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La méditation chrétienne ignatienne Une conférence d’Hélène Laflamme-Petit, précédée d’une introduction de Jean-Pierre Proulx Textes tirés de la soirée du 17 novembre 2011 intitulée La méditation dans le christianisme, le bouddhisme et l’islam Le thème de la rencontre de ce soir m’a ramené à mes quinze ans. Dans mon collège des années 1960, on avait en effet invité les étudiants à « entrer » soit dans la Jeunesse étudiante catholique, la JEC, ou dans la Congrégation mariale. Que faire? Je me rappelai alors ma grand-mère Proulx. Elle avait classé les communautés religieuses par ordre croissant de prestige : au bas se trouvaient les Franciscains. Elle, humble personne, avait d’ailleurs choisi d’entrer dans leur tiers-ordre et rêvait d’être ensevelie dans une bure. Dans son échelle, venaient ensuite les Dominicains. Enfin, tout en haut, trônaient les Jésuites. Ces derniers ne délogeaient les Dominicains qu’en raison d’un détail, mais qui changeait tout : les Jésuites, disait-elle, faisaient deux fois leur cours classique! Or justement, la Congrégation mariale était une invention des Jésuites. C’est ainsi qu’à 15 ans, je me retrouvai méditant. Il s’agissait chaque jour, pendant un petit vingt minutes, d’imaginer Jésus au milieu des docteurs de la loi, ou marchant sur les eaux, ou déjouant les Hérodiens, ou faisant sa montée au ciel. Les possibilités étaient presque infinies. À quinze ans, ce genre de méditation était surtout fort utile pour chasser les mauvaises pensées. C’est d’ailleurs toujours le cas! Quarante ans plus tard, je reçus chez-moi un vieil ami de collège qui lui avait opté pour la JEC. Quand j’allai, le matin venu, le prévenir que le déjeuner était prêt, je le trouvai assis sur le bord du lit, les yeux fermés, les mains tournées vers le haut. À table, je lui demandai sur quoi il méditait; il me répondit : « Sur rien. Je fais de la méditation orientale ». Je me demande encore comment on peut réfléchir à rien. Et puis, il y a un mois, je suis allé visiter ma mère qui a 85 ans. Étant fille de cultivateur, elle a, dans son cas, fait partie de la JAC (Jeunesse agricole catholique). Elle m’a raconté que depuis trente ans, elle commençait sa journée par la méditation tout de suite après ses exercices Nadeau. Éberlué, car l’ayant déjà vu faire ces spectaculaires

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Page 1: La méditation chrétienne  · PDF file3 La méditation chrétienne ignatienne, par Hélène Laflamme-Petit Hélène Laflamme-Petit a dirigé le centre Manrèse à Québec, centre

La méditation chrétienne ignatienne Une conférence d’Hélène Laflamme-Petit,

précédée d’une introduction de Jean-Pierre Proulx

Textes tirés de la soirée du 17 novembre 2011 intitulée La méditation dans le christianisme, le bouddhisme et l’islam

Le thème de la rencontre de ce soir m’a ramené à mes quinze ans. Dans mon collège des années 1960, on avait en effet invité les étudiants à « entrer » soit dans la Jeunesse étudiante catholique, la JEC, ou dans la Congrégation mariale. Que faire?

Je me rappelai alors ma grand-mère Proulx. Elle avait classé les communautés religieuses par ordre croissant de prestige : au bas se trouvaient les Franciscains. Elle, humble personne, avait d’ailleurs choisi d’entrer dans leur tiers-ordre et rêvait d’être ensevelie dans une bure. Dans son échelle, venaient ensuite les Dominicains. Enfin, tout en haut, trônaient les Jésuites. Ces derniers ne délogeaient les Dominicains qu’en raison d’un détail, mais qui changeait tout : les Jésuites, disait-elle, faisaient deux fois leur cours classique!

