la géographie de la renaissance (1420-1620)

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MÉMOIRES DE LA SECTION DE GÉOGRAPHIE

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Pour tout renseignement concernant la rédaction des publications du Comité des travaux historiques et scientifiques,

écrire au Comité, 58, rue de Richelieu, 75084 PARIS CEDEX 02.

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MINISTÈRE DES UNIVERSITÉS

COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQUES ET SCIENTIFIQUES

MÉMOIRES DE LA SECTION DE GÉOGRAPHIE - a, -

Numa BROC

LA GÉOGRAPHIE DE LA RENAISSANCE

(1420-1620)

PARIS BIBLIOTHÈQUE NATIONALE -

1980

Page 5: La géographie de la Renaissance (1420-1620)

ISBN 2-7177-1543-6

C BIBLIOTHÈQUE NATIONALE, PARIS, 1980 Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés

y compris la photographie et le microfilm, réservés pour tous pays.

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à la mémoire de Lucien G a/loi J- (i 8 jj-19 4I)

et de Charles de la Roncière ( 18/0-1941 )

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INTRODUCTION

Evoquer la géographie de la Renaissance, c'est faire surgir tout un monde d'images colorées : marins portugais plantant leurs padrâos le long des côtes africaines, Christophe Colomb au milieu d'Indiens emplumés, Magellan débouchant dans la Mer Pacifique, Jacques Cartier remontant l'estuaire du Saint- Laurent... Et certes, Colomb, Magellan, Vasco de Gama, Cartier et bien d'autres auront leur place ici. Mais à leurs côtés, apparaîtront des figures moins populaires, P. Apian, S. Münster, O. Fine, Thevet, Ramusio, Hakluyt, Acosta... tous — cosmographes, chorographes ou cartographes — auteurs de mappemondes, de recueils de voyages, de gros traités ou de simples monographies, représentant face aux « découvreurs » la véritable géographie. Leurs œuvres nous permettront, pour chaque génération, de faire le bilan du connu et de l'inconnu, et d'examiner comment les nouvelles notions géographiques, botaniques, ethnographiques... se sont intégrées au patrimoine culturel de l'Europe. Sans doute l'examen attentif de l'élargissement progressif de l'œcoumène fait-il partie intégrante de l'histoire de la géographie et la carte est, à cet égard, un témoin irremplaçable ; pourtant, cette discipline ne saurait se confondre, comme on l'a fait trop souvent, avec la simple histoire des « grandes découvertes ». Sa mission est de suivre les méandres de la « pensée » géographique et, à travers concepts et hypothèses, vérités naissantes et erreurs persistantes, de reconstituer patiemment l'Imago Mundi des contemporains, c'est-à-dire la représentation qu'ils peuvent se faire de leur planète avec ses zones et ses « climats », ses mers et ses continents, ses fleuves et ses montagnes, ses plantes et ses habitants...

Les historiens de l'époque romantique ont été si vivement frappés par la soudaineté apparente de l'expansion européenne, surgissant brusquement après la « nuit » du Moyen Age, qu'ils ont faussé la signification de l'œuvre de Colomb et de ses émules,

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et appauvri le contenu de la géographie renaissante. Non, cette science ne se réduit pas alors aux exploits de quelques « héros », résolument en avance sur leur temps ; il apparaît au contraire que les grandes découvertes n'ont pas eu, aux yeux des contem- porains, ce caractère imprévu, extraordinaire, fatidique que nous leur attribuons encore parfois, aujourd'hui. On pourrait même se demander si, loin de résumer et de recouvrir totalement la géographie du xvie siècle, les grands voyages maritimes n'ont pas été des conséquences bien plus que des causes. N'existerait-il pas dès le début du xve siècle un renouveau de la pensée géogra- phique lié à la redécouverte de Ptolémée, et un courant scientifique autonome ne se développerait-il pas tout au long de notre période, sorte de géographie savante en marge de la géographie des marins ? Ne peut-on discerner une doctrine géographique, indépendante des péripéties des voyages et des navigations ? Mieux, le géographe « de cabinet » ne s'érige-t-il pas quelquefois en guide et en mentor de l'explorateur ? Alors, Christophe Colomb, simple épiphénomène de Ptolémée et de Strabon ?

Cette interrogation en amènera bien d'autres et, pour mieux définir les courants multiples et souvent divergents de la géographie renaissante, il faudra faire la part de la théorie et de la pratique, du savoir livresque et de l'expérience vécue et démêler ainsi les relations ambiguës entre le principe d'autorité, c'est-à-dire la tradition, et les nouvelles réalités scientifiques.

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CHAPITRE I

PTOLÉMÉE ET CHRISTOPHE COLOMB

La véritable « bible » géographique de la Renaissance a été la Géographie de Ptolémée, et G. Gusdorf écrit avec raison que « la découverte de l'Antiquité (fut) la première en date des Grandes Découvertes» 1. Peu d'ouvrages, en effet, ont connu un succès comparable aux xve et xvie siècles sous forme manuscrite d'abord, imprimée ensuite. On sait que l' Astronomie de Ptolémée (sous son titre arabe d'Almageste) était connue en Occident depuis le XIIe siècle, grâce à la version latine de Gérard de Crémone. La Géographie, au contraire, traduite en arabe dès le IXe siècle, demeure ignorée en Occident jusqu'à l'aube du xve siècle. A cette époque la connaissance du grec est des plus limitées et les humanistes italiens vont se mettre à l'école de Byzance. Un lettré byzantin, Emmanuel Chrysoloras, s'installe à Florence comme professeur de grec et introduit dans la Péninsule de nombreux manuscrits parmi lesquels celui de la Géographie de Ptolémée. Quelques années plus tard, Palla Strozzi fait venir d'autres ouvrages grecs dont au moins une autre version de Ptolémée. Un des premiers élèves de Chrysoloras, Jacobus Angelus, entreprend la traduction du texte grec en latin et en fait hommage en 1409 au pape Alexandre V. La traduction d'Angelus qui est loin d'être parfaite (l'auteur était meilleur helléniste que mathématicien) se répand rapidement dans tout le monde savant et rares sont les grandes bibliothèques d'Europe qui n'en possèdent pas quelques exem- plaires. Certains manuscrits ne reproduisent que le texte, d'autres contiennent en plus les vingt-sept cartes de Ptolémée qui semblent en réalité avoir été dessinées par le Grec Agathodemon au 111e siècle. Dans quelle mesure ces cartes, dont on ne possède que des copies byzantines des XIIIe et xive siècles, représentent-elles les

