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  • 8/8/2019 La guerre en Afghanistan et en Irak: lutte contre le terrorisme ou imposition de la superpuissance militaire des

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    Louis GILLconomiste, retrait de lUQAM

    (2005)

    La guerre en Afghanistan et en Irak:

    lutte contre le terrorisme ou imposition de la superpuissancemilitaire des tats-Unis ?

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel:[email protected] web pdagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://classiques.uqac.ca/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

    mailto:[email protected]://www.uqac.ca/jmt-sociologue/http://classiques.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://classiques.uqac.ca/http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/mailto:[email protected]
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    Louis Gill, La guerre en Afghanistan et en Irak : lutte contre le terrorisme (2005) 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole, profes-seur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

    Louis Gill, conomiste qubcois

    Professeur retrait de lUQAM

    La guerre en Afghanistan et en Irak : lutte contre le terrorisme ouimposition de la superpuissance militaire des tats-Unis ?

    Un article publi dans la revue Bulletin d'histoire politique, vol. 13, no 3,printemps 2005. (Remplace l'article du 21 mars 2002 qui en tait une version pr-liminaire).

    Louis GILL est conomiste et professeur retrait du dpartement de sciencesconomiques de l'UQM o il a uvr de 1970 2001. Tout au cours de cette

    carrire, il a eu une activit syndicale active. Il a publi plusieurs ouvrages, sur lathorie conomique marxiste, l'conomie internationale, lconomie du socia-lisme, le partenariat social et le nolibralisme, ainsi que de nombreux essais etarticles de revues et de journaux sur des questions conomiques, politiques, socia-les et syndicales.

    Courriel : [email protected]

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les citations : Times New Roman, 12 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word2004 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition numrique ralise le 20 fvrier 2007 Chicoutimi,Ville de Saguenay, province de Qubec, Canada.

    mailto:[email protected]:[email protected]
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    Louis Gill, La guerre en Afghanistan et en Irak : lutte contre le terrorisme (2005) 3

    Louis Gill[conomiste, retrait de lUQM.]

    La guerre en Afghanistan et en Irak : lutte contre le terrorisme ou imposition de la superpuissance militaire des tats-Unis ?

    Un article publi dans la revue Bulletin d'histoire politique, vol. 13, no 3,printemps 2005. (Remplace l'article du 21 mars 2002 qui en tait une version pr-liminaire).

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    Table des matires

    IntroductionGuerre en Afghanistan et budgets militairesUne boue de sauvetage contre la rcessionLes dpenses militaires : des dpenses publiques dun type particulierDes dpenses improductivesDestruction profitable et force d'entranement de l'conomie

    Le fondement conomique des dpenses militairesUne base de la recherche technologique avanceLa paix indsirableL'arme la plus puissante de l'conomie Justifier lescalade militaireLes attentats du 11 septembre 2001 : l'alibi providentiel L'tat de sant conomique de la puissance hgmonique

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    Louis Gill

    La guerre en Afghanistan et en Irak : lutte contre le terrorisme ou imposition de la superpuissance militaire des tats-Unis ?1

    Un article publi dans la revue Bulletin d'histoire politique, vol. 13, no 3,

    printemps 2005. (Remplace l'article du 21 mars 2002 qui en tait une version pr-liminaire).

    Introduction

    Retour la table des matires

    Cette ralit globale qu'on appelle la mondialisation, celle des

    marchs, de la finance, est au cur des proccupations d'aujourd'hui.Il ne faut jamais oublier que le militarisme en est une composante in-contournable. Toute l'histoire du 20e sicle en tmoigne. avec ses deuxguerres mondiales et la multitude de conflits arms qui lont marque.La suprmatie conomique, pour saffirmer et simposer, a toujoursrepos sur la suprmatie militaire. Exerce pendant cent ans par laGrande-Bretagne, de la dfaite napolonienne de 1815 jusquau len-demain de la Premire Guerre mondiale, cette suprmatie conomiqueet militaire est devenue depuis la Deuxime Guerre mondiale, commeon le sait, celle des tats-Unis.

    Aprs leffondrement en 1991 de lUnion sovitique, seule concur-

    rente srieuse de la suprmatie militaire tats-unienne pendant cesquarante annes de guerre froide qui ont suivi la Deuxime Guerremondiale, des idalistes pouvaient croire que les dpenses militaires

    1 Cet article est la version franaise d'une contribution un ouvrage collectifintitulIncontornvel Marx qui sera publi au Brsil sous la direction du pro-fesseur Jorge Nvoa de l'Universit fdrale de Bahia.

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    mondiales allaient diminuer, que la course aux armements tait termi-ne. Une tude ralise par une quipe de chercheurs du FMI publieen 1996 2 faisant le bilan des cinq premires annes de laprs-mur de

    Berlin et le constat dune chute des dpenses militaires, annonait quele monde allait enfin toucher les dividendes de la paix .

    Pour lensemble du monde, ltude rvlait une rduction nette de121 milliards de dollars des tats-Unis au cours de ces cinq annes.Mais les chiffres globaux cachent toujours des ralits qui diffrentdun pays lautre. Et si une rduction draconienne avait effective-ment t observe dans les pays de lex-URSS et dans ses ex-satellites, pays dvasts par la crise conomique et leffondrement dela planification centrale, cette rduction, pour les pays capitalistes in-

    dustrialiss, tait dix fois moindre que celle de lex-URSS. Au mmemoment, pour ce qui est des tats-Unis, loin de parler dune rduction venir de leurs dpenses militaires, on en prvoyait plutt une aug-mentation fulgurante qui sexplique dabord par la dtermination dece pays imposer sa loi partout dans le monde, mais aussi par le cotcroissant, voire exorbitant darmes reposant sur une technologie deplus en plus avance.

