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CLEFS CEA - N° 56 - HIVER 2007-2008 103 Utiliser la force agissant sur un corps diamagnétique ou paramagnétique placé dans un champ magnétique statique constitue un moyen original de compenser la force de gravité. Il permet d’étudier sur terre, paradoxalement plus simplement et plus économiquement qu’en vol, le comportement des fluides dans l’espace, en particulier des ergols cryogéniques des lanceurs de satellites. La lévitation magnétique au secours des lanceurs spatiaux CEA I l existe aujourd’hui un intérêt très marqué pour l’étu- de du comportement des fluides dans l’espace, en particuliers des ergols ( 1) cryogéniques (hydrogène et oxygène liquides) des lanceurs spatiaux comme Ariane. Pour des raisons de sécurité, l’expérimentation sur ces fluides en microgravité (encadré 1) par les moyens classiques se révèle quasi impossible. Une autre solu- tion existe : la lévitation magnétique permet pour cer- tains corps (paramagnétiques ou diamagnétiques) de compenser les forces de pesanteur en utilisant la force agissant sur de tels corps placés dans un champ magnétique statique (encadré 2). Il est ainsi possible de recréer au sol des conditions de microgravité et ainsi de mener des expériences qui seraient d’un coût beaucoup plus élevé si elles étaient conduites en orbite. De fait, si dans la plupart des cas l’influence de la gra- vité a d’abord été mise en évidence lors d’expériences au niveau spatial, elle a été ensuite confirmée par des expériences similaires réalisées en utilisant la lévitation magnétique. Certes, les conditions de microgravité obte- nues par cette technique diffèrent sensiblement de cel- les obtenues dans l’espace, la principale différence étant l’ajout d’un champ magnétique. Cependant, pour les cas où ce champ n’intervient pas ou peu, la lévitation magnétique est une technique très avanta- geuse, même si la mise en œuvre de bobinages supra- conducteurs implique l’utilisation de technologies associées complexes (vide, cryogénie). Depuis une dizaine d’années, le Service des basses températures (SBT) du centre CEA de Grenoble réalise ce type d’expériences dans une installation équipée d’une bobine supraconductrice refroidie à l’hélium liquide. Cette bobine permet de compen- ser dans l’hydrogène liquide, qui est diamagnétique, les forces de gravité par des forces magnétiques. Fournissant un champ magnétique de 10 teslas (20 000 fois le champ magnétique terrestre), elle per- met de sustenter un volume d’environ 100 mm 3 . Le défi d’OLGA Tout récemment, grâce au soutien du Cnes et du groupe Air Liquide (centre de Sassenage en Isère), le SBT a mis en service une nouvelle station de lévita- tion magnétique nommée OLGA (Oxygen Low (1) Ergols : corps chimiques (carburants et comburants) utilisés pour la propulsion (d’où le nom de propergols) des moteurs-fusées, sous forme liquide (souvent le couple hydrogène-oxygène) ou solide (mélange de perchlorate d’ammonium, d’aluminium et de polybutadiène, par exemple). La bobine supraconductrice de la station OLGA, au centre CEA de Grenoble.

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CLEFS CEA - N° 56 - HIVER 2007-2008 103

Utiliser la force agissant sur un corps diamagnétique ou paramagnétique placé dansun champ magnétique statique constitue un moyen original de compenser la force de gravité. Il permet d’étudier sur terre, paradoxalement plus simplement et pluséconomiquement qu’en vol, le comportement des fluides dans l’espace, en particulierdes ergols cryogéniques des lanceurs de satellites.

