la logique de ce qui n existe pas

Upload: zenondolbia

Post on 30-May-2018

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 8/9/2019 La Logique de Ce Qui n Existe Pas

    1/4

  • 8/9/2019 La Logique de Ce Qui n Existe Pas

    2/4

    (1) Lactuel roi de France nexiste pas

    sont, du point de vue grammatical, des propositions de type sujet-prdicat, tout comme

    lactuel roi de France est chauve . Or, comme on la vu, aucun de ces noncs na de sens,

    si lon doit suivre leur forme grammaticale. Ils semblentparler de quelque chose, mais ce

    quelque chose nexiste pas. Mais selon Russell, la forme grammaticale de tels noncs esttrompeuse, et leur forme logique authentique est diffrente. La cl du problme est que des

    expressions singulires dcrivant un objet telles que lactuel roi de France ou la montage

    dor , que Russell appelle des descriptions dfinies , ne sont pas en ralit des noms dune

    certaine entit, et doivent tre analyses ou paraphrases de manire faire disparatre leur

    fonction dsignative apparente. La forme logique dune description comme Le F est en

    ralit: Il existe un unique x qui a la proprit F , et lnonc (1) doit sanalyser ainsi :

    (2) Il existe un unique x qui est actuel roi de France et ce x nexiste pas

    En ce cas (1) est faux, car le premier membre de cette conjonction est faux. Il ny a tout

    simplement pas dunique objet qui est actuellement roi en France. Mais Russell montre quil ya une autre lecture de (1) :

    (2) Il est faux quil y ait un unique x qui est actuel roi de France et est chauve.

    Lnonc (2) , la diffrence de (2), est vrai, car il est bien faux quil existe une telle entit.

    Selon cette analyse clbre de Russell, les descriptions dfinies du type le F ne sont pas

    des noms dsignant un objet, mais des expressions contenant un quantificateur existentiel Il

    existe un unique x . Le poids de lexistence porte sur ce quantificateur, et non plus sur le

    nom. Russell tend cette analyse aux noms propres eux mmes, qui sont des descriptions

    dguises . Les noms dentits fictives, tels que Pgase ou Mr Pickwick sanalysent

    en lunique x qui est un cheval ail et lunique x qui prside le Pickwick club . On peut

    ainsi se dbarrasser leur prtention nommer des choses non existantes. La mme chose vaut

    pour le cercle carr : les propositions de la forme de (2) portant sur de telles entits sont tout

    simplement fausses. Exit Meinong.

    On peut cependant adopter une toute autre analyse, et considrer que les noms propres et

    les descriptions dfinies ont, outre une rfrence, un sens. En ce cas, un nonc comme

    Nausicaa trouva Ulysse endormi peut bien contenir des noms sans rfrence, mais si ces

    noms ont un sens lnonc total en a bien un. Selon Frege, un nonc peut avoir un sens, mais

    contenir des termes sans rfrence. Auquel cas il na tout simplement pas de valeur de vrit,

    au mme titre que, selon nombre de logiciens et philosophes, les noncs contenant destermes vagues, comme Jean est chauve , ou les noncs conditionnels irrels ou

    contrefactuels tels que Si Verdi avait t franais il aurait crit Carmen . Si comme ces

    noncs, les noncs portant sur des entits fictionnelles nont pas de conditions de vrit,

    comment peuvent-il avoir un sens ? On peut soutenir quils ont des conditions dassertion ou

    dacceptabilit, distinctes de leur conditions de vrit. Le problme est alors de savoir

    comment des lois classiques comme le principe du tiers exclu, A ou non A , peuvent

    demeurer valides. Si deux noncsA etB sont dpourvus de valeur de vrit, alors A ou B

    nen a pas non plus, car nous devons savoir si lun ou lautre est vrai pour savoir si lensemble

    est vrai. De mme si A na pas de valeur de vrit, non A ne peut en avoir non plus. La

    logique des objets fictionnels devra donc tre une logique non classique.

  • 8/9/2019 La Logique de Ce Qui n Existe Pas

    3/4

    Il y a une troisime analyse possible. Il y a en fait deux sens de lexpression dnoter ce

    qui nexiste pas : le sens dans lequel ceci veut dire navoir aucun rfrence ou ne rien

    dnoter, et le sens dans lequel cela veut dire dnoter une entit non existante. Si lon adopte le

    second sens, on supposera que tout discours portant sur des entits fictives peut se prfixer

    implicitement dune sorte doprateur dans la fiction . Ainsi on peut dire : [ dans la

    fiction] Sherlock Holmes habite Baker Street . De tels noncs seraient vrais ou faux, maisseulement relativement au domaine de la fiction. Mais comment reprer ce domaine ? Si lon

    interprte le monde de la fiction comme tant effectivement un monde dentits, on revient

    la conception de Meinong. La mme stratgie a t adopte quant aux objets possibles : on

    dirait ainsi que certains noncs sont vrais dans certains mondes possibles, mais pas dans

    dautres, et cest lun des intuitions qui sous-tendent lanalyse des modalits du possible et du

    ncessaire dans les smantiques des mondes possibles pour la logique modale. Mais suffit-

    il de prfixer dans un monde possible pour accepter des noncs au sujet dentits

    seulement possibles? La smantique dsormais classique des logiques modales de Kripke

    permet de fournir de conditions de vrit claires aux noncs sur le possible et le ncessaire,

    mais elle ne rsout pas pour autant les questions ontologiques portant sur la nature des objets

    possibles. Quand des philosophes contemporains comme David Lewis soutiennent quil existedes mondes possibles, contenant des objets possibles et qui sont tout aussi rels que peut ltre

    le monde rel et les objets quil contient, il suscite une incrdulit gale celle que celles que

    suscitent les objets non existants selon Meinong.

