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Cette exposition est une immersion dans l’histoire de la photographie où se retrouvent juxtaposées différentes époques et où dialoguent les artistes et leurs méthodes. Au travers d’une sélection de procédés photographiques anciens et d’œuvres d’artistes contemporains, nous invitons le spectateur à observer l’influence du passé sur les créations actuelles. L’exposition La Mémoire du futur propose une vision en trois temps : celle du passé avec des œuvres de pionniers des techniques photographiques, celle du présent avec des créations contemporaines qui ressuscitent ces savoir-faire, et celle du futur avec des technologies qui offrent un regard nouveau sur des œuvres du passé. Par le biais des procédés anciens, tels que les daguerréotypes, calotypes, négatifs sur papier ciré sec, ferrotypes, ambrotypes, cyanotypes ou hologrammes, La Mémoire du futur rend hommage aux pères fondateurs des techniques photographiques en les faisant dialoguer avec des artistes contemporains. De Gabriel Lippmann à James Turrell, en passant par Robert Cornelius et Oscar Muñoz, il s’agit ici de regrouper de manière inédite près d’une centaine d’œuvres ayant pour point commun une transversalité dans le temps. La Mémoire du futur propose par ailleurs une sélection d’œuvres issues des collections du Musée de l’Elysée encore jamais présentées au public. Après avoir lancé en 2014 une campagne de numérisation de ses livres de photographie – 1500 livres ont été numérisés à ce jour – le Musée de l’Elysée continue d’explorer les techniques de dématérialisation de son patrimoine visuel à des fins de préservation et de valorisation. Le Musée de l’Elysée se voulant être un lieu de conservation mais aussi de prospection, nous avons lancé, grâce à un prototype issu des laboratoires de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), un projet de numérisation en trois dimensions de nos œuvres. Cette technologie du futur est présentée dans l’exposition par le biais d’un dispositif tactile. La Mémoire du futur 25.05 28.08.2016 DIALOGUES PHOTOGRAPHIQUES ENTRE PASSÉ, PRÉSENT ET FUTUR Commissaire : Tatyana Franck, assistée d’Emilie Delcambre et Lydia Dorner #MEMOIREDUFUTUR #ELYSEEMUSEE @ELYSEEMUSEE WWW.ELYSEE.CH Elysée Lausanne

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Page 1: La Mémoire du futur - elysee.ch · La Mémoire du futur 25.05 – 28.08.2016 DIALOGUES PHOTOGRAPHIQUES ENTRE PASSÉ, PRÉSENT ET FUTUR Commissaire : Tatyana Franck, assistée d’Emilie

Cette exposition est une immersion dans l’histoire de la photographie où se retrouvent juxtaposées différentes époques et où dialoguent les artistes et leurs méthodes. Au travers d’une sélection de procédés photographiques anciens et d’œuvres d’artistes contemporains, nous invitons le spectateur à observer l’influence du passé sur les créations actuelles.

L’exposition La Mémoire du futur propose une vision en trois temps : celle du passé avec des œuvres de pionniers des techniques photographiques, celle du présent avec des créations contemporaines qui ressuscitent ces savoir-faire, et celle du futur avec des technologies qui offrent un regard nouveau sur des œuvres du passé.

Par le biais des procédés anciens, tels que les daguerréotypes, calotypes, négatifs sur papier ciré sec, ferrotypes, ambrotypes, cyanotypes ou hologrammes, La Mémoire du futur rend hommage aux pères fondateurs des techniques photographiques en les faisant dialoguer avec des artistes contemporains.

De Gabriel Lippmann à James Turrell, en passant par Robert Cornelius et Oscar Muñoz, il s’agit ici de regrouper de manière inédite près d’une centaine d’œuvres ayant pour point commun une transversalité dans le temps. La Mémoire du futur propose par ailleurs une sélection d’œuvres issues des collections du Musée de l’Elysée encore jamais présentées au public.

Après avoir lancé en 2014 une campagne de numérisation de ses livres de photographie – 1500 livres ont été numérisés à ce jour – le Musée de l’Elysée continue d’explorer les techniques de dématérialisation de son patrimoine visuel à des fins de préservation et de valorisation. Le Musée de l’Elysée se voulant être un lieu de conservation mais aussi de prospection, nous avons lancé, grâce à un prototype issu des laboratoires de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), un projet de numérisation en trois dimensions de nos œuvres. Cette technologie du futur est présentée dans l’exposition par le biais d’un dispositif tactile.

La Mémoire du futur

25.05 – 28.08.2016

DIALOGUES PHOTOGRAPHIQUESENTRE PASSÉ, PRÉSENT ET FUTUR

Commissaire : Tatyana Franck, assistée d’Emilie Delcambre et Lydia Dorner

#MEMOIREDUFUTUR #ELYSEEMUSEE @ELYSEEMUSEEWWW.ELYSEE.CH

Elysée Lausanne

Page 2: La Mémoire du futur - elysee.ch · La Mémoire du futur 25.05 – 28.08.2016 DIALOGUES PHOTOGRAPHIQUES ENTRE PASSÉ, PRÉSENT ET FUTUR Commissaire : Tatyana Franck, assistée d’Emilie

N°1

N°2

N°3

N°5N°6 N°7

N°8

N°4

RDC

DAGUERRÉOTYPES (1839)

N°1

Mathew BRADY Né en 1822 dans le Comté de Warren, Etats Unis, décédé en 1896 à New York, Etats-Unis

Mathew Brady est considéré comme l’un des meilleurs photographes à avoir couvert la guerre de Sécession et photographié les plus célèbres champs de bataille de l’époque. Le photographe américain est également connu pour ses portraits de militaires et d’hommes politiques, notamment le Président Lincoln (1809-1865).

Après des études artistiques, Brady effectue un voyage en Europe au cours duquel il rencontre Louis Daguerre (1787-1851), l’inventeur du daguerréotype. En 1844, il ouvre son propre studio de photographie à New York et commence à exposer l’année suivante ses portraits d’Américains célèbres. Les daguerréotypes cèdent rapidement la place aux ambrotypes, plus rapides et moins coûteux.

En 1854, le photographe français André-Adolphe-Eugène Disdéri (1819-1889) popularise la carte de visite et les images de petite taille qui sont vendues par milliers aux Etats-Unis comme en Europe. Brady s’en sert pour documenter la guerre civile américaine et capturer l’image

Pierre WETZEL Né en 1972 à Sartrouville, FranceEtudes de Langues étrangères appliquées, Bordeaux, France

Photographe de la scène musicale, Pierre Wetzel utilise depuis 2014 le procédé photographique ancien du collodion humide sur plaque de verre, également appelé ambrotype.Découvrant par hasard des clichés réalisés au collodion humide, l’artiste se passionne pour leur splendeur grise qui annonce les débuts d’un nouveau genre. Il réalise principalement des portraits en poussant la prise de vue au maximum du cérémonial.

En se lançant dans cette ancienne technique, c’est tout naturellement qu’il décide en accord avec le directeur du « Krakatoa », salle de concerts de musique actuelle à Mérignac (France), pour qui il travaille depuis de nombreuses années, d’immortaliser la venue de chaque artiste s’y produisant. Un grand nombre de groupes et de chanteurs tels que Lou Doillon, Arthur H, The Do ou encore Joey Starr et plus de deux cents autres artistes, musiciens et techniciens sont désormais passés derrière l’objectif de sa chambre photographique. Dans son œuvre Brittany, c’est l’assistante d’un groupe de musiciens que Pierre Wetzel décide de tirer le portrait en faisant contraster son visage angélique avec sa tenue vestimentaire et ses tatouages.

A l’époque du numérique et de la duplication infinie des fichiers, Pierre Wetzel fait l’éloge de la lenteur et le choix des exemplaires uniques. Le long processus de ce procédé fait prendre conscience de sa difficulté et de sa noblesse, en contraste avec le 1,5 million de photos numériques qui seraient prises toutes les heures à travers le monde.

Israel ARIÑO Né en 1974 à Barcelone, EspagneEtudes de photographie à l’Institut d’Estudis Fotogràfics de Catalunya, EspagneLicence en beaux-arts, Université de Barcelone, Espagne

Pour Israel Ariño, la photographie ne peut prendre ancrage que dans le réel. Sur le fil du réel et de la fiction, du rêve et de la réalité, l’artiste produit, à l’aide du procédé primitif de l’ambrotype et de moyens formats, des photographies en noir et blanc explorant les thèmes de la disparition, de la mort, du rêve, du voyage, du monde des esprits et du cosmos.

