la maltraitance · 2018. 4. 13. · guy corneau portons-lui attention, donnons-lui la main,...

22
La maltraitance une réalité qui bouleverse Des personnalités et des cliniciens prennent la parole Photos de Nancy Lessard

Upload: others

Post on 14-Mar-2021

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

On dit de vous que vous êtes des voleurs d’enfance, desabuseurs.

Ce n’est pas vrai.

Vous êtes des magiciens : vous savez comment tuer etlaisser en vie la coquille vide d’un enfant.

Marie Laberge

Il y a quelque chose dans cela d’intolérable, quelquechose qui est ressenti comme étant «contre nature»,contre la nature humaine, voire qui menace son destin…Si l’on fait du mal à notre progéniture, alors où va-t-on?

Jean-Marc Potvin

La douleur des enfants fausse la beauté de notremonde. Force est de constater que nous oublions par-fois qu’ils ont des droits et qu’ils doivent être traitésavec dignité. Sans cette prise de conscience collective,nous serons condamnés à porter la honte d’avoir man-qué à nos engagements de parents, de protecteurs etde gouvernements.

Angèle Dubeau

Guérir parce que peu à peu on se rend compte que,malgré la profondeur des meurtrissures, l’essencecréatrice est restée intacte. Guérir parce que le meil -leur n’a pas été touché.

Guy Corneau

Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillonsson petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne sereproduise jamais, jurons-le sur nos vies !

Gilles Julien

Si je réussis ma fille, j’aurai réussi ma vie.

Denise Robert

La maltraitance, une réalité qui bouleverseenfants, parents et intervenants, un fléau surlequel il est toujours difficile de mettre desmots.

Une quarantaine de personnalités et de clini ciens prennent la parole pour composercette œuvre collective.

Un livre pour lever le voile sur cette problé-matique et sur les différentes facettes qu’ellerevêt : la négligence, la violence familiale, laviolence psychologique, les sévices phy si queset l’abus sexuel.

Des photos saisissantes qui nous donnent à voir la pureté, la transparence et la chaleurdu regard des enfants.

La maltraitanceune réalité qui bouleverseDes personnalités et des cliniciens prennent la parole

Textes

Alain Auger, Luc A. Bégin, Marie-Claude Béliveau,

Patrick Bernard, Robert Blake, Josée Blanchette, Joe Bocan,

Jean-François Chicoine, Guy Corneau,

Dominique Côté-Assaf, Sylvie Des Roches, Line Déziel,

Angèle Dubeau, Germain Duclos,Sophie Durocher,

Francine Ferland, Gilles Fortin,Renée Frappier,

Pierrette Gélineau, Pauline Gill,Nago Humbert, Ima, Joanie, Gilles Julien, Marie Laberge,

Marie-Lise Labonté, Jean-Marie Lapointe,

Sylvie Lauzon, Fred Pellerin, Jean-Marc Potvin, Claire Pimparé,

Dominique Richard, Denise Robert, Marie-Ève Roy,

Dominique de Saint-Mars,Frédérique Saint-Pierre,

Gilles Vigneault, Laure Waridel

Photos

Nancy Lessard

�ISBN-978-2-89619-113-0

La

mal

trai

tan

ce, u

ne

alit

é q

ui

bo

ule

vers

DIT

ION

SD

UC

HU

SA

INT

E-J

US

TIN

E

Photos de Nancy Lessard

Page 2: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,
Page 3: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

La maltraitanceune réalité qui bouleverseDes personnalités et des cliniciens prennent la parole

Page 4: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,
Page 5: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

La maltraitanceune réalité qui bouleverseDes personnalités et des cliniciens prennent la parole

Page 6: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec etBibliothèque et Archives Canada

Vedette principale au titre :

La maltraitance, une réalité qui bouleverse : des personnalités et des cliniciens prennent la parole

ISBN 978-2-89619-113-0

1. Violence envers les enfants. 2. Enfants maltraités. 3. Adolescents maltraités.

HV6626.5.M34 2007 362.76 C2007-941850-3

Photographies : Nancy Lessard

Graphisme : Nicole Tétreault

Diffusion-Distribution au Québec : Prologue inc.en France : CEDIF (diffusion) – Casteilla (distribution)en Belgique et au Luxembourg : SDL Caravelleen Suisse : Servidi S.A.

Éditions du CHU Sainte-Justine3175, chemin de la Côte-Sainte-CatherineMontréal (Québec) H3T 1C5Téléphone : 514 345-4671Télécopieur : 514 345-4631www.chu-sainte-justine.org/[email protected]

© Éditions du CHU Sainte-Justine, 4e trimestre 2007Tous droits réservésISBN 978-2-89619-113-0

Dépôt légal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2007Bibliothèque et Archives Canada, 2007

Page 7: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

AVANT-PROPOS

La maltraitance faite aux enfants est un fléau en même tempsqu’un phénomène sur lequel il reste difficile de mettre des mots.Ce livre veut lever le voile sur cette problématique et ses diffé -rentes facettes : négligence, abus physiques, abus sexuels, abuspsychologiques, autant de visages que revêt cette réalité quibouleverse enfants, adolescents, parents et intervenants.

L’ouvrage que vous avez en main est une œuvre collectivefaite de témoignages de personnalités et de cliniciens qui ontaccepté de livrer leurs réflexions sur cette cruelle réalité. Chaquetémoignage est accompagné d’une photo d’enfant prise par laphotographe Nancy Lessard que nous remercions pour sa géné -rosité et sa disponibilité. Nous adressons également un merciparticulier aux enfants et aux adolescents qui ont accepté d’êtrephotographiés ainsi qu’à leurs parents qui ont bien voulu qu’ilsvivent cette expérience.

Enfin, nous désirons rappeler que ce livre constitue une pre-mière étape dans la volonté du CHU Sainte-Justine et du Centrejeunesse de Montréal – Institut universitaire de mettre en placedes projets de soutien aux enfants et aux adolescents maltraités.

