la lutte pour la reconnaissance Économie du don

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  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

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  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    2/37

    Les i dées et l es opi ni ons expri mées dans ce livret sont cel les des

    auteurs et ne reflètent pas nécessai rement l es vues de l ' UNESCO. Les

    appel l ati ons empl oyées dans cette publ i cati on et la présentati on

    des

    données qui y fi gurent n' i mpl i quent

    de

    la part

    de

    l UNESCOaucune

    prise de positi on quant au statut j uri di que des pays, terri toi res, vlles

    ou zones ou de l eurs autori tés, n quant à l eurs fronti ères ou limtes.

    Publ i é en 2004 par

    :

    Organi sati on

    des

    Nati ons Uni es pour l ' éducati on, a scienceet lacul ture

    Secteur des sciences sociales et humai nes

    7, l ace

    de

    Fontenoy, 75350 Pari s 07SP

    Sour

    a

    di rectiondeMoufidaGoucha,

    Chef

    de laSecti onde laphi l osophi e

    et des sciences humai nes,assi stée

    de

    Mi ka Shi no et

    de

    Feri el Ai t -Ouyahi a

    O

    UNESCO

    I mpri mé

    en

    France

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

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    Introduction

    L‘ Insti tut i nternati onal

    de

    phi l osophi e

    (1.I.P)

    st la

    pl us anci enne des i nsti tuti ons phi l osophi ques i nternati o-

    nal es.

    I

    a

    été

    f ondé en

    1937 à

    Pari s

    à

    l ’ occasi on du

    Congrès Descar tes, à l’initiative d‘Émile Bréhi er et du

    phi l osophe suédoi s

    &

    Petzal l .

    Pl acé dès sa

    f ondat i on

    sous

    le

    patronage du Prési dent

    de

    la

    Républ i que françai se,

    i l s’est

    d‘ abord

    appel é

    I nsti tut i nternati onal

    de

    col l abora-

    ti on phi l osophi que. I1 s’est donné pour mssi on,

    dès sa

    créati on, à une époque de fortes tensi ons i déol ogi ques,

    de rassembl er des

    représentants qual i fi és

    de

    la c ommu-

    nauté phi l osophi que i nternati onal e pour sauvegarder

    l ’exerci ce

    de

    la pensée,

    la

    possibi l i té d’ une réfl exi on

    cr i -

    ti que et la

    l i bert é

    d’ expressi on. Dans

    une

    époque pl us

    normal e, l a pri s pour tâche de favori ser l ’ échangedes

    i nformati ons et

    des i dées,

    de promouvoi r l es droi ts de la

    rai son et l ’ i déal

    de

    tol érance, de prati quer et dencour a-

    ger l ’ ouverture mutuel l e des cul tures,

    des

    mental i tés et

    des tradi ti ons. Reconnu par

    l’UNESCO

    omme repré-

    sentati f de

    la

    communaut é phi l osophi que mondi al e,

    5

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    4/37

    regroupant

    des

    phi l osophes

    de

    toute nati onal i té

    et

    de

    toutes tendances, l met à l ' œuvre à l ' échel on i nternati o-

    nal des pr ogr ammes de recherche, publ i e pl usieurs col -

    l ecti ons

    et

    un péri odi que

    la Bibliographie de

    la

    philoso-

    phie, const amment mse à j our par 260 col l aborateurs

    dans 55pays. organi se chaque annéedesEntreti ens, où

    des

    phi l osophes

    de

    réputati on i nternati onal e débattent

    des probl èmes actuel s de la phi l osophi e, en accordant

    une parti cul i ère attenti on aux mét hodes mses en œuvr e

    et aux perspecti ves de sol uti on. Les derni ers Entreti ens

    ont eu l ieu

    à

    New

    Del hi

    en 2000

    sur la

    gl obal i sati on, en

    2001

    à

    Hel si nki

    et

    àTartu (Estoni e) sur lamét hode d' i n-

    terrogati on, en

    2002

    à

    Madr i d

    sur

    les

    probl èmes ouverts

    en histoi re des concepts.

    L' Insti tut i nternati onal de phi l osophi e dont , par droi t

    de

    f ondat i on,

    e

    si ège social

    est à Pari s,

    est actuel l ement

    prési dé

    par Anne Fagot- Largeaul t ,professeur au Col l ège

    de France. Son

    secrétai re

    générai est

    Pi er r e

    Aubenque.

    L' Insti tut i nternati onal de phi l osophi e a demandé à

    deux

    de

    ses anci ens prési dents, Paul Ri cœur

    et

    J aakko

    Hi nt i kka,

    de

    présenter au publ i c des aspects de l eurs

    réfl exi ons actuel les. O n ne saurai t prétendre épui ser, avec

    ces deux noms presti gi eux, tout l 'éventai l

    de

    la réfl exi on

    phi l osophi que contemporai ne.

    Mai s

    l ' un et l 'autre

    phi -

    l osophes en représentent

    de

    f açon exempl ai re deux

    des

    courants l es pl us vi vants et l es pl us féconds.

    6

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    Paul Ri cœur

    est

    reconnu c omme l ’ un

    des

    pri nci paux

    phénoménol ogues et herméneutes de notre t emps ; pl us

    exactement , l a su féconder l ’ unepar l ’autre

    ces

    deux

    approches que sont la phénoménol ogi e, sci encedes phé-

    nomènes psychi ques, er l ’ herméneut i que, ci encede l ’ i n-

    terprétati on, not amment des myt hes

    et

    des symbol es

    rel i gi eux. Pl us r écemment ,

    l

    s’est

    consacré

    à

    l ’ él uci dati on

    de questi ons éthi ques, c omme cel l e

    de la

    responsabi l i té

    et du bon usage de la mémoi r e.

    J aakko Hi nt i kka, représentant maj eur du courant

    anal yti que, a travai l lé dans

    le

    domai ne de la phi l osophi e

    du l angage, de la l ogi que mathémat i que

    et

    phi l oso-

    phi que. I1

    a

    proposé une nouvel l e défi ni ti on

    de

    la véri té,

    q i i i lu a perms

    de

    résoudre le

    difficile

    probl ème

    de

    la

    véri té

    des

    proposi ti ons futures. I l s’est égal ement i ntéressé

    à ceux des phi l osophes du passé, d’ Ari stoteet Descartes

    à Fregeet Wttgenstei n, qii ont ouvert lavoi e aux appro-

    ches

    contemporai nes.

    Pi erre

    Aubenque,

    Profissew hoizortlireà L’UniuersitéPm‘s-IV

    Secrétaire

    gédraL

    de

    I7.I.P

    7

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    La

    lutte

    pour

    la

    reconnaissance

    et l’économie du don

    Paul Ri cœur

    Le

    t itre

    de

    cette conférence, La luttepour la recon-

    naissance et l’économie

    du

    don, sembl e mar i er l ’ eauet l e

    f eu,

    e

    mot

    ((

    l utte

    )>

    et

    le

    mot

    ((

    don

    ))

    ;

    mai s

    ce

    qui

    est

    en

    jeu

    c’est

    le mot (( reconnai ssance », la reconnai ssance

    mutuel l e ; ce

    travai l

    fat parti e dune tentati ve pl us vaste

    de

    donner au concept

    de

    (( reconnai ssance

    ))

    une di gni té

    phi l osophi que qu’ i l n’ apas, compar é au mot (( connai s-

    sance

    ))

    ;

    i l y

    a des théori es

    de la

    connai ssance, des traités

    de

    la connai ssance,

    mai s,

    sel on mon i nf ormat i on, nous

    n’ avons

    pas

    de grand l i vre qui porterai t le

    titre D e

    a

    reconnaissance j e ne sui s pas sûr qu’ on pui sse l ’écri reet

    je n’ en présente que des f ragments. C’ est le f ragment ter-

    mnal

    de

    cette recherche que j e présente ici.

    Le

    concept de reconnai ssance

    est

    entré dans la phi l o-

    sophi e

    grâce

    essenti el l ement au phi l osophe al l emand

    Hegel , presque

    au

    début de son œuvre phi l osophi que, à

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    I éna entre

    1802

    et

    1806.

    Le

    t hème de la reconnai ssance

    n’est pas i nconnudu publ i c de l angue françai se,grâce au

    travai l de Koj ève sur le grand livre de Hegel qui suivi t

    cette péri ode de préparati on, Lu Phénoménologie de

    L’Erprit ;

    le noyau de cette œuvr e est la lutte

    pour

    la

    reconnai ssance préci sément, mai s autour

    d’ un

    t hème

    qui

    m a paru

    un

    peu réducteur, la l utte

    du

    maî tre et de ï es-

    cl ave, et qui en effet, dans ce l ivre, ne peut se termner

    que par un envoi

    en

    quel que sorte dos- à-dos

    du

    maî tre

    et de l ’escl ave

    qui

    se reconnai ssent tous deux c ommepar-

    tageant la pensée. La sortie de la lutte

    pour

    la reconnai s-

    sance dans La Phénoménologie de l’Esprit, ’est donc le

    stoï ci sme,

    où un

    maî tre et

    un

    escl ave,

    un

    emper eur et

    un

    escl ave, di sent

    tous

    deux

    (( nous

    pensons

    )) ;

    et c omme

    tous les deux pensent ,

    ils

    sont i ndi fférents, maî tre

    ou

    esclave. Le stoï ci sme produi t donc le scepti ci sme. J ’ai

    al ors sui vi les t ravaux dune autre générati on de cher-

    cheurs,

    qui

    remontai ent

    plus

    haut que cet ouvrage très

    achevé, admrabl e, de

    La

    Phénoménologie

    de

    I‘Eprit,

    la

    péri ode d‘ I éna,

    des ouvrages f ragmentai res i nachevés

    met tent en chanti er l ’ i dée de la lutte

    pour

    la reconnai s-

    sance, mai s avec

    un

    hori zon beaucoup plus promet teur

    de dével oppements ul téri eurs que cette espèce de f erme-

    ture que j ’ i ndi quai s sur le stoï ci sme et le scepti ci sme.

