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N O 35 JUILLET 2009 LA REVUE DES POLITIQUES CULTURELLES dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez LES RAPPORTS PUBLIC/PRIVÉ DANS LA CULTURE p.1 Jean-Pierre Saez L’Heure de vérité / p.3 Catherine Tasca, Jacques Rigaud, Jacques Toubon Ministère de la Culture : 50 ans ! Et après ? / p.18 Guillaume Boudy Ministère de la Culture : le temps des réformes / p.20 Jacques Sauvageot, Cécile Marie, Robi Rhebergen, Éliane Baracetti La réforme des écoles supérieures d’art : vers un nouveau partenariat pour les collectivités territoriales ? / p.28 Luca Dal Pozzolo, Lurdes Aranguren Piémont et Pays-Basque : regards sur deux observatoires en Europe / p.31 Jean-Pierre Saez Introduction / p.34 Jean- François Auby De l’utilisation des partenariats public-privé en matière culturelle / p.39 Éric Baron, David Taron Les Fonds de dotation, une opportunité au service de la philanthropie ? / p.42 Jean-Michel Lucas Pour la reconnaissance de l’économie créative solidaire / p.49 Philippe Berthelot Économie sociale et solidaire : un terrain d’innovation pour les musiques actuelles / p.52 Olivier Moeschler Le

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Page 1: LA REVUE DES POLITIQUES CULTURELLES · Pour la reconnaissance de l’économie créative solidaire p.49: Philippe Berthelot Économie sociale et solidaire : un terrain d’innovation

NO 35 JUILLET 2009

LA REVUE DES POLITIQUES CULTURELLES

22 €NO 35 JUILLET 2009

Observatoire des politiques culturelles1, rue du Vieux Temple, 38000 Grenoble

[email protected]él. 04 76 44 33 26Fax 04 76 44 95 00

www.observatoire-culture.net

La bâche bleue © Dominique Giroudeau

NO 3

5 JU

ILLET 2

00

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dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez

LES RAPPORTS PUBLIC/PRIVÉ DANS LA CULTURE

« Pour-cent culturel Migros » en Suisse ou « quand une entreprise privée joue les pouvoirs publics » / p.56 Carla Bodo L’économie de la culture en Italie entre public et privé / p.59 François Colbert Financement privé et intérêt public au Canada / p.62 Pascal Brunet, Laurence Barone Partenariat public/privé : un changement de perspective / p.64 Danièle Demoustier SmART : un intermédiaire au service de la consolidation ou de la normalisation des pratiques culturelles ? / p.68 Jacques Rigaud Le mécénat d’entreprise / p.71 Fabienne Huré Le mécénat à l’épreuve des peurs, des croyances et des représentations / p.74 François-Xavier Tramond Les fantassins du mécénat culturel / p.77 Jean-Michel Tobelem Vers un système muséal à deux vitesses ? / p.80 Bertrand Legendre Politiques culturelles et salons du livre / p.83 Nathalie Moureau Quelle économie pour l’art et la culture ? / p.85 Bruno Péquignot Cultural Studies : origine et évolutions d’une démarche théorique / p.89 Loïc Vadelorge Une ou des histoires culturelles ? / p.94 Marie-Christine Bordeaux, Marie-Paule Balicco, Hana Gottesdiener, Jean-Christophe Vilatte Fondation de France : ouverture au monde par l’art et la pratique artistique des enfants de 6 à 12 ans

p.1 Jean-Pierre Saez L’Heure de vérité / p.3 Catherine Tasca, Jacques Rigaud, Jacques Toubon Ministère de la Culture : 50 ans ! Et après ? / p.18 Guillaume Boudy Ministère de la Culture : le temps des réformes / p.20 Jacques Sauvageot, Cécile Marie, Robi Rhebergen, Éliane Baracetti La réforme des écoles supérieures d’art : vers un nouveau partenariat pour les collectivités territoriales ? / p.28 Luca Dal Pozzolo, Lurdes Aranguren Piémont et Pays-Basque : regards sur deux observatoires en Europe / p.31 Jean-Pierre Saez Introduction / p.34 Jean-François Auby De l’utilisation des partenariats public-privé en matière culturelle / p.39 Éric Baron, David Taron Les Fonds de dotation, une opportunité au service de la philanthropie ? / p.42 Jean-Michel Lucas Pour la reconnaissance de l’économie créative solidaire / p.49 Philippe Berthelot Économie sociale et solidaire : un terrain d’innovation pour les musiques actuelles / p.52 Olivier Moeschler Le

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SOMMAIRE

ÉDITO (1 – 2)

p.1 : Jean-Pierre Saez L’Heure de vérité

DÉBAT (3 – 19)

p.3 : Catherine Tasca, Jacques Rigaud, Jacques Toubon Ministère de la Culture : 50 ans ! Et après ?

p.18 : Guillaume Boudy Ministère de la Culture : le temps des réformes

TRIBUNE (20 – 27)

p.20 : Jacques Sauvageot, Cécile Marie, Robi Rhebergen, Éliane BaracettiLa réforme des écoles supérieures d’art : vers un nouveau partenariat pour les collectivités territoriales ?

OBSERVATION CULTURELLE EN RÉGION (28 – 29)

p.28 : Luca Dal Pozzolo, Lurdes Aranguren Piémont et Pays-Basque : regards sur deux observatoires en Europe

DOSSIER (31 – 82)

Dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez

p.31 : Jean-Pierre SaezIntroduction

p.34 : Jean-François AubyDe l’utilisation des partenariats public-privé en matière culturelle

p.39 : Éric Baron, David Taron Les Fonds de dotation, une opportunité au service de la philanthropie ?

p.42 : Jean-Michel Lucas Pour la reconnaissance de l’économie créative solidaire

p.49 : Philippe BerthelotÉconomie sociale et solidaire : un terrain d’innovation pour les musiques actuelles

p.52 : Olivier Moeschler Le « Pour-cent culturel Migros » en Suisse ou « quand une entreprise privée joue les pouvoirs publics »

p.56 : Carla Bodo L’économie de la culture en Italie entre public et privé

p.59 : François Colbert Financement privé et intérêt public au Canada

p.62 : Pascal Brunet, Laurence Barone Partenariat public/privé : un changement de perspective

p.64 : Danièle Demoustier SmART : un intermédiaire au service de la consolidation ou de la normalisation des pratiques culturelles ?

p.68 : Jacques Rigaud Le mécénat d’entreprise

p.71 : Fabienne Huré Le mécénat à l’épreuve des peurs, des croyances et des représentations

p.74 : François-Xavier Tramond Les fantassins du mécénat culturel

p.77 : Jean-Michel Tobelem Vers un système muséal à deux vitesses ?

p.80 : Bertrand LegendrePolitiques culturelles et salons du livre

LES RAPPORTS PUBLIC/PRIVÉ DANS LA CULTURE

BIBLIO (83 – 92)

p.83 : Nathalie Moureau Quelle économie pour l’art et la culture ?

p.85 : Bruno Péquignot Cultural Studies : origine et évolutions d’une démarche théorique

p.89 : Loïc VadelorgeUne ou des histoires culturelles ?

SYNTHÈSE D’ÉTUDES (94 – 97)

p.94 : Marie-Christine Bordeaux, Marie-Paule Balicco, Hana Gottesdiener, Jean-Christophe VilatteFondation de France : ouverture au monde par l’art et la pratique artistique des enfants de 6 à 12 ans

AGENDA – COLLOQUES – FORMATIONS (98 – 103)

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - édito | page 1

ÉDITO

Beaucoup d’images ont été utilisées ces dernières années pour signifier les transformations qui affectent les politiques culturelles. À quelle métaphore peut-on encore recourir pour caractériser leur moment présent ? Sans doute n’ont-elles jamais été aussi proches de leur heure de vérité du fait d’un besoin croissant de cohérence et de cohésion entre les interventions publiques, de la réforme des collectivités locales qui s’annonce et de la crise qui sévit. Touchant de plein fouet les financements publics, celle-ci pourrait présager une année 2010 particulièrement douloureuse pour un secteur par nature fragile, si rien n’est fait pour enrayer les retraits envisagés.

Dans cette perspective de contraction des moyens publics, certains Départements, dont les recettes s’effilochent tandis que leurs charges s’alourdissent, montrent des signes inquiétants de repli, même s’il ne faut pas négliger l’effort réalisé dans le temps par nombre d’entre eux au-delà de leurs compétences obligatoires. Les Régions n’ont pas ménagé leur soutien à la culture tout au long de la décennie écoulée. Cependant, outre leurs contraintes propres, l’approche d’échéances électorales pourrait les inciter à la prudence. Les villes restent toujours sur la première marche du podium des dé-penses culturelles, mais ici et là elles peinent à préserver leurs acquis. Si l’on y ajoute les incertitudes du budget culturel de l’État, en repli ces dernières années à l’échelle territoriale du point de vue de son intervention en faveur de l’action culturelle, on comprend le sentiment d’inquiétude qui parcourt les acteurs du champ.

Dans la réforme institutionnelle qui s’annonce, peu d’éléments se rapportent expli-citement à la culture, d’autant que l’avant-projet de loi stipule qu’un délai de deux ans à compter de l’adoption de la loi serait nécessaire pour définir précisément la ré-partition des compétences entre collectivités. Ce délai sera-t-il uniquement celui de la négociation ou l’utilisera-t-on pour lancer des expérimentations correspondantes et les évaluer ? Deux années sont-elles suffisantes dans ce cas ? En l’état, ce texte prévoit toute une série de transformations visant tout particulièrement à renforcer le cadre intercommunal : création de « métropoles », un nouveau type de collecti-vité territoriale institué à partir d’un seuil démographique de 500 000 habitants et disposant de larges pouvoirs, création de « communes nouvelles » en lieu et place d’un ensemble de communes membres d’une intercommunalité à fiscalité propre, regroupement de Départements ou de Régions sur une base volontaire, fusion pos-sible d’EPCI, mise en question de la notion de pays à travers l’interdiction d’en créer de nouveaux. Mais la modification la plus importante envisagée par la réforme est la suppression de ce qu’il est convenu d’appeler la clause de compétence générale pour les Départements et les Régions, c’est-à-dire ce principe qui permet aux collectivités d’agir librement dans les tous les domaines dès lors qu’elles n’empiètent pas sur les obligations des autres collectivités. Cette disposition éventuelle remettrait en cause un acquis majeur de la décentralisation. Elle soulève en tous cas des préoccupations si elle devait s’appliquer au secteur culturel pour plusieurs raisons. Historiquement, les politiques culturelles se sont construites sur la base de financements croisés en-tre les pouvoirs locaux. La culture retrouverait-elle tous ses moyens dès lors que les Départements et les Régions n’interviendraient plus dans les secteurs où ils se sont engagés jusqu’ici, ou ne le feraient qu’en fonction de leurs autres compétences (économiques, sociales…) ? Ensuite, la culture représente un élément symbolique

Jean-Pierre Saez

L’heure De vÉrITÉ

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page 2 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - édito

d’intervention auquel l’ensemble des décideurs locaux sont attachés, parfois trop jalousement il est vrai. Enfin, la suppression éventuelle d’un ou deux partenaires institutionnels locaux, si elle permet de clarifier les rôles, présenterait l’inconvénient de mettre tout type d’activité artistique et culturelle sous la houlette d’une seule collectivité, avec le risque de la soumettre ainsi au bon vouloir de princes dont il faudrait dès lors espérer qu’ils soient tous et toujours éclairés…

Quelle sera la place du ministère dans la nouvelle architecture des affaires culturelles territoriales ? Pour situer cet enjeu, il convient de rappeler qu’il fut l’inventeur de la notion contemporaine de politique culturelle. Après quoi il fut un formidable en-traîneur des pouvoirs locaux dans la première phase de décentralisation à travers le développement de la politique de contractualisation. Par la suite, et dans le même élan, les collectivités ont accentué la territorialisation de leurs politiques, marquant par là même leur émancipation progressive vis-à-vis de l’État. Cependant, depuis la crise de 2003, l’État, peut-être déstabilisé par la nouvelle donne qu’il a contribué à créer, paraît en panne de vision de son rôle territorial. Absorbé par sa propre réforme, a-t-il su capitaliser la formidable expérience acquise au niveau territorial notamment par ses services déconcentrés ? Comment peut-il revenir dans le jeu territorial ? Un élément de réponse décisif a été donné récemment dans le cadre de la réforme de l’État avec le maintien des DRAC et même leur renforcement institutionnel dans la mesure où elles représentent l’une des sept grandes directions régionales de l’État. Bien entendu, les règles du jeu de rôles avec les collectivités territoriales ont changé. Fort de ce constat, l’État doit à son tour clarifier son engagement à leurs côtés. Cela peut-il se faire autrement que par un rééquilibrage de son implication entre Paris et les régions – un rééquilibrage programmé dans la durée – si l’intention est de ren-forcer les logiques de métropolisation dans une perspective qui est aussi celle d’une compétition urbaine qui se joue à l’échelle européenne et mondiale ?

La question du partenariat se pose aussi du côté des collectivités territoriales. Non pas qu’elles n’aient pas travaillé en coopération par le passé, mais elles disposent à cet égard de marges de progression pour sortir d’un système concurrentiel dont l’évolution de l’intercommunalité peut notamment témoigner en plusieurs endroits. L’un des défis qui les attend sera de composer ensemble des logiques collaboratives plus intenses, aptes à assumer les multiples dimensions de l’interterritorialité.

La crise ou les réformes nous éloigneront-elles des raisons fondamentales qui jus-tifient un engagement public en faveur de la culture ? Elles devraient au contraire nous en rapprocher car la culture se situe plus que jamais au croisement d’enjeux de sens, d’enjeux stratégiques et politiques tous plus importants les uns que les autres et, qui plus est, solidaires. Le sait-on assez, la culture est en effet au cœur de la problématique du vivre ensemble, d’un développement personnel et collectif à réhumaniser, d’une diversité culturelle qu’il faut accompagner plus lisiblement et plus subtilement pour ne pas laisser la tentation communautariste prendre le pas. Elle est aussi un élément vital pour l’émancipation de nos imaginaires ou le déve-loppement des échanges européens et internationaux, et donc pour la construction d’une citoyenneté intégrant à la fois le local et le mondial dans sa visée. Regardons de très près certains signes que nous renvoient nos concitoyens depuis le début de la crise : comment se fait-il que la fréquentation des salles de cinéma, des théâtres, des musées, des festivals et autres événements artistiques et culturels soit en hausse depuis l’automne 2008 tandis que les indices économiques ont fléchi ? Et s’il s’agis-sait là d’un appel profond à répondre à la crise par un projet civilisationnel – et donc culturel –, qui redonne du sens à nos existences individuelles et à la vie en société ?

Jean-Pierre Saez

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - débats | page 3

L’Observatoire – Le ministère de la Culture a 50 ans. On pourrait estimer que c’est l’âge mûr pour une institu-tion. En même temps, il semble que l’ensemble des acteurs culturels soient habités par un sentiment permanent de fragilité de l’action publique dans ce domaine. Partagez-vous cette impres-sion ? Comment l’expliquez-vous ?

Jacques Toubon – Pour être bref, je crois que l’idée d’un ministère de la Culture est véritablement installée. Il fait partie de la tradition française, c’est incontesté. Il y a un consensus droite gauche sur cette question. En même temps, je pense que ce cinquantenaire ne marque pas du tout un aboutissement. Il marque et doit marquer un redémarrage. En effet, le ministère de la Culture est à recréer d’une certaine façon. Il faut embrayer sur un nouveau projet, même si l’institution est complè-tement installée. Je pense que ce doit être le sens de ce cinquantenaire. On ne doit

pas dire comme certains : « 50 ans c’est formidable, quelle réalisation admirable », ou comme d’autres : « 50 ans c’est fini, il faut passer à autre chose ».

Catherine Tasca – Je pense que la ques-tion dépasse celle du sort du ministère de la Culture. À ses débuts, l’implication des pouvoirs publics dans ce champ n’était évidemment pas acquise. En 50 ans, l’idée d’une responsabilité publique dans la vie culturelle s’est vraiment ancrée. Dans les faits, non seulement l’État soutient un certain nombre d’institutions, mais les collectivités territoriales mènent, elles aussi, une grande diversité d’actions publi-ques dans ce domaine. De ce point de vue, le ministère de la Culture est donc ancré dans le paysage comme partenaire, voire comme stratège (cela se discute beau-coup actuellement). L’idée reste vivace. C’est également vrai que le sentiment de fragilité dont vous parlez est partagé par beaucoup d’acteurs. Cela ne date pas de la

crise mais la gestion des finances de l’État et des collectivités locales est chaque jour plus difficile, voire plus précaire et impose des arbitrages. Or, le modèle de société, tel qu’il se développe actuellement, ne favo-rise pas forcément l’arbitrage en faveur d’une place importante pour la culture. Même si, par ailleurs, dans les discours, tout le monde reconnaît que c’est un élément de dynamique de la société et affirme la nécessité de lui conserver une place essentielle. La fragilité est donc là et le sentiment de précarité vient beau-coup de la difficulté des arbitrages. De plus, on ne peut pas nier les interrogations de fond. Elles ne portent pas vraiment sur l’intervention des pouvoirs publics dans ce domaine mais sur les frontières de cette intervention. Les approches sont très différentes suivant les familles poli-tiques et les expériences concrètes sur le territoire. C’est sans doute ce qui amène Jacques Toubon à dire qu’il faut réinventer le ministère.

DÉBATS

Le ministère de la Culture a 50 ans. C’est l’occasion de revisiter son histoire avec trois témoins exceptionnels : deux anciens ministres de la Culture, Jacques Toubon (1993-1995) et Catherine Tasca (2000-2002), ainsi que Jacques Rigaud, directeur de cabinet de Jacques Duhamel (1971-1973). Leur propos marquent leur attachement profond à cette institution pionnière et déterminante pour la construction des politiques culturelles dans notre pays. C’est aussi l’occasion d’évoquer avec eux les grands enjeux auxquels le ministère est aujourd’hui confronté et à partir desquels il doit imaginer sa place et son rôle dans l’avenir des politiques culturelles.

Ministère de la Culture :

50 AnS ! eT AprèS ?entretien avec Catherine Tasca, Jacques Rigaud, Jacques ToubonPropos recueillis par Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoire des politiques culturelles et Jean-Pascal Quiles, directeur adjoint

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page 4 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - débats

Jacques Rigaud – J’ai eu souvent l’occa-sion de rappeler à propos de ce cinquante-naire qu’il y a un moment décisif généra-lement méconnu : l’année 1969. Comme tout le monde le sait, le général de Gaulle n’est pas revenu au pouvoir en 1958 pour créer un ministère de la Culture. Il a nommé Malraux dans son gouvernement et lui a attribué des missions très vagues. De Gaulle l’a même fait porte-parole du gouvernement. Quand Michel Debré a été nommé Premier ministre, le général lui a recommandé de faire de Malraux un ministre des Affaires culturelles pour donner du relief au gouvernement. Le ministère a donc été créé de bric et de broc pour André Malraux. Le général part en avril 1969, Malraux aussi. Georges Pompidou est élu. À un an de la crise de mai 68, le nouveau Président de la Répu-blique et son Premier ministre annoncent la fin de la récréation. Malraux et le géné-ral étaient hors norme. Après leur départ, on aurait pu revenir à un bon secréta-riat d’État aux Arts et Lettres comme sous la IVe République. Mais Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas n’ont pas pris cette décision. Le Premier ministre nomme, dans un premier temps, Edmond Michelet, autre gaulliste historique. À partir de ce moment-là le ministère chargé de la culture ne sera plus jamais remis en cause. Il changera d’appellation, d’attributions. Il sera un secrétariat d’État du temps de Giscard mais plus jamais on ne remettra en cause l’idée d’un ministre chargé de la culture

au gouvernement. Cela s’explique pour deux raisons. À l’occasion du colloque à l’UNESCO pour le centenaire du géné-ral, on m’avait demandé une commu-nication sur de Gaulle et la culture. J’ai notamment interviewé Michel Debré et les collaborateurs de Pompidou. Georges Pompidou était lui-même un homme de culture, passionné par l’art contemporain. En tant que Premier ministre, il a laissé Malraux en relation directe et exclusive avec le général. Il admirait profondément Malraux et ne voulait pas s’en mêler. Mais il rongeait son frein car il avait quantité d’idées sur ce sujet. En effet, une fois élu président de la République, il lance l’idée du Centre Beaubourg qu’il avait en tête depuis assez longtemps. Quant à Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, il était à l’époque l’un des rares élus de grande ville qui s’intéresse à la culture. Il a œuvré par exemple dans le domaine musical et a créé le CAPC. Ce fut donc un moment décisif. Après la mort de Michelet, Duhamel était le chef d’une des trois tendances de la majorité. Il était donc un homme politique de poids, un élu, et fut nommé ministre des Affaires culturelles.

Dans cette histoire, il est important de souligner ce qui était exceptionnel, hors norme, à l’origine de ce ministère et qui tenait à la personnalité de Malraux et à celle du général de Gaulle. Cela s’est inscrit ensuite durablement dans la vision que l’on a des structures gouvernementales et

des responsabilités de l’État. Par ailleurs, la fragilité dont vous parlez est manifeste. Elle tient en partie au fait que dans le système à la française, depuis les débuts de la Ve République, il y a eu continua-tion d’une grande tradition monarchique. Cette tradition était l’intérêt personnel du chef de l’État pour les questions de culture sous l’Ancien Régime, sous Louis XIV, sous Louis-Philippe et, d’une certaine manière, avec Napoléon III. Dans notre histoire, les différents présidents de la République ont tous manifesté un intérêt personnel très vif pour la culture : le général poussé par son admiration pour Malraux, Pompi-dou, pour les raisons que j’ai indiquées, Giscard, de manière plus superficielle et traditionnelle, et Mitterrand évidem-ment. Pour avoir travaillé avec Mitterrand notamment sur le projet du Musée d’Or-say, je peux vous garantir qu’il s’intéressait personnellement à la Culture. En tant que président de l’établissement public, quand j’avais à traiter avec Mitterrand, j’appe-lais Jack Lang qui me répondait de voir directement avec le Président. Chirac a lui aussi manifesté un réel intérêt pour les activités culturelles, même celles dont il se sentait le plus éloigné, ne serait-ce que par fidélité à l’héritage gaulliste, à Pompidou. Aujourd’hui, malgré la création étrange du Conseil de la création de Marin Karmitz, on n’a pas vraiment l’impression que la culture est considérée comme une prio-rité. C’est un élément de fragilité. Pour reprendre ce que Jacques Toubon disait à propos de la « refondation » de la politique

“Ce cinquantenaire ne marque pas du tout un aboutissement. Il marque et doit marquer un

redémarrage. En effet, le ministère de la Culture est à recréer d’une certaine façon. Il faut embrayer

sur un nouveau projet, même si l’institution est complètement installée.” (J. Toubon)

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - débats | page 5

culturelle, terme que j’ai employé il y a dix ans, nous vivons encore sur un schéma qui date des années 1960. Les phénomènes postérieurs de mondialisation, d’exclu-sion, les nouvelles technologies ne sont pris en compte qu’à la marge. J’ai parlé de refondation de la politique culturelle car il fallait incorporer à la politique culturelle ces données nouvelles.

C. T. – Concernant la genèse du minis-tère, il ne faut pas oublier les anté-cédents, c’est-à-dire notamment les grandes questions sociétales issues de la résistance et de l’après-guerre dont témoigne ce mouvement formidable de l’éducation populaire. Au sein de ce mouvement, s’inscrit la rencontre déci-sive entre Jeanne Laurent et les pionniers de la décentralisation. Je me rappelle que beaucoup d’entre eux étaient des professionnels de l’éducation populaire à l’origine. Avant même que le lien entre le général de Gaulle et Malraux conduise à une décision d’organisation, ce vivier d’hommes et ce mouvement d’idées ont permis de formuler le projet d’un minis-tère de la Culture.

J. T. – Mais cinquante ans après, l’un des problèmes du ministère de la Culture est de s’être coupé de l’éducation populaire. En effet, la création du ministère de la Culture s’est faite par scission du minis-tère de l’Éducation et par rejet de tout ce qui n’était pas « professionnel ». Au-delà de savoir si cela est bien ou mal, l’iro-nie de l’histoire mérite d’être prise en considération car la question qui se pose aujourd’hui est de savoir s’il faut corriger ou non la définition du ministère.

C. T. – Cette question était au cœur des débats de 68.

J. T. – Le mouvement qui a conduit au ministère a été transformé par Malraux, en particulier à travers l’aventure des maisons de la culture. Aujourd’hui notre problème, c’est notre lien avec l’éduca-tion. La question est de savoir ce que l’on fait des pratiques amateurs et des questions sociales.

J. R. – Il faut ajouter un point, qui peut paraître anecdotique, mais qui montre bien que ce ministère a été créé dans l’improvisation. La lecture publique, les bibliothèques, n’ont pas été intégrées d’entrée de jeu au ministère.

C. T. – La genèse explique beau-coup d’éléments. En effet, le specta-cle vivant, le théâtre en particulier, a servi de fer de lance à la politique de Jeanne Laurent. Cette politique a été le socle des premiers développements institutionnels de la politique cultu-relle. Le projet marquait la rupture avec l’éducation, particulièrement avec l’éducation populaire, et une volonté d’affirmer une identité du ministère indépendante du grand ministère de l’Éducation nationale d’où venaient les premiers fonctionnaires du ministère de la Culture. Cette différenciation a été poussée jusqu’à l’absurde avec des allers-retours et avec un discours en 1968 opposant les tenants de la créa-tion et les tenants de l’action culturelle. Ce débat a posé une frontière car les premiers directeurs des maisons de la culture portaient ce lien dans leur vie personnelle. Ensuite, cela a complè-tement disparu et une des grandes questions d’avenir pour la politique culturelle est d’arriver à rétablir des passerelles. Je suis convaincue qu’une politique culturelle doit marcher sur deux pieds : le soutien fondamental à la création et l’action culturelle qui est le lien à la société.

J. R. – Ce rejet de l’éducation populaire a été aussi poussé par les convictions d’André Malraux. Il décrivait cette sorte de frisson sacré que peut ressentir toute personne face à une œuvre, rejetant alors le travail des médiateurs.

J. T. – C’est une expérience quasi « reli-gieuse » : dès lors que je franchis la porte de la maison de la culture, la totalité du patrimoine de l’humanité me saisit, j’en suis bouleversé et transformé. Je cari-cature à peine ce qu’à pu dire Malraux dans maints discours.

C. T. – Ce n’est pas forcément de l’ordre du religieux mais cela relève de l’in-time. À plusieurs reprises, Malraux a dit que cette rencontre intime, celle de l’individu seul face à l’œuvre, est la source de l’émerveillement. J. T. – Il faut entendre « religieux » au sens de la révélation.

L’Observatoire – Depuis un certain nombre d’années, on évoque une crise du modèle culturel français. Cette crise n’est-elle pas en même temps le reflet de la réussite de ce modèle, c’est-à-dire du développement des politiques culturelles ? Comment appréhendez-vous ce paradoxe ?

C. T. – Je rejoins tout à fait la deuxième partie de votre interrogation. Les maisons de la culture, comme modèle très défini, ont vécu finalement assez peu de temps. Très vite, on a cherché à créer les « parois-ses » à côté de la « cathédrale ». Jacques Rigaud évoquait le ministère Duhamel par exemple. On a aussi parlé du lien à la cité. L’expérience normative des maisons de la culture a donc d’abord été très limi-tée sur le territoire. Très vite, le modèle s’est ouvert, s’est assoupli. Je pense qu’il a essaimé en profondeur dans les politiques culturelles. Ces politiques se sont diver-sifiées grâce notamment à l’implication des collectivités territoriales, stimulées par l’initiative très directive de l’État. Je suis entrée au ministère en 1967. J’ai donc vécu les débuts des maisons de la culture. Nous allions alors convaincre les villes qu’il leur fallait un tel établissement, financé à parité avec l’État. Ce modèle était très directif, avec une gestion de type associatif, oubliée depuis, qui impliquait une participation des forces vives de la cité. En réalité, ce modèle n’a vécu que très peu d’années. Après, il s’est ouvert.

“Je suis convaincue qu’une politique culturelle doit marcher sur deux pieds : le soutien fondamental à la création et l’action culturelle qui est le lien à la société.” (C. Tasca)

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page 6 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - débats

J. T. – Dans leur gouvernance, les scènes nationales sont des petites maisons de la culture…

C. T. – …Mais tous les grands équipe-ments culturels vont vers la pluridisci-plinarité, c’est une idée de départ des maisons de la culture pour permettre de brasser les publics. Toutes ont compris qu’il fallait aller hors les murs et ont laissé une place importante à la création contemporaine. Malraux a impulsé ce mouvement. En effet, auparavant la vie culturelle reposait davantage sur le patri-moine. Jacques Toubon évoque les scènes nationales. Les CAC (Centres d’action culturelle) n’étaient pas des maisons de la culture mais ils leur ressemblaient. Main-tenant, avec les scènes nationales, on a privilégié l’art vivant et d’autres espaces ont été « contaminés » par l’effet « maison de la culture ». Le musée du Louvre par exemple organise en permanence des manifestations culturelles autour de sa mission centrale. Par ailleurs, on peut s’amuser de l’évolution des labels : y a-t-il eu un changement fondamental quand la Maison de la culture de Grenoble s’est appelée le Cargo ? Y a-t-il eu un chan-gement fondamental quand La Rochelle s’est appelée la Coursive ? Ce sont des exemples que l’on peut décliner partout. D’un côté, il y a eu un rejet du modèle « maison de la culture » avec une critique souvent virulente, et de l’autre la reprise de leurs objectifs fondamentaux persiste sous divers déguisements.

J. T. – Du point de vue européen, notre politique – les institutions hors marché, les aides publiques, les subventions – est en cause aujourd’hui. Tout le long de la

chaîne de la création et de la diffusion, on constate un renforcement considérable de tous les droits d’auteur, des droits dérivés et donc de la propriété intellectuelle. Ce sont des régimes sociaux. Cet édifice est viable dans la mesure où il s’inscrit dans l’exception culturelle, c’est-à-dire dans le principe de mettre hors marché ces poli-tiques, ces institutions et ces initiatives. Aujourd’hui, ce modèle a formidablement réussi. Il est reproduit dans les collecti-vités locales françaises et dans les pays voisins. Notre modèle est aujourd’hui menacé car on souhaite réintégrer ces institutions et ces politiques dans les règles du marché et de la concurrence. On admet de moins en moins qu’elles soient dans une « enclave ». De ce fait, nous sommes passés de l’exception cultu-relle à la diversité culturelle qui est très clairement moins efficace. En effet, on considère que l’objectif de la diversité culturelle peut être atteint par d’autres moyens que la mise hors marché de la politique culturelle. Par ailleurs, l’autre menace n’est pas politique. Toutes ces institutions reposent, comme les maisons de la culture, sur un contact direct avec le public. Les nouvelles technologies ont introduit des changements dans la situation : l’édifice institutionnel et juri-dique que nous avons mis en place est remis en cause. Les débats actuels sur le droit de propriété intellectuelle, sur la loi « Création et Internet » en sont un exem-ple significatif. Le ministère est donc à recréer. En effet, dans les dix ans à venir il faut répondre à la façon dont se font les consommations culturelles et dont la création et la diffusion se transforment. Pour cette raison, le ministère a peu à peu évolué, passant d’un ministère d’ins-

titutions publiques (l’Opéra, la Comé-die française, le Musée du Louvre) à un ministère des « industries créatives » selon l’expression anglo-saxonne. Aujourd’hui la direction des industries devient le centre de gravité de la réorganisation du ministère. C’est là que se nouent toutes les tensions entre les modèles achevés et les nouveaux usages. De ce point de vue, les réponses que nous donnons ne sont pas insuffisantes mais un peu tardives. En 1994, j’ai installé un groupe de travail où l’on avait fait venir des personnes qui s’occupaient d’industries électroniques, des premiers logiciels, du premier travail sur Internet. Nous avions fait trois ou quatre réunions avec les institutions puis cela a disparu. Le ministère n’a pas bien pris en marche la révolution de l’Internet. Aujourd’hui, il y a urgence.

J. R. – Il ne faut pas limiter ce modèle culturel à la démarche qui a conduit aux maisons de la culture, si capitale qu’elle ait été. Je donnerai volontiers l’exemple d’une autre démarche un peu trop oubliée bien que l’enjeu qu’elle représente est encore plus vivant que jamais : les secteurs sauvegardés. Ce dispositif en direction des collectivités territoriales date de l’époque Malraux. les secteurs sauvegardés ont été inventés par André Malraux, à l’initiative d’Henri de Ségogne, par une loi en 1962. Ils impliquent la collaboration entre l’État et une ville pour définir le « tissu conjonc-tif du patrimoine ». Ce tissu est formé des quartiers anciens autour d’un grand monument où une charte, une réglemen-tation, ont été établis. Les secteurs sauve-gardés ont été une démarche fondamen-tale de ce ministère qui conserve toute son actualité.

“Dans cette histoire, il est important de souligner ce qui était exceptionnel, hors norme, à l’origine de ce

ministère et qui tenait à la personnalité de Malraux et à celle du général de Gaulle.” (J. Rigaud)

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - débats | page 7

Ce modèle culturel s’est développé dans d’autres domaines. L’État a incité des parte-naires à se dynamiser. Le plan Landowski en faveur de l’éducation musicale en est un exemple. Malraux disait qu’on ne l’avait pas attendu pour ne rien faire en matière de musique. Le plan consistait à créer un pôle musical, éventuellement un opéra ou un ballet, avec un orchestre dans un certain nombre de villes. Il avait pour but de développer la formation. De plus, le baccalauréat musical permettait de détecter très jeune le don musical et de donner aux enfants une formation équi-librée entre la formation générale et la formation spécialisée. Ce plan Landowski, appliqué à partir de 1967-1968, va trans-former le paysage musical français. En 1971 ou 1972, je me suis rendu compte avec Duhamel que les musées de province sommeillaient. Il fallait les vitaliser, inciter les villes à faire les efforts d’équipement et d’aménagement. Nous sommes allés voir les musées de province afin de les dynamiser. Par ailleurs, Catherine Tasca rappelait que nous avons créé les Centres d’Action Culturelle dans les années 1971-1973. Ils ne remettaient pas du tout en cause les maisons de la culture. La ques-tion s’est posée car il y avait quelques projets de maisons de la culture dont celle de Nanterre que vous avez bien connue. Jacques Duhamel a convaincu le Président de la République et le Premier ministre de continuer le mouvement de création des maisons de la culture. Or, ce genre d’équipement lourd ne pouvait pas être démultiplié dans tous les départements. Des formules plus légères pouvaient être instituées en mettant moins l’accent sur la fonction de création. À cette époque, nous avons aussi créé les Centres cultu-rels de rencontre de façon complètement empirique. Jacques Duhamel, de sensibi-lité centriste, m’a dit un jour : « Je crains qu’en définitive il y ait deux politiques culturelles : une politique du patrimoine et une politique de l’action culturelle. Il ne faudra pas longtemps dans un pays comme la France pour que l’une soit de droite et l’autre de gauche. Chaque fois que l’on veut créer un lieu de culture, on a un peu trop le réflexe de couler du béton. Ne pourrait-on pas avoir une action cultu-

relle d’excellence, créatrice dans certains hauts lieux du patrimoine ? » Il avait déjà en tête l’exemple de la Saline d’Arc-et-Senans dans sa Franche-Comté. Il y avait Royaumont et c’est sur cette base qu’on a créé Fontevraud, la Chartreuse. Ensuite, cela s’est beaucoup développé. Les lieux d’excellence dans des hauts lieux du patri-moine ont donc été une des applications de ce modèle culturel combinant l’inter-disciplinarité, la recherche d’un nouveau public, la résidence...

J. T. – Toutes les actions citées par Jacques Rigaud rejoignent ce dont je parle. Elles sont des réalisations de notre modèle, établies à l’abri de « l’excep-tion » et elles risquent aujourd’hui une remise en cause. L’organisation musicale en France est notamment soumise à un vrai défi. D’une part, l’enseignement est devenu de plus en plus un enseigne-ment payant. Nous n’avons pas réussi à créer un véritable enseignement public, c’est à dire gratuit comme Jules Ferry l’a fait pour l’école. Par ailleurs, les orga-nes de diffusion sont vivement criti-qués aujourd’hui. Ainsi, ce dispositif si « complet » demande à être revisité.

C. T. – Durant les quarante ou quarante-cinq premières années du ministère, il y avait deux objectifs fondateurs, pas seulement pour le ministère mais aussi pour les politiques culturelles. Le premier concernait l’aménagement, le maillage du territoire. Il était une ligne directrice du ministère. La création d’une certaine égalité territoriale avec des institutions variées permettrait de rapprocher les offres culturelles des citoyens là où ils vivent. Le deuxième axe touchait à la rela-tion vivante entre (les) arts, (la) culture et (les) citoyens. La création de ces lieux visait une possible rencontre in vivo et pas seulement à travers des médias. Or ces deux axes me semblent remis en ques-tion par le développement des nouvelles technologies et les pratiques culturelles nouvelles qu’elles induisent.

J. T. – Je crois également que la média-tisation et l’événementiel ont pris une place prépondérante dans le champ

culturel. Ainsi, les musées privilégient les expositions temporaires. Il est facile de communiquer autour de ce type d’ob-jet tout en assurant une billetterie néces-saire au financement des musées.

C. T. – Ces deux évolutions sont fonda-mentales. Les nouvelles technologies et le poids de la médiatisation, et donc de l’événementiel, doivent nous amener à revisiter les deux objectifs fondateurs. Ils ne doivent pas être abandonnés même si l’on se réadapte. Première-ment, les médias, Internet, permettent la couverture du territoire.

Celle-ci est fondamentale dans le déve-loppement des territoires. L’attracti-vité d’un territoire tient beaucoup à la présence physique d’un certain nombre d’activités culturelles. Le rapport vivant est le second objectif fondamental dans le lien entre les arts et la cité, les citoyens. Il faut veiller à ne pas y renoncer quelles que soient les évolutions futures du ministère, des politiques culturelles, et le bénéfice qu’on tirera des nouvelles technologies et d’Internet. C’est ici que réside le rapport démocratique.

Dans le domaine de la lecture publique, les médiathèques sont des lieux de vie formidables, même dans des petites villes de dix mille habitants. Si, demain, le e-book se développe, il ne faut pas pour autant renoncer à ce maillage et à ce mode de relation. L’utopie de Malraux sur la rencontre englobait une utopie démo-cratique à savoir l’accès de tous les publics à la culture. Les lieux de responsabilité civique et de rencontre réaliseront cette utopie, non Internet.

“Un grand débat sur le maintien ou non de la compétence générale des collectivités territoriales agite tous les groupes qui planchent sur cette réforme. Ce serait une faute lourde d’attribuer la culture à tel ou à tel niveau.” (C. Tasca)

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J. T. – Les fameuses communautés virtuelles ne sont pas des commu-nautés au sens plein du terme. On dit que ces nouveaux groupes d’échanges créeraient des formidables relations à travers la planète. Or, par définition, ces communautés virtuelles sont seulement des individus devant leurs écrans reliés entre eux. Elles n’existent qu’à travers le « buzz », c’est-à-dire à travers un effet de mode. Ces communautés n’ont rien à voir avec des personnes qui sont dans une salle de cinéma et qui éprouvent la même émotion en même temps ou d’autres qui sont dans un théâtre et qui vont tous ensemble participer à une création. Les gens arrivent, ils ne savent pas ce qu’il va y avoir, une heure et demi après ou trois heures après ils sortent ; quelque chose leur est arrivé ! Ce n’est pas vrai dans les communautés virtuelles.

J. R. – La politique culturelle d’hier et d’aujourd’hui doit se fonder en partie sur le concept de lieux de culture, à savoir les endroits physiques où des gens se retrouvent, éprouvent une émotion en commun. C’est par des événements que nous avons commencé à avoir des émotions culturelles. Il ne faut pas croire qu’il y ait une relation platonicienne avec la culture, tout cela passe par des événe-ments. En 1942, à l’âge de dix ans, ma sœur aînée m’avait emmené à la Comé-die française voir Phèdre avec Marie Bell, Mary Marquet, Maurice Escande et Jean Martinelli. Cet événement m’a marqué pour la vie !

J. T. – Non Jacques, ce n’était pas un événement ! C’était un événement pour toi mais pour le public habituel de la Comédie française, c’était la routine ! Dans le même ordre d’idées, il faut admettre que le rapport aux collections permanentes ne se construit pas selon les mêmes logiques que le rapport aux expositions temporaires…

J. R. – Oui, mais des gens qui n’ont jamais vu d’expositions sont allés visi-ter Picasso et les maîtres car on en parlait beaucoup…

J. T. – On ne les reverra plus jamais au musée d’art moderne !

J. R. – Tu n’en sais rien…

J. T. – Je te dis que oui, ils sont venus à l’exposition Picasso à cause du Journal du Dimanche pas à cause de Picasso !

C. T. – Et ils vont tous aller voir Warhol parce que ça fait beaucoup de bruit !

J. R. – Quand j’ai ouvert le musée d’Or-say, j’ai vu venir des gens qu’on n’avait jamais vus dans les musées. Je me suis dit : « si dix pour cent de ces gens-là éprouvent l’émotion qui les conduira à revenir, alors c’est gagné ! »

J. T. – En revanche, je suis d’accord avec toi sur l’importance et la création des lieux.

J. R. – Ces lieux de culture ne sont pas fixes nécessairement. Ils peuvent être dans la rue. Ils peuvent être des événe-ments comme le festival d’Avignon. J’observe la vie culturelle depuis une quarantaine d’années et je suis frappé par la multiplication des festivals dans tous les domaines, à toute saison et dans toute la France : les Vieilles charrues à Carhaix, l’Interceltique de Lorient… Le festival est précisément le seul contact avec la culture vivante qu’ont des gens habituellement scotchés devant leur télévision.

L’Observatoire – Abordons plus précisément les questions de décen-tralisation et de territorialisation de l’action du ministère de la Culture. Catherine Tasca disait à l’instant que l’aménagement culturel du territoire est une question importante dont le ministère s’est saisi. Mais ce minis-tère s’est-il suffisamment donné les moyens d’être le ministère des territoires ? Une grande partie des moyens du ministère n’est-elle pas absorbée par les grands établisse-ments nationaux parisiens ? Les budgets sont donc pré-affectés et réduisent la capacité d’intervention du ministère vis-à-vis des gran-des métropoles du pays. Comment analysez-vous ce hiatus ? Considé-rez-vous que cela traduise un désé-quilibre de la politique du ministère vis-à-vis des territoires ?

C. T. – Je trouve un peu excessif le tableau d’un État qui miserait tout sur les grandes institutions parisiennes.

J. T. – Oui, mais quand on regarde la décomposition du budget, ce déséquili-bre se confirme.

C. T. – Mais ce n’est pas un choix poli-tique. C’est le résultat d’une dégradation constante du budget de ce ministère. Le ministère reste encore impliqué en région dans un certain nombre d’ins-titutions culturelles importantes. Mais

“Quand j’ai ouvert le musée d’Orsay, j’ai vu venir des gens qu’on n’avait jamais

vus dans les musées. Je me suis dit : « si dix pour cent de ces gens-là éprouvent l’émotion qui les conduira à revenir,

alors c’est gagné ! »” (J. Rigaud)

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pour combien de temps ? Je repense aux grandes médiathèques en région : elles se font avec une aide solide de l’État. Le ministère de la Culture était quand même actif en Région jusqu’à hier. Mais a-t-il tout fait pour accompagner la décentrali-sation ? C’est une question grave, lourde. Dans notre politique, il y a eu une absence de réflexion sur le lien entre l’administra-tion centrale et les acteurs en région. La preuve en est que les directions régionales d’action culturelle ont très longtemps été abandonnées. D’abord, on a eu du mal à en accoucher. Je me souviens de la nais-sance des toutes premières, faites de bric et de broc.

J. T. – On est parti de l’inventaire comme point de départ. Le service de l’inventaire a établi les DRAC.

C. T. – Ensuite on n’a pas eu une poli-tique de gestion des personnels de ces services. Des gens sont ainsi devenus « propriétaires » de certains secteurs d’intervention, de certains secteurs artistiques car ils s’étaient installés petit à petit dans la région. Leur statut ne leur permettait pas de bouger, donc des petits propriétaires se sont installés dans la relation entre État, collectivi-tés territoriales et professionnels. Cette culture de guichet qui s’est mise en place n’est pas celle d’un ministère stratège. On a là un vrai problème et je l’ai vécu à l’égard des directeurs régionaux. Ces gens étaient conscients d’appartenir à la grande communauté du ministère. Je m’efforçais de travailler avec eux pour formuler les objectifs, etc. C’était très bien mais s’ils avaient envie de se comporter en baron dans leur direc-tion régionale, nous avions très peu de prise. C’est de la faute du ministère et non de la leur. Ce ministère a très mal géré ses ressources humaines dans tous les domaines, aussi bien l’administration centrale qu’en région. Cela s’est traduit par un déclin rapide d’une vraie politique de recrutement. J’ai eu la chance d’arri-ver dans un ministère qui choisissait ses administrateurs, qui était heureux de faire monter des nouvelles générations. Depuis très longtemps, on a pris l’habi-

tude de puiser dans les grands corps pour assumer les responsabilités culturelles comme s’ils prédisposaient leurs bons élèves à devenir les bons administrateurs de cette administration là. Par ailleurs, au sujet de la décentralisation, le minis-tère devrait vraiment repenser, réfléchir très fortement au recrutement et aux missions de ses services déconcentrés pour qu’il y ait de véritables synergies. Ce ministère a souvent été autoritaire et faible à la fois dans la définition de ses objectifs, des directives à donner à ses services extérieurs. Il y a là une certaine contradiction.

L’Observatoire – En cinquante ans, la place de l’art dans la société s’est considérablement étendue et, dans le même temps, le paysage artistique s’est diversifié, pluralisé. Cet élargis-sement des formes et des esthétiques représente un défi majeur pour les politiques culturelles. Elles ont dû absorber de plus en plus de discipli-nes, d’acteurs. Avez-vous le sentiment que le ministère de la Culture a su s’adapter en permanence à cette dyna-mique ? S’est-il organisé pour défen-dre les arts de façon équitable ?

C. T. – La question de la relation du ministère aux arts et leur évolution est complexe. La diversification a rendu la tâche plus difficile et a souvent brouillé les frontières d’intervention. Le discours sur l’art devient extrêmement compliqué à partir du moment où l’on intègre la haute couture, la gastronomie, etc.

J. T. – Aujourd’hui, on ne parle plus de théâtre mais de spectacle vivant. Je suis contre ce vocabulaire. Par exemple, le cirque est compris dans le spectacle vivant. La très forte tendance européenne va exactement dans le même sens et enlève au théâtre sa spécificité et sa place.

C. T. – Le cirque est quand même un art à part entière.

J. T. – Oui, je n’ai pas dit le contraire. Je pense qu’il ne faut pas confondre tour et alentour, ce n’est pas pareil.

C. T. – Je reliais ce questionnement sur l’art à notre faiblesse dans la gestion de la décentralisation. On s’est assez large-ment fourvoyé dans le domaine des arts plastiques. La grande question est de savoir si l’État doit être décideur, doit être celui qui donne le « la » sur l’art qui mérite d’être soutenu. Je pense qu’il doit assumer cette responsabilité. Mais le recrutement, la formation et la mission des fonctionnaires restent un problème important sur lequel nous n’avons pas été excellents. On a mis en place une petite nomenclature de spécialistes, notam-ment dans les arts plastiques, qui a fait sans doute écran avec le mouvement profond de l’art dans notre société. De plus, il faut réfléchir à la labellisation par l’État. Ce phénomène est vécu comme très injuste par les artistes, partagés entre bonnes et mauvaises raisons. Le lien entre cette petite nomenclature et le monde marchand de l’art a sérieusement pipé les dés sur la responsabilité publique dans ce domaine.

J. R. – Je nuancerais un peu l’analyse de Catherine. J’ai été président d’un FRAC de 2000 à 2006. En 1982, Jack Lang a décidé d’associer les régions dans le soutien public aux arts visuels vivants qui était jusqu’alors du seul ressort de l’État. Or, on ne peut pas dire que les arts visuels soient le domaine de compétence et de familiarité des régions. Toutes les régions ont joué le jeu et les FRAC ont aujourd’hui vingt-cinq ans. Ils ont fêté le vingtième anniversaire des FRAC quand j’étais en fonction. Les fonds régionaux sont une réussite. Je suis d'ailleurs frappé que les changements de majorités à l’intérieur des régions ne remettent nullement en cause ce soutien. Les FRAC ne sont ni des musées, ni des centres d’arts. La plupart de leurs direc-teurs doivent constituer des collections puis les faire circuler dans des milieux improbables, nouveaux, etc. Bien que ce ne soit pas vrai partout, c’est quel-que chose qui existe et qui contribue à créer un contact. Je vous parlais tout à l’heure des populations scolaires, d’artistes en résidence dans des lycées.

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“Le ministère reste encore impliqué en région dans un certain nombre d’institutions culturelles importantes. Mais pour combien de temps ?” (C. Tasca)

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Les enfants deviennent prescripteurs et font venir leurs parents. Des choses tout à fait intéressantes se produisent dans ce domaine. Le ministère de la Culture a suscité cette présence. Les directeurs régionaux et leurs conseillers musique que je connais sont des gens compétents. Dans le domaine musical, il y a eu une politique de recrutement un peu improvisée mais très intéres-sante. Un certain nombre de respon-sables de ces directions régionales sont d’anciens conseillers culturels ou directeurs d’instituts à l’étranger et inversement. Ce contact un peu rare entre les réseaux intérieur et extérieur est un élément d'une grande richesse. Dans l’ensemble, je suis heureuse-ment surpris de voir que les préfets de régions, les présidents de conseils régionaux considèrent maintenant que la culture est importante. Ils ont des interlocuteurs et savent que l’on peut faire des choses intéressantes. Par ailleurs, la politique des médiathèques a connu une très forte évolution et on n’en parle jamais ! Vous n’avez pas un article sur ce sujet dans Le Monde, Les Échos, etc. J’invite l’Observatoire à faire une étude spécifique sur les médiathè-ques et pas uniquement sur les plus fréquentées !

J. T. – Deux choses sur la décentralisa-tion et la déconcentration : d’une part, des labels de qualité doivent être établis dans chaque ville, d’autre part, les servi-ces déconcentrés de l’État sont considé-rés comme importants et faisant plutôt bien leur travail. Le fait qu’ils aient subsisté après la Révision générale des politiques publiques est assez significa-tif. Ils n’ont pas été fusionnés comme tout ce qui dépend des ministères du Développement durable, de la Santé, des Affaires sociales, etc. D’autre part, Catherine Tasca évoquait le fait que l’on n’ait pas poursuivi la décentralisation. À mon avis, on a refusé de poursuivre le mouvement pour des raisons budgétaires et nous n’avons pas réparti les respon-sabilités comme cela se fait en Europe dans le domaine culturel. Maintenant on y vient et l’on commence à dire que

les départements vont s’occuper du patrimoine, les régions d’autres domai-nes, etc. Fin 1994 début 1995, on avait confié une mission à Olivier Guichard. La question était de savoir ce qui pouvait être proposé en termes de répartition des compétences dans le cadre de la décen-tralisation. Après trois mois, il nous a dit qu’il ne fallait pas supprimer les finan-cements croisés au risque de perdre 30 à 40 % des moyens pour la culture. Je lui ai dit « Ah, Olivier ! si telle est votre conclusion, on va refaire le dossier » (rires). Néanmoins, l’enchevêtrement des interventions culturelles ne me paraît pas convenir face à une décentralisation qui avance.

C. T. – Si l’Observatoire retient la recom-mandation de Jacques d’une étude sur les médiathèques, je vous recommande de regarder les librairies dans les villes où il y a des médiathèques. On décou-vre un lien positif entre la survie de la librairie et la présence de la médiathèque publique. À mon initiative et en collabo-ration avec Michel Dufour, le ministère de la Culture a amorcé des protocoles de décentralisation. L’idée des chefs de file a été mise en place afin de répondre au souci des interventions croisées. Dans le débat sur la réforme des collectivités locales engagé par la Commission Balla-dur, l’idée de chef de file est en train d’émerger tranquillement à nouveau. Cela confirme qu’on ne parviendra pas à des partages radicaux entre les niveaux de collectivité. Nous avions amorcé là quelque chose qui mérite d’être creusé et prolongé.

L’Observatoire – Sous la forme d’expé-rimentations ?

C. T. – Nous ne voulions pas cumu-ler toutes les difficultés et nous étions donc partis essentiellement des servi-ces du patrimoine pour inventer cette expérimentation que furent les proto-coles de décentralisation. Cette idée est porteuse d’avenir et il ne faut pas la laisser tomber. Il faut aussi se rappeler que c’est le ministère de la Culture qui l’a mise en œuvre.

L’Observatoire – La question des enseignements artistiques a été soulevée à l’époque. Aujourd’hui elle est absolument centrale et pose problème à l’ensemble des collectivi-tés. Comment pourrait-on réorganiser les choses dans ce domaine au regard de la future réforme des collectivités territoriales ?

J. T. – J’ai toujours été très réticent par rapport à l’intervention régionale dans le domaine culturel. Or, pour les raisons budgétaires que je citais, la région est devenue en fait, d’une certaine façon, un interlocuteur incontournable des insti-tutions culturelles. La région est une collectivité où la compétence éducative est importante, en lien avec le déve-loppement économique, la formation, l’emploi. Voici vraiment une compétence bien identifiée de la région parce que c’est à ce niveau régional que se situent véritablement les enjeux mais, sur la culture, je suis plus circonspect. Je ne voudrais pas qu’avec la future réforme, on bascule encore plus de compétences en matière culturelle vers la région au détriment des autres.

C. T. – Un grand débat sur le maintien ou non de la compétence générale des collectivités territoriales agite tous les groupes qui planchent sur cette réforme. Ce serait une faute lourde d’attribuer la culture à tel ou à tel niveau. Cela fait partie de la vision que l’on peut avoir du projet de société, chacun où nous sommes avec nos convictions, etc. La plus petite collectivité locale doit donc avoir la possibilité d’intervenir et de prendre des initiatives dans ce domaine si elle en a envie.