Line Déziel,gestionnaire clinico-

administratif

Programme depédiatrie du

CHU Sainte-Justine

7

Page 8: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,
Page 9: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

Comprendre la maltraitance�

Page 10: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,
Page 11: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

UNE BOULEVERSANTE RÉALITÉ

La maltraitance envers les enfants, quelle bouleversante réalité !Quand ce n’est pas l’horreur des agressions subies par les enfants,leurs injustes souffrances, c’est l’apparente maladresse – pourne pas dire plus – des institutions à la contrer qui nous cham-boule et nous met en colère tout à la fois. Il est impossible derester indifférent à cette réalité mais elle nous heurte tant quel’on préférerait souvent en ignorer l’existence. Notre impuissancenous désole, celle de nos institutions nous révolte. Chaque annéeau Québec, qui compte environ un million et demi d’enfants,plus de soixante mille d’entre eux sont signalés aux directeursde la protection de la jeunesse. Quel immense et immondeproblème ! Comment le comprendre, comment peut-on participerà sa résolution?

Un peu d’histoireL’exploitation abusive des enfants, le droit de vie et de mort surleur personne habite les sociétés depuis des temps immémo -riaux. Ce fut la première forme de maltraitance reconnue par lesdiverses communautés et civilisations. Les premières règles deconduite que s’imposèrent les sociétés par leurs lois civiles oureligieuses visèrent à contrer ces excès et à baliser les droits de l’enfant en tant que personne au sein de la communauté.Mais la maltraitance intrafamiliale, celle qui implique les parentsvis-à-vis de leurs enfants, demeure une réalité cachée, ignoréeou niée beaucoup plus longtemps.

Dans notre civilisation nord-américaine, ce n’est qu’à la findu 19e siècle qu’apparaissent des directives dans nos lois civilesvisant à protéger les enfants au sein de leur famille, en définissantde plus en plus clairement les obligations de soins et d’entretiendes parents à leur égard. Ce mouvement est attribué à un incidentsurvenu à New York vers 1874. Une intervenante, une personnenon apparentée, se rend compte que Mary Ellen Wilson, alorsâgée de neuf ans, est enfermée, battue, privée de soins et devêtements adéquats dans sa famille d’accueil. Toutes ses tenta-tives d’intervention échouent jusqu’au jour où le président de laSociété pour la prévention de la cruauté envers les animaux(SPCA) accepta de porter l’affaire devant les tribunaux. En effet,aucun organisme similaire de protection n’existait pour lesenfants à cette époque. Par la suite, divers organismes de pro-tection de l’enfance se développèrent et contribuèrent à la miseen œuvre de législations visant à protéger les enfants. Maisencore à ce moment, de telles situations d’abus étaient considé -rées comme exceptionnelles, comme le fut celle d’Aurore Gagnonici au début du siècle dernier.

Ce sont surtout les gens du milieu de la santé, de la pédia-trie en particulier, qui nous ont fait prendre conscience de cetteréa lité bouleversante qu’est la maltraitance envers les enfantsau sein de leur milieu familial ou de garde. La maltraitance

Gilles Fortin, neurologue pédiatre

au CHU Sainte-Justine

11

Page 12: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

12

envers les enfants est un problème de santémaintenant bien reconnu au sein de la com-munauté médicale scientifique. Cette recon-naissance n’est toutefois que fort récente. Eneffet, ce n’est que depuis les années 1970, il ya moins de cent ans donc, que les médecinspédiatres reconnaissent que la maltraitanceenvers les enfants existe au sein des familleset qu’ils ont appris à la reconnaître.

Au milieu du 19e siècle, Tulmouche etTardieu, deux médecins légistes français, ontpublié dans des revus médicales scientifiquesde leur époque les toutes premières descrip-tions d’enfants dont les lésions ne s’expli-quaient, à leur avis, que par des attitudes etdes comportements qu’ils qualifiaient, et àjuste titre, d’abusifs de la part de leurs parentsou gardiens. Ce n’est que plus de cent ans plustard, aux alentours de 1970, que des médecinsaméricains, comme Caffey, Helfer et Kempe,ont fait prendre conscience à leurs confrèresde l’existence de la maltraitance envers lesenfants au sein de familles appa remment au-dessus de tout soupçon. À cette époque, lespratiques disciplinaires étaient plus rigou -reuses qu’aujourd’hui et le recours au châti-ment corporel beaucoup plus répandu. Maisce qu’ils ont mis au jour et dénoncé allait bienau delà de l’acceptable, même pour l’époque.

Ils ont en effet décrit des enfants qui sontmorts ou dont l’intégrité physique fut signifi -cativement altérée à la suite des traitementsqu’ils avaient subis au sein de leurs familles.La violence physique à l’égard des enfants futla première forme de maltraitance reconnueet dénoncée par ces médecins sous le vocablede «syndrome de l’enfant battu». Il s’agissaitd’enfants qui présentaient, sans que l’onpuisse l’expliquer par ailleurs, des fracturesmultiples des os parfois associées à dessaignements à l’intérieur de la tête. À la notionde syndrome de l’enfant battu s’ajouta trèsvite celle du « syndrome du bébé secoué ».Assez rapidement, de nouvelles publicationsont fait état d’une foule d’autres formes desévices physiques – ecchymoses, brûlures,traumatisme crânien, abdominal ou génital –qui ne pouvaient résulter de maladies ouencore de supposés accidents rapportés parles parents ou les gardiens. La notion d’abussexuel s’imposa rapidement ; on cessa deprendre pour de purs fantasmes ou tentatives

de manipulations malsaines les comporte-ments sexuels inacceptables que les enfantsrapportaient avoir subis de la part d’adultes,parents ou non.

Vers 1972, à l’occasion d’une conférenceque le Dr Henry Kempe fut invité à donner àMontréal, les pédiatres d’ici prirent vraimentconscience de l’existence, aux États-Unis dumoins, de cette réalité barbare qu’est la mal-traitance envers les enfants. Le confé rencier,alors interrogé par le Dr Jacques R. Ducharme,chef du Département de pédiatrie à l’Uni versitéde Montréal et œuvrant à Sainte-Justine, surl’apparente absence de tels cas chez nous, luifit pour réponse que de tels cas existaientaussi ici, mais qu’il fallait encore se donner lapeine de les rechercher. C’est ce qu’il demandaau Dr Gloria Jeliu de faire. Assez rapidement, le Dr Hillman du Montreal Children’s Hospital et le Dr Jeliu de Sainte-Justine, deux des premièresfemmes pédiatres du Québec, détectèrent etidentifièrent un nombre mal heu reusementtoujours croissant de cas de maltraitance ausein de notre si civilisée communauté.

