'est le Bristol Hotel, dit le Shanghaien. Un vrai palace. De grandes dames cosmopolites fument des ciga- rettes turques à bout doré dans les fauteuils Regency du hall et les lustres en cristal de Bohême valent dix mille dollars pièce.

— Pour dîner là, relève Doumè, il faut un smoking et quelques liasses de billets. Moi, j'ai une faim de piège à loup et je suis prêt à manger, la gueule au ras du trottoir, au milieu des coolies.

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Brunet rit et annonce : — On arrive. La façade du Temple Bar est encadrée de néons rouges et

bleus. Des portes finement grillagées protègent la salle des mouches et des insectes. A l'intérieur, deux tablées de marins, la nuque rentrée dans des épaules d'athlètes, sifflent un air obsédant : « A pretty girl is like a melody ! »

— Les Anglais ne savent pas chanter mais sifflent bien, souligne Brunet.

Les serviteurs cinghalais, très noirs en turban vert, longue robe blanche et large ceinture brodée, glissent, impéné- trables. Brunet fait signe à Doumè de s'asseoir en face de lui.

— Deux steaks Temple Bar et un chop-suei, commande-t- il. Et deux bières !

— Pas pour moi, rectifie Doumè. Plutôt un double jus d'orange.

Le serveur pose une chope de bière enveloppée de bruine glacée et une carafe de jus d'orange frais. Le steak de Doumè, épais et large, couvre l'assiette. Le chop-suei dans un plat en faïence s'amoncelle en un monticule de nouilles chinoises sautées avec des champignons. La viande est ferme et juteuse. Doumè l'attaque. Brunet observe le jeune homme broyer son steak avec une férocité retenue. Il ne reste rien dans les deux assiettes. Doumè se sent mieux. Le serveur silencieux débarrasse la table. Les marins ont sorti leurs pipes et s'enveloppent d'un nuage de fumée odorante.

— Il y a longtemps que vous vivez aux Indes ? — Trois ans. Rien à voir avec l'Indochine. L'Inde, c'est

une société de pullulement. Des foules crasseuses, peinturlu- rées, qui s'emportent comme des fleuves en crue. Une popu- lation d'une complexité incroyable : 380 millions de sujets qui piaillent sept cents langues ou dialectes différents et pro- fessent une vingtaine de religions. Les Anglais, installés depuis deux cents ans, ont encadré ces foules, démonté le mécanisme des castes qui les régentaient pour en faire le cœur et la masse d'armes de l'Empire.

— Comment ont-ils opéré ? Le Shanghaien réfléchit avant de s'exprimer : — Au départ, une poignée d'hommes exceptionnels et

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des régiments de tradition, les services secrets de Sa Majesté et une police de fer.

Brunet marque une pause et reprend : — Les étrangers ont du mal à mesurer cette emprise. Ils

critiquent le snobisme des Anglais, leur façon de s'amuser tristement, leur vénération des bonnes manières, du sport, de l'étiquette. Et ils se plantent ! Car sous une façade de luxe et de privilèges, les Britts font preuve d'un sens strict du devoir. Les officiers de l'armée des Indes et les fonctionnaires du service civil, souvent de souche aristocratique, représentent la troisième ou quatrième génération de leur famille à servir ici. Ils exercent toutes les responsabilités, gardent les fron- tières, réduisent les troubles, luttent contre les épidémies, les famines. Et ils ont implanté la loi et la justice dans ces masses sombres où la misère est insondable.

— Et qu'ont-ils fait des castes ? Brunet se met à rire. — Ils n'ont rien changé aux castes. La population est

divisée en quatre grandes castes et plusieurs centaines de sous-castes La première caste est celle des brahmanes, détenteurs du pouvoir spirituel et religieux. Mais au-dessus, il y a une supercaste, celle des Anglais. Leurs clubs, leurs restaurants, leurs wagons de chemin de fer sont interdits aux natives, aux indigènes. Les endroits qu'ils fréquentent sont interdits aux gens de couleur.

— Même aux maharadjahs ? — Les maharadjahs ne fréquentent pas les endroits réser-

vés aux Anglais. Ils les invitent dans leurs palais. J'ai été reçu, une fois, dans la résidence du maharadjah de Patiala, enchâssée dans des jardins à la française. J'y ai vu des kiosques de marbre, des fontaines italiennes, des collections d'oiseaux rares, douze Rolls alignées, briquées à la main, et un chenil où s'ébattaient plus de cent chiens de différentes races. A deux cents pas du palais, proche de la jungle, j'ai découvert le champ d'aviation et les hangars de la flotte de l'air du maharadjah.

Le serveur cinghalais, coudes collés au corps, avance vers la table sur ses pieds nus qui dépassent à peine sa robe immaculée et tend l'addition. Brunet chausse son lorgnon et

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glisse un billet de cinq roupies dans la feuille pliée. Il coiffe son bolivar et repousse sa chaise.

Dehors, la nuit est traversée d'arômes de cannelle et de benjoin.

Devant la station de Park Street, ils assistent à une scène curieuse. Une troupe de singes à longue queue s'engouffre dans le bus qui vient d'Indian Gate. Les singes vont vers le conducteur, l'entourent, le dévisagent, quittent le véhicule et se regroupent sur le trottoir.

— Je me demande à quoi ils jouent, dit Doumè. — Ils ne jouent pas, rétorque le Shanghaien. Ils cherchent

quelqu'un. Les longues queues attendent. Lorsque le second bus

arrive, la scène se répète. La bande fonce droit sur le chauf- feur, le renifle, le regarde dans les yeux et ressort. Doumè commence à croire que Brunet a raison. Quand le troisième bus stoppe à son tour, la horde se rue à bord. Le chef de bande se jette sur le conducteur, le griffe, le mord. Les passa- gers ne bronchent pas. Les singes, en mêlée, encerclent le chauffeur et le tirent hors du véhicule. Les vêtements en loques, la figure déchirée, le malheureux réussit à s'échapper et se réfugie dans une voiture en stationnement garée à quelques mètres. Le chef des assaillants s'approche d'un policier, lui tape sur l'épaule en désignant le chauffeur. Intrigué, l'agent lui intime l'ordre de sortir. A peine a-t-il ouvert la portière que ses poursuivants le tabassent de nou- veau avant de détaler vers les arbres.