La lévitation magnétique ausecours des lanceurs spatiaux

CEA

Il existe aujourd’hui un intérêt très marqué pour l’étu -de du comportement des fluides dans l’espace, en

particuliers des ergols(1) cryogéniques (hydrogène etoxygène liquides) des lanceurs spatiaux comme Ariane.Pour des raisons de sécurité, l’expérimentation sur cesfluides en microgravité (encadré 1) par les moyensclassiques se révèle quasi impossible. Une autre solu-tion existe : la lévitation magnétique permet pour cer-tains corps (paramagnétiques ou diamagnétiques)de compenser les forces de pesanteur en utilisant laforce agissant sur de tels corps placés dans un champmagnétique statique (encadré 2). Il est ainsi possiblede recréer au sol des conditions de microgravité etainsi de mener des expériences qui seraient d’un coûtbeaucoup plus élevé si elles étaient conduites en orbite. De fait, si dans la plupart des cas l’influence de la gra-vité a d’abord été mise en évidence lors d’expériencesau niveau spatial, elle a été ensuite confirmée par desexpériences similaires réalisées en utilisant la lévitationmagnétique. Certes, les conditions de microgravité obte-nues par cette technique diffèrent sensiblement de cel-les obtenues dans l’espace, la principale différenceétant l’ajout d’un champ magnétique. Cependant,pour les cas où ce champ n’intervient pas ou peu, lalévitation magnétique est une technique très avanta-geuse, même si la mise en œuvre de bobinages supra-conducteurs implique l’utilisation de technologiesassociées complexes (vide, cryogénie). Depuis une dizaine d’années, le Service des bassestempératures (SBT) du centre CEA de Grenobleréalise ce type d’expériences dans une installationéquipée d’une bobine supraconductrice refroidie àl’hélium liquide. Cette bobine permet de compen-ser dans l’hydrogène liquide, qui est diamagnétique,les forces de gravité par des forces magnétiques.Fournissant un champ magnétique de 10 teslas(20 000 fois le champ magnétique terrestre), elle per-met de sustenter un volume d’environ 100 mm3.

Le défi d’OLGA

Tout récemment, grâce au soutien du Cnes et dugroupe Air Liquide (centre de Sassenage en Isère), leSBT a mis en service une nouvelle station de lévita-tion magnétique nommée OLGA (Oxygen Low

(1) Ergols : corps chimiques (carburants et comburants)utilisés pour la propulsion (d’où le nom de propergols) des moteurs-fusées, sous forme liquide (souvent le couplehydrogène-oxygène) ou solide (mélange de perchlorated’ammonium, d’aluminium et de polybutadiène, par exemple).

La bobinesupraconductrice de lastation OLGA, au centreCEA de Grenoble.

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Le magnétisme, la Terre et l’espace

CLEFS CEA - N° 56 - HIVER 2007-2008104

OLGA est dotée d’une bobine supraconductrice (illus-tration 1) d’un diamètre extérieur de 650 mm, d’unehauteur de 580 mm et d’un diamètre intérieur de330 mm. Pour fonctionner, elle doit être immergéedans de l’hélium liquide à une température de 4,2 K(- 269 °C) et donc être placée dans un cryostat pen-dant les expériences. Elle délivre un champ magné-tique de 2 teslas suffisant pour communiquer à l’oxy-gène liquide une force capable de s’opposer à lagravité terrestre.Les phénomènes physiques sont étudiés dans unecellule expérimentale en saphir de 30 mm de dia-mètre et de 50 mm de hauteur (figure 1). Deux endo-scopes permettent l’observation du fluide, en l’oc-currence l’oxygène liquide. La cellule et sesendoscopes sont placés dans un tube sous vide appeléanti-cryostat. Pendant les expériences, le tube estintroduit au centre de la bobine à une hauteur bienprécise, là où la force magnétique est maximale.Le centre de la base de la cellule est équipé d’un élé-ment chauffant qui peut délivrer une puissance de17 watts. Cet élément permet de faire bouillir l’oxy-gène, et ainsi d’étudier comment l’ébullition de l’oxy-gène se produit, avec ou sans gravité.