Dans sa série Les revenants et d’autres esprits crieurs, l’artiste a réalisé sur les bords du lac de Trémelin (Bretagne, France) des images sur plaque de verre, inspirées par la magie des lieux, représentant des décors métaphoriques aussi bien originels que contemporains.

Dans son œuvre Les sœurs nécromanciennes, l’artiste puise dans l’histoire des sœurs Mantega qui possédaient des mains magiques leur permettant d’entrer en contact avec l’au-delà et de communiquer avec les morts. Quiconque entrait en contact avec une de leurs mains pouvait observer les fantômes du voisinage. Aussi, pour éviter les incidents, les sœurs Mantega portaient-elles des gants en permanence et n’utilisaient ce don incroyable que sur elles-mêmes.

Pour Les enfants centenaires, l’artiste s’inspire d’une vieille légende bretonne qui raconte que, parfois à l’aube, les esprits du lac apparaissent sur la jetée, prenant la forme d’enfants silencieux et immobiles. La légende raconte qu’ils ont le pouvoir de contrôler le vent afin d’ordonner et d’harmoniser les vagues. Au moindre bruit de pas, ils s’évanouissent dans la brume. Seul l’appareil photo, immobile, a pu capter leur image.

Laure LEDOUX Née en 1986 à Niort, FranceMaster 2, Ecole nationale supérieure de la photographie, Arles, FranceDiplôme national d’arts plastiques, option art, Ecole européenne supérieure de l’image, Poitiers, FranceEcole supérieure d’art et céramique, Tarbes, France

Laure Ledoux développe une pratique artistique photographique orientée vers le portrait avec une attention particulière sur le visage et ses sensualités. Son travail est basé sur le dépassement de soi et la résistance des corps par le biais du sport ou des vêtements.

Lors d’une résidence ayant pour thématique « en-jeux (vidéo) des images » (Arles, 2013), la photographe s’inspire d’un jeu vidéo de « fighting simulator », Fight Night, pour révéler ces visages dans l’effort. Matérialisée par le procédé ancien du collodion humide, sa série présente des portraits de boxeurs et propose une réflexion sur le corps comme interface primordiale de la relation au monde, l’état d’entre-deux et le relâchement. Laure Ledoux cherche à découvrir ce qui se joue sur les visages, avec comme ligne directrice l’ouverture sur l’invisible.

Les images de base de cette série sont des captures d’écran du jeu vidéo qui ont été ensuite transférées sur un IPad. Puis, grâce à ce dernier, des plaques de verre ont été insolées avec la technique du collodion humide. Le transvasement des supports amène une déperdition de l’aspect 3D. La référence de base se perd et se projette une image d’archive. Le procédé ancien sert ici à s’éloigner de la dématérialisation du corps imposée par le jeu vidéo.

AMBROTYPES (1854)

N°3

Martial VERDIERNé en 1960 à Dieppe, FranceDiplôme national supérieur d’expression plastique, Cergy-Pontoise, France, 1987

« Je me souviens, j’avais peut-être une douzaine d’années, avoir emprunté l’appareil photographique de mon père et d’être allé acheter une pellicule noir et blanc pour photographier un de mes terrains de jeu préférés, un château fort quasi millénaire en ruine (...). Les photos ne furent pas ce que j’avais photographié. Ce n’était que quelques pierres plus ou moins floues et grises sur des formes avachies. J’ai découvert ce jour-là la disjonction entre l’univers fantasmé et sa représentation. »

Fort de ce constat, Martial Verdier produit des photogra-phies, ses « calotypes assistés », qui travestissent la réalité et nous invitent à méditer sur les constructions des hommes et ce qu’elles engendrent. Dans son œuvre Fos, parc de containers, Mat de Ricca, Port-Saint-Louis-du-Rhône, l’ar-tiste travaille sur la présence et l’absence, la perception incomplète et brouillée en étudiant les sites industriels de la Méditerranée du bassin de Lavéra – Port-de-Bouc (Mar-seille). Avec la technique du calotype, Verdier capture une réalité méconnaissable, écho de souvenirs de la fin du temps des raffineries et des centrales nucléaires, et nous invite par là même à nous interroger sur la pratique et la « consomma-tion » de la photographie aujourd’hui. L’imperfection choisie des images fait naître de ces lieux une impression de dé-labrement s’opposant à l’ultra précision de la photographie actuelle.

CALOTYPES (1841)

N°2

Binh DANHNé en 1977 au Viet NamAsian American Studies, San José State University, 2002 Master of Fine Arts, Stanford University, 2004

«Le payasage est ce qui me défini. Quand je suis dans un environnement nouveau ou peu familier, je suis constamment en dialogue avec mon passé, présent et futur. Quand je pense au paysage, je pense à ceux qui se sont tenus avant moi sur cette terre, peu importe qui ils sont. Heureusement, l’Histoire a enregistré pour moi leurs traces à étudier et contempler».

Né au Viet Nam, Binh Danh aborde dans son œuvre les thèmes de la mémoire collective et du souvenir, de l’histoire, de l’héritage et de la mortalité. Connu pour imprimer ses œuvres sur des supports anticonformistes tels que des feuilles ou de l’herbe, il choisit dans ses plus récentes créations d’expérimenter le procédé photographique du daguerréotype afin de documenter l’histoire de la ville de San Francisco.

Rappelant le travail des figures pionnières Eadweard Muybridge (1830-1904), Charles Marville (1813-1879) ou encore Eugène Atget (1857-1927), Binh Danh explore les complexités d’une ville en évolution, de la première grande expansion à l’époque contemporaine de la Silicon Valley. Il place San Francisco, cliché de la culture de la technologie et de la réussite, dans un autre espace-temps afin d’inciter le spectateur à réfléchir sur la rapidité des changements d’une ville.

En faisant le choix du daguerréotype, l’artiste travaille sur la surface réfléchissante du procédé pour intégrer le spectateur au sein de son œuvre et la transformer ainsi en expérience commune.

Patrick BAILLY-MAÎTRE-GRANDNé en 1945 à Paris, FranceMaîtrise en sciences physiques, Faculté des sciences de Paris, 1969

Chimiste physicien de formation, s’illustrant en peinture pendant une dizaine d’années, Patrick Bailly-Maître-Grand se tourne vers le médium photographique en 1980. Il explore les techniques anciennes et mêle leur caractère scientifique à un imaginaire ludique et poétique. Il nous invite à contempler chaque œuvre avec « l’œil de l’esprit » afin d’appréhender le véritable pouvoir de transformation de la photographie, dépassant sa simple capacité de révélation.

En 1982, Patrick Bailly-Maître-Grand redécouvre le daguerréotype et y consacre deux années de recherche. Entre 1983 et 1989, il expérimente la technique en créant la série éponyme, Daguerréotypes. Il réactive la magie et la préciosité de ce procédé et le met au service de l’iconographie du quotidien (murs, ombres, amoncellement d’outils), nous incitant à réfléchir sur ce dernier. Il compare le procédé ancien, authentique machine à remonter le temps, à la pierre de Rosette, car ils expriment tous deux l’austérité et le passage du temps.

Takashi ARAINé en 1978 à Kawasaki, JaponICU, 1998-2001Département de biologie, International Christian University, Tokyo, 2001Art photographique, College of Photography, Tokyo, 2002-2004

Takashi Arai est connu comme l’unique daguerréotypiste contemporain au Japon. Près de 170 ans après la disparition du procédé photographique, l’artiste se le réapproprie par des prises de vue de sa famille, de communautés ou d’individus

Jerry SPAGNOLINé en 1956 à New York, Etats-UnisArt Education, San Francisco Art Institute

Lorsque le photographe Jerry Spagnoli découvre sur un marché aux puces un daguerréotype, il le décrit comme la photographie la plus parfaite qu’il ait vue, découverte qui influencera le reste de son œuvre.

Après s’être initié au procédé dans son studio de San Francisco, l’artiste l’expérimente en ayant recours à des matériaux du XIXe siècle et étudie les effets obtenus afin d’en comprendre les aspects techniques ainsi que le potentiel visuel et expressif.