Un hindou imposant et gras explique au policier médusé : — Je sais pourquoi ils ont fait ça. Hier soir, sur la même

ligne, le chauffeur a jeté dehors le singe qui avait pris place sur une banquette. Ce soir, il est revenu avec du renfort.

Le Shanghaien dit à Doumè : — Rentrons à pied. Et retenez ceci, ne jetez jamais une

pierre à un singe, c'est un animal sacré. — Et quand ils ne cassent pas la gueule à un conducteur

d'autobus, ils font quoi, les singes ? — Ils règnent, énonce Brunet avec une grimace de

dégoût. Quarante millions de singes vivent aux Indes et se reproduisent plus vite que les Indiens. Ils ont un temple,

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celui de la déesse Durga, patronne des singes à Bénarès, et se promènent à leur gré dans les arbres et sur les toits. Ils absor- bent chacun autant de nourriture qu'un homme et ne souf- frent pas de la faim, car ils se servent sans risque chez l'habi- tant.

— Kipling les appelait les « Bandar-log », le peuple des singes braillards et dévastateurs, remarque Doumè.

A la réception, Brunet et Doumè récupèrent leurs clés. L'homme du desk a le visage osseux et une barbe grison- nante, soigneusement taillée. Il parle français :

— Bonsoir, messieurs. Réveil à quelle heure ? — Comme tous les matins, Lucat, six heures et demie,

répond Brunet. Et vous, jeune homme ? — Même heure, s'il vous plaît. Brunet, avant de s'éloigner, se tourne vers Lucat. — Dites à votre endormi du room-service, sans l'arracher

en sursaut à son sommeil, de nous servir deux thés au salon de lecture. Du darjeeling, en feuilles de préférence, infusé cinq minutes. Pas plus !

Le salon de lecture est vide. Cinq minutes plus tard, un serveur qui ressemble à un roi mage pose un plateau sur la table basse.

— Le darjeeling est cultivé jusqu'à 2 500 mètres dans l'Himalaya, énonce Brunet, comme s'il appréciait un bor- deaux de vingt ans d'âge.

Le breuvage fort et ambré est savoureux. Doumè observe les mains du Shanghaien. Des mains de scribe.

— Excusez-moi. Vous travaillez à Calcutta ? — Bien sûr. Je suis rédacteur au bureau du gouverneur du

Bengale, en charge de la correspondance avec les cinq comptoirs français. Je suis, comment dire... indispensable et convenablement payé. Et comme je suis seul, je vis dans cet hôtel débarrassé de servitudes.

— Vous connaissez Pondichéry ? — Non. Et je ne brûle pas de m'y rendre. Notre consul

honoraire y expédie les Français qui l'embarrassent. La seule

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ville que je connaisse, c'est Madras. J'y suis allé, il y a six mois, sur un vieux paquebot, le Mootan. Trois jours de mer.

— Ça vous a plu ? — Beaucoup. C'est une curiosité du passé oublié de la

France. Il y a le fort Saint-Georges où Français et Anglais se sont tant battus. Nul ne se souvient plus en métropole que Bertrand François Mahé, comte de La Bourdonnais, avait mis en fuite l'escadre anglaise de Barnet. Ni des gentils- hommes aventuriers en perruques poudrées et larges bottes de marins, sentinelles de la France en Orient, qui finirent sur l'échafaud. Dans la ville indolente, des chars traînés par des bœufs passent sous la voûte des arbres. Devant des maisons coloniales éclatantes de blancheur, se dresse aussi un séma- phore vieillot à deux éclats, blanc et rouge, avec sa lunette de cuivre plus grande que moi pour suivre les bateaux sur la rade.

Brunet secoue la tête et se lève : — Il ne faut jamais s'immerger dans la nostalgie, mon

jeune ami.

Sept heures. Le porridge est brûlant et la crème est fraîche. Sur la nappe à fleurs, des couvercles de métal coiffent des surprises chaudes. Doumè découvre l'abondance du break- fast anglais. Le premier couvercle cache trois œufs au bacon, le deuxième le poisson frit et un plat recouvert d'une ser- viette offre des toasts grillés. La bouche pleine, Doumè louche sur un guéridon où s'étale une corbeille de fruits : des mangues, des bananes et des oranges. Le cœur joyeux, il a faim. Une fois rassasié, il regarde autour de lui. Le Shanghaien n'est pas là. Trois Anglais se nourrissent calme- ment. Il doit être sept heures et demie, calcule Doumè. Le serveur lui reverse une tasse de thé.

Dans la salle, les pipes s'allument. L'odeur du bacon se mêle à la fumée du virginian. L'atmosphère est prodigieuse- ment britannique. Par les fenêtres ouvertes, l'haleine épicée et fétide de Calcutta pénètre dans la pièce, mais ne trouble pas le confort des trois Anglais. Le thé, le breakfast, le tabac blond les isolent de la rue et des Indiens.

Huit heures moins cinq. Un fastueux roadster s'immobi-

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lise devant l'hôtel Malabar. Le professeur Chenard en des- cend. Très élégant, blazer marine en alpaga, cravate club, pantalon beige.

— Bonjour, jeune homme. Prêt ? On embarque. Carrossée en panneaux de cuivre, la voiture brille comme

un lingot. Pneus cerclés de blanc, roues à moyeux creux au centre, et sur la calandre interminable, au-dessus d'un splen- dide radiateur au dessin de temple grec, trône une statuette d'argent aux ailes déployées. Devant le capot, deux phares et deux trompes en cuivre. Une Rolls !

— Ne restez pas pétrifié ! Montez du côté rue. Ici le volant est à droite. Les Anglais conduisent à gauche.

Les sièges de cuir fauve sont souples mais fermes, l'inté- rieur des portières et le tableau de bord en bois précieux. La Rolls fend la cohue comme un bateau.

