la logique de ce qui n existe pas
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8/9/2019 La Logique de Ce Qui n Existe Pas
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(1) Lactuel roi de France nexiste pas
sont, du point de vue grammatical, des propositions de type sujet-prdicat, tout comme
lactuel roi de France est chauve . Or, comme on la vu, aucun de ces noncs na de sens,
si lon doit suivre leur forme grammaticale. Ils semblentparler de quelque chose, mais ce
quelque chose nexiste pas. Mais selon Russell, la forme grammaticale de tels noncs esttrompeuse, et leur forme logique authentique est diffrente. La cl du problme est que des
expressions singulires dcrivant un objet telles que lactuel roi de France ou la montage
dor , que Russell appelle des descriptions dfinies , ne sont pas en ralit des noms dune
certaine entit, et doivent tre analyses ou paraphrases de manire faire disparatre leur
fonction dsignative apparente. La forme logique dune description comme Le F est en
ralit: Il existe un unique x qui a la proprit F , et lnonc (1) doit sanalyser ainsi :
(2) Il existe un unique x qui est actuel roi de France et ce x nexiste pas
En ce cas (1) est faux, car le premier membre de cette conjonction est faux. Il ny a tout
simplement pas dunique objet qui est actuellement roi en France. Mais Russell montre quil ya une autre lecture de (1) :
(2) Il est faux quil y ait un unique x qui est actuel roi de France et est chauve.
Lnonc (2) , la diffrence de (2), est vrai, car il est bien faux quil existe une telle entit.
Selon cette analyse clbre de Russell, les descriptions dfinies du type le F ne sont pas
des noms dsignant un objet, mais des expressions contenant un quantificateur existentiel Il
existe un unique x . Le poids de lexistence porte sur ce quantificateur, et non plus sur le
nom. Russell tend cette analyse aux noms propres eux mmes, qui sont des descriptions
dguises . Les noms dentits fictives, tels que Pgase ou Mr Pickwick sanalysent
en lunique x qui est un cheval ail et lunique x qui prside le Pickwick club . On peut
ainsi se dbarrasser leur prtention nommer des choses non existantes. La mme chose vaut
pour le cercle carr : les propositions de la forme de (2) portant sur de telles entits sont tout
simplement fausses. Exit Meinong.
On peut cependant adopter une toute autre analyse, et considrer que les noms propres et
les descriptions dfinies ont, outre une rfrence, un sens. En ce cas, un nonc comme
Nausicaa trouva Ulysse endormi peut bien contenir des noms sans rfrence, mais si ces
noms ont un sens lnonc total en a bien un. Selon Frege, un nonc peut avoir un sens, mais
contenir des termes sans rfrence. Auquel cas il na tout simplement pas de valeur de vrit,
au mme titre que, selon nombre de logiciens et philosophes, les noncs contenant destermes vagues, comme Jean est chauve , ou les noncs conditionnels irrels ou
contrefactuels tels que Si Verdi avait t franais il aurait crit Carmen . Si comme ces
noncs, les noncs portant sur des entits fictionnelles nont pas de conditions de vrit,
comment peuvent-il avoir un sens ? On peut soutenir quils ont des conditions dassertion ou
dacceptabilit, distinctes de leur conditions de vrit. Le problme est alors de savoir
comment des lois classiques comme le principe du tiers exclu, A ou non A , peuvent
demeurer valides. Si deux noncsA etB sont dpourvus de valeur de vrit, alors A ou B
nen a pas non plus, car nous devons savoir si lun ou lautre est vrai pour savoir si lensemble
est vrai. De mme si A na pas de valeur de vrit, non A ne peut en avoir non plus. La
logique des objets fictionnels devra donc tre une logique non classique.
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Il y a une troisime analyse possible. Il y a en fait deux sens de lexpression dnoter ce
qui nexiste pas : le sens dans lequel ceci veut dire navoir aucun rfrence ou ne rien
dnoter, et le sens dans lequel cela veut dire dnoter une entit non existante. Si lon adopte le
second sens, on supposera que tout discours portant sur des entits fictives peut se prfixer
implicitement dune sorte doprateur dans la fiction . Ainsi on peut dire : [ dans la
fiction] Sherlock Holmes habite Baker Street . De tels noncs seraient vrais ou faux, maisseulement relativement au domaine de la fiction. Mais comment reprer ce domaine ? Si lon
interprte le monde de la fiction comme tant effectivement un monde dentits, on revient
la conception de Meinong. La mme stratgie a t adopte quant aux objets possibles : on
dirait ainsi que certains noncs sont vrais dans certains mondes possibles, mais pas dans
dautres, et cest lun des intuitions qui sous-tendent lanalyse des modalits du possible et du
ncessaire dans les smantiques des mondes possibles pour la logique modale. Mais suffit-
il de prfixer dans un monde possible pour accepter des noncs au sujet dentits
seulement possibles? La smantique dsormais classique des logiques modales de Kripke
permet de fournir de conditions de vrit claires aux noncs sur le possible et le ncessaire,
mais elle ne rsout pas pour autant les questions ontologiques portant sur la nature des objets
possibles. Quand des philosophes contemporains comme David Lewis soutiennent quil existedes mondes possibles, contenant des objets possibles et qui sont tout aussi rels que peut ltre
le monde rel et les objets quil contient, il suscite une incrdulit gale celle que celles que
suscitent les objets non existants selon Meinong.