    Guerre en Afghanistan et budgets militaires

    Retour la table des matires

    En octobre 2001, trois semaines aprs avoir dclench leur guerre

    antiterroriste et stre livrs dintenses bombardements du terri-toire afghan qui ont accentu le ravage dun pays dj en lambeaux,cr un gigantesque problme humain et provoqu la mort de victimesinnocentes au sein de la population civile par laccumulation de ba-

    vures ou d erreurs collatrales , le prsident Bush des tats-Unisannonait quune victoire rapide tait exclue et quil fallait plutt

    2 Sanjeev Gupta, Jerald Schiff et Benedict Clements, Worldwide MilitarySpending 1990-95 , Document de travail no 96/64 du FMI, 1er juin 1996,dont les conclusions ont t reproduites dans le numro du 10 juin 1996 duBulletin du FMIsous le titre Chute des dpenses militaires : le monde tou-che les dividendes de la paix .

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    ment de 1953 1992, pendant les quarante annes de la Guerre froide,et un rythme plus rapide que celui des dpenses militaires totales. Ilest pass de 6,1 millions de dollars de 1996 au cours de la dcennie

    1953-1962 28 millions de dollars de 1996 en 1983-1992, tant mul-tipli par un facteur de 4,5 en trois dcennies. Mais cette volutionnest quun ple signe annonciateur dune tendance destine semballer au cours des dcennies venir, le cot dachat moyen paravion devant passer 87 millions de dollars de 1996 en 2003-2012,soit une augmentation de 210 % par rapport la dcennie 1983-1992.Compte tenu de cet accroissement des cots, mme si les dpensespour lachat davions de combat devaient selon les prvisions aug-menter de 36 % par rapport la dcennie 1983-1992, le nombredavions achets (792) serait infrieur de 56 % au nombre davions

    (1800) achets en 1983-1992. Et si lexemple des avions de combatest le plus significatif, souligne Spinney, la ralit est la mme danstoutes les autres sphres de la production militaire (chars dassaut, h-licoptres, pices dartillerie, etc.), o le cot par unit augmente plusvite que les dpenses totales pour ces pices darmement. Se dga-geait donc de ces tendances une forte prsomption en faveur duneaugmentation encore plus grande du budget militaire pour viter unedgradation relative de la puissance militaire tats-unienne.

    La justification d'une telle augmentation allait tre fournie par lesattentats du 11 septembre 2001 New York et Washington. Troismois aprs le dclenchement de sa guerre contre le terrorisme enAfghanistan, le prsident Bush annonait dans sonDiscours sur l'tatde l'Union, prononc devant le Congrs des tats-Unis le 29 janvier2002 que cette guerre tait loin d'tre termine. Aprs avoir voqul'hypothse d'interventions militaires dans divers pays, comme le Sou-dan et la Somalie, souponns d'abriter des organisations terroristes, etinstall des troupes au Ymen et aux Philippines, il dsignait explici-tement l'Iran, l'Irak et la Core du Nord, accuss d'uvrer la cons-

    truction d'armes de destruction massive , comme des pays apparte-nant l'axe du mal et comme des cibles ventuelles d'une inter-vention militaire des tats-Unis. Pour dmontrer le srieux de ses in-tentions, il annonait la plus forte augmentation des dpenses militai-res des deux dernires dcennies, un budget de la dfense de 380 mil-liards de dollars pour l'anne 2002-2003, en hausse de 15 % par rap-port l'anne prcdente. lui seul, ce budget tait l'quivalent du

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    budget militaire des dix plus grandes puissances mondiales aprs lestats-Unis. L'anne suivante, la faveur de la guerre dclenchecontre l'Irak en mars 2003, ce budget tait port plus de 400 mil-

    liards de dollars.

    Une boue de sauvetage contre la rcession

    Retour la table des matires

    Notre pays est en guerre, notre conomie en rcession Pour-

    tant, l'tat de notre Union n'a jamais t aussi solide , a dit le prsi-

    dent Bush en introduction de sonDiscours sur l'tat de l'Union le 29 janvier 2002. La guerre des tats-Unis contre le terrorisme auraappris quiconque pouvait encore en douter ce que signifie cet tatde l'Union plus solide que jamais . Depuis le dbut de cette guerre,n'ont cess de se succder les manifestations tats-uniennes d'unilat-ralisme, d'affirmation de statut de superpuissance hgmonique impo-sant ses diktats au reste du monde, de marginalisation des institutionsinternationales, au premier titre de l'Organisation des Nations Unies,et de mpris du droit international, dont la convention de Genve surles prisonniers de guerre.

    En avertissant le monde que cette guerre allait se poursuivre long-temps, Bush dclarait qu'il entendait lutter avec la mme dtermina-tion pour surmonter la rcession conomique qui frappait alors laprincipale puissance conomique mondiale, la premire dans laquelleles tats-Unis taient plongs depuis dix ans. Les deux objectifs sontloin d'tre indpendants. Une relance des dpenses militaires se pr-sentait en effet comme la boue de sauvetage laquelle faire appelune fois de plus pour combattre cette rcession. Il ne faut pas oublier

    en effet que chaque crise qua connue lconomie mondiale au coursdu vingtime sicle na pu tre surmonte que par la relance des d-penses militaires, par le recours lconomie darmement, lconomie de guerre ou la guerre elle-mme. Ce phnomne, qui a

    priori semble inattendu, est au contraire tout fait normal en cono-mie capitaliste, comme l'explique la thorie marxiste de la valeur etdes crises : chaque crise en effet, par la destruction de valeur qu'elle

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    entrane, cre les conditions mmes d'une reprise de l'activit cono-mique en restaurant les conditions de rentabilit qui lui sont ncessai-res. Les pages qui suivent ont prcisment pour objectif d'illustrer le

    rle particulier du militarisme, gigantesque destructeur de valeurs,dans ce processus spcifique de l'accumulation du capital qui est p-riodiquement secou par des crises.