J. R. – Et la plus grande collectivité aussi.

C. T. – Toutes les collectivités.

L’Observatoire – Un sujet est demeuré absent dans nos échanges jusqu’à présent : la télévision comme vecteur de transmission culturelle. Comment aller plus loin dans cette perspective ?

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page 12 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - débats

J. T. – Je crois qu’un double mouvement s’est opéré. Le premier concerne l’indé-pendance de la politique de l’audiovisuel du ministère de la Culture. Le ministère a commencé à s’occuper de « communica-tion » le jour où ce secteur a pris son indé-pendance avec la réforme de 1982. Aupa-ravant, si le ministère s’en était occupé, il aurait été perçu comme un ministère de la propagande ou de l’information. Son travail dans la communication est concomitant avec la rupture du cordon ombilical sur le plan politique. C’est important dans la mesure où le ministère de la Culture est investi d’une espèce de responsabilité dans l’objectivité, la neutra-lité, le caractère démocratique du système de communication. Le deuxième mouve-ment concerne la dimension économique de la question. C’est le secteur majeur des industries créatives.

Tous les développements qui se sont produits depuis la mise en place des télé-visions privées, des chaînes commercia-les, du numérique donnent une respon-sabilité essentielle au ministère de la Culture. Il est vu comme un référent, un légiférant, un éclaireur et un garant de la puissance publique. La puissance publique doit conserver la responsabi-lité acquise dans ce domaine. Le déve-loppement des médias, qui relevait de l’interministériel auparavant, dépend aujourd’hui du ministère de la Culture. Cette mission du ministère est très forte et très souhaitable. Mais le minis-tère a-t-il suffisamment préparé cette nouvelle attribution ? Ses positions, ses réactions dans ce domaine ne sont-elles pas un peu tardives ? Les grandes direc-tives européennes sur les médias ont été adoptées à la fin des années 90, puis des lois sur l’économie numérique ont été promulguées entre 2000 et 2004. En 2008, on commence enfin à mettre en œuvre la directive de 2004.

C. T. – Le lien culture-communication est légitime dans un ministère. En effet, la consommation télévisuelle au sens large est devenue une pratique très envahissante dans la vie de nos conci-toyens. Le problème, c’est de savoir par

quel point d’entrée le ministère se mêle de la communication. De mon point de vue, ce point d’entrée doit être culturel. Le ministère de la Culture ne doit pas se désintéresser de la dimension écono-mique, industrielle. Je précise que ce ministère n’est pas équipé pour cela néanmoins. Entre les cabinets juridi-ques, financiers qui épaulent tous les grands groupes de communication, le ministère est démuni pour aborder toutes les questions de ce domaine.

J. T. – C’est un domaine où le lobbying est toujours difficile à maîtriser.

C. T. – Les grands textes législatifs français ou européens marquent la volonté d’établir une régulation. Le ministère de la Culture est responsa-ble en particulier de la préservation d’un secteur public, à côté d’un secteur privé qui se développe normalement. Ses objectifs sont mentionnés dans les textes. On retrouve l’objectif de la langue qui doit être présente dans les médias. La création originale est un problème à double face : culturel et économique. Si l’on veut maintenir des maisons de productions vivantes et prospères, il faut les aider à aller à la conquête des marchés. Le ministère de la Culture doit être actif sur cette question qui est l’un de ses points d’en-trée dans le monde de la communica-tion. Bien que cela soit très discuté, les réglementations sur les engagements globaux des opérateurs de ce secteur doivent être actualisés notamment en ce qui concerne l’investissement dans la production originale.

J. T. – Tout le dispositif anti-concentra-tion est aussi un élément important dont le ministère est porteur.

C. T. – Le ministère est aussi porteur d’un certain nombre de règles concer-nant les contenus, les programmes pour la jeunesse par exemple. Cela fait partie d’une responsabilité culturelle globale. Mais ce ministère n’a pas d’armes égales à celles des autres intervenants dans ce domaine.

L’Observatoire – Les pratiques culturel-les des Français ont fortement évolué en faveur d’Internet. Du côté de la création, Internet représente une dépossession pour certains artistes quand d’autres ont su s’emparer de ce nouveau modèle. Jacques Toubon rappelait que la loi a toujours un peu de retard. Que pensez-vous de la loi « Création et Internet » ?

J. R. – Elle constitue un nœud dialecti-que d’après les débats que l’on observe entre sénateurs socialistes, opposants à la loi et majorité politique. Ce texte est un exemple tout à fait significatif du défi du ministère. En effet, le ministère et les politiques culturelles sont foutus si la force de l’administration en vient à reposer sur l’argument d’autorité. Désor-mais, le ministère doit impulser des poli-tiques plus innovantes afin de stimuler la créativité du secteur. De ce point de vue, je comprends l’affaire du Conseil de la création artistique de Marin Karmitz. On peut trouver que c’est bien ou non par rapport au ministère mais je crois que ce n’est pas seulement à l’internaute de base ou à l’entreprise qui investit ses profits dans la culture d’être à l’initiative. Le ministère doit se mobiliser face aux changements de consommation et de modes de création. L’ensemble du champ du droit de la propriété intellectuelle doit faire l’objet d’un combat acharné pour que l’artiste ne soit ni un fonctionnaire, ni un courtisan, ni un employé à mi-temps

“Le développement des médias, qui relevait de l’interministériel auparavant, dépend aujourd’hui du ministère de la Culture. Cette mission du ministère est très forte et très souhaitable. Mais le ministère a-t-il suffisamment préparé cette nouvelle attribution ? Ses positions, ses réactions dans ce domaine ne sont-elles pas un peu tardives ?” (J. Toubon)

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qui écrit la nuit, et qui « poinçonne les tickets du métro » le jour… Il est clair que le ministère est amené à évoluer. Au lieu de passer 90 % de son temps à prendre des décisions de gestion, le ministre doit le consacrer à faire travailler son imagina-tion et celle de son administration.

C. T. –Vous soulignez la contradiction entre les partisans et les opposants à la loi HADOPI. Pour ma part, je crois que nous sommes devant un problème de responsabilité politique très grave. Avec la popularisation des comportements culturels et des changements que cela induit, les politiques sont confrontés pour la première fois à un phénomène de masse. Ce phénomène échappe très largement à l’organisation, à l’encadre-ment. Beaucoup parmi les politiques les plus hostiles au texte actuel utilisent d’ailleurs un argument assez brutal : les internautes sont plus nombreux que les artistes. C’est un constat.

J. T. – Cette attitude est partagée par la majorité du Parlement européen. En effet, à la lumière de l’enjeu électoral, l’analyse a été faite instantanément : les artistes sont une minorité et les inter-nautes sont la grande majorité.

C. T. – En même temps, on ne peut pas nier le phénomène Internet et les prati-ques internautes. Il faut donc beaucoup de courage et beaucoup d’imagination. La loi arrive tard, nous en sommes tous conscients. Arrive-t-elle trop tard ? Je réponds non ! car en l’absence d’un vrai modèle économique de substitution à la gestion économique des droits d’auteurs, nous n’avons pas le droit de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Si on laisse les vannes ouvertes, la ques-tion du droit d’auteur, ne se posera même plus, elle sera emportée dans l’océan. Donc, cette loi a le mérite d’être une alerte, s’efforce d’arrêter ce tsunami, préserve ce droit d’auteur qui est fonda-mental pour les auteurs mais aussi pour la société. Sans droits d’auteurs, la vraie création disparaîtra. J’entends beaucoup de critiques notamment sur ces majors

qui gagnent trop d’argent. Je rejoins volontiers ces critiques mais le tissu des maisons de production, qu’il s’agisse de cinéma ou de musique, n’est pas composé de majors. Ce secteur est composé d’une infinité de petites boîtes qui ont besoin du respect et de la rémunération de leur travail. Si on ne s’efforce pas de bâtir un certain nombre de digues, tout sera emporté. En même temps qu’on essaie de bâtir des digues, il y a urgence à bâtir un vrai modèle de substitution. Or, les politiques responsables ne peuvent pas dire « on ouvre les vannes et on verra bien ce qui se passe », ce qui est très grave pour toute notre société. Si cette loi avait été présentée il y a deux ans, on aurait déjà testé son dispositif, voire le projet éducatif qui la sous-tend. Mais ici se pose la question de la responsabilité politique et aujourd’hui par l’usage de la raison, nous ne sommes peut être pas à armes égales avec l’opinion et les messa-ges véhiculés par les nouveaux médias. Réintroduire l’idée de la loi est fonda-mental pour la société de demain et pour la société démocratique. Un jeune mili-tant m’interpellait hier à ce sujet. Cet internaute était évidemment très criti-que sur la position des sénateurs socialis-tes car Internet et le téléchargement font partie de sa vie quotidienne. Je lui ai dit : « puisque le permis de conduire coûte cher, penses-tu qu’il faut le supprimer ou, en tout cas, accepter que tout le monde conduise sans ? ». En citoyen éduqué, il m’a répondu « non ». Bien. L’idée qu’il faut des règles pour préserver un certain nombre de principes fondateurs de notre société est à fortifier autant que faire se peut, sinon c’est la jungle. Beaucoup de pratiquants d’Internet honnêtes, sincères et amoureux du cinéma ou de la musique ne voient pas que ce champ de l’Internet peut devenir demain une immense jungle très préoccupante et il ne s’agira pas seulement du piratage. Deux attitudes s’offrent à nous : ou bien on accepte certaines règles, ou bien on part vraiment vers l’inconnu.

L’Observatoire – Tout ce débat n’a-t-il pas profondément à voir avec la problé-matique de la diversité culturelle ?

J. T. – Oui, car il ne faut tout de même pas oublier qu’Internet est voué à la concentration. Le fin du fin de l’Internet c’est Google et sa publicité. En effet, le phénomène des ressources publicitaires conduit à la concentration. La vocation de ce phénomène c’est de tendre vers un monopole de fait.

L’Observatoire – Creusons cette problé-matique de la diversité culturelle dont les dimensions sont multiples. Quelles sont les évolutions les plus significa-tives dans ce domaine ? Lesquelles faudrait-il mieux soutenir ?

J. T. – Dans les grands domaines de la culture, le cas des industries culturelles est intéressant à observer. La France a plutôt un objectif de diversité dans ce domaine. Je prends un exemple. Malgré les évolutions annoncées, la puissance des grands opérateurs, le domaine du cinéma et de la télévision connaît encore un cycle de production et de diffusion indépendante. Ce cycle bien réel est l’apanage des groupes français et n’est pas menacé dans le long terme à mon avis. Par ailleurs, on constate l’efflores-cence des patrimoines. Dans le domaine des patrimoines, des musées par exem-ple, l’offre est de plus en plus diverse, délocalisée, y compris à partir des grands établissements parisiens. Dans le théâtre, un secteur en difficulté, il y a de moins en moins de programmation des seuls classiques et beaucoup de programma-tion diverses, étrangères, contemporai-nes. Le théâtre public et le théâtre privé sont incontestablement dans une période de richesse. Autrement dit, je suis plutôt de ceux qui pensent qu’en France nous avons mis en œuvre la diversité c’est-à-dire l’indépendance, la liberté de créa-tion et la possibilité de diffuser toutes ces œuvres. Je n’en dirais pas autant de tous les pays et je ne suis pas sûr que les évolutions futures permettent d’éviter la concentration, à savoir la disparition de toute une part de la diversité.

J. R. – Plus on vit dans l’événementiel et dans le court terme, plus on s’éloigne de la diversité. Le sens et la conscience du

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temps long enracinent notre originalité. Par conséquent, tout ce qui peut être fait pour exalter, faire connaître le patrimoine, redonner aux enfants le sens de l’histoire longue va dans le sens de la diversité. On a toujours trop tendance à regarder la diver-sité comme un problème actuel ou comme un problème de l’avenir. Je crois beaucoup à cette culture du temps. C. T. – Un procès ne peut pas être fait à la vie culturelle française, celui d’être franco-française. La France est l’un des pays les plus ouverts et cela ne date pas d’aujourd’hui. Dans les années 1960, on avait accès à une large cinématographie. Le cinéma en France est un territoire très exemplaire de la préservation d’une diver-sité. Beaucoup de réalisateurs étrangers y compris des pays du Sud existent car la France leur en a donné les moyens. Globalement, le système est donc ouvert sur la diversité. Il y a peut-être des terrains sur lesquels nous régressons un peu. Par exemple, je déplore qu’une chaîne comme Arte diffuse des films étrangers doublés. Dans mon enfance, nous voyions toute la cinématographie étrangère sous-titrée. Il y a donc là un petit risque de régression alors que la diversité linguistique est un élément de création.

J. R. – Un film tchèque que l’on entend en français n’est pas un film tchèque…

C. T. – La diversité régionale est un autre terrain sur lequel il n’y a pas de régres-sion mais sur lequel on n’a jamais osé trop s’engager. D’ailleurs je ne suis pas personnellement convaincue qu’il faille y aller. La diversité régionale est un point en France qui a du mal à entrer dans la perspective de la diversité. Je ne suis pas une fanatique des langues régionales mais la question mérite notre attention…

J. T. – Au titre de ministre de la culture, j’ai subventionné l’Association pour la promotion de la langue picarde. Honnê-tement, si c’était à refaire je le referais. L’Observatoire – Autre enjeu majeur, celui de l’éducation artistique. Un sujet auquel vous avez tous trois attaché

de l’importance. Comment expliquer alors qu’en la matière, on ne parvienne pas à accoucher d’un modèle natio-nal stable ? On est riche d’expériences multiples et intéressantes, on dispose de ressources formidables dans l’édu-cation artistique. On a presque tout ce qu’il faut mais la mise en œuvre reste toujours difficile. Un échec ?

J. R. – On est très franchement en situa-tion d’échec dans ce domaine. Il ne s’ex-plique pas par le fait que ministère de la Culture ait été séparé du ministère de l’Éducation mais par le fait que la culture n’a pas les moyens de cette éducation, n’en a pas l’envie. On a fait des grands plans, notamment au début des années 2000 avant le départ du gouvernement Jospin. Chaque fois qu’on a commencé à les mettre en œuvre, ils ont été mis en cause. Pourquoi ? Cette greffe au sein du système d’enseignement est destinée à être rejetée quels que soient les produits antirejet et les moyens financiers que l’on peut y introduire. Ce qui avait été fait sous le gouvernement Jospin a notamment été rejeté. Bien sûr il y a des exceptions, des exemples positifs d’actions, mais, globa-lement, l’éducation artistique est difficile à mettre en place.

C. T. – Une conviction ancienne et profonde que je partage, c’est que toute la politique d’offre qui a été menée avec un succès certain dans ce pays ne pren-dra tout son sens que si elle est accom-pagnée d’une politique de la demande, et d’une politique d’éducation artistique à l’école, faute de quoi on nous objectera les faiblesses de la démocratisation cultu-relle à l’école et le côté avant tout expéri-mental de ce qui se fait. On est là face à un choix de société. Je suis plus optimiste que Jacques Rigaud sur la possibilité de la greffe du fait de l’expérience que j’ai vécue, lorsque j’ai lancé avec Lang, le Plan de 5 ans pour l’éducation artisti-que. Au passage, l’aiguillon venait du ministère de la Culture. C’est la conjonc-tion au sein du gouvernement Jospin, avec Lang, qui n’était évidemment pas devenu insensible aux arguments de la culture parce qu’il était à l’Éducation

nationale, et le fait que j’avais cette volonté, cette conviction très forte qui nous a permis de lancer ce plan. J’ai senti à ce moment-là que même le système colossal de l’Éducation nationale avec ses rituels, ses difficultés propres qui sont énormes, il était prêt à y aller. Et il faut dire que le coup d’arrêt a été donné par la réduction des crédits des deux ministères dans ce domaine. Donc, sans moyens spécifiques budgétaires dans les deux maisons, la greffe ne peut ni ne pourra se faire. Mais je suis convaincue que les personnels y étaient prêts et tous ceux qui ont vécu les fameux projets, les classes à PAC, à projet artistique et culturel, ont vécu de manière heureuse, très positive, les avancées de leurs élèves dans ce bain-là. C’est une idée à laquelle on ne peut pas renoncer même si c’est difficile et si l’équation financière s’y oppose pour le moment. Sinon, on aura investi pendant des décennies dans une politique d’offre tout de même assez remarquable – on n’a pas de raison de battre notre coulpe là-dessus – mais qui d’une certaine manière glisse comme sur une toile cirée parce que le grand nombre, c’est-à-dire nos enfants, ne sont pas mis en situation d’en profiter le plus largement possible. Il y a quand même tout un public qui en profite. Mais si on veut passer à une autre échelle et à une ambition globale, il faudra qu’il y ait une politique d’éducation artistique à l’école plus déterminée. Une des difficultés de cette politique, c’est que l’on a d’un côté un système général qui est l’Éducation nationale, générale, obligatoire, et de l’autre un corps artistique et culturel – ce ne sont pas des fonctionnaires – qui ne peut rentrer dans un système normatif. C’est une vraie difficulté.

J. R. – Je n’ai rien d’original à rajouter sinon que je suis consterné par l’échec de tous ces plans et qu’en même temps nous voyons, je le constate effectivement, que lorsque dans une école, un maître veut faire venir un artiste ou que l’on envoie les gosses au théâtre, ça marche ! Voilà donc plus un problème à régler au niveau administratif central au risque de répéter les échecs.

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“Le ministère et les politiques culturelles sont foutus si la force de l’administration en vient à reposer sur l’argument d’autorité. Désormais, le ministère doit impulser des politiques plus innovantes afin de stimuler la créativité

du secteur.” (J. Rigaud)

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J. T. – Il y a eu un exemple Jacques, de généralisation de l’éducation artistique, c’est celui d’Épinal où Philippe Seguin a été maire.

C. T. – C’est formidable !

J. T. – Il faudrait qu’il y ait 10 000 Épinal !

J. R. – On pourrait citer d’autres démar-ches exemplaires, celle de Jean-Claude Casadessus allant avec l’Orchestre natio-nal de Lille dans les écoles…

J. T. – Je voudrais prolonger ce que Catherine Tasca disait sur la problé-matique de l’offre et de la demande. Je suis aujourd’hui à la tête d’un projet, celui de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, qui tente de proposer des réponses à cette question. Cela rejoint ce que disait tout à l’heure Jacques Rigaud sur l’instant contemporain. Il faut que notre pays développe ses insti-tutions culturelles vouées à l’histoire, à la société. Elles peuvent être des institu-tions muséales, elles peuvent être d’un autre type, mais en tout cas elles doivent être faites pour transmettre, mettre en valeur des connaissances en dehors du système de l’enseignement, et le faire en

montrant notamment toute la profon-deur des phénomènes historiques. Elles sont susceptibles, de cette manière-là, de répondre à la demande, c’est-à-dire à des questions de société. C’est pourquoi personnellement je suis très favorable à ce qu’on envisage l’histoire de France, non pas parce que je veux qu’on mette en valeur les batailles de Napoléon et les manufactures de Colbert mais parce que je crois qu’il y a un vrai travail à faire en la matière. Ce que je fais par exemple sur l’histoire de l’immigration, on peut le transposer à d’autres sujets. Cela revient à donner en effet toute sa place à une politique à la demande et pas seulement à une politique de l’of-fre qu’on a bien réussi. Cela consiste aussi à introduire en profondeur cette distance qui est celle de la vraie culture par rapport à celle de l’instantanéité, de l’actualité.

L’Observatoire – Que regrettez-vous de ne pas avoir entrepris lorsque vous étiez aux affaires culturelles ?

C. T. – Deux ans, c’est très court. J’ai plus d’un regret. Le premier, et le plus cuisant, c’est de n’avoir pas réussi à lancer le projet d’auditorium à la Cité de la Musique. Je regrette aussi de n’avoir pas engagé une vraie politique des ressources humaines

du ministère. Au fil des ans, le ministère de la Culture a fait de plus en plus appel à des fonctionnaires des grands corps de l’État pour les postes les plus attractifs, d’où une certaine désaffection des cadres A de la maison. C’est dommage pour eux, et plus encore pour le ministère qui, à sa création, avait rassemblé des personnels de l’Éducation nationale et de la France d’Outre-mer, qui se sont sentis motivés par cette nouvelle admi-nistration et lui ont apporté, jusqu’aux années 70, énergie et imagination. Il eut fallu aussi mieux organiser les passerel-les entre l’administration centrale et les personnels des DRAC. Si l’on admet que la Culture n’est pas une marchandise comme les autres, son administration a besoin de personnels pas tout à fait comme les autres.

J. T. – Personnellement, je ne regrette pas quelque chose que je n’ai pas entre-pris. Je regrette fondamentalement l’an-nulation par le Conseil constitutionnel de la moitié de l’article 2 de la loi de 1994 sur la promotion du français. Je crois fondamentalement que le Conseil constitutionnel a pris une décision grave ce jour-là. Voici un regret fondamental pour moi. Je regrette juste que dans ce qu’on appelait à l’époque le développe-ment culturel, on n’ait pas eu suffisam-

“Aujourd’hui tout pousse naturellement à ce que le temps n’existe pas et à ce que tout se passe sur le plan horizontal de l’actualité, du présent. Dans les nouvelles technologies par exemple, il pourrait y avoir un usage qui soit celui de la profondeur, alors qu’aujourd’hui

c’est devenu un usage de la profusion, de la pléthore, de l’instant.” (J. Toubon)

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ment de temps pour mieux le mettre en œuvre et l’installer dans la durée. Il ne faut pas oublier que j’ai pris mes fonctions au ministère au moment où l’on mesurait à plein l’effet des grands travaux. J’ai donc essayé de « rerégiona-liser », et je pense qu’avec un peu plus de temps, on aurait peut-être pu davantage retrouver un équilibre entre Paris et la province.

J. R. – Cela me gêne de répondre, car je n’étais pas ministre et je ne voudrais pas donner le sentiment de critiquer le ministre. Je crois qu’il a fait quelque chose pour rendre la politique cultu-relle crédible au sein de l’État. Si j’ai un regret, il est un peu mineur. On parlait tout à l’heure de la création des direc-tions régionales. C’est nous qui avions lancé le mouvement. J’aurais aimé le faire plus vite pour donner plus tôt une plus grande force politique à cette présence régionale du ministère.

L’Observatoire – On parle de la crise financière mondiale, mais aussi de crise sociale, économique, environ-nementale. Est-ce que vous pensez que la culture à son mot à dire pour nous permettre de sortir de cette crise aux multiples dimensions autrement que comme nous y sommes entrés ? À cet égard, comment conviendrait-il selon vous d’articuler culture et déve-loppement durable ? Est-ce que c’est une perspective qui offre un horizon intéressant pour l’action culturelle ?

J. T. – Ma réponse tient en une phrase sur le développement durable tel que je le comprends : c’est inclure le temps, c’est-à-dire ce qui est derrière nous et surtout ce qui va être devant nous, dans toutes les politiques publiques et l’économie en particulier. Je pense que la culture est complètement substantielle à cela parce que justement c’est du temps. Ce que la culture veut apporter à ces poli-tiques pour être elles-mêmes plus dura-bles, c’est leur inscription dans le temps. Mais là, on se heurte à une difficulté, c’est qu’aujourd’hui tout pousse natu-rellement à ce que le temps n’existe pas

et à ce que tout se passe sur le plan hori-zontal de l’actualité, du présent. Dans les nouvelles technologies par exemple, il pourrait y avoir un usage qui soit celui de la profondeur, alors qu’aujourd’hui c’est devenu un usage de la profusion, de la pléthore, de l’instant.

J. R. – Je considère que la crise écono-mique et financière est par là-même une crise culturelle. Le problème qu’elle pose est un problème culturel. J’en veux pour preuve le fait qu’en France, à Paris et ailleurs aussi, les pratiques culturelles, loin de se restreindre donnent le senti-ment de se développer. On dira que c’est conjoncturel, que ça profite à l’événe-mentiel. J’ai posé la question à Marin Karmitz de l’état de la fréquentation cinématographique, quelque temps après que la crise ait éclaté. Il s’avère que l’on avait atteint des records de fréquenta-tion. Même tendance pour les spectacles ou les musées. Donc, on se rend compte que dans les révisions que chacun doit faire sur son budget familial, d’une certaine manière, la culture n’est pas en première ligne dans les restrictions qu’on s’impose… On fera plus volontiers des économies sur le budget alimentation puisque l’on peut effectivement essayer d’acheter moins cher dans ce domaine. Je suis très frappé aussi que dans la période actuelle, pour l’essentiel, le mécénat d’en-treprise ne soit pas touché, ou l’est beau-coup moins qu’on pourrait le penser, alors que c’est un type de dépense marginale mais qui n’a rien de prioritaire en terme de fonctionnement économique.

J. T. – Alors qu’au même moment, les dépenses de publicité ou de communi-cation sont coupées…

J. R. – Oui, et dans le mécénat, ce qui est actuellement parfois remis en cause, ce sont les manifestations mondaines, mais les actions de fond, les engagements à long terme sont plutôt préservés. Certes, le mécénat culturel est davantage touché que le mécénat de solidarité encore que je me méfie de ces distinctions parce qu’il y a ce qu’on appelle le mécénat

croisé qui touche quantité d’actions que l’on classe parmi les actions de solidarité alors qu’elles visent un objectif exclusi-vement culturel, pour les handicapés, les personnes âgées, etc. Je suis président d’Admical mais je fais partie de quelques fondations : la fondation du Crédit Agri-cole, la fondation La Poste et d’autres. Dans aucun de ces cas on a remis en cause ni le principe du mécénat, ni cet engagement à long terme, ni cette action évidente. Cela montre bien encore une fois que les entreprises se rendent compte que tout ce qui permet de donner du sens à leur action – créer du lien social à l’intérieur de l’entreprise et à l’extérieur – est quelque chose qui est aujourd’hui considéré comme important. À ce titre, le thème du développement durable pose bien la question d’un engagement sur le long terme…

C. T. – Tout comme à mes yeux, culture et démocratie ont partie liée, l’avenir du monde a besoin de citoyens « armés » pour affronter les défis de plus en plus complexes de la mondialisation. La culture peut évidemment les y aider. Penser un nouveau modèle de déve-loppement durable, c’est forcément s’appuyer sur la culture, sur toutes les cultures. La crise mondiale a au moins un effet positif : nous obliger à prendre conscience de la dimension internatio-nale, de la diversité, et de l’interdépen-dance de tous les problèmes. Dans ce contexte, l’action culturelle n’est pas un luxe, un supplément de jouissance, mais une nécessité pour tous les peuples et leur coexistence pacifique.

Propos recueillis par Jean-Pierre Saez Directeur de l’Observatoire des politiques culturelles

et Jean-Pascal QuilesDirecteur adjoint

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L’Observatoire – En quoi le ministère de la Culture est-il concerné par la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) ? Quelle est la conséquence de cette démarche sur son fonctionnement et sur ses rela-tions avec ses partenaires ?

Guillaume Boudy – Le ministère de la Culture et de la Communication est directement concerné par 16 mesures annoncées par le Conseil de moderni-sation des politiques des 12 décembre 2007 et 11 juin 2008. Ces réformes s’ar-ticulent autour de deux axes majeurs : le premier concerne la réorganisation de l’administration centrale qui doit permettre de repositionner les services sur leurs grandes missions stratégiques au service des patrimoines, de la créa-tion et de la diffusion ; le second vise à développer l’efficience des politiques culturelles grâce à une meilleure affir-mation des orientations stratégiques et une amélioration de nos capacités de pilotage.

L’ensemble de ces réformes reflète l’en-jeu qui commande, depuis le départ, la révision générale des politiques publi-ques au ministère de la Culture et de la Communication : doter la politique culturelle d’un ministère plus prospectif et davantage proactif pour mieux répon-

dre aux attentes des publics, des artistes et des professionnels. C’est à cette condi-tion que le ministère, dont nous fêtons le cinquantenaire cette année, sera capable d’anticiper les évolutions et d’investir dans l’avenir.

L’Observatoire – Avec l’appui de l’État et de leur propre initiative, les collec-tivités territoriales ont considérable-ment élargi leur intervention dans le domaine culturel durant les 30 derniè-res années. Elles assument aujourd’hui une grande part des responsabilités en matière culturelle. Quelles consé-quences le ministère tire-t-il de cette situation pour lui-même ?

G. B. – La situation actuelle du paysage culturel français est l’aboutissement d’un long processus historique qui a vu l’État développer son intervention d’abord seul, et ce pendant plusieurs siècles, avant d’être rejoint par les collectivités territoriales depuis quel-ques décennies. Le dispositif que nous connaissons aujourd’hui reste donc profondément marqué par cette tradi-tion de l’intervention publique dans les arts et la culture. C’est dans ce cadre que s’inscrit aujourd’hui le dialogue entre l’État, les collectivités territo-riales et les intervenants artistiques et culturels.

L’heure était venue de réfléchir collec-tivement aux modalités de préservation de ce modèle auquel beaucoup sont attachés. C’est le sens du dialogue qui a été ouvert dans le cadre du Conseil des collectivités pour le développement culturel et des Entretiens de Valois.

Je tiens ici à préciser que la question des rapports avec les collectivités territoriales est également un aspect important de la réflexion conduite actuellement par les DRAC dans l’élaboration de leur projet de service dont un chapitre important concerne précisément les modalités du dialogue avec les partenaires locaux.

L’Observatoire – Christine Albanel a réactivé, en 2008, le Conseil des collec-tivités pour le développement culturel. Qu’est-ce que le ministère attend du dialogue avec les collectivités territo-riales dans cette instance ? Quelle est la méthode de travail de ce Conseil et sur quels chantiers est-il appelé à travailler ?

G. B. – En matière de politiques cultu-relles, aujourd’hui, l’État intervient comme partenaire public aux côtés des collectivités territoriales. Sur le terrain, les collectivités locales attendent avant tout de l’État qu’il soit fédérateur, média-teur et régulateur.

Ministère de la Culture :

Le TempS DeS rÉfOrmeSEntretien avec Guillaume Boudy

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - débats | page 19

Afin de mener à bien les importantes réformes dans le domaine culturel, que cela soit dans le champ du patrimoine, de l’architecture, du spectacle vivant ou encore du secteur numérique, il est nécessaire que l’État et les collectivités territoriales puissent échanger réguliè-rement et librement. L’utilité du Conseil des collectivités pour le développement culturel réside dans cette concertation.

Des groupes de travail ont été créés dans le cadre de cette instance ; ils rassemblent les associations d’élus, le cabinet de la ministre de la Culture et des représentants des directions du ministère. Ils portent notamment sur la décentralisation des enseignements spécialisés, l’enseigne-ment supérieur de la culture, l’extension de la télévision numérique terrestre à l’ensemble du territoire fin 2011 et les réformes du champ patrimonial, avec, en particulier, le transfert de monuments aux collectivités territoriales.

L’Observatoire – Les DRAC ont été des aiguillons essentiels de l’aména-gement culturel et du développement culturel des territoires. Mais en quoi ont-elles fait évoluer la pensée du ministère de la Culture ?

G. B. – L’approche des services d’admi-nistration centrale et celle des DRAC sont étroitement complémentaires. L’atout majeur des DRAC est leur ancrage terri-torial sur l’ensemble du champ culturel. Leur position régionale leur permet de dépasser les cloisonnements disciplinaires qui caractérisent l’administration centrale et d’expérimenter concrètement les poli-tiques développées par le ministère. C’est pourquoi, j’attache une grand importance à ce que les DRAC transmettent régu-lièrement au ministère leur vision de la réalité des politiques conduites sur le terrain : leur éclairage est essentiel pour la conduite de nos politiques.

La qualité du dialogue à développer entre les deux niveaux administratif est une de mes préoccupations constantes. À ce titre, les DRAC sont représentées dans toutes les instances de réforme au

ministère et sont consultées sur tous les projets de texte susceptibles d’avoir une incidence sur la mise en œuvre des poli-tiques du ministère sur le territoire.

Je tiens à ajouter que les DRAC sont par ailleurs d’excellents terrains d’expéri-mentation : on l’a vu lors de la mise en œuvre de la LOLF. Elles ont donc aussi une contribution spécifique à apporter au chantier de la réforme de l’État.

L’Observatoire – Faut-il considé-rer que la décentralisation est un processus désormais achevé sur le plan institutionnel ou bien y a-t-il encore de nouvelles perspectives à envisager de ce point de vue ? Selon quelles règles du jeu et dans quels domaines le cas échéant ?

G. B. – La question aujourd’hui n’est peut être pas de savoir s’il est possible ou opportun de décentraliser de nouveaux secteurs d’intervention, mais plutôt de réfléchir à l’articulation des compéten-ces des différents niveaux de collectivités territoriales et de l’État. Les habitudes de sédimentation sont telles que l’on retrouve aujourd’hui 4 ou 5 niveaux de compéten-ces sur un grand nombre de projets. La décentralisation n’a pas toujours permis de clarifier les règles du jeu et cette clari-fication n’est parfois pas souhaitée par les acteurs locaux. L’impact des politiques culturelles et l’intérêt que leur portent les élus, quel que soit le niveau de la collec-tivité, ne favorisent pas cette rationalisa-tion. Cette question intéresse également les professionnels de la culture qui sont, d’une façon générale, plutôt favorables à un système préservant la diversité de leurs interlocuteurs et partenaires.

L’Observatoire – Les Entretiens de Valois ont rassemblé, pendant de longs mois, des professionnels du specta-cle vivant et leurs organisations, les collectivités territoriales et le minis-tère de la Culture. Qu’ont-ils révélé sur ce secteur ? Quel bilan tirez-vous de cet exercice de concertation ? En quoi peut-il aider le ministère dans son action à venir ?

G. B. – Les Entretiens de Valois ont permis à tous les interlocuteurs, aussi bien aux collectivités territoriales qu’aux professionnels, de s’accorder sur la néces-sité d’une réforme de la politique de l’État dans le spectacle vivant.

Cette concertation, que le ministère a engagée, n’a pas d’équivalent à ce jour : 235 participants, 60 contributions, 175 réunions, soit en tout 430 heures de débats, c’est tout de même inédit dans l’histoire de notre ministère ! La clôture des Entretiens de Valois a donné lieu à la remise d’un rapport à la ministre qui synthétise l’ensemble des échanges, débats, analyses et propositions d’amé-liorations qui ont marqué cette année de réflexion consacrée au spectacle vivant.

Les propositions du rapport s’articulent autour de trois axes : une rénovation de la gouvernance des politiques culturel-les, un effort de clarification et d’effica-cité des dispositifs d’aides publiques, une meilleure circulation des artistes et des œuvres. Ces axes constituent autant de chantiers qui sont d’ores et déjà ouverts : mise en place des conférences du spec-tacle vivant en région, ré-écriture des textes qui fondent les relations entre les partenaires d’établissements label-lisés, élargissement de notre politique du spectacle vivant à l’Europe et à l’in-ternational, création d’une plateforme d’observation du secteur.

Entretien avec Guillaume BoudySecrétaire général du ministère

de la Culture et de la Communication

Propos recueillis par Jean-Pierre SaezDirecteur de l’Observatoire des politiques culturelles

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LA rÉfOrme des éColes supérieures d’art : vers un nouveau partenariat pour les ColleCtivités territoriales1 ?

TrIBune

page 20 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - tribune

entretien avec Éliane Baracetti, Cécile Marie, Robi Rhebergen, Jacques Sauvageotpropos recueillis par Jean-Pascal Quiles directeur adjoint de l’observatoire des politiques culturelles

Le dossier des écoles supérieures d’art est particulièrement sensible. Dans le cadre du processus d’harmonisation européenne de Bologne, la procédure d’alignement vise à faire converger les diplômes des écoles supérieures d’art avec ceux de l’enseignement universi-taire des cursus Licence Master Doctorat (LMD). Une controverse s’est installée en réac-tion aux propositions de l’État concernant la transposition du processus de Bologne pour les écoles supérieures d’art. Les collectivités territoriales se sont, pour certaines, mises en ordre de marche malgré le fait que de nombreuses questions subsistent. Cependant, de grandes interrogations sont soulevées par les directeurs des écoles d’art et, également, par les enseignants qui y travaillent. Cette situation interroge fortement la construction des rapports entre l’État et les collectivités mais aussi la capacité des collectivités à engager de nouveaux partenariats. N’est-ce pas le moment de donner aux projets un nouvel élan artistique, de s’engager vers une autre dimension territoriale et de s’ancrer dans une vision européenne renouvelée ?

L’Observatoire – Comment les écoles d’art se sont-elles constituées sur le territoire ?

Jacques Sauvageot – Les écoles étaient, à l’origine, des regroupements d’amateurs autour d’artistes de notoriété nationale. L’architecture a, par la suite, été prise en compte et l’ensemble s’est structuré autour des professions du bâtiment. La plupart des écoles étaient donc territo-riales, à l’exception de quelques-unes qui, dans la tradition colbertiste de prise en charge par l’État de secteurs jugés d’inté-rêt national, ont été déclarées « nationa-les » et financées par l’État. C’est le cas, par exemple, de Nancy (bois et fer), de Limoges (céramique), d’Aubusson (tapisserie) ; Paris

occupant un statut particulier, au sommet de la pyramide, comme un passage obligé avant le prix de Rome…

L’Observatoire – Ceci explique-t-il pourquoi les écoles supérieures d’art (environ une soixantaine) sous tutelle du ministère de la Culture délivrent des diplômes nationaux, qu’elles soient nationales ou territoriales ?

Cécile Marie – Oui, c’est un héritage de l’histoire. Autrefois, les municipalités se chargeaient de financer l’artisanat (par exemple les ferronniers, les souffleurs de verre, les graveurs…) Mais progres-sivement, en un siècle, les écoles ont évolué vers la création contemporaine

et de plus larges pratiques artistiques tout en restant à la charge des munici-palités. Les écoles d’art sont issues des Académies des Beaux-Arts et sont liées à l’histoire d’un territoire. Elles sont devenues progressivement des écoles recrutant au niveau bac et ouvrant à un niveau d’enseignement supérieur. Elles ont gardé de leur histoire une relative autonomie dans leur organisation.

L’Observatoire – Les collectivités terri-toriales financent donc majoritaire-ment une partie de l’enseignement supérieur de l’art ?

Cécile Marie – Il est vrai que l’enseigne-ment supérieur est une compétence qui

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - tribune | page 21

devrait relever de l’État. Pourtant, dans les faits, ce sont les collectivités territo-riales qui assument cette compétence puisque seules les écoles nationales sont entièrement financées par l’État. Pour la cinquantaine d’écoles publiques supé-rieures qui restent, ce sont les collectivi-tés et les villes plus particulièrement qui financent à 85 % et plus ces écoles et leurs personnels.

Robi Rhebergen – En fait, il faut se référer à l’article L216-3 du Code de l’Éducation qui précise que les établissements d’ensei-gnement public des arts plastiques relè-vent de l’initiative et de la responsabilité des collectivités territoriales, à l’exception de certains établissements relevant entiè-rement de l’État et qui sont inventoriés par décret. Il s’agit de la reconnaissance d’une compétence territoriale historique. C’est une exception du système de l’ensei-gnement supérieur en France.

L’Observatoire – Quel est aujourd’hui la situation générale et le statut de ces écoles ?

J. S. – Certaines écoles ont été mena-cées de disparition : Cherbourg et Rueil-Malmaison par exemple (qui semblent toutefois reparties aujourd'hui sur de nouvaux projets) ; d’autres se créent (Biarritz). Monaco occupe un statut à part avec, cependant, des accords avec la France ; son système de fonctionnement est proche de celui des écoles françai-ses, même s’il n’est pas envisagé de créer un EPCC puisqu’il n’en existe pas dans le droit monégasque. Il y a une grande différence de statuts et de financements entre les écoles territoriales et les écoles nationales : les écoles nationales sont des établissements publics avec un personnel d’État alors que les écoles territoriales sont gérées essentiellement en régie municipale avec un personnel territorial. Le Fresnoy est une association ; l’école de la Martinique est un établissement public régional…

L’Observatoire – Ces écoles ont donc une histoire et une spécificité qui les distinguent des universités ?

C. M. – Oui, ces caractéristiques singu-lières sont aujourd’hui des acquis à conserver. On peut, à partir de là, imaginer des démarches originales échappant aux lourdeurs des grandes organisations. Cela en fait des labora-toires précieux qu’il serait regrettable de fondre dans le paysage universitaire. La vraie question est celle du statut de la connaissance dans nos sociétés. Les écoles d’art se focalisent sur la créa-

tion et la formation « à l’art par l’art », sur la formation des créateurs par une pédagogie d’accompagnement, et pas uniquement sur la progression des connaissances.

L’Observatoire – Le processus d’har-monisation européenne impose une réforme du système avec une date butoir, comment percevez vous cette évolution ?

J. S. – On parle de réforme alors que le « processus de Bologne » n’envisageait qu’une harmonisation. Dans le cadre de cette harmonisation européenne, c’est à chaque pays de définir la manière dont il la met en œuvre. Et nous avons l’impres-

sion, en France particulièrement, qu’il ne s’agit pas, dans la pratique, d’harmonisa-tion mais d’uniformatisation. En effet, étant donné que l’Université joue un rôle prépondérant dans les décisions, nous avons le sentiment qu’il y a là une occasion rêvée pour faire rentrer tout le monde dans le rang ! La date butoir pour le processus de Bologne est 2010 ; mais la France est en avance sur les autres pays européens, il n’y a donc pas lieu de se précipiter.

C. M. – L’harmonisation ne peut pas, effectivement, être confondue avec « uniformisation », ou « mise au diapason », voire « rationalisation ». Il ne s’agit pas de fusionner les écoles mais bien de penser la différence de chaque école, à travers son histoire et

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Robi Rhebergen est directeur développement culturel de Clermont Communauté. Il s’exprime au nom de l’association des Directeurs des affaires culturelles des grandes villes et agglomérations de France.

Éliane Baracettiest adjointe au Maire, déléguée à la Culture, Ville de Grenoble.

Jacques Sauvageot est directeur de l’école des Beaux-Arts de Rennes. Il s’exprime ici au nom de l’ANDEA, Association nationale des directeurs de écoles d’art.

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Cécile Marieest docteur en philosophie et critique d'art PEA à l'Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Marseille. Elle s'exprime ici en tant que Présidente de la CNEEA (Coordination Nationale des Enseignants des Écoles d’Art).

“Cela en fait des laboratoires précieux qu’il serait regrettable de fondre dans le paysage universitaire. La vraie question est celle du statut de la connaissance dans nos sociétés.” (C. Marie)

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page 22 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - tribune

son projet. Au fond, il y a là un enjeu démocratique et culturel : on souhaite adapter les écoles à la réalité des grands marchés internationaux. Comment le faire sans asphyxier le vivier des écoles, sans trop réduire le nombre des jeunes artistes et le bouillonnement d’idées qu’apportent ces multiples regards ? On n’étonnera personne en rappelant la place misérable qu’occupe l’ensei-gnement artistique dans le secondaire. Croit-on qu’en affaiblissant encore les lieux de formation à l’art, nous crée-rons les conditions d’un réel épanouis-sement ? Il convient, à nos yeux, de construire avec prudence des réseaux d’écoles capables de former des projets communs, de saisir les opportunités et de mettre en pratique des démar-ches inventives et innovantes. Rien ne serait plus dommageable qu’un rassem-blement forcé au service d’un modèle unique.

L’Observatoire – Le processus de Bolo-gne, bouscule donc le système de fonctionnement très hétérogène des écoles d’art mais aussi les pratiques pédagogiques…

J. S. – En France, le ministère de la Culture n’a pas la volonté de défendre la spécificité des enseignements dont il a la responsabilité ; il s’en remet totalement aux attentes (ou à ce qu’il croit être les attentes) du ministère de l’Enseignement supérieur concernant le processus actuel d’évolution des écoles d’art. C’est pour-quoi il a proposé à l’AERES2 d’adopter une démarche commune pour définir dans quelle mesure le DNSEP3 pouvait être agréé. L’AERES est une agence « indé-pendante », qui donne des avis ; mais, dans les faits, la pratique montre que la direction des enseignements supérieurs s’est toujours ralliée à l’avis énoncé par l’AERES ; d’où l’importance pour nous de l’avis d’agrément du DNSEP au grade de Master. Les conditions énoncées par l’AERES font référence au fonctionne-ment classique des universités : c’est-à-dire des matières indépendantes les unes des autres avec une appréciation pour chacune, des enseignements théo-

riques qui doivent se rapprocher de ceux des universités, un jury constitué d’une majorité de docteurs, un mémoire qui respecte les critères en vigueur dans l’en-seignement supérieur… C’est sans doute ce dernier point qui soulève le plus de réactions car la singularité et l’originalité de nos formations (la création plastique) ne semblent pas du tout prises en compte. D’autres secteurs revendiquent également que l’on prenne en compte leur spécifi-cité, comme l’illustre la bataille actuelle des grandes écoles, les mouvements dans le secteur des sciences humaines et dans bien d’autres domaines de l’enseignement supérieur ! Il ne s’agit pas pour nous d’une opposition à l’université mais du refus d’un certain type de modèle universitaire, unique. Les UFR d’arts plastiques s’y sont opposés de la même façon !

C. M. – À buts différents, pédagogies différentes ! L’école d’art réinvente sans cesse ses contenus, ses formes, ses modes de fonctionnement. Il n’y a pas de primauté du théorique sur la praxis. C’est pourquoi l’ensemble des prescriptions énoncées par l’AERES ont provoqué des réactions qui dénoncent la volonté d’un alignement sur un modèle universitaire très académique, au détriment de la pratique et de la création.

Éliane Baracetti – L’école d’art ne peut pas fonctionner comme une université. Les directeurs et les enseignants sont à juste titre inquiets quant à la prise en compte

de la spécificité des écoles d’art fondée sur l’interdépendance entre la théorie et la pratique. C’est ce qui les différencie des universités. La plupart des enseignants sont d’ailleurs des artistes et cela a produit des résultats remarquables.

L’Observatoire – Y a-t-il un position-nement uniforme du côté des écoles d’art ?

J. S. – Non, il y a, et c’est compréhen-sible, une diversité de positions. Il y a, par exemple, le point de vue de ceux qui restent très extérieurs au processus de Bologne et qui ont une conception du réseau peu affirmée, pensant que chaque école trouvera sa solution. D’autres pensent que le processus de Bologne, avec tout ce qu’il induit en termes d’éva-luation ou de normalisation, engage les écoles d’art dans une logique dans laquelle il ne faut pas entrer. D’autres encore considèrent qu’il y a trop d’éco-les et qu’il en faudrait moins (il s’agit là d’une position minoritaire, au moins sur le plan de son affirmation publique !). Il y a ceux qui pensent que l’on peut discu-ter et que l’on sera écouté… Une unité sur un certain nombre de points peut exister, et nous travaillons actuellement à trouver ce terrain d’entente.

L’Observatoire – Est-ce que cette évolu-tion ne soulève pas avant tout une question de politique territoriale et une prise de conscience des élus ?

“Dans le cadre de cette harmonisation européenne, c’est à chaque pays de définir

la manière dont il la met en œuvre. Et nous avons l’impression, en France particulièrement, qu’il ne s’agit pas,

dans la pratique, d’harmonisation mais d’uniformatisation.” (J. Sauvageot)

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - tribune | page 23

R. R. – Je pense, en effet, qu’il faut tenter de distinguer dans quel champ se situe la réforme. Est-ce uniquement dans le champ professionnel et artistique ou bien est-ce qu’on se situe aussi dans le champ institutionnel ? Pour ma part, il me semble que nous sommes dans le champ institutionnel lorsque nous nous interrogeons sur le fait de savoir si l’école territoriale souhaite délivrer un diplôme national. C’est aux collectivités de dire si elles souhaitent s’inscrire dans ce processus en donnant une autono-mie aux établissements et une pédago-gie homologuée. Le problème est que, d’une manière générale, les discussions se sont essentiellement déroulées entre le ministère de la Culture, les direc-teurs des écoles d’art et les associations professionnelles des directeurs et profes-seurs. Par exemple, lorsque les recom-mandations de l’AERES ont soulevé un tollé, certains directeurs ont écrit à la ministre de la Culture en leur nom. On peut légitimement se demander si les maires des villes concernées auraient signé ces lettres en l’état ? Il en résulte une faible prise de conscience politi-que car il n’y a jamais eu de réunion au ministère avec les élus responsables des collectivités concernées, soit la cinquan-taine de collectivités qui ont une école diplômante. Les consultations se sont faites par le biais de quelques fédéra-tions d’élus. La dimension politique est d’autant plus importante que la création d’EPCC nécessite le partenariat avec une autre collectivité, ainsi que l’évolution de la régie directe vers un établissement public autonome.

L’Observatoire – Comment recevez-vous les recommandations formulées au travers de la circulaire du minis-tère de la Culture ?

C. M. – Nous n’avons pas actuellement de pilotage national et nous n’avons aucune clarification de la façon dont l’État compte assumer un enseignement supérieur artistique accessible à tous sur l’ensemble du territoire… Ce désenga-gement de l’État se manifeste également par un financement au coup par coup des

projets, par l’incitation au financement émanant d’entreprises privées… On assiste à la primauté de la rationalisation4

sous couvert d’harmonisation et ce, sans pilotage national. C’est encore aux villes d’assumer la montée en puissance des outils de gestion à mettre en œuvre… À l’instar du ministère de l’Enseignement supérieur pour les universités, le ministère de la culture devrait affirmer son propre rôle et son indépendance pour ce qui concerne les enseignements supérieurs artistiques et culturels.

L’Observatoire – Quelles orientations attendriez-vous ?

C. M. – Un moratoire permettant de (re)penser et de (re)poser l’ensemble des problèmes. En premier lieu, il faudrait redéfinir la politique de l’État pour l’ensei-gnement supérieur en tenant compte du rôle historique des collectivités. Première hypothèse : que l’État assume la totalité de la tutelle pédagogique et financière et que le ministère de la Culture assume véritablement ses responsabilités. Il est indispensable de clarifier le rôle récipro-que des différents partenaires et leurs compétences. Nous ne voulons pas d’une réponse qui soit unique, homogène sur tout le territoire mais qui tienne compte de l’histoire, du contexte, des possibilités locales, autrement dit de l’existant. Les structures en place sont très compétentes et l’on pourrait considérer qu’il faut les manier avec délicatesse. Quant à la charge financière, elle devrait être répartie entre les acteurs locaux et l’État.

L’Observatoire – De leur côté, comment réagissent les collectivités territoriales et les élus locaux ?

É. B. – Il y a diverses manières de considérer les réformes : soit prendre en compte leur aspect positif, relever ce qu’elles portent en termes d’améliora-tion, prendre en compte leur « valeur ajoutée » ou alors adopter une attitude de crispation et de résistance. Ma posi-tion est de choisir le mouvement et le meilleur, tout en restant vigilante sur les conséquences pratiques de mise en

œuvre de cette réforme qui s’effectue dans un calendrier particulièrement contraint et sur son impact financier.

R. R. – C’est un choix qui appartient aux collectivités territoriales : elles choi-sissent librement si elles veulent ou non une école diplômante. Selon les situa-tions, certaines vont peut-être décider de ne plus avoir d’école diplômante et c’est ce qui inquiète particulièrement les enseignants de ces écoles, d’autres vont décider d’évoluer vers un disposi-tif reconnu dans les cadres européens. D’une manière générale, les collectivités sont en train de se donner les moyens d’évoluer dans le cadre de cette réforme et souhaitent s’inscrire de ce fait encore davantage dans cette dynamique euro-péenne que la plupart avaient déjà amor-cée. L’enjeu majeur des écoles est d’affir-mer leur attractivité en France comme

rapport d’information n° 458 (2007-2008) de Catherine morin-Desailly, fait au nom de la commission des affaires cultu-relles, déposé au Sénat le 9 juillet 2008.

la loi de décentralisation d’août 2004 visait,

en partie, à clarifier le rôle des collectivités

et le financement apporté à l’enseignement

artistique. où en est-on de l’application de

cette réforme ? Catherine Morin-desailly

dresse un bilan de la situation afin d’identifier

les principaux facteurs de la « panne »

constatée dans la mise en œuvre de la loi

et avance des propositions afin de sortir de

l’impasse. si cette réforme est aujourd’hui

délicate à orchestrer, elle est perçue comme

indispensable afin de consolider la rénovation

des enseignements artistiques.

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page 24 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - tribune

en Europe afin que les étudiants puissent circuler et faire leur parcours pédagogi-que comme ils le souhaitent.

L’Observatoire – Est-ce que les collec-tivités territoriales sont prêtes à s’en-gager plus avant ?

R. R. – Il y a davantage d’inquiétudes du côté des écoles que du côté des collectivi-tés qui, elles, semblent parfois être plutôt enthousiastes, notamment en Bretagne ou en Rhône-Alpes. C’est aussi le cas à Clermont-Ferrand, ou encore à Orléans où la démarche est volontariste. Il y a des collectivités qui ont réfléchi depuis longtemps à cette question et qui vont donner de nouveaux moyens pour déve-lopper leur école supérieure d’art !

É. B. – Je ne veux pas préjuger de ce qui se passe ailleurs et en témoigner mais, en Rhône-Alpes, les élus ont été amenés à échanger à plusieurs reprises sur cette question de la réforme. Je dirais que la Région a pu accompagner et soutenir le maillage artistique, culturel et pédago-gique – au sens large du terme – de son

territoire grâce à son dynamisme et à sa profonde implication intellectuelle et culturelle. Je pense qu’il se passe quelque chose d’extrêmement intéressant dans cette région. En ce qui concerne Greno-ble, nous voulons une école supérieure d’art et c’est pour nous un atout que nous souhaitons conjuguer avec l’École du Magasin, l’Université (qui est très performante) et le musée de Grenoble.

L’Observatoire – Comment s’articu-lent les relations entre les collectivités et l’État en région ?