1 GUSDORF (G.), Les origines des sciences humaines, p. 535.

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« originaux » de Ptolémée, c'est ce que les érudits s'efforcent de déterminer depuis plus d'un siècle sans grand succès.

Ce qui est certain, c'est que l'ouvrage, avec ou sans atlas, fait sensation et bouleverse les idées géographiques des contemporains. Beaucoup, d'ailleurs, ne font pas le rapprochement entre l'Almageste et la Géographie et parlent des « deux Ptolémée » ; certains attri- buent même l'ouvrage à l'un des Ptolémée, rois d'Egypte ! Assez vite, des cartes nouvelles sont ajoutées au recueil primitif. Dès 1427, l'« édition » dédiée au cardinal Fillastre contient une carte des pays du Nord, ignorés de Ptolémée, par Claudius Clavus. En 1466, Nicolas Germanus donne une autre édition manuscrite avec le texte de Jacobus Angelus et des cartes magnifiquement enluminées, mais surtout redessinées suivant une meilleure projection. Pourtant, la Géographie n'aurait pas atteint toute son efficacité sans le secours de l'imprimerie et la prodigieuse invention tend à faire de Ptolémée un auteur essentiellement moderne dont l'œuvre est plus un stimulant qu'un frein.

La première édition imprimée à Vicence en 1475, ne contenant pas de cartes, ne semble pas avoir eu une très large diffusion. Celle de Bologne, au contraire, fait date dans l'histoire de la géo- graphie (1478). Sans doute le texte latin emprunté à J. Angelus est rempli de grosses erreurs, mais les cartes sont du meilleur effet avec les mers enluminées en vert, les montagnes en bleu, les terres en jaune et rouge... Remarquons surtout les parallèles et les méridiens, tracés suivant la projection de N. Germanus, qui donnent dès l'origine aux cartes ptoléméennes ce cachet de préci- sion mathématique qui les distingue des portulans. La même année 1478, voit le jour à Rome l'édition de l'Allemand Schwein- heim, introducteur de l'art de l'imprimerie dans la capitale de la chrétienté. Les belles cartes de Bucking, gravées sur cuivre, reprennent pour l'essentiel les tracés de N. Germanus, mais représentent pour la première fois les montagnes sous la forme de « taupinières ». Sur ces cartes, C. Colomb méditera longuement et mûrira son grand dessein. Les cartes de Bucking, légèrement corrigées, seront reprises dans les éditions de Rome de 1490, 1507 et 1508. La troisième édition fondamentale du xve siècle finissant est celle d'Ulm (1482). Le texte reprend une fois de plus la traduction de J. Angelus et les cartes s'inspirent à nouveau de Germanus. La grande nouveauté est l'apparition de cinq cartes modernes (Italie, Espagne, Gaule, Palestine, pays du Nord), qui viennent s'ajouter au fonds ancien de Ptolémée. Des notices explicatives sont imprimées au dos des différentes cartes. Une réédition faite à Ulm en 1486 adjoint au texte de Ptolémée un petit opuscule De locis ac mirabilis tmmdi, compilation sur les pays, les mers, les montagnes, les catastrophes, les monstres, les pro- phéties... mais rien sur les premiers voyages portugais. L'année 1482 voit paraître également la première édition en langue vulgaire (italien) et en vers : il s'agit de la Geographia de Francesco

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Berlinghieri dédiée au duc d'Urbin. Ainsi, avant 1500, la Géographie de Ptolémée a déjà connu sept éditions et, pour les contemporains, ces énormes folios pèsent d'un autre poids que les minces brochures qui relatent en termes vagues la découverte de nouvelles îles à l'ouest de l'Europe...