    Les dpenses militaires :

    des dpenses publiques dun type particulier 4

    Retour la table des matires

    Les dpenses militaires constituent une catgorie particulire dedpenses publiques. Leur volution obit des impratifs diffrents deceux qui dterminent les autres catgories de dpenses. Pendant la p-riode de prs dun demi-sicle qui stend de la fin de la DeuximeGuerre mondiale au dbut des annes 1990, elles ont connu, nous lesavons, une formidable expansion, chappant aux mesures de com-pression qui, en priode de difficults conomiques, frappent les au-tres catgories de dpenses publiques. Justifies pendant toute cettepriode par la Guerre froide entre lEst et lOuest, elles se sont main-tenues aprs l'effondrement politique et conomique de l'URSS, mmesi elles ont connu dans ce nouveau contexte un certain ralentissement,comme nous venons de le voir. Les explications du caractre particu-lier des dpenses militaires qui viennent d'abord l'esprit sont de na-ture politique. Mais derrire celles-ci, il y a les motivations conomi-ques qui, si elles n'apparaissent pas comme aussi videntes, n'en sontpas moins fondamentales.

    Les dpenses militaires sont varies, allant du simple entretien des

    forces armes (salaires des militaires, logement, nourriture et vesti-mentation, entretien des difices, des aroports militaires, des basesnavales) au financement des activits militaires comme telles (ma-

    4 Les dveloppements qui suivent sont tirs de Louis Gill, Fondements et limi-

    tes du capitalisme, Montral, Boral, 1996, p. 649-669.

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    noeuvres d'exercice, envoi de troupes de dissuasion , dclenche-ment de guerres) en passant par l'achat darmes, la construction et lerenouvellement permanent de la force de frappe, la recherche et le d-

    veloppement. Ces diverses composantes ont forcment des rles co-nomiques diffrents. Certaines ne se distinguent en rien des autres d-penses publiques. Les salaires verss aux militaires, par exemple, nese distinguent pas, du point de vue de leur incidence conomique, dessalaires verss aux fonctionnaires ou des prestations d'assurance-chmage. L'entretien d'un difice public est indiffrent au fait qu'ilabrite le ministre de la Dfense ou celui de la Justice. Si les dpensesmilitaires mritent d'tre analyses sparment, c'est pour ce qu'ellesont de spcifique, de la production d'armes et des activits qui lui sontrelies jusqu' leur utilisation dans la guerre.

    Des dpenses improductives

    Retour la table des matires

    Prcisons dabord que, quel que soit l'usage auquel elles sont des-

    tines, les dpenses publiques effectues des fins militaires sont desdpenses improductives. Comme dans le cas des travaux publics,l'tat en tant qu'acheteur certain de la production militaire, garantit leprofit des fournisseurs de cette production et par l apporte son sou-tien l'activit rentable. Cela, par contre, ne modifie en rien le carac-tre improductif des dpenses militaires. Celles-ci ne donnent pas lieuet, pourrait-on dire, encore moins que les travaux publics, un inves-tissement fructifiant par lui-mme.

    Qu'elle se dprcie l'usage sur plusieurs annes, qu'elle soit d-truite de manire violente par la guerre, ou qu'elle finisse par tre mise

    l'cart pour cause d'obsolescence, la production militaire est tt outard dtruite. Achete par l'tat, elle est formellement offerte par lui la consommation publique. Mais contrairement l'ducation, la san-t, elle n'est pas rellement consomme par le public. Elle est tt outard dtruite, extraite de la circulation. Loin de contribuer l'accumu-lation d'une masse de richesses, les dpenses militaires constituent unprlvement sur cette masse ; comme les dpenses publiques d'infras-

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    tructure, elles ne paient pas pour elles-mmes . Loin de donner lieu un investissement qui fructifierait, elles puisent dans les ressourcesexistantes ; tel un parasite, elles se nourrissent de l'organisme cono-

    mique vivant. De plus, non seulement l'investissement public mili-taire qui en rsulte ne fructifie pas lui-mme, mais la base matriellede son existence, l'armement, est voue la destruction.

    Destruction profitable

    et force d'entranement de l'conomie

    Retour la table des matires

    Sous cet clairage, rien ne permet de comprendre que les dpensesmilitaires chappent ou tout le moins rsistent la tendance gnraleaux compressions des dpenses publiques. Si on s'en tient aux obser-vations dgages jusqu'ici, qui mettent en lumire le caractre parasi-taire des dpenses militaires et leur incidence conomique ngative,en toute logique on s'attendrait plutt ce qu'elles soient au moinsl'objet des mmes tendances la diminution que les autres dpensespubliques et a fortiori en priode de relchement des tensions politi-ques mondiales. D'autant plus qu'elles apparaissent comme plus im-productives encore, si on peut s'exprimer ainsi, que les autres dpen-ses publiques, du fait que non seulement l'investissement auquelelles donnent lieu ne fructifie pas, mais que leur part la plus significa-tive est affecte l'achat d'armement, c'est--dire des produits voustt ou tard la destruction. L'incitation tourner le dos aux explica-tions conomiques de la croissance des dpenses militaires pour s'entenir aux seules explications d'ordre politique s'en trouve renforce.

    Pourtant, mme si cela n'est pas vident premire vue, la destruc-

    tion de ressources ralise par le militarisme, de manire violente l'occasion des guerres, mais tout autant de manire rgulire en dehorsdes guerres, joue contradictoirement un rle positif essentiel du pointde vue de l'accumulation du capital. Celle-ci, on le sait, est marquede crises priodiques dont la fonction est prcisment de dtruire lamasse de valeurs surproduite, d'assainir par l l'conomie, de res-tructurer le capital et lui assurer des conditions de rentabilit restau-

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    res, ncessaires la reprise. Cette fonction essentielle de destructionpriodique de valeurs, qui se dploie loccasion des crises, le milita-risme la ralise en quelque sorte de manire permanente. Improducti-

    ves dans la mesure o elles ne donnent pas lieu un investissement ausens strict, c'est--dire un investissement qui rapporte, les dpensesmilitaires n'en sont pas moins un facteur d'entranement de l'activitconomique. En fournissant un dbouch sr la production militaire,elles apportent une garantie tatique au profit des fournisseurs militai-res et par ricochet au taux de profit moyen de l'ensemble de l'cono-mie. Comme les autres dpenses publiques, elles permettent l'utilisa-tion de capacits de production et de main d'uvre sous-utilises. El-les agissent comme un stimulant de la demande globale. Elles consti-tuent une force d'entranement de l'conomie. Mais on doit constater

    qu'elles constituent plus qu'une simple force d'entranement parmid'autres. Pourquoi les dpenses militaires exerceraient-elles un tel sti-mulant ? Leur incidence conomique observe ne serait-elle pas toutsimplement en proportion directe de leur envergure mme, laquelleserait commande finalement par des objectifs essentiellement politi-ques ? Pourquoi les mmes sommes affectes un vaste programmede travaux publics ne permettraient-elles pas d'exercer un stimulant aumoins d'gale force sur l'activit conomique ?