É. B. – En Rhône-Alpes, nous avons choisi la concertation ainsi que des moda-lités de travail qui s’effectuent entre les cinq collectivités locales en charge d’une école d’art et la Région ; ce qui, somme toute, n’est que le prolongement d’une pratique commune de travail menée depuis de nombreuses années. L’objectif est de produire les éléments permettant à l’État d’élaborer son schéma régional tout en s’affranchissant d’une relation trop bilatérale entre chaque ville et l’État. Au « chacun pour soi » et au risque de

cannibalisation entre les divers établis-sements induit par le rythme soutenu de mise en œuvre de la réforme, nous avons préféré une vision globale et géné-rale du territoire. Je dois souligner à ce sujet que l’engagement des professionnels en Rhône-Alpes a été complet et que leur travail, au sein de l’association ADERA5 sera sans doute prometteur.

L’Observatoire – L’autonomie juridi-que est aujourd’hui nécessaire à la délivrance des diplômes. On avance-rait donc vers la transformation en EPCC des écoles municipales ?

C. M. – Le passage, sous couvert d’auto-nomie, des écoles d’art au statut d’EPCC consacre pour nous le désengagement financier de l’État dans le secteur de la culture et confirme la tendance à la priva-tisation de la culture puisque les écoles devront trouver des revenus par elles mêmes afin d’équilibrer leur budget.

J. S. – Les discussions actuelles sur « l’autonomie » portent trop sur les structures de gestion et pas assez sur la

“À buts différents, pédagogies différentes ! L’école d’art réinvente sans cesse ses

contenus, ses formes, ses modes de fonctionnement. Il n’y a pas de primauté du théorique sur

la praxis.” (C. Marie)

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pédagogie spécifique aux écoles d’art. Par ailleurs, il n’y a pas dans les faits de structure unique établissant l’autono-mie demandée : les écoles de commerce ont des statuts très différents selon les cas… Quant aux modes de gestion, on peut s’interroger sur la mise en œuvre d’EPCC compte tenu de multiples inconnues On ne sait pas, par exemple, si l’État s’engagera dans les EPCC. Une disparité risque de s’installer entre les régions ou les collectivités car, de fait, les écoles d’art sont dans des situations très diverses.

L’Observatoire – Le statut en EPCC des établissements va cependant donner au directeur un nouveau pouvoir ?

R. R. – Le directeur devient responsable de la délivrance du diplôme à la place du préfet de région qui le délivre actuelle-ment. C’est le grand changement lié à la réforme. Le directeur, dans le cadre d’un EPCC, aura un rôle profondé-ment modifié. Il ou elle sera le véritable patron ce qui, pour les fonctionnaires, tout comme pour les élus, est presque en contradiction avec leur statut.

J. S. – Oui, mais quelles seront nos marges de manœuvre avec un conseil d’administration qui décide de tout ce qui est important ? Qui va réellement piloter ? Nous avions une autonomie de fait, même dans le cadre d’une gestion en régie (contrairement à ce que l’on peut ou veut faire croire), et nous souhai-terions, dans une autonomie de droit, retrouver notre autonomie de fait.

L’Observatoire – Le regroupement des écoles est très présent dans les recommandations de l’État, peut-on le mettre en œuvre et comment ?

É. B. – Il s’agit plutôt de réfléchir à un paysage global et à un vrai dispositif. Pour pouvoir juger de ce dispositif possible et de l’équilibre qu’on pourrait en attendre, nous avons proposé à l’État une forme d’audit ou d’expertise même si je n’aime pas bien ce mot. C’est donc l’ADERA

qui réalisera cet état des lieux afin de

répondre à un certain nombre de ques-tions sur nos écoles : quel est leur terrain de compétences ? quelles sont leurs spéci-ficités ? comment peuvent-elles travailler ensemble ? quelles sont leurs complé-mentarités, etc. ? Dans ce sens, afin de construire un dispositif spécifique pour Rhône-Alpes, nous avons écrit une lettre au Préfet de Région, signé par le Prési-dent de la Région Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, et par les maires des cinq villes concernées : Lyon, Saint-Étienne, Grenoble, Valence et Annecy. Nous avons ainsi informé l’État que nous souhaitions, cette étape intermédiaire, qui est propre à notre région, afin de prendre le temps de mettre en œuvre notre dispositif.

R. R. – C’est pour nous la seconde ques-tion après celle du surcoût induit par la réforme. C’est un problème que d’ajouter aux contraintes déjà évoquées, l’impératif du regroupement territorial des écoles. Cette question est avant tout une ques-tion politique, car comme je l’ai indiqué, il s’agit d’une compétence des collectivités et non pas de l’État. L’enjeu est pour nous de réussir, d’ici janvier 2010, à garantir à tous les étudiants le diplôme DNSEP

d’un niveau Master et non pas celui de boucler à la hâte l’aménagement du territoire. Cette question aurait dû être réglée par le passé ou être portée à l’ave-nir. Aujourd’hui il faut surtout trouver des partenaires et dans la mesure où les Régions semblent se profiler comme des partenaires naturels, il faut également garder le regard sur le calendrier. Début 2010 il y a les élections régionales. Il faut que les choses soient décidées avant le renouvellement des assemblées, sinon ce sera parti pour un tour. Or, imaginez que l’on doive engager de telles concertations complexes telles que voulues par l’État, qui n’en avait jamais parlé avant, territoire par territoire – comment boucler alors les projets avant fin 2009 ? Pour sortir de cette impasse, nous avons revendiqué, lors d’un rendez-vous avec Jérôme Bouët, que seuls les critères d’autonomie et de mise en conformité de l’école avec les critères de l’AERES prévaudraient dans un premier temps.

Au ministère, il nous a été a répondu qu’il y avait un recul par rapport à l’annexe de la circulaire, effectivement trop prescriptive sur ce point de l’amé-

“Les collectivités sont en train de se donner les moyens d’évoluer dans le cadre de cette réforme et souhaitent s’inscrire de ce fait encore davantage dans cette dynamique européenne que la plupart avaient déjà amorcée.

L’enjeu majeur des écoles est d’affirmer leur attractivité en France

comme en Europe.” (R. Rhebergen)

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nagement du territoire. Il nous a été affirmé qu’il fallait s’en tenir aux bases de la circulaire, la priorité étant bien la mise en conformité des enseignements en phase avec l’AERES et l’autonomie juridique des écoles.

É. B. – L’intérêt pour tous est de sortir par le haut, c’est le projet artistique, péda-gogique et culturel qui doit primer. Nous devons entrer dans cette réforme par les finalités et non par les moyens. Il en va de même pour la date butoir de 2010, c’est le fond qui compte si nous voulons répondre à l’ambition de la réforme.

J. S. – On nous propose des regrou-pements d’écoles, mais sur quelles bases et avec quel projet général et pédagogique ? Le regroupement systé-matique tel qu’il est proposé se fait en réalité dans une logique unique de gestion : on obtient un financement et on se débrouille. Je crains un enga-gement financier minimum, voire un désengagement de l’État qui souhaite cadrer avec les objectifs de la RGPP 6. La référence à de nouveaux modes de financements, notamment privés, va dans ce sens. Cependant, il est vrai que des mises en réseaux visant à une meilleure proposition territoriale sont déjà en route depuis quelque temps en Rhône-Alpes ou en Bretagne.

C. M. – Plutôt que de constituer des établissements au coup par coup qui vont se retrouver dans une situation concurrentielle, il vaudrait mieux avoir une réflexion nationale et régionale pour prendre en compte l’ensemble des enjeux pédagogiques. C’est le contraire qui s’opère, une dérégulation, une mise en concurrence, une vague d’habilita-tion qui risque de provoquer un décro-chage entre les écoles nationales et les autres et de grandes disparités terri-toriales. La volonté de regroupement des écoles relève de l’idée qu’une plus grande spécialisation et une plus grande

concentration permettra de constituer des pôles plus performants. Il va de soi que cette idée comporte des a priori. Il semble, pour ceux qui la défendent, que des « pôles d’excellence » permettront aux jeunes artistes d’être au contact de professeurs plus prestigieux qui leur assureront une meilleure intégration dans le milieu professionnel de l’art, particulièrement le milieu des galeries et foires internationales où chacun sait que les artistes français ont peine à briller. Ce que l’on peut gagner de ce côté se traduira inévitablement par un nombre moins grand d’étudiants dans la filière art, par un glissement vers la professionnalisation des formations au sens étroit du terme.

L’Observatoire – Pensez-vous que l’en-trée dans ce nouveau dispositif entraî-nera des dépenses supplémentaires pour les collectivités et l’État ou, au contraire, des économies d’échelle ?

R. R. – Les directeurs des affaires cultu-relles ont rencontré récemment le cabinet du ministre avec trois questions majeures pour ceux qui souhaitent entrer dans ce dispositif : le surcoût et son éventuelle compensation, le regroupement terri-torial des écoles et enfin le devenir des pratiques amateurs. En ce qui concerne le surcoût de la mise en conformité avec les propositions de la réforme, celui-ci est lié à la mise en autonomie de l’école par le passage en EPCC, par la revalo-risation du statut des professeurs et par la mise en œuvre des préconisations fixées par l’AERES : ouverture sur l’Eu-rope et l’international, développement de la recherche… En ce qui concerne la revalorisation du statut des enseignants, l’État a proposé, en 2002, celle des écoles nationales directement placées sous son contrôle. Pour le moment, la revalori-sation ne s’est pas encore répercutée au niveau territorial mais des négocia-tions et des accords sont en cours. Nous allons entrer dans la phase d’application et cela fait partie des revendications sur lesquels les syndicats se sont mobilisés. Les collectivités devront suivre. Alors, est-ce que l’État est prêt à financer le surcoût avec les collectivités territoria-les ? D’après nos informations, le minis-tère à prévu des budgets projet par projet, ce qui constitue une reconnaissance du surcoût et qui révèle une disponibilité de moyens. Cependant, l’État pense que le regroupement va provoquer des écono-mies d’échelle ce qui est, à notre avis, une appréciation erronée de la situation. Même si il y a des économies à faire, elles ne seront pas suffisantes pour financer les surcoûts.

J. S. – On sait très bien que les regroupe-ments ne se traduiront pas par des écono-mies d’échelle mais par des surcoûts et, dans la pratique, on peut craindre que le ministère se désiste. Quels seront alors les autres partenaires financeurs ? On

“Au « chacun pour soi » et au risque de cannibalisation entre

les divers établissements induit par le rythme soutenu de mise en œuvre de la réforme, nous avons

préféré une vision globale et générale du territoire.” (É. Baracetti)

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - tribune | page 27

pressent que la logique gestionnaire vienne en lieu et place de la logique de projet. En Bretagne, les quatre écoles pourraient être en réseau sans surcoût significatif ; avec un EPCC intégrant la gestion de quatre établissements, le coût sera plus important : il faudrait six ou huit postes strictement consacrés à la gestion, qui se trouverait par là même renforcée au détriment des projets, du pédagogique et du culturel. Et puis le lien direct à la collectivité serait rompu, ce qui déresponsabiliserait la collectivité et créerait une réelle distance !

L’Observatoire – Comment voyez vous le rôle des écoles supérieures d’art sur votre territoire ? Quel rôle jouent ou doivent jouer, selon vous, les écoles d’art du point de vue des territoires, de l’action culturelle, de l’éducation artistique et des pratiques amateurs ?

J. S. – La mission des écoles d’art est d’abord une mission d’enseignement supérieur et c’est ce que soulignent parfois les collectivités locales lorsqu’el-les se plaignent de prendre en charge ce qui devrait être du ressort de l’État. On pourrait toutefois argumenter en disant que les écoles d’art sont néanmoins des outils puissants d’attractivité et de rayonnement de la ville (à Rennes, peu d’étudiants sont originaires de la ville, ils proviennent pour un tiers de Breta-gne et tous les autres – les deux tiers ! – viennent de l’extérieur. Et, localement, cette mission n’est pas contradictoire

avec un accompagnement ou une dyna-misation des pratiques amateurs. Une école est profondément ancrée sur son territoire et rayonne bien plus qu’une université.

R. R. – Nous avons particulièrement insisté sur la question des pratiques amateurs sur laquelle le ministère de la Culture ne souhaite pas intervenir. Or, elles sont souvent présentes au sein de ces écoles et parfois dans des proportions très importantes. Comment vont-elles être prises en compte dans le cadre de cette transformation en EPCC ? On voit mal des partenariats s’engager sur les mêmes bases pour les pratiques amateurs et l’enseignement supérieur, par exem-ple avec la Région. C’est donc une ques-tion pour les collectivités territoriales de situer la place des activités amateurs dans le projet : quel est son rôle pour l’école dans son environnement et pour la vie artistique en général ?

C. M. – Les écoles d’art ont aujourd’hui une mission d’enseignement supérieur. La reconnaissance acquise du DNSEP au grade de Master en témoigne. Mais l’art ne s’enferme pas entre des murs. L’art contemporain alimente diffé-rents champs de connaissance et a un effet sur les pratiques sociales. C’est la raison pour laquelle, sans préjuger du rôle d’animation et de diffusion qu’elles peuvent avoir, les écoles sont des lieux de rencontres en prise sur la vie des villes et des régions qui les abritent.

Elles irriguent un territoire par leur rayonnement local, mais aussi natio-nal et international par les offres de formation, de création et de recherche, par les partenariats institués… L’école sur un territoire, dans des villes petites ou moyennes est parfois le seul vecteur d’éveil à l’art contemporain !

1– Merci à Thomas Kocek, directeur de l’école d’art de Grenoble pour sa précieuse contribution à la préparation de cet article.2– Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.3– Diplôme national supérieur d'expression plastique.

4– cf. http://www.senat.fr/rap/a08-100-31/a08-100-314.html5– Association des directeurs des écoles supérieures d'art de Rhône Alpes qui regroupe Lyon, Annecy, Saint-Étienne, Valence, Grenoble.6– Révision générale des politiques publiques (NDLR)

La réforme des écoles supérieures d’art : vers un nouveau partenariat pour les collectivités territoriales ?NOTES

Agence danse musique théâtre rhône-Alpes, Collection Clef de 8, 2007, 224 p., 30 €dans cet ouvrage, préfacé par rené

rizzardo, l’aMdra (l’agence danse musique

théâtre rhône-alpes) dresse un état des

lieux des enseignements artistiques dans

les politiques culturelles territoriales en se

penchant sur la région rhône-alpes. les

lois de décentralisation depuis 1982 ont

changé la donne. l’étude montre comment

ces textes législatifs ont permis d’installer

les enseignements d'éducation artistique

au cœur des débats sur les évolutions des

politiques culturelles des collectivités.

LA DÉCenTrALISATIOn DeS enSeIGnemenTS ArTISTIQueS : muSIQue, DAnSe, ArT DrAmATIQue

Propos recueillis par Jean-Pierre QuilesDirecteur adjoint de l’Observatoire

des politiques culturelles

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piéMont et pays-basque : regards sur deux observatoires en europe

Le débat sur l’évaluation et l’observation culturelle des années 1980 et 1990, les travaux impulsés par le Conseil de l’Europe sur l’évaluation des politiques culturelles ainsi que des problématiques nationales, ont favorisé la création d’observatoires culturels dans plusieurs pays d’Europe.

La Lombardie fut ainsi la première collec-tivité à se doter d’un observatoire, rapide-ment suivie par d’autres régions italien-nes. De même en Espagne, au Portugal, en Hongrie, en Belgique ou encore en Grande-Bretagne, des observatoires thématiques ou généralistes ont vu le jour sur des échelles territoriales diverses1.

Souvent en lien avec des universités, ces observatoires possèdent des statuts et des missions très variés. Pour ce numéro de L’Observatoire, nous avons interrogé les responsables de deux structures afin d’ap-préhender la diversité des situations régio-nales et d’identifier quels sont les enjeux de l’observation culturelle aujourd’hui. En effet, à l’heure où les demandes d’éva-luation des pouvoirs publics ne cessent de croître (dans le domaine culturel comme ailleurs), les observatoires ont un rôle clé à jouer qui passe notamment par le déve-loppement de leurs échanges à l’échelle européenne.

COmmenT eST nÉ L’OBServATOIre Que vOuS DIrIGez ? QueLLeS SOnT LeS rAISOnS De SA CrÉATIOn ?

Luca Dal Pozzolo, directeur de l’Obser-vatoire culturel du Piémont2, vice-prési-dent de la Fondazione FitzcarraldoL’Observatoire culturel du Piémont est né, en 1998, pour répondre à l’absence de données concernant le domaine de la culture. Le rôle important joué par

les fondations créées par les banques rendait, en particulier, nécessaire la production d’un panorama fiable des ressources et des institutions culturelles du territoire par une structure indépen-dante des pouvoirs publics.

Lurdes Aranguren, responsable de l´Observatoire basque de la culture3.L’Observatoire basque de la culture a été imaginé dans le cadre de la préparation du plan stratégique en faveur de la culture basque pour les années 2004-2015, sous la direction du Conseil basque de la culture et de sa commission interinstitutionnelle permanente. Ce plan soulignait le besoin « d’établir un système d’information et de suivi systématique de la situation et de l’évolution de la culture dans la commu-nauté autonome basque, et de réaliser des plans stratégiques par secteurs et des études de situation ».

La mission de l’observatoire consiste à organiser, valider et générer de l’infor-mation sur le champ culturel, et à analy-ser les aspects généraux, sectoriels et territoriaux de la culture prise dans son acception la plus large. Ceci se traduit par plusieurs fonctions :• un service de coordination qui fait circuler l’information culturelle entre les différentes administrations basques ;• un rôle de conseil à travers la réalisa-tion d’études spécifiques ;• un outil pour observer et évaluer le plan lui-même ;

• un outil pour débattre de l’état des lieux et des changements dans la culture basque dans ses aspects les plus larges.

QueL eST vOTre ChAmp D’InTervenTIOn ? QueLLeS SOnT vOS prInCIpALeS mISSIOnS ?

Luca Dal PozzoloL’Observatoire culturel du Piémont possède trois missions principales. Tout d’abord, il doit délivrer une « informa-tion-cadre » sur le monde de la culture (patrimoine, musées, spectacle vivant, cinéma, industries culturelles, TIC, bibliothèques), en termes de ressources, d’économie, de publics, d’efficacité des politiques culturelles, d’évolution des pratiques, de nouveaux défis pour les acteurs, etc. Ensuite, l’Observatoire a pour objectif de produire des données qui permettent de comparer la situa-tion du Piémont avec d’autres territoi-res régionaux en Italie et en Europe. Enfin, l’Observatoire tente de proposer des scénarios fiables pour les différents acteurs culturels.

Lurdes ArangurenLe projet d’observatoire que nous avons lancé au Pays Basque a exigé une vaste réflexion sur sa définition, ses fonctions, son positionnement et ses objectifs. Dans tous les cas, nous avons opté pour l’innovation, la production

OBServATIOn CuLTureLLe en rÉGIOn

page 28 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - observation

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de connaissance, la qualité et l’utilité, plutôt que pour la quantité d’infor-mation. L’observatoire couvre tous les champs traditionnels de la culture : du patrimoine aux industries culturel-les en passant par les diverses formes d’expression artistique, y compris les formes d’expressions nouvelles ou multidisciplinaires rendues possibles par les technologies de communica-tion globale. Il s’intéresse également à toutes les étapes de la « chaîne création-production-diffusion » de l’art et de la culture, ainsi qu’aux comportements et pratiques culturelles des habitants pour analyser les phénomènes de réception de l’art dans la société et les change-ments sociaux. Enfin, pour des raison évidentes, l’observatoire accorde une attention particulière à la question du rôle, de la performance et de l’utilisa-tion de la langue basque dans la produc-tion et dans les pratiques culturelles.

C’est à partir de tous ces éléments que nous avons élaboré notre propre struc-ture de production de statistiques, avec des indicateurs de base permettant d’apporter des connaissances, d’éta-blir des comparaisons et également de diffuser l’information, notamment pour collaborer avec d’autres observatoires. Cependant, nous considérons que l’ob-servatoire n’est pas un simple dispositif technique mais plutôt l’instrument d’un projet culturel beaucoup plus vaste dans lequel le système d’information est un agent actif, participatif et réflexif, impli-qué dans la réalité à étudier.

QueLS SOnT, SeLOn vOuS, LeS enjeux De L’OBServATIOn CuLTureLLe AujOurD’huI?

Luca Dal PozzoloL’observation culturelle est confrontée à de multiples enjeux :• produire une interprétation qui reflète la complexité des questions culturelles et soit en même temps lisible par les élus (en essayant d’échapper à ce paradoxe!) ;• proposer des suggestions pour la prise de décisions ;• évaluer préalablement les effets des politiques et des actions dans le domaine culturel ;• s’engager dans les processus de déci-sion et de gestion des institutions publi-ques, tout en défendant le point de vue le plus indépendant possible selon les situations ;• être reconnu comme un acteur stra-tégique par les opérateurs du secteur culturel ;• être au service des acteurs et des insti-tutions de la culture.

Lurdes ArangurenPlusieurs débats récents fixent des enjeux pour les politiques culturelles. Ainsi, la Convention internationale de l’UNESCO pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles propose d’accorder à la culture un rôle central pour un développement équitable basé sur le respect de la diversité. Ceci nous conduit à penser que l’un des enjeux majeurs pour les politiques culturelles est la « normalisation » du secteur, en

commençant par la définition de ses limites sur la base du respect des diffé-rentes réalités culturelles dans le monde. Ce processus implique notamment de concevoir des outils produisant des informations suffisantes sur le champ culturel pour comparer et mesurer son évolution.

Par ailleurs, la démarche des Agendas 21 de la culture4 se base sur trois thèmes principaux : capacité d’expression, acces-sibilité et participation. Les observatoires ont besoin de structurer des systèmes permettant d’analyser chacun de ces défis. La « question de l’expression », par exemple, doit être comprise comme le besoin de définir des indicateurs pour vérifier que les différentes formes d’ex-pression artistiques et créatives dispo-sent des canaux appropriés pour leur permettre de s’exprimer.

Pour résumer, il nous semble que la normalisation du secteur culturel avec la définition de ses limites, le fait de placer la culture au centre d’un modèle de développement, de respecter la diver-sité culturelle, de soutenir la connecti-vité globale, la capacité d’expression de toutes les formes artistiques, l’accès de tous à la culture et la participation des habitants, représentent les principaux enjeux auxquels les politiques culturelles doivent se confronter aujourd’hui.

Propos recueillis par Cécile MartinDirectrice des études,

Observatoire des politiques culturelles

1– L’Observatoire des politiques culturelles de Belgique est un service du Gouverne-ment de la communauté française (www.opc.cfwb.be) ; l’Observatoire de Budapest se consacre à l’économie de la culture dans les pays d’Europe de l’Est et d’Europe centrale (www.budobs.org)…2– http://www.ocp.piemonte.it3– http://www.kultura.ejgv.eusakdi.net/r46-19130/fr

4– L’Agenda 21 de la culture, adopté par l’organisation mondiale Cités et Gouverne-ments Locaux Unis (CGLU), est le premier document à vocation mondiale qui fait le pari d’établir les bases d’un engagement des villes et des gouvernements locaux en faveur du développement culturel. Cf. http://www.ben.es/cultura/agenda21/index_fr.htm

Piémont et Pays-Basque : regards sur deux observatoires en EuropeNOTES

l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - observation | page 29

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,La culture occupe de bien des façons une place essentielle dans la vie quotidienne des individus. les pratiques artistiques et culturelles connais-sent de très sensibles évolutions, tant en raison de l’appétence des jeunes générations pour les pratiques en amateur que du fait du développement de l’usage des technologies de l’information et de la communication ou du développement de l’offre artistique et culturelle proposée par les politiques culturelles, les industries culturelles et la société civile. l’art ne cesse de se pluraliser à travers l’émergence de nouvelles disciplines, de nouvelles formes esthétiques. les activités artistiques et culturelles occupent dans l’économie générale et la vie sociale une place désormais structurante en termes de richesse et d’emploi. la culture élargit les horizons des territoires et des populations, multiplie les connexions entre le local et le mondial, en passant par l’europe.

,Comment ces phénomènes s’inscrivent-ils dans une perspective de développement culturel durable ? en quoi participent-ils à l’épanouis-sement des individus, au vivre ensemble et à la diversité culturelle ? dans quels termes se pose aujourd’hui la question de l’accès à l’art et à la culture ? Comment les différentes formes de culture présentes dans la société entrent-elles en interaction ? quel rapport associe la culture à l’éducation, à l’économie, au social, à l’urbain ? quels sont les enjeux, les obstacles et les interrogations soulevés par ces relations transversales ? quelle place la société fait-elle à l’art et aux artistes ? Ces questions de fond sur les enjeux culturels de notre époque en appellent d’autres sur la gouvernance des affaires culturelles. autour de quelles règles du jeu faut-il recomposer l’action de l’état et des collectivités territoriales en faveur de la culture ? quelle est la responsabilité des acteurs culturels et de la société civile dans ce débat ? Compte tenu de ces questionnements, quel nouveau contrat pourrait associer état, pouvoirs locaux et acteurs culturels et quel sens convient-il de lui donner ?

,Le 20e anniversaire de l’Observatoire des politiques culturelles sera l’occasion de mettre en débat l’ensemble de ce questionnement sur les transformations de la culture et des politiques culturelles territoriales. dans cette perspective, l’opC, association nationale fondée sur le principe de la rencontre entre pouvoirs locaux et nationaux, professionnels de l’art et de la culture, société civile et monde universitaire et de la recherche, animera un ensemble de rencontres avec de multiples partenaires à travers la France et en europe : collectivités territoriales, services de l’état, réseaux européens et mondiaux, acteurs de l’art et de la culture, organismes professionnels, universités et laboratoires de recherche, fédérations d’élus sont ainsi associés aux rendez-vous proposés.

Toutes les informations sur : www.colloqueopc20ans.net

Le 20e AnnIverSAIre De L’OBServATOIre DeS pOLITIQueS CuLTureLLeS

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - dossier | page 31

DOSSIer

DeS rAppOrTS puBLIC/prIvÉ DAnS LA CuLTure

dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez

Mais l’approfondissement des difficultés laissent peu de répit à un secteur culturel qui connaît quant à lui une crise de croissance dans une insouciante euphorie. C’est alors que « la crise économique conduit partout à s’interroger sur l’économie des projets culturels. Va-t-elle amener les pouvoirs publics à réviser leurs modes d’intervention en matière de financement ou de réglementation ? Comment les responsabilités dans le financement des activités culturelles vont-elles se répartir entre le pouvoir central et les instances locales et régionales, entre le secteur public et privé, Quelle place peut prendre le mécénat, le sponsoring ? » C’est ainsi qu’Augustin Girard s’interroge dans son introduction aux ouvrages issus d’une conférence internationale tenue à Avignon en 1986 sur le sujet1. Impossible de ne pas relever l’étrange résonance de ces mots à la lumière d’aujourd’hui ! Lorsqu’on relit ces actes à distance, on s’aperçoit du double enjeu de ces rencontres : d’une part, il s’agit de souligner la dimension et la valeur économique de la culture, d'autre part il est capital de ne pas laisser penser qu’elle s’y réduit. Il faut dire qu’à l’époque, la connaissance économique du champ culturel est encore faible. Xavier Dupuis et François Rouet, qui coordonnent ces travaux, n’hésitent pas à pointer la « quasi-absence de la culture dans la pensée économique». Une partie du monde de la culture se sent heurté de plein fouet par ce débat. On se plaint que l’argent veuille imposer son règne dans un univers où… il a pourtant sa place.

Avec les années 80, une relation nouvelle s’impose dans le débat public, celle qui associe économie et culture. Tandis que la crise économique bat son plein, la France fait le choix d’apporter un soutien accru au champ culturel. Une situation paradoxale se crée alors : d’un côté, le vent de l’idéologie libérale qui souffle sur la pla-nète tend à imposer sa référence, de l’autre, les politiques publiques de l’État, déjà relayées par les collectivités territoriales, élargissent l’espace culturel soutenu par l’argent public.

p.31 : jean-pierre Saezintroduction

p.34 : jean-françois Aubyde l’utilisation des partenariats public-privé en matière culturelle

p.39 : Éric Baron, David Taron les Fonds de dotation, une opportunité au service de la philanthropie ?

p.42 : jean-michel Lucas pour la reconnaissance de l’économie créative solidaire

p.49 : philippe Berthelotéconomie sociale et solidaire : un terrain d’innovation pour les musiques actuelles

p.52 : Olivier moeschler le « pour-cent culturel Migros » en suisse ou « quand une entreprise privée joue les pouvoirs publics »

p.56 : Carla Bodo l’économie de la culture en italie entre public et privé

p.59 : françois Colbert Financement privé et intérêt public au Canada

p.62 : pascal Brunet, Laurence Barone partenariat public/privé : un changement de perspective

p.64 : Danièle Demoustier smart : un intermédiaire au service de la consolidation ou de la normalisation des pratiques culturelles ?

p.68 : jacques rigaud le mécénat d’entreprise

p.71 : fabienne huré le mécénat à l’épreuve des peurs, des croyances et des représentations

p.74 : françois-xavier Tramond les fantassins du mécénat culturel

p.77 : jean-michel Tobelem vers un système muséal à deux vitesses ?

p.80 : Bertrand Legendrepolitiques culturelles et salons du livre

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page 32 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - dossier

À vrai dire, la question n’est pas seulement de souligner les contraintes des budgets publics, mais aussi de faire prendre conscience qu’un projet culturel d’enver-gure répond à des exigences de manage-ment notamment du point de vue de la rationalisation des dépenses, mais aussi de communication, voire de marketing pour rencontrer un public plus vaste. La dynamique de la professionnalisation du secteur exige parallèlement la mise en place de nouvelles formations pour permettre le recrutement de nouvelles compétences. Le modèle qui se met en place repose sur le tryptique suivant : un service public de la culture renforcé, des industries culturelles appelées à occuper une place plus impor-tante et traversées par les premiers assauts de la mondialisation, une économie privée non marchande, c’est-à-dire n’ayant pas vocation au profit et dont l’association de loi 1901 constitue le modèle de base.

L’époque qui suit est aussi marquée au niveau international par une série d’étapes de négociation à travers le GATS, l’OMC, l’OCDE où la question est de savoir si la culture doit être traitée de manière excep-tionnelle ou comme toute autre marchan-dise… Dans les années 90, c'est toute l’Eu-rope qui est gagnée par l’esprit libéral. À l’est du continent, on se débarrasse du joug oppressant de l’État en faisant la part belle à la privatisation des activités culturelles. L'action des institutions européennes est aussi largement marquée par l'idée néo-libérale.

Cependant, les temps ont changé. Le paysage s’est complexifié. Les mentalités ont évolué. Le pragmatisme a fait son chemin. Les termes du débat sur la culture – considérons par exemple comment nous sommes passés de la thématique de l’excep-tion à celle la diversité culturelle – se sont renouvelés. La question n’est plus seule-ment de reconnaître la valeur économique de la culture. De cela, tous les acteurs du champ en sont désormais convaincus et ne manquent pas d'utiliser l’argument. Le débat n’est même plus de savoir s’il faut associer ou non moyens publics et moyens privés dans un projet culturel. Cela montre bien le chemin réalisé. Il est

plutôt de savoir comment le faire lorsqu’on souhaite préserver l’intérêt général dans les activités culturelles, du spectacle vivant à l’audiovisuel, du champ patrimonial à Internet. En Europe, la variété des situa-tions de gestion des affaires culturelles au niveau des différents États membres aboutit, au niveau communautaire, à l’ins-tauration de cadres d’action et de pensée différents de ceux qui servent de points d’appui au niveau national. Assurer une présence dans leurs instances d’élabora-tion, aux côtés des autres acteurs culturels européens, est donc un enjeu stratégique de première importance.

DeS TerrAInS DeCOOpÉrATIOn muLTIpLeS eT DeS eSpACeS

De COnfLIT

Lorsqu’on considère aujourd'hui les rela-tions public/privé dans la culture, elles répondent à différents registres relation-nels fondés sur la régulation, la dérégu-lation, la coopération, la contradiction, la complémentarité, l’évitement, l'hybri-dation. Le plus souvent, plusieurs de ces registres se combinent ensemble.

On pourrait donner bien des exemples d’accompagnement du secteur culturel privé par la législation : la loi Lang sur le prix unique du livre est à cet égard exem-plaire. Elle a incontestablement contribué à la préservation d’une librairie et d’une édition indépendantes. Toutefois, même cette loi, considérée pourtant comme une sorte de bien commun, fut menacée par une initiative parlementaire, en mai 2008, c'est-à-dire hier à peine. Pour qu'elle soit préservée, il fallut une mobilisation des professionnels du secteur, du ministère de la culture et d'une large majorité de députés réunis.

Dans le domaine cinématographique, l'existence du « compte de soutien » et de l’« avance sur recettes », dispositifs de soutien à la création, à la diffusion, à la production et à l'exploitation a permis de maintenir et développer l'économie du secteur et de préserver une diversité

de contenus sans comparaison avec d'autres pays européens qui n'ont pas su s'organiser.

Néanmoins, le cinéma, qui présente une économie où le privé et le public se côtoient et s'agrègent en même temps, deviendrait-il un espace d'affrontement en région autour de la question du soutien public à la créa-tion ou à la rénovation de salles publiques ou indépendantes contesté par des distri-buteurs ou exploitants privés2 ? Ces passes d'armes appellent-elles simplement plus de dialogue entre les acteurs concernés ou révèlent-elles une remise en cause d'un consensus historique ? Jusqu'ici, la réponse balance plutôt en faveur de la première hypothèse…

Le téléchargement représente un conflit très particulier d'intérêts : dans ce cas, ce ne sont pas des stratégies économiques qui s'affrontent mais des pratiques socia-les au droit des auteurs et à des intérêts industriels. La rémunération des artistes demeurera à coup sûr une préoccupation majeure dans les années à venir, cepen-dant que la loi « Création et Internet », arrive bien tardivement et, aussi chargée de bonnes intentions soit-elle, prend une majorité de jeunes à rebours et prend le risque d'un grand malentendu.

LA CuLTure, TerrAInprIvILÉGIÉ D'une

ÉCOnOmIe COLLABOrATIve ?

Nombre de projets culturels se dévelop-pent selon des logiques coopératives. C'est à leur capacité de relier divers acteurs que l’on peut aussi mesurer l'esprit d’innova-tion qui anime un projet : dans le domaine du livre, des fêtes du livre, soutenues par les politiques territoriales, peuvent ainsi associer des collectivités publiques, des bibliothèques, des éditeurs, des libraires, des diffuseurs, des auteurs, des lecteurs, des lieux d'exposition, des écoles, etc.

Les musiques actuelles incarnent quant à elles un terrain largement emblémati-que d'une économie mixte, collaborative, animée par l’esprit d’intérêt général : salles

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - dossier | page 33

publiques ou indépendantes, producteurs, diffuseurs, musiciens, formateurs, écoles de musique, pouvoirs publics peuvent avoir partie liée dans ce domaine. Ici, se joue l'enjeu de la diversification de l’offre musicale, de la promotion de pédagogies innovantes, de l'accompagnement des pratiques amateurs. Autant d'éléments qui concourent à l'élargissement des services aux publics. Néanmoins, dans les années passées, un certain nombre de collectivités ont pu éprouver des difficultés à se situer par rapport à un monde éclectique, porté par un esprit indépendant, travaillant sans complexe entre économie publique et privée, promouvant des logiques de soli-darité par leur fonctionnement en réseau, inventant une forme d'économie créative en somme, quoique le débat autour de cette notion demeure ouvert tant elle charrie des représentations paradoxales aussi dynamiques que floues.

Dans la mise en regard du monde dit « de l'entreprise » et du secteur culturel, le mécénat représente un témoin privilégié. S'il est vrai que sa part a sensiblement augmenté après l'entrée en vigueur de la loi de 2003, son apport, tout en étant devenu conséquent (environ 850 millions d’euros) reste limité et le restera car il ne saurait remplacer l’effort public, comme

le rappelle le plus éminent de ses chan-tres, Jacques Rigaud3. Il constitue ainsi une source non négligeable mais non la base d’un nouveau modèle économique de la culture. Et sa contribution à des projets d'envergure territoriale demeure encore modeste. Dans ce domaine, il y a encore beaucoup à imaginer ou stimuler, à l’instar d’un mécénat citoyen résultant du regroupement des efforts d’individus ou de structures désireux de s’associer autour d’un même projet. Les fonds de dotation, créés par la loi d’août 2008 relèvent de cette philosophie. Leur évolution dans les mois et les années à venir sera forcément intéressante à observer.

Combiner les avantages des systèmes public et privé dans la culture relève du pragmatisme. Considérer l’évolution de leur place dans ce champ appelle une attention et une vigilance permanente. L’histoire contemporaine du secteur culturel montre qu’une politique régulée, c'est-à-dire soucieuse d'équilibre, préserve sa diversité, contribue à l'emploi, favorise l'intérêt général.

Jean-Pierre SaezDirecteur de l'Observatoire des

politiques culturelles

1– Économie et culture, 4 volumes, ouvrages coordonnés par : X. Dupuis, F. Monet (vol. 1, 1987), A. Girard (vol. 2, 1988), F. Monet (vol. 3, 1989), X. Dupuis (vol. 4, 1990), La Documentation Française.

2– cf. le Hors-Série n°2 de L'Observatoire, juillet 2009, publication issue du colloque orga-nisé par Centre Images à Vendôme, le 11 décembre 2008. 3– cf. l'article de J. Rigaud dans cette même livraison p. 68.

Des rapports public/privé dans la cultureNOTES

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page 34 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - dossier

de l’utilisation des partenariats publiC-privé en Matière Culturelle

Le pArTenArIAT puBLIC-prIvÉ : une nOTIOn Au

COnTenu vArIABLe

Osons tout d’abord une évidence. Dans un pays où coexistent un secteur public et un secteur privé et où, dans le cadre d’une organisation libérale, l’action publique se définit par exception du principe de liberté du commerce et de l’industrie, la relation entre le public et le privé est une nécessité et une évidence. Ceci est vrai du secteur cultu-rel comme des autres secteurs de l’action publique. L’action publique ne peut exis-ter et fonctionner sans la contribution, selon des modalités diverses, du secteur privé. Vu sous cet angle, le marché public traditionnel, qu’il soit de travaux, de fournitures ou de services, consti-tue une forme de partenariat public-privé. Cependant, dans une acception plus restrictive ou, si l’on préfère, plus précise, on tend à considérer le partena-riat public-privé comme une association étroite entre des structures publiques et des structures privées pour fournir des services à la population en organisant une relation partenariale, donc inscrite dans la durée, entre secteur public et secteur privé.

L’idée est de considérer que le service public sera d’autant mieux assuré que l’on saura combiner les avantages du secteur public et du secteur privé, considérés comme complémentaires pour l’exercice d’une mission de service public ou d’intérêt public. Dans cette perspective, le secteur privé n’est plus un simple fournisseur, mais participe, d’une certaine manière, à l’ac-tion publique. Notons ici que cette appro-che n’a rien de nouveau. Le partenariat public-privé regardé sous l’angle de cette définition ayant été de tout temps utilisé, notamment si l’on considère les formes de gestion adoptées durant l’Ancien Régime (ainsi pour les canaux ou, tout simple-ment, la perception de l’impôt). Mais la multiplication des cadres juridiques, d’essence communautaire ou nationale, conduit à tenter de préciser et d’organiser les différents dispositifs utilisables. D’où un certain nombre de catégorisations qui s’avèrent nécessaires.

La littérature, et notamment la littéra-ture communautaire, distingue entre les partenariats public-privé institutionnels et les partenariats public-privé contrac-tuels. On voit bien ce dont il s’agit :• Le partenariat public-privé institution-nel est le partenariat qui s’organise dans une structure pérenne.

• Le partenariat public-privé contractuel s’organise par la voie d’un contrat, par définition limité aux termes et échéan-ces dudit contrat.

Dans notre droit local, le partenariat public-privé institutionnel typique est la société d’économie mixte locale. La Commission européenne, dans son souci de développer les procédures de mise en compétition, a d’ailleurs tenté d’instituer un cadre de compétition pour le partenariat public-privé, ce qui a suscité de fortes craintes dans le milieu desdites sociétés d’économie mixte locales. Cependant, dans la litté-rature classique, on considère que les partenariats public-privé sont essentiel-lement des organisations de caractère contractuel.

LeS DIffÉrenTS TypeS De pArTenArIAT puBLIC-prIvÉ

Le partenariat public-privé contractuel n’est nullement nouveau dans notre paysage juridique. Ce que l’on appelle la délégation de service public, héri-tière de la concession, est très clairement un partenariat public-privé. Il s’organise

Depuis quelques années, un nouveau terme est apparu dans la littérature de la gestion publique, celui de partenariat public-privé. Dans un contexte d’assèchement des ressources publiques, il est apparu comme un des moyens de dynamiser l’investissement public. La récente crise économique en a encore renforcé la nécessité. Que cache cette expression dont on sent bien l’essence anglo-saxonne, mais dont le contenu est pour le moins variable et imprécis ? Quel usage peut-on en faire en matière culturelle dans un pays qui privilégie une approche publique de l’action culturelle et l’utilisation des instruments les plus tradi-tionnels de la gestion publique ?

Jean-François Auby

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dans un cadre juridique précis, celui des articles 1411-1 et suivants du Code Général des Collectivités Territoriales, et répond à une définition exigeante en ce sens que, si les conditions ne sont pas réunies, il ne peut s’agir d’une délégation de service public définie par ledit article. Il s’agit d’un mode traditionnel de l’action publique centré sur cette notion égale-ment très française qui est celle du service public. Mais, à côté de la délégation de service public, on a vu apparaître des modes contractuels d’un type nouveau qui suscitent aujourd’hui l’intérêt.

Le plus symbolique est le contrat de partenariat, de l’ordonnance du 17 juin 2004, qui est la transposition en droit français de ce que les anglo-saxons appellent le « PFI » (Private Finance Initiative). Il s’agit d’un contrat par lequel une collectivité publique confie à un groupement le soin de financer, de construire et d’assurer un certain nombre de tâches d’exploitation ou de maintenance en vue de la réalisation d’un ouvrage public, le terme ouvrage devant être considéré dans son acception la plus large, moyennant le paiement d’un loyer sur une certaine durée, loyer représentatif des charges de construc-tion, de financement et d’exploitation.Le contrat de partenariat est en fait un marché global à paiement différé. Il déroge du marché public sur deux points essentiels :• il est global, ce qui le distingue des marchés ordinaires qui sont conclus en divers lots en raison de leur nature. Il regroupe contrats de construction, de financement et de maintenance.• il autorise le paiement différé alors que le Code des Marchés Publics interdit par principe le paiement différé.

Il est en outre assorti de diverses moda-lités visant à orienter les financements privés vers la conclusion de tels contrats pour venir justement en substitution des ressources publiques. On verra, dans la seconde partie, que le contrat de parte-nariat est assorti d’un certain nombre de conditions restrictives qui en limitent l’usage mais, aujourd’hui, lorsque l’on

parle de partenariats public-privé, c’est souvent à cette formule que l’on pense. Elle n’est cependant pas la seule.

Très proches du contrat de parte-nariat, se situent les baux emphy-téotiques administratifs. Ces baux emphytéotiques sont des formules de différents types (baux emphytéotiques administratifs de droit commun, baux emphytéotiques hospitaliers) avec des différences selon qu’ils sont conclus par l’État ou par les collectivités territoria-les, mais qui présentent en commun la caractéristique d’autoriser le gestion-naire d’une dépendance du domaine public à consentir des droits sur ladite dépendance pour satisfaire à un inté-rêt public. Ainsi d’un bail emphytéo-tique administratif qui sera consenti sur un ouvrage public à charge pour le preneur du bail de réaliser des travaux et de le redonner en location, en tout ou partie, à une collectivité publique. Les baux emphytéotiques administra-tifs se rapprochent souvent des contrats de partenariat, à l’exception notable de l’exploitation et de la maintenance qui ne sont pas prévus dans les baux, mais relèvent d’une législation différente et, en fait, plus souple.

Contrats de partenariat et baux emphy-téotiques administratifs n’épuisent pas la liste des formes contractuelles qui peuvent être utilisées pour organiser des partenariats public-privé contractuels.

On peut également y trouver :• des autorisations d’occupation tempo-raire du domaine public, • des baux de droit commun, c’est-à-dire sur le domaine privé,• des ventes en l’état futur d’achèvement,• des formules contractuelles plus comple-xes laissées à l’initiative et l’imagination des partenaires tant publics que privés.

Ce qu’il importe de noter, dans l’évolu-tion des modes de gestion, est que ces formules de partenariat public-privé connaissent un vif développement en raison de différents facteurs : leur créa-tion par des textes législatifs, la décou-

verte par les collectivités territoriales de l’intérêt qu’il y a à valoriser leur domaine, les difficultés à collecter des financements publics. Elle s’accompa-gne d’une complexification croissante des cadres contractuels, complexifica-tion logique dès lors que l’on organise la relation entre des structures publiques et privées qui répondent à des configura-tions différentes. Cette complexification est source de richesses mais également de risques. C’est au regard de ces quelques considérations qu’il convient de s’inter-roger sur l’utilisation de ces formules en matière culturelle.

Le pArTenArIAT puBLIC-prIvÉ DAnS Le mOnDe

CuLTureL

À titre liminaire, il convient de rappe-ler que, si le monde culturel n’est pas nécessairement très ouvert à ce que nous appelons les formules de partenariats public-privé, il se situe dans un univers dans lequel la gestion privée est large-ment répandue.

Il n’existe pas en effet, en matière cultu-relle, de monopole public, si l’on veut bien mettre à part la question des archi-ves, puisque rien n’interdit la gestion culturelle privée. Elle est même extrê-mement répandue en matière de specta-cle vivant, d’enseignement culturel, et de gestion du patrimoine historique.

L’action culturelle publique présente un certain nombre de caractéristiques qui ne facilitent pas nécessairement les formes de partenariat public-privé. Au premier rang de ces caractéristiques figure le fait que la gestion des équipements cultu-rels et des activités culturelles est, dans la quasi-totalité des cas, déficitaire en ce sens que les produits de l’exploitation ne permettent pas de couvrir les charges de fonctionnement et d’investissement, ce qui nécessite des contributions publiques. Cette caractéristique n’est pas strictement spécifique aux activités culturelles mais présente, chez elles, un caractère assez

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général qui limite les possibilités d’utilisa-tion de certaines formules contractuelles. En matière de délégation de service public, cette caractéristique interdit de fait les procédures de concession, sauf à trouver des montages particulièrement sophisti-qués, et limite le recours à des formules de type affermage. C’est ce qui explique que l’usage de la procédure de délégation de service public en matière culturelle soit finalement assez restreinte. Si l’on consi-dère par contre les formules de partenariat public-privé, et en particulier les contrats de partenariats et les baux emphytéotiques administratifs, on peut constater que cette exigence d’une activité qui soit économi-quement équilibrée ne crée pas de diffi-culté. En effet, les contrats de partenariat et les baux emphytéotiques administratifs sont d’abord et avant tout des modes de construction des équipements en utilisant des financements privés sans qu’il soit nécessaire que la gestion desdits équipe-ments soit elle-même équilibrée. C’est en ce sens que le recours à ces formules peut apparaître comme parfaitement utilisable pour des équipements ou des structures culturelles.

Il reste à bien mesurer les conditions dans lesquelles il peut être recouru à ces

dispositifs pour la construction ou l’édi-fication de tels équipements. Pour cela, il convient de rappeler les règles posées en matière de contrats de partenariat. Ces règles reposent sur des conditions strictes posées quant à la possibilité d’y recourir et sur le respect d’exigences procédura-les. De manière assez paradoxale, c’est la formule la mieux encadrée, celle du contrat de partenariat, qui repose sur les exigences les plus fortes.

En effet, l’ordonnance du 17 juin 2004 a soumis le recours aux contrats de partenariat à la double exigence soit de l’urgence, soit de la complexité. Ceci est le résultat de la position adoptée par le Conseil Constitutionnel qui a vu, dans le contrat de partenariat, une formule dérogatoire qui ne pouvait, à ce titre, que prendre appui sur des conditions parti-culières. Cette exigence et les risques qu’elle fait peser sur la légalité de la déci-sion du recours au contrat de partenariat a expliqué la prudence que les collectivi-tés ont jusqu’à présent manifesté dans le recours aux contrats de partenariat – et ce, en tout domaine, et pas seulement dans celui des équipements culturels– ainsi que le faible nombre de contrats de partenariat conclus.

Mais il faut spécifier que le caractère restrictif de ce recours est désormais beaucoup plus souple. En effet, la loi du 28 août 2008, relative aux contrats de partenariat, a ajouté un nouveau cas de recours qui est celui dans lequel il apparaît que le contrat de partenariat s’avère économiquement plus inté-ressant que les formules alternatives, essentiellement la construction d’un ouvrage sous maîtrise d’ouvrage publi-que (ce que les anglo-saxons appellent Value for Money).

Cette nouvelle disposition est évidem-ment de nature à élargir fortement l’usage du contrat de partenariat dès lors que l’évaluation réalisée montre-rait le caractère supérieur de cette formule, la collectivité, en fonction de ses critères propres, pouvant les pondé-rer de manière telle que la démons-tration de l’avantage du recours au contrat de partenariat puisse se faire aisément.

Cette facilité du recours au contrat de partenariat est renforcée par une juris-prudence administrative assez tolé-rante. Le juge admet en effet que la complexité puisse résulter du montage

“L’idée est de considérer que le service public sera d’autant mieux assuré que l’on saura combiner les avantages du secteur

public et du secteur privé, considérés comme complémentaires pour l’exercice

d’une mission de service public ou d’intérêt public.”

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administratif lui-même et donc que le seul fait de définir un montage qui soit complexe peut, par lui-même, justifier le recours au contrat de partenariat. Par ailleurs, une jurisprudence récente sur l’urgence semble montrer que le juge administratif admet assez aisément la notion d’urgence.

Enfin, de nouvelles dispositions sont intervenues pour faciliter le maniement de cette procédure, notamment pour ce qui concerne les petits contrats de parte-nariat (procédure simplifiée pour les contrats de travaux d’un montant infé-rieur à 5,15 M€ HT). On a donc désor-mais un dispositif qui est moins risqué et plus souple, dans un certain nombre de cas, que ce qui avait été proposé avant les dernières évolutions.

Sur cette base, que peut-on dire de l’usage des contrats de partenariat en matière culturelle ?

Le contrat de partenariat semble adapté aux projets culturels dès lors que l’importance de ceux-ci justifie qu’il y soit fait recours. En effet, il s’agit d’une procédure relativement lourde, même en dépit de l’existence de la procédure allégée. Le recours au contrat de parte-nariat doit être précédé d’une évalua-tion dont l’objet est, en particulier, de vérifier que les conditions du recours au contrat de partenariat sont remplies. Cette évaluation est normalement confiée à des prestataires privés, ce qui génère des coûts qui peuvent être signi-ficatifs. Certes, il existe une mission d’appui aux partenariats public-privé, qui dépend du ministère de l’Économie et des Finances. Cette mission est obliga-toirement consultée sur les partenariats public-privé (PPP) de l’État et de ses établissements publics et, facultative-ment, pour ceux des collectivités locales. Mais son intervention ne se substitue pas à celle des prestataires privés. En fait la procédure préalable est assez longue du fait, en particulier, de cette évaluation, même si l’objectif des PPP est d’accélérer la commande publique, les procédures de mise en œuvre étant plus courtes.

La mise en compétition elle-même, qui emprunte la forme d’un dialogue compétitif pour les contrats fondés sur la complexité, et la forme de l’ap-pel d’offres classique pour les contrats fondés sur l‘urgence, est également assez exigeante, notamment s’il faut faire usage du dialogue compétitif, procédure intéressante mais d’un maniement délicat.

Le contrat de partenariat peut être utilisé pour la réalisation d‘un ouvrage, d’un équipement culturel (salle de spec-tacles, musée, bibliothèque…), mais peut également servir à la constitution d’un fonds ou d’une collection. Il y a là une piste qui est peu connue mais qui peut certainement être utilisable.

Mais le recours au contrat de partena-riat suppose également de bien mesurer l’avantage qu’on en retire. La supério-rité éventuelle du contrat de partenariat sur les autres formules de réalisation d’un équipement culturel repose sur les éléments suivants :• Les ressources financières privées sont plus coûteuses que les ressources financières dont bénéficient ordinaire-ment les collectivités publiques, ce qui a comme conséquence que les ressour-ces financières privées doivent être plus efficaces que celles ordinairement utili-sées, d’où l’acceptation d’une ingenierie sophistiquée.• En matière d’ouvrage, le grand avan-tage du contrat de partenariat est de rendre la même structure, en l’occur-

“Il ressort que la mise en œuvre d’un contrat de partenariat est une opération complexe qui suppose de la part de la collectivité un grand

savoir-faire.”

ArTenrÉeL, une COOpÉr-ArTISTe

en 2004, l’organisme de gestion des activités culturelles d’alsace se dotait d’un nouveau

service : artenréel. « l’idée était de créer une structure permettant de répondre aux spécificités

liées aux projets culturels » rappelle stéphane bossuet, son fondateur et directeur.

artenréel part d’un constat : l’artiste, bien qu’expérimenté et diplômé, rencontre

de réelles difficultés d’insertion professionnelle liées à la nature de son

activité. la coopérative s’ouvre donc aux personnes candidates à la création

de leur propre emploi dans le cadre d’un projet artistique et culturel.

Formée en sCop (société Coopérative de production), artenréel est créée par et pour

ceux qui y travaillent. stéphane bossuet décrit cette démarche innovante comme un

projet d’accompagnement individuel dans un projet collectif qu’est la coopérative.

dans ce cadre, l’artiste est assisté par des études de viabilité et la mise en place d’une

stratégie commerciale. si artenréel endosse la responsabilité juridique, le salarié

créateur reste le seul maître de son activité. À travers les services proposés, artenréel

se donne pour mission de soutenir l’émergence et la pérennisation de ces emplois.

pour en savoir plus : http://artenreel.com/

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rence le groupement cocontractant, responsable de la construction et de l’exploitation, ce qui conduit néces-sairement le partenaire à chercher à optimiser le rapport entre la qualité de la construction et le coût de la main-tenance, car il est évident que l’on ne construit pas de la même manière selon que l’on a ou non la charge de la maintenance. Cela suppose donc que le maître d’ouvrage public accepte que le partenaire privé ait une large part dans la maintenance, ce qui n’est pas sans incidence sur la situation des personnels publics, et peut d’ailleurs être un frein considérable à l’utilisation du contrat de partenariat.• De plus, la force du contrat de parte-nariat réside dans l’ensemble des inci-tations qui permettent d’optimiser la rémunération du partenaire, ce qui se traduit en termes d’indicateurs de performance et par le fait que le parte-naire puisse utiliser à son propre profit l’équipement réalisé pour en tirer des recettes supplémentaires.