Par l’étude du corps et des racines de l’imagination photographique dans sa série Anatomical Studies, du portrait, d’objets ou encore de scènes contemporaines de rue, des événements et non-événements dans sa série The Last Great Daguerreian Survey of the Twentieth Century, Spagnoli cherche, à travers ses quatre séries présentées, à rendre les qualités du daguerréotype – unicité, richesse du rendu – et faire redécouvrir ses vertus au public contemporain. C’est également une façon pour lui de se rapprocher de l’essence optique de la photographie.

« Avec d’autres procédés, le substrat matériel de l’image peut être intrusif, mais quand vous regardez un daguerréotype, il y a une transparence de la représentation, comme si vous regardiez le sujet à travers la lentille elle-même. »

Une sélection d’œuvres de pionniers de la photographie et un choix d’images d’artistes contemporains s’affrontent et s’associent pour offrir une vision insolite de l’histoire de la photographie. En parcourant cette section avec un œil tourné vers le présent, l’autre vers le passé, le spectateur découvrira de nombreux points de convergence et de divergence.

Les œuvres d’artistes tels que Christian Marclay, Binh Danh ou John Dugdale sont mises en perspective par le biais des procédés photographiques qu’elles réinterprètent ; elles interrogent ainsi le passé par le prisme des techniques anciennes, mais aussi le présent par le biais des thématiques actuelles qu’elles explorent.

Avec le daguerréotype, Takashi Arai donne à voir un miroir de la société japonaise à la suite des catastrophes de 2011. Martial Verdier, à l’aide du calotype, étudie quant à lui les sites industriels du bassin méditerranéen de Lavéra – Port-de-Bouc. Nancy Wilson-Pajic se réapproprie l’approche d’Anna Atkins et de ses herbiers pour développer un travail sur la dentelle, alors que Martin Becka fait renaître le procédé du négatif sur papier ciré utilisé par Gustave Le Gray pour proposer une

« archéologie du présent » et questionner le public sur la société actuelle.Les créateurs de nouvelles techniques photographiques sont également mis à l’honneur. L’autoportrait de Gabriel Lippmann, Prix Nobel de physique en 1908 et inventeur de la photographie en couleurs par la méthode interférentielle, dialogue en effet avec un portrait de Dennis Gabor, Prix Nobel de physique en 1971 et inventeur du procédé holographique (technique de photographie en relief). Ce dernier fait écho à une œuvre de James Turrell, artiste contemporain reconnu pour son travail sur les nuances chromatiques lumineuses.

Enfin, point de convergence de l’ensemble des procédés photographiques qui ont permis de fixer l’image sur un support, l’usage de la camera obscura – ou chambre noire – est mis en valeur à travers les œuvres de Florio Puenter, Dino Simonett et Vera Lutter. Le Musée de l’Elysée a par ailleurs invité l’artiste Loris Gréaud à réaliser une installation qui combine l’utilisation d’instruments anciens tels que le sténopé et la camera obscura avec des procédés expérimentaux utilisés dans l’art photographique médiumnique.

D E S T E C H N I Q U E SQ U I T R AV E R S E N T L E T E M P S

Jean-Gabriel EYNARDNé en 1775 à Lyon, France, et décédé en 1863 à Genève, Suisse

Après un apprentissage de commerce, Jean-Gabriel Eynard fait fortune comme négociant et financier en Italie, avant de revenir s’établir à Genève où il fait construire le Palais Eynard, actuelle Mairie de la ville.

Dès 1839, Eynard, toujours à la recherche des nouveautés scientifiques, est l’un des premiers à se passionner pour le procédé du daguerréotype et à l’utiliser en Suisse. D’abord pour se distraire de la politique helvétique dont la tournure n’est guère favorable à ses idées puis par passion, il réalise entre 1840 et 1853 de très nombreux daguerréotypes en Suisse, en Italie et en France, assisté de Jean Rion, son valet et jardinier. Il photographie avec une certaine théâtralité ses proches, la famille royale de France, des personnalités en visite au Palais, et se met lui-même en scène à de nombreuses reprises, lisant ou posant avec ses photographies.

Petit à petit, Eynard apporte des améliorations à l’appareillage daguerrien, et il se fait notamment remarquer pour son outillage complexe et la mise en place de bouilloires de mercure.

Dan ESTABROOKNé en 1969 à Boston, Etats-UnisMaster of Fine Arts, University of Illinois, Urbana-Champaign, 1993Art, City Schools of the Museum of Fine Arts, Boston

Vivre en dehors de son temps, créer en marge, telle est la ligne de conduite de Dan Estabrook. Il utilise dans sa pratique artistique des procédés tels que l’albumine, la phototypie, la gomme bichromatée, la platine, puis découvre les procédés pionniers de la photographie que sont le calotype et le tirage sur papier salé. En effectuant des recherches sur cette technique, il découvre son inventeur, William Henry Fox Talbot (1800-1877), et se prend de passion pour les qualités esthétiques de son procédé et son importance historique. Il essaie alors de le reproduire afin de créer sa propre alternative à l’histoire de l’art.

« En utilisant et imitant les techniques du XIXe siècle, en rendant visible la matière physique avec laquelle les photographies sont faites, je tente de transformer des photographies apparemment anonymes en objets très personnels. D’une certaine façon, je réinvente la photographie à ma propre image en faisant un travail qui peut sembler ancien, mais qui montre nos projections et préjugés contemporains. »

Les œuvres Crying Boy présentées ici sont des autoportraits imaginaires présentant les caractéristiques du cliché que nous associons aujourd’hui à l’artiste, narcissique, peut-être en proie à la distraction ou la dépression. Sujets mystérieux, les jeunes filles ou les hommes qu’il met en scène semblent dépassés par le temps, ce qui crée instantanément une forme de nostalgie.

anonymes afin de les ériger en « monuments », marqués par les événements passés et porteurs de souvenirs. Son œuvre se révèle en ce sens un manifeste contre l’oubli.

Sa démarche de reproduction du procédé pionnier n’est pas nostalgique : l’artiste remet ce « miroir » de la réalité au goût du jour pour représenter et transmettre au public, le plus fidèlement possible, les interactions avec ses sujets.

L’œuvre Mothers présentée rend compte de cette pratique entre 2002 et 2008, date à laquelle sa maîtrise du procédé est avérée. Se concentrant sur les portraits, il s’attache ici à rendre hommage, le jour de la fête des mères, à sa grand-mère et à sa mère.

Dans la série Here and There, Takashi Arai s’intéresse aux effets sociaux, émotionnels et psychologiques des catastrophes subies par le Japon en 2011, appelées « 3.11 » – à la fois tremblement de terre, tsunami et catastrophe nucléaire. Il tente de rendre visible la destruction et, plus encore, de représenter ce qui est imperceptible, à savoir la radiation nucléaire. Pour que ces œuvres uniques deviennent les « empreintes incandescentes de la lumière irradiante » et souvenirs des choses et des proches emportés.

JEAN WALTHERLE PORT DE LAUSANNE ET LE CHÂTEAU D’OUCHY Vers 1850 Epreuve sur papier salé à partir d’un calotypeMusée historique de Vevey

MATHEW BRADYPORTRAIT D’ENFANT, 1860Ambrotype, image 11,5 × 9 cm,support 15,2 × 12 cm, cadre 14 × 11 cmCollection du Musée de l’Elysée

des jeunes soldats partant au front, qu’il vend ensuite à leurs parents. A la fin de la guerre, le gouvernement refusera d’acheter les originaux comme cela avait été convenu, ce qui entraînera des difficultés financières pour le photographe. Déprimé par cette situation et dévasté par la mort de sa femme, Brady perd peu à peu la vue et disparaît peu après, sans réelle reconnaissance.

Jean WALTHERNé en 1806 et décédé en 1866 à Vevey, Suisse

Jean Walther était le fils d’un notable, Jean-Philippe Walther, ancien lieutenant-colonel de l’armée suisse qui avait établi à Vevey un commerce de marchand drapier repris par la suite par Jean et son frère David.

Vers la fin des années 1840 à l’époque de ses voyages en Italie, Angleterre et France, Walther commence à s’intéresser à la photographie et en 1845 il apprend aux côtés du photographe Constant Delessert la calotypie. En octobre 1848, il achète son propre matériel photographique et dans la première moitié de la décennie suivante, réalise quelques centaines de calotypes représentant la région lémanique et son environnement intime (maisons, jardins...). Walther poursuit son activité photographique jusqu’en 1856 puis ses affaires commencent à décliner et en 1857, il vend son appareil et son matériel photographique.