    Dans ces écrits et

    surtout

    dans l eur réactual i sati on en

    Al l emagne pr i nci pal ement autour de j eunes chercheurs,

    1

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    et

    aussi

    à

    Louvai n- l a- neuveautour

    de

    Tamni aux,

    l ’ i dée

    général ement exposée est la sui vante : si nous restons

    seul ement dans l ’ hori zonde la lutte pour la reconnai s-

    sance, nous créerons une demande i nsati abl e, une sorte

    de

    nouvel l e consci ence mal heureuse, une revendi cati on

    sans fi n. C’ est pourquoi je me suis demandé

    si

    nous n’ a-

    vi ons

    pas

    par

    ai l l eurs, dans notre expéri ence quot i di enne,

    l ’ expéri enced’être reconnus, d’ êt re ef fecti vement recon-

    nus, dans un échange qui

    est

    préci sément l ’ échange du

    don. C’ es t donc une tentati ve dont j ’ i gnorele succès,

    mai s

    dont j e suis certain qu’el l eest f éconde, pour com-

    pl ét er et corri ger l ’ i dée f i nal ement vi ol ente de l utte par

    l ’ i dée non vi ol ente de don. Voi l à donc la l i gne général e

    de

    ma

    présentati on.

    Pour di re quel ques mot s de l ’ œuvre

    de

    Hegel à I éna,

    je

    veux dési gner quel est l ’ adversai repermanent que la

    phi l osophi e pol i ti que a tenté de combatt re

    et

    d‘ excl ure :

    i l

    s’agi t du Hobbes du Léviathan.On peut di re que toute

    la

    tradi ti on du droi t naturel ,

    de

    Grot i us, Puf endor f ,

    Locke, Lei bni z,

    er

    j usqu’ à

    Fi cht e,

    tend

    à

    réfuter Hobbes.

    L‘ i dée de Hobbes, chacun le

    sai t

    au moi ns très sommai -

    rement , c’ est que dans l ’ étatqu’i l appel l e

    de

    nature

    -

    c’est

    une sorte

    de

    fabl e

    de

    l ’ ori gi ne,

    t

    qui est d‘ai l l eurs

    par-

    fai tement reconstrui te

    par

    une descri pti on empi r i que

    d‘ état

    des

    choses

    -

    es hommes ne sont condui ts que par

    la peur de a mort vi ol ente,

    de

    la mai n d’ un autre. Les

    1 1

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

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    passi ons qui règnent sur

    cette

    peur sont

    la

    compét i t i on,

    la

    déf i ance,

    ((

    def i dence

    ))

    et

    la

    gloi re.

    Au

    f ond,

    c’est

    autour

    de l ’ i dée

    de

    déf i ance que nous al l ons tourner

    pui sque

    la

    reconnai ssance que nous al l ons voi r

    est la

    répl i que

    à cette

    déf i ance pour sorti r de l ’état

    de

    nature

    ainsi présenté

    par

    Hobbes.

    La

    sol uti on

    est

    un contrat,

    mai s

    un contrat entre

    des

    hommes noués

    par

    la

    peur

    et

    qui s’ en remettent à un souverai n qui , l ui , ne contracte

    pas, ne

    parti ci pe

    pas c omme contractant au contrat ; si

    bi en qu’ un

    arti fi ce, l ’État, st

    représenté

    par le

    gros ani -

    m dont i l

    est

    quest i on dans

    le l i vre de

    J ob

    : le

    Lévi athan,

    c’est

    la grosse bête en quel que sorte.

    Le

    pro-

    bl ème

    qui

    a été

    posé

    à

    Hobbes

    et

    à

    tous

    ses

    successeurs

    est

    de

    savoi r

    s’i l y

    aurai t un f ondement moral di sti nct

    de

    la

    peur, un f ondement moral dont on peut

    di re

    qu’i l

    donne

    la

    di mensi on humai ne, humani st e

    à la

    grande

    entrepri se pol i ti que.

    C‘ est

    dans cette l i gne que le j eune

    Hegel se

    situe

    ;

    mai s

    i l a der r i ère

    lu

    des

    appui s consi dé-

    rabl es,des

    ant i -hobbési ens

    i

    j ’ose

    di re,

    c’ est-à-di re

    a tra-

    di ti on, assez m défi ni e i l faut di re, du droi t naturel ,

    avec l ’ i dée qu’i l y a une mar que moral e ori gi nai re sur

    l ’ hommeque vous trouvez chez Grot i us dans cette

    ((

    qua-

    lité

    moral e de

    la

    personne

    ))

    -

    c’est

    une expressi on

    de

    Grot i us

    : ((

    qual i tas, moral i s personae ))

    -

    en vue

    de

    quoi

    on peut l égi t i mement posséder, fai reet agi r ;

    c’est

    le

    pre-

    mer relais.

    Le

    deuxi ème relai s, c’est bi en entendu Kant ,

    12

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    10/37

    avec

    son

    i dée

    de

    l ’ autonome,

    ’ est-à-di re

    au sens propre

    du mot que

    le

    soi

    et

    la nor me f orment un l ien absol u-

    ment pri mti f; un i mpérat i f catégori que s’ensui t

    et i l

    n’ y

    a

    pas

    de

    probl ème déri vé

    de

    la peur :

    c’est

    une f ondat i on

    pri mordi al e de la moral i té ; mai s l e probl ème est de tirer

    une phi l osophi e pol i ti que du pri nci pe d’ aut onome, et

    c’ est

    à

    ce

    st ade

    qu’ i ntervi ent

    l e

    derni er

    rel ai s,

    le

    grand

    phi l osophe peut-être

    le

    pl us di ffici le à

    l ire

    de toute la

    phi l osophi e al l emande,

    Fi chte.

    C’ est

    lu

    le premer

    qui

    a

    lié

    l ’ i déede

    réfl exi on sur soi

    à

    une i dée de l ’ori entati on

    vers l ’ Autre ; cette détermnati on réci proque de la cons-

    ci ence de soi et

    de

    l ’ i ntersubj ecti vi té, c’est l ’ œuvre

    de

    Fi chte,

    et

    en

    ce

    sens, dans

    cette

    péri ode au moi ns,

    Hegel

    est un Fi chte ;

    j ’aj outerai

    à ces

    moti vati ons une admra-

    ti on sans bornes pour la Ctégrecque et l ’ i dée

    de

    retrou-

    ver

    la bel l e Cté dans l es condi t i ons de la moderni t é :

    c’est

    donc la

    tâche

    que s’assigneHegel . Les deux ouvra-

    ges, ou pl utôt

    l es

    deux f ragments sur l esquel s j e vais

    mappuyer

    et

    dont

    j e

    vais

    f ai re

    une

    très

    brève

    présenta-

    ti on sont

    le

    Système de La vie éthique de

    1802

    et

    la Real

    phi l osophi e, phi l osophi e

    de

    lavie réel l e, des années 1804-

    1806 ; nous avons empl oyé en françai s (( vi e éthi que

    ))

    pour tradui re un mot al l emand de grande portée qui est

    le

    mot

    G

    Si tten

    )) : l es

    mœur s

    ; c’ est - à-di re

    qu’ au l ieu

    de

    parti r de

    l ’ i déeabstrai te

    du devoi r moral , de l ’ obl i gati on,

    on part de la prati que des mœur s ;

    l

    y a à une sorte d’é-

    13

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    11/37

    Cho

    à

    Ari stote qui préci sément

    a écri t

    une éthi que

    à

    par-

    t i r du mot ((ethos »,

    l es

    mœur s

    ;

    donc c omme on ne pou-

    vai t pas empl oyer le mot

    ((

    mœur s

    ))

    en françai s c omme

    l ’ al l emand empl oi e (( Si tten

    »,

    on

    a

    tradui t

    par

    éthi que

    ;

    dans

    le

    mot vi e éthi que,

    l y a

    une vol onté

    de

    concrétu-

    de

    de la prati que des hommes et pas seul ement de l eurs

    obl i gati ons

    abstrai tes

    moral es. Sur

    ce

    proj et

    se

    greffe

    une

    mét hode qui est

    de fai re

    apparaî tre

    la

    négati vi té

    -

    c’est-

    à-di re tout ce qui , dune f açon

    ou

    dune autre, ni e -

    c omme le moteur dynam que

    de

    l ’ avancée des i dées

    et

    des

    prati ques.