La préoccupation de l’Hôpital Sainte-Justine à l’égard des enfants victimes de mauvais traitements date donc du début desannées 1970, bien avant que le Québec sedote d’une loi sur la protection de la jeunesse.Grâce à la perspicacité de ces pédiatres, et àun moment où cette problématique commen -çait à peine à alerter les milieux pédiatriques,l’Hôpital Sainte Justine créait une premièreclinique de protection des enfants maltraités(PEM). Depuis, l’expertise n’a fait que croîtreet notre centre hospitalier universitaire mère-enfant est devenu un chef de file dans ledomaine. À la demande des directeurs de protection de la jeunesse, de nos confrèresmédecins ou encore de parents inquiets, prèsde 1500 enfants et adolescents victimesd’abus ou de négligence, ou soupçonnés del’être, sont accueillis chaque année à notrehôpital. La clinique PEM, devenue l’équipe depédiatrie sociale, est maintenant composéede dix pédiatres, d’une douzaine d’infirmières,d’intervenants sociaux, de psychologues et depersonnel de soutien. Elle agit comme consul -tant expert auprès des milieux de la santé ainsique des milieux sociaux, policiers et judiciaires.Elle contribue activement à la formation et

Page 13: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

à l’enseignement des professionnels de cesdivers milieux par des cours et des confé -rences, et elle offre des stages de perfection-nement. C’est d’ailleurs dans ce contexte quel’équipe a créé, en 2003, le premier colloquequébécois sur la maltraitance envers lesenfants et les adolescents qui en est à satroisième édition en 2007.

Au début des années 1970, les équipes des deux centres hospitaliers pédiatriques deMontréal ont fait prendre conscience à la popu -lation du Québec et à ses dirigeants politiquesde l’existence de cette réalité au sein de notrecommunauté. Du même souffle, on a comprisl’urgence et l’importance de se doter d’outils,jusqu’alors inexistants, pour venir en aide auxenfants souffrants. Moins de dix ans plus tard,le Québec se dotait d’une loi sur la protectiondes ses enfants. La première Loi sur la pro-tection de la jeunesse (LPJ) a été votée parl’Assemblée nationale du Québec vers la finde 1978 et est entrée en vigueur en 1979 avecla création des Centres de santé et servicessociaux et de la fonction de Directeur de laprotection de la jeunesse (DPJ). Cette loi a étéremaniée à quelques reprises depuis. En juin2007 entrait en vigueur une nouvelle réformede cette loi.

Le cadre législatifÀ l’instar de plusieurs autres législations enAmérique, la Loi sur la protection de lajeunesse du Québec repose sur une obligationde dénonciation de la part des citoyens. Eneffet, en vertu de cette loi, tous les Québécoisont l’obligation de rapporter au DPJ toute situation pour laquelle ils ont de bonnesraisons de croire qu’un enfant est victimed’abus physique ou sexuel. Pour les profes-sionnels œuvrant auprès d’enfants, quelquesoit leur domaine, cette obligation s’appliqueaussi aux situations de négligence. Le signale-ment se fait le plus souvent par téléphone etla Loi permet au déclarant, s’il le désire, deconserver l’anonymat. Elle lui garantit de plusla confidentialité et le protège de toutes pour-suites éventuelles pour atteinte à la réputationdans la mesure où le signalement est fait de bonne foi. Elle prévoit de plus de possiblesrecours ou pénalités à l’égard de ceux qui négligeraient de signaler une situation dontils ont connaissance.

Le déclarant, quelque soit son éducationou sa profession, n’a pas à faire la preuve dufondement de sa suspicion de maltraitance.Cette responsabilité est exclusivement celledu DPJ. Le DPJ a des pouvoirs qui lui sontexclusifs et qu’il ne peut déléguer. Ainsi, il estle seul à pouvoir recevoir, retenir ou rejeter unsignalement. Il a l’obligation de faire enquêtepour tous les signalements qu’il retient ainsique de proposer aux parents des mesures en vue de corriger la situation de l’enfant s’ilconclut que celui-ci est effectivement victimed’une forme ou d’une autre de maltraitance.Seuls les parents peuvent s’opposer à sesconclusions et recommandations. Si parentset directeur ne peuvent s’entendre, ils doiventfaire appel aux tribunaux. Un juge de la courdu Québec, à la Chambre de la jeunesse,entend les parties et rend, dans la mesure oùil estime que la sécurité ou le développementde l’enfant est compromis, les ordonnancessuggérées par le DPJ qu’il croit appropriéespour corriger la situation de maltraitance dontl’enfant est victime. Le DPJ n’a aucun pouvoirde représailles à l’égard des parents, mais ilpeut toutefois divulguer les situations qu’iljuge graves aux autorités judiciaires qui peu-vent, suite à leur propre investigation, intenterdes poursuites contre l’abuseur en vertu ducode criminel du Canada.

En vertu de la loi, le DPJ doit toujours viserà garder l’enfant au sein de sa famille. Il doittoutefois privilégier l’intérêt de l’enfant audétriment des droits des parents. Et c’est làtoute l’essence de cette loi. Par l’exceptionqu’elle crée, elle permet à l’État d’intervenirau sein du milieu familial dans la relation parent-enfant, autrement du domaine haute-ment privé, lorsque la sécurité ou le déve lop -pement de l’enfant apparaît compromis sansque ses parents prennent les moyens pourcorriger la situation.