On voit bien l’intérêt que peut présen-ter un tel dispositif pour certains équi-pements qui pourront servir à différents usages.

De tout cela il ressort que la mise en œuvre d’un contrat de partenariat est une opération complexe qui suppose de la part de la collectivité un grand savoir-faire, qu’elle doit s’accompagner de l’acceptation par la collectivité d’une place spécifique pour le partenaire assez différente de la place réservée à un simple prestataire de service dans un marché traditionnel. De cela le monde de la culture n’est évidemment pas très familier. Cela signifie également que, si une collectivité envisage d’utiliser un contrat de partenariat, elle doit bien prendre en considération les contrain-tes qui en résulteront pour ses propres personnels ou ses partenaires habituels, de type associatif ou autre.

On peut avoir une appréciation compa-rable pour les baux emphytéotiques administratifs, qui se rapprochent tout

de même plus de marchés à paiement différé que des formules complexes tels que les contrats de partenariat. La plus grande liberté de la collectivité territo-riale trouvant sa contrepartie dans le fait que les baux emphytéotiques admi-nistratifs ne sont pas assortis d’obliga-tion d’exploitation ou de maintenance par le partenaire.

Il faut donc bien considérer que les partenariats public-privé, et notam-ment les contrats de partenariat et les baux emphytéotiques administratifs, constituent des moyens de faire finan-cer, construire et fonctionner pour partie des équipements culturels dans des conditions qui peuvent être intéres-santes pour les collectivités. Mais avant d’y avoir recours, et d’ailleurs la procé-dure y contraint, il faut bien mesurer le savoir-faire que cela exige de la part de la collectivité, de son personnel et de ses conseils, et les conséquences qui peuvent en résulter sur les conditions de fonctionnement des services culturels concernés.

le 2e hors-série de la revue l’Observatoire

s’intéresse à l'intervention des collectivités

territoriales dans les domaines du cinéma

et de l'audiovisuel. Ces actes reprennent ici

les réflexions des intervenants du colloque

« Cinéma et audiovisuel : action publique

et territoires » organisé par Centre images

et l’observatoire des politiques culturelles à

l’occasion du 17e festival du Film de vendôme.

Cette publication permet d’approfondir la

dimension juridique et politique de la notion de

service public culturel qui, même s’il constitue

l’un des fondements du modèle culturel

français « ne va pas pour autant de soi » et

a fait l’objet de nombreux débats ainsi que le

rappelle Jean-Marie pontier en ouverture. elle

apporte, en outre, un éclairage intéressant

sur la question de la coopération entre public

et privé dans le domaine cinématographique,

sur les politiques territoriales en faveur de

l’audiovisuel et sur l’articulation de ces

politiques avec l’éducation à l’image.

hors-série n°2, en vente à l’Observatoire des politiques culturelles (www.observatoire-culture.net) ou auprès de Centre Images (www.centreimages.fr)

vient de paraîtreCInÉmA eT AuDIOvISueL : ACTIOn puBLIQue eT TerrITOIreS

L'Observatoire, hors-série n°2, juillet 2009, 56 p., n°ISSn : 1165-2675, 16 €

Jean-François Auby Cabinet Auby Conseil

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - dossier | page 39

les Fonds de dotation, une opportunité au serviCe de la philanthropie ?

Le législateur est intervenu à plusieurs reprises afin d’encourager les person-

nes privées, sociétés ou personnes physi-ques, à concourir à la satisfaction de l’in-térêt général. Ces interventions, dont la plus marquante a été la loi n°2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, ont souvent donné lieu à l’instauration de réductions d’impôts au bénéfice des donateurs. Ce dispositif, inspiré du modèle économique américain, n’était cependant pas complet dans la mesure où il ne permettait pas à de nombreuses institutions culturelles de faire fructifier les fonds reçus. Or, à l’instar de leurs homologues, principalement américains, beaucoup d’institutions culturelles fran-çaises avaient émis le souhait de pouvoir placer des fonds productifs d’intérêts, ces derniers devant permettre le finan-cement de projets publics.

C’est donc dans ce contexte qu’a été adop-tée la loi n°2008-776 du 4 août 2008, dont l’article 140 créé les fonds de dota-tion. La publication du décret n°2009-158 du 11 février 2009, d’une instruction le 9 avril 2009 (BOI 4 C-3-09) et d’une circu-laire le 19 juin 2009 (JORF du 19 juin 2009) ont permis de préciser le régime de ce nouvel outil, même s’il est encore trop tôt pour en apprécier pleinement la portée pratique.

On peut d’ores et déjà penser que cet outil innovant constitue une véritable opportunité, tout en s’interrogeant sur le type de fonds de dotation qui sera le mieux adapté.

LeS fOnDS De DOTATIOn : un OuTIL InnOvAnT Au ServICe De LA

phILAnThrOpIe

Le principe du fonds de dotationLes fonds de dotation constituent un nouvel outil de financement visant à permettre aux organismes sans but lucratif de disposer de fonds leur assu-rant des recettes substantielles.

Ces fonds ont pour mission principale de collecter des dons et des legs, effec-tués de manière irrévocable, et ce afin de les capitaliser grâce à des dépôts auprès d’organismes financiers. Seuls les intérêts ainsi produits sont affectés au financement d’une activité d’intérêt général ou reversés à une personne morale à but non lucratif.

Les fonds de dotation, nouvelle catégo-rie de personnes morales de droit privé, constituent un compromis entre les associations et les fondations. Ils allient

en effet la souplesse de l’association et la logique de la fondation reconnue d’uti-lité publique (dotation affectée à la satis-faction d’un intérêt général et grande capacité juridique).

Les fonds de dotation, selon les condi-tions déjà précisées pour les organismes sans but lucratif (cf. instruction fiscale du 18 décembre 2006, BOI 4 H-5-06), ne seront en principe pas soumis aux impôts et taxes dits commerciaux, et offriront aux donateurs le bénéfice du régime du mécénat. Dans ce dernier cas, ils doivent eux-mêmes exercer une activité d’intérêt général ou soutenir des organismes d’intérêt général (cf. instruc-tion fiscale du 9 avril 2009 précitée).

LA CrÉATIOn eT Le fOnCTIOnnemenT DeS

fOnDS De DOTATIOn

Une création libreLes fonds de dotation peuvent être créés librement par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, que ces dernières soient de droit privé ou de droit public. Ils peuvent être créés pour une durée déterminée ou une durée indéterminée. S’agissant des personnes morales autres que l’État, il

Le développement des ressources propres des institutions culturelles constitue depuis quelques années l’une des lignes directrices de l’action des pouvoirs publics. Au niveau national, il est ainsi de coutume que les pouvoirs publics soulignent la nécessité de favoriser le développement de ressources extra-publiques. Il n’est désormais pas rare que l’acte constitutif d’un établisse-ment public local dispose qu’y figure l’obligation de développer des ressources propres. Parmi celles-ci, les fonds issus du mécénat occupent une place très souvent déterminante.

Éric Baron, David Taron

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conviendra néanmoins de respecter le principe de spécialité et les compéten-ces d’attribution.

Les fondateurs peuvent procéder seuls, agir en commun avec des personnes publiques ou créer des synergies avec des personnes privées.

S’agissant des établissements publics, les dispositions réglementaires relatives à la répartition des compétences entre le Conseil d’administration et le directeur d’un tel établissement ne tranchent pas directement la question de la compé-tence de l’organe compétent pour déci-der de la création du fonds. Néanmoins, il semble possible de faire le rapproche-ment avec la « création de filiales », qui ressort le plus souvent de la compétence du Conseil d’administration.

Une grande capacité juridiqueLes fonds de dotation jouissent d’une grande capacité juridique et peuvent recevoir à ce titre tout type de libéralités et autres revenus. Les fonds de dotation sont ainsi constitués par :• les dotations en capital qui leur sont apportées, étant précisé qu’une dotation initiale n’est pas obligatoire ;• les dons et legs effectués à leur bénéfice.

Outre ces ressources, les fonds de dota-tion tirent leurs revenus des intérêts produits par leur dotation, des produits des activités statutairement autorisées et de la rémunération des services rendus.Organismes dédiés à la satisfaction de l’intérêt général, les fonds de dotation peuvent également faire appel à la géné-rosité publique.

Enfin, et de manière exceptionnelle, ils peuvent recevoir des fonds publics, et ce, après la prise d’un arrêté conjoint par le ministre chargé de l’économie et le ministre chargé du budget.

La perception de fonds publics est condi-tionnée par l’existence d’une œuvre ou d’un programme important ou présen-tant une particularité certaine.

une GOuvernAnCe à InvenTer

1. Les fonds de dotation sont adminis-trés par un Conseil d’administration composé d’au moins trois membres désignés par le ou les fondateurs.

Il appartient aux statuts de déterminer la composition ainsi que les conditions de nomination et de renouvellement du Conseil d’administration.

2. Lorsque le montant de la dotation excède un million d’euros, un comité consultatif, composé de personnalités extérieures au Conseil d’administra-tion, doit être créé à côté de ce dernier, et ce, afin d’émettre des propositions en matière de politique d’investissement et d’assurer le suivi de ladite politique.

3. En dehors de ces obligations, les textes relatifs aux fonds de dotation ne prescrivent aucune autre obligation en ce qui concerne les statuts. Le ou les fondateur(s) sera / seront donc libre(s) d’adapter leur organisation à leurs souhaits et contraintes.

En pratique, la création de fonds de dotation par des personnes publiques, ou la participation de ces dernières, pourra donner lieu à quelques « difficultés » tenant notamment à leur place au sein du Conseil d’administration. Bien que bénéficiaires des revenus du fonds, elles n’auront a priori pas vocation à l’alimen-ter, ce qui pourrait rendre délicate toute revendication quant à son contrôle.

un OuTIL OffrAnT DeS OppOrTunITÉS

Les avantages de l’autonomisation1. Par rapport à l’hypothèse de la percep-tion directe de dons, les fonds de dotation éludent les pesanteurs propres à l’applica-tion des règles de la comptabilité publique et, plus généralement, aux contraintes propres au droit budgétaire. En premier lieu, ils permettent de sortir du principe de l’annualité budgétaire. En effet, la dotation pouvant être mobilisée sur le long terme, la personne publique consi-dérée pourra programmer la gestion de ses ressources dans un cadre pluriannuel, là où le don direct implique a priori une consommation des crédits dans l’année. En deuxième lieu, les fonds de dotation permettent d’aménager le principe de non-affectation des recettes.

2. Les fonds de dotation devraient aussi permettre d’éviter les écueils des dona-tions consenties avec des charges dans la mesure où les revenus produits par une même dotation pourront être réaffectés périodiquement à différents projets, en fonction des contingences du moment.

“Les fonds de dotation constituent un nouvel outil de financement visant à permettre aux organismes sans but lucratif de disposer de fonds leur assurant

des recettes substantielles.”

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L’avantage concurrentiel des fonds de dotation1. Les fonds de dotation offrent la souplesse des associations. Hormis l’obligation de créer un Conseil d’ad-ministration, le ou les créateur(s) d’un fonds de dotation sont entièrement libres d’organiser comme ils le souhai-tent le fonctionnement de ladite struc-ture. Surtout, leur création est complè-tement libre, seule une déclaration en préfecture étant nécessaire. De même, les statuts des fonds de dotation peuvent être librement modifiés, seule une déclaration en préfecture étant requise. Sur cet aspect, les fonds de dotation s’avèrent plus souples que les associations reconnues d’utilité publi-que pour lesquelles toute modification statutaire doit être approuvée par décret en Conseil d’État.

2. Les fonds de dotation jouissent d’une pleine capacité juridique, à l’ins-tar des fondations reconnues d’utilité publique. Contrairement aux associa-tions simplement déclarées, les fonds de dotation disposent d’une pleine capacité juridique. Ils peuvent perce-voir tout type de libéralité et posséder des immeubles de rapport (ce que ne peut pas faire une association recon-nue d’utilité publique). Ils sont en cela assimilables aux fondations reconnues d’utilité publique.

3. Les fonds de dotation ne sont pas exposés aux mêmes contraintes que les fondations reconnues d’utilité publi-que. À la différence des fondations reconnues d’utilité publique, les fonds de dotation peuvent être créés sans dotation initiale. Ils peuvent même, à la condition que les statuts le prévoient, consommer leur dotation, ce qui est certes désormais théoriquement possi-ble (cf. fondations à dotation consomp-tible), mais en pratique exceptionnel dans le cadre d’une fondation reconnue d’utilité publique. Les fonds de dotation ne sont par ailleurs soumis à aucune tutelle des pouvoirs publics, contraire-ment aux fondations reconnues d’utilité publique.

4. Les fonds de dotation constituent un outil pouvant être créé par toutes les personnes publiques. Si toutes les personnes publiques peuvent créer des fonds de dotation, tel n’est pas le cas s’agissant d’autres structures. Les fonda-tions d’entreprise, instituées par la loi n°90-559 du 4 juillet 1990 ne peuvent être créées que par des établissements publics à caractère industriel et commer-cial. On sait également que le Conseil d’État est très peu favorable à la consti-tution de fondations reconnues d’utilité publique par des personnes publiques.

QueLS TypeS De fOnDS De DOTATIOn ?

Si l’intérêt des fonds de dotation paraît devoir être admis, plusieurs points restent en suspens. Deux types de fonds de dotation pourraient être constitués : des fonds de dotation destinés à gérer eux-mêmes une œuvre philanthropi-que d’une part, ceux redistribuant les revenus de leur capitalisation à une telle œuvre d’autre part. Une combinaison des deux paraît envisageable.

Dans ces conditions, plusieurs configu-rations seront possibles pour les person-nes publiques, et notamment :• soit gérer eux-mêmes un fonds destiné à percevoir des dons et legs dont les revenus seront affectés aux activités de l’établissement ;• soit créer seul ou à plusieurs un fonds gérant sa propre œuvre d’intérêt général.

Cette dernière hypothèse est envisagea-ble, même si elle pourrait s’avérer plus complexe à mettre en œuvre pour le fondateur. Plus précisément, il convien-dra de bien définir l’activité du fonds de dotation au regard des compéten-ces de la personne publique, ainsi que la nature des relations entre ces deux institutions.

Au surplus, nous avons pu observer que les fonds de dotation ne pouvaient pas, en principe, bénéficier de fonds publics.

À notre sens, il pourrait s’agir ici d’évi-ter des dérogations trop nombreuses à l’obligation de dépôt des fonds au Trésor (cf. article 26-3° de la loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances).

Dans ces conditions, il serait possible de s’interroger sur l’utilité de la création de fonds de dotation de seconde catégorie par les établissements publics et ce, dans la mesure où ces derniers ne pourraient en principe pas les alimenter sur leurs fonds propres.

On pourrait penser que les fonds de première catégorie seraient mieux adap-tés. Tel serait le cas des sociétés d’amis qui pourront envisager la création de fonds de dotation en partenariat avec les établissements qu’elles soutiennent.

Il restera également à bien poser juri-diquement les relations entre les fonds de dotation et les personnes publiques membres (quels liens, quelle gouver-nance, etc. ?).

Éric BaronAvocat au barreau de Paris

David TaronAvocat au barreau de Paris

en ce qui concerne les dons des

particuliers, l’article 200 du Code général

des impôts (Cgi) dispose qu’ouvrent droit

à une réduction d’impôt sur le revenu égale

à 66 % de leur montant les sommes prises

dans la limite de 20 % de leur revenu

imposable qui correspondent à des dons et

versements notamment au profit d’œuvres

ou d’organismes d’intérêt général.

l’article 238 bis du Cgi dispose pour

sa part qu’ouvrent droit à une réduction

d’impôt égale à 60 % de leur montant

les versements qu’elles effectuent dans

la limite de 5 pour mille de leur chiffre

d’affaires.

LeS DISpOSITIfS fISCAux en fAveur Du mÉCÉnAT : rAppeL

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pour la reConnaissanCe de l’éConoMie Créative solidaire

L’avenir dira si une telle alliance, une telle « fusion de l’espace public

et de l’espace privé 4 », tiendra ce qu’elle promet mais, sans attendre, on peut déjà montrer les confusions de sens et de valeurs qu’elle contient.

En premier lieu, un cadrage de méthode s’impose : il est simpliste de croire que, dans les politiques culturelles, la culture a pu être un jour dissociée de l’écono-mie. Aucun acteur culturel, même le plus attaché à l’exception culturelle à la française, ne peut en effet prétendre vivre en autarcie, dans l’ignorance du système des échanges marchands et de ses règles concurrentielles. Il ne s’agit donc pas d’opposer un monde culturel par nature « hors marché » au monde barbare des marchandises remplissant les rayons des grandes enseignes. L’en-jeu de la politique culturelle est plutôt de savoir comment la démocratie opère des dosages, au nom de l’intérêt général, entre les valeurs culturelles et les valeurs économiques.

Après cinquante ans de politique cultu-relle, on peut rapidement repérer trois cas de figures, dont les défauts majeurs nous incitent à imaginer une autre voie :

L’uTOpIe mALruCIenne

La première figure évoque l’utopie malrucienne où la valeur culturelle est définie par les spécialistes choisis par la politique publique. L’enjeu est ici de sélectionner les meilleures réfé-rences possibles pour nourrir l’imagi-naire commun de l’Humanité. Dans cette doctrine à la Malraux, il n’y a pas d’opposition entre la valeur économi-que et la valeur culturelle. Malraux, citant fréquemment Anna Karénine ou La Ruée vers l’or, est le premier à se féli-citer que l’industrie culturelle produise des chefs d’œuvre ; par contre, l’in-térêt général suppose la domination de la valeur culturelle sur la valeur économique car un risque majeur pèse sur l’avenir du genre humain : les industries culturelles, les « usines de rêves », laissées libres, s’adresseront, pour gagner de l’argent, au « rêve le plus efficace pour les billets de théâtre et de cinéma, celui qui naturellement fait appel aux éléments les plus profonds, les plus organiques et, pour tout dire, les plus terribles de l’être humain et avant tout, bien entendu, le sexe, l’argent et la mort 5 ». Dans cette figure salvatrice de la politique culturelle, l’écono-

mie créative est certes un atout, mais uniquement sous condition que la valeur culturelle des marchandises soit suffisante pour « grandir les hommes » et éloigner le spectre du « masochisme de la culture de masse », pour reprendre une expression d’Adorno 6. Avec son exigence sélective, la doctrine a pour beaucoup épuisé ses charmes dans une démocratie qui ne saurait évacuer de son quotidien le principe de liberté des choix culturels.

LA DOCTrIne Du LIBre

ÉChAnGe

On doit alors s’intéresser à une deuxième figure doctrinale où l’arbi-trage, au nom de l’intérêt général, entre « valeur culturelle » et « valeur écono-mique » est très différent. La doctrine est connue de tous : le libre échange de marchandises, si le marché est concur-rentiel, porte sens et valeur de progrès. À ce titre, l’Article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Euro-péenne affiche clairement le principe de l’incompatibilité des aides publiques avec les vertus de la concurrence 7.

La littérature sur « l’économie créative1» et ses multiples avatars revendique l’ouver-ture définitive des frontières entre culture et économie. On nous promet ainsi que l’économie et son « mariage avec la culture [sera] une source de renouvellement et de dynamisme largement démontré2». De partout, on nous dit que les artistes y gagnent parce qu’ils n’ont plus besoin de tendre la sébile auprès des subventionneurs publics ; les entreprises y gagnent aussi car elles innovent plus, et surtout mieux. Quant aux territoires, ils empochent les gains d’une attractivité plus forte que celle de leurs voisins. L’économie créative passe même pour une source de « cohésion sociale et d’enrichissement culturel personnel », sans doute parce qu’elle inclut « souvent une forte dose d’activité non rémunérée économiquement sous forme de bénévolat » et que, de ce fait, « elle n’est pas dominée par la pression de l’argent3 » !

Jean-Michel Lucas

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Sur cette base, la valeur économi-que optimise, sous l’empire exigeant de la concurrence pure et parfaite, la réponse aux besoins humains. Du coup, la valeur culturelle se déduit de la valeur économique. En effet, dans cette logique, la société organise des marchés spécialisés qui procèdent à la hiérarchisation de l’art et de la culture, classent les « œuvres d’art », les « biens culturels » ou les « produits de l’enter-tainment ». Nulle autorité publique ne peut s’arroger le droit d’imposer, au nom de l’intérêt général, la valeur culturelle de référence à la place du système d’échanges libres. On ne doit pas en déduire que seuls les « intérêts privés » comptent et que la politique publique de la culture a disparu. Bien au contraire, l’interven-tion publique est très active et très vigi-lante pour garantir le « bon niveau de concurrence ». On le voit, par exem-ple, avec l’établissement public Centre national de la chanson des variétés et du jazz (CNV) qui lève un impôt sur les consommateurs de spectacles pour constituer une réserve financière permettant aux producteurs de financer une nouvelle tournée, même si la précé-dente était pour eux déficitaire. Avec ce dispositif public de mutualisation, le risque de disparition des offreurs de spectacles, et donc celui de monopoli-sation du marché, se réduit ; la concur-rence reste active et, avec elle, la société tend vers la meilleure allocation possible de ressources rares !

L’ÉCOnOmIe CrÉATIve eT L’ATTrACTIvITÉ Du

TerrITOIre

Dans cette cohérence doctrinale qui respecte le principe de liberté des choix des individus, l’économie créative est très précieuse. Elle dynamise le marché, favorise l’éclosion de nouvelles demandes et donc de nouveaux besoins, améliore la qualité des produits culturels, nourrit les opportunités de profit et, par là, parti-cipe activement à la quête du progrès.

On doit pourtant convenir que les parti-sans de l’économie créative font preuve d’une grande naïveté : en vantant les mérites de l’innovation culturelle pour l’économie, ils revendiquent avec raison les avantages d’un système de libre choix de sa culture par le consommateur. Dès lors, la valeur culturelle est certes essen-tielle pour l’épanouissement des êtres humains mais contrairement à la doctrine Malraux, elle ne porte plus sur ses épau-les un enjeu d’intérêt général spécifique pour l’humanité. Le sympathique prag-matisme de l’économie créative évacue l’enjeu politique de la construction d’un référentiel imaginaire commun pour les êtres réunis. À chacun sa culture si elle se vend et/ou s’achète !

Il faut par ailleurs admettre que la doctrine du marché libre ne correspond jamais à la perfection de ses énoncés et, d’ailleurs, elle le revendique. À cet égard, l’article 107 admet des déroga-tions à partir desquelles d’autres arbitra-ges entre « valeur culturelle » et « valeur économique » peuvent être légitimés. L’article 107 affirme, par exemple, qu’il accepte des exceptions pour la « culture » mais se garde d’en donner une définition opératoire. Il admet aussi que des aides publiques peuvent être attribuées si elles n’affectent pas les échanges entre les États membres, si elles relèvent de mesures générales ou de mesures à caractère social bénéfi-ciant au consommateur individuel 8. La décision d’intérêt général peut donc, par dérogation, se fonder sur d’autres valeurs que la valeur économique de concurrence. La République française décentralisée a ainsi confié de larges compétences aux collectivités territo-riales. L’arbitrage entre « valeur cultu-relle » et « valeur économique » s’en trouve modifié d’autant plus que les collectivités sont les principaux finan-ceurs des activités culturelles 9.

Si l’on se penche sur les compétences des collectivités, on constate qu’au-delà d’une vague « compétence générale », deux « bonnes raisons » sont à l’œuvre :– la première est celle d’agir pour répon-

dre aux besoins des habitants que le marché ne satisfait pas correctement ;– la seconde est de promouvoir le déve-loppement du territoire.

Là encore, l’économie créative pourrait solliciter la première place, puisqu’elle vise justement à contribuer à « l’enri-chissement personnel » et à « l’attrac-tivité du territoire » ! Toutefois, on ne manque pas d’être rapidement déçu ; en effet, dans les arbitrages territoriaux, la valeur culturelle n’est pas porteuse d’in-térêt général en elle-même. Elle est tout juste bonne à contribuer à la réussite d’autres politiques publiques telles que la cohésion sociale ou le développement urbain. Philippe Stark n’a pas manqué d’appliquer ce regard critique au cas du musée Guggenheim de Bilbao qui passe pour un modèle culturel perti-nent de grande efficacité économique et urbaine : l’effet Guggenheim n’est pour lui qu’un « effet marketing », « une sorte de hold-up de la culture10». En somme, la politique culturelle est d’intérêt général par procuration. Elle est utile mais elle ne porte plus l’enjeu spécifique de la construction des valeurs communes. C’est, là encore, à chacun sa culture dans son coin de territoires ou, comme on le dit à Angers « La culture ange-vine s’ouvre à tous les publics et à tous les goûts ».

On doit ainsi observer que lorsque la règle d’intérêt général est l’attracti-vité du territoire, les « bonnes valeurs

“Il ne s’agit pas d’opposer un monde culturel par nature « hors marché » au monde barbare des marchandises remplissant les rayons des grandes enseignes. L’enjeu de la politique culturelle est plutôt de savoir comment la démocratie opère des dosages, au nom de l’intérêt général, entre les valeurs culturelles et les valeurs économiques.”

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culturelles » sont celles qui font rayonner le territoire, au niveau local, régional, national, européen. Avec la culture, le territoire d’ici, « notre » territoire, a vocation à devenir meilleur que les autres et la valeur culturelle n’est qu’un atout de cette lutte permanente pour gagner des positions. Pour évident que cela puisse paraître, on doit toutefois s’interroger sur ce curieux destin de la culture dont la valeur devient une arme de politique publique pour que le territoire soit plus fort que le monde environnant. La poli-tique culturelle du territoire légitime la domination d’une culture territoriale sur les autres.

Dans cette économie culturelle terri-toriale, prônée par l’économie créative, l’alliance « culture/économie » est certes solide empiriquement. Elle est prag-matique mais reste dramatique poli-tiquement pour ceux qui croient que la culture ne prend sens et valeur que pour construire ensemble la nécessaire utopie humaniste. L’économie créative l’ignore et, à cet égard, elle est plus souvent fautive que naïve.

Pouvait-elle, néanmoins, penser une autre alliance de l’économie et de la

culture ? La réponse est positive et pres-que évidente pour ceux qui prennent au sérieux les engagements de l’Unesco en matière de diversité culturelle. Il est donc possible de résister aux doctrines existantes pour redonner à la culture une dimension fondamentale pour le genre humain.

LA DOCTrIne De LA LIBerTÉCuLTureLLe De LA

perSOnne

La quatrième figure de l’alliance de la culture et de l’économie a pour point de départ l’article 1 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. Chaque être humain doit être plei-nement reconnu dans sa dignité. Pour ce faire, la politique publique doit considérer que chaque personne a la liberté de choi-sir ce qui fait culture pour elle. Chaque personne doit être respectée dans l’iden-tité culturelle qu’elle se construit. Cette position doctrinale impose une lourde contrainte : comme le droit à la dignité de sa culture est absolu, celui qui revendique le respect de son identité culturelle doit impérativement s’engager à respecter la dignité culturelle des autres.

L’enjeu culturel pour l’humanité n’est plus celui de l’œuvre de référence, comme le voulait Malraux. L’enjeu n’est pas non plus celui de satisfaire des besoins cultu-rels de consommateurs individuels dans l’indifférence des autres ou de consoli-der la puissance des territoires et de leur peuple. Il s’agit maintenant de construire l’humanité en acceptant à la fois la liberté des choix culturels de chaque personne, au nom de leur dignité, et la nécessité que ces choix respectent les autres cultu-res. Le pari est difficile mais la solution est prometteuse pour la démocratie du « vivre ensemble » : la politique publique de la culture doit alors veiller à ce que les pratiques des cultures singulières, dont celles des artistes, soient à la fois libres et compatibles, disons plutôt « recon-nues » par les autres cultures. Comme la réponse à cette question n’est jamais certaine, et qu’elle est moins à trouver dans les faits objectifs que dans la repré-sentation que chacun se fait des autres, la politique de la culture doit organiser en permanence les confrontations de sens et de valeurs culturels ; elle doit être à l’écoute des réactions provoquées par la variété des expressions culturelles, dans le but d’en favoriser la reconnaissance, de réduire les distances et, si nécessaire, de combattre les cultures du rejet et de l’exclusion.

Cette doctrine de la liberté culturelle trouve son expression juste dans la formu-lation des droits culturels des personnes, tels que la déclaration de Fribourg les a formulés. Elle modifie considérablement la relation entre la valeur économique et la valeur culturelle.

Puisque chaque personne a la légiti-mité de choisir les biens culturels les plus conformes à sa dignité culturelle, il lui est possible de choisir, en toute liberté, la voie du marché concurren-tiel. Dans ce cas, la personne considère que la « valeur économique » du produit culturel correspond à la « valeur cultu-relle » qu’elle lui donne pour construire son identité. Le marché n’est donc pas remis en cause mais il n’est qu’un outil de la dignité culturelle de la personne.

CIGALeS SOLIDAIreS

le premier « Club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne

solidaire » a vu le jour en 1983. depuis, les Cigales se sont multipliées en France

et, en 2007, 27 clubs rassemblaient un peu moins de 1 300 cigaliers.

Ces structures de capital-risque solidaire mobilisent l’épargne de leurs membres au service

de la création et du développement de petites entreprises locales et collectives (sarl,

sCop, sCiC, sa, association, etc.). l’initiative est collective : 5 à 20 personnes se réunissent

mensuellement pendant cinq ans et mettent leurs économies en commun. le plafond

réglementaire de l’épargne est fixé à 5 500 € par an et par personne. les cigaliers reçoivent

des créateurs et décident d’affecter leur épargne collective au capital des entreprises. au

terme des 5 ans, le club liquide son portefeuille au prorata des apports des cigaliers.

les Cigales se présentent comme une alternative à l’économie capitaliste. le club est

un lieu qui permet à ses membres de mieux comprendre les mécanismes de l’entreprise

et de se réapproprier la fonction d’actionnaire. la pérennité prévaut sur le court terme.

l’un des objectifs essentiel est de lutter contre l’exclusion en respectant le développement

durable. les cigaliers soutiennent en priorité le commerce équitable, la défense de

l’environnement, les énergies renouvelables et l’insertion sociale et professionnelle.

la Charte des Cigales défend donc la place innovante des clubs « au carrefour

de l’épargne de proximité, de l’épargne éthique et de l’épargne solidaire ».

pour en savoir plus : fédération des CIGALeS : http://www.cigales.asso.fr/

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - dossier | page 45

Dans cette doctrine, le marché concur-rentiel n’est plus, par essence, le grand ordonnateur du progrès collectif : si le sens et la valeur culturels des marchan-dises portent atteinte à la dignité des personnes, le débat public s’ouvre et le marché doit céder si ses pratiques sont incompatibles avec le principe univer-sel de respect des cultures des person-nes. La concurrence n’est plus une fin ultime !

La personne peut maintenant reven-diquer une autre voie pour exercer ses droits culturels. Le raisonnement est le suivant : « pour garantir pleine-ment ma dignité culturelle, et établir des interactions culturelles avec d’autres identités, je considère que l’acquisition de biens et services culturels sur le marché concurrentiel ne me satisfait pas. Je tiens à construire mon identité culturelle autrement, en entretenant avec d’autres personnes, d’autres identités culturelles des relations de partage de parole, de récits, de formes sensibles, d’histoires et de symboles communs, sans que s’impose entre nous la logique du profit. »

L’ÉCOnOmIe SOLIDAIre : une mOBILISATIOn DeS reSSOurCeS CuLTureLLeS

humAIneS

Une nouvelle relation entre l’économie et la culture est alors tracée : dans la politi-que publique, c’est maintenant la valeur culturelle de la personne qui s’impose aux valeurs économiques des marchandises culturelles. L’économie créative prend un autre sens : elle devient une « économie créative solidaire » qui s’inscrit dans la politique publique de la culture en appli-cation du principe universel de respect des dignités culturelles. Pour en faire ressortir les principes, prenons comme illustration une asso-ciation de musiques actuelles, secteur d’activité dont on vante, ici ou là, les capacités à contribuer activement à l’économie de la culture.

L’association propose à des jeunes apprentis musiciens des locaux de répé-titions, des conseils techniques et autres

soutiens pour accompagner leur projet artistique. Certaines personnes utili-seront ces locaux parce que ce service culturel répond à leur préoccupation, à leur « besoin » au sens du marché. Ils paieront le tarif de location au « prix du marché », comme n’importe quel consommateur. La politique culturelle du 107 s’applique à eux.

Il est aussi possible et fréquent que ces consommateurs deviennent des « usagers » si la collectivité estime néces-saire, pour des raisons d’inégalités sociales ou économiques, de subventionner l’asso-ciation pour réduire les tarifs des services fournis. Là encore, il ne s’agit que d’une application des exceptions prévues à l’ar-ticle 107. Dans les deux cas, l’association se contente d’être prestataire d’un service qui est acheté par des « consommateurs » ou des « usagers », même si l’association les appelle « mon public ».

Il ne serait pas sérieux de considérer qu’une telle offre associative constitue une réponse aux exigences de l’économie créative solidaire sous prétexte qu’elle

“Cette doctrine de la liberté culturelle trouve son expression juste dans la formulation des droits culturels des personnes, tels que la déclaration de Fribourg les a formulés. Elle modifie

considérablement la relation entre la valeur économique et la valeur culturelle.”

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serait subventionnée et non lucrative. L’association, toute culturelle qu’elle soit, reste et demeure un fournisseur de marchandises, à des prix égaux ou infé-rieurs au marché, rien de plus.

En revanche, la situation est tout à fait différente si l’association affirme sa volonté de contribuer à la reconnais-sance11 des personnes et à la consoli-dation de leur dignité culturelle. Elle affirme alors ses valeurs et demande aux personnes qui veulent bénéficier des ateliers de répétition ou de l’accom-pagnement des ingénieurs, professeurs et artistes confirmés d’adhérer à cette éthique du projet. À ce titre, les person-nes sont évidemment parties prenantes à la vie interne de l’association, selon des règles de démocratie explicites et appli-quées, mais cela ne suffit pas. Puisque leur dignité est en jeu, elles doivent aussi participer à la reconnaissance par la Cité du sens et des valeurs culturels de leurs pratiques ; elles doivent s’engager à dire aux autres le sens et la valeur du projet auxquels elles sont associées. L’engage-ment pour la dignité culturelle signifie investissement de la personne dans l’es-pace public pour contribuer au « vivre ensemble ».

La conséquence est inévitablement que leur projet devra s’adapter autant que le référentiel culturel commun du territoire aura aussi à s’ajuster à cette présence de cultures inédites, en parti-culier lorsqu’elles prennent des « formes étrangères » et des formes « étranges » liées à des pratiques d’expérimentation artistique. L’engagement dans l’écono-mie créative solidaire est ainsi action de résistance au repli de chacun sur sa culture, dans son association, dans son identité figée. Repli si contradictoire avec les principes de la diversité cultu-relle. On pourrait dire « ouverture aux autres » ou mieux « participation » aux lieux d’échanges et de discussions qui, permettent, non pas de partager toutes les cultures, mais de reconnaître une place légitime et pacifiée à la diversité des identités culturelles.

Avec la nécessité de ces engagements, l’économie créative solidaire est donc d’une grande exigence pour la personne qui, dès lors, ne peut plus être assimilée à un « public » anonyme, un usager indif-férent ou un consommateur ignorant les valeurs collectives. Il n’est plus question non plus de dire que le projet s’adresse à des gens, des habitants, des populations. On aurait tort enfin de considérer que, dans le projet, la personne est « béné-

vole » puisqu’elle donne et reçoit beau-coup. Sa contribution vient en contre-partie de l’apport des autres personnes participant à l’économie (solidaire) du projet culturel, même si cette contre-partie ne se lit pas en terme de salaire, (c’est-à-dire en terme de contrepartie monétaire d’une marchandise appelée « force de travail »).

En tout cas, le temps que la personne passe dans son engagement culturel ne peut plus être considéré comme rele-vant d’un temps de « loisir ». L’affaire est plus sérieuse car l’enjeu concerne fondamentalement la capacité des personnes à devenir acteurs de leur dignité culturelle et à engager leur iden-tité de « sujet » dans l’interaction avec les autres. On notera à cet égard que cette conception de l’économie créative solidaire remet en cause l’esprit même du projet de loi sur les amateurs12.

Le texte de ce projet de loi reconnaît certes que l’activité des amateurs contri-bue à leur développement personnel mais, paradoxalement, il en fait une simple activité de loisir. L’amateur se

« détend » après le temps sérieux du labeur et la seule activité artistique qui compte pour le projet de loi est celle où l’artiste est salarié d’un patron qui vend ses spectacles sur le marché. Encore « l’article 107 » loin de la logique des droits culturels.

On peut préciser cette dynamique de mobilisation de ressources culturelles humaines en prenant l'exemple d’un musée. Dans les trois premières figures de politique publique que nous avons évoquées, le propos sera à peu près iden-tique : « notre musée a une belle collection, nous incitons le public à venir visiter nos expositions de qualité professionnelle et à découvrir, grâce aux compétences de nos médiateurs, nos richesses artistiques ». Il suffit d’acquitter un droit d’entrée modeste et le tour culturel est joué.

L’ImpÉrATIf De LA DIGnITÉ CuLTureLLe

Avec la figure de la dignité culturelle, le musée se présentera autrement en disant : « notre mission est de permettre aux personnes et aux groupes de pouvoir mieux déterminer leur place dans le monde. Venez travailler avec nous, pour dire aux autres ce que vous avez à leur dire car nos compétences sont au service de la construction de votre identité cultu-relle. Nous ferons ensemble un parcours qui vous permettra d’être dans l’espace public, acteurs de votre identité, d’être ainsi mieux reconnus et de mieux respecter les autres identités. » Comme le formule par exemple le directeur du Tyne and Wear Museums de Newcastle, Alec Coles, à propos des missions de sa structure : « Most importantly, it is an organisation, literally, with a mission : To help people determine their place in the world and define their identities, so enhancing their self-respect and their respect for others 13 ».

Avec la figure de la dignité culturelle, la politique publique instaure entre les deux parties (le musée et le groupe de personnes) un engagement solide

“L’engagement dans l’économie créative solidaire est action

de résistance au repli de chacun sur sa culture, dans son association, dans son identité figée. Repli si contradictoire

avec les principes de la diversité culturelle.”

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - dossier | page 47

de partage des valeurs culturelles par la construction d’un projet commun, proposé aux autres identités culturelles, dans l’espace public. Le projet culturel respecte tant les compétences des profes-sionnels que les identités des personnes, tout en tissant entre elles des réseaux qui participent à la richesse culturelle de chacun et du collectif, même sans contrepartie monétaire14.

Le scénario de l'économie créative solidaire est finalement simple : pour construire sa dignité culturelle et deve-nir acteur de son identité culturelle dans un rapport qui prend soin des identités des autres, la personne s’engage dans un projet collectif de partage culturel. Avec cette exigence, l’économie créative s’ancre dans les valeurs de l’économie solidaire15 au sens où le projet consiste à agir et produire ensemble, dans le respect des principes démocratiques, autour de valeurs culturelles partagées, en établissant des relations négociées de réciprocité. L’engagement culturel prime sur les contreparties obtenues par paie-ment monétaire. L'artiste peut vendre beaucoup mais, pour être d'intérêt géné-ral, son projet n'a pas besoin d'être renta-

ble : il lui suffit de mobiliser autour de lui les personnes qui s'engagent à faire sens et valeurs dans l'espace public pour nourrir l'imaginaire commun du « Vivre ensemble ».

Il conviendrait donc de progresser dans la reconnaissance juridique d’une écono-mie créative solidaire. Dans un premier temps, on pourrait suggérer qu’une collectivité, en « co-construction » avec les acteurs volontaires, élabore une charte d’éthique culturelle. Le document rappel-lerait les principes des droits culturels, les engagements des signataires en matière de respect des dignités cultu-relles. Il préciserait les principes d’équité et de transparence démocratique que les acteurs auront à respecter pour s’assu-rer de l’engagement des personnes aux projets ou sanctionner les engagements non tenus. Il organiserait avec soin le dispositif d’évaluation partagée.

En contrepartie de cette adhésion à la charte d’éthique culturelle, les associations bénéficieraient de soutiens financiers de la collectivité, elles seraient associées à un dispositif rénové de gouvernance de l’ac-tion culturelle publique et, surtout, elles

seraient intégrées au processus permanent de confrontations de sens et de valeurs des cultures dans leur diversité.Il reste que cette approche n’aura de portée que si elle peut faire bouger les lignes de l’article 107 qui, aujourd’hui, les considère au mieux comme des exceptions culturelles sympathiques n’échappant nullement à l’emprise de l’environnement concurrentiel 16. Si l’on voulait donner place au principe universel de dignité, il faudrait refor-muler l’article 107 pour y inclure l’en-gagement politique suivant : « Au titre du respect des droits culturels, les aides publiques sont autorisées pour soutenir les projets d’économie créative solidaire, contribuant à renforcer la dignité cultu-relle des personnes et leur plus grand respect des autres. »

On pourrait alors sérieusement inaugu-rer, au niveau des textes européens, un vrai « service culturel d’intérêt général » correspondant au travail mené en Europe par des milliers d’associations. On pour-rait ensuite traduire ce nouveau principe par une loi nationale sur la culture qui, au lieu de porter sur le secteur cultu-rel conçu comme une simple offre de

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marchandises par le secteur public ou par le privé, affirmerait la nécessité de soutenir l’engagement culturel des personnes au nom des valeurs de solida-rité et de liberté culturelle. Après tout, si la France a signé les accords de l’Unesco, que cela ne soit pas pour rien.

Compte tenu de ces perspectives et de ses exigences, les acteurs de l’économie créative devraient veiller à éviter les confusions de sens : ils ne peuvent pas prétendre avoir toutes les vertus, celles de l’intérêt général comme celles de l’in-térêt particulier. Ils devraient indiquer un peu mieux ce qu’ils veulent être : des tremplins pour le profit des industries culturelles mondialisées, des outils de la domination d’un territoire sur les autres ou des apporteurs de « services culturels d’intérêt général » à part entière, contri-buant à la conquête de la plus grande des libertés, celle du « vivre ensemble » dans le respect réciproque des dignités cultu-relles des personnes.

Jean-Michel LucasPrésident de Trempolino, maître de conférences à l’Univer-

sité de Bretagne - Rennes.

1 – Le lecteur s’attend sans doute à bénéficier d’une définition précise de « l’écono-mie créative », mais il ne l’obtiendra pas. Chaque regard sur le monde voyant midi à sa porte, le mariage « culture/économie » n’est encore qu’un amoncellement de représentations rattachées à des paradigmes indétectés. Le statut « scientifique » des auteurs sert de paravent à des subjectivités qui ne songent même pas à s’interroger sur leur certitude doctrinale et leurs faiblesses théoriques ! On lira une étude exhaustive de tous ces déguisements de « scientificité » dans le working paper de Katia Segers and Ellen Huijgh : « Clarifying the complexity and ambivalence of the cultural industries », Cemeso (Center for studies on media and culture), 2007.2 – Nous avons repris ce credo du livre Économie créative publié à Bordeaux par l’Institut des deux rives qui se présente comme un « réservoir de pensée, sur le sujet » ! (Éditons Mollat, 2009). On retrouverait les mêmes vertus énoncées par l’Alliance globale pour la diversité culturelle sur le site de l’Unesco : http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=29032&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html.3 – Le réseau « creative cluster » organise même des formations pour atteindre tous ces objectifs en même temps, voir http://www.creativeclusters.com/.4 – On trouve cette expression dans la contribution du syndicat F3C-CFDT aux Entre-tiens de Valois, page 187 du document final.5 – André Malraux, discours prononcé par André Malraux à l’occasion de l’inaugura-tion de la Maison de la Culture d’Amiens, le 19 mars 19666 – T. Adorno, Le caractère fétiche dans la musique, page 33, Éditions ALLIA, 2003.7 – Article 107 (ex-article 87 TCE) : Sauf dérogations prévues par les traités, sont in-compatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concur-rence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. [...] 3. Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur : [...] d) les aides destinées à

promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans l’Union dans une mesure contraire à l’intérêt commun… . 8 – Les détails des dérogations sont explicités dans la Circulaire du 26 janvier 2006 re-lative à l'application au plan local des règles communautaires de concurrence relatives aux aides publiques aux entreprises.9 – Voir les publications du DEPS : Culture Chiffres 2009-3, Les dépenses culturelles des collectivités locales en 2006 : près de 7 milliards d'euros pour la culture.10 – Voir l’interview de Philippe Stark dans Une introduction à l’économie créative, op.cit.11 – Cf. Axel Honneth, « Invisiblité : sur l’épistémologie de la reconnaissance », in La société du mépris, éditions La Découverte, 2006 ; et La réification NRF.12 – Avant projet de loi « De la participation des amateurs à des représentations de spectacles vivants », juin 2008. Article 1 : définition de l’amateur « est dénommé amateur dans le domaine du spectacle vivant toute personne qui pratique seule ou en groupe une activité artistique à titre de loisir... ». Voir le projet et les commentaires de la cofac : http://www.cofac.asso.fr/spip.php?article5013 – Voir le site Tyne et Wear Museums14 – Sur la richesse culturelle comme effet de réseau voir, par exemple, Patrice Meyer-Bisch « Les droits culturels enfin sur le devant de la scène ? », in L’Observatoire n° 33, Observatoire des politiques culturelles, mai 2008.15 – On renvoie ici aux travaux de Jean-Louis Laville, en particulier L’économie solidaire, une perspective internationale, Hachette Littératures, 2007. On citera aussi l’ouvrage de Laurent Gardin, Les initiatives solidaires Éditions ERES, 2006 ; ainsi que l’ouvrage collectif dirigé par P. Colin et A. Gautier Pour une autre économie de l’art et de la culture, Éditons ERES, 2008.16 – On rappelle le combat de l’Ufisc dont le manifeste est justement fondé sur les principes de la diversité culturelle.

Pour la reconnaissance de l’économie créative solidaireNOTES

Chers amis,

une nouvelle fort triste nous parvient. augustin girard est décédé jeudi 9 juillet. avec lui

disparaît une figure exemplaire et majeure de la vie culturelle, même si son nom n’était pas

forcément connu du grand public. Je peux témoigner en tous cas que, pour des acteurs de

diverses générations impliqués notamment dans les politiques culturelles et leur évaluation

et œuvrant aujourd’hui même dans le monde, le fondateur du service des études et de la

recherche du ministère de la culture demeure une référence intellectuelle et morale de

premier rang. son nom était encore spontanément cité dans des séminaires d’experts tenus

tout récemment à budapest ou à Montréal. C’est dire le rayonnement de sa pensée et de son

action. le dernier éditorial de l’observatoire était consacré à la question culturelle dans une

perspective de développement durable. rien ne vaut de revenir aux sources de la réflexion

sur le thème du développement culturel et cela m’avait amené à citer en exergue à ce texte

l’une des réflexions prémonitoires d’augustin sur le sujet. C’est dire aussi qu’il continuait de

nous accompagner par la pensée, même si les circonstances et sa santé l’avaient éloigné

des lieux publics ces dernières années. nous savions qu’il ne serait pas en mesure de nous

rejoindre pour participer au grand colloque de fin mai marquant, à grenoble, les 20 ans

de l’observatoire et pour lequel nous avions choisi de mettre en valeur la jeune recherche

européenne. tenu au courant de ce projet et de son orientation, augustin avait su mobiliser

son énergie pour nous adresser des mots d’encouragement plus précieux les uns que les

autres. Ceux qui étaient présents se souviennent aussi que ce colloque lui a été dédié. Ce

n’était que justice bien entendu, et de savoir qu’il a eu conscience de cet hommage nous

remplit de joie. on le sait, sa présence aux côtés de rené rizzardo pour fonder l’observatoire

des politiques culturelles a été déterminante. son accompagnement pendant près de

17 années nous était complètement nécessaire. par ses qualités humaines, il était aussi

apprécié par toute l’équipe qui a pleinement conscience de son apport à notre aventure.

par dessus tout, je retiens son regard, attentif, généreux et cette confiance sans limite dont il

témoignait toujours, une confiance qui nous a littéralement portés et qui nous a fait grandir.

jean-pierre SaezObservatoire des politiques culturelles

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éConoMie soCiale et solidaire : un terrain d’innovation pour les Musiques aCtuelles

L’Observatoire – On parle souvent, à propos du secteur des musi-

ques actuelles, de « tiers secteur » ou « d’économie sociale et solidaire » mais ces notions demeurent assez floues pour la plupart des acteurs. Comment les traduiriez-vous dans la pratique ? Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

La vision idéologique binaire public/privé est tellement prégnante et dominante dans les esprits qu’il est difficile de penser à se définir autrement sans apparaitre décalé ou pas sérieux. Comme beaucoup de choses de la vie, ce qui relève de « l’éco-nomie sociale et solidaire », d’un « tiers secteur » ou « d’un monde du milieu » est constitutif d’un ensemble de manières de faire, de finalités de vie, de choix d’orga-nisation et de manières de faire ensemble, qui se différencie de la seule quête d’un enrichissement matériel individuel ou de pouvoir et de l’exécution d’un service public dans un cadre administré.

Un projet qui se situe dans ce grand ensemble hétérogène de l’économie sociale et solidaire, peut être, par exem-ple, un projet artistique et culturel d’ini-tiative privée à finalité non lucrative qui

mobilise des énergies aussi bien salariées que bénévoles sur des enjeux artistiques et culturels de partage et de mieux vivre ensemble, dans une logique participative, en allant au plus près des populations, et qui tente de limiter le filtre des intermé-diaires multiples, d’agir en coopération plutôt qu’en concurrence, et de fixer des limites à son développement propre. Ce peut être un festival, un label indépen-dant, un lieu, une radio indépendante associative, un collectif d’artistes…

L’Observatoire – Le terme « d’économie sociale et solidaire » n’est-il pas un peu englobant alors que le fonctionnement des musiques actuelles montre que vous êtes sur une variété d’approches économiques qui de va de l’économie marchande au bénévolat, en passant par les financements publics ?

Toute la pertinence du positionnement tient dans l’acceptation du postulat que nous sommes dans une économie plurielle, où se côtoient le marché, une redistribution publique et des processus de réciprocité non monétaire. Les acteurs de l’économie sociale (qui se définit histo-riquement par les statuts : associatifs, coopératifs, et mutualistes) et solidaire

(qui se réfère à la démarche) se dévelop-pent sur les trois entrées. C’est à la fois des modes d’organisation et des démarches répondant à des valeurs1.

L’Observatoire – Le secteur des musi-ques actuelles a-t-il été précurseur de ce mouvement ?

Le secteur des musiques actuelles est vaste et pluriel et porte en lui toutes les problé-matiques du monde moderne, entre la mondialisation et la concentration économique, les transformations tech-nologiques, les interactions artistiques et culturelles, les frottements idéologiques et l’extrême difficulté du monde politi-que à l’appréhender dans sa diversité. Bien que très présentes dans l’imaginaire collectif, ces musiques ne présentent pas une lecture politique adaptée à leur complexité. Elles-mêmes se sont cons-truites dans une logique principalement libérale, voire libertaire.

Le mouvement de l’économie sociale et solidaire ne s’est pas construit et défini historiquement en France dans le secteur des musiques actuelles. C’est plus dans certains pays comme le Brésil, où le mouvement de résistance et de transfor-

Président de l’U-FISC (Union fédérale d’intervention des structures culturelles) mais aussi directeur de la Fedurok qui rassemble 75 équipements qui œuvrent à la concré-tisation d'un projet culturel pour la diffusion et l'accompagnement des pratiques artistiques dans le secteur des musiques actuelles et amplifiées, Philippe Berthelot a répondu à quelques-unes de nos questions sur le concept « d’économie sociale et so-lidaire » : comment approcher cette notion, déjà ancienne, dans le champ du secteur culturel ? Quels sont ses enjeux ? En quoi nous invite-t-elle à imaginer une nouvelle économie pour l’art et la culture ?

entretien avec Philippe Berthelot

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mation sociale a été important, qu’il a trouvé réalité. Sans que cela ne soit forma-lisé comme tel, on peut dire qu’il trouve son terreau dans une partie du secteur des musiques actuelles qui a toujours été revêche, aussi bien à l’institution qu’au business. Mais entre les mouvements underground des années 70 et le punk alternatif des années 80, qui se sont appuyés sur le terrain organisé de l’édu-cation populaire, on ne peut pas dire que l’approche économique ait été des plus explicites. De là à être précurseur…

L’Observatoire – Peut-on soutenir que la proximité du secteur des musiques actuelles avec le secteur privé et les logiques du marché est ce qui explique en partie la prudence des collectivités à l’égard de ce milieu ? Partagez-vous l’analyse selon laquelle les collectivi-tés territoriales ont évolué dans leur manière d’appréhender le secteur des musiques actuelles à cet égard ?

Les collectivités territoriales ont fait un parcours accéléré depuis le début des années 90 mais dans une approche prin-cipalement sociale et économique avec le programme d’État « Zénith ». L’approche culturelle est récente et a été facilitée par le dispositif « Scènes de musiques Actuelles » et l’implication des Régions et des Départements. Mais, en règle générale, elles ont aussi des difficultés comme pour d’autres secteurs d’activité à penser « ternaire » en intégrant une mouvance d’économie sociale et soli-daire explicite dans les musiques actuel-les. Même si l’assise principale de leurs politiques culturelles a été, pendant très longtemps, le soutien à des projets asso-ciatifs, on voit poindre la tendance qui consiste soit à intégrer dans le secteur administré, notamment pour ce qui touche à l’apprentissage musical, soit à abandonner le reste au marché et au règne du moins disant.