Véritable trésor iconographique, les calotypes qui vous sont présentés sont issus du Musée historique de Vevey où est conservé un ensemble important de l’œuvre de Walther.

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Martin BECKANé en 1956 à Brno, République tchèqueCAP PhotographieMaster en histoire des techniques, CNAM-CDHT, Paris, 2006

Après des études de photographie, Martin Becka travaille comme tireur à l’agence Sépia avant de devenir reporter-photographe indépendant. Dès le début des années 1980, il entreprend des recherches sur l’histoire de la photographie et les procédés photographiques préindustriels qu’il intègre dans son travail créatif personnel.

En photographiant à l’aide de procédés primitifs des villes ultramodernes comme Dubaï ou des quartiers d’affaires comme la Défense à Paris, l’auteur propose une sorte « d’archéologie du présent » et questionne le spectateur sur la période dans laquelle il vit, l’avenir ainsi que la démultiplication des images à l’époque de leur reproductibilité illimitée. Il envisage la pratique photographique comme un moyen de « plier le temps dans tous les sens ».

Dans son installation Le Parc (parc André-Citroën situé à Paris), Becka fait dialoguer passé et présent en rendant hommage au travail photographique d’Alfred-Nicolas Normand (1822-1909) et au procédé de négatif sur papier ciré sec mis au point en 1851 par Gustave Le Gray (1820-1884).En choisissant cette technique ancienne qui impose une manière de travailler radicalement différente de la pratique photographique actuelle, Becka invite le spectateur à s’interroger sur la notion d’objet photographique. Ce qui lui permet d’obtenir des négatifs avec des densités adaptées à une présentation par transparence et de produire et contrôler le mouvement et les ambiances singulières.

Gustave LE GRAY Né en 1820 à Villiers-le-Bel, France et décédé en 1884 au Caire, Egypte

Photographe français majeur, Gustave Le Gray fut notamment l’auteur de la première photographie officielle de Louis-Napoléon Bonaparte et le photographe officiel de la famille impériale. D’abord destiné à devenir clerc de notaire et après avoir étudié la peinture, Le Gray met au point en

NÉGATIFS SUR PAPIER (1841)

N°5

Victoria WILL Née en 1980 à Washington, Etats-UnisPrinceton, Etats-Unis

Victoria Will a commencé sa carrière en tant que photo-graphe au New York Post. Spécialisée à l’époque dans les portraits et les images de mode, ses publications ont été diffusées dans le monde entier par les magazines W, New York Times ou encore Vogue.

Lorsqu’on lui demande de participer pour la quatrième fois au Sundance Film Festival, festival américain de cinéma indépendant, la photographe décide de se renouveler et de remplacer son Reflex numérique par le procédé primitif du ferrotype pour réaliser les portraits des « étoiles du cinéma ». Forte de son succès, elle renouvelle l’expérience les années suivantes en améliorant à chaque fois ce processus complexe.

Dépassant la difficulté du procédé, la sensibilité au temps et le danger des produits chimiques, la photographe réalise successivement, en sept à huit minutes, les portraits d’acteurs tels Vincent Cassel, Robert Redford, Jennifer Connelly, Spike Lee ou encore Ethan Hawke. « A une période où les couvertures de magazines sont réalisées à partir d’images retouchées, la nature particulièrement “crue” du processus m’a inspirée. Vous ne pouvez pas vous débarrasser de quelques rides comme dans Photoshop. »

La photographe comme son public « apprécient l’honnêteté de ces clichés. Le développement laisse beaucoup de place à l’imprévu : on découvre un visage qu’on croyait familier tout en étant à l’opposé des portraits digitaux. Les étapes dans la chambre noire participent à l’idée de créer quelque chose d’unique et de rafraîchissant ».

Joni STERNBACH Née en 1953 dans le Bronx, New York, Etats-UnisBachelor of Fine Arts in Photography, School of Visual Arts, New York, 1977Master of Fine Arts, New York University/International Center of Photography, New York, 1987

Joni Sternbach mêle dans son œuvre films de grand format et procédés photographiques anciens afin de créer des paysages contemporains et des portraits environnementaux. Son travail se concentre sur la relation entre l’humain et le naturel et s’intéresse notamment à notre rapport à l’eau.

Sa série SurfLand est une célébration de la culture du surf à travers des portraits contemporains de surfeurs réalisés à l’aide du procédé historique du collodion humide. Joni Sternbach a capturé les portraits de surfeurs de différents âges et cultures en Australie, France, Angleterre et sur les côtes américaines pour explorer la relation entre la terre et la mer, le surfeur et sa planche, le photographe et son sujet, et enfin entre les surfeurs eux-mêmes. « Mon travail repose sur l’envie de me perdre dans l’instant, le hasard et la spon-tanéité. La photo prise existe dans un endroit où le temps est ralenti. »

L’artiste fait le choix d’utiliser des techniques anciennes pour procurer un caractère d’intemporalité et de mystère à ses images et par là éviter la concurrence de la vitesse du monde numérique. L’ensemble du processus se fait sur place, avec une chambre noire portable. Les variations de tons sur les images finies ou les coins frottés reflètent le caractère artisanal du procédé, qui créé une œuvre d’art unique.

Jayne HINDS BIDAUT Née en 1965 à Fort Worth, Etats-UnisArt et photographie, Texas Christian University

C’est en 1996, sur un marché aux puces du Connecticut, que Jayne Hinds Bidaut fait une rencontre qui marquera un tournant dans sa carrière artistique : Richard Thurston, vétéran vietnamien et entomologiste passionné, auprès de qui elle achète son premier insecte. Celui-ci l’incitera à collectionner et capturer ces œuvres d’une nature différente.

A la recherche d’une façon précise de photographier sa propre collection entomologique, elle s’intéresse à l’histoire de la photographie en espérant y découvrir le procédé qui lui offrira le détail et la dimensionnalité souhaités, lui permettant de retranscrire le sentiment qui l’envahit lors de la contemplation de ses insectes.

Acte délibéré de préservation contre la « maladie étrange de la vie moderne », le choix de l’artiste porte sur le ferrotype, une façon de retrouver selon elle l’intimité perdue avec la photographie, dépassée par les procédés actuels. L’utilisation de ce procédé lui permet d’aller au-delà de la représentation statique habituelle des espèces conservées pour en faire des créatures en attente de communion mystique avec le spectateur.

FERROTYPES (1853)

N°4

Florio PUENTER & Dino SIMONETTNé en 1964 en Engadine, Grisons, SuisseNé en 1963 à Zillis, Grisons, Suisse

Florio Puenter et Dino Simonett se sont associés en 1989 pour réaliser une série de photographies commandée par le Musée de l’Elysée pour célébrer le 700e anniversaire de la Confédération suisse. Le travail de Florio Puenter est de longue date un regard sur l’histoire de la photographie, une recherche sur ses formes et le sens qu’elles induisent.

Avec un sténopé artisanal, Florio Puenter et Dino Simonett sont remontés jusqu’aux sources de l’image grâce à la photographie « naturelle » produite par la camera obscura. La camera obscura établit une relation directe entre la peinture et la photographie. Elle ramène les deux arts à la question complexe du réalisme et à celle du rapport de l’humain au monde du visible par la fabrication d’une image. Le sténopé est une boîte comportant un trou minuscule en guise d’unique diaphragme qui permet de projeter à l’intérieur de celui-ci, sur un écran ou une surface photosensible, une image inversée de l’extérieur.

Vera LUTTERNée en 1960 à Kaiserslautern, AllemagneAcadémie des beaux-arts , Munich, 1991Master of Fine Arts, School of Visual Arts, New York, 1995

Inspirée par la présence, la lumière et l’architecture de la ville, Vera Lutter commence à photographier au début des années 1990. Afin de saisir l’empreinte directe et immédiate de cette expérience, elle décide de détourner une pièce de son appartement en un grand sténopé, transformant l’espace contenant son expérience personnelle en image à travers le procédé. En remplaçant la lentille optique par le sténopé, le monde extérieur inonde l’intérieur de la pièce et projette son image inversée sur le mur opposé. L’artiste expose alors directement sur des feuilles de papier photographique de la taille du mur pour réaliser ses négatifs en noir et blanc.