    Le fondement conomique

    des dpenses militaires

    Retour la table des matires

    Il faut d'abord prciser que, mme lorsqu'elles apparaissent comme

    dictes par des impratifs strictement politiques, les dpenses militai-res ont un fondement conomique. Car les impratifs politiques ont

    eux-mmes toujours un fondement conomique. On peut dire, en d'au-tres termes, que la politique est de l'conomie concentre. La guerre etsa prparation en rgime capitaliste ont toujours eu pour origine lesrivalits conomiques, la guerre commerciale, la lutte pour laconqute des marchs et pour l'accs aux ressources, pour le partagedes colonies d'abord, des zones d'influence ensuite. La course auxarmements qui, pendant la priode de la Guerre froide, a marqu les

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    relations entre les pays de l'OTAN et ceux du Pacte de Varsovie, et aupremier titre les relations entre les tats-Unis et l'URSS, tait certesl'expression d'une rivalit politique entre pays de rgimes diffrents.

    Mais ce qui fondait cette rivalit politique, ce sont les conditions co-nomiques de l'accumulation du capital l'chelle mondiale. L'expro-priation du capital dans les pays de l'Est, la planification tatique del'conomie et le monopole d'tat du commerce extrieur qui en dcou-lent, reprsentaient pour le capitalisme mondial un obstacle sonfonctionnement plantaire, un obstacle la libre circulation des mar-chandises et des capitaux dans le monde entier ; elles taient aussi unpoint d'appui partir duquel de nouvelles entailles au rgime de laproprit prive des moyens de production risquaient de venir mena-cer encore davantage l'accumulation prive.

    L'intrt vital du capital est de prserver les meilleures conditionsde son accumulation dans le monde entier et de les rtablir l o ellesont t supprimes. La course aux armements , dont l'impulsionprincipale provenait, au nom des pays capitalistes, du plus puissantd'entre eux, les tats-Unis, tait un moyen de la poursuite de cet ob-

    jectif, et sans mme qu'une guerre effective ne soit jamais dclenche.Impliquant des pays de productivits fort ingales (la production parhabitant aux tats-Unis tait au moins deux fois plus leve qu'en

    URSS), elle imposait l'conomie la plus faible, celle de l'URSS, unlourd fardeau. L'affaiblissement conomique qu'elle a entran a rendul'URSS plus dpendante du march mondial et les acquis de l'expro-priation du capital plus vulnrables aux pressions de ce march. L'ob-

    jectif fondamental ainsi vis par la course aux armements, mme s'ilsemblait se rduire sa dimension politique, tait d'ordre conomique, savoir le rtablissement de la libre circulation des marchandises etdes capitaux en URSS et dans les autres pays de l'Est et par l la re-mise en place l'chelle mondiale des meilleures conditions de l'ac-cumulation du capital.

    Si la rivalit principale pendant toute cette priode tait celle quiopposait l'URSS aux tats-Unis, ou d'une manire plus gnrale lespays de l'OTAN ceux du Pacte de Varsovie, c'est que les vieilles ri-valits entre puissances capitalistes qui ont conduit aux deux guerresmondiales avaient en quelque sorte t mises en veilleuse derrire unintrt commun dfendre les intrts du capital au-del de ses com-

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    posantes nationales et viser le rtablissement du capitalisme l'Est.C'est aussi et surtout qu'aucune d'entre elles n'tait en mesure decontester la suprmatie tats-unienne impose au lendemain de la

    Deuxime Guerre mondiale. Si les rivalits latentes entre puissancescapitalistes devaient pourtant ressurgir la suite de la dsintgrationdes rgimes politiques de l'Est, elles seraient le fruit des mmes moti-vations conomiques de fond lies la concurrence entre les capitauxdans le cadre gnral de l'accumulation.

    Une base de la recherche technologique avance

    Retour la table des matiresLe fondement du systme est conomique. Le principe moteur en

    est l'accumulation du capital dont la ralit matrielle sous-jacente estle renouvellement incessant de la base industrielle. Dans ce cadre, lesdpenses militaires ont t et continuent tre une base de la recher-che technologique avance, de l'innovation ncessaire l'amliorationde la productivit industrielle. Recherche et dveloppement, essentiels la mise au point de nouvelles techniques industrielles, voient ainsileur financement largement assur par l'tat par lintermdiaire de larecherche militaire, dans des conditions o les cots et les risques de-viennent prohibitifs pour l'entreprise prive. Par le biais d'un objectifdsign comme d'intrt national , savoir la dfense du pays ,objectif qui apparat comme purement politique, l'tat intervientd'emble sur le terrain conomique pour prendre son compte unedimension cl du dveloppement industriel. Malgr lui et en apportantson soutien une accumulation qui continue tre prive, l'tat intro-duit des lments de planification que la dimension de plus en plussociale des forces productives et les difficults croissantes de l'accu-

    mulation prive lui imposent contradictoirement comme une ncessi-t. L'intervention tatique dveloppe hors march des palliatifsnanmoins destins renforcer l'conomie de march. L'innovationindustrielle dont s'abreuve l'accumulation prive se trouve largementalimente par les retombes de la recherche militaire finance parl'tat. Les secteurs de la sidrurgie, de l'lectronique, de l'arospatial,

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    des micro-ordinateurs, pour ne citer que ceux-l, en sont des exemplesvivants.