Les frictions entre l’artistique et l’écono-mique, entre la logique oligopolistique de l’industrie et celles de bien commun, nécessitent que des analyses plus clai-res soient énoncées par les collectivités

territoriales. Or, pour le moment, les discours restent très flous et abandonnent la gestion de l’intérêt général et du service public de la culture à l’application méca-nique des directives européennes et des instructions de la Cour des comptes.

L’Observatoire – Pouvez-vous approfon-dir pour nous ce que vous appelez « l’ob-servation participative et partagée » ?

La participation des acteurs/contributeurs au processus de l’observation est un enjeu déterminant. Cette démarche d’observa-tion implique et associe directement l’ob-servé par sa participation à l’ensemble de la démarche d’observation en lui donnant

la possibilité de pouvoir s’approprier et utiliser les données générées collective-ment pour ses propres besoins d’analy-ses. Cela rend les acteurs plus respon-sables et enclins à mettre à disposition leurs données relevant de leur activité dans leur environnement professionnel et institutionnel. C’est l’aspect partagé de l’observation. Ainsi, chaque partie prenante peut faire ses analyses, facilitant la confrontation des points de vue. C’est un moyen de rééquilibrer l’avis unique et soit disant « objectif » qui viendrait de l’extérieur. C’est aussi un moyen d’associer chacun dans un processus démocratique d’échange, tout en laissant la décision à ceux qui en ont la légitimité.2

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L’Observatoire – Vous faites appel aux outils numériques pour structu-rer votre organisation et vous faites preuve d’une démarche innovante dans ce domaine. Quels sont pour vous les enjeux aujourd’hui ?

Ces démarches de fonctionnement collectif et participatif ne peuvent s’entendre pour de très petites entre-prises que si des outils performants existent pour relier, accompagner, soutenir, informer et valoriser. C’est pourquoi nous avons anticipé cette donne en développant, parallèlement à la construction de démarches et de méthodologie, des outils adaptés en profitant des apports des technologies numériques. Cela se matérialise en 2009 par la livraison d’une plateforme générique en ligne (GIMIC) qui offre la possibilité d’asseoir de l’observation en lien avec des modules de gestion pour des acteurs en réseau. L’outillage étant générique, il ne s’intéresse pas au seul secteur des musiques actuelles. C’est pourquoi, il a vocation à être développé et géré par une structure spécifique sous la forme d’une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) 3.

L’Observatoire – Justement comment voyez-vous évoluer les modes de gestion aujourd’hui ? Est-ce que les coopératives vous semblent un outil d’avenir ?

Nous menons actuellement une étude sur les modes de gestion4 afin d’iden-tifier la correspondance entre le mode de gestion et le développement des projets, en particulier dans le niveau d’implication des collectivités publi-

ques avec notamment les modalités de délégation de service public à structure privée et l’arrivée des établissements publics tels que la régie personnalisée et l’EPCC. Les coopératives, et particu-lièrement les SCIC, peuvent offrir des réponses adaptées lorsqu’il s’agit d’être sur de la prestation de services ou de la production de biens dans un processus commercial avéré. Mais ces statuts sont mal connus des pouvoirs publics et dans le cas de la SCIC, la limitation légale des moyens publics alloués par la loi est un handicap pour les projets qui s’appuient sur des problématiques d’infrastructu-res lourdes et d’équipement en gestion à l’exemple des lieux. Quoiqu’il en soit, ces statuts ne se substituent pas pour autant au statut associatif qui reste, dans de nombreux cas, adapté aux différentes natures des projets.

L’Observatoire – L’économie sociale et solidaire apparaît comme une forme de mise en œuvre de la participation et de la solidarité, quel résultat obtenez-vous concrètement dans ce domaine en termes de gouvernance ?

La participation et la solidarité sont, à l’instar de la démocratie, une mise en œuvre extensible selon la nature des projets. Dans le travail sur la gouver-nance, au-delà d’un homme / une voix et de l’adhésion conférant une expres-sion à une Assemblée générale, il y a, en s’appuyant sur la démarche d’autres acteurs de l’économie sociale et solidaire dans d’autres domaines, à s’intéresser aux processus qui associent directement les populations, les usagers ou les consom-mateurs, à l’exemple des AMAP dans le commerce équitable.

L’Observatoire – Souhaitez-vous déve-lopper des systèmes de financements solidaires en faisant appel à l’épargne privée ?

C’est un chantier qui est à développer, dans un cadre plus vaste que celui des musiques actuelles. C’est pourquoi nous l’investissons, comme pour d’autres problématiques, avec les acteurs de champs artistiques et culturels (théâtre, danse, arts de la rue, cirque de création, arts plastiques, …) qui se reconnaissent aussi de l’économie sociale et solidaire, et avec lesquels nous nous retrouvons dans l’UFISC 5 et son « manifeste pour une autre économie de l’art et de la culture » 6.

L’épargne privée solidaire est un véritable enjeu. Elle a pour principe de permettre à des projets de disposer de fonds qui ne sont pas conditionnés par une exigence de performance rémunératrice pour l’in-vestisseur, mais répond à une adhésion idéologique de ce dernier aux projets qu’il soutient. Cela constitue donc une piste partielle pour des initiatives privées à but non-lucratif dont l’objet n’est pas de redis-tribuer des gains à des individus mais de les réinjecter dans des projets d’intérêt général.

D’autres pistes existent également, notamment en termes de constitution de fonds de trésorerie mutualisés, qui permettraient aux structures les plus dépendantes d’un fond de roulement fragile de maintenir et développer leur activité. C’est pourquoi nous nous intéressons à l’initiative d’Actes’if 7, membre de l’UFISC qui a initié un Fond de solidarité.

1– Pour une autre économie de l’art et de la culture sous la direction de Bruno Colin et Arthur Gautier, collection «sociologie économique» dirigée par Jean-Louis Laville, édition Eres, 2008, 172 pages.2– «L’Observation Participative et Partagée [OPP]» - Une méthode proposée par La Fédurok, 2005, 37 pages.http://fsj.la-fedurok.org/documents/OPP-METHODE.pdf

3– www.gimic.org4– Etude « Lieux, projets et collectivités territoriales » initiée par La Fédurok en 2007, en cours de finalisation.5– www.ufisc.org6– http://www.ufisc.org/Ufisc_Manifeste_V3.pdf7– www.actesif.com

Économie sociale et solidaire : un terrain d’innovation pour les musiques actuellesNOTES

Entretien avec Philippe Berthelot Directeur de Fédurok

Propos recueillis par Lisa PignotRédactrice en chef adjointe de L'Observatoire

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le « pour-Cent Culturel Migros » en suisse ou « quand une entreprise privée Joue les pouvoirs publiCs »

Découlant de la fragmentation administrative et politique d’un

pays qui s’est construit comme une « confédération » d’entités cantonales relativement autonomes, le principe helvétique de la subsidiarité signifie qu’un créateur réunit le budget de son projet en frappant aux portes de bas en haut, autrement dit, chez les privés et sa commune d’habitation tout d’abord, puis son canton et, enfin, en dernier lieu, la Confédération.

Dans un petit ouvrage au titre parlant, l’écrivain et éditeur romand Pierre-Olivier Walzer a décrit ce phénomène, en regrettant qu’il soit typiquement suisse1. « L’esprit d’initiative venant d’en haut est considéré comme condamna-ble outrecuidance », se plaint-il, et par conséquent, « il n’appartient pas à l’État d’orienter la culture, c’est à la culture de s’orienter elle-même et d’essayer de subsister en arrachant son oxygène un peu à la Confédération, un peu aux cantons, un peu aux villes et un peu aux privés », ceci sur le mode d’un « aide-toi d’abord, et l’État t’aidera peut-être ».

un OuTIL vIeux D’un

DemI-SIèCLe

Une des portes auxquelles les créateurs peuvent frapper en Suisse depuis main-tenant un peu plus de cinquante ans est le « Pour-cent culturel » de la Migros, une grande enseigne de la vente alimentaire en demi-gros (d’où son nom) fondée dans les années 1920 et omniprésente en Suisse, dont nous présentons ici brièvement les principales lignes de force2. La Migros se distingue des autres entreprises par le double fait qu’elle s’est construite, d’une part, sur le principe de la coopérative ; il n’y a donc pas d’actionnaires, mais des coopérateurs – un peu plus de 2 millions de personnes, ou une bonne part de la population adulte du pays, qui en compte sept en tout ! D’autre part, la Migros a été marquée par l’esprit philanthrope de son fondateur, l’Alémanique Gottlieb Duttweiler, qui voulait, dans la foulée des années 1930 et de la Seconde guerre mondiale, promouvoir un « monde social et culturel meilleur » et qui prônait notam-ment, dans l’une de ses 15 « thèses », que « l’intérêt général [soit] placé plus haut que l’intérêt des coopératives Migros »3.

Le premier engagement culturel mis en avant par la coopérative l’est au sens plutôt large puisqu’il s’agit de cours de langue proposés à la population dès 1944, afin d’améliorer la compréhen-sion entre les trois régions linguistiques du pays, dont la cohésion avait été mise à rude épreuve par l’évolution politico-militaire dans les pays voisins. C’est en suivant le vœu de Duttweiler qu’en 1957, le Pour-cent culturel est ancré dans les statuts de la coopérative, une formalisation qui pérennise cet outil et qui le rend, avec sa durée de vie, unique, sinon au monde, du moins en son genre.

En Suisse, où règne le fédéralisme et la subsidiarité en matière culturelle comme dans de nombreux autres domaines, l’initiative privée est au centre de la vie artistique. Elle joue également un rôle clé dans l’orientation des politiques publiques dans le domaine des arts. Dans ce pays à forte tradition entrepreneuriale et aux identités cantonales bien ancrées, les démarches par trop top down ne sont pas goûtées. Idéalement, les projets culturels doivent naître « d’en bas » et c’est au promoteur concerné – musicien, metteur en scène, commissaire d’exposition, sculpteur et autre créateur – de chercher le financement ou, plus précisément, les nombreux petits financements dont la mosaï-que caractérise la plupart des aventures culturelles, y compris celles qui se déroulent dans les institutions culturelles fonctionnant « par projets »1.

Olivier Moeschler

“le principe helvétique de la subsidiarité signifie qu’un créateur réunit le budget de son projet en frappant aux portes de bas en haut, autrement dit, chez les privés et sa commune d’habitation tout d’abord, puis son canton et, enfin, en dernier lieu, la Confédération.”

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un pOur-CenT pOur LA

CuLTure – Ou preSQue

Aujourd’hui encore, la formation occupe une part importante des contributions versées par le Pour-cent culturel, la majorité même : très exactement 54 % en 20084. Il s’agit des « Écoles-clubs Migros » qui, présentes partout dans le pays et connues de toute la population, offrent un large éventail de cours, de l’ap-prentissage des langues, à la santé et au fitness en passant par la cuisine, les arts, l’artisanat et, nouvellement, des cours « business » plus proches des besoins de l’économie. Sur la petite moitié restante du Pour-cent culturel, les postes « loisirs » (10 %), « société » (6 %), « économie » (2 %) ainsi que l’administration (5 %) accaparent encore un quart, renvoyant notamment aux frais de fonctionnement et d’entretien de parcs de loisirs et de repos comme le Signal de Bougy dans le canton de Vaud (qui inclut une piste de golf grand public, fidèle donc à l’esprit du fondateur de la Migros) ou encore à l’aide destinée à des associations actives dans le domaine du social.

Ce n’est, en définitive, qu’une fraction d’un pour-cent que Migros dédie à la culture au sens plus étroit de création artistique, le poste « culture » concernant (en 2008) 23 %, ou un petit quart, des dépenses d’un Pour-cent culturel décidé-ment multiforme. À l’attention des esprits par trop critiques ou chagrins, il faut en même temps noter que ce pour-cent (il s’agit effectivement de 1% dans le cas de la Fédération des coopératives Migros, et de 0,5 % pour les coopératives régionales) n’est pas calculé sur le bénéfice mais bien sur le chiffre d’affaires. Ce qui donne une somme bien plus importante que dans le premier cas de figure, et assez élevée en l’état : près de 120 millions de francs suisses au total l’an passé5.

un « ÉTAT DAnS L’ÉTAT » eT une myrIADe De

pOLITIQueS CuLTureLLeS

Lui-même devenu une institution pour toutes les personnes qui travaillent dans la culture mais aussi toutes celles qui s’y intéressent, le pour-cent culturel6 n’est pas monolithique, mais bien plus

multiple et multiforme. Il convient tout d’abord de distinguer le centre de ce poids lourd de l’économie helvétique, qui ressemble parfois à un « État dans l’État », de ses branches régionales : il s’agit de la Fédération des coopérati-ves Migros qui finance, logiquement, davantage les projets d’intérêt natio-nal – comme, par exemple, un concours annuel de musiques actuelles très visible notamment en Suisse allemande et qui, intitulé « M 4 Music » (« M pour musi-que »), joue habilement sur la première lettre du nom de l’enseigne7.

Surtout, la Migros, c’est une dizaine de coopératives régionales qui, de par leurs moyens (directement liés à leur chiffre d’affaires et, donc, au bassin de clients desservis), développent des politiques culturelles spécifiques. Ainsi, en terres vaudoises, si le Pour-cent culturel est dédié à la création culturelle qui touche le canton (artistes qui y vivent et qui y créent), il s’est spécialisé dans les arts de la scène, les nouveaux espaces parfois décentrés (Lausanne et Yver-don-les-Bains ont un vaste arrière-pays) et le coaching de projets émergents. À

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Genève, on s’est davantage centré sur la musique, comme aussi sur un service de billetterie dont la gestion constitue, pour une troupe ou un ensemble, en soi une aide considérable ; le Pour-cent culturel de la Cité de Calvin collabore également à la programmation du Forum Théâtre Meyrin8 et propose un soutien logistique aux compagnies. La coopérative Neuchâtel-Fribourg a créé une distinction culturelle9, tandis que le service culturel du Valais a une ouverture plus généreuse sur des productions grand public. Desservant en partie des régions beaucoup plus importantes en termes de population et disposant de moyens autrement plus conséquents, les coopératives alémani-ques ont quant à elles développé leur propres lignes, n’hésitant pas à financer des événements plus médiatisés et plus coûteux. En définitive, la politique culturelle de la Migros est plurielle, comme l’est aussi la réappropriation de l’impératif de « redistribution pour tous » si cher à la coopérative, en fonction notamment de la texture spécifique des territoires dans lequel elle s’inscrit10.

une COOpÉrATIve enTre

mÉCÉnAT eT SpOnSOrInG

Si le Pour-cent culturel manie, on l’a vu, une définition assez large du « culturel », il prend néanmoins claire-ment ses distances face à des visées plus directement économiques. En effet, il existe un département « marketing » à la Migros, et c’est ce dernier qui se charge du sponsoring. Une division appliquée moins par rapport aux domai-nes soutenus (le Pour-cent soutient tous les arts : le théâtre, la musique tous genres confondus, la danse, les specta-cles pour enfants, les variétés ou encore l’humour…) que, plus précisément, en fonction du succès escompté et donc de la capacité d’autofinancement d’un projet – la préférence allant, en Suisse romande du moins, aux créateurs émer-gents. Ainsi, le Pour-cent culturel d’une

coopérative régionale peut décider de soutenir tel projet expérimental jugé novateur dans le domaine du rock ou de la pop ; par contre, si la Migros soutient le très connu festival de musiques actuelles Paléo près de Nyon au bord du lac Léman, elle le fait via son dépar-tement marketing – ce qui implique une approche en termes de sponsoring, avec une aide plus importante mais aussi un retour sur investissement et, en contre-partie, une visibilité attendue11.

Dans tous les cas, c’est un chemin d’équilibriste que suit le Pour-cent culturel, quelque peu tiraillé entre la qualité et la quantité. Entre la volonté de promouvoir l’innovation et le côté pointu de certaines initiatives artis-tiques – avec tout l’élitisme et l’her-métisme que cette autonomisation de l’art12 notamment par rapport aux goûts d’un public plus large peut receler – et l’idéal de l’intérêt général, c’est parfois d’une quadrature du cercle qu’il s’agit. Certes, si un projet semble intéressant mais trop large pour entrer dans une définition plus restreinte et exigeante de la « culture », il est toujours possible de le financer via la rubrique « social »

du Pour-cent. Les frontières entre mécé-nat et sponsoring sont toutefois parfois difficiles à maintenir ou, du moins, à percevoir pour un observateur exté-rieur. Le plus grand succès du « Pour-cent culturel Migros » est sans doute d’avoir su s’imposer comme désinté-ressé et d’avoir réussi à faire oublier que la mention du nom de l’enseigne dans ce label est bien évidemment capitale en termes de visibilité et de présence de la marque dans le pays. Duttweiler l’avait d’ailleurs bien compris, lui qui disait qu’il s’agissait avant tout de séduire les femmes – qui sont, il le savait, ména-gères et les principales clientes de la Migros, mais qui sont aussi, nous le savons, en général majoritaires dans le public culturel.

Il est aussi possible que le climat écono-mique plus rude et la concurrence plus agressive des distributeurs venus de l’étranger (notamment d’Allemagne : Aldi, Lidl, etc.) modifie quelque peu la donne : la transformation récente du nom d’une très connue série de concerts du Pour-cent culturel, les Concerts-clubs (accueil d’orchestres étrangers), rebap-tisée il y a peu en « Migros-pour-cent-

“En Suisse, malgré un appel à peine voilé, il y a dix ans

de cela, adressé à l’économie privée pour accroître sa

contribution au financement de la culture1, celui-ci reste

largement l’apanage des pouvoirs publics.”

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culturel-classics », pourrait à tout le moins le suggérer, et laisser craindre une dilution d’une idée de politique cultu-relle privée originale à plus d’un titre.

Le fInAnCemenT prIvÉ De LA CuLTure en SuISSe, une pArT COnGrue mAIS

ImpOrTAnTe

En Suisse, malgré un appel à peine voilé, il y a dix ans de cela, adressé à l’écono-mie privée pour accroître sa contribution au financement de la culture13, celui-ci reste largement l’apanage des pouvoirs publics. Il y a quelques années, une étude de l’Office fédéral de la statistique chiffrait le soutien privé à la culture en Suisse à environ 320 millions de francs par an14. Une récente étude zurichoise15 a montré que les subventions publiques de la culture s’élevaient, elles, à environ 2,5 milliards de francs suisses (ou 1,5 milliards d’euros). Le financement privé représente dès lors un peu plus de 10 % de cette somme. Mais, en période de vaches maigres pour les budgets publics, cet apport privé est important.

L’aide du Pour-cent culturel Migros s’en-tend d’ailleurs bien comme complémen-taire (et comme minoritaire : on parle d’un « coup de pouce » bienvenu, d’un « pied à l’étrier » proposé aux jeunes créateurs) à celle des pouvoirs publics – avant tout la ville et/ou le canton – ainsi que d’autres acteurs privés et fondations ; comme, notamment, la Loterie Romande, autre protagoniste du financement para-public de la culture, qui dispose toutefois de moyens autrement plus importants16. Au final, le soutien culturel de la Migros apparaît comme tout sauf négligeable.

À un niveau financier, déjà, mais aussi – et peut-être plus encore – par le fait que le Pour-cent culturel Migros relève du mécénat, alors que – toujours selon la même étude de l’OFS – seul un tiers des sommes injectées par le secteur privé dans la culture le sont, loin derrière le sponso-ring. Il s’agit donc là, à tout le moins, d’un bel idéal culturel et de société et, peut-être, d’un modèle à suivre pour d’autres entreprises.

Olivier MoeschlerObservatoire Science, Politique et Société, Université de

Lausanne

1– C’est le cas notamment des théâtres dans la région romande du pays, qui suivent – comme en France – une programmation « en suite ». Les théâtres de Berne, Bâle ou Zurich sont des Stadttheater de répertoire à l’allemande, avec une troupe maison et des coûts fixes considérables, mais tendent eux aussi à augmenter leur part de fonctionnement « par projet ». Voir Pidoux J.-Y., Moeschler O. et Guye O. (1998), Politique extérieure dans le domaine culturel. Étude et évaluation de l’action conduite par les villes, Université de Lausanne. 1– Walzer P.-O., A vot’ bon cœur, m’sieu’dames : petit traité de mendicité culturelle, Genève, Ed. Zoé, p. 12, 1988.2– Les sources papier et on-line utilisées pour cet article sont indiquées en note en cours de texte. Nous remercions vivement Éliane Fournier, responsable des relations publiques et des activités culturelles de Migros-Vaud, pour l’entretien qu’elle a bien voulu nous accorder le 4 juin 2009.3– Cf. http://www.migros.ch/FR/A_propos_de_Migros/L_entreprise/Histoire. Ainsi, les magasins Migros ne peuvent vendre ni alcools ni tabac.4– Tiré de : Migros – Faits et chiffres, brochure d’information, p. 35., 2009.5– Ibid., correspondant à environ 75 millions d’euros, dont environ CHF 27,6 millions (17 millions d’euros) étaient destinés à la culture au sens plus restreint du terme.6– Pour un portrait maison en forme d’abécédaire : http://www.pour-cent-culturel.ch/g3.cms/s_page/52390.

7– Cf. le site Internet http://www.m4music.ch/.8– Cf. http://www.forum-meyrin.ch/. 9– Le Grand Prix culturel, doté d’une somme importante : CHF 50 000.- (environ 30 000 euros).10– Voir à ce sujet Moeschler O. et Thevenin O., Les Territoires de la démocratisation culturelle. Équipements, événements, patrimoines, qui vient de paraître chez L’Harmat-tan, 2009.11– À cet égard, les actions culturelles de plus grande envergure et au public plus large sont traitées à la même enseigne que les grandes manifestations sportives, soutenues via le département de marketing.12– Bourdieu P., Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992.13– Schindler A. et Reichenau Ch., Payante, la culture ? La situation de la culture suisse en 1999 : discutons d’une politique culturelle !, Berne, Office fédéral de la culture, 1999.14– Ou près de 200 millions d’euros ; Office fédéral de la statistique, Financement de la culture par les entreprises, Neuchâtel, OFS, 200315– Weckerle Ch., Söndermann M. et Theler H., “Auf dem Weg zu einer strategi-schen Dimension der Kulturförderung“, in Neue Zürcher Zeitung, 6 janvier, 2009.16– Cette société d’utilité publique distribue chaque année, dans la seule Suisse romande, près de 150 millions de francs suisses (environ 100 millions d’euros), dont un tiers pour la culture ; http://www.loterie.ch/.

Le « Pour-cent culturel Migros » en Suisse ou « quand une entreprise privée joue les pouvoirs publics »NOTES

“La politique culturelle de la Migros est plurielle, comme l’est aussi la réappropriation de l’impératif de

« redistribution pour tous » si cher à la coopérative, en fonction notamment de la texture spécifique des territoires dans

lequel elle s’inscrit.”

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l’éConoMie de la Culture en italie entre publiC et privé

On pourrait affirmer que, par tradi-tion, le financement des « biens

culturels » – c’est-à-dire le patrimoine architectural, les musées, les biblio-thèques, les archives – a toujours incombé aux pouvoirs publics, natio-naux et locaux, tandis que le soutien aux industries culturelles – le cinéma, la radio télévision, la presse, l’édition des livres – relève principalement du marché : dépense des ménages (achats, redevance) et financements publicitai-res. Entre les deux, dans une position plus hybride, se situe le spectacle vivant – musique, opéra, théâtre dramatique, danse – c’est-à-dire un domaine culturel qui, depuis longtemps déjà, ne saurait s’appuyer principalement sur l’achat des billets, alors qu’il le pouvait avant que la hausse des coûts et la concurrence exer-cée par un moyen de communication de masse comme le cinéma ne le placent hors marché. Sans les subventions publi-ques – qui sont devenues plus ou moins déterminantes selon les disciplines artis-tiques, notamment pour l’opéra lyrique

– le spectacle vivant ne pourrait pas survivre : ce dont témoigne la crise dans laquelle il est actuellement plongé avec la baisse de 21 % (de 478 à 378 millions d’euros) subie par le Fonds ministériel du spectacle entre 2008 et 2009.

Le rôLe InTerChAnGeABLe DeS pOuvOIrS puBLICS eT Du mArChÉ DAnS Le

fInAnCemenT De LA CuLTure

Le cas du spectacle vivant représente, en effet, un exemple paradigmatique de la mobilité des frontières entre public et privé dans le financement de la culture en Italie, ainsi que de l’in-terchangeabilité de leurs rôles respec-tifs. Si, d’un côté, le financement privé du patrimoine et des musées – jadis principalement réservé aux pouvoirs publics – s’est considérablement accru et va probablement s’accentuer dans les années à venir face à la réduction des allocations publiques, c’est, par contre, une industrie comme la presse qui est, de loin, devenue le domaine culturel le plus dynamique dans la capacité d’at-traction des financements publics à la culture dans les dernières décennies. Cela est dû aux contraintes classiques du market failure : c’est-à-dire à la crise des ventes des journaux dans un pays au taux de lecture déjà structurellement faible, ultérieurement affaibli à cause

de la concurrence accrue exercée par la télévision sur les consommations des ménages (et, plus récemment, d’Inter-net) qui est de surcroît le destinataire privilégié des investissements publicitai-res. Il en ressort que la presse italienne – qui absorbe annuellement environ 500 millions d’euros en contributions directes et indirectes et de l’État (sans compter les contributions régionales et locales) – est à présent la plus subven-tionnée d’Europe. C’est pourtant une situation qui paraît sans alternative : la menace de la disparition des journaux ne pouvant être tolérée dans une société démocratique.

En ce qui concerne le secteur du cinéma qui a connu, lui aussi – depuis la fin du monopole de la télévision, en 1975, et la concurrence acharnée des chaînes privées – un déficit de marché et, en conséquence, une augmentation poussée des subventions en faveur du cinéma, il faut souligner que, dans les années 90, les contraintes budgétaires imposées par l’adhésion à la monnaie unique euro-péenne ont suggéré aux pouvoirs publics d’apporter un soutien selon des modali-tés différentes. Au lieu d’augmenter les allocations directes de l’État au cinéma, on a fait le choix d’intervenir par voie réglementaire, en imposant, par la loi 122/1996, à la RAI1 et au groupe privé MEDIASET, de leur attribuer, respec-tivement, les 20 % des revenus issus de la redevance et les 15 % des recettes

Ainsi que dans la plupart des pays industriellement avancés, l’économie de la culture en Italie est une économie mixte, partagée entre les pouvoirs publics et le secteur privé. Il est toutefois difficile de définir et de mesurer avec précision l’importance de leurs rôles respectifs, en raison des nombreuses et persistantes lacunes dans les études et dans les statistiques se rapportant au secteur culturel.

Carla Bodo

“Une industrie comme la presse est, de loin, devenue le domaine culturel le plus dynamique dans la capacité d’attraction des financements publics à la culture dans les dernières décennies.”

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publicitaires aux investissements dans la production cinématographique et audiovisuelle nationale et européenne. Des financements importants ont ainsi été canalisés vers notre industrie de film de fiction, témoignant aussi que les pouvoirs publics, lorsqu’ils décident de soutenir la culture en mobilisant des ressources privées, disposent d’instru-ments efficaces et moins coûteux que les subventions prises en charge par les collectivités.

LA prISe en ChArGe CrOISSAnTe Du fInAnCemenT DeS BIenS eT ACTIvITÉS CuLTureLLeS

pAr Le SeCTeur prIvÉ

Hormis les industries culturelles, qu’en est-il des moyens de financement des biens et des activités culturelles plus traditionnels ? Bien que le rôle des financements publics en faveur de ces domaines soit encore prédominant, on a assisté, en Italie, dans les trois dernières décennies, à leur prise en charge crois-sante par le secteur privé, soit à travers le mécénat, soit en permettant l’accès du secteur privé à la gestion des institutions culturelles publiques.

Le mÉCÉnAT

La première mesure de facilitation du mécénat privé à destination des biens culturels a été la loi 582/1982, qui permettait aux individus, aux orga-nisations et aux entreprises privées la déduction totale et illimitée de leur revenu imposable de toute donation et sponsori-sation ayant pour but la restauration du patrimoine, la recherche, l’organisation d’expositions, ainsi que les dépenses d’investissement des individus et des organisations privées pour la restaura-tion des bâtiments historiques enregis-trés en leur propriété. Ce qui conduisit, en une décennie, à un « boom des spon-sorisations » et notamment des restau-rations de châteaux, palais, villas histo-riques… Les considérables bénéfices de

la loi, ainsi que son efficacité, ont été pourtant substantiellement réduits par la Loi Budgétaire de 1992 – une loi sous le signe de l’austérité – qui transforma les déductions fiscales (favorisant les hauts revenus) en crédits fiscaux égaux pour tous dans la mesure du 20 % (puis 19 %). La diminution du montant des sponsorisations qui s’ensuivit, amena à réintroduire, par la loi 342/2000, – pour les entreprises uniquement – la possibi-lité de déduire le montant total des dons à des institutions culturelles figurant dans une liste établie par le ministère des Biens et des Activités culturels. Une dérive bureaucratique par rapport à la mesure originaire, ainsi que le ralentis-sement de la croissance économique, ont conduit pourtant à une quasi stagnation des sponsorisations culturelles dans les années 2000.

Par ailleurs, l’opposition des ministres des Finances aux tentatives des ministres de la Culture d’étendre cette mesure au mécénat individuel, a empêché jusqu’ici de puiser davantage à cette source, poten-tiellement importante, pour le finance-ment de la culture. Si le mécénat culturel a continué, malgré tout, à représenter un élément dynamique considérable dans le soutien à la culture au début du XXIe siècle, c’est principalement grâce au rôle croissant joué dans notre pays par les fondations d’origine bancaire.

Les 81 caisses d’épargne existant en Italie ont toujours été au service des collectivités locales. En 1990, elles ont été privatisées et les fonctions bancai-res proprement dites ont été séparées de leur mission de service public, puis confiées (loi 451/1998) à des fondations du même nom chargées de vendre le patrimoine des banques et d’en desti-ner le revenu aux missions établies par la dite loi, dont la protection du patrimoine et les activités culturel-les. Le montant annuel des ressources consacrées par les fondations au secteur culturel – notamment à la restauration du patrimoine, aux expositions d’art et à l’opéra lyrique – approche les 35 à 37 % de leurs donations totales, avec

une progression rapide de 183 M€ en 2000 à 420 M€ en 2005. La tendance des pouvoirs publics à transférer aux fondations d’origine bancaire une partie croissante de leurs fonctions de service rencontre toutefois un obstacle majeur dans le risque d’accroissement des dispa-rités territoriales. Leur concentration dans le Centre Nord du pays faisant que seulement 4 à 5 % de leurs donations totales sont consacrées aux régions désa-vantagées du Mezzogiorno.

LA GeSTIOn prIvÉe DeS InSTITuTIOnS CuLTureLLeS

puBLIQueS

Pour finir, nous évoquerons brièvement les démarches qui ont caractérisé ce que l’on a appelé « le flirt tortueux entre l’État et le secteur privé » en matière de patrimoine, entrepris depuis les années 90 de la part des gouvernements de centre droite, ou des gouvernements de centre gauche 2.

Le secteur privé a été introduit, pour la première fois, dans les musées nationaux italiens par la loi 4/1993 qui a ouvert la porte aux organisations privées disposées à prendre en charge la gestion des « services auxiliaires » : cafeterias, librairies, produits dérivés, etc. Si cette loi a certainement contri-bué à la modernisation de structures

“Bien que le rôle des financements publics en faveur de ces domaines soit encore prédominant, on a assisté, en Italie, dans les trois dernières décennies, à leur prise en charge croissante par le secteur privé, soit à travers le mécénat, soit en permettant l’accès du secteur privé à la gestion des institutions culturelles publiques.”

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d’exposition obsolètes, sans toucher néanmoins à l’essentiel des fonctions publiques de valorisation du patri-moine, l’étape suivante, au contraire, avec la loi 85/1995, a porté sur une extension considérable de ces services à des fonctions exercées jusque-là par l’administration, telles que la présen-tation pédagogique et l’organisation d’expositions. Le Décret législatif (D.L. 368/1998) a ensuite autorisé le minis-tère des Biens et des Affaires culturels « à conférer en usage des biens cultu-rels en possession » à des fondations et associations privées, tandis que, ulté-rieurement, la loi budgétaire 2002, plus indulgente que la précédente, absorbée en 2004 par le nouveau Codex des biens culturels, a tout simplement permis au ministère de privatiser les services publics « destinés à améliorer l’accès au patrimoine ». C’est seulement en 2006, pourtant, qu’un amendement au Codex

a conduit à un retour en arrière partiel, en limitant cette possibilité au secteur privé « non lucratif ».

Il est à noter, pourtant, que cette légis-lation a été jusqu’ici rarement mise en effet au niveau de l’État. La Fonda-tion du Musée égyptien de Turin – en collaboration avec les pouvoirs locaux et deux fondations d’origine bancaire – reste pour le moment l’exemple majeur. C’est plutôt au niveau des municipalités – musées de Venise, Musée Capitolino de Rome, etc. – que de nouvelles formes de partenariat public/privé ont été le plus souvent expérimentées.

En conclusion, on ne peut manquer de souligner qu’en Italie l’intervention privée dans les domaines du patrimoine et des biens culturels est probablement à la veille d’ une forte accélération, qui l’amènera à abandonner toute progres-

sivité et faire un grand saut en avant. La réduction progressive de 923 M€ dans ses allocations budgétaires, pour la période triennale 2009-20113, pour faire face à la crise économique, fait que le ministère des Biens et des Acti-vités culturels – dont la dotation a été déjà réduite à seulement 1719 M€ pour 2009 – ne sera probablement pas en mesure, en 2011, de disposer du mini-mum nécessaire à la conservation ainsi qu’à la gestion d’un patrimoine culturel matériel et immatériel aussi étendu que le patrimoine italien. Il n’y a pas lieu d’être optimiste. Faute d’une peu proba-ble marche en arrière, un recours massif au marché sera, dès lors, obligatoire. La création, prochainement, d’une nouvelle Direction générale pour la valorisation, confiée à un ancien manager de la chaîne McDonald’s, va, de toute évidence, dans cette direction.

1– Radio Audizioni Italia, groupe audiovisuel public 2– S.Settis, Italia S.p.A. L’ assalto al patrimonio culturale,ed. Einaudi, Torino 2002.

3– D. La Monica, 2008-2011: i finanziamenti al Ministero per i Beni e le Attività Culturali, in “Economia della cultura” 4/2008, ed il Mulino, Bologna.

L’économie de la culture en Italie entre public et privé NOTES

Carla BodoVice-présidente de l’Associazionne

per l’Economia della Cultura

“Si le mécénat culturel a continué, malgré tout, à représenter un élément

dynamique considérable dans le soutien à la culture au début du XXIe siècle, c’est

principalement grâce au rôle croissant joué dans notre pays par les fondations

d’origine bancaire.”

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - dossier | page 59

FinanCeMent privé et intérêt publiC au Canada

pOLITIQue CuLTureLLe eT hISTOIre

La meilleure façon de comprendre les fondements de la politique culturelle d’un pays est de se référer à son histoire. Le Canada a beaucoup été influencé par les États-Unis, relativement aux prati-ques de levée de fonds auprès du secteur privé. Voyons brièvement l’histoire de ces deux pays sur le sujet.

Les Américains se sont affranchis de la tutelle anglaise il y a trois cent ans et ont opté pour un autre modèle de gouvernement que le modèle monarchi-que. Leur devise aurait pu s’intituler : « Plus jamais de roi ! ». Le pouvoir sur l’éducation, la santé et la culture a été inscrit dans la Constitution comme relevant du niveau local ; le niveau fédéral se réservant, entre autres choses, la défense des frontières. Le pouvoir ainsi octroyé au niveau local implique toutefois que les citoyens ont le devoir de prendre en charge le bien-être de la population pour les trois domai-nes cités. Aux États-Unis, lorsqu’une communauté désire avoir un hôpital, une école ou un musée, ses citoyens tant les individus que les compagnies se cotisent de façon volontaire et assu-ment les coûts de construction et de maintenance de ces nouvelles entités. C’est de cette façon que sont nées toutes les institutions culturelles américaines,

d’initiatives privées plutôt que publi-ques. En ce sens, le National Endow-ment for the Arts (NEA), l’équivalent du Conseil des arts anglais ou cana-dien, représente une anomalie dans le paysage américain – il y a d’ailleurs toujours quelqu’un au Congrès améri-cain pour réclamer son abolition.

La conséquence de ces trois cent ans d’implication citoyenne dans l’art et la philanthropie font qu’au poste « reve-nus » dans les budgets des associations artistiques on ne trouve typiquement qu’entre 0 et 10 % de subventionne-ment des pouvoirs publics. Les recet-tes perçues par la vente de billets et le mécénat/sponsoring constituent donc 90 à 100 % des revenus. Est-ce que les mécènes et les philanthropes dictent la programmation des musées ou des entreprises de spectacle vivant ? La réponse est « non ». Ceux et celles qui décident d’investir de leur argent dans ces entreprises, le font par amour de l’art ou par intérêt pour une forme d’art en particulier. Les mentalités sont telles que tant le citoyen ordinaire que l’homme d’affaires ont conscience qu’ils doivent redonner à la communauté ce que la communauté leur a donné. Il s’agit ici de la mentalité protestante qui veut que la richesse soit le signe que Dieu vous a élu mais qu’en contre-partie, il vous demande d’aider vos semblables.

LA SITuATIOn Au CAnADA

La situation au Canada, on le dit souvent, est à mi-chemin entre ce qui se fait aux États-Unis et ce que l’on trouve dans les pays de l’Europe occidentale dont fait partie la France. Encore faut-il distinguer le Québec du reste du Canada. De fait, le Québec a adopté le modèle monarchique à la française en créant un ministère des Affaires culturelles en 1963. D’ailleurs, les fonctionnaires de ce ministère ont, pendant longtemps, fait des séjours plus ou moins prolongés au ministère de la Culture français, en rapportant des idées et des façons de faire qui ont grandement influencé les orientations et pratiques du ministère québécois.

L’une des inquiétudes fondamentale des managers du domaine des arts, lorsque vient le temps de s’adresser au secteur privé pour financer des projets, est la crainte que le « capital » ne veuille dicter la ligne artistique de l’association. Une autre crainte est que ce même « capital » exige une visibilité qui empiète sur la chose artistique au point de la défigurer. Au cours de mes trente cinq années d’implication dans le monde culturel, je n’ai jamais connu de tels cas.

François Colbert

“Aux États-Unis, lorsqu’une communauté désire avoir un hôpital, une école ou un musée, ses citoyens tant les individus que les compagnies se cotisent de façon volontaire et assument les coûts de construction et de maintenance de ces nouvelles entités. C’est de cette façon que sont nées toutes les institutions culturelles américaines, d’initiatives privées plutôt que publiques.”

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De son côté, le Canada anglais a tracé sa voie en s’inspirant du modèle britan-nique du arm’s length, c’est-à-dire d’or-ganismes placés à distance du pouvoir. L’encouragement aux artistes et asso-ciations culturelles se fait par le biais de sociétés paragouvernementales disso-ciées du pouvoir politique et jalouses de leur indépendance. Les décisions d’attri-bution des subsides se font sur la recom-mandation de jurys de pairs – composi-tion qui change chaque année, de sorte que ce ne soit pas toujours les mêmes qui soient les pairs des autres. Le politique ne se mêle pas de l’attribution des subven-tions mais, en contrepartie, n’a pas à se faire le porte-parole de « scandales » ou d’indignations publiques lorsque cela se produit, mais, évidemment, cela se produit régulièrement.

Le système des jurys de pairs est si bien implanté dans les mœurs que la communauté artistique s’en fait le défenseur acharné et gare à celui ou celle qui oserait mettre en doute une telle pratique. D’ailleurs, cette même communauté se mobilise, oubliant ses divergences de vue, dès qu’un politique ose remettre en question le bien-fondé du système at arm’s length. Ce système fait l’affaire des artistes au point que, suite à leurs pressions politiques, le Gouvernement du Québec a créé, en 1992, lors de l’adoption de la politique culturelle du Québec, un Conseil des arts et des lettres calqué sur le modèle fédéral en même temps qu’il modifiait le nom de son ministère pour celui de ministère de la Culture et des Commu-nications (auquel on rattacha plus tard la Condition féminine).

LA pLACe Du prIvÉ Au

CAnADA

La place du secteur privé dans les budgets des compagnies diverge entre le Canada anglais et le Canada français. La menta-lité anglo-saxonne fait en sorte que les citoyens à titre privé ou corporatif se montrent plus généreux dans les autres provinces alors qu’au Québec il est encore

ancré dans les mentalités que ce soit l’État qui assume le soutien à la chose cultu-relle. Il reste que la présence du privé est moins importante au Canada qu’elle ne l’est aux États-Unis. La part des revenus des associations culturelles provenant du secteur privé s’élève à environ 15 % au Québec et 25 % au Canada anglais ; la répartition moyenne des revenus pour les compagnies d’art vivant à l’échelle cana-dienne est de 40 % de subsides gouverne-mentales, 40 % perçus en droits d’entrée et 20 % de financement privé.

Le rôLe DeS COnSeILS D’ADmInISTrATIOn DeS

ASSOCIATIOnS CuLTureLLeS

Lorsqu’une proportion élevée des reve-nus d’une association provient de sources privées, il devient important que l’asso-ciation se dote de moyens pour assurer cette rentrée d’argent. En Amérique du Nord, les conseils d’administration des entreprises culturelles jouent à ce titre un rôle important.

Formés la plupart du temps de gens d’affaires, ces conseils ont pour rôle principal, outre d’assurer la pérennité de la mission de l’organisation, de solli-citer, auprès de leurs pairs du milieu des affaires, des contributions en argent ou en services. Le rôle de gouvernance que devrait jouer le conseil d’administration est souvent mis de côté pour laisser place à la sollicitation. Évidemment, plus la compagnie est prestigieuse, plus les fonds privés sont faciles à trouver. De la même façon, certaines formes artistiques sont plus faciles à vendre que d’autres ; c’est notamment le cas des opéras ou des musées d’art. Par contre, les asso-ciations qui se spécialisent dans l’avant-garde éprouvent plus de difficultés. L’art contemporain trouve ses mécènes mais les fonds recueillis sont habituellement moins importants ; pour compenser ce fait, les gouvernements se montrent proportionnellement plus généreux.

Il convient ici de rappeler la distinction entre mécénat et sponsoring. Le mécénat

est un acte gratuit par lequel le mécène donne à l’association, en contre-partie d’une reconnaissance minimale. Il y a des cas où le mécène ne désire pas être identifié ; cette volonté résulte habituel-lement du fait que le mécène ne désire pas être inondé de sollicitations, ce qui arrive immanquablement lorsque le nom d’un généreux donateur est médiatisé.

Lorsqu’il s’agit de sponsoring, la règle du jeu devient celle des affaires, l’association se constituant en quelque sorte en média par lequel l’entreprise privée cherchera à atteindre ses propres clients. La négo-ciation se fait alors comme dans toute négociation d’affaires, le commanditaire exigeant toujours plus, l’association refu-sant d’accorder tout ce que le comman-ditaire demande. Au final, on en arrive habituellement à un compromis qui satis-fait toutes les parties en cause.

Les grandes organisations culturelles ont toutes une unité au sein de l’organisa-tion dont le rôle est de solliciter des fonds auprès des mécènes et des entreprises. Habituellement, la personne qui dirige cette unité est payée un fort salaire car les personnes compétentes et efficaces sont rares ; on se les arrache littéralement. Car, il faut le souligner, le secteur des arts n’est pas le seul joueur sur ce marché ; les institutions universitaires, les centres de recherche et les hôpitaux représentent des causes parfois plus intéressantes ou attirantes pour les mécènes. La cause des enfants malades ou démunis, ou la recher-che sur les maladies du cœur attirent plus de sympathie que le financement d’un orchestre symphonique, un théâtre ou un musée, surtout s’il s’agit d’une orga-nisation qui traite d’art contemporain. Ces grandes organisations caritatives ont aussi les moyens de s’assurer les services des personnes les plus compétentes.

Si le soutien du privé à l’art et la culture date de 300 ans aux États-Unis, c’est surtout dans les années 1980 que les divers niveaux de gouvernement au Canada ont commencé à encourager les entreprises culturelles à chercher de nouvelles sources de financement dans

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le privé. À cette époque, l’endettement public était tel que tous les niveaux de gouvernement devaient soit sabrer dans les dépenses soit limiter la croissance de celles-ci. Bon nombre de nouvelles associations culturelles ne trouvaient pas d’appui auprès du secteur public et celles qui étaient déjà soutenues n’arrivaient pas à faire croître les subsides dont ils bénéficiaient.

Au début de l’ère du privé dans la culture, les associations ont accepté cette solution avec beaucoup de réserves et de réticences. Maintenant, la pratique aidant et les expériences positives s’ac-cumulant, il est devenu naturel de se tourner vers le privé pour trouver les fonds que les gouvernements sont inca-pables de fournir. La crainte de voir le privé dicter les politiques artistiques des associations culturelles a disparu quand on s’est aperçu que mécènes et patrons n’étaient pas prêts à se transformer en directeurs artistiques, et qu’il s’en trou-vait même un fort nombre qui sont des passionnés d’art, dans toutes les discipli-nes, et dans tous les genres artistiques, même pour l’art contemporain.

François ColbertProfesseur titulaire, Chaire de gestion des arts

Carmelle et Rémi-Marcoux, HEC Montréal

“La crainte de voir le privé dicter les politiques artistiques des associations culturelles a disparu quand on s’est aperçu que mécènes et patrons n’étaient pas prêts à se transformer

en directeurs artistiques, et qu’il s’en trouvait même un fort nombre qui sont des passionnés d’art, dans toutes les disciplines, et dans tous les genres artistiques, même pour

l’art contemporain.”

mOBee CuLTure, une InITIATIve De DÉveLOppemenT CuLTureL SOLIDAIre

Mobee culture est un réseau mutualisé destiné à favoriser les mécénats dans le domaine de

la culture initié par l’association Développement Solidaire. il tend à lier les entreprises et les

organisations culturelles à but non lucratif via une plate-forme. les organisations bénéficiaires

expriment des demandes correspondant aux besoins de leurs projets. les entreprises y

répondent par leurs offres (apports en compétences via les salariés et retraités de l’entreprise,

apports financiers, en nature, en technologie ou en logistique).

Développement Solidaire a lancé en 2008 d’autres réseaux thématiques sur l’environnement,

les sports et l’entreprenariat social. la création de ces réseaux s’appuie sur plusieurs constats :

le désengagement de l’état, le rôle accru de l’entreprise comme acteur de la société civile, la

volonté des entreprises de renforcer leur rse (responsabilité sociétale et environnementale), la

dissolution du lien social et la nécessité de le consolider, la progression des réseaux dits sociaux

sur internet.

le réseau culture.mobee.org encourage donc les pratiques collaboratives entre les différents

acteurs et la mutualisation des moyens, des pratiques, des expériences et des connaissances.

pour en savoir plus : http://culture.mobee.org/

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partenariat publiC/privé : un ChangeMent de perspeCtive

eurOpe, CuLTure eT rAppOrT puBLIC/prIvÉ : LA DImenSIOn TrAnSverSALe

De LA CuLTure

L’approche transversale de la culture portée par l’Union européenne demande quelques précisions. Elle suppose tout d’abord que toute action communau-taire a une dimension culturelle ou un impact culturel qu’il soit économique, social, environnemental ou de tout autre nature. Elle définit également un nouveau rapport entre le champ de l’intérêt public communautaire et la culture, qui suppose une acception large (ce qui n’est pas sans poser problème) du champ culturel, de sa dimension civilisa-tionnelle à son élargissement au secteur créatif. Elle implique de concilier et conceptualiser des interactions nouvel-les prenant en compte, entre autres, le contexte de mondialisation, l’évolution des pratiques culturelles, et l’affirmation de droits citoyens intégrant des droits culturels.

L’évolution en cours des approches liant culture et économie au niveau européen est représentative de ces enjeux. Depuis

2007 et l’adoption de l’Agenda culturel européen, l’Union européenne appré-hende tout d’abord le secteur culturel comme un secteur économique à part entière et un secteur économique de poids. Ce secteur y est défini de manière large, un peu déstabilisante d’un point de vue français, intégrant tant les indus-tries créatives que les fabricants de softs et de matériels à utilisation culturelle. Cet Agenda confirme par ailleurs que l’Union voit dans le secteur culturel et créatif un secteur clé d’une économie de la connaissance (secteur intensif en connaissance, producteur de contenus, intégrant une part importante d’activités en lien avec la créativité et fortement lié aux technologies de l’information et de la communication). Conséquemment, il porte une attention particulière à l’en-treprenariat culturel et créatif (entre autre principaux acteurs des « nouvel-les » économies digitales), ainsi qu’au lien entre culture, éducation et formation. Il rejoint plus largement les politiques engagées depuis les années 1990 autour des technologies de l’information et de la communication.

Cette redéfinition du lien culture et économie au niveau européen porte

par ailleurs des questions plus larges. Notamment, dans un contexte de mondialisation qui a renforcé la néces-sité de faire évoluer nos dispositifs de préservation de la diversité culturelle ; comment articuler nos enjeux symboli-ques (soit reconnaître le statut spécifique des œuvres de l’esprit) avec la multipli-cation des interactions économiques mondiales (donc, tout en prenant en compte la valeur économique des biens culturels) ? Cette double approche, inté-grée mais jamais facilement conciliable, porte aussi en elle-même un changement du rapport public/privé.

La dimension européenne nous invite à étudier, sous de nouveaux angles, le rapport public/privé dans le secteur de la culture. En effet, l’approche par l’identification des acteurs ou des ressources de ces acteurs ne résiste pas à la diversité des situations européennes, à l’accumulation des particularismes. Ainsi en est-il du rôle des fon-dations, acteurs plus ou moins importants, plus ou moins nombreux dans les diffé-rents champs culturels nationaux. Il semble que l’enjeu pour la culture et le secteur culturel du rapport public/privé soit plus à examiner, au niveau européen, au regard de la prise en compte par l’Union de la dimension transversale de la culture et de son impact sur la définition même d’une politique culturelle comme sur les systèmes d’acteurs et de gouvernance.

Pascal Brunet, Laurence Barone

“L’évolution forte des pratiques culturelles, dans leurs transformations par et dans l’utilisation des technologies de l’information, bouscule les rapports entre disciplines et entre acteurs (entre autres entre professionnels et amateurs), créant ainsi de nouveaux cadres d’échanges économiques.”

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - dossier | page 63

De même, l’évolution forte des pratiques culturelles, dans leurs transformations par et dans l’utilisation des technologies de l’information, bouscule les rapports entre disciplines et entre acteurs (entre autres entre professionnels et amateurs), créant ainsi de nouveaux cadres d’échan-ges économiques.

Enfin, ces interactions modifient le rapport à l’espace privé de l’individu et redéfinissent donc de nouvelles bases pour l’expression de la liberté du citoyen et de sa protection. Ainsi en est il des débats sur les conditions de l’accessibilité aux savoirs et aux cultures, et la nécessaire protection des droits artistiques et intellectuels.

eurOpe, CuLTure eT rAppOrT puBLIC/prIvÉ : nOuveAu rAppOrT à LA pOLITIQue CuLTureLLe, nOuveAu rAppOrT Aux ACTeurS eT Aux

TerrITOIreS

D’évidence, ces « déplacements » de la prise en compte de la culture dans l’action communautaire changent le jeu politique et l’idée même d’une politique cultu-relle. En reprenant l’exemple du rapport culture et économie, ces évolutions, qui ne peuvent que s’accélérer (en lien notam-ment avec les transformations importan-tes de pratiques de création de contenus ou de diffusion et d’accessibilité à ces contenus posés par exemple par le web 2.0) vont par exemple poser de manière de plus en plus accentuée la question de l’examen et de la recherche de nouveaux modèles économiques ou de nouveaux modes de régulation économique.

L’évolution de l’objet de la politique culturelle au niveau communautaire induit une évolution profonde des acteurs de cette politique : 1) évolution de l’acteur culturel, qui, en tant qu’acteur d’un développement intégré, devient un acteur économique, social, environne-mental et citoyen ; 2) participation à

l’action culturelle d’un ensemble large d’acteurs du monde économique, social, éducatif, environnemental, et citoyen ; 3) dépassement de la question de l’usager (public) et du consommateur (privé) par la réaffirmation de la place du citoyen.

De même, elle sous-tend un bouleverse-ment important des rapports entre ces différents acteurs comme des modes de définition et de mise en œuvre de la politi-que culturelle. En effet, le rapport public/privé ne semble plus opérant comme ligne de tension entre acteurs. L’évolution de l’objet des politiques culturelles impli-que une nouvelle multiplicité d’acteurs issus de secteur d’activité aux traditions organisationnelles et économiques diffé-rentes. Ceci recompose une carte des acteurs plus composite et plus diverse. La politique culturelle ne peut donc plus être uniquement définie et mise en œuvre par les uniques « acteurs culturels » dans un dialogue plus ou moins réussi avec les acteurs politiques. Elle ne peut également se résumer à la simple gestion de leur juxtaposition. Ainsi, la gouvernance des politiques culturelles doit-elle se centrer sur la gestion des interrelations entre cette nouvelle multiplicité d’acteurs. Il devient donc nécessaire de mettre en œuvre une approche systémique se définissant par la participation, la coproduction et l’in-teraction entre chacun des différents acteurs, permettant la prise en charge collective d’objectifs et de responsabili-tés partagés.

Une évolution profonde des pratiques professionnelles devient ainsi nécessaire. Les acteurs culturels doivent appren-dre à s’intégrer dans des systèmes de gouvernance complexes : 1) permettant de nouvelles pratiques de coopération transversale et intersectorielle entre le secteur culturel et créatif, public comme privé ; 2) développant une capacité de travail en réseau favorisant la prise en compte de l’innovation ascendante ; 3) mettant en œuvre des mécanismes de codécision et de négociation multi-niveaux (collectivités, État, Union euro-péenne) et citoyens ; et intégrés dans des périmètres d’actions cohérents.