    La

    sortie

    de la

    vie naturel l e d’ êt re

    si mpl e-

    ment là, da sein ))c omme on

    dt

    en al l emand, se

    fait par

    le

    négati f qui pousse touj ours pl us l oi n.

    Le

    proj et

    hégé-

    l ien - qui au f ond ne changera pas j usqu’ à l ’ accompl i sse-

    ment

    le

    pl us convai ncant

    de

    l ’ œuvre hégél i enne dans cet

    ordre prati que, à savoi r

    Les Principes de La philosophie du

    droit

    -

    consi ste dans un parcours de ni veaux

    et

    d’ i nsti tu-

    ti ons

    où,

    par la mul ti pl i cati on des négati ons, se construi t

    peu

    à

    peu un ordre humai n. L‘ori gi ne du pol i ti que,

    c’est

    donc

    la

    sortie

    de la

    peur

    par

    cette poussée spi ri tuel le qui ,

    sous le vi de de la négati vi té vi ve

    et

    vi vante, produi t

    des

    i nsti tuti ons de pl us en pl us ri ches qui , dans le derni er

    grand ouvrage

    des Principes de La philosophie

    du

    droit

    s’organi seront autour

    de

    la famlle,

    de

    la

    soci été civi le

    et

    cul mneront dans

    la

    soci été pol i ti que

    l es

    hégél i ens

    tentent de retrouver l ’ équi val ence de la bel l e

    Cté

    14

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    12/37

    grecque,

    mai s

    à parti r de l ’ i ndi vi dual i té née

    à

    la

    Renai ssance,

    dans

    la

    péri ode

    des

    Lumères

    et à

    travers la

    phi l osophi e kant i enneet f i chtéenne. Quant au deuxi ème

    ouvrage,

    Real phi l osophi e,

    e t er me c

    real ))

    i ndi que qu’ i l

    s’agi t de di re comment l’esprit,

    le

    Gei st, entre dans

    l ’H stoi re, entre dans la réal i té hi stori que, comment la

    l i bert é

    qui

    est

    d’ abord une

    i dée

    abstrai te

    devi ent hi sto-

    ri que. C’ est donc à travers toute une hi stoi re

    des

    conquê-

    tes prati ques, pragmat i ques et i nsti tuti onnel l es

    de

    I ’ hom

    me

    que

    se

    construi t

    ce

    desti n

    -

    pol i ti que f i nal ement ,

    pol i ti que au sens l arge - de vi vre ensembl e dans

    des

    los

    et des i nsti tuti ons. Hegel parcourt trois modèl es de

    reconnai ssance

    :

    le

    premer ,

    sous

    l ’ égi de

    de

    l ’ amour

    (ce

    qui

    étai t

    déj à un grand mot hégél i en), l ’affectivi té sous la

    f or me aussi bi en de

    la

    sexual i té et

    de

    l ’ éroti sme que de

    l ’ amti é

    et

    du respect mutuel :

    le

    mot amour est un mot

    qui défini t toutes l es rel ati ons proches des hommes qui

    sont engagés af fecti vement ; un deuxi ème ni veau, juri -

    di que,

    est

    celui du droi t

    règnent général ement

    des

    rapports contractuel s - mai s l es rapports contractuel s

    pour Hegel sont touj ours des rapports de fai bl e qual i té

    humai ne, parce que dans le rapport de contrat, pri nci pa-

    l ement autour de la propri été, on sépare pl utôt que l ’ on

    uni t le

    <

    ceci est à moi

    )) de

    (( ce qui est à toi

    )) :

    et la

    sépa-

    rati on du m en

    et

    du ti en n’est

    pas

    un

    acte

    de

    reconnai s-

    sance, on peut

    di re

    d’ une certai ne faaçon qu’ i l

    reste

    un

    15

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    13/37

    él ément

    de

    déf i ance dans

    la

    rel ati on contractuel l e.

    J e

    crois qu il est

    très

    i mportant

    de di re

    la per manence de

    I ' anti -contractuai i sme dans toute l ' œuvre

    de Hegel

    : le

    contrat est un rapport abstrai t et qui est d'ai l leurs sanc-

    t i onné par l ui - même,

    à

    savoi r quil produi t l ' i nfracti on.

    Hegel magni f i e un peu ce concept d' i nfracti on par cel ui

    de

    cr i me

    ;

    et

    le

    pl us surprenant

    à

    la

    l ecture

    de

    ces

    cieux

    essai s est, j e ne di rai pas une apol ogi e du

    cr i me,

    mai s une

    tentati ve pour comprendre comment

    le

    cr i me contri bue

    à la progressi on du rapport humai n en ébranl ant le

    rap-

    port si mpl ement j uri di que qui

    est

    en quel que sorte

    dénoncé de pauvreté spi ri tuel le

    ;

    je me per met s de di re

    en passant que l orsque ef fecti vement dans une soci été

    i l

    y

    a destructi on de tous l es rapports humai ns véri tables

    liés

    à la société

    civile, à la

    soci été pol i ti que, nous retom

    bons tout si mpl ement sur

    des

    rapports

    de

    droi t,

    et

    c'est

    la cri mnal i té qui en quel que sorte révèl e l ' i nhumani té

    prof onde

    de

    rel ati ons qui ne serai ent que

    des

    rel ati ons

    j uri di ques. Au- dessus

    de

    ce

    rapport si mpl ement

    abstrai t,

    pur ement j uri di que, contractuel , dénoncé par la crim-

    nal i té,

    i l

    y

    a la recherched' un lien communautai r e qui

    pour Hegel est l État (c'est le troi si ème ni veau). C' est un

    sujet de grande controverse de savoi r si la descri pti on et

    la constructi on de l État hégél i en ne sont

    pas

    encore

    chargées

    de

    déf i ance mutuel l e

    ;

    e

    voudrai s

    di re

    quel ques

    mot s sur l es tentati ves contemporai nes de ré-appropri a-

    16

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    14/37

    ti on

    et

    de

    réactual i sati on

    de

    la

    phi l osophi e du j eune

    Hegel ,

    reconstrui sant, recherchant quel s serai ent

    l es

    équi val ents concrets, dans notre expéri ence, du négati f

    hégél i en

    ;

    c’est dans son livre

    La Luttepour la reconnais-

    same que se trouve l ’ i dée-cl éque j ’ai mai ntenant

    repré-

    sentée, à savoi r que

    c’ est

    par des expéri ences négati ves de

    mépri s,

    ((

    M ssachtung

    »,

    que nous découvrons notre

    propre dési r de reconnai ssance ; notre dési r de recon-

    nai ssance

    est

    né de la di s-sati sfacti on

    ou

    du mal heur du

    mépr i s

    ; c’est toute une phénoménol ogi e du mépr i s qui

    gui de la reconstructi on

    par

    Al ex Honnet h de l ’héri tage

    du j eune Hegel .

    le

    montre aux trois ni veaux parcourus

    par

    Hegel dans son œuvr e

    ;

    j e

    suis

    très

    i ntéressé surtout

    par

    le

    premer et

    le

    derni er de

    ces

    ni veaux car sur

    le

    j eu

    éthi que mai ntenant nous sommes abondamment pour -

    vus de commentai res

    et

    de ré-i nterprétati ons ;

    mai s

    le

    j uri di que n’ occupepas toute

    la pl ace

    : l est encadré par

    quel que chose qui

    est

    du pré- j uri di queet quel que chose

    qui

    est

    du post- j uri di que,

    et

    c’est successi vement dans

    le

    pré- j uri di queet

    le

    post- j uri di que que Honnet h voi t opé-

    rer

    le mépr i s et la provocati on à surmonter le mépr i s par

    la reconnai ssance ;

    cette mse

    en coupl e

    de

    l ’ i dée

    de

    mépr i s et de l ’ i déede reconnai ssance me paraî t être l’ac-

    qui s pri nci pal de cette réactual i sati on. Voi ci quel ques

    exempl es :

    e

    modèl e premer - pui sque Honnet h nous

    présente en s omme trois modèl es

    de

    reconnai ssance, au

    17

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    15/37

    ni veau

    des

    affects

    (des

    affecti ons c omme on

    disai t

    au

    XVIII‘ i ècl e ),

    au ni veau j uri di que

    et

    au ni veau pol i ti que

    - e modèl e

    premer

    donc couvre la gamme

    des

    rapports

    érot i ques, f aml i aux, am caux, c’ est- à- di re (je ci te

    Honnet h) i mpl i quant

    des

    l iens affecti fs pui ssants entre

    un nombr e restreint de personnes ; lepré- j uri di quemér i -

    te

    d‘ être

    parcouru dans toutes

    ces

    di mensi ons

    par

    la

    ri chesse extraordi nai re des sent i ments négati fs qu’ i l com-

    porte. Auj ourd’ hui nous avons certai nement

    des

    échos

    très ri ches de ces composant s négati fs de l ’affecti vi té

    pre-

    mère

    dans

    la

    psychanal yse, dont bi en sûr

    Hegel

    n’avai t

    pas le moi ndre pressent i ment ; Honnet h s’ i ntéresse sur-

    tout

    à

    la

    psychanal yse post - f reudi enne

    de

    tous

    l es

    senti -

    ment s d’ abandon, de détresse, de mal heur de

    la

    pr i me

    enf ance, qui précèdent l ’ entrée dans le compl exe

    d‘ û3di peet qui parai ssent être des comment ai res possi -

    bl es de

    la négati vi té : ’ enfant cherche, dans

    le

    besoi n dê -

    tre rassuré, a conf i ance dans lavi e, ou dans le fait de n’ ê-

    tre

    pas

    conf i rmé,

    de

    ne

    pas

    être

    approuvé, ’acqui si ti on

    de la capaci téde la

    sol i tude

    ;

    cette acqui si ti on

    de

    la capa-

    ci té de sol i tude

    à

    parti r de l ’ abandonet de

    la

    menace d’a-

    bandon consti tuerai t, pour Honnet h,

    e

    mei l l eur équi va-

    l ent cont emporai n,moder ne, de l ’anal yse hégél i enne.