L’ébullition revisitée pour Vinci

Les premières expériences réalisées sur OLGA ontconcerné l’étude des transferts thermiques en régimed’ébullition sous gravité réduite. Ces études, menéesen collaboration avec Air Liquide et le Cnes, inté-ressent fortement les concepteurs, chez Snecma, dumoteur Vinci qui doit équiper un futur étage supé-rieur cryotechnique de la fusée Ariane 5, envisagéun temps sous le nom d’ESC-B. Il est en effet prévude pouvoir rallumer ce moteur cryogénique dansl’espace après une période de vol balistique, c’est-à-dire sans propulsion, uniquement sous l’effet résul-tant de l’impulsion initiale et de la gravitation. Lesergols (oxygène et hydrogène liquides) se trouventalors en contact avec des surfaces chaudes qu’il fautrefroidir comme lors du premier allumage. Il est doncnécessaire d’acquérir des connaissances dans cedomaine des transferts thermiques encore mal connu.

Gravity Apparatus). Cette installation permet de sus-tenter plusieurs cm3 d’oxygène liquide, qui est, lui,paramagnétique et donc plus sensible au champ magné-tique. Un programme expérimental lié à l’étude ducomportement de ce fluide en microgravité y est encours. Il concerne en particulier l’étude des trans-ferts thermiques en régime d’ébullition.

Figure 1. La cellule expérimentale

d’OLGA de 25 cm3

(à gauche) et entourée de ses endoscopes

(à droite). CEA

tube ensaphir

surface chauffante (0,5 cm2)

endoscopecellule expérimentale(D=30mm)

Impesanteur et microgravité

La gravité joue un rôle majeur dans de nombreux mécanismes physiques.Son importance est apparue avec les premiers vols spatiaux qui ont per-mis d’atteindre l’état de microgravité. Microgravité car l’impesanteur (1)

est un état théorique et idéal qui n’existe pas en pratique à bord d’un véhi-cule spatial : il y subsiste toujours des forces parasites, donc une pesan-teur résiduelle. C’est pourquoi on parle de micropesanteur, dont la valeurest proche du millionième de la pesanteur terrestre.En orbite stable, ces vols sont caractérisés par une compensation quasi-totale de la pesanteur en raison de la force inertielle due à l’accélérationcentripète sur sa trajectoire orbitale d’un engin ayant atteint la vitessesuffisante (environ 8 km/s pour un satellite en orbite terrestre basse).L’absence de gravité permet de faire apparaître, modifier, ou disparaîtredes phénomènes ou comportements liés à la pesanteur dans les expé-riences effectuées à la surface du sol. Ainsi, la convection thermiqueclassique, due à l’existence de la pesanteur, est profondément modifiéeen conditions spatiales.Il existe plusieurs moyens de se placer en conditions de microgravité,pour des durées variant de quelques secondes à plusieurs mois. Lamicrogravité peut être obtenue en utilisant au sol des tours de chutelibre, par des vols paraboliques en avion (Airbus A300 “zéro G” en Europe),par des fusées sondes ou enfin en vol orbital, essentiellement aujour-d’hui à bord de la station spatiale internationale (ISS). Ces différentsmoyens offrent également des niveaux de microgravité et des capacitésd’expérimentation variables.En fait, la gravité zéro obtenue en orbite l’est uniquement par des effetsinertiels, c’est-à-dire que la compensation agit sur l’ensemble du corpset chacun de ses constituants (noyaux et électrons). Dans le cadre de lalévitation magnétique, en revanche, les forces magnétiques agissent essen-tiellement sur les électrons et c’est uniquement la grande cohésion desatomes qui fait que les noyaux, et donc le reste du corps, “suivent” et lévi-tent. Dans un système physique associant plusieurs matériaux de sus-ceptibilités différentes, la compensation ne peut être effective que pourle matériau obéissant à cette condition.

(1) Au terme apesanteur du langage courant, est aujourd’hui préféré celui d’impesanteur,en raison de la confusion orale possible entre “la pesanteur” et “l’apesanteur”.