La stratégie et les modes d’actions de l’Union européenne ont depuis long-temps considéré les territoires comme le lieu de traduction, d’articulation et de mise au travail de ces enjeux de la trans-versalité. L’évolution récente des TIC renforce cet aspect par une forte reter-ritorialisation des réseaux sociaux ainsi que de nouveaux besoins éditoriaux des territoires. Le niveau local, notamment celui des villes, renforce sa pertinence d’espace de recomposition des politiques culturelles, donc du jeu entre acteurs, donc des tensions entre public et privé. La mutation des systèmes de gouvernance que nous évoquions plus avant trouve ici une traduction concrète et urgente.

En conclusion, nous pourrions donc avancer que le caractère transversal de la prise en compte de la culture au niveau de l’Union européenne, pose de manière radicale un changement de règles dans le rapport public/privé telles qu’elles sont posées au niveau national. L’intégration de ce nouveau cadre de référence euro-péen émergent est certainement l’une des questions les plus importantes dans la redéfinition de nos cadres d’actions natio-naux, de nouvelles articulations entre les différents acteurs publics, dans la prise en compte de nouveaux acteurs culturels et enfin dans l’émergence d’une demande citoyenne de contrôle de l’action publique que nous ne pouvons plus minorer.

Pascal BrunetDirecteur de Relais Culture Europe

Laurence BaroneResponsable du développement Veille et Lobby,

Relais Culture Europe

“Le caractère transversal de la prise en compte de la culture au niveau de l’Union européenne, pose de manière radicale un changement de règles dans le rapport public/privé telles qu’elles sont posées au niveau national.”

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smart : un interMédiaire au serviCe de la Consolidation ou de la norMalisation des pratiques Culturelles ?

Pour normaliser les situations et pour simplifier les démarches,

un effort de professionnalisation est demandé dans la gestion des contrats ; de multiples formes d’accompagne-ment ou de structuration ont ainsi émergé ces dernières années pour soutenir les artistes et les libérer d’un certain nombre de tâches « extérieures à leur art ». En France, des groupe-ments d’employeurs, des entreprises de travail en temps partagé, des entrepri-ses de portage salarial, des coopérati-ves d’activité et d’emploi, coopératives d’intérêt collectif, etc., entendent, par une offre de services ou de mutualisa-tion volontaire, participer à la structu-ration, voire à la sécurisation collective des parcours individuels1.

En Belgique, l’association de profession-nels SmART (acronyme de « Société mutuelle des ARTistes ») née en 1998, a connu un essor fulgurant à partir de la mise à disposition d’un logiciel admi-nistratif permettant aux artistes (et à des artisans) de gérer leurs contrats. Sa croissance rapide l’a conduite à transférer ses fonds propres dans une

fondation (SmART be) et à envisager une implantation européenne qui a débuté avec la création de l’UES SmART France2.

D’une ASBL à une

fOnDATIOn

De l’association Passions Unies à la « société mutuelle d’artistes » SmARTIssue d’une association, Passions Unies, créée à la fin des années 1990 dans le courant des musiques émergentes, l’ASBL SmART naît en 1998, avec 50 membres, pour répondre plus largement aux besoins des artistes, en leur offrant un appui logistique et une représenta-tion dans les débats sur le statut desar-tistes, alimentés par une forte expertise juridique et comptable. Mais la question de l’assise financière des artistes et, par là même, de leur structure collective, s’est rapidement posée. C’est pourquoi SmART s’est investie dans la gestion des dossiers administratifs et financiers des artistes, en s’appuyant sur un outil infor-matique performant de suivi des contrats dont la gestion est déléguée à une filiale sous-traitante, la SPRL UBIK.

Ce montage semble correspondre à un réel besoin, car après une seule année d’activité, le nombre de membres s’éle-vait à 2 500, celui des contrats à 6 700, et le chiffre d’affaires à 5,4 M€.

Une diversification de structures : associations (ASBL), sociétés commerciales (SPRL)La remontée des demandes et l’im-portance donnée à l’expertise condui-sent rapidement l’association à ouvrir des bureaux dans toute la Belgique (4 bureaux en Wallonie, 2 en Flandres) et à compléter son offre de services : infor-mation, formation, conseils, soutien à la création, représentation (véritable lobbying), échanges, etc. Pour cela, elle a mis en place un bureau d’études en 2007, ainsi qu’une société de leasing de matériel professionnel.

Cette multiplication de structures asso-ciatives et commerciales imbriquées les unes dans les autres, sans véritable transparence comptable et financière, ainsi que le souci de préserver les fonds propres d’un éventuel détournement, ont conduit les promoteurs de SmART

En Belgique, comme en France, les acteurs culturels ont des statuts particulièrement diversifiés (travailleurs indépendants, petites associations, collectifs, etc.), la créativité s’appuyant sur l’autonomie des artistes qui doivent souvent négocier individuellement leurs interventions. De plus, l’évolution des politiques culturelles, les transformations du statut des artistes (indépendant ou salarié en Belgique, indépendant, salarié, inter-mittent ou allocataire du RMI en France…) complexifient les démarches administrati-ves qui s’imposent au-delà de l’acte créatif.

Danièle Demoustier

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à proposer à l’association le transfert de son patrimoine à une fondation.

Le « redéploiement » par la création de la Fondation SmART BelgiqueL’imbrication des structures autour de l’association SmART a soulevé les criti-ques des administrations et des experts comptables, l’accusant de manque de transparence et de confusion des rôles. Mais une autre exigence plus interne a été soulevée en ce qui concerne « la sécurisation du patrimoine » : « il faut une structure juridique sans but lucratif sur laquelle personne ne peut prendre le contrôle, qui sécurise et pérennise la patrimoine par son affec-tation exclusive à la réalisation de buts sociaux qui sont ceux de l’actuelle Asbl SmART3 ». C’est pourquoi la plupart des activités économiques, ainsi que les fonds propres, ont été transférées à une fondation SmART Be qui « a pour buts désintéressés de soutenir l’exer-cice des activités artistiques, du travail sur projet ainsi que toutes autres acti-vités intermittentes, en renforçant l’autonomie des artistes et des autres travailleurs concernés par ces activités, en favorisant l’émergence et la profes-sionnalisation de ces activités… Ces buts s’inscrivent dans le cadre de la charte et de la philosophie de SmART Asbl… pour octroyer à SmART Asbl tous les moyens intellectuels, matériels et financiers nécessaires lui permet-tant d’assumer ses activités telles que mises en œuvre conformément à sa charte » (statuts de la Fondation, 9 juin 2008).

Le but de cette fondation est ainsi présenté comme devant assurer la pérén-nité des services aux artistes, en soutien à l’association SmART qui lui délègue son patrimoine et ses activités de gestion. C’est alors la fondation qui « concevra, animera et développera des activités qu’elle mènera elle-même ou qu’elle licenciera à des structures créées par elles et dans laquelle elle disposera d’une majorité de contrôle » (statuts). Ainsi peut-on parler d’un « groupe SmART » constitué d’une relation entre l’Asbl et

la fondation, cette dernière contrôlant les différentes activités de gestion de contrats, de projets, de leasing, etc.

une STruCTure en rApIDe

eT fOrTe expAnSIOn

La Fondation hérite ainsi d’une structure florissante : en quelques années, l’acti-vité, née de la défense puis de la gestion du statut d’artiste salarié, s’est fortement développée, parfois « à marche forcée », que ce soit par le nombre et la diversifi-cation des adhérents, la multiplication des activités, alimentant la croissance du budget, du bilan et des salariés.

Une augmentation rapide du nombre d’adhérentsLes 50 membres du départ, en 1998, sont devenus 20 000 en 2008. L’adhé-sion à l’association est relativement peu coûteuse (25 euros) et répond à un réel besoin des artistes qui refusent le statut d’indépendant. Ainsi, le nombre d’ins-criptions nouvelles est passé de 13 500 en 2006 à 18 000 en 2007, provenant à 57,5 % d’hommes et à 47,5 % de femmes (âge moyen : 34 ans).

Ces inscriptions sont concentrées à hauteur de 80 % sur la Belgique (dont 49 % sur Bruxelles) mais les inscrip-tions étrangères s’accroissent (environ 10 % de France). De même, les artis-tes ne sont pas les seuls à bénéficier de cet intermédiaire de gestion : 38 % des

membres ne sont pas des artistes mais occupent d’autres professions réputées « indépendantes » tels des artisans (ex ferroniers) ou des professions libérales (ex architectes).

Le nombre des contrats facturés suit cette progression : de 21 000, en 2003, il est passé à 34 600 en 2004, 45 450 en 2005, 57 700 en 2006 pour atteindre plus de 84 000 en 2007.

Néanmoins, la régularité des membres est à relativiser, en termes de liens avec la structure ou avec l’activité artistique : ainsi, sur les 20 800 membres inscrits fin juin 2008, seuls 60 % avaient eu au moins un contrat validé au cours des deux dernières années. De plus, la prestation moyenne reste modeste : le contrat moyen (toutes charges compri-ses) s’élève à 525 euros et le projet moyen à 764 euros ; ce qui correspond donc à des prestations de courte durée. Pour se développer, la structure est donc conduite à diversifier les services offerts et à s’étendre géographiquement pour à la fois fidéliser et élargir son public.

Une diversification des activités Née d’une association de représenta-tion et de défense des artistes, SmART a fortement accentué son offre de servi-ces par : • le perfectionnement de l’outil informa-tique qui a permis d’« industrialiser » la gestion des contrats « paie » et simplifier la déclaration électronique des artistes ;

“En Belgique, l’association de professionnels SmART (acronyme de

« Société mutuelle des ARTistes ») née en 1998, a connu un essor fulgurant à

partir de la mise à disposition d’un logiciel administratif permettant aux artistes

(et à des artisans) de gérer leurs contrats.”

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la prise en charge de cette fonction admi-nistrative intermédiaire est rétribuée à la structure par un prélèvement de 4,5 % du montant de la facture ;• l’introduction du principe du « tiers payant » qui permet à la structure de faire une avance de trésorerie, moyen-nant un prélèvement de 2 % affecté à un fonds de garantie ;• l’accompagnement des professionnels, par des sessions d’information et de formation ; par des conseils administra-tifs et juridiques ; des temps d’échanges (tels le SmART Day) ;• la recherche, par la création d’un bureau d’études qui analyse l’environ-nement des artistes et l’évolution du secteur culturel ;• l’appel à des experts externes : juristes, fiscalistes, etc.• la création de services complémentai-res, tels un service leasing de matériels professionnels, et de nouvelles sociétés commerciales à côté de UBIK (Remacle costume, SmART Immo, Studio RVB, SmART FR4).

Enfin, ces fonctions d’intermédiaire administratif, de banquier et d’assureur des artistes, sont complétées par l’in-troduction d’une fonction de « produc-tion » : à partir de 2004, SmART à créé un service de gestion directe de « projets » : SmART est alors employeur direct des artistes qu’elle salarie, en allant chercher des financements, les droits d’auteur, etc. Près de 10 000 projets ont ainsi été financés en 2007. De plus, SmART soutient, en colla-boration avec certaines associations, l’organisation de résidences d’artistes à l’échelle internationale.

Une forte croissance de la structureCet enrichissement des activités a nourri la croissance du chiffre d’affai-res, de plus de 40 % par an depuis 2005. Le budget géré, via l’intermédiaire de SmART, par les artistes s’est élevé à 46,500 millions d’euros en 2007 et la prestation de services de SmART à 2,2 millions d’euros (à hauteur de 4,5 % des factures + 2 % prélevés en fond de

garantie salarial). Cet essor s’est appuyé sur une croissance des effectifs sala-riés de SmART qui ont doublé entre janvier 2005 (28) et juin 2008 (56). Il a alimenté la croissance du bilan (de 8,5 à 13 millions d’euros entre 2006 et juin 2008), notamment grâce aux réserves disponibles, issues du fonds de garantie automatiquement remonté en fonds propres (2 sur 6,5) qui s’ajoutent aux excédents et aux provisions.

De LA muTuALISATIOn à

LA COnCenTrATIOn

Cette évolution juridique, structurelle, économique et financière interroge la nature de cette structure, pensée à l’ori-gine comme une association d’artistes (défense, mutualisation) et transformée progressivement en une entreprise pres-tatrice de services à un public de plus en plus diversifié. Elle interroge la place laissée aux artistes, la répartition des pouvoirs et la logique d’expansion.

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Les artistes : d’adhérents à clients ?À l’origine de la première associa-tion Passions Unies, les artistes ont été mobilisés comme adhérents de l’asso-ciation. C’est encore le cas dans l’Asbl SmART qui continue de jouer un rôle de représentation et d’animation de la vie culturelle. Cependant, le passage à la Fondation semble déposséder les artistes de la gestion (ou du moins du contrôle) des services qui leur sont offerts. La composition du conseil d’administration de la fondation en est un révélateur : le nombre d’administrateurs issus de l’as-sociation SmART doit être égal à celui des directeurs des structures filiales et de l’association ; ils sont accompagnés d’administrateurs statutaires que sont les deux fondateurs et d’administrateurs indépendants en tant que personnes qualifiées. La distance s’accroît donc entre l’artiste de base et la structure de gestion, renforçant probablement la volatilité des adhérents et leur attitude consumériste.

De l’association à la fondation : une concentration des pouvoirs ?La diminution du nombre d’administra-teurs et le renforcement de la cooptation au sein du CA représentent un recentrage du pouvoir entre quelques mains. L’ar-gument du non dévoiement des objectifs de l’association semble un moyen pour renforcer l’autorité des deux fondateurs : nommés administrateurs statutaires et membres de droit du CA, à parité avec deux administrateurs supplémentaires de l’association SmART , ils sont, dès la création de la Fondation, désignés comme administrateurs délégués à la gestion « pour une durée égale à leur mandat d’administrateur » c’est-à-dire « pour une durée indéterminée » (statuts de la fondation).

L’eurOpÉAnISATIOn : pArTenArIAT Ou fILIALISATIOn ? exempLe

De L’ueS SmArT frAnCe

Dès son origine, SmART s’est position-née sur une vision européenne. L’expan-sion géographique déborde aujourd’hui de l’espace belge (wallon et flamand). Compte tenu du nombre de comptes détenus par des Français, la Fondation a décidé d’ouvrir une antenne en France ; mais en l’absence de statut de fondation européenne, elle a choisi de construire la structure française sur la base de parte-nariats et d’un statut d’économie sociale. Ainsi l’Union d’Économie Sociale (UES) SmART France a été construite par la jonction entre la fondation SmART Be et plusieurs associations françaises déjà actives : AGECIF/InterCachet et Caramba Spectacles à Paris ; Multicité/les Oiseaux de Nuit/Art Scène Bulletin à Arras ; Illusion et Macadam à Montpellier. Mais il semble que le schéma choisi est une transposi-tion du modèle belge : différents servi-ces (représentation, gestion de contrats, production de spectacles, autres projets), fonds de garantie, correspondants régio-naux. L’alliance avec des acteurs natio-naux ne semble pas correspondre à une appropriation nationale mais plutôt à une transposition des activités, avec un fort contrôle de la maison-mère.

Après une dizaine d’années de fonction-nement et de transformation, SmART est aujourd’hui constituée du couple Asso-ciation-Fondation, avec un fort transfert d’activités et de moyens financiers de l’une à l’autre. La nature et le rôle de cette nouvelle structure dans un secteur aussi éclaté et précaire que la culture sont mis en question : cumule-t-elle les

fonctions de syndicat (représentation et défense), d’association (mutualisation entre artistes), d’entreprise mandataire (par gestion de contrats) et prestataire (comme employeur direct) ?

Son implication tous azimuts dans la définition des politiques culturelles, dans la gestion des contrats culturels et dans l’offre de services aux artistes interroge ses capacités de développement et ses perspectives d’avenir et suscite des craintes dans les milieux syndicaux mais aussi parmi les sociétés d’intérim qui y voient un « concurrent déloyal ». S’agit-il d’une gestion des transitions profes-sionnelles pour des artistes ou artisans débutant qui trouvent, dans ce mode de gestion des contrats, une aide temporaire à leur installation ? S’agit-il plutôt d’un intermédiaire puissant dans un milieu éclaté, d’une nouvelle forme d’entreprise d’interim qui s’impose comme un acteur incontournable de la « triangulation » de ce rapport d’emploi ?

Enfin, s’agit-il plus globalement d’un nouveau modèle d’intégration-norma-lisation de la gestion de la culture, à l’image – mais plus concentrée – du secteur de l’aide à domicile qui combine des structures mandataires (simples intermédiaires administratifs) et pres-tataires (employeurs directs) ? L’évolu-tion d’une telle structure est particu-lièrement intéressante à suivre pour analyser les nouvelles formes de gestion de l’emploi, dont la culture ou l’aide à domicile peuvent préfigurer les moda-lités à venir.

Danièle DemoustierESEAC – IEP Grenoble

1– Voir « Nouvelles organisations du travail dans les secteurs culturels. Les clefs », INNEF, 2008.2– Cet article est documenté par le site de SmART Be, et surtout par le rapport de gestion/administration de L. Ribault et C. Scohier, « SmART : un terrain d’expéri-mentation pour une nouvelle économie de la culture ? », Master Direction de projets culturels, Observatoire des politiques culturelles, Grenoble, janvier 2009.

3– Site Internet de SmART Asbl.4– Dont nous reparlerons en 3e partie.

SmART : un intermédiaire au service de la consolidation ou de la normalisation des pratiques culturelles ?NOTES

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le MéCénat d’entreprise

Le ministère de la Culture, à l’occa-sion d’une Année du patrimoine,

s’employait à susciter lui-même, mais pour son propre compte des contribu-tions d’entreprises ; les milieux cultu-rels, qui déploraient l’insuffisance des efforts budgétaires publics, craignirent aussitôt que l’État veuille se désengager du fardeau de la culture ; le spectre du « grand-capital-étouffant-la-création » ne tarda pas à être brandi. On enten-dit même un grand metteur en scène de théâtre proclamer qu’il préférait à l’argent privé « l’argent blanchi par la République ».

Il est utile de commencer par ce rappel alors qu’aujourd’hui, le mécénat d’en-treprise est parfaitement admis et que le seul reproche qu’on lui fait dans les milieux qui en sont bénéficiaires est plutôt de n’être pas suffisant pour répon-dre à toutes les demandes. Le mécénat d’entreprise est reconnu comme l’une des formes du libre engagement de la société civile en faveur du bien commun.

À l’origine, nous ne songions qu’au mécé-nat culturel, en partant de l’idée que la politique culturelle, engagée depuis les débuts de la Ve République, allait créer des besoins et susciter des attentes que ni les fonds publics, ni le marché ne suffi-raient à satisfaire, et que d’ailleurs il ne serait pas sain que tout relevât des fonds publics et du marché. L’implication, dans ce domaine, des collectivités territoria-les paraissait une des voies de dévelop-pement et les lois de décentralisation,

intervenues à partir de 1982, ont joué en ce sens ; mais il s’agissait toujours de fonds publics. Notre intuition était que le mécénat d’entreprise, sans se substi-tuer aux fonds publics et aux ressources du marché qui sont et doivent demeurer les deux sources principales du finance-ment de la culture, pourrait corriger, au moins à la marge, les risques politiques et bureaucratiques des financements publics ainsi que la brutalité et l’impé-ratif du court terme et de la rentabilité du marché. Tout le problème était de convaincre les entreprises qu’en plus du parrainage ou « sponsoring », opération de nature ouvertement commerciale que certaines pratiquaient déjà, notamment dans le domaine du sport, le mécénat proprement dit aurait au moins des effets positifs sur l’image de l’entreprise, comme le prouvaient maints exemples de pays où l’intervention de l’État est moins voyante et souvent moins forte qu’en France.

Très vite, les résultats ont été encou-rageants, et des entreprises publiques comme EDF et la Caisse des dépôts, ou privées comme IBM, Vuitton et le Crédit agricole se sont engagées dans le mécé-nat. Il faut dire que nous avons été servis par les circonstances. L’alternance politi-que de 1981 a entraîné une relance de la politique culturelle, avec un doublement de son budget, prouvant ainsi que l’État ne se désengageait pas. Les entreprises, alors méconnues et critiquées par les nouveaux responsables politiques, ont compris qu’elles devaient avoir des poli-

tiques de communication plus offensives et que leur engagement dans le mécé-nat leur permettrait de se positionner autrement. Les milieux culturels ont commencé à comprendre que des parte-nariats bien organisés avec des entrepri-ses ne porteraient nullement atteinte à leur liberté, mais la renforceraient par la pluralité des financements.

Nous étions conscients que le système juridique et fiscal français, complexe, rigide et mal connu était aussi peu favo-rable que possible au développement du mécénat ; mais nous nous sommes refusés délibérément, dans un premier temps, à solliciter quoi que ce soit de l’État, choisissant de prouver d’abord le mouvement en marchant, avant de demander aux pouvoirs publics d’en tirer toutes les conséquences en termes de

Jacques Rigaud

Lorsqu’il y a près de trente ans, à la fin de 1979, nous avons, à quelques-uns, décidé, en créant l’ADMICAL (association pour le développement du mécénat industriel et commercial) de susciter, en France, un mouvement en faveur du mécénat d’entreprise dans le domaine culturel, le moins que l’on puisse dire est que cette initiative fut accueillie fraîchement.

“Notre intuition était que le mécénat d’entreprise, sans se substituer aux fonds publics et aux ressources du marché qui sont et doivent demeurer les deux sources principales du financement de la culture, pourrait corriger, au moins à la marge, les risques politiques et bureaucratiques des financements publics ainsi que la brutalité et l’impératif du court terme et de la rentabilité du marché.”

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“Si le mécénat est un vrai partenariat, et pas seulement un flux financier, il met l’entreprise en présence de problématiques, de situations, d’opérateurs que l’entreprise découvre dans ces occasions et qui élargissent son horizon et lui font découvrir des situations, des méthodes, des problèmes qu’elle ignorait.”

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statut légal du mécénat. En outre, nous avons constaté assez vite que les entre-prises ne s’intéressaient pas seulement aux activités culturelles et que notre argumentaire sur les bienfaits du mécé-nat pour l’entreprise elle-même valait également en ce qui concerne l’action humanitaire et plus généralement pour tout ce qui a trait à la solidarité, puis à la recherche ou à l’environnement. Elles souhaitaient qu’ADMICAL les accom-pagne dans ces développements, ce que nous avons volontiers accepté, devenant ainsi un club d’entreprises mécènes tous secteurs confondus : carrefour, lieu de réflexion et d’échange entre entrepri-ses et bénéficiaires du mécénat, base de données sur le mécénat, interlo-cuteur reconnu des pouvoirs publics, nous avons pu ainsi contribuer à l’ac-climatation du mécénat d’entreprise en France et obtenir qu’il soit enfin doté d’un statut moderne. Une loi de 1987 reconnaît pour la première fois de façon expresse le mécénat. Une loi de 1990 fait droit à notre revendication d’un statut plus léger pour les fondations d’entreprise. Enfin, à la suite des propo-sitions formulées lors de nos Assises de Lyon en 2002, une loi du 1er août 2003 donne au mécénat un vrai statut juridi-que et fiscal, en doublant au minimum les avantages fiscaux consentis tant aux particuliers qu’aux entreprises ; cette loi consolide le statut des fondations d’entreprise et des mesures pratiques prises en accord avec le Conseil d’État rendent plus aisée la création de fonda-tions d’utilité publique.

BILAn D’ÉTApe Du mÉCÉnAT

D’enTreprISe

Ce rappel historique étant fait, il importe de dresser un bilan d’étape du mécénat d’entreprise et d’en souligner les gran-des lignes telles qu’elles résultent d’une expérience de près de trente ans.

1. Le mécénat d’entreprise, comme toute forme de mécénat, est par nature un libre engagement. Nul n’est tenu d’être mécène. Une entreprise qui s’en-

gage dans le mécénat choisit librement le niveau de son engagement financier, le ou les secteurs d’intervention et la nature des aides qu’elle décide d’appor-ter, en argent, en nature ou en compé-tences, ainsi que la durée de son engage-ment, soit d’une manière générale, soit à l’égard d’un bénéficiaire donné.2. Le mécénat d’entreprise n’est pas et ne saurait être de la philanthropie, quelles que soient les motivations personnelles et même intimes des responsables de l’entreprise. Il faut se rappeler que tout mandataire social doit pouvoir prouver à ses actionnaires, au fisc et éventuelle-ment à un juge que toutes les sommes qui lui ont été confiées ont été utilisées par lui ou sous sa responsabilité dans l’intérêt bien compris de l’entreprise, faute de quoi il s’agit d’un abus de biens sociaux, qui tombe sous le coup de sanc-tions pénales. 3. La plupart des expériences montrent que les entreprises n’ont guère de mal à comprendre et à prouver que l’en-gagement mécénal est effectivement conforme à leur intérêt bien compris, non seulement en termes d’image et de politique de communication, mais parce que cet engagement, s’il est bien expliqué en interne, renforce le senti-ment d’appartenance du personnel à l’entreprise, surtout si, d’une manière ou d’une autre, ce personnel est impli-qué dans sa mise en œuvre. En outre, si le mécénat est un vrai partenariat, et pas seulement un flux financier, il met l’entreprise en présence de probléma-tiques, de situations, d’opérateurs que l’entreprise découvre dans ces occasions et qui élargissent son horizon et lui font découvrir des situations, des méthodes, des problèmes qu’elle ignorait. 4. Le mécénat n’a pas pour vocation de compenser les insuffisances ou les carences des financements publics, notamment en matière culturelle. Une entreprise peut choisir librement d’ac-compagner ou de compléter un finance-ment public, pour une opération ou une institution déterminées, mais ce n’est jamais une obligation. Elle peut aussi choisir d’aider un créateur, une compa-gnie théâtrale, un ensemble musical sur

un projet déterminé, voire de donner sa première chance à une initiative cultu-relle tellement originale ou novatrice qu’elle ne répond à aucun des critères des subventions publiques ; de nombreux exemples de ce genre montre que c’est peut-être là que le mécénat d’entreprise est le plus utile. C’est aussi le cas dans le « mécénat croisé », à la fois culturel et social qui vise par exemple les prati-ques culturelles de populations fragiles (handicapés, personnes âgées, victimes de l’exclusion, etc.)5. De plus en plus, le mécénat est conçu par les entreprises qui s’y engagent comme un choix stratégique. Par défini-tion marginal, en quantité et en qualité par rapport aux missions que l’entreprise tient de sa raison sociale, il est pour elle l’occasion d’une réflexion sur son iden-tité propre et son rapport à la société qui l’environne. Il implique donc une inscription dans le long terme, le plus souvent par la création d’une structure ad hoc, distincte de la gestion ordinaire de l’entreprise ; c’est ainsi que, depuis la loi de 2003, plus de 360 fondations ont été créées par des entreprises, dont 222 fondations d’entreprise, 15 fondations d’utilité publique et 89 fondations sous égide (Fondation de France ou Institut de France). À l’égard d’un bénéficiaire déterminé, une entreprise peut choisir de s’engager par une convention pluri-annuelle.6. Le mécénat est de plus en plus sans frontières : des entreprises étrangères font du mécénat en France et des entre-prises françaises à l’étranger.7. La crise financière actuelle n’est évidemment pas sans incidence sur le mécénat d’entreprise, mais il semble qu’elle incite les responsables à plus de sélectivité sans remettre en cause le principe de l’engagement. Enfin, pour l’année 2008, ADMICAL et l’Institut CSA évaluent le montant du mécénat d’entreprise à 2,5 milliards d’euros (soit plus du double par rapport à la période d’avant la loi de 2003), dont un bon tiers (37 %) pour la culture.

Jacques Rigaud,Ancien président de l’ADMICAL

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le MéCénat À l’épreuve des peurs, des CroyanCes et des représentations

Secrétaire générale de la Scène Natio-nale Évreux Louviers de 2003 à

2008, j’ai créé et animé pendant trois ans un club des partenaires qui rassem-blait, à mon départ, une vingtaine d’en-treprises apportant quelque 75 000 euros (en numéraire et en nature) par saison. J’ai pratiqué ce qu’on appelle le mécénat de proximité et, au contact, très majoritairement, d’artisans-commerçants et de PME-PMI, j’ai pu constater combien les freins, les obsta-cles au mécénat étaient encore légion. Dans les esprits principalement. Je veux parler ici de la dimension irrationnelle, des croyances et des représentations, des peurs qui font obstacle à la relation, le postulat étant posé au préalable que le mécénat est avant tout une affaire de relation, de rencontre puis d’enga-gement entre deux parties prenantes et que la condition même de son succès interdit de le considérer comme une transaction marchande basique entre un acheteur et un vendeur.

Parlons d’abord du terme « mécénat », que j’ai dû apprendre à manier avec précaution, finissant le plus souvent par lui préférer le terme moins intimidant de partenariat. Si la signification du mécé-nat, tel qu’il se pratique aujourd’hui, est le plus souvent comprise des grandes

entreprises, le terme peut faire peur et provoquer des réactions défensives.« Je ne suis qu’une petite entreprise », « Je ne suis pas Crésus » sont des propos que j’ai plusieurs fois entendus. Ne laissent-ils pas supposer que le mécénat est resté associé, dans les représentations, à la richesse, à la puissance et à la générosité désintéressée, alimentant la croyance qu’il ne peut pas concerner « les plus petits » ? Le dictionnaire Larousse n’in-dique-t-il d’ailleurs pas que « le nom de mécène est resté synonyme de protec-teur généreux et éclairé des arts et des lettres » ?

Toujours du point de vue des entrepri-ses, l’offre de la Scène Nationale a été maintes fois comparée – souvent à son détriment, du moins au début – à celles des clubs d’entreprises fondés par le Palais des Congrès, quand ce n’est pas à l’association locale de basket. S’il est exact que les grands groupes, dans leur majorité, se sont appropriés le mécénat depuis longtemps et en ont compris les enjeux en termes d’image et de communication institutionnelle, ce fut plus rarement le cas de mes interlocu-teurs implantés localement. La législa-tion leur était inconnue 8 fois sur 10, et les arguments en faveur du mécé-nat (image externe, image interne,

rencontre sur des valeurs communes) ne pesaient pas lourd. Plus habitués à pratiquer le sponsoring, et donc à obtenir des contreparties significatives en places et en encarts publicitaires, mes interlocuteurs ont fréquemment trouvé mon offre « bien pauvre » en comparaison. « J’ai un commerce à faire tourner », « J’ai des objectifs [de vente] à tenir » sont des réponses plusieurs fois entendues de la part de personnes davantage à la recherche de retombées commerciales à court terme, et dubitatives quant à l’intérêt de travailler leur image. Lorsqu’elles étaient sensibles aux enjeux d’image, l’association avec l’image de la Scène Nationale a représenté à plusieurs reprises un risque que tous n’étaient pas prêts à prendre.

LA CuLTure Du QueSTIOnnemenT, pArenT

pAuvre Du mÉCÉnAT On en vient au risque que le mécénat culturel peut représenter. Les chif-fres 2008 publiés par l’Admical-CSA montrent que celui-ci a énormément progressé, et c’est tant mieux. Mais de quelle « culture » parle-t-on ? Le terme est polysémique, on le sait, et embrasse

Les rencontres, articles, ouvrages… consacrés au mécénat concourent à produire un discours dominant très optimiste, parfois lyrique. Est-ce parce qu’il est trop généra-lisant ? Les entreprises seraient chaque jour plus nombreuses à pratiquer le mécénat. Mais de quelles entreprises et de quel mécénat parle-t-on ? Les Français seraient récon-ciliés avec l’entreprise, qu’ils considèreraient comme un acteur de la société tout aussi légitime que les autres. Est-ce tant le cas ? Si les chiffres attestent, certes, que le mécénat culturel connaît un essor, il convient toutefois d’en nuancer le succès et la facilité.

Fabienne Huré

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aussi bien le champ des musées, des bibliothèques que celui du spectacle vivant, pour ne citer que ceux-là, tout comme il renvoie indifféremment à la « culture du questionnement » ou à la « culture du divertissement ». Or, l’expérience vécue à la Scène Nationale Évreux Louviers m’a appris que lorsqu’il s’agissait de défendre un projet axé sur le spectacle vivant « de questionnement », c’est-à-dire sur des formes questionnant les codes esthétiques, les codes moraux, l’ordre social dominant, et vécues de prime abord comme difficiles d’accès, élitistes, et pour certains « barbantes », on se heurtait à bien des résistances. Pour résumer, lorsque la culture est investie, puis que le spectacle vivant est investi, les entreprises tendent dans leur majorité à se tourner davantage vers des formes rassurantes comme la chanson ou la musique classique que vers les formes contemporaines du théâtre, de la musique ou de la danse.

Quant au porteur de projet culturel, il n’est pas moins habité par des croyan-ces, des représentations et des peurs, qui peuvent elles aussi venir fragi-liser la relation de mécénat. Le club des partenaires de la Scène Nationale Évreux Louviers aurait-il vu le jour, si une soudaine baisse de subvention de 80 000 euros n’avait pas rendu sa création, peut-être pas absolument nécessaire, mais en tous les cas, très bienvenue ? La décision d’aller au

devant des entreprises était-elle alors motivée par le besoin ou par le désir ? Sans désir sincère de rencontrer l’autre, pas de relation véritable, profonde et durable. Qu’en est-il aujourd’hui du désir du porteur de projet culturel de rencontrer véritablement l’entreprise ? Ma pratique à la Scène Nationale et, désormais, en tant qu’accompagna-trice de projets et formatrice m’a fait et me fait toujours constater combien la relation aux entreprises demeure ambivalente. Le désir de s’inscrire en faux contre les excès de la société de consommation, contre une économie vécue comme cynique, peu respec-tueuse de l’Homme et de son environ-nement, appelle fréquemment, au pire à condamner sans nuance, au mieux à préférer s’abstenir de « pactiser » avec une entreprise vécue comme l’incar-nation de toutes les dérives. Inutile de dire que la survenue de la crise finan-cière et le feu nourri médiatique contre les « patrons-voyous » ne contribuent pas à désamorcer cette représentation, trop généralisante, parce que logeant sans distinction toutes les entreprises à la même enseigne, mais qui reste encore très ancrée. Mais lorsque la défiance à l’encontre de l’entreprise est surmontée, une autre crainte surgit fréquemment, qui pourrait s’exprimer ainsi : « si mes tutelles actent que j’ai trouvé 15 000 euros en mécénat, ne seront-elles pas tentées de diminuer ma subvention d’autant ? » La peur de

perdre des financements publics, vécus, comme un gage de pérennité d’une part et possédant une forte valeur symboli-que d’autre part, demeure très forte. À montant égal, l’argent privé reste perçu comme ayant moins de prix que l’ar-gent public, qui a également valeur de reconnaissance.

Le TempS eT LA pÉDAGOGIe :

De prÉCIeux ALLIÉS

Que l’on se rassure toutefois, la relation de mécénat n’est pas impossible pour autant ! Prendre conscience des croyan-ces, des représentations, des peurs à l’œu-vre – je ne peux pas toutes les décrire ici – constitue déjà un premier pas pour les dépasser et œuvrer à un rapprochement sincère. L’expérience m’a démontré qu’il convenait également de lutter contre ce que j’appelle « la dictature du court terme », à laquelle n’échappe hélas pas la sphère culturelle, le « j‘en ai besoin pour demain » ! Pour les raisons décrites plus haut, parce que l’entreprise et le porteur de projet évoluent dans des cadres de référence aux antipodes l’un de l’autre, il est impératif de savoir se donner le temps nécessaire à l’apprivoisement réciproque, le temps de comprendre et d’accepter le fonctionnement et les motivations de l’autre, le temps de la pédagogie, de la sensibilisation au mécénat tant auprès des équipes internes que du tissu écono-

“La peur de perdre des financements publics, vécus, comme un gage de pérennité d’une part et possédant

une forte valeur symbolique d’autre part, demeure très forte. À montant égal, l’argent privé reste perçu

comme ayant moins de prix que l’argent public, qui a également valeur de reconnaissance.”

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mique local. On ne développe pas un club des partenaires en trois mois, du moins pas si l’on souhaite le faire exister dans la durée.La question des moyens humains à affecter au mécénat s’avère également fondamentale. On n’entre pas en rela-tion avec une entreprise comme on dépose un dossier de subvention. La démarche exige que l’on prenne son temps, donc, mais également que l’on donne de son temps, que l’on s’im-plique. Sachant qu’à court terme, les apports en mécénat ne peuvent qu’avec peine couvrir les dépenses engagées, un théâtre, un lieu, une compagnie sont-ils prêts à dégager et à financer le mi-temps (voire le temps plein, selon la taille et la stratégie de la structure) nécessaire à la réflexion, à l’élabora-tion d’une « offre de mécénat », puis, très concrètement, à la prospection des partenaires, à l’entretien de la relation avec chacun ? La personne chargée des partenariats, si elle n’est pas au préala-ble issue d’une école de gestion ou de commerce, est-elle prête à se former au vocabulaire de l’entreprise, à suivre l’actualité économique en général et à s’intéresser sincèrement à l’actualité, en particulier celle qui concerne ses parte-naires acquis ou potentiels ? Le direc-teur d’un lieu, l’artiste à la tête d’une compagnie sont-ils prêts à s’investir en personne auprès de leurs interlocuteurs « privés » ? Car le mécénat étant avant tout affaire de rencontre, qui mieux que le directeur ou l’artiste est à même d’incarner un projet et susciter le désir d’y adhérer durablement ?

une expÉrIenCe De mÉCÉnAT CrOISÉ QuI pOSe

QueSTIOn

Le reste est ensuite affaire de stratégie, laquelle s’élabore à chaque fois diffé-remment, selon la nature du projet artistique et culturel à défendre, le territoire qui l’accueille, l’éventuel envi-ronnement concurrentiel, la singularité des acteurs économiques, leur degré de connaissance et de pratique du mécé-

nat… et le hasard des rencontres. Pour exemple, la stratégie de la Scène Natio-nale Évreux Louviers s’est déclinée en deux temps. Le bon sens nous a d’abord dicté de nous adresser aux entreprises « amies » (une librairie, un restaurant, un journal, la régie de transports en commun…) ou évoluant déjà dans notre sphère (les fournisseurs). Invi-tées à soutenir le projet artistique et culturel de la Scène Nationale dans sa globalité, huit entreprises ont répondu à l’appel. Puis, nous avons engagé une réflexion sur la manière d’entrer en relation avec les entreprises ne connaissant ni le mécénat, tel que la loi le définit aujourd’hui, ni (ou très partiellement) le projet et la vocation de la Scène Nationale. Cela s’est traduit par la mise en place d’une collaboration avec les trois Rotary clubs d’Évreux, principalement fréquentés par des chefs d’entreprise, des cadres supérieurs et des professions libérales. Cette initia-tive a permis, d’une part, d’organiser pendant deux ans plusieurs conférences de sensibilisation au mécénat et d’expli-cation du projet de la Scène Nationale, en direction du milieu économique. D’autre part, elle s’est concrétisée par la création d’une opération annuelle de « mécénat croisé », qui a consisté à co-programmer chaque saison un grand concert classique, dont la moitié de la recette est reversée à une cause défen-due par les Rotary clubs : la vaccination pour l’éradication de la polio.

La caution apportée à la Scène Natio-nale par le Rotary club dans le milieu économique a produit un effet accé-lérateur, et un bouche-à-oreille qui a favorisé le ralliement de quelque 15 nouvelles entreprises. Le succès finan-cier a été certes incontestable, et cette opération nous a permis de « coincer le pied dans la porte » d’entreprises qui nous étaient jusque-là fermées. Mais elle mérite toutefois d‘être questionnée. Qu’est-ce qui a déclenché le passage à l’acte des entreprises ? Le sentiment de faire une bonne action en soutenant la vaccination pour l’éradication de la polio ? Ou le projet artistique et cultu-

rel de la Scène Nationale ? Force est d’admettre que rallier le Rotary club sur une proposition artistique autre qu’un grand concert classique « sage » s‘est vite avérée chose impossible, malgré nos tentatives. La programmation, la deuxième année, d’un concert aux accents contemporains, Via Crucis de Franz Liszt, dirigé par Laurence Equil-bey, a reçu un accueil très tiède de la part du Rotary, imposant à la Scène Nationale de revenir à une proposition plus consensuelle l'année suivante. Cette proposition est-elle arrivée trop tôt ? Possible. Le temps, toujours le temps… La Scène Nationale pourra-t-elle parvenir, en misant sur le long terme et la pédagogie, à convaincre ses mécènes de soutenir en nombre les formes les plus contemporaines ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais on rejoint là une question fréquemment posée par les porteurs de projet cultu-rels : qu’adviendrait-t-il de la création contemporaine dans le spectacle vivant si le mécénat devenait prépondérant dans le financement de la culture ?

Fabienne HuréAccompagnement individualisé, conseil et formation au

mécénat des porteurs de projets artistiques et culturels

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DeS CrÉATeurS ArTISTeS eT DeS CrÉATeurS ChefS

D’enTreprISeS

Je suis convaincu qu’il n’y a pas deux mondes étrangers, celui des entreprises et celui de la création artistique. Il n’y en a qu’un, celui dans lequel nous vivons et que nous choisissons de construire. Le génie de la création et de l’innovation, le goût du risque et le désir de réussite sont autant de valeurs chevillées au cœur de tous les artistes et de tous les créateurs d’entreprises.

Les chefs d’entreprises sont souvent des hommes et des femmes cultivés. Ils savent combien la musique, le théâtre, la littérature, la peinture sont sources d’imagination, d’idées et d’enrichisse-ment dans tous les sens du terme. Ils savent combien leur créativité et leur ingéniosité leur permettront de trouver des solutions, quand les lois, les banques ou les assureurs ne suffiront plus…

Une des spécificités microéconomique majeure de la vie artistique est son incapacité intrinsèque d’autonomie financière1 : la subvention est indispen-sable. C’est un système de subvention publique qui a été choisi en France. À la marge de la force d’un tel choix, se trouve la difficulté de dialogue, entre le monde des entreprises et celui de la culture. Habitués à la subvention publique et sachant s’adapter à des niveaux de vie relativement précaires, les acteurs culturels n’ont pas toujours pris la peine de s’intéresser à la vie économique de leur territoire, pour la raison simple qu’ils n’en avaient pas un besoin vital. La nécessité faisant loi, les Chambres de Commerce et d’Industrie, habituées aux cols blancs et costumes sombres, interloquées voient passer, aujourd’hui, sous leurs porches majes-tueux des saltimbanques aux habits bariolés en quête de partenaires.

Alors, si l’attente des acteurs culturels vis-à-vis des entreprises peut paraître assez triviale, que peuvent attendre les petites et moyennes entreprises de la vie culturelle de leurs territoires ?

Tout d’abord, il y a une dimension d’échanges réciproques : chacun va donner et recevoir. Cette notion se heurte aux images d’Épinal de gratuité et de désintérêt que le terme de « mécé-nat » véhicule chez nos contemporains. C’est pourquoi la première des atten-tions à porter aux entreprises est de brûler cette icône et de les rassurer sur

le fait que le mécénat culturel ne sera ni un vol, ni un impôt supplémentaire, mais bien une rencontre qui va aussi servir leurs propres intérêts.

Le mÉCÉnAT, un OuTIL De mAnAGemenT eT De

COhÉSIOn SOCIALe

La première rencontre que met en œuvre un partenariat intelligent est celle qui va toucher l’ensemble du personnel de l’entreprise. Le manager doit pouvoir, dans tous les cas, associer ses salariés aux actions de partenariat qu’il engage, de manière directe ou indirecte : soit en leur faisant bénéficier de l’offre culturelle concernée (places de concert, entrées de musée, etc.), soit en les associant globalement à la démarche. L’engage-ment de sa propre entreprise auprès des acteurs culturels identifiés et locaux peut participer à donner du sens au travail quotidien de chacun et à la cohésion du groupe. Savoir que la valeur ajoutée à laquelle chacun contribue est en partie investie sur son propre territoire est très valorisant et peut donner du sens à un quotidien parfois difficile.

Les partenariats avec les toutes peti-tes, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) se jouent rarement sur le terrain de la communication externe. Les enjeux d’images et de notoriété n’ont pleinement cours qu’avec des entreprises de dimensions nationales ou internationales et auprès d’institu-

François-Xavier Tramond

Le mécénat culturel est l’une des expressions les plus abouties de la liberté d’entre-prendre. Tout l’enjeu est de lui donner du sens pour qu’il contribue au bon déroule-ment de l’entreprise, tout en participant à la cohésion culturelle et sociale de la cité.

les Fantassins du MéCénat Culturel

“Le mécène n’a pas intérêt à s’immiscer dans le contenu de l’œuvre, il y perdrait sa légitimité ; en revanche, il aura pleinement intérêt à accompagner le projet dans son déploiement, sa réalisation et sa valorisation.”

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tions culturelles de premier plan. Cette notion de communication externe est disproportionnée et peu efficiente loca-lement sur des échanges financiers de moins de 50 000 €. La visibilité des acteurs culturels en question est trop insignifiante compte tenu du budget en jeu. Mieux vaut privilégier la logique du dialogue des semblables, plutôt que forcer la rencontre des extrêmes.

Les projets de partenariat avec les PME et TPE auront une vraie pertinence à se dérouler localement sur les terrains de la communication interne et de l’en-gagement social de l’entreprise. Cette dimension d’implication dans des acti-vités culturelles et d’intérêt général a un sens et une efficacité très forte du point de vue du rayonnement, de la cohésion et de l’attractivité d’un territoire sur lequel l’entreprise a décidé de s’implanter et se développer.

Toutes les entreprises ont intérêt à ce que la cohésion sociale se construise de manière durable et sans trop de heurts là où elles ont élu domicile et où leurs salariés vivent. Aucune entreprise ne se développe bien sur un territoire qui va mal. Chacun sait combien la culture participe pleinement à la cohésion sociale, au dialogue intergénérationnel ou au respect de la diversité.

Le mÉCène eT LA LIBerTÉ

DeS ArTISTeS

Ce n’est pas l’œuvre artistique pour elle-même qui intéresse l’entreprise, mais le projet culturel dans sa globalité : le projet pédagogique autour de la création, le programme de diffusion, le rayonne-ment du projet, le public concerné ou les territoires irrigués. Tout ce que le projet pourra apporter à la cité est en mesure de retenir l’attention d’un partenaire.

Par exemple, le sens philosophique et théâtral d’une pièce de Koltès est fonda-mental pour chacun d’entre nous, en tant que spectateur individuel, mais il ne pourra pas être le moteur d’un parte-

nariat avec une entreprise. En revanche la destinée de la pièce, sa diffusion et sa valorisation, ce qu’elle va apporter à la ville, à la région, le nombre de places mises à la disposition des salariés du partenaire, seront autant d’éléments présidant au succès d’un partenariat.

C’est cette distinction qui donne une grande liberté de création aux artistes. Le mécène n’a pas intérêt à s’immiscer dans le contenu de l’œuvre, il y perdrait sa légitimité ; en revanche, il aura plei-nement intérêt à accompagner le projet dans son déploiement, sa réalisation et sa valorisation.

Le mÉCÉnAT, un fLuIDe pOur LeS reLATIOnS

puBLIQueS

Il y a aussi, bien entendu, une dimension stratégique assez évidente pour les entre-prises à trouver des lieux d’échanges et de relations publiques de qualité autour des projets culturels.

Une exposition, un concert, un spectacle sont autant d’espaces propices au main-tien et au développement des relations publiques. Ce sont des opportunités très recherchées par les entreprises, dans

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le cadre de leurs discussions avec les clients, les fournisseurs, les collectivités territoriales et toutes les composantes de la société avec lesquelles il est essentiel de tisser des relations de proximité et de confiance.

LA DÉfISCALISATIOn, une vOIe pOur LA reSpOnSABILISATIOn De LA

SOCIÉTÉ CIvILe

La révolution que représente la défiscali-sation2 des dons aux acteurs et aux projets d’intérêt général est un moment historique quant à la responsabilité de chacun dans la cité. Chaque contribuable et chaque entreprise peut « affecter » son impôt selon ses moyens et sa propre vision de l’espace public. C’est un moment clef dans les relations entre la société civile et les pouvoirs publics, entre les acteurs multi-ples de l’intérêt général et son seul garant : l’État. C’est un message de confiance de premier plan que le législateur a exprimé aux entreprises en promulguant la loi du 1er août 2003 ; l’engagement financier qui s’en est suivi3 a montré combien les entreprises en ont saisi la portée. Néanmoins, le plafond de 0,5 % du chiffre d’affaires n’est pas adapté aux

TPE et PME. 37 % de la population active travaille dans une entreprise de moins de 20 salariés et le chiffre d’affai-res moyen de ces « toutes petites entre-prises » est de 270 K€4. Ce qui signifie que, dans le cadre actuel de la loi de 2003, ces entreprises ne peuvent faire de mécénat qu’à hauteur de 1 300 € par an ! Les PME de moins de 250 sala-riés réunissent, hors TPE, 18 % de la population active. Compte tenu de leur chiffre d’affaires moyen, elles peuvent s’engager sur des sommes annuelles moyennes de 33 000 €.5

un pLAfOnD InDexÉ Au ChIffre D’AffAIreS eT une enveLOppe fOrfAITAIre

pOur pLAnCher

Il pourrait être envisagé d’élever le taux à 1 % pour les PME, ce qui multiplie-rait par deux l’ensemble des possibili-tés. C’est un taux symbolique fort qui préside déjà aux destinés de la solidarité dans plusieurs domaines. Le « 1 % loge-ment » fut le fruit de la négociation entre les patrons et les ouvriers sur la ques-tion du logement dès les années 40. Le « 1 % artistique » fut celui de la mesure de la participation des travaux publics à la création contemporaine en 1951.

C’est « 1 % du budget de l’État » que s’est donné comme objectif le ministère de la Culture dès sa création en 1958. Depuis, les gouvernements ne sont jugés en matière culturelle qu’à l’aune de ce taux. Il existe même un « club 1 % pour la planète » depuis 20016.

Par ailleurs, il serait assez pertinent de définir, pour les TPE, un plancher de défiscalisation, comme il a été choisi un plafond, en dessous duquel les entrepri-ses n’ont plus à calculer leur engagement dans la cité en matière de pourcentage, mais de budgets significatifs. L’ordre de grandeur de ce plancher pourrait s’aligner sur les micro projets financés dans le cadre de l’Union Européenne (23 000,00 €). C’est une enveloppe avec laquelle il serait possible d’accompagner de vrais projets, de diversifier ses actions, de prendre de vrais risques et de s’inves-tir durablement sur leur territoire.

Les associations culturelles de terrain sont en prise directe avec la société dans de nombreux domaines où l’entreprise n’a pas toujours les bons repères. Elles peuvent anticiper des situations sociales de crise ou de changement que ne verront pas immédiatement les entreprises. Ce sont elles, surtout, qui réunissent et qui donnent leur chance aux jeunes artis-tes, aux nouveaux talents, aux nouvelles initiatives ou aux nouvelles formes. Elles sont le ventre fécond de la cité. Par leur enracinement dans le présent, elles ont une vision sur l’avenir, précieuse pour tous les chefs d’entreprises qui veulent donner du sens à leur investissement et participer à l’élaboration de la cité qu’ils laisseront à leurs enfants.

François-Xavier TramondConsultant en mécénat culturel.

Enseignant à Sciences Po [email protected]

1– The Economic Dilemma (1966), William Baumol et William Bowen.2– Défiscalisation de 60 % des dons aux associations dans la limite des 5/1000 du Chiffre d’affaires HT.3– 350 millions d’euros de mécénat en 2002, 1 milliard d’euros en 2005, 2,5 milliards d’euros en 2008. Données : Admical4– Données : Ministère des petites et moyennes entreprises du commerce, de l’artisa-nat et des professions libérales.

5– Données : Ministère des petites et moyennes entreprises du commerce, de l’artisa-nat et des professions libérales.6– Yvon Chuinard, propriétaire fondateur de Patagonia, a créé, en 2001, le « club 1% pour la planète », partout dans le monde des entreprises s’engagent à hauteur de 1% de leur CA sur cette cause majeure. 10 entreprises françaises font partie de ce club.

Les fantassins du mécénat culturelNOTES

“Si l’attente des acteurs culturels vis-à-vis des entreprises peut paraître assez triviale, que peuvent attendre les petites et moyennes entreprises de la vie culturelle

de leurs territoires ?”

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vers un systèMe Muséal À deux vitesses ?

Comment expliquer une telle évolu-tion, admise par ceux-là mêmes qui

défendent la primauté du scientifique dans la direction des institutions muséa-les et qui ont de surcroît la responsabilité éminente de la parfaite conservation des œuvres pour les générations futures ? Quelles en sont les conséquences prévi-sibles ? Que devient, dans ce cadre, la notion de patrimoine national ?

La présente contribution s’efforce d’ap-porter des éléments de réponse à ces rudes interrogations en deux temps : le premier examine certaines des trans-formations que connaît l’univers des musées ; le second suggère des orienta-tions de nature à faire face aux risques encourus et aux dérives observées.

DeS ÉvOLuTIOnS QuI SuSCITenT De LÉGITImeS

InTerrOGATIOnS

Dans la période actuelle, on assiste à une concentration des moyens au profit des grandes institutions. Une alliance stratégique (bien que non formalisée) a en effet été forgée entre chefs d’établis-sements (encore parfois conservateurs du patrimoine, mais souvent désormais directeurs au profil de « managers »2), administrateurs (principalement des

énarques, mais également des diplômés d’écoles de commerce) et technostruc-ture (hauts fonctionnaires du ministère de la Culture ainsi que celui de l’Écono-mie et des Finances), qui repose sur une convergence d’intérêt : un pouvoir accru de la sphère managériale en contrepar-tie de l’obtention, par les conservateurs, de ressources financières permettant la modernisation des établissements, offrant ainsi des retombées symboli-ques et de prestige au monde politico-administratif.