    J e

    me

    porte d un saut

    à

    l ’autre extrémté de

    la

    recon-

    nai ssance confl i ctuel l e

    ;

    on peut

    di re

    que toute l ’ entre-

    pr i se

    d’ Honnet h à la sui te de Hegel c’est j ust ement la

    18

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    16/37

    noti on

    de

    confl i t destructeur

    de

    reconnai ssance,

    car

    c’est

    làque cette phénoménol ogi e atteint peut-êtresa i mte et

    appel l e une remse en quest i on du rôle quasi f ondateur

    attri bué

    à

    la not i on

    de

    confl i t

    et

    de lutte ;

    ce

    qui

    est

    en

    questi on,

    c’ est

    l ’ au-del àde la reconnai ssance j uri di que

    que l ’ auteur caractéri se ainsi . Nous ne pouvons nous

    comprendre c omme porteurs

    de

    droi ts que si nous avons

    en

    même

    t emps

    connai ssancedes obl i gati ons normat i ves

    auxquel l es nous sommes tenus

    à l ’ égard

    d‘autrui

    ;

    nous

    ne sommes nous- mêmesqu’ à condi t i on d’entreteni r avec

    autrui des rapports de constructi on mutuel l e, c omme

    dans la pr i me enfance la capaci té d’ êt re seul pour sorti r

    des menaces d’ abandon. ci c’ est le mépri s soci al qui est

    la

    f orme négati ve nouvel l e. O n pourrai t di re que

    l es

    mal heurs de nos soci étés, que Hegel avai t parfai tement

    anti cipés dans son anal yse de la société

    civile,

    vi ennent

    de ce

    que la société

    civile,

    mar quée essenti el l ement

    par

    l ‘ i ndustri al i sati on,par

    la

    maî tri se de

    ce

    qu’ i l connai ssai t

    déj à à

    l ’ époque

    des

    rel ati ons i ndustri el l es, produi t en

    même

    t emps

    la

    pauvreté

    ;

    i l

    y

    a

    un l ien étrange entre

    la

    producti on de ri chesse et la product i on d’ i négal i tés -

    mai s

    nous vi vons

    de cel a,

    n’est-ce

    pas,

    cruel l ement. O n

    pourrai t di re que la contradi cti on qui est source de

    méconnai ssance, déni s

    de

    reconnai ssance, c’ est dans nos

    sociétés

    la

    contradi cti on prof onde qu’i l

    y a

    entre une

    attri buti on

    égal e

    de

    droi t (en pri nci pe nous sommes

    17

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    17/37

    égaux c omme ci toyens

    et

    c omme porteurs

    de

    droi ts)

    et

    l ’ inégal i té de

    la

    di stri buti on de bi ens : c’est-à-di reque

    nous ne savons pas produi re

    des

    sociétés économ que-

    ment et soci al ement égal i tai res alors que la f ondat i on

    j uri di que de nos sociétés

    est le

    droi t égal à l ’ accès

    de

    tou-

    tes l es sources

    de la

    reconnai ssance j uri di que. C’ est ce

    confl i t entre attri buti on

    de

    droi ts

    et

    di stri buti on

    de

    bi ens

    qui est en quel que sorte la

    limte

    i ndépassabl e

    de

    nos

    soci étés contemporai nes

    et

    démocrat i ques. Cel ui qui

    est

    reconnu j uri di quement et qui n’est pas reconnu soci al e-

    ment souffre d’ un mépr i s f ondament al qui est

    lié

    à la

    structure même de cette contradi cti on entre attri buti on

    égal e de droi ts et di stri buti on i négal e de bi ens ; dans le

    l ivre de Honnet h, un chapi tre entier est consacré aux

    fi gures contemporai nes du déni

    de

    reconnai ssance, avec

    des sent i ments c omme la honte, la col ère, l ’ i ndi gnati on,

    la révol te, etc. Les f ormes

    de

    reconnai ssance rel evant

    de

    l ’ esti me

    soci al e concernent le nœud le pl us di ssi mul é

    entre l ’uni versal i sati on

    l iée à la

    conquête du j uri di que et

    la

    personnal i sati on

    par

    la

    di vi sion du travai l ;

    et

    c’est ce

    nœud di ssi mul é qui est source de mépri s et de déni de

    consi dérati on soci al e, où

    le

    défaut de consi dérati on

    publ i que

    et

    le

    sent i ment i nt i me d‘attei nte à l ’ i ntégri té

    vont

    de

    pai r.

    C’ est

    sur cette fronti ère i ndéci se du manque

    de

    reconnai ssance soci al e

    par la

    mul ti pl i cati on des i néga-

    lités

    dans

    des

    sociétés

    de

    droi t

    égal

    que

    j e

    me

    pose

    la

    20

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    18/37

    questi on

    de

    savoi r

    si

    l ’ i dée

    de

    lutte

    est

    alors la derni ère

    i dée. La rel ecture des textes de Hegel à I éna et l eur ré-

    i nterprétati on contemporai ne m ont condui t

    à

    un poi nt

    de

    perpl exi té que

    j e

    résume ainsi

    : ’« être

    reconnu ))

    de

    la

    lutte pour la reconnai ssance n’est-i l pas l ’ enj eu d’ une

    demande i ndéf i ni e, ai sant fi gure de (( mauvai s infi ni ))

    ?

    C’ est

    une expressi on hégél i enne, que

    ce

    soit

    sous

    l es

    trai ts négati fs d’ une négati on insati abl eou posi ti fs d’ une

    revendi cati on sans l imte, donc une sorte de mal heur de

    la

    consci ence comme produi t

    de la

    civi l i sation. Pour

    conj urer ce mal ai se de la consci ence mal heureuse moder -

    ne

    et

    le péril des déri ves qui en découl ent j e me sui s pro-

    posé

    de met t r e

    en coupl e

    l es

    moti vati ons d’ une l utte

    i ntermnabl e au sens

    Freud parle d’ une anal yse i nter-

    mnabl e avec des expéri ences sans doute rares mai s pré-

    cieuses, effectuati ons heureuses

    de la

    reconnai ssance

    ;

    ce

    sont l es f ormes non vi ol ente de la reconnai ssance que

    j e

    voudrai s met t r e en

    f ace de

    la f or me confl i ctuel l e de la

    reconnai ssance, qui est

    le

    grand

    héri tage

    hégél i en. C’ est

    pour cette rai son que j ’ai rouvert l e dossi er du don à un

    moment on peut di re i nattendu de mo n anal yse,

    et

    j e

    suis

    très

    consci ent

    de

    l ’ espèced’ hi atusque

    e crée

    dans

    mon propre di scours en passant

    de

    l ’ i déede l utte à l ’ i dée

    de don.

    Une grande œuvr e publ i ée

    par

    Mar cel

    Mauss

    s’ ap-

    pel l e

    LEjai sur

    le don,

    sous-ti trée

    Forme

    et raison de

    l’é-

    21

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    19/37

    change dans

    les

    sociétés archaïques

    Mar cel

    Mauss

    parl e

    de

    sociétés

    ((

    archaï ques )) non pas au sens barbare du t er me,

    mai s

    voul ant di re qu’el l es ne sont

    pas

    entrées dans

    le

    mouvement général

    de

    la civi l i sation - une soci été pol y-

    nési enne ou d’ Améri que.

    Ceci

    est i mportant parce que

    mon probl ème sera

    de

    savoi r

    si

    le don reste un phéno-

    mène archaï que

    et

    si

    nous pouvons retrouver

    des

    équi va-

    l ents moder nes de ce que Marcel Mauss a très bi en

    décr i t

    c omme

    ((

    économ e du don ))

    ; mai s

    pour Mauss

    i l

    s’agi t

    d’ une économ e, c’ est-à-di reque le don

    se

    pl ace dans la

    même l i gnée que l ’ économe marchande.

    La

    rel ecture

    qui

    est fai te

    auj ourd’ hui

    de Mar cel

    Mauss

    est

    présentée

    dans le l ivre

    de

    J acques Hénaf inti tulé (je vais expl i quer

    pl us loin

    la

    rai son

    de ce titre) Le Prix de la vérité,

    en

    sous-

    titre Le don.