Le sujet de ses images varie entre centres urbains, paysages industriels, usines abandonnées ou sites de transit comme les chantiers navals, les aéroports et les gares, tous situés dans New York, aux alentours ou dans des sites internationaux. Dans son œuvre Fulton Ferry Landing – Brooklyn New York, l’artiste présente l’un des must-see de New York, le pont reliant Manhattan à Brooklyn, en faisant dialoguer début du développement industriel du XIXe siècle et découverte de la photographie.

Loris GRÉAUDNé en 1979 à Eaubonne, France

Loris Gréaud se présente comme un artiste conceptuel installationniste, cinéaste et architecte. Sa démarche se caractérise par la mise en avant de l’idée de projet plutôt que d’exposition. La technique photographique qu’il a mise au point est une combinaison singulière des différents dispositifs optiques à l’origine de la photographie (sténopé, camera obscura) et des techniques expérimentales mises à l’épreuve dans l’art photographique médiumnique (enregistrements de la pensée et preuves de l’existence de spectres et d’esprits).

Dans la continuité de son projet The Unplayed Notes, l’artiste crée une œuvre in situ en positionnant des plaques photosensibles en contact direct avec la lumière et les ombres émises par l’architecture du Musée de l’Elysée afin de les immortaliser. L’œuvre constituée de plusieurs photographies abstraites enregistre « l’âme » du musée et livre le témoignage des esprits et fantômes du Musée de l’Elysée.

Alors qu’il s’agissait d’une œuvre prospective, elle deviendra avec le temps une œuvre rétrospective, une sorte de capsule temporelle propulsée dans le futur, une archéologie spirite de l’histoire des espaces et de ses transformations.

CAMERA OBSCURA

N°7

CYANOTYPES (1842)

Anna ATKINSNée en 1799 à Tonbridge et décédée en 1871 à Halstead Place, Angleterre

Photographe britannique considérée comme la première femme photographe, Anna Atkins est également connue pour avoir réalisé les premiers livres de botanique illustrés de photographies cyanotypes.

Passionnée de science et d’art, elle devient membre en 1839 de la Société botanique de Londres et prend conscience que le processus photographique pourrait être utilisé pour obtenir des images botaniques précises et détaillées et divulguer des connaissances dans toutes les couches d’une société de plus en plus avide de savoir.

Anna Atkins puise son inspiration chez l’inventeur de la photographie William Henry Fox Talbot (1800-1877) et chez un ami intime de la famille, John Herschel (1792-1871), scientifique connu pour l’invention et l’amélioration du cyanotype. Par la suite, elle développe de son côté le procédé qui lui permettra d’obtenir des reproductions photographiques authentiques et bon marché et la placera dans la grande tradition de ses maîtres.

En 1843, elle fait paraître son ouvrage British Algae: Cyanotype Impressions, dont le premier volume précède de plusieurs mois le célèbre ouvrage de Talbot The Pencil of Nature. En 1853, elle appliquera le même procédé aux fougères et fera paraître Cyanotypes of British and Foreign Ferns, dont une feuille est présentée ici.

Benjamin RECORDONNé en 1845 et décédé en 1938 à Vevey, Suisse

Architecte et enseignant vaudois, la carrière de Benjamin Recordon fut marquée par la construction du Tribunal fédéral de Montbenon à Lausanne. Egalement professeur de stéréotomie - science traditionnelle de la coupe des matériaux employés dans la construction (taille des pierres ; art du trait en charpenterie) - à l’Académie de Lausanne, puis professeur de génie civil à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, il y construit le laboratoire des machines de l’Ecole polytechnique et l’Eglise évangélique française.

Cette œuvre Maschinen Laboratorium fait partie de la Collection iconographique vaudoise et fut offerte en 1964 par le célèbre photographe vaudois Gaston de Jongh (1888-1973).

Nancy WILSON-PAJICNée en 1941 à Peru, Etats-UnisMaîtrise en arts plastiques, Cooper Union, New York

Au XIXe siècle, les créateurs de dentelle communiquaient leurs créations, souvent en avance sur leur fabrication, en faisant des « bleus d’architecte ». Lorsque Nancy Wilson-Pajic les découvre pour la première fois au Musée des beaux-arts et de la dentelle de Calais, elle imagine réaliser de cette façon un vêtement en entier lorsque le musée lui commande en 1996 une œuvre pour commémorer le lancement du nouveau Musée de la dentelle. En 1998, Nancy Wilson-Pajic contacte Christian Lacroix, dont le travail semble le plus adapté à son projet, pour continuer à développer ce travail avec des robes de haute couture. Le couturier lui prête volontiers ses collections et, pendant près de cinq mois, elle travaille en collaboration avec l’artiste Slobodan Pajic pour sélectionner les robes les plus appropriées et développer sa série Les Apparitions. Elle a également travaillé plus tard avec Christian Dior et Alexander McQueen. Basée sur l’invention du cyanotype par William Herschel, chaque photographie suggère la présence d’une personne, d’histoires imaginées par chacun à sa guise. Le procédé permanent de photogramme développé par l’artiste donne aux vêtements un volume, mais aussi une distanciation qui lui permet de devenir un moniteur du rêve. « Mon travail porte sur les processus par lesquels l’information s’accumule et se transforme, que ce soit par la juxtaposition d’autres informations, la mémoire ou l’ordre des priorités de l’individu. (...). J’ai choisi de travailler avec un petit nombre de procédés photographiques des plus permanents, notamment le procédé ferro-prussiate (dit « cyanotype » aujourd’hui) et les procédés pigmentaires. Ces procédés ont des qualités picturales très sensibles et me permettent d’intervenir manuellement pour influencer le résultat final. »

Christian MARCLAYNé en 1955 à San Rafael, Etats-UnisEcole supérieure d’arts visuels, Genève, 1975-1977Bachelor of Fine Arts, Massachusetts College of Art, Boston, 1980

Célèbre cinéaste et artiste multimédia, Christian Marclay s’est imposé sur la scène contemporaine en associant arts visuels, cinéma et culture musicale. En 2007, il commence un travail qui explore les interactions entre sonore et visuel ainsi que la manipulation et la conservation des différentes formes d’enregistrement.

Il débute une série en collaboration avec Graphicstudio, Université de Floride du Sud, impliquant l’utilisation de deux enregistrements archaïques que sont le procédé photographique du cyanotype et la cassette audio.

Il adopte et adapte le sujet de la cassette audio, rendue presque obsolète par l’évolution des technologies, et la place au centre de son abstraction visuelle pour capturer à l’aide du procédé ancien les bandes sonores de centaines de cassettes audio déroulées comme des serpentins.

« Nous prenons pour acquis, parce qu’on peut capturer l’image de cassettes audio, qu’elles vont exister pour toujours, alors qu’en réalité l’obsolescence limite leur durée de vie. » En fusionnant ces deux médiums, l’artiste explore brillamment les résonances entre passé et présent.

John Patrick DUGDALENé en 1960 à Stamford, Connecticut, Etats-UnisPhotography & Art History, School of Visual Arts, New York

L’intérêt de John Dugdale pour la photographie date de son enfance, lorsqu’à l’âge de 12 ans il reçoit son premier appareil photographique et se rêve photographe majeur du XXe siècle. Après une brillante carrière de photographe de mode, l’année 1993 marque un tournant dans la vie de l’artiste, qui perd la vue à la suite d’un accident vasculaire cérébral et d’une rétinite à CMV.

Dugdale refuse pourtant de renoncer à la photographie et commence à s’intéresser aux techniques du XIXe siècle en sollicitant famille et amis comme assistants. Il découvre le grand format et décide d’utiliser le procédé du cyanotype, considéré comme le plus direct et le plus facile à manipuler.

Dans ses œuvres bleues, il reflète son quotidien en inversant les rôles. Dugdale prend la pose avec une spiritualité simpliste qui pourrait sembler en contradiction avec le XXIe siècle. Posant la plupart du temps nu, il estime que « la vie est transitoire. Une fois que vous quittez ce monde, vous voyagez dans l’univers sans vêtements. Je veux que les gens apprennent qu’ils ne peuvent pas se protéger en se cachant derrière des vêtements ».

L’utilisation de ce procédé, grâce à sa faible toxicité, lui permet de s’impliquer dans l’impression de ses photographies. Sa sensibilité pour les techniques anciennes souligne la poésie de son travail et la transcendance du temps et du lieu. En souhaitant partager son expérience et sa guérison, Dugdale crée un nouveau corps d’art en « montrant la beauté de la vie et comment on doit agir autour de la maladie ».