— C'est une belle machine, n'est-ce pas ? dit le profes- seur Chenard. C'est une décapotable Twenty 1929. Cin- quante chevaux dans le ventre. Un exemplaire unique, un modèle américain.

— Mais Rolls est une marque anglaise ! — Exact. Mais les Britanniques ont fondé à l'automne

1919, aux Etats-Unis, une société, la Rolls Royce of America, pour fabriquer leurs voitures. Elle a fait faillite en 1934.

— Les Rolls coûtent une fortune. — Je ne l'ai pas payée, réplique en riant Chenard. Le

maharadjah de Kapurtala, dont je suis le conseiller et le représentant à Calcutta, l'a mise à ma disposition, il y a dix ans. C'est une voiture de fonction. Et aujourd'hui je suis en fonction puisque nous allons au quartier général de l'armée. Dans cet équipage, les sentinelles ne nous arrêteront pas.

Le professeur conduit d'une main sûre. Le long du Park Maidan, un mausolée de marbre blanc réfléchit la lumière éblouissante du premier soleil.

— Cette énorme pièce montée, c'est le Memorial Victoria, élevé par lord Curzon en hommage à la reine Victoria, impératrice des Indes qui, soit dit en passant, n'y a jamais mis les pieds. Et maintenant, tenez-vous prêt, nous arrivons.

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En trois mouvements secs, deux sentinelles coiffées du casque plat, se figent et plaquent leurs fusils sur la poitrine. La grille actionnée électriquement s'ouvre au ralenti. La Rolls roule sur une avenue centrale sablée de rouge, bordée de gazon. De grands arbres d'un vert presque noir encadrent des flamboyants couleur de feu. Le professeur engage la voi- ture dans l'allée médiane qui contourne la splendide rési- dence blanche et bleue du général en chef britannique, per- cée de fenêtres horizontales avec des balustrades. Au détour de l'allée, changement de décor. Une vingtaine de tentes kaki numérotées, des motocyclistes, des antennes radio font face à un long bâtiment ocre. Le professeur Chenard coupe le moteur :

— Nous y sommes. Un escalier de trois marches, une plaque de cuivre à droite

de l'entrée : « Government Office ». A l'intérieur, un sergent en casquette à bande rouge, flegmatique et dominateur, dévi- sage Doumè.

— Have a seat. Asseyez-vous. Chenard disparaît derrière une porte vernie et revient au

bout de cinq minutes. — Je vous laisse. Le major Philipp Hendy va s'occuper

de vous. Je repasserai en fin de matinée. Doumè ne bronche pas. Depuis son départ d'Indochine,

trop d'événements l'ont secoué. Les minutes passent. Le grand sergent lui tape sur l'épaule :

— Your number is up. C'est votre tour. Le sergent frappe à la porte, ouvre et salue comme un

automate. — The Frenchie is here. Le Français est ici. — Come in, young man. Entrez, jeune homme. La voix est bien timbrée. L'homme, solide, brun, rasé de

frais, en chemisette de toile kaki, porte des épaulettes frap- pées d'une couronne brodée qui marque son grade. Il a des yeux d'acier et des dents éclatantes. Il paraît jeune pour un commandant. A peine trente ans.

— Do you speak english ? Parlez-vous anglais ? — Yes, I do, sir ! Le major sourit et reprend en excellent français.

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— Bien, essayons de gagner du temps. Je suppose que vous écrivez et lisez l'anglais ?

— Assez bien, je pense. Mais mon français est meilleur. — OK. Vous allez remplir cet imprimé pour déblayer le

terrain, après nous causerons. Pour le poids et les mesures, ne perdez pas de temps à convertir les livres et les pieds. Utilisez le système métrique.

D'une écriture déliée, Doumè couche sur le papier les réponses au questionnaire : « Nom : Pieri. Prénom : Dominique. Age : 16 ans et 3 mois. Lieu de naissance : Sai- gon. Etudes secondaires : lre partie du bac. Taille : 1,74 mètre. Poids : 60 kilos. Maladies infantiles : néant. Maladies infec- tieuses : jamais. Religion : catholique. Sports pratiqués : natation, boxe, équitation. Langues : anglais, italien, notions de japonais. Profession du père : planteur. Son adresse : pri- son centrale de Hanoi. Que savez-vous des Japonais : trop de choses pour tenir dans les deux lignes du questionnaire. »

Son pensum achevé, Doumè le tend au major. Pendant que l'officier parcourt le papier, le jeune homme promène son regard sur les murs du bureau. Une carte des Indes, une bat- terie de téléphones gainés de cuir et, entre deux classeurs, une pancarte avec cette inscription : « Le port de la mous- tache est strictement interdit pendant les heures de ser- vice. » Doumè éclate de rire. Le major Hendy lui adresse un clin d'oeil et dit : « Vous savez, ça marche à tous les coups, surtout avec mon colonel qui fait demi-tour chaque fois qu'il tente d'entrer dans mon bureau ! »

Et, redevenant sérieux, le major reprend : — Le professeur Chenard dit que vous voulez vous enga-

ger. Quelles sont vos raisons ? — Des raisons personnelles. Et je veux me battre contre

les Japonais. — Commençons par les raisons personnelles. — Mon père avait un poste radio et communiquait avec

les services britanniques. Il est en prison depuis dix-huit mois à Hanoi. Ma mère est dans un camp de concentration dans l'ouest de la Cochinchine. Et j'ai été rossé par Ando Kaotaki, le bourreau de la Kempetaï, la Gestapo japonaise.

— Il ressemble à quoi, cet Ando ?

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— Grand pour un Japonais. Une gueule répugnante, plate, une barbe assez longue, avec des poils fins pareils à des fibres de maïs et pas de moustaches. Il a des bras démesurés, plus longs que ses jambes. C'est un expert en jiu-jitsu, entraîné à tuer à mains nues. Quand il m'a frappé, j'ai cru qu'il me brisait les os un à un. J'ai perdu connaissance. Et quand je me suis réveillé, j'avais le corps presque noir, cou- vert d'hématomes.

