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Yvonne NICOLAS Les marais littoraux de MOUSTERLIN De part et d'autre de la pointe rocheuse de Mousterlin, le cordon dunaire borde deux zones de paluds: à l'ouest, la Mer Blanche, où le flot pénètre à chaque marée par le goulet de Groaz Gwen ; à l'est, le polder, en grande partie soustrait à l'influence des marées par endigage (1926). Ces espaces du Domaine Public Maritime furent bien souvent convoités dans un passé lointain. . .et récent! Une étude de M. A. Juncker, ingénieur des Ponts et Chaussées, datée du 17 décembre 1873, rappelle l'historique des affaires et jugements relatifs à la «propriété» des marais. Ce rapport fut rédigé à l'occasion d'une demande de bornage présentée par M. Garabis, propriétaire à l'époque de la ferme située à la pointe de Mousterlin, lequel revendiquait la propriété des dunes et falaises bordant ses terres. “ La question de propriété des dunes de Mousterlin a été tranchée d’une façon décisive par un arrêt de la cour de Rennes du 11 juillet 1855 confirmatif d’un jugement du tribunal de Quimper, du 28 aôut 1854 (l’état représenté par le Préfet du Finistère, contre Buzaré et consorts). L’historique de cette importante affaire est bien connu. L’administration préfectorale avait, par un arrêté du 6 novembre 1847, déclaré la domanialité publique de tous les terrains que couvre le grand flot de mars dans les anses situées de pa t et d’autre de la pointe de Mousterlin et connues sous le nom de marais de Fouesnant ; à la suite de cette déclaration le rivage maritime a été délimité dans ces anses par les soins des ingénieurs des ponts et chaussées, ainsi que le constate un procès verbal en date du 21 mars 1848. La ligne bleue M.N.P du plan joint, lequel est extrait du plan d’ensemble annexé au dit procès verbal, fait partie de la limite ainsi définie. r 1/8

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Yvonne NICOLAS

Les marais littoraux de MOUSTERLIN

De part et d'autre de la pointe rocheuse de Mousterlin, le cordon dunaire borde deux zones de paluds:

à l'ouest, la Mer Blanche, où le flot pénètre à chaque marée par le goulet de Groaz Gwen ;

à l'est, le polder, en grande partie soustrait à l'influence des marées par endigage (1926).

Ces espaces du Domaine Public Maritime furent bien souvent convoités dans un

passé lointain. . .et récent! Une étude de M. A. Juncker, ingénieur des Ponts et Chaussées, datée du 17 décembre 1873, rappelle l'historique des affaires et jugements relatifs à la «propriété» des marais. Ce rapport fut rédigé à l'occasion d'une demande de bornage présentée par M. Garabis, propriétaire à l'époque de la ferme située à la pointe de Mousterlin, lequel revendiquait la propriété des dunes et falaises bordant ses terres.

“ La question de propriété des dunes de Mousterlin a été tranchée d’une façon décisive par un arrêt de la cour de Rennes du 11 juillet 1855 confirmatif d’un jugement du tribunal de Quimper, du 28 aôut 1854 (l’état représenté par le Préfet du Finistère, contre Buzaré et consorts).

L’historique de cette importante affaire est bien connu. L’administration préfectorale avait, par un arrêté du 6 novembre 1847, déclaré la domanialité publique de tous les terrains que couvre le grand flot de mars dans les anses situées de pa tet d’autre de la pointe de Mousterlin et connues sous le nom de marais de Fouesnant ; à la suite de cette déclaration le rivage maritime a été délimité dans ces anses parles soins des ingénieurs des ponts et chaussées, ainsi que le constate un procès verbal en date du 21 mars 1848. La ligne bleue M.N.P du plan joint, lequel est extrait du plan d’ensemble annexé au dit procès verbal, fait partie de la limite ainsi définie.

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Cette délimitation a vivement ému les propriétaires voisins qui ont demandé au conseil d’état l’annulation pour excès de pouvoir de la décision approbative prise parle Ministre des travaux publics le 3 mars 1849. Mais le conseil d’état a rejeté cette requête par un arrêt en date du 30 juin 1853.

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Les intéressés se sont alors adressés à l’autorité judiciaire, mais celle-ci neleur a pas été plus favorable et leur revendication a échoué, tant en première instance qu’en appel, aux dates citées plus haut. Le jugement du Tribunal et l’arrêt de la Cour, ont reconnu à l’état la propriété : 1° de tous les terrains couverts par le flotet limités par un trait bleu sur le plan en date du 21 mars 1848, 2° des dunes qui limitent les marais de Fouesnant du côté sud et les séparent de la pleine mer.