Paul VIONNETNé en 1830 à Aubonne et décédé en 1914 à Lausanne, SuisseThéologie, Académie de Lausanne, 1850-1856

Paul Vionnet, pionnier de la photographie locale, est à l’origine de la Collection iconographique vaudoise. Cette collection consacrée à l’histoire vaudoise est au fondement même de la création du Musée de l’Elysée comme musée de l’image en 1985.

Paul Vionnet réalise de fréquents séjours durant son enfance chez ses grands-parents à Aubonne et fréquente assidûment Adrien Constant Delessert (1806-1876), voisin et photographe vaudois de renom. Pendant les vacances de 1845, ce dernier lui enseignera la technique photographique et le calotype.

Passionné par les sciences, la nature et son canton, Paul Vionnet entreprendra de réunir le plus grand nombre de documents iconographiques concernant l’histoire, les paysages et les monuments de la région en vue d’enrichir les collections du Service des monuments historiques de Lausanne. Les documents qu’il ne peut acquérir sont reproduits à l’aide de la photographie.

Consacré pasteur en 1856, suivant la vocation de son père, il est nommé aux Granges de Sainte-Croix, près d’Aubonne, puis en 1858 à Pampigny. Il continue cependant de photographier, étant passé entre temps à la technique du collodion humide, et de documenter les paysages et monuments pendant ses moments de loisir.En 1896, il prend sa retraite et fonde la Collection historiographique vaudoise qui accueillera ses documents. En 1903, Paul Vionnet remet à l’Etat de Vaud sa collection privée, qui devient la Ve section du Musée cantonal des Antiquités. Il est nommé conservateur adjoint, et la municipalité lui commande quelques années plus tard des photographies de Lausanne à travers les âges.

N°6

Gabriel LIPPMANNNé en 1845 à Hollerich, Luxembourg, et décédé en 1921 à bord du paquebot France

Professeur de physique à la Sorbonne, élu à l’Académie des sciences et auteur de nombreux travaux scientifiques, la renommée internationale de Gabriel Lippmann viendra avec son invention de la photographie en couleurs par la méthode interférentielle. Il sera récompensé en 1908 par le Prix Nobel de physique.

C’est en 1891 qu’il rend publique son invention qui va révolutionner la photographie. Lippmann a mis au point la « théorie ondulatoire de la lumière », qui considère que le corps lumineux vibre (comme le son) et que la lumière se propage par des ondes, qui ont des vitesses différentes. Les variations des longueurs d’onde se traduisent par un changement de couleur.

Pour prouver la justesse de sa théorie, Lippmann travailla cinq années pour trouver une méthode qui fixe ces interférences. Pour cela, il mit au point un appareil permettant de mettre une plaque sensible complexe (faite de couches proportionnelles aux longueurs d’onde) au contact d’un miroir de mercure. La couche sensible d’une longueur d’onde moyenne, le vert par exemple, comprend dans son épaisseur quatre mille surfaces brillantes par millimètre, séparées par des intervalles obscurs. Le Musée de l’Elysée possède la plus grande collection au monde de prismes Lippmann.

Dennis GABORNé en 1900 à Budapest, Hongrie et décédé en 1979 à Londres, Angleterre

Ingénieur et physicien, Dennis Gabor est connu pour l’invention de l’hologramme en 1947, pour laquelle il reçoit le prix Holweck en 1970, puis le Prix Nobel de physique en 1971. Fasciné par la théorie d’Abbe quant à la formation des images en microscopie et par le procédé de photographie couleurs inventé par Gabriel Lippmann, il étudie l’optique électronique, qui le pousse à proposer le concept d’holographie, qu’il appelle à l’époque « reconstruction par front d’ondes ». Le projet initial consiste en un microscope électronique pour voir les réseaux d’atomes et les atomes, mais il ne sera réalisé que 20 ans plus tard, tandis que l’hologramme en tant que procédé photographique ne verra le jour qu’en 1963, date de l’invention du laser, source lumineuse nécessaire à l’hologramme.Par la suite, Emmett Leith et Juris Upatnieks aux Etats-Unis et Yuri Denisyuk en URSS contribueront à l’amélioration de l’invention de Gabor et présenteront les premiers hologrammes tridimensionnels. Depuis, les hologrammes sont largement connus du grand public par le biais de la publicité, de la réalisation de matériaux d’emballage ou d’articles de bijouterie.

La version grandeur nature du portrait de Gabor est visible à la McDonnell Douglas Corporation aux Etats-Unis, l’une des premières entreprises à avoir essayé de commercialiser l’holographie. La copie de taille réduite présentée ici a été réalisée quelques années plus tard par Spindler & Hoyer, société d’optique allemande.

James TURRELLNé en 1943 à Los Angeles, Etats-UnisLicence en psychologie de la perception, Pomona College, Claremont, Etats-Unis, 1965Master en art, Claremont Graduate School, Irvine, Etats-Unis, 1966

Pilote d’avion depuis l’âge de 16 ans, l’artiste américain James Turrell est surtout connu pour incarner un nouveau courant artistique, le « Light and Space », qualifié de courant luministe ou de minimalisme californien. Basée sur l’appropriation et la transformation de la lumière dans l’espace, la démarche artistique de Turrell clame sa double appartenance, à la culture scientifique et psychologique et à la culture artistique.

En 1966, Turrell commence à tester la lumière dans son studio de Santa Monica. En recouvrant les fenêtres et n’autorisant qu’une partie de la lumière à entrer par les ouvertures en quantités précises, Turrell crée ses premières projections lumineuses, appelées par la suite « environnements perceptuels ». Mis à part les dessins et plans qui accompagnent ses œuvres de plus grande envergure, sa production ne comporte pour ainsi dire pas d’objet. « Je ne suis pas un artiste de la lumière. Plutôt quelqu’un qui utilise la lumière comme matériau pour travailler le médium de la perception. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle est difficile à mettre en forme. »

Dans son œuvre Double Ellipse Blue and Green de 2008, il invite le spectateur à une redéfinition de la perception. En utilisant la forme ellipsoïdale renvoyant à la nature et à notre vision même, Turrell sculpte les couleurs et leurs ombres pour solliciter nos sens et créer un décalage entre perception visuelle et intellectuelle de l’espace.

HOLOGRAMMES (1947)

PROCÉDÉ LIPPMANN (1891)

N°8

GABRIEL LIPPMANNAUTOPORTRAIT, 1892Procédé interférentiel – Lippmann, image6,8 × 7,7 cm, objet 9,3 × 9,5 cmCollection du Musée de l’Elysée

GUSTAVE LE GRAY - PORTRAIT D’ALEXANDRE DUMASGustave Le Gray a notamment inventé le négatif sur papier ciré sec et a pris en photo de nombreux paysages et portraits dont celui d’Alexandre Dumas qui a déclaré : « j’ai compris que Le Gray comme photographe est à la fois un artiste et un savant ».

BENJAMIN RECORDONMASCHINEN LABORATORIUM, ZURICH, 1865–1868Cyanotype, image 18,7 × 13,6 cm,support 20,7 cm × 16,2 cmCollection du Musée de l’Elysée

1850 le négatif sur verre au collodion humide puis, l’année suivante, le négatif sur papier ciré sec, deux inventions qui révolutionneront l’histoire de la photographie.

En 1851, date charnière pour l’essor de la photographie, Gustave Le Gray est choisi par la Commission des monuments historiques pour participer à la Mission héliographique. Elle lui offre l’occasion d’expérimenter à grande échelle ces nouveaux procédés et de prouver sa virtuosité en prenant jusqu’à 30 clichés en un jour des monuments du territoire national.

En 1849, fuyant l’épidémie de choléra qui ravage Paris, Le Gray trouve refuge dans la forêt de Fontainebleau et commence à la photographier. Cette série – avec celle des marines – constitue l’une des plus personnelles de son œuvre, libre de toute contrainte.

Page 4: La Mémoire du futur - elysee.ch · La Mémoire du futur 25.05 – 28.08.2016 DIALOGUES PHOTOGRAPHIQUES ENTRE PASSÉ, PRÉSENT ET FUTUR Commissaire : Tatyana Franck, assistée d’Emilie

N°14 N°15 N°18

N°10 N°12N°11 N°13N°9France SCULLY OSTERMAN Mark OSTERMAN Né en 1955 aux Etats-UnisNée en 1956 aux Etats-Unis

France Scully Osterman et Mark Osterman, «artistes-enseignants» ont fondé Scully & Osterman en 1991 pour promouvoir la recherche, l’édition et l’enseignement des procédés photographiques du XIXe siècle. Ils créent et enseignent la photographie d’art dans leur studio de Rochester, New York, dirigé par France. Mark est historien des procédés photographiques au musée George Eastman.