En 1507 et 1508, paraissent à Rome deux éditions souvent difficiles à distinguer. L'édition de 1507 offre six cartes modernes, dont une de l'Europe centrale qui est la première carte imprimée de cette partie de l'Europe. L'édition de 1508 est surtout connue par la fameuse mappemonde de Ruysch, Universalior Orbis Cogniti Tabula qui, avant la découverte de la carte de Waldseemüller en 1900, était considérée comme la plus ancienne carte imprimée représentant une partie du Nouveau Monde. Nous aurons l'occasion de reparler de ce précieux document. L'édition publiée à Venise en 15 l l par Bernard Sylvanus est une tentative inté- ressante de conciliation entre l'ancienne et la nouvelle géographie. B. Sylvanus a l'ambition de corriger les cartes de Ptolémée en utilisant les portulans et les relations des navigateurs mais il échoue car il ne dispose que de données très éparses. Néanmoins, Sylvanus est un des premiers a avoir rompu avec la confiance aveugle que les savants du début du xvie siècle avaient en Ptolémée. Dans la diffusion de la Géographie de Ptolémée, les villes germa- niques semblent donner la réplique aux villes italiennes. Après Rome et Venise, voici Strasbourg. L'édition de 1513, dédiée à l'empereur Maximilien, offre une traduction très soignée du texte grec en latin, due à l'humaniste Mathias Ringmann, collègue de Waldseemüller au Gymnase de Saint-Dié. Mais l'extrême importance de l'édition alsacienne vient de son recueil de cartes : aux vingt-sept cartes de Ptolémée, plus ou moins corrigées s'ajoutent vingt cartes « modernes » d'une excellente facture. Après la mappemonde (Charta Marina), dix cartes sont consacrées aux différents pays européens, quatre sont des cartes chorographiques (Suisse, Lorraine, pays rhénans, Crète), cinq enfin concernent les terres nouvelles d'Afrique et d'Asie. C'est la première édition de Ptolémée qui s'ouvre largement aux grandes navigations portugaises et espagnoles. Portulans et relations de voyages ont été plus largement utilisés que par Sylvanus, aussi bien pour les tracés que pour la toponymie ; ainsi, l'abondante nomenclature qui garnit les côtes de l'Afrique australe et orientale est reprise du portulan de Caverio (1502) qui lui-même s'inspire des rapports de Vasco de Gama. On peut dire sans exagérer que le Ptolémée de 1513 constitue le premier atlas moderne ; aussi sera-t-il reproduit avec quelques corrections et adjonctions en 1520, 1522 et 1525... Jusqu'au mi- lieu du siècle, c'est dans l'œuvre des Alsaciens qu'on étudiera Ptolémée. lbis

Ibis LIVET (G.), « Géographes et cartographes en Alsace à l'époque de la Renais- sance », dans Colloque Grandes Figures de l'Humanisme Alsacien, Strasbourg, 1978, p. 183-201.

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En 1535, les presses de Lyon sortent la première édition « française » due au médecin... espagnol Michel Servet. Servet utilise l'excellente traduction latine de Pirckeymer (Strasbourg, 1525) et reprend également les cartes de la dernière édition strasbourgeoise. Servet ajoute d'importantes notices sur les grandes découvertes ainsi que des remarques d'ordre politique, religieux, géographique sur les principaux pays. Sa curieuse étude De Hispania et eiits ad Galliam Comparatione appartient au genre de la géographie comparée, dont étaient friands les hommes de la Renaissance. Reprise à Vienne (Dauphiné) en 1541, l'édition de Michel Servet ne marque aucun progrès sur le plan carto- graphique. L'édition de Bâle (1540) signale l'entrée en scène du grand cosmographe Sébastien Munster. Les cartes donnent pourtant une assez piètre idée de ses talents de cartographe : absence de coordonnées pour les cartes modernes, absence fréquente de graduations marginales, pauvreté des cartes d'Asie et d'Amé- rique, médiocrité dans l'expression du relief. De plus, en contraste avec la sobriété des éditions de Rome ou de Strasbourg, Münster surcharge ses cartes de monstres ou de sauvages qui n'ont rien à voir avec les pays où ils sont représentés. Par contre, les cartes « régionales » sont assez bonnes et l'auteur a visiblement utilisé les matériaux rassemblés pour la Cosmographie alors en préparation. L'édition de Bâle, republiée en 1542, 1545, 15 51, 1552 marque la fin de la période héroïque de redécouverte de Ptolémée. Il est à remarquer que les villes rhénanes (Bâle, Strasbourg) ont succédé aux villes italiennes comme centres de diffusion : on ne note en effet aucune édition italienne entre Venise (15 11) et 1548. Les cartes de Ptolémée qui constituaient un progrès, une nouveauté dans la première moitié du siècle, se sont progressivement démo- dées ; à mesure que le siècle avance, les cartes modernes sont de plus en plus nombreuses et les cartes originales ne forment plus qu'une sorte d'atlas rétrospectif. C'est ainsi que doivent être comprises les éditions vénitiennes qui s'échelonnent entre 15 48 et 1596 : Gastaldi (1548), Ruscelli (1561), Magini (1596). Gastaldi donne en 1548 la première édition de petit format et en italien ; il s'intéresse visiblement plus aux trente-quatre cartes modernes, dont certaines très exactes du Nouveau Monde, qu'au vieux stock ptoléméen. Ruscelli, quant à lui, reprend la plupart des cartes de Gastaldi mais il innove en divisant le globe en deux hémisphères circulaires représentant l'un le Nouveau Monde, l'autre l'Ancien. Les cartes de Ruscelli serviront de modèle aux artistes chargés de la décoration des galeries du Vatican.

Parmi les éditions marquant le crépuscule de Ptolémée nous ne signalerons que celle de Mercator (1578), en précisant avec L. Gallois que « Mercator n'accorde plus à Ptolémée qu'une valeur historique »2. Avec l'édition de 1578, « le règne du géo-

2 GALLOIS (L.), Les géograpbes allemands de la Renaissance, p. 241.

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graphe grec est terminé ». Depuis le Theatrum Orbis Terrarum d'Ortelius (1570), le divorce est consommé: le premier atlas entièrement moderne est né.

Ainsi, pour le géographe de la Renaissance, Ptolémée constitue le point de départ, la base solide à partir de laquelle peut s'édifier la nouvelle géographie. Humboldt a bien montré « la liaison intime qui existe alors entre géographie ancienne et géographie moderne. De même que de nos jours on a longtemps ajouté les découvertes nouvelles d'histoire naturelle au Systema Natttrae de Linné, on ajoutait depuis 1486 aux éditions de Ptolémée des cartes modernes de l'Europe, et depuis 1508 des cartes de l'Amérique »3. Il serait inexact de ne voir en Ptolémée qu'un « arrière-plan », qu'une « influence » parmi d'autres ; Ptolémée fait partie intégrante de la géographie de la Renaissance. A cet égard, il est nécessaire d'examiner rapidement le contenu de sa Géographie.