1

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CLEFS CEA - N° 56 - HIVER 2007-2008 105

C’est tout le mécanisme de l’ébullition qu’il faut revi-siter. Que se passe-t-il sur Terre lorsqu’un récipientd’eau est posé sur une flamme? Si celle-ci est de faibleintensité, des mouvements de convection de l’eau pour-ront être observés: le liquide qui est au fond se réchauffeet monte à la surface car, en se réchauffant, il devientplus léger alors que le liquide froid descend. Si on aug-mente l’intensité de la flamme, des bulles vont appa-raître au fond du récipient et monter vers la surface.Les mécanismes de convection et d’ascension des bul-les ne sont possibles que grâce à la gravitéterrestre qui donne naissance à lapoussée d’Archimède. Mais que sepasserait-il dans le récipient si lagravité était nulle? C’est tout l’ob-jet des expériences qui sont menéesavec OLGA. Les chercheurs ont puobserver ce qui se produit lorsquela gravité passe de 1 g à 0 g, commel’illustre bien la figure 2. L’intensitédu chauffage de la cellule a d’abordété réglée de façon à ce que le régimed’ébullition soit bien développé. Lecourant dans la bobine d’OLGA aété ensuite progressivement aug-menté de façon à ce que la gra-vité soit peu à peu compenséepar la force magnétique. Il estainsi possible d’observer qu’aufur et à mesure que la gravitébaisse, la vitesse ascensionnelledes bulles diminue, que la fré-quence de détachement desbulles diminue également etque la taille des bulles aug-mente d’une façon bien cor-rélée avec la théorie. Lorsque

L’oxygène beaucoup plus facile à sustenter que l’hydrogèneLa force par unité de volume que subit un corpsdiamagnétique ou paramagnétique placé dans unchamp magnétique statique d’induction magné-tique B est donnée par la relation suivante:

où χm est la susceptibilité magnétique du corpset μ0 est la perméabilité magnétique du vide.En définissant le vecteur G comme le produit dugradient de B par l’induction B (G = grad(B2) enT2/m), la condition de compensation exacte de lagravité g (accélération de la pesanteur) s’écrit :

où ρ est la masse volumique du corps considéré. L’examen des valeurs de G requises pour com-penser exactement la pesanteur pour quelquessubstances (tableau) montre ainsi qu’il est beau-coup plus facile de sustenter de l’oxygène liquide– quia une valeur de G positive car c’est un corps para-magnétique(1)– que de l’eau ou de l’hydrogène liquide.

L’obtention de telles valeurs de G sur des volu-mes d’au moins quelques cm3 suppose de pou-voir atteindre des valeurs d’induction magnétiquede plusieurs teslas. Ces forts champs magné-tiques peuvent être créés en utilisant des bobi-nages supraconducteurs qui permettent d’at-teindre des inductions importantes dans desvolumes significatifs. Une optimisation plus pous-sée de ces aimants pourrait éventuellement ouvrirde nouveaux domaines, au-delà de l’hydrogène,en lévitant par exemple de l’eau et, partant, desprotéines ou même des corps vivants (encadré 3).

2

substance G (T2/m)

hydrogène liquide -1 000deutérium -2 000eau (1 °C) -2 796

hélium - 3 900oxygène (90 K) 8oxygène (71 K) 7

(1) La susceptibilité magnétique est positive et dépendante de la température pour les substances paramagnétiques, alors qu’elle est négative et indépendante de la température pour les substances diamagnétiques.

Snec

ma/

Eri

c Fo

rter

re

Moteur Vinci en développement. Ce moteur à hydrogène et oxygène liquides aeffectué ses premiers essais de réallumage au banc d’essais de Lampoldshausen(Allemagne) en 2007. En médaillon, le moteur complet avec son divergent déployable.