Spécialistes du collodion humide, ils ont conduit les premiers ateliers de collodion aux Etats-Unis en 1995 et en Europe en 1998 et sont à l’origine de la publication trimestrielle le Collodion Journal de 1995 à 2002.

L’installation présentée ici est articulée autour de la série du couple Osterman The Light at Lacock: Sun Sketches at the Twilight of Photography, dans laquelle ils rendent hommage au pionnier William Henry Fox Talbot (1800-1877) en revisitant, dans le village anglais dans lequel il passa la fin de sa vie, les premières esquisses chimiques du procédé. Autour de ces deux épreuves, l’une numérique, l’autre photogénique, le Musée de l’Elysée a souhaité créer une œuvre « mémoire » permettant de prolonger cette œuvre ayant vocation à disparaître au fur et à mesure de son exposition à la lumière. Ainsi, pour témoigner de la dégradation de l’œuvre, 30 polaroïds seront pris à raison de deux par semaine d’exposition pour redonner de la matérialité à cette œuvre disparue et souligner l’hommage rendu.

Réalisée selon un protocole précis, cette installation éphémère sera également l’occasion pour le spectateur de s’interroger sur le rôle de conservation muséal et la politique d’archivage des œuvres.

Eadweard MUYBRIDGE Né en 1830 et décédé en 1904 à Kingston upon Thames, Angleterre

De son vrai nom Edward James Muggeridge, Muybridge est un photographe britannique éminemment renommé pour ses décompositions photographiques du mouvement.

Après des débuts en tant que libraire-éditeur à Las Vegas, un grave accident en 1860 le laisse paralysé quelques semaines avant de reprendre le chemin de l’Angleterre, dont il est originaire. Diminué dans ses capacités d’attention, il est pris en charge par un spécialiste et étudie la photographie dans le contexte de sa réeducation.

De retour à San Francisco, la photographie en relief stéréoscopique est en vogue. Muybridge crée un studio itinérant avec lequel il photographie les environs de San Francisco. On l’engage régulièrement pour des portraits et des paysages, et il deviendra le photographe officiel de la présence militaire américaine en Alaska. Par la suite, grâce à l’un de ses clients passionné par les chevaux de course, éleveur et entraîneur, Leland Stanford (1824-1893), Muybridge prend connaissance de la polémique sur le galop du cheval. A l’époque, le physiologiste français Etienne-Jules Marey (1830-1904), également pionnier de la chronophotographie, affirme que le cheval au galop n’a jamais les quatre fers en l’air au cours des phases d’extension – ainsi que les artistes le représentent depuis des siècles. Un prix est offert à qui résoudra le mystère et Muybridge se propose de le gagner en utilisant la photographie. Le 18 juin 1878, à l’aide du procédé photosensible du collodion humide, il réalisera de nombreux essais et obtiendra les fameux clichés qui confirment la théorie de Marey.

Il s’intéresse dès lors au mouvement, animal et humain. Il met au point le zoopraxiscope, un projecteur qui recompose le mouvement par la vision rapide et successive des phases du mouvement. Ses travaux le posent en précurseur du cinéma. Muybridge appartient à cette génération qui utilise la photographie comme témoignage scientifique sûr et objectif. En 1887 est édité son ouvrage le plus important, Animal Locomotion, en 11 volumes contenant près de 100’000 photographies prises entre 1872 et 1885.

Pierre CORDIERNé en 1933 à Bruxelles, BelgiqueStage à l’école d’Otto Steinert, Saarbrücken

Pierre Cordier est considéré comme le pionnier de la technique du « chimigramme » et de son développement comme moyen d’expression artistique.

En 1956, en écrivant avec du vernis à ongles sur du papier photosensible une dédicace à une jeune femme allemande, Pierre Cordier découvre ce qu’il appela par la suite le « chimigramme ». Cette technique « combine la physique de la peinture (vernis, cire, huile) et la chimie de la photographie (émulsion photosensible, révélateur, fixateur) ; sans appareil photographique, sans agrandisseur et en pleine lumière ».

Il a donné trente années un cours d’histoire de la photo à l’École Nationale des Arts Visuels à Bruxelles et, lorsqu’il a cessé d’être photographe en 1968 pour se consacrer au chimigramme, il a voulu rendre hommage aux grands créateurs de la photographie dont Muybridge en 1972 puis Marey en 1975.

L’Hommage à Muybridge présenté ici lui a été inspiré par Allan Porter, éditeur en chef de la revue suisse Camera, une des plus importantes de l’histoire de la photographie. Dans Camera d’octobre 1972, on peut lire : « Cordier a utilisé la célèbre séquence de Muybridge The Horse in Motion qu’il a transformée de trois façons différentes : 1. Motif immobile et caméra photographique mobile. 2. Motif mobile et caméra photographique immobile. 3. Motif et caméra photographique, tous les deux mobiles. Puis il a réuni les trois séquences en une seule et l’a traitée selon le procédé du photo-chimigramme. »

Oscar MUÑOZNé en 1951 à Popayán, ColombieDiplômé de l’Institut des beaux-arts de Cali, Colombie, 1971

Le travail d’Oscar Muñoz, mêlant photographie, gravure, dessin, installation, vidéo et sculpture, défie toute catégorisation. A l’aide de techniques non conventionnelles, son œuvre interroge les préoccupations sociales et aborde les thèmes de la mémoire et l’oubli, l’apparition et la disparition, la perte et la précarité de la vie humaine.

Dans son œuvre El Coleccionista, l’artiste montre dans une triple projection vidéo un personnage triant, organisant et regroupant ce qui semble être des archives personnelles. Oscar Muñoz évoque ici la capacité des images à s’inscrire dans de multiples récits, d’une image à l’autre, d’une signification à l’autre. Ces images proposent de multiples narrations qui se superposent et se combinent entre passé et présent, mémoire et temps.

Pour Ante la Imagen, Muñoz utilise le portrait du chimiste Robert Cornelius (1809-1893), connu pour avoir réduit le temps d’exposition du procédé photographique du daguerréotype et produit l’un des premiers autoportraits pour démontrer l’efficacité de sa méthode. Muñoz reprend ce portrait en le reproduisant par gravure sur la surface métallique réfléchissante, comme un daguerréotype. A chaque manipulation, le spectateur voit le portrait de Cornelius superposé au sien. L’œuvre se compose et se décompose et interroge la multiplicité intérieure d’une seule et même image. Muñoz remplace cette image figée par une image en perpétuel devenir, vulnérable à la détérioration sous l’effet de l’air, comme la vie même.

Bernd & Hilla BECHERNé en 1931 à Siegen et décédé en 2007 à Rostock, AllemagneNée en 1934 à Potsdam et décédée en 2015 à Düsseldorf, Allemagne

Né à la période de l’archéologie industrielle, le travail des Becher consiste, selon les termes de Pierre Restany, « en un pèlerinage optique aux sources de l’industrie ». Le couple propose une manière de voir l’architecture industrielle en suivant une démarche reposant sur la méthodologie de l’inventaire. L’ensemble de leur œuvre interroge notamment la formation du patrimoine et soulève la question de la valeur patrimoniale des objets de l’industrie indissociable de leur valeur artistique.

Se situant sur le versant de l’archive et de la mémoire industrielle, la démarche de Bernd et Hilla Becher consiste à établir un inventaire minutieux et garder des traces du bâti industriel en photographiant des ensembles menacés d’obsolescence et souvent à l’abandon. La série Gas Holders-Lid compte neuf photographies conçues entre 1965 et 1973 et réalisées selon le protocole extrêmement rigoureux qui caractérise le travail du couple (vue frontale, centrage du sujet, mi-hauteur, absence de lumière, etc.). On retrouve une composition standardisée et identique sur chaque « portrait », insistant sur la frontalité et la monumentalité des constructions industrielles classées par fonctionnalité et forme.