Toute la difficulté et l’ambiguïté apparentedu rôle du DPJ, qui lui vaut tant de critiques,viennent essentiellement de deux choses : a) l’interprétation de l’absence ou de la pré -sence de maltraitance qu’il tire des faits dontil a connaissance et b) les moyens qu’il prendpour y remédier. En bref, on lui reproche d’avoirrejeté ou retenu un signalement et les moyensqu’il a pris ou n’a pas pris pour cor ri ger la situation. Le DPJ rencontre les enfants et les

13

Page 14: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

14

familles, tente d’établir les faits le plus claire-ment possible. Il se fait aider au besoin desmilieux policiers et judiciaires ainsi que desmilieux de la santé en vertu d’une entente particulière dite « entente multisectorielle ». Il appuie ses conclusions sur les données lesplus probables. Pour agir, il n’est pas tenud’établir la certitude comme en droit criminel.En d’autres termes, la Loi sur la protection dela jeunesse lui demande de donner le bénéficedu doute à l’enfant potentiellement victime,contrairement au domaine criminel où lebénéfice du doute revient à l’accusé, l’abuseurpotentiel. Quant aux mesures à prendre pourcorriger la situation, celles qui font l’objet leplus souvent de controverse, elles concernentle placement en famille d’accueil ou en centred’accueil. C’est surtout en matière d’abus phy sique et sexuel que le diagnostic de mal-traitance est le plus difficile à étayer alors quec’est en matière de négligence que les mesurescorrectrices sont le plus souvent difficiles à déterminer. Nous reviendrons plus loin sur ces difficiles et appa remment discutablesdécisions que le DPJ doit prendre pour pro-téger les enfants du Québec de la maltraitancequ’il leur est faite.

Avant de conclure ici, il faut souligner lagrande confidentialité qu’exige la Loi sur laprotection de la jeunesse de la part de toutepersonne impliquée de près ou de loin dansun cas. Cette confidentialité vise d’abord laprotection de la réputation de l’enfant, puisde celle de sa famille. Elle ne permet à per-sonne, même pas aux parents, d’amener sur laplace publique les conflits qui l’opposent auDPJ ou au Tribunal de la jeunesse, dans lamesure où l’identité de l’enfant impliquérisque d’être dévoilée. D’autre part, le DPJ nepeut révéler publiquement et nommément lesdonnées sur lesquelles il appuie ses conclu-sions dans un cas particulier. Cette étalageparcellaire des éléments liées à une situationest souvent à l’origine de controverses quin’auraient peut-être pas lieu si tous les faitspouvaient être dénoncés publiquement.

Quelques chiffresLa maltraitance envers les enfants est habi tuel -lement divisée en cinq groupes ou formes : lanégligence, l’exposition à la violence familiale,

la violence psychologique, les sévices phy si -ques et l’abus sexuel. La prévalence exactedemeure imprécise mais, en 2003, au Canada,l’Agence de santé publique estimait l’inci-dence de nouveaux cas à près de vingt-deuxpour mille enfants (22/1000) chez les moins deseize ans. La négligence (30%), l’exposition àla violence familiale (28 %) et la violence psy-chologique (15 %) représentent 73 % de cesnouveaux cas, alors que les sévices physiquescomptent pour 15 % et l’abus sexuel pour 3 %.Les filles, qui constituent 49 % des victimes,représentent la plus grande proportion de victimes dans les cas d’abus sexuel (63 %) etde violence psychologique (54 %). Les garçons,pour leur part, sont plus souvent victimes deviolence physique (54 %)1.

La Loi sur la protection de la jeunesse, lesactivités de sensibilisation, l’évolution de nosvaleurs et la maturation de notre société font-elles en sorte que l’incidence de la maltrai-tance va en diminuant ? Malheureusement,non. La comparaison des données recueilliespar l’Agence de santé publique du Canada lorsd’une étude faite en 1998 et répétée en 2003montre que le nombre de signalements apres que doublé, passant de 25 à 46 pour 1000.Même si l’on ne retient que les données rela-tives aux signalements qui s’avèrent fondésaprès évaluation, l’incidence passe en cinq ansde 10 à 22 pour 1000. C’est donc dire que,selon les données de ces études, en 2003, 2 % de tous les enfants de moins de 17 ans auCanada était victime de maltraitance dansl’année. Et ceci ne répertorie que les cas rap-portés et suffisamment documentés pour êtreconsidérés fondés.

La maltraitance, surtout la violence psy-chologique et physique, s’inscrit souvent dansun contexte de dérapage des mesures disci-plinaires à l’égard des enfants. Une étudequébécoise, d’abord faite en 1999 et répétéeen 2005, révèle que plus de 98 % des mèrescroient à l’efficacité d’une discipline basée surdes stratégies éducatives non violentes : dis-cussions, explications, restrictions de certainsprivilèges. Toutefois plus de 50 % des mèresreconnaissent utiliser des approches coerci-tives qualifiables de violence psychologique,et 17 % en venir à de la violence physiquemineure (punition corporelle) et même à de laviolence physique sévère pour 1,5 % d’entre

Page 15: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

elles. La même étude montre qu’entre 1999 et2004, l’incidence de recours à la violencephysique mineure a diminuée de 48 % à 43 %,alors que celle de la violence psychologiqueaugmentait de 48 % à 52 %. L’étude tend égale-ment à démontrer que là où il y a violencephysique sévère, il y a aussi violence physiquemineure et violence psychologique. Ainsi,même si elle demeure occasionnelle, la vio-lence physique sévère est un indicateur de laprésence d’une discipline coercitive à l’excèsau sein de cette famille.

Les causes et facteurs de risqueQui donc maltraite ainsi nos enfants ? Il estfacile de comprendre, même si cela demeuretotalement inacceptable, qu’une société puissecompter dans ses rangs des individus dépra -vés, criminels ou désaxés sexuels qui abusentdes enfants. Des campagnes de prévention où l’on enseigne aux parents et aux enfants àles reconnaître et les identifier, jointes à larépression et à la mise à l’écart de ces indi-vidus, devraient contribuer significati vement àréduire leurs impacts maléfiques.

Malheureusement, la grande majorité despersonnes qui maltraitent les enfants ne sontpas des désaxés, des pervers ou des criminelsinvétérés. Non, aussi incroyable que cela puisseparaître, ce sont de simples parents, gardiens,éducateurs ou autres personnes en contactavec les enfants et qui n’ont rien de vraimentdistinctif à première vue. Helfer et Kemped’ailleurs, lors de leurs premières descriptionsde cas d’enfants maltraités, se sont heurtés àl’incrédulité des professionnels de la santé, dela justice et du public. On ne pouvait croirequ’une personne apparemment saine d’espritpuisse se rendre coupable de tels sévices à l’égard d’enfants, de leurs propres enfants leplus souvent. Le mythe le plus répandu veutqu’il s’agisse d’enfants non désirés, conçusplus ou moins accidentellement, et dont lesparents auraient mieux fait d’interrompre lagrossesse ou de les confier en adoption dèsleur naissance à des gens qui les auraientaccueillis avec amour et compétence.