ƒ= 1 χm grad (B2)2μo

G=2μogρχm

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8 m

m

1g0 0,29g0 0,22g0 0,15g0 0,07g0 0,04g0

Acquis et perspectives de la lévitation magnétiqueLes progrès et résultats obtenus ces dernièresannées prouvent que la lévitation magnétiqueest une technique fiable, promise à un bel avenir.Elle permettra d’explorer de nouveaux horizons,sous réserve de développer des configurationsmagnétiques inédites, dédiées spécifiquementà la compensation de la gravité, et de ne plus secontenter de réutiliser des solénoïdes supra-conducteurs détournés de leur vocation initiale,c’est-à-dire générer un champ magnétiqueimportant en leur centre. En utilisant les derniers développements tech-nologiques (nouvelles configurations associéesà de nouveaux matériaux supraconducteurs per-mettant de travailler à des valeurs d’inductionencore plus élevées), ces futurs aimantspermet-tront d’obtenir des volumes de lévitation plusgrands (jusqu’à plusieurs cm3 d’eau ou plusieurscentaines de cm3 d’oxygène liquide) et un meilleurniveau de gravité résiduelle (inférieure à 1 % dela gravité), de manière à concurrencer ou mêmeremplacer certaines expérimentations spatiales.C’est la lévitation magnétique de l’eau, réali-sée pour la première fois il y a plus de quinzeans par E. Beaugnon et R. Tournier (CRETA-CNRS Grenoble), qui a ouvert la voie à de nom-breuses expériences de microgravité au sol dansplusieurs domaines pour lesquels la gravité estun paramètre important.En biotechnologies, la principale application est lacroissance cristalline pour laquelle la lévitationmagnétique permet d’obtenir des protéines purespour ensuite réaliser leur analyse structurale. Lagravité intervient en effet directement dans lesmécanismes de convection : la diminuer revientdonc à augmenter la pureté des protéines. Dans le domaine des matériaux et des alliages,

Le magnétisme, la Terre et l’espace

CLEFS CEA - N° 56 - HIVER 2007-2008106

transferts thermiques s’effectuent en absence de gra-vité dans l’oxygène liquide. Les résultats pourront êtreexploités pour dimensionner les moteurs des futurslanceurs. D’autres études sont envisagées dans la sta-tion, avec un programme expérimental s’étalant surplusieurs années. Ce dernier concernera l’étude ducomportement des ergols dans les réservoirs des lan-ceurs (mouvements de l’interface liquide/gaz sousvariation rapide de gravité, ballottement, vibrations)ainsi que des études à caractère plus fondamentalmenées près du point critique de l’oxygène, pour unepression de 50 bars et une température de 154 K.

> Denis Chatain et Daniel Beysens Institut nanosciences et cryogénie (Inac)

Direction des sciences de la matièreCEA Centre de Grenoble

la gravité terrestre est parfaitement compensée, on peutconstater qu’une grosse bulle unique reste accrochéeà la partie chauffante. Cette bulle est animée d’un mou-vement de vibration généré par deux mécanismes, l’und’évaporation qui intervient sur cette partie chauf-fante, et l’autre de condensation qui a lieu sur toute lasurface de la bulle en contact avec le liquide. Il a éga-lement été possible de mesurer que plus l’intensité duchauffage était élevée, plus la taille de la bulle étaitgrande.

Des études technologiques et d’autres plus fondamentales

Ces premiers résultats donnés par la station OLGAsont très précieux et uniques. Les chercheurs du CEAsont maintenant capables de prédire la façon dont les