— Pourquoi vous a-t-il frappé ? — Il cherchait le poste radio de mon père. — Il l'a trouvé ? — Non. — Où se trouve la plantation de votre père ? — Aux abords de Nui B a Den, la montagne de la Vierge

noire, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière du Cambodge.

— Votre père ne vous a jamais donné son indicatif radio ? — Sûrement pas, monsieur ! Quand je l'ai vu au parloir

de la prison d'Hanoi pour lui dire que j'allais passer la fron- tière, il m'a simplement dit : « Si tu rejoins les Indes, essaie de rencontrer sir Reynolds. Son prénom est Ward. C'est un officier de l'état-major et un vrai gentleman. »

— Attendez-moi ici quelques instants ! Le major Hendy se lève et quitte la pièce. Un quart d'heure plus tard, il revient. — Suivez-moi. Au bout d'un corridor, une porte massive. Un clignotant

vert s'allume. Le major Hendy actionne un bouton de laiton ciselé, entre et salue, raide, en claquant des talons. L'atmosphère générale est à la rigueur, les murs blancs crépis mettent en valeur la sobriété d'un bureau en chêne ciré. Devant le bureau, deux chaises à bras tapissées de damas rouge, avec des pieds en lame de sabre. Derrière le bureau, une courte pipe sous la moustache, des yeux bleus froids mais attentifs, et sur chaque épaulette deux carrés et une cou- ronne dorés, un colonel sorti tout droit d'une page de Kipling. Quand il se lève, il est encore plus impressionnant. Uniforme en gabardine, baudrier et ceinturon de cuir, et pan-

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talon taillé dans un plaid écossais. Il s'avance vers Doumè, lui tend la main et dit :

— Je suis sir Ward Reynolds, colonel du Gordon Highlanders. Bienvenue chez nous !

Doumè ne répond rien. Le colonel montre un des deux fauteuils.

— Asseyez-vous, nous allons causer un moment. Doumè obéit. Le colonel reprend place derrière son

bureau. Hendy s'installe dans le deuxième fauteuil. — Comment va votre père ? — Sa situation n'est pas très confortable, monsieur. — Je suis au courant. Les Japs n'ont pas trouvé son poste

radio. C'est moi qui lui avais confié cet émetteur avant de quitter l'Indochine en 1940. Il nous a transmis d'importantes informations. C'est un ami sûr et courageux.

— Excusez-moi, monsieur. Vous le connaissiez depuis longtemps ?

Le colonel sourit et ses yeux de glace semblent se dégeler. — J'ai passé dix ans en Indochine. J'étais directeur de la

Shell. J'ai rencontré votre père en 1932. C'était mon parte- naire de bridge. Excellent joueur. J'ai aussi souvent chassé avec lui, le tigre et le gaur. C'est un grand fusil. Comment avez-vous réussi à quitter l'Indochine ?

— Grâce au commandant Brandi. — Le héros de Dong-Van ? — Je pense, il est borgne, noueux, gris et une balafre sur

la joue droite. — C'est bien lui. En octobre 1940, mon cher Hendy, ce

vieux guerrier, accroché avec cent hommes à un piton perdu près de la frontière de Chine, sans armes lourdes et sans liai- sons, a tenu trois jours et taillé en pièces une brigade japo- naise. Où est-il maintenant ?

Doumè un peu gêné par la question, biaise : — La Kempetaï a mis sa tête à prix. Le commandement

français, pour le protéger, l'a officiellement déclaré « mort au combat ». Pour éviter d'être reconnu, il s'est laissé pousser la barbe.

Hendy insiste : — De quoi vit-il alors ?

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— Je crois, sous toute réserve, qu'il a pillé un entrepôt d'opium à Long-Hoa et s'est replié en haute région avec une trentaine de fusils. En tout cas, il n'est pas fauché.

Les deux Anglais sourient. Puis sir Reynolds dit à Doumè : — Parlons de vous. — Le commandant Brandi m'a acheté un cheval et appris

à lire une carte. Puis il m'a remis une lettre de recommanda- tion pour le sous-préfet chinois de Ping-Siang qui le respecte beaucoup depuis les combats de Dong-Van. Le sous-préfet m'a très bien reçu, fourni un sauf-conduit et un garde armé. J'ai mis quinze jours à rejoindre Kunming. Là, j'ai d'abord vendu ma montre pour payer mon hôtel puis mon cheval pour régler mon billet d'avion Kunming-Calcutta.

Le colonel s'adresse au major Hendy : — Faites-lui remplir et signer les formulaires d'engagé

volontaire pour la durée de la guerre. S'il faut un répondant, inscrivez mon nom.

Une bouffée de joie et de fierté traverse Doumè. Il étouffe le cri qui monte de sa gorge. Le regard de sir Reynolds se plisse, malicieux :

— Satisfait ? — Très content, monsieur. — Alors, bonne chance, fils de Louis. Hendy et Doumè se retirent. Au moment où ils franchis-

sent la porte, sir Reynolds interpelle le major : — By the way, Hendy, à propos, débrouillez-vous pour lui

trouver une montre ! De retour dans le bureau du major, Doumè signe sans les

lire les trois exemplaires confirmant son engagement. Le major récupère les papiers, tire de son classeur un chrono- mètre d'acier et le tend à Doumè.

— Une montre d'officier, jeune homme, bracelet de cuir surpiqué, et elle est waterproof.

Doumè la passe à son poignet. Le major lui tape sur l'épaule :

— Vous avez quartier libre. Je passerai vous chercher après-demain matin au Malabar Hotel à six heures et demie. OK?

— Je serai prêt.

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— Le professeur Chenard vous attend dans l'allée médiane du parc.

Doumè salue de la tête et se dirige vers la porte. La voix du major le stoppe net :

— Dekimasuka ? Vous allez y arriver ? « L'enfoiré, gronde Doumè. Il essaie de me baiser en par-

lant japonais. » Il respire un bon coup, rassemble son vocabu- laire et répond : « Mochiron ! Dekiru dake hayaku ! Bien sûr ! aussi vite que possible ! »

Le major claque des mains : — Right. Ometedo ! Compliments. Bonne journée.