Attendu, dit le jugement du 28 août 1854 : en ce qui touche les dunes deMousterlin, que les demandeurs ne prouvent pas davantage leur droit de propriété sur ces dunes, qui sont une dépendance nécessaire du rivage de la mer qui baigne de tous côtés.

Considérant, dit, d’autre part l’arrêt du 11 juillet 1855, en ce qui touche les dunes, que par aucun des titres présentés par les appelants, il n’est établi qu’ils puissent être admis à se prévaloir d’aucun afféagement ou d’aucune inféodation du droit de communer sur les dunes qui ne peuvent se confondre avec les palues, issues ou frostages riverains des tenues auxquels se rapportent les énonciations des titresproduits, que dès lors, le seul fait qu’ils articulent, ne suffit pas pour qu’ils puissenttrouver un titre de propriété dans la disposition de l’article 10 de la loi du 28 août1792. Ainsi contrairement aux allégations produites par le Sieur Garabis, il est surabondamment établi par deux jugements du tribunal de Quimper et par arrêt de la Cour de Rennes, passés en force de chose jugée, que les dunes de Mousterlin ne sont point susceptibles de propriété privée et quelles font partie intégrante du domainepublic maritime.

Nous sommes donc amenés à comprendre dans ce domaine, non seulement ceque la mer couvre et découvre le long de la grève dans les marées d’équinoxe, maisencore en vertu des textes précités, le bourrelet sablonneux compris entre les lignes Q.R et S.T du plan joint. La première n’est autre que la laisse des plus hautes mers, quant à la seconde, elle est empruntée au plan cadastral sur lequel elle divise la parcelle n°300 en deuxparties portant l’une la désignation de palue et l’autre celle de dune ou falaise. Celle-ci seule est propriété domaniale, quant aux palues, partout où elles ne son pas couvertes par le grand flot de mars, elles sont considérées comme appartenant en indivis aux propriétaires riverains, sauf les points où ceux-ci ont des titres de propriété individuels.” Ce rapport du 17 décembre 1873 fut approuvé par le Directeur des domaines.

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Plus près de nous, en 1928, M. BENAC réclame, en plus des 120 hectares de paluds à lui concédés, la concession de la dune : les pêcheurs, les agriculteurs et quelques notables protestent fermement.

Nous avons retrouvé dans les archives de l'Association pour la Sauvegarde du Pays Fouesnantais, les documents qui se rapportent à cette péripétie: lettre au Préfet en date du 2 mars 1928 signée par les pétitionnaires; articles parus dans « L'Ouest Éclair » du 21 et du 23 janvier 1928.

On notera, à ce propos, le ton très polémique du journal qui n’hésite pas à prendre fait et cause pour les pêcheurs et paysans contre « Bénac, Conseiller général et Puissance du jour» !

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Fouesnant, le 2 janvier 1928 Monsieur le Préfet

Les soussignés, tous propriétaires, fermiers et marins-pêcheurs riverains des marais existants entre Mousterlin et Beg Meil, lesquels marais sont aujourd'hui la propriété de M Bénac, propriétaire à Fouesnant ...

Entendent protester énergiquement contre l'enquête abusive qui a eu lieu à la mairie de Fouesnant pour la concession de ces marais.

L'administration concédante de ces marais a fait simplement publier deux ou trois fois à la mairie de Fouesnant qu'une enquête de commodo et incommodo était ouverte pour la concession des marais de Mousterlin seulement, sans mentionner les autres marais, ce qui fait que les sous-signés n'ont pu intervenir puisqu'ils pensaient qu'il ne s'agissait que des marais de Mousterlin.

Or, les marais de Kerbader, de Coat-Clévarec, du Vorlen, Kerlosquen et autres, qui se trouvent aussi compris dans la concession et qui intéressent les soussignés, ne sont pas situés à Mousterlin, ceux de Kerlosquen et du Vorlen surtout sont à proximité de Beg Meil, distant de Mousterlin d'environ trois kilomètres.

Puisque ces marais étaient compris dans la concession, ils auraient dû être mentionnés expressément dans la publication et on aurait dû le faire savoir au public d'une façon catégorique au moyen d'indications établies le long des marais à concéder, de cette façon les intéressés en toute connaissance de cause auraient pu faire les revendications nécessaires.