La Géographie de Ptolémée, divisée en huit livres, comprend essentiellement deux parties : un ensemble de principes généraux concernant la géographie et la confection des cartes ; un catalogue de lieux déterminés plus ou moins exactement. Ptolémée part de la distinction entre la géographie, description de l'ensemble du globe terrestre, et la chorographie, description d'une ou de plusieurs de ses parties. Ce parallèle semble avoir frappé les géo- graphes du xvie siècle qui, presque tous, le développent abondamment. Ptolémée évoque ensuite la difficulté de rassembler des matériaux sûrs pour l'établissement d'une carte ; journaux de voyages, relations, itinéraires..., souvent peu précis, doivent être complétés par des observations astronomiques. Seul Hipparque a essayé de construire la carte du monde à partir d'un réseau de méridiens et de parallèles. Puis est longuement discutée et critiquée l'œuvre de Marin de Tyr, que nous ne connaissons d'ailleurs que par Ptolémée. Quelles sont les dimensions de l'œcoumène ? Vers le nord, on ne peut guère dépasser la limite de Thulé atteinte par Pythéas, alors que vers le sud, il faut pousser au-delà de l'équateur jusqu'au pays des Aethiops et des rhinocéros, reconnu par les Romains. Mais que représente cette région d'Agisymba que Ptolémée situe par erreur largement au sud de l'équateur ? Le sud du Sahara ou la région du Tchad ? D'ouest en est, Marin de Tyr attribue 225 degrés au monde habité, depuis les îles Fortunées (Canaries) jusqu'au pays des Sères (Chine) et Cattigara. Mais, grave question, combien vaut le degré de longitude : 500 ou 700 stades ? Ptolémée insiste ensuite sur la division de la terre en « climats », zones parallèles à l'équateur à l'intérieur desquelles la durée du jour le plus long (au solstice) ne varie pas de plus d'une heure ou d'une demi-heure. Ainsi, les vingt et un parallèles qui s'échelonnent entre Méroé et Thulé sont-ils regroupés en huit

3 HUMBOLDT (A.), Examen critique de l'histoire de la géographie du nouveau continent, IV, p. 108.

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climats horaires. La plupart des mappemondes du xvie siècle indiqueront non seulement l'échelle des degrés, mais encore celle des « climats ».

Ptolémée s'étend longuement sur le problème des projections : comment respecter les distances et les surfaces en projetant une portion de la surface terrestre sur une surface plane ? Ptolémée critique Marin de Tyr qui traçait des méridiens et des parallèles se coupant à angle droit, mais curieusement, la plupart de ses propres cartes sont construites suivant ce procédé. Seule la mappe- monde utilise une projection conique avec parallèles équidistants et méridiens convergents vers le nord. Ptolémée décrit diverses autres projections qu'il n'emploie pas lui-même, mais que des géographes du xvie siècle comme Werner ou P. Apian essaieront de mettre au point. La deuxième grande partie de la Géographie est un répertoire des quelque 8 ooo lieux localisés sur les cartes. Chaque lieu est accompagné de ses coordonnées et plus rarement de quelque particularité curieuse. On trouve également une description de la carte du monde avec énumération des océans, îles, golfes, fleuves, villes... les plus importants.

C'est d'ailleurs en examinant les cartes de Ptolémée, beaucoup mieux qu'en lisant sa Géographie, qu'on peut se faire une idée de sa vision du monde.

Les particularités de la carte du monde de Ptolémée s'expliquent par l'addition de deux séries d'erreurs : des erreurs d'ordre géo- graphique, c'est-à-dire de tracé ; des erreurs d'ordre astronomique, affectant les dimensions des principales masses continentales. Erreurs de tracé, d'abord. Certaines sont mineures, comme la curieuse déformation de l'Ecosse vers l'est, ou l'escamotage de la Scandinavie, réduite à deux îles, Thulé et Scandia. D'autres sont plus graves: disproportion entre une minuscule péninsule indienne et une énorme île de Taprobane (Ceylan) ; dédoublement de la presqu'île malaise avec une Chersonèse d'Or bordée par un vaste golfe, le Sinus Magnus. Mais l'erreur la plus surprenante du géographe alexandrin est sa conception de l'océan Indien-mer fermée : l'Afrique orientale et l'Asie sont en effet reliées au sud de l'équateur par une longue côte rectiligne qui délimite un conti- nent austral, appelé Terra Incognita.

Plus lourdes de conséquences sont les déformations systéma- tiques en latitude et en longitude. En latitude : réduction de la distance entre Baltique et mer d'Azov, ce qui a pour résultat un amincissement excessif de la Sarmatie (Russie). En longitude, on remarque une extension excessive de la Méditerranée dans le sens est-ouest : Ptolémée compte 62 degrés entre Gibraltar et la côte de Syrie, c'est-à-dire un tiers en trop. Extension excessive aussi de l'œcoumène sur 180 degrés, d'après les calculs de Posi- donios. Pour Eratosthène, le monde habité ne représentait que 2/7 du pourtour de la terre, pour Ptolémée il en représente la moitié ! Ces erreurs, on le sait, tiennent en partie au choix arbitraire

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de 500 stades pour un degré équatorial, fait par Ptolémée. Par contre, notre géographe sous-estime les dimensions totales du globe terrestre : alors qu'Eratosthène était parvenu à une évalua- tion très proche de la réalité (250 000 stades de circonférence), Ptolémée suivant encore Posidonios, réduit cette distance à 180 ooo stades. Sous-estimation de la circonférence terrestre, surestimation des dimensions de l'Eurasie : ces deux « erreurs fécondes » se conjuguant, auront à la fin du xve siècle les consé- quences que l'on sait.