Grâce à cette alliance de fait entre des acteurs de premier plan disposant de pouvoirs d’influence, de capacités de lobbying et de relais dans l’appareil d’État, dans le monde économique et auprès du personnel politique, des moyens budgétaires et humains impor-tants ont été consentis aux plus grands musées dans le cadre de contrats d’ob-jectifs et de performance, creusant ainsi l’écart avec les subsides alloués aux musées plus modestes. Une question se pose néanmoins : assiste-t-on à une modernisation allant dans le sens d’une plus grande efficacité culturelle et d’un fonctionnement optimisé au service des œuvres et des visiteurs ou bien sommes-nous les témoins d’une bureaucratisa-tion des organisations muséales condui-sant à un renforcement des hiérarchies

et à un poids croissant des procédures administratives ?3 Étant entendu que la véritable marge de manœuvre des grands musées paraît reposer davan-tage aujourd’hui sur la motivation, la productivité et la formation de person-nels qualifiés.

Les grandes institutions, non contentes de cumuler des moyens publics signifi-catifs, possèdent de surcroît la capacité de lever des fonds additionnels. Ce sont, en effet, les musées les plus prestigieux, dont la notoriété est internationale et qui possèdent des équipes spécialisées (une vingtaine de personnes au musée du Louvre) qui sont les plus à même de bénéficier de dons d’entreprises, de fondations et de particuliers, aidés en cela par une fiscalité désormais particu-lièrement favorable : songeons en effet qu’une entreprise peut déduire de l’im-pôt sur les sociétés 90 % du montant du don destiné à l’acquisition d’un « trésor national » ! Il possède le même avantage pour créer des ressources propres, qu’il s’agisse des restaurants, des tournages de films, des revenus des boutiques ou des locations d’espace. Enfin, ces institutions ne se privent pas d’augmenter sensiblement leurs prix d’entrée tout en réduisant, dans le même temps, la portée des réductions tarifai-

À l’heure où le musée d’Orsay conçoit des expositions pour lever des fonds en Asie, où le musée Picasso indique que l’itinérance de ses collections rapporte davantage que le mécénat et où le musée du Louvre pratique le prêt payant d’œuvres, on admettra que l’on se trouve face à un changement de paradigme dans l’univers des musées. On s’éloi-gne en effet de celui où l’œuvre, par définition unique et irremplaçable, ne pouvait voir son intégrité prendre le risque d’être menacée que dans le strict cadre d’expositions reposant sur une démarche de recherche, autrement dit, en dehors de toute préoccupa-tion de retour financier1.

Jean-Michel Tobelem

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res : 20 euros pour le passeport de visite au château de Versailles (25 euros au moment des Grandes eaux musicales) ; 14 euros pour une visite combinée des collections permanentes et des exposi-tions temporaires du musée du Louvre ; 10 à 12 euros selon les périodes pour la visite du Centre Pompidou ; 11 euros pour les expositions du Grand Palais ou celles du musée d’Art moderne de la ville de Paris (qui cherche peut-être à « compenser » la gratuité d’accès à ses collections permanentes). Dès lors, le droit d’entrée devient onéreux et pose un problème en termes d’accessibilité et de démocratisation : si des tarifs aménagés existent évidemment pour certaines catégories de visiteurs, il n’en reste pas moins qu’un effet d’éviction est à craindre pour des publics motivés qui seront pourtant conduits à renon-cer à quelques-unes de leurs visites ou à réduire la fréquence de ces dernières4. On peut craindre, en outre, une concen-tration des flux au profit des institu-tions les plus connues – qui bénéficient d’une situation de rente – au détriment d’institutions plus modestes bien que de grande qualité, ce qui serait fâcheux en termes de politique culturelle.

Les grandes institutions, dotées du statut d’établissement public5, donnent ainsi le sentiment de conduire leur politique en obéissant à leur intérêt bien compris et sans se préoccuper des conséquences de leurs décisions sur leur environne-ment ou encore sur les autres équipe-ments qui font partie du système muséal français. On le constate du reste avec la situation incertaine de la Réunion des musées nationaux, dont les grands établissements souhaitent apparemment la disparition, ce qui signifierait la fin de l’objectif de mutualisation des ressour-ces des musées nationaux français, très entamée il est vrai depuis l’autonomi-sation des plus grands d’entre eux. On pourrait donc assister à un écart gran-dissant entre grands établissements bien dotés en moyens humains, techniques et financiers et musées de plus petite taille, par la conjonction de plusieurs phénomènes.

Primo, l’ampleur des ressources dont disposent les grands musées renforce leur capacité à mener une politique dynamique d’expositions temporaires, d’événements et d’animations, ce qui leur permet de conquérir de nouveaux publics et de fidéliser leurs visiteurs. Secundo, ces mêmes ressources conduisent les grandes institutions à conduire une politique de promotion et de communication agres-sive mais efficace, celle-ci étant à son tour relayée par leurs partenaires (sponsors et médias). Tertio, l’augmentation des flux de tourisme international a bénéficié en priorité ces dernières années aux insti-tutions les plus connues des visiteurs étrangers : musée du Louvre, château de Versailles, Tour Eiffel et Arc de Triom-phe, notamment. Or, de tels facteurs étant cumulatifs, la création de nouvel-

les ressources vient abonder les revenus existants pour entretenir la dynamique de développement d’une poignée de sites culturels.

DeS pISTeS à ApprOfOnDIr pOur COnfOrTer L’AvenIr

DeS muSÉeS

Certaines des évolutions évoquées précé-demment sont fréquemment attribuées aux difficultés réelles ou anticipées concernant les finances publiques (État et collectivités locales). La présente crise économique, sociale et financière rend de surcroît encore plus problématique le recours au mécénat, du moins s’agissant des entreprises. Au risque de susciter une certaine incompréhension, on suggérera

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pourtant que si les petits établissements disposent bien souvent de marges de manœuvre très faibles pour réduire leurs dépenses, déjà fortement contraintes, il n’en est pas nécessairement de même pour les plus importantes institutions muséales françaises, qui ont considérablement étoffé le spectre de leurs interventions dans la période récente (spectacles, co-produc-tions, éditions, publications, commandes, tournages, etc.). Ces musées seraient donc amenés à se recentrer sur leurs missions fondamentales (dont font bien sûr partie l’accueil des publics, la diffusion et les acti-vités éducatives), au détriment d’actions pouvant éventuellement être considérées comme moins stratégiques, à partir du moment où des choix drastiques devien-draient inéluctables. Un tel recentrage pourrait toutefois utilement conduire à évaluer la pertinence de chacune des actions des musées au regard de leurs impératifs scientifiques, culturels, sociaux et éducatifs, qui comprennent des respon-sabilités essentielles dans le domaine de la politique des réserves, de récolement des collections, de conservation préventive et de sécurité, comme le Parlement – aussi bien que la Cour des comptes – ont para-doxalement eu l’occasion de le rappeler aux professionnels des musées.

Pour les musées de moindre importance, l’enjeu semble être celui d’une mutuali-sation de leurs moyens humains, techni-ques et financiers par le truchement de trois instruments possibles : des regrou-pements locaux ou thématiques, à travers des pôles muséographiques territoriaux (PMT), d’une part ; d’autre part, des musées municipaux (ou intercommu-naux) à vocation régionale (MMVR)6 ; et, enfin, le rattachement de petits lieux (ne

bénéficiant pas de la présence d’un conser-vateur ou d’un attaché de conservation du patrimoine) à des établissements dotés de personnels scientifiques, voire dans le cadre d’une conservation départemen-tale, le cas échéant. Cette mutualisation permettrait de faire face à une pénurie de personnels qualifiés et de fournir d’indis-pensables moyens d’agir dans plusieurs domaines cruciaux : la conservation et la restauration des œuvres, les animations, la programmation, les publications, les activités éducatives et d’insertion, le développement touristique, l’aménage-ment du territoire, la promotion et la communication, la qualité de l’accueil Des actions de formation seraient bien entendu indispensables pour accompa-gner ces structures dans leurs démarches de professionnalisation.

Surtout, dans des temps qui s’annoncent difficiles pour les institutions culturelles, il convient d’être vigilant quant à l’ins-cription des musées dans les politiques publiques. Alors que les professionnels de la conservation s’interrogent sur leur avenir en raison des contraintes budgétai-res soulignées précédemment, mais aussi du fait des risques d’instrumentalisation touristique, économique, politique, voire diplomatique7, l’heure est à la démons-tration du rôle positif que peuvent jouer les musées pour accroître le bien-être des habitants dans différents domaines : apport culturel et scientifique ; ressour-ces éducatives et sociales ; instrument de développement des territoires, lui-même gage de retombées touristiques et écono-miques ; facteur d’image et de prestige des villes ; etc. C’est ainsi, par la congruence entre mission des établissements et politiques des collectivités territoriales,

qu’il sera possible de démontrer que les musées, loin de représenter seulement une charge pour les contribuables, constituent en réalité potentiellement de puissants instruments au service de la société et du développement de la citoyenneté.

Face à de grands établissements qui sont tentés de pratiquer l’égoïsme sacré et qui confondent parfois dynamisme d’une démarche « entrepreneuriale » (pouvant assurément être placée au service d’un projet scientifique, culturel, éducatif et social) et comportement cherchant à mimer celui des entreprises8, il convient de rappeler que les musées publics fran-çais, qui ne sont pas indépendants mais autonomes (du moins pour ceux qui béné-ficient du statut d’établissement public ou d’une autre forme de personnalité morale), appartiennent tous à l’écosystème muséal national. C’est là un atout précieux pour notre pays, à rebours d’une conception étroitement centralisatrice et stérilisante. Convenons en définitive qu’il serait périlleux de chercher à s’imposer par un esprit inopportun de concurrence à court terme au détriment des institutions sœurs, là où chacun des établissements concourt en réalité à l’effort public de longue haleine d’éducation des habitants de notre pays – qu’il s’agisse d’art, d’his-toire, d’archéologie, de science, d’ethno-logie ou d’autres domaines encore. Un tel rappel qui aurait été inutile il y a quelques années ne semble pas superflu à présent.

Jean-Michel Tobelem, Docteur en gestion, directeur d’Option Culture, chargé de

cours à la Sorbonne et à l’École du Louvre.

Remerciement à François Mairesse pour ses éclairages incisifs.

1– L’ancien directeur du Metropolitan Museum of Art de New York, Philippe de Montebello, affirme pour sa part : « Le prêt est et doit rester gratuit. Nous comprenons que certains pays en voie de développement réclament de l’argent. Mais entre pays développés, c’est inacceptable. » (« Et si c’était le musée idéal ? », Le Monde, 14 octobre 2007).2– Cf. les cas des châteaux de Versailles, de Fontainebleau et de Chambord, de la Cité de l’architecture et du patrimoine, du musée du quai Branly (voire du Centre Georges Pompidou, qui n’est certes pas qu’un musée).3– « Ouverture après travaux – la nouvelle stratégie du Centre Pompidou », D. Alcaud et J.-M. Tobelem, art press, spécial « écosystèmes du monde de l’art », n° 22, 2001.4– Cf. La culture mise à prix. La tarification dans les sites culturels, dir. J.-M. Tobelem, L’Harmattan, 2007.

5– Mais également de celui de société d’économie mixte (SEM), d’établissement public de coopération culturelle (EPCC) ou encore de groupement d’intérêt public (GIP).6– Voir J.-M. Tobelem, Le nouvel âge des musées, les institutions culturelles au défi de la gestion, Armand Colin, 2005, p. 292.7– Cf. L’arme de la culture. Les stratégies de la diplomatie culturelle non gouvernementale, dir. J.-M. Tobelem, L’Harmattan, 2007.8– Ayant précisé pourquoi on ne saurait assimiler les musées à des entreprises, nous avons proposé le concept d’« organisation culturelle de marché » (OCM) pour rendre compte de ce phénomène (cf. Le nouvel âge des musées, op. cit., p. 28 à 30).

Vers un système muséal à deux vitesses ?NOTES

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Cette multiplication même fait question et incite à une réflexion

sur les objectifs de ces manifestations sur lesquelles convergent des ambi-tions commerciales et des volontés de promotion de la lecture dans un jeu d’équilibres et d’ambiguïtés par lesquels se définit l’identité de chaque manifestation.

pOur une ÉvALuATIOn SOCIO-ÉCOnOmIQue

DeS SALOnS Du LIvre

Plus fondamentalement, se pose à leur sujet la question de l’évaluation. La pratique la plus courante relève d’une analyse comptable et d’une démarche communicationnelle : pour les organisa-teurs, il s’agit de procéder à une analyse des recettes et des coûts et de trans-mettre, aux financeurs éventuels et aux médias, des chiffres sur le nombre de visiteurs, le nombre d’auteurs et d’édi-teurs représentés. Le bilan s’apprécie alors par une comparaison des chiffres d’une année sur l’autre. Ces éléments d’ordre quantitatif suffisent générale-ment à fonder la raison d’être de ces manifestations et permettent de faire l’économie d’une réflexion sur le fond dans une perspective qui chercherait

à saisir la manière dont ces salons s’ar-ticulent avec une politique culturelle ou, plus largement, avec une politique sociale et éducative.

Les enjeux liés au développement de manifestations consacrées au livre couvrent en ef fet un champ t rès large de questions et d’acteurs, très au-delà de leur durée même. Dans quelle mesure les structures éducati-ves sont-elles concernées et actrices ? Sont-elles simples « consommatrices » de ces salons ou les intègrent-elles dans une pratique pédagogique visant à faire sens durablement ? De quelle manière les bibliothèques et les centres de loisirs sont-ils impliqués ? Que sait-on des « effets » que ces festivals produisent sur le public en termes de pratiques de lecture, d’achat ou d’emprunt de livres ? Question qui serait elle-même à segmenter en prenant en compte les différentes catégories de visiteurs. Comment ces salons interviennent-ils dans la question de la diversité cultu-relle ? Tendent-ils à renforcer la place déjà tenue par les best-sellers ou favori-sent-ils la rencontre du public avec une production moins accessible ? En quoi ces manifestations agissent-elles sur les équilibres économiques des acteurs de la chaîne du livre ?

Cette série de questions suffit à mettre en évidence le besoin d’une analyse socio-économique de ces manifesta-tions qui, tout en mobilisant les poli-tiques culturelles, sont trop souvent considérées comme des événements isolés et sans lien véritablement construit avec les structures et acteurs socio-éducatifs.

Sans reprendre l’ensemble du ques-tionnement qui précède, cet article cherche à en illustrer certains aspects en prenant appui sur le cas du salon du livre et de la presse jeunesse de Seine-Saint-Denis. Les enquêtes dont sont tirés ces résultats ont été menées entre 2005 et 2008.

enQuêTe Sur Le SALOn Du LIvre

en SeIne-SAInT-DenIS

Si l’on cherche tout d’abord à aborder la question de la diversité, il est possible d’en rendre compte à partir de l’analyse des descriptions de la visite faites par le public interrogé et à partir de achats effectués.

Auprès du public des adultes, on observe ainsi que 73 maisons différentes sont

Bertrand Legendre

Particularité française par leur abondance et leur diversité de taille, de nature et d’or-ganisation, les salons, fêtes ou festivals du livre constituent, de près ou de loin, un élément des politiques culturelles mises en place par les collectivités locales ou des acteurs privés et, dans certains cas, soutenues par des instances nationales.

politiques Culturelles et salons du livre : le Cas du salon du livre et de la presse Jeunesse de seine-saint-denis

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citées sur un total de 178 maisons pré-sentes au salon ; sachant que 542 per-sonnes ont été interrogées, ce chiffre exprime d’abord la force d’attraction d’un petit groupe de structures. Si l’on s’en tient aux 10 premières (par ordre décroissant : Gallimard, L’École des loisirs, Milan, Le Rouergue, Actes Sud, Bayard, Le Seuil, Nathan, Hachette, Dupuis), on relève une certaine cohabi-tation entre maisons très importantes et maisons moyennes. Mais on note aussi que 34 maisons sont citées une seule fois, chiffre qui dit à la fois la présence d’éditeurs peu connus et la place réelle qu’ils occupent dans la démarche d’un certain public.

L’étude des achats effectués confirme la domination du même groupe d’édi-teurs, mais elle introduit une infor-mation nouvelle puisque ce sont 119 maisons qui sont concernées par les achats. Alors que le public cite sponta-nément 73 maisons différentes comme points de passage de la visite, les achats décrivent une réalité beaucoup plus diversifiée. On peut voir dans cet écart une des fonctions de la manifestation qui amène le public à découvrir de nouveaux éditeurs qui, sans apparaître dans la restitution que le public peut faire de sa visite, n’en sont pas moins

présents dans les achats. C’est bien un enjeu de diversité de l’offre qui appa-raît derrière ce constat, soulignant la manière dont ces salons du livre sont susceptibles d’être aussi des outils de politique culturelle.

Auprès du public des enfants, on remarque qu’à la différence des adultes qui décrivent leur visite en citant des éditeurs, l’évocation des stands, si elle n’est pas totalement absente (une ving-taine de noms sont cités), est moins fréquente chez les enfants qui citent plutôt des collections, des genres (BD, mangas, livres d’animaux, albums) ou des titres. C’est là un effet de la médiati-sation très forte d’une part de la produc-tion éditoriale qui contribue à former la réceptivité de ce public. Mais en réalité, deux tendances opposées sont percep-tibles et cohabitent : l’imprécision de certaines évocations de livres dont les enfants ne peuvent que raconter l’his-toire ; l’expertise de certains jeunes lecteurs qui citent les éditeurs, les titres et les auteurs. Au travers de ces discours se dessinent deux profils d’enfants : un enfant expert qui vient chercher au salon du livre et de la presse jeunesse de Seine-Saint-Denis, ses éditeurs, ses collections, ses auteurs préférés, et celui d’un enfant découvreur, plus jeune, qui

pratique sur le salon des expériences plus diversifiées. Mais ce bilan que font les enfants venus en groupe accompa-gné devient moins unanimement posi-tif quand on s’intéresse aux enfants venus seuls. Chez certains, la frustra-tion naît d’une faible capacité d’achat ou de l’offre elle-même dans laquelle ils rencontrent des difficultés à se repérer, point qui souligne en creux la place que peut tenir le travail de médiation dans un tel dispositif.

Au final, si le groupe d’éditeurs cités le plus souvent par les enfants diffère peu de celui cité par les adultes, leurs achats sont en réalité très variés, loin de la représentation qu’on a parfois d’un marché jeunesse dominé par Titeuf et Harry Potter. Les best-sellers n’occupent pas dans les achats des enfants sur le salon une place proportionnelle à celle qu’ils tiennent en librairie. De même, si la BD constitue un sous-ensemble repérable, elle n’est pas aussi largement présente que pouvaient le laisser penser les ventes de ce secteur. Le fait que se trouvent dans cette liste des titres clas-siques et récents dont la présence est manifestement, pour les premiers du moins, le fruit de la prescription, laisse penser que le salon et le travail fait en amont jouent un rôle appréciable de

“Comment ces salons interviennent-ils dans la question de la diversité

culturelle ? (…) En quoi ces manifestations agissent-elles sur

les équilibres économiques des acteurs de la chaîne du livre ? ”

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diversification des achats, par la décou-verte ou redécouverte de textes classi-ques de la littérature de jeunesse ou par la rencontre avec des nouveautés moins ou peu médiatisées. La variété de l’of-fre éditoriale du salon a donc bien une incidence sur la nature des achats.

Pour une part importante du public des enfants, le Salon du livre et de la presse jeunesse de Seine-Saint-Denis est l’occasion de découvertes. Plusieurs facteurs sont impliqués dans ce constat dont, bien sûr, le contexte et les prati-ques culturelles familiales (même s’il serait très hasardeux de considérer que la diversité des lectures croît automa-tiquement avec le niveau de vie). De manière très fortement déterminante, le travail de préparation mené par diffé-rentes catégories de médiateurs en vue de la visite au salon est un facteur de stimulation de la curiosité par rapport à l’offre éditoriale. La comparaison entre livres achetés et livres préférés confirme, d’une certaine manière, la grande diversité des choix. Pour les livres préférés, les réponses s’organisent, d’avantage que pour les achats, autour de personnages (Martine, Cédric, Tom Tom et Nana…), genres dominants (BD, mangas, aventure…), collections (Bibliothèque rose, La cabane magi-que…). Cet écart conduit à formuler une hypothèse selon laquelle les achats réalisés sur le salon sont des actes dans lesquels interviennent des actions de médiation (enseignants/accompagna-teurs, vendeurs, auteurs, illustrateurs, copains, famille…), alors que la ques-tion « Quels sont tes livres préférés ? », laissant plus largement prise aux effets de médiatisation, produit des réponses plus conventionnelles. Est ainsi mise en jeu la question de l’ancrage de ce type de manifestations dans le réseau de médiation, qu’il s’agisse du travail des enseignants, éducateurs, animateurs ou bibliothécaires. La manière dont ces acteurs sont sollicités et se saisissent de la manifestation en l’intégrant dans leur activité autrement que comme une simple « sortie » est un indicateur majeur de la politique culturelle menée par les responsables des manifestations

dédiées au livre. En l’occurrence, le Salon du livre et de la presse jeunesse de Seine-Saint-Denis, manifestation annuelle organisée par le Centre de Promotion du Livre et de la Presse de Jeunesse se distingue de longue date par l’importance du travail de terrain mené tout au long de l’année avec un nombre important d’écoles, collèges, bibliothèques, centres de loisir, et par ses actions de formation auprès des enseignants, bibliothécaires, étudiants. Un ensemble d’initiatives contribuent à faire en sorte que, si le Salon est la face la plus visible de cette politique du livre, celle-ci s’appuie sur un engage-ment durable et de proximité en faveur de trois objectifs dont se saisissent inégalement les collectivités territoria-les porteuses de salons ou festivals du livre : l’action culturelle, la mobilisation de la chaîne du livre et de l’édition, le soutien à l’économie du livre.

De LA vISITe SCOLAIre

Aux vISITeS fAmILIALeS

Le questionnement portant spécifique-ment sur les pratiques familiales liées au salon fait apparaître de nombreuses situations d’échanges entre les enfants qui y sont allés avec leur établissement et leurs frères et sœurs ou parents. Plus de la moitié des enfants disent en avoir parlé à la maison, et près de 60 % disent avoir eu envie d’y retourner (avec les parents, les frères ou sœurs, cousins, amis…). 13 % des enfants qui ont fait une visite avec leur établissement y sont retournés dans le cadre familial ou amical et l’on peut considérer qu’un quart des enfants estiment avoir décidé l’un ou l’autre de leurs parents à y aller.

Plus que la mesure précise de la capa-cité de la visite scolaire à provoquer des visites familiales, peut être soulignée ici l’intensité des échanges que suscite cette visite dans la sphère privée. Le fait que la visite scolaire connaisse de tels prolongements familiaux semble très positif dans la mesure où il permet de penser que la préparation de cette visite, la visite elle-même et son exploitation

éventuelle en classe ne réduisent pas ce moment à une activité ou à une sortie scolaire comme une autre. Par ailleurs, environ 70 % des enfants qui répon-dent à la partie de l’enquête consacrée aux activités développées à partir de la visite du salon mentionnent des situa-tions d’échange menées en classe, soit de manière générale sur ce qu’ils ont pensé du salon, soit, plus précisément, dans le prolongement de rencontres avec des auteurs ou des illustrateurs. Plus de la moitié des enfants font état d’activités liées aux livres achetés. Il est également intéressant de noter que nombre d’enfants inscrivent le déplace-ment au salon dans la durée et non pas comme une simple sortie sans suite. Le fait que des enfants pratiquent entre eux des prêts de livres qu’ils ont achetés peut entrer dans cette perspective.

Ces éléments ne suffisent sans doute pas à rendre compte de la dimension de politique culturelle que peuvent porter les festivals ou salons consacrés au livre, ni à faire le bilan de la mani-festation à laquelle ils se rapportent. Ils veulent cependant mettre en évidence, au moment où se multiplient de telles initiatives, les enjeux qui les traver-sent et les tensions entre médiation et marchandisation, et contribuer ainsi à l’analyse de ces événements.

Bertrand LegendreProfesseur en Sciences de l’information

et de la communication à l’université Paris 13 (Villetaneuse) et membre du LabSic.

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Le premier, publié sous la direction de Bruno Colin et d’Ar-thur Gautier, Pour une autre économie de l’art et de la culture est un ouvrage engagé qui retrace l’histoire et les enjeux du Manifeste rédigé à l’initiative de l’Union Fédérale d’Inter-vention des Structures Culturelles (UFISC). La question de l’identité, du mode original de fonctionnement d’un « tiers secteur de la culture » qui serait à mi-chemin entre le secteur public et le secteur privé est fouillée, mise à l’épreuve. Sont conviés au débat tant les professionnels du terrain que les chercheurs. Quelques passages sont particulièrement éclai-rants, comme la mise en perspective de l’UFISC qu’effectue Gérôme Guibert, au regard des travaux académiques conduits sur le champ de l’économie sociale et solidaire. Ce chapitre donne une profondeur à l’ouvrage et, au-delà d’un pamphlet en faveur d’une économie sociale et solidaire dont « beaucoup se revendiquent » (p. 93) sans vraiment savoir ce dont il s’agit, les auteurs conduisent une véritable réfl exion en posant la question des contours de ce tiers secteur, de sa cohérence, de sa légitimité.

L’entreprise est ambitieuse, ardue et de nombreuses réponses demeurent de ce fait en suspens. Car le problème de la délimi-tation de l’économie sociale et solidaire – qui est loin d’être réglé dans la littérature académique – se double ici de celui du bien culturel. Les deux sont mêlés tout au long de l’ouvrage et sans doute l’éclairage aurait-il été plus convaincant si les auteurs avaient envisagé les questions de façon plus articulée. À la lecture du livre, le point de vue incisif publié par le socio-logue Matthieu Hely2 sur l’économie sociale au sein du site Internet La vie des idées avec un article intitulé « L’économie sociale n’existe pas » vient nécessairement à l’esprit. L’auteur y réfute l’idée de l’existence de ce tiers secteur comme un compromis « entre plusieurs logiques distinctes » publique et privée, et l’analyse plutôt comme « un marché du travail dont les acteurs précarisés ont perdu le statut naguère garanti par la fonction publique ». L’existence d’un tiers secteur dans la culture est-elle réellement une nouveauté ? N’est-elle pas liée

aux caractéristiques mêmes du travail culturel ? La diffi cile rémunération par le marché n’est-elle pas rendue encore plus problématique par les évolutions que connaît actuellement le travail créatif ?

Et l’on rejoint ici la problématique traitée dans le second ouvrage que nous avons évoqué en introduction de cette rubrique. Coordonné par Francine Labadie et François Rouet, Travail artistique et économie de la création est le fruit d’un

BIBLIOGrAphIe

QueLLe ÉCOnOmIe pOur L’ArT eT LA CuLTure ? Pour une autre économie de l’art et de la culture, Bruno Colin et Arthur Gautier (dir.), Paris, Éditions Érès, Collection sociologie économique, 2008, 176 p., ISBN : 978-2-7492-0992-0, 20 €.

Travail artistique et économie de la création, Actes des 2es journées d’économie de la culture, Francine, Labadie et François Rouet (coord.), Paris, La Documentation française, Département des Études de la Prospective et des Statistiques (DEPS), 2008, 256 p., ISBN : 978-2-11-097537-9, 25 €.

« nobody knows », l’expression utilisée par richard Caves1 pour qualifi er le fonctionnement des

marchés culturels est le lien évident qui unit deux ouvrages collectifs récemment parus. leur

projet est pourtant, à l’origine, bien distinct.

BRÈVESACTuALITÉ Du pATrImOIne, DISpOSITIfS eT rèGLemenTATIOnS en mATIère De pATrImOIne en frAnCe

Laetitia Di Gioia, Serge Chaumier, Art, archéologie et patrimoine, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2008, 278 p., ISBN : 978-2-915611-03-8, 30 €.

issu d’une commande du CnFpt, cet ouvrage destiné aux professionnels

traite du lien entre les territoires et le patrimoine, notamment à travers

les enjeux de sa décentralisation, et de l’état des dépenses publiques

en faveur du patrimoine. riche en ressources bibliographiques et en

informations sur les dispositifs et la législation, il présente également un

état des lieux détaillé de différents secteurs d’intervention : l’archéologie,

les musées, l’inventaire général du patrimoine culturel, le patrimoine

bâti et les sites. dans un domaine où la connaissance nécessite une

actualisation permanente, cet ouvrage dresse un véritable état des lieux

de la mutation de l’action patrimoniale et du paysage institutionnel qui

amène le lecteur à s’interroger sur la notion de patrimoine.

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cheminement institutionnel plus classique. L’ouvrage propose en effet une synthèse des présentations effectuées lors d’une journée organisée par le ministère de la Culture autour de la question de la rémunération du travail artistique. Ici aussi, professionnels et chercheurs sont conviés au débat et la pluri-disciplinarité est de mise puisque les interventions sont le fait de sociologues, d’économistes ou de juristes, avec toutefois une nette orientation juridique de l’ensemble des échanges. Le droit d’auteur, ses méandres, sa complexité sont décortiqués. Les interventions de professionnels ajoutent à l’impression de labyrinthe juridique qui se dégage de l’ensemble de l’ouvrage, en particulier lorsque ces derniers font valoir les singularités, exceptions, incohérences attachées à chacun des domaines dans lequel ils œuvrent. La synthèse qu’effectue le professeur Michel Vivant de l’ensemble des journées vient toutefois à point pour sauver le lecteur profane en lui permettant d’avoir un peu de recul. Si le constat de la précarité des artistes est clair, si la mise en cause du modèle existant l’est aussi, en revanche les préconisations pour sortir de la crise le sont moins. Il est un point que nous aimerions toutefois relever ici, celui de la nécessaire mais diffi cile rémunération de « ce travail invisible » qu’effectuent les créateurs, de « ce temps propre à l’artiste que l’on ne peut pas nier, sauf à nier préci-sément la spécifi cité de la création artistique ». Le problème n’est pas nouveau, et n’est pas sans lien avec la fameuse loi de Baumol3 qui est au fondement de l’économie de la culture. Sur le temps que requiert la création, sur l’incertitude atta-chée aux biens culturels, sur l’imbrication croissante entre les acteurs de la fi lière tout le monde s’accorde. Quant à la question de la rémunération : « Nobody knows ».

Nathalie Moureau Maître de Conférences en Sciences Économiques,

Université de Montpellier III

BRÈVESpATrImOIne nATureL : LeS InvenTAIreS ?

Jeunes publics et biodiversité, 5es rencontres du patrimoine scien-tifi que en Rhône-Alpes, Actes des ateliers des 6 et 7 décembre 2007, Grenoble, Muséum d’histoire naturelle de Grenoble, 135 p., ISBN : 978-2-906-098-20-5, 6,10 €.

l’ouvrage rend compte des ateliers du patrimoine naturel en rhône-

alpes qui ont eu lieu en décembre 2007 à grenoble. il aborde le thème

des inventaires du patrimoine naturel et de leurs fi nalités, ainsi que

celui des jeunes publics et de la biodiversité. la restitution des débats

met en exergue les spécifi cités et les pluralités du patrimoine naturel

(à travers des exemples issus du patrimoine géologique, du patrimoine

biologique, de la fl ore…) au regard des enjeux actuels du développement

durable. par ailleurs, le traitement de la problématique du stockage et

de la conservation des données, mis en perspective avec la question de

l’inventaire, mérite d’être souligné.

1- Richard Caves, Creatives Industries, Contracts between arts and commerce, Harvard, Harvard University Press, 2002, ISBN : 0-6740-0808-1.2- Matthieu Hely, « L’économie sociale et solidaire n’existe pas », La vie des Idées, http://www.laviedesidees.fr/L-economie-sociale-et-solidaire-n.html, 2008. 3- William Baumol, “Macroeconomics of Unbalanced Growth: The anatomy of urban crisis”, American Economic Review, 1967, n°57, p. 415-426.

NOTES

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BRÈVESrejI. renCOnTreS eurOpÉenneS DeS jeuneS eT De L’ImAGe

Revue Projections, Kyrnéa International, Paris, septembre-décembre 2008, n°29-30, 218 p., ISSN : 1636-5593, 10 €.

la revue Projections consacre un numéro spécial à la deuxième édition

des rencontres européennes des Jeunes et de l’image qui s’est tenue

à paris du 20 novembre au 6 décembre 2008. les différentes contri-

butions recueillies lors des conférences-débats proposent un éclairage

sur l’éducation à l’image en europe aujourd’hui et nourrissent la réfl exion

sur les pratiques culturelles des jeunes. autour des trois thématiques :

« adolescents et images », « l’europe, je l’ai rencontrée dans une salle de

cinéma » et « des images qui voyagent … des projets transeuropéens »

sont présentées des réfl exions de sociologues, de pédagogues, des récits

d’expérience, la liste des fi lms projetés ainsi que des informations sur les

réalisateurs et les intervenants des rencontres.

muSÉeS eT SOCIÉTÉS AujOurD’huI

Actes du colloque tenu les 24 et 25 mai 2007 à Grenoble, au Musée dauphinois, Musée dauphinois, décembre 2008, 231 p., ISBN : 978-2-35567-021-3

Cet ouvrage reprend l’intégralité des interventions et des débats qui

ont eu lieu lors du colloque des 24 et 25 mai 2007 à grenoble (Musée

dauphinois), organisé par la Fédération des écomusées et des musées de

société, l’observatoire des politiques culturelles et le Musée dauphinois

à l’occasion des 100 ans de ce dernier.

le monde change, le musée aussi. partant de ce constat et d’une analyse

des attentes qui apparaissent dans la société actuelle, l’ouvrage présente

des contributions très enrichissantes sur les interactions entre le musée

et la science, le musée et le politique, le musée et le territoire. en effet,

comment dispenser plaisir, désir et connaissance dans un contexte

social et économique de plus en plus diffi cile ? Comment adapter et

synchroniser l’action culturelle du musée à l’évolution de la société ?

autant de thèmes rassemblés ici au profi t d’une réfl exion de fond sur

l’un des équipements phares des politiques culturelles.

CuLTurAL STuDIeS : OrIGIne eT ÉvOLuTIOnS D’une DÉmArChe ThÉOrIQueCultural Studies, Hervé Glévarec, Éric Macé et Éric Maigret, Paris, Éditions Armand Collin, 2008, 368 p., ISBN : 9782200353599, 25 €.

les « Cultural Studies » sont l’objet en France d’un

traitement discursif ambivalent. encensées par

certains, dénoncées comme coupables de toutes les

dérives possibles par d’autres, érigées comme preuve

de l’immobilisme des institutions universitaires et de

recherche incapables d’intégrer ce qui se présente

comme une nouvelle « discipline », ou au contraire

signe de l’effi cacité d’un système capable d’intégrer un

nouveau paradigme sans avoir besoin de l’ossifi er dans

une case institutionnelle. bref, on parle beaucoup des

Cultural Studies en France, mais les connaît-on, et si oui

qu’en connaissons-nous réellement ?

Depuis une vingtaine d’années, une partie des travaux qui ont été produits dans les pays anglo-saxons, Grande Breta-gne d’abord, Amérique du Nord ensuite, a été traduite en français, de façon ponctuelle et non systématique. Ce n’est pas un des moindres mérites du livre présenté par Hervé Glévarec, Éric Macé et Éric Maigret que de donner en intro-duction une bibliographie complète de ces traductions. Cette bibliographie est suivie d’un schéma, lui aussi très utile et assez remarquable, retraçant les évolutions du mouvement des Cultural Studies depuis leur création au milieu des années soixante par Richard Hoggart.

Cette anthologie vient donc à point pour pouvoir comprendre une histoire qui compte maintenant 45 années de produc-tions scientifi ques. Dans la présentation générale qui introduit cette anthologie, les éditeurs soulignent et développent l’un des points les plus importants sans doute à comprendre dans cette histoire : c’est qu’elle n’est pas monolithique, qu’elle ne se présente pas comme le déroulement linéaire d’une hypo-thèse ou d’un postulat fondamental, mais plus comme une prolifération de pistes de recherche, la multiplication de points de vue ou de démarches différentes.

Cette diversité et ce développement multidirectionnel est bien indiquée par la structure même du livre. Les auteurs insistent sur les évolutions de ce courant intellectuel, en marquant un certain nombre de tournants, qui sont autant de moments où vont être introduits dans le mouvement des

Bruno Péquignot (suite p. 86)

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éléments nouveaux : théories, points de vue, méthodes, etc. L’intérêt initial des Cultural Studies pour les médias procède d’un double tournant culturel : d’un coté, prendre la culture au sérieux en passant du concept marxiste d’idéologie à celui gramscien d’hé-gémonie, et, d’un autre coté, étendre la notion de culture, au-delà du réductionisme élitiste. (p. 6) Parties donc d’une recherche sur les médias, les Cultural Studies se sont très vite ouver-tes à toutes les formes de pratiques culturelles, comme en témoigne la prolifération, un peu infl ationniste, de « Studies » comme autant de sous-chapitres du mouvement général. On peut reprendre les exemples proposés dans l’introduction : Reception, Subculture, Fan, Internet, Game, Visual, mais aussi : Gay, Lesbian, Queer, Transgender, Porn, ou enfi n : Postcolonial, Subaltern, Black, Ethnic, Race, etc. Le premier groupe touche à l’objet, incluant les différentes sortes de médias, le deuxième à la prise en compte du « genre » et peut être réuni dans les Gender Studies, le troisième touchant aux problèmes de race et de rapports de dominations, mais toujours dans le champ culturel. Cette prolifération ne doit pas cacher l’unité de ces recherches, que l’intitulé général Cultural Studies désigne bien. Comme l’écrivent les présentateurs du livre : Il reste qu’une unité existe toujours dans les recherches les plus diversi-fi ées. Une démarche typiquement Cultural Studies consiste en un débordement de frontières disciplinaires souvent étanches aux nouveautés et défi antes envers les hybridités. Il s’agit de saisir l’irruption des marges dans les processus centraux, de mesurer leur affi rmation et leur refoulement, les formes qu’elles opposent et négocient. (p. 7) Cette unité est donc centrée autour de la question de la domination, – les auteurs disent « rapports de pouvoir », – mais il me semble ici qu’il s’agit plus d’une analyse en termes de processus et d’interactions que le mot « domination » traduit mieux.

Les auteurs insistent beaucoup dans leur introduction tout à fait passionnante par sa richesse documentaire, sur les décalages entre ce mouvement intellectuel – qu’ils désignent d’ailleurs assez justement du terme « d’in-discipline », – d’origine anglo-saxonne avec ce qui s’est passé dans la même période en France. L’analyse des différences et des oppositions paradigmatiques et méthodologiques est tout à fait pertinente. Cependant, elle n’est peut-être pas aussi tranchée que ce que semblent indiquer les auteurs. En effet, leur analyse laisse percer par ailleurs bien des points d’accrochage avec presque tous les auteurs qui ont été, plus ou moins, considérés comme « structuralistes » en France. On retrouve ainsi dans les références affi chées par les auteurs anglo-saxons des Cultural Studies Louis Althusser ou Jacques Lacan, mais aussi Roland Barthes, Michel de Certeau ou encore Jacques Derrida, sans compter que les traducteurs et introducteurs de Richard Hoggart en France ont été Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, ce dernier a d’ailleurs orga-nisé un séminaire autour de Richard Hoggart, dont les textes ont été publiés1.

BRÈVESLA CITÉ DeS mOTS

Alberto Manguel, Arles, Éditions Actes Sud, 2009, 160 p., ISBN : 9782742780389, 18 €.

voici rassemblées ici les contributions données en 2007 par alberto

Manguel dans le cadre des Conférences Massey de l’université de

toronto, où des personnalités de premier plan sont invitées à débattre

sur des sujets d’ordre philosophique et culturel. poursuivant son œuvre

qui compte, entre autres titres, Une histoire de la lecture et La Biblio-

thèque, la nuit, l’auteur, ancien lecteur personnel de borges, relie ici les

réalités politiques du monde contemporain (identité, globalisation…)

à de grands récits fondateurs, des œuvres et des poèmes. alberto

Manguel pose des questions de fond : « Comment vivre ensemble ? »,

« Comment les histoires que nous racontons nous aident-elles ? » ou

encore « est-il possible qu’elles nous transforment, nous et le monde

dans lequel nous vivons ? ». il remet ainsi en cause les discours politi-

ques et économiques dominants qui attaquent un imaginaire collectif,

indispensable à la construction d’un monde plus stable et tolérant.

BRÈVES

AFRICULTURES La revue des cultures africaines, Association Africultures, L’Harmattan, ISSN : 1276-2458.

Africultures, revue trimestrielle co-éditée par l’association éponyme

africultures et l’harmattan, contribue depuis 1997 à la (re)connais-

sance des expressions culturelles africaines contemporaines en afrique

et en occident. elle est devenue une référence incontournable en la

matière. espace de parole offert aux artistes et acteurs culturels afri-

cains, elle est élaborée en lien avec des journalistes et des hommes de

lettres du continent. Chaque numéro présente un dossier central qui

lui donne son titre. pour citer certains thèmes qui nous sont proches,

rappelons les numéros consacrés aux festivals et biennales d’afrique,

au livre, aux musées, ou encore au rapport entre économie et déve-

loppement culturel. le dossier peut rendre hommage à de grands

artistes (sembène ousmane, Francis bebey) ou aborder la question

culturelle sous un angle plus sociétal (métissage, mondialisation) ou

territorial (haïti, Cameroun, afrique lusophone). il est toujours suivi

d’une rubrique d’actualité et de critiques largement ouvertes sur les

disciplines littéraires et artistiques (livre, disque, cinéma, théâtre, danse,

arts plastiques). on retrouve les archives numériques de la revue

sur le site www.africultures.com. Celui-ci présente aussi l’agenda des

évènements culturels africains, ainsi que les projets de mise en réseau

de l’association (afriphoto, afrithéatre, africiné, afrilivres). l’associa-

tion édite une autre revue, Afriscope, et d’autres sites internet parmi

lesquels www.sudplanete.net, www.afriphoto.com, www.afriscope.f.

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - biblio | page 87

BRÈVESL’ArT Du mArChÉ De L’ArT

Marie Maertens, Collection Que, Bruxelles, Éditions Luc Pire, 2008, 110 p., ISBN : 978-2-507-000-431, 12 €.

Marie Maertens livre avec L’art du marché de l’art un essai court,

alerte et bien informé. le segment du marché auquel elle s’in-

téresse, à savoir l’art contemporain, est, dans la période consi-

dérée, antérieure à 2008, hyperspéculatif et hyperflorissant.

les questions qu’elle pose sont pertinentes : « quel est le rôle des

foires dans la création artistique, qui sont les nouveaux collection-

neurs et quelle est la responsabilité des acquisitions sur l’établisse-

ment de la cote des artistes ? les pays émergents représentent-ils

un nouvel eldorado ? In fi ne, cette spéculation et cette spectacu-

larisation de l’art profi tent-elles à tous et dans quelle mesure ? »

les réponses sont fournies, pour l’essentiel, par le montage judicieux d’ex-

traits de quarante interviews d’acteurs intervenant dans le monde de l’art.

la mosaïque ainsi composée offre une vision lucide et argumentée du

double jeu de l’art et de l’argent dans un marché dominé par l’incertitude.

on peut juste regretter que l’auteur n’ait pas cherché à approfondir sa

réfl exion sur la structure et le fonctionnement d’une bulle spéculative dont

elle décrit avec art les effets. tel n’était pas, à l’évidence, son propos.

raymonde moulin, Sociologue de l’art

LeS AvenTurIerS De LA CuLTure

Guide de la diversité culturelle, Françoise Benhamou, Paris, Culturesfrance, Naïve, Partage des cultures, 2008, 267 p., ISBN : 978-2-35476-045-8, 25 €.

Ce guide de la diversité culturelle dresse le portrait d’une centaine de

personnalités, d’artistes de la diversité qui militent à travers le monde

pour maintenir une pluralité dans la création, la production et la diffusion

artistique. qu’ils soient entrepreneurs, créateurs d’entreprises ou acteurs

militants, « ces aventuriers de la culture » font de la résistance face aux

nombreuses menaces qui pèsent sur la diversité culturelle (mondialisa-

tion mal maîtrisée, industrialisation et marchandisation de la culture) en

mettant en place des initiatives et des outils en faveur de cette diversité

et en s’engageant plus longuement dans une démarche de développe-

ment de la diversité culturelle à travers le monde. Ce guide présente

également les œuvres de quelques artistes plasticiens impliqués dans

cette même pluralité ainsi qu’une analyse de la convention de l’unesco

sur la diversité culturelle.

Cela dit, cette remarque ne retire rien au fait que dans la diversité des courants des sciences sociales en France, une part, sans doute importante (il est diffi cile d’en dire plus par manque de critères) a résisté par l’ignorance ou pire par le rejet aux apports des Cultural Studies pendant longtemps, sur ce point les auteurs de la présentation sont fondés à parler de « grand écart ».

Ils insistent donc sur les moments importants de cette histoire. Sans doute, un des apports essentiels de ce courant est d’avoir ouvert à l’analyse scientifi que un certain nombre d’objets considérés comme secondaires, voire indignes de la recherche : cultures jeunes ou populaires, séries télévi-sées, etc. et pour l’avoir vécu au moment de mes premières recherches sur Harlequin et ses lectrices au début des années 80, je peux témoigner des attitudes de rejet, voire de mépris, de bien des collègues devant ce qu’ils considéraient comme un dévoiement de la recherche « sérieuse ». Rares étaient ceux, qui comme Louis-Vincent Thomas disaient qu’il n’y avait pas de mauvais objets en sociologie, mais seulement de mauvaises démarches d’analyse. La notion de culture hésite alors entre le sens ethnologique généreux des traits incorporés d’un groupe social, à la Hoggart, et une culture composée de « signes » (« textes ») plus ou moins fl ottants, qui renvoient fortement aux productions issues des médias chez Hebdige. Ce furent là deux grands péchés initiaux : le refus de la hiérarchie sociale comme explication ultime et une visée socio-sémiologique. En France l’étiquette est donc péjorative, et ce plus on remonte dans les générations de chercheurs. On en sait les deux principales raisons : un statut secondaire des objets analysés dans ce cadre, comme les cultures populaires et jeunes (musicales notamment), l’art étant privilégié en France ; un privilège donné aux usages des acteurs, à rebrousse-poil d’une tradition plus déterministe (ou individualiste d’ailleurs) française. (p. 9).

Ils insistent ensuite sur l’importance de la prise en compte dans l’analyse, après le « tournant culturel » fondateur, de la question du public, dans le « tournant de la réception », qui consiste à aller voir ce que ressentent, pensent, disent de leurs pratiques les consommateurs de culture, lectrices d’Harlequin, spectateurs de télévision, de fi lms porno, ou de concerts rock ou rap.

Enfi n la prise en compte des dimensions de genre et de l’ori-gine ethnique et des rapports de dominations historique-ment liés aux rapports de sexe ou d’exploitation, notamment coloniale, introduit, ou plutôt ré-introduit, une dimension plus directement politique dans l’analyse des pratiques et des consommations culturelles.

Le livre présente donc une vingtaine d’articles ou chapitres d’ouvrage répartis en trois parties et six chapitres, qui sont autant de portes d’entrée dans les logiques intellectuelles de ce courant théorique : la culture et la subculture, la réception

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BRÈVESL’AppLAuDISSemenT

Jimi B. Vialaret, Paris, L’Harmattan, 2008, 429 p., ISBN : 978-2-296-05417-2, 38,50 €.

pourquoi applaudit-on ? l’applaudissement est un acte collectif qui génère

une énergie sociale liée à la joie, la fête, le rite. il est le support d’un

pouvoir politique et d’un jugement artistique, la libération d’une angoisse.

Cette attitude du spectateur est un acte constitutif et constituant du

public. À travers un travail de recherche, d’observation en terrains divers

et d’enquêtes, Jimi b. vialaret interroge le concept d’applaudissement et

la pratique des « claqueurs », de la grèce antique jusqu’aux émissions

télévisées d’aujourd’hui. dans la première partie de cet ouvrage original,

l’auteur relit l’histoire et la géographie du théâtre et plus généralement

du spectacle à travers le fi ltre de l’applaudissement. dans une deuxième

partie, il cherche à théoriser l’applaudissement en termes de scien-

ces humaines. il analyse davantage la disposition comportementale

de l’« applaudisseur » et parvient in fi ne à dessiner une typologie de

l’applaudissement.

InTrODuCTIOn Aux enjeux ArTISTIQueS eT CuLTureLS DeS jeux vIDÉO

Sébastien Genvo, Paris, L’Harmattan, coll. Champs visuels, décembre 2008, 89 p., ISBN : 2-7475-3675-0, 11 €.

que l’on juge les jeux vidéo comme étant un loisir de masse aliénant ou

une nouvelle forme d’art, le secteur est depuis quelques années devenu

un phénomène culturel et économique de grande ampleur. l’auteur,

spécialiste et acteur dans ce domaine, commence par donner une défi -

nition du jeu vidéo et de son industrie dans une perspective historique.

il s’intéresse ensuite aux différents regards que la société porte sur les

jeux vidéo et s’attarde sur la réception et la perception des jeux par les

utilisateurs, à travers l’examen de plusieurs clubs d’amateurs passionnés.

un dernier chapitre est consacré à l’analyse des enjeux artistiques – jeu

vidéo comme œuvre et moyen d’expression artistique – et de la logique

d’institutionnalisation. l’ouvrage de sébastien genvo montre à quel point

ce secteur, très médiatisé mais réellement connu et compris uniquement

par les seuls initiés, questionne à la fois les pratiques culturelles, le champ

des industries culturelles et le monde de l’art.

et les publics, la dimension publique et confl ictuelle de la culture. Chaque partie est introduite par un court texte qui permet de mettre en perspective les textes présentés et d’en comprendre l’intérêt scientifi que.

Un ouvrage donc fort utile et à proposer à tous ceux qui s’in-téressent aux phénomènes culturels. Les apports des Cultural Studies, aujourd’hui grâce aux efforts conjugués de plusieurs chercheurs – dont les trois éditeurs de cette anthologie – commencent à irriguer de façon positive les recherches en France, ouvrant des perspectives tout à fait passionnantes par l’approche transdisciplinaire qu’elles proposent des différentes dimensions de la vie culturelle. Comprendre comment s’est constitué et a évolué ce courant intellectuel devrait permet-tre d’éviter bien des confusions et de développer ce type de recherches en France.

Bruno PéquignotProfesseur de sociologie, Paris 3

Sorbonne Nouvelle/ CERLIS/ Paris Descartes/CNRS

1- Richard Hoggart en France, Textes rassemblés par Jean-Claude Passeron, Paris, Bibliothèque Publique d’Information, 1999.

NOTES

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - biblio | page 89

BRÈVESL’ÉDITIOn

Bertrand Legendre, Paris, Éditions Le Cavalier Bleu, collection Idées reçues, 2009, 126 p., ISBN : 978-2-84670-235-5, 9,50 €.

le principe de la collection « idées reçues » du Cavalier bleu consiste à

faire le point sur divers sujets entre vérités, idées fausses et stéréotypes.

dans ce livre consacré à l’édition, bertrand legendre, auteur de plusieurs

ouvrages sur le thème et professeur en science de l’information et de la

communication, passe en revue un éventail d’idées reçues, de clichés

pour les remettre en question, prendre de la hauteur sur des sujets tels

que « le numérique va tuer le livre », « l’édition n’est pas rentable »,

« l’édition c’est avant tout la littérature ». Cet ouvrage a le mérite de

décliner un large éventail de questions que pourrait se poser un lecteur

extérieur à l’édition et d’apporter des réponses précises à un secteur

en bouleversement.

De nOuveAux mODèLeS De muSÉeS ?

Formes et enjeux des créations et rénovations de musées en Europe, XIXe-XXIe siecle, Anne Solène Rolland, Hanna Murauskaya (dir.), Patri-moines et Sociétés, Paris, L’Harmattan, 2009, 342 p., ISBN : 978-2-296-07436-1, 30 €.

issu d’un colloque pluridisciplinaire sur l’imitation et la diffusion de

modèles de musées, cet ouvrage collectif en questionne les nouvelles

formes aux xxe et xxie siècles. les musées sont révélateurs des contextes

sociaux, historiques, politiques. les contenus, la gestion des collections,

les modes de fonctionnement, le « geste » architectural dans les projets

muséographiques contemporains constituent des pistes problématiques

permettant d’appréhender la mobilisation de modèles et de normes.

À partir d’exemples variés (les musées d’arts décoratifs, les musées

« monographiques », le cas du projet du louvre à abu dhabi), l’ouvrage

aborde la problématique des typologies, la question de l’ancrage des

musées au territoire, la diversité culturelle, et interroge plus largement –

c’est son intérêt principal – la notion de musée et son usage sociétal.

si l’importance de l’histoire culturelle dans

l’historiographie contemporaine n’est plus à démontrer1,

le projet d’une histoire comparée de l’histoire

culturelle, proposé dans le dernier ouvrage dirigé par

philippe poirrier, constitue une première mondiale. en

demandant à une quinzaine d’historiens représentant

13 pays (australie, belgique, brésil, Canada, danemark,

espagne, états-unis, France, grand-bretagne, italie,

norvège, roumanie, suède, suisse) et trois continents

(europe, amériques, océanie) d’expliquer ce que

signifi ait l’histoire culturelle dans leur pays et les voies

qu’elle empruntait, l’historien dijonnais, un des meilleurs

historiographes actuels de la question2, tentait un pari

audacieux, dont le résultat surprend par la quantité

d’informations bibliographiques réunies et la qualité des

problématiques ouvertes.

C’est tout à l’honneur des Presses universitaires de Dijon de rendre accessible une telle moisson, en ayant assuré les traductions nécessaires et la publication soignée de textes courts et tous parfaitement lisibles. Par sa nature historio-bibliographique, l’ouvrage s’adresse avant tout aux historiens, mais tous ceux qui fréquentent, de près ou de loin, les travaux se réclamant de l’histoire culturelle auraient grand intérêt à le fréquenter, tant il contribue à dessiner le paysage intellectuel du temps présent, éclairant références et circulations des idées et des textes.