Au volant de la Rolls, le professeur s'évente avec son cha- peau de paille de Java :

— Alors, ça a marché ? — J'ai signé mon engagement. Je vous remercie, mon-

sieur Chenard. Mille fois merci. — Ne me remerciez pas, mon petit, grogne le professeur.

Ils vont vous jeter d'un avion comme un sac à linge sale. Vous allumer à la mitrailleuse, vous faire courir plus vite et plus longtemps qu'un coureur de rickshaw. Vous allez ram- per dans la boue sous les barbelés. Ils vont vous affûter comme une dague. Et si vous tenez jusqu'au bout, vous parti- rez crever du Japonais en Birmanie. Alors, avant que la par- tie ne commence, nous allons dépenser l'argent de notre consul.

— Tout l'argent ? demande Doumè, une pointe d'inquié- tude dans la voix.

— Enfin, une bonne partie. Je vous invite à dîner, ce soir, à l'Oriental. On n'y reçoit pas les invités sans pantalon. Alors, je vous emmène chez mon tailleur.

La Rolls traverse le zoo. Un carré de jungle adossé au fleuve d'où déferle un parfum fort et corrompu de fleurs, de fauves, d'encens et de vase remuée. Dans les buissons der- rière les grilles, presque invisibles, les bêtes prisonnières, des tigres, des éléphants, des panthères s'ébrouent brusquement dans leurs cages quand passe le roadster. La Rolls franchit un pont de briques roses, rejoint Chowringhee et s'engage dans

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Bowbazar Street. Le professeur immobilise la voiture devant le numéro 23.

— Nous entrons chez Albany, jeune homme. La plus ancienne maison de Calcutta et le temple de l'élégance mas- culine.

Le portier en habit bleu et boutons dorés ouvre une porte verte relevée de baguettes de cuivre. L'entrée est d'un luxe raffiné et chaleureux. Les murs sont recouverts de satin cou- leur pêche. Une console en onyx, surmontée d'un grand miroir vertical dans un cadre rehaussé d'or, constitue à peu près le seul ameublement de la pièce.

Derrière une porte doublée de cuir, les salons. Deux vastes pièces aux murs rouge orangé, des colonnes en bois peint et doré, des glaces montées sur pied, des comptoirs cirés et, sur des étagères, des centaines de coupons de laine froide, de soie, de cachemire.

Un homme à cheveux blancs, précieux, en gilet de brocart mauve et pantalon abricot, avance à leur rencontre d'un pas sec et les mains souples.

— Bonjour, Jermyn. Je vous amène un client qui doit avoir l'air comme il faut avant six heures ce soir.

— Je comprends. Look right. Costume de coton et soie d'un gris léger. Chemise et col dur, cravate club, énonce le maître d'un ton qui ne souffre aucune discussion. Et bien sûr, pas de chaussures jaunes. Passé six heures, les gentlemen sont en souliers noirs.

Doumè regarde l'Anglais avec des yeux ronds. Jermyn évalue le jeune homme sans se servir du mètre ruban qu'il porte autour du cou :

— Epaules 105. Encolure 37. Taille 70. Il est mince, droit, facile à habiller. Combien chaussez-vous, monsieur ? 40, 41 ?

— 40. — Bien. Nous allons nous occuper de vous. Un claquement de doigts. Un Indien en gilet jaune et pan-

talon noir arrive en foulées souples avec un costume sur un cintre et son « hérisson » fixé par un élastique au bras gauche. En quelques minutes, les retouches à effectuer sont

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marquées avec des épingles, les chemises posées sur le comptoir.

— Right ? Jermyn, mettez tout sur ma note et faites livrer à dix-huit heures au Malabar Hotel.

— Professeur, proteste Doumè, je peux payer... — Vous plaisantez, mon cher, lance M. Chenard. Albany

n'est pas à la portée d'un candidat parachutiste qui n'a pas encore touché sa prime.

Seize heures. Doumè se sent riche avec son chrono suisse. Dans le hall de l'hôtel, le Pondichérien à barbe en pointe a remplacé l'entripaillé. Doumè tourne à gauche en direction de la ville indigène. Et tout change brusquement. Des bazars, des ruelles étroites, des marchands ambulants de fruits, de brochettes, une cohue bruyante d'hommes sombres qui crient, s'interpellent. Une foule grouillante qui bat les murs et les trottoirs comme un flot contre une digue. Un homme étrange s'approche de Doumè. Il est très vieux, décharné. Trois raies blanches parallèles strient la peau noire de son torse et de ses jambes. Le même dessin se répète sur les joues et le front. Le vieillard s'arrête et tend une calebasse.

— One ana. One ana. Une pièce, une pièce. — C'est un sadou, chuchote une voix à l'oreille de

Doumè. Un saint vivant. Regardez le point au milieu du front. Il est brahmane.

— Merde ! Brahmane et il mendie ? En se rejetant en arrière, Doumè se retrouve au milieu

d'un cercle hideux. Une horde de mendiants. Des aveugles, les yeux remplis de pus, des manchots, des corps couverts de plaies, des enfants estropiés ou déformés. L'un d'eux n'a plus de jambes et se traîne sur le trottoir en rampant comme un ver. Pour ne pas se déchirer la peau, il s'est enveloppé le bas du corps dans de vieux morceaux de chambre à air. Doumè bondit, s'arrache aux mains tendues et court. La rue s'ouvre à nouveau. Adossé à l'échoppe d'un coiffeur, il reprend son souffle.

Au carrefour encombré de Byeullah, un Indien ventru, lourd et féroce, perché sur sa charrette, tord la queue en vrille du bœuf attelé. Le bœuf mugit et tire plus fort. Pour

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augmenter l'allure, le bouvier pervers introduit dans l'orifice découvert par la queue relevée un long bâton et appuie à fond comme sur un accélérateur.

— Quel salaud ! s'indigne Doumè. Voilà des gens qui sont végétariens, n'écrasent pas une mouche, ne jettent pas un caillou à un corbeau qui pourrait être une danseuse ou un procureur réincarnés et ce gras double passé au cirage enc... son bœuf avec un pieu.