Ainsi, malgré et souvent à cause de ses faiblesses, la Géographie de Ptolémée a été pour les savants comme pour les hommes d'action, plus un stimulant qu'un handicap. Le texte, renforcé par les cartes, a largement répandu l'idée que les côtes occidentales de l'Europe ne sont pas très éloignées de celles de l'Extrême-Orient. Grâce à Ptolémée, les vieilles prophéties des Anciens, et notamment celles de Sénèque, prennent une consistance scientifique.

L'énorme diffusion de Ptolémée dans les milieux lettrés ne doit pas faire négliger les autres géographes de l'Antiquité. Strabon, que tout le Moyen Age a ignoré, est lui aussi redécouvert. Ses manuscrits sont très rares et la publication de la traduction en latin de la Géographie, faite à Rome en 1470, est une véritable révélation. L'influence de Strabon semble très limitée et la première école allemande l'ignore ; on lui préfère des auteurs moins origi- naux comme Pomponius Mela (1471) ou Denis le Périégète (1477). Le seul succès de librairie qui puisse se comparer à la Géographie de Ptolémée est l'Histoire Naturelle de Pline l'Ancien, dont on a dénombré trente-huit éditions entre 1469 et 1532 ! Malgré sa faible valeur scientifique, Pline jouit d'une incroyable faveur... Tout le monde le lit ; c'est la véritable Encyclopédie de la Renais- sance. Dans l'orbite de Pline gravitent des compilateurs, des « abréviateurs », comme le « polyhistor » Solin, irrévérencieuse- ment surnommé « le singe de Pline ».

Le thème du « retour à l'Antiquité » est un des lieux communs de l'historiographie de la Renaissance, mais on aurait tort de négliger une autre réalité que certains historiens, soucieux de faire ressortir la « modernité » du xvie siècle, passent sous silence, c'est la persistance de l'esprit médiéval. On a pu affirmer, sans goût du paradoxe, que « Christophe Colomb découvrit le Nouveau Monde sans sortir lui-même de l'Ancien »4. Ainsi, les hommes de la Renaissance ont-ils connu la science antique soit directement, grâce à l'édition des grandes œuvres, soit à travers le prisme déformant des auteurs médiévaux. Un rapprochement chronolo- gique nous paraît significatif : un an après la première édition de Ptolémée, est imprimée à Strasbourg (1476) la plus célèbre ency- clopédie du Moyen Age, le Spéculum de Vincent de Beauvais. Cette vaste compilation, datant du milieu du XIIIe siècle, comprend

4 GUSDORF (G.), La révolution galiléenne, I, p. 85.

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quatre parties : le Speculum morale, qui est un cours de théologie et de morale, le Spéculum doctrinale, qui traite de l'ensemble des sciences (y compris la grammaire et la musique), le Speculum historiale renferme une chronique du monde des origines à 1245, le Spéculum naturale enfin, plus proprement géographique, traite de la nature des choses, de la situation des lieux, de la cosmographie, des voyages... Le Spéculum naturale voit se côtoyer dans un certain désordre des extraits d'Aristote, de Pline, de Solin, de Sénèque, de Ptolémée, sans parler des encyclopédistes médiévaux antérieurs : Isidore de Séville ou Paul Orose. En langue vulgaire, on lit aussi le Livre du Trésor de Brunetto Latini, légèrement postérieur au Spéculum ; la première partie du Trésor est une façon d'encyclopédie cosmographique qui doit beaucoup à Solin.

Dans les écoles, on fait grand cas de la Sphère de Sacrobosco, sorte de compendium des connaissances astronomiques et cosmo- graphiques de l'Antiquité. Rédigé vers 1230 à Paris, « ce petit traité bien humble... fut copié sans relâche et répandu à profusion... Les manuscrits qui le renferment fourmillent dans les bibliothèques ; ce fut le premier traité d'astronomie reproduit par l'imprimerie naissante qui en multiplia les éditions. Sans parler des traductions françaises, italiennes, espagnoles, anglaises, hébraïques même, on en connaît 144 éditions latines ! »5. P. Duhem signale sa présence dans les bibliothèques scolaires d'Allemagne et des Pays-Bas en plein XVIIe siècle et la troisième édition elzévirienne date de I647. De toutes façons, le grand nombre d'écrivains médiévaux cités au xvie siècle ne doit pas faire illusion ; Vincent de Beauvais ou Sacrobosco « ne nous livrent dans la plus large mesure rien d'autre qu'Aristote, Pline ou Mela, abrégés et compilés » 6.

Les relations de voyages jouissent également d'une grande popularité mais les lecteurs ne font pas toujours le départ entre les voyages réels et les voyages imaginaires. Ainsi considère-t-on souvent le Million de Marco Polo comme un répertoire de fables et de merveilles alors que les fantaisies de Jean de Mandeville sont prises au sérieux. Dès 1375, pourtant, l' Atlas Catalan repré- sente l'Asie orientale en s'inspirant de Marco Polo, mais le voyageur vénitien n'est véritablement redécouvert qu'à la fin du xve siècle. A partir de 1477, se multiplient les éditions du Livre des Merveille s, mais contrairement à Ptolémée, Marco Polo est publié en langue vulgaire (allemand en 1477, portugais en 1502, espagnol en 1503...). Il faut bien reconnaître que par l'imprécision de ses récits, Marco Polo ne facilite pas le travail des savants et notamment des cartographes.