    Ces observations aident comprendre la spcificit des dpensesmilitaires et le fait qu'elles disposent d'un traitement de faveur aumoment mme o toutes les autres dpenses publiques sont l'objet decompressions. Aucun critre moral ne peut guider l'analyse dans l'ap-prciation de cette spcificit. Il ne s'agit pas de savoir si les dpensesmilitaires et la formidable accumulation de moyens de destruction laquelle elles conduisent sont rationnelles ou non du point de vue desbesoins de la population ou des intrts de l'humanit. Sous ce rap-port, la rponse est immdiate. Les dpenses militaires sont entire-ment irrationnelles, ngatives. Elles dtruisent vies humaines et forces

    productives. Elles sont une menace pour la survie mme de l'humani-t. Elles impliquent un immense gaspillage de ressources qui pour-raient tre utilises d'autres fins, etc. Du point de vue du capital ce-pendant, et non plus du point de vue des besoins de la population, il enest autrement. Du point de vue du capital, les dpenses militaires ontune rationalit. Le capital a besoin du militarisme qui est pour lui uneforce d'entranement mme s'il est simultanment pour lui une d-pense parasitaire. Envisages sous cet aspect, les dpenses militairesne peuvent tre remplaces par aucune autre dpense publique.

    La paix indsirable

    Retour la table des matires

    Un nombre impressionnant d'tudes ont t produites sur les ques-

    tions du dsarmement, de la reconversion de l'industrie militaire enindustrie civile, sur les consquences conomiques de la paix, etc.

    L'une d'elles se distingue par le caractre tranch et dramatique, maisnanmoins lucide, des conclusions auxquelles elle parvient. Elle est lersultat de recherches menes aux tats-Unis dans le plus grand se-cret, dans les annes 1960, par une quipe constitue de stratges mili-taires et de chercheurs issus des disciplines les plus diverses, slec-tionns dans les grandes universits tats-uniennes. Le rapport final,qui devait demeurer secret, a t rendu public grce un de ses mem-

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    Louis Gill, La guerre en Afghanistan et en Irak : lutte contre le terrorisme (2005) 17

    bres, l'conomiste John Kenneth Galbraith. Intitul Report from IronMountain. On the Possibility and Desirability of Peace5, il a t pu-bli en franais sous le titreLa paix indsirable ? Rapport sur l'utilit

    des guerres6

    . Les conclusions principales de l'tude sont les suivan-tes :

    - la guerre (prise au sens large, c'est--dire incluant la productionmilitaire en temps de paix - en un mot, le militarisme ou l'co-nomie d'armement) offre le seul systme digne de confiancepour stabiliser et contrler les conomies nationales ;

    - elle est la source de l'autorit politique qui assure la stabilit desgouvernements ;

    - elle est sociologiquement indispensable pour assurer le contrlede dangereuses subversions sociales et des tendances des-tructrices anti-sociales ;

    - elle remplit une fonction malthusienne indispensable ;

    - elle fournit la motivation fondamentale et la source des pro-grs scientifiques et techniques . (p. v et vi)

    Pour ces raisons, la paix est indsirable . Il n'est pas dans l'int-rt de la socit de parvenir la faire rgner. Le militarisme perma-nent est une institution favorable la prosprit nationale (idem, p.14-15).

    On peut facilement identifier les fonctions visibles de la guerre :dfendre le pays contre une attaque d'un autre pays, dissuader ce der-nier de se livrer une telle attaque, etc. Mais, explique l'tude, il y a,au-del de ces fonctions visibles, les fonctions invisibles, implicites,

    qui font de la guerre ou de sa prparation la force dominante de nos

    5 Iron Mountain est le nom d'une forteresse souterraine situe dans l'tat deNew York et devant servir de refuge en cas d'attaque nuclaire. Elle a servi delieu de rencontre au Groupe spcial d'tude qui a produit le rapport portantce nom.

    6 Chez Calmann-Lvy, en 1968, 212 pages.

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    socits . Parmi elles, en premier lieu, les fonctions conomiques.Sur ce plan, l'tude souligne d'abord l'utilit sociale manifeste dugaspillage militaire , c'est--dire de la destruction pure et simple de

    ressources. Dans des socits comme celles qui ont acquis la possi-bilit de produire plus qu'il n'est indispensable leur survie conomi-que, les dpenses militaires peuvent tre considres comme le seulvolant de scurit pourvu d'une inertie suffisante pour stabiliser les

    progrs de leurs conomies . Le fait que la guerre soit un gaspil-lage est prcisment ce qui la rend susceptible de remplir ces fonc-tions. Et plus vite l'conomie accomplit des progrs, plus lourd doittre ce volant de secours (idem, p. 89, 93, 94).

    Les dpenses militaires, tant soumises des dcisions discrtion-

    naires de l'tat, fournissent selon l'tude un balancier ou unpare-chocs permettant de compenser les contractions susceptiblesde se produire dans le secteur priv. Cette fonction, pleinement rali-se par les dpenses militaires, n'est qu'imparfaitement remplie par lesautres dpenses publiques, notamment les programmes sociaux, dufait que ces programmes deviennent normalement des activits rgu-lires et ne sont plus ds lors sujets un contrle discrtionnaire. Au-del de sa fonction de gaspillage , la guerre, explique ensuitel'tude, exerce un effet stimulant de premier plan sur les progrs in-

    dustriels, sur la croissance du PNB, l'emploi, etc. Elle agit comme stimulant du mtabolisme national . ... Aucun ensemble de tech-niques destines garder le contrle de l'emploi, de la production etde la consommation n'a encore t essay qui puisse tre, de loin,comparable son efficacit (idem, p. 95, 97, 98).

    Les fonctions politiques du militarisme examines par la mmetude mritent une attention particulire, notamment en ce quiconcerne la fonction politique interne.

    La guerre... a non seulement constitu un lment essentiel de l'existencedes nations en tant qu'entits politiques indpendantes, mais elle a gale-ment t indispensable la stabilit intrieure de leurs structures politi-ques. Sans elle, aucun gouvernement n'a jamais t capable de faire recon-natre sa lgitimit ou son droit diriger la socit. La possibilit d'uneguerre cre le sentiment de contrainte extrieure sans lequel aucun gou-vernement ne peut conserver longtemps le pouvoir... L'organisation d'une

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    socit en vue de la possibilit de la guerre est la source principale de lastabilit... (idem, p. 100-101)

    Nous retrouvons ici une vieille ide, exprime par le mercantilisteet anctre lointain de la thorie quantitative de la monnaie, Jean Bodin(1530-1596), dans un ouvrage de 1576 intitul La Rpublique, et parAntoine de Montchrtien dans son Trait de l'conomie politique criten 1615. Elle sera reprise au dbut du 20e sicle par Rosa Luxem-burg. En reculant encore davantage dans l'histoire jusqu'au dbut du16e sicle, on peut retrouver chez Machiavel (1469-1527), l'auteur duclbre ouvrage Le prince crit en 1513, un rapport troit avec l'idesuivante exprime par les auteurs de la Paix indsirable ?.