Une main furtive se glisse dans la poche de son short. Doumè réagit vite, bloque la main, pivote et cogne d'un cro- chet au ventre. Le voleur s'effondre. KO. Stupeur des pas- sants. Puis des cris et un attroupement hostile. Noble et colossal, un policier sikh écarte à coups d'un long bâton ferré les gesticulateurs. Un turban noir ajusté avec précision ajoute à sa prestance. Une belle barbe lui encadre le visage. Ses yeux fiers fixent Doumè.

— Vous n'avez rien à faire ici. C'est le quartier des Dravidiens et des parias. Le rebut nègre.

L'attroupement disparaît et la chaussée paraît large. Le grand policier escorte Doumè jusqu'au Malabar Hotel. Un bref salut :

— Salam, sahib !

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LES YEUX D'OR NOIR

Debout devant le miroir du hall, Doumè s'étire. Il a du mal à se reconnaître dans son nouveau costume. Aucun faux pli. Les chaussures ont été livrées légèrement cirées, le cuir des semelles gratté à la brosse de fer pour éviter de glisser et de faire une mauvais chute. Derrière lui, Jean Brunet émet un sifflement admiratif :

— On vous croirait tombé d'une gravure de mode. Vous allez à une réception du Yacht Club ou au Brooks ?

— Je vais dîner avec un ami. — Le pilote de la Rolls qui brille tellement qu'il faut

mettre ses lunettes de soleil pour la regarder ? Doumè sourit. Tout se sait au Malabar. — Je vois que vous avez un superbe chronomètre. Vous

avez touché votre prime d'engagement ? Doumè lève la main pour signifier qu'il faut arrêter

commentaires et questions. Cinq minutes après, le professeur Chenard, costume

sombre, cravate blanche, fait son entrée dans le hall. Doumè lui emboîte le pas. Les phares de la Rolls balaient la rue comme des projecteurs.

— Alors on cogne les Indiens pour se distraire ? interroge Chenard sans élever le ton.

Doumè se raidit sur son siège. Comment ce curieux pro- fesseur sait-il déjà ce qui s'est passé ?

— Je vous ai posé une question.

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Cette fois, le ton est ferme. — Je n'ai pas cogné les Indiens. J'ai tricoté les côtes d'un

voleur qui essayait de me piquer mon morlingue... pardon, mon portefeuille.

— Vous ne l'avez pas touché aux côtes, vous lui avez éclaté la rate.

Doumè, pétrifié, se tait. — Pourquoi l'avez-vous frappé au ventre plutôt qu'à la

figure ? — C'est plus efficace. Mon prof de box m'a toujours dit

et enseigné : « Devant un nègre, ne frappe pas à la tête, tu te casseras les mains. Tu tapes à fond dans le buffet. »

— Un Indien n'est pas un nègre, rectifie Chenard. Bien reçu ?

— Compris, professeur. — Vous avez pris des leçons de boxe longtemps ? reprend

Chenard. — Deux ans. Trois fois par semaine. — Eh bien, les leçons vous ont été profitables ! Vous avez

une frappe sèche et précise. Doumè ne relève pas. — L'appréciation n'est pas de moi mais du major Hendy.

C'est ce qu'il m'a dit au téléphone, il y a moins d'une heure. Votre voleur est à l'hôpital et il a quelques chances de survivre. Le major vous interdit de vous aventurer dans les Districts rouges, les quartiers indigènes malfamés. C'est clair ?

Doumè hoche la tête mais reste muet. — Ne vous creusez pas l'esprit. Le policier qui vous a

reconduit à l'hôtel a rendu compte au chef de la patrouille montée de Byculla en précisant qu'il s'agissait d'un jeune Blanc d'aspect étranger. Le commissariat central a obtenu votre identité au desk du Malabar.

Doumè risque une question : — Et le voleur, que va-t-il devenir ? Chenard hausse ses vastes épaules. — Il a été opéré. Quand il sera remis, les policiers anglais

vont lui casser les doigts à coups de bâton. C'est le châtiment corporel prévu par la loi pour les voleurs, de sorte qu'il ne pourra plus exercer sa spécialité de vide-poches. En

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revanche, allégé de sa rate, il pourra se reconvertir en coureur de rickshaw.

La Rolls s'engage dans la splendeur d'un jardin anglais. Un parterre infini de gazon, une pièce d'eau sous la lumière changeante des projecteurs, des grappes d'orchidées et de roses mêlées enchantent les yeux.

— Nous arrivons, annonce le professeur.

Le voiturier, en uniforme flamboyant de « field marshall », tunique rouge, culotte blanche et grandes bottes vernies, s'in- cline et balaie le sol avec les plumes bleues de son bicorne. Le hall est d'une élégance imprévue. Des pilastres cannelés rythment les murs. Les boiseries sont peintes en plusieurs tons de beige et de blanc. Un aigle de bois doré surmonte le cadre rond d'un miroir convexe placé au-dessus d'un beau meuble en acajou à rehauts de bronze. Devant l'ascenseur à manivelle de cuivre, un Indien adipeux en livrée cramoisie pousse la grille avec soumission.

— Troisième étage, précise le professeur. Dans l'immense couloir qui conduit à la salle à manger,

huit serviteurs avancent aux côtés de Doumè, en colonne par deux comme s'il était leur sergent. Le professeur, lui, ouvre la marche. Fastueux. Doumè se sent écrasé par le luxe, l'ar- genterie, la profusion des lumières, des cristaux, les dimen- sions gigantesques de la pièce presque aussi grande que la moitié d'un terrain de football. Les serviteurs portent un long vêtement, un pantalon blanc, une ceinture et un haut turban écarlate, mais ils n'ont pas de souliers.

— Ils obéissent aux règles du cérémonial en Inde, dit le professeur. La tête couverte et les pieds nus sont considérés ici comme un témoignage de respect. Aucun serviteur n'ose- rait paraître dans une autre tenue devant son maître.

Le maître d'hôtel tend deux cartes reliées de cuir. La liste des plats est interminable. Doumè hésite. M. Chenard inter- vient.