Or, la surprise des intéressés a été grande, a été bien grande quand ils ont constaté que la concession ne concernait pas seulement les marais de Mousterlin, mais aussi ceux ci-dessus mentionnés, et cela d'autant plus que Monsieur Bénac, concessionnaire, s'est mis en mesure de clore tous ces marais. Jusqu'ici, les soussignés riverains de ces marais pouvaient y accéder en toute liberté, ainsi qu'aux dunes, pour prendre les engrais marins qui leur étaient nécessaires pour la fumure de leurs terres, notamment le goémon qui leur était indispensable à cet effet et qui vient s'échouer tout le long des dunes de Mousterlin à Beg Meil.

En fait de cette concession et des clôtures que fait Monsieur Bénac, comment irons nous prendre ces engrais, puisque nous n'aurons plus accès aux marais ni aux dunes. C'est un état de choses qui ne peut subsister.

Nous réclamons donc cinq routes de traverse, sans compter celle qui débouche du chemin rural du Vorlen à la grève de Kerlosquen. Deux chemins vicinaux viennent aboutir aux marais en question: celui de Coat-Clévarec d'une part, et celui de Kerleya d'autre part. La même route de traverse pourra desservir ces deux chemins vicinaux.

Il existe de plus un chemin vicinal dit de Clet-ar-Rous qui mène aux dunes et à la grève de Mousterlin, si réputée pour ses goémons. Les chemins de traverse à cet endroit devront être désignés par les riverains et les propriétaires. Nous réclamons aussi une route autour des marais pour le service des champs ayant déjà leurs barrières sur les marais.

Les routes à établir devront avoir une largeur de 7 mètres et demeurer la propriété de la commune, et non constituer une servitude de passage au bon gré de Monsieur Bénac.

Quand Monsieur Bénac aura établi la route qu'il doit faire le long des marais, il restera des terrains vagues entre cette route et les propriétés riveraines. Nous demandons à ce que ces vagues, pris par la mer, restent la propriété des propriétaires riverains, pour lesquels ils paient déjà des impôts.

Nous osons espérer, Monsieur le Préfet, que vous voudrez bien faire droit à nos revendications, étant résolus à employer tous les moyens utiles pour mettre un terme aux usurpations de nos droits.

Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de nos considérations distinguées.

Liste des signataires voir page suivante

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Liste des personnes ayant signé la lettre au Préfet du 2 janvier 1928 (Page précédente)

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Extrait du livret "LE LITTORAL FOUESNANTAIS"

Edité par l’Office de Tourisme de Fouesnant en août 1986

(André DARTE professeur géographe) Page n° 16

II - LE POLDER DE MOUSTERLIN DE 1926 A 1985 1. Avant 1926, les deux paluds de Mousterlin font partie du Domaine Public Maritime (D.P.M), mais elles sont propriété indivise des riverains suivant le droit coutumier (1). On a vu par la toponymie que l'élevage du mouton a pu être largement pratiqué autrefois à la Mer Blanche alors qu'à l'Est de la pointe rien ne l'indique dans les noms de lieux, ce qui ne veut pas dire toutefois qu'il n'ait jamais existé. Plus près de nous, c'est-à-dire au XIX e siècle et au début du XX e, les riverains y font pâturer leurs vaches et leurs chevaux. On y pêche, on y échoue les bateaux, mais c'est aussi un lieu de passage (comme actuellement à la Mer Blanche), ce qui explique qu'en 1928, lorsque M. Bénac demande, en sus du marais, la concession de la dune, des pêcheurs et des agriculteurs manifestent et exigent que le concessionnaire construise 5 routes d'accès à la côte; l'affaire en reste là et M. Bénac refuse de créer ces routes non imposées dans l'acte de concession de 1926 (2). Il laissera seulement des accès pour les voies charretières qui existaient (la concession art. 3 stipule "chemins" et non "routes".)