Le xve siècle demeure avant tout le temps des encyclopédies et des compilations. A l'extrême début du siècle (1410), le cardinal

5 DAINVILLE (F. de), La géographie des Humanistes, p. n. 6 DAINVILLE (F. de), ibid., p. 51.

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Pierre d'Ailly compose son Imago Mundi, en empruntant aux Anciens (Aristote, l'Almageste de Ptolémée, Pline, Sénèque), aux Arabes et aux docteurs de l'Eglise (saint Augustin, Albert le Grand). Très respectueux de l'autorité, Pierre d'Ailly évite géné- ralement de prendre parti : ainsi, parlant de l'Antichtone et du continent austral, il passe en revue les opinions de ses prédécesseurs sans se prononcer personnellement. Il professe pourtant quelques opinions originales : « ouverture » de l'océan Indien vers le sud ; extension de l 'Eurasie sur 225 degrés, suivant les calculs de Marin de Tyr. O n sait que Christophe Colomb annotera abondamment l'Imago Mundi et soulignera certaines citations reprises d 'Aris tote comme : « La région des Colonnes d 'Hercule et l ' Inde sont baignées par la même mer. » ^Eneas Sylvius Piccolomini, qui devient pape en 1458 sous le n o m de Pie II, rédige dans la deuxième moitié du siècle une Cosmographie, imprimée à Venise en 1477 sous le titre Historia Weritm "biqlfe gestarum. Très instruit (il utilise largement Strabon), Pie II s'efforce de faire la synthèse entre la géographie moderne et celle des Anciens. Il semble s'inspirer de Pierre d'Ailly dans ses chapitres généraux sur la Terre, la répartition des continents, l 'habitabilité des Tropiques et des régions arctiques, l'accès aux Indes par l 'Ouest. . . Mais il incorpore aussi des informa- tions sur l'Asie tirées de Marco Polo et d 'Odor ic de Pordenone.

Comme l' Imago Mundi, la Cosmographie de Pie II a été un des livres de chevet de Chris tophe Colomb.

D'autres œuvres à caractère encyclopédique véhiculent plus de légendes que de science. Ainsi L a Salade d 'Anto ine de la Salle, composée vers 1440 pour l ' instruction du fils du roi René d 'Anjou, ou la Margarita Philosophie a de Georges Reisch, don t nous compre- nons mal aujourd 'hui l 'extraordinaire diffusion. Rédigée vers 1496 par le confesseur de l 'empereur Maximilien, éditée à Strasbourg dès 1503, la Margarita ignore tou t des voyages portugais mais reprend la plupart des fables géographiques du Moyen Age sur les monstres et la zone torride. Le succès durable de cet ouvrage, qui sera imprimé jusqu'à la fin du xvie siècle, montre que le public lettré s'intéresse plus à une certaine géographie fantastique qu'aux exposés r igoureux de Ptolémée. Beaucoup de mythes et de légendes issus de l 'Antiqui té (Ctésias, Pline, Solin...), développés au xive siècle, s 'épanouissent en pleine Renaissance. L ' Inde demeure la terre privilégiée des merveilles et des prodiges : c'est là qu 'on rencontre les pygmées, les géants, les griffons et toute une panoplie d 'animaux et d 'hommes monstrueux. Le christianisme ajoute ses propres légendes : on essaie très sérieusement de localiser le Paradis terrestre et les quatre fleuves qui en découlent ; on recherche avec enthousiasme le fabuleux pays d 'Ophir , d 'où le roi Salomon faisait venir l 'or, l ' ivoire et les épices ; mais se trouve-t-il dans les Indes, en Afrique orientale ou en Arabie heureuse ? E t que dire du royaume mystérieux de G o g et de Magog, aux confins de la Scythie et des pays hyperboréens ? Un des mythes

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les plus tenaces est celui du Prêtre Jean qui se dit lui-même mo- narque des « Trois-Indes ». Au XIIIe siècle, on recherchait ses États en Géorgie et en Tartarie, plus tard aux « Indes » ; au xve siècle, la plupart des traditions les situent en Ethiopie. Ainsi, au fil des siècles, le royaume du Prêtre Jean a-t-il « glissé » des profondeurs de l'Asie aux confins de l'Afrique noire. Le mythe de l'Atlantide, enfin, reprend une nouvelle jeunesse avec la quête des îles enchantées de l'océan occidental : Brasil, Antilia, Sept- Cités, Saint-Brandan...

Toute cette géographie fantastique se déploie dans Y Atlas Catalan de 1375 et dans maints portulans du xve siècle, mais il serait faux de croire que les grandes découvertes vont faire triompher instantanément la géographie « positi ¡Te». L'homme de la Renaissance, souvent incapable de distinguer le réel du surnaturel, transférera simplement ses mythes de l'Ancien vers le Nouveau Monde. Le goût du merveilleux, autant que la quête de l'or ou de la connaissance, demeure un des moteurs les plus actifs de l'aventure lointaine et du progrès géographique.

Une remarque finale s'impose : l'imprimerie, à qui on attribue un rôle capital dans la diffusion des nouvelles connaissances géogra- phiques, est en réalité une arme à double tranchant puisqu'elle a servi d'abord à répandre l'ancienne géographie. Quand on sait de quel poids pèsent la tradition et l'autorité des Anciens, il est facile de comprendre combien les vieux préjugés et les erreurs séduisantes auront la vie dure. Entre les opinions divergentes d'un Pline et d'un quelconque voyageur moderne, l'érudit de la Renaissance n'hésite pas : il fait confiance à l'auctoritas. Il y aurait donc quelque illusion à exagérer la « modernité » du xvie siècle, en insistant sur la coupure Moyen Age-Renaissance. Les Renais- sants ont fait progresser le savoir « en regardant en arrière... Tout au long de l'âge médiéval et de l'âge renaissant, la vérité n'a pas à être inventée parce qu'elle est déposée dans les livres des Anciens... elle est d'ordre philologique » 7, et L. Gallois précise : « Toutes les données nouvelles qui ne sont pas venues par les livres, n'ont point ...le prestige de l'Antiquité ; elles peuvent être objet de curiosité, elles ne sont point objet de science »8.