Or justement, la Congrégation mariale était une invention des Jésuites. C’est ainsi qu’à 15 ans, je me retrouvai méditant. Il s’agissait chaque jour, pendant un petit vingt minutes, d’imaginer Jésus au milieu des docteurs de la loi, ou marchant sur les eaux, ou déjouant les Hérodiens, ou faisant sa montée au ciel. Les possibilités étaient presque infinies. À quinze ans, ce genre de méditation était surtout fort utile pour chasser les mauvaises pensées. C’est d’ailleurs toujours le cas!

Quarante ans plus tard, je reçus chez-moi un vieil ami de collège qui lui avait opté pour la JEC. Quand j’allai, le matin venu, le prévenir que le déjeuner était prêt, je le trouvai assis sur le bord du lit, les yeux fermés, les mains tournées vers le haut. À table, je lui demandai sur quoi il méditait; il me répondit : « Sur rien. Je fais de la méditation orientale ». Je me demande encore comment on peut réfléchir à rien.

Et puis, il y a un mois, je suis allé visiter ma mère qui a 85 ans. Étant fille de cultivateur, elle a, dans son cas, fait partie de la JAC (Jeunesse agricole catholique). Elle m’a raconté que depuis trente ans, elle commençait sa journée par la méditation tout de suite après ses exercices Nadeau. Éberlué, car l’ayant déjà vu faire ces spectaculaires

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exercices, je n’ai pas osé lui demander à quoi elle pensait en méditant. Mais je me suis rappelé qu’elle avait visité le Maroc, l’Égypte, la Jordanie. J’en suis resté aux hypothèses.

Au-delà de ces plaisanteries, ces faits témoignent que des gens d’ici ont médité ou méditent toujours, mais dorénavant à partir de traditions diverses. Or le Centre culturel chrétien de Montréal s’est donné notamment comme mission d’établir des ponts entre les courants religieux et philosophiques. Cette année, il a justement choisi d’approfondir cette pratique et qui est à l’évidence constitutive des spiritualités respectives des grandes traditions religieuses. Elle s’est même sécularisée, si j’ose dire, car elle est aussi pratiquée par des personnes qui ne se réclament d’aucune tradition particulière, mais pour qui la spiritualité demeure une partie constituante de leur vie.

Pour ma part, je l’avoue, la méditation m’est souvent apparue comme une pratique élitiste. À cause des Jésuites sans doute. Pourtant, je me remémore parfois cette terrienne qu’était ma grand-mère Proulx, humble membre du Tiers-Ordre franciscain, en train de réciter silencieusement son rosaire en se berçant doucement. À voir son visage illuminé, je suis sûr que son esprit et son cœur étaient happés alors vers le haut.

Jean-Pierre Proulx

Responsable du comité de programmation du Centre culturel chrétien de Montréal

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La méditation chrétienne ignatienne, par Hélène Laflamme-Petit

Hélène Laflamme-Petit a dirigé le centre Manrèse à Québec, centre consacré à la spiritualité et à la méditation ignatienne. Auparavant, elle avait été responsable de la pastorale au diocèse de Saint-Hyacinthe. Elle est présentement impliquée au Centre justice et foi.

***** Je veux d’abord bien me situer par rapport au sujet qu’on m’a demandé de traiter. Je ne suis pas une « spécialiste » de la méditation chrétienne, mais simplement une « pratiquante ». Il y a plusieurs formes, plusieurs écoles de méditation chrétienne; je ne les connais pas toutes mais je suis certaine qu’elles ont en commun de donner une place centrale au Christ.

Mon propos ici portera sur la méditation ignatienne; c’est ce qu’on m’a demandé et c’est ce que je connais. Je présenterai quelques repères en spiritualité ignatienne et je dirai quelques mots de l’expérience d’Ignace de Loyola, expérience dans laquelle s’enracine la méditation à la manière ignatienne. Je présenterai ensuite la « manière de procéder » pour méditer et contempler à la façon ignatienne.

Quelques repères en spiritualité ignatienne

Les quelques expressions-clés qui suivent feront sans doute office de rappel pour plusieurs qui en connaissent déjà les accents.

Trouver Dieu en toute chose : Dieu est présent en tout, au cœur de la vie quotidienne, là où je suis, de la plus petite réalité à la plus grandiose ou hors de l’ordinaire. Et cela appelle un regard d’émerveillement, de gratitude.