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2. Création du polder M. BÉNAC obtient la concession par le préfet du Finistère le 28 décembre 1926. Il faut reconnaître que le concessionnaire a l'esprit d'entreprise, au bon sens du terme : conquérir plus de 120 ha de terres destinées à l'agriculture alors que la moyenne des propriétés du canton tournent à cette époque autour de 4 ha s'avère une bonne opération; seules les terres nobiliaires s'échelonnent de 135 à 436 ha (3). Il faut aussi avoir un certain goût du risque (4) lorsque l'on sait les caprices du fameux Toull-Ster qui avait modifié en moins d'une vie d'homme la physionomie du littoral. Si, dans le cadre de Fouesnant, M. BÉNAC fait figure de pionnier, il apparaît, dans le grand prisme de l'Histoire, comme un simple continuateur de la gigantesque conquête des hommes sur les marais littoraux depuis le XI e siècle (Dol, Marais Breton, Marais Poitevin...!) Quant à l'utilisation du polder, la lagune est "pêchée" plusieurs fois par an comme à Penfoulic, tandis que l'exploitation agricole des surfaces conquises ne donne pas, sans doute, toutes ses espérances. Il semble que le polder ait représenté pour la famille du concessionnaire beaucoup plus un patrimoine qu'une réalité économique.

3. Acquisition par le Conservatoire (*) L’acte d'acquisition est signé le 9 septembre 1982. C'est le dénouement d'une action de longue haleine menée par l'Association pour la Sauvegarde du Pays Fouesnantais auprès du Tribunal Administratif de Rennes ou du Conseil d'Etat depuis 1977. Comme l'écrit l'auteur du rapport UBO [8]: "Confrontée à des problèmes de gestion (entretien du système de drainage notamment) et continuellement harcelée par les associations de défense du patrimoine, la famille vient de vendre 86 des 126 ha au Conservatoire du Littoral après consultation et approbation de la Commune". En fin de compte, cette vente, au-delà du marais ( !) juridique, résoud un problème difficile, d'une part, elle indemnise les héritiers du concessionnaire, d'autre part, elle con-sacre le retour de cet espace du littoral à la communauté nationale par le truchement du Conservatoire. 4. Devenir polder Le Conservatoire a droit de préemption pour acquérir l'ensemble des parcelles. En effet, la maîtrise totale du foncier permet seule l'aménagement global. Celui-ci est à la charge du Conservatoire; à la Commune incombe, par une convention, la tâche de gestion, de surveillance. Quels peuvent être les objectifs de l'aménagement ? 1. Le polder est utilisé comme un lieu de promenade. La difficulté est de garder la maîtrise de la fréquentation, tant dans le nombre de promeneurs que dans leur qualité (respect du silence, respect du site en tant qu'objet matériel, respect des aménagements). Côté paysage, l'intervention du Conservatoire arrive à point nommé: quelques décennies encore et l'évolution dessinée depuis une trentaine d'années conduisait à un maquis inextricable de saules. Drainer, éclaircir la végétation sont les premières étapes; la suite requiert des études paysagères qui ne manqueront pas d'être faites.

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2. L’utilisation agricole redevient possible une fois le drainage réétabli. Des solutions d'exploitation peuvent être trouvées : la pâture entretient le paysage recréé, cela nous paraît important. 3. Des propositions ont été faites (5) concernant la gestion de l'eau. 3 scénarios sont envisageables. 2 scénarios extrêmes : - Gestion en eaux douces, c'est-à-dire poldérisation intégrale du site; - "Marinisation", c'est-à-dire réouverture du cordon et retour à la situation naturelle. - Un scénario intermédiaire a été conseillé soit comme solution définitive, soit comme situation d'attente avant des études écologiques: l'aval du polder fonctionne comme il y a quelques années, quand l'eau de mer rentrait "naturellement" du fait de la vétusté des systèmes de vannes; la lagune saumâtre fait' 'fonction de nurserie de juvéniles, de poissons et de grossissement de certains crustacés". Et c'est en ce sens que le Conservatoire aménage depuis 1985. (1) Le 28 août 1854, 25 agriculteurs et 7 propriétaires sont à Quimper en procès contre l 'Etat Ils s'estiment dépossédés depuis la délimitation officielle du rivage en 1848 Ils n'ont pas eu gain de cause pour la propriété des marais, même s'ils en ont l'usage (2) et (3) Tiré de Jean Le Coz "Le Pays fouesnantais", DES géographie, Rennes, 1945 (4) Risque de voir les ouvrages détruits par la mer, risque de ne pas amortir les sommes engagées pour l'obtention de la concession. L’article 18 de la concession stipule' "il est expressément entendu que le concessionnaire n'aurait aucun recours contre l'Etat dans le cas où la dune littorale qui délimite au Sud les terrains concédés viendrait à être détruite entièrement ou partiellement par la mer" (5) Rapport CEMAGREF {Centre d'Étude du Machinisme Agricole du Génie Rural et des Eaux et Forêts, Bordeaux, février 84.)

Coupe de phragmites dans le marais pour la confection de toits de chaumières

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