    Dans les socits modernes de dmocratie avance, le systme social fon-d sur la guerre a procur aux chefs politiques une autre fonction politico-conomique d'une importance qui ne cesse de grandir : ce systme a tutilis comme la dernire sauvegarde contre l'limination de classes socia-les ncessaires... Le maintien du systme fond sur la guerre doit tre as-sur, quand ce ne serait que pour la seule raison, sans parler des autres,qu'il permet de conserver, en qualit et en quantit, les pauvres dont unesocit a besoin aussi bien titre de stimulant que pour maintenir la stabi-lit intrieure de l'organisme qui assure son pouvoir. [idem, p. 102-103)

    On comprendra facilement que les moyens politiques de la stabi-

    lit interne du pays, exposs ici sans dtour ni artifice de langage,sont prcisment ceux qui visent prserver les rapports conomiquesexistants entre le travail salari et le capital et assurer ce dernier lemaintien des conditions les meilleures de sa fructification.

    L'arme la plus puissante de l'conomie

    Retour la table des matires

    Au cur de la plus intense relance des dpenses militaires en

    temps de paix de toute l'histoire, aprs l'arrive au pouvoir du prsi-dent Ronald Reagan en 1981 (augmentation de 60% en cinq ans, de1981 1985), la revue tats-unienne Business Weekdu 21 octobre1985 publiait un article intitul Pentagon's spending is the econo-

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    my's biggest gun (Les dpenses du Pentagone sont l'arme la pluspuissante de l'conomie). Aprs trois annes d'une reprise conomiquemarque par la plus grande incertitude, expliquait la revue, les co-

    nomistescomptent sur une constante pour faire marcher l'conomie :les dpenses militaires . Cinq ans plus tard, le 2 juillet 1990, la mmerevue publiait un article intitul Who pays for peace ? (Qui doitpayer pour la paix ?), expliquant que lorsque la paix clate (whenpeace breaks out), les plus sombres perspectives apparaissent l'hori-

    zon pour la sant de l'conomie et l'emploi (with peace comes a lot ofpain). Et le risque de voir la paix clater tait alors effectivementrel pour une conomie avide d'activit militaire. La rduction destensions entre l'Est et l'Ouest, amorce en 1985 par les ngociations envue de la rduction des stocks d'armes nuclaires et conventionnelles

    et prcipite par les profonds bouleversements dans les pays d'Europecentrale et orientale et en URSS partir de 1989, supprimait toute jus-tification la traditionnelle course aux armements engage l'poquede la Guerre froide.

    Justifier lescalade militaire

    Retour la table des matires

    Il fallait trouver une nouvelle justification l'escalade militaire et

    celle-ci n'a pas tard tre labore. Aux conflits de petite intensi-t (oprations anti-gurilla) et de forte intensit (entre les tats-Unis et une puissance militaire majeure comme l'avait t l'URSS jus-que l), sont venus s'ajouter, dans la nomenclature du Pentagone, lesconflits de moyenne intensit, engageant les forces armes tats-uniennes dans de violents combats contre des puissances rgionalesbien armes . Dans le contexte de la modification du paysage politi-

    que mondial, ce sont ces conflits de moyenne intensit qui taient vusdsormais par les stratges du Pentagone comme ceux en prvisiondesquels les tats-Unis devaient se prparer. Aux yeux du prsidentdalors, George Bush pre, l'mergence d'adversaires bien quips duTiers-monde devenait la menace majeure pour la scurit des tats-Unis. Son secrtaire d'tat la dfense, aujourdhui vice-prsident destats-Unis, Richard Chenney, prsentait un plan de dfense pour les

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    annes 1992-1997 mettant l'accent sur d'ventuels conflits avec despuissances rgionales comme la Syrie et l'Irak.

    On tendait par la suite la Chine et la Russie une menace mili-taire potentielle laquelle les tats-Unis pourraient avoir faire face,en raison, notamment, de lpuisement prvoir des ressources ptro-lires tats-uniennes et de lexistence en mer Caspienne et en mer deChine de zones riches en ptrole et en gaz naturel. Le gnral A.M.Gray du corps des Marines, dans une dclaration de mai 1990, rsu-mait clairement les vritables enjeux en disant que si les tats-Unisveulent demeurer une superpuissance, ils doivent dfendre leur libreaccs aux marchs extrieurs et aux ressources ncessaires aux be-soins de leurs industries. Pour cette raison, expliquait-il, il leur faut

    dployer une capacit d'intervention militaire capable de rpondre tous les types de conflit, partout dans le monde. En d'autres termes, ilsdoivent se donner les moyens voulus pour continuer imposer leursuprmatie tous les niveaux, conomique, politique et militaire.Cette suprmatie doit tre impose aux pays du Tiers-monde, maisraffirme galement face aux autres pays industrialiss 7.

    la lumire de ces donnes, on peut comprendre que les enjeux duconflit dans le Golfe arabo-persique au dbut de 1991 allaient bien au-

    del de ce qui avait t initialement invoqu pour justifier l'attaquecontre l'Irak, savoir la libration du Koweit. Pour les pays indus-trialiss et au premier chef les tats-Unis, il y avait l'accs au ptroleet le contrle de son prix. Pour les tats-Unis, il y avait la ncessitd'affirmer et de consolider leur position de leader du monde. La guerreleur a fourni par ailleurs le laboratoire o ils se sont efforcs de justi-fier, par les rsultats sur le champ de bataille, les normes dpensesralises jusqu'alors pour dvelopper des armes vedettes comme lemissile de croisire Tomahawk, le bombardier furtif (stealth) et lemissile anti-missile Patriot, armes dont le dveloppement trs onreux

    avait suscit de grandes controverses dans la population tats-unienne.