De fait, Helfer et Kempe ont compris assezrapidement que la majorité des enfants vic-times de maltraitance aux mains de leurs propres parents avaient été ardemment désirés.

Oui, désirés par des parents qui avaient connuune enfance souvent pénible. Mal aimés deleurs propres parents, ils fuient le plus souventassez tôt leur milieu familial à la recherche de considération, d’attention et d’affectionqu’ils n’ont à toute fin pratique jamais reçuesjusque-là. La plupart du temps, cette carenceaffective précoce les entraînera dans des rela-tions à l’image de celles qu’ils ont connuesdans leur enfance et ne leur apporteront quele même lot de déceptions et de désillusions.Mais soudain, un enfant s’annonce. Et cetenfant devient alors à leurs yeux la personnequi enfin leur apportera attention, amitié,amour, tendresse ; en somme tout ce dont ilssouffrent d’avoir été privés depuis leur proprenaissance. En effet, combien de fois avons-nous vu des jeunes filles qui, tout en recon-naissant ne pas être en mesure de s’occuperde leur enfant de quelques mois, disentqu’elles se sont données cet enfant parcequ’elles étaient « tannées d’être toute seules ».De même, le jeune papa nous dira qu’il étaitconvaincu que cet enfant lui apporterait unbonheur et une chance qu’il n’a jamais connusauparavant, un meilleur lien avec sa conjointemère, du travail, de l’estime de la part desautres, etc. L’enfant est perçu comme leremède magique qui les guérira de toutesleurs blessures affectives profondes.

Bien évidemment, un enfant ne peut rem-plir un tel vide. Un enfant demande souventplus qu’il ne donne. Aussi, le jeune parentprend conscience assez rapidement qu’il ne luiapporte pas ce qu’il attendait, un peu commeun enfant s’aperçoit que le petit chat ou lechien qu’il a tant désiré et rêvé n’est pas cequ’il avait anticipé. L’enfant a des besoins propres qui sont incontournables et, s’il peutêtre adorable par moments, il a aussi desattentes et des exigences qui ne s’accordentpas toujours aux disponibilités de ceux qui en ont la charge. Face à cette désillusion, il y a deux types de réactions. Certains parents se désintéressent de l’enfant, d’autres lui en veulent de ne pas leur apporter ce qu’ils atten-dent et ont l’impression d’être à nouveauabusés. Le désinvestissement entraînera desattitudes de négligence alors que l’autre attitude amènera des comportements plusviolents, violence psychologique, violence

15

Page 16: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

physique. Dans ce dernier cas, le parent est deplus en plus convaincu que l’enfant est mau-vais, qu’il fait exprès pour le défier et lui fairevoir son incompétence. L’enfant ne pleureplus parce qu’il vit un certain malaise, maispour le provoquer. De telles attributions néga-tives de la part du parent le justifieront, à sesyeux, de se défendre violemment contre cetêtre qui, à l’image des gens qu’il a connusjusqu’à maintenant, se permet à son tour dele rejeter, d’abuser de lui. L’enfant rêvé estdevenu le cauchemar à éradiquer.

C’est ainsi que l’on peut comprendre beaucoup de ces comportements aberrants,révoltants, que peuvent développer des parents abuseurs ou négligents à l’égard deleurs enfants. Sans aller jusqu’à poser de telsgestes, combien d’entre nous n’ont pas sentila colère les envahir face à un enfant qui s’oppose contre toute attente, qui ne veut rien comprendre ou qui pleure simplementsans raison apparente ? Pourquoi certainsfrappent-ils et d’autres pas ? L’expérience denotre enfance compterait pour beaucoup,semble-t-il, dans les attitudes que l’on prenden tant que parents. Spontanément, nousavons tendance à reproduire les comporte-ments que nos parents ont eus à notre égard.Ne sont-ils pas nos premiers maîtres dans l’artd’être parent ? Est-ce à dire que tout enfantvictime d’abandon affectif, de négligence oude violence psychologique ou physique dansson enfance, deviendra à son tour un parentmaltraitant ? Non, mais une histoire claire demaltraitance dans l’enfance est identifiée chezplus de 30 % des parents abuseurs.

Les enfants maltraités se regrouperaienten trois groupes à l’âge adulte. Une grandemajorité reconnaît avoir eu une enfance mal-heureuse au cours de laquelle leurs parentsont été incorrects à leur égard. Ils sont aussiconscients que l’attitude de leurs parentsétait liée à des problèmes propres à leurs parents, indépendamment de ce qu’ils étaient,eux, comme enfants. Ces personnes ne répè-tent généralement pas les comportements de maltraitance dont ils ont été victimes etsont capables de développer de grandes com-pétences en tant que parents. Un deuxièmegroupe reconnaît qu’ils « l’ont eu dure » durantleur enfance, mais que cela était justifié et,qui plus est, qu’ils ne seraient jamais devenus

ce qu’ils sont sans cela. Ou encore, ils dirontqu’en fin de compte, la vie n’est pas toujoursfacile et que, somme toute, leurs parentsétaient de bonnes personnes malgré tout. Cegroupe, comme le suivant, est beaucoup plusà risque de développer des comportementsinadéquats en tant que parents. Finalement,le dernier groupe se compose d’adultes quinient toutes les difficultés de leur enfance. Ilsdisent avoir connu une enfance sans histoire,assez facile, dont ils ont d’ailleurs peu de souvenirs précis. Et pourtant, lorsqu’ilsarrivent à soulever le couvercle, c’est tout unmonde de souffrances, de conflits et d’amer-tume profonde qui émerge. Ces adultes quivivent dans le déni de leur enfance mal-heureuse ont le plus souvent des habiletésparentales très fragiles qui laisseront facile-ment place à des dérapages inadmissibles ensituation de stress, même léger.