la production de cristaux et le contrôle des défautsde croissance ont été explorés. En chimie, la lévi-tation magnétique peut améliorer la compré-hension des réactions, en particulier de poly-mérisation. En physique des fluides, l’exempledes ergols cryogéniques montre l’intérêt de lalévitation magnétique pour les études hydrody-namiques (étude de phénomènes critiques, dyna-miques des interfaces…).Il n’est jusqu’à la fusion par confinement inertielqui pourrait faire appel à la lévitation magnétique.Dans le cadre d’un contrat Euratom, le SBT, encollaboration avec le SACM, a naguère étudié l’idéede réaliser la solidification de cibles cryogéniques,en les plaçant dans une zone de microgravité,homogène, créée par un aimant supraconducteur.Le SBT a établi que la lévitation magnétique pou-vait être un moyen intéressant d’obtenir une cou-che de deutérium liquide d’épaisseur constante àl’intérieur de la cible sphérique avant de la refroi-dir et de la solidifier. La lévitation magnétique deces cibles a été étudiée en utilisant soit un solé-noïde supraconducteur, soit un aimant multipo-laire, également supraconducteur, s’inspirant dela technologie employée dans les accélérateursde particules. L’intérêt de la structure multipolaireréside dans sa structure invariante par transla-tion, qui permet d’obtenir des volumes de travailplus importants car la zone utile n’est alors pluslimitée par le rayon intérieur du bobinage, commec’est le cas dans un solénoïde.

> Lionel Quettier Institut de recherches

sur les lois fondamentales de l’Univers (Irfu)Direction des sciences de la matière

CEA Centre de Saclay

3

Figure 2. Évolution de la taille des bulles d’oxygène en fonction de la gravité résiduelle (g0) dans la cellule expérimentale d’OLGA.

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Le magnétisme trouve essentiellementson origine dans les propriétés des

électrons telles qu’elles sont expliquéespar la physique quantique. Leur état quan-tique de spin est responsable d’une pre-mière partie du magnétisme (magnétismede spin). Une deuxième partie est imputa-ble au mouvement orbital des électronsautour du noyau de l’atome (magnétismeorbital) et également au magnétisme dunoyau lui-même (magnétisme nucléaire),notamment mis à profit dans les techniquesd’imagerie médicale par résonance magné-tique nucléaire. Le magnétisme est doncproduit par des charges électriques enmouvement. La force agissant sur ces char-ges, dite force de Lorentz, traduit la pré-sence d’un champ magnétique.L’électron possède un moment magné-tique élémentaire (le quantum magnétiqueétant le magnéton imaginé par Bohr) quipeut être associé à l’image de son mouve-ment de rotation du spin sur lui-mêmedans un sens ou dans l’autre, orienté versle haut ou vers le bas. Le nombre quantiquede spin (un des quatre nombres qui “quan-tifient” les propriétés de l’électron) est égalà 1/2 (+ 1/2 ou - 1/2). Une paire d’électronsne peut occuper la même orbitale que sil’un et l’autre sont de moments magné-tiques opposés. Chaque atome peut être assimilé à un petitaimant porteur d’un moment magnétiqueélémentaire. Le spin du noyau (neutron etprotonont eux-mêmes un spin demi-entier)est demi-entier si le nombre de masse estimpair ; nul si le nombre de masse et lacharge sont pairs, et entier si le nombrede masse est pair et la charge impaire.De nombreux moments magnétiques peu-vent, à une échelle plus importante, cons-tituer des domaines magnétiques danslesquels tous ces moments sont orientés

dans la même direction. Ces régions del’espace sont séparées entre elles par desparois. Rassemblés, ces domaines peu-vent eux-mêmes constituer un aimant àl’échelle macroscopique (figure E1).De l’organisation de ces constituants élé-mentaires dépend la manifestation de dif-férents types de magnétisme, associés tra-ditionnellement à trois grandes famillesde matériaux: ferromagnétiques, parama-gnétiques et diamagnétiques. Tous les matériaux qui ne sont pas dia-magnétiques sont par définition parama-gnétiques, dans la mesure où leur sus-ceptibilité magnétique est positive, maiscette susceptibilité est particulièrementélevée dans les ferromagnétiques, qui cons-tituent donc en eux-mêmes une famille.1. Les matériaux ferromagnétiques sontconstitués de petits domaines à l’intérieurdesquels les atomes, présentant uneaimantation parallèle, tendent à s’alignercomme autant de dipôles élémentairesdans la direction d’un champ magnétiqueextérieur. Les moments magnétiques dechaque atome peuvent s’aligner sponta-nément dans ces domaines, même en l’ab-sence de champ extérieur. En présenced’un tel champ, les parois se déplacent ettendent à renforcer le champ appliqué. Sicelui-ci dépasse une certaine valeur, leprincipal domaine orienté dans la direc-tion du champ tendra à occuper tout levolume du matériau. Si le champ diminue,les parois se déplacent, mais pas de façonsymétrique, une partie du mouvement“aller” des parois étant irréversible: il sub-siste donc une magnétisation rémanente,importante dans les aimants proprementdits ou la magnétite naturelle. L’ensemble du processus constitue un cycled’hystérésis, la relation du champ induitau champ extérieur dessinant une boucle