    7 Voir Michael Klare : Le Golfe, ban d'essai des guerres de demain , LeMonde diplomatique, janvier 1991, p. 1 et 18,Rogue States and Nuclear Ou-tlaws : America's Search for a new Foreign Policy , Hill and Wang, NewYork, 1995, et La nouvelle stratgie militaire des tats-Unis , Le Mondediplomatique, novembre 1997, p. 4-5.

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    Elle leur a galement fourni l'occasion de convaincre la population dela ncessit de s'engager encore davantage dans le dveloppementd'armes plus prcises, plus dvastatrices, amliores en vue de corri-

    ger les erreurs ou insuffisances rvles par ce laboratoire, des armesqui reposent sur une technologie encore plus pousse et dont les cotsne cessent de crotre.

    Aprs l'intervention militaire de 1991 en Irak, la dislocation de laYougoslavie devait fournir l'occasion d'un dveloppement significatifdans la voie de laffirmation de lhgmonie tats-unienne, parllargissement du cadre et de la mission que les tats-Unis ont don-ns lOTAN, cest--dire par sa transformation en puissancedagression multinationale sous commandement tats-unien, avec

    l'accord servile de lensemble des pays capitalistes industrialiss, dontplusieurs ont t dirigs en Europe au cours des dernires annes pardes gouvernements se rclamant de la gauche. Conue loriginecomme une alliance dfensive pour faire face la prtendue menacede lURSS, lOTAN sest non seulement maintenue, mais renforceaprs la disparition du Pacte de Varsovie, sadjoignant mme des ex-satellites de lURSS, comme la Pologne, la Hongrie et la Rpubliquetchque. La Russie son tour signera un accord avec l'OTAN en2002. Pour imposer leur dictature exclusive au sein de lalliance et

    placer sous la coupe de lOTAN lensemble de leurs allis, les tats-Unis ont pes de tout leur poids pour empcher la constitution dunsystme europen autonome de dfense.

    LOTAN est devenue un instrument privilgi dintervention,dabord avec la complicit du Conseil de scurit de lONU qui lui aconfi la tche de faire appliquer ses rsolutions sur la Bosnie, cest--dire dans une zone situe en dehors de la rgion laquelle sappliquait lorigine le Trait de lAtlantique Nord, puis en se substituant enti-rement aux Nations Unies dans la crise serbe pour sengager unilatra-

    lement dans une guerre dagression non dclare contre la Serbie mal-gr lopposition de la Chine et de la Russie et sans rsolution duConseil de scurit de lONU. Lobjectif vident des tats-Unis danscette guerre, loin dtre limposition du droit des kosovars lindpendance politique (quils ne dsirent pas plus que celle deskurdes en Turquie), tait de grer par lintervention politique et mili-taire directe lune des situations politiques dstabilisantes pour la

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    bonne marche nolibrale de lconomie et la sant des marchs fi-nanciers.

    Les attentats du 11 septembre 2001 :

    l'alibi providentiel

    Retour la table des matires

    Un nouveau pas, dcisif, a t franchi avec la riposte aux attentats

    terroristes du 11 septembre 2001. Ayant dfini ces attentats commedes actes de guerre contre les tats-Unis, le prsident Bush, dis-

    posant des pleins pouvoirs, s'autorisait y riposter militairement, pre-nant directement sa charge, sans interposition de l'OTAN, l'ensem-ble des oprations militaires en Afghanistan, puis en Irak, et ordon-nant aux pays allis la marche suivre, la faveur de l'ultimatum : Vous tes avec nous ou contre nous . Dans cette foule, la fin de2001 et le dbut de 2002 ont t marqus par des dcisions d'une im-portance majeure relativement l'attitude des tats-Unis face aux trai-ts internationaux de contrle et de rduction des armements signs aucours des trente annes prcdentes. En dcembre 2001, ils annon-aient leur dnonciation du trait anti-missiles balistiques (ABM)sign en 1972 avec l'Union sovitique pour relancer avec force le pro-

    jet de bouclier anti-missiles dont l'ide tait ne sous la prsidence deRonald Reagan. En janvier 2002, le secrtaire la dfense, DonaldRumsfeld, exposait la nouvelle doctrine militaire des tats-Unis por-tant de deux quatre thtres majeurs la capacit d'interventionmilitaire mettre sur pied. Quelques semaines plus tard, la mi-mars2002, leLos Angeles Times rendait public un document secret du Pen-tagone intitul Nuclear Posture Review (Rvision de la politique nu-claire) voquant rien de moins que l'hypothse de l'utilisation de

    l'arme nuclaire contre des nations hostiles , parmi lesquelles laRussie, la Chine, l'Iran, l'Irak, la Libye, la Syrie et la Core du Nord.

    la faveur des attentats du 11 septembre 2001, le concept mmede dfense nationale tait largi pour inclure une nouvelle dimen-sion d'une importance significative, celle de la scurit nationale .Un Dpartement de la scurit nationale dot d'un norme budget,

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    dont l'ide germait depuis longtemps, a t cr en 2002 et coexistedsormais avec le Dpartement de la dfense cr la fin de laDeuxime Guerre mondiale. Pour assurer la scurit nationale, le pr-

    sident Bush annonait en juin 2002 l'intention des tats-Unis de re-courir, si ncessaire , des interventions militaires prventivescontre leurs adversaires. Cette proccupation maladive l'gard de lascurit nationale est voue jouer un puissant rle de promotion dudveloppement des technologies de l'information et des communica-tions dont les videntes retombes industrielles venir viennent sti-muler de nouveau un march boursier qui avait t dvast par l'ef-fondrement en mars 2000 de la bulle de la nouvelle conomie ,celle prcisment des valeurs technologiques. La consquence de l'en-semble de ces dcisions : une reprise spectaculaire des dpenses mili-

    taires mondiales qui ont bondi de 11 % en 2003 par rapport 2002aprs une hausse de 6,5 % l'anne prcdente, pour atteindre les 1 000milliards de dollars. Si les tats-Unis comptent pour prs de la moitide cette somme, les autres pays, parmi lesquels le Japon qui entendrviser sa constitution en consquence et la Russie qui souhaite re-trouver son statut de grande puissance, sont entrans dans leur sillage,ce qui pousse les tats-Unis acclrer encore davantage leur rythmeafin de prserver leur position de domination absolue.