Patricia Critendon, une psychologue amé -ricaine qui a beaucoup travaillé auprès desenfants maltraités, propose, suite à ses études,une intéressante typologie des familles abu-sives. Elle en décrit quatre groupes. Le premierest constitué des familles à la fois abusives etnégligentes. Il s’agit le plus souvent de mèrespeu éduquées et peu instruites, qui ont souventdes problèmes de toxicomanie et de santémentale, et qui ont généralement plusieursenfants issus d’unions multiples. Les enfantssont en mauvaise santé avec des retards dedéveloppement importants dans le domainecognitif et langagier ainsi que des troubles de comportement souvent sévères. Le secondgroupe comprend les familles uniquementnégligentes. Il s’agit souvent ici de famillesmonoparentales maternelles vivant dans unegrande pauvreté, des mères isolées, seules,sans grand soutien de l’entourage et nesachant pas utiliser les ressources du milieu.Ces mères sont souvent dépressives et ont uneestime de soi très pauvre. Elles ont de la diffi-culté à faire confiance et à recevoir de l’aideextérieure. Les enfants y sont évidemmentcaren cés au plan émotif, peu choyés, peu en tourés. Ils présentent des retards de déve -loppement et d’apprentissage significatifs.La famille uniquement abusive constitue letroisième groupe. Cette famille est généra le -ment assez bien intégrée dans sa communautéet perçue assez positivement par l’entourage.

16

Page 17: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,
Page 18: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

Les enfants sont en général bien développéset assez performants quoique ayant des diffi-cultés d’association avec les pairs. Les parentssont en général rigides, exigeants, peu affec -tueux, souvent centrés d’avantage sur leurpropre carrière et sur leur image en tant quepersonnes et famille. Finalement, la psycho-logue décrit la famille que l’on pourrait quali-fier de marginalement maltraitante. Il s’agit defamilles où le dérapage vers la maltraitance ne serait pas survenu n’eut été un stress par-ti culier comme le départ ou la mort d’un con-joint, la perte d’un emploi, une faillitefinan cière ou sociale, un problème d’alcoo lis me,de toxicomanie ou de jeu compulsif.

Par ailleurs, il faut mentionner que la litté -rature est remplie d’études sur les facteurs derisques psychosociaux qui montrent que lapauvreté, la monoparentalité, la maladie men-tale, l’alcoolisme ou la toxicomanie et l’isole-ment social s’associent à la maltraitance defaçon excessive. Il est important de se rappelerqu’un facteur de risque n’est pas une cause. Àtitre d’exemple, la pauvreté ne cause pas ensoi la maltraitance, pas plus que la lenteurintellectuelle, même si ces facteurs rendentl’accomplissement de la tâche de parent plusdifficile. Il est également malsain de conclureà la maltraitance à partir de la présence de facteurs de risque. Cela peut conduire, eneffet, à suspecter et peut-être même à ostra -ciser inutilement des gens plus démunis alorsque l’on fera faussement confiance à d’autresfamilles en se basant uniquement sur leurstatut social.

L’abus physiqueL’abus physique est l’une des premières formesde maltraitance dont les sociétés ont pris con-s cience. Il représente au Canada 15 % des sig-nalements retenus. Au Québec, c’est presque5000 enfants par année qui sont identifiés par le DPJ comme victimes d’abusphysique. Les enfants victimes sont plus souvent âgés de moins de douze ans et lesblessures les plus sévères se retrouvent chezles moins de cinq ans. Une étude identifie 133 cas d’homicides reliés à la violence fami -liale entre 1990 et 2000 au Québec, soit plusde dix cas par année. La presque totalité deces enfants ont moins de cinq ans et environ

85 %, moins de un an au moment de leurdécès. Chez ces petits, dans 65 % des cas, lamort est imputable directement à la maltrai-tance – bébés secoués, enfants battus ouenfants ayant souffert de négligence extrême.Par ordre de fréquence décroissante, le décèsest imputable à un traumatisme crânien,incluant le bébé secoué, à des brûluressévères, à un traumatisme abdominal avecrupture des organes internes, à l’asphyxie, àun empoisonnement.

Pourquoi tant de violence ? Il ne s’agit pas d’actes prémédités dans la très grandemajo rité des cas. Comme nous l’avons déjà mentionné, ce sont des parents dépassés quiperçoivent leur enfant comme les agressant,les défiant ; cela peut même survenir suite àdes pleurs irréductibles alors que l’enfant n’aque quelques mois. Il existe parfois des homi-cides prémédités survenant dans un contextede troubles conjugaux graves ou encore de cosuicide. Dans ce dernier cas, le parent désespéré décide de se donner la mort etd’amener avec lui « ses chers petits qu’il neveut pas laisser plus longtemps exposés à unmonde si cruel ». Il existe également une autreforme de maltraitance physique, planifiéecelle-là, heureusement très rare, connue sousle nom de Syndrome de Munchausen parprocuration. Ici le parent, plus souvent unemère, dans un contexte de dérive mentale deformes diverses, maltraite sciemment sonenfant pour simuler des problèmes de santégraves chez lui. Elle attire ainsi l’attentiond’abord des milieux de la santé, puis d’un pluslarge secteur de la population, acquérant ainsiune notoriété qu’elle ne saurait se procurerautrement.

En dehors des cas extrêmes, commentdéfinir l’abus physique, comment le dis-tinguer de la punition corporelle ? Selon quel’on est du domaine psychosocial, éducatif,médical ou juridique, les définitions peuventvarier. Toutefois, elles devraient toutes inclureun dénominateur commun qui pourrait être lesuivant : toute intervention physique, nonaccidentelle, auprès d’un enfant, quelque soitson âge et son sexe, qui cause plus qu’unesimple rougeur transitoire devrait être consi -dérée comme abusive. Parce qu’il n’écoutepas, parce qu’il ne se conforme pas à l’attente,Pierrot est frappé. Le coup porté ne produit

18

Page 19: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

aucune lésion interne, aucune perte de fonc-tion ni marque externe, sauf peut-être unepetite rougeur qui disparaît dans les minutessuivantes sans laisser de trace. Il s’agit làd’une approche éducative peut-être dis-cutable mais pas d’abus physique. Au con-traire, si le coup cause une ecchymose, unebrûlure, une fracture, une perte de fonction oudes lésions internes, quelque soit l’impor-tance de la rebuffade de l’enfant qui en est àl’origine, il devrait s’agir, pour tout le monde,d’abus physique.