— Un avis, jeune homme. Je vous conseille de prendre un homard noir et un gâteau de viande : un pie aux rognons et steak surmonté d'une croûte délicieuse, cuit au four. Qu'en pensez-vous ?

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— Ça marche pour moi. Chenard rit de bon cœur. — Vous auriez pu choisir autre chose ? » — Je ne connais pas la cuisine anglaise. Alors je cours le

risque. J'ai faim. — Vous avez une façon personnelle de simplifier les

choses. — Mon grand-père et mon père m'ont appris à aller à

l'essentiel. Et depuis que je vous ai rencontré, je roule au- dessus de mes moyens.

Chenard hausse les sourcils. — Que voulez-vous dire ? — Eh bien, la Rolls, ces vêtements de chez Albany, ce

palace, ces lourds couverts d'argent, cette rose jaune dans un soliflore, ça ne ressemble en rien au monde d'où je viens. Je suis arrivé avec un short reprisé et vous me traitez comme un fils de lord !

— Rassurez-vous, coupe Chenard, ce n'est que très provi- soire. Dans deux jours, vous entrerez dans le monde kaki des hommes de guerre et le décor sera rustique et frugal.

— Excusez-moi, professeur, je n'ai pas voulu vous offen- ser mais depuis l'arrestation de mon père, j'ai survécu au jour le jour, avec un vieux vélo, mes bouquins et de petits boulots de nuit.

Le visage de Chenard se détend. — Je comprends. Alors comme vous dites, allons à l'es-

sentiel. — Vous êtes un homme puissant, ça saute aux yeux

comme un coup de tabouret dans la gueule d'un gendarme. Chenard éclate de rire. — Disons que je suis influent par délégation. Etre

conseiller du maharadjah de Kapurtala me donne chez les Britanniques un statut diplomatique. Les princes indiens sont plus de quatre cents et règnent sur quatre-vingts millions de sujets. En occupant l'Inde, l'Angleterre s'est efforcée de ne pas attenter à leurs privilèges séculaires. Elle s'est abstenue de se mêler de leurs affaires ou de leurs richesses. Et veille à se les concilier par des marques extérieures d'une scrupu- leuse déférence.

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Doumè, occupé à déguster la chair savoureuse de son homard, ne répond pas. Chenard attend que le jeune homme ait achevé de « racler » son crustacé. Un serveur pose sur la nappe des rince-doigts en argent remplis d'eau tiède et de rondelles de citron vert. Doumè lève son regard sur le profes- seur.

— En somme, vous avez rang d'ambassadeur. — En quelque sorte, oui. Et le maharadjah exerce les pré-

rogatives d'un chef d'Etat. Il a son armée, sa police, son administration. Le maharadjah de Kapurtala est l'un des princes les plus fortunés et les plus écoutés des Indes. Il adore la France où il séjournait quatre à six mois par an. C'est un très bel homme, svelte et digne, avec une courte barbe brune, qui a été très en vogue à Paris.

— Vous l'avez rencontré comment ? — Disons en 1920. A l'époque, il fréquentait l'un des

plus célèbres bordels de Paris où je me hasardais quelque- fois. L'Archiduc, où se tenaient, sans exagération aucune, les plus belles femmes de France. Il avait un faible pour les grandes filles poudrées de taches de rousseur, le caviar ira- nien, le champagne Heidsieck, le chapon rôti au miel et les crêpes au Cointreau. La spécialité du chef était le bœuf à la ficelle. Mais le maharadjah n'y touchait pas, le bœuf est sacré pour les sikhs. Nous avions les mêmes faiblesses. Nous avons festoyé quelquefois ensemble. J'étais fasciné par l'émeraude large comme une boîte d'allumettes fixée à son turban de soie blanche. Il possédait alors l'unique Cadillac circulant dans Paris. Je crois qu'il appréciait ma compagnie.

— Et il vous a emmené aux Indes ? — Pas du tout. Je suis venu ici comme professeur de

lettres et d'histoire à Delhi. Et je jouais au golf sur le même green que le vice-roi des Indes, lord Irwin, un gentleman d'une grande distinction. C'est au cours d'un dîner de gala donné dans son palais que j'ai retrouvé le maharadjah. L'évocation de nos soirées à L'Archiduc a ravivé son enthou- siasme et il ne m'a plus lâché.

— Les sikhs viennent d'où, professeur ? — Ce sont des géants du nord des Indes, des guerriers de

naissance, cavaliers, sabreurs redoutés qui ne craignent ni la

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neige ni la glace. Les hommes du Nord, les Rajputs, les Gurkhas qui ressemblent à des Mongols, les Pathans, les musulmans afridés ont la guerre et la poudre dans le sang.

— Mais vous préférez les sikhs ? — Absolument. D'abord parce que 300 000 d'entre eux

sont venus se battre en France et jusqu'aux Dardanelles pen- dant la guerre de 14. Et puis ils sont nobles, loyaux, détermi- nés. Et ils ont de la race.

Les pies, les gâteaux de viande en croûte chauds et dorés, sont succulents, la conversation cesse. Un peu plus tard, Doumè demande au professeur :

— C'est depuis votre entrée au service du maharadjah que vous avez des relations avec les Anglais ?

Chenard se met à rire. — Oh non, mon jeune ami ! Elles remontent à la dernière

guerre. En 1916, j'étais officier de liaison dans l'armée bri- tannique pendant la bataille des Flandres. J'y ai lié de solides amitiés. Certains lieutenants et capitaines de l'époque sont devenus généraux et trois d'entre eux servent aux Indes.

Le professeur s'interrompt, prend un temps et s'écrie : — Et maintenant choisissons un dessert qui ne soit pas

anglais. Un escadron de serveurs pousse des tables basses montées

sur roues caoutchoutées. Dans de grands plats d'argent défile avec lenteur l'art du bien manger britannique. Des harengs dorés, dos éclaté sur le gril, montrent une chair rosée. Des pyramides de crabes et de grosses crevettes précèdent un « bearer » qui soulève un dôme de métal avec l'ostentation d'un chanoine découvrant un calice. Un fumet odorant enve- loppe ce monument culinaire : un canard imposant, rôti, caramélisé, servi sur un lit de perdreaux. L'assistance applau- dit. Quatre officiers anglais en smoking de parade, veste rouge et pantalon noir, se penchent vers leurs compagnes, blondes et radieuses.