    Une bonne part du problme vient de la question de savoir si lexistence peut tre, au

    mme titre que dautres prdicats, comme tre rouge ou avoir trente ans , un

    authentique prdicat, question qui est troitement lie, en logique contemporaine au sens des

    quantificateurs comme il existe et pour tous . Le reproche classique que lon adresse

    la preuve dite ontologique de lexistence de Dieu ( qui dduit son existence de ses diverses

    proprits) est que lexistence y est considre comme un prdicat. Dans lanalyse par Russell

    des noncs existentiels ngatifs contenant des nom et des descriptions, tels que (1) ,

    lexistence (ou plutt ici la non existence) cesse dtre un prdicat, mais elle est nanmoins un

    prdicat de prdicat. Dans un noncs dela forme il existe un x tel que x est F (en

    notation courante : x Fx ), le quantificateur existentiel dit du prdicat F ( de premier-

    ordre) quil est vrai dau moins un objet, et un quantificateur comme tous dans Pour tout

    x, x est F ( not : x Fx) dit du prdicat F quil est vrai de tous les objets. Les

    quantificateurs sont ainsi des prdicats de deuxime ordre, et la confusion contenue dans la

    preuve ontologique consiste traiter lexistence comme un prdicat de premier ordre.

    Une autre caractristique de la logique quantifie contemporaine est que les noncs

    existentiels de la forme de x Fx sont supposs porter toujours sur un objet existant. En

    revanche des noncs universels de la forme de x Fx comme Tous les dragonsvolent nimpliquent pas quil y ait des x qui soient F. Cest pourquoi un nonc comme

    Tous les dragons volent nimplique pas quil y ait des dragons en logique contemporaine,.

    En logique traditionnelle au contraire Tous les A sont B impliquent que les A existent.

    Cela signifie que pour un logicien contemporain Quelque chose existe doit tre une vrit

    logique ou analytique ! Comment dans ces conditions peut-on parler de ce qui nexiste pas ?

    Comme on la vu, la solution de Russell consiste dire : seulement par paraphrase en termes

    de quantification des termes supposs avoir une fonction rfrentielle . Mais l non plus tout

    les logiciens ne sont pas daccord avec Russell, et soutiennent que x Fx nest pas une

    vrit logique. Ils nacceptent pas que tous les noms et variables dun langage aient une

    rfrence, et par consquent admettent quil peut y avoir une logique libre de lhypothse

    dexistence. Dans certains cas x Fx est vrai, dans dautres non. On appelle les logiquesde ce type (dues notamment lamricain Karel Lambert) des logiques libres . Ces

  • 8/9/2019 La Logique de Ce Qui n Existe Pas

    4/4

    logiques, pas plus que la logique classique, ne disent que les entits non existantes existent.

    Leur libert tient au fait quelles rejettent lhypothse classique selon laquelle tout nom doit

    avoir une dnotation. On distingue habituellement les logiques libres positives, qui admettent

    que certaines propositions contenant des termes vides sont vraies ; les logiques libres

    ngatives, selon lesquelles ces propositions sont fausses, et les logiques libres neutres, qui

    admettent les deux solutions. Elles permettent de rendre compte de la diffrence entre lestermes qui ne dnotent rien et ceux qui dnotent des entits non existantes, qui conduit deux

    types de logiques libres distinctes. Dans le cas o lon suppose que tout terme dsigne

    quelque chose, le domaine des objets de rfrence est divis en un domaine interne, celui des

    objets existants rels, comme Chirac, La Patagonie ou Leatitia Casta auquel sappliquent les

    lois de la logique classique, et un domaine externe, celui des objets fictionnels, tels que Le roi

    Lear ou Jean Valjean, ou impossibles, comme le mouvement perptuel. Ne revient-on pas

    alors aux extravagances de lontologie de Meinong ? Non, car les quantificateurs de la logique

    libre ne portent que sur le domaine interne. Du fait que Pgase est un cheval ail est vrai

    en logique libre, il ne sensuite pas quil existe un cheval ail, car par dfinition dans cette

    hypothse Pgase nestpas parmi les objets existants. Linfrence classique de a est F

    x Fx ne vaut plus. Pour quelle vaille il faut une hypothse de plus, savoir que aexiste. Ces logiques reviennent valider, lencontre de Russell, les intuitions de Meinong, et

    de nombreux auteurs les ont considres comme les logiques appropries pour traiter des

    entits non existantes, des entits possibles (en les combinant des logues modales) et des

    entits fictionnelles. Perdent-elles le sens robuste de la ralit ? Cela dpend de ce que

    lon tient comme tant la ralit, et ce nest pas la logique de le dire.

    Pascal Engel

    Universit Paris IV Sorbonne

    Bibliographie

    Lambert, K.Free logic , Cambridge University Press 2005

    Lewis, D. Truth in Fiction , inPhilosophical Papers , Oxford 1986

    Meinong, A. von, Theorie de l'objet, Paris, Vin 1999

    Parsons, T.Non Existent Objects , Yale University Press, 1980

    Russell, B. "De la dnotation" ( 1905) tr. fr inEcrits de logique philosophique, Paris, PUF

    1995