L’ouvrage n’est, bien entendu, pas exempt de défauts, à commencer par l’impossibilité de couvrir l’ensemble des aires historiographiques potentiellement intéressées par un tel sujet. Roger Chartier signale, dans une belle postface, la nécessité de prolonger l’analyse en direction des aires asiatiques et en parti-culier du Japon, de même qu’il faudrait combler les manques concernant l’Amérique latine et centrale et l’Europe de l’Est. L’absence, pour des raisons de délai éditorial, de l’Allemagne, est sans doute la plus regrettable, même si les exemples suisse et scandinave permettent de rappeler l’infl uence de l’Alttags-geschichte3 et de nuancer l’impression d’une historiographie

une Ou DeS hISTOIreS CuLTureLLeS ?

Poirrier, Philippe (dir), L’histoire culturelle : un tournant mondial dans l’historiographie ?, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2008, 198 p.,

ISBN : 978-2-915611-06-9, 20 €

Loïc Vadelorge (suite p. 90)

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page 90 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - biblio

polarisée autour des cultural studies anglo-saxonnes d’une part et de la Nouvelle histoire culturelle française d’autre part. Par ailleurs, la dimension transversale de l’histoire culturelle, qui touche aujourd’hui à tous les secteurs de l’historiographie, rendait à priori impossible la délimitation précise du champ concerné. D’une aire géographique à une autre, et en fonction surtout des centres d’intérêts des contributeurs, les analyses peuvent varier sensiblement, tant dans l’espace bibliographi-que retenu – des deux derniers siècles pour les uns aux trente dernières années pour les autres – que dans les thématiques couvertes – histoire des pratiques quotidiennes, histoire de l’écrit, histoire du genre, histoire des guerres, histoire de l’édu-cation, etc. Cette indétermination conceptuelle de l’histoire culturelle mondiale n’est fi nalement que le refl et des multiples acceptions possibles du terme, enregistrées dès les fondements de la discipline.

C’est d’ailleurs l’un des premiers intérêts de l’ouvrage qui rappelle que l’histoire culturelle est d’abord affaire de tradi-tions historiographiques, dont certaines comme l’ethnographie rurale scandinave, la Volkskunde germanique ou l’histoire des civilisations de Jacob Burckhardt remontent au XIXe siècle. De ce point de vue, la conception française d’une « nouvelle histoire culturelle » qui émergerait dans le dernier quart du XXe siècle et que signalerait la création, en 1998, de l’Association pour le développement de l’histoire culturelle, mérite d’être discutée et certains, comme ici l’historien belge Paul Aron, ne s’en privent pas. Il apparaît au demeurant assez clairement que les fondements de l’histoire culturelle contemporaine se situent plus sûrement entre les années 1950 et 1970, tant du côté de l’histoire sociale de la culture en Grande-Bretagne4 que du côté de l’histoire des mentalités puis de la « Nouvelle histoire » en France (de Robert Mandrou à Roger Chartier en passant par Alain Corbin). En ce sens, l’ouvrage dirigé par Philippe Poirrier suggère que l’histoire culturelle serait une modalité de l’histoire sociale et non une rupture avec elle, comme de nombreux historiens ont pu le craindre à tort ou à raison. Reste que cette modalité a engendré un certain nombre de déplacements méthodologiques ou thématiques, dont témoigne l’intérêt partagé par de nombreux contributeurs pour l’histoire du genre ou l’histoire des cultures de guerres. C’est d’ailleurs logiquement à ce niveau d’analyse que se situe la réalité du travail historique international – voir, par exemple, l’histoire de l’édition ou l’histoire de la lecture – plus qu’au niveau historiographique.

Chemin faisant toutefois, et au-delà des différences d’ap-proches et des décalages explicables par les conditions de la production historique (l’Espagne de Franco ou la Rouma-nie de Ceaucescu) ou le retard des traductions (la France et les cultural studies5), l’ouvrage s’interroge sur la cohérence d’un « tournant culturel » de l’historiographie mondiale. Il alimente la démonstration en pointant quelques références partagées – linguistic turn, French theory, gender studies – et

BRÈVESrenCOnTreS muSICALeS DAnS LeS QuArTIerS

Enfance et Musique, format DVD, 2007

l’association enfance et Musique travaille depuis plus de vingt ans au

développement des pratiques culturelles et artistiques auprès des jeunes

enfants et leurs familles, dans les crèches, les centres de protection

maternelle et infantile, les bibliothèques, les centres sociaux, les écoles

maternelles. le dvd « rencontres musicales dans les quartiers »

présente les rencontres musicales parents-enfants initiées par l’asso-

ciation dans des quartiers en Île-de-France, des chansons collectées

auprès de mamans de différentes cultures participant à ces rencontres

ainsi que des éléments de réfl exion issus de ces actions.

L’empLOI CuLTureL en ALSACe

Chiffres pour l’Alsace, dossier n°15, DRAC Alsace, INSEE Alsace, Éditions INSEE, janvier 2009

À la suite d’autres régions françaises, l’alsace bénéfi cie d’une grande

enquête sur l’emploi culturel, fruit d'un partenariat entre la direction

régionale des affaires culturelles et l'insee.

Cette publication présente des éléments de connaissance chiffrés qui

permettent de saisir la diversité de l'emploi culturel, sa richesse et sa

complexité, et d'en appréhender la réalité professionnelle sociale. la

présentation statistique est, en effet, enrichie par des analyses croisées

relatives à un domaine singulièrement complexe du fait de la diversité

des réalités qu'il recouvre.

en identifi ant les lignes de forces mais aussi les fragilités, ce travail a

pour objectif de nourrir la réfl exion entre collectivités et services de

l’état sur l’importance des politiques culturelles en termes d’emploi,

mais également d’aménagement du territoire, de démocratisation

culturelle et de formation professionnelle.

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - biblio | page 91

jAzz eT muSIQueS ImprOvISÉeS : QueLS enjeux AujOurD’huI ?

Actes du colloque organisé les 15 et 16 mai 2008 au Tarmac de la Villette par l’AFIJMA, avec l’appui de l’Observatoire des politiques culturelles, Les Cahiers de l’AFIJMA n°2, avril 2009.

Ce Cahier restitue les actes du colloque organisé en mai 2008 par

l’aFiJMa (association des Festivals innovants en Jazz et Musiques

actuelles) dont le propos était d’initier une réflexion pluridisciplinaire

qui s’interroge sur la place du jazz dans les politiques publiques de

la culture. Cette publication reprend les quatre grandes parties qui

ont ponctué les deux journées du colloque : la singularité du jazz ; les

enjeux et problématiques des « réseaux Jazz » en France ; l’histoire du

secteur et des politiques culturelles en faveur du jazz ; la refondation

des politiques publiques en faveur du jazz. avec des contributions de

philosophes, de sociologues d’économistes, de musiciens, d’élus et de

directeurs d’équipements culturels, de festivals, etc., dont les regards

complémentaires font de cette publication un bel outil de réflexion.

publication en téléchargement gratuit sur le site : http://www.afijma.asso.fr

quelques rares auteurs – Roger Chartier, Peter Burke, Carlo Ginzburg – reconnus comme les passeurs internationaux de la new cultural history6. C’est ici sans doute que l’analyse mérite d’être approfondie pour au moins deux raisons. D’une part, elle pose la question des perméabilités disciplinaires entre l’histoire proprement dite et les sciences sociales. En quoi le tournant culturel est-il propre à l’historiographie du temps présent ? N’est-il pas, comme le suggèrent les références faites par de nombreux contributeurs de l’ouvrage à d’autres disci-plines comme la sociologie (Norbert Elias), l’anthropologie (Clifford Geertz) ou l’histoire de l’art (Michael Baxandall), caractéristique de l’ensemble des sciences sociales contempo-raines ? N’y aurait-il pas lieu dès lors de mentionner d’autres auteurs comme Howard Becker7, Bernard Lahire8 ou Michael Walzer9, qui ont eux-aussi produit des travaux de référence sur la différence ? D’autre part, elle pose la question de la construction internationale des champs historiographiques. Si la référence unanime à Roger Chartier salue fort justement une œuvre théorique majeure10, l’absence de mention des travaux de Pascal Ory ou Jean-François Sirinelli pose problème. Ceux que les historiens français classent comme culturalistes n’appa-raissent pas comme tels dans d’autres aires historiographiques. Hasard du choix des contributeurs ? In fine, c’est bien la nature du lien entre histoire culturelle et histoire politique qui est posée implicitement par cet ouvrage. En arrimant l’histoire culturelle au ponton de l’histoire sociale, ce livre contribue à poser la question de l’identité historiographique du champ des politiques culturelles. Gageons que ce débat historiogra-phique-là ne fait que commencer.

Loïc VadelorgeMaître de conférences en histoire contemporaine,

Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

vient de paraître

1- Ory, Pascal, L’histoire culturelle, Paris, Puf, coll. « Que Sais-Je ? », n° 3713, 2004 et Martin, Laurent et Venayre, Sylvain (dir), L’Histoire culturelle du contemporain, Actes du colloque de Cerisy, Nouveau monde éditions, 2005.2- Poirrier, Philippe, Les enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Le Seuil, coll. Points, L’histoire de débats, 2004.3- Ludtke, Alf (dir), Histoire du quotidien, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1994, traduction française d’un livre paru en 1989.4 4- Revue Past and Present, travaux de E.-P. Thompson, Raymond Williams, Richard Hoggart.

5- Mattelart, Armand et Neveu, Erik, Introduction aux cultural studies, Paris, La Découverte, 20036- Hunt, Lynn (ed), The new cultural history, University of California Press, 1989.7- Becker, Howard, Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988.8- Lahire, Bernard, La culture des individus, Paris, La Découverte, 2004.9- Walzer, Mickaël, Pluralisme et démocratie, Paris, Esprit-Seuil, 1997.10- Notamment l’article cité dans de nombreuses contributions : Chartier, Roger, « Le monde comme représentation ». Annales ESC, novembre-décembre 1989, p. 1505-1520.

NOTES

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page 92 | l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - biblio

à signalerGeste, association gestuelles, paris, automne 2008, n° 5, 352 p., issn : 1774-8631, 10 €.

« finish cultural exports », revue Arsis, helsinki, the arts Council of Finland, 2007, n°3, 48 p., issn : 0780-9859.

et l’homme se retrouve ! Cheminements muséographiques, Jean-Pierre Laurent, entretiens avec Mireille Gansel, grenoble, Musée dauphinois isère, Conseil général, 2008, 136 p., isbn : 978-2-35567-020-6, 20 €.

migrations et plurilinguisme en france, délégation à la langue française et aux langues de France, Cahiers de l’observatoire des pratiques linguistiques, Claire Extramania et Jean Sibille (coord.), paris, édition didier, 2008, n°2, 128 p., issn : 1955-4869.

Tutoyer le savoir, une économie solidaire de la société de l’information et de la connaissance, Cécil Guitart, grenoble, éditions la pensée sauvage, 2007, isbn : 978-2-85919-229-7, 206 p., 20 €.

Arts numériques, Tendances, artistes, lieux & festivals, Anne-Cécile Worms, paris, éditions M21, 2008, 329 p., isbn : 2-916260-33-1, 29 €.

Le marché de l’art, Jean-Marie Schmitt, paris, la documentation française, 2008, 245 p., issn : 1763-6191, 19,50 €.

L’interruption, jacques rancière et la politique, Christian Ruby, paris, éditions la Fabrique, 2009, 125 p., isbn : 2913372953, 14 €.

Culture, tourisme et territoires, Frédéric Volle, éditions Weka, 105 p..

Culture et communication, les missions d’un grand ministère, Maryvonne de Saint Pulgent, paris, éditions gallimard, 127 p., isbn : 978-2-07-036202-8, 12,90 €.

Le travail : quelle valeur ?, Mouvement, n° 51, avril-juin 2009.

Annuaire des arts plastiques et visuels rhône-Alpes, éditions Mapra, 2009, 452 p..

Quand les monuments construisaient la nation. Le service des monuments historiques de 1830 à 1940, Arlette Auduc, Comité d’histoire du ministère de la Culture, paris, la documentation française, 2008, 640 p., isbn : 9782110975362, 30 €.

A bottom-up approach to cultural policy-making, independent culture and new collaborative pratices in Croatia, a case study prepared by Emina Visnic with a contribution by Sanjin Dragojevic, policies for culture, 2008, 64 p..

Cultural policy from Amsterdam to zilina, Case study, Viera Michalicová et Kristina Paulenová, Center for Contemporary arts & european Cultural Foundation, 2008, isbn : 978-80-89009-20-6, 48 p..

Le statut des élus locaux. Guide pratiques 2008, José de Monte, François Dietsch, Bernard Meyer, Bernard Poujade, paris, le Courrier des maires et élus locaux, 2008, 135 p., isbn : 978-2-281-12689-1, 30 €.

A cultura pela cidade, Teixeira Coelho (org.), observatório itaú Cultura, brésil, editora iluminuras ltda, 2008, 191 p., isbn : 978-85-7321-294-5.

A cultura e seu contrario, Teixeira Coelho, observatório itaú Cultura, brésil, editora iluminuras ltda, 159 p., isbn : 978-85-7321-298-3.

Cartographie régionale des principales structures du spectacle subventionnées par le ministère de la Culture et de la Communication, Atlas 2006, tome 1, 2, 3, Antoine Chotard, Adrien Le Vaillant, paris, ministère de la Culture et de la Communication, direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles, juillet 2008, 147 p., 139 p., et 127 p..

L’argent des villes, Terry Nichols Clark, Lorna Crowley Ferguson, paris, economica, Collection politique comparée, 1988, 272 p., isbn : 2-7178-1403-5.

The Breakdown of Class politics. A debate on poste-Industrial Stratification, Terry Nichols Clark, Seymour Martin Lipset, Washington, Woodrow Wilson Center press, 2001, 336 p., isbn : 0-8018-6576-x, 18,95 €.

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l’Observatoire - No 35, juillet 2009 - biblio | page 93

nO 35 juILLeT 2009

SYNTHÈSE D'ÉTUDE fondation de france : ouverture au monde par l’art et la pratique artistique des enfants de 6 à 12 ans

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page 94 | l’Observatoire Plus - No 35, juillet 2009

La Fondation de France a confié à l’Observatoire des politiques culturelles une étude visant à évaluer la pertinence et l’impact de son appel à projets « Ouverture au monde par l’art et la pratique artistique des enfants de 6 à 12 ans ». Cette étude, initiée en décembre 2007 et coordonnée par Cécile Martin (OPC), a été effectuée en 2008 et restituée en février 2009.

Elle a mobilisé quatre chercheurs de l’université de Grenoble (Marie-Paule Balicco et Marie-Christine Bordeaux, GRESEC) et de l’université d’Avignon (Hana

Gottesdiener et Jean-Christophe Vilatte, Laboratoire Culture et Communication), ainsi qu’un chargé de mission, et a été placée sous la responsabilité de Florence Castera et Elisabeth Wattel-Buclet pour la Fondation de France. L’étude comporte une analyse du contexte de l’appel à projets (contexte interne à la Fondation, et contexte plus global au sein d’autres dispositifs de soutien à des projets de même type). Elle comporte également une analyse qualitative des critères, des procé-dures de sélection et de suivi des

projets, ainsi qu’une analyse quantitative fondée sur un large panel de dossiers traités par la Fondation. Elle propose enfin un outil d’auto-analyse pour les porteurs de projets, qui a été testé auprès de quelques acteurs volontaires.

Cette étude s’inscrit dans un ensemble de travaux conduits par l’Observatoire des politiques culturelles depuis plusieurs années sur les différentes formes

politiques d’organisation de l’éducation artistique et culturelle. Elle apporte un éclairage nouveau sur une activité peu connue au regard des politiques publiques consacrées à ces questions, qui ont été longtemps dominées par des constructions interministérielles avant d’être, plus récemment, appropriées par un nombre croissant de collectivités territoriales. Il s’agit en effet de la générosité privée, de l’investissement des entreprises mécènes et des particuliers dans des projets qui se situent le plus souvent dans les failles de l’action publique. C’est la vocation de la Fondation de France, créée à l’initiative du général De Gaulle, qui est chargée de soutenir et de guider les initiatives de particuliers et d’entreprises mécènes. Elle se situe, selon les termes d’un de ses membres fondateurs, dans un « tiers secteur » d’intervention, intermédiaire entre action publique et initiative privée. Sa particularité est d’accueillir d’autres fondations privées, dites fondations sous égide, de leur fournir un cadre de gestion et d’accompagner éventuellement le choix de leurs axes d’intervention. Sa vocation est de repérer les formes d’action innovantes sur le plan social et culturel, ou de les anticiper. L’activité de la Fondation de France permet d’ériger en problèmes publics un certain nombre de problèmes de société qui se trouvent dans les angles morts des dispositifs publics et contribue au renouvel-lement de l’action de l’État et des collectivités.

Longtemps associée aux travaux du fonds d’intervention culturelle (FIC) et à différents groupes de réflexion sur le développement culturel, la Fondation de France s’est intéressée aux pratiques artistiques des enfants, non pas à partir d’une réflexion sur la diffusion des œuvres et les publics de la culture, mais à partir de questions de société : la politique de l’enfance, la prévention de la violence, la nécessité d’accompagner des initiatives locales dans des territoires restés en marge de l’action publique. Au-delà de ses objectifs affichés, le programme « Ouverture au monde » occupe deux fonctions : main-tenir vivantes des problématiques transversales dont certaines ont été laissées de côté par l’État au moment

Fondation de France : ouverture au monde par l’art et la pratique artistique des enfants de 6 à 12 ansMarie-Christine Bordeaux, Marie-Paule Balicco, Hana Gottesdiener, Jean-Christophe Vilatte

L’activité de la Fondation de France permet d’ériger en problèmes publics un

certain nombre de problèmes de société qui se trouvent

dans les angles morts des dispositifs publics et

contribue au renouvellement de l’action de l’État et des

collectivités.

SynThèSe D’ÉTuDe

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l’Observatoire Plus - No 35, juillet 2009 | page 95

la Fondation de France s’est intéressée aux pratiques artistiques des enfants, non pas à partir d’une réflexion sur la diffusion des œuvres et les publics de la culture, mais à partir de questions de société : la politique de l’enfance, la prévention

de la violence, la nécessité d’accompagner des initiatives

locales dans des territoires restés en marge de l’action

publique.

de la cessation d’activité du FIC, et mieux répondre aux besoins culturels de certaines populations. Il s’y pose en outre une question importante pour la Fondation : que signifie le rôle d’éclaireur qui est le sien dans le cas du programme « Ouverture au monde » ? La vocation de la Fondation de France est en effet de repérer les formes d’action innovantes sur le plan social et culturel, ou de les anticiper. Son programme le plus connu (et le plus populaire) dans le monde culturel est celui des « nouveaux commanditaires de l’art ». Qu’en est-il du programme qui a fait l’objet de l’évaluation coordonnée par l’Observatoire ? Peut-on dire qu’il est innovant dans sa conception, dans son domaine d’intervention, dans ses effets ?

À première vue, ce programme se situe dans un champ déjà largement soutenu et encadré, celui de l’éducation artistique et culturelle, et on peut s’in-terroger à juste titre sur la dimension innovante de la Fondation dans ce secteur, que les pouvoir publics n’ignorent pas. Cependant, c’est un secteur fragile, marqué par une forte discontinuité des politiques, notamment du côté de l’Éducation nationale pour l’enseignement obligatoire, et plus encore du côté de Jeunesse et Sports pour l’éducation non formelle et l’activité socioculturelle. Parallèlement, le ministère de la Culture fait preuve d’une continuité certaine dans son engagement, mais celui-ci est notoirement insuffisant au regard des besoins de la population concernée. D’autre part, l’évolution de l’Éducation nationale, qui tend de manière assez permanente à un recentrage sur les enseignements, dont témoigne l’émergence de l’histoire des arts dans les programmes officiels récents, interroge sur la place et le rôle des pratiques dans l’accès à la culture pour les enfants. De la même façon, l’investissement des collectivités territoriales dans ce secteur définit le plus souvent la pratique de l’enfant comme une des composantes d’un projet de démocratisation culturelle fondé sur la diffusion des œuvres et la fréquentation des lieux, et non comme un objectif en soi. Enfin, la Fondation de France apporte une dimension largement absente dans ce paysage institutionnel : la transversalité des projets entre les univers de vie des enfants (l’école, le centre social, la famille, le quartier, etc.), et la diversité possible des partenaires des projets, notamment avec la prise en compte des acteurs socioculturels.

L’analyse quantitative1 fait en effet apparaître une forte composante socioculturelle dans le portage des projets, aussi bien présentés à la Fondation de France que retenus en dernière instance et soutenus financiè-rement : 56 % des projets ont, comme porteur de projet principal2, des structures socioculturelles. Les porteurs de projets culturels et scolaires sont donc légèrement minoritaires, du moins en tant que porteur principal du projet, ce qui distingue assez nettement les actions soutenues par la Fondation de celles qui sont soutenues dans le cadre de l’éducation artistique et culturelle. De la même façon, alors que la tendance, dans les dispositifs actuels d’éducation artistique, est d’associer de plus en plus les lieux culturels dans les projets, la Fondation soutient en grande majorité (plus de 80 % des cas) des actions dont les partenaires sont des artistes indépendants (c’est-à-dire des compagnies, des collectifs, des artistes agissant de manière individuelle tels que les artistes plasticiens, qui représen-tent le domaine culturel le plus mobilisé par les projets). Cela peut s’expliquer de plusieurs maniè-res. Tout d’abord, la Fondation de France vise des territoires qui sont rarement bien dotés en équipements culturels (quartiers relégués, zones rurales éloignées). Ensuite, elle privilégie l’accès aux pratiques (98 % des projets), plus que l’accès aux œuvres et aux lieux (66 % des projets), bien que ce critère ait été ajouté récem-ment et commence à devenir discriminant. Enfin, la présence d’un artiste est un des critères majeurs parmi ceux qui sont définis pour la sélection des projets. Il en résulte une faible prise en compte des professionnels, des démarches et des outils qui pourraient être mis au service de la médiation culturelle, c’est-à-dire de la dimension réflexive et critique du rapport à l’art et à la culture.

Au-delà de ces différences, réelles, avec les dispositifs d’éducation artistique gérés par l’État ou les collecti-vités, la Fondation de France pose, par le biais de cette

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étude, des questions qui sont plus largement débattues dans les politiques publiques. Quel est le degré de pertinence d’un dispositif qui soutient une centaine de projets chaque année dans l’ensemble du territoire national ? Cette pertinence se joue-t-elle au niveau de l’ajustement des critères ? Ces mêmes critères, qui garan-tissent plutôt bien la qualité des projets retenus, sont-ils eux-mêmes pertinents pour fonder l’impact de l’appel à projets ? En d’autres termes, au sein de ces actions, s’agit-il d’enjeux d’exemplarité (en termes de « bonnes pratiques »), d’innovation (en termes de prospective), de subsidiarité (en termes d’intervention dans les failles du système) ? Face à ces questions, l’étude propose de

repositionner l’argumentaire de l’appel à projets, non pas dans ses critères d’attribution d’aides, qui sont pertinents et cohérents, mais par rapport à son impact dans la société. Le faible nombre d’actions retenues par la Fonda-tion de France (une centaine par an pour l'ensemble du territoire national), se justifierait mieux si celles-ci étaient soutenues sur une durée plus longue, et si elles servaient de fondement à une réflexion critique sur des pratiques largement consensuelles, mais encore peu étudiées sur le plan scientifique. L’étude rappelle le manque actuel de connaissances sur les effets de l’éducation artis-tique et des pratiques artistiques sur les enfants et leur entourage.

En soutenant des travaux de recherche sur ces sujets, la Fondation pourrait jouer le rôle pionnier qui est le sien, favoriser la production de connaissances et mettre en débat les résultats de la recherche. Cette préconisa-tion est à mettre en rapport avec un certain déficit de communication sur l’appel à projets, notamment du côté des structures aidées par le programme « Ouver-ture au monde », ce qui ne facilite pas la perception du positionnement particulier de la Fondation, ni ce qu’elle apporte de différent lorsqu’elle choisit d’aider un projet plutôt qu’un autre : paradoxalement, alors que la Fondation de France est perçue comme un organisme qui confère une reconnaissance institutionnelle élevée

aux projets dans leur contexte local, les structures qui portent ces projets mentionnent très peu ce soutien dans leurs supports de communication. Enfin, malgré la conjoncture financière et économique qui est parti-culièrement défavorable à l’activité des fondations et des mécènes, les chercheurs se sont interrogés sur la gestion annualisée des projets, alors qu’une fondation a, beaucoup plus qu’une administration ou un service de collectivité, la possibilité d’une vision et d’une gestion pluriannuelles de son activité.

Sur le plan des domaines culturels mobilisés, on remar-que que ceux-ci répondent à la division traditionnelle des arts « canoniques » : arts plastiques, musique, théâtre, danse, etc. Cela parait assez naturel dans la mesure où la question des pratiques artistiques est centrale dans l’appel à projets « Ouverture au monde ». L’étude propose néanmoins de réfléchir à d’autres domaines de pratiques culturelles (et non plus seulement artis-tiques) et à leurs nouveaux supports technologiques, numériques. Elle propose aussi d’intégrer une réflexion sur la diversité culturelle dans les termes mêmes de l’appel à projets, ce qui permettrait à la Fondation de se distinguer plus clairement des autres instances institutionnelles qui soutiennent des projets culturels et artistiques destinés à l’enfance.

Le programme « Ouverture au monde » est original dans la mesure où peu de dispositifs publics réussissent réellement à établir des transversalités entre les diffé-rents temps de vie de l’enfant, et à mettre en prise les secteurs de la culture, de l’éducation, du périscolaire et du temps libre. Les grandes difficultés structurelles qui ont longtemps empêché Culture et Jeunesse et Sports de travailler ensemble peuvent être en partie résolues dès qu’il s’agit d’envisager l’échelle d’un projet de territoire (quartier, zone rurale), qui réunit l’ensemble des acteurs concernés par les pratiques artistiques des enfants, en temps scolaire ou hors temps scolaire. Permettre à des acteurs culturels, socioculturels et éducatifs de travailler ensemble reste un objectif rarement réalisé en raison de la différence des cultures de travail des uns et des autres.

L’étude des procédures et des instances de décision et de suivi au sein de la Fondation de France a fait apparaître d’autres éléments originaux et intéres-

SynThèSe D’ÉTuDe

L’étude rappelle le manque actuel de connaissances

sur les effets de l’éducation artistique et des pratiques artistiques sur les enfants

et leur entourage. En soutenant des travaux de recherche sur ces sujets, la Fondation pourrait jouer le rôle pionnier qui est le

sien, favoriser la production de connaissances et mettre en débat les résultats de la

recherche.

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l’Observatoire Plus - No 35, juillet 2009 | page 97

sants, susceptibles de renouveler plus largement des pratiques professionnelles d’expertise et de suivi des projets. Une autre originalité du programme réside, en effet, dans l’accompagnement des porteurs de projets. Contrairement à ce qui se pratique souvent, « le doute profite » aux porteurs de projets dont les intentions sont floues ou mal comprises par les personnes chargées de l’instruction des projets présélectionnés. Bien des choses se jouent dans ce qui est, souvent, au-delà d’une simple instruction, un véritable accompagnement. De nombreux projets sont expertisés, au bénéfice du doute, plutôt que rejetés d’emblée. Cette qualité particulière tient à la composition des comités de présélection et de sélection : le recours à des personnes bénévoles, qui ne sont pas toutes spécialistes du secteur culturel, loin de là, explique en partie cette « bienveillance » constatée au cours des comités d’examen des projets. Il permet de socialiser les processus de décision dans des programmes d’intérêt public, financés par les dons d’organismes et de particuliers, en assurant une diversité de points de vue. Nous pouvons parler à ce sujet d’expertise partagée plutôt que d’expertise

citoyenne : la méthode repose, non sur l’illusion que chacun peut participer à l’expertise des projets, mais sur la conviction que chacun peut être formé à cette expertise. À cet égard, les échanges souvent animés au cours des comités de sélection ne sont pas le signe de contradictions à résoudre, mais plutôt la condition nécessaire d’un débat permanent.

Marie-Christine Bordeaux Maître de conférences en Sciences de la Communication,

GRESEC/Université Stendhal, Grenoble 3

Marie-Paule Balicco Enseignant-chercheur en psychologie cognitive

à l'Université Joseph Fournier, Grenoble, membre du GRESEC/Université Stendhal Grenoble 3

Hana Gottesdiener Enseignant-chercheur en psychologie à l'Université Paris X,

Nanterre, membre du Laboratoire Culture et communication, Université d’Avignon

Jean-Christophe Vilatte Enseignant-chercheur en sciences de l'éducation à l'Université de

Nancy, membre du Laboratoire Culture et communication, Université d’Avignon

1- L’étude comporte un volet quantitatif important, avec l’analyse fine de 400 dossiers, dont deux tiers de projets soutenus par la Fondation de France et un tiers de projets retenus en première instance, puis expertisés, mais non soutenus en seconde instance. Ces projets ont été soumis à la Fondation de France entre 2004 et 2007, dans l’ensemble du territoire national.

2- Tous ces projets comportant au moins deux partenaires, il a fallu distinguer les porteurs de projets à titre principal ou secondaire.

Fondation de France : ouverture au monde par l’art et la pratique artistique des enfants de 6 à 12 ansNOTES

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AGenDA

SepTemBre

,16 septembre 2009, Nouvel Olympia de ToursActeur ou Spectateur ? L'adresse au public en question.Que ce soit au travers de la scénographie du spectacle vivant ou des espaces muséo-graphiques, l'adresse au public évolue et emprunte des formes multiples, inno-vantes. Les œuvres ne se regardent plus simplement, elles se côtoient. Comment élus, acteurs culturels accompagnent ou anticipent ces évolutions ? Comment penser l'adresse au public dans le cadre de la mise en place de projets artistiques en lien avec les populations et les territoires ? Avec Bernard Stiegler, philosophe et direc-teur du Développement culturel au Centre Pompidou. Colloque organisé par la Ville de Tours, Culture O Centre, les Ateliers de développement culturel – Orléans.COnTACT : Ville de Tours, tél. 02 47 21 64 29COurrIeL : [email protected]

,19-26 Septembre, Cerisy-la-salleChanger pour durer Le thème de ce colloque est moins la dura-bilité en soi, que les conditions et les trajec-toires du changement. On y débattra (avec la contribution de scientifiques, acteurs politiques, gestionnaires publics et privés, représentants associatifs et artistes) de trois questions devant conduire à des préconisa-tions concrètes : pourquoi changer ? Que faut-il changer ? Quels sont les chemins du changement ?COurrIeL : [email protected] SITe : http://www.ccic-cerisy.asso.fr

,24 Septembre, AnnecyQuelle évaluation dans les politiques culturelles ?Le colloque s’articulera autour des théma-tiques suivantes : L’évaluation, un outil de gouvernance culturelle ? La production d’indicateurs : source de sens pour les politiques culturelles territoriales ? Quelle appréciation de l’évaluation par les acteurs culturels ? Il est organisé par l’OPC en collaboration avec la Communauté d’Agglo-

mération d’Annecy, l’Office départemen-tal d’action culturelle et le Conseil général de Haute-Savoie, la Région Rhône-Alpes, la DRAC Rhône-Alpes (ministère de la Culture et de la Communication) et la Ville d’Annecy. Et en partenariat avec : Bonlieu Scène nationaleCOurrIeL : [email protected] : www.colloqueopc20ans.net

OCTOBre

,2 Octobre, Bruxelles Les réseaux culturels européens : des partenaires pour les acteurs culturels locaux ?Cette journée est proposée par l’OPC, en collaboration avec l’ENCATC, les Halles de Schaerbeek, le Relais Culture Europe, la Région Rhône-Alpes et en partenariat avec le ministère de la Culture et de la Communication. Elle s’articulera autour des thématiques suivantes : Mobilité artistique et culturelle en Europe – Action culturelle de l’Union européenne – Dialogue intercul-turel – Échanges culturels internationaux- Espaces culturels et artistiques européens – Statut social de l’artiste en Europe – Représentativité des réseaux et mode de fonctionnement.COurrIeL : [email protected] : www.colloqueopc20ans.net

,8 Octobre, StrasbourgCulture et société(s) de la connaissance : quels enjeux ?À une économie basée sur le capital physi-que et matériel semble se substituer une économie de la connaissance fondée sur un capital immatériel. Quel rôle la culture peut-elle jouer pour favoriser l’établisse-ment d’une société de la connaissance, qui garantisse le partage mais aussi la diversité des savoirs ? Cette rencontre est organisée par l’OPC, en collaboration avec l’Agence culturelle d’Alsace et la Région Alsace dans le cadre du Cycle de conférences-débats Art,

culture et société de la connaissance. Le ministère de la Culture et de la Communi-cation est partenaire.COnTACT : Agence culturelle d’Alsace Tél. +33 (0)3 88 58 87 54SITe : www.culture-alsace.org

,22 Octobre, Bordeauxpratiques et enjeux de la mobilité artisti-que : du local à l’internationalLe colloque s’articulera autour des thémati-ques suivantes : La mobilité, une ressource pour la création artistique ? La mobilité artistique : un enjeu culturel, une richesse pour le territoire ? Du local à l’internatio-nal : accompagner la mobilité des artistes aux différents échelons territoriaux. Journée proposée par l’OPC en collaboration avec l’OARA, la Ville de Bordeaux, le Conseil général de la Gironde, la Région Aqui-taine, la DRAC d’Aquitaine (ministère de la Culture et de la Communication), l’ID-DAC et en partenariat avec Relais Culture Europe, IETM et le TnBA.COurrIeL : [email protected] : www.oara.fr

nOvemBre

,12 -13 novembre, MontpellierLes publics des festivals France festivals présentera les résultats de l’étude scientifique dirigée par Emmanuel Négrier lors de ces journées. De nombreux intervenants (universitaires, élus locaux, responsables de festivals…) aborderont différents thèmes liés à l’évolution et la compréhension des publics.SITe : www.francefestivals.com/

,13 novembre, Rennes Quelle place pour l’artiste dans la cité ? perspectives européennesJournée proposée par l’OPC en collabora-tion avec la Ville de Rennes, Rennes Métro-pole et la Région Bretagne et en partenariat avec les Champs libres et le ministère de la Culture et de la Communication. Le colloque s’articulera autour des thémati-

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l’Observatoire Plus - No 35, juillet 2009 | page 99

ques suivantes : Création artistique et inno-vation urbaine - Comment accompagner les démarches artistiques innovantes ou émergentes ?COurrIeL : [email protected] : www.colloqueopc20ans.net

,13-15 Novembre, ZagrebTroisième Conférence mondiale CulturelinkÀ l’occasion de son 20e anniversaire, le Réseau Culturelink organise cette année une conférence mondiale sur le thème « Réseaux : l’évolution de la culture au 21e siècle ». La conférence comportera des discussions sur la promotion et l’af-firmation de la diversité culturelle et de la communication interculturelle à travers les réseaux. Des études de cas provenant de toutes les régions du monde seront présentées. COurrIeL : [email protected] : www.culturelink.org/conf/clinkconf03/index.html

,25-26-27-28 Novembre, Vaise et LyonLes journées de Lyon des Auteurs de Théâtre Ces rencontres se dérouleront en deux parties : les 25, 26 et 27 novembre 2009, six textes reflétant la diversité de l’écriture contemporaine seront présentés à la Média-thèque de Vaise. Le 28 novembre 2009 sera consacré aux 20 ans du concours d’écri-ture théâtrale, devenu le plus important du monde francophone (618 manuscrits reçus en 2008). Tables rondes et lecture seront au programme.COurrIeL : [email protected] SITe : www.auteursdetheatre.org

,27 novembre, Caen villes attractives, villes créatives : le rôle de la culture dans le développement des territoiresEn collaboration avec la Ville de Caen et avec le soutien du Conseil général du Calva-dos, de la Région Basse-Normandie et de la DRAC Basse-Normandie. Si le thème de l’accès du plus grand nombre est toujours privilégié dans le discours des villes sur leur

politique culturelle, une lecture transversale de leur projet révèle une autre interroga-tion : comment la culture peut-elle renfor-cer l’attractivité et l’identité territoriales ; comment peut-elle contribuer au rayonne-ment et au développement de la ville ? COurrIeL : [email protected] : www.colloqueopc20ans.net

DÉCemBre

,1er décembre, PrivasCulture, mise en réseau et développement des territoiresOrganisé par l’OPC en collaboration avec le Conseil général de l’Ardèche, la DRAC Rhône-Alpes et la Région Rhône-Alpes et en partenariat avec le théâtre de Privas. L’action culturelle de demain se joue à l’échelle des territoires : elle se construit par les initiatives des acteurs locaux qui inven-tent de nouveaux comportement sociaux, artistiques, culturels, économiques, qui appellent un renouvellement des modes d’intervention publique. Le politique est donc fortement sollicité dans ces processus. Les petites collectivités et le milieu rural sont souvent en pointe dans ces dynami-ques d’innovation, de mise en réseau et de développement. L’imagination et l’aptitude au partenariat dont font preuve un nombre croissant de ces territoires oblige à revisiter bien des préjugés nourris à leur encontre.COurrIeL : [email protected] : www.colloqueopc20ans.net

,10-11 Décembre, Pantin et Paris Les journées de Pantin et de Paris consti-tuent le moment de synthèse du Tour de France et d’Europe des politiques cultu-relles. Dans cet esprit, elles auront aussi vocation à rassembler les perspectives de réflexion et d’action qui auront été formu-lées tout au long de ce parcours par l’ensem-ble des participants.

regards croisés sur les enjeux culturels de demainLe colloque de Pantin propose de mettre

l’accent sur les enjeux artistiques, les enjeux culturels, les enjeux de société débattus durant le tour de France et d’Europe des politiques culturelles. Il est organisé par l’OPC en collaboration avec Arcadi et les collectivités publiques d’Île-de-France, la Ville de Pantin et le Conseil général de Seine-Saint-Denis.COurrIeL : [email protected] SITe :: www.colloqueopc20ans.net

pour un nouveau contrat dans les politiques culturellesAujourd’hui, l’action culturelle publique est à une croisée des chemins. Quellegouvernance culturelle faut-il imaginer pour lui redonner un élan ? Quel(s) nouveau(x)contrat(s) convient-il d’inventer entre l’État, les collectivités territoriales et les acteursculturels ? Comment le développement des enjeux européens et internationaux vient-il s’insérer dans cette problématique ? En collaboration avec le Comité d’Histoire du ministère de la Culture et de la Commu-nication, le Palais du Luxembourg. En partenariat avec l’ADCF, l’ADF, l’AMF, l’AMGVF, l’APVF, l’ARF, Eurocités, CGLU, le CLIDAC, l’UFISC et la FNCC. COurrIeL : [email protected] : www.colloqueopc20ans.net

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111111111111111eeee P PPPPPPPPRORORROROROORRORRR MOTIONONNNNONNNNNNN 2 2 2 222220101001000 00-0---202020222 11

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Une formation transversale et itinérante axée sur le développement durable et la gouvernance culturelle territoriale

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Public : responsables culturels de collectivités et de structures culturelles français et étrangers

Date limite de dépôt des candidatures : 21 septembre 2009Renseignements : Tél. : 04 76 44 33 26 Site Internet : www.observatoire-culture.net

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l’Observatoire Plus - No 35, juillet 2009 | page 101

hors série nO2 Cinéma et audiovisuel : action publique et territoires été 2009

nO34 Comment les métropoles font-elles vivre la culture ? hiver 2008

hors série nO1 premières assises nationales des directeurs des affaires culturelles

des collectivités territoriales – les actes été 2008

nO33 la culture populaire : fi n d’une histoire ? printemps 2008

nO31 éducation artistique et culturelle : perspectives internationales hiver 2007

nO30 les défi s de la diversité culturelle - 2e partie été 2006

nO29 les défi s de la diversité culturelle - 1e partie hiver 2006

nO28 Compétences et modes d’action de l’état et des collectivités territoriales

en matière culturelle été 2005

nO27 décentralisation culturelle : nouvelle étape hiver 2005

nO26 Ce que les artistes font à la ville été 2004

nO25 les politiques culturelles au tournant hiver 2003-2004

nO24 Cultures d’outre-mer : regards croisés été 2003

nO23 portrait d’un passeur culturel hiver 2002-2003

nO22 débattre de la culture, plus que jamais printemps 2002

nO21 Compétences et modes d’action de l’état et des collectivités territoriales

en matière culturelle automne 2001

nO20 la Culture est-elle encore un enjeu politique ? hiver 2000-2001

nO19 la Culture dans l’intercommunalité été 2000

nO18 les réseaux culturels en europe automne-Hiver 1999

nO17 service public et culture printemps 1999

nO16 pratiques artistiques, développement culturel et régénération urbaine automne 1998

nO11 de l’éducation artistique et culturelle hiver 1996

nO9 l’éducation artistique à l’âge électronique automne-hiver 1994-1995

nO8 le retour du territoire printemps-été 1994

nO7 l’europe de la culture et les collectivités territoriales automne-hiver 1993-1994

nO6 action culturelle en milieu rural printemps 1993

nO3 de l’administration à la culture ou la formation au service de la passion janvier 1992

Titres parus

COmmAnDe ABOnnemenT

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page 102 | l’Observatoire Plus - No 35, juillet 2009

BuLLeTIn à renvOyer AveC vOTre rèGLemenT à l’Observatoire des politiques culturelles, 1 rue du Vieux Temple 38000 Grenoble – FranceTél. +33 (0) 4 76 44 33 26 – Fax +33 (0) 4 76 44 95 00 – E-mail : [email protected]

je m’ABOnne à L’OBServATOIre (pAruTIOn SemeSTrIeLLe) 1 an (2 numéros) à partir du n° France Métropolitaine et Dom Tom : 40 € Europe et international : 45 € 2 ans (4 numéros) à partir du n° France Métropolitaine et Dom Tom : 80 € Europe et international : 85 €

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(merCI De jOInDre DeS juSTIfICATIfS)

Prix au numéro : 12 €

Abonnement 1 an (2 numéros) : 20 €à partir du n°

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ABOnnemenT COLLeCTIOn Abonnement d’un an (2 numéros) + une collection de 10 anciens numéros : 150 € à partir du n° Abonnement Cdrom (archives pdf des numéros à partir du no15 – 1998) : 100 €Renouvellement tous les 2 ans : 50 €

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ABOnnemenT pLATefOrme CuLTure COLLeCTIvITÉS TerrITOrIALeS Abonnement 1 an + 8 services : lettre d’information électronique, études et publications de l’OPC, courrier juridique, services dédiés sur le Web, réduction de 10 % sur toutes les formations courtes,dîners-débats, dossier annuel sur les politiques culturelles. Je laisse mes coordonnées pour recevoir les tarifs ainsi qu’une information complète accompagnéedu bulletin d’inscription.

je SOuhAITe reCevOIr Le DernIer numÉrO pAru : 22 €

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mODe De rèGLemenT Chèque bancaire Libellé à l’ordre de : Observatoire des politiques culturelles virement Joindre un RIB mandat administratif Collectivité, précisez le nom et coordonnées de la collectivité publique effectuant le règlement : Nom Adresse Code Postal Ville

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l’Observatoire Plus - No 35, juillet 2009 | page 103

reseauculture21.frculture & développement durable

Site internet collaboratif édité par l’Observatoire des politiques culturelles, reseauculture21.fr souhaite contribuer à la promotion de l’Agenda 21 de la culture et au développement des démarches associant culture et développement durable. À travers l’échange de bonnes pratiques, cette plateforme d’information et de ressources invitera les collectivités, les acteurs professionnels et les citoyens à témoigner, mutualiser leurs expériences et débattre des enjeux.

L’intérêt grandissant pour la culture au sein du développement durable nous permet d’espérer que des collectivités de plus en plus nombreuses rejoignent la démarche de l’Agenda 21 de la culture en France, en Europe et au-delà. À travers le Réseau Culture 21, nous souhaitons contribuer à ce dynamisme et vous invitons à vous y associer.

Faites-nous connaîtrevos réflexions et vos projets.Inscrivez-vous pour recevoirla première lettre du réseau.Parution le 10 septembre 2009.

Observatoire des politiques culturellesContact : Christelle Blouët, coordinatrice [email protected]

Site internet collaboratifen construction.

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1, rue du Vieux Temple 38000 GrenobleTél. : +33 (0)4 76 44 33 26Fax : +33(0)4 76 44 95 00Courriel : [email protected] : www.observatoire-culture.netprésident de l’association : Michel FontèsDirecteur de la publication, rédacteur en chef : Jean-Pierre Saezrédactrice en chef adjointe : Lisa PignotComité de rédaction : Pascale Ancel / Karine Ballon / Françoise Benhamou / Luis Bonet / Marie-Christine Bordeaux / Biserka Cvjecticanin / François Deschamps / Aurélie Doulmet / Michèle Ferrier-Barbut / Bertrand Legendre / Cécile Martin / Raymonde Moulin / Philippe Mouillon / Bruno Péquignot / Jean-Pascal Quilès /

Élisabeth Renau / Ferdinand Richard / Guy Saez / Philippe Teillet / Emmanuel Wallon. Iconographie : Dominique Giroudeau / K. Pelgrims / Grenoble Communication / Alice-Anne Jeandel / Aurélie DoulmetConception graphique : pixelis-corporate.frrelecture et mise en page : CnossosAgenda : Karine BallonSecrétariat : Émilie ChassardOnt collaboré à ce numéro : Jean-François Auby / Lurdes Aranguren / Karine Ballon / Marie-Paule Balicco / Éliane Baracetti / Éric Baron / Laurence Barone / Philippe Berthelot / Carla Bodo / Marie-Christine Bordeaux / Guillaume Boudy / Pascal Brunet / Emma Buttin / François Colbert / Danièle Demoustier / Aurélie Doulmet /

Hana Gottesdiener / Fabienne Huré / Alice-Anne Jeandel / Bertrand Legendre / Jean-Michel Lucas / Cécile Marie / Cécile Martin / Olivier Moeschler / Nathalie Moureau / Samuel Périgois / Bruno Péquignot / Lisa Pignot / Luca Dal Pozzolo / Jean-Pascal Quilès / Véronique Rascle / Robi Rhebergen / Jacques Rigaud / Flavie Sauvebois / Jean-Pierre Saez / Jacques Sauvageot / David Taron / Catherine Tasca / Jean-Michel Tobelem / Jacques Toubon / François-Xavier Tramond / Loïc Vadelorge / Jean-Christophe Vilatte fabrication : Imprimerie de Pont de ClaixTél. : 04 76 40 90 38N°ISSN : 1165-2675Dépôt légal, 2e trimestre 2009

L’Observatoire des politiques culturelles (OPC) est un organisme national, conventionné avec le Ministère de la Culture et de la Communication. Il bénéfi cie également du soutien de la Région Rhône-Alpes, du Dé-partement de l’Isère, de la Ville de Grenoble, de l’Université Pierre Mendès France et de l’IEP de Grenoble. Son projet se situe à l’articulation des enjeux artistiques et culturels et des politiques publiques territoriales, du local à l’international. Il accompagne les services de l’État, les collectivités territoriales – élus, responsables de services et d’équipements –, les acteurs artistiques et culturels dans la réfl exion sur les politiques culturelles territoriales et leur mise en œuvre. Son positionnement singulier entre le monde de la recherche, de l’art et de la culture et des collectivités publiques lui permet d’être un interlocuteur pertinent pour éclairer la réfl exion, suivre et impulser les innovations et le développement de l’action publique. À la fois force de proposition et d’analyse, l’OPC a acquis depuis sa création, en 1989, une expérience signifi cative des politiques territoriales en Europe comme en région.

L’association Observatoire des politiques culturelles est conventionnée avec le ministère de la Culture et de la Communication, la Région Rhône-Alpes, le Conseil Général de l’Isère, la Ville de Grenoble, l’Institut d’études politiques et l’Université Pierre-Mendès France de Grenoble.

LA revue DeS pOLITIQueS CuLTureLLeS

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SOMMAIRE

ÉDITO (1 – 2)

p.1 : Jean-Pierre Saez L’Heure de vérité

DÉBAT (3 – 19)

p.3 : Catherine Tasca, Jacques Rigaud, Jacques Toubon Ministère de la Culture : 50 ans ! Et après ?

p.18 : Guillaume Boudy Ministère de la Culture : le temps des réformes

TRIBUNE (20 – 27)

p.20 : Jacques Sauvageot, Cécile Marie, Robi Rhebergen, Éliane BaracettiLa réforme des écoles supérieures d’art : vers un nouveau partenariat pour les collectivités territoriales ?

OBSERVATION CULTURELLE EN RÉGION (28 – 29)

p.28 : Luca Dal Pozzolo, Lurdes Aranguren Piémont et Pays-Basque : regards sur deux observatoires en Europe

DOSSIER (31 – 82)

Dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez

p.31 : Jean-Pierre SaezIntroduction

p.34 : Jean-François AubyDe l’utilisation des partenariats public-privé en matière culturelle

p.39 : Éric Baron, David Taron Les Fonds de dotation, une opportunité au service de la philanthropie ?

p.42 : Jean-Michel Lucas Pour la reconnaissance de l’économie créative solidaire

p.49 : Philippe BerthelotÉconomie sociale et solidaire : un terrain d’innovation pour les musiques actuelles

p.52 : Olivier Moeschler Le « Pour-cent culturel Migros » en Suisse ou « quand une entreprise privée joue les pouvoirs publics »

p.56 : Carla Bodo L’économie de la culture en Italie entre public et privé

p.59 : François Colbert Financement privé et intérêt public au Canada

p.62 : Pascal Brunet, Laurence Barone Partenariat public/privé : un changement de perspective

p.64 : Danièle Demoustier SmART : un intermédiaire au service de la consolidation ou de la normalisation des pratiques culturelles ?

p.68 : Jacques Rigaud Le mécénat d’entreprise

p.71 : Fabienne Huré Le mécénat à l’épreuve des peurs, des croyances et des représentations

p.74 : François-Xavier Tramond Les fantassins du mécénat culturel

p.77 : Jean-Michel Tobelem Vers un système muséal à deux vitesses ?

p.80 : Bertrand LegendrePolitiques culturelles et salons du livre

LES RAPPORTS PUBLIC/PRIVÉ DANS LA CULTURE

BIBLIO (83 – 92)

p.83 : Nathalie Moureau Quelle économie pour l’art et la culture ?

p.85 : Bruno Péquignot Cultural Studies : origine et évolutions d’une démarche théorique

p.89 : Loïc VadelorgeUne ou des histoires culturelles ?

SYNTHÈSE D’ÉTUDES (94 – 97)

p.94 : Marie-Christine Bordeaux, Marie-Paule Balicco, Hana Gottesdiener, Jean-Christophe VilatteFondation de France : ouverture au monde par l’art et la pratique artistique des enfants de 6 à 12 ans

AGENDA – COLLOQUES – FORMATIONS (98 – 103)

couv+dos 34-dos7mm.indd 2couv+dos 34-dos7mm.indd 2 27/07/09 18:21:4227/07/09 18:21:42Cyan quadriCyan quadriMagenta quadriMagenta quadriJaune quadriJaune quadriNoir quadriNoir quadri

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NO 35 JUILLET 2009

LA REVUE DES POLITIQUES CULTURELLES

22 €NO 35 JUILLET 2009

Observatoire des politiques culturelles1, rue du Vieux Temple, 38000 Grenoble

[email protected]él. 04 76 44 33 26Fax 04 76 44 95 00

www.observatoire-culture.net

La bâche bleue © Dominique Giroudeau

NO 3

5 JU

ILLET 2

00

9

dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez

LES RAPPORTS PUBLIC/PRIVÉ DANS LA CULTURE

« Pour-cent culturel Migros » en Suisse ou « quand une entreprise privée joue les pouvoirs publics » / p.56 Carla Bodo L’économie de la culture en Italie entre public et privé / p.59 François Colbert Financement privé et intérêt public au Canada / p.62 Pascal Brunet, Laurence Barone Partenariat public/privé : un changement de perspective / p.64 Danièle Demoustier SmART : un intermédiaire au service de la consolidation ou de la normalisation des pratiques culturelles ? / p.68 Jacques Rigaud Le mécénat d’entreprise / p.71 Fabienne Huré Le mécénat à l’épreuve des peurs, des croyances et des représentations / p.74 François-Xavier Tramond Les fantassins du mécénat culturel / p.77 Jean-Michel Tobelem Vers un système muséal à deux vitesses ? / p.80 Bertrand Legendre Politiques culturelles et salons du livre / p.83 Nathalie Moureau Quelle économie pour l’art et la culture ? / p.85 Bruno Péquignot Cultural Studies : origine et évolutions d’une démarche théorique / p.89 Loïc Vadelorge Une ou des histoires culturelles ? / p.94 Marie-Christine Bordeaux, Marie-Paule Balicco, Hana Gottesdiener, Jean-Christophe Vilatte Fondation de France : ouverture au monde par l’art et la pratique artistique des enfants de 6 à 12 ans

p.1 Jean-Pierre Saez L’Heure de vérité / p.3 Catherine Tasca, Jacques Rigaud, Jacques Toubon Ministère de la Culture : 50 ans ! Et après ? / p.18 Guillaume Boudy Ministère de la Culture : le temps des réformes / p.20 Jacques Sauvageot, Cécile Marie, Robi Rhebergen, Éliane Baracetti La réforme des écoles supérieures d’art : vers un nouveau partenariat pour les collectivités territoriales ? / p.28 Luca Dal Pozzolo, Lurdes Aranguren Piémont et Pays-Basque : regards sur deux observatoires en Europe / p.31 Jean-Pierre Saez Introduction / p.34 Jean-François Auby De l’utilisation des partenariats public-privé en matière culturelle / p.39 Éric Baron, David Taron Les Fonds de dotation, une opportunité au service de la philanthropie ? / p.42 Jean-Michel Lucas Pour la reconnaissance de l’économie créative solidaire / p.49 Philippe Berthelot Économie sociale et solidaire : un terrain d’innovation pour les musiques actuelles / p.52 Olivier Moeschler Le

couv+dos 34-dos7mm.indd 1couv+dos 34-dos7mm.indd 1 27/07/09 18:21:3627/07/09 18:21:36Cyan quadriCyan quadriMagenta quadriMagenta quadriJaune quadriJaune quadriNoir quadriNoir quadri