    C’ est une tentati ve

    de

    ré- i nterprétati on

    de

    la

    di al ecti que

    de

    l ’ échange du don pour

    le

    sortir

    de

    son

    archaï sme et lu resti tuer un aveni r. Mauss avai t bi en vu

    qu’ i l

    y

    avai t quel que chose d‘ étrange dans ces prati ques

    archaï ques et qui ne l e

    mettai t

    pas sur l e chem n

    de l ’é-

    conom e marchande, qui n’étai t

    pas

    un antécédent

    ou

    un

    précédent , donc une (( f orme pri mti ve », mai s qui étai t

    si tué sur un autre pl an. C’ est sur

    le caractère

    cérémoni el

    de l ’ échange que j e veux insister : la cérémoni e de

    l ’é-

    change ne

    se

    fait

    pas

    dans la quoti di enneté ordi nai re des

    échanges mar chands, bi en connus de ces popul ati ons

    sous

    l a

    f orme du troc ou

    même

    de

    l ’ achat

    et

    de

    la

    vente

    22

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    20/37

    avec quel que chose c omme une monnai e. Hénaf soul i -

    gne que le don,

    a

    chose donnée dans l ’ échange,n’est

    pas

    du tout une monnai e

    ; ce

    n’est pas une monnai e

    d’é-

    change, c’est autre chose, mai s alors quoi

    ?

    Reprenons

    l ’anal yse

    de

    Mauss au poi nt où

    l

    s’arrête- sur une éni g-

    me, ’ éni gme du don

    : e

    don appel l e

    le

    cont re- don,

    t le

    grand probl ème

    de Mar cel

    Mauss n’est

    pas

    du tout

    ((

    pourquoi faut-i l donner

    ?

    ))

    mai s ((

    pourquoi faut-i l

    rendre

    ?

    ».

    C’ es t

    donc l e retour du don qui est pour

    Mar cel

    Mauss

    la

    grande éni gme.

    La

    sol uti on qu’i l en

    donnai t

    étai t

    d‘ assumer l ’expl i cati on apportée

    par ces

    popul ati ons

    el l es- mêmes ; et c’ est

    d’ai l l eurs

    ce

    que Lévi -

    Strauss, dans

    Le

    Système

    deparenté,

    t

    dans

    le

    reste

    de

    son

    œuvre,

    a

    cri ti qué

    : e

    soci ol ogue ou l ’ anthropol ogue assu-

    me

    ici

    l es

    croyances

    de

    ceux qu’i l observe.

    O

    que di sent

    ces

    croyances

    ?

    Qu’i l y

    a

    dans

    la

    chose échangée une force

    magi que, qui doi t ci rculer

    et

    retourner

    à

    son ori gi ne.

    Donner en retour,

    c’est

    fai re

    reveni r

    la

    force contenue

    dans

    le

    don à

    son

    donateur. L‘ i nterprétati on que J acques

    Hénaf nous propose

    (et

    que

    j e

    prends

    à

    mon compt e) est

    que

    ce

    n’est

    pas

    une force magi que, qui

    serai t

    dans

    le

    don, qui contrai ndrai t au retour,

    mai s le caractère de

    substi tut

    et de gage. La

    chose donnée, quel l e qu’el l e soit

    - des per l es ou des échanges mat r i moni aux, n’ i mporte

    quoi qui peut être le présent, le don, e cadeau

    -

    n’est

    rien que le subsi tut d’ une reconnai ssance taci te ; c’est le

    23

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    21/37

    donateur qui

    se

    donne l ui - mêmeen substi tut dans

    le

    don

    et en

    même

    t emps le don est gage

    de

    resti tuti on

    ;

    e f onc-

    t i onnement du don serai t en réal i té non pas dans la

    chose donnée mai s dans

    la

    rel ati on donateur-donatai re,

    à

    savoi r une reconnai ssancetaci te symbol i quement fi gurée

    par le don. C’ est cette i dée d’ une rel ati on

    de

    reconnai s-

    sance symbol i que qui va

    être

    pour moi l ’obj et

    de

    la

    conf rontat i on avec

    l es

    anal yses

    de la

    lutte i ssues de

    Hegel .

    me

    sembl e

    que

    ce

    n’est

    pas la

    chose donnée qui

    par sa force exi ge le retour mai s c’est l ’acte mutuel de

    reconnai ssance

    de

    deux êtres qui n’ ont pas le di scours

    spécul ati f de leur connai ssance

    ; la

    gestuel l e

    de

    la recon-

    nai ssance,

    c’est

    un

    geste

    constructi f

    de

    reconnai ssance

    à

    travers une chose qui

    est

    symbol i que, qui symbol i se

    le

    donateur et

    le

    donatai re. C e qui justi fie

    cette

    i nterpréta-

    ti on, c’est qu’ on peut

    la

    met t re en rapport avec une expé-

    ri ence qui n’est certai nement pas archaï que : nous avons

    une expéri ence de

    ce

    qui n’ a

    pas

    de pri x,

    la

    not i on du

    (( sans prix ». Dans la rel ati on

    de

    don entre l es

    ((

    pri m-

    t i fs », c omme on l es appel ai t

    à

    cette époque- l à, l

    y avai t

    l ’ équi val ent

    de ce

    que pour nous a d’ abord été dans l ’ ex-

    péri ence grecque la découverte du (( sans prix

    ))

    lié

    à

    l ’ i

    dée

    de véri té -

    d‘où

    le titre du l ivre de Hénaf , ePrix de

    kz vérité

    : en

    réalité, c’est

    le

    ((

    sans prix ))

    de la

    vérité.

    L’expéri ence fondatri ce ici c’est la déclarati on de Socrate

    f ace aux sophi stes : (( moi j ’ ensei gne la véri té sans

    me

    24

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    22/37

    fai re

    payer

    N

    ;

    ce

    sont

    l es

    sophi stes qui sont

    des

    profes-

    seurs que l ’ on paye - nous sommes dans

    la

    l i gnée des

    sophi stes pl us que de Socrate. Un probl ème

    a

    été posé à

    l ’ ori gi ne,

    c’ est

    le rapport entre

    la

    véri té

    et

    l ’ argent,un

    rapport on peut

    di re

    d‘ i ni mti é. Cet t e i ni mti é entre

    la

    véri té (ou

    ce

    qui

    est

    cru c omme véri té

    et

    ensei gné c omme

    véri té)

    et

    l ’ argent

    a

    el l e- mêmeune l ongue hi stoi re

    - et le

    l i vre de Hénaf est en grande partie une hi stoi re de

    l’ar-

    gent f ace à

    l a

    véri té. En

    effet

    l ’ argent,de si mpl e i ndi ce

    d’égal i téde val eur entre des choses échangées, est devenu

    l ui - même une chose

    de

    val eur, sous la f or me d’ uncapi -

    tal ;

    l à

    l es

    anal yses marxi stes sont certai nement

    à

    l eur

    pl ace, sur la f açon dont la val eur d‘ échangeest devenue

    pl us-val ue

    et, à part i r

    de

    là,

    mysti f i cati on, au sens que

    l ’ argent devi ent mystéri eux pui squ’ i l produi t

    de

    l ’ argent

    alors qu’ i l ne devrai t être

    que

    le

    si gne d‘ un échange réel

    entre des choses qui ont l eur val eur soit par la rareté, soit

    par

    l e

    travai l qui y est i ncl us, soit par la pl us-val uede a

    mse à

    la

    di sposi ti on d’ un consommat eur ; que de mys-

    ti fi cation l ’ argent soit devenu

    la

    chose uni versel l e qu’ i l

    est

    devenu, mar que le combl e

    du

    confl i t entre

    la

    véri té

    et

    l ’argent.