    En dclenchant leur agression contre l'Irak au printemps 2003 mal-gr l'opposition du Conseil de scurit de l'ONU et en violation dudroit international, les tats-Unis ont franchi un pas qualitatif dansl'escalade des moyens entrepris pour imposer leur superpuissanceconomique, politique et militaire au reste du monde. Un pas quiconstitue pourtant l'aboutissement d'une politique qui cherchait dj s'exprimer, quoique de manire encore timide, ds leur mergencecomme puissance hgmonique en voie de se substituer la Grande-Bretagne entre les deux guerres mondiales ; le prsident WoodrowWilson avait alors dclar que les tats-Unis fourniraient au monde le

    gouvernement unique dont il avait besoin. Cette politique a marqu,aprs la Deuxime Guerre, les quarante-cinq annes d'opposition l'Union sovitique, au cours desquelles les tats-Unis, selon les paro-les de l'ex-prsident destitu Richard Nixon, estiment avoir agi en

    fonds de pouvoir de toute la civilisation occidentale . Elle n'a cessde s'affirmer depuis l'effondrement des rgimes staliniens d'Europe del'Est et de l'Union sovitique partir de 1989.

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    Pour mettre en lumire quel point cette aspiration agir commefonds de pouvoir de la civilisation occidentale a toujours t lie

    au besoin vital de garantir l'approvisionnement du pays en ressources,en particulier en ressources ptrolires, il est opportun de rappeler ladoctrine proclame en 1980 par le pacifiste James Carter, prixNobel de la paix, alors qu'il tait prsident des tats-Unis, selon la-quelle toute tentative d'obstruction de la distribution de ptrole seraitconsidre comme une menace visant les intrts vitaux des tats-Unis et de leurs allis et que tous les moyens ncessaires pour repous-ser cette menace devraient tre employs, y compris la force militaire.

    Tout compte fait, les vnements du 11 septembre 2001 n'ont-ils

    pas t un alibi providentiel pour les faucons tats-uniens dirigspar le prsident Bush, malgr les pertes de vie dplorer, les cots dela reconstruction des infrastructures dtruites New York et Was-hington et la srieuse atteinte au prestige du gant attaqu dans sesplus chers symboles ? Ils leur ont en effet redonn la fois un adver-saire combattre hic et nunc et la justification dune nouvelle relancedes dpenses militaires et d'un redploiement sans prcdent de leurintervention travers le monde.

    L'tat de sant conomique

    de la puissance hgmonique

    Retour la table des matires

    Quel aura t l'effet de cette relance massive des dpenses militai-

    res sur l'conomie des tats-Unis dont le prsident Bush rappelait enjanvier 2002 dans sonDiscours sur l'tat de l'Union qu'elle tait alors

    en rcession, peu aprs le dclenchement de la guerre en Afghanis-tan ? Pour mettre les choses en perspective, prcisons que mme si, 400 milliards de dollars, les dpenses militaires prvues dans l'exer-cice budgtaire de l'anne 2004 sont quivalentes aux dpenses mili-taires de tous les autres pays runis, ce montant, si lev soit-il, nereprsente toutefois que 3,6 % d'un PIB qui s'lve prs de 11 000milliards de dollars en 2004. des fins de comparaison, les dpenses

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    militaires reprsentaient en moyenne 38 % du PIB au cours des troisdernires annes de la Deuxime Guerre mondiale, 13 % pendant laguerre de Core et 8 % pendant la guerre du Vietnam. Ces fortes d-

    penses militaires avaient contribu faire passer le taux de croissanceannuel du PIB une moyenne de 11 % de 1940 1945, de 6 % de1950 1954 et de 4,5 % de 1964 1973. Le taux de chmage pour sapart tait pass de plus de 14 % en 1940 1 % en 1944, de 5 % en1950 3 % en 1953 et de 4,5 % en 1965 3,5 % en 1969. La reprisede la croissance dont on peut parler aujourd'hui est beaucoup plusmodeste, de l'ordre de 3,5 4 % pour les annes 2003 et 2004 avecune prvision de retour 3,5 % pour 2005, mme si elle est plus le-ve que la moyenne des pays industrialiss. Quant au taux de ch-mage, il n'a diminu que faiblement 5,4 % en 2004 partir d'un ni-

    veau de 6,1 % un an plus tt.

    Mais le vritable tat de sant conomique du colosse se mesureaussi l'ampleur de son double dficit et de l'endettement qui en d-coule. Nourri par les baisses d'impts pour les riches et par les dpen-ses militaires, le dficit budgtaire atteint les 410 milliards de dollarsen 2004, soit 3,6 % du PIB. Notons qu'il avait atteint 6 % du PIB audbut des annes 1980 lors de la frnsie de relance des dpenses mi-litaires sous la prsidence de Ronald Reagan. Plus grave, le dficit des

    changes commerciaux avec l'tranger quant lui s'lve 615 mil-liards de dollars en 2004, soit 5,4 % du PIB. Il est en partie compenspar des revenus des placements l'tranger de 45 milliards de dollarsla mme anne. Pour ce qui est de l'endettement qu'engendrent cesdficits, prcisons qu'aux tats-Unis, 45 % de la dette dtenue par lepublic est dtenue par des trangers qui, s'ils dcidaient pour quel-que raison que ce soit, y compris pour des raisons de tension politique,de retirer massivement ces fonds, provoqueraient une puissante crisede financement d'une conomie qui a dvelopp au cours des dcen-nies une remarquable dpendance face l'tranger. Dominant de ma-

    nire crasante le reste du monde et drainant ses ressources, les tats-Unis n'en sont pas moins d'une grande vulnrabilit.

    Fin du texte