Une bonne part du problme vient de la question de savoir si lexistence peut tre, au
mme titre que dautres prdicats, comme tre rouge ou avoir trente ans , un
authentique prdicat, question qui est troitement lie, en logique contemporaine au sens des
quantificateurs comme il existe et pour tous . Le reproche classique que lon adresse
la preuve dite ontologique de lexistence de Dieu ( qui dduit son existence de ses diverses
proprits) est que lexistence y est considre comme un prdicat. Dans lanalyse par Russell
des noncs existentiels ngatifs contenant des nom et des descriptions, tels que (1) ,
lexistence (ou plutt ici la non existence) cesse dtre un prdicat, mais elle est nanmoins un
prdicat de prdicat. Dans un noncs dela forme il existe un x tel que x est F (en
notation courante : x Fx ), le quantificateur existentiel dit du prdicat F ( de premier-
ordre) quil est vrai dau moins un objet, et un quantificateur comme tous dans Pour tout
x, x est F ( not : x Fx) dit du prdicat F quil est vrai de tous les objets. Les
quantificateurs sont ainsi des prdicats de deuxime ordre, et la confusion contenue dans la
preuve ontologique consiste traiter lexistence comme un prdicat de premier ordre.
Une autre caractristique de la logique quantifie contemporaine est que les noncs
existentiels de la forme de x Fx sont supposs porter toujours sur un objet existant. En
revanche des noncs universels de la forme de x Fx comme Tous les dragonsvolent nimpliquent pas quil y ait des x qui soient F. Cest pourquoi un nonc comme
Tous les dragons volent nimplique pas quil y ait des dragons en logique contemporaine,.
En logique traditionnelle au contraire Tous les A sont B impliquent que les A existent.
Cela signifie que pour un logicien contemporain Quelque chose existe doit tre une vrit
logique ou analytique ! Comment dans ces conditions peut-on parler de ce qui nexiste pas ?
Comme on la vu, la solution de Russell consiste dire : seulement par paraphrase en termes
de quantification des termes supposs avoir une fonction rfrentielle . Mais l non plus tout
les logiciens ne sont pas daccord avec Russell, et soutiennent que x Fx nest pas une
vrit logique. Ils nacceptent pas que tous les noms et variables dun langage aient une
rfrence, et par consquent admettent quil peut y avoir une logique libre de lhypothse
dexistence. Dans certains cas x Fx est vrai, dans dautres non. On appelle les logiquesde ce type (dues notamment lamricain Karel Lambert) des logiques libres . Ces
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logiques, pas plus que la logique classique, ne disent que les entits non existantes existent.
Leur libert tient au fait quelles rejettent lhypothse classique selon laquelle tout nom doit
avoir une dnotation. On distingue habituellement les logiques libres positives, qui admettent
que certaines propositions contenant des termes vides sont vraies ; les logiques libres
ngatives, selon lesquelles ces propositions sont fausses, et les logiques libres neutres, qui
admettent les deux solutions. Elles permettent de rendre compte de la diffrence entre lestermes qui ne dnotent rien et ceux qui dnotent des entits non existantes, qui conduit deux
types de logiques libres distinctes. Dans le cas o lon suppose que tout terme dsigne
quelque chose, le domaine des objets de rfrence est divis en un domaine interne, celui des
objets existants rels, comme Chirac, La Patagonie ou Leatitia Casta auquel sappliquent les
lois de la logique classique, et un domaine externe, celui des objets fictionnels, tels que Le roi
Lear ou Jean Valjean, ou impossibles, comme le mouvement perptuel. Ne revient-on pas
alors aux extravagances de lontologie de Meinong ? Non, car les quantificateurs de la logique
libre ne portent que sur le domaine interne. Du fait que Pgase est un cheval ail est vrai
en logique libre, il ne sensuite pas quil existe un cheval ail, car par dfinition dans cette
hypothse Pgase nestpas parmi les objets existants. Linfrence classique de a est F
x Fx ne vaut plus. Pour quelle vaille il faut une hypothse de plus, savoir que aexiste. Ces logiques reviennent valider, lencontre de Russell, les intuitions de Meinong, et
de nombreux auteurs les ont considres comme les logiques appropries pour traiter des
entits non existantes, des entits possibles (en les combinant des logues modales) et des
entits fictionnelles. Perdent-elles le sens robuste de la ralit ? Cela dpend de ce que
lon tient comme tant la ralit, et ce nest pas la logique de le dire.
Pascal Engel
Universit Paris IV Sorbonne
Bibliographie
Lambert, K.Free logic , Cambridge University Press 2005
Lewis, D. Truth in Fiction , inPhilosophical Papers , Oxford 1986
Meinong, A. von, Theorie de l'objet, Paris, Vin 1999
Parsons, T.Non Existent Objects , Yale University Press, 1980
Russell, B. "De la dnotation" ( 1905) tr. fr inEcrits de logique philosophique, Paris, PUF
1995