    A

    cet

    égard,

    Hénaf renvoi e au livre du grand

    soci ol ogue al l emand Si mmel (fi n xr r - début

    me ,

    ans

    l equel

    i l fait

    l ’él oge

    de

    l ’ argent en comprenant

    sa pl ace

    dans la civi l i sation c omme uni versel échangeur ; l ’ argent

    est

    donc ti tu aire en quel que sorte

    de

    tous

    l es

    processus

    25

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    23/37

    d’uni versal i sati on

    -

    ce

    que nous vi vons actuel l ement

    c omme gl obal i sati on ;

    le

    premer phénomène à gl obal i -

    sati on, c’est la ci rcul ati on de l ’ argent ; et

    Si mmel

    va

    même j usqu’ à

    di re

    qu’ i l

    est

    symbol e

    de l i berté

    en ce sens

    qu’ on peut

    acheter n’ i mporte quoi

    avec

    l ’ argent, on

    a

    donc la l i bert é

    de

    choi x. Mai s

    Si mmel ,

    qui est en même

    t emps

    un moral i ste néo- kant i en,mont re quel que chose

    de

    monst rueux, que Socrate avai t prévu :

    e

    dési r d’ argent

    est une soi f illimtée ; on pense au mot d’ Horace

    ((

    auri

    sacra

    f ames »,

    la fa imsacrée

    de

    l ’or. O n retrouve ce que

    tous l es moral i stes, depui s Ari stote et l es stoï ci ens,

    avai ent dénoncé c omme la vol onté d’avoi r trop, la

    ((

    pl éonexi a

    »,

    l ’ i nsatiable. L‘ i nsati abl e,

    c’ est à la

    fois l’in-

    fin

    et

    l ’ i nsai si ssable,

    d‘où

    a si gni fi cati on l i bératri ce du

    rapport avec

    les

    bi ens non- mar chands

    - le titre

    d’ une

    l i vrai son récente

    de

    la revue

    Esprit

    se présentai t sous la

    f orme d‘ une i nterrogati on i nqui ète :

    ((

    Exi ste-t-i l encore

    des bi ens non- mar chands ? ». M a suggest i on

    est

    que,

    dans l es f ormes contemporai nes

    et

    quoti di ennes

    de

    ï é -

    change cérémoni el des cadeaux nous avons un modèl e

    dune prati que

    de

    reconnai ssance,

    de

    reconnai ssance

    non-vi ol ente. l y aurai t alors un travai l à fai re, qui serai t

    la répl i que du travai l d‘ Honnet h sur

    l es

    f ormes du

    mépri s,

    une enquête sur l es f ormes di scrèt es de recon-

    nai ssance dans lapol i tesse, mai s aussi dans le festif.

    Est- ce

    que

    la

    di fférence entre

    l es

    j ours ouvrabl es, c omme nous

    26

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    24/37

    di sons,

    et

    les

    fêtes

    ne

    garde

    pas

    une si gni fi cati on f onda-

    trice, c omme

    s ’ i l

    y avai t une sorte de sursis dans

    la

    course

    à

    la producti on,

    à

    l ’ enri chi ssement

    et

    qui fait que le fes-

    t i f

    serai t

    pour ainsi di re la répl i que non vi ol ente de notre

    lutte pour

    être

    reconnu

    ?

    En effet, on peut

    di re

    que dans

    un rapport de cadeau, d’ échange, e bi enfai t, nous avons

    une expéri ence

    vi ve

    de

    reconnai ssance

    ;

    nous

    ne

    sommes

    pl us en demande d‘ i nsati abl e mai s nous avons en

    quel que sorte le

    peti t

    bonheur d’ êt re reconnai ssant

    et

    d’ êt r e reconnu. Soul i gnons le fait qu’ en françai s le mot

    reconnai ssance signi fie deux choses, être reconnu pour

    qui on

    est,

    reconnu dans son identi té, mai s aussi éprou-

    ver

    de

    la

    grati tude

    -

    l

    y

    a,

    on peut

    le

    di re,

    un échange

    de

    grati tude dans le cadeau.

    J e

    termne sur l ’ i nterrogati on qui

    est

    la m enne

    : us-

    qu’ à quel poi nt peut - on donner une signi fi cati on f onda-

    tri ce à

    ces expéri ences

    rares ?

    Cependant

    je

    tendrai s

    à di re

    que tant que nous avons

    le

    sent i ment du sacré

    et

    du

    caractère

    hors- ouvrage

    de

    la

    cérémoni e dans l ’ échange

    sous son aspect cérémoni el , alors nous avons la promesse

    d’ avoi r

    été

    au moi ns une fois dans notre vi e reconnu ;

    et

    si

    nous n’ avi ons amai s eu l ’ expéri enced’êtrereconnu, de

    reconnaî tre dans lagrati tude

    de

    l ’ échangecérémoni el , nous

    seri ons des vi olents dans la lutte pour la reconnai ssance.

    Ce

    sont

    ces

    expéri ences

    rares

    qui protègent

    la

    lutte pour

    la

    reconnai ssance

    de

    retourner

    à la

    vi ol ence

    de

    Hobbes.

    27

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    25/37

    Présentation de l’auteur

    Paul Ri ceur , l ’ un

    des

    plus grands phi l osophes f ran-

    çai s,

    est

    reconnu comme l ’un

    des

    pl us i mportants phé-

    noménol ogues auj ourd’ hui .

    en 1913, Paul Ri cceur est Professeur honorai re et

    anci en Doyen de l ’ uni versi té Pari s X- Nant er r e,

    Professeur honorai re

    de

    l ’ uni versi té

    de

    Chi cago

    et

    Prési dent honorai re de l ’ I nsti tut i nternati onal

    de

    Phi l osophi e.

    Ses ouvrages couvrent un l arge éventai l de t hèmes, de

    l ’hi stoi re

    de

    la phi l osophi e

    à la

    métaphysi que, en passant

    par la

    cri ti que l ittéraire et esthéti que, l ’ éthi que, e struc-

    tural i sme l i ngui sti que, a phi l osophi e de la psychanal yse,

    le

    marxi sme

    . . .

    Sa contri buti on la pl us i mportante à

    la

    phi l osophi e moder ne

    se

    si tue dans

    le champ de l ’ hermé-

    neut i que,

    c’ est- à-di re

    a

    sci ence de l ’ i nterprétati on, t en

    parti cul ier l ’ herméneut i que

    des

    symbol es rel i gi eux.

    D e nombr eux Pri x ont récompensé ses travaux, dont

    le

    Pri x Hegel (Stuttgart),

    Karl J aspers Hei del berg) ,

    Léopol d Lucas (Tübi ngen) , le Gr and Pri x

    de

    l ’ Académe

    29

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    26/37

    f rançai se,

    le

    Bal zan Pri x pour

    la

    Phi l osophi e (Sui sse,

    1999)

    et le

    Pri x Kyoto

    des

    arts

    et

    phi l osophi e

    (2000).

    Parm

    ses pri nci paux ouvrages : La mémoire, l’histoire,

    l’oubli (Le Seui l , 2OOO), Soi-même comme un autre (Le

    Seui l ,

    1990),

    Temps et récit,3 t omes (Seui l ,Poi nts, 1983-

    1985), La Métaphore

    (Le

    Seui l ,

    1975 ,

    Le Conflit

    des

    interprétations

    (Le

    Seui l ,

    1969),

    Philosophie

    de

    la

    volonté

    1-111

    (Aubi er, 1950/1960).

    Paul Ri cœur

    a

    obt enu sa l i cence en phi l osophi e en

    1933à

    Rennes. Inscri t à la Sor bonne l ’ année sui vante,

    l

    a

    été

    reçu

    à

    l ’ agrégati on en

    1935.

    I l a ensei gné dans

    divers l ycées, en parti cul ier au col l ège Cévenol . Après

    avoi r col l aboré au

    CNRS

    pendant trois ans,

    l

    a

    ensei gné

    de

    1948à

    1957

    c omme Professeur d‘hi stoi rede laphi l o-

    sophi e à l ’ uni versi té

    de

    Strasbourg et de 1957 à 1967

    c omme Professeur

    de

    phi l osophi e général e

    à

    l ’ uni versi té

    de Pari s Sorbonne.

    D e

    1967 à 1987, Paul Ri cœur a

    ensei gné

    à

    la Facul té des l et t res de l ’uni versi té de Pari s

    Nanterre, dont

    i l

    a

    été

    le

    Doyen

    de

    1969

    à

    1970.

    En

    1970, l a été

    appel é

    dans la chai re du théol ogi en Paul

    Tillich à l ’ uni versi té

    de

    Chi cago.

    Parm

    ses responsabi l i tés édi tori al es, retenons qu’ i l a

    été

    membr e

    du comté des revues

    Esprit

    et Christianisme

    social,qu’ i l a

    été

    di recteur de la Revue de Métaphysique

    et

    de

    Morale,

    qu’i l

    di ri ge,

    en col l aborati on

    avec

    Françoi s

    Wahl , la

    col l ecti on

    L‘Ordre

    philosophique (édi ti ons du

    30

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    27/37

    Seui l )

    et

    qu’ i l

    a

    été

    responsabl e

    des

    rubri ques concernant

    la

    phi l osophi e pour 1’Enrycl opaedi a Universal i s.

    Pour Paul Ri cœur , penser,

    c’est

    di al oguer

    :

    di al oguer

    avec l es

    vi vants, avec

    l es

    morts,

    avec

    l es phi l osophes,

    avec

    l es

    autres savants.

    I1y a

    du Socrate chez lu

    ;

    à cel a

    près

    qu’ i l n’ adopte j amai s la f ameuse i ronie de l ’ Athéni en,

    cette di stance un bri n scepti que

    à

    l ’égard du tout savoi r

    :

    ((

    J e sai s

    que

    je

    ne

    sai s

    ri en. ))

    La

    modest i e, chez Ri cœur ,

    n’ empêche

    pas

    l ’ ambi t i on

    : la

    phi l osophi e,

    mê me si el le

    n’ apas réponse

    à

    tout, peut apporter quel ques réponses,

    et pas

    seul ement entasser l es questi ons.

    C’ est

    pourquoi

    son

    travai l se

    situe

    à

    égal e

    di stance

    de

    la

    prétenti on

    de

    < fai re syst ème

    ))

    et de

    la fausse modest i e du scepti que.