ou courbe d’hystérésis dont la surface repré-sente l’énergie perdue dans la partie irré-versible de ce processus (figure E2). Pourannuler le champ induit, il faut appliquerun champ coercitif: les matériaux avec les-quels les aimants permanents artificielssont réalisés présentent une valeur élevéede champ coercitif. En général, le moment magnétique totaldes matériaux ferromagnétiques est nul,les différents domaines ayant des orien-tations différentes. Le ferromagnétismedisparaît si on dépasse une certaine tem-pérature appelée point de Curie.Le couplage collectif des spins entre cen-tres métalliques du matériau ou d’un com-plexe de métaux de transition explique lespropriétés magnétiques du matériau, lesmoments de tous les spins se trouvant tousorientés de manière identique. Les matériaux dont les atomes sont éloi-gnés les uns des autres dans leur structurecristalline favorisent un alignement de cesaimants élémentaires par couplage. Le fer,mais aussi le cobalt, le nickel et leurs allia-ges, en particulier les aciers, et certains deleurs composés appartiennent à cette caté-gorie caractérisée par une susceptibilitémagnétique positive et très élevée, ainsi que,

Les différentes formes de magnétismeAMÉMO

Figure E2. L’induction B d’un matériau magnétique par une bobine n’est pas proportionnelle à l’excitation magnétique (champ H). Si la première aimantation dessine une courbe de type OsS en bleu sur la figure,elle manifeste à partir de s une saturation.L’induction n’est conservée qu’en partie si le champ tend vers zéro ; cette inductionrémanente ne peut être annulée que par une inversion du champ magnétique jusqu’àune valeur de champ “coercitif”. Le cycled’hystérésis traduit des pertes “par frottement”entre les domaines magnétiques. Ces pertessont représentées par la surface que délimitentles courbes d’aimantation et de désaimantation.

Figure E1.Les moments magnétiques élémentaires sont de même sens dans les substancesferromagnétiques (a), de sens opposés mais de somme nulle dans les antiferromagnétiques (b) et de sens opposé et de grandeur différente dans les ferrimagnétiques (c).

a b c

B

O

S

H

S’

s

+BR

-BR

-HS -HC

+HC +HS

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plus faiblement, certains métaux de la familledes terres rares, quelques alliages dont lesmailles sont grandes et certaines combinai-sons d’éléments n’appartenant pas eux-mêmes à cette famille.Dans les matériaux ferrimagnétiques, lesdomaines magnétiques constituent desensembles pouvant être alignés dans dessens opposés (anti-parallèles), mais leurmoment magnétique résultant diffère dezéro alors que le champ extérieur est nul(exemples de la magnétite, de l’ilménite oudes oxydes de fer). Le ferrimagnétisme s’ob-serve dans des matériaux comportant deuxtypes d’atomes se comportant comme desaimants de force différente et orientés ensens contraire. Si la somme des momentsparallèles et anti-parallèles est nulle, il s’a-git d’anti-ferromagnétisme (exemple duchrome ou de l’hématite). En effet, si les ato-mes sont plus rapprochés, la disposition laplus stable est celle d’aimants antiparallè-les, chacun compensant en quelque sorteson voisin (figure E1). 2. Les matériaux paramagnétiques pré-sentent un comportement de même natureque les ferromagnétiques, bien que beau-coup moins intense (leur susceptibilitémagnétique est positive mais très faible, del’ordre de 10- 3). Chaque atome d’un tel maté-riau a un moment magnétique non-nul. Sousl’action d’un champ extérieur, les momentsmagnétiques s’orientent et augmentent cechamp, qui décroît cependant avec la tem-pérature, l’agitation thermique désorientantles dipôles élémentaires. Les matériauxparamagnétiques perdent leur aimantationdès qu’ils ne sont plus soumis au champmagnétique. La plupart des métaux, y com-pris des alliages d’éléments ferromagné-tiques, font partie de cette famille, ainsi quedes minéraux comme la pegmatite. 3. Les matériaux diamagnétiques présen-