Face au bloc solide des certitudes traditionnelles, les nouvelles notions géographiques et la nouvelle image du monde ne seront pas acceptées sans combats. L'évocation de l' « arrière-plan » antique et médiéval était nécessaire afin de mieux faire saisir l'originalité de la littérature géographique de la Renaissance, littérature de rupture mais aussi littérature de continuité.

7 GUSDORF (G.), La révolution..., I, p. 92. 8 GALLOIS (L.), op. cit., p. 119.

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CHAPITRE II

CONNAISSANCE DES GRANDES DÉCOUVERTES

Nous avons tendance à croire qu'une découverte scientifique ou géographique faite, elle est immédiatement diffusée, vulgarisée et acceptée par tous. Les historiens des découvertes qui retracent avec un luxe de détails les moindres péripéties des grands voyages, nous disent rarement comment ces voyages ont été connus par les contemporains, comme si cet aspect des choses avait peu d'impor- tance. « Il apparaît au contraire à l'historien qu'un intervalle de temps, souvent long, sépare une découverte de sa diffusion et de son assimilation par les honnêtes gens.1 » Il peut être intéressant de suivre les étapes et les avatars de cette transmission en examinant en particulier les points suivants : Sous quelle forme les informations relatives aux découvertes se sont-elles répandues dans le public ? Lettres manuscrites ou imprimées, brochures, livres, recueils ? En quelle langue : latin ou langues vulgaires ? Combien d'éditions et de traductions ont connu ces textes ? Cet aspect nous paraît particulièrement important pour apprécier le succès, le « poids » d'une œuvre. La diffusion a-t-elle été immédiate ou différée, lente ou rapide ? A qui étaient destinées plus spécialement les relations géographiques ? A partir de quels centres a rayonné la connaissance des mondes nouveaux ? Et enfin, « last but not least », cette littérature a-t-elle un contenu « géographique » ?

Au cœur même de la géographie de la Renaissance se dresse la figure encombrante de Christophe Colomb dont l'œuvre écrite est loin d'être à la hauteur de l'action pratique. Le premier voyage est connu par une lettre en espagnol adressée par l'amiral à son protecteur, le chancelier de la couronne d'Aragon, Luis de Santangel. Cette relation abrégée, dont un duplicata fut envoyé au trésorier du royaume G. Sanchez, aurait été écrite au milieu

1 DAINVILLE (F. de), « Les découvertes portugaises à travers des cahiers d'écoliers parisiens de la fin du xvie siècle », dans Ve Colloque d'histoire maritime, p. 39.

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2. Lettre de Vespucci écrite en italien de Lisbonne le 4 septembre 1504 à Pie S oderini, et éditée à Florence l'année suivante. Surtout connue par sa version latine Quatuor Navigationes (Saint-Dié, 1507). Bon exemple de ces petites brochures

qui ont fait connaître en Europe la découverte de l'Amérique.

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du mois de février 1493, alors que les caravelles n'avaient pas encore regagné le continent européen. Afin de faire reconnaître leurs droits sur les nouvelles terres, les Rois Catholiques font aussitôt traduire la lettre en latin par le Catalan Léandre de Cosco et la font imprimer à Rome dès le mois de mai 1493. La Lettre à Sanchez bénéficie d'une diffusion très rapide en Europe occidentale ; sous le titre De Insttlis nuper inventis, elle connaît neuf éditions en 1493-1494 (Rome, Paris, Bâle, Anvers). Il faut signaler en particulier l'édition de Bâle (1494) enrichie d'émouvants bois gravés montrant la flottille du découvreur parmi les îles nouvelles : Isabella, Fernan- dina, San Salvador, Hispaniola... Grâce à la lettre à Sanchez, « la nouvelle de la découverte courait partout, non seulement en Espagne et au Portugal qui y étaient directement intéressés, mais en Italie, tant à Rome que dans les villes marchandes et aux cours des princes humanistes... On ne la traduisit toutefois en allemand qu'en 1497 et il semble que l'Europe du Nord s'intéressa peu à la découverte. 2 »

Les voyages ultérieurs de Colomb n'ont pas bénéficié de la même publicité. Le deuxième et le troisième ne sont connus que par le Journal aujourd'hui perdu ; pour le dernier voyage, nous ne disposons que d'une lettre aux souverains espagnols écrite à la Jamaïque le 7 juillet 1503. De nombreuses copies manuscrites ont circulé en Europe jusqu'à ce qu'elle soit traduite en italien et publiée à Venise en 1505 sous le titre Copia de la lettera che scrisse Don Cristoforo Columbo, vicere di Spagna e altllirante de la in suie Indie, alli christianissimi e potentissimi Re e Regina di Spagna... Très faible- ment diffusée, généralement ignorée par les contemporains même (sauf Las Casas), elle est devenue très vite une rareté bibliographique connue sous le nom de Lettera rarissima. La Lettre à Sanchez et la Lettera rarissima sont les deux seuls textes imprimés du vivant de Colomb ; le Journal de bord, demeuré manuscrit, a été utilisé par ses premiers historiens, Las Casas (1552) et son fils Fernando (1571). Tous les autres textes de Colomb n'ont été exhumés et publiés qu'au xixe siècle. 3

La méconnaissance de l' ensemble des voyages de Colomb par ses contemporains est la cause indirecte de la fortune d'Amerigo Vespucci. La lettre de Vespucci à Lorenzo di Pietro Medici, ambassadeur de Florence en France (1502), relate son troisième voyage (1501-1502) le long des côtes du Brésil. Traduite en latin, elle est imprimée d'abord à Paris en 1503 puis à Venise (1504) sous le titre Mundus Novtts. L'édition de Strasbourg (1505) par Ringmann, du Gymnase de Saint-Dié, porte le nouveau titre De ora antarctica per Regem Portugalliae pridem inventa... On compte onze éditions latines de 1503 à 1506 et pas moins d'une cinquantaine pour la première moitié du xvie siècle. C'est un des textes géogra-