    Le

    di al ogue, sel on Ri cœur , est l ’ uni que pl anche de salut

    du phi l osophe, mai s aussi

    de

    l ’ hommemoder ne, dans un

    monde dépourvu

    de

    repères

    certai ns.

    Cet t e

    convi cti on

    donne

    sa

    mar que à son œuvre phi l osophi que

    et

    à

    son

    parcours i ntel l ectuel .

    Penseur

    et

    passeur

    Il

    se

    défi ni t c omme un

    (( espri t

    curieux

    et

    nqui et

    ».

    La

    curi osi té le pl onge dans

    l es

    l i vres,

    mai s

    égal ement dans

    l ’ i nqui étude, en mettant en concurrence sa formati on

    intel lectuel l e

    et

    son éducati on protestante.

    Cet

    engage-

    ment rel i gi eux ne

    sera

    pourtant

    j amai s

    reni é.

    Il

    se

    f onde

    sur la convi cti on i nti me que

    {

    kzparol e

    dehomme

    estpré-

    31

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    28/37

    cédée par

    la

    parole

    de

    Dieu

    n,

    mai s

    qu’ une

    stri cte

    di vi si on

    du travai l s’est opérée afin de ne pas mél anger les genres :

    l ’ exégèse bi bl i que est une chose,

    e

    travai l phi l osophi que

    en

    est

    une autre.

    La

    seconde révél ati on vi ent

    de

    la

    classe de

    phi l oso-

    phi e

    1929-1930),ui représentai t à l ’ époque un autre

    regard

    sur

    des

    ((

    humani tés

    ))

    déj à

    assi ml ées

    par

    l es

    él èves

    :

    l es Grecs et l es Lati ns, es Cl assi ques et l es Lumères, tout

    cel a

    étai t

    revu en prof ondeur, en confl i t

    et

    en cri ti que.

    Le

    j eune Ri cœur s’ engage alors dans

    des

    études de phi l oso-

    phi e mar quées

    par

    le spi ri tual i sme françai s. Devenu pro-

    fesseur dans un l ycée,

    l a

    guerre le surprend

    à

    Muni ch,

    lors dun cours

    de

    perfect i onnement

    de

    l angue al l emande

    :

    ((

    Je s tour à tour

    civil

    mobilisé, puis combattant vacant,

    enfin combattant vaincu

    et

    oficier prisonnier. ))Les années

    de

    capti vi tésont consacrées

    à

    approfondi r

    la

    phi l osophi e

    al l emande, et c’est après la Li bérati on que Ri cœur com-

    mence son f ormdabl e travai l de passeur i ntel l ectuel

    :

    c’est

    par

    lu que

    J aspers,

    Husserl

    et

    d’autres furent i ntro-

    dui ts en France. En

    1948, l

    est nommé

    à

    l ’ uni versi té

    de

    Strasbourg, pui s en 1956 à la

    Chai r e

    de phi l osophi e

    général e de

    la

    Sor bonne.

    Dur ant cette péri ode,

    la

    réfl exi on de Ri cœur sembl e

    en mar ge

    de

    l ’actual i té intel lectuel le

    :

    l ne prend pas part

    à

    la

    frénésie structural i ste,

    même

    s’i l

    en

    partage

    l ’ i ntérêt

    pour

    le

    l angage

    et la

    psychanal yse.

    La fidélité à la démar -

    32

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    29/37

    che

    et

    à

    l ’ héri tage

    phi l osophi ques alors

    si

    décri és

    au nom

    des

    sciences humai nes en

    est la

    pri nci pal e rai son. Mai s

    i l

    y a

    aussi son dési ntérêt pour

    la

    pol émque.

    ((Je

    mesure

    mon

    travail,di t-i l , à sa propre

    ambition,

    et non

    par rap-

    port à

    lkir du

    temps )

    Sur chaque questi on, Ri cœur pro-

    cède

    touj ours

    par

    un repérage

    des

    argumentat i ons

    concurrentes, avant

    de

    tracer son propre si l l on.

    En

    1967,

    l

    parti ci pe

    à

    la

    créati on

    de

    l ’uni versi té

    de

    Nanterre.

    ((

    Jkvais

    l’espoir,écrit-il,

    que

    ln

    taille

    de

    l’insti-

    tution permettrait dlnstaurer

    des

    rapports moins aiionymes

    entre enseignants

    et

    enseignés,

    elon

    l’idée ncienne

    de

    la com-

    muiiauté

    des

    maîtres

    etdes

    disciples.

    >

    Choi x l uci de

    et

    cou-

    rageux, pui squ’ i l anti ci pai t Mai

    68,

    mai s

    f i nal ement

    funeste

    :

    en

    1970,

    l ors que, devenu Doyen

    de la

    Facul té

    de l ettres, i l tente de remet t re l ’uni versi té en

    mar che,

    l

    est

    harcel é par

    l es

    pl us radi caux des contestatai res. Le

    26

    j anvi er, l

    est

    pris

    à

    partie dans un coul oi r

    et

    coi ffé d’ une

    poubel l e

    L‘affai re

    fat

    la

    une

    des

    j ournaux. Ri cœur est prof on-

    dément

    bl essé par l ’ échec

    du di al ogue qu’ i l avai t tenté,

    j usqu’ au bout , de

    préserver. I1

    qui tte alors Nanterre pour

    l ’uni versi té cathol i que

    de

    Louvai n. Paral l èl ement, i l

    donne un ensei gnement

    de

    pl usi eurs semai nes

    par

    an à

    l ’uni versi té de Chi cago, ce qui lu

    per met d‘établ i r

    encore un pont entre deux tradi ti ons de pensée

    :

    a phi -

    l osophi e anal yti que angl o- saxonne

    et la

    phénoménol ogi e

    33

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    30/37

    conti nental e. Revenu

    à

    Nanterre en

    1975,

    l

    y

    termne

    sa

    carri ère académque en

    1981.

    A ce moment , son travai l

    phi l osophi que trouve sa pl ei ne consécrati on publ i que,

    en France

    et à l ’ étranger. D e

    cette œuvr e

    ri che et

    vari ée

    on peut reteni r une

    i dée

    qui en consti tue sans doute le

    cœur

    et

    un

    des

    pri nci paux apports

    :

    l ’ i denti té narrati ve.

    L‘ i denti té narrati ve

    Qui sui s-j e

    ?

    Qui sommes- nous ? Tout e réfl exi on

    i ndi vi duel l e ou col l ecti ve sur

    cette

    questi on sembl e

    vouée à produi re une ant i nome. D’ un côté, l ’ i denti té

    personnel l e

    (le

    cher Moi ) ou col l ecti ve

    (par

    exempl e

    la

    Nat i on) sembl e si prof ondément inscri te en nous qu’el l e

    ne

    paraî t

    souffri r aucune di scussi on.

    Mai s,

    dès

    lors qu’ on

    tente de lu donner un cont enu,

    c’est l ’ i mpasse ;

    toute

    défi ni ti on

    paraî t

    réductri ce, i nfi dèle ou excl usive : e

    cher

    Moi devi ent égoï sme ou mauvai se foi

    ;

    l ’ appartenance

    nati onal e devi ent nati onal i sme, voi re chauvi ni sme.

    Bref,

    l ’ i denti té est soit trahi e, soit néfaste quand on tente de

    l ’ identi fier. D’ où une seconde atti tude possi bl e

    :

    e

    scep-

    ti ci sme.

    Ce

    moi prof ond, pourtant

    si

    évi dent et

    si

    i nt i me,

    est en réal i té opaque et i nconnu. N’ est - cepas une i l lu-

    si on ? Mai s comment pourrai s-j e

    y

    renoncer ?

    Cet af f rontement entre un dogmat i sme du Moi , bi en

    f âcheux, et un compl et scept i ci sme, bi en dffi ci leà teni r,

    a

    traversé

    toute l ’hi stoi re

    de

    la

    pensée.

    Héracl i te

    y

    voyai t

    la

    tâche même

    de la

    phi l osophi e

    :

    ((

    /e me suis cherché

    34

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    31/37

    moi même

    ,

    écrivait-il,avant

    le

    f ameux

    ((

    Connais-toi

    oi-

    même

    )) socrati que

    et

    l ’ i nterpel l ati on i nqui ète de saint

    August i n dans

    ses

    (( Confessi ons

    ))

    : ((

    Que

    suis-je, mon

    Dieu

    ? ))

    Cet t e i nterrogati on trouve

    de

    nos j ours une

    urgence pl us grande

    et

    peut-être pl us décisive

    :

    dans nos

    soci étés i ndi vi dual i stes, en

    effet,

    l ’ exi gence d’être soi -

    même

    est

    devenue pl us

    i mpérat i ve

    que

    j amai s.

    Être

    soi-

    même

    ans doute, encore faut-i l savoi r quel

    est

    ce moi

    que l ’ on doi t

    être.

    La not i on d‘ i denti té narrati ve que t hémat i se Paul

    Ri cœur représente une sol uti on él égante

    et

    réel l ement

    prof onde à cette cruci al e perpl exi té. O n peut la résumer

    en une f ormul e

    : (( /e

    suis

    ce que j e me raconte.