Être contemplatif dans l’action : Non pas allier contemplation ET action, mais bien être contemplatif DANS l’action.

Chercher et faire la volonté de Dieu : Là réside toute l’attention au discernement spirituel, à discerner selon l’Esprit et au discernement des esprits.

Pour la plus grande gloire de Dieu : Me détacher de moi-même, faire la lumière et la vérité sur mes motivations profondes.

Le « magis » (davantage) : Progresser, avancer d’un pas (un tout petit pas s’il y a lieu), mais être en marche, en chemin, à la manière d’un pèlerin, un pèlerin de la vie.

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Aller aux frontières : Me laisser déplacer, entendre les cris du monde, à partir de là où la vie m’a placée, apprendre à voir où sont les besoins, où sont les espaces non occupés et m’y engager, avec audace, créativité, compassion, dépassement.

Dans ce contexte, le but de la méditation sera de s’entraîner à trouver Dieu en toute chose, pour progresser vers la contemplation dans l’action, selon ma mission propre et mon chemin de vie.

Tout s’enracine dans la vie et l’expérience d’Ignace de Loyola

Au départ, une blessure lui crée l’obligation d’un arrêt dans une vie trépidante. Alité, il demande de la lecture pour se distraire, et on lui apporte ce qu’il y a au château familial où il a été transporté : une Vie du Christ et la Légende dorée (vie des saints). Son désir de lectures chevaleresques ne peut être comblé, il occupe donc le reste de son temps à rêvasser à ses exploits chevaliers, ceux qu’il a faits et ceux qu’il voudrait faire.

Ces deux activités le conduisent à la découverte des mouvements intérieurs. Ses lectures de la vie du Christ et des saints le laissent content et joyeux de façon durable; les rêveries chevaleresques ne lui procurent pas une satisfaction durable et le laissent à plus long terme sec et mécontent. Il découvre le langage de Dieu, « les murmures de l’Esprit ». Il parlera des consolations et des désolations comme des moyens pour saisir la présence et l’action de Dieu en nous.

Son élan de chevalier est redirigé. Il désire maintenant faire comme les saints – et même mieux. Suit une longue période de tâtonnements à Manrèse puis, lors de ce qu’il est convenu d’appeler l’illumination du Cardoner, tout devient évident pour lui. Il s’engage avec le Christ sur une route qui le conduira, d’étape en étape, à concrétiser son désir ardent d’AIDER LES ÂMES. Les Exercices spirituels et la fondation de la Compagnie de Jésus en découlent.

Tout au long de sa vie, Ignace prend de fréquents (et parfois longs) moments à converser avec le Christ et à noter ce qui se passe en son âme. Son journal spirituel, et surtout le récit qu’il fait de sa vie, retracent comment Dieu l’accompagne, spécialement dans ses prises de décisions majeures.

Méditer à la manière ignatienne

Les Exercices spirituels (Trente jours ou Exercices dans la vie courante - EVC) sont en fait une série de méditations et de contemplations qui s’enchaînent selon une séquence précise et constituent en quelque sorte un entraînement à la prière en vue du discernement spirituel. La manière de procéder des Exercices est une manière de méditer et de contempler.

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Avant d’arriver à la manière de procéder, quelques remarques préliminaires sur la prière selon Ignace de Loyola. Le corps, l’expression corporelle y prend une grande place. Ce ne sont pas des ajouts modernes. Ignace indique des gestes à poser, des temps de la journée pour certaines prières, des attitudes à adopter et « l’application des sens » à la réflexion sur un point de méditation ou un récit évangélique. Il recommande également de se mettre dans l’état d’esprit de la scène ou de la situation sur laquelle je veux méditer ou que je veux contempler (avoir de la joie, de l’allégresse ou de la douleur, de la peine, de l’accablement, etc.). Je prie donc avec tout ce que je suis : corps (soma), cœur (psychè), esprit ou souffle (pneuma). Et je prie à partir de ma vie et pour y retourner.