Lors de la dernière révision du Code civildu Québec, on a supprimé l’article qui traitaitdu droit à la correction physique des parentsenvers leurs enfants. La Cour suprême duCanada n’a pas voulu abroger un article simi-laire du code criminel, l’article 43. Elle aplutôt tenté de clarifier l’interprétation à ydonner. Cette clarification a suscité beaucoupde réactions et les avis sont, à juste titre, trèspartagés quant à la justesse et à la pertinencede cette clarification. Contenir physiquementun enfant ou un adolescent qui perd lespédales, ce n’est pas le frapper, ni le meurtrir.Les éducateurs conservent donc tous les outilsnécessaires pour exercer leur métier sansavoir besoin d’un article 43 pour les protégerdans leur rôle professionnel. Bien comprise,la punition corporelle n’est pas un abusphysique et, inversement, l’abus physique nepeut être pris pour une correction physique.La pertinence de la punition corporelle, sanécessité et son rôle dans l’éducation desenfants est un autre débat qui peut se pour-suivre sans créer de confusion à l’égard de cequ’est l’abus physique.

Dans les faits, les études canadiennes,comme celle provenant d’autres pays, montrentque près de 70 % des cas d’abus physique oude violence psychologique surviennent dansun contexte de discipline excessive, coercitiveà l’excès. Dans la presque totalité des autrescas, les gestes abusifs surviennent dans uncontexte de perte de contrôle de la part d’unparent ou d’un gardien exaspéré, qui se sentdéfié ou provoqué par l’enfant insoumis : « Tune me feras pas ça encore à matin » – « Tu nerecommencera pas ton petit jeu » – « C’est ladernière fois que tu me fais ce coup là ».

En dépit des marques qui l’accompagnent,il n’est pas toujours facile de démontrer l’abus

physique. En effet, beaucoup de lésions peu-vent être le résultat d’accidents domestiquesque seuls, normalement, les parents ou lesgardiens ont pu visualiser. Aussi n’est-il passurprenant de comprendre, parfois aprèsplusieurs événements et même des années desouffrance, qu’un enfant est effectivement vic-time d’abus physique. Mais l’enfant ne peut-ilpas en témoigner, le raconter, ne l’écoute-t-onpas ? En effet, s’il est d’âge scolaire, l’enfantest suffisamment développé pour pouvoirfournir un récit significatif. Souvent, il ne lefait pas. Pourquoi ? Par peur de représaillessupplémentaires de la part de son abuseur oudes autres membres de la fratrie qui, eux, ontappris à endurer et qui ne veulent pas que l’onvienne se mettre le nez dans les affaires de lafamille. Ou encore parce que le petit ne saitpas que c’est le comportement de son parentqui est fautif et non le sien. Il a conscienced’avoir commis une grosse faute, il croitmériter la correction qu’il a reçue et craintd’être également puni par cette personne àlaquelle il pourrait raconter ce qu’il a fait. Il nesait pas que cela ne se passe pas comme celadans les autres familles.

Certaines études estiment que 8 % desenfants victimes d’abus physique meurent decet abus. Voilà une maladie pédiatrique biengrave qui tue jusqu’à 8 % des enfants qui ensont atteints. Heureusement, dans la majoritédes cas d’abus physique, les lésions guérissentet ne laissent pas de séquelles visibles ; maisqu’en est-il des souffrances psycholo giques etmorales ? Comment se développe un enfantau plan affectif lorsqu’il vit dans la crainteconstante de représailles douloureuses ? Com -ment se construit le monde affectif d’un enfantqui a peur de la personne dont il dépend poursa subsistance et sa survie alors qu’au con-traire, celle-ci devrait l’initier à la vie, le ras-surer, le soutenir ? Cet aspect des choses estprobablement le plus difficile à évaluer et iln’existe pas de données fiables sur ce sujet.

S’il est facile de définir l’abus physique parles marques qu’il laisse, il est beaucoup plusdifficile d’arriver à une définition opération -nelle de la violence psychologique. L’abuspsychologique serait celui qui aboutit àinvalider, humilier et blesser l’enfant sur leplan émotif.

19

Page 20: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

Négligence La négligence est la forme de maltraitance laplus fréquemment retrouvée. Elle repré sente30 % des signalements retenus et mêmejusqu’à 60 % chez les moins de six ans. Elle estaussi celle qui est le plus difficile à définir.Théori quement, la négligence consiste à nepas fournir à l’enfant le minimum nécessaire àson sain épanouissement et à son développe-ment, autant aux plans physique qu’émotif etintellectuel. Dans les faits, la norme est trèsdifficile à établir et peut varier d’un individu àl’autre, d’un milieu culturel à l’autre, d’uneépoque à l’autre. La croissance physique estmesurable et quantifiable, mais qu’en est-ilde l’épanouissement psychologique et intel-lectuel ? En tant que parent, et finalementaussi en tant qu’intervenant, on cherchedavantage l’optimum pour ses enfants que leminimum acceptable. Il est donc facile de com-prendre qu’à cause d’un certain arbitraire auplan des normes, les décisions et les conduitessoulèvent souvent la controverse. À titre d’exemple, refuser le suivi médical pour sonpoupon, ne pas le faire vacciner; est-ce de lanégligence ? De même, laisser un enfant de sixans seul à la maison une partie de la nuit oufaire garder les plus jeunes par l’aîné qui a àpeine dix ans, est-ce de la négligence ? Qu’enest-il si on ne fait manger ses enfants quedeux fois par jour ou si on les bourre de mal-bouffe avec le résultat qu’on en fait des obèsesprécoces ?