tent une susceptibilité magnétique néga-tive et extrêmement faible (de l’ordre de 10-5). La magnétisation induite par un champmagnétique s’opère dans la direction oppo-sée à ce dernier : ils ont donc tendance às’éloigner le long de ses lignes de champvers les zones de faible champ. Un diama-gnétique parfait offrirait une résistancemaximale au passage du champ magné-tique et présenterait une perméabilité nulle.Les métaux comme l’argent, l’or, le cuivre,le mercure ou le plomb, le quartz, le gra-phite, les gaz rares ainsi qu’une grandemajorité des composés organiques se ran-gent dans cette catégorie.En fait, tous les corps présentent peu ouprou ce phénomène de diamagnétisme,imputable à la déformation des orbitalesélectroniques des atomes sous l’action d’unchamp extérieur, phénomène réversibleavec la disparation du champ extérieur.Comme Michael Faraday l’a montré en sontemps, toute substance est donc plus oumoins “magnétisable” pour autant qu’ellesoit placée dans un champ magnétique suf-fisamment intense.

L’électromagnétismeC’est le Danois Hans Christian Ørsted, pro-fesseur à l’Université de Copenhague qui, lepremier, a fait autour de1820 le lien entreles deux domaines jusqu’alors complète-ment séparés de l’électricité et du magné-tisme. Il a mis en évidence la déviation del’aiguille d’une boussole à proximité d’un filparcouru par un courant électrique, avantque Faraday n’énonce la loi qui porte sonnom: le champ magnétique produit est d’au-tant plus fort que l’intensité du courant estimportante. La discipline qui étudie leschamps magnétiques statiques (ne dépen-dant pas du temps) est la magnétostatique.Le champ magnétique forme, avec le champ

électrique, les deux composantes de l’électromagnétisme. Des ondes peuventse propager librement dans l’espace, etdans la plupart des matériaux, dans tousles domaines de longueur d’onde (ondesradio, micro-ondes, infrarouge, visible,ultraviolet, rayons X et rayons gamma). Leschamps électromagnétiques sont donc unecombinaison de champs de force élec-triques et magnétiques naturelle (le champmagnétique terrestre) ou non (de bassesfréquences comme les lignes et les câbla-ges électriques, ou de plus haute fréquencecomme les ondes radio (téléphone cellu-laire compris) ou de télévision.Mathématiquement, les lois de base del’électromagnétisme sont résumées dansles quatre équations de Maxwell (ou deMaxwell-Lorentz) qui permettent dedécrire l’ensemble des phénomènesélectro magnétiques de manière cohérente,de l’élec trostatique et la magnétostatiqueà la propagation des ondes. James ClerkMaxwell les a formulées en 1873, trente-deux ans avant qu’Albert Einstein ne placela théorie de l’électromagnétisme dans lecadre de la relativité restreinte, qui expli-quait ses incompatibilités avec les lois dela physique classique.

Stoi

ber

Pro

duct

ions

, Mün

chen

Arrivée à la gare routière de Long Yang, à Shanghai (Chine), d’un train à sustentation magnétique du type Transrapid, d’origine allemande, mis en service en 2004 pour relier la ville

à l’aéroport international de Pudong.

Vue de détail des aimants pour le guidage et la propulsion du train.