Le serveur apporte un saint-honoré avec sa couronne de pâte à choux fourrée et couverte de crème Chantilly. Le dîner s'achève. Le professeur Chenard se lève, imité par Doumè. Au fond de la salle, le jeune homme aperçoit une femme belle comme un rêve. Des cheveux bruns, lourds et souples,

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un visage tracé au pinceau, des yeux immenses, sombres, un nez court et droit, une bouche ourlée de lèvres rouges. Sa robe de dentelle et de mousseline brodée laisse ses épaules nues. Au poignet droit, des émeraudes et des diamants sertis d'un bracelet d'or gris.

Chenard s'approche d'elle, s'incline pour le baisemain : — Bonsoir, madame la comtesse. Doumè, immobile, ne peut détacher son regard des yeux

d'or noir de l'inconnue qui le fixe avec un sourire amusé. Le jeune homme éprouve une sensation jamais vécue. Une onde de chaleur partie des reins lui brûle le dos et le ventre. Cette femme exerce sur lui un pouvoir sensuel presque hypnotique. Elle lui tend la main, il y pose ses lèvres. Sa peau couleur de perle distille un parfum violent de myrrhe et d'iris.

La comtesse interroge Chenard : — Qui est-ce, professeur ? Un collégien échappé de

Rugby ? — Pas du tout. Il porte la cravate bleue et blanche de ce

grand collège mais seulement pour un soir. C'est Jermyn d'Albany qui l'a choisie pour lui.

— Alors, d'où vient-il ? — Evadé d'Indochine. Seize ans et il vient de s'engager. Et, poursuivant en anglais, Chenard ajoute : — He is nice, proud and... virgin ! Il est joli garçon, fier

et... puceau ! Le regard de la comtesse frémit et accroche celui du jeune

homme avec insistance. Doumè rougit jusqu'à la racine des cheveux. Sa nuque est brûlante.

— Vous êtes à Calcutta pour longtemps ? — Je pars après-demain, très tôt. — Dommage, je vous aurais invité chez moi prendre le

thé. Mais vos délais sont trop courts. Sans réfléchir, Doumè lâche d'instinct : — Si je reviens, je répondrai avec plaisir à votre invita-

tion. La comtesse rit, découvrant des dents éblouissantes. — Faites-moi signe et je vous recevrai. Le professeur

Chenard sait où me trouver.

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La comtesse lève son verre de tokay avec désinvolture. Chenard et Doumè s'inclinent et prennent congé.

Rentré dans sa chambre d'hôtel, Doumè, après s'être dévêtu, s'allonge sans baisser la moustiquaire, mains croi- sées sous la nuque. Un courant d'air chaud fait danser le store de la fenêtre. Le ventilateur tourne au plafond où quelques lézards guettent les mouches. M. Brunet avait rai- son, l'Inde, c'est géant ! Rien à voir avec l'Indochine, ses plages blanches et ses rizières gorgées d'eau qui tournent sous le soleil comme des miroirs virants. Rien que des visages sombres.

La pensée de son père ne le quitte pas. Lorsque le gardien- chef de la prison centrale lui avait obtenu un parloir, il n'avait pas revu son père depuis son arrestation. Seize mois de séparation, d'humiliation, de colère rentrée. Son père por- tait un droguet de grosse toile bleue, rapiécé aux genoux. Ses cheveux noirs étaient devenus gris et son corps amaigri tan- guait sur ses jambes, ses yeux bruns clignaient comme ceux d'un hibou aveuglé par la lumière. Mais il l'avait serré contre lui avec la force d'un étau. Quand Doumè lui avait parlé de son départ, il avait répondu : « C'est le temps. Tu es en âge de prendre un fusil. »

Doumè avait attendu la fin de l'entrevue pour lui dire : « Tu sais, j'ai été reçu au bac avec mention " bien » Ses yeux ont cessé de cligner et un sourire joyeux a illuminé son visage fatigué : « Je suis fier, mon fils, très fier. » Au moment de partir, Doumè, maîtrisant son émotion, lui dit : « Tu n'auras jamais honte de moi. Sois sûr. » Le père avait hoché la tête : « Je le suis. »

— Il n'y a pas de lumière dans ta cellule. — Très peu le jour. Pas du tout la nuit. Tu connais l'ex-

pression qui dit d'un homme emprisonné : « Il est à l'ombre... »

— Ces salauds de flics de la Sûreté fédérale, je reviendrai les flinguer !

— Calme, mon fils, calme ! Si tu pars, ne regarde plus en arrière. Cible les Japs, c'est tout.

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Calcut ta , 1943. Un jeune Français , Peyo, évadé d'Indochine où ses parents sont captifs, s 'engage dans la prestigieuse armée des Indes et découvre la terrible loi des commandos. Il y fait la rencontre de personnages insolites, tout droit sortis d 'un livre de Kipling : Roderick et ses moustaches cirées, Crazy Cap, le "captain Maboul", qui se promène avec un réveil accroché au ceinturon, Patiala, le géant sikh, Gholab, un étrangleur silencieux comme une ombre... Les raids dans la jungle épaisse des collines de Birmanie contre les Japonais implacables et cruels, le sang et la fureur des combats vont faire de Peyo un homme au cœur d'acier. Il connaîtra le chagrin, la colère et, dans la violence de la guerre, une femme raffinée, belle comme une reine barbare, la comtesse Helena, qui lui offre son premier amour.

Pierre Darcourt a lui-même combattu dans l ' a rmée

anglaise, à dix-sept ans, en Birmanie, en Chine et au Tonkin. Journaliste, il est aujourd'hui rédacteur en chef au Figaro, spécialiste des problèmes de défense. Après Le Roi des bergers (publié chez Plon), La Mort dans les yeux est son deuxième roman.

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