On parlera de méditation et de contemplation. Quelle distinction faisons-nous? Disons d’abord qu’il y a continuité entre les deux et une certaine gradualité. On s’entraîne d’abord à la méditation qui, selon les expressions d’Ignace dans la Contemplation pour parvenir à l’amour, consiste à « considérer et réfléchir en moi-même ».

La méditation peut porter sur un aspect de la vie : prier à partir d’un évènement de ma vie, de l’actualité, d’un écrit spirituel, d’une musique ou d’un chant, d’une œuvre d’art, etc. (Le site Notre-Dame du Web donne du support pour prier de cette façon http://www.ndweb.org/)

Lorsque la méditation porte sur un texte biblique, on sera invité à se situer comme spectateur – observateur : je réfléchis sur le texte pour, en quelque sorte, pouvoir en faire un reportage, en me laissant émouvoir et mouvoir.

La contemplation nous conduira plus avant dans l’intimité avec le Christ. Après y être entré comme observateur/observatrice, je me situerai comme acteur/actrice : je suis partie prenante de la situation, je me glisse dans la peau des personnages et j’interagis avec le Christ.

Donc, le point de départ sera la vie, ou la Parole de Dieu, mais l’une et l’autre seront présentes. La vie s’éclaire par la Parole et la Parole renvoie à la vie.

Un exemple

Voyons une manière de procéder dans une méditation à partir d’une page d’Évangile.

D’abord, me préparer physiquement et mentalement. Déterminer le temps que je veux y consacrer. Choisir un lieu et une posture qui me conviennent (dont je tire profit). Me reposer l’esprit, me calmer.

Me disposer intérieurement, me rendre disponible pour accueillir Dieu et me laisser accueillir par Lui. Et demander ce que je veux et désire, car Dieu désire se donner à moi, faire route avec moi, mais ne le fera pas sans moi, sans mon désir, sans ma demande.

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Prendre le temps de lire ou de relire le texte, lentement ou plus d’une fois, se laisser toucher par les mots, les expressions, les bizarreries, les questions qui viennent.

Me représenter la scène, y entrer par l’imagination, en observateur, voir les lieux, les personnages, entendre les paroles, sentir le climat.

M’insérer comme un des protagonistes. Me situer comme un élément de l’histoire, interagir avec les personnages. Les laisser me répondre. Questionner Jésus. Écouter ce qu’il me dit.

Engager la conversation avec Jésus dans un colloque, un cœur à cœur. Me placer en état de réceptivité, d’écoute. Lui parler comme un ami parle à son ami : parler de ma vie… tantôt pour le remercier d’un bienfait reçu, tantôt pour implorer son aide, sa miséricorde. Et surtout, le laisser me parler, l’écouter. Puis le quitter pour reprendre le cours de mes occupations.

Relire. Après quelques minutes de recul, regarder comment les choses se sont passées. Réviser ma préparation, le temps de prière, les mouvements intérieurs qui ont été présents, comment cela me laisse maintenant. En tirer profit pour les prochaines fois. Considérer en quoi cela m’interpelle dans ma vie quotidienne. Il peut être utile de noter quelques éléments qui me paraissent importants.

En conclusion

Le but recherché est l’union avec le Christ qui veut faire alliance avec moi pour être présent dans le monde.

Le fruit en sera une croissance dans la liberté, « l’indifférence » selon l’expression d’Ignace, soit la disponibilité de plus en plus totale à Dieu. L’accroissement de ma liberté, dans la communion au Christ.

Dans la méditation/contemplation, je me laisse façonner par Dieu en vue d’ordonner ma vie en me laissant enseigner par le Christ lui-même, qui ne manquera pas d’être au rendez-vous, même s’il se fait discret.

Si je veux m’engager sur ce chemin, il est profitable de pouvoir relire ma vie de prière avec un accompagnateur ou une accompagnatrice qui me permettra d’avoir du recul sur mon expérience et d’en tirer plus de fruits.

La méditation ignatienne (comme la vie chrétienne) se vit dans un paradoxe entre tout faire pour atteindre le but visé et tout attendre de Dieu qui ne cherche qu’à me séduire et à me rendre participant/participante de son œuvre de grâce dans le monde.