2 VERLINDEN (Ch.), Christophe Colomb, p. 71. 3 Voir CIORANESCU (A.), Œuvres de Christophe Colomb, 1961.

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3. L'acte de naissance de l'Amérique. Page de la Cosmographiae Introductio de Waldseemùller (1507) proposant de baptiser les nouvelles terres du nom J'America : « Et maintenant en vérité que ces parties ont été plus largement explorées, et qu'une autre quatrième partie... a été découverte par Americo Vespuce, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait appeler cette quatrième partie d'après Americo, le découvreur, homme à l'esprit sagace, America, c'est-à-dire la terre d'Americo, puisque l'Europe et l'Asie ont reçu des noms de femmes ». Remarquer que c'est

dans la marge que America trouve sa forme définitive.

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phiques les plus largement répandus de la Renaissance. Quant au recueil Quatuor Navigationes, il rassemble les relations des quatre voyages que le Florentin aurait effectués de 1494 à 1504, mais on sait que l'authenticité du premier et du quatrième est fortement contestée par les historiens. L'opuscule des Quatre Navigations, adressé par Vespucci à son ami Pier Soderini, gonfalonier de Florence, parvient par des chemins détournés à la petite cour de Saint-Dié, où le duc de Lorraine René II accorde sa protection aux humanistes et en particulier aux géographes. Le lettré Waldsee- müller (en latin Hylacomylus) qui prépare une édition de Ptolémée décide en 1507 de publier les Quatuor Navigationes à la suite de sa Cosmographia Introductio et il écrit la phrase décisive : « Une quatrième partie du monde a été découverte par Amerigo Vespucio... Je ne vois aucune raison pour ne pas appeler cette partie Ameriga c'est-à-dire terre d'Amerigo, ou America d'après l'homme sagace qui l'a découverte. » C'est l'acte de naissance de l'Amérique et la preuve que vers 1507-1508 les milieux cultivés d'Allemagne connaissent mieux Vespucci que Colomb.

Après les relations des voyageurs, apparaissent très vite les compilations et les premiers recueils dus à la plume de « savants de cabinet ». Les Décades de Pierre Martyr d'Anghiera demeurent une des sources les plus sûres de l'histoire des découvertes. Pierre Martyr (1455-1526), historien italien fixé en Espagne, accomplit de nombreuses missions diplomatiques pour Ferdinand et Isabelle. Membre du Conseil des Indes, il est particulièrement bien placé pour rassembler les informations qui convergent vers la Cour d'Espagne. Epistolier infatigable, sorte de journaliste avant l'heure, il adresse à partir de 1493 une série de lettres ou Décades à divers prélats italiens qui les font circuler largement. La première intitulée De Orbe Novo relate le premier voyage de Colomb, les Décades suivantes racontent les autres voyages du Génois et de ses successeurs immédiats. Les trois premières Décades, dédiées à Charles-Quint, ont été éditées à Alcalâ de Henares en 1516, la quatrième à Bâle en 152 l ; l'œuvre complète (huit Décades), De Orbe Novo Decades Octo ne paraîtra qu'après la mort de l'auteur à Alcalâ en 1530. En 1532, un libraire parisien édite en français des fragments des premières décades et pendant tout le xvie siècle, l'œuvre de Pierre Martyr sera pillée sans vergogne, dépecée, fragmentée, adaptée dans toutes les langues. Ainsi, par exemple, le Libretto de tutte le navigazione de Re di Spagna, publié anonymement à Venise en 1504, démarque-t-il allègrement les Décades. Pierre Martyr est bien le véritable « découvreur littéraire du Nouveau Monde » ; on ne trouve pourtant chez lui ni descriptions pitto- resques, ni observations de géographie ou d'histoire naturelle, mais seulement une trame événementielle assez exacte4.

4 MARIÉJOL (J.H.), Un lettré italien à la cour d'Espagne : Pierre Martyr d'Anghiera, 1887.

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DERNIERS OUVRAGES PUBLIÉS

Actes du... Congrès des sociétés savantes... Section de Géographie. — Paris, Bibliothèque nationale. — 24,5 cm. 97e Congrès, Nantes, 1972. — 363 p 125 F 99e Congrès, Besançon, 1974. — 248 p 85 F

100e Congrès, Paris, 1975. — 360 p 120 F 101e Congrès, Lille, 1976. — 372 p 165 F 102e Congrès, Limoges, 1977. — 272 p 125 F 103e Congrès, Nancy-Metz, 1978. — 306 p 130 F 104e Congrès, Bordeaux, 1979. — 286 p .... . . . . . . . . . . . . . .

Bulletin de la section de géographie. — Paris, Bibliothèque nationale. — 24,5 cm. 1968-1974. —T. LXXXI, Les géographes français. 203 p. 60 F 1975-1977. —T. LXXXII, Etudes de géographie histo-

rique. — 206 p 90 F 1978. - T. LXXXIII, Études de géographie médicale.

1. Les pays tropicaux. — 188 p

Mémoires de la section de géographie. Paris Bibliothèque nationale. — 24,5 cm. 5. Babonaux (Y.). — Le lit de la Loire. Etude d'hydrody-

namique fluviale. — 1970. — 252 p 40 F 6. Rey (V.). — Brasov. Une vocation urbaine. — 1975. —

145 p 45 F 7. Vernière (M.). — Dakar et son double: Dagoudane

Pikine. — 1977. — 278 p 110 F 8. Mazataud (P). — Les constructeurs de matériel informa-

tique en France. — 332 p . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 F

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