Tirant parti du caractère éminemment reproductible de la photographie, les Becher jouent sur une production et une diffusion massive des images qui contribue à effacer de nos mémoires leurs origines et leurs auteurs. Par là, ils observent une civilisation qui sombre et mettent en lumière les productions d’un temps, vestiges de la vie et de l’imagination humaine.

Idris KHANNé en 1978 à Birmingham, Royaume-UniUniversité de Derby, Royaume-Uni, 1998-2001Royal College of Art, Londres, 2002-2004

«J’essaie de capturer l’essence du bâtiment - quelque chose qui s’est gravée définitivement dans l’esprit, comme un souvenir».

Idris Khan est fasciné par le médium photographique. Nourri des images et essais théoriques influents de l’histoire de la photographie, il se réapproprie les œuvres qui l’ont marqué et leur fait subir une série de transformations pour les découvrir sous un autre jour. Son travail interroge le passage du temps, le cumul des expériences et par là même la diminution des moments uniques.

Dans sa série Homage…, il présente des travaux rephotographiés, agrandis et superposés en de multiples couches. Au moyen de l’outil numérique, il travaille l’opacité des couches pour renforcer le mystère des objets originaux dont la superposition dévoile de nouveaux détails. L’œuvre Homage to Bernd Becher exposée ici reproduit et compile les photographies correspondant à la typologie des Becher pour rendre hommage aux vestiges de ces infrastructures industrielles disparues.

Fasciné par la capacité du médium photographique de capturer l’âme ainsi que l’image corporelle, Idris Khan, dans sa série Rising Series... After Eadweard Muybridge “Human and Animal Locomotion”, rend hommage aux expériences scientifiques de Muybridge, qui utilisait l’appareil photo de façon séquentielle pour capter les mouvements de l’homme et des animaux.

Au-delà de l’hommage rendu à la photographie qui se définit ici comme une compilation de savoirs, Idris Khan se positionne face à un médium chargé d’histoire et promis à un bel avenir.

Vik MUNIZ Né en 1961 à Sao Paulo, Brésil

Copies non conformes de chefs-d’œuvre, trompe-l’œil, hommages éphémères… Difficile d’étiqueter le travail de Vik Muniz. Sculpteur à ses débuts, il se fait mondialement connaître en 1997 par sa série Pictures of Chocolate, dont une œuvre est présentée ici, de nouveau en 2006 grâce à sa série Pictures of Junk et par son film Waste Land sorti en 2014.

Depuis une vingtaine d’années, l’artiste, fasciné par le pouvoir de l’image et l’optique, transforme n’importe quelle matière première insolite en œuvre d’art. Il utilise ensuite la photographie pour immortaliser les œuvres qu’il crée avec ces matériaux.

Dans Steerage after Alfred Stieglitz, Muniz utilise le chocolat comme médium pour rendre hommage à l’un des pionniers de la photographie moderne, Alfred Stieglitz. Il fait participer le spectateur et le pousse à avoir un nouveau regard sur un tableau ou une photographie maintes fois montrés, devenus commun malgré leur beauté. Vik Muniz invite le public à regarder et décrypter ses compositions, mais fait également travailler les autres sens pour transformer ses copies plates en œuvres originales et en trois dimensions.

N°16Joan FONTCUBERTANé en 1955 à Barcelone, Espagne

Joan Fontcuberta est un artiste conceptuel reconnu pour ses œuvres comme Fauna ou Sputnik, qui examinent la véracité photographique. Depuis près de quarante ans il s’intéresse à la photographie aussi bien en tant que photographe qu’enseignant, écrivain ou commissaire d’exposition. Il produit en particulier des images retravaillées via l’outil informatique, utilisant tous les artifices possibles – photomontage, découpage, falsification de documents – pour détourner la réalité et questionner la vérité historique, photographique et fictionnelle.

Fontcuberta écrit sur sa série Googlegrams: Niépce (2005) : « L’idée de base consiste à sélectionner des images devenues des icônes de notre temps et de les confronter à leur interprétation actuelle sur Internet comme paradigme de la mémoire universelle. Les Googlegrams deviennent une critique ironique de la croyance selon laquelle les gens partagent sur Internet une « conscience universelle, exhaustive et démocratique ».

Les images sont reconstituées au moyen d’un logiciel freeware de photo mosaïque connecté à Internet et au moteur de recherche Google. Le résultat final est composé de 10’000 images disponibles sur Internet et localisées selon des critères déterminés par l’utilisateur en tapant comme requête les mots « foto » et « photo ».

JRNé en 1983 à Paris, France

JR possède la plus grande galerie d’art au monde. Grâce à la technique du collage photographique, il expose librement sur les murs du monde entier, attirant ainsi l’attention de ceux qui ne fréquentent pas ou peu les musées. Son travail mêle art et action et traite d’engagement, de liberté, d’identité et de limite.

Après avoir trouvé un appareil photo dans le métro parisien en 2001, il parcourt l’Europe à la rencontre de ceux qui s’expriment sur les murs et les façades qui structurent les villes. Observant les gens qu’il rencontre et écoutant attentivement leurs messages, il colle leurs portraits dans les rues, les sous-sols ou encore sur les toits de Paris.

JR crée ainsi un « art infiltrant » qui s’affiche sur les immeubles des banlieues parisiennes, sur les murs du Moyen-Orient, sur les ponts brisés d’Afrique et jusque dans les favelas du Brésil. Dans ces actions artistiques, aucune scène ne sépare les acteurs des spectateurs.

La démarche de JR présentée ici mêle réinterprétation et recontextualisation d’icônes de l’histoire de la photographie tirées des collections du Musée de l’Elysée de Lausanne qu’il applique sur les façades de bâtiments de la ville de Vevey. Il recadre et agrandit ainsi des photos de Robert Capa, Man Ray, Gilles Caron ou Helen Levitt pour que la ville devienne un gigantesque musée à ciel ouvert.

N°17Andreas MÜLLER-POHLE Né en 1951 à Brunswick, AllemagneEconomie et communication, Universités de Hanovre et Göttingen, Allemagne, 1973-1979

Andreas Müller-Pohle est une des figures clefs engagées dans l’ontologie et la représentativité de la photographie. Il réfléchit aux changements radicaux advenus dans l’essence des images techniques. Son premier projet artistique se concentre sur les questions de perception photographique et sur la photo recyclée.

Au milieu des années 1990, Müller-Pohle commence à explorer l’utilisation des codes digitaux, génétiques et politiques. Il est l’un des premiers artistes à avoir décomposé et traduit l’analogique et les codes d’images numériques. Dans sa série Digital Scores (d’après Nicéphore Niépce), il renvoie à l’origine de la photographie analogique en traduisant en code alphanumérique la plus ancienne photographie par Niépce, Point de vue du Gras (depuis la fenêtre de l’étude de sa maison) datée de 1826. La transcription binaire complète de cette photographie est ensuite redistribuée sur huit panneaux.

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En réinterprétant l’histoire de la photographie par le biais d’une mise en abyme d’images iconiques, les travaux des artistes contemporains présentés ici interrogent les notions de temps et de mémoire. Pour chacun d’entre nous, ces face-à-face d’œuvres d’époques variées prendront une forme de dialogue différente : continuation ou contradiction, duo ou duel.

La première photographie de l’histoire, celle de Nicéphore Niépce datant de 1826, est métamorphosée par Joan Fontcuberta (Googlegram: Niépce, 2005) au moyen d’un logiciel freeware de photos mosaïque connecté en ligne au moteur de recherche Google, mais aussi par Andreas Müller-Pohle (Digital Scores III).

Le premier autoportrait photographique de l’histoire, celui de Robert Cornelius de 1839, est quant à lui reproduit par Oscar Muñoz sur une série de miroirs. Muñoz questionne ainsi le paradoxe du vieillissement du support photographique, qui pourtant vise à fixer une image pour l’éternité.

Si Pierre Cordier et Idris Khan rendent tous les deux un hommage aux décompositions photographiques du mouvement d’Eadweard Muybridge, Khan (présent au Musée de l’Elysée dans l’exposition reGeneration en 2005) met également à l’honneur les photographies iconiques de Bernd et Hilla Becher. Avec des modalités et des intentions très différentes, Vik Muniz présente une reproduction en chocolat d’une photographie d’Alfred Stieglitz, et JR métamorphose la Femme aux cheveux longs, 1929 de Man Ray dans le cadre du festival de photographie monumentale en plein air de Vevey Images.

HOMMAGES ET METAMORPHOSES

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