    ))

    Qu’ apporte le réci t à ce probl ème

    ?

    Beaucoup, en véri té.

    D’ abor d, l nous sort d’ uneconcept i on fixiste ou f i gée

    de

    l ’ i denti té

    :

    cel l e-ci n’est n total ement à découvri r

    ( comme une chose pré-donnée)

    n

    seul ement

    à

    i nventer

    ( comme un artifice), el le rési de dans un mél ange de

    détermnat i on,

    de hasard et de

    choi x,

    de

    mémoi r e, de

    rencontres et de proj ets.

    Le

    réci t a cette vertu de r emet t -

    re tous ces él éments en mouvement

    et

    en rel ati on afin

    d’ en ai reune t rame. Ensui te, un

    réci t

    ne

    se

    contente

    pas

    en

    réal i té de

    raconter des faits.

    I1

    l es i nterprète, es argu-

    ment e,

    l es

    reconstrui t.

    I

    sél ecti onne

    et

    travai l le

    l es

    moment s pour en fai re une histoi re qui a un sens et une

    effi caci té.

    35

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

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    L' i denti té produi t

    de

    l 'hstoire

    et

    en

    est

    le

    produi t.

    Bref, en me racontant , e me découvre moi - même à la

    fois

    même et

    autre.

    Chacun en convi endra,

    ce

    concept d' identi té narrative

    est une de ces bonnes i dées de phi l osophes qui permettent

    de comprendre

    et de

    clarifier bi en

    des

    expéri ences vécues.

    Quand, ati gués

    d'être

    nous- mêmes, omme

    e

    dt

    le

    soci o-

    l ogue Al ai n Ehrenberg, nous ent amons

    ce

    salvateur tra-

    vail

    sur soi

    »,

    c'est souvent le réci t

    de

    soi qui offre

    la pre-

    mère bouffée d' oxygène; quand, en si tuati onde transi tion

    professionnel l e, nous nous i nterrogeons sur notre véri tabl e

    vocati on,

    c'est

    encore le réci t qui nous réinscrit dans un tra-

    jet

    cohérent d' exi stence. Et, orsque

    la

    di spari ti on des êtres

    chers

    et

    âgés se profi le, que cherche- t-on conserver, si non

    une

    trace

    de leur mémoi re pour mai nteni r le l ien famlia ?

    Et même, quand i l s'agt de souder l'esprit d' entrepri se, ne

    tente-t-on

    pas de

    recueil l ir les témoi gnages des empl oyés

    pour identi fier l es

    ((

    valeurs fondatri cesde

    la

    mai son

    >

    ?

    LES

    réci ts

    de

    vie connai ssent auj ourd' hui un succès consi déra-

    bl e.

    A

    une époque

    l ' identi té nest pl us

    héri tée

    dune

    appartenance l i gnagère, n fourni e

    d' embl ée

    par un régi me

    i nsti tuti onnel

    et

    professi onnel , chacun s'en ressent ledépo-

    si tai re fragi le

    et le responsabl e i nqui et.

    Paul

    Ri cœur nous

    offre ici une catégori e tout à

    fait

    essentiel le pour penser

    ce

    qui peut encorefdi re Lien dans une société d' i ndi vi dus. Une

    mani ère,

    encore,

    de

    fai re

    penser

    le

    di al ogue.

    36

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    33/37

    Pri nci paux ouvrages

    Paul Ri cœur est l ’ auteur de très nombr eux ouvrages

    et arti cl es dans le monde entier. En pl us de ses l i vres, l a

    écri t pl us de

    500

    essais, l es pl us i mportants sont rassem

    bl és dans di x vol umes, dont beaucoup ont déj à été tra-

    dui ts en angl ai s, et d’ autres sont

    à

    sui vre. Pour la pl upart

    ses

    écri tures concernent

    l e

    dével oppement d’ une anthro-

    pol ogi e phi l osophi que. Cette anthropol ogi e, qu’ i l est

    convenu d’ appel er anthropol ogi e de la personne (( capa-

    bl e

    »,

    a

    pour objecti fs

    de

    f ai re un exposé des possibi l i tés

    et

    des vul nérabi l i tés f ondamental es que l es

    êtres

    humai ns

    mont rent dans l es activi tés qui composent l eurs vies.

    Bi en que l ’ accent soi t touj ours ms sur la possibi l i té de

    compr endr e l ’ i ndi vi du, Ri cœur

    rej ette

    uni f ormément

    n’ i mporte quel l e récl amati on de Cartési enne pour un

    transparent absol u de l ’ i ndi vi du

    à

    l ui - même qui rendrai t

    la

    connai ssance

    de

    soi i ndépendante

    de

    n’ i mpor te quel

    genre de connai ssance du monde.

    Au

    cours du dével oppement

    de

    son anthropol ogi e,

    Ri cceur

    a fait

    un décal ageméthodol ogi que i mportant . Sa

    propre écri ture avant

    1960

    étai t dans la tradi ti on de la

    phénoménol ogi e exi stentiel le. Mai s pendant l es années

    1960,

    Ri cœur a concl u cel a correctement pour étudi er la

    réal i té humai ne et a dû combi ner la descri pti on phéno-

    ménol ogi que avec l ’ i nterprétati on herméneut i que. Pour

    l es herméneut i ques, celui qui

    est

    i ntel l igible,

    est

    accessi -

    37

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    34/37

    bl e

    à

    tous, dans,

    et

    par

    la

    l angue

    ;

    et tous

    les

    dépl oi e-

    ment s de la l angue récl ament l ' i nterprétati on.L'anal yse

    herméneut i que ou l i ngui sti que de Ri cœur na pas

    exi gé

    de

    lu

    de

    désavouer les résul tats

    de base de ses pr em èr es

    i nvesti gati ons. l'a cependant mené non seul ement

    à

    l es

    revisi ter,

    mai s à

    voi r égal ement pl us clai r dans l eurs

    i mpl i cati ons.

    Extrai ts :

    Pi erre-Henri Tavoi i l ot

    (Uni versi té Pari s- Sorbonne)

    Paul Ricœur :

    ne

    vie de dialogues

    OLe Poi nt 17/06/04 n" l 657 - page 96

    38

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    35/37

    Bibliographie

    Gabriel arcel et Karljaspers Temps résent.1947)

    Philosophie de

    la

    volonté

    (Aubi er,1350-1961)

    tome

    L e volontaire

    et

    l’inuolomaire

    tome

    II

    L‘hommefaillible

    tome III La symbolique du

    mal

    Histoire et vérité (Histoire,1955)

    De l’inteiprétution, essui

    sur

    Freud (Seuil,1965)

    Entretienssur lizrt etlupsychanalyse (Mouton,

    1968)

    L e conflit des interprétations(Seuil,1969)

    La

    métaphore vive

    (Seuil,

    1975)

    ?he et croire, chemin de sérénité Cerf,975)

    La émuritiquede l’action (Seuil,1978)

    La

    narrativité CNRS,980)

    Être ssence et substance chez Pluton etAristote

    ( SEDES, 982)

    Tpmps et récit (SeuilIPointsEssais, 1983,1984,1985)

    tome L’ordrephilosophique

    (

    euil,

    1983)

    tome

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    La

    conJigzirutiondnns

    le récit

    dejction

    (Seuil,1984)

    tome

    I I

    L e temps raconté (Seuil,1985)

    Du exte

    à

    l’action >

    (SeuilIEsprit,

    1986)

    S oi -m êm e c o m m e un autre (SeuilIPoinis ssais, 1990)

    Lectures

    I

    (Seuil,

    199

    I)

    Lectures

    II (Seuil,

    1992)

    39

  • 8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don

    36/37

    Phénoménologie

    t

    théologie

    (Critérion,

    1992

    Lectures111(Seuil,1993)

    Le

    juste

    (Édition

    Esprit, 1995)

    Reyeexio

    n

    zite.Autobiographie intellectuelle

    (Éditions

    Esprit, 1995)

    Entretiens :

    a

    critiqueet la conviction

    (Calmann

    Lévy,

    1995)

    Autrement. Lecture d’autrement u’être

    ou

    au-deb

    del’essence dEmrnanuel évinas PUE 997)

    L’idéologieetl’utopie(Seuil,

    1997)

    La nature etla règle (avecJean-Pierre hangeux,

    Penser

    la

    Bible

    avec

    André Lacoque, Seuil,

    1998)

    La

    Mémoire,

    l’histoire,l’oubli(Seuil,2000)

    L‘herméneutique Biblique

    Cerf,

    00

    1

    Pdrcours dela reconnaissance

    (

    lon,2004)

    Sur la traduction(Bayard,2004

    Odile Jacob,

    1998

    Ouvrages sur Paul Ricœur

    Paul Ricœur, essens d’ztne ie de François

    Dosse

    Cahiersdel’Herne

    ir.E

    Azouvi et M. evault d‘Allonnes

    (LaDécouverte Poche,200 )

    2004)

    40

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    37/37

    Dumas-Titoulet mprimeurs

    42100 Saint-Etiennr

    Dépôt

    légal

    :

    novembre 2004

    No imprimeur

    :

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    Iinprimé

    en Fraiire