La distinction entre la pauvreté et la négli-gence n’est pas toujours facile à établir. Nepas être en mesure d’offrir à ses enfants lesressources matérielles de base dans un con-texte social donné ; est-ce de la maltraitance ?La véritable négligence est probablement cetteattitude désinvolte qui fait qu’un parent ne sepréoccupe pas du bien-être de ses enfants. Il n’est pas présent, disponible mentalement,il est incapable de saisir et de décoder lesattentes de ses enfants ou il s’en fiche carré-ment. Même s’il vit dans une pauvretématérielle importante, le parent non négligentdemeure sensible et conscient des besoins deses enfants et cherche à y répondre, mêmeavec des moyens limités. Même dans l’opu-lence, des parents peuvent être négligents enabandonnant littéralement leurs enfants auxmains de gardiens et de gardiennes instables

et incom pétents dans un environnement luxueux mais dépourvu de chaleur humaine.Ces enfants sont rapidement laissés seuls,sans l’attention d’une personne bienveillantequi s’intéresse à eux, leur parle et, surtout, lesécoute. La négligence la plus répandue dansnotre milieu n’est pas tant matérielle qu’af-fective. Il y a en effet plein d’organismes pouraider les enfants et leurs parents à contrer lapauvreté matérielle. La négligence résulte leplus souvent d’un non investissement desparents auprès de leurs enfants. Ce sont desparents incapables de saisir les besoins affec-tifs de base de leurs enfants parce qu’ils sonteux-mêmes très carencés, déprimés, atteintsde troubles mentaux, de toxicomanie ou d’alcoolisme. Ils vivent souvent des relationsconjugales qui sont instables ou empreintesde violence, dont ils ne reçoivent que solitudeet isolement.

Pour les bien-pensants et les mieux nantis,certains contextes de vie peuvent apparaîtreinacceptables, intolérables en fonction de leursvaleurs propres. Il s’agit d’un jugement de va leur très personnel et aléatoire. Aussi, pouréviter l’arbitraire, est-il préférable de regarderl’enfant et d’évaluer à travers lui l’acceptabi litéde son milieu de vie.

À quoi ressemble donc un enfant négligé ?Un enfant cachectique, décharné avec un grosventre et des cheveux clairsemés ? Très rare -ment. Dans les premiers mois de vie, le gainpondéral de l’enfant négligé est souvent unpeu en deçà de la courbe de croissance atten-due. Mais c’est surtout un enfant un peu mou,taciturne, qui pleure peu, regarde peu, qui necherche pas le contact avec l’adulte, à tel pointque l’on peut parfois se demander dans quellemesure il voit et entend correctement. S’il peutêtre lent dans ses acquisitions motrices aucours des premiers dix-huit mois, il se rattraperapidement au début de sa deuxième année.Rapidement, il acquiert des habiletés motricesque d’autres développeront plus tard, mais ilest agité et ne parle pas. Tout jeune, il a beau-coup de caries dentaires, il est un peu pâle,son hygiène personnelle est pauvre et sesvêtements souvent délabrés.

J’ai encore en tête cette petite de deux ans,la plus jeune d’une famille de trois, qui arriveavec sa fratrie dans le bureau sans la pré -sence de sa mère ou d’une personne connue.

20

Page 21: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,
Page 22: La maltraitance · 2018. 4. 13. · Guy Corneau Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillons son petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais,

On dit de vous que vous êtes des voleurs d’enfance, desabuseurs.

Ce n’est pas vrai.

Vous êtes des magiciens : vous savez comment tuer etlaisser en vie la coquille vide d’un enfant.

Marie Laberge

Il y a quelque chose dans cela d’intolérable, quelquechose qui est ressenti comme étant «contre nature»,contre la nature humaine, voire qui menace son destin…Si l’on fait du mal à notre progéniture, alors où va-t-on?

Jean-Marc Potvin

La douleur des enfants fausse la beauté de notremonde. Force est de constater que nous oublions par-fois qu’ils ont des droits et qu’ils doivent être traitésavec dignité. Sans cette prise de conscience collective,nous serons condamnés à porter la honte d’avoir man-qué à nos engagements de parents, de protecteurs etde gouvernements.

Angèle Dubeau

Guérir parce que peu à peu on se rend compte que,malgré la profondeur des meurtrissures, l’essencecréatrice est restée intacte. Guérir parce que le meil -leur n’a pas été touché.

Guy Corneau

Portons-lui attention, donnons-lui la main, accueillonsson petit cœur fragile et faisons en sorte que cela ne sereproduise jamais, jurons-le sur nos vies !

Gilles Julien

Si je réussis ma fille, j’aurai réussi ma vie.

Denise Robert

La maltraitance, une réalité qui bouleverseenfants, parents et intervenants, un fléau surlequel il est toujours difficile de mettre desmots.

Une quarantaine de personnalités et de clini ciens prennent la parole pour composercette œuvre collective.

Un livre pour lever le voile sur cette problé-matique et sur les différentes facettes qu’ellerevêt : la négligence, la violence familiale, laviolence psychologique, les sévices phy si queset l’abus sexuel.

Des photos saisissantes qui nous donnent à voir la pureté, la transparence et la chaleurdu regard des enfants.

La maltraitanceune réalité qui bouleverseDes personnalités et des cliniciens prennent la parole

Textes

Alain Auger, Luc A. Bégin, Marie-Claude Béliveau,

Patrick Bernard, Robert Blake, Josée Blanchette, Joe Bocan,

Jean-François Chicoine, Guy Corneau,

Dominique Côté-Assaf, Sylvie Des Roches, Line Déziel,

Angèle Dubeau, Germain Duclos,Sophie Durocher,

Francine Ferland, Gilles Fortin,Renée Frappier,

Pierrette Gélineau, Pauline Gill,Nago Humbert, Ima, Joanie, Gilles Julien, Marie Laberge,

Marie-Lise Labonté, Jean-Marie Lapointe,

Sylvie Lauzon, Fred Pellerin, Jean-Marc Potvin, Claire Pimparé,

Dominique Richard, Denise Robert, Marie-Ève Roy,

Dominique de Saint-Mars,Frédérique Saint-Pierre,

Gilles Vigneault, Laure Waridel

Photos

Nancy Lessard

�ISBN-978-2-89619-113-0

La

mal

trai

tan

ce, u

ne

alit

é q

ui

bo

ule

vers

DIT

ION

SD

UC

HU

SA

INT

E-J

US

TIN

E

Photos de Nancy Lessard